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Full text of "L'évolution du verbe en anglo-français 12e-14e siecles"

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L'ÉVOLUTION 

DU   VERBE 

EN 

ANGLO-FRANÇAIS 

(XIP-XIV   SIÈCLES) 


F.  J.  TANQUEREY 

DOCTEUR    ES   LETTRES 


PARIS 

LIBRAIRIE    ANCIENNE    HONORÉ    CHAMPION 

EDOUARD    CHAMPION 

S,   QDAI  MALAQUAIS,    $ 
I9IS 

Téléphone:  Gobelins  28-20 


L'ÉVOLUTION  DU  VERBE 


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ANGLO-FRANÇAIS 


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MAÇON,  PROTAT  FRÈRES,  IMPRIMEURS. 


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L'ÉVOLUTION 

DU   VERBE 

EN 

ANGLO-FRANÇAIS 

(XIP-XIV^   SIÈCLES) 


F/jr'^TANQUEREY 


DOCTEUR    ES    LETTRES 


PARIS 
LIBRAIRIE    ANCIENNE    HONORÉ    CHAMPION 

EDOUARD    CHAMPION 

5,    Q.UAI    MALAQ.UAIS,    5 
I9I5 

Téléphone:  Gobelins  28-20 


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INTRODUCTION 


Tous  les  philologues  ont,  semble-t-il,  exprimé  sur  la  nature  de 
l'anglo-français  des  opinions  différant  fort  peu  les  unes  des  autres. 
D'abord  ils  admettent  tous,  et  avec  une  rare  unanimité,  qu'on  ne 
saurait  le  considérer  comme  un  dialecte  français.  Nous  ne  ferons 
aucune  difficulté  pour  faire  nôtre  l'idée  généralement  reçue  et  nous 
ne  nous  imposerons  pas  la  tâche  impossible  de  comparer  le  fran- 
çais d'Angleterre  au  français  de  Bourgogne  ou  de  Picardie.  Mais, 
et  cette  question  de  dialecte  mise  à  part,  nous  ne  pouvons  pas 
accepter  entièrement  les  idées  qui  ont  cours  sur  le  caractère  de 
l'anglo-français.  Pour  montrer  ce  qui  le  distingue  des  dialectes  du 
continent  et  préciser  un  peu  sa  nature,  que  la  négation  qui  précède 
n'explique  pas,  on  dit  simplement  qu'il  est  une  sorte  de  français 
mal  su,  mal  parlé,  mal  écrit.  C'est  ce  que  nous  trouvons  exprimé 
dans  cette  phrase  de  Gaston  Paris  (Vie  de  saint  Gilles,  xxxv)  : 

«  L'anglo-normand,  y  lisons-nous,  n'est  pas  à  proprement  par- 
ler un  dialecte;  il  n'a  jamais  été  qu'une  manière  imparfaite  de  par- 
ler le  français  ;  ceux  même  qui  s'en  servaient  avaient  conscience  de 
cette  imperfection  et  cherchaient  à  l'atténuer,   soit  chez  eux,  soit 

chez  leurs  enfants On   parlait  plus    ou  moins    bien,  sans  que 

jamais  on  pût  empêcher   quelques    traits    anglo-normands  de  se 
glisser  dans  ses  discours  ou  ses  écrits.  » 

Nous  avons  cité  cette  phrase  de  Gaston  Paris  parce  qu'il  y 
exprime  cette  conception  de  l'anglo-français  de  la  façon  lumineuse 
qui  lui  est  habituelle  ;  d'autres  philologues  auraient  pu  nous  four- 
nir des  idées  semblables.  Il  y  a  certainement  dans  ces  lignes  une 
part  de  vérité  que  nous  ne  chercherons  pas  à  diminuer  ;  elles 
mettent  en  évidence  l'importance  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  le 
coefficient  personnel  en  anglo-français.  On  peut  trouver  dans  cer- 
tains auteurs  des  expressions,  des  formes,  des  fautes  qui  leur  sont 
propres  et  qui  n'ont  d'autre  cause  que  leur  ignorance  de  la   langue 


H  INTRODUCTION 

qu'ils  écrivent.  Mais  tout  d'abord,  il  ne  faut  pas  oublier  que  le 
français,  langue  littéraire,  était  en  Angleterre  une  langue  enseignée: 
quoi  de  plus  naturel  qu'on  essayât  de  corriger  les  fautes  qu'on 
commettait  soi-même  ou  qu'on  entendait  commettre  autour  de 
soi  ;  cela  du  reste  aurait  pu  se  produire  si  l'anglo-français  avait  été 
un  dialecte  ordinaire.  Si  les  Anglais  cherchaient  à  atténuer  chez 
eux  ou  chez  leurs  enfants  les  particularités  de  leur  français,  cette 
tendance  pourrait  se  retrouver  dans  les  personnes  instruites  ou  à 
demi  instruites  qui  parlaient  un  dialecte  continental.  Un  bourgui- 
gnon ou  un  manceau  n'essayaient-ils  pas  parfois  de  se  défaire  de 
l'accent,  des  expressions  qui  dénonçaient  leur  origine  mancelle  ou 
bourguignonne  ? 

Ensuite  Gaston  Paris  omet  de  nous  dire  quel  était  ce  français 
qu'on  enseignait  en  Angleterre  entre  iioo  et  1400  et  dont  on 
violait  les  lois.  Ce  n'était  certainement  pas  le  français  de  France, 
car  si  cela  était,  nous  devrions  dans  l'anglo-français  du  xiii^  et  du 
xiV  siècle  retrouver  à  côté  des  «  quelques  traits  anglo-normands  » 
ce  qui  caractérise  le  trançais  du  xiii"-"  et  du  xn""  siècle.  Or  tous  les 
faits  nous  montrent  et  tout  le  monde  reconnaît  que  l'évolution  de 
l'anglo-français  a  été  indépendante  de  celle  du  français  continental. 
On  doit  en  conclure  qu'il  y  avait  en  Angleterre  un  «  type  »  spé- 
cial de  français  avec  ses  formes,  ses  habitudes  propres,  distinct  et 
indépendant  des  dialectes  continentaux  :  autrement  dit,  l'An- 
gleterre possédait  ce  que  les  Anglais  appelleraient  un  «  standard 
French  »  particulier.  De  sorte  que  les  «  imperfections  qui  se  glis- 
saient dans  les  discours  et  les  écrits  »  étaient,  non  pas  des  fautes  de 
français,  mais  des  fautes  d'anglo-français. 

Ces  quelques  idées  a  priori  laissent  donc  supposer  que  l'anglo- 
français  a  été  autre  chose  qu'une  mauvaise  manière  de  parler  et 
d'écrire  le  français  ;  ce  sont  des  preuves  véritables  que  nous  en 
trouvons  dans  l'étude  que  nous  avons  laite  sur  le  verbe.  Celle-ci 
met  en  évidence  quatre  points,  que  révélerait  également  toute 
étude  générale  sur  l'anglo-français  :  d'abord  l'unité  de  la  langue 
dans  un  ouvrage  donné  ;  puis  l'unité  de  la  langue  à  un  moment 
donné;  ensuite  l'évolution  réelle  qu'on  peut  observer  pendant  les 
trois  siècles  de  son  existence;  enfin  l'influence  restreinte  exercée 
sur  elle  par  l'anglais.  Ces  quatre  points  sont,  croyons-nous,  si  évi- 
dents qu'il  pourrait  sembler  inutile  d'y  insister  :  nous  en  diront 
cependant  quelques  mots. 


INTRODUCTION  III 

L'unité  de  la  langue  dans  un  même  ouvrage  peut  se  remarquer 
dans  les  textes  anglo-français  du  xiv'^  aussi  bien  que  dans  ceux  du 
xii"  siècle.  Or,  quand  on  écrit  un  ouvrage  d'une  certaine  étendue 
dans  une  langue  qu'on  ne  connaît  qu'imparfaitement,  on  n'y 
observe  pas  constamment  et  d'un  bout  à  l'autre  le  même  usage  : 
telle  forme  qui  aura  tout  d'abord  paru  correcte  disparaîtra  après 
quelque  temps  pour  faire  place  à  une  autre  ;  les  formes  fautives 
arriveront,  pour  ainsi  dire,  par  paquets,  et  la  fin  de  l'ouvrage  ne 
ressemblera  plus  au  commencement.  Ceci  ne  se  présente  jamais  ou 
n'arrive  que  très  rarement  en  anglo-français  :  la  fin  des  Evangiles 
des  Dompnées,  du  Manuel  des  Péchés,  de  la  Vie  de  sainte  Agnès  ne 
difiere  en  rien,  pour  la  grammaire,  de  leur  commencement.  On  ne 
saurait  attendre  cette  unité  d'un  auteur  écrivant  une  langue  qu'il 
sait  mal. 

Cependant,  nous  devons  faire  observer  que  deux  ouvrages  écrits 
par  le  même  auteur  à  quelques  années  d'intervalle  nous  montrent 
parfois,  au  point  de  vue  de  la  langue,  des  différences  très  marquées; 
Miss  Pope  l'a  observé  dans  les  œuvres  de  Frère  Angier,  et  nous  le 
montrerons,  sur  un  point  spécial,  pour  celles  de  Chardri.  Nous 
n'attribuerons  pas  ces  changements  à  l'ignorance,  mais  nous  y 
verrons  le  premier  caractère  de  l'anglo-français  :  c'est  une  langue 
qui  évolue  très  vite. 

En  second  lieu,  et  comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  deux 
auteurs  contemporains  écrivent  sensiblement  la  même  langue  ;  il  se 
peut  que  certains  d'entre  eux  emploient  des  formes  qui  leur  soient 
particulières,  d'après  le  degré  d'exactitude  de  leur  connaissance  du 
français.  Nous  ne  nierons  pas  que  ce  que  nous  appelions  tout  à 
l'heure  le  coefficient  personnel  n'ait  son  importance;  mais  ces  par- 
ticularités ne  sont  que  de  simples  détails  disséminés  dans  l'ouvrage, 
parfois  employés  une  fois  ou  deux  seulement  ;  à  tel  point  qu'elles 
ne  nous  suffisent  jamais  pour  nous  permettre  d'attribuer  à  un 
auteur  déterminé,  avec  tant  soit  peu  plus  de  certitude  que  pour  le 
français  continental,  la  paternité  d'un  ouvrage  d'origine  douteuse. 
Tout  écrivain  employant  une  langue  imparfaitement  connue  de  lui 
a  ses  fautes  de  prédilection  auxquelles  on  peut  le  reconnaître  et 
ce  fait  est  des  plus  rares  en  anglo-français. 

Cependant,  il  nous  faut  avouer  que  la  langue  de  certains  auteurs 
ne    concorde  pas  exactement  avec  celle  de  leurs  contemporains  ; 


IV  INTRODUCTION 

Adgar  n'écrit  pas  exactement  la  langue  de  Thomas.  Remarquons 
cependant  de  quelle  nature  sont  ces  divergences  :  sur  tous  les  points 
où  ces  deux  contemporains  diffèrent,  Adgar  nous  montre  l'usage 
qui  est  destiné  à  prévaloir  quelques  années  plus  tard.  N'est-ce  pas 
dire  que  Thomas,  comparé  à  certains  de  ses  contemporains,  écrit 
une  langue  plus  ancienne  ? 

C'est  un  fait  bien  connu  que  la  langue  littéraire  à  toutes  les 
époques  est  plus  ou  moins  en  retard  sur  la  langue  parlée  ;  ceci  est 
très  marqué  en  anglo-français,  et  nous  y  trouvons  le  second  carac- 
tère de  cette  langue  :  les  meilleurs  auteurs  emploient  une  langue 
très  teintée  d'archaïsme. 

-Que  l'anglo-français  ait  subi  une  évolution,  nous  ne  pouvons 
pas  en  douter  et  nous  espérons  que  notre  travail  le  montrera  plei- 
nement ;  pour  être  précis,  nous  dirons  que  nous  entendons  par 
évolution  un  développement,  qui  peut  être  inégal  et  irrégulier, 
suivant  une  ligne  déterminée  :  tel  changement  se  produit  à  une 
certaine  époque;  il  reparaîtra  à  l'époque  suivante,  il  s'aggravera,  et 
se  propagera.  Cela  peut  s'observer  constamment  dans  la  conjugai- 
son anglo-française.  Si  l'anglo-français  n'était  qu'une  manière 
incorrecte  d'écrire  le  français,  dont  on  cherche  à  atténuer  les 
imperfections,  à  la  rigueur,  on  pourrait  comprendre  que  certaines 
formes  fautives  se  répètent,  mais  non  pas  qu'elles  montrent  un 
développement  indépendant  et  à  peu  près  régulier.  Ajoutons  que 
cette  évolution  en  anglo-français  ne  ressemble  pas  à  celle  que  nous 
montrent  les  dialectes  du  continent  ;  d'abord,  comme  nous 
l'avons  vu,  elle  est  beaucoup  plus  rapide;  surtout,  elle  est  inégale. 
La  rapidité  de  cette  évolution  jointe  à  la  tendance  à  conserver  les 
formes  archaïques  a  eu  une  conséquence  assez  curieuse  :  celle  de 
maintenir  en  même  temps  des  formes  ayant  les  âges  les  plus 
divers.  Il  en  est  résulté  une  confusion  extrême,  non  seulement 
dans  les  formes,  ce  qui  est  déjà  grave,  mais  dans  les  sons.  Et  ceci 
est  un  des  caractères  les  plus  importants  de  l'anglo-français  :  il  nous 
montre  un  mélange  des  formes  de  toutes  les  dates. 

Enfin  notre  dernière  raison  pour  ne  pas  accepter  entièrement 
l'idée  de  G.  Paris,  c'est  que  l'influence  de  l'anglais  a  été  fort  peu 
importante  ;nous  n'avons  pas  relevé  dans  la  conjugaison  de  trace  de 
cette  influence  ;  la  syntaxe  a  été  un  peu  touchée,  mais  le  nombre  des 
solécismes  dus  à  l'anglais  doit  être  fort    restreint  et  appartenir  à 


INTRODUCTION  V 

quelques  auteurs  du  xiV'  siècle.  C'est  le  vocabulaire  qui  a  été  le 
plus  profondément  modifié  par  cette  influence  ;  ceci  a  son  impor- 
tance, sans  être  extrêmement  grave  ;  même  après  cet  influx  de 
mots  étrangers,  l'anglo-français  reste  du  français  et  resterait  un 
dialecte  français  s'il  en  avait  été  un  avant.  La  proportion  de  mots 
anglais  en  anglo-français  doit  être  inférieure  et  de  beaucoup  à  celle 
qu'on  trouve  dans  le  canadien  moderne. 

Mais  si  l'influence  de  l'anglais  a  été  minime,  le  fait  que  l'anglo- 
français,  coupé  du  continent,  n'est  pas  resté  en  contact  avec  le 
français  populaire  et  parlé,  a  été  pour  lui  gros  de  conséquences. 
L'anglo-français  a  conservé  la  plus  grande  partie  de  son  vocabu- 
laire, les  principales  règles  de  la  syntaxe  française,  une  conjugaison 
française  ;  en  somme  ce  qui  peut  sembler  l'essentiel  de  la  langue 
écrite.  En  réalité,  c'est  peut-être  l'essentiel  qu'il  a  perdu  en  per- 
dant la  prononciation  française  ;  les  sons  ont  dégénéré  et  se  sont 
confondus,  les  phonèmes  ont  pris  dans  plusieurs  cas  une  valeur 
arbitraire  et  cette  confusion  s'est  fait  évidemment  sentir  sur  la  con- 
jugaison aussi  bien  que  sur  la  forme  même  des  mots.  Et  nous  avons 
ici  le  quatrième  caractère  de  l'anglo-trançais,  le  plus  important  : 
séparé  du  français  vivant,  il  a  perdu  la  notion  de  la  valeur  des  sons 
français. 

Voilà  donc  d'après  nous  ce  qu'est  l'anglo-français  ;  une  langue 
avec  son  unité  et  son  développement  ;  elle  est  caractérisée  par  la 
rapidité  de  son  évolution,  le  mélange  qu'elle  oflVe  de  formes  d'âges 
très  diflérents  et  la  confusion  qu'elle  a  laissé  s'introduire  dans  sa 
phonétique.  Nous  attribuons  la  plus  grande  importance  à.  ce  der- 
nier caractère,  non  seulement  à  un  point  de  vue  général,  mais  spé- 
cialement pour  la  question  que  nous  allons  traiter  :  la  conjugaison. 
Nous  sommes  persuadé  que  le  plus  grand  nombre  des  phénomènes 
qui  vont  nous  occuper  ont  leur  origine  et  leur  explication  dans  la 
phonétique. 

* 

*  * 

Les  quelques  pages  précédentes  que  nous  avons  employées  à  pré- 
ciser nos  idées  sur  l'anglo-français  ne  nous  semblent  pas  superflues. 
En  effet  si  cette  langue  n'est  qu'une  manière  fautive  de  parler  le 
français,    une   étude  générale  sur  la  conjugaison   est  impossible  et 


VI  INTRODUCTION 

illusoire;  impossible,  car  quel  que  soit  le  nombre  des  citations  que 
nous  donnerons,  nous  n'épuiserons  jamais  le  nombre  des  formes 
réelles  ou  simplement  possibles  ;  nous  ne  pourrions  que  dresser  un 
catalogue  précaire  de  formes,  toujours  incomplet  et  toujours  sujet 
à  révision  ;  illusoire,  car  à  quoi  bon  essayer  de  donner  une  exposi- 
tion méthodique  de  formes  fautives  qui,  si  elles  ne  sont  que  des 
fautes,  ne  sauraient  avoir  d'âge  spécial  et  ne  pourraient  s'exposer  que 
dans  un  ordre  arbitraire  ? 

Si  au  contraire,  comme  nous  le  croyons  et  comme  nous  venons 
de  le  dire,  l'anglo-français  a  été  une  langue,  d'un  genre  spécial, 
langue  littéraire  avec  son  évolution  et  son  usage  propres,  une  telle 
étude  est  non  seulement  possible  mais  utile.  On  parle  constam- 
ment de  la  «  corruption  »  de  l'anglo-français  et  ce  terme  est  sou- 
vent le  seul  qui  puisse  caractériser  d'une  façon  adéquate  l'état  de  la 
langue  qu'emploient  certains  auteurs.  Mais  dans  une  langue  aussi  ana- 
lytique que  celle-ci,  les  seules  flexions  un  peu  complexes  qui  restent 
se  trouvent  dans  le  verbe  ;  aussi  l'étude  de  la  conjugaison  doit  être 
le  meilleur  moyen  que  nous  avons  à  notre  disposition  pour  suivre 
pas  à  pas  les  progrès  de  l'évolution  et  la  marche  de  la  décomposi- 
tion. 

Nous  nous  sommes  servi  pour  le  travail  qui  suit  de  deux  sortes 
d'ouvrages  :  les  œuvres  littéraires  des  xii%  xiii'^  et  xiv'^  siècles  et  les 
textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature,  textes  politiques, 
diplomatiques,  familiers,  légaux  (fin  du  xiii%  xiv=  siècle).  La  dis- 
tinction entre  ces  deux  catégories  d'ouvrages  est  souvent  délicate, 
parfois  arbitraire. 

Dans  l'étude  des  œuvres  littéraires,  nous  avons  recueilli  deux 
sortes  de  renseignements  :  les  uns  sur  la  langue  des  auteurs,  les 
autres  sur  celle  des  scribes.  Pour  arriver  à  une  connaissance  aussi 
assurée  que  possible  de  la  langue  des  premiers,  nous  avons  évi- 
demment suivi  les  règles  de  la  critique  textuelle,  et  nous  n'admet- 
trons aucune  forme  qui  ne  soit  absolument  assurée,  quel  que  soit 
le  texte  emprunté.  Cela  est  si  évident  que  nous  ne  devrions  pas  y 
insister.  Cependant  c'est  une  faute  plus  commune  qu'on  ne  le 
croit  et  on  en  trouve  des  exemples  jusque  dans  l'excellent  travail 
que  M.  Stimming  a  mis  à  la  suite  de  son  édition  de  Boeve  de 
Haumtone. 

Non  seulement  nous  ne  nous  fierons  pas  toujours  aux  éditions 


INTRODUCTION  Vil 

imprimées,  mais  même,  dans  certains  cas,  l'accord  des  mss.  ne 
nous  semblera  pas  une  preuve  suffisante  de  l'authenticité  d'une 
forme.  Il  arrive  très  fréquemment  que  tous  les  manuscrits  donnent 
une  leçon  qui  n'a  pas  dû  être  celle  de  l'auteur  :  nous  pourrions 
en  citer  de  nombreux  exemples  :  en  voici  un  aussi  simple  que 
commun  :  il  arrive  que  tous  les  mss.  reproduisant  un  texte  du 
xii'^  siècle  donnent  la  terminaison  analogique  en  ei  à  certains  impar- 
faits de  I  ailleurs  qu'à  la  rime  ;  dans  ce  cas,  l'accord  des  mss.,  s'ils 
sont  tous  postérieurs  à  la  date  à  laquelle  ei  remplace  ou  dans  ces 
terminaisons,  ne  suffira  pas  à  authentiquer  cette  forme;  nous  n'hé- 
siterons pas  à  la  rejeter  si  dans  le  poème,  d'un  côté  noua  pouvons 
relever  des  imparfaits  étymologiques  de  I  qui  ne  sont  pas  douteux 
de  l'autre,  si  nous  n'avons  aucune  rime  qui  nous  montre  les 
mêmes  imparfaits  de  I  sous  la  forme  analogique. 

La  probabilité  en  eifet  est  que  tous  les  scribes  ont  remplacé  dans 
les  mêmes  conditions  la  forme  moins  commune  par  la  forme  plus 
commune  à  leur  époque.  Il  est  vrai  que  tous  les  cas  qui  se  présen- 
teront ne  seront  pas  toujours  aussi  clairs  que  celui-là.  Nos  meil- 
leurs moyens  de  contrôle  pour  l'authenticité  des  formes  de  la  langue 
d'un  poème  resteront  donc  la  prosodie  :  nombre  des  syllabes  du 
vers  pour  certaines  formes,  rimes  pour  les  terminaisons.  Mais  nous 
ne  pourrons  pas  oublier  que  la  versification  anglo-française  est  un 
instrument  de  contrôle  fort  imparfait  :  les  vers  sont  de  longueur 
variable,  et  il  pourrait  nous  arriver  par  une  heureuse  correction,  de 
rétablir  un  vers  et  une  forme  qui  auraient  été  l'un  et  l'autre  incor- 
rects dans  le  poème  original.  Ensuite,  comme  l'a  fait  remarquer 
M.  Meyer,  certains  auteurs,  pour  satisfaire  aux  exigences  de  la  rime, 
ne  reculent  pas  devant  le  barbarisme.  Par  conséquent  une  forme 
isolée,  même  si  la  mesure  du  vers  ou  la  rime  semble  l'attester,  peut 
nous  être  à  bon  droit  suspecte. 

C'est  une  des  raisons  pour  lesquelles  nous  n'avons  pas  hésité  à 
multiplier  les  exemples  ;  une  forme  qui  semble  assurée  à  plusieurs 
reprises  doit  être  sûre. 

Ily  a  encore  un  assez  grand  nombre  de  formes  que  nous  pour- 
rons attribuer  avec  quelque  certitude  aux  auteurs  plutôt  qu'aux 
scribes,  en  vertu  d'une  règle  que  nous  avons  observée  constamment 
dans  cet  ouvrage;  elle  n'est  pis  d'une  rigueur  absolue  et  ne  peut 
s'appliquer  que  dans  les  ctudçs  gérîérales;  lorsqu'on  sort  des  études 


Vni  INTRODUCTION 

particulières,  sa  vérité  nous  semble  évidente.  La  voici  :  une  forme 
ancienne  peut  toujours  être  reportée  à  la  date  de  «la  composition  de 
l'ouvrage,  une  forme  moderne  à  celle  du  manuscrit. 

Ceci  laisse  déjà  à  supposer  que  le  nombre  des  renseignements  que 
nous  recueillerons  de  la  sorte  sera  assez  réduit,  et  qu'ils  ne  nous 
éclaireront  jamais  sur  certains  points  (comme  les  syllabes  proto- 
niques). Sur  ces  points  et  sur  plusieurs  autres,  la  langue  des 
manuscrits,  et  pour  la  période  postérieure  à  1275  celle  des  textes 
non  littéraires,  sont  nos  seules  ou  nos  meilleures  sources  d'informa- 
tion ;  ici  plus  que  jamais  une  très  grande  prudence  sera  nécessaire 
et  nous  aurons  surtout  à  nous  garder  des  généralisations  hasardées. 
Nous  avons  pu  remarquer  bien  souvent  que  plusieurs  scribes,  par 
ignorance  ou  par  mattention,  peuvent  commettre  indépendamment 
la  même  erreur  sans  que  la  forme  fautive  ait  réellement  pour  cela 
passé  dans  l'usage  anglo-français.  Ce  ne  sera  guère  que  la  répétition 
d'une  forme  non  assurée  qui  pourra  nous  convaincre  de  l'authenti- 
cité de  cette  forme.  Et  ici  encore,  nous  trouvons  une  nouvelle  rai- 
son pour  multiplier  nos  exemples. 

Ce  n'est  pas  cependant  que  nous  pensions  devoir  négliger  les 
formes  isolées;  les  fautes  même  sont  souvent  significatives  et  nous 
éclairent  sur  la  valeur  réelle  de  certaines  formes  en  nous  montrant 
avec  quelles  autres  on  pouvait  les  confondre.  Pour  n'en  citer  qu'un 
exemple  Jean  de  Peckham  écrit  par  ei;^  la  première  personnne  des 
prétérits  en  avi,  ce  qui  nous  montre  qu'il  ne  faisait  pas  de  diftérence 
entre  la  désinence  ai  et  celle  par  exemple  des  deuxièmes  personnes 
du  pluriel  à  terminaison  masculine.  Les  renseignements  de  ce 
genre  ne  sont  pas  rares  et  nous  les  enregistrerons  à  titre  d'indi- 
cation. 

Tels  sont  les  principes  que  nous  nous  sommes  efforcé  d'appliquer 
dans  les  pages  qui  vont  suivre  ;  pour  la  langue  des  auteurs,  nous 
avons  choisi  nos  exemples  parmi  les  formes  attestées  par  la  rime  ou 
la  mesure  du  vers  en  y  ajoutant  les  formes  anciennes,  même  quand 
elles  ne  sont  pas  autrement  attestées;  pour  la  langue  des  scribes, 
nous  prenons  celles  pour  lesquelles  le  désaccord  des  mss.  nous 
montre  qu'on  ne  peut  les  attribuer  à  l'auteur  et  les  formes  nou- 
velles dans  certains  cas,  même  quand  l'accord  des  mss.  semblerait 
permettre  de  les  faire  remonter  à  l'auteur  lui-même. 

Pour  nous  garder  contre   les  barbarismes    que  commettent  les 


Introduction  ix 

auteurs  et  les  incorrections  accidentelles  des  scribes,  nous  nous 
sommes  permis  dans  un  grand  nombre  de  cas  de  donner  beaucoup 
d'exemples  ;  peut-être  nous  est-il  arrivé  quelquefois  d'en  donner 
plus  que  l'occasion  ne  le  comportait. 

Nous  avons  exposé  assez  brièvement  ces  quelques  principes,  non 
parce  que  nous  pensons  que  leur  nouveauté  rende  une  longue 
explication  nécessaire,  ils  sont  moins  originaux  que  prudents,  mais 
pour  qu'on  puisse  connaître  à  l'avance  le  degré  de  certitude  que  pré- 
sentent les  formes  qu'on  va  lire,  et  aussi  pour  qu'on  apprécie  la  soli- 
dité de  la  base  sur  laquelle  repose  notre  travail. 

Nous  avons  jusqu'ici  considéré  les  œuvres  non  littéraires  comme 
ayant  la  même  nature  et  la  même  autorité  que  les  manuscrits  des 
textes  littéraires,  et  en  le  faisant,  nous  avons  semblé  admettre  que 
ces  deux  catégories  d'ouvrages  sont  écrites  dans  la  même  langue. 
Cela  n'est  pas  exact  ;  il  y  a  entre  la  langue  littéraire  et  la  langue 
politique,  diplomatique  et  familière  un  certain  nombre  de  diffé- 
rences, qui  d'ailleurs  s'effacent  à  mesure  qu'on  avance  dans  le 
xiv*'  siècle,  en  raison  de  l'influence  que  la  seconde  a  exercée  sur  la 
première. 

Nous  ne  pouvons  pas  insister  ici  sur  ce  qui  distingue  ces  deux 
branches  de  l'anglo-français  ;  nous  verrons  quelques-unes  de  ces 
différences  dans  notre  seconde  partie  ;  aussi  pour  ne  pas  confondre 
les  formes  provenant  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  variétés  de  l'anglo- 
français,  nous  avons  pour  chacun  des  points  les  plus  importants  de 
la  conjugaison  consacré  une  étude  spéciale  aux  textes  littéraires  et 
aux  textes  non  littéraires. 

Notre  ouvrage  est  divisé  en  deux  parties  de  dimensions  fort  iné- 
gales. 

Dans  la  première,  qui  est  la  plus  longue,  nous  retraçons  l'évolu- 
tion des  formes  du  verbe;  nous  avons  adopté  pour  ce  sujet  la  divi- 
sion traditionnelle  :  désinences  personnelles,  modes,  temps.  Cette 
fiçon  de  diviser  les  formes  du  verbe  n'est  cependant  pas  très 
logique  ;  dans  les  modes,  par  exemple,  nous  étudions  des  modes  à 
un  temps  (impératif,  infinitif),  et  pour  les  autres  modes  un  seul 
temps  de  ce  mode  (ainsi,  le  présent  pour  le  subjonctif).  De  plus, 
nous  avons  souvent  hésité  sur  la  nature  de  certains  phénomènes; 
avons-nous  un  changement  de  désinence,  ou  un  changement 
particulier  à  un  temps?  Tel  autre  phénomène  doit-il  s'appliquer  à 

II 


X  INTRODUCTION 

un  mode  tout  entier,  ou  se  limiter  à  un  seul  temps?  Il  n'est  pas 
toujours  possible  de  le  dire,  et  on  verra  peut-être  que  nous  avons 
dû  trop  souvent  admettre  des  distinctions  assez  arbitraires. 

Ce  qu'on  peut  dire  en  faveur  de  cette  division,  c'est  quelle  est 
assez  commode  et  nous  avouerons  n'en  avoir  pas  trouvé  de  meil- 
leure. 

Dans  notre  seconde  partie  au  contraire,  nous  avons  pu  adopter 
un  ordre  essentiellement  logique  ;  nous  y  groupons  les  formes  pour 
les  expliquer.  Nous  aurons  donc  à  reprendre  un  certain  de  formes 
parmi  celles  que  nous  aurons  exposées  dans  notre  première  partie. 
Nous  espérons  avoir  réduit  au  minimum  le  nombre  des  répétitions 
nécessaires.  Ce  plan  nous  aura  permis  de  séparer  les  questions  de 
tait  des  explications  parfois  hypothétiques  que  nous  leur  donnons. 


BIBLIOGRAPHIE 


Nous  n'avons  pas  l'intention  de  donner  dans  cette  bibliographie 
un  catalogue  complet  de  tous  les  ouvrages  appartenant  à  la  littéra- 
ture anglo-française  ;  cependant,  nous  pensons  qu'on  y  trouvera  les 
œuvres  les  plus  importantes  de  la  littérature  française  en  Angle- 
terre. Dans  la  liste  qui  suit,  nous  mentionnons  d'abord  la  date  à 
laquelle  nous  plaçons  l'ouvrage,  puis  l'auteur,  connu  ou  probable,  et 
nous  indiquons  brièvement  l'édition  dont  nous  nous  sommes  servi  ; 
nous  ajoutons  les  études  particulières  dont  l'ouvrage  a  été  l'objet  et 
que  nous  avons  mises  à  profit  ;  certaines  d'entre  elles  nous  ont 
rendu  les  plus  grands  services,  mais  aucune  d'elles  ne  nous  a  dis- 
pensé de  recourir  aux  textes  mêmes,  chaque  fois  qu'ils  étaient  acces- 
sibles et  de  faire  nous-même  pour  chaque  ouvrage  notre  étude  sur 
la  Conjugaison. 

Nous  avons  adopté,  pour  la  plupart  des  textes,  les  dates  générale- 
ment admises,  ou  celles  que  les  éditeurs  leur  ont  données  ;  nous 
ne  les  avons  changées  que  dans  un  petit  nombre  de  cas  et  pour  des 
raisons  qui  nous  ont  paru  graves. 

A.  OUVRAGES  LITTÉRAIRES. 

1110.  Philippe  de  Thaùn  :  Cumpoz  (édit.  Mail).  —  Études  particu- 
lières :  Fenge,  SprachlicheUntersuchung  d.Reim.  d.  Comp.  (Stengels, 
Ausg.  und  Abhand.). 

1121.  Le  Voyage  de  Saint  Brandan  (édit.  Suchier,  Rom.  Stud.  I  ;  ms. 
de  l'Arsenal,  Auracher  Ztft.  II).  — •  Études  particulières:  Brekke, 
Étude  sur  la  Flexion.  .  ;  Hammer,  Die  Sprache  der  A.  n.  Brandans- 
legende  ;  Birkenhoff,  Ueber  Metrum  und  Reim  (Stengels  Ausg.  und 
Abhand.). 

1130.  Philippe  de  Thaûn  :  Bestiaire  (édit.  Walberg.  Cf.  Remania  XXIX, 
Zeitschrift  XXV).  —  Études  particulières  :  Herzog,  Zeitschrift  XXVI. 
Tobler,  Herrigs  Archiv  CV . 


Ml  BlBLlOGRAMllt 

1150.  Saint  Alexis,  niss.  A  et  L  (édit.  G.  Paris).  —  Études  particu- 
lières :  i'orster  uiid  Kosclnvitz,  Uehungsbuch.  Cf.  Rom.  XXXI. 

1145-1150.  GeotîVoi  Gaimar  :  L'Estorie  des  Engleis  (Master  of  the 
Rolls  ;  Sir  Thomas  Duffus  Hardy).  —  Études  particulières  :  P.  Meyer, 
Rom.  XVIII;  J.  Vising,  Étude...  Cf.  Kupferschmidt,  Rom.  Stud. 
IV. 

\'ers  1150.  Élie  de  Winchester  '  :  Distiques  de  Caton  (édit.  Stengel  ; 
Ausg.  und  Abhand.). 

1150?  Psautier  d'Oxford  (édit.  Fr.  Michel).  —  Études  particulières: 
Meister,  Die  Flexion .  .  ;  Koschwitz,  Zeitschrift  II  ;  Harseim,  Vokalis- 
mus  und  Konsonantismus. 

Entre  1150-1160.  Havelok  (Master  of  the  Rolls).  Cf.  Kupferschmidt, 
Rom.  Stud.  IV. 

Vers  1160.  Psautier  de  Cambridge  (édit.  Fr.  Michel).  —  Études  parti- 
culières :  Fichte,  Die  Flexion.,;  Schumann,  Vokalismus  und  Konson- 
nantismus. . . 

1160-1170.   Psautier  d'Arundel  (édit.   Beyer,  Ztft  XI  et  XII). 

1160.  Adgar  :  Légendes  de  Marie  (édit.  Neuhaus).  —  Études  particu- 
lières: Rolfs,  Rom.  Forsch.  I. 

1160-1170.  Thomas:  Tristan  (édit.  Bédier,  S.  A.  T.)  — Études  parti- 
culières :  Rôttiger,  Der  Tristan  des  Thomas. 

1160-1170.  Drame  d'Adam  ^  (édit,  K.  Grass).  —  Études  particulières: 
V.  Merguet,  Das  Sprachgebrauch...  Dramas  Adam. 

1160-1170.   Lai  du  Chèvrefeuille  (édit.  Fr.  Michel). 

1160-1170.   La  Folie  Tristan  (Oxford)  (édit.  Bédier,  S.  A.  T.). 

1170.  Sœur  Clémence  de  Barking  :  Vie  de  sainte  Catherine  (édit.  Jar- 
nik). 

1170.  Quatre  Livres  des  Rois  (édit.  Le  Roux  de  Lincy).  —  Études  par- 
ticulières :  Langstroff,  Die  Verbal  Flexion,,;  Merwart,  Die  Verbal 
Flexion..;  Plahn,  Les  quatre  Livres  des  Rois;  Schlôsser,  Die 
Lautverhâltnisse... 

1170.  Horn  (édit.  Brede  et  Stengel,  Ausg.  und  Abhand.).  —  Études 
particulières  :  Oskar  Dahms,  Die   Formenbau... 

1174-1183.  Jordan  Fantosme,  Chronique  (édit.  Fr.  Michel).  —  Études 
particulières  :  Vising,  Étude..;  Hermann  Rose,  Ueber  die  Metrik... 
(Rom.  Stud.  V). 

Après  1170.  Guillaume  de  Berneville,  Vie  de  saint  Gilles  (édit.  G.  Paris, 
S.  A.  T.). 

1.  G.  Paris  place  cet  auteur  dans  le  second  tiers  du  xii*^  siècle  ;  nous  croyons 
pouvoir  préciser  et  le  mettre  vers  1150. 

2.  Ouvrage  plutôt  français  qu'anglo-français,  en  dépit  de  certaines  rimes. 


BIBLIOGRAPHIE  XIII 

1175-1180.   Benêt,  Vie  de  saint  Thomas  (édit.  Fr.  Michel). 
1185.   Hue  de  Rotelande  '  :  Ipomédon  (édit.    Kôibing  et  Koschwitz).   — 
Études  particulières:  Kluckow,  Sprachliche...  Studien  ûber  Prothese- 
laûs. 
Fin  du  XII^  s.  Renaut  de  Montauban   (édit.  Matthes,  Jahrbuch  fiir  rom. 
und  eng.  Lit.). 

Donnei  des  Amants  (édit.  G.  Paris,  Rom.  XX\'). 
Guischart  de  Beauliu,    Sermon  en   vers  (édit.  Gabrielson). 
Homélies  (Zeitschrift  I). 
1190  ?  Simon    de    Fresne,     Roman     de     Philosophie     (édit.     Matzke, 
S.  A.  T.). 

Vie  de  saint  Georges  (édit.  Matzke,  S.  A.  T.). 
Com.  Xlir'  s.  Everart  de   Kirkham  ^,   Distiques   de  Caton   (édit.    Sten- 
gel,  Ausg.  und  Abhand.). 

Psautier  à  rimes  couées  3  (édit.  Gœdicke). 
1212.   Frère  An2;ier,  Dialogues  de  Gréo;oire  le  Grand. 
1214.   Vie  de  Grégoire  le  Grand  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  XII).—  Études 
particulières  :  Tim.  Cloran,   The  Dialogues    of  Gregory   the  Great; 
Mildred  K.  Pope,  Étude  sur  la  langue  de  Frère  Angier. 
Vie  de  saint  Osith  (édit.   Baker,  Mod.  Lang.  Rev.  M). 
1210-1230.   Chardri,   Josaphat  ;  les  Set  Dormans;    le  Petit  Plet   (édit. 

Koch).  — Études  particulières:  Mussafia,  Ztft.  HI. 
1230  ?  Robert  Grosseteste,  Le  Chasteau  d'Amour  (édit.  Cooke,  Carmina 

Anglonormannica) . 
1230.   Denys  Pyramus +,  Saint  Edmund  (Master  of  the  Rolls,  édit.  Tho- 
mas Arnold).  —  Études  particulières,  G.  Paris.  Rom.  VIII. 
1230.   Saint  Laurent  (édit.  Sôderhjelm). 
1230.   Robert  de  Gretham,   les   Évangiles    des  Dompnées   (ms.    British 

Muséum,  Addit.  26773). 
Après  1237.  Edward  le  Confesseur  >'  (Master  of  the  Rolls). 

Vie  en  vers  d'Edward  le  Confesseur  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  XL). 


1.  Nous  conservons  la  date  donnée  par' G.  Paris  ;  nous  crovons  cependant 
qu'elle  devrait  être  reculée  d'une  quinzaine  d'années. 

2.  G.  Paris  fait  d'Everard  de  Kirkham  un  contemporain  d'HIie  de  Winchester  : 
en  réalité  il  a  dû  lui  être  très  postérieur. 

3.  Il  faut  reculer  d'une  cinquantaine  d'années  la  date  que  Gœdicke  assigne  à  ce 
Psautier  ;  nous  observons  que  M.  Vising  a  fait  la  même  remarque  (cf.  Romanis- 
chen  Jahresberichtes  XII). 

4.  Nous  n'avons  pas  cru  pouvoir  placer  ce  poème,  comme  l'a  fait  G.  Paris,  au 
commencement  dû  dernier  quart  du  xn*^  siècle. 

5.  La  dédicace  montre  que  le  poème  est  postérieur  à  1237. 


XIV  BIBLIOGRAPHIE 

1230-1250.  Saint  Thomas  '  (i^dit.   P.   Meyer,  S.   A.  jT.). 

Bocve  de  Hauintonc  (édit.  Stimniing). 
Milieu  du  XIII^'  siècle.  Amadas  et  Ydoine  (édit.   Andresen,  Zeitschrift 
XIII). 

Petite  Philosophie   (édit.  P.  Meyer,  Rom.  VIII,  XV). 
Le  Roman   des  Romans  (ms.  British  Muséum,  Royal  20  B  XI\'). 
Le  Chevalier,  La  Dame  et  le  Clerc  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  I). 
Saint  Auban  (édit.   Atkinson).  —  Etudes  particulières  :   Suchier, 
Ueber  die...  Vie  de  saint  Auban. 

Sermon  en  Vers,  Deu  le  Omnipotent  (édit.  H.  Suchier).  —  Études 
particulières  :  BokemûUer,  Zur  Lautkritik  der  Reimpredigt. 
Sardenai  (édit.  Raynaud,  Rom.  XI  et  XIV). 

Aspremont  (édit.  Langlois,  Rom.  XII  et  P.  Meyer,    Rom.  XIX). 
Otinel  (édit.  Langlois,  Rom.  XII). 

Manuscrit  du   Pèlerinage  de    Charlemagne  (cf.  édit.   Koschwitz). 
1256  ?  The  Songofthe  Church  (édit.  Wright,  Political  Songs). 
•1260  ?  Saint  Julien^  (ms.  Brit.  Mus.,  Old  Royal  8  E  XVII). 
1260.  William  de  Waddington,    Manuel    des   Péchés   (édit.    Furnivall, 

0.  E.  T.  S.). 

Fragments   d'une  traduction  de  la  Bible  (édit.   Bohnardot,  Rom. 
XVI). 
1265.  Érection  des   Murs  de  New  Ross  (édit.  Fr.  Michel). 
1267.   Pierre   de   Peckham,    Lumière  as   Lais    (édit.  P.    Meyer,   Rom. 

VIII,  XV  et  XIX). 
1260-1280.   Lament  of  Simon  of  Montfort  (édit.  Wright,  Political  Songs). 
The  Song  of  the  Barons  (ibid.). 

Chermaus,  Assumpcione  Notre-Dame  3  (ms.  :  Brit.  Mus.  Cot.Dom. 
A  XI). 

1.  Nous  reculons  quelque  peu  la  date  que  donne  G.  Paris. 

2.  Saint  Julien.  Nous  conservons  à  ce  poème  le  titre  de  Saint  Julien  qu'on  lui 
a  donné  à  cause  des  premiers  vers  : 

Ici  comence  un  estoire, 

De  seint  Julien  la  mémoire  (cf.  Rom.,  XXIX,  21). 
Ce  sont  surtout  des  préceptes  moraux  et  religieux  écrits  dans  une  langue  assez 
soignée^sous  forme  de  dialogue  entre  saint  Julien  et  son  disciple  ;  la  versification 
est  généralement  correcte  ;  nous  plaçons  ce  poème  au  commencement  du  dernier 
tiers  du  xni<:  siècle  :  la  langue  ne  diffère  que  peu  de  celle  de  William  de  Wad- 
dington. 

3.  V Assumpcione  Nostre  Dame  Seinle  Marie,  par  Chermaus.  Nous  avons  ici  un 
poème  fort  intéressant  et  qui  ne  manque  pas  de  mérites  ;  nous  n'avons  pas  tou- 
jours à  nous  louer  du  scribe  du  ms.  Cotton  Domitien  A  XI  qui  nous  l'a  trans- 
mis ;  la  versification  a  dû  être  assez  correcte  : 


BIBLIOGRAPHIE  XV 

Genèse  Notre-Dame  '  (ms.  :  Brit.  Mus.  Cot.  Dom.  A   XI). 

Plainte  Notre-Dame^  (ms.    Bodl.  Greaves  51). 

The  Song  of  Derniod  and  the   Earl  (édit.  Goddard  Orpen). 
Après  1274.   Li  Rei  de  Engleterre  (Master  of  the  Rolls). 
1280-1300.   Li  ver  deljuïse  (édit.  de  Feilitzen,  ms.Bibl.  Nat.  19525). 

Satire  sur  le  siècle  '  (ms.  Brit.  Mus.   Royal,  20  B  XIV). 

Heures  de  la  Vierge  +  (ms.,  Brit.  Mus.  Harléien  273). 

Walter  de  Henley,  Le  Dite  de  Hosebondrie  (édit.  Royal  Historical 
Society). 

Segnours,  ore  escotez,  ke  Dieus  vus  benve  [bcncie] 
Par  sa  mort(e)  dolerouse  kl  nus  dona  la  v\o. 
Le  nom  de  l'auteur  nous  est  conservé  dans  les  derniers  vers  : 
Ma  dame,  a  ton  honur  fet  ai  ceo  [cette]  chanceun 
Jeo  ay  a  noun  Chermaus,  n(e)  ubliez  mie  mon  noun. 
Ce  poème  offre  de  grandes  analogies  avec  le  suivant  et  la  Plainte  Notre  Dame, 

1 .  La  Genèse  Notre-Dame  est  un  poème  très  intéressant  qui  ne  manque  pas  de 
valeur  littéraire;  c'est  toute  l'histoire  sainte,  Ancien  et  Nouveau  Testament, 
racontée  très  simplement  et  non  sans  émotion  ;  nous  en  avons  une  copie  soignée, 
comme  pour  le  précédent,  mais  où  les  fautes  sont  encore  trop  nombreuses. 

2.  La.  Plainte  Notre-Dame  présente  des  ressemblances  réelles  avec  la  Genèse  et 
surtout  YAssiimpcione;  nous  ne  serions  pas  étonnés  si  ces  trois  poèmes  étaient 
dus  à  Chermaus  ;  nous  préparons  d'ailleurs  une  édition  de  ces  poèmes  où  nous 
discuterons  ce  point. 

5.   La  Satire  sur  le  siècle  est  un  autre  poème  de   1926  vers,  qui  a  encore   une 
réelle  valeur  littéraire  ;  la  versification  n'est  pas  très  correcte,  ni  la  langue  : 
Oyez,  Seignurs,  sermun  ; 
Ne  orrez  si  veirs  nun. 
Le  siècle  est  alez 
Tut  turné  a  déclin, 
Près  est  de  la  fin  ; 
Al  oil  le  veez. 

4.  Les  Heures  de  la  Vierge  sont  écrites  en  vers  assez  corrects  ;  en  voici  un  spé- 
cimen : 

64  r.       Si  Deu  ne  garde  la  meson. 
En  vein  travaillent  li  mason  ; 
Si  Deu  de  tôt  nen  est  gardein, 
Cil  qe  la  gaite  la  garde  en  vein  ; 
En  vein  devant  le  jour  levez 
Qe  le  pain  de  dolour  manges  ; 
Qant  ses  chers  amis  mort  serrunt 
Le  héritage  Deu  avrunt. 

Nous  joindrons  à  ces  Heures  le  Placebo  en  romance  qui  appartient  à  hi  même 
époque . 


XVI  BIBLIOGRAPHIE 

Anonyme.   Hosehondrie,  Seneschaucie  (édit.  Roval  Hist.  Society  ; 
ms.  Canibr.  Univ.  Ee,  i,   i). 
Fin   du  XIIP   siècle.     LOrdie    de  Bel    Eyse    (édit.    Wright,    Political 
Songs). 

Miracle  de  sainte  Madeleine  (édit.  Rom.  XXII). 

Saint  Nicolas  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  IV). 

Pronostics  de  la  Mort  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  IV). 

Poème  allégorique  (édit.  Rom.  XV). 

Chansons  anglo-normandes  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  IV), 

Lai  du  Cor  (ms.  Digby  86,  d'après  l'édition  de  Wulft). 
1292.    Wil.     Rishanger,     Cronica  et  Annales  (Master  of  the  Rolls). 
1300  ?  Petite   Sume  des  Set  Pèches  Morteus  '  (Br.  Mus.  ms.  Harléien 

4657)- 

Les  xxxvi  mestre  folies  '  (ms.  Brit.  Mus.,  Harl.  4657). 
Antecrist  '  (ms.  Brit.  Mus.  O.R.  8  E,  XVII). 
Evangile  de  l'Enfance  (édit.  Gast,  Die  beiden  Redaktionen...  Mss. 
Bodl.  Selden  supra  38  ;  Univ.  Camb.  Libr.  Gg,  i,  i), 
1300-1310.   Gautier     de     Bibblesworth,     Manière     de    Langage     (édit. 
P.  Meyer). 

Le   roman    de    Foulques    Fitz-Warin  (édit.  Moland). 
1301.  Traillebaston  (édit.  Wright,  Political  Songs). 
1303.  Siège  de  Carlaverok  (édit.  Nicolas). 

1307.  Pierre  de  Langtoft,  Chronique  (Master  of  the  Rolls,  édit.   Tho- 
mas Wright). 
1307-1308.  Lamentations    au    sujet    de    la    mort    d'Edward    I"   (édjt. 

Wright.  Political  Songs). 
1310-1315.   La  Plainte  d'Amour  ^  (mss.  Bodl.  Rawl.  Poetry  241;  Brit. 

1.  Petite  Sume  des  Set  Pèches  Morteus  ;  Les  xxxvi  vicstre  folies  ;  Antecrist.  Nous 
mentionnons  ces  trois  poèmes,  non  pas  à  cause  de  leur  valeur  littéraire, 
qui  nous  a  semblé  nulle,  mais  parce  que  nous  y  avons  trouvé  la  matière 
d'observations  importantes  ou  curieuses  ;  en  particulier,  l' Antecrist,  écrit  presque 
en  entier  au  futur  est  |^  une  mine  d'observations  pour  la  forme  de  ce  temps 
au  xive  siècle. 

2.  Plainte  d'Amour.  Nous  avions  pris  copie  de  deux  des  manuscrits  de  la  Plainte 
d'Amour  avec  l'intention  de  publier  ce  beau  poème.  M.  J.  Vising  nous  a  devan- 
cés et  nous  n^ avons  pas  à  le  regretter .  Nous  ne  partageons  cependant  pas  son 
opinion  sur  l'auteur  de  ce  poème  ;  la  langue  nous  semble  sensiblement  plus 
ancienne  que  celle  du  second  tiers  du  xive  siècle,  et  nous  ne  croyons  pas  Nicole 
Bozon  capable  d'avoir  écrit  ce  poème  qui  dénote  un  talent  très  supérieur  à  celui 
de  l'auteur  des  Vies  des  Saints  et  du  Char  d'Orgueil.  Nous  avions  tout  d'abord 
placé  ce  poème  vers  1280. 


BIBLIOGRAPHIE  XVII 

Mus.  Harl.  273).  —  Études  particulières  :  Johan  Vising,  La  Plainte 
d'Amour. 
1300-1330.  Apocalypse  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  XXV). 
Saint  Paul  (édit.  P.  Meyer,  Rom.  XXIV). 
Vie  de  sainte  Marguerite  (édit.   P.  Meyer,  Rom.  XL). 
L'Evangel   translate  de  latyn  en  franceys  '  (ms.  Brit.  Mus.   Cet. 
Dom.  A  XI). 

Ms.  de  la  Destruction  de  Rome  (édit.  Grôber,  Rom.  II). 
Ms.  des   Règles   de  Grosseteste   (édit.    Royal  Historical  Society, 
Bodl.  Douce  98). 

De  Conjuge  non   ducenda  (édit.  Wright,  Latin  poems  commonly 
attributed  to  Walter  Mapes). 
Vers  1330.  Nicole  Bozon,  Contes  (édit.  P.  Meyer,  S.  A.  T.). 

—     De  la  Bounté  des  Femmes. 

_         _     Vies  de  Saints  ^  (Brit.  Mus.  Cot.  Dom.  A  XI). 
_         _     Vie  de  saint  Paul  l'Ermite  (édit.  Baker  Mod. 

Lang.Rev.). 

—     Vie  de  saint  Panuce  (édit.  Baker). 

__        Vie  de  saint  Richard  de  Cicestre  (édit.  Baker, 

Rev.  des  Langues  Romanes,  LUI). 

_  _         _     Le  char  d'Orgueil  (ms.  Brit.  Mus.  O.  R.  8  E, 

XVII;  Bodl.,  Bodley425)- 

_  _         —     Geste  des  Dames  î  (ms.  Brit.  Mus.  O.  R.  8  E, 

XVII). 

Proverbes  de  Bon  Enseignement  4  (mss.  :  Brit. 

Mus.,   Old   Royal  8  E  XVII;  Arundel  507;  Harléien  957;    Addit. 
22283;  Bodléienne,    Selden   supra  74;    Rawl.    Poetry  241;  BodJey 
425  ;  Bodley  761). 
Vers  1330.  La  Passioun  Notre  Seignour  5  (ms.  Brit.  Mus.  Harl.   2253). 

1.  VEvangel  translate  a  certainement  plus  de  mérites  que  l'Antecrist  ;  nous  le 
plaçons  au  commencement  du  xive  siècle,  car  la  langue  rappelle  celle  de  l'Apo- 
calypse. 

2.  Nous  désignerons  par  Vies  de  Saints  et  l'indication  d'un  folio  les  exemples 
que-nous  avons  tirés  de  la  Vie  de  Marie  Madeleine  et  de  celle  de  sainte  Agnès  que 
nous  trouvons  dans  le  ms.  Cotton  Dom.  A  XL 

3.  Pour  la  Geste  des  Dames,  cf.  Rom.  XIII  et  XXIV. 

4.  Les  Proverbes  de  Bon  Enseignement  ne  sont  peut-être  pas  de  Nicole  Bozon  ; 
M.  P.  Meyer  a  signalé  sept  mss.,  nous  en  avons  découvert  un  huitième.  Nous 
avons  déjà  copié  ces  huit  manuscrits  et  nous  donnerons  sous  peu  une  édition  de 

ce  poème. 

5.  La  Passioun  Notre  Seignour.  Ce  poème  sur  la  Passion,  d'environ  2.000  vers 
donné  par  le  ms.  Harléien  2255  (cf.  Lgerton  2710)  doit  appartenir  à  la  seconde 


XVIIl  BIBLIOGRAPHIE 

1334.    Nicolas    Trivet,  Chroniques  (ms.  Brit.  Muséum,  Arundel   s6). 

1350 ,   Poème  religieux  ■  (ms.  Royal  20  B,  XIV). 

1385.    Le  Héraut  Chandos.    Poème  du   Prince   Noir  (édit.    Mildred   K. 

Pope).  —  Études  particulières  :  Johan  Kôtterit7-Sprachliche  und  text- 

kritische  Studien. 
1397.    Worcester  Ms. 

La  liste  des  ouvrages  que  nous  venons  de  donner  ne  prétend  pas 
être  un  catalogue  complet  de  la  production  littéraire  anglo-française 
de  riio  à  1400;  il  y  a  un  certain  nombre  de  textes,  imprimés  ou 
manuscrits,  que  nous  avons  consultés  et  que,  pour  une  raison  ou 
pour  une  autre,  nous  n'avons  pas  mis  à  profit  dans  notre  étude,  ni 
cités  dans  notre  bibliographie. 

Nous  n'avons  pas  du  reste  accordé  la  même  importance  ci  tous 
les  ouvrages  qui  précèdent  ;  ils  nous  ont  tous  servi,  mais  notre 
effort  a  surtout  porté  sur  un  certain  nombre  d'auteurs  ou  d'ou- 
vrages que  nous  considérons  comme  des  points  de  repère,  des 
centres  autour  desquels  on  peut  grouper  la  production  littéraire 
anglo-française,  et  qui  représentent  mieux  que  tous  les  autres  l'an- 
glo-français  à  ses  différents  moments.  Ces  ouvrages  significatifs 
sont  : 

moitié  du  xiye  siècle.  Il  est  possible  que  le  scribe  doive  être  tenu  pour  responsable 
d'un  certain  nombre  de  formes  fautives  que  nous  rencontrons  dans  ce  poème  ; 
en  voici  les  derniers  vers  (33  v.)  : 

De  coe  devum  requere  la  sue  pite 

Al  nostre  cher  seignur  qui  maint  en  trinite 

Tant  cum  nus  sûmes  el  secle,  si  poums  reclamer. 


Icoe  si  nus  otreit  li  parmanables  Deus 
Qui  fist  home  e  feme,  cel  e  terre  e  mer. 

[.  Poème  Religieux.  Nous  avons  étudié  ce  poème  en  lui  donnant  la  date  du  ms., 
car  nous  n'avons  pas  pu  lui  assigner  une  date  même  approximative  ;  il  est  écrit  en 
vers  de  12  syllabes,  et  à  certains  points  de  vue  il  rappelle  la  Plainte  d'Amour  et 
semblerait  appartenir  au  commencement  du  xivc  siècle  ;  d'un  autre  côté,  il  con- 
tient beaucoup  de  formes  qui  sont  certainement  de  la  seconde  moitié  de  ce  siècle  ; 
nous  n'emprunterons  que  fort  peu  d'exemples  à  ce  poème.  Voici  les  vers  du  début 
(65  V.)  : 

Queor  ke  tut  volt  aver  si  ke  ren  ne  li  faille 

Si  aprenge  d'amer  chose  ke  dure  e  vaille  ; 

Li  grain  prenge  a  sun  oes,  a  vein  queor  lest  la  paille 

Le  noel  a  sei  gart,  e  jet  al  fu  l'escaille. 


BIBLIOGRAPH  lÉ  XIX 

Pour  le  commencement  du  xii^  siècle^  le  Cumpoz  et  le  Bes- 
tiaire ; 

Pour  le  milieu  de  ce  siècle,  l'Estorie  de  Gaimar,  en  établissant  le 
texte  à  l'aide  des  variantes,  ce  qui  est  ordinairement  assez  facile  ; 

Pour  la  période  1160-1180,  les  Psautiers,  le  Tristan  de  Thomas, 
la  Vie  de  sainte  Catherine  à  cause  de  la  régularité  de  la  versifica- 
tion, et  les  Quatre  Livres  des  Rois  ; 

Pour  la  fin  de  ce  siècle,  la  Vie  de  saint  Gilles  et  l'Ipomédon. 

Les  poèmes  de  Frère  Angier  et  ceux  de  Chardri  (en  corrigeant 
pour  ce  dernier  le  texte  de  Koch)  nous  donnent  une  excellente 
idée  de  la  langue  du  commencement  du  xii^  siècle. 

Avec  les  Evangiles  des  Dompnées,  nous  trouvons  la  langue  du 
commencement  du  second  tiers  du  xii''  siècle,  et  celle  du  milieu  de 
ce  siècle  dans  le  Saint  Auban. 

Le  Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington  est  le  meilleur 
modèle  que  nous  ayons  de  la  langue  du  commencement  du  troi- 
sième tiers  de  ce  même  siècle,  et  le  poème  de  Dermod,  du  qua- 
trième quart. 

Pour  le  commencement  du  xiv^  siècle,  nous  avons  choisi  le 
poème  de  l'Apocalypse  ;  le  nombre  considérable  des  ouvrages  de 
Nicole  Bozon  nous  permet  de  nous  faire  une  idée  aussi  adéquate 
que  possible  de  ce  qu'était  l'anglo-français  vers  1330,  et  le  poème 
du  Prince  Noir  avec  le  Worcester  manuscript  nous  fait  connaître  la 
conjugaison  à  la  fin  du  xiv^  siècle. 

Ce  n'est  pas  seulement  à  cause  de  leur  valeur  intrinsèque  que 
nous  avons  mis  à  part  les  quelques  ouvrages  précédents  pour  en 
faire  la  base  de  notre  travail  ;  nous  avons  été  guidés  dans  notre 
choix  par  une  autre  considération  des  plus  importantes  :  celle  des 
dates. 

Il  était  indispensable  que  nous  eussions  un  certain  nombre  de 
points  de  repère  absolument  assurés  et  assez  rapprochés  les  uns  des 
autres,  auxquels  nous  puissions  rapporter  les  principales  formes 
nouvelles.  Nous  les  avons  trouvés  dans  les  ouvrages  que  nous 
venons  d'énumérer  ;  il  en  résulte  que  la  date  des  autres  textes  n'a 
plus  qu'une  importance  relative,  les  exemples  qu'ils  nous  offriront 
ne  devant  servir  qu'à  appuyer  ceux  que  nous  aurons  rencontrés 
dans  l'autre  classe  de  textes  :  pourvu  que  les  ouvrages  les  moins 
importants  appartiennent  approximativement  aux  dates  que  nous 


XX  BIBLIOGRAPHIE 

leur  avons  assignées,  nous  sommes  sûrs  de  ne  pas  commettre  d'er- 
reur grave.  C'est  ce  qui  nous  a  permis  de  faire  entrer  en  ligne  de 
compte  les  textes  manuscrits  que  nous  avons  cités  et  dont  les  dates 
ne  sont  pas  très  assurées,  en  admettant  même  que  nous  ne  nous 
soyons  pas  parfois  gravement  trompé  dans  notre  chronologie. 

Nous  ajouterons  un  mot  sur  notre  façon  de  citer  :  pour  les 
œuvres  en  vers,  nous  donnons  le  numéro  du  vers  ;  nous  donnons 
pour  les  exemples  que  nous  tirons  du  Voyage  de  saint  Brandan  la 
leçon  du  ms.  de  Londres  (Suchier)  et  celle  du  ms.  de  l'Arsenal 
(Auracher)  ;  pour  les  ouvrages  dont  nous  n'avons  que  de  mauvaises 
éditions,  ils  sont  nombreux,  l'Estorie  des  Engleis,  la  Chronique  de 
Fantosme,  les  poèmes  de  Chardri,  nous  nous  sommes  efforcé 
de  rétablir  le  texte  exact,  et  cela  n'a  pas  été  une  des  moindres 
difficultés  que  nous  ayons  rencontrées .  Pour  les  ouvrages  dont  les 
vers  ne  sont  pas  numérotés  (comme  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft)  nous  donnons  d'abord  la  tomaison  s'il  y  a  lieu,  puis  la 
page,  enfin  le  numéro  du  vers  dans  la  page.  Pour  les  œuvres  en 
prose  (Foulques  Fitz  Warin),  nous  n'avons  donné  que  la  page, 
excepté  pour  les  Psautiers  et  les  Quatre  Livres  des  Rois  où  nous 
citons  par  livre,  psaume  ou  chapitre,  verset. 

Nous  avons  vérifié,  et  à  plusieurs  reprises,  les  citations  que  nous 
avons  faites,  cependant  il  est  évident  que  quelques  erreurs  ont  dû 
s'introduire  ;  nous  espérons  qu'on  tiendra  compte  du  nombre  con- 
sidérable des  citations  pour  nous  pardonner  les  erreurs  matérielles 
qui  se  sont  glissées  dans  cet  ouvrage . 

B.  OUVRAGES  NON  LITTÉRAIRES. 

a)  Lettres. 

Royal  Letters,  Henry  III  (R.  S.),  édit.  Rev.  W.  W.  Shirley. 

Vol.  II,  1249-1270. 
Lettres  de  Rois  (Documents  inédits). 

Vol.  IL  1305-1396. 
Royal  and  Historical  Letters  (R.  S.),  édit.  F.  G.  Hingeston. 

1399. 
Lettres  de  Jean  de  Peckham  (R.  S,),  édit.  G.  T.  Martin. 

1277-1289. 


BIBLIOGRAPHIE  kXJ 

Literae  Cantuarienses  (R.  S.),  édit.  J.  B.  Sheppard. 

1312-1408. 
Letters  from  Northern  Registers  (R.  S.),  édit.  Rev.  James  Raine. 

1270-1347. 

b)  Textes  politiques,  diplomatiques,  etc. 

Rymer's  Foedera. 

Vols.  I,  II,  III,  IV,  V,  VI  (1256-1399). 
Statutes  of  the  Realm,  dans  les  «  Publications  of  the  Record  Commis- 
sioners.  » 

Vols.  I  et  II  (1275-1599). 
Early  Statutes  of  Ireland,  John  to  Henry  \'  (R.  S.). 

Vol.  I,  1280-13 20. 
Parliamentary  Writs,  dans  les  «  Publications  of  the  Record  Commissio- 
ners  ». 

Vol.  I  et  II,  1280-1320. 
The  Acts  of  Parliament  of  Scotland,    dans   les    «    Publications   of  the 
Record  Commissioners  ». 
Vol.  I. 

(■)  Documents  des  finances,  municipaux  et  autres. 

Liber  Rubeus  de  Scaccario  (R.  S.),  édit.  H.  Hall. 

Vol.  III,  1266-1325. 
The  Blacke  Booke  of  the  Admiralty  (R.  S.),  édit.  Sir  Travers  Twiss. 

\'ol.  I  et  II,  1291-1391. 
Historié  and  Municipal  Documents  of  Ireland  (R.   S.),  édit.  J.  T.  Gil- 
bert. 

Vol.  I,  131 5. 
Munimenta  Gildhallae  Londoniensis  (R.  S.),  édit.  H.  T.  Riley. 

1.  Liber  Albus. 

1280. 

2.  Liber  Custumarum. 

1280. 
Munimenta  Academica  (R.  S.),  édit.  Rev.  H.  Anstey. 

1348-13 58. 
Registrum    Palatinum    Dunelmense    (R.    S.),  édit.  Sir  Ihomas  Duflus 
Hardy. 

Vol.  I,  131 1-13 14; 

Vol.  II,  1 234-1 316  ; 

Vol.  III,  1302-1338. 


XXII  BIBLIOGRAPHIE 

Chartularies  of  St  Mary's  Abbey,  Dublin  (R.  S.),  cdit.  J.  T.  Gilbert. 

Vol.  I. 
Registrum  Malmesburiense  (R.  S.),  édit.  Rcv.  J.  S.  Brewer. 

Vol.  I  et  II. 
(Chartularies  of  St  Mary's  Abbey,  Dublin  (R.  S.)  édit.  J.  T.  Gilbert.) 

Vol.  I. 

d)  Annales  monastiques  contenant  des  documents  en  français. 

Annales  Monastici(R.  S.),  édit.  H.  R.  Luard. 

1.  Annales  de  Theokesberia  ; 

1263. 

2.  Annales  de  Burton  ; 

1263. 

3.  Annales  de  Oseneia  ; 

1277-1347- 
Chronica  Monasterii  Sancti  Albani(R.  S.),  édit.  H.  T.  Riley. 

1.  Thomas  Walsingham  Historia  Anglicana  ; 

1297. 

2.  Willelmi  Rishanger  Chronica  et  Annales  ; 

1259-1307. 

3.  Gesta  Abbatum. 

Vols.  II  et  III  1298-1399. 


Annales  Londonienses. 
1291-1330. 


e)  Autres  annales. 


/)  Textes  légaux. 


Year  Books  (R.  S.),  édités  par  A.  J.  Horwood  et  par  L.  O.  Pike. 

15  volumes,  1 292-1 346. 
Year  Books  (Selden  Society),  édités  par  Prof.  Maitland. 

9  volumes  1307-13 17. 
Calendar  of  the  Close  Rolls  (Calendars  of  State  Papers),  édités  sous  la 
surveillance  du  Deputy  Keeper  of  the  Records. 
1307  sqq. 

Il  nous  resterait  à  citer  deux  catégories  d'ouvrages  :  ceux  qui 
traitent  de  la  conjugaison  en  français,  soit  qu'ils  étudient  toutes  les 
formes   du  verbe,   soit  qu'ils  prennent   pour  sujet   un   mode,  un 


BIBLIOGRAPHIE  XXII 

temps,  une  désinence,  une  forme  ;  que  le  verbe  soit  spécialement 
le  but  de  leur  étude,  ou  une  partie  seulement  de  leur  sujet.  Nous 
avons  contracté  une  dette  immense  envers  tous  ces  auteurs,  mais 
leur  nombre  est  tel  que  nous  ne  pouvons  pas  songer  à  les  mention- 
ner ici .  On  pourra  voir  dans  les  notes  qui  suivent  chaque  question 
combien  nous  devons  à  cette  catégorie  d'ouvrages. 

Nous  ferons  simplement  remarquer  ici  que  nous  nous  sommes 
servi  de  la  traduction  française  de  l'ouvrage  de  M.  Suchier  sur  les 
Voyelles  toniques,  ensuite  que  par  la  Grammaire  de  M.  Meyer- 
Lûbke,  nous  entendons  la  traduction  française  de  sa  grammaire  des 
Langues  romanes  et  par  la  Grammatik  du  même  auteur,  nous 
comprenons  son  Historische  Grammatik  der  Franzôsischen  Sprache. 

Il  y  a  une  autre  catégorie  d'ouvrages  qui  nous  a  été  du  plus 
grand  secours,  nous  voulons  dire  les  études  qui  ont  été  consacrées 
à  l'anglo-français  :  tantôt  des  études  générales,  comme  l'étude  sur 
le  dialecte  anglo-normand  du  xii^  siècle  de  Professer  Johan  Vising, 
ou  Laut-  und  Formenlehre  der  Anglonormannischen  Sprache  des 
xiv.  Jahrhunderts  d'Emil  Busch,  ou  l'Orthographia  Gallica  de 
Stûrzinger.  Plus  souvent,  ce  sont  des  passages  d'ouvrages  généraux, 
comme  le  Français  et  le  Provençal  de  M.  Suchier,  les  nombreux . 
articles  de  M.  P.  Meyer  que  nous  avons  mis  à  profit  ;  plus  sou- 
vent encore  les  introductions  où  les  éditeurs  ont  étudié  leurs  textes  : 
pour  ce  dernier  genre  de  travail,  nous  ne  pouvons  pas  passer  sous 
silence  l'étude  que  M.  Meyer  a  consacrée  aux  contes  de  Nicole 
Bozon,  ni  le  travail  si  riche  que  M.  Stimming  a  mis  à  la  suite  de 
son  édition  de  Boeve  de  Haumtone. 

Malgré  notre  désir  d'avouer  publiquement  toutes  ces  dettes, 
bien  évidentes  du  reste,  et  de  témoigner  de  notre  reconnaissance  à 
tous  ceux  qui  nous  ont  précédé  et  des  labeurs  desquels  nous  avons 
profité,  nous  devons  renoncer  à  les  énumérer  ici.  Dans  le  corps  de 
cet  ouvrage,  et  toutes  les  fois  que  l'occasion  s'en  présentera,  nous 
serons  heureux  de  rendre  à  César  ce  qui  appartient  à  César. 

Saint- Andrews,   mai   19 14. 

Il  me  reste  encore  à  remercier  tous  ceux  qui  m'ont  facilité  ce 
long  travail  :  M.  Antoine  Thomas  tout  d'abord,  notre  maître,  dont 
les  conseils  m'ont  été  si  précieux  ;  ceux  qui  ont  bien  voulu  revoir 


X\|\  BIBLIOGRAPHIE 

les  épreuves  de  ce  livre  :  M.  L.  R.  Tanquerey,  professeur  au  lycée 
de  Tulle,  M.  J.  A.  Videment,  Lecturer  à  l'Université  de  Sheffield. 
Mon  dernier  mot  sera  pour  exprimer  à  ma  mère  toute  ma  recon- 
naissance pour  l'aide  matérielle  et  morale  qu'elle  n'a  cessé  de  me 
donner  et  dont  je  puis  seul  apprécier  toute  l'étendue. 

Lorient,  juillet  1914. 


Cet  ouvrage  a  été  imprimé  pendant  la  guerre  ;  quoique  mobilisé ,  je 
n'ai  pas  voulu  en  interrompre  l'impression.  Aussi  fai  dû  en  corriger 
hâtivement  les  épreuves  pendant  les  loisirs  que  nie  laissaient  mes  devoirs 
militaires . 

A  bord  du    Tibre,     Octobre  1^14. 


PREMIERE  PARTIE 
Les  Formes 


LIVRE  PREMIER 
DÉSINENCES    PERSONNELLES 


CHAPITRE    PREMIER 
LA  PREMIÈRE  PERSONNE  DU  SINGULIER 

La  première  personne  du  singulier,  dont  les  désinences  se  sont 
unifiées  d'une  façon  si  remarquable  en  français  moderne,  présentait 
dans  l'ancienne  langue  une  assez  grande  variété  de  formes;  il  en 
résulte  qu'elle  nous  donne  la  matière  de  nombreuses  observations. 
Les  différentes  questions  que  les  désinences  de  cette  personne  sou- 
lèvent sont:  a)rt';  b)  1'^;  c)  la  gutturale;  d)  les  terminaisons  en 
-eie;  e)  les  terminaisons  en  -ai. 

a)  L'^.  —  On  sait  qu'en  français  moderne  l'c  atone  est  la  dési- 
nence caractéristique  de  la  première  personne  du  singulier  du  pré- 
sent de  l'indicatif  des  verbes  de  la  première  conjugaison.  Cet  ^' se 
rencontre  en  anglo-français,  non  seulement  avec  les  verbes  de  I, 
mais,  plus  ou  moins  régulièrement,  à  toutes  les  conjugaisons. 

I.    PREMIÈRE  CONJUGAISON. 

Étymologiquement,  deux  classes  de  verbes  de  I  seulement  pré- 
sentaient dans  l'ancienne  langue  une  désinence  en  e  atone  :  d'abord 
ceux  qui  se  terminaient  par  un  groupe  de  consonnes  impossibles  à 
prononcer,  comme  iitr  (d'où  j'entre)  ;  ensuite  ceux  qui  en  latin 
étaient  accentués  sur  l'antépénultième  (comme  diibito,  je  doute). 
Ce  second  cas  se  ramène  naturellement  au  premier;  car  si  le  verbe  est 
accentué  sur  l'antépénultième,  la  chute  de  la  voyelle  pénultième 
produit  un  groupe  de  consonnes  nécessitant  un  e  d'appui.  Ce 
groupe,  il  est  vrai,  s'est  réduit  de  bonne  heure  ;  double  a  rapidement 
passé  à  Jo///t';  néanmoins,  en  français,  le  souvenir  confus  de  l'ori- 
gine de  cet  e  final  le  maintint  assez  longtemps  après  qu'il  eut 
perdu  sa  raison  d'être.  Dans  le  français  continental  du  reste,  cet  (' 
muet  disparaît  totalement  pendant  un  certain   temps  et  les  verbes 


4  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

accentués  sur  l'ainépénultième  subissent,  par  la  suite,  le  même 
traitement  que  les  autres  verbes. 

Le  français  s'est  implanté  en  Angleterre  à  une  époque  où  les  e 
analogiques  à  la  première  personne  du  singulier  étaient  extrêmement 
rares,  sinon  absolument  inconnus.  Par  conséquent,  rien  de  plus 
naturel  que  de  supposer  que  les  premières  œuvres  anglo-fran- 
çaises n'oftTent  que  des  désinences  régulières  à  cette  personne. 
Ce  n'est  cependant  pas  ce  qui  s'est  produit  :  dès  les  premières 
années  du  xii""  siècle,  nous  trouvons  au  moins  un  auteur  qui 
emploie  à  Toccasion  la  forme  présentant  une  muette  irrégulière. 
Tous  ses  contemporains  cependant  ne  nous  montrent  que  des 
formes  étymologiques  et  pendant  environ  un  demi-siècle  les 
exemples  que  nous  fournit  cet  auteur  demeurent  uniques  ;  cette 
inconsistence  est  tout  à  fait  caractéristique  de  l'anglo-français. 

Pendant  cette  première  période  (iiio-iiéo)  de  l'anglo-français 
par  conséquent,  nous  rencontrons  un  seul  auteur  irrégulier  et  un 
grand  nombre  d'autres  qui  n'emploient  jamais  que  les  tormes  éty- 
mologiques. Nous  ne  citerons  aucun  exemple  tiré  des  ouvrages  de 
ces  derniers  :  il  serait  oiseux  de  faire  une  énumération  de  formes 
parfciitement  naturelles  et  qu'on  pourra  trouver  dans  les  études  de 
détail  consacrées  à  chacun  de  ces  ouvrages.  Nous  ne  ferons  d'excep- 
tion que  pour  l'Estorie  des  Engleis  de  Gaimar:  dans  ce  poème  les 
formes  étymologiques  sont  fréquentes  et  assurées  par  des  rimes  ou 
la  mesure  des  vers.  On  y  trouve  aussi,  semble-t-il,  quelques  formes 
irrégulières  (cf.  aux  vers  688,  ^698,  4974);  mais  aucune  d'elles 
n'aurait  pu  subsister  dans  un  texte  critique.  Dans  chacun  des  cas 
que  nous  avons  rencontrés,  il  suffit  de  supprimer  Ve  introduit  par 
le  scribe  ou  par  l'éditeur  pour  rétablir  la  mesure  du  vers  ;  par 
exemple  on  doit  lire  au  vers  688  : 

Bien  le  vus  jur,  sil  vus  affi     et  non     jure. 

On  pourrait  facilement  relever  plusieurs  autres  exemples  ana- 
logues dans  ce  poème.  Parfois  il  faut  adopter  pour  rétablir  la  forme 
régulière,  la  leçon  de  certains  manuscrits,  leçon  rejetée  par  l'éditeur. 
C'est  ainsi  qu'on  lit  au  vei's  3698  : 

U  io  ne  note  nule  bealte 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    SINGULIER  5 

alors  que  les  trois  autres  manuscrits  D,   L  &  H   donnent  la   leçon 
correcte  : 

U  il  n'en  ot  nule  bealte. 

A  côté  de  ces  formes  corrompues  par  les  scribes,  nous  en  trou- 
vons un  nombre  considérable  de  régulières  (cf.  à  la  rime,  afi  668, 
4355;/)^;w  1143,  2301  ;  et  711,  2761,  4907,  6030,  6034  et  plu- 
sieurs autres;  et  dans  le  corps  des  vers  669,  707,  4618,  6298). 
Il  en  va  de  même  d'Elie  de  Winchester  qui,  dans  ses  distiques  de 
Caton,  nous  offre  plusieurs  exemples  de  formes  régulières  comme 
enort  (mort)  au  vers  174. 

Tous  ces  ouvrages  que  nous  pourrions  citer  nous  représentent 
aune  exception  près,  la  totalité  des  œuvres  antérieures  à  11 50,  et 
Ton  voit  qu'ils  montrent  tous  la  plus  grande  régularité  ;  il  fallait 
évidemment  une  ombre  à  ce  tableau  et  c'est  le  Voyage  de  saint 
Brandan'  qui  la  donne.  Quoique  Fun  des  premiers  ouvrages  anglo- 
français,  ce  poème  nous  présente  un  cas  indiscutable  de  la  forme 
analogique,  et  c'est  le  plus_ancien  exemple  que  nous  ayons  de  cette 
forme".  Cet  exemple  ce  trouve  à  la  rime  du  vers  1302;  on  y  voit 
Jt';;w/;/^' rimer  avec />m/6'.  Cette  rime  se  trouve  dans  le  manuscrit 
de  Londres  et  dans  celui  de  l'Arsenal.  Dans  ce  même  poème  on  a 
encore  relevé  une  autre  rime  très  discutable  aux  vers    1451-1452  : 

lie  (:  nie). 

M.  Willenberg  a  fait  fort  justement  observer  que  cet  exemple 
n'a  aucune  valeur  probante  si  ;nV  =  nego;  cet  f  apparaissant  dans 
une  interrime  peut  provenir  de  l'ignorance  ou  de  la  négligence  du 
scribe.  Mais  M.  Willenberg  a  tort  de  croire  que  la  présence  de  1'^  irré- 
gulier est  mieux  établie  si  nie  est  un  présent  du  subjonctif.  Nous 
verrons  plus  tard  que,  pour  les  verbes  de  I,  la  première  personne 
du  singulier  de  ce  temps  a  conservé  longtemps,  en  tous  cas  pen- 
dant les  trois  premiers  quarts  du  xii^  siècle,  la  forme  régulière  sans 

i.Nous  verrons  que  sur  bien  des  points  le  Saint  Brandan  se  détache  nettement 
du  croupe  des  ouvrages  de  son  époque  et  qu'il  annonce  l'usage  en  honneur  50 
ou  75  ans  plus  tard.  Nous  penchons  à  croire  qu'il  a  été  fortement  remanie  par  le 
scribe  du  manuscrit  de  Londres.  Cette  opinion  est  confirmée  de  tous  points  par 
l'étude  du  manuscrit  de  l'Arsenal  BLF  285,'  publié  au  volume  II  de  la 
Zeitschrift. 


6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

atone.  Il  est  donc  difficile  de  ne  pas  admettre  que  dans  cet  exemple 
IV  de  toutes  façons  et  pour  les  deux  verbes  appartient  au  scribe. 

Par  conséquent  nous  ne  pouvons  retenir  comme  exemple  de  IV 
analogique  que  la  première  rime  du  Voyage  de  saint  Brandan  que 
nous  avons  citée.  Mais  jamais  un  exemple  isolé  n'a  eu  beaucoup  de 
poids,  et  nous  pouvons  conclure  que  pendant  la  première  moitié 
du  xii"  siècle  les  premières  personnes  de  I  sont  toujours  régulières. 

Pendant  la  seconde  moitié  du  xii'^  siècle  et  la  première  du  siècle 
suivant,  la  forme  étymologique  reste  la  règle  chez  tous  les  auteurs, 
la  seule  employée  chez  la  plupart.  Les  formes  avec  voyelle  atone  ne 
se  rencontrent  que  chez  les  auteurs  qu'on  appelle  «  incorrects  ».  Il 
serait  peut-être  bon,  maintenant  que  la  question  se  pose  d'elle- 
même,  de  déterminer  la  valeur  que  nous  attribuerons  aux  différents 
témoignages  et  de  dire  quels  sont  ceux  que  nous  considérons 
comme  les  plus  significatifs.  Si,  pour  un  point  déterminé,  les  auteurs 
«  corrects  »  d'une  période  nous  montrent  tous  le  même  usage, 
nous  en  conclurons  que  cet  usage  représente  la  règle  de  la  langue 
littéraire  ;  si  de  leur  côté  les  auteurs  «  incorrects  »  nous  montrent 
l'usage  contraire,  nous  considérerons  que  c'est  surtout  le  témoi- 
gnage de  ces  derniers  qu'il  nous  faudra  examiner. 

En  effet,  la  langue  des  écrivains,  même  au  moyen  cage  et  surtout 
en  anglo-français,  est  toujours  et  jusqu'à  un  certain  point  archaïque  ; 
elle  tend  encore  à  le  rester  davantage,  à  proportion  de  la  difficulté 
ou  de  la  rareté  des  échanges  avec  la  langue  populaire.  Pour  cette 
double  raison,  les  plus  corrects  des  écrivains  anglo-français,  surtout 
pendant  la  période  dont  nous  parlons,  nous  donnent  avant  tout 
des  preuves  de  la  vitalité  des  traditions  littéraires  au  point  de  vue 
de  la  langue.  Ceux  au  contraire  qui  nous  semblent  incorrects,  se 
souciant  moins  ou  incapables  d'écrire  comme  le  faisaient  leurs  pré- 
décesseurs, reproduiront  aussi  exactement  que  possible  l'usage 
courant  de  leur  temps,  et  c'est  justement  cet  usage  qu'il  nous 
importe  de  déterminer,  s'il  est  possible  de  le  faire. 

La  seule  difficulté  sera  de  démêler  ce  qui  peut  n'être  qu'une 
erreur  individuelle,  et  nous  sommes  sûrs  d'avance  que  ces  erreurs 
ne  sont  pas  rares,  des  faits  généraux. 

Cela  n'est  pas  toujours  facile  ;  mais  une  particularité  morpholo- 
gique répétée  dans  quelques  auteurs  indépendants  suffit  pour  indi- 
quer une    tendance    assez  générale.    Si    cette    même    forme    est 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  7 

employée  à  l'exclusion  de  toute  autre  par  quelques  auteurs,  même 
incorrects,  c'est  la  forme  qui  tend  à  devenir  habituelle  et  normale 
à  l'époque. 

Nous  aurons  donc  à  examiner  les  auteurs  corrects,  sans  attacher 
une  trop  grande  importance  aux  renseignements  qu'ils  nous  four- 
nissent, surtout  sans  fonder  notre  jugement  uniquement  sur  les 
indications  qu'ils  nous  donnent;  ensuite  à  voir  si,  chez  les  autres, 
les  formes  avec  e  atone  ont  quelque  généralité.  Si  elles  en  ont, 
nous  conclurons  que  ces  désinences  analogiques  sont  devenues  à 
l'époque  que  nous  préciseront  ces  auteurs,  la  forme  normale  de  nos 
premières  personnes  du  singulier,  quelles  que  soient  les  conclu- 
sions que  les  autres  auteurs  aient  pu  nous  suggérer  ;  si  elles  restent 
accidentelles,  nous  admettrons  que  la  forme  étymologique  n'a  pas 
été  déplacée. 

De  1150  à  1250,  ces  auteurs  corrects  restent  le  majorité  ;  Adgar, 
pour  la  question  actuelle,  en  est  au  même  point  que  Gaimar, 
quoique  ordinairement  il  représente  un  état  de  choses  plus  avancé. 
Chez  lui  aucun  e  analogique  qui  puisse  résister  à  l'examen  (cf.  I, 
Eg.  19;  VR  23  5;MX,  113;  XVII,  516,  613;  XXI,  87  ;  XXVIII, 

178). 

Il  en  va  de  même,  et  cela  est  moins  extraordinaire,  pour  le  Tris- 
tan de  Thomas  (31,  908,  1334),  la  Folie  Tristan  (84,  302,  334), 
et  le  Lai  du  Chèvrefeuille.  Les  formes  correctes  sont  les  seules 
employées  par  sœur  Clémence  de  Barking  dans  sa  Vie  de  Sainte 
Catherine  (cf.  vers  47,  385,  647,  688),  par  Jordan  Fantosme 
(cf.  les  rimes  des  vers  343,  498,  1024,  1360),  et  dans  le  drame 
d'Adam  (cf.  vers  85,  130,  136,  243,  402,  628).  Elles  sont  moins 
communes,  mais  toujours  les  seules  dans  le  poème  de  Horn  (cf. 
vers  362,  565,  466,  729),  et  dans  Haveloc  (755,  '^(>C). 

Gaston  Paris,  dans  son  introduction  à  la  Vie  de  Saint  Gilles,  cite 
un  certain  nombre  d'exemples  de  formes  étymologiques  dans  ce 
poème  ;  ainsi,  nous  n'avons  aucune  raison  de  retenir  comme  un 
exemple  provenant  de  Guillaume  de  Berneville  de  Ye  analogique  le 
demande  du  vers  2041  où  cette  première  personne  précède  un  mot 
commençant  par  une  voyelle  : 

Jo  ne  dcmand(e)  a  cette  feiz 
Pour  clore  le  xii^  siècle,  nous  trouvons  Guischart  de  Beauliu  qui 


8  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

nous  offre  un  nombre  considérable  de  premières  personnes  régu- 
lières, assurées,  soit  par  la  rime  (cf.  vers  145)  soit  par  la  mesure 
du  vers  (cf.  524,  667,  1148,  1201,  1202,  145 1,  lire  à  ce  dernier  vers 
espoent). 

Nous  ne  donnons  aucun  exemple  tiré  des  poèmes  de  Simund  de 
Freine;  on  pourra  les  lire  dans  l'Introduction  de  M.  Matzke'. 

Dans  chacun  des  trois  poèmes  de  Chardri,  les  rimes  sont  fré- 
quentes :  devi)i  (  :  fin)  au  vers  359  du  Josaphat  ;  cinuant  (  :  demein- 
tenant)  dans  le  même  poème  au  vers  918 ,  cri  rime  avec  «  esbaï  »  dans 
les  Set  Dormans  au  vers  1441  et  peu  s  avec  «  sens  »  au  vers  105  du 
Petit  Plet.  Le  même  état  de  choses  — ■  formes  étymologiques  fré- 
quentes, formes  analogiques  absentes  —  se  remarque  dans  le  Saint- 
Laurent  %  dans  le  Psautier  à  rimes  couées  (Harléien,  4070),  dans  le 
Saint  Julien  '  même  dans  le  Saint  Auban^. 

Dans  la  Vie  d'Edward  le  Confesseur  les  premières  personnes  du 
présent  de  l'indicatif  des  verbes  de  I,  et  elles  sont  nombreuses,  sont 
absolument  régulières. 

Translat  y  rime  avec  «  barat  »  au  vers  30  ;  oi'  avec  «  enclos  »  au  vers 
60  ;  cunt  avec  «  dunt  »  au  vers 7 5, etc.  ;la  régularité  d'autres  formes 
est  attestée  par  la  mesure  des  vers  350,  811,  etc.  Une  seule 
forme  semble  faire  exception,  au  vers  711;  on  y  lit  en  effet  ciinte; 
mais  la  voyelle  finale  est  en  hiatus,  nous  venons  de  voir  au  vers  75 
la  forme  régulière;  rien  ne  nous  empêche  donc,  comme  nous 
l'avons  fait  pour  la  Vie  de  Saint  Gilles,  d'attribuer  \'e  final  au 
scribe. 

Les  exemples  sont  spécialement  nombreux  et  assurés  dans  le 
«  Fragment  d'une  traduction  de  la  Bible  »  publié  au  tome  XVI  de 
Romania,  p.  183,  sqq.  (milieu  du  xiii"^  siècle).  On  rencontre  à 
la  rime  dans  ce  fragment  apel  (:  Israël)  (vers  397);  demand  (  :  grant) 
au  vers  44e  ;  y«r  (:  amur)  au  vers  526,  tandis  qu'on  ne  trouve 
aucune  première  personne  incorrecte  ;  la  même  remarque  s'applique 
à  l'Assumpcion  Notre-Dame  de  Chermaus  ;  voir  par  exemple 
fol.  81  v°. 

1 .  Page  xli. 

2.  Porpens  (  :  tens)  ;  comeni  (  :  Lorenz)  75  ;  les  {:  après)  202  etc. 

3.  Pens  (:  tens)  65  ro  ;  76  ro,  etc.  Assurés  par  la  mesure  du  vers  :  coi'eit 
67  ro  ;  pli  67  V'O;  mervoil  69  ro;  os  72  ro. 

4.  Devin  (  :  vesin)  68  ;  teniiiii  (  :  enterrin)  1845. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  9 

Par  conséquent,  comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  entre 
II 50  et  1250  nous  trouvons  un  nombre  considérable  d'auteurs 
qui  n'emploient  que  les  formes  régulières  à  la  première  personne 
du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  des  verbes  de  I. 

Les  Légendes  de  Marie,  le  Tristan,  le  Lai  du  Chèvrefeuille,  la 
Folie  Tristan,  la  Vie  de  Sainte  Catherine,  Horn,  la  Chronique  de 
Jordan  Fantosme,  le  Drame  d'Adam,  la  vie  de  Saint  Gilles,  le  Ser- 
mon en  vers  de  Guischart  de  Beauliu,  les  poèmes  de  Simund  de 
Freine,  ceux  de  Chardri,  le  Saint  Laurent,  le  Saint.  Julien,  la  Vie 
d'Edward  le  Confesseur,  le  Saint  Auban  montrent  un  grand 
nombre  de  formes  étymologiques  et  ne  montrent  que  celles-là. 

La  longueur  même  de  cette  liste  laisse  à  penser  qu'il  ne  reste 
que  peu  d'auteurs  qui  présentent  Ve  analogique  entre  1150  et 
1250.  Et  parmi  les  auteurs  dont  il  nous  reste  à  parler  maintenant, 
il  y  en  a  chez  lesquels  la  forme  incorrecte  est  extrêmement  rare. 
Le  Psautier  de  Cambridge  par  exemple  ne  nous  présente  qu'un 
seul  cas  d'c  irrégulier,  c'est  le  parole  qu'on  trouve  à  '1,  i.  Il  en  est 
de  même  des  Quatre  Livres  des  Rois:  cet  ouvrage  nous  donne  un 
nombre  considérable  de  tormes  régulières  —  et  une  seule  forme 
analogique  piie,  l\\  20;  les  Distiques  de  Caton  d'Everart  de  Kirk- 
ham  nous  fournissent  encore  (19,  e)  un  exemple  assuré  de  cette 
forme  ;  prie  (  :  mie). 

On  serait  très  tenté  de  considérer  cet  e  unique,  de  parole  et  de 
prie,  —  comme  de  simple  lapsus  calami  ou  une  mauvaise  rime. 
Cependant,  après  un  certain  intervalle,  ce  dernier  verbe  apparaît 
de  nouveau  sous  la  forme  analogique  dans  un  auteur  ordinaire- 
ment très  correct,  Robert  de  Gretham .  On  pourrait  presque  clas- 
ser celui-ci  parmi  les  auteurs  ne  présentant  jamais  la  forme  analo- 
gique ;  dans  ses  Évangiles  des  Dompnées  nous  n'avons  relevé  qu'un 
seul  cas  où  la  mesure  du  vers  exige  un  e.  C'est  prie  (59  r")  ;  ce 
n'est  peut-être  qu'un  vers  faux,  car  on  retrouve  pri  (  :  respundi) 
68  r°,  et  passim  assez  fréquemment.  De  plus  le  nombre  d'exemples 
de  premières  personnes  régulières  est  considérable  dans  ce  poème, 
on  trouve  à  la  rime  deinaut  (  :  cumant)  m  r°;  glorifi  (  :  respundi) 
68  r°  ;  ciuit  (  :  mund)  9  v° .  Si  nous  passons  maintenant  aux 
formes  du  corps  du  vers  assurées  par  la  mesure,  nous  nous  trou- 
vons en  présence  d'une  liste  beaucoup  plus  étendue  :  citons  seule- 
ment :  aim  84  v°  ;  gel  34  r"  etc. 


10  L  EVOLUTION    DU    VERBK    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Les  mC'mcs  remarques  peuvent  être  faites  au  sujet  du  Saint 
Edmund  ;  un  grand  nombre  de  formes  étymologiques  sont  assu- 
réeb  soit  par  la  rime  ou  par  la  mesure  du  vers^  par  exemple  ciiiit 
(  :Edmunt)  au  vers  199;  cornant  (:  avant)  au  vers  706,  etc.  Un 
assez  grand  nombre  à'e  cependant  se  trouvent  écrits.  Quelques-uns 
sont  très  évidemment  dus  au  scribe  ou  à  l'éditeur,  par  exemple 
au  vers  2917  qui  donne  recorde  (  :  morte)  et  où  il  faut  lire  record  : 
mort. 

Dans  d'autres  cas  la  correction  ne  s'impose  pas  aussi  nettement  ; 
ainsi  on  trouve  au  vers  3954  : 

Cum  jeo  aime  tant  cum  sei  vifs. 

Ici  il  est  extrêmement  probable  qu'il  faut  lire: 
Cum  jeo  aim  tant  cum  scie  vifs. 

Dans  les  quatre  ouvrages  que  nous  venons  de  citer,  il  est  possible, 
sinon  probable,  que  les  quelques  e  analogiques  qu'on  rencontre  sont 
le  résultat  d'une  simple  négligence.  Mais  nous  ne  pouvons  pas  nous 
débarrasser  aussi  facilement  des  exemples  que  nous  rencontrons 
dans  le  Psautier  d'Arundel,  les  deux  poèmes  de  frère  Angier  et  dans 
Boeve  de  Haumtone. 

Dans  le  Psautier  d'Arundel,  les  e  sont  assez  communs  :  on  trouve 
fie  (10. i)  ;  habite  (22.9)  ;  ourc  (27.2). 

Nous  n'avons  dans  les  poèmes  de  frère  Angier  que  deux  exemples 
de  formes  irrégulières,  mais  ils  sont  absolument  certains  :  paise 
(:  mesaise)  11  v°  a;  revire  (:  dire)  v°  a. 

En  ce  qui  concerne  Boeve  de  Haumtone,  il  est  très  difficile,  peut- 
être  impossible,  de  dire  avec  quelque  exactitude  comment  sont  trai- 
tées les  personnes  qui  nous  occupent  ;  elles  sont  écrites  au  moins 
neuf  fois  sur  dix  avec  1'^'  final  ;  mais  la  versification  est  tellement 
irrégulière  que  nous  ne  pouvons  tenir  aucun  compte  delà  longueur 
du  vers  :  de  l'étude  de  la  versification,  cependant,  nous  pouvons  tirer 
deux  conclusions,  l'une  positive,  l'autre  purement  négative  : 

1°  On  rencontre,  assez  rarement  toutefois,  des  premières  per- 
sonnes de  I  à  la  rime  dans  des  laisses  masculines  :  par  ex.  chaunt 
(:  combataunt)  i^,  coininand  (:  vaillans)  2401  ;  dèmand  (:  devant) 
^jij  ;  otriiÇ:  devis)  3254,  et  quelques  autres. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  I  I 

2"  Les  premières  personnes  de  ces  verbes  ne  se  trouvent  jamais 
à  la  rime  dans  les  vingt  laisses  féminines. 

Il  y  a  donc  présomption  pour  que  eiin  689;  niaiind,  64;  qiiid 
130  etc.  appartiennent  en  propre  à  l'auteur  de  Boeve  de  Haumtone. 
On  trouve  cependant  dans  cet  auteur  un  nombre  assez  considérable 
de  cas  où  il  semble  que  l'on  doive  pour  la  mesure  du  vers  conserver 
1'^;  par  exemple,  affie  159,  envoie  54,  porte  112,  ose  3759;  et  proba- 
blement dans  quelques  autres  cas  encore.  Mais  nous  sommes  ici 
dans  le  domaine  de  la  conjecture. 

S'il  était  loisible,  dans  une  étude  de  la  langue  anglo-française,  de 
distinguer  dès  périodes  clairement  marquées,  nous  pourrions  dire 
que  pour  la  question  qui  nous  occupe  nous  arrêtons  la  première 
période  après  Saint  Auban.  En  effet,  tous  les  ouvrages  qui  le  pré- 
cèdent et  le  Saint  Auban  lui-même  ont  un  caractère  commun  : 
c'est  de  ne  présenter  jamais  ou  de  présenter  très  rarement  Ve  analo- 
gique à  la  première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif 
de  I.  Cette  distinction  cependant  est  tout  arbitraire;  lorsque  nous 
arriverons  à  l'étude  de  quelque  autre  point,  nous  verrons  que  cette 
première  période,  qui  montre  une  unité  réelle  pour  la  question  qui 
nous  occupe  maintenant,  ne  correspondra  plus  à  la  réalité  et  nous 
aurions  à  tracer  une  nouvelle  ligne  de  démarcation  à  quelque  autre 
moment  de  la  littérature  anglo-française.  Nous  pouvons  cependant 
admettre  que  tous  les  ouvrages  de  cette  période  ont  au  moins  un 
caractère  en  commun  :  celui  de  ne  piésenter  que  très  rarement  Ve 
analogique  à  la  première  personne  du  singulier  des  verbes  de  I. 

En  un  mot  pour  résumer  aussi  complètement  et  aussi  brièvement 
que  possible  les  résultats  de  cette  étude,  nous  pourrons  avancer  les 
points  suivants  : 

1°  La  présence  d'un  e  irrégulier  est  assurée,  pour  im  petit  nombre 
d'exemples  dans  un  petit  nombre  d'ouvrages  :  le  Voyage  de  saint 
Brandan  (i  cas),  le  Psautier  de  Cambridge  (i  cas),  le  Psautier 
d'Arundel  (3  ou  4),  les  Quatre  Livres  des  Rois  (i  cas),  les  Dis- 
tiques de  Caton  d'Everart  de  Kirkham(i  cas).  Frère  Angier  (2  cas), 
les  Evangiles  des  Dompnées  (i  cas). 

2°  Plusieurs  cas  assez  douteux  peuvent  se  relever  dans  le  poème 
de  Saint  Edmund  et  dans  Boeve  de  Haumtone. 

3°  Si  nous  ne  prenons  que  les  formes  assurées,  nous  voyons 
qu'un  seul  verbe  se  trouve  employé  sous  cette  forme  plus  d'une  fois  : 


12  l'Évolution  du  verbe  e\  anglo-français 

prie.  Par  la  suite,  nous  pourrons  observer  pour  ce  même  verbe  une 
très  grande  hésitation  ;  il  apparaîtra  tantôt  sous  la  forme  étymolo- 
gique, tantôt  avec  Vc  analogique.  Les  autres  verbes  ne  se  trouvent 
employés  qu'une  seule  fois.  Un  seul  de  ces  derniers,  fie,  a  un  thème 
vocalique  ;  les  autres  montrent  un  thème  consonantique,  et,  pour 
quelques-uns  au  moins,  comme  demainc,  parole,  on  peut  expliquer 
leur  forme  par  l'influence  des  verbes  accentués  sur  l'antépénul- 
tième. 

4°  Les  dates  de  ces  formes  impliquent  une  nouvelle  difficulté  ;  si 
on  attribue  la  rime  du  saint  Brandan  à  l'auteur  du  poème,  ce  que 
nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  faire,  puisque  le  manuscrit'  de  l'Arsenal 
est  d'accord  sur  ce  point  avec  celui  de  Londres,  nous  devons  admettre 
que  notre  premier  exemple  d'un  e  incorrect  remonte  à  1120. 
Remarquons  que  les  exemples  les  plus  rapprochés  de  celui-là  lui 
sont  postérieurs  de  quarante  ans  (1160). 

Si  nous  appliquons  maintenant  le  principe  que  nous  énoncions 
tout  à  l'heure,  nous  dirons  que  l'exemple  du  Saint  Brandan  est  une 
irrégularité  purement  individuelle;  en  réalité,  nous  pensons  qu'elle 
diffère  matériellement  de  celles  qui  suivent  ;  l'au-teur  de  ce  poème  a 
employé  la  forme  fémine  pour  demaine,  sous  l'impression  que  c'était 
un  verbe  analogue  à  repaire,  c'est-à-dire  accentué  en  latin  sur  l'anté- 
pénultième. Cette  forme  n'a  donc  été  qu'une  erreur  personnelle,  une 
faute  d'orthographe.  Après  1 160,  il  n'en  est  pas  tout  à  fait  de  même  : 
le  nombre  des  formes  nouvelles  nous  prouve  que  c'est  une  ten- 
dance générale  de  l'anglo-français  qui  se  fait  jour.  Les  forces  con- 
servatrices, qui  restent  toujours  puissantes  en  anglo-français, 
empêchent  les  formes  féminines  de  la  première  personne  de  se 
généraliser,  et,  encore  vers  1250,  elles  marquent  une  tendance  plu- 
tôt qu'un  fait  accompli. 

Du  reste  l'absence  de  cet  e  est  si  bien  établie  et  sa  présence  si 
exceptionnelle  que  la  consonne  finale  subit  des  modifications  pho- 
niques qui  datent  évidemment  de  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle 
au  plus  tôt.  Les  premières  personnes  évoluent  comme  si  elles  ne 
devaient  jamais  prendre  Ve.  On  trouve  ainsi  des  cas  de  vocalisations 
de  1'/  (par  conséquent  postérieurs  à  Gaimar),  comme  apeii  qui  se 
lit  dans  le  Petit  Plet  de  Chardri  au  vers  439;  ou  de  chute  de  Vu 
finale  :  atoiir  (tourner)  au  vers  1962  de  la  Vie  de  saint  Gré- 
goire, etc. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  I3 

Pendant  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle  et  pendant  tout  le  xiv^ 
le  nombre  des  formes  analogiques  augmente  et  celui  des  formes 
étymologiques  décroît  évidemment  dans  la  même  proportion. 

Dans  les  auteurs  immédiatement  postérieurs  à  1250  ces  dernières 
sont  encore  de  beaucoup  les  plus  nombreuses,  et  elles  le  restent 
autant  qu'on  peut  l'affirmer  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle.  Ce  n'est 
donc  pas  simplement  au  point  de  vue  du.  ntviihre  des  e  analogiques 
que  cette  seconde  période  se  distingue  de  la  première.  Pour  nous,  la 
différence  réelle  est  la  suivante  :  tandis  qu'avant  1250  les  auteurs  qui 
emploient  les  formes  modernes  restent  l'exception,  après  cette  date, 
tous  les  écrivains  (au  moins  ceux  qui  montrent  un  certain  nombre 
de  premières  personnes  du  présent  de  l'indicatif  des  verbes  de  I) 
emploient  un  nombre  plus  ou  moins  considérable  de  formes  analo- 
giques. 

De  plus  il  semble  ressortir  de  l'étude  que  nous  avons  faite  que 
pendant  cette  période,  quelques  verbes  se  montrent  surtout  sous  la 
forme  ét3'-mologique,  d'autres  sous  la  forme  analogique.  Mais  les 
verbes  qui  se  trouvent  employés  très  souvent  prennent  indifférem- 
ment l'une  ou  l'autre  de  ces  formes  ;  et  si  certains  verbes  semblent 
n'avoir  que  l'une  d'elles,  c'est  probablement  qu'ils  n'ont  pas  été 
assez  communs  à  la  première  personne  du  singulier  pour  présenter 
des  exemples  de  l'autre.  Ce  n'est  donc  purement  qu'une  question  de 
hasard.  D'autres  textes  pourraient  nous  suppléer  les  exemples  qui 
nous  manquent.  Il  est  donc  inutile  de  chercher  ici  une  progression 
et  un  ordre  quelconque;  inutile  aussi  d'essayer  de  déterminer  quels 
thèmes  sont  affectés  de  Ve  analogique  plus  communément  que  les 
autres.  Il  n'y  a  pas  eu  progression,  et  par  conséquent  on  ne  peut 
découvrir  de  loi.  Nous  ne  tomberons  pas  dans  la  même  erreur  que 
les  grammairiens  de  l'Orthographia  Gallica,  qui  voyant  les  pre- 
mières personnes  affectées  d'un  e  dans  certains  cas,  et  dans  d'autres 
conservant  la  forme  étymologique,  ont  voulu,  sinon  expliquer,  au 
moins  donner  des  règles  pratiques  d'orthographe  et  introduire  un 
ordre  même  artificiel  là  où  régnait  la  seule  fantaisie;  nous  donne- 
rons cette  règle  tout  à  l'heure,  non  pas  à  cause  de  son  importance, 
mais  pour  montrer  combien  devait  être  profonde  la  contusion  qui 
rendait  de  telles  subtilités  nécessaires  pour  les  expliquer. 

Cette  confusion  a  commencé  à  régner  vers  1250;  nous  avonsvai- 
nement  tenté  de  diviser  le  siècle  et  demi  qui  sépare  cette  date  de  la 


14  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

fin  de  h  littérature  anglo-française  et  de  trouver  dans  la  dernière 
moitié  du  xiir'  siècle  un  peu  plus  de  régularité  que  pendant  le  siècle 
suivant  ;  nous  ne  pensons  pas  que  l'étude  des  textes  justifie  une 
pareille  distinction. 

Nous  allons  donc  montrer  que  les  mêmes  verbes  se  trouvent 
fréquemment  pendant  cette  période  sous  l'une  ou  l'autre  de  ces 
formes. 

I.  — Les  verbes  à  dentale  nous  ont  semblé  tout  d'abord  conserver 
assez  exactement  leur  forme  étymologique  ;  mais  nous  ne  pouvons 
voir  dans  la  différence  entre  le  nombre  des  formes  sans  e  et  celui 
des  formes  avec  e,  différence  assez  minime  du  reste,  que  l'effet  d'un 
hasard. 

Certains  verbes  de  cette  catégorie,  parce  qu'ils  sont  très  fréquem- 
ment employés,  nous  fournissent  un  nombre  considérable  de 
formes  correctes.  Parmi  ceux-ci,  il  faut  citer  en  première  ligne  les 
verbes  qui  proviennent  de  mander,  le  simple  se  rencontrant  plus 
rarement.  Les  deux  verbes,  coiiiniander  et  demander  se  rencontrent 
très  fréquemment  sous  la  forme  correcte  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle. 
Par  exemple  on  trouve  : 

cornant  (:  enfant)  dans  la  Genèse  N*^  D^'  52  r°  ;  (:  habitant)  dans 
l'Erection  des  Murailles  de  New  Ross  au  vers  217  ;  (:atant)  dans  les 
Chansons  anglo-normandes  VI,  i;  (:  maudiant)  dans  William  de 
Waddington  au  vers  1864. 

demand  (:  avant)  dans  la  Genèse  61  r°  (ratant)  dans  les  Chansons 
VI,  2;  (:combattant)  dans  la  Plainte  N^  D^  au  vers  115  et  dans  Wal- 
ter  de  Bibblesworth,  174. 

Nous  ne  citons  pas  pour  ces  deux  verbes  d'exemple  tiré  du  corps 
du  vers  ou  d'ouvrages  en  prose,  on  en  trouve  jusque  dans 
Foulques  Fitz  Warin,  Pierre  de  Langtoft,  les  Proverbes  de  Bon 
Enseignement  et  les  Vies  de  Saints  de  Bozon  ;  mais  l'irrégularité 
de  la  versification  ne  nous  permet  pas  d'arriver,  à  la  certitude. 

Certains  autres  thèmes  à  dentale  montrent  aussi  une  certaine 
régularité  :  citons  rapidement  acort  (:  tort)  dans  The  Song  of  the 
Barons  vers  40;  record  au  vers  8770  du  Manuel  des  Péchés,  à  la 
rime  du  vers  41  de  la  Vie  de  Saint  Panuce.  Mais  ils  sont  relativement 
peu  nombreux  et  les  formes  correctes  sont  assez  rares. 

Les  thèmes  vocaUques  se  trouvent  aussi  très  fréquemment  sans 
Ve  analogique,    et  comme   précédemment  ce   sont  surtout  certains 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  15 

verbes  qui  semblent  garder  avec  une  difficulté  plus  ou  moins  grande 
la  forme  étymologique.  Le  premier  de  ceux-ci  est  «  loer  ». 

On  le  trouve  '  sous  la  forme  lo,  ho  ou  Ion  dans  un  grand  nombre 
d'auteurs,  par  exemple  dans  l'Apocalypse  a,  232  ;  au  vers  235  de  la 
Vie  de  Sainte  Marguerite  ;  à  la  rime  du  vers  40  du  Siège  de  Carla- 
verok  ;  dans  Pierre  de  Langtoft,  I,  478,  15,  à  la  p.  144  des  Règles 
de  Grosseteste,  etc.;  on  peut  encore  ajouter,  dans  les  Contes  de 
Nicole  Bozon,  aux  §§  22,  129,  etc. 

Prier  n'est  pas  moins  commun,  et  nous  nous  contenterons  de 
donner  pour  la  forme  pri  les  exemples  les  plus  récents.  On  la  lit 
dans  Pierre  de  Langtoft  très  fréquemment,  par  exemple  dans  le  pre- 
mier volume  aux  pages  100  (vers  24),  118  (vers  4),  476  (vers  16) 
et  passim.  Elle  n'est  pas  rare  dans  les  Règles  de  Grosseteste  (cf. 
p.  124)  ;  on  la  trouve  dans  les  Vies  de  Saints  de  Bozon  (95  r"),  aux 
vers  215,  268,  297  delà  Vie  de  Saint  Paul  l'Ermite,  et  au  vers  1293 
de  la  Vie  de  saint  Richard;  dans  le  Prince  Noir  au  vers  4142  ;  dans 
les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet  (Arundel  56)  47  r°.  C'est  donc, 
pour  ainsi  dire,  dans  chacun  des  auteurs  de  la  fin  du  xiv^  siècle  que 
cette  forme  se  rencontre.  Et  nous  trouvons  encore  un  nombre  rela- 
tivement considérable  de  thèmes  vocaliques  sans  Ye  analogique  : 
def\  rime  avec  «  repondy  »  (prêt.)  au  folio  104  v°  des  Vies  de  Saints 
de  Bozon,  merci  avec  «  servi  «(part,  passé)  au  vers  3833  du  Prince 
Noir,  etc. 

Enfin,  il  y  a  un  nombre  assez  considérable  de  thèmes  en  r  à 
échapper  à  l'analogie,  conjur  au  vers  9997  du  Manuel  des  Péchés, 
au  vers  1420  de  l'Apocalypse  (a,  3  et  7);  à  la  page  20  de  Foulques 
Fitz  Warin.  Quelques  autres  verbes  sont  moint  souvent  employés, 
mais  sont  assurés  sous  la  forme  étymologique,  par  exemple  aor  qui. 
rime  avec  «  dolor  »  au  vers  267  de  la  Vie  de  Sainte  Marguerite,  dcsir  qui 
rime  avec  «  servir  »  au  vers  155  de  la  Vie  de  Saint  Panuce,  de  Bozon 
et  qu'on  retrouve  encore  rimant  avec  «venir  »  au  vers  198  de  la  Vie  de 
Saint  Paul  ;  ou  })iestir  qui  rime  avec  «  azur  »  au  vers  6  du  Siège  de 
Carlaverok,  etc. 

Nous  ne  voudrions  pas  abuser  des  énumérations,  mais  quoique  la 
liste  des  premières  personnes  du  singulier  régulières  que  nous 
venons  de  donner  soit  déjà  longue,  nous. citerons  encore  un  certain 

I .  Nous  ne  citons  que  les  formes  assurées. 


i6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

nombre  de  formes  dont  nous  rencontrerons  les  contreparties  un  peu 
plus  loin. 

Le  verbe  oser  se  présente  fréquemment  à  la  personne  qui  nous 
occupe  sons  la  forme  c)j- ;  donnons  quelques  références  pour  cette 
personne.  On  la  rencontre  à  la  rime  du  vers  6  de  la  Plainte  d'Amour; 
elle  est  assurée  par  la  mesure  du  vers  24  de  the  Songof  the  Church, 
du  vers  69  de  Traillebaston  et  se  lit  dans  un  grand  nombre 
d'exemples  plus  douteux. 

Aifii  et  reclaiin  sont  employés  aux  vers  168-169  de  la  Vie  de 
Sainte  Marguerite;  paroi  sq  lit  au  vers  209  de  la  Plainte  Notre-Dame; 
conseil  est  rencontré  au  §  49  des  Contes  de  Nicole  Bozon.  N'oublions 
pas  la  forme  doini,  une  des  formes  de  la  première  personne  du  sin- 
gulier du  présent  de  l'indicatif  du  verbe  donner  ;  on  la  relève  dans 
de  nombreux  passages  de  différents  auteurs,  tels  que  Foulques  Fitz 
Warin,  p.  49,  ou  Pierre  de  Langtoft,  Second  Appendice. 

Remarquons  ici  que  nous  n'avons  guère  donné  que  les  exemples 
assurés  par  la  rime  ou  la  mesure,  quoique  cela  ne  soit  pas  nécessaire 
et  qu'un  exemple  qui  n'est  pas  assuré  n'en  ait  que  plus  de  valeur, 
montrant  que  la  forme  qu'on  signale  a  duré,  non  seulement  jusqu'à 
l'auteur,  mais  peut-être  même  jusqu'au  scribe.  Nous  verrons  tout  à 
l'heure  dans  un  certain  nombre  de  cas  les  scribes  rétablissant 
inconsciemment  les  formes  originales  que  les  écrivains  avaient 
abandonnées. 

II.  —  Pour  passer  maintenant  à  l'autre  côté  de  la  question,  nous 
allons  voir  aussi  rapidement  que  possible  les  verbes  qui  prennent  Ve 
analogique  après  1250.  Et  cette  revue  somiriaire  des  formes  nouvelles 
de  la  première  personne  du  singulier  a  un  double  objet  :  d'abord  elle 
montrera  qu'aucun  auteur,  pour  peu  qu'il  ait  à  employer  ces  pre- 
mières personnes,  n'évite  entièrement  les  e  analogiques;  en  second 
lieu,  que  ce  sont  aussi  exactement  qu'on  peut  s'y  attendre,  les  mêmes 
verbes  que  ceux  que  nous  avons  énumérés  dans  les  pages  précé- 
dentes, qui  le  prennent. 

Rappelons  tout  d'abord  que  les  huit  exemples  de  formes  modernes 
antérieures  à  1250  :  parole,  deinaiiic,  ourc,  revire,  paise,  habite,  prie, 
fie  nous  ont  montré  six  thèmes  différents  (thèmes  en  /,  //,  r,  s,  t, 
et  thèmes  vocaliques)  et  que  quelques-uns  de  ces  mêmes  verbes  ont 
reparu  au  siècle  suivant  sous  la  forme  étymologique. 

La  même  variété  ou  la  même  incohérence,  et  à  un  plus  grand 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  I7 

degré,  doivent  se  retrouver  pendant  les  cent  cinquante    dernières 
années  de  la  littérature  anglo-française. 

D'après  ce  que  nous  disions  plus  haut,  il  est  impossible  de  décou- 
vrir de  quelle  façon  IV  analogique  a  gagné  les  différents  thèmes  ; 
autrement  dit,  de  distinguer  les  différents  points  où  la  contagion  a 
commencé;  même,  quoique  nous  puissions  remarquer  que  certains 
thèmes  semblent  plus  aff'ectés  que  d'autres,  nous  ne  pouvons  légiti- 
mement en  rien  conclure  ;  car  ceux  qui  offrent  le  plus  grand 
nombre  d'exemples,  sont  justement  ceux  qui  se  trouvent  le  plus 
emploj^és,  et  sont  représentés  également  dans  l'autre  classe  de  pre-* 
mières  personnes,  celles  qui  conservent  la  forme  étymologique. 

Ici  encore  nous  trouverons  des  verbes  qui  nous  semblent  employés 
plus  fréquemment  que  d'autres  sous  la  forme  analogique  ;  nous  ne 
pouvons  trouver  à  ce  fliit  d'autre  explication  que  l'emploi  plus  ou 
moins  grand  de  ces  formes.  Il  est  digne  de  remarque  cependant  que  les 
verbes  à  thème  vocalique,  nous  fourni  un  grand  nombre  d'exemples. 
C'est  un  verbe  à  thème  vocalique  prier,  qui  se  trouve,  comme  nous 
l'avons  dit,  très  fréquemment  sous  la  forme  étymologique.  Prie  est 
du  reste  assez  rare;  on  en  rencontre  un  exemple  à  la  page  loo  de 
Foulques  Fitz  Warin.  D'autres  verbes  ont  très  régulièremment  Ve, 
comme  le  verbe  affier;  affie,  forme  que  nous  avons  déjà  relevée 
dans  le  Psautier  d'Arundel  et  dans  Boeve  de  Haumtone,  se  lit  dans 
un  très  grand  nombre  de  cas  à  la  fin  du  xiii'=  et  pendant  le  xiV  siècle, 
au  vers  15  de  la  Plainte  Notre-Dame,  au  vers  354  de  Dermod,  à 
la  page  69  de  Foulques  Fitz  Warin,  au  §  61  des  Contes  de  Nicole 
Bozon,  et  très  fréquemment  à  la  rime  dans  le  poème  du  Prince 
Noir  :  cf.  les  vers  710,  1080,  1528,  4056.  Faisons  aussi  observer 
que  nous  n'avons  pas  trouvé  d'exemple  de  la  forme  correcte,  après 
1250,  pour  ce  verbe  assez  usuel. 

Les  autres  verbes  à  thème  vocalique  donnent  moins  d'exemples 
que  le  verbe  fier;  nous  avons  rencontré  certefie  dans  Pierre  de  Lang- 
toft  II,  206,  24;  guye  dans  Foulques  Fitz  Warin,  p.  71;  rencye 
au  §  5 1  des  Contes  de  Nicole  Bozon  :  supplie  au  vers  3206  du  Prince 
Noir. 

Faudra-t-il  conclure  que  les  verbes  à  thème  vocalique  prennent 
l'c  plus  souvent  qu'ils  ne  gardent  la  forme  régulière  ?  ou  devrons-nous 
admettre  que  certains  verbes  de  cette  classe,  prier  par  exemple,  sont 
plus,  réfractaires  à  l'f  que  d'autres  comme  atfier  ?  Une  telle  conclu- 

2 


i8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

sion  ne  nous  semble  pas  bien  assurée  ;  elle  est  cependant  possible, 
et  il  est  certain  que,  jugeant  sur  les  exemples  que  nous  avons 
recueillis,  de  deux  verbes  ayant  des  formes  absolument  analogues, 
l'un  prend  ordinairement  la  terminaison  moderne,  tandis  que  l'autre 
reste  ridèle  à  la  forme  ancienne  et  étymologique  ;  et  ce  fait  en  soi 
est  assez  curieux.  On  doit  le  rapprocher  de  la  règle  qui  est  donnée 
par  l'Orthographia  Gallica  (CO  65  et  H  1 8)  ;  nous  citons  CO  :  Item 
quando  non  expresse  non  ponitur  signum  (c'est-à-dire  le  pronom 
sujet  de  la  première  personne  du  singulier)  ante  verbum,  ut  :  vous 
pry,  tune/?;-}'  vel  m'^^y  débet  terminare  in  )'. 

(CO  66).  Item  si  signum  expresse  ponitur,  tune  y  mutabitur  in/ 
et  addetur  e  corne  je  maffic,  jeo  vous  prie.  Et  hec  régula  intelligi- 
tur,  ubi  diccio  terminatur  in  y,  sed  si  terminatur  in  consonante, 
non  tenet  régula,  ut  je  vous  iiiaiic. 

Conséquemment,  d'après  ce  ms.,  les  verbes  qui  ont  un  thème 
terminé  par  /  prennent  6'  lorsque  le  sujet  n'est  pas  sous-entendu.  H  du 
reste  donne  une  règle  absolument  contradictoire  :  Et  sachez  qant 
jeo  est  mis  devant  le  verbe(s)  ut  hic  :  jeo  vous  pry,  jeo  mafy, 
oustant  le  jeo  escriverez  i  en  lieu  de  y  et  joignez  e  à  luy,  come 
vous  prie,  m  a  [fie,  etc.  Cette  contradiction  n'a  d'ailleurs  aucune 
importance  :  cette  règle,  comme  tant  d'autres  du  même  ouvrage, 
est  absolument  fantaisiste  et  n'a  été  suivie  par  personne.  Elle  nous 
montre  cependant  qu'au  temps  même  où  cet  ouvrage  fut  composé, 
la  forme  sans  voyelle  atone  était  considérée  comme  la  seule  régu- 
lière pour  tous  les  verbes  de  I.  Seuls  les  verbes  en  /,  pour  des  rai- 
sons et  dans  des  conditions  qu'on  ne  comprenait  pas  pouvaient  être 
employés,  tantôt  avec,  tantôt  sans  e. 

La  seconde  partie  de  la  règle  n'a  pas  été  mieux  observée  que  la 
première  ;  les  thèmes  consonantiques  apparaissent  très  fréquemment 
avec  ïe  analogique.  En  première  ligne,  nous  devons  citer  les  thèmes 
sigmatiques  et  les  thèmes  à  dentale;  pour  ces  catégories  de  verbes 
nous  nous  contenterons  d'un  petit  nombre  d'exemples. 

Parmi  les  verbes  à  thème  sigmatique,  le  verbe  oser  se  rencontre 
plus  fréquemment  que  n'importe  quel  autre  avec  Ve  analogique;  on 
trouve  des  exemples  de  ose  pour  ainsi  dire  dans  chaque  ouvrage, 
par  exemple  dans  la  Plainte  Notre-Dame  au  vers  53  ;  dans  Pierre  de 
Langtoft  I,  204,  16;  au  §  61  des  Contes  de  Nicole  Bozon.  Prise 
est  aussi  commun,  nous  en  relevons  un  exemple  à    la   rime    avec 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  19 

bise  au  vers  377  de  la  Plainte  d'Atnour  ou  au  vers  1136  du 
Prince  Noir. 

Le  verbe  laisser  apparaît  le  plus  souvent  à  cette  personne  sous  la 
forme  laisse  ;  elle  est  assurée  par  la  mesure  du  vers  5  3  du  Manuel 
des  Péchés  :  à  la  page  32  du  premier  volume  des  Chroniques  de 
Pierre  de  Langtoft,  vers  7. 

Tels  sont  les  verbes  sigmatiques  qui  se  rencontrent  le  plus  sou- 
vent, et  il  est  probable  qu'ils  sont  plus  employés  que  n'importe  quel 
autre  verbe  de  cette  même  classe.  Pour  ceux-ci,  nous  trouvons  des 
cas  à'e  analogique,  mais  ils  sont  isolés,  comme  le  repose  qui  rime 
avec  chose  au  vers  2  de  la  cinquième  Chanson  publiée  par 
M.  Meyer  dans  Romania. 

Nous  pourrions  sans  difficulté  trouver  un  non.ibre  probablement 
plus  considérable  d'exemples  pour  les  verbes  dont  le  thème  est  ter- 
miné par  une  dentale;  citons  seulement  quelques  verbes  assez 
employés  comme  couimandc  qui  se  lit  dans  la  Genèse  Notre-Dame  au 
folio  78  v°  ;  au  vers  56  de  TOrdre  de  Bel  Eyse  (quoiqu'il  soit  écrit 
à  cet  endroit  comniand'),  au  vers  4135  du  Prince  Noir.  Tous  ces 
exemples  sont  assurés  par  la  mesure  du  vers.  Citons  encore  quelques 
autres  formes  qui  se  trouvent  un  peu  moins  communément,  comme 
présente  qui  rime  avec  attente  au  vers  3138  du  Prince  Noir  (ici 
encore  le  scribe  du  ms.  Worcester,  qui  date  de  1397,  écnl  présent^; 
dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  §  83,  on  trouve  encore  comité. 

Mais  ces  deux  derniers  verbes  et  quelques  autres  ne  se  rencontrent 
sous  cette  forme  qu'assez  rarement. 

Parmi  les  autres  thèmes  consonantiques,  on  ne  trouve  pas 
souvent  de  verbes  qui  apparaissent  plus  d'une  fois  avec  Ve  analo- 
gique; cependant  le  verbe  aûrer  n'est  pas  très  rare  sous  la  forme 
ailrc;  on  la  lit  dans  le  Dermod  au  vers  2980  où  elle  rime  avec  créa- 
ture ;  de  même  on  la  rencontre  au  §  80  des  Contes  de  Nicole 
Bozon  et  dans  quelques  autres  occasions.  Citons  encore,  parmi  les 
verbes  ayant  thème  en  r,  plore  qui  se  lit  dans  Pierre  de  Langtoft 
(I,  240,  8). 

Nous  ne  voudrions  pas  pousser  trop  loin  une  énumération  qui 
ne  prouverait  pas  grand'chose  de  plus  que  ce  que  nous  venons  de 
montrer  ;  il  ne  sera  peut-être  pas  inutile  cependant  de  montrer  que 
les  autres  thèmes  verbaux  se  trouvent  aussi  représentés  dans  la 
liste  assez  longue  des  verbes  qui  prennent  cet  e  irrégulier.  \oic\  un 


20  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 

thème  en  ;//  :  aynie  qu'on  trouve  rimant  avec  clayme,  troisième 
personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif,  au  vers  673  delà 
Plainte  d'Amour,  et  qu'on  retrouve  encore  au  folio  14  v°  de  Nico- 
las Trivet.  Les  thèmes  en  /  simple  et  en  /  mouillée  ne  sont  pas 
rares  sous  cette  forme  ;  on  a  parole  au  vers  298  de  la  Vie  de  Sainte 
Marguerite,  et  iiierveille  qu'on  lit  dans  la  Plainte  d'Amour  au  vers 
46.  Les  thèmes  en  n  ne  sont  pas  très  communs,  cependant  nous 
trouvons  à  citer  jiuie  au  vers  10119  du  Manuel  des  Péchés  et  corne 
à  la  page  85  de  Foulques  Fit;;  Warin. 

Nous  avons  encore  à  nous  occuper  du  verbe  donner  ;  nous 
citions  tout  à  l'heure  quelques  exemples  de  la  forme  étymologique 
ou  plus  exactement  de  la  forme  sans  e,  il  nous  reste  à  donner  ici 
quelques  cas  de  la  forme  avec  voyelle  muette.  Donne,  donne  ou 
doine  sont  des  formes  très  communes  pendant  la  seconde  partie  du 
xiii^  et  pendant  le  xiv^  siècle  ;  nous  en  avons  des  exemples 
aux  vers  1012,  3080  du  Manuel  des  Péchés,  dans  Pierre  de  Langtoft 

(11,434,  34)' et^^- 

Tronve  au  contraire  est  rare,  nous  n'en  n'avons  rencontré  dans  les 
œuvres  littéraires  qu'un  seul  exemple  ;  il  se  lit  dans  les  Contes  de 
Nicole  Bozon  au  §   17. 

Nous  ne  donnerons  pas  plus  d'exemples  de  ces  formes  modernes; 
celles  que  nous  venons  d'énumérer  suffiront,  croyons-nous,  à  mon- 
trer que  pendant  le  siècle  et  demi  qui  précéda  la  fin  de  la  littérature 
anglo-française,  elles  sont  devenues  assez  fréquentes.  Mais  elles  sont 
loin  d'avoir  réussi  à  faire  disparaître  les  désinences  étymologiques. 
Les  écrivains  de  cette  période  ont  emplo5'é  indistinctement  l'une  et 
l'autre  de  ces  formes,  mais  de  préférence  ces  dernières.  Certains 
verbes  ont  peut-être  conservé  l'une  plus  longtemps  ou  adopté  l'autre 
plus  tôt,  mais  il  est  dangereux  de  vouloir  trouver  des  règles  que  les 
contemporains  étaient  incapables  de  découvrir  eux-mêmes.  Il  est 
facile  peut-être  d'expliquer  pourquoi  les  deux  thèmes  consonantiques 
qui  se  rencontrent  le  plus  souvent  sous  la  forme  moderne  sont  les 
thèmes  à  dentale  et  sigmatique. 

Pour  les  verbes  en  /,  l'analogie  seule  peut  expliquer  la  présence 
de  Ve  muet;  il  n'est  nulle  part  moins  nécessaire  que  là. 

Dans  les  autres  cas,  1'^  est  plutôt  phonique  qu'analogique  (voir 
seconde  partie,  chapitre  F'). 

Les  œuvres  non  littéraires  écrites  en  anglo-français  ne  présentent 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  21 

pas  un  nombre  très  considérable  de  premières  personnes  du  singu- 
lier; il  est  évident  que  ces  personnes  trouvent  difficilement  place  dans 
une  collection  de  lois,  et  nous  aurons  ici  à  nous  passer  presque 
entièrement  du  témoignage  ordinairement  si  précieux  des  Statutes. 
Dans  les  Rymer's  Foedera,  nous  pouvons  cependant  relever  un  cer- 
tain nombre  d'exemples,  et  en  considérant  l'ensemble  des  cas  que 
nous  avons  recueillis,  nous  voyons  que  les  &  analogiques  sont  rares 
jusqu'en  1338.  Avant  cette  date,  les  exemples  de  premières  personnes 
régulières  sont  assez  communs  :  les  thèmes  vocaliques,  comme  pri 
(1256,1,  589;  1278,  II,  97;  1322,  III,  924...),  wwy  (1278,  II, 
()~ . .?),  enjranuchi  {i2']'x,,  II,  97. -Oj  ^^s  thèmes  à  dentale  comme 
o'raM»/(i273,  II,  11;  1297,  II,  769  et  773),  olw;//// (1273,  II,  ri), 
et  quelques  autres  encore  se  trouvent  sans  la  voyelle  analogique. 

Il  en  est  de  même  des  Parliamentary  Writs  et  des  rares  exemples 
que  nous  lisons  dans  les  Statutes  :  dans  les  premiers  de  ces  recueils, 
nous  avons  relevé  prl  (1322,  II,  Appendice,  page  196);  graunt 
(1315,  II,  427)  et  quelques  autres;  dans  le  second,  nous  trouvons 
dtym  (1306,  I,  249).  Les  documents  historiques  et  municipaux 
nous  en  ont  donné  quelques  autres  qu'il  est  inutile  de  citer  ici.  Le 
seul  cas  d'un  e  irrégulier  que  nous  rencontrions  à  cette  époque  se 
trouve  dans  les  Rymer's  Foedera  :  c'est  grante  que  nous  trouvons 
en  1327  (IV,  244).  Comme  on  le  voit,  c'est  fort  peu,  même  si  on 
tient  compte  du  nombre  restreint  d'exemples  que  nous  fournissent 
ces  textes. 

Disons  aussi  un  mot  de  la  littérature  familière  qui  a  sur  ce  point 
une  assez  grande  importance;  nous  y  retrouvons  à  peu  près  le 
même  état  de  choses  que  dans  les  Rymer's  Foedera.  Les  Lettres 
écrites  pendant  le  xiii''  siècle,  comme  celles  de  Jean  de  Peckham, 
sont  extrêmement  correctes.  Nous  y  avons  relevé  un  nombre  très 
fort  de  premières  personnes  du  singulier  sans  e  qu'il  est  absolument 
inutile  de  citer  ici.  La  seule  irrégularité  que  nous  ayons  notée, 
c'est  la  forme  prie  qui  se  lit  dans  une  lettre  de  1280  (92),  à  deux 
reprises.  Les  lettres  qui  ont  été  écrites  pendant  les  premières 
années  du  xiV  siècle,  comme  celles  que  nous  trouvons  dans  le 
recueil  des  Litterae  Cantuarienses,  contiennent  surtout  des  dési- 
nences étymologiques;  les  autres  restant  exceptionnelles. 

A  partir  du  second  tiers  du  xiv^  siècle,  on  remarque  aisément  que 
tous  les  textes  que  nous  venons  de  citer  présentent  un  nombre  beau- 


22  l'Évolution  pu  verbe  en  anglo-français 

coup  plus  considcrable  déformes  analogiques:  ce  caractère  est  abso- 
lument général.  Un  seul  texte  de  1338  dans  les  Rymer's  Foedera 
(vol.  V,  page  46)  en  offre  trois  exemples:  approve,  /w>  (pour  lou), 
ratifie;  un  autre  de  1356  (vol.  V,  page  856),  en  montre  quatre  : 
donne,  quitte,  relessc,  jure.  Les  lettres  enfin  ne  manquent  pas  de  nous 
donner  un  certain  nombre  d'exemples  de  formes  analogiques  à  la 
même  époque  :prie  est  employé  fréquemment  sous  cette  forme  dans 
les  Litterae  Cantuarienses,  pcciisc  se  lit  dans  le  même  recueil,  p.  865 
à  la  date  de  1360  ;  il  en  va  de  même  pour  les  lettres  anglo-françaises 
qui  se  trouvent  dans  les  Documents  inédits;  on  peut  citer:  prie  qui 
est  d'un  usage  très  fréquent  (par  exemple  1382,  231),  envoie  (it,^6, 

-78)- 

Par  conséquent,    il  semble    bien   que  les  e  analogiques,   qui   se 

trouvent  sporadiquement  à  la  fin  du  xiii''  siècle  ne  deviennent  assez 

fréquents  qu'au  commencement  du  second  tiers  du  xiv%  en  même 

temps  dans  les  textes  officiels  et  dans  la  correspondance  privée. 

Dans  les  Year  Books,  les  formes  étymologiques  et  les  formes 
analogiques  sont  toutes  les  deux  communes,  et  il  semble  que  nous 
ne  pouvons  tirer  des  nombreux  exemples  que  nous  avons  sous  les 
yeux,  que  l'une  des  deux  conclusions  suivantes  :  ou  les  scribes  (plus 
exactement  les  étudiants  qui  ont  recopié  les  Year  Books)  ont  changé 
le  texte  d'une  façon  qui  ne  nous  laisse  aucun  espoir  de  retrouver 
des  traces  assurées  du  texte  original;  ou  bien  que  l'emploi  ou  le  rejet 
de  Ve  final  dépendait  uniquement  de  la  fantaisie  de  l'écrivain.  On 
peut  cependant  être  un  peu  plus  précis.  Dans  les  Year  Books  qui 
vont  depuis  20  et  21  Edw.  I'"""  jusqu'à  i  et  2  Edw;  II  (1292-1307), 
les  formes  correctes  sont  en  majorité  ;  on  rencontre,  ^ra;//,  quit,  pos, 
cleyni,  surtout  ton  ouhnu;  les  e  deviennent  plus  nombreux  dans  2  et 
3  Edw.  II  (1308);  le  ms.  Y  (qui  date  de  13  12)  en  donne  un  assez 
grand  nombre  d'exemples  pour  3  Edw.  II  :  pose,  quide,  etc.  Enfin 
13  et  14  Edw.  111(1339-1340),  présente  cet  e  à  peu  près  partout. 
Mais  de  toutes  ces  dates,  il  n'y  en  a  qu'une  d'assurée,  c'est  celle 
du  ms.  Y.  Le  témoignage  de  ce  manuscrit  suffit  du  reste  à  nous 
montrer  qu'au  commencement  du  xiV'  siècle,  les  iormes  analogiques 
étaient  fort  nombreuses  dans  la  langue  légale. 

Les  renseignements  que  nous  fournit  l'étude  des  textes  non  litté- 
raires, quoique  peu  nombreux,  ont  une  certaine  importance  ;  ils 
viennent  confirmer  et,  jusqu'à  un  certain  point,  corriger  ceux  que 
nous  fournissent  les  ouvrages  littéraires. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  23 

Ils  les  confirment  en  nous  montrant  que  IV  analogique  s'est  géné- 
ralisé indistinctement  pour  tous  les  thèmes  des  verbes  et  que,  à  une 
certaine  époque,  les  deux  formes  ont  été  employées  par  les  écrivains 
sans  qu'il  y  ait  pu  y  avoir  pour  eux  une  raison  de  préférer  l'une  à 
l'autre. 

Mais  ils  les  contredisent  sur  un  point  au  moins;  il  est  évident 
que  dans  les  textes  politiques,  les  formes  originales  de  la  première 
personne  du  singulier  des  verbes  en  /  se  sont  en  somme  mieux  con- 
servées que  dans  les  œuvres  littéraires.  Pour  ces  dernières,  le  libre 
emploi  de  Ve  analogique  remonte,  d'après  nous,  à  la  seconde  moitié 
du  xiii'^  siècle  ;  pour  les  autres,  la  confusion  ne  saurait  remonter 
plus  haut  que  le  milieu  du  xiV'  siècle.  A  laquelle  de  ces  deux  sources 
de  renseignements  devons-nous  nous  fier  ?  Il  nous  semble  évident  que 
les  œuvres  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  nous  ofl^rent  les 
meilleures  chances  de  certitude.  La  corruption  de  la  versification  ne 
nous  permet  pas  de  distinguer  avec  sûreté  la  part  du  scribe  de  celle 
de  l'auteur,  et  nous  croyons  devoir  conclure  maintenant  qu'un  cer- 
tain nombre  des  exemples  qui  nous  semblaient  certains,  non  pas 
ceux  qui  se  rencontrent  à  la  rime,  mais  ceux  qui  paraissent  assurés 
parla  mesure  du  vers,  doivent  provenir  des  scribes  et  non  des  écri- 
vains. 

Nous  résumerions  donc  ainsi  l'histoire  de  Ve  analogique  à  la 
première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  des  verbes 
de  I,  en  tenant  compte  des  renseignements  fournis  par  les  deux 
classes  d'ouvrages  que  nous  avons  consultés: 

1°  Ve  irrégulier  apparaît  probablement  très  tôt  en  anglo-français; 
peut-être  en  1120,  certainement  en  1160. 

2*^  Après  1160  et  jusqu'à  1250,  les  e  analogiques  restent  rares  et 
limités  à  quelques  auteurs;  il  y  a  une  tendance  évidente  à  introduire 
l'atone  à  la  première  personne  ;  mais  cette  tendance  est  plus  que 
contrecarrée  par  l'attachement  aux  formes  archaïques. 

3°  Entre  1250  et  1350,  lèse  irréguliers  se  multiplient  dans  les 
ouvrages  littéraires  ;  mais  un  assez  grand  nombre  de  ces  formes  doit 
provenir,  souvent  en  dépit  des  apparences,  des  scribes  plutôt  que 
des  auteurs. 

4°  Pendant  la  seconde  moitié  du  xiv^  siècle,  au  plus  tard,  chaque 
verbe  de  I  peut  prendre  indifi'éremment  la  forme  étymologique  ou 
la  forme  analogique. 


24  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

5°  Les  premiers  exemples  nous  montrent  que  dès  le  début,  cet  e 
s'est  attaché  à  tous  les  thèmes  ;  il  en  va  de  même  par  la  suite. 

6''  Cependant,  certains  thèmes  et  certains  verbes  ont,  semble-t-il, 
montré  une  certaine  préférence  pour  l'une  ou  pour  l'autre  de  ces 
formes,  prier  montre  le  plus  souvent  la  forme  originale,  fier  la 
forme  analogique.  Il  ne  faut  pas  attacher  une  grande  importance  à 
cette  remarque. 

Verbes  de  I  proparoxytons. 

Les  proparoxytons  latins  de  la  première  conjugaison  prennent  en 
français  un  e  muet  qui  a  tout  d'abord  été  un  e  d'appui  ;  par  exemple 
le  repaire  du  vers  286  a  du  Roland,  dans  lequel  la  muette  a  dû  faire 
son  apparition  avant  la  chute  de  la  dentale. 

Nous  ne  dirons  que  fort  peu  de  chose  du  traitement  que  cette 
classe  de  verbes  a  reçu  en  Angleterre  ;  il  ne  saurait  différer  beaucoup 
de  celui  qu'il  a  subi  sur  le  continent. 

Dès  le  commencement  du  xii^  siècle,  il  semble  que  le  souvenir 
de  l'origine  de  la  voyelle  muette  ait  disparu  chez  les  auteurs  anglo- 
français.  \Je  qu'on  voit  à  un  verbe  comme  repaire  semble  n'avoir 
pas  plus  de  raison  d'être  qu'il  n'en  aurait  dans  ai'ir  par  exemple  ; 
par  conséquent,  au  commencement  même  de  la  littérature  anglo- 
française,  on  tend  à  traiter  ces  verbes  comme  tous  les  autres  verbes 
de  I,  c'est-à-dire  à  supprimer  leur  voyelle  muette. 

Les  exemples  que  nous  avons  relevés  ne  sont  pas  très  nombreux, 
ils  montrent  dès  le  commencement,  non  pas  que  l'unification  s'est 
faite  complètement,  mais  qu'elle  est  en  voie  de  se  faire. 

C'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans  le  Saint-Brandan,  au  vers 
1358,  repair  qui  rime  avec  air  (même  dans  le  ms.  de  l'Arsenal); 
cette  même  forme  se  retrouve  au  vers  302  de  la  Folie  de  Tristan 
qui  reproduit  la  même  rime.  D'autres  verbes  se  trouvent  employés 
sous  cette  forme  encore  plus  souvent  que  repairier,  par  exemple 
désirer.  Nous  trouvons  désir  constamment  :  au  vers  12  du  Pro- 
theselaûs  de  Hue  de  Rotelande,  rimant  avec  plaisir  dans  Adgar 
(IX,  113);  avec  suspir  au  vers  963  du  Donnei  des  Amants;  il 
rime  avec  tenir  au  vers  631  du  Tristan  de  Thomas.  On 
le  rencontre  jusqu'au  xiv^  siècle;  il  rime  avec  venir  au  vers  198 
de  la  Vie  de  Saint  Paul  (Bozon). 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  25 

Il  en  va  de  même  pour  douter,  qui  est  un  des  verbes  proparoxy- 
tons de  I  les  plus  employés.  C'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans  les 
Dialogues  d'Angier  ci  la  rime  dont  :  (tout),  (120  v°  b)  ;  ce  verbe 
se  rencontre  encore  sous  la  forme  <////  au  vers  555  de  Thomas,  au 
vers  647  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine  de  Sœur  Clémence  de 
Barking  et  au  vers  837  du  Josaphat  de  Chardri.  Citons  encore  chiil 
pour  culche  dans  Tristan  (au  vers  547),  pris  dans  la  Folie  (au  vers 
370) Toutes  ces  formes  sont  assurées. 

Même  les  verbes  terminées  par  g,  comme  juger,  apparaissent 
quelquefois  sans  leur  f,  ce  qui,  comme  le  fait  remarquer  M.  Meyer 
Lûbke,  est  rare  :  nous  trouvons  dans  Adgar  (XVIII,  10^)  jiig;  le 
texte  donne  : 

Jo  juge  kil  est  digne  del  faire 

où  il  faut  évidemment  lire  :  jug  ;  cette  même  forme  se  rencontre 
d'ailleurs  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  (I,  16,  7);  citons  encore 
chaJeng  au  vers  252  du  Protheselaus  de  Hue  de  Rotelande  qui  est 
assuré  par  la  mesure. 

Au  xii''  siècle,  on  trouve  un  petit  nombre  de  ces  verbes  employés 
avec  Ye  étymologique;  mais  il  faut  plutôt  admettre  que  c'est  une 
irrégularité  du  même  genre  que  celles  que  nous  avons  eu  l'occasion 
de  citer  pour  les  autres  verbes  de  la  même  conjugaison,  comme  le 
blâme  restitué  par  M.  Bédier  au  vers  149  du  Tristan,  ou  des  e  qui 
sont  encore  sentis  comme  des  e  d'appui  comme  damage  (:  éritage) 
au  vers  821  du  Donnei,  ou  cz/i'o/jt' (:  richoise)  au  vers  2150  de  la 
Vie  de  Saint  Gilles.  Tous  les  autres  exemples  nous  montrant  que 
les  verbes  accentués  sur  l'antépénultième  ne  diffèrent  en  rien  des 
autres  verbes  de  I. 

Lorsqu'un  e  d'appui  est  inutile,  ils  conservent  plus  ou  moins 
longtemps  la  forme  analogique  (sans  e).  Certains  d'entre  eux  se  ren- 
contrent très  tard  sans  l'atone  :  par  exemple  désir  qui  se  trouve  dans 
William  de  Waddington  (au  vers  8665).  Nous  le  remarquons  sur- 
tout pour  la  première  personne  de  cuider  :on  trouve  quid  au  \ers 
33  de  The  Song  of  the  Church  ;  il  rime  avec  petit  au  vers  93  de 
l'Erection  des  Murailles  de  New  Ross  ;  avec  mardi  au  vers  7  de 
The  Lament  of  Simon  de  Montfort;  avec  rendi  dans  le  Manuel  des 
Péchés  au  vers  4750  ;  au  vers  4  de  Traillebaston  ;  on  le  trouve  à  la 
page  82  de  Foulques  Fitz  Warin. 


26  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Au  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xiii*-'  siècle,  certains 
de  ces  verbes  prennent  Vc  analogique  plus  ou  moins  fréquemment, 
dans  les  mêmes  conditions  que  les  autres  verbes  de  leur  conjugaison, 
comme  cioiitc  dans  la  Plainte  d'Amour,  vers  769,  800; 

E  jeo  me  doute  de  damage. 
Mes  jeo  me  doute  de  malcse. 

dans  les  Heures  de  la  Vierge,  89  r°  et  le  Placebo,  69  r°,  tous  les 
deux  assurés  par  là  mesure  du  vers;  à  la  page  79  de  Foulques  Fitz 
Warin,  au  vers  280  du  Prince  Noir. ..,  etc. 

L'anglo-français  diplomatique  et  légal  ne  diffère  en  rien  de  l'an- 
glo-français  littéraire  sous  ce  rapport. 

Autres  conjugaisons. 

Ce  sont  évidemment  les  premières  personnes  du  présent  de 
l'indicatit  des  verbes  appartenant  à  la  première  conjugaison  qui 
prennent  1'^'.  Mais  il  n'y  a  aucune  raison  fondamentale  phonique  ou 
morphologique  pour  que  cet  e  n'atteigne  pas  les  autres  conjugaisons 
aussi.  Si  présent  et  merveil  prennent  e,  rien  n'empêche  que  sent  et 
voil  ne  le  prennent  aussi.  Et  comme  nous  allons  le  voir,  nous  trou- 
vons en  anglo-français  des  exemples  assez  nombreux  de  ces  per- 
sonnes provenant  de  verbes  de  II,  III,  IV,  ayant  un  e  final  exactement 
comme  les  verbes  de  I. 

Cependant,  nous  avons  dit  précédemment  que  cet  e  est  à  la  fois 
en  partie  phonique  et  en  partie  analogique.  L'utilité  phonique 
de  Ve  est  la  même  pour  présent  et  pour  sent  ;  mais  les  actions  ana- 
logiques sont  beaucoup  plus  puissantes  pour  le  premier  que  pour 
le  second.  Non  seulement  présent  subit  l'influence  des  verbes  de  sa 
classe  qui  avaient  déjà  régulièrement  cet  e,  mais  il  semble  que  la 
troisième  personne  du  singulier  de  ce  même  temps  a  quelque 
influence.  En  effet  si,  pour  entrer,  on  dit  j'entre  et  il  entre,  pour- 
quoi dirait-on  il  appelle  et  j'appeu,  pour  appeler? 

Pour  les  verbes  de  II,  III,  IV,  au  contraire  l'analogie  est  beaucoup 
moins  forte,  les  troisièmes  personnes  du  singulier  n'ont  pas  d'c  et 
la  seule  influence  extérieure  qui  puisse  s'exercer  sur  eux  provient 
de  verbes  d'une  conjugaison  différente. 

Ici  donc    Ve    serait     encore  plus    phonique     qu'analogique     et 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER 


^i 


ceci  expliquerait  en  môme  temps,  pourquoi  il  y  a  des  e  à  ces  conju- 
gaisons  et  pourquoi  il  n'y  en  a  pas  davantage. 

En  même  temps,  cela  nous  met  sous  les  yeux  la  raison  pour 
laquelle  cet  e  n'est  pas  devenu  la  caractéristique  de  la  première 
personne  du  présent  de  l'indicatif  dans  tous  les  verbes  en  anglo- 
français. 

Les  premiers  exemples  de  cet  e  irrégulier  remontent  assez  haut 
dans  la  littérature  anglo-française,  puisqu'on  les  trouve  déjà  dans  le 
Psautier  d'Arundel  :  par  exemple  voisse  (42,  2)  pour  vois  (vado), 
et  venche  (39,  8)  de  venio  .  Ils  nous  offrent  à  cette  date  reculéeun 
exemple  des  deux  sortes  de  verbes  destinés  à  prendre  le  plus  sou- 
vent Vc  irrégulier  :  verbes  en  5  et  ceux  qui  sont  terminés  par  une 
palatale. 

Cependant,  nous  remarquons  que  ces  exemples  sont  absolument 
isolés  à  cette  époque,  et  ceux  que  nous  avons  recueillis  immédiate- 
ment après  ceux  de  ce  Psautier  appartiennent  à  la  fin  du  xiii''  ou  au 
xiv^  siècle. 

Foissc  ne  se  retrouvera  même  qu'à  cette  dernière  époque  dans  la 
Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (I,  180,  23  et  pas  si  ni). 

Nous  en  trouvons  toutefois  quelques  autres  qui  sont  à  une 
moins  grande  distance  du  Psautier  d'Arundel  ;  et  parmi  les  verbes 
terminés  par  s,  c'est  le  verbe  faire  qui  est  le  plus  souvent  irrégulier. 
Fas  ou  /(T/;^  ne  disparaît  jamais  complètement,  mais  il  doit  céder 
beaucoup  de  terrain  h  face  ;  notre  premier  exemple  absolument  sûr 
se  lit  au  vers  595  de  la  Plainte  d'Amour  où  cette  forme  rime  avec 
chasse.  Dans  les  autres  ouvrages  du  xiii^  siècle,  nous  en  relevons 
plus  d'un  cas  ;  mais  il  est  fort  possible  que  le  plus  grand  nombre 
appartienne  aux  scribes  du  siècle  suivant. 

Par  exemple,  dans  le  poème  que  nous  venons  de  citer,  au  vers  lé, 
il  fimt  lire  fas  avec  le  ms.  Harléien  ;  il  en  va  de  même  pour  les 
formes  qu'on  rencontre  aux  vers  3583,  2996  du  Manuel  des  Péchés. 
Au  KW  siècle, /cia' devient  très  commun  :  Pierre  de  Langtoft  semble 
se  servir  très  fréquemment  de  cette  forme  (cf.  par  exemple  II,  88, 
27  ;  II,  202,  9)  ;  on  la  rencontre  encore  au  §  143  des  Contes  de 
Nicole  Bozon;  au  vers  33  de  la  Vie  de  Saint  Panuce,  du  même  auteur, 
et  en  dehors  de  la  littérature,  dans  les  Rymer's  Foedera  (1274,  II5 
30;  1345,  V,.  452  et /)âf5.f/w). 

L'identité  fa^^,  ha:;^  a  pu  amener  cette  nouvelle  identité /</a',  hicce  ; 
cette  dernière  forme  se  trouve  au  §  143  des  Contes  de  Bo/on. 


28  I.'l^VOLUTIOM    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Nous  ne  trouvons  aucun  verbe  terminé  par  s  à  prendre  l'é  aussi 
fréquemment  q\ie  faire  ;  citons  encore  reconoise  qui  se  lit  dans  les 
Rymer's  Foedera  (1345,  V,  ^52). 

Par  conséquent  cette  classe  de  verbes  ne  nous  offre  pas  des 
exemples  très  variés.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  ceux  qui  sont  ter- 
minés par  une  palatale.  Le  nombre  des  formes  provenant  de  verbes 
différents  est  ici  considérable.  Postérieurement  au  venche  du  Psautier 
d'Arundel  nous  trouvons  à  la  rime  dans  Boevê  :•  rmgke  (:  avaunte) 
au  vers  2945,  (laisse  en-anl^;  il  faut  sûrement  lire  rend  (:  avant); 
mais  au  point  de  vue  du  scribe  (commencement  du  xiv''  siècle),  la 
rime  est  significative.  Rengke  se  trouve  encore  employé  en  maints 
autres  endroits  ;  ainsi,  dans  ce  même  poème  de  Boeve,  au  vers 
2458  ;  dans  Foulques  Fitz  Warin  aux  pages  41  et  54  et  passim;  au 
§  80  des  Contes  de  Nicole  Bozon.  Tenir  ne  se  rencontre  pas  si  fré- 
quemment sous  cette  forme,  on  peut  citer  toutefois  îieuhe  dans 
Foulques  Fitz  Warin,  p.  54  ;  tiengè  dans  les  Vies  desSaints  de  Bozon, 
au  fol.  lO-i  r°.  Marge  n'est  pas  rare  ;  le  plus  ancien  exemple  que 
nous  en  ayons  se  trouve  au  vers  719  du  Saint-Emund,  et  n'est  pas 
sûr.  Par  conséquent  tous  les  exemples  précédents  peuvent  être  rap- 
portés sans  hésitation  au  xiv^  siècle.  (Cf.  Palatale  à  la  première 
personne  du  singulier.) 

Les  thèmes  à  dentale,  comme  cela  a  lieu  pour  les  verbes  de  L  pren- 
nent assez  communément  un  e  épithétique;  citons  rapidement /)cr^(^  au 
vers  2604  de  Boeve,  mette  au  §  55  des  Contes  de  Bozon  ;  promette,  qui 
est  extrêmement  fréquent  dans  les  Traités  de  Rymer  (1297,  II,  766; 
1308,111,68;  1327,1V,  244;  1345,  V,  452;  1398,  VI,  586;  1380, 
VII,  245).  Ce  verbe,  si  fréquemment  employé  dans  les  Traités, 
n'a  qu'assez  rarement    la  force   étymologique  (cf.  1297,  II,   773). 

Lorsque  la  première  personne  se  termine  par  une  lettre  mouillée, 
étymologique  ou  non,  Ve  est  employé  très  fréquemment  —  au  moins 
pour  certains  verbes. 

Les  exemples  toutefois  sont  assez  rares  pour  77  mouillée  :  nous 
avons  relevé  deveygne  dans  Pierre  de  Langtoft,  Serment  de  Jean 
Balliol,  II,  192,  3;  le  même  texte  dans  Rymer  a  devien.  Cet 
exemple  {deveygne)  semble  isolé.  Il  n'en  va  pas  de  même  pour  le 
présent  de  l'indicatif  de  vouloir  :  voile  est  extrêmement  répandu. 
On  trouve  cette  forme  tout  d'abord  au  vers  1484  de  Boeve,  au 
fol.78r°  de  la  Genèse  Notre-Dame,  au  fol.  81  v"  del'Assumpcionede 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    SINGULIER  29 

Chermaus  ;  puis  dans  l'Apocalypse  :  a  208  (à  côté  du  reste  de  voil, 
vuil  3  et  Y,  548).  Puis  elle  apparaît  encore  dans  Pierre  de  Langtoft, 
II,  330,  9,  etc.;  Bozon  l'emploie  souvent,  par  exemple  dans  le 
deuxième  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft,  II,  444,  27.  Enfin  on  la 
trouve  à  la  rime  avec  «  toelle  »  dans  les  Vies  des  Saints  du  même 
auteur  ^)t,  r°.  En  dehors  de  la  littérature,  les  traités  de  Rymer 
nous  en  offrent  de  nombreux  exemples  (1273,  II,  11). 

Les  autres  thèmes  consonantiques  prennent  très  rarement  cet  e  ; 
donne  qui  est  employé  au  fol.  éo  v°  du  Placebo  en  romanz,  de 
même  que  requere  et  requirt,  qui  se  lisent  dans  les  Literse  Cantua- 
rienses (respectivement  1323,  112  et  1326,  i7i)sont  des  exceptions. 

Dans  tous  les  exemples  que  nous  avons  cités  jusqu'ici,  Ve  peut 
être  considéré  comme  jouant  le  rôle  d'un  e  d'appui,  en  étendant 
quelque  peu  la  signification  de  ce  terme.  Il  nous  reste  à  voir  main- 
tenant un  certain  nombre  d'e  irréguliers,  auxquels  cette  explication 
ne  saurait  s'appliquer.  Ce  sont  ceux  qui  suivent  certains  radicaux 
vocaliques.  Quelques  verbes  n'en  sont  que  rarement  affectés  comme 
veye  =  video  qui  se  lit  au  fol.  78  r°  de  la  Genèse  Notre-Dame  ou 
treye  de  traire  employé  par  William  de  Waddington  au  vers  17 18 
du  Manuel  des  Péchés.  Il  y  en  a  au  contraire  un  qui,  à  partir  d'une 
certaine  date  difficile  à  déterminer,  mais  ne  pouvant  pas  être  posté- 
rieure au  commencement  du  xiV  siècle,  se  rencontre  presque  tou- 
jours avec  cet  c  :  c'est  le  verbe  dire.  Nous  trouvons  très  fréquem- 
ment die  à  la  rime,  dans  Pierre  de  Langtoft  (cf.  par  exemple  I,  50, 
6;  l,  128,  2;I,  200,  14,  I,  280,  9  ;  I,  320,  15;  I,  380,  25,  etc.  '). 

L'exemple  die  (:  lundi)  au  vers  ^2  de  l'Erection  des  Murs  de 
New  Ross,  montre  que  dans  ce  cas  Ve  doit  être  attribué  au  scribe  du 
xiv^  siècle. 

D'autres  auteurs  du  xiv^  siècle  emploient  aussi  cette  forme,  mais 
beaucoup  moins  souvent  que  Pierre  de  Langtoft.  Nous  voyons  die 
rimer  avec  glutunie,  dans  la  Petite  Sume  des  Set  Péchez  Morteus 
(99  v°  b);  elle  est  employée  à  la  page  18  du  Dite  de  Hosebonderie 
de  Walter  de  Henleye,  etc.  Nous  en  trouvons  encore  plusieurs 
exemples  en  dehors  de  la  littérature  :  dans  Rymer,  dans  les  Litera; 
Cantuarienses,  dans  la  Chronique  de  Londres  à  une  date  très 
ancienne  (1262,  p.  5). 

I.  La  forme  régulière,  i/j,  se  rencontre  dans  le  même  auteur  deux  fois  à  la  rime  : 
II,  526,  25  II;  266,  28. 


30  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Par  conséquent,  on  peut  voir  que  chacune  des  classes  précédentes 
présente  un  certain  nombre  d'exemples  de  verbes  différents,  plus  ou 
moins  nombreux  suivant  la  classe.  Mais  chacune  d'elles  a  aussi  un 
verbe  qui  prend  plus  souvent  que  tous  les  autres  cet  e  irrégulier  : 
face,  rcnke,  promette,  voile,  die  sont  les  principaux. 

Au  point  de  vue  de  la  date  de  cet  e,  nous  nous  trouvons  dans 
l'embarras.  Ce  sont  les  textes  non-littéraires  qui  nous  donnent  les 
dates  les  plus  précises  en  même  temps  que  les  plus  anciennes  :  face, 
1274;  promette,  1297;  voile,  1273  ;  die,  1262.  Comme  on  le  voit, 
ces  exemples  appartiennent  tous  au  troisième  tiers  ou  au  quatrième 
quart  du  xiii^  siècle.  Les  exemples  littéraires  semblent  plus  tardifs. 
Les  rimes  que  nous  possédons  sont  du  commencement  du 
\W  siècle;  les  exemples  antérieurs  à  ceux-là  sont  très  douteux  et 
peuvent  être  rejetés  sur  les  scribes.  Il  nous  semble  donc  légitime 
de  considérer  l'addition  de  Ve  comme  appartenant  à  la  fin  du 
xiii"  siècle,  en  dehors  de  la  littérature,  au  commencement  du  xiv^ 
dans  les  œuvres  littéraires. 

Nous  aurions  pu  citer  plus  haut  les  exemples  d'^  irrégulier  que 
nous  avons  relevés  dans  la  langue  légale;  l'incertitude  des  dates 
nous  a  foit  préférer  traiter  de  ces  formes  séparément.  Là  encore 
nous  retrouvons  les  mêmes  classes,  et  les  mêmes  verbes.  Faire, 
vouloir  et  dire  ne  se  trouvent  que  très  rarement  sans  e  à  la  pre- 
mière personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif.  Face  se  lit  à 
peu  près  partout,  par  exemple  32,  33  Edw.  L',  121  ;  3  Edw.  II,  156, 
162  (Ms  Y  :  13 12);  voyle  se  trouve  dans  22  Edw.  I",  483,  511, 
etc.,  et  die  da.ns  20  et  21  Edw.  L'',  m,  163  ;  dans  le  ms.  Y  (13 12) 
3  Edw.  II,  123. 

Avec  ces  verbes  nous  nous  contenterons  de  citer  quelques 
exemples  de  personnes  terminées  par  une  palatale  —  pour  donner 
une  idée  de  leur  nombre.  On  trouve  euteiihe,  21  Edw.  L',  289; 
prenhe,  22  Edw.  P',  409  ;  venke  (vendre),  30  Edw.  I",  143  ;  plei)ike, 
ibid.,  259  ;  tienke,   3  Edw.  II,   170  (Y),  etc. 

Beaucoup  de  ces  exemples  appartiennent  vraisemblablement, 
comme  on  le  voit,  au  commencement  du  xiv^  siècle;  nous  ne  pou- 
vons pas  être  sûrs  de  la  date  d'un  certain  nombre  de  formes  voca- 
liques  qui  prennent  e  comme  oye  (prétérit)  21  Edw.  1",  181  ;  oye 
3  Edw.  III,  2  '. 

1.  Sue  (;=^  sui)  13  et  14  Edw.  111;  et /«c  (=:  fui)  11  et  12  Edw.  III,  197,  sont 
es  dés'eloppements  phoniques,  sinon  réguliers,  du  moins  fréquents,  de  sui,  fui. 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    SINGULIER  3I 

Les  renseignements  que  nous  fournissent  les  Year  Books  con- 
firment les  conclusions  que  nous  avons  tirées  précédemment. 

II.     —    L'5     FINALE. 

Régulièrement  un  certain  nombre  de  verbes  prennent  s  a  la  pre- 
mière personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  :  d'autres 
verbes  ont  pris  par  analogie  cette  s  dès  les  commencements  de  la 
langue.  En  français  moderne  cette  s,  limitée  en  ancien  français  à 
certains  verbes,  a  pris  une  extension  considérable  et  est  devenue  la 
caractéristique  de  cette  personne  dans  trois  conjugaisons  sur  quatre. 
En  anglo-français,  cette  consonne  n'a  pas  réussi  à  prendre  une  très 
grande  place  comme  désinence  de  la  première  personne  du  singulier; 
sa  fortune  a  même  été  moins  brillante  que  celle  de  Ve. 

Nous  allons  tout  d'abord  énumérer  les  cas  qui  montrent  la  chute 
de  1'^  étymologique  ou  de  Vs  datant  de  la  période  pré-littéraire,  puis 
nous  étudierons  les  formes  montrant  l'addition  d'une  s. 

A.    S   étymologique. 

Deux  catégories  de  verbes  sont  régulièrement  terminées  à  la  pre- 
mière personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  par  s,  les  verbes 
en  SCO  (dont  les  inchoatifs),  et  ceux  dans  lesquels  la  terminaison  en 
io  ou  eo  est  précédée  d'une  palatale .  Ces  personnes  sont  le  plus  sou- 
vent régulières  dans  tous  les  ouvrages  anglo-français,  littéraires  ou 
non.  Inutile  même  de  citer  des  exemples. 

C'est  probablement  dans  la  première  de  ces  catégories  qu'il  iaut 
ranger  la  première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif 
de  pouvoir.  Puis'  se  trouve  partout,  depuis  le  Brandan  (1427), 
Horn  (2028)  (écrit  pus)  et  le  Donnei  (675)  (écrit  peus),  jusqu'au 
Saint-Julien  où  il  rime  avec  hus  (69  r"),  et  à  Pierre  de  Langtoft 
(I,  100,  2é). 
•  Parmi    les    verbes    terminés   par    gutturale    plus    i{c)o,  le    plus 

I.  Pour  l'origine  depuis  (=  possio),  on  peut  voir  Liicking  (Mundarten,  p.  154), 
qui  la  rapporte  à  «  poteo  »,  et  Gaston  Paris,  dans  Romania,ViI,  622,  de  même  que 
Schulzke  (e  et  0  brefs  plus  /  en  normand,  p.  9)  qui  la  font  remonter  à  un  hypo- 
thétique «  posco  ». 


32  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

important  est  (ac'io  ;  il  serait  aussi  focile  qu'inutile  de  citer  plusieurs 
lignes  d'exemples  de/rt^  '. 

On  peut  citer  aussi  comme  appartenant  à  la  même  classe  un  verbe 
beaucoup  moins  employé  à  la  première  personne  :  Gis  se  trouve 
dans  le  Brandan,  vers  1417  ;  et  il  rime  avec  avis  dans  Saint- 
Julien,  76  r°. 

Par  analogie  avec  fa^,  analogie  amenée  probablement  par  la 
similitude  de  fet  et  de  het,  haïr  fait  à  la  première  personne  du  sin- 
gulier hai  ;  les  exemples  ne  sont  pas  rares;  nous  en  trouvons  un  au 
vers  558  du  Tristan  de  Thomas,  où  il  rime  avec  faz  ;  le  Psautier 
de  Cambridge  nous  en  donne  un  autre  (5,  5)  qui  est  écrit   bais. 

Pour  six  autres  verbes,  Y  s  est  aussi  ancienne,  quoiqu'il  soit  pos- 
sible qu'elle  ne  soit  pas  aussi  régulière  ;  les  verbes  rover,  trover, 
prover  —  puis  aller,  donner,  ester  ont  depuis  le  commencement 
de  la  période  littéraire  une  s,  qui  ne  semble  pas  étymologique  et 
sur  l'origine  de  laquelle  on  n'est  pas  encore  d'accord.  Cette  s  se 
rencontre  aussi  bien  dans  les  textes  anglo-français  que  dans  ceux  du 
continent. 

Truis  est  relativement  fort  commun  ;  nous  verrons  plus  tard  les 
quelques  changements  que  cette  forme  peut  subir;  mais  nous  avons 
déjà  eu  l'occasion  de  faire  remarquer  que  la  forme  moderne  est 
extrêmement  rare  dans  nos  textes.  Celle  qui  nous  occupe  mainte- 
nant au  contraire  est  assez  commune  du  xiii'^  au  xiv^  siècle^. 

La  première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatit  du 
verbe   rover   est  certainement  moins  employée,  et  les   exemples  de 


1.  Voici  cependant  quelques  références  :  Cumpoz  66;  Brandan  1474;  Drame 
d'Adam  351  ;  Horn  (H)  3160  (écrit  fas);  Donnai  175,  367  (écrit  faç)  ;  Vie  de  Saint 
Grégoire  470;  Robert  de  Gretliam  23  r°  ;  Saint  Julien  68  vo  (fas);  Apocalypse 
1273,  (fas)  ;  Sainte  Marguerite  419  (fas);  Foulques  Fitz  Warin,  p.  25. 

2.  La  forme  truis,  trois  a  été  souvent  étudiée  ;  on  pourra  voir  les  principales 
hypothèses  sur  l'origine  de  cette  forme  dans  les  ouvrages  suivants  : 

Diez,  Gramniatik,  113,  256;  Mever-Lùbke,  vol.  II,  p.  191  ;  Freund,  Verbal 
Flexion,  p.  21  ;  Nyrop,  Grammaire,  §  116,  4  ;  Gaston  Paris,  Romania,  VII,  623  ; 
Schulzke,  op.  cit.,  p.  9  (trocso). 

Dans  les  textes  anglo-français,  nous  trouvons  truis  au  vers  309  de  Gaimar  (écrit 
trofs);  dans  Adgar,  VII,  154,  à  la  rime  avec  puis  ;  au  vers  777  de  la  Vie  de  Sainte 
Catherine;  dans  le  poème  de  Horn  369  (écrit  trofs)  ;  au  vers  232  du  Donnei,  au 
vers  26  du  Siège  de  Carlaverok. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  33 

mis  ne  sont  pas  très  répandus  '.Pendant  le  premier  siècle  de  la  litté- 
rature anglo-française,  on  en  rencontre  plusieurs  ;  mais  nous  n'en 
avons  relevé  aucun  postérieur  au  milieu  du  xiii'-'  siècle.  C'est  la 
seule  forme  que  nous  connaissions  pour  cette  personne. 

Pniis  est  rare  dans  les  ouvrages  littéraires  ;  nous  n'en  trouvons 
qu'un  seul  exemple,  à  la  rime  du  vers  777  (avec  truis)  de  la  Vie 
de  Sainte  Catherine  ;  mais  est  extrêmement  commun  dans  les  diffé- 
rents Year  Books.  Les  formes  que  cette  personne  peut  prendre  dans 
les  recueils  de  textes  légaux  sont  des  plus  variées  ;  mais  on  ne  peut 
pas  ne  pas  remarquer  la  régularité  avec  laquelle  toutes  ces  tonnes 
conservent  Vs  -. 

Aller  fait  toujours  vois.  Cette  forme  est  extrêmement  commune  5 
et  se  conserve  intacte,  au  moins  en  ce  qui  concerne  la  consonne 
finale,  dans  toute  la  littérature  anglo-française. 

Il  y  a  un  verbe  qui,  sous  l'influence  d'  aller,  a  formé  sa  première 
personne  en  -ois  :  ester,  qui  f;iit  estais.  Cette  forme  est  relative- 
ment assez  rare  ;  voici  les  quelques  exemples  que  nous  avons  pu 
relever  :  arestois  rime  avec  vois  (vao)  au  vers  7632  de  l'Ipomédon  ; 
on  trouve  Qncort  estois,  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  17,  i)  ; 
dans  l'Apocalypse,  6  et  y  152. 

Enfin  diiins  se  lit  dans  Adgar,  XXIX,  159,  où  il  rime  avec 
juins;  dans  Fantosme,  au  vers  594;  dans  Robert  de  Gretham, 
G^  v°  ;  dans  le  Saint  Auban,  488,  dans  la  Vie  de  Sainte  Marguerite, 
273  ;  dans  Foulques  Fitz  Warin,  69,  et  dans  bien  d'autres 
endroits  encore. 

En  dehors  du  présent  de  l'indicatif,  on  trouve  régulièrement  s  à 
la  première  personne  des  prétérits  en  si,  comniQ  fis,  dis  (jpom  les 
exemples,  cf.  Prétérits  en  .f/). 

1.  Ruis  ne  se  rencontre  guère  qu'au  xii^  et  au  commencement  du  xiii^  siècle  ; 
on  en  voit  des  exemples  dans  le  Cumpoz,  au  vers  3 191  ;  dans  Gaimar,  aux  vers 
708, 3893  ;  dans  Adgar,  XL,  542  ;  dans  Guischart  deBeauliu,  au  vers  249.  Au  siècle 
suivant,  on  le  trouve  au  fol.  58  r"  des  Évangiles  des  Dompnés,  au  vers  10  d'Oti- 
nel  (écrit  rufs). 

2.  Prus  se  lit  dans  20-21  Edw.  1er  aux  pages  53,  319,  363;  profs  dans  30  Edw. 
1er,  g^;  prcofs  est  de  beaucoup  la  forme  la  plus  commune  :  i  et  2  Edw.  II,  147  ; 
3  Edw.  II,  147  ;  3  Edw.  II,  62,  138,  dans  Y. 

3.  Pour  l'origine  de  ces  formes,  on  peut  consulter  Lûcking,  Mundarten,  p.  212 
(vadio);  Foerster,  Rom.  Studien,  III,  p.  i8(vado);  et  P.  Marchot,  Latin  vulgaire 
de  la  Gaule  du  Nord,  vaiisio,  eslansio  et  daiisio  (Studi  di  filologia  romanza, 
vol.  VIII,  fasc.  23)  (Cité  par  Nvrop,  Grammaire,  II,  425). 

3 


34  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Ceci  dit,  il  nous  reste  maintenant  à  donner  la  liste  des  rares 
exceptions  aux  formes  que  nous  venons  de  citer.  On  n'en  trouve 
aucune  dans  toute  la  littérature  du  xii^  siècle.  Le  premier  exemple 
assuré  que  nous  puissions  citer  est  tiré  du  poème  sur  l'Erection  des 
Murs  de  New  Ross  ;  on  y  rencontre  la  rime  :  plcvi  (:  dem}^)  au 
vers  ii8;  on  a  aussi  dans  le  même  ouvrage  plevi  (:  hardi)  vers 
202,  mais  on  pourrait  aussi  bien  pour  ce  second  exemple  lire  har- 
dis ;  la  forme  étymologique  se  retrouve  d'ailleurs  au  vers  179, 
rimant  avec  ennemis. 

Le  premier  des  deux  exemples  que  nous  venons  de  citer  est  le 
seul  cas  certain  de  la  chute  de  ïs  que  nous  ayons  relevé  au 
xiii^  siècle  ;  on  peut  v  ajouter  doiii  donné  par  le  ms.  A  (milieu  du 
XIII'-"  siècle)  pour  le  vers  8332  de  Tlpomédon.  Nous  en  rencontrons 
davantage  au  siècle  suivant. 

L'Apocalypse  nous  en  montre  deux  exemples  :  fa  au  vers  1273 
«/oy  (ester)  au  vers  239  ;  mais  ces  deux  exemples  peuvent  provenir 
des  scribes,  le  premier  de  celui  de  y,  le  second  de  celui  d'à,  et  cela 
rejetterait  ces  formes  à  la  fin  du  xiv*  siècle. 

Pour  donner  et  trouver  la  chute  de  Y  s  est  plus  assurée.  Ces  deux 
verbes  tendent  à  prendre  la  forme  de  tous  les  verbes  de  leur  conju- 
gaison, même,  comme  nous  l'avons  vu,  à  prendre  Ve  analogique. 
Comme  formes  sans  ('  et  sans  ^  on  peut  citer  triif  au  vers  127  de 
l'Apocalypse  (ms.  ,3)  ;  '%«  '<^  1'^  P^ige  49  Je  Foulques  Fitz  Warin, 
etc.  Dans  les  Year  Books  ces  deux  formes  sont  assez  communes, 
de  même  que pruf  (y.  g.  22  Edw.  I",  575).  Un  autre  verbe  dans 
ces  recueils  perd  assez  fréquemment  son  s,  le  verbe  pouvoir.  On 
lit  puyge  (=  puis-je)  20  et  21  Edw.  F'',   193  etpassiin. 

Par  conséquent,  il  est  clair  que  l'anglo-lrançais  montre  une  régu- 
larité très  grande  pour  toutes  les  personnes  qui  ont  s  ;  le  petit 
nombre  des  exceptions  que  nous  avons  citées  en  est  une  preuve. 
On  pourrait  même  sans  hésitation  les  rejeter  toutes  et  les  consi- 
dérer comme  des  exemples  de  négligence  cléricale. 

B.  S  irréi^uUère. 


La  correction    est  à   peine  moins  grande  pour  la  question    qu'il 
nous  reste  à  étudier  :   les  s  irrégulières  sont  réellement  rares,    non 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  35 

seulement  au  xii^  siècle,  mais  même  pendant  les  trois  siècles  dont 
nous  nous  occupons. 

Dans  les  différents  ouvrages  du  xii'  siècle,  nous  avons  relevé 
sept  exemples  de  i"""  personnes  du  singulier  présentant  cette  s  : 
toutes  sont^  à  un  titre  ou  à  un  autre^  douteuses. 

D'abord,  nous  pouvons  hésiter  sur  le  temps  auquel  appartiennent 
certaines  formes. 

Il  semble  bien  que  nos  auteurs  n'aient  pas  toujours  nettement 
distingué  entre  di,  dico  et  dis,  dixi.  Di  est  très  commun,  il  est 
vrai  (voir  les  rimes  dans  Adgar,  V.  R,  15  ;  dans  Guischart  de 
Beauliu,  896,  etc.,  etc.). 

Il  nous  semble  cependant  que  les  exemples  suivants  de  dis  sont 
des  présents  plutôt  que  des  prétérits.  L'un  d'entre  eux  est  le  dis 
(:  mis)  qu'on  lit  dans  les  Légendes  de  Marie  (II,  34)  : 

Si  fist  l'en  celui  dunt  (ore)  vus  dis. 

Un  autre  dis  (:  pais)  est  employé  par  Gaimar,  au  vers  2145  de 
l'Estorie  des  Engleis  : 

En  icel  tens  dunt  jo  vus  dis, 

le  sens  est  certainement  «  dont  je  vous  parle  »,  dans  les  deux 
exemples  ci-dessus  ;  citons  aussi  dis  (:  pris)  au  vers  2605  de  l'Ipo- 
médon. 

Ces  exemples  sont  à  dire  le  moins  discutables,  et  quoique  nous 
penchions  à  les  considérer  comme  des  présents,  nous  ne  saurions 
en  faire  état  pour  prouver  l'existence  de  ïs  irrégulière  au 
xii^  siècle. 

Voyons  maintenant  si  les  autres  cas  que  nous  avons  relevés  à  la 
même  époque  sont  plus  probants. 

L'un  d'entre  eux  se  trouve  sous  la  plume  d'un  scribe  du 
xii'' siècle,  c'est  le  recrei:{  du  Roland  d'Oxford  (vers  3892)  ;  ensuite 
nous  trouvons  dans  deux  ouvrages  de  la  même  époque  suis,  d'abord 
dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  7,  r8),  puis  dans  la  Chronique 
de  Jordan  Fantosme  (au  vers  2004).  Il  est  vrai  que  le  dernier  de 
ces  deux  exemples  appartient  probablement  au  scribe  et  doit  être 
reporté  à  la  seconde  moitié  du  wW  siècle. 
•  Du  même  genre  que  le    suis    de  la  chronique  de  Fantosme  est 


36  l'i-volution  du  vi;ki5E  en  anglo-français 

l'exemple  que  nous  fournit  le  Donnei  des  Amants  :  esli:{,  qui  se  lit 
au  vers  8^4  ;  nous  n'hésiterons  pas  à  l'attribuer  au  scribe  du 
manuscrit.  Plus  curieux  et  aussi  plus  difficile  à  placer  est  l'exemple 
que  nous  relevons  au  vers  735  du  Roman  de  Philosophie  :  se:;^. 
Cette  forme  est  assez  insolite  en  anglo-français,  et  nous  ne  croyons 
pas  en  avoir  rencontré  d'autre  exemple.  Il  est  curieux  dans  ces 
conditions  que  cette  forme  soit  donnée  par  les  deux  manuscrits 
(O  ses)  ;  elle  doit,  cro3'ons-nous,  provenir  de  Simun  de  Fresne  lui- 
même. 

En  résumé,  nous  trouvons  au  xii^  siècle  : 

I"  Un  exemple  assuré  de  Vs  dans  le  Roland  d'Oxford  (recreiz)  et 
un  autre  non  moins  sûr  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois.  Mais  la 
présence  dans  ces  deux  cas  d'une  s  irrégulière  pourrait  à  la  rigueur 
n'être  qu'un  lapsus  calami  des  deux  scribes. 

2°  Une  i' irrégulière  qui  nous  semble  assez  sûre  dans  un  auteur 
florissant  sur  les  limites  du  xn^  et  du  xiii^  siècle. 

3°  Deux  autres  formes  qui  peuvent  appartenir  aussi  bien  ou 
mieux  aux  scribes  du  xiii'^  qu'aux  auteurs  du  xii^  siècle. 

4°  Un  nombre  assez  considérable  de  formes  qui  peuvent  être 
soit  des  prétéiits  de  forme  régulière,  soit  des  présents  de  l'indi- 
catif. 

Après  le  xii^  siècle,  les  cas  d's  irrégulière  deviennent  plus  nom- 
breux et  plus  assurés  sans  devenir  fréquents.  La  confusion  que  nous 
signalions  entre  le  présent  et  le  prétérit  continue  et  même  s'ac- 
croît. Dans  les  exemples  suivants,  lorsque  le  doute  est  possible, 
nous  croyons  bien  avoir  affaire  à  des  présents^  mais  nous  avons  pu 
nous  tromper. 

Les  verbes  qui  prennent  le  plus  volontiers  1'^  à  cette  personne 
sont  ceux  dont  le  thème  est  terminé  par  une  palatale.  C'est  tout 
d'abord  le  cas  pour  ilis  ;  voici  quelques  exemples  assurés  par  la 
rime  où  nous  croyons  avoir  rencontré  des  présents  à  forme  irré- 
gulière : 

Au  vers  4198  d'Edward  le  Confesseur  dis  (plutôt  dixi  que  dico) 
rime  avec  promis;  la  même  forme  rime  avec  occis  au  vers  2009  de 
Dermod  (cà  côte  de  di  :  si,  2296)  ;  avec  apris  au  fol.  80  v°  de  la 
Satire  sur  le  Siècle.  Nous  en  avons  quelques  exemples  à  la  rime 
dans  Boeve  de  Haumtone  ;  mais  on  sait  que  l'auteur  fait  facilement 
rimer  des  mots  dont  la  terminaison  diffère  d'une  s  ;  citons  toute- 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  37 

lois  le  dis  qu'on  trouve  dans  une  laisse  en  -is  au  vers  613  ;  et  un 
autre  exemple,  plus  douteux,  qu'on  lit  au  vers  2593.  Pour  ces  deux 
cas^  M.  Stimming  admet  que  1'^-  irrégulière  s'est  introduite  au 
présent  de  l'indicatif.  A  partir  de  la  fin  du  xiii''  siècle  1'^  est  assez 
commune  à  cette  forme,  par  exemple  dans  William  de  Waddington 
(J/~)  au  vers  5126,  et  passiiii  dans  Pierre  de  Langtoft. 

Nous  relevons  un  autre  verbe  à  palatale,  qui  comme  dire  et 
élire  (dont  nous  avons  déjà  cité  un  exemple)  se  rencontre  assez 
souvent  avec  cette  consonne  parasite  :  traire.  Nous  trouvons  déjà 
ireis  dans  le  ms.  O  du  Bestiaire  (1720);  puis  au  vers  39  d'Edward 
le  Confesseur  ;  et  cette  forme  rime  avec  fes  au  vers  98  du 
Poème  Allégorique.  Nous  ne  donnerons  pas  plus  d'exemple  pour 
cette  forme  qui  est  aussi  correcte  que  y^/~  ou  conois  ou  tais;  le 
français  connaît  les  deux  formes  trai  et  trais  :  mais  rano;lo-francais 
ne  semble  emplover  que  la  seconde. 

Les  mêmes  difficultés  ne  se  rencontrent  pas  pour  les  exemples 
suivants.  Ce  sont  bien  des  formes  analogiques  ou  plutôt  des 
formes  avec  s  irrégulière  ;  elles  sont  bien  peu  nombreuses.  Lis  est 
employé^dans  le  poème  d'Edward  le  Confesseur  à  la  rime  avec  pro- 
mis au  vers  1447  ;  conclus  rime  avec  plus  au  vers  12  du  Siège  de 
Carlaverok;  olri^  rime  avec  devis  dans  Boeve  de  Haumtone  au 
vers  3254. 

Voilà  les  quelques  exemples  dont  nous  sommes  siu's  ;  ils  se 
réduisent  à  trois  pendant  le  xiii'^  siècle  :  un  verbe  de  I  et  deux 
verbes  de  IV. 

A  l'intérieur  du  vers  lés  cas  d'i'  irrégulière  sont  à  peine  plus 
nombreux  :  ceux  que  nous  fournissent  les  poèmes  de  Frère  Angier 
ont  presque  la  valeur  de  ceux  que  nous  avons  cités  précédem- 
ment ;  ils  ne  sont  du  reste  pas  nombreux  et  se  réduisent  à  deux 
verbes  de  IV  :  ris  au  vers  2212  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire  Qi  pleins 
dans  les  Dialogues  107  r°  a,  deux  fois  (cité  par  Miss  Pope).  A  la  fin 
du  même  siècle  nous  trouvons  dans  William  de  Waddington  as 
8767  A,  qui  n'est   très  probablement  qu'un  lapsus  calami  pour   ai. 

Le  xiv^  siècle  est  à  peine  plus  incorrect,  et  il  est  probable  que  le 
plus  grand  nombre  des  s  irrégulières  que  nous  allons  citer  pro- 
viennent des  scribes,  et  datent  par  conséquent  surtout  du 
xv^  siècle. 

Dans  Pierre  de   Langtoft   les  formes  irrégulières  sont  rares,  les 


38  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

seules  que  nous  ayons  relevées  sont  :  assol:^  de  absoudre  II,  468, 
3  ;  viiys  (video  ou  videam)  II,  270,  24  donné  par  A  (C  vais, 
D  veysse  ;  B,  comme  d'habitude,  donne  la  bonne  leçon  vei)  ; 
Nicolas  Trivet  a  doys,  48  v°,  sous  Tinfluence  de  voys  ;  le  Prince 
Noir  proDies,  2427. 

Aux  temps  autres  que  le  présent,  \'s  fliit  aussi  son  apparition  cà 
la  même  époque.  Au  prétérit,  on  la  trouve  assez  fréquemment  :  par 
exemple  dans  vis,  2^  appendice  de  Pierre  de  Langtoft,  II,  428,  29  ; 
et  dans  le  Prince  Noir,  vers  1652  (cf.  Prétérits  en  I). 

On  ne  trouve  jamais  s  à  l'imparfait. 

Les  5  irrégulières  sont  très  rares  dans  l'anglo-français  non-litté- 
raire :  on  retrouve  dans  les  Traités  de  Rymer  la  confusion  entre 
dico  et  dixi  que  nous  avons  rencontrée  fréquemment  dans  la 
langue  littéraire,  par  exemple  dis  est  employé,  sans  qu'il  y  ait 
place  pour  le  moindre  doute,  avec  le  sens  d'un  présent  à  la  date  de 
1380  (VII,  2-14);  outre  cette  forme,  nous  avons  relevé  dans  le 
même  recueil  deux  présents  de  l'indicatif  seulement  qui  présentent 
Vs  :  escris  (1274,  II,  30),  tienks  (i}')6,  V,  856). 

Le  phénomène  est  encore  plus  rare  aux  autres  temps,  nous  ne 
trouvons  à  citer  que  le  passé  défini  rcsceii-  (recipui)  dans  les 
Literae  Cantuarienses  (1359,  8éo),  qui  peut  fort  bien  n'être  que  le 
résultat  d'une  erreur  cléricale,  car  dans  le  même  recueil  les  formes 
correctes  sont  particulièrement  nombreuses  ;  et  l'imparfait  de  l'indi- 
catif ^.fto  dans  Rymer's  Foedera  (1362,  M,  377)  qui  semble  aussi  le 
résultat  d'une  erreur. 

Comme  on  le  voit,  les  cas  où  1'^  non  étymologique  s'est  intro- 
duite sont  très  peu  nombreux,  dans  ce  genre  de  textes. 

Il  en  est  exactement  de  même  pour  la  langue  légale  ;  on  trouve 
quelques  rares  s  irrégulières  cà  des  dates  assez  modernes,  et  pour 
dire  le  moins,  douteuses.  Par  exemple  suis  (30  Edw.  l",  279),  dis 
(plus  commun,   17  et  18  Edw.  III,   135,  147,  171,  183). 

Comme  on  a  pu  le  voir  dans  les  exemples  précédents,  :^  prend 
souvent  la  place  de  s,  et  cela  à  une  époque  assez  reculée.  Sans  par- 
ler de /«:(  et  de  bû~  qui  sont  réguliers,  on  peut  remarquer  le  recrei\ 
du  Roland  d'Oxford,  Veslii  du  Donnei,  que  nous  avons  donnés 
plus  haut.  Dans  un  poème  de  la  fin  du  xii'^  siècle  on  rencontre 
manjui.  Vie  de  Saint  Gilles,  vers  991.  Nous  avons  encore  cité  st':{. 
Roman  de  Philosophie;  o/;/-,  Boeve  de  Haumtone  ;  di:{,  William  de 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    SINGULIER  39 

Waddington  ;  assol:;^,  Pierre  de  Langtoft.  On  trouve  aussi  au  prétérit 
y?- (Psautier  de  Cambridge  118-121);  (cf.  Prétérits  en  5/);  resceui 
dans  les  Literae  Cantuarienses. 

Comme  conclusion  à  cette  étude,  nous  ajouterons  les  quelques 
lignes  suivantes  : 

1°  Us  s'est  remarquablement  bien  conservée  là  où  elle  était  éty- 
mologique ou  antérieure  au  xii^  siècle  ; 

2°  La  présence  d'une  5  irrégulière  n'est  assurée  qu'au  xiii''  siècle, 
et,  pour  un  très  petit  nombre  de  cas  seulement,  à  la  fin  du 
XII''  ; 

3°  Les  s  irrégulières  restent,  à  toutes  les  époques  et  dans  tous 
les  genres  d'ouvrages,  extrêmement  rares. 

IIL  —  La  palatale. 

La  palatale  a  pris  une  certaine  extension  en  anglo-français  ;  pour 
des  raisons  que  nous  examinerons  plus  tard,  c'est  au  xiii^  siècle 
que,  comme  consonne  finale  de  la  première  personne  du  singulier 
du  présent  de  l'indicatif,  elle  se  trouve  le  plus  fréquemment 
emplovée.  Au  xii^  siècle,  le  nombre  de  verbes  prenant  c,  g  ou  k, 
reste  très  petit;  ce  sont  d'abord,  et  on  pourrait  dire  uniquement,  les 
deux  verbes  venir  et  tenir  qui  l'adoptent  au  présent  de  l'indicatif 
et  au  prétérit.  Vienc  et  vinc,  îienc  et  tinc  se  maintiennent  presque 
sans  changement  pendant  les  trois  siècles  qui  nous  occupent'.  Les 
seules  variations  que  l'on  puisse  signaler  sont  des  modifications 
purement  graphiques  qui  atteignent  également  toutes  les  formes  à 
gutturale.  La  consonne  finale  est  écrite  tantôt  par  c,  et  c'est  la  gra- 
phie la  plus  commune,  comme  dans  le  Comput^  iienc,  126  ;  dans 
Brandan,  veine,  1428  ;  <:  est  une  autre  graphie  qui  se  rapproche  de 
la  précédente  mais  qui,  au  point  de  vue  phonique,  a  une  certaine 
importance;  on  ne  la  trouve  que  rarement,  wn^.  Psautier  d'Oxford, 
39,  10;  g  est  beaucoup  plus  usuel;  Adgar,  par  exemple,  l'emploie 
presque  exclusivement  :  vieiig,  XL,  47  ;  ieng,  Chansons,  VII,  32, 
etc.  Presque  aussi  commun  est  le  k,    quoique  cette   lettre    n'appa- 

I .  Pour  vienc  on  peut  voir  une  explication  dt  h  palatale  (i  de  venio  passant  à 
la  consonne)  dans  Koschwitz,  Pèlerinage,  p.  90.  Pour  vinc,  voir  Foerster, 
Zeitschrift  fur  romanische  Philologie,  III,  494-495  ;  aussi  Romania,X,  216  (Cornu, 
Vin(c)  =  Venui). 


40  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

raisse  pas  tout  à  fiiit  aussi  tôt,  comme  dans  ve?ik,  qui  se  lit  dans  la 
Plainte  d'Amour,  565.  La  forme  picarde,  ch  ou  chc,  est  relative- 
ment rare;  on  lit:  viiicb,  dans  Saint  Edmund  1225,  et  vcnchc  dans 
le  Psautier  d'Arundel  (39,  8).  Il  faut  considérer  Ve  de  viene,  Adgar, 
XIV,  55,  comme  un  lapsus  du  copiste,  si  c'est  réellement  un  e. 

Ces  différentes  formes  de  ces  deux  verbes  nous  ont  permis  de 
passer  en  revue  les  différentes  graphies  de  la  gutturale  ;  c'est  du 
reste  un  point  qui  n'a  pas  grande  importance,  du  moins  en  anglo- 
français;  la  graphie  peut  varier  d'un  scribe  à  l'autre;  la  seule  chose 
qui  ait  quelque  importance  c'est  la  rareté  dans  les  textes  littéraires 
de  la  forme  picarde. 

Quelque  temps  après  tenir  et  venir,  un  certain  nombre  de 
verbes  a3'ant  la  consonne  n  dans  le  thème  prirent  la  palatale  comme 
finale  de  la  première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indi- 
catif. Nous  trouvons  ainsi  entenc^  au  vers  592  du  Compur,  dans  la 
Plainte  d'Amour,  56e,  etc.,  peut-être  par  analogie  avec  ticiic,  teiic 
de  tenir  ;  nous  trouvons  de  même  prcuc  dans  le  Brandan,  vers 
1304. 

A  partir  du  milieu  du  xii'^  siècle  et  jusqu'à  la  fin  du  xiii*^  siècle, 
le  nombre  des  formes  qui  nous  occupent  devient  plus  considérable 
et  il  est  utile  pour  la  clarté  de  les  classer  suivant  la  lettre  finale  du 
thème. 

En  tenant  compte  de  tenir  et  de  venir,  ce  sont  les  verbes  dont 
le  radical  est  terminé  par  ;/  ou  qui  contient  ;/  comme  le  groupe  »/,  7id, 
qui  présentent  le  plus  grand  nombre  de  cas  d'addition  de  cette 
consonne. 

fl)ND.  —  Le  verbe  prendre  a  presque  constamment  r  ou  g.  On 
trouve  déjà  dans  Thomas  prciig,  6^j  ;  et  il  est  employé  à  la  rime 
dans  la  Folie  Tristan  (:  reng)  au  vers  495  ;  prenh,  se  trouve  dans 
le  Roman  des  Romans,  34  ;  enpreng  (:  chamberleng),  dans  le 
Poème  Allégorique  80  ;  etc.  Plaindre  ofi^re  des  exemples  à  la  même 
époque  que  prendre.  Pleing  se  trouve  dans  Thomas  au  vers  141 3 
(à  côté  de /)/«//;(:  Bringvain),  vers  970)  ;  et  dans  une  rime  dou- 
teuse de  la  Folie  Tristan  (:  desdeing),  854  ;  on  retrouve  encore 
plusieurs  fois  la  même  forme  dans  le  courant  du  xiii^  siècle. 
Rendre    a  évidemment   subi   l'influence    de    prendre.   On    a   renc 

I.  Qui  peuvent  évidemment  appartenir  au  scribe. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  4I 

dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  vers  1843;  rench,  Angier,  64  v°  a; 
et  dans  Boeve  de  Haumtone  un  certain  nombre  de  rimes  qui  ne 
montrent  rien  :  rcnc  (:  toucliant),  2945  ,  rcugkc  (:  avaunte),  2945, 
lire  rend;  avaunt  ;  et  renhe,  2438. 

\o\c\  enfin  quelques  autres  verbes  d'un  emploi  plus  rare  : 
reiiicyng,  Poème  Allégorique,  83  ;  feyng,  ibid.,  208,  et  au  vers  262 
d'Elie  de  Winchester  ;  rccoiich,  Angier,  64  r"a. 

Nous  ne  prétendons  pas  dater  ces  différentes  formes  avec  quelque 
précision  ;  il  est  très  possible  que  si  nous  ne  trouvons  qu'au  com- 
mencement du  XIII''  siècle  des  exemples  de  la  forme  reric  ce  ne  soit 
que  l'effet  du  hasard.  Il  est  plus  prudent  de  considérer  les  verbes 
précédents  comme  faisant  partie  d'une  seule  classe  dans  laquelle  la 
palatale  s'est  introduite  progressivement.  C'est  vers  le  milieu  du 
XII''  siècle  que  nous  trouvons  les  premiers  exemples  assurés  de  la 
palatale  pour  ces  verbes,  à  l'exception  de  tenir  et  de  venir. 

NT.  —  Les  verbes  en  -nt  qui  prennent  cette  consonne  sont  beau- 
coup moins  nombreux;  nous  n'avons  même  relevé  que  sentir  qui 
nous  présente  les  formes  :  senk  (Chansons,  V,  6),  et  sciig  (Poème 
Allégorique,  193);  elles  sont  du  reste  d'un  usage  fréquent,  quoique 
tardives. 

b)  R  plus  D  ou  V;  R  simple. 

Un  assez  grand  nombre  de  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par 
r,  soit  simple  soit  suivie  d'une  consonne  qui  tombe  devant  c  ou  k, 
se  rencontre  avec  la  palatale  dans  les  textes  anglo-français.  C'est 
même,  nous  semble-t-il,  la  consonne  qui  est  la  plus  affectée  après  n. 
Au  moins  nous  avons  un  exemple  très  ancien  d'un  thème  en  r  suivi 
d'une  gutturale,  c'est  requicrc  (Quatre  Livres  des  Rois,  IV,  5,  18); 
après  cette  date,  la  forme  avec  palatale  devient  la  forme  ordinaire  de 
première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  de  quérir. 
Il  en  est  de  même  pour  mourir  ;  quoique  nous  n'ayons  pas  relevé 
pour  ce  verbe  d'exemple  très  ancien,  il  peut  y  en  avoir  qui  nous  aient 
échappé.  On  en  trouve  un  toutefois  dans  le  Saint  Edmund,  au  vers 
719  sous  la  forme  marge,  et  écrit  mnrg  dans  les  Chansons  (MI,  10). 
Lorsque  IV  est  suivie  dans  le  thème  d'une  consonne  dentale  ou 
labiale,  qui  disparaît  devant  la  palatale,  la  première  personne  de 
l'indicatif  de  ce  verbe  prend  volontiers  cette  consonne,  comme  scrc 
de  servir,  Angier,  50  r''  a  (cité  par  Miss  Pope),  ou  picrc  que  l'on 
trouve   dans   Horn,   vers   3500,   et  pierk,   deuxième  Appendice  de 


42  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Pierre  de  Langtoft  (II,  442,  29),  tous  les  deux  venant    de    perdre. 

f)  Il  est  assez  rare  de  trouver  d'autres  thèmes  verbaux  prenant 
ou  susceptibles  de  prendre  c  ou  k  à  la  première  personne.  On  peut 
citer  cependant  un  thème  en  /  mouillée  :  couseih  (Angier,  78  r°  b); 
{rvi^xs conseil  (:  foeil),  id.,  65  r°  a);  un  autre  en  //  :  /^ra/wr (Angier, 
Vie  de  Saint  Grégoire,  iioo). 

On  trouve  même  au  xiv^  siècle  parmi  les  rares  formes  à  palatale 
un  verbe  dont  le  verbe  est  terminé  par  /  :  paroiigc,  second  Appen- 
dice de  Pierre  de  Langtoft,  II,  442,  29. 

Pour  Angier,  qui  présente  des  formes  en  c  plus  variées  et  plus 
nombreuses  que  n'importe  quel  autre  auteur  anglo-français,  voir  la 
liste  dans  l'étude  de  Miss  Pope,  p.  36,  et  Timothy  Cloran,  p.  59. 

d)  Il  y  a  quelques  verbes  qui  ont  étymologiquement  à  la  fin  du 
thème  une  palatale  qui  ne  doit  pas  se  confondre  avec  celle  dont 
nous  venons  de  parler. 

Par  exemple  testiinong,  Psautier  de  Cambridge  80,  9;  et  enuing. 
Quatre  Livres  des  Rois,  I,  16,  12  ;  vouch,  Horn  1145  venant  respec- 
tivement de    testimonier,  enuingdre,  voucher  (vocare). 

e)  Quoique  la  palatale  ne  soit  pas  d'un  usage  extrêmement  fré- 
quent en  anglo-français,  il  arrive  parfois  qu'elle  sorte  du  présent,  et 
même  de  l'indicatit  et  qu'elle  affecte  d'autres  personnes  que  la 
première.  C'est  ainsi  que  nous  trouvons  au  futur,  première  per- 
sonne :  crc.  Quatre  Livres  des  Rois(I,  23,  17);  icrc  (ibid.,  II,  6,  22); 
iercs  à  la  deuxième  personne  du  singulier  (id.,  II,  22,  27);  à  l'impé- 
ratif, deuxième  personne  du  singulier,  la  forme  très  commune 
{cu)iyienc(\h\à..,  II,  10,  13);  (j//i-)//V»r,  Psautier  d'Oxford  (26,  20); 
etc.,  demanc  qui  est  plus  rare  (cf.  Angier,  Dialogues,  91  r°  a);  à  la 
troisième  personne  du  singulier  du  prétérit,  iiiicl  (Quatre  Livres 
des  Rois,  III,  I,  49);  comme  on  le  voit,  sauf  pour  l'impératif  de 
tenir,  cette  extension  du  c  est  limitée  à  de  certains  auteurs. 

Les  premières  personnes  à  palatale  sont  très  peu  nombreuses 
dans  les  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  et  nous  n'ob- 
servons pas  la  grande  variété  de  formes  que  nous  venons  de  signa- 
ler dans  les  œuvres  littéraires  :  disons  tout  d'abord  que  cette  con- 
sonne s'y  présente  principalement  sous  deux  formes  g  et  h,  dont  la 
première  est  de  beaucoup  la  plus  commune.  Les  seuls  verbes  que 
nous  ayons  rencontrés  avec  la  palatale  sont  ceux  dont  le  thème  est 
terminé  par  une  ;/,  et  parmi  ceux-ci    tenir  et  venir  sont  certaine- 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  43 

nient  les  plus  employés  sous  cette  forme.  Nous  ne  recommencerons 
pas  à  énumérer  de  nouveaux  exemples  pour  ces  deux  verbes  ;  on  les 
rencontre  à  peu  près  partout,  dans  les  Traités  de  Rymer  (1303, 
II,  918)  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Ecosse  (1333,  I,  539), 
dans  les  Literae  Cantuarienses  (1363,  908).  Prendre  se  rencontre 
aussi,  mais  moins  souvent,  comme  enipreiik  dans  les  Traités  de 
Rymer  (1323,  III,  roo8).  Ajoutons-y  un  exemple  qui  est  beaucoup 
plus  rare,  recoma  nul; ,  qu'on  lit  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1363, 
909). 

Nous  pourrions  répéter  les  mêmes  remarques  au  sujet  des  textes 
de  langue  légale;  nous  ne  citerons  qu'un  exemple  qui  nous  montre 
une  forme  assez  rare  de  la  palatale  :  eiiteiigh  qui  se  trouve  dans  le 
recueil  22  Edw.  P"",  p.  333,  et  qui  est  répété  deux  fois. 

Si  cette  consonne  dans  tous  ces  textes  est  d'un  emploi  assez  rare 
au  présent  de  l'indicatif,  il  va  de  soi  qu'elle  doit  se  rencontrer  encore 
plus  rarement  aux  autres  temps  et  aux  autres  personnes,  le  seul 
exemple  que  nous  ayons  relevé  en  dehors  de  ceux  dont  nous 
venons  de  donner  une  idée  se  trouve  dans  le  Registrum  Palatinum 
Dunelmense  où  on  lit  deviiik  (13  11,  I,   92). 

Cette  question  n'a  donc  eu  qu'une  médiocre  importance  en 
anglo-français;  à  partir  de  11 60  la  palatale  a  commencé  à  atteindre 
un  petit  nombre  de  verbes;  elle  semble  avoir  atteint  le  maximum 
de  son  emploi  vers  le  milieu  du  xiii^  siècle  ;  on  n'en  rencontre  guère 
que  des  exemples  isolés  au  xiV,  spécialement  rares  dans  les  textes 
non  littéraires. 

VALEUR  DE  CETTE  CONSONNE 

Avant  d'abandonner  cette  question,  il  est  bon  de  nous  demander 
quelle  valeur  a  été  attribuée  à  cette  consonne  par  les  écrivains 
anglo-français;  évidemment,  ici,  seuls  les  textes  littéraires,  avec 
leurs  rimes,  peuvent  nous  être  de  quelque  utilité.  Nous  n'avons 
relevé  qu'un  tout  petit  nombre  de  rimes  nous  montrant  que  la 
gutturale  dans  les  formes  que  nous  avons  citées  a  conservé  sa 
valeur  propre  ;  rappelons  la  rime  de  la  Folie  Tristan  (:  reng), 
celle  du  Poème  Allégorique  (:  chamberleng)  et  une  ou  deux  autres. 
Elles  nous  montrent  que  la  palatale  se  taisait  sentir  surtout,  nous 
semb!e-t-il^  au  xir'  siècle  et  peut-être  aussi  postérieurement. 


j|4  L  EVOLUTION    DU    ^•ERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Mais  le  plus  grand  nombre  de  rimes  que  nous  avons  recueillies 
tendent  à  prouver  que  le  h  était  purement  graphique;  rappelons 
les  rimes  de  Boeve  de  Haumtone;  celles  du  Manuel  des  Péchés  de 
William  de  Waddington  {enteuh,  rimant  avec  sacrement,  avec 
comant,  avec  brevement.  Cf.  les  vers  2699,  35  52,  9247),  celle 
des  Chansons  Çpleinic  rimant  avec  teint,  V,  26). 

Si  on  attribue  aux  scribes  seuls  les  graphies  de  la  première  per- 
sonne du  singulier  qui  présentent  une  palatale,  ce  qu'il  est  pos- 
sible de  faire,  on  n'en  aura  pas  moins  à  conclure  qu'au  plus  tard 
vers  la  hn  du  xiii^  siècle  la  consonne  a  perdu  sa  valeur  dans  ces 
terminaisons.  Il  est  probable  qu'on  l'aura  considérée  comme  fai- 
sant partie  de  la  graphie  de  la  voyelle  nasale  à  laquelle  elle  est  le 
plus  souvent  jointe. 

Ces  considérations  ne  nous  poussent  donc  pas  à  adopter  l'hypo- 
thèse de  Horning  ',  qui  voit  dans  la  gutturale  l'origine  de  \'s 
moderne  caractéristique  des  premières  personnes  du  singulier  dans 
les  trois  dernières  conjugaisons.  Un  autre  argument  contre  cette 
théorie,  s'il  était  nécessaire  d'en  chercher  d'autres,  se  trouverait 
dans  la  forme  tieiiks  que  nous  avons  relevée  dans  les  Rymer's  Foe- 
dera  et  citée  plus  haut. 

Les  autres  consonnes  à  cette  personne  sont  rares  :  les  formes 
comme  devijtl  (Rymer's  Foedera,  1273,  II,  11),  tient  (jd.,  ibid.); 
tient  (Royal  Letters,  1249,  II,  52)  n'ont  aucune  espèce  d'impor- 
tance. 

Ce  ne  sont  que  des  fautes  d'orthographe  qui  n'ont  que  très  peu 
de  valeur,  mais  qu'il  n'était  pas  inutile  de  signaler. 

IV.  —  Autres  temps. 
A.  Premières  personnes  du  singulier  terminées  en 

DIPHTONGUE    +    C    ATONE. 

I.  La  voyelle  atone. 
Un  des  phénomènes  les  plus  caractéristiques  de  l'anglo-français, 

I.  Cf.  Horning,  Romanische  Studien,  V,  XVIII,  pp.  708  sqq.,  et  Meyer-Lûbke, 
II,  p.  191 . 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  ^5 

est  kl  disparition  de  la  voyelle  atone  après  une  diphtongue  ^  ;  on  en 
trouve  des  exemples  pour  toutes  espèces  de  mots;  mais  la  conju- 
gaison du  verbe  à  la  première  personne  et  à  la  deuxième  personne 
du  singulier  et  à  la  troisième  personne  du  pluriel  de  certains  temps 
nous  en  donne  des  exemples  remarquables.  Cette  question,  à  vrai 
dire,  est  avant  tout  une  question  de  phonétique,  et  si  nous  nous 
en  occupons  en  détail  dans  un  ouvrage  de  morphologie,  c'est  que 
d'abord,  il  nous  semble  impossible  de  tracer  une  ligne  de  démarca- 
tion absolument  infranchissable  entre  ces  deux  parties  de  la  gram- 
maire; ensuite  nous  avons  le  droit  de  nous  demander  si  les  lois 
phoniques  générales  ont  agi  avec  la  même  régularité  sur  les  diffé- 
rentes parties  du  verbe;  en  d'autres  termes,  il  est  possible  à  priori 
que  l'amuissement  de  l'atone  finale  n'ait  pas  été  absolument  régu- 
lière, que  Vc  ait  été  maintenu  plus  longtemps  dans  certains  cas  que 
dans  d'autres. 

Nous  ne  pouvons  traiter  maintenant  qu'un  point  de  cette  ques- 
tion ;  nous  aurons  à  y  revenir  à  propos  de  la  seconde  personne  du 
singulier  et  surtout  de  la  troisième  personne  du  pluriel.  Pour  cha- 
cune de  ces  personnes  nous  suivrons  autant  que  possible  la  même 
marche  :  d'abord  nous  examinerons  la  valeur  de  la  voyelle  atone 
pendant  le  xii^  siècle,  époque  à  laquelle  cette  question  n'offre  pas 
de  difficulté;  pour  les  deux  siècles  suivants,  nous  aurons  à  distin- 
guer deux  classes,  la  première  contenant  les  imparfaits  de  l'indi- 
catif et  les  conditionnels,  l'autre  tous  les  autres  temps  présentant 
l'atone  en  hiatus;  pour  ces  deux  classes,  nous  verrons  tout  d'abord 
les  cas  où  Ve  atone  est  conservé,  puis  ceux  où  il  est  rejeté  :  cette 
façon  de  procéder  nous  permettra  d'envisager  tous  les  aspects  de  la 
question^. 

A  la  première  personne  du  singulier,  la  vo5'elle  atone  se  trouve 
en  hiatus  dans  la  position  posttonique  à  plusieurs  temps  :  à  l'impar- 


1.  La  question  a  été  souvent  étudiée;  nous  ne  citons  pas  ici  les  différentes 
monographies  ;  au  point  de  vue  général,  on  peut  voir  :  Meyer-Lùbke,  Grammaire, 
I,  261  et  289;  J.  Vising,  Étude,  p.  70,  et  Litteraturblatt,  IV,  310;  P.  Meyer, 
Romania,  I,  71  ;  Koschwitz,  Zeitschrift,  Il  482  ;  Suchier,  Ueber..,  p.  5  ;  Stimniing, 
Boeve,  181. 

2.  Pour  ('  ne  comptant  pas  dans  la  mesure  du  vers,  on  peut  voir  dans  Sucliicr, 
Œuvres  de  Beaumanoir  (I,  cli),  un  pliénomène  analogue  ;  cl',  aussi  Rydberg,  Ges- 
chichté  des  franz.  c  ;  la  thèse  accessoire  de  M.  Faral. 


^6  l'évolution  du  verbe  ex  anglo-français 

f-iit  de  l'indicatif  des  verbes  de  II,  III,  IV  et  à  tous  les  condition- 
nels après  la  monodiphtongue  ei  ou  les  diphtongues  oi,  ai. 


a.    XU"    SIECLE. 

Au  XII"-'  siècle,  la  voyelle  atone  est  le  plus  souvent  conservée. 
Néanmoins  on  peut  remarquer  très  tôt  en  anglo-français  quelques 
cas  de  chute  de  l'atone;  cette  chute  ne  semble  d'abord  qu'une  irré- 
gularité attribuable  à  certains  scribes  ou  à  des  auteurs  peu  soigneux  ; 
nous  n'en  avons  qu'un  tout  petit  nombre  d'exemples.  Le  Psautier 
d'Arundel  nous  montre  trois  imparfaits  de  I  sans  e  :  crioii  (30,  29); 
humUiou  (34,  15)  ;  riiioiiii  (37,  8).  Pour  le  conditionnel,  le  Psautier 
d'Oxford  nous  donne /^ra  (39,  11);  pour  le  présent  du  subjonctif 
Jordan  Fantosme  nous  montre  sei  (au  vers  511)  : 

Quarante  jorz  de  terme  ke  seie  mer  passant,  Sire. 

Dans  ce  même  auteur,  on  trouve  un  assez  grand  nombre  à'e 
posttoniques  à  la  première  personne  du  singulier  qui  ne  comptent 
pas  dans  la  mesure  du  vers  ;  mais  ils  se  trouvent  tous  à  l'hémis- 
tiche (cf.  vers  144,  145,  406,  1965);  tandis  que  les  formes  qui 
ont  conservé  à  l'atone  sa  valeur  étymologique  sont  très  nombreuses 
(cf.  vers  502,  592,  143 1).  Horn  a  des  exemples  assurés  de  formes 
régulières  (vers  668  a,  877,  968,  2368),  douteux  de  formes  abré- 
gées (668  b).  Le  poème  de  Renaut  de  Montauban  a  une  forme 
abrégée,  avec  inversion  du  sujet  : 

Le -porter  li  respont  ;  «  Ore  aie  joie  déhee...  p.  12. 

On  pourrait  trouver  quelques  autres  exemples  dans  les  manu- 
scrits écrits  à  la  fin  de  ce  siècle,  comme  poai  que  le  ms.  Royal  13 
A  axi  donne  au  vers  1878  de  l'Estorie  des  Engleis  (lire  poï).  Sans 
vouloir  rechercher  tous  les  exemples  de  cette  irrégularité  qui  n'ont 
pas  pu  manquer  de  se  glisser  sous  la  plume  des  scribes,  nous  nous 
contenterons  des  quelques  cas  que  nous  venons  de  signaler  :  ils  ne 
sont  pas  nombreux,  mais  ils  nous  montrent  que  la  tendance  à  sup- 
primer l't'  muet  final  remonte  à  environ  1160  et  que  cette  tendance 
se  manifeste  également  pour  tous  les  temps  qui  ont  cet  e. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  47 

b.    XIII"    ET    XIV^    SIÈCLES 

I.  Impartit  et  conditionnel. 

Nous  ne  pouvons  pas  espérer  retrouver  au  xiii^  siècle  la  régula- 
rité du  siècle  précédent;  après  1200,  nous  ne  rencontrons  plus  que 
de  rares  auteurs  ne  connaissant  que  les  formes  étymologiques.  Il  y 
en  a  cependant,  et  nous  pouvons  citer  Robert  de  Gretham  qui 
n'emploie  jamais  les  formes  abrégées,  il  nous  donne  par  exemple 
gisi'ie,  32  v°  (3  syll.)  ;  piirrcic  43  r°  (3  syll.)  ;  et  l'auteur  d'Edward 
le  Confesseur,  diroie,  58  (3  syll.)  ;  savroie,  2223  ;  ameroie{^  syll.),  vers 
4654.  D'une  façon  générale  les  auteurs  contemporains  de  Robert 
de  Gretham  et  immédiatement  postérieurs  nous  montrent  un 
mélange  constant  des  deux  formes,  mélange  dans  lequel  les  formes 
abrégées  vont  prédominer  de  plus  en  plus.  Dans  les  trois  poèmes 
de  Chardri,  nous  pouvons  observer  une  progression  significative  : 
de  l'un  cl  l'autre,  on  peut  clairement  voir  le  nombre  de  formes 
correctes  diminuer  constamment.  Dans  le  Josaphat  d'abord,  nous 
avons  deux  exemples  assurés  de  la  forme  régulière,  aux  vers  11 17 
et  1893  • 

Ke  ne  saveie  ki  il  fut  ; 

Nun  frez,  car  nel  vudreie  mie. 

On  pourrait  trouver  d'autres  exemples  ;  mais  ils  sont  tous  discu- 
tables. La  voyelle  finale  disparaît  dans  un  seul  cas,  au  vers  2562  : 

Nel  freie  pas  en  nule  nianere. 

Dans  les  Set  Dormans,  les  formes  étymologiques  assurées  sont 
proportionnellement  moins  nombreuses  ;  nous  en  relevons  deux, 
aux  vers  715,   1073  : 

Ne  vus  esparnireie  pas  ; 
E  si  purreie  manger  pain. 

Les  formes  abrégées  deviennent  aussi  nombreuses  que  les  autres; 
elles  apparaissent  aux  vers  11 27  et  11 27  : 

Kar  jo  purreie  ja  tant  errer, 
Ke  ne  savreie  pas  repeirer. 


^8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Enfin  dans  le  Petit  Plet,  la  proportion  se  trouve  renversée  ;  nous 
ne  trouvons  dans  ce  poème^  où  les  premières  personnes  qui  nous 
occupent  sont  particulièrement  nombreuses,  —  ce  qui  rend  nos 
conclusions  d'autant  plus  sûres  — ,  que  3  cas  où  la  voyelle  muette 
étvmologique  muette  est  conservée  :  I-14,  215,  879.  Elle  disparaît 
au  contraire  dans  12  cas,  aux  vers  :  151,  269,  272,  451,  471,  473, 
478,  462,  1247,  1598,  1605,  1623. 

Ces  exemples  sont  trop  nombreux  pour  que  nous  citions  ces 
douze  vers;  qu'il  nous  suffise  de  dire  que  la  disparition  de  IV  muet 
final  ne  saurait  ici  être  causée  par  l'inversion  du  pronom  sujet,  cette 
inversion  n'ayant  lieu  qu'une  seule  fois,  pour  le  vers  1623. 

L'étude  des  trois  poèmes  de  Chardri  nous  montrerait  donc  que, 
ou  bien  le  poète  est  devenu  de  plus  en  plus  négligent  avec  les  années, 
mais  nous  ne  croyons  pas  qu'on  ait  fait  cette  remarque  pour  la  langue 
de  Chardri  ',  ou,  ce  qui  est  plus  vraisemblable,  que  pendant  la  vie 
même  de  l'auteur,  l'amuissement  a  fait  des  progrès  considérables. 
Cependant  avant  de  tirer  une  conclusion  aussi  rigoureuse,  que  le 
petit  nombre  des  exemples  fournis  par  les  deux  premiers  poèmes  ne 
nous  permet  pas  de  tirer,  nous  devrons  compléter  notre  étude  sur 
la  première  personne  et  comparer  les  résultats  qu'elle  nous  fournira 
avec  ceux  qui  nous  seront  donnés  par  la  deuxième  personne  du  sin- 
gulier et  la  troisième  du  pluriel.  Nous  nous  contenterons  de  retenir 
le  fait,  —  sans  attacher  une  importance  exagérée  aux  chiffres  — , 
que  dans  le  Josaphat,  les  formes  régulières  sont  plus  nombreuses 
que  les  autres,  dans  les  Set  Dormans  elles  sont  en  nombre  à  peu 
près  égal;  dans  le  Petit  Plet  en  nombre  considérablement  inférieur. 

Nous  ne  trouvons  pas  du  reste  dans  les  poèmes  qui  ont  été 
écrits  à  peu  près  à  la  même  date  que  ceux  de  Chardri  une  confir- 
mation de  ce  que  ngus  venons  de  voir,  ce  qui,  en  anglo-français, 

T.  Cependant  nous  ne  pouvons  pas  ici  ne  pas  faire  remarquer  une  coïncidence 
à  dire  le  moins  fort  curieuse.  Miss  Pope  a  montré  qu'il  y  a  dans  la  langue  de  Frère 
Angier  une  évolution  ou,  pour  mieux  dire,  un  progrès  à  l'envers  nettement  mar- 
qué. C'est  ce  que  nous  observons  sur  ce  point  spécial  de  la  disparition  de  la  muette 
posttonique  en  hiatus  dans  son  contemporain  Chardri.  Faut-il  y  voir  un  phéno- 
mène général  ?  Est-ce  une  particularité  des  deux  auteurs?  Il  est  probable  que  c'est 
cette  seconde  hypothèse  qui  est  la  plus  vraisemblable.  Mais  dans  ce  cas  cette  dété- 
rioration progressive  de  sa  langue  ne  pourrait  plus  servir  à  prouver  que  Frère 
Angier  a  appris  le  français  sur  le  continent  et  l'a  oublié  en  Angleterre,  car  on  ne 
peut  trouver  dans  les  poèmes  de  Chardri  la  moindre  trace  d'influence  continentale 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  49 

n'a  rien  de  très  étonnant.  Frère  Angier  emploie  bien  les  deux 
formes  (cf.  Miss  Pope,  p.  23),  mais  il  est  douteux  que  Denis 
Pyrame  ait  employé  à  la  première  personne  du  singulier  la  forme 
abrégée;  le  seul  exemple  qui  pourrait  le  faire  croire  c'est  la  forme 
qu'on  trouve  au  vers  599  : 

E  durrey  vostre  gareysun, 

dans  lequel  dnrrd  pourrait  fort  bien  être  un  futur.  Mais  même  en 
admettant  que  ce  verbe  soit  un  conditionnel  d'où  1'^  muet  aurait 
disparu,  les  formes  qui  l'ont  conservé  sont  beaucoup  plus  nom- 
breuses; citons-en  quelques-unes,  versé,  925,  932,  1260. 

Si  fesei(e)  les  serventeis  ; 
Kar  nel  otreiereie  mie  ; 
Nel  ferei(e)  pur  tut  le  mound  ; 
Car  je  quidoue  veirement. 

Et  si  nous  rappelons  ce  que  nous  avons  dit  tout  li  Theure  à  pro- 
pos des  Évangiles  des  Dompnées  et  de  la  Vie  d'Edward  le  Confes- 
seur, nous  verrons  que  certainement  deux,  probablement  trois  con- 
temporains de  Chardri  n'emploient  jamais  la  forme  sans  Ye  muet 
étymologique.  Cela  ne  doit  pas  suffire  cependant  pour  nous  faire 
rejeter  le  témoignage  de  Chardri,  au  contraire;  il  est  probable  en 
effet  que  celui-ci  représente  l'asage  ordinaire,  tandis  que  les  autres 
écrivent  une  langue  plus  littéraire,  pnr  conséquent  plus  conserva- 
trice et  plus -archaïque. 

Il  est  certain  que  les  scribes  et  les  écrivains  de  la  seconde  moitié 
du  xiii'^  siècle  négligent  le  plus  souvent  Ve  final  dans  ces  formes. 
Par  exemple  le  scribe  de  la  Folie  Tristan  l'omet  souvent,  et  en 
l'omettant  détruit  le  vers  (cf.  par  exemple  vers  349,  398,  643,  823), 
de  même  on  trouve  un  grand  nombre  de  cas  analogues  dans  le 
manuscrit  D  de  l'Estorie  des  Engleis  et  de  la  Chronique  de  Fan- 
tosme.  Il  en  va  de  même  pour  tous  les  mss.  écrits  à  cette  époque. 
Quant  aux  auteurs,  nous  pouvons  voir  qu'ils  emploient  indifterem- 
ment  les  deux  formes;  cependant,  autant  que  leur  versification 
incorrecte  nous  permet  d'en  juger,  la  voyelle  muette  compte  très 
rarement  dans  le  vers.  Le  poème  de  Boeve  de  Haumtone  ne  nous 
donne  aucun  exemple  pour  lequel  nous  puissions  affirmer  avec 
quelque  certitude  que  la  forme  correcte  est  gardée.  Dans  les  Heures 

4 


50  L  KVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

de  la  Vierge,  nous  pouvons  rencontrer  un  petit  nombre  d'exemples 
qui  présentent  la  forme,  étymologique,  comme  es foye  au  folio  68  r°. 
Il  V  a  cependant  plusieurs  ouvrages,  parmi  ceux  qui  présentent 
quelques  exemples  de  premières  personnes  du  singulier  de  l'impar- 
fliit  de  l'indicatif  ou  du  conditionnel,  qui  amuïssent  constamment 
IV  atone  de  cette  première.  Parmi  ceux-ci  on  peut  citer  un  poème 
relativement  correct,  la  Genèse  de  Notre-Dame.  Dans  ce  poème, 
nous  avons  rencontre  un  certain  nombre  de  terminaisons  abrégées 
(d.  8,  58  r°,  voJdrey  ;  63  v\  avcy  ;  65  v°,  conusey  (:  fey)  ;  disei. 
(:  mei)  76  v°  ;  William  de  Waddington  qui  nous  donne  un 
nombre  considérable  de  formes  abrégées  (par  exemple  au  vers  7879 
descinmt  avec  dei,  et  avec  parlai  au  vers  9903  ;  pesai  avec  dépeçai  au 
vers  9484;  poei  avec  lei  au  vers  8779;  et  cà  l'intérieur  du  vers,  les 
exemples  sont  nombreux  et  probants,  cf.  2674,  9913,  9949)  ne 
nous  donne  aucun  cas  assuré  montrant  la  persistance  de  la  muette. 
Nous  pouvons  donc  conclure  que  vers  la  fin  du  xiii^  siècle,  la 
muette  ait  à  peu  près  absolument  disparu  des  premières  personnes 
du  singulier  de  ces  deux  temps. 

Cependant  au  siècle  suivant  les  exemples  nous  montrant  qu'elle  a 
persisté  sont  relativement  nombreux  et  probants.  On  la  trouve  dans 
les  écrivains  en  prose,  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  :  Jesoyc 
§  143  ;  dans  les  poèmes  à  versification  incorrecte  comme  Pierre  de 
Langtoft  et  la  Vie  de  Sainte  Marguerite,  au  vers  86.  Pour  ces  deux 
classes  d'ouvrages,  nous  ne  savons  pas  si  ïe  muet  conservé  ou  réta- 
bli est  graphique  ou  se  prononce.  Mais  si  nous  trouvons  un  poème 
dont  par  extraordinaire  la  versification  est  relativement  correcte, 
nous  remarquons  que  1'^"  compte  très  fréquemment  dans  la  mesure 
du  vers  :  c'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans  le  Siège  de  Carlaverok 
donroie  au  vers  28  ;  la  Vie  de  Saint  Richard,  de  Nicole  Bozon,  nous 
donne  au  vers  548  :  esfeie  : 

Dunt  jeo  esteie  tant  grevé. 

dans  le  poème  du  Prince  Noir  ineiitiroye  (:  joie)  3773  ;  oseroie  (4  syl- 
labes) 10 1. 

Il  est  donc  évident  que  Vc  muet  après  avoir  à  peu  près  entièrement 
disparu  à  la  fin  du  xiii'^  siècle  se  montre  de  nouveau  au  xiv^  dans 
un  assez  grand  nombre  de  cas.  Cependant  il  ne  fout  pas  se  dissimu- 
ler que    les  exemples  d'où  IV  étymologique  sont  absents  à  cette 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  51 

époque  restent  beaucoup  plus  nombreux  que  ceux  où  il  se  trouve; 
nous  ne  citerons  pas  ici  d'exemple  d'un  phénomène  trop  évident. 
Tous  les  écrivains,  même  les  plus  corrects,  nous  montrent  des  formes 
irrégulières  plus  ou  moins  nombreuses,  mais  le  plus  souvent  plus 
fréquentes  que  les  autres.  Même  le  poème  du  Siège  de  Carlaverok 
ou  celui  du  Prince  Noir  ont  un  nombre  considérable  de  ces  formes  '. 
Cette  première  personne  arrive  à  rimer  librement  avec  la  première 
personne  des  prétérits  de  I,  cf.  plus  haut  les  exemples  de  William 
de  Waddington  ;  et  avec  le  futur,  comme  aloi  (:  dirroi)  au  vers  35 
de  De  Conjuge  non  ducenda. 

2.  Présent  du  subjonctif. 

Les  présents  du  subjonctif  qui  à  la  première  personne  du  singu- 
lier présentent  une  diphtongue  suivie  d'un  e  muet  ne  sont  ni  aussi 
nombreux  ni  aussi  employés  que  les  deux  temps  que  nous  venons 
d'étudier;  nos  conclusions  ne  sauraient  donc  être  sur  ce  point  aussi 
sûres  que  précédemment.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  Robert  de 
Gretham  et  l'auteur  d'Edward  le  Confesseur  n'emploient  pour  l'im- 
parfait et  le  conditionnel  que  les  formes  régulières;  il  en  va  de 
même  pour  le  subjonctif:  le  premier  nous  donne  aie,  veie  au  fol.  26 
r°,  le  second  scie  au  vers  94;  il  faut  encore  ajouter  à  ces  deux 
auteurs  Denys  Pyramus;  nous  n'avons  relevé  chez  celui-ci  qu'un 
seul  de  ces  subjonctifs  et  il  est  régulier,  vers  3954  : 

Que  jeo  aim  tant  cum  seie  vifs. 

Pour  ce  qui  est  de  Chardri,  nous  n'avons  pas  dans  ses  différents 
poèmes  un  nombre  suffisant  d'exemples  pour  pouvoir  suivre  très 
exactement  le  développement  de  l'amuissement;  dans  Josaphat  la 
forme  étymologique  se  retrouve  dans  trois  cas,  une  fois  à  la  rime  : 
seie  (:  veie,  via)  au  vers  354,  et  deux  fois  dans  le  corps  du  vers,  vers 
1781  et  2157  : 

Jeo  grant  ke  jeo  seie  tué  ; 
Ke  mort  seie  devant  vus  mis. 

I .  Pour  le  dernier  de  ces  poèmes,  Miss  Pope  (p.  xi)  a  remarqué  que  l'amuisse- 
ment n'avait  lieu  que  lorsqu'il  y  a  inversion  du  sujet;  ceci  est  du  reste  absolument 
spécial  au  Héraut  de  Sir  John  Chandos.  A  la  liste  des  cas  d'amuissement  donné 
par  Miss  Pope,  on  peut  ajouter  le  vers  4261. 


52  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

tandis  qu'on  ne  trouve  qu'une  seule  forme  abrégée,  au  vers  1914: 
Si  vulez  que  scie  baptisée. 

Dans  les  Set  Dormans,  nous  avons  une  forme  étymologique  et 
aucune  forme  incorrecte,  au  vers  1124  : 

Vout  ke  j'aie  le  sen  perdu. 

Dans  le  Petit  Plèt  au  contraire,  il  n'y  a  encore  qu'un  seul  de  ces 
subjonctifs,  au  vers  771,  et  il  a  perdu  son  e  final  : 

E  quident  ke  jeo  seie  d'asez. 

Après  Chardri  et  même  pendant  la  dernière  partie  du  xiii*  siècle, 
les  subjonctifs  se  rencontrent  encore  asstz  souvent  avec  Ve  muet; 
mais  il  n'est  pas  toujours  possible  de  savoir  si  cet  e  compte  dans  la 
mesure  du  vers. 

Le  poème  de  Saint-Auban  nous  en  donne  au  moins  un  exemple 
aussi  sûr  que  possible,  au  vers  485  : 

Proiez  pur  moi  ke  ne  soie  flecchiz. 

On  relève  encore  dans  les  Heures  de  la  Vierge  joie  (2  syllabes), 
soie  au  vers  86  de  la  Vie  de  Sainte  Marguerite;  aie  au  vers  3004  du 
Poème  du  Prince  Noir  : 

Que  je  nen  ai  (e)  le  meliour. 

Cet  e  est  assez  souvent  écrit  dans  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft,  mais  aucun  de  ces  exemples  n'est  assuré  par  la  mesure  du 
vers.  La  Vie  de  Saint  Paul  l'Ermite  de  Nicole  Bozon  nous  donne 
(vers  144,  147,  148)  j-f/V,  eye,  veye. 

Les  formes  étymologiques  restent  donc  suffisamment  nombreuses 
jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle;  mais  elles  sont  toujours,  croyons-nous, 
en  nombre  inférieur  à  celui  des  formes  irrégulières.  Celles-ci  se 
trouvent  très  nombreuses  pendant  la  seconde  moitié  du  xiii'^  siècle; 
Boeve  de  Haumtone  en  contient  un  certain  nombre;  mais  il  semble 
que  toutes  doivent  être  mises  au  compte  des  scribes;  ainsi  on  lit 
sei  au  vers  1044,  et  cette  forme  est  donnée  par  les  deux  manuscrits. 
Il  est  remarquable  que  le  manuscrit  D  qui  est  de  la  seconde  moitié 
du  xiii^  siècle  nous  donne  un  plus  grand  nombre  de  formes  abré- 
gées (cf.   vers  958,   1063,  125^,  etc.)  que  le   ms.  B  qui  a  été  écrit 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  53 

au  xiv%  de  même  dans  le  Manuel  des  Péchés,  la  forme  sans  e.  est 
la  règle,  et  on  en  peut  dire  autant  de  la  Plainte  d'Amour,  cf.  vers 
587: 

Que  (jeo)  sei  done  de  bon  cotel,  (2  mss.); 

Au  siècle  suivant  les  exemples  de  la  forme  nouvelle  ne  sont  cer- 
tainement pas  aussi  nombreux;  Pierre  de  Langtoft  semble  en  avoir 
quelques  exemples.  On  trouve  encore  sd  au  vers  86  de  Traillebaston  ; 
au  fol.  26  r°  de  Nicol  Trivet,  etc. 

Le  traitement  que  la  première  personne  du  singulier  des  sub- 
jonctifs terminés  par  une  diphtongue  et  un  e  muet  a  reçu  en  anglo- 
français  est  donc  sensiblement  le  même  que  celui  que  nous  avons 
pu  décrire  pour  l'imparfait  de  l'indicatif  et  le  conditionnel,  quoique 
la  disparition  de  la  muette  y  soit  moins  marquée.  On  peut  résumer 
en  quelques  mots  les  différentes  phases  de  la  disparition  de  cette 
voyelle  muette. 

1°  Les  premiers  exemples  qui  nous  montrent  la  chute  de  la 
voyelle  muette  en  hiatus  datent  de  la  seconde  moitié  du  xii''  siècle 
(à  partir  de  iiéo);  ils  sont  d'abord  peu  nombreux  et  limités  à  un 
petit  nombre  d'écrivains  et  de  scribes. 

2°  Au  xiii^  siècle,  et  dès  les  premières  années  de  ce  siècle, 
l'amuissement  de  cet  g  semble  faire  de  grands  progrès;  les  poèmes 
de  Chardri  nous  montrent  la  rapidité  avec  laquelle  les  formes 
abrégées  gagnent  du  terrain.  Mais  même  cà  cette  époque,  on  ren- 
contre certains  auteurs  qui  ne  connaissent  que  les  formes  étymolo- 
giques. 

Pendant  la  seconde  moitié  de  ce  siècle,  celles-ci  disparaissent 
entièrement  chez  plusieurs  auteurs,  et  deviennent  sporadiques  chez 
les  autres. 

3°  Au  siècle  suivant,  les  formes  incorrectes  restent  la  majorité; 
cependant,  il  est  évident  que  dans  un  très  grand  nombre  de  cas  et 
chez  plusieurs  auteurs,  \e  étymologique  a  été  maintenu  ou  rétabli. 

Nous  n'ajouterons  qu'un  mot  sur  ces  premières  personnes  dans 
les  textes  non  littéraires.  Il  est  presque  inutile  de  faire  remarquer 
que  nous  ne  pouvons  parler  ici  que  de  graphies  et  ensuite  que  de 
par  leur  nature  ces  textes  n'ont  employé  que  fort  rarement  les 
premières  personnes  du  singulier;  les  Statutcs  par  exemple  ne  nous 
fournissent   pas   un    seul  exemple.  Nous    devons   reconnaître    que 


54  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

nous  n'avons  pas  pu  remarquer  dans  ces  textes  une  recrudescence 
des  formes  régulières  pendant  le  xiv^  siècle.  Celles-ci  sont  assez 
rares  après  1300;  avant  cette  date,  nous  pouvons  trouver  des  écri- 
vains soigneux,  comme  Jean  de  Peckham,  qui  n'omettent  jamais 
Vc  final  :  on  lit  dans  ses  lettres  :  eie  (1280,  94);  soie  (1284,  554)- 
Ceci  ne  se  rencontre  ja:mais  au  siècle  suivant,  les  formes  régulières 
y  sont  sporadiques;  citons  cstoie  dans  lès  Histor.  and  Municip. 
Documents  of  Ireland  (13 13,  279);  purroye  dans  les  Traités  de 
Rymer  (1367,  VI,  558)  et  quelques  autres.  Ce  dernier  recueil  ne 
nous  donne  guère  pour  le  siècle  dont  nous  parlons  que  des  formes 
sans  muette;  il  en  est  de  même  des  Litterae  Cantuarienses.  Il  est 
inutile  de  citer  des  exemples  qui,  même  dans  ce  dernier  recueil, 
restent  relativement  peu  nombreux. 

Nous  pouvons  dire  exactement  la  même  chose  des  Year-Books; 
ceux-ci  contiennent  un  nombre  infime  de  formes  régulières,  par 
exemple  soie  3  Edward  II  83,  donné  par  le  ms.  Y  (13 12);  mais  de 
telles  formes  sont  rares. 

Il  est  donc  aussi  clair  que  possible  que  la  forme  régulière  dans 
les  textes  diplomatiques,  familiers,  légaux  a  duré  jusqu'à  la  fin  du 
xiii^  siècle  et  est  devenue  rare  au  xiv'';  cependant  cette  conclusion 
perd  de  sa  valeur  de  ce  fait  que  les  meilleurs  textes  non  littéraires 
ne  nous  ont  fourni  aucun  exemple.  , 

2.  La  diphtongue. 

Nous  ne  pouvons  pas  ici  nous  occuper  de  la  diphtongue  tonique 
qui  diffère  selon  les  temps.  L'imparfait  de  l'indicatif,  le  conditionnel, 
le  subjonctif  d'être,  de  devoir,  de  voir  ont  la  diphtongue  ei  ; 
celui  d'avoir  a  régulièrement  ai;  celui  de  jouir  0/,  etc. 

Nous  nous  contenterons  simplement  de  faire  remarquer  mainte- 
nant que  ei  passe  à  ai  (disai  :  parlai,  William  de  Waddington  9905) 
et  a  oi  au  xiV^  siècle  (iiiejiiiroie  :  joie,  Prince  Noir  3773);  et  que  ai 
passe  à.  ei  (eie,  Jean  de  Peckham  1280,  94);  même  oi  (pye,  Poème 
Allégorique  157). 

B.  Chute  de  la  dernière  syllabe  muette. 

Un  phénomène  tout  différent  et  d'une  importance  beaucoup 
moindre  est  celui  qui  nous  montre  la  chute  d'un  é  muet  précédé 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  55 

d'une  consonne.  C'est  la  première  personne  du  singulier  de  l'impar- 
fait du  subjonctif  qui  nous  fournit  des  exemples  de  cette  chute  de 
la  voyelle  muette  et  cette  chute  est  évidemment  accompagnée  de  la 
disparition  d'une  des  s  de  la  terminaison,  quelquefois  des  deux. 
Nous  pouvons  le  remarquer  dans  un  certain  nombre  de  cas  que 
nous  fournit  le  poème  de  Boeve  de  Haumtone,  par  exemple  avantas 
que  nous  trouvons  au  vers  1713;  une  forme  analogue  se  lit  au  vers 
1575.  Enfin  et  toujours  dans  ce  même  poème  nous  rencontrons  au 
vers  1014  osa  a  qui  a  perdu  Vc  muet  et  les  deux  s. 

Ces  formes  sont  surtout  communes  dans  les  textes  légaux  où 
elles  se  rencontrent  constamment;  nous  ne  nous  arrêterons  pas  à 
citer  un  grand  nombre  d'exemples  :  citons  seulement  pledas  dans  le 
Year  Book  31,  Edw.  V"' ,  p.  ^^j;  demandas  dans  i  et  2  Edw.  II, 
p.  138  (B  et  P donnent -jTj-c).  Ce  phénomène  n'a  d'importance  qu'en 
tant  qu'il  montre  que  la  muette  finale  tendait  à  tomber  dans 
quelque  position  qu'elle  se  trouvât. 

C.  Premières  personnes  du  singulier  terminées  par  ai. 

Deux  temps  présentent  à  la  première  personne  du  singulier  la 
diphtongue  ai  :  tous  les  futurs  et  les  prétérits  de  la  première  conju- 
gaison. Ajoutons-y  deux  présents  de  l'indicatif  ai  et  sai  et,  après  la 
chute  de  la  voyelle  muette  (voir  ci-dessus),  un  présent  du  sub- 
jonctif a/V.  Du  reste,  si  nous  parlons  maintenant  de  ce  présent  du 
subjonctif,  nous  pourrions  à  la  rigueur  mentionner  aussi  tous  les 
imparfaits  de  l'indicatif,  les  conditionnels  et  d'une  façon  générale 
tous  les  temps  qui  nous  ont  occupés  dans  notre  avant-dernière 
section.  En  eff^et,  tous  ces  temps,  à  une  certaine  époque,  perdent  leur 
voyelle  muette  et,  d'un  autre  côté,  nous  savons  que  la  diphtongue 
ai  a  passé  de  très  bonne  heure  à  ei.  Et  en  efi'et,  il  se  trouve  que  les 
modifications  de  la  diphtongue  ei  coïncident  souvent  avec  celles 
que  nous  allons  observer  dans  la  diphtongue  ai,  et  nous  nous  per- 
mettrons d'attirer  l'attention  sur  ces  points  où  une  coïncidence  nous 
a  frappés.  Mais  nous  nous  bornerons  surtout  à  montrer  les  modi- 
fications qui  ont  été  subies  à  tous  les  temps  où  elle  se  trouve  par 
la  seule  diphtongue  ai.  S'il  se  rencontre  des  formes  de  cette 
diphtongue  qui  sont  spéciales  à  certains  temps,  nous  les  omettrons 
ici  pour  n'en  parler  que  quand  il  sera  question  de  ces  temps. 


56  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Nous  ne  ferons  qu'indiquer  la  substitution  de  la  voyelle  y  à  /; 
cette  graphie,  comme  on  le  sait,  est  très  générale  en  anglo-français 
dès  le  commencement  du  xiv^  siècle  (voir  l'Apocalypse)  sinon 
plus  tôt  (cf.  le  Manuel  des  Péchés  et  les  autres  poèmes  de  la  fin  du 
xiii'^ siècle);  on  peut  lire  à  ce  sujet  les  règles  données  par  VOrthogra- 
phia  Gallica,  p.  28  :  XVII  (T  17)  :  «  Quandoque  /  stat  immédiate 
ante  vel  post  m,  n  vel  //,  potest  mutari  in  y  ut  legibilior  sit  vel 
stare  in  sua  natura.  (H  92)  Item  quandocumque  hec  vocalis  i  inter 
m  et  n  vel  u  ponitur,  potest  mutari  in  y  ut  litera  sit  legibilior 
legenti.    » 

Le  changement  de  1'/  en  y  n'a  donc  été  tout  d'abord  qu'un  souci 
très  louable  de  faciliter  la  lecture,  dans  les  manuscrits,  des  groupes 
de  lettres  où  la  présence  d'un  /  pouvait  en  augmenter  les  difficultés. 
Mais,  comme  tant  d'autres  règles  données  par  l'Orthographia  Gallica, 
celle-ci  n'a  jamais  été  strictement  observée  et  au  xiv^  siècle  les  deux 
voyelles  /  et  y  ont  été  librement  prises  l'une  pour  l'autre.  Nous  ne 
reviendrons  plus  sur  ce  point  qui  n'est  pas  de  notre  compétence. 

Il  sera  plus  utile  de  nous  arrêter  sur  les  trois  développements 
principaux  que  nous  pouvons  observer  pour  la  diphtongue  ai  : 

1.  Ai  passe  à  ci  puis  à  oi. 

2.  Ai  passe  à  a. 

3.  Ai  passe  à  e. 

I .  Ai  passe  à  ei,  oi  ' . 

Le  premier  de  ces  développements  est  fort  connu,  car  il  provient 
de   la  confusion    des  diphtongues  ai  et  ci  (cf.    dans    l'ouvrage    de 

I.  Dans  le  verbe,  le  passage  de  -ai  à  -ei  ne  s'observe  pas  seulement  à  la  pre- 
mière personne  du  singulier;  on  en  trouve  un  autre  exemple  pour  un  impératif, 
seconde  personne  du  singulier  ;  mais  ce  changement  est  beaucoup  plus  rare.  On  le 
trouve  à  l'impératif  du  verbe  faire  :  fei  ne  se  rencontre  que  dans  certains  manu- 
scrits et  il  reste  beaucoup  moins  commun  que  la  forme  étymologique /a/.  Un  des 
exemples  que  nous  avons  relevés  avec  la  diphtongue  ei  se  lit  dans  deux  manuscrits 
du  Saint  Laurent  pour  le  vers  593,  dans  le  ms.  P  (manuscrit  qui  donne  aussi  le 
Saint  Alexis  et  date  du  commencement  du  xive  siècle;  du  reste  les  trois  impératifs 
de  faire  que  ce  ms.  donne  pour  le  Saint  Alexis  sont  réguliers  :  35  a;  44  c;  67  e); 
et  le  ms.  B  du  vers  del  Juise  (seconde  moitié  du  xiiie  siècle).  On  ne  retrouve 
cette  forme  que  dans  les  mss.  de  la  fin  du  xiv^  siècle  et  encore  très  rarement. 
Pour  cette  question,  on  peut  voir  BokemûUer,  op.  cit.,  p.  21. 

La  question  que  nous  venons  de  traiter   n'appartient  que   d'assez  loin  à  notre 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  57 

M.  Suchier,  les  Voyelles  Toniques  et  dans  le  Boeve  de  Haumtone 
de  M.  Stimmingce  qui  est  dit  dans  le  diphtongue  aiy  Quand  nous 
avons  parlé  de  la  diphtongue  de  l'imparfait  de  l'indicatif  et  du 
conditionnel,  nous  avons  cité  des  exemples  du  phénomène  contraire. 
Mais  l'anglo-français  a  toujours  montré  un  certain  goût  pour  la 
diphtongue  ei  de  sorte  que  le  passage  de  ai  à  ei  est  beaucoup  plus 
commun  que  le  phénomène  inverse. 

Remarquons  toutefois  que  nous  trouvons  à  toutes  les  époques  et 
dans  toutes  les  catégories  de  textes  des  exemples  de  la  diphtongue 
ai.  Quant  à  la  graphie  en  ci,  nous  nous  contenterons  de  citer 
quelques  dates.  C'est  le  futur  qui  nous  donne  les  premiers  exemples 
de  cette  graphie  et  nous  remarquerons  qu'elle  sera  toujours  plus 
commune  à  ce  temps.  C'est  au  début  du  xiii^  siècle,  principalement 
dans  les  œuvres  de  Frère  Angier,  que  nous  en  trouvons  les  exemples 
dont  l'ancienneté  nous  semble  assurée  :  citons  rcncontrei  au  vers 
2722  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire.  Nous  pouvons  trouver  chez  les 
contemporains  de  Frère  Angier  d'autres  exemples  de  formes  ana- 
logues :  au  vers  2857  d'Edward  le  Confesseur  (^garrei),  au  vers  257 
d'Aspremont;  au  vers  599  du  Saint  Edmund;  au  fol.  68  r°  des 
Heures  de  la  Vierge;  mais  aucun  de  ces  exemples  n'a  l'autorité  de 
ceux  que  nous  fournit  Angier  en  raison  du  laps  de  temps  qui 
s'écoule  entre  la  composition  de  ces  poèmes  et  la  date  des  divers 
manuscrits  qui  nous  les  ont  conservés.  Néanmoins  nous  sommes 
assurés  que  nos  premiers  exemples  datent  du  commencement  du 
xiii^  siècle. 

Au  xiv^  siècle  cette  graphie  est  très  commune  au  futur,  surtout 
dans  certains  ouvrages  parmi   lesquels  on   peut   citer   l'Apocalypse 

sujet  :  le  passage  de  la  diphtongue  ai  à  ei  est  avant  tout  sinon  uniquement  une 
question  de  phonétique.  Mais,  ce  que  nous  voulons  montrer  c'est  que  les  lois 
phoniques  ne  s'appliquent  pas  absolument  et  sans  distinction  à  toutes  les  parties 
du  verbe.  La  loi  telle  qu'elle  est  donnée  pourrait  laisser  croire  que,  après  une 
certaine  époque,  toutes  les  diphtongues  ai  passent  à  ei;  et  nous  venons  de  voir 
qu'il  n'en  est  rien  :  certaines  formes  prennent  très  vite  et  assez  généralement  la 
graphie  ei  à  la  première  personne  du  singulier,  par  exemple  le  futur;  d'autres  ne 
semblent  pas  avoir  adopté  sinon  aussitôt,  au  moins  aussi  complètement  la  graphie 
part?/,  les  prétérits  en  Avi  par  exemple;  enfin,  il  est  certain  que  la  seconde  per- 
sonne ^de  l'impératif  de  faire  ne  prend  cette  dernière  diphtongue  que  fort  rare- 
ment et  conserve  la  graphie  étymologique,  en  lui  donnant  probablement  la  valeur 
générale  que  la" diphtongue  ai  a  prise. 


58  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

(a,  142  ;  3.  219  ;  7,  140),  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (§  137),  les 
Chroniques  de  Nicole  Trivet  (folio  29   r°). 

En  dehors  de  la  littérature,  le  nombre  des  formes  en  ei  n'est  pas 
moins  considérable,  parmi  celles  qui  nous  semblent  assurées,  nous 
pouvons  citer  porrey  dans  les  Statutes  (1285,  I,  24),  la  date  de  ce 
statut  est  donnée  comme  douteuse,  serrei  (1306,  I,  249),  Ces 
exemples  nous  montrent  que  la  diphtongue  «  s'est  trouvée  employée 
au  futur,  en  dehors  de  la  littérature,  au  plus  tard  au  commence- 
ment du  xiv^  siècle  et  il  est  probable  que  si  nos  textes  non-litté- 
raires remontaient  plus  haut  dans  le  xiii^  siècle,  nous  aurions  trouvé 
des  exemples  encore  plus  anciens,  rejoignant  ceux  que  nous  fournit 
Frère  Angier. 

Quant  aux  prétérits  en  avi,  nous  n'avons  pas  trouvé  dans  la  lit- 
térature d'exemple  assuré  de  terminaison  en  ei  avant  le  xiV'  siècle. 
Il  y  a  pour  cela  une  excellente  raison.  On  sait  que  l'anglo-français 
a  perdu  assez  tôt  (milieu  du  xiii^  siècle)  le  sens  de  la  distinction  de 
l'imparfait  et  du  prétérit  :  le  mélange  de  ces  deux  temps  dans  cer- 
tains auteurs  est  caractéristique. 

Par  conséquent,  vers  le  milieu  du  xiii'^  siècle,  les  trois  phéno- 
mènes suivants  se  sont  produits  ou  sont  en  train  de  se  pro- 
duire : 

1°  confusion  de  ai  et  de  ei  ;  2°  chute  de  la  muette  posttonique 
aux  premières  personnes  du  singulier,  terminées  par  ei  Ce)  ;  3°  con- 
fusion entre  l'imparfait  et  le  prétérit. 

Il  en  résulte  que,  étant  donné  une  forme  parlei  dans  un  texte  de 
cette  époque,  nous  ne  pouvons  jamais  savoir  d'une  façon  certaine  si 
nous  avons  à  faire  à  un  impartait  ou  à  un  prétérit,  autrement  dit  à 
parlai  ou  à  parleie. 

La  même  difficulté  insurmontable  se  présente  en  dehors  des 
textes  littéraires;  nous  avons  relevé  beaucoup  d'exemples  de  ces 
formes  douteuses,  mais  il  pourra  sembler  bien  inutile  de  les  énu- 
mérer.  Cependant  quelques-unes  nous  ont  semblé  plus  assurées  que 
les  autres,  ce  qui  peut  n'être  qu'une  illusion.  Jean  de  Peckham,  à 
bien  des  points  de  vue,  est  suffisamment  correct  et  \echaiingey  qu'on 
lit  (p.  128)  dans  une  lettre  de  1280  nous  semble  un  prétérit.  Ce 
qu'il  y  a  d'assuré  c'est  que  de  tous  les  exemples  que  nous  avons 
relevés,  il  nous  est  le  plus  souvent  impossible  d'affirmer  que  telle 
forme,  tel  verbe,  dans  tel  texte  est  certainement  un  nrétérit  ou  un 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER  59 

imparfait.  Mais  nous  pouvons  sans  trop  nous  aventurer^  admettre 
que  la  confusion  de  sens  a  justement  été  rendue  possible  par  le  pas- 
sage de  ai  à  ci  au  prétérit  et  que  dans  le  nombre  considérable 
d'exemples  douteux,  il  est  sûr  que  les  prétérits  sont  en  nombre 
plus  ou  moins  important. 

Or  cette  confusion  commence  probablement  vers  le  milieu  du 
xiii^  siècle. 

2 .  Ai  passe  à  oi  ' . 

Pour  ce  nouveau  changement  de  la  diphtongue  (que  ce  change- 
ment soit  direct  ou  que  oi  provienne  de  ai  en  passant  par  ei,  ceci 
est  un  phénomène  phonique  qui  ne  nous  regarde  pas)  nous  nous 
appuierons  surtout,  pour  la  raison  que  nous  venons  de  donner,  sur 
les  futurs. 

Les  premiers  exemples  assurés  de  la  terminaison  oi  à  ce  temps  se 
trouvent  tout  à  fait  au  début  du  xiii^  siècle  dans  les  poèmes  de 
Frère  Angier.  Il  est  beaucoup  moins  utile  pour  cet  auteur,  comme 
on  le  sait,  de  citer  les  rimes,  puisque  le  manuscrit  qui  nous  a  con- 
servé la  Vie  et  les  Dialogues  Grégoire  le  Grand  est  très  probable- 
ment de  la  main  de  l'auteur  et  ne  peut  être  en  tout  cas  que  de 
quelques  années  postérieures  à  la  composition  de  ces  poèmes  ;  de 
sorte  que  les  exemples  d'Angier  qui  suivent  ont  tous  la  même 
autorité. 

On  trouve  au  présent  de  l'indicatif  0/  (habeo)  (99  d  9,  148  b  2) 
et  au  présent  du  subjonctif  o/f  (habeam)  (112  b  33);  au  futur  de 
l'indicatif  beivroi  (69  c  8);  diroi  (102  a  29);  porroi  (88  b  15)  ;  au 
prétérit /?r(WO«^/W  (:  toi)  (48  b  18);  /wi'oi  (:  moi)  (103  à.2-Ç);aiueuoi 
(99  b  35)  ;  entroi. 

Mais  on  peut  observer  que  la  diphtongue  oi  est  très  rarement 
assurée  au  xiii'^  siècle  et  aucun  autre  auteur  de  la  même  époque 
que  Frère  Angier  ne  nous  a  offert  un  aussi  grand  nombre  de  formes 
en  oi,  surtout  aucune  qui  soit  aussi  assurée,  et  nous  aimerions  attri- 
buer aux  scribes  la  plupart  des  exemples  que  nous  avons  relevés. 
On  ne  trouve  en  effet  que  seroi  :  enblancheroi  au  folio  67  r"  des 
Heures  de  la  Vierge,  enblancheroy  au   vers    3    des  Pronostics  de  la 


I.  Pour  le  passage  de  «/ à  0/,  cf.  Ulricli,Zoitsclirift,  III  (i),  587. 


6o  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Mort,  dirroi  au  vers  5  de  l'Ordre  de  Bel  Eyse.  Une  rime  assez  peu 
probante  se  rencontre  dans  Amadas  et  Ydoine  sousferrai  (futur) 
(:  octroi)  Andresen  86. 

Ce  n'est  du  reste  qu'au  xiv^  siècle  que  nous  trouvons  cette  ter- 
minaison fréquemment  et  dans  les  rimes  probantes,  comme  dans  le 
De  Conjuge  non  ducenda  où  le  futur  dirroi  rime  avec  l'imparfait 
aloi  (au  vers  35).  Cette  forme  dirroi  se  trouve  du  reste  avec  une 
certaine  régularité  au  xiV^  siècle  ;  on  la  rencontre  assez  fréquem- 
ment dans  différents  auteurs.  Citons  par  exemple  dirroi  dans  Pierre 
de  Langtoft  (I,  34,  11);  au  vers  9  du  poème  que  nous  venons  de 
citer,  De  Conjuge;  à  la  p.  18  de  Foulques  Fitz  Warin  et  dans  un 
certain  nombre  d'autres  ouvrages  encore. 

Du  reste  il  est  évident  que  cette  terminaison  n'est  pas  strictement 
limitée  au  futur  du  verbe  dire,  d'autres  verbes  la  prennent  aussi, 
mais  moins  constamment,  comme  tend  roi  (au  vers  17),  froi  (au 
vers  3 1),  ^orro/  (au  vers  32)  dans  Trnillebaston.  Nous  trouvons 
aussi  soi  pour  sai  dans  les  Rymer's  Foedera  (1368,  VI,  586)  ;  mais 
c'est  la  seule  forme  de  ce  genre  que  nous  ayons  trouvée  pour  le 
verbe  savoir. 

Dans  la  langue  légale,  nous  en  retrouvons  quelques  exemples,  par 
exemple  dirroi  dans  20  et  21  Edw.  l"  (p.  17),  mais  ils  sont  à  tout 
prendre  peu  nombreux,  isolés  et  ne  se  trouvent  jamais  dans  les 
recueils  les  plus  corrects. 

Quant  aux  prétérits  en  avi,  nous  supposons  qu'il  a  dû  y  avoir  à 
la  première  personne  du  singulier  des  formes  en  oi,  mais  nous  n'en 
avons  relevé  aucun  exemple  assuré. 

Remarquons  d'ailleurs  que,  à  notre  avis  du  moins,  nous  n'avons 
ici,  comme  dans  la  section  précédente,  le  plus  souvent  qu'une  gra- 
phie ;  il  nous  semble  fort  douteux  que  le  futur  et  les  prétérits  de  I 
ait  jamais  eu  en  réalité  une  première  personne  en  oi.  De  bonne 
heure,  la  diphtongue  ai  s'est  confondue  avec  ei  ;  à  une  certaine  date, 
cette  dernière  a  été  écrite  oi,  peut-être  sans  changer  de  son  (voir 
notre  seconde  partie,  chapitre  III).  Les  scribes  qui  écrivaient  par 
oi  les  imparfaits  et  les  conditionnels  ont  cru  légitime  d'étendre 
cette  graphie  aux  futurs  et  aux  prétérits  en  avi.  Mais  cela  ne  signi- 
fie pas  et  les  exemples  que  nous  avons  cités  ne  prouvent  pas  que 
les  premières  personnes  de  ces  deux  temps  aient  pour  terminaison 
la  diphtongue  oi  prononcée  soit  o-i  soit  o-a. 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    SINGULIER  6î 

3.    Ai  passe  à  a. 

Le  passage  de  ai  à  a  est  un  phénomène  phonique  assez  général 
en  anglo-français  '  ;  nous  pouvons  peut-être  dire  qu'il  est  surtout 
remarquable  dans  les  désinences  du  verbe,  quoiqu'il  n'y  soit  pas 
extrêmement  commun.  Deux  remarques  s'imposent  à  nous  tout 
d'abord  :  nous  ne  rencontrons  de  ce  phénomène,  dans  les  désinences 
du  verbe,  aucun  exemple  qui  soit  assuré  par  la  rime,  ce  qui  est  fort 
significatif  déjà;  et  ensuite,  ce  qui  Test  davantage,  ces  formes 
semblent  propres  à  certains  manuscrits  seulement. 

Nous  en  rencontrons  les  premiers  exemples  sous  la  plume  de 
certains  scribes  du  xiii^  siècle  et  même  du  xii^.  Le  manuscrit 
d'Oxtord  du  Roland  nous  en  offre  deux  cas  :  muvera  au  vers  311,  et 
miirra  au  vers  1867.  Le  manuscrit  R  de  l'Estorie  des  Engleis  (qui 
date  du  com.  du  xiii^  siècle),  aux  vers  609  et  1260,  le  manuscrit 
L.  de  Jordan  Fantosme  (3^  tiers  du  xiii^  siècle),  au  vers  1345,  et  le 
manuscrit  O  de  Horn  (com.  du  xiv^  siècle),  au  vers  4641  écrivent 
sa  poursai.  Des  formes  analogues  se  rencontrent  encore  à  plusieurs 
reprises  dans  les  différents  manuscrits  du  dernier  poème  que  nous 
avons  cité,  en  voici  quelques  exemples  :  O  a  atnerra  au  vers  891  ; 
H,  avéra  au  vers  3764,  ira  au  vers  3813  (le  manuscrit  H  date 
de  la  fin  du  xiii^  siècle). 

Le  manuscrit  B  (xiv«  siècle)  de  Boeve  en  présente  lui  aussi  un 
petit  nombre  (on  peut  citer /m  au  vers  801),  tandis  que  ces 
formes  sont  relativement  communes  au  futur  et  même  au  prétérit 
dans  D,  qui  est  postérieur  à  1250,  Ainsi  le  scribe  de  ce  dernier 
manuscrit  écrit:  lua  (==  tuai)  vers  1307,  doua  (=  donai)  1060, 
enragera  2235,  serra  2698.  Nicole  Bozon  emploie  cette  désinence  à 
la  prernière  personne  du  singulier  quelquefois  ;  dans  ses  Contes  on 
lit  au  §  44 //'û!  et  Nicolas  Trivet  emploie  serra  62  v°. 

Ajoutons  encore  que  dans  les  œuvres  littéraires  nous  trouvons 
cette  réduction  même  au  conditionnel  ;  la  diphtongue  aie,  qui, 
comme  nous  venons  de  le  voir,  perd  souvent  Ve  muet  final,  passe 
quelquefois  à  a.  Dermod  emploie  viiiira  2753,  irra  3392  pour 
viulraie,  irraie.  Il  est  possible  que  le  même  changement  se  soit  effec- 

I.  Stimming  (p.  195)  nous  donne  quelques  exemples  de  ce  passage  de  ai  à  a 
dans  la  tonique  et  la  protonique;  en  voici  quelques-uns  du  xii^  siècle  qu'il  n'a  pas 
cités  et  qui  ne  manquent  pas  d'intérêt  :  saiie  dans  le  Psautier  de  Cambridge,  40,  4 
(à  côté  de  saine  6,  2);  tarrai,  ibid.  41,  4;  dans  le  Tristan  de  Thomas  chative 
1 5 10  ;  companie  2835  ■,fasance  1954. 


62  l'évolution        ver  be  en  anglo-français 

tué  à  l'imparfait  de  l'indicatif  mais  nous  ne  pouvons,  pour  les 
mêmes  raisons  que  précédemment,  en  être  certains. 

Les  cas  analogues  où  la  terminaison  ai  passe  à  la  voyelle  a  sont 
plus  fréquents  dans  l'anglo-français  non  littéraire.  C'est  le  futur  qui 
nous  fournit  le  plus  grand  nombre  d'exemples,  surtout,  semble-t-il, 
parce  que  ce  temps,  embrassant  sous  une  seule  forme  tous  les 
verbes,  se  trouve  plus  souvent  employé  dans  les  textes  que  nous 
avons  à  étudier;  si  la  première  personne  du  singulier  du  prétérit  de 
la  première  conjugaison  se  rencontrait  aussi  fréquemment,  il  est 
Certain  que  nous  aurions  un  nombre  aussi  considérable  d'exemples 
fournis  par  cette  personne.  Les  Rymer's  Foedera  particulièrement 
nous  donnent  un  grand  nombre  de  premières  personnes  du  futur 
terminées  para  ;  on  les  trouve  à  diiférentes  dates  :  pour  ne  citer  que 
les  plus  importantes  nous  trouvons  (1368,  vol.  VI,  ^S6)aconiplira, 
ferra,  deuioiirra;  dans  un  traité  de  1372  (voL  VI,  709)  on  trouve 
une  dizaine  de  ces  formes  contre  deux  ou  trois  formes  régulières. 
De  même  dans  les  Documents  inédits  on  lit  :  serra  (1382,  231). 

Les  seuls  exemples  du  prétérit  de  I  se  trouvent  dans  le  dernier 
recueil  que  nous  venons  de  nommer  ;  on  y  rencontre  envola  (1382, 
231),  affia  (1^82,  236). 

Ces  quelques  exemples  que  nous  avons  énumérés  suffisent  tout 
au  moins  à  montrer  qu'à  partir  du  second  tiers  du  xiv=  siècle  les 
premières  personnes  avec  terminaison  en  ai  se  rencontrent  fréquem- 
ment avec  la  terminaison  a. 

Une  fois  au  moins  le  verbe  avoir  présente  la  même  modification 
à  la  première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif;  on  lit 
en  effet  a  (1365,  VI,  472)  pour  af  dans  une  formule  de  tabellion 
public  ;  il  est  possible  que  ce  ne  soit  qu'une  erreur  cléricale  car  les 
autres  formules  portent  ai. 

Il  est  à  remarquer  que  les  Statutes  présentent  un  certain  nombre 
d'exemples  de  premières  personnes  terminées  par  la  dipthongue  ai 
ou  ci  et  qu'on  ne  peut  observer  dans  aucune  d'elles  la  réduction  de 
la  diphtongue  k  a.  On  trouve  ainsi  porrey  (1286  ',  1,  211),  serrei, 
porterray,  conustray  (1306,  I,  249)  ;  de  même  pour  avoir,  ay 
(1286  ',  I,  211).  Il  est  vrai  que  tous  les  exemples  que  nous  avons  ne 
vont  pas  plus  loin  que  le  commencement  du  xiv^  siècle.  Ceux  que 

I.   Date  douteuse. 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    SINGULIER  63 

nous  avons  pu  relever  dans  les  Parliamentary  Writs  cependant  des- 
cendent un  peu  plus  bas  dans  ce  siècle  ;  on  trouve  en  effet  à  la  date 
de  1322  (p.  202),  eidrei,  meintendrei ,  socurrei,  defendrei  ;  mais  tous 
ces  futurs  sont  écrits  avec  la  diphtongue  ci. 

Au  contraire  dans  les  Year  Books  ces  désinences  en  -a  sont 
extrêmement  communes  :  avéra  20  et  21  Edw.  I"  191,  purra  33, 
35  Edward  I"  399  etc ;  dans  iG  Edw.  III  c'est  la  seule  dési- 
nence de  la  première  personne  du  futur.  Les  exemples  sont  moins 
nombreux  au  prétérit  ;  on  relève  cependant  esposa,  20  et  21  Edw.  P"" 
121,  et  haiUa,  3  Edw.  II  185  (Y). 

De  même  pour  avoir,  agc  (^=  ai-je)  se  lit  dans  21  Edw.  I" 
173,  195,  ce  n'est  peut-être  qu'une  faute  de  lecture,  ij  peut  avoir  été 
pris  par  l'éditeur  pour  un  g. 

Il  n'est  pas  facile  de  conclure  sur  des  données  aussi  incertaines, 
il  semble  toutefois  que  l'on  puisse  admettre  que  : 

\°  a  pour  ai  remonte  à  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle  où  ce 
changement  est  rare  ; 

2°  qu'il  a  été  un  peu  plus  fréquent  au  xiii"^  siècle  et  encore  plus 
au  xiv^  siècle  ; 

3°  qu'il  est  surtout  le  fait  de  quelques  scribes  assez  ignorants; 

4°  que  la  grande  majorité  des  auteurs,  même  des  écrivains  non 
littéraires,  ignorent  cette  forme  ; 

5°  et  que  cet  a  ne  rime  jamais  avec  1'^?  ordinaire. 

4.  Ai  passe  à  e\ 

Quant  à  la  voyelle  e  pour  ai,  elle  est  extrêmement  rare  ;  au  futur 
nous  n'avons  rencontré  ç\nt  avère  à  la  page  loi  de  Foulques  Fitz 
Warin,  tt  frei  (=  ferai)  donné  par  le  manuscrit  D.  de  Boeve  de 
Haumtone  pour  le  vers  926.  Citons  encore  la  forme  très  dou- 
teuse remeindre  au  vers  2036  du  Josaphat  de  Chardri  (L  et  O). 

Au  prétérit  cette  désinence  se  trouve  encore,  mais  dans  un  seul 
auteur,  Jean  de  Peckham,  qui  écrit  dans  ses  Lettres  célèbres  (1280, 
94),  esciimiuiei  (1280,  149),  snjfrei  (1280,  99). 

Il  sera  peut-être  utile  de  résumer  maintenant  en  quelques  mots 
ce  que  nous  avons  vu  dans  les  pages  précédentes. 

I.  La  terminaison  en  -ai  (y)  reste  à  toutes  les  époques  la  dési 
nence  la  plus  commune. 

I.  Cf.  Grôhers,  Grundriss,  I,  3,  552, 


6^  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

2.  Seule  avec  celle-ci,  la  terminaison  en  -ei  se  trouve  employée 
avec  quelque  régularité;  et  elle  se  rencontre  assez  fréquemment 
comme  terminaison  de  la  première  personne  du  singulier  du  futur. 
On  en  relève  des  exemples  à  partir  du  commencement  du  xiii'^  siècle 
et  elle  est  relativement  commune  au  xiv^ 

3.  La  diphtongue  oi  se  rencontre  certainement  dans  un  auteur  du 
commencement  du  XIII'' siècle,  Frère  Angier;  mais  ce  n'est  qu'au 
XIV*  que  nous  trouvons  quelques  autres  exemples  de  cette  forme.  A 
l'exception  des  cas  que  nous  fournit  l'auteur  que  nous  venons  de 
nommer,  nous  n'avons  aucune  preuve  que  la  diphtongue  oi  ait  été 
autre  chose  qu'une  graphie. 

4.  La  désinence  en  a  elle-même  n'est  peut-être  qu'une  graphie, 
car  nous  ne  l'avons  jamais  rencontrée  à  la  rime  ;  elle  semble  spé- 
ciale à  certains  scribes  qui  ne  sont  pas  nombreux. 

5.  Enfin  la  désinence  en  e  est  encore  beaucoup  moins  emplo3'ée 
et  ne  se  trouve  pas  dans  plus  d'une  demi-douzaine   d'exemples. 

LE    RADICAL    DE    LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    SINGULIER 

La  première  personne  du  singulier  ne  présente  pas  une  unité 
assez  réelle  pour  que  nous  ayons  à  signaler  des  modifications  géné- 
rales dans  le  radical  ;  nous  pourrions  à  la  rigueur  en  trouver 
quelques-unes  ,  mais  ce  serait  surtout  des  modifications  purement 
phoniques,  qui  ne  nous  regardent  pas. 

Nous  croyons  cependant  pouvoir  attirer  l'attention  ici  sur  deux 
phénomènes,  d'importance  difi:'érente  :  le  premier  a  la  nature  d'un 
détail;  c'est  l'allongement  du  thème  de  certains  verbes  de  I  à  la  pre- 
mière personne  du  singulier  :  les  verbes  à  thème  vocalique.  Comme 
type  de  cet  allongement,  nous  pouvons  citer  la  forme  ho  de  loer, 
qui  se  rencontre  très  fréquemment  au  xiv*  siècle  (cf.  plus  haut). 
La  voyelle  double  a  dû  développer  rapidement  un  son  consonan- 
tique  que  les  auteurs  ont  représenté  par  un  lu  :  /otf  est  commun 
en  dehors  de  la  littérature,  spécialement  dans  les  Year  Books 
(cf.  supra).  La  diphtongue  oi  est  rare,  quoiqu'elle  provienne  de 
cette  môme  tendance  à  allonger  le  radical  ;  à  moins  qu'on  ne 
veuille  voir  dans  1'/  le  développement  d'un  son  accessoire  destiné  à 
adoucir  l'hiatus.  Loie  se  rencontre  dans  les  Rymer's  Foedera, 
iy)6,\,  856. 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    SINGULIER  65 

La  seconde  question  est  plus  importante  ;  elle  se  rapporte  aux 
différentes  formes  que  prennent  à  la  première  personne  du  singu- 
lier les  verbes  donner,  trouver,  rover,  prover.  Le  premier  montre 
indifféremment  tout  d'abord  l'une  des  deux  diphtongues  ni  ou  oi; 
duins  et  do'uis  sont  tous  les  deux  fort  communs  ;  mais  cette  diph- 
tongue se  trouve  employée  même  pour  les  formes  qui  ont  perdu  1'^ 
et  pris  Ve  analogique.  Doine  se  rencontre  assez  fréquemment  au 
xiv^  siècle  ;  c'est  évidemment  une  contamination  entre  doifis  et 
donne. 

La  question  principale  qui  est  soulevée  par  les  autres  verbes  se 
rapporte  à  la  consonne  du  radical.  Ces  trois  verbes  montrent  très 
fréquemment  le  v  de  l'infinitif  sous  forme  de  /.  L'introduction  de 
cette  consonne  dans  le  thème  remonte  assez  haut,  puisqu'on  trouve 
trofs  dans  le  ms.  Arundel  XIV  de  Gaimar  (commencement  du 
xiV-'  siècle).  De  même  on  trouve  nifs  au  vers  lo  d'Otinel;  mais 
ces  formes  ne  sont  vraiment  communes  que  dans  les  textes  de  la 
langue  légale  ;  nous  avons  cité  plus  haut  des  exemples  de  la  pre- 
mière personne  du  présent  de  l'indicatif  du  verbe  prover  ;  on  a 
vu  que  dans  les  Year  Books  cette  personne  a  toujours  une/. 

La  présence  de  cette  consonne  dans  ces  différentes  formes  s'ex- 
plique par  le  désir  de  ramener  cette  personne  à  une  forme  moins 
différente  de  la  forme  normale  du  verbe  à  toutes  les  autres  parties 
de  la  coniusaison. 


CHAPITRE  II 
LA  DEUXIÈME   PERSONNE  DU  SINGULIER 


LA  CONSONNE  DE  LA  TERMINAISON 

k.—SetZ. 

On  sait  que,  étymologiquement,  la  deuxième  personne  du  sin- 
gulier est  terminée  par  s,  sauf  lorsque  la  consonne  finale  du  radi- 
cal est  une  dentale  \ 

Nous  ne  trouvons  à  aucun  moment  en  anglo-français  un  état  de 
choses  absolument  correct.  Il  serait  plus  agréable  que  réellement 
rigoureux  de  distinguer  dans  l'histoire  de  l'anglo-français,  à  propos 
de  cette  deuxième  personne  du  singulier,  comme  sur  beaucoup 
d'autres  points,  des  phases  et  une  évolution  bien  marquées.  Il  est 
impossible  de  le  faire.  Cependant,  pour  mettre  un  certain  ordre 
dans  une  question  qui  n'en  comporte  guère,  il  nous  sera  néces- 
saire d'introduire  un  certain  nombre  de  divisions.  On  peut  à  la 
rigueur  admettre  dans  l'histoire  de  la  seconde  personne  du  singu- 
lier deux  moments  :  le  premier  voit  le  z^  prendre  une  extension  de 
plus  en  plus  considérable  mais  régulière  :  le  second  est  marqué  par 
la  confusion  absolue  entre  5  et  ~  et  par  la  tendance  à  considérer 
cette  dernière  consonne  comme  la  caractéristique  de  cette  per- 
sonne. 

Il  ne  faut  pas  se  dissimuler  ce  que  cette  formule  précédente, 
comme  toutes  les  autres,  quand  il  s'agit  d'anglo-français,  a,  d'un 
côté  de  trop  absolu,  de  l'autre  d'inexact.  Elle  est  trop  absolue,  car  à 
toute  époque  de  la  littérature  et  dans  tous  les  auteurs,  on  relève  un 
nombre  considérable  de  formes  régulières;  inexacte,  car  il  arrive 

I.  Stimming,  dans  son  édition  de  Boeve  de  Haumtone,  donne  (pp.  229-230) 
sur  les  consonnes  5  et  :^  une  étude  dont  les  conclusions  ne  différent  pas  matérielle- 
ment des  nôtres  (cf.  en  particulier  le  dernier  §  de  la  page  230). 


LA    DEUXIÈME    PERSONNE    DU    SINGULIER  67 

que  dans  ce  que  nous  considérons  comme  le  premier  moment  on 
observe  une  confusion  aussi  grande  que  celle  qui,  d'après  nous,  carac- 
térise le  second. 

Le  premier  moment  pourra  sembler  très  court  :  il  s'étend  depuis 
le  début  du  xii^  siècle  jusque  vers  1170. 

C'est  durant  cette  période  que  le  :<;  commence  à  se  généraliser  et 
que  son  extension  est  soumise,  semble-t-il,  à  des  lois  phoniques. 
Comme  M.  Meyer-Lûbke  l'a  montré,  la  combinaison  de  Vs  et 
d'une  labiale  donne  à  cette  époque  :{,  sinon  toujours,  au  moins 
très  fréquemment.  Aussi  on  trouve  un  ^  de  cette  sorte  dans  la  plu- 
part des  premiers  écrivains  anglo-français.  Toutefois  ce  n'est  que 
dans  Gaimar  que  cette  consonne  est  attestée  par  la  rime  comme 
combinaison  de  labiale  et  de  5  ;  on  lit  en  effet  dans  l'Estorie  des 
Engleis  se^  à  la  rime  avec  mostrez  au  vers  2747  ;  à  la  même  époque 
ou  antérieurement  nous  pouvons  relever  d'autres  exemples  qui 
n'ont  pas  la  même  valeur  parce  qu'ils  ne  sont  pas  placés  à  la  rime  : 
dei::^  se  lit  au  vers  3416  du  Cumpoz  et  dans  le  Bestiaire  aux  vers  939, 
2681.  Plus  tard  encore,  mais  toujours  dans  des  auteurs  du 
XIF  siècle,  on  retrouve  cette  même  forme  dans  la  Vie  de  Sainte 
Catherine  au  vers  297,  dans  le  Drame  d'Adam  au  vers  124,  au 
vers  165  d'Elie  de  Winchester.  Peut-être  en  a-t-on  aussi  un  exemple 
dans  deis  :  veis  dans  Everart  de  Kirkham  (80  a  b),  à  moins  que  ce 
ne  soit  un  exemple  de  l'irrégularité  contraire.  Se^  que  nous  avons 
déjà  vu  dans  l'Estorie  des  Engleis,  est  très  commun,  soit  dans  les 
œuvres  en  prose  ou  dans  le  corps  du  vers  ;  citons  les  formes  qu'on 
relève  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (68,  7);  dans  Sœur  Clémence 
de  Barking  (au  vers  266);  dans  le  Drame  d'Adam  (aux  vers  153, 
293,  et  125  où  il  écrit  5<7q),  au  vers  256  d'Elie  de  Winchester. 
Les  autres  verbes  à  labiale  ne  sont  pas  très  fréquemment  employés 
à  la  seconde  personne  du  singulier  ;  citons  toutefois  un  exemple 
qui  de  toutes  façons  est  très  ancien,  wo;{  employé  au  vers  1322  du 
Voyage  de  Saint  Brandan. 

Mais  tous  les  exemples  précédents,  à  l'exception  du  premier,  ne 
sont  pas  attestés  par  une  rime;  s'ils  appartiennent  aux  scribes,  ils 
sont  sensiblement  postérieurs  à  l'Estorie  des  Engleis  (Ms.  du  Bran- 
dan, 1167). 

Il  faut  du  reste  remarquer  que,  même  pour  ces  verbes,  les  termi- 
naisons étymologiques  ne  sont  pas  rares  :  citons  entre  autres  dans 
Gaimar,  deis  au  vers  3694;  ses  dans  le  Drame  d'Adam  899. 


68  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

A  peu  près  à  la  même  époque  que  les  verbes  à  labiale,  les  verbes 
à  vélaire  montrent  à  leur  tour  un  ;(,  par  exemple  dans  les  Psautiers 
qui  donnent  /i7/~ (Oxford  103,  s)  dix,  (Cambridge  89,  3)  ;  mais  l'em- 
ploi du  -  représentant  vélaire  -|-  i-  ne  semble  pas  encore  très  géné- 
ral ;  le  premier  exemple  qui  soit  assuré  par  la  rime  se  trouve 
dans  la  vie  de  Sainte  Catherine,  de  Sœur  Clémence  de  Barking  au 
vers  258:  (iespi:^  (  :  fiz). 

De  tous  les  verbes  à  vélaire,  c'est  faire  qui  montre  le  plus  sou- 
vent ce  ~  à  la  seconde  personne  du  singulier  :  fai\  se  trouve  déjà 
dans  le  Psautier  d'Oxford  (103,  5)  ;  dans  Adgar  (XIII,  20)  et  au 
vers  2955  de  Horn  où  la  forme  7^:^  montre  peut-être  une  réaction 
de  /;rt^  ;  citons  encore  fûi\  qui  se  lit  dans  le  Sermon  de  Guischart  de 
Beaulieu  (au  vers  -]86).  Tous  ces  exemples  ont  ceci  de  commun  qu'ils 
se  rencontrent  dans  le  corps  du  vers  seulement  ;  de  toutes  façons, 
les  plus  anciens  apparaissent  vers  1 170  au  plus  tard. 

Le  verbe  dire  ne  présente  que  très  peu  d'exemples  de  cette 
seconde  personne  avec  ^  ;  nous  trouvons  toutefois  la  forme  di^  dans 
le  Psautier  de  Cambridge  (89,  3). 

Les  formes  régulières  se  rencontrent  à  cette  époque  plus  fréquem- 
ment que  les  autres  '.  Fais  est  plus  souvent  employé  que  fai~  dans 
le  Psautier  d'Arundel  (même  référence).  Dans  les  autres  ouvrages 
elle  est  fréquente,  quoique,  elle  non  plus,  n'apparaisse  jamais  à  la 
rime. 

Tels  sont  les  cas  de  :^  pour  s  que  nous  avons  rencontrés  à  cette 
époque,  et  l'on  peut  trouver  très  remarquable,  pour  l'anglo-français, 
la  manière  très  régulière  dont  le  ^  gagne  progressivement  de  nou- 
velles classes  de  verbes. 

Cependant  le  psautier  de  Cambridge  fait  exception  à  cette  régu- 
larité; on  lit  en  effet  dans  cette  traduction  trois  exemples  de  ;;^  ne 
rentrant  dans  aucune  des  catégories  précédentes  et  assez  difficile- 
ment explicables:  le  présent  de  l'indicatif  dor:^  (43,  25),  ou  le  :{ 
peut  provenir  de  la  chute  de  la  labiale,  et  deux  subjontifs  :  dcstiirni 

I.  Il  est  vrai  que  Koschwitz  prétend  que  dans  ce  cas  5  provient  de:{.  Voici  ce  qu'il 
avance  (Zeitschrift  fur  rom.  Phil.,  II,  Compte  rendu  du  travail  de  Meister)  :  «  In 
faii  steht  nicht  ;{  fur  5  ;  sondern  umgekehrt  in  den  beiden  Formen,  fais  hat  jùn- 
geresidas  ursprûnliche  :^  verdrângt,  gerade  so  in  iw  fur  wî;ç  ».  La  forme  primi- 
tive aurait  donc  eu  :^,  mais  les  plus  anciens  textes  ont /a/5  (cf.  Roland,  vers  2582). 
Voir  Etienne,  p.  306. 


LA    DEUXIÈME    PERSONNE    DU    SINGULIER  69 

(131,  10)  etdeclitii  (140,  4),  à  côté  de  déclines,  26,  10.  On  ne  peut 
s'empêcher  de  remarquer  que  ces  deux  derniers  exemples  sont  les 
seuls  qui  ne  présentent  pas  la  voyelle  analogique  e.  On  est  donc  natu- 
rellement tenté  de  lier  les  deux  faits  et  d'expliquer  la  présence  du  :^ 
par  l'absence  de  la  muette  (cf.  les  subjonctifs  en  EM,  et  Seconde 
partie). 

Mais  en  même  temps  qu'il  gagne  de  nouveaux  verbes,  le  :(  perd 
du  terrain  sur  d'autres  points  ;  un  certain  nombre  de  verbes  à  den- 
tale se  présentent  à  la  deuxième  personne  du  singulier  du  présent 
de  l'indicatif  avec -f  ;  plusieurs  des  exemples  qui  suivent,  peut-être 
tous,  pourraient  être  considérés  comme  de  simples  fautes  d'ortho- 
graphe. Mais  même  si  on  l'admet,  ils  montreront  que  dès  le  com- 
mencement du  xii^  siècle  de  telles  fautes  étaient  possibles  et  fré- 
quentes. Citons  quelques-unes  de  ces  formes.  Dans  le  ms.  A  de 
l'Alexis  (88  d.)  on  trouve  déjà  veis,  forme  qu'on  retrouve  dans  le 
Psautier  d'Oxford  (34,  25),  dans  le  Psautier  d'Arundel  (34,  24  et 
passiiii),  dans  Adgar  (XXVIII,  115);  voir  aussi  l'exemple  d'Eve- 
rart  de  Kirkham  que  nous  venons  de  citer  (veis  (  :  deis)  80  a  b).  De 
même,  creis  se  trouve  au  vers  2754  de  l'Estorie  des  Engleis  et  est 
donné  par  les  quatre  mss.,  ce  qui  est  une  présomption  que  cette 
forme  appartient  à  l'original,,  puis  aux  vers  847  et  882  de  la  Vie  de 
Sainte  Catherine,  enfin  dansAdgar,  XXX,  183. 

Enfin  prens  se  lit  dans  le  Psautier  d'Oxford,  19,  17  ;  et  en  ce  qui 
concerne  ce  dernier  exemple,  est-il  nécessaire  de  recourir  à  l'expli- 
cation de  Koschwitz  qui  tient  que  le  d  qui  appartient  étymologi- 
quement  au  radical  a  été  considéré  comme  une  dentale  paragogique 
et  a  priori  ne  faut-il  pas  admettre  seulement,  pour  expliquer  cette 
forme,  une  théorie  qui  puisse  en  même  temps  rendre  compte  de 
veis  et  de  creis  ? 

Il  nous  semble  que  l'explication  la  plus  satisfaisante  en  même 
temps  que  la  plus  simple,  est  celle  qui  voit  dans  ces  changements 
le  commencement  de  la  confusion  des  deux  phonèmes,  cette  con- 
fusion qui  doit  devenir  complète  dans  le  cours  du  xiii*^  siècle, 
époque  à  laquelle  5  et  :^  seront  absolument  interchangeables.  Ce  qui 
pourrait  encore  nous  confirmer  dans  cette  opinion,  c'est  qu'aucun 
des  exemples  n'apparaît  à  la  rime;  ils  peuvent  donc,  même  celui 
que  donnent  les  quatre  manuscrits  de  l'Estorie  des  Engleis,  appar- 
tenir aux  scribes.  Il  en  résulterait  que  nos  premiers  exemples  de  ce 


70  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

phénomène  remonteraient  bien  à  la  seconde  moitié  du  xii*^  siècle, 
mais  seraient  rares  à  cette  époque  et  seraient  plutôt  des  irrégularités 
en  quelque  sorte  personnelles  qu'un  usage  tant  soit  peu  général. 

Comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  le  second  moment,  celui 
où  s'affirme  cette  confusion,  semble  commencer  avec  les  Quatre 
Livres  des  Rois  (iryo).  Il  est  inutile  de  dire  qu'à  cette  époque,  et 
même  beaucoup  plus  tard,  les  formes  régulières  soit  en  s  soit  en  :^ 
sont  encore  extrêmement  nombreuses  ;  il  est  facile  d'en  trouver, 
non  seulement  au  xin*"  mais  aussi  au  xiV'  siècle.  Cependant,  il  est 
nécessaire  de  remarquer  ici  qu'entre  les  formes  correctes  qu'on 
trouve  dans  l'Estorie  des  Engleis,  par  exemple,  ou  dans  les  Quatre 
Livres  des  Rois  et  celles  qui  se  lisent  dans  Pierre  de  Langtoft  ou 
Nicole  Bozon,  il  y  a  une  différence  essentielle.  Les  auteurs  des 
deux  premiers  ouvrages  emploient  tantôt  j  et  tantôt  :^  suivant  l'idée 
qu'ils  ont  de  la  correction  grammaticale  ;  ils  connaissent  la  diffé- 
rence entre  les  deux  consonnes  et  n'ignorent  pas  la  règle,  seulement 
ils  l'appliquent  souvent  mal.  Pour  les  deux  derniers,  l'emploi  de 
l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  consonnes  n'est  qu'une  affaire  de 
chance  ;  ils  ont  peut-être  quelque  règle  (cf.  Orthographia  Gal- 
lica,  CO,  §  II,  p.  6  ;  H§  73,  p.  7) quoique  cela  soit  très  douteux; 
mais  ces  règles  n'ont  rien  de  commun  avec  la  grammaire  fran- 
çaise. Surtout  ils  ne  font  pas  la  moindre  différence  entre  les  deux 
phonèmes. 

Il  n'est  pas  facile  toutefois  de  préciser  à  quel  moment  ces  formes 
d'apparence  correcte  deviennent  simplement  une  question  de 
hasard. 

Pour  étudier  cette  question,  nous  énumérerons  d'abord,  aussi 
rapidement  que  possible,  les  cas  qui  nous  montrent: 

1.  L'emploi  de  s  pour  ~; 

2.  L'emploi  de  :^  pour  s;  mais  plus  spécialement  : 

a)  :(  s'ajoutant  à  un  thème  consonantiquesans  altérer  la  consonne 
précédente  ; 

b)  i  se  joignant  une  voyelle  ; 

c)  :(  se  joignant  à  une  dentale  (/~  ou  d~). 

I.  s  pour  ^. 

L'emploi  de  s  pour  ~,  dans  tous  les  verbes  à  dentale  devient  assez 
commun  apprès  1170;  aller,    croire,  mentir,  oïr,  pouvoir,  prendre, 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  71 

seoir,  voir  apparaissent  fréquemment  à  la  deuxième  personne  du 
singulier  du  présent  de  l'indicatif  avec  la  forme  en  s.  Nous  don- 
nons quelques  références  pour  creis,  mens,  os,  prens,  sies,  veis  '. 
Quoiqu'elles  soient  très  incomplètes  elles  pourront  sembler 
déjà  assez  nombreuses,  et  nous  aurions  pu  aisément  en  citer 
un  plus  grand  nombre.  Toutefois,  si  l'on  considère  que  la  plupart 
de  ces  personnes  ne  sont  pas  employées  d'une  manière  très  fré- 
quente, même  que  nous  n'avons  qu'un  nombre  très  restreint  de 
secondes  personnes  du  singulier,  les  exemples  que  nous  venons 
d'énumérer  prennent  une  valeur  plus  considérable  et  montrent 
avec  une  clarté  suffisante  que  la  consonne  s  prend  fréquemment  la 
place  de  ;(  ;  quoique  nous  ne  puissions  pas  ici  préciser  les  dates  de 
ces  différents  changements,  nous  voyons  qu'ils  sont  déjà  nombreux 
dans  les  premières  années  du  xiii'=  siècle  et  s'étendent,  comme  il 
est  naturel,  jusqu'à  la  fin  du  XIV^ 

2.   :(  pour  s. 

Ce  que  nous  avons  observé  tout  à  l'heure  en  étudiant  le  xii^  siècle, 
se  retrouve  encore  dans  les  œuvres  des  siècles  suivants;  les  verbes  à 
labiale  et  les  verbes  à  vélaire  prennent  de  plus  en  plus  communé- 
ment ;{  à  la  deuxième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indi- 
catif. Et  il  nous  semble  que,  pendant  un  certain  temps  au  moins, 
c'est  consciemment  que  les  auteurs  ont  continué  à  substituer  dans 
ces  deux  cas  :^  à  s.  Devoir,  par  exemple  pourrait  nous  fournir  un 
nombre  considérable  d'exemples,  citons  ceux  quenousavons  relevés 
pendant  la  première  partie  du  xiii'^  siècle  :  ^f/^  se  lit  dans  les  Quatre 
Livres  des  Rois  (I,  17,  43)  ;  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au 
vers  1331);  Miss  Pope  en  cite  un  exemple  dans  les  Dialogues 
(36  r°).  Citons  encore  Robert  de  Gretham  qui  l'emploie  au  fol.  89 
v°,  le  vers  297  du  poème  de  Saint  Auban,  etc. 

I.  Creis,  Saint  Laurent,  357  ;  Aspremont,  206  (écrit  cres)  ;  Robert  de  Gretham, 
73  ro  (écrit  creies)  ;  Sainte  Marguerite,  1 12  (écrit  crois);  Pierre  de  Langtoft,  I,  202, 
7  (écrit  crays)  ;  etc. 

Mens,  William  de  Waddington,  10202  ;  Os,  Saint  Laurent,  221. 

Petis,  Saint  Laurent,  700  ;  Aspremont,  204  :  Prens,  Chardri,  Josaphat, 
1663. 

Syes,  Boeve,  1249;  Genèse  N^  D^,  75  r". 

Veis:  Saint  Laurent,  545  ;  Edward  le  Confesseur,  1065  ;  Robert  de  Gretham, 
76  ro. 


72  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Nous  pourrions  de  la  même  façon  trouver  de  très  nombreux 
exemples  de  h  forme  jt',~,  elle  se  rencontre  dans  la  plupart  des 
auteurs  du  xiii^  siècle'.  Quelques  autres  verbes,  moins  employés 
du  reste,  peuvent  encore  se  rencontrer,  citons  seulement  resccii^ 
(qui  est  malgré  sa  forme  un  présent  de  l'indicatif)  dans  Pierre  de 
Langtoft  II,  208,  5.  En  résumé,  si  les  exemples  de  ^  à  la  deuxième 
personne  de  l'indicatif  sont  sensiblement  plus  nombreux  dans  cette 
période  que  dans  la  période  précédente,  néanmoins  ce  n'est  qu'ex- 
ceptionnellement que  nous  trouvons  de  nouveaux  verbes. 

Il  en  va  tout  autrement  pour  les  verbes  à  vélaire;  nous  retrou- 
vons bien  avec  ^  tous  les  verbes  que  nous  citions  tout  à  l'heure, 
même  les  formes  avec  ;(  deviennent  plus  constantes  r/fl'/-  devient 
la  forme  à  peu  près  unique  ^  et  nous  ne  rencontrons  pour  ce  verbe 
aucun  exemple  assuré  de  la  terminaison  étymologique.  Mais  de 
plus,  de  nouveaux  verbes  sont  atteints,  citons  /;>  qu'on  lit  dans  la 
note  de  la  page  50  des  Quatre  Livres  des  Rois;  cunm\  dans  le  même 
ouvrage  II,  17,  8  ;  attrei^  se  trouve  dans  les  Dialogues  Grégoire  le 
Grand  de  Frère  Angier,  2  v°  a,  etc.  Ces  formes,  par  la  suite,  vont  se 
généraliser  très  rapidement. 

Enfin  le  :^  gagne  encore  plusieurs  verbes  n'appartenant  à  aucune 
des  classes  ci-dessus;  plusieurs  verbes  à  linguale  le  prennent,  sinon 
très  régulièrement,  du  moins  fréquemment;  le  Saint  Auban  nous 
donne  de  cette  façon  vo^  (de  vouloir)  au  vers  185,  veii~,  1297; 
voil:(,  1668  ;  nous  trouvons  d'autres  exemples  du  même  genre  dans 
plusieurs  autres  auteurs,  quoique  en  moins  grand  nombre,  comme 
voel:(^  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  au  vers  403. 

Ces  formes,  sauf  peut-être  les  deux  dernières  que  nous  venons 
de  citer,  ont  une  certaine  régularité  :  le  ■{  semble  y  conserver  sa 
nature,  celle  d'une  consonne  double.  Nous  verrons  dans  les  pages 
qui  suivent  des  exemples  franchement  irréguliers.  Nous  voulons 
toutefois,  avant  de  parler  de  ces  derniers,  faire  remarquer  que, 
même  pour  les  trois  classes  de  verbes  que  nous  avons  énumérées, 
l'usage  n'est  pas  général  au  xiii^  siècle;  il  varie  au  contraire  presque 
d'un  auteur  à  l'autre.  Il  est  évident  par  exemple  que  certains  écri- 
vains, tels  que  Chardri,  préfèrent  employer  s  à   la  deuxième   per- 

1.  Sei  se  lit  dans  le  Saiut-Laurent,  171  (mais  ses  810);  Robert  de  Gretham 
34  ro  (mais  ses  66  r")  ;  Saint  Auban,  218. 

2.  Fin\,  Robert  de  Gretham,  65  vo,  39  vo(faz);  Aspremout,  195. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  73 

sonne  du  présent  de  Tindicatif.  On  peut  trouver  chez  ce  dernier  s 
pour  ~,  mais  nous  n'avons  pas  relevé  d'exemples  de  l'usage  contraire. 
11  a  régulièrement  (fo  (  :  jadis)  Petit  Plet  133,  iv/Lf  Josaphat,  124, 
483,  vniis  Petit  Plet  1642.  D'autres  même,  l'auteur  de  Boeve  de 
Haumtone  par  exemple,  n'emploient  guère  que  les  formes  en  s  ;  le 
seul  exemple  d'un  ;^  à  la  deuxième  personne  du  singulier  que  nous 
puissions  citer  dans  ce  dernier  poème  c'est  ^(V^,  100  ;  et  encore  il 
est  fort  probable  que  nous  avons  ici  un  pluriel  précédé  d'un  pronom 
singulier  (cf.  Stimming^  p.  12e,  Anmerkungen  51).  On  trouve 
d'ailleurs  chez  Boeve  s  dans  la  plupart  des  cas  où  chez  d'autres  ;( 
est  employé:  ses  (3179)  vais  (407),  vois  (2616)  (tous  les  deux  de 
vouloir),  dis  (:  garnis)  (2393),  etc. 

Robert  de  Gretham  qui  écrit  :^  après  les  labiales,  comme  nous 
l'avons  vu,  conserve  s  après  les  linguales  vols  (:  avéols)  18  v°  ;  vous 
26  r°. 

Ce  qui  montre  le  plus  clairement  la  confusion  entre  5  et  :^  ce 
sont  les  cas  où,  dans  le  même  auteur,  le  même  verbe  prend  indif- 
féremment l'une  ou  l'autre  des  deux  terminaisons  ;  les  exemples 
sont  nombreux  au  xiir  siècle  et  quand  l'une  et  l'autre  forme  sont 
assurées  par  la  rime  nous  ne  pouvons  douter  que  l'auteur  ait  perdu 
le  sens  de  la  différence  entre  les  deux  lettres.  Il  est  vrai  que  nous 
avons  déjà  vu  cela  dans  les  auteurs  antérieurs  aux  Quatre  Livres  des 
Rois,  à  une  époque  où  il  est  difficile  de  croire  que  la  distinction 
entre  5  et  ~  ait  déjà  été  abolie;  mais  cela  n'arrivait  que  pour  les 
verbes  ou  les  classes  de  verbes  qui  étaient  en  train  de  changer  de 
terminaison.  Il  est  évident  qu'un  tel  changement,  surtout  dans  une 
langue  aussi  peu  stable  que  l'anglo-français,  ne  pouvait  pas  se  pro- 
duire tout  d'un  coup  et  que  l'on  doit  s'attendre  à  trouver  les  deux 
formes  concurremment. 

Après  les  Quatre  Livres  des  Rois,  au  contraire,  ce  changement 
perpétuel  de  s  en  ::^et  réciproquement  s'observe  à  peu  près  pour  tous 
les  verbes.  C'est  ainsi  que  dans  ce  dernier  ouvrage  :  vai::;^  et  vas  (de 
aller)  vei^  et  vais  (de  voir)  se  trouvent  côte  à  côte,  la  forme  ;^ 
restant  beaucoup  plus  fréquente  que  l'autre  pour  ces  deux  verbes.  Il 
en  va  exactement  de  même,  toujours  dans  les  Quatre  Livres  des 
Rois,  pour  les  verbes  ayant  régulièrement  s  :  ^675  et  dei::^,  dis  et  ^//;^, 
fais  et  fai:(,  vols  et  voli  ;  pour  les  verbes  de  cette  catégorie  la  pro- 
portion des.f  et  des  ~  est  très  variable,  :(  prédomine  pour  faire    et 


74  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

pour  dire,  se  trouve  en  nombre  inférieur  à  celui  des  5  pour  vou- 
loir et  devoir.  Si  nous  passons  à  d'autres  auteurs  nous  trouvons 
ses  et  sc\  (respectivement  au  vers  8io  et  171)  dans  le  Saint  Lau- 
rent, vols  et  voeJ~  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (vers  1514, 
^03). 

Et  nous  pourrions  montrer  dans  chaque  auteur,  ou  à  peu  près, 
cette  hésitation  entre  les  deux  formes. 

Mieux  encore  que  ces  variations  de  la  consonne  finale,  trois  faits, 
qui  à  vrai  dire  n'ont  pas  l'extension  des  faits  que  nous  venons 
d'étudier,  prouvent  l'identité  absolue  de  :^  et  de  s  pour  les  écri- 
vains anglo-français  de  ce  temps.  Jusqu'alors  :^  était  considéré  natu- 
rellement comme  une  consonne  double,  désormais,  il  ne  sera  plus 
qu'une  consonne  simple  qui  pourra  : 

1°  s'ajouter  à  un  thème  consonnantique  sans  altérer  la  consonne 
précédente  ; 

2°  se  joindre  à  une  voyelle  ; 

3°  se  combiner  avec  une  dentale. 
.  1°  C'est  surtout  aux  thèmes  terminés  par  r,  m,  n  ou  /  que  ;( 
s'ajoute  sans  modifier  le  thème.  Nous  avons  déjà  vu  cette  consonne 
devenant  la  désinence  de  la  deuxième  personne  du  singulier  pour 
un  thème  en  ;;/  dans  le  Psautier  de  Cambridge,  43,  25.  Mais  alors 
la  consonne  thématique  disparaissait  devant  le  ;(  :  désormais  ce  :( 
n'aura  plus  et  ne  peut  plus  avoir  d'influence  sur  le  thème.  Les 
exemples  sont  très  nombreux  :  eiiquici\  dans  les  Quatre  Livres 
des  Rois,  I,  28,  16;  qiier:{  (:  clerO  dans  les  Dialogues  Grégoire  le 
Grand  3  r°  a  ;  )mie)\  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  I,  25,  28  ; 
moer:{  dans  la  Vie  Saint  Grégoire  au  vers  2568  ;  iw/'  dans  la  Vie 
de  Saint  Grégoire  au  vers  403,  t'o/7^  dans  le  Saint  Auban  1668  ; 
tieuT;^  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  I,  25,  28;  dans  Horn, 
976  ;  dans  Angier  26  v°  a  et  quelques  autres.  Tous  ces  exemples 
montrent  très  clairement  ce  que  nous  avons  annoncé  tout  à  l'heure, 
à  savoir  que  les  auteurs  dont  ils  sont  tirés  ne  comprenaient  plus 
que  :^  à  la  seconde  personne  du  singulier  était  étymologiquement  la 
somme  totale  de  la  désinence  s  et  de  la  dernière  consonne  du 
thème  ;  autrement  dit,  ils  ne  voyaient  plus  la  différence  essentielle 
entre  1  et  s. 

2°  Ceci  est  encore  mis  en  lumière  par  les  deuxièmes  personnes 
du  singulier  à  désinence  vocalique  e  ou  et,   qui  prennent  ~  après 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  75 

leur  voyelle.  Lorsque  cette  voyelle  est  c,  il  devient  impossible  de 
savoir  si  l'on  a  affaire  à  la  deuxième  personne  du  singulier  ou  à 
celle  du  pluriel,  car  on  sait  que  nos  écrivains  anglo-français  n'hé- 
sitent pas  à  faire  suivre  un  sujet  au  singulier  d'un  verbe  au  pluriel 
(cf.  ///  ave:^,  dans  Horn  3971  H  et  ce  que  nous  avons  dit  plus 
haut  de  poe:^^.  Cette  faute  d'accord  cependant  n'est  pas  très  fré- 
quente et  nous  pouvons  prendre  les  exemples  suivants  comme  des 
deuxièmes  personnes  du  singulier  ;  qiiide~  Horn,  87e  (dans  les 
4  manuscrits)  ;  sace~,  Saint  Gilles  423  ;  aie~  id.  460.  Il  y  a  d'autres 
exemples,  et  ils  sont  nombreux  au  xiv^  siècle  ;  mais  ils  sont  plus 
douteux  et  il  est  inutile  de  les  citer. 

On  doit  reconnaître  toutefois  qu'il  est  rare  de  trouver  :^  à  une 
deuxième  personne  du  futur  ou  d'un  prétérit  en  A  :  nous  en  avons 
cependant  quelques-unes  et  il  se  peut  qu'il  y  en  ait  d'autres  qui 
nous  aient  échappé  ou  qui  se  trouvent  dans  des  auteurs  que  nous 
n'avons  pas  consultés  ;  nous  pouvons  toutefois  citer  l'exemple  du 
Donnei  des  Amants,  ie7idra~  (au  vers  1000),  et  avra:(  que  donne 
le  ms.  A  pour  le  vers  1092  de  l'Ipomédon. 

3°  Enfin  il  arrive,  assez  fréquemment  même,  que  les  écrivains 
anglo-français  font  précéder  d'une  dentale  le  :{  de  la  désinence, 
montrant  par  là  aussi  clairement  que  possible  que,  pour  eux,  le  :( 
est  une  consonne  simple.  Le  premier  exemple  que  nous  avons  pu 
trouver  se  lit  dans  la  Folie  de  Tristan  et  doit  sans  aucun  doute 
être  attribué  au  scribe,  c  est  fait i  Ç:  laiz)  370'.  Le  traducteur  des 
Quatre  Livres  des  Rois  écrit  lui  aussi,  Jjcd~,  II,  19,  6  ;  le  scribe  d'Ed- 
ward le  Confesseur  rrt7/;(.  2933.  Les  graphies  de  ce  genre  sont  rela- 
tivement fréquentes  dans  le  Saint  Auban  i)ieiii:(^  827,  doi1:(  f)'y'] ,  faitx_ 
129  ;  citons  encore  l'exemple  de  Bozon  sort:{^  qu'on  peut  lire  dans 
le  deuxième  appendice  de  Pierre  de  Langtoft,  11^  428,  30. 

Signalons  aussi  une  forme  très  insolite  ines:(^  ;  elle  se  trouve  dans 
le  Saint  Gilles  au  vers  301  et  nous  semble  une  erreur  cléricale  pour 
niet^. 

Le  mélange  absolu  des  désinences  en  s  et  en  ;(,  en  même  temps 
que  les  trois  faits  précédents,  montre  bien  que  dès  le  commence- 
ment du  xiii^  siècle  au  plus  tard,  les  auteurs  anglo-français  avaient 
entièrement  perdu  la  notion  de   la  diff"érence  qui  sépare  7^  de  s. 

I.M.  Bédier  dans  son  édition  rétablit /a;':^. 


76  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Ceci  est  un  phénomène  phonique  sur  lequel  nous  n'avons  pas  le 
droit  de  nous  arrêter  plus  longtemps,  mais  que,  du  reste,  nous 
retrouverons  lorsque  nous  étudierons  la  deuxième  personne  du 
pluriel  et  les  participes  en  é. 

B.  —  Chute,  de  la  consonne  de  la  terminaison. 

La  consonne  de  la  terminaison  tombe  quelquefois  ;  c'est  un  fait 
assez  rare,  trop  fréquent  cependant  et  qui  a  trop  d'analogues  pour 
qu'on  puisse  le  mettre  en  doute.  On  en  rencontre  déjà  un  premier 
exemple  dans  le  ms.  A  de  l'Alexis  :  perde  (présent  du  subjonctif) 
12  e;  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  Vs  ou  le  :(  tombe  après  la 
diphtongue  ai  :  fai  (III,  19,  13)  ;  Boeve  présente  trois  exemples  de 
ce  phénomène  :  l'un  qui  n'est  pas  à  la  rime,  va,  2080,  et  auquel  on 
peut  opposer  le  vas  du  vers  3701  ;  les  deux  autres  sont  à  la  rime  : 
affie  (:  mie)  47,  die  (:  Nubie)  1 5 18.  Tohler  (Vermisch.  Beit.,  I,  25, 
26)  considère  ces  deux  verbes  comme  des  impératifs.  Il  nous 
semble  difficile  de  nous  ranger  à  cette  opinion  ;  le  plus  qu'on  pour- 
rait dire,  c'est  que  c'est  sous  l'influence  de  l'impératif  que  ces  deux 
verbes  ont  perdu  leur  s.  Voici  les  deux  vers  où  ils  se  trouvent  : 

Messager,  je  voil  que  tu  ore  me  afie.  (v.  47) 

Di  moi,  dont  tu  es,  je  voile  que  tu  le  die...     (15 18) 

Nous  devons  reconnaître  que  ces  deux  derniers  exemples  n'ont 
peut-être  pas  toute  la  valeur  que  leur  attribuait  Tobler  ;  quoiqu'ils 
se  trouvent  à  la  rime,  ils  ne  sont  rien  moins  qu'assurés  et  peuvent 
tout  aussi  bien  provenir  du  scribe  que  de  l'auteur  Ils  ne  sont 
donnés  que  par  un  seul  manuscrit,  et  nous  sommes  à  peu  près  cer- 
tains que  l'auteur  du  poème  fait  rimer  sans  scrupule  des  terminai- 
sons qui  diff^èrent  d'une  s  (cf.  laisses  I,  XI,  XVI,  XXII).  Par  con- 
séquent, rien  n'est  plus  possible  que  le  texte  original  ait  porté  af/ies, 
dies,  et  que  la  chute  de  1'^  ne  remonte  qu'au  xiV^  siècle.  Quoi  qu'il 
en  soit,  nous  ne  pouvons  les  considérer  comme  des  impératifs, 
et  pour  nous,  sans  aucun  doute,  ce  sont  des  subjonctifs  ;  il  nous 
est  d'autant  moins  difficile  de  l'admettre  qu'il  y  a  eu  avant  eux, 
surtout  si  nous  les  rejetons  au  xiv'  siècle,  des  cas  analogues  qui 
montrent  la  chute  de  la  consonne  finale  à  cette  personne.  Il  y  en  a 
évidemment  quelques-uns  de  postérieurs  à  Boeve  de   Haumtone, 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  77 

quoique  en  petit  nombre  ;  face  dans  Pierre  de  Langtoft,  I,  194,  11 
(C.  seul)  ;  face  dans  Nicole  Bozon,  Contes,  §  4,  etc. 


LA    VOYELLE 

1°  Graphies  de  l'atone  . 

La  voyelle  atone  qui  dans  certains  cas  précède  l'^  est  ordinaire- 
ment exprimée  par  e.  On  .peut  relever  d'autres  graphies,  mais  elles 
sont  peu  nombreuses.  Le  Psautier  de  Cambridge  emploie  quelque- 
fois a  :  dunas  (17,  48).  Il  ne  faut  pas  confondre  cette  terminaison 
as  avec  celle  de  estas  (id.  9,  21,  et  dans  le  Drame  d'Adam,  vers  1 14). 

On  rencontre  aussi  ne  dans  le  même  psautier  (pour  cette  termi- 
naison cf.  Suchier,  Grammaire,  §  35  d,  et  Stimming,  p.  184) 
par  exemple,  dnnaes,  144,  16,  sorte  de  compromis  entre  es  et  as. 

Il  est  plus  commun  de  trouver  la  muette  exprimée  par  /.  Ceci  se 
produit  spécialement  au  xiv^  siècle  et  c'est  surtout  le  verbe  faire 
qui  semble  susceptible  de  prendre  la  terminaison  -is  :  facis  se  lit 
par  exemple  dans  Boeve  (2590)  dans  Nicolas  Trivet  (47  r°),  etc. 
On  peut  citer  encore /rt^'Z/V  (Boeve,  2301). 

2°  Chute  de  Ve  atone  après  la  mono-diphtongue  ei. 

C'est  évidemment  le  même  phénomène  que  celui  que  nous  avons 
déjà  eu  l'occasion  d'étudier  à  propos  de  la  première  personne  du 
singulier  ;  nous  en  parlerons  donc  très  brièvement,  d'autant  plus 
que  le  petit  nombre  d'exemples  que  nous  fournit  cette  seconde  per- 
sonne ne  nous  permet  pas  d'arriver  à  des  conclusions  aussi  précises 
que  précédemment. 

La  voyelle  atone  le  plus  souvent  semble  se  conserver  à  l'imparfait 
jusqu'à  Robert  de  Gretham  qui  nous  donne  encore  les  exemples 
suivants  saveies  (3  syllabes)  91  v°,  pliireies  (3  syll.)  ibid. 

Cependant  au  subjonctif  d'être,  nous  trouvons  déjà  dans 
Chardri  seis,  Sept  Dormants,  1566  ; 

Ki  ne  deïst  :  «  Jhesu  beneit  sois  tu  ». 

Citons  encore  dans  la  Vie  de  Saint  Edward  (Rom.  XL,  vers  11, 
44)  erreis  : 

Vallct,  tu  erreis  malement . 
Plus  tard  la  même  forme  se  rencontre  dans  Boeve,  aux  vers  1907, 


78  l'évolution  du  verbe  en  anglo -français 

221 J,  mais  la  mesure  du  vers  dans  ces  deux  derniers  cas  ne  peut 
rien  nous  apprendre.  Au  xiv^  siècle,  nous  ne  retrouverons  cet  e  ni 
à  l'impartait  ni  au  subjonctif;  il  a  disparu,  autant  qu'on  peut  l'affir- 
mer, de  l'orthographe  aussi  bien  que  de  la  prononciation  :  solays, 
Pierre  de  Langtoft,  II,  208,  7  ;  savays,  Nicolas  Bozon,  Contes, 
§  32;  sais  (subjonctif  d'être),   Pierre  de  Langtoft,  I,  478,  17. 

3°  Atone  parasite. 

Il  est  encore  beaucoup  plus  rare  que  la  voyelle  atone  s'introduise 
là  où  elle  n'est  pas  étymologique;  ici  encore  nous  pouvons  nous 
demander  si  nous  n'avons  pas  affaire  à  des  deuxièmes  personnes  du 
pluriel  avec  un  sujet  singulier  (cf.  2^  pers.  plur.  en  -es^.  Cest  ainsi 
que  nous  avons  toiles  dans  Edward  le  Confesseur,  751,  creies  (i  syll.) 
au  vers  11,  45  de  la  Vie  de  Saint  Edward  (Romania,  XL)  et  encore 
dans  Robert  de  Gretham  (73  r°)  ;  oyes  (=  oz),  Heures  de  la  Vierge, 
68  r°.  Il  est  probable  que  cette  atone  est  purement  graphique  et 
même  une  faute  d'orthographe  des  scribes. 

La  voyelle  tonique. 

Nous  n'avons  aucune  observation  générale  à  faire  sur  la  voyelle 
tonique  à  la  seconde  personne  du  singulier.  Nous  ferons  simple- 
ment observer  ici  que  le  verbe  être  présente  ordinairement  la 
forme  es  ;  ies  est  rare,  sauf  dans  certains  auteurs  du  xii^  siècle,  en 
particulier  Sœur  Clémence  de  Barking  (cf.  vers  302,  355). 

Nous  ajouterons  aussi  quelques  mots  sur  les  différentes  formes 
que  peut  prendre  le  radical  du  verbe  vouloir;  quelques-unes  de  ces 
formes  ont  déjà  été  étudiées;  nous  n'espérons  pas  donner  toutes 
celles  qui  peuvent  se  rencontrer  en  anglo-français,  maisnous  pen- 
sons avoir  relevé  les  plus  importantes.  Le  radical  de  la  seconde 
personne  est  très  fréquemment  et  très  longtemps  en  vel-  ;  on 
trouve  par  exemple  vels  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  III,  17, 
10  (cf.  pour  cette  forme  Lûcking,  Mundarten,  p.  228). 

De  cette  forme  en  dérivent  naturellement  deux  autres  :  d'abord 
veus  '  qu'on  lit  dans  Boeve  de  Haumtone  au  vers  407,  phénomène 

I.  Pour  la  question  générale  de  la  vocalisation  de  17,  on  fera  bien  de  consulter 
Stock  dans  les  Romanische  Studien,  III,  473  ;  J.  Vising,  Etude,  p.  87  ;  Schiôsser, 
Die  Lautverhaltnisse  der  Quatre  Livres  des  Rois,  pass/'m  ;  Schumann,  Vokalis- 
nius  und  konsonantismus  des  Cambridger  Psalters,  43. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  79 

phonique  général  de  vocalisation  de  17  qui  ne  nous  regarde  pas,  et 
en  second  lieu  veals,  comme  bels  donne  beals  ;  cette  dernière  forme 
provient  donc  par  un  processus  régulier  de  la  forme  vels  (cf.  Foers- 
ter,  Zeitschrift  fur  romanische  Philologie,  i,  564)  '  ;  elle  se  trouve 
dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  au  moins  deux  fois  (I,  21,  3  ;  II, 
13,  26). 

Le  second  thème  de  la  seconde  personne  du  singulier  est 
emprunté  à  l'infinitif;  nous  trouvons  vols  dans  les  Quatre  Livres 
des  Rois  (II,  13,  26)  à  côté  de  venis  ;  dans  Robert  de  Gretham  où 
cette  forme  rime  avec  «  aveols  »  au  fol.  18  v°,  forme  qui  passe 
naturellement  à  vous,  comme  au  fol.  26  r°  des  Evangiles  des  Domp- 
nées.  Le  radical  voel-  qu'on  trouve  sous  la  forme  voel^  au  vers  403 
de  la  Vie  de  Saint  Grégoire  est  régulier,  mais  plus  rare. 

Enfin  la  seconde  personne  emprunte  le  thème  de  la  première  en 
oi  ;  nous  relevons  dans  le  Saint  Auban  voil~  au  vers  1668,  et  dans 
cette  forme  17  disparaît  quelquefois,  comme  dans  voi:^  que  nous 
donne  le  ms.  B  de  Boeve  de  Haumtone  pour  le  vers  2616. 

Telles  sont  les  principales  formes  de  cette  personne,  elles  sont, 
comme  on  voit,  assez  variées,  mais  suffisamment  régulières. 

I.  Pour  cette  question  de  eal,  cf.  Meyer-Lùbke,  I,  p.  163  ;  Suchier,  Gram- 
maire, p.  81  ;  et  les  différentes  monographies  sur  le  Psautier  d'Oxford  (Harseim, 
p.  282),  le  Psautier  de  Cambridge  (Schumann,  p.  25),  les  Quatre  Livres  des  Rois 
(Schlôsser,  p.  21),  etc. 


CHAPITRE   III 

LA  TROISIÈME  PERSONNE  DU  SINGULIER 

De  toutes  les  désinences,  ce  sont  celles  de  la  troisième  personne 
du  singulier  qui  offrent  à  notre  étude  la  matière  la  plus  abondante, 
et  peut-être  aussi  les  remarques  les  plus  importantes.  La  raison  de 
ce  phénomène  est  facile  à  trouver  :  c'est  en  effet  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  qui  se  trouve  être  la  plus  employée,  et  qui  offre 
les  désinences  les  plus  variées.  Par  conséquent  elle  a  été  plus 
sujette  à  l'usure  et  a  offert  moins  de  résistance  que  des  personnes 
moins  communes  ou  plus  homogènes. 

LA  CONSONNE  FINALE 

Toutes  les  troisièmes  personnes  du  singulier  sont  terminées  éty- 
mologiquement  par  une  dentale.  Comme  on  le  sait,  cette  dentale 
peut  être  caduque  ou  appuyée. 

Nous  allons  voir  que  l'évolution  de  ces  deux  sortes  de  dentales 
en  anglo-français,  autant  qu'on  en  peut  juger,  si  elle  n'a  pas  été 
exactement  la  même,  du  moins  a  suivi  des  directions  parallèles. 

A.  La  dentale  caduque. 

La  dentale  caduque,  avant  de  disparaître,  a  passé  par  trois  états  ; 
elle  a  d'abord  évidemment  été  t  ou  d  dans  l'écriture  aussi  bien 
que  dans  la  prononciation  ;  puis,  mais  le  plus  souvent  sans  changer 
de  graphie,  elle  a  pris  le  son  de  //;  doux  '  ;  enfin,  avant  de  dispa- 

I.  Voici  une  courte  liste  des  auteurs  qui  ont  étudié  la  question  de  la  dentale  à 
la  troisième  personne  du  singulier  ;  Gaston  Paris,  Introduction  de  l'Alexis,  p.  98  ; 
Freund,  Verbal  Flexion,  p.  17,  18  ;  Koschwitz,  op.  cit.,  60-62  :  Mail,  Cumpoz, 
82  ;  Meister,  Psautier  d'Oxford,  p.  68  ;  Fichte,  Psautier  de  Cambridge,  p.  65  ; 
H.  Suchier,  Reimpredigt,  XX;  Rydberg,  op.  cit.,  89,  202  ;  P.  Meyer,  L'Escoufle, 
Introduction,  p.  iij  ;  Willenberg,  Romanische  Studien,  III,  p.  409,  note  2. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  8l 

raître  complètement,  la  dentale  qui  n'est  plus  prononcée  joue 
encore  un  certain  rôle  dans  la  prosodie  lorsqu'elle  suit  un  e  muet, 
exactement  le  rôle  que  1*5  finale  après  une  voyelle  muette  joue 
dans  notre  versification  traditionnelle,  elle  empêche  l'élision  de 
cette  muette.  C'est  principalement  M.  H.  Suchier  qui  a  mis  en 
lumière  cette  action  de  la  dentale  caduque  à  la  veille  de  disparaître 
complètement  '. 

Ces  difi'érents  états  de  la  dentale  ont  été  successifs  ;  mais  rien  ne 
prouve  que  les  changements  dans  la  nature  de  la  dentale  se  soient 
produits  en  même  temps  pour  toutes  les  terminaisons  qui  la  pos- 
sèdent. N'est-il  pas  même  possible  que  cette  consonne  se  soit  main- 
tenue plus  régulièrement  à  la  terminaison  de  certains  verbes  pour 
des  raisons,  d'analogie  par  exemple,  qu'il  nous  est  difficile  de 
découvrir  ?  Les  généralisations  ici,  comme  ailleurs,  sont  fort  dange- 
reuses. Elles  le  sont  d'autant  plus  que  pour  certaines  valeurs  de  la 
dentale  les  points  de  comparaison  nous  manquent  ou  ne  sont  pas 
absolument  sûrs.  Tout  le  monde  admet  que  la  dentale  caduque 
a  passé  par  un  son  transitoire  analogue  au  th  doux.  Une  raison 
phonique,  tout  à  fait  a  priori,  nous  oblige  à  le  supposer  ;  mais  le 
son,  exceptionnel  en  français,  où  trouverons-nous  la  preuve  de  son 
existence  dans  nos  textes  ?  Comme  on  le  verra  tout  à  l'heure,  nous 
pouvons  avoir  quelques  présom|")tions  en  faveur  de  l'existence  de  ce 
son  ;  jamais  une  preuve  indiscutable.  Sur  un  autre  point  le  doute 
est  non  seulement  permis,  mais  de  rigueur.  On  admet  générale- 
ment que  lorsqu'une  dentalticaduque  rime  avec  une  dentale  appuyée 
on  a  une  preuve  aussi  certaine  que  possible  que  la  dentale  caduque 
a  conservé  sa  valeur  primitive.  Cela  est  assez  juste  pour  nos  textes 
du  xii^  siècle  ;  mais  une  telle  rime  perd  beaucoup  de  sa  force  pro- 
bante, sinon  toute  force  probante,  si  l'on  peut  montrer  dans  un 
texte  plus  ancien  une  preuve  que  certaines  dentales  appuyées  ou 
s'affaibhssent  ou  tombent. 

L'étude  de  la  dentale  caduque  présente  donc  un  certain  nombre 
de  difficultés  qui  pourront  nous  arrêter  plus  d'une  fois  :  questions 
de  classes,  questions  de  verbes,  doutes  sur  la  valeur  phonique  d'une 
graphie,  doutes  sur  la  valeur  d'une  rime. 

Ce  qui  peut  nous  aider  dans  ces  difficultés,  c'est  le  nombre  rela- 
tivement considérable  d'exemples  que  nous  avons  pu  relever. 

I.  Ou  plutôt  immédiatement  après  sa  disparition. 


02  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Nous  étudierons  successivement  la  dentale  caduque  dans  les  ter- 
minaisons :  -et,  -at,  -it,  -ut. 

I.  et  =  lat.  at  '. 

Un  fait  indiscutable  ressort  de  l'étude  des  premiers  textes 
anglo-français  :  la  terminaison  -cl  (troisième  personne  du  présent 
de  l'indicatif  des  verbes  de  I,  et  des  subjonctifs  en  am)  rime  libre- 
ment avec  des  mots  en  e  muet  pur,  et  jamais  avec  des  mots  avec 
une  dentale  appuyée.  Ce  qui  signifie  que  cette  dentale  est  tombée 
et  a  dépassé  les  deux  premiers  états  que  nous  distinguions  tout  à 
l'heure.  Le  fait  est  si  évident  que  nous  nous  y  arrêterons  à  peine. 

Et  cependant,  pendant  très  longtemps,  les  scribes  écrivent  ce  / 
qui  a  disparu  de  la  prononciation.  Dans  les  Lapidaires  en  prose 
publiés  par  M.  Paul  Meyer  au  volume  XXXVIII  de  Romania, 
nous  trouvons,  entre  autres  exemples,  trovet  à  la  p.  271,  portet  à  la 
p.  272. 

Quelques  exemples  seulement  suffiront  à  prouver  cette  chute  de 
la  dentale.  Le  Comput  nous  donne  sipiefie  (  :  Marie)  883  ;  iiiaiire 
(:  dure)  136  et  au  subjonctif  (f/V  (:  mie)  115.  De  même  dans  le 
Voyage  de  Saint  Brandan  on  peut  trouver  crie  Ç^:  Marie)  1253; 
maine  (:  paine)  439  ;  abrase  (:  grisopase)  1691  ;  espande  (  :  grande) 
1427,  etc. 

D'après  Walberg,  p.  Iviij,  dans  le  Bestiaire,  -at  rime  83  fois 
en  e  pur  et  ne  rime  jamais  avec  e  suivi  d'une  dentale  appuyée.  A 
mesure  que  nous  avançons,  nous  trouvons  des  exemples  nouveaux 
qu'il  est  bien  inutile  de  donner  ici.  Gaimar,  Adgar,  Sœur  Clé- 
mence de  Barking,  Fantosme,  le  Drame  d'Adam  en  offrent  des 
exemples  par  centaines.  Toutes  ces  rimes  sont  concluantes  ;  dès  le 
début  du  xii^  siècle  en  Angleterre  cette  dentale  a  bien  disparu  de 
la  prononciation  et  le  plus  souvent  de  l'écriture. 

Ces  cas  même  sont  beaucoup  trop  nombreux  dans  le  Cumpoz, 
le  Brandan,  le  Bestiaire,  pour  qu'on  puisse  croire  qu'elle  ait  gardé 
jusqu'à  cette  époque  sa  valeur  secondaire  de  //;  doux. 

Par  conséquent  l'anglo-français  n'a  pas  connu  les  deux  premières 
valeurs  de  la  dentale  caduque  dans  la  terminaison  et  at. 

I.  Cf.  Romania,  VII,  622.  Willcnberg,  Romanische  Studien,  III,  409,  n.  2; 
P.  Meyer,  l'Escoufle,  Introduction,  iii. 


LA    TROISIÈME    PERSONNE    DU    SINGULIER  83 

Mais  celle-ci  est  restée,  au  moins  partiellement  avant  sa  dispari- 
tion totale,  SOUS  sa  dernière  forme,  celle  de  dentale  de  liaison  '  ;  elle 
peut  empêcher  l'élision  à  l'intérieur  du  vers. 

L'étude  de  cette  question  présente  de  nombreuses  difficultés,  et 
trop  souvent,  nous  resterons  dans  le  domaine  de  la  conjecture. 
Remarquons  tout  d'abord  qu'on  devrait  distinguer  ici  deux  ques- 
tions assez  différentes  :  la  question  phonique  et  la  question  proso- 
dique ;  en  d'autres  termes,  il  ne  serait  pas  indifférent  de  préciser 
jusqu'à  quelle  époque  la  dentale  caduque  finale  s'est  fait  réellement 
sentir  dans  la  prononciation  devant  une  voyelle  comme  une  con- 
sonne de  liaison,  et  à  partir  de  quel  moment  son  maintien  n'a  plus 
été  qu'une  habitude  prosodique  traditionnelle-.  Ce  n'est  certaine- 
ment pas  avec  nos  textes  anglo-français  que  nous  pourrons  résoudre 
cette  question  d'une  façon  satisfaisante  ;  mais  nous  pourrons  peut- 
être  nous  former  une  idée  de  ce  qui  s'est  passé  dans  ce  dialecte  : 
nous  pourrons  poser  en  principe  que,  tant  que  la  non  élision  sera 
la  règle,  la  dentale  aura  conservé  une  valeur  phonique.  Au  con- 
traire, lorsque  l'hiatus  ne  sera  plus  qu'une  habitude  particulière  à 
certains  auteurs,  une  sorte  de  tolérance  dont  ils  useront  quand  le 
besoin  s'en  fera  sentir,  nous  pourrons  être  assurés  que  la  pronon- 
ciation de  la  dentale  finale,  dans  les  conditions  que  nous  avons 
dites,  ne  sera  plus  qu'un  archaïs'me,  ou  un  artifice  prosodique. 

Et,  il  ne  nous  est  pas  très  difficile  de  trouver  l'auteur  qui,  le  pre- 
mier, montre  un  nombre  considérable  de  cas  d'élision  :  c'est  Adgar. 
Avant  lui  l'hiatus  est  la  règle  :  même,  l'auteur  du  Voyage  de  Saint 
Brandan  ne  semble  jamais  faire  l'élision.  Il  est  cependant  impos- 
sible de  montrer  une  progression  régulièrement  croissante  dans  le 
nombre  des  élisions  d'un  auteur  à  l'autre  :  nous  ne  trouvons  pas 
une  régularité  absolue  dans  les  dialectes  du  Continent,  et  à  plus 
forte  raison,  nous  ne  pouvons  pas  espérer  que  l'anglo-français  soit 
plus  régulier  que  le  français  même. 

Il  arrive  au  contraire  fréquemment,  et  même  dans  les  premières 
années  de  la  littérature  anglo-française,  que  certains  ouvrages  pré- 
sentent, à  ce  point  de  vue,  un  état  de  choses  tantôt  plus  avancé, 

1.  Cf.  J.  Vising,  op.  cit.,  pp.  79-80;  Sucliier,  L'eber...,  p.  80;  Rcinipredigt, 
p.  XX  ;  Paul  Meyer,  L'Escoufîe,  Introduction,  p.  iij . 

2.  Quoique  la  versification  en  ancien  français  soit  très  près  de  la  phonétique, 
ses  règles  ont  dû  toujours  être,  sur  certains  points,  en  retard  sur  la  prononciation. 


84  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

tantôt  plus  ancien  que  d'autres  œuvres  contemporaines.  Par 
exemple,  la  comparaison  entre  les  deux  poèmes  de  Philippe  de 
Thaûn  est  fort  curieuse  :  Mail,  dans  son  étude  sur  le  Cumpoz 
(p.  21),  trouve  dans  ce  poème  trois  cas  d'élision  à  l'intérieur  du 
vers,  contre  dix  où  elle  n'a  pas  lieu  (cf.  aussi  Willenberg,  Rom, 
Studien,  III,  p.  409,  n.  2).  La  proportion  est  exactement  renversée 
dans  le  Bestiaire  :  dans  cet  ouvrage  on  trouve  44  cas  d'élision  contre 
12  d'hiatus  ;  ces  cas  se  trouvant  énumérés  par  Walberg  (cf.  p.  Iviij), 
nous  nous  dispenserons  de  les  citer.  Mais  ce  qui  est  plus  étonnant, 
c'est  que  les  élisions  sont  proportionnellement  moins  nombreuses 
dans  un  ouvrage  sensiblement  plus  moderne,  l'Estorie  des  Engleis, 
que  dans  le  Bestiaire.  Ceci  montre  déjà  avec  quelle  irrégularité  la 
dentale  a  été  maintenue  en  anglo-français. 

Nous  en  verrons  d'ailleurs  de  nombreux  exemples  dans  les  pages 
qui  vont  suivre. 

Pour  le  moment,  nous  nous  contenterons  de  donner  successive- 
ment dans  l'ordre  chronologique  les  cas  d'hiatus,  puis  les  cas  d'éli- 
sion qu'on  trouve  dans  les  difterents  poèmes  anglo-français. 

Nous  venons  de  dire  un  mot  de  l'Estorie  des  Engleis  ;  il  est  évi- 
dent que  les  élisions  y  sont  certainement  moins  nombreuses  que  les 
cas  contraires,  la  proportion  y  est  environ  de  2  à  3,  à  très  peu  de 
chose  près.  Il  est  à  remarquer  que  les  présents  du  subjonctif  sont 
beaucoup  plus  nombreux  que  les  présents  de  l'indicatif.  Citons 
quelques-uns  de  ces  vers  :  nous  avons  au  présent  de  l'indicatif,  cric 
au  vers  4976  : 

Merci  crie  a  sun  seignur. 

Nous  pouvons  en  énumérer  davantage  pour  le  présent  du  sub- 
jonctif :  rende  au  vers  799  ;  vienne  au  vers  3867  ^face  au  vers  4990  ; 
puisse  au  vers  6063.  Voici  ces  vers  : 

Rende  a  la  dame  sun  dreit  799, 

Vienge  a  curt  hastivement  3867, 

Face  un  offre  a  sun  seignur  499°) 

Kil  rende  al  rei  sa  cité  5954> 

Li  mal  trebuz  puisse  il  prendre  6063, 

Vienge  al  curt,  ses  diz  orras.  6126. 

On  en  pourrait  trouver  plusieurs  autres.  Dans  Adgar  au  con- 
traire, les  cas  de   non  élision   sont  très   rares  :    nous  n'en  avons 


LA    TROISIÈME    PERSONNE    DU    SINGULIER  85 

relevé  que  deux  ou  trois  d'assurés,  et  un  nombre  à  peine  plus  con- 
sidérable de  douteux.  Voici  ceux  qui  nous  semblent  sûrs. 

Ke  len  les  puisse  enganer  IV,  12, 

Qiie  ameinet  entre  ses  gens.        VI,  19. 

Au  contraire  les  cas  d'élision  sont  très  nombreux  ;  nous  ne  don- 
nerons pour  le  prouver  qu'un  petit  nombre  de  références  :  IV,  30  , 
VI,  60;  VII,  41;  IX,  138;  XV,  44;  XVI,  15;  XVII,  780; 
XVIII,  141  ;  XXI,  107,  133  ;  XXVI,  129;  XXVIII,  181,  205; 
XXXIV,  21  ;  XXXVI,  44  ;  XXXIX,  105,  etc. 

Élie  de  Winchester  dans  sa  traduction  des  distiques  de  Caton 
peut  nous  fournir  plusieurs  exemples  de  non  élision  :  cf.  vers  190- 
656: 

Te  mette  a  bandun  ; 
Kar  al  busuin  se  mustre  il  tut  dis . 

Dans  le  Tristan  de  Thomas,  l'élision  est  certainement  devenue 
la  règle;  nous  en  trouvons  des  exemples  aux  vers  171,  204,  425, 
437,  641,  1658,  etc.  Pour  ce  qui  est  de  l'hiatus,  nous  sommes 
quelque  peu  embarrassés  :  le  savant  éditeur,  M,  Bédier,  semble  en 
admettre  au  moins  un,  au  vers  2819  : 

Il  ne  coveite  altre  ren . 

Au  contraire,  dans  un  très  grand  nombre  d'autres  cas,  il  s'efforce 
de  faire  disparaître  l'hiatus,  sans  que  nous  puissions  savoir  sur 
quel  principe  il  s'appuie  pour  admettre  les  uns  et  rejeter  les  autres. 
Par  exemple  au  vers  1788,  il  écrit  : 

Si  s'en  apareille  un  flavel, 

alors  que  les  deux  manuscrits.  Douce  et  Strasbourg  donnent  :  si 
s'apareille.  Il  en  va  de  même  pour  le  vers  2582  ;  le  texte  imprimé 
porte  : 

Idunc  suspire  et  plure  et  plaint  ; 

mais  dans  les  deux  manuscrits  que  nous  venons  de  nommer,  on 
lit  :  Dune...  Pour  ces  deux  vers  au  moins,  nous  n'hésiterions  pas  à 
préférer  l'hiatus  à  une  correction  qui  ne  s'appuie  pas  sur  le  texte  ; 
surtout  puisque  M.  Bédier  lui-même  admet  que  les  fragments  de 


86  l'évolution  du  verbe  en  anglo-erançais 

Strasbourg  et  le  fragment  Douce  n'appartiennent  pas  à  la  même 
famille  (cf.  Le  Tristan  de  Thomas,  vol.  II,  p.  8).  Ce  ne  sont  du 
reste  pas  les  seuls  cas  d'élision  douteux  ;  il  y  en  a  plusieurs  autres 
où  l'hiatus  est,  sinon  aussi  probable  que  dans  les  deux  vers  précé- 
dents, tout  au  moins  aussi  vraisemblables  que  l'élision  :  au  vers  952 
le  manuscrit  donne  : 

due  li  n'estoce  autre  amer, 
M.  Bédier  ajoute  :  //;/  devant  anUe.  Au  vers  975  on  lit  : 

Regarde  en  la  main  Ysolt, 
édition  Bédier  :  Si  regarde...  ;  au  vers  981  : 

Hidonc  plure  e  merci  crie, 
texte  imprimé  :  merci  li  crie.  Au  vers  1026  : 

De  ce  se  derve  e  enrage, 
texte  imprimé  :  E  de  ce...  ;  au  vers  1 164  : 

Gete  un  cri  e  rien  ne  dit  ; 
texte  imprimé  :  Si  gete...  ;  au  vers  2195  : 

Puis  li  demande  u  il  vait, 

texte  imprimé  :  E  puis  li... 

Dans  un  très  grand  nombre  d'autres  cas,  l'émendation  proposée 
par  l'éditeur  est  plus  vraisemblable,  sans  être  assurée  ;  nous  n'en 
citerons  qu'un  exemple,  le  vers  869  : 

Trove  Ysolt  chantant  un  lai  ; 

M.  Bédier  intervertit  l'ordre  des  deux  premiers  mots  du  vers,  et 
il  est  fort  possible  qu'il  ait  raison.  Pour  tous  les  autres  cas,  nous 
croyons  les  corrections  malheureuses  ;  en  particulier,  nous  ne  pou- 
vons admettre  celles  qui  sont  proposées  contre  l'autorité  de  deux 
manuscrits  '. 

I.  Il  fout  du  reste  ajouter  que  M.  Bédier  n'est  pas  lui-même  très  sûr  de  la 
validité  des  corrections  qu'il  a  imprimées  ;  on  peut  voir  la  note  assez  hésitante 
qu'il  consacre  à  ce  point  (vol.  II,  p.  30,  n.  2);  M.  Bédier  n'y  cite  que  cinq  cas 
en  tout  (y  compris  le  vers  2819)  où  il  croit  l'hiatus  possible.  Nous  en  admet- 


LA    TROISIÈME    PERSONNE    DU    SINGULIER  8/ 

Par  conséquent,  il  est  assez  difficile,  en  se  fiant  au  texte  imprimé, 
de  se  faire  une  opinion  exacte  sur  les  cas  d'hiatus  dans  Thomas^ 
alors  que  l'éditeur  semble  être  parti  de  ce  principe  qu'il  devait  sup- 
primer tous  les  hiatus  possible  et  qu'il  y  a  réussi  en  ajoutant  aux 
vers  où  ces  hiatus  se  produisent  quelque  monosyllabe,  tel  que  e, 
si  etc.,  ce  qui  est  toujours  assez  facile. 

Cependant,  du  moment  qu'on  admet  que  des  cas  d'hiatus  se  ren- 
contrent dans  Thomas,  et  qu'on  en  trouve  d'autres  dans  les  auteurs 
contemporains  et  même  postérieurs,  il  semble  difficile  de  pouvoir 
faire  un  choix  entre  les  casque  nous  fournissent  les  manuscrits,  de 
reconnaître  les  uns  et  de  rejeter  les  autres  sans  avoir  pour  cela  des 
raisons  graves  fournies  par  les  manuscrits  eux-mêmes  ou  par  la 
grammaire.  Nous  devons  donc,  nous  semble-t-il,  faire  entrer  en 
ligne  décompte  les  cas  d'hiatus  que  M.  Bédier  a  rejetés  sans  auto- 
rité suffisante.  Mais  même  après  que  nous  l'aurons  fait,  il  n'en  res- 
tera pas  moins  vrai  que  le  nombre  des  élisions  reste  encore  supé- 
rieur au  nombre  des  hiatus  ;  la  proportion  en  faveur  des  premières 
nous  a  semblé  légèrement  plus  forte  que  celle  que  nous  avons  cal- 
culée dans  l'Estorie  des  Engleis. 

Il  en  va  sensiblement  de  même  pour  la  Folie  Tristan.  Les  éli- 
sions indiscutables  sont  assez  nombreuses  (cf.  vers  47,  60,  156, 
247). 

M .  Bédier  admet  que  dans  un  seul  cas  l'élision  n'a  pas  eu  lieu 
(cf.  p.  12): 

Bêle,  ne  vus  en  membre  il?     659 

Il  rejette  au  contraire  celui  qu'on  trouve  au  vers  373:   - 

Li  fols  se  turne  a  cest  mot, 

et  imprime  :  a  icest  mot . 

Si  nous  passons  maintenant  au  poème  de  Haveloc,  nous  trouvons 
que  l'élision  au  contraire  est  plus  rare  que  l'hiatus. 

trions  bien  davantage.  Pour  se  faire  une  opinion  il  ne  faut  pas  du  reste  ne  con- 
sidérer que  les  habitudes  de  Thomas  lui-même  ;  il  est  bon  de  les  comparer  à  celles 
de  ses  contemporains  dont  la  langue  se  rapproche  de  la  sienne  ;  nous  ne  voyons 
que  très  peu  de  différence  entre  la  langue  de  Thomas  et  celle  de  Gaimar.  Or, 
dans  Gaimar  la  non  élision,  comme  nous  venons  de  le  montrer,  est  très  com- 
mune. 


88  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Le  seul  cas  assuré  d'clision,  autant  qu'on  peut  l'affirmer,  se  lit 
au  vers  718  : 

Aval  la  gcltc  igniclenient, 

tandis  que  les  cas  d'hiatus  semblent  assez  nombreux,  par  exemple 
aux  vers 

La  demande  ou  il  ert  nez  537, 
Si  Dieu  la  mette  a  honur  642, 
Le  cri  lieve  en  la  cité  708 . 

Mais  Haveloc  est  une  exception  à  cette  époque  ;  la  Sœur  Clé- 
mence de  Barking,  qui  ne  saurait  être  de  beaucoup  postérieure  au 
poème  d'Haveloc,  fait  ordinairement  l'élision  (cf.  vers  27,  34,  253, 
669,  854,  1014,  1671,  1817,  1868,  1926,  2068,  2375  (2  cas)  2425, 
2495,  2521,  2685,  2687). 

Nous  avons  cependant  relevé  quatre  cas  assurés  de  non  élision  : 

ko  te  mande  il  par  mei  559, 

Que  nul  mustre  en  sa  parole  510, 

Vers  lui  se  turne  a  itant  2153, 

Dune  cumande  ignelement  2246. 

Il  est  beaucoup  moins  aisé  de  savoir  si  dans  Jordan  Fantosme 
l'élision  a  lieu  ou  non,  non  pas  seulement  parce  que  les  vers  dans 
la  Chronique,  comme  chez  la  plupart  des  auteurs  anglo-français, 
sont  irréguliers,  mais  parce  que,  comme  l'ont  tait  observer  Ml  J. 
Vising,  M.  H.  Suchier  et  M.  Paul  Meyer,  l'auteur  mélange  d'une 
façon  capricieuse  les  vers  de  douze,  de  quatorze  et  de  seize  syllabes. 

Toutefois  l'hiatus  semble  assuré  dans  un  petit  nombre  de  cas: 

Ne  quide  en  sa  vie  estre  desprisunez  240, 

Le  cuer  al  plus  hardi  en  tremble  e  chancelé  242, 

En  romanz  devise  un  bref,  d'un  anel  i'enseele;     538. 

Les  deux  suivants  sont  plus  douteux  : 

Mes  ki  bon  conseil  saverad,  vienged  avant,  sil  die  (14  syllabes)'      179, 
Suspire  e  purpense  cument  ele  est  alee  ^ .  777 

1 .  Ici  on  trouve  un  exemple  de  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  ;  on  pourrait 
facilement  réduire  ce  vers  de  14  syllabes  à  12  en  lisant  :  mes  ki  bon  conseil 
savrad,  vienge  avant,  sil  die.  Nous  préférons  même  cette  leçon  (cf.  futur). 

2.  LV  muet  à  l'hémistiche  me  semble  ne  pas  compter  dans  Fantosme. 


LA    TROISIÈME    PERSONKÉ    DU    SINGULIER  89 

L'élision  est  certaine  dans  les  cas  suivants  :  vers  107,  302,  492, 
779,  796,  2054. 

Quant  au  Saint  Gilles,  nous  avons  compté  environ  soixante-dix 
cas  présentant  l'élision,  et  nous  avons  pu  en  passer  quelques-uns. 
M.  Gaston  Paris  cite  onze  cas  où  elle  n'a  pas  lieu,  vers  70,  135, 

482,  617,  634,  776,  1329,  1386,  I581,  2844,  3524  (cf.  p.  XIX, 

n.  i)  ;  on  peut  y  ajouter  trois  autres: 

E  comandct  a  ses  scrvanz,  580, 

Ne  ren  k,  urne  en  pussed  user,     1267, 
Li  abes  lur  mustret  e  dit  2557. 

Chez  Guischart  de  Beaulieu  enfin  les  exemples  d'élision  sont 
extrêmement  nombreux  ;  nous  en  avons  compté  plus  de  trente,  et 
il  y  en  a  davantage  (cf.  vers  32,  35,  112,  177,  213,  268),  et  il  n'y 
a  en  tout  que  quatre  cas  assez  douteux,  de  non  élision. 

Le  peissun  prend  le  verni  ke  il  quide  user  893, 

Le  verni  trove  il  duz  e  trove  puis  amer  894, 

N'en  i  ad  nul  tant  fort  nel  voille  envahir  1086, 

Quanque  li  hoem  ad  ci  trestut  mette  en  guage  1492. 

Nous  ne  croyons  pas  qu'on  puisse  trouver  d'autres  cas  d'hiatus 
dans  Guischart  de  Beaulieu,  et  des  quatre  exemples  cités  ci-dessus 
deux  au  moins  sont  assez  douteux  (894  et  1492)  car  ils  sont  en  par- 
tie des  conjectures  de  l'éditeur.  Les  cas  d'hiatus  sont  rares  dans 
ripomédon  ;  en  voici  un  que  nous  lisons  au  vers  1434: 

Ameine  il  tut  son  harneis. 

Le  poème  de  Renaut  de  Montauban  nous  fournit  au  moins  un 
exemple  d'hiatus,  p.  13  : 

Par  les  degrez  de  marbre  comencet  a  puer . 

Dans  le  Drame  d'Adam,  les  cas  sont  peu  fréquents  et  l'élision 
semble  toujours  avoir  lieu  (cf.  vers  63,  112,  510,  514,  599). 

Pour  dire  le  moins,  il  n'est  donc  pas  très  difficile  de  tirer  une 
conclusion  de  l'étude  de  la  langue  des  écrivains  du  xii'=  siècle,  et  la 
raison  est  facile  à  comprendre:  le  maintien  de  la  dentale  de  liaison 
à  partir  de  11 60  environ,  dépend  presque  entièrement  du  goût 
personnel  et  des  habitudes  des  auteurs. 

Nous   n'irons  pas  toutefois  jusqu'à  dire  que   les   habitudes  des 


90  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

écrivains  anglo-français  prises  dans  leur  ensemble  sur  ce  point  spé- 
cial manquent  entièrement  d'unité  et  que  chacun  d'eux  a  été  uni- 
quement guidé  par  sa  fantaisie  ;  nous  ne  le  croyons  pas  et  nous 
pensons  même  que  les  pages  précédentes  nous  montrent  une  véri- 
table évolution  ou  plutôt  progression  dans  la  langue  II  se  peut 
qu'il  y  ait  des  exceptions  comme  Adgar;  cela  arrive  ailleurs  qu'en 
anglo-français  ;  le  mouvement  général  est  cependant  très  bien  mar- 
qué dans  ses  grandes  lignes  et  progressif. 

Il  y  a  conséquemment  un  certain  nombre  de  points  qui  nous 
semblent  ressortir  assez  clairement  des  pages  précédentes. 

1°  La  dentale  de  liaison  n'a  conservé  une  valeur  phonique  que 
jusque  vers  1160.  Les  différences  que  nous  avons  notées  sur  ce 
point  entre  le  Cumpoz  et  le  Bestiaire  pourraient  faire  croire  que  ce 
changement  s'est  effectué  pendant  la  vie  même  de  Philippe  de 
Thaûn,  et  cela  est  fort  possible,  mais  bien  douteux  ;  le  grand 
nombre  de  cas  d'hiatus  qu'on  trouve  dans  les  écrivains  immédiate- 
ment postérieurs  nous  pousserait  à  croire  qu'il  faut  reculer  cette 
date.  Mais  on  ne  saurait  descendre  plus  bas  que  1160.  Du  reste,  il 
est  fort  possible  que  la  même  date  ne  puisse  s'appliquer  à  tous  les 
auteurs,  ni  à  toutes  les  parties  de  l'Angleterre. 

2°  Après  II 60,  la  dentale  n'a  plus  qu'une  valeur  de  convention, 
que  certains  auteurs  reconnaissent,  mais  qui  semble  presque  ignorée 
des  autres.  Cependant  la  grande  majorité  des  auteurs,  peut-être 
même  la  totalité,  a  conservé  le  souvenir  de  l'usage  des  écrivains  de 
la  période  immédiatement  précédente,  et  montre  un  certain  nombre 
de  cas  d'hiatus . 

3°  Ce  nombre  va  décroissant  à  mesure  qu'on  se  rapproche  du 
XIII''  siècle. 

Pendant  cette  dernière  période,  la  question  ne  se  simplifie  pas,  au 
contraire;  on  peut  même  tout  d'abord  se  demander  si  elle  existe. 
L'usage  de  maintenir  la  dentale  de  liaison  diminuant  visiblement, 
il  faut  admettre  qu'à  un  certain  moment  dans  l'histoire  de  l'anglo- 
français,  cette  dentale  a  disparu  complètement.  Quel  est  ce  moment 
précis?  Il  est  impossible  de  l'indiquer  avec  quelque  certitude. 

Ce  n'est  pas  seulement  parce  que  comme  aux  autres  périodes 
chaque  auteur  a  des  habitudes  qui  lui  sont  propres,  mais  surtout 
parce  que,  à  partir  de  1200,  l'irrégularité  de  la  versification  ne  nous 
permet  jamais  de  savoir  si  nous  avons  à  faire,  dans  telle  ou  telle 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  91 

occasion,  à  un  cas  d'hiatus  ou  à  un  vers  court.  Nous  sommes  le 
plus  souvent  réduits  à  des  conjectures  plus  ou  moins  hasardeuses; 
pour  tenter  de  donner  plus  de  solidité  à  une  base  aussi  fragile  nous 
avons  établi  pour  les  auteurs  les  plus  importants,  en  dehors  des 
vers  qui  présentent  un  hiatus  ou  une  élision  possible',  la  propor- 
tion des  vers  normaux,  des  vers  longs  et  des  vers  courts. 

Lorsque  cette  proportion  est  fortement  en  faveur  des  vers  nor- 
maux ou,  si  cela  arrivait,  des  vers  longs,  il  y  aurait  plus  de  chance, 
étant  donné  un  vers  quelconque,  pour  qu'il  soit  normal  ou  long 
plutôt  que  court,  et  si  les  cas  où  nous  pouvons  nous  demander  si 
nous  nous  trouvons  en  présence  d'un  vers  court  ou  d'un  hiatus  se 
présentent  avec  une  certaine  fréquence,  nous  pouvons  avoir  une 
quasi-certitude  que  quelques-uns  au  moins  de  ces  vers  présentent 
bien  des  hiatus.  En  d'autres  termes  si  nous  trouvons  qu'un  auteur 
n'aime  pas  les  vers  courts,  nous  pourrons,  lorsque  nous  aurons  à 
décider  si  un  vers  est  court  ou  présente  un  hiatus,  pencher  pour  la 
seconde  hypothèse. 

C'est  ce  qui  a  lieu  pour  Chardri;  chez  lui,  tout  d'abord,  le  nombre 
d'élisions  est  considérable  :  voici  quelques  chiffres  qui,  quoique  ne 
représentant  pas  tous  les  cas  d'élision,  en  donneront  une  idée  : 
Josaphat:  304,  348,  370,  97e,  1143,  1453,  1641,  1680,  1836, 
1837,  1940,  2580.  Set  Dormans:  400,  608,  1117,  1119,  1245, 
1283,  ^479'  14995  i539j  1768,  1880,  1882.  Petit  Plet:  154,  559, 
882,  918,  1305,  1371,  1754. 

Dans  tous  les  cas  précédents,  l'élision  rend  les  vers  justes. 

En  outre,  on  peut  relever  un  assez  grand  nombre  de  cas  où  il 
est  possible  que  l'élision  n'ait  pas  eu  lieu;  or  en  étudiant  la  versifi- 
cation de  Chardri,  on  trouve,  exclusion  faite  des  vers  contenant 
un  cas  possible  de  non  élision,  que  pour  les  trois  poèmes  il  y  a  envi- 
ron 12  °/o  de  vers  courts,  14  °/o  de  vers  longs  et  74°/o  de  vers  nor- 
maux ;  il  n'y  a  donc  que  12  chances  sur  100  pour  qu'un  vers  donné 
soit  court;  il  est  donc  probable  que  la  majorité  des  cas  suivants 
représentent  des  cas  d'hiatus. 

Josaphat  : 

Ki  ken  dieu  mal  u  bcn  ;  23. 

Nen  sace  en  tiite  manere  ;     726, 

I,  Dans  un  long  poème  le  nombre  de  ces  vers  est  trop  petit  pour  changer  sen- 
siblement les  proportions  dont  nous  parlons  dans  les  lignes  suivantes. 


92  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-PRANÇAIS 

Kil  me  quide  issi  deccivre  :  9^3 . 

Estendu  se  lance  a  terre;  1094. 

Kil  ne  pusse  cstre  truve;  1174. 

Cil  levé  od  sa  cumpainie;  1675 . 

Ke  ne  venge  a  celé  feste  ;  1736. 

Kil  li  aide  a  cel  besoin  ;  i939« 

L'enfant  le  grante  erraument  ;  2443. 


Set  Dormans 


Ki  cest  pais  deive  aveir  ;  11 04. 

Meintenant  se  lance  a  terre  ;  1556  (cf.   Jos.  1094). 

Ne  vus  grève  en  ceste  vie;  1724. 

Kil  vus  tenge  en  unité  ;  1837. 

Pes  nus  tenge  en  tute  terre;  1842. 


Petit  Plet; 


Li  veuz  hoem  se  dresce  a  tant;  547. 

Lem  le  troeve  en  l'escripture  ;  603  . 

Se  il  dechece  enveillesce;  605. 

L'em  l'esproeve  en  maladie  ;  736. 

Amur  prise  e  met  en  haut;  1283 . 

Il  y  a  donc  dans  les  trois  poèmes  de  Chardri  19  cas  où  l'hiatus 
est  possible  (douze  présents  de  l'indicatif  et  sept  présents  du  sub- 
jonctif). Comme  les  vers  courts  sont  relativement  rares  chez  ce 
poète,  il  est  évident  qu'un  certain  nombre,  peut-être  la  plupart, 
des  vers  que  nous  avons  cités  ne  sont  pas  des  vers  courts.  En 
d'autres  termes  quelques-uns  de  ces  vers,  lesquels?  nous  ne  pou- 
vons le  préciser,  présentent  encore  des  exemples  d'hiatus. 

Si  nous  admettons  que  la  moitié  de  ces  vers  sont  courts,  il  en 
restera  encore  une  dizaine  où  l'influence  de  la  dentale  caduque  se 
fait  encore  sentir. 

La  proportion  serait  alors  entre  les  cas  de  hiatus  et  les  cas  d'éli- 
sion,  environ  de  i  à  5,  peu  différente,  comme  on  le  voit,  de  celle 
que  nous  avons  trouvée  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles. 

Après  les  poèmes  de  Chardri,  nous  voyons  les  cas  de  non-élision 
diminuer  encore.  Nous  n'avons  pas  pu  déterminer  de  proportion 
entre  les  hiatus  et  les  élisions  dans  le  long  poème  de  Robert  de 
Gretham  ;  mais  nous  avons  pu  nous  convaincre  que  les  Evangiles 
des  Dompnées  contiennent  des  exemples  des  uns  et  des  autres. 
Inutile  de  citer  des  cas  d'élision,  voici  deux  vers  où  elle  ne  se  fait 
certainement  pas  ;  tous  les  deux  se  lisent  au  fol.  23  r°. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  93 

Ki  guverne  e  terre  e  ciel, 
Ne  cesset  il  loinz  enveier. 

Il  y  en  a  évidemment  quelques  autres  ;  mais  le  texte  restant 
encore  à  établir,  nous  n'en  citerons  pas  davantage. 

Le  Psautier  en  vers  coués,  Harléien  4070,  présente  aussi  un 
nombre  assez  considérable  de  cas  d'hiatus,  comme  : 

Ki  se  fie  en  sei  156  d. 

Ki  dune  a  ses  druz      323  e. 
Si  te  vienge  a  gre        380  f . 

Mais  le  nombre  des  hiatus  est  probablement  inférieur  à  celui  des 
élisions  (cf.  Gœdicke,  p.  25). 

Avec  le  Saint  Edmund  et  le  poème  d'Edward  le  Confesseur, 
nous  pouvons  arriver  à  des  résultats  plus  assurés. 

Dans  le  premier  de  ces  ouvrages,  la  versification  est  relativement 
très  correcte,  plus  correcte  que  celle  des  poèmes  de  Chardri,  sur- 
tout si  on  prend  la  peine  de  rétablir  le  texte,  ce  qui  est  ordinaire- 
ment très  facile.  Voici  la  proportion  des  vers  courts,  longs,  nor- 
maux : 

Nous  avons  trouvé  90,5  %  de  vers  normaux,  7,5  %  de  vers 
courts  et  2  "/o  de  vers  longs. 

Or,  si  dans  ce  poème  il  y  a  un  nombre  considérable  d'élisions 
(par  exemple,  à  l'intérieur  des  vers  160,  235,  314,833,  1792,  1847, 
1963,  2211,  2252,  2367,  1737,  et  pour  le  subjonctif  650,  838), 
nous  ne  trouvons  que  des  exemples  fort  douteux  d'hiatus  ;  voici 
tous  ceux  que  nous  avonsrelevés: 

Vers  Occident  garde  e  veit      1252 

Mais  ici  il  faut  probablement  lire:  regarde. 

Qui  les  regiuns  done  e  toit     1785 

D'après  le  vers  2071  il  semblerait  que  rcgiiin  ne  compte  que 
pour  deux  syllabes  (cf.  aussi  Miss  Pope,  op.  cit.,  p.  72  et  73,  n.  i); 
mais  il  est  plus  naturel  de  prendre  ce  mot  comme  ayant  ici  trois 
syllabes. 

Lothebroc  sonne  en  engleis.      1885 
Sonnent  conviendrait  aussi  bien  pour  le  sens. 


94  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

A  ccis  parle  Ingar  c  dist  :     2163 . 
E  si  parle  al  messager  :        2316 

Il  est  probable  que  pour  ces  deux  derniers  exemples  il  faut  lire 
parole  qui  est  la  forme  ordinaire  à  cette  époque,  et  même  plus  tard, 
comme  dans  Dermod,  vers  1434. 

Par  conséquent,  il  nous  semble  qu'il  ne  reste  pas  un  seul  cas  pro- 
bable de  non  élision  dans  tout  le  poème  de  Saint  Edmund. 

A  première  vue,  il  semblerait  qu'il  en  aille  tout  autrement  dans 
la  Vie  d'Edw'ard  le  Confesseur  ;  les  élisions  sont  évidemment  nom- 
breuses, mais  on  rencontre  quelques  cas  d'hiatus  dont  on  ne  peut 
pas  disposer  aussi  aisément  que  dans  le  poème  précédent  par  des 
changements  très  simples  du  texte.  Nous  ne  citerons  qu'un  petit 
nombre  de  ces  exemples  : 

Tuz  surmunte  etuzjustise  385, 

Chef  e  cors  gette  en  Tamise  499, 

Benoit  sacre  enoint  a  rei  657, 

E  mut  le  moneste  e  prie  666, 

Tendrement  suspire  e  plure  732,  etc. 

On  pourrait  croire  que  ces  quelques  vers  présentent  des  exemples 
bien  caractérisés  d'hiatus;  mais  il  faut  observer  :  1°  Que  le  texte 
n'est  donné  que  par  un  seul  ms.,  ce  qui  ôte  aux  exemples  précé- 
dents beaucoup  de  leur  autorité;  2°  Que  la  versification  de  ce 
poème  est  beaucoup  moins  correcte  que  celle  du  poème  précédent. 
On  ne  trouve  guère  que  60  %  de  vers  normaux  ;  plus  exactement, 
la  Vie  d'Edward  le  Confesseur  nous  semble  écrite  en  vers  de  huit 
et  de  sept  syllabes  ;  on  trouve  d'assez  longues  tirades  dont  les  vers 
n'ont  pour  la  plupart  que  sept  syllabes,  par  exemple  603  sqq.  Par 
contre  les  vers  de  six  syllabes  et  les  vers  longs  sont  très  rares. 

Il  en  résulte  que,  pas  plus  pour  ce  poème  que  pour  le  Saint 
Edmund,  nous  ne  pouvons  admettre  l'existence  de  l'hiatus  à  la 
troisième  personne  du  singulier  en  g,  il  y  a  de  fortes  présomptions 
pour  que  l'élision  soit  régulièrement  effectuée  dans  ces  deux  poèmes. 

Nous  croyons  que  les  résultats  auxquels  nous  sommes  arrivés 
jusqu'ici  présentent  un  certain  degré  de  certitude.  La  méthode  qui 
consiste  à  établir  des  proportions  entre  les  vers  courts,  longs  et  nor- 
maux, et  à  fonder  tout  le  raisonnement  sur  les  chiffres  qu'on 
obtient,  pourra    peut-être  sembler  très  aventurée  et  ressembler  un 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  95 

peu  trop  aux  combinaisons  des  jeux  de  hasard.  Elle  a  été  certaine- 
ment appliquée,  plus  ou  moins  délibérément,  avant  nous,  et  doit 
nous  conduire  dans  la  question  présente  à  des  résultats  qui  ne  sont 
pas  négligeables,  qui  même  ne  doivent  s'écarter  que  de  très  peu  de 
la  réalité. 

Tout  au  moins,  elle  nous  donne  ce  résultat  positif  que  dans  les 
poèmes  de  Chardri  les  vers  courts  sont  rares  ;  or,  nous  trouvons  un 
certain  nombre  de  vers  qui  doivent  contenir  des  exemples  d'un 
usage  qui  se  trouve  dans  les  poèmes  immédiatement  antérieurs.  Il 
semble  très  naturel  d'adopter  la  seconde  alternative.  De  l'autre  côté, 
les  vers  courts  dans  Edward  le  Confesseur  sont  fort  nombreux 
(35  °/o)  nous  n'aurons  donc  pas  à  recourir  à  l'hypothèse  de  l'hiatus 
pour  expliquer  les  quelques  vers  que  nous  avons  cités. 

Nous  en  conclurons  que  Ve  de  la  terminaison  latine  -at  ne  s'élide 
pas  toujours  pendant  le  premier  tiers  du  xiii'^  siècle  ;  que  les  exemples 
que  nous  fournissent  les  poèmes  de  Chardri  nous  semblent  presque 
isolés  à  cette  époque  ;  enfin  que  les  auteurs  qui  le  suivent  immédia- 
tement et  appartiennent  au  second  tiers  du  même  siècle,  ne  montrent 
aucune  trace  de  cet  usage. 

Pour  les  œuvres  postérieures  à  la  Vie  d'Edward  le  Confesseur,  le 
moyen  indirect  de  contrôle  dont  nous  nous  sommes  servis  tout  à 
l'heure  vient  à  nous  manquer  complètement.  A  partir  du  Saint 
Auban,  la  versification  devient  trop  irrégulière;  la  proportion  des 
vers  qui  s'écartent  de  la  normale  est  trop  élevée  pour  que  nous  puis- 
sions avancer  quelque  chose  avec  quelque  certitude,  et  nous  ne 
sommes  même  pas  assurés  qu'il  y  ait  un  seul  cas  de  non  élision. 

Cependant  les  vers  courts  où  l'hiatus  de  la  muette  finale  de  la 
troisième  personne  du  singulier  rétablirait  la  mesure  du  vers  sont, 
dans  le  Saint  Auban  particulièrement,  en  très  grand  nombre;  en 
fait,  si  on  admettait  pour  ce  poème  la  non  élision  dans  tous  les  cas 
où  elle  est  possible,  nous  en  trouverions  beaucoup  plus  dans  le 
Saint  Edmund,  que  dans  Edward  le  Confesseur,  et  même  que  dans 
Chardri.  Ce  serait  déjà,  nous  semble-t-il,  une  raison  suffisante  pour 
rejeter  tous  ces  cas  d'hiatus  possible.  Voici  les  vers  où  les  cas  se 
rencontrent:  24,  59,  103,  104,  175,  184,  363,  369,  454,  475,  506, 
572,  652,  685,  698,  739,  1642,  1704  et  quelques  autres.  C'est  trop 
pour  que  nous  puissions  y  croire.  Dans  les  autres  poèmes  du  milieu 
du  xiii'^  siècle,  nous  n'avons  aucun  exemple  assuré  d'hiatus.  L'éli- 


96  l/èvOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

sion  a  communément  lieu  dans  Aspremont  et  Sardcnai  et  il   est 
douteux  qu'il   taille  voir  des  hiatus  dans  les  quatre  vers  suivants  : 

Kc  chevalier  face  en  sa  cuntreie  ;  Aspremont.     74. 

Li  arcevcsche  se  dresce  en  estant  ;  —  246  : 

Si  comence  a  lui  parler;  Sardenai,  64  (L   &  O.) 

Si  le  comence  aprochier;  —  10  j. 

Pour  ce  dernier  vers  on  pourrait  peut-être  lire  «  a  aprochier  » 
(cf.  vers  247  O). 

Nous  croyons  cependant  qu'il  est  possible  de  considérer  se  dresce 
en  estant,  Si  comence  a  lui  parler,  comme  de  véritables  formules 
poétiques  léguées  par  la  poésie  antérieure  et  acceptées  en  bloc  avec 
leur  ancienne  valeur  prosodique;,  et  s'il  en  est  ainsi  ce  sont  pour 
ainsi  dire  de  véritables  clichés,  des  cas  d'hiatus  inconscient,  et  les 
autres  exemples  de  Sardenai  et  d'Aspremont  n'ont  plus  assez  d'au- 
torité pour  nous  fliire  admettre  que  les  auteurs  de  ce  poème  con- 
naissaient plus  ou  moins  exactement  l'existence  ou  la  valeur  de  ce 
que  nous  avons  appelé  la  dentale  de  liaison. 

Du  reste,  les  deux  poèmes  que  nous  venons  de  citer  ne  sont  cer- 
tainement pas  les  seuls  à  nous  donner  des  exemples  de  ce  genre; 
c'est  ainsi  que  nous  retrouvons  jusqu'au  commencement  du 
xiv^  siècle  de  ces  formules,  qui  sont  des  clichés  prosodiques  autant 
que  des  clichés  épiques.  Citons  par  exemple  dans  V Evangile  de  l'En- 
fance (62  b),  mss.  O  et  C  : 

Si  se  comence  a  dresser 

Mais  à  part  quelques  exemples  de  ce  genre,  nous  n'avons  pas 
relevé  de  cas  assuré  d'hiatus  à  cette  époque.  Si  nous  prenons  The 
Song  of  Dermod  and  the  Earl,  nous  pourrions  de  prime  abord 
croire  retrouver  dans  les  vers  suivants  des  exemples  de  la  persis- 
tance de  la  dentale  de  liaison  : 

Revmund  parole  a  sa  gent     1434 
A  haute  voiz  levé  un  cri         345  5. 

Mais  dans  ce  poème,  la  proportion  de  vers  courts  est  très  forte  ; 
nous  en  avons  compté  35  "/o  ;  autrement  dit,  il  semble  être  régu- 
lièrement écrit  en  vers  de  huit  ou  de  sept  syllabes.  Par  conséquent 
il  est  très  difficile  d'admettre  que  nous  pouvons  avoir  dans  ce  poème 
un  seul  exemple  d'hiatus. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  97 

Nous  pensons  donc  que  si,  à  la  rigueur,  on  admet  que  la  den- 
tale de  liaison  ait  laissé  des  traces  dans  la  Vie  de  Saint  Auban,  et 
nous  n'irions  certainement  pas  jusque  là,  on  doit  arrêter  de  toutes 
façons  à  la  date  de  ce  dernier  poème  le  phénomène  qui  nous  a 
occupé  dans  les  pages  précédentes. 

Du  reste,  dans  les  poèmes  à  versification  régulière  du  xiv'^  siècle, 
le  siège  de  Carlaverok  ou  le  poème  du  Prince  Noir,  nous  n'en  avons 
relevé  aucune  trace. 

Conclusions  sur  la  dentale  de  liaison. 

Nous  ne  cacherons  pas  que  les  conclusions  que  nous  permet  de 
tirer  l'étude  précédente  ne  sont  pas  aussi  précises  que  nous  pour- 
rions le  désirer. 

Un  certain  nombre  de  faits  toutefois  en  ressortent  et  nous 
paraissent  absolument  indiscutables.  En  voici  l'énumération  : 

1°  La  dentale  finale  dans  les  troisièmes  personnes  en  et  =  at  n'a 
jamais  en  anglo-français  connu  d'autre  existence  que  celle  de  den- 
tale de  liaison. 

2°  Cette  dentale  a  gardé  une  valeur  phonique  jusque  vers  1150 
ou  II 60  au  plus  tard. 

3°  Elle  se  rencontre  depuis  le  commencement  de  la  littérature 
française  en  Angleterre  et  dure,  soit  jusqu'à  Saint  Auban  (vers  1250) 
soit  au  plus  tard  jusqu'à  The  Song  of  Dermot  and  the  Earl  (ver- 
1270). 

4"  Pendant  cette  longue  période  la  fortune  de  la  dentale  de  liai- 
son a  connu  des  hauts  et  des  bas  ;  elle  a  été  souvent  employée  suis 
vant  les  goûts  particuliers  de  chaque  auteur,  et  il  arrive  qu'elle  est 
plus  fréquente  dans  un  auteur  du  xiii''  siècle,  comme  Chardri,  que 
dans  tel  autre  au  xii'-  comme  Adgar. 

5°  Malgré  tout,  en  considérant  les  grandes  lignes  de  l'histoire  de 
cette  dentale,  on  voit  que  son  emploi  diminue  d'une  façon  pro- 
gressive entre  iiio  et  1250. 

II.  La  dentale  dans  les  terminaisons  en  a  (d). 

Tous  les  futurs,  les  prétérits  de  la  première  conjugaison,  le  pré- 
sent de  l'indicatif  du  verbe  avoir,  et  un  peu  plus  tard,  du  verbe 
aller  ont  la  troisième  personne  du  singulier  terminée  en  a  suivie  d'une 

7 


98  l'évolution    du    verbe    en    ANCiLO-FRANÇAIS 

dentale  caduque.  Il  serait  intéressant  de  connaître  exactement  révo- 
lution de  cette  dentale  en  ano;lo-francais.  Malheureusement,  les  ren- 
seignements  que  les  rimes  peuvent  nous  donner,  sont  beaucoup 
moins  précis  encore  que  pour  les  désinences  en  c  (/)  ;  les  rimes  en  a 
pur  et  les  rimes  en  n  avec  dentale  appuyée  sont  très  peu  nombreuses; 
pour  les  premières  on  ne  trouve  guère  que  les  monosyllabes,  ça,  la, 
ja  et  des  mots  latins  ou  savants  ;  pour  les  secondes,  nous  avons 
relevé  dans  le  Roland  les  composés  de  battre,  mat  première  personne 
singulier  de  mater,  qiiat,  il  y  en  a  probablement  quelques  autres, 
mais  il  n'en  reste  pas  moins  vrai  que  les  rimes  sont  rares.  C'est  en 
partie  pour  cela  que  la  plupart  des  écrivains  anglo-français  emploient 
les  formes  qui  nous  occupent  actuellement  surtout  en  interrime 
ou  les  font  rimer  avec  quelques  autres  mots  en  a  terminés  eux 
aussi  par  une  dentale  caduque.  Il  en  résulte  que  le  plus  grand 
nombre  des  rimes  ne  nous  apprend  rien.  Il  y  a  encore,  nous 
semble- t-il,  une  autre  raison  pour  que  nous  soyons  dans  l'incerti- 
tude. Nous  pensons  que  la  dentale  finale  caduque  a  pris  et  a  con- 
servé pendant  quelque  temps  un  son  affaibli  correspondant  assez 
exactement  au  //; 'doux  anglais;  or,  ce  son  n'est  en  français  qu'un 
son  transitoire  qui  ne  pouvait  se  rencontrer  que  dans  des  mots  à 
terminaisons  analogues;  c'est  pourquoi,  tant  que  la  dentale  caduque 
a  conservé  ce  son  de  la  spirante,  les  auteurs  anglo-trançais  ont  été 
réduits  à  n'user  guère  que  des  interrimes  s'ils  voulaient  rimer  exacte- 
ment; et  s'ils  ne  riment  pas  exactement,  à  quoi  nous  servent  leurs 
rimes  ?  Nous  sommes  donc  ici  dans  le  domaine  des  conjectures  ; 
mais  puisque  l'on  admet  généralement  que  la  dentale  intervocalique 
française  a  passé  par  un  état  analogue  à  celui  de  //;  doux,  il  semble 
difficile  de  ne  pas  croire  que  le  même  phénomène  se  soit  produit 
pour  les  terminaisons  en  aï,  surtout  dans  un  pays  où  le  son  //;  doux 
a  une  stabilité  qu'il  n'a  jamais  eue  dans  le  français  du  continent.  Et 
ce  que  nous  disons  des  terminaisons  en  -at  s'applique  presque 
autant  aux  terminaisons  à  dentale  caduque  en  -//  et  en  -ut. 

Nous  voyons  en  effet,  au  commencement  du  xiii*^  siècle,  que  les 
terminaisons  qui  nous  occupent  ne  riment  ni  en  a  pur  ni  en  a 
appuyé.  Si  nous  prenons  par  exemple  le  Cumpoz,  nous  pourrons 
relever  plus  de  cent  interrimes  de  troisièmes  personnes  du  singulier 
des  prétérits  de  I,  de  futurs,  du  présent  de  l'indicatif  d'avoir.  Dans 
ces  rimes,  et  dans  le  corps  du  vers,  la  dentale  est  constamment  con- 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  99 

servée  dans  l'écriture  ;  mais  elle  n'a  pas  la  valeur  de  la  dentale 
appuyée  du  mot  bat  par  exemple.  Qu'elle  ait  encore  une  certaine 
valeur,  c'est  ce  que  montre,  semble-t-il,  l'absence  absolue  des  rimes 
de  ces  terminaisons  avec  des  mots  en  a  pur. 

Car  comment  pourrions-nous  expliquer  dans  ce  poème  l'ab- 
sence complète  de  rimes,  qui,  dans  les  ouvrages  subséquents,  devien- 
dront relativement  nombreuses?  La  seule  raison  que  nous  puis- 
sions imaginer,  c'est  que  la  dentale  n'a  pas  encore  disparu,  mais  a 
pris  un  son  qui  n'est  pas  celui  de  la  dentale  appuyée.  Ce  raisonne- 
ment nous  donne  une  présomption,  sinon  une  preuve,  que,  vers 
I  iio,  la  dentale  caduque  des  terminaisons  en  -at  avait  un  son  affaibli, 
qui  ne  saurait  être  que  celui  de  th. 

Il  est  du  reste  probable  qu'elle  ne  l'a  pas  conservé  très  long- 
temps, et  les  poèmes  suivants  accusent  la  disparition  progressive  de 
cette  dentale.  Le  Voyage  de  Saint  Brandan,  le  Bestiaire  et  l'Estorie 
des  Engleis  contiennent  un  certain  nombre  chacun  de  rimes  accou- 
plant une  terminaison  en  -at  avec  quelque  mot  en  -a  pur.  Le  petit 
nombre  d'exemples  que  nous  relevons  dans  ces  trois  ouvrages 
tend  à  nous  faire  croire  que  l'évolution  n'était  pas  encore  com- 
plète et  que  les  poètes  n'employaient  guère  ces  rimes  qu'à  leur 
corps  défendant.  Le  Brandan  n'en  a  qu'une  seule  :  va  (^  :  la),  à 
côté  de  plusieurs  interrimes  ;  le  Bestiaire  en  a  davantage  ;  ad  qui 
rime  surtout  avec  des  .futurs  et  des  prétérits  (^ail  (  :  purat)  499; 
(  :  dunat)  801;  (  :  bevrat)  3061,  etc.)  se  rencontre  dans  des 
rimes  en  -a  pur:  (:  Honocrotalia)  au  vers  1239;  (  :  mandragora) 
au  vers  1576,  et  un  futur  rime  de  la  même  façon  :  vera  (  :  assida) 
au  vers  1264.  Gaimar  ne  nous  offre  pas  un  nombre  aussi  considé- 
rable d'interrimes  :  durra  (  .:  la)  au  vers  6062. 

On  est  donc  fortement  tenté  de  considérer  la  période  qui  s'étend 
du  Brandan  à  Gaimar  (1121-11 50)  comme  le  moment  pendant 
lequel  la  dentale  caduque  de  ces  terminaisons  perd  la  dernière 
valeur  qu'elle  était  appelée  à  prendre. 

Quoi  qu'on  puisse  penser  de  cette  hypothèse,  il  est  hors  de 
doute  qu'après  Gaimar  la  dentale  caduque  a  disparu  entièrement  de 
ces  terminaisons.  Chez  Adgar,  Simun  de  Freine,  Fantosme,  Guis- 
chart  de  Beauliu,  elles  riment  couramment  en  -a  pur  ;  nous  n'en 
donnerons  que  quelques  exemples,  car  ce  fitit  a  été  reconnu  bien 
souvent  déjà. 


100        L  EVOLUTION  DU  VERBE  EN  ANGLO-FRANÇAIS 

Adgar  entre  autres  exemples  nous  donne  :  ge1ta(  :  la)  V  R  222  ; 
iih'im  (  :  ca),  VI,  2,  175;  au  vers  699  du  Roman  de  Philosophie 
de  Simun  de  Freine  on  lit  va  (  :  la).  Dans  Jordan  Fantosme,  nous 
rencontrons  le  présent  a  à  la  rime  avec  ja  aux  vers  1220,  1247  ;  le 
futur  atoidra  rimant  avec  Albania  au  vers  530  ;  le  prétérit  avua 
avec  delà  aux  vers  531,  2521;  apela  avec  la  au  vers  1961  et 
plusieurs  autres. 

Nous  pouvons  donc  considérer  comme  assuré  que  nos  terminai- 
sons ont  définitivement  perdu  leur  dentale  vers  1150. 

Cependant,  si  ce  son  transitoire  disparaît  assez  vite,  nous 
croyons  que  le  souvenir  de  son  existence  a  dû  persister  assez  long- 
temps dans  un  certain  nombre  de  cas  particuliers.  C'est  du  moins 
de  cette  façon  que  nous  interpréterions  la  graphie  du  scribe  de 
Guischart  de  Beauliu  qui  représente  la  dentale  finale  non  appuyée 
d'un  futur  par  le  signe  qui  en  vieil  anglais  représentait  le  son  du  th 
doux.  Du  reste,  il  ne  nous  convient  pas  de  discuter  la  valeur  de  ce 
signe  dans  nos  manuscrits;  nous  pouvons  toutefois  rappeler  que 
le  signe  //;  ou  un  signe  équivalent  n'est  pas  rare  du  tout  dans  les 
difiïrents  manuscrits  anglo-français  :  à  côté  de  charrad  qu'on  trouve 
pour  le  vers  89  dans  le  Sermun  de  Guischard  de  Beauliu  on  ren- 
contre encore  suffriâ  pour  le  vers  910  dans  le  même  manuscrit. 

Mais  beaucoup  mieux  que  la  graphie  de  Guischart  de  Beauliu, 
et  les  graphies  analogues  s'il  y  en  a,  le  j-aisonnement  que  nous 
tenions  précédemment  peut  nous  convaincre  qu'à  une  certaine 
époque,  la  dentale  avait  le  son  de  th  et  même  nous  préciser  le 
moment  où  elle  l'a  perdu. 

Si  dans  le  Cumpoz,  le  Brandan,  le  Bestiaire  et  l'Estorie  des 
Engleis  les  interrimes  en  a  sont  nombreuses,  les  rimes  en  a  pur 
rares  ou  absentes,  et  que,  après  Gaimar,  ces  dernières  deviennent 
presque  aussi  communes  que  les  premières,  c'est  que  la  dentale 
finale  a  eu  entre  iioo  et  11 50  un  son  qu'elle  a  perdu  après  cette 
date. 

in.  La  dentale  dans  les  prétérits  en  /. 

Pour  les  prétérits  en  /,  nous  pouvons,  dans  nos  textes  anglo- 
français,  trouver  la  dentale,  avant  sa  chute,  sous  deux  formes, 
d'abord  avec  sa  valeur  propre  et  rimant  avec  des  dentales  appuyées; 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  lOI 

ensuite,  mais  ici   nous  ne   pouvons  guère   avancer  que  des  liypo- 
thèses  très  discutables,  avec  une  valeur  affaiblie. 

Les  exemples  qui  nous  montrent  des^  troisièmes  personnes  de 
ces  prétérits  à  dentale  appuyée  sont  rares  en  anglo-français,  mais 
ils  suffisent  pour  nous  montrer  que  le  souvenir  de  l'usage  ancien 
n'a  pas  entièrement  disparu  jusqu'au  milieu  du  xii^  siècle.  C'est 
ainsi  qu'on  trouve  dans  le  Cumpoz  raeniplit  à  la  rime  avec  dit  aux 
vers  1802  et  1122,  dans  Gaimar  entre  autres  exemples,  menti 
rime  avec  dit  (au  vers  2773)  ;  enfin  dans  Fantosme  on  trouve  ;///r- 
m  rimant  avec  vit  (au  vers  596).  Nous  pourrions  citer  un  exemple 
plusrécent:  rt/c^/^/V  qui  rime  avec  vit  au  vers  1179  du  Saint  Gille; 
cette  rime  semblait  à  juste  titre  probablement  suspecte  à  Gaston 
Paris  qui  propose  de  lire    atendeit  :  veit. 

Néanmoins  les  exemples  que  nous  fournissent  le  Cumpoz, 
Gaimar  et  Fantosme  suffisent  pour  établir  la  présence,  exception- 
nelle si  l'on  veut,  de  la  dentale  caduque  jusque  dans  la  seconde 
moitié  du  xii^  siècle;  elle  peut  être  un  phénomène  morphologique 
aussi  bien  qu'un  phénomène  phonique. 

Il  est  certainement  plus-  difficile  d'établir  d'une  fitçon  satisfai- 
sante l'existence  de  la  dentale  avec  son  transitoire.  Nous  avons 
cependant  de  fortes  présomptions,  sinon  des  preuves  absolues, 
qu'elle  a  eu  le  son  de  la  spirante. 

Il  est  certain  que  plusieurs  auteurs,  celui  du  Voyage  de  Saint 
Brandan  spécialement,  s'abstiennent  de  faire  rimer  ces  prétérits 
autrement  qu'entre  eux.  Cependant  les  mots  terminés  en  /  pur  ou 
en  /  avec  dentale  appuyée  sont  assez  nombreux,  et  cela  rend 
l'abstention  de  ces  auteurs  plus  significative  que  pour  les  troisièmes 
personnes  en  a.  Nous  avons  peut-être  une  preuve  plus  positive  si 
on  peut  accorder  quelque  valeur  probante  à  certaines  rimes  de 
Gaimar. 

Dans  l'Estorie,  cnmbatit  rime  avec  Edelfrid  (vers  1013)  et  avec 
Berefrid  (vers  1625).  Ces  deux  noms  avaient  alors  en  anglais 
comme  consonne  finale  un  //;  doux.  Ces  arguments  sont  loin  d'être 
absolument  convaincants;  mais  d'un  côté  comme  nous  venons  de 
le  voir,  la  dentale  finale  des  prétérits  en  i  subsistait,  quelquefois  au 
moins;  et  de  l'autre,  comme  nous  allons  le  montrer  elle  avait  à  la 
même  époque  disparu  dans  un  grand  nombre  de  cas  ;  il  est  difficile 
de  ne  pas  admettre  que  le  son  intermédiaire  n'a  pas  laissé  quelques 
races    dans  les  textes  de  cette  même  époque. 


102  L  liVOLUTION    DU  .VKRBE    EN    ANGLO-PRANÇAIS 

Les  rimes  les  plus  nombix'uses  nous  montrent  ces  prétérits 
rimant  avec  des  mots  en  /  pur;  par  exemple  déjà  dans  le  Cumpoz 
nous  relevons  failli  (:  ami)  167  ;  veuqui  (:  enemi)  781  ;  rmiibali 
(:  enemi)  827;  raciiipli  (:  di)  941.  Cf.  aussi  vers  969,  1971, 
3147.  Il  en  est  de  même  du  Bestiaire,  comme  on  peut  le  voir  aux 
vers  143,  296,  2381  . 

Dans  Gaimar  les  cas  où  la  dentale  est  absente  sont  beaucoup  plus 
fréquents  que  ceux  où  elle  est  conservée,  et  les  rimes  ne  sont  pas 
rares,  eveilli  {:  cri)  237  ;  oï  (:  cri)  855  ;  reciiilli  (:  fini)  4851  ;  cnm- 
bali  (:  hardi)  5081. 

Dans  Fantosme,  et  à  l'exception  du  cas  cité  plus  haut,  la  dentale 
a  disparu  '  ;  nous  avons  relevé  -un  nombre  assez  considérable  de 
rimes  probantes  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine,  de  Sœur  Clé- 
mence de  Barking  (cf.  vers  491,  1784,  736)  et  dans  Adgar 
(II,  .68;  m,  35;  XVIII,  171  ;  XIX,  156;  I  Eg.  28;  I  Eg.  56  0- 
Dans  ces  deux  derniers  auteurs,  c'est  le  seul  genre  de  rime  qui  sub- 
siste. Nous  n'irons  pas  plus  loin  ;  les  rimes  que  nous  avons  citées 
montrent  que  la  dentale  caduque  a  définitivement  disparu  des  Pré- 
térits en  ivi,  vers  1175-  Nous  la  verrons  du  reste  reparaître,  mais 
appuyée  d'une  s  sous  l'influence  des  Prétérits  en  si  ;  ceci  est  du 
reste  une  question  toute  différente  que  nous  traiterons  plus  tard. 

En  résumé,  pour  ces  prétérits,  la  dentale  a  subsisté  sporadique- 
ment pendant  les  trois  premiers  quarts  du  xu"  siècle,  elle  avait 
cependant  commencé  à  disparaître  dès  le  début  de  la  littérature 
anglo-française,  mais  elle  ne  disparaît  définitivement  sous  cette 
forme  qu'au  commencement  du  quatrième  quart  du  xii^  siècle. 

Quant  au  son  intermédiaire  de  th,  on  peut  croire  qu'il  a  disparu 
avant  1 1 7  5 . 

IV.  Chute  de  la  dentale  dans  les  prétérits  en  //  Çd). 

Les  exemples  que  nous  relevons  pour  cette  question  comportent 
eux  aussi  un  certain  élément  de  doute,  beaucoup  moindre  toutefois 
que  pour  les  troisièmes  personnes  que  nous  avons  déjà  examinées. 


1.  Cf.  J.  Vising,  op.  cit.,  pp.  89  et  85. 

2.  Rime  avec  merci  qui  lui-même  rinie  avec  immaculati.  I  Eg.  120. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  IO3 

Les  rimes  sont  presque  toutes  des  interrimes,  mais  dans  le  plus  grand 
nombre  des  cas  où  nous  trouvons  les  prétérits  faibles  rimant  avec 
des  mots  terminés  par  une  dentale,  il  nous  est  fiicile  de  déterminer 
la  valeur  de  cette  dentale  finale. 

Nous  avons  pour  cette  question  à  distinguer  entre  deux  sortes  de 
prétérits,  les  prétérits  faibles  de  la  cinquième  classe  et  le  prétérit 
du  verbe  être. 

Pour  les  premiers,  on  peut  avancer  deux  faits  de  la  première 
importance  : 

1°  on  ne  les  trouve  jamais  écrits  sans  la  dentale  finale  ; 

2°  ils  ne  riment  jamais  avec  des  mots  en  tt  pur  ;  ces  mots  sont 
évidemment  assez  peu  nombreux  en  français,  mais  cependant  nous 
en  trouvons  un  certain  nombre  (cf.  plus  bas). 

Les  seules  rimes  que  nous  trouvions  nous  montrent  les  prétérits 
faibles  rimant  avec  les  prétérits  forts  pour  lesquels  la  dentale 
n'est  pas  caduque,  et  ces  rimes  se  rencontrent  à  toutes  les  époques 
de  la  littérature  anglo-française.  Or  il  est  absolument  certain  que 
la  dentale  appuyée  de  ces  derniers  prétérits  s'est  toujours  mainte- 
nue, ce  qui  montre  par  conséquent  que  la  dentale  caduque  s'est 
conservée  de  la  mênie  façon. 

Voici  quelques-unes  de  ces  rimes. 

Dans  le  Cumpoz,  vers  907,  on  trouve  aparut  (  :  cunut)  ;  dans 
le  Bestiaire  vers  428,  fl/)rtn// rime  avec  cuncut,  etc.  Vers  le  milieu 
du  xii"  siècle  on  trouve  inorut,  pour  ne  citer  qu'un  seul  verbe,  fré- 
quemment à  la  rime;  dans  Gaimar,  il  rime  avec  dut  au  vers  5142; 
dans  Thomas  avec  ut,  vers  3067  ;  dans  le  Folie  avec  sout, 
vers  222  ;  dans  Adgar  avec  dut,  VII,  69,  avec  conut,  I  Eg.  -88, 
avec  out,  XXVIII,  191,  etc.  Dans  ce  dernier  auteur  et  dans 
Simund  de  Freine,  nous  pouvons  relever  un  nombre  considérable 
d'exemples  analogues. 

Ces  rimes  se  trouvent  encore  dans  la  plupart  des  écrivains  du 
siècle  suivant  ;  nous  n'en  citerons  pas  davantage  :  Angier,  Chardri, 
Robert  de  Gretham  et  tous  les  autres  montrent  très  fréquemment  à 
la  rime  les  verbes  de  la  cinquième  classe  des  prétérits  en  -ni,  rimant 
à  la  troisième  personne  du  singulier  avec  ceux  des  trois  premières 
classes. 

Ceci  nous  montre  que  ces  verbes  n'ont  jamais  perdu  leur  den- 
tale finale  en  anglo-français. 


104  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Le  prétérit  du  verbe  être  a  échappé  à  la  loi  générale  des  prété- 
rites  en  -///  :  il  a  perdu  à  la  troisième  personne  du  singulier  sa 
dentale  finale  de  très  bonne  heure.  Le  premier  exemple  que  nous 
ayons  relevé  de  la  forme  ///  attestée  par  la  rime  se  lit  dans  Gaimar 
où  elle  rime  avec  Jesu  au  vers  1341;  dans  Adgar  elle  rime  avec/w 
(  :=r  focuni)  V  R,  léi.  On  relève  un  nombre  considérable  de  rimes 
analogues  dans  Chardri  (cf.  Koch,  p.  xxxvi)  ;  elles  se  trouvent  aux 
vers  II 17,  1132,  13 10,  1422  de  Josaphat,  au  vers  13-I1  du  Petit 
Plet,  etc.  Fh  a  donc  perdu  sa  dentale  vers  le  milieu  du  xii''  siècle  et 
au  siècle  suivant  les  rimes  qui  assurent  cette  forme  sont  aussi  très 
nombreuses;  cependant,  et  jusqu'au  milieu  du  xiii'^  siècle^  on  peut 
rencontrer  des  exemples  où  la  dentale  est  conservée,  par  exemple 
dans  les  Dialogues  de  Saint  Grégoire  où ////  rime  avec  tut  de  taire 
(fol.  49  v°  b);  dans  Robert  de  Gretham  (fol.  38  r°)  où  il  rime 
avec  put,  de  pouvoir  et  dans  la  Plainte  d'Amour  (au  vers  834), 
avec  eut  d'avoir.  Il  est  donc  possible  que  certains  auteurs  plus 
corrects  ou  aimant  les  formes  archaïques  aient  à  l'occasion  rendu  à  la 
troisième  personne  du  singulier  du  prétérit  d'être  la  dentale  qu'elle 
avait  perdue  depuis  à  peu  près  soixante  ans  ou  plus  ;  mais  il  faut 
remarquer  que  les  rimes  que  nous  avons  citées  unissent  toujours  à 
fu  la  troisième  personne  d'un  prétérit  fort,  et  jamais  à  un  autre 
mot.  On  serait  donc  en  droit  de  se  demander  si  ce  n'est  pas  le  pré- 
térit fort  qui,  lui  aussi,  perd  sa  dentale  exceptionnellement.  Quoi 
qu'il  en  soit,  il  est  tout  à  fait  évident  que  dans  l'immense  majorité 
des  cas,  fu  est  employé  sans  dentale  depuis  le  commencement 
de  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle.  Il  peut  y  avoir,  même  au 
xiii^  siècle,  quelques  exceptions,  mais  elles  ne  sauraient  prouver 
grând'chose. 

Au  xiv^  siècle,  la  dentale,  comme  nous  l'avons  vu  et  comme 
nous  le  verrons,  apparaît  de  nouveau  appuyée  par  la  consonne  s  ; 
just  est  une  des  formes  les  plus  employées,  spécialement  dans  les 
textes  non  littéraires. 

CONCLUSIONS    SUR    LA    DENTALE    CADUQUE    A    LA 
TROISIÈME     PERSONNE    DU     SINGULIER 

Tels  sont  les  éléments  qui  nous  permettent  de  nous  faire  une 
idée  de  l'évolution  de  la  dentale  caduque  finale  aux  différentes 
troisièmes  personnes  du  singulier  en  anglo-français. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I05 

Ces  terminaisons  nous  offrent,  croyons-nous,  des  exemples  de 
tous  les  états  par  lesquels  cette  lettre  a  passé  avant  de  disparaître. 

Les  prétérits  faibles  en  ni,  à  l'exception  de  celui  du  verbe  être, 
conservent  cette  dentale  jusqu'à  la  fin.  Pour  les  prétérits  en  /,  nous 
avons  plusieurs  rimes  qui  nous  montrent  cette  dentale  conservée 
sporadiquement  vers  le  milieu  du  xii'^  siècle  et  prenant  probable- 
ment vers  cette  époque  un  son  transitoire  qui  a  dû  être  analogue 
au  fb  doux,  spirante  dentale  douce.  Les  troisièmes  personnes  du  sin- 
gulier terminées  par  a  ont  probablement,  elles  aussi,  pris  ce  son 
affaibli,  au  moment  où  fii  perdait  sa  consonne  finale.  Enfin,  l'étude 
de  la  versification  des  poèmes  antérieurs  au  Saint  Auban  montre 
que  les  troisièmes  personnes  du  singulier  terminées  par  e  ont  con- 
servé la  dentale  caduque  sous  forme  de  consonne  de  liaison,  au 
moins  jusque  dans  le  premier  tiers  du  xiii*^  siècle,  peut-être  jusque 
vers  1250. 

B,    La  dentale  appuyée. 

La  dentale  appuyée  montre  une  tendance  à  poursuivre  la  même 
évolution  que  la  dentale  caduque,  quoique  les  résultats  de  cette 
tendance  soient  beaucoup  moins  généraux  que  ceux  que  nous 
avons  déjà  observés. 

Il  n'est  pas  rare  de  trouver  cette  dentale  exprimée  par  fh;  cette 
graphie  est  généralement  due  aux  scribes  et  ne  se  rencontre  guère 
que  lorsque  l'influence  de  l'anglais  est  devenue  assez  forte,  c'est-à- 
dire  dans  la  seconde  moitié  du  xiii'^  siècle.  C'est  ainsi  que  nous 
trouvons  dans  la  Satire  sur  le  Siècle  rilb  :  despith  au  folio  80  v°  ; 
dans  l'Apocalypse  (jeetlj)  y.,  352.  On  pourrait  certainement  donner 
un  plus  grand  nombre  d'exemples,  mais  il  semble  peu  utile  d'in- 
sister davantage  sur  une  simple  graphie. 

Du  reste,  quoique  tJ)  pour  ^  ou  ^  se  rencontre  encore  au 
XIII''  siècle,  des  cas  assurés  de  la  chute  de  cette  dentale  se  trouvent 
au  siècle  précédent.  Gaimar  est  le  premier  auteur  chez  qui  nous 
relevions  des  rimes  probantes,  nous  montrant  la  chute  de  la  den- 
tale au  présent  et  au  prétérit;  par  exemple  le  présent  suiniin  '  qui 


I.  On  peut  consulter  sur  ce  point  ce  que  dit  Behrens,  Beitràge  zur  Gescliiclite 
der  franzôsischen  Sprache  in  England,  Franzôsischen  Siudien,  V,  p.  142. 


io6  l'évolutton  du  verbe  en  anglo-français 

rime  au  vers  2880  avec  gcnin  au  vers  3020  avec  passiun;  il  se 
trouve  aussi  i\  Tintéricur  de  vers  sous  cette  forme.  Du  reste  d'autres 
poèmes  nous  donnent  des  rimes  analogues  pour  d'autres  verbes  ; 
Horn  fait  rimer  au  vers  11.46  cspcl  avec  novel  quoique  cspclf  reste 
plus  commun  '. 

Le  ^/ =  dit  (dicit),  au  premier  vers  de  la  strophe  31  du  Saint 
Alexis,  donné  par  le  ms.  L,  appartient  aussi  évidemment  au 
xiii^  siècle  quoiqu'il  soit  possible  de  ne  le  considérer  que  comme  le 
résultat  d'une  erreur  cléricale. 

Pendant  tout  le  xii^  siècle,  nous  n'avons  d'assuré  par  la  rime 
qu'un  seul  cas  de  la  chute  de  la  dentale  fixe  au  prétérit  ;  elle  se 
trouve  encore  dans  l'Estorie  des  Engleis  ;  Gaimar  y  fait  rîmer  traît- 
sit  (=  transit)  avec  Beverli,  au  vers  1689  et  avec  Tosti  au  vers 
5061.  Ordinairement  ce  mot  savant  rime  avec  des  terminaisons  à 
dentale  caduque.  Il  est  possible  de  considérer  ici  la  chute  du  / 
comme  un  fait  d'analogie,  plutôt  que  comme  le  résultat  d'une  évo- 
lution phonique. 

Enfin,  une  autre  forme  est  assurée  encore  au  xii^  siècle,  c'est 
l'imparfait  er  qui  se  trouve  au  vers  1214  du  Roland  d'Oxford,  elle 
deviendra  du  reste  par  la  suite  assez  commune  (cf.  Horn,  82,  O). 

Au  xiii^  siècle,  le  nombre  des  rimes  du  genre  de  celles  que  nous 
venons  de  citer,  est  très  petit,  nous  ne  voyons  que  ciir  (pour  ciirt 
de    courir)    rimant  avec /r;7/r  au  vers  313  d'Aspremont. 

Dans  le  corps  du  vers  les  exemples  sont  beaucoup  plus  nom- 
breux, le  poème  de  Boeve  nous  en  présente  un  très  grand  nombre 
de  cas,  ainsi  ^  pour  est  au  vers  853  etc.;  Edward  le  Confesseur  a 
vai  au  vers  993,  Otinel  aer  (de  ardeir)  au  vers  38  etc.  ;  William 
de  Waddington  covien  au  vers  5325.  Tous  ces  exemples  peuvent 
n'être  que  des  négligences  des  scribes,  il  convient  peut-être  de 
ranger  dans  la  même  classe  le  reniahigii  qu'on  lit  au  vers  239  du 
Bestiaire,  dans  le  manuscrit  O. 

Au  prétérit,  nous  relevons  un  fait  légèrement  différent  dans  tcnc 
au  vers  1630  du  Saint  Aubin,  link  dans  Edward  le  Confesseur  au 
vers  362,  la  gutturale  de  la  première  personne  persistant  à  la  troi- 
sième y  fait  tomber  la  dentale  ^. 

1.  On  trouve  aussi  dans  l'Estorie  des  Engleis  la  forme  régulière,  vers  2652; 
citons  encore  espel^  qu'on  lit  au  vers  2154,  du  même  poème. 

2.  On  trouve  cependant  iinct. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I07 

Nous  ne  trouvons  que  relativement  peu  d'exemples  de  cette 
chute  de  la  dentale  appuyée  au  xiv^  siècle;  ce  n'est  pas  une  de  ces 
irrégularités  presque  régulières  comme  on  en  trouve  tant  à  cette 
époque.  Nous  n'avons  qu'un  très  petit  nombre  de  cas  à  citer,  et 
parmi  eux  les  rimes  sont  rares.  Dans  le  siège  de  Carlaverok  on  a 
preng,  p.  2  6«ç  dans  Pierre  de  Langtoft,  on  trouve  à  la  rime  reqiicr 
(II,  272,  22)  et  au  prétérit,  pris  (Pierre  de  Langtoft,  II,  60,  10); 
on  lit  fis,  dans  Foulques  Fitz-Warin,  p.  22.  Citons  encore  es  qui 
est  assez  commun  dans  le  manuscrit  Egerton  des  Miracles  de  la 
Vierge  (cf.  VI,  vers  207),  et  qu'on  trouve  aussi  dans  le  manuscrit 
qui  donne  le  poème  de  Renaut  de  Montauban  (cf.  p.  22). 

Les  cas  où  la  dentale  appuyée  disparaît  sont  relativement  très 
rares  dans  les  ouvrages  non  littéraires,  les  textes  les  plus  corrects, 
comme  les  Statutes,  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham,  même 
ceux  dont  la  correction  est  plus  douteuse,  les  Rymer's  Foedera  par 
exemple,  ne  nous  en  offrent  aucun  exemple;  nous  avons  pu  cepen- 
dant en  recueillir  quelques  cas,  on  verra  qu'ils  sont  à  la  fois 
peu  nombreux  et  de  peu  d'importance,  étant  donné  le  grand 
nombre  d'ouvrages  consultés.  Le  premier  exemple  de  la  chute  de 
cette  dentale  se  trouve  à  la  date  de  1285  dans  les  Early  Statutes 
of  Ireland  (p.  94)  :  amon  pour  amonte  ;  on  voit  que  la  voyelle 
muette  est  tombée  tout  d'abord,  puis  la  dentale  a  suivi.  Dans  le 
Liber  Rubeus  de  Scaccario  (à  la  date  de  1300,  vol.  III,  p.  987),  on 
a  fui  pour  fuit  ^=  fut;  ci  pour  est  se  rencontre  dans  le  Registrum 
Palatinum  Dunelmense  (1302,  III,  ^i);  pies  (  =  placet)  se  lit  dans 
les  Letters  from  Northern  Registers  (1304,  103)  et  es  dans  les 
Mem.  Pari.  1305,  §  136;  coveneye  est  une  forme  très  rare  de 
l'imparfait  de  l'indicatif  employée  une  fois  dans  le  même  recueil 
Dans  les  Literae  Cantuarienses  on  trouve  ne  pas  pour  n'est  pas,  qui 
se  rencontre  du  reste  dans  la  même  page  (1309,  195),  enfin  dans 
une  lettre  de  1393  dans  les  Documents  Inédits  on  trouve  reqiier. 

Les  exemples  sont  plus  nombreux  dans  les  Year  Books,  mais  ils 
ne  sont  pas  plus  probants  ;  on  trouve  assez  fréquemment  au  lieu  de 
est  soit  es  (dans  esse,  est-ce)  soit  e,  la  première  de  ces  formes  se  lit 
dans  20  et  21  Edward  L',  p.  231;  21  Edw.  P"",  p.  183,  et  passini  ; 
la  seconde  dans  TEyreof  Kent  13  13,  III,  133.  On  peut  citer  encore 
quelques  exemples  de  la  chute  de  /  après  consonne  :  defen  20  et  21 
Edw.  I",  175;  remeign  i   et  2  Edw.  II,  "-j  ;  jeisse  pour  feist  3  Edw. 


io8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

III,  6;  après  voyelle  covcudrcy  33  et  35  Edw.  V',  179,  di  17  et 
18  Edw.  III,  149. 

Comme  on  le  voit  le  nombre  d'exemples  est  très  restreint  ;  ceux 
que  nous  fournissent  les  Year  Books  sont  de  dates  très  indétermi- 
nées et  on  pourrait  sans  trop  de  difficulté  considérer  chaque  cas 
pris  individuellement  comme  une  preuve  de  l'ignorance  ou  de 
la  négligence  des  scribes;  cependant  ces  exemples  nous  donnent 
des  indications  qu'il  vaut  mieux  ne  pas  négliger  et  en  les  compa- 
rant aux  quelques  cas  que  nous  avons  trouvés  dans  les  œuvres  litté- 
raires nous  nous  rendons  compte  que  la  dentale  finale  même 
appuyée  tend  à  s'amuir  et  à  disparaître. 

Aux  exemples  précédents,  nous  pouvons  en  ajouter  quelques 
autres  qui  ne  manquent  pas  d'intérêt;  ils  montrent  à  la  troisième 
personne  du  singulier  et  l'imparfait  du  subjonctif  la  chute  de  la 
dentale  finale  de  l'addition  d'un  e  muet.  Ces  exemples  ne  se  ren- 
contrent que  dans  les  Rymer's  Foedera  et  les  Statutes.  On  trouve 
ainsi  aprochase  (1351,  V,  754),  vciiJlûise  (1338,  V,  46)  dans  le 
premier  recueil.  Feusse  et  fuisse  sont  employés  beaucoup  plus  sou- 
vent :  deux  fois  dans  les  Statutes  (1369,  I^  390;  1378,  II,  9)  et  une 
dizaine  de  fois  dans  le  Rymer  (1392,  716,  1396,  829).  Mais  la 
plupart  des  cas  où  nous  trouvons  feusse  nous  montrent  que  cette 
forme  ne  doit  pas  provenir  de  la  troisième  personne  régulière;  en 
effet  ce  mot  se  trouve  le  plus  souvent  dans  la  formule  si  fwtre 
propre  personne  y  feusse  présente  ;  il  semble  donc  qu'on  ait  plutôt 
affaire  à  une  attraction  de  la  première  personne  du  singulier. 

DÉSINENCES    EN    ST 

L'irrégularité  plus  ou  moins  grande  suivant  les  auteurs  et  les 
périodes  des  désinences  en  sf  est  une  des  caractéristiques  de  l'an- 
glo-français.  La  question  est  naturellement  assez  complexe.  Tout 
d'abord  on  peut  voir  qu'elle  est  double  :  quelles  sont  les  troisièmes 
personnes  du  singulier  qui  prennent  indûment  1'^  devant  la  dentale 
finale?  Quelles  sont  celles  qui  perdent  Y  s  qu'elles  devraient  régu- 
lièrement avoir  ? 

En  second  lieu,  à  quel  moment  Vs  a-t-elle  cessé  d'être  prononcée 
et  est-elle  devenue  purement  .graphique  ?  Enfin,  après  que  Vs  a 
perdu  dans  cette  position  sa  valeur  propre,  suivant  quels  principes 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I09 

OU  quelles  règles,  s'il  y  en  a,  les  auteurs  l'ont-ils  écrite  ou  omise  ? 

La  plupart  de  ces  questions,  comme  nous  le  verrons,  sont  con- 
nexes. 

Pour  plus  de  clarté,  il  nous  semble  indispensable  de  distinguer 
dès  maintenant  deux  périodes  :  pendant  la  première,  qui  est  la  plus 
importante  au  point  de  vue  philologique,  c'est  la  torme  du  verbe 
latin  qui  est  la  cause  directe,  même  la  cause  unique,  de  la  présence 
de  1'^  dans  cette  terminaison  ;  pendant  la  seconde,  la  présence  de 
cette  consonne  est  due  à  des  causes  qui  n'ont  rien  de  commun 
avec  l'étymologie  ;  la  fantaisie  de  l'écrivain,  des  soucis  d'élégance, 
tels  que  ceux  que  nous  révèle  l'Orthographia  Gallica,  des  analogies 
plus  ou  moins  extraordinaires  —  sans  parler  des  bévues  des  scribes 
—  concourent  à  produire  les  formes  que  nous  relevons. 

Il  est  toutefois  impossible  de  fixer  les  dates  ;  la  fantaisie,  l'analo- 
gie etc.,  se  trouvent  déjà  au  xii=  siècle  et  agissent  en  même  temps 
que  les  tendances  régulières. 

Avant  d'entrer  dans  les  détails  de  la  question,  nous  pouvons 
faire  observer  qu'elle  ne  diffère  qu'assez  peu  de  la  question  de  Vs  à 
la  première  personne  du  singulier.  Le  seul  point  qui  sépare  ces 
deux  questions,  c'est  que  Vs  peut  être  graphique  à  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  et  qu'elle  ne  l'est  jamais  à  la  première.  Nous 
allons  voir  que  le  développement  de  Vs  devant  le  t  suit  la  même 
marche  que  1'^  finale. 

L  —  Régulièrement  ce  sont  les  inchoatifs,  puis  les  verbes  en  -sco 
qui  prennent  Vs  devant  la  dentale  de  la  troisième  personne  du  sin- 
gulier. 

L'anglo-français  a  eu  vite  fait  d'étendre  cette  s  à  la  plupart  des 
verbes  à  palatale,  et  nous  trouvons  des  exemples  de  la  termi- 
naison en  st  pour  ces  verbes  dans  les  premiers  textes  que  nous  pos- 
sédons. Aucun  des  exemples  que  nous  avons  relevés  ne  se  trouve 
assuré  par  la  rime,  ce  qui  n'empêche  pas  un  fort  grand  nombre  de 
ceux-ci  d'être  très  anciens.  Nous  n'en  citerons  que  quelques-uns  et 
tout  d'abord  ceux  qui  nous  paraissent  prendre  constamment  cette  s 
au  xii^  siècle. 

Le  manuscrit  A  de  l'Alexis  nous  donne  au  moins  deux  exemples 
de   ces   formes  :  destniist  (28  b),  et  gist  (50  a)'  ;  cette   dernière 

I.  Vom  gist,  cf.  Thoniscii,  Roinania  Y,  67;  Focrstcr,  Zcitschrift  fur  roni.  Pliil. 
II,  178. 

Four  phiisl,  cl.  Stcngcl,  Zcitschrift  fur  roni.  Phil.,  I,  106,   107. 


IIO  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-rRANÇAIS 

forme  nous  est  aussi  donnée  par  le  ms.  L.  Elles  datent  par  consé- 
quent du  milieu  du  xir'  siècle.  Le  Voyage  de  Saint  Brandan  nous 
ortre  aussi  plusieurs  exemples  qu'il  est  plus  difficile  de  dater  :  braist 
(au  vers  930),  esïist  (au  vers  107).  Citons  surtout  taisl  (au  vers 
376);  cette  forme  en  effet  se  rencontre  et  même  assez  fréquem- 
ment dans  plusieurs  autres  auteurs  ;  cf.  taest  dans  les  Dialogues  Gré- 
goire le  Grand  (48,  c,  24,  Timothy  Cloran). 

Le  Bestiaire  nous  donne  sufist  (vers  361)  ;  le  Psautier  de  Cam- 
bridge plâist  (50,  17);  (cf.  plaesl  dans  les  Dialogues  Grégoire  71, 
c,  41  Timothy  Cloran  u.  s.)  '.  Sœur  Clémence  de  Barking  a  paist 
(vers  13),  naist  (vers  14)  et  bien  d'autres  exemples  pourraient  être 
cités. 

Nous  ne  voulons  pas  cependant  allonger  la  liste,  car  dans  toutes  les 
formes  que  nous  avons  données,  Vs  est  assez  facile  à  expliquer  et, 
autant  que  nous  pouvons  en  juger,  constante.  Il  n'en  est  pas  de 
même  d'un  certain  nombre  d'autres  verbes  à  palatale  :  laisser,  faire, 
traire. 

Prenons  d'abord  le  verbe  laisser  ;  la  troisième  personne  du  sin- 
gulier du  présent  de  l'indicatif  de  ce  verbe  se  présente  sous  les  deux 
formes  :  laist  et  lait\  il  n'eçt  pas..^ass.uré  que  ces  deux  formes  pro- 
viennent--Je  deux  infinitifs  différents.  La  première  iinie  2vsc  plaist 
au  vers  383  du  Tristan  de  Thomas  et  est  encore  employée  dans  le 
corps  du  vers  3786  de  ce  même  poème;  lest  rime  avec  est  dans 
Edward  le  Confesseur  et  se  rencontre  passhn  dans  le  corps  du  vers. 
Le  ms.  R  de  l'Estorie  desEngleis  (première  moitié  du  xiii^  s.)  l'em- 
ploie plusieurs  fois  (cf.  vers  2633,  2814).  Nous  en  trouvons  des 
exemples  dans  la  Vie  de  Saint  Emund,  dans  la  Vie  de  Saint  Gré- 
goire (vers  938),  dans  William  de  Waddington  (2183),  dans  le 
Saint  Auban  (1440),  etc.;  enfin  c'est  la  forme  constamment 
employée  dans  les  Statutes. 

Citons  encore  très  rapidement  quelques  exemples  de  la  forme 
sans  j,  qui  tout  en  étant  moins  fréquente  est  à  peu  près  aussi 
ancienne  en  anglo-français.  La  plus  ancienne  rime  que  nous  ayons 
rencontrée  se  lit  dans  le  Tristan  de  Thomas  au  vers  1993,  lait 
(:  estait)  ;    les  mss.   C,  D  et  L  de  l'Estorie  des  Engleis  l'emploient 

I.  On  trouve  cependant ^/^)//  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (cf.  II,  19,  37); 
cependant  la  fonne plaist  est  beaucoup  plus  commune,  on  la  trouve  37  fois  (cl. 
Merwart,  p.  12). 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I  I  I 

aux  deux  vers  que  nous  avons  cités  (2633,  2814).  Une  autre  rime 
se  lit  dans  les  œuvres  de  Guischart  de  Beauliu  (:  estait)  au  vers  70. 
Et  les  exemples  de  cette  forme  continuent  à  être  aussi  nombreux, 
à  mesure  qu'on  avance  dans  la  littérature  anglo-française.  On  la 
rencontre  aussi  dans  les  ouvrages  non  littéraires  et  l'exemple  le 
plus  ancien  se  trouve  dans  le  Liber  Custumarum,  à  la  date  de 
1280,  p.  288,  sous  la  forme  lel. 

Comme  on  le  voit,  l'existence  de  lait  à  une  époque  reculée  est 
assurée  d'une  manière  satisfiiisante;  mais  la  forme  avec  -st  reste 
toujours  la  forme  ordinaire  de  la  troisième  personne  du  singulier 
du  présent  de  l'indicatif  de  laisser.  Quant  à  faire, c'est  le  contraire 
qui  est  la  règle;  fait,  fet  est  à  toutes  les  époques  la  forme  la  plus 
communément  employée.  Les  exemples  qui  nous  montrent  faist 
sont  beaucoup  plus  rares  ;  le  plus  ancien  que  nous  ayons  relevé  ne 
remonte  pas  au  milieu  duKii*^  siècle  ;  il  se  lit  dans  les  Quatre  Livres 
des  Rois  (II,  22,  12)  ;  on  en  trouve  encore  un  autre  cas  dans  le 
ms.  Ode  Hovn,  fest  au  vers  1365  ;  le  poème  de  Boeve  de  Haumtone 
nous  en  offre  encore  un  cas  au  vers  120,  mss.  B  et  D,  et  B  seul  nous 
donne  la  même  forme  aux  vers  1026,  1080;  citons  encore  les 
Lettres  de  Jean  de  Peckham  (1280,  92),  et  surtout  toute  la  série 
des  Year  Books  où  cette  forme  est  fort  commune  (cf.  par  exemple 
14  Edward  III,  53  Qipassiiii'). 

Nous  pourrions  répéter  à  peu  de  chose  près  les  mêmes  remarques 
à  propos  de  trait  \s\  cette  forme  est  fréquente,  l'autre,  traist, est  rela- 
tivement moins  rare  que  faist.  On  la  rencontre  déjà  dans  le  Roland 
d'Oxford,  au  vers  3959;  dans  le  corps  du  vers  4717  de  l'Estorie 
des  Engleis  (4  mss.);  dans  les  Dialogues  Grégoire  le  Grand,  71,  c, 
24  (cf.  Tiraothy  Cloran,  p.   18). 

Quelques  autres  verbes  à  palatale  se  rencontrent  encore,  mais 
plus  rarement  avec  la  désinence  -j'/ à  la  troisième  personne  du  singu- 
lier. Nous  avons  relevé  par  exemple  dist  au  vers  2596  de  Boeve; 
dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  liist  {=  lucet)  au  vers  1666. 
Ajoutons  encore  un  autre  exemple  tiré  de  Boeve  de  Haumtone  : 
condust  au  vers  2290  que  M.  Stimming  considère,  à  tort,  croyons- 
nous,  comme  un  prétérit. 

Cette  liste  d'exemples  assez  longue  peut  suffire  à  montrer  que,  à 
un  moment  ou  à  un  autre,  et  très  souvent  dès  le  commencement 
du  xii"^  siècle,  l'anglo-français  a  employé  Vs  à  la  troisième  personne 


112  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-l-RANÇAIS 

du  singiiliLT  du  présent  de  l'indicatif  de  la  plupart  des  verbes  h  pala- 
tale. 

A  coté  de  ces  verbes  à  palatale,  pour  lesquels  l'^-  peut  s'expliquer, 
nous  rencontrons  un  certain  nombre  de  thèmes  à  labiale  ou  à  den- 
tale pour  lesquels  la  présence  de  Ys  à  la  troisième  personne  du  sin- 
gulier du  présent  de  l'indicatif  n'est  pas  aussi  naturelle. 

Les  exemples  qu'ils  nous  fournissent  sont  du  reste  moins  nom- 
breux et  ordinairement  plus  récents  que  ceux  que  nous  avons  déjà 
précédemment  cités.  Le  plus  ancien  exemple  que  nous  ayons 
relevé  pour  les  thèmes  à  dentale  remonte  au  xiii"^  siècle  ;  on  le  lit 
dans  le  Saint  Edmund,où  il  est  assuré  dans  une  certaine  mesure  par 
la  rime,  c'est  vest  (vadit)  (:  lest)  aux  vers  1361-1362';  un  peu 
plus  tardivement,  on  rencontre  une  rime,  douteuse  encore,  dans  le 
Poème  Allégorique,  vers  263,  coiuhasl  (:  estast)  (lire  combat-estat). 
Tous  les  autres  exemples  que  nous  pouvons  citer  doivent  probable- 
ment être  attribués  aux  scribes  :  dans  le  ms.  O.  de  Guischart  de 
Beauliu  au  vers  70,  on  trouve  vest  que  nous  avons  déjà  rencontré 
dans  le  Saint  Edmund  ;  pocsl  (vers  235)  &t  post  (vers  6281)  dans  le 
ms.  A  (milieu  du  xiii''  s.)  de  l'Ipomédon.  Arst  se  lit  dans  Pierre  de 
Langtoft  (I,  186,  i),  et  puist  dans  les  Litterae  Cantuarienses  (1338, 

653)- 

Les  rimes  ne  sont  pas  plus  nombreuses  pour  les  verbes  à  labiale 

et  la  plus  ancienne  que  nous  ayons  est  encore  postérieure  à  la  rime 

de  Saint  Edmund,  c'est  vist  (vivit)  (:  Crist)  dans  les   Heures  de  la 

Vierge,  et  cette  rime  y  est  répétée  aux  folios  62  v°  et  63  v°. 

Boeve  au  vers  2995  a  sest  de  savoir,  forme  qui  se  retrouve 
assez  souvent  dans  les  Year  Books  à  des  dates  indéterminées; 
citons  encore  dcist  au  vers  50  du  poème  sur  l'Antecrist,  de  devoir. 

Pour  les  verbes  en  /  et  en  n  les  exemples  ne  sont  pas  très  rares, 
et  au  moins  l'un  d'eux  doit  remonter  assez  haut,  même  s'il  appar- 
tient comme  il  est  probable,  au  scribe.  C'est  espciist  qui  se  lit  au 
vers  265  de  l'Estorie  des  Engleis  et  nous  avons  cité  précédemment 
(cf.  une  autre  forme  du  même  verbe  qu'on  rencontre  au  vers  2154 
du  même  poème  :  espel^  (=1  espelst  ?)  ^ 


1.  On  pourrait  rejeter  cette  forme  sur  le  scribe  en  lisant  lait. 

2.  Pour  la  (orme  espelt,  on  peut  voir  Gaston  Paris,  Alexis,  p.  189,  70  e.  Espelt 
est  donné  par  le  ms.  R  ;  D   àonnz  espalt,   hespaut,   Wespeaut.    Dans  cspeli,   le  ;^ 


La  troisième  Personne  du  singulier  113 

Les  verbes  en  /  nous  fournissent  plusieurs  autres  exemples  ; 
citons  vaust  dans  le  Mem.  Pari.  1305,  §  56;  veust  dans  les  Litterae 
Cantuarienses  1338,  653  ;  dans  32,  33  Edw.  I",  p..  5,  et  passim  dans 
les  Year  Bocks. 

Les  thèmes  en  n  sont  assez  rares,  citons  empciusl  au  vers  1809  de 
Thomas  (ms.  Str.^  du  xiir'  s.);geeiist  dans  le  Saint 'Auban  au  vers 
589,  ces  deux  derniers  exemples  ressemblent  à  des  prétérits  en  si, 
mais  le  contexte  montre  clairement  que  ce  sont  des  présents. 

Il  nous  semble  évident  que  dans  les  verbes  précédents  (verbes  à 
labiale,  en  /,  en  n\  Vs  ne  saurait  avoir  une  origine  étymologique; 
à  la  rigueur,  on  pourrait  encore  admettre  cette  origine  pour  les 
thèmes  à  dentale,  quoique,  comme  nous  le  verrons  plus  tard,  cela 
ne  soit  pas  très  vraisemblable;  pour  les  autres,  la  désinence  en  -st 
ne  peut  être  qu'analogique. 

C'est  ce  que  pourra  nous  montrer  l'extension  de  la  consonne  .f  à 
d'autres  troisièmes  personnes  du  singulier.  D'autres  temps  que  le 
présent  de  l'indicatif  prennent  irrégulièrement  la  désinence  en  -st  ; 
tout  d'abord  certains  prétérits.  On  sait  que  seuls  les  prétérits  en  si 
y  ont  droit;  cependant,  et  souvent  très  tôt,  d'autres  prétérits  se 
montrent  sous  cette  forme  :  les  différents  prétérits  en  ivi,  et,  à 
quelques  années  près,  les  prétérits  en  ni.  Les  premiers  furent 
affectés  d'abord  ;  on  trouve  dans  un  bon  nombre  d'auteurs  du 
xii^  siècle  des  prétérits  en  ivi  montrant  à  la  troisième  personne 
du  singulier  la  terminaison  -ist  ;  par  exemple  le  Psautier  d'Arun- 
del  nous  donne  cisist  (18,  4);  finristÇ^j,  10),  etc.  Dans  l'Es- 
torie  des  Engleis,  des  formes  analogues  sont  extrêmement  com- 
niunes  à  l'intérieur  du  vers,  et  quelques-unes  d'entre  elles 
doivent  appartenir  à  l'auteur,  car  la  rime  nous  montre  que  Gai- 
mar  donne  quelquefois  cette  terminaison  à  des  prétérits  en  ivi, 
par  exemple,  on  trouve  :  viarist  Ç:  asist)  au  vers  2010;  resplcndist 
au  vers  6107.  A  partir  de  Gaimar,  les  rimes  de  ce  genre  sont  assez 
communes,  citons  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  laugitist  (:  mesfist) 
au  vers  143.  Ces  quelques  exemples  pourraient  nous  dispenser  de 
recourir  aux  auteurs  du  xiii^  siècle  ;  chez  eux  les  rimes  ne  sont  pas 
rares  (cf.  Boeve  de  Haumtone  vers  303,  599;  Sardenai,  vers  178, 

doit  être  une  graphie,  assez  rare,  mais  qui  n'est  pas  unique  de  st.  Nous  trouvons 
dans  Horn  ^employé  (par  le  scribe?)  avec  une  valeur  différente.  Giiiiris;^se  lit 
dans  le  ms.  O  aux  vers  75  et  90  ;  évidemment  ici  -  équivaut  à  t7. 

8 


114  L  EVOLUTION    DU    VHRBli    KN    ANGLO-FRANÇAIS 

etc.)  C'est  surtout  l'étude  des  manuscrits  écrits  au  xiii''  et  au  xiv' 
siècles,  littéraires  ou  non,  qui  nous  montre  la  tendance  que  tous  les 
prétérits  de  cette  classe  ont  à  prendre  à  la  troisième  personne  du 
singulier  la  terminaison  en  -isl. 

Le  nombre  des  formes  en  iist  des  prétérits  en  ui  est  au  moins 
aussi  considérable,  si  celles-ci  sont  un  peu  plus  tardives;  plusieurs 
d'entre  elles  sont  assurées  par  la  rime,  citons  mnrrusl  (:  soûst  I.  S.) 
dans  la  Folie  de  Tristan  au  vers  22',  cuiiust  (:  fust  I.  S.)  dans  les 
Set  Dormans  au  vers  1239  ;  conceust  (:  frust  =  fructum)  au  folio 
49  r°  de  la  Genèse  Notre-Dame.  En  dehors  de  la  rime  nous  en  trou- 
vons de  nombreux  exemples  dans  Gaimar,  viorust  129},  par iist 
2252,  etc.,  etc. ,  parus t  se  rencontre  au  vers  162  du  Donnei  des 
Amants.  Ces  derniers  exemples  doivent  ou  peuvent  provenir  des 
scribes,  par  conséquent  ne  remonter  qu'au  xiir'  siècle;  en  effet,  pen- 
dant ce  siècle  et  le  siècle  suivant,  les  scribes  aussi  bien  que  les 
auteurs  emploient  pour  les  prétérits  en  ///  la  forme  avec  s  aussi  sou- 
vent que  la  forme  sans  s  :  moriist,  pantst,  corust,  se  rencontrent  dans 
le  Saint  Julien  78  v°,  dans  Boeveau  vers  3  266,  dans  le  Saint  Auban 
vers  287,  dans  William  de  Waddington  au  vers  1259, ///5/,  reciist, 
cunust,  crust,  dans  le  Genèse,  Boeve,  Chardri,  William  de  Wadding- 
ton. 

Ce  sont,  comme  les  exemples  précédents  le  montrent,  d'abord 
les  prétérits  en  ///  de  la  cinquième  classe,  et,  un  peu  plus  tard  peut- 
être,  ceux  de  la  troisième  qui  prennent  cette  s.  Au  xii^  siècle  et  au 
xiii'^  on  ne  trouve  aucun  exemple  assuré  de  la  désinence  en  si  pour 
la  première  et  la  seconde  classes. 

Ce  n'est  guère  qu'au  xiV  siècle  que  cusl,pJust,  pust,  liusl,  iiiust, 
deviennent  très  communs  ;  fusl  est  fréquemment  employé  à  cette 
époque,  on  le  rencontre  dans  la  plupart  des  ouvrages  du  xiV^  siècle, 
surtout  en  dehors  de  la  littérature. 

Nous  ne  citerons  aucun  exemple  de  formes  de  prétérits  en  isl  (de 
ivi)  et  en  iisl  en  dehors  de  la  littérature  ;  qu'il  nous  suffise  de  dire 
qu'elles  ne  sont  rares  dans  aucun  des  recueils  politiques,  diploma- 
tiques, ni  dans  les  Lettres. 

Pour  les  prétérits  en  /  celui  de  voir  seul,  se  montre  assez  com- 
munément  avec  .s7  ;  on  lit  vist  dans  Gaimar  au    vers  65e  (ms.  R, 

'•  Mnrrust  est  peut-être  ici,  comme  le  croit  M.  Bédier,  un  impartait  du  sub- 
joiKtif. 


LA   TROISIÈME   PERSONNE   DU    SINGULIER  1 1  5 

commencement  du  xiii^  siècle)  et  au  vers  2 148;  on  le  rencontre  à  la 
rime  avec  prist  dans  The  Lament  on  the  Death  of  Edward  ?'  au 
vers  37,  à  la  rime  avec  mist  dans  les  Vies  de  Saints  de  Bozon  au 
fol.  93  v°,  au  vers  975  de  William  de  Waddington  et  très  fré- 
quemment dans  les  ouvrages  non  littéraires.  Les  autres  prétérits 
en  /,  les  prétérits  en  avi  et  a  (=  habet)  apparaissent  beaucoup  plus 
rarement  avec  Vs  ;  cela  provient  probablement  de  la  règle  de  l'Or- 
thographia Gallica  que  nous  citons  plus  loin,  à  moins  que  la  règle 
ne  provienne,  comme  elle  devrait  le  faire,  de  l'observation  de 
l'usage. 

Tenir  et  venir  ne  nous  donnent  que  très  peu  d'exemples  : 
tinst  dans  The  Lament  on  the  Death  ofEdw.  L''  au  vers  lé  ;  veinsl 
dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  (1280,  94);  dans  le  Liber 
Rubeus  de  Scaccario  (1323,  III,  858)  et  quelques  autres. 

La  désinence  ast  au  prétérit  est  rare,  nous  en  trouverons  très  peu 
d'exemples  dans  la  littérature  ;  nous  pouvons  citer  toutefois  dans 
Pierre  de  hzngiok  parla  si  (I,  180,  6)  et  priast  (II,  24,  i).  Dans  les 
ouvrages  non  littéraires,  les  formes  analogues  sont  plus  nombreuses, 
sans  être  communes  :  citons  poiast  dans  les  Rymer's  Foedera  (1348, 

V,  612),  dans  les  Documents  inédits  (1382,  32e),  etc.  Pour  avoir 
nous  ne  trouvons  ast  que  dans  les  Year  Books,  cf.  par  exemple  1 1 
et  12  Edw.  III,  197. 

Pour  tous  les  autres  temps,  la  terminaison  st  est  encore  plus 
rare  ;  dans  la  langue  littéraire  nous  relevons  seist  (=  siat)  au  vers 
2642  de  Boeve,  mangust  (manducet)  dans  Walter  de  Bibblesworth 
(p.  i')^),  amoust  est  employé  par  le  scribe  du  ms.  A  (milieu  du 
xiir^  s.)  de  l'Ipomédon  (vers  3456);  on  pourrait  en  trouver 
quelques  autres  dans  les  recueils  de  textes  politiques  et  légaux  ; 
poaist,  imparfait  de  l'indicatif  de  pouvoir,  se  trouve  dans  les  Sta- 
tutes(i37i,  II,  20),  fl'/5/(=habeat)dans  les  Rymer's  Foedera  (1366, 

VI,  296)  et  quelques  autres  peut-être,  mais  en  tout  petit  nombre. 
Conclusion  :  Un  grand   nombre    des  dernières  formes  que  nous 

venons  de  citer  sont  très  tardives  ;  nous  ne  pouvons  même  assigner 
une  date  précise  à  celles  que  nous  avons  tirées  des  Year  Books;  mais 
une  conclusion  s'imposa  :  dès  le  milieu  du  xii'  siècle,  surtout  au 
xiii=  et  xiv^  siècle,  l'anglo-français  tend  à  renforcer  d'une. ^ soit  dans 
la  prononciation,  soit,  comme  il  est  possible,  dans  l'écriture  seule- 
ment, les  dentales  étymologiquement  appuyées,  mais  que  les  phé- 


ii6  l'Évolution  du  vEKBii  en  anglo-français 

nonicnes  phoniques  naturels  ont  privées  de  leur  consonne  d'appui. 
La  raison  de  ce  phénomène  est  très  claire,  nous  avons  vu  que  les 
dentales  finales  tendaient  toutes  à  disparaître,  Vs  parasite  devait 
assurer  leur  conservation.  Puis  Vs  se  généralisa  quelque  peu  et 
vint  soutenir  la  dentale  caduque  des  prétérits  en  ivi,  où  elle  avait 
persistéassez  longtemps,  et  des  prétérits  en  m  qui  ne  la  perdaient  pas. 

II.  —  Beaucoup  moins  commune  que  le  phénomène  que  nous 
venons  d'étudier,  est  la  chute  de  Vs  étymologique  dans  la  terminai- 
son 5/',  et  cela  s'explique  par  la  tendance  que  nous  venons  de 
remarquer  dans  tout  l'anglo-français  et  qui  consiste  à  renforcer  d'une 
s  le  t  final  après  voyelle.  Au  présent  de  l'indicatif,  nous  avons  relevé 
un  certain  nombre  de  verbes  en  -sco  qui  perdent  de  temps  en  temps 
cette  s,  par  exemple  le  cunnit  du  vers  337  du  Brandan  (ms.  1 167); 
mais  les  formes  comme  celles-là  sont  rares. 

C'est  surtout  au  prétérit  (prétérits  en  si^,  et  à  tous  les  imparfaits 
du  subjonctif  que  nous  pouvons  observer  la  chute  de  1'^  étymolo- 
gique. 

Pour  le  premier  de  ces  temps,  les  exemples  sont  nombreux, 
anciens  et  assurés.  Déjà  dans  le  Brandan,  au  vers  1151  nous  lisons 
cwiduit,  qui  même  s'il  appartient  au  scribe,  remonte  au  commence- 
ment du  troisième  tiers  du  xii''  siècle.  La  seule  rime  d'ailleurs  que 
nous  ayons  à  cette  époque  ne  se  rencontre  pas  avant  la  Vie  de  Saint 
Gilles;  dans  ce  poème  on  lit  en  effet  :  sttrst  (:  curt)  au  vers   1469. 

Les  autres  exemples  qu'on  trouve  dans  les  ouvrages  de  ce  siècle 
proviennent  plutôt  des  scribes  et  appartiennent  probablement  au 
siècle  suivant. 

C'est  ainsi  que  nous  pouvons  citer  :  y?/  au  vers  98  de  Gaimaret 
dans  Adgar  V  R  114;  destruit  dans  l'Estorie  des  Engleis  au  vers 
1026,  conduit  au  vers  11 54  de  Jordan  Fantosme,  assii  qui  dans  le 
Saint  Gilles  rime  avec  une  forme  en  st  au  vers  386. 

Il  est  évident  que  le  xii^  siècle,  auquel  du  reste  les  exemples  pré- 
cédents peuvent  appartenir,  doit  nous  présenter  de  nombreux 
exemples  de  cette  disparition  de  Vs.  Nous  allons  en  citer  quelques- 
uns,  parmi  ceux  qui  se  trouvent  à  la  rime.  Il  est  permis  de  trouver 
assez  curieux  que  de  tous  les  exemples  que  nous  avons  relevés  au 
siècle  précédent,  surst  seul  se  trouve  à  la  rime  et  qu'au  contraire  à 

1.    I^our  l'amuib^senicnt  deTi,  on  peut  lire  Ulbrich,  dans  la  Zeitschr.,  t.  II,  522. 


LA   TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  II7 

partir  du  Chardri,  les  rimes  deviennent  très  nombreuses.  Ceci 
montrerait  que  quoique  Vs  eût  disparu,  les  auteurs  pendant 
quelque  temps  ont  évité  de  faire  rimer  les  terminaisons  des  prété- 
rits en  si  avec  des  mots  où  le  /  n'était  pas  appuyé  d'une  s.  Les 
auteurs  du  xiii^  siècle  ne  sont  pas  arrêtés  par  ce  scrupule,  et  nous 
trouvons  un  bon  nombre  de  rimes  significatives.  Chardri  par 
exemple,  a  dist  à  la  rime  avec  abit  dans  Josaphat  au  vers  847  ;  le 
Saint  Laurent  nous  offre  dit  (:  vit)  aux  vers  142,  121  ;  le  même 
prétérit  rime  avec  le  participe  passé  écrit  dans  les  Chansons  (I, 
7  et  8).  Dcstruit  rime  avec  nuit  au  vers  1143  de  Dermod.  De  plus, 
si  1'^  que,  au  siècle  suivant,  les  prétérits  en  ivi  prennent  assez  sou- 
vent est  purement  graphique,  nous  pouvons  regarder  comme  des 
exemples  probants  les  rimes  que  nous  avons  déjà  citées  :  prisi  :  vist, 
The  Lament  on  the  Death  of  Edw.  L'  vers  38  ;  misf  (:  purvit)  dans 
les  Vies  de  Saints  de  Nicole  Bozon,  93  v°.  Les  formes,  à  l'intérieur 
du  vers,  où  cette  s  disparaît  sont  du  reste  extrêmement  nombreuses  ; 
nous  en  citerons  quelques  exemples  pour  montrer  que  tous  les  pré- 
térits en  si  sont  atteints. 

Parmi  les  verbes  à  thème  vocalique  que  nous  n'avons  pas  encore 
vus,  on  peut  citer  :  dcstruit  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  52,  12); 
retrct  dans  Foulques  Fitz  Warin  (16);  rescotit  Chandos  (431).  Les 
thèmes  consonantiques  sont  très  bien  représentés  ;  thèmes  en  //  : 
enfreint  Vievve  de  Langtoft  (L""  x\ppendice,  II,  416,  23)  ;  joint  Nicole 
Bozon  (Contes,  51);  Nicolas  Trivet  (19  v");  plcint  Nicole  Bozon 
(Contes,  §  53). 

Dans  les  Statutes,  les  formes  régulières  sont  à  peu  près  les  seules 
employées  ;  citons  cependant// (1322,  I,  185)  à  côté  de /.f/ (1278, 
I,  45)^  etc.,  etc.,  dans  Rymer  les  cas  de  chute  de  Vs  sont  assez  nom- 
breux, plaint  par  exemple  est  assez  souvent  répété;  on  le  trouve 
aussi  à  la  date  de  1292  dans  les  Hist.  and  Mun.  Doc.  of  Ireland 
(p.  205).  Dans  les  Year  Books,  la  forme  sans  s  est  la  forme  ordi- 
naire, pour  tous  les  prétérits  en  si,  ple\nl,fe\nt,  ireit,  etc. 

Il  en  est  de  même  de  la  troisième  personne  du  singulier  de  l'im- 
parfait du  subjonctif,  qui  montre  assez  fréquemment  la  chute  de  Vs 
étymologique . 

Mais  pour  cette  personne,  ce  phénomène  est  beaucoup  moins 
général  et  beaucoup  plus  tardif  que  dans  les  prétérits  que  nous 
venons  d'étudier.   Les   exemples   cependant  se  rencontrent  dans  la 


ii8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

littérature  aussi  bien  que  dans  les  ouvrages  politiques,  diploma- 
tiques et  familiers  mais  avec  quelques  différences. 

Nous  avons  pour  la  première  classe  de  textes  anglo-français  (textes 
littéraires)  à  distinguer  entre  les  conjugaisons. 

Les  désinences  en  -at  dans  les  textes  littéraires  sont  limités  à 
certains  manuscrits  et  appartiennent  probablement  au  xv^  siècle, 
comme  le  confessât,  laissât  qu'on  lit  au  fol.  55  r°  des  Chroniques 
de  Nicolas  Trivet.  La  graphie  7^  (^=  st)  nous  semble  un  phénomène 
tout  différent  :  ronforta:^  et  cuntnsta:^  qu'on  peut  lire  dans  le  Psau- 
tier d'Oxford,  ne  sont  peut-être  que  des  étourderies  du  scribe  (68, 

A  part  quelques  exemples  de  ce  genre,  l'imparfait  du  subjonctif 
des  verbes  de  i  est  constamment  régulier. 

Nous  n'avons  donc  pas  à  nous  en  occuper. 

Les  autres  conjugaisons  sont  beaucoup  moins  régulières  et  la 
chute  de  Vs  est  assurée  pour  plusieurs  imparfaits  du  subjonctif, 
quoique  les  rimes  ne  soient  pas  nombreuses.  Nous  ne  trouvons  en 
effet  à  la  rime  que  fit  (:  voleit)  dans  le  Genèse  Notre  Dame,  au 
fol.  53  v°;  c'est  évidemment  une  mauvaise  rime  et  elle  ne  peut 
nous  éclairer  sur  rien,  même  pas  sur  la  présence  ou  la  disparition 
de  Vs;  fit,  du  reste,  se  retrouve  encore  dans  les  Contes  de  Nicole 
Bozon  au  §  517,  etc. 

Dans  Dermod,  nous  trouvons  aussi  fatisit  au  vers  218,  poiit  au 
vers  125  ',  ont  se  lit  dans  Walter  de  Bibblesworth,  145  -jâut  dans 
The  Song  of  the  Church,  vers  23. 

La  plupart  de  ces  exemples  datent  de  la  première  moitié,  ou  du 
commencement  de  la  seconde  moitié,  du  xiv=  siècle. 

Les  cas  de  chute  de  1'^  sont  plus  nombreux  en  dehors  de  la  litté- 
rature et  plus  généraux.  On  trouve  un  bon  nombre  de  formes  en 
-at  même  dans  les  recueils  les  plus  corrects  ;  les  Statutes  ont  Icssat 
(1344,  I,  ^00)  înonstra,  prova  (135 1, 1,  325)  et  plusieurs  autres  pos- 
térieurs aux  trois  exemples  précédents.  Nous  n'en  citerons  pas 
davantage,  qu'il  nous  suffise  de  dire  que  dans  tous  les  recueils, 
Rymer's  Foedera  (1278,  II,  108)  %  même  dans  les  Lettres  de  Jean  de 

1.  Dans  ce  même  poème,  on  trouve  plusieurs  formes  qui  peuvent  être,  soit  des 
imp.  du  subjonctif,  soit  des  prétérits.  Cf.  69,  5037,  3318.  Il  en  va  de  même  pour 
tous  les  autres  ouvrages  du  xive  siècle . 

2.  C'est  le  plus  ancien  exemple  dans  ce  recueil. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  II 9 

Peckliam  (1310,  36)  les  imparfaits  du  subjonctif  de  toutes  les  con- 
jugaisons se  rencontrent  très  communément  à  la  troisième  personne 
du  singulier  sans  1*5  étymologique. 

Dans  les  Year  Books  ces  formes  sont  particulièrement  nom- 
breuses. 

Par  conséquent,  pour  cette  chute  de  Vs  étymologique  aux  diffé- 
rents temps,  nous  remarquons  un  accord  assez  rare  en  anglo-français 
entre  les  auteurs  et  les  scribes.  Pour  les  prétérits  c'est  entre  11 60 
et  1170  que  les  premiers  exemples  apparaissent  (manuscrit  de 
Londres  du  Voyage  de  Saint  Brandan,  Saint  Gilles);  pour  le  présent, 
les  premiers  exemples  datent  de  la  même  époque;  pour  l'imparfait 
du  subjonctif,  les  troisièmes  personnes  du  singulier  sans  s  ne 
remontent  qu'à  la  fin  du  xiii^  siècle  (Rymer,  peut-être  les  exemples 
littéraires)  ou  au  xiv'^  siècle  (Jean  de  Peckham,  Bozon). 

La  forme  régulière  est  dans  les  œuvres  politiques,  diplomatiques, 
familières,  la  forme  ordinaire;  dans  les  œuvres  littéraires,  la  forme 
unique  des  imparfaits  du  subjonctif  de  I. 

III.  —  Valeur  de  l'^.  —  Il  nous  reste  maintenant  à  combiner  les 
résultats  de  ces  deux  études,  introduction  d'une  s  parasite,  chute 
d'une  s  étymologique,  et  à  voir  si,  en  confrontant  ces  résultats, 
nous  ne  trouverons  pas  l'explication  de  ce  double  phénomène. 

rt)  Pendant  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle,  et,  comme  il  est  pro- 
bable progressivemement,  nous  voyons  1'^  apparaître  devant  la  den-, 
taie  de  la  troisième  personne  du  singulier  des  présents  des  verbes  à 
palatale,  des  prétérits  en  ivi,  des  prétérits  en  ///  de  la  cinquième 
classe.  Ces  faits  sont  assurés  par  des  rimes  qui  pour  n'être  pas  très 
nombreuses  pour  chaque  catégorie  de  troisièmes  personnes,  sont  suf- 
fisantes pour  les  établir. 

Pendant  le  même  laps  de  temps,  1'^  étymologique  tombe  à  la 
troisième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  de  certains 
verbes,  et  des  prétérits  en  si.  Mais  ici  les  rimes  sont  plus  que  rares  ; 
nous  n'en  trouvons  qu'une  (après  1 170)  dans  le  Saint  Gilles. 

Sans  vouloir  pour  cela  rejeter  les  exemples  qui  sont  assurés  dans 
une  certaine  mesure,  soit  par  la  date,  soit  par  la  concordance  des 
manuscrits,  nous  pourrons  regarder  ces  chutes  de  Vs  comme  excep- 
tionnelles et  en  conséquence  nous  admettrons,  ce  qui  nous  semble 
évident,  que,  pendant  toute  cette  période  au  moins,  1'.^  étymolo- 
gique subsiste  non  seulement  dans  la  graphie,  mais  aussi  dans  la 


120  LKVOLUTION    DU    VRRBE    i:\    ANr>LO-FRANÇAIS 

prononciation.  Les  cas  qui  montrent  hi  chute  de  cette  consonne 
sont,  si  l'on  veut,  des  fautes.  Ceux  dans  lesquels  elle  s'est  intro- 
duite pendant  cette  période  la  prennent  par  suite  de  leur  développe- 
ment phonique  normal,  ou  par  analogie. 

Ij)  Il  est  plus  difficile  de  déterminer  la  valeur  de  1'^  dans  la  dési- 
nence qui  nous  occupe  pendant  la  première  moitié  du  xiii^  siècle. 
Les  verbes  et  les  temps  que  nous  citions  tout  à  l'heure  continuent  à 
la  prendre  assez  régulièrement,  les  prétérits  en  ///  voient  en  outre 
les  verbes  de  leur  troisième  classe  suivre  ceux  de  la  cinquième,  les 
présents  des  verbes  à  dentale  font  comme  les  présents  des  verbes  à 
gutturale. 

De  l'autre  côté  (chute  de  Vs  étymologique)  aucun  fait  nouveau 
n'apparaît;  on  peut  dire  uniquement  que  le  nombre  des  présents 
et  des  prétérits  en  si  sans  leur  5  montre  un  certain  accroissement. 
C'est  en  somme  une  période  indécise  et  nous  croyons  que  l'^  ne  se 
faisait  déjà  plus  sentir  aussi  régulièrement  dans  la  prononciation. 

Tous  les  doutes  disparaissent  pour  la  seconde  moitié  et  surtout 
vers  la  hn  du  xiii^  siècle,  les  présents  à  labiale,  ceux  dont  le  thème 
est  terminé  par  /  et  ?/,  les  prétérits  en  /  apparaissent  plus  ou  moins 
fréquemment  avec  une  s  parasite. 

Le  nombre  des  prétérits  en  si  sans  s  augmente  aussi,  et  l'on  voit 
les  troisièmes  personnes  dont  la  terminaison  régulière  est  en  isf 
•rimer  librement  avec  celles  qui  devraient  avoir  la  désinence  //.  Faut- 
il  admettre  que  toutes  doivent  prendre  Vs,  ou  qu'aucune  de  ces  troi- 
sièmes personnes  ne  doit  l'avoir  ?  Ce  que  nous  avons  vu  dans  la 
première  période  nous  empêche,  semble-t-il,  d'adopter  l'une  ou 
l'autre  de  ces  conclusions,  ou  plutôt  la  seconde  alternative  seule 
est  vraisemblable  en  comprenant  par  ce  que  nous  avons  dit  que  1'^ 
a  cessé  de  se  prononcer,  et  s'écrit  ou  ne  s'écrit  pas  à  la  volonté  de 
l'écrivain. 

La  preuve  indiscutable  la  plus  ancienne  que  nous  ayons  relevée 
de  la  disparition  de  Vs  dans  la  prononciation  se  trouve  dans  un 
auteur  de  la  fin  du  xiii^  siècle,  William  de  Waddmgton  ;  il  fait 
rimer  au  vers  25  du  Manuel  des  Péchés  plest  avec  seel  (=  septem)  '. 

Mais  tout  en  disparaissant  de  la  prononciation  Y  s  a  laissé  des  traces 

I.  Cf.  Ulbrich  dans  l'article  que  nous  venons  de  citer.  En  dehors  delà  conju- 
gaison les  preuves  de  la  chute  de  Vs  remontent  à  la  fin  du  xii^  siècle. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  121 

que  nous  retrouvons  de  temps  à  autre  dans  les  graphies  :  en  tombant, 
cette  consonne  a  allongé  la  voyelle  précédente  et  en  même  temps 
elle  a  pu  servir  à  indiquer  la  longueur  de  la  voN'elle  précédente. 

En  anglo-français  cette  longueur  ou  cet  allongement  peuvent  s'ex- 
primer, quand  ils  s'expriment,  de  bien  des  manières  :  par  une  s  chez 
les  auteurs  soigneux,  par/;  chez  d'autres,  plus  souvent  en  redoublant 
la  voyelle  allongée. 

Au  xiV^  siècle  la  confusion  s'accroît  ;  des  présents  du  subjontif, 
des  imparfaits  de  l'indicatif,  le  prétérit  du  verbe  être,  le  présent 
d'avoir,  des  prétérits  en  avi  (plus  rarement)  prennent  1'^;  en  même 
temps  elle  disparaît  de  nombreux  imparfaits  du  subjonctif;  mais  ce 
n'est  pas  exactement  un  foit  nouveau  :  c'est  le  résultat  ou  l'exagé- 
ration de  ce  qui  se  passait  dans  la  période  précédente,  la  confusion 
absolue  entre  les  voyelles  longues  et  les  voyelles  brèves. 

C'est  pour  avoir  observé  probablement  sans  le  comprendre,  cet 
ensemble  de  faits  un  peu  complexes,  que  les  auteurs  de  l'Orthogra- 
phia Gallica  ont  énoncé  cette  règle  bizarre  (p.  8): 

Et  saches  qu'en  verbes  du  présent  temps  et  pretert  escriverez  s, 
commebatist  (H  30);  et  :  Item  in  verbis  presentis  et  preteriti  tempo- 
ris,  scribetis  st  après  i,c,  0, 11,  corne batist,fist,  est,  tost,  lust etc..  (CO 
73).  Item  in  présent!  et  in  preterito  tempore  inter  /,  e,  0,  u  et  t  dé- 
bet s  scribi,  ut  est,  fist.  tost,  lust  etc..  et  in  preterito  inter  a  et  /,  ut 
aninst  (CO  96). 

Ce  qui  signifie  que  toutes  les  troisièmes  personnes  du  singulier  du 
présent  et  du  prétérit  à  terminaison  vocalique,  sauf  les  présents  en  à, 
doivent  prendre  st.  Nous  pouvons  remarquer  que  cette  règle  n'a  pas 
été  très  régulièrement  appliquée  :  nous  trouvons  un  assez  grand 
nombre  de  personnes  qui,  d'après  la  règle,  devraient  prendre  cet  si 
et  qui  ne  l'ont  pas,  et  d'autres,  à  thèmes  consonantiques,  qui  ne 
devraient  pas  le  prendre  et  qui  l'ont. 

Cela  n'est  du  reste  pas  pour  nous  étonner  le  moins  du  monde. 

TERMINAISONS  EN  ht. 

Nous  avons  dit  tout  à  l'heure  que  Pamuissement  de  l'.s-  dans  la 
terminaison  -st  avait  produit  un  allongement  de  la  voyelle  précé- 
dente, allongement  qui  avait  été  représenté  de  plusieurs  façons. 
Nous  croyons  en  effet  qu'on   doit   considérer  comme    une  simple 


122  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

variante  graphique  de  la  terminaison  que  nous  venons  d'étudier  une 
forme  assez  rare  et  tardive,  mais  significative,  les  terminaisons  en 

On  les  trouve  dans  un  certain  nombre  de  textes,  assez  incorrects, 
c'est-à-dire  qui  ne  respectent  guère  l'orthographe  traditionnelle  : 
par  exemple  dans  Amis  et  Amiloun  voiisiht,  mespreiht,  267  etc.; 
dans  le  Chevalier,  la  Dame  et  le  Clerc  conveniht  231;  dans  les  Royal 
Letters  du  règne  de  Henry  III.  Dans  ces  lettres,  on  lit  :  juht  (pré- 
térit) et ////;/ (imparfait  du  subjontif)  ;  grauntaht  (imparfait  du  sub- 
jontit),  1265,  II,  298  '. 

Vh  s'est  aussi  généralisée  aux  personnes  où  1'^  n'était  pas  étymo- 
logique ;  les  exemples  sont  assez  nombreux  :  citons  dans  Amis  et 
Amiloun  osaht,  414  ;  onht,  533  ;  dans  le  Chevalier,  la  Dame  et  le 
Clerc,  coniiht  (Cf.  ces  différents  prétérits  et  l'article  de  Behrens  : 
Beitrâge  zur  Geschichte  der  franzôsischen  Sprache  in  England,  I 
Lautlehre  der  franzôsichen  Lehnwôrter  ;  Franzôsischen  Studien,  V 
Band,  2  Heft;  p.  183). 

Nous  disions  tout  à  l'heure  que  la  chute  de  1'^  avait  produit  un 
allongement  dans  la  voyelle  précédente;  le  terme  allongement  n'est 
peut-être  pas  assez  exact  ;  nous  pouvons  lire  dans  l'Orthographia 
Gallica  quelques  explications  concordantes  sur  la  valeur  de  cet  /;  : 
voici  en  effet  ce  que  nous  lisons  p.  8  : 

(H  91,  CO  18)  Item  quando  aliquà  syllaba  pronunciatur  quasi 
cuni  aspiratione,  illa  sillaba  débet  scribi  cum  5  et  /  in  loco  aspiratio- 
nis,  verbi  gratia  est,cest,  plest. 

(T  7,  H  29)  Item  quedam  sillabe  pronunciate  quasi  cum  aspira- 
tione possunt  scribi  cum  s  et  /,  verbi  gratia  est,  plest,  cest. 

Enfin  le  ms  H  nous  donne  encore  quelques  détails  assez  précis 
sur  la  prononciation  de  cette  s  : 

(H  35)  Et  quant  s  est  joynt  (a  la  t,  ele  avéra  lesoun)de  h,  corne 
est,  plest  serront  sonez  eghl,  pleght. 

Cette  incursion  dans  la  phonétique  avait  son  utilité,  car  elle  nous 
montre  que  Vs  ne  s'était  pas  à  proprement  amuie,  mais  qu'elle  avait 
pris  à  peu  près  le  son  de  l'aspiration  :  la  graphie  par  h  était  donc 
très  naturelle. 


I.  Cette  graphie  n'est  du  reste  pas  particulière  aux  verbes  ;  on  trouve  dans  le 
même  recueil  de  Lettres  :  cette  pour  cette,  et  par  analogie  cehci. 


LA   TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I23 

Ajoutons  cependant  que,  d'après  Femina,  «/  doit  se  prononcer 
cet  ;  autrement  dit,  croyons-nous,  1'^  en  disparaissant  de  la  pronon- 
ciation a  simplement  servi  à  allonger  la  voyelle  précédente. 


LA  VOYELLE 

La  voyelle  muette  qui  précède  la  dentale  caduque  a  elle  aussi  été 
la  source  d'un  assez  grand  nombre  de  modifications  dans  la  forme 
de  certaines  troisièmes  personnes  du  singulier.  Nous«pouvons  clas- 
sifier  ces  modifications  sous  trois  chefs  : 

1°  Chute  de  la  voyelle  et  maintien  de  la  dentale. 

2°  Chute  de  la  voyelle  et  de  la  dentale. 

3"  Voyelle  irrégulière. 

I.  Chute  de  la  voyelle  et  maintien  de  la  dentale. 

Il  y  a  en  anglo-français  un  certain  nombre  de  verbes  de  I  qui  sont 
employés  presque  constamment  sans  voyelle  muette  avant  la  den- 
tale finale.  La  forme  irrégulière  qu'ils  prennent  ainsi  leur  donne  l'ap- 
parence de  verbes  de  II  non-inchoatifs,  de  verbes  de  III  ou  de  IV. 

Le  plus  commun  parmi  ces  verbes,  et  celui  qui  fait  le  premier 
son  apparition  sous  cette  forme,  c'est  le  verbe  envoyer.  Au  com- 
mencement du  xii^  siècle,  ce  verbe  a  la  forme  normale.  Cf.  par 
exemple  les  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cambridge.  Le  plus  ancien 
exemple  de  la  forme  enveit  que  nous  ayons  rencontré  se  lit  dans  le 
Psautier  d'Arundel  (33,  7).  Il  y  en  a  même,  croyons-nous,  un  autre 
qui  lui  est  antérieur  :  envei(e)t  :  dei(e)t  au  vers  5  du  Cumpoz  ;  c'est 
en  tous  cas  la  leçon  du  ms.  S.  C'est  à  peu  près  à  l'époque  du  Psau- 
tier d'Arundel  qu'il  faut  placer  les  deux  exemples  que  nous  rencon- 
trons dans  Jordan  Fantosme,  aux  vers  1422  et  1509.  Tous  les  deux 
sont  assez  sûrs,  étant  assurés  par  la  mesure  du  vers.  Il  est  inutile  de 
multiplier  les  exemples  ;  ceux  que  nous  avons  donnés  établissent 
suffisamment  l'existence  de  cette  forme  pendant  le  troisième  quart 
au  plus  tard  duxii^  siècle  (cf.  Suchier,  Ueberdie...,  p.  62). 

Citons  encore  rapidement  quelques-unes  de  celles  que  nous  ren- 
controns pendant  les  siècles  suivants  :  Chardri  dans  son  Josaphat 
(vers  2809),  fait  rimer  enveit  avec  seit  ;  on  retrouve  encore  cette 
forme  dans  le  Saint  Thomas  (I,  33);  dans  le  Saint  Auban  (1722); 


124  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

dans  le  Roman  des  Romans  (710)  ;  dans  Renaut  de  Montauban  17, 
39;  18,  ré  (cité  par  Suchier).  Parmi  les  exemples  qui  se  rencontrent 
au  xn""  siècle  citons  ceux  qui  se  lisent  dans  les  Rubriques  du  ms. 
d'Edward  le  Confesseur  (III,  i)  ;  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  72,  12); 
la  rime  de  l'Apocalypse,  h,  13  :  enveil  Ç:  esteit). 

Cette  liste,  qui  pourra  sembler  un  peu  longue,  montrera  que  cette 
forme  est  commune  dans  les  oeuvres  littéraires  depuis  1175  au 
moins . 

Il  nous  reste  cependant  à  citer  quelques  cas  où  le  verbe  envoyer 
est  employé  régulièrement  à  la  troisième  personne  du  singulier, 
c'est-à-dire  avec  muette  sans  dentale.  L'Ipomédon  nous  en  offre  un 
exemple  (au  vers  8781)  ;  dans  le  Josaphat  de  Chardri  (vers  988)  et 
le  Roman  des  Romans,  que  nous  citions  tout  à  l'heure  pour  l'autre 
forme,  nous  trouvons  la  rime  :  enveic  (:  veie)  ;  à  l'époque  même  de 
Chardri,  nous  voyons  encore  enveiet  dans  le  Lapidaire  en  prose 
(Romania  XXXVIII,  p.  271).  Mais  des  exemples  comme  ceux-là 
sont  rares  dans  la  littérature. 

Un  assez  grand  nombre  de  verbes  ont  été  entraînés  par  l'in- 
fluence d'enveit,  otircit  par  exemple.  Cette  forme  se  trouve  assez  tôt 
dans  la  littérature  anglo-française.  Le  premier  exemple  que  nous 
ayons  de  cette  forme  se  trouve  dans  le  Saint  Auban  au  vers  142; 
on  en  trouve  deux  autres  cas  dans  le  second  Appendice  de  Pierre 
de  Langtoft  (I,  73,  lé  ;  I,  86,  2). 

De  même  qu'on  trouve  quelquefois  la  3''  personne  du  singulier  de 
enveicr  sous  la  forme  correcte,  ainsi,  mais  assez  rarement,  ottreier 
prend  la  forme  sans  dentale  avec  muette  :  Saint  Auban  a  ottn'c  au 
vers  478,  et  Langtoft  âoltraie  (I,  90,  i). 

Nous  trouvons  au  xiii^  siècle  quelques  autres  exemples  que  l'on 
peut  fort  bien  rapprocher  de  ceux  que  nous  avons  déjà  cités  :  dans 
Saint  Auban  on  lit  lot  (loer)  au  vers  1468  ;  on  trouve  encore  blanchoii 
dans  Boeve  de  Haumtone  (369). 

M.  Suchier  (Ueber  die...,  p.  5  2)  rapproche  la  forme  enveii  de  lait; 
au  point  de  vue  du  sens,  ce  rapprochement  est  tout  à  fait  satisfai- 
sant ;  mais  il  laisse  quelque  peu  à  désirer  au  point  de  vue  de  la 
forme.  Au  moment  où  nous  trouvons  les  premiers  exemples  de 
enveit  les  diphtongues  ei  et  ai  étaient  encore  distinctes  dans  la  majo- 
rité des  cas;  la  confusion  commençait  certainement  à  s'établir,  mais 
elle  n'était  pas  encore  assez  avancée  pour  que,  en  créant  une  nou- 


LÀ    TROISIÈME    PERSONNE    DU    SINGULIER  Î2) 

velle  forme,  les  auteurs  anglo-français  n'en  tinssent  pas  compte; 
l'analogie  de  lait  aurait  pu  amener  la  forme  envait  qu'on  trouvera 
du  reste  plus  tard,  mais  non  enveit.  Il  nous  semble  plus  probable  que 
c'est  veeir  qui,  au  moyen  de  veit,  a  attiré  enveit  et  les  autres. 

Nous  allons  voir  d'ailleurs  que  le  cas  précédent  n'est  pas  le  seul 
où  nous  pouvons  reconnaître  une  action  analogue  d'une  troisième 
personne  d'une  des  trois  dernières  conjugaisons  sur  un  verbe  de  la 
première.  Nous  trouvons  déjà  à  la  fin  du  xii^  siècle  hotmrt  qui  rime  avec 
curt  au  vers  29  à  58  del'Ipomédon  ;  c'est  une  forme  analogue  que 
nous  montre  plurer  qui  prend  très  fréquemment  à  la  troisième 
personnesingulier  du  présentdel'indicatif  la  îoïme. phirt,  àpartir  delà 
seconde  moitié  du  xin""  siècle,  par  exemple  dans  Boeve  vers  763. 

Cette  forme  est  surtout  commune  au  xiV^  siècle  ;  elle  est  même 
à  peu  près  la  seule  employée  pour  ce  verbe.  On  la  trouve  dans  Pierre 
de  Langtoft  (II,  25e,  13  (à  la  rime);  I,  240,  i)  ;  on  relève  aussi 
plourt  qui  rime  avec  sourt  dans  De  conjuge  non  ducenda  (au  vers 
148)  et  la  même  forme  se  trouve  dans  Foulques  Fitz  Warin  (pp.  99, 
100),  et  dans  les  Poèmes  latins  attribués  à  Walter  Mapes  (294). 

Il  en  est  à  peu  près  de  même  pour  demorer,  Wil.  Rishanger 
emploie  demurl  et  deinort  (p.  287,  361)  et  Pierre  de  Langtoft  en  a 
aussi  quelques  exemples  (cf.  I,  8,  21,  I,  10,  12  ;  I,  64,  18). 

Il  est  probable  que  ces  deux  verbes  ont  subi  l'influence  de  verbes 
ayant  une  dentale  fixe  comme  courir  ou  mourir. 

Une  forme  analogue,  c'est  parolt,  parout  qu'on  lit  dans  les  Heures 
de  la  Vierge  (60  r"),  et  dans  le  Sermon  en  vers  Deu  le  Omnipotent 
(105  b).  Nous  pouvons  ^jouter  quelques  verbes  isolés  ou  au  moins 
assez  rarement  employés,  salut,  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  28,  21), 
nait  (de  neier)  (Id.,  II,  282,  15). 

Le  nombre  des  verbes  qui  dans  les  œuvres  non  littéraires  se  pré- 
sentent avec  une  dentale  sans  voyelle  muette  n'est  pas  très  considé- 
rable, le  plus  fréquemment  employé  est  le  verbe  demorer  qui  se 
trouve  sous  la  ïormedeniort  (ou  avec  quelque  autre  voyelle  au  thème) 
d'une  façon'  constante.  A  peu  près  tous  les  textes  que  nous  avons 
étudiés  en  montrent  quelque  exemple,  même  les  plus  corrects,  comme 
le  livre  des  Statutes  ;  nous  n'avons  même  relevé  aucun  exemple  de 
la  forme  avec  voyelle  muette. 

Les  autr  es  verbes  ne  se  présentent  pas  sous  cette  forme  avec  la 
même  constance,  celui  qui  se  rencontre  le  plus  souvent  après  démo- 


126  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

1er,  c'est  envoyer;  eiivoil,  par  exemple  est  employé  plusieurs  fois 
dans  les  Literae  Cantuarienses  (1432,  408).  On  peut  ajouter  aimif 
qui  ne  se  litque  dans  les  Rymer's  Foedera  (1326,  IV,  231). 

Nous  avons  encore  à  mentionner  un  certain  nombre  de  subjonc- 
tifs qui  perdent  leur  e  muet  et  gardent  leur  dentale  :  seil,  ait  et  piiist 
sont  fort  communs  évidemment  (pour  les  deux  premiers,  voir 
subjonctifs  en  iant),  le  second  est  assez  librement  mélangé  avec 
puisse.  Les  autres  subjonctifs  de  ce  genre  sont  exceptionnels  ; 
citons  retrait  qu'on  trouve  à  la  rime  dans  la  Chronique  de  Pierre 
de  Langtoft  (II,  244,  2). 

II.  Chute  de  la  voyelle  muette. 

Il  arrive,  aussi,  et  plus  fréquemment  encore  que  certaines  per- 
sonnes régulièrement  terminées  par  e  muet  perdent  cet  e  muet  '. 
Ce  phénomène  est  ancien  en  anglo-français,  il  date  même  de  la  pre- 
mière moitié  du  xii''  siècle.  Le  premier  exemple  bien  assuré  se  lit 
dans  l'Estorie  des  Engleis  de  Gaimar  au  vers  4967  ;  on  y  trouve 
aquit  rimant  avec  respit.  Cette  tendance  à  supprimer  Ve  final  était 
déjà  dans  les  habitudes  desscribes  de  cette  époque;  c'est  ce  que  nous 
montre  le  regret  du  scribe  du  manuscrit  L  de  l'Alexis  (88.  c)  et  ajust 
employé  au  vers  917  par  le  scribe  du  Roland  d'Oxford.  A  peu  près 
à  la  date  même  de  ce  dernier  exemple,  covoit  est  d'un  usage  plus 
général  ;  on  rencontre  cette  forme  au  vers  91  du  Drame  d'Adam  où 
elle  est  assurée  par  la  mesure  du  vers:  on  trouve  même  à  la  rime 
un  verbe  à  thème  vocalique  :  agre  rimant  avec  aie  au  vers  2895  ^^ 
ripomédou. 

Nous  n'avons  plus  relevé  d'exemples  assuré  de  cette  forme  avant 
lexiv^siècle  ;  dans  les  Rubriques  d'Edward  le  Confesseur  (XIV,  3), 
elle  est  assurée  par  la  rime,  coveit  (:  aparceit),  tandis  que  l'auteur 
du  poème  emploie  covoite  (au  vers  180). 

Les  quelques  exemples  précédents  montrent  que  la  chute  de  la 
voyelle  muette  a  lieu  uniquementpour  les  thèmesà  dentale  appuyée 
surtout  chez  eux  qui  ont  perdu  la  consonne  d'appui. 

Par  la  suite,  les  exemples  sont  nombreux  pour  cette  dernière  classe 

I.  Pour  !a  chute  de  la  voyelle  finale,  cf.  Cornu  dans  Romanische  Forschungen, 
XXIII,  p.  1 10. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I27 

de  verbes.  Jeter  en  particulier  dès  le  xiii"  siècle,  prend  la  forme 
getà  la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  dé  l'indicatif.  On 
en  trouve  de  nombreux  exemples  dans  Robert  de  Gretham,  par 
exemple  à  la  rime  avec  muet  (au  fol.  6i  v°),  et  un  autre  attesté  par 
la  mesure  (au fol.  43  r°).  Boeve  en  a  un  cas  au  vers  970. 

Les  exemples  sontspécialement  nombreux  dans  la  Plainte  d'Amour, 
quelques-uns  sont  très  sûrs,  comme  celui  du  vers  988  qui  fait  rimer 
get  avec  seet  (de  savoir)  ou  celui  du  vers  641  ;  dans  ce  même 
poème,  ceux  qu'on  rencontre  au  vers  365  et  482  sont  moins  assurés. 
Nous  ne  citerons  pas  touslescas  de^^^u'on  trouve  au  xiV' siècle,  ils 
sont  trop  nombreux;  Pierre  de  Langtoft  en  particulier  en  a  plusieurs 
et  Bozon  l'emploie  fréquemment  (cf.  Vie  de  Saint  Panuce,  83). 

A  part  jeter  nous  ne  trouvons  pas  un  très  grand  nombre  de  verbes 
sans  la  muette.  On  peutconsidérer  comme  un  exemple  du  xiV'siècle, 
la  graphie  du  scribe  du  Saint  Edmund qui  écrit  abit  (:  descunfit)  au 
vers  893  ;  il  faut  lire  abite  :  descunfite  ;  les  exemples  de  ce  genre 
sont  communs.  Comme  forme  employée  par  un  auteur  on  peut 
citer  encore  dont  qui  se  lit  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  374,  15). 

On  trouve  aussi  un  petit  nombre  de  subjonctifs  comme  uict  qui 
se  lit  dans  l'Apocalypse  (a  et  3  478). 

Les  verbes  précédents  ne  sont  du  reste  pas  les  seuls  verbes  à  den- 
tale que  nous  rencontrions  sans  muette  à  cette  personne  ;  ce  n'est 
même  pas  la  classe  qui  nous  fournit  le  plus  grand  nombre  de  cas. 
Et  si  nous  voulons,  pour  introduire  un  certain  ordre,  classer  d'après 
le  nombre  des  exemples  qu'ils  nous  fournissent  les  différents  thèmes 
verbaux,  nous  verrons  que  ce  sont  ceux  terminés  par  fid{t)  qui 
arrivent  les  premiers  ;  après  eux,  on  trouve  successivement  les 
thèmes  en  r  plus  dentale,  puis  les  thèmes  en  s  plus  dentale.  Cette 
distinction  est  assez  arbitraire,  et  n'indique  pas  du  tout  l'ordre  suivant 
lequel  les  différents  thèmes  à  dentale  ont  été  atteints;  et  même  le 
nombre  d'exemples  fournis  par  chacune  de  ces  catégories  ne  veut 
rien  dire  en  soi.  Si  les  formes  sans  c  des  verbes  en  nd  sont  plus  nom- 
breuses que  celles  des  verbes  en  si,  cela  n'a  d'importance  que  si 
nous  savons  qu'il  y  a  un  nombre  sensiblement  égal  de  verbes  éga- 
lement employés  dant  les  deux  catégories.  Or  nous  ne  le  savons  pas 
ou  plutôt  nous  sommes  à  peu  près  convaincus  qu'il  y  a  plus  de 
verbes  en  nd  que  de  verbes  en  st  et  rt.  C'est  pour  cela  que  nous  n'in- 
sisterons pas  sur  ce  point  et  que  nous  n'attachons  pas  la  moindre 
importance  au  nombre  des  exemples  que  nous  citons. 


128  l'évolution  du  Verbe  en  anglo-i-rançaIs 

Nous  ne  rencontrons  au  xii"-  siècle  aucune  troisième  personne  du 
singulier  du  présent  de  l'indicatif  des  verbes  en  n  plus  dentale  delà 
première  conjugaison  sans  la  muette  étymologique.  Au  xiii^  siècle 
au  contraire,  les  cas  où  cet  c  disparaît  sont  très  nombreux  et.  assurés 
dès  le  commencement  de  ce  siècle. 

En  effet,  c'est  dans  Chardri  que  nous  rencontrons  notre  premier 
exemple;  nous  trouvons  dans  le  Petit  Plet  (au  vers  389)  citniant 
rimant  avec  cumandement  ;  désormais  mander  et  ses  composés 
seront  très  souvent  employés  sous  cette  forme  ;  par  exemple,  elle  se 
trouve  encore  à  la  rime,  au  vers  2640  du  Manuel  des  Péchés,  dans 
Pierre  de  Langtoft. 

Dans  le  corps  du  vers,  plusieurs  exemples  de  cette  forme  sont 
plus  ou  moins  assurés  par  la  mesure;  citons  rapidement  dans  Boeve 
les  vers  910  et  2745,  dans  William  de  Waddington  les  vers  2313, 
6149  (A),  7875,  10256  (A  et  B),  dans  Pierre  de  Langtoft,  II,  366, 
21,  dans  Foulques  Fitz  Warin,  pages  38,  103,  etc. 

Amender  nous  donne  aussi  un  nombre  respectable  d'exemples, 
quoiqu'il  ne  soit  pas  extrêmement  employé.  C'est  ainsi  que  onient 
se  lit  dant  Robert  de  Gretham  (au  fol.  37  r°)  ;  dans  les  Rubriques 
d'Edward  le  Confesseur  (LXI  9,  fin  du  xiii*  siècle)  et  ces  deux 
exemples  sont  attestés  par  la  mesure.  Cranter  n'est  pas  plus  rare  sans 
cette  muette  à  cette  personne  ;  nous  nous  contenterons  de  citer  la 
rime  de  Pierre  de  Langtoft,  I,  372,  8  et  aussi  dans  le  même  auteur, 
II,  70,  14.  Ce  dernier  auteur  emploie  très  fréquemment  présent  pour 
présente,  quelquefois  même  à  la  rime  (on  peut  voir  :  I,  384,  24  ; 
II,  46,  20;  II,  122,  18  ;  II,  308,  9,  etc.). 

Donnons  encore  quelques  verbes  qui  se  rencontrent  moins  fré- 
quemment; on  lit  dans  le  Saint  Edmund,  au  vers  1963,  la  rime 
grniiil  de  gronder  (:  frunt);  dans  Edward  le  Confesseur,  une 
autre  rime  rapproche,  au  vers  147 1 -1472,  agravent  de  gent  ; 
chant  se  lit  au  vers  2896  de  Boeve  de  Haumtone,  dans  Pierre  de 
Langtoft  (II,  344,  23);  coiint  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (au 
§  87),  dans  le  Prince  Noir  (au  vers  736),  etc. 

Comme  on  le  voit,  les  exemples  sont  nombreux  et  la  liste  aurait 
pu  être  plus  longue  encore.  Elle  suffit  à  mettre  en  évidence  ce  fait 
que  les  formes  sans  muette  à  la  troisième  personne  du  singulier  du 
présent  de  l'indicatif  des  verbes  en  ntÇd)  se  rencontrent  assurées  et 
assez  nombreuses  dès  le  commencement  du  xiir'  siècle,  et  qu'elles 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DtJ    SINGULIER  I25) 

augmentent  d'une  façon  considérable  à  mesure  qu'on  avance  dans 
la  littérature  anglo-française. 

Il  est  plus  rare  que  Ve  tombe  pour  les  verbes  de  II,  de  III  ou  de 
IV  ayant  un  thème  en  ;7/(J)  à  la  troisième  personne  du  subjonctif 
présent;  on  en  trouve  quelques  exemples,  mais  ce  phénomène 
appartient  en  propre  au  xiv"  siècle  '.  Plusieurs  sont  assurés  comme 
dans  Pierre  de  Langtoft  défend  (II,  206,  12,  à  la  rime)  et  7-eiid  (I, 
414,  i). 

De  même,  quoique  l'exemple  soit  moins  sûr,  coiisoit  au  vers  468 
de  la  Vie  de  Sainte  Marguerite. 

La  moisson  de  formes  sans  e  que  l'on  peut  faire  parmi  les  verbes 
dont  le  radical  est  terminé  par  r  suivie  d'une  dentale,  est  aussi  très 
abondante.  Nous  ne  citerons  cependant  que  trois  ou  quatre  de  ceux 
qu'on  rencontre  le  plus  fréquemment  :  garder,  porter,  et  leurs 
composés,  recorder,  conforter. 

Gard  est  très  commun,  mais  assez  tardif;  on  le  lit  dans  Boeve 
au  vers  761,  dans  William  de  Waddington  (A),  au  vers  4853,  dans 
la  Manière  de  Langage,  391  ;  et  très  fréquemment  dans  les  Contes 
de  Nicole  Bozon,  par  exemple,  aux  paragraphes  108,  118,  132  et 
passini.  Nous  ne  l'avons  pas  rencontré  à  la  rime  ;  mais  l'exemple  du 
Manuel  des  Péchés  est  assuré  par  la  mesure. 

Les  exemples  de  port  remontent  à  une  date  plus  reculée;  cette 
tonne  est  assurée  par  la  mesure  du  vers  795  d'Edward  le  Confesseur 
elle  est  moins  sûre  au  vers  3441  de  Dermod  ;  quant  à  Pierre  de 
Langtoft,  il  l'emploie  fréquemment  (à  la  rime  :  I,  352,  346;  I,  130, 
10;  II,  30,  6,  etc.);  on  la  relève  encore  dans  William  Rishanger, 
292. 

Citons  encore,  record  dans  William  de  Waddington,  au  vers 
3069;  confort  d3.ns  Pierre  de  Langtoft  (I,  208,  19). 

Comme  on  le  voit  pour  certains  de  ces  verbes,  la  chute  de  ïe  date 
du  commencement  du  xiii"-'  siècle,  quoiqu'elle  soit  encore  rare  à 
cette  époque. 

Nous  aurions  pu  ranger  dans  notre  première  classe  (dentale 
appuyée  pour  laquelle  la  consonne  d'appui  disparait),  les  verbes 
dont  le  thème  est  terminé  par  une  dentale  précédée  de  s,  cette  s 
disparaissant,  comme  nous  l'avons  vu,  vers  le  milieu  du  xiii^  siècle. 

I.    Cf.  d'ailleurs  Subjonctif  en  (>»/! 


130  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-ERANÇAIS 

Citons  toutefois  deux  ou  trois  exemples  de  ces  verbes  :  le  ms.  D 
de  Boeve  (2^  moitié  du  xiir  s.)  nous  donne  iast,  au  vers  948;  et 
bdst  au  vers  2104;  cette  dernière  forme  se  retrouve  encore  dans 
Pierre  de  Langtoft  (I,  118,  8;  II,  412,  9,  etc.);  dans  ce  dernier 
auteur,  prcsl  se  rencontre  constamment  (cf.  par  exemple  I,  142,  24, 
1,  242,  9;  I,  ^88,  5;  II,  336,  7). 

irasl  enfin  se  lit  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  §  131,  etc. 

Comme  on  le  voit,  tous  les  exemples  sont  postérieurs  à  l'amuis- 
sement  de  s  devant  /. 

Comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  ce  sont  les  thèmes  à  den- 
tale qui  perdent  le  plus  régulièrement  leur  c  étymologique;  ce  n'est 
pas  que  nous  n'ayons  un  assez  grand  nombre  d'exemples  d'autres 
thèmes  montrant  à  la  troisième  personne  du  singulier  du  présent 
de  l'indicatif  pour  les  verbes  de  I,  du  présent  du  subjonctif  pour  les 
autres  conjugaisons,  la  même  irrégularité.  Mais  pour  nombreuses 
qu'elles  soient,  ces  formes  restent  sporadiques  en  ce  sens  qu'on 
trouve  rarement  plusieurs  exemples  du  même  verbe,  même  dans 
des  auteurs  différents. 

Cependant,  le  verbe  donner  apparaît  sans  e  deux  ou  trois  fois  : 
dufi  est  assuré  par  la  rime  au  vers  2646  du  Manuel  des  Péchés 
(  :  resun)  ;  on  trouve  donn  dans  Wil.  Rishanger  à  la  page  338,  et  il 
peut  se  rencontrer  encore  dans  quelques  autres  auteurs  du  xiv^  siècle. 
En  même  temps  que  donn,  citons  quelques  autres  verbes  dont  le 
thème  est  aussi  terminé  par  ;/  ;  les  exemples  qui  suivent  sont  tous 
tirés  de  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  :  soiin  (I,  358,  22); 
enclyii  (I,  180,  17;  II,  100,  19)  ;  sojorii  (I,  456,  18).  Ces  trois  der- 
niers exemples  sont  assez  sûrs. 

Les  thèmes  en  r  ne  sont  pas  très  rares  dans  l'^' ;  l'une  des  formes 
est  attestée  par  la  rime  :  pJiir  (  :  dolur)  au  fol.  58  r°  de  la  Genèse 
Notre-Dame;  dans  ce  même  poème,  on  rencontre  siispir,  ibid  ; 
Pierre  de  Langtoft  peut  ici  encore  nous  fournir  plusieurs  exemples, 
ainsi  repair  (I,  282,  8);  enfin  on  lit  âcvoitr  au  §  99  des  Contes  de 
Nicole  Bozon. 

Pour  les  autres  thèmes,  nous  trouvons  deux  exemples  que  nous 
pouvons  dater  assez  exactement  ;  le  premier  est  os  (  :  purpos)  au 
Vf  rs  2066  du  Manuel  des  Péchés  ;  le  second  est  aini  :  claiiii  dû  au 
rubricateur  du  poème  Edward  le  Confesseur  XXXII  (fin  du  xiii^  s.). 

Pour  terminer,  citons  deux  thèmes  en  /  et  en  /  mouillée,  pour 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  131 

lesquels  la  date  est  plus  douteuse  :  aval,  dans  Boeve  de  Haurutone^ 
au  vers  2512,  et  comisayl  dans  Pierre  de  Langtoft  (I^  83,  13). 

Au  subjonctif,  les  exemples  sont  rares  et  tardifs,  nous  n'avons 
rencontré  que  voyl  qui  est  très  fréquent  dans  Pierre  de  Langtoft 
(cf.  par  exemple,  I,  442,  i;  II,  212,  16). 

Les  thèmes  en  'c  sont  représentés  par  guère  de  guerreier,  dans 
Boeve,  3048  ;  surtout  par  agre,  qui  se  trouve  à  la  rime  dans  une 
laisse  en  e  fermé  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (II,  i, 
96,  20). 

On  trouve  à  citer  un  peu  plus  de  thèmes  en  i  :  merci,  dans  Boeve 
1379,  peut  appartenir  au  scribe;  la  troisième  personne  de  crier 
cri  est  plus  fréquente  et  elle  est  assurée  par  la  rime  dans  cri  (  :  saili) 
qui  se  lit  dans  Dermot  2420  et  par  la  mesure  du  vers  dans  la  Chro- 
nique de  Pierre  de  Langtoft  (I,  358,  20)  qui  l'emploie  aussi  quel- 
quefois. Citons  encore  une  forme  que  nous  verrons  assez  souvent 
en  dehors  de  la  littérature  :  pri  par  exemple  dans  Wil.  Rishanger 
(292).  Nous  n'avons  rencontré  qu'un  seul  thème  en  u,  qui  du  reste 
est  à  la  rime,  mais  seulement  au  xiv*  siècle  :  sain,  Pierre  de  Lang- 
toft (II,  92,  9). 

Les  thèmes  vocaliques  ne  nous  ont  pas  fourni  beaucoup  d'exemples 
de  troisièmes  personnes  du  singuHer  du  présent  du  subjonctif  per- 
dant leur  e  étymologique  ;  citons  oy  (=  audiat)  qu'on  lit  dans  l'Apo- 
calypse (a  190). 

Dans  enter,  Boeve  2748,  profer,  Pierre  de  Langtoft,  I,  124,  3, 
recover,  id.,  I,  328,  16,  nous  n'avons  pas  chute  de  la  voyelle  muette, 
mais  une  métathèse,  fréquente  en  anglo-français. 

Comme  on  le  voit,  la  chute  de  Ve  muet  à  la  troisième  personne 
du  singulier  est  devenue  vers  le  commencement  du  xiv*^  siècle  assez 
générale,  en  ce  sens  que  peu  de  thèmes  verbaux  réussissent  à  con- 
server toujours  intacte  la  forme  étymologique  ;  cependant  les 
exemples  que  nous  avons  cités  montrent  que  certaines  diflérences 
existent  entre  les  différents  verbes  à  ce  point  de  vue;  nous  pourrons 
les  résumer  en  quelques  lignes  : 

1°  Deux  temps  sont  affectés,  le  présent  de  l'indicatif  et  le  présent 
du  subjonctif;  mais  pour  de  second  temps,  la  chute  de  la  muette 
reste  relativement  rare,  tandis  qu'elle  est  commune  pour  le  premier. 

2°  Pour  le  présent  de  l'indicatif,  on  remarque  que  certains  thèmes 
sont  affectés  plus  tôt  et  plus  généralement  que  certains  autres.  Les 


13-  L  EVOLUTION    DU    VEKBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

exemples  que  nous  avons  recueillis  montrent  une  réelle  progression, 
et  on  peut  admettre  qu'elle  représente  exactement  ce  qui  s'est  pro- 
duit dans  la  réalité.  Les  premiers  verbes  à  perdre  leur  voyelle  muette 
sont  ceux  dont  le  thème  est  terminé  par  une  dentale  simple  ou 
double  ;  pour  ces  verbes,  la  chute  de  la  muette  remonte  à  la  fin  de 
la  première  moitié  du  xii*^  siècle.  Lorsque  la  dentale  finale  du  thème 
est  appuyée  par  n,  r  ou  s,  la  muette  ne  commence  à  tomber  qu'au 
commencement  du  xiii''  siècle.  Pour  tous  les  verbes  qui  précèdent, 
la  chute  de  la  muette  est  fréquente.  Elle  l'est  moins  pour  les  autres 
thèmes  consonantiques  ///,  ;/,  /',  s,  l  et  1  mouillée  ;  ils  perdent  leur 
('  muet  plus  rarement  et  cela  n'arrive  que  pendant  la  seconde  moi- 
tié du  xiii^  ou  le  xiv"  siècle.  Les  thèmes  vocaliques  viennent  ensuite 
pour  la  date  et  pour  le  nombre. 

3°  Quant  aux  quelques  subjonctifs  présents  qu'on  rencontre  sans 
leur  voyelle  muette,  c'est  au  commencement  du  xiv^  siècle  qu'il 
faut  rapporter  les  exemples  qu'ils  nous  fournissent. 

La  chute  de  Ve  atone  final  est  un  phénomène  très  fréquent  dans 
la  langue  non  littéraire  ;  à  l'indicatif  des  verbes  de  I,  comme  au 
subjonctif  des  verbes  de  II,  III  et  IV,  ce  sont  surtout  les  thèmes  en 
n  suivis  d'une  dentale  qui  sont  affectés.  Dans  les  Statutes  of  the 
Realm,  recueil  où  les  exemples  sont  particulièrement  nombreux, 
nous  avons  relevé  un  nombre  considérable  de  ces  cas.  Le  verbe 
mander  et  ses  composés  en  particulier  se  rencontrent  très  fréquem- 
ment à  la  troisième  personne  du  singulier  sous  la  forme  niaund  '. 
La  forme  régulière  se  trouve  aussi,  mais  elle  est  beaucoup  moins 
commune  (13  51,  I,  327;  1357,  I,  346;  1275,  I,  26);  on  pourrait 
dire  que,  approximativement,  les  formes  écourtées  sont  trois  fois 
plus  nombreuses.  Le  verbe  qui,  après  mander,  est  le  plus  souvent 
rencontré  sans  Vc  étymologique  est  le  verbe  granter.  Remarquons 
que,  par  la  nature  du  texte,  ces  deux  verbes  sont  d'un  emploi  très 
fréquent.  Pour  ce  verbe  encore,  la  forme  courte  est  sensiblement 
plus  commune  que  la  forme  normale,  d'après  nos  calculs,  grani  se 
rencontrerait  un  peu  plus  de  deux  fois  plus  souvent  que  graiite.  Les 
autres  verbes  en  Jil,  nd  sont  d'un  emploi  plus  rare  que  ceux  que 

I.  Maund,  ou  ses  composés,  se  rencontre  dans  les  Statutes  aux  endroits  sui- 
vants :  vol.  I,  127s,  27;  1326  ;  1330,  264;  1350.  320.  322;  1353,  330,  333,  357  , 
etc.  Grant  est  employé  dans  le  premier  vol.  1326,  255;  1351J  325,  2  fois:  1351, 
326;  I353>  3SO. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  133 

nous  venons  de  citer;  on  en  rencontre  toutefois  quelques-uns, 
comme  sur  mont  (1360,  I,  370). 

Tous  les  autres  cas  de  chute  de  la  muette  au  présent  de  l'indi- 
catif, ils  sont  du  reste  peu  nombreux,  proviennent  de  verbes  ter- 
minés par  une  dentale  appuyée  par  r  comme  eiiiport  (1363,  II,  383), 
ou  par  s,  comme  arrest  (1353,  I,  330),  coiist  (1357,  I,  354);  on 
remarquera  du  reste  que  ces  trois  derniers  exemples  sont  sensible- 
ment plus  récents  que  ceux  que  nous  trouvons  pour  mander  et 
granter. 

Les  autres  recueils  non  littéraires  ne  montrent  pas,  sinon  la  même 
correction,  au  moins  la  même  régularité  ;  cependant,  ce  sont  tou- 
jours les  verbes  terminés  par  n  plus  dentale  qui  se  trouvent  le  plus 
communément  :  spécialement,  mander  et  granter.  Ces  deux  verbes 
se  lisent  très  fréquemment  sous  la  forme  inand,  grant  dans  les 
Rymer's  Foedera  ':  les  Mem.  Pari.  1305  -,  dans  le  Liber  Rubeus  de 
Scaccario^,  dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense -^,  etc.  Les 
autres  thèmes  en  d  ou  /  appuyé  sont  déjà  plus  communs  que  dans 
les  Statutes  sous  la  forme  abrégée  :  port  se  rencontre  souvent  dans 
Rymer's  (1306,  II,  1013  ;  1339,  V,  139);  dans  les  Mem.  Pari.,  1305 
(§276);  dans  les  Litterae  Cantuarienses  (1356,  830);  dans  le  Liber 
Rubeus  de  Scaccario  (1328,  III,  886);  dans  le  Blacke  Booke  of  the 
Admiralty  (1385,  I,  453).  On  trouve  encore  accord,  record  dans  la 
plupart  de  ces  textes  (Rymer's  1318,  III,  724,  Liber  Rubeus  de 
Scaccario  1323,  III,  886),  et  on  pourrait  relever  un  grand  nombre 
d'autres  verbes  de  I,  ayant  un  thème  semblable  à  celui  des  précédents 
qui  perdent  à  l'occasion  Ve  étymologique  de  la  troisième  personne 
du  singulier. 

Il  n'est  pas  facile  de  rapprocher  ici  les  textes  politiques  des 
œuvres  littéraires,  à  cause  de  la  différence  des  dates.  On  pourra 
remarquer  cependant  que  1'^'  tombe  aux  verbes  en  n  suivie  d'une 
dentale  dans  les  premiers  textes  non  littéraires,  et  que,  même  à  cette 
époque,  cette  chute  est  très  fréquente. 

On  pourra  remarquer  encore  que  pour  les  autres  thèmes  à  den- 


I.   1277,  II,  86;  1318,  III,  724  ;  1334,  IV,  )94  ;  1390,  VII,  677. 
2-  §§  7  et  passirn. 

3.  886,894.       ■ 

4.  1256,  II,  1314  ;  1305,  61. 


134  I.  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-I-RANÇAIS 

taie  les  dates,  dans  les  œuvres  littéraires  et  dans  les  autres,  coïn- 
cident aussi  exactement  que  possible. 

Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  les  thèmes  à  dentale  qui  sont 
représentés  dans  la  liste  complète  des  exemples  que  nous  fournissent 
les  œuvres  familières,  politiques  et  autres.  Nous  trouvons  ici  encore 
un  assez  grand  nombre  de  thèmes  en  n  et  en  r,  par  exemple  doun 
dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  1320,  282,  desù-  qui  se  lit  dans 
différents  recueils  (Rymer  13 16,  III,  495;   Literae   Cantuarienses 

1363,  910).  Les  autres  thèmes  consonantiques  sont  rares  :  pays  (de 

peser)  se  lit  dans  les  Letters  from  Northern  Registers  1314,  p.  144. 
Citons  encore  quelques  thèmes  vocaliques  :  iiiercy  dans  les  Parlia- 

mentary  Writs  1305,  153  ;  pri  qui  est  très  fréquent  dans  les  Memor. 

Pari.  1305;  par  exemple  §§  113,  113,  172,  envoi  dans  Rymer  1^14 

111,495. 

Ces  cas  sont  non  seulement  moins  nombreux  que  ceux  que  nous 
avons  examinés  précédemment,  mais  la  chute  de  Ve  est  beaucoup 
moins  constante;  par  exemple,  merde  sq  trouve  assez  souvent  dans 
les  Rymer's  Foedera,  et  prie  est  commun  dans  les  Mem.  Pari.  1305. 

Les  dates  sont  du  reste  sensiblement  les  mêmes  que  dans  les 
ouvrages  littéraires. 

La  chute  de  la  muette  au  subjonctif  est  plus  régulière  en  dehors 
de  la  littérature  ;  elle  a  lieu  dans  deux  cas  principaux  seulement  : 
1°  dans  les  verbes  qui  présentent  un  thème  en  nd  (et  plus  rarement 
en  rt)  ;  2°  dans  les  verbes  qui  ont  une  /  mouillée  au  subjonctif.  Ici 
les  Statutes  et  les  autres  textes  sont  d'accord. 

On  trouve  pour  ces  deux  catégories  du  subjonctif  de  nombreux 
exemples  :  nous  nous  limiterons  aux  principaux  :  défend,  se  lit  dans 
les  Statutes  (vol.  I,  1344,  300);  dans  les  Rymer's  Foedera  (1278, 
II,  103,  108;  1323,111,  1013;  1336,  IV,  480;  1393,  VII,  747); 
dans  le  Liber  Albus  (1334,  419);  dans  le  Registrum  Palatinum 
Dunelmense  (13 12,  II,  853). 

Les  autres  verbes  de  IV  en  -ndre  fournissent  des  formes  sans  e 
presque  aussi  nombreuses  ;  pour  en  abréger  l'énumération  nous  ne 
citerons  que  celles  qui  sont  employées  dans  les  Statutes  :  rend  (1230, 
I,  268);  vend  (1350,  I,  321;  1353,  I,  338),  etc.  Comme  autre 
thème  à  dentale,  nous  avons  par  exemple  départ,  Statutes  1388, 

11,56. 

Pour  les  verbes  qui  ont  1'/  mouillée  au  subjonctif,  les  exemples 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I  3  ) 

ne  sont  pas  très  variés,  mais  ils  sont  fréquents.  Ainsi  on  lit  :  voill 
dans  les  Statutes  (1309,  I,  156),  dans  les  Mem.  Pari.  1305,  §  199, 
et  dans  plusieurs  autres  recueils.  Assoil  (iissoill)  se  trouve  d'une 
façon  très  régulière  dans  les  Rynier's  Foedera  :  on  trouve  ce  verbe 
dans  la  formule  «  Que  Dieu  assoill  »,  employée  chaque  fois  qu'un 
roi  d'Angleterre  décédé  est  nommé,  ce  qui  arrive  fréquemment, 
par  exemple  1307,  III,  13;  1333,  IV,  566;  1367,  VI,  568;  1383, 
VII,  416,417;  1395,  VII,  798'. 

Si  on  examine  au  point  de  vue  des  dates  les  exemples  précédents, 
on  voit  que  les  exemples  tirés  des  Traités  de  Rymer  sont  antérieurs 
à  ceux  qu'on  trouve  dans  les  Statutes,  de  peu  d"années  pour  les 
radicaux  qui  présentent  une  /  mouillée  (commencement  du  xiv^  s., 
dans  les  deux  cas),  et  d'un  nombre  assez  considérable  pour  les  autres 
(Statutes,  milieu  du  xiV  s.;  Rymer  quatrième  quart  du  xiii^).  De 
plus,  si  on  s'en  tient  aux  Statutes,  on  voit  que  la  chute  de  la  muette 
a  eu  lieu  au  présent  de  l'indicatif  avant  d'atteindre  le  présent  du 
subjonctif. 

Nous  voyons  donc  qu'à  ce  point  de  vue  la  langue  des  Statutes  et 
la  langue  littéraire  concordent  entièrement. 

Nous  parlerons  très  brièvement  de  ce  qui  a  eu  lieu  dans  les  Year 
Books  où  l'on  peut  observer  un  état  de  choses  analogue.  Ce  sont 
surtout  les  verbes  qui  ont  leur  radical  terminé  par  -nf,  -nd  qui  perdent 
Ve  muet  post-tonique  à  la  troisième  personne  du  singulier  :  demaiit 
se  rencontre  dans  un  très  grand  nombre  de  p.issages  (20  et  21 
Edw.  I",  12}  ei  passiiii),  et  aussi  graiint,  amoiint. 

Parmi  les  autres  verbes  à  dentale,  on  peut  signaler  porter  qui 
nous  offre  souvent  la  forme  port  (20  et  21  Edsv.  I",  147).  Nous 
rencontrons  aussi  d'autres  verbes  présentant  la  même  irrégularité  : 
thèmes  en  -s  comme  pourchasser,  ou  vocaliques  comme  avouer, 
par  exemple,  piirchas  est  employé  dans  30  Edward  P"",  223  ;  et  avoiv 
dans  32-35  Edvv.  P^  9  ex.  pas  si  m. 

A  la  troisième  personne  du  singulier  des  subjonctifs  en  ani  et  en 
îam,  le  même  phénomène  se  produit  et  dans  les  mêmes  conditions  : 
il  est  facile  de  relever  un  certain  nombre  d'exemples  comme  remi 
30  Edward  \",  33;  rc\poiid,  dans  le  même  recueil,  p.  505  ;  perd, 
ibid.,  233;  respond  31  Edward  P"",  477.  Les  exemples  sont  extrême- 
ment nombreux  dans  la  plupart  des  recueils. 

I,  C^omparer  le  verbe  anglais  to  assoil. 


î}(y  l'kVOI-UTION    du    VERBH    en    AN(;LO-rRANÇAIS 

Si  nous  considérons  les  dates  de  ces  exemples,  nous  pouvons 
remarquer  que  les  Year  Books  qui  nous  donnent  le  plus  grand 
nombre  d'exemples  sont  ceux  dont  nous  ne  pouvons  fixer  la  date 
avec  certitude;  les  autres,  ils  sont  peu  nombreux,  en  offrent  beau- 
coup moins,  par  exemple  7(1312).  Ceci  est  pour  nous  faire  croire 
que  la  plupart  des  cas  montrant  la  chute  de  cmuet  sont  postérieurs 
au  xiv^  siècle. 


ADDITION    DUN    e   ATONE 

Le  phénomène  contraire  à  celui  que  nous  venons  d'étudier 
s'observe  dans  un  grand  nombre  de  verbes  de  II,  III  et  IV:  à  la 
troisième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  qui,  pour 
ces  verbes,  se  termine  par  une  consonne,  les  écrivains  anglo-fran- 
çais d'une  certaine  époque  aiment,  dans  certaines  conditions,  à 
ajouter  un  e  atone. 

Nous  n'avons  relevé  de  cette  irrégularité  aucun  exemple  au 
Nii'' siècle.  Même  au  siècle  suivant,  les  exemples  assurés  sont  rares: 
nous  n'en  avons  trouvé  que  très  peu  à  la  rime.  Citons  dans  le 
Roman  de  Philosophie  de  Simund  de  Freine  par/c  (:  quarte)  (au  vers 
938);  dans  le  Sermon  en  vers  Deu le  Omnipotent  f(W5^»/(?(:pulente) 
(8,  b).  Ces  deux  exemples,  quoique  isolés,  suffisent  pour  nous 
montrer  que  la  tendance  à  ajouter  dans  certains  cas  un  e  muet 
non  étymologique  se  fait  jour  dès  le  commencement  du  xiii^  siècle. 
Remarquons  encore  que,  comme  on  le  voit,  ces  deux  troisièmes 
personnes  qui,  les  premières,  prennent  Ve  irrégulier,  appartiennent 
à  des  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  dentale  appuyée. 
Ce  ne  sont  du  reste  pas  les  seuls  cas  que  nous  ayons  rencontrés 
dans  les  ouvrages  de  cette  époque  ;  mais  les  autres,  se  trouvant  tous 
à  l'intérieur  des  vers,  doivent  appartenir  plutôt  au  xiv^  siècle  et 
sont  à  dire  le  moins  discutables.  Boeve  de  Haumtone  en  présente 
plusieurs:  inette  (au  vers  59),  départe  (au  vers  864);  aucun  n'est 
sûr.  Dans  le  Roman  des  Romans,  nous  en  rencontrons  un  autre 
(au  vers  69)  :  reverte,  et  nous  lisons  mainte  dans  la  Lumière  as  Lais 
(O.  R.  1 5  D  II).  Ce  n'est  que  dans  les  auteurs  du  xiV^  siècle,  que  les 
exemples  deviennent  très  nombreux,  et  pour  la  plupart  peu  dou- 
teux :  le  phénomène  devient  plus  commun,  plus  constant  et  plus 
assuré.   Cet  e  irrégulier  affecte  surtout  les  thèmes  à  dentale,  au 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I37 

point  que  pour  certains  verbes  comme  mettre  et  battre,  la  forme 
avec  e  devient  la  forme  régulièrement  employée. 

Voici  pour  ces  deux  formes  quelques  exemples  que  nous  tirerons 
principalement  de  Pierre  de  Langtoft  et  de  Nicole  Bozon.  Mette  se 
rencontre  très  fréquemment  dans  le  premier  de  ces  auteurs  (cf.  en 
particulier  I,  8,  19;  I,  30,  20;  I,  178,  9;  I,  314,  8;  I,  358,  9  et 
passim)  tandis  que  met,  qui  du  reste  se  trouve  dans  la  Chronique 
(cf.  par  exemple  I,  386,  23)  est  peu  employé.  Un  grand  nombre 
de  ces  formes  irrégulières  dont  nous  venons  de  donner  les  réfé- 
rences semblent  assurées,  quoiqu'il  n'y  en  ait  aucune  à  la  rime. 
Nicole  Bozon  dans  ses  Contes  et  dans  les  Proverbes  de  Bon  Ensei- 
gnement emploie  mette  fréquemment  ;  citons  dans  les  Contes  les 
§§  21,  25,  132  et  dans  les  Proverbes  de  Bon  Enseignement  O.  R.  8  E 
XVII,  325.  Nous  pourrions  citer  encore  un  assez  grand  nombre 
d'exemples  de  cette  forme  tirés  des  auteurs  contemporains. 

Il  en  va  de  même  pour  batte  qui  est  au  xiv^'  siècle  d'un  emploi 
fréquent;  Pierre  de  Langtoft  (I,  242,  17  ;  I,  444,  25  et  passim), 
Nicole  Bozon  (dans  ses  Contes,  §§  6,  7,  etc.)  s'en  servent  commu- 
nément; on  le  lit  encore  dans  l'Evangile  de  l'Enfance  (mss  O  et  C), 
119  c. 

Perdre,  sous  la  forme  perde,  n'est  guère  plus  rare  (cf.  Pierre  de 
Langtoft,  I,  92,  16;  II,  200,  19  ;  Contes  de  Nicole  Bozon,  §§  39, 
46,  51,  117);  en  un  mot,  les  trois  verbes  précédents  prennent  fort 
régulièrement  cet  e  parasite  dans  les  œuvres  des  écrivains  littéraires 
du  xiV  siècle. 

Aucun  autre  verbe  ne  montre  la  même  régularité,  plusieurs  du 
reste  sont  beaucoup  moins  employés  que  les  précédents.  Aussi 
nous  n'avons  trouvé  qu'un  petit  nombre  de  formes  arde,  comme 
dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  242,  6)  et  dans  les  Contes  de  Nicole 
Bozon  (§§  112,  131),  mais  nous  ne  nous  souvenons  pas  d'avoir 
rencontré  la  désinence  régulière  de  la  troisième  personne  du  singu- 
lier du  présent  de  l'indicatif  de  ce  verbe  après  William  de  Wadding- 
ton.  Citons  encore  avec  l'atone  pende  dans  Pierre  de  Langtoft 
(II,  124,  14),  sourde  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (§  120), 
transgloute  dans  le  même  ouvrage  (§  54). 

Tous  les  exemples  précédents,  comme  on  le  voit,  nous  montrent 
l'addition  de  la  muette  aux  thèmes  à  dentale. 

Nous  rencontrons  un   petit  nombre  d'exemples  dans  lesquels  1'^ 


138  l'évolution  du  verhh  en  anglo-français 

s'ajoute  à  d'autres  thèmes.  Ainsi  nous  lisons  dans  Boeve  de  Haum- 
tone:  riiiiipc  au  vers  883  (scribe);  dans  un  poème  du  xiV'  siècle, 
nous  trouvons  deux  rimes  :  apere  (:  père),  rescoue  (:  coue)quise  lisent 
toutes  les  deux  dans  le  poème  du  Siège  de  Carlaverok,  respective- 
ment aux  vers  28  et  73.  Citons  enfin  voUe  au  présent  de  l'indicatif 
qui  se  trouve  au  §  21  des  Contes  de  Bozon. 

Par  conséquent,  cet  c  irrégulier  s'ajoute  principalement  aux 
thèmes  à  dentale,  et  les  plus  anciens  exemples  pour  ces  thèmes 
remontent  au  commencement  du  xni^  siècle.  Mais  1'^?  ne  devient 
commun  qu'au  xiV  siècle  et  il  affecte  surtout  certains  verbes,  ceux 
dont  le  thème  est  terminé  par  une  dentale.  Et  c'est  à  la  même 
époque  que  les  autres  thèmes  se  trouvent  gagnés  par  l'atone. 

Ce  même  phénomène  se  rencontre  dans  l'anglo-français  politique 
et  diplomatique,  quoique  il  n'y  ait  pas  la  même  importance  ni  la 
même  régularité  que  le  phénomène  contraire  (chute  de  Ve  étymo- 
logique à  la  3^  personne  du  singulier  des  verbes  de  I).  Dans  les 
Statutes,  on  ne  peut  relever  d'addition  d'un  e  muet  qu'après  les 
verbes  ayant  un  radical  terminé  par  une  dentale  ;  ici  encore  ce  sont 
les  verbes  qui  ont  la  dentale  précédée  par  n  qui  sont  les  plus 
atteints  :  on  trouve  par  exemple  les  présents  de  l'indicatif  suivants: 
apende  dans  le  premier  volume  à  la  date  de  1278  (p.  44);  pciidc 
(1350,  I,  310)  ;^é;/mft' (1376,  I,  398;  1381,  II,  18;  1389,11,62; 
1396,  II,  93).  Parmi  les  autres  thèmes  à  dentale,  on  peut  citer: 
perde  (1360,  I,  370),  promette  (1382,  II,  24).  Comme  on  le  voit,  le 
nombre  des  exemples  augmente  sensiblement  pendant  la  seconde 
moitié  du  xiv^  siècle. 

Les  autres  recueils  de  textes  politiques  ou  diplomatiques  ne  pré- 
sentent pas  la  même  régularité  ;  ce  ne  sont  plus  seulement  les 
verbes  en  tui  qui  prennent  cet  e  irrégulier,  quoiqu'ils  puissent  nous 
fournir  des  exemples  assez  nombreux,  comme  appende  et  respounde 
qu'on  lit  dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense  (1302,  III,  41) 
et  passim  dans  les  Rymer's  Foedera,  mais  tous  les  autres  thèmes  à 
dentale  et  tous  les  autres  thèmes  terminés  par  une  consonne  ou 
une  voyelle.  Nous  ne  citerons  que  quelques-uns  des  nombreux 
exemples  qu'on  peut  relever  dans  les  textes  non  littéraires  :  parmi 
les  thèmes  à  dentale,  nous  trouvons  dans  les  Mém.  Pari.,  1395  : 
perde  (§  49);  mette  (§  389);  dans  les  Literae  Cantuarienses  sourde 
(1394,  965);  dans  les  Rymer's  Voedera  promette  (1361,  VI,  345). 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  139 

Nous  n'en  citerons  pas  davantage  ;  ces  quelques  exemples  nous 
montrent  que  les  principaux  thèmes  à  dentale  se  trouvent  atteints 
et  que  cela  arrive  dans  un  grand  nombre  de  recueils.  Pour  les 
autres  verbes  nous  énumérerons  rapidement  quelques  formes  : 
ciisiiyte  et  denioerte  se  lisent  dans  les  Traités  de  Rymer  (respective- 
ment 1325,  IV,  157  ;  1347,  V,  539).  Citons  encore  este  qu'on 
trouve  dans  les  Documents  inédits  (1396,  282). 

Tous  les  exemples  qui  précèdent  ont  ceci  de  commun  qu'ils 
n'apparaissent  qu'à  une  date  très  tardive. 

Il  est  rare  que  l'addition  de  cet  e  coïncide  avec  la  chute  de  la 
dentale,  cependant  on  en  rencontre  quelques  [exemples  comme  le 
coure  au  deuxième  volume  de  Rymer  (1300,  868)  et  nioeve  qui  se 
lit  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1394,   95  5)- 

Pour  le  prétérit  de  estre,  on  trouve  quelquefois  à  la  troisième 
personne  du  singulier  fiic  ;  mais  cette  forme  peut  n'être  qu'une 
graphie  assez  extraordinaire  ou  une  étoiirderie  des  scribes  pour  la 
forme  très  commune  feu  ;  fue  se  lit  par  exemple  dans  le  Registrum 
Palatinum  Dunelmense,  premier  volume,  p.  347  (13 13)  et  un  cer- 
tain nombre  de  fois  dans  les  Rymer's  Foedera. 

Le  nombre  des  exemples  d'e  irréguliers  que  nous  fournissent  les 
Year  Books  est  considérable,  mais  de  dates  peu  certaines.  Remar- 
quons toutefois  que  le  ms.  Y.  de  Edw.  II  (13 12)  en  présente  plu- 
sieurs. 

Ce  sont  surtout  les  verbes  à  dentale  qui  montrent  cet  e  parasite: 
cette  nouvelle  forme  est  devenue  la  forme  ordinaire  pour  certains 
verbes  comme  surde,  rende,  descende,  mette,  abate,  ioude,  chete  ;  on 
peut  y  ajouter  este  qui  est  plus  rare  (cf.  22  Edw.  I^',  421  ;  1 1  et  12 
Edw.  III,  425)  et  même  l'imparfait  du  subjonctif  'uste  (14  Edw. 
III,  97,  215). 

Les  autres  thèmes  consonantiques  peuvent  être  représentés  par 
vesh,  voyJe,  etc. 

La  chute  de  la  dentale  se  remarque  dans  die  qui  est  très  com- 
mun, par  exemple  20  et  21  Edw.  I",  181,  185;  21,  Edw.  P', 
895,  etc.,  dans  suye  (de  suivre)  qui  ne  se  rencontre  que  plus 
tard,  dans  parfoitrnye.  Ces  trois  derniers  exemples  peuvent  servir  à 
montrer  qu'à  l'époque  où  les  Year  Books  étaient  écrits,  la  dentale 
finale,  non  appuyée  par  une  consone,  avait  disparu  de  la  pronon- 
ciation, en  allongeant  probablement  la  voyelle  précédente. 


140  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-IRANÇAIS 

M.  Stimming  (Boeve  de  Haumtone,  p.  183)  pour  expliquer  les 
formes  mette,  dcparte.  ruinpe  que  nous  avons  déjà  citées  et 
M.  Sucliier  (Reimpredigt,  p.xv)  pour  expliquer  consente,  admettent 
un  changement  de  conjugaison.  Les  exemples  ci-dessus  du  xiii''  et 
du  xiV^  siècle,  littéraires  ou  non,  nous  montrent  clairement 
que  cette  explication  n'est  pas  recevable.  Elle  nous  conduirait  à 
admettre  que  la  plupart  des  verbes  de  II,  III  et  IV  à  dentale  appuyée 
passent  automatiquement  et  en  bloc  à  la  première  conjugaison;  de 
plus,  notre  étude  de  la  première  personne  du  singulier  et  les  faits 
que  nous  avons  exposés  à  propos  de  la  troisième  personne  du  sin- 
gulier du  présent  de  l'indicatif  des  verbes  de  I  nous  montrent  des 
phénomènes  analogues  qu'un  changement  de  conjugaison  n'expli- 
querait pas.  Ici  encore  nous  avons,  comme  nous  l'exposerons  dans 
notre  seconde  partie,  un  phénomène  phonique. 

DÉSINENCE  ie. 

Nous  pouvons  ranger  parmi  les  verbes  qui  prennent  c  à  la  troi- 
sième personne  du  singulier  ceux  qui  se  terminent  par  ie  '. 
Quelques-uns  de  ces  verbes  au  moins  présentent  vraiment  une 
nouvelle  désinence,  distincte  de  celle  de  la  deuxième  conjugaison 
inchoative.  Ce  ne  sont  pas  du  reste  les  verbes  de  cette  conjugaison 
qui  sont  les  seuls  à  prendre  cette  terminaison  ;  nous  rencontrons 
aussi  sous  cette  forme  des  non-incohatifs  et  des  verbes  de  IV.  En 
voici  quelques  exemples  : 

D'abord,  parmi  les  incohatifs,  nous  trouvons,  rimant  en  /,  dans 
Pierre  de  Langtoft  :  establye  (cf.  I,  42,  12;  II,  <)G,  16  ;  II,  32,  27  , 
dans  le  corps  du  vers  les  exemples  sont  encore  plus  nombreux)  ; 
foye(ci.  la  rime  I,  128,  21);  les  Contes  de  Nicole  Bozon  ne  nous 
donnent  pas  d'exemple  assuré;  citons  toutefois  enmaJadye  aux§§86, 
1 19,  etc. 

Les  non-incohatifs  sont  très  peu  nombreux  ;  nous  en  relevons  un 
sous  cette  forme  sous  la  plume  du  scribe  de  la  Destruction  de 
Rome  :  siijfrie  (peut-être  un  prétérit  ?)  ;  Pierre  de  Langtoft  nous 
donne  encore  dans  sa  Chronique  mentye  (II,  282,  3);  mais  cet 
exemple  n'est  pas  à  la  rime. 

I.  Cf.  3e  personne  du  pluriel,  désinence  en  i{y)i'iit,  et  participes  passés  en 
/(.v>. 


LA    TROISIÈME    PERSONNt:    DU    SINGULIER  141' 

En  dehors  de  la  seconde  conjugaison,  un  seul  verbe  prend  assez 
régulièrement  cette  nouvelle  désinence,  c'est  le  verbe  dire.  On 
trouve  en  effet  die  dans  de  nombreux  auteurs  ou  manuscrits  ; 
Pierre  de  Langtoft  encore  ici  nous  fournit  un  grand  nombre 
d'exemples  qui  sont  sûrs,  car  ils  sont  attestés  par  de  nombreuses 
rimes  (cf.  par  exemple,  I,  lo,  21;  I,  178,  18;  II,  270,  6,  etc.); 
mentionnons  encore  dans  le  même  ouvrage  un  composé  de  dire 
qu'on  trouve  aussi  à  la  rime:  inandie  (II,  270,  19).  Un  autre  verbe 
de  IV  est  attesté  sous  cette  forme  par  une  rime  dans  un  autre 
poème,  la  Bounté  des  Femmes  de  Nicole  Bozon  ;  nous  y  trouvons 
en  effet  rye  rimant  avec  courieysic  au  vers  85.  On  ne  peut  pas 
s'étonner  de  ne  rencontrer  sous  cette  forme  que  ces  deux  verbes  de 
IV;  il  faut  en  effet  pour  que  la  désinence  en  ie  soit  possible  que  le 
thème  du  verbe  ait  /  pour  voyelle  accentuée  ;  de  tels  verbes  sont 
assez  peu  nombreux  et  peu  employés. 

Nous  n'avons  pas  rencontré  de  nombreux  verbes  de  I  affectés  de 
cette  désinence  dans  la  langue  littéraire  ;  nous  aurions  pu  en  citer 
un  certain  nombre,  tels  que  auuncic,  jifgie,  si  nous  avions  voulu 
faire  entrer  dans  notre  étude  la  langue  du  xV  siècle  ;  les  manuscrits 
de  cette  époque  nous  fournissent  un  nombre  assez  considérable  de 
formes  comme  les  deux  précédentes  ;  nous  ne  citerons  ici  que 
enfounàrie  que  nous  avons  relevé  dans  les  Chroniques  de  Nicolas 
Trivet  (47  v"),  quoiqu'il  ne  soit  pas  bien  assuré  que  cet  exemple 
appartienne  au  \\\^  siècle. 

En  dehors  de  la  littérature,  le  seul  verbe  de  II  ou  de  IV  que  nous 
ayons  rencontré  est  le  verbe  dire  :  die  n'est  pas  rare  dans  le  second 
volume  des  Statuts  et  moins  encore  dans  les  Rymer's  Foedera  pour 
la  seconde  partie  du  xiv^  siècle. 

Nous  relevons  encore  une  désinence  ou  plutôt  deux  autres  dési- 
nences en  ie  en  dehors  de  l'indicatif  présent  ou  en  dehors  des  deux 
conjugaisons  que  nous  venons  de  citer.  Un  certain  nombre  de 
verbes  de  I  montrent  cette  syllabe  à  leur  troisième  personne  du 
singulier  du  présent  de  l'indicatif  ou  du  subjonctif  :  les  composés 
du  verbe  nuncier  sont  spécialement  réguliers.  Nous  lisons  par 
exemple  dans  le  Black  Book  of  the  Admiralty  :  promiucie  sous  la 
date  de  1291;  c'est,  du  reste,  la  forme  de  ce  genre  la  plus 
ancienne.  Reniincie  se  rencontre  deux  fois  sous  la  même  date 
(1357),  dans  les   Rymer's  Foedera  (VI,   50)  et  dans  les  Actes  du 


142  L  EVOLUTION    DU    VliRBE    EN    ANCILO-FRANÇAIS 

Parlement  d'Ecosse  (I,  520).  Et  il  serait  possible  de  citer  un  plus 
grand  nombre  de  cas  analogues  pour  ce  verbe. 

Comme  autre  verbe  de  I,  citons  occiipic  qui  se  trouve  dans  le 
■second  volume  des  Statutes,  p.  35,  sous  la  date  de  1383. 

Enfin,  nous  trouvons  encore  une  troisième  classe  de  ces  dési- 
nences dans  les  subjonctifs  pour  lesquels  la  consonne  finale  du  radi- 
cal est  une  consonne  mouillée,  veoillie  "et  voillie,  de  vouloir,  sont 
employés  dans  le  Black  Book  of  the  Admiralty  (1291,  18,  30  et 
42);  ayJliese  trouve  dans  le  même  recueil  de  textes  (1291,  II,  30). 
Enfin  un  verbe  qui  a  un  subjonctif  en  am  mais  qui  prend  le  plus 
souvent  une  lettre  mouillée  à  ce  temps  (cf.  sub.),  prendre,  se 
rencontre  à  la  troisième  personne  du  singulier  sous  la  forme  préi- 
gnie  dans  les  Rymer's  Foedera  à  l'année  1328  (IV,  340).  Il  est  pro- 
bable qu'ici  1'/  ne  sert  qu'à  indiquer  la  mouillure  de  la  consonne 
précédente  ;  cependant,  il  arrive  aussi  que  ïe  muet  disparaisse  com- 
plètement et  on  peut  se  demander  quelle  valeur  attribuer  à  cet  / 
qui  reste  seul.  Lui  donnera-t-on  la  valeur  d'une  muette,  ou  lui 
laissera-t-on  sa  prononciation  ordinaire  ?  La  forme  voillit  se  trouve, 
assez  rarement  du  reste,  dans  les  œuvres  non  littéraires,  par  exemple 
dans  les  Statutes  (vol.  I,  p.  102,  1285). 

Les  terminaisons  en  ie  sont  donc  bien  assurées  à  la  troisième 
personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  ou  du  subjonctif  de 
certains  incohatifs,  de  deux  verbes  de  IV,  dire  et  rire,  et  de  plu- 
sieurs verbes  de  I. 

Ces  exemples  datent  tous  du  commencement  du  xiv<=  siècle. 

Il  en  est  de  même  pour  les  subjonctifs  que  nous  avons  cités  en 
dernier  lieu. 

On  pourrait  être  tenté  de  considérer  tous  les  exemples  que  nous 
avons  énumérés  comme  représentant  tous  la  même  forme  d'une 
désinence  nouvelle.  En  réalité,  nous  avons  affaire  à  trois  phéno- 
mènes entièrement  distincts.  Les  quelques  exemples  que  nous  a 
fournis  la  langue  littéraire  forment  seuls  ce  que  nous  appelions  la 
nouvelle  désinence  en  ie  et  nous  voyons  que  cette  désinence 
affecte  uniquement  les  verbes  dont  la  troisième  personne  du  singu- 
lier du  présent  de  l'indicatif  est  terminée  régulièrement  par  //.  De 
ces  verbes,  seul  le  verbe  dire  se  rencontre  sous  la  forme  die  dans  les 
œuvres  non  littéraires. 

Vi  a  une  origine  toute  différente  dans  les  deux  autres  cas  :  pour 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I43 

voillie,  ûillie,  preignie  Vi  est  purement  graphique  :  ////",  igni  ne  sont 
que  des  graphies,  l'anglo-français  en  connaît  encore  beaucoup 
d'autres,  des  lettres  mouillées  /  et  n  ;  17  n'y  fait  donc  pas  partie  de 
la  désinence. 

Quant  à  rcnoHcie  et  aux  formes  analogues  qui  appartiennent  sur- 
tout au  xV  siècle,  nous  avons  encore  un  phénomène  tout  diffé- 
rent ;  ici  1'/  provient  de  l'infinitif.  Nous  verrons,  quand  nous  étudie- 
rons ce  mode,  qu'cà  une  certaine  époque,  l'anglo-français  a  retrouvé 
les  terminaisons  en  ier,  mais  elles  n'ont  pas  toujours  été  employées 
avec  les  verbes  qui  l'avaient  étymologiquement  ;  et,  ce  qui  nous 
intéresse  ici,  1'/  a  été  souvent  ajouté  à  des  personnes  qui  n'y  avaient 
aucun  droit.  C'est  ce  qui  nous  explique  les  quelques  formes  que 
nous  citions  plus  haut  et  d'autres  analogues. 

GRAPHIES    DE    l'aTONE    FINALE 

La  langue  littéraire  écrit  toujours  l'atone  finale  à  la  troisième 
personne  du  singulier,  tout  au  moins  dans  ces  auteurs  que  nous 
avons  étudiés,  par  e  ;  il  n'en  est  pas  de  même  pour  la  langue  non 
littéraire  qui  emploie  un  nombre  assez  considérable  de  graphies 
différentes. 

Mais  aucune  de  celles  que  nous  allons  citer,  n'a  la  moindre  fixité; 
toutes  sont  sporadiques,  et  dans  certains  cas,  nous  pourrions  sup- 
poser que  telle  graphie  extraordinaire  n'est  qu'un  lapsus  calami  si 
nous  ne  savions  pas  par  ailleurs  que  l'on  rencontre  dans  d'autres 
formes  du  verbe  et  pour  d'autres  mots  ces  mêmes  graphies 
employées  d'une  manière  plus  constante  pour  représenter  la  voyelle 
atone. 

Au  présent  de  l'indicatif,  nous  trouvons  que  l'atone  s'est  très 
bien  conservée  dans  le  cas  où  elle  subsiste,  aussi  bien  que  pour 
ceux  où  elle  a  été  ajoutée.  Signalons  seulement  la  graphie  ee  qui 
n'est  pas  très  rare  et  se  rencontre  par  exemple  dans  les  Statutes, 
vol.  I,  p.  i6i  (13 II)  Çsoefree). 

On  trouve  en  outre  dans  Rymer  :  ey,  comme  dans  dcmorgcy,  à 
deux  années  d'intervalle,  en  1300  (vol.  II,  p.  868)  et  en  1302 
(vol.  II,  p.  913),  ou  encore  la  diphtongue  ou  qui  est  employée 
deux  fois  dans  ce  dernier  recueil  :  jaissoiit  (1357,  VI,  10);  piiissotit 
(id.,  ibid.).  La  graphie  co  même  se  trouve  un  certain  nombre  de 


144  ■  L  EVOLUTION'    DU   VERBE    EN    ANGLO-I-KAKÇAlS 

fois  dans  les  Statures  pour  le  subjonctif  du  verbe  faire:  faceo  se  ren-^ 
contre  trois  fois  dans  les  Statutes  de  l'année  1285,  une  première 
fois  à  la  page  102,  les  deux  autres  p.  103. 

I.  Troisièmes  personnes  du  singulier  en  a. 

Quelques  verbes  se  rencontrent  en  français  ancien  et  moderne 
qui  ont  la  troisième  personne  du  singulier  terminé  par  a  :  le  prin- 
cipal de  ces  verbes  est  le  verbe  aller,  et  nous  allons  examiner 
quelles  ont  été  les  formes  que  ce  verbe  a  prises  à  la  troisième  per- 
sonne du  singulier. 

La  forme  régulière  et  étymologique  est  vait  '  et  pendant  un  cer- 
tain temps,  c'est  la  forme  qui  a  prévalu  en  anglo-français.  Il  est  inu- 
tile de  citer  tous  les  cas  où  cette  forme  si  commune  se  rencontre, 
qu'il  nous  suffise  d'en  mentionner  quelques-uns:  Cumpoz,  355, 
Brandan,  153,  Adgar  XIII,  49,  Tristan  (:  fait),  21,  etc;  cette  dernière 
rime  se  trouve  encore  au  vers  317  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine. 

La  diphtongue  est  écrite  par  ei  dans  l'Estorie  des  Engleis  où  veit 
(:  feit)  au  vers  1774,  ce  qui  du  reste  provient  assurément  du  scribe  ; 
la  même  rime  sous  la  même  forme  se  retrouve  dans  la  Vie  de  Saint 
Gilles  au  vers  603  et  au  vers  1513  veit  rime  avec  Icit  de  laisser. 

On  trouve  aussi  dans  le  Sermon  en  vers  de  Guischart  de  Beau- 
liu,  vait  (vadit)  :  fait  (facit)  :  trait  (trahit):  lait  (laxat)  :  estait 
(imparf.)  :  esmait  (3''  personne  du  singulier  du  présent  du  subjonc- 
tif) :  plait  (placitum),  etc.,  vers  67-78.  Frère  Angier  emploie  de 
même  cette  forme  que  nous  lisons,  par  exemple,  139  a  35.  On 
trouve  cependant  quelquefois  veit  rimant  avec  une  diphtongue  ei 
dont  le  premier  élément  est  un  e  fermé.  Cette  rime  se  trouve  dans 
Robert  de  Gretham  qui  est  cependant  un  rimeur  scrupuleux  (pour 
un  écrivain  anglo-français)  ;  veit  (:  beneit)  au  folio  22  v^  ;  une 
rime  de  la  même  nature  se  trouve  encore  au  vers  783  du  Saint- 
Edmund  :  veit  y  rime  avec  dreit  et  cette  dernière  se  lit  encore  au 
vers  783  du  fragment  d'une  traduction  de  la  Bible  (Rom.  XVI, 
p.  183  sqq.).  Mais  les  rimes  de  ce  verbe  avec  fiiit,  trait,  etc.,  restent 
toujours  les  plus  nombreuses. 

Une  troisième  variante  de  cette  première  forme,  c'est  la  graphie 
vet  ;  on  la  trouve  par  exemple  dans  Adgar  (V  R,  103);  elle  devient 

I.   Pour  voit,  cf.  Mussafia,  Zeitschrift,  1,409. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I45 

dès  lors  de  plus  en  plus  commune,  elle  rime  en  e  ouvert  comme 
dans  la  rime  vet  (:  set  =  septem)  au  vers  3847  du  Saint  Edmund. 
Certains  auteurs  (ou  scribes)  emploient  concurremment  les  trois 
formes  ;  c'est  ainsi  que  dans  Simund  de  Freine,  nous  trouvons  : 
vait,  Saint-George,  vers  106;  veit,  ibid.,  vers  804;  vel,  Roman  de 
Philosophie,  1137;  une  ou  deux  de  ces  formes  peuvent  appartenir 
au  scribe.  Nous  n'avons  pas  pu  relever  dans  un  même  poème  des 
exemples  assurés  par  la  rime  de  ces  trois  formes,  mais  elles  sont 
librement  mélangées  après  le  Saint  Edmund  (que  nons  plaçons  dans 
le  second  quart  du  xiii^  siècle). 

Au  xiv'^  siècle,  nous  rencontrons  une  quatrième  forme  plus 
curieuse  qui,  dans  la  deuxième  moitié  du  siècle,  devient  très  com- 
mune ;  la  diphtongue  analogique  ei  suit  l'évolution  de  la  diph- 
tongue ét3'mologique  ei  et  devient  oi  :  voit  se  trouve  par  exemple 
dans  Foulques  Fitz  Warin  (p.  99),  dans  le  ms.  B  (1350)  de  l'Ipo- 
médon  (vers  1301)  et  n'est  pas  rare  dans  les  Rymer's  Foedera 
après  1330,  ni  dans  les  Year  Books  ;  mais  cette  forme  n'apparaît 
jamais  à  la  rime  dans  les  œuvres  littéraires. 

Sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  la  troisième  personne  du 
singulier  d'aller  dérivée  phonétiquement  de  vait  persiste  donc  pen- 
dant toute  la  littérature  'anglo-française. 

La  forme  va  a  cependant  fait  son  apparition  assez  tôt  :  le  pre- 
mier exemple  assuré  que  nous  ayons  rencontré  se  lit  dans  l'Estorie 
de  Gaimar  :  on  la  trouve  dans  deux  endroits  :va  (:trovad),  au  vers 
4009  et  (:saluad)  5804  ;  Adgar  nous  en  offre  au  moins  un  cas  (:  ad) 
I  R  20  et  la  même  rime  se  retrouve  au  vers  588  de  la  Vie  de  Sainte 
Catherine  de  Sœur  Clémence.  Nous  pouvons  en  signaler  aussi  dans 
la  Vie  de  Saint  Gilles  deux  exemples  qui  ont  échappé  à  Gaston  Paris 
{cï.  Introduction  de  Saint  Gilles,  p.  xxx)  ;  on  lit  en  effet  va  (:ca) 
18 18  et  (:  suna)25  3 . 

Dans  Chardri,  on  ne  trouve  jamais  va  à  l'intérieur  du  vers  ;  à  la 
rime,  cette  forme  existe,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  la  plus  commune. 
Comment  peut-on  expliquer  cette  distinction  ?  Chardri  considé- 
rait-il cette  forme  nouvelle  comme  moins  correcte  ou  moins  litté- 
raire que  ve(jy  puisqu'il  ne  l'emploie  que  lorsque  la  rime  l'y  oblige? 
On  trouve  va  à  la  rime  avec  cJmnta  dans  Josaphat,  vers  873,  avec 
despcça  dans  le  même  poème,  vers  2354;  et  avec  tniva  au  vers 
1061    des    Set  Dormans.    Dans   Simund    de    Freine,   cette  même 

10 


14^^  I. 'ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

tonne  ne  se  trouve  employée  qu'en  interrime  et  n'est  peut-être 
pas  imputable  à  l'auteur  ;  elle  est  moins  commune  que  veit. 

Va  se  trouve  aussi  dans  Robert  de  Gretham,  mais  est  relative- 
ment peu  répandu  ;  on  peut  citer  va  (:a)  au  fol.  i6  v".  Va  est  assez 
employé  au  xiv"  siècle:  on  peut  citer  parmi  les  formes  assez  nom- 
breuses qu'on  rencontre:  dans  Pierre  de  Langtoft  I,  80,  36  où  cette 
forme  est  à  la  rime  et  passiiu.  Il  est  à  remarquer  que  le  ms.  B  de 
cette  chronique  (ce  ms.  date  de  la  seconde  moitié  du  xiv^  siècle) 
contient  va  très  souvent.  Dans  la  Bounté  des  Femmes  de  Nicole 
Bozon,  on  la  trouve  encore  à  la  rime  avec  verra  au  vers  15e  et 
dans  le  Prince  Noir  avec  conta  au  vers  2486.  Comme  on  le  voit, 
va  n'est  pas  rare  en  anglo-français  et  cependant  il  n'a  jamais  été 
aussi  souvent  employé  que  la  forme  étymologique  qui  a  persisté  et 
qui  a  été  en  faveur  autant  ou  plus  que  la  forme  analogique. 

Ce  qu'il  faut  surtout  remarquer,  croyons-nous,  ce  sont  les  lents 
progrès  que  cette  forme  a  faits  tout  d'abord.  Le  premier  exemple 
assuré  que  nous  ayons  est  antérieur  au  milieu  du  xii^  siècle  et  au 
commencement  du  xrri%  comme  nous  le  montrent  les  exemples  de 
Chardri,  les  écrivains  un  peu  soigneux  ne  l'emploient  guère  que 
quand  ils  ne  peuvent  pas  faire  autrement  ;  nous  en  dirions  presque 
autant  de  Robert  de  Gretham,  qui  date  du  second  tiers  du  même 
siècle  ;  en  tout  cas  il  est  évident  que  ce  n'est  qu'au  xiv^  siècle  que 
cette  forme  devient  vraiment  usuelle.  C'est  du  reste  aussi  la  période 
pendant  laquelle  les  écrivains  sont  le  moins  regardants. 

En  dehors  des  ouvrages  littéraires,  va  n'est  pas  très  employé  : 
nous  ne  pensons  pas  en  avoir  rencontré  d'exemple  dans  les  Sta- 
tutes  ;  il  y  en  a  quelques-uns  dans  les  Rymer's  Foedera  et  dans 
quelques  autres  recueils,  mais  la  forme  étvmologique  est  soit  la 
seule  emplovée,  soit  la  forme  habituelle. 

Pour  le  verbe  ester,  nous  trouvons  les  deux  mêmes  terminaisons 
fondamentales,  quoique  les  formes  que  ce  verbe  prend  à  la  3^  per- 
sonne du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  soient  beaucoup  moins 
variées  que  pour  aller.  Tout  d'abord  ester  fait  ordinairement  à  la 
troisième  personne  du  singulier  estait  ;  nous  rencontrons  unique- 
ment cette  forme  au  xii^  siècle  dans  la  langue  littéraire  ;  elle  est  à 
cette  époque  assez  fréquente  et  est  employée  par  l'auteur  de  Saint 
Brandan  au  vers  1477  ;  les  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cambridge 
l'emploient  aussi.   le  premier,  psaume  102,  12,  le  second.  118,90; 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I47 

dans  le  Tristan  de  Thomas  nous  Tavons  plus  d'une  fois  à  la  rime  ; 
elle  rime  par  exemple  avec  ait  au  vers  1122.  Saint  Gilles  la  fait  rimer 
avec /fl'/7  (de  laisser)  au  vers  1985.  En  dehors  des  rimes  nous  la 
trouvons  plusieurs  fois  chez  Gaimar,  dans  Horn  au  vers  1023;  dans 
les  Quatre  Livres  des  Rois,  II,  18,  29...  à  l'intérieur  des  vers  1787 
et  2010  du  Tristan  de  Thomas. 

Esta  n'est  pas  rare  même  à  cette  époque  ;  mais  on  peut  faire  ici 
la  remarque  que  nous  avons  déjà  faite  à  propos  de  va  dans  les 
poèmes  de  Chardri.  Gaimar,  qui  présente  un  certain  nombre  de 
formes  esta  à  la  rime,  n'emploie  jamais  que  estait  lorsque  les  néces- 
sités du  vers  ne  le  forcent  pas  à  prendre  une  terminaison  en  a. 
C'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans  cet  auteur  «f^rt?  rimant  avec  ad  au 
vers  2832  :  on  le  rencontre  dans  le  corps  du  vers  ou  en  interrime 
dans  le  poème  de  Horn  aux  vers  5 27, ,5 38,  1022,  où  il  est  peut-être 
dû  au  scribe,  comme  dans  le  corps  du  vers  des  Légendes  de  Marie 
d'Adgar  XXVIII,   257   et  passini. 

Après  le  xii''  siècle  cependant,  la  seule  forme  employée  est  cette 
forme  en  a  ;  malgré  tout,  on  peut  dire  qu'elle  n'est  pas  très  fré- 
quente :  cela  tient  à  ce  que  ce  verbe  est  déjà  en  train  de  disparaître. 
Voici  les  quelques  exemples  que  nous  avons  relevés  :  au  folio  75  v° 
du  Saint  Julien,  il  se  trouve  dans  le  corps  du  vers  ;  il  rime  avec 
passera  au  tolio  62  r"  des  Heures  de  la  \^ierge,  on  le  trouve  en 
interrime  dans  William  de  Waddington  cj/tz  :  aresta  vers  3286,  et 
dans  le  corps  des  vers  3687,  6792  ;  citons  enfin  Pierre  de  Langtoft, 
I,  428,  8  ;  et  Foulques  Fitz  Warin,  p.  93.  La  dernière  rime  pro- 
bante en  a  que  nous  ayons  rencontrée  se  lit  dans  l'Evangile  de 
l'Enflince,  mss.  O  et  G,  strophe  172,  vers  d. 

Aresler  enfin  qui  prend  assez  souvent  la  forme  en  a  connaît 
aussi  et  assez,  tôt  la  forme  analogique  :  aresie  (:  tenpeste)  Robert  de 
Gretham  107  v". 

En  dehors  des  œuvres  littéraires  la  troisième  personne  du  singu- 
lier du  verbe  ester  est  d'un  emploi  assez  rare  ;  le  Liber  Custumarum 
la  donne  au  moins  une  fois  sous  la  (orme  estet,  à  la  date  de  1302, 
p.  1)0.  On  trouve  fréquemment  esta  dans  les  Year  Books  (cf.  par 
exemple  20  et  21  Edw.  F'',  179  ;  31  Edw.  F'',  349;  Eyre  of  Kent 
13 13,  III,  159;  II  et  12  Edw.  III,  133;  12  et  13  Edw.  III,  i8i)- 
mais  cstef  se  trouve  (dans  ce  dernier  recueil,  p.  186). 


148  l'kvolution  nu  vhrbe  en  anglo-français 

II.  Lf  thème  a  la  troisième  personne  du  singulier. 

Les  changements  que  subit  la  vov.elle  du  thème  à  h  troisième 
personne  du  singuHer  sont  nombreux  et  importants. 

Nous  avons  toutefois  à  faire  une  distinction  entre  les  modifica- 
tions phoniques  qui  ne  sont  spéciales  ni  à  cette  personne  ni  au 
verbe  et  celles  qui  ne  se  rencontrent  qu'à  la  troisième  personne  du 
singulier.  Les  premières  ne  nous  intéressent  pas  ici,  les  secondes 
appartiennent  seules  à  notre  sujet.  Mais  cette  distinction  n'est  pas 
toujours  très  facile  à  faire  :  dans  les  pages  qui  suivent  on  trouvera 
évidemment  beaucoup  de  formes  dérivant  des  formes  étymologiques 
par  une  évolution  régulière,  là  où  cette  évolution  a  pu  être  plus 
générale  que  nous  ne  l'imaginons  ou  qu'on  ne  l'a  reconnu  jus- 
qu'ici. 

Cela  en  particulier  est  vrai  des  formes  très  nombreuses  que 
prennent  les  verbes  pouvoir,  estovoir,  vouloir.  Cependant  nous 
n'avons  pas  cru  devoir  les  passer  sous  silence. 

Nous  omettrons  donc  surtout  les  modifications  les  plus  générales 
et  les  plus  connues  :  le  passage  de  ///  à  11  ;  celui  de  ie  à  £■  et  à  /  (jient, 
tent,  tiut);  celui  de  oc  à.  0  et  à  u  {proeve,  prove, pruve...^ -^^le  passage 
de  (7  à  ûieth  i  (oitreie,  otlrnic,  ottn'e)  eic... 

Mais  pour  les  modifications  qui  restent,  une  autre  difficulté  se 
présente  :  nous  ne  devons  parler  ici  que  de  celles  qui  atteignent  la 
troisième  personne.  Celles  que  nous  trouvons  à  une  autre  personne 
du  même  temps  ou  du  même  mode  seront  étudiées  à  ce  temps  ou  à 
ce  mode.  Il  est  encore  possible  que,  faute  d'exemples  à  d'autres  per- 
sonnes, nous  ayons  attribué  à  la  troisième  ce  qui  aurait  appartenu  à 
tout  un  temps  ou  tout  un  mode. 

Nous  ferons  donc  tous  nos  efforts  pour  bannir  des  pages  qui 
suivent  :  i"  toute  question  purement  phonique  ;  2°  toute  question 
qui  peut  être  plus  générale. 

Mais  nous  n'oserions  pas  affirmer  y  avoir  complètement  réussi. 

Les  différents  points  qui  vont  maintenant  retenir  notre  attention 
sont  les  suivants  : 

a)  La  consonne  finale  du  thème  ; 

b)  Allongement  de  la  voyelle  thématique  ; 

c)  Abrègement  de  la  voyelle  thématique  ; 

d)  Pouvoir,  estovoir,  vouloir. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I49 

a)  La  consonne  Ji  nu  le  dn  thème. 

Les  moditications  subies  par  la  consonne  finale  du  thème  sont 
peu  nombreuses  et  peu  importantes,  si  nous  négligeons  celles  qu'on 
peut  observer  à  d'autres  personnes. 

La  présence  d'une  lettre  mouillée  {pregii,  siège  de  Carlaverok 
vers  26,  renieign  i  et  2  Edw.  II,  7)  sera  étudiée  plus  tard. 

Signalons  simplement  l'apparition  de  la  consonne  latine  dans 
escript  (Nicolas  Trivet  16  r°). 

b)  Allongement  de  la  voyelle  thénialique. 

Ce  phénomène  qui  appartient  au  xiii''  et  au  xiv^  siècle,  n'atteint 
jamais  qu'un  nombre  très  restreint  de  verbes. 

L'allongement  prend  différentes  formes;  ou  bien  la  voyelle  du 
radical  est  redoublée,  ou  bien  elle  se  diphtongue,  ou  encore  une 
autre  voyelle  s'ajoute  à  la  voyelle  étymologique. 

Les  thèmesqui  redoublent  la  voyellesont  ceux  dont  la  partie  voca- 
lique  est  un  e  ',  soit  étymologique,  soit  dérivé  ;  et  parmi  ces  verbes 
c'est  savoir  qui  nous  donne  le  plus  grand  nombre  d'exemples. 
Seet  est  commun  et  date  probablement  de  la  fin  du  xiii^  siècle;  nous 
le  rencontrons  au  vers  690  du  Saint  Auban,  au  vers  9  5  du  Manuel  des 
Péchés  et  passim;  dans  Walter  de  Bibblesworth  (144)  ;  dans  Pierre 
de  Langtoft  (I,  70,  i  et  passim)  ;  dans  Nicolas  Trivet  (48  r°),  au 
vers  45  de  la  Geste  des  Dames.  Cette  liste  n'épuise  ni  les  exemples 
qu'on  peut  trouver,  ni  les  auteurs  qui  ont  employé  cette  forme. 
Disons  encore  qu'elle  est  très  fréquente  dans  les  Year  Books  {ci.  ^3 
et  35  Edw.  I",  55  ;  3  Edw.  II,  66  etc.). 

De  la  même  façon  faire  donne  quelquefois  fect,  mais  dans  des 
textes  assez  récents,  comme  Walter  de  Bibblesworth  (145)  et  dans 
quelques  Year  Books  ;  de  même  choir  au  xiv=  siècle  prend  la  forme 
cheet  par  exemple  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  380,  24);  laisser  qui, 
à  la  même  époque,  apparaît  sous  la  forme  lest  devient  leesl  dans  le 
même  auteur  (I,  86,8  ;  I,  380,  13);  cette  dernière  forme  est  assez 
rare  ;  nous  n'en  avons  trouvé  d'autre  exemple  que  dans  la  langue 
légale. 

I.  Phénomène  phonique  bien  connu.  Cl".  Suchiei'j  Voyelles  toniques,  p.   33. 


150  I.  KVOLrilOX    DU    VERBE    l'X    ANGLO-IKAXÇAIS 

/V(7  pour  l'i'il,  vct  estime  forme  du  même  genre  ;  on  la  rencontre 
au  vers  2917  du  poème  d'Edward  le  Confesseur,  et  elle  provient 
assurément  du  scribe. 

D'autres  verbes  apparaissent  encore  à  l'occasion  avec  ce  double  c, 
comme  .VéV//;  de  seoir  dans  l'Apocalypse  (a,  352)  et  une  forme  un 
peu  différente  ^^.(^(7/5/  qui  se  trouve  au  vers  589  du  Saint  Auban. 

Ces  mêmes  formes  se  rencontrent  de  temps  en  temps  en  dehors 
de  la  littérature  ;  citons  encore  un  exemple  que  nous  avons  relevé 
dans  les  Year  Books  et  nulle  part  ailleurs  :  seert  {ij  et  18,  Edw.  III, 
p.  263).  Il  n'y  a  donc  qu'un  nombre  restreint  de  verbes  à  redoubler 
la  voyelle  thématique  e  ;  les  cas  que  nous  avons  relevés  dans  les 
œuvres  littéraires  doivent  pour  la  plupart  être  attribués  aux  scribes  ; 
quelques-uns,  comme  scel  (savoir),  peuvent  donc  dater  de  la  fin  du 
xiii"'  ou  du  xiV  siècle  :  il  est  probable  que  les  autres  ne  remontent 
pas  plus  haut  que  le  xv^ 

Les  exemples  sont  beaucoup  plus  rares,  exceptionnels  même, 
lorsque  la  voyelle  thématique  est  autre  que  e.  La  voyelle  a  se  trouve 
répétée  dans  aa  qui  se  lit  dans  le  Sermon  en  vers,  Deu  le  Omnipo- 
tent (35,  d);  les  Documents  inédits  (1346,  p.  81)  et  dans  quelques 
autres  endroits  '. 

Dans  les  mêmes  conditions,  la  voyelle  /  est  redoublée,  à  notre 
connaissance,  dans  trois  exemples  qui  tous  se  lisent  dans  le  Saint 
Auban  :  viit  (vivit)  au  vers  3 60;  dcspiit  :xu  vers  646,  cheriit  au  vers 

655. 

Autant  que  nous  en  pouvons  juger,  la  voyelle  redoublée  ne 
compte  que  pour  une  syllabe-. 

L'allongement  du  thème  par  redoublement  de  la  voyelle  théma- 
tique n'a  donc  pas  eu  une  très  grande  importance  ;  il  est  certaine- 
ment assez  tardif. 

Le  nombre  de  cas  de  diphtongaison  que  nous  rencontrons  est 
plus  petit  encore  ;  mais  plusieurs  de  ces  cas  sont  certainement  très 
anciens.  Ici  encore,  c'est  le  verbe  savoir  qui  nous  donne  le  plus 
grand  nombre  d'exemples  ;  seit  se  lit  déjà  dans  le  Psautier  d'Oxford 
(72,  II);  dans  l'Estorie  des  Engleis  cette  forme  se  rencontre  à  dif- 
férentes  reprises,  par  exemple  aux  jvers    4598    (R)  et    3221;   le 


1 .  Cf.  au  prétérit  pcissad,  Nicolas  Trivet,  8  r". 

2.  Cf.  Infinitif  en -(Yr. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I5I 

Tristan  de  Thomas  nous  la  montre  au  vers  1209.  Mais  seule  la 
forme  que  nous  lisons  dans  le  Psautier  d'Oxford  nous  assure  de 
l'existence  de  la  diphtongue  au  xii^  siècle  ;  nous  n'avons  relevé  à 
cette  époque  aucune  rime,  et  les  rimes  que  nous  trouvons  posté- 
rieurement ne  prouvent  plus  rien,  puisqu'alors  la  diphtongue  ei 
rimait  en  f  ouvert.  C'est  surtout  entre  11 50  et  1250  que  cette  forme 
nous  a  semblé  être  le  plus  employée  et  nous  avons  trouvé  dans  les 
auteurs  écrivant  à  cette  époque  un  très  grand  nombre  d'exemples. 
A  partir  de  la  seconde  moitié  du  xiii'^  siècle,  elle  devient  plus  rare, 
quoiqu'on  en  trouve  encore  plusieurs  cas,  jusque  dans  les  Contes  de 
Bozon  (cf.  §  132).  C'est  cette  diminution  du  nombre  de  ces  formes  qui 
nous  a  permis  d'attribuer  dans  la  majeure  partie  des  cas  aux  auteurs 
même  les  formes  avec  diphtongue  que  nous  avons  rencontrées. 

Par  analogie  avec  seit  (ou  fûit,feit}\  les  écrivains  anglo-français 
ont  employé  beit  de  haïr,  que  nous  rencontrons  par  exemple  dans 
l'Évangel  Translaté,  au  folio  87  r°. 

Quelques  autres  ouvrages  du  xii^  siècle  nous  montrent  pour  le 
verbe  savoir  une  autre  diphtongue  :  ie.  Nous  ne  pouvons  douter 
que  cette  nouvelle  forme  soit  aussi  ancienne  que  la  précédente  puis- 
qu'on la  trouve  déjà  dans  le  Psautier  d'Oxford  (9,  30  ;  -| 6,  8  ;  98, 
I...)  où  elle  est  plus  commune  que  set  ou  que  seit.  Cependant  les 
autres  textes  de  la  même  époque  ne  nous  ont  donné  aucun  exemple 
bien  assuré  de  cette  forme  ;  il  est  vrai  que  certains  poèmes  nous  la 
montrent,  comme  l'Estorie  des  Engleis  au  vers  4598  ou  le  Tristan 
de  Thomas  aux  vers  984,  1 109.  Mais  elle  semble  employée  seule- 
ment par  certains  scribes  ;  l'exemple  de  Gaimar  se  trouve  en  effet 
dans  le  manuicrit  H  (xiv^  siècle),  ceux  du  Tristan  dans  le  fragment 
de  Turin  (T',  vers  la  fin  du  xiii*  siècle).  Ce  n'est  guère  que  vers 
1250  que  nous  avons  relevé  des  exemples  vraiment  nombreux  de 
cette  forme.  Siet  se  lit  par  exemple  dans  le  Siège  de  Carlaverok  au 
vers  4;  dans  les  Chroniques  de  Londres  sous  la  date  de  1327, 
page  60;  dans  Foulques  Fitz  Warin,  à  la  p.  38;  au  vers  2925  de 
la  Chronique  du  Prince  Noir  et  dans  un  grand  nombre  d'autres 
ouvrages  de  la  même  époque.  Du  reste  les  œuvres  4ion  littéraires 
nous  montrent  fréquemment  siet  ou  sciet. 

Un  petit  nombre  d'autres  verbes  se  rencontrent  aussi  avec  cette 
diphtongue  :  chief  '  se  trouve  emplové  plusieurs  fois  dans  le  Manuel 

I.  Cette  forme  n'est  régulière  qu'en  apparence.  Au  xiii'-'  siècle»'  c.idit  »  est  repré- 
senté par  chel. 


1)2  L  EVOLUTION    DU-    VERBE    EN    ANGLO-EKANÇAIS 

de  Pcclics  de  William  de  W'addington  et  parmi  les  termes  ana- 
logues, on  peut  citer  hiet  de  haïr  au  vers  2536. 

Tous  ces  changements  dans  la  forme  de  l'élément  vocalique  du 
thème  sont  assez  naturels  ;  il  y  en  a  d'autres  qui  pourront  sembler 
plus  extraordinaires.  Ainsi,  la  diphtongue  eo  se  rencontre  dans  un 
assez  grand  nombre  de  cas  ;  nous  verrons  plus  tard  que  pouvoir, 
estovoir,  vouloir  se  présentent  assez  communément  sous  cette 
forme.  Quelques  autres  verbes  de  III  la  prennent  aussi,  comme 
cheot  de  choir  '  qu'on  trouve  à  une  date  très  reculée  dans  le  Voyage 
de  Saint  Brandan  au  vers  1156;  s  col  {de  savoir)  dans  les  Contes  de 
Nicole  Bozon,  34  ;  nicol  dans  le  Year  Book  3  Edw.  II,  à  la  page 
181. 

Il  faut  du  reste  observer  que  pcot,  esleot,  iiieot,  veot  dérivent  de 
formes  étymologiques,  comme  nous  le  montrerons  tout  à  l'heure  ; 
cheot  et  scot  sont  des  formes  analogiques  irrégulières. 

L'addition  d'une  voyelle  parasite  est  un  phénomène  peu  différent 
de  la  diphtongaison  ;  répétons  ici  encore  les  trois  exemples  de 
Frère  Angier  que  nous  avons  eu  déjà  l'occasion  de  citer  et  qui  se 
lisent  tous  les  trois  dans  les  Dialogues  Grégoire  le  Grand  (cf.  Timo- 
thy  Cloran,  p.  43),  placsl  71,  c.  51,  taest  48, c.  24,  Iraest  ji,c.  24. 
De  la  même  sorte  est  sael  de  savoir  qui  se  lit  dans  le  Saint  Auban 
au  vers  1568  et  est  surtout  commun  dans  les  Year  Books,  tandis 
que  seiet  (même  verbe)  provient  plutôt  de  seet  avec  une  insertion 
d'un  /  pour  corriger  l'hiatus  '  ;  cette  dernière  forme  se  lit  dans  les 
Statutes  (1267,  I.  198,   307). 

Aer  de  ardre  dans  Otinelvers  38,  pleieiit  dans  les  Early  Statutes 
ot  Ireland  1285,  50  nous  semblent  plus  difficiles  à  expliquer. 

c)  Simplification  de  la  voyelle  du  thème. 

Ce  phénomène  est  encore  plus  rare  et  se  produit  plus  tard  que 
celui  que  nous  venons  d'étudier  :  il  se  trouve  dans  des  verbes  que 
nous  avons  déjà  mentionnés  :  laisser  qui  donne  Ict  pour  lait,  tenir 
et  venir  ont  fréquemment  au  présent  titii  et  vint  au  lieu  de  tient, 
vient,  par  exemple  dans  les  Heures  de  la  Vierge  aux  folios  60   r°  et 

1.  Cf.    Suchicr,  Grammaire,  §  28  c,  p.  79. 

2.  S'il  y  a  hiatus,  il  faut  admettre  que  les  deux  voyelles  se  prononçaient  sépa- 
rément. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  I53 

6r  r°.  Dans  les  Statutes  et  ailleurs  on  trouve  aussi  et.  plus  commu- 
nément pour  ces  deux  derniers  verbes  teiit  et  veut.  Mais  ces  modifica- 
tions phoniques  ne  sont  pas  de  notre  ressort  et  nous  nous  conten- 
tons de  les  indiquer  en  passant. 

Nous  verrons  plus  tard  des  cas  analogues  de  simplification  de  la 
voyelle  du  thème  pour  pouvoir,  estovoir,  vouloir. 

d)  Pouvoir,  estovoir,  vouloir. 

Nous  trouvons  pour  ces  trois  verbes  un  nombre  considérable  de 
formes  qui  dérivent  toutes  phoniquement  de  la  même  origine,  ou 
tout  au  plus  de  deux  origines  différentes. 

Nous  pensons,  quoique  cela  ne  soit  pas  exactement  notre  sujet, 
devoir  les  indiquer  très  brièvement,  car  elles  diffèrent  parfois  les 
unes  des  autres  à  un  tel  point  qu'il  est  difficile  de  reconnaître  en 
ces  formes  le  même  temps  et  la  même  personne  du  même  verbe. 
Nous  commencerons  par  pouvoir;  nous  verrons  en  même  temps 
que  les  difterentes  formes  de  estovoir  correspondent  presque  une  à 
une  à  celles  que  nous  aurons  citées  ;  quant  à  celles  de  vouloir,  on 
ne  trouve  pas  une  grande  différence  entre  elles  et  celles  des  deux 
autres  verbes.  L'examen  de  ces  trois  verbes  aura  au  moins  cette 
utilité  qu'il  montrera  toutes  les  formes  possibles  de  la  troisième 
personne  du  présent  de  l'indicatif  des  verbes  de  III. 

La  forme  ancienne  et  correcte  piiet,  cstuet  n'est  pas  très  com- 
mune en  anglo-français  ;  on  la  rencontre  un  petit  nombre  de  lois 
au  xii^  siècle,  par  exemple  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (ii8, 
92  etc.),  dans  Fantosme  (770),  dans  Thomas  (vers  89,  2637), 
dans  Adgar  (xix,  41),  dans  Saint  Gilles  (683);  elle  devient  assez 
rare  au  xiir  siècle,  et  nous  n'en  avons  relevé  aucun  exemple  dans 
les  textes  littéraires  du  xiv^  siècle.  Cependant  les  textes  politiques 
et  diplomatiques  de  la  même  époque  la  présentent  quelquefois,  et  le 
dernier  exemple  que  nous  en  ayons  encore  rencontré  se  lit  dans  les 
Rymer's  Foedera  dans  un  traité  de  1390  (VII,  783)  où  elle  se 
trouve  répétée  plusieurs  fois.  Cette  persistance  des  anciennes  tormes 
et,  comme  le  montrera  ce  qui  suit,  le  curieux  mélange  de  formes 
d'âges  différents  est  bien  caractéristique  de  l'anglo-français. 

Poet  est  plus  commun;  on  trouve  cette  forme  dans  le  Saint  Bran- 
dan  (1633),  dans  l'Alexis  (ms.  A,  203  d),  dans  Thomas  (2928)  et 


1)4  L  EVOLUTION    DU-   VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

dans  la  plupart  des  auteurs  du  xii"-"  siècle.  Elledure  jusqu'auxiv"^  siècle 
et  est  très  répandue  dans  les  ouvrages  non  littéraires  les  plus  cor- 
rects, par  exemple  dans  les  Statutes  (1275,  I,  37,  etc.).  Pot  se 
trouve  dans  les  ouvrages  anglo-français  les  plus  anciens,  elle  est 
même  plus  répandue  que  poel  déjà  au  xii^  siècle,  mais  cela  peut 
provenir  des  scribes.  En  effet  pendant  très  longtemps  on  ne  la 
trouve  qu'à  l'intérieur  du  vers  et  en  interrime  avec  estot;  la  pre- 
mière rime  probante  que  nous  ayons  rencontrée  date  du  xiii^  siècle. 
C'est  estot  (:  ot)  dans  Robert  de  Gretham  29  r°.  On  pourrait  donc 
admettre  que  la  plupart  des  exemples  que  nous  rencontrons  anté- 
rieurement à  ce  dernier  sont  le  fait  des  scribes;  mais  comme  le 
Cumpoz  (vers  63),  le  Bestiaire  (vers  717),  Gaimar  (vers  269),  Tho- 
mas (vers  89)  en  ont  des  exemples,  nous  sommes  forcés  de  reculer 
la  date  de  l'apparition  de  cette  forme  jusqu'au  milieu  du  xii'^  siècle; 
la  difficulté  subsiste  donc.  Comment  se  fait-il  que,  entre  11 50  et 
1200,  nous  ne  trouvions  que  des  interrimes  et  que  nous  n'ayons 
jamais  une  de  ces  formes  rimant  avec  les  prétérits  en  ///  classe  I,  ou 
les  imparfaits  de  la  T"^  conjugaison  ?  Il  est  à  croire  que  Vo  de  ces 
deux  formes  n'est  d'abord  pas  un  0  qui  puisse  rimer  avec  Vo  de 
anwt  ou  de  ot  ;  ce  n'est  qu'une  graphie  qui  équivaut  ou  à  peu  près 
à  oe. 

Après  le  commencement  du  xii*"  siècle,  du  reste,  ces  deux  formes 
(^pot,  estot^  semblent  devenir  assez  rares;  elles  sont  sporadiques. 
Quoiqu'on  puisse  encore  trouver  pot  au  xiV^  siècle,  par  exemple  dans 
les  Mem.  Pari.  1305,  §  126. 

Les  trois  formes  que  nous  avons  vues  jusqu'ici  sont  régulières;  il 
s'en  trouve  d'autres,  dès  lexii^  siècle,  qui  le  sont  moins  et  qu'il  est 
plus  difficile  d'expliquer  ;  telles  sont  :  peot  (cf.  Suchier,  Voyelles 
Toniques,  page  78,  §  28  c)  qu'on  trouve  dans  le  Brandan  au  vers  i  5 , 
et  qui  dure  jusqu'au  xiv^  siècle  (cf.  par  exemple  les  Contes  de  Nicole 
Bozon,  §  8,  etc .  )  ;  f.v/t'O/  au  vers  16  du  même  Brandan  et  qu'on  peut 
aussi  bien  que  peot,  avec  lequel  il  rime,  attribuer  au  scribe  (date 
du  ms.  II 67);  cette  forme  peut  d'ailleurs  n'être  qu'une  graphie  de 
ne,  oe.  Les  ïovmes  pont,  Brandan  245  (peout  Nicole  Bozon,  Contes, 
§  19),  estoui,  Brandan  246,  dérivent  peut-être  de  celles  qui  pré- 
sentent eo,  à  moins  que,  comme  ont  habuit,  avait  donné  ot  avec 
lequel  il  coexista  pendant  longtemps,  on  n'ait  admis  que  la  forme 
pot  supposait  une  autre  forme  pont  ;  toutes  les  formes  précédentes 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  155 

peuvent  donc  être  ramenées  plus  ou  moins  directement  à  celle  qui  a 
la  diphtongue  étymologique. 

Nous  trouvons,  toujours  dans  certains  textes  du  xii*^  siècle,  une 
autre  série  de  formes  qui  ne  peuvent  pas  s'expliquer  de  la  même 
façon  :  celles  qui  ont  leur  point  de  départ  dans  la  ïorme  poil  ou  puit- 
Ces  deux  diphtongues  qui  en  anglo-français  sont  équivalentes  (cf. 
Suchier,  op.  cit.,  p.  6),  §  24)  proviennent  peut-être,  mais  d'une 
façon  assez  obscure,  de  la  forme  oe;  plus  vraisemblablement,  elles  se 
rattachent  au  subjonctif /)t?m^  (cf.  Subjonctif). 

Elles  ne  sont  pas  rares  même  au  xii^  siècle,  quoique  nous  préfé- 
rions les  attribuer  aux  scribes  du  siècle  suivant.  C'est  ainsi,  pour  ne 
donner  que  quelques  exemples,  qu'on  trouve  puit,  estiiit  dans  Tho- 
mas (aux  vers  2637  et  ^ij),  puist  dans  les  Parliamentary  Writs 
(1298,318);  dans  les  Rymer's  Foedera  (1312,111,  369  etc.),  dans 
le  Year  Book  13  et  14  Edw.  in(p.   349). 

Pour  la  forme  en  oi  on  trouve  poit,  estoii  dans  le  Brandan  (vers 
1376),  dans  le  Saint  Gilles  (au  vers  3140).  Au  xiii''  siècle,  elle  se 
rencontre  dans  la  Plainte  d'Amour  (au  vers  230),  etc.,  etc.,  et  elle 
est  employée  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle,  par  exemple  dans  Nicolas 
Trivet  (5  r°). 

La  première  de  ces  deux  formes,  celle  qui  contient  la  diphtongue 
ni,  a  donnée  phénomène  phonique  bien  connu  de  l'anglo-français,  u  ' 
comme  dans  put,  estiit  qui  se  trouvent  dans  le  Psautier  d'Oxford 
(54  13);  dans  Thomas  (94,  1064);  Gaimar  (1839);  Adgar  (XXI\', 
23),  etc.,  et  qui  sont  extrêmement  communs  dans  les  Year  Books, 
mais  relativement  rares  dans  les  recueils  politiques  et  familiers  les 
plus  corrects  (comme  Jean  de  Peckham  ou  les  Statutes). 

Telles  sont  les  principales  formes  que  la  troisième  personne  du 
singulier  de  ces  deux  verbes  est  susceptible  de  prendre.  Il  y  en  a 
plusieurs  autres  qui  n'ont  ni  l'importance  ni  la  généralité  de  celles 
que  nous  venons  de  passer  en  revue. 

Nous  pouvons  signaler  les  formes  curieuses  :  pet  -  dans  William 
de  Waddington  (3603,  et  passiiii  dans  A),  dans  l'Evangile  de 
l'Entance  (mss.  O  et  C,  strophe  77,  vers  d).  Pet  est  surtout  com- 


1 .  Cf.  Suchier,  Grammaire,  65,  V  24  h  :  11  peut  du  reste  provenir  aussi  de  w  ;  cl. 
id.,.ibid.,  p.  79,  §28  c. 

2.  Pour  pet,  d.  Suchier,  op.  cit.,  p.  79,  ;'  iHc. 


156  l'évolution   du  verbe  en  anglo-françals 

niun  dans  les  Year  Books,  on  peut  en  trouver  des  exemples  dans 
20  et  21  Edw.  !"■,  pp.  233,  237,  241,  25 1,  etc.  ; /?(7/t'/  est  aussi 
relativement  fréquent  dans  la  langue  légale  ;  on  rencontre  cette 
forme  dans  12  et  13  Edw.  III,  m,  289,  etc. 

La  graphie  moderne  se  rencontre  enfin  dans  la  première  moitié 
du  xiV-'  siècle  pour  les  oeuvres  littéraires,  par  exemple  peut  '  dans  les 
Contes  de  Nicole  Bozon  au  §  2  et  sensiblement  à  la  même  époque, 
en  dehors  de  la  littérature,  comme  dans  les  Statu  tes  (1326,  I,  287, 
etc.);  mais  la  plupart  des  formes  que  nous  venons  de  citer  se 
trouvent  employées  simultanément  à  un  moment  ou  à  un  autre  des 
trois  siècles  qui  noiLs  occupent. 

Nous  ne  nous  étendrons  pas  aussi  longuement  sur  les  différentes 
formes  que  le  verbe  vouloir  a  prises  à  la  troisième  personne  du  sin- 
gulier du  présent  de  l'indicatif  ;  elles  sont  un  peu  moins  nombreuses 
que  celles  de  pouvoir  (et  c'est  pour  cette  raison  que  nous  ne  les 
avons  pas  toutes  données  simultanément),  mais  les  formes  propre- 
ment anglo-françaises  s'expliquent  toutes  de  la  même  façon  dans 
les  deux  cas. 

La  troisième  personne  régulière  volt  (Suchier,  op.  cit.,  p.  77,  §28) 
est  la  plus  commune  au  xii'^  et  au  xiii"^  siècle;  elle  se  trouve  dans 
le  Cumpoz  (vers  153);  dans  le  Brandan  (vers  155),  et  dans  un 
très  grand  nombre  d'autres  endroits.  Vidt,  qui  ne  diffère  pas  du 
précédent,  se  trouve  aussi  fréquemment  :  dans  les  Psautiers  d'Ox- 
ford (21,  8)  et  de  Cambridge  (§  1)  dans  le  Tristan  de  Thomas  (78), 
dans  le  Saint  Gilles  (620).  Volt  passe  aussi  naturellement  à  vont 
(cL  Thomas). 

On  peut  trouver  aussi  en  grand  nombre  des  formes  à  diphtongues; 
nous  pensons  toutefois  que  ces  formes  sont  en  anglo-français  posté- 
rieures aux  formes  à  voyelle  ;  cette  diphtongue  est  tantôt  oe,  voelt, 
au  vers  225  du  Drame  d'Adam,  tantôt  ne,  vuelt,  Psautier  de  Cam- 
bridge (21,8),  eo,  veolt  dans  les  Psautiers  d'Oxford  (§  i)  et  d'Arun- 
del(32,  12),  que  l'on  trouve  encore  dans  les  Contes  de  Nicole 
Bozon,  sous  la  forme  veot  (§  7).  Ce  que  nous  avons  dit  de  pont, 
estout,  pot,  estot  peut  se  répéter  de  vont  et  de  vot  au  vers  1228  de  la 
Vie  de  Saint  Gilles;  vnelt  de  son  côté  a  donné  la  forme  moderne 
veut  qui  est  rare  mais  qu'on  trouve  dans  Adgar  (cf.  Prologue,  vers 

I.  Nous  n'avons  jamais  rencontré  ?i/<?M/. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    SINGULIER  157 

II).  En  admettant  même  que  cette  forme  soit  due  au  scribe,  il  faut 
reconnaître  que  la  forme  moderne  se  rencontre  dans  la  première 
moitié  du  xiii^  siècle. 

Il  nous  reste  à  mentionner  les  formes  en  oi  qu'on  trouve  pour 
vouloir  aussi  bien  que  pour  pouvoir.  Ces  formes  sont  aussi  assez 
difficiles  à  expliquer;  on  les  rencontre  au  xiii^  et  au  xiv^  siècle  :  voit 
se  trouve  pour  le  vers  1022  de  Boeve  dans  le  ms.  D.  (seconde 
moitié  du  xiii^  siècle),  aussi  dans  la  Satire  sur  le  Siècle  (au  folio 
80  v'')  ;  dans  le  poème  religieux  du  ms.  Royal  20  B,  XIV  (au 
folio  65  v"),  et  voyt  se  lit  encore  dans  Wil.  Rishanger  (p.  277), 

Il  est  encore  moins  facile  de  classer  les  différentes  formes  que  le 
verbe  vouloir,  en  dehors  des  textes  littéraires,  prend  à  la  troisième 
personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif;  nous  rencontrons 
en  eftet  à  la  même  époque  des  formes  marquant  des  étapes  phoniques 
aussi  différentes  que  possible.  C'est  ainsi  que  voet  se  trouve  dans  les 
Statutes  jusqu'au  commencement  du  xiv^  siècle  (1300,!,  137)  et 
vont  dans  les  Literae  Cantuarienses  encore  plus  tard  (1326-189). 

Feiit  apparaît  dans  les  Statutes  à  la  date  de  1275  (I,  26)  ;  tandis 
queir//  se  rencontre  dans  le  même  ouvrage  en  1267  (I,  197).  Une 
des  formes  les  plus  communes  est  veot  que  nous  lisons  dans  le 
Registrum  Malmesburiense  (1275,  I,  207)  et  dans  les  Year  Books 
très  fréquemment  (cf.  31  Edv^.  P',  435,  2  et  3  Edw.  II,  109,  etc.). 

Toutes  les  formes  précédentes  dérivent  de  la  forme  étymolo- 
gique :  nous  en  trouvons  encore  quelques  autres  qui  ne  peuvent 
guère  s'y  rattacher  :  par  exemple  voysl  dans  les  Early  Statutes  of 
Ireland  1285,  60;  dans  les  Year  Books  voillt,  16  Edw.  III,  259  et 
vost,  id.  ibid.,  qui  nous  semble  inexplicable,  sans  parler  de  plusieurs 
autres. 

La  seule  conclusion  que  nous  puissions  tirer  de  l'examen  de  ces 
formes  c'est  que,  comme  celles  de  pouvoir,  elles  représentent 
deux  types  :  l'un  qui  aboutit  à  la  diphtongue  eu  et  qui  est  exprimé 
par  de  nombreuses  graphies  :  ue,  oe,  eo,  el,  etc.  dont  l'étude  est  du 
domaine  de  la  phonétique. 

Le  second  type  montre  la  diphtongue  ///  ou  oi. 

Pour  pouvoir,  comme  pour  vouloir,  le  second  type  est  beau- 
coup plus  rare  que  le  premier.  Nous  tenterons  plus  tard  d'ex- 
pliquer plus  pleinement  l'origine  et  les  rapports  de  ces  deux 
formes. 


CHAPITRE     IV 
LA  PREMIÈRE    PERSONNE    DU    PLURIEL 

La  première  personne  du  pluriel  nous  offre  un  nombre  de  ter- 
minaisons assez  considérable  ;  au  lieu  de  les  distinguer,  comme  on 
le  fait  ordinairement,  en  personnes  fortes  et  en  personnes  faibles, 
nous  les  diviserons  en  terminaisons  féminines  et  en  terminaisons 
masculines.  Les  premières  seules  comprendront  des  formes  fortes, 
et  un  nombre  assez  grand  de  faibles  ;  les  secondes  ne  comprendront 
que  des  faibles.  Cette  division  nous  permettra  d'étudier  plus  facile- 
ment et  d'une  façon  plus  rationnelle  les  différents  changements  qui 
peuvent  se  remarquer  à  la  première  personne  du  pluriel. 

A.    —  Terminaisons  féminines. 

L'étude  des  premières  personnes  du  pluriel  à  terminaison  fémi- 
nine comporte  deux  questions  : 

I.  L'extension  que  la  terminaison  féminine  a  eue  en  anglo-tran- 
çais. 

IL  Les  modifications  qu'elle  a  subies. 

Ces  deux  questions,  nous  semble-t-il.  épuisent  complètement  la 
matière, 

I.  Leur  extension. 

I.  Les  fortes. 

Le  nombre  des  personnes  fortes  à  la  première  personne  du  plu- 
riel est  des  plus  restreints  en  français  ;  la  plus  constante  et  la  seule 
qui  ait  subsisté  dans  la  langue  moderne  est  celle  de  la  première  per- 
sonne du  pluriel  du  présent  de  l'indicatif  du  verbe  être  :  sommes.  A 
côté  de  cette  forme  l'ancien  français  en  avait,  pour  la  même  per- 
sonne de  ce  temps,  une  autre  qui  a  disparu.  Le  futur  de  ce  verbe 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  159 

avait  aussi  une  forme  spéciale  dont  la  langue  moderne  n'a  pas  con- 
servé de  trace. 

Deux  autres  verbes  nous  montrent  aussi  à  cette  personne  du  pré- 
sent de  l'indicatif  une  forme  forte  :  faire  et  dire. 

Nous  trouverons  dans  l'anglo-français  des  exemples  de  ces  cinq 
formes  :  sommes,  esiues,  ermcs,  f ai  mes,  (fîmes: 

a)  Etre.  —  L'anglo-français  a  connu  et  employé  les  deux  formes 
fortes  du  présent  de  l'indicatif  du  verbe  être.  Nous  ne  parlerons  pas 
ici  des  différentes  modifications  que  sommes  a  subies  dans  notre  dia- 
lecte ;  ces  modifications  ne  sont  pas  en  effet  particulières  à  cette 
forme  forte  ;  les  faibles  en  omes  nous  les  montrent  également  :  nous 
les  étudierons  donc  toutes  ensemble  '. 

La  seconde  forme  est  distincte  de  sommes  et  a  une  origine  diffé- 
rente. Elle  n'a  jamais  été  très  emplovée  en  anglo-français  et,  si  on 
la  compare  au  nombre  d'exemples  que  nous  fournit  la  première,  on 
voit  qu'elle  a  à  toutes  époques  été  rare  et  sporadique.  Cependant, 
nous  la  rencontrons  dans  un  grand  nombre  d'auteurs  et  pendant 
près  de  deux  siècles,  ce  qui  est  la  preuve  d'une  certaine  vitalité. 

Nous  pouvons  remarquer  tout  d'abord  qu'au  commencement  du 
xii'^  siècle,  elle  se  rencontre  à  peu  près  dans  chaque  auteur  — ^  ce 
qui  nous  prouve  que  son  emploi  ne  provient  pas  de  fantaisies  per- 
sonnelles ;  —  mais  chacun  de  ces  auteurs  ne  s'en  sert  que  rarement 
—  ce  qui  montre  que  cette  forme  commençait  déjà  à  disparaître  ;  — 
enfin,  à  mesure  qu'on  avance  dans  la  littérature  anglo-française 
cette  forme  devient  de  plus  en  plus  rare  et  n'est  plus  usitée  au 
xiv^  siècle  -. 

Voici  la  plupart  des  exemples  de  esmes  qu'on  peut  relever  dans 
nos  textes  anglo-français  :  Philippe  de  Thaûn  l'emploie  une  fois 
dans  le  Bestiaire  au  vers  1475  ;  Gaimar  en  montre  aussi  un  seul 
exemple  dans  l'Estorie  des  Engleis  au  vers  373  ;  Hue  de  Rotelande 
l'emploie  au  moins  deux  fois  dans  son  Protheselaûs  aux  vers  460 
et  497  ;  il  en  est  de  même  de  Jordan  Fantosme  qui  nous  en  a 
donné  deux  exemples  dans  sa  Chronique,  aux  vers  495  et  999. 
Dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  nous  l'avons  rencontrée  une  fois 
(I,  21,  5);  dans  le  poème  de  Renaut  de  Montauban  nous  retrou- 

I.  l^our  sommes,  d.  Thurneysen,  Somes;  Zehschrit't,  X\'1II,  276. 
2..  Pour  la  forme   esmes,  cf.  Gaston  Paris,  Introduction  de   la   Vie    de  Saint 
Gilles,  p.  xviij  ;  et  Meyer-Liibke,  Grammaire,  II,  §  21 1 . 


I  6o  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

vons  cette  forme,  écrite  aimes,  page  32.  C'est  le  poème  de  la  Vie 
de  Saint  Gilles  qui  nous  a  donné  le  plus  grand  nombre  d'exemples 
à  cette  époque;  csnies  se  trouve  dans  le  corps  des  vers  864  et  2417 
et  à  la  rime  avec  pesmes  au  vers  959.  Remarquons  que  cette  rime 
du  Saint  Gilles  est  la  première  que  nous  ayons  trouvée;  ici  la 
question  de  la  rime  n'a  "que  fort  peu  d'importance;  esnies  élzm  dès 
le  commencement  du  xii''  siècle  une  forme  archaïque  et  devenant 
assez  rare  au  siècle  suivant^  on  peut  sans  hésitation  l'attribuer  aux 
auteurs  plutôt  qu'aux  scribes  qui,  au  contraire,  ont  dû  remplacer 
plus  d'un  exemple  de  cette  forme  par  le  plus  ordinaire  sommes. 

Pour  en  arriver  au  xiii*  siècle,  nous  avons  trouvé  dans  les  Évan- 
giles des  Dompnées  esmcs  au  fol.  34  v^  ;  à  peu  près  à  la  même 
époque  esmes  est  employé  six  fois  dans  le  Psautier  en  vers  coués 
(Harléien  4070),  ce  qui  ferait  croire  que  ce  Psautier  a  une  origine 
ou  un  modèle  beaucoup  plus  ancien.  Plus  tard,  les  exemples  de 
cette  forme  deviennent  très  rares  :  on  lit  emes  au  vers  3  5 1 1  du  poème 
d'Edward  le  Confesseur;  dans  Dermod,  au  vers  2520,  nous  le 
trouvons  encore  ;  il  rime  avec  faimes  au  fol.  82  r°  de  la  Satire  sur 
le  Siècle  et  se  rencontre  deux  fois,  aux  vers  125  et  634,  dans  le 
Fragment  de  la  Bible  publié  par  Romania  (vol.  XVI)  et  dont  l'ori- 
ginal doit  remonter  au  xii'"  siècle. 

C'est  le  dernier  exemple  que  nous  ayons  rencontré  de  cette  forme 
dans  les  œuvres  littéraires.  En  dehors  de  la  littérature  elle  est  tota- 
lement inconnue. 

Etre  est  le  seul  verbe  qui  ait,  dans  sa  conjugaison,  à  deux  temps 
différents,  une  première  personne  du  pluriel  forte  :  le  second  temps 
est  le  futur  et  la  forme  forte  est  ermcs  (erimus).  Celle-ci  du  reste 
n'est  que  peu  emplovée  et  n'a  duré,  en  anglo-français,  que  fort  peu 
de  temps. 

Nous  trouvons  ermes  uniquement  au  xii^  siècle  et  chez  un  petit 
nombre  d'auteurs,  par  exemple  dans  Horn  au  vers  1919.  L'emploi 
de  cette  forme  est  donc  sporadique.  En  particulier,  les  auteurs 
d'œuvres  non  littéraires  l'ignorent  absolument. 

b)  Faire.  —  La  forme  forte  de  faire  se  rencontre  encore  assez 
fréquemment  en  anglo-français  '. 

Voici  quelques  références  qui  montreront  que  la  forme  forte  de 
faire  est  assez  commune  et  a  persisté  assez  longtemps. 

I.  Pour  fiiiwes,  cf.  Paris.  Romania.  VU,  622  :  Freund.  Verbal  Flexion,  p.  18. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  l6l 

Le  Comput  l'a  au  vers  831  ;  le  Psautier  d'Oxford  et  celui  de 
Cambridge  en  ont  quelques  exemples  (cf.  73,9  pour  le  premier; 
p,  6,  pour  le  second). 

Adgar  l'emploie  (XVII,  36),  les  Quatre  Livres  des  Rois  aussi 
(I,  21,  5);  de  même  nous  en  voyons  un  exemple  au  vers  1123  de 
la  Vie  de  Sainte  Catherine.  On  le  rencontre  au  vers  4073  de  Horn, 
et  trois  fois  dans  Fantosme  (vers  625,  1425,  1744),  ^'^  même  nous 
le  lisons  dans  Guischart  de  Beauliu  (aux  vers  854,  1725);  et  deux 
fois  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  (187,  1945). 

Frère  Angier  l'emploie  aussi,  plus  souvent  même  que  n'importe 
quel  auteur  anglo-français  ;  on  trouye  f aimes  dans  la  Vie  de  Saint 
Grégoire  (au  vers  983),  feiiiics  dans  le  même  poème  (vers  904); 
même  foiiiies,  cité  par  Miss  Pope,  se  trouve  dans  les  Dialogues  (au 
fol.  81  V  a).  Faillies  se  lit,  au  vers  933  a  du  Psautier  en  vers 
coués.  Entîn  le  dernier  exemple  que  nous  ayons  relevé  de  la  forme 
forte  de  faire  se  trouve  dans  la  Satire  sur  le  Siècle  à  la  rime  avec 
eyiiics  (82  r").  Comme  on  le  voit  cette  lorme  se  prolonge  assez 
avant  dans  le  xiii"'  siècle . 

Il  est  évident  du  reste,  si  l'on  considère  le  nombre  relativement 
restreint  des  formes  que  nous  avons  citées,  que  la  forme  faible  a  dû 
être  encore  plus  employée  que  la  forme  forte;  celle-là  est  attestée 
par  la  rime  à  une  date  très  éloignée  ;  le  Bestiaire  l'a  déjà  :  jaisum 
(:  guerpissum)  (117);  on  ne  la  retrouve  cependant  pas  dans  les 
Psautiers  d'Oxford  et.  de  Cambridge  :  mais  ils  sont,  une  exception 
et  elle  est  employée  par  la  suite  dans  chaque  auteur. 

Si  nous  nous  occupons  maintenant  des  ouvrages  qui  n'appar- 
tiennent pas  à  la  littérature,  nous  voyons  que  la  forme  forte  de  faire 
est  extrêmement  rare.  Nous  ne  l'avons  relevée  qu'une  seule  fois 
dans  les  Statutes,  recueil  qui  se  fait  remarquer  par  la  correction  et 
le  caractère  archaïque  de  sa  langue  ;  cette  forme  faisincs  (avec  s 
parasite)  se  trouve  dans  le  premier  volume  des  Statutes  à  la  page  157, 
sous  la  date  M  11  ;  ainsi  ce  cas  isolé  est  l'exemple  le  plus  moderne 
que  nous  ayons  rencontré. 

c)  Dite.  —  Il  en  va  tout  autrement  de  dire  ;  pour  ce  verbe  la 
forme  torte  dimes  est  dès  le  commencement  du  xir'  siècle  plus 
exceptionnelle  encore  que  ne  le  sont  faisincs  ou  es  mes  ;  nous  n'avons 
trouvé  qu'un  nombre  insignifiant  d'exemples  de  cette  forme  forte. 
On  la  rencontre  dans  le  Bestiaire  deux  fois  :  aux  vers  31 4  et  151 1  ; 

II 


l62  l/ÉNOLUTlON    DU    Vl-KBE    EX    ANGLO-ERANÇAIS 

dans  riîstoric  des  Engleis  au  vers  343  ;  peut-être  pourrait-on  trou- 
ver quelques  autres  cas  au  \ir'  siècle,  mais  ils  restent  sporadiques. 
Il  est  donc  inutile  de  dire,  plus  inutile  encore  de  vouloir  démontrer 
que  la  forme  faible  est  la  seule  que  connaissent  les  ouvrages  de  la 
langue  politique,  diplomatique,  familière,  légale  et  la  plupart  des 
œuvres  littéraires  '. 

2.  Les  faibles. 

Les  terminaisons  féminines  faibles  de  la  première  personne  du 
pluriel  sont  beaucoup  plus  communes  que  les  terminaisons  fémi- 
nines fortes. 

Elles  comprennent  :  1°  Les  formes  en  -cviics  qui  sont  employées  à 
côté  des  désinences  masculines  pour  le  présent  et  le  futur  de  l'indi- 
catif; 

2°  En  second  lieu  les  premières  personnes  du  pluriel  de  tous  les 
prétérits  et  qui  se  terminent  en  -aines,  -inics,  -innés; 

3"  Certaines  terminaisons  en  -ieiiies.  -eiines. 

Au  point  de  vue  de  l'extension  de  ces  formes,  les  prétérits  ne 
peuvent  nous  oflrir  aucune  difficulté,  car  ils  conservent  le  plus  régu- 
lièrement du  monde  les  terminaisons  que  nous  venons  d'énumérer  ; 
tout  au  plus  pouvons-nous  soupçonner  un  petit  nombre  de  prété- 
rits en  -ivi  de  prendre  une  désinence  masculine  en  -iiis.  Nous  ne 
trouvons  pas  la  même  régularité  pour  les  deux  autres  terminaisons 
qui  sont  un  peu  des  terminaisons  d'occasion. 

Faibles  en  -onies.  —  La.  terminaison  en  -oiiies  est  rare  dans  l'an- 
glo-français  littéraire,  surtout  pendant  le  xii'^  siècle.  A  cette  époque, 
nous  avons  relevé  quelques  exemples,  ordinairement  isolés,  dans 
différents  poèmes.  Ainsi  le  Voyage  de  Saint  Brandan  nous  a  fourni, 
manuscrit  de  l'Arsenal,  les  exemples  suivants  :  vivoiiies  au  vers 
761  ;  avoines  au  vers  762;  couver soines  au  vers  718.  Dans  l'Estorie 
des  Engleis,  on  rencontre  un  exemple  qui  a  déjà  été  cité  bien  des 
fois  avant  nous  :  conussuines  qu'on  trouve  à  la  rime  avec  sûmes. 
Mais  il  faut  remarquer  que  cette  forme  se  rencontre  dans  l'Epi- 
logue du  poème  (au  vers  373)  et  que  cet  Epilogue  n'est  donné  que 
par  les  mss.  L  et  D. 

T.  Cf.  .Mevcr-Liibke,  Grammaire,  II,  ^  169. 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    PLURIEL  163 

C'est  tout  ce  que  nous  pouvons  citer  au  xii''  siècle.  Au  commen- 
cement du  siècle  suivant,  ces  exemples  ne  se  rencontrent  que  dans 
un  auteur,  Frère  Angier,  qui  nous  a  donné  eioiiies  (:  somes)  72  r°  b. 
Les  exemples  deviennent  plus  communs  à  la  fin  de  ce  siècle.  Le 
scribe  de  la  Destruction  de  Rome  emploie  poroiiies  au  vers  795  ;  à 
peu  près  à  la  même  époque  nous  en  relevons  encore  un  autre,  qui, 
n'étant  pas  employé  à  la  rime,  est  peut-être  moins  bien  assuré  que 
les  autres  :  aiuomiis  {j=  avons)  dans  Walter  de  Bibblesworth,  r6o. 
Ils  deviennent  au  xiv^  siècle  un  peu  plus  fréquents  sans  devenir 
communs  :  Pierre  de  Langtoft  nous  en  offre  un  exemple  non  attesté 
du  reste  par  la  rime  :  voJuiues,  II,  272,  2  ;  et  dans  le  premier  Appen- 
dice on  lit  encore  rciiieiioiues,  II,  400,  28.  Enfin  Nicolas  Trivet, 
ou  son  scribe,  l'emploie  un  certain  nombre  de  fois  :  aïoniiis,  48  r°  ; 
cscrivoinus,  ibid.  et  passiiu. 

Trois  temps  peuvent  donc  dans  les  œuvres  littéraires  prendre 
à  l'occasion  la  terminaison  -ornes  :  le  présent  et  le  futur  de  l'indi- 
catif, le  présent  du  subjonctif,  les  trois  temps  qui  ont  à  cette 
première  personne  du  pluriel   la  désinence  -ons. 

L'anglo-français  diplomatique  et  politique  n'emploie  guère  plus 
souvent  cette  terminaison;  elle  se  rencontre  uniquement  avec  deux 
temps  :  le  présent  et  le  futur  de  l'indicatif. 

Au  présent  on  trouve  ^rnitnluinmes  à  la  date  de  1274  dans  les 
traités  de  Rymer  (II,  33);  enîendoiiies  dans  le  même  recueil  de 
textes  (129 1,  II,  ^^c))  ;  preysomes  dans  les  Historié  and  Municipal 
Documents  of  Ireland,  en  1292  (pp.  208  et  209);  aiwni's  dans 
Barthélémy  Cotton  (1295,  303)>  ^^  ^^^^s  ^^s  Parliamentary  Writs 
(1299,  I,  321)  ;  osoiiies  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1335,  567). 

Ce  sont  à  peu  près  tous  les  cas  de  présents  en  -oiiies  que  nous 
ayons  relevés;  ils  ne  sont  pas  très  nombreux.  Les  futurs  sont  encore 
plus  rares  ;  nous  ne  trouvons  sotis  cette  forme  que  les  verbes  être 
et  faire  :  seromes  dans  Rymer's  Foedera,  à  la  date  de  1337  (IV, 
785);  et  dans  Barthélémy  Cotton  (1297,  340);  feromes  se  rencontre 
encore  dans  ce  dernier  auteur  au  môme  endroit  et  à  la  même  date 
en   1297,  p.  3.|o. 

Non  seulement  ces  formes  sont  rares,  mais  i"  elles  ne  se 
trouvent  jamais  dans  les  recueils  les  plus  corrects,  comme  par 
exemple  les  Statutes  ou  les  Lettres  de  Jean  de  Pcckham.  En  second 
lieu,  si  l'on   peut  tirer  une   conclusion  d'un    nombre  si    restreint 


164  l'évolution    pu    VERBE    RN    ANGLO-FRANÇALS 

d'exemples,  cette  forme  est  limitée  à  un  petit  nombre  d'années, 
tous  nos  exemples  se  trouvant  compris  entre  les  deux  dates  extrêmes 
1274  et  1335. 

Au  contraire,  les  exemples  de  cette  désinence  sont  très  nom- 
breux dans  la  langue  légale  et  descendent  certainement  jusqu'à 
une  date  beaucoup  plus  récente,  mais  que  nous  ne  pouvons  malheu- 
reusement pas  préciser.  On  trouve  déjà  un  grand  nombre  de  ces 
formes  dans  le  Year  Book  21  Edw.  P'',  irraiitoiims,  p.  6^  ;  poomes, 
p.  81,  deniandomus,  p.  103,  puysumes,  p.  149,  piissitines,  p.  63, 
fesuuies,  p.  63,  tmverseromes,  p.  55  ;  dans  les  Year  Books  suivants 
on  peut  relever  perdisomes,  domvnes,  defessoiiics,  devomes,  suomes 
(suivre),  etc.,  etc.  Tout  ce  que  nous  pouvons  assurer  c'est  que  la 
plupart  de  ces  formes  appartiennent  au  xV  siècle,  quelques-unes 
peut-être  au  XIV^ 

Nous  n'avons  relevé,  en  dehors  des  ouvrages  littéraires,  aucun 
exemple  d'une  première  personne  du  présent  du  subjonctif  en  ornes. 

Eiines.  —  Cette  désinence  n'appartient  pas  à  l'anglo-français  lit- 
téraire :  le  seul  exemple  de  cette  désinence  que  nous  puissions  citer 
en  dehors  du  français  diplomatique  et  légal  se  rencontre  dans  le 
premier  appendice  de  Pierre  de  Langtoft,  et  c'est  la  traduction  d'une 
Bulle  Papale.  C'est  un  imparfait  de  l'indicatif:  cstciiiies  que  l'on 
trouve  à  deux  reprises  (II,  394,  34;  II,  420,  i).  L'influence  du 
style  diplomatique  est  évidente  ici. 

Dans  la  langue  diplomatique  et  politique,  au  contraire,  la  dési- 
nence cimes  est  très  employée.  On  la  trouve  comme  terminaison  de 
la  première  personne  du  pluriel  à  trois  temps  :  l'imparfait  de  l'indi- 
catif, le  conditionnel  et  l'imparfait  du  subjonctif;  elle  est  relative- 
ment comniune  avec  les  deux  premiers  temps,  rare  au  troisième. 

Le  premier  exemple  que  nous  en  ayons  trouvé  à  l'imparfait  de 
l'indicatif  se  trouve  dans  les  lettres  de  Jean  de  Peckham  sous  la 
date  1283  (p.  439)  :  esteimes  \  c'est  du  reste  l'imparfait  du  verbe 
être  qu'on  rencontre  le  plus  communément  avec  cette  désinence. 
Estcinies  ou  ses  variantes  est  employé  assez  fréquemment  dans  les 
Rymer's  Foedera  (cf.  par  exemple  1297,  II,  749  ;  1320,  III,  853). 
D'autres  ouvrages  l'emploient  aussi  avec  plus  ou  moins  de  régula- 
rité :  citons  par  exemple  les  Literae  Cantuarienses  (1341,  696, 
2  fois);  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense  (1313,  I,  386)  et 
quelques  autres  encore  d'importance  secondaire. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  165 

Les  seuls  autres  imparfaits  de  l'indicatif  que  nous  ayons  rencon- 
trés sous  cette  forme  se  lisent  dans  les  Rymer's  Foedera,  pardo- 
neimes  (1323,  IV,  22),  et  dans  les  Literne  Cantuarienses,  avexincs, 
1331,  p.  366. 

On  pourrait,  semble- t-il,  négliger  ces  deux  dernières  formes  qui 
sont  isolées,  et  considérer  la  désinence  en  -eiiues  comme  apparte- 
nant en  propre  à  l'imparfait  de  l'indicatif  du  verbe  être  dans  la 
langue  politique  et  diplomatique. 

Nous  pouvons  faire  observer  dès  maintenant  qu'il  y  a  un  grand 
nombre  de  textes  qui  ne  présentent  aucun  exemple  de  cette  forme  à 
l'imparfait  de  l'indicatif;  d'abord  et  surtout  les  Statutes  ou  plus 
généralement  tous  les  recueils  de  textes  politiques. 

Au  conditionnel,  les  formes  sont  plus  nombreuses  et  plus  variées; 
mais  tous  les  exemples  que  nous  en  avons  recueillis,  et  ils  sont  très 
nombreux,  se  trouvent  dans  un  seul  recueil,  les  Rymer's  Foedera. 
C'est  ainsi  que  nous  trouvons  pour  ce  temps  :  d'abord  le  verbe  être 
sous  la  forme  seriemcs  (1339,  V,  114)  qui  est  d'un  emploi  assez 
commun.  Nous  avons. remarqué  en  outre  que  le  plus  grand  nombre 
des  exemples  que  nous  avons  relevés  nous  sont  fournis  principale- 
ment par  les  verbes  de  IIl  et  de  IV  ;  pouvoir  par  exemple  est  très 
fréquemment  employé  sous  la  forme  porriciiics  ;  on  la  trouve  déjà 
en  1297  (II,  741);  c'est  ainsi  la  plus  ancienne  de  ces  formes;  elle 
est  d'un  usage  fréquent  après  cette  date  dans  ce  même  recueil  (1297, 
II,  742;  1320,  III,  853  ;  VII,  496;  etc.,  etc.).  Il  en  va  de  même 
pour  faire:  fcricnics  (1320,  III,  853;  1339,  V,  114).  On  trouve 
cependant  quelques  exemples  de  verbes  de  I  et  de  II  :  comme  poiir- 
cbacerictnci  (1339,  V,  114),  k'iuidmes  (1297,  H?  749)^  ^^  l'on  voit 
par  ce  dernier  exemple  que,  ce  qui  est  très  naturel,  ils  peuvent  être 
aussi  anciens  que  les  exemples  que  nous  fournissent  les  conjugaisons 
où  les  exemples  sont  plus  nombreux. 

Pour  l'imparfait  du  subjonctif  nous  n'en  avons  rencontré  qu'un 
seul  exemple,  et  il  se  trouve  encore  dans  les  R\mer's  Foedera  : 
c'est  fiiissicnics  (1339,  V,  115).  Nous  n'avons  relevé  aucun  subjonc- 
tif en  -iaiii  affecté  de  cette  terminaison,  et  cela  est  assez  extraordi- 
naire (cf.  Terminaison  en  -ieiis). 

L'on  peut  voir,  grâce  aux  exemples  que  nous  avons  cités,  que  les 
terminaisons  en- -/(•;//•«  sont  réparties  entre  1297  et  1385,  autre- 
ment dit,  elles  occupent  tout  le  xiV'  siècle;  elles  sont  cmplovées 


i66  l'évolution  du  w.Rmi  ex  anglo-fkançals 

pour  la  désinence  de  ki  première  personne  du  pluriel  de  trois  temps  ; 
elles  sont  surtout  fréquentes  pour  le  conditionnel. 

Lorsque  nous  étudierons  ces  temps,  nous  nous  occuperons  de 
voir  comment  ces  désinences  sont  employées  relativement  aux 
autres  désinences  possibles. 

Les  Year  Books  présentent  aussi  cette  désinence  à  trois  temps  : 
l'impartait  de  l'indicatif,  le  conditionnel  présent  et  le  présent  du 
subjonctif;  c'est  ainsi  que  pour  le  premier  de  ces  temps  on  trouve  : 
avey mes  (20  et  21  Edw.  L^^  359;  33  et  35  Edw.  P"",  49,  513,  531. 
I  et  2  Edw.  II,  109;  3  Edw.  II,  175).  C'est  la  forme  la  plus 
répandue  avec  esiciiiies  qu'on  trouve  dans  la  plupart  des  recueils  (cf. 
par  exemple  21  Edw.  I",  61  ;  32,  33  Edw.  I",  395,  397,  418,  521, 
533,  etc.).  On  trouve  encore  à  ce  temps:  recouiseymes  (20  et  21 
Edw.  L'',  311),  sohimes,  voleinics,  etc. 

Les  conditionnels  sont  moins  nombreux  :  citons  piirreiiiics  (30  Edw. 
P"",  21,  etc.)  et  le  subjonctif  en  lAM  eyeins  (Jbid. ,  81). 

Comme  on  le  voit,  cette  terminaison  est  beaucoup  plus  géné- 
rale dans  la  langue  légale  que  dans  la  langue  politique  et  même  dans 
la  langue  diplomatique,  et  elle  n'atteint  pas  exactement  les  mêmes 
temps. 

IL   Chmi^h'iiu'iils  dans  la  forme  des  premières  personnes 
du  pluriel  jéininines. 

'a)  La  consonne  finale. 

La  consonne  finale  est  ordinairement  s,  plus  rarement  ~.  Nous 
ne  citerons  aucun  exemple  de  désinences  féminines  avec  s,  celles  qui 
se  trouvent  dans  les  pages  précédentes  suffisant  amplement. 

:{  est- employée  d'abord  dans  la  langue  littéraire  vers  la  fin  du 
xiii^  siècle,  peut-être  avant.  C'est  ainsi  qu'on  trouve  dans  le  Manuel 
des  Péchés  de  William  de  Waddington  sumei,  7098,  A.  Cette  gra- 
phie devient  surtout  fréquente  au  xiv^  siècle  ;  dans  certains  auteurs 
elle  remplace  même  d'une  façon  presque  régulière  la  désinence  en 
s  ;  cela,  il  est  vrai,  peut  provenir  des  scribes  ;  par  exemple,  cette 
graphie  est  fréquente  dans  certains  mss.  des  Proverbes  de  Bon  Ensei- 
gnement et  dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet. 

Ce  changement  cependant  est  assez  rare  dans  la  langue  non  lit- 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    PLURIEL  1 67 

téraire,  et  ne  se  trouve  jamais  dans  les  recueils  de  textes  corrects  ; 
nous  lisons  dans  Kymerso)iuiu'i,  seroiiiiiie-  (1337,  IV,  785);  por- 
chûcerieiiic-  (1339,  V,  114).  Nous  n'avons  pas  relevé  un  seul 
exemple  d'un  ^  à  une  première  personne  du  pluriel  au  prétérit. 

Il  est  aussi  assez  rare  que  cette  consonne,  s  ou  ^,  tombe.  On  en 
trouve  surtout  des  cas  dans  la  langue  littéraire,  et  la  plupart  de 
ceux-ci  peuvent  n'être  que  des  lapsus  calami  ;  le  premier  exemple 
de  ce  fait  que  l'on  puisse  citer  se  lit  dans  le  ms.  d'Oxtord  du  Roland  ; 
fcsiinc  au  vers  418;  on  trouve  encore  assemhlame  dans  le  Saint 
Auban  vers  1446  ;  feïiiw  (prêt.)  dans  la  Satire  sur  le  Siècle  86  v°  ; 
fume  dans  l'Evangel  translaté  au  fol.  88  r"  et  quelques  autres 
exemples  disséminés  dans  tout  le  reste  de  la  littérature  anglo-tran- 
çaise.  Cette  chute  de  la  consonne  finale  a  aussi  un  caractère  spora- 
dique  dans  la  langue  non  littéraire,  comme  —  pour  n'en  citer  qu'un 
exemple  —  dans  siimc  qu'on  trouve  deux  fois  dans  les  Literae 
Cantuarienses,  13  18,  pp.  47  et  51.  Tous  les  exemples  précédents 
ne  sont  peut-être  que  des  fautes  d'orthographe  ;  mais  une  faute  d'or- 
thographe, qui  n'est  pas  le  résultat  de  l'inattention  ou  d'un  oubli,  a 
son  importance  ;  dans  le  cas  présent  les  exemples  de  premières  per- 
sonnes du  pluriel  féminines  sans  .f  tendent  à  montrer  que  cette  s 
avait  disparu  de  fort  bonne  heure  de  la  prononciation. 

/;)  La  voyelle  atone  de  la  terminaison. 

Le  plus  souvent  la  voyelle  atone  de  la  terminaison  est  exprimée 
par  £',  et  on  ne  peut  trouver  à  aucune  époque  de  la  littérature 
anglo-française  une  autre  lettre  qui  soit  employée  aussi  Iréquem- 
ment. 

Voici  cependant  un  certain  nombre  de  graphies  qui  se  trouvent 
avec  une  certaine  tréquence  : 

U.  De  très  bonne  heure  //  a  été  employé  avec  la  valeur  d'une 
voyelle  atone  ;  la  première  personne  du  pluriel  du  présent  de  l'in- 
dicatif d'être  semble  spécialement  aftectée  ;  snmns  se  voit  déjà  dans 
les  psautiers  d'Oxford  (r  19,  ;  et  d.  102,  i^  ;  123,  6),  et  d'Arun- 
del  (9,  9,  etc.)  ;  dans  Gaimar  (au  vers  302);  dans  la  Folie  (au 
vers  740,  où  cette  graphie  est  certainement  due  au  scribe);  dans  les 
Homélies,  137.  C'est  la  forme  qu'on  voit  fréquemment  employée 
dans  le  ms.  L  de  Fantosme  (cf.  vers  739  et  passim).  Et  cette  gra- 
phie de  soin  mes  se  retrouve  pendant  tout  le  xiii'"  siècle  et  le  xiV. 


i68  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

D'autres  présents  de  l'indicatif  se  rencontrent  aussi  avec  la  ter- 
minaison oniiis  ;  citons  par  exemple  aiuomns  ^=  avoms  dans  Walter 
de  Bihblesworth,  p.  i6o  ;  avomiis  et  escrivonins  dans  Nicolas  Trivet 
au  fol.  48  r"  ;  mais  ces  formes  sont  beaucoup  plus  rares  et  plus  tar- 
dives que  les  exemples  de  siiiniis  que  nous  venons  d'énumérer. 

On  rencontre  u  avec  la  valeur  d'une  atone  assez  fréquemment 
pour  les  autres  premières  personnes  du  pluriel  à  terminaison  fémi- 
nine. Le  Psautier  d'Arundel  spécialement  emploie  assez  souvent  la 
désinence -W//5  pour  les  prétérits  :  levamus  {i<^,  9),  esperaiiins  (-^2, 
22),  receiumis  (_|7,  8)  ;  nous  trouvons  de  même  dans  la  Folie  Tris- 
tan à  la  rime  avec  sumus, ////«//,v  au  vers  739.  Robert  de  Gretham 
ou,  plus  exactement,  le  scribe  du  manuscrit  de  Londres  (Add.  26773) 
emploie  overamns  (23  r"),  prophetamns,  parlamus  (88  v°)  et  beau- 
coup d'autres;  dans  Boeve  nous  relevons  doimiiiits  (vers  1602); 
Nicolas  Trivet  en  a  un  grand  nombre  comme  feymns  (prétérit) 
(48  r°)  ;  et  plusieurs  autres  exemples  se  rencontrent  qu'il  est  peu 
utile  d'énumérer  ;  ce  qui  nous  semble  évident,  c'est  que  cette  gra- 
phie a  été  surtout  employée,  et  a  été  employée  d'abord  pour  le 
verbe  être  et  les  prétérits. 

(Pour  H  employé  comme  voyelle  atone,  on  peut  consulter 
Suchier,  Ueber,  à  la  p.  30,  et  Stimming,  Boeve  de  Haumtone, 
p.  183,  ligne  43.  Voir  aussi  le  chapitre  III  de  notre  seconde  partie.) 

Les  textes  non  littéraires  ne  nous  oflrent  rien  de  nouveau  sur  ce 
point  :  les  désinences  en  -us  pour  les  premières  personnes  à  termi- 
naison féminine  ne  sont  pas  rares  dans  l'anglo-français  diplomatique 
surtout  pour  le  verbe  être  ;  ainsi  les  Traités  de  Rymer  nous  donnent 
un  exemple  de  siinms  pour  l'année  1297  (II,  790)  et  nous  pour- 
rions donner  une  longue  liste  d'exemples  allant  jusqu'aux  dernières 
années  du  xiv^  siècle. 

Les  autres  présents  de  l'indicatif  ne  sont  pas  rares  ;  citons  dans 
les  Rymer's  Foedera  entendomus  (1291,  IL  539);  dans  les  Parlia- 
mentary  Writs  </iw;///.?  (avom^)  (1299,  I,  321);  dans  Barthélémy 
Cotton  femniis,  seroiiins  (1297,  340)  pour  ne  citer  que  les  plus 
anciens  exemples. 

Dans  tous  ces  recueils,  les  terminaisons  en  -us  sont  fort  com- 
munes pour  les  prétérits,  et  ils  se  rencontrent  à  toutes  les  dates  ; 
on  ne  saurait  dire  qu'un  verbe  quelconque  est  plus  employé  sous 
cette  forme  qu'un  autre  ni  que  cette  terminaison  est  plus  commune 
dans  un  recueil  que  dans  un  autre  pour  ce  temps. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  169 

II  en  va  de  même  pour  les  Year  Books. 

En  résumé  :  la  terminaison  -iis  se  rencontre  à  toutes  les  époques 
et  dans  toutes  les  catégories  de  textes  de  la  littérature  anglo-fran- 
çaise ;  les  temps  et  les  verbes  qui  en  sont  affectés  plus  spécialement 
sont  les  présents  de  l'indicatif,  en  particulier  le  présent  du  verbe 
être,  le  futur,  le  présent  du  subjonctif;  tous  les  prétérits.  Les  termi- 
naisons en  -ienies  n'ont  jamais  la  terminaison  en  -lis. 

i.  —  Les  graphies  qui  montrent  /  comme  voyelle  atone  sont 
beaucoup  plus  rares  que  les  graphies  par  //.  Dans  la  langue  litté- 
raire nous  ne  trouvons  que  seiniis  qui  est  emplo)'é  dans  The  Song 
of  Dermot  and  the  Earl  au  vers  2309.  Cette  terminaison  est  presque 
aussi  rare  dans  la  langue  politique;  nous  ne  trouvons  à  citer  que 
quelques  exemples  isolés  comme  :  sujfrymis,  dans  les  Municipal  and 
Historical  Documents  of  Ireland  (1292,  p.  208);  et  poymis 
(pûmes)  et  savymis  (sûmes)  dans  les  Letters  from  Northern 
Registers  (1306,  133).  Dans  la  langue  légale  on  peut  rencontrer 
quelques  formes  en  -i)iis,  comme  priinis  (21  Edw,  I",  25).  Ces 
formes  sont  exceptionnelles  ;  mais  nous  pouvons  remarquer  qu'elles 
contiennent  toutes  un  /  (sauf  un  cas  qui  présente  la  diphtongue  ci) 
dans  le  thème. 

c)  Chute  de  la  voyelle  atone. 

Remarquons  tout  d'abord  que  pour  les  premières  personnes  ter- 
minées par  'Oiiies,  sa.uï  sont  mes,  les  terminaisons  sans  muette  se  con- 
fondent avec  les  terminaisons  masculines  en  -ons.  Pour  les  impar- 
faits et  les  conditionnels  qui  sont  terminés  en  ietnes  ou  eimes 
une  confusion  analogue  se  produit  ;  lorsque  la  muette  disparaît  on 
ne  peut  distinguer  la  forme  qui  en  résulte  des  désinences  régulières 
en  ienis.  Autrement  dit,  il  est  impossible  dans  ces  deux  cas  de 
pouvoir  reconnaître  si  une  forme  sans  voyelle  atone  et  avec  /;/ 
provient  de  la  forme  féminine  ou  si  elle  n'est  qu'une  variante  de 
la  forme  masculine. 

Par  conséquent  nous  ne  pouvons  parler  dans  ce  qui  suit  que 
des  premières  personnes  fortes  et  des  premières  personnes  du  plu- 
riel des  prétérits. 

Dans  la  langue  littéraire  la  chute  de  la  voyelle  atone  pour  ces 
différentes  personnes  est  aussi  rare  que  possible  ;  nous  n'en  avons 
rencontré  qu'un   nombre   de  cas   insignifiant   pour  les  désinences 


170  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

fortes,  par  exemple  .s7////.s-  du  scribe  de  la  Destruction  de  Rome  (au 
vers  706).  Ceux  que  nous  avons  relevés  pour  les  désinences  faibles 
sont  encore  plus  tardifs  et  il  arrive  que  rien  ne  peut  permettre  de 
décider  dans  chacun  de  ces  cas  si  cette  chute  de  la  muette  provient 
de  l'auteur  ou  du  scribe.  Cela  a  lieu  en  particulier  dans  la  Chro- 
nique de  Nicolas  Trivet,  où  elle  n'est  pas  aussi  rare  qu'ailleurs. 
Nous  ne  pouvons  donc  pas  savoir  si  ce  phénomène  appartient  à  la 
période  que  nous  étudions.  Citons  toutefois  à  titre  de  renseigne- 
ment le  veynis  (de  voir)  qu'on  lit  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon 
(au  §  46).  Les  autres  exemples  que  nous  avons  trouvés  dans  les 
différents  auteurs  de  la  fin  du  xiv^  siècle  peuvent  être  attribués  aux 
scribes. 

Dans  la  langue  non  littéraire  au  contraire,  les  exemples  montrant 
la  chute  de  la  voyelle  atone  sont  assez  fréquents.  Remarquons 
d'abord  que  nous  n'en  avons  relevé  qu'un  exemple  pour  les  pre- 
mières personnes  du  pluriel  fortes  :  siinis  qui  se  lit  dans  les  Histo- 
rics  and  Municipal  Documents  of  Irel.  (1292,  208). 

Il  ne  nous  reste  donc  que  les  prétérits,  et  ici  les  cas  où  la  chute 
de  la  voyelle  atone  a  eu  lieu  sont  trop  nombreux  pour  que  nous 
songions  à  les  citer  tous.  C'est  surtout  dans  les  Traités  de  Rymer 
que  nous  en  trouvons  des  exemples  :  quelques-uns,  connue  cspn- 
saiiis,  1272  (I,  883),  remontent  au  troisième  quart  du  xiii'^  siècle  ; 
le  plus  grand  nombre  appartient  au  siècle  suivant  ;  citons  retaillanis, 
1306(11.  1019)  ;  chargeams,  1324  (IV,  30);  envoiams,  i'^26  (IV, 
194),  etc.,  etc.,  etc.  Dans  les  autres  recueils  les  exemples, 
quoique  en  moins  grand  nombre,  ne  sont  pas  rares;  tmitauis  se  lit 
dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense,  1372  (I,  275),  enveaiiis 
dans  la  Chronique  du  Monastère  de  Burton  (1258,  455).  C'est 
dans  la  langue  légale  que  cette  chute  de  l'atone  est  la  plus  fré- 
quente. Etre  se  montre  très  fréquemment  à  la  première  personne 
du  pluriel  du  présent  de  l'indicatif  sous  la  forme  siuns  (cf.  par 
exemple  21  Edw.  P"",  79  ;  30  Edw.  \",  23,  53,  59,  61);  à  par- 
tir de  cette  date  (1302)  les  e  atones  posttoniques  deviennent  rares 
et  dans  les  recueils  suivants  la  forme  abrégée  est  sinon  la  seule  que 
Ton  rencontre,  du  moins  la  plus  commune. 

Il  en  est  de  même  pour  les  prétérits  ;  on  uouvq  funis ,  veniiiis,  piir- 
chasams,  dans  les  dernières  années  du  xiir  siècle,  à  côté  des  formes 
normales.    Dans    les    recueils  qui    datent   du  commencement   du 


LA  PREMIERE  PERSONNE  DU  PLURIEL  I7I 

xiv^  siècle,  les  e  atones  deviennent  extrêmement  rares  ;  on  trouve 
alors  feyms,  rescums,  chaceaiiis,  portanis,  etc.  Mais  nous  ne  pouvons 
dater  avec  quelque  précision  aucun  des  exemples  que  nous  venons 
de  citer,  surtout  les  derniers,  et  par  conséquent  nous  sommes  ten- 
tés de  les  attribuer  tous  ou  presque  tous  au  xv-"  siècle. 

S'ils  n'ont  aucune  valeur  en  eux-mêmes,  ces  exemples  cependant 
nous  montrent  bien  que  l'anglo-français  tendait  à  se  débarrasser 
entièrement  des  terminaisons  féminines  à  la  première  personne  du 
pluriel. 

(/)  s  parasite. 

Entre  la  voyelle  tonique  et  Viii  s'introduit  quelquefois  une  s  para- 
site ;  cette  s  est  très  rare  dans  les  désinences  féminines  fortes  ;  le 
seul  exemple  que  nous  puissions  citer  se  trouve  dans  le  Livre  des 
Statutes  et  cela  dans  le  seul  cas  d'une  terminaison  forte  que  nous 
trouvions  dans  ce  recueil  pour  le  verbe  faire  :  faismes  dans  le  pre- 
mier volume  (131 1,  157). 

Les  désinences  féminines  faibles  au  contraire  se  rencontrent  assez 
communément  au  xiv=  siècle  avec  cette  lettre  parasite.  Les  textes 
littéraires  nous  fournissent  un  certain  nombre  d'exemples  ;  mais  ils 
ne  se  trouvent  tous  au  plus  tôt  qu'au  xiii^  siècle  et  semblent  pour 
la  plupart  dus  aux  scribes  :  citons  ciintasmes,  truvasincs  aux  vers 
1545,  1549  du  Saint  Auban  ;  oceismes,  oïsnies,  aux  vers  1527,  1533 
du  même  poème;  veiiisines  au  vers  3514  d'Edward  le  Confesseur, 
etc.. 

Au  contraire  la  langue  diplomatique  et  familière  en  présente  un 
nombre  considérable,  et  ils  sont  employés  avec  une  telle  continuité, 
sinon  régularité,  que  nous  pourrions  en  citer  des  exemples  pour 
ainsi  dire  d'année  en  année.  Le  premier  cas  que  nous  en  ayons 
relevé  se  trouve  dans  Rymer's  Foedera,  à  l'année  1297;  t^'est  un 
prétérit  en  ni,  prévus  mes  (II,  769)  et  à.  la  même  date  nieusmes  (II, 
777).  Ces  deux  exemples  sont  pour  ainsi  dire  les  précurseurs  de  ce 
qui  sera  jusqu'à  un  certain  point  un  des  usages  réguliers  de  la 
langue  politique  du  xiV^  siècle.  Nous  trouvons  des  prétérits  en 
avi,  comme  niaudasnics  dans  les  Parliamentary  Writs  (1325,  II, 
695,  et  710)  ;  ^■ranfasmes  dans  le  premier  Livre  des  Statutes  (1344, 
302)  et  vol.  V  des  Rymer's  Foedera  (1339,  507);  des  prétérits  en 


172  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

ivi  comme  oitaidisnics  dans  les  Parliamentary  Writs  (1325,  II, 
712,  j  21)  ;  envai  s  mes  dans  R^mer's  Foedera  (13  15,  III,  635);  des 
prétérits  en  /,  comme  tciiisnies  dans  Rymer  (13 11,  III,  298), 
ci smes  Çmème  recueil,  13 10,  III,  220;  13  11,  III,  362);  surtout 
des  Prétérits  en  ///  ;  nous  avons  déjà  vu  que  les  deux  premiers 
exemples  sont  des  prétérits  appartenant  à  cette  catégorie  ;  au 
xiV^  siècle  ils  deviennent  extrêmement  communs  ;  ils  sont  surtout 
fréquents  vers  1360;  et  ces  formes  durent  au  moins  jusqu'à  la  fin 
du  xiv^  siècle,  par  exemple  le  susincs  des  Documents  inédits  (1399, 
502). 

Cette  s  parasite  est  plus  rare  aux  terminaisons  féminines  de  l'im- 
parfait et  du  conditionnel  ;  nous  n'en  avons  relevé  qu'un  exemple 
après  la  diphtongue  ie  dans  le  conditionnel  porriesiues  employé  dans 
Rymer's  (1385,  VII,  496). 

Cette  s  se  rencontre  aussi  mais  assez  rarement  dans  les  Year 
Books  ;  aucun  des  cas  que  nous  avons  lus  ne  peut  être  attribué 
avec  quelque  certitude  à  une  date  antérieure  au  xv^  siècle  ;  aussi 
est-il  inutile  de  s'y  arrêter. 

(')  La  voyelle  accentuée. 

La  voyelle  accentuée  est  régulièrement  l'une  des  quatre  voyelles 
0,  pour  les  présents,  a,  i,  it,  pour  les  prétérits  ;  et  la  diphtongue 
ie,  pour  l'imparfait,  le  conditionnel  et  l'imparfait  du  subjonctif; 
faire  présente  la  diphtongue  ai,  être  (esmes)  la  syllabe  es . 

Nous  allons  maintenant  examiner  les  différentes  façons  dont 
varie  cette  partie  de  la  terminaison,  ou  du  thème  pour  les  per- 
sonnes fortes. 

0.  —  L'anglo-français  littéraire  emploie  de  préférence  comme 
voyelle  accentuée  pour  la  première  personne  du  pluriel  du  verbe 
être  au  présent  de  l'indicatif  la  voyelle  //,  ce  qui  est  conforme  à  la 
phonétique  anglo-française  (et  normande).  La  forme  s  mues  se 
trouve  partout  dans  les  textes  littéraires,  et  nous  pouvons  l'ajouter 
dès  maintenant  dans  les  autres. 

Sommes  n'est  pas  inconnu,  tant  s'en  faut,  mais  il  reste  relative- 
ment rare  ;  le  premier  exemple  qu'on  rencontre  se  trouve  au  vers  19 
du  Tristan  de  Thomas  ;  mais  il  se  trouve  dans  le  corps  du  vers,  ce 
qui  importe  peu  ;  de  plus  il  appartient  au  fragment  de  Cambridge 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  I73 

et  celui-ci,  d'après  de  La  Villemarqué,  est  de  la  fin  du  xiii''  siècle,  et 
en  outre  «  n'offre  aucun  trait  de  l'orthographe  anglo-normande  » 
(Bédier,  II,  2).  C'est  assez  dire  que  cet  exemple  n'a  aucune  valeur 
pour  nous. 

On  trouve  somes  dans  Horn  au  vers  3668  ;  il  est  plus  ou  moins 
assuré  par  la  rime  pour  la  première  fois  dans  les  Dialogues  Saint 
Grégoire,  somes  Q.  eiomes)  72  r°  b.  La  forme  se  trouve  par  la  suite 
plus  fréquemment,  mais  elle  reste  une  graphie  assez  rare  et  est 
toujours  douteuse.  Au  contraire,  pour  les  personnes  faibles,  //  ne  se 
trouve  que  dans  l'exemple  de  l'Estorie  des  Engleis  et  du  premier 
Appendice  de  Pierre  de  Langtoft. 

La  langue  diplomatique  fait  un  usage  plus  fréquent  de  0  ;  les 
Rymer's  Foedera  en  particulier  montrent  cette  voyelle  presque  aussi 
souvent  que  la  forme  avec  n  ;  et  cela  est  surtout  vrai  des  formes 
faibles  pour  lesquelles  la  voyelle  0  est  beaucoup  plus  commune  que 
//.  Les  exemples  qui  montrent  -tvnes  sont  environ  quatre  fois  plus 
nombreux  que  les  autres. 

La  terminaison  en  -unies  ne  se  rencontre  guère  qu'à  un  petit 
nombre  de  présents,  comme  grantuuimes  dans  Rymer's  Foedera 
(1274,  II,  33),  aviimes  dans  Barth.  Cotton  (1295,  303)  ;  et,  mais 
ceci  peut  n'être  qu'une  coïncidence,  nous  n'en  avons  pas  relevé 
d'exemple  après  la  fin  du  xiir'  siècle. 

Nous  observons  le  même  état  de  choses  dans  la  langue  légale  : 
//  est  assez  fréquent  pour  le  verbe  être,  surtout  lorsque  Ve  muet 
final  disparaît  ;  0  est  environ  trois  fois  plus  employé  pour  les  per- 
sonnes faibles  qui  ne  perdent  pas  leur  e  posttonique. 

//  et  0  sont,  pour  les  premières  personnes  du  pluriel  qui  nous 
occupent  maintenant,  les  voyelles  toniques  les  plus  importantes  et 
dans  la  plupart  des  auteurs  les  seules  employées.  Cependant  nous 
trouvons  un  certain  nombre  de  graphies  plus  ou  moins  phoniques 
pour  représenter  le  même  son  vocalique.  //  est  rarement  écrit 
('//,  parfois  ///  vers  la  fin  du  xiV^  siècle  ;  par  exemple  on  trouve 
souilles  dans  les  Royal  Letters  Henry  III,  1261  (p.  169),  soiiiiiits 
dans  les  Rymer's  Foedera  (1348,  V,  636);  siiyiiies  st  lit  dans  le 
même  ouvrage  (1378,  MI,  193)  et  dans  les  Literae  Cantua- 
rienses  (i  327,  242). 

0  peut  prendre  la  forme  oe  par  exemple  dans  soeines  (Pari.  Writs, 
1315,  II,  427),  ou  eo  :  seomus  (20  et  21  Edw.  I",  336).  Ces  quatre 


174  L  HVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

formes,  assez  rares  d'ailleurs,  peuvent  s'expliquer  sans  trop  de  dif- 
ficulté. 

Il  est  plus  difficile  de  reconnaître  une  simple  modification  pho- 
nique dans  quelques  formes  isolées  qu'on  trouve  déjà  dans  certains 
auteurs  du  xiii''  siècle,  mais  qui  peuvent  être  mises  au  compte  des 
scribes,  comme  :  seines  au  vers  3271  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire, 
et  seiniis  au  vers  2309  de  Dermot. 

Cependant  on  trouve  encore  eiiies  dans  les  Year  Books  :  poèmes 
(i  I  et  12  Edw.  III,  303  ;  365),  poems  (3  Edw.  II,  22  (A)  ;  69  (Y)  ; 
133  (Y);  154  (Y)  :  160  (Y),  etc.  Et  ces  exemples  ont  une  cer- 
taine valeur  car  ils  se  trouvent  en  grand  nombre  dans  le  ms.  Y, 
ms,  assez  soigné  qui,  selon  Maitland,  date  de  13  12. 

La  voyelle  /.  —  Nous  n'avons  relevé  aucune  variation  dans  la 
forme  ou  les  graphies  de  la  voyelle  tonique  /. 

La  voyelles. —  La  voyelle  a  est  assez  fréquemment,  au  xiv^^  siècle, 
écrite  par  an  ;  nous  n'en  trouvons  aucun  exemple  dans  les  textes 
purement  littéraires  pour  cette  raison  que  les  prétérits  de  I  à  la 
première  personne  du  pluriel  sont  rarement  employés  ;  tous  ceux 
que  nous  avons  relevés  sont  réguliers.  Nous  avons  cependant  un 
exemple  de  nu  dans  un  des  plus  mauvais  manuscrits  des  Proverbes 
de  Bon  Enseignement  (Bodley  425). 

La  langue  politique,  au  contraire,  nous  donne  un  très  grand 
nombre  d'exemples  de  cette  graphie  an,  et  c'est  Rymer  qui  nous 
fournit  la  série  la  plus  complète.  Le  premier  exemple  date  de  la  fin 
du  xiii'^  siècle  :  c'est  mandannies,  1282  (II,  197)  ;  puis  on  rencontre 
successivement  loaunies,  1297  (II,  749),  greanmes,  envoiaumes  (id., 
ibid.),  et  au  siècle  suivant  chargeamws,  1323  (IV,  22),  etc.  Dans 
les  autres  recueils  les  cas  de  an,  quoique  moins  nombreux,  se  ren- 
contrent encore  assez  fréquemment,  comme  par  exemple,  pour  la 
langue  politique,  dans  les  Parliamentary  Writs,  premier  volume 
enveiannies  (1300,  341). 

Nous  nous  bornerons  à  ces  quelques  exemples  que  nous  venons 
de  citer  ;  il  nous  faut  cependant  faire  remarquer  que  certains 
auteurs  et  en  assez  grand  nombre,  de  même  que  plusieurs  recueils 
de  textes  diplomatiques  ne  nous  offrent  aucun  exemple  de  première 
personne  du  pluriel  du  prétérit  ;  cela  provient  en  grande  partie  de 
ce  que,  en  anglo-français,  la  distinction  entre  imparfait  et  prétérit 
s'efface,  et  en  particulier  la  première  personne  du   pluriel  de  ce 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    PLURIEL  I75 

temps  est  fréquemment  remplacée  par  la  personne  correspondante 
de  l'imparfait  ;  ceci  se  remarque  surtout  dans  les  ouvrages  littéraires, 
alors  que  les  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  sont 
presque  toujours  réguliers. 

La  diphtongue  ic.  —  Nous  n'avons  pas  pour  les  différentes  gra- 
phies de  cette  diphtongue  à  nous  occuper  des  textes  Uttéraires  qui 
ne  nous  en  donnent  qu'un  exemple.  Dans  les  recueils  diploma- 
tiques, la  diphtongue  est  relativement  très  bien  conservée. 

Au  conditionnel,  il  est  rare  de  trouver  une  autre  graphie  et  la 
forme  normale  est  employée  environ  huit  fois  plus  souvent  que 
toutes  les  autres  formes  réunies.  Nous  ne  citerons  plus  de  ces 
formes  régulières,  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  d'en  donner  plu- 
sieurs. La  seule  divergence  qu'on  puisse  signaler  est  l'emploi  de  la 
diphtongue  ei  qui  se  rencontre  un  certain  nombre  de  fois  et  à  une 
date  assez  reculée  (fin  du  xiii^  siècle)  ;  c'est  ainsi  que  nous  trou- 
vons pîirreirnes  dans  les  Rymer's  Foedera  (1297,  II,  742). 

A  l'imparfoit  de  l'indicatif,  la  proportion  de  formes  correctes 
n'est  plus  aussi  forte  ;  celles-ci  sont  même  en  nombre  sensiblement 
inférieur  à  celui  des  formes  qui  présentent  la  diphtongue  ei,  que 
nous  venons  de  signaler  au  conditionnel.  On  trouve  ainsi  esteiiiies 
dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  (1283,  -159)  ;  dans  les  Lettres 
de  Canterbury  (1341,  696)  au  moins  deux  fois  ;  pardoneiiues  dans 
Rymer's  Foedera  (1323,  IV,  22).  La  diphtongue  ei  passe,  assez  rare- 
ment, il  est  vrai,  à  <//  comme  dans  estaimes  qui  se  lit  dans  le  premier 
volume  du  Registrum  Palatinum  Dunelmense  (13 13,  386). 

Le  seul  exemple  que  nous  ayons  trouvé  d'un  imparfait  du  sub- 
jonctif avec  cette  désinence  montre  la  dipthongue  ic.  Ces  variations, 
d'un  temps  à  l'autre,  n'ont  probablement  pas  la  moindre  impor- 
tance ;  c'est  l'usage  général  qu'il  faut  considérer.  En  combinant  les 
résultats  que  nous  avons  trouvés  aux  différents  temps,  nous  voyons 
que  les  deux  diphtongues  ie  et  ei  sont  toutes  deux  fréquemment 
employées,  la  première,  qui  est  la  plus  régulière,  restant  la  plus 
commune.  La  diphtongue  ie  ne  passe  jamais  à  e,  et  (j/ très  rarement 
à  ai,  jamais  à  oi. 

Dans  les  Year  Books,  la  diphtongue  ie  ne  se  rencontre  jamais  ;  on 
ne  trouve  que  ci  et  e\  ;  cependant  il  nous  faut  encore  signaler  une 
autre  forme  de  cette  diphtongue  :  oi  est  employée  quelquefois,  par 
exemple  ^zns  estoimes  (i  et  2  Edvv.  II,  156).  ce  qui  est  un  dévelop- 
pement très  normal  de  la  diphtongue. 


lyé  l'évolution  du  vrrbh  en  anglo-français 

ai.  —  La  forme  forte  de  faire  présente  à  l'origine  la  diphtongue 
ai  ;  lorsque  les  deux  diphtongues  ai  et  ei  se  seront  confondues,  la 
ïormc  jeivies  l'emportera  sur  la  forme  étymologique.  Nous  n'avons 
relevé  aucune  rime  prohante,  mais  il  fiuit  que  la  confusion  ait  eu 
lieu  un  certain  temps  avant  le  commencement  du  xiii'=  siècle, 
puisque  nous  trouvons  les  Dialogues  de  Grégoire  le  Grand  foimes 
au  fol.  8i  v°  a. 

Cette  dernière  forme  est  rare. 

es.  —  La  graphie  es  persiste  probablement  pendant  tout  le 
XII*  siècle,  puisqu'il  la  fin  de  ce  siècle  nous  lisons  csmcs  (:  pesmes), 
au  vers  959  de  la  Vie  de  Saint  Gilles.  Mais  déjà  dans  les  poèmes  de 
cette  époque,  nous  trouvons  la  graphie  ei,  par  exemple  dans  Jordan 
Fantosme  (au  vers  495).  Nous  n'hésiterons  pas  du  reste  à  attribuer 
cette  graphie  au  scribe  (D,  milieu  du  xiii''  siècle). 

Il  en  est  de  même  de  l'exemple  de  Robert  de  Greiliam  au 
fol.  34  v°.  Dans  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle,  c'est  ei  qui  se  ren- 
contre toujours  et  eimes  rime  avec  feiines,  comme  au  fol.  82  r°  de  la 
Satire  sur  le  Siècle  ;  dans  l'exemple  que  nous  a  fourni  le  poème  de 
Renaut  de  Montauban,  la  diphtongue  est  même  écrite  par  ai.  La 
graphie  parc  simple  est  rare. 

Cela  correspond  du  reste  exactement  avec  ce  que  nous  avons  dit 
de  l'amuissement  de  s  devant  une  consonne,  et  à  l'évolution  des 
diphtongues  ei  et  ai. 

Il  y  a  dans  la  langue  non  littéraire  un  certain  nombre  de  pre- 
mières personnes  du  pluriel  féminines  qui,  à  première  vue,  pour- 
raient sembler  avoir  une  nouvelle  terminaison,  avec  déplacement 
de  l'accent  ;  par  exemple  suffrismiu":  qu'on  lit  dans  les  Lettres  de 
Jean  de  Peckham  (1280,  102)  \  feiseiues  dans  Rymer's  Foedera 
(1297,  ïlj  749)  j  reqiiiesmes  à^ns  ce  même  recueil  (1325,  IV,  90); 
fiesmes  Aiws  les  Documents  inédits  (1396,  289). 

Tous  ces  prétérits  semblent  avoir  souffert  un  déplacement  de  l'ac- 
cent, et  l'avoir  sur  Vu  ou  Ve  qui  précède  Vin  ou  1'^  parasite.  Il  n'en 
est  probablement  rien  ;  et  nous  avons  affaire  ici  à  des  voyelles 
épenthétiques  ou  svarabhaktiques,  produites  par  le  groupe  conso- 
nantique  -sni,  groupe  qui  peut  être  étymologique,  comme  dans 
regtnesmes,  ou  dont  1'^  peut  avoir  une  origine  analogique,  comme 
dans  suffrisumes. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  177 

B.  —  Terminaisons  masculines  '. 

Les  terminaisons   masculines    peuvent   prendre    quatre  formes 
-ans,  -ions,  -iens,  -ms. 

Ici  encore,  nous  aurons  à  nous  occuper  de  deux  questions  entiè- 
rement dilîerentes  :  l'extension  de  ces  désinences,  en  sed)nd  lieu  les 
formes  qu'elles  adoptent. 

L'extension  des  formes  masculines  ne  nous  arrêtera  pas  longtemps 
ici.  Il  nous  suffira  pour  le  moment  de  faire  remarquer  que  ces  ter- 
minaisons affectent  la  grande  majorité  des  premières  personnes  du 
pluriel;  qu'il  est  assez  rare  qu'une  désinence  ordinairement  mascu- 
line devienne  féminine,  et  que  du  reste  nous  avons  signalé  tous  les 
cas  que  nous  avons  relevés  de  ce  phénomène  quand  nous  avons 
traité  des  terminaisons  féminines. 

Il  V  a  cependant  une  autre  question  qui  pourrait  nous  retenir 
plus  longtemps,  c'est  la  distribution  des  trois  terminaisons  :  -ons, 
-ions  et  -iens.  Mais  cette  question  nous  a  semblé  appartenir  plutôt  à 
l'étude  des  différents  temps.  Nous  nous  contenterons  maintenant  de 
dire  que  la  terminaison  en  -ions  se  trouve  toujours  à  l'imparfait  de 
l'indicatif,  nu  conditionnel,  assez  irrégulièrement  dans  les  subjonc- 
tifs en  iani  et  rarement  dans  les  imparfaits  du  subjonctif.  (Cf.  ces 
temps.)  Nous  nous  arrêterons  plus  longuement  sur  les  formes  des 
désinences  masculines. 

I.  La  voyelle  nasale. 

Ce  qui  caractérise  cette  désinence,  c'est  la  présence  à  la  dernière 
syllabe  d'une  voyelle  nasale  masculine,  suivie  ou  non  d'une  s.  En 
anglo-trançais,  cette  voyelle  nasale  a  eu  différentes  graphies;  ou 
pour  mieux  dire  nous  trouvons  naturellement  pour  cette  terminai- 
son toutes  les  graphies  que  l'anglo-français  a  données  à  la  nasale  de 
()  ouvert. 

I.  Ct".  Lorentz,  Die  crstc  Person  pluralis  des  \'crbums  in  AltfVanzosischcn  : 
Mever-Liibl;e,  Grundriss,  1,  366;  Korting,  I,  121  ;  Paris,  Romania,  XXI,  559-560: 
VII,  623;  Vendryès,  Revue  critique,  1901-1902,  p.  149;  Ouvau,  Remarques 
(Mémoires  de  la  Société  Linguistique  de  Paris,  161);  Rotlienburg,  Die  endung 
-ons.  (Archiv  fur  das  Studium  der  neuercn  Sprachen  und  Literaturen,  460.) 


i~S  l'hvolution  du  vekbe  kn  angi.o-i-rançais 

L:i  première  graphie  considérée  souvent  (et  pas  toujours  juste- 
ment) comme  caractéristique  de  l 'anglo-français  est  celle  en  //. 
Elle  se  rencontre  spécialement  au  xii''  siècle,  quoiqu'elle  soit  très 
fréquente  à  n'importe  quelle  période  de  la  littérature  française  d'An- 
gleterre; c'est  la  seule  qui  soit  employée  dans  le  Cumpoz,  le  Voyage 
de  Saint  Brandan,  le  Bestiaire.  On  voit  ensuite  une  et,  plus  tard, 
plusieurs  autres  graphies  prendre  place  à  côté  de  la  graphie  ii. 

La  première  en  date  de  ces  nouvelles  graphies  est  la  graphie  oui. 
Nous  la  rencontrons  pour  la  première  fois  à  la  rime  '  dans  l'Estorie 
des  Engleis  de  Gaimar  :  Jisoni  (:  Grégorium)  (1023);  savoiii  (  :  reli- 
giom)  (1039);  lisoiii  (  :  Encarnacion);  et  conqueroms  (4337),  depar- 
toiiis  (4338)  dans  le  corps  du  vers;  les  formes  en  h  existent 
toujours  et  sont  plus  ou  moins  fréquentes  suivant  les  manuscrits, 
ce  qui  nous  ferait  rejeter  tous  les  exemples  précédents  au  xiir  siècle. 
Dans  Horn,  cette  seconde  graphie  est  assez  commune,  l'auteur  ou 
le  scribe  emploie  oin  et  //;/  indifféremment  et  fait  du  reste,  comme 
il  est  naturel,  rimer  entre  elles  les  deux  terminaisons  :  avron  (  ;  ba- 
run)  (150);  departon  (  :  sermon):  tenom  (  :  abandun)  3162  sqq.  Le 
scribe  de  Fantosme  connaît  cette  forme,  mais  il  ne  l'emploie  que 
rarement;  nous  en  avons  compté  en  tout  cinq  exemples,  contre  une 
trentaine  de  formes  avec  u.  Elles  sont  plus  fréquentes  dans  le  Drame 
d'Adam;  il  y  en  a  près  d'une  dizaine;  c'est  ainsi  que  dans  tous  les 
auteurs  du  xiir  siècle,  à  partir  de  Gaimar,  on  trouve  des  exemples 
plus  ou  moins  nombreux  et  d'une  date  peu  assurée  de  la  terminai- 
son -oni.  Nous  ne  pensons  pas  que  ces  exemples  appartiennent  aux 
auteurs,  puisque  les  scribes  de  la  même  époque  les  ignorent  entiè- 
rement. Angier  n'en  connaît  point  d'autres,  et  désormais  ces  formes 
seront  plus  communes^;  le  fait  même  semble  si  constant  qu'il  est 
impossible  désormais  de  l'attribuer  uniquement  aux  scribes  :  Robert 
deGretham,  par  exemple,  l'emploie  aussi  fréquemment  que  la  termi- 
naison en  //;on  la  retrouve  dans  Boeve  de  Haumtone  (cf.  vers  iroi, 
sqq.);  dans  William  de  Waddington,  dans  les  Heures  de  la  Vierge 
où  elle  est  assez  fréquente.  Dans  l'Ordre  de  Bel  Eyse  elle  est  seule 
employée  et  dans  Wil.  Rishanger  elle  domine  (cf.  284,  etc.). 

Par  conséquent,  nous  pouvons  être  assurés  de  deux  faits  : 

1.  Ces  rimes  du  reste  n'ont  que  très  peu  ou  aucune  valeur. 

2.  Ce  fait  peut  encore  nous  pousser  à  mettre  au  compte  des  scribes  la  plupart 
des  exemples  que  nous  avons  rencontrés  au  xii^  siècle. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  I79 

I"  Dans  la  première  moitié  du  xir  siècle,  c'est  n  qui  est  la  gra- 
phie à  peu  près  unique. 

2''  A  partir  du  commencement  du  xiii'^'  siècle,  peut-être  à  partir 
de  1250  seulement,  o  devient  très  commun. 

Nous  pouvons  rester  dans  le  doute  en  ce  qui  concerne  la  période 
intermédiaire;  cependant,  quoique  nous  trouvions  des  rimes  dans 
Gaimar,  il  est  probable  que  le  nombre  des  graphies  en  o  prove- 
nant des  auteurs  a  dû  être  très  petit  et  qu'elle  n'a  été  employée  que 
vers  la  fin  du  siècle. 

Il  faut  donc  conclure  que  cette  désinence  n'a  guère  fait  son  appa- 
rition en  anglo-français  qu'à  la  fin  du  xir"  siècle,  ou  au  commence- 
ment du  xiii^ 

Il  est  fort  commun  de  rencontrer  au  xiV  siècle  la  graphie  oiiiii. 
L'on  sait  que  les  écrivains  anglo-français  ont,  dans  plusieurs  cas, 
exprimé  certaines  voyelles  nasales,  comme  au  et  on,  en  plaçant  un 
u  entre  la  vovelle  et  la  consonne  nasale  (cf.  E.  Busch,  p.  12  sqq. 
et  25;  Stimming,  p.  173  et  p.  192;  cf.  aussi  participe  présent).  Ce 
n'est  guère  qu'à  la  fin  du  xiii^  et  au  xiV  siècle  que  cela  a  eu  lieu 
pour  la  première  personne  du  pluriel;  mais  à  cette  époque  cette 
graphie  devient  rapidement  très  commune.  Les  exemples  sont 
nombreux  chez  Pierre  de  Langtoft  :  avroiims,  responomns ,  volotuits, 
etc.  (c{.  I,  100  sqq.);  clirroiiiiis  (:Apolynus,  lire  Apolyouns)  (I,  98, 
25);  voleiinis,  onvunis,  fiissomiis,  etc.,  se  lisent  dans  différents  pas- 
sages du  même  auteur.  On  peut  aussi  remarquer  que  c'est  le  meil- 
leur manuscrit  de  cette  Chronique  qui  emploie  le  plus  régulièrement 
cette  terminaison.  Dans  l'Apocalypse,  dans  Walter  de  Bibblesworth 
(134,  159  et  passiiii),  dans  les  Contes  et  les  Vies  de  Saints  de 
Nicole  Bozon,  dans  les  Proverbes  de  Bon  Enseignement  (spéciale- 
ment peut-être,  ms.  Arundel  507),  dans  les  Chroniques  de  Nicolas 
Trivet  (ci.  62  v"  et  passiiii),  dans  le  Poème  du  Prince  Noir  (vers 
171,  etc.),  les  terminaisons  dans  lesquelles  le  son  nasal  est  exprimé 
par  ou  sont  extrêmement  fréquentes.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier 
que  toutes  les  différentes  formes  que  nous  avons  vues  ne  sont,  au 
point  de  vue  de  la  nasale,  qu'autant  de  variantes  d'un  seul  son  : 
celui  de  0  nasalisé. 

Les  mêmes  changements  ou  à  peu  près  se  trouvent  dans  les 
ouvrages  non  littéraires.  Il  faut  cependant  remarquer  que,  soit 
parce  que  les  textes  diplomatiques  et  autres  que  nous  avons  sont 


l8o  1. 'ÉVOLUTION'    DU  .VKRRE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

d'une  date  plus  rapprochée  de  nous  que  les  ouvrages  littéraires,  soit 
pour  quelque  autre  raison,  nous  ne  trouvons  pas  dans  les  premiers 
textes  diplomatiques  une  période  où  la  voyelle  //  est  employée  à 
l'exclusion  de  toute  autre,  ou  mt'me  plus  régulièrement  que  la 
vovelle  ('.  Dans  le  premier  volume  des  Statutes,  les  deux  voyelles 
alternent  et  il  serait  difficile  de  dire  laquelle  se  trouve  le  plus  sou- 
vent employée.  Dans  les  Parliamentary  Writs,  et  dans  les  traités 
des  Rymer's  Foedera  qui  correspondent  à  la  même  époque,  la  ter- 
minaison en  -oins,  est  certainement  plus  fréquente,  sans  être  pour 
cela  exclusive.  Au  contraire,  dans  certains  recueils  de  lettres,  on 
trouve  à  la  fin  du  xiii'-^  siècle,  majorité  de  terminaisons  avec  u: 
dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  jusque  vers  1290,  -unis  (jim^ 
est  pour  ainsi  dire  la  seule  terminaison  employée;  il  en  est  de 
même  des  Royal  Letters  Henry  III  à  la  date  de  1253.  Quelques 
années  plus  tard,  il  nous  semble  évident  qu'il  v  a  eu  un  certain 
changement  dans  l'usage  et  la  vovelle  0  se  rencontre  plus  fréquem- 
ment. Il  ne  faut  peut-être  attacher  qu'une  très  médiocre  importance 
à  ces  variations  qui  dépendent  des  auteurs,  des  scribes  et  de  la 
fantaisie  des  uns  et  des  autres;  elles  ne  sont  du  reste  que  des  varia- 
tions orthographiques  et  correspondent  toujours  à  un  son  unique. 

La  graphie  par  ou  présente  très  peu  plus  d'intérêt;  elle  semble 
avoir  fait  son  apparition  dans  la  langue  non  littéraire  vers  le  com- 
mencement du  dernier  quart  du  xiir'  siècle;  nous  en  relevons  des 
exemples  dans  des  lettres  de  Jean  de  Peckham  écrites  vers  1283, 
et  cette  diphtongue,  qui  n'a  jamais  été  aussi  employée  dans  la  langue" 
politique  que  les  terminaisons  en  //  ou  en  0,  se  rencontre  cependant 
dans  la  plupart  des  recueils  de  textes.  On  en  trouve  un  assez  grand 
nombre  d'exemples  dans  les  Rymer's  Foedera  (1290,  II,  472),  dans 
les  Parliamentary  Writs  (1297,  I,  di^,  dans  les  Mem.  Pari.  1305, 
quoique  assez  rarement  (comme  §  388);  plus  souvent  dans  le  Liber 
Custumarum.  En  un  mot,  cette  graphie  dans  la  langue  politique 
n'est  pas  rare,  mais  elle  n'a  jamais  supplanté  les  autres  voyelles, 
spécialement  0. 

Citons  encore,  pour  en  terminer  avec  les  textes  politiques  et 
diplomatiques,  la  désinence  où  la  voyelle  0  est  répétée  :  par  exemple, 
le  volooms  des  Rymer's  Foedera  (1308,  III,  58);  on  trouve  cette 
graphie  trois  ou  quatre  fois  et  il  est  à  croire  que  ce  n'est  pas  autre 
chose  qu'un  lapsus  du  scribe. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  l8l 

On  ne  trouve  guère  dans  les  Year  Books  que  o  et  //,  rarement  o/i. 

L'on  voit  Jonc  que  la  désinence  en  oitii{s)  qui  fait  son  apparition 
vers  la  fin  du  xiir'  siècle  n'a  pas  eu  l'extension  qu'on  lui  a  souvent 
attribuée;  elle  peut  être  fréquente  dans  certains  ouvrages,  il  se  peut 
aussi  qu'aucun  texte  du  xiv"^  siècle  ne  soit  sans  la  montrer;  mais  en 
somme,  elle  n'a  jamais  eu  la  régularité  qu'a  eue  par  exemple  //;/ 
dans  la  première  moitié  du  xii''  siècle. 

Il  nous  reste,  pour  en  finir  avec  les  graphies  de  la  nasale,  à  signa- 
ler une  désinence  de  la  première  personne  du  pluriel  en  oiiips  moins 
commune  que  toutes  les  autres. 

Même  en  dehors  de  la  lans^ue  littéraire,  ces  terminaisons  avec  /' 
sont  rares  :  on  n'en  rencontre  que  dans  les  Literae  Cantuarienses  : 
prioinps,  osomps,  fassoiiips  sous  la  date  1363  (p.  914);  quant  aux 
textes  littéraires  ils  ne  nous  présentent  qu'un  nombre  très  restreint 
de  formes  avec  p;  nous  n'en  avons  relevé  que  dans  le  Ms  7  de 
r Apocalypse,  soioiiips  (wers  316).  On  pourrait  peut-être  en  trouver 
d'autres  exemples,  mais  ils  sont  certainement  très  rares. 

On  peut  remarquer,  à  propos  de  cette  terminaison,  dans  les  Year 
Books,  un  fait  curieux;  à  partir  de  i  et  2  Edw.  II  (ci.  pp.  19, 
88,.  etc.)  le  verbe  entendre  prend  à  la  première  personne  du  pluriel 
du  présent  de  l'indicatif  la  terminaison  avec  p;  cntendomps  se  ren- 
contre très  fréquemment  (cf.  par  ex.  2  et  3  Edw.  II,  p.  106;  dans 
3  Edw.  II  (Y));  et  dans  la  plupart  des  recueils,  c'est  le  seul 
verbe  qui  se  présente  sous  cette  forme;  dans  ceux  où  entendre 
n'est  pas  le  seul  à  fournir  des  exemples,  les  autres  cas  sont  extrê- 
mement rares;  nous  n'avons  relevé  que  agardouips  (2  et  3  Edw.  II, 
160),  pkdoinps  (3  Edw.  II,  30).  Il  est  curieux,  et  pour  nous  inexpli- 
cable, de  voir  une  terminaison  réservée,  sans  raison  apparente,  à  un 
seul  verbe. 

II.  La  consonne  finale. 
I.  Sa  forme. 

Conuue  nous  le  verrons  dans  les  pages  suivantes,  la  plupart  des 
premières  personnes  du  pluriel  sont  terminées  par  une  sifflante; 
nous  allons  dire  tout  d'abord  un  mot  aussi  bref  que  possible  de  la 
forme  de  cette  sifflante. 


102  L  EVOLUTION    DU  .  VHKBE    HX    ANGLO-FRANÇAIS 

Dans  le  plus  grand  nombre  des  cas  cette  consonne  est  s;  mais 
elle  est  parfois  remplacée  par -;  ce  ^  se  trouve  aux  premières  per- 
sonnes à  terminaison  masculine  à  peu  près  dans  les  mêmes  condi- 
tions que  pour  les  personnes  à  terminaisons  féminines;  on  la 
rencontre  surtout  après  les  terminaisons  en  on  m,  non  pas  qu^une 
lettre  entraîne  l'autre,  mais  l'introduction  de  otin  pour  un  et  de  ^ 
pour  .s  dans  l'orthographe  anglo-française  a  lieu  à  peu  près  à  la  même 
époque.  Nous  n'avons  relevé  aucun  cas  de  ^  employé  après  la  ter- 
minaison -icii. 

2.  Extension  de  Vs. 

Une  connaissance  superficielle  des  textes  anglo-français  suffit  à 
montrer  que  les  premières  personnes  du  pluriel  prennent  l'^  ou  la 
rejettent  de  la  taçon  la  plus  irrégulière  du  monde.  Nous  allons, 
dans  les  pages  qui  suivent,  tenter  de  nous  rendre  compte  de  la  pro- 
portion des  désinences  sigmatiques  et  asigmatiques  aux  difiérentes 
époques  de  l'anglo-français. 

Un  premier  point  se  laisse  constater  tout  de  suite  :  le  plus  grand 
nombre  des  auteurs  montrent  les  deux  formes,  non  seulement  dans 
le  corps  du  vers,  mais  même  à  la  rime  suivant  les  nécessités  de  la 
versification. 

Cette  première  constatation  doit  déjà  nous  mettre  en  garde  contre 
la  tentation  de  tirer  des  conclusions  trop  précises.  Nous  devons 
nous  contenter  de  marquer  les  lignes  générales  de  l'histoire  de  Vs  à 
la  première  personne  du  pluriel;  et  nous  verrons  que,  même  dans 
ces  limites,  cette  histoire  est  assez  curieuse.  Elle  peut  se  résumer 
en  ces  quelques  mots  : 

Vs  se  présente  d'abord  dans  un  grand  nombre  de  désinences,  et 
quelquefois  dans  toutes;  puis  elle  perd  peu  à  peu  du  terrain  au 
point  de  devenir  rare.  Après  avoir  passé  par  un  minimum  vers  1250, 
les  personnes  en  i"  deviennent  de  plus  en  plus  nombreuses  et 
finissent  par  devenir  la  forme  ordinaire  de  la  première  personne  du 
pluriel. 

Les  trois  premiers  poèmes  du  xir  siècle  se  trouvent  à  peu  près 
au  même  point  pour  la  question  qui  nous  occupe.  L'analyse  des 
premières  personnes  du  pluriel  nous  montre,  avec  un  certain  degré 
de  certitude,  que  les  formes  sigmatiques   prédominent.  Le  Voyage 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  183 

de  Saint  Brandan,  tout  d'abord,  n'en  connaît  point  d'autres,  et  nous 
ne  nous  arrêterons  pas  à  citer  des  exemples  tirés  de  ce  poème. 

Le  Cumpoz  et  le  Bestiaire  sont  moins  réguliers,  tous  les  deux 
ont  la  rime  des  désinences  étymologiques  aussi  bien  que  des  termi- 
naisons asigmatiques.  Mais  les  premières  sont  beaucoup  plus  nom- 
breuses (5/1  environ). 

Nous  trouvons  par  exemple  comme  terminaisons  asigmatiques 
dans  le  Cumpoz,  apclum  (  :  équinoctium)  au  vers  iS77;  (  :  raisum) 
au  vers  1371.  Dans  le  Bestiaire,  nous  avons  relevé  au  vers  113  : 
ciiteiidum  (  :  raisun).  Comme  exemples  de  terminaisons  ét\molo- 
giques,  citons  dans  le  premier  de  ces  ouvrages  :  dcDiiisternius.  venus 
(  :  leuns)  vers  1666  sqq.;  a pel uns  (:  leuns)  313  i  et  quelques  autres  : 
dans  le  second  avitiis  (  :  limuns)  au  vers  672  apelnns  (  :  nuns)  au 
vers  1 136. 

Donc  il  semble  à  peu  près  certain  que  chez  les  auteurs  qui  ont 
écrit  entre  11 10  et  11 30  ou  même  plus  tard,  la  forme  sans  .v  reste 
exceptionnelle. 

Remarquons  toutefois,  avant  de  nous  arrêter  à  cette  conclusion, 
que  dans  les  deux  ouvrages  de  Philippe  de  Thaïm,  l'usage  du  corps 
du  vers  diffère  énormément  de  celui  des  rimes.  La  proportion  totale 
de  toutes  les  premières  personnes  du  pluriel  sans  distinction  de 
position  n'est  plus  du  tout  celle  que  nous  donnions  tout  à  l'heure. 
Les  désinences  sigmatiques  ne  sont  plus  que  les  14  ''/o  (dans  le 
Cumpoz)  et  les  13  '^/o  (dans  le  Bestiaire)  du  total.  Évidemment 
puisque  la  tendance,  comme  nous  allons  le  voir,  de  l'anglo-français 
à  cette  époque  a  été  de  faire  tomber  1'^,  un  grand  nombre  des  dési- 
nences asigmatiques  doit  provenir  des  scribes.  Mais  quel  nombre  ? 
N'est-il  pas  probable  que  Philippe  de  Thaùn  lui-même  a  écrit  sans 
s  plusieurs  de  ces  désinences  ?  Et  puisqu'il  n'hésite  pas,  le  cas 
échéant,  à  se  servir  à  la  rime  des  formes  nouvelles,  n'est-il  pas 
possible  qu'il  les  ait  employées  assez  librement  '  dans  le  corps  du 
vers?  Nous  ne  pouvons  évidemment  pas  trancher  la  question  et 
nous  devons  nous  contenter  de  signaler  un  fait  :  les  désinences 
sigmatiques  dominent  à  la  rime,  —  et  une  probabilité  :  elles  ont  pu 
dominer  dans  le  corps  du  vers. 


I.   On  conçoit  en"  effet  as>.cz  facilement  qu'un  auteur  «  soigne»  plus  ses  rimes 
que  le  corps  même  du  vers. 


184  l'hNOLUTION    du    VHKBE    ex    ANGLO-l-RANÇAIS 

Ceci  montre  bien  que  les  jiroportions  et  pourcentages  peuvent 
facilement  induire  en  erreur. 

Ce  qui  pourrait  nous  faire  croire  que  dans  les  poèmes  de  Philippe 
de  Thaùn,  il  faut  (aire  entrer  en  ligne  de  compte,  non  seulement 
les  rimes,  mais  aussi  les  personnes  employées  dans  le  corps  du 
vers,  c'est  que  dans  les  ouvrages  qui  suivent  le  Bestiaire,  nous 
trouvons  un  état  de  choses  qui  s'accorde,  non  pas  avec  l'usage 
que  nous  révèle  l'étude  des  rimes,  mais  bien  avec  celui  que  nous 
trouvons  dans  le  corps  du  vers.  Pour  les  Psautiers  évidemment 
nous  pouvons  accuser  les  scribes  d'avoir  supprimé  des  s;  mais  on 
pourrait  alors  se  demander  pourquoi  ils  ne  les  suppriment  pas  tous. 
Les  deux  terminaisons  se  rencontrent  en  effet  dans  ces  traductions; 
entre  le  Psautier  d'Oxford  et  celui  de  Cambridge,  nous  trouvons 
une  légère  différence  —  dans  le  premier  les  désinences  sigmatiques 
sont  les  10  °/o  du  total  —  et  les  12  %  dans  le  second. 

Mais  plus  frappant  encore  est  le  fait  que  le  poème  de  l'Estorie 
des  Engleis  proprement  dit,  qui  n'est  que  d'une  quinzaine  d'années 
postérieur  au  Bestiaire,  ne  contient  aucun  exemple  assuré  de  la  forme 
en  s.  Nous  ne  trouvons  celle-ci  que  dans  une  interrime  :  conqueroins  : 
deiiiandoDis  au  vers  4337.  Il  est  vrai  que  l'épilogue,  donné  par  deux 
manuscrits  (L  et  D),  nous  montre  à  la  rime  deux  personnes  sig- 
matiques, (ipeliius  (  :  Saissuns)  au  vers  260,  et  lerniiits  (  :  nons)  au 
vers  282. 

Comme  on  le  voit,  c'est  fort  peu.  Et  cette  ignorance  de  la  forme 
étymologique  est  très  significative  dans  un  auteur  comme  Gaimar. 

Par  conséquent,  pendant  la  première  moitié  du  xii^  siècle,  voici 
ce  que  nous  avons  vu  : 

1°  Un  poème  (le  A'oyage  de  Saint  Brandan)  qui  n'emploie  que 
les  désinences  étymologiques; 

2°  Deux  poèmes  (le  Cumpoz  et  le  Bestiaire)  qui  montrent  une 
grande  majorité  de  ces  désinences  à  la  rime  —  et  le  contraire  à 
l'intérieur  du  vers; 

3°  Un  quatrième  poème  (l'Estorie  des  Engleis)  qui  connaît  à 
peine  la  forme  régulière; 

4°  Deux  ouvrages  en  prose  (le  Psautier  dOxtbrd  et  celui  de 
Cambridge)  qui  préfèrent  la  forme  nouvelle  de  la  désinence. 

Nous  conclurons  que,  pendant  cette  première  moitié  du  xii^  siècle, 
le  nombre  des  formes  régulières  a  décru,  et,  semble-t-il,  très  rapi- 


LA    PREMIÈRE    PERSONNE    DU    PLURIEL  185 

dément.  Il  est  probable  qu'au  commencement  de  cette  période  elles 
ont  été  très  nombreuses,  spécialement  chez  certains  auteurs;  mais  il 
est  tout  aussi  certain  qu'à  la  fin  elles  sont  devenues  rares. 

Dans  la  seconde  partie  de  ce  siècle,  les  progrès  de  la  forme  asig- 
matique  sont  visibles.  Il  faut  cependant  diviser  en  deux  classes  les 
auteurs  de  cette  période  :  quelques-uns,  et  ils  sont  très  peu  nom- 
breux, préfèrent  encore  ou  emploient  communément  la  forme  éty- 
mologique; les  autres  l'ignorent  ou  à  peu  près. 

Il  faut  citer  parmi  les  premiers  Jordan  Fantosme:  dans  sa  Chro- 
nique les  désinences  sigmatiques  se  rencontrent  huit  fois  à  la  rime  ', 
sur  un  total  de  24  laisses  en  -uns;  les  laisses  en  -an  sont  un  peu 
plus  nombreuses,  nous  en  avons  compté  29,  et  elles  ne  contiennent 
qu'une  première  personne  du  pluriel  diuui  au  vers  1573.  Au  reste 
à  l'intérieur  du  vers,  nous  n'avons  relevé  que  des  formes  asigma- 
tiques,  et  elles  sont  particulièrement  nombreuses,  environ  une 
soixantaine.  Toutefois,  étant  donné  le  nombre  de  formes  en  s  à  la 
rime,  nous  rejeterons  sur  les  scribes  les  exemples  qu'on  trouve 
dans  le  corps  du  vers  et  nous  conclurons  que  Jordan  Fantosme 
emploie  presque  uniquement  les  formes  étymologiques. 

Le  nombre  de  ces  formes  est  déjà  beaucoup  moindre  dans  l'ou- 
vrage que  nous  mettons  dans  la  même  classe  que  Fantosme,  les 
Quatre  Livres  des  Rois.  Plâhn,  et  nos  chiffres  concordent  avec  les 
siens,  trouve  que  les  désinences  sigmatiques  forment  les  48  %  du 
total. 

Tous  les  autres  ouvrages  de  la  seconde  moitié  du  xir  siècle  que 
nous  avons  étudiés  nous  montrent  un  état  de  choses  entièrement 
différent.  Le  poème  de  Guillaume  de  Berneville  sur  la  Vie  de  Saint 
Gilles  contient  encore  un  certain  nombre  de  formes  régulières  assu- 
rées :  il  y  a  en  tout  dans  ce  poème  5  premières  personnes  du  plu- 
riel en  -uns  à  la  rime  -,  et  trois  interrimes  en  -uns  '.  On  compte  par 
contre  treize  rimes  en  -un  ■*  et  cinq  interrimes  >.  Si  nous  comparons 
seulement  les  rimes,  les  formes  nouvelles  forment  un  peu  plus  des 

1.  Cf.  vers  600  sqq.;  vers  1552  sqq. 

2.  Aux  vers  864,  1026,  1682,  205),  5264. 

3.  Aux  vers  749,  2419,  3403. 

4.  Au.x  vers  297,  1371,  1909,  2573,  2594,  2840,  2843,  3170,  3216,  3406.  3453' 

3793- 

5.  .Vux  vers  S15,  1945,  2489,  2817,  3367. 


r86  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

71  %  du  total.  La  proportion  ne  change  pas  si  nous  faisons  entrer 
en  ligne  de  compte,  d'après  leur  graphie,  les  interrimes.  Mais  nous 
ne  savons  pas  si  nous  ne  devons  pas  compter  comme  formes  étymo- 
logiques toutes  les  interrimes  quelles  qu'elles  soient.  On  compren- 
dra aisément  qu'un  scribe  ait  dans  les  interrimes  supprimé  des  s  qui 
n'étaient  plus  usuelles  à  son  époque,  on  concevrait  plus  difficilement 
qu'il  les  eût  ajoutées.  Dans  ce  cas,  les  formes  sigmatiques  plus 
toutes  les  interrimes  seraient  aussi  nombreuses  que  les  autres.  Ceci 
montre  d'une  fliçon  concrète  la  vanité  des  pourcentages.  Nous 
croyons  devoir  nous  en  tenir  à  ce  que  peut  nous  montrer  l'étude 
des  rimes  proprement  dites  et  conclure  que  probablement  dans  le 
Saint  Gilles  les  formes  nouvelles  sont  plus  employées  que  les 
autres. 

Dans  le  corps  du  vers  d'ailleurs  ce  sont  les  seules  employées. 

Le  poème  de  Horn  ne  nous  offre  aucune  difficulté;  les  premières 
personnes  du  pluriel  sont  nombreuses  à  la  rime  comme  dans  le 
corps  du  vers,  et  partout  elles  présentent  la  désinence  sans  .s"  ' . 

Avant  que  de  quitter  le  xii^  siècle,  nous  mentionnerons  encore 
deux  auteurs  auxquels  nous  attachons  ordinairement  une  grande 
importance;  mais  dans  la  question  actuelle,  leur  témoignage  ne 
nous  servira  que  fort  peu. 

C'est  un  état  de  choses  tout  spécial  que  nous  montre  la  Vie  de 
Sainte  Catherine  de  Sœur  Clémence  de  Barking  :  la  première 
personne  du  pluriel  n'y  rime  qu'avec  elle-même  et  les  cas  d'inter- 
rime  sont  communs  -.  Or,  dans  ces  interrimes,  comme  dans  le 
corps  du  vers,  la  graphie  est  toujours  la  graphie  -/////.  Dans  le 
Sermon  en  vers  de  Guischart  de  Beauliu,  nous  ne  rencontrons 
aucune  rime;  quant  aux  formes  qui  sont  employées  dans  le  corps 
du  vers,  elles  ne  montrent  que  très  rarement  la  terminaison  étymo- 
logique '.  Ne  pourrait-on  pas  conclure  de  cette  absence  de  rimes  ou 
de  rimes  significatives  dans  ces  deux  ouvrages  à  une  hésitation  ou 
une  ignorance  de  la  part  des  auteurs  ? 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  marche  générale  de  cette  désinence  pendant 
la  seconde  moitié  du  xii^  siècle  est  encore  assez  claire.   Quelques 

1.  Aux  vers  150,  154,  136,  609,  1592,  1399  mss.  C  et  O.  —  2861,  287^», 
5025,  3027,  3928.  3156,  3162,  3164  mss.  C  et  H. 

2.  Aux  vers  225,  733,  1067,  1  loi,  1 1 17,  1807,  2051,  2145,  2627. 
5.  Au  vers  352. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  lôj 

auteurs  préfèrent  ou  emploient  la  terminaison  étymologique; 
d'autres  (comme  Sœur  Clémence  de  Barking  et  Guischart  de 
Beauliu)  semblent  hésiter  à  employer  l'une  ou  l'autre:  mais  la 
majorité  des  écrivains  adoptent  hardiment  la  forme  nouvelle,  quittes 
—  si  la  rime  l'exige  —  à  se  servir  de  la  désinence  sigmatique. 

Pour  ce  qui  est  du  xiii'^  siècle,  nous  trouvons  dans  les  premières 
années  de  ce  siècle,  deux  auteurs  qui  emploient  d'une  façon  assez 
régulière,  sinon  uniquement,  la  forme  étymologique  :  Frère  Angier 
et  Robert  de  Gretham. 

Il  est  nécessaire^  à  propos  du  premier,  de  hiirc  quelques  distinc- 
tions :  Miss  Pope  a  trouvé  que  dans  la  première  partie  des  Dialogues, 
oin,  c'est-à-dire  la  forme  asigmatique  prédomine,  alors  que  ans  est 
plus  fréquent  dans  le  reste  de  l'ouvrage.  Pour  ce  qui  est  de  la  Vie 
de  Saint  Grégoire,  où  l'on  n'observe  pas  de  différence  de  ce  genre, 
on  y  trouve  une  grande  majorité  de  formes  sigmatiques,  par  exemple 
dans  le  premier  tiers  du  poème,  on  ne  trouve  la  désinence  sans  s 
que  quatre  fois  :  osoiii  507  ;  feroiii  213  ;  façoni  910  ;  pciisoiu  940  '. 
Il  y  a  donc  eu  progression  constante  des  formes  sigmatiques  dans 
ces  ouvrages. 

Le  second  auteur  dont  nous  devons  parler  maintenant,  en  aban- 
donnant quelque  peu  l'ordre  chronologique,  c'est  Robert  de  Gre- 
tham. Les  Evangiles  des  Dompnées  nous  présentent  un  état  de 
choses  qui  leur  est  particulier  et  qui  les  rapprochent  des  ouvrages 
de  Frère  Angier.  Chez  Robert  de  Gretham,  les  deux  terminaisons 
se  rencontrent  également  à  la  rime  :  responderuiii  (:  nun)  6  r°  ; 
ciifenduDi  (:  lessun)  8  r"  ;  ardiins  (:  oreisuns)  12  r"  ;  espenissous 
(:  oreisuns)  12  r°.  Le  nombre  de  terminaisons  sigmatiques  cependant 
est  moindre  que  celui  des  premières  personnes  sans  s.  Mais  ce  qui, 
d'après  nous,  est  digne  de  remarque,  c'est  que,  dans  les  interrimes, 
c'est-à-dire  lorsque  l'auteur  n'a  pas  à  se  soucier  d'ajuster  ses  termi- 
naisons en  vue  de  la  rime,  il  n'emploie  (lui  bien  plutôt  que  le 
scribe)  que  les  désinences  sigmatiques. 

Voici  donc  deux  auteurs  relativement  corrects,  qui  nous  montrent 
jusque  vers  1230  un  nombre  considérable  de  formes  étymologiques 


1.  Avec  s  on  trouve  :  rimes  rendons  (:  oreisons)  988  ;  avons  (:  oreisons)  1058  ; 
srrons  (:  sermons)- 1 103  ;  en  interrimes  irons  :  tnovons  663  ;  criengons  :  dciissoiis 
895  ;  l'eions  :  sentons  1027,  etc.  ;  dans  le  corps  du  vers  :  errons  6')j. 


i88  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

assurées  par  la  rimt  et  dont  nous  n'avons  aucune  raison  de  douter. 

Au  contraire,  chez  les  autres  auteurs  du  xiir  siècle,  on  ne  trouve 
guère  que  la  terminaison  sans  s.  Simund  de  Freine,  Chardri,  les 
auteurs  du  Saint  Laurent,  du  Saint  Thomas,  du  Saint  Edmund,  de 
la  Petite  Philosophie,  d'Edward  le  Confesseur,  ne  nous  offrent  pour 
ainsi  dire  aucun  exemple  de  désinence  sigmatique,  tout  au  moins  à 
la  rime  ;  les  autres  sont  au  contraire  assez  communes. 

\cvs  le  milieu  du  xiii^  siècle,  nous  voyons  donc  que  la  grande 
majorité  des  auteurs  abandonnent  souvent  entièrement  la  forme 
sigmatique  ;  quelques-uns  l'emploient  encore  :  Robert  de  Gretham 
par  souci  peut-être  de  correction,  Frère  Angier  sous  l'influence  du 
continent  probablement.  Mais  la  très  grande  majorité  des  auteurs 
de  cette  période  l'ignorent. 

Ils  précisent  ainsi  en  l'accentuant  la  tendance  du  siècle  précédent. 

Pendant  la  seconde  moitié  du  xiii'  siècle  et  pendant  tout  le  xiv% 
nous  observons  un  revirement  qui  ne  laisse  pas  que  d'être  un  peu 
étonnant;  pendant  quelque  cent  cinquante  ans,  la  forme  sigmatique  va 
par  saccades  et  à-coups,  si  l'on  peut  dire,  regagner  le  terrain  qu'elle 
avait  perdu  pendant  les  cent  cinquante  années  précédentes.  Vers  la 
iin  du  xiii^  siècle,  nous  rencontrons  un  certain  nombre  d'auteurs 
qui  connaissent  ou  même  qui  préfèrent  la  désinence  avec  s.  Dans  le 
Roman  des  Romans,  nous  ne  voyons  à  la  rime  que  des  terminaisons 
sigmatiques  :  poiuis  (:  lamentaciuns)  91  ;  prisuus  (:  toisuns)  ;  dans 
l'Ordre  de  Bel  Eyse,  il  en  est  de  même  ;  nous  n'avons  (à  l'intérieur 
du  vers,  d'ailleurs)  que  des  terminaisons  avec  s  :  ilevoiii{  (169,  171)  ; 
avo)}i:{  193  ;  averoii^  194. 

Pour  d'autres,  les  deux  terminaisons  s'équilibrent,  comme  dans 
les  Heures  de  la  Vierge  :  reqnemvu  (:  don)  60  v°  ;  dioms  (:  mesons) 
64  r°.  William  de  Waddington  a  quelque  chose  qui  lui  est  spécial. 
Il  a  bien  à  la  rime  les  deux  terminaisons,  et  la  terminaison  asig- 
matique  est  plus  commune  encore  que  l'autre  :  dcviim  (:  surnun) 
68;  savom  (:  illusion)  1142  ;  mais  ce  qu'il  y  a  chez  lui  de  plus 
étrange,  c'est  que  les  personnes  en  111ns  riment  toujours  en  us  ; 
on  trouve  ainsi  :  veiuns  (:  geluz)  1594,  2  fois  ;  deviuns  (:  nus)  7280; 
savioms  (:  nus)  7912.  Ce  même  phénomène  se  retrouve  dans  le 
sermon  en  vers,  Deu  le  Omnipotent  :  seilns  (:  nus)  49  e  '. 

j.  Peut-on,  comme  le  fait  Suchier,  considérer  que  Vu  de  nus,  gelus  se  nasalise 
et  rapprocher  ces  formes  de  nuns  =r  nus  cité  par  Fichte,  Fle.xion  im  Cambridger 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  189 

Par  conséquent,  entre  1250  et  1300,  les  formes  en  s  regagnent  du 
terrain  et  deviennent  aussi  communes  que  les  autres. 

Au  xiv^^  siècle,  les  formes  sigmatiques  deviennent  de  plus  en  plus 
nombreuses  ;  c'est  la  terminaison  que  nous  trouvons  ordinairement 
dans  l'Apocalypse,  quoique  aucune  rime  ne  nous  l'assure,  ce  qui, 
dans  le  cas  actuel,  est  peu  nécessaire  ;  nous  en  trouvons  une  dans  le 
Siège  de  Carlaverok  :  dions  (:  lyons)  36  ;  et  de  très  nombreuses  dans 
Pierre  de  Langtoft.  Dans  cet  auteur,  les  terminaisons  asigmatiques 
ne  se  rencontrent  qu'à  Tintérieur  du  vers,  comme  :  êlisoni  (II,  280, 
12)  (B  et  D)  ;  averomn  (II,  94,  3),  et  encore  elles  sont  rares, 
tandis  que  les  terminaisons  sigmatiques  sont  très  communes,  à  la 
rime  comme  dans  le  corps  du  vers  (cf.  supra  les  exemples  donnés 
pour  les  terminaisons  en  07/).  Nicole  Bozon,  dans  ses  Contes  comme 
dans  ses  Vies  de  Saints  et  les  Proverbes  de  Bon  Enseignement,  s'ils 
sont  de  lui,  emploie  principalement  les  terminaisons  avec  s.  Il  est 
même  assez  rare  de  rencontrer  dans  le  corps  du  vers,  dans  les  Vies 
de  Saints,  par  exemple,  la  désinence  uni  (cf.  toutefois  iissum  93  v°). 
11  en  est  exactement  de  même  des  Chroniques  de  Nicolas  Trivet  et 
du  Prince  Noir. 

La  question  de  la  consonne  finale  des  désinences  masculines  de 
la  première  personne  du  pluriel  est,  comme  on  le  voit,  assez 
embrouillée  ;  il  est  difficile  d'extraire  d'exemples  nombreux  autant 
que  contradictoires  une  idée  générale  sur  le  développement  de  cette 
personne,  si  toutefois  il  y  a  eu  réellement  développement. 

Une  seule  conclusion,  semble-t-il,  est  possible.  Les  formes  sigma- 
tiques pendant  tout  le  xir'  siècle  et  la  première  moitié  du  xiiP'  ont 
progressivement  perdu  du  terrain.  Des  exceptions  se  rencontrent  et 
ces  exceptions  sont  importantes,  puisqu'elles  comptent  des  auteurs 
comme  Guillaume  de  Berneville  peut-être,  certainement  Jordan 
Fantosme  et  Robert  de  Gretham.  Malgré  tout,  l'usage  que  suivent 
ces  auteurs  reste  exceptionnel. 

Ce  terrain  perdu,  les  formes  avec  s  le  regagnent  pendant  le  siècle 
et  demi  qui  suit,  et  le  regagnent  si  bien  que  les  formes  asigmatiques 
sont  devenues  extrêmement  rares  à  la  fin  du  xiV  siècle. 


Psalter,  p.  88  ?  Nous  croirions  plutôt  voir  dans  ces  rimesunc  prouve  que  les  Anglais 
prononçaient  diflFicilèment  le  son  nasal  ///;,  et  Tassimilaient  non  pas  au  son  le  plus 
voisin  (qui  serait  on  ou  in)  mais,  si  on  peut  dire,  à  la  «raphie  la  plus  voisine  //. 


I90  L  EVOLUTION    DU    VHRI5E    EN   ANGLO-FRANÇAIS 

De  plus,  l'étude  de  Tanglo- français  non  littéraire  nous  donne  le 
meilleur  des  arguments  en  faveur  de  cette  conclusion.  Dans  tous 
les  textes  non  littéraires  que  nous  avons  étudiés,  textes  qui  datent 
au  plus  tôt  de  la  fin  du  xiii^  siècle,  les  formes  sans  s  sont  extrême- 
ment rares.  Les  plus  corrects  ne  nous  en  offrent  aucun  exemple, 
comme  les  Statutes,  les  Parliamentary  Writs  et  quelques  autres,  et 
en  admettant  que  quelques  cas  aient  pu  nous  échapper,  il  n'en 
restera  pas  moins  vrai  que  ces  formes  ne  sont  qu'une  exception. 
Le  seul  recueil  qui  présente  un  certain  nombre  de  terminaisons 
asigmatiques  est  le  recueil  de  Traités  de  Rymer.  Voici  les  exemples 
que  nous  avons  relevés  :  veiion,  porom,  avom  qui  se  trouvent  l'un 
après  l'autre  dans  un  texte  de  1256  (i,  588)  ;  puis  en  1276  donom 
(l,  839).  Enfin  nous  avons  rencontré  encore  quelques  autres  exemples 
analogues,  six  ou  sept,  à  différentes  dates  du  xiv^  siècle,  le  dernier 
exemple  datant  de  1390  (VII,  667)  ;  on  voit  que  ces  quelques  cas 
sont  disséminés  sur  une  période  d'environ  150  ans  ;  et  ils  semblent 
être  relativement  plus  fréquents  pendant  la  dernière  moitié  du 
xii^  siècle,  ce  que  notre  étude  de  la  langue  littéraire  pouvait  nous 
faire  prévoir. 

Enfin,  si  nous  comparons  ce  nombre  de  formes  asigmatiques, 
dans  Rvmer  lui-même,  à  celui  des  cas  avec  s,  nous  verrons  que  ces 
derniers  sont  infiniment  plus  nombreux.  Il  en  va  de  même  pour 
les  autres  recueils  qui  ont  de  ces  formes  sans  s  ;  nous  en  rencontrons 
deux  ou  trois  cas  isolés  dans  les  lettres  de  Jean  de  Peckham  pour 
l'année  1283;  dans  les  Historié  and  Municipal  Documents  of 
Ireland  sous  la  date  1292  (p.  209),  au  §  127  des  Mem.  Pari. 
1305,  etc. 

Dans  quelques  ouvrages  seulement  leur  nombre  est  sensiblement 
plus  considérable  ;  dans  les  Literae  Cantuarienses,  ils  se  trouvent 
assez  fréquemment  avant  l'année  1359  ;  dans  les  Annales  de  Bur- 
ton,  leur  nombre  est  environ  le  sixième  du  nombre  total  des  pre- 
mières personnes  faibles.  Enfin,  dans  les  Royal  Letters  Henry  III  la 
forme  om  est  prédominante  jusqu'en  1263.  Si  maintenant,  au  lieu 
de  considérer  le  détail  des  textes  que  nous  avons  étudiés,  nous 
jetons  un  coup  d'œil  général  sur  cette  branche  de  la  littérature 
anglo-française,  nous  pourrons  avoir  une  idée  d'ensemble  au  moins 
tout  aussi  précise  que  celle  qui  se  dégageait  des  œuvres  purement 
littéraires.  La  forme  asigmatique  est  connue  et  employée  par  un 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  19I 

certain  nombre  d'écrivains  ;  c'est  une  forme  qui  est  surtout  abon- 
dante pendant  les  dernières  années  du  xiii'-"  siècle,  trait  vraiment 
anglo-français.  Cela  cependant  n'empêche  pas  que  la  forme  habi- 
tuelle, même  pendant  le  xiii''  siècle,  ne  soit  la  forme  avec  s.  Pour 
les  Year  Books,  la  question  est  très  simple  :  jusqu'au  recueil 
21  Edw.  !'-'■  inclus,  c'est-à-dire  jusqu'à  la  fin  du  xiii^  siècle,  la  forme 
-oiu  prédomine  visiblement.  A  partir  de  3  i  Edw.  I",  c'est  le  con- 
traire qui  a  lieu,  ouïs  (^)  devient  très  commun  et  la  forme  asigma- 
tique  est  de  plus  en  plus  l'exception.  Dans  Y,  qui  est  de  13 12,  cette 
dernière  est  à  peine  les  17  "L  du  total. 

On  voit  donc  que,  quoique  la  question  soit  fort  embarrassée  et 
semble  très  embarrassante,  insoluble  même  à  première  vue,  tous 
les  textes  anglo-français  concordent  et  montrent  que  les  formes 
sigmatiques,  après  avoir  passé  vers  1250  par  un  minimum,  ont  fini 
par  devenir  à  la  fin  du  xiV-  siècle,  la  seule  forme  employée. 

Terminaisons  -ions.  —  La  désinence  -ions  subit  les  mêmes  modi- 
fications que  la  désinence  -oiis  ;  c'est-à-dire  que  la  vovelle  accentuée 
est  tantôt  //  tantôt  0  ;  mais  nous  n'avons  relevé  aucun  exemple  de 
oit  avant  le  xiV'  siècle.  De  plus,  les  mêmes  variations  se  repro- 
duisent en  ce  qui  concerne  la  présence  ou  l'absence  de  Vs  finale. 

Un  seul  changement  est  particulier  aux  désinences  en  -ions  ;  les 
différentes  graphies  sous  lesquelles  se  présente  la  vo3'elle  en  hiatus. 

Dans  la  grande  majorité  des  cas,  la  vovelle  /  est  conservée 
intacte  ;  c'est  la  graphie  la  plus  habituelle  jusqu'à  la  fin  du  xiv-'  siècle. 

Quelquefois  cependant  la  voyelle  c  se  rencontre  à  la  place  de  Vi 
étymologique  ;  mais  cette  graphie  est  relativement  rare  dans  les 
ouvrages  littéraires  ;  nous  en  relevons  par  exemple  un  cas  dans 
Chardri  :  csteyiim  au  vers  171 2  des  Set  Dormans,  et  il  appartient 
probablement  au  scribe  (Cotton,  Caligula  A  IX,  seconde  moitié  du 
xiiP  siècle)  ;  le  manuscrit  O  présente  au  même  endroit  eslcyoïis. 
Cette  dernière  désinence  qui  montre  une  diphtongue  est  encore 
moins  commune  dans  les  ouvrages  littéraires  que  la  précédente. 
Nous  la  retrouvons  par  exemple  dans  le  Saint  Auban  :  estoiuiii  au 
vers  1538,  et  au  vers  143  (w/cv///;/)  de  la  Vie  de  Saint  Panuce  de 
Nicole  Bozon. 

E,  ci  ou  oi  se  rencontre  au  contraire  très  fréquemment  en  dehors 
de  la  littérature- aux  différents  temps  qui  ont  régulièrement  Vi  en 
hiatus. 


192  L  EVOLUTION    DU    VRRRK    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

A  l'imparfait  de  l'indicatif,  c  n'est  pas  très  commun  dans  certains 
textes.  Voici  quelques-uns  des  exemples  que  nous  avons  pu  relever. 
Dans  les  Mem.  Pari.  1305,  nous  lisons  csiaviis  (au  §  127);  cette 
forme  se  retrouve  dans  le  premier  volume  des  Statutes  à  la  p.  191 
(13 12)   et    dans    le  Registrum  Palatinum  Dunelmense  (esteuncs). 

On  trouve  encore  dans  les  Literae  Cantuarienses  aveoms  (^\t,i%, 
47  j  ^33^5  334)  i  poyeoDis  employé  deux  fois  dans  une  lettre 
(n*^*  582)  de  1385. 

La  diphtongue  est  plus  commune  à  ce  temps,  et  nous  nous  con- 
tenterons de  donner  les  formes  les  plus  répandues.  Estoious  se  lit 
par  exemple  dans  les  Rymer's  Foedera  en  beaucoup  d'endroits,  le 
plus  ancien  datant  de  1294  '  ;  dans  les  Documents  inédits  à  la  date 
de  1307,  p.  19  et  passim,  dans  les  Literae  Cantuarienses  aux  dates 
de  1340  et  1341  (n°'  695,  697),  etc. 

D'autres  imparfaits  se  rencontrent  aussi,  mais  en  moins  grand 
nombre,  soldons  dans  les  Statutes  (1344,  I,  303);  faisoicns  dans  les 
Rymer's  Foedera  (1360,  VI,  107). 

Nous  retrouvons  le  même  état  de  choses  pour  le  conditionnel  : 
formes  assez  peu  nombreuses  avec  c  {barrcoDis  de  haïr  dans  le  Regis- 
trum Palatinum  Dunelmense,  1312,  I,  853);  très  nombreuses  avec 
la  diphtongue  :  purroions  dans  Rymer's  Foedera  (1336,  M,  83  ; 
1367,  VI,  584  ;  1391,  VII,  092),  ferroions  (1383,  VII,  409;  1388, 
VII,  611)  ;  serroions,  irroions,  vcnoions. 

Les  autres  temps  au  contraire  prennent  toujours  la  vovelle  /,  quel- 
quefois (',  mais  nous  ne  les  avons  jamais  rencontrés  avec  la  diph- 
tongue ci  ou  ('/. 

Ces  temps  sont  le  présent  du  subjonctif  de  certains  verbes,  l'im- 
parfait du  subjonctif  et  quelques  présents  de  l'indicatif. 

Le  présent  du  subjonctif  le  plus  commun  est  celui  du  verbe 
faire  ;  la  forme  faceoins  se  rencontre  constamment  ;  nous  ne  pou- 
vons pas  citer  tous  les  exemples  que  nous  avons  relevés  et  qui  ne 
sont  qu'une  partie  des  cas  que  l'on  pourrait  recueillir.  On  la  ren- 
contre dans  les  Statutes  (I,  1340,  293);  dans  les  Parliamentary 
Writs  (13  12,  II,  44  ;  1312,  II,  45)  et  un  nombre  de  fois  considé- 
rable dans  les  Rymer's  Foedera  '. 

1.  Voici  quelques  autres  références  :  1294,  II,  620;  1324,  IV,  94;  1360,  VI 
256  ;  1361,  VI,  345  ;  1362,  VI,  393  ;  1373,  VII,  -,  etc. 

2.  Faceoms,  Rvmer's  1296,  II,  714;  1331.  IV,  459;  1339,  VI,  116;  1362,  VI, 
367. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  193 

D'autres  verbes  encore  se  présentent  au  présent  du  subjonctif 
sous  cette  forme  comme  deniorgeons  dans  Rymer's  (1359,  VI,  118)  ; 
establisseoms  (id.  13 10,  III,  853),  âdresseoms  (id.,  1345,  V,  439). 

Il  y  a  aussi  un  bon  nombre  d'exemples  de  l'imparfait  du  subjonc- 
tit,  mais  c'est  toujours  l'imparfiiit  du  subjonctif  du  verbe  avoir  : 
eusseonis  est  très  commun  '. 

Nous  pouvons  enfin  citer  un  petit  nombre  de  présents  de  l'indi- 
catif, comme  mandcoms  dans  le  deuxième  volume  des  Parliamentary 
Writs  (1312,44)  ;  dcstiirheonies  dans  les  Rymer's  Foedera  (1296,11, 
714)  ;  delaisseoins  (ibid.,  1360,  VI,  259)  et  quelques  autres. 

Ces  quelques  exemples  de  présents  de  l'indicatif  avec  e  en  même 
temps  que  la  rareté  de  cet  e  à  l'imparfait  et  au  conditionnel  peut 
nous  amener  à  nous  demander  si  cet  e  était  encore  senti  comme  un 
équivalent  de  1'/  en  hiatus  ;  la  question  est  douteuse  et  nous  la 
reprendrons  dans  notre  2"  partie  (Cf.  2"  partie,  chapitre  III). 

C'est  aussi  la  voyelle  /  qu'on  trouve  le  plus  fréquemment  dans  la 
langue  légale,  volioiiis  (3  3  et  3  5  Edw.  F"",  m)  ;  perdrioms  (3  Edw.  II, 
134  (Y)  ;  160  (Y).  Nous  avons  rencontré  aussi,  quoique  assez  rare- 
ment, k  voyelle  c  :  csteoms  (33  et  35  Edw.  V',  315)  et  plus  souvent 
ei  :  aveiums  (33  et  35  Edw.  I",  467;  11  et  12  Edw.  III,  113); 
purreioin  (20  et  21  Edw.  I",  47),  serreioms  (11  et  12  Edw.  III,  447)  ; 
évidemment  on  pourrait  citer  un  grand  nombre  de  cas  montrant 
cette  diphtongue  passant  à  oi. 

Mais  saut  les  exemples  avec  /,  nous  ne  pouvons  guère  faire  fond 
sur  les  formes  que  nous  présentent  les  Year  Books. 

Il  nous  reste  encore  à  citer  avant  d'en  venir  aux  terminaisons  en 
iens,  une  désinence  qui  se  trouve  assez  rarement,  mais  trop  souvent 
toutefois  pour  qu'on  la  passe  sous  silence  :  la  désinence  en  oins  ;  on 
en  trouve  quelques  cas  dans  les  Rymer's  Foedera  :  poyins  (1282,  II, 
197)  ;  rcœiiessoyiis  (1300,  II,  867)  et  peut-être  quelques  autres  ;  on 
relève  encore  dans  les  Mém.  Pari.  1305  :  piissoiiis  (§  127)  ;  dans  les 
Royal  Letters  Henry  III  :  enveoins  (1267,  3  11)  répété  deux  fois. 

On  pourrait  se  demander  tout  d'abord  si  cette  nouvelle  désinence 
n'est  pas  une   erreur  cléricale  pour  la  terminaison  beaucoup  plus 

I.  Eusseonis,  Pari.  Writs  1324,  II,  677  ;  1525,  II,  677  ;  en  1325,  pp.  692-693  ; 
dans  sept  lettres  consécutives,  sur  neuf  I.  S.  d'avoir  quatre  en  -eoins  ;  Rymer's  15 10, 
m,  8)5  ;  1326,  IV,  188. 

13 


194  L  EVOLUTION    DU   VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

commune  ions  ;  nous  ne  le  croyons  pas  ;  il  serait  plus  vraisemblable 
peut-être  que  cette  terminaison  ne  fût  qu'une  variante  ou  un  déve- 
loppement irrégulier  de  la  terminaison  oioiis,  ou  une  désinence 
spéciale  (cf.  2^  partie,  chapitre  III). 

Il  nous  sera  permis  de  considérer  la  terminaison  de  ces  quatre 
exemples  comme  ayant  une  individualité  distincte. 

Chute  de  la  voyelle  dans  les  désinences  niascnlines  en  ons.  —  Il 
arrive  que  la  voyelle  tonique  de  la  terminaison  disparaisse  quand 
elle  est  en  hiatus  avec  la  voyelle  du  thème  '  ;  les  cas  de  cette 
sorte  ne  sont  pas  très  communs,  nous  avons  pu  cependant  en  rele- 
ver un  certain  nombre  dans  les  ouvrages  non  littéraires  ;  le  cas  le 
plus  fréquent  est  celui  du  verbe  pouvoir  qui  fait  fréquemment  à 
la  première  personne  du  pluriel  du  présent  de  l'indicatif  ptw^  ;  nous 
rencontrons  cette  forme  par  exemple  dans  le  Registrum  Palatinum 
Dunelmense  (1312,  191);  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1350, 
560)  ;  enfin,  dans  les  Rymer's  Foedera,  passim,  pendant  la  seconde 
moitié  du  xiv^  siècle.  Il  est  plus  rare  de  rencontrer  la  même  syné- 
rèse  pour  d'autres  verbes  ;  et  il  y  a  pour  cela  une  excellente  raison, 
c'est  qu'il  n'y  a  que  peu  de  verbes  qui  peuvent  présenter  un"  hiatus 
entre  deux  0  ;  et  s'il  y  en  a,  ils  ne  sont  pas  employés  à  la  première 
personne  du  pluriel  aussi  souvent  que  le  verbe  pouvoir.  Nous  n'avons 
pas  trouvé  d'autre  exemple  de  contraction  de  00  en  0  ;  mais  il  y  a 
quelques  cas  où  nous  voyons  la  voyelle  accentuée  0  disparaître  après 
la  diphtongue  ai  (é/).  C'est  ce  qui  explique  des  formes  comme 
seims  pour  seioms  dans  Rymer's  Foedera  (1322,  924,  vol.  III)  ;  ou 
eyms  pour  eions  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1361,  H76)  ;  et  à 
l'indicatif  t'/7ir//;/5  pour  enveioms  dans  les  Annales  de  Burton  (1258, 

1155)- 

Ces  formes  sont  assez  rares,  et  elles  ne  se  trouvent  que  dans  des 
textes  d'une  correction  assez  douteuse  ;  par  conséquent,  il  ne  faut 
pas  leur  attacher  une  trop  grande  importance,  en  soi.  Mais  elles 
pourront  nous  éclairer  sur  certaines  tendances  de  l'anglo-français, 
et  jointes  à  des  formes  analogues,  elles  nous  fourniront  peut-être 
des  indications  précieuses. 

I.  Il  semblerait  plus  naturel  de  dire  que  c'est  la  vo3elle  du  thème  qui  disparaît; 
si  nous  ne  le  disons  pas,  c'est  que  la  distinction  n'a  que  peu  d'importance.  La 
forme  sous  laquelle  nous  exposons  la  contraction  poons  pons  nous  permet  de  traiter 
en  même  temps  la  contraction  seioms  seims. 


LA    PREMIERE    PERSONNE    DU    PLURIEL  I95 

La  terminaison  (f)ens  '.  —  La  terminaison  ie^is  est  très  rare 
dans  la  langue  littéraire  ;  on  ne  la  rencontre  que  dans  un  ouvrage 
qui  n'est  pas  entièrement  anglo-français,  le  psautier  d'Oxford  ;  il 
nous  donne  deux  subjonctifs  en  em  :  exhalciem  et  hem,  -q  19,  et 
deux  subjonctifs  en  iam  :  poissieni  et  desserviem,  0  6.  Eiens,  que 
nous  lisons  dans  les  Distiques  de  Caton  d'Everart  de  Kirkham  (91  d), 
est  trop  isolé  dans  la  langue  littéraire  pour  n'être  pas  une  erreur 
matérielle  du  scribe. 

Il  est  donc  impossible  d'établir  le  moindre  rapport  entre  ces 
deux  formes  isolées  et  d'un  anglo-gallicisme  douteux  et  les  formes 
si  nombreuses  que  nous  allons  voir  dans  les  œuvres  non  littéraires. 
La  seule  conclusion  possible  est  que  l'anglo-français  littéraire  n'a 
pas  connu  ces  formes. 

Il  en  va  tout  autrement  pour  les  ouvrages  politiques,  diploma- 
tiques et  familiers. 

On  trouve  cette  désinence  sous  deux  formes  et  elle  est  employée 
à  quatre  temps  différents.  Les  deux  formes  sont  la  forme  avec  /  et 
la  forme  sans  i,  les  quatre  temps  sont  l'imparfait  de  l'indicatif,  le 
conditionnel,  le  présent  du  subjonctif  en  iani,  enfin  l'imparfait  du 
subjonctif. 

Les  imparfaits  de  l'indicatif  en  iens  et  en  oiens  (cf.  supra)  ^, 
sont  extrêmement  nombreux  ;  le  premier  exemple  que  nous  ayons 
rencontré  se  place  à  la  date  de  1294.  Nous  le  lisons  dans  les  Rymer's 
Foedera,  voliens,  vol.  II,  620  ;  ce  même  verbe  se  trouve  répété 
sous  cette  forme  un  certain  nombre  de  fois  ;  dans  Rymer  d'abord 
(1294,  II,  620  ;  trois  fois  ;  1304,  II,  946),  dans  les  Parliamentary 
Writs  (1324,  II,  679;  1325,  II,  694;  1325,  II,  713;  1325,  II, 
721),  et  dans  différents  autres  ouvrages.  Nous  trouvons  aussi  avec 
la  même  terminaison  l'imparfait  du  verbe  être  :  estiens  et  estoiens  ; 
celui  du  verbe  avoir,  avicHs  (Pari.  Writs  1325,  II,  722)  et  les 
termes  teniens,  venieiis,  votiliens,  savicns,  convoitiens,  fntetidiens,  main- 
lenîens  qui  se  trouvent  toutes  dans  Rymer's  Foedera  à  des  dates 
variant  de  1294  à  133 1. 

Pour  l'imparfait  de  l'indicatif,  nous  ne  trouvons  aucune  désinence 
en  eus. 

1.  Cf.  G.  Paris,  Rom.,  XII,  pp.  559-360.  Vendryès,  Revue   critique,  1901-2, 
149  sqq. 

2.  Après  ce  que  nous  avons  dit,  nous  n'insisterons  pas  sur  la  diplitongaison  de  I'/. 


196  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

Le  conditionnel  nous  fournit  un  nombre  presque  aussi  considé- 
rable d'exemples,  la  plupart  cependant  ne  se  rencontrent  que  dans 
les  Rymer's  Foedera.  Le  premier  exemple  de  cette  terminaison  pour 
le  conditionnel  se  place  à  la  date  de  1294  ;  c'est  averiens  (II,  620); 
les  quatre  conjugaisons  sont  représentées  dans  la  liste  d'exemples 
que  nous  avons  sous  les  yeux  ;  pour  la  première,  nous  avons  accor- 
driens  (1299,  II,  834),  passeriens,  enverriens  ;  pour  la  seconde,  acm- 
plenens  (1297,  II,  749),  har riens  \  pour  la  troisième,  averiens  que 
nous  avons  déjà  cité,  porriens,  verriens,  voiirriens,  ce  dernier  est  très 
fréquent;  pour  la  quatrième  serriens  (1297,  ^I»  79^)'  fërriens.  Il  est 
remarquable  que  les  verbes  de  III  et  de  IV  se  trouvent  avec  cette 
forme  beaucoup  plus  fréquemment  que  ceux  des  autres  conjugaisons. 
Le  dernier  exemple  de  ces  conditionnels  se  trouve  à  la  date  de  1385. 
Le  conditionnel  ne  nous  offre  qu'une  seule  forme  d'où  l'i  ait  dis- 
paru, purrenis  qui  se  trouve  dans  les  Literae  Cantuarienses  1360, 
872,  où  elle  est  répétée. 

Les  subjonctifs  en  iam  ne  présentent  qu'un  nombre  assez  restreint 
de  terminaisons  en  iens,  et  ces  terminaisons  sont  limitées  à  être, 
avoir,  pouvoir  et  vouloir  :  soiens  dans  les  Rymer's  Foedera  (1299, 
II,  833);  aiens  (ibid.,  1378,  VII,  201^  ;  peu  s  siens  (ibid.,  1297,  II, 
770);  veulliens  (\\:)\à.,  1369,  VI,  644). 

Les  dates  extrêmes  que  nous  avons  pu  relever  nous  sont  encore 
données  par  les  traités  de  Rymer  :  ce  sont  1297  et  1378. 

Les  formes  sans  /  ne  sont  pas,  cette  fois  encore,  sensiblement  plus 
nombreuses  ;  le  recueil  de  Rymer  nous  en  fournit  deux  et  il  est  le 
seul  qui  en  ait  ;  ces  deux  formes  sont  :  ptiissens  (1299,  II,  834)  et 
peussens  (13 10,  III,  217). 

L'imparfait  du  subjonctif  a  autant  de  formes  en  iens  que  deux 
quelconques  des  temps  que  nous  avons  examinés  ;  et,  quoiqu'elles 
y  soient  plus  nombreuses  qu'ailleurs,  elles  ne  sont  pas  limitées  au 
seul  recueil  de  Rymer,  comme  c'était  le  cas  pour  le  présent  du 
subjonctif  Le  premier  exemple  qu'on  en  trouve  se  lit  dans  le  pre- 
mier volume  des  Statutes,  eiissiens  1297  (124),  où  il  est  répété 
deux  fois  ;  cette  même  forme  se  lit  encore  dans  Rymer  et  à  la 
même  date  (II,  764,  800)  et  par  la  suite  devient  extrêmement 
commune  ;  on  la  trouve  de  même  dans  les  Parliamentary  Writs 
(1325,  I,  694),  et  un  grand  nombre  d'autres  recueils  l'ont  aussi. 
Aucun  autre  verbe  ne  pourrait  montrer  le  même  nombre  d'exemples 


LA    PREMIÈRF.    PERSONNE    DU    PLURIEL  19- 

que  le  verbe  avoir,  quoique  plusieurs  se  trouvent  assez  fréquem- 
ment, comme  le  verbe  être,  fcussiens  (ParïiamemâTy  Writs,  1360, 
I,  184,  Rymer's  1303,  II,  92^,  etc.).  Cette  désinence  se  montre 
moins  régulièrement  aux  autres  verbes,  quoique,  ici  encore,  toutes 
les  conjugaisons  soient  représentées. 

Comme  on  le  voit,  c'est  dans  les  traités  de  Rymer  que  nous 
trouvons  toujours  les  premiers  en  date  des  exemples  que  nous  avons 
à  citer,  et  il  est  assez  curieux  que  l'année  1297  dans  Rymer  comme 
dans  les  Statutes  soit  celle  qui  marque  l'introduction  de  cette  forme. 

Dans  les  Parliamentary  Writs,  nous  pouvons  relever  un  certain 
nombre  de  cas  montrant  la  chute  de  1'/  en  hiatus  à  ce  temps  ;  ce 
sont  tous  des  imparfaits  du  subjonctif  d'être  et  d'avoir:  enssei/i 
(1299,  I,  319  et  321  ;  1325,  II,  602)  et  deux  autres  fois  pour  le 
verbe  être  :  feussems  (1300,  I,  340).  Il  y  a  cependant  un  exemple 
encore  pliis  ancien  que  ceux-là,  il  se  trouve  dans  les  Actes  du  Par- 
lement d'Ecosse,  eiisseiiis  (1233,  I,  479). 

On  rencontre  aussi  sporadiquement  cette  terminaison  à  un  cin- 
quième temps,  le  présent  de  l'indicatif  :  poeins  est  encore  assez 
répandu,  on  le  trouve  dans  Rymer's  Foedera  (1297,  II,  766  ;  1324, 
IV,  627  ;  1342,  V,  346)  et  dans  les  Literae  Çantuarienses  (1322, 
76,2  fois).  Ce  dernier  recueil  nous  donne  même  un  autre  exemple 
pour  un  verbe  de  /  :  doutens  (1341,  696),  qui  pourrait  bien  cette 
lois  n'être  qu'une  erreur  du  scribe,  un  lapsus  calami  ;  mais  on  ne 
peut  se  débarrasser  aussi  facilement  des  nombreux  exemples  que 
nous  avons  cités  provenant  du  verbe  pouvoir. 

Nous  pouvons  maintenant  combiner  les  renseignements  qui  nous 
sont  fournis  par  les  différents  temps  qui  montrent  cette  désinence. 

Nous  verrons  d'abord  qu'elle  présente  presque  toujours  un  /,  et 
qu'on  pourrait  expliquer  les  formes  sans  /,  puisqu'elles  sont  assez 
nombreuses,  par  l'ignorance  ou  la  négligence  des  scribes  ;  en  second 
lieu  ces  terminaisons  ont  fait  leur  apparition  vers  la  lin  du  xiir^  siècle; 
les  témoignages  des  différents  textes  sont  si  concordants  qu'on 
serait  tenté  de  donner  à  cette  apparition  une  date  exacte,  celle  de 
1294  ;  mais  ce  serait  quelque  peu  aventuré.  Ces  formes  ont  duré  pen- 
dant tout  le  xiV^  siècle,  elles  semblent  avoir  été  le  plus  nombreuses 
dans  le  premier  tiers  de  ce  siècle,  quoique  cela  encore  puisse  bien 
n'être  qu'une  coïncidence  ;  il  est  certain  toutefois  que  ces  formes 
deviennent  de  plus  en  plus  rares  dans  le  dernier  quart  du  xiv^  siècle. 


198  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Le  temps  qui  a  pris  cette  désinence  le  plus  volontiers,  est  l'impar- 
fait du  subjonctif;  puis  le  conditionnel,  enfin  l'imparfait.  En  der- 
nier lieu,  vient  le  présent  du  subjonctif;  quant  au  présent  de  l'in- 
dicatif, il  est  inutile  d'en  parler  ;  la  désinence  irrégulière  en  -eus 
n'affecte  qu'un  verbe  à  ce  temps,  pouvoir. 


CHAPITRE  V 
LA  DEUXIÈME  PERSONNE   DU   PLURIEL 


DESINENCES   FEMININES 

Nous  distinguons,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  pour  la  première 
personne  du  pluriel,  les  deuxièmes  personnes  du  pluriel  en  deux 
classes  suivant  que  leur  désinence  contient  ou  non  une  voyelle 
muette  posttonique. 

Comme  pour  la  première  personne  du  pluriel  les  désinences 
féminines  peuvent  appartenir  à  une  forme  forte  ou  à  une  forme 
faible  ;  ce  sont  du  reste  les  mêmes  verbes,  être,  faire,  dire  ',  qui 
prennent  la  forme  forte,  mais  il  n'y  a  qu'un  seul  temps  qui  ait  la 
terminaison  féminine  faible. 

Le  parallélisme  entre  les  deux  premières  personnes  du  pluriel  ne 
s'arrête  pas  là  ;  dans  les  pages  qui  suivent,  nous  allons  rencontrer 
presque  toute  la  série  des  phénomènes  qui  ont  déjà  arrêté  notre 
attention  au  chapitre  précédent.  Et  c'est  pour  cette  raison  que  nous 
traiterons  les  différentes  questions  qui  s'y  rapportent  plus  succinc- 
tement que  nous  ne  l'avons  fait. 

I.  Extension. 

Nous  devrons  donc  d'abord  dire  un  mot  de  l'extension  des  formes 
féminines  à  la  deuxième  personne  du  pluriel.  Les  désinences  faibles 
sont  toujours  régulières  et  ne  nous  arrêteront  pas  ;  les  désinences 
fortes  ne  montrent  pas  la  même  régularité. 

Comme  dire  et  faire  abandonnent  la  forme  forte  à  la  première 
personne  du  pluriel,  il  leur  arrive,  quoique  moins  souvent,  de 
devenir  faibles  à  la  deuxième.  Ceci  est  surtout  vrai  de  dire. 

r.  Pour  faites,  dites  on  peut  voir  Neumann,  Zeitschrift,  II,  158. 


200  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Die^  n'est  pas  rare  et  remonte  au  moins  aux  premières  années 
du  xiii"  siècle,  comme  en  fait  foi  l'exemple  que  nous  en  relevons  au 
vers  119.]  de  la  Vie  de  saint  Grégoire,  exemple  isolé,  mais  signi- 
ficatif. Moins  sûr  est  le  die;;^  que  nous  lisons  dans  le  Petit  Plet  de 
Chardri,  au  vers  1418.  C'est  encore  la  forme  fiible  que  l'auteur  (ou 
le  scribe)  de  Boeve  de  Haumtone  emploie  au  vers  3302,  et  qu'on 
retrouve  dans  la  Plainte  Notre-Dame,  au  vers  96  (impératif)  et  au 
vers  211  de  l'Erection  des  Murs  de  New  Ross.  Un  exemple  à  la 
rime  (:  volez)  se  lit  au  vers  2286  du  Manuel  des  Péchés  de  William 
de  Waddington,  et  ce  même  auteur  en  présente  un  autre  exemple 
dans  le  corps  du  vers  1103  ;  mais  cette  dernière  forme  est  douteuse; 
venant  après  si,  elle  peut  être  un  subjonctif. 

Au  xiv^  siècle,  die:(^  devient  très  commun  ;  l'Apocalypse,  Pierre  de 
Langtoft  et  Nicolas  Trivet  nous  en  fournissent  des  exemples. 

Quant  à  maudire,  la  forme  faible  est  la  forme  ordinaire  (cf.  ninii- 
disse:^  au  vers  873  du  Petit  Plet). 

FaiscÂ^  est  très  rare  ;  nous  n'avons  de  cette  forme  aucun  exemple 
assuré  :  le  seul  cas  que  nous  puissions  citer  est  donné  par  le  ms.  A 
de  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (I,  246,  9)  ;  les  manuscrits 
B  C  et  D  donnent  tous  les  trois  feïsses  qui  est  préférable  à  tous 
les  points  de  vue. 

Être  ne  prend  jamais  la  forme  faible. 

L'anglo-français  non  littéraire,  au  contraire,  garde  avec  la  plus 
grande  régularité  les  formes  fortes  ;  nous  n'avons  relevé  qu'un  seul 
exemple,  où  une  forme  faible  ait  pris  la  place  d'une  forme  forte  : 
faceti  dans  les  Chroniques  de  Saint-Alban  (1326,  225);  et  cette 
forme  est  d'autant  moins  étonnante  que  c'est  un  impératif.  Ce 
passage  à  la  forme  faible  se  trouve  pour  dire  dans  les  Year  Books, 
mais  il  est  à  remarquer  que  die:^  ne  s'y  rencontre  guère  qu'à  l'impé- 
ratif ;  de  sorte  qu'il  est  plus  naturel  de  voir  dans  cette  forme  comme 
dans  les  exemples  analogues  que  nous  venons  de  citer,  un  des 
résultats  de  l'influence  du  subjonctif  sur  les  autres  modes. 

Ajoutons  que  cette  régularité  est  peut-être  expliquée,  en  partie 
tout  au  moins,  par  le  très  petit  nombre  de  secondes  personnes  du 
pluriel  fortes  qu'on  rencontre  dans  les  textes  anglo-français  diplo- 
matiques et  politiques. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  201 

II.  Les  formes  de  cette  terminaison . 
a)  La  consonne  finale. 

La  consonne  finale  est  généralement  s  ;  :^  fait  son  apparition  dans 
la  Folie  de  Tristan  et  le  Saint  Gilles  qui  ont  tous  les  deux  este;^, 
respectivement  aux  vers  264  et  2015.  Cette  graphie  est  très  rare  au 
xii^  siècle  et  ces  exemples  peuvent  être  mis  au  compte  des  scribes  '  ; 
car  ce  n'est  qu'au  xiv'^  siècle  que  nous  trouvons  un  nombre  asse-z 
considérable  d'exemples  de  cette  graphie  ;  ceux  qu'on  relève  au 
xiii'^  siècle,  fête-  de  Boeve  (791),  de  Dermot  (2073),  de  Walter  de 
Bibblesworth  (154)  sont  en  somme  très  clairsemés. 

Au  siècle  suivant,  on  rencontre  au  contraire  la  forme  le~  qui 
devient  pour  certains  auteurs  la  graphie  habituelle  :  il  semble  inutile 
de  remarquer  que  ce  changement  de  graphie  ne  correspond  pas  à 
un  changement  dans  l'accentuation,  les  nouvelles  formes  ne  rimant 
jamais  en  é  fermé. 

Cette  graphie  est  aussi  fréquente  dans  les  textes  non  littéraires, 
et  on  pourrait  dire  que,  à  partir  du  commencement  de  la  seconde 
moitié  du  xiv^  siècle,  elle  est  devenue  la  graphie  prédominante;  cela 
est  surtout  vrai  pour  les  Year  Books. 

On  peut  donc  considérer  que  les  premiers  exemples  de  cette 
graphie  remontent  au  moins  à  la  fin  de  la  première  moitié  du 
xiii^  siècle.  Elle  est  donc,  semble-t-il,  sensiblement  plus  ancienne 
que  la  graphie  correspondante  de  la  première  personne  du  pluriel. 

Il  n'est  pas  rare  de  voir  tomber  à  cette  personne  la  consonne 
finale  :  le  premier  exemple  que  nous  en  ayons  remonte  à  une  date 
assez  ancienne,  c'est  le  dite  du  psautier  d'Arundel  (10,  i).  M.  Meyer- 
Lùbke  -  a  voulu  expliquer  cette  forme  isolément  :  il  y  a  cependant 
dans  les  textes  anglo-français  un  nombre  assez  considérable  d'exemples 
analogues,  et  si  nous  n'en  trouvons  pas  d'autre  au  xii'^  siècle,  les 
siècles  suivants  nous  en  fournissent  plusieurs.  Nous  relevons  par 
exemple  dans  Boeve  :  este  (2216),  dite  (1964),  veuiste  (611)  dans 
Pierre  de  Langtoft  :  maiste  (II,  438,  22),  este,  dans  l'Evangile  de  l'En- 
fance (ms.  O  206,  c)  dans  Foulques  Fitz  Warin  :  iins(]iiite(jo^);  dite 

I.  Ms.  Douce  d.  6,  milieu  du  xnie  siècle  ;  ms.  du  Saint  Gilles,  xiii'-"  siècle. 
■  2.   (jrammatik.  p.  40,$  32. 


202  LEVOLUTIOX    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

dans  le  ms.  A   de   l'Ipomédon  (vers  2995),  pour  n'en  citer  que 
quelques-uns  dans  la  langue  littéraire. 

Les  exemples  sont  assez  rares  dans  la  langue  politique  et  diplo- 
matique ;  nous  avons  cependant  :  este  dans  Rymer's  Foedera  (135 1, 
V,  709)  ;  ils  sont  un  peu  plus  communs  dans  la  langue  légale,  por- 
tate(2i  Edw.  \^%  121),  fête  (30  Edw.  P^  141),  este  (14  Edw.  III, 

313)- 
Il  nous  semble  difficile  d'étendre  à  toutes  ces  formes  l'explication 

proposée  par  M.  Meyer-Lûbke,  et  trop  facile  de  les  ranger  dans  la 

classe,  qu'on  est  peut-être  tenté  d'agrandir  outre  mesure,  des  lapsus 

calami.  Nous  tenterons  dans  notre  seconde  partie  de  donner  une 

raison  phonique  à  cette  chute  de  Vs. 

h)  La  voyelle  atone. 

A  ces  personnes,  comme  partout  ailleurs,  la  voyelle  atone  post- 
tonique est  ordinairement  exprimée  par  e;  à  partir  du  xiii^  siècle,  on 
rencontre  assez  communément  la  voyelle  /  avec  la  même  valeur, 
surtout  pour  les  formes  faibles.  Citons  pour  les  fortes  :  eslis  au  second 
vers  de  la  Lumière  as  Lais;  pour  les  faibles  :  tuastis  dans  Boeve 
(2216)  ;  commandàstis  au  vers  19  de  la  Lumière  as  Lais;  descenâislis 
dans  Boeve  (1247,  D)  ;  tenistis,  ibid.  (vers  1716),  etc. 

Cet  i  se  rencontre  aussi  dans  les  textes  diplomatiques  et  familiers, 
par  exemple  pari  astis  dans  les  Literae  Ccntuarienses  (1336,  593). 
C'est  surtout  dans  les  Year  Books  qu'on  peut  relever  cette  graphie  : 
eytis  (:  êtes)  (21  Edw.  l",  283;  11  et  12  Edw.  III);  seysiiis 
(30  Edw.  P",  91);  coniastis  (31  Edw.  l",  297). 

Dans  ce  dernier  recueil,  ces  terminaisons  sont  des  plus  com- 
munes. 

Les  exemples  de  la  langue  littéraire  nous  montrent  que  cette 
substitution  de  /  à  Ve  muet  ordinaire  ne  doit  pas  remonter  plus 
haut  que  les  premières  années  du  xiv^  siècle,  ou  les  dernières  du 
XI^^ 

c)  Chute  de  la  voyelle  atone. 

Il  n'est  pas  très  rare,  au  moins  dans  les  textes  non  littéraires,  de 
trouver  des  exemples  de  désinences  féminines  de  la  seconde  per- 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  203 

sonne  du  pluriel  d'où  la  voyelle  posttonique  a  disparu  ;  on  trouve 
par  exemple  pour  les  personnes  (ortes  fait -^  dans  les  Rymers's  Foedera 
(1330,  IV,   453),  et  dans  les  Annales  de  Saint- Alban  (1320,  74). 

Les  exemples  sont  plus  nombreux  pour  les  personnes  faibles  ;  ces- 
sai â^  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1357,  636);  donaf:(  et  mandat^ 
dans  les  Documents  inédits  (1382,  231);  mais  tous  les  exemples 
que  nous  en  avons  relevés  se  trouvent  dans  la  dernière  partie  du 
xiv^  siècle. 

Nous  en  rencontrons  plusieurs  exemples  dans  les  Year  Books  : 
feffati  (^oEdsv.  I-,  191)  ;/e/- (30  Edw.  I-,  75,247,  etc.);  suppo- 
sais (31  Edw.  I",  361);  ets  (33  et  35  Edw.  I",  471,  etc.);  toutes 
ces  formes  sont  de  dates  très  incertaines. 

Nous  avons  trouvé  à  deux  reprises  la  deuxième  personne  du  plu- 
riel du  présent  de  l'indicatif  de  être  sans  la  dernière  syllabe  :  est  dans 
Boeve  au  vers  1683,  et  dans  la  Genèse  Notre-Dame  79  r°. 

Ces  deux  exemples  sont  isolés  dans  la  langue  littéraire  et  cette 
forme  est  inconnue  à  la  langue  politique,  diplomatique  et  familière, 
et  ne  se  retrouve  plus  que  dans  la  langue  légale  (par  exemple  dans 
30  Edw.  P"",  3)  et  passim.),  où  elle  estassez  fréquente. 

d)  Le  premier  s  de  la  désinence. 

La  deuxième  personne  du  pluriel  du  verbe  être  et  toutes  les 
deuxièmes  personnes  du  pluriel  féminines  faibles  ont  une  s  après  la 
voyelle  tonique.  Cette  s  appuyant  le  /  était  destinée  à  disparaître 
comme  elle  le  fait  dans  la  désinence  en  ist  de  la  troisième  personne 
du  singulier.  Malheureusement  ici,  nous  sommes  en  présence  de 
deux  difficultés  :  d'abord,  nous  ne  pouvons  trouver  que  des  inter- 
rimes, ensuite  ces  secondes  personnes  sont  très  peu  nombreuses. 
Nos  conclusions  ne  pourront  pas  comme  précédemment  s'appuyer 
sur  un  nombre  suffisant  d'exemples  bien  attestés. 

Le  premier  cas  de  la  chute  de  s  que  nous  trouvions  dans  la  langue 
littéraire  se  lit  au  vers  11 38  du  Saint  Gilles  :  Jutes;  cette  même 
forme  se  trouve  encore  au  vers  4697  du  Manuel  des  Péchés.  On 
rencontre  dans  la  Lumière  as  Lais,  vers  17  et  21,  commandatis, 
ahurnates.  Il  est  vrai  que  tous  ces  exemples  peuvent  appartenir  aux 
scribes  (seconde  moitié  du  xiii=  siècle). 

Mais  ce  qui  prouve  bien  que   pour  l'auteur  ou  le  scribe    de  la 


204  L  EVOLUTION    DU    VEUBl-    EN    ANGLO-FRAKÇAIS 

Lumière  as  Lais  Vs  n'a  plus  dans  cette  position  qu'une  valeur  con- 
ventionnelle, c'est  que  —  à  quelques  vers  de  distance  —  ces  deux 
mêmes  verbes  apparaissent  encore,  mais  sous  la  forme  étymolo- 
gique :  commandastis  au  vers  19,  ahurnastcs  au  vers  26. 

Postérieurement  à  ce  poème,  les  exemples  de  la  chute  de  s 
deviennent  (relativement  au  nombre  de  ces  personnes)  fort  com- 
muns pour  les  désinences  faibles.  Ils  sont  au  contraire  très  peu 
nombreux  pour  le  verbe  être.  Les  quelques  exemples  qu'on  relève 
de  la  forme  êtes  (Nicolas  Trivet  :  ete^,  47  r°)  se  trouvent  dans  les 
ouvrages  de  la  fin  du  xiv"  siècle  et  peuvent  par  conséquent  prove- 
nir des  scribes  du  siècle  suivant. 

Faire  au  contraire  '  prend  assez  tôt  et  fort  souvent  une  s  à 
laquelle  il  n'a  aucun  droit.  Le  premier  exemple  que  nous  ayons 
rencontré  de  la  forme  (estes  se  lit  dans  le  Boeve  de  Haumtone  au 
vers  2061.  Il  est  vrai  qu'il  peut  être  dû  au  scribe  et  appartenir  au 
xiv^  siècle.  A  cette  époque  du  reste,  nous  en  relevons  plus  d'un 
exemple,  dans  Walter  de  Bibblesworth  (1-13),  dans  Pierre  de  Lang- 
toft  (II,  78,  18),  dans  Nicole  Bozon,  etc. 

Surtout  certains  textes  non  littéraires  préfèrent  /cy/t'j  à  la  forme 
régulière  (cf.  Rymer's  Foedera  et  Letters  from  Northern  Regis- 
ters). 

è)  La  voyelle  accentuée. 

Nous  n'avons  que  très  peu  de  remarque  à  faire  sur  la  voyelle 
accentuée  des  deuxièmes  personnes  du  pluriel  féminines. 

I.  Les  Faibles. 

Le  seul  changement  dont  nous  puissions  faire  mention  atteint  la 
voyelle  a  des  prétérits  en  avi.  Vers  la  fin  du  wW  ou  au  xiv^  siècle 
elle  est  parfois  écrite  au  :  par  exemple  dans  Robert  de  Gretham,  on 
lit  portùiistes  et  trovatistes  (au  fol.  62  v")  ;  William  de  Waddington, 
dans  le  Manuel  des  Péchés,  vers  3555,  fliit  rimer  rcne'uuisles  avec  une 
désinence  en  astes. 

En  dehors  de  la  littérature  cette  graphie  est  commune,  surtout 
dans  les  moins  corrects  des   recueils;  les   Year   Books  en  particu- 

I .   Nous  !)"avon.s  relevé  aucun  exemple  de  ilistcs . 


LA    DEUXIÈME    PERSONNE    DU    PLURIEL  205 

lier  en  présentent  de  nombreux  exemples.  Mais  ils  semblent  tous 
assez  tardifs. 

2.  Les  Fortes. 

Nous  n'observons  pour  les  personnes  fortes  que  les  changements 
phoniques  qu'on  rencontre,  non  seulement  dans  le  verbe,  mais  à 
toutes  les  autres  parties  du  discours  ;  par  conséquent,  les  variations  : 
faites,  feites,  fctes,  dont  nous  avons  cité  de  nombreux  exemples, 
sortent  de  notre  sujet. 

Il  en  est  de  même  d'une  autre  graphie,  plus  rare  du  reste,  cites 
pour  estes.  Cette  graphie  ne  se  trouve  pas  dans  les  œuvres  littéraires 
et  n'apparaît  que  dans  les  textes  politiques  les  moins  réguliers,  par 
exemple  dans  les  Letters  from  Northern  Registers,  ou  dans  les  Year 
Books  (21  Edw.  I-,  283). 

Le  verbe  être  prend  aussi,  rarement  du  reste,  à  cette  personne  la 
ioxme  yestes  (2  syllabes)  au  vers  2935  du  Prince  Noir,  probablement 
sous  l'influence  de  ies. 

TERMINAISONS      MASCULINES 

Les  deuxièmes  personnes  du  pluriel  à  désinence  masculine  se 
présentent  sous  trois  formes  : 

a)  La  forme  ^^  et  ses  variantes  : 

b)  Eii^. 

c)  kl. 

On  voit  donc  que  toutes  les  désinences  masculines  de  la  deuxième 
personne  du  pluriel  ont  un  caractère  commun,  celui  d'être  termi- 
nées par  la  consonne  ^  ;  elles  diffèrent  dans  la  nature  de  la  voyelle 
accentuée.  Nous  commencerons  donc  par  ce  qui  leur  est  commun, 
la  consonne  finale,  et  nous  étudierons  ensuite  la  voyelle  dans  cha- 
cune des  terminaisons. 

A.  La  consonne  finale. 

I.  Ses  formes. 
■    La  consonne  fmale  des  deuxièmes  personnes  du  pluriel  taibles  se 


2o6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

présente  à  nous  sous  diverses  formes.  La  forme  correcte  en  i\  est 
aussi  la  plus  fréquente  et  on  la  trouve  pendant  les  trois  siècles  de  la 
littérature  anglo-française. 

Elle  est  unique  au  xii*  siècle  et  reste  la  désinence  la  plus 
employée  dans  les  deux  autres.  On  trouve  cependant  assez  tôt  le 
\  remplacé  assez  irrégulièrement  par  d'autres  consonnes,  qui  ne 
sont  jamais  rien  de  plus  que  des  variantes  graphiques.  Les  diffé- 
rents changements  que  nous  allons  signaler  n'ont  qu'une  impor- 
tance minime,  aussi  nous  ne  nous  y  arrêterons  que  le  moins  pos- 
sible. 

s  est  la  première  en  date  de  ces  variantes  ;  elle  se  rencontre  déjà 
dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan,  où  cette  lettre  est  employée 
d'une  façon  relativement  fréquente  à  la  place  de  :^  :  on  lit  par 
exemple  merveilles  au  vers  472,  etc.  ;  mais  il  est  plus  que  probable 
que  ces  formes  proviennent  du  scribe  et  doivent  par  conséquent  être 
reportées  à  1167.  Le  seul  autre  ouvrage  du  xii'  siècle  qui  nous 
montre  un  assez  grand  nombre  de  deuxièmes  personnes  du  pluriel 
en  s  est  le  Psautier  de  Cambridge,  et  on  ne  les  rencontre  jamais 
dans  cet  ouvrage  à  l'indicatif,  ce  qui  peut  n'être  qu'un  hasard  ;  on 
lit  au  subjonctif  et  à  l'impératif  :  festes  (117,  28)  ;  veuilles  (4,  4), 
(B,  ei)  ;  remembres  (x,  5);  seies  (79,  i)  (ms.  B  seulement).  La 
désinence  en  es  est  rare  dans  tous  les  autres  auteurs  du  xii"'  siècle; 
on  la  trouve  sporadiquement  dans  Adgar,  comme  esties  (XL,  427). 
Elle  devient  plus  générale  à  partir  de  Frère  Angier  ;  dans  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  seulement  on  trouve  :  aies  {^10)  ;  pnesses  (1653)  ; 
dans  le  Saint  Laurent,  on  a  :  soies  (113)  ;  âmes  (120);  visites  se  lit 
dans  Robert  de  Gretham  (23  v*')  ;  apportes  (:  destrer)  (98);  verres, 
(1554),  et  plusieurs  autres  se  relèvent  dans  Boeve;  elle  se  trouve 
dans  une  interrime  de  la  Lumière  as  Lais,  manges  :  murres,  75. 
Nous  pouvons  en  citer  rapidement  quelques  autres  exemples,  comme 
consentes  (Aspremont,  292);  oes  (Dermot,  933);  isteres  (ibid., 
1882)  ;  repentes  (dans  William  de  Waddington,  3556);  verres  (ibid., 
4044).  En  résumé  elle  devient  au  xiii^  siècle  à  peu  près  aussi  com- 
mune que  la  terminaison  régulière  en  e::^. 

Au  siècle  suivant  cette  graphie  n'est  pas  rare  ;  on  la  rencontre 
encore  dans  l'Apocalypse,  verres,  y  590  ;  dans  la  Vie  de  Sainte 
Marguerite  (cf.  vers  229,  235,  245,  etc.).  Elle  n'est  pas  absente  des 
ouvrages  de  Robert  de  Grosseteste,  ni  du  Siège  deCarlaverok,  ni  de 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  207 

la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft,  ni  de  Foulques  Fitz  Warin,  ni 
de  Bozon,  ni  du  Prince  Noir.  C'est  dire  qu'on  peut  la  trouver  dans 
la  plupart  des  auteurs  sinon  dans  tous  les  auteurs  anglo-français  du 
xiv=  siècle.  Si  l'on  pouvait  trouver  le  nombre  ou  tout  au  moins  la 
proportion  des  désinences  en  s  (chose  à  peu  près  impossible),  nous 
cro3'ons  qu'on  trouverait  une  diminution  très  sensible  de  ces  formes 
au  xiv^  siècle . 

Il  ne  faut  pas  oubUer  que  cette  forme,  comme  nous  l'avons  dit, 
n'est  qu'une  graphie  de^;  il  y  a  des  rimes  en  assez  grand  nombre 
qui  montrent  que  les  auteurs  anglo-français  ne  percevaient  plus  de 
différence  entre  ^  et  :^. 

Nous  ne  croyons  point  que  cette  confusion  ait  été  déjà  établie  au 
temps  du  Voyage  de  Saint  Brandan,  aussi  les  terminaisons  en  s  que 
nous  trouvons  à  un  certain  nombre  de  secondes  personnes  dans  cet 
ouvrage  doivent  être  mises  au  compte  du  scribe.  Dans  le  Tristan  de 
Thomas,  nous  avons  la  rime  :  gardes  :  prenez  (52)  '  et  dans  le 
Donnei  :  penics  :  save:{  (329)  -,  qui  montrent  que  pour  le  scribe, 
sinon  pour  l'auteur,  q  et  es  étaient  des  terminaisons  équivalentes. 
Plus  tard  encore,  on  rencontre  de  nombreuses  rimes  de  cette 
espèce  :  sojurnes  :  ferre^,  Plainte  d'Amour  (252);  serres  :  cree^, 
William  de  Waddington  (4044),  et  bien  d'autres  encore. 

Cette  terminaison  rime  du  reste  très  bien  aussi  avec  toutes  sortes 
de  terminaisons  en  s  ou  ;^.  Nous  en  avons  de  nombreuses  preuves  : 
le  Siège  de  Carlaverok  au  vers  éo  fait  rimer  verres  avec  r^~  ;  dans  le 
Prince  Noir,  es  rime  avec  les  participes  passés  de  I,  doutes  (j.  nomez) 
au  vers  3430  et  entendes  (;  trespassez)  au  vers  3448. 

Citons,  avant  d'en  finir,  une  forme  dérivée  de  la  désinence  en 
es  :  le  seies~^  du  Psautier  d'Arundel  (23,  9)  ;  c'est,  soit  un  lapsus 
du  scribe  et  c'est  le  plus  vraisemblable,  soit  une  contamination  de 
q  et  de  es. 

La  terminaison  qui  présente  au  lieu  de  ~  une  dentale  est  au  moins 
aussi  ancienne  que  la  terminaison  es  :  nous  la  trouvons  en  effet 
pour  la  première  fois  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan,  où  elle  est 
employée  à  la  rime  seet  (:  voiez),  359  '  ;  cette  rime  montre  qu'au 
plus  tard  vers  1 167,  on  assimilait  cf  accentué  à  e^. 

1.  Fragment  de  Cambridge,  lin  du  xni=  siècle;  probablement  continental. 

2.  Manuscrit  du  xiii^  siècle. 

5 .   Le  ms.  de  l'Arsenal  a  sees  :  voies . 


2oS  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Le  Psautier  de  Cambridge  montre  cette  désinence  un  grand 
nombre  de  fois;  elle  y  est  même  plus  répandue  que  la  terminaison 
es  :  seied  (6i,  lo)  ;  conmi  (80,  3);  (B  ez)  ;  conuîssed  (141,  4); 
viiillied  (14),  2);chaulcd  (146,  7);  70^^(148,  i)  (5  fois);  heneissed 
(y;  6).  De  même  dans  le  Psautier  d'Arundel,  appriniet  (33,  5);  adorel 
(28,  ^)\§Jonfiel  (21,  4). 

Si  l'on  met  à  part  ces  trois  ouvrages  la  désinence  en  cd  est  rare  au 
xii^  siècle.  On  ne  la  trouve  ni  dans  Gaimar,  ni  dans  Fantosme,  ni 
dans  la  plupart  des  autres  auteurs  de  cette  époque. 

On  pourrait  se  demander  comment  il  se  fait  que  cette  désinence 
se  trouve  ainsi  limitée  à  un  si  petit  nombre  d'auteurs;  la  réponse 
n'est  pas  fLicile  à  donner. 

Plus  tard  dans  la  littérature  anglo-française,  nous  nous  trouvons 
en  présence  d'un  plus  grand  nombre  de  désinences  en  et,  cependant 
elles  restent  limitées  à  certains  auteurs  :  Robert  de  Gretham  l'a 
quelquefois,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  commune  chez  lui.  Voici  les 
exemples  que  nous  avons  relevés  dans  les  Evangiles  des  Dompnées  : 
poet  (au  fol.  6  v°)  ;  rendet  (23  r°).  De  même  dans  Boeve,  où  elle 
est  parfois  employée,  on  relève  :  ensct  (au  vers  2126^  ;  fiiet  (au 
vers  273).  Elle  est  relativement  plus  répandue  dans  Edward  le  Con- 
fesseur, qui  nous  donne  devet  (86);  eict  (618);  seet  (850);  on 
peut  attribuer  au  scribe  (milieu  du  xiii^  siècle)  l'exemple  qui  se 
trouve  dans  une  des  rubriques  :  inivisset  (VI,  2).  Elle  est  presque  la 
seule  employée  dans  le  ms.  Cambr.  Univ.  Libr.  Ee  i  i  delà  Hose- 
bonderie  de  Walter  de  Henley. 

Nous  pouvons  en  relever  d'autres  exemples  dans  différents  auteurs, 
comme  niettet,  Satire  (81  r°)  ;  voudrct  :  avendret,  Chevalier,  Dame 
et  Clerc  (509);  troveret,  Walter  de  Bibblesworth  (143). 

Nous  trouvons  cette  désinence  encore  au  xiv^  siècle  assez  répan- 
due, sans  qu'elle  gagne  beaucoup  de  terrain  ;  recevet,  dans  l'Apoca- 
lypse (y  1041);  dans  Pierre  de  Langtoft  ;  pcnset  (I,  496,  16),  B, 
C  et  D,  er;  ksset,  (A  et  B)  (II,  52,  19)  ;  passet  (II,  78,  23).  On 
peut  en  trouver  quelques  autres  dans  d'autres  auteurs  :  pusset,  Vies 
de  Saints,  de  Nicole  Bozon  (93  v°),  facet,  Nicolas  Trivet  (31  r°). 

Cette  terminaison  n'a  donc  pas  été  très  employée  en  anglo-fran- 
çais, quoiqu'elle  s'étende  depuis  1160  jusqu'à  la  fin  du  xiV^  siècle. 
Elle  n'a  jamais  gagné  beaucoup  de  terrain,  est  restée  limitée  à  un 
petit  nombre  d'auteurs  et  n'a  jamais  eu  l'importance  des  deux  dési- 
nences précédentes. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  209 

Cette  terminaison  ne  fait  son  apparition  que  très  tard  dans  la 
langue  littéraire  '  ;  nous  ne  l'avons  même  pas  relevée  dans  la  Chro- 
nique de  Pierre  de  Langtoft  proprement  dite.  On  en  trouve  plu- 
sieurs exemples  dans  le  second  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft, 
comme  aviseti  (II,  436,  7);  abreggct-  (II,  244);  aict{  (II,  434,  5); 
cslaii^  (II,  436,  4),  et  dans  le  manuscrit  Bodléienne  Douce  98  qui 
donne  les  Règles  de  Robert  Grosseteste.  Les  Chroniques  de 
Londres  à  la  date  de  1339  ont  piisscl;:^,  ^/iW^  (p.  73).  Cette 
terminaison  est  rare  chez  Nicole  Bozon  (cf.  sc'ict:^.  Contes,  §  21), 
excepté  dans  certains  manuscrits,  comme  les  mss.  Selden,  supra 
74  et  Bodley  761  des  Proverbes  de  Bon  Enseignement.  Elle  est 
très  commune  chez  Nicolas  Trivet  et  l'on  peut  citer  volet:(^  (8  r°) 
et  scrrel\  (47  r°),  etc.  Et  dans  le  Prince  Noir,  aurel^  (962);  vet^ 
(1243);  voillief-  (1647). 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  l'emploi  de  ces  diverses  con- 
sonnes dans  les  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  proprement  parler 
à  la  littérature  ;  on  retrouve  dans  la  langue  diplomatique,  poli- 
tique et  familière  les  mêmes  consonnes  que  celles  que  nous  avons 
examinées  dans  les  ouvrages  littéraires.  La  désinence  en  e^  est, 
semble-t-il,  la  plus  commune  ;  es,  c/:^  ne  sont  pas  rares  ;  et  est  beau- 
coup moins  fréquent. 

Il  est  fort  difficile  le  plus  souvent  de  déterminer  la  proportion 
suivant  laquelle  les  trois  premières  sont  employées  ;  cette  proportion 
varie  d'abord  suivant  l'époque,  suivant  les  auteurs  et  enfin  varie 
aussi  énormément  dans  le  même  auteur.  Dans  les  Statutes,  par 
exemple,  nous  trouvons  dans  un  serment  à  la  date  de  1335  (vol.  I, 
p.  274),  que  sur  huit  futurs  à  la  deuxième  personne  du  pluriel, 
sept  sont  écrits  par  q  et  le  huitième  est  écrit  es  ;  un  autre  serment 
de  1346  (vol.  I,  p.  306)  présente  un  nombre  encore  plus  considé- 
rable de  ces  deuxièmes  personnes,  il  s'en  trouve  au  moins  trente  et 
toutes  sont  écrites  par  t'~.  En  1332,  au  contraire,  nous  lisons  deux 
textes  analogues  à  ceux  que  nous  venons  de  citer  (vol.  I,  pp.  247, 
248);  le  premier  de  ces  deux  textes  a  24  t'/:(  contre  2  e:^,  le  second 
15  es  contre  i  e{.  Ces  exemples  tirés  du  recueil  le  plus  correct  et 
le  plus  consistant  montrent  bien  à  quel  point  les  trois  désinences  que 
nous  étudions  étaient  mêlées  et,   si   on   peut  le   dire,   interchan- 


I.   Cf.  Hchrcus,  Beitràge,  Franzôsische  Studien,  V,  p.  195. 


14 


210  l'Évolution  du  verbk  hn  anglo-français 

geahles.  Dans  les  Rymer's  Foedera,  la  terminaison  et~  devient  de 
plus  en  plus  commune  à  partir  du  commencement  du  second  quart 
du  xiv^  siècle  ;  elle  est  même  plus  fréquente  que  la  terminaison  <'~. 
Les  auteurs  des  Literae  Cantuarienses  semblent,  jusque  vers  1250, 
ne  pas  employer  très  souvent  cette  terminaison  ct^,  et  la  dentale 
est  ordinairement  absente  des  deuxièmes  personnes  du  pluriel 
masculines  avant  cette  date;  pendant  les  années  qui  suivent,  elle 
devient  assez  commune. 

Tous  les  auteurs  et  recueils  que  nous  venons  de  citer  emploient 
ces  deux  désinences  plus  souvent  que  n'importe  quelle  autre;  et  se 
rencontre  chez  eux,  mais  assez  rarement.  D'autres  auteurs  cependant 
semblent  l'affectionner,  comme  Jean  de  Peckham  :  on  la  trouve  plu- 
sieurs lois  dans  diverses  lettres  à  partir  de  1280. 

La  seule  conclusion  que  nous  puissions  tirer  des  œuvres  non 
littéraires  c'est  que  la  forme  normale  en  e^  est  employée  à  peu  près 
constamment  dans  tous  ces  textes  ;  la  forme  qui  présente  une  den- 
tale avant  le  :(  se  trouve  dans  les  plus  anciens  textes  non  littéraires, 
mais  elle  ne  devient  vraiment  fréquente  qu'à  partir  du  commence- 
ment du  second  quart  ou  du  second  tiers  du  xiv=  siècle.  La  termi- 
naison en  es  n'a  pas  eu  un  emploi  aussi  étendu,  quoiqu'elle  ait  été 
employée  probablement  plus  tôt  que  et^  ;  encore  moins  fréquente 
est  la  désinence  en  et  qui  est,  sinon  limitée  ci  certains  ouvrages,  au 
moins  très  rare  dans  la  plupart.  Dans  les  Year  Books,  la  consonne 
finale  est  le  plus  souvent  :(  ou  /:(  ;  on  trouve  t  assez  fréquemment 
dans  20  et  21  Edw.  I"  et  s  en  même  temps  que  :{  et  que  t  à  partir 
de  I  et  2  Edw.  IL 

Comme  nous  ne  pouvons  apporter  aucune  précision  sur  les  dates 
de  ces  différentes  formes  dans  les  Year  Books,  nous  les  négligeons 
entièrement  dans  notre  conclusion.  En  combinant  les  renseigne- 
ments que  nous  fournissent  les  autres  écrits  anglo-français,  nous 
trouverons  que  des  quatre  désinences  en  usage,  c'est  la  désinence 
régulière  en  e^  qui  est  à  toute  époque  le  plus  généralement  em- 
ployée. Celles  qui  présentent  ^  ou  /  datent  toutes  les  deux  de  11 67 
au  plus  tard  ;  la  désinence  en  es  est  commune  surtout  au  commence- 
ment du  xiii"  siècle,  et  devient  plus  rare  à  la  fin  de  ce  même  siècle 
et  au  siècle  suivant.  C'est  ce  qui  explique  pourquoi  nous  ne  trou- 
vons pas  un  grand  nombre  de  deuxièmes  personnes  en  -es  en  dehors 
de  la  littérature.  Et  n'a  pas  eu  la  généralité  de  es;  cette  terminai- 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  211 

son  n'est  jamais  très  commune  excepté  chez  certains  auteurs.  La 
désinence  en  ct:(  qui  présente  le  ^  et  la  dentale  est  peu  commune 
dans  les  œuvres  littéraires,  sauf  dans  les  manuscrits  datant  des  der- 
nières années  du  xiv^  siècle.  Elle  est  plus  habituelle  en  dehors  de 
la  littérature;  elle  date  de  la  lin  du  xiii=  siècle,  mais  ne  devient 
commune  qu'à  partir  de  1325  ou  1330. 

2.   Chute  de  la  consonne  filiale  '. 

Avant  de  passer  à  l'étude  de  la  voyelle  des  terminaisons  mascu- 
lines, il  nous  reste  un  mot  à  dire  d'un  phénomène,  qui  tout  en 
n'étant  pas  très  commun,  se  présente  quelquefois  :  la  chute  de  la 
consonne  finale. 

Comme  un  grand  nombre  de  consonnes  finales,  celles  que  nous 
trouvons  à  la  deuxième  personne  du  pluriel  tombent  parfois,  que  ce 
soit  le  ^  ou  plus  vraisemblablement  1'^-  ou  la  dentale.  Nous  avons 
ainsi  très  tôt  des  deuxièmes  personnes  du  pluriel  à  désinence  voca- 
lique.  Le  Psautier  d'Arundel,  Horn,  Fantosme  ou  leurs  scribes  nous 
en  fournissent  déjà  plusieurs  exemples  ;  aporte,  Psautier  d'Arundel 
(28,  12);  vienge,  Horn  (869)  ;  esmerveille  (ibid.  4190);  rende, 
Fantosme  (305,  1884).  Le  xiii''  siècle  nous  donne  un  assez  grand 
nombre  d'exemples  comme  wa»6'(maneus)  quiselit  dansle  Josaphat 
de  Chardri  au  vers  2838  ;  vole,  dans  la  Satire  sur  le  Siècle  (81  v°), 
etc.  Cette  chute  de  la  consonne  finale  se  rencontre  aussi  sporadi- 
quement dans  différents  auteurs  du  xiv^  siècle,  comme  Vescrifey  (pour 
escrifcyt)  de  l'Apocalypse,  ,3,  87,  sans  que  nous  puissions  savoir  si  la 
forme  abrégée  est  due  au  scribe  ou  provient  de  l'auteur.  En  dehors 
de  la  littérature,  ce  n'est  guère  que  dans  les  Rymer's  Foedera  que 
nous  trouvons  des  exemples  de  ce  phénomène,  et  ils  restent  toujours 
en  petit  nombre  et  sont  très  dispersés;  citons  contrevene  (1325,  IV, 
131),  considère  (1342,  V,  346),  et  il  y  en  a  encore  quelques  autres. 
La  consonne  finale  ne  s'est  donc  pas  toujours  maintenue  ;  et  nous 
croyons  que  les  terminaisons  vocaliques  de  la  seconde  personne  du 
pluriel  proviennent  des  terminaisons  à  dentale  ;  celles-ci  sont  déjà, 
comme  nous  l'avons  vu,  très  peu  nombreuses  en  anglo-français,  et 
cela  suffirait  pour  expliquer  le  petit  nombre  des  terminaisons  voca- 
liques. 

I.   Cf.  Meyer-Lûbke,  Grammatik,  §  32. 


212  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

B.    La     VOYELLE 

a)  Désinences  en  c:(. 

Les  changements  que  la  voyelle  peut  subir  sont  évidemment  moins 
nombreux  et  n'ont  pas  beaucoup  plus  d'importance  que  ceux  qui 
affectent  la  consonne.  Dans  toute  la  littérature  anglo-française  nous 
n'en  trouvons  guère  que  trois. 

I.  Redoublement  de  la  voyelle  de  la  terminaison. 

Ce  phénomène  que  nous  avons  déjà  observé  à  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  et  que  nous  retrouverons  à  l'infinitif  et  au  parti- 
cipe passé,  n'est  pas  spécial  au  verbe  (cf.  Suchier,  Grammaire,  loc. 
laid.).  Ve  précédant  la  consonne  finale  est  redoublé  comme  dans 
restée:^,  Chardri  (Set  Dormans,no8);  free:;^  (Petit  Plet,  281  ').  Nous 
ne  pouvons  savoir  avec  certitude  si  ces  deux  formes  appartiennent 
à  la  langue  de  Chardri  lui-même  ;  elles  sont  données  toutes  les  deux 
par  le  ms.  Cotton  Caligula  A  IX,  qui  appartient  à  la  fin  du 
xiii"  siècle  ;  le  ms.  Cotton  Vespasien  A  VII  donne  pour  l'Ipomé- 
don  veneei,  estee^  (vers  4567,  6504).  Comme  les  auteurs  du 
xiii^  siècle  ne  nous  ont  pas  fourni  d'autre  exemple  de  la  terminaison 
ee:!^  et  comme  le  xiv^  siècle  nous  en  donne  un  assez  grand  nombre, 
par  exemple  avisée^  de  Foulques  Fitz  Warin,  80  ;  alee:{  du  clerc  de 
la  Destruction  de  Rome,  vers  906  ;  Jreei  dans  les  Trente-six  mestre 
Folies  au  folio  97  r°,  forme  qui  se  retrouve  encore  dans  les  Contes 
deBozon,  §  63  et  dans  Nicolas  Trivet,  47  r",  il  est  plus  naturel  de  la 
considérer  comme  particulière  à  la  fin  du  xiii^  et  au  xiV  siècle. 

Les  deux  exemples  de  Chardri,  s'ils  appartiennent  à  l'auteur  — ce 
qui  est  peu  probable  —  nous  montrent  que  ce  double  e  ne  comptait 
que  pour  une  syllabe  : 

Resteez  vus  ici  un  petit.    (Set  Dormaus,  vers  1108.) 
E  vus  treez  une  curteisie.  (Petit  Plet,  vers  281.) 

Les  autres  exemples  ne  nous  donnent  aucun  renseignement  sur 

I.  Il  est  possible  que  nous  n'ayons  pas  dans  freei  une  désinence  en  ee^  ;  il  a 
pu  y  avoir  métathèse,  et,  dans  ce  cas,  le  premier  e  représenterait  la  voj'elle  du 
thème. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  213 

la  valeur  de  ee.  (Cf.  du  reste  infinitif  et  participe  passé).  Nous 
avons  remarqué,  sans  parvenir  à  nous  l'expliquer,  que  c'est  le 
futur  du  verbe  faire  qui  nous  présente  le  plus  souvent  la  double 
voyelle. 

L'anglo-français  non  littéraire  présente  un  certain  nombre 
d'exemples  où  Ve  de  la  terminaison  est  écrit  deux  fois  :  le  cas  le  plus 
ancien  qu'on  en  trouve  se  lit  dans  les  Rymer's  Foedera  à  la  date  de 
1294  (II,  627),  ce  qui  concorde  bien  avec  la  date  du  manuscrit  de 
Chardri,  apelees  ;  puis  un  peu  plus  tard  baillée^  et  deliveree:^  à  la  date 
de  1299  (II,  839);  les  autres  recueils  nous  en  offrent  aussi  un 
certain  nombre  de  cas,  mais  tous  appartiennent  au  xiv*  siècle, 
comme  freet:^  qui  se  trouve  répété  dans  le  premier  livre  des  Statutes 
(1332,  247);  tc?idree~  dans  les  Parliamentary  Writs  (1305,  162); 
demandee:{^  voyllee-^  qui  se  trouvent  tous  les  deux  dans  les  Memor. 
Pari.  1305,  au  §  236;  haslee:yAzns  les  Literae  Cantuarienses  (1318, 
44),  etc.  Comme  on  le  voit,  les  exemples  que  nous  pouvons  citer 
sont  assez  peu  nombreux,  ils  se  trouvent  dispersés  dans  un  certain 
nombre  d'ouvrages^  et  sur  un  certain  nombre  d'années. 

Comme  dans  la  langue  littéraire,  c'est  vers  la  fin  du  xiii^  siècle 
que  se  rencontrent  les  premiers  exemples  de  cette  terminaison  et 
c'est  au  siècle  suivant  qu'elle  est  le  plus  employée.  Nous  ne  pou- 
vons pas  dater  avec  la  même  précision  celles  que  nous  trouvons  en 
assez  petit  nombre  du  reste  dans  les  textes  légaux  :  avérée^,  22 
Edw.  P%  633;  vetidree-,  31  Edw.  P"",  y33;  free^,  33  et  35  Edw.  I", 
299,  347;  coulissée:^,  i  et  2  Edw.  II,  79,  etc. 

Enfin,  il  ressort  clairement  de  l'étude  des  trois  classes  de  textes 
que  nous  avons  à  notre  disposition,  que  l'anglo-français  n'a  pas 
employé  très  fréquemment  cette  terminaison  et  que  le  redouble- 
ment de  r^  n'a  jamais  eu  beaucoup  de  vogue  à  la  deuxième  personne 
du  pluriel. 

2.  La  diphtongue  ei. 

La  seconde  modification  que  peut  subir  la  voyelle  de  la  désinence 
c'est  de  passer  à  ei  (pour  le  passage  de  e  fermé  a  ei  en  anglo-français, 
cf.  Stimming,  p.  175,  Busch,  op.  cit.,  p.  15,  et  Suchier,  Gram- 
maire, §  18.  Voir  aussi  notre  seconde  partie,  chapitre  II).  Ce  passage 
s'observe  assez  rarement  pour  les  deuxièmes  personnes  du  pluriel, 


214  L  i:VOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-ERANÇAIS 

quoique  l'on  puisse  cependant  en  rencontrer  quelques  exemples. 
L'auteur  ou  le  scribe  du  Boeve  en  a  trois  : /rm  (3054);  frcy:^ 
(2566);  fcreys  (2930);  le  poème  d'Aspremont  nous  en  donne  un, 
au  vers  10,  aeix_;  nous  en  relevons  un  autre  exemple  dans  l'Apoca- 
lypse :  escrifey  (ji,  87).  Au  xiV  siècle,  il  semble  que  cette 
diphtongue  puisse  passer  à  ai,  comme  dans  estait^,  dans  Pierre  de 
Langtoft  (II,  436,  4).  Par  conséquent,  elle  affecte  deux  présents  et 
un  imparlait  de  l'indicatif,  deux  futurs  et  un  subjonctif  présent  en 
ia)ii. 

Il  n'est  pas  probable  qu'il  faille  faire  remonter  ces  terminaisons 
en  cil  '"^  celles  que  nous  étudierons  tout  à  l'heure;  l'intervalle  de 
temps  qui  sépare  ces  deux  classes  d'exemples  est  trop  considérable 
pour  qu'on  puisse  admettre  une  influence  des  plus  anciennes  sur  les 
plus  récentes,  d'autant  que,  n'étant  pas  assurées  par  la  rime,  les 
désinences  que  nous  trouvons  dans  Boeve  et  Aspremont  peuvent 
provenir  des  scribes  et  appartenir  au  xiV^  siècle,  ce  qui  est  le  plus 
vraisemblable. 

Cette  diphtongue  ei  est  extrêmement  rare  dans  les  textes  non  lit- 
téraires; nous  n'en  avons  relevé  qu'un  petit  nombre  d'exemples. 
Ils  se  trouvent  dans  les  Foederade  Rymer  :  sachei^  (1299,  II,  840), 
ou  avec  une  dentale  finale  :  voylleyt,  aveyt  (1279,  II,  133);  et 
dans  lesLetters  from  Northern  Registers:  w/Z/^V^  (impératif)  (1346, 
244). 

Les  autres  recueils  ignorent  absolument  cette  terminaison.  On  la 
trouve  sporadiquement  dans  le  Law  French  ;  on  peut  en  citer  un 
petit  nombre  d'exemples  comme  avendreys  {21  Edw.  l",  93);  i'H'^ 
(22  Edw.  P',  353)  (qui  peut  du  reste  être  fort  bien  une  synérèse 
pour  veiei),  chargereii  (30  Edw.  l",  243)  et  quelques  autres. 
Tous  les  exemples  sont  assez  peu  probants  ;  et  il  serait  possible  de 
les  attribuer  tous  à  l'ignorance  ou  à  la  négligence  des  scribes,  si  nous 
ne  savions  que  le  passage  de  e  à  ci  est  un  phénomène  phonique 
dûment  constaté  dans  Tanglo-français  du  xiii'^  et  du  xiv-  siècle.  La 
deuxième  personne  du  pluriel  n'a  certainement  pas  beaucoup  souffert 
de  ce  changement. 

Signalons  encore,  avant  de  terminer  l'énumération  des  différentes 
formes  que  prend  la  voyelle  tonique  des  deuxièmes  personnes  du 
pluriel  masculines,  un  changement  qui  ne  semble  pas  avoir  l'im- 
portance de  ceux  que  nous  avons  signalés  :  c'est  le  passage  de  ^;^  à 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  21 5 

oe^.  Ce  phénomène  est  extrêmement  rare  et  ne  se  trouve  que  dans 
les  Rymer's  Foedera  et  pour  un  seul  verbe,  devoir  :  devoe^  (1297,11, 
790).  Il  n'y  a  pas  à  en  tenir  compte. 

3.  Synérèse. 

Le  troisième  changement  que  nous  avions  annoncé  a  une  certaine 
importance.  Dans  un  petit  nombre  de  cas,  nous  pouvons  observer 
une  synérèse  s'effectuant  entre  IV  de  la  terminaison  et  la  voyelle  du 
thème  (verbes  à  thème  vocalique).  Ce  phénomène  est,  dans  les 
œuvres  littéraires,  beaucoup  plus  rare  encore  que  la  chute  de  la 
consonne  finale;  nous  ne  trouvons  guère  que  0^  au  vers  117  de  la 
Vie  de  Saint  Grégoire,  et  vei^  commun,  même  sur  le  Continent, 
dans  l'expression  vei::^ci  ;  au  vers  1243  du  Prince  Noir,  nous  rencon- 
trons vetz^  comme  présent  de  l'indicatif. 

Il  en  va  de  même  pour  la  langue  non  littéraire  :  celle-ci  ne  pré- 
sente qu'un  tout  petit  nombre  de  formes  dans  lesquelles  la  voyelle 
de  la  désinence  disparaît  ;  le  petit  nombre  de  ces  exemples  en  même 
temps  que  la  qualité  des  recueils  qui  les  donnent  les  rendent  peu 
satisfaisants.  Néanmoins,  nous  citons  les  trois  exemples  que  nous 
avons  relevés  :  dans  Rymer's  Foedera,  on  trouve  seit:^  (1324,  IV, 
30);  dans  le  Liber  Albus  :  contemi:^^  {==  continuez)  (1365,  367). 
Ajoutons  encore  po/;^  dans  le  Year  Book  14  Edw.  III  (109).  Ce 
n'est  donc  que  dans  un  nombre  très  restreint  de  secondes  personnes 
du  pluriel  que  nous  pouvons  observer  cette  chute  de  la  voyelle 
accentuée  ;  il  serait  possible  de  considérer  certains  des  exemples  que 
nous  venons  de  citer  comme  de  simples  lapsus  calarai  ;  il  reste 
assuré,  croyons-nous,  que  la  vo^'elle  accentuée  disparaît  quelquefois 
de  certaines  de  ces  personnes  ;  vet:^,  o~,  seit^  sont  des  exemples  de 
synérèse,  assez  rares,  il  est  vrai,  mais  qui  n'ont  rien  de  bien  éton- 
nant. 

h)  Terminaison  <'/;(. 

Cette  terminaison  vient,  comme  on  le  sait,  de  la  désinence 
latine  ètis\  à  l'origine  elle  apparaît  au  subjonctif  de  I  et  au  futur. 

Ces  désinences  en  ei:^  se  rencontrent  dans  ranglo-français  du 
xii'^  siècle  et  elles  ne  sont  pas  aussi  rares  que  Willenberg  '    le  pré- 

I.   Historische  Untcrsuchung,  p.  535. 


2l6  L'r.VOLUTION    DU    VERBE    EK    ANGLO-IRANÇAIS 

tend.  Le  Comput  en  a  sept,  dont  six  riment  avec  Dieis  :  giinriicn'i:( 
(2307),  Intvcrcii  (2836),  ^/t';v/~  (2847),  (T;r;r/;(30i  i),  ^-^^-^(3048), 
avrci::^  (3071).  Enfin,  la  septicMne,  Inivereiiy  rime  avec  demaneis  (au 
vers  2054).  Elles  sont  toutes  régulières,  excepté  sacei:;^  qui  est  un 
impératif.  Cet  emploi  de  n^  uniquement  à  la  rime,  dans  un  auteur 
aussi  ancien  que  Philippe  de  Thaûn,  prouve  que  déjà  à  cette 
époque  la  désinence  était  archaïque  et  n'était  employée  qu'en  cas  de 
nécessité. 

Cependant  on  la  retrouve  encore  plus  tard  chez  quelques  prosa- 
teurs. Le  Psautier  d'Oxford  '  a  deux  futurs  avec  cette  termi- 
naison :  serrei^  (126,  3),  errei~  (94,  7).  On  rencontre  encore  dans 
le  même  ouvrage  sept  impératifs  ou  subjonctifs  :  perisseii  (2,  12), 
sacei:^  (93,  8,  2  fois,  mais  sache;(,  i  fois,  4,  4),  beneissei^  (65,  7), 
heneisei^  (102,  20),  benedisei~  (67,  28),  establisscly  (117,  26),  regehis- 
sei:^^  (96,  13)  ;  la  diphtongue  pour  ces  sept  formes  est  irrégulière. 
-  Dans  le  Psautier  de  Cambridge,  nous  n'en  relevons  plus  que  deux 
exemples,  ce  sont  nriintei-  (47,  i-j),  qui  est  un  subjonctif  présent  en 
m/et  est,  par  conséquent,  régulier,  et  percevei^Ç^S,  i),  subjonctif  en 
iam.  Remarquons  que  le  ms.  B  donne  pour  ces  deux  verbes  la 
terminaison  e^. 

Le  Donnei  a  enfin  une  autre  de  ces  formes,  la  dernière  que  nous 
ayons  relevée  :  vodrci~  (985)  qui  est  un  futur,  et  régulier.  Les 
manuscrits  L  et  C  du  Cumpoz  nous  en  offrent  aussi  quelques 
exemples  qui  peuvent  remonter  plus  haut  que  la  date  à  laquelle  ces 
manuscrits  ont  été  écrits.  Le  ms.  C  nous  donne  au  vers  1305  sacei:( 
(sapiatis),  tandis  que  L  nous  donne  troverei\  au  vers  2053,  devei\au 
vers  2237,  averei:^  au  vers  2847.  Il  est  impossible  de  dater  ces 
quatre  exemples,  tout  ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  qu'elles  ont  été 
employées  postérieurement  au  Cumpoz,  puisqu'elles  n'appartiennent 
pas  au  texte  du  poème  même,  mais  qu'elles  sont  au  moins  aussi 
anciennes  que  le  manuscrit  dans  lequel  elles  se  trouvent  (C  et  L 
sont  tous  les  deux  postérieurs  à  1150).  Elles  peuvent  provenir  d'un 
texte  de  ce  poème  intermédiaire  entre  le  texte  primitif  et  la  rédaction 
de  ces  deux  manuscrits. 

Nous  devons  faire  encore  une  remarque  sur  les  formes  qui  se 

I .  Pour  les  deux  Psautiers,  il  faut  vraisemblablement  faire  remonter  ces  formes 
aux  traducteurs,  c'est-à-dire  à  la  fin  du  xie  siècle  pour  le  Psautier  d'Oxford  et  au 
commencement  du  xii^  pour  celui  de  Cambridge. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  217 

rencontrent  dans  les  Psautiers.  La  date  à  laquelle  nous  rapportons 
ces  traductions  est  celle  des  manuscrits  eux-mêmes  ;  mais  on  sait 
que  l'original  date  au  plus  tard  des  premières  années  du  xii''  siècle. 
Lorsqu'il  s'agit  de  formes  nouvelles,  nous  pouvons  toujours  les 
attribuer  à  la  date  des  manuscrits  et  nous  ne  pouvons  nous  tromper 
dans  ce  cas  que  par  excès  de  prudence.  Mais  quand  nous  avons 
affaire,  comme  ici,  à  des  formes  anciennes  nous  ne  pouvons  que  les 
faire  remonter  à  la  date  des  traductions  elles-mêmes.  Il  en  résulte 
que  nous  placerons  au  commencement  du  xii'^  siècle,  et  non  vers 
II 60,  les  terminaisons  en -«;{  que  nous  trouvons  dans  les  Psautiers. 

Comme  on  le  voit,  la  terminaison  ^q  a  donc  été  encore  assez  fré- 
quemment employée  dans  la  première  moitié  du  xii*  siècle  ;  déjà 
cependant  les  auteurs  qui  l'employaient  la  considéraient  probable- 
ment comme  archaïque  :  elle  est  devenue  assez  rare  pendant  la 
seconde  moitié  du  xii^  siècle  et  disparaît  par  la  suite. 

On  peut  aussi  observer,  et  ceci  nous  semble  digne  de  remarque, 
que  des  dix-neuf  exemples  que  nous  avons  relevés,  sans  compter  les 
exemples  des  mss.  C  et  L  du  Comput,  dix  sont  réguliers.  De  ces 
dix,  six  se  trouvent  dans  le  Comput,  deux  dans  le  Psautier  d'Ox- 
ford, un  dans  le  Psautier  de  Cambridge,  un  dans  le  Donnei.  Ceci 
montre  que  la  forme  en  ei\,  en  tant  que  désinence  régulière,  tend  à 
disparaître  et  que  après  iiio,  elle  ne  se  trouve  qu'à  l'état  spora- 
dique.  Neuf  autres  sont  irrégulières  {sacei:;^,  perisseiei,  benissci-,  esta- 
hJissei^,  regehissei:()  ;  on  n'en  trouve  qu'une  dans  le  Cumpoz,  les 
autres  proviennent  des  Psautiers.  On  peut  remarquer  que  pour  ces 
neuf  formes,  la  désinence  régulière  serait  /q,  et  ceci  nous  explique 
immédiatement  la  présence  de  la  désinence  ei  :  elle  provient  d'une 
confusion  entre  une  désinence  archaïque  (provenant  de  etis)  et  une 
diphtongue  ie,  qui  est  elle-même  en  train  de  disparaître  en  passant 
à  e.  Du  reste,  les  exemples  ci-dessus  ne  sont  pas  les  seuls  cas  du 
passage  de  ie  à  ci  (cf.  Stimming,  op.  cit.,  p.  202;  Suchier,  Voyelles 
toniques,  p.  88,  §  29  e).  Le  perceveii  du  Psautier  de  Cambridge  est 
une  forme  analogue  '. 

Citons  pour  en  terminer  avec  la  seconde  personne  du  pluriel  en 
^:(  quelques  «  monstres  »  que  nous  avons  relevés  dans  Rvmer's  et 
qui  peuvent  n'être  que  des  erreurs  cléricales  : 

I.  A )iiei!ei:{  au  xcvs  508  du  l^olnnd  d'Oxford  est  évidemment  un  lapsus  calanii 
pour  iiuierrei-. 


2t8  1,'hvoi.ution  du  vf.rrf.  f.\  anci.o-français 

1°  Introduction  d'une  nasale  :  feiissent:^,  puissent:^  (131  ij  III>  262, 
263). 

2°  O  comme  vovellc  accentuée  de  la  désinence  :  vcrro:^  (^j^^y 
IV,  345)- 

y  X  comme  consonne  de  la  désinence  :  purrex  (1342,  V,  346). 


r)  Terminaison    /V;^. 

Nous  n'avons  pour  l'étude  de  la  diphtongue  dans  cette  terminai- 
son que  deux  questions  à  traiter  :  1'/  de  la  désinence  et  le  passage 
de  la  diphtongue  ie  à  la  voyelle  c. 

I.  Quand  elle  est  conservée,  la  diphtongue  garde  le  plus  souvent 
en  anglo-français  sa  forme  ordinaire  ;  cependant,  au  xiv^  siècle,  nous 
rencontrons  de  temps  en  temps  le  même  phénomène  que  celui  que 
nous  exposions  ci-dessus  à  propos  de  la  terminaison  en  ions  : 
c'est-à-dire  que  1'/  en  hiatus  prend  quelquefois  la  forme  de  la 
diphtongue  ei  ou  oi.  Les  œuvres  littéraires  ne  nous  offrent  que  fort 
peu  d'exemples  de  ce  passage  ;  cependant,  nous  en  trouvons  un 
d'abord  dans  le  poème  d'Edward  le  Confesseur,  csioie::^  au  vers 
4055.  Il  est  plus  que  probable  que  cette  forme  est  due  au  scribe  et 
ne  date  que  du  xiV^  siècle;  car  elle  est  absolument  isolée  à  cette 
époque.  Au  contraire,  dans  les  manuscrits  qui  datent  du  xiv  siècle, 
nous  avons  rencontré  de  temps  en  temps  des  exemples  de  dési- 
nences analogues. 

Du  reste,  c'est  en  dehors  des  œuvres  littéraires  que  nous  trou- 
vons le  plus  grand  nombre  d'exemples;  nous  n'en  citerons  qu'un 
tout  petit  nombre;  les  plus  anciens,  croyons-nous,  ne  datent  guère 
que  de  la  fin  de  la  première  moitié  du  xiv^  siècle,  comme  arestoic' 
que  nous  trouvons  dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense 
(1341,  I,  593),  ou  estoie:<^  employé  dans  les  Rymer's  Foedera  (1361, 
VI,  155  ;  1362,  VI,  373  ;  1365,  VI,  467),  ou  dans  le  même  recueil, 
dévoie-  (1362,  VI,  399,  etc.).  Cette  désinence  est  encore  plus  com- 
mune dans  les  Year  Books,  où  nous  trouvons  constamment  des 
formes  comme  pu rreiei  (20  et  21  Edw.  I",  21);  avreyei  (21  Edw. 
l",  143);  ^5/orq(32  et  35  Edw.  P"^,  333  ;  2  et  3  Edw.  II,  80),  Par 
conséquent,  sans  être  extrêmement  commune,  cette  forme  de  la 
désinence  n'a  pas  été  rare,  surtout  en  dehors  de  la  littérature. 


LA  DEUXIEME  PERSONNE  DU  PLURIEL  2I9 

2.  Étymologiquement  huit  temps  peuvent  prendre  la  désinence  en 
ie:(  ;  il  nous  reste  maintenant  à  étudier  quels  sont  les  temps  qui  la 
montrent  en  anglo-français  et  combien  de  temps  ils  la  gardent.  En 
d'autres  termes,  il  nous  faut  nous  occuper  maintenant  de  l'exten- 
sion de  cette  désinence. 

La  réduction  à  ^  de  la  diphtongue  ie  est  un  des  phénomènes  les 
plus  connus  de  l'anglo-français,  et  il  s'observe  évidemment  à  cer- 
taines secondes  personnes  du  pluriel.  Mais  ici  comme  ailleurs,  c'est 
un  phénomène  purement  phonique,  dont  l'étude  n'appartient  pas  à 
notre  sujet  '.  De  plus,  si  nons  tentions  de  déterminer  les  dates  aux- 
quelles la  diphtongue  ic  à  ces  personnes  passe  à  c,  le  résultat  serait 
de  mince  valeur  et  risquerait  d'induire  en  erreur.  Si  ce  n'est,  par 
exemple,  que  vers  iiéo  que  nous  trouvons  les  premiers  exemples 
assurés  du  passage   de  /V~  à  e^,  il  ne  faudrait  pas  conclure  que  la 

I.  Cette  question,  que  nous  n'avons  pas  à  traiter,  est  certainement  une  des 
plus  délicates  que  nous  présente  la  phonétique  anglo-française.  Nous  devons  faire 
ici  une  distinction  entre  la  diphtongue  ie  qui  est  monosyllabique  et  les  désinences 
en  ie  dans  lesquelles  Vi  est  syllabique  (Voir  plus  bas.) 

Il  y  a  de  plus  un  certain  nombre  de  difficultés  que  nous  avons  nous-mêmes 
rencontrées,  quoique  notre  étude  ne  soit  pas  un  travail  de  phonétique. 

i)  On  admet  généralement  que  le  passage  de  /Va  c  a  la  même  date  que  les  pre- 
mières rimes  qui  accouplent  cette  diphtongue  avec  un  e  pur.  Rien  n'est  moins 
sûr,  et  une  telle  conclusion  dépasse  singulièrement  les  prémisses.  De  telles  rimes 
prouvent  simplement  que  les  poètes  anglo-français  faisaient  rimer  deux  sons  qui 
n'étaient  pas  homophoniques.  Les  graphies  des  manuscrits  nous  montrent  que 
cette  diphtongue  a  bien  en  réalité  fait  place  à  la  vovelle  e,  mais  nous  pensons  que 
c'est  sensiblement  plus  tard. 

2)  L'étude  des  rimes  ne  nous  donne  d'ailleurs  que  des  renseignements  vagues 
et  incomplets,  car  elles  ne  peuvent  jamais  nous  montrer  jusqu'à  quel  point  la 
diphtongue  s'est  maintenue  ;  elles  ne  nous  éclairent  et  encore  fort  imparfaitement 
que  sur  un  côté  de  la  question.  Ici  encore,  c'est  l'étude  des  manuscrits,  contrôlée 
en  général  par  celle  des  rimes,  qui  pourra  le  mieux  nous  instruire. 

3)  Nous  ajouterons  encore' un  mot  sur  le  passage  de  ^  à  ie  au  xiv^  siècle.  Le 
phénomène  de  l'umgekehrte  Schreibung  qu'on  invoque  ordinairement  ne  nous 
semble  pas  très  satisfaisant  surtout  dans  le  cas  actuel.  Il  serait  nécessaire  de  montrer 
comment  des  graphies  qui  dataient  de  plus  de  deux  siècles  ont  pu  influencer  d'une 
façon  aussi  générale  des  écrivains  et  des  scribes  qui  montrent  toujours  une  con- 
naissance si  minime  de  la  langue  de  leurs  prédécesseurs.  De  plus  où  auraient-ils 
trouvé  leurs  modèles  ?  Admettra-t-on  qu'ils  sont  allés  chercher  les  formes  en  ie 
dans  les  plus  vieux  manuscrits,  assez  peu  nom.breux,  qui  en  oflVaicnt  des  exemples  ? 
Cela  est  fort  invraisemblable.  Dans  notre  seconde  partie,  nous  essaierons  une 
autre  explication. 


220  L  ÉVOLUTION    DU    VERRF.    EN    ANGI.O-PKANÇAIS 

réduction  plus  générale  de  la  diphtongue  ne  s'est,  dans  aucun  cas, 
produite  avant  cette  date  ;  on  peut  peut-être,  pour  d'autres  mots, 
trouver  des  exemples  beaucoup  plus  anciens. 

Tout  cela  nous  donne  d'excellentes  raisons  pour  ne  pas  intro- 
duire dans  un  sujet  de  morphologie,  des  questions  purement  pho- 
niques. 

Mais  sans  vouloir  traiter  la  question  entièrement,  nous  trouvons 
entre  elle  et  notre  sujet,  des  points  de  contact. 

Par  exemple  on  peut,  sans  vouloir  discuter  la  question  générale 
du  passage  de  /V  à  e,  se  demander  jusqu'à  quelle  époque  la  dési- 
nence icT^  a  pu  subsister,  si  après  avoir  disparu  pendant  un  certain 
temps,  elle  n'a  pas  été  employée  de  nouveau,  si  même  dans  certains 
cas^  elle  n'a  pas  subsisté  d'un  bout  à  l'autre  des  trois  siècles  qui 
nous  occupent. 

Voilà  les  questions  que  nous  allons  traiter  maintenant.  Ainsi 
comprises,  elles  sont,  nous  a-t-il  semblé,  beaucoup  plus  morpholo- 
giques que  phoniques. 

Ce  qui  donne,  à  notre  avis,  plus  d'intérêt  à  cette  question  et  en 
même  temps  nous  donne  un  certain  droit  de  la  traiter  ici,  c'est  qu'il 
nous  semble  que  toutes  les  terminaisons  en  /e~  n'ont  pas  reçu  le 
même  traitement  :  on  doit  tout  d'abord  distinguer  deux  terminai- 
sons en  /'^~  :  Tune  dans  laquelle  la  désinence  est  monosyllabique 
(présents  de  l'indicatif,  impératifs,  présents  du  subjonctif  en  eni  et 
en  am,  imparfaits  du  subjonctif),  l'autre  pour  laquelle  1'/  en  hiatus 
est  syllabique  (imparfaits  de  l'indicatif,  conditionnels,  présents  du 
subjonctif  en  iani). 

L'anglo-français  n'a  pas  conservé  cette  distinction  très  exactement, 
ou  plutôt  il  a  fait  passer  certains  temps  de  la  seconde  classe  dans  la 
première.  Notre  étude  nous  a  montré  qu'il  fallait  diviser  en  trois 
groupes  nos  désinences  en  ie^  :  deux  groupes  qui  perdent  Vi  en 
hiatus,  un  troisième  qui  le  conserve  toujours.  Le  premier  groupe 
comprend  certains  présents  de  l'indicatif,  de  l'impératif  et  du  sub- 
jonctif (en  em  et  en  aui);  pour  ces  temps,  1'/  disparaît  de  bonne 
heure  et  reparaît  tard  ou  rarement  ;  le  second  groupe  comprend  des 
désinences  en  ie  monosyllabiques  (imparfaits  du  subjonctif)  et  dis- 
syllabiques (subjonctifs  en  iani)  ;  pour  ces  deux  temps,  1'/  subsiste 
plus  longtemps  et  reparaît  plus  tôt.  On  pourra  considérer  comme 
un  peu  factice  cette  distinction  entre  les  deux  premiers  groupes; 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  221 

nous  pensons  qu'elle  correspond  à  la  réalité.  Le  troisième  groupe 
est  formé  des  temps  (imparfait  de  l'indicatif  et  conditionnel)  qui 
ne  perdent  jamais  leur  i  (/  syllabique). 

PREMIER    GROUPE 

Présent  de  l'indicatif,  impératif,  présent  du  subjonctif  des  verbes 
de  I  ;  présent  du  subjonctif  en  aiii  ' . 

Tous  ces  temps  ont  la  deuxième  personne  du  pluriel  terminée 
en  latin  par  atis,  et  étymologiquement  ont  en  français  la  désinence 
/q  lorsque  le  radical  du  verbe  est  terminé  par  une  gutturale  (cf. 
Infinitif  et  Suchier,  Voyelles  toniques). 

A  ces  temps,  la  désinence  en  ie:(  se  rencontre  en  anglo-français 
jusqu'aux  Psautiers  et  même  plus  tard.  En  voici  quelques 
exemples  pour  chacun  de  ces  temps  : 

a)  Présent  de  l'indicatif  et  impératif  des  verbes  de  I. 

Jttgie:;^  se  lit  à  plusieurs  reprises  dans  les  Psautiers  d'Oxford  et  de 
Cambridge  (dans  le  premier,  dans  les  passages  suivants  :  2,  lo;  8i, 
3  ;  dans  le  second  :  25,  i;  81,  2;  81,  3).  Il  en  est  de  même  de 
esleecie^  dans  le  Psautier  d'Oxford  (2,  11)  et  de  Cambridge  (2,  11  ; 
95,  11;  96,  12;  104,  3);  et  de  annunciey^,  Psautier  d'Oxford  (9, 
II),  de  Cambridge  (95,  2  ;  a,  6). 

On  trouve  encore  dans  le  Psautier  d'Oxford,  mangie::^  (126,  3); 
dans  celui  de  Cambridge,  verseillie^  (67,   33). 

h)  Présent  du  subjonctif  des  verbes  de  I. 

Ici  encore  les  Psautiers  nous  fournissent  un  certain  nombre 
d'exemples  qui  proviennent  généralement  des  verbes  qu'on  a  pu  voir 
dans  le  paragraphe  précédent  :  jugie^  dans  le  Psautier  d'Oxford 
(57,  i);  cschalciei  dans  le  Psautier  d'Oxford  (i,  18);  dans  celui  de 
Cambridge  (•/;,  20). 

c)  Subjonctifs  en  aiii. 

Enfin,  on  peut  en  dire  autant  pour  les  subjonctifs  en  aiii  :  beneissie:^ 
est  employé  17  fois  dans  le  Psautier  d'Oxford,  une  fois  dans  celui 
de  Cambridge. 

Dans  ce  dernier  ouvrage,  on  relève  encore  ciinuissiexÇ^-  3  ;  45, 
10),  regeisiei{-u,  4). 

I.  Pour /e  provenant  de  i?  précédé  d'une  palatale,  on  peut  voir  l'article  de 
J.  Vising  dans  la  Zeitschrift  (VI,  372V 


222  L  EVOLUTION    DU    VERBH    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Après  les  Psautiers,  et  toujours  au  xii^  siècle,  les  cas  de  formes 
régulières  en  ie:{  appartenant  à  l'une  des  trois  classes  ci-dessus  sont 
très  rares.  Il  est  possible  que  nous  ne  lés  connaissions  pas  tous  (les 
rimes  étant  peu  nombreuses)  et  que  beaucoup  de  diphtongues 
aient  été  réduites  par  le  fait  des  scribes. 

L'Estorie  des  Engleis  nous  donne  la  rime  esiiierveillie:;^  (:  sachiez) 
au  vers  4646  ;  un  ouvrage  en  prose,  les  Quatre  Livres  des  Rois, 
nous  fournit  trois  exemples  de  subjonctifs  de  I  :  corucie:{  (I,  12, 
14);  vefigieiQ.,  18,  25)  ;  algie:(  (I,  28,  22)  avec  Vi  étymologique. 
Et  en  admettant  avec  Gaston  Paris  que  pouvoir  a  eu  un  subjonctif 
en  am,  on  trouve  encore  puissie:^  qui  dans  la  Vie  de  Sainte  Cathe- 
rine rime  avec  auriez  (au  vers  441)  et  avec  aiez  (au  vers  535); 
dans  la  même  Vie,    pJaignie:^  (vers  2527)  rime  encore  avec  aiez. 

Par  conséquent  les  exemples  de  formes  régulières  se  prolongent 
jusqu'à  la  fin  du  xu"  siècle,  et  il  est  sûr  que  si  nous  avions  les  textes 
exacts  écrits  à  cette  époque,  nous  en  aurions  trouvé  un  nombre 
plus  considérable. 

La  réduction  de  la  diphtongue  ic  est  cependant  attestée  par 
maints  exemples. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  d'entrer  dans  le  détail  de  cette 
question  presque  purement  phonique  ;  mais,  pour  donner  une  idée 
de  la  confusion  qui  s'établit  dans  la  dernière  partie  du  xir'  siècle 
entre  les  deux  sons  ie  et  e,  nous  nous  contenterons  de  citer  les 
rimes  très  nombreuses  que  nous  fournit  le  poème  de  Jordan  Fan- 
tosme.  Chez  celui-ci,  la  confusion  peut  sembler  complète;  par 
exemple  dans  les  laisses  :  vers  126-154,213-241,  1267-1721,1313- 
1320,  1592-1600,  1977-2029,  les  deuxièmes  personnes  dont  nous 
parlons  maintenant  riment  librement  avec  des  terminaisons  é'  pur; 
c'est  le  même  état  de  choses  que  nous  remarquons  dans  les  laisses 
51,  59,  67,  77,  etc.  de  Horn.  Aucun  autre  poème  ne  nous  fournit 
un  nombre  aussi  considérable  d'exemples.  Cependant  nous  pouvons 
faire  quelques  observations  : 

1°  On  peut  relever  quelques  laisses  où  toutes  les  rimes  sont  cor- 
rectes, cf.  dans  Fantosme,  vers  492-496,  mais  ces  rimes  sont  peu 
nombreuses. 

2°  D'autres  laisses  sont  à  peu  près  correctes;  il  y  a  majorité  de 
rimes  en  e  ou  enic;  cf.  vers  213,  241  de  Fantosme,  et  les  laisses 
51,  67  etc.  de  Horn. 


LA    DEUXIEME   PERSONNE   DU    PLURIEL  223 

3°  On  peut  discuter  la  valeur  même  de  ces  rimes  ;  on  peut  très 
bien  concevoir  que  le  poète  emploie  couramment  des  rimes  insuf- 
fisantes, sans  qu'il  confonde  absolument  pour  cela  les  sons  qu'il 
rapproche  ainsi  ;  autrement  dit,  il  peut  faire  rimer  e  avec  ie  tout 
en  conservant  à  cette  dernière  sa  valeur  de  diphtongue.  C'est  ceque 
nous  ne  sommes  pas  loin  d'admettre,  d'autant  plus  facilement  que, 
dans  la  grande  majorité  des  cas,  la  graphie  traditionnelle  est  absolu- 
ment correcte,  même  à  l'intérieur  du  vers  (cf.   laissiez,  vers    1076, 

1974)- 
Ces  graphies  doivent  remonter  à  l'auteur  ;  on  ne  voit  pas  bien 

un  scribe  du  xiii^  siècle  les  rétablissant  de  sa  propre  autorité. 

Il  en  résulte  que  Jordan  Fantosme,  et  avec  lui  tous  les  auteurs 
de  cette  époque,  font  rimer  assez  librement  les  deux  désinences, 
mais  conservent  dans  une  certaine  mesure  la  distinction  qui  existe 
entre  deux  sons. 

Nous  n'avons  pas  relevé  de  faits  aussi  significatifs  dans  les  autres 
écrivains  de  la  fin  du  xii^  ou  dans  ceux  du  commencement  du  xiii"^ 
siècle.  La  seule  remarque  que  nous  puissions  faire,  c'est  que,  lors- 
qu'ils nous  montrent  à  la  rime  les  secondes  personnes  du  pluriel 
qui  nous  occupent,  ces  rimes  nous  montrent  le  mélange  absolu  des 
deux  terminaisons.  Le  poème  de  Boeve  de  Haumtone  est  très 
significatif  sur  ce  point.  Nous  devons  mettre  sur  le  même  rang,  ou 
même  considérer  comme  de  valeur  plus  grande  encore  le  témoi- 
i^nage  des  scribes  du  commencement  du  xiii'^  siècle  ;  ils  en  sont 
arrivés  à  ne  plus  employer  à  la  deuxième  personne  du  pluriel^  pour 
les  temps  dont  nous  parlons,  la  diphtongue  te,  tandis  que  leurs  pré- 
décesseurs de  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle  l'emploient  encore  à 
l'occasion . 

Ceci  nous  permet  de  conclure  que  nos  deuxièmes  personnes  du 
pluriel  ont  perdu  leur  diphtongue  étymologique  vers  la  fin  du  xii^ 
ou  au  commencement  du  xiii^  siècle. 

Mais  cette  diphtongue  perdue  ne  l'était  pas  pour  toujours;  elle 
reparaît,  très  irrégulièrement,  il  est  vrai,  à  la  fin  de  ce  dernier  siècle. 
Nous  ne  pouvons  pas  toujours  distinguer  dans  l'irrégularité  des 
graphies  l'usage  suivi  sur  ce  point  par  les  écrivains  littéraires  du 
xiV^  siècle,  et  cela  est  d'autant  plus  impossible  que  cette  diphtongue 
ainsi  rétablie  apu  n'être  que  graphique  ;  mais  sa  présence  à  la  fin  du 
XIII''  et  pendant  le  xiV  siècle  est  assurée  dans  les  œuvres  litté- 
raires et  en  dehors  de  la  littérature. 


224  L  EVOLUTION    DU    VERBE    J-N    ANGLO-FRANÇAIS 

Nous  n'avons  relevé  que  peu  d'exemples  de  ce  phénomène  dans 
les  œuvres  littéraires  :  citons  cependant  aîinuiicie:^  qu'on  lit  dans 
l'Evangile  de  l'Entance,  ms.  O,  strophe  9,  vers  c  ;  d'autres  manu- 
scrits de  cette  époque  en  fournissent  encore  des  cas  isolés.  Dans  les 
ouvrages  familiers  ou  politiques,  nous  trouvons  quelques  exemples 
de  la  terminaison  /V~,  à  l'indicatif,  au  subjonctif  ou  à  l'impératif  de 
quelques  verbes  de  I  :  par  exemple,  nous  trouvons  efforciez  dans  les 
lettres  de  Jean  de  Peckham  (1284,  )^o);arestoiex  dans  le  Registrum 
Palatinum  Dunelmense  (13 14,  I,  593),  forme  dans  laquelle  la 
désinence  est  évidemment  dissyllabique  ;  cèssiei  à  l'année  1365, 
dans  les  Documents  Inédits  (p.  171),  et  dans  Rymer's  Foedera 
(1375,  VII,  62);  de  même  laissic:;^  se  trouve  dans  les  Documents 
Inédits  au  même  endroit,  et  plusieurs  fois  dans  Rymer  (1375,  VII, 
90;  1386,  VII,  500;  1389,  VII,  635).  Ce  sont  les  seuls  exemples 
que  nous  ayons  relevés,  et  les  exemples  contraires  sont  infiniment 
plus  nombreux. 

C'est  à  peu  près  à  la  même  époque  que  les  subjonctifs  en  aiii 
reprennent  eux  aussi  à  l'occasion  la  désinence  en  zV;^.  En  voici 
quelques  exemples  :  cognoissic~se  lit  une  fois  ou  deux  (sur  un  nombre 
assez  considérable  de  cas)  dans  les  Rymer's  Foedera  {d.  par 
exemple  1376,  III,  118);  pnissie:^  n'est  pas  rare,  on  le  trouve  dans 
les  Literae  Cantuarienses  (1322,  6-|)  et  communément  dans  diffé- 
rents Year  Books  (cf.  par  exemple  12  et  13  Edw.  III,  189),  quoique 
la  forme  sans  /  y  soit  plus  ordinairement  employée.  Ajoutons 
encore  la  forme  soeffne:(^  dans  les  Rymer's  Foedera  (1379,  VII,  90), 
où  1'/  n'est  pas  étymologique. 

Par  conséquent  les  derniers  exemples  des  formes  régulières  en 
ie:{  pour  les  quatre  temps  datent  de  la  fin  du  xii^  siècle.  Un  siècle 
plus  tard,  cette  désinence  apparaît  de  nouveau,  elle  est  irrégulière 
parfois,  elle  n'est  pas  employée  très  souvent  et  est  presque  confi- 
née, semble-t-il,  aux  ouvrages  non  littéraires. 

DEUXIÈME   GROUPE 

D'après  les  nombreux  exemples  que  nous  avons  recueillis,  la  ter- 
minaison ie^  a  été  traitée  d'une  façon  analogue  à  la  deuxième  per- 
sonne du  pluriel  des  subjonctifs  et  iam  à  celle  des  imparfaits  du 
subjonctif  qui  ont  étymologiquement  cette  désinence.  Nous  rassem- 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  22) 

blons  ici  deux  terminaisons  différentes  à  l'origine  :  celle  des  sub- 
jonctifs en  /rtm  (comme  celle  des  imparfaits  et  des  conditionnels)  est 
dissyllabique;  celle  des  imparfaits  du  subjonctif  est  monosyllabique. 
Cependant  il  est  évident  que  les  premiers  n'ont  pas  reçu  le  même 
traitement  que  les  imparfaits  et  les  conditionnels,  et  qu'au  contraire 
ils  semblent  avoir  eu  le  même  sort  que  les  imparfciits  du  subjonctif 
auxquels  nous  les  joignons.  Nous  aurions  même  pu  rapprocher  ce 
second  groupe  du  premier.  Nous  aurions  peut-être  dû  le  faire. 
Car  entre  ces  groupes,  la  seule  différence,  et  nous  n'osons  pas 
insister  sur  ce  point  tant  elle  nous  paraît  mince,  est  que  les  formes 
que  nous  avons  rencontrées  pour  ce  groupe  en  iiéo  et  1200 
nous  ont  semblé  moins  exceptionnelles  que  pour  le  premier. 
On  peut  aussi  ajouter  qu'en  second  lieu,  les  nouvelles  formes  en 
lei  se  rencontrent  plus  fréquemment  dans  la  langue  littéraire  du 
XIV'  siècle  et  sont  plus  nombreuses  dans  les  textes  politiques  et 
diplomatiques. 

Les  présents  du  subjonctif  en  iaiii  doivent  avoir  régulièrement 
ie;;^  à  la  deuxième  personne  du  pluriel.  Pendant  la  majeure  partie 
du  xii^  siècle,  la  forme  étymologique  se  rencontre  fort  régulière- 
ment. Le  Cumpoz  nous  en  donne  au  moins  deux  exemples  :  sacie:(^ 
au  vers  125  ;  algie:;^  au  vers  3343;  sachiez  rime  avec  esmerveilUe^  au 
vers  4645  de  l'Estorie  des  Engleis.  Le  Psautier  d'Oxford  toutefois 
nen  présente  aucun,  tandis  que  nous  en  relevons  deux  dans  le 
Psautier  de  Cambridge  :  sacici,  99,  3;  voilliey,  104-15.  Sachiez  se 
retrouve  fréquemment  dans  la  plupart  des  auteurs  de  la  fin  du 
xii^  siècle,  par  exemple  au  vers  214  de  la  Chronique  de  Jordan 
Fantosme,  dans  une  laisse  où  les  rimes  en  ie  dominent  (cf.  page 
précédente);  au  vers  1739  du  poème  de  Horn,  trois  fois  dans  les 
Quatre  Livres  des  Rois  (I,  6,  9  ;  I,  9,  6);  aux  vers  170  et  1447  de 
la  Vie  de  Sainte  Catherine,  et  probablement  dans  un  certain 
nombre  d'autres  exemples.  Les  autres  présents  du  subjonctif  en  iaiii 
sont  moins  fréquemment  employés  à  cette  personne  :  nous  trou- 
vons cependant  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  :ûlgii'~,  I,  25,  35  ; 
■viengic^  au  vers  2538  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine  de  Sœur  Clé- 
mence de  Barking. 

Enfin  l'imparfait  du  subjonctif  de  certains  verbes  présente  ou  doit 
présenter  aussi  cette  désinence  en  ie^i  à  la  deuxième  personne  du 
pluriel.  Les  imparfaits  du  subjonctif  qui  correspondent  à  des  prété- 

15 


226  l'Évolution  du  .  verbi-:  en  anglo-prançais 

rits  en  avi  ou  ivi  ne  la  prennent  jamais'.  Sont  seuls  à  l'avoir  les 
imparfaits  du  subjonctif  qui  correspondent  à  des  prétérits  en  /,  en 
si,  et  en  ui.  C'est  pour  les  verbes  de  la  première  de  ces  trois  caté- 
gories que  ie:(  est  le  plus  commun,  par  exemple,  nous  en  trouvons 
des  cas  très  nombreux  dans  Jordan  Fantosme  qui  emploie  veissie:;;^ 
un  très  grand  nombre  de  fois,  comme  aux  vers  676,  1204,  1283, 
1763. 

Il  en  va  exactement  de  même  pour  les  imparfaits  du  subjonctif 
en  ui;  jusqu'à  la  fin  du  xii''  siècle,  nous  rencontrons  un  nombre 
considérable  de  formes  étymologiques  :  oussie:^  est  employé  au  vers 
279  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine,  eussiez  au  vers  984,  peussiei  au 
vers  1330  de  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme. 

Pour  les  exemples  qui  précèdent,  nous  n'avons  pas  à  tenir  grand 
compte  de  la  position  qu'ils  occupent  dans  le  vers.  Du  reste,  à 
priori,  il  est  probable  qu'ils  appartiennent  aux  auteurs;  les  scribes 
du  xiir  siècle  ont  plutôt  été  tentés  de  réduire  les  diphtongue  qui 
s'étaient  conservées  que  de  rétablir  celles  qui  avaient  disparu.  Mais  si, 
par  impossible,  nos  exemples  proviennent  des  scribes,  nous  ne  pou- 
vons trouver  dans  ce  fait  qu'une  preuve  plus  forte  de  la  durée  de 
ces  formes.  Nous  sommes  donc  certains  de  nous  cantonner  dans 
les  limites  de  la  vraisemblance  et  tout  au  plus  de  rester  en  deçà  de 
la  réalité  en  les  attribuant  aux  auteurs. 

Pour  les  raisons  que  nous  avons  données  plus  haut,  nous  ne  cite- 
rons aucun  exemple  de  deuxièmes  personnes  du  pluriel  de  subjonc- 
tifs en  iavi  et  d'imparfaits  du  subjonctif  montrant  la  réduction  de 
la  diphtongue.  Nous  nous  contenterons  de  dire  que  pendant  tout 
le  xiii''  siècle,  nous  n'avons  relevé  aucun  exemple  de  la  forme  éty- 
mologique; il  en  existe  peut-être  quelques-uns  qui  ont  pu  nous 
échapper.  Pour  dire  le  moins,  ils  sont,  s'ils  existent,  sporadiques. 

Mais  cette  forme  apparaît  de  nouveau  au  xiv^  siècle,  à  côté  de  l'autre. 

Les  exemples  que  nous  avons  pu  relever  sont  assez  nombreux. 
Voici  d'abord  ceux  que  nous  donnent  les  subjonctifs  en  iam. 
Pierre  de  Langtoft  en  a  un  certain  nombre,  comme  saciex_  (I,  78, 
12);  on  trouve  encore  voylliex^  (I,  10,  25)  (qui  se  rencontre  encore 
dans  plusieurs  auteurs;  par  exemple  au  vers  1647  du  Prince  Noir: 
voiUieli),  et  vigniei  (I,  19,  4,  13)  employé  aussi  par  Nicole  Bozon 

I .  Sauf  irrcgulièrcment  conitiie  dans  ulissiei  au  vers  462  de  la  Chronique  de 
Jordan  Fantosme  ;  mais  cette  irrégularité  est  rare. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  227 

(?)  dans  les  Proverbes  de  Bon  Enseignement,  et,  par  Nicolas  Trivet, 
45  v",  49  r°;  sachiex^  rime  avec  travailliez  aux  vers  1177  et  1399 
de  la  Vie  de  Saint  Richard. 

Dans  la  langue  non  littéraire,  les  exemples,  à  partir  d'une  cer- 
taine date,  sont  encore  plus  fréquents  ;  c'est  le  verbe  savoir  qui 
apparaît  le  plus  souvent  sous  cette  forme  :  sachie~  se  trouve  un 
nombre  considérable  de  fois  :  par  exemple  dans  les  Statutes,  pre- 
mier volume  (1297,  123,  123;  13  18,  187;  1340,  289  ;  292  ;  etc.); 
les  Parliamentary  Writs  nous  offrent  de  cette  forme  des  exemples 
presque  aussi  communs  ;  quant  aux  Rymer's  Foedera,  on  peut 
remarquer  que  cette  forme  est  surtout  fréquente  entre  les  années 
1340  et  1370  ;  après  cette  date  elle  est  peut-être  moins  souvent 
employée  (cf.  Présent  du  subjonctif). 

A  côté  de  savoir,  et  très  commun  encore,  nous  trouvons  le 
verbe  vouloir  avec  1'/  étymologique  à  la  deuxième  personne  du 
pluriel  du  subjonctif  présent  :  voyllie::^  dans  les  Lettres  de  Jean  de 
Peckham  (1283,  423);  dans  Rymer's  Foedera  (V,  1340,  164,  198  ; 
1362,  VI,  399  ;  1364,  VI,  452)  ;  dans  les  Royal  Letters  Henry  IV 
(13995  5)'  ^^"^-  Nous  pourrions  peut-être  allonger  encore  cette 
liste  ;  mais  les  exemples  que  nous  avons  donnés  nous  suffisent  ; 
car  ils  montrent  que  la  forme  régulière  fait  de  nouveau  son  appa- 
rition en  dehors  de  la  littérature  une  vingtaine  d'années  avant  la 
fin  du  xiii^  siècle  et  qu'elle  se  trouve  communément  au  siècle 
suivant. 

Dans  les  Year  Books,  le  seul  verbe  qui  prenne  quelquefois,  et 
encore  assez  irrégulièrement,  cet  /,  est  le  verbe  savoir  ;  sachiez  se 
rencontre  de  temps  en  temps,  par  exemple  dans  le  Year  Book  i  et 
2  Edw.II,  160  (Y). 

Si  nous  combinons  les  résultats  que  nous  a  donnés  pour  cette 
question,  l'étude  des  ouvrages  httéraires  et  des  textes  politiques, 
nous  voyons  que  1'/  a  été  conservé  dans  les  subjonctifs  en  /«w,  pen- 
dant les  trois  siècles  qui  nous  occupent.  La  chaîne  d'exemples  qui 
montrent  cet  /  semble  interrompue  seulement  pendant  un  peu  plus 
que  les  trois  premiers  quarts  du  wn"  siècle  ;  certains  verbes,  en 
premier  lieu  savoir,  ensuite  vouloir,  semblent  avoir  conservé  dune 
fiiçon  irrégulière,  mais  presque  ininterrompue  la  forme  étymolo- 
gique. 

C'est  le  même  fait  qui  se  reproduit,  à  peu  de  chose  près,  et  à  la 
même  date  pour  l'imparfait  du  subjonctif. 


2  28  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Dès  le  début  du  xiv=  siècle,  dans  la  Vie  de  Sainte  Marguerite, 
nous  trouvons  veissic^  au  vers  315  :  Aspremont  fournit  un  exemple 
de  cette  même  forme  au  vers  117  ;  le  poème  du  Prince  Noir  aux 
vers  3383,  3926,  etc. 

Aucun  autre  verbe  ne  nous  a  fourni  un  aussi  grand  nombre 
d'exemples  :  William  de  Waddington  nous  donne  cependant  au 
vers  3  185,  ym.szV:^,  forme  qui  se  retrouve  encore  au  vers  544  du 
Prince  Noir,  où   elle  rime  avec   l'imparfait  de   l'indicatif  trouvie^. 

Il  en  va  de  même  des  ouvrages  non  littéraires  :  nous  trouvons 
jeussiiey^  dans  les  Rymer's  Foedera  (1325,  IV,  181);  w//5m/q  dans 
les  Literae  Cantuarienses  (1327,  209)  ;  duissie^  dans  ce  même 
recueil  (1383,  537);  dussiez  dans  Rymer  encore  (1364,  VI,  438), 
etc. 

Les  Year  Books  ne  nous  ont  fourni  aucun  exemple  assuré  d'une 
forme  en  -iei  à  ces  imparfaits  du  subjonctif. 

Comme  on  le  voit,  ces  renseignements  fournis  par  les  imparfaits 
du  subjonctif  concordent  avec  ceux  que  nous  ont  donnés  les  pré- 
sents du  subjonctif  en  iam.  Ils  semblent  simplement  remonter  un 
peu  plus  haut  dans  les  œuvres  littéraires  (William  de  Waddington)  ; 
mais  il  ne  faut  peut-être  pas  attacher  d'importance  à  cette  diffé- 
rence. 


TROISIEME  groupe 

Imparfait  de  l'indicatif,  conditionnel. 

Les  deux  temps  mentionnés  ci-dessus,  dans  les  ouvrages  litté- 
raires comme  dans  les  autres,  présentent  toujours  Yi  étymologique. 
Les  exemples  sont  trop  nombreux  pour  que  nous  nous  y  arrêtions 
longuement  :  citons,  dans  des  textes  du  xiii'^  et  du  xiv*  siècle,  Deu 
le  Omnipotent,  57  f;  Siège  de  Carlaverok,  4;  Prince  Noir,  1647.  De 
même  tous  les  textes  non  littéraires  contiennent  un  certain 
nombre  de  ces  exemples  (cf  Rymer's  Foedera,  1357,  VI,  583; 
Pari.  Writs,  1298,  I,  318  ;  1299,  I,  319  ;Jean  de  Peckham,  1289, 
697).  Il  y  a  bien  un  petit  nombre  d'exceptions  dans  le  Law 
French  ;  mais  elles  n'ont  rien  de  bien  assuré  et  nous  ne  nous  en 
occuperons  pas  davantage. 


LA    DEUXIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  229 

La  seule  modification  certaine  qu'on  puisse  observer,  c'est  le 
passage  de  la  voyelle  /  à  la  diphtongue  oi  (cf.  supra),  et  encore  ce 
passage  est  relativement  rare,  comme  nous  l'avons  dit. 

Mais  1'/  sous  sa  forme  normale  ou  sous  forme  de  la  diphtongue 
oi  est  toujours  présent  à  la  deuxième  personne  du  pluriel  de  l'im- 
parfait et  du  conditionnel. 

Comme  conclusion  à  cette  étude,  il  nous  suffira  de  résumer  en 
quelques  mots  les  pages  précédentes. 

La  désinence  ie:{  au  présent  de  l'indicatif,  du  subjonctif  et  à 
l'impératif  de  quelques  verbes  de  /,  dure  jusque  vers  1160  et  se 
rencontre  sporadiquement  entre  11 60  et  1200. 

Elle  reparaît  au  milieu  du  xiv^  siècle,  mais  principalement  dans 
les  textes  politiques  et  diplomatiques. 

Dans  les  subjonctifs  en  iani  et  les  imparfaits  du  subjonctif  où 
elle  est  étymologique,  cette  désinence  persiste  jusqu'au  commen- 
cement du  xiii^  siècle  et  reparaît  à  la  fin  du  même  siècle  dans  les 
œuvres  littéraires  aussi  bien  que  dans  les  autres. 

A  l'imparfait  et  au  conditionnel,  elle  persiste  régulièrement. 


CHAPITRE  VI 
LA  TROISIÈME  PERSONNE  DU  PLURIEL 


Comme  la  troisième  personne  du  singulier,  la  troisième  personne 
du  pluriel,  à  cause  de  son  emploi  très  fréquent,  a  subi  un  nombre 
considérable  de  modifications,  d'importance  diverse. 

Comme  nous  l'avons  fait  dans  les  deux  chapitres  précédents  nous 
distinguerons  ces  troisièmes  personnes  en  masculines  et  en  fémi- 
nines suivant  la  nature  de  leurs  terminaisons. 

A.     DÉSINENCES    MASCULINES. 

Les  désinences  masculines  comprennent  un  petit  nombre  de  per- 
sonnes fortes  (ont,  font,  estent,  vont)  et  des  personnes  faibles  : 
les  futurs  et  les  imparfaits  du  subjonctif  accentués  sur  la  dernière 
syllabe.  Pour  l'étude  de  ces  différentes  personnes,  nous  suivrons 
encore  le  plan  que  nous  avons  adopté  précédemment  et  nous  étudie- 
rons successivement  leurs  formes,  puis  leur  extension. 

Les   Formes. 
La  voyelle  nasale. 

La  vo3'elle  nasale  peut  se  présenter  sous  deux  sortes  de  graphies: 
l'une  régulière  (//,  o,  ou)  l'autre  irrègulière  (e).  Nous  ne  nous  arrê- 
terons pas  longuement  sur  les  premières.  Dans  les  premiers  textes 
anglo-français  la  voyelle  nasale  est  écrite  par  //,  comme  nous 
l'avons  déjà  fait  observer  pour  la  première  personne  du  pluriel , 
et  la  désinence  en  -unt,  non  seulement  durera  aussi  longtemps  que 
l'anglo-français  lui-même,  mais  restera  à  tout  prendre  la  graphie  la 
plus  ordinaire. 

De  bonne  heure  cependant  o  fait  son  apparition  ;le  premier 
exemple  que  nous  ayons  relevé  de  cette  nouvelle  graphie  se  lit  au 
vers  12  du  Tristan  de  Thomas  (verront'). 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  231 

Évidemment  cette  forme  peut  appartenir  au  scribe  aussi  bien 
qu'à  l'auteur  ;  mais  de  toutes  façons,  nous  avons  dans  les  poèmes 
de  Frère  Angier  des  preuves  nombreuses  que  Vo  date  au  plus  tard 
du  commencement  du  xiii^  siècle.  Postérieurement  à  cette  date  et 
jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle,  nous  verrons  un  assez  grand  nombre 
d'exemples  de  cette  forme.  Mais  elle  ne  devient  jamais  aussi  com- 
mune que  la  précédente. 

Quant  à  on,  nous  n'avons  pas  noté  d'exemples  plus  anciens 
que  ceux  qu'on  trouve  dans  Boeve  de  Haumtone  {Ci.  fount  1033, 
etc.)  ;  dans  ce  poème,  cette  graphie  est  des  plus  communes.  Faut- 
il  croire  que  quelques-uns  des  nombreux  exemples  que  nous  y  trou- 
vons appartiennent  à  l'auteur  ou  doit-on  les  attribuer  tous  au  scribe  '  ? 
11  est  diflRcile  de  le  décider.  Toutefois,  on  ne  saurait  placer  plus 
tard  que  les  premières  années  du  xiV'  siècle  la  prévalence  de  cette 
graphie.  Elle  est  trop  souvent  employée  dans  l'Apocalypse,  Pierre 
de  Langtoft,  etc.  pour  qu'on  puisse  imaginer  que  toutes  les  formes 
en  ouni  proviennent  des  scribes. 

Si  les  renseignements  précédents  manquent  quelque  peu  de  pré- 
cision, nous  pouvons  espérer  arriver  à  de  meilleurs  résultats  en 
étudiant  les  recueils  non  littéraires.  Dans  ceux-ci  en  effet,  les  trois 
désinences  se  trouvent  employées  concurremment,  et  cela  dans  les 
plus  anciens  textes. 

«,  comme  dans  les  œuvres  littéraires,  reste  la  graphie  le  plus 
généralement  employée  par  tous  les  auteurs  et  à  toutes  les  périodes  ; 
dans  certains  ouvrages  même  on  trouve  vingt  formes  en  //  contre 
une  en  0  ou  en  ou.  La  graphie  par  0  n'est  du  reste  pas  très  com- 
mune ;  elle  est  limitée  certainement  à  quelques  auteurs  et  peut- 
être  à  quelques  périodes.  Ce  sont  les  recueils  qui  nous  semblent  les 
plus  corrects  qui  l'emploient  le  plus  fréquemment,  par  exemple 
les  Statutes.  Et  dans  ce  dernier  ouvrage,  où  les  0  apparaissent  du 
reste  à  peu  près  à  toutes  les  époques,  c'est  vers  la  fin  du  xiii= 
siècle  qu'ils  sont  le  plus  nombreux  (Cf.  les  Statutes  de  l'année 
1290). 

La  désinence  en  ou  date  du  dernier  quart  du  xiii^  siècle,  mais 
elle  est  d'abord  assez  peu  employée  (cf.  E.  Busch,  p.  25). 

I.  Le  nis.  O  de  Boeve  de  Haumtone  date  de  la  seconde  moitié  du  xiii=  siècle, 
et.B,  où  cette  graphie  est  surtout  fréquente,  du  xiv^. 


232  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Elle  devient  fréquente  un  peu  plus  tard  que  les  deux  premières 
à  des  dates  qui  varient  suivant  les  ouvrages  ;  par  exemple  dans  les 
Statutes  elle  semble  être  en  faveur  entre  les  dates  de  1330  et  1360, 
sans  qu'il  soit  possible  d'affirmer  qu'à  tout  autre  moment  elle  n'ait 
pas  été  autant  ou  plus  employée  ;  vers  la  lin  du  xiv^  siècle  cette 
désinence  est  sensiblement  moins  commune  qu'à  cette  date. 

Dans  les  même  conditions,  nous  remarquons  que  dans  les  traités 
■  de  Rymer  le  nombre  des  désinences  en  ou  augmente  entre  1350  et 
1375  ;  elles  nous  ont  semblé  spécialement  fréquentes  à  cette  der- 
nière date,  et  quelques  années  plus  tard,  vers  1385,  leur  nombre 
décroît  d'une  fiiçon  marquée. 

Il  serait  peu  utile  de  citer  successivement  les  différents  recueils 
de  textes  politiques,  diplomatiques  et  autres,  que  nous  avons  étu- 
diés. Qu'il  nous  suffise  de  dire  qu'il  y  a  entre  eux  la  plus  grande 
variété,  mais  qu'on  peut  observer  généralement  les  mêmes  ten- 
dances, à  quelques  exceptions  ou  différences  près  :  la  terminaison 
oit  se  rencontre  dès  les  dernières  années  du  xiii^  siècle  ;  mais  elle 
ne  devient  (quand  elle  le  devient),  la  terminaison  habituelle  des 
troisièmes  personnes  du  pluriel  masculines  que  dans  le  second  tiers 
du  xiV^  siècle.  Dans  la  plupart  des  recueils,  on  peut  en  outre  remar- 
quer une  diminution  sensible  dans  le  nombre  de  ces  terminaisons 
pendant  le  quatrième  quart  du  xiv''  siècle. 

Ces  trois  désinences  régulières  en  w,  en  0  et  en  on  peuvent  de 
temps  à  autre  subir  des  changements  divers.  Nous  ne  parlons  pas 
ici  de  la  graphie  erit  que  nous  retrouverons  tout  à  l'heure,  mais  de 
certaines  formes  inconnues  à  la  langue  httéraire,  comme  celle  qui 
redouble  Vo,Jooni,  qu'on  lit  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1344, 
751),  ou  celle  qui  lui  ajoute  un  e,  comme  soent  qui  se  trouve  dans 
le  premier  livre  des  Statutes  (1285,  103). 

La  désinence  que  nous  appelons  désinence  irrégulière  en  eut  est 
beaucoup  plus  générale  que  les  deux  dernières  que  nous  venons 
de  citer.  D'abord  elle  appartient  à  la  langue  littéraire  aussi  bien 
qu'aux  ouvrages  politiques,  diplomatiques  et  autres.  Cependant 
elle  est  rare  dans  la  littérature,  rare  surtout  aux  personnes  fortes. 
Nous  ne  trouvons  à  citer  pour  celles-ci  que  le  sen  (=  sont)  du 
vers  842  d'Edward  le  Confesseur,  forme  qu'il  faut  sans  doute  attri- 
buer au  scribe  (ms.  milieu  du  xiii^  siècle). 

Aux    personnes  faibles,   elle    est   plus  commune  :    nous  voyons 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  233 

déjà  dans  l'Apocalypse  deux  futurs  en  interrime  :  asembhrent  : 
nomerent  ;  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  on  trouve  de  même 
faudreni  au  §  120,  veiidrent  au  §  144  (^=  faudront,  vendront). 

Ce  n'est  du  reste  qu'une  graphie  comme  le  prouve  la  rime 
amarveil lemit :  sunt,  qu'on  trouve  dans  l'Apocalypse,  7,  992.  iMais 
cette  graphie  est  d'autant  plus  extraordinaire  qu'au  moment  où 
elle  est  surtout  employée  pour  le  futur,  elle  est  en  train  de  dispa- 
raître des  temps  où  elle  est  étymologique,  comme  nous  le  verrons 
tout  à  l'heure. 

Rare  dans  les  œuvres  Uttéraires,  cette  graphie  est  extrêmement 
commune  dans  l'anglo-français  diplomatique  et  politique  ;  les  troi- 
sièmes personnes  du  futur  se  rencontrent  très  fréquemment  sous 
cette  forme.  Les  Statutes  l'emploient  à  partir  de  l'année  1278 
d'une  façon  continue  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle;  continue  en  ce 
sens,  qu'on  en  trouve  des  exemples  d'année  en  année.  Cette  termi- 
naison ent  ne  déplace  cependant  pas  entièrement  les  terminaisons 
que  nous  avons  déjà  vues  :  nous  avons  relevé  dans  les  deux 
volumes  des  Statutes  qui  donnent  les  textes  du  xiii^  et  du  xiv* 
siècle  environ  vingt  exemples  de  cette  terminaison  au  futur  :  cer- 
tains verbes  semblent  spécialement  aff"ectés  ;  le  plus  employé  sous 
cette  forme  est  le  futur  du  verbe  vouloir  :  voudrent  se  rencontre  un 
nombre  de  fois  assez  considérable,  par  exemple,  et  c'est  le  premier 
exemple  de  cette  terminaison  en  dehors  de  la  littérature,  dans  le 
premier  volume  des  Statutes  (1278,  44)  ;  puis  on  le  rencontre 
encore  aux  endroits  suivants  :  1326,  254;  1335,275;  1335,  281; 
1346,  305  ;  et  dans  le  second  volume,  1392,  83,  etc.  ;  les  verbes 
des  quatre  conjugaisons  sont  atteints  ;  on  trouve,  toujours  dans  le 
même  recueil  :  portèrent  (1299,  I,  134)  ;  sentrent  (1346,  I,  305); 
escherrent  (i^^j,  I,  352);  prendreut  (1346,!,  304).  Les  Parlia- 
mentary  Writs  présentent  le  même  état  de  choses,  mais  les  futurs 
étant  employés  beaucoup  moins  fréquemment,  par  la  nature  même 
du  texte,  les  exemples  de  cette  forme  sont  évidemment  moins 
communs. 

Dans  les  Rymer's  Foedera,  ces  cas  de  terminaison  en  cul  au 
futur  sont  sensiblement  moins  nombreux  que  dans  les  Statutes  : 
ils  ne  sont  pourtant  pas  rares  •,vondrent  est  encore  la  forme  en  eut  la 
plus  commune;  on  la  trouve  dans  un  certain  nombre  de  cas  à  par- 
tir du  commencement   du   \iv^'  siècle  :   1509,  III,   152;   H  32,   IV, 


234  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

536  ;  1340,  V,  203.  Dans  les  autres  recueils,  il  en  est  de  même: 
cette  forme  se  trouve  dans  les  Mem.  Pari.  1305,  §  r;  dans  la 
Chronique  de  Londres  à  la  date  de  1305  (page  32);  dans  le  Liber 
Rubeus  de  Scaccario  (1306,  990);  dans  les  Chroniques  de  Saint- 
Alban  (1316,  166)  ;  dans  le  Liber  Albus  (1335,  421).  On  pour- 
rait multiplier  les  exemples.  Cependant,  même  pour  le  verbe  vou- 
loir, la  forme  plus  régulière  en  //  ou  en  o{u)nt  est  la  plus  fréquente  ; 
les  exemples  en  sont  nombreux  dans  les  Statutes,  Rvmer's  Foedera, 
et  assez  communs  dans    les   autres  recueils. 

Les  Year  Books  pourraient  nous  fournir  un  nombre  assez  consi- 
dérable d'exemples  de  cette  désinence  :  voldrcnt  se  retrouve  encore, 
par  exemple  dans  11  et  12  Edw.  III,  page  335  ;comme  autre  verbe 
on  trouve  assez  communément  serrent,  comme  dans  2  et  3  Edw. 
II,  157  (A  et  D),  etc. 

Il  pourra  sembler  extraordinaire  que  cet  e,  ainsi  que  tous  les 
autres  c  en  anglo-français,  se  trouve  quelquefois  redoublé,  comme 
dans  certijîreefit  qu'on  lit  dans  les  Rymer's  Foedera  (i3_|8,  V,  612). 

Par  conséquent,  toutes  sortes  d'ouvrages,  littéraires  ou  autres 
nous  donnent  des  exemples  de  cette  désinence,  qui  est  le  plus 
employée  dans  les  textes  politiques.  Elle  est  très  rare  aux  formes 
fortes  "  ;  on  peut  dire  qu'elle  est  limitée  aux  formes  faibles.  Les 
premiers  exemples  de  eut  pour  ont  se  rencontrent  dans  les  Sta- 
tutes au  commencement  du  quatrième  quart  du  xiii^  siècle. 

On  en  trouve  jusqu'à  la  fin  du  xiv''  siècle. 

B.   DÉSINENCES    masculines   PAR    DEPLACEMENT  DE    l'aCCENT  ". 

a)  Voyelle  nasale  u. 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  sur  ce  point  maintenant,  car  nous 
aurons  à  y  revenir  quand  nous  traiterons  la  question  plus  générale 
de  la  voyelle  u  dans  les  terminaisons  féminines.  Nous  nous  con- 
tenterons de  faire  remarquer  que  quelques  cas  de  déplacement  de 
l'accent    sont    assurés  ;    nous    les  trouvons   dans    l'Apocalypse    : 

I     Évidemment  dans  ce  cas  le  mot  terminaison  est  impropre. 

2.  Pour  le  déplacement  de  l'accent  à  la  troisième  personne  du  pluriel  on  peut 
consulter  le  travail  de  Soderhjelm  :  Uber  Accent  Verschiebung  in  den  dritten 
Person  Pluralis  im  Altfranzôsischen. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  235 

sîgnefiunl  y  rime  avec  oiint  (a,  75,  ^  et  y»  74  ;  995,  etc.),  probable- 
ment par  analogie  avec  faire  ;  on  trouve  encore  dans  ce  poème  : 
hahilunt  à  la  rime  avec  sunt  ([3  et  y,  961).  A- l'intérieur  du  vers, 
nous  rencontrons  communément  ^/ww^ 

F)  Voyelle  nasale  a. 

Certains  imparfaits  du  subjonctif  montrent  à  la  place  de  la 
voyelle  muette  finale  habituelle,  la  terminaison  accentuée  mit. 
Comme  on  le  sait,  cette  désinence  n'est  pas  particulière  à  l'anglo- 
français  ;  elle  est  au  contraire  plus  rare  en  Angleterre  que  dans  cer- 
tains dialectes  du  continent  et  notre  étude  ne  saurait  jeter  sur  ce 
point  aucune  lumière  nouvelle. 

Nous  devrons  distinguer  deux  sortes  de  terminaisons  en  mit, 
l'une  accentuée,  l'autre  atone  ;  toutes  deux  assez  rares.  La  pre- 
mière se  rencontre  au  xii*"  siècle,  et,  comme  sur  le  continent,  c'est 
l'imparfait  du  subjonctif  seul  qui  est  affecté  par  elle. 

C'est  ce  fait  et  ce  fait  seul  qui  nous  porte  à  considérer  comme 
accentuées  les  terminaisons  des  exemples  qui  suivent.  Les  mss, 
du  Comput  la  donnent  assez  fréquemment  aux  I.  S.  :  cresis- 
sant,  C  et  A,  490;  soiissant  :  dcitssaut,  A  173.  (Le  ms.  A  a  été 
écrit  vers  1160  ;  le  ms.  C  au  milieu  du  xir  siècle,  d'après  M.  P. 
Me3'er,  un  peu  plus  tard,  d'après  Mail).  Les  Quatre  Livres  des  Rois, 
ouvrage  qui  est  à  peu  de  chose  près  contemporain  de  A  et  de  C, 
ont  de  très  nombreuses  terminaisons  en  ant  ;  ici  encore  elles  sont 
limitées  aux  imparfaits  du  subjonctif,  mais  il  faut  remarquer  que 
ceux  de  I  ne  se  montrent  jamais  avec  cette  désinence.  Dans  cet 
ouvrage,  nous  avons  relevé  avec  cette  désinence  sept  verbes  qui 
font  ensemble  un  total  de  neuf  formes.  Ce  sont  :  venissant  (l,  13, 
II);  deûssmit  (I,  18,  22);  laidissmitÇl,  24,  8);  soussant  (p.  42, 
note  i)  ;  cciusissmit  (I,  25,  1^);  fcïssmit  (II,  3,  ^i);  fiissmit  (II,  10, 
6).  En  dehors  de  la  littérature,  nous  n'avons  trouvé  qu'un  exemple 
d'imparfait  du  subjonctif  avec  la  désinence  mit  ;  il  se  trouve  dans 
Rymer  -.•pm-dissmit  Çjicfj,  II,  183). 

Au  XIII*  siècle,  nous  n'avons  rencontré  aucun  cas  vraiment 
assuré  de  la  terminaison  accentuée  mit.  Nous  trouvons,  il  est  vrai, 
un  certain  nombre  de  désinences  de  cette  forme,  dont  nous  repar- 
lerons plus  tard  ;  mais  rien  ne  peut  nous  assurer  qu'il  y  a  eu  dans 
les  quelques  exemples  que  nous  citerons,  déplacement  de  l'accent. 
Nous  considérons  que  dans  les  formes  qu'on  trouve  dans  Boeve  de 


2^6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

Haumtonc,  et  qui  peuvent  être  dues  anscnhe:  pussant  1668,  descen- 
dant 3200,  curant  3507,^'  est  simplement  une  graphie  de  la  voyelle 
muette,  graphie  plus  rare,  mais  pas  plus  étonnante  que  u,  ou,  i,  0 
que  nous  verrons  quand  nous  étudierons  les  désinences  féminines. 
Il  n'y  a,  à  notre  avis,  qu'un  seul  cas  dans  Boeve  qui  puisse  se 
ranger  dans  la  catégorie  des  désinences  en  ant  accentuées  ;  il  se 
trouve  à  la  rime  ;  mais  quoiqu'il  y  ait  dans  Boeve  vingt-trois  laisses, 
c'est-à-dire  plus  de  trois  cents  vers  rimant  en  ant,  ce  cas  ne  se  pré- 
sente qu'une  seule  fois  :  c'est  l'imparfait  du  subjonctif  :  portassent, 
1747  ;  il  fliut  ici  probablement  lire  portassani  pour  avoir  une  rime 
correcte  ;  malheureusement  le  vers  est  si  peu  régulier  que  la  mesure 
ne  peut  rien  nous  apprendre  : 

Que  dis  homes  a  peine  ne  portassent . 

Mais  le  fait  que  ce  verbe  est  un  imparfait  du  subjonctif,  qu'il  est 
dans  une  laisse  en  ant  forme  au  moins  une  présomption  en  faveur 
de  ant  accentué. 

r)  Voyelle  nasale  e. 

Nous  aurons  d'autant  moins  de  peine  à  l'admettre  que,  dans  un 
petit  nombre  de  cas,  l'accent  passe  sur  la  voyelle  atone  sans  en 
changer  la  forme  ;  les  exemples  ne  sont  pas  nombreux  et  on  pour- 
rait alléguer  que  les  rimes  que  nous  allons  citer  ne  sont  rien  autre 
chose  que  des  rimes  pour  l'œil  ;  cela  est  fort  possible  ;  nous  pen- 
chons néanmoins  vers  l'explication  qui  admet  une  certaine  con- 
fusion des  sons  nasaux  en  anglo-français. 

Si  nous  nous  rappelons  aussi  le  grand  nombre  de  cas  qui  mon- 
trent combien  l'anglo-français  a  été  de  bonne  heure  hésitant  sur  la 
valeur  à  attribuer  aux  voyelles  atones  muettes,  nous  arriverons  à 
comprendre  plus  facilement  comment  il  se  fait  qu'il  n'ait  pas  tou- 
jours fait  très  exactement  la  différence  entre  eut  accentué  et  eut 
atone  :  c'est  une  distinction  qu'une  connaissance  imparfiiite  du 
français  ne  devait  pas  leur  permettre  de  faire. 

Voici  les  quelques  exemples  qui  nous  montrent  cette  confusion  : 
dans  le  Psautier  en  rimes  couées  (Harléien  4070),  nous  trouvons 
multiplient  à  la  rime  avec  forment  au  vers  37  et  périssent  rimant 
avec  omnipotent  au  vers  544.  De  même  dans  «  The  Lanient  of 
îSimon  of  Monfort  »  nous  voyons  jerirent  rimer  avec  malement  au 
vers  9. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  237 

Ces  trois  rimes  établissent,  croyons-nous,  que  certains  écrivains 
anglo-français,  dès  le  commencement  du  xiii^  siècle,  ont  confondu 
les  deux  terminaisons,  atones  et  accentuées,  en  ent.  S'ils  l'ont  tait 
à  cette  époque,  que  devons-nous  croire  du  traitement  de  la  dési- 
nence féminine  de  la  troisième  personne  du  pluriel  au  siècle  sui- 
vant ?  Il  nous  semble  au  moins  possible  qu'un  certain  nombre 
d'auteurs  ont  donné  à  cette  désinence  la  valeur  d'une  syllabe 
accentuée,  et  d'autant  plus  aisément  que  les  futurs  prenaient  sou- 
vent la  désinence  en  enf,  sans  changer,  croyons-nous,  la  place  de 
l'accent. 

Aucun  auteur  cependant  ne  nous  donne  un  nombre  suffisam- 
ment grand  de  cas  qui  puissent  nous  montrer  un  déplacement  sys- 
tématique de  l'accent.  Ce  phénomène  en  anglo-français  est  resté 
sporadique  ;  et  on  peut  le  plus  souvent  attribuer  à  l'ignorance  des 
écrivains  la  plupart  des  cas  que  nous  avons  cités. 

Il  y  a  toutefois  un  auteur  qui  fait  exception  et  qui  emploie  sou- 
vent et  avec  une  assez  grande  régularité  des  formes  qui  montrent 
que  l'accent  tonique  a  passé  sur  une  syllabe  étymologiquement 
atone.  Cet  auteur  est  Frère  Angier  et  la  désinence  qu'il  emploie 
est  la  désinence  en  ont  ;  nous  commencerons  par  déclarer  que 
cette  désinence  de  Frère  Angier  est  unique  dans  la  littérature 
anglo-française.  Nous  rencontrons  bien,  il  est  vrai,  un  grand 
nombre  de  terminaisons  en  ont,  surtout  dans  les  textes  qui  n'ap- 
partiennent pas  à  la  littérature  ;  mais  cette  dernière  ne  nous  semble 
montrer  que  très  rarement  un  déplacement  de  l'accent  Elle  n'a 
donc  qu'une  ressemblance  tout  extérieure  et  accidentelle  avec  la 
terminaison  qu'emploie  Angier. 

C.  DÉSINENCE  ACCENTUÉE  ONT.      ' 

Nous  trouvons  assez  fréquemment  en  anglo-français,  outre  celles 
que  nous  avons  vues,  des  troisièmes  personnes  du  pluriel  terminées 
pàYont;  mais  il  nous  semble  que  toutes  les  désinences  en  ont  n'ont 
pas  la  même  valeur.  Certaines,  et  ce  sont  de  beaucoup  les  plus 
nombreuses,  n'entraînent  pas,  tout  au  moins  à  l'origine,  un  dépla- 
cement de  l'accent.  Elles  affectent  le  plus  souvent  des  présents  de 
l'indicatif  ou  du. subjonctif,  et  o  n'est  au  début  qu'une  graphie  de 
la  muette  finale. 


238  l'évolution    du    VKRI5H    HN'    ANGLO-FRANÇAIS 

Nous  n'avons  donc  pas  à  en  parler  ici,  et  nous  les  retrouverons 
lorsque  nous  traiterons  des  troisièmes  personnes  du  pluriel  à  dési- 
nence féminine. 

Quelques  autres,  au  contraire,  rentrent  dans  notre  présent  sujet  ; 
elles  sont,  croyons-nous,  accentuées  au  lieu  d'être  atones.  On  ne  les 
rencontre  que  dans  un  seul  écrivain.  Frère  Angier,  et  seulement 
dans  un  poème  de  cet  auteur  :  Les  Dialogues  Grégoire  le  Grand. 

Les  formes  qui,  dans  ce  poème,  présentent  cette  désinence,  sont 
toutes  des  imparfaits  du  subjonctif;  il  y  a  donc  une  forte  présomp- 
tion pour  que  ce  soit,  comme  nous  le  disions,  une  graphie  de  la 
terminaison  accentuée  en  ant  dont  nous  venons  de  parler  ;  et, 
quoique  nous  n'a3'ons  aucune  rime  pour  nous  l'assurer,  nous  pou- 
vons croire  avec  Miss  Pope  que  l'accent  a  passé  sur  la  terminaison, 
comme  dans  les  terminaisons  en  ant.  Voici,  d'après  les  conjugaisons 
auxquelles  ils  appartiennent,  les  exemples  qu'on  en  peut  citer  : 
i"=  conjug.  :  gardesont,  45  r°  a  ;  desjeunesont,  46  r°  a;  criesont,  46  v° 
b;  dcmandissont,  35  v°  b;  repeirissont,  35  v°  b.  —  2"  conjug.  :  scr- 
vissoiit,  138  r°  a;  souffrissoni,  92  \'°  a  ;  einpiissont,  102  v°  b.  — 
3^ conjug.  :  vousissont,  138  r°  a;  vaiisissout,  149  v°  a  ;  piiessont,  106  v" 
a.  —  4^  conjug.  :  reudissont,  29  v°  b;  naquissont,  143  v°  b  ;  fussont, 
75  v  b.  ^     ^ 

Les  autres  cas  de  terminaisons  en  ont  nous  semblent  entièrement 
différents. 

Par  conséquent,  nous  avons  en  anglo-français  un  nombre  sinon 
considérable  au  moins  suffisant  d'imparfaits  du  subjonctif  accentués 
sur  la  dernière  syllabe.  Ces  formes  se  rencontrent  pendant  une  cin- 
quantaine d'années  dans  cinq  ou  six  auteurs  ou  scribes. 

Il  faut  donc  corriger  quelque  peu  ce  que  dit  à  ce  sujet  M.  Wer- 
ner  Sôderhjelm  (cf.  p.  xiv)  et  faire  remonter  jusqu'au  milieu  du 
xii^  siècle  leur  apparition  en  anglo-français. 

Les  consonnes  finales. 

La  consonne  nasale  est  ordinairement  ;/,  et  il  est  rare  de  trouver 
/;/,  la  seule  consonne  qui  puisse  prendre  sa  place,  comme  dans 
snnt,  que  l'on  trouve  dans  le  psautier  d'Arundel,  24,  48  ;  change- 
ment peu  remarquable  et  du  reste  isolé  '. 

I.  Cf.  Romania,  I,  325,  337;  Alexis,  p.  102  et  Koschwitz,  Uberlieferung,  p.  52; 
Sôderhjelm,  p.  2. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  239 

Comme  nous  l'avons  déjà  vu  à  la  troisième  personne  du  singu- 
lier, la  dentale  finale  disparaît  quelquefois.  C'est  cependant  un  phé- 
nomène assez  peu  commun  à  la  troisième  personne  du  pluriel;  nous 
n'en  rencontrons  d'exemple  qu'au  xiir'  et  au  xiv^  siècle.  Du  reste, 
les  cas  de  chute  du  t  final  à  la  troisième  personne  du  pluriel  sont 
si  peu  nombreux  qu'on  serait  presque  en  droit  de  les  rejeter  tous 
comme  des  lapsus  calami  '.  Cependant  voici  les  quelques  exemples 
que  nous  avons  rencontrés  ;  on  remarquera  que  ce  sont  surtout  des 
formes  fortes.  Un  n'est  pas  rare  ;  on  le  trouve  par  exemple  trois 
fois  dans  Boeve  (cf.  vers  1847),  une  fois  dans  Otinel,  au  vers  62  ; 
et  une  fois  dans  les  Rymer's  Foedera  (1373,  VII,  13).  Sun  ou  son 
se  rencontre  à  peu  près  le  même  nombre  de  fois  ;  dans  Boeve  de 
Haumtone  encore,  où  les  formes  de  ce  genre  sont  plus  communes 
que  partout  ailleurs;  au  vers  842  d'Edward  le  Confesseur;  dans 
Pierre  de  Langtoft  (I,  iio,  13).  Fon  se  lit  dans  les  Documents  Iné- 
dits (1396,  285).  On  trouve  aussi  un  petit  nombre  de  formes 
faibles,  char  un  au  vers  1662  d'Aspremont  ;  vonldron  dans  les  Trai- 
tés de  Rymer  (1399,  VIII,  99)  et  quelques  autres  encore.  Nous 
avons  relevé  aussi  un  petit  nombre  de  formes  analogues  dans  les 
Year  Books  de  la  fin  du  xiV  siècle. 

Si  nous  ne  rejetons  pas  ces  formes  comme  des  étourderies  des 
scribes,  nous  pourrons  conclure  de  ce  qui  précède  que  la  dentale 
appuyée  de  la  troisième  personne  du  pluriel  se  maintient  fort  bien, 
mieux  encore  qu'à  la  troisième  personne  du  singulier.  De  plus, 
l'absence  de  rimes  pour  les  œuvres  littéraires  et  la  date  très  basse 
des  exemples  correspondants  dans  les  textes  diplomatiques,  nous 
forceront  à  attribuer  les  exemples  que  nous  avons  tirés  des  poèmes 
littéraires  aux  scribes  et  à  rejeter  ces  formes  au  xiv^  siècle. 

EXTENSION   DES   FORMES   FORTES 

Il  y  a  cinq  verbes  qui  prennent  régulièrement  la  forme  forte  à  la 
troisième  personne  du  pluriel  :  avoir,  être,  faire,  aller,  ester.  Le  der- 
nier de  ces  verbes  n'est  pas  très  usité  à  la  troisième  personne  du 
pluriel,  quoique  nous  ayons  relevé  des  exemples  de  la  torme 
estnnt,  à  la  rime,  jusqu'au  xiii^  siècle  :  commt  estant  (  :  sunt),  Petite 
Philosophie  (Romania,  XV),  vers  186  ;  au  contraire,  dans  l'anglo- 

I.  Cf.  Bchrcns,  Bcitràgc,  Franzosische  Studicn,  V,  p.  172. 


240  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-1  RANÇAIS 

français  non  littéraire,  nous  rencontrons  un  exemple  au  moins  de 
la  désinence  féminine  :  estent  se  lit  dans  les  Statutes,  I,  1283,  54; 
quant  à  arestent,  c'est  la  seule  forme  que  nous  ayons  trouvée  dans 
tous  les  textes,  littéraires  et  autres. 

Des  autres  verbes,  être  conserve  toujours  la  forme  régulière  ; 
tout  au  moins  nous  n'avons  jamais  rencontré  ce  verbe  avec  une 
forme  féminine  à  la  troisième  personne  du  pluriel.  Les  autres  au 
contraire  abandonnent  quelquefois  la  forme  forte,  surtout  le  verbe 
aller.  Nous  trouvons  au  xiV  siècle,   aylleut,  Pierre  de  Langtoft,  I, 

350>  19- 

Avoir  n'est  pas  plus  souvent  irrégulier,  et  les  quelques  formes 
faibles  qu'on  rencontre  à  la  place  de  //;//,  peuvent  toujours  être 
considérées  comme  un  subjonctif  irrégulier,  comme  ayent  de  Pierre 
de  Langtoft,  I,  300,  3. 

Les  ouvrages  non  littéraires,  même  les  Year  Books,  sont  sur  ce 
point  absolument  corrects. 

Comme  on  le  voit,  les  variations  que  nous  avons  à  noter  pour 
les  formes  masculines  de  la  troisième  personne  du  pluriel,  comme 
aussi  les  gains  et  les  pertes  qui  s'y  rapportent,  sont  en  même  temps 
peu  importants  et  peu  nombreux. 

DÉSINENCES    FEMININES 

Pour  les  trois  personnes  du  pluriel  féminines,  nous  étudierons, 
comme  nous  l'avons  fait  jusqu'ici,  successivement  les  changements 
qui  affectent  les  consonnes  puis  la  voyelle  de  la  terminaison. 

A.    La    CONSONNE    DE    LA    TERMINAISON. 

Nous  n'avons  que  très  peu  de  remarques  à  faire  au  sujet  du  t 
final  des  troisièmes  personnes  du  pluriel  féminines;  la  seule  chose 
qui  lui  arrive,  c'est  de  disparaître,  et  cela  ne  lui  arrive  que  rare- 
ment. 

Nous  n'avons  relevé  aucun  exemple  de  cette  chute  de  la  dentale 
finale  dans  les  œuvres  littéraires  du  xii*  siècle^  et  pendant  les 
siècles  suivants  nous  n'en  rencontrons  qu'un  nombre  très  restreint. 
Nous  pouvons  citer  voiscn  à  la  p.  25  de  Renaut  de  Montauban 
(scribe),  usen   qui   se  lit  au  vers   1667  de  Boeve,   tyndrm  qui  est 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  24 1 

employé  dans  la  Genèse  Notre-Dame  au  folio  57  v°,  et  dans  ce 
même  poème  viren  au  folio  73  v°  ;  ajoutons  encore  dans  William 
de  Waddington  fiisseii  au  vers  6413,  et  seien  au  vers  4673  de 
ripomédon  (A) . 

Comme  on  le  voit,  aucun  des  exemples  précédents  n'est  attesté 
par  la  rime,  et  on  sera  peut-être  tenté  de  les  considérer  comme  des 
erreurs  matérielles  des  scribes,  quoique  de  telles  erreurs  assez  sou- 
vent répétées  ne  s'expliquent  pas  très  facilement.  Les  exemples  que 
nous  trouvons  dans  les  œuvres  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littéra- 
ture, plus  nombreux  que  ceux  que  nous  venons  de  donner,  sans 
être  très  communs,  nous  prouvent  toutefois  qu'il  y  a  eu  dans  l'an- 
glo-français  une  certaine  tendance,  à  partir  de  la  fin  du  xiii''  siècle, 
à  faire  tomber  ce  /;  cette  tendance  s'observe  seulement  chez  les 
moins  corrects  des  écrivains. 

C'est  ainsi  qu'on  rencontre  cyen  et  soycn,  tous  les  deux  dans  Bar- 
thélémy Cotton,  1294,  254;  soicn  dans  les  Rymer'sFoedera,  1294, 
62'/;  feiissen  dans  le  même  recueil,  1297,  I^?  7^3  ;  cnsiiien  (1339, 
V,  125),  voidcn  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1320,  684).  On 
pourrait  encore  y  ajouter  quelques  cas  qui  se  trouvent  dans  les 
Year  Books. 

Comme  le  nombre  de  troisièmes  personnes  du  pluriel  à  dési- 
nence féminine  est  considérablement  plus  grand  que  celles  qui  ont 
une  terminaison  masculine,  la  chute  de  la  dentale  finale  dans  les 
premières  doit  donc  avoir  été  encore  plus  rare  que  dans  les 
secondes.  Disons  qu'elle  est  très  rare  pour  les  unes  et  plus  pour 
les  autres. 

Quant  à  la  date  de  ce  phénomène,  elle  est  facile  à  déterminer; 
les  formes  non  littéraires  datent  au  plus  tôt  de  la  dernière  décade 
du  xiii*-'  siècle  ;  celles  que  nous  avons  trouvées  dans  les  œuvres 
littéraires  doivent  appartenir  à  la  fin  du  xiii^  et  au  xiv^  siècle.  En 
effet  on  peut  sans  hésiter  attribuer  aux  scribes  l'exemple  que  nous 
avons  relevé  dans  Boeve  de  Haumtone  et  dans  Renaut  de  Montau- 
ban. 

B.  La  voyelle. 

Nous  recueillerons  une  plus  riche  moisson  en  cherchant  dans 
les  textes  anglo-français  les  différentes  formes  que  prend  la  voyelle 
posttonique    :    c'est  surtout  à  propos  de  la  troisième  personne  du 

16 


242  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

pluriel  que  nous  pourrons  remarquer,  sans  Tadmirer  toutefois,  la 
variété  des  formes  que  les  désinences  du  verbe  peuvent  prendre  en 
anglo-français.  La  voyelle  e.  est  la  graphie  la  plus  ordinaire  de 
l'atone  (surtout  au  xii'=  siècle),  et  elle  reste  la  graphie  prédominante 
à  toutes  les  époques.  Mais  outre  celle-là,  on  n'en  compte  pas  moins 
de  sept  autres  difterentes.  Celle  qui  va  nous  occuper  la  première, 
c'est  la  graphie  11  ",  et  nous  pouvons  dire  dès  maintenant  que 
cette  graphie  prend  une  triple  forme  :  u,  0,  ou  (cf.  Désinences 
masculines). 

Nous  avons  donc  ici  avec  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  à 
terminaison  masculine  un  parallélisme  qui  ne  laisse  pas  que  d'être 
fort  curieux,  et  qui  peut-être  le  semblera  encore  plus  quand  nous 
aurons  étudié  la  valeur  de  cette  graphie. 

I.  Terminaison  unf. 

On  la  trouve,  cette  graphie,  dès  le  xii^  siècle,  mais  assez  peu 
commune  d'abord,  elle  ne  prend  tout  son  développement  qu'au 
xiii^  et  au  xiV"  siècle.  Dès  le  commencement,  on  la  voit  affecter 
également  le  présent  et  le  prétérit  ;  notre  premier  exemple  est  un 
prétérit  :  cnnnerunt  pom'  ctiiiuroit  dans  le  Psautier  d'Oxford  (9,  9  ; 

De  toutes  façons,  cet  exemple  appartient  au  plus  tard  à  la 
seconde  moitié  du  xii'^  siècle.  Quant  aux  autres  exemples  que  nous 
rencontrons  dans  les  ouvrages  du  même  siècle,  nous  nous  trouvons 
dans  la  même  difficulté,  car  aucun  d'eux  ne  peut  être  assuré  d'une 
façon  satisfaisante,  puisque,  comme  nous  tenterons  de  le  mon- 
trer plus  tard,  pendant  un  certain  temps  au  moins,  la  voyelle  u 
dans  cette  position  n'a  été  rien  autre  qu'une  graphie  de  l'atone  ;  de 
sorte  qu'on  doit  hésiter  à  l'attribuer  aux  auteurs. 

Il  est  même  probable  que  les  exemples  suivants  doivent  être  mis 
au  compte  des  scribes,  car  ils  ne  se  trouvent  que  dans  certains 
manuscrits.  Ainsi  seul  le  ms.  L  de  l'Estorie  des  Engleis  ^  donne 
apelimt  (2833),  reusenint  (2856),  niciicnnit  (5077);  seul  le  ms. 
O  de  Horn  '  nous  fournit  coilhiut  (5163),  siviiiil  (1674),  et 
seul   le  ms.  L  de  J.  Fantosme  +  a  la  forme  arstrunt  au  vers  803. 

1.  Pour  cette  question,  cf.  Stimming,  0/).  cit.,  p.  183,  184. 

2.  Ms.  L  de  Gaimar  et  de  Fantosme,  troisième  tiers  du  xiii^  siècle. 

3.  Ms.  O  de  Horn,  commencement  du  xive  siècle. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  243 

Pour  compléter  la  liste  des  exemples  qui  appartiennent  peut-être 
au  xii^  siècle,  il  nous  reste  à  donner  celui  qu'on  trouve  dans  Adgar  : 
veunt,  VR  198. 

Ces  désinences  en  //  deviennent  extrêmement  communes  au 
xiii^  siècle  aussi  bien  qu'au  xiv^,  quoiqu'on  puisse  observer  que 
c'est  vers  la  fin  du  premier  de  ces  deux  siècles  qu'on  en  rencontre 
le  plus  grand  nombre.  Nous  n'avons  évidemment  pas  la  prétention 
de  donner  une  liste  complète  de  ces  formes;  l'utilité  d'une  telle 
énumération  serait  fort  mince.  Nous  nous  contenterons  de  donner 
quelques-uns  des  exemples  que  nous  avons  recueillis,  certaines 
formes  pourront  sembler  intéressantes.  Dans  cette  énumération, 
nous  serons  contraints  de  suivre  l'ordre  chronologique  des  œuvres  ; 
cela  n'implique  pas  que  ce  doive  être  nécessairement  l'ordre  chro- 
nologique des  exemples  puisque,  ici  encore,  nous  sommes  dans 
l'impossibilité  absolue  de  faire  le  départ  entre  les^  auteurs  et  les 
scribes.  Il  est  vrai  que,  connaissant  par  les  exemples  trouvés  dans 
les  auteurs  du  xii^  siècle,  la  date  extrême  après  laquelle  on  ne  peut 
reculer  l'introduction  de  ces  formes  en  anglo-français,  la  chronolo- 
gie des  exemples  qui  suivent  n'a  que  peu  d'importance.  Elle  pour- 
rait simplement  nous  faire  connaître  à  quel  moment  cette  forme  a 
été  le  plus  employée. 

Mais  si  les  œuvres  littéraires,  de  par  leur  mode  de  transmission, 
nous  refusent  des  renseignements  sûrs  à  cet  égard,  les  textes  poli- 
tiques et  autres  pourront  probablement  nous  donner  sur  ce  point 
une  quasi  certitude.  En  même  temps  que  nous  maintiendrons  un 
certain  ordre  chronologique,  nous  classifierons  nos  exemples 
d'après  les  temps  auxquels  ils  appartiennent. 

Comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  //  avec  la  valeur  d'une 
voyelle  atone  (cf.  cependant  le  §  suivant,  p.  244)  se  rencontre 
communément  au  présent  de  l'indicatif.  Nous  en  trouvons  quelques 
exemples  dans  les  Evangiles  des  Dompnées,  mais  ces  exemples  ne 
sont  pas  nombreux.  Dans  le  poème  de  [Boeve  de  Haumtone,  au 
contraire,  ces  désinences  se  trouvent  en  nombre  considérable  :  elles 
affectent  surtout  des  verbes  de  la  première  conjugaison  '  ;  les  autres 
conjugaisons  sont  représentées  par  un  plus  petit  nombre  d'exemples  -. 

1.  Chargiiiil  (i-yS-j),  desirnud  (685),  douninit  (2^41),  junuii  (500),  pensunt 
(231 1),  trovunt  (354). 

2.  Diunt  (1964),  pendunt  (914),  veiunt  (479). 


244  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS       . 

Aucun  auteur  de  cette  époque  ne  nous  donne  un  nombre  de 
désinences  en  /////  approchant  de  celui  qu'on  trouve  dans  Boeve, 
et  pour  cette  raison,  nous  n'hésiterions  pas  à  rejeter  sur  le  compte 
du  scribe  (ms.  B,  xiV^  siècle)  le  plus  grand  nombre  des  terminaisons 
en  mit  ==  eut  qu'on  lit  dans  ce  poème,  d'autant  plus  que  le  ms. 
D  n'emploie  guère  cette  désinence  (cf.  cependant  pendunt,  914). 
Mais  il  n'v  a  que  fort  peu  d'œuvres  littéraires  à  n'en  présenter 
aucune.  Nous  lisons  par  exemple  au  folio  71  v°  de  la  Genèse 
Notre-Dame  voliint;  aiirrunt  âu.  vers  622  du  Saint  Auban,  et  dans 
la  Lumière  as  Lais,  rendiint  au  vers  554.  Les  exemples  sont  encore 
plus  nombreux  dans  le  petit  poème  sur  l'Erection  des  Murailles  de 
New  Ross  '  ;  Dermod  en  a  quelques-uns,  en  nombre  propor- 
tionnellement moins  considérable^.  Ces  terminaisons  sont  nom- 
breuses dans  Wil.  Rishanger  ',  de  même  que  dans  Walter  de 
Bibblesworth  •^. 

L'Apocalypse  nous  offre  un  nombre  assez  considérable  d'exemples 
dont  nous  aurons  à  reparler  plus  tard  :  on  peut  relever  dans  ce 
poème  surtout  des  présents,  et  parmi  ceux-ci  le  verbe  signefier  est 
répété  plusieurs  fois;  signefiiint  (a,  75,  |i  et  y,  74;  995);  il  y  a 
encore  quelques  autres,  comme  hahitimt  (Jj  et  y,  96i),diunt  (a,  204). 

Comme  une  partie  et  peut-être  la  plus  grande  des  exemples  que 
nous  avons  cités  précédemment  peut  appartenir  au  xiv''  siècle,  nous 
allons  arrêter  ici  une  liste  qui  pourrait  paraître  trop  longue  déjà.  Il 
nous  suffira  de  dire  que  tous  les  auteurs  du  xix"  siècle  emploient 
plus  ou  moins  fréquemment  cette  désinence.  Nous  rencontrons  un 
nombre  considérable  d'exemples  de  cette  forme  dans  Pierre  de 
Langtoft,  dans  certains  écrits  de  Nicole  Bozon,  etc. 

Il  n'est  pas  inutile  de  remarquer  que  dans  les  exemples  précé- 
dents, les  verbes  de  I  ne  sont  pas  plus  nombreux  que  ceux  des 
autres  conjugaisons. 

Après  le  présent  de  l'indicatif,  le  temps  pour  lequel  nous  trou- 
vons plus  communément  la  terminaison  mit  à  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel,  c'est  le  prétérit  :  nous  avons  déjà  vu  que  dans 
les  auteurs  du  xii^  siècle  chez  qui  on  les  trouve,  les  terminaisons 

1.  Entrant  (168),  puunt  (165),  vendunt  (99),  etc. 

2.  Pount  (132). 

3.  Clietmt  (304),  conesunt  (iS^),  poeiint  (^24),  pount  (327). 

4.  Dewtint  (143),  isoiint  (147,  161),  vciunt  (143). 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  245 

unt  étaient  aussi  nombreuses  au  prétérit  qu'au  présent  ;  le  Psautier 
d'Oxford  a  cuniierunt;  Gaimar,  rcilserunt  et  menenint  ;  Fantosme, 
arstrunt. 

Au  siècle  suivant,  le  nombre  de  ces  terminaisons  va  continuer  à 
augmenter  à  ce  temps  au  moins  aussi  rapidement  que  pour  les 
présents. 

Donnons  très  rapidement  quelques  exemples  choisis  au  hasard 
dans  un  petit  nombre  d'auteurs  du  xiii^  et  du  xiv^  siècle.  Robert 
de  Gretham  nous  montre  plus  de  prétérits  que  de  présents  avec 
cette  désinence,  ainsi  on  relève  dans  les  Evangiles  des  Dompnées  : 
eiinint  (85  r°),  aresiiirunt  (7  v°),  estnniiit  (32  v°),  assemblerunt  : 
aresicntnt  {^^  r°).  Ils  sont  surtout  communs  dans  Boeve ',  et  dans 
les  mêmes  conditions  que  celles  que  nous  exposions  tout  à  l'heure 
à  propos  des  présents.  On  la  rencontre  encore  dans  la  Genèse 
Notre-Dame  -  :  on  peut  même  dire  que  dans  le  Roman  des 
Romans  (ms.  Royal  20  B  XIV,  xiv^  siècle),  c'est  la  terminaison  la 
plus  généralement  employée  au  prétérit  \ 

L'Apocalypse  peut  nous  fournir  aussi  quelques  exemples,  comme 
hiserunî  (1342);  il  en  est  de  même  de  Pierre  de  Langtoft,  de 
Nicole  Bozon  Çfnermit,  Contes,  §  84)  et  de  la  plupart  des  auteurs 
du  xiv^  siècle. 

Aux  autres  temps,  la  terminaison  unt  est  certainement  beaucoup 
plus  rare  ;  on  la  trouve  quelquefois  à  Timparfait  comme  dans  Der- 
mot  and  the  Earl  :  ierunt  (au  vers  414),  et  pour  le  conditionnel  on 
peut  citer  l'exemple  de  Walter  de  Bibblesworth  :  veiidreyuiit  {161). 
Mais  ces  formes  et  quelques  autres  encore  sont  absolument  isolées. 

Remarquons,  avant  de  quitter  la  langue  littéraire,  que  des  formes 
comme  lunf,  sewnt,  deiunt  que  l'on  lit  dans  certains  auteurs,  comme 
Walter  de  Bibblesworth  (148,  162),  contiennent  une  graphie  équi- 
valente à  celle  que  nous  étudions;  ici,  comme  il  arrive  souvent  en 
anglo-français,  zc  équivaut  à  vu. 

Cet  //  est  certainement  moins  commun  dans  les  textes  qui  n'ap- 
partiennent pas  à  la  littérature  ;  on  en  trouve  cependant  un  cer- 
tain nombre  de  cas  qui  pourront  nous  servir  à  préciser  quelques 
dates.  Dans  les  Statutes,  on  lit  ojjcuduut  (13  n,  I,  162),  et  quelques 

1.  Oyenuit  (1700),  sayseruni  (2582),  purnuit  (2244,  2682). 

2.  Fiirunt  (45  ro),  amerunt  (72  vo). 

3.  Donei  unt  {4^2),  cesserunt  :  gardeiunt  :  troventnt  :  descoiiforterunl  (633  sqq.). 


2^6  l'évolution    du    verbe    en    ANGLO-rRANÇAIS 

autres  exemples  à  la  même  époque;  dans  les  Early  Statutes  of  Ire- 
land,  on  trouve  rcspoigiiiiiil  (12S5,  62);  dans  Rynier,  les  exemples 
sont  nombreux  pendant  les  deux  premières  décades  du  xiV^  siècle  ; 
surtout  les  Mem.  Pari.  1305  nous  en  offrent  un  nombre  d'exemples 
relativement  plus  considérable  :  veniint,  priiint,  appeuâuut,  cnriint, 
suppJiunI  (respectivement  aux  paragraphes  :  42,  78,  82,  137,  275). 
Nous  pourrions  trouver  d'autres  exemples  à  citer  dans  Jean  de 
Peckham  pour  la  fin  du  xiii^  siècle  et  surtout  dans  le  Registrum 
Palatinum  Dunelmense,  au  commencement  du  xiv^  siècle. 

Les  présents  du  subjonctif  sont  assez  communs,  quoique  beau- 
coup plus  rares.  Des  formes  comme  pussuni.  cyitiit  se  lisent  dans 
les  Statutes  et  les  Rymer's  Foedera. 

Mais  nous  trouvons  surtout  des  prétérits,  par  exemple,  pour 
n'en  citer  que  quelques-uns  :  vindriint,  fitrnnt,  employés  dans  le 
premier  volume  des  Statutes  (1335,  269,  270),  dans  les  Parliamen- 
tary  Writs  (1297,  éi),  dans  les  Traités  de  Rymer  (1274,  II,  32; 
1289,  II,  448).  Ici  encore  un  recueil  nous  oft're  un  nombre 
d'exemples  relativement  beaucoup  plus  élevé  que  les  autres,  les 
Mem.  Pari.  1305.  Dans  ce  recueil,  on  trouve  entre  autres  :  cark- 
nint,  gastermit,  debrnsernnt,  ernportcrunt,  extreierunt,  fiirunt  (respec- 
tivement aux  paragraphes  40,  182,  235,  275).  Ce  sont  les  seuls 
temps  qui,  dans  l'anglo-français  diplomatique  et  familier,  prennent 
la  désinence  luit. 

Dans  les  Year  Books  cette  forme  que  prend  la  muette  est  très 
commune,  au  moins  jusqu'au  règne  d'Edward  II  (1306);  on  les 
trouve  quelquefois  au  présent:  poiint  (20  et  21  Edw.  l",  171); 
arcstitnt  (21  Edw.  I",  45);  c?é)wz/(dedevoir)  (22  Edw.P',  599).  C'est 
surtout  le  prétérit  qui  présente  cette  forme,  et  nous  en  avons 
relevé  un  nombre  considérable  d'exemples  à  ce  temps  dans  toute 
la  série  des  Year  Books.  Mais  à  partir  de  la  seconde  décade  du 
xiv^  siècle,  elle  est  sensiblement  moins  fréquente.  Citons  quelques 
exemples  :  dans  20  et  21  Edw.  P"",  on  a  furmit  (p.  27),  mitnint 
(p.  41),  porientiil  et  demanderunt  (p.  305);  dans  21  Edw.  l"  '  -.porle- 
niiil,  prUntni,  fiintni  ;  dans  22  Edw.  \"  ~  :  dejcndcnint,  firunt,  porte- 
runt,  apparirunl,  etc. 


1 .  Respectivement  aux  pages       73,  73,  17,  etc. 

2.  —  —     —         311,  325,  335,  401,  etc. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  247 

Dans  I  et  2  Edw.II  '  •.avinsenint,  porteruut;  enfin,  pour  arrivera 
la  seconde  partie  du  xiv^  siècle,  dans  1 1  et  12  Edw.  III  ^  :  sucrant, 
devicnitil;  dans  13  et  14  Edw.  III  >  : portenuit,  etc. 

Nous  pouvons  donc  maintenant  préciser  les  dates  les  plus  impor- 
tantes dans  l'histoire  de  cette  terminaison. 

Les  premières  formes  ne  remontent  probablement  pas  plus  tard 
que  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle,  et  doivent  se  placer  vers  11 60, 
au  plus  tôt. 

Pendant  tout  le  xiii^  siècle  nous  pouvons  relever  des  exemples 
de  nnt  =  ent  ;  mais  c'est  pendant  les  vingt  premières  années  du 
xiv^  siècle  (peut-être  même  un  peu  plus  tard)  que  cette  désinence 
a  été  le  plus  fréquemment  employée. 

Valeur  de  u  dans  la  terminaison  unt. 

Il  n'est  pas  sans  importance  de  tâcher  de  déterminer  la  valeur 
phonique  de  u  dans  les  terminaisons  que  nous  avons  étudiées. 
Implicitement  nous  avons  admis  que  cette  vo^^elle  n'était  ni  plus  ni 
moins  qu'une  graphie  de  la  muette,  exactement  comme  nous  l'avons 
admis  lorsque,  à  la  première  personne  du  pluriel,  nous  avons 
rencontré  des  formes  comme  sumiis.  Cependant  cela  n'est  pas  assez 
évident  pour  qu'on  puisse  l'admettre  sans  examiner  les  faits  d'un 
peu  plus  près.  A  priori  on  se  demande  comment  les  écrivains  anglo- 
français  ont  pu  maintenir  longtemps  une  difterence,  si  jamais 
il  y  en  a  eu  une,  entre  funt  et  curunt  ou  entre  estiint  et  arestunt. 

Il  nous  faut  donc  examiner  les  rimes;  mais  celles-ci  ne  peuvent 
nous  faire  connaître  avec  quelque  certitude  qu'un  côté  de  la  ques- 
tion. Si  nous  trouvons  une  désinence  régulièrement  féminine, 
écrite  par  unt  et  rimant  avec  une  désinence  masculine,  nous  savons 
qu'il  y  a  eu  un  déplacement  de  l'accent.  Au  contraire,  si  nous  ren- 
controns ces  désinences  dont  nous  nous  occupons  maintenant  à  la 
rime  avec  une  désinence  féminine  de  même  nature,  nous  sommes 
naturellement  portés  à  conclure,  ce  qui  n'est  pas  toujours  très  cer- 
tain, que  l'une  des  deux  formes  provient  du  scribe  et  que  dans  ce 
cas  la  rime  n'a  plus  de  valeur.  Il  semble  donc  que  nous  ne  puissions 

1.  Respectivement  aux  pages  6,  (S9,  145. 

2.  —        •     —     —     21, 41. 
3.-  -  81. 


248  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françats 

enregistrer  que  les  cas  où  le  déplacement  de  l'accent  s'est  produit. 
Mais  même  si  nous  trouvons  un  certain  nombre  de  ces  cas,  pour- 
rons-nous conclure  avec  certitude  que  toutes  les  désinences  en  mit 
ont  été  accentuées  ?  Il  faudrait  pour  cela,  croyons-nous,  que  le 
nombre  "de  ces  rimes  soit  considérable  et  qu'elles  nous  montrent 
dans  cette  position  un  nombre  suffisant  de  verbes  différents.  Ce 
n'est  pas  le  cas;  nous  n'avons  relevé  que  quatre  rimes  où  notre 
désinence  en  //;//  rime  avec  un  mot  en  //;//  accentué.  La  première 
est  très  ancienne  relativement  et  remonte  au  commencement  du 
XIII''  siècle.  On  la  lit  dans  les  Evangiles  des  Dompnées  :  coiifiindunt 
(:runt  de  rompre)  au  fol.  25  v°  ;  les  rimes  qui  suivent  celle-ci  au 
point  de  vue  chronologique  lui  sont  postérieures  de  cent  ans  ;  on 
les  lit  toutes  dans  l'Apocalypse  :  signefiunt  (:  ount)  au  vers  75  (a)  ou 
74  (3  et  y);  cette  même  rime  est  répétée  au  vers  995.  Dans  le  même 
poème  on  trouve  encore  habitiiut  (:sunt)  au  vers  961  (.3  et  v). 

Il  est  inutile  de  fliire  remarquer  comme  ce  nombre  de  rimes  est 
petit,  si  l'on  considère  d'un  côté  le  nombre  de  ces  nouvelles  formes, 
de  l'autre  le  nombre  des  interrimes  du  futur  et  des  troisièmes  per- 
sonnes du  pluriel  fortes,  et  surtout  le  nombre  des  rimes  qui 
accouplent  cette  nouvelle  désinence  en  unt  avec  la  terminaison 
fétninine  régulière.  Nous  trouvons  dans  Gaimar  :  rcuscrunt  (:  erent), 
7>ie)ienintÇ:  cheminèrent);  dans  la  Lumière  as  Lais,  au  vers  554: 
rend  II  ut  (:  apendent),  etc. 

Quoique  l'on  ne  puisse  guère  exagérer  la  négligence  des  scribes, 
il  semble  cependant  difficile  d'admettre  que,  dans  un  aussi  grand 
nombre  de  cas,  ils  aient  accouplé  des  formes  qu'ils  sentaient  diffé- 
rentes ;  il  est  plus  facile  de  supposer  qu'il  y  avait  pour  eux  identité 
complète  entre  cette  terminaison  mit  et  la  terminaison  régulière. 

De  plus  le  déplacement  de  l'accent  s'iinaginerait  assez  mal  à 
l'imparfait  et  au  conditionnel. 

Nous  conclurons  donc  que  1'//  de  ces  désinences  n'a  été  consi- 
déré la  plupart  du  temps  par  les  auteurs  et  les  scribes  que  comme 
une  graphie  de  la  muette.  Très  rarement,  quoique  assez  tôt,  il  y  a 
eu  déplacement  de  l'accent  et  on  peut  trouver  un  tout  petit 
nombre  d'exemples  montrant  ces  personnes  accentuées  sur  la  dési- 
nence. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  249 

2.  Terminaison  ont. 

Rare  dans  l'anglo-français  littéraire,  cette  terminaison  est  extrê- 
mement commune  dans  la  langue  non  littéraire  ;  nous  ne  trouvons 
en  effet  dans  les  ouvrages  littéraires  qu'un  petit  nombre  de  tetmi- 
naisons  en  ont  au  présent  de  l'indicatif  :  pont  dans  le  Saint  Julien 
(80  r°)  ;  vivont  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (6i  v°)  ;  et  dans  les 
Contes  de  Nicole  Bozon  :  parlont  (§  13  e)  etcnpernont  (§  88).  Les 
prétérits  sont  encore  moins  nombreux  ;  on  trouve  prêcheront  dans 
les  Heures  de  la  Vierge  (62  v°),  et  ensonrderont  dans  Nicolas  Trivet 
(2  r°).  Nous  n'avons  trouvé  aucune  de  ces  formes  à  la  rime,  mais 
les  cas  de  rime  que  nous  avons  déjà  cités  dans  les  terminai- 
sons en  iint  suffisent  à  montrer  que  pour  ces  terminaisons,  comme 
pour  les  autres,  il  n'y  a  pas  eu  en  général  déplacement  de  l'accent. 
Par  conséquent  il  ne  faut  pas  confondre  ces  désinences  avec  celle 
des  imparfaits  du  subjonctif  que  nous  avons  trouvés  dans  Frère 
Angier  et  auxquels  ils  sont  postérieurs  de  trois  quarts  de  siècle  pro- 
bablement. 

Ces  désinences  en  ont  qui  nous  occupent  'maintenant  sont  extrê- 
mement fréquentes  dans  la  langue  diplomatique  et  politique  :  il 
nous  est  impossible  de  songer  à  donner  tous  ces  exemple  de  termi- 
naisons, leur  nombre  étant  beaucoup  trop  considérable  ;  rien  que 
dans  les  Statutes,  nous  en  avons  relevé  environ  trente  et  nous  en 
avons  omis  ;  leur  nombre  est  au  moins  aussi  grand  dans  les  Rymer's 
Foedera;  et  les  ouvrages  moins  étendus,  comme  les  Parliamentary 
Writs,  les  Literae  Cantuarienses,  les  Lettres  des  Documents  Lié- 
dits,  etc.,  en  ont  proportionnellement.  Trois  temps  seulement 
reçoivent  cette  désinence  dans  les  Statutes  et  ouvrages  analogues 
(Writs  et  Mem.  of  Pari.),  ce  sont  le  présent  de  l'indicatif,  le  pré- 
sent du  subjonctif  et  le  prétérit.  Par  exemple,  pour  le  premier  de 
ces  temps,  nous  trouvons  dans  le  premier  volume  des  Statutes 
arivonf,  de.'irbargeoiit  (1323,  192);  pour  le  présent  du  subjonctif, 
nous  avons  viegnont  (1335,  381  ;  13350,  317);  pour  le  prétérit 
conseilleront  (1321,  182).  La  date  la  plus  reculée  à  laquelle  nous 
trouvions  des  exemples  de  cette  terminaison  dans  la  langue  pure- 
ment politique  est  1321,  et  il  faut  remarquer  que,  dans  les  Mem. 
Pari.  1305,  alors  que  les  terminaisons  en  unt  sont  spécialement 
nombreuses,  les  désinences  en  ont  sont  entièrement  absentes. 


250  l'évolution  du  vkrbe  en  anglo-français 

Les  premiers  exemples  que  nous  fournissent  les  Ryraer's  Foedera 
sont  quelque  peu  plus  anciens;  nous  relevons  le  premier  cas  dans 
un  traité  de  Tannée  1297,  second  volume,  p.  783  :  le  prétérit  vin- 
drout.  Ce  sont  du  reste  les  mômes  temps  que  nous  rencontrons  dans 
Rymer,  auxquels  il  faut  cependant  ajouter  quelques  imparfaits  du 
.subjonctif,  que  nous  aurions  peut-être  dû  classer  avec  la  seconde 
espèce  de  désinence  en  ont,  quoiqu'il  ne  soit  pas  très  vraisemblable 
que  ces  formes  présentent  un  déplacement  de  l'accent.  Les  présents 
de  l'indicatif  et  du  subjonctif,  comme  aussi  les  prétérits  que  nous 
trouvons  chez  Rvmer's  ne  diffèrent  en  rien  de  tous  ceux  que  nous 
avons  cités  ;  nous  nous  contenterons  de  donner  quelques-uns  des 
imparfaits  du  subjonctif,  comme  fnissont  (1338,  V,  ^}');  tenissont 

(1357,  VI,  5). 

Les  autres  ouvrages  présentent  un  nombre  plus  ou  moins  consi- 
dérable de  ces  formes  ;  dans  quelques-uns,  comme  le  Liber  Rubeus 
de  Scaccario,  elle  est  même  plus  fréquente  que  toute  autre  dési- 
nence. Mais  aucune  des  formes  que  nous  avons  relevées  ne  diffère 
des  types  que  nous  avons  déjà  cités,  et  conséquemmentil  est  inutile 
d'en  donner  un  plus  grand  nombre. 

Dans  les  Year  Books,  0  se  rencontre  déjà  avec  la  valeur  d'un  c 
atone  au  commencement  du  xiV^^  siècle,  comme  dans  rendant  (30 
Edw.  l",  31);  diont  {ihid.,  241);  on  trouve  cette  graphie  aussi  à 
l'imparfait  du  subjonctif  ;  venisont  (30  Edw.  P'',  501).  Ce  n'est 
guère  qu'à  partir  du  règne  d'Edward  II  que  0  tend  à  déplacer  com- 
plètement les  désinences  que  nous  venons  d'étudier,  au  présent  de 
l'indicatif  et  du  subjonctif,  comme  dans  volont  (3  Edw.  Il,  d^)  (Y), 
puissont  {2  et  3  Edw.  II,  169),  (Y),  etc.  et  au  prétérit:  demanderont 
mistront  (2  et  3  Edw.  II,  80),  (Y),  entreront  (3  Edw.  II,  193)  (Y),  etc. 
Désormais  cette  forme  sera  dans  la  langue  légale  des  pluscommunes, 
plus  fréquente  que  le  simple  e  et  que  //,  aussi  employée  que  ou  que 
nous  allons  voir  maintenant. 

3.   Terminaison   ount. 

Nous  avons  déjà  vu  que  la  diphtongue  o//peut  prendre  la  place  de 
la  voyelle  u  ou  0  dans  les  désinences  accentuées  masculines  de  la 
première  personne  et  la  troisième  personne  du  pluriel.  Il  est  assez 
naturel  par  conséquent  que  le  même  fait  se  produise  dans  les  ter- 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  25  I 

minaisons  féminines,  c'est-à-dire  lorsque  la  voyelle  simple  n'est  elle- 
même  que  la  graphie  de  l'atone  posttonique. 

On  trouve  ces  désinences  féminines  en  oiiiit  principalement  au 
xiv^  siècle  ;  nous  en  avons  bien  quelques  exemples  dans  certains 
auteurs  du  xiii''  siècle,  mais  il  nous  semble  tout  au  moins  probable 
que  les  quelques  cas  que  nous  rencontrons  à  cette  époque  doivent 
être  attribués  aux  différents  scribes  et  ainsi  rejetés  au  siècle  suivant. 
(Cf.  Première  personne  du  pluriel  et  troisième  personne  du  plu- 
riel). 

Comme  les  désinences  atones  tint  et  ont  dont  elle  est  dérivée, 
elle  est  surtout  fréquente  au  présent  de  l'indicatif  et  au  prétérit  ; 
comme  nous  avons  déjà  cité  un  assez  grand  nombre  d'exemples  de 
formes  analogues  dans  les  paragraphes  qui  précédent,  nous  nous 
bornerons  ici  au  minimum. 

Pierre  de  Langtoft  l'emploie  assez  souvent  au  présent  de  l'indica- 
tif Çcomme  giiyoïint,  I,  136,  6);  le  roman  de  Foulques  Fitz-Warin 
en  offre  plusieurs  exemples  à  ces  deux  temps  ;  dans  les  Contes  de 
Nicole  Bozon,  comme  on  peut  le  voir  dans  l'introduction  de 
M.  Paul  Meyer,  on  en  rencontre  un  nombre  considérable;  il  en  va 
de  même  des  Chroniques  de  Nicolas  Trivet,  où  ces  terminaisons 
sont  encore  plus  communes.  Cependant  il  est  évident  que  l'emploi 
de  cette  forme  dépendait  en  grande  partie  de  la  fantaisie  des  scribes, 
car  elle  est  entièrement  absente  de  certains  mss.  ;  par  exemple,  nous 
ne  l'avons  pas  relevée  dans  certains  mss.  des  Proverbes  de  Bon 
Enseignement,  ainsi  dans  le  Bodleyyéi  (cf.  par  exemple  le  fol. 
182  r°  et  pûssiiii). 

La  diphtongue  on  avec  valeur  de  voyelle  muette  est  sensible- 
ment plus  rare  dans  la  langue  non  littéraire.  On  serait  peut-être 
tenté  de  croire  que  les  terminaisons  muettes  unt,  ont,  oiint  sont 
entre  elles,  au  point  de  vue  du  nombre,  dans  le  même  rapport  que 
les  terminaisons  accentuées  de  la  même  forme  ;  nous  ne  croyons 
pas  qu'il  en  soit  ainsi.  La  terminaison  ount  est  comme  terminaison 
atone  proportionnellement  plus  rare  que  onnt,  terminaison  accentuée  ; 
cependant  elle  se  retrouve  dans  la  plupart  des  recueils,  mais  uni- 
quement à  trois  temps  :  le  présent  de  l'indicatif  et  du  subjonctif  et 
le  prétérit  ;  on  la  rencontre  un  petit  nombre  de  fois  dans  les  Sta- 
tutes, /)Ot)/m^,  rt.rm'O?/;?/ (respectivement  1285,  96  et  1323,  192);  de 
môme    dans  les  Parliamentary  Writs,   et  une    seule  fois  dans  les 


2)2 


l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 


Mem.  Pari.  J^o'j,  prionnl,  ^  276.  Rymer  en  fournit  quelques  cas, 
eux  aussi  en  petit  nombre. 

Somme  toute,  cette  désinence  est  connue  et  assez  peu  employée. 
Elle  se  trouve  au  présent  de  l'indicatif,  au  présent  du  subjonctif  et 
au  prétérit. 

Au  contraire,  elle  est  assez  commune  à  ces  mêmes  temps  dans 
les  Year  Books,  surtout  à  partir  de  la  seconde  décade  du  xiv^  siècle  ; 
on  peut  la  trouver  antérieurement  à  cette  date  ;  par  exemple 
dioutit,  prioiiiit  se  lisent  dans  le  Year  Book  31  Edward  I"  (417  et 
429)  ;  mais  elle  est  surtout  fréquente  vers  le  milieu  du  xiv^  siècle. 
Dans  17  et  18  Edward  III  (1343 -1344),  nous  en  trouvons  un  nombre 
considérable  de  cas  ;  elle  devient  plus  commune  que  0  et  même  que 
g,  peut-être  même  aussi  employée  que  //. 

Dans  l'ensemble  de  la  littérature  (au  sens  large  du  mot)  anglo- 
française,  on  est  des  plus  rares  en  dehors  des  temps  que  nous  venons 
de  citer.  M.  Stimming  cependant  croit  en  trouver  un  exemple  à  l'im- 
parfait au  vers  60  r  de  Boeve,  fuoiiut.  A  priori,  cela  peut  nous  sem- 
bler bien  extraordinaire.  Pour  retrouver  une  désinence  analogue 
dans  la  littérature,  il  faut  aller  jusqu'à  Nicolas  de  Trivet  qui  nous 
donne  disount  au  fol.  31  v°  ;  et  encore  ne  sommes-nous  pas  sûrs 
que  cette  forme  appartienne  à  l'auteur  lui-même,  et  si  elle  provient 
du  scribe,  elle  ne  remonte  pas  plus  haut  que  le  xV^  siècle.  Même 
en  dehors  de  la  littérature,  les  exemples  sont  des  plus  rares  en 
dehors  du  présent  et  du  prétérit,  et  ce  n'est  que  dans  le  Law  French 
qu'on  les  trouve  ;  cette  diphtongue  se  trouve  employée  de  deux 
façons  dans  les  Year  Books,  d'abord  avec  la  voyelle  ou  diphtongue 
accentuée  régulière,  comme  poieount  (11  et  12  Edw.  III,  399); 
serreioimt  (ibid.,  363,  459),  ou  plus  rarement  sans  cette  diphtongue  : 
disount  (2  et  3  Edw.  II,  15,  52). 

Il  est  donc  fort  peu  probable  que  l'exemple  de  Boeve  soit  un 
imparfait;  le  sens  peut  fort  bien  (mieux  peut-être),  s'accommoder 
d'un  présent  de  l'indicatif,  et  cette  désinence  n'est  pas  rare  à  ce 
temps,  comme  nous  l'avons  vu  '. 

Par  conséquent,  nous  pouvons  conclure  que  la  diphtongue  ne  se 
rencontre  jamais   en  dehors  des  trois  temps  que  nous  avons  énu- 

I .  Voici  le  passage  où  se  trouve  cette  forme  : 

Que  quant  il  veient  Boefs  o  le  branc  tbrbis, 
Ensement  il  tuount  com  fet  li  mauviz. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  253 

mérés,  sauf  dans  certains  ms.  du  xv^  siècle,  et  dans  les  Year  Bocks 
qui  ne  sont  peut-être  pas  plus  anciens. 

4.    Terminaison  ant. 

Nous  trouvons  enfin  dans  un  petit  nombre  d'ouvrages  littéraires 
et  de  textes  diplomatiques  quelques  terminaisons  en  ant  qui  nous 
semblent  atones.  On  les  rencontre  surtout  dans  Boeve  de  Haum- 
tone,  au  présent  de  l'indicatif  et  au  prétérit,  exactement  comme 
pour  les  désinences  atones  en  //,  o,  ou,  que  nous  avons  déjà 
étudiées. 

Citons  dans  Boeve,  pussant  (au  vers  1668),  descendant  (au  vers 
3200),  euraut  (au  vers  3507).  Pour  une  raison  que  nous  ne  com- 
prenons pas,  le  savant  éditeur,  M.  Stimming,  a  rétabli  dans  son 
texte  pour  les  deux  derniers  seulement  de  ces  exemples  Ye  étymo- 
logique. 

Nous  pensons  que  ces  trois  formes  appartiennent  au  scribe  de  B, 
par  conséquent  qu'elles  doivent  être  attribuées  au  xiv''  siècle.  Les 
seuls  exemples  que  nous  trouvions  de  cette  terminaison  en  ant  en 
dehors  de  la  littérature  appartiennent  à  ce  siècle  et  se  trouvent 
dans  un  tout  petit  nombre  de  textes. 

Il  nous  semble  évident  que,  comme  nous  l'avons  vu,  la  termi- 
naison a}it  accentuée  est  inconnue  à  l'anglo-français  non  littéraire  ; 
nous  n'avons  rencontré  qu'un  seul  exemple  (celui  de  Rymer,  cité 
plus  haut)  de  la  terminaison  ant  à  l'imparfait  du  subjonctif.  Va 
des  désinences  en  ant  qu'il  nous  reste  à  citer  peut  donc  être  consi- 
déré comme  atone.  Elles  sont  du  reste  extrêmement  rares;  les  deux 
exemples  que  nous  avons  relevés  sont  ensuant,  qui  est  un  présent 
de  l'indicatif  et  se  lit  dans  Rymer  (135 1,  V,  723),  et  l'imparfait  de 
l'indicatif  w/t'/^/;//  dans  les  Mem.  Pari.  1305  (§  392). 

Cette  désinence  est  tout  aussi  rare  dans  les  Year  Books  :  nous 
avons  ïtXcwé  passant  (50  Edw.  I",  221);  poiant  (17  et  18  Edw. 
m,  85),  mais  ces  exemples  isolés  et  éloignés  l'un  de  l'autre  pour- 
raient à  la  rigueur  passer  pour  des  erreurs  cléricales  ;  de  toutes 
façons  ils  n'ont  que  peu  de  valeur  probante. 

Néanmoins  nous  croyons  que  l'anglo-français  à  connu  et  employé, 
assez  rarement,  il  est  vrai,  une  désinence  atone  ant  et  qu'elle 
appartient  au  wv"  siècle. 


2)4  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

5.   Terminaison  /;//. 

La  graphie  ////  n'a  pas  l'importance  des  désinences  que  nous 
venons  d'étudier  :  d'abord,  il  ne  peut  y  avoir  aucun  doute  sur  sa 
valeur,  car  on  ne  la  trouve  jamais  rimant  avec  /;//  accentué,  h'i  ici 
est  certainement  l'équivalent  de  IV  atone. 

Le  premier  exemple  de  la  désinence  int  qu'on  puisse  citer  se  lit 
dans  le  Saint  Brandan  :  vindrint  (au  vers  355);  mais  il  est  certain 
que  la  responsabilité  de  cette  graphie  doit  être  laissée  au  scribe.  Le 
ms.  de  l'Arsenal  (vers  303)  porte  vindnmt.  L'on  ne  rencontre 
aucun  autre  exemple  analogue  à  la  troisième  personne  du 
pluriel  avant  le  second  tiers  du  xiii^  siècle,  et  nous  devons  dire  que 
même  plus  tard  cette  graphie  reste  toujours  rare  et  limitée  à  cer- 
tains auteurs  :  Boeve,  chez  qui  on  est  toujours  à  peu  près  certain 
de  rencontrer  des  exemples  de  toutes  les  irrégularités,  a  plusieurs 
troisièmes  personnes  du  pluriel  terminées  en  int  :  comme  sigJint 
(1891),  point  (1961)  (de /)0t7V)  ;  ce  dernier  exemple  n'est  pas  très  con- 
cluant, czr  point  provient  tout  aussi  vraisemblablement  de  poient,  par 
la  chute  de  Ve  muet  en  hiatus.  Dermoten  a  aussi  quelques  exemples  ; 
c'est  même  l'auteur  anglo-français  qui  en  présente  le  plus  grand 
nombre  ;  nous  lisons  dans  ce  poènie  :  baillerint  (619),  vindrint 
(740),  dcmorirint  (803),  tindrini  (1339).  On  trouve  aussi  cet  / 
dans  certaines  œuvres  en  prose  :  issitit,  dans  Wil.  Rishanger 
(p.  330).  Le  xiv^  siècle  a  connu  cette  terminaison  mais  ne  l'a  pas 
employée  souvent  :  pJeindri}it  se  trouve  dans  les  Contes  de  Nicole 
Bozon  (au  §  121),  apellint  dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet 
(au  fol.  20  r"). 

Voilà  à  peu  près  tout  ce  que  nous  avons  rencontré  dans  les  textes 
littéraires  de  ce  siècle  :  comme  on  le  voit,  c'est  peu  et  ne  saurait  se 
comparer  pour  la  fréquence  à  ce  que  nous  avons  trouvé  pour  les 
terminaisons  nnt,  ont  et  ount. 

Il  en  va  de  même  pour  les  textes  non  littéraires  ;  la  désinence 
/;//  ne  se  trouve  que  rarement  et  rarement  dans  les  textes  corrects, 
comme  les  Statutes,  Jean  de  Peckham,  etc.  ;  nous  en  trouvons 
quelques  cas  dans  les  Rymer's  ¥oederâ  :  piisint  (1275,  L  885  ;  1357, 
VI,  48)  ;  un  seul  dans  les  Parliamentary  Wnts:viinlrint  (1301,  132)  ; 
un  autre  dans  les  Mem.  Pari.  1305  :  fnrint  (§  12)  ;  et  un  nombre  un 
peu  plus  considérable  dans   uij   mauvais    texte  des  Historical  and 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  255 

Municipal  Documents  of  Ireland  (1292,  p.  206  sqq):  vijidriut,  dis- 
trint,  lessint,  pJcyntrint.  La  langue  légale  elle-même  ne  nous  donne 
que  fort  peu  d'exemples  en  /;//,  par  exemple  point  (22  Edw.  V\ 
423)  ;  et  une  forme  plus  assurée  :  velint  (2  et  3  Edw.  P"",  141)  (Y). 
Comme  on  le  voit  c'est  peu,  et  peu  concluant. 

On  peut  cependant  admettre  que  cette  forme  assez  rare  a  été 
employée  depuis  le  milieu  du  xii""  siècle  au  xiv''  siècle  par  un  petit 
nombre  d'auteurs  ou  de  scribes. 

6.   Terminaison  ie)it. 

Nous  avons  encore  à  mentionner  une  autre  terminaison,  assez 
commune  en  anglo-français  ;  elle  ne  soulève  pas,  croyons-nous,  les 
mêmes  questions  que  les  terminaisons  précédentes:  c'est  la  dési- 
nence en  ient.  Nous  avons  déjà  vu  que  la  troisième  personne  du 
singulier  montre  quelquefois  une  nouvelle  désinence  en  ie  distincte 
à  la  fois  de  la  terminaison  régulière  de  la  première  conjugaison 
et  de  celle  de  la  seconde.  Rappelons  qu'on  la  trouve  avec  des  verbes 
de  II,  de  I  et  de  IV. 

C'est  à  cette  désinence  de  la  troisième  personne  du  singulier  que 
correspond  celle  dont  nous  avons  maintenant  à  nous  occuper.  Dans 
les  œuvres  littéraires,  les  exemples  de  zVwf  sont  peu  nombreux  et  peu 
concluants.  Dans  le  purprenient  du  Psautier  de  Cambridge  (78,  8) 
et  le  rcqiiiergient  des  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  18,  24),  1'/  peut 
s'expliquer  comme  servant  à  exprimer  la  mouillure  de  la  consonne 
nasale,  ou  comme  partie  de  la  chuintante.  Cette  explication  pos- 
sible n'est  pas  bien  satisfaisante  ;  surtout  elle  ne  peut  s'appliquer  à 
des  formes  comme  annuncient  des  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  22, 
13),  ni  à  devient  (=deivent)  que  l'on  trouve  très  fréquemment  (le 
premier  exemple,  à  notre  connaissance,  se  trouve  dans  le  Manuel 
des  Péchés,  au  vers  7909).  Nous  avons  tout  d'abord  été  tentés  de 
regarder  ce  dernier  exemple  comme  une  faute  de  lecture  pour  dei- 
vent  {dénient  et  deinent  pouvant  se  confondre  très  aisément);  mais  le 
nombre  de  ces  formes  dans  les  œuvres  littéraires  nous  a  fait  long- 
temps hésiter  à  accepter  cette  explication.  La  graphie  dans  certains 
manuscrits  est  absolument  claire,  voir  par  exemple  devient  au  vers 
50  de  la  Geste  des  Dames. 

L'examen  des  autres  écrits  anglo-français  a  eu  raison  de  nos 
doutes  ;  dans  la  langue  politique,  diplomatique,   etc.,   cette    même 


256  l'évolution  du  verbe  en  anglo-prançais 

forme  et  des  plus  communes  et  se  trouve  dans  hi  plupart  des  recueils, 
même  les  plus  corrects . 

Il  est  assez  difhcile  de  croire  que  la  même  faute  se  soit  répétée 
si  souvent  dans  toutes  sortes  de  textes.  Dans  la  majorité  des  cas, 
il  est  impossible  de  nier  que  ieiit  ait  été  écrit  :  l'examen  de  plusieurs 
manuscrits  nous  l'a  prouvé  ;  d'un  autre  côté,  il  est  aussi  difficile 
d'admettre  qa'un  nombre  considérable  de  copistes  indépendants  les 
uns  des  autres  aient  commis  un  nombreconsidérable  de  fois  la  même 
foute  ;  cela  est  spécialement  difficile  à  admettre  pour  les  scribes  qui  ont 
copié  les  Statutes,  car  il  est  visible  que  les  différentes  copies  qui 
composent  le  recueil  ont  été  faites  avec  le  plus  grand  soin  ;  il  nous 
reste  donc  à  admettre  qu'un  grand  nombre  des  formes  devient: 
doivent  être  regardées  comme  ayant  réellement  la  terminaison  ienf; 
nous  le  croirons  surtout  des  exemples  que  nous  trouvons  dans  les 
Statutes  (cf.  1285,  joetpassim). 

Les  autres  exemples  de  désinences  en  iejit  ne  peuvent  pas  nous 
donner  autant  de  doutes  ;  nous  remarquons  d'abord  que  les  Sta- 
tutes ne  nous  montrent  cette  désinence  qu'après  une  lettre  mouil- 
lée, par  exemple,  dans  le  premier  volume  :  veignieiil  (1283,  54); 
espn r nient  {12S y,  96)  ;  voillient  (1340,  284);  dans  le  second  volume, 
nous  trouvons  d'abord  ce  dernier  exemple  (1379,  14)  ;  et  aussi 
çoiJlient  (1377,  2). 

Il  en  va  à  peu  près  de  même  pour  Jean  de  Peckham  qui  n'em- 
ploie cette  désinence  que  dans  voyl lient  (1284,  565).  Rymer,  il 
est  vrai,  nous  fournit  des  textes  où  l'emploi  de  cette  terminaison 
est  beaucoup  plus  étendu  ;  on  trouve  chez  lui  IV  après  toute  sorte 
de  thèmes  et  à  toutes  sortes  de  temps  :  des  présents  de  l'indicatif, 
des  présents  du  subjonctif,  des  imparfaits  du  subjonctif,  comme 
touchient  (1289,  ^^^  44^);  pcniient  (1297,  ^I'  7^4)  5  eussient  (1360, 
VI,  163). 

Quant  aux  autres  textes,  cette  terminaison,  tout  en  étant  moins 
fréquente,  n'est  pas  rare  .•  on  la  trouve  dans  les  Literae  Cantua- 
nenses(i343,  728)  ;  dans  le  Blacke  Booke  of  the  Admiralty,  dans 
les  Royal  Letters Henry  IV  (1339,  8),  etc. 

C'est  donc  bien,  avec  certaines  restrictions,  une  nouvelle  dési- 
nence de  la  troisième  personne  du  pluriel  qu'on  rencontre  dans 
toutes  les  catégories  de  textes  anglo-français  ;  elle  y  date  du  com- 
mencement du  xiii^  siècle  et  se  rencontre  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle  ; 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  257 

elle  aft'ecte  le  présent  de  l'indicatif  ou  du  subjonctif,  d'abord  des 
verbes  présentant  comme  dernière  consonne  du  radical  une  lettre 
mouillée,  puis  du  verbe  devoir  qui  nous  donne  un  nombre 
considérable  d'exemples,  enfin  de  quelques  autres  verbes.  Les  autres 
temps  sont  extrêmement  rares. 

7.   Redoublement  de  la  voyelle  atone. 

On  pourrait  très  légitimement  considérer  comme  un  cas  de 
déplacement  de  l'accent  après  redoublement  de  la  muette  de  la  ter- 
minaison le  aresteent  de  Saint  Auban,  vers  1466  (4  syllabes  ?),  à 
moins  que  l'on  ne  considère  simplement  cette  forme  comme  copiée 
sur  les  formes  régulières  :  effréent  (ibid.,  5)  ;  chéciit  (ibid.,  Rubrique, 
fol.  36  r°)  ;  assiêent,  Li  Vers  del  Juise  (ms.  B,  vers  120)  '. 

Cependant  les  textes  politiques  et  diplomatiques  nous  offrent  un 
certain  nombre  de  cas  où  la  muette  est  écrite  deux  fois  ;  nous 
avons  déjà  eu  Vocc2is\onà.QC\ttrdeschargeûnt  dans  le  premier  volume 
des  Statutes  (1323,  192);  mais  par  cette  forme  la  présence  de  Ve 
est  justifiée  par  le  g. 

Cette  explication  ne  saurait  s'appliquera  quelques  autres  exemples 
qui  se  lisent  dans  les  Rymer's  Foedera;  citons:  scieunt  (=  seient)  qui 
se  trouve  à  la  date  1289  (II,  448)  ;  jureoiit,  à  la  date  1349  (V,  661) 
et  chivacheont  à  la  date  1368  (VI,  594).  Ces  différentes  terminaisons 
n'ont  que  peu  d'importance. 

Nous  aurions  peut-être  pu  créer  pour  la  troisième  personne  du 
pluriel,  comme  pour  la  seconde,  une  classe  de  monstres.  Elle  aurait 
surtout  compris  ces  troisièmes  personnes  qui  montrent  s  Qi  :(^ 
après  le  /.  Ce  sont  tantôt  des  désinences  masculines,  comme  istronts 
qui  se  lit  dans  Rymer  (1268,  I,  858)  ;  serroni:^  dans  le  même  recueil 
(1376,  VII,  706),  ou  des  désinences  féminines  commeyi?/a'H/~,  tou- 
jours dans  Rymer  (135 1,  V,  719). 

Nous  n'accordons  évidemment  aucune  valeur  à  ces  exemples  qui 
sont  du  reste  extrêmement  rares. 

I.  On  peut  probablement  rapprocher  les  différentes  formes  que  nous  venons  de 
citer  de  feent  (faire)  qu'on  lit  dans  le  Jonas.  Cf.  Marchot,  Zeitschrift,  XXII, 
401. 

17 


258  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Terminaison  en  c{a)ient. 

Il  nous  reste  à  parler  d'une  autre  sorte  de  terminaison  féminine 
dans  laquelle  la    voyelle  atone  est  précédée  de  la  diphtongue  e^ûji. 

1.  Extension  de  celle  terniiiiaisou. 

Régulièrement,  cette  terminaison  se  rencontre  aux  troisièmes  per- 
sonnes du  pluriel  de  tous  les  imparfaits  de  l'indicatif  et  de  tous  les 
conditionnels,  du  présent  de  l'indicatif  de  certains  verbc^s  (comme 
voir),  du  présent  du  subjonctif  d'avoir  et  d'être. 

Ce  sont  les  seuls  temps  qui,  dans  les  œuvres  littéraires,  se  ren- 
contrent avec  cette  terminaison,  et  ils  la  conservent  toujours.  Mais 
en  outre  cette  terminaison  a  un  emploi  particulier  et  irrégulier  dans 
les  ouvrages  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature.  On  la  trouve 
assez  fréquemment  comme  désinence  de  l'imparfait  du  subjonctif  ; 
les  Statutes  nous  en  offrent  quelques  exemples  :  fiiysseint  (1285,  I, 
103),  forme  qui  se  trouve  encore  dans  les  Parliamentary  Writs 
(1325,  11,717,  deux  fois).  On  la  rencontre  aussi  à  d'autres  temps  : 
au  prétérit,  par  exemple  vi ud rein !,  employé  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1297,  II,  783)  ;  au  présent  du  subjonctif  comme  pnissoient,  répété 
trois  fois  dans  le  Liber  Albus  (1314,418);  même  au  présent  de  l'indi- 
catif dansles  Statutes:  flTm/mz/ (1297,1,  i32).Ondoit  probablement 
rapprocher  cette  dernière  forme  de  aresteenî  (cf.  supra)  dans  laquelle 
l'hiatus  a  pu  développer  un  /. 

Cette  désinence  est  extrêmement  commune  dans  la  langue  légale 
et  se  trouve  employée  d'une  façon  irrégulière,  surtout  avec  deux 
temps:  l'imparfait  du  subjonctif  et  le  prétérit;  pour  le  premier  de 
ces  temps,  on  trouve  principalement,  comme  dans  la  langue  poli- 
tique,//yi^-dv;//  (par  exemple  33  et  35  Edw.  I'^'',  525),  pleyndreynt  (id. 
253),  vindereynt  (i  et  2  Edw.  II,  pp.  10,  20,  23,  forme  attestée  par 
les  trois  mss.),  tiendreynl  (2  et  3  Edw.  II,  141,  donnée  par  Y),  etc. 
Il  nous  est  impossible  de  savoir  s'il  y  a  eu,  en  même  temps  qu'un 
changement  de  désinence,  déplacement  de  l'accent  ;  il  paraît  tout  au 
moins  probable  que  la  désinence  n'est  pas  simplement  une  graphie 
de  la  muette. 

2.  Les  formes  de   celle  lerniiuaison. 

a)  La  voyelle  posttonique. 

Le  phénomène  le  plus  général  que  nous  puissions  observer  à  pro- 
pos des  troisièmes   personnes  du  pluriel  terminées  par  voyelle  ou, 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  259 

plus  souvent,  diphtongue  plus  ent,  consiste  dans  la  chute  de  la 
voyelle  atone  finale  ;  c'est  ce  que  nous  avons  déjà  étudié  à  la  pre- 
mière et  à  la  seconde  personne  du  singulier.  Nous  allons  mainte- 
nant voir  si  cette  chute  de  l'atone  en  hiatus  s'effectue  ici  dans  les 
mêmes  conditions  que  précédemment;  comme  le  nombre  des 
exemples  fournis  par  la  troisième  personne  du  pluriel  est  beaucoup 
plus  considérable  que  ceux  que  nous  avons  rencontrés  aux  deux 
autres  personnes,  nos  conclusions  seront  plus  faciles  à  tirer  et  plus 
sûres. 

Comme  nous  l'avons  fait  auparavant,  nous  étudierons  tout  d'abord 
ce  qui  se  passe  au  xii^  siècle,  puis  pour  les  deux  siècles  suivants, 
nous  examinerons  successivement  les  désinences  de  l'imparfait  de 
l'indicatit  et  du  conditionnel,  puis  celles  du  subjonctif. 

XII^  SIÈCLE 

Dans  tous  les  ouvrages  composés  au  xii^  siècle,  nous  pouvons 
aisément  relever  de  nombreux  exemples  montrant  que  les  désinences 
en  eient,  ouent,  sont  régulièrement  conservées  sous  leur  forme  dis- 
syllabique; ils  sont  si  communs,  depuis  le  Cumpoz  jusqu'à  Guis- 
chart  de  Beauliu,  que  nous  n'en  citerons  aucun. 

Pendant  cette  période  les  cas  d'amuissement  de  Ve  sont  par  con- 
séquent très  rares  et  ne  se  produisent  que  pendant  le  dernier  tiers 
de  ce  siècle.  Le  premier  que  nous  ayons  rencontré  se  lit  dans  les 
Légendes  de  Marie  d'Adgar  (1160)  ;  on  trouve  dans  cet  ouvrage 
(V  R,  96)  le  conditionnel  reqiierreint,  et  cette  forme  est  assurée  par 
la  mesure  du  vers  : 

Pardun  requerreint  de  quer  parfit. 

Cet  exemple  n'est  pas  des  plus  probants,  le  vers  étant  de  toutes 
façons  un  vers  faux;  peut-être  faut-il  lire  querreint. 

Dans  Horn,les  cas  d'amuissement  de  Ve  sont  un  peu  plus  nom- 
breux; on  trouve  des  imparfaits  et  des  conditionnels  de  même  que 
quelques  présents  du  subjonctif  ;  citons  quelques-uns  de  ces  cas  : 

Présent  du  subjonctif  (vers  465): 

Dicest  mester  od  lui  ovoil  quil  seient  servant. 
Imparfait  de  l'indicatif  (vers  2690)  : 


2é0        L  ÉVOLUTION  DV    VERBE  EX  ANGLO-I-RAKÇMS 

Q.uil  allaient  a  Senburc  pur  esbanciemcnt . 

Conditionnel  (vers   2691),  (exemple  douteux;  faut-il  lire  be-ve- 
reint  ou  he-vrei-ent  ?)  : 

Si  bevereieut  od  lui  c  bon  viu  c  pimtnt. 

Mais  les  présents  de  l'indicatif  dans  lesquels  la  voyelle  muette  de 
la  terminaison  est  en  hiatus  avec  la  voyelle  du  thème  ne  présentent 
jamais  la  synérèse;  de  plus,  même  aux  temps  que  nous  venons  de 
citer,  la  forme  correcte  est  de  beaucoup  la  plus  commune  (cf.  par 
exempleles  vers  48,  176,433,877,  1370,2546,2548,2828,  3908). 
Il  y  a  même  dans  ce  poème  un  exemple  très  curieux  qui  montre  la 
forme  étymologique  employée  à  côté  de  la  forme  abrégée  au  même 
temps  (vers  2692)  : 

Ety(H'/d'/((;J«/ (2  syll.)  as  echcs,  orreieiit  (3  svU.)  harpement. 

Dans  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme,  la  proportion  des  formes 
sans  c  atone  et  des  formes  étymologiques  est  peut-être  un  peu  plus 
forte  que  dans  Horn  ;rt' atone  disparaît  dans  trois  cas  au  présent  de 
l'indicatif,  au  vers  491  : 

Kar  li  Escot  me  guerreient  sans  nule  manaie. 
Au  vers  1 1 7  5  : 

Femmes  fuient  al  muster,  chascune  tud  ravie. 
Entin  au  vers  1947: 

Issi  cumveient  le  rei  de  si  qu'a  Westniuster. 

De  l'autre  côté,  les  formes  régulières  sont  très  nombreuses  ;  on 
en  pourrait  citer  une  trentaine  (cf  vers  132,431,  1495,  1496, 
1844,  1940,  1945).  Quoique  encore  assez  peu  communes,  les 
formes  abrégées  marquent  un  très  grand  progrès,  si  on  peut  dire, 
sur  le  poème  de  Horn.  Il  en  va  de  même  aux  autres  temps,  quoique 
d'une  façon  moins  remarquable  peut-être,  excepté  au  présent  du 
subjonctif  qui  semble  conserver  toujours  très  régulièrement  sa  voyelle  ■ 
atone  (cf.  vers  1357,  1995)  ;  cela    peut  n'être  qu'une  coïncidence. 


LA    TROISIÈME    PERSONNE    DU    PLURIEL  26 1 

A  l'imparfait  et  au  conditionnel,  nous  trouvons  un  nombre  consi- 
dérable de  cas  d'amuissement  de  ïe:  en  voici  quelques-uns: 

Ki  lur  honurs  teneient  del  rei  demeine  (10  syll.),  691  . 

Ne  saveient  porter  armes  a  lei  de  chevalier,  1003. 

Il  esteient  plus  de  lui  par  miliers  e  par  cent,  1042. 

Flamenc  esteient  hardis  et  mult  acuragiez,  1 2 1 5 . 

Kar  il  saveient  mult  bien  li  reis  ert  mult  hardi,  1658. 

Les  vers  qui  nous  attestent  les  formes  avec  atone  syllabique  sont 
à  peine  plus  nombreux  (cf.  433,  643,923,  935,  1342,  1657,  1944, 
et  quelques  autres). 

Nous  trouvons  une  preuve  de  la  diffusion  des  formes  abrégées 
dans  le  fait  qu'un  écrivain  aussi  soigneux  que  Sœur  Clémence  de 
Barking  ne  les  évite  pas  entièrement  ;  on  trouve  chez  elle  (vers 
1339): 

Tost  mavreient  les  oilz  fors  becchie. 

Mais  chez  elle,  comme  dans  les  plus  corrects  des  écrivains  de  la 
fin  du  xii^siècle,  cesformes  sont  rares  ;  quelques-uns  même,  comme 
Guillaume  de  Berneville,  les  ignorent  absolument  (cf.  Vie  de  Saint 
Gilles,  imparfait  de  l'indicatif,  vers  69,85,  1065,  1276,  1735,  1741; 
présent  du  subjonctif,  1627,  1792  ;  présent  de  l'indicatif,  93,  459, 
715,  929,  1044,  1561,  1527).  Il  en  est  de  même  de  Renaut  de 
Montauban. 

XIII^  ET  XlV^  SIÈCLES 

Au  siècle  suivant,  il  n'en  va  pas  toutà  fait  de  même  ;  nous  allons 
voir  pendant  les  premières  années  de  ce  siècle  le  nombre  des  formes 
régulières  décroître  d'une  manière  extrêmement  rapide.  Remarquons 
tout  d'abord  qu'il  n'y  a  qu'un  tout  petit  nombre  d'auteurs  qui  pendant 
cette  période  ne  connaissent  que  la  terminaison  dissyllabique.  Ce 
sont  du  reste  les  deux  auteurs  dont  nous  avons  fait  remarquer  la 
correction  pour  la  première  personne  du  singulier  :  Robert  de  Gre- 
tham,  dans  ses  Évangiles  des  Dompnées  (cf.  23  r°,  39  r°,  65  r",  77 
v°,  etc.),  et  Denys  Pyramus  (cf.  vers  435,  7  syll.,  41 11).  Ils  sont 
exceptionnels,  et  tous  les  autres  présentent  un  nombre  plus  ou 
moins  considérable  de  formes  d'où  ïe  en  hiatus  a  disparu. 


262  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-fkançais 

A.  Imparfait  et  conditionnel. 

Les  poèmes  deChardri  nous  montrent  encore  ici  une  progression 
remarquable  pour  ces  formes;  dans  le  Josaphat,  le  nombre  d'impar- 
faits et  de  conditionnels  qui  ont  retenu  1'^  atone  en  hiatus  est  encore 
assez  considérable,  et  nous  pouvons  en  trouver  plusieurs  attestés 
par  la  mesure  du  vers.  Les  imparfaits  réguliers  de  la  première  con- 
jugaison se  rencontrent  avec  une  terminaison  dissyllabique  dans  deux 
endroits:  Jeiinoenl  au  vers  632  ;  quidoent  au  vers  2613  : 

Les  oiz  lermoent  plus  k'asez  ; 
E  quidoent  ke  ildormeit  ! 

Les  imparfaits  et  conditionnels  en  dent  peuvent  nous  donner  évi- 
demment des  exemples  encore  plus  nombreux  :  les  terminaisons 
dissyllabiques  sont  assurées  entre  autres  par  la  mesure  des  vers  1647, 
i8or,  1962,  2387,  2646.  Voici  ces  cinq  vers  : 

E  kil  amei(e)nt  de  fin  quoer, 
Lespuceles  estei(e)nt  lé  '  ; 
Ki  duneient  mut  grant  odur  ; 
Ki  venei(e)ntvers  noslre  lei  ; 
Estraqgement  estei(e)nt  lé  '. 

Les  cas  d'amuissement  dans  ce  poème  sont  légèrement  plus  nom- 
breux que  les  formes  normales:  on  en  rencontre  aux  vers  313,  560, 
1003,1294,  1545,  1648  (?),  1923,  1956,  1972,  1997,  2627,2635, 
et  quelques  autres  encore. 

Nous  ne  citerons  qu'un  petit  nombre  de  ces  vers  : 

Li  diseint  ke  crestien  esteit,  313  ; 
A  tuz  ki  le  vuleint  amer,  560  ; 
Quant  il  aveint  issi  pleidé,     1003. 

Les  Set  Dormans  ne  nous  fournissent  aucun  exemple  montrant 
la  persistance  de  Ve  atone  aux  imparfaits  étymologiques  de  I  ;  les 
autres  au  contraire  sont  assez  communs  ;  on  en  rencontre  des  exemples 
aux  vers  127,  161,452,  772,  777,  859,  que  nous  donnons  dans  cet 
ordre  : 

I .  Lé  est  monosyllabique  dans  Chardri. 


LA    TROISIÈME    PERSONNE    DU    PLURIEL  263 

Ki  ne  vulei(t;)nt  aûrer  ; 
Bien  savei(e)nt  ke  ceste  vie  ; 
Quant  avei(e)nt  icest  respit  ; 
E  vulei(e)nt  en  tute  guise  ; 
E  ceus  ki  vendrei(e)nt  après  ; 
E  disei(e)ntpar  foie  emprise. 

Mais  le  nombre  de  cas  de  synérèse  ou  d'amuissement  a  augmenté 
dans  de  fortes  proportions  :  ii8,  155,  160,  246,  4)9,461,  663, 
672,  706,  796,  881,  936,  1139,  1553,  1763,  1811,  1825;  voici 
quelques-uns  de  ces  vers  : 

Les  uns  sembloent  cauve  suriz  ; 
Cil  ki  aveint  feble  curage  ; 
E  quank'il  poeint  aramir  ; 
Aveint  a  primes  trespassé. 

Enfin  le  Petit  Plet  ne  nous  donne  qu'un  seul  cas  montrant  la  per- 
sistance de  Ve  atone  ;  on  le  voit  au  vers  72  : 

Mut  chanteient  a  grant  duçur. 

Au  contraire,  les  formes  irrégulières  sont  assurées  au  moins  dans 
quatre  cas,  aux  vers  65,264,  474,  848  : 

E  si  esteintli  arbre  haut  ; 

Mut  en  purreint  venir  granz  pertes  (lire  purreit  ?)  ; 

Ki  me  soleient  fere  cumpainnie  ; 

D'autre  le  freint,  ci  cum  jeo  crei. 

Il  y  a  donc  dans  les  trois  poèmes  de  Chardri  une  progression 
réelle,  le  nombre  de  formes  sans  e  augmente  d'un  poème  à  l'autre 
constamment  ;  et  quoique  nous  n'attachions  qu'une  importance 
médiocre  aux  proportionsnous  pouvons  résumer  par  quelqueschiffres 
les  résultats  auxquels  nous  sommes  arrivés  :  pour  100  terminaisons 
de  la  troisième  personne  du  pluriel  de  l'imparfait  ou  du  condition- 
nel, on  trouve  environ  60  cas  d'amuissement  de  Ve  atone  dans  le 
Josaphat,  68  dans   les  Set  Dormans  et  75  dans  le  Petit  Plet. 

Pour  ce  qui  est  des  poèmes  de  Frère  Angier,  les  deux  formes  es 
rencontrent  (cf.  Miss  M.  K.  Pope,  p.  23);  nous  ne  connaissons  pas 
le  rapport  de  ces  deux  formes.  Dans  le  Saint  Edmund,  le  nombre 
des  formes  abrégées  est  supérieur  à  celui  des  formes  correctes  et  le 


264  l'évolution  du  verre  en  anglo-françals 

rapport  entre  les  deux  formes  est  sensiblement  le  même  que  dans  le 
Petit  Plet  ou  au  moins  que  dans  les  Set  Dormans.  Les  formes  cor- 
rectes se  trouvent  aux  vers  114,  15e,  810,  1398,  léoy,  1914,  191 5 
et  quelques  autres  moins  sûrs  '. 

Les  formes  abrégées  se  trouvent  assurées  dans  un  nombre  à  peu 
près  double  de  cas  ;  on  les  rencontre  aux  vers  suivants:  148,  244, 
249,  335,  368,  431,  1032,  1093,  1133,  1154,  1381,  1457,  1759, 
1913,  1921,  1998  \ 

11  est  assez  difficile  de  se  rendre  compte  de  ce  qui  se  passe  dans  le 
poème  de  Saint  Auban;  la  plupart  des  vers  où  apparaissent  des  troi- 
sièmes personnes  du  plurielde  l'imparfait  et  du  conditionnel  ont  une 
mesure  incertaine  ou  bien  ces  verbesy  sont  placés  à  l'hémistiche  ;  par 
conséquent  les  éléments  douteux  sont  trop  nombreux  pour  que  nous 
puissions  avoir  une  idée  même  approximative  de  l'état  de  ces  termi- 
naisons dans  le  poème.  Il  y  a  malgré  cela  quelques  exemples  assez  sûrs 
pour  que  nous  n'ayons  aucun  doute  sur  l'existence  de  ces  deux  formes 
de  la  désinence.  Les  vers  1 62  {savaient),  168  (estoient),  i6^j (estaient), 
1738  {anierroioit^,  1740  (ociroient)  nous  donnent  des  exemples 
à  peu  près  certains  de  terminaisons  dissyllabiques  ;  par  contre,  les 
vers  239  {disoient),  1 3 7 1  (estaient),  1 3 80  (estaient),  1 760  (estaient) nous 
semblent  aussi  probants  en  faveur  des  terminaisons  monosyllabiques. 
Notre  impression  toutefois  est  que  les  premières  sont  plus  nombreuses. 

Les  mêmes  doutes  nous  poursuivent  pendant  la  fin  du  xni''  siècle 
et  pendant  le  xiV^  ;  il  faut  remarquer  toutefois  que  les  e  sont  écrits 
assez  communément.  Sont-ils  purement  graphiques  ?  Cela  est  pos- 
sible ;  cependant  quand  il  nous  arrive  de  rencontrer  un  poème  dont 
la  versification  est  à  peu  près  régulière,  nous  avons  la  preuve  que  Ve 

1.  Aveient  de  ces  treis  parties  ;  1 14. 
Morz  voleient  estre  a  lur  voil  ;                156  et  810. 
Si  feseient  tute  la  mit  ;                           1 398. 

Si  feseient  tut  li  baron,  IS98. 

Kil  les  vendreient  assaillir  ;  1607. 

Kant  errouent  od  lur  navie  ;  IÇH- 

2.  Nous  citerons  ici  quelques-uns  de  ces  vers  : 

Qu'il  aveient  en  tens  grant  plenté;  244. 

Grant  doel  en  aveient  e  grant  ire  ;  249. 

Un  rei  aveient,  ço  fu  le  veir  ;  431. 

Kant  par  ci  feseient  lur  repaire  ;  1032. 

Kant  la  niet  aveient  aprcstc;  1381. 


LA    TROISIÈME    PERSONNE    DU    PLURIEL  265 

comptait  assez  souvent  dans  la  mesure  du  vers  ;  par  exemple,  dans 
le  Siège  de  Czrhv er ok,  avoient  a  trois  syllabes  au  vers  56  et  les 
exemples  que  nous  fournit  le  poème  sur  le  Prince  Noir  sont  encore 
plus  nombreux  (cf.  Miss  Pope,  Introduction,  p.  xi).  On  peut  aussi 
relever  quelques  exemples  assez  douteux,  pour  dire  le  moins,  de  dési- 
nences probablement  régulières,  dans  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft  (cf.  I,  12,  28).  Remarquons  encore  que  des  quatre  mss. 
de  ce  poème,  trois,  A,  C  et  D,  omettent  le  plus  souvent  la  lettre 
muette,  mais  le  quatrième  et  le  meilleur,  B,  la  conserve  le  plus 
souvent. 

Il  résulte  évidemment  de  ce  que  nous  venons  de  dire  que  les 
terminaisons  abrégées  doivent  être  extrêmement  nombreuses  après 
la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle  ;  en  fait,  elles  deviennent  la  règle, 
et  nous  n'observons  ici  une  recrudescence  de  terminaisons  étymolo- 
giques à  aucun  moment  du  xiV  siècle,  comme  nous  avions  cru  le 
faire  pour  la  première  personne  du  singulier. 

Nous  ne  citerons  que  quelques  exemples  des  formes  que  nous 
avons  relevées  pendant  cette  période  et  qui  montrent  que  la  termi- 
naison de  la  troisième  personne  du  pluriel  des  deux  temps  qui  nous 
occupent  est  le  plus  souvent  monosyllabique  ;  nous  choisirons  les 
exemples  qui  nous  ont  semblé  les  plus  sûrs.  On  lit  par  exemple 
feseint  au  folio  50  r°  de  la  Genèse  Notre-Dame  ;  voleintzu  vers  109 
de  la  Plainte  d'Amour;  aveint  au  vers  530  du  même  poème  ;  dans 
William  de  Waddington,  ces  désinences  qui  montrent  eint  avec  la 
valeur  d'un  monosyllabe  sont  en  nombre  considérable  ;  poeint  par 
exemple  au  vers  2262,  esteint  au  vers  3781.  Ces  formes  semblent 
d'ailleurs  se  nmltiplier  dans  les  poèmes  de  la  fin  du  xiii^  siècle  ;  quel- 
ques-uns sont  douteux  évidemment,  et  peuvent  provenir  des  scribes 
du  siècle  suivant.  Il  y  en  a  cependant  beaucoup  que  nous  n'avons 
aucune  raison  de  rejeter,  comme  fesciiit  au  folio  61  v°  des  Heures 
de  la  Vierge,  alcint  dans  l'Erection  des  Murs  de  New  Ross  ;  ou  encore 
quidount  au  vers  984  de  Dermod  et  devant  au  vers  1274  du  même 
poème,  pour  ne  citer  que  quelques  formes. 

Le  même  état  de  choses  se  remarque  au  xiv^  siècle  ;  nous  ne  pou- 
vons songer  à  allonger  notre  liste  d'exemples,  trop  longue  déjà  ; 
qu'il  nous  suffise  de  dire  que  les  exemples  douteux  de  tout  à  l'heure 
pourraient  trouver  place  ici,  comme  représentant  les  habitudes  des 
scribes  de  cette  époque.  En  un  mot,  assurées  ou  non  par  la  mesure. 


266  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

les  désinences  en  eint  sont  de  beaucoup  les  plus  communes  ;  on  les 
trouve  dans  l'Apocalypse  {diseint,  a,  io8)  ;  dans  la  Chronique  de 
Pierre  de  Langtoft  (cf.  par  exemple  alcyut,  I,  12,  28  ;  et  toute  la 
laisse  1,90,  25  et  pass'uii),  dans  Foulques  Fitz  Warin  (devereicut,  16  ; 
defcndreynt,  20  et  pnssini).  Enfin  ces  désinences  sont  à  peu  près 
les  seules  qu'on  rencontre  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  dans 
la  Chronique  de  Nicolas  Trivet^  dans  les  Vies  de  Saints  du  même 
auteur'  (Vie  de  Saint  Richard,  vers  435,  597,  755,  1676).  C'est 
assez  dire  que  les  désinences  incorrectes  ont  tendu  à  devenir  la 
règle  depuis  le  commencement  de  la  moitié  du  xiii=  siècle,  et  que, 
sauf  quelques  exceptions,  la  forme  étymologique  est  devenue  extrê- 
mement rare  au  siècle  suivant. 

Il  nous  faut  cependant  faire  une  remarque  qui  ne  manque  pas 
d'importance.  Comme  nous  l'avons  dit  les  e  syllabiques  ne  semblent 
pas  augmenter  de  nombre  pendant  lexiV^  siècle;  mais  il  est  évident 
qu'au  moins  certains  scribes  de  cette  époque  l'écrivent  plus  fré- 
quemment qu'on  ne  le  faisait  à  l'époque  précédente.  Cela  est  si  vrai 
que  nous  avons  trouvé  des  exemples  où  cette  voyelle  a  été  écrite  et 
où  elle  ne  compte  pas  dans  la  mesure  du  vers.  Nous  sommes  alors 
tentés  de  croire  qu'elle  a  été  rétablie  par  les  scribes,  alors  même  que 
les  auteurs  qui  étaient  leurs  contemporains  ne  donnaient  pas  à  cet 
e  sa  valeur  syllabique. 

Pour  donner  par  conséquent  une  conclusion  complète,  nous 
dirons  quel'^  qui  avait  disparu  de  la  prononciation  dans  les  conditions 
que  nous  avons  exposées  s'est  trouvé  rétabli  dans  un  certain  nombre 
de  cas  dans  l'écriture  par  certains  auteurs  ou  scribes  du  xiv^  siècle. 

B.  Présent  du  subjonctif  et  de  l'indicatif. 

Les  troisièmes  personnes  du  pluriel  du  présent  du  subjonctif  et 
de  l'indicatif  pour  lesquelles  ïe  muet  de  la  désinence  se  trouve  en 
hiatus  n'ont  pas  été  soumises  à  la  réduction  que  nous  étudions  au 
même  degré  que  les  mêmes  personnes  de  l'imparfait  et  du  condi- 
tionnel; cela  est  surtout  vrai  du  présent  de  l'indicatif  qui,  comme 
nous  le  verrons,  ne  montre  que  très  rarement  des  formes  d'où  Ve 

I.  Nous  trouvons  un  exemple  où  Ve  en  hiatus  est  gardé    dans  la  Vie  de  Saint 
Richard  (contre  quatre  au  moins  d'où  il  a  disparu)  au  vers  704: 
Carnet  esteient  de  conscience. 


LA    TROISIÈME    PERSONNE    DU    PLURIEL  267 

atone  a  disparu.  Ce  fait  seul  suffit  à  montrer  que  l'amuissement  de 
Ve  n'est  pas  un  fait  purement  phonique. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  les  deux  auteurs,  Robert  de  Gretham 
et  Denys  Pyramus,  que  nous  avons  jusqu'ici  trouvés  toujours  très 
corrects  sur  ce  point;  ils  ne  présentent  aucune  forme  abrégée  au 
subjonctif  et  à  l'indicatif.  Dans  les  trois  poèmes  de  Chardri,  les 
formes  régulières  restent  toujours  plus  communes  que  les  formes 
incorrectes  ;  c'est  ainsi  qu'on  trouve  pour  le  premier  de  ces  temps  : 

De  ce  seient  trestuz  tut  prest;  Josaphat,  558  ; 

Od  lu  seient  e  jur  é  nut  ;  Josaphat,  1780  ; 

U  les  enfans  seient  alez  ;  Set  Dormans,  681  ; 

Seient  sumuns  demain  au  jor  ;  Set  Dormans,  686. 

Le  Petit  Plet  ne  nous  a  donné  aucun  exemple  pour  ce  temps. 

Les  vers  qui  montrent  une  désinence  dissyllabique  au  présent  de 
l'indicatif  sont  beaucoup  plus  nombreux  et  nous  nous  contenterons 
d'un  petit  nombre  de  références  ;  dîent  comptant  pour  deux  syl- 
labes se  rencontre  très  communément,  aux  vers  1280,  2553,  2672 
du  Josaphat  ;  éii,  etc.,  des  Set  Dormans;  830,  etc.,  du  Petit  Plet; 
poent  n'est  guère  moins  commun  (cf.  v.  340,  347  des  Set  Dormans; 
489,  du  Petit  Plet).  On  trouve  encore  un  nombre  assez  considé- 
rable d'autres  verbes,  veient,  prient,  fuient,  establient  (cf.  Set  Dormans, 
445,  361,  1805). 

Les  cas  de  synérèse  ou  d'amuissement  sont  beaucoup  moins 
communs  même  au  subjonctif.  On  trouve  dans  le  Josaphat  seint  au 
vers  1769  : 

Curteises  seint  et  enveisées. 

Un  autre  exemple,  beaucoup  plus  douteux,  se  rencontre  dans  les 
Set  Dormans,  au  vers  1595  : 

E  huni  seint  ki  par  enfance, 

OÙ  il  faut  lire  avec  O  le  singulier  seit^  ;  comme  on  le  voit,  le  nombre 
de  formes  abrégées  est  des  plus  restreints.  Il  est  relativement  encore 

I.  Le  singulier  rétablit  la  mesure  dans  le  vers  qui  suit  (1596)  : 

Nus  volt  (au  lieu  de  :  voelent)   mettre  en  autre  créance. 


268  l'kvolution  du  verbe  en  anglo-français 

moindre  pour  les   troisièmes  personnes  du  présent  de   l'indicatif  : 
Josiiphat  nous  donne  liiciit,  au  vers  2809  : 

E  dient  ke  l'autre  li  cnveit, 

les  Set   Dormans   :  pocnt,  csmaient,  respectivement   aux  vers  1224, 

1608  : 

La  u  il  poent  aver  mestrie  ;  • 

E  ne  s'esmaient  de  nule  ren. 

Comme  on  le  voit,  nous  sommes  ici  fort  loin  des  proportions 
que  nous  donnions  pour  cette  même  terminaison  à  l'imparfait  et 
au  conditionnel  ;  IV  muet  se  maintient  bien  mieux  au  présent  de 
l'indicatif  et  à  celui  du  subjonctif  qu'aux  deux  autres  temps.  Ce 
n'est  du  reste  pas  dans  les  poèmes  de  Chardri  seulement  que  nous 
pouvons  le  remarquer;  le  Saint  Edmund  nous  fournit  un  plus 
grand  nombre  d'exemples  que  les  autres  ouvrages  de  cette  époque,  et 
l'usage  que  suit  l'auteur  est  à  peu  près  celui  que  nous  avons  observé 
dans  Chardri.  Au  subjonctif,  les  désinences  régulières  sont  nom- 
breuses (cf.  1041,  1047,  3794),  mais  beaucoup  plus  rares  que  pour 
le  présent  de  l'indicatif  (cf.  v.  205,  320,  519,  817,  1102,  1122, 
1391,  1392)'. 

Les  formes  abrégées  au  contraire  sont  assez  rares  ;  d'après  nos 
calculs,  les  présents  du  subjonctif  réguliers  sont  quatre  fois,  les 
présents  de  l'indicatif  douze  fois  plus  nombreux  que  les  formes  irré- 
gulières des  temps  correspondants  (cf.  v.  47,  1060)  ^ 

Dans  le  Saint  Auban,  nous  trouvons  plusieurs  subjonctifs  et  de 
nombreux   présents  de  l'indicatif  qui  ont   une  désinence  dissylla- 

1.  Kirs'entredient  vérité  ;  205 
Avant  enveient  la  rascailie  ;  ^20 
E  cels  deprient  Deu  le  grant  ;  519 
Plurent,  crient  e  tel  doel  funt  ;  817 
Tuz  se  gréent  granz  e  petiz;  1 102 
E  dient  tuz  :  Bien  est  a  faire;  1 122 
As  esches  gewênt  e  as  tables  ;  1 391 
Dient  respiz  e  cuntent  fables;  1392 
E  mult  seient  ben  ustilez  ;  1041 
E  de  la  mer  seient  apris  ;  1047 
Q.uil  les  seient  (a)  forteresce.  3794 

2 .  De  jove  les  oyent  e  de  gré. 

En  autres  deus  seient  lur  hernevs. 


La  troisiÈxVie  personne  du  pluriel  269 

bique,  par  exemple  aux  vers  1026,  1363,  1716;  664,  1067,  1289, 
1332,  1464,  1597. 

Mais  seuls  les  présents  du  subjonctif,  et  encore  très  rarement, 
nous  montrent  la  chute  delà  voyelle  muette,  comme  au  vers  731  : 

Mal  aient  Deu  père  u  fust  u  ki  de  métal  sunt. 

Dans  les  autres  auteurs  de  la  fin  du  xiii^  siècle,  nous  trouvons 
souvent  que  Ve  atone  a  persisté  au  moins  dans  la  graphie  ;  il  est  le 
plus  souvent  impossible  de  dire  s'il  reste  aussi  dans  la  prononcia- 
tion :  citons  cependant  comme  un  exemple  peu  douteux  le  eyeiit  du 
vers  332  de  la  Plainte  d'Amour  : 

Mes  que  il  eyent  bon  chevaus  ; 

Le  Siège  de  Carlaverok  et  le  poème  du  Prince  Noir  ne  nous 
offrent  aucun  exemple  ;  la  forme  précédente  est  peut-être  le  dernier 
exemple  dont  nous  puissions  être  sûrs.  Il  est  vrai  que  nous  pouvons 
concevoir  autant  de  doutes  sur  la  plupart  des  formes  qui  se  pré- 
sentent à  nous  sans  leur  e  étymologique  ;  si  nous  nous  en  tenons 
aux  graphies  que  nous  donnent  les  manuscrits,  ce  qui  semble  être 
notre  unique  ressource  au  xiv^  siècle,  nous  voyons  qu'à  cette 
époque  le  nombre  de  présents  de  l'indicatif  ou  du  subjonctif  qui 
ont  la  forme  abrégée  est  beaucoup  plus  considérable  que  les  autres  ; 
citons  rapidement  :  eint  au  vers  lé  du  Saint  Nicolas;  seint  qu'on 
rencontre  partout  :  Apocalypse,  Dermod,  Pierre  de  Langtoft;  veint 
de  voir,  au  vers  843  de  la  Satire  sur  le  Siècle,  au  §  5  des  Contes 
de  Bozon;  poiint  ou  point  de  pouvoir,  au  vers  132  de  Dermod  et  au 
§119  de  Bozon  ;  et  plusieurs  autres  formes  qu'il  serait  peu  utile 
d'énumérer  ici. 

Par  conséquent,  il  ressort  de  ce  que  nous  venons  de  voir  que 
l'amuissement  de  Ve  de  la  terminaison  ne  s'est  pas  généralisé  aussi 
vite  au  présent  du  subjonctif  qu'à  l'imparfait  et  au  conditionnel  ;  que 
vers  le  milieu  du  xiii^  siècle,  et  peut-être  plus  tard,  les  désinences 
monosyllabiques  pour  ce  temps  restent  exceptionnelles  ;  c'est  le 
xiV^  siècle  seulement  qui  nous  montre  un  emploi  à  peu  près  cons- 
tant des  terminaisons  sans  muette.  Ceci  s'applique  aussi  à  un  certain 
nombre  de  terminaisons  analogues  du  présent  de  l'indicatif,  avec  cette 
restriction  toutefois,  que  l'amuissement  de  la  voyelle  muette  est 
plus  rare  encore  et  plus  tardive  qu'au  présent  du  subjonctif. 


270  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Avant  de  quitter  les  œuvres  littéraires,  nous  pouvons  ajouter  une 
observation  qui  ne  manque  pas  d'importance.  Nos  conclusions  sur 
la  désinence  en  diphtongue  plus  ent  auraient  été  quelque  peu  diffé- 
rentes si,  au  lieu  d'étudier  les  textes  mêmes,  nous  n'avions  observé 
que  les  habitudes  des  scribes.  On  peut  remarquer  en  effet  que  la 
plupart  des  manuscrits  écrits  après  le  commencement  du  xiii^  siècle 
nous  montrent  un  amuissement  systématique  de  la  muette  avec,  le 
plus  souvent,  une  régularité  qui  est  inconnue  aux  écrivains  de  la 
période  à  laquelle  appartient  le  manuscrit.  Cette  contradiction  ou 
divergence  entre  l'usage  des  scribes  et  celui  des  écrivains  a  certaine- 
ment une  signification.  Elle  montre  qu'assez  longtemps  avant  que 
la  terminaison  diphtongue  plus  ent  ait  été  généralement  acceptée 
comme  monosyllabique  dans  la  langue  littéraire,  elle  avait  pris  cette 
valeur  dans  la  prononciation.  Les  scribes,  comme  il  est  naturel, 
sont  donc  en  avance  sur  les  auteurs,  car  ils  expriment  les  habitudes 
actuelles  du  dialecte,  alors  que  ces  derniers  emploient  une  langue 
littéraire,  c'est-à-dire  teintée  d'archaïsme.  Certains  scribes  du  xiV 
siècle  au  contraire  rétablissent  souvent  cet  e. 

Une  conséquence  assez  rare  de  la  chute  de  cette  voyelle  atone, 
mais  qui  montre  bien  les  progrès  faits  par  l'amuissement  à  ces  troi- 
sièmes personnes  du  pluriel,  c'est  la  nasalisation  de  la  diphtongue 
accentuée;  nous  ne  rencontrons  d'exemple  assuré  de  ce  phénomène 
que  dans  un  seul  auteur  qui  est  du  reste  généralement  fort  incor- 
rect :  on  pourrait  par  conséquent  ne  voir  qu'une  rime  pour  l'œil, 
dans  les  deux  exemples  suivants  :  esleint  (:  ceint),  Apocalypse,  (3, 
52  ;  disant  (:  ensement),  ibid.,  ?,  252, 

QjLioique  isolés, ces  deux  exemples  ont  une  certaine  signification; 
ils  montrent  que  la  forme  abrégée  est  devenue  la  forme  normale  et 
a  réussi  en  certains  cas  à  faire  oublier  celle-ci. 

La  question  est  beaucoup  moins  compliquée  dans  les  textes  non 
littéraires;  d'abord  la  versification  ne  peut  plus  nous  venir  en  aide 
puisque  évidemment  tous  les  textes  sont  en  prose;  mais  par  contre, 
si  nous  perdons  un  moyen  de  contrôle  bien  douteux  en  anglo- 
français,  nous  avons  sous  les  yeux  des  textes  qui  datent  de 
l'époque  à  laquelle  ils  ont  été  écrits;  ce  qui  va  rendre  nos  conclu- 
sions à  la  fois  plus  faciles  à  tirer  et  d'une  portée  plus  limitée.  Les 
formes  que  nous  allons  relever  et  que  nous  allons  analyser  ne  nous 
font   connaître  qu'une  chose  :   l'orthographe  ;   nous  n'y  trouvons 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  27 1 

aucun  renseignement  sur  la  prononciation  et  ce  dernier  point  est 
infiniment  plus  important  que  l'autre  '. 

La  moindre  étude  des  textes  diplomatiques  et  familiers  nous 
montre  très  clairement  que  dans  l'immense  majorité  des  cas  Ve  en 
hiatus  est  conservé  dans  l'écriture . 

Nous  avons  relevé  dans  les  textes  les  plus  importants  toutes  les 
désinences  en  (c){a)(o)ient,  et  nous  avons  trouvé  que  la  propor- 
tion en  faveur  des  graphies  étymologiques  est  énorme  dans  la  majo- 
rité des  textes.  Dans  les  Statutes  nous  n'avons  rencontré  en  tout 
que  quatre  imparfaits  et  trois  conditionnels  sans  Ve  étymologique  ; 
aucun  présent  du  subjonctif  ne  prend  la  forme  abrégée  ;  les  exemples 
sont  les  suivants  :  poeiiit  (iijS,  I,  50  et  1318,  I,  177);  soleint 
(1305,  I,  144);  voleifit  (1360,  I,  369);  deverotnt  (1311,  I,  163); 
vendroint  (1315,  I,  175);  voudreirit  (1344,  I,  301). 

Il  n'est  pas  exagéré  de  dire  que  les  formes  régulières  sont  environ 
de  vingt  à  trente  fois  plus  nombreuses.  Il  en  est  de  même  pour  les 
Parliamentary  Writs,  qui  ont  en  tout  trois  formes  en  eint,  deux 
imparfaits  et  un  conditionnel,  tandis  que  les  autres  formes  sont 
plus  nombreuses. 

Les  Early  Statutes  of  Ireland  et  les  Acts  of  Parliament  of  Scot- 
land  ne  nous  ont  donné  aucun  cas  d'irrégularité. 

D'autres  textes  en  présentent  proportionnellement  davantage, 
quoique  les  formes  régulières  l'emportent  de  beaucoup  sur  celles  qui 
ne  le  sont  pas. 

Le  Mem.  Pari.  1305  a  trois  formes  sans  atone,  ou  très  peu  plus  : 
feseint,  §  153  ;esteint,^  i2j  •,purraint,^^S.  Rymeren  a  un  plus  grand 
nombre, une  vingtaine  au  plus,  croyons-nous  :  poaifil (12^4,  II,  32; 
1348,  V,  613);  auroint  (1259,  I,  675);  vodreint  (1330,  IV,  453). 
Nous  en  trouvons  aussi  des  exemples  isolés  dans  les  autres  textes,  par 
exemple  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  où  elles  sont,  tout  en  res- 
tant toujours  exceptionnelles,  proportionnellement  plus  nombreuses 
que  dans  les  Statutes  ou  que  dans  Rymer;  dans  le  Registrum  Mal- 
mesburiense,  les  Royal  Letters.  Nous  n'en  relevons  aucun  exemple 
dans  les  Literae  Cantuarienses. 

On  peut  encore  trouver,  mais  seulement  dans  les  textes  les  plus 
incorrects,  et  encore  rarement,  des  formes  qui  ne  se  rencontrent  pas 

I.  Le  français  moderne  a  bien  gardé  cet  t- qui  ne  compte  ni  dans  la  prononcia- 
tion ni  dans  la  versification. 


2-jl  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-f RANÇAIS 

dans  les  Statures,  ce  sont  les  présents  du  subjonctif  abrégés  :  Rymer 
nous  donne  quatre  ou  cinq  fois  soint  et  aint  (13  12,  III,  366  ;  1333, 
IV,  564  ;  138-],  VII,  433)  alors  que  la  forme  étymologique  est  très 
fréquente;  on  trouve  aussi  nv// dans  Barthélémy  Cotton  (1295,  300); 
scint  dans  les  Annales  de  Burton  (1255,  453). 

Mais  ces  formes,  même  chez  les  auteurs  incorrects,  restent  très 
rares. 

Il  est  très  difficile  de  dire  avec  précision  comment  la  langue  légale 
a  traité  ces  terminaisons  ;  non  seulement  chacun  des  Year  Books 
diffère  de  tous  les  autres  ;  non  seulement,  si  on  essaie  d'établir  des 
rapports  numériques  entre  les  deux  formes,  on  obtient  des  résultats 
incohérents,  mais  les  différents  mss.  de  chaque  Year  Book,  les  diffé- 
rentes parties  qui  le  composent,  présentent  rarement  le  même 
usage  ;  il  y  a  incohérence  quand  on  compare  un  recueil  avec  ceux 
qui  le  précèdent  ou  qui  le  suivent  ;  incohérence  quand  on  collationne 
les  mss.  qui  donnent  le  même  texte,  incohérence  quand  on  met 
côte  à  côte  différentes  parties  d'un  même  recueil.  On  ne  peut  don- 
ner, comme  conclusions  générales,  que  des  affirmations  élastiques 
et  vagues  qui  peuvent  être  en  désaccord  avec  certains  faits  particu- 
liers. 

Cependant  on  peut,  croyons-nous,  avancer  les  propositions  sui- 
vantes : 

1°  La  terminaison  régulière,  et  la  terminaison  sans  e  atone  se 
trouvent  toutes    les  deux  dans  tous  les  recueils  que  nous  étudions. 

Pour  la  terminaison  régulière,  ceci  est  évident  :  on  en  trouve  des 
exemples,  comme  avoient  (17  et  18  Edw.  III,  21,  etc.)  jusque  dans 
les  derniers  Year  Books. 

Pour  la  terminaison  abrégée,  il  subsiste  des  doutes;  nous  ne 
pouvons  pas  affirmer  avec  certitude  que  les  exemples  que  nous 
relevons  dans  les  premiers  recueils  ne  proviennent  pas  du  scribe  et 
ne  sont  pas  par  conséquent  postérieurs  au  xiv^  siècle.  Toutefois  les 
Year  Books  édités  pour  la  Selden  Society  nous  fournissent  les  leçons 
des  divers  mss.  qui  concordent  souvent;  surtout  le  ms.  Y,  qui  date 
de  13  12,  nous  donne  des  exemples  sûrs  comme  acordoint  (3  Edw. 
II,  188),  etc.  Il  est  moralement  certain  qu'il  faut  faire  remonter 
plus  haut  l'apparition  de  cette  forme,  et  nous  accepterions  la  plupart 
des  exemples  que  nous  donnent  les  premiers  Year  Books. 

2"  Les  formes  régulières  sont  les  plus  communes  jusqu'au  règne 


La  troisième  personne  du  pluriel  1273 

d'Edward  III  ;  les  formes  abrégées  à  partir  de  ce  moment  deviennent 
plus  fréquentes  que  les  autres. 

La  première  partie  de  cette  conclusion  n'est  rien  moins  que  sûre; 
les  formes  correctes  sont  certainement  nombreuses,  surtout  dans  les 
texte  de  la  Selden  Society  :  Y,  en  quelques  pages,  nous  donne  : 
disoient,  eient,  voleient  (3  Edw.  II,- 122,  188),  et  dans  Y,  il  est  évi- 
dent que  ces  formes  correctes  sont  plus  nombreuses  que  les  formes 
abrégées,  mais  cela  n'est  pas  vrai  de  certains  autres  recueils  comme 
33  et  35  Edw.  \"  par  exemple,  où  c'est  le  contraire  qui  a  lieu. 
Mais  nous  sommes  sûrs  de  la  date  de  Y,  et  nous  ne  le  sommes  pas 
de  celle  des  formes  du  second  recueil  que  nous  venons  de  citer. 

La  seconde  partie  de  notre  conclusion  est  discutable  aussi,  à  un 
moindre  degré.  Dans  les  derniers  Year  Books  les  formes  abrégées 
sont  beaucoup  plus  nombreuses,  et  elles  doivent  certainement 
l'être  ;  mais  pouvons-nous  rapporter  à  la  date  du  Year  Book  toutes 
•les  formes  abrégées  que  nous  y  trouvons?  dans  quelle  mesure  fau- 
drait-il reconnaître  comme  originales  ces  mêmes  formes  ? 

Nous  ne  pouvons  répondre  à  ces  questions. 

Le  présent  de  l'indicatif  de  certains  verbes  a  subi  un  traitement 
particulier;  pouvoir  prend  à  la  troisièiTie  personne  du  pluriel  du 
présent  de  l'indicatif  la  forme  poimt,  qui  doit  provenir  vraisembla- 
blement de  la  forme  po-ufit;  pount  se  trouve  dans  lesStatutes  (1275, 
I,  26),  dans  Rymer  (1297,  II,  790),  dans  le  Liber  Rubeus  de  Scac- 
cario  (1325,  940).  Il  nous  semble  que  de  la  même  ïaçon  po-ont  a 
donné  pont,  forme  assez  rare  qu'on  trouve  dans  les  Statutes  (1306 
(1332?),  I,  242). 

Nous  voici  donc  à  même  de  marquer  avec  assez  de  précision  les 
principaux  points  de  l'évolution  de  l'atone  posttonique  en  hiatus 
après  la  diphtongue  ei,  en  tenant  compte  des  trois  personnes  aux- 
quelles nous  avons  étudié  ce  phénomène. 

1.  Entre  11 10  et  ri6o  l'atone  se  conserve  très  régulièrement  à 
tous  les  temps  et  à  toutes  les  personnes  où  elle  se  rencontre. 

2.  Les  premiers  cas  de  disparition  de  cette  voyelle  dans  la  pro- 
nonciation remontent  tous  (r*"  personne,  2"  personne  du  singulier; 
3*=  personne  du  pluriel)  à  1160. 

3.  Ces  cas  de  disparition  de  l'atone  restent  tout  d'abord  assez  rares  ; 
le  premier  poète  qui  nous  en  montre  un  nombre  assez  considérable 

18 


274  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE   EN    ANGLO-I-KANÇAIS 

est  Jordan  Fantosme  et  surtout  Chardri  ;  on  observe  une  progres- 
sion remarquable  entre  les  trois  poèmes  de  ce  dernier  auteur. 

4.  Les  formes  abrégées  deviennent,  sauf  quelques  exceptions,  de 
plus  en  plus  communes  à  mesure  qu'on  avance  dans  le  xiii'=  siècle  ; 
vers  1275  (William  de  Waddington),  on  peut  dire  que  les  formes 
régulières  sont  devenues  extrêmement  rares.  Vc  posttonique  en  hia- 
tus n'est  plus  ni  prononcé  ni  écrit. 

5.  Au  xiV^  siècle,  nous  observons  dans  l'usage  des  écrivains 
anglo-français  une  légère  différence.  Il  semble  bien  que  Ve  ne  soit 
pas  prononcé  beaucoup  plus  souvent  que  pendant  la  période  précé- 
dente; mais  il  est  certainement  plus  souvent  écrit.  Les  manuscrits 
de  cette  époque  et  en  particulier  les  textes  qui  n'appartiennent  pas 
à  la  littérature  nous  ont  offert  un  nombre  très  considérable  d'exemples 
nous  montrant  que  Ye  étymologique  a  été  rétabli. 

Nous  n'avons  pas  fait  entrer  en  ligne  de  compte  les  Year  Books 
qui  sont  trop  incohérents. 

/')  La  diphtongue  ei  {ai)  à  la  troisième  personne  du  pluriel  '. 

On  trouve  dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques  pour  la 
diphtongue  de  ces  troisièmes  personne  en  eient,  des  changements  qui 
sont  rares  dans  la  langue  littéraire  ou  qui  y  sont  totalement  incon- 
nus. 

1°  La  diphtongue  de  la  terminaison  est  réduite  à  e. 

Ce  phénomène  a  surtout  lieu. pour  les  présents  de  l'indicatif  de 
seoir,  voir,  et  le  présent  du  subjonctif  d'avoir  et  d'être  :  nous  lisons 
sci'iil  (iio),  v.ciit  (204)  dans  la  Vie  de  Saint  Panuce;  les  Statutes, 
les  Early  Statutes  of  Ireland,  les  Parliamentar}'  Writs,  etc.,  nous 
fournissent  un  nombre  assez  considérable  d'exemples  de. ces  formes, 
et  nous  allons  en  citer  rapidement  quelques-uns  :  eciit  se  lit  dans  les 
Statutes  (1297,  I,  124);  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  (i  320, 
282);  dans  les  Parliamentary  Writs  (1305,  I,  162);  smit  se  trouve 
dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  (1320,  280);  dans  les  Parliamen- 
tary Writs  (1301,  104),  etc.  De  même  on  peut  lire  la  forme  veent 
dans  les  Parliamentary  Writs(i305,  §  161);  etc. 

Les  deux  premières  formes  que  nous  venons  de  citer  se  retrouvent 
assez  fréquemment  dans  les  autres  textes,  par  exemple  dans  les 
Rymer's  Foedera  (1289,  II,  448)  ;  dans  les  Royal  Letters  Henry  III 

I.  Cf.  Imparfait. 


LA    TROISIEME    PERSONNE    DU    PLURIEL  275 

(1258,  131  ;  126),  593),  dans  les  Letters  from  Northern  Registers 
(1270,  27).  On  trouve  que  cette  même  réduction  prend  place 
aussi,  mais  moins  souvent,  au  conditionnel  :  vodremt,  Mem;Parl. 
1305  (§  298). 

Des  formes  analogues  se  rencontrent  dans  les  Year  Books  :  seent 
(:=  soient)  (11  et  12  Edw.  III,  588). 

Cette  réduction  à  la  diphtongue  devant  Ve  muet  s'est  produite 
au  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle  pour  les 
auteurs  peu  soigneux  ;  un  demi-siècle  plus  tard  pour  les  autres. 
Elle  est  assez  générale  en  dehors  de  la  littérature. 

2°  La  diohtongue  de  la  terminaison  est  réduite  à  /. 

Cette  réduction  s'opère  principalement  à  l'imparfait  et  au  condi- 
tionnel, comme  dans  vodrienl  au  vers  1 1  de  l'Ipomédon  (A).  Nous 
en  trouvons  des  exemples  dans  la  langue  politique  :  ^cZ/Vw^  dans  les 
Statutes  (1275,  I,  26);  et  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285, 
48  et  96).  L'imparfait  de  l'indicatif /^o/^n?  est  beaucoup  plus  commun, 
on  le  rencontre  par  exemple  fréquemment  dans  les  Statutes  (ainsi, 
1322,  I,  185  et  186;  1326,  I,  252). 

Les  mêmes  exemples  se  retrouvent  dans  les  autres  catégories  de 
textes  non  littéraires;  on  peut  encore  ajouter  aux  casque  nous  avons 
cités  des  formes  plus  rares  et  qu'on  ne  trouve  pas  dans  les  meil- 
leurs textes,  par  exemple  :  estient  qui  se  lit  dans  Rymer  (1379,  VII, 
226);  tOHcherient  dans  le  même  recueil  (1324,  IV,  90);  vcuârîcnt 
(id.,  1326,  IV,  236). 

Nous  pouvons  ajouter  à  ces  différentes  formes  un  exemple  trouvé 
dans  la  langue  littéraire  :  senient,  Nicolas  Trivet  (3  r°),  mais  qui 
peut  appartenir  au  xv^  siècle. 

Les  subjonctifs  sont  plus  rares  sous  cette  forme;  le  seul  exemple, 
répété  trois  fois  du  reste,  que  nous  en  ayons  est  sicnt  de  être,  dans 
les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  54,  86  et  88). 

De  même  dans  les  Year  Books  on  trouve  :  avient  (20  et  21  Edw. 
P',  149);  ce  phénomène  doit  se  placer  à  peu  près  à  la  même  date 
que  le  précédent. 

3"  Chute  de  la  diphtongue. 

Il  est  fort  rare  que  la  diphtongue  disparaisse  entièrement,  comme 
'  dans  feseiit,  qu'on  lit  dans  les  Mem.  Pari.  1305  (§  481)  et  dans  les 
Historic  and  Municipal  Documents  of  Ireland  (13  19,  421). 

Cet  exemple  unique  ne  peut  être  qu'un  lapsus. 


1~G  l'évolution    pu    VERBE   EN    ANGLO-l-RANÇAIS 

r)  S   parasite. 

Les  cas  dV  parasite,  très  rare  à  la  troisième  personne  du  pluriel, 
ne  sont  cependant  pas  inconnus  ;  on  trouve  par  exemple  fusrent 
dans  les  Documents  Inédits  (1346,  79),  et  dans  quelques  autres 
endroits  du  même  recueil. 

Le  radical  à  la  troisième  personne  du  pluriel. 

Nous  n'avons  noté  que  très  peu  de  changements  dans  le  radical 
dus  à  la  désinence  de  la  troisième  personne  du  pluriel  ;  la  plupart 
de  ces  changements  ou  bien  ont  des  causes  purement  phoniques,  et 
par  conséquent  ne  nous  regardent  pas  Çpoennt,  Wil.  Rishanger, 
324),  ils  ne  présentent  aucun  caractère  de  généralité. 

Nous  ne  citerons  qu'un  fait  qui  n'est  pas  rare  et  dont  nous  nous 
servirons  plus  tard. 

Un  certain  nombre  de  verbes  dont  le  thème  est  terminé  pas  r 
redoublent  la  consonne  finale  du  thème  lorsque  leur  troisième  per- 
sonne du  pluriel  prend  la  désinence  (atone)  u(o)nt.  C'est  ainsi  que 
nous  trouvons  desirrunt  au  vers  585  de  Boeve;  aiirrunf  au  vers  622 
du  Saint  Auban;  ajoutons  à  ces  deux  exemples  pur riint  pour  purent 
qu'on  lit  plusieurs  fois  dans  Boeve  (aux  vers  2244^  2682). 

On  remarquera  que  tous  ces  verbes  qui  sont  des  présents  de  l'in- 
dicatif ou  des  prétérits,  reproduisent  exactement  la  forme  des  tuturs. 


I 


LIVRE     SECOND 
LES   MODES 


1 


CHAPITRE  PREMIER 
LE  MODE  INDICATIF 


Il  n'y  a  en  anglo-français  que  peu  de  changements  qui  aient 
atteint  le  mode  indicatif  dans  son  ensemble  ;  il  y  a  à  cela  une 
raison  évidente  :  dans  tous  les  changements  que  nous  avons  étu- 
diés jusqu'ici,  ce  sont  les  différentes  personnes  du  mode  indicatif 
qui  occupent  les  places  les  plus  importantes.  De  plus  l'indicatif  n'a 
pas  l'unité,  si  on  peut  dire,  d'un  autre  mode  tel  que  l'impératif  ou 
même  le  subjonctif.  Ses  significations  et  ses  formes  sont  beaucoup 
plus  diverses  que  celles  des  autres  modes  ;  il  embrasse  des  temps 
qui,  au  point  de  vue  de  la  formation,  sont  aussi  différents  que 
possible  :  le  présent  par  exemple,  le  futur,  le  prétérit  (surtout  les 
prétérits  forts).  Il  n'y  a  donc  pas  entre  les  temps  qui  composent  ce 
mode  un  peu  hétéroclite  la  moindre  unité  d'origine.  Il  en  résulte 
que  si  l'on  peut  relever  un  plus  grand  nombre  de  changements 
dans  chacun  des  temps  et  des  personnes  qui  le  composent,  ces 
changements  n'auront  pas  un  caractère  de  généralité  et  n'affecte- 
ront qu'un  petit  nombre  de  personnes  ou  de  temps  et  trouvent  plus 
naturellement  leur  place  dans  les  études  que  nous  consacrons  à 
ces  différents  temps  ou  personnes.  Ceci  explique  en  partie  au 
moins  pourquoi  nous  n'avons  que  très  peu  de  chose  à  dire  sur  le 
présent  sujet. 

Il  est  cependant  évident  que  l'indicatif  doit,  plus  que  tout  autre 
mode  peut-être,  à  cause  de  sa  complexité  même  et  de  la  fréquence 
de  son  emploi,  accuser  certaines  tendances  qui  se  révèlent  à  diffé- 
rents degrés  dans  les  différentes  parties  du  verbe. 

Nous  en  avons  relevé  deux,  d'importance  et  d'extension  très  dit- 
férèntcs. 


280  l.EVOLUTION    DU    \HRRK    EN    ANGLO-l-RANÇAlS 

r'  Nous  tmiterons  d'abord  du  moins  important  et  nous  en  par- 
lerons aussi  brièvement  que  possible. 

C'est  l'extension  à  des  temps  ou  à  des  personnes  auxquels  elle 
est  étrangère  de  la  palatale  de  la  première  personne  du  singulier  du 
présent  de  l'indicatif.  Nous  avons  eu  l'occasion  d'en  citer  quelques 
exemples  déjà  {d.  i"'  pers.  sing.),  comme  crc,  ierc,  iercs,  première  et 
deuxième  personne  du  singulier  du  futur  d'être;  on  les  rencontre 
dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  ;  nous  avons  vu  aussi  un  c  au  pré- 
térit tiiict  dans  le  même  ouvrage.  Nous  pouvons  ajouter  que  1er  se 
rencontre  parfois  à  la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  de 
l'indicatif,  comme  dans  tenc  au  vers  1630  du  Saint  Auban. 

2"  Le  second  phénomène  est  beaucoup  plus  important;  on  peut 
le  définir  :  le  passage  à  l'indicatif  de  formes  propres  au  subjonctif. 
Il  se  présente  sous  une  double  forme  :  certains  temps  de  l'indica- 
tif prennent  soit  le  ge,  soit  la  lettre  mouillée  appartenant,  étymolo- 
giquement  ou  non,  à  leur  subjonctif. 

Tous  les  verbes  qui  prennent  à  différents  temps  de  l'indicatif  le 
suffixe  ge  présentent  le  même  suffixe  au  présent  du  subjonctif, 
c'est-à-dire  les  verbes  venir,  tenir,  mourir,  quérir  et  prendre.  La 
grande  majorité  des  exemples  que  nous  allons  avoir  à  citer  nous 
montrent  cette  terminaison  affectant  le  présent  de  l'indicatif  ;  cepen- 
dant c'est  bien  le  mode  indicatif  tout  entier  qui  subit  ici  l'influence 
du  subjonctif;  en  effet,  nous  relevons,  assez  tardivement,  il  est 
vrai,  et  dans  des  textes  souvent  peu  sûrs,  quelques  exemples  qui 
nous  montrent  ge  au  conditionnel,  à  l'imparfait  de  l'indicatif  et 
même  au  prétérit.  Si  c'est  le  présent  de  l'indicatif,  comme  il  est 
évident,  qui  a  été  le  premier  à  adopter  cette  forme  irrégulière,  celle- 
ci  menaçait  aussi  tous  les  autres  temps. 

Les  exemples  ne  sont  pas  rares  dans  les  œuvres  littéraires,  et 
nous  n'en  citerons  qu'un  petit  nombre;  ils  sont  relativement  tar- 
difs; on  les  rencontre  surtout  dans  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle 
et  surtout  au  xiv^  siècle.  Un  seul  cas  pourrait  appartenir  à  la 
seconde  partie  du  xii'^  :  c'est  suviens;e  qu'on  lit  au  vers  6  de  la  Chro- 
nique de  Jordan  Fantosme  ;  mais  il  faut  la  mettre  sur  le  compte  du 
scribe  et  le  rejeter  au  milieu  du  xiii'^  siècle  : 

Al  curuncr  de  vostre  fiz  ne  vus  suvienge  (lire  :  suvient)  il  mie.  (14  syllabes). 

Les  autres  exemples  que  nous  avons  relevés  ne  remontent  pas 
plus  haut  ;  ceux  qui   pourraient   être  les     plus    anciens   se    lisent 


LE    MODE    INDICATIF  281 

dans  Boeve  de  Haumtone,  comme  niurge^  au  vers  2813,  querge  au 
vers  2727.  Citons  encore  meorgent  qui  se  lit  dans  les  Heures  de  la 
Vierge  au  folio  68  r°  et  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  §  140  et 
passim.  Preiige  est  assez  commun  (cf.  par  exemple  Wil.  Rishanger, 
page  306)  mais  la  forme  la  plus  répandue  est  tienge  (cf.  les  Vies 
de  Saints  de  Nicole  Bozon  au  folio  104  r°).  Citons  encore  un  verbe 
de  l'.parouge,  qui  se  lit  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft, 
second  appendice,  II,  438,  3. 

Dans  les  textes  politiques,  ces  formes  ne  sont  pas  rares,  on  ren- 
contre spécialement  un'  autre  verbe  de  la  première  conjugaison, 
demorer  sous  la  forme  demoerge,  le  plus  ancien  exemple  que  nous 
connaissions  se  trouvant  dans  les  Literae  Cantuarienses,  1329,  270. 
Cette  forme  et  toutes  les  autres  que  nous  avons  citées  se  trouvent 
aussi  dans  tous  les  Year  Books. 

Les  quelques  verbes  de  I  qui  prennent  le  suffixe  -ge  nous  semblent 
sensiblement  plus  tardifs  que  les  autres  exemples  (cf.  d'ailleurs  ce 
que  nous  disons  des  subjonctifs  en  ge. 

Les  exemples  qui  nous  montrent  le  suffixe  à  un  autre  temps  que 
le  présent  sont  beaucoup  plus  rares;  nous  n'en  citerons  qu'un  seul 
cas,  car  les  autres  se  trouvent  dans  les  Year  Books  de  la  fin  du 
xiv^  siècle  et  sont  loin  d'être  sûrs  ;  l'exemple  que  nous  donnons  est 
le  conditionnel  enquergeroient  qu'on  lit  dans  les  Statutes  sous  la  date 
1392,  volume  II,  page  86. 

Le  subjonctif  manifeste  son  influence  sur  le  mode  indicatif  d'une 
autre  manière,  plus  générale  encore,  mais  qui  est  analogue  à  la 
première.  Nous  voulons  parler  de  l'extension  à  l'indicatif  de  la 
mouillure  qui  caractérise  certains  subjonctifs.  Ici  encore,  c'est  le 
présent  de  l'indicatif  qui  est  le  premier  à  montrer  des  traces  de  cette 
influence,  et  plus  tard  d'autres  temps  comme  l'imparfait  et  le  prété- 
rit adoptent  dans  une  certaine  mesure  la  lettre  mouillée.  Cette 
extension  de  la  lettre  mouillée  est  non  seulement  plus  générale, 
comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  mais  plus  ancienne  que 
l'adoption  des  formes  Qnge.  Nous  en  avons  au  moins  deux  exemples 
au  xii^  siècle  :  c'est  le  verbe  manoir  qui  apparaît  sous  la  forme  mei- 
gneul  au  vers  983  du  Roland  d'Oxford,  et  le  verbe  plaindre  qui  se 
lit  pleignet.  au  vers  2251  du  même  manuscrit  de  ce  poème.  Ces  deux 
exemples  nous  paraissent  isolés  à  cette  époque  ;  il  y  en  a  davantage 
au  siècle  suivant  ;  citons  par  exemple  aceigneut  (asséner)  au  vers 


282  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

6319  de  l'Estorie  des  Engleis,  donné  par  le  ms.  R  (second  quart  du 
xm"  siècle).  Certains  manuscrits  peuvent  nous  donner  un  nombre 
considérable  de  ces  formes,  ce  qui  montre  que,  tout  d'abord  au 
moins,  ces  formes  ont  dû  être  particulières  à  certains  scribes.  Nous 
lisons  par  exemple  dans  le  manuscrit  O  du  Bestiaire  (fin  du 
xii*-' siècle),  remaign,  pour  levers  239  ;  rechaingiie  (rechaner),  pour  le 
verbe  1834.  Un  peu  plus  tard,  un  des  manuscrits  qui  donnent  la 
Plainte  d'Amour,  Rawlinson  Poetry  241,  en  présente  aussi  un  grand 
nombre  :  x't7^''/w//75  au  vers  260;  veingnciit  :i\ix  vers  330  et  461  ; 
teingnent  Si\i  vers /\o6  ;  preignent  au  vers  329.  Il  est  probable  que 
nous  devons  reculer  ces  exemples  jusqu'au  milieu  du  xiv^  siècle  ;  le 
ms.  Harléien  273,  qui  donne  ce  même  poème,  contient  il  est  vrai 
quelques  formes  avec  une  lettre  mouillée  qui  lui  sont  communes 
avec  Rawlinson  ;  mais  cette  concordance  ne  saurait  rien  prouver  et 
peut  n'être  qu'un  effet  du  hasard. 

Il  en  résulte  que  nous  devrons  attribuer  au  xiv^  siècle  tous  les 
exemples  que  nous  rencontrons  dans  les  poèmes  du  siècle  précé- 
dent quand  ils  ne  seront  assurés  que  par  l'accord  des  mss.;  or,  nous 
n'avons  relevé  aucun  exemple  à  la  rime. 

Au  xiv^  siècle,  ces  verbes  qui  nous  montrent  à  l'indicatif  la  lettre 
mouillée  du  subjonctif  sont  extrêmement  nombreux;  aucun  n'a 
été  affecté  comme  le  verbe  vouloir;  sa  première  personne  du  singu- 
lier du  présent  de  l'indicatif  le  désignait  du  reste  pour  cela,  et  on 
pourrait  peut-être  avec  autant  de  vraisemblance  attribuer  à  l'in- 
fluence de  cette  personne  les  formes  si  nombreuses  avec/  mouillée, 
comme  la  troisième  personne  du  singulier  voile  qu'on  trouve  dans 
l'Apocalypse  (a,  208),  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  330,  9);  dans 
les  Proverbes  de  Bon  Enseignement  de  Nicole  Bozon;  la  troisième 
personne  du  pluriel  voilent,  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (§21 
et  ailleurs)  ;  la  première  personne  du  pluriel  voilions  qui  se  trouve 
par  exemple  dans  le  Prince  Noir  (au  vers  793)  '  ;  la  deuxième  per- 
sonne du  pluriel  voille^  comme  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon 
(au  §  86,  etc.).  Les  formes  avec  lettre  mouillée  deviennent  vers  la 
fin  du  xiv^  siècle  plus  communes  que  les  formes  régulières  pour  ce 
verbe. 

A  côté  de  vouloir,  on  peut  placer  valoir  qui,  moins  fréquemment 
employé,  ne  saurait  naturellement  présenter  le  même  nombre  de 

I.  Miss  Pope  rétablit  î'o/o»5. 


LE    MODE    INDICATIF  283 

formes  que  le  premier  verbe  ;  on  trouve  toutefois  assez  communé- 
ment vaille,  vaillent  comme  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (§  95). 
Citons  encore  un  autre  exemple  :  toilleiit,  que  nous  lisons  encore 
dans  ce  même  ouvrage  (§43). 

Parmi  les  verbes  qui  montrent  à  l'indicatif  une  n  mouillée  irré- 
gulière, on  peut  citer  prendre,  venir  et  tenir.  Nous  avons  déjà  vu 
que  ces  trois  verbes  et  leurs  composés  apparaissent  quelquefois  à  ce 
mode  avec  le  suffixe  ge  ;  la  lettre  mouillée  est  encore  beaucoup 
plus  fréquente,  et  elle  devient  pour  ainsi  dire  la  forme  régulière. 
Pregn  est  cependant  assez  rare  comme  troisième  personne  du  sin- 
gulier du  présent  de  Tindicatif;  nous  trouvons  cette  forme  dans  le 
siège  de  Carlaverok  au  vers  26;  par  contre,  preignons,  prcigne~, 
preignent  se  rencontrent  constamment  dans  les  textes  de  la  fin  du 
xiv^  siècle,  par  exemple  au  vers  3501  du  Prince  Noir  et  passim. 
Il  en  va  de  même  pour  tenir  et  venir,  Nous  ne  citerons  pas  plus 
d'exemples,  car  la  confusion  des  lettres  simples  et  des  lettres 
mouillées  est  un  trait  bien  connu  de  l'anglo-français  d'une  date 
tardive. 

Quoique  la  tendance  de  l'anglo-français  que  nous  venons  de 
signaler  soit  générale  et  s'observe  même  en  dehors  du  verbe,  aucun 
genre  de  mot,  croyons-nous,  et  aucun  autre  temps  de  l'indicatif 
certainement  ne  se  montre  aussi  affecté  que  le  présent.  Cependant 
les  verbes  que  nous  avons  cités  ci-dessus  ont  quelquefois  une  lettre 
mouillée  à  l'imparfait.  Les  exemples  sont  assez  communs  dans  cer- 
tains mss.,  comme  ceux  des  Proverbes  de  Bon  Enseignement, 
surtout  le  ms.  Worcester  qui  donne  le  poème  du  Prince  Noir  et  date 
de  1397  (Schum)  (cf.  vers  35 11  et  passim). 

Ajoutons  encore  un  mot  à  propos  des  textes  non  littéraires,  qui 
pourront  préciser  la  date  et  le  développement  de  cette  tendance. 

Dans  le  livre  des  Statutes,  les  premiers  exemples  datent  de  1278  ; 
on  trouve  en  effet  sous  cette  date  dans  le  premier  volume,  p.  48, 
vaillenl  au  présent  de  l'indicatif;  mais  à  cette  époque,  les  cas  de  ce 
genre  sont  encore  assez  rares  ;  ils  ne  deviennent  vraiment  com- 
muns que  dans  la  seconde  moitié  du  xiv*  siècle.  Dans  Rymer,  il  en 
va  exactement  de  même  :  on  trouve  un  très  petit  nombre 
d'exemples  isolés  au  commencement  du  xiv^  siècle,  mais  ce  n'est 
que  plus  tard  que  les  formes  de  l'indicatif  avec  lettre  mouillée 
prennent  une  certaine  régularité.  Et  nous  pouvons  faire  exactement 


284  l'évolution  nu  verbe  en  anglo-français 

la  même  observation  pour  tous  les  autres  recueils  ;  ceux  qui  sont 
antérieurs  à  1350,  comme  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  ou  les 
Mem.  Pari.  1305,  ne  nous  offrent  qu'un  nombre  infime  de  cas. 

De  1350  à  1399  les  exemples  deviennent  très  communs.  Les 
verbes  qui  prennent  cette  lettre  mouillée  sont  pour  la  plupart  ceux 
qui  ont  un  subjonctif  en  iniii,  pour  lequel  la  gutturale  mouille  la 
dernière  consonne  du  radical.  Vouloir,  comme  dans  la  langue  litté- 
raire, est  spécialement  affecté  ;  nous  trouvons  voilions  dans  les  Sta- 
tutes  (1340, 1,290),  etc.;  de  même  dans  Rymer's  Foedera  {d.  1359, 
VI,  118;  1362,  VI,  377  et  passiui)  ;  les  Documents  Inédits  en  ont 
un  exemple  à  la  date  de  1363  (page  166).  La  troisième  personne  du 
pluriel  se  montre  sous  la  forme  voillent  ou  veuillent  dans  les 
Annales  Londinienses  (13 12,  209),  dans  Rymer(i373,  VII,  23) 
et  dans  le  second  volume  des  Statutes  (1379,  14),  et  en  maints 
autres  endroits. 

Tenir  et  venir  sont  aussi  très  souvent  employés  avec  une  n 
mouillée,  plus  régulièrement  même  que  dans  la  littérature,  par 
exemple  nous  avons  ;relevé  tiegnent,  viegnent,  tigtient,  vignent  dans 
les  Statutes  (cf.  1311,  I,  160;  1330,  I,  264;  1340,1,  285;  1350, 
I,  315),  de  même  que  dans  Rymer  et  dans  la  plupart  des  autres 
textes;  en  somme  pour  les  trois  verbes  précédents  la  lettre  mouil- 
lée devient  assez  tôt  la  règle,  la  consonne  simple  l'exception. 

Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  les  verbes  ayant  un  subjonctif  en 
iam  qui  peuvent  montrer  une  lettre  mouillée,  on  trouve  aussi  des 
indicatifs  qui  correspondent  à  des  subjonctifs  en  am  ou  même  en 
em.  Parmi  les  premiers,  le  verbe  prendre  est  très  commun,  presque 
aussi  commun  que  les  trois  verbes  précédents. 

On  trouve  ^f^/g^wm^  dans  les  Statutes  (1328,  II,  10;  1399,11, 
113);  dans  les  Rymer's  Foedera  on  a.  preignons  (1380,  VII,  49; 
1381,  VII,  340,   etc.)  (cf.  Subj.  en  ani). 

Les  verbes  qui  ont  un  subjonctif  en  cm  sont  moins  nombreux  et 
moins  souvent  employés,  le  verbe  mener  n'est  cependant  pas  rare 
sous  la  forme  meignent  comme  dans  les  Statutes  (13 1 1,  I,  159)  ;  mais 
c'est  surtout  ordonner  qui  montre  fréquemment  une  n  mouillée  ; 
ordeignons  sç.  r^nconUQ  couramment  dans  les  Statutes  (1379,  VII, 
2j8)(cf.  Subj.  en  eni). 

Les  Year  Books  peuvent  nous  fournir  une  véritable  collection  de 
formes    analogues,   et    ce    qui    est    plus   remarquable,     ils    nous 


LE   MODE    INDICATIt  285 

montrent,  comme  la  langue  littéraire,  la  lettre  mouillé  sortant  du 
présent,  et  s'insinuant  à  d'autres  temps,  tels  que  l'imparfait  et  même 
le  prétérit. 

Les  exemples  du  présent  sont  trop  nombreux  pour  que  nous 
songions  à  les  donner  tous  ;  voici  les  principaux  verbes  qui  montrent 
la  lettre  mouillée  :  vouloir  ici  encore  est  le  verbe  qui  montre  le 
plus  souvent  cette  lettre,  et  nous  rencontrons  des  exemples  des 
formes  nouvelles  dès  le  commencement  du  xiv^  siècle  (ms.  Y,  pas- 
sinî).  Pour  tenir  et  venir,  les  formes  correctes  sont  à  cette  époque 
plus  communes  que  les  autres.  Les  autres  verbes  ne  présentent  la 
lettre  mouillée  que  sporadiquement  :  citons  parmi  ceux-ci  fl?«/rey^»e 
(par  exemple  30  Edw.  L',  i8i),surtout /r5/)o/V«^(32  et  33  Edw.  P', 
119)  qui  deviendra  encore  plus  commun  dans  les  dernières  années 
du  xiv^  siècle  et  surtout  plus  tard. 

Mais  même  les  Year  Books  ne  nous  donnent  guère  d'exemples  de 
ce  phénomène  que  pour  le  présent  de  l'indicatif;  on  ne  trouve  que 
de  rares  exemples  d'une  lettre  mouillée  irrégulière  aux  autres  temps 
de  rindicatif,  comme  voiUeit  qui  nous  semble  le  seul  imparfait  répété 
un  certain  nombre  de  fois  (cf.  par  exemple  dans  2  et  3  Edw.  II, 
p.  86  ;  12  et  13  Edw.  III,  p.  19;  14  Edw.  III,  p.  45).  Comme  on 
peut  le  voir,  la  plupart  de  ces  exemples  sont  d'une  date  assez  tar- 
dive. 

Les  prétérits  sont  encore  moins  nombreux;  c\\.onsvcignimes  dans 
2  et  3  Edw.  II,  p.  48  (A). 

L'usage  de  l'anglo-français  non  littéraire  ne  diffère  donc  pas 
matériellement  de  celui  des  autres  branches  de  l'anglo-français. 

On  pourra  peut-être  nous  reprocher  d'avoir  traité  dans  les  pages 
qui  précèdent  une  question  qui,  se  rapportant  à  la  confusion  des 
consonnes  simples  et  des  consonnes  mouillées,  n'est  pas  exactement 
de  notre  ressort;  nous  avons  cependant  cru  devoir  le  faire  ;  l'addi- 
tion du  suffixe  ge  n'est  certainement  pas  une  question  de  phoné- 
tique; la  mouillure  irrégulière  de  1'/  et  de  Vn  nous  semble  être  un 
fait  de  même  nature.  De  plus,  même  prise  en  soi,  cette  dernière 
question,  impliquant,  comme  nous  venons  de  le  voir,  une  distinc- 
tion entre  certains  temps,  ne  saurait  être  purement  phonique. 

'Nous  ne  songeons  évidemment  pas  à  nier  le  foit  que  l'anglo- 
français  n'a  pas  toujours  su  maintenir  la  distinction  entre  les  con- 
sonnes simples  et  les  consonnes  mouillées  ;  mais  il  nous  semble  que 


286  l'évolution  du  verbe  en  anglo-irançais 

lii  contusion  a  été  pour  le  verbe  plus  méthodique  et  plus  régulière, 
la  consonne  mouillée  gagnant  successivement  et  assez  lentement 
dift'érents  temps  de  l'indicatif. 

Et  il  nous  semble  qu'ici  c'est  le  mode  subjonctif  qui  a  été  la 
grande  cause  de  confusion. 

Il  nous  reste  d'ailleurs  à  signaler  un  certain  nombre  d'autres  laits 
d'un  caractère  plus  exceptionnel  et  d'une  nature  différente  qui 
montrent  encore  cependant  l'action  du  subjonctif  sur  l'indicatif.  Un 
certain  nombre  de  verbes  présentent  un  radical  différent  pour  cha- 
cun de  ces  modes  ;  il  arrive  que  le  mode  indicatif  adopte  le  radical 
du  mode  subjonctif.  C'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans  la  littéra- 
ture voise  pour  veit  ou  va,  par  exemple  dans  Pierre  de  Langtoft  (I, 
i8o,  22);  aiiDis,  pour  avons  (sous  l'influence  de  aûms,  eiims.  cf. 
Subjonctifs  en  iavi),  comme  dans  les  Heures  de  la  Vierge  et  au 
vers  94  du  Roman  des  Romans.  Ces  formes,  qui  appartiennent 
au  xiv^  siècle,  sont,  à  tout  prendre,  rares  dans  les  œuvres  littéraires, 
et  nous  n'en  aurions  certainement  pas  parlé  si  nous  n'avions  relevé, 
en  dehors  de  la  littérature,  des  formes  analogues  qui  confirment 
celles  que  nous  venons  de  citer. 

Dans  cette  catégorie  de  textes,  le  radical  du  subjonctif  se  ren- 
contre dans  un  assez  grand  nombre  de  cas  ;  on  pourrait  même  affir- 
mer qu'il  ne  se  trouve  aucun  verbe  ayant  au  subjonctif  un  radical 
particulier  qui  ne  le  montre  aussi  au  moins  de  temps  en  temps  à 
l'indicatif.  Il  serait  assez  facile  d'apporter  des  preuves  assez  nom- 
breuses de  cette  irrégularité,  mais  on  doit  malgré  tout  reconnaître 
qu'elle  est  restée  assez  exceptionnelle. 

Voici  donc  dans  leur  ordre  chronologique  quelques-uns  des 
exemples  que  nous  avons  rencontrés.  On  peut  lire  trosse,  de  trouver 
(cf.  Subjonctifs  en  ce),  dans  l'Appendice  des  Parliamentary  Writs 
sous  la  date  de  1312(11,  45);  eons,  qu'on  peut  comparer  à  aiints 
du  Roman  des  Romans,  se  trouve  dans  les  Documents  inédits  (1380, 
216).  Enfin  citons  encore  aillent  dans  le  second  volume  des 
Statutes  (1388,  58)  :  malgré  leur  apparence,  toutes  ces  formes 
sont,  sans  aucun  doute,  des  indicatifs. 

Plusieurs  exemples  analogues  se  rencontrent  dans  la  langue 
légale  ;  nous  n'en  citerons  qu'un  qui  est  si  souvent  répété  dans 
difiérents  recueils  qu'il  est  impossible  de  le  considérer  comme  une 
erreur  cléricale  ;   c'est  chece  de  cheoir.   On    le    rencontre    dans  un 


LE   MODE    INDICATIF'  287 

grand  nombre  de  Year  Books  comme  i  et  2  Edw.  IT,  page  82  (dans 
les  mss.  A  etD;  R  donne  cbeeiiiit^  ;  13  et  14  Edw.  III,  page  45  ; 
14  Edw.  III,  page  123. 

Ces  quelques  exemples  suffisent,  croyons-nous,  pour  montrer 
l'influence  évidente  exercée  par  le  mode  subjonctif  sur  le  mode 
indicatif. 

Ce  dernier  subit  encore  l'action  de  quelques  autres  temps  ;  mais 
cette  action  n'a  pas  laissé  de  traces  aussi  profondes  que  celles  que 
nous  venons  d'exposer  ;  nous  nous  contenterons  donc  d'énumérer 
les  exemples  que  nous  avons  recueillis  sans  y  attacher  une  trop 
grande  importance. 

Nous  signalerons  tout  d'abord  l'influence  exercée  dans  un  petit 
nombre  de  cas  par  le  présent  de  l'infinitif;  c'est  à  ce  temps  qu'on 
doit  la  présence  d'un  d  à  certaines  formes  de  l'indicatif  du  verbe 
plaindre  '  ;  on  en  trouve  des  exemples  dans  certains  manuscrits  de 
la  fin  du  xiV  siècle,  entre  autres  le  Worcester  ms.  du  poème  du 
Héraut  Chandos.  On  trouve  par  exemple  au  vers  3888  de  ce  poème: 
pleindent;  au  vers  3595,  compleinâoîent  \  au  vers  1306,  prendoit.  Plus 
important  est  le  fait  qu'il  nous  reste  à  signaler,  l'apparition  du  v  à 
certaines  formes  de  l'indicatif  du  verbe  pooir,  v  qui  provient  proba- 
blement du  participe  présent.  L'exemple  le  plus  ancien  que  nous  en 
ayons  trouvé  en  anglo-français  se  lit  dans  les  Lettres  de  Jean  de 
Peckham;  sous  la  date  de  1282  nous  lisons  en  Q^ti  poviins-, 
page  278.  C'est  la  seule  forme  avec  v  que  nous  trouvions  dans  cet 
auteur.  Une  forme  analogue  peut  se  relever  dans  le  roman  de 
Foulques  Fitz  Warin  :  poveynt  à  la  page  109.  Enfin  nous  avons  de 
cette  forme  un  troisième  exemple  dans  les  Traités  de  Kymex  \  povenl , 
VI,  277(1360).  _ 

A  notre  connaissance,  ces  trois  cas  sont  les  seuls  où  la  forme 
moderne  apparaisse.  La  langue  légale  ne  connaît  que  la  forme  éty- 
mologique. 

Ajoutons  que  nous  n'avons  pas  de  renseignement  précis  pour  le 
verbe  devoir. 

1.  Pour  la  question  de  la  généralisation  du  dtn  vieux  français,  on  peut  consulter 
Risop  dans  la  Zeitschrilt  fur  romanische  Philologie,  vol.  VII,  page  57  sqq. 

2.  Voir  dans  Meyer-Lubke,  Grammaire  II,  §  25 1 . 


CHAPITRE  II 
LE  SUBJONCTIF 


Pour  nous  conformer  à  la  division  traditionnelle  nous  allons 
dans  les  pages  qui  suivent  parler  du  subjonctif. 

Cependant  cette  étude  aurait  dû  prendre  place  parmi  celles  que 
nous  consacrons  aux  différents  temps.  Nous  n'avons  rien  à  dire  du 
subjonctif  en  tant  que  mode,  au  point  de  vue  de  la  forme.  Tout  ce 
qui  va  suivre  ne  se  rapporte  qu'à  un  temps,  le  présent,  non  pas  au 
mode  tout  entier. 

Nous  nous  résignons  toutefois  à  accepter  cette  division,  quelque 
illogique  qu'elle  soit,  peut-être  parce  que  nous  n'en  avons  pas  trouvé 
de  meilleure. 

Le  subjonctif,  qui  a  été  fort  emplo3'é  en  ancien  français',  est 
plus  répandu  encore  en  Angleterre  que  sur  le  continent.  A  la  fin 
du  xiii^  et  au  xiv=  siècle,  oh^ trouve  fréquemment  en  anglo-fran- 
çais ce  mode  employé  ^ns  les  propositions  conditionnelles  après 
si,  ce  qui  n'a  rien  de  choquant  en  soi,  et  même,  cela  est  plus 
extraordinaire,  dans  les  temporelles,  mais  plus  rarement  et  plus 
tard. 

Il  en  résulte  que  nous  pouvons  relever  dans  nos  textes  des 
exemples  nombreux  de  ce  mode.  Ce  sont  les  formes  du  présent 
que  nous  allons  étudier  en  les  divisant  en  trois  classes,  suivant  la 
désinence  du  subjonctif  du  verbe  latin  d'où  ils  viennent  :  on,  aiii, 
iam. 

A.  —  Subjonctifs  en  em-. 
I.  Prcmicrc  et  deuxième  personnes  du  singulier. 

Etymologiquement  la  première  et  la  seconde  personne  du  singu- 
lier des  subjonctifs  de  I  n'ont   de  voyelle  atone  à    leur  désinence 

1.  Cf.  Ritchie. 

2.  Cf.  Gotthold  Willenberg  ,  Historiche  Untcrsiichung  ùber  der  Conjuntiv  Prae- 
sentis  der  ersten  schwachen  Conjugation  im  Franzôsischen .  Rom.  Studieu,  III, 
373>  399-    Cf.  aussi   Romania  XXV,    321,    322;  Meyer-Lùbkc,  Grammaire    II, 

S  146. 


LE   SUBJONCTIF  28^ 

que  dans  les  mêmes  conditions  que  la  première  personne  du  sin- 
gulier du  présent  de  l'indicatif  de  I  comme  il  est  évident.  Il  n'est 
pas  moins  clair  que  ces  formes  régulières,  sur  le  continent  comme 
en  Angleterre,  étaient  destinées  à  disparaître  plus  ou  moins  rapi- 
dement. 

C'est  de  Taddition  de  Vc  atone  à  ces  deux  personnes  que  nous 
avons  h  parler  maintenant,  et  on  pourra  se  reporter  à  ce  que  nous 
avons  dit  sur  un  sujet  analogue  dans  les  désinences  de  la  première 
personne  du  singulier. 

Faisons  observer  toutefois,  avant  d'entrer  dans  le  cœur  du  sujet, 
que  l'anglo-français,  comme  l'a  fort  justement  fait  remarquer  Gaston 
Paris  (Préface  de  la  Vie  de  Saint  Gilles,  p.  xxi),  a  une  tendance  à 
conserver,  dans  certains  cas,  les  formes  archaïques.  Sous  cette 
forme  cependant  la  pensée  de  Gaston  Paris  n'est  qu'une  demi- 
vérité  ;  ce  qui  caractérise  le  français  d'Angleterre  à  ce  point  de  vue, 
c'est  le  mélange  des  formes  bien  conservées  avec  d'autres  beaucoup 
plus  récentes,  des  désinences  étymologiquement  correctes,  avec  des 
désinences  corrompues.  11  n'est  pas  rare  de  trouver  dans  le  même 
ouvrage  des  formes  du  verbe  a3'ant  les  âges  les  plus  différents. 

Une  terminaison  archaïque,  vieille  de  plus  d'un  siècle,  et  qu'on 
aurait  pu  croire  entièrement  oubliée,  voisine  avec  une  autre  forme 
qui  représente  le  terme  de  l'évolution  de  cette  terminaison,  et  il  se 
peut  que,  à  quelques  pages  de  distance,  on  relève  tous  les  intermé- 
diaires par  lesquels  elle  a  passé.  Ceci  n'est  pas  toujours  dû  aux 
scribes,  comme  on  le  dit  trop  facilement  quelquefois  :  les  textes 
politiques  nous  le  montrent. 

Pour  la  question  actuelle,  nous  trouvons  de  nombreux  exemples 
montrant  la  forme  étymologique  sans  c  coexistant  avec  la  forme 
analogique  jusqu'au  milieu  du  xiv^  siècle,  semble-t-il. 

Au  XII''  siècle,  les  exemples  de  première  et  de  seconde  personne 
du  singulier  de  ces  subjonctifs  sont  assez  nombreux  sous  la  forme 
étymologique,  quoiqu'on  ne  les  trouve  pas  dans  tous  les  auteurs. 
Citons-en  quelques  exemples  :  dans  le  Psautier  de  Cambridge, 
nous  lisons /'gp()//5  (;,  25);  repos  (54,  6);  cslee^  (105,  5).  Le  seul 
exemple  d'une  première  personne  d'un  subjonctif  en  ciii,  dans  le 
Tristan  de  Thomas  est  régulière  et  assurée  par  la  rime,  c'est  ûporl 
(:  confort)  qu'on  lit  au  vers  3019.  De  même  dans  le  Lai  du  Chè- 
vrefeuille nous  trouvons  la  rime  :  nuit  (:  dunt)  au  vers  3  ;   il  nous 

19 


2^0  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

semble  même  que  dans  Adgar  on  doive  supprimer  IV'  analogique  au 
moins  dans  un  cas  et  lire  desliirb  (V  R,  2^)  : 

Ke  jco  ne  destiii-b(e)  la  matire. 

On  peut  encore  citer  un  cas  où  la  forme  étymologique  est  con- 
servée dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  :  agitait  (I,  23,  22);  et  un 
autre  dans  le  Donnei,  où  elle  est  assurée  par  la  mesure  du  vers  : 
chaiil  (973).  Les  formes  étymologiques  existent  donc  bien  en  Angle- 
terre au  xii*"  siècle  ;  elles  ne  sont  pas  très  nombreuses,  mais  elles 
sont  absolument  sûres. 

Le  xiii^  et  le  xiV  siècle  peuvent  nous  donner  encore  plusieurs 
exemples  de  la  forme  archaïque  ;  mais  ils  deviennent  de  plus  en  plus 
rares  et  on  n'en  rencontre  pas  deux  dans  chaque  auteur. 

C'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans  Chardri  fi  (:  ami),  Petit 
Plet,  1608;  les  (  :  après)  dans  la  Vie  de  Saint  Laurent  au  vers  202; 
et  dans  le  Saint  Auban  trcshiihlic,  vers  637,  où  Ve  a  été  écrit  à  tort 
probablement  '. 

Ke  lesu  treshubli(e)  ki  cria  tut  le  mund. 

Même  l'Apocalypse  en  a  un  exemple  :  Irons,  a,  175;  et  la  der- 
nière forme  qui  nous  soit  assurée  par  la  rime  se  lit  dans  le  Siège  de 
Carlaverok  au  vers  46  :  ordein  (:  guardein). 

Remarquons  aussi  que  le  ms.  B  de  William  de  Waddington 
donne  niaiigu  zu  vers  7552.  La  bonne  leçon  est  cette  fois  donnée 
par  A  qui  a  manjuce  (cf.  Subjonctifs  en  ce).  Néanmoins  cet  exemple 
d'une  forme  sans  e  à  la  première  personne  du  singulier  sous  la 
plume  d'un  scribe  au  xiv^  siècle  est  assez  significative.  Elle  nous 
montre  que  la  forme  étymologique  n'a  pas  été  oubliée. 

L'anglo-français  non  littéraire  ne  nous  fournit  qu'un  tout  petit 
nombre  de  premières  personnes  du  singulier.  Si  nous  négligeons 
aile  (aller),  qui  par  la  forme  appartient  aux  subjonctifs  en  iani 
(Royal  Letters  Henry  III,  1249,11,  59),  nous  ne  relevons  que  deux 
exemples  de  cette  personne,  l'une  qui  ne  présente  pas  Ve  analo- 
gique, trespas,  dans  les  Parliamentary  Writs  (1322,  2"  Appendice, 

I  .  LV  à  riicmistiche  du  Saint  Auban  tantôt  compte  et  tantôt  ne  compte  pas  dans 
la  mesure  du  vers. 


LE    SUBJONCTIF  29  I 

202)  ;  l'autre  qui  a  cet  e  :  Use.  (laisser)  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1256,1,  588). 

Il  est  difficile  de  tirer  une  conclusion  de  ces  deux  exemples  isolés 
et  contradictoires. 

Nous  pouvons  donc  nous  en  tenir  à  la  conclusion  à  laquelle 
nous  a  conduits  notre  étude  de  cette  désinence  dans  les  textes  lit- 
téraires, c'est-à-dire  que,  au  xiV  siècle,  la  forme  étymologique 
n'était  pas  oubliée. 

Cependant  il  est  nécessaire  que  nous  appelions  l'attention  sur 
un  fait  :  Tanglo-français  du  xiii^  et  du  xiv^  siècle  (cf.  Désinences 
personnelles,  i"^^  personne  du  singulier,  p.  44  ;  y  personne  du  sin- 
gulier, p.  126)  fait  souvent  disparaître  de  certaines  désinences  1'^  final 
posttonique,  étymologique  ou  non. Les  derniers  exemples  que  nous 
avons  cités  n'ont-ils  pas  été  formés  de  la  même  façon  par  la  chute 
de  \c  analogique?  Et  dans  ce  cas,  peut-on  dire  que  deux  irrégula- 
rités, la  seconde  détruisant  la  première,  font  une  forme  régulière  ? 
Il  n'est  pas  possible  de  trancher  la  première  de  ces  questions.  Mais 
on  devra  admettre  au  moins  que  la  forme  étymologique  se  rencontre 
jusqu'au  milieu  du  xiii'=  siècle. 

Comme  on  doit  s'y  attendre,  les  exceptions  dans  le  français 
d'Angleterre  sont  très  nombreuses  et  se  produisent  de  bonne  heure. 
Il  n'est  même  pas  exagéré  de  dire  que  les  exceptions  sont  ici  plus 
communes  que  les  formes  régulières  et  que  la  forme  analogique 
devient  assez  vite  la  règle. 

L'<?  non  étymologique  se  rencontre  très  fréquemment  dès  le  com- 
mencement de  la  littérature  anglo-française;  on  le  trouve  déjà  dans 
le  Psautier  d'Oxford,  tandis  que  les  formes  sans  e  sont  entièrement 
absentes  de  cet  ouvrage  :  c'est  ainsi  qu'on  relève  :  cante(jo,  10); 
reciinte  {2),}o)  ;  gnarde  (118,  66);  munte  (t,  26),  etc. 

Dans  les  deux  autres  Psautiers  les  exemples  ne  manquent  pas  non 
plus,  quoique  l'on  puisse  citer,  au  moins  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge, plusieurs  cas  de  l'usage  régulier.  Voici  pour  ces  deux  ouvrages 
les  exemples  à'e  analogiques  que  l'on  peut  donner  :  Psautier  de 
Cambridge  -.porte  (50,  17);  abite  (26,  5);  recuntc  (9,  14),  etc.; 
dans  le  Psautier  d'Arundel  :  recunte  (25,  7);  habile  {26,  7);  visite 
(26,  8).  Leur  nombre,  surtout  dans  le  second  de  ces  ouvrages,  est 
supérieur  à  celui  des  premières  personnes  régulières. 

Les  auteurs  qui  suivent  ne  nous  fournissent  pas  le  même  nombre 
de  citations,  car  les    premières  personnes    du    subjonctif  se    ren- 


i^i  l'évolution  du  \erbh  ln  anglo-français 

contrent  chez  eux  plus  rarement.  On  peut  toutefois  citer  deux  ou 
trois  exemples  assez  sûrs  dans  Adgar  :  triiise  (XVII,  460)  '  ;  aïeÇKYU., 
533);  nous  en  trouvons  un  autre  dans  la  Folie  Tristan:  doinseÇi^j)-. 
Les  Quatre  Livres  des  Rois  ont  un  plus  grand  nombre  de  cas  où  Ve 
se  trouve  :  amende  {},  12,  3);  aiirc  (I,  15,  25);  fruste  (II,  22,  17); 
désire  (III,  19,  4);  etc. 

Ajoutons  deux  exemples  qui  ne  sont  pas  très  assurés  :  aïe  au 
vers  671  de  Horn  et  enveie  au  vers  5 12  de  Fantosme,  et  nous  aurons 
épuisé  tous  les  exemples  de  la  première  personne  du  subjonctif  à 
forme  analogique  que  nous  avons  relevés  au  xii*  siècle.  Il  est  clair 
qu'au  siècle  suivant  nous  pourrions  trouver  un  plus  grand  nombre 
de  cas  de  cet  e  analogique  ;  nous  allons  en  citer  les  principaux,  aussi 
rapidement  que  possible. 

Tr lisse-  se  lit  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  (au  vers  1132); 
ose  et  uiunde  tous  les  deux  dans  Boeve  (respectivement  aux  vers  26-I 
et  2202);  cnnte  est  assuré  par  la  rime  (:  cunte,  substantif)  au 
vers  1058  d'Edward  le  Confesseur;  de  même  que  pasiiie  qui 
rime  avec  aime  dans  le  Poème  Allégorique  (au  vers  155);  lesse  se 
lit  dans  les  Chansons  (V,  23),  et  ailre  au  vers  642  du  Saint 
A  Liban. 

Ajoutons  pour  le  siècle  suivant  :  parle,  Bozon,  Vies  de  Saints 
(103  v°)  ;  comité  (:  compte).  Prince  Noir  (96);  comaiide,  Manière 
de  Langage  (386)  et  beaucoup  d'autres  encore  qu'il  serait  oiseux 
d'énumérer. 

Pour  la  première  personne  du  singulier,  par  conséquent  les 
formes  régulières  se  trouvent  assez  constamment  pendant  le  xii*",  le 
xii^'  et  peut-être  le  xiv^  siècle  ;  les  formes  analogiques  remontent 
au  plus  tard  à  la  seconde  moitié  du  xii""  siècle  et  sont  fort  com- 
munes par  la  suite. 

Pour  la  deuxième  personne  du  singulier,  nous  n'avons  que  fort 
peu  de  renseignements;  ceux  que  nous  avons  concordent  à  peu  près 
tous  pour  prouver  que  cette  seconde  personne  a  pris  très  tôt  Ve  non 
étymologique. 

1.  Pour  la  forme  de  ce  subjonctif,  pour  lequel  il  est  probable  que  Ve  muet  est 
étymologique,  on  peut  voir  les  études  suivantes  :  Dicz,  ID,  236;  Frcund,  Verbal 
Flexion,  21;  Gaston  Paris,  dans  Romania  (VI),  I,  623rapporte  cette  forme  à  la 
conjugaison  inchoative  ;  Schulzke  {e  bref  et  0  bref  plus  /  accentués  en  normand, 
p .  9)  à  une  forme  hypothétique  trosco. 

2.  Pour  ces  verbes,  voir  plus  bas. 


LE    SUBJONCTIF  293 

Nous  n'avons  en  effet  relevé  que  deux  verbes  qui  ont  conservé  la 
forine  ancienne  :  ils  se  lisent  tous  les  deux  dans  le  Psautier  de 
Cambridge  :  destiimi  131,  10;  et  déclin^  140,  4  (à  côté  de  déclines 
26,  10);  on  peut  du  reste  observer  que  dans  ces  deux  exemples  la 
consonne  de  la  terminaison  est  ~  au  lieu  de  s  ;  ne  pourrait-on  pas 
croire  qu'ici  :^^=^  es} 

A  part  ces  deux  exemples  les  deuxièmes  personnes  du  singulier 
du  présent  du  subjonctif  ne  se  rencontrent  guère  qu'avec  \'e  analo- 
gique. Il  est  très  facile  de  le  montrer,  et  nous  ne  citerons  que 
quelques  formes  comme  oblies.  Psautier  d'Oxford  (9,  35);  rebutes 
(ibid.  43,  25);  otreics  (ibid.  -,  3).  Même  le  Psautier  de  Cambridge 
en  a  plusieurs  exemples  :  aiircs  (80,  9);  visites  (58,  5);  meines  {y., 
6).  Ditinscs  duns  les  Quatre  Livres  des  Rois  (IV,  5,  22)  peut  s'ex- 
pliquer en  considérant  1'^  comme  une  d'appui; 

Robert  de  Gretham  a  cnveies  (68  r°)  ;  les  Heures  de  la  Vierge, 
encerches  (69  r°). 

Il  semble  donc  que  la  seconde  personne  du  singulier  du  présent 
du  subjonctif  de  I  ait  moins  bien  conservé  que  la  première  la  forme 
étymologique. 

II.  Les  formes  régulières  des  troisièmes  personnes  des  suhjonclifs  en  em. 

La  troisième  personne  du  singulier  de  ces  subjonctifs  a  gardé 
assez  bien  et  assez  longtemps  sa  forme  étymologique  en  anglo- 
français.  Comme  pour  le  français  du  continent,  cette  forme  s'est 
surtout  conservée  dans  certains  verbes  qui  sont  d'un  emploi  assez 
fréquent  à  cette  personne;  les  autres,  parce  qu'ils  étaient  d'un  usage 
moins  commun,  ont  moins  bien  résisté  à  la  tendance  générale  de 
la  langue  et  aux  influences  extérieures,  entre  autres,  celle  de  la 
troisième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  et  celle  des 
subjonctifs  en  am  et  en  iam.  Surtout  un  certain  nombre  de  verbes, 
comme  nous  le  verrons  tout  à  l'heure,  par  suite  de  l'évolution 
phonique  régulière  à  laquelle  ils  étaient  soumis,  en  venaient  à 
prendre  à  cette  personne  une  forme  trop  éloignée  de  celle  de 
toutes  les  autres  personnes  de  leur  temps  et  du  verbe  en  général. 
Apeut,  confert,  chant,  deliurt,  enseint,  gret,  let  sont  trop  différents  de 
appeler,  confermer,  changer,  délivrer,  enseigner,  grever,  lever 
pour  subsister  bien  longtemps.  L'anglo-français  qui  est,  en  même 


294  I.'h'lVOLUTION    DU    VRRBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

temps  que  conservateur,  audacieux,  pour  dire  le  moins,  eut  assez 
vite  fait  de  faire  disparaître  des  formes  d'apparence  anormale  et  de 
leur  substituer  les  formes  analogiques  qui  étaient  du  reste  destinées 
à  devenir  générales  en  français.  Du  reste,  comme  on  a  pu  déjà  s'en 
rendre  compte  et  comme  nous  aurons  l'occasion  de  le  répéter  plu- 
sieurs fois  encore,  il  tendait  dans  un  certain  nombre  de  cas  à 
ajouter  un  e  muet  épithétique  à  certaines  terminaisons.  Toutes  ces 
tendances,  analogie  et  évolution  phonique,  entrent  en  jeu  dans  la 
question  actuelle. 

Cependant,  pendant  la  plus  grande  partie  du  xii'^'  siècle,  c'est  la 
tendance  conservatrice  qui  l'emporte.  Pendant  cette  époque,  de 
nombreux  auteurs  ne  connaissent  encore  que  les  formes  étymolo- 
giques et  jusqu'au  commencement  du  xiii'^  siècle  on  peut  en  trou- 
ver qui  n'emploient  jamais  la  voyelle  irrégulière  ;  tels  sont  Philippe 
de  Thaûn,  Gaimar,  Sœur  Clémence  de  Barking,  Simund  de  Freine 
même,  et  cela  est  plus  étonnant,  Adgar. 

Cependant,  déjà  durant  cette  période,  nous  trouvons  des  exemples 
de  la  forme  moderne  ;  elles  ne  sont  d'abord  qu'une  petite  minorité, 
mais  leur  nombre  ne  cesse  de  s'accroître;  de  sorte  qu'au  xiii^  et  û 
fortiori  au  xiv''  siècle,  aucun  auteur  n'emploie  plus  exclusivement 
la  forme  étymologique.  Le  mouvement  s'accentue  surtout  vers  le 
milieu  du  xiii'^  siècle.  On  ne  trouve  bientôt  sous  la  forme  normale 
que  les  subjonctifs  de  certains  verbes  qui  sont  d'un  emploi  plus  géné- 
ral ou  plus  commun  que  les  autres,  comme  garder  ou  aider. 
Quoique,  même  pour  ces  verbes,  l'analogie  ait  fait  assez  souvent  son 
œuvre,  on  rencontre  le  plus  souvent  pour  eux  la  forme  sans 
muette;  pour  en  citer  quelques  exemples  assez  tardifs,  nous  ren- 
controns art  dans  le  poème  de  Saint  Julien  au  folio  66  v°;  dans  la 
Vie  de  Saint  Edmund,  au  vers  24  où  il  rime  avec  espirit  et  dans  plu- 
sieurs autres  passages  du  même  poème,  comme  par  exemple  au 
vers  22.  Nous  trouvons  cette  même  forme  employée  deux  fois  à  la 
rime  dans  William  de  Waddington,  aux  vers  2244  et  2912  (nous 
aurons  à  revenir  sur  ces  deux  rimes).  De  même  giiart  ou  guard,  qui 
se  rencontre  même  plus  tard  :  dans  le  Saint  Edmund  au  vers  3^80 
où  Ve  qui  porte  le  texte  imprimé  est  le  résultat  d'une  erreur  cléri- 
cale ;  au  vers  2547  de  William  de  Waddington  :  dans  le  Roman 
des  Romans  au  vers  549  où  il  rime  avec  musart.  Nous  le  rencon- 
trons encore  au  wV  siècle,  probablement  au  vers  85   de  la  Vie  de 


LE    SUBJONCTIF  295 

Sainte  Marguerite  :  Ve  y  est  écrit,  mais  sa  suppression  rétablit  le 
vers;  au  §  53  des  Contes  de  Nicole  Bozon.  Enfin  à  la  rime  avec 
Rocheward  au  vers  2332  du  Prince  Noir. 

Il  en  va  de  même  pour  la  troisième  personne  du  subjonctif  du 
verbe  sauver  :  on  rencontre  saut  un  peu  partout  au  xii^  siècle  ;  au 
xiii^  siècle  nous  en  relevons  encore  de  nombreux  exemples;  au 
vers  ^3 3  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire;  dans  les  Dialogues  de  Saint 
Grégoire  au  folio  98  r°  a;  à  la  rime  avec  haut  au  vers  1898  des  Set 
Dormans;  avec  ribaud  dans  Boeve  au  vers  282;  avec  haut  au  vers 
273  de  Dermod. 

Plus  commun  que  rt/7,  ^^T^r/ et  5-(7//^  esidoinf,  une  des  nombreuses 
formes  du  subjonctif  de  donner.  Nous  ne  citerons  maintenant  aucun 
exemple  de  ce  subjonctif;  disons  simplement  qu'il  se  rencontre  très 
fréquemment  au  xiii'^  et  au  xW  siècle  (cf.  Érection  des  Murs  de 
New  Ross,  vers  208  ;  folio  60  v°  des  Heures  de  la  Vierge  ;  vers  7 
du  Saint  Nicolas;  Robert  de  Gretham,  58 v°;  Vie  de  Sainte  Margue- 
rite, 120;  Contes  de  Nicole  Bozon,  §  47,  etc.). 

Les  œuvres  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  connaissent  la 
forme  régulière,  mais  d'une  façon  générale,  elles  ne  l'emploient  que 
rarement  ;  cette  forme  sans  l'c  analogique  est  surtout  fréquente  dans 
les  recueils  qui  nous  donnent  des  textes  appartenant  au  dernier 
quart  du  xiii^  siècle,  quoique,  même  à  cette  époque,  elle  ne  soit 
plus  déjà  très  commune.  Il  n'y  a  qu'un  tout  petit  nombre  d'auteurs, 
comme  Jean  de  Peckham,  à  l'employer  de  préférence  à  l'autre, 
quoique  les  recueils  les  plus  corrects  ne  présentent  pas  à  cette 
époque  une  bien  forte  proportion  en  faveur  des  formes  nouvelles  ; 
de  1275  à  1300  il  y  a  environ  dans  les  Statutes  35  "/o  déformes 
étymologiques.  Des  troisièmes  personnes  du  singulier,  sinon  cor- 
rectes de  tous  points,  du  moins  sans  cet  e  analogique,  se  rencontrent 
jusqu'à  la  fin,  ou  à  peu  près^  du  xiv^  siècle  ;  mais  elles  sont  en  tout 
petit  nombre  et  en  nombre  décroissant,  de  sorte  qu'après  1340  elles 
deviennent  purement  sporadiques. 

A  la  fin  du  xiii^  siècle,  ce  sont  les  verbes  à  dentale  qui  nous 
offrent  le  plus  grand  nombre  de  cas  de  troisièmes  personnes  du 
singulier  régulières,  comme  garl  dans  Rymer  (1268,  I,  868);  Jean 
de  Peckham  (1280,  94);  les  Royal  Letters,  Henry  III  (1270,  II, 
234);  niaiiud  dans  les  Statutes  (1285,  I,  99);  aiucnt,  commun  dans 
Jean  de  Peckham  (par  exemple  1283,  ^123).  On  peut  encore  citer. 


296  l'kvolution  du  verbh  en  anglo-français 

comme  relativement  fréquentes,  les  {ormes  po ri  (Statu tes,  1300,  I, 
137);  i'id  dans  Jean  de  Peckham  (1281,  152). 

Parmi  les  autres  thèmes,  nous  trouvons  assez  communément  hand 
de  bailler,  par  exemple  dans  les  Statutes  (1278,  I,  49)  et  dans 
les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  96);  voist  de  aller  est  aussi 
assez  employé,  on  le  relève  dans  le  Liber  Albus  (1234,  iio)  ;  dans 
les  Statutes  (1275,  I,  31,  49);  dans  le  Liber  Custumarum  (1280, 
281).  etc.,  et  amuissement  de  l'^",  voit  dans  le  Blacke  Booke  of  the 
Admiralty  (1291,  II,  32). 

Citons  enfin  une  autre  forme  assez  répandue  dans  ces  textes  : 
doinst.  On  la  trouve  par  exemple  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham 
(1280,  94)  ;  dans  les  Annales  du  Monastère  de  Burton  (1259,  473), 
et  passim. 

Pendant  le  xiv^  siècle,  ce  sont  les  mêmes  verbes,  du  moins  les 
verbes  présentant  un  radical  analogue  qui  conservent  le  mieux  la 
forme  étymologique  ;  en  d'autres  termes,  les  verbes  qui  ont  un 
thème  à  dentale  se  rencontrent  plus  fréquemment  que  tous  les  autres 
avec  la  forme  sans  c.  On  trouve  en  effet  ayt  dans  Rymer  (1372, 
VI,  709);  eyt  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1327,  202),  tous  les 
deux  d'aider;  void,  de  vider,  dans  les  Statutes  (131 1,  I,  162);  gard 
dans  les  Mem.  Pari.  (1305,  §  234);  puis  dans  le  Registrum  Pala- 
tinum  Dunelmense  (1314,  I,  386);  dans  les  Literae  Cantuarienses 
(13 18,  45  ;  1357,  840);  dans  les  Letters  from  Northern  Registers 
(13 14,  144).  Parmi  les  autres  thèmes  à  dentale,  on  trouve  assez 
souvent,  comme  précédemment,  porter  et  ses  composés,  ainsi 
dans  les  Statutes  (1353,  I,  338);  dans  Rymer  (13 14,  III,  470; 
135 1,  VII,  709).  Quelques  thèmes  en  si  comme  apprcst,  qui  se  lit 
dans  les  Documents  Inédits  (1364,  167),  se  rencontrent  encore, 
mais  moins  régulièrement. 

Les  autres  exemples  que  nous  avons  relevés  pendant  ce  siècle, 
en  petit  nombre  du  reste,  nous  montrent  un  verbe  en  ;/,  un  verbe 
en  /  mouillée  et  un  verbe  dont  le  radical  est  terminé  par  une  vo)'elle; 
ce  sont  :  doint,  qui  devient  de  plus  en  plus  rare  (cf.  Rymer,  1309^ 
III,  150;  Annales  Londinienses,  1330,  248;  Registrum  Palatinum 
Dunelmense,  13  14,  I,  386).  Le  verbe  en  /  mouillée,  surveiller,  a 
l'apparence  d'un  verbe  à  thème  vocalique,  surveit  (Pari.  Writs 
1326,  II,  753),  et  enfin  le  verbe  dont  le  radical  est  terminé  par 
une  voyelle  est  envoit  dans  Rymer  (1330,  IV,  450). 


LE    SUBJONCTIF  297 

Ce  sont,  à  très  peu  de  choses  près,  tous  les  exemples  que  nous 
avons  relevés  dans  les  textes  du  xiv^  siècle  ;  étant  donné  le  nombre 
des  subjonctifs  de  I  qu'on  y  rencontre,  on  voit  que  ces  exemples 
sont  en  nombre  infime.  On  pourra  remarquer  aussi  que  le  plus 
récent  de  nos  exemples  date  de  1372,  que  de  1340  à  cette  dernière 
date,  les  exemples  deviennent  sporadiques;  enfin  que  dans  tout 
l'anglo-français  diplomatique  et  politique,  ce  sont  toujours  les 
mêmes  verbes  qui  reviennent  sous  cette  forme  :  aider,  donner, 
garder,  porter  et  quelques  autres.  La  grande  masse  de  la  première 
conjugaison  a  échappé,  vers  le  milieu  de  ce  siècle,  à  la  forme  éty- 
mologique. 

La  forme  étymologique  est  encore  infiniment  plus  rare  dans  les 
œuvres  légales.  Nous  ne  l'avons  même  rencontrée  que  dans  une 
seule  expression,  une  formule  dans  laquelle  il  est  difficile  de  recon- 
naître un  subjonctif.  C'est  l'exclamation  meyde~  où  il  faut  voir  l'an- 
cienne phrase  :  «  (Si)  vna'it  Deus.  » 

On  rencontre  cette  expression  dans  22  Edw.  I",  465. 

IIL  Le  radical  des  subjonctifs  en  em  à  la  troisième  personne 
du  singulier  (^f orme  régulière). 

Nous  devons  maintenant  dire  un  mot  du  radical  de  la  troisième 
personne  du  singulier  des  subjonctifs  en  em  qui  n'ont  pas  réguliè- 
rement un  e  d'appui  à  cette  personne.  La  dentale  venant  s'adjoindre 
au  thème  directement  et  sans  l'intermédiaire  d'une  voyelle,  y  cause 
des  changements  qui  ne  se  produisent  pas  aux  autres  personnes. 
Quant  aux  modifications  et  variations  du  thème  qui  sont  communes 
à  toutes  les  personnes  des  subjonctifs  en  em,  nous  en  parlerons  plus 
loin.  Du  reste,  l'étude  qui  va  suivre,  en  montrant  jusqu'à  quel 
point  l'addition  de  la  dentale  au  thème  peut  avoir  de  l'influence  sur 
la  forme  de  celui-ci,  nous  préparera  probablement  aux  considéra- 
tions que  nous  suggérera  l'introduction  de  Yc  analogique. 

Pour  plus  de  clarté,  nous  diviserons  les  verbes  qui  nous  occupent 
en  un  certain  nombre  de  classes,  suivant  la  lettre  finale  de  leur 
thème.  Remarquons  d'abord  que  les  thèmes  vocaliques  ne  nous 
off"rent  la  matière  d'aucune  remarque  ;  nous  avons  de  nombreux 
exemples  de  subjonctifs  provenant  d'un  verbe  à  thème  vocalique, 
tous  sont  réguliers. 


298  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Les  thèmes  consonantiques  peuvent  se  diviser  en  thèmes  terminés  : 
1°  Par  une  consonne  simple; 
2°  Par  une  consonne  mouillée; 
3°  Par  un  groupe  de  consonnes. 

A.  Thèmes  terminés  par  une  consonne  simple. 

Lorsque  le  thème  est  terminé  par  une  des  trois  consonnes  ;;/,  n 
ou  r,  celui-ci  n'éprouve  aucun  changement  '  du  fait  de  l'addition 
de  la  dentale.  Il  en  va  de  même  pour  les  thèmes  en  s\  sauf  qu'il 
n'est  pas  rare  de  trouver  1'^  thème  exprimée  par  :{,  comme  piirchait 
qu'on  lit  au  vers  2674  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine  de  Sœur  Clé- 
mence de  Barking. 

Les  thèmes  à  dentale  montrent  la  dentale  du  thème  se  con- 
fondant avec  celle  de  la  désinence  :  ait  se  trouve  très  fréquemment 
(voir  les  exemples  et  citations  que  nous  avons  données  précédem- 
ment). Citons  encore  cuveit,  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I, 
12,  7)  ;  crct  au  vers  2537  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine;  habit  dans 
les  Psautiers  d'Oxford  {G'è,  30)  et  de  Cambridge  (68,  28),  etc. 

Les  seules  remarques  un  peu  intéressantes  que  nous  trouvions  à 
faire  se  rapportent  aux  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  /  ou 
par  V.  Pour  les  premiers,  lorsque  la  consonne  est  précédée  de  a  ou 
de  e,  nous  observons  au  xiii^  siècle  la  vocalisation  de  1'/.  Alt  de 
aler,  par  exemple,  se  retrouve  un  peu  partout  depuis  le  Cumpoz 
(vers  142)  jusqu'à  Guischart  de  Beauliu  (165  a;  1836,  1872);  aut 
se  lit  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  441.  La  première  rime  que  nous 
ayons  rencontrée  est  beaucoup  plus  tardive  ;  on  la  trouve  dans  le 
Manuel  des  Péchés  (  :  vaut)  au  vers  1756.  De  même  parler  fait 

1.  Thèmes  en  w.  —  Aimt,  Gaimar  11 18;  Adgar,  XXVIII,  83  ;  Aspremont  93  ; 
reclaiiut,  Guischart  de  BeauHu  84  (en  supprimant  Ve  que  l'éditeur  a  conservé  à 
tort  dans  le  texte  critique). 

Thèmes  en  n.  — Fint,  Cumpoz  2304;  iiicini,  Brandan  115  ;  paint,  Brandan  760; 
enlumlnt,  Psautier  d'Oxford,  66,  i  ;  soiint  (  :  demanderunt),  Robert  de  Gretham 
58  v°. 

Thèmes  en  r.  —  Virt  à  la  rime  du  vers  142  du  Saint  Brandan  ;  aïirt,  psautier  de 
Cambridge  65,  3  ;  tirt  au  vers  237  du  Saint  Gilles. 

2.  Thèmes  en  s.  — Peist,  Fantosme  762;  Guischart  de  Beauliu  1265  ;  à  la  rime 
Saint  Julien  68  vo. 


LE    SUBJONCTIF  299 

parolt  dans  les  Psautiers  d'Oxford  et  d'Arundel  (i6,  5).  Dans  le 
Tristan  de  Thomas,  cette  forme  rime  avec  Ysolt  (cf.  vers  1400);  et 
ce  dernier  mot  rime  en  oui.  Parout  se  trouve  du  reste  dans  les 
Dialogues  Grégoire  (47  v°).  On  trouve  aussi  apeut  (Estorie  des 
Engleis),  mais  jamais  à  la  rime.  Les  autres  thèmes  en  /  ne  subissent 
aucun  changement  '. 

Il  est  assez  difficile  de  déterminer  la  date  à  laquelle  la  vocalisation 
de  17  a  pris  place  ;  il  n'y  a  aucune  raison  pour  que  cette  vocalisation 
au  subjonctif  ait  précédé  ou  suivi  les  autres  cas  de  vocalisation  de 
cette  consonne  ;  il  est  probable  que  cette  /  a  subsisté  dans  l'écri- 
ture longtemps  après  avoir  disparu  de  la  prononciation.  L'exemple 
de  Thomas  est  un  des  plus  anciens  exemples  de  vocalisation  que 
nous  ayons  ^. 

Les  thèmes  en  v,  très  peu  nombreux,  nous  offrent  des  exemples 
d'un  phénomène  qui  n'est  pas  sans  analogie  avec  celui  que  nous 
venons  d'exposer  :  le  v  final  du  thème  passe  à  //  devant  la  dési- 
nence '.  On  peut  citer  aliiiî  (ad-levet)  dans  le  Psautier  d'Oxford 
(112,  7);  cette  même  forme  se  rencontre  encore  dans  le  Psautier 
de  Cambridge  (7,  5),  d'Arundel  (21,  2);  aiiit  (ad-juvet),  dans  les 
trois  mêmes  Psautiers  :  Oxford  (21,  11),  Cambridge  et  Arundel 
(21,2). 

Comme  on  le  voit,  ces  deux  exemples  ne  se  rencontrent  que  dans 
trois  ouvrages  qui  doivent  provenir  de  traductions  antérieures  au 
xii^  siècle;  ces  formes  sont  par  conséquent  des  traces  de  formes  plus 
anciennes. 

Plus  fréquemment  le  v  subsiste  sous  forme  d'/,  comme  dans  grcft 
de  grever  qu'on  lit  par  exemple  dans  les  Rubriques  de  Saint 
Thomas,  fol.  III  v°,  ou  même  disparaît  complètement,  comme  dans 
gret  au  vers  132  d'Edward  le  Confesseur,  ou  Jet  (lever)  au  vers 
8687  de  l'Ipomédon  (:  chet). 


1.  Thèmes  en  /.  —  Définit,  Psauiier  d'Arundel,  7,  4;  ceilt,  Horn  829,  etc. 

2.  M.  J.  Vising  cite  l'exemple  de  Gainiar,  enchascout  :  volt,  Estorie  des  Engleis, 
vers  2005,  comme  le  plus  ancien  exemple  de  vocalisation  de  17  (cf.  op.  cit.,  p.  87). 

3.  On  connaît  les  autres  exemples  de  vocalisation  du  v;  fabrica,  hurge  ;  tabula, 
taule.  Cf.  aussi  Willenberg,  Rom.  Stud.,  III,  406  et  Fôrster,  Zeitschrift  fur  neu- 
fran.  Sprache  und  Literatur,  84. 


300  L  EVOLUTION    DU    VEKBE    HN    ANGLO-FRANÇAIS 

B,  Lettres  mouillées. 

L'addition  du  /.de  la  désinence  fait  régulièrement  disparaître  la 
mouillure  de  Vl  et  de  Vn  ;  les  exemples  de  ce  phénomène  sont  nom- 
breux. On  peut  citer  pour  17  :  nierveilt  :  esveilt  qui  se  trouvent  au 
vers  271,  272  du  Cumpoz  ;  ou  encore  le  verbe  de  II  (cf.  plus  bas), 
ruiJt  dans  Adgar  (XXX,  142).  Les  exemples  sont  plus  caractéris- 
tiques pour  les  verbes  ayant  un  thème  présentant  une  ti  mouillée; 
ainsi  :  cnscinf  (:  seint)  au  vers  324  du  Saint  Laurent  et  au  vers 
2738  de  Horn  ;  dcint  de  deigner  se  trouve  dans  les  Dialogues 
Saint  Grégoire  au  fol.  40  r°  b. 

La  mouillure  disparaissant,  17  devant  la  dentale  subit  tous  les 
changements  auxquels  17  simple  est  soumise.  Elle  tombe  et  nous 
avons  pour  cette  chute  des  exemples  qui  remontent  très  haut  au 
xii^  siècle  ;  le  Bestiaire  nous  montre  la  rime  merveit  (  :  deit)  au  vers 
2873;  dans  le  Sermun  de  Guischart  de  Beauliu  :  apareilt,  au  vers 
1301,  conseilla  au  vers  1307,  figurent  à  la  rime  dans  une  laisse  en 
eit\  et  dans  ce  même  poème,,  17  disparaît  de  la  graphie  au  vers  219  : 
cîinseit  '. 

Il  est  beaucoup  plus  rare  pour  17  de  se  vocaliser;  voici  cependant 
quelques-uns  des  exemples  de  ce  phénomène  que  nous  avons  rele- 
vés :  cunseiit  se  lit  au  vers  474  des  Set  Dormans  de  Chardri  ;  cini- 
sout  au  vers  444  d'Edward  le  Confesseur  (pour  ou  =  eu,  cf.  Suchier, 
les  Voyelles  toniques,  p.  61,  §  6).  La  vocalisation  de  17  tendrait  à 
faire  admettre  la  série  cunseilt,  cunselt,  cunscut  (cunsout)  ;  nous  n'avons 
retrouvé  aucun  exemple  de  la  forme  intermédiaire. 

C.  Groupes  de  consonnes. 

Lorsque  le  thème  du  verbe  est  terminé  par  un  groupe  de  con- 
sonnes, on  peut  relever  l'une  des  trois  modifications  suivantes  : 
à)  Vocalisation  d'une  des  consonnes  du  groupe. 
h)  Assimilation  de  la  dernière  consonne, 
f)  Chute  de  l'une  des  consonnes  du  groupe. 

I.  Cette  disparition  de  17  a  dû  coïncider  avec  la  vocalisation  de  cette  même 
consonne  dans  d'autres  cas  ;  la  date  donnée  par  M.  Vising  ne  peut  être  qu'une 
limite  inférieure  qu'il  faudrait  probablement  reculer  d'une  vingtaine  d'années. 


LE   SUBJONCTIF  ^Of 

T'eus  ces  phénomènes  relèvent  plutôt  de  la  phonétique  ;  mais  en 
modifiant  profondément  la  forme  du  subjonctif,  ils  préparent  et 
expliquent  l'addition  de  ïe  analogique. 

a)  Focalisation  d'une  des  consonnes  du  groupe.  —  Nous  ne  nous 
arrêterons  pas  à  ce  phénomène,  et  nous  nous  contenterons  de  citer 
un  autre  cas  de  vocalisation  du  v  :  deliurt,  de  délivrer,  qui  se  lit 
dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  26,  24;  IV,  18,  30)  (cf.  aiut  et 
aliut  cités  plus  haut)  '. 

b)  Assimilation  de  la  dernière  consonne.  —  Nous  devons  ici  nous 
arrêter  quelque  peu  sur  les  verbes  de  I  dans  lesquels  le  thème  est 
terminé  par  une  palatale  ;  cette  palatale  est  exprimée  au  subjonc- 
tif tantôt  par  s,  tantôt  par  -,  enfin  elle  tombe  quelquefois.  Nous  ne 
nous  arrêterons  pas  aux  autres  cas  d'assimilation. 

Les  formes  en  s  pour  les  verbes  dont  nous  parlons  sont  nom- 
breuses au  xW  siècle  ;  nous  n'en  citerons  qu'un  petit  nombre  à  cette 
époque  :  cunienst  qui  se  trouve  dans  le  Cumpoz  au  vers  2303  ;  adreist, 
qu'on  trouve  à  la  rime  du  vers  1303  dans  le  Sermun  de  Guischart 
de  Beauliu  ;  esdrest,  employé  dans  le  Psautier  d'Oxford  (67,  i); 
curnist  dans  le  même  ouvrage  (2,  12);  et  toujours  dans  le  même 
Psautier  :  esledest  (47,  10);  escerst  (108,  10);  esculurst  (u,  $1).  Le 
Psautier  de  Cambridge  a  escerst,  curust  (respectivement  108,  12; 
104,  38). 

Les  ;;;  sont  nombreux  au  commencement  du  siècle,  au  moins 
dans  certains  textes,  représentant  probablement  l'usage  de  l'époque 
antérieure  (cf.  cependant  purcba::^!,  dans  Sœur  Clémence  de  Bar- 
king,  supra  p.  298).  Citons  tar:(t  au  vers  2^43  du  Cumpoz  ;  et  dans 
le  Psautier  de  Cambridge,  curust  {2,  12)  (et  dans  les  Quatre  Livres 
des  Rois,  III,  9,  6);  souressal^t  (y;,  10);  et  quelques  autres. 

On  pourrait  probablement  considérer  comme  une  forme  spéciale 
celle  qui  combine  5  et  ~  :  eslee:^st  dans  le  Psautier  de  Cambridge 
(lo^,  3);  Qicunicn:{st  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  9,  6). 
Mais  déjà  à  cette  époque  la  consonne  finale  du  thème  disparaît  quel- 
quefois, comme  dans  eschalt  qui  se  rencontre  dans  le  Psautier  d'Ox- 
ford (•/;,  10-15).  Ces  formes  toutefois  ne  sont  pas  très  communes, 
car  les  formes  vraiment  régulières  que  nous  venons  de  citer,  avec 
;(  ou  s,  n'ont  pas  subsisté  assez  longtemps  en  anglo-français  pour 

.1.  Cf.  Willenbcrg,  Rom.  Stud.,  III,  p.  406,  et  Fôrster,  Zeitschrift  fur  nculV. 
Sprache,  84. 


302  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

évoluer  d'une  taçon  régulière  au  point  de  vue  phonique  ;  comme 
nous  le  dirons  tout  à  l'heure,  elles  ont  été  remplacées  par  les  formes 
analogiques  avec  c  muet. 

c)  Chute  de  l'une  des  consonnes  du  groupe.  —  Cette  simplification, 
dont  nous  venons  de  citer  un  exemple,  est  celle  que  cause  le  plus 
souvent  l'addition  de  la  dentale  flexionnelle.  On  en  trouve  des 
exemples  dans  quatre  cas  principaux. 

1.  Lorsque  le  thème  est  terminé  par  une  consonne  double  ; 

2.  Lorsqu'il  est  terminé  par  une  dentale  appuyée; 

3.  Lorsque  le  dernier  élément  du  groupe  est  m  ou  ;/  ; 

.   4.  Lorsque  le  groupe  de  consonnes  est  constitué  par  /  et  v. 
Nous  allons  examiner  très  rapidement  chacun  de  ces  cas . 

1.  Lorsque  le  radical  du  verbe  est  terminé  par  une  consonne 
double,  une  de  ces  consonnes  disparaît  :  citons  Iruist  (par  exemple, 
au  vers  2222  du  Bestiaire),  past  (comme  au  vers  4126  de  l'Estorie 
des  Engleis),  lest  qui  est  extrêmement  commun.  Ce  qui  nous  inté- 
resse ici,  c'est  la  disparition  de  la  seconde  consonne  du  groupe  ;  nous 
avons  déjà  étudié  (cf.  3'-'  pers.  du  sing.)  les  désinences  en  st,  et 
nous  avons  vu  comment,  après  l'amuissement  de  1*5  devant  le 
t,  cette  désinence  s'est  naturellement  réduite  à  /;  ceci  se  produit 
même  au  subjonctif.  Le  seul  exemple  que  nous  en  trouvions  à  ce 
temps  c'est  let  :  on  trouve  cette  forme  pour  la  première  fois  dans 
Boeve  de  Haumtone  au  vers  62  (ms.  B,  xiv=  s.).  Mais  quoique 
régulière,  cette  forme  est  très  rare  dans  les  œuvres  littéraires  ;  1'^  est 
le  plus  souvent  conservée,  et  ce  n'est  que  dans  les  Year  Books 
qu'elle  est  omise  avec  quelque  régularité.  Par  conséquent,  l'anglo- 
français  a  tendu  à  conserver  au  subjonctif  la  désinence  en  st  ei  l'a 
même  conservée  longtemps  après  que  1'.^  a  été  amuie  dans  les  autres 
terminaisons  en  st  ;  et  au  lieu  de  se  développer  régulièrement  au 
point  de  vue  phonique,  ce  groupe,  maintenu  d'abord,  a  fait  place 
ensuite  à  la  désinence  analogique  avec  e  muet. 

2.  Si  une  dentale  appuyée  termine  le  thème,  elle  se  confond  avec 
la  dentale  de  la  terminaison.  Nous  pourrions  répéter  ici  les  réfé- 
rences que  nous  avons  données  pour  gart  (cf.  supra,  p.  29^1).  Ajou- 
tons-y ament  (:  prent)  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (Timothy 
Cloran,  p.  1 3,  vers  8)  ;  (  :  mesprent)deux  fois  au  fol.  24  r°  des  Evan- 
giles des  Dompnées  ;  (:  jugement)  au  vers  1977  du  Roman  des 
Romans,  etc.  ;  port  (:  mort)  au  vers  1889  de  l'Estorie  des  Engleis  ; 


LE   SUBJONCTIF  303 

prest  (  :  est)  dans  Havelok  au  vers  150  ;  dans  Pierre  de  Langtoft 
(I,  90,  21).  Et  un  nombre  considérable  d'autres  exemples  pourrait 
être  donné,  sans  grande  utilité. 

3.  Lorsque  le  dernier  élément  du  groupe  de  consonnes  est  m  ou  ;/, 
cette  consonne  est  d'abord  conservée,  puis  disparaît  (au  plus  tard, 
vers  I  léo). 

Nous  n'avons  que  peu  d'exemples  qui  montrent  le  groupe  de 
consonnes  subsistant  entièrement  ;  on  peut  citer  cunfennl  dans  les 
Quatre  Livres  des  Rois  (III,  2,  4).  Ceux  dans  lesquels  la  réduction 
a  été  opérée  sont  plus  nombreux  et  plus  probants  ;  confcrt  se  lit  dans 
le  Psautier  d'Oxford  (19,  4),  etc.;  tiiri  (  :  curt)  dans  le  Tristan  de 
Thomas  au  vers  1441  ;  (  :  surt)  dans  le  Saint  Edmund  au  vers  3800. 
La  même  forme  se  rencontre  à  l'intérieur  du  vers  dans  un  très 
grand  nombre  de  cas  :  au  vers  1468  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine; 
dans  Adgar  (XXXII,  1 5  et  passivî)  ;  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois 
(I,  5,  10);  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  Qoiirt')  (148  r°  a); 
dans  Horn  (au  vers  2967);  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  (au  vers 
1825),  etc. 

4.  Dans  le  groupe  Iv,  v  disparaît,  puis  /  se  vocalise  :  sait  de 
salver  se  rencontre  dans  le  Bestiaire  au  vers  2296;  dans  la  Vie 
de  Saint  Gilles  au  vers  1968;  dans  Guischart  de  Beaulîu  au  vers 
1923.  Mais  il  est  probable  que,  malgré  la  graphie,  1'/  s'est  vocalisée 
dans  ces  deux  derniers  exemples,  comme  il  l'a  été  dans  ait,  pareil, 
etc.  (cf.  plus  haut).  Pour  ce  verbe,  nous  ne  trouvons  de  rimes 
qu'au  xiii^  siècle;  elles  sont  par  conséquent  peu  utiles.  On  trouve 
saut  (  :  haut)  dans  les  Set  Dormans  au  vers  1898  ;  (  :  ribaud)  au 
vers  282  de  Boeve  de  Haumtone  ;  (  :  haut)  dans  Dermod,  vers  273, 
etc.  Cette  forme  avec  cette  graphie  est  commune  dans  Angier, 
Chardri,  Robert  de  Gretham. 

Les  formes  comme  chant  de  changer  (Ipomédon  8792)  pour 
*chanzt  nous  semblent  incorrectes;  elles  sont  certainement  rares. 

Telles  sont  les  modifications  que  l'addition  de  la  dentale  de  la 
flexion  cause  dans  le  thème  de  différents  verbes  ;  on  voit  que  le 
plus  grand  nombre  de  ces  changements  n'ont  rien  que  de  très 
normal.  Mais,  et  c'est  la  raison  pour  laquelle  nous  les  avons 
énumérés,  on  peut  remarquer  que  ces  changements  ont  préparé 
indirectement  l'abandon  de  la  forme  étymologique  au  profit  de  la 
forme  analogique.  En  effet,  certaines  de  ces  troisièmes  personnes  du 


j04  L^ÉVOLUTIOK    Dtj    VERBE    EN    ANGLO-FRAMçAÏS 

subjonctif  semblent  ne  pas  avoir  de  désinence  spéciale  et  reproduire 
simplement  le  thème  du  verbe,  comme  gct,  port,  prest.  D'autres 
semblent  au  contraire  compliquer  ce  thème  :  purcha~l,  curui:^t; 
d'autres  enfin  diffèrent  plus  ou  moins,  mais  quelquefois  d'une  façon 
remarquable,  de  toutes  les  autres  formes  de  la  conjugaison  ;  en  pre- 
mier lieu,  ces  verbes  qui  vocalisent  une  consonne  :  aut,  parout, 
apciit,  ciiusout,  aiiit,  aJiut,  deliurl  ;  ici  le  thème  est  altéré  au  point 
d'être  méconnaissable  ;  et  il  en  est  de  même  des  verbes  qui  perdent 
soit  la  mouillure,  soit  une  consonne  au  subjonctif  :  enseint,  turt, 
saut.  Pour  celles  de  ces  formes  qu'un  emploi  très  fréquent  au  sub- 
jonctif n'a  pas  rendues  familières,  la  désinence  analogique  s'impose. 

I.    S  PARAGOGiaUE.      . 

Les  troisièmes  personnes  du  singulier  régulières  du  présent 
du  subjonctif,  ne  se  montrent  que  rarement  avec  une  s  para- 
gogique  ;  il  y  a  pour  cela  une  excellente  raison,  c'est  qu'elles 
deviennent  relativement  rares  avant  que  la  désinence  st  envahisse 
la  troisième  personne  du  singulier  (cf.  plus  haut,  p.  294). 

Les  exemples  comme  aïst  qu'on  lit  au  folio  66  \°  du  Saint  Julien 
sont  rares. 

Nous  devons  maintenant  nous  arrêter  quelques  instants  sur  les 
formes  de  cette  personne  pour  le  verbe  donner,  car  nous  y  trouvons 
ordinairement  une  s  d'une  autre  nature.  Nous  pouvons  dire  que 
ces  formes  sont  doubles  et  qu'elles  remontent  à  deux  sources  diffé- 
rentes. La  première,  c'est  dont  ou  dtint  qui  est  le  produit  régulier 
du  latin  donet  ;  on  trouve  cette  forme  très  tôt,  par  exemple  au  vers 
19 14  du  Bestiaire  où  elle  rime  avec  munt.  Mais  elle  est  assez  peu 
employée  déjà  au  commencement  du  xii^  siècle;  elle  est  archaïque 
et  plus  tard  elle  devient  rare.  La  seconde  forme  correspond  au  pré- 
sent de  l'indicatif  J///?/5  (cf.  Désinences  personnelles,  première  per- 
sonne du  singulier)  et  à  la  première  personne  du  suh]oncn(Çdiiinse) 
qui  en  anglo-français  a  toujours  1'^  (cf.  plus  haut).  Cette  seconde 
forme  de  la  troisième  personne  du  singulier  est  dninst  ou  doiust  et 
elle  est  très  commune  non  seulement  au  xii^  siècle  '  mais  aussi  et 

I.  On  en  trouve  des  exemples  dans  chaque  auteur  :  Gaimar,  Estorie,  vers  2655  ; 
dans  le  Tristan  de  Thomas,  aux  vers  919,  1278,  1398  etc.  ;  dans  le  Saint  Gilles, 
120,  1359;  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine,  vers  24,  etc. 


LE    SUBJOXCTIF  3O) 

surtout  aux  siècles  suivants  '.  Elle  est  aussi  la  forme  la  plus  com- 
mune de  ce5  troisièmes  personnes  du  singulier  du  subjonctif  de 
donner.  Nous  pouvons  faire  remarquer  ici  que  Ys  de  doinst  s'amuit 
et  disparaît  fréquemment.  La  forme  qui  en  résulte  doint  est  très 
commune,  même  dans  les  ouvrages  du  xii^  siècle,  quoique  dans 
aucun  de  ceux-ci  on  ne  puisse  l'attribuer  avec  quelque  certitude  à 
l'auteur  -. 

On  rencontre  aussi  des  formes  bâtardes  présentant  la  voyelle 
tonique  du  subjonctif  étymologique  et  la  désinence  si  du  second 
subjonctif,  comme  doust  au  vers  ^ 6  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  au 
vers  72  du  Saint  Laurent,  etc. 

Puis,  après  l'amuissement  de  Vs,  cette  forme  bâtarde  peut  repro- 
duire exactement  le  subjonctif  étymologique  comme  le  do)!t  des 
Chansons  VI,  3. 

Par  conséquent,  sans  parler  des  formes  avect-  muet  (donne,  duiusc), 
la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  du  subjonctif  de  don- 
ner peut  se  présenter  sous  l'une  des  formes  :  dont,  doinsl,  doint,  doint, 
dont. 

IL  Perte  de  la  dentale  sans  addition  d'un  k  muet. 

Dans  la  langue  littéraire,  on  ne  trouve  que  peu  d'exemples  de  ce 
phénomène,  les  seuls  que  nous  ayons  relevés  se  lisent  dans  le 
Roland  d'Oxford  :  ainein  (au  vers  2760)  et  dans  le  ms.  L  du  Gum- 
poz:  /</r~(2443);  dans  les  Chansons  (III,  2)  honiir;  mais  ce  dernier 
exemple  est  assez  douteux,  car  le  verbe  précédant  un  mot  commen- 
çant par  une  voyelle,  on  pourrait  suppléer  un  c  muet. 

Dans  la  langue  diplomatique  on  trouve  donn,  Early  Statutes  01 
Ireland  (1320,  282),  et  dans  la  langue  légale  deninr  (11  et  12  Edw. 
III,  407);  especefy  (30  Edw.  I",  75);  pourchai  (30  Edw.  L"",  125). 
Mais  les  cinq  dernières  formes  citées  ne  proviennent  pas  de  la  forme 

1.  On  peut  en  voir  des  exemples  au  vers  67  de  la  Vie  de  Saint  Laurent;  dans 
la  Plainte  d'Amour,  vers  1001  ;  dans  Robert  de  Gretham,  58  v^;  dans  la  Vie  de 
Sainte  Marguerite,  120;  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  ^  347;  dans  Pierre  de 
Langtoft. 

2.  Cf.  le  vers  165  a  de  Guischart  de  Beauliu  ;  le  vers  208  de  l'Érection  des 
Murailles  de  New  Ross  ;  le  fol.  60  \°  des  Heures  de  la  Vierge  ;  le  vers  7  du  Saint 
Nicolas,  etc. 

20 


îo6  l'évolution  nu  ^■ERBE  en  anglo-françals 

étymologique  avec  dentale  sans  voyelle  ;  elles  proviennent  de 
hoiiurc,  doimi\  demure,  especejie,  purchasse,  après  qu'ils  ont  perdu  leur 
voyelle  muette. 

Il  est  donc  très  rare  que  la  dentale  appuyée  disparaisse  à  la  troi- 
sième personne  du  singulier  des  subjonctifs  en  eiii  ;  les  seuls 
exemples  indiscutables  que  nous  en  ayons,  celui  de  Roland  et  du 
manuscrit  L  du  Cumpoz,  sont  le  fait  des  scribes. 

III.  Développement  d'un  e  atone. 

Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  un  certain  nombre  de  verbes 
prennent  au  subjonctif  devant  la  dentale  de  la  troisième  personne 
du  singulier  un  e  d'appui,  destiné  à  rendre  possible  la  prononciation 
de  cette  dentale.  Cet  c  régulier  se  trouve  évidemment  dans  les  pre- 
miers ouvrages  anglo-français,  aussi  bien  que  dans  les  textes  posté- 
rieurs. 

Dans  un  assez  grand  nombre  de  cas  et  très  tôt  dans  la  littérature 
anglo-française,  on  voit  apparaître  dans  certains  autres  verbes  un  e 
que  rien  ne  justifie.  Il  y  a  cependant,  comme  nous  l'avons  dit, 
quelques  auteurs  qui  ne  l'ont  jamais.  Philippe  de  Thaûn,  Gaimar, 
Sœur  Clémence  de  Barking,  Adgar,  Simund  de  Freine.  Ce  qui 
veut  dire  en  d'autres  termes  que  les  auteurs  corrects  n'emploient 
jamais  Ve  analogique  jusqu'à  la  fin  du  xii"  siècle.  Mais  tous  les 
autres  auteurs,  même  antérieurs  à  ceux  que  nous  venons  de  citer, 
montrent  toujours  quelques  exemples  de  la  forme  irrégulière.  Dans 
certains  ouvrages,  celle-ci  ne  se  rencontre  que  rarement  :  toutefois 
comme  on  en  trouve  un  ou  plusieurs  exemples  assurés,  nous  avons 
la  certitude  que  la  forme  analogique  est  à  peu  d'années  près  aussi 
vieille  que  l'anglo-français.  Par  exemple  le  poème  du  Voyage  de 
Saint  Brandan  peut  nous  en  donner  un  assez  grand  nombre 
d'exemples,  et  à  ce  propos  on  peut  comparer  ce  que  nous  avons  à 
dire  maintenant  à  ce  que  nous  avons  déjà  dit  de  ce  poème  au  sujet 
de  Vc  analogique  de  la  première  personne  du  singulier. 

Les  exemples  que  nous  trouvons  dans  Brandan  et  qui  sont  assu- 
rés par  la  rime  ou  par  la  mesure  sont:  lessct{}^,  target^}),  esiiiaie;ces 
exemples  nous  les  reverrons  encore  à  leur  place,  mais  nous  pou- 
vons d'ores  et  déjà  remarquer  que  cet  c  s'attache,  dans  les  premiers 
exemples  que  nous  trouvons,  aux  thèmes  vocaliques  et  aux  thèmes 


LE    SUBJONCTIF  307 

consonantiques  terminés  par  un  groupe  de  consonnes  ou  une  con- 
sonne double. 

Pour  faciliter  l'étude  de  cette  question  nous  pourrons,  en  prenant 
comme  point  de  départ  les  formes  ci-dessus,  classilier  les  irrégula- 
rités sous  plusieurs  chefs  : 

a)  Thèmes  vocaliques.  b)  Thèmes  à  dentale,  c)  Thèmes  termi- 
nés par  un  groupe  de  consonnes. 

Dans  chacune  de  ces  classes  nous  étudierons  ces  subjonctifs  qui, 
prenant  Ve  et  perdant  leur  dentale,  ont  adopté  la  forme  moderne. 

a)   Thèmes  vocaliques. 

Les  thèmes  vocaliques  ne  se  présentent  que  rarement  sous  la 
forme  analogique  au  xii^  siècle,  ou  plutôt,  car  les  exemples  sont 
assez  nombreux,  ces  formes  nouvelles  ne  se  trouvent  que  dans  un 
petit  nombre  d'ouvrages,  à  savoir  le  Vovage  de  Saint  Brandan  et 
les  Psautiers. 

Nous  avons  déjà  énuméré  les  formes  irrégulières  qu'on  trouve 
dans  le  premier  de  ces  ouvrages  ;  pour  ce  qui  est  des  exemples  qui 
proviennent  des  thèmes  vocaliques,  nous  n'en  trouvons  qu'un 
assuré  par  la  rime  dans  les  deux  manuscrits  :  esmaie,  rimant  avec 
manaie  au  vers  226  (Arsenal  171)  : 

Et  ni  ait  nul  qui  ja  s'esmaie. 

On  en  cite  parfois  un  autre  qui  nous  semble  plutôt  un  présent 
de  l'indicatif:  vers  1742  (Arsenal  1660),  recrie  qui  rime  avec  mie. 

Les  trois  Psautiers  nous  lournissent  un  nombre  plus  considérable 
de  formes  analogiques  pour  ces  thèmes  :  loed  peut  se  lire  dans  le 
Psautier  d'Oxford,  une  fois  '  (150,  5),  et  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge (32,  19)^;  vivifiet  se  trouve  à  la  fois  dans  le  dernier  de  ces 
ouvrages  (32,  19)  et  dans  le  Psautier  d'Arundel  (40,  2)  '.  On  relève 
encore  dans  ce  dernier  envoiel  (19,  2)^. 

Au  siècle  suivant,  les  formes  analogiques  pour  les  thèmes  voca- 
liques deviennent  évidemment  de  plus  en  plus  communes  et  nous 
n'avons  pas  l'intention  de  citer  toutes  celles  qu'on  peut  rencontrer; 

1.  Dans  le  même  Psautier,  lot,  r^  10,  doux  fois. 

2.  Dans  le  même  Psautier,  lout,  r,  10  et  r,  16. 

3.  Fm)i/,  Psautier  d'Oxford  32,  19. 

4;  Eiiveit  dans  les  deux  autres  Psautiers. 


>08  LKMM.UriON    DU    \  ERBK    KN    AKGLO-FRANÇAIS 

nous  ne  donnerons  que  celles  qui  nous  semblent  les  plus  assurées 
et  les  plus  significatives.  Dans  le  Manuel  des  Péchés  de  Robert  de 
Grctiiani,  nous  relevons  /('j>7/;;/(W/V  rimant  avec  vie;  Joue  est  employé 
dans  Edward  le  Confesseur  au  vers  869  '.  Les  exemples  sont  nom- 
breux dans  Boeve  de  Haunitone  et  dans  William  de  Waddington, 
mais  ne  ditîèrent  pas  de  ceux  que  nous  venons  de  citer.  Les  exemples 
abondent  au  xiV  siècle  :  ottrie,  qui  a  conservé  longtemps  la  forme 
régulière,  se  lit  dans  Pierre  de  Langtoft,  cà  la  rime  (I,  322,  17)  ;  et 
dans  le  Poème  du  Prince  Noir  à  la  rime  du  vers  4182;  de  même 
dans  ce  poème  avoie  rime  avec  joie  au  vers  662,  etc. 

Citons  encore  siirveye  de  surveiller,  toujours  considéré  comme  un 
thème  vocalique  au  xiv^  siècle  (cf.  sorveer,  p.  90  du  Dit  de  Senes- 
chaucie;  sorvcr,  passiiti).  La  forme  du  subjonctif  que  nous  venons 
de  citer  se  trouve  à  la  p.  10  de  Walter  de  Henley. 

b)   Thèmes  à  deiitale. 

Un  nombre  beaucoup  plus  considérable  encore  de  ces  e  analo- 
giques se  rencontre  avec  les  thèmes  à  dentale  ;  spécialement,  les 
exemples  de  formes  irrégulières  que  nous  trouvons  au  xii^  siècle 
sont  plus  généraux,  en  ce  qu'ils  ne  sont  pas  limités  à  un  petit 
nombre  d'auteurs.  Mais  nous  devons  reconnaître  par  contre  que  les 
exemples  que  nous  fournissent  de  tels  thèmes  ne  sont  pas  à  beau- 
ctiup  près  aussi  significatifs  que  ceux  que  nous  avons  déjà  énumé- 
rés.  Un  grand  nombre  des  formes  qui  suivent  ne  sont  pas  à  pro- 
prement parler  irrégulières  et  peuvent  phoniquement  se  dépendre. 
h'e  atone  a  la  même  raison  d'être  dans  ces  formes  que  dans  les  per- 
sonnes du  singulier  des  imparfaits  du  subjonctif.  En  effet  lorsque 
la  dentale  de  la  désinence  se  confond  avec  la  dentale  du  thème_,  la 
troisième  personne  du  singulier,  comme  nous  l'avons  déjà  fait 
remarquer,  ne  semble  pas  avoir  de  terminaison  propre;  pour  la  lui 
conserver,  certains  écrivains  séparent  ou  relient  les  deux  dentales 
par  un  c  atone,  et  cet  e  d'appui,  phoniquement  irrégulier,  se 
défend  par  des  raisons  morphologiques  (cî.  Nyrop,  H,  §  203,  2). 

Cependant  nous  n'irons  pas  jusqu'à   dire  que  tous  les  exemples 
que   nous  allons   donner  sont  défendables.   Quelques-uns  le  sont 

I .  N'est  nuls  ki  n'eit  joie  e  baudur 

E  n'en  loue  le  Créât ur. 


LE    SUBJONCTIF  309 

certainement  ;  pour  les  autres,  pour  le  plus  grand  nombre  même, 
Ve  est  purement  analogique.  Pour  les  distinguer  nous  dirons  >que 
les  exemples  irréguliers  sont  ceux  qui  montrent  la  forme  régulière 
très  fréquemment  et  la  forme  avec  muette  très  tardivement  ;  pour 
ceux-là  nous  avons  réellement  un  phénomène  d'analogie. 

Le  principe  est  plus  facile  à  formuler  qu'à  appliquer  ;  nous  don- 
nerons tout  d'abord  les  subjonctifs  dont  la  muette  peut,  croyons- 
nous,  s'expliquer  phoniquement  ou  morphologiquement  ;  ensuite 
ceux  où  elle  est  analogique. 

Le  plus  ancien  exemple  que  nous  a3'ons  se  trouve  dans  le  Voyage 
de  Saint  Brandan  au  vers  902  (Arsenal  855),  où  adeiile  rime  avec 
tourmente;  cette  forme  nous  semble  provenir  de  adenlet  par  suite 
de  la  chute  dentale  finale,  chute  qui  peut  provenir  du  scribe.  Le 
Psautier  de  Cambridge  nous  donne  plusieurs  exemples  analogues  : 
dehntd  (34,  6);  guardet  (120,  8)  (Psautier  d'Oxford,  giiarf);  ajuste! 
(113,  32)  qu'on  retrouve  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  16,  18) 
(Oxford,  ajusl^.  Le  Psautier  d'Arundel  nous  montre  encore  aguaitei 
(9,  8).  Nous  n'hésiterons  pas  à  considérer  ici  Yc  comme  un  c  d'ap- 
pui employé  pour  séparer  les  deux  dentales. 

Il  est  assez  difficile  de  décider  si  les  exemples  qu'il  nous  reste  à 
citer  doivent  être  rangés  dans  la  même  classe  que  ceux  que  nous 
venons  d'énumérer  ;  il  est  probable  que  non,  et  nous  pouvons  con- 
sidérer Vc  qu'ils  nous  montrent  comme  un  c  purement  analogique, 
dû  peut-être  en  partie  aux  formes  quasi  régulières  que  nous  avons 
vues. 

Fantosme  nous  donne  ainsi  gale  (au  vers  444)  ;  ciDite  rime  avec 
le  substantif  de  même  forme  dans  les  rubriques  d'Edward  le  Con- 
fesseur (XXXVI,  12);  amende  est  assuré  par  la  mesure  du  vers  926 
du  Manuel  des  Péchés;  conforte  rime  avec  la  troisième  personne 
du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  du  même  verbe  au  vers  2079 
du  Prince  Noir. 

Nous  ne  saurions  toutefois  avoir  aucun  doute  pour  les  formes 
tardives  et  exceptionnelles  comme  grante,  aide,  garde  (voir  cependant 
l'exemple  du  Psautier  de  Cambridge),  ou  porte.  La  première  de  ces 
formes  est  employée  dans  le  Saint  Auban  (au  vers  1030)  et  reste 
assez  rare  par  la  suite.  Aide  devient  très  commun  après  1250  ;  cette 
forme  est  assurée  par  la  mtsure  du  verbe  4993  du  Manuel  des 
Péchés;  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  468,  i));  dans  le  Prince  Noir 


310  L  ÉVOLUTION    DU    VRUBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

(2567,  3212);  elle  se  lit  au  §  3  5  des  Contes  de  Bozon.  Nous  avons 
un  nombre  à  peu  près  égal  d'exemples  pour  garde  :  Ve  muet  est 
assuré  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (au  folio  68  r°);  dans  Pierre  de 
Lnngtoft  très  souvent  (II,  46,  26;  II,  230,  7  ;  II,  420,  19);  par  la 
rime  avec  le  substantif  dans  le  Prince  Noir  (293,  looi,  2705,  1165, 

2)39)- 

Par  conséquent,  il  est  évident  que  les  verbes  à  dentale  prennent 
souvent  un  e  atone  à  la  troisième  personne  du  singulier.  Mais  pour 
les  premiers  exemples  que  nous  relevons  cet  c  est  en  partie  justifié. 
Les  formes  vraiment  analogiques  ne  remontent  pas  avant  le  milieu 
du  XIII*  siècle. 

c)   Thèmes  terminés  par  un  groupe  de  consonnes. 

Dans  la  plupart  des  exemples  suivants  Ve  semble  à  première  vue 
nécessaire;  on  peut  souvent  le  justifier,  quoique  pour  chacun 
d'eux,  nous  ayons  relevé  des  exemples  de  formes  absolument  ana- 
logues d'où  il  est  absent.  C'est  dans  cette  catégorie  que  nous  trou- 
vons le  plus  grand  nombre  de  formes  avec  e  plus  ou  moins  irrégu- 
lier ;  le  Voyage  de  Saint  Brandan  en  présente  deux  exemples  qui 
ne  sont  pas  très  assurés  :  lesset  (:  amonestet)  (au  vers  225);  target 
(au  vers  135)  '•  Ce  dernier  verbe  se  retrouve  dans  le  manuscrit  A 
du  Cumpoz  (au  vers  2443).  Le  Psautier  d'Oxford  lui-même  en  a 
quelques-uns  du  même  genre  :  aprismet  (ri8,  169),  salved  (ïj8, 
73)  (qui  se  trouve  aussi  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  I,  4,  3)  ; 
plunged  (68,  19);  dans  le  Psautier  d'Arundel  on  trouve  aussi  :  con- 
fermet  (19,  4),  et  cunferme  dans  le  Psautier  d'Oxford  (103,  17), 

Il  y  a  enfin  un  certain  nombre  de  formes  avec  e  communes  aux 
trois  Psautiers  :  livred  qui  se  rencontre  cinq  fois  dans  le  Psautier 
d'Oxford  (40,  2  et  passim)  à  côté  de  deliurt  que  nous  avons  déjà 
cité;  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (32,  19);  dans  le  Psautier 
d'Arundel  (21,    3  ;    32,    19).    Truisset  est  commun    au    Psautier 

I.  Cf.  Willemberg,  Rom.  Stud.  383,  Anmerk.  I.  Le  ms.  de  l'Arsenal  ne  nous 
donne  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  exemples  ;  le  vers  qui  contient  tariJ-et  a  disparu  par 
accident;  au  lieu  de  lesset,  ce  ms.  nous  donne  une  leçon,  meilleure  en  soi  et  qui 
fait  disparaître  l'irrégularité,  vers  168  : 

Li  abes  dunt  les  amoneste 

Que  Dex  les  gart  d'avoir  tempeste. 


LE    SUBJONCTIF  3  1 1 

d'Arundel  et  au  Psautier  d'Oxford:  il  se  trouve  Psaume  20,  verset  8, 
dans  l'un  et  dans  l'autre.  On  trouve  aussi  ciimenced  dans  les  mss.  C 
et  L  du  Cumpoz  (pour  le  vers  2303);  dninset  est  aussi  employé  au 
vers  2938  par  le  scribe  du  Roland  d'Oxford. 

Pour  quelques-uns  des  verbes  précédents,  nous  ne  pouvons  pas 
encore  dire  que  nous  avons  une  véritable  irrégularité. 

Dans  un  petit  nombre  de  cas,  Ye  ne  répond  à  aucun  besoin,  par 
exemple  dans  lesset,  truisset,  dtiiiiset,  ctimeuced.  Ces  quelques  verbes 
sont  vraiment  irréguliers. 

La  muette,  dans  quelques  autres  verbes,  a  été  ajoutée  pour  con- 
server ou  faire  reparaître  le  radical  du  verbe  obscurci  dans  la  forme 
régulière,  par  exemple  dans  target  pour  tarst,  salvet  pour  sait,  pluu- 
ged  pour  *plunzt,  delivrcd  pour  deliurt.  Toutes  ces  formes  et 
quelques  autres  encore  sont  irrégulières  en  tant  qu'elles  ne  pro- 
viennent pas  directement  du  verbe  latin,  mais  elles  s'expliquent. 

Dans  deux  autres  cas  la  présence  de  Ve  est  au  moins  aussi  justifiée 
que  son  absence,  d.uis  aprismet  et  cunfermct. 

Par  conséquent  dans  cette  classe,  nous  trouvons  quelques  formes 
régulières,  d'autres  discutables,  enfin  plusieurs  qui  sont  franchement 
irrégulières. 

Nous  n'jénumérerons  pas  les  exemples  qu'on  trouve  par  la  suite  : 
blanieqnon  trouve  au  vers  869  de  Guischart  de  Beauliu  (copiste  ?), 
Iniisse  qui  se  lit  dans  le  même  auteur  au  vers  1023,  doiiisc  qui  est 
commun  au  xiv^  siècle,  sauve  qui  n'est  pas  rare,  mais  qui  est  moins 
commun  que  sait,  saut  '  ;  pense  -  ;  toutes  ces  formes  sont  à  différents 
degrés  irrégulières,  plus  irrégulières  certainement  que  celles  que 
nous  ont  fourni  les  verbes  à  dentale 

1.  Cf.  dans  le  Josaphat  de  Chardri,  vers  2508  : 

Ke  il  sauve  l'aime  de  li. 
et  au  vers  2749  du  même  poème  : 

Il  pria...  ke... 

Le  sauvet  a  sun  muriant. 
Et  dans  Boeve,  les  vers  79,  489,  1 5 15  ;  dans  les  Heures  de  la  Vierge  au  fol.  66  r"; 
dans  la    Chronique    de    Pierre   de   Langtoft,  II,  48,   26  ;    II,   342,  6  et  passitii  ; 
Foulques  Fitz  Warin,  30,  etc. 

2.  Cf.  Chardri,  Josaphat  au  vers  1598  : 

Deu  en  pense,  ki  ben  le  poet  ! 
■Voir  aussi  Prince  Noir,  vers  1277. 


312  I.  HVOI.rTION    DU    VERHK    EN    ANGI.O-FRANÇAIS 

d)  Lettres  mon i liées. 

Pour  la  raison  même  que  nous  venons  d'exposer,  les  verbes  dont 
le  radical  présente  une  lettre  mouillée  devaient  prendre  assez  aisé- 
ment un  ('  atone  à  la  troisième  personne  du  singulier;  dans  la  forme 
étymologique  du  subjonctif,  la  mouillure  disparaît,  et  pour  la  con- 
server, un  e  d'appui  est  nécessaire.  C'est  de  cette  façon  que  l'anglo- 
français  a  tendu  à  se  débarrasser  d'un  thème  différant  sensiblement 
du  thème  de  toutes  les  autres  parties  du  verbe.  Ceci  explique  pour- 
quoi nous  trouvons  assez  tôt  des  formes  qui,  par  analogie,  ont  pris 
le  radical  ordinaire  du  verbe  et  en  même  temps  Ve  atone  ;  citons  : 
dei^net  au  vers  999  de  Guischart  de  Beauliu  ;  deinge  au  vers  343  de 
la  Vie  de  Saint  Grégoire  ;  deigne  au  vers  26  de  la  Plainte  Notre- 
Dame  ;  suiiioile  (:  voile)  au  vers  92  d'Edward  le  Confesseur;  baille 
rime  avec  faille  au  folio  65  v°  du  poème  religieux  du  ms.  Royal  20 
B  XIV. 

Quoi  qu'en  dise  M.  Gabrielson,  dans  son  Introduction  au  Sermun 
de  Guischart  de  Beauliu,  les  formes  étymologiques  existent  bien, 
et  nous  en  avons  cité  un  certain  nombre  précédemment  ;  mais  elles 
n'ont  jamais  été  très  employées  et  ont  vite  fait  place  à  ces  formes 
qui  conservent  le  radical  ordinaire  du  verbe. 

e)   Consonnes  simples. 

Les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  consonne  simple 
forment  la  classe  la  plus  nombreuse  dans  la  première  conjugaison; 
cependant,  pour  ces  verbes,  le  nombre  de  formes  nouvelles  n'est 
proportionnellement  pas  aussi  grand  que  pour  les  autres  classes.  Ici 
nous  avons  réellement  les  formes  irrégulières  de  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  des  verbes  de  I  ;  et  nous  pourrons  remarquer 
que  les  formes  analogiques  sont  relativement  assez  tardives.  On  en 
trouve,  il  est  vrai,  dans  les  Psautiers;  mais  ce  sont  les  seuls 
ouvrages  de  cette  époque  qui  présentent  cette  irrégularité  pour  les 
verbes  de  cette  classe.  Le  Psautier  de  Cambridge  a  deux  de  ces 
exemples  :  curnnet  (68,  8);  aposet  (119,  3);  le  Psautier  d'Oxford 
a  apost  (9,  42).  On  rencontre  encore  dans  ce  dernier  ouvrage  deux 
autres  formes  nouvelles  :  embrive  (0,  iS)  ezespeire  (129,  6). 


LE    SUBJONCTIF  3  I  3 

Nous  pouvons  maintenant  nous  arrêter  un  instant  et  récapituler 
les  formes  plus  ou  moins  irrégulières  que  nous  avons  rencontrées 
au  xir'  siècle.  Nous  n'avons  trouvé  Ve  analogique,  c'est-à-dire 
emprunté  aux  subjonctifs  en  cm  qui  ont  un  e  d'appui,  ou  aux  sub- 
jonctifs en  aiii.  et  iain,  que  dans  un  tout  petit  nombre  de  cas  : 
d'abord  pour  certains  verbes  à  thème  vocalique  (esinaie,  Joe,  vivi- 
fied,  cnvoiet)  ;  dans  quelques  autres  terminés  par  une  consonne 
double  ou  un  groupe  de  consonnes  (Jesset,  triiisset,  duinset,  comenced); 
ou  par  une  consonne  simple  (curunet,  aposet,  embrive,  espeire).  Ces 
quelques  cas,  dont  quelques-uns  remontent  aux  tout  premiers  temps 
de  la  littérature  anglo-française,  sont  les  seuls  qui  montrent  l'ad- 
dition d'un  e  irrégulier.  Tous  les  autres  nous  montrent  une  irrégula- 
rité d'un  genre  absolument  différent,  soit  disparition  du  thème  propre 
à  ce  temps,  soit  mise  en  évidence  de  la  dentale  caduque  de  la  dési- 
nence par  un  e  d'appui. 

Jusqu'ici,  nous  nous  sommes  surtout  occupés  des  formes  du 
xii^  siècle,  tout  en  corroborant,  au  moyen  d'exemples  tirés  des  siècles 
suivants,  les  exemples  que  nous  citions.  Nous  allons  maintenant 
poursuivre  très  rapidement  notre  étude  des  formes  analogiques 
dans  les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  consonne  simple 
au  xiiT^  siècle  et  au  xiv^. 

Comme  les  quelques  exemples  que  nous  donnerons  suffiront  à  le 
montrer,  l'analogie  fait  de  grands  progrès  à  cette  époque,  et  la  forme 
avec  muette  se  généralise  de  plus  en  plus. 

Les  thèmes  sigmatiques  sont  nombreux  sous  cette  forme  avec 
atone,  et  nous  pourrions  dresser  une  longue  liste  d'exemples;  nous 
n'en  donnerons  que  quelques-uns,  comme  prise  qui  rime  avec  fran- 
chise dans  Edward  le  Confesseur  (au  vers  55);  peisc  est  commun, 
même  à  la  rime,  comme  dans  la  Plainte  d'Amour  (vers  787,  avec 
maleise),  dans  le  Roman  des  Romans  (vers  44,  avec  eyse  ; 
cf.  d'ailleurs,  dans  le  même  poème,  peist,  577),  dans  Foulques  Fitz 
Warin  (p.  85).  Ceci  montre  assez  que  cette  forme  est  devenue 
sinon  la  forme  habituelle,  au  moins  une  forme  communément 
employée. 

Les  autres  thèmes  consonantiques  ne  sont  pas  beaucoup  plus 
rares  ;  citons,  parmi  les  thèmes  en  r,  dure  qui  rime  avec  parjure 
dans  les  Rubriques  d'Edward  le  Confesseur  (LXI,  4)  et  aiire  qui  rime 
avec  cure  dans  les  Rubriques  de  Saint  Auban  (fol.  34  v°);  ces 
exemples  sont  sensiblement  plus  tardifs. 


31-1  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Nous  ne  citerons  qu'un  petit  nombre  d'autres  exemples  ;  d'abord 
une  autre  forme  du  subjonctif  de  donner  qu'on  rencontre  assez 
communément,  doi ne,  comme  au  vers  988  du  Roman  des  Romans 

Deus  nus  doinc  vcrai  pardun, 

dans  les  Heures  de  la  Vierge  (éi  v°),  et  dans  plusieurs  autres  cas. 

Ces  quelques  exemples  nous  permettront  de  conclure  que  la 
forme  moderne,  c'est-à-dire  irrégulière,  de  ces  subjonctifs  est  d'un 
emploi  courant  au  xiii'=  siècle,  et  que  leur  nombre  commence  à  deve- 
nir considérable  après  la  seconde  décade  de  ce  siècle. 

Enfin,  et  pour  terminer  cette  rapide  énumération,  il  y  a  toute 
une  classe  de  subjonctifs  de  I  qui,  très  naturellement,  prennent  tou- 
jours Ve  ;  ce  sont  les  subjonctifs  en  ge  et  ce.  Ceci  n'a  rien  que  de  très 
naturel,  car  ces  subjonctifs  sont  modelés  sur  les  subjonctifs  en 
ia?n,  qui  l'ont  toujours. 

Nous  les  étudierons  plus  tard. 

Il  est  peu  utile,  après  ce  que  nous  venons  de  dire,  d'insister  sur 
les  formes  analogiques  dans  les  ouvrages  non  littéraires^  puisque 
nous  n'avons  pour  ces  ouvrages  aucun  texte  antérieur  au  milieu  du 
xiii*^  siècle.  Nous  ferons  simplement  remarquer  que  les  verbes,  que 
nous  avons  eu  précédemment  l'occasion  de  signaler,  sous  la  forme 
étymologique,  dans  la  dernière  partie  de  ce  siècle,  se  trouvent  aussi 
avec  Ve  un  nombre  presque  égal  de  fois  :  aide,  garde,  porte,  voise  (ou 
aille^  sont  très  communs  dans  les  Statutes,  comme  dans  Rymer  et 
les  autres,  même  avant  1300;  de  plus,  on  trouve,  avec  e,  d'autres 
verbes  d'un  emploi  moins  fréquent,  qui  n'apparaissent  jamais  sous 
la  forme  étymologique,  comme  paie,  demoere,  passe,  etc. 

Au  \\\^  siècle,  même  les  premiers  verbes  que  nous  venons  de 
citer  sont  employés  plus  communément  sous  la  forme  moderne  ; 
on  peut  dire  que  c'est  la  seule  qu'on  trouve  dans  certains  recueils 
comme  le  Liber  Rubeus  de  Scaccario  ou  le  Registrum  Malmesbu- 
riense. 

Certaines  formes,  telles  que  saut,  aut  qui  se  rencontrent  très  tard 
dans  la  langue  littéraire  (cf.  supra)  sont  inconnues  dans  les  textes 
politiques,  diplomatiques,  etc.  Quant  adonner,  il  ne  prend  la  forme 
féminine  dans  cette  catégorie  de  textes  que  vers  le  commencement 
du  xiv^  siècle. 


LE    SUBJONCTIF  3  I  5 

Comme  nous  disions  plus  haut  que  la  forme  étymologique  de  la 
troisième  personne  du  singulier  des  subjonctifs  en  eni  est  très  rare 
dans  les  textes  légaux,  nous  n'aurons  donc  pas  à  insister  maintenant 
sur  les  formes  modernes  que  présentent  ces  recueils.  Elles  sont 
nombreuses  :  eyde,  garde,  sauve  sont  employés  constamment  (cL  31 
Edw.  l",  345  ;  30  Edw.  I",  75,  etc.)  ;  donner  fait  le  plus  sou- 
vent doigne  (33  et  35  Edw.,  I",  399;  11  et  12  Edw.  III,  139); 
trouver  se  montre  le  plus  souvent  sous  la  forme  troefse  (32  et  33 
Edw.  P%  115);  aller  prend  trois  formes  :  auge  (20  et  21  Edw.  P'» 
123),  forme  assez  rare;  ayle  (21  Edvv'.  I",  121);  voyse  (11  et  12 
Edw.  III,  63). 

Nous  pouvons  maintenant  résumer  avec  assez  de  précision  les 
résultats  que  nous  a  fournis  l'étude  des  différents  textes  anglo- 
français. 

1.  Les  formes  régulières  des  troisièmes  personnes  du  singulier  du 
présent  du  subjonctif  en  em  persistent  assez  longtemps;  elles  sont 
très  nombreuses  au  xii^  siècle  et  jusque  vers  1250.  Mais  pendant  la 
première  moitié  du  xiii^  siècle,  il  ne  se  rencontre  plus  d'auteur  qui 
emploie  exclusivement  la  forme  régulière.  De  1250  à  la  fin  du 
xiV  siècle,  les  formes  normales  se  rencontrent  toujours,  mais  on 
peut  trouver  quelques  ouvrages  qui  n'en  ont  aucun  exemple 
assuré. 

2.  Les  formes  avec  e  atone  datent  de  très  haut  dans  la  littérature 
anglo-française.  Même  si  on  admet,  nous  ne  sommes  pas  éloignés 
de  le  f  lire,  et  le  manuscrit  de  l'Arsenal  le  montre  assez  clairement, 
que  le  Voyage  de  Saint  Brandan  a  été  fortement  remanié  par  le 
scribe,  les  formes  analogiques  que  nous  trouvons  dans  ce  poème 
doivent  remonter  au  moins  à  1 167,  ce  qui  les  ramène  à  la  date  des 
Psautiers;  dans  ces  quatre  ouvrages,  on  trouve,  à  côté  déformes  qui 
peuvent  se  défendre,  des  formes  irrégulières  avec  les  verbes  dont  le 
thème  est  terminé  par  une  voyelle,  un  groupe  de  consonnes  (ou  une 
consonne  double)  et  plus  rarement  par  une  consonne  simple. 

3.  A  la  fin  du  xii''  siècle  et  spécialement  au  commencement  du 
siècle  suivant  (^d.  Guischart  de  Beauliu  et  Robert  de  Gretham), 
nous  trouvons  encore  des  exemples  de  ces  trois  sortes  de  thèmes 
employés  sous  la  forme  irrégalière;  de  plus  les  verbes  dont  le  radi- 
cal est  terminé  par  une  lettre  mouillée  se  trouvent  atteints.  Les 
Psautiers  mis  à  part,  ce  n'est  qu'au  commencement  du  xiii"^  siècle 


^l6  l."lh-OLUTIO\    DU    VHRBE    KN    ANGLO-FRANÇAIS 

que  nous  rencontrons  des  exemples  assurés  de   la  forme   moderne 
aux  radicaux  terminés  par  une  consonne  simple. 

C'est  donc  à  la  fois  par  une  extension  des  lois  phoniques 
(thèmes  à  groupe  de  consonnes  et  thèmes  À  dentale)  et  par  analo- 
gie (thèmes  vocaliques  d'abord)  que  les  troisièmes  personnes  du 
singulier  des  verbes  de  I  se  sont  acheminées  graduellement  vers  la 
forme  moderne . 

IV.  Première  et  deuxiè.mk  personnes  du  pluriel. 

Nous  n'avons  que  fort  peu  de  choses  à  dire  de  ces  deux  per- 
sonnes. La  première  est  régulièrement  en  u{o)ui{s^  ;  les  désinences 
qui  montrent  un  /  comme  caiigiiini  qu'on  lit  au  vers  449  de  Gaimar 
sont  extrêmement  rares  et  sont  dues  à  l'ignorance  des  scribes. 

Pour  ce  qui  est  de  la  seconde  personne  du  pluriel,  quelques-unes 
seulement  prennent  la  désinence  en  ie^  ;  c'est  à  cause  de  cela  que 
nous  en  avons  parlé  au  chapitre  des  Désinences  personnelles. 

V.  Le  radical  des  subjonctifs  en  efii. 

Nous  avons  déjà  dit  quelques  mots  du  radical  de  ces  subjonctifs 
dans  les  troisièmes  personnes  du  singulier  étymologiques.  Il  nous 
reste  à  parler  maintenant  des  changements  plus  généraux  atteignant 
chacune  des  personnes  de  ce  temps. 

I.  La  voyelle. 

Nous  n'avons  relevé  pour  la  voyelle  thématique  qu'un  tout  petit 
nombre  de  changements  qui  ne  soient  pas  dus  à  l'évolution  pho- 
nique njrmale.  Nous  allons  maintenant  citer  quelques  formes  qui 
ont  une  origine  différente.  C'est  surtout  pour  la  diphtongue  ni 
qu'on  trouve  régulièrement  au  subjonctif  d'ennuyer,  trouver, 
donner...  que  les  formes  sont  variées  et  parfois  difficiles  à  expli- 
quer. 

Nous  allons  tâcher  de  montrer  que  ces  formes  si  différentes  pro- 
viennent de  deux  radicaux  distincts  : 

L'un,  le  radical  étymologique  présentant  ni  et  ses  dérivés  pho- 
niques; 


LE   SUBJONCTIF  317 

L'autre  qui  est  une  généralisation  du  radical  de  l'indicatif. 
I.  Ui  se  rencontre  constamment  au  xii"  siècle  et  pendant  une 
grande  partie  du  xiii'^;  ici  comme  ailleurs,  la  diphtongue  se  réduit 
souvent  à  la  voyelle  simple  //,  dès  la  fin  du  xiii'^  siècle.  On  trouve, 
par  exemple,  trnsse  au  vers  1132  des  Set  Dormans  de  Chardri,  et, 
sous  la  date  1278,  dans  le  premier  volume  des  Statutes,  à  la  page 
49,  etc.  Ce  premier  changement  de  la  diphtongue  du  thème  n'a  rien 
que  de  très  normal. 

Ue  et  aussi  oe  qui  en  dérive  peuvent  provenir  phoniquement  de 
la  même  diphtongue  ///  ;  on  trouve  triiesse  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1306,  II,  1012);  troesse  dans  les  Statutes,  à  la  page  31  du  premier 
volume  (1275).  Il  est  possible  que  ces  deux  derniers  exemples 
doivent  se  ranger  parmi  ceux  qui  montrent  une  extension  du  radi- 
cal de  l'indicatif. 

Ajoutons  que  pour  ennuyer  et  donner  nous  relevons  une 
autre  forme  de  la  diphtongue  ni  :  ai.  Mais  ici  nous  n'avons  proba- 
blement qu'une  graphie,  comme  l'indique  la  rime  du  Drame  d'Adam 
(vers  114),  a)ioit  (:  déduit). 

Cependant  oi  est  la  forme  la  plus  commune  que  prenne  l'élément 
vocalique  du  thème  de  donner  ;  elle  est  beaucoup  plus  répandue 
que  ///  par  exemple.  On  trouve  oi  pendant  tout  le  xiii''  siècle  et  le 
xiv^  (Roman  des  Romans,  vers  988;  William  de  Waddington,  vers 
936,  2228,  5282;  érection  des  Murs  de  New  Ross,  vers  202,  Sta- 
tutes, Rymer,  passini,  etc.). 

Trouver  ne  montre  jamais  cette  diphtongue. 

2.  Nous  avons  déjà  cité  (cf.  supra,  p.  304)  plusieurs  formes  de 
donner  (Bestiaire,  Saint  Laurent,  Dialogues  Grégoire),  qui 
présentent  le  radical  de  l'indicatif;  elles  ne  sont  probablement  pas 
des  formations  analogiques  et  proviennent  de  do  net. 

Pour  trouver  au  contraire,  nous  sommes  souvent  en  présence  de 
véritables  formes  analogiques.  Il  est  possible  que  les  thèmes  en  oc 
et  ne  cités  plus  haut  proviennent  de  l'indicatif,  au  lieu  d'être  le 
résultat  de  l'évolution  de  ui.  Toujours  est-il  que  nous  relevons 
assez  fréquemment  vers  la  fin  du  xiii'^  et  pendant  le  xiv'  siècle 
des  thèmes  montrant,  sans  doute  possible,  l'influence  de  l'indica- 
tif. 

On  rencontre  d'abord  la  voyelle  0,  par  exemple  dans  trofse  qui  se 
lit  dans  les  Parliamentary  Writs,  sous  la  date  de  1297  (I,  54).  Cette 


3i8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

forme  par  la  suite  devient  très  commune,  même  la  plus  commune. 
Elle  se  rencontre  constamment  dans  les  Traités  de  Rymer,  et  c'est  la 
seule  qu'emploient  les  Year  Books.  On  est  certainement  plus  rare  ; 
on  en  trouve  un  exemple  (jroiis)  dans  l'Apocalypse  (a,  175);  un 
autre  troussent  à^iws  les  Statutes,  à  la  date  de  [299  (I,  132)  ; 
R^'^mer  et  les  Literae  Cantuarienses  en  offrent  aussi  quelques 
exemples. 

Telles  sont  les  principales  formes  prises  par  l'élément  vocalique 
dans  le  thème  de  ces  verbes  au  subjonctif. 

II.  La  consonne. 

La  consonne  finale  des  subjonctifs  en  em  subit  un  nombre  assez 
considérable  de  changements  ;  les  uns  sont  sporadiques  et  nous  ne 
nous  y  arrêterons  pas.  Les  autres  ont  un  caractère  plus  marqué 
de  généralité  ;  parmi  ceux-ci  nous  en  citerons  un  seul,  l'introduc- 
tion d'une  lettre  mouillée. 

Il  y  a  dans  la  première  conjugaison  un  certain  nombre  de  verbes 
qui,  au  subjonctif,  mouillent  irrégulièrement  la  consonne  finale  du 
radical  et  qui  prennent  ainsi  une  forme  qui  les  rapprochent  des  sub- 
jonctifs en  iam. 

Le  plus  important  de  ces  verbes  est  évidemment  le  verbe  aller, 
qui  prend  très  fréquemment  la  forme  moderne  aille  y  elle  se  trouve 
pour  la  première  fois,  croyons-nous,  dans  le  Psautier  de  Cambridge 
(31,  9);  elle  n'est  pas  très  fréquente  au  xir'  siècle.  Auge  et  voise 
sont  beaucoup  plus  communément  employés  (cf.  supra,  p.  315). 

Nous  la  retrouvons  plusieurs  fois  au  xiii^  siècle,  en  particulier 
dans  les  Evangiles  des  Dompnées  (au  fol.  174  r°),  dans  le  Saint 
Julien  (au  fol.  48  v°),  au  vers  530  du  Roman  des  Romans  ;  aucun 
de  ces  exemples  n'est  du  reste  assuré  par  la  rime.  Ils  sont  plus  com- 
muns au  xiv^  siècle;  une  des  premières  rimes  où  nous  trouvions 
cette  forme  se  lit  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  478,  8).  yif///^  d'ailleurs 
est  la  forme  communément  employée  dans  les  ouvrages  non  litté- 
raires ;  dans  les  Statutes,  elle  alterne  avec  voise,  dans  les  autres 
recueils,  elle  est  le  plus  souvent  unique.  Elle  est  tiès  fréquente  dans 
les  Year  Books;  auge  y  est  employé  sporadiquement  pendant  les 
premières  années  du  xiv^  siècle  ;  voise  se  trouve  fréquemment  même 
plus  tard. 


LE    SUBJONCTIF  319 

Donner  dans  la  langue  littéraire  prend,  à  la  fin  du  xiii^  siècle  et 
pendant  le  xiv%  la  forme  doigne,  fréquente  chez  William  de  Wad- 
dington  (cf.  986,  2228,  3282).  Les  auteurs  du  xiv^  siècle  l'em- 
ploient presque  à  l'exclusion  de  toute  autre.  La  langue  politique  ne 
nous  a  fourni  aucun  exemple  de  cette  dernière  forme  au  xiii^  siècle, 
alors  que  le  xiv=  l'emploie  constamment  ;  c'est  la  seule  forme  que 
connaissent  les  Year  Books. 

Le  verbe  mener  montre  très  tôt  une  «  mouillée  au  subjonctif; 
la  forme  rneigne  n'est  cependant  pas  aussi  commune  que  les  deux 
autres  formes  que  nous  venons  de  citer  ;  on  la  trouve  pour  la  pre- 
mière fois  au  xiii^  siècle,  dans  le  manuscrit  O  de  Horn,  pour  le 
vers  2075  ;  puis  dans  le  manuscrit  O  du  Josaphat  de  Chardri,  pour 
le  vers  1258  (ameigmnt)  ;  postérieurement  à  cette  dernière  forme,  les 
exemples  restent  assez  rares;  citons  celui  que  nous  trouvons  dans 
le  Second  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft  (Nicole  Bozon),  II, 
436,  36. 

La  langue  politique  nous  a  fourni  des  exemples  intermédiaires; 
ineigne  se  lit  dans  les  Parliamentary  Writs  (13 15,  II,  42e);  dans  les 
Statutes  (1321,  I,  182;  1340,  I,  298).  Cette  catégorie  de  textes 
p^ut  donner  encore  un  certain  nombre  d'autres  exemples  montrant 
d'autres  verbes  délayant  n  comme  consonne  finale  du  radical  et  pre- 
nant une  n  mouillée  au  subjonctif.  Le  verbe  qui,  avec  mener,  semble 
prendre  cette  forme  le  plus  fréquemment,  c'est  le  verbe  ordonner  ,; 
ordeignc  se  rencontre  dans  un  grand  nombre  de  cas  :  citons  les  Sta- 
tutes (1340,  I,  270);  les  Rymer's  Foedeia  (1379,  VII,  218)  et 
passiui . 

La  mouillure  n'a  donc  pas  été  extrêmement  commune  pour  le 
subjonctif  des  verbes  de  I,  elle  n'a  pas  non  plus  été  très  rare  ;  elle 
semble  avoir  été  limitée  à  certains  verbes:  donner,  mener,  ordonner. 

Pour  le  premier,  la  mouillure  s'expliquerait  assez  aisément  par  la 
forme  même  du  subjonctif  qui  le  rapproche  évidemment  de  certains 
subjonctifs  en  iani  :  teneam,  veniam.  Il  est  fort  possible  que 
donner  ait  entraîné  avec  lui  ordonner,  quoique  cela  ne  soit  pas  très 
évident,  ce  dernier  verbe  était  plus  commun  sous  la  forme  ordener. 
Quant  à  mener,  nous  ne  pouvons  pas  avoir  de  doute  ;  il  doit  la 
forme  de  son  subjonctif  à  sa  ressemblance  avec  manoir,  malgré  la 
différence  entre  le  sens  de  ces  deux  verbes. 

L'extension  de  la  mouillure  a  donc  été  ici  un  phénomène  d'analo- 
gie, bien  plus  qu'un  fait  de  phonétique. 


320  I,  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-I-RANÇAIS 

A.    SUBJONCTIFS    EN    CE    OU    SE    DE   LA    PREMIERE    CONJUGALSON  ' 

Les  verbes  de  la  première  conjugaison  qui  prennent  au  subjonctif 
la  désinence  ou  le  suffixe  ce  sont  en  très  petit  nombre  en  anglo- 
français,  et  ne  conservent  pas  très  régulièrement  cette  forme.  On 
n'en  trouve  guère  que  cinq,  à  savoir  :  manger  et  ester  avec  ses 
composés,  et  donner,  rover,  trouver.  Pour  le  premier  et  le  second 
de  ces  verbes  le  suffixe  est  ordinairement  ce;  on  trouve  quelquefois 
pour  ester,  toujours  pour  donner,  rover,  trouver,  la  graphie  se. 

Ma nj lice  se  trouve  déjà  dans  le  Bestiaire  (au  vers  1182)  et  se 
retrouve  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  i_|,  18).  Les  écrivains 
du  xiii^  siècle  en  ont  eux-mêmes  plusieurs  exemples  ;  on  en  voit 
dans  les  Dialogues  de  Grégoire  leGrand(i  1 1  r°  b);  puis  au  vers  1903 
dans  les  manuscrits  A  et  B  du  Manuel  des  Péchés  ;  au  xiv''  siècle, 
cette  forme  n'est  pas  rare  ;  citons  dans  l'Apocalypse  les  vers  99  et 
84. 

Remarquons  à  propos  de  cette  forme  que  iiiangiist  est  assez  peu 
commun  sur  le  continent  :  Cornu  n'en  cite  qu'un  seul  exemple 
(Recueil  général  desFableaux,  tome  I,  11/3^218;  cf.  Romania  VII, 
429,  et  Etienne,  op,  cit.,  p.  314).  La  première  forme  du  subjonctif 
refaite  sur  le  présent  de  l'indicatif,  date,  croyons-nous,  du  commen- 
cement du  xiv^  siècle  ;  nous  trouvons  mangue  dans  l'Apocalypse 
(3,84).  _ 

Le  subjonctif  d'ester  prend  au  point  de  vue  de  la  désinence  deux 
formes  :  ce  et  se. 

La  première  se  rencontre  surtout  au  xii'=  siècle,  et  voici  un  certain 
nombre  de  références  donnant  les  différentes  formes  en  ce  que  nous 
avons  relevées  pour  ce  verbe.  On  trouve  cette  forme  d'abord  dans  le 
Bestiaire  (au  vers  1598),  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (108,  7);elle 
est  employée  au  vers  952  du  Tristan  de  Thomas,  dans  les  Quatre 
Livres  des  Rois  (I,  17,  29  et  II,  2,  22).  Hlle  se  rencontre  encore 
au  vers  3886  de  Horn,  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine  (vers  1203), 
dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  (vers  1125),  dans  Aspremont 
(vers  189)  et  dans  un  nombre  considérable  d'autres  cas. 

La  forme  estoise  est  à  cette  époque  beaucoup  moins  commune, 
quoique  nous  en  trouvions  un  premier  exemple  dans  la  Chronique 

I.  On  peut  consulter  sur  ce  point  Settegust,  Jules  César,  XXX. 


LE    SUBJONCTIF  321 

de  Jordan  Fantosme  :  cnntrestoise  (au  vers  519);  nous  en  avons 
relevé  -encore  quelques  cas  au  xiii^  siècle,  comme  dans  le  Saint 
Julien  où  elle  rime  avec  poise  (folio  68  r°)  ;  mais  elle  ne  devient 
jamais  commune  dans  les  œuvres  littéraires.  Par  contre,  elle  est 
presque  la  seule  employée  à  toute  époque  dans  les  Statutes  et  est 
très  commune  dans  Rymer;  surtout  les  Year  Books  l'emploient 
fréquemment  :  la  formule  «  estoise  le  jugement  »  y  revient  cons- 
tamment. Cette  forme  provient  évidemment  de  estois,  comme  voise 
de  vois. 

A  côté  de  ces  formes  régulières  ou  provenant  de  la  forme  éty- 
mologique par  une  évolution  phonique  normale,  nous  relevons 
une  forme  du  thème,  commune  dans  certains  dialectes  du  Conti- 
nent, assez  rare  en  anglo-trançais:  eslace  (cf.  Psautier  de  Cambridge, 
108,  7).  Nous  avons  affaire  ici  à  une  forme  analogique  qui  pro- 
vient de  face,  à  cause  de  l'identité  :  fait  estait  :  autrement  dit 
estace  estait 

face  fait 

Ajoutons  quelques  mots  sur  les  subjonctifs  en  se  dont  la 
forme  provient  du  présent  de  l'indicatif,  comme  estoise  dérive  de 
estois.  Les  verbes  donner  et  trouver  (nous  n'avons  rencontré 
aucun  exemple  du  subjonctif  de  rover),  ont  un  subjonctif  de  cette 
nature. 

Nous  avons  mentionné  précédemment  les  changements  qui 
peuvent  affecter  la  forme  de  la  diphtongue  du  thème,  nous  n'y 
reviendrons  pas  maintenant.  Ce  qui  doit  nous  occuper  à  présent 
c'est  la  consonne  finale  du  thème  :  nous  devons  voir  comment  se 
comportent  les  groupes  ns  et  ss.  Nous  pouvons  dès  maintenant  dire 
qu'ils  ne  subsistent  pas  toujours  très  régulièrement  ;  sous  l'influence 
des  autres  formes  du  verbe  et  principalement  des  personnes  faibles 
de  l'indicatif,  ces  deux  subjonctifs  abandonnent  assez  communé- 
ment leur  forme  propre  pour  prendre  la  consonne  {^iiii  pour  donner 
■V  ou/ pour  trouver)que  montre  la  grande  majorité  des  formesdeces 
deux  verbes.  Nous  aurions  pu,  semble-t-il,  lorsque  nous  parlions  de 
la  diphtongue  de  ces  deux  subjonctifs  et  que  nous  montrions  qu'ils 
adoptent  dans  certains  cas  la  diphtongue  de  l'indicatif,  joindre  aux 
remarques  que  nous  faisions  alors  celles  qui  vont  suivre  et  énumérer 
ensemble  tous  les  cas  qui  montrent  pour  les  deux  verbes  en  question 
le  passage  au  subjonctif  du  radical  ordinaire  du  verbe  :  iloii- cl  irov-. 


322  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-IRANÇAIS 

Mais  cela  ne  nous  a  pas  semblé  possible,  car  dans  la  plupart  des 
exemples  que  nous  avons  relevés,  c'est  tantôt  la  voyelle,  tantôt  la 
consonne  de  l'indicatif  qui  apparaît  au  subjonctif,  rarement  les  deux 
à  la  fois. 

Le  verbe  donner  ne  nous  arrêtera  pas  longtemps;  nous  avons 
déjà  cité  un  nombre  suffisant  d'exemples  du  subjonctif  de  ce  verbe 
pour  que  nous  nous  dispensions  de  faire  une  longue  énumération. 
Qu'il  nous  suffise  de  dire  que  les  formes  qui  perdent  Vs  du  thème 
sont  et  de  beaucoup  les  plus  nombreuses.  Nous  trouvons  le  plus 
souvent  soit  ;/,  soit  _i'^;/,  comme  nous  l'avons  déjà  montré;  soit, 
comme  nous  le  dirons  plus  tard,  iig. 

Les  deux  y  se  sont  beaucoup  mieux  conservées  dans  le  subjonctif 
du  verbe  trouver  :  tniisse  est  commun  à  toutes  les  personnes  pen- 
dant toute  la  durée  de  la  littérature  anglo-française.  Mais  au 
xiV^  siècle,  dans  les  textes  diplomatiques,  nous  avons  rencontré  un 
nombre  assez  considérable  de  formes  nous  présentant  f,  comme 
troeffe-  que  nous  lisons  dans  les  Rymer's  Foedera  (1323,  IV,  340). 
Ces  formes  pourront  paraître  n'être  que  des  erreurs  de  lectures,  les 
deux  /  pouvant  facilement  se  lire  au  lieu  d'une  double  s  longue,  et 
nous  avons  d'abord  été  tentés  de  les  rejeter  comme  telles.  Mais  cette 
forme  est  trop  fréquemment  employée,  la  lecture  des  différents 
manuscrits  que  nous  avons  consultés  est  trop  claire  pour  que  cette 
explication  soit  admissible.  De  plus  il  existe  une  forme  intermé- 
diaire qui  doit  avoir  raison  de  tous  les  doutes.  Nous  avons  rencontré 
assez  souvent  un  subjonctif  nous  donnant  à  la  fois  Vf  et  Vs  ;  comme 
troefse,  qui  se  lit  entre  autres  cas  dans  le  Liber  Rubeus  de  Scaccario 
(1323,  870)  et  dans  plusieurs  autres  textes  assez  bons.  Nous  devons 
surtout  citer  sur  ce  point  diriérents  Year  Books  où  elle  est  très 
fréquente  (cf.   32  et  33    Edward  l",    115    et   passim). 

Les  formes  en/  sont  donc  dérivées  des  formes  en  v  ;  les  formes  en 
Js  ne  peuvent  être  qu'une  contamination  entre  trosse  et  Irofe.  Malgré 
tout,  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  croire  que  l'écriture  n'ait  eu 
quelque  influence  dans  la  naissance  de  ces  formes,  et  rien  n'est  plus 
facile  à  admettre  que  cette  influence  à  une  époque  où  la  langue 
anglo-française  était  beaucoup  plus  écrite  que  parlée. 

IXFLUK\-CEj    DES    SUBJONCTIFS    EN     EM    SUR    LES    AUTRES    CONJUGAISONS 

Les  subjonctifs  en  em  ont  exercé  une  influence  très  restreinte 
sur  les  autres  subjonctifs;  et  il  est  facile    de  comprendre    qu'une 


LE    SUBJONCTIF 


:>^y 


forme  destinée  à  disparaître  et  disparaissant  progressivement  n'ait 
pas  eu  assez  de  vitalité  pour  attirer  à  elle  un  grand  nombre  de  verbes. 
On  peut  cependant  relever  quelques  subjonctifs  dont  la  troisième 
personne  du  singulier,  qui  devrait  être  terminée  régulièrement  par 
c  suivi  -d'une  dentale  caduque,  laisse  tomber  leur  e  et  ajoutent  la 
dentale  directement  au  thème.  C'est  ainsi  que  nous  expliquerions 
esjot  du  Psautier  d'Oxford  (96,  i);  ûcoilt  au  vers  2286  de  la  Vie  de 
Sainte  Catherine  de  Sœur  Clémence  de  Barkinget  au  vers  132  du 
morceau  XXX  des  Légendes  de  Marie  ;  )ioisl  (noceat)  de  Guischart 
de  Beauliu  (vers  1307);  peut-être  même  piiist  qui  est  assez  com- 
mun, par  exemple  Drame  d'Adam,  92. 

B.    —    SUBJONCTIFS  EN  AM. 

Nous  ne  trouvons  à  foire  au  sujet  des  subjonctifs  en  aiii  qu'un 
tout  petit  nombre  d'observations,  et  la  plupart  de  celles-ci  sont  de 
médiocre  importance. 

Nous  dirons  d'abord  un  mot  de  la  troisième  personne  du  singu- 
lier; ensuite  nous  parlerons  de  la  première  et  de  la  seconde  personne 
du  pluriel,  enfin  du  radical. 

a)  Troisième  personne  du  singulier. 

Un  seul  verbe  présente  à  la  troisième  personne  du  singulier  une 
forme  sur  laquelle  nous  pourrons  peut-être  appeler  l'attention  :  le 
verbe  pouvoir.  Pendant  tout  le  xiii^  siècle,  la  forme  /)///V/,  régulière 
en  ancien  français  (^c(.  ait  et  seit),  est  commune  dans  nos  différents 
auteurs;  il  est  à  peu  près  inutile  de  citer  des  exemples  d'une  forme 
qu'on  rencontre  dans  la  plupart  des  ouvrages  de  cette  époque  (cf. 
le  poème  d'Havelok  au  vers  léi,  le  Drame  d'Adam  au  vers  92). 
La  forme  moderne  fait  son  apparition  au  xiii^  siècle  et  puisse  est  com- 
mun dans  les  textes  du  xiv^. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  ce  que  nous  avons  dit  de  la  perte  de  la 
voyelle  muette  à  cette  personne. 

h^  Première  et  seconde  personnes  du  pluriel. 

Ici  encore  nous  n'aurons  que  peu  de  remarques  à  faire.  La  pre- 
mière personne  du  pluriel  est  régulièrement  en  unis,  çt  en  anglo- 
français  cette  terminaison  est  employée  aussi  régulièrement  que  pos- 


324  L  HVOI.UTION    DU    VERÏÎE    EN    .WGLCI-FRAXÇAIS 

sible.  Les  exemples  sont  nombreux.  La  seule  exception  que  nous 
connaissions  se  lit  dans  le  Psautier  d'Oxford  (0,  5),  où  nous  rencon- 
trons la  terminaison  iciii  :  possieiii  (cf.  dans  ce  même  Psautier 
cxhalciciii,  r,,  19).  Nous  ne  pensons  pas  que  cette  terminaison 
puisse  être  regardée  comme  appartenant  à  l'anglo-trançais.  L'/  est. 
toujours  absent  des  terminaisons  de  la  première  personne  du  pluriel 
des  subjonctifs  en  am,  même  pour  ces  verbes  qui  prennent  indû- 
ment une  consonne  luouillée  (cf.  preignons  dans  les  Rymer's  Foe- 
dera,  1380,  VII,  49;  1381,  VII,  3.10;  et  dans  les  Year  Books, 
12  et  13    Edw.  III,    289). 

La  deuxième  personne  du  pluriel  est  à  peu  près  aussi  régulière 
que  la  première.  Nous  avons  déjà  étudié  la  disparition  de  la  dési- 
nence en  ie^  dans  le  cas  où  cette  désinence  est  étymologique  ; 
nous  n'y  reviendrons  pas.  A  part  cette  question,  la  deuxième 
personne  du  pluriel  ne  nous  fournit  la  matière  d'aucune  obser- 
vation. 

c)  Le  radical. 

Le  radical  des  subjonctifs  en  ani  ne  différant  pas  du  radical  du 
verbe  ne  saurait,  lui  non  plus,  montrer  des  irrégularités  qui  lui 
soient  particulières. 

I.  La  voxcllc. 

La  voyelle  ne  présente  que  des  changements  phoniques  qui  sont 
généraux  et  ne  nous  regardent  pas  :  la  réduction  de  la  diphtongue 
ni,  comme  coud  nie  (Tvïsîân  de  Thomas,  2570);  ^//;/(///f  (Brandan, 
637);  condxe  (Boeve  de  Haumtone,  1125  ;  Pierre  deLangtott.  I,  128, 
12).  La  seule  remarque  que  nous  puissions  faire  à  propos  de  cette 
diphtongue  c'est  que  nous  n'avons  jamais  observé  la  réduction  pour 
les  verbes  en  slruire. 

Une  seule  observation  est  vraiment  de  notre  compétence,  c'est 
celle  qui  a  rapport  aux  différents  thèmes  que  prend  le  subjonctif 
du  verbe  pouvoir  (si  nous  considérons  ce  subjonctif  comme  un 
subjonctif  en  a}}i).  Nous  trouvons  en  anglo-français  les  deux 
formes  qui  se  rencontrent  également  sur  le  continent'  .:  poisse  et 
puisse,  toutes  deux  fort  régulières. 

1.  Cf.  Lùcking,  Mundarteii,  154  (poteam);  Willenberg,  Rom.  Studien  III, 
490  (possiam);  Schulzke,  op.  cit.,  9  (poscam);  G.  Paris  (Remania  VII,  622) 
(pocsamj. 


LE    SUBJONCTIF  325 

Nous  trouvons  des  exemples  de  l'une  et  de  l'autre  dans  notre  dia- 
lecte ;  mais  la  première  est  fort  rare.  Elle  nous  est  assurée  au  moins 
une  fois  par  la  rime  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine  de  Sœur  Clé- 
mence de  Barking  :  poisse  rime  dans  ce  poème  avec  angoisse  (au 
vers  15 12).  Les  autres  exemples  ne  sont  pas  aussi  sûrs,  citons  cepen- 
dant pois  qui  se  lit  pour  le  vers  3109  dans  le  Roland  d'Oxford  ; 
poissiez,  au  vers  895  du  Tristan  de  Thomas  et  poisse  dans  le  manu- 
scrit L  du  Cumpoz  pour  le  vers  145 1. 

Tous  ces  exemples  nous  semblent  bien  certainement  provenir  du 
premier  type  que  nous  avons  cité.  Nous  retrouvons  encore  cette 
diphtongue  oi  dans  certains  textes  non  littéraires  du  xiv"'  siècle  ; 
mais  nous  hésiterions  à  les  faire  remonter  au  même  type;  on  sait, 
en  effet,  que  la  diphtongue  ///dans  certains  cas  à  cette  époque  appa- 
raît sous  la  forme  oi  ;  il  nous  est  donc  impossible  de  savoir  d'où  pro- 
viennent les  exemples  de  ce  siècle. 

Le  type  qui  montre  la  diphtongue  ni  est  du  reste  beaucoup 
mieux  représenté  que  le  précédent.  Ici  ce  ne  sont  pas  les  exemples 
qui  nous  manquent,  la  seule  difficulté  est  de  classifier  d'une 
manière  rationnelle  tous  les  exemples  de  formes  variées  que  nous 
rencontrons.  Nous  avons  tout  d'abord  toutes  les  formes  que  peut 
prendre  la  diphtongue  /</,  et  elles  sont  nombreuses  :  //,  comme  dans 
puce  (William  de  Waddington,  -^794)  ou  pusse  (Rymer's  Foedera, 
1325,  IV,  68);  ue,  comme  dans  piiesse,  la  forme  la  plus  commune 
(Mem.  Pari.,  i305,§  447).  Nous  pouvons  nous  demander  ensuite 
si  les  quelques  formes  qui  suivent  peuvent  se  rapporter  au  même 
type,  ou  si  plutôt  elles  ne  sont  pas  dues  à  l'influence  du  présent  de 
l'indicatif. 

Peuse  est  commun  et  se  trouve  dans  les  meilleurs  textes  du 
xiv"  siècle  (Statutes,  1313,  I,  174);  la  diphtongue  a  une  forme 
légèrement  différente  dans  poeussc  que  nous  trouvons  dans  Wil. 
Rishanger  et  dans  poesse  qu'on  lit  dans  les  Statutes  (1340,  I,  298). 

Nous  ne  pouvons  pas  trancher  cette  question  et  elle  est  peut-être 
insoluble  ;  ce  qu'il  y  a  d'assuré,  c'est  que  : 

1°  Les  formes  en  oi,  qui  sont  dialectales  sur  le  continent,  se 
rencontrent  en  anglo-français  et  sont  assurées  au  xii^  siècle; 

2°  Les  formes  en  ///  sont  les  plus  nombreuses  à  toutes  les 
époques. 


326  I.'hVOLUTION    du    VERBJi    I-N    ANGLO-FRANÇAIS 

II.  La  consonne. 

Il  nous  reste,  pour  en  finir  avec  les  subjonctifs  en  ain,  à  traiter 
un  certain  nombre  de  questions  qui  se  rapportent  à  la  consonne  du 
thème  ;  ces  questions  sont  au  nombre  de  trois  :  Vs  dans  les  subjonc- 
tifs dc-s  verbes  ayant  leur  thème  terminé  par  une  palatale  (dire, 
conduire,  détruire,  lire,  etc.);  chute  d'une  consonne  dans  le  sub- 
jonctif du  verbe  suivre;  enfin  les  consonnes  mouillées  dans  les  sub- 
jonctifs en  am. 

I.  Verbes  à  palatale. 

Parmi  ces  verbes,  quelques-uns  ne  prennent  jamais  au  subjonctif 
1'^  des  personnes  faibles  de  l'indicatif  (présent  et  imparfait); 
d'autres  montrent  é^^alement  la  forme  analogique  et  la  forme  éty- 
mologique ;  enfin  une  troisième  classe  ne  semble  avoir  que  la  forme 
avec  s. 

A  la  première  classe  appartiennent  dire  et  ses  composés.  Nous 
n'avons,  à  aucune  époque,  trouvé  pour  ce  verbe  d'exemple  de  la 
forme  française  moderne,  tandis  que  les  cas  qui  nous  montrent  la 
forme  étymologique  sont  extrêmement  communs.  Il  semble  presque 
inutile  de  donner  des  exemples  d'une  forme  aussi  commune  que 
die;  cependant  nous  allons  en  donner  rapidement  quelques-uns, 
uniquement  parmi  ceux  que  nous  avons  trouvés  à  la  rime.  Die 
rime  avec  folie  au  vers  359  de  Jordan  Fantosme;  il  se  retrouve  à 
la  rime  du  vers  124  de  Josaphat,  au  folio  170  du  Saint  Julien,  au 
folio  46  r°  de  la  Genèse  ;  dans  les  Rubriques  d'Edward  le  Confes- 
seur, LVII,  4;  au  vers  3385  de  William  de  Waddington,  dans 
Pierre  de  Langtoft  (I,  128,  3);  au  vers  3401  de  Prince  Noir,  etc. 
Évidemment  on  pourrait  trouver  un  plus  grand  nombre  d'exemples, 
en  ne  prenant  même,  comme  nous  venons  de  le  faire,  que  |ceux 
qui  sont  emploj^és  à  la  rime,  mais  ceux  que  nous  venons  de  don- 
ner montrent  assez  que  la  forme  étymologique  s'est  admirablement 
conservée. 

Et  il  en  va  de  même  pour  les  composés  de  dire,  bénir  et  maudire  ; 
on  peut  voir  pour  ces  deux  derniers  verbes  les  rimes  qu'on  trouve 
au  folio  46  r°  de  la  Genèse,  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  208,  17), 
et  dans  les  Vies  de  Saints  de  Nicole  Bozon  (94  v°). 


LE   SUBJONCTIF  327 

Nous  observons  la  même  régularité  pour  tous  ces  verbes  (contre- 
dit', Statutes,  1363,  I,  382  etc.)  dans  tous  les  textes  politiques  et 
diploni-Uiques  ;  les  exemples  sont  particulièrement  nombreux  dans 
les  différents  YearBooks  ;  mais  il  est  inutile  de  s'arrêter  plus  longue- 
ment sur  cette  question. 

Diiire  et  ses  composés,  de  même  que  les  verbes  en  siruirc  ne 
sont  pas  aussi  constamment  réguliers. 

La  forme  étymologique  cependant  reste  la  plus  commune  et  de 
beaucoup  la  plus  employée.  La  liste  des  exemples  pourrait  être  fort 
longue'.  Au  contraire  celle  qui  nous  donnerait  les  formes  montrant 
s  serait  très  courte.  Ces  formes  cependant  pour  les  verbes  en 
■ifniiir  remontent  au  xii'  siècle  ou  au  commencement  du  xiii^  ; 
desfniisset  se  lit  dans  le  Psauiier  d'Arundel  (ii^,  3);  destruice  se  ren- 
contre au  vers  444  de  Jordan  Fantosme.  Aucune  forme  ne  se 
trouve  à  la  rime.  Quant  à  diiire  nous  n'avons  trouvé  qu'une  forme 
assez  douteuse  en  s,  dans  un  manuscrit  des  Proverbes  de  Bon 
Enseignement,  Harléien  957,  au  folio  29  v°. 

Plus  importante  est  la  forme  du  subjonctif  de  lire  et  de  ses  com- 
posés, en  particulier  d'élire  qui  est  extrêmement  commun  dans  les 
textes  politiques. 

Tous  ces  verbes  ont  toujours  1'^  :  on  peut  en  citer  de  nombreux 
exemples,  comme  au  vers  899  de  Boeve  de  Haumtone;  au  vers  74 
de  William  de  Waddington  ;  dans  Pierre  de  Langtoft,  IL  122,  3  et 
passim  dans  les  Statutes  et  les  Parliamentary  Writs, 

Enfin,  pour  terminer  cette  question,  il  nous  reste  à  parler  des 
verbes  qui  abandonnent  leur  radical  propre  pour  celui  d'une  autre 
partie  du  verbe. 

On  peut  citer  tout  d'abord  le  subjonctif  de  aerdre;  aderigal 
donne  régulièrement  aherged  qui  se  lit  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge (156,  6);  mais  c'est  le  seul  exemple  de  la  forme  étymolo- 
gique. Déjà  le  Psautier  d'Oxford  a  acrdc  (136,  7). 


I.  En  voici  quelques-uns  :  Sainl  Brandan,  657;  Estorie  des  Engleis.  4846; 
Tristan  de  Thomas,  2570;  Saint  Gilles,  3771  ;  Vie  de  Saint  Grégoire,  2010;  Boeve 
de  Haumtone,  819,  1125;  Pierre  de  Langtoft,  1,   128,  12;  II,  74,  11. 

Pour  les  verbes  en  struire  :  Psautier  d'Oxford,  8,  3  ;  Psautier  d'Arundel,  8,  2; 
Quatre  Livres  des  Rois,  III,  8,  57  ;  Adgar,  XXIII,  94;  J.  Fantosme,  281  ;  Pierre 
de  Langtoft,  I,  16,  25. 


328  l'hvolutiox  du  vkrbk  rn  akglo-français 

2.  Chute  d'une  consonne. 

A  côté  de  ces  quelques  verbes  qui  prennent  au  subjonctif  l'.s  des 
personnes  faibles  du  présent  de  l'indicatif,  nous  en  trouvons  un  qui 
perd  dans  certains  textes  sa  consonne  étymologique.  C'est  le  verbe 
suivre.  On  le  trouve  au  subjonctif,  en  dehors  de  la  littérature, 
sous  la  forme  suie,  et  le  plus  ancien  exemple  qu'on  en  trouve  se  lit 
dans  les  Statutes  sous  la  date  de  1275  (premier  volume,  p.  37  et 
38).  Cette  forme  est  commune  surtout  dans  les  Year  Books.  Du 
reste,  ce  n'est  pas  au  subjonctif  que  nous  devons  rapporter  cette 
chute  du  i',  mais  à  l'infinitif,  qui  se  présente  sous  les  formes  suite, 
suir,  suer  {cî.  Infinitif)  avec  le  sens  du  verbe  anglais  to  sue'. 

3.  Lettres  mouillées. 

A.  Perte  de  la  mouillure  étymologique. 

Comme  on  le  sait  les  verbes  en  ciiidve  ont  régulièrement  une  ;; 
mouillée  au  subjonctif  présent,  et  cette  consonne  se  conserve  assez 
bien  dans  la  plupart  des  textes  anglo-français.  On  trouve  par 
exemple  ataigne  (:  Mortagne)  au  vers  36  du  Siège  de  Carlaverok  ; 
faigne  Ç:  Espavne)  au  vers  1638  du  Prince  Noir;  feignent  dans  les 
Statutes  (1275,  I,  29),  etc.  ;  ilestreigne  (i  et  2  Edw.  II,  120). 

Il  arrive  cependant  que  la  consonne  mouillée  fasse  place  à  la  con- 
sonne simple  :  foyiie  se  lit  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft 
(II,  202,  5),  dans  le  corps  du  vers. 

Pleine  n'est  pas  rare  dans  les  textes  non  littéraires;  on  trouve  plu- 
sieurs exemples  de  cette  forme  dans  les  Statutes  (cf.  par  exemple 
1344,  I,  301  ;  1363,  I,  378)  et  surtout  dans  les  Year  Books. 

Cependant,  comme  nous  ne  sommes  assurés  de  cette  forme  par 
aucune  rime,  nous  sommes  en  droit  de  nous  demander  si  nous 
n'avons  pas  affaire  ici  à  une  graphie  (///)  insolite  et  irrégulière  de  la 
consonne  mouillée. 

B.  Mouillure  non  étymologique. 

I.  n  mouillée.  —  Sous  l'influence,  comme  il  est  probable,  des 
verbes  en  einâre,  nous  voyons  un  certain  nombre  de  verbes  en  endre 

I.  Pour  suivre,  on  trouvera  quelques  renseignements  dans  :  Brandt,  Aqua  und 
sequi;  Frademann,  Die  Entwickelung  von  lat.  qu  im  Franz.,  Kôrting,  I, 
p.  199. 


LE    SUBJONCTIF  329 

et  en  ondre  prendre  au  subjonctit  une  ii  mouillée  à  laquelle  ils  n'ont 
aucun  droit. 

Les  deux  principaux  verbes  soumis  à  cette  irrégularité  sont 
prendre  et  répondre. 

C'est  le  verbe  prendre  qui  semble  atteint  tout  d'abord;  les  pre- 
miers exemples  que  nous  rencontrons  se  lisent  dans  les  poèmes  du 
xii*^  siècle;  aucun  d'eux  toutefois  n'étant  assuré  par  la  rime  à  cette 
époque,  il  est  plus  probable  qu'ils  appartiennent  aux  scribes. 

Le  Psautier  de  Cambridge  en  a  peut-être  un,  que  nous  avons  eu 
l'occasion  de  citer  à  propos  des  désinences  en  ienl,  de  la  troisième 
personne  du  pluriel:  prenient  (78,  8).  Le  Tristan  de  Thomas  nous 
en  oftVe  un  exemple  moins  douteux,  quoique  de  date  incertaine  : 
preignent  (au  vers  962).  Les  auteurs  du  xiii^  siècle  ont  un  grand 
nombre  d'exemples  de  cette  forme;  trois  au  moins  assurés  par  la 
rime  :  preigtic  rime  avec  feigne  au  vers  4158  du  poème  d'Edward  le 
Confesseur;  avec  enseigne  au  vers  7129  de  William  de  Waddington, 
et  la  même  rime  se  retrouve  dans  les  Rubriques  d'Edward  le  Con- 
fesseur (XXI,  4).  D'autres  cas,  fort  nombreux,  se  rencontrent  dans 
le  corps  du  vers  :  au  vers  670  d'Edward  le  Confesseur;  dans  Saint 
Thomas  (III,  128);  aux  vers  927,  1438  du  Saint  Auban.  Plu- 
sieurs des  exemples  de  ce  siècle  sont  encore  douteux,  étant  écrits  par 
ci 71  sans  g. 

Au  xiv^  siècle,  nous  pouvons  citer  :  preygne  dans  Pierre  de  Langtoft 
(I,  44,  15);  mespreygne  (là.  II,  4,  21);  apregne  (id.,  II,  164,  4),  et 
dans  le  Prince  Noir  au  vers  10 10. 

Les  textes  littéraires  par  conséquent  nous  montrent  que  prendre 
a  pris  1';/  mouillée  peut-être  à  la  fin  du  xii^  siècle,  certainement  dans 
la  première  moitié  du  XIII^ 

Les  plus  anciens  textes  non  littéraires  nous  fournissent  des 
exemples  de  preigne,  ainsi  les  Statutes  à  la  date  de  1275  (I,  27),  les 
Rymer's  Foedera  à  la  date  de  1297  (II,  741),  les  Parliamentary 
Writs  à  la  date  de  1326  (II,  761),  etc. 

De  plus,  c'est  la  seule  forme  du  subjonctif  de  prendre  dans  tous 
les  Year  Books  :  preiigne  se  trouve  dans  32  et  33  Edw.  P"",  33; 
preignoms,  12  et  13  Edw.  III,  289;  preigmi,  31  Edw.  P"^,  425  ; 
3  Edw.  II,  II)  (Y),  etc. 

Nous  verrons  du  reste  tout  à  l'heure  que,  sauf  dans  les  Year  Books, 
prendre  à  une  autre  forme,  en  ge,  pour  son  subjonctif. 


^30  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  aussi  longtemps  sur  répondre. 
D'abord  dans  la  littérature,  les  exemples  de  la  forme  du  subjonctif 
avec  //  mouillée  sont  très  rares  et  très  tardifs.  On  trouve  cependant 
reipoific  dans  quelques  manuscrits  du  xiv"^  siècle,  par  exemple  à  la 
page  i8  du  Dite  de  Hosebondrie  de  Walter  de  Henley  et  ailleurs 
assez  fréquenmient.  Cette  dernière  forme  se  rencontre  encore  dans 
les  Statutes  et  dans  les  Rymer's  Foedera  ;  elle  est  moins  commune 
que  respoigne  qui  est  extrêmement  fréquente  dans  les  Year  Books. 

Nous  verrons  plus  loin  quelques  exemples  de  ces  formes. 

2.  /  mouillée. — Quelques  verbes  en  Wrt' présentent  assez  fréquem- 
ment au  subjonctif  une  /  mouillée.  Absoudre  est  même  très  commun 
sous  la  forme  assoilk  qui  remonte  au  commencement  du  xiii''  siècle, 
puisque  nous  en  trouvons  un  exemple  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire 
(au  vers  271).  Du  reste,  dans  la  littérature,  le  subjonctifde  ce  verbe 
est  assez  peu  employé.  Au  contraire,  il  est  fort  commun  dans  les 
textes  politiques  et  diplomatiques;  par  exemple,  on  le  trouve  régu- 
lièrement employé  dans  la  formule  :  «  Que  Dieu  assoille  «,  formule 
répétée  chaque  fois  que  le  nom  d'un  roi  d'Angleterre  défunt  a  été 
mentionné  '. 

Le  verbe  toldre  apparaît  aussi  quelquefois  sous  cette  forme  ;  mais 
son  subjonctif  est  d'un  usage  restreint  et  les  exemples  sont  assez 
rares.  Citons  le  plus  ancien  que  nous  ayons  rencontré  :  toilh,  Dia- 
logues Saint  Grégoire (70  r°  b);  et  dans  la  langue  politique,  dans  les 
Parliamentary  Writs(i323,  II,  520). 

3.  Graphies  de  la  consonne  mouillée.  —  Pour  les  derniers 
verbes  que  nous  avons  cités,  la  graphie  ne  présente  pas  de  difficulté: 
la  mouillure  est  indiquée  par  /7/;  pour  la  première  classe,  il  en  va 
tout  autrement,  //  mouillée  étant  représentée  de  plusieurs  manières. 
On  trouve  en  particulier  gn,  ngn,  ign,  igni. 

Par  exemple  on  peut  citer:  pregne  dans  Rymer  (1297,  II,  741); 
respogne  dzns  les  Statutes  (1278,  I,  46);  prengne  dans  les  Statutes 
(1275,  I,  27);  preigne  dans  les  Parliamentary  Writs  (1326,  II, 
761);  respoigne  dans  les  Statutes  (1275,  ï.  28);  preignie  dans 
Rymer  (1328,  IV,  340). 

Dans  un  certain  nombre  de  cas  la  mouillure  de  cette  consonne  est 
à  tout  le  moins  douteuse;  en  particulier,  lorsque  le  gtsi  omis  devant 

I.  Cf.  le  verbe  anglais  :  to  assoil. 


LE    SUBJONCTIF  3  3  I 

\'n;  si  dans  ce  cas  \'n  est  à  la  fois  précédée  et  suivie  d'un  i,  il  nous 
semble  qu'on  peut  regarder  sans  crainte  les  trois  lettres  itii  comme 
une  graphie  qui  n'est  pas  très  rare  de  n  mouillée  :  par  exemple 
preinie.  Mais  lorsque  la  forme  ne  présente  qu'un  seul  /  avant  ou 
après  Vil,  le  doute  est  permis,  comme  pour  les  formes  preyne  dans 
Barthélémy  Cotton  (1295,  300);  responie  (id.,  1295,  300);  mais 
ces  cas  sont  relativement  rares. 

C.   —  SUBJONCTIFS   EN    lAM. 

Les  subjonctifs  français  provenant  des  subjonctifs  latins  en  iani, 
forment  la  classe  la  plus  nombreuse  et  la  plus  vivace  des  subjonc- 
tifs. Ils  se  distinguent  de  ceux  qui  proviennent  de  la  désinence 
latine  ain  par  une  forme  plus  caractéristique,  plus  distincte  de 
celle  du  présent  de  l'indicatif,  tout  en  ne  présentant  pas  des  différences 
aussi  profondes  que  celles  qui  séparent  pour  certains  verbes  de  I 
les  deux  temps  que  nous  venons  de  citer.  D'une  façon  générale,  ce 
qui  caractérise  les  subjonctifs  en  iani,  c'est  la  présence  dans  le 
thème  d'un  /,  soit  sous  sa  forme  vocalique,  diphtongant  la  voyelle 
(muire),  soit  sous  sa  forme  consonantique  (sache),  soit  sous  la 
forme  d'une  mouillure  (remaigne). 

Par  conséquent  l'action  de  la  palatale  de  la  terminaison  latine 
s'est  surtout  fait  sentir  sur  le  radicil  :  Ceci  explique  pourquoi  nous 
n'aurons  que  très  peu  de  chose  à  dire  des  désinences  de  ce  subjonctif. 
Les  seules  personnes  dont  la  terminaison  a  pu  être  influencée  par 
la  jod  latin,  sont  celles  qui  portent  l'accent  sur  la  désinence,  par 
conséquent  la  première  et  la  seconde  personne  du  pluriel. 

L  La  désinence  à  la  première  et  la  seconde  personne  du  pluriel. 

a)  Première  personne  du  pluriel. 

L'/  latin  reste -à  cette  personne  sous  forme  de  /  et  la  désinence 
est  régulièrement  ions  qui,  comme  nous  l'avons  vu,  peut  prendre 
les  formes  eions,  oions,  iens. 

Ces  trois  dernières  ne  se  trouvent  guère  que  dans  les  ouvrages 
qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  (cf.  supra  Désinences  per- 
sonnelles, première  personne  du  pluriel). 


332  L  !•  VOLUTION    DU    VHRUH    KN    ANGLO-FRANÇAIS 

Cf  qui  doit  nous  occuper  maintenant  c'est  l'extension  de  cette 
dernière  forme  et  sa  fortune  en  anglo-français.  Nous  pouvons  résu- 
mer brièvement  le  traitement  qu'elle  a  subi  en  disant  qu'elle  se  ren- 
contre de  temps  en  temps  jusque  vers  it6o;  qu'elle  disparaît  au 
xiii^  siècle  complètement  et  qu'elle  revient  en  usage  vers  le  com- 
mencement du  xn*^  siècle,  surtout  en  dehors  de  la  littérature. 

Les  exemples  de  la  terminaison  ions  au  xiii*-'  siècle  sont  rares  : 
nous  n'avons  du  reste  relevé  qu'un  nombre  insignifiant  de  cette 
personne  à  ce  temps;  le  dernier,  croyons-nous,  esi  vieniinns  dans  les 
Quatre  Livres  des  Rois  (I,  19,  9). 

Même  au  XII'-'  siècle,  on  peut  trouver  des  exemples  —  tous  dou- 
teux, nous  l'avouons  —  delà  terminaison  sans  i,  comme  facum  qui 
se  lit  dans  les  Légendes  de  Marie  (XXIV,  48).  Au  siècle  suivant, 
nous  pouvons  citer  :  criengons  (subjonctif  en  ge)  au  vers  893  de  la 
Vie  de  Saint  Grégoire;  viainuus  (maindre)  dans  le  Roman  des 
Romans  (au  vers  184);  seiims  (de  être)  qui  rime  avec  nus  dans  le 
Sermon  en  vers,  Deu  le  Omnipotent  (49);  ainns  au  fol.  62  r"  du 
Saint  Julien;  eiim  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (au  fol.  65  v°);  et 
plusieurs  autres  sans  doute. 

On  trouve  même  plusieurs  exemples  de  cette  désinence  au  siècle 
suivant,  quoiqu'il  soit  souvent  difficile  de  reconnaître  avec  quelque 
certitude  à  quel  mode  une  forme  donnée  peut  appartenir.  Citons 
toutefois  seoDis  dans  les  Parliamentarv  Writs  (1326,  II,  755). 

A  cette  époque  cependant  les  formes  régulières  reviennent  en 
honneur;  nous  avons  déjà  cité  dans  les  textes  politiques  et  diplo- 
matiques principalement  des  exemples  de  terminaisons  iens  qui 
remontent  à  1299;  elles  ne  sont  pas  très  nombreuses,  et  nous  ne 
les  avons  rencontrées,  ce  qui  n'est  peut-être  qu'une  coïncidence, 
qu'avec  quatre  verbes  :  être,  pouvoir,  avoir  et  vouloir.  A  la  même 
époque,  ou  peut-être  un  peu  plus  tard,  faire  prend  la  désinence 
en  eonis,  et  la  forme  faceoms  est  relativement  comniune.  Pour  com- 
pléter ces  quelques  renseignements,  nous  devons  ajouter  que,  d'une 
façon  générale,  ions  est  plus  répandu  que  iens  pendant  tout  le 
xiv'^  siècle. 

Ces  quelques  mots  suffisent  à  montrer  comment  les  quatre 
formes  ans,  ions,  iens,  eons  sont  réparties.  La  première  est  spora- 
dique  sauf  au  xiii^  siècle  ;  la  seconde  est  assez  commune  au  xii^  et 
au  xiV  ;  les  deux  dernières  affectent  de  préférence  un  petit 
nombre  de  verbes. 


Le  subjonctif  33^ 

b)  Seconde  personne  du  pluriel. 

A  la  seconde  personne  du  pluriel,  1'/  subit  une  évolution  ana- 
logue; nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  ce  point  que  nous  avons 
traité  en  grande  partie,  lorsque  nous  avons  étudié,  dans  les  dési- 
nences personnelles,  la  terminaison  /V~  aux  différents  temps.  Qu'il 
nous  suffise  de  dire  que  nous  avons  relevé  des  exemples  de  cette 
désinence  régulière  pour  ces  subjonctifs  en  iani  jusqu'à  la  fin  du 
xii''  siècle,  et  depuis  le  commencement  du  xlv^ 

Entre  ces  deux  époques,  c'est-à-dire  pendant  une  partie  du 
xii'^  siècle,  tout  le  xiiiS  peut-être  les  premières  années  du  xiv^  et 
d'une  façon  sporadique  postérieurement,  on  rencontre  cqs  terminai- 
sons sons  la  forme  t'^. 

L'auteur  du  Voyage  de  Saint  Brandan,  ou  le  scribe  du  manuscrit 
qui  nous  a  conservé  ce  poème  (1167),  a  déjà  sache^  au  vers  1048  ; 
Horn  au  vers  2754  nous  donne  sace^.  Dans  les  poèmes  de  Chardri 
ces  formes  sont  communes  :  faa':{  aux  vers  12,  816,  du  Josaphat, 
etc. 

Il  en  va  de  même  pour  le  Saint  Edmund  Çd.  vers  570)  ;  pour  les 
poèmes  de  Frère  Angier  (cf.  Vie  de  Saint  Grégoire  au  vers  951); 
pour  Boeve  (cf.  vers  634,  839,  1048,  1993);  P^^^'  ^^  Sermon  en 
vers;  Deu  le  Omnipotent  (ee^,  1 19  d)  :  on  en  trouve  des  exemples 
dans  la  Plainte  Notre-Dame  au  vers  31  ;  dans  Dermod  au  vers  645  ; 
dans  l'Erection  des  Murailles  de  New  Ross  au  vers  9,  etc. 

Comme  on  le  voit,  cette  liste  d'exemples  nous  mène  jusqu'au 
xiv^^  siècle;  et  on  pourrait  en  trouver  d'autres  postérieurement. 

II.  Le  y  ad  i  cul. 

(Pour  les  terminaisons  en  />~,  cf.  Seconde  Personne  du  pluriel.) 
Les  subjonctifs  français  qui  correspondent  à  un  subjonctif  latin 
en  iaiu,  étant,  comme  nous  l'avons  dit,  très  nombreux,  leur  radical 
se  présente  sous  des  formes  très  variées;  comme  ces  formes 
dépendent  en  grande  partie  de  la  lettre  finale  du  thème,  il  est  indis- 
pensable de  diviser  ces  verbes  en  différentes  classes  suivant  que  le 
thème  se  termine  par  une  labiale,  une  dentale,  une  liquide  ou  une 
palatale;  de  plus  il  est  commode  d'étudier  ensemble  tous  les  sub- 
jonctifs qui  se  terminent  en  ce  ou  en  ge.  Le  verbe  être,  à  cause  de 


334  l'hvolutiox  du  verbe  en  anglo-français 

la  multiplicité  de  ses  formes,  pourra  former  une  catégorie  à  part. 
Nous  pourrons  ainsi  distinguer  sept  classes  dans  les  subjonctifs  en 
iam  : 

1 .  Verbes  à  labiale  (b  et  p). 

2.  Verbes  à  dentale  (d  et  /). 

3.  Verbes  à  liquide  (/  et  n,  ;). 

4.  Verbes  à  palatale  {c,  g,  k). 
3.  Subjonctifs  en  ce. 

6.  Subjonctifs  en  ge. 

7.  Subjonctif  du  verbe  être. 

I.  Verbes  à  labiale. 

Cette  classe  comprend  avoir,  devoir,  savoir  et  tous  les  verbes  en 
cevoir.  Il  n'y  a  que  fort  peu  de  choses  à  dire  du  premier  de  ces 
verbes  ;  on  sait  que  la  troisième  personne  du  singulier  a  perdu  son 
e  dans  les  temps  prélittéraires,  et  il  n'apparaît  jamais  en  anglo- 
français.  La  diphtongue  du  radical  est  tantôt  ai,  tantôt  ei\  quelque- 
fois elle  se  laisse  influencer  par  la  terminaison  et  prend  des  formes 
plus  ou  moins  irrégulières.  Elle  se  réduit  parfois  à  a,  devant  une 
terminaison  accentuée,  comme  ae^  au  vers  éi2  de  la  Folie  de  Tris- 
tan; ai'Diis,  Saint  Julien  62  r°;  assez  souvent  ie  dans  les  mêmes  con- 
ditions :  eunis  au  folio  65  v°  des  Heures  de  la  Vierge;  ce:{ZM  vers 
1658  du  Saint  Gilles,  même  devant  une  terminaison  atone;  eent  se 
lit  dans  les  Royal  Letters  Henry  III  (1258,  p.  131);  dans  les  Sta- 
tutes  (1297,1,  124);  dans  lesParliamentary  Writs  (1305,  I,  121). 
Ces  derniers  exemples  montrent  que  cette  réduction  de  la  diph- 
tongue a  déjà  eu  lieu  dans  la  secoi>de  moitié  du  xiii^  siècle. 

On  trouve  même  la  diphtongue  oi  au  vers  2577  de  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  où  oie,  habeavi,  rime  avec  o/V,  nudiat.  Faut-il  rappro- 
cher cet  exemple  de  ceux  que  citent  M.Suchier  (Voyelles  toniques, 
p.  74,  27  e)et  M.  Stimming  (op.  cit.,  p.   196  et  200)? 

Nous  serions  plutôt  tentés  de  considérer  cette  forme  comme  un 
des  nombreux  cas  où  le  désir  de  rimer  a  fait  commettre  à  l'auteur 
un  barbarisme.  Cela  peut  cependant  étonner  de  la  part  de  Frère 
Angier, 

Malgré  les  exceptions  que  nous  venons  de  citer,  la  graphie  ei  ou 
ai  est  de  beaucoup  la  plus  commune  dans  les  œuvres  littéraires. 


LE   SUBJOKCTir  335 

Les  textes  non  littéraires  emploient  de  préférence,  dans  la  plu- 
part des  cas,  comme  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham,  la  forme 
avec  la  diphtongue  ei;  on  pourrait  multiplier  les  exemples  en  pre-  * 
nant  à  peu  près  au  hasard  dans  les  Statutes,  les  Parliamentary 
Writs,  Rymer.  La  diphtongue  ai  est  plus  rare,  on  la  rencontre  un 
petit  nombre  de  fois  dans  les  Statutes  :  aitÇiij^,  I,  28), ^/w/ (1305, 
I,  144).  Elle  est  plus  commune  dans  les  Rymer's  Foedera,  princi- 
palement après  1340;  mais  elle  n'est  jamais  aussi  employée  que 
l'autre. 

Devoir  présente  à  l'origine  la  forme  étymologique  :  le  Cumpoz  a 
deiet  (au  vers  127),  le  Voyage  de  Saint  Brandan  a  deies  (au  vers 
56),  etc..  Ce  n'est  qu'un  peu  plus  tard  que  nous  trouvons  au  sub- 
jonctif le  V  de  l'infinitif  et  des  formes  à  terminaison  accentuée;  le 
premier  exemple  '  que  nous  ayons  relevé  de  cette  forme  se  trouve 
dans  le  Tristan  de  Thomas:  deive  au  vers  154;  rien  ne  nous  dit 
qu'il  ne  faille  pas  l'attribuer  au  scribe,  d'autant  plus  que  la  forme 
étymologique  se  rencontre  dans  le  même  poème  et  plus  fréquem- 
ment que  la  forme  analogique  (cf.  par  exemple  au  vers  2962); 
cependant  la  forme  moderne  se  rencontre  très  fréquemment  après 
Thomas;  les  Quatre  Livres-des  Rois  nous  en  donnent  un  exemple 
assuré  (III,  i,  27);  Fantosme  l'emploie  au  vers  137.  L'on  peut 
tirer  de  Chardri  un  grand  nombre  d'exemples  de  cette  forme;  rien 
que  dans  les  Set  Dormans  nous  trouvons  la  forme  avec  v  aux  vers 
1104,  1248,  1298,  etc.  Saint  Edmund  en  montre  au  moins  un  cas 
au  vers  838;  Robert  de  Gretham  au  folio  58  r°.  Et  il  en  est  ainsi 
durant  tout  le  xiii^  et  le  xiv^  siècle.  La  forme  étymologique  a  donc 
disparu  complètement. 

Quant  à  la  langue  politique,  diplomatique  et  familière,  elle  ne 
connaît  que  la  forme  avec  v,  que  l'on  trouve  assez  fréquemment  : 
dans  les  Statutes,  doive  (1306,  I,  248);  dans  le  Liber  Albus,  deyve 
(1334,  420).  Nous  n'avons  pas  relevé  d'exemple  antérieur  à  1306. 
Dans  les  Year  Books,  on  a  bien  deyve  {21  Edw.  I",  59),  (1293); 
mais  cette  forme  date-t-elle  bien  de  1293,  ou  faut-il  l'attribuer  au 
scribe  ?  Il  est  certain  qu'elle  est  très  fréquente  et  très  régulièrement 
employée  dans  ces  recueils;  il  est  à  croire  que  si  les  copistes  avaient 
eu  sous  les  yeux  des  textes  portant  quelquefois  deie,   ils  n'auraient 

I.  11  est  imtérieur  d'un  siècle,  ou  environ,  à  la  date  assignée  par  M.  Meyer- 
Lùbke. 


336  L^ÉVOLUTION    DU    VERBK    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

pas  manqué  de  copier  correctement  au  moins  un  certain  nombre  de 
fois;  ce  qui  montre  que  la  forme  avec  v  est  vraisemblable  à  la  date 
que  nous  venons  d'indiquer. 

Le  verbe  savoir  ne  soulève  qu'une  question,  c'est  celle  de  la 
forme  que  prend  la  labiale  du  thème  devant  la  terminaison.  On  a 
souvent  répété  qu'en  anglo-français,  savoir,  sous  l'influence  de  faire, 
prend  au  subjonctif  le  thème  sac-  ;  ceci  n'est  vrai  qu'en  partie,  et 
nous  allons  voir  que,  somme  toute,  le  subjonctif  avec  la  chuintante 
est  plus  employé  que  le  subjonctif  avec  la  sibilante  '. 

C'est  la  forme  sace,  il  est  vrai,  que  l'on  trouve  dans  les  premiers 
ouvrages  anglo-français  pour  les  trois  personnes  du  singulier  ;  le 
Cumpoz  en  montre  un  exemple  au  vers  261;  dans  le  Voyage  de 
Saint  Brandan  elle  rime  au  vers  3028  avec  glace;  au  vers  41 19  du 
Sermun  de  Guischart  de  Beauliu,  avec  face.  A  l'intérieur  du  vers, 
les  exemples,  moins  sûrs,  sont  beaucoup  plus  nombreux,  comme 
dans  l'Estorie  des  Engleis  et  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme. 
Néanmoins,  même  à  cette  époque  et  pour  ces  trois  personnes  du 
singulier,  les  formes  étymologiques  ne  sont  pas  rares.  Nous  devons 
reconnaître  que  nous  n'en  voyons  jamais  à  la  rime  ;  mais  les 
Quatre  Livres  des  Rois  nous  fournissent  plusieurs  exemples  qui 
datent  de  la  seconde  moitié  du  xii"  siècle;  ainsi,  nous  y  lisons  : 
sache  (I,  lé,  16;  I,  20,  3  ;  III,  3,9);  en  tout  une  dizaine  d'exemples 
contre  deux  ou  trois  avec  la  sibilante.  Mais  cette  proportion  de 
formes  étymologiques  est  très  rare  pendant  ce  siècle;  on  trouve 
surtout  des  exemples  isolés,  comme  dans  le  manuscrit  B  du  Psau- 
tier d'Oxford  (38,  5);  ou  au  vers  237  du  Drame  d'Adam  et  aux 
vers  323  et  332  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine  ou  à  la  rime 
(:  arache)  au  vers  1253  de  l'Ipomédon  :  la  forme  en  ce  domine 
certainement  à  ces  trois  personnes. 

Il  n'en  va  pas  de  même  pour  les  formes  à  terminaison  accentuée, 
et  peut-être  aussi  pour  la  troisième  personne  du  pluriel.  Il  nous 
semble  évident  que  pour  la  première  et  pour  la  seconde  personne 
du  pluriel  la  consonne  étymologique  s'est  beaucoup  mieux  main- 
tenue que  pour  les  personnes  du  singulier. 


I.  Pour  le  subjonctif  de  savoir,  on  pe-ut  consulter  Mail,  Introduction  du  Cum- 
poz, p.  92;  Rolfs,  Rom.  Forschungen,  p.  219;  Rôttiger,  le  Tristan  de  Thomas, 
p.  46  ;  Settegast,  Benoît  de  Saint-More,  p.  ,)• 


LE    SUBJONCTIF  337 

Nous  n'essaierons  pas  de  citer  tous  les  exemples  que  nous  tour- 
nissent  les  textes  de  cette  époque,  nous  ne  donnerons  qu'un  petit 
nombre  de  formes  de  la  seconde  personne  du  pluriel  sacbei-  On  la 
trouve  au  vers  1048  du  Brandan  ;  au  vers  214  de  la  Chronique  de 
Jordan  Fantosme  ;  dans  Horn  au  vers  1739  ;  trois  fois  au  moins 
dans  les  Quatre'  Livres  des  Rois  {cï.  I,  6,  9);  contre  une  forme 
en  c  (I,  9,  6)  ;  au  vers  1447  de  la  ^'ie  de  Sainte  Catherine,  au 
vers  7301  de  l'ipomédon,  etc.  Comme  on  le  voit,  la  plupart  des 
auteurs  ont  conservé  un  certain  nombre  d'exemples  de  la  forme 
correcte,  et  l'emploient  ordinairement  plus  souvent  que  la  forme 
analogique.  Les  exemples  de  sachent,  moins  nombreux,  il  est  vrai, 
que  les  exeinples  des  personnes  précédentes,  ne  sont  cependant  pas 
rares.  Citons  :  le  vers  581  de  Gaimar  ;  et  dans  les  Quatre  Livres 
des  Rois  ÎII,  14,  25,  le  seul  exemple  de  cette  personne. 

Quoique,  aux  formes  accentuées  sur  la  terminaison,  rb  soit  com- 
mun, il  n'est  pas  à  dire  pour  cela  que  les  tormes  en  r  soient 
absentes.  Saciei  se  ti'ouve  par  exemple  dans  le  Cumpoz  au  vers  125, 
sace:^  dans  Horn  au  vers  2754,  sacu\  au  vers  170  de  la  Vie  de 
Sainte  Catherine,  et  probablement  ailleurs  encore.  Néanmoins  les 
exemples  que  nous  avons  relevés  montrent  que,  pour  ces  personnes, 
les  formes  avec  chuintantes  sont  certainement  en  majorité. 

Au  siècle  suivant,  r/.n"eprend  du  terrain  à  toutes  les  personnes.  Ce 
fait  du  reste  suffit  pour  nous  faire  douter  de  1  âge  des  exemples  de 
rh  que  nous  venons  de  citer.  Aucun  d'eux  n'est  assuré  par  la  rime 
et,  sauf  sacheui,  ne  peut  l'être.  On  pourrait  donc  trouver  naturel 
d'attribuer  aux  scribes  les  exemples  ci-dessus.  De  cette  sorte  il  n'en 
resterait  plus  qu'un  petit  nombre,  celui  du  Saint  Rrandan  et  ceux 
des  Quatre  Livres  des  Rois,  à  appartenir  au  xir  siècle.  Evidem- 
ment on  ne  peut  ici  que  choisir  entre  deux  hypothèses.  11  semble 
toutefois  malaisé  d'admettre  que  l'exemple  du  Saint  Brandan  soit 
isolé  et  que  la  forme  en  ch  ait  apparu  tout  à  coup  sans  qu'on  puisse 
ratrouver  les  anneaux  de  la  chaîne  qui  doit  relier  les  formes  du 
XIII'-'  siècle  au  latin  sapiain.  On  ne  peut  croire  que  la  torme  étymo- 
logique ait  disparu  entièrement  pour  reparaître  subitement. 

Il  est  donc  vraisemblable  que,  même  si  cJ)  n'a  été  à  aucune  per- 
sonne plus  commun  que  r  au  xn^  siècle,  il  a  dû  exister  un  nombre 
asse;^  considérable  de  formes  étymologiques. 

C>\  du  reste,  se  rencontre  encore  souvent  au  xiir'  siècle  ;  sacc  se 


33^  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

trouve  par  exemple  dans  Chardri  (dans  les  Set  Dormans,  vers  1396, 
etc.);  il  rime  dans  le  Saint  Laurent  avec  grâce  (au  vers  699);  même 
sace^  se  trouve  encore  dans  le  Josdphat  de  Chardri  (vers  8x6).  Il 
est  assez  commun  dans  le  Saint  Auban  qui  en  ceci  diffère  des  autres 
auteurs  :  dans  ce  poème  on  peut  lire^^^^  aux  vei'^  ^90,  610,  1304, 
1520;  on  le  rencontre  encore  dans  Dermod  au  vers  2519;  néan- 
moins le  nombre  de  formes  avec  c  est  beaucoup  moins  considérable 
que  celui  des  terminaisons  en  ch  :  celles-ci  se  lisent  un  peu  partout  et 
à  toutes  les  personnes  :  sache  se  trouve  dans  la  Vie  de  Saint  Gré- 
goire au  vers  1399;  sachons,  page  6,  vers  21  des  Dialogues  (Timo- 
thyCloran),  dans  Chardri,  Josaphat,  331,  Set  Dormans,  1397;  sache::;^ 
au  vers  570  du  Saint  Edmund;  dans  Boeve,  859;  dans  Dermod, 
645  ;  dans  l'Erection  des  Murailles  de  Nevv'  Ross,  9  ;  etc.  Il  est  dif- 
ficile d'établir  la  proportion  de  ces  deux  formes.  Disons  que  dans 
les  poèmes  de  Chardri,  de  même  que  dans  le  Saint  Edmund,  il  y  a 
environ  deux  fois  plus  de  formes  en  ch  que  de  formes  en  c.  Ces 
chiffres  ne  sont  que  des  approximations  ;  mais  ils  montrent  qu'au 
commencement  du  xiii^  siècle,  c  est  en  état  d'infériorité  sur  ch. 

Enfin,  comme  il  est  naturel,  la  forme  régulière  dépossède  com- 
plètement la  forme  analogique  au  xiv*^  siècle  ;  sache  se  trouve  par- 
tout :  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  -jo^,  22)  et  passiiii  ;  dans  les 
Heures  de  la  Vierge,  dans  la  Genèse,  dans  Foulques  Fitz  Warin, 
p.  83;  aux  vers  363.  467,  1177,  1345,  1399,  1402,  1583  de  la  Vie 
de  Saint  Richard. 

En  résumé,  dans  la  langue  littéraire,  la  forme  avec  sibilante  fait 
son  apparition  dès  les  débuts  du  xiii"  siècle  et  afiecte  spécialement 
les  formes  accentuées  sur  le  thème  ;  mais  la  forme  étymologique  ne 
disparaît  jamais  complètement  et  après  un  certain  temps  reprend 
peu  à  peu  le  terrain  qu'elle  avait  perdu  ;  vers  la  fin  du  xii'  siècle, 
les  deux  formes  sont  employées  simultanément  et  à  peu  près  avec  la 
même  fréquence,  la  forme  régulière  se  trouvant  principalement  aux 
personnes  accentuées  sur  la  terminaison  ;  pendant  tout  le  xiii*^  siècle, 
les  progrès  de  la  forme  avec  la  chuintante  continuent  si  bien  qu'au 
siècle  suivant  celle-ci  est  générale,  l'autre  ne  subsistant  guère  qu'à 
l'état  d'archaïsme  et  de  souvenir. 

Nous  n'avons  pas  relevé  un  seul  exemple  de  la  forme  sac  dans  les 
écrits  non  littéraires;  on  trouve  au  contraire  des  centaines 
d'exemples  de  la  forme  avec  ch.  Les  textes  les  plus  anciens  aussi 


LH    SUBJONCTIF  339 

bien  que  ceux  qui  datent  de  la  fin  du  xiv-  siècle  ont  toujours  sach 
à  toutes  les  personnes,  par  exemple,  le  Liber  Custumarum  (1237, 
64),  Royal  Letters  Henri  III  (1261,  168;  1265,  298);  les  Sta- 
tures (1275,  I,  29);  Jean  de  Peckham  (1280),  et  le  xiv^  siècle  ne 
connaît  pas  d'autre  forme.  Tous  les  Yeâr  Books  emploient  aussi  la 
forme  avec  ch,  et  fréquemment. 

On  peut  toutefois  observer,  et  nous  terminerons  par  là,  quelques 
changements  dans  la  voyelle  du  radical  ;  il  arrive  qu'elle  se  pré- 
sente sous  la  forme  ai  :  saicheà-àns  les  Rymer's  Foedera,  1364,  VI, 
459;  ou  qu'une  i  parasite  s'introduise  entre  la  voyelle  du  thème  et 
la  chuintante:  sasclje  dans  Jean  de  Peckham,  1289,  703  ;  ou  encore 
que  le  c  soit  répété  devant  1'/.':  sacche,  Statutes,  1299,  I,  132.  Mais 
ces  variations  n'ont  que  peu  d'importance  ou  aucune  importance  ; 
elles  sont  très  rares  et  savoir  conserve  très  régulièrement  la  forme 
correcte. 

2.  Verbes  à  dentale. 

Les  verbes  à  dentale  ne  nous  arrêteront  pas  longtemps;  ils  sont 
toujours  très  réguliers  dans  la  langue  littéraire  :  nous  avons  déjà 
signalé  le  veit  du  Psautier  d'Arundel  (9,  31  ;  13.  3)  (=  z7Wm/)dans 
lequel  la  terminaison  s'est  allégée  de  Ve  muet  ;  et  dans  le  Psautier 
d'Oxford,  esjol  (96,  i);  dans  ce  dernier  cas  aussi  Ve.  delà  désinence 
a  disparu,  mais  les  deux  cas  sont  entièrement  différents  :  le  premier 
montre  une  réduction  purement  phonique,  le  second  est  une  assi- 
milation aux  subjonctifs  en  cm,  comme  le  prouve  csjocnt,  du  même 
Psautier  (39,  22).  Du  reste  cette  assimilation  est  rare  ;  elle  se  ren- 
contre uniquement  dans  le  Psautier  d'Oxford  et  encore  n'v  est-elle 
pas  constante;  on  lit  en  effet  esjoied  {<)•),  11);  esjoicvt  (24,  31).  Cf. 
joie  des  Heures  de  la  Vierge  (62  r"). 

Une  autre  réduction,  phonique  comme  la  première,  mais  d'un 
genre  différent  se  produit  encore  pour  le  verbe  voir.  Ce  subjonctif 
présente  sotivent  dans  son  thème  la  voyelle  e,  au  lieu  de  la  diph- 
tongue, comme  veeni  qui  se  lit  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Ecosse 
(1305,  121)  et  dans  plusieurs  autres  endroits. 

C'est  un  phénomène  purement  phonique  dont  nous  avons  vu  déjà 
plusieurs  exemples. 


^-|0  1    ï:\  O)  LTION    Dli    VRRUE    EN    ANGLO-J-RANÇAIS 

3.  Verbes  à  liquide. 

Lorsque  le  thème  du  verbe  est  terminé  par  une  liquide,  on  sait 
que  la  palatale  de  la  désinence  agit  de  deux  fliçons  suivant  la  nature 
delà  dernière  consonne  du  thèiue.  Si  celle-ci  est  /ou  //,  la  palatale 
la  mouille;  si  c'est  une  r,  un  /apparaît  dans  le  thème.  Ce  dernier 
phénomène  se  produit  même  quelquefois  lorsque  la  dernière  con- 
sonne du  thème  est  ;/  ou  /  et  il  n'est  pas  toujours  tacile,  ni  même 
possible  de  déterminer  dans  chaque  cas  lequel  de  ces  deux  phéno- 
mènes s'est  produit, 

A.  Mouillure.  Nous  étudierons  successivement  : 

1°  Les  graphies  de  la  mouillure. 

2°  La  perte  de  la  mouillure. 

3°  Les  changements  subis  par  la  vovelle  ou  la  diphtongue  du 
thème. 

1°  Graphies  de  la  mouillure. 

a)  I  mouillée.  — L'/  mouillée  est  ordinairement  exprimée  par  //, 
un  peu  plus  tard  par  ///.  On  trouve  ainsi  voile  au  vers  17  du  Voyage 
de  Saint  Brandan,  au  vers  22  de  l'Erection  des  Murailles  de  New 
Ross,  etc.;  vaille  au  vers  1046  de  Thomas;  au  vers  636  du  Drame 
d'Adam  ;  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  au  vers  2718,  etc.,  etc.,  ou 
encore  viiillc  qu'on  lit  au  vers  1762  du  Tristan  de  Thomas  et  dans 
un  grand  nombre  d'autres  cas.  Les  autres  verbes  peuvent  nous  donner 
de  nombreux  exemples  :  doile  et  failet,  tous  les  deux  dans  le  Saint 
Brandan,  respectivement  aux  vers  18  et  994  ;  on  peut  citer  pour  plu- 
sieurs interrimes,  pour  vaille,  faille  et  chaillc  :  dans  Horn  au  vers 
1796  ;  dans  Adgar,  XXIX,  23. 

Lorsque  la  voyelle  finale  disparaît,  une  seule  /  subsiste  comme 
dans  w// (3^  personne  du  sing.),  au  vers  1505  de  Boeve  de  Haum- 
tone. 

La  mouillure  de  1'/  est  exprimée  dans  les  ouvrages  non  litté- 
raires d'une  manière  à  peu  près  uniforme,  au  moyen  d'une  /double 
précédée  le  plus  souvent  d'un  /  ;  par  exemple  voilie  ou  vitille  que 
Ton  trouve  partout  :  Statutes,  Parliamentary  Writs,  Jean  de 
Peckham,  Rymer,  etc.  Il  arrive  que,  pour  vouloir  spécialement, 
cet  /disparaisse  :venle  se  lit  dans  les  Statutes  (1378,  II,  9)  ;  dans  les 
Rymer's  Foedera  (1370,  VI,  669);  1'/ dans  ce  cas  est-elle  encore 
mouillée  ?   Il   est  impossible  de  l'affirmer.  Enfin,    il  n'est  pas  rare 


LE    SUBJONCTIF  341 

que  17  soit  répété  après  1'/,  comme  dans  voillii'  dans  le  Blacke  Booke 
of  the  Admiralty  (1291,11,  28,  30,  36.  42),  Historical  and 
Municipal  Documents  of  Ireland  (13 19.  407);  Documents  Inédits 
(1382.   237). 

/')  /.'  mouillée.  Vu  mouillée  est  ordinairement  exprimée  par 
la  graphie  it^n  ;  c'est  même  la  seule  graphie  que  nous  ayons 
rencontrée  au  xir  siècle  et  même  au  XIII^  C'est  dire  que  les 
exemples  sont  nombreux.  Citons  d'abord  ceux  qui  proviennent  de 
remaneat  :  rcniaigne  se  lit  au  vers  239  du  Bestiaire;  au  vers  4334 
de  l'Estorie  des  Engleis  ;  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois(I,  5,  7); 
au  vers  2879  de  Horn.  Tl  rime  avec  enseigne  au  vers  984  de  la  Vie 
de  Saint  Grégoire  et  se  retrouve  encore  dans  la  Vie  de  Saint  Lau- 
rent (vers  58)  ;  dans  Simon  de  Montfort  (vers  28)- 

Nous  citons  m.iintenant  tous  ces  exemples  parce  que  nous  ren- 
contrerons tout  à  l'heure  pour  ce  même  verbe  une  forme  diffé- 
rente, très  employée  aussi. 

Venir  et  tenir  ne  nous  offrent  pas  d'exemples  en  aussi  grand 
nombre  et  ils  ne  remontent  pas  aussi  haut.  C'est  que  la  première 
forme  du  subjonctif  de  ces  verbes,  comme  nous  le  verrons,  pré- 
sente ge  (cf.  ci-dessous);  on  ne  trouve  la  lettre  mouillée  qu'au 
xiii"  siècle;  et  elle  est  écrite  tout  d'abord  par  gn,  comme  veigne:{ 
au  vers  734  de  Boeve  de  Haumtone  ;  à  cette  époque  et  même 
au  siècle  suivant  elle  est  très  commune.  La  seconde  graphie 
de  1'/;  mouillée  prend  la  forme //^i^//.  comme  dans  iw/i^'-^/c  dans  les 
Vies  de  Saints  de  Nicolas  Bozon  (94  v°).  et  elle  se  rencontre  dans 
la  plupart  des  auteurs  du  xiv^  siècle.  Celle  qui  ne  montre  pas  le  i,^ 
est  plus  rare  et  on  peut  se  demander  si  la  mouillure  subsiste  dans 
veinient,  au  vers  59  de  Boeve  de  Haumtone,  venye  dans  Pierre  de 
Langtoft  (I,  352.  23). 

Telles  sont,  au  point  de  vue  de  la  lettre  mouillée,  les  principales 
graphies  que  nous  trouvons  dans  la  langue  littéraire.  Mais  l'énu- 
mération  n'est  pas  encore  complète. 

Les  formes  que  tenir  et  venir  prennent  au  subjonctif  sont  encore 
plus  nombreuses  dans  la  langue  politique  et  diplomatique  que 
dans  la  langue  littéraire  ;  nous  ne  pouvons  même  espérer  dresser 
ici  une  liste  complète  des  graphies  de  Vn  mouillée,  mais  nous 
croyons  pouvoir  en  donner  les  principales.  Il  est  difficile  de  classer 
toutes   les   formes  que   nous  avons  rencontrées  ;   en    eflet,  l'ordre 


^^2  I.  HVOLUTION    DU    VHKI51-,    I.N     A  N(;L0-]  KANÇAIS 

chronoloi^iquc,  qui  serait  Tordre  logique,  est  impossible  à  déter- 
miner. 

Nous  avons  d'abord,  comme  dans  les  œuvres  littéraires,  un 
nombre  considérable  de  subjonctifs  avec  gn,  comme  veigne  qui  se 
lit  dans  les  premiers  statuts  (Statutes,  1282,  I.  53  et  pass'mi),  dans 
les  Parlianicntary  Writs  (1325,  II,  724),  dans  les  Rymer's  Foedera 
(i32(->,  I\',  2 ri);  ou  avec  iigii,  vcugiic,  dans  les  Early  Statutes  of 
Ircland  (1285,  48),  Il  n'est  pas  rare  de  trouver  o-n  précédé  ou  suivi 
(même  précédé  et  suivi)  d'un  /  :  les  formes  comine  veignieni  qui 
est  employé  dans  les  Statutes  à  différentes  reprises  (13 11,  I,  160  ; 
1330,  I,  268),  ou  comme  vieigne  qu'on  lit  dans  les  Rymers  Foedera 
(1379,  VII,  226)  sont  moins  nombreuses  que  les  précédentes  mais 
assez  fréquentes.  Elles  datent  du  commencement  du  xiv^  siècle. 

Une  autre  forme  se  présente  communément  ;  mais  il  est  probable 
que  la  mouillure  ne  s'y  trouve  plus  ;  c'est  celle  qui  présente  ng  ' 
comme  vengent  qu'on  lit  dans  les  Statutes  (1267,  I.  97  ;  1286,!, 
210),  dans  les  Traités  de  Rymer  (1268,  I,  8^)8)  dans  les  Memorand. 
Pari.,  1305  (§  78)  ou  tinge  qu'on  lit  dans  Rvmer,  sous  la  date  de 
1268  (I,  248). 

Ces  formes,  comme  on  le  voit,  sont  anciennes,  1'//  v  est-elle  tou- 
jours mouillée?  Nous  l'ignorons. 

Quant  aux  Year  Books,  ils  montrent  pour  la  consonne  tinale  du 
radical  toutes  les  graphies  ci-dessus,  et  peut-être  quelques  autres 
encore,  mais^«,  ngn,  ign  sont  parmi  les  plus  employées. 

Les  formes  que  nous  venons  de  citer  sont,  comme  on  le  voit, 
assez  nombreuses  ;  nous  croyons  même  que  les  exemples  qui  pré- 
cèdent montrent  toutes  les  façons  dont  il  est  possible  de  représenter 
Vn  mouillée. 

2°  Perte  de  la  mouillure . 

En  citant  plusieurs  des  exemples  précédents  {voil,  veulle  et  venge, 
veinienl,  venye)  nous  nous  sommes  déjà  demandés  si  la  mouillure 
subsistait  ;  il  est  tout  aussi  possible  qu'elle  ait  disparu  dans  ces 
quelques  formes  que  dans  celles  que  nous  allons  maintenant  énu- 
inérer.  Et  pour  être  exacts,  nous  devons  dire  que  nous  ne  sommes 
certains  de  la  disparition  de  la  mouillure  pour  aucune  des  formes 
qui  suivent.  Le  plus  que  nous  puissions  affirmer  c'est    qu'elle  n.'est 

I .  Ce  sont  plutôt  des  subjonctifs  en  gc  ;  cependant  on  ne  saurait  affirmer  qu'il 
n'v  a  pas  eu  mouillure.  Cela  cependant  semble  y&\}  probable. 


LE    SUBJONCTIF  343 

.pas  apparente  dans  la  graphie.  Il  est  probable  pourtant  qu'elle 
n'existe  plus  dans  vidle  qu'on  lit  au  vers  2373  du  Tristan  de  Tho- 
mas, ni  dans  vueulle  qui  se  trouve  dans  les  Actes  du  Parlement 
d'Ecosse  (1357,  521). 

Pour  remaindre  nous  avons  un  plus  grand  nombre  d'exemples  et 
heureusement  deux  au  moins  sont  assurés  par  la  rime.  Et  ces  deux 
exemples  assurés  nous  permettent  d'avoir  moins  de  doutes  pour 
tous  les  autres. 

Les  manuscrits  L  et  D  de  l'Estorie  des  Engleis  nous  donnent  au 
vers  4333  la  rime  reiiieinc  (^:  pleine)  ;  et  cette  nième  rime  se 
retrouve  dans  The  Song  of  the  Barons  (au  vers  66).  A  côté  de  ces 
exemples  assurés,  nous  en  avons  plusieurs  douteux  :  inainiiiis  au 
vers  184  du  Roman  des  Romans  ;  remet  ne  dans  le  Josaphat  de 
Chardri  (au  vers  1735);  reniament  dans  les  Annales  du  Monastère 
de  Burton  (1259,  492)  et  dans  Barthélémi  Cotton  (1295,  300), 
etc. 

L'exemple  de  Tristan  et  celui  de  l'Estorie  des  Engleis  nous 
montrent  que  vouloir  et  remaindre  ont  perdu  la  mouillure,  assez 
rarement,  il  est  vrai,  dès  la  seconde  moitié  du  xir'  siècle  ;  pour 
tenir  et  venir,  nous  n'avons  pas,  sauf  dans  ces  cas  qui  nous 
montrent  la  terminaison  ^^e,  d'exemple  aussi  ancien  ni  aussi  sûr, 
ceux  que  nous  avons  appartiennent  tous  aux  textes  politiques  et 
diplomatiques. 

Il  arrive  en  effet  dans  ces  ouvrages  que  la  mouillure  dispa- 
raisse au  moins  dans  l'écriture  :  on  trouve  vyne  dans  les  Literae 
Cantuarienses  à  plusieurs  reprises  (1326,  177;  1327,  919);  twc 
se  lit  dans  le  même  recueil  (1326,  177),  un  petit  nombre  de  fois 
dans  les  Rymer's  Foedera  et  assez  fréquemment  dans  les  Year 
Books  (cf.  20  et  21   Edw.  P"",  67,  etc.). 

Nous  avons  relevé  encore  un  certain  nombre  d'autres  exemples 
qui  sont,  à  dire  le  moins,  assez  douteux,  comme  le  veigniit  des 
Early  Statutes  of  Ireland  (1326,  312).  Il  est  possible  que  ce  dernier 
exemple  et  quelques  autres  qu'on  trouve  dans  Rymer  soient  des 
erreurs  des  scribes;  nous  ne  pensons  pas  qu'il  en  soit  de  même 
pour  les  exemples  des  Literae  Cantuarienses. 

3°  Elément  vocalique  du  radical. 

Ce  que  nous- venons  de  dire  de  la  mouillure  de  Vh  est  en  somme 


^44  I.  HVOI.UTIOK     DU    VHRHE    KX     ANCiLO- 1- KAXÇAIS 

général,  quoique  nous  n'ayons  trouvé,  comme  exemples  que  les 
formes  du  verbe  vouloir.  Dans  l'étude  du  radical  des  verbes  de 
cette  catégorie,  nous  n'aurons  à  parler  que  de  vouloir,  tenir  et 
\enir,   tous  les  autres  étant  réguliers. 

Le  premier  de  ces  verbes  présente  au  subjonctif  étymologiquement 
la  diphtongue  ol,  qui  aboutit  régulièrement  àuiet  par  conséquent  à 
//.  Cette  évolution  phonique  est  normale  et  par  conséquent  ne  sau- 
rait nous  arrêter  ici  ;  on  pourra  trouver  ci-dessus  des  exemples  de 
ces  trois  former. 

D  autres  radicaux  se  trouvent  qui  nont  pas  la  même  régularité, 
et  ne  procèdent  pas  du  radical  étymologique  par  un  développement 
aussi  normal.  Nous  devons  donc  nous  en  occuper. 

La  diphtongue  <'M  qui  montre  probablement  l'influence  du  présent 
de  l'indicatif,  est  très  commune  dans  la  seconde  partie  du  xiv" 
siècle,  nous  en  donnons  quelques  exemples  plus  haut.  Nous  devons 
faire  observer  que  le  dernier,  tiré  des  Actes  du  Parlement  d'Ecosse, 
présente  la  triphtongue  iteii  :  vmiille  (1357,  5 21).  Nous  avons 
peut-être  ici  un  développement  de  la  vovelle  //,  ou  un  emprunt  à 
l'indicatif. 

Une  autre  forme  pourra  sembler  plus  extraordinaire  encore  ;  c'est 
celle  qui  présente  la  diphtongue  «"  ;  elle  est  loin  d'être  rare  et 
remonte  à  la  fin  du  xin"-'  siècle  :  veille  se  lit  dans  les  Statutes 
(1273.  I,  29),  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  48),  etc. 
Hlle  est  surtout  commune  dans  les  Year  Books.  Mais  l'origine  de 
cette  diphtongue  ne  nous  semble  pas  faire  de  difficulté  :  on  ne 
doit  y  voir  qu'une  graphie  de  ai  qui  s'est  produite  par  umgekehrte 
Schreibung  après  que  ei  a  passé  à  ai. 

Oei  est  plus  rare  ;  cette  triphtongue  se  trouve  dans  les  Rymer's 
Foedera  (1330,  IV,  950)  et  passini  ;  mais  les  exemples  que  nous 
en  avons  appartiennent  pour  la  plupart  à  la  dernière  partie  du 
xiV^  siècle. 

L'élément  vocalique  du  radical  des  deux  verbes,  tenir  et  venir, 
montre  aussi  des  variations  assez  importantes,  et  ici  encore  il  est 
délicat  de  faire  exactement  le  départ  entre  les  formes  phonique- 
ment  régulières  et  celles  qLii  ne  proviennent  pas  par  une  évolution 
régulière  des  formes  originales.  Aussi  nous  nous  contenterons  de 
signaler  les  différentes  modifications  que  nous  avons  relevées  sans 
nous  y  appesantir.  L'élément  vocalique  du  radical  passe  de  ie  à  ei,r 


LE    SUBJONCTIF  34) 

et  même  /.  Quelques-uns  de  ces  changements  sont  connus  clans  la 
phonétique  anglo-française  (cf.  Suchier,  Voyelles  toniques,  p.  87, 
§  29  e  ;  Stimming,  Boeve  de  Haumtone,  p.  202).  Seul  le  passage  de 
ic  à  ci  n'a  pas  été  signalé  ;  il  est  évidemment  postérieur  au  passage 
de  la  diphtongue  ci  à  la  prononciation  dV  ouvert  et  à  la  réduction 
de  la  diphtongue  ic  kc.  La  diphtongue  ei  comme  graphie  de  l'élé- 
ment vocalique  du  subjonctif  de  tenir  et  de  venir  est  très  commune 
dans  les  textes  littéraires;  les  scribes  du  xiv*^  siècle  l'emploient  très 
fréquemment,  par  exemple  vei^nc:^  au  vers  734  de  Boevc  de  Haum 
tone  (B)  ;  de  même  les  écrivains  de  ce  siècle  (cf.  les  exemples  de 
Pierre  de  Langioft  cités  plus  haut).  Elle  n'est  pas  moins  commune 
en  dehors  de  la  littérature,  et  on  la  trouve  dans  les  premiers  textes 
des  Statutes,  dans  les  Mem.  Pari.,  1305.  Pour  ce  qui  est  des 
voyelles  ('  et  /,  nous  n'avons  ici  que  peu  de  remarques  à  foire  :  les 
radicaux  de  ces  verbes  avec  e  se  rencontrent  déjà  au  xiii''  siècle  ; 
ceux  avec  /  vers  la  fin  du  même  siècle.  Remarquons  qu'il  est  très 
rare  de  trouver  IV  employé  sans  être  nasalisé,  tandis  que  17  se  ren- 
contre fréquemment  sans  ;/  :  par  exemple,  on  trouve  ligne,  vigiic  au 
vers  2075  du  Manuel  des  Péchés;  au  vers  1993  de  Boeve  (B)  ;  au 
folio  68  r°  des  Heures  de  la  Vierge  et  fréquemment  dans  les  Contes 
de  Nicole  Bozon.  La  ïorme  tingnc,  vingne  est  assez  rare  (cf.  Rymer's 
Foedera,  1268,  L  848).  Rappelons  les  formes  tyne,  vvne  des  Literae 
Cantuarienses,  et  le  fait  que  les  Year  Books  ne  semblent  connaître 
que  les  radicaux  en  i. 

B.  L'/  passe  dans  le  thème  sans  mouiller  la  consonne  finale. 

Lorsque  le  thème  est  terminé  par  /',  la  palatale  n'afiecte  pas 
cette  consonne,  mais  passe  dans  le  thème  sous  la  forme  d'un  /. 

Nous  trouvons  des  exemples  de  ce  phénomène  dans  les  verbes 
mourir,  quérir,  férir.  Ici  encore  nous  pouvons  observer  la  réduction 
des  deux  diphtongues  ie  et  ni  aux  voyelles  é'  et  //  ;  et  cette  question 
ne  nous  regarde  pas.  Disons  seulement  que  le  passage  de  ic  à  c  dans 
ces  thèmes  peut  se  remarquer  dans  les  textes  du  xir'  siècle  (cf. 
(jiicrcf  dans  le  Psautier  de  Cambridge,  9,  34);  tandis  que  la  diph- 
tongue ni  subsiste  jusqu'au  milieu  du  xiii*^  siècle.  Ce  qu'il  nous 
appartient  de  signaler,  c'est  l'emploi  de  oc  au  lieu  de  la  diphtongue 
régulière,  par  exemple  dans  inocrc  qu'on  lit  au  vers  465  du  Petit 
Plet  de  Chardri,  mais  qui  doit  appartenir  au  scribe. 


^6  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

4.  Verbes  à  palatale. 

Les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  palatale  nous 
oftrent  la  matière  de  quelques  remarques  :  nous  trouvons  que  1'; 
du  thème  dû  à  la  palatale  se  maintient  fort  bien  ou  disparaît  d'une 
façon  normale.  Nous  allons  citer  un  certain  nombre  d'exemples  de 
la  torme  plaise,  afin  de  rendre  évident  le  fait,  dont  nous  aurons 
besoin  plus  tard,  que  cette  forme  a  été  très  employée  dans  la 
langue  littéraire;  on  la  trouve  dans  les  trois  Psautiers  :  Psautier 
d'Oxford  (55,  3);  de  Cambridge  (39,  lé)  ;  d'Arundel  (39,  16;  et 
18,  14  :  plaissent').  Ce  subjonctif  apparaît  une  fois  sous  la  forme 
plaise  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  15,  22); pleise  se  rencontre 
encore  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (24  r°a)  ;  cette  forme  est 
souvent  employée  rimant  avec  eise  dans  les  Dialogues  Saint  Gré- 
goire (3  r°  a),  dans  le  Petit  Plet  de  Chardri  (vers  96  et  523),  dans 
l'Ordre  de  Bel  Eyse  (248)  ;  dans  la  Manière  de  Langage  (388).  Par 
conséquent  cette  torme  est  fréquemment  assurée  jusqu'à  la  fin  du 
XIII''  siècle,  et  les  exemples  sont  encore  très  communs  dans  le  corps 
du  vers,  sinon  à  la  rime,  pendant  tout  le  siècle  suivant. 

Le  verbe  taire  prend  la  même  forme  :  taises  dans  le  Psautier 
d'Oxtord  (27, 1)  et  de  Cambridge  (20,  14).  Nous  n'avons  pas  un 
très  grand  nombre  d'exemples  du  subjonctif  de  ce  verbe,  par  con- 
séquent les  rimes  ne  peuvent  pas  être  très  fréquentes,  nous  avons 
relevé  teyse  rimant  aussi  avec  eyse  dans  l'Ordre  de  Bel  Eyse  (au 
vers  13). 

Un  des  verbes  appartenant  cà  cette  classe  a  un  subjonctif  terminé 
assez  régulièrement  par  ace  :  faire.  Nous  n'avons  noté  aucun  chan- 
gement dans  la  forme  du  subjonctif  de  ce  verbe  :  face  se  rencontre 
invariablement  dans  chaque  auteur.  L'importance  de  cette  forme 
réside  surtout  dans  l'action  qu'elle  a  exercée  sur  d'autres  verbes  ; 
faced.  entraîné  la  formation  d'un  certain  nombre  de  subjonctifs  en 
ace.  La  plus  constante  de  ces  nouvelles  formations  est  hace,  sub- 
jonctif de  haïr.  On  la  trouve  assez  communément  :  par  exemple  à  la 
rime  du  vers  765  de  Jordan  Fantosme  et  du  vers  1420  deGuischart 
de  Beauliu(/iîr^.-  place  :  sace  :  hace')  ;  dans  Robert  de  Gretham,  84  v° 
et  passim.  Cette  même  rime  se  trouve  encore  dans  la  Vie  de  Sainte 
Catherine  de  Sœur  Clémence  de  Barking  au  vers  155. 


LE    SUBJONCTIF  ^47 

Plaire  a  aussi  subi  dans  une  certaine  mesure  l'influence  du  sub- 
jonctif défaire;  mais  le  nombre  assez  considérable  des  exemples  de 
plaise  que  nous  axons  cités  ci-dessus  montre  que  cette  influence, 
qui  a  été  parfois  exagérée,  n'a  pas  été  considérable.  Voici  une  liste 
assez  longue,  et  que  nous  avons  tâché  de  faire  aussi  complète  que 
possible  des  exemples  de  la  forme  place  que  nous  avons  relevés 
dans  les  textes  littéraires.  Nous  ne  prétendons  pas  les  avoir  relevés 
tous,  mais  ils  suffisent  pour  nous  montrer  que  le  subjonctif  de 
plaire  modelé  sur  face  n'a  jamais  été  aussi  commun  que  la  forme 
régulière.  Le  traducteur  des  Quatre  Livres  des  Rois  emploie  un 
petit  nombre  de  fois  (trois  fois,  croyons-nous)  la  forme  place  (cf. 
I,  12,  21);  on  la  trouve  encore  dans  la  Chronique  de  Fantosme 
(au  vers  1937)  ;  dans  le  poème  de  Horn  (au  vers  3032)  ;  et  dans 
la  Vie  de  Sainte  Catherine  (au  vers  34)  ;  Guischart  de  Beauliu  la 
fait  rimer  (au  vers  1411)  avec  face.  Nous  relevons  quelques 
exemples  de  cette  forme  dans  les  poèmes  de  Frère  Angier,  ainsi  au 
vers  2298  de  la  \'ie  de  Saint  Grégoire  et  au  folio  I27v°  b  des  Dia- 
logues; on  la  trouve  un  nombre  à  peu  près  égal  de  fois  dans  Char- 
dri  :  au  vers  1330  des  Set  Dormans  et  918  du  Petit  Plet.  Nous 
l'avons  rencontrée  deux  fois  dans  le  Saint  Thomas  (cf.  I,  50  ;  IV, 
64);  puis  au  vers  1924  de  Boeve  ;  13 15  du  Saint  Auban  ;  129 1  de 
Dermod.  Elle  est  extrêmement  rare  dans  les  ouvrages  du  xiv 
siècle,  nous  ne  nous  souvenons  pas  de  l'avoir  jamais  rencontrée  à 
cette  époque  ' . 

Les  subjonctifs  des  verbes  qui  ont  un  thème  à  gutturale  sont 
très  réguliers  dans  la  langue  diplomatique  et  politique  :  on  trouve 
face  partout,  eiifiie,  isse,  gise,  lise  (liceat).  Plaire  lui-même  est  tou- 
jours très  correct;  dans  tous  les  textes  que  nous  avons  lus,  le  sub- 
jonctif de  ce  verbe  est  naturellement  assez  commun  :  il  revient 
constamment  dans  certaines  formules  et  est  employé  en  outre 
dans  un  bon  nombre  d'autres  cas  ;  or,  la  forme  place  ne  se  rencontre 

I  .  Dans  la  Vie  de  Saint  Gilles,  Gaston  Paris  cite  deux  cas  de  place,  vers  147 
dire  148)  et  2287.  En  réalité  ces  deux  «  subjonctifs  »  sont  deux  substantifs  :  voici 
ces  deux  vers  : 

Sempres  s'aiinent  en  la  place  (148). 

Del  cheval  descent  en  la  place  (2287). 

Fn  réalité,  il  n'\-  n  dans  le  Saint  Gilles  aucun  cas  du  subjonctif' de  plaire. 


7,^S  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

jamais.  Voici  quelques  exemples  de  plaise:  on  le  trouve  dans  les 
Rymer's  Foedern  (1270,  1,862;  1309,  III,  i')0  el  passiin),  dans 
les  Mem.  Pari.  1305  (§  56,  etc.),  fréquemment  dans  les  Statutes 
(1350,  I,  317;  1353,1,  330,  1362,1,  376)  et  dans  plusieurs  autres 
endroits.  Il  en  va  de  même  pour  tous  les  autres  recueils.  La  forme 
régulière  se  maintient,  avec  de  rares  modifications  dans  le  radical 
que  nous  verrons  plus  tard,  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle. 

Les  radicaux  des  verbes  de  cette  catégorie  ne  montrent  pas  de 
changements  qui  leur  soient  propres  ou  qui  proviennent  de  l'in- 
fiuence  de  la  terminaison.  Nous  ne  citerons  que  pour  mémoire  les 
différentes  formes  que  prend  la  diphtongue  dans  le  verbe  plaire: 
ni,  ei,  e;  nous  ne  trouvons  que  deux  formes  plus  rares  qui  puissent 
nous  arrêter  un  peu  plus  longtemps  ;  ce  sont  Jease  pour  face  qu'on 
lit  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1330,  336),  et  please  qui  est 
répété  une  dizaine  de  fois  dans  le  Liber  Custumarum  (1377,  459) 
et  dans  quelques  autres  recueils.  Nous  verrons  que  en  est  dans  le 
verbe  une  modification  assez  rare  mais  qui  n'est  pas  inconnue  de  la 
diphtongue  ai  '. 

5.  Subjonctifs  en  ce  des  verbes  de  III. 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  mentionner  certains  verbes  de 
la  première  conjugaison  :  ester,  manger,  rover,  trover,  qui  ont  un 
subjonctif  en  se  ou  ce.  Ce  ne  sont  pas  réellement  les  subjonctifs 
en  ce,  car  l'.v  que  nous  retrouvons  au  subjonctif  de  ces  verbes  semble 
faire  partie,  autant  qu'on  peut  en  juger,  du  thème  de  la  première 
personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatih  C'est  à  la  troi- 
sième conjugaison  que  nous  trouvons  réellement  des  subjonctifs 
en  ce-. 

L'anglo-français  ne  nous  montre  avec  ce  sutrixe  que  trois  verbes 
de  III,  mais  ils  se  trouvent  assez  fréquemment  employés  ;  ce  sont 
les  verbes  choir,  estovoir,  seoir  et  ses  composés. 

Le  premier  de  ces  verbes,  qui  du  reste  ne  nous  a  pas  fourni  un 
très  grand  nombre  d'exemples  pour  4e  subjonctif,  présente   presque 

1.  Cf.  Infinitif,  notre  seconde  partie,  chapitre  M  ;  et  comparer  au  verbe  anglais 
to  please. 

2.  Cf.  Setiegast,  J.  César,  XXX. 


LE    SUBjONCTll-  349 

toujours  le  suffixe  ce.  Le  premier  exemple  que  nous  connaissions 
de  la  forme  chiece  se  lit  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (34,  9)  (à 
côté  de  cheent,  5,  11).  Nous  la  retrouvons  ensuite  dans  les  Quatre 
Livres  des  Rois  (II,  18,  3)  ;  pendant  le  siècle  suivant,  nous  pouvons 
relever  l'exemple  qui  apparaît  dans  la  Plainte  Notre-Dame,  au 
vers  172  et  passiiu  ;  et  aussi  dans  Walter  de  Bibblesworth  (143). 
Cette  forme  est  sensiblement  plus  commune  pendant  le  xiv^  siècle  ; 
nous  la  lisons  par  exemple  dans  la  Vie  de  Sainte  Marguerite  au  vers 
86,  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  aux  §§  22,  29,  67. 

En  dehors  des  textes  littéraires,  le  subjonctif  de  ce  verbe  appa- 
raît sous  cette  forme  ou  une  forme  voisine.  Checc  se  rencontre  fré- 
quemment, surtout  dans  les  Statutes  ;  chiese  n'est  pas  rare,  par 
exemple  dans  les  Statutes  (1367,  I,  376)  ou  dans  les  Year  Books 
(comme  16  Edw.  III,  p.  459  et  pass/'m). 

On  trouve  aussi  assez  communément  dans  les  mêmes  textes  la 
forme  cbicte  ou  rhete  :  la  première  se  trouve  par  exemple  dans  les 
Statutes  (13^0,  1,290),  dans  Rymer  (1347,  V,  546);  la  seconde  dans 
les  Statutes  (1326,  I,  253),  dans  Rymer  (1323,  III,  1023),  dans  les 
Year  Books  (16  Edw.  III,  25,  184,  leçon  donnée  par  tous  les  manu- 
scrits). Cette  forme  se  trouve  aussi,  mais  plus  rarement,  dans  les 
mss.  des  œuvres  littéraires  écrits  au  xn-^  siècle,  par  exemple  à  la 
page  14  du  Dit  de  Hosebondrie  de  Walter  de  Henley. 

A  première  vue,  on  est  tenté  de  considérer  cette  forme  comme 
une  erreur  de  lecture  de  l'éditeur  ou  une  faute  d'écriture  du  scribe. 
Cependant  cette  forme  se  rencontre  dans  un  trop  grand  nombie 
de  mss.  et  dans  des  textes  qui  comme  les  Statutes  ont  eu  des 
scribes  extrêmement  consciencieux  et  des  éditeurs  très  soigneux, 
pour  que  cette  explication  soit  admissible. 

Le  verbe  estovoir,  qui  n'est  pas  très  commun  au  subjonctif,  ne  se 
présente  qu'avec  la  forme  ce  ;  voici  les  exemples  que  nous  avons 
pu  relever  de  ce  subjonctif. 

On  le  lit  dans  le  Bestiaire  (au  vers  1598);  dans  le  Psautier  de 
Cambridge  (108,  7);  au  vers  952  du  Tristan  de  Thomas  ;  dans  les 
Quatre  Livres  des  Rois  (IV,  i,  6  ;  II,  2,  22);  dans  Horn  au  vers 
3886  ;  au  vers  36  du  Protheselaus  de  Hue  de  Rotelande  ;  dans  la 
Vie  de  Sainte  Catherine  au  vers  1203  ;  dans  Guischart  de  Beauliu 
au  vers  254;  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  au  vers  1125. 

Le  verbe  seoir  apparaît  avec  ce,  sec,  ssc.  Le  Psautier  d'Oxford  a 


5  51)  1.  F.VOLUTK^K    Dll    \  EKBli    T.N    ANC.LO-IRANÇAIS 

plusieurs  exemples  de  la  première  terminaison  :  (loo,  8,  et  7,  12  ; 
au  lieu  de  stcil,  Meister,  p.  75);  nsiire  se  lit  dans  les  Dialogues  Gré- 
goire (33  v°  b)  ;  et  dans  le  Josaphat  de  Chardri  au  vers  1427; 
messecese  trouve  dans  Walter  de  Bibblesworth  (143).  La  forme  en 
se  n'est  employée  que  par  le  traducteur  des  Quatre  Livres  des  Rois  : 
uesced  (III,  i,  24;  III,  2,  24);  les  deux  s  se  rencontrent  très  fré- 
quemment dans  les  textes  non  littéraires  (cf.  Statutes,  1278,1.  49; 
Liber  Custumarum,   1280,  281). 

Comme  on  le  voit,  les  exemples  assurés  par  la  rime  sont  rares  ; 
mais  comme  les  formes  en  re  et  sse  sont  disséminées  depuis  le  com- 
mencement du  xii^  siècle  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle,  il  n'importe 
pas  beaucoup  de  préciser  les  dates  de  ces  différentes  formes. 

Tels  sont  les  verbes  qui  dès  les  commencements  de  la  littérature 
anglo-française  ont  adopté  la  forme  du  subjonctif  en  a-;  il  y  a  encore 
d'autres  verbes  pour  lequel  le  ce  n'est  ni  aussi  ancien  ni  aussi  cons- 
tant, par  exemple  acquesse  (:  cesse),  Satire  sur  le  Siècle  (6  r°)  ;  cette 
forme,  et  quelques  autres  sont  amenées  par  lès  nécessités  de  la 
rime. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  du  radical  du  verbe  estovoir 
au  présent  du  subjonctif.  Nous  allons  voir  que  ce  temps  se  con- 
fond souvent  avec  le  temps  correspondant  du  verbe  ester,  dont  nous 
avons  déjà  dit  quelques  mots  ;  la  seule  différence  étant  que  le  sub- 
jonctif d'estovoir  ne  prend  jamais  la  diphtongue  ai,  qui  est  la  forme 
qu'ester  prend  le  plus  communément.  Mais  même  pour  ce  dernier 
verbe  la  voyelle  simple  0  est  loin  d'être  rare.  Esiocc  devient  par 
conséquent  la  première  forme  commune  au  subjonctif  de  ces  deux 
verbes. 

Il  est  probable  que  c'est  à  cette  dernière  forme  qu'il  faut  rappor- 
ter le  subjonctif  qui  présente  la  diphtongue  oe;  esfoece  se  lit  au  vers 
3886  de  Horn  et  en  plusieurs  autres  auteurs  du  xii^  siècle  et  du 
commencement  du  siècle  suivant.  Mais  cet  0  au  radical  donne  plus 
souvent  et  plus  sûrement  aussi  un  //  comme  dans  estuce  c{n  on  peut 
lire  dans  Guischart  de  Beauliu  et  dans  Aspremont.  Ajoutons  encore 
une  forme  plus  rare  qui  provient  peut-être  encore  de  l'a:  estueched  : 
nous  ne  l'avons  relevée  que  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  2, 
22). 


LE    SUBJONCTir  35 1 

6.  Subjonctifs  en  ge. 

Les  subjonctifs  en  ge,  comme  on  le  verra  par  la  liste  qui  suit, 
sont  assez  communs  en  anglo-français  ;  aussi  nous  semble-t-il  pré- 
férable de  les  diviser  en  trois  classes  :  la  première  comprendra  les 
verbes  qui  ont  un  subjonctif  correspondant  au  latin  iani  ;  pour  ces 
verbes  la  chuintante  est  étymologique  et  provient  de  IV  de  la  ter- 
minaison latine  :  ces  verbes  sont  de  beaucoup  les  plus  nombreux.  La 
seconde  et  la  troisième  embrasseront  toutes  les  deux  des  formations 
analogiques  correspondant  respectivement  aux  subjonctifs  en  aiii 
et  en  cm. 

L  Ge  dans  les  subjonctifs  en  iaui. 

La  terminaison  en  ge  a  commencé  par  s'attacher  dans  les  sub- 
jonctifs en  iani  aux  liquides  qui  ne  sont  pas  susceptibles  de  se 
mouiller,  comme  r;  mais  aussi  à  certains  thèmes  terminés  par//  : 
mourir,  quérir,  maindre,  tenir,  venir,  ont  été  peut-être  les  premiers 
verbes  à  recevoir  la  terminaison  ge. 

C'est  ainsi  qu'on  trouve  presque  simultanément  :  viengel,  dans  le 
Cumpoz  au  vers  3499;  venget  ei  veigent  dans  le  Saint  Brandan  res- 
pectivement aux  vers  royé  (Arsenal  1029),  1609  (Arsenal  1528)  : 
venges  dans  le  Bestiaire (944),  etc.  ;  et  aussi  teingent  dans  le  Brandan, 
16 10  (Arsenal  1529)  etc.  ;  nieinge  de  manoir  au  vers  119  du  Saint 
Brandan  (ms.  de  l'Arsenal  85). 

Les  thèmes  en  ?/,  prenant  o^f  au  subjonctif,  sont,  comme  on  le  voit, 
assez  nombreux  ;  parmi  les  thèmes  en  /',  on  trouve  tout  d'abord 
mourir,  ainsi  iiiiirget  du  Saint  Brandan  (vers  61),  niorge  au  vers 
1604  du  Bestiaire:  puis  qiiergent  qui  se  trouve  dans  le  ms.  L  de 
l'Alexis  (60  b),  et  dans  le  Psautier  d'Oxford  (103,  32)  ;  le  Psautier 
de  Cambridge,  en  plus  des  exemples  précédents,  a  aperget  (89,  17); 
le  Tristan  de  Thomas  nous  offre  encore  un  nouvel  exemple  :  afierge 
qui  rime  avec  quierge  au  vers  248. 

Quelques-uns  de  ces  exemples  demandent  quelques  remarques  : 
on  peut  observer  que  dans  imdrged  du  Psautier  de  Cambridge  (108, 
16)  le  i  de  iam  se  trouve  exprimé  deux  fois  :  une  fois  par  1'/  du 
thème  et  une  seconde  fois  par  la  chuintante  ;  de  même  dans  requier- 
gient,  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  18,  24),  il  est  représenté  deux 
fois. 


?)2  1,  KVoi.urioN   1)1    \  i;kbi-   i:x   .\N(,i.()-i  kançais 

Tels  soin  les  premier^  verbes  qui  prennent  la  chuintante  au  pré- 
sent du  subjonctif  :  ce  sont  uniquement  des  verbes  avant  comme 
consonne  finale  du  thème  une  des  labiales  n  ou  / . 

Nous  allons  par  la  suite  retrouver  les  mêmes  verbes  auxquels 
viendront  s'ajouter  bon  nombre  d'autres.  Nous  n'avons  relevé 
aucun  nouvel  exemple  de  thème  en  //  ou  en  /  au  xiiT' siècle;  venir, 
tenir  et  manoir  d'un  côté,  mourir,  quérir  de  l'autre  sont  les  seuls 
employés  ;  ce  sont,  croyons-nous,  les  seuls  verbes  ayant  leur  thème 
terminé  par  )i  ou  /■  qui  aient  leur  présent  du  subjonctif  en  'kidi. 
Les  nouvelles  fonnations  ne  sont  pas  très  nombreuses  :  nous  pou- 
vons citer  un  verbe  ayant  son  thème  terminé  par  la  labiale  /  : 
vouloir,  qui  iait  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  veilgc  au  vers  37  et 
ivilge  au  vers  352;  et  un  autre  verbe  dont  le  thème  se  termine  par 
une  dentale:  assentir,  qui  fait  (isson^e  au  vers  836  de  la  Vie  de  Saint 
Grégoire. 

Par  conséquent,  ces  formations  nouvelles  sont  en  nombre  intime 
et  limitées  à  un  seul  auteur.  De  plus,  comme  nous  l'avons  vu 
précédemment,  tenir,  venir,  etc.,  prennent  fréquemment  n  mouil- 
lée pendant  le  xiii'^  siècle,  et  conséquemment  le  nombre  de  formes 
présentant  régulièrement  ^c  au  subjonctif  présent  en  est  diminué 
d'autant. 

On  ne  trouve  à  prendre  gc  dans  la  langue  politique  et  diploma- 
tique qu'un  petit  nombre  de  verbes  ayant  en  latin  un  subjonctif  en 
icvit;  nous  n'en  avons  relevé  que  cinq;  moins  par  conséquent 
que  pour  les  œuvres  littéraires.  Ce  sont  :  tenir,  venir,  quérir,  mou- 
rir et  pareir. 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  citer  des  exemples  de  tous  ces 
verbes,  et  nous  n'y  reviendrons  pas,  et  nous  nous  contenterons 
d'ajouter  quelques  mots.  Quergc  est  très  commun  ;  on  le  trouve  dans 
les  Statutes  à  partir  de  1278  (I,  44);  dans  le  Liber  Custumarum, 
1280  (283);  et  dans  Rymer  très  fréquemment.  Les  formes  sans  o^c 
sont  très  rares  pour  verbe,  nous  n'en  avons  trouvé  qu'un  seul  cas  : 
requière  dans  Rymer  (1358,  M,  89).  Il  semble  que  la  forme  en  ge 
est  la  seule  que  connaissent  les  Year  Books;  elle  est  en  tous  cas  extrê- 
mement fréquente  dans  la  langue  légale. 

Mourir  est  aussi  très  fréquemment  employé  au  subjonctif  sous  cette 
forme;  on  en  trouve  un  exemple  dans  les  Statutes  à  la  date  de  1275 
et  nous  ne  l'avons  iamais  rencontré  sous   une  autre    forme.    Elle 


LE   SUBJONCTII"  3)3 

est  spécialement  fréquente  dans  les  Year  Books,  Appergc  ou  appicrge 
est  beaucoup  moins  employé  :  on  le  trouve  dans  le  Blacke  Booke 
of  the  Admiraky  à  la  date  de  129 1  (II,  24):  dans  les  Statutes 
(1330,  I,  268),  dans  Rymer  (1330,1V,  450),  dans  le  Year  Book 
20  et  21  Edw.  I"  (p.  99). 

Mais,  à  part  ces  cinq  verbes,  nous  ne  pouvons  citer  d'autre 
exemple  de  cette  forme  de  subjonctif  pour  les  verbes  de  cette 
catégorie. 

II.  Gc  dans   les  subjonctifs  en  uni. 

Ici  encore  ce  sont  les  thèmes  à  labiale  qui  prennent  le  suffixe  ge  : 
et  il  y  a  relativement  plus  d'exemples  de  ce  suffixe  parmi  les  verbes 
à  subjonctif  en  nm  que  pour  les  verbes  pour  lesquels  il  est  étymo- 
logique. Cependant  ces  formes  ne  sont  extrêmement  nombreuses 
chez  aucun  auteur,  sauf  un  seul.  C'est  un  auteur  du  xiii^  siècle, 
Frère  Angier  ;  à  lui  seul  il  fournit  plus  de  formes  en  ge  que  tous 
les  autres  auteurs  de  son  siècle  réunis.  On  trouvera  dans  l'ouvrage 
de  Miss  Pope  la  liste  complète  des  formes  en  gc  que  l'on  peut  rele- 
ver dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  et  les  Dialogues  Saint  Grégoire  ; 
nous  ne  citerons  de  ces  verbes  que  ceux  que  l'on  trouve  dans  d'autres 
auteurs  anglo-français. 

La  désinence   s'ajoute  principalement  à  quatre  thèmes  :   /',   Id, 

■  )id,  rd.  Pour  les  trois  derniers,  le  d  n'appartient  pas  toujours  au 

thème  ;  mais,  paragogique  ou  étymologique,    il  disparaît  toujours 

devant  la  désinence  qui  s'ajoute  ainsi  directement  à  la  labiale.  Voici 

quelques  exemples  : 

Courir,  et  c'est,  croyons-nous,  le  seul  verbe  de  cette  classe, 
prend  régulièrement  la  forme  curge  ;  elle  se  trouve  déjà  dans  le 
Cumpoz  (vers  86),  mais  appartient  peut-être  au  scribe  ;  dans  le 
Psautier  d'Oxford  et  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (Ç,  2)  ;  dans  le 
Prothesalaùs,  etc.,  cette  forme  est  la  seule  ou  à  peu  presque  prenne 
le  subjonctif  de  courir. 

Il  n'y  a  que  peu  de  verbes  en  A/ à  montrer  au  subjonctif  le  suf- 
fixe gc  :  c'est  que,  d'abord,  les  thèmes  en  Id  sont  peu  nombreux 
et  ensuite  que  nous  ne  trouvons  que  peu  d'exemples  du  subjonctif 
de  ces  verbes  ;  nous  ne  trouvons  guère  à  citer  que  :  tolgel  qui  se 
trouve  au  vers   1758  du  Brandan  (ms.   de    l'Arsenal,  toillc  1676)  ; 


3  5-1  i;  EVOLUTION    DU    VKRBt    HN    ANGLO-IRANÇAIS 

/()/ow  se  lit  dans  le  Psautier  d'Oxford  (30,  12);  au  vers  2261  de  la 
Vie  de  Sainte  Catherine,  de  Sœur  Clémence  de  Barking,  dans  la 
Passioun  Nostre  Seigneur  (33  v"),  etc.  Nous  avons  vu  précédem- 
ment le  subjonctif  d'absoudre.  Les  autres  verbes  en  Id  n'apparaissent 
pas  au  subjonctif. 

C'est  parmi  les  thèmes  en  iid  que  nous  rencontrons  le  plus 
grand  nombre  de  cas  de  chuintante  :  le  plus  employé  de  ces  verbes 
est  le  verbe  prendre  qui,  sauf  les  exceptions  que  nous  avons 
déjà  eu  l'occasion  de  citer,  fait  presque  constamment  prcugc  au 
présent  du  subjonctif,  surtout  au  xir^  et  xiii''  siècle.  Nous  ne  cite- 
rons qu'un  petit  nombre  d'exemples  de  cette  forme,  car  il  serait 
oiseux  de  multiplier  les  exemples  d'une  forme  aussi  commune  :  on 
trouve  prenne  dès  le  commencement  de  la  littérature  anglo-française  : 
dms  le  Brandan  à  la  rime  du  vers  i2o(:meinge,  manoir)  (ms.  de 
l'Arsenal,  vers  86)  ;  dans  le  Bestiaire  au  vers  20  ;  dans  Thomas 
(165,  r6o6);  dans  Chardri  (Josaphat,  2750);  dans  Simon  de 
Montfort  (vers  39)  ;  dans  les  Contes  de  Bozon  (86  et  passivi). 

Le  verbe  craindre  se  trouve  aussi  fréquemment  au  subjonctif 
sous  cette  forme  :  par  exemple  crengel  du  Psautier  d'Oxford  (85, 
10):  de  Cambridge  (85,  11)  (à  côté  de  rrieinel  32,  8);  d'Arundel 
(21.  5)  (à  côté  de  rrieiiiet  32,  8);  cr/eiigo)is.  Vie  de  Saint  Grégoire 

(895)- 

La  lettre  mouillée  se  rencontre  au  xiir  siècle  pour  ces  difterents 
verbes,  et  le  nombre  de  formes  en  ge  diminue. 

Plain  ire  et  répondre  emploient  le  suffixe  moins  souvent  ;  pour 
le  premier,  nous  en  trouvons  un  exemple  à  la  rime  du  vers  149 
dans  le  Poème  allégorique  :  plenge  (:  engreynge). 

Pour  répondre,  nous  avons  repimge  dans  les  trois  Psautiers  :  dans 
celui  d'Oxford  (18,  16);  dans  celui  de  Cambridge  (68,  20)  (mais 
repuiies  26,  10)  :  et  d'Arundel  (18,  7)  ;  à  la  fin  du  xiir  siècle  et 
pendant  tout  le  xiV  siècle  c'est  1'//  mouillée  qui  caractérise  le  sub- 
jonctif de  ce  verbe. 

Les  thèmes  en  rd  ne  nous  fournissent  que  perdre  dont  le  sub- 
jonctif est  employé  sous  la  {orme  perge  par  Thomas  2529  (D  et  S) 
et  par  Frère  Angier,  Vie  de  Saint  Grégoire,  au  vers  895.  Citons 
enfin  une  forme  que  nous  n'avons  rencontrée  qu'une  seule  lois  : 
c'est  reniorge  qui  rime  avec  George  au  vers  2287  du  Prince  Noir. 

Le  nombre  de  subjonctifs  en  ani  à  prendre  ge  est,  pour  les  œuvres 


r 


LE  SUBJONCTU-  355 

non  littéraires,  encore  plus  restreint  que  celui  des  subjonctifs  en 
iaiii.  Nous  ne  trouvons  qu'un  verbe  de  cette  catégorie  qui  se  pré- 
sente régulièrement  sous  cette  forme  :  le  verbe  courir.  Ce  verbe,  du 
reste,  a  toujours  très  régulièrement  la  désinence  ge  à  ce  temps;  et 
les  exemples  qu'on  pourrait  citer  sont  extrêmement  nombreux 
(Statutes  1275,  I,  26  ;  Rymer,  passiin  ;  Liber  Custumarum  1300, 
182.  Liber  Albus  1365,  370,  et  dans  lesYearBooks  20  et 2 1  Edw.  P'', 

M)- 

Prendre  fait  quelquefois  preiigc,  forme  que  nous  avons  citée 
plus  haut;  elle  est  relativement  rare  et  n'a  ni  la  fréquence  ni  la 
régularité  des  formes  qui  présentent  une  n  mouillée. 

Il  est  donc  évident  qu'il  n'y  a  qu'un  nombre  très  restreint  de  sub- 
jonctifs en  am  à  adopter  dans  ces  textes  la  forme  analogique  en  ge. 
Dans  la  littérature  et  en  dehors  de  la  littérature,  courir  seul  la  prend 
régulièrement,  prendre  à  l'occasion .  Les  oeuvres  littéraires  montrent 
en  outre  des  exemples  isolés  de  ge  au  subjonctif  de  toldre,  craindre, 
plaindre,  répondre,  perdre. 

Il  faut  surtout  remarquer  que  tous  les  exemples  du  suffixe  o-g  pour 
les  verbes  en  diii  se  trouvent  concentrés  dans  les  150  premières 
années  et,  pour  certains  d'entre  eux,  dans  le  premier  siècle  de  la 
littérature  anglo-française.  Les  lettres  mouillées  après  cette  date 
deviennent  de  plus  en  plus  nombreuses.  Ceci  explique  pourquoi  les 
formes  en  ge  sont  rares  aux  subjonctifs  en  ani  dans  les  textes  poli- 
tiques et  autres,  qui  ne  remontent  qu'au  quatrième  quart  du 
xiii^  siècle,  et  pourquoi  le  suffixe  trg  ne  se  rencontre  régulièrement  et 
constamment  que  pour  certains  verbes,  courir,  mourir,  dont  la  der- 
nière consonne  du  radical  ne  peut  se  mouillei'. 

Subjonctifs  en  cm. 

■  Pour  les  subjonctifs  en  ge  provenant  de  la  première  conjugaison, 
nous  retrouvons  les  trois  caractéristiques  que  nous  avons  détermi- 
nées pour  les  subjonctifs  en  arii  : 

I"  Ils  ne  sont  jamais  très  nombreux,  sauf  chez  un  seul  auteur. 
Frère  Angier  ; 

2"  Les  verbes  de  I  qui  adoptent  ce  suffixe  sont  surtout  des  verbes 
dont  le  thème  est  terminé  par  une  labiale  (/,  /'/,«,  ni,  n); 

3°  Leur  nombre  diminue  considérablement  pendant  la  seconde 
moitié  du  xni'^  et  pendant  le  xiv*^  siècle. 


^56  i/i:voLUTiON  du  verbe  ek  anglo-français 

Nous  allons  énumérer  rapidement  les  quelques  exemples  que 
nous  avons  relevés;  il  sera  inutile  d'attirer  l'attention  sur  le  fait 
qu'ils  datent,  sauf  ceux  que  nous  avons  tirés  des  deux  poèmes  d'An- 
gier  et  quelques  autres,  du  xii''  siècle. 

Aller  prend  fréquemment  le  suffixe  ge;  la  forme  algc  est  la  forme 
ordinaire  du  subjonctif  de  ce  verbe,  surtout  au  xii''  siècle  ;  aussi  la 
trouve-t-on  d'abord  chez  les  premiers  auteurs  anglo-français;  dans 
le  Cumpoz  (vers  3343,  3315),  dans  le  Psautier  d'Oxford  et  le 
Psautier  d'Arundel  (38,  18),  dans  Horn  (3823),  etc.,  etc.  Nous 
avons  déjà  eu  l'occasion  de  montrer  que  aille  ou  voise  deviennent,  à 
partir  du  xiir'  siècle,  la  forme  ordinaire. 

Apc'Igent,  que  l'on  lit  dans  Adgar  (Prologue  34),  est  beaucoup  plus 
rare;  on  le  retrouve  cependant  sous  la  forme  apeange  dans  les  Dia- 
logues de  Saint  Grégoire  (33  r^'  a)  ;  ce  verbe  n'a  pas  tardé  à  prendre 
ou  à  reprendre  la  forme  étvmologique,  ou  celle  qui  montre  Yc  ana- 
logique. 

Parler  est  le  seul  verbe  avec  un  thème  en  ;7que  nous  ayons  ren- 
contré avec  un  subjonctif  de  ge  :  les  exemples  de  pavolge  ne  sont 
pas  cependant  rares,  plus  conmiuns  que  ceux  que  nous  a  fournis  le 
verbe  précédent.  Le  Psautier  d'Oxford  en  a  deux  exemples  :  (33/ 
13  ;  et  Cr.  ::,  i)  ;  Horn  en  a  aussi  un  exemple  (au  vers  722)  ;  et 
nous  en  relevons  un  autre  dans  les  Distiques  de  Caton  d'Evcrart  de 
Kirkham  (57  f).  Au  xiii*^  siècle,  parle  est  seul  employé  au  sub- 
jonctif. 

Parmi  les  thèmes  en  n.  donner  se  rencontre  le  plus  régulièrement 
avec  o-g  :  âonge  ou  diiiiige  se  lit  dans  presque  tous  les  auteurs  anglo- 
français  du  XII'' siècle  :  Psautier  d'Oxford  (103,  28);  Horn  (3634); 
Vie  de  Saint  Grégoire  (1847);  il  est  inutile  de  citer  plus 
d'exemples;  ici  encore,  cette  forme  en  ge  est  déplacée  par  une  forme 
plus  étymologique  :  dohie,  dohist  et  plus  tard  par  doigne.  Pour  mener, 
la  forme  en  ge  est  plus  rare  encore  et  ne  se  rencontre  qu'au 
xii'^ siècle;  nous  avons  déjà  vu  ce  verbe  prendre  parfois  au  subjonc- 
tif une  n  mouillée  sous  l'infiuence  de  manoir;  c'est  quelque  chose 
d'analogue  que  nous  retrouvons  ici  :  le  ms.  G  de  Horn  a  iiienge:^  (au 
vers  2075)  qui  ■''S  ^'^^  encore  au  vers  7016  de  l'Ipomédon  ;  et  les  Quatre 
Livres  des  Rois  mangent  (III,  8,  46)  ;  et  Miss  Pope  cite  amenge  dans 
les  Dialogues  Saint  Grégoire (33  r°  a). 

Le  Psautier  de  Gambridge  nous  donne  encore  un  autre  verbe  avec 


LE    SUBJONCTIF  3  57 

thème  en  //  ou  plutôt  ni,  tourner  qui  au  subjonctif  fait  Uinigoit 
(68,  3)  ;  il  est  assez  remarquable  que  Vn  soit  conservée  ;  elle  dis- 
paraît dans  loiiioc.  Vie  de  Saint  Grégoire  (vers  47)  et  dans  Rymer's 
Foedera([.  885),  sous  la  date  1272.  Ce  sont  les  seuls  exemples  de 
cette  forme  que  nous  ayons  relevés;  le  subjonctif  régulier  est  beau- 
coup plus  fréquent. 

Comme  on  le  voit,  tous  les  verbes  précédents,  saut  donner,  ne 
prennent  le  suffixe  ge  au  subjonctif  qu'exceptionnellement.  Il  y  a 
cependant  un  certain  nombre  de  verbes  de  I  qui  se  rencontrent  plus 
fréquemment,  plus  régulièrement  et  plus  longtemps  avec  un  sub- 
jonctif en  ge  et  cela  pour  la  raison  que  nous  avons  donnée  tout  à 
l'heure.  Ce  sont  les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  r. 
QuelquL'S-uns  de  ces  verbes  n'apparaissent  guère  au  subjonctif  que 
sous  cette  forme  :  demorer  par  exemple  se  rencontre  dès  le 
xii"'  siècle  sous  la  forme  dcniuerjc,  Psautier  de  Cambridge  (54,  7); 
âeinurge  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  17,  18);  il  n'est  rare 
ni  au  XIII''  siècle  ni  au  xiv^  ;  par  exemple  il  rime  avec  escurge  dans 
la  Genèse  Notre-Dame  (59  r")  et  il  se  lit  dans  Pierre  de  Langtofc 
(II,  232,  3),  dans  Nicolas  Trivet  (63  r°,  etc.)  et  dans  un  assez 
grand  nombre  d'auteurs  du  xiv^  siècle. 

Pleurer  fait  quelquefois /^/ny^t;  ou  plorge,  comme  dans  le  Josaphat 
de  Chardri  (au  vers  1385);  dans  le  second  Appendice  de  Pierre  de 
Langtoft  (II,  440,  17).  Et  cette  forme  du  subjonctif  de  plorer  a 
duré  longtemps  comme  celle  de  demorer  (^d.  ce  que  nous  avons  dit 
de  la  3^  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  de  ces  deux 
verbes). 

Durer  est  évidemment  moins  employé  et  son  subjonctif  est  assez 
peu  commun;  on  te  trouve  sous  la  forme  dorge  au  vers  7^1  du 
Drame  d'Adam,  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  au  vers  254. 

Les  verbes  de  I  prenant  ge  au  subjonctif  dans  la  langue  diploma- 
tique et  politique  sont  peu  nombreux  ;  nous  en  avons  rencontré  trois 
seulement  :  demeurer,  jurer  et  parler.  Le  premier,  demeurer,  fait 
toujours  deinorge  et  on  le  rencontre  sous  cette  forme  dans  tous  nos 
textes  sans  exception  ;  le  plus  ancien  exemple  cya'on  puisse  citer  se 
trouve  dans  les  Statutes  à  la  date  de  1275;  jurer  est  au  subjonctif 
d'un  emploi  plus  rare  ;  on  en  trouve  quelques  cas,  comme  par 
exemple  y'// ro-é'  dans  les  Annales  de  Burton  (1258,  ^55);  dans  les 
Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  ^4)'  ^"fi'"'  '-^•^'"''^  '"^^  ^■^^'^^^'  Rubeus 
de  Scaccario(i32  5,  958). 


558  i.'hvolution  du  vhKm:  e\  anglcvi  kançais 

Paro(ii\'t' Q^i  nés  rare;  nous  pouvons  en  citer  un  exemple  dans 
les  Royal  Letters  Henry  III  (1258,  131). 

.  Les  exemples  sont  encore  moins  nombreux  dans  les  Year  Books; 
nous  n'avons  ^uère  relevé  que  ih'iiiocri^i'  qui  est  évidemment  très 
comnum.' 

Ici  encore,  l'inliuence  des  formes  en  ge  des  subjonctifs  en  iaiii  d 
été  très  petite.  Un  seul  verbe  a  été  entièrement  gagné  à  cette  forme  : 
demoier;  on  pourrait  peut-être  ajouter  /)/o;-^y.  A  part  ces  deux  verbes, 
nous  rencontrons  pour  la  première  conjugaison  pendant  le  xii''  siècle 
un  certain  nombre  de  formes  en  ge  plus  ou  moins  régulièrement 
emplovées  :  alge,  donge  ;  — assez  communément — ,  apelge,  turge, 
mange  (menge),  dorge,  jusqu'au  xiii'^  siècle.  Les  seuls  verbes  qui 
prennent  ge  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle  sont  ceux  dont  le  thème 
est  terminé  par  / . 

Avant  de  quitter  les  subjonctifs  en  ge,  notons  les  difiérentes  gra- 
phies que  le  radical  de  deux  d'entre  eux,  mourir  et  demeurer,  est 
susceptible  de  prendre. 

La  diphtongue  m  est  très  rare  dans  les  ouvrages  non  littéraires, 
on  la  trouve  dans  demuerge  Royal  Letters  Henry  III  (1258,  131)  ; 
on  sait  que  cette  diphtongue  ne  se  maintient  pas  en  anglo-français. 
Elle  est  assez  souvent  remplacée  par  u,  ce  qui  est  le  développement 
phonique  de  cette  diphtongue  en  anglo-français.  La  voyelle  0  de 
son  côté  se  rencontre  au  lieu  de  //  :  demorer  se  trouve  assez  fréquem- 
ment avec  0,  tandis  que  mourir  présente  plus  rarement  le  radical 
inor-  au  subjonctif.  Ceci  peut  n'être  que  l'effet  du  hasard  :  les  deux 
graphies  avant  la  même  valeur,  mais  la  graphie  m  reste  la  plus,  com- 
mune. 

La  diphtongue  toutefois  ne  disparaît  pas  entièrement,  au  moins 
de  l'écriture,  0^  est  commun;  citons  en  dehors  de  la  littérature  iiioerge 
dans  les  Statutes  (1300,  I,  137);  dans  le  Liber  Custumarum  (1300, 
125);  dans  Rymer  (1303,  II,  926),  et  oe  se  trouve  ainsi  jusqu'à  la 
fin  du  xiv*^  siècle. 

La  graphie  eo  est  aussi  extrêmement  commune,  au  moins  entre 
12)0  et  1350;  citons  dans  les  Statutes  lueorge.  denieorge  (I,  1275. 
30;  1278,  44;  128Y,  54,  etc.). 

Toutes  ces  graphies  se  rencontrent,  très  mélangées  évidemment, 
dans  la  langue  légale. 


LE    SUBJONXTIF  359 

7.  vSubjonctif  du  verbe  être  '. 

Là  monodiphtongue  ci  est  ordinairement  conservée  dans  les 
tx;uvres  littéraires,  sous  la  forme  ey,  entre  1250  et  1^00  ;c)/  se  ren- 
contre, mais  plus  rarement,  surtout  après  Boeve  de  Haumtone  (cf. 
vers  1254-55);  mais  ce  n'est  pas  dans  la  littérature  que  nous  trou- 
vons toute  la  série  des  formes  de  la  diphtongue  du  thème. 

Dans  la  langue  diplomatique,  nous  relevons  d'abord  la  diphtongue 
ei;  c'est  elle  qui  est  employée  de  préférence  à  toutes  les  autres  dans 
les  textes  de  la  fin  du  xiii''  siècle  ;  nous  pouvons  le  remarquer  dans 
les  statuts  qui  datent  de  1275  ;  la  diphtongue  oi  s'y  trouve  déjà 
cependant  et  elle  semble  paraître  de  préférence  à  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel.  Quoi  qu'il  en  soit,  ci  persiste  jusqu'à  la  fin  du 
xiV^  siècle  plus  ou  moins  fréquemment  employée. 

A  partir  du  commencement  du  xiV  siècle,  oi  domine  dans  la  plu-- 
part  de  nos  textes;  par  exemple,  dans  les  Mem.  Pari.  1305,  c'est  la 
seule  forme  employée  ;  dans  les  Statutes  de  1340,  elle  est  presque 
unique,  de  même  que  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Ecosse.  Dans 
Rymer  les  formes  en  ei  sont  plus  fréquentes  ;  du  reste,  l'importance 
de  ce  point  est  minime,  le  même  son  étant  représenté  de  ces  deux 
façons. 

La  diphtongue  passe  souvent  à  f  à  la  troisième  personne  du  plu- 
riel, comme  nous  l'avons  déjà  vu  ;  et  le  même  phénomène  se  pro- 
duit, quoique  plus  rarement,  à  la  première  et  à  la  seconde  personne 
du  pluriel  :  sconis,  sce:^  se  rencontrent  (cl.  Parliamentary  Writs 
1326,  11,755). 

La  diphtongue  ^// est  relativement  rare  :  on  trouve  par  exemple 
saient  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Ecosse  (1292,  446)  ;  sait  dans 
les  Rymer's  Foedera  (1322,  IV,  24). 

Nous  ne  donnons  que  pour  mémoire  ces  divers  changements  qui 
sont  plutôt  du  ressort  de  la  phonétique. 

Nous  n'allons  pas  tenter  de  tirer  de  cette  étude  sur  le  subjonctit  en 
anglo-français  une  conclusion  générale.  Les  données  sont  trop  com- 
plexes, les  habitudes  de  style  des  écrivains  trop  variables  pour  qu'on 
puisse  espérer  arrivera  des  résultats  d'une  exactitude  pour  ainsi  dire 

1.  Pour  l'origine  de  la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  du  subjonc- 
tif .<<'?7,  on  peut  voir  Cornu,  Romania,  VI,  248  et  Grôber,  Zeitschriftil.  185. 


^6o  l'évoiatk^x   dv  vekbk   i-,\   a\gi.o-i  KAXÇAIS 

mathématique.  Cependant  un  certain  nombre  d'idées  peuvent  res- 
sortir des  pages  précédentes;  les  exceptions  abondent,  il  est  vrai, 
mais  on  peut  regarder  comme  suttîsamment  vraies  dans  leurs  lignes 
générales  les  conclusions  suivantes  : 

1°  L'anglo-français  a  donné  très  tôt  aux  subjonctifs  qui  étymolo- 
giquement  prenaient  une  forme  différente  du  reste  de  la  conjugai- 
son, le  radical  et  la  terminaison  du  présent  de  l'indicatif. 

2^'  L'angio-français,  surtout  à  partir  du  xiii^  siècle^  a  considéré 
comme  caractéristique  du  présent  du  subjonctif  la  lettre  mouillée, 
pour  les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  n  ou  /,  et  le  suffixe  | 

i^i'  pour  ceux  dont  le  thème  est  terminé  par  une  /',  à  quelque  conju- 
gaison que  ces  verbes  puissent  appartenir.  Du  reste  la  svllabe  ge 
peut,  surtout  au  xW  et  à  un  moindre  degré  au  xiir  siècle,  caracté- 
riser le  subjonctif  des  verbes  dont  le  thème  se  termine  par /ou  //. 

^°  L'importance  du  suffixe  ce  comme  caractéristique  du  subjonc- 
tif est  beaucoup  moindre. 


CHAPITRE  m 
L'IMPÉRATIF 


Ce  mode  ne  comprend  encore  qu'un  temps,  et  est  assez  peu 
employé;  par  conséquent,  il  n'a  pas  l'importance  des  autres  modes. 
Bien  plus  nous  n'aurons  guère  à  nous  occuper  pour  les  questions 
qu'il  soulève  que  d'une  seule  personne  :  la  seconde  du  singulier.  Il 
en  résulte  que  nous  n'aurons  que  fort  peu  de  chose  à  dire. 

Nous  aurons  du  reste  à  nous  passer  presque  entièrement  du  témoi- 
gnage pourtant  si  précieux  des  textes  politiques  qui  ne  l'emploient 
pour  ainsi  dire  jamais. 

Une  question  importante  concerne  les  impératifs  de  toutes  les  con- 
jugaisons; elle  se  rapporte  à  ces  impératifs  qui  prennent  la  forme 
du  subjonctif;  nous  traiterons  d'abord  cette  question  générale,  puis 
nous  étudierons  successivement  les  modifications  qui  atteignent  les 
impératifs  de  la  première  conjugaison,  puis  celles  que  nous  avons 
pu  observer  dans  les  impératifs  des  trois  autres. 

1.  Impératifs  a  forme  de  subjonctif. 

Il  }■  a  un  grand  nombre  de  verbes  qui  à  l'impératii  prennent  la 
forme  du  subjonctif;  pour  certains  d'entre  eux  cette  forme  est  la 
seule  régulière  et  même  la  seule  connue  :  en  anglo-français,  comme 
sur  le  continent,  ces  verbes  sont  au  nombre  de  quatre  :  avoir,  être, 
savoir  et  vouloir.  Nous  n'avons  rien  trouvé  de  remarquable  dans  la 
forme  de  l'impératif  de  ces  verbes  en  anglo-français.  Pour  avoir,  les 
exemples,  depuis  le  Cumpoz  jusqu'au  poème  du  Prince  Noir,  sont 
extrêmement  nombreux  et  les  seules  variations  que  nous  pourrions 


7,62  I.KVOLUTION    DU    VEKBH    KN    ANGLO-FRANÇAIS 

étudier  sont  celles  qui  artectent  le  radical,  variations  que  nous  avons 
eu  l'occasion  de  signaler  quand  nous  avons  parlé  du  subjonctif  de 
ce  verbe;  elles  relèvent  plutôt  de  la  phonétique  que  de  la  morpho- 
logie. Il  en  va  de  même  pour  les  trois  autres;  la  diphtongue  de 
I  impératit  du  verbe  être,  la  consonne  de  celui  de  savoir  subissent 
les  mêmes  changements  qu'au  subjonctif;  les  exemples  que  le  verbe 
vouloir  nous  fournit  pour  ce  temps  sont  assez  rares;  nous  n'en 
avons  relevé  aucun  pour  pouvoir. 

Deux  formes  cependant  peuvent  retenir  quelque  peu  notre  atten- 
tion :  d'abord  le  sace  du  Psautier  d'Oxford  (138,  22)  et  des  Quatre 
Livres  des  Rois  (III,  2,  37),  et  la  forme  voyle  qui  est  assez  com- 
mune; nous  l'avons  rencontrée  pour  la  première  fois  au  vers  1850 
du  Saint  Edmund  et  elle  devient  la  forme  ordinaire  de  cet  impératif 
auxiV^  siècle.  Dans  ces  deux  exemples  1'.?  flexionnelle  a  disparu,  soit 
naturellement  comme  pour  un  certain  nombre  de  secondes  per- 
sonnes du  singulier  à  terminaison  féminine,  — nous  avons  cité,  dans 
notre  étude  des  désinences  personnelles,  de  nombreux  exemples  de 
ce  phénomène,  —  soit,  ce  qui  nous  paraît  plus  vraisemblable,  sous 
l'influence  des  nombreux  impératifs  terminés  par  e. 

La  seconde  classe  d'impératifs  à  forme  de  subjonctif  comprend 
seulement  des  secondes  personnes  du  singulier.  Elles  sont  terminées 
par  es. 

Nous  trouvons  dans  cette  classe  des  verbes  de  la  première  ainsi 
que  des  verbes  de  l'une  des  trois  dernières  conjugaisons.  Pour  la 
première  conjugaison,  nous  avons  relevé  de  nombreux  exemples 
dans  les  trois  Psautiers,  citons-en  quelques-uns  :  dans  le  Psautier 
d'Oxford  :  rebutes  (43,  25);  dans  celui  de  Cambridge  :  argues,  chasties 
(6,  i)  ;  déclines  (26,  10)  ;  deleisses  (26,  11);  dejeles  (50,  12)  ;  esvuides 
(140,  8)  ; //tvw  (26,  14);  recordes  (78,  8);  remenbres  Çi^,  6)  et 
peut-être  quelques  autres  encore  (cf.  Gotthold  Willenberg,  Histo- 
rische  Untersuchung  ûber  den  Conjunctiv  Praesentis  der  ersten 
schwachen  Conjugation  im  Franzôsischen,  dans  les  Romanische 
Studien  III,  p.  589).  Dans  le  Psautier  d'Arundel  nous  avons 
relevé  :  desturnes  (26,  14);  déclines  (26,  14);  livres  Çij,  3);  chasties 
(37,  i);  enloinnes  (50,  12).  Aucun  autre  écrivain  de  ce  siècle  et 
même  des  siècles  suivants  ne  nous  a  présenté  un  nombre  d'exemples 
de  cette  forme  pour  les  verbes  de  I  qui  se  rapproche  de  celui  que 
nous  trouvons  dans  les  Psautiers  et  nous  en  donnerons  tout  à  l'heure 


l/li\lPÉRATIF  363 

une  raison  évidente.  Au  vers  117  du  Drame  d'Adam,  nous  twu- 
xons  Jeinanclcs  \  dans  la  Vie  de  Saint  Edmund,  au  vers  2921,  nous 
avons  h'i.\ses\  dans  les  Heures  de  la  Vierge,  nous  avons  relevé  au 
tblio  69  r"  remembres  ;  trois  autres  exemples  se  trouvent  dans  la  Vie 
de  Sainte  Marguerite  :  gardes  au  vers  333,  demonstres  au  vers  333, 
donesTmwQYs  553.  Enfin,  et  pour  en  finir  avec  cette  énumération, 
0rdes  se  lit  encore  dans  les  Distiques  de  Caton  de  l'Anonyme  du 
XIII'  siècle  au  vers  253. 

Si  nous  considérons  seulement  les  premiers  exemples  de  cette 
forme,  nous  comprenons  aisément  son  origine  ;  tous  les  exemples 
des  Psautiers  se  lisent  dans  des  phrases  négatives  et  traduisent  en 
français  le  «  ne  »  avec  la  deuxième  personne  du  subjonctif  du  latin  : 
Domine...  ne  arguas  me,  neque...  corripias  me;  ne  avertas 
faciem...  ne  déclines... 

Et  cet  emploi  de  la  forme  du  subjonctif  a  été  longtemps  limité 
aux  propositions  négatives  ;  et  c'est  ce  que  nous  pouvons  remarquer 
pour  les  exemples  du  Saint  Edmund,  des  Heures  de  la  Vierge, 
que  nous  avons  cités.  Quant  à  ceux  que  nous  avons  rencontrés  dans 
les  Distiques  anonymes  et  dans  la  Vie  de  Sainte  Marguerite,  ils  se 
trouvent  tous  les  quatre  dans  des  phrases  affirmatives.  Néanmoins, 
on  voit  que  l'influence  du  tour  latin  a  été  la  cause  de  la  forme  fran- 
çaise et  elle  devait  être  plus  forte  sur  les  traducteurs  que  sur  les 
autres  écrivains.  C'est  donc  plutôt  une  particularité  syntactique 
qu'un  phénomène  morphologique. 

Pour  les  verbes  de  II,  III  et  de  IV  les  exemples  sont  beaucoup 
moins  nombreux  et  moins  frappants.  Le  premier  que  nous  ayons 
rencontré  se  lit  dans  le  Bestiaire  au  vers  961  :  oies;  mais  cet  exemple 
nous  semble  très  douteux  : 

Maisoz  tu,  om  de  Dé, 
Entent  auctorité 
E  oies  Escripture. 

Nous  croyons  qu'il  faut  ici  lire  oiei  ;  ce  mélange  des  personnes 
du  singulier  et  du  pluriel  n'a  rien  d'extraordinaire,  surtout  en 
anglo-français  (cf.  Gaston  Paris,  Saint  Alexis,  p.  189,  67). 

Dans  les  Psautiers,  nous  trouvons  un  assez  grand  nombre 
d'exemples  bien  assurés  :  dans  le  Psautier  d'Oxford  :  veies  (î 2j ,  6  et 


^64  l.'lkvOLrTlON    DL'    VEKBK    liN    ANGLO-hRANÇAIS 

7)  ;  dans  le  Psautier  de  Cambridge  :  rcpunes  (26,  10)  ;  déguerpisses 
(26,  II);  dans  celui  d'Arundel  :  taises  (27,  i)  ;  départes  (34,  24)  ; 
iviist rennes  (37,  i).  Everart  de  Kirkham,  dans  ses  Distiques  de 
Caton,  emploie,  au  vers  38  a,  yt^/w  que  nous  retrouvons  encore  dans 
le  poème  de  Saint  Julien  au  folio68  t\ 

Tous  les  exemples  précédents  se  rencontrent  dans  des  phrases 
négatives,  excepté  évidemment  l'exemple  douteux  du  Bestiaire  que 
nous  avons  cite.  Et  ces  impératifs  négatifs  correspondent  à  des  sub- 
jonctifs avec  m' dans  le  texte  latin  des  Psaumes  :  ne  sileas;  ne  disce- 
das  ;  ne  arguas. 

Les  exemples  que  nous  fournissent  les  trois  dernières  conjugai- 
sons, pour  une  raison  ou  pour  une  autre  ne  sont  pas  à  beaucoup 
près  aussi  nombreux  que  ceux  que  nous  ont  donnés  les  verbes  de 
la  première  conjugaison  ;  mais  ils  sont  tous  réguliers  en  tant  que  tous 
se  trouvent  dans  des  phrases  négatives. 

La  troisième  classe  des  impératifs  qui  présentent  la  forme  d'un 
subjonctif  comprend  ces  verbes  qui  présentent  dans  leur  radical  les 
phonèmes  caractéristiques  du  second  de  ces  modes.  Nous  n'en  parle- 
rons pas  ici  :  leur  place  est  évidemment  avec  les  impératifs  qui 
adoptent  un  radical  appartenant  à  un  autre  mode. 

Nous  n'avons  plus  qu'à  dire  quelques  mots  de  certaines  formes 
de  l'impératif  dans  les  différentes  conjugaisons. 

A.  Première  conjugaison. 

Pour  rimpératifde  la  première  conjugaison,  nous  aurons  à  étu- 
dier trois  questions  :  les  impératifs  en  a;  la  chute  de  la  muette  à 
l'impératif;  enhn  la  chute  de  l'atone  avec  addition  d'une  s. 

I .   Impératifs  en  a. 

Le  verbe  aller  forme  la  deuxième  personne  du  singulier  de  son 
impératif  régulièrement  en  a  :  cette  forme  se  conserve  longtemps 
sans  modification  :  va  se  trouve  à  peu  près  dans  chaque  auteur  du 
xii^  siècle.  On  trouve  cependant  concurremment  et  à  la  même  époque 
une  autre  forme  moins  employée  mais  qui  persiste  à  côté  de  l'autre  : 
■vai.  On  la  rencontre  pour  la  première  fois  en  anglo-français  dans  le 
ms.  A  de  l'Alexis  (11  b)  ;  puis  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II, 


I.'iMPÉRATir  ^65 

2,  i);  on  la  retrouve  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (vers  1404); 
dans  le  Saint  Laurent  (vers  580).  Cette  forme  semble  disparaître  au 
commencement  du  xiii^  siècle  ;  l'exemple  du  Saint  Laurent  est  le 
dernier  que  nous  ayons  rencontré.  Avant  sa  disparition,  il  arrive 
que  cette  forme  se  modifie  encore;  la  diphtongue  a/ subit  une  réduc- 
tion et  devient  e  dans  ve  des  Dialogues  Saint  Grégoire  (126  r°  a). 
A  part  ces  exemples,  peu  nombreux,  mais  qui  nous  semblent  sûrs 
quoiqu'ils  ne  se  trouvent  jamais  à  la  rime,  c'est  l'û  qui  est  toujours 
régulièrement  employé. 

Un  autre  verbe  présente  un  impératif  en  //  :  le  verbe  ester  ;  cet 
impératif  n'est  pas  très  fréquent,  mais  esta  est  la  seule  forme  que 
nous  ayons  relevée.  On  la  trouve  au  vers  69  des  Distiques  de  Caton 
d'Elie  de  Winchester;  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  2.  i); 
elle  rime  avec  saka  au  vers  606  du  Donnei  ;  on  la  rencontre  encore 
rimant  avec  ça  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  au  vers  652  et  au  vers 
1320  de  Saint  Auban.  Ce  verbe  devient  de  plus  en  plus  rare  aux 
XIII''  et  xiv^  siècles,  et  son  impératif  ne  se  retrouve  plus,  à  notre 
connaissance,  en  anglo-français  après  Frère  Angier. 

Le  composé  d'ester  :  arester,  a  un  impératif  de  cette  forme, 
comme  dans  l'exemple  que  nous  avons  cité  de  la  Vie  de  Saint  Gré- 
goire ;  mais  cette  forme  est  très  rare  et  arester  comme  rester  suit 
l'exemple  des  autres  verbes  de  la  première  conjugaison  et  forme  son 
impératif  en  c. 

Il  ne  faut  pas  ranger  dans  la  même  classe  que  les  exemples  précé- 
dents certains  impératifs  que  l'on  rencontre  dans  le  Psautier  de 
Cambridge  :  snfîae,  25,  2  (B  -e);  giiardas,  36,  37  (B  -e);  ae  n'est  ici 
qu'une  graphie  de  la  muette,  assez  rare,  mais  qui  n'est  pas  inconnue 
{d.  supra). 

2.  Chute  de  la  voyelle  atone. 

Tous  les  impératifs  de  I,  exceptéceux  que  nous  venons  de  citer,  ont 
régulièrement  l' comme  désinence  de  la  seconde  personne  du  singu- 
ier,  provenant  de  la  terminaison  latine  a.  La  forme  étymologique 
■  st  de  beaucoup  la  plus  commune  en  anglo-français;  mais  il  faut 
(^évidemment  s'attendre  à  rencontrer  quelques  irrégularités  :  nous  en 
trouvons  de  deux  sortes  :  la  première  consiste  dans  la  chute  de  Ve 
étymologique  ;  la  seconde  dans  l'addition  d'une  .v. 


^66  i.'knoluiiox   du  \  krhl'.  i-;n   anclo-iuançais 

La  chutt  de  la  von'cUc  de  la  désinence  '  se  rencontre  assez  tôt  : 
les  Psautiers  sont  les  preniiei's  ouvrages  qui  la  montrent;  les  per- 
sonnes sans  e  sont  cependant,  même  dans  ces  ouvrages,  une  petite 
minorité.  Quoique  les  proportions  ne  signifient  généralement. pas 
grand'chose  lorsqu'on  les  prend  sur  un  nombre  restreint  d'exemples, 
nous  pouvons  citer  celles  des  personnes  sans  e  dans  les  Psautiers 
d'Oxford  et  de  Cambridge.  Dans  le  premier,  la  proportion  est  un 
peu  plus  forte  que  1/150;  dans  le  second  elle  est  de  2150;  sans 
vouloir  tirer  de  ces  chiffres  des  conclusions  trop  précises,  on  peut 
dire  que  le  nombre  des  personnes  irrégulières  est  infime;  voici  les 
quelques  exemples  que  nous  fournissent  les  Psautiers  :  celui  d'Ox- 
ford a  dun  ([x,  4);  essai  (25,  25)  ;  dans  celui  de  Cambridge,  nous 
trouvons  aûr  (44,  i);  guard  (16,  8)  ;  dans  celui  d'Arundel  :  resgtiard 
(12,  2);deliur  {2j\,  3),  (cf.  Subjonctif  en  em^;  apel  (49,  16).  Le  fait 
que  nous  ne  pouvons  faire  la  part  des  copistes  et  celle  des  traducteurs 
originaux,  dans  ces  trois  ouvrages,  nous  empêche  de  nous  rendre 
un  compte  exact  des  habitudes  des  scribes  eux-mêmes.  Il  est  pos- 
sible que  s'ils  n'avaient  pas  eu  de  modèle  et  qu'ils  eussent  été  livrés 
à  eux-mêmes  le  nombre  de  formes  sans  atone  aurait  été  encore 
plus  considérable. 

La  plupart  des  autres  auteurs  de  ce  même  siècle  nous  en  oftVent 
des  exemples,  ce  qui  nous  prouve  bien  que  la  langue  tendait  natu- 
rellement à  supprimer  la  muette  et  que  les  formes  écourtées  ne  sont 
pas  le  résultat  de  l'ignorance  ou  de  la  fantaisie  d'un  individu.  L'Es- 
torie  des  Engleis  nous  en  donne  un  exemple,  douteux,  car  il  se 
trouve  devant  un  mot  commençant  par  une  voyelle  :  rcturn  (arere) 
au  vers  4707  ;  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine,  de  Sœur  Clémence 
de  Barking,  nous  rencontrons  un  cas  de  chute  de  la  muette  assuré  : 
guard  au  vers  2563  : 

Guard  Its,  Sire,  d'aversitez  ; 

et  au  vers  2083  un  autre  exemple,  douteux  celui-là,  car  il  se  trouve 
encore  devant  une  voyelle  :  acravenL 

De  la  même  façon,   nous  trouvons  dans  les  Légendes  de  Marie 


I.   Pour  la  chute  de  Ve  atone,  on  peut  voir  Suchier.  Zeitschrift,  I,  p.  )69;Ueber 
die ,  p.  ^4  :  Zeitschrift.  IT,  p.  48 s. 


L'iMFÉRATJr  367 

d'Adgar  deux  cas  certains  de  la  chute  de  Vc  atone  tinal  :  esmai  (XIII, 
81);  ww  (XXII,  125): 

Regard  amunt,  ne  t"esmai  rien  : 
Vou  dune  tost  a  seinte  Marie  ; 

et  quatre  autres  douteux,  parce  qu'ils  se  trouvent  aussi  devant  des 
mots  commençant  par  des  voyelles  :  regard  (XIII,  81);  apel  (IX, 
99)  ;  îiefQiVll,  481  ;  XXXII,  119). 

Nous  avons  cité  ainsi  même  les  cas  douteux,  parce  qu'il  est  fort 
possible  qu'ils  appartiennent  aux  auteurs  (cf.  gard  de  la  Vie  de 
Sainte  Catherine  et  du  Psautier  de  Cambridge,  apel  du  Psautier 
d'Arundel). 

Dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  nous  avons  relevé /W  (IV,  9,  26); 
dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  nous  rencontrons  une  rime  qui  nous 
montre  d'une  façon  assurée  cette  chute  de  la  muette  :  tart  (:  part)  au 
vers  1 20 1 . 

Il  ne  semble  pas  très  facile  de  classifier  les  exemples  ci-dessus  ;  si 
nous  ne  tenons  compte  que  des  formes  qui  sont  sûres,  nous  trou- 
vons que  des  douze  verbes  qui  perdent  à  l'impératif  leur  muette  éty- 
mologique, trois  sont  des  verbes  à  thème  vocaliquc  Cessai,  esmai, 
voiî),  cinq  sont  terminés  par  une  dentale  appuyée  Çguard,  3  fois, 
jet,  tart),  quatre  par  une  consonne  simple  ou  double  ou  appuyée 
(aiir,  diiii,  apel ,  delinr).  De  cette  diversité,  il  n'est  pas  aisé  de  con- 
clure quelque  chose  ;  nous  ne  croyons  cependant  pas  que  dans  tous 
ces  cas  la  chute  de  la  muette  puisse  s'expliquer  de  la  même  façon; 
pour  les  verbes  à  thème  vocalique,  nous  voyons  dans  la  chute  de  Vf 
soit  un  simple  phénomène  d'analogie  (comparer  aux  deux  premiers 
vei,  au  troisième  l'impératif  des  nombreux  verbes  en  oudre)  ; 
soit  le  même  fait  qu'à  la  première  personne  de  l'imparfait  et  du 
conditionnel  ;  mais  la  date  de  ces  exemples  rend  douteuse  la  seconde 
explication.  Pour  les  thèmes  consonantiques,  il  nous  semble  que  la 
chute  de  la  voyelle  muette  est  un  phénomène  purement  phonique 
et  qu'il  y  a  eu,  dans  l'esprit  des  écrivains  anglo-français,  confusion 
entre  Ve  épithétique  qu'ils  employaient  fréquemment  à  cette  époque 
déjà  et  l'é?  étymologique  (voir  notre  seconde  partie,  chapitre  I). 

Aux  siècles  suivants,  il  est  évident  que  ce  sont  surtout  les  thèmes 
à  dentale  qui  sont  les  plus  affectés,  car  ils  se  trouvent  fréquemment 
sans  Vc  flexionnel  à  l'impératif.  Frère  Angier  emploie  par  exemple 


^68  l'hvolutkix   or   \  i:kbi£  i:\'   angi.o-i-kançais 

dans  les  Dialogues  dcnuiiic  au  iolio  91  i"' a;  ^arl  au  tolio  49  i'"  b  et 
dans  un  nombre  considérable  d'autres  cas;  cette  même  forme  se 
lit  encore  dans  Robert  de  Gretham  (27  v");  à  la  rime  avec  Aedward 
au  vers  7)éd'EdNvard  le  Confesseur  et  elle  est  répétée  dans  le  même 
poème  aux  vers  754  et  799;  dans  Saint  Auban,  on  la  retrouve  avec 
une  nouvelle  modification,  <riir  (vers  956)  qui  montre  la  chute  delà 
dentale  du  thème. 

Comme  on  le  voit,  car  l'impératif  de  garder  n'est  pas  extrême- 
ment employé,  ces  formes  où  la  chute  de  Vc  est  assurée  sont  tort 
nombreuses.  Aucun  autre  verbe  ne  montre  la  même  régularité  dans 
l'irrégularité. 

On  relève  encore  d'autres  thèmes  à  dentale;  par  exemple  on 
trouve  assez  communément  ^d  dans  Robert  de  Gretham  (80  v")  ;  et 
confort  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  138,  4):  mais  ces  formes  sont 
sporadiques. 

Les  autres  thèmes  se  rencontrent  plus  rarement  sans  Ve  étymolo- 
gique ;  parmi  les  thèmes  consonantiques,  on  peut  citer  :  aiir  que 
nous  avons  déjà  rencontré  au  xW  siècle  et  qui  dans  Saint  Auban 
(vers  584)  rime  avec  honur;  pens  dans  le  même  poème  (au  vers 
563);  et  ces  exemples  isolés  ne  sauraient  être  d'un  grand  poids. 

Quant  aux  verbes  à  thème  vocalique,  nous  n'avons  relevé  que 
peu  d'exemples  de  la  chute  de  la  désinence.  Pour  l'un  d'entre  eux 
cependant  cette  chute  semble  régulière  ;  envoyer  fitit  presque  tou- 
jours envei  à  la  deuxième  personne  du  singulier  de  l'impératif  :  nous 
avons  deux  exemples  attestés  par  la  mesure  dans  Robert  de  Gre- 
tham (23  v°,  68  r°)  et  cette  forme  se  retrouve  par  la  suite  dans  un 
nombre  de  fois  assez  considérable,  par  exemple  dans  Pierre  de  Lang- 
toft et  dans  Nicole  13ozon  ;  mais  aucune  des  formes  qu'on  trouve 
dans  ces  deux  auteurs  ne  semble  assurée.  On  pourrait  certainement 
rapprocher  envei  de  la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  de 
l'indicatif  enveit,  et  attribuer  la  même  origine  à  ces  deux  formes. 
Le  verbe  voir,  s'il  a,  comme  nous  l'admettions,  amené  par  l'action 
de  sa  troisième  personne  veil  la  forme  enveit,  a  pu  par  son  impératif 
vei  occasionner  envei. 

3.  Chute  de  la  muette  et  addition  d'une  s. 

11  était  à  peine  utile  de  faire  un  paragraphe  spécial  pour  ce  phéno- 
mène qui  ne  nous  est  assuré  que  par  un  seul  exemple  :  sacrefis  qu'on 


l'impératif  369 

trouve  rimant  avec  dis  au  vers  177  de  la  Vie  de  Saint  Laurent  ; 
nous  ne  voyons  pas  du  tout  l'origine  d'une  telle  forme  et  nous  ne 
pouvons  y  voir  qu'un  barbarisme  qui  a  été  causé  par  les  nécessités 
de  la  rime . 

Avant  d'abandonner  les  impératifs  des  verbes  de  I,  disons  un  mot 
de  celui  d'un  verbe  qui  se  trouve  à  cheval, sur  la  première  et  la  qua- 
trième conjugaison  :  le  verbe  laisser.  Nous  remarquerons  d'abord 
que  ce  verbe  ne  se  présente  jamais  à  ce  temps,  du  moins  à  notre 
connaissance,  avec  un  e  rnuet  :  toutes  les  formes  de  son  impératif 
sont  monosyllabiques. 

La  forme  la  plus  ancienne  que  nous  lui  connaissions  est  lai  qui 
ne  peut  provenir  que  de  l'hypothétique  laire;  on  trouve  cette  forme 
dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  au  vers  193  du  manuscrit  de 
Londres  et  au  vers  138  du  manuscrit  de  l'Arsenal  :  cette  forme  est 
donc  bien  établie  pour  les  premières  années  de  la  littérature  anglo- 
française.  On  la  retrouve  aussi  dans  le  manuscrit  A  du  Saint  Alexis 
(74  c)  ;  au  vers  284  du  Saint  Gilles. 

Mais  à  cette  dernière  époque,  cette  forme  a  dû  commencer  à  être 
quelque  peu  archaïque,  car  à  partir  de  1160  c'est  la  forme  lais  que 
nous  rencontrons  à  peu  près  partout,  comme  dans  les  Légendes  de 
Marie  (VIII,  213);  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  14,  19); 
au  vers  339  de  la  Vie  de  Saint  Gilles;  au  vers  641  du  Donnei. 
Evidemment,  la  diphtongue  ai  fait  place  à  la  diphtongue  ei  (rare- 
ment) surtout  à  la  voyelle  e.  Cette  forme  lais  avec  s  et  sans  c  muet 
ne  peut  provenir  que  du  verbe  laisser  après  la  chute  de  la  voyelle 
étymologique. 

B.  Impératif  des  11%  III''  et  IV^  conjugaisons. 

Nous  avons  déjà  étudié  un  des  phénomènes  les  plus  importants 
que  nous  ayons  à  signaler,  lorsque  nous  avons  énuméré  les  formes 
qui  nous  montrent  l'action  du  subjonctif  sur  la  désinence  de  l'im- 
pératif, spécialement  dans  les  phrases  négatives.  Cependant,  il  y  a 
d'autres  points  que  nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  mentionner;  les 
irrégularités  qui  se  relèvent  à  ce  temps,  et  particulièrement  à  la 
seconde  personne  du  singulier  sont  relativement  nombreuses  et  nous 
pouvons  les  classer  sous  quatre  chefs  : 

I .  La  dentale  ; 

24 


370  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EK    ANGLO-ERANÇAIS 

2.  Lcr; 

4.    LV. 

I .   La  dentale. 

(i)  Consonnes  paragogiques. 

La  dentale  paragogique  de  l'iniinitif  n'apparaît  pas  à  l'impératif; 
les  exemples  ne  sont  pas  extrêmement  nombreux,  mais  on  peut  citer 
/()/ qui  se  lit  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (38,  12,  etc.);  dejrcin 
(ibid.,  37,  6);  peis  (ibid.,27,  ^0)5  ciiustrein,  /'é-p///;  (dereponere),  et 
plusieurs  autres.  Nous  pouvons  ajouter  rt^/m  de  raembre;  ces  formes 
se  conservent  très  exactement,  autant  que  le  petit  nombre  d'exemples 
nous  permet  d'en  juger. 

IJ)  Chute  de  la  dentale  étymologique. 

Les  verbes  dont  le  thème  est  régulièrement  terminé  par  une  den- 
tale perdent  très  souvent  cette  dentale  à  l'impératif  (cf.  Meyer- 
Lûbkc,  II,  151).  Il  est  possible  que  la  chute  de  la  dentale  soit  un 
phénomène  analogue  à  ceux  dont  nous  avons  déjà  parlé  à  propos  de 
la  troisième  personne  du  singulier  ;  plus  vraisemblablement,  étant 
donné  la  date  à  laquelle  nous  l'observons  ici,  ces  verbes  ont  subi 
l'influence  des  verbes  à  dentale  paragogique  dont  nous  venons  de 
parler.  Cette  chute  de  la  dentale  à  l'impératif  peut  remonter  en  eff"et 
au  xii"  siècle  quoique  les  exemples  que  nous  rencontrons  à  cette 
époque  soient  assez  peu  nombreux;  dans  les  Psautiers'  nous  ne 
relevons  que /)/'f;/  qui  devient  désormais  la  forme  régulière,  et  qu'on 
retrouve  partout  par  la  suite.  Auxiii^  siècle,  cette  irrégularité  se  géné- 
ralise quelque  peu,  et  les  exemples  deviennent  plus  nombreux  ; 
malheureusement  pour  cette  chute  de  la  dentale  étymologique  nous 
n'avons  relevé  qu'un  tout  petit  nombre  d'exemples  employés  à  la 
rime. 

Les  Dialogues  Grégoire  le  Grand  cependant  nous  en  oflrcnt  deux  : 
rcspon  (:  raison)au  folio  38  v°  bet  dcfen  (:  t'en)  au  folio  147  v°a.  Par 
conséquent,  même  si  on  ne  tient  pas  grand  compte  des  exemples 
isolés  des  Psautiers,  la  dentale  étymologique  a  commencé  à  dispa- 
raître au  plus  tard  au  commencement  du  xiii''  siècle. 

I.  Oxford,  34,  2  ;  Cambridge,  34,  2  ;  ^4,  3. 


L  IMPÉRATIF  371 

Par  la  suite  nous  relevons  des  exemples  assez  nombreux;  mais 
aucun  n'est  à  la  rime,  ce  qui  leur  enlève  beaucoup  de  leur  valeur. 
Citons  :  enten  au  vers  650  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  et  dans 
Saint  Auban  au  vers  417  ;  ren  dans  les  Dialogues  au  folio  147  v°  a; 
pren  au  vers  67  du  Saint  Laurent,  etc. 

Le  xiv^  siècle  pourrait  nous  offrir  encore  un  certain  nombre 
d'exemples  analogues,  qu'il  est  assez  peu  utile  de  citer,  d'autant  plus 
que  nous  ne  pouvons  pas  le  plus  souvent  affirmer  qu'ils  appar- 
tiennent au  xiv^  siècle. 

2 .  Lq  c. 

Pendant  le  xii^  siècle  et  le  commencement  du  xiii^  surtout,  mais 
aussi  plus  tard,  il  n'est  pas  rare  de  voir  le  0^  ou  le  c  qui  s'ajoute 
comme  nous  l'avons  vu  à  la  première  personne  du  singulier  du  pré- 
sent de  l'indicatif,  passer  à  la  deuxième  personne  du  singulier  de 
l'impératif.  Nous  avons  eu  à  déterminer  quels  sont  les  thèmes  ver- 
baux qui  à  l'indicatif  prennent  cette  lettre;  à  l'impératif  comme  à 
l'autre  temps,  ce  sont  les  thèmes  en  n  qui  se  rencontrent  le  plus 
souvent  avec  la  palatale.  Par  exemple  iienc  ou  tieng  est  commun  : 
nous  trouvons  cette  forme  dans  le  Psautier  d'Oxford  (26,  20);  plu- 
sieurs fois  dans  les  Dialogues  Grégoire  le  Grand  (aux  folios  100  v° 
a;  105  r°b);  au  vers  456  du  Saint  Auban.  Prendre  est  encore  plus 
commun  sous  cette  forme;  citons  le  vers  3094  de  la  Vie  de  Saint 
Gilles,  les  folios  23  r°,  89  v°,  113  v"  des  Evangiles  des  Dompnées; 
dans  l'Apocalypse,  version  3>  le  vers  527,  etc.,  etc. 

D'autres  verbes  se  rencontrent,  quoique  moins  fréquemment  et 
moins  régulièrement;  nous  relevons  par  exemple  dans  les  Dialogues 
Grégoire  le  Grand,  où  de  telles  formes  ne  sont  pas  rares,  assène  au 
folio  80  v°  a,  demanc  au  folio  91  r°  a. 

3.  Us. 

Vs  n'est  régulière  à  la  deuxième  personne  de  l'impératif  que  pour 
un  certain  nombre  de  verbes,  les  verbes  en  sco,  et  en  particulier  les 
inchoatifs;  ce  sont  par  conséquent  les  mêmes  verbes  qui  prennent 
s  à  la  première  personne  du  singulier  et  si  à  la  troisième  du  présent 
de  l'indicatif.  Les  exemples  que  nous  fournissent  les  verbes  en  sco 
ne  sont  pas  extrêmement  nombreux  ;  ils  sont  tous  parfaitement 
réguliers. 


1. 


î-''  L'ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-IRANÇAIS 


L'anglo-français  a  marqué  une  certaine  hésitation  en  ce  qui  con- 
cerne les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  palatale;  et 
nous  pouvons  rappeler  ici  ce  que  nous  avons  eu  l'occasion  de  dire 
pour  cette  même  classe  de  verbes  à  la  première  et  à  la  troisième 
personne  du  singulier.  Ce  que  nous  montre  l'impératif  ne  peut  que 
confirmer  les  observations  que  nous  avait  suggérées  le  présent  de 
l'indicatif. 

En  un  mot,  certains  verbes  à  palatale  prennent  quelquefois  s  à 
la  seconde  personne  du  singulier;  le  plus  grand  nombre  ne  la  prend 
jamais. 

Nous  pouvons  commencer  la  rapide  revue  que  nous  allons  faire 
de  ces  verbes  par  bénir  qui  est  un  peu  dans  une  situation  à  part.  L'^ 
qu'il  présente  souvent  à  l'impératif  a  pu  sembler  aux  auteurs  anglo- 
français  faire  partie  intégrante  de  son  thème. 

Comme  l'ajustement  fait  remarquer  M.  Koschwitz,  les  différentes 
formes  qu'on  peut  relever  doivent  être  rapportées  à  un  double  infi- 
nitif :  benedir  et  benedistre.  L'impératif  correspondant  à  la  seconde 
forme  de  l'infinitif  est  hencdi,  analogue  au  simple  di;  celui  de  la  pre- 
mière est  beneis  et  est  la  forme  la  plus  commune;  on  la  trouve  par 
exemple  dans  le  Psautier  d'Oxford  (27,  12);  dans  le  Psautier  de 
Cambridge  (64,  11). 

Pour  tous  les  autres  verbes  à  gutturale,  Vs  n'est  pas  régulièrement 
employée.  Il  y  a  toutefois  quelques  impératifs  d'où  elle  est  rare- 
ment absente,  par  exemple  celui  du  verbe  taire;  la  forme  te,  quoique 
étymologique,  est  isolée  ;  nous  ne  l'avons  trouvée  qu'à  la  fin  du 
xiv^  siècle,  dans  Nicolas  Trivet  (70  r")  ;  elle  est  cependant  aussi 
correcte  que /a/ de  faire,  di  de  dire,  siii  de  suivre  (Brandan,  1599; 
sieu,  Quatre  Livres  des  Rois,  IV,  9,  8;  Psautier  d'Oxford,  33,  i4,etc). 
Malheureusement,  les  formes  que  nous  donne  Nicolas  Trivet  n'ont 
pas  grande  valeur  ;  nous  dirons  même  que  la  forme  en  apparence 
étymologique  te  que  nous  avons  citée  nous  semble  n'être  qu'un  suc- 
cédané de  la  forme  incorrecte,  mais  ordinaire,  tais  :  cette  dernière  se 
rencontre  fréquemment,  par  exemple  dans  les  Distiques  de  Caton 
d'Elie  de  Winchester  (au  vers  170);  dans  Adgar  (VIII,  206);  dans 
Saint  Gilles  (2775);  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  13,  20); 
dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (:  frais)  (106  r°  a);  dans  la  Vie 
Saint  Grégoire,  taes  (:  Moyses)(22éo);  tes  dans  Foulques  Fitz  Warin 
(31).  Et  la  date  très  tardive  de  te  ne  saurait  nous  laisser  la  moindre 
illusion. 


L  IMPERATIF  373 

Il  en  est  exactement  de  même  de  gis  =  jace  ;  la  forme  sans  s  serait 
seule  ét3^mologique  et  elle  n'existe  pas,  tandis  que  l'on  peut  trouver 
quelques  exemples  de  l'autre  quoique  assez  rarement,  comme  dans 
Robert  de  Gretham  (112  r°). 

Du  reste  tous  les  autres  verbes  qui  ont  leur  thème  terminé  par 
une  palatale  ont  une  certaine  tendance  à  prendre  une  s  à  la 
deuxième  personne  du  singulier  de  l'impératif  :  même  dire  et  faire, 
dont  on  trouve  tant  d'exemples  avec  la  forme  asigmatique  J/  et/a/', 
se  rencontrent  parfois  sous  la  forme  avec  s  :  dis  se  trouve  dans  la  Folie 
Tristan  (297);  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  20,  6)  ;  et  peut- 
être  ailleurs.  On  trouve /rt:^  dans  le  Drame  d'Adam  (au  vers  311); 
dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  66,  19);  mais  ces  deux  formes  sont 
beaucoup  moins  communes  que  les  formes  sans  s. 

On  trouve  aussi  à  citer  un  certain  nombre  de  verbes  dont  les 
thèmes  sont  terminés  par  une  autre  lettre  qu'une  palatale,  avec  un 
s  à  la  deuxième  personne  du  singulier  de  l'impératif. 

C'est  donc  une  irrégularité  du  même  genre,  quoique  moins  facile- 
ment explicable,  que  l'on  trouve  dans  o:^.  Bestiaire  (935  et  960); 
suceurs.  Psautier  d'Oxford  (G,  20)  ;  dcsfens.  Vie  de  Sainte  Margue- 
rite (78)  ;  t'j-c/7:^dans  l'Apocalypse  (3  et  7,  75)  (on  trouve  aussi  dans 
le  même  ouvrage  escri,  x,  123,  escrif,^,  70). 

Toutes  les  formes  précédentes  sont  du  reste  sporadiqueset  n'ont 
certainement  pas  l'importance  de  tais,  gis,  dis  et  fas. 

4.  IJe. 

Un  certain  nombre  de  verbes  à  thème  vocalique  ou  consonan- 
tique  prennent  à  la  deuxième  personne  du  singulier  de  leur  impé- 
ratif un  e  que  rien  ne  justifie. 

Ici  encore  nous  pouvons  rappeler  les  faits  que  nous  avons  signa- 
lés dans  notre  étude  de  la  première  personne  du  singulier.  Les 
premiers  exemples  de  cet  e  irrégulier  remontent  très  haut,  puisqu'ils 
se  rencontrent  dans  le  Psautier  d'Arundel.  On  y  lit  en  effet  pour 
le  verbe  ouïr:  oie  (19,  10);  exoic  (25,  12);  la  forme  régulière  est  du 

I.  On  trouve  fai,  Bestiaire  2181  ;  Alexis  (A)  54  e;  Psautiers  d'Oxford  3,  6; 
de  Cambridge  3,  7;  d'Arundcl  6,  4;  Adgar  IX,  165  ;  Quatre  Livres  des  Rois  I, 
29,4;  Fa,  Pierre  de  Langtoft  II,  70,  5  ;  II,  138,  17;  II,  202,  6.  Di,  Bestiaire 
853  ;  Psautier  d'Oxford  34,  3  ;  Adgar  VIII,  217  ;  Boevc  57. 


574  L  EVOLUTfOM    DU    VKRBR    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

reste  employée  concurremment  avec  celle-ci,  on  la  trouve  même 
plusieurs  fois  (i6,  i).  Ce  même  phénomène  se  produit  dans  le 
même  ouvrage  pour  plusieurs  verbes  à  dentale  appuyée  comme  perde 
(27,  3)  Ci  rende  (17,  6). 

Aucun  autre  ouvrage  ne  nous  donne  un  nombre  aussi  consi- 
dérable de  formes  présentant  cette  irrégularité.  Cependant  au 
xiv^  siècle  et  peut-être  même  au  xiii%  un  verbe,  le  verbe  dire, 
prend  presque  constamment  un  e  à  cette  personne.  Die  se  trouve 
pour  la  première  fois  dans  le  poème  de  Boeve  de  Haumtone  (au 
vers  2iéi)  ;  si  elle  appartient  au  scribe,  cette  forme  date  du 
xiv^  siècle,  comme  celle  qu'on  peut  relever  au  fol.  65  r°  des  Heures 
de  la  Vierge,  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  242,  2),  et  dans  un  assez 
grand  nombre  d'autres  passages. 

II.  Le  radical  de  l'lmpératif. 

Le  radical  de  l'impératif  a  été  soumis  à  un  certain  nombre  d'in- 
fluences qui  se  sont  exercées  surtout  à  partir  du  commencement  du 
XIII'  siècle.  Ces  influences  proviennent  des  deux  modes  entre 
lesquels  l'impératif  se  trouve  placé  :  l'indicatif  et  le  subjonctif. 

a)  Influence  de  Vindicatif. 

Cette  influence  de  l'indicatif  n'a  pas  pu  être  considérable,  puisque 
la  plupart  des  impératifs  ont  le  même  radical  que  le  présent  de 
l'indicatif  ;  elle  n'a  pu  se  produire  que  pour  les  quelques  verbes, 
que  nous  avons  déjà  énumérées,  qui  empruntent  leur  forme  au  sub- 
jonctif. 

La  seule  forme  qui  nous  montre  cette  influence  c'est  l'impé- 
ratif save:(_,  sorte  d'à^aç  qu'on  lit  au  vers  252  du  Josaphat  de 
Chardri. 

b)  Influence  du  subjonctif. 

Les  subjonctifs  en  iam  ont  exercé  une  influence  considérable 
sur  l'impératif,  et  cette  influence,  sans  parler  de  celle  qui  nous  a 
donné  l'impératif  des  cinq  verbes,  avoir,  être,  savoir,  vouloir  et 
pouvoir,  s'est  manifestée  de  deux  manières  :  1°  par  la  mouillure 
de  la  consonne  du  radical  ;  2°  par  l'addition  du  suffixe  ge.  Remar- 
quons que  ces  deux  phénomènes  se  sont    produits  peut-être  dans 


l'impératif  375 

l'ordre  inverse  de  celui  dans  lequel  nous  les  énonçons  ;  mais  le  pre- 
mier a  été  beaucoup  plus  important  que  l'autre. 

Nous  rencontrons  cependant,  dans  les  poèmes  du  xii"  siècle, 
quelques  cas  de  mouillure,  mais  ils  doivent  être  rejetés  jusqu'au 
xiii%  comme  le  cniiveigik'-,  employé  au  vers  1748  du  Tristan  de 
Thomas,  et  le  ;v/"/v/>;/  qu'on  lit  au  vers  309  de  la  \"ie  de  Saint 
Gilles.  Cependant,  à  cause  de  l'importance  de  ce  phénomène, 
à  cause  aussi  des  deux  exemples  que  nous  venons  de  citer  et 
dont  la  date  n'est  pas  assurée,  nous  commencerons  par  la  mouillure 
irrégulière. 

Cependant  nous  ne  relevons  un  nombre  assez  considérable 
d'exemples,  à  l'exception  de  ceux  qui  précèdent,  que  vers  la  fin  du 
xiii^  siècle  au  plus  tôt.  Car  c'est  à  cette  date  que  nous  trouvons  à 
citer  le  souvignc  de  William  de  Waddington,  au  vers  2727  du 
manuscrit  A  du  Manuel  des  Péchés  ;  mais,  même  en  rapportant 
cette  dernière  forme  à  la  fin  du  xiir'  siècle,  c'est  surtout  au  siècle 
suivant  que  les  exemples  d'impératifs  avec  une  consonne  mouillée 
deviennent  communs.  Nous  en  allons  citer  quelques  cas,  en  les 
empruntant  à  trois  verbes  qui  ne  connaissent  pas  à  cette  époque 
d'autre  torme  de  l'impératif.  Prciguc  e.«.t  d'un  emploi  très  fréquent; 
on  le  trouve  par  exemple  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  70,  8);  dans 
le  Poème  du  Prince  Xoir  (auK  vers  loii,  3 240)  et  même  dans  les 
textes  non  littéraires,  comme  les  Rvmer's  Foedera,  les  Literae  Can- 
tuarienses,  et  assez  souvent  dans  les  Year  Books  (ci.  par  exemple  13 
et  14  Edw.  III,  p.  39,  ms.  Y  et  pnssiiii). 

Venir  et  tenir  ne  sont  pas  plus  rares  à  l'impératif  sous  cette 
forme  ;  citons  par  exemple  ritc\g)h\  qui  se  trouve  dans  Pierre  de 
Langtott  (II,  138.  18  et  dans  plusieurs  autres  endroits);  veig}if\, 
répété  plusieurs  fois  dans  le  Prince  Noir  (comme  aux  vers  2162, 
3626). 

C'est  probablement  pendant  le  xiii''  siècle  que  l'adjonction  du  suf- 
fixe gi'  peut  se  remarquer  le  plus  souvent  à  l'impératif.  On  trouve 
cependant  des  exemples  assurés  de  ce  phénomène  même  au  siècle 
précédent,  comme  viciig^  au  vers  2864  de  l'Estorie  des  Engleis  ou 
SNvioige  d3.ns  les  Légendes  de  Marie  d'Adgar  (XXVIII,  177)  ;  dans 
ces  deux  exemples  la  mesure  du  vers  nous  montre  que  l'impératif 
compte  une  syllabe  de  plus  que  n'en  a  sa  forme  correcte.  Même 
il  est  possible  qu'il  y  ait  eu  à  cette  époque  plus  de  cas  d'addition  du 


i7^  1/ ÉVOLUTION    DU    VKRBR    KN    ANGI.O-PRANÇAIS 

suffixe  ^t' que  nous  n'en  voyons,  car,  pour  les  deux  personnes  du 
pluriel,  ni  la  rime,  ni  la  mesure  du  vers  ne  peut  nous  assurer  de  sa 
présence.  Nous  ne  pouvons  pas  avoir  de  doute  pour  le  xiii^  siècle 
les  formes  de  l'impératif  en  i[e  appartiennent  bien  à  cette  période. 

Souvenir  continue  à  prendre  cette  désinence,  comme  au  vers  611 
d'Edward  le  Confesseur,  au  vers  59  du  Poème  allégorique  ;  de 
même  tenir,  comme  il  est  naturel,  ne  diffère  pas  de  venir  ;  on  peut 
voir  tienge~  au  vers  61  du  poème  que  nous  venons  de  citer.  Nous 
n'allongerons  pas  cette  liste  d'exemples.  Il  nous  suffira  de  dire  qu'au 
xiii^  siècle,  ces  verbes  sont  très  fréquemment  employés  à  l'impéra- 
tif avec  le  suffixe  ge  du  subjonctif. 

Nous  pouvons  ajouter  encore  un  certain  nombre  d'exemples, 
qui  cependant  n'ont  ni  l'importance  ni  la  généralité  de  ceux  qui 
précèdent.  Prendre,  comme  tenir  et  venir,  nous  montre  assez  sou- 
vent le  suffixe,  surtout  au  xiii'  siècle  ;  parmi  les  cas  de  prenge  que 
nous  avons  relevés,  citons  celui  qu'on  lit  dans  Boeve  de  Haumtone 
(au  vers  3004);  celui  du  poème  d'Edward  le  Confesseur  (au  vers 
610). 

Nous  dirons  encore  un  mot  du  verbe  aller.  On  pourra  trouver 
extraordinaire  que  nous  ayons  attendu  à  être  rendu  aux  impératifs 
des  verbes  des  trois  dernières  conjugaisons  pour  mentionner  les 
formes  qui  suivent.  Mais  aller  a  un  subjonctif  qui  appartient  aux 
subjonctifs  en  iain  et  c'est  à  l'influence  de  ce  subjonctif  que  nous 
rapportons  les  formes  de  l'impératif  qu'il  nous  reste  à  citer.  On 
trouve  à  celui-ci  le  suffixe  ge,  surtout  au  pluriel,  comme  dans 
aitgei  qu'on  lit  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au  vers  1037);  il  est 
plus  rare  de  le  trouver  au  singulier;  citons  cependant  la  forme 
assez  extraordinaire  vaiiges,  due  aussi  à  Frère  Angier  (cf.  Vie  de  Saint 
Grégoire,  vers  840). 

De  cette  double  influence  du  subjonctif  sur  l'impératif,  nous 
placerions  l'introduction  du  suffixe  ge  au  xii^  et  au  xiii'  siècle  et 
celle  de  la  consonne  mouillée  au  siècle  suivant.  Les  textes  et  les 
exemples  que  nous  avons  cités  ne  nous  donnent  pas  entièrement 
raison  au  point  de  vue  des  dates;  mais:  i"  le  nombre  de  ces  deux 
formes  est  bien  plus  considérable  pour  chacune  d'elles  aux  époques 
respectives  que  nous  venons  de  leur  assigner  ;  2°  les  mêmes  phé- 
nomènes se  sont  produits  dans  cet  ordre  à  l'indicatif; 

Telles  sont  les  déviations  des  types    normaux  que  nous  avons 


I.  IMPERATIF  377 

relevées  à  l'impératif;  elles  sont  nombreuses,  quelques-unes  ont 
une  grande  importance  ;  aucune  n'est  véritablement  très  générale  ; 
c'est  plutôt  une  série  de  modifications  affectant  un  verbe  particulier 
ou  un  petit  nombre  de  verbes  se  rattachant  à  un  même  type,  que 
de  larges  changements  généraux. 

Cependant,  ici  encore,  il  ne  nous  semble  pas  que  l'anglo-fran- 
çais  soit  allé  pour  ainsi  dire  au  hasard  ;  les  principales  modifica- 
tions subies  par  le  mode  impératif  ont  entre  elles  un  certain  lien, 
sinon  toutes,  au  moins  quelques-unes.  Nous  ne  reparlerons  pas  ici 
des  modifications  qui  sont  communes  à  toutes  les  parties  du  verbe,, 
comme  la  chute  de  Ve  muet  final,  ou  de  la  dentale.  Les  autres  nous 
montrent,  semble-t-il,  que  l'impératif  a  été  en  quelque  sorte  pris 
entre  deux  modes  à  la  fois  plus  importants,  plus  employés  et  plus 
«  individuels  »  que  lui  :  l'indicatif  et  le  subjonctif.  L'addition  d'une 
gutturale,  c  ou  k  ou  g  et  peut-être  l'addition  de  5  à  la  seconde  per- 
sonne du  singulier  nous  montrent  comment  le  présent  de  l'indicatif 
a  agi  sur  lui;  l'addition  du  suffixe ^^  au  xii*-  siècle,  la  mouillure  de  la 
consonne  du  radical,  toutes  les  fois  que  cette  mouillure  a  été  possible, 
au  xiv^,  sont  des  preuves  de  l'influence  du  subjonctif.  Et  il  nous 
semble  absolument  certain  que  cette  dernière  influence,  au  moins 
après  1200,  a  été  de  beaucoup  la  plus  forte. 


CHAPITRE  IV 
L'INFINITIF 


Aucun  mode,  comme  on  le  sait,  ne  soulève  autant  de  questions 
que  l'infinitif;  quoique,  étymologiquement,  les  formes  de  ce  mode 
aux  quatre  conjugaisons  soient  très  distinctes  et  très  peu  variées,  l'an- 
glo-français  a  apporté  plus  de  confusion  à  ces  formes  qu'aux  modes 
ou  aux  temps  les  plus  compliqués.  Certaines  de  ces  modifications 
sont  devenues  si  usuelles  qu'elles  ont  été  considérées,  souvent  à  tort, 
comme  les  caractéristiques  du  dialecte  lui-même.  Et  sur  plusieurs 
points  la  lumière  n'a  pas  encore  été    faite  complètement. 

Nous  diviserons  notre  étude  en  deux  parties  :  la  première,  la  plus 
courte  et  la  moins  importante,  étudiera  les  questions  générales  indé- 
pendantes des  conjugaisons  :  la  question  de  Ve  final  ;  celle  de  ïs 
final.  La  seconde  comprendra  les  études  sur  les  quatre  conjugaisons 
et  se  divisera  pour  chacune  d'elles  en  deux  parties  :  les  formes  et  les 
acquisitions. 

A.  Remarques  générales  sur  la  terminaison  des  infinitifs. 
I.  Addition  ou  chute  d'un  e  atone. 

I.  Les  infinitifs  de  I,  de  II  et  de  III  se  présentent  souvent  en 
anglo-français  avec  leur  r  final  suivi  d'un  e  atone  non  étymologique. 
Les  exemples  sont  nombreux  pour  les  infinitifs  en  er  ;  la  langue 
littéraire,  il  est  vrai,  ne  nous  offre  qu'un  très  petit  nombre  d'exemples 
de  ce  phénomène  et  ils  datent  tous  du  xiv^  siècle  ;  estere  qu'on  lit 
dans  la  Genèse  (fol.  70  r°)  doit  probablement  être  attribué  au  scribe, 


L  INFINITIF  379 

comme  abaund unere  âu  vers  5  60  des  Distiques  de  Citon  (anonyme). 
On  trouve  aussi  pensere  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (22,  n°  4), 
et  dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet  :  estudiere  (au  fol.  7  v°). 

Seuls  les  ouvrages  littéraires  peuvent  nous  renseigner  sur  la 
nature  de  cet  e  ;  malheureusement  les  rimes  qui  pourraient  nous  la 
faire  connaître  sont  plus  que  rares.  Nous  n'en  avons  relevé  qu'une, 
très  tardive  évidemment,  comme  le  phénomène  lui-même  :  aver  qui 
rime  avec  prière  au  fol.  93  r°  des  Vies  de  Saints  de  Nicole  Bozon . 
Quoique  Ve  ne  soit  pas  écrit  à  cet  infinitif,  on  peut  admettre  qu'il 
aurait  dû  l'être  et  qu'il  n'a  pas  été  simplement  graphique  dans 
cet  exemple.  Et  il  n'y  a  aucune  raison  pour  penser  qu'il  en  va 
différemment  pour  les  autres  cas  que  nous  avons  cités. 

C'est  dans  les  ouvrages  non  littéraires  que  cette  addition  a  été 
faite  le  plus  fréquemment  ;  les  Statutes  la  font  quelquefois  à  partir 
du  2^  quart  du  xiv''  siècle,  par  exemple  dans  delivere  (1326,  I, 
254),  sopere  (1335,  I,  279)  ',  appartenere  (1377,  II,  5),  estere  (1392, 
II,  84)  ;  les  cas  où  cet  e  est  ajouté  sont  plus  nombreux  dans  les 
Rymer's  Foedera;  nous  n'en  citerons  que  quelques-uns  :  le  plus 
ancien  se  rencontre  à  la  fin  du  xiii^  siècle  :  recuvere  (recouvrer)  {1268, 
I,  848)  ;  on  trouve  encore  au  commencement  du  xiv«  siècle  prière 
(13 18,  III,  J24)  ;  demandere  {i^^i,  IV,  93);  et  plus  tard  reclamere, 
destourbere,  eidere. 

Comme  ce  qui  arrive  pour  les  infinitifs  en  ier,  il  y  a  certains 
recueils  qui  semblent  montrer  pour  cette  terminaison  une 
prédilection  particulière  ;  ici,  c'est  le  Registrum  Palatinum  Dunel- 
mense  et  surtout  le  Liber  Albus  ;  dans  ce  dernier  ouvrage,  nous 
trouvons,  à  l'année  1334,  carkere,  descarkere,  herbergere,  esploitere 
(p.  /\i8));  marchandere  (^i<))\  menere,  enjoiere,  avère,  etc.  (p.    420). 

Le  nombre  des  formes  analogues  qu'on  peut  relever  dans  les 
Year  Books  est  considérable  :  on  en  trouve  dans  les  premiers  de 
ces  recueils  comme  enjettere  (21  Edw.  I",  193),  et  quelques  autres  : 
mais  il  nous  est  impossible  de  dater  les  exemples  que  nous  y  trou- 
vons. Qu'elles  aient  été  communes  au  commencement  du  xiv^ 
siècle,  nous  en  avons  une  preuve  dans  les  exemples  qui  se  ren- 
contrent dans  le  ms.  Y  de  3  Edw.  II  ;  il  donne  estere  (p.  72)  ;  ave- 
rere,  usere  ;  mais  l'emploi  de  cet  e  ne  devient  vraiment  général  que 

I.  Cet  infinitif  se. trouve  employé  après  des  formes  régulières  :a  disner,  manger, 
ne  sopere. 


380  l'évolution  du  verbe  ex  anglo-français 

dans  les  Year  Books  d'une  date  plus  tardive  :  par  exemple,  dans  14 
Edw.  III,  16  Edw.  III,  17  et  18  Edw.  III.  Cet  e  se  trouve  surtout 
employé,  semble-t-il,  avec  certains  infinitifs,  comme  ^/t'^'/r  (3  Edw. 
II,  130),  chère  {-^o  Edw.  I",   525). 

Les  verbes  de  II  et  de  III  qui  ont  conservé  leur  désinence  régu- 
lière sont  aussi  affectés,  quoique  à  un  moindre  degré  ;  les  oeuvres 
littéraires  elles-mêmes  nous  fournissent  un  certain  nombre 
d'exemples,  comme  les  Vies  de  Saints  de  Bozon  où  nous  trouvons 
cette  rime:  eiisevclire  (:  martyre)  (105  r°),  la  seule  que  nous  ayons 
rencontrée  et  que  nous  considérons  comme  très  importante,  et  la 
Chronique  de  Nicolas  Trivet  qui  a  beisire  (50  r°). 

Les  Statutes  ont  un  nombre  plus  considérable  de  cas  analogues  : 
soeffrire  (1340,  I,  299),  obeire{^  ^82,  II,  26),  establire  (1399,  II, 
1 1 1)  et  dans  les  Parliamentary  Writs  acomplireÇi^  14,  II,  4 27).  Nous 
ne  citerons  pas  tous  les  exemples  que  nous  fournissent  les  autres 
recueils  ;  ils  ne  sont  pas  très  nombreux  et  sont  très  tardifs,  dans  les 
Rymer's  Foedera  :  servire  (1392,  VI,  732);  ils  sont  très  communs 
dans  le  Liber  Albus  :  lenire,  rccevire,  porrire,  ocomplire  (1334,  419 
sqq.).  Il  en  est  de  même  pour  la  langue  légale  ;  mais  les  infinitifs 
en  ir  y  sont  assez  peu  nombreux  et  par  conséquent  la  terminaison 
zV^est  rare. 

Les  dernières  lignes  que  nous  venons  d'écrire  sur  les  verbes  de 
II  s'appliquent  aussi  bien  aux  verbes  de  III.  Cependant,  il  faut 
remarquer  que  ces  derniers  nous  offrent  des  exemples  plus  anciens 
et  peut-être  plus  sûrs  ;  dans  la  langue  littéraire  William  de  Wad- 
dington  emploie  souvent  la  forme  veire  (cf.  par  exemple  29, 
2367)  et  ce  même  verbe  se  retrouve  encore  dans  les  auteurs  pos- 
térieurs :  Foulques  Fitz  Warin  (pp.  28,  29)  ;  dans  les  Contes  de 
Nicole  Bozon  (§§  19,  23);  et  à  la  rime  dans  le  Prince  Noir  voire 
(:  croire)  (185);  les  autres  verbes  de  III  se  trouvent  rarement  ou 
ne  se  trouvent  pas  sous  cette  forme  dans  la  langue  littéraire.  Il  y  a 
cependant  des  exceptions  :  le  scribe  qui  a  écrit  le  ms.  A  du  Manuel 
des  Péchés  semble  avoir  un  goût  marqué  pour  les  infinitifs  de  III 
allongés  d'un  e  atone . 

Les  autres  catégories  de  textes  anglo-français,  tout  en  présentant 
souvent  la  forme  veire^  ne  limitent  pas  à  ce  verbe  de  III  l'addition 
d'un  e  muet  ;  nous  trouvons  par  exemple  dans  les  Statutes  :  avoire 
(1340,  I,  295,  297),  puri'oire  {i}6/[,  I,  347);  dans  les  Early  Sta- 


l'infinitii  381 

tûtes  of  Ireland,  savoitc  (1324,  304)  et  quelques  autres;  le  dernier 
exemple  que  nous  avons  cité  se  rencontre  encore  dans  Rymer 
(1279,  II,  133),  dans  le  Liber  Albus,  etc.  Pour  les  raisons  que 
nous  signalerons  plus  tard,  ces  formes  sont  rares  dans  les  Year 
Books  ;  citons  seulement  :  f/;t7/r  (33  et  35   Ed\v.  L%  507). 

2.  Le  phénomène  opposé  à  celui  que  nous  venons  d'exposer 
se  remarque  dans  les  verbes  de  IV.  Il  arrive  assez  fréquemment 
aux  infinitifs  de  cette  classe  de  perdre  Ve  étymologique  final.  Les 
formes  qui  suivent  appartiennent  toujours  au  xiv*^  siècle;  nous  en 
trouvons  quelques  exemples  dans  les  œuvres  littéraires  ;  dans 
Pierre  de  Langtoft  nous  lisons  par  exemple  fer  (=  taire)  (I,  64, 
19;  I,  112,  8),  forme  très  commune  au  xiv^  siècle  et  qu'on 
retrouve  aux  §§  49  et  80  des  Contes  de  Nicole  Bozon;  une  forme 
équivalente,  fair,  avec  la  diphtongue,  est  employée  par  Nicolas 
Trivet  au  folio  29,  et  dans  un  petit  nombre  d'autres  cas.  Parmi 
les  autres  verbes  de  IV  subissant  la  même  diminution,  nous  pou- 
vons citer  ijuer  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  212,  4  ;  II,  88,  20). 
Quoique  la  plupart  de  ces  formes  se  rencontrent  dans  des  ouvrages 
en  vers,  nous  ne  sommes  jamais  sûrs  que  Ve  atone  qui  n'est  pas 
écrit,  ne  compte  pas  dans  la  mesure  du  vers.  Une  forme  analogue 
nous  est  attestée  par  une  rime  de  Nicole  Bozon,  qui,  au  vers  248 
de  la  Vie  de  Saint  Paul  l'Ermite,  fait  rimer  dir  avec  ensevelir. 

Les  deux  wevhes  fair  et  quer  se  rencontrent  aussi  sous  cette  forme 
à  plusieurs  reprises  dans  les  Statutes  (1351,  I,  327;  1396,  II,  93; 
1369,  I,  391;  1377,  II,  2,  etc.)  et  très  fréquemment  dans  Rymer 
(1333,  IV,  564;  1324,  IV,  90)  et  passim  dans  les  Literae  Cantua- 
rienses.  Ajoutons  maintenant  quelques  autres  verbes  moins  com- 
muns :  «///-dans  les  Statutes  (1350,  I,  318);  et  dans  les  Parlia- 
mentary  Writs  (1324,  II,  696);  creir  dans  Rymer  (1297,  II,  771); 
eslr  (id.,  13 17,  III,  668)  ;  condtiir,  deslruir,  etc. 

On  pourrait  peut-être  ajouter  ici  suir  qui  est  extrêmement  com- 
mun aussi  bien  dans  la  langue  légale  que  dans  la  langue  politique, 
mais  nous  en  donnerons  des  exemples  lorsque  nous  parlerons  des 
acquisitions  de  la  seconde  conjugaison.  Les  Year  Books  pourraient 
nous  fournir  plusieurs  cas  de  cette  chute  de  la  muette  :  nous  nous 
contenterons  de  citer  :  fair  (2  et  3  Edw.  II,  90,  93  etc.)  ei  fer 
(ibid.,  104);  eslyr  (14  Edv.  III,  55),  destruir  (ibid.,  loi)  ;  mais 
sauf /a/r,  tous  les  exemples  que  nous  avons  sont  très  tardifs,  et 
par  conséquent  douteux. 


382  L^ÉVOLUTIOK    DU    VERBE    EN    AKGLO-FRANÇAIS 

II.  Addition  de  s. 

On  trouve  dans  la  langue  politique  et  diplomatique  et  plus 
rarement  dans  la  langue  littéraire  quelques  formes  qui  peuvent 
sembler  curieuses^  sinon  barbares  ;  il  arrive  quelquefois  que  cer- 
tains infinitifs,  spécialement  des  infinitifs  de  I,  sont  employés  avec 
l's  du  pluriel  :  par  exemple  doners,  faits,  graunîers  dans  les  Sta- 
tutes  (1399,  II,  113)  ;  paiers  dans  le  même  recueil  (1399,  II 
iio);  engendreres  (id.,  1397,  II,  99),  deux  fois;  levers  (id.,  1397, 
II,  109);  dans  les  Rymer's  Foedera  :  paiers  (1354,  II,  812  ;  1390, 
VII,  677)  ;  faires  (1384,  VII,  422)  ;  venirs  (1388,  VII,  588)  ;  et 
peut-être  quelques  autres  cas  qui  ont  pu  nous  échapper. 

Ces  formes  sont  moins  barbares  qu'on  pourrait  le  supposer  ; 
elles  sont  toujours  jointes  à  un  substantif  pluriel  par  la  préposition 
à  et  jouent  le  rôle  d'un  adjectif  {d.  le  français  moderne  :  affaires, 
avenirs). 

Par  exemple  :  Cent  Marks  a  paiers  (ou  appaiers)  au  Roy. 

Dans  la  langue  littéraire,  nous  n'avons  relevé  que  peu  d'exemples 
de  ce  phénomène  ;  la  Destruction  de  Rome  nous  donne  :  conien- 
cerz^y  tresbucherx_(j']-^,  775). 

Ces  deux  infinitifs  seuls  sont  précédés  de  la  préposition  À  ;  on 
en  rencontre  plusieurs  autres  qui  ne  le  sont  pas,  comme  voler^, 
diireri,ciihri  (75e,  774,  776,  777). 

Il  est  probable  que  ce  :^  provient  du  scribe  anglais,  habitué  peut- 
être  aux  formes  de  la  langue  politique. 

Quant  aux  ouvrages  légaux,  ils  ne  présentent  aucun  infinitif 
avec  s. 

B.  Études  particulières. 
Les  formes. 

Les  infinitifs  de  la  première  conjugaison  sont  régulièrement  ter- 
minés par  er  ;  on  trouve  la  désinence  ier  lorsque  le  thème  du 
verbe  est  terminé  par  c,  ch,  j,  «,  /,  et  encore  par  /,  d,  r,  s,  :-,  (d)r, 
nt,  ss,  sin,  sn,  si  quand  la  syllabe  précédente  contient  un  /  (cf. 
Suchier,  Les  voyelles  toniques,  29  c,  p.  84). 

Ici  encore,  comme  nous  l'avons  vu  à  la  deuxième  personne  du 
pluriel,  dès  les  premiers  temps*  de  l'anglo-français,  la  diphtongue  ie 
passe  à  la  voyelle  simple  e.  Pour  les  raisons  mêmes  que  nous  avons 


l'infinitif  383 

eu  l'occasion  d'exposer  déjà,  nous  ne  suivrons  pas  les  détails  de  ce 
passage  dans  nos  auteurs'. 

Cette  question  purement  phonique  ne  nous  regarde  pas,  nous 
avons  ici  simplement  à  voir  : 

1°  Jusqu'à  quelle  date  la  forme  étymologique  en    ier  a   subsisté. 

2"  A  partir  de  quelle  date  la  désinence  en  ier,  étymologique  ou 
non,  reparaît  dans  les  textes  anglo-français. 

Nous  répondrons  brièvement  à  la  première  question  :  on  trouve 
sporadiquement  la  forme  en  ier  en  anglo-français  après  11 50.  Une 
des  dernières  formes,  aussi  assurées  qu'elles  peuvent  l'être,  que 
nous  rencontrions  se  lit  au  vers  21 19  de  la  Vie  de  Sainte  Cathe- 
rine, où  tencier  rime  avec  mestier. 

Évidemment,  il  est  possible  que  1'/  ait  disparu  du  nom  aussi 
bien  que  du  verbe  ;  mais  on  ne  voit  pas  pourquoi  il  aurait  été 
rétabli  par  le  scribe. 

Au  XIII''  siècle,  il  disparaît  complètement. 

2.  Vers  la  Hn  du  xiv^  siècle  nous  voyons  se  produire  le  phé- 
nomène inverse  :  exactement  ce  qui  a  eu  lieu  pour  la  seconde  per- 
sonne du  pluriel  en  ie^,  mais  ici  le  retour  à  la  diphtongue  est  plus 
fortement  marqué. 

L'/,  qui  avait  totalement  disparu  des  désinences  ier  dès  le  commen- 
cement du  XII'  siècle,  refait  son  apparition  à  la  fin  du  XIV^  Nous 
tenterons  d'expliquer  dans  notre  seconde  partie  comment  s'est  pro- 
duit ce  phénomène.  Les  exemples  de  cette  nouvelle  terminaison 
ier  ne  sont  pas  rares  dans  la  dernière  partie  du  xiv-'  siècle,  même 
dans  les  œuvres  littéraires.  Nous  en  trouvons  quelques  exemples 
dans  le  Siège  de  Carlaverok,  où  l'on  voit  (p.  ^/O  ju^ier  rimer  avec 
legier  ;  dans  Foulques  Fitz  Warin  arestier  se  lit  à  la  page  99  ;  le 
ms.  B  del'Ipomédon  (1350)  nous  donne  (pour  le  vers  373)  amas- 
sier  ;  Nicolas  Trivet   nous  en   offre  de  son  côté  un  nombre   assez 

I.  Pour  le  passage  de  ie  à  e,  on  peut  voir  les  ouvrages  suivants:  pour  les  dia- 
lectes du  continent  :  Koschwitz,  Rom.  Studien  II,  p.  56  ;  Pèlerinage,  p.  19  ;  V.  Ram- 
beau,  Die  Assonanzen  im  Oxforder  Roland,  p.  147  ;  Uhlemann,  Grammatische 
Studien  uber  Wace,  p.  43  ;  Ulbrich,  Zeitschrift  II,  p.  529  ;  Volmôller,  Mûnchener 
Brut,  xxxij  ;  Warncke,  Marie  de  France,  xxix  ;  G.  Paris,  Romania  IV,  p.  122  ; 
Theodor  Pohl,  Untersuchung  der  Reime  in  Wace's  «  Roman  de  Rou  et  des  ducs 
de  Normandie  »,  Romanische  Forschungen  II,  p.  321  ;  .^dolf  Schmitt,  Guil- 
laume le  Clerc  de  Normandie  insbesondere  seine  Magdalenen  Légende,  Roma- 
nische Studien  IV,  p.  495  ;H.  Suchier,  Zeitschrift  fiir  rom.  Phil.  I,  p.  569. 


384  l'évolution    du    VERnK    EN   ANGLO-1  RANÇAIS 

considérable  :  Jotier  (15  r°)  ;  dcmainuiier  {i  $  v");  csperier  (18  r°)  ; 
gardicr  (^i^  y"^,  etc.  On  pourra  remarquer  qu'aucune  de  ces  ter- 
minaisons en  ier,  sauf  pour  jugier,  n'entre  dans  les  catégories  de 
terminaisons  en  ier  que  nous  avons  énoncées  d'après  M .  Suchier  ; 
ce  n'est  donc  pas  un  retour  à  l'usage  ancien  et  correct. 

Le  scribe  de  la  Destruction  de  Rome  emploie  cette  désinence 
très  souvent  :  on  trouve  contier  (au  vers  83)  ;  encUnier  (au  vers  84), 
ciesporticr  (^)4)  ;  crollier  (135),  esgardier  (136);  gastier  (142),  etc. 

D'une  façon  générale,  tous  les  scribes  de  la  seconde  moitié  du 
xiV  siècle  emploient  ier  plus  ou  moins  fréquemment  et  plus  ou 
moins  régulièrement .  Mais  c'est  surtout  en  dehors  de  la  littérature, 
dans  l'anglo-français  politique,  diplomatique,  familier  et  légal  que 
cette  désinence  devient  fréquente.  Dans  tous  les  textes  que  nous 
avons  étudiés,  on  rencontre  des  infinitifs  avec  cette  terminaison,  et 
dans  certains  d'entre  eux  leur  nombre  est  considérable.  Ils  sont 
communs  dans  les  Statutes,  les  Parliamentary  Writs,  les  Mem. 
Pari,  et  les  autres  recueils  de  cette  nature  ;  encore  plus  fréquents 
dans  les  Traités  de  Rymer  ;  extrêmement  nombreux  dans  les 
Literae  Cantuarienses.  Nous  allons  donner  aussi  brièvement  que 
possible  quelques  détails  sur  ces  infinitifs. 

On  trouve  avec  cette  désinence  des  verbes  des  quatre  conjugai- 
sons ;  les  plus  communs  sont  probablement  et  comme  il  est  natu- 
rel les  verbes  de  I,  mais  ceux  de  II  ne  leur  cèdent  pas  de  beaucoup; 
les  verbes  de  III  et  de  IV  sont  relativement  rares. 

a)  VERBES  DE     I. 

Dans  les  Statutes  et  dans  les  recueils  semblables,  les  verbes 
qui  ne  font  que  reprendre  cette  terminaison,  par  opposition  à 
ceux  qui  la  prennent  illégitimement,  sont  nombreux;  on 
trouve  en  effet  dans  les  Statutes  :  chacier,  pronuncier  (1275,  I, 
31  et  35);  mangier  (i^^o,  I,  262);  comencier  (1340,  I,  283,  280); 
serchier  Çïd.,  ibid.)  ;  pronuncier  (id.,  ibid.)  ;  enforcier  (1391,  I,  78), 
pour  n'en  citer  que  quelques-uns  ;  on  peut  encore  retrouver  la  plu- 
part de  ces  verbes  dans  les  autres  recueils,  chacier  dans  les  Early 
Statutes ofireland  (1285,  éo);  serchier,  ajcrcier  dans  les  Parliamen- 
tary Writs  (1297,  I,  393,  et  1312,  2''  App.,  z|5)  ;  et  on  peut  leur 
ajouter  r edrcr ier (id.,  ibid.). 


L  INFINITIF  385 

Mais  il  faut  remarquer  que  :  1°  aucun  de  ces  verbes  ne  se 
trouve  employé  d'une  manière  sensiblement  plus  fréquente  que 
les  autres  ;  2°  aucun  de  ces  verbes  ne  se  présente  exclusivement 
sous  cette  forme. 

Les  infinitifs  de  I  pour  lesquels  cette  terminaison  n'est  pas  con- 
forme à  l'étvmologie  sont  un  peu  plus  nombreux  que  les  autres; 
nous  allons  en  donner  quelques  exemples  en  essayant  surtout  de 
donner  ceux  qui  sont  communs  aux  différents  textes  de  la  langue 
politique  que  nous  avons  mis  à  contribution.  Arestier  se  trouve 
dans  les  Statutes  (I,  1275,  29)  ;  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland 
(1285,  54);  dans  les  Parliamentary  Writs(i3i8,  II,  172)  ;  gran- 
lier  est  employé  dans  les  Statutes  (1383,  II,  35)  ;  dans  les  Mem. 
Pari.  1305  (§  38).  Nous  allons,  pour  abréger  quelque  peu  notre 
énumération,  nous  contenter  de  citer  les  verbes  qui  prennent  cette 
désinence  sans  donner  de  référence;  dans  les  Statutes  on  relève: 
contier,  destorbîer,  mostrier,  ostier,  occnpier,  deposier,  rentier  ;  dans  les 
Parliamentary  Writs  :  desportier,  exaniinier,  hastier,  remembrier,  demo- 
rier  ;  dans  les  Mem.  Pari.  1305  :  chauntier,arentier. 

Les  deux  observations  que  nous  avons  faites  à  propos  des 
verbes  pour  lesquels  la  terminaison  ier  était  étymologique  s'ap- 
pliquent encore  ici. 

Si  l'on  prend  ensemble  les  deux  classes  des  verbes  de  I  avec  cette 
terminaison,  on  trouve  que  les  Statutes  présentent  plus  d'une 
vingtaine  de  formes;  les  Parliamentar}'  Writs  une  dizaine  ;  les 
Mem.  Pari,  environ  la  moitié  moins.  Au  point  de  vue  des  dates,  il 
est  à  peu  près  impossible  de  se  rendre  un  compte  exact  de  l'époque 
à  laquelle  ces  terminaisons  ont  été  le  plus  employées;  dans  les 
Statutes,  on  en  trouve  déjà  six  dans  un  seul  texte  de  l'année  1275  i 
après  cette  date,  nous  n'en  trouverons  jamais  un  nombre  aussi 
considérable  pour  une  seule  année,  mais  l'époque  à  laquelle  nous 
pouvons  après  celle-ci  relever  un  plus  grand  nombre  de  cas  est  la 
dernière  décade  du  xiV'  siècle. 

Dans  les  Rymer's  Foedera,  le  nombre  de  ces  terminaisons  est  un 
peu  plus  considérable  encore  ;  on  peut  aussi  remarquer  que  le 
rapport  entre  les  deux  classes  que  nous  avons  distinguées  plus 
haut  (étymologiques  et  non  étymologiques)  est  changé  en  faveur 
de  la  seconde.  Comme  formes  qui  reviennent  à  leur  terminaison 
primitive,  on  peut    citer  :  adoniagicr  (1338,    V,   54)  ;   pourchacier 

25 


3 86  l'évolution  du  vekbi-  ex  akglo-i-kançals 

(1339,  V,  1 1 4); prou iincier  {i^j{j,  V,  764)  ;tnnrlier{i}^S,  \\6^6); 
efforcicr  {i})S,  VI,  97);jiigier  (1367,  VI,  563)  ;  appaisicr,  commen- 
cier,  adrechicr  Cl  peut-être  quelques  autres  encore. 

Les  exemples  qui  nous  montrent  la  terminaison  ier  affectant  des 
verbes  de  I  qui  n'ont  pas  étymologiquement  cette  désinence, 
sont  très  fréquents.  Quelques-uns  se  trouvent  répétés  plusieurs  fois, 
comme  iiiiisirier  (1294,  II,  620;  1309,  III.  152  ;  1330,  IV,  450)  ; 
granlier  {\  1,20,  III,  809  ;  1326,  IV,  205  ;  1366,  VI,  540).  Enumé- 
rons  maintenant  quelques-uns  des  autres  verbes  que  nous  avons 
relevés  :  gardier,  jnrier.  al  ier,  toitniicr,  osticr,  occupier,  par  lier,  execu- 
tier,  durier. 

Dans  Rymer,  il  n'y  a  que  très  peu  d'exemples  qui  remontent  à 
la  fin  du  xiii'  siècle  ;  la  plupart  de  ceux  que  nous  avons  relevés  se 
trouvent  également  distribués  ou  presque,  dans  le  courant  du 
xiv^  siècle,  sans  qu'il  soit  possible  d'établir  avec  précision  à  quel 
moment  ils  se  trouvent  en  plus  grand  nombre  ;  nous  avons  eu 
l'impression  que  c'est  la  quatrième  décade  de  ce  siècle  (1330-40) 
qui  nous  a  donné  la  plus  riche  moisson  ;  mais  cela  peut  n'être 
qu'un  hasard. 

Cependant,  cette  impression  est  jusqu'à  un  certain  point  confir- 
mée par  l'étude  des  textes  en  langue  familière  :  les  Lettres  de  Jean 
de  Peckham,  qui  datent  de  la  fin  du  xiii"  et  du  commencement  du 
xiv^,  ne  nous  en  offrent  qu'un  nombre  restreint  :  proniincier  (1281, 
149)  ;  de  même  les  Lettres  de  Rois  des  Documents  Inédits,  de 
la  fin  du  xiv%  n'en  présentent  que  peu  :  presenticr,  avansoier  (Doc. 
inéd.  1380,  219  ;  1372,  r88). 

Au  contraire,  les  Literae  Cantuarienses,  et  spécialement  celles  qui 
portent  des  dates  entre  1325  et  1335,  nous  en  offrent  un  nombre 
extraordinaire;  nous  avons  par  exemple  pour  l'année  1332  :  pari  ier, 
iiiaimdier,  gardier,  ministrier,  achat  ier,  esploitier,  enforlicr,  coniandier, 
salvier,  pardonîer,  pruvier.  A  Vannée  1333,  en  vingt  lignes,  nous 
trouvons  :  recordier,  donier,  saiivier,parlier,  ajfermier,  portier  ;  pen- 
dant ces  dix  ans  la  terminaison  simple  er  disparait  presque  com- 
plètement. Il  ne  semble  donc  pas  impossible  de  conclure  que 
l'usage  de  la  terminaison  ier  que  l'on  trouve  dans  tous  les 
ouvrages  non  littéraires  anglo-français  jusqu'à  la  fin  du  xiV  siècle 
a  certainement  commencé  au  plus  tard  avec  le  quatrième  quart  du 
xiii*^  siècle  et  qu'il  est  arrivé  à  son  maximum  entre  les  années 
1325  et  1335. 


l'infinith-  387 

Nous  ne  pouvons  évidemment  pas  donner  de  date  aussi  précise 
pour  les  infinitifs  en  ier  que  nous  rencontrons  dans  les  Year  Books  ; 
cependant  nous  n'en  avons  relevé  aucun  exemple  dans  les  tout  pre- 
miers recueils  ;  c'est  dans  33  et  35  Edw.  P''  (c'est-à-dire  1305-7) 
que  nous  trouvons  cette  forme  pour  la  première  fois  :  legitiiiiier 
(p.  577)  et  elle  esta  peu  près  isolée.  Dans  i  et  2  Edv.  Il,  nous 
■àvons  accepticr  (pp.  69  et  85);  puis  dans  2  et  3  Edw.  II  :  oustier, 
bustier  (pp.  51,  158)  ;  dans  3  Edw.  II  :  deschar gier,  ostier,  qui  sont 
assurés  par  Y  (pp.  60,  62).  On  continue  à  en  trouver  dans  les 
recueils  subséquents  jusqu'à  17  et  18  Edw.  III  ;  mais  ces  termi- 
naisons sont  peu  nombreuses,  et  nous  ne  pouvons  guère  préciser 
avec  quelque  certitude  l'époque  à  laquelle  elles  ont  été  le  plus  com- 
munément employées  :  nous  savons  seulement  qu'elles  ont  existé 
au  commencement  du  xiV-'  siècle  et  qu'elles  ont  continué,  plus  ou 
moins  sporadiquement,  jusqu'à  la  fin  de  ce  siècle;  mais  il  est  pro- 
bable que  les  scribes  ont  dû  en  hire  disparaître  un  grand 
nombre. 

L'étude  de  la  terminaison  ier  dans  les  verbes  de  II,  de  III  et  de 
IV  appartient  plus  naturellement  aux  chapitres  qui  vont  suivre  ; 
nous  allons  cependant  en  dire  un  mot  maintenant,  puisque,  après 
tout,  en  prenant  cette  terminaison  ces  verbes  se  sont  joints  aux 
verbes  de  I;  du  reste,  ce  que  nous  allons  dire  ne  pourra  que  confir- 
mer les  conclusions  auxquelles  nous  a  menés  l'étude    précédente. 

Dans  quelques  ouvrages  du  xiii^  siècle,  mais  fort  rarement,  spé- 
cialement pendant  la  seconde  moitié  du  xiv%  nous  trouvons  un 
assez  grand  nombre  d'infinitifs  de  II  qui  sont  employés  avec  la  ter- 
minaison ier  ;  il  est  impossible  de  donner  pour  les  exemples  qui  se 
trouvent  dans  les  oeuvres  littéraires  une  date,  même  approximative, 
de  ce  changement,  car  d'abord  ces  infinitifs  sont  rarement  employés 
à  la  rime,  et  quand  ils  le  sont,  ils  se  trouvent  le  plus  souvent 
accouplés  avec  la  désinence  en  er.  Pour  les  textes  littéraires,  le  plus 
sage  serait  de  reculer  la  date  de  ce  phénomène  jusqu'au  milieu  du 
xiv^  siècle.  Cependant  nous  en  trouvons  un  certain  nombre 
d'exemples  avant  cette  date,  comme  escharuiei  à  la  rime  du  vers 
2587  de  Boeve  (ms.  B,  milieu  du  xiV^  siècle);  loiier  dans  Wil. 
Rishanger,  -^t,^  ;  faillie r  cl  servier  sont  tous  les  deux  donnés  par  le 
ms.  A  de  l'Ipomédon  (vers  260,  297)  et  on  en  trouve  quelques 
autres  qui  appartiennent  à  de  mauvais  textes  de  laiîii  du  xiii'  siècle 


388  l'évolution  du  vhrbe  en  anglo-frakçals 

ou  qui  peuvent  provenir  des  scribes  du  siècle  suivant.  Au  connnen- 
cenient  du  xiv"-'  les  formes  en  ier  pour  //'  restent  rares;  citons  dans 
la  Vie  de  Sainte  Marguerite  plcisier  qui  rime  avec  demorer  au  vers 
71  et  l'interrime  mcintenier  :  couvenier  aux  vers  52-53  du  Siège  de 
Carlaverok.  Ce  n'est  que  vers  1370  que  les  exemples  deviennent 
vraiment  communs,  par  exemple  dans  la  Chronique  de  Nicolas 
Trivet  où  on  peut  lire  aannplier  {^2^  r°);  departier  (12  r°);  dorniier 
(12  V);  morier  (28  V,  46  v")  ;  servier  (50  r'');  siiffrier  (28  v°)  ; 
tcnier  (7  v",  1 5  r°)  ;  venier  (15  r",  50  r°). 

Ces  formes  ne  sont  pas  très  nombreuses  dans  la  langue  politique, 
mais  celles  que  nous  y  trouvons  peuvent  nous  servir  pour  préciser 
quelques  dates  ;  et  ces  dates  concordent  exactement  avec  celles  que 
nous  donnent  les  œuvres  littéraires.  Dans  les  Statutes,  on  relève  un 
petit  nombre  d'exemples  avant  la  fin  du  wW  siècle,  comme  rever- 
tier  (1278,  I,  48).  Le  plus  grand  nombre,  et  il  n'est  pas  très  consi- 
dérable dans  ce  recueil,  se  trouve  vers  le  milieu  du  siècle  suivant  et 
plus  tard;  citons  ohcier  (1340,  I,  288;  1350,  I,  319);  piniier  (1363, 
I,  379).  Dans  la  dernière  partie  de  ce  siècle,  les  exemples  deviennent 
proportionnellement  plus  nombreux  :  piinicr,  acoiiiplier,  departier  et 
quelques  autres  se  rencontrent  après  1375.  Les  Parliamentary  Writs, 
entre  13  14  et  1322,  nous  donnent  :  ciiUier,  venier,  parjonriiier;  les 
mêmes  verbes  et  quelques  nouveaux  comme  :  reslnblier,  assentier, 
soetfrier,se  trouvent  dans  les  Traités  de  Rymerà  des  dates  variables 
et  assez  également  disséminées  entre  le  commencement  et  la  fin  du 
xiv^  siècle.  C'est  encore  dans  les  Literae  Cantuarienses  que  nous 
trouvons  le  plus  grand  nombre  d'exemples  toujours  à  la  même  date: 
sentier,  seissier,  soeffrier,  etc.  Ils  sont  peu  communs  dans  les  Year 
Books;  on  ne  trouve  guère  que  partier,  garanlier  et  quelques  autres. 

Les  verbes  de  III  avec  la  désinence  ier  sont  assez  rares;  pour  les 
œuvres  littéraires  nous  trouvons  ^^îvV/-  donné  pour  le  vers  2134  du 
Cumpoz  par  le  ms.  S.  Les  Statutes  et  autres  écrits  politiques  ne 
nous  en  donnent  aucun  exemple  ;  Rynier  en  a  au  moins  un,  répété 
plusieurs  fois  :  recevier,  qui  se  lit  par  exemple  à  l'année  1363  (vol. 
VI,  p.  430).  Les  Literae  Cantuarienses  sont  le  seul  ouvrage  qui 
en  présente  un  certain  nombre  de  cas  :  5rtr/Vr  (1331,  431,  439; 
M33019).  avier(is^o,  336;  1331,  426,  427);  ces  deux  foi  mes 
sont  fréquentes;  ajoutons:  recevier,  cheier. 

Les  verbes  de  la  quatrième  conjugaison  se  trouvent  moins  tré- 


L  INPIKITIF  309 

quemment  encore  sous  cette  forme  ;  les  ouvrages  politiques  et 
diplomatiques  n'en  offrent  aucun  exemple;  les  Literae  Cantuarienses 
seules  ont  :  ta! lier  (1332,  39  0- 

I;  Modifications  tic  /'i. 

Nousavons  vu  (première  personne  du  pluriel)  et  nous  verrons  plus 
tard  (participe  passé)  que  \'i  de  la  diphtongue  ie  passe  parfois  à  oi. 
Ceci  n'a  lieu  à  l'infinitif  que  dans  un  nombre  infime  de  cas.  Nous 
ne  trouvons  à  citer  que  a lui  11  soicr  dans  les  Documents  inédits  (1372, 
188). 

II.  Autres  terminaisons. 

La  terminaison  des  infinitifs  de  I  prend  rarement  une  autre  forme 
que  celles  que  nous  venons  de  voir.  Il  faut  cependant  signaler  la  ter- 
minaison ecr  et  la  terminaison  ar. 

L'anglo-français  littéraire  nous  donne  quelques  exemples  de  la 
première  de  ces  terminaisons,  par  exemple  dans  Foulques  Fitz 
Warin  :  acordeer  (p.  79). 

On  trouve  encore  cette  même  désinence  dans  un  Fragment  d'une 
traduction  delà  Bible  du  milieu  du  xiii'^  siècle  (Rom.  XVI,  p.  183, 
559);  on  y  lit  tricloeer  au  vers  855  ;  de  même  le  scribe  de  la  Des- 
truction de  Rome  nous  donne:  esteer  (vers  68);  alecr  (vers  1 1 1  et 
124);  ceieer  (vers  269).  En  somme  ce  ne  sont  que  les  auteurs 
d'ouvrages  littéraires  d'une  date  assez  récente  et  spécialement  les 
scribes  de  la  fin  du  xiv=  siècle  (cf.  Nicolas  Trivet)  qui  l'emploient; 
et  encore  ne  le  font-ils  que  rarement.  Le  nombre  de  ces  exemples 
est  trop  peu  considérable  pour  que  nous  puissions  nous  rendre  un 
compte  exact  de  la  valeur  de  cette  terminaison;  dans  la  traduction 
de  la  Bible,  eer  semble  compter  pour  deux  syllabes  : 

Quiez  mei  tricheer  ?  dist  Heliseu  (décasyllabe). 

Mais  Foulques  est  en  prose,  et  les  exemples  de  la  Destruction  de 
Rome  appartiennent  au  scribe.  Il  est  donc  impossible  de  tirer  une 
conclusion  assurée  du  seul  exemple  qui  nous  reste. 

La  langue  politique  et  diplomatique  nous  en  montre  un  nombre 
plus  considérable  quoique  minime  encore  et  d'une  date  sensible- 
ment plus  reculée.   Par  exemple  les  Statutes  ont  cssoneer  à  la  date 


390  L  EVOLUTION    DU    VF.RKH    l-N    ANGLO-FRAXÇAIS 

de  1278  (I,  48);  cs/^rr  ( 1 3 5  3 ,  1 ,  329  et  337);  peui-êire  aussi  enqueei- 
(1350,  I,  322),  qui  probablement  est  le  résultat  d'une  métathèse 
(cf.  Infinitifs  de  la  quatrième  conjugaison).  Comme  on  le  voit,  les 
Statutes  ne  nous  offrent  qu'un  tout  petit  nombre  d'exemples  de 
cette  désinence. 

Les  autres  textes  ne  nous  ont  pas  donné  davantage  ;  c'est  ainsi 
que  les  Mem.  Pari.  1305  ont  pneer  (§  126);  proveer  se  trouve  dans 
les  Historic  and  Municipal  Documents  of  Ireland  (13 19,  453); 
mostreer  se  lit  dans  les  Documents  inédits  (1310,  57).  Cette  dési- 
nence en  eer  est  extrêmement  rare  dans  les  Year  Books;  nous  n'en 
citerons  aucun  exemple,  car  tous  ceux  que  nous  avons  relevés  sont 
d'une  date  douteuse. 

Ar^  comme  désinence  de  l'infinitif  de  I,  est  encore  plus  rare  ; 
nous  en  avons  trouvé  un  exemple  à  la  rime  dans  le  Comput  :  guar- 
dar  (:  César)  au  vers  776,  et  un  autre,  plus  douteux,  dans  Rymer  : 
reparar  {\^^o,  V,  675). 

III.  Acquisiiion  des  infiiiiiifs  en  er. 

La  conjugaison  cr  est  une  conjugaison  vivante  et  a  toujours,  spé- 
cialement en  anglo-français,  attiré  les  verbes  de  certaines  autres 
conjugaisons;  il  n'y  a  pas  de  phénomène  plus  connu,  en  anglo- 
français,  que  le  passage  des  infinitifs  de  III  à  la  forme  de  I.  Dans  les 
premiers  textes  déjà,  nous  trouvons  des  exemples  de  ce  phénomène; 
tous  ne  sont  pas  assurés,  mais  qu'ils  proviennent  des  auteurs  ou 
des  scribes  on  les  y  rencontre  toujours.  On  a  même  l'habitude  de 
considérer  cette  présence  à  l'infinitif  de  terminaisons  er  pour  eir 
comme  un  des  meilleurs  critériums  pour  reconnaître  si  un  ouvrage 
a  été  composé  par  un  auteur  anglo-français  ou  écrit  par  un  scribe 
d'Angleterre.  Cette  question  est  donc  importante  et,  quoiqu'elle  ait 
déjà  retenu  l'attention  de  nombreux  savants,  il  sera  bon  que  nous 
l'étudions  d'aussi  près  qu'il  nous  sera  possible'. 

I .  Nous  ne  prétendons  pas  citer  tous  les  ouvrages  qui  s'occupent  de  cette  ques- 
tion ;  nous  en  donnerons  simplement  quelques-uns  parmi  les  plus  importants  ;  les 
études  qui  précèdent  généralement  les  éditions  des  différents  auteurs  anglo-fran- 
çais traitent  presque   toutes,  au  point  de  vue  de  l'auteur,  du  passage  de  eir  à  er. 

H.   Suchier,  Français  et  Provençal,  p.   25;  Voyelles  toniques,    p.  92,530; 
r.  Mever,  Romania,  XVIII.  p.  626  :  Introduction  des  Contes  deN.  Bozon,  Ixij; 


L  INFIN'ITIF  391 

Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  on  trouve  dans  tous  les  ouvrages 
anglo-français,  même  ceux  de  la  première  heure,  des  traces  de  ce 
phénomène,  mais  il  semble  que,  pour  la  majorité  de  ces  cas,  nous 
devions  en  laisser  la  responsabilité  aux  scribes.  Pour  arriver  à  des 
conclusions  aussi  certaines  que  possible,  nous  étudierons  les  princi- 
paux textes  du  xii^  siècle  à  deux  points  de  vue:  d'abord  nous  tcâcherons 
de  découvrir  quelles  ont  été  les  habitudes  de  l'auteur  lui-même  ; 
ensuite  nous  déterminerons  les  habitudes  des  scribes.  En  reportant 
à  leurs  dates  respectives  ces  deux  séries  de  données,  nous  arriverons 
à  nous  faire  une  idée  de  ce  qu'était  l'usage  d'une  époque  donnée 
d'abord  chez  les  auteurs,  ensuite  chez  les  scribes.  Cette  comparaison 
nous  sera  des  plus  utiles  et  fournira,  croyons-nous,  une  base  excel- 
lente à  notre  travail.  Nous  sommes  même  persuadés  que  cette 
méthode  seule  pourra  nous  faire  connaître  non  seulement  la 
modalité  du  passage  de  la  terminaison  eir  à  cr,  mais  surtout  les 
causes  de  ce  changement. 

Évidemment,  pour  étudier  les  auteurs,  nous  aurons  à  nous  con- 
tenter de  l'étude  des  rimes  dans  les  ouvrages  en  vers;  d'une  façon 
générale,  nous  ne  sommes  pas  portés  à  nous  exagérer  la  solidité  de 
conclusions  portant  seulement  sur  des  rimes  ;  nous  savons  trop  que 
la  phonétique  anglo-française,  à  certaines  périodes,  manquait  trop 
de  rigueur  pour  que  les  rimes  puissent  être  des  instruments  de  con- 
trôle bien  sûrs  ;  et  en  second  lieu,  nous  avons  rencontré  trop  déformes 
créées  uniquement  pour  les  nécessités  de  la  rime  pour  que  nous  accor- 
dions à  celle-ci  une  très  grande  valeur  dans  tous  les  cas.  Mais  ces  deux 
objections  ne  s'appliquent  pas  à  la  période  qui  nous  occupe.  Même 
quand  le  nombre  de  syllabes  du  vers  présente  aux  auteurs  anglo- 
français  de  la  première  moitié  du  xu^  siècle  des  difficultés  qui 
semblent  insurmontables,  ils  riment  bien. 

Pour  la  langue  des  scribes,  nous  aurons  deux  façons  d'arriver  à 
la  connaître.  D'abord  certains  ouvrages  en  prose  que  nous  rappor- 
tons au  temps  où  ils  ont  été  écrits,  comme  les  Quatre  Livres  des 
Rois;  ensuite  dans  chaque  manuscrit  les  formes  qui  n'appar- 
tiennent évidemment  pas  à  l'auteur. 

Meycr-Lùbke,  Grammaire,  II,  p.  158,5  1 17  ;  Stiraming,  Boeve  de  Haumtone, 
xxviij  ;  Behrens,  Zur  Lautlehere,  p.i  38  ;  Litteraturbhut,  IV,  511;  Ten  Brink,  Chau- 
cer,  p.  70.  Voir  aussi  Hildebrand, Liber  Censualis,  p.  38,  §  4  ;Huber,  Abhandlung 
ûber  die  Sprache  des  «  Romans  du  Mont  Saint-Michel  »,  dans  l'Archiv  de  Herrig, 
1S86,  p.  144. 


^92  L  KVOI.UTION    DU    VF.RBF.    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Ici  encore  nous  sommes  loin  d'arriver  à  la  certitude,  et  dans  les 
deux  cas  précédents,  il  est  possible  que  nous  attribuions  à  un 
scribe  ce  qui  revient  à  l'auteur  ou  à  un  scribe  d'une  époque  anté- 
rieure. Mais  comme  nous  avons  à  étudier  des  formes  nouvelles,  le 
risque  d'erreur  est  ici  négligeable. 

I.  Les  auteurs. 

Dans  les  textes  qui  appartiennent  aux  trois  premiers  quarts  du 
xii^  siècle,  nous  ne  relevons  aucune  rime  irrégulière.  Jamais  un  infi- 
nitif de  III  ne  rime  en  er.  Au  contraire,  nous  pouvons  facilement 
trouver  des  rimes  assez  nombreuses  où  ces  infinitifs  apparaissent 
sous  leur  forme  régulière. 

Nous  ne  répéterons  pas  ici  les  exemples  qu'on  a  donnés  de  telles 
rimes  pour  le  Bestiaire,  le  Cumpoz  ou  le  Voyage  de  Saint  Brandan. 
Nous  prendrons  toutefois  quelques  exemples  dans  les  poèmes  qui 
suivent  immédiatement  ceux  que  nous  venons  dénommer. 

L'Estorie  des  Engleis  de  Gaimar  nous  montre  un  nombre  assez 
considérable  d'infinitifs  de  la  troisième  conjugaison  à  la  rime  et 
toujours  ces  rimes  nous  les  montrent  sous  leur  forme  étymolo- 
gique. En  voici  quelques-unes  :  au  vers  3693,  nous  voyons  aveir 
rimant  avec  veir  (verum),  et  avec  eir  au  vers  4537;  receveir  rime 
avec  hair  au  vers  4552.  Les  rimes  de  ce  genre  ne  sont  pas  rares  dans 
ce  poème,  mais  il  n'est  pas  utile  d'en  citer  davantage.  Quant  aux 
rimes  contraires,  elles  n'existent  pas.  Les  interrimes,  il  est  vrai,  nous 
montrent  souvent  des  infinitifs  de  III  avec  la  désinence  de  la  pre- 
mière conjugaison,  mais  ces  formes  proviennent  des  scribes. 

Dans  Adgar_,  nous  trouvons  le  même  état  de  choses  ;  les  rimes 
correctes  sont  assez  communes,  comme  aveir  (:  seir),  XII,  1 5  ; 
sàveir  (:  seir),  XXI,  96;  mais,  pour  une  raison  ou  pour  une  autre, 
elles  sont  absolument  et  relativement  moins  nombreuses  que  dans 
l'Estorie  des  Engleis. 

Dans  le  Tristan  de  Thomas  la  seule  rime  qu'on  trouve,  c'est 
aveir  {:  neir)au  vers  156;  dans  la  Folie  Tristan,  zwV(videre)  (:  veir 
verum) au  vers  133.  Ni  la  Chronique  de  Fantosme,  ni  le  poème  de 
Horn  n'ont  une  seule  laisse  en  eir;  mais  on  peut  remarquer  que 
les  deux  poèmes  ont  chacun  plusieurs  centaines  de  vers  rimant  en 
er  et  qu'aucun  infinitif  de  III  ne  s'est  introduit  dans  ces  laisses.  De 


L  INFINITIF  393 

même,  les  rimes  en  eir  pour  les  infinitifs  de  III  sont  rares  dans  l'Ipo- 
médon,  les  rimes  en  ^r  absentes. 

Le  premier  ouvrage  en  vers,  à  notre  connaissance,  qui  nous 
donne  un  exemple  assuré  du  passage  des  infinitifs  de  III  à  la  forme 
des  infinitifs  de  I,  est  la  Vie  de  Sainte  Catherine  de  Sœur  Clémence 
de  Barking;  dans  ce  poème  nous  trouvons  au  vers  1321  la  rime, 
saveirÇ:  parler);  par  contre  les  rimes  régulières  sont  assez  nombreuses; 
par  exemple  poeir  (:  veir),  876.  La  date  de  la  composition  de  cet 
ouvrage  n'est  pas  très  facile  à  fixer  ;  une  étude  des  rimes  nous  a 
montré  qu'on  ne  pouvait  guère  le  faire  remonter  plus  haut  que  1 175  ; 
en  outre  il  est  certainement  antérieur  au  commencement  du 
XIII''  siècle.  On  doit  donc  considérer  qu'il  appartient  au  commence- 
ment du  quatrième  quart  du  xii^  siècle. 

A  la  même  époque  ou  à  très  peu  de  chose  près,  l'auteur  de  la 
Vie  de  Saint  Gilles  fait  rimer  maneir  avec  aprismer  au  vers  1623 
saveir  avec  veer  (vetare)  au  vers  3 121  ;  ici  encore  nous  pourrions 
citer  un  nombre  beaucoup  plus  considérable  de  rimes  régulières. 

Quelques  années  plus  tard,  le  Donnei  des  Amants  nous  offre 
encore  de  nouveaux  exemples,  plus  nombreux,  absolument  et  rela- 
tivement, que  dans  les  deux  ouvrages  précédents.  Dans  ce  Donnei 
des  Amants,  on  trouve  aver  rimant  trois  fois  avec  des  infinitifs  de  I, 
avec  doluserau  vers  143,  avec  aler  au  vers  950  ;  avec  parler  au  vers 
281.  Enfin  Everart  de  Kirkham,  qui  peut-être  n'a  écrit  qu'au 
xiii^  siècle,  nous  donne  un  assez  grand  nombre  de  ces  formes  dans 
ses  Distiques  :  poer  (:  ester)  (15  d)  ;  saver  (:  estriver)  (40  f)  ;  aver 
(:  duter)  (52  f);  (:  duner)  (55  f),  nombre  d'exemples  considérable 
étant  donné  le  peu  d'étendue  du  poème. 

Voilà  donc  ce  que  nous  font  connaître  les  écrivains  en  vers  du 
xii^  siècle.  Pendant  les  trois  premiers  quarts  nous  ne  trouvons  que 
des  rimes  régulières  ;  pendant  le  quatrième  quart  de  ce  même  siècle, 
les  rimes  régulières  continuent  à  dominer,  mais  au  moins  six  formes 
en  er  sont  dûment  attestées  :  saver  (Vie  de  Sainte  Catherine)  ; 
marier,  saver  (Vie  de  Saint  Gilles)  ;  aver  (Donnei  des  Amants,  trois 
fois)  ;  peut-être  10  :  poer,  saver,  aver  (2  fois),  si  les  Distiques  d'Eve- 
rart  de  Kirkham  ont  été  écrits  au  xii^  siècle. 

En  un  mot,  les  formes  correctes  dominent  pendant  tout  le  siècle; 
pendant  les  deux  ou  trois  dernières  décades  on  relève  un  petit 
nombre  de  terminaisons  irrégulières  dont  l'authenticité  est  cer- 
taine. 


^94  '•  '-EVOLUTION    DU    VKRRH    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

2.  Les  scribes. 

Ces  conclusions  cependant  ne  nous  suffisent  pas,  et  nous  devons 
maintenant  les  confronter  avec  celles  que  nous  fournit  l'étude  des 
manuscrits  qui  datent  du  xii^  siècle.  Il  est  évident  que  l'absence  des 
formes  nouvelles  dans  un  manuscrit,  reproduisant  un  ouvrage  anté- 
rieur à  la  Vie  de  Sainte  Catherine  ou  à  celle  de  Saint  Gilles,  ne 
peut  rien  nous  apprendre;  la  correction  du  texte  que  nous  lisons 
peut  tout  aussi  bien  provenir  de  la  fidélité  du  scribe  que  de  ses 
habitudes  propres  ;  ce  sont  surtout  les  formes  irrégulières  qui  sont 
instructives. 

Nous  avons  choisi  pour  faire  cette  étude  un  certain  nombre  de 
manuscrits  écrits  à  différentes  dates  du  xii^  siècle;  les  voici  dans 
leur  ordre  chronologique,  avec  leur  date  approximative. 

1 .  Manuscrit  L  de  l'Alexis,  vers  1150. 

2.  —         Cott.  du  Cumpoz  et  du  Bestiaire,  vers   11 50. 
3  .  —         A  de  l'Alexis,  un  peu  postérieur  à  1150. 

4.  —  A  du  Cumpoz,  —  1150. 

5.  —  Psautier  d'Oxford,  —  11 50. 

6.  —  Psautier  d'Arundel,  vers  ii6o(?). 

7.  —  Brandan,  vers  1 167. 

8.  —  Roland  d'Oxford,  vers  11 70. 

9.  —  Quatre  Livres  des  Rois,  3^  quart  du  xii' s. 

10.  —         O  du  Bestiaire,  versii75. 

11.  —         Egerton  des  Légendes  de  Marie,  fin  du  xii'  s. 

12.  —         Douce  des  vers  1268-3087  du  Tristan  de  Thomas 

dernières  années  du  xii'^  s. 

De  cette  façon  nous  avons  des  manuscrits  qui  couvrent  aussi 
exactement  que  possible  la  seconde  moitié  du  xii*  siècle. 

Nous  n'allons  pas,  pour  ces  différents  mss.,  citer  un  grand  nombre 
d'exemples  ;  nous  nous  contenterons  de  résumer  en  quelques  mots 
pour  chacun  d'eux  l'état  des  terminaisons  en   eir. 

Nous  allons  voir  que,  immédiatement  après  le  commencement 
de  la  seconde  moitié  de  ce  siècle,  les  terminaisons  irrégulières  en 
er  se  montrent  et  leur  nombre  augmente  assez  lentement  d'abord 
puis  plus  rapidement  à  mesure  qu'on  avance. 


I.  IXFIXITIF  ^95 

Dans  les  deux  premiers  mss.  que  nous  avons  cités,  nous  n'avons 
pas  relevé  un  seul  exemple  de  terminaison  irrégulière.  Les  premiers 
cas  de  désinence  en  er  pour  les  verbes  de  III  se  rencontrent  dans  les 
trois  manuscrits  un  peu  postérieurs  à  1150  :  le  ms.  A  de  l'Alexis 
en  a  quelques  exemples  (Cf.  Paris,  Introduction,  p.  74  et  strophe 
ro6  d)  ;  le  ms.  A  du  Cumpoz  en  contient  un  peu  plus  (par 
exemple  aux  vers  1199,  2134,  2175,  etc.);  le  Psautier  d'Oxford 
ne  nous  donne  qu'un  seul  cas  de  terminaison  en  er  pour  eir  : 
avcr(ioi,  14);  dans  le  manuscrit  qui  nous  a  donné  le  Voyage 
de  Saint  Brandan,  nous  relevons  chaer  (au  vers  657),  mimer 
(muveir)  (au  vers  16 14)  (cf  Stengel,  Zeitschrift  fiir  neufr.  Sprache 
und  Literatur,  I,  46)  ;  ces  formes  sont  propres  à  ce  manuscrit;  celui 
de  l'Arsenal  donne  chict,  mouvoir. 

Par  conséquent,  ces  six  manuscrits  nous  montrent  que,  au  com- 
mencement de  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle,  quelques  scribes  au 
moins  ignoraient  probablement  la  désinence  en  er  pour  les  infini- 
tifs de  III;  mais  que,  immédiatement  après  1150^  celle-ci  apparaît 
assez  rarement  d'abord  sous  la  plume  d'autres  scribes. 

Dans  le  Psautier  d'Arundel,  qui  ne  saurait  être  postérieur  de 
beaucoup  aux  derniers  manuscrits  que  nous  venons  de  citer,  s'il 
leur  est  postérieur,  le  nombre  de  ces  formes  nouvelles  devient 
subitement  beaucoup  plus  considérable;  ainsi  on  lit  :  ivcr  (15,  10); 
voer  (26,  19);  voicr  (33,  12),  pour  ne  citer  qu'un  seul  verbe;  dans 
le  Roland  d'Oxford,  nous  en  trouvons  encore  un  certain  nombre, 
comme,  au  vers  426,  saver. 

En  suivant  toujours  pas  à  pas  l'ordre  chronologique,  nous  voyons 
ces  terminaisons  augmenter  dans  une  proportion  considérable  dans 
les  Quatre  Livres  des  Rois  et  la  désinence  en  er  s'appliquer  à  presque 
tous  les  infinitifs  de  la  troisième  conjugaison  ;  nous  n'en  citerons 
que  quelques  exemples,  comme  wér.(II,  3,  6);  seer  (III,  i,  27); 
àseer  (\ll,  7,  21);  ta  mer  (l,  40,  20).  Le  manuscrit  des  Légendes  de 
Marie,  quoiqu'il  respecte  dans  un  bon  nombre  de  cas  les  désinences 
régulières  de  l'auteur,  peut  nous  fournir  toute  la  série  des  formes 
en  er,  et  il  serait  aussi  inutile  qu'ennuyeux  de  les  citer  toutes  : 
citons  au  hasard  estuver  (IK,  $S')  ;  seer  (V  K ,  198);  r7îrr  (XXVIII, 
118). 

Nous  ne  pouvons  que  répéter  à  propos  du  manuscrit  Douce  du 
poème  de  Tristan  ce  que  nous  venons  de  dire  du  manuscrit  des 


39<>  l'évolution  du  vkrbk  en  anglo-français 

Légendes  de  Marie  :  les  formes  nouvelles  y  sont  extrêmement  nom- 
breuses, comme  aver  (1301);  poer  (2454);  saver  (1791);  veer 
(2168);  voler  (2454). 

Par  conséquent  il  est  déjà  évident  que  les  renseignements  que 
nous  ont  fournis  les  manuscrits  concordent  parfaitement  entre  eux 
et  ils  sont  assez  nombreux  pour  emporter  la  conviction  que  les 
scribes,  dès  le  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xii*  siècle, 
employaient  la  terminaison  er  pour  les  infinitifs  de  III,  que  ces 
formes  nouvelles  augmentent  très  rapidement  et  que  vers  le  com- 
mencement du  quatrième  quart,  elles  sont  déjà  fort  communes. 

Si  nous  tentons  maintenant  de  combiner  les  résultats  que  nous 
fournit  l'étude  des  textes  et  celle  des  manuscrits,  nous  arrivons  à 
cette  conclusion  que  la  substitution  de  cr  à  eir  est  certainement 
antérieure  dans  les  seconds.  La  désinence  en  er  a  apparu  dans  la 
langue  des  auteurs  à  plus  d'un  quart  de  siècle  plus  tard  que  dans 
la  langue  des  manuscrits.  Il  y  a  en  effet  un  intervalle  d'au  moins 
trente  ans  environ  entre  le  ms.  A  du  Saint  Alexis  et  la  Vie  de  Sainte 
Catherine. 

Cette  différence  met  en  relief  la  discordance  évidente  qui  existe 
entre  les  deux  classes,  et  cette  discordance  est  double.  D'abord  nous 
remarquons  la  différence  de  dates  que  nous  signalions  ;  ensuite  une 
différence  entre  le  nombre  d'exemples  que  nous  rencontrons  dans 
chacune  d'elles,  à  un  moment  donné. 

En  effet  les  exemples  que  nous  fournissent  les  auteurs  ne  sont 
pas  seulement  sensiblement  plus  tardifs  que  ceux  qui  nous  sont 
donnés  par  les  scribes,  mais  ils  sont  constamment  moins  nombreux. 
Les  rimes,  qui  chez  eux  nous  assurent  de  l'existence  de  la  dési- 
nence ener  pour  les  infinitifs  de  III,  sont  très  rares,  et  nous  verrons 
tout  à  l'heure,  en  étudiant  la  même  question  au  xiii^  siècle,  qu'il 
n'y  a  rien  dans  la  nature  des  choses  pour  que  ce  nombre  ne  soit 
infiniment  plus  considérable. 

Les  scribes  sont  donc  doublement  en  avance  sur  les  auteurs  qui 
leur  sont  contemporains,  pour  la  date  et  pour  le  nombre  des 
exemples. 

Ainsi,  il  semble  à  première  vue,  surtout  si  nous  admettons  qu'il 
y  a  dans  l'anglo-français  une  certaine  unité,  pour  chaque  période, 
—  ceci  ne  peut  guère  être  nié  pour  l'anglo-français  du  xii^  siècle,  et 
cette  hypothèse  estla  condition  fondamentale  de  toute  étudegénérale 


L  INFINITIF  397 

sur  le  dialecte  anglo-français,  ■ —  qu'il  y  ait  une  contradiction  entre 
l'usage  des  auteurs  et  celui  des  scribes;  il  n'en  est  rien  cependant  et 
nous  verrons  dans  la  seconde  partie  de  ce  travail  que  ce  sont  ces 
divergences  mêmes  qui  nous  expliqueront  le  mécanisme  du  passage 
de  eir  à  er.  Pour  le  moment  nous  devons  nous  borner  à  exposer  les 

fiUtS. 

Pour  introduire  un  peu  d'ordre  et  de  clarté  dans  un  sujet  en  soi 
assez  confus,  il  sera  bon  de  diviser  les  auteurs  du  xiii^  siècle  en  trois 
classes  :  ceux  qui  ne  présentent  jamais  à  la  rime  un  infinitif  de  III 
et  une  terminaison  en  er  ;  ceux  pour  lesquels  nous  trouvons  à  côté 
des  rimes  régulières  d'autres  qui  nous  montrent  que  ces  infinitifs 
ont  aussi,  à  l'occasion  du  moins,  la  nouvelle  forme  ;  enfin  ceux  qui 
par  leurs  rimes  nous  donneraient  à  croire  qu'ils  ne  connaissent  pas 
ou  ne  veulent  plus  employer  la  forme  correcte'. 

Il  est  évident  que  les  renseignements  qui  nous  sont  tournis  par 
les  auteurs  de  la  première  et  de  la  dernière  classe  ne  nous  per- 
mettent pas  de  tirer  des  conclusions  très  rigoureuses.  Que  les 
formes  en  eir  ou  celles  en  er  soient  absentes  des  rimes,  cela  peut 
n'être  après  tout  que  l'effet  du  hasard;  mais  ces  renseignements  qui, 
pris  isolément,  n'ont  guère  que  la  valeur  de  présomptions,  prennent 
une  tout  autre  importance  quand  ils  sont  groupés  ;  on  peut  à  la 
rigueur  admettre  le  hasard  pour  un  auteur;  il  est  beaucoup  plus 
difficile  de  l'admettre  pour  deux,  surtout  s'ils  sont  chronologique- 
ment voisins. 

I.  Auteurs  ne  montrant  pas  à  la  rime  la  terminaison  er,  pour 
les  verbes  de  III.  — Il  n'y  a  que  peu  d'auteurs  à  entrer  danscetpe  caté- 
gorie :  de  tous  les  ouvrages  du  xiii^  siècle  que  nous  avons  lus,  nous 
n'en  trouvons  que  trois  qui  n'emploient  jamais  à  la  rime  un  infini- 
tif de  III  avec  un  mot  terminé  par  cr;  ces  trois  ouvrages  sont  le 
Saint  Laurent,  le  Saint  Julien,  le  Saint  Edmund.  Ils  ont,  au  con- 
traire, tous  les  trois  des  rimes  régulières. 

Par  exemple,  dans  le  Saint  Laurent,  veer  (lire  veeir)  rime  avec 
espeir  au  vers  622  (cas  unique).  Le  Saint  Julien  a  solcir  ('.  espeir) 
69  r°  (cas  unique)  et  nous  trouvons  les  deux  rimes  suivantes  dans 
le  Saint  Edmund  :  saveir  (:   veir)  (432);  aveir  (:  eir)  (457).  Donc 

I.  Nous  ne  parlons:  1°  que  des  poèmes  d'une  certaine  longueur;  2°  que  des 
poèmes  qui,  sous  une  des  deux  formes,  ont  à  la  rime  des  infinitits  de  III. 


^9S  1. "ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-lKANÇAlS 

nous  trouvons  pour  ces  trois  poèmes:  r'  absence  absolue  des  rimes 
cir  :  er;  2^  quatre  rimes  régulières.  On  peut  encore  citer,  pour 
mémoire,  des  poèmes  assez  courts  qui  n'ont  aucune  rime  en  er  où 
entre  un  infinitif  de  III.  Le  Poème  Allégorique  qui  a  aver,  saver 
(:  veir)  au  vers  6i-6^,  et  le  Roman  des  Romans  où  aveir  rime  avec 
vcir  au  vers  574.  Comme  on  le  voit,  le  nombre  des  auteurs  et  des 
rimes  qu'ils  fournissent  est  mince,  et  ne  saurait  nous  prouver 
grand'chose. 

IL  Auteurs  ayant  à  la  rime  les  deux  terminaisons  pour  les  infi- 
nitifs de  III.  —  Il  n'y  a  qu'un  nombre  insignifiant  d'auteurs  à  avoir 
simultanément  lesdeux  sortesde  rimes  :  le  seul  important  parmi  eux, 
c'est  Frère  Angier;  celui-ci  mélange  très  librement  les  deux  formes, 
ùiais  non  sans  une  certaine  méthode.  Comme  le  fait  très  justement 
remarquer  Miss  Pope,  ce  n'est  que  très  rarement  que  les  verbes 
auxiliaires  de  temps  ou  de  mode  :  aveir,  voleir,  poeir  (et  elle  aurait 
pu  ajouter  saveir')  nous  montre  le  passage  de  eir  à  er  (cf.  Miss 
Pope,  op.  cit.,  p.  62  et  Timothy  Cloran,  p.  45).  Les  autres 
infinitifs  de  III,  au  contraire,  prennent  fréquemment  la  dési- 
nence des  verbes  de  la  première  conjugaison.  Nous  allons  en  citer 
quelques  exemples  d'après  Miss  Pope.  Le  verbe  veeir  se  montre  sou- 
vent sous  la  forme  voier  qu'on  trouve  à  la  rime  avec  altier  au  vers 
2353  de  la  Vie  de  saint  Grégoire,  avec  arester  et  apaier  dans  les  Dia- 
logues (respectivement  3  r°  b,  13  r''  a);  le  verbe  seeir  a  une  forme 
analogue:  soier,  qui  se  rencontre  au  vers  1578  de  la  Vie  de  Saint 
Grégoire  ;  citons  encore  arder,  qui  rime  avec  conter  dans  les  Dia- 
logues (21  r°  b)  et /ra'i'^r  que  nous  trouvons  à  la  rime  avec  entier 
dans  le  même  poème  (21  r°  b).  Mais  il  n'est  pas  douteux  que  Frère 
Angier  n'emploie  plus  souvent  les  formes  régulières;  voir  par  exemple 
se  montre  sous  la  forme  voieir,  qui  nous  est  assurée  par  la  rime 
(:  espeir),  dans  les  Dialogues  (90  b,  5,  cité  par  Timothy  Cloran, 
p.  4));  elle  rime  encore  avec  veir  (dans  les  Dialogues,  138  r°  b)  et 
avec  valeir  (ibid.,  137  r°  b).  Nous  trouvons  de  la  même  façon  soieir, 
recevoir,  eschiveir.  Ces  différentes  formes  ont  été  citées  par  Miss 
Pope. 

Il  n'y  a  que  peu  de  différences  entre  l'usage  de  Frère  Angier  et 
celui  que  suit  Robert  de  Gretham  ;  dans  les  Évangiles  desDompnées, 
les  exemples  des  formes  régulières  sont  sensiblement  plus  nom- 
breux  que  les  autres.    Nous   pouvons    citer    parmi    les    premières 


L  INFINITIF  399 

iiianair,  qui  rime  avec  seir  au  folio  7  r''  ;  aperceveir,  qui  rime  avec  veir 
au  folio  22  r°;  aveir  se  montre  plus  d'une  fois  à  la  rime,  comme 
(:  espeir)  aux  folios  26  v°  et  33  r°;  citons  encore  recevair  à  la  rime 
avec  vair  (verum)  au  folio  61  v°.  De  plus,  et  nous  croyons  que 
cette  remarque  a  quelque  importance,  toutes  les  interrimes  pré- 
sentent la  forme  régulière. 

Les  autres  cependant  ne  sont  pas  rares,  nous  avons  relevé  les 
rimes  suivantes:  recever  (:  abaisser)  au  folio  20  r°,  veer  (:  mester) 
au  folio  60  v°;  seer  (:  manger)  au  folio  85  r",  etc.  Nous  ne  pousse- 
rons pas  plus  loin  cette  énumération. 

Ajoutons  enfin  quelques  exemples  que  nous  avons  relevés  dans 
le  Sermon  en  vers  Deu  le  Omnipotent  ;  dans  ce  poème,  la  propor- 
tion des  formes  en  er  et  des  terminaisons  régulières  en  eir  est  con- 
sidérablement en  faveur  de  la  première  ;  nous  n'avons  qu'une  seule 
rime  pour  les  secondes,  aver  rimant  avec  seir  (strophe  6  e),  tandis 
que  les  premières  apparaissent  six  fois  :  aver  rime  avec  naufrer  (5 
d)  ;  avec  penser  (15  e)  ;  avec  recorder  (117  b);  saver  rime  avec 
averser  (50  a);  valer  avec  sauver  (118  e);  poer  awec  régner  (121  c). 
Dans  une  question  comme  celle-ci,  des  proportions  basées  sur  la 
rime  uniquement  ne  signifient  pas  grand'chose  ;  les  chiff"res  précé- 
dents cependant  montrent  que  les  formes  nouvelles  ne  sont  pas 
loin  d'avoir  dépossédé  les  terminaisons  régulières. 

III.  Auteurs  ne  faisant  rimer  qu'en  er  les  infinitifs  de  III.  — 
Les  auteurs  dont  les  rimes  ne  montrent  jamais  la  forme  étymo- 
logique pour  les  infinitifs  de  III  forment  la  grande  majorité  des 
écrivains  anglo-français  du  xiii^  siècle.  Dès  les  premières  années  de 
ce  siècle,  l'un  des  auteurs  les  plus  importants  de  cette  période, 
Chardri,  ne  nous  donne  jamais  une  forme  assurée  en  er.  Au  con- 
traire, les  rimes  qui  accouplent  un  infinitif  de  I  et  un  infinitif  de 
III  sont  très  nombreuses  ;  aver  par  exemple  rime  avec  grever  au 
vers  88  du  Josaphat  ;  avec  déliter  (au  vers  247)  ;  avec  désirer  (au 
vers  249)  ;  saver  dans  ce  même  poème  rime  avec  espleiter  (au  vers 
1072)  et  avec  repruver  au  vers  682  du  Petit  Plet. 

Si  nous  passons  aux  poèmes  de  Simund  de  Freine,  nous  pouvons 
faire  la  même  remarque  ;  citons  certaines  de  ces  rimes,  dont 
quelques-unes  sont  très  riches..  Veer  rime  avec  forveer  au  vers  1571 
du  Roman  de  Philosophie  ;  avec  neer  au  vers  1151  du  même  poème 
et  avec  reneer  aux  vers  13  et  1643  du  Saint  Georges;  avec  preer  au 


400  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

vers  81 1  du  même  poème.  Ajoutons-y  aver  qui  rime  avec  graver 
dans  le  Roman  de  Philosophie  au  vers  431,  et  seer  qui  rime  avec 
reneer  au  vers  435  du  Saint  Georges. 

Les  exemples  se  multiplient  à  mesure  que  nous  avançons  dans 
le  XIII'  siècle,  et  il  serait  difficile  et  oiseux  de  vouloir  les  citer  tous. 
Si  par  exemple  nous  étudions  les  rimes  de  Boeve  de  Haumtone, 
nous  verrons  que  les  laisses  en  er  sont  très  nombreuses,  elles  sont 
au  nombre  de  quarante  et  une  ',  et  que  plusieurs  de  ces  laisses, 
surtout  celles  qui  se  trouvent  dans  la  seconde  moitié  du  poème, 
sont  très  longues.  Dans  la  plupart  de  ces  laisses  nous  trouvons 
quelques  infinitifs  de  III  (cf.  par  exemple  laisses  21,  92,  104,  115, 
117,  116,  121,  127,  129,  148  et  pour  les  noms  verbaux  92,  104, 
129,  148,  155). 

Comme  on  le  voit,  sans  être  en  nombre  très  considérable,  ces 
laisses  montrent  amplement  que  les  infinitifs  de  III  rimaient  très 
librement  avec  des  mots  terminés  en  er. 

Après  Boeve,  nous  nous  trouvons  embarrassés  par  la  multitude 
des  exemples  :  tous  les  verbes  de  III  se  trouvent  avec  la  terminaison 
de  l'infinitif  de  I  dans  chaque  auteur. 

En  continuant  à  suivre  l'ordre  chronologique  que  nous  avons 
suivi  jusqu'ici  pour  cette  question,  voici  quels  sont  les  exemples 
que  nous  pouvons  en  donner.  Nous  ne  répéterons  pas  tous  les 
exemples  d'aver,  voler,  poer;  nous  nous  contenterons  de  donner 
une  référence  pour  ces  verbes  sans  préciser  celui  auquel  nous  avons 
affaire;  nous  ne  donnerons  les  citations  complètes  que  pour  les 
verbes  qui  ne  sont  pas  auxiliaires  de  mode  ou  de  temps. 

Dans  le  poème  sur  Edward  le  Confesseur,  nous  rencontrons  ce 
passage  de  III  à  I  à  la  rime  du  vers  437  etc.  et  chakr  (:  manacer) 
au  vers  882  ;  la  Genèse  Notre-Dame  a  de  nombreux  cas  analogues  : 
valer  rime  avec  aler  (46  v°)  ;  ver  avec  ester  (50  r°)  ;  arder  avec 
achever  (68  r°)  et  on  trouve  encore  quelques  autres  rimes  aux 
folios  48  r°,  74  v",  etc. 

Saint    Auban    emploie   ces   infinitifs    très   volontiers  à   la   rime 

I.  Liste  donnée  par  Stimming,  p.  xlix  ;  dans  cette  liste  quelques  erreurs  de 
chiffres  se  sont  glissées;  il  faut  lire  55  au  lieu  de  62,  effacer  81  et  ajouter  165. 
Nous  ne  comptons  pas  les  nombreuses  laisses  où  les  rime  en  è  et  en  er  sont 
mélangées,  par  exemple  laisses  168,  175,  181,  205,  etc.  Nous  n'avons  trouvé 
aucun  infinitif  de  III  dans  ces  dernières. 


L  INFINITIF  401 

comme  purvoier  à  la  rime  du  vers  1695;  aparer  à  celle  du  vers 
1286;  recever  à  celle  du  vers  13  13  ;  ver  et  voier  respectivement  aux 
vers  761  et  941;  on  peut  ajouter  les  rimes  des  vers  70e,  13 13. 

On  peut  aussi  voir  la  rime  des  vers  94-95  de  la  Plainte  Notre- 
Dame,  les  vers  97,  558  de  la  Plainte  d'Amour,  et  dans  ce  même 
poème,  au  vers  422,  la  rime  apparer  (:  parler).  Veer  rime  avec  esgar- 
der  dans  l'Érection  des  Murailles  de  New  Ross  (au  vers  130); 
avec  visiter  et  penser  dans  la  Satire  sur  le  Siècle  (respectivement 
aux  folios  85  v°  et  86  v°),  et  au  folio  83  r°  de  ce  même  poème,  on 
\ohvaIer  rimer  avec  oster,  rime  que  l'on  retrouve  à  peu  près  telle 
quelle  dans  la  Lumière  as  Lais  (au  vers  503).  Pierre  de  Peckham  a 
aussi  un  verbe  que  l'on  rencontre  moins  souvent  sous  cette  forme, 
parce  qu'il  est  moins  usuel  que  ceux  que  nous  avons  vus  jusqu'ici  : 
cbaler  qui  rime  avec  manacer  (au  vers  882).  William  de  Wadding- 
ton,  qui  a  un  nombre  considérable  de  ces  rimes,  emploie  aussi  cet 
infinitif  sous  cette  forme  à  la  rime  du  vers  7714;  les  autres  exemples 
qu'on  trouve  chez  cet  auteur  se  lisent  aux  vers  1245  (l'ulci-); 
2757  {ver');  3268  {ser);  1205,  etc. 

Pour  en  finir  avec  le  xiii^  siècle,  citons  quelques  rimes  de  Der- 
mod  :  vers  76,  311,  622,  941  (doler);  (>/[%  (estovcr);  1346  (rema- 
ner)  ;  476  (ver). 

L'on  a  pu  voir  que  les  exemples  tirés  des  rimes  des  difiérents 
poèmes  du  xiir'  siècle  sont  très  nombreux  ;  ils  auraient  pu  l'être 
davantage  si  nous  avions  voulu  donner  tous  les  exemples  que  nous 
avons  relevés  dans  chaque  auteur  de  ce  siècle.  Telle  qu'elle  est, 
cette  liste  nous  paraît  suffisamment  longue  pour  notre  dessein. 

Des  trois  catégories  d'auteurs  que  nous  avons  distingués  au 
xiii"  siècle,  la  plus  importante  est  sans  contredit  la  troisième.  Du 
moins  elle  nous  fait  connaître  —  tant  par  le  nombre  d'écrivains 
qu'elle  contient  que  par  le  nombre  d'exemples  significatifs  que  leurs 
ouvrages  nous  présentent  —  l'usage  général  du  xiii^  siècle. 

Les  deux  autres  catégories  qui  contiennent  un  nombre  beaucoup 
moins  considérable  d'auteurs  n'ont  probablement  pas  la  même 
importance,  surtout  si  on  fait  entrer  en  ligne  de  compte  le  fait  que 
l'anglo-gallicisme  de  certains  de  ces  auteurs,  Frère  Angier  par 
exemple  ou  l'auteur  du  Saint  Laurent,  a  pu  être  mis  en  doute. 

Cependant,  pour  ce  passage  de  eir  à  er  nous  aurons  à  trouver 

une  explication  générale  qui  rende  compte  à  la  fois  de  l'usage  ordi- 

26 


402  L  EVOLUTION    DU    VHRI5H    EX    AXGLO-rRANÇAIS 

naire  et  des  exceptions  à  cet  usage.  Nous  l'essaierons  plus  tard. 
Maintenant  la  seule  conclusion  qui  s'impose  c'est  que  les  auteurs 
de  la  première  catégorie  représentent  une  exception  et  l'usage 
archaïque  ;  ceux  de  la  deuxième  un  compromis  entre  la  terminaison 
correcte  et  la  forme  nouvelle;  l'autre  classe  nous  montre  que  les 
rimes  des  infinitifs  en  eir  avec  les  mots  en  er  simple  se  généralise 
très  rapidement  pendant  le  cours  du  xiii^  siècle.  A  partir  du  milieu 
de  ce  siècle  la  terminaison  en  er  a  gagné  tous  les  infinitifs  de  III; 
la  terminaison  régulière  a  entièrement  disparu  pour  faire  place  à  la 
terminaison  analogique.  Ce  changement,  comme  nous  l'avons  vu, 
ne  s'est  pas  effectué  tout  d'un  coup  :  si  nous  ne  tenions  compte 
que  des  rimes  que  nous  avons  relevées  au  xiii"  siècle,  la  terminai- 
son er  aurait  pris  moins  d'un  demi-siècle  pour  se  substituera  la  ter- 
minaison tir  (du  Saint  Gilles  à  Chardri  ou  à  Boeve  de  Haumtone); 
si  nous  faisons  entrer  en  ligne  de  compte  les  résultats  que  nous 
fournit  l'étude  des  manuscrits,  nous  voyons  que,  pour  que  ce  chan- 
gement s'accompHt,  il  a  fallu  un  temps  beaucoup  plus  long,  à  peu 
près  un  siècle,  ce  qui  est  beaucoup  plus  vraisemblable. 

Le  commencement  du  xiv=  siècle  n'est  évidemment  pour  les 
œuvres  purement  littéraires  que  la  continuation  de  l'état  que  nous 
venons  de  préciser  pour  la  seconde  partie  du  xiii"^  siècle. 

C'est  dire  que  les  terminaisons  en  cr  pour  les  infinitifs  de  III 
sont  des  plus  communes;  et  évidemment,  nous  ne  donnerons  pas 
ici  les  exemples  qu'on  peut  rencontrer  à  cette  époque  et  qui  ne 
sont  qu'une  répétition  de  ceux  que  nous  avons  vus  auparavant. 
Nous  pouvons  toutefois  en  donner  quelques-uns  que  nous  n'avons 
pas  encore  rencontrés  et  qui  montreront  qu'aucun  verbe  n'échappe 
au  travail  d'assimilation  qui  s'est  fait  pendant  le  dernier  siècle. 

C'est  ainsi  que  nous  rencontrons  fort  communément  cheicr, 
quoique  ce  verbe  ait  encore  plusieurs  autres  formes  pour  son  infi- 
nitif, comme  nous  le  verrons  du  reste  plus  tard  ;  la  terminaison  de 
la  première  conjugaison  se  trouve  à  la  rime  (:  sauver)  au  vers  207 
de  l'Apocalypse,  à  la  page  100  de  Foulques  Fitz  Warin.  Nous 
n'avons  pas  eu  jusqu'ici  de  très  nombreux  exemples  du  verbe  moz'er; 
nous  en  trouvons  plusieurs  au  xiv^  siècle  ;  cette  forme  est  com- 
mune dans  Pierre  de  Langtoft  (voir  par  exemple  I,  124,  13  :  I, 
396,  16);  dans  la  Chronique  de  Londres  (comme  à  la  page  55, 
sous  la  date  1326).  Le  verbe  cstovcir  est  rarement  employé  à  l'in- 


L  INFINITIF  403 

tinitifen  anglo-français;  nous  trouvons  cet  infinitif  avec  une  termi- 
naison en  er  rimant  avec  corouner  au  vers  39  de  la  Lamentation  sur 
la  Mort  d'Edward  I".  Arder  est  commun  dans  Pierre  de  Langtoft 
(I,  228,  29  ;  I,  3z)é,  22);  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (§  92); 
dans  Nicolas  Trivet  (43  r°). 

Nous  arrêterons  là  nos  citations,  mais  uniquement  parce  qu'il 
nous  semble  inutile  de  les  multiplier.  Il  nous  reste  maintenant  à 
exposer  un  fait  plus  important,  dont  les  œuvres  littéraires  peuvent 
nous  donner  une  idée,  mais  qui  ne  nous  apparaîtra  dans  toute  son 
étendue  que  dans  les  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature. 
C'est  la  réapparition  de  la  terminaison  régulière  à  l'infinitif  de  la 
troisième  conjugaison.  Nous  avons  dit  qu'au  xiii'^  siècle,  au  moins 
après  1250,  la  désinence  en  eir  avait  entièrement  disparu  ;  au  com- 
mencement du  siècle  suivant,  et  surtout  pendant  la  seconde  moitié, 
ces  terminaisons  reparaissent. 

Nous  n'en  trouvons  aucun  exemple  à  la  rime,  ce  qui  peut  nous 
porter  à  croire  que  les  exemples  que  nous  en  relevons,  comme 
avoyr  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  398,  18;  I,  416,  i  ;  II,  54,  4)  ou 
dans  le  corps  du  vers  1 66  de  la  Bounté  des  Femmes,  appartiennent 
aux  scribes  et  par  conséquent  à  la  seconde  moitié  du  siècle. 

Cependant  quelques  manuscrits  écrits  avant  1350  nous  offrent 
plusieurs  exemples  indiscutables  ;  ici  encore  nous  retrouvons, 
quoique  moins  clairement  marquée,  la  contradiction  qui  nous  frap- 
pait lorsque  nous  classions  les  premiers  exemples  du  passage  des 
infinitifs  de  III  à  la  forme  de  I.  C'est  dans  les  manuscrits  datant  de 
II 50  environ  que  nous  trouvons  les  premiers  exemples  de  la  ter- 
minaison er  pour  les  infinitifs  en  eir,  tandis  que  les  exemples  assu- 
rés par  la  rime  sont  postérieurs  de  25  ou  30  ans  au  moins;  de 
même  ces  mêmes  infinitifs  reprennent  leur  désinence  étymologique 
plusieurs  années  plus  tôt  sous  la  plume  des  scribes  que  sous  celle 
des  auteurs.  Ici,  la  différence  est  moins  frappante,  et  son  impor- 
tance est  beaucoup  moindre.  Mais  elle  valait  la  peine  d'être  signalée. 
C'est  ainsi  que  nous  trouvons  dans  le  ms.  de  la  Bodléienne  qui 
nous  donne  les  Règles  de  Grosseteste,  Douce  98,  un  grand  nombre 
de  ces  terminaisons  en  oir  (cf.  p.  130)  ;  de  même  le  ms.  de  l'Univer- 
sité de  Cambridge  Ee,  i,  1  (Traité  de  Hosebonderic  de  Waltcr  de 
Henle\)  donne  ai'oyr  {^,  6,  26),  savûyrÇ/\,  6,  12,  32).  Nouscitons 
ces  mss.  parce  qu'ils  nous   donnent  un  ncmbie  assez  considérable 


.(04  l'kVOLUTIOX    du    VKRBt:    EX    ANGLO-IRANÇAIS 

de  ces  formes;  mais  on  en  pourrait  trouver  dans  la  plupart  des  mss. 
de  la  première  moitié  de  ce  siècle. 

Ce  n'est  que  vers  la  fin  de  ce  siècle  que  les  auteurs  nous  montrent 
de  ces  formes  régulières  des  infinitifs  de  III  employées  avec  une 
grande  fréquence.  Nicolas  Trivet  par  exemple  nous  donne  des 
exemples  fort  nombreux,  comme  savoir  (au  folio  2  r°  et  passivi), 
avoyr  (6  r°  et  très  fréquemment  dans  le  reste  de  l'ouvrage);  pour 
les  autres  verbes,  les  exemples  sont  beaucoup  moins  communs; 
nous  avons  encore  trouvé  asseoir  (au  folio  48  v°)  et  quelques 
autres. 

C'est  dans  le  poème  du  Prince  Noir  que  nous  pouvons  rencontrer 
le  plus  grand  nombre  de  ces  formes  et  les  exemples  les  plus  assu- 
rés; ils  se  trouvent  en  effet  très  fréquemment  à  la  rime;  citons-en 
quelques-uns  ici  :  recevoir  rime  avec  voir  (veriun)  (a.\i  vers  7);  de 
même  qu'avoir  (au  vers  112),  veer  (au  vers  1258)  et  veoir  (au  vers 
1456).  On  peut  voir  sur  ce  point  l'introduction  de  l'édition  de 
Miss  M.  K.  Pope  à  la  page  xvi. 

Nous  pouvons  maintenant  résumer  en  quelques  mots  l'histoire 
des  acquisitions  que  les  infinitifs  de  I  ont  faites  parmi  les  verbes  de 
la  troisième  conjugaison  : 

I"  Entre  11 10  et  1150  les  verbes  de  III  conservent  à  leur  infini- 
tif la  désinence  régulière. 

2°  Entre  11 50  et  1175  environ,  un  assez  grand  nombre  de  dési- 
nences en  er  se  trouvent  employées  pour  ces  verbes,  mais  unique- 
ment par  les  scribes. 

3°  Ce  n'est  que  vers  1175  que  les  nouvelles  formes  des  infinitifs 
de  III  sont  attestées  par  la  rime  dans  les  œuvres  littéraires. 

4"  Entre  1175  et  1200  elles  restent  très  rares  pour  les  auteurs 
eux-mêmes  et  deviennent  assez  nombreuses  sous  la  plume  des 
scribes. 

5°  Pendant  les  premières  années  du  xiii'^  siècle,  le  nombre  de 
ces  formes  augmente  et  on  ne  trouve  qu'un  nombre  insignifiant 
d'auteurs  qui  ne  les  emploient  pas. 

6°  Pendant  le  reste  de  ce  siècle,  les  formes  régulières  dispa- 
raissent entièrement. 

7°  Au  commencement  et  pendant  la  première  moitié  du 
xiV  siècle,  les  auteurs  continuent  à  suivre  l'usage  de  la  période  pré- 
cédente ;  mais  on  remarque  chez  les  scribes  qui  ont  écrit  à  cette 
époque  un  nombre  assez  considérable  de  formes  étymologiques. 


l'infinitif  405 

8°  Au  milieu  et  à  la  tin  de  ce  même  siècle,  les  auteurs  à  leur 
tour  reprennent  les  désinences  régulières  pour  les  infinitifs  de  la 
troisièine  conjugaison. 

On  voit  donc  qu'il  y  a  eu  dans  les  changements  successifs,  pour 
ne  pas  dire  l'évolution,  que  les  infinitifs  en  eir  ont  subis  en  anglo- 
français  une  certaine  régularité.  On  peut  évidemment,  et  nous 
l'avons  fait,  relever  un  certain  nombre  de  déviations  et  d'excep- 
tions ;  cela  est  inévitable  dans  tous  les  dialectes,  et  à  plus  forte  rai- 
son, nous  devons  nous  attendre  à  les  rencontrer  dans  l'anglo- 
français.  Mais  elles  n'empêchent  pas  que  le  dessin  général  ne  reste 
très  nettement  marqué. 

Dans  les  œuvres  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature,  nous 
trouvons  un  état  de  choses  qui  n'est  pas  essentiellement  différent, 
quoiqu'il  présente  un  certain  nombre  de  traits  particuliers.  Il  nous 
semble  préférable,  même  indispensable,  de  faire  désormais  une  dis- 
tinction entre  les  différents  verbes  de  III  et  d'étudier  séparément 
dans  une  première  classe  les  deux  infinitifs  d'avoir  et  de  savoir  et 
dans  une  seconde  tous  les  autres  infinitifs. 

Dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques,  la  forme  aver,  saver 
est  relativement  commune  entre  1285  et  1300;  on  la  trouve  répé- 
tée à  cette  date  une  vingtaine  de  fois  dans  les  Statutespar  exemple  : 
(cf.  1275,1,  28,  33,  34  ;  1278,  I,  45,  trois  fois;  1283,  I,  53  ;  1285, 
I,  98;  1297,  I,  123,  124).  Il  en  est  de  même  des  Parliamentary 
Writs  (cf.  1282,  I,  12;  1290,  I,  24);  dans  les  Lettres  de  Jean  de 
Peckham  (1283,  405,  etc.)  et  dans  les  Rymer's  Foedera;  et  elle  est 
relativement  fréquente  dans  le  Blacke  Booke  of  the  Admiralty  (cf. 
1291,  II,  1 8  et /)aj5/m),  dans  les  Annales  de  Burton. 

Mais,  même  à  cette  époque,  on  peut  déjà  relever  un  nombre 
assez  considérable  de  formes  régulières  :  les  infinitifs  avoir  et  savoir 
existent  et  sont  employés,  quoique  leur  nombre  soit  intérieur  à 
celui  des  autres  formes.  Les  Statutes  nous  en  fournissent  plusieurs 
exemples,  et  nous  allons  en  donner  quelques-uns  : 

Les  premiers  exemples  que  nous  ayons  appartiennent  aux  der- 
nières années  du  xiii*  siècle  :  (cf.  1297,  I,  123,  124;  1299,  I,  131, 
131,  132;  1300,1,  138,  et  quelques  autres).  Comme  nous  le  disions 
plus  haut,  pour  l'ensemble  de  cette  période,  le  nombre  des  cas 
réguliers  reste  inférieur  à  celui  des  autres,  mais  aussitôt  que  la  forme 
apparaît  dans  les  Statutes,  elle  devient  immédiatement  aussi  com- 


[Ob  l/liVOLUTlOK    DU    VKRBE    EN    ANGLO-1-RANÇA.IS 

mune  que  l'autre  ou,  plus  précisément,  si  pour  l'ensemble  de  la 
période  1 278-1 300,  er  est  dans  ce  recueil  environ  trois  fois  plus 
nombreux  que  eir,  pour  les  trois  dernières  années  du  xiir  siècle,  la 
première  terminaison  ne  représente  plus  que  60  %  environ  du  total. 
Nous  pourrions  probablement  en  dire  autant  des  Rymer's  Foedera 
s'il  était  aussi  facile  et  aussi  sûr  d'établir  des  m,oyennes  pour  ce 
recueil  ;  nous  nous  contenterons  de  dire,  pour  rester  dans  la  stricte 
exactitude,  que  le  nombre  de  formes  étymologiques  devient  assez 
grand  dans  ce  recueil  ù  la  fin  du  xiii^  siècle. 

Pendant  la  même  période,  les  Literae  Cantuarienses  (cf.  1299, 
197),  le  Liber  Albus  (cf.  1243,  m)  en  présentent  des  exemples 
qui  ne  sont  pas  rares.  En  un  mot  tous  les  ouvrages  politiques  et 
familiers  que  nous  avons  étudiés  nous  offrent,  pour  les  dernières 
années  du  xni^  siècle,  un  état  de  choses  semblable  à  celui  que  nous 
avons  décrit  pour  les  Statutes. 

Pendant  les  quatre  premières  décades  du  xiv^  siècle  (1300-1340), 
les  formes  anglo-françaises  en  er  pour  l'infinitif  de  ces  deux  verbes 
subsistent  encore  dans  les  Statutes  et  les  recueils  analogues  ;  on  en 
trouve  encore  un  certain  nombre,  et  nous  avons  relevé  dans  les 
Statutes  une  quinzaine  de  ces  formes,  par  exemple  aver  qui  se 
trouve  dans  les  passages  suivants  :  1315,  I,  174,  178;  1321,!, 
182,  183;  1322,  I,  186;  1323,  I,  191,  etc.;  de  même,  dans  les 
Parliamentary  Writs  (1316,  II,  3).  Rymer  nous  en  offre  aussi  des 
exemples  plus  nombreux  (1339,  V,  138  etpassiui);  et  cette;  forme 
est  assez  commune  dans  les  Literae  Cantuarienses  Çd.  1326,  171  ; 
1324,  234,  etc.). 

Malgré  tout,  c'est  la  forme  en  oir  qui  à  cette  date  domine  nette- 
ment dans  la  plupart  des  recueils  :  il  suffit  pour  s'en  convaincre  de 
lire  les  Statutes  de  cette  époque  ;  le  nombre  de  formes  régulières 
est  considérable;  nous  en  avons  relevé  environ  une  cinquantaine 
et  nous  n'avons  pas  la  prétention  d'en  avoir  fait  un  dénombrement 
complet.  Pour  donner  une  idée  de  la  proportion  à  cette  époque  des 
formes  en  er  et  de  celles  en  eir,  nous  ne  pouvons  pas  faire  mieux 
que  de  la  chercher  dans  un  Statut  qui  contient  de  nombreux 
exemples  de  ces  infinitifs;  ce  Statut  porte  la  date  de  1340;  on 
trouve  la  forme  avec  voyelle  simple  aux  pages  suivantes  :  285 
(2  fois),  287,  291  ;  celle  qui  montre  la  diphtongue  se  lit  aux  pages 
283,    284,  286,   287,  290,  291,  293,  295,  297,  298  (2  fois);  par 


L  INFINITIF  407 

conséquent  le  rapport  entre  ces  deux  formes  serait  4/1 1.  Ce  Statut 
ne  diffère  en  rien  des  autres  et  peut  être  choisi  comme  type,  et  cela 
suffit  à  montrer  combien  la  forme  étymologique  est  répandue.  Il  est 
impossible  de  citer  tous  les  exemples  de  formes  étymologiques  dans 
les  Traités  de  Rymer  ;  ici  encore  nous  trouvons  qu'elles  surpassent 
d'une  façon  considérable  les  formes  purement  anglo-françaises  (on 
pourra  en  trouver  de  nombreux  exemples  dans  les  passages  ci- 
après  :  1302,  II,  913;  1303,  II,  928;  1311,111,  262;  1331,1V, 
49).  Et  il  en  va  de  même  pour  les  autres  recueils,  par  exemple  le 
Liber  Rubeus  de  Scaccario,  qui,  à  la  date  de  1323,  offre  de  nom- 
breux cas  de  cette  forme  (aux  pages  868,  876,  886),  ou  les  Literae 
Cantuarienses  ou  le  Liber  Albus. 

L'on  peut  à  peine  dire  qu'on  observe  une  différence  sensible  dans 
les  vingt  années  qui  suivent  (1340- 13 60);  avcr  tisaver  apparaissent 
toujours  et  le  rapport  de  ces  formes  aux  formes  normales  est  sensi- 
blement le  même  ;  mais  nous  observons  entre  ces  deux  dates,  sur- 
tout dans  les  Statutes,  un  fait  qui  était  déjà  apparent  quelques 
années  auparavant  ;  dans  ce  dernier  recueil  en  effet  la  plupart  des 
terminaisons  er  pour  la  période  qui  nous  occupe  maintenant  sont 
représentées  par  l'abréviation  ";  à  tel  point  qu'il  devient  extrême- 
ment rare  de  trouver  la  désinence  en  er  de  ces  deux  infinitifs  sous 
une  forme  non  abrégée;  et  ceci  introduit  un  nouvel  élément  de 
doute,  car  il  est  possible  que  les  scribes  aient  étendu  la  signification 
de  l'abréviation  et  ils  ont  pu  représenter  la  nouvelle  forme  avoir 
par  l'abréviation  ancienne  déjà  et  traditionnelle  av  "' .  Cela  explique- 
rait pourquoi  la  forme  étymologique  semble  n'avoir  pas  gagné  beau- 
coup de  terrain  pendant  ces  vingt  années,  quoique,  à  tout  prendre, 
elle  soit  encore  employée  beaucoup  plus  fréquemment  que  la  forme 
en  er  et  la  forme  abrégée  prises  ensemble.  Nous  n'avons  pu  faire 
les  mêmes  observations  pour  tous  les  autres  recueils  car  les  éditeurs 
ont  développé  presque  partout  les  abréviations  paléographiques. 

Depuis  1360  jusqu'à  la  fin  du  siècle,  les  formes  en  er  deviennent 
de  plus  en  plus  rares  pour  tous  les  textes  anglo-français  qui  n'appar- 
tiennent pas  à  la  littérature;  on  en  trouve  toujours  quelques-unes, 
surtout  dans  les  recueils  secondaires,  comme  les  différentes  Annales 
ou  Chroniques  monastiques  ;  dans  les  grands  recueils  la  terminaison 
en  oh  est  à  très  peu  près  la  seule  employée. 

Nous  n'avons  pas  pour  les  autres  verbes  de  III  des  exemples  aussi 


.408  I.'kVOLUTIOX    IJU    V1:R15I-    hn    axc.lo-ikançais 

nombreux  ni  des  données  aussi  précises  que  pour  avoir  et  savoir; 
cependant,  à  quelques  restrictions  près,  nous  allons  voir  qu'ils  ont 
suivi  une  marche  parallèle  à  celle  que  nous  avons  pu  tracer  dans  les 
pages  précédentes.  Il  faut  tout  d'abord  remarquer  que,  pour  ces 
verbes,  moins  employés  que  ceux  que  nous  avons  déjà  vus,  la  dési- 
nence de  la  première  conjugaison,  qui  à  la  fin  du  xiii"^  siècle  est 
devenue  la  forme  normale,  persiste  plus  longtemps  ;  jusqu'en  1350, 
les  formes  en  er  sont  à  peu  près  uniques;  nous  avons  un  bon 
nombre  d'exemples  de  verbes  différents  qui  nous  le  montrent,  et 
en  voici  quelques-uns  :  arder  dans  Rymer  (1256,  I,  589);  estover 
(id.,  1270,  I,  262);  vecr  (ïd.,  1289,  II,  848;  1294,  II,  857;  13  11, 
III,  369;  13 16,  III,  582);  cet  infinitif  se  trouve  d'ailleurs  répété 
dans  presque  tous  les  recueils  :  dans  les  Parliamentary  Writs(i297, 
I,  54);  dans  les  Literae  Cantuarienses  (13  12,  74);  dans  le  Liber 
Custumarum  (13 10,  202),  enfin  très  fréquemment  dans  les  Statutes 
(1320,  I,  180  ;  1323,  I,  192).  Il  faut  signaler  ici  une  particularité 
de  l'anglo-français  politique  et  diplomatique,  particularité  qu'on  peut 
surtout  observer  dans  les  Statutes',  c'est  la  confusion  entre  ziidere 
et  vigilare  :  on  trouve  fréquemment  par  exemple  survcier  pour  sur- 
veiller, qui  montre  que  les  scribes  considéraient  ce  verbe  comme  un 
composé  du  verbe  voir  ;  et  ce  dernier  est  parfois  écrit  veier  (cï. 
Liber  Custumarum,  13  10,  202).  Il  y  a  un  certain  nombre  de  cas  où 
il  est  difficile  de  juger  si  l'on  a  affliire  à  un  verbe  de  III  ou  réelle- 
ment à  un  infinitif  de  I,  à  voir  ou  à  veiller.  Citons  maintenant  rapi- 
dement, sans  nous  arrêter  à  donner  de  références,  certains  infinitifs 
qu'on  peut  relever  dans  nos  textes  ;  les  Statutes  nous  donnent  :  valer, 
mover ,  parer ,  escheer ,  seer,  rementiver  ;  les  mêmes  verbes  se  trouvent 
presque  tous  dans  Rymer,  on  y  trouve  de  plus  maner,  recever. 

Pendant  cette  période  les  formes  correctes  sont  rares  ;  on  trouve 
dans  les  Statutes  pz/rw/rt'  répété  à  la  page  347  du  premier  volume 
(1354),  et  poeir  (1305,  I,  145),  dnmr  (1322,  I,  189);  mais  ces 
deux  derniers  exemples  sont  des  noms  verbaux. 

Les  terminaisons  en  er  diminuent  sensiblement  dans  la  seconde 
moitié  du  xiv"^  siècle,  celles  en  g/V  augmentent  proportionnellement  ; 
il  est  inutile  que  nous  citions  un  plusgrand  nombre  d'exemples  des 


I .  Nous  avons  cependant  trouvé  sorver  (-=  surveiller)  dans  le  Traité  de  Senes- 
chaucie,  p.  90, 


L  INFINITIF  409 

premières,  celles  que  nous  avons  données  pour  la  première  moitié 
du  xiv^  siècle  peuvent  suffire,  et  il  est,  croyons-nous,  impossible  de 
découvrir  si  certains  de  ces  verbes  sont  revenus  à  la  terminaison 
normale  plus  vite  que  les  autres  ;  nous  trouvons  cependant  pendant 
cette  période  un  assez  grand  nombre  d'exemples  de  l'infinitif  volorr 
(cf.  Rymer,  1362,  IV,  381;  Actsof  Parliament  of  Scotland,  1363, 
494);  il  en  est  ainsi  pour  devoi?',  dans  les  Statutes  (1360,  I,  368)  et 
les  Literae  Cantuarienses  (1395,  905).  Nous  n'avons  relevé  pour 
ces  deux  autres  verbes  aucun  exemple  de  l'autre  forme  ;  veoir  de 
son  côté  devient,  à  partir  de  1360,  très  commun  dans  les  Rymer's 
Foedera;on  le  trouveaussi  dans  les  Statutes  (1396,  II,  94,  etc.). 

Citons  encore  rapidement  recevoir,  movoir,  comparoir,  asseoir, 
escheoir  qui  se  trouvent  dans  les  Statutes  et  dans  Rymer.  Après  1370, 
les  formes  en  cr  sont  fort  rares. 

Par  conséquent,  légèrement  en  retard  sur  avoir  et  savoir,  ces  infi- 
nitifs arrivent  cependant  à  reprendre  comme  eux  la  forme  étymolo- 
gique qu'ils  avaient  abandonnée  pendant  environ  un  siècle. 

Nous  ne  pouvons  évidemment  pas  être  aussi  précis  pour  les 
Year  Books  que  nous  avons  tâché  de  l'être  pour  les  Statutes  par 
exemple  ;  nous  nous  contenterons  d'attirer  l'attention  sur  un  certain 
nombre  de  faits  que  la  lecture  des  Year  Books  rend  assez  évidents  ; 
les  premiers  Year  Books  ne  contiennent  que  des  formes  en  er  à 
l'infinitif  des  verbes  de  III  ;  nous  n'avons  relevé  aucun  exemple  de 
forme  étymologique  jusqu'au  Year  Book  i  et  2  Edw,  II,  mais  cela 
peut  être  aussi  bien  la  faute  de  l'éditeur,  qui  ne  nous  donne  pas  les 
variantes,  que  celle  des  scribes.  Dans  les  premiers  textes  soigneuse- 
ment édités,  les  terminaisons  oir  apparaissent  :  avoir  se  lit  dans  i  et 
2  Edw.  II  (7,  46,  25,  56);  dans  3  Edw.  II  (aux  pages  8,  53,  131, 
139).  Le  ms.  Y  (1312)  pourrait  nous  fournir  un  nombre  très  con- 
sidérable d'exemples  de  cette  forme,  et  dans  les  recueils  postérieurs 
cette  forme  est  toujours  très  employée  :  citons-en  quelques 
exemples  :  Eyre  of  Kent  (III,  143,  etc.);  12  et  13  Edw.  III  (15, 
etc.);  16  Edw.  III  (105). 

Les  exemples  de  formes  étymologiques  sont  moins  nombreux  pour 
le  verbe  savoir;  nous  pouvons  en  citer  quelques-unes,  comme  dans 
I  et  2  Edw.  11(56)  ;  16  Edw.  III  (35),  etc.  ;  mais  les  Year  Books 
du  règne  d'Edw.  III  que  nous  avons  consultés  présentent  une  très 
forte  majorité  de  formes  en  er  pour  avoir  et  savoir. 


jlO  L  HVOLUTIOM    DU    VI-RBE    KN    ANGLO-PRAXÇAIS 

Quant  aux  autres  verbes  de  III,  ils  ne  semblent  jamais  prendre 
(ou  reprendre)  la  forme  correcte,  même  dans  le  ms.  Y  ;  ils  appa- 
raissent toujours  avec  la  terminaison  er,  comme  vakr,  poiier,  veer. 

Ce  passage  à  la  première  conjugaison  prend,  assez  communément 
pour  certains  verbes,  une  forme  assez  spéciale.  Pour  le  verbe  cheeir 
par  exemple  la  diphtongue  passe  de  la  terminaison  dans  le  thème 
cheier,  33,35  Edw.  P'  (69)  ;  vraisemblablement  cette  forme  provient 
de  la  forme  ordinaire  cheer,  au  moyen  d'un  /introduit  pour  empê- 
cher l'hiatus;  de  même  veiere  dans  iG  Edw.  III  (p.  9);  savoyer  qu'on 
lit  dans  33  et  35  Edw.  P'  (p.  117)  est  une  forme  analogue,  assez  rare 
du  reste. 

Nous  pouvons  maintenant  donner  des  conclusions  générales  sur 
le  sort  des  formes  en  eir  à  l'infinitif  en  anglo-français.  Nous  ne 
répéterons  pas  les  différents  points  que  nous  avons  énumérés  à  la 
suite  de  notre  étude  de  cette  désinence  dans  les  ouvrages  littéraires. 
Les  textes  politiques,  diplomatiques,  familiers  et,  jusqu'à  un  certain 
point,  légaux  ne  nous  fournissent  de  renseignements  nouveaux  et 
précis  que  sur  un  point  seulement  (n°^  7  et  8)  ;  mais  sur  ce  point 
leur  témoignage  est  de  la  plus  grande  valeur.  Ce  point,  comme 
on  le  prévoit,  c'est  l'emploi  de  la  désinence  en  oir  pour  les  infinitifs 
de  ÏII  dont  nous  avons  trouvé  des  exemples  dans  les  œuvres  litté- 
raires au  commencement  du  xiV  siècle  pour  les  scribes,  à  la  fin  du 
même  siècle  pour  les  auteurs. 

En  dehors  de  la  littérature,  ce  retour  à  la  terminaison  régulière  est 
encore  plus  clairement  marqué.  t*our  avoir  et  savoir  elle  apparaît 
dès  les  dernières  années  du  xiii^  siècle,  et  elle  gagne  constamment 
du  terrain  sur  la  forme  en  er^  au  point  de  devenir  pour  ces  deux 
verbes  la  forme  quasi  unique  à  partir  de  1360. 

Pour  les  autres  verbes  de  IIÏ,  er  reste  fréquent  jusqu'au  milieu  du 
xiV  siècle,  mais  arrive  à  disparaître  presque  entièreiTient  pendant 
le  quatrième  quart  de  ce  même  siècle.  Pour  ces  verbes,  par  consé- 
quent, l'usage  de  la  langue  politique  coïncide  presque  exactement  avec 
celui  de  la  langue  littéraire. 

Le  retour  à  la  forme  étymologique  a  donc  commencé  par  les  deux 
verbes  de  III  les  plus  employés  :  avoir  et  savoir,  et  ce  sont  les  recueils 
non  littéraires  qui  nous  en  offrent  les  exemples  les  plus  reculés  et 
les  plus  sûrs. 


L  INFINITIF  411 

IV.  Infinitifs  de  II  passant  à  I  ^ . 

Les  infinitifs  de  la  seconde  conjugaison  tendent  à  prendre  la  ter- 
minaison er  exactement  comme  les  infinitifs  de  III;  ce  phénomène 
a  pris  en  anglo-français  une  extension  presque  aussi  considérable 
que  celui  que  nous  venons  d'étudier;  bien  plus,  comme  nous  le  ver- 
rons, il  i  commencé  à  peu  près  à  la  même  époque  et  a  suivi  une 
marche  à  peu  près  parallèle. 

Le  premier  exemple  que  nous  trouvions  attesté  par  la  rime  date 
lui  aussi  de  la  fin  du  xii^  siècle  ;  on  trouve  en  effet  dans  le  Sermon 
de  Guischart  de  Beauliu  plaiser  qui  rime  avec  asaier  et  supplier  au 
vers  639  ;  mais  pour  procéder  comme  nous  l'avons  fait  j  jsqu'ici  nous 
devons  rechercher  dans  les  différents  manuscrits  du  xii*'  siècle  les 
infinitifs  qui  prennent  la  terminaison  des  infinitifs  de  I  :  ils  sont 
certainement  assez  communs  pour  retenir  l'attention.  Le  scribe  du 
Voyage  de  Saint  Brandan  (i  167)  remplace  souvent  par  e  Vi  tonique 
des  infinitifs  de  II.  Voici  quelques-uns  des  exemples  que  nous  lui 
attribuons  dans  ce  poème  :  repenter  (120),  dormer  (520),  murer 
(1046),  voiner  (142),  tener  (1530).  Ces  quelques  exemples  nous  ont 
paru  absolument  isolés,  même  à  la  date  du  ms.  de  Londres  ;  les  cas 
de  passage  de  irh.er  qui  nous  semblent  chronologiquement  les  plus 
voisins  de  ceux  que  nous  venons  de  citer  se  lisent  dans  le  ms.  L 
de  la  Chronique  de  Fantosme  (commencement  du  xiii^  siècle): 
on  y  lit/éTtT,  assaiUier,  vener,  lai.ier  (respectivement  pour  les  vers 
662,  530,  1290,  1379).  Par  conséquent  la  rime  de  Guischart  de 
Beauliu,  les  cinq  formes  du  scribe  du  Saint  Brandan  et  peut-êtr  e 
quelques-uns  des  exemples  du  ms.  L  de  Fantosme  appartiennent 
seuls  au  xii^  siècle. 

Ce  phénomène  n'est  d'ailleurs  ni  très  général  ni  très  commun  au 
début  du  xiu^  siècle  ;  à  cette  époque  encore  il  semble  spécial  aux 
scribes,  ce  qui  nous  paraît  la  règle  pour  la  plupart  des  changements 
que  nous  observons  en  anglo-français.  Rappelons  d'abord  les 
exemples  du  ms.  de  Fantosme  ;  nous  n'en  citerons  pas  d'autres  de 
ce  genre.  Les  rimes  restent  assez  rares  :  Robert  de  Gretham  f;iit 
rimer  refreider  avec   enbraser  (folio  68  r°)  ;  Frère  Angier  emploie 

I .  Pour  le  passage  de  la  terminaison  ir  à  la  forme  cr,  on  peut  voir  Meyer- 
Lùbke,  Grammaire  II,  §  117,  et  H.  Suchier,  Ueber  die...,  p.  48. 


_|I2  L  KVOLUTIOX    DU    VHRI5E    EN    ANGLO-1-RANÇAIS 

dementcr  pour  dcmenùr  (vers  312  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire). 
C'est  le  poème  de  Boeve  de  Haumtone  qui  nous  montre  le  plus 
grand  nombre  d'exemples  et  ceux-ci  sont  si  communs  à  la  rime  qu'il 
ne  se  peut  pas  qu'un  certain  nombre  de  ceux  qui  se  trouvent  dans 
le  corps  du  verbe  n'appartiennent  à  l'auteur.  Voici  quelques-uns  de 
ceux  que  nous  rencontrons  à  la  rime  :  einpler,  geser,  vialader,  morer, 
vener  (respectivement  aux  vers  2364,  1681,  2783,  1828  et  2415, 
2190). 

Ceux  qui  se  trouvent  dans  le  corps  du  vers  sont  beaucoup  plus 
nombreux  :  nous  en  citerons  un  petit  nombre,  et  puisque  l'auteur 
n'hésite  pas,  le  cas  échéant,  à  employer  ces  infinitifs  à  la  rime,  il 
n'y  a  pas  beaucoup  de  raisons  pour  que  nous  hésitions  nous- 
mêmes  à  lui  en  attribuer  au  moins  quelques-uns  :  citons-en  un  cer- 
tain nombre  parmi  ceux  qui  se  rencontrent  le  plus  souvent  :  consen- 
ter,  donner, failer,  ferer,  morer,  oyer,  sérier,  soffrer,  tener,  vener,  vester 
(respectivement  aux  vers  1830,1138,  3537,  284,  484,  2291,  2408, 
1398,  1817,  2244,  493,  2774). 

Nous  mentionnons  séparément  overer  (2291)  qui,  comme  nous 
le  dirons  plus  tard,  est  souvent  confondu  avec  son  paronyme  ouvrer 
(operare);  ajoutons  à  ces  quelques  verbes  des  rimes  sur  lesquelles 
nous  aurons  à  revenir  :  departer  et  couvener  (2705),  server  et  oyer 
(2698,  2700)  se  trouvent  à  la  rime  dans  une  laisse  en  /.  Nous 
ne  ferons  pas  d'énumération  aussi  longue  pour  les  auteurs  qui 
viennent  après  Boeve  de  Haumtone,  car  de  longues  listes  de 
verbes  ne  prouveraient  pas  grand'chose,  et  ensuite  ces  auteurs  ont, 
toute  proportion  gardée,  lin  nombre  d'exemples  beaucoup  moins 
considérable.  Nous  citerons  simplement  quelques-unes  des  rimes 
que  nous  avons  relevées.  Parmi  les  infinitifs  de  II  rimant  en  er, 
nous  trouvons  parier  dans  la  Genèse  Notre-Dame  (82  r^),  chever  dans 
le  Roman  des  Romans  (190),  tener  dans  la  Lament  of  Simon  ot 
Montfort  (26),  et  dans  le  M  aiueldes  Péchés  de  William  de  Wadding- 
ton  :  tener,  pleiser,  enorgueller  (respeciivemcnt  aux  vers  1482,  3442, 
7398)  parmi  beaucoup  d'autres. 

Nous  ne  citerons  pas  les  infinitifs  de  II  que  nous  avons  rencon- 
trés avec  cette  terminaison  dans  le  corps  des  vers  :  nous  ne  savons 
jamais  à  qui  en  attribuer  la  responsabilité,  aux  auteurs  ou  aux 
scribes.  C'est  à  ces  derniers  que  nous  ferons  remonter  les  rimes 
inexactes  comme  asailer  :  mentir,  asailer  :  partir  dans  The  Song  of 


LINFmiTlF  413 

Dermod  (respectivement  aux  vers  1032,  1574)  qui  sont  pour  nous 
très  significatives. 

Nous  passerons  sans  plus  nous  attarder  aux  textes  de  la  fin   du 
xiii^  et  du  xiV^  siècle. 

A  cette  époque,  le  nombre  des  infinitifs  qui  prennent  ^r  au  lieu  de 
ir  est  très  grand,  et  ces  formes  sont  fréquemment  attestées  par  les 
rimes,  le  nombre  de  ces  dernières  est  même  beaucoup  trop  considé- 
rable pour  que  nous  puissions  songer  à  les  donner  toutes.  En  voici 
cependant  quelques-unes,  dans  un  ordre  à  peu  près  chronologique  : 
l'Apocalypse  peut  nous  fournir  un  assez  grand  nombre  d'exeniples, 
comme  overer,  dont  nous  avons  déjà  parlé  (^  et  -(,  209,  x,  300), 
ruger  (3  et  y,  507)  rimant  avec  des  infinitifs  de  I  :  ajoutons-y  des 
formes  assez  communes  à  cette  époque  :  escharmy(Ji  et  y,  709)'  ^^  oier 
(y,  1411);  dans  Traillebaston  gyser  (au  vers  6^)  ;  oier  se  trouve  répété 
plusieurs  fois  dans  le  Siège  de  Carlaverok  (cf.  4,  20).  Le  nombre 
des  rimes  de  ce  genre  n'est  pas  très  considérable  dans  la  Chronique 
de  Pierre  de  Langtoft,  citons  :  erirycherQ.,  216,  12),  estabkr  (I,  428, 
9),  oheier  Ql"  Appendice,  II,  38e,  11).  Les  poèmes  de  la  fin  du 
siècle  nous  donnent  plusieurs  autres  rimes  analogues,  comm^repen- 
Icr  (:  gabber)  dans  leDeConjuge  nonduccnda(22),  sustener  (:  mer) 
dans  la  Lamentation  sur  la  mort  d'Edward  I". 

Comme  précédemment,  nous  énumérerons  ici  quelques  rimes 
douteuses  :  on  en  trouve  une  dans  le  Traillebaston,  soffrer  :  choiser 
(65-66),  une  autre  dans  le  Siège  de  Carlaverok,  iiieinteuier  :  couvenier 
(52)  ;  et  dans  le  poème  du  Prince  Noir,  nous  relevons  oir  (:  gestier) 
et  (:  escoltir)  respectivement  aux  vers  1820  et  1647.  Nous  nous  ser- 
virons de  ces  rimes  dans  notre  seconde  partie. 

Les  exemples  assurés  du  passage  de  ir  à  er  sont  donc  nombreux, 
mais  ne  peuvent  se  comparer  pour  le  nombre  à  ceux  qui  ne  le  sont 
pas,  c'est-à-dire  à  ceux  que  nous  trouvons  à  l'intérieur  des  vers  et 
dans  les  œuvres  en  prose.  Ces  derniers  ont  leur  importance  et  leur 
valeur  car  ils  appartiennent  pour  la  plupart  au  xiV  siècle  et  la  diffé- 
rence que  nous  observons  encore  sur  ce  point  entre  la  langue  des 
auteurs  et  celle  des  scribes  a  sa  signification  :  c'est  pourquoi  nous  espé- 
rons qu'on  nous  parJonnera  si  nous  ajoutons  encore  quelques  exemples 
de  ce  genre.  Entre  les  années  1320  et  1340,  la  Chroniquede Londres 
nous  montre  les  formes  suivantes  :  ùsailer,  asenter,  coverer,  establer, 
giser,  maintenêr,  oier,  rejoier,  seiser,  ^oa^r^r  (respectivement  aux  pages 


414  I.  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

77,  57,  52,  68,  73,  49,  57,  41,  82).  Le  roman  de  Foulques  Fitz 
Warin  nous  montre  fotier,  overer,  plaiser  (124,  1066,  1326).  Enfin 
les  Contes  de  Nicole  Bozon  et  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet 
nous  en  ont  fourni  un  nombre  considérable  ;  voici,  pour  le  premier 
de  ces  ouvrages,  la  liste  que  nous  avons  dressée,  liste  qui  se  trouve 
être  un  peu  plus  complète  que  celle  que  donne  M.  Meyer  :  choiser, 
einpler,  enficbler,  eninoiirer,  enricber,  failler,  bayer,  joyer,  netter,  oyer, 
overer,  departer,  porrer,  profrer,  aqeller,  quiller,  regeier,  reviler,  sailer, 
asailer,  resailer,  soffrer,  meigtener,  siistener,  toler,  tôlier,  vener,  pleyser 
(nom  verbal).  (Ces  exemples  se  trouvent  aux  paragraphes  suivants  : 
84,  54,  84,28,  95,  99,  131,  2,  44,  29,  106,  37,51,  42,  118,  136, 
né,  118,  80,  54,  no,  127,  35,  2,  19,  5,  145,   118,  132,  88,  32.) 

Dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet,  nous  rencontrons,  entre 
autres  exemples,  recoiller,  flestrer,  failler,  florer,  oyer,  asailler,  sofrer, 
t'ow^r  (respectivement  aux  folios  2  r°,  2  r°,  5  v°,  2  r°,  48  v°,  62  v°, 
5  r°,  31  v°). 

Il  serait  bon  d'essayer  de  donner  dès  maintenant  une  idée  d'en- 
semble sur  le  passage  à  la  forme  de  I  des  infinitifs  de  II  dans  les 
ouvrages  littéraires.  Les  premiers  exemples  que  nous  ayons  relevés 
datent  de  la  fin  du  troisième  quart  du  xii''  siècle  ;  à  cette  époque, 
ils  sont  très  rares  à  la  rime  mais  assez  communs  chez  certains  scribes. 

Le  nombre  de  ces  formes  augmente  sensiblement  pendant  la  pre- 
mière moitié  du  xiii^  siècle,  et,  à  partir  de  1275,  il  devient  considé- 
rable. On  peut  cependant  faire  deux  remarques  :  le  nombre  des 
rimes  douteuses  est  relativement  grand;  en  second  lieu,  ce  sont  les 
ouvrages  en  prose  qui  nous  semblent  donner  le  plus  fréquemment 
aux  infinitifs  de  II  la  désinence  en  er. 

Nous  ne  pouvons  pas  songer  à  énumérer  tous  les  exemples  ana- 
logues que  nous  avons  relevés  en  dehors  de  la  littérature  ;  nous  nous 
contenterons  de  marquer  les  grandes  lignes  du  passage  de  ir  à  er. 

Dans  ces  textes,  la  fin  du  xiii^  siècle  nous  montre  un  petit  nombre 
d'exemples  ;  un  seul  verbe  dans  les  Statutes  se  trouve  assez  cons- 
tamment :  le  verbe  ozV  (cf.  1278,  I,  44).  Oyer  sera  désormais  très 
commun.  On  le  rencontrera  pour  ainsi  dire  dans  chaque  Statut.  Et 
il  en  est  de  mèmepour  les  autres  classes  de  textes  non  littéraires  :  les 
Traités,  les  Lettres,  etc.,  nous  en  donnent  un  nombre  indéfini 
d'exemples. 

De  sorte  que,  à  partir  de  la  fin  du  xiii^  siècle,  pour  cet  infinitif,  la 


L  INFINITIF  415 

terminaison  régulière  en  ir  devient  de  plus  en  plus. rare  dans  les 
textes  non  littéraires.  Nous  avons  remarqué  que  dans  les  Statutes 
la  forme  encr  de  cet  infinitif  est  surtout  commune  dans  une  for- 
mule qui  se  trouve  constamment  répétée  :  «  pour  oyer  et  termi- 
ner ».  (On  pourra  trouver  cette  formule  aux  passages  suivants  des 
Statutes:  1335,  I,  272;  1336,  I,  282  ;  134^,  I,  301;  1350,  I,  313  et 
322;  I,  1357,452.)  Cependant  oier  ne  se  rencontre  pas  unique- 
ment dans  cette  formule,  et  par  contre  oir  s'y  trouve  parfois  employé. 

Les  autres  recueils  de  textes  politiques  et  diplomatiques  nous 
donnent,  outre  le  verbe  o/Vr,  un  nombre  considérable  d'autres  formes 
analogues.  Les  exemples  que  nous  y  trouvons  sont  surtout,  comme 
dans  le  cas  qui  précède,  des  verbes  qui  sont  appelés  à  n'avoir  guère 
par  la  suite  que  la  forme  en  er  pour  leur  infinitif.  En  première 
ligne,  nous  citerons  acoiiipler;  cette  forme  se  lit  par  exemple  dans  les 
Rymer's  Foedera  (1294,  II,  620;  1297,  II,  770)  ;  dans  le  Liber 
Albus,  et  dans  un  certain  nombre  d'autres  recueils  qui  donnent  des 
textes  de  la  même  époque.  Estahkr  n'est  guère  moins  commun,  les 
Rymer  s  Foedera  nous  fourniraient  encore  pour  cet  infinitif  une 
assez  longue  liste  d'exemples  (cf.  1283,  II,  239).  Citons  encore, 
sans  nous  y  arrêter  trop  longtemps  et  en  ne  prenant  nos  citations 
que  dans  le  recueil  que  nous  citions  précédemment  :  teiier,  qui  est 
déjà  à  cette  époque  très  commun,  surtout  son  composé  niainlener 
(1274,  II,  32);  vener^  dont  nous  n'avons  pas  relevé  un  aussi  grand 
nombre  d'exemples  (cf.  1297,  II,  768);  faillcr  (id.,  ibid.);  enfin 
eiiipler  qui  n'est  pas  rare  (cf.  1297,  II,  742). 

Nous  avons,  pour  ne  pas  allonger  notre  énumération,  pris  les 
exemples  ci-dessus  dans  le  même  recueil,  mais  nous  aurions  aussi 
bien  pu  les  emprunter  au  Liber  Albus  ou  aux  recueils  de  Lettres. 

Par  conséquent,  en  dehors  de  la  littérature,  nous  voyons  tout 
d'abord,  comme  acquisitions  des  formes  en  er  parmi  les  infinitifs  de 
II,  un  certain  nombre  de  verbes  qui  plus  ou  moins  régulièrement 
abandonnent  la  désinence  qui  leur  est  régulière. 

Ceux-ci  au  siècle  suivant,  se  retrouvent  constamment  et  deviennent 
plus  communs,  lorsqu'ils  ne  l'étaient  pas  déjà  au  siècle  précédent, 
sous  cette  nouvelle  forme  que  sous  la  forme  étymologique. 

Ce  ne  sont  du  reste  pas  les  seuls  verbes  qui,  au  xiv''  siècle,  nous 
présentent  des  exemples  de  la  même  irrégularité.  Ils  restent  tou- 
jours les  plus  employés  et,  si  on  peut  dire,  les  plus  réguliers,  sous 


41 6  l'j'-volution  du  vekbh  kn  anglo-i-kançais 

la  forme  en  er\  mais  ils  ne  sont  pas  isolés,  bien  au  contraire,  car 
si  on  voulait  donner  une  liste  complète  des  infinitifs  de  II  qui 
subissent  ce  c ban ge ment,  c'est  une  liste  de  tous  les  verbes  de  cette 
conjugaison  qu'il  faudrait  dresser;  nous  ne  le  tenterons  pas.  Il 
nous  suffira  de  remarquer  que  dans  les  deux  grands  recueils  qui  ont 
servi  de  base  à  notre  travail,  les  Statuteset  les  Rymer'sFoedera,  c'est 
environ  à  la  même  date  qu'on  trouve  le  maximum  des  formes  en 
cr,  à  partir  du  milieu  et  surtout  pendant  le  troisième  tiers  du 
xiV  siècle;  avant  1350,  on  trouve  encore  un  nombre  assez  consi- 
dérable d'infinitifs  de  II  qui  prennent  la  terminaison  régulière  ; 
entre  1350  et  1360  pour  les  Statutes,  1350  et  1370  pour  les  R3'mer's 
Foedjra,  les  terminaisons  en  ir  sont  relativement  rares;  elles  le 
deviennent  de  plus  en  plus  après  ces  deux  dates,  à  tel  point  que 
même  dans  les  Statutes,  elles  disparaissent  presque  complètement  ; 
on  ne  trouve  guère  que  des  verbes  qui  semblent  avoir  presque 
définitivement  passé  à  la  première  conjugaison,  au  moins  pour  le 
mode  infinitif,  comme  oier,  acoinpler  et  esiahler. 

Parmi  les  verbes  qui  prennent  le  plus  souvent  en  cr  au  lieu  de 
ir  pendant  tout  le  xiV  siècle,  on  peut  citer,  outre  ceux  que  nous 
avons  déjà  vus  :  seiser  qu'on  trouve  par  exemple  dans  les  Statutes 
(1363,  I,  378)  et  passiiii  dans  les  Rymer's  Foedera  ;  coiller  dans  4es 
Mem.  Pari.,  1305  (§  481);  dans  les  Statutes  (i"  vol.,  1323,  193; 
1340,  297;  1357,  352);  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Ecosse 
(1333,  540),  dans  Rymer  (1330,  IV,  451).  On  trouve  encore 
très  communément  6'»/o/Vt,  comme  dans  les  Mem.  Pari.,  1305  (§27) 
et  dans  le  premier  volume  des  Statutes  (1330,  310  et  318);  dans 
les  Early  Statutes  of  Ireland  (1320,  284)  ;  dans  Rymer  (1348,  V, 
611);  citons  encore  rapidement  dans  les  Statutes  :  morer,  obeier,gar- 
ner,  isser,  choiser,  soffrer,  giscr  ;  dans  Kymev  :  foiuer,  giser,  obeier,  assen- 
ter,  isser,  soefirer,  finer,  socffrer  dans  les  Literae  Cantuarienses,  etc. 
Cette  liste  nous  représente  les  verbes  qu'on  trouve  le  plus 
communément. 

Dans  les  Year  Books,  les  infinitifs  en  ir  que  nous  rencontrons 
sous  la  forme  de  verbes  de  I  sont  fort  communs,  mais  il  nous  est 
impossible  de  préciser  les  dates  auxquelles  les  différentes  formes 
apparaissent.  Les  Year  Books  du  règne  d'Edward  P""  qui  ont  été 
publiés  pourraient  nous  off"rir  une  très  longue  liste  :  oyer,  tener, 
garanter,  emplcr,  arreiitcr,  gisrr,  fowcr,  mais  aucun  de  ces  exemples 


L  INFINITIF  417 

n'est  assuré;  l'on  rencontre  souvent  dans  le  même  recueil  les  formes 
nouvelles  à  côté  des  formes  anciennes  :  garantir  est  employé  par 
exemple  dans  22  Edw.  P'  ;  il  y  est  plus  commun  que  garanter,  et 
se  trouve  encore  dans  30  Edw,  \"  (p.  29)  ;  assenlir  est  donné  par 
les  ms.  M,  P,  S^  Y,  dans  i  et  2  Edw.  II,  p.  159,  etc.  Les  e.xemples 
de  ces  deux  formes  employés  concurremment  sont  extrêmement 
nombreux,  et  nous  ne  pouvons  guère  qu'en  donner  une  idée. 
Que  peut-on  en  conclure  ?  Il  nous  semble  qu'on  n'a  à  choisir  que 
trois  hypothèses  vraisemblables.  Ou  bien  les  formes  en  //■  appar- 
tiennent cà  la  date  du  Year  Book  et  celles  en  er  proviennent  des 
scribes  qui  ont  recopié  plus  tard  les  notes  prises  par  les  auditeurs; 
ou  bien  à  l'époque  où  les  premières  notes  furent  prises  la  distinction 
entre  ir  et  er  s'était  déjà  effacée  (que  le  changement  soit  phonétique 
ou  analogique);  ou  bien  ce  sont  les  scribes  dont  nous  possédons 
les  cahiers  qui  avaient  perdu  le  sens  de  cette  distinction.  Nous 
n'avons  aucune  raison  intrinsèque  pour  ne  pas  admettre  la  pre- 
mière hypothèse,  mais  les  conclusions  assurées  que  nous  tirons  des 
textes  politiques  la  rendent  assez  peu  vraisemblable  ;  si  nous  admet- 
tons la  troisième,  qui  nous  paraît  la  plus  naturelle,  la  date  de  la  con- 
fusion est  au  moins  13 12  (date  du  ms.  Y)  :  c'est  un  terminus 
ad  quem.  Nous  devons  donc  admettre  que  pendant  le  commence- 
ment du  xiV^  siècle  et  probablement  pendant  la  fin  du  siècle  précé- 
dent, pour  des  raisons  que  nous  verrons  plus  tard  (cf.  seconde  par- 
tie), la  terminaison  de  l'infinitif  des  verbes  de  II,  sans  disparaître 
complètement,  se  confond  le  plus  souvent  dans  les  textes  en  langue 
légale  avec  celle  des  infinitifs  de  I  et  par  la  suite  n'apparaît  plus 
que  rarement. 

Il  nous  est  facile  maintenant  de  jeter  un  coup  d'œil  d'ensemble  sur 
les  faits  que  nous  venons  d'exposer.  Les  renseignements  que  nous 
ont  fournis  les  différentes  catégories  de  textes  sont  aussi  concordants 
que  possible,  surtout  si  on  tient  compte  de  ce  qu'il  y  a  ordinaire- 
ment de  flottant  dans  l'anglo-français.  Nous  résumerons  en  quelques 
paragraphes  l'histoire  de  ces  infinitifs  en  anglo-français. 

1.  La  confusion  entre  la  terminaison  en  ir  et  en  er  a  certaine- 
ment commencé  vers  la  fin  du  xii^  siècle. 

2.  Elle  a  été  telle  que  ce  sont  surtout  les  scribes,  tels  que 
celui  du  Voyage  de  Saint  Brandan,  qui  nous  fournissent  le  plus 
grand  nombre  d'exemples  à  cette  époque:  les  auteurs  ne  nous  ont 
donné  qu'un  petit  nombre  de  cas  assurés. 


4i8  l'évolution  du  verbe  ex  a\glo-i rançais 

3.  Le  nombre  des  infinitifs  de  II  qui  prennent  la  terminaison 
en  ej-  devient  considérable  pendant  le  xiii*  siècle  ;  à  partir  de  1250 
le  nombre  des  formes  assurées  en  er  est  très  grand. 

4.  Pendant  tout  le  siècle  suivant,  surtout  vers  1350,  dans  la 
littérature  aussi  bien  que  dans  les  textes  familiers,  politiques,  diplo- 
matiques, légaux,  les  terminaisons  régulières  deviennent  extrême- 
ment rares  pour  les  infinitifs  de  II.  Il  y  a,  à  vrai  dire,  quelques 
auteurs  qui  font  exception,  mais  ils  sont  peu  nombreux. 

\'.  Iiijîiiilifs  de  IV  prenant  la  tcriiiinaisoii  des  verbes  de  I. 

On  observe  pour  les  infinitifs  de  la  quatrième  conjugaison  le 
même  phénomène  que  celui  que  nous  venons  d'exposer  pour  la 
première  et  la  seconde  :  la  terminaison  étymologique  re  tend  à 
céder  la  place  à  la  désinence  er.  Mais  cette  substitution,  dont  la 
nature  peut  différer  de  celle  des  changements  analogues  que  nous 
avons  étudiés  dans  les  autres  conjugaisons,  se  place  en  outre  à  une 
date  beaucoup  plus  tardive.  Elle  n'appartient  ni  au  xii^  ni  au  xiii" 
siècle.  Dans  certains  ouvrages  de  ce  dernier  siècle,  nous  pouvons  en 
rencontrer  quelques  exemples,  mais  nous  n'hésiterons  pas  à  les 
attribuer  aux  scribes  du  siècle  suivant  :  le  premier  exemple  assuré 
que  nous  ayons  de  ce  phénomène  se  lit  dans  le  Manuel  des  Péchés 
de  William  de  Waddington.  Enumérons  cependant  quelques-uns 
des  exemples  que  nous  avons  rencontrés  dans  les  œuvres  littéraires 
antérieures  à  ce  poème.  La  \'ie  de  Saint  Edmund  nous  montre  (au 
vers  3766)  la  forme  treier,  pour  traire;  Boeve  de  Haumtone  évi- 
demment nous  en  donne  aussi  quelques  exemples  parmi  lesquels 
nous  citerons  occier  pour  occire.  Mais,  nous  le  répétons,  ces  formes, 
isolées  pendant  les  trois  premiers  quarts  du  xiii'^  siècle,  doivent  être 
laissées  aux  scribes  de  la  fin  du  siècle  et  du  siècle  suivant. 

Aucun  doute  n'est  permis  pour  les  formes  de  ce  genre  que  nous 
lisons  dans  le  Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington  et  qui 
sont  employées  à  la  rime.  Signalons  d'abord  un  verbe  de  la  qua- 
trième conjugaison  pour  lequel  la  forme  de  la  première  est  devenue 
habituelle  et  peut-être  unique  :  le  verbe  maudire.  Nous  avons  peut- 
être  affaire  ici  à  un  véritable  changement  de  conjugaison.  Pour  les 
formes  de  l'infinitif,  nous  nous  contenterons  de  donner  rapidement 
quelques  exemples:  niaudier  se  trouve  à  la  rime  du  vers  1848  avec 
amer,  au  vers  1882  à  la  rime  avec  doter,  au  vers  3577,  4490  à  la 
rime  avec  custumer;  cette  forme  est  donc  aussi  assurée  que  possible. 


L  INFINITIF  419 

Quelques  autres  verbes  de  IV  se  trouvent  aussi  à  la  rime  dans  le 
Manuel  des  Péchés  plus  rarement  ;  nous  pouvons  cependant  citer 
braier  (:  apeser)  au  vers  4497.  A  l'intérieur  du  vers,  surtout  dans 
le  ms.  A,  cette  désinence  est  très  commune,  mais  elle  peut  être 
attribuée  aux  scribes. 

La  Chronique  de  Wil.  Rishanger  contient  un  certain  nombre  de 
formes  analogues  comme  repelkr  à  la  page  278,  et  le  plus  extraor- 
dinaire de  ces  exemples  est  ester  pour  être  à  la  page  331. 

Le  nombre  des  infinitifs  augmente  au  xiv^  siècle,  nous  pouvons 
maintenant  les  diviser  en  plusieurs  classes. 

1.  Quelques-uns  de  ceux  qui  prennent  cette  nouvelle  forme 
n'ont  qu'une  ressemblance  pour  ainsi  dire  extérieure  ou  fortuite 
avec  les  verbes  de  I:  ce  sont  ceux  qui  perdent  Ve  muet  final  de  leur 
terminaison  (cf.  plus  haut)  ;  la  syllabe  er  qu'on  leur  voit  n'est 
pas  de  la  même  nature  que  celle  des  infinitifs  de  la  première  conju- 
gaison puisqu'elle  appartient  ici  au  thème  ;  pour  le  verbe  fer  que 
nous  avons  déjà  vu,  la  voyelle  t'est  l'équivalent  de  la  diphtongues^/. 

Cette  remarque  s'applique  encore  à  un  infinitif  comme  quer. 
Pierre  de  Laugtoft  ou  ses  scribes  nous  offrent  un  assez  grand 
nombre  de  formes  de  ce  genre:  d'abord  les  deux  exemples  que  nous 
citions  tout' à  l'heure  :  fer  (I,  64,  19;  I,  112,  8)  dont  on  peut  rap- 
procher (pour  montrer  quelle  différence  il  y  a  entre  ce  verbe  et  un 
infinitif  de  I)  fair  employé  par  Nicolas  Trivet  (au  folio  29)  ;  et 
quer  (I,  212,  4;  II,  86,  26);  fer  se  trouve  aux  §§  49  et  80  des 
Contes  de  Nicole  Bozon. 

En  se  reportant  aux  exemples  de  chute  de  Vc  muet  final  que  nous 
avons  déjà  cités,  on  trouvera  un  assez  grand  nombre  de  verbes  qui 
prennent  ainsi  accidentellement  la  forme  des  infinitifs  de  I. 

2.  Nous  pouvons  citer  un  certain  nombre  de  cas  où  la  res- 
semblance n'est  pas  aussi  purement  extérieure  ;  elle  provient, 
comme  nous  le  verrons  dans  la  seconde  partie  de  ce  travail,  d'une 
métathèse  de  la  voyelle  muette  finale. 

Par  conséquent,  nous  devons  trouver  d'abord  dans  cette  classe 
les  verbes  dont  le  radical  est  terminé  par  une  consonne  suivie  d'une 
dentale;  les  verbes  de  cette  sorte  se  rencontrent  à  l'infinitif 
avec  la  désinence  de  la  première  conjugaison  sous  la  plume  de  tous 
les  écrivains  de  ce  siècle  ;  par  exemple  nous  lisons  abaier,  coiuhaler, 
aux  vers  1302,  1462  de  la  Destruction  ;  ils  sont  spécialement  nom- 


po  l'évolution    du     VEKBK    HN    ANGLO-lRANÇAlS 

breux  chez  Pitrre  Je  Langtott  ;  nous  pouvons  relever  dans  ses 
Chroniques  render  (I,  48,  ri),  oyndcr  (II,  8,  12),  attender  (II,  254, 
1^),  (Viifmider  (II,  300,  21),  ester  (I,  172,  21),  pour  ne  citer  que 
les  plus  communs.  Nicole  Bozon  dans  ses  Contes  peut  nous  four- 
nir un  grand  nombre  de  cas  semblables  :  defender  (§  5),  metterÇihid. 
et  §  153);  dans  la  Chronique  de  Londres  (à  la  date  de  1340, 
p.  76),  on  trouve  espaunder.  Pender,  tounder  sont  employés  par  Nico- 
las Trivet  (respectivement  aux  folios  19  r°  et  35  v°  et  passini). 

Les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  labiale  se  ren- 
contrent aussi  communément  au  xiV^  siècle  sous  la  forme  d'infinitifs 
en  er  ;  ces  verbes  sont  du  reste  nombreux,  surtout  ceux  qui  se  ter- 
minent en  vre;  par  exemple,  on  trouve  ^dans  Pierre  de  Langtoft 
vyve7-  (I,  392,  12),  beyver  (I,  438,  16),  recayvcr  (I,  446,  13). 
Nous  pourrions  encore  fournir  une  assez  longue  liste  formée 
par  les  infinitifs  que  nous  montrent  les  Contes  de  Nicole  Bozon, 
comme  skuer  et  siiiver  que  nous  lisons  aux  §§  44  et  145,  ou  roiiiper 
employé  au  §  129.  Et  il  en  va  exactement  de  même  de  tous  les 
auteurs  de  la  fin  de  ce  siècle,  entre  autres  de  Nicolas  Trivet. 

Nous  rencontrons  une  métathèse  de  la  même  nature  dans  plu- 
sieurs verbes  qui  ont  un  thème  vocalique  :  les  exemples  que  ceux- 
ci  nous  fournissent  sont  certainement  moins  nombreux  que  ceux 
que  nous  avons  énumérés  jusqu'ici  sans  pour  cela  être  rares.  Nous 
avons  tout  d'abord  relevé  teer  pour  taire  qu'on  trouve  dans  les  Dis- 
tiques de  Caton  de  l'Anonyme  du  xiv*'  siècle  au  vers  r8i  et,  dans 
le  même  ouvrage,  créer  (pour:  creire)  qui  rime  avec  ottroer,  au  vers 
113  ;  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft,  nous  avons  rencon- 
tré reer  (rairc)  (I,  148,  7);  dans  les  œuvres  en  prose,  nous  en  ren- 
controns encore  un  certain  nombre,  comme  brayer  au  §  120  des 
Contes  de  Nicole  Bozon  ou  créer  dans  les  Chroniques  de  Nicolas 
Trivet  au  folio  46  v°.  C'est  peut-être  à  cette  classe  qu'appar- 
tiennent le  maudier  et  le  braier  de  William  de  Waddington. 

Les  infinitifs  des  trois  catégories  que  nous  venons  d'énumérer 
semblent  bien  avoir  abandonné,  à  ce  mode  au  moins,  leur  conjugai- 
son, mais  ici,  comme  dans  notre  première  division,  nous  n'avons 
peut-être  qu'une  apparence.  Remarquons  que  nous  n'avons  relevé 
qu'une  seule  rime  (outre  celles  que  nous  donne  le  Manuel  des 
Péchés,  voir  plus  haut)  qui  nous  montre  que  la  condition  essen- 
tielle de  ce  changement  a  été  remplie:  le  déplacement  de  l'accent. 


L  INFINITIF  421 

Cette  rime  se  trouve  dans  la  traduction  des  Distiques  de  Caton  que 
nous  citions  tout  à  l'heure  :  on  lit  en  effet,  au  vers  113,  créer  rimant 
avec  ottroer.  Quelle  valeur  faut-il  attribuer  à  cette  rime  ?  Nous  ne 
pensons  pas  qu'elle  suffise  à  prouver  que  dans  tous  les  exemples  que 
nous  avons  cités  spécialement  dans  les  thèmes  à  dentale  et  à  labiale, 
l'accent  a  passé  sur  la  syllabe  étymologiquement  muette  ;  nous  no 
pouvons  admettre  autre  chose  que  ce  fait  que  la  métathèse,  dans 
quelques  cas  et  peut-être  pour  un  certain  nombre  de  verbes,  surtout 
à  thème  vocalique,  dont  le  verbe  croire,  a  été  suivie  d'un  déplace- 
ment de  l'accent  qui  a  donné  réellement  à  ces  infinitifs  la  forme  des 
infinitifs  de  I.  Nous  croyons  que  dans  la  majorité  des  cas,  et  tout 
au  moins  au  début,  les  formes  que  nous  avons  citées  ne  sont  que 
des  graphies  de  la  forme  correcte. 

3.  Les  cas  où  le  passage  des  infinitifs  de  IV  à  la  forme  des  infi- 
nitifs de  I  est  indubitable  sont  assez  rares  :  nous  y  remarquons  soit 
une  simple  addition  d'une  r,  soit  un  changement  radical  dans  la 
forme  de  l'infinitif  régulier.  Pour  l'addition  d'une  r,  nous  pouvons 
citer  des  exemples  qui  ne  laissent  place  à  aucun  doute  sur  la  réalité 
du  changement  de  désinence.  Nous  pouvons  citer  par  exemple  cou- 
rer,  dans  la  Chronique  de  Londres,  à  la  date  de  1341  {cL  p.  82); 
lystrer  qu'on  trouve  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (au  §  124). 
C'est  un  changement  profond  dans  la  forme  du  verbe  que  nous 
remarquons  dans  assoikr  (formé  sur  le  subjonctif  si  employé  assoiUe, 
cf.  Subjonctifs  en  ani)  que  nous  lisons  dans  le  poème  de  la  Des- 
truction de  Rome  pour  le  vers  808. 

Comme  on  le  voit  dans  cette  troisième  classe,  les  exemples  ne 
sont  ni  nombreux  ni  importants  :  ils  n'ont  que  l'autorité  d'un  clerc 
très  ignorant  et  celle  de  deux  ouvrages  en  prose,  dont  les  formes 
ont  pu  et  dû  être  altérées  par  des  scribes. 

Nous  pouvons  maintenant  résumer  en  quelques  mots  ce  que  nous 
venons  de  voir  au  sujet  du  passage  des  infinitifs  de  IV  à  la  forme 
de  I  dans  les  œuvres  littéraires. 

1.  Pour  un  grand  nombre  de  verbes,  la  forme  des  infinitifs  de  I 
est  purement  extérieure; 

2.  Pour  ceux  qui  la  prennent  par  métathèse  de  la  voyelle  muette, 
il  est  probable  que  ce  changement  a  été  d'abord  purement  gra- 
phique ;  nous  avons  cependant  un  exemple  (peut-être  plusieurs  si 
nous  rattachons  à  cette  classe  le  maiidier  et  le  hrayer  de  William  de 


|22  l.'l^.VOLUTlON    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Waddington)  montrant  que  lamétathèsea  été  suivie  d'un  déplace- 
ment de  l'accent. 

3.  Enfin,  nous  relevons  encore  un  certain  nombre  d'exemples 
pour  lesquels  aucun  doute  ne  saurait  exister,  mais  ils  sont  rares, 
tardifs  et  sans  autorité. 

En  dehors  de  la  littérature,  nous  retrouvons  les  trois  classes  que 
nous  venons  d'étudier,  et  elles  nous  donnent  de  nombreux 
exemples. 

Nous  ne  nous  appesantirons  pas  sur  la  première  classe  ;  et  les 
exemples  de  chute  de  \'e  final  que  nous  avons  déjà  donnés  suffi- 
ront pour  montrer  la  forme  que  peuvent  ainsi  prendre  certains 
verbes  de  IV. 

Dans  la  seconde  classe,  nous  trouvons  tout  d'abord  tous  ou  à 
peu  près  tous  les  verbes  dont  le  radical  est  terminé  par  une  den- 
tale précédée  d'une  consonne,  le  groupe  ?idre  se  présentant  spécia- 
lement sous  la  forme  nder.  Parmi  les  plus  fréquents,  on  peut  citer 
defender  dans  les  Rymer's  Foedera  (1308,  III,  86)  et  dans  les  Lite- 
rae  Cantuarienses  (1380,  947);  dans  les  Statutes  (1390,  II,  74), 
etc.  De  même,  on  lit  prender  dans  lesMem.  Pari.  1305  (§  199);  dans 
les  Statutes  (1376,  I,  398);  dans  les  Rymer's  Foedera  (1384,  VII, 
429).  On  trouve  encore  dans  les  Statutes  :  responder,  deslreynder, 
tounder,  vender...  dans  les  Rymer's  Foedera  descender,  de^peuder, 
somonder  ;  descender,  despender,  esteiider,  vender  dans  les  Year  Books. 
Nous  ne  croyons  pas  qu'il  y  ait  un  seul  verbe  en  ndr  qui  n'appa- 
raisse au  moins  une  fois  avec  la  métathèse  de  Ve  muet. 

Les  autres  verbes  à  dentale  appuyée  sont  moins  nombreux  et 
moins  fréquents.  Citons  cependant  parmi  les  verbes  dont  le 
radical  est  terminé  par  une  dentale  double  abûter  (Rymer,  1361, 
VI,  321;  Statutes,  1397,  II,  no);  et  encore  dans  Rymer  wetter  ainsi 
que  ses  composés  remetter,  promet  ter,  qui  se  trouvent  très  fréquem- 
ment aussi  dans  les  Year  Books. 

Les  verbes  en  rd  sont  représentés  par  perder  qui  se  lit  dans  diffé- 
rents textes,  en  particulier  les  Statutes  (1377,  II,  2),  ^aï  aerder  dans 
Rymer  (1369,  VI,  626);  et  peut-être  arder  (id.,  passini).  Il  nous 
faut  encore  mentionner  les  verbes  en  str  qui  se  trouvent,  rare- 
ment du  reste,  à  l'infinitif  sous  la  forme  de  I  :  encrester  dans 
Rymer  (1307,  II,  1043;  1362,  VI,  389)  ;  dans  le  Year  Book  22 
Edw.  I"   (321),  verbe  qu'on    rencontre  dans  les  Statutes  sous  la 


l'infinitif  423 

forme  encrecer  (1381,  II,  18);  ajoutons  encore  cognoister  (dans 
Rymer,  1390,  VII,  662). 

Nous  pouvons  arrêter  là  notre  énumération  des  verbes  terminés 
par  une  dentale.  Le  nombre  des  verbes  avec  un  autre  thème  est 
relativement  peu  considérable  ;  il  y  a  à  prendre  er  quelques  thèmes  à 
labiale,  comme  viver  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1363,  909), 
dans  les  Year  Books  (30  Edw.  P',  157,  etc.);  receiver  Qst  employé 
danslesStatutes(i3ii,  I,  164;  1399,11,  117),  dans  les  Literae  Can- 
tuarienses (1329,  281).  Nous  avons  déjà  cité  pour  ce  verbe  des 
exemples  analogues  tirés  des  mêmes  recueils  à  propos  du  passage  à 
er  des  infinitifs  en  cir. 

Rompre,  qui  a  le  thème  terminé  par  l'explosive  labiale  p,  prend 
souvent  à  l'infinitif  la  forme  ramper,  par  exemple  dans  Rymer 
(1375,  VII,  70)  et  les  Year  Books  (14  Edw.  III,  75). 

L'on  voit  donc  que  ce  sont  les  thèmes  à  dentale  appuyée  qui 
présentent  le  plus  grand  nombre  de  cas  où  l'infinitif  semble  prendre 
la  forme  d'un  infinitif  de  I  ;  pour  les  autres  thèmes,  cette  forme  en 
er,  sans  être  extraordinaire,  n'est  pas  aussi  commune.  C'est  aussi  ce 
que  l'on  peut  dire  des  thèmes  vocaliques;  nous  en  trouvons 
quelques-uns  avec  la  terminaison  de  l'infinitif  de  I  à  différentes 
reprises,  comme  enqueer  dans  les  Statutes,  ou  encore  le  verbe  trcer, 
qui  se  lit  dans  le  même  recueil  (1353,  I,  343)  ;  et  dans  les  Parlia- 
mentary  Writs  (1324,  287);  on  le  trouve  encore  assez  fréquem- 
ment dans  les  Year  Books,  par  exemple  dans  20  et  2r  Edw.  P"" 
(p.  39).  D'autres  verbes  à  thème  vocalique  se  trouvent  plus  rare- 
ment sous  cette  forme,  par  exemple  faicr  pour  faire  dans  Rymer 
(1385,  VII,  467);  satisfier  dans  le  même  recueil  (1380,  VII,  244). 

Nous  ne  trouvons  que  très  peu  de  verbes  dans  la  troisième  catégo- 
rie (addition  d'une  r)  ;  on  peut  citer  :  dans  les  Statutes  summoner 
pour  somondre  (cf.  somonder,  supra),  1397,  II,  loi  ;  somoner  est 
commim  dans  les  Year  Books  (cf.  par  exemple  Edw.  I",  211).  On 
trouve  encore  socurer  dans  lès  Pari.  Writs  (1322,  IP  Appendice, 
202);  encourer  dans  Rymer's  Foedera  (1360,  VI,  260).  Reqiierer  se 
trouve  dans  la  plupart  de  nos  textes  ;  les  Statutes,  le  Liber  Custu- 
marum,  les  Literae  Cantuarienses  ;  surtout  les  Year  Books  et  les 
Rymer's  Foedera  l'emploient  constamment.  Remarquons,  à  propos 
de  cette  dernière  forme,  une  expression  qui  est  répétée  très  fré- 
quemment dans  Rvmer  :  «  de  reqiier  et  faire  requerer  ».  Il  est  rare 


.|24  l'évolution  du  vlkbk  hn  anglo-françals 

de  trouver  dans  cette  formule  les  deux  infinitifs  avec  la  même  forme, 
encore  plus  rare  de  trouver  l'infinitif  de  I  en  premier  lieu;  faut-il  y 
voir  un  souci  de  style  chez  le  scribe  ou  l'écrivain  qui  aurait  voulu 
éviter  d'entasser  l'un  sur  l'autre  trois  infinitifs  en  re  ?  C'est  possible, 
mais  peu  vraisemblable  ;  cependant  aucune  autre  explication  ne  nous 
semble  admissible. 

Citons  encore  deux  infinitifs  que  nous  avons  rencontrés  fréquem- 
ment dans  un  grand  nombre  de  textes  :  tôlier  et  repeUer  ;  le  premier 
se  lit  dans  les  Documents  Inédits  (1310,  58),  dans  les  Statutes 
(1322,  I,  188)  et  communément  dans  les  Year  Books  (cf.  14  Edw. 
III,  p.  41,  105  et  passiiti);  «n  rencontre  le  second  dans  les  Sta- 
tutes (1321, 1,  183  ;  1362,1,  375;  1350,1,  322;  1353,  I,  337). 

Tous  ces  exemples  et  plusieurs  autres  du  passage  de  IV  à  I  se 
trouvent  dans  les  Year  Books,  par  exemple  conystrer  (22  Edw.  l", 
317,333,  etc.);  ardrer(ihid.,  509,  exc.y,destrehier{^^,  et  35  Edw.  I", 
483)  et   beaucoup  d'autres. 

Faut-il  considérer  que,  dans  tous  les  exemples  précédents  des 
textes  non  littéraires,  nous  avons  le  passage  réel  de  l'infinitif  de  IV 
à  la  forme  de  l'infinitif  de  I  ?  Nous  ne  le  croyons  pas.  Il  faut  mettre 
hors  de  cause  les  infinitifs  de  la  troisième  catégorie  ;  ceux-là  sont 
bien  devenus  des  infinitifs  de  I.  Il  faut  aussi  leur  ajouter  certains 
autres,  comme  satisfier  et  peut-être  tous  les  verbes  à  thème  voca- 
lique  qui  s'écartent  sensiblement  de  leur  forme  étymologique; 
les  autres  nous  apparaissent  comme  des  graphies  curieuses  de  la 
forme  régulière,  dans  lesquelles  le  déplacement  de  l'accent  n'a  pas 
eu  lieu.  Ce  qui  nous  le  prouve  dans  ces  textes  non  littéraires,  c'est 
le  mélange  des  formes  en  er  et  des  formes  en  re\  ce  mélange  est 
constant  dans  tous  les  recueils,  même  dans  les  Statutes.  On  peut 
dire  que  jamais  on  ne  rencontre  la  forme  nouvelle  sans  qu'on  puisse 
trouver,  à  quelques  lignes  ou  à  quelques  pages  d'intervalle,  la  forme 
étymologique  ;  s'il  y  avait  eu  déplacement  de  l'accent,  la  différence 
entre  les  deux  formes  aurait  été  trop  grande  pour  que  les  scribes 
aient  pu  les  employer  simultanément,  non  pas  seulement  une  fois, 
ce  qui  serait  possible  à  une  période  de  transition,  mais  constam- 
ment. 

Les  deux  formes  :  prender,  verbe  de  I,  et  prendre,  infinitif  de  IV, 
sont  impossibles  simultanément  ;  on  les  trouve  dans  le  même  para- 
graphe, dans  un  Traité  de  Rvmer  (1384,  VII,  429),  de  mêmequ'on 


L  INFINITIF  425 

trouve  à  quelques  lignes  d' mier  y  aile  accres  ter  et  accrestre  (id.,  1362, 
VI,  389);  resceyver  se  trouve  dans  les  Statures  (tome  II,  1390,  74), 
receivre  se  lit  à  la  page  suivante  ;  de  même,  les  formes  correctes 
mettre,  battre,  eschere,  aparceivre  se  trouvent  employées  côte  à  côte 
avec  les  formes  en  er.  Q_uant  au  mélange  des  deux  formes  faire  et 
faier  il  est  très  fréquent  partout. 

De  plus,  s'il  y  avait  réellement  changement  de  conjugaison,  on 
pourrait  observer  un  mouvement  progressif  et  continu;  cela  n'a  pas 
du  tout  lieu  ;  nous  trouvons  au  contraire  dans  les  grands  recueils 
assez  peu  de  changements  à  cet  égird;  le  nombre  de  formes  en  er 
varie  évidemment  d'une  année  à  l'autre,  mais  sans  la  moindre  régu- 
larité, même  générale  ;  il  est  évident  que  les  scribes  considéraient 
les  deux  formes  connue  équivalentes  et  employaient  l'une  ou  l'autre 
selon  leur  fantaisie  du  moment. 


h)  INFINITIFS   DE    II. 

Les  infinitifs  de  la  seconde  conjugaison  ne  présentent  pas  un  grand 
nombre  de  variations  dans  leurs  formes  :  leur  désinence  est  régu- 
lièrement en  ir  et  cette  terminaison  n'est  pas  soumise  à  beaucoup 
de  changements.  Dans  la  langue  littéraire,  il  n'y  en  a  même  aucun, 
si  l'on  en  excepte  le  passage  de  ir  à  er  que  nous  avons  étudié  dans 
les  pages  qui  précèdent. 

La  seule  question  qui  soulève  l'étude  des  infinitifs  de  la  seconde 
conjugaison  est  celle  des  acquisitions  qu'ils  ont  faites. 

I.  Acquisitions  des  infinitifs  en  ir. 

La  seconde  conjugaison  est,  après  la  première,  celle  qui  attire  au 
mode  infinitif  le  plus  grand  nombre  de  verbes  des  autres  conjugai- 
sons. Les  premiers  verbes  qui  subissent  cette  attraction,  ou  pour 
parler  plus  exactement,  qui  semblent  la  subir  les  premiers,  ce  sont 
les  verbes  de  I.  Ceux-ci,  en  effet,  prennent  assez  fréquemment  un 
infinitif  en  ir,  et  c'est  très  tôt,  dans  la  littérature  anglo-française, 
que  nous  pouvons  trouver  des  formes  attestées  de  ce  phénomène 
(cf.  Stengel,  Zeitschrift  fur  neufran.  Sprache  und  Litteratur,  I, 
46). 


.|26  i/lvolution  du  verbh  en  anglo-i-rançais 

Dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan,  nous  trouvons  en  effet  un 
exemple  de  ce  phénomène  à  la  rime  du  vers  13 16  où  esperir  rime 
avec  serir '. 

C'est,  du  reste,  le  seul  exemple  que  nous  en  trouvions  au 
xir'  siècle;  pour  en  rencontrer  un  autre  aussi  concluant,  il  faut  aller 
jusqu'à  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle.  On  relève  en  effet  à  cette 
époque,  dans  The  Lament  of  Simon  of  Montfort,  au  vers  25,  la 
rime  denienhryr  (:  pyr  ==  pire).  Dans  William  de  Waddington, 
nous  trouvons  encore  une  autre  rime  ^  :  hssir  (:  suffrir)  5555,  et 
dans  les  Distiques  de  Caton  de  l'Anonyme  du  xiv^  siècle  on  trouve 
encore  iïattir  (:  blaundir),  vers  322.  Ce  phénomène  est  donc  assez 
bien  attesté  au  moins  au  xiii^  siècle;  il  est  assez  peu  probable  que 
les  cas  précédents  ne  soient  que  de  mauvaises  rimes,  et  il  est  plus 
naturel  d'admettre  qu'entre  1250  et  1300  certains  infinitifs  de  I  ont 
commencé  à  prendre  la  désinence  de  ir. 

Dans  les  exemples  que  nous  trouvons  de  temps  en  temps  à  la 
rime  dans  les  poèmes  du  xiv^  siècle,  il  entre  un  nouvel  élément  de 
doute.  Les  rimes  que  nous  relevons  sont  presque  toutes  ou  toutes 
des  interrimes  entre  infinitifs  :  or,  les  verbes  de  II  qui  prennent  à 
l'infinitif  la  terminaison  de  I  sont  beaucoup  plus  nombreux  que  ceux 
de  I  qui  prennent  la  désinence  en  ir  ;  chaque  fois  que  nous  trou- 
vons, rimant  ensemble,  un  infinitif  de  I  et  un  infinitif  de  II,  nous 
sommes  en  droit  de  nous  demander,  quelle  que  soit  la  graphie,  si 
c'est  la  désinence  er  ou  la  désinence  ir  que  nous  devons  leur  donner 
à  tous  les  deux.  Puisque  les  infinitifs  en  er  de  la  seconde  conjugai- 
son sont  d'autre  part  les  plus  communs,  nous  sommes  le  plus  sou- 
vent en  droit  de  croire  que  nous  avons  sous  les  yeux  un  cas  du  pas- 
sage II  à  I  plutôt  qu'un  exemple  du  phénomène  inverse.  Comme 

1 .  Cette  forme  doit  du  reste  être  attribuée  au  scribe,  et  remonter  seulement  à 
1160;  le  manuscrit  de  l'Arsenal  BLF  383  donne  en  effet  estovoir  :  soir  (vers 
1267,  Zeitschrift  II,  452)  qui  convient  aussi  bien  pour  le  sens  et  mieux  pour  la 
mesure  du  vers  : 

Quant  vient  al  diemance'al  soir, 
Deci  m'en  vois  par  estovoir. 

2.  Pour  le  passage  de  la  terminaison  ier  à  la  torme  ir,  on  peut  consulter 
H.  Suchier,  Ueber...,  p.  47;  et  au  bas  de  la  p.  343  du  deuxième  volume  de  la 
Zeitschrift  les  quelques  lignes  de  Kosch\^  itz  ;  de  même  la  note  de  la  page  88  au 
volume  XXXVI  de  Romania,  Stimming,  Boeve  de  Haumtone,  p.  xxviij,  etc. 


l'infinitif  427 

exemples,  nous  pouvons  citer  déjà  ici  :  ensechir  qui  se  trouve  accou- 
plé avec  foillier  au  vers  95  du  poème  l'Antecrist  ;  plurir  qui  rime 
avec  sustenirau  vers  54  de  la  Lamentation  pour  la  Mort  d'Edward  P', 
escoltir  avec  la  rime  oier  au  vers  1647  du  Prince  Noir.  Tener  et 
oier,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  sont  assez  communs  et  on  ne 
peut  en  dire  autant  de  plurir  et  d'escoUir,  au  moins  dans  les  œuvres 
littéraires  (cf.  cependant  p/wr/ à  la  3*  personne  du  singulier). 

Comme  nous  le  verrons  dans  notre  seconde  partie,  ce  doute  a 
beaucoup  moins  d'importance  qu'on  serait  tenté  de  lui  attribuer 
tout  d'abord;  les  deux  phénomènes  se  ramènent  à  un  seul,  ou  plu- 
tôt, proviennent  de  la  même  cause;  et  comme  la  rime  demembryr: 
pyr  nous  assure  que  les  infinitifs  de  I  peuvent  prendre  à  l'occasion 
la  terminaison  ir,  nous  allons  nous  contenter  de  citer  les  exemples 
que  nous  avons  pu  relever  au  xiv^  siècle  tendant  à  prouver  que  la 
désinence/;- se  substitue  parfois  à  la  terminaison  er,  avec  cette  restric- 
tion que  dans  les  cas  de  rimes  entre  infinitifs  de  I  et  infinitifs  de  II 
il  nous  est  impossible  d'affirmer  avec  quelque  certitude  auquel  des 
deux  phénomènes  nous  avons  affaire. 

L'Apocalypse  a  un  exemple  de  ce  passage  de  I  à  II  à  l'infinitif  : 
sonir(^Z,  423);  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft,  nous  en 
rencontrons  plusieurs  cas,  mais  aucun  ne  se  trouve  employé  à  la 
rime,  par  exemple  recoi'cryr  qui  est  assez  commun  (voir  par  exemple 
I,  281,  i),  et  harlir  qui  est  moins  fréquent  (II,  356,  18).  Outre 
l'exemple  que  nous  citions  tout  à  l'heure,  on  trouve  encore  dans  la 
Lamentation  sur  la  mort  d'Edw.ird  I",  sonir  qui  rime  avec  teisir  au 
vers  55,  et  dans  le  Prince  Noir  jugir  (:  mentir)  au  vers  4201, 
(:  départir)  au  vers  4232;  contir  (:  partir)  au  vers  4208.  La  rime 
reneer  :  oscir  (aux  vers  75-76)  de  l'Antecrist  est  extraordinaire. 

Ce  sont  surtout  les  œuvres  en  prose  qui  nous  fournissent  le  plus 
grand  nombre  d'exemples,  et  il  est  probable  qu'un  certain  nombre 
des  formes  qui  suivent  sont  dues  aux  scribes.  Nous  lisons  dans  le 
Dit  de  Hosebonderie  de  Walter  de  Henley:  averyr,  gardyr,delyveryr, 
engressyr,  haylyr  (2,  12,  16,  22,  etc.);  dans  les  Contes  de  Nicole 
Bozon  on  trouve  deniorir  (§§  3,  5,  15,  61),  donir  (§  37);  pardonir 
(§  80),  gardir  (§135),  P^^àir  (§  82) . 

Il  faut  remarquer  que  dans  les  œuvres  en  vers  de  Nicole  Bozon 
que  nous  avons  étudiées,  ces  terminaisons  ne  se  rencontrent  jamais 
à  la  rime.   Dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet  enfin,  on  peut 


428  l'évolution  du  vkrhe  e\  anglo-français 

Yn'c  cnbcvei  ir  (au  tolio  6  v°)  ;  guerrir  pour  guerreir  (au  folio  54  v°), 
debotir  (au  même  endroit). 

D'autres  formes  en  ir  proviennent  indubitablement  des  scribes  ; 
citons  par  exemple  le  pènsir  donné  pour  le  vers  45  du  Petit  Plet  de 
Chardri  par  le  ms.  V  ou  la  laisse  d'Apremont  qui  donne  les  rimes 
suivantes  :  curùcir  :  ardir  :  enniiir  :  conseilUr   :  faillir  :  tencir. 

Ici,  nous  avons  probablement  un  phénomène  spécial,  assez  peu 
comnmn  en  anglo-français  :  le  passage  de  ie  à  /. 

Nous  allons  retrouver  dans  la  langue  diplomatique  et  politique 
les  mêmes  verbes  de  I,  et  quelques  autres  encore,  avec  un  infinitif 
en  ir  ;  de  plus,  nous  aurons  ici  l'avantage  de  pouvoir  déterminer 
avec  assez  de  précision  quels  sont  les  verbes  qui  se  trouvent  le  plus 
communément  sous  cette  forme. 

Le  nombre  des  verbes  de  I  à  prendre  cette  désinence  est  ici  beau- 
coup plus  considérable  que  dans  les  œuvres  littéraires.  Certains 
verbes  se  montrent  avec  une  telle  régularité  qu'il  est  impossible  de 
douter  que  l'on  ait  affaire  à  un  changement  de  conjugaison. 

Parmi  les  verbes  fréquemment  employés  sous  cette  forme,  on 
peut  citer  en  première  ligne  le  verbe  recovrer  qui  n'apparaît  guère 
que  sous  la  forme  recov{e)rir,  par  exemple  dans  les  Statutes  (cf. 
1275,  I,  33  ;  1278,  I,  50  ;  1285,  I,  54;  1317,  I,  165  ;  1340,  I, 
287;  1379,  II,  12).  Les  Rymer's  Foedera  nous  donnent  aussi  un  assez 
grand  nombre  de  cas  où  ce  verbe  prend  la  désinence  des  infinitifs  de 
II  (cf.  par  exemple  1327,  IV,  245  qi  passini).  Nous  pourrions  citer 
encore  dans  certains  Year  Books  plusieurs  exemples  de  cette  forme 
(comme  dans  21  Edward  I",  183).  De  même,  ozmr  pour  ouvrer  est 
aussi  fort  commun  ;  on  le  trouve  dans  les  Parliamentary  Writs 
(1305,  I,  262)  et  dans  un  fort  grand  nombre  d'autres  textes. 

Les  formes  recovrer,  ovrer  sont  très  rares  ;  nous  en  avons  relevé 
un  petit  nombre  d'exemples  dans  les  Statutes,  comme  à  la  date 
1326(1,253). 

Tout  aussi  fréquent  que  le  premier  des  verbes  que  nous  venons 
de  citer,  tretir  se  rencontre  dans  la  plupart  des  recueils  que  nous 
avons  étudiés;  nous  pourrions  tirer  un  très  grand  nombre 
d'exemples  de  cette  forme  des  Rymer's  Foedera  :  par  exemple  dans 
les  passages  suivants  :  1295,  II,  680;  1323,  III,  1030  ;  1345,  V, 
439,  460,  etc.  ;dansles  Literae  Cantuarienses  (1318,  -^4)  ;  dans  les 
Actes  du  Parlement  d'Ecosse  (1323,  80);  mais  ce  qui    distingue  ce 


L  INFINITll-  429 

verbe  de  recovrir,  c'est  que  la  forme  régulière  est  aussi  fréquente 
que  l'intinitif  avec  la  désinence  de  la  seconde  conjugaison  ;  on  lit 
treter  dans  les  Rymer's  Foedera  dans  un  grand  nombre  de  cas, 
comme  dans  les  traités  de  1295.  Toniir,  comme  pour  le  verbe  pré- 
cédent, est  fréquent  sans  être  la  forme  exclusivement  employée  ; 
les  Statutes  la  connaissent  et  on  la  trouve  à  plusieurs  reprises  (cf. 
1340,  I,  285,  287,  289  ;  1382,  24  ;  1388,  II,  56),  et  il  en  va  de 
même  dans  la  langue  légale  (21  Edward  P',  279).  Comme  on  le 
voit,  elle  se  montre  plus  tardivement  dans  les  Statutes  que  les  deux 
verbes  dont  nous  venons  de  citer  des  exemples  ;  et  au  commence- 
ment dé  la  première  moitié  du  xiv^  siècle,  elle  est  encore  assez 
rare;  elle  est  de  plus  en  plus  employée  à  partir  de  1350.  Le  pre- 
mier exemple  de  tiiniir  que  nous  trouvions  dans  Rymer  est  à 
peine  plus  ancien,  1330  (IV,  451),  et  les  progrès  de  cette  forme 
sont  certainement  moins  marqués  que  dans  les  Statutes  ;  on  en 
trouve  des  exemples  en  1338,  1357,  1364  et  un  plus  grand 
nombre  encore  en  1378.  Les  Literae  Cantuarienses  nous  donnent 
des  exemples  de  ce  verbe  sous  cette  forme  à  partir  de  1326 
(p.  189),  et  les  exemples  deviennent  assez  communs  par  la  suite. 
Les  trois  verbes  précédents  sont  ceux  qui  nous  ont  donné  le  plus 
grand  nombre  de  cas  du  passage  de  ir  à  er,  absolument  en  même 
temps  que  relativement  aux  formes  régulières  ;  d'autres,  moins 
employés,  se  trouvent  cependant  dans  un  certain  nombre  de 
recueils  :  performir,  gardir,  demorir,  governir.  On  trouve  ces  quatre 
verbes  dans  les  Statutes  et  dans  Rymer  ;  de  plus  un  ou  plusieurs 
sont  employés  dans  les  Parliamentary  Writs,  les  Mem.  Pari.  1305  ; 
dans  les  Literae  Cantuarienses,  dans  le  Registrum  Palatinum 
Dunelmense,  dans  le  Liber  Custumarum,  dans  le  Blacke  Booke  ot 
the  Admiralty. 

Citons  maintenant  plus  rapidement  quelques  verbes  moins  com- 
muns sous  cette  forme  ;  les  exemples  que  nous  avons  relevés  dans 
les  Statutes,  Rymer,  les  Literae  Cantuarienses  nous  fourniront  une 
liste  à  peu  près  complète  de  ces  verbes  dans  la  langue  politique  et 
familière  et  légale.  Les  Statutes  nous  donnent  :  averir,  envoir,  ordc- 
nir,  repeirir,  restituir,  tuir  ;  les  Rymer's  Foedera  :  alir,  donir,  eute- 
rinir,  kssir,  levir,  menir,  pair,  pensir  ;  les  Literae  Cantuarienses  : 
deliverir,  destourbir,  grevir,  pû'lir,  passir,  iisir  ;  dans  les  Year 
Books  nous  avons  relcwé  :  pledyr,  avenir,  uiosfrir.   Au  point  de  vue 


430  L  EVOLUTION    DU   VERBE    EN    ANGLO-I'RANÇAIS 

des  dates,  sauf  tretir  et  recovrir,  les  exemples  du  passage  des  infini- 
tifs de  I  à  II  sont  rares  au  commencement  du  xiv*  siècle  ;  ils 
deviennent  plus  communs  à  partir  de  1330,  et  vraiment  fréquents 
dans  la  seconde  moitié  du  siècle. 

IL    Verbes  de  III  passant  à  II. 

Comme  li  plus  grande  partie  des  infinitifs  en  eir  prennent  la  ter- 
minaison er,  il  est  naturel  qu'il  n'y  en  ait  qu'un  très  petit  nombre  à 
prendre  la  désinence  de  IL  Le  xii'^  siècle  n'a  pas  connu  ce  changement, 
et  le  xiii^  ne  nous  en  offre  pas  non  plus  d'exemple  bien  assuré.  Tout 
ce  que  nous  trouvons  à  citer  dans  ce  siècle  ce  sont  deux  exemples 
tirés,  l'un  de  la  Vie  d'Edward  le  Confesseur  :  cheiir  {âu  vers  1360), 
exemple  que  l'on  peut  sans  hésitation  attribuer  au  scribe  ;  l'autre 
tiré  de  la  Chronique  de  Wil.  Rishanger  :  recevir  (à  la  page  333). 
Le  plus  ancien  des  exemples  du  passage  d'un  infinitif  de  III  à  la  ter- 
minaison ir  ne  remonterait  donc  pas  plus  haut  que  la  fin  du 
XIII*  siècle.  Les  autres  exemples  de  la  langue  littéraire  que  nous 
trouvons  à  citer  ne  se  rencontrent  pas  avant  la  fin  du  xiv*  siècle  : 
ils  se  lisent  tous  dans  le  poème  du  Prince  Noir  :  veir  (:  envaïr) 
(326)  (:  alentir)  (3059). 

Ce  sont  les  seuls  cas  que  nous  ayons  rencontrés  dans  la  langue 
littéraire  ;  il  est  inutile  de  faire  remarquer  combien  ils  sont  peu 
nombreux  ;  et  encore  pour  certains  d'entre  eux,  on  peut  se  deman- 
der s'ils  appartiennent  bien  à  la  catégorie  des  verbes  qui  nous 
occupent.  Cheiir  ou  recevir  ont  fort  bien  pu  arriver  à  la  seconde 
conjugaison  en  passant  par  la  première,  car  les  infinitifs  cheier  et 
recever,  comme  nous  l'avons  vu,  ne  sont  pas  rares.  S'il  en  était 
ainsi,  il  ne  resterait  des  exemples  que  nous  donnons  que  celui  de 
veïr  qui  lui  n'a  pas  pu  passer  par  ver  ;  mais  cet  exemple  unique  ne 
saurait  prouver  grand'chose.  C'est  une  forme  empruntée  au 
picard. 

Les  cas  où  l'infinitif  de  III  prend  la  forme  d'un  infinitif  de  II  ne 
sont  guère  plus  nombreux  dans  les  ouvrages  non  littéraires  ;  on 
peut  toutefois  citer  escheir  qui  se  trouve  fréquemment  (par  exemple 
Statutes,  1275,  I,  36;  Rymer,  1503,  II,  924);  mais  faut-il  lire 
escheïr  ou  escheir  ?  Autrement  dit,  y  a-t-il  changement  de  désinence 
ou  disparition  de  la  muette  en  hiatus?  Rien   ne  peut  nous  le  faire 


L  INFINITIF  431 

savoir,  mais  il  y  a  de  grandes  chances  pour  que  ce  soit   plutôt  le 
second  phénomème  qui  se  soit  produit. 

Nous  trouvons  du  reste  dans  ces  mêmes  textes  des  exemples 
plus  probants,  quoique  en  petit  nombre  ;  un  seul  se  trouve 
dans  les  Statutes  :  asavir  (1275,  I,  27)  ;  on  peut  y  ajouter 
les  deux  exemples  de  Rymer  :  appercevir  (1325,  IV,  180)  et  la  nou- 
velle formation  appertir  (1324,  IV,  87)  pour  appareir  formée  sur  la 
troisième  personne  du  singulier  appert  \  Les  autres  ouvrages  ne 
nous  fournissent  que  bien  peu  de  nouvelles  formes  :  apparir  dans  le 
Registrum  Palatinum  Dunelmense  (1338,111,  212);  et  le  nom 
verbal  pouir.  Documents  Inédits  (1357,  113).  Comme  on  le  voit, 
ces  formes  sont  très  peu  nombreuses  dans  les  textes  politiques  et 
diplomatiques  ;  elles  sont  encore  plus  rares  dans  la  langue  légale  ; 
nous  ne  trouvons  à  citer  que  vaJyr,  21  Edv.  \"  (191)  ;  rescevir,  2  et 
3  Edw.  II  (59)  et  passim. 

III.  Infinitif  s  de  IV  passant  à  IL 

Les  infînitits  de  IV  se  rencontrent  très  rarement  avec  la  termi- 
naison ir  dans  la  langue  littéraire.  On  ne  trouve  aucun  exemple 
de  ce  changement  au  xii^  siècle,  et  ceux  qu'on  rencontre  dans  les 
siècles  suivants  sont  toujours  peu  nombreux  et  isolés.  Pour  un  de 
ces  verbes,  la  forme  de  l'infinitif  de  II  est  cependant  si  fréquente 
qu'on  peut  à  peine  la  considérer  comme  irrégulière  :  on  trouve  en 
effet  toJir  beaucoup  plus  communément  que  toldre  et  tondre.  On 
lit  déjà  dans  Robert  de  Gretham  :  tollir  (:  joïr)  (folio  9  r°);  dans 
le  Roman  des  Romans  (au  vers  702)  :  tolir  (:  tenir)  ;  ce  même 
infinitif  rime  encore  avec  haïr  au  vers  2418  du  Prince  Noir. 

Si  on  met  ce  verbe  à  part,  les  infinitifs  de  III  avec  la  terminai- 
son //'  ne  se  rencontrent  qu'au  xiv^  siècle  :  on  pourrait  presque 
dire  qu'ils  ne  se  lisent  que  dans  les  écrivains  en  prose.  Le  seul 
exemple  que  nous  ayons  relevé  dans  un  ouvrage  en  vers  est  occyr 
employé  par  Pierre  de  Langtoft  à  l'intérieur  du  vers  (I,  248,  21); 
ici  encore  nous  n'avons  pas  changement  de  conjugaison,  mais  chute 
de  la  voyelle  finale. 

Dans  certains  ouvrages  en  prose,  au  contraire,  ces  infinitifs  sont 
plus    librement  employés  :    dans    les  Contes  de  Nicole   Bozon  on 

I.    l";uit-il  lire  dppcriir  qu  atibeieir  ? 


_|32  l'kV0LUT10\    du    VERBI:   en    ANGLO-IRANÇAIS 

relève  par  exemple  :  discendir  (§  137),  suïr  (§  44);  «-hms  Nicolas 
Trivet  :  venquir  (68  v°). 

On  aurait  pu  citer  dans  ce  dernier  auteur  un  nombre  assez  con- 
sidérable de  formes  analogues  ;  mais  il  est  fort  possible  que  celles-ci 
proviennent  du  scribe;  elles  n'appartiennent  donc  pas  au  xiv-'  siècle, 
et  comme  telles  sortent  de  notre  sujet. 

Somme  toute,  les  quelques  exemples  précédents  suffisent  tout 
juste  à  montrer  que  ce  phénomène  n'était  pas  inconnu  à  la  langue 
littéraire  anglo-française,  mais  qu'il  }-  est  resté  très  rare. 

Dans  la  langue  politique  et  diplomatique  il  n'en  est  pas  exacte- 
ment de  même,  plusieurs  verbes  de  IV  se  présentent  avec  un  infi- 
nitif en  ir.  Quelques  verbes  prennent  cette  forme  en  perdant  sim- 
plement Ve  final  de  leur  désinence  (cf.  supra). 

Le  plus  employé,  et  de  beaucoup,  est  le  verbe  suivre  ;  il  prend 
différentes  formes  :  5HzwV  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1303, 
149);  sciiyy  dans  les  Statutes  (1330,  I,  264);  surtout  la  forme  5m>, 
qui  se  trouve  à  peu  près  partout  (cf.  Statutes,  1335,  I,  273  ;  1346,  I, 
304;  1360,1,  36e,  367.  Rymer,  1300,  II,  913;  1340,  V,  164; 
1373,  VII,  23).  et  évidemment  surtout  dans  les  Year  Booksoù  elle 
se  trouve  pour  ainsi  dire  à  chaque  page,  quoique 5?/^r  se  rencontre 
quelquefois.  D'autres  verbes  prennent  de  la  même  façon  une  forme 
analogue,  comme  dest  ni  ir  (dans  les  Statutes,  1344,1,  ^00); ''srbiiir 
(id.,  1353,  I,  330,  332). 

D'autres  viennent  à  II  en  passant  probablement  par  I  :  resceivir 
qui  se  lit  dans  Rymer  (1360,  VI,  258  ;  1363,  VI,  408)  ;  prend  ir  se 
lit  dans  la  Lettre  de  Thomas  de  Turberville  (1295,  4^);  ahatir  dans 
les  Year  Books,  i  et  2  Edw.  II  (35)  (mais  B  et  D  abatre);  33  et 
15  Edw.  ^'■(155),  etc. 

Ici  encore,  nous  n'avons  qu'un  petit  nombre  de  cas  et  ces  formes 
restent  purement  exceptionnelles. 

C)    INFINITIFS  DE    III. 

Les  infinitifs  de  la  troisième  conjugaison  ne  montrent,  à  l'excep- 
tion de  ceux  que  nous  avons  signalés  auparavant,  que  très  peu  de 
changements  dans  leur  désinence;  il  n'y  a  pas  à  s'en  étonner, 
puisque  la  littérature  anglo-française  reste  très  longtemps  sans  pos- 
séder de  désinence  spéciale  à  cette  conjugaison. 


LIXFIKITIF  433 

Voici  cependant  quelques  remarques  que  nous  suggère  l'étude  de 
ces  désinences.  Les  derniers  exemples  d'infinitifs  réguliers  que 
nons  trouvions  dans  la  littérature  avant  que  la  terminaison  er  fût 
devenue  la  seule  terminaison  des  infinitifs  de  III  nous  montrent 
tous  la  diphtongue  ci  ;  nous  en  avons  donné  de  nombreux  exemples 
précédemment^  qu'il  nous  suffise  de  rappeler  maintenant  les  rimes 
du  Saint  Edmund  :  saveir  (:  veir),  432  ;  avcir  (:  eir)  457.  La  seule 
variante  qu'on  puisse  signaler  est  l'emploi  de  la  diphtongue  ai,  par 
exemple  manair  dans  Robert  de  Gretham  (7  r°)  ;  mais  la  rime 
(:  seir)  montre  que  cette  variante  est  purement  graphique  et  due 
au  scribe  ' . 

Oi  est  très  rare,  presque  aussi  rare  que  ai  ;  on  ne  trouve  cette 
diphtongue  que  chez  certains  auteurs,  comme  Frère  Angier,  dont 
l'anglo-gallicisme  est  douteux,  ou  tout  au  moins  mélangé.  On  peut 
lire  dans  cet  auteur  recevoir  (Dialogues,  64  r°  a). 

Au  contraire,  lorsque,  après  une  absence  d'un  siècle  environ,  la 
désinence  régulière  reparaît,  c'est  sous  la  forme  de  oi  ;  il  suffira 
pour  s'en  convaincre  de  lire  les  exemples  que  nous  avons  déjà 
cités. 

Il  en  est  de  même,  autant  que  nous  pouvons  le  voir,  dans  les 
œuvres  non  littéraires;  dans  les  grands  recueils,  la  diphtongue  ei 
ne  se  rencontre  que  dans  de  rares  exceptions,  que  nous  allons  signa- 
ler :  dans  les  Statutes  :  veire  (1396,  II,  94)  ;  dans  le  Liber  Albus  : 
avcir  (1243,  132);  .dans  les  Literae  Cantuarienses  :  siirscir  (1338, 
650);  en  tout,  trois  infinitifs. 

Il  est  possible,  il  est  même  certain,  que  notre  liste  est  incom- 
plète et  qu'on  pourrait  probablement  citer  quelques  autres  exemples 
d'infinitifs  de  III  en  ei  dans  cette  catégorie  de  textes;  il  n'en  reste 
pas  moins  vrai  que  cette  terminaison  dans  la  langue  politique  et 
diplomatique,  de  même  que  dans  la  langue  littéraire  de  la  fin  du 
xiv^  siècle,  est  très  exceptionnelle.  Cette  considération,  comme  on 
le  verra  plus  tard,  ne  manque  pas  d'importance-. 

1.  Ajoutons  que  cette  torme  se  rencontre  assez  fréquemment  dans  le  fragment 
T'  du  Tristan  de  Thomas  (Cf.  vers  1032,  11 10,  11 12)  ;  mais  le  scribe  paraît 
avoir  été  continental. 

2.  Cette  simple  constatation  suffirait  à  montrer  que  le  phénomène  de  l'umge- 
kehrte  Schreibung,  s'il  se  produit  quelquefois  en  anglo-français,  ne  s'est  certai- 
nement pas  produit  dans  le  cas  présent. 

28 


^34  L  EVOLUTION    DU    VHKBE    EN    AXGLQ-I  RAXÇAIS 

Signalons,  avant  d'en  finir  avec  la  forme  de  la  désinence  des 
infinitifs  de  III,  certaines  autres  terminaisons,  toutes  assez  peu 
fréquentes.  Il  est  assez  comnuni  de  trouver  pour  le  verbe  avoir  et 
même  pour  savoir  ce  qui  semble  une  contamination  des  deux 
formes  avrr  et  avoir  :  avoer,  par  exemple  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1310,  III,  221  ;  1324,  IV,  30)  ;  un  /peut  même  s'introduire,  par 
exemple  rtiwVr  toujours  dans  Rymer  (13  51,  IV,  493  ;  1380,  VII, 
273)  ;  savoyer  se  lit  dans  les  Year  Books  (33  et  35  Edw.  \"\  117)  ; 
peut-être  aurions-nous  dû  mentionner  cette  dernière  forme  avec 
les  acquisitions  des  infinitifs  en  er;  mais  avoer  nous  semble  distinc- 
tement une  graphie  dé  avoir  et  avoicr  ne  peut  provenir  d'une  autre 
forme  que  celle-là  (cf.  notre  seconde  partie,  chap.  m). 

Les  terminaisons  sans  /  ne  sont  pas  rares  ;  on  trouve  par  exemple 
savor  dans  les  chroniques  du  Monastère  de  Saint  Alban  (13 10, 
166)  ;  resceivor  dans  Rymer  (1375,  VII,  76);  avor.  Documents  Iné- 
dits (1382,  237).  Nous  aurions  volontiers  négligé  ces  quelques 
formes  comme  des  erreurs  cléricales  si  les  infinitifs  en  or  n'étaient 
pas  connus  par  ailleurs  en  français  (cf.  Philipon,  les  Parlers  du 
duché  de  Bourgogne,  Romania,  XLI,  p.  581,  §22,  3  et  notre  seconde 
partie,  chap.  m). 

Moins  commune   est  la  diphtongue  ou  :  savoiir  (Rvmer,    1297, 

11741). 

I.  Acquisitions  des  infinitifs  de  III. 

Ces  infinitifs  nous  fournissent  encore  un  autre  point  à  traiter  : 
les  acquisitions  qu'ils  ont  faites. 

Comme  la  désinence  en  eir  était  appelée  à  disparaître  de  la  ter- 
minaison des  infinitifs  de  III,  il  semble  a  priori  peu  vraisemblable 
que  nous  puissions  trouver  un  grand  nombre  de  nouveaux  infini- 
tifs avec  cette  terminaison.  11  y  en  a  cependant.  Au  xii^  siècle, 
alors  que  la  terminaison  des  infinitifs  de  III  subsistait  encore,  elle 
a  exercé  son  attraction  sur  un  certain  nombre  d'infinitifs  de  I  ; 
citons  d'abord  espeleir  qui  n'est  pas  spécial  à  l'anglo-français  et 
qu'on  trouve  dans  Gaimar  (vers  293)  et  dans  plusieurs  autres 
auteurs  •,fableir  se  trouve  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  9, 
7)  ;  aler  rime  avec  veir  (verum)  au  vers  759  du  Saint  Gilles  et 
doit  être  attribué  au  scribe. 


L  INFINITIF  435 

Comme  on  le  voit,  la  liste  des  acquisitions  au  xii«  siècle  est  fort 
courte.  Elle  est  beaucoup  plus  longue  au  siècle  suivant.  Mais  elles 
proviennent  toutes  du  même  auteur  :  Frère  Angier.  Voici  les 
exemples  du  passage  de  I  à  III  que  nous  trouvons  dans  cet  auteur. 
La  Vie  de  Saint  Grégoire  nous  donne  aleir  (à  la  rime  du  vers 
2001)  ;  proveir  (au  vers  2840)  ;  achiveir  (au  vers  1940).  Pour  les 
Dialogues,  voici  les  exemples  cités  par  Timothy  Cloran  (p.  45). 
(cf.  Miss  Pope,  op.  cit.,  p.  39)  «-»/('/;■(:  remaneir)  (107,  c.  28); 
escbiveir  {:  voieir)  (134,  c,  9);  esproveir  (très  commun)  (:  saveir) 
(48,  a,  lé;  etc.);  gardeir  (:  aveir)  (78,  d,  19);  salveir  (:  valeir) 
(146,  c,  10);  froi'eir  (:  aveir)  (72,  d,  3).  Il  y  a  de  plus  un  petit 
nombre  de  verbes  de  IV  à  prendre  cette  désinence  ;  citons  sonrdeir 
(:  ardeir)  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (107  v°  b)  (Miss 
Pope). 

On  pourrait  considérer  que  les  rimes  que  nous  venons  de  citer 
ne  sont  pas  très  concluantes,  puisque,  comme  nous  l'avons  vu, 
Frère  Angier  fait  souvent  passer  à  la  forme  en  er  les  infinitifs  de 
III,  et  il  serait  possible  de  considérer  les  rimes  que  nous  avons 
comme  des  preuves,  non  pas  de  la  terminaison  en  eir  des  infinitifs 
de  I,  mais  comme  montrant  que  les  infinitifs  de  III  passent  à  la  pre- 
mière conjugaison.  Cependant  la  nature  des  manuscrits  des  poèmes 
de  Frère  Angier  rend  une  telle  supposition  tout  à  fait  impro- 
bable. 

Remarquons  que  dans  cet  auteur  les  infinitifs  de  III  ont  ordi- 
nairement la  forme  moderne  en  oir,  tandis  que  les  acquisitions  de 
cette  conjugaison  que  nous  venons  de  citer  nous  montrent  la  diph- 
tongue ei. 

Nous  n'avons  pas  relevé  postérieurement  à  Frère  Angier 
d'exemple  assuré  d'infinitif  de  I  prenant  la  terminaison  des  verbes 
de  III;  et  il  nous  est  presque  absolument  impossible  d'en  trouver. 
Rappelons  en  effet  que  lorsque  nous  avons  étudié  le  passage  de  III 
à  la  forme  de  I,  nous  avons  toujours  admis  qu'une  rime  entre  deux 
infinitifs  de  ces  deux  conjugaisons  nous  montrait  que  l'mfinitif  de 
la  troisième  prenait  la  forme  de  celui  de  la  première,  et  c'est  vrai- 
semblablement ce  qui  a  eu  lieu  en  réalité  ;  mais  comme  ce  sont 
presque  les  seules  rimes  que  nous  trouvions,  nous  ne  pouvons  plus 
saisir  les  traces  du  passage,  s'il  existe,  de  I  à  III. 

Il  est  assez  probable  que  s'il  a  eu  lieu  ce  n'a  été  que  rarement. 


4}(->  L  ÉVOLUTION    DU    VeRBE    EN    ANGLO-IRANÇAIS 

Cependant  dans  les  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature, 
nous  en  avons  rencontré  un  certain  nombre,  et  quoique  ce  phéno- 
mène ne  se  soit  pas  produit  très  souvent,  les  exemples  que  ces 
textes  nous  donnent  ont  une  grande  importance  parce  qu'ils  ne  sont 
pas  limités  à  une  courte  époque  ni  à  une  catégorie  d'ouvrages.  Les 
Statutes  nous  en  ont  fourni  quelques  exemples  ;  citons  essomyr  que 
nous  lisons  en  1275  (I,  37),  tueir  (13  n,  I,  164). 

Le  premier  de  ces  deux  exemples  se  retrouve  encore  dans  les 
Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  86)  qui  nous  donnent  de  plus  aleir 
(13  10,  270).  Enfin  à  la  date  de  1297,  les  Parliamentary  Writs  ont 
encore  troveir  (I,  34).  Tels  sont  les  principaux  exemples  qu'on  ren- 
contre dans  les  textes  politiques;  dans  Rymer,  nous  en  avons  relevé 
au  moins  trois  cas  :  troveir  (1259,!,  675);  bailleir  (1307,  III,  19); 
le  troisième  cas  est  celui  d'un  verbe  de  II,  mais  il  est  probable 
qu'il  est  arrivé  à  cette  forme  en  passant  par  la  désinence  er  :  acom- 
pleir  (^i^S^,  VII,  411).  lien  va  de  même  pour  veneir  (Literae  Can- 
tuarienses  1358,  843).  Citons  encore  une  forme  assez  curieuse, 
qu'on  lit  dans  les  Rymer's  Foedera,  et  totalement  différente,  croyons- 
nous,  de  celles  que  nous  avons  vues  jusqu'ici  :  siirvoir  (surveiller) 
(1373,  VII,  12).  Cette  forme  confirme  ce  que  nous  avons  déjà  dit  de 
la  confusion  qui  s'était  établie  entre  les  deux  verbes  veiller  et  voir, 
si  voisins  déjà  par  le  sens  et  par  la  forme. 

Les  exemples  que  nous  venons  de  citer  se  trouvent  donc  au 
nombre  de  sept,  que  l'on  pourrait  fort  bien  réduire  à  six,  acoviphir 
pouvant  n'être  qu'une  erreur  cléricale  pour  acompUer  (cf.  supra). 
On  remarquera  que  ces  six  exemples  se  rencontrent  à  des  dates 
variant  entre  1259  et  1311,  à  une  époque  où  le  retour  à  la  forme 
étymologique  pour  les  infinitifs  de  III  avait  à  peine  commencé  ; 
ensuite^  la  diphtongue  dans  ces  quelques  verbes,  et  dans  accompJeir, 
si  on  veut  en  tenir  compte,  est  ei,  alors  que  dans  les  infinitifs  qui 
reprennent  la  terminaison  régulière  de  la  troisième  conjugaison, 
ell'e  est,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  oi.  Ces  deux  considérations 
suffisent  pour  prouver  que  ces  infinitifs  n'appartiennent  qu'en 
apparence  à  la  troisième  conjugaison  ;  ici  encore,  la  nouvelle  forme 
n'est  rien  autre  chose  qu'une  variante  graphique  de  la  forme  étymo- 
logique et  n'est  pas  identique  à  0/. 

Nous  n'avons  pas  tenu  compte  dans  ce  qui  précède  des  textes  de 
langue  légale  ;  les  Year  Books  ne  nous  fournissent  en  eflet  qu'un 


L  INFINITIF  437 

très  petit  nombre  d'exemples,  comme  departeyr  (20  et  21  Edw.  P"", 
195).  Nous  n'avons  pas  rencontré  dans  les  Year  Books  de  cas 
auquel  nous  puissions  assigner  une  date  approximative,  mais  rien 
non  plus  qui  puisse  aller  à  l'encontre  de  la  conclusion  que  nous 
venons  de  tirer. 

d)  Infinitifs  de  IV. 

Les  infinitifs  de  IV  ont  eu  à  subir  plus  de  modifications  que  les 
infinitifs  de  II  ou  de  III  ;  mais,  comme  nous  le  verrons  plus  tard, 
ce  sont  surtout  des  modifications  phoniques  qui  ne  sont  pas  spé- 
ciales à  ce  mode,  ni  même  au  verbe  ;  aussi  passerons-nous  assez 
rapidement  sur  certaines  d'entre  elles. 

I.  Redoublement  de  /'r  de  la  désinence. 

Certains  verbes,  principalement  ceux  dont  le  thème  (en  latin) 
présente  une  palatale,  assimilent  cette  consonne  à  Vr  de  la  dési- 
nence et  redoublent.  Vr  à  l'infinitif.  Nous  ne  citerons  ici  qu'un 
assez  petit  nombre  d'exemples,  mais  ceux  que  nous  avons  relevés 
sont  tous  anciens,  ainsi  ceux  que  nous  fournissent  les  Psautiers  : 
defirre  (Oxford,  38,  15);  dirre  (Oxford  et  Cambridge,  respective- 
ment ^  19  et  5  20)  ;  fairre  dans  les  Royal  Letters  Henry  III  (1263- 
70,  II,  234). 

Ce  redoublement  de  Vr  se  remarque  surtout  au  futur  et  nous  en 
parlerons  plus   longuement  lorsque  nous  étudierons  ce  temps. 

II.  Acquisitions  des  infinitifs  de  IV. 

La  quatrième  conjugaison  n'était  pas  appelée  à  faire  un  grand 
nombre  d'acquisitions  dans  les  dialectes  du  continent;  et  en  anglo- 
français  sa  fortune  n'était  pas  destinée  à  être  plus  brillante.  Nous 
relevons  cependant  dans  nos  différents  textes,  et  surtout  dans  ceux 
qui  appartiennent  au  xiv^  siècle,  plusieurs  infinitifs  qui  se  rangent  à 
la  forme  de  l'infinitif  en  re.  Ils  ne  sont  pas  très  nombreux  et  peuvent 
le  plus  souvent  s'expliquer  par  l'action  des  lois  phoniques.  Nous 
citerons  tout  d'abord  et  dans  une  classe  à  part  le  verbe  conquistre 
qu'on  trouve  employé    pour    conquérir   dans  un  certain  nombre 


13^  l'évolution    UU    VF.RliR    FA'    ANGLO-l-RAX  ÇAIS 

d'auteurs,  par  exemple  dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet  (au 
folio  58  r°),  et  dans  le  poème  sur  le  Prince  Noir  (au  vers  684). 
Cet  infinitif  représente  une  véritable  acquisition  pour  les  infinitifs 
de  IV,  facile  à  expliquer;  mais  nous  n'en  dirons  pas  davantage  pour 
le  moment.  Nous  aurons  occasion  de  reparler  de  cette  forme  quand 
nous  nous  occuperons  du  radical  de  l'infinitif  en  général. 

A  part  ce  verbe,  nous  rencontrons  un  assez  grand  nombre  d'infi- 
nitifs qui  prennent  ou  semblent  prendre  la  forme  des  infinitifs  de 
IV.  S'il  est  suffisant  pour  appartenir  à  cette  conjugaison  d'être  ter- 
miné par  re,  tous  les  exemples  suivants  ont  passé  à  cette  conjugai- 
son. Mais  la  présence  de  Ve  peut  n'être  qu'une  ressemblance  exté- 
rieure. Nous  allons  diviser  en  deux  groupes  les  infinitifs  que  nous 
avons  recueillis,  d'après  le  mode  de  leur  formation  ;  nous  sommes 
persuadés  que  les  verbes  du  premier  groupe  n'ont  pas  changé  de 
conjugaison,  malgré  leur  forme. 

A.  Ce  groupe  comprend  les  infinitifs  terminés  par  re  par  suite  de 
l'addition  d'un  ^  muet  à  leur  forme  ordinaire.  La  ressemblance  avec 
les  infinitifs  de  I  n'est  donc,  pour  ainsi  dire,  qu'extérieure  et  acci- 
dentelle. Ce  sont  principalement  les  verbes  de  I  qui  subissent  cette 
addition. 

Les  verbes  de  II  et  de  III  sont  eux  aussi  affectés  de  la  même 
manière,  mais  à  un  moindre  degré.  Nous  avons  traité  cette  question 
et  cité  des  exemples  au  commencement  de  notre  élude  sur  l'infinitif. 

B.  Les  verbes  deL  ont  une  autre  manière  de  prendre  à  l'infinitif  la 
forme  des  verbes  de  IV  :  par  métathèse  de  Vr  de  leur  terminaison. 
Le  premier  exemple  que  nous  en  ayons  relevé  se  trouve  dans  le 
Roman  des  Romans  et  doit  être  attribué  probablement  au  scribe 
du  ms.  Royal  20  B  XIV  qui  date  de  la  fin  du  xiv^  siècle: c'est  cnntre, 
pour  conter,  au  vers  9  r .  Dans  Pierre  de  Langtoft  nous  trouvons  de 
ce  changement  trois  exemples  souvent  cités  :  malheureusement,  de 
ces  trois  passages,  deux  doivent  être  attribués  au  scribe  du  ms.  A 
qui  est  un  mauvais  ms.  ;  le  premier  des  exemples  cités  est  lettre 
(I,  46,  ri);  mais  leetreesx.  la  leçon  d'A  seulement,  alors  que  B,  le 

I. Sur  ce  passage  des  infinitifs  de  I  à  la  forme  de  IV,  on  peut  voir,  entre  autres  : 
P.  Meyer,  Introduction  aux  Contes  de  Nicole  Bozon,  Ixiv;  Meyer-Liibke,  Gram- 
maire II,  §  124  ;  H.  Suchier,  Ueber  die.  .  .,  p.  41  ;  Stimming,  Boeve  de  Haum- 
tone,  xxix;  D.  Behrens,  Beitrâge  zur  Gescliichte  der  franzôsischen  Sprache  in 
England,  Franzôsischen  Studien  V,  p.  195. 


L  INFINITIF  439 

meilleur  des  quatre  mss.,  donne  leter  et  C  et  D  leyter;  le  second 
exemple  est  houstre  (I,  302,  12),  mais  ici  encore  la  forme  nouvelle 
ne  se  trouve  que  dans  A  alors  que  les  autres  mss.  ont  la  forme  ordi- 
naire :  B  ouhter,  C  oster. 

Le  troisième  exemple  n'est  guère  meilleur,  car  il  n'est  donné  que 
par  le  même  ms.  A,  et  pour  cet  exemple,  nous  n'avons  pas 
les  variantes  des  autres  mss.  :  c'est  geltre  que  nous  lisons  dans 
le  premier  volume  (324,  9).  Mais  serait-il  assuré  par  l'accord  des 
manuscrits  que  son  témoignage  isolé  n'aurait  pas  grande  valeur. 
Tous  les  autres  exemples  que  nous  avons  rencontrés  sont  plus 
ou  moins  douteux  ;  ils  se  rencontrent  dans  des  ouvrages  du  xiV^ 
siècle,  mais  peuvent  être  attribués  aux  scribes.  Aussi  nous  n'en  cite- 
rons que  quelques-uns  ;  dans  le  roman  de  Foulques  Fitz-Warin, 
nous  rencontrons  encore  gittre,  que  nous  avons  déjà  cité  à  la  page 
22,  et  à  la  page  86,  liittre.  Dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  nous 
en  rencontrons  aussi  un  certain  nombre  :  ainsi  letre  §5  et  lutlre  §  21. 
Ce  dernier  exemple  est  particulièrement  commun  dans  la  Chro- 
nique de  Nicolas  Trivet  (cf.  14  v°,  28  v°  (deux  fois),  63  r°,  69 
r°).  Nous  n'avons  jamais  nous-même  trouvé  cette  forme  assurée  par 
une  rime  ;  mais  Stengel  (Description  du  ms.  Digby  86,  p.  ^  r)  en 
cite  un  cas  :  boiitre  à  la  rime. 

Tels  sont  les  exemples  que  nous  rencontrons  dans  la  littérature, 
en  les  attribuant  tous  au  xiv^  siècle,  ce  que  l'exemple  cité  par  Sten- 
gel et  celui  du  Roman  des  Romans  nous  permettent  de  faire,  on 
voit  que,  même  à  cette  époque,  ils  ne  sont  pas  très  nombreux.  Il  nous 
faut  surtout  remarquer  ici  que  tous  ces  verbes  ont  ceci  de  commun 
que  leur  radical  est  terminé  par  une  dentale  appuyée  ;  et  ceci  nous 
explique  immédiatement  le  mécanisme  de  ce  changement,  il  a  été, 
avant  tout,  sinon  uniquement,  phonique,  et  la  métathèse  qu'il  pré- 
sente est  la  contrepartie  de  celle  qui  a  fait  passer  à  la  forme  de  I  les 
infinitifs  de  IV  dont  le  thème  se  termine  par  une  dentale  ou  une 
labiale.  Nous  croirions  que  le  changement  d'accent  a  précédé  cette 
métathèse,  qu'on  a  prononcé  jetter  avec  l'accent  sur  l'initiale  avant 
de  prononcer /V/^r^;  ;  mais  ceci  n'est  plus  de  notre  ressort. 

Nous  trouvons  plus  fréquemment  dans  l'anglo-français  non 
littéraire  des  exemples  montrant  le  passage  de  certains  infinitifs  de  I 
àlaforme  de  IV.  Pour  la  plupart  ce  sontdesverbes  dont  le  thème  est 
terminé  par  une  dentale,  quelquefois  une  dentale  simple,  le  plus  sou- 


I  |0  L  EVOLUTION-    DU    VERBE    EK    ANGLO-FRANÇAIS 

vent  appuvée  ;  il  est  plus  rare  de  trouver  avec  un  infinitif  en  re  un 
verbe  de  I  dont  le  thème  est  terminé  par  une  labiale  appuvée  ou  une 
vovelle. 

Les  deux  verbes  qui  se  rencontrent  le  plus  fréquemment  dans  les 
ouvrages  diplomatiques  ou  politiques  sont  :  gettrc  dont  nous  avons 
relevé  quelques  exemples  dans  les  œuvres  littéraires,  et  achatre.  Le 
dernier  de  ces  deux  verbes  est  employé  dans  les  Statutes  à  partir 
delà  date  1^35  (I,  270,  2  fois)  ;  après  cette  date,  on  le  rencontre 
communément,  sans  que  la  forme  étymologique  disparaisse  ;  dans 
les  Rvmer's  Foedera,  il  est  aussi  fréquent  ;  le  premier  exemple  que 
nous  en  ayons  relevé  date  de  1337  et  cette  forme  est  librement 
mélangée  à  la  terme  étymologique. 

Gettrc  se  trouve  sensiblement  plus  tôt  puisque  le  plus  ancien 
exemple  que  nous  en  trouvions  se  rencontre  dans  le  Registrum 
Malmesburiense  à  la  date  de  1300  (p.  58).  Rymer  en  a  un  autre  à 
la  date  de  1337  (IV,  625  ;  1375,  ^T[,  23).  On  le  trouve  aussi  dans 
les  Statutes  (1388,  II,  57),  Les  autres  verbes  terminés  par  une  den- 
tale qui  prennent  le  plus  souvent  la  forme  des  infinitifs  de  IV  sont 
ceux  dont  le  radical  est  terminé  par  7ui,  comme  amcudre,  qui  se 
trouve  à  la  fois  dans  les  Rymer's  Foedera  (1323,  III,  loié),  dans 
les  Statutes (13 5 7,  I,  352);  denmndre  àzws  Rymer  (1383,  MI,  409  ; 
1389,  MI,  652),  dans  les  Statutes  (1387,  0,  52)  ;  imrchandre  dans 
Rvmer  (1394,  VII,  771),  dans  le  Year  Book  22  Edw.  P*^  (355)  où 
il  est  assez  rare,  dans  le  Year  Book  16  Edw.  III  (23).  Parmi  les 
autres  verbes  terminés  par  une  dentale,  appuyée  ou  non,  on  peut 
citer  gardn',  ajoustre,  pledrc,  trctre,  dans  Rymer  (1326,  R^,  233); 
prùcedre,  dans  les  Statutes  (1376,  I,  398). 

Il  nous  reste  à  citer  encore  reimmbre  dont  le  thème  est  terminé 
par  mbr,  mais  la  métathèse  de  IV  a  fait  disparaître  IV  final  du 
thème. 

La  forme  la  plus  rare  parmi  toutes  celles  que  nous  avons  rencon- 
trées, c'est  paire  pour  paie r  qu'on  trouve  deux  fois  dans  les  Rymer's 
Foedera  (1326,  IV,  231;  1358,  VI,  96). 

Xous  n'avons  pas  trouvé  dans  les  textes  diplomatiques  ou  fami- 
liers de  verbes  d'une  autre  conjugaison  que  la  première  prenant  à 
l'infinitif  la  désinence  rc  ;  l'exemple  prùvidre  pour  pour\-oir,  qu'on 
lit  dans  les  Statutes  (1388,  H,  60),  est  très  peu  concluant. 

Les  exemples  que  nous  avons  cités  nous  montrent,   non  seule- 


L  INFINITIF  441 

ment  quels  sont  les  verbes  qui  changent  ainsi  de  conjugaison  à 
l'intiiiitif,  mais  ils  nous  donnent  les  dates  extrêmes  qui  marquent  les 
limites  de  ce  phénomène.  Nous  n'avons  relevé  qu'un  exemple  avant 
1323,  ÏQ  gettre  du  Registrum  Malmesburiense  qui  est  de  1300;  cela 
nous  permet  de  dire  que  ce  n'est  guère  qu'au  commencement  du 
second  quart  du  xiv^  siècle  que  certains  verbes  de  I  dans  les 
ouvrages  non  littéraires  commencent  à  montrer  la  métathèse  et 
l'amuissement  de  leur  c  ;  les  cas  analogues  se  trouvent  assez  sou- 
vent par  la  suite,  surtout  dans  la  seconde  moitié  du  xiv^' siècle,  mais, 
ils  ne  sont  jamais  très  communs,  saut  pour  certains  verbes,  tels 
que  acheter  et  jeter. 

Pour  les  dates  et  pour  les  formes,  les  témoignages  des  textes  non 
littéraires  concordent  bien  avec  ceux  que  nous  avons  recueillis  dans 
la  littérature  :  ce  sont  les  mêmes  dates,  les  mêmes  classes  de  verbes, 
même  les  mêmes  verbes  que  nous  rencontrons  dans  ces  deux  caté- 
gories d'ouvrages. 

LE  RADICAL    DE   l'iXFIMTIF 

I.   Voyelle  svarabhahique. 

Les  cas  de  svarabhakti  se  trouvent  à  la  première,  la  deuxième  et 
la  quatrième  conjugaison  ;  ils  sont  spécialement  communs  dans  les 
verbes  de  cette  dernière,  sans  être  rares  dans  les  deux  autres.  Nous 
nous  contenterons  de  citer  maintenant  un  petit  nombre  d'exemples 
suffisant  à  nous  mener  aux  conclusions  que  nous  aurons  à  tirer; 
car  nous  aurons  à  revenir  sur  ce  sujet  quand  nous  parlerons  du 
futur, 
i  Comme  verbe  de  la  première  conjugaison,  nous  pourrons  citer 

\  oierer,  que  l'on  trouve  dans  Boeve   de   Haumtone  (au  vers  2291), 

dans  l'Apocalypse  (,3  et  7  209),  dans  les  Contes  de  Bozon  (§  51), 
etc.,  dans  les  Statutes,  passim,  dans  les  Parliamentary  Writs  (1305, 
I,  162),  dans  Rymer  (1327,  V,  245),  etc. 

Pour  la  seconde  conjugaison,  on  peut  cher  coverir  dans  la  Chro- 
nique de  Londres  (1320,  52);  dans  Rymer  (1373,  VII,  23). 

Ce  sont  surtout  les  verbes  de  IV  qui  se  montrent  sou's  cette  forme 
et  nous  nous  trouvons  en  présence  d'un  nombre  considérable 
d'exemples  dont  nous  citerons  seulement   les  principaux. 


442  I.'ÉVOLUTIOM    DU    VHRBE    KN    ANGLO-FRANÇAIS 

On  commence  à  en  rencontrer  dès  le  xii^  siècle;  dans  bien  des 
cas,  nous  les  devons  aux  scribes;  mais  malgré  cela,  nous  pouvons 
faire  remonter  assez  haut  la  date  de  l'introduction  de  Ve.  Car  nous 
lisons,  par  exemple,  dans  le  Psautier  d'Arundehywd/wr^  (30,  17,  4). 
C'est  du  reste  le  seul  cas  assuré  que  nous  ayons  à  cette  époque. 

Ceux  qu'il  nous  reste  à  voir  appartiennent  probablement  au  xiii* 
siècle;  les  ouvrages  du  siècle  qui  précède  nous  en  offrent  bien 
quelques  cas  autres  que  celui  du  Psautier  d'Arundel,  mais  il  semble 
plus  prudent  de  les  attribuer  aux  scribes.  Ainsi,  on  ne  peut  avoir 
de  doute  pour  l'exemple  de  l'Estorie  des  Engleis  :  escrivere  (au  vers 
3455),  qui  ne  nousest  donné  que  par  R  (O  et  L  ont  cscrire)  et  qui 
rime  avec  lire.  Il  en  va  de  même  pour  sivere  dans  Adgar  (V  R,  108), 
respondere  au  vers  2231  de  Horn,  beivere  dans  les  Homélies  (loi). 

Au  xiv^  siècle  évidemment,  les  mêmes  exemples  et  d'autres  ana- 
logues se  reproduisent  constamment,  de  sorte  que  les  verbes  de  IV 
dont  le  thème  est  terminé  par  dentale  -|-  r,  ou  labiale  -j-  r, 
prennent  très  fréquemment  entre  la  dentale  ou  la  labiale  du  thème 
et  la  désinence  un  e  svarabhaktique.  Ajoutons  encore  que  vers  la  fin 
du  XIV*  siècle,  cet  ^  svarabhaktique  ne  s'introduit  pas  uniquement 
entre  deux  consonnes  ;  il  est  développé  même  par  un  ;■  post-voca- 
lique,  comme  dans  la  forme  estraiere  pour  estraire,  Nicolas  Trivet, 
Chroniques  (28  v°). 

Il  nous  reste  maintenant  à  nous  demander  quelle  a  été  la  valeur 
de  cet  e.  Evidemment,  dans  tous  les  cas  où  il  provient  du  scribe, 
nous  n'avons  aucune  indication  qui  nous  permette  de  juger  de  sa 
valeur;  dans  la  plupart  des  autres  cas,  cet  e  reste  purement  gra- 
phique, c'est-à-dire  qu'il  ne  compte  pas  dans  la  mesure  du  vers. 

Pour  un  petit  nombre  d'exemples  seulement,  cet  c  est  devenu 
syllabique  ;  nous  en  trouvons  la  preuve  dans  quelques  poèmes  du 
xiii'^  siècle,  par  exemple  perdere  au  vers  581  de  la  Vie  d'Edward  le 
Confesseur  : 

Ore  au  perdere,  ore  au  cunqucrc. 

Il  en  est  peut-être  de  même  de  ce  vers  de  Dermod  (qui  se  trouve 
au  milieu  d'une  tirade  en  vers  de  sept  syllabes)  : 

U  ci  vivere,  u  mûrir. 

On  pourrait  citer  aussi,  quoique  avec  moins  de  certitude  encore, 
le  rcprcndere  des  Chansons,  VI,  45. 


L  INFINITIF  443 

Si  nous  admettons  que  Ve  svarabhaktique  a  eu  cette  valeur, 
même  assez  rarement,  nous  pouvons  encore  nous  demander  si  cette 
valeur  a  entraîné  en  même  temps  un  déplacement  de  l'accent.  Nous 
n'avons  rencontré  aucune  rime  qui  puisse  nous  le  prouver.  Nous 
croyons  que  cette  question  est  intimement  liée  à  celle  que  nous 
avons  étudiée  précédemment.  Nous  voyons  en  effet  que  ce  sont 
les  mêmes  verbes  qui  prennent  cet  e  svarabhaktique  ou  qui  montrent 
la  métathèse  de  1'^  atone  final.  Au  fond,  nous  n'avons  même  ici 
qu'une  question  :  entre  rendere  et  render  la  différence  est  minime, 
puisque  nous  avons  vu  qu'en  anglo-français,  au  xiv^  siècle,  Vr 
final  est  souvent  suivi  d'un  e  atone  épithétique.  Nous  avons  émis 
des  doutes  sur  le  déplacement  de  l'accent  pour  les  formes  telles  que 
render.  De  la  solution  qu'on  doimera  à  cette  première  question 
dépendra  celle  qu'on  doit  donner  ici  ou  vice  versa.  Nous  pensons 
maintenant,  comme  tout  à  l'heure,  que  l'accent  n'a  pas  passé  sur 
la  voyelle  muette,  ou  que  s'il  l'a  fait  ce  n'est  que  dans  un  nombre 
de  cas  tout  à  fait  restreint  et  exceptionnellement;  nous  trouvons 
un  argument  dans  ce  fait  que  Ve  svarabhaktique  est  si  rarement 
syllabique.  Du  reste,  nous  ne  pouvons  pas  trancher  la  question  sur 
de  simples  présomptions  et  nous  ne  pouvons  conclure  ni  dans  un 
sens  ni  dans  un  autre. 

Une  autre  question  se  pose,  moins  importante  et  à  laquelle  il 
est  plus  facile  de  répondre.  Si  les  deux  formes  rendere  et  render 
sont  dans  un  rapport  si  étroit,  on  peut  se  demander  laquelle  a  pré- 
cédé l'autre  ;  il  n'est  pas  plus  invraisemblable  que  la  première  ait 
amené  la  seconde  que  de  penser  que  la  seconde  est  due  à  la  pre- 
mière, puisque  l'anglo-français  supprime  aussi  bien  qu'il  ajoute  un 
e  atone  après  une  consonne  finale. 

La  question  nous  semble  très  claire,  puisque  le  premier  exemple 
d'un  c  svarabhaktique  remonte  au  Psautier  d'Arundel  (i  i6o)  et  que 
les  formes  en  er  ne  datent  que  du  xiv^  siècle.  Celles-ci  doivent 
donc  provenir  des  premières  par  suite  de  la  chute  de  la  voyelle 
muette. 

Si  nous  passons  maintenant  aux  textes  qui  n'appartiennent  pas 
à  la  littérature,  il  nous  suffira  d'ajouter  quelques  mots.  Les 
voyelles  svarabhaktiques  sont  loin  d'être  rares  ;  mais  comme  ce  sont 
exactement  les  mêmes  formes  et  les  mêmes  verbes  que  ceux  que 
nous  venons  de  rencontrer  dans   les  œuvres  littéraires,  nous  n'en 


.J44  I-  KVOLUTION    DU    VERBE    EX    ANGLO-FRANÇAIS 

citerons  aucun  exemple.  Cependant  il  y  a  une  question  où  cette 
catégorie  de  textes  nous  apporte  quelques  faits  nouveaux  :  cette 
question  c'est  la  nature  même  de  cette  voyelle  svarabhaktique. 
Nous  trouvons  en  effet  un  assez  grand  nombre  d'exemples  où  cette 
voyelle  est  /  au  lieu  d'^. 

En  voici  quelques-uns  :  dans  un  grand  nombre  de  textes,  même 
les  plus  corrects,  nous  rencontrons  bevire,  comme  dans  les  Statutes, 
(1309,  I,  155).  Faut-il  lire  beiure}  Nous  ne  le  croyons  pas,  à  cause 
du  nombre  assez  considérable  d'exemples  que  nous  avons  relevés. 
Citons  encore  du  reste  d'autres  formes  qui  ne  nous  laissent  aucun 
doute  :  respondire  se  lit  dans  différents  endroits  des  Rymer's  Foedera 
(cf.  1357,  VI,  10)  ;  vivire  est  commun  dans  les  Year  Books  (i  et 
2  Edw.  II,  150  ;  A  et  B  donnent  vyvri)  ;  prendire  (3  Edw.  III, 
215).  Nous  pensons  que  ces  quelques  exemples  doivent  être 
rapprochés  des  cas  où  nous  voyons  un  déplacement  de  l'accent. 
Ici,  il  nous  semble  que  1'/  a  une  autre  valeur  que  la  voyelle 
muette  et  doit  être  accentué. 

L'introduction  d'une  voyelle  svarabhaktique  est  un  des  phéno- 
mènes les  plus  communs  en  anglo-français  ;  c'est  surtout  dans  les 
formes  du  verbe  (infinitif  et  futur)  qu'on  peut  l'observer.  Pour 
ce  qui  est  du  mode  qui  nous  occupe  maintenant,  voici  les  conclusions 
générales  auxquelles  nous  sommes  arrivés. 

1°  Les  premiers  exemples  de  cette  voyelle  peuvent  se  trouver 
pendant  la  seconde  moitié  du  xii*  siècle,  mais  ils  ne  deviennent 
vraiment  usuels  que  longtemps  après,  pendant  le  xiii^  siècle  et 
surtout  le  xiv'. 

2°  Les  thèmes  affectés  par  cette  voyelle  sont  les  thèmes  terminés 
par  une  dentale  ou  une  labiale  plus  r  ;  les  autres  thèmes  sont  rares 
et  plus  tardifs,  surtout  les  thèmes  vocaliques. 

3°  II  est  presque  certain  que  cette  voyelle  a  eu  dans  un  petit 
nombre  de  cas  une  valeur  syllabique  ;  il  est  au  moins  douteux  si, 
pour  les  verbes  de  la  quatrième  conjugaison,  l'addition  de  cette 
voyelle  a  résulté  d'un  déplacement  de  l'accent. 

IL  Autres  modifications  du  thème. 

Il  nous  reste  à  exposer  un  certain  nombre  de  changements  subis 
par  le  thème.  Encore  une  fois,  nous  ferons  notre  possible  pour  ne 


l'infinitif  445 

pas  parler  de  ces  changements  qui  ne  sont  pas  particuliers  au  verbe 
et  relèvent  de  la  phonétique  générale.  Il  n'est  pas  toujours  facile  de 
faire  cette  distinction  ;  car  nous  verrons  que  plusieurs  des  change- 
ments que  nous  avons  maintenant  à  examiner  ont  une  origine  pho- 
nique, comme  du  reste,  pensons-nous,  le  plus  grand  nombre  des 
modifications  qui  ont  changé  si  profondément  la  conjugaison  du 
verbe  en  anglo-français. 

I.  Ces  changements  atteignent  assez  rarement  la  consonne  du 
radical  ;  cependant,  on  trouve  quelquefois  soit  changement  dans  la 
dernière  consonne  du  thème,  comme  dans  adrechier  qui  se  lit  dans 
les  Rymers's  Foedera  (1385,  VII,  496);  soit  l'addition  d'une  con- 
sonne ;  pour  ce  dernier  cas,  nous  pourrions  citer  ici  les  exemples 
de  redoublement  de  1';-  dans  les  infinitifs  de  la  quatrième  conju- 
gaison. Nous  les  avons  déjà  vus,  et  ils  sont  réguliers  au  point  de 
vue  phonique. 

On  peut  trouver  des  exemples  d'un  autre  genre,  spécialement  la 
présence  d'un  v  à  l'infinitif  des  verbes  écrire  et  pooir  ;  escrivre  est 
assez  commun  ;  on  le  trouve  dans  le  Comput,  dans  le  corps  du 
vers  150,  ce  qui  permet  de  l'attribuer  au  scribe;  on  le  rencontre 
encore  dans  Gaimar  (au  vers  3455),  cette  fois  à  la  rime  avec  lire, 
ce  qui  nous  oblige  encore  à  le  mettre  au  compte  du  scribe  du  ms. 
R  ;  et  il  se  rencontre  encore  de  temps  en  temps  dans  les  ouvrages 
littéraires,  mais  il  n'est  jamais  assuré  par  la  rime.  Il  est  plus  rare 
dans  les  recueils  de  textes  politiques  et  diplomatiques  ;  on  peut 
citer  transescrivre  dans  les  Statutes  (1344,  I,  301). 

Povoir  est  beaucoup  plus  rare.  Rymer  nous  en  offre  deux 
exemples  dans  le  cinquième  volume  (1347,  591;  1348,  636).  La 
forme  étymologique  est,  à  part  ces  exceptions,  la  seule  employée. 

2.  Nous  trouvons  que  la  voyelle  du  thème  peut  subir  à  l'infinitif 
en  anglo-français  un  certain  nombre  de  modifications  plus  ou  moins 
importantes  et  qui  lui  sont  propres;  on  peut  diviser  celles-ci  en 
trois  catégories  :  assimilation,  dissimilation,  synérèse. 

Les  deux  premières  montrent  les  changements  subis  par  le  thème 
sous  l'influence  de  la  voyelle  de  la  terminaison  ou  de  la  forme  qu'il 
a  lui-même  à  d'autres  temps. 

a)  Les  cas  d'assimilation  sont  rares;  nous  ne  trouvons  dans  les 
ouvrages  littéraires,  politiques  et  diplomatiques  que  gisir,  forme 
assez  commuiie  qu'on  trouve  déjà  dans  le  Tristan  de  Thomas  (vers 


44^  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françal«; 

1207);  elle  est  surtout  fréquente  aux  xiir^  et  xiv  siècles;  dans 
la  langue  politique,  c'est  la  seule  forme  que  nous  ayons  relevée, 
comme  dans  les  Statutes  (1275,  I,  26;  1353,  I,  352;  etc.), 
dans  les  Rymer's  Foedera(i339,  V,  115). 

h)  Les  cas  de  dissimilation  sont  beaucoup  plus  fréquents.  Ils 
nous  montrent  tous  le  passage  à  /  d'une  voyelle  contretonique.  On 
les  trouve  quelquefois  dans  les  verbes  à  thèmes  consonantiques, 
comme  les  composés  de  tenir,  maintiner  qui  est  surtout  employé 
dans  les  ouvrages  non  littéraires.  On  pourrait  dresser  une  longue 
liste  des  cas  où  l'on  rencontre  cette  forme  et  des  formes  analogues, 
citons  seulement  les  Statutes  (1344,  I,  301);  Rymer  (1274,  ^^> 
32).  Les  Statutes  nous  donnent  encore  ranientiver  dans  le  premier 
volume  (1340,  283).  On  peut  à  la  rigueur  considérer  comme  un 
cas  de  dissimilation  ou  plutôt  comme  le  passage  à  a  de  la  muette 
contretonique  la  forme  acater,  achater  qui  est  la  seule  forme,  que  la 
langue  politique  donne  au  thème  de  ce  verbe,  par  exemple  dans  les 
Statutes   (1340,    I,    298)  et  dans  Rymer  (1337,   IV,  757),  etc. 

La  dissimilation  atteint  surtout  les  verbes  à  thème  vocalique  de 
I  et  de  III;  c'est  une  façon,  sinon  de  faire  disparaître  l'hiatus,  au 
moins  de  l'adoucir  ;  on  la  trouve  à  l'infinitif  des  verbes  veeir,  seeir  ; 
la  voyelle  du  thème  se  diphtongue  en  oi,  ou,  plus  rarement,  appa- 
raît sous  la  forme  d'un  a.  Nous  trouvons,  par  exemple,  voieir  dans 
les  Dialogues  Saint  Grégoire  (138  r°  b)  ;  soieir  dans  la  Vie  de  Saint 
Grégoire  (1578)  tx.  pas  si  m  dans  les  Dialogues;  purvoier  dans  le  Saint 
Auban  (1895).  Nous  pourrions  citer  de  nombreuses  formes  sem- 
blables dans  Rymer  et  les  Statutes. 

Les  formes  qui  présentent  a  sont  beaucoup  moins  communes  et 
limitées  à  deux  verbes  :  nous  avons  par  exemple  saer  dans  William 
de  Waddington  (9-I4)  ;  chaeir,  chaer  est  beaucoup  moins  rare; 
comme  on  sait,  ce  n'est  pas  à  proprement  parler  une  forme  anglo- 
française  et  elle  se  trouve  fréquemment  dans  les  textes  du  continent. 
Citons  cependant  quelques  exemples  qui  se  lisent  dans  nos  auteurs: 
on  la  relève  au  vers  578  et  passiiii  dans  le  Roland  d'Oxford  ;  dans 
la  Folie  Tristan  aux  vers  825,  829  ;  dans  Boeve  au  vers  iiiÇchaier)  ; 
au  vers  466  de  la  Vie  de  Saint  Gilles  et  dans  un  grand  nombre 
d'autres  cas. 

c)  Mais  la  façon  la  plus  commune  en  anglo-français  de  faire  dis- 
paraître rhiatus  est  la   synérèse.   On  la  trouve  à  difi"érentes  dates 


L  INFINITIF  447 

pour  plusieurs  verbes.  Le  premier  à  la  subir  est  le  verbe  veeir;  on 
trouve  cet  infinitif  sous  une  forme  monosyllabique  vers  le  milieu 
du  xiii=  siècle.  Le  poème  de  Saint  Auban  nous  en  donne  un  exemple 
assuré  au  vers  761  : 

Pur  ver  le  gugement  au  queu  chiet  fu  mené. 

Postérieurement  à  ce  poème  les  exemples  deviennent  des  plus 
communs,  et  la  forme  régulière  devient  assez  rare.  Citons  comme 
exemples  monosyllabiques  ceux  qu'on  trouve  aux  vers  1430,  2700 
de  Boeve  de  Haumtone  (assez  douteux)  ;  dans  William  de  Waddington 
au  vers  2757;  au  vers  476  de  Dermod;  dans  Pierre  de  Langtoft(I, 
348,4;  II,  196,  23)  et  plusieurs  autres.  En  dehors  de  la  littérature  le 
premier  exemple  que  nous  connaissions  se  trouve  dans  les  Rymer's 
Foedera,  sous  la  date  1294  (II,  650);  dans  les  Statutes  nous  n'en 
trouvons  aucun  cas  avant  1303.  Mais  il  est  évident  que  Vc  a  pu 
disparaître  de  la  prononciation  longtemps  avant  de  disparaître  de 
l'écriture.  Après  cette  date,  la  graphie  ver  est  commune  dans  tous 
les  recueils  non  littéraires. 

Les  exemples  de  l'infinitif  seeir  sous  la  forme  monosyllabique 
sont  beaucoup  moins  nombreux,  et  il  en  résulte  que  le  premier  cas 
de  synérèse  est  beaucoup  plus  tardif  pour  ce  verbe  ;  nous  n'en  con- 
naissons pas  d'antérieur  à  ser  qui  se  lit  au  vers  1245  du  Manuel  des 
Péchés  de  William  de  Waddington,  ou  au  vers  141  de  la  Vie  de 
Sainte  Marguerite.  Cher  est  inconnu  à  la  langue  littéraire  et  ne  se  ren- 
contre que  dans  les  textes  légaux,  par  exemple  dans  3 1  Edw.  V\ 

P-  475- 

On  peut  encore  trouver  d'autres  cas  de  synérèse  qui  ne  sont  pas 
aussi  clairs  que  ceux  que  nous  venons  de  citer;  on  peut  par 
exemple  considérer  la  forme  enniiir  que  nous  avons  relevée  dans 
Aspremont  et  citée  plus  haut  comme  provenant  de  la  synérèse 
à'enmnier  ou  à  la  rigueur  d'ennuiir;  la  même  explication  s'appli- 
querait aguerrir,  employé  au  folio  54  v°  des  Chroniques  de  Nicolas 
Trivet  et  dans  les  textes  non  littéraires. 

d)  Signalons  maintenant  un  fait  absolument  diff^érent  et  qui  a 
une  cause  morphologique  et  non  pas  phonétique;  ii  nous  mon- 
trera l'influence  de  la  troisième  personne  du  prétérit  sur  l'infinitif. 
Cette  influence  n'est  exercée  que  par  les  prétérits  en  si.  On  sait 
que  pour  les  deux  premières  conjugaisons,  il  y  a  une  grande  analo- 


.J4S  l'kVOLÙTION    du    verbe    en    ANGLO-i-RANÇAlS 

gie  entre  la  troisième  personne  du  pluriel  et  l'infinitif  présent  : 
parlèrent,  parler  ;  finirent,  finir  ;  analogie  qui  est  devenue  une 
identité  dans  l'anglo-français  du  xiii'^  et  du  xiv^  siècle.  Quant  aux 
verbes  de  III,  nous  avons  déjà  vu  leur  infinitif  prendre  la  forme  des 
infinitifs  de  I,  et  nous  verrons  la  troisième  personne  du  pluriel  de  leur 
prétérit  prendre  la  terminaison  erent.  Les  verbes  qui  ont  un  prétérit  en 
si  et  qui  le  gardent  ont  montré  une  tendance  à  donner  à  leur  infi- 
nitif une  forme  analogue  à  celle  delatroisièm.e  personne  du  pluriel  de 
ce  temps.  On  trouve  quelquefois  au  xiv'^  siècle  des  infinitifs  refaits 
sur  la  troisième  personne  du  pluriel  de  certains  prétérits  en  si. 
Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  citer  quelques  exemples  de  l'infi- 
nitif conquistre,  aviquesfre.  Citons  encore  l'infinitif  inaiidistre  qui  se 
lit  dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet  au  folio  5  r°.  L'origine 
de  ces  différentes  formes  est  assez  évidente. 

i)  Nous  donnerons  enfin  les  différentes  formes  que  peut  prendre 
le  thème  de  certains  verbes,  en  particulier  faire  et  suivre. 

Le  premier  de  ces  verbes  présente  le  plus  souvent,  à  partir  de  la 
seconde  moitié  du  xiii''  siècle,  tantôt  la  diphtongue  ci,  tantôt  la 
voyelle  e  au  lieu  de  la  diphtongue  ai,  ce  qui  est  naturel. 

Mais  il  y  a  encore,  surtout  en  dehors  des  oeuvres  littéraires, 
d'autres  formes  qui  ne  s'expliquent  pas  aussi  facilement,  par 
exemple/*?;'^  qui  n'est  pas  rare  (cf.  Rymer,  1337,  IV,  805)  et  aussi 
feare  moins  commun,  mais  trop  fréquent,  surtout  dans  la  langue 
politique  et  légale,  pour  qu'on  puisse  le  considérer  comme  une 
erreur  cléricale  (cf.  du  reste  Participe  passé).  On  le  trouve  dans 
les  Parliamentary  Writs  (1297,  I,  393)  ;  surtout  dans  les  textes 
légaux  :  ainsi  dans  i  et  2  Edw.  II  (pp.  12,  20,  5(1,  etc.);  13  et 
14  Edw.  111(163). 

Il  est  plus  diflficile  d'introduire  quelque  ordre  dans  les  nom- 
breuses formes  de  suivre;  deux  éléments  de  ce  thème  sont  sujets  à 
changement  :  la  diphtongue  ui  et  la  consonne  v.  Nous  n'avons 
trouvé  dans  la  langue  littéraire,  aussi  bien  que  dans  les  textes  diplo- 
matiques ou  politiques,  que  de  rares  exemples  où  la  diphtongue  irise 
trouve  conservée  sans  modification  en  même  temps  que  la  consonne, 
quoiqu'il  soit  probable  qu'il  existe  plus  d'exemples  que  nous  ne 
pensons  d'une  forme  suivre.  La  diphtongue  se  trouve  dans  les 
formes  qui  ont  perdu  la  consonne,  comme  s iiire,  Quatre  Livres  des 
Rois  (II,  2,  26),  Statutes  (1363,  I,  379),  et  toutes  les  formes  qui 


LINFIXITIF  449 

en  sont  dérivées  :  suir,  suier,  suer  dont  nous  avons  déjà,  en  différents 
endroits,  cité  des  exemples  ;  siyr  (30  Edw.  I",  85)  s'y  rattache 
aussi.  La  diphtongue  se  présente  au  moins  une  fois  sous  la  forme  ioit, 
et  dans  l'exemple  que  nous  avons  relevé  la  consonne  i'  est  conservée  : 
siouvre  se  trouve  dans  le  Tristan  de  Thomas  au  vers  26;  l'élément 
vocalique  du  thème  est  souvent  écrit  eu,  et  les  exemples  que  nous 
avons  conservés  de  cette  graphie  ne  montrent  pas  la  consonne  : 
seuyr  dans  les  Statutes  (1330,  I,  264);  seuer  dans  les  Literae  Cantua- 
rienses  et  les  Statutes  (1381,  II,  21).  Les  formes  qui  montrent  un 
//  simple  ne  sont  pas  très  nombreuses,  citons  sinvir  dans  les  Literae 
Cantuarienses  (1303,  149). 

Mais  la  graphie,  qui,  après  suire,  est  la  plus  commune  et  de  beau- 
coup, est  celle  qui  montre  un  /  simple  dans  le  thème  ;  or,  tous  les 
cas  où  nous  relevons  cette  forme  présentent  régulièrement  la  con- 
sonne V  ou  îv,  comme  shuere,  forme  très  commune  dans  la  langue 
littéraire  et  assez  commune  dans  la  langue  légale  ;  siewre  qui  ne  dif- 
fère guère  de  la  forme  précédente  et  qu'on  trouve  par  exemple  dans 
les  Statutes,  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  19,  i^y,  sievre  qui  lui  est 
équivalente  (cf.  Pierre  de  Langtoft,  I,  14,  17);  et  passiin  dans 
Rymer. 

En  résumé,  on  trouve  les  sons  vocaliques  suivants  :  «/,  iou,  en,  11 
qui  ne  sont  pas  ordinairement  suivis  de  la  consonne;  le  son  /  qui 
semble  l'avoir  toujours  '. 

I.  Cf.  P.  Schulzke,  Betontes  ('-|-/ und  ô+' i»  der  Normannischen  Mundart. 
Brandt,  Aqua  uud  sequi. 


29 


CHAPITRE  V 
LES  PARTICIPES 

A.  —  Participe  présent. 

Le  participe  présent  s'est  maintenu  en  anglo-français  d'une 
façon  remarquable  ;  nous  ne  trouverons  par  conséquent  que  peu 
d'observations  à  faire  sur  ce  point.  Nous  étudierons,  comme  nous 
l'avons  fait  jusqu'ici,  d'abord  la  consonne  finale  de  la  terminaison, 
puis  la  voyelle  nasale. 

a)  Consonne  Jîuak. 

La  consonne  finale  de  la  terminaison  est  régulièrement  /  ; 
lorsque  cette  consonne  est  suivie  d'une  s,  nous  devons  trouver  :(. 

Mais  deux  phénomènes  ont  tendu  à  introduire  dans  la  terminai- 
son du  participe  une  confusion  absolue  entre  les  deux  consonnes  / 
et  ;(  ;  l'un  est  un  phénomène  phonique,  la  disparition  de  l'élément 
dental  dans  7^  ;  l'autre  est  morphologique,  la  disparition  de  la  décli- 
naison ;  ces  deux  phénomènes  ont  eu  le  résultat  suivant  :  Vs 
flexionnelle,  sous  la  forme  d'une  s  ou  d'un  ^,  s'est  ajoutée  très  irré- 
gulièrement à  différents  participes  présents. 

Nous  n'avons  pas  à  citer  ici  des  exemples  montrant  la  confusion 
des  cas  en  anglo-français  ;  disons  seulement  qu'on  trouve  déjà  dans 
les  Psautiers  quelques  formes  présentant  une  s  (ou  un  ~)  irrégu- 
lier. 

II  est  plus  rare  de  trouver  comme  groupe  final  du  participe  pré- 
sent les  deux  consonnes  ^~  ;  nous  n'en  trouvons  guère  d'exemples 
que  dans  le  Psautier  d'Arundel,  comme  constreinans:^  (28,  5); 
affliatisi  (43>  9)  I  ^t  ce  n'est  probablement  que  le  résultat  d'une 
erreur  d'un  scribe  ignorant. 


LES    PARTICIPES  45  1 

A  la  fin  du  xiV  siècle,  les  œuvres  littéraires  nous  montrent  un 
certain  nombre  de  terminaisons  en  t:{'  ;  par  exemple  dans  Nicolas 
Trivet.  Mais  cette  forme  est  relativement  rare  dans  la  langue  litté- 
raire et  ne  se  trouve  vraiment  souvent  que  dans  les  recueils  poli- 
tiques et  diplomatiques.  Les  Statutes  nous  en  fournissent  un  assez 
grand  nombre  de  cas,  à  une  date  assez  reculée  ;à  l'année  1275, 
nous  lisons  :  ineffesaiint:((l,  26)  ;  les  exemples  deviennent  plus  nom- 
breux vers  le  milieu  du  xiv^  siècle  ;  nous  en  verrons  un  assez  grand 
nombre  lorsque  nous  aurons  d'autres  formes  plus  importantes  ou 
plus  rares  à  citer  ;  qu'il  nous  suffise  maintenant  de  dire  que  ces 
formes  sont  fréquentes  dans  les  Statutes  et  dans  les  recueils  ana- 
logues et  qu'il  est  évident  qu'aucune  distinction  n'est  faite  entre 
cette  désinence  et  la  désinence  normale.  On  en  peut  dire  autant 
des  Traités  de  Rymer,  t:(  se  trouve  pendant  les  dernières  années  du 
xiii^  siècle  et  devient  surtout  commun  au  XIV^  Évidemment  nous 
ne  pouvons  y  voir  qu'une  graphie,  une  fiçon  de  compliquer  la 
forme  extérieure  des  mots,  ce  que  les  écrivains  et  les  scribes  anglo- 
français  semblent  avoir  toujours  recherché. 

Les  autres  variations  qui  se  rapportent  à  la  consonne  finale  sont 
beaucoup  plus  rares,  on  pourrait  même  les  considérer  comme 
accidentelles  ;  nous  pouvons  tout  d'abord  noter  dans  un  certain 
nombre  de  cas  la  chute  de  la  dentale  ^  ;  nous  n'en  avons  relevé 
aucun  exemple  dans  la  langue  littéraire,  quoique  rien  n'empêche  de 
supposer  qu'elle  ait  pu  se  produire  et  se  soit  produite  ;  les  textes 
politiques  et  diplomatiques  au  contraire  nous  en  fournissent  plu- 
sieurs cas  :  snffisaiin  et  demorauns  dans  les  Parliamentary  Writs 
(1300,  I,  341);  dans  Rymer  les  exemples  sont  communs  :  tendan 
(1337,  IV,  805);  aians  et  entendans  (1353,  V,  277;  1383,  VII, 
418).  On  peut  y  ajouter  les  exemples  ou  une  autre  consonne,  a-  ou 
c  est  substituée  à  la  dentale  ;«/V;/.r  se  lit  dans  les  Rymer's  Foedcra 
(1348,  V,  649);  enjoigruwc  est  employé  dans  le  même  recueil  (autre 
copie  du  même  morceau  /^)  (1323,  III,  looi)  ;  de  même  esciisaunc 
dans  les  Letters  from  Northern  Registers  (1312,  21);  ces  derniers 
exemples  sont  à  proprement  parler  des  monstres. 


1.  Ct.  Behrens,  Beitràge,  Franzôsischc.i  Studien  V,  p.  193. 

2.  Cf.   id.,  ibid.,  p.  172. 


4^±  L  ÉVOLUTION    DU    VERBH    EN    ANGLO-IKANÇAlS 

b)   Foyelle  nasale. 

Nous  aurons  à  distinguer  ici  entre  les  graphies  sous  lesquelles 
la  nasale  est  susceptible  de  se  présenter  et  les  formes  qui  par  l'ad- 
jonction de  quelque  lettre,  représentent  une  nouvelle  terminai- 
son. 

I.  Les  graphies  de  la  nasale. 

Commençons  par  énoncer  le  fait  que  la  graphie  traditionnelle  an 
se  trouve  à  toutes  les  époques  et  dans  tous  les  recueils. 

La  graphie  que  nous  avons  à  signaler  immédiatement  après 
celle-ci,  par  ordre  d'importance,  est  la  forme  aun  ;  cette  forme  est 
bien  connue  et  a  été  signalée  dans  les  premières  études  qu'on  a 
faites  de  l'anglo-français.  Il  est  cependant  utile  de  s'y  arrêter 
quelque  peu  et  de  voir  l'extension  réelle  que  cette  forme  a  eue  en 
anglo-français.  Le  premier  exemple  que  nous  puissions  signaler  se 
trouve  dans  les  Rymer's  Foedera  à  la  date  de  1268  :fcsaunt(l,  847); 
de  même,  nous  en  rencontrons  un  autre  exemple  dans  les  Sta- 
tutes  à  la  date  de  1275  :  ineffcsaiDi:^  (I,  26)  ;  les  exemples  sont  assez 
communs  jusqu'à  la  lin  du  xiii^  siècle,  surtout  dans  Rymer.  Dans 
les  Statutes  la  terminaison  an  reste  plus  fréquente  ;  par  exemple 
dans  le  Statut  de  la  ville  de  Londres,  pour  en  citer  un  pris  au 
hasard,  mais  qui  compte  un  assez  grand  nombre  de  participes  pré- 
sents, les  formes  en  aiin  restent  sensiblement  inférieures  aux 
autres. 

Au  commencement  du  xiv^  siècle,  la  nasale  se  trouve  plus  fré- 
quemment représentée  de  cette  manière,  surtout  dans  les  Traités  de 
Rymer;  dans  les  Statutes  elle  reste,  sinon  l'exception,  au  moins  la 
plus  rare  des  deux  terminaisons  ;  il  en  est  de  même  dans  les 
Literae  Cantuarienses  et  de  la  plupart  des  autres  recueils.  Vers 
1360,  on  peut  remarquer  dans  presque  tous  les  textes,' même  ceux  de 
Rymer,  une  tendance  assez  marquée  à  revenir  à  la  terminaison 
régulière  ;  citons  en  particulier  les  traités 'de  1365  et  de  1380  où 
les  participe.s  présents  étant  nombreux,  cette  forme  est  relativement 
rare. 

La  langue  littéraire  nous  montre,  croyons-nous,  à  peu  près=  le 
même  état   de  choses  ;  cependant  il  nous  faut  avouer  qu'il  nous  a 


LES    PARTICIPES  4)3 

été  impossible  de  constater  que  le  nombre  de  formes  en  aimt 
décroît  à  la  fin  du  xiv^  siècle. 

Ce  qui  nous  semble  le  premier  exemple  de  cette  forme  dans  la 
langue  littéraire  se  trouve  dans  le  ms.  Royal  20  B  XIV  des  Légendes 
de  Marie  :  giieimentaunt  (:  enfant)  (V  R  19)  (fin  du  xiii'^  ou  com- 
mencement du  XIV*  siècle);  cette  graphie  est  très  commune  dans 
le  ms.  de  Horn,  dans  Boeve  de  Haumtone  et  généralement  dans 
tous  les  auteurs  du  xiv*  siècle . 

Les  deux  graphies  mit  et  aunt  sont  trop  irrégulièrement  employées 
dans  la  langue  légale  pour  que  nous  puissions  avancer  quoi  que 
ce  soit  d'assuré  :  le  rapport  entre  ces  deux  formes  varie  d'un 
manuscrit  à  l'autre  ;  il  nous  semble  cependant  que  jusqu'au  règne 
d'Edward  II  les  graphies  sans  u  semblent  prédominer,  mais  cela 
n'a  rien  d'assuré. 

Par  conséquent,  il  serait  dangereux  de  croire  que,  à  partir  d'une 
certaine  époque,  la  graphie  aun  est  devenue  la  terminaison  régu- 
lière du  participe  présent  en  anglo-français.  Il  n'en  est  rien  ;  au  a, 
à  toutes  les  périodes,  été  d'un  usage  courant,  ordinaire  ;  la  graphie 
aun  n'a  été  employée  qu'assez  tard  (vers  le  commencement  du 
troisième  tiers  du  xiii''  siècle),  elle  n'a  gagné  du  terrain  que  pro- 
gressivement, et  elle  n'en  a  gagné,  semble-t-il,  que  pour  le  perdre, 
probablement  au  commencement  du  troisième  tiers  ou  du  quatrième 
quart  du  xiV'  siècle. 

De  toutes  les  autres  graphies  de  la  nasale,  celle  qui  montre,  la 
voyelle  e  est  la  plus  commune  ;  dans  la  langue  littéraire  toutefois, 
elle  est  extrêmement  rare  ;  nous  n'en  avons  relevé  qu'un  seul 
exemple,  il  se  lit  dans  le  poème  de  Horn  ;  et  cet  exemple  unique 
n'a  pas  la  moindre  valeur.  La  langue  diplomatique  et  familière  en 
a  un  nombre  plus  considérable  ;  l'exemple  le  plus  ancien  se  trouve 
dans  les  Literae  Cantuarienses  :  travaillent  (1335,  560).  Chez 
Rymer,  cette  graphie  est  assez  fréquente  à  partir  de  l'année  1348  :  à 
cette  date,  on  trouve  durent^  et  aienx  (V,  649)  ;  en  1360,  confient^ 
(VI,  211),  voulhns  (VI,  277);  en  1364,  ayens  (VI,  458);  et 
quelques  autres.  Les  Documents  Inédits  ont  conimendent  (1360,  118, 
120);  conficnl-  (1361,  134,  135).  Remarquons  que  les  textes  les  plus 
corrects,  comme  les  Statutes,  ou  lés  Lettres  de  Jean  de  Peckham, 
n'en  contiennent  aucun  exemple. 

Nous  pouvons   probablement  reléguer    parmi    les  erreurs  cléri- 


454  I'  liVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

cales  la  forme  du  participe  présent  asslgnoiint  qui  se  trouve  dans  les 
iMem.  Pari.  1305,  §  5  ;  c'est  le  seul  exemple  d'un  participe  en  omi 
que  nous  ayons  relevé  '. 

2.  Terminaison  c{ï)aul. 

Les  terminaisons  en  cauî,  ciaiU,  oiant  ne  sont  pas  de  simples 
graphies  avant  la  valeur  de  ani  ;  la  première  de  ces  désinences  se 
rencontre  particulièrement  employée  avec  le  verbe  ester  ;  c'est  le 
seul  verbe  qui  prenne  cette  forme  dans  les  œuvres  littéraires,  par 
exemple  dans  Boeve  (2844);  dans  Walter  de  Bibblesvvorth  (159)  ; 
dans  Robert  de  Gretham  (23  r°),  (mais«/t/«5,  39  v°,  rare  du  reste); 
dans  l'Apocalypse  (751);  {\r\z\s  estaunt,  y.  16);  dans  les  Contes  de 
Nicole  Bozon  (§  119).  Ce  même  verbe  se  présente  sous  la  même 
forme  dans  les  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  ;  nous 
rencontrons  un  grand  nombre  de  «  esteant  »  dans  les  Statutes 
(1311,1,  159  ;  1335,1,  270;  1340,  I,  282  ;  1362,  I,  373),  dans 
les  Rymer's  Foedera,  dans  les  Documents  Inédits  et  dans  les  autres 
recueils. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  la  langue  diploma- 
tique et  politique,  c'est  l'extension  que  cette  forme  a  prise.  Ce 
n'est  plus  seulement  ester  qui  se  rencontre  avec  cette  terminaison, 
mais  un  certain  nombre  d'autres  verbes.  Le  premier  atteint  est  le 
verbe  être  et  cela  s'explique  par  sa  ressemblance  avec  ester.  Esteant 
pour  étant  se  trouve  très  communément,  par  exemple  dans  les 
Statutes  ;  on  trouve  des  exemples  de  cette  forme  dans  le  premier 
volume  des  Statutes  à  partir  de  la  date  1322  (p.  187),  puis  en  1346 
(p.  304),  en  1363  (p.  384),  en  1382  (vol.  II,  p.  23),  etc.;  il  en  va 
de  même  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  ([325,  3 10).  Le  recueil 
de  textes  politiques  qui  donne  le  plus  ancien  exemple  de  cette 
forme  pour  le  verbe  être,  c'est  les  Parliamentary  Writs  qui  en  ont 
un  cas  à  Tannée   13 12  (^2"  App.,  p.  44). 

Les  exemples  que  donne  Rymer  sont  un  peu  plus  anciens,  le 
premier  datant  de  1306  (II,  1022);  on  en  trouve  encore  en  1318 
(III,  722),  en   1380  (VII,  238),  et  quelques  autres;  de  même  dans 

I.  Plus  exactement,  c'est  le  seul  exemple  que  nous  connaissions  directement. 
M.  Vising,  dans  le  Romanischen  Jahresbericht  (XII)  signale  des  participes  pré- 
sents en  ont  dans  le  Lapidaire  en  prose  publié  par  Mann  (R  F,  II,  p.  367)  :  parlant 
(367),  donnont  (368)  ;  cette  graphie  est  régulièrement  employée  dans  cet 
ouvrage . 


LES    PARTICIPES  455 

les  Documents  Inédits,  nous  relevons  cette  forme  aux  endroits  sui- 
vants :  1365,  170;  1382,  237.  Nous  avons  aussi  rencontré  un  assez 
grand  nombre  d'exemples  dans  les  Year  Books  (cf.  31  Edw.  P'', 
319;  33  et  35  Edw.  III,  177,  567). 

A  part  ester  et  être,  il  n'y  a  qu'un  tout  petit  nombre  de  verbes 
qui  aient  un  participe  présent  de  cette  forme.  Nous  pouvons  citer 
occuper  dans  les  Statutes  (1399,  II,  112);  et  dérober  dans  les  Par- 
liamentary  Writs  (2'-'  vol.,  Appendice,  1324,  261).  Dans  Rymer, 
toucher  se  rencontre  de  temps  en  temps  avec  cette  désinence  (cf. 
par  exemple  1342,  V,  352  ;  1351,  V,  699)  ;  de  même  venir  qui 
apparaît  dans  ce  même  recueil  sous  la  forme  veneaiit  (13 16,  III, 
582).  Citons  encore  demorerdans  les  Literae  Cantuarienses  (1324, 
129)  et  regarder  dans  les  Year  Books  (17  et  18  Edw.  III,  135). 

Eant  est  la  forme  sous  laquelle  se  rencontre  habituellement 
cette  terminaison.  Elle  présente  toutefois  un  certain  nombre  de 
variantes  qui,  du  reste,  restent  toujours  assez  exceptionnelles.  Quel- 
quefois, comme  il  est  naturel  en  anglo-français,  la  voyelle  en  hia- 
tus prend  la  forme  d'un  /,  comme  occupiaut  dans  les  Statutes  au 
passage  que  nous  avons  déjà  cité,  demoriant  dans  les  Literae  Can- 
tuarienses (u.  s.).  Cette  forme  ne  se  rencontre  jamais  pour  ester 
ni  être;  ces  deux  verbes  montrent  par  contre  un  /  qui  s'introduit 
pour  adoucir  l'hiatus:  covumQ  esteiant  dans  Rymer (13 57,  VI,  29); 
cet  /  parasite  forme  diphtongue  avec  Ve,  et  cette  diphtongue  ei  passe 
quelquefois  à  oi,  comme  dans  estoianl  qu'on  lit  dans  Rymer  encore 
(1370,  VI,  660)  (Voir  Désinences  personnelles,  2"^  pers.  du  plu- 
riel en  ie^^-y  Infinitifs  en/Vr;  et  notre  seconde  partie,  chap.  m). 

Le  radical  du  participe  présent . 

Le  radical  du  verbe  peut  subir  un  certain  nombre  de  modifications 
au  participe  présent  ;  nous  allons  signaler  celles  qui  se  rencontrent  le 
plus  communément  ;  on  peut  les  diviser  en  plusieurs  classes  : 

1°  Réduction  de  l'hiatus  pour  les  verbes  à  thème  vocalique. 

2°  Changements  dans  la  partie  vocalique  du  thème. 

3°  Radical  emprunté  à  un  autre  temps  ou  mode. 

1°  Réduction  de  l'hiatus. 

Les  verbes  qui  ont  un  thème  vocalique  présentent  un  hiatus  au 
participe  présent  ;  par  exemple.  Imant,  veant  oant. 


4)6  I. 'ÉVOLUTION'    Dr    VERBF:    FA'    AN'CLO-IKANÇAIS 

L'hiatus  subsiste  dans  un  très  grand,  peut-être  dans  le  plus  grand 
nombre  de  cas  ;  il  est  parfois  adouci  par  l'introduction  d'un  /,  par 
exemple  :  vcianl,  oiant,  haianl.  Les  exemples  de  ces  formes  sont 
assez  nombreux,  mais  l'importance  de  ce  changement  est  trop 
mince,  et,  d'un  autre  côté,  l'introduction  de  cet  /  trop  irrégulière 
pour  que  nous  nous  y  arrêtions  davantage. 

Citons  cependant  deux  formes  où  la  réduction  de  l'hiatus  s'est 
produite  d'une  façon  différente  :  la  voyelle  qui  précède  4a  termi- 
naison ant  peut  s'acheminer  vers  la  consonne  ou  se  consonan- 
tifier  ;  par  exemple  dans  oiiant  (2  syllabes)  qu'on  trouve  dans 
Saint  Auban,  (S05,  et  zv^///  dans  les  Statutes,  1344,  I,  300. 

2"  Changement  de  la  partie  vocalique  du  thème. 

L'introduction  d'un  /  pour  adoucir  l'hiatus  dans  les  verbes  à 
thème  vocalique  a  pour  contrepartie  la  suppression  de  cette  même 
voyelle  dans  un  certain  nombre  de  verbes  dont  le  thème  se  ter- 
mine par  une  diphtongue  contenant  la  voyelle  /  comme  second 
élément .  Ce  phénomène  qui  est  commun  dans  les  verbes  qui 
suivent,  se  produit  surtout  au  wv^  siècle,  et  n'est  qu'une  des 
formes  de  la  tendance  de  l'anglo-français  à  réduire  les  diphtongues. 
Par  exemple,  le  verbe  avoir  fait  souvent  au  participe  présent  eant 
comme  dans  le  Saint  Edmund,  où  il  est  probablement  dû  au 
scribe;  on  trouve  encore  cette  forme  dans  les  Statutes  (1311,  I, 
160  et  162)  et  dans  Rymer(i375,  VII,  52  et  pass'wi). 

Le  verbe  traire  nous  montre  aussi  assez  communément  la  même 
réduction  ;  on  trouve  atlreant  dans  les  Statutes  (1311,1,  168)  et 
dans  divers  autres  textes. 

Tous  les  verbes  en  nire  font,  à  partir  du  milieu  du  xiii'=  siècle, 
liant  au  participe  présent,  conduant,  destriiant,  etc.  ;  mais  ces 
formes  ne  peuvent  guère  retenir  notre  attention  :  cette  réduction  de 
ut  à  u  est  un  phénomène  phonique  général  bien  connu  en  anglo- 
français. 

3°  Radical  emprunté  à  un  autre  temps  ou  mode. 

Le  participe  présent  ne  conserve  pas  toujours  le  radical  qui  lui 
est  propre  ;  il  arrive  qu'on  relève  des  formes  qui  présentent  le 
radical  du  subjonctif,  de  l'indicatif,  de  l'infinitif  ou  des  personnes 
à  terminaison  féminine, 


LES    PARTICIPES  457 

Le  radical  du  subjonctif,  radical  étymologique  ou  analogique,  se 
rencontre  très  fréquemment  au  participe,  cela  est  surtout  vrai  des 
verbes  qui  montrent,  régulièrement  ou  non,  une  consonne 
mouillée  comme  consonne  finale  du  thème  ;  la  lettre  mouillée  se 
retrouve  fréquemment  au  participe  présent.  Vouloir,  par  exemple, 
ne  se  montre  jamais  que  sous  la  forme  voillant  ou  les  formes  qui 
dérivent  de  celle-là  ;  on  la  trouve  dans  les  premiers  textes  anglo- 
français  comme  dans  le  Psautier  d'Oxford  (5,  4),  de  Cambridge 
(5,  3),  d'Arundel  (5,  4);  dans  Jordan  Fantosme  (vers  541)  et  ainsi 
de  suite  jusqu'à  la  fin  de  la  littérature  anglo-française  ;  les  textes 
politiques  et  diplomatiques  nous  en  offrent  aussi  de  nombreux 
exemples.  Il  y  a  malgré  tout  un  certain  nombre  de  variations  à 
noter  pour  le  radical  de  ce  verbe  ;  mais  nous  pensons  que  ce  ne  sont 
que  des  variétés  graphiques  de  la  forme  que  nous  avons  citée  ; 
nous  allons  en  donner  quelques-unes  sans  espérer  être  complets,  et 
en  prenant  nos  citations  dans  les  textes  non  littéraires  qui  nous 
montrent  une  série  plus  suivie  d'exemples. 

On  trouve  d'abord  ces  cas  qui  présentent  la  diphtongue  oi  sui- 
vie de  la  lettre  mouillée  ;  et  ce  sont  les  plus  communs  :  voilKJ^ant 
se  trouve  un  peu  partout  :  dans  les  Statutes  (1340,  I,  290),  dans 
Rymer  (1387,  VII,  563),  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1324, 
128).  La  forme  du  subjonctif  est  ici  très  nette;  d'autres  formes 
semblent  combiner  le  radical  du  subjonctif  et  celui  de  l'indicatif;  ce 
sont  celles  qui  présentent  la  diphtongue  eu.  Ces  formes  se  divisent 
en  deux  catégories  suivant  que  la  mouillure  de  1'/  est  apparente  ou 
non  ;  par  exemple,  d'un  côté,  on  trouve  veiilliant,  comme  dans  les 
Statutes  (1350,  I,  310)  ;  dans  les  Rymer's  Foedera  (1361,  VI, 
345),  pour  ne  citer  que  ces  exemples;  de  l'autre,  on  a  ven  liant  dans 
les  Statutes  (1350,  I,  418)  ;  i'r/</^;w  dans  Rymer  (1383,  VII,  418). 
Il  est  difficile  sinon  impossible  de  savoir  si  la  mouillure  a  persisté 
dans  ces  deux  derniers  exemples,  mais  il  semble  bien  qu'elle  a  dis- 
paru. Dans  les  ouvrages  littéraires,  la  plupart  des  exemples,  sinon 
tous,  nous  montrent  les  deux  /,  et  la  mouillure  n'est  pas  douteuse, 
comme  voillant  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (5,  3)  ou  voillant 
dans  le  Saint  Auban  (1132).  Les  formes  qui  ne  redoublent  pas  1'/ 
peuvent  être  considérées  comme  douteuses  (cf.   Psautier  d'Oxford, 

5,  4)- 

Quelques  autres   verbes,  comme  valoir  et  douloir,  semblent  ne 

se  présenter  au  participe  présent  qu'avec  la  mouillure. 


45^  l'évolution  du  verbi-  kn  anglo-françals 

Aillant  est  beaucoup  plus  rare  ;  nous  le  relevons  dans  les  Sta- 
tutes  (1335,  I,  273)  :  on  serait  tenté  de  considérer  cet  exemple 
unique,  croyons-nous,  comme  un  lapsus  du  scribe. 

La  question  semble  devoir  être  plus  facile  à  traiter  en  ce  qui 
concerne  les  verbes  qui  ont  n  dans  le  thème,  comme  prendre  et 
répondre. 

Dans  la  langue  littéraire,  les  formes  régulières  se  trouvent  exclu- 
sivement employées  pour  ces  deux  verbes  pendant  tout  le  xii'^  et 
le  xnr' siècle.  Cependant,  dans  les  poèmes  de  la  dernière  partie  de  ce 
siècle  on  trouve  quelques  formes  avec  la  lettre  mouillée  (cf.  le 
Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington)  ;  mais  elles 
doivent  être  attribuées  aux  scribes.  Ce  n'est  qu'au  siècle  suivant 
qu'on  en  trouve  en  nombre  tel  qu'on  ne  peut  douter  qu'elles  soient 
devenues  les  formes  ordinaires,  par  exemple  dans  Pierre  de  Lang- 
toft  et  dans  les  Proverbes  de  Bon  Enseignement.  En  dehors  de  la 
littérature,  nous  en  rencontrons  surtout  dans  la  seconde  moitié  du 
xiv^  siècle  ;  cependant,  on  peut  relever  des  exemples  isolés  long- 
temps avant  cette  époque.  Le  plus  ancien,  à  notre  connaissance,  se 
lit  dans  les  Statutes  :  respoignant  (1285,  I,  102).  Dans  quelques  cas 
1'/  subsiste^  mais  le  ^  disparaît  :  respoinant,  preinant  (Statutes,  1399, 
II,  112;  Rymer's  Foedera,  1366,  VI,  95).  Les  formes  véritable- 
ment correctes  sont  rares  ou  absentes  après  1350. 

Tenir  et  venir  semblent  avoir  toujours  été  réguliers  dans  les 
textes  littéraires  ;  nous  n'avons  pas  relevé  d'exemple  montrant  la 
lettre  mouillée  pour  ces  deux  verbes,  quoiqu'il  puisse  y  en  avoir. 
Ici  encore  les  recueils  politiques  et  diplomatiques  nous  donnent  un 
petit  nombre  d'exemples  qui  montrent  Vn  mouillée  à  ces  verbes  ; 
cf.  Literae  Cantuarienses  (1380,  947);  les  Statutes  (1379,  II,  13; 
1397,  II,  107,  etc.).  Le  g  peut  encore  disparaître  :  teinant  se  trouve 
un  certain  nombre  de  fois    dans  les  Rvmer's  Foedera  (1388,  VII, 

585). 

Il  nous  reste,  pour  épuiser  ce  que  nous  avons  à  dire  sur  ce 
sujet,  à  ajouter  un  mot  des  deux  verbes  pouvoir  et  savoir. 

La  forme  étymologique  du  premier  de  ces  verbes  est  poant  et 
on  la  trouve  fréquemment  dans  tous  les  textes  littéraires  et  autres. 
La  forme  puissant  se  rencontre  toutefois  de  bonne  heure  ;  on  peut 
en  relever  cinq  exemples  (contre  14  de  la  forme  étymologique), 
dans  le  Psautier  de  Cambridge  (131,  2);  on  .la  trouve  encore,  jouant 
le  rôle  d'un   participe  présent,  dans   quelques    ouvrages    du   xrii^ 


LES    PARTICIPES  459 

siècle  comme  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  (vers  687)  ;  mais 
cette  forme,  d'une  façon  générale,  a  été  plutôt  employée  comme 
adjectif.  Cette  division  des  emplois  est  strictement  observée  dans 
les  ouvrages  non  littéraires. 

C'est  une  différentiation  du  même  genre  que  nous  pouvons 
observer  pour  savoir.  La  forme  éiymo\ogic[ue  savant  est  commune 
au  xii^  siècle  comme  participe  présent,  elle  est  par  exemple  fré- 
quente dans  les  Psautiers  ;  ce  n'est  qu'au  xiii=  siècle  que  cette 
forme  est  spécialement  affectée  à  la  fonction  de  substantif.  A  par- 
tir de  cette  époque,  la  forme  qui  montre  le  radical  du  subjonctif 
devient  l'unique  forme  du  participe  présent  ;  elle  date  cependant 
de  plus  haut,  car  nous  la  trouvons  déjà  dans  le  Psautier  d'Arundel 
(35,  II)  (i  fois  contre  5  fois  savant).  Cette  distinction  est  fort 
bien  observée  par  la  suite,  quoiqu'il  soit  possible  de  relever  des 
exceptions  comme  le  saichant  du  Saint  Edmund  (852),  qui  joue  le 
rôle  d'adjectif. 

C'est  le  radical  du  subjonctif  avec  la  diphtongue,  la  mouillure 
ou  la  chuintante  qui  a  pénétré  le  plus  au  participe  ;  les  cas  qui 
nous  montrent  le  radical  d'un  autre  temps,  mode  ou  personne 
sont  exceptionnels. 

Les  formes  que  nous  avons  déjà  citées  :  veulans,  apartienant , 
montrent  probablement  l'influence  de  l'indicatif  ;  celle-ci  est  encore 
plus  claire  dans  avant  qu'on  lit  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (37, 
14)  et  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1357,  837),  mais  ces  deux 
exemples  nous  semblent  tout  à  fait  isolés  en  anglo-français. 

En  résumé,  le  participe  présent  conserve  fort  bien  la  forme  de 
sa  désinence  ;  les  variantes  les  plus  générales  que  nous  avons 
trouvé  à  signaler  sont  purement  graphiques.  En  ce  qui  concerne  le 
radical,  les  formes  étymologiques  ne  sont  peut-être  pas  aussi  bien 
conservées;  on  note  ici  l'influence  de  deux  temps  :  celle  du  présent 
de  l'indicatif,  qui  n'a  pas  été  et  ne  pouvait  pas  être  très  forte,  et 
celle  du  présent  du  subjonctif.  Mais  il  faut  remarquer  au  sujet 
de  cette  dernière  que  cette  action  ne  s'est  exercée  que  sur  quelques 
verbes,  ensuite    qu'à  tout  prendre  elle    a    été   assez  tardive. 

B.  —  Participe  passé. 

Peu  de  temps  ont  été  aussi  employés  et  certainement  aucun  n'a 
eu  en  ancien  français  des  formes  plus  variées  que  le  participe  passé. 


4éo  l'évolution  nv  verbe  en  anglo- français 

On  divise  en  deux  grandes  classes  les  formes  que  ce  temps  peut 
prendre:  les  faibles  et  les  fortes.  Pour  chacune  de  ces  classes,  nous 
étudierons  successivement  les  formes  qu'ont  prises  les  participes  qui 
y  appartiennent,  puis  ce  que  nous  appelons  leur  extension. 


I.  Participes  passés  faibles. 

a)  La  consonne  finale. 

Nous  avons  déjà,  dans  le  chapitre  consacréà  la  troisième  personne 
du  singulier,  étudié  la  chute  de  la  dentale  finale  caduque  ;  les  pages 
qui  vont  suivre  sont  destinées  à  compléter  cette  étude. 

I.  Participes  en  e{t).' 

On  peut  déjà  constater,  dans  les  tout  premiers  textes  anglo-fran- 
çais, que  la  dentale  finale  de  ces  participes  ne  rime  jamais  avec  une 
dentale  appuyée.  A-t-elle  encore  ce  son  transitoire  dont  nous  avons 
parlé  et  dont  nous  avons  essayé  de  déterminer  l'existence  ?  Cela  est 
possible,  mais  difficile  à  montrer.  En  nous  fondant  sur  les  rimes  des 
différents  poèmes  du  commencement  du  xii^  siècle,  nous  pouvons 
faire  les  constatations  suivantes.  Dans  le  Cumpoz,  les  participes 
passés  en  e{i)  sont  le  plus  souvent  écrits  avec  cette  dentale  (39  fois 
sur  44  cas);  et  ils  riment  39  fois  avec  d'autres  mots  présentant  une 
dentale  caduque  (cf.  par  exemple por/^/  (:  citet)  au  vers  668;  enjtin- 
dret  (:  citet)  au  vers  37  ;  apelet  (:  utilitet)  au  vers  831,  etc.);  et  ils 
riment  cinq  fois  en  e  pur;  on  trouve  en  effet  4  participes  passés 
rimant  avec  dé:  pose  (au  vers  585),  parle  (au  vers  847),  ajuste  (aux 
vers  935,  937);  enfin  triive  rime  avec  l'ablatif  latin  tempore  (au 
vers  751).  Par  la  suite,  nous  voyons  ces  participes  rimer  librement 
avec  les  mots  en  e  pur  (qui  sont  peu  nombreux)  ;  c'est  ce  que  nous 
remarquons  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  par  exemple. 

Le  Bestiaire,  l'Estorie  des  Engleis  de  Gaimar,  Fantosme  nous 
montrent  le  même  état  de  choses  ;  nous  ne  citerons  pas  les  nom- 
breux cas  où  ces  participes  riment  avec  des  mots  terminés  par  une 
dentale  caduque,    nous  nous   contenterons    de  donner    quelques 


LES    PARTICIPES  4^1 

exemples  dans  lesquels  on  les  voit  rimer  en  e  pur.  Ces  rimes  ne 
peuvent  pas  être  très  nombreuses.  Citons  dans  le  Bestiaire  :  dune 
(:  Damede)  (au  vers  344)  ;  dans  l'EstoriedesEngleis  :  lassé  (\  pense^ 
nom  verbal)  (au  vers  631);  dans  Fantosme:  aimée  (:  luée)  (au  vers 
448).  Ces  rimes  n'ont  rien  que  de  naturel  à  cette  époque;  cepen- 
dant, il  y  a  au  xii^  siècle  deux  rimes  qui  méritent  d'être  relevées  ; 
l'une  se  trouve  dans  les  Légendes  de  Marie  ;  un  participe  passé  de  I 
rime  avec  un  mot  terminé  par  une  dentale  non  caduque  :  aciistu- 
mel  (:  désuet)  (VIII,  31);  c'est  le  seul  cas  de  ce  genre  que  nous 
ayons  relevé  dans  toute  la  littérature  du  xii=  siècle.  La  conclusion 
que  sa  présence  dans  Adgar  nous  permet  de  tirer,  en  admettant 
évidemment  que  ce  ne  soit  pas  purement  une  rime  irrégulière,  ce 
qui  est  fort  possible,  serait  que  les  auteurs  avaient  gardé  le  souve- 
nir de  l'ancienne  valeur  de  la  dentale  et  que  lorsque  cela  leur  était 
utile,  ils  la  lui  rendaient  pour  ainsi  dire  temporairement. 

L'autre  rime  a,  à  notre  point  de  vue,  plus  d'intérêt;  elle  se 
trouve  dans  Gaimar;  on  lit  en  effet  au  vers  3351  dans  l'Estorie  des 
Engleis  :  Joet  (:  Elveret);  or,  au  vers  3 161,  ce  même  mot  est  écrit 
par  les  quatre  mss.  :  Elvere^/j  et  il  rime  avec  une  autre  dentale 
caduque  (chastele^/;  dans  R,  chasteleJ  dans  D,  chastele/  dans  L  et 
H),  et  dans  l'anglais  du  xii^  siècle  ce  nom  se  prononçait  avec  un 
th  doux. 

Ceci  tendrait  à  prouver  que  du  temps  de  Gaimar  la  dentale 
caduque  dans  les  terminaisons  était  encore  sentie  et  se  prononçait 
avec  une  valeur  se  rapprochant  de  celle  du  th  doux  anglais.  iMais  ce 
son  en  français  ne  pouvait  être  qu'un  son  transitoire,  et  après  Gai- 
mar nous  ne  trouvons  plus  de  trace  de  la  dentale  pour  les  participes 
passés  de  I.'On  les  rencontre  encore  principalement  à  la  rime  avec 
des  mots  terminés  par  des  dentales  caduques  ;  mais  les  rimes  de  ces 
participes  avec  les  mots  en  e  pur  ne  sont  pas  rares. 

Il  est  donc  évident  que  dès  le  commencement  du  y.W  siècle  la 
dentale  caduque  des  participes  en  c  avait  à  peu  près  disparu;  cepen- 
dant dans  certains  cas,  et  aussi  tardivement  que  Gaimar,  on  lui 
voit  attribuer  une  certaine  valeur  qui  ne  différait  probablement  guère 
du  //?  anglais.  Si  cela  a  lieu  dans  Gaimar,  ce  son  a  dû  se  rencontrer 
a  fortiori  pendant  les  premières  années  du  xii=  siècle  (cf.  Suchier, 
Reimpredigt,  pp.  xxi,  xxiv). 


462  l'évolution  du  verbe  f.x  anglo-français 

2.  Participes  en  /(/). 

Il  n'y  a  guère  de  différence  au  point  de  vue  de  la  dentale,  entre 
les  participes  en  t' et  les  participes  en  /;  pour  ces  derniers,  la  dentale 
a  certainement  disparu  au  commencement  du  xir  siècle.  Ils  riment 
en  /"  pur  plus  souvent  encore  que  les  participes  en  e(d)  ne  riment 
en  c  pur;  cela  peut  du  reste  tenir  à  ce  fait  que  les  mots  qui  se  ter- 
minent en  i  pur  sont  plus  nombreux  que  ceux  qui  ont  e  pur  comme 
voyelle  finale.  Voici  quelques-unes  de  ces  rimes  en  /  pur  :  'dans  le 
Cumpoz.  Nous  lisons  :  gnarni  (:  di)  (vers  3148);  dans  le  Bestiaire, 
apovri  (:  ami)(ioi4),  etc.;  dans  Gaimar:  choisi  (:  di)  et  plusieurs 
autres.  Nous  pourrions  tirer  de  tous  les  auteurs  suivants  du  xii'^ 
siècle  de  nombreux  exemples  de  participes  en  i  rimant  soit  avec  des 
dentales  caduques,  soit  des  mots  en  i  pur. 

On  peut  toutefois  relever  un  certain  nombre  d'exemples  de  l'usage 
contraire,  mais  ils  sont  rares.  Voici  les  seuls  cas  où  nous  ayons  sur- 
pris un  de  ces  participes  à  la  rime  avec  une  dentale  appuyée  ;  dans 
Gaimar  nous  trouvons  norit  (:  dit)  (au  vers  61 31);  enfuit 
(:  transit)  (au  vers  4162);  dans  le  Drame  d'Adam:  fraït  (:  ait)  (au 
vers  384);  dans  les  Légendes  de  Marie:  ravit  Ç:  délit)  (VI  2,  296). 
Ces  exemples,  plus  fréquents  que  les  cas  analogues  que  nous  avons 
relevés  pour  les  participes  en  e,  n'ont  pas  une  grande  importance, 
surtout  si  l'on  songe  qu'ils  ont  pu  être  entraînés  par  l'analogie  des 
nombreux  participes  forts  en  it  où  la  dentale  est  appuyée. 

Comme  pour  les  participes  de  I,  il  n'est  pas  douteux  qu'avant  de 
disparaître  tout  à  fait  la  dentale  a  pris  pendant  un  temps,  dont  il  est 
difficile  de  préciser  la  durée  et  les  dates  extrêmes,  un  son  transi- 
toire de  dentale  adoucie.  La  seule  rime  qui  pourrait  nous  le  faire 
supposer  se  trouve  encore  dans  Gaimar  :  saisi  (:  Edelfrid),  1147. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  reste  assuré  que  la  dentale  de  ces  participes 
n'a  ordinairement  plus  sa  valeur  de  dentale  ;  on  trouve  ces  parti- 
cipes quelquefois  à  la  rime  avec  des  dentales  appuyées,  mais  ces 
cas  sont  des  exceptions  entraînées  probablement  par  les  participes 
forts.  On  les  rencontre  encore  rimant  avec  des  mots  terminés  par 
des  dentales  caduques  qui  avaient  probablement  la  valeur  du  //;  ; 
surtout  ils  riment  avec  des  mots  en  /  pur. 

Déjà  dans  les  Psautiers,  il  arrive  que,  pour  conserver  la  dentale, 
on  l'appuie  d'un  s  :  blancist,  Psautier  d'Oxford  (0,  9). 


LES    PARTICIPES  463 

3.  Participes  en  ii(t). 

Pour  ces  participes,  les  rimes  et  conséquemment  les  renseigne- 
ments se  trouvent  en  beaucoup  plus  petit  nombre  que  pour  les 
participes  que  nous  avons  déjà  étudiés;  certains  ouvrages  ne  nous 
fournissent  pas  le  moindre  renseignement,  le  Cumpoz,  par  exemple. 
Les  autres  poèmes  ne  nous  donnent  que  des  indications  assez  con- 
tradictoires :  par  exemple  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  et  le 
Bestiaire,  les  participes  en  //  riment  avec  des  mots  qui  n'ont  jamais 
été  terminés  par  une  dentale  ou  qui  ont  une  dentale  caduque 
comme  veuthes  (:  nues)  au  vers  497  du  Brandan,  foilliic  (:  laitue) 
au  vers  1575  du  Bestiaire  et  vencu  (:  vertu)  au  vers  2693  du  même 
poème. 

Au  contraire,  Gaimar  qui  nous  montre  un  nombre  relativement 
considérable  de  rimes  en  11,  en  présente  de  toutes  les  sortes  :  un 
petit  nombre  de  participes  en  //  riment  avec  une  dentale  stable, 
comme  dans  l'exemple  :  eut  (:  murut)  (vers  2228)  ;  plus  souvent 
ils  sont  accouplés  avec  une  dentale  caduque,  ou  avec  des  mots  en  // 
pur.  Ce  qui  arrive  le  plus  fréquemment  dans  l'Estorie  des  Engleis, 
c'est  que  ces  participes  se  trouvent  à  la  rime  avec  un  mot  anglais 
terminé  par  th  :  avenu  (:  Suth)  (1587);  receû  (:  Suth)  (2348); 
venut  (:  Cnuth)  (4293).  Il  est  donc  bien  évident,  surtout  si  on  garde 
en  mémoire  les  exemples  analogues  que  nous  avons  cités  à  propos 
des  participes  passés  en  e  et  en  /,  que  Gaimar  lui-même,  sinon  les 
écrivains  contemporains,  donne  fréquemment  à  la  dentale  finale  des 
participes  en  «(/)  la  valeur  de  //;.  Nous  ne  retrouvons  aucune  rime 
après  Gaimar  qui  puisse  nous  permettre  de  lui  attribuer  cette 
valeur;  il  semble  que  la  dentale  soit  définitivement  tombée. 

La  dentale  a  donc  complètement  disparu  quelque  temps  avant  la 
fin  du  XII'  siècle. 

D'après  ce  que  nous  venons  de  voir  pour  cette  question,  nous 
pouvons  tirer  quelques  conclusions  générales,  qu'on  pourra  rappro- 
cher de  celles  auxquelles  nous  sommes  arrivés  pour  les  terminaisons 
el,  al  de  la  troisième  personne  du  singulier. 

1°  Dès  le  commencement  du  xii*  siècle,  la  dentale  des  participes 
passés  faibles  ne  rime  qu'avec  les  dentales  caduques,  les  quelques 
rimes  avec  une  dentale  appuyée  qu'on  peut  relever  n'ont  pas  une 
i/rande  valeur  démonstrative. 


464  l'évolution  du  vëkbe  en  anglo-français 

2°  Ces  participes  passés  riment  aussi  très  souvent  dès  la  même 
époque  avec  des  mots  sans  dentale. 

3°  Ces  rimes  avec  des  mots  sans  dentale  sont  plus  communes 
pour  les  participes  en  /  que  pour  les  participes  en  e  et  plus  com- 
munes pour  les  participes  en  e  que  pour  les  participes  en  u. 

4°  La  dentale  avait  peut-être  déjà  pris  à  cette  époque  le  son  du 
th  doux  anglais. 

5°  Il  est  à  peu  près  prouvé  qu'elle  a  ce  son  pour  les  trois  sortes  de 
participes  faibles  dans  les  œuvres  de  Gaimar:  il  est  donc  infiniment 
probable  qu'a  fortiori  elle  l'a  eu  dans  les  écrivains  qui  l'ont  précédé 
et  elle  a  dû  le  conserver  quelque  temps. 

6°  Ce  son  ne  se  retrouve  plus  et  la  dentale  ne  laisse  aucune  trace, 
sauf  de  temps  en  temps  dans  l'écriture,  à  partir  des  œuvres  de  Fan- 
tosme,  s'il  est  loisible  de  tirer  une  conclusion  de  l'absence  de  rime. 
La  fin  du  xii^  siècle  est  de  toute  façon  la  limite  la  plus  éloignée  que 
l'on  puisse  assigner  à  l'existence,  sous  quelque  forme  que  ce  soit, 
de  la  dentale  finale  des  participes  passés  faibles. 

I.  T^.  —  Nous  avons  vu  qu'cà  la  fin  ou  avant  la  fin  du  xii^  siècle, 
la  dentale  avait  disparu  de  la  terminaison  du  participe  passé;  nous 
la  voyons  reparaître  à  la  fin  du  xiv=  siècle  dans  la  langue  littéraire, 
et  un  siècle  plus  tôt  dans  les  ouvrages  qui  n'appartiennent  pas  à  la 
littérature. 

Les  deux  premières  classes  de  participes  passés  ne  nous  fournissent 
que  peu  d'exemples;  pour  les  formes  faibles  en  e  et  en  /,  nous  ren- 
controns cette  graphie  dans  certains  manuscrits  d'ouvrages  du 
xiv^  siècle,  par  exemple  dans  le  Selden  supra  74  (Proverbes  de  Bon 
Enseignement)  :  aviset^  (19,  4),appelet:(  (31,  i)  ;  dans  les  Chroniques 
de  Nicolas  Trivet  :  apelety  (46  r''). 

En  dehors  de  la  langue  littéraire,  nous  trouvons  d'abord  et  beau- 
coup plus  tôt  des  exemples  dans  les  textes  politiques,  par  exemple 
dans  les  Statutes  :  hailkti,  écrit  en  1278  (I,  44);  (?)'/;{  (id.,  ibid.), 
etc.,  etc.;  dans  les  Parliamentary  Writs  :  ameti  (1303,  I,  372),  etc. 

Chez  les  auteurs  littéraires,  en  ce  qui  concerne  les  participes  pas- 
sés en  u,  la  consonne  double  ti  se  rencontre  dans  les  mêmes  condi- 
tions que  pour  les  participes  passés  en  e  et  en  /;  dans  les  recueils 
non  littéraires,  les  exemples  sont  sensiblement  plus  nombreux. 
Voici,  par  exemple,  ceux  que  nous  rencontrons  dans  les  Statutes: 
veniii::^  (1278,1,  44);  banuti  (1326,!,  251);  fww/:^  (1318,  II,  172), 


LES  PARTICIPES  465 

mieuti  (1330,1,267);  dans  les  Parliamentiiry  Writs  :  rt/rj////-(i3  18, 
II,  172),  coinhatouti(i-^24,  II,  Append.,  231). 

Enfin  pour  ces  trois  classes  de  participes  passés,  la  consonne 
double  se  rencontre  très  fréquemment  dans  les  ouvragée  légaux  à 
partir  de   i  et  2  Edw.  IL 

2.  Autres  consonnes.  —  Les  autres  consonnes  sont  rares  ;  elles  ne 
se  rencontrent  pas  dans  les  ouvrages  littéraires  ;  on  trouve  dans  la 
langue  politique  et  diplomatique  la  consonne  x  employée  en 
finale,  comme  eslenx dcins  les  Statutes  (1351,  I,  327  ;  1363,  I,  379, 
trois  fois)  ;  cet  emploi  de  x  est  assez  rare  dans  Rymer  et  peut 
s'expliquer  dans  chaque  cas  comme  une  erreur  cléricale. 

b)   Voyelle  de  la  leniiinaison. 
I .    Participe  passé  en  é. 

I.  /('.  — Nous  retrouverons,  au  participe  passé,  le  même  phéno- 
mène que  nous  avons  déjà  observé  à  la  deuxième  personne  du 
pluriel  du  présent  de  l'indicatif  et  à  l'infinitif  de  certains  verbes  de  I  ; 
dans  les  mêmes  conditions  que  pour  cette  personne  et  pour  ce 
mode,  certains  verbes  ont  régulièrement  au  participe  passé  la 
terminaison  ié.  Nous  ne  voulons  pas  faire  l'histoire  complète  de 
ces  désinences,  mais  nous  pouvons  la  résumer  ainsi  :  on  en  trouve 
encore  un  certain  nombre  dans  les  Psautiers  ;  sans  prétendre  en 
donner  la  liste  complète,  nous  citerons  seulement  les  verbes  com- 
muns aux  deux  Psautiers  :  drecie,  esalciei,  iriei,  jngie::^,  trenchie::^,  et 
nous  renverrons  aux  ouvrages  de  Meister  (p.  53)  et  de  Fichte 
(p.  53).  Après  les  Psautiers,  les  formes  en  //sont  de  plus  en  plus 
rares  dans  les  textes  littéraires  ;  on  n'en  trouve  aucune  au  commen- 
cement du  xiii^  siècle.  Elles  reparaissent  à  la  fin  du  xiv^  siècle. 

Les  exemples  que  nous  fournissent  les  textes  littéraires  de  cette 
époque  ne  sont  pas  rares,  quoique  ceux  qui  sont  assurés  ne  soient 
pas  très  nombreux  ;  mais  la  lecture  des  manuscrits  suffit  à  nous 
montrer  que  les  scribes  emploient  très  fréquemment  la  graphie  par 
ie  ;  que  ce  soit  étymologiquement  ou  non,  peu  nous  importe  à 
présent.  Nous  ne  voulons  constater  maintenant  que  le  simple  fait  que 
les  graphies  en  ie  pour  les  participes  passés  de  I  sont  nombreuses 
au  xiV  siècle  ;  citons  tout  d'abord   les  rimes  (douteuses)  du  Siège 


16(>  1.  EVOLUTION    DU    VKRBK    HN    ANGI.O-PRANÇAIS 

de  Caiiaverok  :  avisillie,  engrellic,  oïlaillic  (au  vers  2359);  cbargie, 
dans  Pierre  de  Langtoft  (ms.  B)  ;  dans  les  Proverbes  de  Bon  Ensei- 
gnement (Old  Royal  8  \i  XVII)  nous  relevons  encore  un  autre 
exemple  plus  douteux  :  partie.  On  pourrait  peut-être  Apmcv  enlumie 
dans  les  Contes  de  Nicole  Bo/on  (au  §  112),  certainement  _^;ri7V  au 
vers  1008  et  dcspiilie  au  vers  232  de  la  Vie  de  Saint  Richard  du 
même  auteur. 

Ces  exemples  sont  certainement  peu  nombreux,  mais  la  lecture 
de  manuscrits  anglo-français  du  xiv^  siècle  pourrait  fournir  assez 
vite  une  longue  liste  d'exemples. 

En  dehors  de  la  littérature,  les  formes  en  ie  sont  plus  anciennes, 
sinon  plus  communes.  Le  premier  cas  que  nous  en  rencon- 
trions dans  cette  catégorie  de  textes  peut  se  lire  dans  les 
Statutes  sous  la  date  de  1297  :  dciiiiiicics  (\,  23).  Désormais  ce  verbe 
va  reparaître  très  fréquemment  sous  cette  forme,  de  même  que 
proniDicic  et  amincie.  Nous  ne  donnerons  pour  ces  formes  qu'un 
petit  nombre  de  références  :  on  peut  dire  d'une  façon  générale  que 
le  plupart  des  textes,  à  toutes  les  dates,  en  contiennent  quelques 
exemples  (cf.  Statutes:  1330,1,  268;  1344,  I,  301  ;  1376,1,  397; 
1399,  II,  119  ;  Parliamentary  Writs  :  1299,  I,  321  ;  Rymer's 
Foedera  :  1302,11,  913,  etc.  ;  Lettres  de  Jean  de  Peckham  :  1281, 
159  ;  Literae  Cantuarienses  :  133 1,  392;  Documents  inédits  : 
1380,  217.  Les  Year  Books  en  fournissent  aussi  de  nombreux 
cas,  citons  20  et  21  Edw.  I",  339;  30  Edw.  L',  499  ;  14  Edw.  III, 
127  et  pas  si  ni). 

Les  exemples  sont  donc  nombreux  et  la  liste  de  références  ci- 
dessus  pourra  en  donner  une  idée.  Du  reste,  si  cette  forme  n'est 
pas  le  seul  participe  passé  prenant  la  désinence  en  /c,  elle  est  du 
moins  la  plus  régulière  de  celles  que  nous  avons  rencontrées.  Les 
autres  verbes  que  nous  allons  maintenant  énumérer  aussi  rapide- 
ment qu'il  nous  sera  possible  ne  prennent  la  désinence  en  ie 
qu'à  l'occasion  et  se  trouvent  aussi  ou  plus  communément  iwcc  la 
désinence  qui  présente  la  voyelle  simple.  Au  contraire,  nous  ne 
nous  souvenons  pas  d'avoir  rencontré  dans  les  textes  non  littéraires 
du  xiv^  siècle  un  seul  exemple  de  l'un  des  trois  participes  ci-dessus 
sans  1'/. 

Nous  ferons  encore  une  autre  observation.  Nous  trouverons  dans 
notre   liste    des    participes     en    ie   un   ceitain  nombre  de    formes 


.1 


LES    PARTICIPES  467 

régulières  ;  ce  sont  des  participes  qui  reprennent  la  diphtongue  à 
laquelle  ils  avaient  droit,  mais  leur  nombre  est  sensiblement  infé- 
rieur à  celui  des  participes  qui  nous  montrent  une  diphtongue  non 
étymologique. 

Nous  citerons  tout  d'abord  quelques  participes  de  la  première  de 
ces  deux  catégories.  Nous  avons  rencontré  assez  souvent  les  deux 
participes  passés  traitié  et  touchié  ;  le  premier  se  rencontre  surtout 
dans  les  Rymer's  Foedera  (cf.  1339,  V,  114  ;  1393,  VI^  426;  1390, 
VII,  663),  mais  est  encore  employé  dans  d'autres  recueils,  comme 
The  Acts  of  Parliament  of  Scotland  (cf.  1363,  493).  Le  second  est 
aussi  d'un  usage  assez  général  ;  les  Rymer's  Foedera  nous  en 
donnent  de  nombreux  exemples  (1348,  V,  63e),  de  même  que  les 
Acts  que  nous  venons  de  mentionner  (cf.  1363,  493).  Citons 
encore  les  formes  moins  communes  :  chargié,  acrocbié  que  nous  lisons 
dans  les  Statutes  ;  eiiipeschié,  jugie,  obligié  qui  se  lisent  dans  les 
Rymer's  Foedera.  Mais  pour  ces  quelques  verbes,  ainsi  que  pour 
plusieurs  autres  qui  se  rencontrent  sous  cette  forme,  la  désinence 
en  t'est  loin  d'être  rare. 

La  terminaison  en  jé  a  cependant  été  étendue  à  un  nombre  assez 
considérable  de  participes  passés  qui  n'y  avaient  aucun  droit.  Nous 
pouvons  citer  par  exemple  dans  les  Statutes  :  gardié,  oiistié,occupié, 
hastié,  partie;  dans  les  Parliamentary  Writs  :  niflnrilié,endentié,molestié; 
dans  Rymer  :  occupié,  donnié,  amie,  sativié  ;  dans  les  Literae  Cantua- 
rienses  -.endentié;  dans  le  Liber  Custumarum  et  le  Liber  Rubeus  de 
Scaccario,  nous  rencontrons  encore  plus  d'un  exemple  du  même 
genre.  D'une  façon  générale,  nous  pouvons  dire,  pour  ne  pas  allonger 
indéfiniment  notre  liste,  que  dans  tous  nos  textes  nous  relevons 
quelques  exemples  soit  réguliers,  soit  irréguliers,  de  cette  désinence. 

Nous  aurions  pu  citer  aussi  dans  la  première  de  ces  deux  classes  le 
nombre  assez  considérable  de  participes  passés  qui  ont  leur  thème 
terminé  par  une  lettre  mouillée.  Ces  verbes  prennent  régulièrement 
un  /  devant  la  terminaison  ;  mais  en  anglo-français,  on  trouve  assez 
iréquemment  cet  /  qui  n'est  peut-être  qu'un  élément  de  la  graphie 
de  la  consonne;  il  est  assez  difficile  de  dire  si  cette  voyelle  a  une 
valeur  propre  ou  si  elle  n'est  destinée  qu'à  représenter  la  mouil- 
lure, par  exemple,  dans  haillié  (Statutes,  1335,  I,  277),  et  dans. 
a ccompaignié  (Ky mer,  1348,  V,  6^6). 

Au  point  de  vue  des  dates,  on  peut  remarquer  que  les  exemples 


468  l'évolution  du  vlkbe  en  anglo-i-rançals 

que  nous  avons  cites  tout  d'abord,  ceux  chez  lesquels,  comme 
prouuncié,  Vi  est  étymologique,  sont  les  premiers  qui  se  trouvent 
avec  la  désinence  ié  ;  ils  se  rencontrent  vers  la  lin  du  xiii'^ 
siècle  dans  les  textes  non  littéraires  ;  les  autres  cas  sont  un  peu 
postérieurs  ;  on  les  lit  d'abord  au  commencement  du  xiV^  siècle  ; 
mais  ils  ne  deviennent  vraiment  communs  qu'un  peu  plus  tard, 
c'est-à-dire  vers  I3-|0. 

Dans  les  Year  Books  au  contraire,  la  plupart  des  exemples  de  la 
terminaison  ié  que  nous  avons  relevés  sont  irréguliers,  c'est-à- 
dire  proviennent  de  verbes  qui  n'ont  pas  étymologiquement  cet  /  à 
l'infinitif  et  au  participe  passé,  comme  ajornié  (20  et  21  Edw.  I", 
^'i^),  exaDiinié {^^  et  35  Edw.  P"",  5),  terminié  (ibid.,  13),  saulvié 
(2  et  3  Edw.  n,  87), /)ni'/V(ibid.,  ioo),enportîé{ii  et  12  Edw.  III, 
641)  ;  ici  nous  ne  pouvons  que  très  rarement  arriver  à  fixer  une 
date  un  peu  précise,  mais  cette  constatation  n'ôte  rien  de  la  force 
des  conclusions  qui  précèdent. 

On  doit  faire  une  classe  spéciale  pour  les  participes  en  ié  '  qui 
proviennent  des  verbes  en /r;  ils  sont  assez  communs,  et  nous 
allons  voir  qu'ils  correspondent  exactement,  comme  on  devait  s'y 
attendre,  aux  infinitifs  de  II  qui  prennent  la  désinence  ier. 

Le  plus  commun  de  ces  participes  est  establié,  on  le  rencontre 
dans  les  Rymer's  Foedera  (cf.  1300,  II,  866),  dans  les  Statutes 
(1387,  II,  54)  ;  seisié  est  aussi  fort  commun  :  les  Statutes  en  parti- 
culier nous  en  off"rent  plus  d'un  exemple  (comme  131 1,  I,  161). 

Citons  encore  accoiiipUé  dans  Rymer  (1303,  II,  925  ;  1338,  V, 
46)  ;/)//;//>' dans  les  Statutes  (131 1,  I,  164);  quillié  dans  le  même 
recueil  (1340,  I,  296);  unie,  ibid.  (1397,  II,  100);  dans  Rymer  : 
Iminié,  affaiblie  (respectivement  1326,  IV,  236  ;  1363,  VI,  413). 
Nous  n'avons  relevé  aucun  exemple  de  ces  verbes  dans  les  Year 
Books. 

2.  Ei.  —  Dans  certains  dialectes  du  continent,  la  diphtongue  ei 
prend  régulièrement  dans  certains  cas  la  place  de  la  voyelle  e  à  la 
tonique  des  participes  passés  de  I.  Cette  diphtongue  se  rencontre 
aussi  en  anglo-français,  quoique  assez  rarement.  On  trouve  d'abord 
quelques   exemples   de  cette   terminaison  ci   au  xii*"  siècle.    Citons 


I .   Pour  cette  question,  on  peut  voir  Stimniing,  Introduction  de  Boeve,  p.  202  ; 
Suchier,  Ueber  die.  .  .  .,  p.  47  ;  Romania  XXXVI,  88,  note. 


LES  PARTICIPES  469 

aporteit  dans  lems.  A  de  l'Alexis  (strophe  19,  premier  vers),  esleveis 
dans  le  Psautier  d'Arundel  (23,  7)  ;  Gaimar  en  a  deux  exemples  : 
ntei^  (au  vers  770),  et  /eiW~  (au  vers  1383).  Mais  les  deux  exemples 
de  Gaimar  sont  loin  d'être  assurés,  car  le  premier  rim.e  avec 
afolez,  et  pour  le  second  les  mss.  D  et  L  donnent  beneit,  qui  est 
plus  satisfaisant  pour  le  sens.  On  doit  donc  attribuer  au  scribe  du 
ms.  R  ces  quelques  formes  en  ei;  ceci  du  reste  n'a  pas  grande 
importance  et  ne  fait  que  rejeter  à  la  fin  du  xii^  siècle  la  date  de 
ces  deux  dernières  formes  ;  cette  terminaison  ei  est  donc  sporadique 
à  cette  époque  ;  de  plus  elle  est  presque  inconnue  au  siècle  sui- 
vant ;  nous  n'en  trouvons  d'exemples  que  dans  les  poèmes 
d'Angier  qui  nous  donnem  paie-  (  :  deiz,  191  b  7,  cité  par  Timothy 
Cloran).  Elle  reparaît  à  la  fin  du  xiv^  siècle  tout  en  restant  assez 
rare  dans  les  œuvres  purement  littéraires  ;  nous  ne  trouvons  à  citer 
que  des  exemples  douteux  qui  nous  sont  donnés  par  quelques 
manuscrits  du  xiV  siècle,  comme  engendreie,  consolideie  aux  vers 
137-138  de  la  Vie  de  Saint  Richard;  geteis.  Proverbes  de  Bon  Ensei- 
gnement (21,4)  ou  emueugleis  dans  Nicolas  Trivet  (47  v°)  ;  cspuseie 
(124),  meneie  (709),  soueie  (710),  etc.,  dans  le  manuscrit  A  de  l'Ipo- 
médon  ;  estei  (511),  dans  le  Protheselaûs. 

On  peut  donc  conclure  que  les  participes  passés  de  I  en  ei  ont 
été  d'un  emploi  fort  rare  dans  les  œuvres  littéraires  '. 

Cette  terminaison  en  ei  est  aussi  assez  rare  dans  la  langue  poli- 
tique; nous  pouvons  citer  dans  les  Mem.  Pari.  1305  :  paey^  (§  274). 

Dans  les  textes  diplomatiques,  au  contraire,  les  exemples  sont 
très  nombreux  ;  nous  en  relevons  un  bon  nombre  dans  Rymer  ;  en 
voici  quelques-uns  par  ordre  chronologique  :  à  l'année  1338,  nous 
en  trouvons  deux  :  traiteit  et  acordeit  ÇV ,  55),  qui  sont  répétés 
quelques  lignes  plus  bas  avec  la  diphtongue  ai;  en  1363,  on 
trouve  nomeiz  (VI,  412)  ;  en    1365,  aiiieis,  consiitueit ,  redoubleis ,  etc. 

Dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham,  il  en  est  à  peu  près  de 
même;  on  xqXqvq  honoureie  (^i2?)i,  131)  et  JtWé)'(?  (1283,  423);  dans 
les  Documents  Inédits  nous  trouvons  oiistey  (1392,  267).  Le 
nombre  de  ces  formes,  sauf  dans  les  Rymer's  Foedera,  est  en  somme 
assez  restreint,  surtout  si  l'on  considère  qu'ils  sont  répartis  sur  une 
période  de  plus  d'un  siècle. 

I.  Cf.  Stiniming,  op.  cit.,  p.  175  ;  Busch,  op.  cit.,  p.  15  et  17;  Suchier . 
Voyelles  toniques,  §  17,  p.  45  ;  Mussafia,  Zcitschrift  fur  ronnmische  Philo- 
logie III,  pp.  106  et  267. 


470  I.  EVOLUTION    nu    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Les  Year  Books  ne  nous  ont  donné  aucun  participe  passé  de  I 
affecté  de  cette  terminaison. 

3 .  E(\  —  Une  terminaison  qui  est  spéciale  à  la  fin  du  xiii^'  siècle  et 
au  xiV"' siècle  et  que  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  d'examiner  à  pro- 
pos de  la  troisième  personne  du  singulier,  de  la  deuxième  personne  du 
pluriel  et  de  l'infinitif,  c'est  la  terminaison  où  Ve  est  redoublé.  Ici 
encore  ce  n'est  pas  dans  la  langue  littéraire  que  nous  trouvons  le 
plus  grand  nombre  d'exemples.  Cependant,  ils  ne  sont  pas  réel- 
lement rares  ;  on  en  trouve  déjà  deux  exemples  dans  le  Sermon  en 
vers,  Deu  le  Omnipotent  :  privée  (78  e),  aiiiee  (78  f).  Au  xiV' 
siècle  les  cas  sont  plus  nombreux.  Pierre  de  Langtoft  nous  donne 
neei  (I,i8,  13)  et  quelques  autres  passim  ;  dans  le  poème  de  Bozon 
sur  la  Bounté  des  femmes  nous  en  avons  encore  deux  exemples  : 
porteei  (au  vers  éi),  nee^  (au  vers  62)  ;  Foulques  Fitz-Warin  en 
offre  un  très  grand  nombre  :  renversée:^  (26),  acorâee:^^  (38)5  ^ntre- 
haisee:;^  (58)  i  fiinee::^  (40)  et  peut-être  quelques  autres  ;  on  peut 
encore  citer  dans  la  Manière  de  Langage:  âecouseex  (384)  et  aJee-:{  au 
vers  141 9  du  ms.  A  de  l'Ipomédon.  Le  scribe  de  la  Destruction  de 
Rome  emploie  très  fréquemment  cette  désinence  ;  nous  pouvons 
citer  estee  (au  vers  15),  ar})iee  (au  vers  443),  embrasée  (au  vers 
446),  coupée  (au  vers  447),  etc. 

Comme  on  le  voit,  le  nombre  de  ces  formes  est  assez  restreint  : 
l'anglo-français  littéraire  n'a  pas  été  très  favorable  au  redoublement 
de  la  voyelle  au  participe  passé.  Quelle  valeur  faut-il  attribuer  à 
cette  terminaison  ?  Faut-il  la  considérer  comme  une  simple  graphie, 
ou  faut-il  attribuer  une  valeur  syllabique  d.  chacun  des  e  ?  Les  deux 
exemples  que  nous  lisons  dans  le  Sermon  en  vers  et  ceux  que  nous 
donne  Bozon,  en  admettant  qu'ils  appartiennent  à  l'auteur,  nous 
montrent  que  ce  double  e  était  purement  graphique  car  ee:{  ne 
compte  que  pour  une  syllabe  dans  le  vers.  C'est  du  reste  la  conclu- 
sion à  laquelle  nous  étions  déjà  arrivé  dans  nos  études  précé- 
dentes. 

Dans  les  textes  non  littéraires,  la  terminaison  ee  est  très  com- 
mune ;  mais  il  est  toujours  très  difficile  de  savoir,  étant  donné  une 
terminaison  ee,  si  on  a  affaire  à  une  nouvelle  forme  de  la  désinence 
ou  si  on  ne  se  trouve  en  présence  d'un  féminin  irrégulier,  faute  qui 
n'est  certes  pas  rare  dans  les  textes  anglo-français.  Les  exemples  que 
nous  allons  citer,    aussi   peu    nombreux  que  possible  pour  ne  pas 


LES    PARTICIPES  47  I 

allonger  nos  listes  d'exemples  d'une  façon  démesurée,  sont  tous  cer- 
tainement des  participes  passés  masculins.  On  trouve  d'abord  très 
communément  un  participe  passé  fort  :  neet:^^,  que  nous,  avons  ren- 
contré déjà  dans  les  œuvres  littéraires  du  xiv-'  siècle  et  qu'on  peut 
lire  dans  les  Statutes  (1350,  I,  310),  dans  Rymer  (1313,  III,  413 
et  passini).  L'expression  née  et  engendrée  est  assez  commune  dans  les 
Year  Books  (i  et  2  Edw.  II,  100  ;  2  et  3   Edw.  II,   54,  etc.). 

Parmi  les  formes  faibles,  les  plus  anciennes  qu'on  rencontre  se 
trouvent  dans  les  Statutes  :  grevée  (nj^,  I,  35)  ;  nontee:{  Çihid.,  p. 
36)  ;  livereei{i2S$,  I,  100)  ;  sauvée- (i^ocf,  I,  136)  ;  grantee:^  (ibid.); 
dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  on  a  sauvée:^  (1280,94)  5  ^^ 
même  les  Early  Statutes  of  Ireland  nous  montrent  cette  terminaison 
à  peu  près  à  la  même  date:  gardée  (1285,50)  ;  les  Parliamentary 
Writs  nous  donnent  grantee,  prisée^  (1282,  I,  12)  ;  les  Mem.  Pari. 
(1305)  :  trovee::;^,agardeei,paiee:iÇ420,App.  7).  Il  est  donc  évident  que 
ces  formes  existaient  et  étaient  d'un  emploi  assez  fréquent  dès  la  fin 
du  xiii"  siècle  dans  la  langue  diplomatique  et  politique;  et  ces 
formes  se  poursuivent  pendant  tout  le  xiv^  siècle,  sans  augmenter 
beaucoup  mais  sans  montrer  de  diminution.  Tous  les  verbes  de  I 
semblent  pouvoir  prendre  cette  terminaison  ;  nous  trouvons  dans 
nos  exemples  à  peu  près  tous  les  thèmes  possibles,  consonantiques 
ou  vocaliques.  Etre  lui-même  a  souvent  son  participe  passé  sous 
cette  forme  :  esfee  (cf.  par  exemple  Literae  Cantuarienses,  133 1, 
381  ;  Rymer,  1373,  VII,  5  ;  1375,  VII,  75). 

Par  contre,  aucun  des  nombreux  verbes  de  II  qui  prennent  le  par- 
ticipe passé  de  I  ne  semble  avoir  pris  cette  désinence  ;  ce  peut 
n'être  qu'une  coïncidence;  elle  est  assez  curieuse.  Le  seul  verbe,  à 
l'exception  de  naître  et  d'être,  qui  n'appartenant  pas  à  I  se  ren- 
contre au  participe  passé  avec  ee,  est  encressee  dans  les  Statutes 
(1393,  II,  91),  à  une  date  très  tardive,  comme  on  le  voit.  Nous 
trouvons  quelques  exemples  de  cette  forme,  tous  assez  douteux,,  dans 
les  Year  Books  :  aJee  {2  et  3  Edw.  II,  86),oblieet  (11  et  12  Edw.  III, 
193),  et  quelques  autres. 

4.  — Les  autres  voyelles  au  participe  passé  des  verbes  de  I  sont  très 
rares  ;  et  pour  les  formes  qui  nous  restent  à  citer,  nous  ne  rencon- 
trons que  des  exemples  isolés.  Nous  pouvons  ûiire  remarquer  tout 
d'abord  que,  à  une  exception  près,  les  textes  les  plus  corrects,  sur- 
tout les  textes  politiques  des   Statutes,   des  Parliamentary  Writs, 


472  L  i;VOLUriON    du    VMRBF.    KN    AN(;LO-rRANÇAIS 

etc.,  ne  contiennent  pas  d'exemple  d'une  autre  voyelle  que  e, 
sous  l'une  quelconque  des  formes  que  nous  avons  déjà  citées.  Ce 
n'est  guère  que  dans  les  Rymer's  Focdera  que  nous  pouvons  trou- 
ver les  terminaisons  qui  vont  suivre. 

J.  —  La  terminaison  qui  montre  un  ^/  ne  se  rencontre  que  très 
rarement  ;  nous  trouvons  dans  Rymer  :  tratat^  (1299,  II,  63 (S)  ; 
/;/r/.wrt/^,  Statutes  (134^,  I,  301),  et  dans  la  littérature  un  exemple 
à  la  rime:  obstinai  (:  prélat)  au  folio  103  r°  a  de  la  Petite  Sumc 
de  les  Set  Pèches  morteus . 

O.  —  Les  terminaisons  en  0  sont  aussi  rares  ;  nous  lisons  dans 
Rymer  :  ciJos  (13  18,  III,  722)  ;  ^7/;/t)~  et  donneos  (1320,  III,  853). 
Elles  sont  trop  isolées  et  trop  extraordinaires  pour  que  nous  en 
tenions  grand  compte.  Il  est  très  improbable  qu'on  doive  considérer 
ces  terminaisons  comme  d€s  désinences  anglo-françaises. 

5.  Chute  de  la  voyelle.  —  Il  est  assez  rare  que  la  voyelle  accen- 
tuée tombe;  pourtant  on  en  trouve  quelques  exemples  dans  plus 
d'un  recueil  ;  les  Statutes  nous  donnent  port  (1390,  II,  77)  ; 
Rymer  a  report  et  demaund  (1297,11,  783),  ost  (1299,  II,  841);  le 
Liber  Custumarum  :  douht(i}jj,  462)  ;  même,  dans  la  langue  légale, 
on  trouve  est  (i^  Edw,  III,  19).  Il  faut  remarquer  que  chacune  de 
ces  formes  est  terminée  par  une  dentale  et  nous  aurions  peut-être 
dû  classer  ces  participes  parmi  les  acquisitions  des  participes  en  tmn, 

2.  Participes  passés  en  /. 

Pour  ces  participes,  la  désinence  se  maintient  très  régulièrement 
aussi  bien  dans  les  œuvres  littéraires  que  dans  les  textes  poUtiques, 
diplomatiques,  familiers,  légaux.  Nous  ne  trouvons  même  à  signaler 
aucune  graphie. 

La  seule  question  que  soulève  l'étude  de  ces  formes  est  celle  de  la 
désinence  en  /(  v)^'. 

Il  semble  que  l'on  doive  au  xiv^  siècle  reconnaître  une  nouvelle 
classe  de  participes  passés,  les  participes  en  ie  ou  plus  souvent  ye  : 
ils  n'ont  avec  les  participes  réguliers  en  ie  de  commun  que  la  forme 
extérieure  ;  ils  comprennent  des  verbes  de  I  et  de  II  et  un  très  petit 
nombre  de  verbes  de  IV;  ils  ont  toujours  e  au  masculin  comme  au 
féminin,  et  ils  riment  en  /.  On  peut  les  regarder  comme  un  croise- 
ment entre  les. participes  de  I  et  ceux  de  IL 


LES    PARTICIPES  473 

Voici  les  exemples  que  nous  avons  relevés  dans  la  langue  litté- 
raire : 

Verbes  de  I. 

Au  vers  24  du  vers  du  Siège  de  Carlaverok,  on  trouve  à  la  rime 
croisUlie,  engreillie,  entaillie  ;  mais  rien  ne  peut  nous  faire  savoir  si 
ce  ne  sont  pas  des  participes  rimant  en  ié  (cf.  plus  haut).  Les 
exemples  que  nous  offre  la  Chronique  de  Pierre  de  Langfoft  sont 
moins  douteux  ;  voici  quelques-uns  de  ceux  qui  se  trouvent  à  la 
rime  :  marye  (1, 130,  17  ;  I,  322,  i)  ;  enbuschye  (I,  200,7)  5  esparpjye 
(II,  280,  16)  ;  ohlye(\,  172,7  ;  I,  320,  16  ;  II,  34,  25).  Ce  dernier 
participe,  qui  semble  avoir  été  plus  employé  sous  cette  forme  que 
n'importe  quel  autre,  se  rencontre  encore  à  la  rime  dans  le  poème 
du  Prince  Noir  au  vers  455  ;  dans  ce  poème  d'ailleurs  les  exemples 
de  cette  terminaison  sont  fréquents  ;  citons  :  logie  (:  mie)  au  vers 
1062  ;  baissie  (:  florie)  au  vers  2741  ;  vecommencie  (:  afie)  au  vers 
4055. 

Le  scribe  qui  a  recopié  le  poème  de  la  Destruction  de  Rome  a 
introduit  dans  son  texte  un  nombre  considérable  de  formes  ana- 
logues; citons-en  quelques-unes  :  poeplie,  embracie,  desroiibie  aux  vers 

493.599- 

Verbes  de  IL 

La  terminaison  en  /()')''  semble  plus  naturelle  et  même  très  nor- 
male dans  les  verbes  de  II.  Nous  croyons  cependant  qu'il  faut  la 
distinguer  de  la  terminaison  régulière,  et  nous  allons  donner 
quelques  exemples  de  participes  passés  qui  nous  semblent  indubita- 
blement masculins,  sous  cette  forme.  Nous  citerons  des  rimes,  pour 
être  assurés  de  la  présence  de  Ye  muet.  C'est  encore  Pierre  de  Lang- 
toft  qui  nous  fournit  des  exemples  indiscutables  ;  on  lit  dans  sa 
Chronique  :  dormye  (I,  78,  14)  ;o>'  (I,  178,  15)  ;  fiiye  (I,  200,  24)  ; 
finye(\,  210,  13)  ;  5a/53'^  (I,  390,  4  ;I,  434,  14);  sevelyeÇL,^-^^,  10); 
establye  (II,  34,  8). 

Ce  dernier  exemple  est  très  commun  et  se  rencontre  encore  dans 
le  roman  de  Foulques  Fitz-Warin  (p.  24). 

Outre  les  verbes  de  I  et  de  II  que  nous  venons  de  citer,  on 
trouve  encore  sous  cette  forme  un  certain  nombre   de  participes 


(74  L  EVOLUTIOM    DU    VERBE    EN    ANGLO-IRANÇAIS 

passés  en  k  ou  torts,  par  exemple  :  Iciiyc  dans  Pierre  de  Langtott  (I, 
412,  4)  et  nitildye,(\m,  comme  nous  le  verrons  plus  tard, a  fréquem- 
ment un  participe  passé  en  /.  A  différentes  reprises  on  le  rencontre 
à  la  rime  sous  la  forme  que  nous  venons  d'écrire  dans  Pierre  de 
Langtoft  (I,  390,  10  ;  II,  386,  ro).  Nous  ne  pouvons  citer  aucun 
participe  qui  dans  l'anglo-français  diplomatique  et  politique  se  pré- 
sente à  nous  sous  cette  forme. 

Il  est.  possible  qu'il  y  en  ait  plusieurs  parmi  les  nombreux 
exemples  que  nous  avons  cités  de  participes  passés  prenant  ou  repre- 
nant la  désinence  ié,  mais  nous  n'avons  aucun  moyen  de  nous 
rendre  compte  de  la  valeur  de  la  lettre  finale  ;  si  c'est  un  e  fermé, 
les  participes  que  nous  avons  cités  appartiennent  bien  à  la  première 
classe,  si  c'est  un  c  muet,  ils  auraient  dû  prendre  place  ici. 

3.  Participes  passés  en  it. 

La  voyelle  des  participes  passés  en  //  prend,  très  naturellement 
d'ailleurs,  un  nombre  considérable  de  formes.  La  plupart  ne  sont 
'que  des  graphies  de  la  voyelle  //  dont  l'étude  relève  de  la  phoné- 
tique^ aussi  nous  nous  contenterons  de  les  énumérer  rapidement,  en 
en  donnant  quelques  exemples. 

Remarquons  tout  d'abord  que  la  terminaison  en  //  reste  à  toutes 
les  époques  de  la  littérature  (en  prenant  ce  mot  dans  son  sens  large) 
la  forme  la  plus  commune  ;  les  ouvrages  littéraires,  aussi  bien  que 
les  recueils  de  textes  poUtiques,  diplomatiques,  familiers,  légaux, 
nous  en  offrent  un  nombre  considérable  d'exemples.  Les  principales 
graphies  qui  dérivent  de  celle-là  nous  montrent  les  voyelles  ou 
diphtongues  suivantes  :  ui,  tu,  eu,  icii,  uc,  w,  0,  ou  ;  il  serait  assez 
difficile  d'expliquer  la  genèse  de  ces  différentes  formes  si  on  s'en 
tenait  à  l'étude  du  participe  passé  ;  mais  cette  question  est  plus 
générale,  et  comme  telle  sort  du  dessein  de  cet  ouvrage. 

Les  formes  en  ui  de  la  littérature  sont  bien  connues,  la  plus 
ancienne  que  nous  ayons  relevée  se  trouve  dans  Frère  Angier  et 
elle  rime  en  /  :  genui^  (:  fiz)  (56  d).  Cette  désinence  d'ailleurs  n'est 
pas  extrêmement  fréquente  au  participe  passé,  même  en  dehors  de 
la  littérature  ;  les  Parliamentary  Writs  en  ont  quelques  cas,  par 
exemple  «/m/ (1299, 1,  320  ;  1325,  II,  710).  A  partir  de  cette  der- 
nière date  cependant  cette  désinence  devient  peut-être  un  peu  plus 


LES    PARTICIPES  475 

commune  ;  dans  Rymer  par  exemple,  elle  est  assez  fréquemment 
employée  au  xiv^  siècle  (cf.  1325,  IV,  137  ;  1360,  VI,  162)  ; 
mais  en  somme  elle  reste  toujours  assez  exceptionnelle. 

En,  qui  provient  peut-être  de  la  généralisation  de  eii  après  syné- 
rèse  faite  (voir  cependant  notre  seconde  partie),  n'est  pas  rare  dans 
les  œuvres  proprement  littéraires  vers  1350;  nous  en  avons  relevé 
un  exemple  dans  les  Contes  de  Bozon  :  iespondeu(^%<))  ;  espaiidt-n(vers 
162),  enteudcii  (vers  518),  teuen  (vers  493,  494,  776),  veneii  (ytrs 
554)  dans  la  Vie  de  Saint  Richard  ;  nous  ne  citons  évidemment  pas 
les  formes  qui  ont  cet  e  étymologiquement,  ou  qui  l'ont  pris  alors 
que  la  diérèse  se  faisait  encore.  Les  exemples  de  cette  forme  sont 
plus  nombreux  dans  les  textes  non  littéraires,  par  exemple  dans  les 
Statutes  :  aresten  (1285,  I,  97)';  esten.  Actes  du  Parlement  d'Ecosse 
(1305,  119)  ;  ra/Jt'// (ibid.,  1292,  446);  teneii,  Mem.  Pari.,  1305 
(§  216);  perdeu,  Jean  de  Peckham  (1284,  526)  ;  les  cas  ne  sont  pas 
rares. 

Tous  les  participes  précédents  se  rencontrent  dans  les  différents 
Year  Books;  ces  recueils  montrent  très  fréquemment  cette  désinence 
cil  à  partir  des  20  et  21  Edw.  l". 

Les  formes  avec  /  en  hiatus,  iii,  ieu,  sont  assez  communes,  sur- 
tout la  seconde.  On  ne  les  trouve  que  pour  ces  verbes  qui 
montrent,  étymologiquement  ou  non,  la  diérèse  à  une  époque 
antérieure. 

Les  œuvres  littéraires  de  la  fin  du  xiv^  siècle  nous  en  offrent  plu- 
sieurs exemples  :  dans  les  Contes  de  Bozon,  le  participe  passé  de 
pestre  prend  la  forme  pieu  (aux  §§  23,  121);  Nicolas  Trivet  nous 
montre  devieii  (2  v°)  ;  rescieu  (ibid.)  ;  eslieu~  (25  r°),  etc. 

En  dehers  de  la  littérature,  les  formes  en  ieit  sont  à  la  fois  plus 
anciennes  et  plus  communes.  On  en  trouve  dans  tous  les  recueils, 
par  exemple  r('::iriii  dans  les  Mem.  Pari.,  1305  (§  461);  dans  les 
Statutes:  w/m/^  (13  30,  I,  267)  ;  rescieu  (^1^62,  I,  374;  1363,  1,379)  ; 
dieu,  apercieu.  Citons  encore  les  participes  que  nous  trouvons  dans 
Rymer  :  .yacM:(  (1350?  V,  207);  i'/gM(i343,  V,  357)  ;  dieus  (1362, 
VI,  348)  ;  rescieu,  lieu,  reslieu.  Pour  ce  dernier  verbe,  l'exemple  le 
plus  ancien  se  trouve  dans  Thomas  Walsingham  à  là  date  13  10 
(p.  16). 

Les  Year  Books  ont  un  grand  nombre  d'exemples  de  ce  genre  ; 
mais  leur  date  reste  toujours    très  douteuse  ;  on   n'en  trouve  pas 


47^  l'Ï:VOlution  du  verbe  en  anglo-français 

avant  le  recueil  31  EJw.  P'  :  bien  (p.  297)  ;  cette  terminaison  se 
rencontre  dans  les  exemples  suivants  :^ï>//,  que  nous  venons  de  voir 
(cf.  aussi  33  et  35  Edw,  I",  53  et  passiiii^  -yesUeu  et  lieu  qui  sont 
très  communs  (33  et  35  Edw.  \",  109  ;  11  et  12  Edw.  P"",  21,  23, 
457  ;  14  Edw.  III,  209,  211,  etc.);  vieil  (11  et  12  Edw.  III,  585). 
Comme  on  le  voit,  tous  ces  verbes  ont  présenté  à  l'origine  un  hia- 
tus entre  le  thème  et  la  désinence.  La  seule  exception  que  nous 
puissions   signaler,    c'est  issieu,   qui  se    trouve    dans   33   Edw.  P"" 

(P-  303)- 

Les  formes  en  m  sont  plus  difficiles  à  distinguer,   car  on   ne 

peut  toujours  savoir  si  l'on  a  affaire   à  un  féminin  irrégulier  ou  à 

une  désinence  particulière  ;  voici  cependant  quelques  exemples   de 

cette  forme  ;  citons  d'abord  vendiiccs  des  Statutes  (1380,  I,  370)  ;  si 

ce  n'est  pas  une  erreur  du  scribe,  cette  forme  est  très  probante  ; 

ieniie:^,  Mem,  Pari.,  1305  (§  383)  ;  le  féminin  detemtees  dans  Rymer 

(1361,  VI,  323);  le  masculin  ^w:{(id.,  1373,  VII,  12);  encriiei  dans 

les  Literae  Cantuarienses  (1380,  947)  ;  et  un  très  grand  nombre 

d'autres. 

Les  terminaisons  qui  présentent  un  iv  sont  rares  dans  les  œuvres 
littéraires  ;  on  ne  les  trouve  guère  que  dans  les  derniers  ouvrages 
du  xiv=  siècle,  de  sorte  qu'il  est  difficile  de  savoir  si  cette  forme 
provient  des  scribes  ou  de  l'auteur  ;  par  exemple  oive  de  Nicolas 
Trivet  (16  r°). 

En  dehors  de  la  littérature,  elle  est  au  contraire  très  fréquente  et 
elle  remonte  fort  haut.  Le  premier  exemple  que  nous  ayons  relevé 
se  trouve  dans  les  Statutes  sous  la  date  1275  :  duwe  (I,  28)  ;  ce 
n'est  du  reste  pas  un  cas  isolé  ;  nous  en  pouvons  citer  un  autre  :  pur- 
vezve  dans  le  même  recueil  (I,  53),  à  la  date  de  1283  ;  le^Liber  Ru- 
beus  de  Scaccario  a  diizue  (1275, 1,  212)  etî't'(><;6'^(i300, 1,  5  5)  ;  dans 
Rymer,  on  rencontre  seiue,  eiue  en  1294  (II,  627);  dinue  se  lit  dans 
les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  52)  ;  et  dans  les  Mem.  Pari., 
1305  (§  123)  ;  dans  ce  même  ouvrage,  resceiu,  ciu  sont  employés  au 
§  5.  Comme  on  le  voit,  les  exemples  sont  nombreux,  variés  et 
d'une  date  assez  reculée  puisque  certains  d'entre  eux  datent  du  com- 
mencement du  quatrième  quart  du  xiir  siècle.  Au  xiv^  siècle  évi- 
demment, ils  deviennent  encore  plus  abondants  ;  mais  il  est  inu- 
tile d'en  citer  davantage. 

Dans  les  Year  Books,  on  en  trouve  un  certain  nombre,  comme 


LES    PARTICIPES  477 

ew,  vew,  etc.  ;  même  il  s'en  trouve  où  Yu  est  employé  en  même 
temps  que  le  lu,  comme  dans  eiiw  (3  Edw,  II,  123),  donné  par  le 
ms.  M. 

Les  terminaisons  avec  0  et  ou  sont  rares  ;  citons  les  quelques 
exemples  que  nous  avons  trouvés:  teno:;^,  Documents  Inédits  1397), 
299);  doue,  Statutes  (1275, 1,  28)  ;  ro;;//'fl'/o«/^,  Parliamentary  Writs 
(1324,  2^  App.,  261);  fo/o7/ dans  Rymer  (1397,  VII,  850)  ;  et  dans 
les  Year  Books,  bâton  (30  Edw.  V%  107),  tenons  (33  et  35  Edw.  I", 
399).  Il  est  difficile  de  croire  que  ces  formes  se  rattachent  aux 
formes  étymologiques  des  participes  passés  forts  en  11  de  la  pre- 
mière classe. 

LES   ACQUISITIONS 

I.  Acquisitions  des  participes  en  e. 

Les  participes  en  e  ont  toujours  exercé  une  grande  attraction  sur 
les  participes  passés  des  autres  conjugaisons  (cf.  toutefois  ce  que 
nous  disons  des  participes  en  n).  On  trouve  dès  le  xii^  siècle  des 
verbes  qui  prennent  irrégulièrement  un  participe  enf. 

Dans  le  Psautier  d'Arundel  les  exemples  sont  déjà  nombreux  : 
move:^  de  mouvoir  '  (lé,  6)  ;  beneic:^  (27,  8)  ;  corrunipeesÇ^j,  5)  ;  dans 
Horn  on  trouve  pour  la  première  fois  areste:^  (2309)  ;  (arestu  se 
trouve  aussi  dans  Horn,  4467,  etc.  et  dans  la  plupart  des  auteurs 
du  xii^  siècle). 

Nous  n'avons  pas  relevé  au  xii'^  siècle  d'autres  acquisitions  pour 
les  participes  passés  en  <?  ;  il  y  a  dans  les  exemples  précédents  des 
participes  régulièrement  en  u,  d'autres  régulièrement  forts.  Les  cas 
d'acquisitions  augmentent  considérablement  au  siècle  suivant  et 
nous  les  distinguerons  désormais  d'après  la  forme  de  leur  participe 
passé  étymologique. 

a)  Participes  en  /  prenant  la  désinence  e. 

Ces  participes  sont  très  nombreux;  voici  quelques-uns  des  exem- 
ples que  nous  avons  relevés  au  xiii'^  siècle  ;  à  cause  même  de  leur 
nombre  nous  pourrons  nous  contenter  de  citer  les  cas  assurés,  c'est- 

I.  Lire  moues  ? 


478  l'évolution  du  verbl  kn  anclo-iran^çais 

à-dire  ceux  qui  se  trouvent  à  la  rime.  Nous  trouvons  ainsi  :  tapc:^ 
(:adure)qui  se  lit  au  vers  715  du  Saint  Edmund(cf.  aussi  vers  72); 
on  rencontre  encore  .sY/Vc  (:  engu lez)  dans  Boevc  (2583);  seise,  du 
reste,  va  devenir  bientôt  la  forme  ordinaire  de  ce  participe,  excepté 
dans  la  langue  légale  qui  oftVe  le  plus  souvent  seisi  (cf.  22  Edw, 
1"%  523  ;  35  et  35  Edw.  I",  passiiii,  etc.).  Citons  encore  :  avili ei 
(  :  privez)  au  vers  168  du  Roman  des  Romans  ;  oye^  (  :  enmoistez) 
qui  se  trouve  dans  l'Ordre  de  BelEyse  (216),  et  dans  maints  autres 
poèmes,  par  exemple  dans  le  Siège  de  Carlaverok,  où  ce  participe 
rime  avec  des  ploie  (au  vers  2). 

Dans  Pierre  de  Langtoft  les  cas  qui  montrent  le  passage  de  /  à  é 
sont  très  communs  :  esîahlei  (I,  412,  18  ;  I,  496,  5);  luerpe  est 
donné  par  trois  mss.  A,  C  et  D  (II,  314,  14);  et  c'est  la  bonne 
leçon  ;forbane{  (I,  224,  5),  enriche-  et  emple  se  trouvent  tous  les 
deux  dans  les  Contes  de  Bozon  (aux  §§  98  et  130);  Nicolas  Trivet 
nous  donne  rave  (19  r°);  acomple  (  :  divise)  se  trouve  au  vers 
576  du  Prince  Noir  ;  boille^  est  employé  dans  les  Recettes  de  Cui- 
sine (p.  51,  n°  i),  maïs  boyly  (p.  55,  n°  26). 

La  liste  de  ces  participes  passés  que  l'on  rencontre  dans  les 
textes  de  la  langue  politique,  diplomatique^  et  familière  pourrait 
être  extrêmement  longue;  remarquons  que  dans  cette  liste,  ce  sont 
les  verbes  provenant  d'adjectifs  qui  sont  les  plus  nombreux  :  enpovc- 
re:^  se  trouve  très  communément,  par  exemple  dans  les  Statutes 
(1275,  I,  26;  1336,  I,  277);  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland 
(1285,  48)  ;  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1380,  947). 

Nous  pouvons  citer  encore  etibaudei  dans  les  Statutes  (1346,  I, 
304),  cncbicrc,  id.  (1363,  I,  378);  e)iiliir~c  dans  Rymer  (1337,  IV, 
805);  refresche  dans  les  Documents  Inédits  (1390,  261;  1346,  81); 
enriche,  blesmc,   etc. 

Un  assez  grand  nombre  de  verbes  qui  montrent  un  infinitif  en 
cr  prennent  aussi,  comme  on  doit  s'y  attendre,  un  participe  passé 
en  e,  par  exemple  estable,  seise,  pursiu\  ;  ces  trois  verbes  se  relèvent 
très  fréquemment  sous  cette  forme;  eslable  se  trouve  pour  la  pre- 
mière fois  dans  Rymer  à  la  date  de  1330  (IV,  438)  (establi  se 
lit  quelques  lignes  plus  bas)  ;  seise  dans  les  Statutes  à  la  date  de 
1357  (I,  352)  (5m/  reste  toujours  assez  commun)  et  piirsiie:;^  se 
trouve  dans  le  même  recueil  sous  la  date  de  1377  (II,  3  et  passini). 

A  part  ces  verbes,  on  en  rencontre  d'autres  qui  ne  sont  pas  aussi 


LES    PARTICIPES  479 

régulièrement  employés  sous  cette  forme;  par  exemple,  dans  les 
Statutes,  esbaiei(d.  1378,  II,  10)  et  meuniré  (cf.  1380,  II,  64). 
Nous  pourrions  relever  dans  les  Rymer's  Foedera  un  nombre 
d'exemples  de  ce  genre  encore  plus  considérable;  parmi  ceux  qui 
nous  paraissent  les  plus  remarquables  nous  citerons  giierpé  qui  est 
l'un  des  plus  anciens  que  nous  connaissions  (cf.  1297,  II5  783);  un 
autre  est  assez  souvent  répété,  c'est  quille  (voir  par  exemple  1361, 
VI,  312).  Les  autres  recueils  de  textes  non  littéraires  nous  en  offrent 
à  proportion,  comme  repleivê,  plus  ancien  encore  que  guerpe  ;  nous 
le  trouvons  dans  le  Liber  Rubeus  de  Scaccario  (cf.    1273,    I,  213). 

Des  participes  en  //,  mais  en  nombre  relativement  peu  considé- 
rable, se  rencontrent  encore  avec  la  désinence  en  é  ;  nous  ne  ferons 
pas  une  trop  longue  énumération  des  formes  qu'on  peut  rencontrer 
et  nous  nous  contenterons  de  signaler  ceux  qui  nous  semblent  pré- 
senter de  l'intérêt.  Nous  ne  reparlerons  p^Lsd'aresié;  nous  en  avons 
déjà  dit  un  mot  et  nous  aurons  à  mentionner  cette  forme  à  propos 
des  participes  en  u. 

Nous  trouvons  un  exemple  du  passage  de  //  à  é  dans  un  poème 
du  milieu  du  xii^  siècle,  et  à  première  vue  cet  exemple  pourrait 
passer  pour  bien  assuré.  11  se  lit  au  vers  1798  de  l'Estorie  des 
Engleis  et  se  trouve  à  la  rime  :  c'est  combaté  à  la  rime  avec  régné. 
Mais  ces  deux  vers  ne  sont  donnés  que  par  le  ms.  R  (xiii^  siècle); 
et  cette  forme  est  sans  doute  une  interpolation  du  scribe.  Ce  n'est 
guère  qu'au  xiv*'  siècle  que  nous  rencontrons  des  exemples  à  la  fois 
nombreux  et  sûrs;  nous  en  citerons  quelques-uns  des  plus  com- 
muns. Dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  nous  rencontrons  mei- 
^ntené  (§  1 5);  une  forme  analogue  est  assurée  par  une  rime  du  poème 
du  Prince  Noir  :  bienveignei  qui  rime  avec  festoiez  au  vers  1447. 
Dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet,  nous  avons  rencontré 
veslé  (ïoYio  60  r°)  et  la  forme  nssez  curieuse  moudre  (moudre)  (au 
folio  49  V")  ;  celle-ci  se  retrouve  dans  Recettes  de  Cuisine  un  cer- 
tain nombre  de  fois  (cf.  par  exemple  n°  6). 

Du  même  genre  que  ce  dernier  est  decousee:^^  qui  se  lit  dans  la 
Manière  de  Langage  (384). 

Un  certain  nombre  de  formes  sont  assez  douteuses,  en  particu- 
lier celles  qui  sont  terminées  par  -we,  comme  remewe  qu'on  lit  dans 
la  Chronique  de  Londres  (1322,  46),  ou  par juwe  qui  se  lit  dans  le 
même  ouvrage  (1330,  63).  La  rime  iJjûie'  (:  devez)  qui  se   trouve 


480  l.'liVOLUTION    DU    VERfeK    EN    ANGLO-l-RA\ÇAlS 

au  vers  7722  (A)  du  Manuel  des  Péchés  pourrait  être  considérée 
comme  douteuse  pour  une  autre  raison;  ce  verbe  se  trouvant  fré- 
quemment avec  un  participe  en  /ou  en  cil,  il  est  possible  que  ce 
soit  l'un  ou  l'autre,  et  plutôt  le  second,  de  ces  derniers  qui  ait  pro- 
duit la  forme  que  nous  venons  de  citer. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  cette  liste  d'exemples  ;  nous 
aimerions  à  faire  remarquer  toutefois  que  certains  scribes  montrent 
un  goût  tout  particulier  pour  ces  terminaisons  ;  ainsi  le  scribe  de  la 
Destruction  de  Rome  écrit  sumree  (2iux  vers  1489,  2491),  combatee 
(au  vers  1500).  Ces  formes  n'ont  pas  grande  importance,  mais  nous 
désirions  montrer  que  l'exemple  combaie  du  ms.  de  l'Estorie  des 
Engleis  n'était  pas  absolument  isolé,  à  la  date  du  ms.  R. 

Nous  ne  trouverons  pas  non  plus  un  grand  nombre  de  cas  à  citer 
en  dehors  des  textes  littéraires.  Une  seule  forme  se  montre  assez  tré- 
quemment,  c'est  mové  de  mouvoir  ;  nous  en  rencontrons  un  grand 
nombre  d'exemples  dans  les  Rymer's  Foedera  (cf.  par  exemple 
1354,  V,  782;  1384,  vil,  430;  1396,  VII,  67e),  et  même  dans 
les  Statutes  (cf.  1378,  II,  9;  1388,  II,  59),  mais  ces  derniers 
exemples,  comme  on  le  voit,  sont  extrêmement  tardifs. 

Recevoir  fait  quelquefois  recevc  (faut-il  encore  lire  receue?  cf. 
Rymer's  Foedera,  1340,  V,  164  ;  1400,  VII,  125).  Plus  certain  est 
le  participe  dermnpé  qui  se  trouve  dans  les  Statutes  tout  à  lait  à  la  fin 
du  xiv^  siècle  (1396,  II,  ^4). 

Telles  sont  les  principales  reformations  en  cque  nous  fournissent 
les  textes  littéraires  et  autres  et  qui  proviennent  des  participes  en  «, 
toutes  ces  formes  sont  en  somme  peu  nombreuses;  elles  sont  tar- 
dives, et  ce  sont  surtout  les  auteurs,  les  scribes  ou  les  textes  incor- 
rects qui  nous  en  fournissent  le  plus  grand  nombre. 

Pour  en  finir  avec  les  acquisitions  de  la  classe  en  é,  nous  allons 
mentionner  maintenant  quelques  participes  forts  qui  prennent  cette 
désinence.  Certains  exemples  remoncent  jusqu'au  xii^  siècle,  comme 
le  beneiei  que  nous  lisons  dans  le  Psautier  d'Arundel  (28,  8).  Mais 
cette  forme  reste  unique  pendant  à  peu  près  un  siècle.  Les  exemples 
que  nous  rencontrons  après  celui-là  se  lisent  dans  le  Manuel  des 
Péchés.  Dans  ce  poème,  nous  trouvons  à  la  rime  un  grand  nombre 
d'exemples  de  la  forme  maiidié  (avec  aie  au  vers  4508,  avec  senez 
au  vers  4681).  Mais  nous  avons  ici  un  véritable  changement 
de  conjugaison,  et  non  un  simple  changement  de  désinence  au  par- 


Les  t>ARTictPES  481 

tîcipe  passé;  rappelons  en  effet  l'infinitif  maudier  qui,  comme  nous 
l'avons  déjà  montré,  est  très  commun  dans  le  William  de  Wadding- 
ton.  C'est  du  reste  tout  ce  que  nous  avons  trouvé  de  sûr  au  xiii^ 
siècle. 

Au  siècle  suivant,  les  exemples  deviennent  un  peu  plus  com- 
muns; ce  sont  du  reste  pour  la  plupart  des  barbarismes  qui  ne 
prouvent  guère  autre  chose  que  l'ignorance  de  ceux  qui  les  ont 
employés,  scribes  ou  auteurs.  Citons-en  quelques-uns  que  nous 
avons  relevés  dans  les  ouvrages  littéraires  :  mette,  overee  (ouverte), 
desconfiee  (desconfite)  que  nous  lisons  dans  le  ms.  de  la  Destruction 
de  Rome  (vers  1096,  1378,  1489),  ou  jointe^  qui  rime  avec  degrez 
au  vers  22  de  la  Geste  des  Dames,  ou  attrae:;^  qui  se  trouve  dans  la 
Chronique  de  Nicolas  Trivet  (folio  2  r°).  En  dehors  des  textes 
littéraires,  les  exemples  sont  aussi  très  rares  et  parfois  peu  sûrs. 
Nous  ne  donnerons  que  peu  d'exemples  de  ce  changement  de 
classe  qui  reste  exceptionnel. 

On  pourrait  peut-être  considérer  comme  un  changement  de  ce 
genre  la  forme  que  prend  traire  au  participe  passé  :  tree:^^,  tre\  dans 
les  Statutes  (1377,  II,  5  ;  1386,  II,  40);  la  ressemblance  de  cette 
forme  avec  les  participes  en  c  peut  n'être  que  fortuite.  A  part  ces 
quelques  cas  les  Statutes  ne  nous  présentent  guère  que  des  formes 
douteuses  comme  :  inquiseï  (1399,  II,  117),  qu'on  peut  charitable- 
ment considérer  comme  régulières. 

Il  y  en  a  davantage  dans  les  Rymer's  Foedera;  soffre,  qui  date  de 
1297  (II,  783),  se  trouve  assez  fréquemment;  dans  les  Literae 
Cantuarienses  on  lit  couvertes,  masc.  sing.  qui  est  douteux  (1380, 
947);  dans  le  Liber  Custumarum  :^oi'^r^5  (1377,  469),  qui  l'est 
moins;  dans  les  Annales  Londonienses  :  somones  (1322,  p.  45)  et 
despise  (i'^26,  56),  qui  est  douteux.  Citons  la  forme  countrefaciex^ 
qui  se  rencontre  dans  le  Liber  Custumarum  (1300,  190)  avec  le 
sens  de  contrefait  ;  on  trouve  cette  forme  employée  à  propos  de 
monnaies  ;  nous  pensons  qu'il  faut  y  voir  l'influence  du  substantif 
face. 

On  rencontre  encore  dans  les  Documents  Inédits  escrie^  (écrire) 
(1370,  198).  Les  Year  Books  présentent  assez  fréquemment  trois 
formes  de  ce  genre:  somoiie  (dans  30  Edw.  I",  p.  31  et  pass'un)  ; 
destreiiie(\h\à.,  67;  31  Edw.  \",  383,  etc.);  attrae  (ibid.,  passim). 
Les  autres  participes  passés   forts   qu'on  peut  rencontrer  sous  la 

31 


482  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

forme  fliible  en  e  ne  se  présentent  pas  avec  la  même  régularité  et 
il  est  presque  toujours  impossible  de  préciser  leur  date. 


2.  Acquisitions  des  participes  passés  en  i. 

Au  XII''  siècle  les  acquisitions  de  la  classe  en  /  sont  très  peu  nom- 
breuses ;  nous  n'en  avons  rencontré  d'exemples  que  dans  Gaimar 
et  Horn  ;  comme  ils  ne  se  trouvent  pas  à  la  rime,  on  peut  sans  hési- 
tation les  attribuer  au  xiii^  siècle,  d'autant  qu'à  cette  époque  les 
nouvelles  formes  sont  relativement  nombreuses  :  un  assez  grand 
nombre  de  participes  passent  de  la  forme  en  ^  ou  en  «  à  la  forme 
en  /. 

flî)  Participes  régulièrement  en  e  prenant  la  désinence  /. 

Pour  les  verbes  de  I  dont  le  participe  passé  prend  la  désinence  en 
/,  il  nous  faut  distinguer  entre  les  participes  régulièrement  en  ié  et 
les  participes  en  é. 

Les  premiers  sont  assez  peu  nombreux,  et  nous  n'avons  pas 
relevé  un  nombre  aussi  considérable  d'exemples  pour  ceux-ci  que 
pour  les  autres. 

Dans  Boeve,  ce  passage  de  ié  à  /  nous  est  assuré  par  une  rime  : 
nous  lisons  au  vers  2309  preysi  qui  rime  avec  li,  et  dans  le  même 
poème,  mais  dans  le  corps  du  vers  2769,  trenchi  '.  Despoili  se 
trouve  dans  les  deux  manuscrits  R  et  H  de  la  Plainte  d'Amour  au 
vers  470. 

Si  on  passe  au  xiv^  siècle  on  trouve  dans  Pierre  de  Langtoft 
esparny  (II,  139,  9);  dans  les  Contes  de  Bozon,  soilli  se  trouve  au 
§  17  ;  assegi  se  lit  dans  Nicolas  Trivet  au  folio  15  v°,  etc.  Tels 
sont  les  principaux,  mais  non  les  seuls  exemples  qui  se  ren- 
contrent dans  la  langue  littéraire.  Ajoutons-y  quelques  autres  pris 
en  dehors  de  la  littérature:  envoi'i^  qu'on  lit  dans  les  Rymer's  Foe- 
dera  (13  18,  III,  724);  esconiengi  est  commun  dans  les  Year  Books; 
par  exemple  il  se  lit  dans  30  Edw.  P%  213  et  passim. 

Les  acquisitions  des  participes  en  /  provenant  des  participes  en  e 
sont  probablement  moins  nombreuses  ;  elles  sont  à  un  certain  point 

I.  Cf.  Stimming,  p.  202. 


LES    PARTICIPES  483 

de  vue  (cf.  deuxième  partie)  plus  remarquables,  car  ce  sont  de  véritables 
acquisitions  et  nous  en  citerons  proportionnellement  davantage. 
Dans  la  littérature  on  n'en  trouve  qu'un  petit  nombre,  par  exemple 
estais  de  ester  qui,  au  vers  410  du  Saint  Edmund,  rime  avec  pais; 
dans  la  Plainte  d'Amour,  revili  rime  avec  merci  (au  vers  985)  ;  cette 
dernière  forme  se  rencontre  par  la  suite  assez  communément;  citons 
encore  l'exemple  qu'on  en  trouve  dans  William  de  Waddington  au 
vers  9739.  Afiibli:^  se  trouve  dans  l'Apocalypse  au  vers  263  ;  gerniy 
est  employé  à  la  page  14  du  Traité  de  Hosebonderie  de  Walter  de 
Henley,  et  enfin  on  relève  engressi  au  §  118  des  Contes  de  Bozon. 
La  forme  la  plus  fréquente,  c'est  lozvis  du  verbe  louer  ;  on  la  trouve 
dans  William  de  Waddington  (dans  le  corps  du  vers  2776),  dans 
Nicolas  Trivet  (au  folio  46  v°)  et  très  communément  en  dehors 
des  textes  littéraires,  par  exemple  dans  le  Liber  Custumarum  (1309, 

81). 

Dans  la  langue  politique  et  familière,  les  acquisitions  de  cette 
sorte  sont  assez  nombreuses  ;  certains  verbes  de  I  même  ne  prennent 
jamais  au  participe  passé  d'autre  terminaison  que  la  terminaison 
en  /  :  par  exemple  le  verbe  recovrer  qui  fait  toujours  recovri  ;  on  le 
trouve  sous  cette  forme  dans -les  Statutes  (cf.  1320,  I,  180  ;  1350,  I, 
321  ;  13 51,  I,  326  ;  1362,  I,  372),  dans  les  Documents  Inédits 
(1364,  167),  dans  les  Year  Books  (30  Edw.  P"",  43  ;  33  et  35  Edw. 
L^  93)  (cf.  Infinitif). 

Les  autres  cas  qui  nous  montrent  cette  terminaison  sont  moins 
régulièrement  employés  ;  les  plus  anciens  se  trouvent  dans  les 
Rymer's  Foedera  :  deliverys  (1274,   II,   30)  ;  ènparolys  (1279,  II, 

133)- 

Les  autres  exemples  que  nous  avons  relevés  se  rencontrent  sur- 
tout dans  la  première  moitié  du  xiv^  siècle,  comme  severi^  dans  les 
Statutes  (1340,  I,  284)  ;  cette  même  forme  se  rencontre  encore  dans 
la  Chronique  de  Londres  (p.  85)  à  la  date  de  1341  ;  renoavely  est 
employé  dans  les  Literae  Cantuarienses  (133 1,  367). 

On  en  trouve  encore  d'autres  cas,  toujours  en  assez  grand  nombre, 
dans  la  seconde  moitié  de  ce  même  siècle,  par  exemple  tivubli:^,  dans 
les  Statutes  (1363,  I,  385)  -^averri,  dans  les  Year  Books  (20  et  21 
Edw.  I",  p.  53);  enpen-i  (de  empirer)  (dans  14  Edw.  III,  77)  et 
quelques  autres  dans  les  Year  Books  de  cette  époque  à  des  dates 
très  difficiles  à  préciser;  mais  ils  semblent  certainement  devenir 
moins  communs  que  dans  la  période  précédente. 


4^4  l'évolution    du    verbe    feN    ANGLO-FRANÇAIS 

h)  Participes  en  u  prenant  la  désinence  i. 

Les  participes  en  n  qui  abandonnent  leur  désinence  pour  la  ter- 
minaison /  sont  peu  nombreux  ;  nous  en  relevons  deux  exemples 
dans  le  ms.  O  de  Horn,  dont  l'un,  il  est  vrai,  se  trouve  à  la  rime 
et  pourrait  être  attribué  à  l'auteur  :  vestii  (vers  4676),  que  l'on 
retrouve  dans  Nicolas  Trivet  (folio  59  r")  ;  l'autre  se  trouve  dans 
le  corps  du  vers  :  cumhaîi  (4790).  Le  verbe  vivre  se  rencontre  très 
fréquemment  au  participe  passé  avec  la  forme  en  /,  comme  dans  le 
Petit  Plet  de  Chardri  où,  au  vers  1588,  il  rime  avec  ami,  et  dans 
le  Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington  où  il  rime  avec 
despendi  (au  vers  4153);  nous  pourrions  aussi  citer  un  nombre 
considérable  d'exemples  de  cette  forme  employés  dans  le  corps  du 
vers,  comme  dans  Saint  Julien  (au  folio  71  v°,  etc.),  dans  Pierre 
de  Langtoft  (I,  288,  25  ;  I,  442,  21). 

D'autres  verbes  sont  d'un  emploi  moins  constant  avec  cette  dési- 
nence ;  citons  toutefois  battre  qui  fiiit  baty  dans  le  Poème  Allégo- 
rique (au  vers  25);  corumpi:{,  que  l'on  trouve  dans  l'Apocalypse 
{^,  610). 

Certains  participes  n'ont  pour  ainsi  dire  qu'une  ressemblance 
extérieure  avec  les  participes  passés  en  /  ;  par  exemple  dans  Uii  de 
lire  (Boeve,  3849),  la  diphtongue  ///  n'est  qu'une  graphie 
(umgekehrte  Schreibung?)  de  u  (voir  plus  haut,  les  changements 
subis  par  la  voyelle  u  de  cette  terminaison). 

Les  participes  régulièrement  en  //  qui  prennent  la  désinence  en  / 
sont  encore  plus  rares  dans  la  langue  non  littéraire  et  ne  se  ren- 
contrent guère  dans  les  meilleurs  recueils.  Nous  ne  trouvons  à  citer 
que  rendy  dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense  (13 n,  I,  4), 
et  dans  les  Rymer's  Foedera  :  purvei  (13 12,  III,  366),  et  aresii 
(1360,  VI,  296). 

Les  Year  Books  nous  présentent  certainement  un  plus  grand 
nombre  de  cas  analogues  à  ceux  que  nous  avons  déjà  cités,  comme 
respondy  qui  se  lit  dans  le  Year  Book  21  Edw.  P'  (page  239); 
mais  la  plupart  des  formes  que  nous  avons  relevées  ne  nous 
semblent  pas  appartenir  à  notre  période. 

Nous  trouvons  un  certain  nombre  de  participes  passés  que  nous 
ne  pouvons  guère  considérer  comme  irréguliers  quand  ils  nous  pré- 


LES    PARTICIPES  485 

sentent  un  participe  passé  en  i  :  chioir  par  exemple.  Chat  n'est 
pas  aussi  commun  que  les  différentes  formes  en  u  que  nous  avons 
déjà  citées  ;  mais  elle  n'est  pas  rare  et  se  rencontre  aussi  communé- 
ment que  le  participe  à  forme  forte.  Nous  en  avons  trouvé  des 
exemples  à  toutes  les  périodes  de  la  littérature  anglo-française, 
depuis  le  Voyage  de  Saint  Brandan,  où  chaid  rime  avec  hait  (au  vers 
1023),  ou  TEstorie  des  Engleis  (au  vers  3313),  jusqu'au  Manuel 
des  Péchés  (cf.  vers  1029,  1330,  6684  et  passinî)  et  l'Apocalypse 
(P,  62). 

Il  nous  reste  encore  à  parler  de  quelques  participes  passés  forts 
qui  prennent  quelquefois  la  forme  faible  en  /  ;  le  plus  important  est 
naître.  Nasqui  n'est  pas  très  commun  ;  nous  ne  l'avons  rencontré 
qu'une  seule  fois  à  la  rime  nasqui  (:  fiz)  dans  l'Estorie  des  Engleis 
(au  vers  3596). 

Nous  mettrons  dans  la  même  classe  le  participe  passé  des  verbes 
composés  de  vertir,  les  {ormes  convertit,  purvertit  sont  beaucoup  plus 
communes  que  les  formes  fortes  couver  s,  purvefs  ;  les  Psautiers  nous 
fournissent  en  particulier  un  grand  nombre  d'exemples  des  deux 
premières. 

Les  derniers  exemples  que  nous  venons  de  citer  sont  donc  relati- 
vement ou  complètement  réguliers.  Les  autres  ne  le  sont  pas  du 
tout;  mais  ils  sont  en  somme  assez  peu  nombreux  et  les  formes 
barbares  restent,  en  considérant  l'ensemble  de  la  littérature  anglo- 
française,  des  exceptions  qui  ne  prouvent  pas  grand'chose  contre  la 
masse  des  auteurs  anglo-français. 


3.  Acquisitions  des  participes  en  u. 

Avant  de  traiter  la  question  des  acquisitions  pour  les  participes 
passés  de  ce  type,  il  est  bon  que  nous  nous  rendions  compte 
de  la  régularité  avec  laquelle  certains  participes  en  u  ont  conservé 
leur  forme  étymologique.  Il  est  vrai  qu'en  exposant  les  acquisitions 
que  les  participes  passés  des  autres  classes  ont  faites,  nous  avons 
vu  par  là  même  la  contrepartie  de  la  question  que  nous  nous 
proposons  d'étudier.  Il  nous  semble  utile  maintenant,  au  risque 
de  quelques  répétitions,  de  voir  de  quelle  façon  certains  participes 
en  u,  tels  qnarestu,  ont  subsisté  en  anglo-français. 


4 86  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Ce  participe  que  nous  venons  de  citer  est  un  des  plus  impor- 
tants de  ceux  qui  doivent  nous  occuper  maintenant.  Nous  avons 
montré  que  le  verbe  arester  subissait,  comme  il  est  naturel, 
l'influence  des  autres  verbes  de  sa  conjugaison  et  que  peut-être  déjà 
au  XII''  siècle  (cf.  l'exemple  de  Horn),  certainement  au  xiii'^  (cf. 
l'exemple  de  Chardri),  il  montrait  la  forme  aresté  à  son  participe. 

Mais  la  forme  en  u  reste  cependant  en  usage,  non  seulement  à 
cette  époque,  mais  beaucoup  plus  tard,  et  à  toutes  les  époques  de 
la  littérature  anglo-française,  elle  reste  la  plus  employée.  Elle  est  à 
peu  près  la  seule  au  xii"^  siècle  et  il  serait  facile  d'en  citer  de  nom- 
breux exemples  ;  nous  n'en  avons  cependant,  pendant  tout  ce  siècle, 
relevé  aucun  à  la  rime  ;  nous  avons  été  plus  heureux  pour  le  xiii^ 
et  le  XI v^  siècle. 

Arestu  rime  avec  saluau  vers  2198  de  Boeve,  avec  fu  dans  le  Saint 
Edmund,  avec  lu  au  vers  3285  de  William  de  Waddington.  On  le 
trouve  encore  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  116,  4),  et  dans  la  Chro- 
nique de  Londres  sous  la  date  1326  (à  la  page  52). 

L'anglo-français  légal  l'emploie  aussi  fréquemment  :  il  se  trouve 
dans  les  Mem.  Pari.  1305  (au  §  127). 

La  langue  légale  ne  connaît  que  la  forme  étymologique  qui  se 
trouve  employée  fréquemment. 

Suivre,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  observer,  se  rencontre  le 
plus  souvent  avec  un  participe  en  /  ;  cependant  la  forme  qui 
provient  régulièrement  du  latin  sectiins  est  assez  souvent  employée 
au  xii^  siècle.  Citons  segnd  dans  le  Saint  Brandan  aux  vers  192, 
1652  ;  dans  Horn  au  vers  4479  ;  dans  le  Saint  Gilles  au  vers  1836. 

Pour  eshi,  cf.  Participes  forts. 

Irascu  se  maintient  aussi,  il  est  très  commun  au  xii^  siècle  et  se 
retrouve  encore  au  xiii^  :  irascu  rime  avec  fu  au  vers  146  du  Saint 
Edmund,  avec  Jesu  au  vers  11 15  d'Edward  le  Confesseur. 

Si  nous  passons  maintenant  aux  acquisitions  des  participes  en 
7/,  nous  verrons  aisément  qu'aucune  classe  de  participes  ne  peut 
montrer  un  nombre  d'acquisitions  aussi  considérable  que  celle  qui  a 
cette  désinence  ;  non  seulement  en  anglo-français,  mais  d'une  façon 
générale  dans  tous  les  dialectes  français,  cette  terminaison  a  été 
attribuée  à  beaucoup  de  verbes  qui  ne  l'avaient  pas  régulièrement. 

Pour  ce  qui  nous  concerne,  nous  trouvons  que  les  participes  en 
u  gagnent  à  leur  forme  des  participes  passés  qui  sont  régulièrement  : 


LES    PARTICIPES  487 

a)  En  e.  —  Les  acquisitions  de  ce  genre  sont  assez  nombreuses, 
la  plus  ancienne  semble  être  naessiiesÇ:  aperçues),  dans  les  Dialogues 
Saint  Grégoire  (144  r°  b),  forme  assez  rare  et  qui  n'a  jamais  été  aussi 
commune,  à  beaucoup  près,  que  la  forme  régulière  né,  ni  même  que 
nasqiii  dont  nous  avons  déjà  donné  quelques  exemples. 

Engettii,  que  Ton  lit  dans  Nicolas  Trivet  (au  folio  2  v°),  est  un 
cas  d'une  espèce  différente  :  nous  avons  ici  un  véritable  change- 
ment de  conjugaison,  provoqué  par  la  forme  gettre  que  l'infinitif 
prend  assez  communément  ;  nous  voyons  encore  le  participe  passé 
gettu  par  exemple  dans  les  textes  légaux,  comme  dans  le  Year  Book 
II  et  12  Edw.  III  (p.  439),  et  ailleurs. 

Il  en  va  de  même,  ou  à  peu  près,  pour  foundu,  de  fonder  que 
nous  rencontrons  dans  plusieurs  endroits  du  Year  Book  13  et  14 
Edw.  III  (p.  163,  295,  299)  et  dans  quelques  autres  Year  Books  ; 
nous  avons  plutôt  affaire  à  une  confusion  entre  deux  paronymes 
fonder  et  fondre,  confusion  facilitée  par  la  métathèse  de  l'r. 
Comme  véritables  cas  d'assimilation  de  forme  ne  provenant  ni 
d'un  changement  de  conjugaison,  ni  d'une  confusion  entre  paro- 
nymes, nous  ne  trouvons  guère  à  citer  que  gastu^  employé  dans  les 
Statutes  (1339,  II,  109)  et  tournu  qui  se  lit  dans  le  Year  Book  16 
Edw.  III  (pp.  19  et  21).  C'est  à  peu  près  tous  les  cas  qui 
montrent  le  passage  du  participe  passé  àt  e  k  u. 

h)  En  i.  —  Les  verbes  qui  régulièrement  devraient  avoir  leur 
participe  passé  en  /  passent  beaucoup  plus  facilement  dans  la  classe 
des  participes  en  u.  Les  composés  de  vertir^  qui  du  reste  connaissent 
plutôt  la  forme  forte  du  participe,  se  trouvent  assez  communément 
avec  un  participe  en  u.  Nous  n'avons  relevé  d'exemples  assurés  qu'au 
xiii^  siècle  ;  ainsi  on  lit  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  à  la  rime  du 
vers  1878  :  convertui{:  vertuz);  la  même  rime  est  employée  par  le 
même  auteur  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (75  v"  b).  Dans  le 
Roman  des  Romans,  on  trouve  encore  une  rime  analogue  :  revertue 
(:  remue)  au  vers  525.  Nous  avons  plusieurs  exemples  de  cette 
forme  dans  les  ouvrages  du  xiii«  siècle,  mais  ils  ne  se  rencontrent 
que  dans  l'intérieur  du  vers. 

Les  auteurs  du  xiV  siècle  l'emploient  assez  souvent.  Pierre  de 
Langtoft  la  montre  aux  rimes  des  vers  suivants  :  I,  68,  17  ;  II, 
92,  14;  Bozon,  dans  ses  Vies  de  Saints,  nous  en  donne  un  autre 
exemple  assuré   par  la  rime  :   converîu:{   (:    nuz)  (au  folio  94  r°)  ; 


488  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

dans  la  Chronique  en  prose  de  Nicolas  Trivet  cette  forme  n'est  pas 
rare  (cf.  le  folio  46  r°). 

Pour  les  autres  formes  de  ce  participe,  d.  Participes  forts. 

Sentir  en  anglo-français,  comme  dans  beaucoup  de  dialectes  fran- 
çais, prend  assez  fréquemment  la  forme  en  11  au  participe  passé  ; 
les  exemples  de  cette  forme  sont  communs,  et  on  en  rencontre 
même  quelques  exemples  au  xii''  siècle,  comme  sentu  (:  tenu)  du 
Tristan  de  Thomas  (vers  m),  et  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois 
(I,  19,  17).  Il  est  surtout  fréquent  au  xiii''  siècle  ;  la  Vie  de  Saint 
Grégoire  a  sentu  (au  vers  898)  ;  les  Dialogues  le  font  rimer  avec 
vertu  (40  r°  b)  ;  au  vers  2371  du  Saint  Edmund,  on  a  assentc  (lire 
assentiie)  (:  hue)  ;  dans  le  Manuel  des  Péchés  de  William  de 
Waddington  on  en  trouve  encore  un  autre  exemple  :  consentu  (:  vertu) 
(au  vers  4995);  il  se  trouve  aussi  à  la  rime  dans  Pierre  de  Langtoft 
(II,  358,  15)  ;  à  la  rime  avec  issu  dans  les  Vies  de  Saints  de  Bozon 
(94  v°)  ;  dans  les  Contes  du  même  auteur,  il  est  employé  au  §  98. 
Nous  le  lisons  encore  dans  le  Poème  du  Prince  Noir  (au  vers 
1898);  il  est  très  commun  dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet, 
on  l'a  par  exemple  au  folio  46  r°,  etc. 

Cette  forme  en  u  est  d'ailleurs  la  seule  que  nous  trouvions  dans 
les  textes  diplomatiques  et  politiques,  sans  distinctions  de  correc- 
tion, et  les  exemples  que  nous  en  avons  relevés  sont  extrêmement 
nombreux.  Il  en  est  à  peu  près  de  même  de  la  langue  légale,  quoi- 
qu'on rencontre  sporadiquement  dans  les  Year  Books  la  forme  cor- 
recte, par  exemple  dans  assenti  (2  et  3  Edw.  II,  p.   55). 

Mentir,  si  voisin  par  la  forme  de  sentir,  forme  aussi,  quoique 
moins  fréquemment  peut-être,  son  participe  passé  en  u  ;  on  trouve 
mentu  pour  la  première  fois  dans  Horn  dans  le  corps  du  vers  3045, 
etau  folio  65  r°  du  Saint  Julien  rimantavec  deceu  ;  puis  dans  William 
de  Waddington  au  vers  10200,  rimant  avec  entendu  ;  dans  l'Apoca- 
lypse on  lit  mentu:^  (:  Jésus)  (205).  Pierre  de  Langtoft  l'emploie 
(II,  294,  21);  on  le  trouve  aussi  dans  les  Contes  de  Bozon  (au  §  23)  ; 
la  forme  en  /  est  assez  rare,  nous  ne  l'avons  relevée  à  la  rime  que 
dans  le  Prince  Noir  où  menti  rime  avec  dit  au  vers  3813. 

D'autres  verbes  se  trouvent  employés  moins  souvent,  quelques- 
uns  cependant  ne  se  rencontrent  au  participe  passé  que  sous  la  forme 
en  u  ;  par  exemple  férir  (cf.  Dialogues  Saint  Grégoire  n°  15  ;  Saint 
Auban,  83,  894  ;  Statutes,  passim  ;  Rymer,  passini).  Nous  en  trouvons 


LES    PARTICIPES  489 

encore  plusieurs  autres  qui,  au  participe  passé,  montrent  cette 
désinence  assez  communément  :  assaillu  (:  venu)  est  employé  par 
Robert  de  Cretham  au  folio  43  r°  ;  dans  la  Chronique  de  Fantosme 
(au  vers  1666);  dans  Horn  (3122,  3260). 

Certains  participes  passés  en  u  sont  d'un  emploi  plus  rare  : 
banniitx_  n'est  commun  que  dans  les  textes  politiques  d'une  date  assez 
tardive  (cf.  Statutes,  1326,  I,  251  ;  1396,  II,  94,  etc.). 

Les  Year  Books  fournissent  encore  quelques  nouveaux  exemples, 
comme /(9rnM;(  (fournir)  (16  Edw.  III,  137)  qui  ne  se  trouvent  que 
dans  la  langue  légale. 

c)  Participes  forts.  —  Les  partfcipes  passés  forts  fournissent 
aussi  leur  part  dans  le  nombre  des  reformations  en  //. 

Nous  avons  déjà  vu  eslu  qui  est  la  forme  la  plus  commune  du 
participe  passé  du  verbe  eslire  ;  on  peut  citer  en  outre  choir 
qui  fait  volontiers  chaû,  comme  le  montrent  les  exemples  suivants  : 
dans  l'Estorie  desEngleis  de  Gaimar  (au  vers  4037),  où  il  rime  avec 
féru  ;  dans  Horn  (au  vers  3036);  au  vers  214  du  Saint  Laurent; 
dans  Robert  de  Cretham  (folio  86  r°)  ;  il  est  employé  deux  fois  à  la 
rime  dans  William  de  Waddington  (cf.  vers  1664). 

Craindre  prend  aussi  parfois  un  participe  passé  analogique  :  cremu  ; 
il  est  assez  peu  commun,  on  le  trouve  toutefois  au  vers  900  de  la 
Vie  de  Saint  Grégoire,  et  au  vers  1395  du  Saint  Auban.  Nous 
n'avons  relevé  aucun  exemple  de  cette  forme  en  dehors  de  la  litté- 
rature. 

Offendu,  participe  passé  de  offendre,  est  plus  répandu  :  on  le  lit 
au  vers  14 10  de  Guischart  de  Beauliu  ;  au  vers  605  de  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  ;  il  rime  avec  peu  dans  les  Dialogues  (141  r°  b)  ; 
on  peut  citer  encore  les  Evangiles  de  Robert  de  Cretham  (au  folio 
96  r°)  et  Pierre  de  Langtoft  qui  l'emploie  à  la  rime  (I,  240,  5). 
Dans  les  Statutes,  Rymer  et  les  autres  textes  politiques  ou  diploma- 
tiques, il  se  rencontre  très  fréquemment. 

Il  est  beaucoup  plus  rare  pour  le  verbe  remaindre  d'être  employé 
au  participe  passé  avec  la  terminaison  u  :  la  forme  reinaQi^sii 
est  pourtant  assurée,  par  exemple  par  la  rime  remasu  (:  vencu)  du 
folio  20  r"  a  des  Dialogues  Saint  Grégoire,  ou  remansriis  (lire 
refiiansus)  (:  venuz)  dans  le  poème  de  Dermod  (1150)  (cf.  Participes 
passés  forts). 

Soldre  et   tordre  ont  aussi  un  participe  en  u.  On  trouve   soJu 


490  L  EVOLUTION    DU    VERBE   EN    ANGLO-FRANÇAIS 

dans  les  Dialogues  (^6  v°  b)  ;  loin  est  plus  commun  :  l'auteur  du 
Saint  Brandan  le  fait  rimer  avec  absolud(au  vers  821)  ;  on  le  trouve 
aussi  dans  la  note  de  la  page  201  des  Quatre  Livres  des  Rois  ;  deux 
fois  dans  les  Oeuvres  de  Frère  Angier,  dans  la  Vie  au  vers  2778,  et 
dans  les  Dialogues  au  folio  13  v°  b,  enfin  à  la  rime  avec  vestu  au 
folio  88  r°  de  l'Evangel  Translate.  C'est  la  forme  ordinaire  de  ce 
participe. 

Enfin  vivre  fait  le  plus  souvent  vécu,  comme  à  la  rime  vesgti 
(:  vertu)  du  Saint  Julien  (78  r°). 

D'autres  participes  passés,  comme  escondu,  que  l'on  trouve  dans 
les  Contes  de  Bozon  (§  121),  ou  conclu  qui  est  relativement  fré- 
quent dans  l'anglo-français,  pourraient  à  première  vue  sembler  des 
acquisitions  de  la  classe  en  u  ,  mais  leur  ressemblance  avec  les 
participes  qui  nous  occupent  est  purement  fortuite. 

Il  nous  reste  encore  à  signaler  un  assez  grand  nombre  de  nou- 
velles formes  qui  sont  moins  des  acquisitions,  dans  le  sens  où  nous 
prenons  ordinairement  ce  mot,  que  de  nouvelles  formations.  Elles 
se  rencontrent  uniquement  dans  les  textes  qui  n'appartiennent  pas 
à  la  littérature  et  sont  évidemment  calquées  sur  les  participes  latins 
en  Utum  ;  voici  les  quelques  exemples  que  nous  avons  relevés  : 

La  forme  execut  devient,  à  partir  de  1328,  la  seule  forme  du  par- 
ticipe passé  du  verbe  exécuter  dans  les  ouvrages  non  littéraires.  On 
la  trouve  constamment  dans  les  Statutes,  qui  nous  donnent  d'ailleurs 
le  premier  exemple  de  cette  forme  que  nous  connaissions  (1328,  I, 
259);  on  en  rencontre  encore  des  exemples  en  plusieurs  endroits 
(1357,  I,  349  ;  1363,  I,  378,  379,  383).  Cette  forme  n'est  pas 
moins  répandue  dans  Rymer  (cf.  1340,  V,  207  ;  1347,  V, 
750.)  et  dans  d'autres  recueils,  comme  le  Liber  Albus  (1372, 
506  ;  1398,  310,  511)  ;  nous  l'avons  encore  rencontrée  fré- 
quemment dans  tous  les  recueils  de  textes  légaux. 

Restitut  et  institut  ne  sont  pas  moins  communs  dans  ces  mêmes 
ouvrages;  les  Statutes  nous  en  donnent  de  nombreux  exemples  en 
1335  (I,  277),  puis  en  1344,  1352,  1362,  1385,  1392,  pour  ne 
citer  que  quelques  dates  ;  de  même  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1327,  1353,  i^S^j  1362,  1377,  1384),  dans  les  Actes  du 
Parlement  d'Ecosse,  dans  les  Parliamentary  Writs  et  dans  les  Year 
Books   (20    et    21  Edw.  I",  157,  177,    205;    22    Edw.   I",  11). 

D'autres  formes  se  rencontrent,  quoique  moins  régulièrement. 


LES    PARTICIPES  491 

comme  devolnt,  dans  les  Statutes  (1340,  I,  292  ;  1351,  I,  326), 
et  dans  les  Rymer's  Foedera  (1345,  V,  159,  460),  distribut:;^,  qui 
est  assez  rare  (cf.  Statutes,  1362,  1375). 

Il  nous  semble  donc  absolument  évident  que  si  les  acquisitions  de 
la  classe  en  u  n'ont  pas  été  en  anglo-français  tout  à  fait  aussi  consi- 
dérables que  dans  certains  dialectes  du  continent,  il  serait  exagéré 
de  dire  avec  M.  Meyer-Lïibke  que  le  type  u  n'a  pas  eu  une  grande 
extension  en  Angleterre. 

Le  radical  des  participes  faibles. 

Nous  n'avons  que  fort  peu  de  choses  à  signaler  sur  ce  sujet  ;  les 
formes  qui,  comme  liveré,  présentent  un  e  svarabhaktique  ne 
peuvent  être  citées  que  pour  mémoire,  cet  e  n'étant  spécial  ni  au 
participe  passé,  ni  même  au  verbe. 

Il  est  plus  important  et  plus  à  propos  de  signaler  un  certain 
nombre  de  verbes  qui  montrent  indûment  une  consonne  mouillée 
au  radical.  Ordonner,  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  xiv^  siècle, 
ou  même  un  peu  plus  tard,  prend  la  forme  ordeigné  ;  on  trouve  des 
exemples  de  cette  forme  dans  les  derniers  textes  de  la  littérature 
anglo-française,  mais  ils  pourraient  être  attribués  aux  scribes.  La 
même  incertitude  n'existe  pas  pour  les  nombreux  exemples  des  Sta- 
tutes (par  exemple  1377,  II,  n,  et  passim)  ;  pour  ceux  des  Rymer's 
Foedera  (1379,  VII,  219,  etc.). 

Les  autres  verbes  qui  subissent  cette  modification  sont  rares  ; 
nous  avons  relevé  iraigiie:(  de  traîner  dans  the  Blacke  Booke  of  the 
Admiralty  (1385,  I,  453).  iVucun  exemple  de  l'introduction  d'une 
lettre  mouillée  ne  se  rencontre  dans  les  participes  en  i  ou  en  u. 

Nous  n'avons  du  reste  observé  qu'un  tout  petit  nombre  de  chan- 
gements et  tous  insignifiants  dans  les  radicaux  des  participes  en  /  ; 
nous  avons  déjà  cité  enparolys  où  le  radical  des  personnes  fortes  a 
passé  à  une  forme  faible. 

Remarquons  que  l'hiatus  est  conservé  au  moyen  d'une  h  dans 
obebi  qui  se  lit  dans  Rymer(r392,  Vil,  728). 

Le  radical  des  participes  passés  en  u  ne  nous  offre  que  quelques 
particularités  de  peu  d'importance  ;  signalons  simplement  d'abord 
l'introduction  d'une  consonne  parasite,  dans  recevii  (lire  recew), 
dans  les  Traités  de  Rymer  (1297,  II,  788);  deiib::^  (id.,  1394,  VII, 


492  L  EVOLUTION    DU    VH RBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

772)  ;  surtout  dans  heit  où  17;  du  verbe  latin  reparaît  ;  cette  forme 
est  fréquente  (cf.  Rymer,  1337,  IV,  777;  et  les  Year  Books  22 
Edw,  I",  371,  421  ;  31  Edw.  I",  297;  33  et  35  Edw.  I",  53). 

La  voyelle  du  radical  est  quelquefois  modifiée,  comme  tanti  de 
tenir,  forme  isolée  et  sans  importance  (Documents  Inédits,  1 3 10,  34). 
Des  modifications  analogues,  mais  beaucoup  plus  importantes, 
peuvent  se  remarquer  au  participe  passé  du  verbe  choir. 

Aucun  participe  ne  présente,  nous  semble-t-il,  une  aussi  grande 
variété  de  formes  que  celui-là  :  nous  allons  en  citer  quelques-unes 
sans  prétendre  les  citer  toutes. 

Chaii  se  rencontre  dès  le  xii^  siècle,  ou  au  commencement  du 
siècle  suivant,  car  la  voyelle  du  radical  peut  être  attribuée  au 
scribe  :  Gaimar  l'emploie  à  la  rime  du  vers  4037,  on  la  trouve 
encore  telle  quelle  au  vers  3135  de  Horn,  et  elle  se  rencontre  assez 
communément  au  xiii^  siècle  et  même  au  xiV  (cf.  Infinitif 
chaeir^  chaer). 

Pendant  ce  dernier  siècle  cependant  les  variations  sont  assez 
nombreuses  :  citons  les  formes  qui  présentent  un  double  n  comme 
chauiie,  dans  l'Apocalypse  (a,  1029),  ou  mu  charnu  (id.,  ibid).  Très 
fréquemment  une  voyelle  de  liaison  peut  s'introduire  entre  la 
voyelle  du  radical  et  celle  de  la  terminaison,  tantôt  e  comme  chaeue, 
dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  292,  19),  plus  souvent  /  comme  chaiu 
au  vers  91  de  l'Apocalypse  (a). 

Avec  le  thème  en  e,  nous  trouvons  des  formes  encore  plus  dif- 
férentes :  cheiï^sç.  lit  au  vers  3300  du  Prince  Noir;  dans  le  Saint 
Edmund,  on  trouve  au  vers  45  la  forme  ceiie,  due  à  l'auteur  ou  au 
scribe. 

Un  w  peut  prendre  la  place  de  la  voyelle  u:  cewe  se  lit  dans  l'Apo- 
calypse (3,  785).  Comme  pour  les  thèmes  en  a,  il  est  assez  fréquent 
de  voir  une  voyelle  parasite  s'introduire  entre  le  radical  et  la  ter- 
minaison, ainsi  dans  cheiii,  Apocalypse  (v,  785). 

La  variété  des  formes  que  peut  prendre  le  participe  passé  en  u 
de  choir  est  donc  très  grande  et  le  rapport  entre  certaines  de  ces 
formes,  chaiu  par  exemple  et  cewe,  n'est  pas  immédiatement  appa- 
rent. 


Les  participes  493 

d)  Participes  en  //  corr^pondant  aux  prétérits  en  ni. 

I.  Synérèse  et  diérèse. 

Les  participes  qui  correspondent  aux  trois  premières  classes  des 
prétérits  en  ni  (prétérits  forts  avec  a,  0,  e  au  radical)  présentent  à 
l'origine  un  hiatus  entre  la  voyelle  finale  du  radical  et  Vu  de  la  ter- 
minaison. 

Cette  voyelle  en  ancien  français  s'est  amuïe  plus  ou  moins  rapi- 
dement, pour  aboutir  aux  formes  modernes  eu,  dû,  reçu. 

En  anglo-français,  le  même  phénomène  a  eu  lieu,  et  ce  sont  les 
progrès  de  la  synérèse  que  nous  allons  étudier  maintenant. 

La  voyelle  du  thème.  —  La  voyelle  du  thème  est  régulièrement  0 
pour  la  première  classe  et  pour  la  seconde,  e  pour  la  troisième. 

Ces  deux  voyelles  prennent  souvent  la  place  l'une  de  l'autre,  0 
passant  quelquefois  à  la  troisième  classe,  et  beaucoup  plus  souvent 
e  prenant,  conformément  aux  lois  phoniques,  dans  la  première  et  la 
seconde,  la  place  de  la  voyelle  étymologique. 

Mais  les  gains  de  la  voyelle  0  n'ont  eu  que  peu  de  durée  et  restent 
en  somme  exceptionnels  tandis  que  e  était  destiné  à  devenir  géné- 
ral. 

Les  verbes  de  la  troisième  classe  ne  se  trouvent  dans  nos 
premiers  auteurs  que  très  rarement  terminés  par  ou  au  lieu  de  eu  : 
toutefois  on  trouve  à  citer  des  exemples  de  la  terminaison  de  ou 
pour  tous  les  verbes.  Dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  on  a,  au  vers 
1 178,  recoiid,  tandis  que  la  forme  en  eu  du  même  verbe  se  trouve  par 
exemple  dans  le  même  poème  au  vers  103  et  passim,  au  vers  3072 
du  Bestiaire  ;  dans  le  Psautier  d'Oxford  (50,  6).  De  même  cunoiit 
se  lit  dans  le  Cumpoz  (au  vers  965),  tandis  que  la  forme  correcte 
se  rencontre  très  communément  dans  les  Psautiers  d'Oxford  (9, 
17),  de  Cambridge  (31,  5);  dans  le  Tristan  de  Thomas  (vers 
2174);  dans  le  Drame  d'Adam  (84e),  etc. 

Voir  se  présente  aussi  avec  un  radical  en  0  comme  dans  vont 
(  :  asout)  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  au  vers  371  ;  mais  cet 
exemple  est  isolé,  ou  à  peu  près,  au  moins  à  cette  époque,  alors  que 
les  exemples  où  on  trouve  e  sont  extrêmement  nombreux  (cî.  Bes- 


494  l'évolution   du  verbh  en  anglo-français 

tiaire,  194;  Gaimar,  282,  1447  ;  Adgar,  II,  no;  XL,  457  etc.), 
car  on  trouve  plusieurs  fois  dans  chaque  auteur  des  exemples  de 
la  forme  régulière. 

Il  y  a  quelques  verbes  de  cette  classe  qui  ne  se  trouvent  jamais 
avec  la  voyelle  0  :  croire,  crestre,  gésir  ne  font  jamais  croiï  ni  joii. 
Comme  on  le  voit,  l'anglo-français  du  xii"^  siècle  n'ignore  pas  abso- 
lument le  groupe  ou  pour  les  verbes  de  la  troisième  classe,  mais  il 
ne  l'emploie  qu'assez  rarement  et  seulement  pour  certains  verbes. 

Il  n'en  est  pas  ainsi  pour  la  voyelle  e  dans  les  deux  premières 
classes;  on  sait  du  reste  que  cette  voyelle  était  destinée  à  remplacer 
Vo  dans  tous  les  cas  où  0  était  étymologique  ;  cette  substitution  ne 
s'est  accomplie  que  progressivement  en  anglo-français.  Nous  ne 
voyons  pas  dans  nos  textes  le  moment  où  Ve  analogique  a  com- 
mencé à  s'introduire  ;  les  premiers  auteurs  que  nous  pouvons  étudier 
nous  montrent  les  deux  formes  employées  concurremment.  La 
seule  chose  que  nous  puissions  faire,  c'est  de  suivre  pour  chaque 
verbe  les  progrès  de  Ve.  Il  est  impossible  de  faire  pour  cette  question 
la  part  du  scribe  et  celle  de  l'auteur  ;  mais  il  est  assez  peu  vraisem- 
blable que  les  scribes  aient  introduit  Vo  étymologique  dans  des 
formes  qui  auraient  déjà  pris  1'^  analogique  ;  et  si  nous  pouvons 
admettre  à  la  rigueur  que  cela  se  soit  produit  dans  quelques  cas, 
nous  ne  pourrons  plus  le  croire  si  nous  trouvons  un  nombre 
d'exemples  assez  considérable  dans  plusieurs  auteurs  de  la  même 
époque.  Nous  obtiendrons,  si  nous  fixons  la  date  à  laquelle  0  aura 
cessé  d'être  employé  au  moment  où  les  exemples  de  cet  0  devien- 
dront soit  rares,  soit  limités  à  un  auteur,  un  terminus  post  quem 
suffisamment  précis. 

Tous  les  ouvrages  qui  ont  précédé  les  Psautiers,  et  les  Psautiers 
eux-mêmes,  nous  montrent  fréquemment  la  forme  ou  ;  on  la  trouve 
pour  avoir,  dans  le  Cumpoz  (vers  3403),  dans  le  Brandan  (vers 
468),  dans  le  Psautier  d'Oxford  (77,  41),  etc.  Pou  se  rencontre  de 
même  dans  le  Brandan  (au  vers  95),  dans  les  Psautiers  d'Oxford  et 
de  Cambridge  (36,  5);  le  participe  de  plaire  est  ploiï  dans  le  Psautier 
d'Oxford  (118,  108);  tout,  de  taire,  est  employé  dans  les  Psautiers 
d'Oxford  et  de  Cambridge  (respectivement  48,  10,  et  48,  20);  mou 
se  lit  dans  le  Psautier  d'Oxford  (14,  7)  et  dans  celui  de  Cambridge 

(81,  5)- 

Jusqu'à  cette  époque,  tous  les  auteurs  que  nous  venons  de  citer 


LES    PARTICIPES  495 

semblent  employer  régulièrement  cette  forme  ;  aussitôt  après  eux, 
elle  devient  plus  rare.  La  forme  en  ou  se  trouve  encore  dans  Horn 
qui,  au  vers  4001,  nous  donne  vioïi,  etc.,  et  dans  la  Vie  de  Sainte 
Catherine,  de  Sœur  Clémence  de  Barking  (oiie  au  vers  479).  Cepen- 
dant dans  les  différents  mss.  de  Gaimar,  de  Thomas,  d'Adgar,  de 
Fantosme,  cette  voyelle  ne  se  rencontre  jamais  ou  elle  est  sporadique. 
Ainsi  la  forme  en  eu  du  participe  de  pouvoir,  d'avoir,  etc.,  se  trouve 
seule  dans  Gaimar  et  Thomas  ;  pour  taire,  Horn  lui-même  emploie 
/m:^  (4098). 

On  peut  donc  conclure  que  la  forme  en  on  dans  les  participes 
des  deux  premières  classes  a  été  d'un  usage  assez  général  en  anglo- 
français  jusqu'aux  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cambridge  ;  il  est  même 
fort  possible  que  cette  forme  ait  été  la  forme  prédominante  pour 
ces  verbes  jusqu'à  cette  époque  ;  les  textes  tels  que  nous  les  avons 
ne  le  montrent  pas,  mais  nous  avons  à  faire  la  part  des  scribes  qui 
ont  dû  bien  souvent  remplacer  la  forme  ancienne  en  ou  par  la  forme 
nouvelle.  Après  les  Psautiers,  il  est  hors  de  doute  que  la  vieille 
forme  a  persisté  pendant  quelque  temps  encore;  mais  la  forme 
analogique  l'a  sans  doute  remplacée  assez  rapidement;  il  est  pro- 
bable que  la  diphtongue  ou  a  été  fréquente  au  moins  jusqu'à  Horn. 
Après  celui-ci  elle  devient  sporadique. 

Remarquons  que  certains  verbes  comme  savoir  et  boire,  appar- 
tenant à  l'une  des  deux  premières  classes,  ne  se  montrent  jamais 
avec  0  au  participe  passé. 

2.  Synérèse. 

La  voyelle  qui  se  trouve  en  hiatus  (que  ce  soit  e  ou  0)  devant 
1'//  de  la  terminaison  devait  disparaître  devant  cette  dernière.  Il  est 
important  de  savoir  jusqu'à  quelle  époque  elle  s'est  maintenue,  et 
pour  cette  question  nous  aurons  à  tenir  compte  des  xiii^  et 
xiV^  siècles  aussi  bien  que  du  xii*"  ;  dans  cette  étude  nous  ne  pour- 
rons évidemment  nous  servir  que  des  ouvrages  en  vers,  et  parmi 
ceux-ci,  il  y  a  plusieurs  poèmes  qui,  à  cause  de  l'irrégularité  de  leur 
versification,  ne  pourront  nous  être  d'aucun  secours. 

Nous  allons  examiner  successivement  les  différents  verbes  qui 
composent  la  première  classe,  c'est-à-dire  ceux  qui  ont  a  au  radical, 
plus  le  verbe  pouvoir. 


49^  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

première  classe 

a)  Avoir.  —  Au  xii*"  et  au  xiii^  siècle,  la  diérèse  est  la  règle  ;  les 
exemples  pour  ces  deux  siècles  sont  trop  nombreux  pour  que  nous 
tentions  de  les  citer  tous  ;  nous  pouvons  tout  au  moins  en  donner 
quelques-uns  que  nous  tirerons  des  principaux  auteurs  :  le  Cumpoz 
(vers  3403,  etc.),  le  Voyage  de  Saint  Brandan(vers  468,  etc.),  l'Es- 
torie  des  Engleis  (vers  633,  etc.),  les  Légendes  de  Marie  (VI,  2, 
292,  etc.),  le  Tristan  de  Thomas  (vers  178,  etc.),  la  Folie  Tristan 
(vers  768,  etc.),  la  Vie  de  Sainte  Catherine  (vers  479,  671,  1495), 
la  Chronique  de  Fantosme  (vers  1663,  204,  etc.),  le  Saint  Gilles 
(vers  207,  etc.).  Horn  (vers  1 164,  3140,  etc.)  nous  en  donnent  des 
exemples  très  nombreux  ;  les  auteurs  qui  les  suivent  en  ont  certai- 
nement moins  d'assurés,  et  nous  citerons  pour  les  principaux  tous 
les  cas  de  diérèse  que  nous  avons  relevés. 

Dans  Chardri,  la  forme  étymologique  et  régulière  se  trouve  dans 
Josaphat  aux  vers  86  et  308;  dans  les  Set  Dormans  au  vers  567  ; 
le  vers  37  du  Saint  Laurent  en  contient  un  exemple  qui  n'est  pas 
douteux.  Ceux  que  l'on  peut  relever  dans  Robert  de  Gretham  sont 
plus  rares  ;  citons  le  vers  suivant  qu'on  trouve  au  folio  69  r°  : 

Si  grant  désir  pas  n'out  eu. 

Le  poème  sur  Saint  Edmund  en  a  davantage,  comme  aux  vers 
1558  et  1993  '■>  ^^  Saint  Auban  en  a  au  moins  un  d'assuré  (au  vers 
866);  peut-être  aussi  au  vers  1396  que  nous  citons  : 

Ke  il  avant  urent  despit  eu, 

(vers  de  10  syllabes  sans  élision  de  1'^  de  ke). 

Nous  en  trouvons  encore  dans  Sardenai  (au  vers  400),  dans 
Aspremont  (au  vers  i),  dans- Sainte  Madeleine  (au  vers  16). 

A  partir  de  cette  époque,  et  pendant  tout  le  xrv^  siècle,  la 
question  devient  de  plus  en  plus  délicate,  presque  impossible  à 
résoudre. 

Dans  son  édition  des  Contes  (en  prose)  de  Bozon,  M.  Meyer 
semble  admettre  que  la  diérèse  se  •  maintient  régulièrement,  et  il 
marque  partout  Vu  d'un  tréma;  cela  ne  nous  semble  pas  si  sûr.  Les 
seuls  exemples  assez  bien  assurés  de  diérèse  que  nous  ayons  relevés 
pour  avoir  dans  les  poèmes  du  xlv=  siècle  se  trouvent  aux  vers 
1900,  2176  du  Prince  Noir  : 


I 


LES    PARTICIPES  497 

Que  nous  avons  eu  vertu        1900; 
Si  bon  congié  eussent  eu        2176  ; 

dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (tous  assez  douteux)  (cf. 
Il,  178,  18  ;  II,  276,  12;  i^^  App.,  II,  402,  12). 

Si  nous  passons  maintenant  aux  cas  qui  nous  montrent  la  dispa- 
rition de  la  voyelle  en  hiatus,  nous  verrons  tout  d'abord  que  la 
synérèse  est  rare  pour  avoir  au  xii^  siècle  ;  on  en  trouve  cependant 
quelques  exemples;  mais  ils  sont  discutables  :  par  exemple  celui 
qu'on  lit  au  vers  565  de  Jordan  Fantosme  : 

L'aveit  eu  sa  guarde,  mes  il  nel  pot  guarder, 

pourrait  facilement  se  corriger  en  :  L'ot  eu. 
Celui  d'Adgar,  XIII,  184: 

Puis  as  eu  doluruse  entente... 

est  peut-être  simplement  un  vers  faux,  ce  qui  n'aurait  rien  pour 
nous  surprendre,  ou  pourrait  se  lire  en  supprimant  le  puis . 

En  tous  cas,  les  forrnes  analogues  aux  précédentes  sont  très  rares, 
même  entre  iiéo  et  1200. 

Ce  n'est  que  plus  tard  que,  les  exemples  devenant  plus  fréquents 

et  moins  douteux,  l'on  n'a  aucune  difficulté  à  admettre  la  synérèse: 

dans  le  vers  suivant  de  Chardri,  il  est  extrêmement  probable  qu'elle 

a  eu  lieu  : 

Dunt  il  out  eu  si  grant  pour . . .       Josaphat,  2 1 1 3 . 

(rime  en  ur). 
Pour  Saint  Auban  aucun  doute  n'est  plus  permis  : 

Par  qui  nos  deus  unt  eu  damage  e  desturber.  44 
Ki grant  chalur  ceu  jure  grarx  sei  i  unt  eu.  857 
K'a  vostre  cumpainnie  dunt  tant  ai  eu  désir.     1227 

L'on  trouve  encore  des  cas  de  synérèse  pour  avoir  dans  l'Apoca- 
lypse et  dans  Pierre  de  Langtoft  (cf.  II,  27e,  5  i  2^  Appendice 
(Bozon),  II,  426,  13).  La  Vie  de  Saint  Richard  de  Nicole  Bozon 
en  offre  aussi  un  exemple  (3 13)  : 

En  l'espérance  k'aveint  einz  eu. 

b)  Pouvoir  et  pestre.  —  Au  xii^  siècle,  on  trouve   pour  ces  deux 
verbes  un  assez  grand  nombre  de  cas  de  diérèse,  comme  dans  le 

32 


49^  l'évolution  du  vkrbe  en  anglo-français 

Brandan  (au  vers  95),  dans  le  Bestiaire  (au  vers  604),  dans  le 
Tristan  de  Thomas  (au  vers  3005),  dans  Guischart  de  Beauliu  (au 
vers  1131)'.  plus  tard  on  peut  encore  relever  des  exemples  dissylla- 
biques dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (aux  vers  302,  1458),  dans  les 
Dialogues  Saint  Grégoire  (au  folio  141  r°),  dans  Robert  de  Gretham 
au  folio  85  r°  : 

Ert  pcùe  turbe  si  grande . 

"Dans  le  Saint  Auban,  au  vers  1391,  nousavonsun  exemple  assez 
douteux  de  diérèse. 

Nous  n'avons  rencontré  au  xh"  et  au  xiii'^  siècle  aucun  exemple 
de  forme  présentant  la  synérèse.  Ce  n'est  qu'au  xW  siècle  que 
nous  en  avons  relevé  quelques  cas  ;  aucun  ne  nous  a  semblé  très 
sûr. 

c)  Savoir.  —  La  forme  dissyllabique  est  la  seule  employée  au 
xii^  siècle  et  la  plus  commune  au  xii^ .  Nous  trouvons  pour  ce 
participe  passé  de  nombreux  exemples  dont  voici  les  principaux  : 
Brandan,  192;  Gaimar,  4626  ;  Adgar,  XL,  439;  Thomas,  2138; 
Havelok,  137  ;  Fantosme,  1856;  Horn,  1204;  Chardri,  Set  Dor- 
mans,  1817;  Petite  Philosophie,  29;  Saint  Auban,  82;  Plainte 
d'Amour,  158  (Hai-léien);  Satire  sur  le  Siècle,  81  r",  85  r°  ;  Wil- 
liam de  Waddington,  185 1,  2230. 

Les  synérèses  sont  beaucoup  moins  nombreuses  ;  comme  nous 
l'avons  déjà  dit,  on  n'en  trouve  aucune  au  xii*^  siècle  ;  au  xiii^  siècle, 
elles  sont  encore  assez  rares:  on  peut  en  citer  un  exemple  dans 
Saint  Auban,  d'après  M.  Suchier (Ueber  die...,  p.  28). 

Seu  monosyllabique  se  trouve  encore  dans  le  Saint  Edmund 
(vers  1558);  dans  la  Genèse  Notre-Dame  (75  r°)  ;  dans  William  de 
Waddington  (i  1 5 1);  dans  Pierre  de  Langtoft,  nous  avons  rencontré 
deux  exemples  très  douteux. 

d)  Taire.  —  Le  participe  passé  de  taire  ne  se  rencontre  que  rarement  ; 
nous  trouvons  de  ce  participe  quelques  exemples  dissyllabiques  au 
xii^  siècle,  comme  aux  vers  936  et  1006  de  la  Vie  de  Sainte  Cathe- 
rine; au  vers  4098  de  Horn;  dans  Sardenai,  2^  addition,  vers  11  ; 
dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (I,  140,  12). 

Nous  n'avons  rencontré  aucun  exemple  de  ce  participe  sous  la 
forme  monosyllabique. 


LES    PARTICIPES  499 


CONCLUSION    SUR    LES    PARTICIPES   EN    U    DE    LA    PREMIERE   CLASSE 

La  conclusion  que  cette  étude  sommaire  des  différents  participes 
de  cette  classe  nous  permet  de  tirer,  c'est  que  la  synérèse  n'est  pas 
inconnue  même  au  xii''  siècle,  mais  que  ses  progrès  ont  été  très 
lents.  Elle  a  atteint  tout  d'abord  le  verbe  qui  se  trouvait  par  sa 
nature  autant  que  par  sa  signification,  le  plus  communément 
employé  :  le  participe  passé  d'avoir. 

La  forme  monosyllabique  eu  a  pu  être  employée  au  xii^  siècle  et 
l'a  certainement  été  au  XIII^  Les  autres  participes  n'ont  été  gagnés 
par  l'analogie  que  dans  les  derniers  temps  de  la  littérature  anglo- 
française,  et  certains  auteurs  soigneux,  même  au  xiv'' siècle,  ont  évité 
d'employer  les  formes  à  synérèse. 

DEUXIÈME  CLASSE 

La  deuxième  classe  comprend  les  verbes  dont  le  thème  est  terminé 
par  0,  ou  par  e,  i  d'après  une  labiale  ;  les  participes  passés  de  cette 
classe  sont  très  peu  nombreux,  un  seul  étant  employé  fréquem- 
ment. 

a)  Mouvoir.  —  Les  exemples  de  mou  dissyllabique  sont  très  com- 
muns au  xii^  siècle  ;  on  trouve  en  effet  ce  participe  passé  au  vers  191 
du  Saint  Brandan,  dans  Adgar  (IX,  55),  dans  la  Vie  de  Sainte 
Catherine  (au  vers  1860)  ;  puis  dans  Jordan  Fantosme  (718)  ;  au 
vers  4001  du  ms.  C  de  Horn.  Frère  Angier  emploie  assez  souvent 
la  forme  avec  diérèse,  par  exemple  au  vers  317  de  la  Vie  de  Saint 
Grégoire,  et  dans  les  Dialogues  (aux  folios  13  v°  b,  77  v°  a,  120 
V  b).  Il  en  est  de  même  pour  Chardri  :  meû  se  trouve  souvent 
dans  Josaphat  (vers  532,  2079,  2088,  2650),  dans  les  Set  Dormans 
(vers  1466,  1508);  on  trouve  encore  ce  participe  dissyllabique  au 
vers  217  du  Saint  Laurent,  au  vers  867  du  Saint  Auban  et  proba- 
blement au  vers  73  du  même  poème  : 

De  ses  diz  est  a  merveilles  meûz, 
qui  est  vraisemblablement  un  vers  de  dix  syllabes. 


500  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE   EN    ANGLO-FRANÇAIS 

On  peut  encore  citer  un  cas  de  participe  passé  sous  la  forme 
dissyllabique  au  vers  189  de  Sardenai  ;  nous  en  avons  encore  un 
autre  plus  tardif,  mais  très  sûr,  dans  les  Vies  de  Saints  de  Bozon,  au 
folio  104  v°  : 

Dunt  les  paens  sunt  esmeù, 

et  au  vers  242  de  la  Vie  de  Saint  Paul  l'Ermite  : 
Ke  le  corps  ne  se  est  meù  ; 

et  deux  autres  dans  le  Prince  Noir,  aux  vers  2587,  3158  : 

Adonques  est  li  host  esmeùe  ; 
Qui  moult  ont  le  coer  esmoù. 

Nous  en  avons  peut-être  deux  cas  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  30, 
3  ;  II,  276,  14). 

Le  nombre  des  synérèses  est  fort  loin  d'atteindre  celui  des  dié- 
rèses ;  le  xii^  siècle  n'en  connaît  aucune,  sauf  peut-être  dans  Horn  ; 
nous  avons  dans  ce  poème  un  exemple  fort  discutable.  De  même  au 
xiii^  siècle,  les  exemples  qu'on  en  peut  citer  sont  assez  douteux. 
M.  Suchier  (op.  cit.,  p.  27)  en  a  rencontré  dans  le  Saint  Auban  un 
exemple  que  nous  n'avons  pas  retrouvé. 

Dans  le  Petit  Plet  de  Chardri,  Koch,  au  vers  678,  a  adopté  une 
leçon  (celle  du  ms.  L)  qui  introduit  une  synérèse  ; 

M'est  avis,  de  poi  estes  esmeu. 

Mais  si  nous  consultons  les  deux  autres  mss.,  qui  appartiennent 
à  deux  familles  différentes,  nous  trouvons  la  leçon  qui  rétablit  le 
vers  tout  en  respectant  la  diérèse  dans  le  participe  passé.  Les  autres 
mss.  en  effet  ont  tous  les  deux  un  monosyllabe  avant  de  poi  ;  O  a 
Mes  de  poi  estes  enmu;  V  porte  Mut  de  poi  est  mu.  Le  texte  est  facile 
à  reconstituer  ;  c'est,  soit  :  Mes  de  poi  estes  esmeû  ;  soit  :  Mut  de 
poi  estes  esmeù. 

De  cette  façon  le  vers  est  juste  et  l'on  voit  aisément  comment 
les  mauvaises  leçons  ont  pu  se  produire.  De  plus  la  diérèse  est 
rétablie. 

Au  xiv^  siècle,  la  synérèse  doit  se  trouver,  semble-t-il,  plus  sou- 
vent, quoique  nous  ne  puissions  citer  aucun  exemple  très  assuré. 


LES   PARTICIPES  50I 

Nous  en  avons  peut-être  deux  dans  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft  (esmu,  I,  398,  19  ;  I,  166,  10). 

h)  Boire. — Le  participe  passé  de  boire  se  rencontre  au  xii^  siècle, 
surtout  sous  sa  forme  dissyllabique  beii.  C'est  ainsi  que  l'emploient  la 
plupart  des  écrivains  de  cette  époque.  Nous  trouvons  dans  presque 
tous  leurs  ouvrages  des  exemples  aussi  assurés  'que  possible  de  dié- 
rèse. Gaimar  en  a  un  cas  au  vers  3707,  Adgar  au  vers  IV,  9,  Tho- 
mas au  vers  2498,  Jordan  Fantosme  au  vers  2004,  Guillaume  de 
Berneville  au  vers  1478,  Sœur  Clémence  de  Barking  au  vers  1506, 
Guischart  de  Beauliu  au  vers  1388.  Dans  l'Ipomédon,  nous  en  ren- 
controns un  autre  qui  disparaît  à  tort  dans  la  leçon  choisie  par  les 
éditeurs  ;  ils  impriment  (vers  227)  : 

Ni  ad  gueres  mange  ne  beu, 

alors  que  la  leçon  donnée  par  B  rétablit  la  forme  régulière  :  N'out 
gueres... 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  citer  tous  les  exemples  de  la  forme 
beiï  que  nous  avons  relevés  et  nous  nous  contenterons  de  quelques 
références.  On  la  trouve  dans  le  Saint  Laurent  (au  vers  166), 
dans  le  Saint  Auban  (aux  vers  89,  858),  dans  l'Ordre  de  Bel  Eyse 
(au  vers  102). 

C'est  le  dernier  exemple  assuré  de  diérèse  que  nous  ayons  ren- 
contré. 

Mais  pour  ce  verbe  les  synérèses  ne  sont  pas  rares  et  elles  appa- 
raissent assez  tôt  :  la  première  que  nous  ayons  relevée  se  lit  dans 
Jordan  Fantosme,   au  vers  1953. 

Il  n'ot  beu  ne  mangié  trois  jorz  de  la  semaine, 

Robert  de  Gretham  en  a  lui-même  un  autre  au  folio  25  r°  ;  et  le 
Poème  du  Prince  Noir  (vers  3653)  fait  la  synérèse  dans  le  seul 
exemple  qu'il  nous  offre  : 

Qui  nad  beu  et  mangez  assetz. 

c)  Devoir.  —  Pour  ce  verbe  nous  n'avons  qu'un  nombre  infime 
d'exemples  et  ils  paraissent  tous  dissyllabiques. 

CONCLUSION  SUR  LES  PARTICIPES  EN  U  DE  LA  DEUXIEME  CLASSE 

La  deuxième   classe   est  donc    à  peine  plus  irrégulière  que   la 


502  L  HVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

première  ;  on  rencontre  quelques  exemples  de  synérèse  au  xii'^  siècle, 
assurés  pour  boire,  douteux  pour  mouvoir,  mais  pendant  tout  ce 
siècle  et  le  siècle  suivant,  autant  que  nous  pouvons  en  juger,  les 
formes  à  diérèse  et  celles  à  synérèse  se  balancent  encore  ;  tout  au 
moins^  on  peut  affirmer  qu'on  trouve  des  exemples  des  deux.  Les 
formes  de  mouvoir,  spécialement,  semblent  s'être  très  bien  conser- 
vées '. 

TROISIÈME   CLASSE 

Les  verbes  qui  composent  cette  classe  sont  beaucoup  plus  nom- 
breux et  se  rencontrent  plus  fréquemment  au  participe  passé  ;  nous 
aurons  donc  à  nous  prononcer  sur  un  nombre  plus  considérable  de 
formes.  Nous  étudierons  successivement  les  verbes  en  cevoir,  con- 
naître, croître,  croire,  gésir  et  voir. 

a)  Verbes  en  cevoir.  —  Ces  verbes  qui  sont  en  si  grand  usage  nous 
fournissent  un  très  grand  nombre  d'exemples  ;  au  xii^  siècle,  ils 
ont  presque  tous  la  diérèse,  et  on  en  trouve  dans  tous  les  auteurs 
ou  à  peu  près-. 

Nous  n'en  trouvons  guère  moins  pendant  tout  le  cours  du 
xiii^  siècle,  aussi  nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  les  nombreuses 
formes  qui  pendant  la  première  moitié  de  ce  siècle  nous  montrent 
que  la  diérèse  régulière  subsiste'. 

1.  Si  nous  n'avions  pas  voulu  limiter  aux  seuls  auteurs  en  vers  l'étude  que  nous 
faisons  maintenant,  nous  aurions  pu  citer  ici  l'exemple  du  Psautier  d'Arundel  : 
cotnnme  (17,  8),  féminin  qui  montre  bien  que  la  synérèse  s'est  effectuée.  Esinue, 
féminin,  se  trouve  aussi  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  17,  11).  Ces 
exemples,  de  même  que  les  formes  qui  nous  proviennent  des  scribes,  nous 
montrent  que  les  auteurs  peu  soigneux  faisaient  disparaître  l'hiatus  dans  ce  parti- 
cipe passé  au  commencement  du  quatrième  quart  du  xii^  siècle. 

2.  Voici  quelques  références,  elles  n'ont  pas  la  prétention  d'être  complètes  : 
Voyage  de  Saint  Brandan,  103,  1178  ;  Bestiaire,  3072  ;  Estorie  des  Engleis,  5410; 
Légendes  de  Marie,  XVII,  71  ;  Tristan  de  Thomas,  928  ;  Chronique  de  Fan- 
tosme,  1112;  Vie  de  Saint  Gilles,  1686;  Horn,  1683;  Sermon  de  Guischart  de 
Beaiuliu,  1397,   1638. 

3.  Citons  les  références  de  quelques  exemples  que  nous  avons  rencontrés  dans 
les  poèmes  delà  première  moitié  du  xiii^  siècle  :  Vie  de  Saint  Grégoire,  1765, 
1949;  Dialogues  Saint  Grégoire,  23  v"  a,  144  r»  b;  Chardri,  Josaphat,  220,  398, 
2434,  2626  ;  Set  Dormans,  1160,  181 1  ;  Petit  Plet,  1274  ;  Saint  Edmund,  696  ; 
Saint  Julien,  73  vo,  77  r"  ;  Sardenai,  190;  Aspremont.  267. 


LES    PARTICIPES  5O3 

Nous  passerons  immédiatement  à  la  seconde  moitié,  car  h  cette 
époque  a  priori  les  exemples  doivent  être  plus  douteux. 

Nous  rencontrons  dans  la  Vie  de  Saint  Auban  un  bon  nombre 
d'exemples  qui  ne  peuvent  nous  laisser  aucun  doute  ;  aux  vers  72, 
92,  800,  la  diérèse  est  assurée  : 

Ki  est  en  sun  ostel  entrez  e  receùz  ; 
Trop  i  es  enganez,  trop  i  es  deceù  ; 
De  decoler  Auban  receù  du  tirant. 

D'autres  le  sont  moins,  quoiqu'il  soit  au  moins  probable  que 
riiiatus  est  conservé  dans  les  vers  qui  suivent  (76,  879)  : 

De  veisins  u  serganz  oï  ne  aperceu  ; 

(lire  ici  :  n'aperceû). 

Li  mescreant  en  beivent,  as  mains  l'un  receû  ' . 

Dans  le  Sermun  en  vers  Deu  le  Omnipotent,  nous  sommes  assu- 
rés de  la  présence  d'aii  moins  un  cas  d'hiatus  (9  d)  : 

Ke  ne  seit  deceù. 

Si  nous  poussons  nos  recherches  dans  les  auteurs  qui  suivent 
Saint  Auban,  nous  remarquerons  que  les  cas  de  diérèse  se  trouvent 
assez  rarement  et  que  plusieurs  semblent  rien  moins  que  sûrs. 
Dans  le  poème  de  Dermod  par  exemple  (vers  1711  et  2362),  nous 
avons  diérèse  ou  deux  vers  de  sept  syllabes,  ce  qui  est  extrêmement 
possible  : 

E  li  quens  ad  dune  receu 

Einz  quil  erent  aperceu. 

Nous  en  dirons  autant  des  exemples  que  nous  donne  le  Manuel 
des  Péchés  (cf.  vers  113  3),  mais  nous  accepterions  sans  trop  d'hé- 
sitation celui  que  nous  trouvons  au  vers  14  de  la  Vie  de  Sainte 
Madeleine. 

I .  Il  arrive  que  dans  le  Saint  Auban  la  svllabe  muette  ne  compte  pas  à  l'hé- 
mistiche; cf.  par  exemple  vers  849,  860,  871,872,  891,  892,  904,  905,  907,  etc. 
Le  contraire  a  lieu  aussi  ;  on  peut  voir  dans  les  deux  laisses  d'où  les  exemples 
pre^cédents sont  tirés  les  vers  :  848,  852,  856,  861,  863,  866,  901. 


504  l'évolution  du  verbf.  en  anglo-françals 

Ajoutons-y  quelques  exemples  que  nous  avons  relevés  dans  les 
textes  du  xiv^  siècle  :  le  poème  de  l'Apocalypse  en  a  au  moins  un 
exemple  :  aparceûi  (3 et  -■;,  583)  ;  ils  sont  un'peu''plus  nombreux  dans 
la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  {c(.  I,  28,  122  (C  et  D),  I,  246, 
5  ;  I>  384.  15  ;  I,  384.  16  ;I,  384,  21  ;  I,  460,  29;  II,  92,  18). 

Nous  n'en  avons  trouvé  qu'un  tout  petit  nombre  de  cas  dans  les 
Vies  de  Saints  de  Bozon,  comme  au  folio  104  v°,  et  dans  la  Vie  de 
Saint  Panuce  (au  vers  125)  : 

Kaunt  j'entendi  k'out  cuuceu. 

En  résumé,  les  formes  à  diérèse  n'ont  pas  encore  disparu  au 
commencement  du  xiv-"  siècle,  mais  elles  sont  devenues  rares  chez 
la  plupart  des  auteurs.   ' 

Les  cas  de  synérèse  ne  sont  pas  rares,  même  au  xii'  siècle  ;  ils 
sont  cependant  moins  nombreux  que  beaucoup  d'éditions  impri- 
mées pourraient  le  faire  croire.  Les  scribes,  à  partir  de  1275  envi- 
ron, se  sont  attachés  à  faire  disparaître  les  hiatus,  et  quelques-uns 
ont  même  parfois  pris  la  peine  d'ajouter  dans  le  vers  une  syllabe 
quelconque  pour  rétablir  la  mesure.  C'est  ainsi  que  le  scribe  du 
ms.  A  de  l'Ipomédon  écrit  : 

Si  mestres  l'ad  bien  aperceu, 

leçon  que  les  éditeurs  ont  eu  le  tort  d'accepter,  car  la  vraie   leçon 
est  donnée  par  B  qui  supprime  le  «  bien  ». 

Nous  passons  maintenant  aux  cas  assurés  de  synérèse,  qui  sont 
relativement  nombreux  ;  le  premier  que  nous  ayons  relevé  se  lit 
dans  Adgar  (VR,  110);  et  la  contraction  nous  semble  ici  aussi 
sûre  que  possible  : 

Kar  eus  ne  l'aveint  aparcu. 

Citons  encore,  dans  le  même  poème  (XII,  39)  : 

Li  altre  unt  ci  sanié  receu. 

Puis  on  en  trouve  un  autre  dans  Horn  (au  vers  4093)  (H); 
mais  cet  exemple  ne  nous  semble  pas  aussi  certain  que  les  précé- 
dents. 

En  la  presse  de  lagent  quil  nest  apparceuz. 


LES    PARTICIPES  505 

Et  pour  terminer  la  liste  des  exemples  que  nous  trouvons  à 
cette  époque,  nous  en  voyons  encore  un  autre  dans  Sœur  Clé- 
mence de  Barking  (au  vers  941),  qui  ne  fait  aucune  difficulté. 

Désormais  ces  cas  de  synérèse  vont  se  multiplier  ;  dans  les 
Dialogues  Grégoire,  Miss  Pope  en  relève  quatre  (20  r°a  ;  85  v°  b). 

Ils  sont  moins  nombreux  dans  Chardri  ;  il  n'y  en  a  qu'un  dans 
le  Josaphat  (au  vers  1124)  ;  mais  il  est  bien  caractérisé: 

Vus  en  purriezestre  deceu. 

Le  même  participe  se  trouve  avec  la  synérèse  dans  le  Saint 
Julien  (aux  folios  66  r°  et  79  r°)  : 

Il  est  trahiz,  il  est  deceu. 

Citons  encore  les  vers  739  et  1550  de  la  Vie  de  Saint  Edmund, 
vers  qui  contiennent  de  bons  exemples  de  synérèse  : 

Aveit  resceu  coniossium  ; 
E  le  reaime  aveit  receu. 

La  Lumière  as  Lais  au  vers  630,  le  Poème  Allégorique  au  vers 
148,  la  Plainte  d'Amour  (aux  vers  242,  526),  William  de  Wadding- 
ton'(au  vers  3288),  les^Heures  delà  Vierge(59  r°),nous  en  donnent 
encore  des  exemples  de  tous  points  analogues  aux  précédents  et  sur 
lesquels  il  serait  oiseux  d'insister. 

Les  exemples  ne  sont  évidemment  pas  rares  chez  les  auteurs  du 
siècle  suivant  ;  citons  quelques  références  pour  les  cas  de  synérèse 
que  nous  avons  trouvés  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  : 
I,  56,  16;  I,  136,  Il  ;  I,  240,  14;!,  398,24. 

Nous  en  avons  relevé  de  nombreux  cas  dans  les  Vies  de  Saints 
de  Nicole  Bozon  ;  pour  ne  pas  allonger  outre  mesure  nos  listes 
d'exemples,  nous  ne  donnerons  que  ceux  qui  se  lisent  dans  la  Vie 
de  Saint  Richard  (aux  vers  146,  216,  1276,  1441)  : 

Fu  née  de  mère  e  fu  conceu  ; 
Ou  seinte  vcillesce  receue  ; 
£  ses  frères  ke  Turent  receu  ; 
Apres  aparceu  ben  esteit. 

Par  conséquent,  pour  cette  catégorie  très  importante  de  parti- 


5o6  l'évolution  du  verbh  en  anglo-français 

cipes  pissés,  la  synérèse  a  commencé  à  se  foire  vers  1170;  elle  est 
devenue  très  commune  vers  1275,  et  la  règle  au  xiv^  siècle. 

b)  Connaître.  —  Nous  ne  citerons  aussi  pour  le  participe  passé 
du  verbe  connaître  qu'un  petit  nombre  des  exemples  que  l'on 
trouve  montrant  la  diérèse  :  la  plupart  de  nos  auteurs  du  xii^  siècle 
et  du  XIII''  en  ont  quelques-uns  :  par  exemple  Philippe  de  Thaun 
(Cumpoz,  au  vers  965);  Thomas  (au  vers  2174),  le  Drame 
d'Adam  (au  vers  8^6),  Horn  (au  vers  2337),  Havelok  (au  vers 
449),  Saint  Gilles  (au  vers  2663),  Guischart  de  Beauliu  (aux  vers 
1137,  1144,  1381),  Hue  de  Rotelande  (Ipomédon,  3174).  Les 
exemples,  tout  en  restant  assez  communs,  ne  sont  plus  aussi  fré- 
quents au  xiii=  siècle  ;  c'est  ainsi  que  dans  Chardri  nous  n'en  ren- 
controns que  deux  cas  :  le  premier  au  vers  1026  des  Set  Dormans, 

Ne  fust  degent,  ne  cuneù  ; 

l'autre  dans  le  Petit  Plet  au  vers  1628  : 

D'un  bon  ami  ben  cuneu. 

Dans  Saint  Auban  nous  lisons  (vers  22)  : 

N'i  out  plus  cuneûz,  ne  nus  plus  communal. 

Dans  Aspremont  (au  vers  3),  dans  Sainte  Madeleine  (au  vers  15), 
nous  retrouvons  encore  la  forme  à  diérèse. 

Signalons  l'exemple  assez  peu  sûr  que  nous  trouvons  dans  la 
Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (I,  384,  17),  et  ajoutons-y  encore 
deux  exemples  du  xiv^  siècle,  d'abord  dans  une  rubrique  d'Edward 
le  Confesseur  (XLVI,  6)  : 

Déguisez  e  descuneû, 

et  le  vers  du  Siège  de  Carlaverok,  page  54  : 

Car  conneiis  estoit  de  tous. 

Mais  pour  ce  verbe  encore  la  forme  à  synérèse  est  assez  com- 
mune. Dès  le  xii^  siècle,  nous  en  trouvons  des  cas  assurés  ;  voici 
par  exemple,  le  vers  que  nous  lisons  dans  les  Légendes  de  Marie, 
d'Adgar  (XXII,  25)  : 

Li  Engleis  i  furent  cuneu. 


LES    PARTICIPES  507 

Le  vers  suivant  se  trouve  dans  le  Tristan  de  Thomas  (vers 
3018): 

Que  pur  la  sue  l'ai  conue. 

Le  Saint  Gilles  nous  en  offre  aussi  un  exemple  (vers  766)  : 

Kar  il  se  crent  estre  conu . 
de  même  que  Horn  (vers  4489)  (C)  : 

Ki  des  soens  fud  mut  tost  e  oïd  e  conuz . 

On  trouve  dans  Frère  Angier  un  grand  nombre  de  cas  de  syné- 
rèse  cités  par  Miss  Pope  ;  on  peut  lire  au  vers  1724  de  la  Vie  de 
Saint  Grégoire,  et  aux  folios  21  v°  b,  114  r"  a,  pour  les  Dia- 
logues Grégoire,  des  exemples  de  conu  dissyllabique. 

Le  nombre  des  synérèses  est,  chez  Chardri  aussi,  plus  grand  que 
celui  des  diérèses  pour  le  verbe  qui  nous  occupe;  on  trouve  ainsi, 
dans  les  Set  Dormans  (506,  1354)  : 

Car  de  trestuz  cuneuz  esteit. 
Est  ben  cuneu  en  la  cite. 

Et  au  vers  1454  du  Petit  Plet  : 

Ke  ne  fu  conçue  sa  manere. 

Nous  trouvons  de  même  dans  Robert  de  Gretham  recuneu  au 
folio  32  r°  ;  cimii  au  folio  70  v°  : 

Tut  n'eust  il  pas  bien  fet  conu. 

Citons  les  vers  suivants  du  Saint  Auban  (874-1800)  : 

Ta  créature  est  tut  n'eit  tei  Deu  rekcneu 
Bien  unt  ja  recunu  sa  haute  deïte. 

La  Plainte  d'Amour,  au  vers  527,  nous  en  donne  un  autre 
exemple  : 

E  aucune  fez  mesconu . 

Nous  arrêterons  là  nos  citations.  Après  1250,1a  synérèse  devient 
la  règle  :   les  exemples  sûrs  sont   assez  peu   nombreux  (^d.    Wil- 


3o8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

liam  de  Waddington  au  vers  2230);  malgré  cela  il  est  difficile  de 
douter  que  les  formes  contractées  sont  devenues  entre  1250  et 
1400  presque  les  seules  employées  (cf.  Pierre  de  Langtoft,  I,  28, 
30  ;  I,  460,  28,  etc.). 

c)  Croire  el  croître.  —  Nous  étudierons  ensemble  les  deux  parti- 
cipes creii,  car  ils  ont  eu,  non  seulement  la  même  forme,  mais  aussi 
la  même  fortune. 

Tous  deux,  ils  sont  dissyllabiques  au  commencement  du  xii^ 
siècle  el  même  plus  tard.  Pour  croire,  nous  trouvons  la  forme  à 
diérèse  dans  le  Bestiaire  (au  vers  1996)  ;  dans  Adgar  (VI,  2,  294), 
dans  le  Tristan  de  Thomas  (au  vers  2882)  ;  dans  la  Folie  Tristan 
(au  vers  759),  dans  Sœur  Clémence  de  Barking  (aux  vers  853  et 
II 59),  dans  Jordan  Fantosme  (au  vers  1545),  dans  Horn  (au  vers 
1964)  ;  Chardri  nous  en  offre  un  exemple  au  vers  1321  du  Petit 
Plet;  Robert  de  Gretham  aux  folios  58  r°  et  63  v°  '  ;  on  le  trouve 
aussi  deux  fois  dans  Saint  Edmund  (aux  vers  1275,  3030),  et  une 
fois  dans  la  Genèse  Notre-Dame  (au  folio  72  v°)  ^  ;  au  vers  354 
de  Sardenai  ;  dans  Saint  Auban  (au  vers  862);  au  vers  251  du 
Roman  des  Romans  et  au  vers  1292  du  Manuel  des  Péchés,  enfin 
dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (I,  462,  18). 

Croître  ne  présente  qu'un  nombre  beaucoup  moindre  d'exemples. 
Le  Drame  d'Adam  l'emploie  une  fois,  sous  la  forme  ^dissyllabique 
(cf.  vers  671)  ;  Horn  de  même  (au  vers  1768  a);  Miss  Pope  a 
rencontrer/-^//  trois  fois  dans  Frère  Angier,  une  fois  dans  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  (vers  1 121);  deux  fois  dans  les  Dialogues  (au  folio 
9  r°  b)  ;  on  le  lit  une  fois  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  (au 
vers  886),  et  dans  Sardenai  (au  vers  377). 

Les  cas  de  synérèse  pour  ces  deux  participes  sont  très  peu 
nombreux,  surtout  au  xii^  siècle.  On  en  trouve  un  pour  crestre 
dans  Havelok,  mais  il  nous  semble  assez  douteux  : 

Vit  Havelock  et  creuet  grand. 

1 .  Robert  de  Gretham  : 

E  pur  iceo  k'avezcreù  58  ro 

E  kil  de  tuz  fust  mielz  creii.     65  vo 

2.  Genèse  Notre-Dame  : 

E  ceo  serra  cunte  e  ceo  serra  creû.       72  v" 


LES    t>ARTÎCIPES  500 

Le  premier  et  pourrait  se  supprimer. 

Au  xiii^  siècle,  on  ne  trouve  que  trois  cas  de  créa  monosyl- 
labique ;  un  pour  croire  :  Dialogues  Saint  Grégoire,  119  r°  a  ;  deux 
pour    crestre  :    l'un    dans  les  Évangiles    de  Robert  de  Gretham  : 

Li    boscens  issi  creu  esteit.       72  vo 

l'autre  dans  le  Saint  Auban  (288)  : 

Parcruz  ert,  trente  ans  out,  kar  tant  estoit  dune  d'âge. 

Nous  trouvons  encore  au  xiv^  siècle  un  petit  nombre  d'exemples 
de  synérèse  qui  nous  semblent  assurés  ;  en  particulier  dans  la 
Chronique  de  Pierre  de  Langtoft,  les  trois  exemples  que  nous  con- 
naissons de  ce  participe  sont  monosyllabiques  :  un  pour  croire  (I, 
240,  18)  et  deux  pour  croître  (I,  240,  12;  I,  462,  7). 

Par  conséquent,  pour  ces  deux  verbes,  la  forme  avec  diérèse 
semble  s'être  conservée  plus  constamment  que  pour  connaître  et 
que  pour  les  verbes  en  cevoir .  Mais  ce  peut  n'être  qu'une  appa- 
rence, et  cela  provient  sans  doute  du  nombre  relativement  restreint 
des  exemples  que  nous  trouvons. 

d)  Gésir.  —  Les  exemples  pour  ce  verbe  sont  encore  moins  fré- 
quents ;  et  cependant  les  terminaisons  monosyllabiques  sont  plus 
nombreuses  que  celles  qui  présentent  la  diérèse.  Mais  il  ne  faut 
pas  attacher  à  cette  prédominance  des  formes  contractées  plus 
d'importance  que  nous  n'en  avons  reconnu  à  la  prédominance 
des    formes  dissyllabiques  pour  croire  et  croître . 

Voici  les  formes  à  diérèse  que  nous  avons  relevées  :  Gaimar  en 
a  un  cas  au  vers  2658  ;  Sœur  Clémence  de  Barking  au  vers  1168; 
le  Saint  Gilles  au  vers  1477;  Robert  de  Gretham   au  folio  69  r°  : 

Sil  nout  à  la  porte  geû  ; 

et  le  Saint  Auban  au  vers  859.  Ajoutons-y  un  exemple  plus  dou- 
teux que  nous  relevons  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft 
(I,  140,  12). 

De  l'autre  côté,  nous  trouvons  des  formes  contractées  en  nombre 
un  peu  plus  grand.  Adgar  en  a  une  (VI,  272)  : 

U  li  clers  aveit  jeu  itant. 


510  L  EVOLUTION    DU    VERBE   EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Le  Saint  Gilles  en  a  deux  :  un  au  vers  io6  : 

U  ilout  jeu  un  an  c  plus; 

l'autre  au  vers  i  ii8  : 

U  la  povre  femme  aveit  geu. 

Nous  en  rencontrons  encore  un  autre  dans  le  poème  de  Saint 
Edmund  (vers  2978)  : 

En  quele  maint  en  aveit  giu . 

Comme  on  le  voit  la  synérèse  est  très  fréquemment  effectuée 
pour  ce  participe  passé,  même  au  xiii^  siècle.  Nous  ne  pouvons 
citer  aucun  cas  de  synérèse  suffisamment  sûr  au  siècle  suivant. 

e)  Lire.  —  Il  est  plus  extraordinaire  de  ne  rencontrer  qu'un  tout 
petit  nombre  d'exemples  pour  le  participe  de  lire;  ce  qui  l'explique, 
c'est  le  fait  qu'au  xii^  siècle  le  participe  généralement  employé  est  le 
participe  fort  en  it,  surtout  pour  les  composés  de  ce  verbe,  forme 
qui  se  trouve  encore  au  xiii^  siècle  et  au  XIV^ 

Le  participe  en  //  de  ce  verbe  montre  le  plus  souvent  la  diérèse, 
comme  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (vers  854);  dans  les  Dia- 
logues (au  folio  75  r°  b)  ;  deux  fois  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri 
(vers  1507,  1545)  ;  dans  Robert  de  Gretham  (au  folio  62  v°)  '  ; 
dans  le  Saint  Auban  par  deux  fois  (vers  83,  140);  le  Saint  Julien 
nous  en  fournit  aussi  un  exemple  (au  folio  72  v°)  ^  ;  et  aussi  la 
Satire  sur  le  Siècle  (84  v°)  K  Pierre  de  Langtoft  en  a  lui-même  un 
cas  assez  sûr  (cf.  I,  28,  15),  et  la  Vie  de  Saint  Paul  de  Nicole  Bozon 
un  antre  assuré  (128)  : 

Ke  seint  Pol  i  eut  eleû. 

La  forme  monosyllabique  se  trouve  assez  fréquemment,  quoi- 
qu'on puisse  affirmer  qu'elle  est  moins  commune  que  l'autre  ;  les 
mêmes  auteurs  qui  se  servent  de  la  forme  avec  diérèse  emploient, 
le  cas  échéant,  la  forme  avec  synérèse  dès  le  commencement  du 
XIII''  siècle.  C'est  ainsi  que  nous  trouvons  lu  dans  Frère  Angier, 
Dialogues  Saint-Grégoire,  139  r°  a;  dans  Chardri,  Set  Dormans, 
1532  ;  citons  ce  dernier  vers  : 

1.  Robert  de  Gretham;     Kar  il  esleù  les  aveit.  62  v». 

2.  Saint  Julien  :  Ke  deus  outdelmunde  esleù.      72  V. 

3.  Satire  sur  le  Siècle  :         Al  livre  e  leù.  84  v°. 


LES    PARTICIPES  5  II 

Ki  furent  dune  crestiens  esluz. 

On  trouve  cette  même  forme  aux  folios  23  r°  et  23  v°  des 
Evangiles  des  Dompnées  et  encore  au  vers  312  de  la  Vie  d'Edward 
le  Confesseur  : 

Eslu  es  d'Engleterre  ret. 

Nous  rencontrons  encore  quelques  exemples  analogues  posté- 
rieurement, nous  ne  citerons  que  les  deux  cas  de  synérèse  que 
nous  montrent  les  deux  exemples  de  ce  participe  dans  la  Vie  de 
Saint  Richard  de  Nicole  Bozon  (aux  vers  62e,  1067)  : 

La  meillurc  vie  eslu  aveit; 
Le  jur  ke  fut  après  eslu. 

Les  deux  cas  que  nous  avons  relevés  dans  la  Chronique  de 
Pierre  de  Langtoft  (I,  302,  10;  I,  320,  12),  quoique  assez  sûrs, 
sont  moins  significatifs. 

On  peut  donc  conclure  que  dans  la  grande  majorité  des  cas  le 
participe  de  lire  est  monosyllabique  après  1250. 

f)  Foir.  —  Enfin  le  dernier  participe  passé  qu'il  nous  reste  à 
examiner  dans  cette  classe  est  celui  du  verbe  voir  :  ce  verbe  diffère  de 
tous  ceux  que  nous  avons  étudiés  jusqu'ici  en  ce  que  son  prétérit  n'est 
pas  un  prétérit  en  ni.  Pour  ce  verbe  qui  est  d'un  emploi  si  commun, 
lasynérèse  se  trouve  très  fréquemment  effectuée.  Ce  n'est  pas  à  dire 
pour  cela  que  les  formes  où  l'hiatus  subsiste  soient  rares;  nous 
en  rencontrons  au  contraire  beaucoup  pendant  les  trois  siècles  de 
la  littérature  française  d'Angleterre.  La  première  forme  à  diérèse 
que  nous  ayons  rencontrée  se  trouve  dans  le  Brandan  :  voi'it  (au 
vers  371)  ;  pendant  tout  le  xii=  siècle,  elles  sont  fréquentes;  nous 
pouvons  donner  les  références  suivantes  :  Bestiaire,  194;  Gaimar, 
262,  etc.;  Adgar,  II,  iro;  XL,  457  etc.  ;  Thomas,  397  ;  Folie 
Tristan,  692  ;  Drame  d'Adam,  894;  Fantosme,  167,  572,  720  ; 
Saint  Gilles,  157  ;  Guischart  de  Beauliu,  17,  323,  75 1,  891,  en  tout 
neuf  fois. 

Dans  les  trois  poèmes  de  Chardri,  le  nombre  de  formes  dis- 
syllabiques est  considérable  :  nous  en  avons  relevé  quatorze  cas  '  ; 

I .  Voici  les  références  des  cas  de  diérèse  qu'on  peut  relever  dans  Chardri  : 
Josaphat :  564,  758,  1271,  1309,  2070,  2092,  252,  5,  2763. 
Set  Dormans  :  124,  196,  1152,  1159,  1465. 
Petit  Plet  :  677. 


512  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

il  en  est  de  même  Je  Robert  de  Gretham  chez  lequel  nous  n'avons 
pas  pu  compter  avec  une  exactitude  suffisante  tous  les  cas  de  dié- 
rèse '  ;  Saint  Edmund  en  a  une  dizaine  d'exemples  (vers  695, 
loii,  1409  -).  Ils  sont  presque  aussi  communs  dans  le  poème  de 
Saint  Julien'  ;  la  Plainte  d'Amour  en  a  un  exemple  seulement,  au 
vers  158 +,  et  le  Roman  des  Romans,  un  autre,  au  vers  249'. 
Citons  encore  le  vers  1341  d'Edward  le  Confesseur^,  et  les  quatre 
exemples  assurés  de  Saint  Auban  <;  Aspremont  au  vers  7,  Sardenai 
au  vers  353,  en  présentent  chacun  un  exemple.  Avant  de  sortir  du 
XIII*  siècle,  citons  le  cas  de  diérèse  que  l'on  trouve  au  folio  84  de  la 
Satire  sur  le  Siècle  ^  et  deux  exemples  assurés  que  l'on  trouve  dans 
William  de  Waddington  ^  aux  vers  501,  2321  ;  celui  qu'on  lit  dans 
Deu  le  Omnipotent,  36  c'°. 

Les  cas  de  diérèse  que  nous  trouvons  au  xiV^  siècle  ne  sont  que 
rarement  indiscutables,  cependant,  pour  voir,  nous  avons  la  chance 
d'en  rencontrer  plusieurs  qui  le  sont.  On  en  trouve  un  dans  l'Apo- 
calypse au  vers  606  de  .3  et  v,  et  peut-être  au  vers  71  d'à;  le 
Siège  de  Carlaverok  nous  en  fournit  un  autre  au  vers  68  ;  la  Bounté 


1 .  Robert  de  Gretham  :    Frère,  fet  il,  as  rien  veû  ?  27  vo 

Bels  frère,  as  rien  plus  veù  ? 

E  n'out  la  richesce  veù ,  69  r" 

Car  si  Lazare  n'out  ceo  veû. 

Mes  pur  ceo  qu'il  out  ainz  veû.    70  v 

Al  lit  ke  Pol  aveit  veû.  112  ro 

2.  Saint  Edmund  ;  Segnurs,  suvent  avez  veû.  695 

Ki  plus  out  oï  e  veù.  loii 

Kal  tierz  jor  unt  Frise  veû.       1409 

3.  Saint  Julien  ;  Tant  cum  Deu  pur\-eû  ly  a.         71  ro 

Kele  ne  pout  estre  veûe .  73  v» 

Mes  kant  il  ert  issi  veû .  79  r» 

4.  Plainte  d'Amour  :        Ussez  veû  avant  ceo  jor.  158 

5.  Roman  des  Romans  :  Si  avons  ja  asquanz  veû.  249 

6.  Edward  le  Confesseur  :  Quand  a  ceo  veû  trestut  l'ost,  1 341 

7.  Saint  Auban  :        Or  l'unt  veû  tut  seint,  du  cors  renuvelé.  984 

Quant  unt  veû  Aracle  ke  Dieu  out  regardé.     98e 
Ben  unt  paen  les  angles  veû  e  eschoisi.  1069 

Tele  nuvele  en  terre  ne  fu  une  mes  veû.         1 390 

8.  Satire  sur  le  Siècle  :  De  muz  ai  veû.  84  ro 

9.  William  de  Waddington  :  501,  232. 

10.  Deu  le  Omnipotent:         Fu  veû  de  la  gent.  36  c 


LES    PARTICIPES  513 

des  Femmes  de  Bozon,  un  quatrième  au  vers  io8  ;  la  Vie  de  Saint 
Richard  et  celle  de  Saint  Paul,  du  même  auteur,  en  montrent 
quatre  ';  le  Prince  Noir,  pour  sa  part,  nous  en  montre  deux  aux  vers 
1887,  1888,  et  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  en  a  au  moins 
trois  (I,  23e,  6  ;  I,  i86,  13  ;  I,  474,  11). 

Comme  on  a  pu  le  voir,  aucun  autre  verbe  ayant  un  participe 
passé  en  //  ne  nous  offre  des  matériaux  aussi  abondants  que  le 
verbe  voir  ;  nous  avons  pu  citer  un  nombre  assez  considérable 
d'exemples,  et  nous  ne  prétendons  pas  avoir  épuisé  la  liste  de  ceux 
que  l'on  pouvait  citer. 

Nous  allons  passer  maintenant  aux  cas  de  synérèse  pour  ce  par- 
ticipe, et  ils  pourraient  paraître,  si  on  les  comparait  à  ceux  des 
autres  verbes,  fort  nombreux,  mais  cette  impression  ne  subsistera 
pas  si  on  garde  en  mémoire  le  nombre  total  des  cas  où  ce  parti- 
cipe est  employé. 

On  trouve  la  forme  contracte  veii,  dès  le  commencement  du 
xii^  siècle  ;  Gaimar  nous  en  donne  le  premier  un  exemple  (au 
vers  1447)  : 

Par  tote  Bretaigne  fu  veu  ; 

On  serait  d'autant  plus  tenté  d'essayer  de  corriger  ce  vers  que 
c'est  le  seul  exemple  de  synérèse  au  participe  passé  que  nous  trou- 
vions chez  Gaimar  ;  on  pourrait  peut-être  ne  pas  compter  Ve  final 
de  Bretaigne,  mais  il  semble  bien  que  Gaimar  compte  ordinaire- 
ment avec  la  plus  grande  régularité  Ve  muet  final. 

Du  reste  on  trouve  un  autre  cas  de  synérèse  dans  Thomas  au 
vers  20  : 

Li  rois  a  veu  quanque  avon  fait. 

Les  exemples  précédents  mettent  hors  de  doute  l'existence  de  la 
forme  à  synérèse  au  commencement  de  la  seconde  moitié  du 
xii=  siècle.  Nous  trouvons  évidemment  des  exemples  analogues  dans 
les  auteurs  qui  suivent  : 

I.  Nous  allons  citer  ces  quatre  exemples  : 

Despuliee  e  despurveûe,  Saint  Richard,  252  ; 

Seint  Pol  ke  tut  veu  aveit,  Saint  Paul,  71  ; 

Unkes  mes  n'eut  un  tel  vcù,  —  120  ; 

Kar  après  kaunt  il  aveu,  — ■  241. 

33 


514  l'évolution  du  verbe  E\'  anglo-prançais 

Fantosme  nous  montre  le  vers  suivant  où  la  synérèse  a  certaine- 
ment lieu  (618)  : 

Dcsque  vus  aie/,  la  cite  vcu  alumer  ; 

Il  est  encore  probable  que  nous  avons  un  exemple  de  synérèse 
dans  ce  vers  d'Adgar  (VR,  211)  ,  qui  a  de  toutes  façons  une  syl- 
labe de  trop  : 

Plus  apert  miracle  ne  fu  veu. 

Évidemment  le  nombre  des  synérèses  ne  peut  être  que  plus  con- 
sidérable au  xiii^  siècle.  Chardri  en  a  quelques  cas,  quatre  ou  cinq, 
comparés  aux  quatorze  cas  de  diérèse  :  ces  quelques  cas  se 
trouvent  dans  le  Josaphat  (au  vers  2087,  et  peut-être  1923),  dans  les 
Set  Dormans  (au  vers  658),  dans  le  Petit  Plet  (au  vers  689).  Voici 
ces  vers  : 

Quant  les  deables  aveint  veu 
(a-vei-ent  veu  ?  a-veint  ve-u  ?) 

Tant  pensa  de  ceo  kil  out  veu. 

Marfu  veue  lur  bel  juvente. 

Jan'eit  tant  oï  ne  tant  veu. 

On  peut  citer  deux  exemples  tirés  du  Saint  Edmund  (vers  74, 
1301): 

Avum  bien  veu  que  ceo  est  veyr. 

(lire  :  veu  que  c'est...?) 

En  ordre  dist,  cum  veu  aveit. 

Dans  le  même  folio  de  Robert  de  Gretham,  10  v°,  nous  rele- 
vons deux  exemples  de  cette  forme  monosyllabique,  exemples  qui 
ne  sont  pas  douteux. 

Le  Saint  Julien  en  est  au  même  point,  et  la  synérèse  se  fait  dans 
les  deux  vers  suivants,  tirés  respectivement  des  folios  75  v°  et  76  r°  : 

Tel  n'aveit  il  une  veu  avant. 
Car  autre  fez  vus  ay  je  veu. 

Nous  passerons  plus  rapidement  sur  les  cas  de  synérèse  que 
nous  rencontrons  par  la  suite.  Nous  en  avons  relevé  un  dans 
Edward  le  Confesseur  (au  vers  355);  le  Saint  Auban  nous  en  pré- 


LES    PARTICIPES  515 

sente  un  plus  grand  nombre,  au  moins  quatre  Çd.  les  vers  323, 
541,  849,  1835).  Dans  le  Manuel  des  Péchés  de  William  de  Wad- 
dington  les  exemples  sont  encore  plus  communs  :  on  en  rencontre 
aux  vers  1665,  ^944j  3^97,  et  dans  un  poème  aussi  court  que 
l'Ordre  de  Bel  Eyse,  on  en'trouve  au  moins  deux  (vers  53  et  226). 
Les  exemples  assurés  de  la  forme  moderne  ne  peuvent  donc  pas 
être  rares  au  xiV  siècle;  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  nous 
en  montre  au  moins  trois  (cf.  I,  28,  16;  I,  236,  12;  I,  462,  4). 
Nicole  Bozon  en  a  un  dans  ses  Vies  de  Saints  (94  v°)  et  pas  moins 
de  quatre  dans  sa  Vie  de  Saint  Richard  (aux  vers  215,  281,  460, 
1119): 

Lequel  sans  custume  aveit  veu  : 
Kar  Dieu  issi  purveu  l'aveit  ; 
K'enuingt,  cum  out  purveu,  serreit  ; 
L'église  de  cel  ke  n'est  pas  veue. 

Enfin  le  Poème  du  Prince  Noir  nous  montre  la  synérèse  faite  aux 
vers  2586,  3092. 

Comme  on  le  voit,  le  nombre  des  cas  de  synérèse  est  considé- 
rable pendant  le  xiv''  siècle  et,  dans  certains  auteurs  au  moins,  la 
forme  moderne  se  rencontre  plus  fréquemment  que  la  forme  étymo- 
logique. Partout  elle  a  gagné  du  terrain,  inégalement  mais  d'une  façon 
indéniable.  Cependant  il  n'est  pas  possible  de  marquer  avec  préci- 
sion les  gains  de  la  forme  avec  synérèse,  et  les  généralisations  sont 
ici  plus  dangereuses  que  partout  ailleurs.  L'usage  peut  varier  d'un 
auteur  à  l'autre  et  même  d'un  ouvrage  à  l'autre  pour  un  même 
auteur.  Nous  en  avons  une  preuve  remarquable  dans  deux  poèmes 
de  Nicole  Bozon  :  la  Vie  de  Saint  Richard  nous  montre  un  cas  de 
diérèse  et  quatre  cas  de  synérèse  ;  au  contraire,  la  Vie  de  Saint 
Paul  a  trois  cas  de  diérèse  et  pas  une  seule  synérèse.  Et  cette  diffé- 
rence se  retrouve  pour  toutes  les  autres  formes  nous  présentant  la 
même  question  de  l'hiatus. 

Aussi,  nous  ne  tenterons  pas  d'être  trop  précis,  et  nous  conclu- 
rons simplement  que  les  formes  à  synérèse  sont  devenues,  d'une 
façon  générale  et  sauf  exceptions,  les  plus  communes  à  partir  de 
1275. 

Arester  prend  rarement  la  forme  à  diérèse  :  le  seul  cas  que  nous 
connaissions  se  lit  dans  l'Ipomédon  (vers  3578)  : 


5i6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Suz  en  l'eor  s'est  aresteùz 
Sa  forme  ordinaire  est  arestu  ou  aresté. 

conclusion  sur  les  participes  en  u  de  la  troisième  classe 

Si  maintenant  nous  rapprochons  tous  les  résultats  auxquels  nous 
sommes  arrivés,  dans  la  trop  longue  étude  que  nous  avons  consa- 
crée aux  participes  de  la  troisième  classe,  nous  voyons  que  tous  ont 
plusieurs  traits  communs. 

1.  C'est  vers  le  temps  d'Adgar  que  les  formes  à  synérèse  font 
leur  apparition  pour  la  plupart  des  participes  de  cette  classe. 

2.  La  forme  à  hiatus  reste  pendant  un  certain  temps  la  forme  que 
ces  participes  prennent  le  plus  ordinairement. 

3.  Dans  la  seconde  moitié  du  xiir  siècle,  vers  l'époque  du  Saint 
Auban,  les  formes  contractes  deviennent  à  peu  près  aussi  répan- 
dues que  les  formes  à  diérèse,  au  moins  pour  certains  verbes. 

4.  Pendant  le  xiv^  siècle,  les  deux  formes  se  retrouvent  encore, 
mais  la  forme  contracte  est  peut-être  la  plus  commune,  pour  les 
mêmes  participes. 

résultats  généraux 

L'on  a  pu  voir  que,  en  anglo-français,  les  trois  classes  de  parti- 
cipes en  u  n'ont  pas  été  traitées  de  la  même  façon,  c'est  pour  cette 
raison  que  nous  nous  sommes  vus  obligés  de  prendre  séparément 
chacune  des  trois  classes.  La  première  remarque  que  l'on  puisse 
faire,  c'est  que  la  synérèse  a  atteint  les  verbes  de  la  troisième  classe 
un  temps  notable  avant  ceux  des  autres  classes. 

La  troisième  classe  montre  un  certain  nombre  de  cas  de  synérèse 
dès  le  milieu  du  xii^  siècle  ;  la  seconde  classe  pendant  la  seconde 
partie  du  même  siècle  (Jordan  Fantosme  ?  certainement  Horn). 
Tandis  que  la  première  n'est  vraiment  atteinte  par  la  synérèse  que 
pendant  le  xiii^  siècle,  à  l'exception  peut-être  du  participe  passé 
d'avoir. 

On  peut  aussi  remarquer  que  tous  les  verbes  de  la  troisième 
classe  évoluent  ensemble  ;  c'est  à  peu  près  à  la  même  époque  qu'ils 
subissent  la  contraction  ;  au  contraire,  il  y  a  entre  les  verbes  des 


LES    PARTICIPES  517 

deux  autres  classes  des  différences  marquées  ;  autant  que  nous  pou- 
vons en  juger  par  les  exemples  que  nous  avons  relevés  dans  la 
première  par  exemple,  le  participe  passé  d'avoir  prend  la  forme 
moderne  beaucoup  plus  tôt  que  les  autres  verbes  de  sa  classe  ;  dans 
la  seconde,  au  contraire,  le  participe  passé  de  devoir  restera  dis- 
syllabique plus  régulièrement  que  n'importe  quel  autre  verbe.  Cela 
tient  surtout  à  la  fréquence  de  l'emploi  de  chacun  de  ces  parti- 
cipes. Ceux  de  la  troisième  classe  se  rencontrent  presque  aussi 
couramment  les  uns  que  les  autres  :  connaître,  recevoir,  voir  sont 
très  usuels,  et  par  conséquent,  ne  tardent  pas  à  prendre  et  prennent 
en  même  temps  la  forme  abrégée.  Au  contraire,  les  verbes  des 
autres  classes  sont  plus  hétéroclites;  quelques  verbes  se  trouvent 
rarement  employés  au  participe  passé  et  ce  sont  ceux-là  qui, 
justement,  gardent  leur  forme  étymologique   le  plus   longtemps. 

On  ne  s'attend  peut-être  pas  à  rencontrer  des  cas  bien  évidents 
de  synérèse  en  dehors  des  ouvrages  en  vers  ;  et  il  est  très  certain 
que,  en  dehors  de  la  littérature,  les  cas  où  l'hiatus  est  évidemment 
conservé  sont  rares  et  difficiles  à  reconnaître  ;  cependant  nous  en 
trouvons  plusieurs  où  ils  subsistent  indubitablement. 

Les  terminaisons  en  ezu,  qui  sont,  comme  nous  l'avons  montré 
plus  haut,  relativement  fréquentes,  peuvent  nous  laisser  des  doutes; 
nous  somme  cependant  portés  à  croire  que  piirvewe  dans  les  Statutes 
(1283,  153),  m'^(ibid.,  1350,  I,  312);  /m'e  dans  les Parliamentar}' 
Writs  (13 18,  II,  84)  nous  offrent,  sinon  des  cas  de  diérèse,  tout  au 
moins  des  exemples  où  la  voyelle  du  radical  a  subsisté  ;  ces  formes 
nous  semblent  fort  difficiles  à  expliquer  phoniquement  et 
comme  cela  n'est  pas  de  notre  ressort,  nous  n'en  dirons  pas  davan- 
tage. 

Une  difficulté  analogue  nous  attend  si  nous  voulons  nous  rendre 
compte  de  la  valeur  de  la  graphie  ieu  ou  in  :  faut-il  considérer 
mieut:(,  Statutes  (1330,  I,  267),  comme  un  monosyllabe  qui  se  serait 
prononcé  comme  l'adverbe  ou  comme  un  dissyllabe  ?  Nous 
n'avons  aucun  élément  qui  nous  permette  de  former  une  opinion 
qui  présente  quelque  certitude  ;  il  nous  semble  possible  que  cet  / 
puisse  s'expliquer  par  une  transformation  de  Ve  en  hiatus,  phéno- 
mène commun  en  anglo-français  (on  trouve  déjà  criaiure  dans  le 
Drame  d'Adam,  vers  91);  cet  /  a  dû  avoir  tout  d'abord  une  valeur 
syllabique  ;  il  est  probable  qu'il    n'a  pas  tardé  à  prendre  la  valeur 


5i8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

d'une  consonne.  Mais  la  première  condition  pour  que  ce  change- 
ment se  soit  produit  est  que  la  synérèse  n'ait  pas  encore  eu  lieu 
avant  l'apparition  de  1'/  ;  donc  les  cas  de  diérèse  ont  certainement 
dû  être  la  règle  immédiatement  avant  l'apparition  de  cette  désinence 
et  peut-être  pendant  les  premiers  temps  de  son  emploi.  Or,  comme 
nous  l'avons  déjà  vu,  nous  ne  trouvons  guère  d'exemples  de  cette 
terminaison  avant  le  milieu  du  xiv^  siècle;  ces  formes  suffiraient 
donc  à  nous  prouver  que  les  cas  de  diérèse  ont  été  communs  au 
moins  jusqu'à  cette  époque,  à  moins  que,  comme  nous  le  dirons 
plus  tard,  ces  participes  en  ien  ne  soient  des  formes  d'emprunt. 

Les  considérations  auxquelles  nous  venons  de  nous  livrer  appar- 
tiennent plus  ou  moins  au  domaine  de  la  conjecture;  nous  trouvons, 
en  dehors  des  œuvres  littéraires,  des  données  plus  soUdes  pour 
affirmer  que  l'hiatus  s'est  maintenu  dans  un  certain  nombre  de  cas 
jusqu'aux  dernières  années  du  xiv^  siècle. 

Quelquefois  nous  trouvons  un  doublement  de  la  voyelle  du 
thème  :vemœ  dans  le  Liber  Rubeus  de  Scaccario  (1300,  I,  55); 
cheeu  da.ns  Rymer  (1328,  FV,  354),  peut-être  duwe  dans  les  Sta- 
tutes  (1275,  I,  28);  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  52), 
dans  les  Mem.  Pari.  (1305,  §  125),  etc.,  peut-être  aussi  parjuwes 
dans  les  Annales  Londonienses  (1330,  63). 

Ailleurs  une  h  est  écrite  entre  la  désinence  et  le  thème  et  cette 
graphie  est  très  fréquente  ;  par  exemple  receheu  se  lit  dans  Rymer 
(1294,  11,619);  ^^^'^  (ibid.,  1358,  VI,  96;  1375,  VII,  71),  Febu 
est  employé  dans  les  Documents  Inédits  (1362,  157).  Ailleurs 
encore  c'est  une  autre  consonne  qui  empêche  l'hiatus  :  recei'ii  dans 
Rymer  (1297,  II,  788). 

Tous  ces  exemples  nous  montrent  que  jusque  vers  la  fin  du 
xiv^  siècle,  l'hiatus  subsistait  dans  un  certain  nombre  de  cas; 
dans  d'autres,  il  était  évité  par  d'autres  moyens  que  par  la  syné- 
rèse :  introduction  d'une  consonne,  ou  changement  de  la  termi- 
naison en  une  consonne,  ce  dernier  cas  restant  purement  conjec- 
tural. 

RÉSUMÉ 

La  synérèse  se  trouve  pour  la  première  fois  pour  les  verbes  sui- 
vants : 


Avoir 

Pouvoir 

Pestre 

Savoir 

Taire 


LES   PARTICIPES 

Première  classe. 


519 


dans  Adgar  (11 60). 

au  xiv^  siècle. 

au  xiv^  siècle. 

dans  Saint  Edmundet  Saint  Auban  (?)  (1230). 

au  xiv^  siècle. 


Mouvoir 

Boire 

Devoir 


Deuxième  classe. 

dans  Horn  (?),  Saint  Auban  (?)  (1170), 
dans  Jordan  Fantosme,  Horn  (1170). 
au  xiv-"  siècle. 


^^erbes  en  cevoir 
Connaître 
Croire 
Croître 

Gésir 

Lire 

Voir 


Troisième  classe. 

dans  Adgar  (i  160). 

dans  Adgar  (11 60). 

dans  Dialogues  Saint  Grégoire  (12 14). 

dans  Havelok  (?)  (1150)  et  Robert  de  Gre- 

tham  (1230). 
dans  Adgar  (i  160). 
dans  Dialogues  Saint  Grégoire  (12 14). 
dans  Gaimar  (?)  (11 50)  et  Thomas  (1160). 


II.  Participes  passés  forts. 

Nous  distinguons  les  participes  passés  forts  en  deux  classes  :  les 
forts  en  sinn,  les  forts  en  ium. 


a)  Participes  forts  en  suin. 

Les  participes  forts  en  siim  sont  restés  très  réguliers  et  se  sont 
bien  maintenus  ;  c'est  ainsi  qu'on  rencontre  aux  xii^  et  xiii^  siècles 
les  vieilles  formes  encore  employées  pour  un  certain  nombre  de  ces 
participes.  Quelques-unes  cependant  deviennent  rares  et  tendent  à 
disparaître;  nous  avons  vu  dans  les  pages  précédentes  plusieurs  par- 
ticipes qui  perdent  leur  forme  étymologique  pour  prendre  la  forme 
faible  en  e,  en  /,  ou  en  m. 


520  L  F.VOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Certains  participes  présentent  même  les  deux  formes  côte  à  côte, 
comme  soldre,  qui  à  côté  de  soin  que  nous  avons  vu,  a  donné  sous 
dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (48  v"  b);  ce  dernier  du  reste  est 
très  rare  et  nous  n'en  avons  relevé  que  cet  exemple.  De  mhvnQ  reines 
se  trouve  constamment  dans  tous  les  textes  du  xii^  siècle,  et,  moins 
souvent^  il  est  vrai,  au  xiii%  comme  au  vers  2800  du  Dermod  où  il 
rime  avec  detres,  au  vers  147  du  Saint  Auban,  etc.,  à  côté  de 
remansu.  Il  y  a  aussi  d'autres  verbes  qui  tendent  plutôt  à  disparaître 
qu'à  adopter  une  forme  nouvelle  ;  parmi  ces  formes  qui  ne  se  ren- 
contrent plus  que  rarement,  nous  pouvons  citer  :  estors  que  l'on  ne 
retrouve  plus  que  chez  Frère  Angier  à  la  rime  avec  misericors  au 
vers  1036  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire.  Escons  est  un  peu  plus  com- 
mun ;  on  le  trouve  d'abord  chez  Angier,  dans  la  Vie  de  Saint  Gré- 
goire (au  vers  1126),  puis  dans  les  Dialogues  (22  r°  b);  et  sous  la 
forme  escu^^  à  la  rime  avec  tuz  au  vers  310  de  William  de  Wadding- 
ton.  Aers  est  rare  ;  mais  on  le  trouve  très  tard,  par  exemple  à  la 
page  22  du  Dite  de  Hosebondrie  de  Walter  de  Henley. 

La  consonne.  —  Sous  l'influence  de  leur  prétérit  et  surtout  des 
participes  forts  en  tnm,  certains  participes  en  suni  prennent  un  / 
après  l'j  comme /)m/  au  vers  2895  ^^  Gaimar,  dans  les  quatre  mss., 
arst  au  vers  983  de  Horn,  et  surmist  dans  les  Documents  Inédits 
(1382,  230).  Nous  ne  pouvons  considérer  ces  formes  que  comme 
de  véritables   fautes  d'orthographe  des  scribes. 

Un  s'est,  déjà  dans  le  Psautier  d'Oxford,  introduite  dans  repos, 
(repostum),  par  exemple  repiins  (68,  7)  ;  cependant  les  formes  sans 
n  y  sont  encore  les  plus  nombreuses  (37,  9  ;  43,  27  où  Cr.  donne 
une  «;  138,  4).  Il  en  est  de  même  dans  le  Psautier  de  Cambridge 
dans  lequel  n  n'est  écrite  qu'une  fois  sur  huit.  Gaimar,  ou  le  scribe, 
l'écrit  toujours,  mais  fait  rimer  le  participe  avec  us  :  respons  (:  sur- 
plus) (3238);  désormais  cette  n  se  rencontrera  très  souvent,  mais 
son  emploi  demeurera  très  variable;  certains  auteurs  l'emploieront 
à  l'occasion  ;  d'autres,  comme  le  traducteur  des  Quatre  Livres  des 
Rois,  l'ignoreront. 

Ce  n'est  que  plus  tard  que  nous  voyons  une  n  ajoutée  au  parti- 
cipe passé  de  prendre,  et  encore  cette  forme  reste  exceptionnelle  et 
ne  se  rencontre  que  dans  certains  recueils  non  littéraires;  nous 
avons  trouvé  prins  dans  les  Traités  de  Rymer  aux  endroits  suivants  : 
135I5  ^}  717;  1390,  VII,  689;  1394,  VII,  779.  Cette  forme  est 
très  rare  en  anglo-français. 


LES   PARTICIPES  521 

La  voyelle.  —  H  y  a  un  certain  nombre  de  remarques  à  faire 
sur  la  voyelle  ou  la  diphtongue  qui  précède  Vs  dans  les  participes 
en  siim. 

Remes  (remansum)  hésite  entre  la  forme  purement  française  e  et 
la  forme  anglo-française  /  ;  e  est  plus  commun  et  est  seul  pendant 
un  temps  assez  long  attesté  par  la  rime  ;  nous  avons  en  effet  dans 
Gaimar  remes  (:  clefs)  au  vers  2715  ;  (:  nefs)  au  vers  501  et  au  vers 
3424;  il  rime  avec  Deus  au  vers  3604.  Nous  en  avons  aussi  plu- 
sieurs exemples  dans  les  deux  poèmes  de  Hue  de  Rotelande. 

Mêm.e  à  la  fin  du  xii*  siècle,  la  forme  en  e  est  encore  employée 
à  la  rime,  par  exemple  dans  Guischart  de  Beauliu  au  vers  400. 

Au  xiii^  siècle,  dans  Dermod,  on  trouve  encore  une  rime  ana- 
logue :  remes  (:  detres).  Dans  une  œuvre  en  prose,  les  Quatre 
Livres  des  Rois,  les  deux  formes  mes  (III,  3,  17),  remis  (II,  14,  7) 
sont  encore  en  usage. 

Remis  se  rencontre  pourtant  et  assez  fréquemment  dans  certains 
auteurs  du  xii^  siècle  ;  mais  cette  forme  n'est  jamais  attestée  ;  c'est 
toujours  dans  le  corps  du  vers  qu'on  la  trouve,  comme  dans 
l'Estorie  au  vers  317  (le  scribe  du  ms.  R  (fin  du  xii^  ou  commen- 
cement du  xiii^  siècle)  l'affectionne  particulièrement),  ou  au  vers 
1906  de  Horn  (ms.  O).  La  première  rime  que  nous  ayons  trouvée 
se  lit  dans  le  Saint  Auban  au  vers  147  :  requis  (:  pris). 

Si  nous  attribuons  aux  scribes  les  exemples  que  nous  donnent 
l'Estorie  des  Engleis  et  Horn,  nous  voyons  que  nous  ne  pouvons 
pas  faire  remonter  la  forme  en  /  plus  haut  que  les  Quatre  Livres 
des  Rois  (1170)  et  il  est  possible  que  les  auteurs  n'aient  adopté 
cette  forme  que  quelque  temps  après  les  scribes. 

Cet  /  de  remis  n'arrive  donc  qu'assez  tard  dans  la  littérature 
anglo-française  ;  quelque  temps  après  que  cet  /  déplace  Ye  étymolo- 
gique, on  voit  se  produire  le  phénomène  contraire  dans  le  participe 
passé  du  verbe  quérir.  L'i  de  quis  en  effet  y  fait  place  à  la  diph- 
tongue ei,  qui  naturellement  passe  à  la  voyelle  e.  Dans  Dermod 
nous  trouvons  en  effet  quels  rimant  (au  vers  2973)  avec  mais,  mois 
(imprimé  moins)  ;  et  dans  Wil.  Rishanger  ce  même  participe  est 
écrit  ques  (cf.  p.  281).  Cette  dernière  forme  se  retrouve  encore 
dans  Rymer  :  reques  (1358,  VI,  98  et  passim).  Ceci,  dans  la  langue 
politique,  se  produit  encore  pour  d'autres  verbes;  citons  ^;c:^  pour 
pris  dans  les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  54);  )>iel:(  pour  mis 
dans  le  même  recueil  (1320,  84). 


522  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Comme  pour  les  participes  en  e,  il  n'est  pas  rare  de  voir  la  voyelle 
du  thème  redoublée  ou  renforcée.  Ceci  n'arrive  guère  dans  la 
langue  littéraire;  mais  nous  avons  relevé  plusieurs  exemples  de  ce 
phénomène  dans  les  textes  politiques  et  familiers.  Citons  seulement 
rees  (rasum),  dans  les  Statutes  (1330,  I,  265),  et  aussi  excloes, 
Literae  Cantuarienses  (1331,  381). 

acquisitions 

Dans  les  ouvrage  non  littéraires,  la  classe  des  participes  en  sum 
s'est  augmentée  de  plusieurs  acquisitions  ou  nouvelles  formations, 
et  quelques-unes  de  celles-ci  sont  fort  intéressantes.  Nous  trouvons 
par  exemple  les  formes  suivantes:  expresse  dans  les  Statutes  (1323, 
I,  191);  oppresse  (1346,  I,  304).  Dans  le  même  recueil  on  trouve 
encore  aw/îÉ'x  (1328,  I,  260;  1335,  I,  277;  1340,  I,  284),  de  même 
que  dans  les  Parliamentar}'^  Writs(i3i4,  II,  118);  on  trouve  ce 
mot  surtout  employé  comme  adjectif.  Les  deux  formes  deUbers  et 
àelivers  se  rencontrent  aussi  fréquemment  dans  différents  recueils, 
par  exemple  dans  les  Rymer's  Foedera  (cf.  13 18,  III,  724;  1346, 
V,  812;  1357,  VI,  781),  dans  les  Statutes  (1330,  I,  268),  sur- 
tout dans  les  Year  Books  (30  Edw.  I",  195  et  passim  ;  33  et  35 
Edw.  II,  54,  82).  Disais  est  commun  ;  on  le  rencontre  dans  les  Sta- 
tutes (1351,  I,  288;  1389,  II,  61,  etc.);  dans  les  Year  Books 
(2  et  3  Edw.  II,  44;  14  Edw.  III,  23  ;  17  et  18  Edw.  III,  105,  107, 
235,  etc.). 

Nous  trouvons  encore  dans  les  Statutes:  ordein^  (i379j  Hj  114) 
et  dans  les  Documents  Inédits  :  compuls  (1380,  219). 

/;)  Participes  forts  en  turu. 

Avant  d'étudier  en  détail  les  différentes  classes  de  participes, 
nous  pouvons  dire  quelques  mots  d'une  question  qui  intéresse  au 
moins  certains  d'entre  eux  :  la  réduction  de  l'hiatus  qui  existe  entre 
la  voyelle  du  thème  et  celle  de  la  terminaison.  Trois  participes  passés 
en  tum  présentent  à  l'origine  un  hiatus  :  bénir,  maudire  et  raembre. 
Benedeit  et  maledeit  ont  suivi  dans  leur  développement  deux  lignes 
parallèles,  et  il  est  intéressant  de  marquer  les  différentes  étapes  par 
où  ont  passé  ces  deux  participes. 


LES    PARTICIPES  523 

La  forme  originale  avec  dentale  se  rencontre  dans  les  Psautiers 
d'Oxford  (112,  2)  et  de  Cambridge  (17,  47);  elle  peut  provenir 
du  traducteur  lui-même  des  Psautiers  (iiio  ?). 

Dans  ce  dernier  Psautier,  on  voit  la  dentale  s'adoucir  et  prendre 
sinon  le  son,  au  moins  la  graphie  //;  :  benêt heit  (27,  6).  Il  ne  fau- 
drait pas  croire  qu'à  cette  époque  on  ne  connaissait  que  la  forme 
avec  dentale  ;  l'autre  est  au  contraire  plus  commune  {beneeit  dans 
le  Psautier  d'Oxford,  9,  24  ;  dans  le  Psautier  de  Cambridge,  36,  22  ; 
dans  le  Psautier  d'Arundel,  17,  49);  même,  ce  qu'il  y  a  de  plus 
extraordinaire,  c'est  que  les  trois  Psautiers  connaissent  déjà  la 
forme  dans  laquelle  la  synérèse  s'est  effectuée  :  heneit  se  trouve  en 
effet  dans  le  Psautier  d'Oxford  O^,  20),  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge (40,  12),  dans  le  Psautier  d'Arundel  (9,  21).  Voici  donc 
trois  ouvrages  qui  contiennent  toutes  les  formes  essentielles  que  ce 
participe  devait  prendre. 

La  forme  présentant  la  contraction  sera  désormais  la  plus  fré- 
quente ;  on  la  trouve  dans  Gaimar  à  la  rime  du  vers  1202  :  hene^ 
où  elle  est  assurée  par  la  mesure  du  vers  (D,  L  et  H  donnent  beneit)  ; 
dans  Adgar  (XV,  2);  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  2,  5); 
et  dans  plusieurs  autres  écrivains  du  xii^  siècle.  Nous  trouvons 
postérieurement  à  ces  exemples  un  nombre  considérable  de  formes 
contractées  dans  le  Saint  Edmund  (2855),  ^^^^^  la  Vie  de  Saint 
Grégoire  (2140),  dans  Saint  Auban  (270),  dans  les  Heures  de  la 
Vierge  (59  v),  etc. 

Nous  ne  citerons  que  quelques  exemples  pour  maudire  qui  suit 
aussi  exactement  que  possible  la  même  voie  que  bénir. 

On  trouve  la  dentale  et  la  forme  trissyllabique  dans  les  Psautiers 
d'Oxford  et  de  Cambridge  (36,  22);  peut-être  au  vers  1287  du 
Tristan  de  Thomas,  certainement  dans  le  Drame  d'Adam  (434). 

La  forme  contracte  se  trouve  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (36, 
22)  (B);  dans  la  Folie  Tristan  au  vers  58  (le  ms.  donne  malete  que 
M.  Bédier  a  changé  en  màlditè)  ;  dans  le  Drame  d'Adam  (aux  vers 
473,  737,  429).  MaJdit  se  rencontre  pour  la  première  fois  dans  la 
Folie  aux  vers  585,  587. 

A  côté  de  la  forme  étymologique,  nous  trouvons  donc,  même 
au  xii=  siècle,  des  exemples  peu  assurés,  il  est  vrai,  de  la  forme 
analogique  pour  le  participe  passé  de  maudire. 

Nous    ne    relevons    malheureusement    pas    le    même    nombre 


524  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

d'exemples  pour  le  participe  passé  du  verbe  raembre  ;  les  rensei- 
gnements que  nous  avons  sont  donc  rares  et  clairsemés,  aussi  nous 
n'en  dirons  pas  grand'chose.  La  diérèse  a  dû  subsister  pendant  une 
bonne  partie  du  xii''  siècle  ;  nous  trouvons  un  exemple  de  la 
forme  dissyllabique  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  (au  vers  3644),  où  on 
trouve  reient  à  la  rime  avec  vient.  Au  commencement  du  siècle  sui- 
vant, nous  avons  des  exemples  qui  nous  montrent  que  la  synérèse 
s'est  effectuée,  d'abord  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au  vers  1468)  où 
reinte  rime  avec  seinte  ;  puis  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (au  folio 
62  r°)  qui  nous  donnent  la  rime  reint  :  seint. 

Les  formes. 

Nous  devons  diviser  ces  participes  en  plusieurs  classes,  suivant 
la  lettre  qui  précède  les  consonnes  de  la  désinence.  Ces  lettres 
peuvent  être  : 

1.  La  voyelle  a-, 

2.  La  voyelle  i  (J  bref)  ; 

3.  La  voyelle  ?/ (m  bref); 

4.  La  consonne  c; 

5.  La  consonne  /; 

6.  La  consonne  p  ; 

7.  La  consonne  r. 

Quelques-unes  de  ces  classes  seulement  nous  offriront  des  obser- 
vations valant  la  peine  d'être  faites. 

I.  Participes  passés  en  atum  (natum). 

Le  seul  participe  fort  de  cette  classe  est  natum  :  né.  Nous  ne  rap- 
pellerons pas  les  formes  faibles  qu'il  peut  prendre  (nasqui,  naessu, 
cf.  supra).  La  forme  forte  est  de  beaucoup  la  plus  usuelle,  et  on 
en  trouve  des  exemples  dans  chacun  de  nos  auteurs  ;  nous  ne  ferons 
donc  pas  la  liste  des  exemples  que  l'on  peut  relever.  Nous  remar- 
quons que  dans  la  langue  non  littéraire  1'^  du  radical  est  souvent 
redoublé  ;  nous  l'avons  déjà  fait  observer,  dans  notre  étude  des  par- 
ticipes passés  faibles  en  é. 


LES   t>ARTICIPES  5^5 

2.  Participes  passés  en  itum. 

Les  participes  passés  de  cette  classe  sont  très  peu  nombreux  et 
ils  ne  nous  offrent  que  de  rares  exemples  en  anglo-français.  Ils 
semblent  avoir  été  sentis  comme  archaïques  dès  les  premiers  temps 
de  l'anglo-français.  Nous  trouvons  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  de 
Frère  Angier  prientes,  qui  conserve  Vn  de  l'infinitif,  tandis  que  cette 
n  disparaît  dans  repost,  qui  rime  avec  host  au  vers  2617  du  Saint 
Edmund. 

3.  Participes  passés  en  uttim. 

Nous  n'avons  rien  de  spécial  à  dire  sur  ces  participes  ;  les  obser- 
vations générales  que  nous  venons  de  faire  pour  les  participes 
passés  en  itum  s'appliquent  également  bien  ici. 

4.  Participes  passés  en  ctum  '. 

De  tous  les  participes  forts  en  tum,  les  participes  passés  pour  les- 
quels cette  terminaison  est  précédée  de  c  sont  à  la  fois  les  plus 
nombreux,  les  plus  importants  et  les  plus  intéressants.  Nous  pou- 
vons remarquer  avant  de  commencer  que  ces  participes  se  sont  fort 
bien  conservés  en  anglo-français  et  que  nous  n'aurons  à  faire  sur 
leur  forme  que  très  peu  d'observations. 

2i)  La  consonne  finale.  —  Comme  toutes  les  autres  formes  du 
verbe  terminées  par  une  dentale,  même  appuyée,  on  les  voit  perdre 
quelquefois  leur  /  final  ;  cette  chute  de  la  dentale  est  assurée  pour 
la  première  moitié  du  xiii^  siècle;  car  nous  en  trouvons  un  exemple 
à  la  rime  dans  Boeve  de  Haumtone  :  dis,  qui  se  lit  au  vers  84.  Au 
siècle  suivant,  nous  rencontrons  encore  d'autres  exemples  assurés 
de  la  même  façon  :  maidye  se  trouve  à  la  rime  dans  une  laisse  en  ie 
dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (cf.  I,  390,  10),  et  on 
voit  esly  rimer  avec  lundy  au  vers  2238  du  Poème  du  Prince  Noir. 

Les  exemples  qui  se  trouvent  dans  le  corps  du  vers  sont  évidem- 

I.  Pour  les  participes  en  é"//,  on  peut  voir  Foerster,  Zeitsclirift  III,  p.  io6;Mussa- 
fia,  Zeitschrift  III,  p.  267. 


5  26  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

ment  plus  nombreux,  mais  nous  ne  savons  jamais  à  quelle  date  les 
rapporter.  Aussi  nous  n'en  citerons  que  quelques-uns,  comme  le 
bene  qu'on  lit  au  vers  270  de  la  Plainte  d'Amour;  le  coJly  qui  se 
trouve  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  (I,  460,  23),  et 
dans  un  ouvrage  en  prose  :  escondu,  au  §  121  des  Contes  de  Nicole 
Bozon . 

Nous  avons  même  rencontré  un  exemple,  isolé  du  reste,  qui  nous 
montre  la  dentale  passant  à  la  spirante  douce  :  assouthe  (Year  Book 
33  et  35  Edw.  P',  105). 

La  chute  du  /  final  est  assez  rare  dans  les  textes  non  littéraires, 
et  on  n'en  trouve  d'exemple  que  dans  les  recueils  les  moins  cor- 
rects; les  Statutes  par  exemple  n'en  présentent  aucun  cas;  on 
trouve  dans  Rymer  destrue{i^26,  IV,  236)  et  treie  (1340,  IV,  182); 
nous  ne  pouvons  pas  établir  la  valeur  de  cet  e  final. 

L'exemple  du  Year  Book  22  Edw.  I"  :  dedey  pour  dédit,  p.  139, 
est  moins  douteux  et  se  rapproche  des  quelques  exemples  que 
nous  avons  trouvés  dans  les  œuvres  littéraires,  mais  il  est  isolé. 

Il  nous  semble  qu'on  peut  considérer  comme  des  cas  de  chute  du 
t,  les  exemples  qui,  aux  xiii^  et  xiv^  siècles,  présentent  un  simple  ~ 
comme  consonne  finale  ;  en  ce  cas,  la  liste  s'allonge  sensiblement, 
et  les  Statutes  même  nous  offrent  quelques  exemples  :  fe~  (1275,  I, 
26)  ;  constrein-  (1383,  II,  32);  tree:;^  (i377,  I,  115);  sustre^  (1386, 
II,  40)  ;  on  en  trouve  aussi  dans  Rymer,  comme  dii~  (1307,111,  13, 
etc.),  et  un  certain  nombre  d'exemples  que  nous  verrons  tout  à 
l'heure. 

Lorsque  le  /  post-vocalique  ne  tombe  pas,  on  le  trouve  ordinai- 
rement appuyé,  soit  par  s,  comme  dans  dist,  Boeve(3i)  (à  la 
rime);  dans  fest  qui  se  lit  à  la  rime  du  vers  197  de  la  Vie  de  Saint 
Osith  et  est,  en  dehors  de  la  littérature,  très  commun,  surtout  dans 
les  Literae  Cantuarienses  (cf.  1333,  524);  et  dans  un  très  grand 
nombre  d'autres  recueils.  C'est  du  reste  un  phénomène  phonique 
assez  général. 

Plus  souvent  encore  le  t  est  appuyé  par  un  r,  comme  dans  dict, 
Statutes  (1377,  II,  2)  ;  faict  dans  Rymer  (1389,  VII,  634  ;  1396, 
VII,  689);  on  relève  encore  dans  ce  dernier  recueil  deduct  (1363, 
VI,  447;  1390,  VII,  6j6);  retract  (1394.  VII,  772). 
.  On  lit  aussi  induct  dans  le  Year  Book  14  Edw.  II,  220;  instruct 
(ibid.,  p.  131),  etc. 


LES    PARTICIPES  527 

De  plus  toutes  ou  presque  toutes  les  nouvelles  formations 
montrent  ce  c,  comme  nous  le  verrons  tout  à  l'heure. 

Toutefois  on  peut  dire  que  dans  lès  ouvrages  non  littéraires,  les 
participes  réguliers  montrent  le  plus  souvent  la  consonne  double 
tX^'y  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  remarquer  cette  terminaison 
dans  les  participes  passés  en  é,  en  /  et  en  a  ;  mais  c'est  dans  cette 
classe  de  participes  qui  nous  occupe  maintenant  qu'on  voit  cette 
consonne  le  plus  régulièrement.  Les  Statutes  nous  en  fournissent 
une  liste  considérable  d'exemples  et  nous  allons  en  donner  un 
tout  petit  nombre  :  atteint:;^  à  la  date  de  1275  (I,  27);  destreinti  au 
même  endroit  et  à  la  même  date;  feet:^,  dil::^,  atteint^  à  l'année  1278 
(I,  44)  ;  ^('5/n/i;;;  (13 11,  I,  161);  destrent^,  mtmt  date  (p.  166); 
/a//:^(i323,  I,  191).  Après  cette  date,  les  exemples  continuent  à 
se  rencontrer,  mais  nous  n'en  citerons  pas  davantage  maintenant. 

Les  autres  recueils,  s'ils  ne  fournissent  pas  un  aussi  grand  nombre 
de  cas  que  les  Statutes,  nous  montrent  cependant  que  cette  termi- 
naison était  au  moins  commune  partout  ;  par  exemple  nous  trou- 
vons dans  les  Munimenta  Academica  Oxon,  destruil^  (1348^  i59)i 
il  en  est  de  même  dans  Rymer,  dans  le  Liber  Albus,  dans  les  Lite- 
rae  Cantuarienses;  cette  forme  est  commune  dans  tous  ces  recueils 
et  nous  en  trouverons  un  nombre  suffisant  d'exemples  un  peu 
plus  tard,  lorsque  nous  énumérerons  les  nouveaux  participes  en 
ctum. 

b)  La  voyelle.  —  La  voyelle  accentuée  subit  quelques  modifica- 
tions, dont  quelques-unes  sont  simplement  des  changements  phoné- 
tiques qui  ne  sont  pas  particuliers  aux  participes  passés  en  ctum,  et 
d'autres  qui  le  sont.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  les  premiers. 

I.  Les  participes  passés  qui  montrent  la  voyelle  /subissent  quelques 
changements  de  peu  d'importance,  et  ces  changements  sont  tous 
exceptionnels.  Les  formes  régulières  sont  toujours  les  plus  nom- 
breuses, comme  parfit  qui  se  rencontre  régulièrement  à  peu  près 
partout,  jusqu'au  xiv=  siècle  (cf.  dans  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft,  I,  234,  II). 

On  peut  toutefois  signaler  la  forme  analogique  parfaite  qui  se 
trouve  dans  les  Psautiers  d'Oxford  (v,  4)  (Cr.  donne  parfite). 

Il  est  rare  de  trouver  la  diphtongue  oi;  c'est  dans  Rymer  que 
nous  trouvons  la  forme  curieusement  régulière,  mais  malheureu- 
sement isolée,  doit  (=  dictum)  (1373,  VII,  23);  on  peut  cepen- 


528  l'évolution  du  verUe  en  anglo-français 

dant  la  rapprocher  de  ckdcy  (22  Edw.  I",    519),  dont  elle  procède 
phonétiquement. 

2.  La  diphtongue  ni.  —  La  diphtongue  ///  subit  la  réduction  à  11, 
comme  il  est  naturel  ;  le  premier  exemple  assuré  que  nous  ayons 
de  cette  réduction  se  trouve  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  qui  nous 
donne  la  rime  importante  condti:^  :  retenu:^  au  vers  1976;  les  ter- 
minaisons en  u  sont  nombreuses,  mais  les  rimes  rares  ;  citons 
seulement  dans  Pierre  de  Langtoft  :  desfrute  (:  lute)  (I,  2,  8). 

Ces  formes  sont  très  fréquentes  dans  les  ouvrages  non  litté- 
raires; ce  sont  même  les  plus  communes  pour  cette  classe  de  parti- 
cipes. 

3.  La  diphtongue  m'.  —  Cette  diphtongue  dans  la  langue  litté- 
raire passe  à  et,  e  et  c'est  le  seul  changement  que  nous  trouvions 
à  signaler  ; /<'/  est  des  plus  communs  ;  cette  modification,  qu'on 
remarque  aussi  dans  les  recueils  de  textes  politiques,  etc.,  est  pure- 
ment phonique. 

En  dehors  de  la  littérature,  nous  trouvons  un  assez  grand 
nombre  de  variations  sur  lesquelles  il  nous  faut  nous  arrêter  un  peu 
plus. 

Quelques-unes  ont  pour  point  de  départ  la  forme  quia  la  voyelle 
e:  par  exemple  celles  qui  nous  montrent  le  redoublement  de  cette 
voyelle  :  feet:;;^,  assez  fréquent  dans  les  Statutes  (1278,  I,  44;  13 18, 
I,  177);  retree^  dans  le  Liber  Albus  (1334,  420);  attreet  dans  les 
Year  Books,  par  exemple  13  et  14  Edw.  III  (à  la  page  295),  et 
dans  plusieurs  autres  cas  encore.  Nous  rattacherons  à  la  forme  en  e 
ou  en  ee  celle  qui  nous  montre  la  diphtongue  iê  ;  celle-ci  s'est  pro- 
duite au  moment  où  cette  diphtongue  revenait  de  nouveau  en 
honneur  en  anglo-français.  Citons  triet^  que  nous  lisons  à  la  date 
de  1299  dans  les  Parliamentary  Writs  (I,  3  19). 

La  voyelle  /  pour  le  verbe  faire  est  des  plus  rares,  et  les  quelques 
exemples  de  Jit(e)  que  nous  avons  relevés,  comme  dans  les  Annales 
de  Burton  (1255,  p.  455),  pourraient  bien  n'être  que  des  erreurs 
matérielles  des  scribes. 

Nous  parlerons  enfin  et  en  dernier  lieu  d'une  forme  de  cette 
diphtongue  qui  est  très  importante  et  assez  commune  ;  nous  avons 
déjà  eu  l'occasion  de  citer  des  formes  analogues  à  propos  de  l'infi- 
nitif. La  diphtongue  dans  les  participes  passés  qui  nous  occupent 
prend  parfois  la  forme  m.  Feat,  qui  devait  du  reste  passer  dans  l'an- 


Les  participes  5:29 

glais  sous  cette  forme  même,  se  rencontre  fréquemment  à  partir 
de  la  fin  du  xiii^  siècle  ;  on  en  trouve  des  exemples  dans  les  œuvres 
littéraires^  mais  les  textes  politiques  et  autres  nous  en  ont  fourni  le 
nombre  le  plus  considérable.  Le  cas  le  plus  ancien  que  nous  con- 
naissions se  rencontre  dans  les  Parliamentary  Writs  sous  la  date  de 
1299  (I,  393)  et  se  trouve  par  la  suite  dans  un  grand  nombre  de 
textes;  signalons  aussi  cette  forme  dans  les  différents  Year  Books 
(cf.  II  et  12  Edw.  III,  p.  415).  Le  verbe  traire  a  lui  aussi  un  par- 
ticipe de  la  même  forme  :  treat  se  trouve  au  xiV  siècle,  par  exemple 
dans  le  Liber  Albus  (1345,1,  389). 

Feait,  que  nous  avons  rencontré  dans  les  Documents  Inédits,  nous 
paraît  une  contamination  entre  la  forme  normale  et  celle  que  nous 
venons  de  citer.  L'origine  de  ces  formes  nous  semble  d'ailleurs 
assez  obscure  ;  elles  ne  sont  que  des  modifications  du  participe 
passé  étymologique  ou,  comme  nous  le  suggérons,  sans  trop  y 
croire,  dans  notre  seconde  partie,  des  formes  d'emprunt,  ce  qui  est 
assez  peu  vraisemblable. 

4.  Des  phénomènes  semblables  peuvent  s'observer  pour  les  parti- 
cipes forts  dont  le  thème  présente  la  diphtongue  eL  Cette  diph- 
tongue est  la  règle  tout  d'abord,  et  elle  reste  longtemps  attestée  par 
les  rimes  ;  par  exemple  nous  lisons  dans  Robert  de  Gretham  :  traeit 
(:  esteit)  au  folio  68  v°;  le  même  participe  rime  avec  coveit  au 
vers  539  du  Roman  des  Romans. 

Cette  diphtongue  est  quelquefois  remplacée  par  la  diphtongue 
ai  ;  mais  ce  changement  ne  doit  pas  remonter  plus  haut  que  le 
commencement  du  xiii^  siècle.  Ainsi  la  forme  cheaitc,  qu'on  lit  au 
vers  318  du  Drame  d'Adam,  doit  être  attribuée  au  scribe. 

Car  ce  n'est  que  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  que  nous  trouvons 
cette  diphtongue  attestée  pour  la  première  fois  par  une  rime;  benaite 
y  rime  avec  faite  au  vers  2140,  et  nous  devons  ajouter  que  cette 
forme  reste  toujours  assez  rare.  La  rime  ne  prouve  du  reste  pas 
grand'chose  puisqu'à  cette  époque  les  deux  diphtongues  s'étaient 
déjà  confondues. 

La  raison  de  la  rareté  de  la  forme  précédente  doit  être  cherchée 
dans  ce  fait  que  la  voyelle  simple  remplaça  vite  la  diphtongue  ei  ; 
nous  en  trouvons  un  exemple  dans  les  Légendes  de  Marie  d'Adgar  : 
chaet  (XXVI,  32)  et  si,  comme  on  doit  probablement  le  faire, 
on  l'attribue  au  scribe,  cette  forme  date  encore  du  milieu  du 
xiii*^  siècle. 

34 


530  L  EVOLUTION    DU    VEKBH    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

C'est  du  reste  ce  que  nous  montrent  la  plupart  des  exemples  que 
nous  relevons  postérieurement,  par  exemple  les  deux  formes  que 
nous  rencontrons  dans  Chardri  et  qui,  ne  se  trouvant  pas  à  la  rime, 
peuvent  aussi  bien  provenir  des  scribes  :  toutes  les  deux  se  trouvent 
dans  les  Set  Dormans(aiix  vers  285  et  1020);  le  poème  de  Dermod 
nous  en  offre  un  autre  (au  vers  218);  la  première  rime  que  nous 
ayons  rencontrée  peut  se  lire  dans  les  Heures  de  la  Vierge  où  cette 
forme  rime  avec  beneite  (folio  59  v°). 

Par  la  suite,  elle  devient  assez  commune  (voir  par  exemple  la 
Chronique  de  Londres,  1309,  à  la  p.  35),  sans  réussir  à  déplacer  la 
forme  ancienne.  Nous  pourrions  en  citer  quelques  exemples  que 
Nicole  Bozon  emploie  dans  ses  Contes  (§  31)  ou  de  Pierre  de 
Langtoft  dans  sa  Chronique.  Une  remarque  que  nous  devons  fliire, 
c'est  l'emploi  de  la  forme  escheat  (cf.  l'anglais  escheal)  dans  les  textes 
légaux  où  elle  est  extrêmement  commune. 

c)  Nouvelles  formations  en  eit.  —  On  sait  que  les  participes  qui 
nous  occupent  maintenant  ont  attiré  à  leur  forme  un  grand 
nombre  d'autres  participes,  et  cette  attraction  n'appartient  pas 
spécialement  à  l'anglo-français,  au  contraire.  Nous  devons  diviser 
ces  nouvelles  formations  que  nous  avons  rencontrées  dans  nos  textes 
en  deux  groupes.  Le  premier  comprend  des  formes  que  nous  trou- 
vons déjà  dans  les  premiers  ouvrages  anglo-français  et  qui  par 
conséquent  sont  d'importation  continentale.  Le  second  groupe  com- 
prendra des  reformations  de  dates  beaucoup  plus  modernes  et  qui 
sont  propres  à  notre  dialecte. 

Dans  le  premier  de  ces  groupes,  nous  trouvons  les  quatre  verbes 
qui,  sur  le  continent,  prennent  plus  ou  moins  régulièrement  cette 
terminaison  :  choir,  toldre,  traire  et  cueillir. 

Outre  les  terminaisons  que  nous  lui  avons  vues  (en  ;  et  en  n),  le 
premier  de  ces  verbes  montre  assez  souvent  la  terminaison  en  eit. 
Nous  ne  ferons  pas  une  longue  énumération  des  exemples  de  chaeit 
que  nous  avons  recueillis  ;  nous  avons  déjà  eu  à  citer  quelques 
exemples  de  cette  forme  quand  nous  avons  analysé  les  change- 
ments que  subit  la  voyelle  du  radical  de  ces  participes.  Nous  nous 
contenterons  d'ajouter  maintenant  un  petit  nombre  de  détails  sur 
son  emploi. 

Au  XII*  siècle,  nous  avons  rencontré  une  douzaine  d'exemples  de 
cette  forme  ;  celle  qui  nous  semble  la  plus  ancienne  se  lit  dans  les 


LES    PARTICIPES  53  I 

Quatre  Livres  des  Rois  (I,  33,  13);  les  autres  cas  qui  se  trouvent 
dans  les  ouvrages  de  cette  époque  ne  sont  pas  aussi  assurés,  car  ils 
ne  se  rencontrent  que  dans  le  corps  du  vers,  comme  celui  que  nous 
lisons  dans  les  Légendes  de  Marie  (XXVI,  32),  ou  dans  le  poème  de 
Horn  (au  vers  343),  dans  le  Drame  d'Adam  (vers  318),  ou  dans  le 
Sermun  de  Guischart  de  Beauliu  (vers  1577). 

Pendant  tout  le  xiii^  siècle,  cette  forme  est  commune  mais  ne  l'est 
pas  sensiblement  plus  que  pendant  la  seconde  moitié  du  xii%  si 
nous  rapportons  à  cette  dernière  période  tous  les  exemples  que  nous 
venons  de  citer.  Nous  n'en  donnerons  que  quelques  exemples  à 
cette  époque.  Il  y  en  a  quelques  cas  dans  les  poèmes  d'Angier, 
dans  les  Dialogues  (41  v°  a)  ;  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  (vers 
1020);  escheî  se  lit  aussi  dans  la   Chronique  de  Londres  (1309, 

P-  35)- 

On  la  trouve  un  peu  moins  souvent  vers  la  fin  du  xiii^  siècle  et 
le  xiv^  l'ignore  presque  absolument. 

L'on  peut  voir  dans  ce  que  nous  avons  dit  des  formes  en  i  et 
des  formes  en  //  du  participe  passé  de  ce  verbe  la  variété  des 
formes  qu'il  peut  prendre  ;  mais  parmi  ces  formes,  on  ne  rencon- 
trera presque  jamais  une  forme  forte  dans  la  dernière  partie  du 
xiii^  siècle  et  pendant  tout  le  XIV^ 

Le  second  verbe  qui  prenne  la  désinence  eit,  c'est  le  verbe  toldre 
(cf.  participes  passés  en  u  et  participes  passés  forts  en  Ituui).  Toleit 
se  trouve  déjà  au  xii^  siècle,  il  est  deux  fois  à  la  rime  dans  les 
Légendes  de  Marie  avec  dreit  ;  au  vers  4444  del'Estorie  des  Engleis; 
dans  les  Légendes  de  Marie  (VIII,  132);  on  le  trouve  en  maints 
autres  endroits  du  même  ouvrag*e,  et  on  peut  presque  partout  l'at- 
tribuer à  l'auteur,  la  forme  en  eit  tendant  plutôt  à  disparaître  à 
mesure  qu'on  avance  dans  la  littérature  anglo-française. 

Pour  les  formes  qui  ne  sont  pas  assurées  par  la  rime  on  peut  citer 
un  grand  nombre  de  cas.  Philippe  de  Thaûn  l'emploie  dans  le  Bes- 
tiaire au  vers  1641  ;  on  la  rencontre  dans  le  Psautier  d'Arundel  (9, 
24);  au  vers  39  du  Drame  d'Adam;  dans  le  Tristan  de  Thomas 
(1369);  dans  le  Saint  Gilles  (vers  1206). 

Cette  forme  devient  plus  rare  au  xiii^  siècle  ;  elle  semble  déjà  un 
archaïsme  ;  certains  auteurs  l'emploient  cependant  ;  ainsi  dans  Robert 
de  Gretham  elle  rime,  au  folio  68  v",  avec  esteit  ;  au  vers  539  du 
Roman  des  Romans,  avec  coveit;  avec  esteit  au  vers  3^  de  Dcrmod  ; 


532  L  EVOLUTION    DU   VERBE    EN    ANGLO-PRANÇAIS 

et  elle  se  lit  dans  le  corps  du  vers  285  des  Set  Dormans  de  Chardri 
et  du  vers  218  de  Dermod. 

Nous  en  avons  relevé  un  plus  petit  nombre  de  cas  pendant  le 
XI v^  siècle;  dans  la  langue  littéraire,  on  trouve  tokt  à  la  rime  du 
vers  759  dans  la  Vie  de  Saint  Richard  de  Nicole  Bozon  et  dans 
Pierre  de  Langtoft  (II,  180,  7),  puis  toleit  dans  les  Contes  de 
Nicole  Bozon  (au  §  31),  et  c'est  tout  ce  que  nous  avons  ren- 
contré. 

Comme  on  peut  en  juger  d'après  cet  exposé,  la  forme  en  eit  de  ce 
verbe  tend  à  disparaître  entièrement.  Ceci  est  encore  plus  visible 
pour  les  deux  autres  verbes  qui  n'ont  .jamais  été  aussi  souvent 
employés  sous  cette  forme  au  participe  passé  :  traire  et  cueillir.  Le 
premier  de  ces  deux  verbes  cependant  se  rencontre  quelquefois, 
mais  nous  n'en  avons  pas  relevé  d'exemple  avant  le  xiii''  siècle, 
quoiqu'il  ait  dû  y  en  avoir.  On  le  trouve  pour  la  première  fois 
dans  les  Dialogues  Grégoire  à  la  rime  avec  chaeit  sous  la  forme 
traeit  (au  folio  41  v°  a);  Saint  Edmund  l'emploie  encore  et  dans 
l'exemple  qu'il  nous  offre,  on  peut  remarquer  que  la  synérèse  entre 
la  voyelle  du  thème  et  celle  de  la  désinence  s'est  effectuée  :  trei:{ 
(au  vers  2723). 

Cette  forme  est  plus  commune  en  dehors  de  la  littérature  :  nous 
avons  eu  déjà  l'occasion  d'en  citer  quelques  exemples  tirés  des 
Parliamentary  Writs  (1299),  du  Liber  Albus  (1334,  1345),  des 
Year  Books  (12  et  13  Edw.  III). 

Quant  au  participe  passé  de  cueillir,  cuiUeit,  il  est  extrêmement 
rare,  l'exemple  que  nous  en  trouvons  dans  le  Psautier  de 
Cambridge  :  cuilleite  (34,  16)  est,  autant  que  nous  pouvons  en  juger, 
un  aua;  dans  la  langue  littéraire. 

Il  est  un  peu  moins  rare  en  dehors  de  la  littérature  :  les  Statutes 
nous  en  donnent  deux  exemples,  deux  noms  verbaux,  il  est  vrai  : 
coiUect  (1350,  I,  321)  et   coilliet  (1360,  I,  370). 

On  voit  donc  que  le  type  eit  n'a  pas  eu  dans  le  français  d'An- 
gleterre beaucoup  d'extension;  les  verbes  qui  avaient  régulièrement 
cette  désinence  au  participe  passé  l'ont  gardée,  ceux  qui  l'avaient 
prise  par  analogie  ont  été  peu  nombreux,  ont  toujours  eu  une  ou 
plusieurs  autres  formes  concurremment  pour  leur  participe  passé,  et 
pour  ces  verbes,  le  nombre  des  formes  en  eit  a  décru  considéra- 
blement  pendant  le  xiv*  siècle. 


LES    PARTICIPES  533 

Si  maintenant  nous  passons  aux  formes  propres  à  l'anglo-fran- 
çais,  nous  ne  trouvons  dans  les  œuvres  littéraires  qu'une  seule 
reformation  proprement  dite  :  compunct,  qui  ne  se  trouve  employé 
qu'une  seule  fois,  au  vers  2226  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire. 

Au  contraire,  dans  la  langue  politique,  diplomatique  et  légale, 
les  nouvelles  formations  sont  assez  communes,  on  peut  même  dire 
que  leur  emploi  est  une  des  caractéristiques  de  l'anglo-français  non 
littéraire.  Les  nouveaux  participes  passés  se  présentent  ordinaire- 
ment avec  les  consonnes  et,  comme  les  exemples  suivants  le 
montrent. 

La  forme  que  nous  trouvons  le  plus  fréquemment  est  convict  ; 
elle  se  rencontre  dans  les  Statutes  à  partir  de  1320(1,  180)  et  est 
fréquemment  répétée  (1346,  I,  304;  1350,  I,  312;  1377,  II,  5); 
on  la  trouve  sensiblement  plus  tard  dans  Rymer  (1373,  VII,  23). 
Elle  est  absente  de  la  plupart  des  autres  recueils,  ou  rare,  excepté 
dans  les  Year  Books . 

Dans  les  Statutes,  on  trouve  encore  plusieurs  autres  formes  du 
même  genre  :  astrict  (1386,  II,  40),  enfect  (1388,  II,  59);  dans  les 
Rymer's  Foedera  on  2i  direct  (1340,  V,  209)  et  conjiinct  (1356,  V, 

836). 

De  plus,  on  pourrait  réellement  citer  ici  toutes  les  formes  assez 
communes  en  dehors  de  la  littérature  dans  la  deuxième  moitié  du 
xiv^  siècle,  comvat  fact,  tract,  conduct,  qui  sont,  sinon  des  formes 
nouvelles,  au  moins  des  formes  refaites. 

5.  Participes  en  ///////. 

Il  n'y  a  qu'un  nombre  très  restreint  de  participes  provenant  du 
latin  Ituiii  et  ils  ne  sont  que  très  rarement  employés  en  anglo- 
français.  Citons,  à  cause  des  formes  analogiques  sous  lesquelles 
nous  avons  déjà  rencontré  ce  participe,  tout,  de  toldre,  qui  se  trouve 
au  vers  768  du  Petit  Plet  de  Chardri  et  qui  est  extrêmement  rare 
dans  les  écrits  anglo-français,  littéraires  ou  non. 

6.  Participes  en  piui>i. 

Remarquons  seulement  que  l'/zde  Tinfinitif  s'est  introduite  dans 
rons,  de  rompre,  qui  rime  avec  félons  dans  Boeve  deHaumtone  (cf. 
vers  3232)  et  avec  sunt  dans  les  Chansons  (III,  24). 


534  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

La  langue  des  ouvrages  non  littéraires  nous  présente  quelques 
nouvelles  formes  :  adept  et  corrupl,  dans  les  Statutes  (respective- 
ment 1350,  I,  318;  1388,  II,  59);  et  dans  Kymtr  :  redemptes, 
assit inpt:(  (respectivement  1340,  V,  208  ;  1390,  VII,  677)  ;  dans  les 
Year  Books  :  internipt  (i  et  2  Edw.  II,  175  ;  11  et  12  Edw.  III,  195 
et  passini). 

Aucune  de  ces  nouvelles  formations  n'a  trouvé  place  dans  la 
langue  littéraire. 


CHAPITRE  VI 
LES    INCHOATIFS 


Un  certain  nombre  de  verbes  appartenant  par  leur  infinitif  à  la 
seconde  conjugaison  sont  inchoatifs,  c'est-à-dire  qu'il  prennent 
l'infixé  iss  à  certains  temps  entre  le  radical  et  la  terminaison.  Ces 
temps  sont  le  présent  et  l'imparfait  de  l'indicatif,  l'impératif,  le 
présent  du  subjonctif,  le  participe  présent.  Leur  futur  se  distingue 
de  celui  des  non  inchoatifs  de  cette  même  conjugaison  en  ce  que 
ces  verbes  conservent  à  ce  temps  1'/  de  l'infinitif. 

A  propos  des  verbes  inchoatifs,  nous  étudierons  d'abord  les 
verbes  qui,  hésitant  entre  les  deux  formes  de  la  deuxième  conju- 
gaison, ont  tantôt  les  formes  inchoatives,  tantôt  les  non  inchoatives, 
sans  qu'on  puisse  considérer  l'une  ou  l'autre  comme  absolument 
irrégulière  ;  ensuite  nous  verrons  un  certain  nombre  de  verbes  qui 
prennent  indûment  et  exceptionnellement  la  forme  inchoative  ; 
enfin,  nous  énumérerons  un  certain  nombre  d'autres  verbes  qui, 
devant  l'avoir,  la  perdent  irrégulièrement. 

I.  Il  y  a  en  anglo- français  un  grand  nombre  de  verbes  qui 
hésitent  entre  les  deux  formes  de  la  seconde  conjugaison  ;  non  seu- 
lement d'un  auteur  à  l'autre,  mais  fréquemment  dans  le  même 
auteur  et  dans  le  même  ouvrage.  On  ne  peut  pas  dire  pour  ces 
verbes  que  l'une  des  formes  est  plus  régulière  que  l'autre.  Nous 
allons  passer  rapidement  en  revue  les  plus  importants  d'entre 
eux. 

Emplir  est  un  de  ces  verbes  ;  il  montre  les  deux  formes  ;  mais  au 
xii'^  siècle  et  même  au  xiii'',  les  formes  simples  sont  l'exception  et 
au  contraire  les  formes  inchoatives  se  rencontrent  dans  la  plupart 
des  auteurs  ;   raeinpUst  se    lit  dans  le  Psautier  d'Oxford  (102,  5). 


53^  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Dans  le  Psautier  de  Cambridge,  qui  ne  connaît  du  reste  que 
celles-là,  nous  trouvons  enipJisscl  (19,  4)  qui  est  aussi  employé  dans 
le  Psautier  d'Arundel  (17,  6).  Il  est  inutile  de  citer  un  plus  grand 
nombre  d'exemples  de  formes  aussi  communes  à  cette  époque 
qu'elles  sont  régulières. 

Par  conséquent,  pendant  ces  deux  siècles,  les  formes  non  inchoa- 
tives  restent  l'exception  :  emples  se  trouve  deux  fois  dans  le  Psau- 
tier d'Oxford  (i4-|,  7);  empk  se  lit  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois 
(I,  16,  i)  ainsi  que  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (63  r°)  ; 
ei)iple:(^  se  lit  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (63  r°).  Au  xiv^  siècle, 
les  formes  non  inchoatives  prennent  une  assez  grande  extension  ; 
mais  nous  ne  pouvons  jamais  savoir  si  elles  appartiennent  à  la 
seconde  conjugaison  ou  si  elles  proviennent  du  nouvel  infinitif 
empler  :  on  trouve  ainsi  emples  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon. 

Il  en  esta  peu  près  de  même  pour  guarir;  il  suit  le  plus  souvent 
la  conjugaison  inchoative  ;  nous  en  trouvons  de  fort  nombreuses 
preuves  au  xii'=  et  au  xiii^  siècle.  Le  Bestiaire  nous  donne  ainsi 
guarit  (au  vers  2i92);^or//am  se  trouve  dans  les  Psautiers  d'Oxford 
et  de  Cambridge  (68,  22  ;  70,  2  respectivement)  ;  les  Quatre 
Livres  des  Rois  ont  giiarisse  (II,  14,  4),  qu'on  lit  encore  au  vers 
1512  de  Horn  ;  Saint  Gilles  a  le  même  exemple  au  vers  1596,  etc. 

Les  exemples  continuent  à  être  nombreux  au  xiii^  siècle,  par 
exemple  dans  le  Josaphat  de  Chardri  (aux  vers  765,  1320),  dans 
le  Saint  Auban  (au  vers  953),  et  au  siècle  suivant  dans  les 
Rubriques  d'Eward  le  Confesseur  (XLII,  8).  Ces  quelques  exemples, 
et  ceux  dont  nous  pourrions  allonger  notre  liste,  suffisent  à  mon- 
trer que  ces  formes  sont  communes  pendant  cette  période. 

Les  formes  non  inchoatives  qu'on  rencontre  sont  assez  rares  ; 
c'est  surtout  le  futur  qui  semble  échapper  à  la  conjugaison  inchoa- 
tive ;  il  a  presque  toujours,  et  à  toutes  les  époques,  la  forme  sans 
voyelle  :  on  le  trouve  sous  la  forme  guarrai  dans  de  Drame  d'Adam 
(au  vers  905)  (assuré  par  la  mesure  du  vers);  et  de  même  dans 
Adgar  (XIII,  82);  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  17,  36); 
dans  le  Saint  Gilles  (414).  Robert  de  Gretham  l'emploie  réguliè- 
rement sous  cette  forme  (par  exemple  au  folio  97  v°);  il  en  est  de 
même  pour  le  conditionnel  qu'on  retrouve  jusqu'au  xiv^  siècle, 
dans  les  Rubriques  d'Edward  le  Confesseur  (XXXIX,  6). 

Les  autres  formes  non  inchoatives  sont   rares  ;  on   ne  les   ren- 


LES    INCHOATIFS  537 

contre  qu'assez  tard  et  dans  des  auteurs  généralement  incorrects 
ou  pour  lesquels  nous  n'avons  pas  un  texte  bien  sûr.  Boeve  de 
Haumtone  par  exemple  a  (au  vers  3224)  la  forme  gare:(  ;  et  à  la  fin 
du  xiv^  siècle,  dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet,  nous  trou- 
vons le  participe  présent  garraunt  (au  folio  8  r'');  on  pourrait  citer 
d'autres  formes  de  ce  même  auteur  qui  fait  le  plus  souvent  un  non 
inchoatif  de  guarir. 

Guerpir  est  lui-même  presque  toujours  inchoatif;  au  xii^  siècle, 
on  ne  trouve  guère  que  la  forme  avec  l'infixé  iss,  comme  dans  le 
Cumpoz  (au  vers  1662),  dans  Thomas  (1387),  dans  le  Drame 
d'Adam  (71),  dans  Guischart  de  Beauliu  (5^0,  816).  Un  peu  plus 
tard,  cette  forme  est  encore  commune  :  Chardri  l'emploie  dans 
Josaphat  (par  exemple  au  vers  502,  etc.)  ;  on  la  trouve  aussi  dans 
le  Roman  des  Romans  (vers  495);  au  xiV^  siècle,  elle  se  trouve 
dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (§  m). 

La  forme  non  inchoative  est  plus  rare  ;  au  xii'  siècle,  on  ne  la 
rencontre  que  dans  le  Psautier  d'Arundel  :  degtierpeiit  {^^,  21)  ;  au 
xiii^,  Chardri  nous  en  fournit  un  nouvel  exemple  ;  degnerpe\  qui  se 
lit  au  vers  1346  de  Josaphat;  o-^^^r/?^:^  se  trouve  dans  la  Plainte 
Notre-Dame,  dans  Pierre  de  Langtoft  (IF,  396,  26). 

Haïr  nous  présente  un  état  de  choses  exactement  contraire.  Pour 
ce  verbe  ce  sont  les  formes  non  inchoatives  qui  sont,  et  de  beau- 
coup, les  plus  communes.  Nous  allons  donner  un  certain  nombre 
d'exemples  montrant  les  deux  formes  dans  ce  verbe. 

Au  présent  de  l'indicatif,  on  trouve  ha^  dont  nous  avons  déjà 
cité  plusieurs  exemples  (cf.  Première  personne  du  singulier);  la 
seule  forme  employée  pour  la  troisième  est  het  qui  se  rencontre  dans 
presque  chaque  auteur  (cf.  Troisième  personne  du  singulier)  ;  la 
première  personne  du  pluriel  est  haihn,  employée  par  Robert  de 
Gretham  (  1 7  r°)  ;  la  seconde,  haye\,  qu'on  lit  dans  le  Psautier  de 
Cambridge  (96,  ro)  et  dans  William  de  Waddington  (3737); 
hémt  est  la  troisième  personne  du  pluriel  :  on  la  trouve  dans  le  Don- 
nei  (au  vers  46)  et  elle  rime  avec  béent  dans  les  Dialogues  Grégoire 
(107  v°  b);  la  même  forme  avec  un  /  euphonique  est  employée  dans 
le  Saint  Edmund  (au  vers  365),  heyent.  A  l'imparfait,  on  trouve 
haeie  dans  le  Psautier  d'Oxford  (138,  21),  et  dans  le  Psautier  de 
Cambridge  (138,  3);  on  le  retrouveau  vers  37  deGaimar,  1899  du 
Saint  Edmund,  2866  de  William  de  Waddington  et  au  folio  62  v° 
des  Heures. 


538  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Le  participe  présent  nous  fournit  aussi  un  grand  nombre 
d'exemples  de  la  forme  simple  :  haan^  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge (17,  41);  haiani  se  rencontre  dans  le  Psautier  d'Arundel(i7, 
43),  dans  le  Tristan  de  Thomas  (900),  etc. 

Le  futur  a  le  plus  souvent  la  forme  sans  /  :  harat  se  lit  dans  le 
Bestiaire  (1898),  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (42  r°  a),  dans 
William  de  Waddington  (2607),  dans  l'Apocalypse  (1016),  dans 
Foulques  Fitz  Warin  (38). 

Les  formes  inchoatives  sont  très  rares  :  on  trouve,  à  la  première 
personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  :  hais  dans  le  Psautier 
de  Cambridge  (5,  5),  ce  qui  peut  être  une  forme  inchoative  ;  au 
participe  présent  :  baissan:;^,  dans  le  Psautier  d'Oxford  (17,  44). 

Ce  verbe  semble  ne  prendre  que  la  forme  simple  dans  les  ouvrages 
non  littéraires  ;  nous  n'avons  pas  relevé  de  témoignage  direct  et 
absolument  probant  de  la  forme  inchoative;  tous  les  exemples  que 
nous  avons  recueillis  sont  des  futurs  ou  des  conditionnels,  et  nous 
verrons,  quand  nous  parlerons  de  ces  deux  temps,  qu'il  est  impossible 
de  faire  fond  sur  ces  temps  pour  la  question  qui  nous  occupe.  Nous 
trouvons  par  exemple  dans  les  Literae  Cantuarienses  :  harreyoms, 
/;flrrom5  (respectivement  1333,  508  ;  1334,  550).  Pour  les  quelques 
verbes  précédents,  la  question  est  donc  bien  simple  :  ils  adoptent,  à 
quelques  exceptions  près,  l'une  des  conjugaisons. 

Plus  que  tout  autre,  le  verbe  joïr  hésite  entre  les  deux  formes  ;  il 
est  difficile  de  déterminer  laquelle  est  la  plus  fréquemment  employée. 
Citons  d'abord  les  formes  simples,  que  nous  croyons  plus  usuelles 
que  les  autres,  dans  les  œuvres  littéraires.  Au  présent  et  à  l'impar- 
fait de  l'indicatif,  nous  relevons  : 

Esjoie^qmsQ  trouve  dans  le  Psautier  d'Arundel (3^,  21;  39,  20; 
46,  i)  et  qu'on  lit  encore  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (61  r°),  dans 
les  Vies  de  Saints  de  Bozon  (105  r°,  etc.). 

Au  subjonctif,  on  a  joie  (gaudeat)  qui  est  moins  commun  mais 
que  nous  avons  relevé  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (au  folio  62  r°). 

Au  participe  présent,  les  exemples  sont  nombreux  :  joiati^  se 
trouve  fréquemment  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (118,  162  et 
passini)  ;  dans  le  Psautier  d'Arundel  au  passage  correspondant  ;  au 
vers  579  du  Saint  Gilles,  2452  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  903 
de  Boeve,  1195  du  Saint  Auban,  etc. 

Citons    maintenant   quelques    formes    inchoatives   :    esjoisseï  se 


LES   INCHOATIFS  539 

trouve  dans  le  Psautier  d'Arundel  (9,  2;  31,  14),  dans  Robert  et 
Gretham  (78  r°,  deux  fois);  esjoissani  est  employé  dans  le  Psautier 
de  Cambridge  (9,  3),  mais  il  y  est  moins  fréquent  que  l'autre 
forme  ;  après  les  Psautiers,  cette  forme  se  trouve  plus  rarement  ;  elle 
a  même  disparu  complètement  au  xiv^  siècle. 

Le  futur  se  trouve  sous  les  deux  formes  dans  les  Psautiers  ;  mais 
la  forme  avec  /  est  plus  commune,  tandis  que  dans  les  auteurs  pos- 
térieurs, c'est  l'autre  forme  sans  /  qui  est  sans  aucun  doute  la  plus 
usuelle. 

Ce  même  verbe  montre  les  deux  formes  dans  les  ouvrages  de  la 
langue  politique  et  diplomatique  ;  et  il  nous  est  impossible  de  décou- 
vrirsi  l'une  d'elles  a  été  plus  employée  que  l'autre  à  une  époque  quel- 
conque ;  les  mêmes  écrivains  semblent  les  employer  indifféremment  ; 
par  exemple  dans  le  Liber  Albus,  à  la  même  date  1334,  on  trouve 
rejoient  (p.  420),  et  enjoissent  (p.  427)  ;  dans  les  Statutes,  on  a  joise 
(1370,  II,  13  et  passini)  et  enjoient  (1350,  I,  310;  1351,  I,  325). 
S'il  y  a  une  différence  entre  l'emploi  de  ces  formes,  nous  croyons 
qu'elle  est  en  faveur  de  la  forme  non  inchoative,  mais  il  est  possible 
que  la  lecture  d'un  plus  grand  nombre  de  textes  aurait  pu  nous 
amener  à  professer  l'opinion  contraire. 

Cependant  c'est  la  forme  non  inchoative  qui  prévaut  dans  les 
Year  Books  ;  nous  n'avons  relevé  dans  aucun  volume  de  ce  recueil 
d'exemple  montrant  l'infixé  isc  ou  Vi  au  futur  et  au  conditionnel. 

Convertir  et  les  autres  composés  de  vertir  sont  rarement  inchoa- 
tifs  ;  on  ne  trouve  guère  comme  formes  inchoatives  que  convertisse 
(:  périsse)  au  vers  looi  de  la  Vie  Saint  Grégoire;  revertirai  dans 
les  Dialogues  (31  r°  b). 

Au  contraire,  les  formes  simples  sont  souvent  en  usage  ;  convertes 
se  trouve  dans  les  Psautiers  d'Oxford  (79,  4),  et  de  Cambridge 
(89,  3)  ;  la  deuxième  personne  du  pluriel  :  couverte:^,  se  trouve  dans  les 
Heures  (aux  folios  62  v°,  63  v°)  ;  la  troisième  :  purvertent,  dans  la 
Petite  Philosophie  (vers  78).  A  l'imparfait,  nous  avons  convertoient 
dans  la  Vie  deSaint  Grégoire  (2053)  î  à  l'impératif  :  averte,  dans  les 
Dialogues  Saint  Grégoire  (81  v°  b),  enfin  reverte  dans  le  Roman 
des  Romans  (69). 

Regéhir  présente  les  deux  formes,  et  ici  encore  il  est  difficile  de 
décider  quelle  a  été  la  forme  la  plus  employée. 

Nous  en  avons  une  preuve  dans  les  Heures  de  la  Vierge,  qui  nous 


540  L  EVOLUTION    DU    VERBR    EM    ANGLO-FRANÇAIS 

montrent  un  mélange  assez  curieux  des  deux  formes  :  d'un  côté,  on 
relève  regeùmis  (6i  r"),  regeic:^  (63  v°),  regeieiitÇSi  v°),  regeierex^  (68 
r°)  et  de  l'autre,  regeït  (61  r°),  regehise:^  (éi  r°). 

La  langue  politique  et  diplomatique  nous  oft're  encore  un  certain 
nombre  d'autres  verbes  qui  hésitent  entre  les  formes  inchoatives  et 
les  formes  simples,  et  qui  se  rencontrent  régulièrement  sous  l'une 
ou  l'autre  forme.  Nous  trouvons  ainsi  le  verbe  établir  sous  les  deux 
formes  •.estabUssous,  dans  les  Statutes  (1353,  I,  333)  ;  dans  le  Liber 
Albus  :  establissoit  (1334,  424),  et  par  contre,  dans  les  textes  des 
Rymer's  Foedera  postérieurs  à  1350,  ce  verbe  se  trouve  toujours 
sans  l'infixé  :  cslablions  (1373,  VII,  51  ;  1375,  VII,  104,  etc.). 

Au  xiv^  siècle,  les  cas 'qui  montrent  la  perte  de  l'infixé  inchoatif 
dans  cette  catégorie  de  textes  deviennent  assez  nombreux  ;  le  verbe 
saisir,  tout  d'abord,  se  rencontre  toujours  sous  la  forme  simple  à 
partir  du  milieu  du  xiv*  siècle  ;  nous  en  trouvons  un  premier  exemple 
très  tôt  dans  les  Statutes  :  seise  (1275,  I,  33)  ;  et  ces  formes 
deviennent  très  nombreuses  au  xiv^  siècle  (cf.  1363,  I,  378  ;  1377, 
II,  3)  ;  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense  en  présente  aussi 
un  certain  nombre  (cf.  1303,  II,  61). 

Enfin  la  langue  légale  fait  un  usage  considérable  de  ce  verbe,  et  la 
forme  qu'on  relève  dans  les  différents  Year  Books  est  presque 
toujours  la  forme  non  inchoative  (cf.  22  Edw.  I",  425).  Rappelons 
du  reste  qu'au  xiv^  siècle  ce  verbe  a  un  inHnitif  sciser.  Dans  la  langue 
littéraire,  cette  forme  de  saisir  est  beaucoup  plus  rare  ;  un  seul 
auteur  semble  en  faire  un  usage  assez  fréquent  :  Pierre  de  Langtoft 
(par  exemple  :  I,  450,  28;  II,  218,  14  et  passiiii). 

Tous  les  verbes  sont  plus  ou  moins  réguliers  sous  l'une  et  l'autre 
des  deux  formes.  Nous  allons  examiner  maintenant  de  véritables 
irrégularités. 

II.  Un  certain  nombre  de  verbes  perdent  exceptionnellement  la 
forme  inchoative  qui  leur  est  habituelle.  Ce  genre  d'incorrection  est 
rare  dans  les  ouvrages  littéraires.  Nous  ne  trouvons  guère  à  citer  que 
suffoent,  qu'on  lit  au  vers  3145  du  Saint  Edmund  : 

Suffoent  entur  la   parai  ; 

et  flestrent  qui  se  lit  dans  l'Apocalypse  ,  7  3,  819.  Nous  pourrions 
probablement  trouver   quelques  autres  exemples  du  même  genre, 


LES    INCHOATIFS  54 1 

mais  ils  sont  douteux,  et  ne  sauraient  le  plus  souvent  prouver  que 
l'ignorance  des  scribes. 

Nous  pouvons  cependant  donner  un  petit  nombre  d'exemples 
montrant  les  incorrections  qu'un  scribe  (ou  qu'un  auteur  anglo- 
français)  se  permettait.  Blêmir  fait  hlemeieul  dans  le  i^""  Appendice  de 
Pierre  de  Langtoft  (II,  418,  18);  ensevelir  fait  eiisevele^  dans 
Nicolas  Trivet  (16  v")  ;  transgloutir  donne  trajisgluleiit  dans  le  Dit  de 
Hosebondrie  de  Walter  de  Henle}'  (page  30),  et  dans  les  Contes 
de  Nicole  Bozon,  transgloute  (au  §  54).  Les  exemples  de  ce  genre 
ne  manquent  pas  dans  les  mss.  de   la  fin  du  xiv*  siècle. 

Citons  enfin  quelques  verbes  qui  appartiennent  régulièrement  à 
la  conjugaison  en  iss,  et  qui  passent  quelquefois  dans  les  textes  de 
la  langue  politique  et  diplomatique  à  la  conjugaison  simple  : 
dans  les  Statutes,  nous  trouvons  d'abord  ravir  :  ravie  (1275,  I,  29);  . 
fournir,  dans  un  certain  nombre  de  recueils,  se  comporte  de  la 
même  façon,  par  exemple  parfnrne:^  dans  Rymer  (1330,  IV,  450)  ; 
parfom'nent  dans  les  Statutes  (1360,  I,  361). 

On  peut  encore  lire  obeie  dans  les  Parliamentary  Writs  (1324, 
II,  677  );  dans  les  Statutes  (1389,  II,  6^)  ;  obeianfi  dans  ce  dernier 
recueil  (1397,  II,  98)  ;  mordrent  de  mordrir  se  trouve  aussi  dans 
les  Statutes  (1378,  II,  10). 

Garantir,  qui  est  d'un  emploi  très  fréquent  dans  les  Year  Books, 
se  présente  indifi'éremment  sous  les  deux  formes  :  garrante^  (20  et 
21  Edw.  I",  21,  201,  221)  ■,garraunte(i6  Edvv.  III,  493).  Garauntisse 
(33  et  35  Edw.  I",  419  ;  16  Edw.  III,  491).  Garrantira,  20  et  21 
Edw.  I",  31,  221). 

La  perte  de  l'infixé  dans  ces  verbes  est  toutefois  une  irrégularité 
tout  à  fait  exceptionnelle. 

III.  Nous  allons  voir  maintenant  quelques  verbes  qui  prennent 
irrégulièrement  et  pour  ainsi  dire  par  hasard  la  forme  inchoative  ;  il 
peut  sembler  assez  remarquable  que  ce  soit  surtout  au  xii^  siècle  que 
nous  trouvions  cette  sorte  d'irrégularité  ;  l'explication  de  ce  phéno- 
mène n'est  cependant  pas  difficile  à  trouver  :  ni  le  treizième  ni  le 
quatorzième  siècle  n'abondent  en  verbes  inchoatifs. 

Nous  pouvons  d'abord  citer  une  forme  que  l'on  rencontre  dans 
Gaimar  :  baillisseient  (au  vers  2920),  donnée  par  trois  mss.  et  assurée 
par  la  mesure. 

Vers  la  fin  du  xiii^  siiècle,  nous  en  rencontrons  un  autre  exemple, 


542  L  EVOLUTION    DU    VKRBE    EN    ANGLO-IRANÇAIS 

dans  William  de  Waddington  :  repentisci  (au  vers  4671),  mais  cette 
forme  n'est  d'ailleurs  donnée  que  par  un  seul  manuscrit  :  A.  Au 
xiV^  siècle,  les  exemples  de  nouvelles  acquisitions  pour  lesinchoatifs 
sont  rares  au  milieu  des  licences  que  lesauteurs  se  permettent  avec 
la  conjugaison.  On  peut  tout  au  plus  citer  :  faillyst  qui  se  trouve 
dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  94,  1 8)  ;  assentisseit  dans  Nicolas  Trivet 
(46  r°)  ;  les  ouvrages  non  littéraires  n'offrent  pas  non  plus  beaucoup 
d'exemples  de  cette  irrégularité;  citons  cedissons  da.ns  les  Rymer's 
Foedera  (1360,  VI,  244). 

Nous  pouvons  observer  un  phénomène  légèrement  différent  dans 
cette  dernière  classe  d'ouvrages  ;  plusieurs  verbes  inchoatifs  ou  non 
montrent  l'infixé  à  des  temps  ou  des  personnes  qui  ne  l'ont  jamais; 
ces  formes  se  trouvent  toutes  à  la  fin  du  xiv=  siècle  ei  principalement 
dans  les  Statutes,  par  exemple  arierissé  (1390,  II,  76);  anwrtiser 
(139 1,  II,  80);  garniser  (13 n,  II,  81);  punissereienl  (1393,  II,  90); 
des  formes  analogues  se  rencontrent  très  fréquemment  dans  les  Year 
Books  de  toutes  les  dates  :  citons-en  quelques-unes  :  recoverissoms 
(recovrer)  (30  Edw.  I",  39);  rendisseit  (2  et  3  Edw.  II,  15),  enfin 
punisser  (i  et  2  Edw.  II,  158).  Cette  dernière  forme  n'est  du  reste 
donnée  que  par  deux  mss.  (A  et  B)  ;  trois  autres  donnent  punir 
(M,  Pet  Y). 

Les  ouvrages  littéraires  ne  nous  offrent  pas  d'exemple  de  formes 
aussi  barbares  que  les  précédentes  ;  nous  avons  trouvé  sous  la  plume 
de  certains  scribes  l'infixé  iss  à  des  endroits  inattendus,  comme 
dans  chastiser  donné  pour  le  vers  154  du  Bestiaire  par  le  ms.  O. 
Mais  ces  formes  isolées  ne  sauraient  être  que  des  erreurs  matérielles 
qui  ne  prouvent  que  la  négligence  de  ceux  qui  les  écrivent. 

Il  est  inutile  de  donner  un  plus  grand  nombre  d'exemples;  ceux 
que  nous  avons  vus  suffisent  à  nous  instruire  de  la  fortune  que  les 
inchoatifs  et  les  non  inchoatifs  ont  rencontrée  en  Angleterre. 

Pendant  le  xii^  et  la  première  partie  du  xiii''  siècle,  la  distinction 
entre  les  deux  classes  de  la  seconde  conjugaison  s'est  en  somme  fort 
bien  maintenue  ;  un  certain  nombre  de  verbes  hésitent  en  anglo- 
français,  comme  sur  le  continent,  entre  les  deux  formes.  On 
remarque  toutefois,  dès  le  xii*  siècle,  une  tendance  à  préférer  les 
formes  plus  simples.  Cette  tendance  ne  fait  que  s'affirmer  à  mesure 
qu'on  avance  :  ce  sont  tout  d'abord  les  verbes  hésitants  qui  se 
dirigent  de  plus  en  plus  vers  la  conjugaison  sans  infixe  ;  puis,  mais 


LES    INCHOATIFS  543 

surtoutaprès  1340,  les  verbes  qui  n'avaient  jamais  jusqu'alors  hésité 
entreles  Jeux  formes  commencent  à  perdre  les  caractéristiques  de  leur 
conjugaison.  Enfin  la  notion  même  de  la  valeur  de  l'infixé  disparaît  : 
certains  auteurs  l'introduisent,  pour  des  inchoatifsou  desnon  inchoa- 
tifs,  à  des  temps  où  sa  présence  constitue  un  véritable  barbarisme. 
Mais  malgré  ces  nouvelles  formations,  le  nombre  des  inchoatifs 
diminue  constamment,  c'est  à  peine  s'il  en  reste  des  traces  dans 
certains  Year  Books  ;  ajoutons  que  la  disparition  de  ce  suffixe  n'a 
pu  être  que  hâtée,  d'un  côté  par  l'influx  d'infinitifs  en  ir  provenant 
d'autres  conjugaisons  et  qui  ne  pouvaient  guère  prendre  les 
formes  inchoatives,  de  l'autre,  et  surtout,  par  les  formes  en  er  que 
prenaient  les  infinitifs  de  II. 


I 


LIVRE  III 
LES    TEMPS 


35 


CHAPITRE  PREMIER 
LE  PRÉSENT  DE  L'INDICATIF 


j^e  présent  ne  nous  offre  pas  la  matière  d'un  grand  nombre  de 
remarques  :  beaucoup  des  observations  que  l'on  peut  faire  sur  ce 
temps  ont  trouvé  leur  place  dans  les  études  que  nous  avons  faites 
des  désinences  personnelles  ;  d'autres,  en  moins  grand  nombre^ 
ont  retenu  notre  attention  lorsque  nous  avons  étudié  le  mode  indi- 
catif. 

Nous  ne  trouvons  même  pas  de  questions  que  le  présent  soulève 
en  tant  que  temps  ;  il  n'y  a  pour  ainsi  dire  que  peu  de  chose  de 
commun  entre  les  six  personnes  qui  le  composent. 

Pour  ce  qui  est  de  la  désinence,  quand  on  a  étudié  séparément 
les  désinences  des  différentes  personnes,  comme  nous  l'avons  fait 
dans  notre  première- partie,  il  ne  reste  absolument  rien  à  dire. 

Nous  n'avons  donc  qu'à  présenter  quelques  observations,  de 
mince  importance,  nous  en  convenons,  sur  les  modifications  du 
radical  du  verbe  au  présent  de  l'indicatif. 

LE    RADICAL 

I.  Nous  pouvons  remarquer  que  les  verbes  devoir,  suivre,  pou- 
voir, les  verbes  en  iiire  se  présentent  avec  ou  sans  la  consonne  des 
personnes  fiiibles.  Nous  avons  donné  assez  d'exemples  de  deivcnt 
ou  devient  pour  n'avoir  pas  à  y  revenir;  la  forme  sans  v  se  retrouve 
jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle,  le  dernier  exemple  que  nous  connais- 
sions se  lisant  dans  les  Rymer's  Foedera  à  la  date  de  1375  :  doient 
(VII,  62).   Il  en  va  à  peu  près  de  'même   pour  les  autres  verbes'; 


548  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

nous  ne  donnerons  ici  que  les  derniers  exemples  sans  la  consonne 
que  nous  ayons  relevés  :  pour  destruire,  dcstniicul  se  lit  dans  les 
Early  Statures  of  Ireland,  en  1320  (p.  282);  pour  pouvoir,  poient 
est  employé  dans  les  Rymer's  Foedera  en  1328  (IV,  340)  Quant  à 
suivre,  la  forme  sans  v  est  la  plus  commune  (Cf.  les  infinitifs  suire, 
siiir,  suer). 

2.  La  forme  faible  de  la  première  personne  du  pluriel,  et  la  troi- 
sième personne  du  pluriel  de  dire  soulèvent  une  question  du  même 
genre  :  c'est  la  présence  ou  l'absence  d'une  s  entre  le  thème  ou  la 
désinence. 

La  forme  sans  s  est  la  forme  régulière  en  anglo-français  ;  elle  se  lit 
dans  les  premiers  poèmes  du  xii'^  siècle  et  reste  à  peu  près  la  seule 
forme  employée  dans  tous  les  ouvrages  anglo-français,  littéraires  et 
autres,  par  exemple,  elle  se  trouve  à  la  rime  dans  le  Bestiaire  (au 
vers  15 12),  puis  dans  le  Psautier  d'Oxford  (i  13,  27),  dans  Adgar 
(IV,  98),  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  12,  18),  etc.,  etc., 
dans  Jordan  Fantosme  (1401),  Saint  Gilles  (2017),  etc.,  etc.  Vs 
fait  son  apparition  pour  la  première  fois  dans  deux  mss,  du  Bes- 
tiaire :  C  qui  est  continental  et  L  qui  est  anglo-français,  et  date 
de  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle.  Néanmoins  la  forme  faible  sans 
s  demeurera  la  forme  régulière  et  généralement  employée  en  anglo- 
français. 

3.  Le  présent  de  l'indicatif  voit  parfois  son  radical  subir  l'in- 
fluence de  celui  d'une  autre  partie  du  verbe  ;  peintuiii,  qui  nous  est 
donné  par  le  manuscrit  O  du  Bestiaire  (pour  le  vers  1394),  a  proba- 
blement le  radical  de  l'infinitif  ;  plaesf,  taest,  traest  que  Frère  Angier 
emploie  (cf.  71  c,  31  ;  48  c,  24;  71  c,  24),  peuvent,  ce  qui  est 
assez  douteux,  nous  montrer  une  influence  du  même  genre  \ 
Voillt,  qui  est  fort  commun  dans  les  différents  Year  Books  (cf  16 
Edw,  III,  259),  a  certainement  emprunté  son  radical  au  présent 
du  subjonctif. 

4.  Le  radical  du  verbe  savoir  nous  permet  de  faire  quelques 
remarques  : 

Dans  la  langue  diplomatique  et  politique,   nous  observons,  à  la 
troisième  personne  du  singulier  et  du  pluriel,  l'introduction  : 
1°  de  la  diphtongue  ie  qui  elle-même  se  réduit  parfois  à  /  ; 

I.  On  peut  leur  comparer  le  imu'ul  de  la  Cantilène  de  Sainte  Eulalie. 


LE    PRESENT    DE    L  INDICATIF  549 

2°  d'un   c  dans  le   radical   amené   par  l'analogie  du  latin  scire. 

Voici  quelques  exemples  qui  nous  montreront  ces  deux  phéno- 
mènes :  dans  les  Statutes  on  lit  sciet  (1275,  I,  37)?  scievent  (1378, 
II,  10),  puis  savent  (1389,  II,  ()G')  ;  nous  donnons  l'avant-dernier 
de  ces  exemples  parce  qu'il  nous  montre  les  deux  faits  ;  il  ne  fau- 
drait pas  en  conclure  que  l'apparition  de  la  diphtongue  ic  n'est  pas 
plus  ancienne  ;  par  exemple,  nous  trouvons  sievcnt  dans  Jean  de 
Peckham  (1290,  92). 

Sciet  est  aussi  commun  dans  les  Year  Books  (par  exemple  1 1 
et  12  Edw.  III,  441). 


CHAPITRE  II 
L'IMPARFAIT 


A.  —  Imparfaits  de  la  première  conjugaison. 

L'on  sait  que  les  imparfaits  de  la  première  conjugaison  ont  aux 
trois  personnes  du  singulier  et  à  la  troisième  du  pluriel,  une  forme 
qui  leur  est  particulière.  Progressivement,  en  Angleterre  comme  sur 
le  continent,  ces  imparfaits  se  sont  assimilés  aux  imparfaits  des 
trois  autres  conjugaisons  et  ont  perdu  leur  forme  étymologique.  Il 
est  intéressant  de  suivre  pas  à  pas  cette  marche  des  verbes  de  I  vers 
le  gros  des  autres  imparfiùts,  et  d'observer  comment  sefliit  l'unifica- 
tion. 

I.  Les  formes'. 

Les  quatre  personnes  qui  ont  la  terminaison  caractéristique  des 
imparfaits  de  I  ne  présentent  pas  une  grande  variété  de  formes. 
Elles  montrent  toutes  la  diphtongue  ou  ou  la  voyelle  o.  De  plus,  à 
la  première  et  la  seconde  personne  du  singulier,  1'//  peut  être  rem- 
placé par  îu  ou  p^Tuii-;  à  la  troisième  personne  du  pluriel  par  lu 
seulement  ;  et,  quand  il  est  employé,  il  ne  subit  aucun  changement 
à  la  troisième  personne  du  singulier.  Toutes  ces  formes  se  ren- 
contrent dans  le  Psautier  d'Oxford  ;  trois  seulement  sur  quatre 
(oiiue  manquant)  dans  le  Psautier  de  Cambridge. 

Cependant  ces  graphies  n'ont  pas  toutes  la  même  extension  ;  et 
nous  allons  tenter  de  déterminer,  pour  chaque  personne,  s'il  est 
nécessaire,  la  fréquence  de  chacune  de  ces  formes.  A    la  première 

1.  Pour  ces  Imparfaits,  d.  Lùcking,  Mundarten,  p.   211. 

2.  Un  est  peut-être  équivalent  à  w. 


L  IMPARFAIT  5  5  I 

et  à  hi  seconde  personne  du  singulier,  qui  ne  nous  donnent  qu'un 
nombre  très  limité  d'exemples,  car  elles  ne  sont  employées  que 
pendant  un  siècle  seulement,  la  graphie  oiie  semble  dominer  tout 
d'abord. 

Dans  les  Psautiers  que  nous  venons  de  citer,  c'est  la  forme  avec 
lu  qui  est  le  plus  souvent  ernplo3'ée,  et  il  est  probable  que  celle-ci 
est  un  intermédiaire  entre  om  et  o.  Dans  le  Psautier  d'Arundel,  nous 
pouvons  remarquer  que  les  graphies  montrent  plus  de  fixité,  et 
c'est  oe  qui  est  la  forme  ordinaire.  Il  en  va  de  même  de  la  Vie  de 
Sainte  Catherine  de  Sœur  Clémence  de  Barking  ;  on  trouve  dans 
ce  poème  deux  exemples  de  oe  :  050^(1534),  amoe  (2385),  contre 
un  exemple  en  oiie  :  afioue  (2386).  Remarquons  du  reste  que  ces 
deux  derniers  exemples  riment  ensemble. 

Dans  le  Saint  G'Ues  au  contraire,  nous  ne  trouvons  que  deux 
terminaisons  en  one,  aucune  en  oe  '  :  osoiie  (au  vers  350);  lessoue 
(au  vers  33  n). 

Nous  n'avons  pas  relevé  d'exemple  plus  récent. 

Les  formes  que  nous  venons  de  citer  ne  sont  pas,  au  point  de 
vue  de  la  partie  vocalique  accentuée,  très  significatives.  Aucune 
rime,  il  y  en  a  du  reste  fort  peu  de  possibles,  ne  vient  nous  faire 
connaître  d'une  façon  assurée  si  c'est  la  diphtongue  ou  la  voyelle 
simple  que  l'auteur  a  employée. 

Il  est  probable  que,  vu  le  peu  de  durée  de  la  forme,  les  conclu- 
sions que  nous  tirerons  en  nous  fondant  sur  les  graphies,  attein- 
dront un  degré  suffisant  d'exactitude.  Et  les  graphies  nous 
montrent  qu'avant  11 60  c'est  la  diphtongue  qu'on  emploie  de 
préférence,  et  après  cette  date  c'est  plutôt  la  voyelle,  sauf  excep- 
tions. 

A  la  troisième  personne  du  pluriel  nous  nous  trouvons  devant  la 
même  difficulté.  Cependant  les  rimes  possibles  sont  plus  nom- 
breuses et  nous  en  avons  une  dans  Gaimar  :  parlocnt  (:  loent)  au 
vers  3749  de  l'Estorie  des  Engleis  (mss.  DetL).  Cetterime  est  assez 
probante  car  louent  ne  se  rencontre  que  beaucoup  plus  tard. 
Quoique  les  formes  étymologiques  à  cette  personne  durent  jusque 
vers  1240  au  moins,  nous  n'avons  relevé  aucune  rime  après  celle 

I.  Les  deux  exemples  qui  suivent  ont  échappé  à  Gaston  Paris.  Cf.  Introduction 
de  la  Vie  de  Saint  Gilles,  p.  xxxiij. 


552  l'évolutiox  du  verbe  ex  anglo-fraxçais 

de  Gaimar.  Celle-ci  nous  donne  tout  au  moins  une  limite  inférieure 
pour  l'apparition  de  la  voyelle.  C'est  la  seule  indication  précise  que 
nous  ayons  pu  découvrir. 

Même  après  Gaimar,  o//<'///  est  fréquent;  c'est  la  seule  terminaison 
qu'emploie  Sœur  Clémence  ;  d.burtoiient  (2061);  Umoiient  {20G2). 
De  même  on  retrouve  cette  désinence  dans  Robert  de  Gretham  : 
gar douent  (^11 T,  v'');dans  le  Roman  des  Romans  :  a'/o//ey//  (vers  176); 
dans  Dermod  -.apeloiienî  (1148);  quidount  (984);  d'autres  auteurs, 
comme  celui  du  Saint  Edmund,  emploient  les  deux  désinences  ; 
dans  le  Saint  Edmund  on  trouve  :  errouent  (au  vers  19 14);  qiiidoent 
(imprimé  :  qui  deut)  (au  vers  2988).  D'autres  auteurs,  mais  en  tout 
petit  nombre,  n'emploient  que  oent,  comme  Chardri  qui  nous 
donne  lenuoent  au  vers  632  de  Josaphat,  semhloent  au  vers  118  des 
Set  Dormans,  mais  c'est  le  seul,  à  notre  connaissance,  qui  soit  dans 
ce  cas. 

A  ne  considérer  que  les  textes,  on  pourrait  croire  que  c'est  la 
forme  avec  ou  qui  est  la  forme  ordinaire  et  c'est  ce  que  nous  sommes 
tentés  de  croire;  mais  nous  devons  tenir  compte  des  scribes,  et, 
puisque  nous  ne  trouvons  aucune  rime  en  faveur  de  l'une  et  de 
l'autre  désinence,  il  nous  faut  peut-être  réserver  notre  jugement. 
Cependant  il  est  assez  évident  que  pour  les  scribes  (et  pourquoi 
n'en  serait-il  pas  de  même  pour  les  auteurs  ?),  la  forme  montrant 
la  diphtongue  a  été  à  toutes  les  époques  plus  empWée  que  l'autre. 

La  troisième  personne  du  singulier  a  elle  aussi  une  double  forme: 
l'une  qui  montre  la  diphtongue  ou,  l'autre  la  voyelle  0  ;  comme  ces 
imparfaits,  lorsqu'ils  sont  employés  à  la  rime,  riment  presque  tou- 
jours entre  eux  ou  avec  un  prétérit  en  ni,  comme  ont,  plout,  lesquels 
ont  aussi  les  deux  formes  en  on  et  en  0,  il  est  diflEcile  de  décider 
quelle  est  réellement  la  forme  employée  par  chaque  auteur  :  il  faut 
se  contenter  de  signaler  les  graphies  qu'on  trouve,  ou  fonder  ses 
conclusions  sur  un  petit  nombre  de  rimes  significatives. 

a)  Rimes  significatives. 

Les  seules  rimes  un  peu  probantes  tendent  à  nous  montrer  que 
nos  imparfaits  avaient  le  son  on;  nous  trouvons  ces  imparfaits 
rimant  avec  des  mots  en  oït;  or,  17  venait  de  se  vocaliser  '    et  la 

I.  Vocalisation  de  17,  consulter  J.  Vising,  Étude,  p.  87;  Stock,  Rom.  Stud. 
III, p.  475  ;  Schlosser,  p.  43  ;  Schumann,  p.  21,  28  tlpassim. 


l'imparfait  553 

diphtongue  n'avait  pas  encore  pu  prendre  le  son  vocalique  simple; 
ces  rimes  se  rencontrent  au  xii"^  siècle,  d'abord  chez  Gaimar  : 
enchascout  (:  volt)  (au  vers  2003)  ;  dans  la  Folie,  on  trouve  amoiit 
(:  Ysolt)  (au  vers  117);  dans  les  Homélies,  maniout  nmo.  avec  volt 
(au  vers  112). 

Au  xiii^  siècle,  le  nombre  de  rimes  assurées  en  ou  est  plus  con- 
sidérable :  on  trouve  par  exemple  pensout  (:  vont)  au  vers  958  du 
Josaphat  de  Chardri  ;  iiianiont  rime  avec  le  même  mot  dans  Robert 
de  Gretham  (6  v°)  ;  plus  significative  encore  la  rime  innstrout 
(:  dout  =  debuit)  dans  le  même  auteur  (105  v°),  car  dont  n'a 
jamais  passé  kdot. 

Dans  Dermod,  où  les  troisièmes  personnes  régulières  sont 
exceptionnellement  nombreuses,  il  est  difficile  de  dire  quelle  est  la 
valeur  phonique  de  la  terminaison.  On  les  trouve  d'abord  dans  un 
grand  nombre  d'interrimes  :  (cf.  vers  393,  1235,  162,  266,  402). 
D'autres  sont  indubitablement  en  ou,  comme  perpensout  (:  vout) 
(166),  tuniout  {:  \o\t)  {\o-jo) ,  a ffcr mont  (:  Gerout)  (1397)-  ^^  y 
en  a  d'autres  enfin,  et  en  très  grand  nombre,  où  il  semble  que  l'on 
ait  le  son  0  :  ce  sont  les  rimes  où  un  imparfait  de  I  rime  avec 
Dermod  :  on  en  trouve  aux  vers  41,  105,  134,  151,  516,  626,727, 
825,  1067.  Il  faut  peut-être,  croyons-nous,  voir  dans  la  difficulté 
de  trouver  une  rime  à  Dermod  Texplication  à  la  fois  du  grand 
nombre  des  formes  étymologiques  et  de  leur  valeur  phonique. 

Les  auteurs  de  ce  siècle  qui  font  rimer  les  imparfaits  en  ot  sont 
très  peu  nombreux  et  ne  nous  offi'ent  que  peu  d'exemples  indiscu- 
tables :  on  en  trouve  un  à  la  rime  dans  A-ngier  :  escusot  (:  dévot) 
dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (vers  885)  ;  cet  auteur  n'emploie  du 
reste  que  cette  forme  :  ^on5-/o/  {12  c,  ^);  Jîot  (14  d,  14),  quidot 
(21  d,  12),    alot  (2j  a,  32)  (cf.  Timothy  Cloran,  p.  41). 

Ajoutons  encore  alot  (:  ot  =  audit)  dans  Sardenai  (i'"'^  Add.,  15), 
et  c'est  à  peu  près  tous  les  exemples  probants  que  nous  avons  ren- 
contrés . 

F)  Interrimes  et  graphies. 

Si  nous  nous  en  tenons  à  ces  rimes  qui  sont  sûres,  et  aux  autres 
exemples  d'Angier  qui  ne  le  sont  pas  moins,  nous  conclurons  que 
c'est  la  forme  en  ont  qui  a  été  le  plus  communément  employée  en 
anglo-français,  tant  que  la  forme  étymologique  des  imparfaits  de  I  a 


5  54  L  EVOLUTION    DU    VERBE    KN    A\GLO-FRA\ÇAIS 

subsisté,  mais  que,  à  partir  de  1200,  la  forme  avec  la  voyelle 
simple  n'a  pas  été  rare.  Nous  arriverons  aux  même  conclusions  si 
nous  tenons  compte  aussi  bien  de  certaines  œuvres  en  prose,  et  des 
interrimes  avec  les  prétérits  en  ni,  autrement  dit  si  nous  raisonnons 
sur  les  graphies. 

Dans  le  Brandan,  c'est  la  forme  en  out  qui  est  employée  :  on 
trouve  des  imparfait  de  I  à  la  rime  avec  pout  de  paître  (vers 
1565);  avec  o///(ii63,  77);  It  Psautier  de  Cambridge  n'a  que 
cette  terminaison  (cf.  Fichte,  p.  24),  de  même  que  Sœur  Clémence 
de  Barking. 

Il  en  va  à  peu  près  de  même  au  xiii^  siècle  :  Chardri  la  foit  rimer 
avec  plout  dans  Josaphat  (vers  73),  avec  out  au  vers  1290  du 
même  poème  ;  toutes  les  rimes  que  nous  trouvons  dans  Simund 
de  Freine  (Saint  Georges^,  1019),  dans  Robert  de  Gretham  (6  v°, 
29  v°,  195  v°,  106  r°);  dans  le  Saint  Edmund  (497,  1143);  dans 
la  Genèse  Notre-Dame  (58  r°,  44  r°,  70  v°)  ;  dans  le  Chevalier 
(vers  459)  montrent  toujours  la  diphtongue. 

Nous  n'avons  que  très  peu  d'auteurs  chez  lesquels  nous  trouvons 
la  terminaison  ot  :  le  Bestiaire  en  offre  quelques  exemples,  mélan- 
gés à  des  terminaisons  ont  :  par  exemple  :  stot  (:  ot)  (au  vers  125); 
les  troisièmes  personnes  du  singulier  des  imparfaits  de  I  sont  toutes 
en  ot  dans  le  Psautier  d'Oxford  ;  il  faut  ensuite  passer  à  Frère 
Angier  pour  trouver  cette  terminaison  régulièrement  employée 
(Vie,  57,  196,  885;  Dialogues,  44  v"  a,  133  v°  b)  ;  après  le  Frère 
Angier  nous  ne  trouvons  ot  à  la  rime  que  sporadiquement  jusqu'à 
Dermod  et  à  Sardenai  (cf.  vers  éo,  260). 

Comme  on  le  voit,  cette  seconde  étude  vient  confirmer  les  con- 
clusions de  la  première.  La  terminaison  ot  n'a  pas  eu  une  fortune 
très  brillante  en  anglo-français.  Elle  est  à  peine  postérieure  à  la  ter- 
minaison out  et  a  existé  en  même  temps  qu'elle  et  à  côté  d'elle. 

Mais  certains  auteurs,  d'importance  plus  ou  moins  grande  au 
point  de  vue  anglo-français,  mis  à  part^  elle  n'a  pas  réussi  à  prendre 
la  place  de  la  désinence  ont. 

Si  nous  réunissons  les  conclusions  auxquelles  nous  sommes  arri- 
vés en  étudiant  chaque  personne,  nous  voyons  que  dans  leurs 
grandes  lignes  elles  concordent  suffisamment. 

La  diphtongue  on  a  duré  autant  que  les  personnes  étymologiques, 
et  s'est  sensiblement  mieux  maintenue  à  la  troisième  personne  du 
singulier  qu'aux  autres. 


L  IMPARFAIT  555 

La  forme  avec  la  voyelle  o  ne  s'est  pas  introduite  plus  tard  que 
ii5o(pourla  troisième  personne  du  pluriel),  ou  1160  (pour  la 
première,  la  deuxième  et  la  troisième  personne  du  singulier);  elle 
n'est  pas  rare  au  xii*^  siècle. 

Nous  avons  maintenant  à  signaler  une  variante  de  la  forme  en 
ot,  la  terminaison  eut  ou  ut  ;  on  peut  comparer  à  cette  terminaison 
le  passage  de  0/// (habuit)  à  eut,  n  '.  Cette  terminaison  se  trouve 
pour  les  imparfaits  de  I  dans  le  ms.  Royal  de  Gaimar  ;  on  y  trouve  : 
hantent  (:  out)  (2643),  sojnruent  (3036),  soint  (2730);  et  dans  le 
ms.  A  de  l'Ipomédon  :  reconfortnt  (1695);  qnidut  (^^yo);  de  ces 
formes  on  doit,  nous  semble-t-il,  rapprocher  phinit,  qu'on  lit  dans 
la  Vie  de  Saint  Grégoire  (17 12,  2655)  et  dans  les  Dialogues  Saint 
Grégoire  (28  v°  a). 

r)  Disparition  des  terminaisons  en  ou. 

Les  exemples  qu'on  peut  trouver  pour  les  deux  premières  per- 
sonnes du  singulier  sont  trop  peu  nombreux  pour  qu'on  puisse  arri- 
ver à  des  conclusions  très  précises  ;  nous  n'avons  relevé  aucune 
forme  étymologique  après  la  fin  du  xii^  siècle.  De  l'autre  côté,  l'un 
des  premiers  exemples  d'un  verbe  de  I  prenant  la  forme  analogique 
nous  est  donné  par  une  première  personne  du  singulier  dans  le 
Psautier  de  Cambridge  :  deveeie  (76,  4)  de  deveer. 

Pour  la  troisième  personne  du  pluriel,  la  première  forme  irrégu- 
lière se  trouve  aussi  dans  le  Psautier  de  Cambridge  :  deneaient  (80, 
14)  ;  nous  en  trouvons  une  seconde  dans  le  Thomas  de  Tristan  :  cni- 
doient  au  vers  2,  mais  cette  forme  n'est  pas  attestée  par  la  rime  et 
peut  ne  provenir  que  du  scribe  (fragment  de  Cambridge,  fin  du 
xiii^  siècle).  Nous  nous  trouvons  dans  la  même  incertitude  pour 
qnidoient  qui  se  trouve  dans  le  corps  du  vers  189  d'Havelok  - . 
Les  deux  dernières  formes  que  nous  venons  de  citer  sont  tout  au 
plus  possibles  au  xii^  siècle  ;  ce  n'est  qu'au  xiii'-"  siècle  que  nous 
avons  des  formes  assurées  ;  les  rimes  deviennent  nombreuses;  citons- 
en  quelques-unes  :  dans  le  Josaphatde  Chardri,  nous  trouvons  par 

1.  Pour  les  troisièmes  personnes  du  singulier  en  ut,  voir  Stimming,  Boevc  de 
Haumtone,  p.  189. 

2.  Le  ms.  d'Havelok,  Arundel  XIV,  est  postérieur  à  1327. 


556  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

exemple  hninncint  qui  rime  avec  ardeint  (au  vers  2052)  ;  chcintcieut 
se  trouve  à  la  rime  avec  feseient,  dans  le  Chevalier,  la  Dame  et  le 
Clerc  ;  guardeient  (:  quereint)  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (63  r°)  ; 
hahitcient  (:  aveient)  dans  William  de  Waddington  (1965);  il  faut 
encore  remarquer  que  dans  les  interrimes,  même  dans  les  poèmes 
du  xii^  siècle,  c'est-à-dire  dans  les  mss.  écrits  par  des  scribes  du 
xiii^  siècle,  la  forme  généralement  employée  est  la  forme  analo- 
gique. 

Il  y  a  même  certains  auteurs  qui  semblent  ne  pas  connaître  la 
forme  régulière  pour  la  troisième  personne  du  pluriel  :  Frère  Angier, 
par  exemple  '. 

^'oici  donc,  et  pour  résumer  tout  ce  que  nous  venons  de  voir  au 
sujet  de  cette  personne,  comment  se  sont  comportées  en  anglo- 
français  les  personnes  en  0(11^  oit.  Les  formes  analogiques  ont  certai- 
nement fait  leur  apparition  pendant  la  seconde  moitié  du  xii*'  siècle; 
elles  sont  d'abord  restées  en  petit  nombre  et  exceptionnelles,  leur 
absence  à  la  rime  le  prouvant.  Au  xiii''  siècle,  elles  sont  devenues 
vite  très  communes;  en  même  temps  les  désinences  régulières  ont 
passé  à  l'état  sporadique  :  on  en  rencontre  jusque  chez  Dermod, 
mais  en  petit  nombre,  et  la  majorité  des  auteurs  ignore  cette  forme  à 
cette  époque. 

La  troisième  personne  du  singulier  est  probablement  la  plus 
importante,  et  certainement  celle  qui  nous  fournit  les  renseigne- 
ments les  plus  nombreux  et  les  plus  sûrs.  Il  nous  est  donc  possible 
de  suivre  aussi  exactement  que  possible  les  progrès  de  la  forme  ana- 
logique à  cette  personne. 

Le  cas  le  plus  ancien  d'une  terminaison  en  eit  que  nous  ayons 
rencontré  pour  un  verbe  de  I  se  lit  dans  un  poème  du  commence- 
ment du  xii^  siècle  :  le  Voyage  de  Saint  Brandan;  on  y  trouve  en  effet 
Juigneit  rimant  avec  un  verbe  de  III  au  vers  456.  Cependant,  il 
nous  semble  probable  que  cette  leçon  doive  être  rejetée  en  faveur 
àt  fuieit  que  donne  un  autre  manuscrit  (Arsenal  BLF,  283)  ;  cette 
forme  irrégulière  doit  donc  provenir  du  scribe,  ce  qui  la  rejette  à  la 
date  de  1167.  A  cette  dernière  époque,  nous  trouvons  un  exemple 
indiscutable  d'une  autre  forme  analogique  dans  les  Légendes  de 
Marie  d'Adgar  :  alcit  (:  esteit)  (XXXIX,   59). 

T.  Cf.  Timothy  Cloran,  Miss  Pope,  p.  41. 


I 


L  IMPARFAIT  557 

Le  poème  de  Havelok  nous  en  donne  aussi  deux  exemples,  dont 
l'un  au  moins  est  discutable  ce  sont  lavoit  (:  recevoit)  (au  vers 
248),  et  esinerveilloit  (:  veoit)  (au  vers  273),  tous  les  deux  donnés 
par  le  ms.  Arundel  XIV. 

Le  ms.  P,  pour  ces  deux  vers,  donne  des  leçons  qui  font  dispa- 
raître l'irrégularité;  mais  pour  le  vers  248  la  leçon  qu'il  donne  ne 
semble  pas  acceptable  pour  le  sens.  Au  lieu  de  : 


il  donne 


Les  esquieles  recevoit. 

Et  après  manger  les  lavoit,     Arundel  XIV. 


Les  esquieles  recevoit. 

Et  après  manger  de  co  serveit. 


Pour  l'autre  exemple,  la  leçon  de  P  qui  donne  la  forme  correcte 
semble  devoir  être  préférée  : 
Arundel  XIV: 


Ms.  P 


Li  rois  sesmerveilloit 
De  la  force  ken  lui  veoit. 

Li  reis  même  mut  sovent 

Le  fit  luter  devant  sa  gent  ; 

A  grant  merveille  le  teneit 

De  la  force  ken  lui  aveit  (lire  veeit  ?). 

La  question,  au  point  de  vue  de  l'histoire  des  désinences  analo- 
giques à  la  troisième  personne  du  singulier  des  imparfaits  de  I,  n'a 
pas  une  grande  importance  ;  un  exemple  ou  deux  de  plus  ne  saurait 
signifier  grand'chose.  Le  point  important  est  que  ces  formes  datent 
de  II 60  environ  et  que  tout  d'abord  elles  ont  été  purement  excep- 
tionnelles. Ajoutons  deux  rimes  que  nous  rencontrons  dans  l'Ipo- 
médon:  la  première  nous  donne  un  exemple  indiscutable;  elle  nous 
montre  aloeit  rimant  avec  voleit  (au  vers  305);  la  seconde  est  plus 
douteuse;  elle  accouple  aresteit  et  veit  (vers 457)  :  faut-il  lire  ares- 
tait,  présent  de  l'indicatif?  (cf.  dans  le  même  poème  les  vers 
4633,  8766). 

Les  exemples  précédents  ne  sont  du  reste  pas  les  seuls  assurés  : 
et  nous  avons  relevé  quelques  autres  cas  de  terminaison  en  eit. 
Un  ouvrage  en  prose  nous  donne  encore  cinq    exemples  des  nou- 


558  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

velles  formes  :  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  nous  lisons  en  effet 
nincudeit  (\\,  3,  i'),  sacrcficit  (l\\,  19^  5 1),  _^/m;Wt7V  (III,  4,  l'y),  passeil 
(IV,  20,  9)  tniveil  (I,  23,  14).  Les  terminaisons  régulières  sont  infi- 
niment plus  nombreuses.  Donc  le  nombre  des  formes  assurées  jus- 
qu'à la  fin  du  xii'^  siècle  est  minime.  Nous  relevons  cinq  cas  dans  un 
des  prosateurs,  deux  ou  trois  cas  très  discutables  à  la  rime  dans  deux 
poèmes.  Lorsqu'on  compare  ce  nombre  d'irrégularités  au  nombre 
de  formes  régulières,  dont  nous  n'avons  aucune  raison  de  douter, 
on  voit  combien  la  forme  étymologique  l'emporte  sur  l'autre.  Il  est 
vrai  encore  que,  pour  quelques  auteurs,  nous  trouvons  dans  le 
corps  du  vers  des  troisièmes  personnes  analogiques  qui  peuvent 
leur  appartenir  aussi  bien  qu'aux  scribes,  comme  dans  le  Thomas  de 
Tristan  :  cuidoit  {^.m  vers  5)  ou  mustreit,  au  vers  592  de  la  Vie  de 
Sainte  Catherine  de  Sœur  Clémence,  ou  cunisceit,  au  vers  1236  de 
Fantosme  ;  mais  même  ces  formes  de  date  douteuse  sont  relative- 
ment rares.  Par  conséquent,  l'examen  du  corps  du  vers  ne  peut  pas 
nous  faire  modifier  nos  conclusions;  la  forme  analogique  est  connue 
au  xii*^  siècle,  mais  elle  est  rare  et  reste  l'exception. 

Il  y  a  du  reste  plusieurs  auteurs  qui  sont  absolument  réguliers  : 
l'Estorie  des  Engleis  de  Gaimar  ',  la  Vie  de  Saint  Gilles,  le  Donnei, 
Horn,  les  Homélies,  le  Sermun  de  Guischart  de  Beauliu  ne 
montrent  jamais  d'exemple  qui  soit  assuré  de  la  forme  nouvelle; 
celle-ci  est  même  assez  rare  dans  le  corps  du  vers. 

L'exemple  que  nous  avons  vu  dans  le  Saint  Brandan  (en  le  lais- 
sant au  compte  du  scribe),  celui  d'Adgar,  ceux  des  Quatre  Livres 
des  Roisnous  permettent  de  regarder  1160  comme  la  date  (approxi- 
mative) à  laquelle  ces  formes  analogiques  ont  commencé  à  s'intro- 
duire. 

Nous  ne  trouvons  pas  la  même  régularité  au  siècle  suivant  ;  le 
xiii^  siècle  est  irrégulier,  dans  l'irrégularité  même  :  nous  donnerons 
donc,  pour  tâcher  de  montrer  le  plus  exactement  possible  l'état 
des  choses  à  cette  époque,  un  nombre  assez  considérable  d'exemples 
de  formes  analogiques  tirés  des  différents  auteurs  que  nous  avons 
étudiés.  Nous  diminuerons,  à  mesure  que  nous  avancerons,  le 
nombre  de  ces  exemples,  car  à  partir  d'une  certaine  date,  les  formes 
analogiques  deviendront  trop  communes  pour  qu'il  soit  nécessaire 

I.  Dans  Gaimar,  tous  les  imparfaits  de  I  sont  réguliers  :  au  vers  5,  lire  haeieiit  ; 
au  vers  150,  lire  retideit;  au  vers  155,  nuriseit  :  feseit. 


L  IMPARFAIT  559 

de  les  donner  toutes.  Dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  espérer  seul 
prend  la  forme  analogique:  espereit  Ç:  ardeit)  (au  vers  124); 
(:creit)  (au  vers  1863).  On  trouve  d'ailleurs  cspcrot,  196'.  Les 
exemples  dans  les  Dialogues  sont  plus  nombreux  et  plus  variés  ;  on 
trouve,  entre  autres  :  repairoit  (:  Benoit)  (58  r°  b)  ;  oroit  (:  eroit) 
(54  v°  b)  ;  amoit  (:  eroit)  (71  r°  b)  ;  crioit  (:  fesoit)  (68  r°  b);  qui- 
doit  (:  soloit)  (56  r°  a)  ;  justiseit  (:  deit)  (71  r°  b). 

Dans  Chardri  et  Robert  de  Gretham  les  formations  analogiques 
sont  sensiblement  plus  fréquentes  que  les  formes  régulières;  dans 
Chardri,  les  premières  sont  à  peu  près  deux  fois  plus  nombreuses 
que  les  autres  (à  la  rime);  la  proportion  est  approximativement  la 
même  dans  Robert  de  Gretham. 

Voici  quelques  exemples  tirés  de  ces  deux  auteurs  :  pour  Chardri, 
nous  nous  contenterons  des  exemples  tirés  de  Josaphat  ;  on  en  trou- 
vera un  nombre  proportionnel  dans  les  SetDormans  et  le  Petit  Plet. 
Nous  trouvons  dans  les  rimes  du  premier  de  ces  poèmes  les  formes 
suivantes  :  aiiicit  (:  aperceit)  (au  vers  436)  ;  ameit  (:  esteit)  (2095)  ; 
rtAm^  (:  giseit)  (2505)  ;  truveit  {;.  veneit)  (588);  guieit  Ç:  esteit) 
(1974);  l'i^f'cieit  (:  maneit)  (2712). 

Nous  pourrions  tirer  un  grand  nombre  d'exemples  des  rimes  de 
Robert  de  Gretham  ;  nous  en  donnerons  quelques-uns  pris  au 
hasard  dans  les  premiers  folios  :  nuncieit  (  :  esteit)  (au  folio  7  r°)  ; 
(:  giseit)  (9  v°)  ;  regnelt  (:  esteit)  (10  r°)  ;  mendivcit  (:  seeit) 
(26  r°),   etc. 

Nous  retrouvons,  dans  le  Chevalier,  l'état  de  choses  que  nous 
avons  reconnu  dans  Chardri  et  Robert  de  Gretham,  ou  plutôt,  le 
nombre  de  formes  nouvelles  est  devenu  proportionnellement  plus 
grand  encore  ;  on  trouve  dans  ce  court  poème  :  aJeit  (:  liseit)  (84)  ; 
fi^/V  (:  saveit)  (93)  ;  amoit  (:  savoit)  (loi);  mangeit  (:  pesseit) 
(105).  Quant  à  William  de  Waddington,  les  rimes  en  eit  où  se 
trouve  un  verbe  de  I  sont  légion  (cf.  vers  952,  2427,  2262,  3033, 
3372,  etc.). 

Ces  quelques  auteurs  que  nous  venons  de  citer,  et  plusieurs 
autres  l'auraient  tait  aussi  bien,  représentent,  nous  semble-t-il,  la 
marche  générale  de  l'unitication  des  imparfaits  au  xiir^  siècle  ;  mais 

I.  Cf.  Infinitif,  pour  les  exemples  de  l'infinitif  t'5/w/;;  nous  n'avons  rencontré,  ni 
dans  la  Vie,  ni  dans  Jes  études  de  Timothy  Cloran  et  de  Miss  Pope,  aucun  exemple 
de  l'infinitif  de  ce  verbe. 


560  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

ce  serait  bien  mal  connaître  l'anglo-français  que  de  croire  que  l'on  ne 
puisse  pas  trouver  d'auteurs  fliisant  exception  ;  quelques-uns,  très  rares 
à  vrai  dire,  n'emploient  jamais  à  la  rime  la  forme  analogique  pour 
les  verbes  de  I,  alors  que  la  forme  étymologique  se  rencontre  :  par 
exemple  la  Genèse  Notre-Dame  et  le  Roman  des  Romans.  D'autres 
montrent  un  nombre  plus  considérable  de  formes  en  o(jty  que  de 
formes  en  eit  :  par  exemple  le  Saint  Edmund  et  Dermod. 

On  ne  trouve  guère  que  deux  cas  analogiques  à  la  rime  dans  le 
premier:  rr/V// (giseit)  (3615);  demandeit  (:  aveit)  (1149);  et  deux 
autres  dans  le  corps  du  vers  :  doneit  (3717),  resteit  (2702)  ;  dans 
Dermod,  les  personnes  régulières  sont  exceptionnellement  com- 
munes :  cela  provient  peut-être  de  la  fréquence  avec  laquelle  le 
nom  propre  Dermod  apparaît  à  la  rime,  comme  nous  l'avons  déjà 
dit  ;  on  ne  trouve  que  trois  cas  de  troisième  personne  en  eit  à  la 
rime  chez  cet  auteur  :  ameit  (:  esteit)  (5  3)  ;  pleideit  (:  esteit)(2i04)  ; 
suiorneit  (:  aveit)  (2697). 

Ces  exceptions  restent  des  exceptions.  La  grande  majorité  des 
auteurs  nous  montre  que  la  forme  étymologique  est  en  train  de 
disparaître,  non  sans  quelques  à-coups  et  plusieurs  retours. 

c?)  Extension  irrégulière  des  formes  en  0//  au  xii''  et  au  xiii=  siècle. 

Dès  le  xii^  siècle,  la  désinence  en  ou,  qui  n'appartient  régulière- 
ment qu'à  la  première  conjugaison,  se  trouve  parfois  dans  certains 
verbes  des  autres  conjugaisons  :  ce  sont  surtout,  fait  important  à 
noter,  des  verbes  de  II  et  de  IV  qui  prennent  cette  terminaison. 

Le  premier  exemple  que  nous  en  rencontrions  est  de  la  même 
date  que  le  premier  cas  d'un  imparfait  de  I  en  eit  ;  on  trouve  en 
effet  dans  le  Psautier  de  Cambridge  un  verbe  de  II  et  deux  verbes 
de  IV  avec,  à  l'imparfait,  la  terminaison  des  imparfaits  de  I. 

Ce  sont  deux  premières  personnes  du  singulier  :  uvroeÇ^j,  13); 
atendoe  (37,  15),  et  une  troisième  personne  du  pluriel  :  espandoent 
(40,  8)  ;  les  exemples  que  nous  pouvons  tirer  des  Légendes  de 
Marie  d'Adgar  sont  plus  probants  encore,  car  ils  sont  attestés  par 
la  rime  :  on  lit  en  effet  chez  cet  auteur  :  slreiiioùtÇ:  ont)  (I  R,  62); 
tenoîit  (:  alout)  (XXX,  109). 

Ce  sont  les  seuls  exemples  appartenant  sans  doute  possible  au 
xii^  siècle  ;  nous  pouvons  en  citer  plusieurs  autres,  mais  rien  ne 
nous  permet  de  fiiirc  retomber  les  responsabilités  de  Ces   formes 


l'imparfait  561 

sur  les  auteurs  plutôt  que  sur  les  scribes.  Par  exemple,  dans  le 
corps  du  vers  loi  de  la  Folie  Tristan,  nous  trouvons  encore  cre- 
inout,  qui  doit  probablement  être  attribué  au  scribe  (deuxième 
nioitié  du  xiii^  siècle). 

L'éditeur  et  les  scribes  de  Gaimar  semblent  s'être  entendus  pour 
introduire  des  fautes  dans  un  texte  d'ailleurs  très  correct.  Citons-en 
un  seul  exemple  :  au  vers  5408,  nous  lisons  à  la  rime  dans  le 
texte  imprimé  reveiioitf  ;  cette  irrégularité  doit  être  supprimée  en 
adoptant  la  leçon  qui  est  donnée  par  D,  L  et  H  : 

Godewine,  Eadmund,  les  fiz  Harald, 
E  les  fiz  Swain,  Tosti,  Reinald... 

(Cf.  The  Anglo-Saxon  Chronicle,  pp.  1067  sqq.,  Simeon  de 
Durham,  II,  187.) 

Nous  avons  donc,  dans  tous  les  poèmes  du  xii^  siècle,  deux 
verbes  de  II,  et  trois  verbes  de  IV,  qui  prennent  à  l'imparfait  les 
formes  de  I. 

Au  xiii^  siècle,  ces  irrégularités  ne  deviennent  pas  beaucoup  plus 
communes;  la  forme  enc/a  trop  de  vitalité  pour  se  laisser  absorber 
par  les  imparfaits  en  ou.  Les  exemples  que  nous  en  rencontrons  sont 
tous  des  troisièmes  personnes  du  singulier  ou  du  pluriel,  et  comme 
au  siècle  précédent,  n'appartiennent  jamais  àla  troisième  conjugaison. 
Dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire,  se  trouve  l'un  de  ces  exemples  : 
obeissotÇ:  comandot)  au  folio  81  v°  a;  dans  les  Set  Dormans  de 
Chardri  (au  vers  835),  nous  avons  cherisout  Ç:  amout)  ;  ces  deux 
exemples  pourraient  être  révoqués  en  doute,  on  pourrait  dire  que 
la  faute  provient  du  scribe  et  qu'on  doit  lire  eit  partout,  les  cas  où 
un  imparfait  de  I  prend  la  terminaison  eit  étant  plus  communs  que 
les  cas  contraires. 

Les  deux  exemples  suivants  n'offrent  pas  cette  difficulté  :  au  vers 
261  de  la  Plainte  Notre-Dame,  on  a.  vivout  (:  out),  et  au  vers  100 
de  Dermod  on  trouve  ploiioiit  {:  out). 

Nous  n'avons  pour  la  troisième  personne  du  pluriel  qu'un  cas 
d'interrime,  conséquemment  un  cas  douteux  :  c'est  niaiisocnt  : 
eschivoent  au  vers  89  de  Sardenai.  Rappelons  enfin  maintenant  les 
quelques  exemples  que  nous  avons  cités  plus  haut  et  qu'on  lit  dans 
les  poèmes  du  xii'^  siècle   :   creiiioiil  de  la  Folie  Tristan,  rcvcnout   de 

56 


562  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

l'Estorie  des  Engleis  ;   on  doit  tous  les  attribuer  à  l'ignorance   des 

scribes    du    xiir".  Néanmoins,  les   cas   où   les    imparfaits  de  I  ont 

donné  leur    forme  aux  verbes  qui  ne  l'avaient  pas    régulièrement 
sont  des  plus  rares. 

t')  Les  imparfaits  en  ()//  auxn'^  siècle. 

Nous  avons  laissé  de  côté,  pour  pouvoir  les  étudier  dans  un 
chapitre  spécial,  tous  les  imparfaits  de  I  qu'on  rencontre  au 
xiv^  siècle,  car  non  seulement  ils  sont  traités  de  façon  différente, 
mais  et  surtout,  nous  n'avons  pour  eux  que  des  renseignements 
qui  manquent  de  précision. 

L'on  trouve  encore  à  cette  époque  un  certain  nombre  de  formes 
en  o(ii)Çe),  o(^ii){e)s,  o(//)/,  o(^ii){e^}it ,  mais  cette  terminaison  a  cessé 
d'être  la  terminaison  caractéristique  des  imparfaits  de  I  ;  elle 
s'emploie  tout  aussi  bien  pour  les  imparfaits  des  autres  conjugaisons  ; 
c'est  le  développement  naturel  de  la  confusion  que  nous  avons  vue 
s'esquisser  au  xiii"  siècle. 

La  première  personne  est  extrêmement  rare  ;  nous  n'en  avons 
relevé  qu'un  exemple  dans  tout  le  cours  du  xiv^  siècle  :  plourou,  2^ 
Appendice  de  Pierre  de  Langtoft  (II,  446.  10)  '.  Il  en  va  de  même 
pour  la  troisième  personne  du  pluriel. 

Les  troisièmes  personnes  du  singulier  sont  plus  nombreuses  ; 
nous  les  diviserons  en  deux  catégories  :  celles  provenant  d'un  verbe 
de  I,  celles  qui  ont  un  infinitif  de  II,  III  ou  IV.  Nous  laisserons  dans 
cette  seconde  catégorie  les  verbes,  s'il  s'en  trouve,  qui  ont  pris  par 
analogie  la  terminaison  cr  à  l'infinitif. 

Voici  les  quelques  exemples  des  verbes  de  I  que  nous  avons  pu 
relever  ;  ceux  que  nous  rencontrons  à  la  rime  sont  encore  assez 
nombreux,  et  du  reste  cela  n'importe  guère.  Citons  dans  les  Vies 
de  Saints  de  ^ozon  \  letout  {;.  pout  de  pestre)  (folio  103  v°)  ;  dans  la 
Vie  de  Saint  Richard  :  iiiiisiroiil  (6 10),  ^n'iw// (988),  ^fo/Vo///  (1089), 
alout  (iiSy^  confonuoiit  {i2')8),  sont  assurés.  Dans  l'Apocalypse 
nous  avons  une  rime  des  plus  douteuses  :  ressemblûtit  (:  teignot  de 
teindre)  (Pepys,  50).  L'Évangile  de  l'Enfance  (mss.  O  et  C)  nous  en 
donne  un  cas  assuré  :  amont  rime  avec  deux  prétérits  en  ui, 
strophe  165  . 

I.  La  Plainte  Notre-Dame  deBozon. 


l'imparfait  563 

En  dehors  des  rimes  nous  trouvons  à  la  page  1 10  de  Foulques 
Fitz  War'm  :  cn'eoiit  ;  plorôiit  se  lit  au  §  119  des  Contes  de  Nicole 
Bozon -jainot  au  vers  86  (corps  du  vers)  du  Prince  Noir;  enfin 
Nicolas  Trivet  en  montre  lui-même  quelques  rares  exemples, 
comme  enveyout  (au  folio  2  v°). 

Dans  la  seconde  catégorie,  les  exemples  ne  sont  pas  non  plus 
très  nombreux  ;  nous  pourrons  faire  remarquer  ici  encore  le  fait 
sur  lequel  nous  avons  attiré  déjà  l'attention  aux  xii"  et  xiir  siècles, 
que  les  verbes  de  III  ne  sont  pour  ainsi  dire  pas  représentés  dans  la 
langue  littéraire  parmi  les  verbes  qui  prennent  la  terminaison  en 
ou,  par  analogie  avec  les  verbes  de  I. 

Dans  les  exemples  que  nous  allons  citer,  les  rimes  sont  rares,  et 
celles  qu'on  rencontre  sont  des  cas  d'interrime.  - 

Dans  l'Apocalypse,  ms.  Pepys,  vers  50,  nous  trouvons  tcignot  de 
teindre  qui  rime  avec  resemblout;  ici  on  pourrait  vouloir  lire  tei- 
gneit,  resembleit.  A  la  date  de  1325,  dans  la  Chronique  de  Londres, 
p.  56,  on  lit  pleinoîit,  forme  que  nous  avons  déjà  rencontrée  (cf. 
p.  561)  et  que  nous  retrouverons  encore;  les  Contes  de  Nicole 
Bozon  en  ont  un  nouvel  exemple  :  entinncttout  (au  §  133).  L'Évan- 
gile de  l'Enfance  nous  donne  encore  un  cas  assuré  :  siioiit  desuivre 
rime  avec  l'imparfait  de  I  que  nous  citions  tout  à  l'heure  et  les 
deux  mêmes  prétérits  en  ///.  Quant  à  la  Chronique  de  Nicolas 
Trivet,  ces  formes  y  sont  nombreuses:  perfeynol  (11  y")  ;  plcxnout 
(48  r°)  ;  ajoutons  encore  un  verbe  de  III  :  scout  (37  v"),  le  seul 
exemple  pour  cette  conjugaison  que  nous  ayons  relevé. 

Les  formes  en  0  se  rencontrent  très  rarement  dans  les  œuvres 
non  littéraires,  et  ne  s'emploient  pas,  dans  le  petit  nombre  de  cas 
que  nous  avons  relevés,  spécialement  avec  les  verbes  de  I  ;  les  seuls 
exemples  corrects  que  nous  ayons  trouvés  sont  trois  troisièmes 
personnes  du  pluriel  :  l'une,  dclayoent,  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1299,  II,  842)  ;  l'autre^  quidoent,  danslellegistrum  Malmesburiense 
(1300, 1,  56);  la  dernière,  estoent,  dans  les  Mem.  Pari.  1305  (§  481). 
C'est  fort  peu  et  nous  pouvons  aussi  remarquer  que  les  recueils 
les  plus  corrects  n'en  donnent  aucun  exemple. 

Nous  trouvons  aussi  un  certain  nombre,  très  restreint,  du  reste, 
de  verbes  de  la  seconde  et  de  la  quatrième  conjugaisons  qui 
prennent  cette  forme  ;  par  exemple,  dans  Rymer  encore,  nous 
lisons  :  defailol  (1278,  II,  108);  aveiiost  avec  s  parasite  (1297,  II, 
790);  dans  les  Chroniques  de  Londres  :  plcinout  (1325,  56). 


564  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Tous  les  exemples  de  cette  forme  que  nous  rencontrons  en 
dehors  de  la  littérature  datent  donc  de  la  fin  du  xiii*  ou  des 
premières  années  du  xiv^  siècle. 

La  seule  conclusion  que  ces  quelques  cas  nous  permettent  de 
tirer  est  que,  à  la  fin  du  xiii''  siècle,  le  souvenir  de  cette  termi- 
naison n'était  pas  absolument  perdu,  mais  qu'il  était  à  peu  près 
effacé  et  que  les  écrivains  ne  savaient  plus  avec  quels  verbes  il 
fallait  l'employer. 

Dans  la  langue  légale,  cette  forme  est  encore  plus  rare  ;  nous  en 
avons  cependant  relevé  quelques  exemples,  moins  nombreux  encore 
que  dans  la  langue  diplomatique  et  politique  :  en  voici  un  qui  a 
quelques"  chances  d'être  authentique  :  estout  (ester),  22  Edw.  I", 
491  (1294)  (peut-être  un  prétérit  ?) 

La  langue  familière  ne  nous  en  a  fourni  aucun  cas. 

Faisons  remarquer  qu'il  serait  bien  difficile  d'établir  un  rapport 
quelconque  entre  ces  formes  irrégulières  que  nous  venons  de  donner 
et  le  passage  des  différents  infinitifs  des  trois  dernières  conjugaisons 
à  la  forme  de  la  première.  D'abord,  le  nombre  des  nouveaux 
imparfaits  en  0  n'est  pas  en  rapport  avec  celui  des  nouveaux  infini- 
tifs en  er  ;  on  ne  peut  découvrir  aucun  parallélisme  entre  les 
deux  phénomènes;  enfin,  les  verbes  dont  nous  venons  de  citer  des 
imparfaits  de  la  forme  des  imparfaits  de  I  :  faillir,  mettre,  plaindre, 
teindre,  venir,  ne  sont  pas  ceux  qui  prennent  le  plus  souvent  et  le 
plus  régulièrement  à  l'infinitif  la  terminaison  des  verbes  de  L  Pour 
terminer,  nous  n'avons  qu'un  exemple  isolé  d'un  verbe  de  la 
troisième  conjugaison  avec  la  désinence  caractéristique  des  impar- 
faits de  L 

Le  petit  nombre  de  formes  étymologiques  que  nous  rencontrons 
pour  les  imparfaits  de  I  à  la  fin  du  xiii^  et  au  xiv^  siècle  est  en  soi 
une  preuve  suffisante  que  ces  verbes  ont  tous  passé  à  la  forme  des 
trois  autres  conjugaisons  et  nous  rencontrons  dans  les  auteurs  de 
cette  période  des  rimes  en  très  grand  nombre.  Nous  n'allons  pas 
les  citer  ici. 

Nous  ferons  simplement  remarquer  qu'à  cette  époque  la  termi- 
naison de  ces  imparfaits  montre  la  diphtongue  oi  (voir  plus  bas, 
page  56e)  et  cette  substitution  de  oi  à  ci  n'a  pu  que  hâter  la  dispa- 
rition des  imparfaits  de  I,  s'il  en  était  besoin. 


l'imparfait  565 

B.  — Imparfaits  drs  deuxième,  troisième  et  quatrième 

CONJUGAISONS. 

Nous  avons  déjà  étudié  (désinences  personnelles)  l'amuissement 
et  la  disparition  de  Ye  en  hiatus  à  la  première  et  à  la  deuxième 
personne  du  singulier  et  à  la  troisième  du  pluriel.  Nous  allons 
maintenant  étudier  la  diphtongue  elle-même. 

La  diphtongue. 

La  diphtongue  de  l'imparfait  de  ces  trois  conjugaisons  a  subi  bien 
des  changements  ;  cependant  on  peut  dire  que  depuis  le  commen- 
cement du  xii^  siècle  jusque  vers  le  milieu  du  xiv^,  c'est  la  diph- 
tongue ci  qui  reste,  quelques  auteurs  mis  à  part,  la  forme  la  plus 
commune.  De  plus,  il  est  exact  de  remarquer  que  presque  toutes 
les  autres  formes  que  cette  diphtongue  a  prises  se  trouvent  déjà  plus 
ou  moins  répandues  dans  les  ouvrages  du  xii^  siècle,  qu'elles  soient 
dues  du  reste  à  l'auteur  ou  au  scribe. 

Comme  nous  l'avons  dit,  la  diphtongue  ei  reste  la  forme  com- 
mune des  imparfaits  de  II,  III,  IV  pendant  tout  le  xii%  tout  le  xiii^ 
et  une  partie  du  xiv^  siècle.  Il  est  inutile  de  citer  les  exemples  de 
cette  forme  au  xii^  siècle  ;  tous  les  auteurs  l'emploient  sans  excep- 
tion, et  au  siècle  suivant  avec  la  voyelle  /  ou  la  voyelle  y,  c'est  la 
forme  qu'on  rencontre  presque  exclusivement  dans  Chardri,  dans  le 
Saint  Edmund,  dans  Robert  de  Gretham. 

Au  xiv^  siècle,  elle  est  fréquente  chez  Pierre  de  Langtoft,  dans  les 
Vies  de  Saints  de  Bozon,  rare  dans  le  poème  du  Prince  Noir. 

La  diphtongue  ei  est  parfois,  et  de  très  bonne  heure,  remplacée 
par  ai  ;  le  premier  exemple  qu'on  en  trouve  se  rencontre  dans  le 
Psautier  de  Cambridge  qui  en  contient  plusieurs  exemples  ;  Tun 
d'eux,  et  c'est  le  seul,  est  donné  parles  deux  mss.:  plaisait  (100,  7); 
les  autres  ne  se  trouvent  pas  dans  B  ;  ce  sont  les  formes  suivantes  : 
disaie{iT,,  18);  disaient  (j'j,  19);  rendaie  (68,  6);  siioaieÇ^j,  20); 
à  cause  de  leur  importance  pour  la  conjugaison  en  français,  ces 
exemples  ont  été  cités  depuis  longtemps.  Ils  sont  presque  isolés  au 
XII''  siècle  ;  les  autres  cas  qu'on  relève  ne  sont  pas  sûrs  et  on  peut 
avec  beaucoup  plus  de  vraisemblance  les  attribuer  aux  différents 
scribes  du  xiii=  siècle   qu'aux  auteurs  du  xir'.    Nous  trouvons   au 


566  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

moins  Jeux  de  ces  exemples  dans  TEstorie  des  Engleis  (ms.  R)  de 
Gaimiir  :  poai  (1878);  et  cremaieul  (3388);  la  Folie  Tristan  en  offre 
aussi  quelques-uns,  par  exemple  devait  (au  vers  69). 

Au  siècle  suivant,  la  diphtongue  ai  devient  presque  aussi  com- 
mune que  la  terminaison  ci.  Tandis  que  quelques  auteurs,  comme 
Frère  Angier",  l'emploient  rarement,  chez  certains  autres,  tels  que 
les  auteurs  du  Saint  Laurent,  de  Boeve  de  Haumtone,  de  Dermod, 
c'est  elle  qui  prédomine.  Aucune  différence  dans  les  auteurs  de 
la  première  moitié  du  xiv^  siècle  :  dans  les  Political  Songs  de  cette 
époque,  dans  Pierre  de  Langtoft,  dans  Nicole  Bozon,  les  deux  diph- 
tongues sont  très  librement  mélangées,  et  il  serait  impossible  de 
dire  avec  quelque  certitude  laquelle  est  la  plus  employée.  Dans  la 
seconde  moitié  de  ce  siècle,  elle  ne  disparaît  évidemment  pas,  mais 
avec  t'/,  elle  passe  au  second  plan.  Par  exemple  ei  et  ai  se  ren- 
contrent dans  le  Prince  Noir,  mais  ni  l'une  ni  l'autre  n'est  aussi 
employée  que  l'autre  désinence  que  nous  allons  étudier  mainte- 
nant. 

La  désinence  en  oi  se  rencontre  dès  le  xii^  siècle;  mais  comme 
les  imparfaits  avec  cette  terminaison  ne  sont  jamais  à  cette  époque 
employés  à  la  rime,  il  est  plus  vraisemblable  de  les  attribuer  au 
siècle  suivant.  On  trouve  avoit  dans  les  Légendes  de  Marie  d'Adgar 
(XIV,  31),  et  au  vers  3065  du  Tristan  de  Thomas  :  estoit;  maisjoin 
d'être  commune  au  xii^  siècle,  cette  diphtongue  ne  sera  pas  d'un 
usage  fréquent  même  au  XIII^  Il  n'y  a  qu'un  tout  petit  nombre 
d'auteurs  chez  lesquels  nous  la  trouvions  couramment,  chez  Frère 
Angier  par  exemple  ;  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  et  dans  les  Dia- 
logues Grégoire  la  terminaison  oi  est  celle  qui  est  le  plus  communé- 
ment employée  à  l'imparfiiit  ;  mais  elle  est  loin  d'avoir  la  même 
importance  chez  les  autres  écrivains  :  elle  est  plutôt  rare  chez  Char- 
dri  et  Robert  de  Gretham,  dans  le  Saint  Laurent,  le  Saint  Edmund. 
On  la  trouve  parfois  dans  Boeve,  le  Chevalier,  Dermod.  Même  au 
commencement  du  xiV^  siècle,  elle  ne  se  rencontre  pas  très  sou- 
vent; elle  est  assez  fréquemment  employée  dans  le  Siège  de 
Carlaverok,  dans  le  De  Conjuge  non  ducenda,  dans  les  Contes  de 
Bozon. 

Elle  ne  devient  très  fréquente  qu'un  peu  plus  tard  :  par  exemple 

I.  Cf.  Timothv  Cloran,  p.  46. 


l'imparfait  567 

dans  le  Prince  Noir,  dans  Pierre  de  Langtoft,  et  dans  Nicolas  Trivet, 
elle  est  einplo3'ée  presque  à  l'exclusion  des  autres. 

Nous  n'avons  pas  jusqu'ici  semblé  nous  préoccuper  des  rimes  et 
nous  avons  fait  uniquement  cas  des  graphies. 

C'est  que  pour  les  désinences  de  l'imparfait  les  rimes  ayant 
quelque  valeur  probante  ne  sont  pas  nombreuses  :  nous  n'avons 
relevé  à  la  rime  que  des  troisièmes  personnes  du  singulier  ou  du 
pluriel,  rimant  entre  elles  ou  avec  les  personnes  correspondantes  du 
conditionnel.  Ces  interrimes  ne  peuvent  évidemment  pas  nous  ren- 
seigner beaucoup  ;  si  celles  que  nous  avons  relevées  veulent  dire 
quelque  chose,  elles  montrent  que  les  trois  diphtongues  ei,  ai,  oi 
n'étaient  que  des  graphies  différentes  d'un  même  son.  On  trouve 
déjà  dans  la  Folie  Tristan  voleit  qui  rime  avec  droit  (au  vers  31);  et 
au  vers  69  du  même  poème,  la  rime  esteit  :  devait  ;  il  est  évident 
que  l'on  pourrait  remplacer  dans  ces  deux  exemples  les  trois  diph- 
tongues par  l'une  quelconque  d'entre  elles  ;  tout  au  moins,  nous 
voyons  que  pour  le  scribe  les  trois  sons  étaient  équivalents  (date  : 
milieu  du  xiii^  siècle). 

La  même  remarque  peut  être  fliite  pour  la  rime  voleit  :  avoit  aux 
vers  241,  242  du  Chevalier  dont  le  ms.  date  de  la  même  époque. 

La  première  rime  ayant  une  valeur  probante  que  nous  ayons 
rencontrée,  rime  qui  ne  laisse  pas  que  d'étonner  quelque  peu,  se 
trouve  dans  le  De  Conjuge  nonducenda  (au  vers  35)  :  aIoy{:  dirroi). 

Toutes  rares  qu'elles  sont,  et  quoique  d'apparence  très  peu 
significative,  ces  rimes  nous  donnent  au  moins  des  dates  limites. 

Pour  le  scribe  de  la  Folie  de  Tristan,  c'est-à-dire  vers  le  milieu 
du  xiii^  siècle,  les  trois  diphtongues  ei,  ai  et  oi  provenant  de  ei  sont 
équivalentes  ;  dans  le  premier  quart  du  xiv^  siècle,  cette  dernière 
diphtongue  se  confond  avec  la  diphtongue  of  provenant  de  ai. 

Ces  trois  mêmes  diphtongues  se  trouvent  aussi  dans  les  textes 
anglo-français  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  ;  leur  distribu- 
tion rappelle  celle  que  nous  venons  de  voir.  Ei  et  oi  sont  les  plus 
communément  employées  ;  on  les  trouve  dans  les  premiers  textes 
politiques  côte  à  côte;  ei  est  sensiblement  plus  commun  que  oi  dans 
les  Statutes  entre  1275  et  13 11,  quoiqu'on  ne  puisse  considérer 
ces  dates  que  comme  des  approximations  ;  même  il  arrive  que  la 
seconde  diphtongue  se  trouve  plus  employée  que  la  première  à  cer- 
taines dates  comprises  entre  ces  limites,  par  exemple  à  l'année  1297. 


568  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Cependant,  ces  réserves  faites,  on  peut  considérer  l'année  1310 
comme  le  moment  où  la  désinence  en  oi  l'emporte  définitivement 
sur  l'ancienne  dans  les  Statutes. 

A  peu  près  à  la  même  date,  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham, 
on  ne  trouve  guère  que  la  diphtongue  ancienne.  Au  contraire, 
dans  les  Rymer's  Foedera,  autant  qu'on  peut  en  juger,  oi,  qui  est 
employé  dès  1259,  est  probablement  plus  commun  proportionnelle- 
ment que  dans  les  Statutes  ;  et,  avant  1300,  elle  se  trouve  fréquem- 
ment sinon  presque  exclusivement  employée.  Les  renseignements  que 
nous  fournissent  les  Year  Books  sont  évidemment  moins  précis  ; 
cependant,  d'une  façon  générale,  ils  concordent  avec  ceux  que  nous 
pouvons  tirer  des  Statutes  :  la  diphtongue  ci  domine  sans  qu'il 
puisse  y  avoir  doute  jusque  pendant  les  premières  années  du 
xiv^  siècle  ;  vers  1305,  oi  semble  l'emporter. 

Il  serait  intéressant  de  se  rendre  compte  de  la  personne  qui  a  subi 
le  plus  et  le  plus  tôt  le  changement  de  la  diphtongue;  ici,  nous  ne 
pouvons  guère  parler  que  des  troisièmes  personnes  du  singulier  et 
du  pluriel,  car  les  deux  autres  personnes  qui  ont  la  diphtongue  sont 
trop  rarement  employées  pour  qu'on  puisse  tirer  une  conclusion. 
On  pourrait  croire,  à  première  vue,  qu'il  n'y  a  aucune  raison  pos- 
sible pour  que  le  changement  de  diphtongues  ne  se  soit  pas  fait 
simultanément  à  ces  deux  personnes  ;  et  c'est  ce  que  nous  avons 
nous-même  cru  tout  d'abord.  Cependant,  en  confrontant  les  exemples 
que  nous  avons  recueillis,  nous  n'avons  pas  pu  ne  pas  remarquer 
une  différence  :  dans  les  Statutes  nous  trouvons  que  la  distribution 
des  diphtongues  n'est  pas  la  même  à  la  troisième  personne  du  sin- 
gulier et  du  pluriel  :  g/ est  plus  régulièrement  conservé  au  singulier; 
au  pluriel  nous  trouvons  presque  toujours  oi,  excepté  lorsque  le 
radical  contient  cette  même  diphtongue  ou  0,  comme  pooir.  Nous 
nous  trouvons  incapable  de  tirer  une  conclusion  des  exemples  que 
nous  avons  relevés  dans  Rymer's  Foedera,  mais  les  Year  Books 
apportent  un  témoignage  qui,  quelle  que  soit  sa  valeur,  vient  con- 
firmer celui  des  Statutes.  Nous  l'avons  surtout  remarqué  pour  le 
Year  Book  31  Edw.  I"  (1303). 

L'année  1340,  dans  les  Statutes,  montre  oi  employé  presque  par- 
tout, et  cet  état  de  choses  se  continue  jusqu'à  la  fin  du  siècle.  La 
même  remarque  peut  se  faire  pour  Rymer,  quoique  la  date  à 
laquelle  cela  se  produit  soit  quelque  peu  plus  ancienne  ;  quant  aux 
Year  Books,  dès  1337,  les  formes  en  «deviennent  rares.  - 


l'imparfait   -  569 

La  diphtongue  ai  est  moins  commune  encore  que  la  diphtongue 
ci  ;  c'est  dans  les  Year  Books  et  dans  Rymer  qu'on  la  trouve  le  plus 
fréquemment.  Dans  la  première  collection,  elle  se  rencontre  dans 
les  dernières  années  du  xiii^  siècle,  et  elle  devient  relativement  fré- 
quente vers  1339  (cf.  par  exemple  12  et  13  Edw.  III)  où  elle  est 
vraiment  commune. 

Dans  les  écrits  politiques,  elle  ne  se  rencontre  pas  aussi  souvent, 
et  de  toute  façon  son  apparition  est  plus  tardive  ;  on  rencontre 
cette  diphtongue  surtout  à  la  troisième  personne  du  singulier,  par 
exemple  dans  les  Parliamentary  Writs,  13 14;  au  pluriel,  elle  fait 
son  apparition  un  peu  plus  tard,  dans  les  Statutes,  à  la  date  de 
1340  ;  on  pourrait  peut-être  relever  des  exemples  plus  anciens  que 
ceux-là,  mais  il  est  certain  qu'on  ne  saurait  en  trouver  un  grand 
nombre. 

Aucune  des  terminaisons  qu'il  nous  reste  encore  à  examiner  n'a 
l'importance  des  trois  diphtongues  que  nous  venons  d'étudier  :  ce 
sont  toutes  des  succédanés  de  la  diphtongue  ci  ou  de  la  diphtongue 
ai;  aussi  nous  ne  nous  y  arrêterons  guère. 

La  diphtongue  ci  donne  quelquefois  : 

1°  /('  comme  dans  siisteniet  du  Psautier  de  Cambridge  (93,  18) 
(cf.  M.  Suchier,  Voyelles  toniques,  §30  b)  ;  ceci  est  très  rare  dans 
l'anglo-français  littéraire.  Dans  la  langue  légale  toutefois,  on  ren- 
contre cette  forme  un  peu  plus  fréquemment  :  aviet  (20  et  21 
Edw.  P-",  15);  poiei  (32  et  33  Edw.  I",  63;  33  et  35  Edw.  l", 
239,  etc.). 

2°  Il  est  beaucoup  plus  commun  de  rencontrer  une  voyelle 
simple  à  la  place  de  la  diphtongue;  ei  sq  réduit  très  fréquemment  à 
e:  on  en  trouve  des  exemples  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan 
(ms.  cire.  1167),  comme  braiet  (au  vers  912);  coniplaiscc  peut  se 
lire  dans  le  Psautier  d'Oxford  (34,  7);  dans  Adgar  on  trouve  joiet 
(V  R,  203).  On  lit  eissiret  dans  le  ms.  L  du  Bestiaire  (vers 
13  32);  et  au  vers  1005  de  Guischart  de  Beauliu  on  trouve  la  pre- 
mière personne  du  singulier  serrée.  Citons  encore  poiei  dans  Wil. 
Rishanger  (p.  277);  moveret,  au  vers  531  de  la  Destruction  de 
Rome;  a ssigneret dans  Rymer  (1320,  III,  852). 

Poet  est  très  commun  dans  les  Year  Books  (cf.  par  exemple  dans 
31  Edw.  I",  349  ;  32  et  33  Edw.  I",  6y,  33  et  35  Edw.  I",  239); 
de  même  volet  (2  et  3  Edw.  II,  140). 


570  1,  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

De  la  même  façon,  la  diphtongue  ai  peut  passer  à  a  comme 
fiiiaent  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (30,  12). 

Il  est  rare  que  eist  réduise  à  /,  cela  n'arrive  quW  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel,  dans  solieut,  Statutes  (1275,  I,  26)  et  dans  les 
Harly  Statutes  of  Ireland  (1285,  46). 

3°  La  diphtongue  disparaît  quelquefois,  mais  fort  rarement,  peut- 
être  dans  paient,  employé  dans  les  Statutes  (1322, 1,  185  ;  1330,  I, 
265),  et  dans /)0/7  (Year  Book  2  et  3  Edw.  II,  26),  certainement 
à^YïS  fesent  (Mem.  Pari.,  1305,  §  481). 

Nous  allons  donner  maintenant  les  formes  principales  de  l'im- 
parfait du  verbe  estre.  Ce  verbe,  comme  on  le  sait,  a  deux  formes 
différentes  à  l'imparfait  de  l'indicatif  :  l'une  qui  vient  directement 
de  l'imparfliit  latin,  tandis  que  l'autre  est  une  forme  analogique 
tirée  de  l'infinitif  estre  comme  perdeie  est  formé  de  perdre.  On 
peut  ajouter  une  troisième  forme  beaucoup  plus  rare,  on  ne  la 
trouve  que  chez  Angier,  qui  est  une  contamination  des  deux  autres  : 
au  radical  de  l'imparftit  du  verbe  latin  est  ajoutée  la  terminaison 
française  :  er  -\-  eie. 

V  forme.  —  Cette  forme  est  employée  pour  quatre  des  six  per- 
sonnes de  ce  temps  :  les  trois  personnes  du  singulier  et  la  troisième 
du  pluriel. 

La  première  personne,  ère,  ne  se  rencontre  pas  souvent  ;  nous 
l'avons  relevée  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (cr,  i);  au  vers  356 
de  la  Folie  ;  au  vers  685  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine.  Ce  sont  les 
seuls  exemples  que  nous  connaissions  en  anglo-français . 

La  seconde  personne  est  encore  plus  rare  ;  nous  n'en  avons 
jamais  vu  qu'un  seul  exemple  :  ers  dans  Adgar  (XXIII,  183);  elle  a 
perdu  son  e  muet  flexionnel. 

La  troisième  personne  du  pluriel  a  ordinairement  la  forne  erent  ; 
on  trouve  aussi />;t;7/  dans  le  Saint  Edmund  (751)  et  dans  Der- 
mod  (414).  Ces  deux  formes  ont,  comme  le  montrent  les  rimes 
(:  guarderent)  (Heures,  64  r°)  ;  (:  portèrent)  (Saint  Edmund,  751), 
etc.,  un  e  fermé;  on  la  rencontre  jusqu'au  quatrième  quart  du 
xiii'^  siècle. 

La  troisième  personne  du  singulier  est  des  quatre  personnes  celle 
qui  est  de  beaucoup  la  plus  employée;  on  la  rencontre  fréquem- 
ment jusqu'au  xiv^  siècle  dans  les  œuvres  littéraires.  Nous  n'en 
citerons    aucun  exemple,  puisqu'on  peut  en   trouver  dans  chaque 


L  IMPARFAIT  571 

auteur  anglo-français.  Les  formes  sous  lesquelles  elle  apparaît  sont 
très  peu  variées.  Plus  de  neuf  fois  sur  dix,  elle  présente  la  forme 
habituelle,  sinon  parfaitement  étymologique  :  erl.  Comme  à  la  troi- 
sième personne  du  pluriel,  il  arrive  que  la  voyelle  initiale  de  ert  se 
diphtongue  :  la  forme  qu'elle  prend  alors  est  le  plus  souvent  iert  : 
cette  forme  est  assez  répandue,  beaucoup  moins  cependant  que  celle 
qui  présente  la  voyelle  simple  :  on  la  trouve  au  vers  865  de  Tris- 
tan ;  au  vers  144  de  la  Folie  Tristan,  il  faut  probablement  lire  à  la 
rime  iert  :  enquiert. 

Cette  forme  est  fréquente  chez  Dermod^  par  exemple  au  vers  4. 

Il  est  plus  rare  de  trouver  la  diphtongue  ci  ;  nous  en  relevons  un 
exemple  au  xiv^  siècle  dans  les  Rubriques  d'Edward  le  Confesseur 
(LA7I,  10),  ou  ciii  rime  avec  apert,  ce  qui  montre  que  ei  n'est 
qu'une  graphie  de  e. 

Le  /  final  de  la  troisième  personne  disparaît  quelquefois  en  même 
temps  que  Ye,  qui  est  étymologique,  reparaît. 

Ere,  en  anglo-français  comme  en  français,  est  très  commun  : 
on  trouve  déjà  cette  forme  dans  le  Saint  Brandan  au  vers  86,  et 
dans  trois  autres  endroits,  mais  elle  n'est  jamais  attestée  par  la 
rime  ;  dans  Gaimar  au  contraire,  elle  rime  avec  amere  (vers  4693) 
et  avec  frère  (au  vers  1756);  par  la  suite,  on  la  trouvera  souvent  à 
la  rime  :  elle  rime  avec  frère  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (304); 
avec  lumere  dans  Robert  de  Gretham  (10  v°)  ;  axec  manere  dans  le 
même  auteur  (29  v°)  ;  avec  arere  toujours  dans  les  Evangiles  des 
Dompnées  (90  v'^)  ;  avec  mère  dans  Sainte  Madeleine  (78);  Sarde- 
nai  (38)  ;  etc. 

Comme  pour  cri,  la  voyelle  initiale  se  diphtongue  quelquefois 
et  on  trouve  icre  qui  rime  avec  Pierre  deux  fois  dans  la  Vie  de  Saint 
Grégoire  (vers  1190,  2798)  ;  et  dans  Fantosme,  ^rt',  qu'il  faut  proba- 
blement lire  iere,  rime  avec  le  même  mot  (au  vers  204). 

Il  est  beaucoup  plus  rare  que  Vr  de  cette  forme  soit  redoublée 
comme  dans  erre,  qui  se  trouve  dans  la  Folie  (au  vers  103),  et  qui 
n'est  peut-être  qu'un  lapsus  calami  (M.  Bédier  rétablit,  au  lieu  de 
qu'erre,  qui  ert). 

Comme  on  le  voit,  cette  forme,  quoique  très  employée,  s'est  fort 
bien  conservée,  et  ne  présente  que  des  variations  ou  régulières  ou 
sans  importance. 

Erl,  iert,  eirf,  ère,  iere,  erre,  ces  six  formes  ne  sont  pas  spéciales  à 


572  L  EVOLUTION    DU    VERBE   EN    ANGLO-FRANÇAIS 

ranglo-français  et  peuvent  se  retrouver  dans  certains  dialectes  du 
continent. 

Cette  forme  étymologique  de  l'imparfait  de  être  est  extrêmement 
rare  hors  des  textes  littéraires  :  on  peut  en  citer  quelques  exemples, 
comme  erent  dans  les  Chroniques  de  Londres  (1339,  p.  73);  mais 
elle  est  absolument  inconnue  à  la  plupart  des  recueils  de  textes 
politiques  et  diplomatiques. 

•  2"  forme.  —  La  forme  esteie  ne  présente  rien  de  particulier  :  au 
commencement,  dans  le  Brandan,  le  Cumpoz  et  le  Bestiaire,  elle  est 
aux  troisièmes  personnes  du  singulier  et  du  pluriel,  sensiblement 
moins  répandue  que  la  forme  en  er.  A  partir  des  Psautiers,  et  dans 
tout  le  reste  de  la  littérature  anglo- française,  elle  prédomine  à  toutes 
les  personnes  ;  au  wx"  siècle  la  proportion  des  formes  analogiques 
aux  formes  étymologiques  est  de  96/100  (Pierre  de  Langtoft). 

3''  forme.  —  Le  Frère  Angier,  dans  la  langue  littéraire  anglo-fran- 
çaise, est  le  seul  qui  emploie  la  forme  mixte  eroie,  combinaison  du 
thème  latin  er,  et  de  la  désinence  française  e(o)ie.  Il  l'emploie  à 
toutes  les  personnes,  sauf  à  la  seconde  du  singulier,  dont  nous  ne 
trouvons  chez  lui  aucun  exemple  et  à  la  seconde  du  pluriel  '. 

I.  Cf.  Paul  Meyer,  Rom.  XII,  p.  201. 


CHAPITRE     III 
LE  PRÉTÉRIT 


I.  Les  prétérits  faibles. 
A.  Les  prétérits  e;/avi'. 

I .  Leurs  formes. 

La  première  personne  du  singulier  des  prétérits  faibles  en  avi  est 
régulièrement  terminée  par  ai;  les  exemples  que  nous  en  avons 
trouvés,  sans  être  très  nombreux,  suffisent  pour  le  montrer  ;  cette 
désinence  est  seule  employée  au  xii'  siècle  et  elle  est  la  plus  com- 
mune pendant  la  plus  grande  partie  du  xiii'^.  On  la  trouve  par 
exemple  à  la  rime  jusque  dans  Sardenai  :  travai  (:  Sardenai)  au 
vers  3. 

Vers  la  fin  du  xiii'^  siècle,  la  diphtongue  ei  remplace  assez  fré- 
quemment la  diphtongue  étymologique,  et  cette  nouvelle  forme 
devient  relativement  fréquente  au  xiv^  siècle,  sans  toutefois  dépla- 
cer la  terminaison  ai(y).  C'est,  aussi  exactement  que  possible,  à  cette 
même  date  que  cette  même  diphtongue  fait  son  apparition  à  la  pre- 
mière personne  du  singulier  de  ce  prétérit  dans  les  textes  non  litté- 
raires. 

Jean  de  Peckham  par  exemple  a  chaungey  (1280,  p.  128  et  pas- 
siui),  quoiqu'il  emploie  aussi  couramment  l'autre  diphtongue  ; 
Rymer  nous  donne  acordei  (1295,  II,  676,  etc.).  Les  Year  Books 
nous  fournissent  un  nombre  considérable  d'exemples  montrant 
indifféremment  l'une  ou  l'autre  de  ces  diphtongues;  nous  en  ver- 
rons quelques-uns  plus  loin  ;  il  est  d'autant  plus  inutile  de  les  citer 

I.  Voir  Meyer-Lùbke,  Beitriige  zur  roman.  Laut-uiid  Formculehre  II,  et  daus 
la  Zeitschrift  IX,  p.  223. 


574  L  EVOLUTION  DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

ici  que  nous  restons  dans  la  plupart  des  cas  ignorants  de  la  date  de 
ces  prétérits. 

Donnons  enfin  quelques  formes  qu'on  rencontre  dans  les  Lettres 
de  Jean  de  Peckham  ;  elles  sont  isolées  et  peuvent  n'être  que  des 
fautes  d'orthographe,  mais  c'est  justement  parce  que  ce  sont  des 
fautes  d'orthographe  qu'elles  présentent  de  l'intérêt  au  point  de 
vue  phonique  :  cclehre-  (1280,  94);  esciiminic:^  (1280,  149);  siiffrei 
(1280,  99). 

(Pour  le  passage  de  ai  à  oi  et  de  ai  à  a,  voir  Désinences  person- 
nelles, i'^  personne  du  singulier,  p.  55  sqq.) 

Nous  n'avons  que  peu  d'observations  à  faire  sur  la  troisième  per- 
sonne du  singulier,  les  principales  modifications  qu'elle  subit  ne  lui 
sont  pas  particulières  :  elle  les  partage  avec  d'autres  troisièmes  per- 
sonnes du  singulier,  et  pour  cette  raison  ces  modifications  ont  été 
déjà  étudiées  aux  Désinences  personnelles. 

(Terminaisons  en  5/,  cf.  p.   115.) 

Comme  terminaison  spéciale  aux  troisièmes  personnes  du  singulier 
des  prétérits  en  avi,  nousrencontrons  au  xiii^  siècle  les  désinences  en 
ea,  par  exemple  palniea  à  la  page  5 1  de  Foulques  Fitz  Warin  ;  dans 
les  Contes  de  Nicolas  Bozon  :  trovea(^  ^8),  pciisca  (p.  159);  iiiovca 
dans  Nicolas  Trivet  (folio  23  v°). 

Dans  les  Year  Books  cette  désinence  est  assez  commune  ;  elle 
semble  toutefois  assez  tardive. 

Cette  désinence  nous  suggère  deux  remarques  :  d'abord  Ye  est 
purement  graphique,  autant  que  nous  pouvons  nous  en  rendre 
compte  '.  Ensuite  cette  désinence  ne  doit  pas  se  confondre  avec  des 
formes  telles  que  cumcnceaiÇpav  exemple  Psautier  d'Oxford,  76,  10), 
cxakeat  (dans  le  Psautier  d"Arundel,  G6,  10)  où  Ve  sert  à  adoucir 
la  gutturale.  M.iis  il  est  très  possible  que  les  exemples  irréguliers  du 
xiv^  siècle  tirent  leur  origine  des  formes  régulières  du  xii^  siècle. 

Les  formes  en  aa  sont  rares,  nous  n'en  avons  relevé  d'exemple 
que  dans  Nicolas  Trivet,  comme  passaa  au  folio  8  r°  ^ 

La  première  et  la  deuxième  personne  du  pluriel   se  sont,  elles 


1.  Cf.  Stimniing,  Boeve  de  Haumtone,  p.   179,  1.  8;  p.  180,  L  5  sqq. 

2.  Le  redoublement  de  l'a  est  particulier  au  prétérit,  lorsque  cette  vovelle  fait 
partie  de  la  désinence  ;  nous  avons  déjà  vu  Va  du  radical  redoublé  dans  aa  de  avoir 
(cf.  p.  150). 


LE    PRETERIT  575 

aussi,  très  bien  conservées,  la  voyelle  accentuée  a  ne  subissant  pour 
ainsi  dire  aucun  changement.  Citons  seulement  la  graphie  an  qui 
apparaît  à  la  fin  du  xiii'',  ou  plus  vraisemblablement  au  xiV  siècle. 

Nous  lisons  par  exemple  dansRymer  :  iiiaiidaumesÇiiSi,  II,  197); 
loaiiiiies,  grcauiiies,  mvoyaiimes  (1297,11,  749);  chargeaumes  (1323, 
IV,  22);  envciaiimes,  Parliamentary  Writs  (I,  1300,  341).  Dans  la 
Genèse  Notre-Dame,  on  relève  portaiistes  et  Irovaiistcs  au  folio  62  v°; 
nous  trouvons  de  même  dans  William  de  Waddington,  au  vers  3555 
du  Manuel  des  Péchés,  reneiaiistcs  qui  rime  avec  une  terminaison  en 
astes.  Ces  formes  sont  probablement  dues  aux  scribes  :  en  tous  cas 
ce  ne  sont  que  des  graphies. 

Nous  avons  parlé  déjà  (Désinences  personnelles,  i'''  personne  du 
pluriel,  p.  171  ;  2'=  personne  du  pluriel,  p.  203)  de  l'introduction 
d'une  s  parasite  (^mandasmes,  grantasmes),  et  de  la  chute  de  1'^  éty- 
mologique (coiiiandates,  ahuruales)  à  ces  deux  personnes. 

La  troisième  personne  du  pluriel  prend  quelquefois,  comme 
voyelle  tonique,  a  au  lieu  de  e.  Les  seuls  exemples  que  nous  ayons 
se  lisent  dans  le  Poème  du  Prince  Noir  :  coronarent  se  trouve  au 
vers  171 1,  alarefit  au  vers  2639  ;  ou  elles  appartiennent  à  la  langue 
diplomatique  et  légale,  comme  :  renunciarent  dans  les  Rymer's 
Foedera  (1299,  II,  841);  conissarent  (Year  Book  13  et  14  Edw.  III, 

99)- 

Comme  on  le  voit  cette  désinence  est  assez  rare,   et  les  recueils 

les  plus  corrects  l'ignorent. 


LE    RADICAL 

Vers  la  fin  du  xiii^  siècle  et  pendant  le  xiv"  siècle,  on  trouve  que 
la  terminaison  produit  sur  le  radical  des  effets  que  l'on  n'avait  pas 
observés  jusqu'alors. 

Les  verbes  de  I  dont  le  thème  est  terminé  par  une  r  redoublent 
souvent  cette  r  devant  la  voyelle  a  :  nous  trouvons  en  effet  dans  les 
auteurs  littéraires  :  joitrnt  de  jurer  dans  la  Chronique  de  Londres, 
p.  4,  à  la  date  de  1262,  et  p.  22(1290)  ;  cette  même  forme  devient 
par  la  suite  assez  commune  et  elle  se  rencontre  encore  dans  Nicolas 
Trivet  au  folio  23  v^'  ;  daiiona  est  aussi  employé  dans  la  même 
Chronique  à  la  date  de   1272,  p.  il,  de  même  que  dans  les   Mem. 


576  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Pari.  1305  aux  §§  117,  305  ;  diirra  se  lit  dans  le  même  ouvrage, 
p.  38  (13 14);  desirra  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  §  23. 

Les  exemples  que  nous  venons  de  donner  et  plusieurs  autres  du 
même  genre  se  rencontrent  en  dehors  de  la  littérature,  spécialement 
dans  les  Rymer's  Foedera.  On  peut  observer  une  tendance  géné- 
rale chez  les  verbes  de  I  dont  le  thème  se  termine  par  r  à  redoubler 
cette  consonne  au  prétérit. 

Il  en  résulte  que,  comme  nous  le  verrons  encore  mieux  plus 
tard,  ces  verbes  ont  au  prétérit  la  même  forme  qu'au  futur,  et  ils  y 
arrivent  par  un  développement  phonique  assez  normal  plutôt  que 
sous  l'action  de  l'analogie. 

On  ne  saurait  nier  toutefois  que  ce  dernier  temps  a  eu  une  action 
assez  forte  sur  le  prétérit;  car  il  y  a  encore  d'autres  prétérits  qui 
prennent  aussi  le  thème  du  futur;  ils  se  rencontrent  dans  Foulques 
Fitz  Warin  et  ce  sont  de  véritables  barbarismes  que  l'on  peut  sans 
nul  doute  attribuer  au  scribe.  Ce  sont  des  prétérits  en  ai  et  ceux  de 
pouvoir  et  de  vouloir  à  forme  de  futur  ;  ils  sont  trop  nombreux 
pour  qu'on  puisse  les  prendre,  comme  on  serait  tenté  de  le  faire, 
pour  des  lapsus  calami  :  on  trouve  vodray  (à  la  p.  38);  vodia  (aux 
p.  20,  43,  51,  70)  ;  purrei  (p.  45). 

Il  est  fort  possible  que  l'identité  jurra,  demorra,  durra,  desirra, 
etc.  (futur),  jurra,  demorra,  durra,  desirra  (prétérit),  ait  fait 
provenir  les  nouvelles  formes  vodra,  piirra  (prétérit)  des  formes 
régulières  vodra,  purra  (futur).  Néanmoins  cette  confusion  est  bien 
extraordinaire. 

2.  Les  acquisitions. 

En  anglo-français,  nous  trouvons  un  nombre  considérable  de 
verbes  de  II,  de  III  et  de  IV  qui  prennent  au  prétérit  la  forme  des 
prétérits  en  avi  ;  toutes  les  conjugaisons  n'ont  pas  été  également 
atteintes  par  les  formes  analogiques,  et  dans  une  même  conjugaison 
on  peut  observer  que  certaines  personnes  prennent  plus  vite  et  plus 
souvent  que  les  autres  les  désinences  du  prétérit  de  I.  Ce  sont  surtout 
les  troisièmes  personnes  du  pluriel  du  prétérit  en  irent  qui,  à  toutes 
les  époques  de  la  littérature  anglo-française,  ont  pris  le  plus  commu- 
nément la  désinence  erent.  Aussi  nous  diviserons  notre  étude  en  deux 
parties  ;  troisièmes  personnes  du  pluriel  en  irenl,  autres  personnes. 


LE    PRETERIT  577 

a)  Troisièmes  personnes  du  pluriel  en  iroit  '. 

Le  fait  de  remplacer  à  la  troisième  personne  du  pluriel  la  termi- 
maison  ireiit  par  erent  est  à  peu  près  aussi  ancien  que  la  littérature 
anglo-française  ;  le  voyage  de  Saint  Brandan  nous  en  fournit  déjà 
un  premier  exemple  :  chosscreiit pour  choisir  (au  vers  465);  cet  exemple 
pourrait  être  laissé  au  scribe  (1167).  Et  c'est  évidemment  jusqu'à 
cette  dernière  date  qu'il  f;mt  reculer  la  rime  oiercnt  :  joierent  que  l'on 
trouve  dans  le  même  poème  (vers  857).  Le  Psautier  d'Arundel  nous 
offre  aussi  un  exemple  de  ce  changement  de  désinence  ;  nous  y  lisons 
en  effet  establerent  (16,  12)  ;  enfin  le  dernier  exemple  que  nous 
ayons  relevé  au  xii^  siècle  se  lit  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  :  c'est 
siiuierent  (au  vers  1669);  on  pourrait  encore  l'attribuer  au  scribe  et 
le  rejeter  ainsi  au  xiii'^  siècle. 

Comme  on  le  voit,  sans  être  nombreux  (même  l'exemple  du 
Saint  Gilles  mis  à  part),  les  cas  où  un  prétérit  en  irent  prend  la 
terminaison  en  erent  sont  assez  fréquents  pour  qu'on  puisse  con- 
clure que  dans  la  seconde  moitié  du  \u°  siècle,  les  prétérits  en  avi 
attiraient  déjà  à  leur  troisième  personne  du  pluriel  les  verbes  de  II 
(cf.  Infinitif). 

Le  xiii"  siècle  va  du  reste  nous  fournir  un  nombre  considérable 
de  ces  désinences  en  erent  affectées  à  des  verbes  de  IL  II  n'y  a  qu'un 
petit  nombre  de  ces  cas  qui  soient  attestés  par  la  rime  :  nous  pou- 
vons citer  dans  la  Genèse  Notre-Dame  :  giierperent  {:  chantèrent)  (au 
folio  65  v°)  ;  dans  l'Erection  des  Murailles  de  New  Ross  nous  avons 
encore  asenterent  (:  alerent)  (au  vers  19),  et  plus  tard,  dans 
l'Apocalypse  :  isserent  (:  ressemblèrent)  (92^);  il  est  plus  commun 
au  xiii*"  siècle  de  rencontrer  des  rimes  comme  finicrcnt  (:  descen- 
dirent) (Genèse,  48  v°),  oyerent  (:  départirent)  (dans  le  Saint 
Edmund,  au  vers  2665),  oyerent  (:  tendirent)  (ibid.,  2709),  syverent 
(:  virent)  (au  vers  547  de  Dermod). 

Même  ces  rimes,  comme  nous  le  verrons  dans  la  seconde  partie 
de  ce  travail,  ont  leur  importance. 

Nous  rencontrons  des  exemples  de  ^r^/z^  pour  irent  beaucoup  plus 

I.  Cf.  Romaiiia  XXXVI,  p.  88,  uotc  ;  Zcitschrift  II,  p.  543  ;  Suchicr,  Ueber..., 
p.  47. 

37 


578  'l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

fréquemment  dans  le  corps  des  vers  ;  nous  n'en  citerons  que  quelques- 
uns,  dans  Timpossibilité  où  nous  sommes  de  décider  s'ils  appar- 
tiennent aux  auteurs  du  xiii'- ou  aux  scribes  du  xiii''  et  du  xiv=  siècle. 

Nous  en  trouvons  un  très  grand  nombre  dans  le  Saint  Edmund, 
trop  grand  même  pour  qu'ils  appartiennent  tous  à  l'auteur  ;  il  est 
donc  plus  sage  de  les  attribuer  au  scribe,  comme  les  rimes  impar- 
fliites  que  nous  venons  de  citer  nous  porteraient  du  reste  à  le  faire  : 
la  date  du  ms.  du  Saint  Edmund  est  environ  la  tin  du  xiii^  siècle. 

On  trouve  par  exemple  dans  ce  poème  :  oycrcut  (170,  248, 
265),  vesqnicroil  (430,  etc.).  Dans  Boeve,  les  exemples  de  cette 
attraction  sont  au  moins  aussi  communs  :  oierent  se  retrouve 
au  vers  587  ;  saikrent  est  employé  au  vers  2580;  sayscnmt  au  vers 
2582  ;  fmrent  (de  fuir)  au  vers  2935  ;  citons  encore  ferercnt  (ferir) 
(3-37)5  isserent  (3536),  etc.  La  Genèse  ne  manque  pas  non  plus  de 
formes  analogues  ;  beaucoup  d'entre  elles  ne  font  que  répéter  celles 
que  nous  avons  déjà  vues,  comme  oyerent  qui  se  trouve  plusieurs 
lois  (par  exemple  au  folio  51  r°),  asailerent  (-15  r°  et  passivi);  on 
peut  y  ajouter  une  forme  que  nous  n'avons  pas  encore  rencontrée  et 
qui  va  devenir  par  la  suite  très  commune  :  hayerenl  de  haïr  (au  folio 

44  i-°)- 

Asailerent  apparaît  de  nouveau  au  vers  1037  de  Dermod  et  une 
nouvelle  forme  /â!/)^;-^?// est  employée  au  vers  731  du  même  ouvrage; 
citons  encore  f aillèrent,  très  fréquemment  employé  par  la  suite  et  qui 
se  trouve  par  exemple  au  vers  1404  de  William  de  Waddington. 
Ajoutons  encore  une  autre  forn.e  :  escoperent,  qui  se  lit  dans  le  Ser- 
mon en  vers  Deu  le  Omnipotent  (44  d). 

Au  xiv^  siècle,  nous  retrouvons  les  mêmes  exemples  que  dans  les 
auteurs  du  siècle  précédent  :  issierent,  empliereni  aux  vers  397,  420, 
947  de  la  Destruction  de  Rome  ;  oyerent  dans  Foulques  Fitz  Warin 
(à  la  page  18)  ;  dans  les  Contes  de  Bozon  (au  §  85),  dans  Nicolas 
Trivet  (46  v°),  etc.  Et  encore  les  formes  que  nous  avons  déjà  vues  : 
asaylerent  dans  Foulques  Fitz  Warin,  encore  page  46  et  passiin  ; 
etfailereiil  à  la  date  de  13  14,  page  38  de  la  Chronique  de  Londres. 

Tous  les  verbes  précédents  prennent  régulièrement  erent  à  la 
troisième  personne  du  pluriel  du  prétérit  ;  les  formes  en  /  sont 
rares  (asaylirent  à  la  page  "68  de  Foulques  Fitz  Warin)  ou 
absentes.  Quelques  autres  verbes,  sans  employer  cette  forme  avec 
la  même  régularité  que  ceux  qui  précèdent,  apparaissent  le  plus  sou- 


LE    PRETERIT  579 

vent  avec  la  désinence  des  prétérits  en  avi  à  la  troisième  personne 
du  pluriel  ;  on  peut  citer  parmi  ceux-ci  joierent  qu'on  trouve  dans 
l'Apocalypse  (Jj,  573)  ;  dans  Nicolas  Trivet  (19  r°)  et  ailleurs. 

Citons  enfin  quelques-unes  de  ces  formes  qui  sont  extrêm  ment 
abondantes  dans  Nicolas  Trivet  :  foivciriit  (5  v°)  ;  hcicrcnt  que  nous 
avons  déjà  rencontré  (6  v°)  ;  choiscrent  (14  r°);  ciiscvilereiit  (17  v°)  ; 
eiiiplerent  Ç62  y°)  ;  coil lèvent  Ç^^  r°). 

Ce  n'est  pas  une  exagération  de  dire  qu'avant  la  fin  du  xiv*^  siècle^ 
tous  les  verbes  de  la  deuxième  conjugaison  ont  à  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel  de  leur  prétérit  la  terminaison  erciit,  la  terminaison 
régulière  a  pour  ainsi  dire  entièrement  disparu. 

Les  formes  que  nous  avons  citées  nous  donnent  le  caractère  essen- 
tiel du  phénomène  qui  nous  occupe,  et  nous  arrêterons  un  instant 
cette  liste  d'exemples.  Ce  que  nous  venons  de  dire  du  passage  à 
erenf  de  la  désinence  de  la  troisième  personne  du  pluriel  en  irerit  et 
les  quelques  exemples  que  nous  avons  déjà  cités  suffisent  pour 
montrer  clairement  quelles  analogies  ou  plutôt  quelle  identité  il 
montre  avec  le  changement  qui  affecte  les  infinitifs  de  la  seconde 
conjugaison.  Nous  pourrions  nous  demander  maintenant  si  le  phéno- 
mène dont  nous  venons  de  parler  n'est  pas  simplement  un  résultat 
de  celui  que  nous  étudions  à  l'infinitif?  Cela  ne  nous  semble  pas 
probable.  Si  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  en  erent  pour  irent 
étaient  des  formations  analogiques,  nous  devrions  observer,  entre 
celles-ci  et  la  modification  que  nous  montrent  les  infinitifs  de  II, 
un  certain  intervalle  de  temps  ;  il  faudrait  que  la  terminaison  en  er 
dans  ces  derniers  ait  eu  le  temps  de  prendre  une  apparence  régu- 
lière et  usuelle  avant  de  pouvoir  gagner  d'autres  tormes.  Or,  c'est 
exactement  à  la  même  époque  que  nous  remarquons  les  premiers 
exemples  de  ces  deux  phénomènes  (ri6o),  et- nous  sommes  parfai- 
tement certains  que  ni  l'un  ni  l'autre  de  ces  phénomènes  ne  saurait 
avoir  une  date  plus  reculée. 

En  second  lieu,  si  c'était  l'analogie  qui  avait  produit  la  nouvelle 
forme  des  troisièmes  personnes  du  prétérit,  nous  devrions  rencontrer 
cette  nouvelle  terminaison  en  cr  et  en  ercnl  aux  mêmes  verbes  dès 
le  début.  Ce  n'est  pas  cela  qui  a  lieu.  On  a  d'uncàié  pi  ai  ser,  repeiiler, 
donner,  de  l'autre  chossereiil,  oierenl,  joiereiil.  Donc  les  deux  phéno- 
mènes sont  bien  indépendants;  mais,  comme  nous  nous  attacherons 
à  le  démontrer,  ils  proviennent  de  la  même  cause. 


580  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Nous  avons  cité  ci-dessus  les  exemples  qui  nous  paraissent  les  plus 
importants  ;  ajoutons-leur  rapidement  quelques  verbes  qui,  sans 
appartenir  à  la  seconde  conjugaison,  subissent  le  même  changement. 
Et  les  exemples  qui  suivent  auront  l'avantage  de  nous  montrer 
que  le  phénomène  qui  atteint  la  troisième  personne  du  pluriel  du 
prétérit  est  indépendant  ^du  passage  à  l'infinitif  de  ir  à  cr.  Nous 
citerons  ces  quelques  exemples  sans  trop  nous  attarder  sur  les  dates 
auxquelles  il  faudrait  les  rapporter. 

Quelques-uns  d'entre  eux  se  rencontrent  très  fréquemment  ;  la 
troisième  personne  du  pluriel  de  suivre,  par  exemple,  est  le  plus 
souvent,  à  partir  de  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle,  en  erent  ; 
quelques  textes  du  xii^  siècle  nous  montrent  déjà  cette  forme,  comme 
la  Vie  de  Saint  Gilles  qui  a  (au  vers  1669)  skuiercnt  ;  au  xiii^  siècle 
le  même  verbe  apparaît  dans  la  Plainte  Notre-Dame  (aux  vers  44 
et  50),  sous  la  forme  swyerent  ;  deux  fois  aussi  dans  Dermod  l'on 
trouve  suèrent  (vers  691,  739)  et  une  fois  syverent  (  :  virent)  (au 
vers  547).  L'Apocalypse  en  a  aussi  plusieurs  exemples  :  sucrent  (v, 
809);  skvereiit  (_^[,  11 64);  on  trouve  du  reste  dans  le  même  ouvrage 
siiuirent  Qj,  ii6z|);  etc. 

Aucun  autre  verbe  ayant  irait  à  la  troisième  personne  du  pluriel 
du  prétérit  ne  prend  Ve  tonique  à  cette  personne  du  pluriel  aussi 
fréquemment  que  suivre  ;  en  voici  quelques-uns  qui  se  rencontrent 
quelquefois  :  pnrvciercnt  employé  dans  la  Genèse  Notre-Dame 
(72  r");  defenderent  qui  est  employé  deux  fois  dans  Dermod  (vers 
2000  et  2360)  ;  cheierent  (:  aorerent)  dans  l'Apocalypse  (a,  346)  ; 
et  chaierent  (7,  335)  dans  le  même  poème  ;  la  même  forme  se 
rencontre  dans  Nicolas  Trivet  (au  folio  31  r°).  Descenderent  est  aussi 
employé  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  au  §  82  ;  dans  les  Chro- 
niques de  Nicolas  Trivet  au  folio  14  r°  et  dans  un  grand  nombre 
d'autres  cas.  Du  même  genre  est  defendere?it  qu'on  trouve  dans 
Foulques  Fitz  Warin  à  la  page  46. 

Nous  pourrions  ajouter  un  nombre  d'exemples  beaucoup  plus 
considérable  ;  mais  nous  nous  contenterons  d'en  soumettre  un  de 
plus,  discutable,  il  est  vrai.  On  trouve  aux  §§  81  et  84  de  Bozon 
vierent  pour  virent;  mais  il  est  fort  possible  qu'on  ait  ici  une  graphie 
assez  peu  commune  pour  /  :  (pour  ie  =  /,  cf.  Stimming,  p.  187  et 
Suchier,  Voyelles,  p.  87,  29  e). 

Dans  cette  liste,  un  peu  longue  déjà,  il  se  trouve  des  verbes  qui 


LE    PRÉTÉRIT  58 1 

ne  sont  employés  que  beaucoup  plus  tard   avec  un  infinitif  en  er, 
suivre  par  exemple,  ou  défendre. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  citer  tous  les  verbes  qui,  dans 
la  langue  politique,  diplomatique,  familière  et  légale,  prennent  la 
désinence  crcnt  au  lieu  de  ircnt  ;  nous  nous  contenterons  de  signaler 
ceux  qui  sont  les  plus  employés  ou,  à  notre  avis,  les  .plus  remar- 
quables. Sofrerent  se  trouve  partout,  par  exemple  dans  les  Statu  tes 
(1321,  I,  184),  dans  Rymer,  dans  les  Literae  Cantuarienses  etc. 

Il  en  est  de  même  pour  enjoierent,  responâerent,  hatterent,  assen- 
icrent,  oierent,  qui  n'apparaissent  plus  que  très  rarement  sous  la 
forme  étymologique;  ces  verbes  semblent  avoir  passé  sur  ce  point 
à  la  première  conjugaison.  Nous  pouvons  cependant  ajouter 
quelques  remarques  à  propos  de  la  distribution  des  autres  nouvelles 
formes  en  erent  dans  nos  diiférents  recueils,  car  on  peut  relever  des 
variations  considérables. 

Les  Statutes,  par  exemple,  et  tout  d'abord,  sont  relativement 
très  corrects  à  ce  point  de  vue  encore  ;  le  nombre  de  prétérits  en  i 
qui  prennent  une  troisième  personne  du  pluriel  en  erent  est  très 
minime  ;  le  premier  cas  que  nous  ayons  relevé  de  ce  passage,  c'est 
le  sofrerent  que  nous  citions  tout  à  l'heure,  et  la  date  à  laquelle  il  se 
trouve  est  1321.  Les  autres  cas  qu'on  rencontre  sont  très  clairsemés 
pendant  la  première  moitié  du  xiv^  siècle,  tandis  que  les  troisièmes 
personnes  du  pluriel  en  ireut  sont  fréquentes. 

Vers  la  fin  de  ce  siècle,  les  personnes  irrégulières  deviennent  un 
peu  plus  nombreuses.  Ce  que  nous  venons  de  dire  s'applique  aussi, 
mais  dans  une  moindre  mesure,  aux  Parliamentary  Writs  qui  ne 
nous  ont  fourni  qu'un  nombre  très  restreint  d'exemples;  beaucoup 
moins  bien  encore  aux  Mem.  Pari.  1305  ;  dans  ce  dernier  recueil 
les  formes  sont  relativement  très  nombreuses. 

Dans  les  Rymcr's  Foedera,  la  correction  laisse  encore  plus  à 
désirer;  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  qui  prennent  la  dési- 
nence erent  au  lieu  de  irent  deviennent  extrêmement  communes 
après  1295.  Nous  rencontrons  toutes  Tes  formes  que  nous  avons- 
citées  dans  les  lignes  qui  précèdent  et  un  assez  grand  nombre  de 
nouvelles.  Nous  ne  donnerons  qu'un  exemple  qui  est  spécialement 
commun  dans  ce  recueil  :  faillcrcnt  (1297,  II,  783);  cette  citation 
était  du  reste  parfaitement  inutile,  nous  aurions  pu  nous  contenter 
de  dire  que  la  plupart  de  terminaisons  en  irciil,  sinon  toutes, 
prennent,  à  l'occasion  ou  constamment,  la  forme  en  erent. 


582  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Les  Literae  Cantuarienses,  ou  si  l'on  veut  la  littérature  familière 
de  cette  époque,  nous  en  donnent  un  grand  nombre,  moins  consi- 
dérable toutefois  que  dans  les  Rymer's  Foedera  ;  quant  aux  textes 
de  langue  légale,  il  nous  suffira  de  dire  que  la  terminaison  en  ireiil 
y  est  très  rare  et  a  presque  complètement  disparu. 

Autres  acquisitions. 

Dans  la  section  qui  suit,  nous  étudierons  :  1°  les  troisièmes  per- 
sonnes du  pluriel  autres  que  celles  de  la  seconde  conjugaison  qui 
prennent  la  forme  des  prétérits  en  avi;  2°  toutes  les  autres  per- 
sonnes des  seconde,  troisième  et  quatrième  conjugaisons  qui  nous 
montrent  cette  même  forme. 

a)  Les  troisièmes  personnes  que  nous  avons  à  citer  maintenant 
sont  celles  qui  dans  cette  section  nous  donneront  le  plus  grand 
nombre  d'exemples.  Mais  nous  croyons,  sans  en  être  absolument 
sûrs,  d'abord  que  ces  nouvelles  terminaisons  en  ercnt  sont  sensible- 
ment plus  récentes  que  celles  que  nous  ont  fournies  les  prétérits  en 
ivi,  ensuite  que  l'origine  de  ces  nouvelles  formations  n'est  pas  la 
même  que  celle  des  formes  que  nous  avons  déjà  énumérées. 

Ces  troisièmes  personnes  du  pluriel  proviennent  d'abord  des 
prétérits  en  ni,  et  il  semble  que  les  premiers  exemples  que  nous 
en  trouvions  soient  fort  anciens.  Nous  en  avons  un  en  effet  dans 
les  Légendes  de  Marie  d'Adgar  :  volèrent  (XI,  137). 

Puis  la  volèrent  en  hait  pendre. 

Cette  forme,  barbare  pour  le  xii^  siècle,  semble  assurée  par  la 
mesure  du  vers  ;  mais  nous  ne  pouvons  pas  nous  prononcer  d'une 
fiiçon  absolument  certaine,  car  nous  n'avons  pas  les  variantes 
pour  ce  vers.  On  pourrait  probablement  lire  voleient. 

Ce  n'est  guère  que  vers  la  fin  du  xiii'^  siècle  que  nous  commen- 
çons à  rencontrer  assez  communément  des  formes  comme  celle 
d'Adgar,  et  cette  date  correspond  bien  avec  celle  du  manuscrit  des 
Légendes  de  Marie.  Le  ms.  B  de  Boeve  de  Haumtone  nous  donne 
avèrent  (pour  le  vers  2475);  la  Genèse  Notre-Dame  nous  donne 
aussi  curèrent  (au  folio  73  r°),  et  on  pourrait  citer  un  petit 
nombre  d'exemples  analogues  dans  les  ouvrages  de  la  fin  de  ce 
siècle. 


LE    PRÉTÉRIT  583 

Mais  c'est  surtout  au  xn"^^  que  nous  trouvons  des  exemples  assez 
nombreux  en  même  temps  qu'assurés.  L'Apocalypse  nous  a  montré 
la  première  rime  :  aparerent  qui  rime  avec  ressemblèrent  (y,  53  ; 
^  451).  Cette  même  forme  est  employée  dans  les  Contes  de  Nicole 
Bozon  (au  §  84),  dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet  (cf.  folio  éo 
v°)  et  dans  quelques  Year  Books  assez  récents.  Citons  encore 
vioverent  (cf.  d'ailleurs  niovea,  cité  plus  bas)  que  nous  lisons  dans  ce 
dernier  ouvrage  (folios  37  r°,  63  v°).  Nous  conclurons  que  ces 
formes  sont  assez  peu  communes  et  que,  en  dépit  des  apparences 
de  l'exemple  des  Légendes  de  Marie,  elles  n'apparaissent  pas  avant  la 
fin  du  xiii^  siècle. 

Ce  sont  les  mêmes  conclusions  auxquelles  nous  arriverons  pour 
les  désinences  en  erent  provenant  de  prétérits  en  si.  Le  xiii*^  siècle 
ne  nous  a  donné  que  siirderent  qui  se  lit  dans  la  Genèse  Notre- 
Dame  (folio  44  r°)  ;  le  xiv^  nous  en  offre  davantage  :  nous  trouvons 
dans  le  ms.  L  de  Chardri  satis fièrent,  pour  le  vers  1803  du 
Josaphat.  Même  Pierre  de  Langtoft  dans  sa  Chronique  n'en  a  qu'un 
nombre  insignifiant  de  cas.  Citons  une  forme  qui  se  trouve  dans  ce 
poème  et  qui  deviendra  très  commune  dans  les  textes  légaux  delà 
fin  du  xiv'^  siècle  :  pkynerent.  Les  ouvrages  en  prose  nous  montrent 
certainement  un  nombre  plus  considérable  de  ces  formes,  et 
quelques-unes  doivent  dater  du  xv^  siècle.  Outre  celles  que  nous 
venons  de  voir,  nous  pouvons  citer  despiserent,  que  nous  trouvons 
dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet  (au  folio  63  r°),  asseyerouni 
dans  le  même  ouvrage  (au  même  folio)  ;  metterent,  escriverent, 
enoynlerenl,  toujours  dans  Nicolas  Trivet  (respectivement  aux  folios 
28  \°,  25  v°,  43  r").  Ces  quelques  formes  nous  ont  paru  assez 
rares  ;  il  n'en  est  pas  de  même  pour  ardèrent  qui  terminera  notre 
liste  d'exemples  ;  nous  le  trouvons  en  effet  dans  Pierre  de  Langtoft 
(I,  346,  9),  dans  Foulques  Fitz  Warin  (page  29)  et  dans  plusieurs 
autres  auteurs. 

Certaines  des  formes  précédentes  peuvent  nous  inspirer  quelques 
doutes.  Nous  verrons  plus  tard  que  les  troisièmes  personnes  du 
prétérit  :  surdrent,  ardrent,  enoyntrent,  ou  des  formes  analogues,  ne 
sont  pas  rares.  Les  formes  que  nous  venons  de  citer  ne  peuvent- 
elles  pas  dans  certains  cas  provenir  de  ces  prétérits  par  l'introduction 
d'une  sorte  d'c  svarabhaktique  ?  Nous  ne  saurions  pas  alors  si  cet  e 
reçoit  l'accent  tonique.  La  question  est  de  mince  importance  puisque 


584  l'évolutiox  du  verbk  en  anglo-frakçais 

nous  sommes  à  peu  près  certains  que  ni  apparercnt  ni  luoverenl,  etc. 
n'ont  cette  origine. 

Comme  on  le  voit,  le  nombre  de  ces  nouvelles  formes  de  la 
troisième  personne  du  pluriel  des  prétérits  en  si  qui  prennent  la 
désinense  en  crcnt  est  minime,  et  ces  formes  sont  récentes.  On  ne 
peut  donc  les  comparer  à  ces  acquisitions  que  les  prétérits  en  ivi 
et  en  /  ont  fournies  à  la  classe  des  prétérits  en  avi  pour  cette  per- 
sonne. C'est  que,  comme  nous  nous  efforçons  de  le  montrer  dans 
notre  seconde  partie,  ce  dernier  changement  est  d'origine  pure- 
ment phonique,  tandis  que  les  autres  nouvelles  forinations  sont 
analogiques. 

Avant  d'abandonner  la  question,  nous  allons  montrer  que  nous 
pouvons  observer  le  mêhie  état  de  choses  dans  les  textes  qui  n'appar- 
tiennent pas  à  la  littérature.  Ici  encore  ce  sont  les  troisièmes  per- 
sonnes du  pluriel  qui  dominent;  dans  les  Statutes  même,  nous  en 
relevons  un  certain  nombre  de  cas,  par  exemple  inoverent  (1327,  I, 
252);  retrahercnt  (1360,  I,  269);  rcceiverent  (1362,  I,  373);  mais, 
comme  on  le  voit,  ces  formes,  qui  sont  les  seules  que  nous  ayons 
rencontrées,  se  trouvent  à  peu  près  isolées,  et  séparées  les  unes  des 
autres  par  un  intervalle  de  temps  assez  considérable. 

Les  Early  Statutes  of  Ireland  nous  en  offrent  un  nouveau  cas  : 
poierent  (1286,  96);  les  Parliamentary  Writs  ont  moverent  (1325,  I, 
705);  les  Mem.  Pari.  1305  ont  toîkreut  (§  127  et  §  388);  ardèrent 
(S  ^S7y,  devcreiit  (§  88). 

Néanmoins  dans  la  langue  politique,  il  est  évident  que  les  formes 
correctes  se  conservent  assez  bien  ;  les  formes  qui  ne  le  sont  pas  se 
rencontrent  cependant  assez  tôt  :  1286,  1305,  1327;  mais  leur 
nombre  n'augmente  pas  sensiblement  ;  de  plus,  on  voit  que  les  pré- 
térits en  ni  et  les  prétérits  en  si  sont  à  peu  près  également 
atteints. 

Dans  Rymer  les  nouvelles  acquisitions  de  la  classe  en  avi  à  la 
troisième  personne  du  pluriel  sont  plus  nombreuses,  et  on  en 
trouve  dans  ce  recueil  des  cas  assez  curieux  ;  le  plus  ancien  que 
nous  puissions  citer  se  lit  en  13 10  :  solerent  (III,  200);  pendant  la 
seconde  moitié  du  xiv^  siècle,  les  exemples  augmentent  d'une 
manière  considérable,  on  retrouve  quelques-unes  des  formes  que 
nous  avons  déjà  citées  et  quelques  nouvelles,  comme  tenercnt  pour 
tiendrent    (1360,    VI,   244).  Les  Literae  Cantuarienses  en  offrent 


LE    PRÉTÉRIT  585 

plusieurs,  entre  autres  traierent  (1369,  916);  les  Letters  from  Nor- 
thern Registers  ont  ^g/r«wi-^ra/^  (1347,  390),  ardèrent  (id..  ibid.). 
Surtout,  comme  tout  à  l'heure,  la  Chronique  de  Londres  nous 
fourniraient  une  moisson  abondante  :  citons  parmi  les  formes  que 
nous  avons  relevées  :  treyerent,  morerent,  ardèrent  (qu'on  trouve  res- 
pectivement aux  dates  et  aux  pages  suivantes  :    1340,  71  ;    1324, 

38;  1315.  39;  13^0,79)- 

Nous  n'insisterons  pas  sur  les  formes  que  nous  rencontrons  dans 
les  Year  Books  ;  nous  en  trouvons  un  assez  fort  nombre  de  nou- 
velles ;  mais  leurs  dates  sont  la  plupart  du  temps  assez  difficiles  ou 
impossibles  à  déterminer.  Cependant  quelques  formes  sont  répétées 
constamment,  en  voici  les  principales  :  morerent  (13  et  i-|  Edw.  III, 
143)  ;  coniserent  (13  et  14  Edw.  III,  99,  109);  pleynereui  (33  et  35 
Edw.  ¥',  413). 

Par  conséquent,  ce  que  nous  trouvons  en  dehors  des  œuvres 
littéraires  n'est  pas  de  nature  à  changer  les  conclusions  que  nous 
exposions  à  la  suite  de  notre  étude  des  ouvrages  littéraires.  Ces 
nouvelles  formes  sont  probablement  dues  à  l'analogie  ;  elles  sont 
relativement  peu  nombreuses  et  appartiennent  à  une  époque  assez 
tardive. 

h)  Nous  commencerons  par  citer  un  verbe  qui  passe  en  entier  à  la 
classe  des  prétérits  Quavi:  ester  et  ses  composés.  La  première  forme 
assurée  que  nous  connaissions  se  rencontre  à  la  rime  dans  le  Ser- 
mon envers  de  Guischart  de  Beauliu  :  cuntrestai  (au  vers  1187). 
Par  la  suite,  les  formes  analogiques  deviennent  plus  communes 
même  à  la  rime.  Néanmoins  l'autre  forme  reste  dans  la  plupart  des 
auteurs  la  forme  la  plus  commune,  comme  nous  le  verrons  en  étu- 
diant les  prétérits  en  ///. 

Pour  les  autres  verbes,  nous  pensons  que  le  plus  grand  nombre 
de  ceux  que  nous  rencontrons  sous  la  forme  d'un  prétérit  de  I  ne 
sont  que  des  acquisitions  partielles,  si  on  peut  dire,  car  ils  ne 
montrent  qu'une  ou  deux  personnes,  rarement  plus,  avec  cette 
forme. 

Les  troisièmes  personnes  du  singulier  sont  assez  nombreuses 
avec  la  terminaison  a,  quoique  leur  nombre  n'approche  pas  de 
celui  de  la  troisième  personne  du  pluriel.  De  plus  nous  n'en  trou- 
vons qu'au  xiV'  siècle  et  leurs  formes  ne  sont  jamais  assurées  par 
la  rime,   ce  qui  nous  permet  de  supposer  qu'elles  proviennent  sou- 


586  l'évolution  du  vhrbe  en  anglo-français 

vent  Je  l'ignorance  des  scribes.  Nous  rencontrons  un  assez  grand 
nombre  de  verbes  de  II  sous  cette  forme  :  voma,  dans  rApocal3^pse 
(3^  682);  giieiicha,  dans  le  Roman  de  Foulques  Fitz  Warin  (p.  1 10), 
et  dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet  :  quilla,  rcpciita,  asscula 
(respectivement  aux  folios  2  r°,   13  v°,  46  r°). 

Aux  autres  conjugaisons  nous  trouvons  un  nombre  relativement 
moindre  d'exemples.  Le  scribe  de  la  Vie  de  Saint  Edmund  écrit 
trea  (pour  le  vers  1217).  Nous  attribuerions  aussi  au  scribe  les 
quelques  formes  analogiques  que  nous  trouvons  dans  le  corps  du 
vers  de  la  Genèse  Notre-Dame  :  cundiat  (de  cunduire)  et  niaynat 
(respectivement  aux  folios  44  v°  et  49  v°).  Plus  barbare  encore  est 
le  prétérit  vodra  que  nous  lisons  dans  le  roman  de  Foulques  Fitz 
Warin  (pp.  20,  43,  45,  51,  70)  (cf.  aussi  vodrai). 

Sourdre,  que  nous  avons  vu  prendre  à  la  troisième  personne  du 
pluriel  la  forme  soiirdcrent,  apparaît  très  fréquemment  à  la  troisième 
personne  du  singulier  sous  la  forme  sourda  ;  on  en  trouve  des 
exemples  dès  le  commencement  du  xiV  siècle,  comme  dans  Pierre 
de  Langtoft  (i^""  Appendice,  II,  416^  6);  Nicole  Bozon  n'a  pas  un 
trèsgrand  nombre  de  ces  formes  nouvelles;  nous  n'avons  trouvé  que 
coiiihala  au  §  21  ;  et  au  §  46,  entenda.  Elles  sont  plus  nombreuses 
dans  Nicolas  Trivet  ;  citons  seulement  despisa  (au  folio  14  r°)  et 
uiovea  (au  folio  23  v°)  (cf.  d'ailleurs  despiserent  et  nioverent  qui 
sont  employés  par  le  même  auteur  cité  plus  haut). 

Au  contraire,  en  dehors  de  la  littérature,  la  troisième  personne  du 
singulier  nous  fournit  un  nombre  de  cas  proportionnellement  beau- 
coup moins  considérable  ;  par  exemple  dans  tous  les  écrits  poli- 
tiques, la  seule  forme  nouvelle  en  a  que  nous  ayons  trouvée,  c'est 
poiat  dans  les  Statutes  (1387,  II,  47)  et  le  t  final  nous  porte  à  croire 
que  nous  avons  affaire  ici  à  un  imparfait  de  l'indicatif.  Rymer  a  la 
même  forme  avec  un  s  paragogique  :  poast  (1348,  V,  612);  à  côté 
de  cette  forme  douteuse,  on  peut  encore  citer  feina  qu'on  lit  dans 
le  même  recueil  sous  la  date  de  1360,  éo;  et  dans  les  Documents 
Inédits  poiûst  (1382,  326)  ;  ireia  et  rescua  (1346,  80). 

Dans  les  textes  de  la  langue  légale,  les  exemples  sont  plus  com- 
muns; ils  sont  même  abondants,  comme  oya,  dtparta,  valu,  issa, 
conissa  qui  sont  répétés  en  divers  endroits. 

Les  première  et  seconde  personnes  du  pluriel  sont  beaucoup  plus 
rarement  attirées  à  la  forme  des  prétérits  en  avi  et  on  ne  les  trouve 


LE    PRÉTÉRIT  587 

que  dans  les  auteurs  les  plus  incorrects;  non  seulement  on  n'en 
rencontre  aucun  cas  dans  la  langue  politique  mais  les  Rymer's 
Foedera  n'en  offrent  qu'un  exemple  :  sortames  (1294,  II,  620),  que 
l'on  pourrait  fort  bien  cette  fois  considérer  comme  un  lapsus 
calami  ;  dans  les  Documents  Inédits,  on  relève  vivantes  (1346,  81); 
dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense  :  poatties,savauics  (13  11, 
i).  Dans  les  œuvres  littéraires,  nous  n'en  avons  relevé  qu'un  seul 
cas  dans  un  ouvrage  en  prose  du  xiv''  siècle  :  c'est  enclosanies,  qu'on 
lit  à  la  p.  21  de  Foulques  Fitz  Warin. 

Tous  ces  exemples  ne  prouvent  guère  qu'une  chose  :  l'ignorance 
profonde  du  français  de  ceux  qui,  scribes  ou  auteurs,  ont  écrit  ces 
formes  ;  du  reste  on  v^oit  qu'elles  sont  rares. 

La  form.e  luaiidiastes  qui,  au  vers  3554  du  Manuel  des  Péchés, 
riue  avec  reneiaustes,  est  un  cas  sensiblement  différent;  William 
de  Waddington  ne  connaît  pas  le  verbe  maudire,  mais  le  verbe 
maudier;  c'est  un  changement  total  de  conjugaison. 

Ces  barbarismes  sont  plus  fréquents  dans  les  Year  Books,  où  on 
lit  des  formes  comme  bâtâmes  (20  et  21  Edw.  P',  313);  eains  (32 
et  35  Edw.  I",  467)  yvcasmes  (ri  et  12  Edw.  III,  455);  poaiiies 
qui  est  très  fréquent  (13  et  14  Edw.  III,  119).  La  seconde  personne 
du  pluriel  se  conserve  mieux,  ce  n'est  que  dans  les  Year  Books 
qu'on  trouve  des  formes  comme  pesâtes  (pestre)  (33  et  35  Edw.  F'', 
449);  ahatastes  {12  et  13  Edw.  III,  129). 

Quant  aux  deux  personnes  que  nous  n'avons  pas  encore  exami- 
nées, la  première  et  la  deuxième  du  singulier,  nous  ne  pouvons 
pas  arriver  à  des  conclusions  bien  précises.  Tout  d'abord,  nous 
n'avons  relevé  aucun  exemple  d'une  acquisition  des  prétérits  de 
I  à  la  seconde  personne,  ni  dans  les  textes  littéraires,  ni  dans  les 
autres;  citons  cependant  a)/;///;?i/(75'  du  Psautier  d'Arundel  (143,  9), 
lapsus  calami  évident.  Pour  la  première,  il  se  rencontre  un  assez 
grand  nombre  de  formes  qui  peuvent  être  des  nouvelles  formations  ; 
mais  pour  ces  personnes,  un  doute  subsiste  toujours  ;  il  est  sou- 
vent impossible  de  dire  si  nous  avons  un  prétérit  analogique  ou  un 
imparfait  qui  a  perdu  son  e  final  ;  des  exemples  de  premières  per- 
sonnes que  nous  allons  citer,  il  est  probable  que  quelques-unes, 
dans  l'esprit  de  l'auteur,  étaient  des  imparftits;  mais  il  n'est  pas 
moins  assuré  que  nous  devons  avoir  un  certain  nombre  de  prétérits. 
Pouvoir  prend  fréquemment  la  forme  poai  ;  nous  en   avons  proba- 


588  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

blcmcnt  un  exemple  au  xiii'^  siècle  au  vers  6 no  de  William  de 
Waddington  ;  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  34,  12);  de  même  dans 
le  2"  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft  (II,  440,  6). 

Dans  certains  recueils  politiques  ou  diplomatiques,  familiers, 
nous  trouvons  encore  des  exemples  de  la  même  forme  qui  ne  nous 
laissent  aucun  doute  :  dans  les  Letters  from  Northern  Registers 
(1326,  334)  ;  dans  certains  passages  de  Rymer  ;  dans  les  Year  Books 
où  elle  est  très  commune  (par  exemple  13   et  14  Edw.  HT,  p.  119, 

319)- 

Pour  ce  même  verbe,  nous  rencontrons  d'ailleurs,  comme  nous 
l'avons  vu  précédemment,  d'autres  personnes  qui  ont  pris  le  pré- 
térit de  I,  poiat  par  exemple  et  poanies,  ce  qui  rend  plus  vraisem- 
blables les  conjectures  que  nous  sommes  forcés  de  faire  pour  la  pre- 
mière personne. 

Nous  trouvons-  encore  un  certain  nombre  d'autres  premières  per- 
sonnes de  prétérits  en  ai,  prenant  la  forme  des  prétérits  en  avi  ; 
nous  avons  déjà  cité  la  forme  extraordinaire  qu'on  rencontre  dans 
Fouques  Fitz  Warin  :  piirra,  p.  45  ;  citons  encore  créai  qu'on  lit 
dans  le  Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington  et  qui 
semble  être  aussi  un  prétérit  ;  et  sa  forme  est  assurée  par  la  rime 
(:  cuntai)  (vers  5810)  ;  vodray  dans  Foulques  Fitz  Warin  (p.  38), 
forme  confirmée  par  la  troisième  personne  vodra  (20,  43,  51,  70)^ 
forme  si  fréquente  dans  ce  roman  et  que  nous  avons  eu  l'occasion 
de  citer;  estay  à-A.\\s  Pierre  de  Langtoft  (II,  116,  14),  exemple  plus 
douteux. 

De  même  les  formes  suivantes  tirées  des  Year  Books  nous  pro- 
duisent la  même  impression  :  brayay  de  braire  (33,  35  Edw.  P"", 
123),  fessey  (id. ,  159);  pesey  de  pestre  (id.,  449)  et  conussai  qui  est 
très  fréquent  et  montre  les  formes  des  prétérits  en  avi  h.  toutes  les 
personnes. 

Toutes  les  formes  qui  précèdent  n'offrent  pas  le  même  degré  de 
probabilité  ;  il  est  simplement  possible  que  chacune  d'elles  soit  un 
prétérit.  Remarquons  toutefois  que  nous  ne  nous  trouvons  jamais 
dans  l'incertitude  lorsque  nous  lisons  certains  textes  comme  les 
Statures  ;  pour  ce  recueil,  nous  sommes  parfaitement  sûrs  qu'aucune 
forme  irrégulière  du  prétérit  en  ai  ne  s'est  introduite  dans  la  conju- 
gaison. 

Nous  sommes  toutefois  assurés  de  rester  dans  les  limites  de  la  cer- 


LE    PRÉTÉRIT  589 

titude  en  n'admettant  comme  reformation  à  la  première  personne 
que  les  formes  qui  sont  corroborées  comme  telles  à  la  troisième 
personne  du  singulier  et  à  la  rigueur  du  pluriel.  Des  exemples  qui 
précèdent,  nous  pourrons  donc  admettre  comme  assurés  :  pouvoir 
et  vouloir. 

B.  Les  pré  1er  ils  en  ivi. 

I .  Les  Formes. 

Les  prétérits  en  ivi  ne  présentent  pas  une  très  grande  variété 
dans  leurs  formes  ;  les  différentes  personnes  se  sont  maintenues 
assez  régulièrement  pendant  les  trois  siècles  de  la  littérature  anglo- 
française  ;  aussi  nous  n'aurons  qu'un  tout  petit  nombre  d'observa- 
tions à  présenter. 

La  première  personne  est  ordinairement  en  /,  écrite  3'  (cf.  Ortho- 
graphia Gallica,  H  92;T  17;  C  25)  pendant  le  xiv^  siècle.  Les 
exemples  de  l'une  et  l'autre  forme  sont  nombreux,  mais  il  nous 
semble  peu  utile  d'en  citer. 

De  temps  en  temps,  nous  trouvons  que  cette  première  personne 
prend  une  s  comme  dans  chaïs  (:  dis)  dans  Adgar  (VIII,  233);  ou 
saisis  zu  vers  1554  '^^  Horn  ;  c'est  une  remarque  que  nous  avons 
déjà  eu  l'occasion  de  faire  lorsque  nous  avons  traité  de  \'s  analo- 
gique à  la  première  personne  du  singulier  (cf.  Désinences  per- 
sonnelles, p.  34). 

La  deuxième  personne  du  singulier  est  tout  aussi  régulière  ;  la 
seule  forme  qui  ne  le  soit  pas  tout  à  foit  se  rencontre  dans  Boeve 
(au  vers  280)  :  inentes,  alors  que  la  terminaison  régulière  se  trouve  à 
la  rime  pour  le  même  verbe  au  vers  3584  (:  mis). 

11  arrive  de  trouver  fréquemment  à  la  troisième  personne  du 
singulier  la  terminaison  ist  ;  nous  avons  vu  que  la  dentale  à  la 
troisième  personne  des  prétérits  en  ivi  a  commencé  à  disparaître 
dès  le  début  du  xu'^  siècle,  comme  nous  le  montrent  les  rimes 
de  Cumpoz  (irio).  Elle  était  cependant  restée  dans  un  grand 
nombre  de  cas  dans  l'écriture  et  même  dans  la  prononciation  {d. 
Désinences  personnelles,  troisième  personne  du  singulier,  p.  113). 
Du  jour  où  IV  dans  les  terminaisons  régulières  en  ist  se  tutamuie, 
les  auteurs  qui  maintiennent  la  dentale  dans  l'écriture  là  même 
où  elle  a  disparu  de  la  prononciation  la  conçoivent  sous  l'influence 


590  L  EVOLUTION    DU    VERBB    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

des  prétérits  en  si  comme  appuyée  d'une  s.  De  là  vient  le  nombre 
.  considérable  de  terminaisons  en  isl  pour  la  troisième  personne  des 
prétérits  en  ivi  ;  nous  en  trouvons  déjà  dans  le  Psautier  d'Arundel: 
eisislÇjS,  4)  ;  flurist  (37,  10);  nous  avons  des  exemples  encore  plus 
concluants  dans  Gaimar  ;  chez  cet  auteur  nous  trouvons  un  certain 
nombre  de  troisièmes  personnes  du  singulier  de  prétérits  en  ivi 
rimant  avec  des  troisièmes  personnes  du  singulier  de  prétérits  en 
j>/,  comme  :  langiiist  (:  mesfist)  au  vers  1143;  marist  (:  assist) 
au  vers  2010;  rcspkiidist  (:  fist)  au  vers  6107  ;  dans  le  corps  du 
vers,  nous  avons  un  nombre  beaucoup  plus  considérable  de  cas 
analogues. 

Les  exemples  tirés  des  auteurs  du  siècle  suivant  pourraient  être 
multipliés  :  qu'il  nous  suffise  de  citer  un  petit  nombre  de  formes 
qui  nous  montreront  avec  quelle  liberté  et  aussi  quelle  irrégularité 
les  auteurs  du  xiii^  siècle  et  du  xiV  emploient  ou  rejettent  cette  ter- 
minaison. Boeve  emploie  à  la  rime  avec  fist,  oist  (vers  303), 
frciiiisl  (vers  304),  fcrist  (vers  305)  ;  dans  Sardenai  on  trouve 
rimant  ensemble  (au  vers  178)  obeïsf  et  preïst;  le  xiv^  siècle 
écrit  aussi  cette  s,  mais  il  nous  a  semblé  que  les  exemples  fournis 
par  les  auteurs  de  ce  siècle  sont  moins  nombreux.  Les  rimes  du 
reste  deviennent  dans  la  plupart  des  œuvres  en  vers  si  irrégulières 
qu'elles  ne  sauraient  prouver  quoi  que  ce  soit.  (Cf.  Désinences 
personnelles,  troisième  personne  du  singulier,  p.  119.)  La  même 
raison  (amuissement  de  l'i  devant  /)  explique  le  phénomène  contraire 
que  l'on  observe  à  la  deuxième  personne  du  pluriel  ;  1'^  étymolo- 
gique disparaît  souvent,  cela  a  lieu  même  dans  certains  textes  du 
xii^  siècle  ;  il  est  plus  vraisemblable  d'attribuer  aux  scribes  du 
xiij^  siècle  les  formes  comme  sitffritcs  que  nous  rencontrons  au 
vers  1136  du  Saint  Gilles  (ms.  du  xiii-  siècle). 

Au  xiii*^  siècle  toutefois,  nous  relevons  des  exemples  très  sûrs, 
ainsi  la  rime  très  probante  du  Petit  Plet  de  Chardri  :  iiasqnilés 
(:  quites)  au  vers  315  (cf.  Désinences  personnelles,  deuxième 
personne  du  pluriel,  p.  203). 

Avant  d'en  finir  avec  l'évolution  des  formes  des  prétérits  en  ivi, 
nous  avons  à  signaler  encore  une  forme  spéciale  de  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel,  terminaison  qui  correspond  exactement  avec  une 
désinence  (Jt)  que  nous  avons  déjà  observée  dans  les  participes 
passés;  cette  nouvelle  terminaison  des  prétérits  est  la  terminaison 
ierent. 


LE    PRETERIT  59  I 

Cette  terminaison  n'est  pas  rareau  xiv^  siècle;  malheureusement 
nous  n'avons  pas  pu  la  rencontrer  à  la  rime  :  il  est  à  croire  que 
dans   cette  terminaison  is  a  la   même  valeur  qu'au  participe  passé. 

Cette  terminaison  se  trouve  avec  des  verbes  de  I  ;  mais  ici, 
comme  nous  n'avons  pas  de  rime,  il  nous  est  impossible  de  savoir 
si  nous  n'avons  pas  une  terminaison  ierent  étymologique  ou  ana- 
logique. On  rencontre  en  outre  des  verbes  de  II  :  snuicrcni  au  vers 
1669  du  Saint  G'xWts,  escharnierent  z  la  page  63  de  Foulques  Fitz 
Warin,  etc.  ;  même  des  verbes  de  III,  comme  vicreiit  aux  §§  8r  et 
84  des  Contes  de  Nicole  Bozon  ;  et  des  verbes  de  IV  :  par  exemple 
riercnt  à  la  page  63  de  Foulques  Fitz  Warin. 

Néanmoins  il  nous  est  impossible  de  savoir  si  les  exemples  pré- 
cédents sont  des  formes  nouvelles  provenant  des  prétérits  en  ivi  ou 
des  acquisitions  des  prétérits  en  avi. 

Un  certain  nombre  de  verbes  reproduisent  simplement  à  leur 
prétérit  la  forme  du  prétérit  latin  :  transit  dans  l'Estorie  des 
Engleis,  gcniiit  et  vixit  dans  Nicolas  Trivet  (3  v°). 

-  2.  Les  acquisitions. 

Ici  encore,  comme  nous  l'avons  déjà  tait  pour  les  prétérits  en  avi, 
il  sera  utile  de  distinguer  deux  sortes  d'acquisitions  :  d'abord  les 
prétérits  de  I  qui  prennent  irent  à  la  troisième  personne  du  pluriel  ; 
secondement  tous  les  autres  verbes  et  les  autres  personnes  de  I. 

rt)  irent  pour  erent. 

Nous  avons  à  examiner  ici  le  phénomène  opposé  à  celui  qui  a 
retenu  notre  attention  dans  les  pages  précédentes  ;  nous  verrons 
dans  notre  seconde  partie  que  ces  deux  phénomènes  proviennent  de 
la  même  cause. 

Il  faut  cependant  reconnaître  que  ce  phénomène  n'a  pas  la  même 
extension  que  le  premier,  quoiqu'il  remonte  lui  aussi  très  haut 
dans  la  littérature  anglo-française.  Au  vers  1000  du  Saint  Brandan, 
nous  lisons  aJirent  (:  guarnirent)  ;  Birkenhoff  a  proposé  une  cor- 
rection :  issircnt  serait  d'après  lui  la  bonne  leçon;  et  elle  est  confir- 
mée par  le  ms.  de  l'Arsenal  BLF  283.  Il  est  certain  que  alirent 
semblerait  un  peu  tôt  à  la  date  du  Brandan,  et  cet  exemple  serait 
isolé    au  commencement  du    \\\''  siècle,  on  peut    même  dire  dans 


592  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

tout  le  xii^  siècle.  Il  faut  donc  rejeter  sur  le  scribe  si  sou- 
vent incorrect  du  Brandan  la  responsabilité  de  cette  forme  (1167). 

Nous  ne  pouvons  pas  en  faire  autant  pour  l'exemple  que  nous 
donne  le  Protheselaùs  de  Hue  de  Rotelande  (au  vers  974  f),  car 
il  est  aussi  assuré  que  possible  par  la  rime  ;  nous  lisons  en  effet 
parlèrent  :  virent.  Il  faut  ici  admettre  que  le  premier  verbe  est  écrit 
parlirent,  ou  que  les  deux  sons  sont  si  voisins  qu'ils  peuvent  être 
représentés  indifféremment  par  l'une  ou  l'autre  de  ces  graphies. 
C'est  à  cette  dernière  hypothèse  que  nous  nous  rangerons  dans 
notre  seconde  partie. 

Pendant  tout  le  xiii^  siècle,  nous  rencontrons  dans  plusieurs 
poèmes  des  formes  qui  nous  montrent  la  confusion  des  deux  termi- 
naisons erent  et  irent.  Nous  ne  donnerons  qu'un  tout  petit  nombre 
de  citations.  Gettirent  est  employé  au  folio  57  v°  de  la  Genèse 
Notre-Dame;  deniorirint  se  trouve  au  vers  808  du  poème  de  Der- 
mod . 

Au  xiv^  siècle,  nous  retrouvons  toujours  cette  confusion  :  elle 
se  montre  assez  clairement  dans  la  rime  cheierent  :  inorirent  quon 
lit  dans  l'Evangel  Translaté  (au  folio  87  v°).  On  trouve  encore 
dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet  gnerrirent  (au  folio  47  v°)  ;  de 
même,  naufrirent  se  lit  dans  les  Mem.  Pari.  1305  (§  i SS);  envoir eut 
est  employé  dans  les  Rymer's  Foedera  (135 1,  V,  72e). 

Ces  formes  nouvelles  en  ircrit  ne  sont  donc  pas  rares  sans  être 
aussi  communes  que  les  nouvelles  terminaisons  en  erent  (provenant 
de  irent^  ;  mais  nous  ne  pouvons  pas  penser  que  nous  avons  dans 
les  deux  cas  les  deux  faces  du  même  phénomène  :  la  confusion  des 
deux  sons  vocaliquesg  et/  devant  ?•  (cf.  seconde  partie,    chap.  11). 

Avant  d'abandonner  la  troisième  personne  du  pluriel,  nous  avons 
encore  à  signaler,  mais  très  rapidement,  un  autre  groupe  de  nou- 
velles formes  en  irent,  provenant  des  prétérits  en  si.  L'origine  de 
ces  nouvelles  formes  est  évidemment  tout  à  fait  différente  :  elles 
sont  purement  analogiques,  qu'elles  soient  anglo-françaises,  ou  que 
dans  notre  dialecte  elles  ne  soient  que  des  formes  d'emprunt. 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  maintenant  à  propos  de  ces  troi- 
sièmes personnes  du  pluriel  ;  nous  aurons  du  reste  à  revenir  sur 
ce  point,  quand  nous  parlerons  des  prétérits  en  si,  car  il  implique 
une  question  plus  générale  :  celle  de  la  désinence  régulière  de  la 
troisième  personne  du  pluriel  du  prétérit  du  verbe  faire. 


LE    PRETERIT  593 

Ce  verbe,  comme  nous  le  montrerons,  a  presque  toujours  la 
désinence  en  irent,  même  dans  les  plus  anciens  textes  anglo-français, 
comme  le  Cumpoz  et  le  Bestiaire.  Pour  le  verbe  mettre,  la  forme 
mirent  n'est  pas  rare  et  elle  se  trouve  déjà  dans  le  ms.  A  de  la  Vie 
de  Saint  Alexis  (6  b)  ;  destniireut  se  rencontre  dans  le  Voyage  de 
Saint  Brandan  au  vers  1841. 

C'est  vers  la  fin  du  xiii*"  siècle  et  spécialement  en  dehors  de  la 
littérature  que  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  des  prétérits  en  si 
se  montrent  avec  la  terminaison  des  prétérits  en  ivi  :  nous  trou- 
vons à  la  rime  prirent  dans  le  Manuel  des  Péchés  de  William  de 
Waddington  au  vers  1^44,  et  trois  fois  dans  le  poème  du  Prince 
Noir  (vers  211,  2755,  3765). 

Dans  les  Statutes,  après  131 1,  cette  forme  est  très  commune,  et 
on  peut  en  trouver  de  nombreux  exemples  dans  les  Rymer's  Foedera 
de  même  que  dans  les  Literae  Cantuarienses. 

Comme  autres  formes,  nous  citerons  conquirent  dans  le  Prince 
Noir  au  vers  173  (cf.  Rymer's  Foedera,  1294,11,  620  et  passim', 
les  Statutes,  1376,  I,  397  et  passim  ;  dans  les  Year  Books  où  les 
composés  de  quérir  sont' communs  sous  cette  forme);  et  soiirdirent 
dans  Nicolas  Trivet  (folio  62  r*").  Au  xiv^  siècle,  surtout  dans 
les  ouvrages  non  littéraires,  on  voit  cette  désinence  tendre  à  dépla- 
cer complètement  la  forme  étymologique. 

h)  Autres  reformations  en  ivi. 

Il  est  probable  que  les  pages  précédentes  ont  épuisé  ou  à  peu 
près  tout  l'intérêt  que  les  acquisitions  des  prétérits  en  ivi  peuvent 
avoir. 

Pour  être  complets,  nous  avons  cependant  un  certain  nombre  de 
points  à  exposer  encore.  Comme  nous  l'avons  déjà  fait  pour  les 
acquisitions  de  la  classe  en  avi,  nous  procéderons  de  la  façon  sui- 
vante. Nous  distinguerons  parmi  les  acquisitions  que  nous  avons 
encore  à  énumérer  : 

1°  Les  verbes  de  la  première  conjugaison,  à  l'exception  de  la 
troisième  personne  du  pluriel. 

2"  Les  verbes  dont  le  prétérit  est  régulièrement  en  ///. 

3°  Les  verbes  qui  ont  régulièrement  un  prétérit  fort  en  /  ou 
en  si. 

38 


594  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

I.  Verbes  de  I.  —  Pendant  tout  le  xii'^  siècle,  les  acquisitions  de 
ce  genre  sont  absolument  absentes;  elles  sont  extrêmement  rares 
pendant  tout  le  siècle  suivant. 

Le  premier  exemple  que  nous  connaissions  montrera  qu'il  faut 
descendre  assez  avant  dans  ce  siècle  pour  trouver  des  verbes  de  I 
dont  le  prétérit  prend  les  désinences  des  prétérits  en  ivi.  Cet 
exemple,  fennist,  se  lit  en  effet  dans  la  Genèse  Notre-Dame  (au 
folio  6)  r°);  de  plus  cet  exemple  n'est  pas  assuré  et  nous  pouvons 
fort  bien  le  faire  descendre  jusqu'au  xiv^  siècle. 

Comme  c'est  le  seul  exemple  que  nous  trouvions  dans  les 
œuvres  littéraires  de  ce  siècle,  on  peut  dire  que,  dans  la  littérature, 
ce  phénomène  ne  date  que  du  XIV^ 

Ce  n'est  qu'à  cette  époque  que  nous  rencontrons  des  verbes 
ayant  un  prétérit  en  avi  et  prenant  la  forme  qui  nous  occupe  avec 
quelque  fréquence  :  en  voici  un  certain  nombre  d'exemples  tirés 
de  la  langue  littéraire  de  cette  époque  :  une  rime  de  l'Apocalypse 
nous  assure  la  forme  ;  jettit  y  rime  avec  espaundit  au  vers  891  de 
Y  :  et  dans  le  même  ouvrage  nous  trouvons  dans  le  corps  du  vers, 
enchescit  (de  sécher)  au  vers  918(3);  dans  Foulques  Fitz  Warin 
on  en  rencontre  aussi  quelques  exemples,  comme  rouly  (p.  47); 
enveilly  (p.  112),  etc.,  mais  ils  peuvent  ne  dater  que  du  xv^  siècle. 
Remarquons  en  effet  qu'il  n'y  en  a  que  fort  peu  chez  Nicole  Bozon; 
on  peut  citer  dans  les  Contes  raiiipist  au  §  7  ;  chez  Nicolas  Trivet, 
au  contraire,  les  exemples  sont  beaucoup  plus  communs,  mais  pro- 
bablement beaucoup  plus  tardifs  aussi  :  recovery  de  recouvrer  est 
loin  d'être  rare  (cf.  par  exemple  aux  folios  5  v°,  6  r°,  etc.);  irvili 
se  trouve  au  folio  47  v°  ;  cuyvcri  au  folio  48  r°,  etc. 

Nous  n'avons  jamais  relevé  dans  la  langue  littéraire  d'autre 
personne  que  l'une  des  troisièmes  à  passer  de  avi  à  ivi.  Les  exemples 
sont  un  peu  plus  variés  en  dehors  de  la  littérature,  et  ils  remontent 
jusqu'au  commencement  du  troisième  tiers  du  xiii"^  siècle.  C'est 
ainsi  qu'on  rencontre  pniuiiist  (=  pasma)  dans  les  Chroniques  de 
Londres,  1262  (p.  4  et  passiiii)  ;  passimcs  dans  les  Royal  Letters 
Henry  III  (1262,  II,  219).  Dans  les  textes  légaux  les  exemples 
sont  assez  nombreux  :  un  seul  se  présente  avec  quelque  régularité  : 
recoveri  de  recouvrer  (cf.  par  exemple  21  Edw .  \",  19  et  passim  : 
I  et  2  Edw.  II,  47  et  passini)  exactement  comme  nous  avons  mon- 
tré que  dans  la  langue  politique  recouvrir  fait  au   prétérit  recovra  ; 


LE    PRETERIT  595 

nous  avons  vu  la  même  confusion  se  produire  à  l'inrtnitif  entre  ces 
deux  paronymes. 

2.  Verbes  qui  ont  régiilièreiiient  ini  prétérit  en  ui.  —  Il  y  a  un 
certain  nombre  de  verbes,  qui,  au  lieu  de  leur  prétérit  régulier  en 
///,  prennent  la  forme  en /iv' ;  quelques-uns  d'entre  eux  finissent 
même  par  abandonner  complètement  leur  forme  correcte.  Parmi 
ces  derniers,  il  faut  placer  en  première  ligne  le  verbe  choir;  nous 
avons  déjà  eu  l'occasion,  à  propos  du  participe  passé,  de  montrer 
que  ce  verbe  formait  souvent  ce  temps  au  moyen  de  la  désinence 
en  /  ;  la  forme  en  /  est  encore  plus  commune  au  prétérit  ;  nous 
n'avons  même  jamais  relevé  la  forme  correcte  en  ///.  Toutes  les 
formes  que  nous  connaissons  sont  en  z  ;  au  xii'^  siècle,  nous  avons 
de  cette  forme  de  nombreux  exemples  :  à  la  deuxième  personne  du 
singulier  chaïs  (:  dis)  dans  Adgar  (VIII,  233);  à  la  troisième  chaït 
(çf  Gaimar,  2805;  Boeve,  1028);  ^5^/;t7,  Nicolas  Trivet  (6  r°). 

Croire  se  rencontre  fréquemment  aussi  sous  cette  forme  ;  on 
trouve  à  la  première  personne  du  singulier  creï  (:  merci)  dans  les 
Légendes  de  Marie  d'Adgar  (XXX,  203)  ;  et  au  vers  528  du  Drame 
d'Adam  ;  à  la  deuxième  personne  du  singulier  creïs  dans  ce  dernier 
poème  (aux  vers  423,  540).  A  la  troisième  personne  du  pluriel,  les 
exemples  ne  sont  pas  rares;  on  trouve  deux  fois  (aux  vers  1498, 
1565)  la  rime creircnt  (:  suffirent)  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine; 
creirent  (^:  venquirent)  se  lit  dans  Robert  de  Gretham(20  v°)  ;  (mais 
crurent  (:  urent)  59  v°;  (:  furent)  éo  r°  ;  (:  reçurent)  61  r°. 

Il  en  va  de  même  pour  mourir,  sauf  qu'on  ne  trouve  pas  de 
formes  en  î  pour  ce  verbe  avant  le  xiir' siècle;  on  en  rencontre 
une  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au  vers  212),  qI  passini  dans 
les  Dialogues,  mais  ces  formes  sont  emplo}-ées  dans  le  corps  du 
vers,  ce  qui,  pour  ces  deux  poèmes,  importe  peu.  Le  premier 
exemple  assuré  par  la  rime  se  rencontre  dans  la  Satire  (au  folio 
86  r°)  :  morist  (:  nuit),  puis  dans  Dermod,  niorit  rime  avec  déduit 
(au  vers  1378);  nous  trouvons  aussi  des  exemples  de  la  troisième 
personne  du  pluriel:  vwrirent  pai"  exemple  au  vers  715  de  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  et  au  vers  3427  du  Manuel  des  Péchés  de  William 
de  Waddington  ;  mais  aucun  exemple  ne  se  trouve  à  la  rime. 
Mûrirent  est  commun  dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques, 
conunun  surtout  dans  les  Year  Books  ;  on  trouve   même,   quoique 


596  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

plus  rarement,  iiiorist,     par    exemple    dans  les  Mem.    Pari.    1305 
(§    3^0  (^f-  Prétérits  en  ///). 

D'autres  prétérits  de  la  même  classe,  mais  en  petit  nombre,  se 
trouvent  encore  au  xiii^  siècle  avec  les  désinences  en  ivi  ;  citons  par 
exemple  :  dans  les  Heures  de  la  Vierge  (au  folio  65  v°),  la  rime 
receiisles  (:  oïstes);  mais  ce  peut  n'être  qu'une  mauvaise  rime,  les 
deuxièmes  personnes  du  pluriel  ne  prenant  que  fort  rarement  les 
désinences  en  /,  et  recevoir,  à  part  ce  cas,  conservant  toujours  dans 
les  œuvres  littéraires  sa  forme  régulière.  Nous  rencontrons  au  con- 
traire, en  dehors  de  la  littérature,  rcccïnies  dans  Rymer  (1299,  II, 
848),  et  rcsevit  (\u\  se  lit  assez  fréquemment  dans  les  Year  Books, 
par  exemple  dans  31  Edw.  P'  (311)  ;  il  y  a  peut  être  ici  un  cas 
assez  compliqué  de  «  umgekehrte  Schreibung  »  :  reçut  est  souvent 
écrit  resciit  dans  lequel  u  passe  à  ///,  d'où  reseuit,  rcsevit. 

Le  nombre  des  exemples  augmente  vers  la  fin  du  xiv®  siècle, 
mais  il  n'y  a  aucun  nouveau  verbe  qui  prenne  exclusivement  i  au 
lieu  de  ///  ;  citons  parmi  les  exemples  que  nous  avons  rencontrés  : 
apparist  dans  Nicolas  Trivet  (au  folio  3  r°,  etc.)  ;  vaiUy  (:  mercy)  au 
vers  2757  du  Prince  Noir. 

En  dehors  des  œuvres  littéraires,  on  trouve  cslireiit  dans  le  Liber 
Custumarum  (13 14,  194);  et  dans  les  Letters  from  Northern 
Registers,  les  formes  barbares  pc))7»/5,  savymls  (^l'^ii,  211).  C'est 
dans  les  Year  Books  que  nous  avons  pu  rencontrer  le  plus  grand 
nombre  de  formes  aussi  incorrectes  que  celles  que  nous  venons  de 
citer:  poyins  (31  Edw.  L"",  451);  conist  (2  et  3  Edw.  II,  14); 
conysmes  (21  Edw.  I",  55);  currit  {-^^  et  35  Edw.  I",  148)  et  une 
infinité  d'autres. 

Remarquons  que  dans  les  textes  diplomatiques  et  politiques  pro- 
prement dits,  de  même  que  dans  la  plupart  des  écrits  familiers,  ce 
changement  de  forme  est  rare.  Les  Statutes,  les  Parliamentary 
Writs,  les  Memoranda  Parliamenti,  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham, 
les  Literae  Cantuarienses,  etc.  ne  nous  en  offrent  pour  ainsi  dire 
aucun  cas.  Ce  n'est  que  dans  les  textes  les  plus  corrompus, 
comme  les  Letters  from  Northern  Registers,  ou  dans  ceux  qui 
doivent  se  rapporter  à  une  date  postérieure  au  xiv^  siècle,  comme 
les  Year  Books,  que  ces  cas  se  présentent  avec  quelque  fréquence. 

3°  Verbes  qui  ont  réguliêremenf  un  prétérit  en  si.  —  Les  prétérits 
en  si  et  les  prétérits  en   ivi   ont  certaines  formes   en, commun: 


LE    PRETERIT  597 

leurs  premières  personnes  du  singulier,  les  prétérits  en  ivi  prenant 
parfois  une  s  (cf.  supra),  ou  les  prétérits  en  si  perdant  quelquefois 
la  leur  (cf.  Prétérits  en  si);  leurs  troisièmes  personnes  du  singulier, 
qui,  pouvant  avoir  ou  ne  pas  avoir  st,  arrivent  à  des  désinences 
analogues.  Cette  •  ressemblance  a  pu  entraîner  l'assimilation  de 
formes  qui,  régulièrement,  étaient  entièrement  différentes;  de  là 
résultent  de  nombreux  échanges  entre  ces  deux  classes. 

Parmi  les  verbes  qui  échangent  leur  prétérit  régulier  en  si  pour 
un  prétérit  en  ivi,  il  faut  citer  en  première  ligne  l'éiiir.  On  lit  benes- 
qiiit  au  folio  14  r°  de  Robert  de  Gretham,  et  cette  forme  n'est  pas 
rare  postérieurement. 

Le  verbe  toldre  a  fréquemment  un  prétérit  analogique  exactement 
comme  nous  l'avons  vu  adopter  pour  son  participe  passé  la  forme 
en  /.  La  forme  analogique  du  prétérit  se  rencontre  surtout  au 
xni''  siècle  :  on  la  trouve  deux  fois  à  la  rime  dans  Robert  de  Gre- 
tham :  tolit  (:  dit),  et  (  :  petit)  au  folio  69  \°  ;  elle  se  trouve  plus 
fréquemment  dans  le  corps  du  vers  dans  ce  même  auteur  et  dans 
d'autres  poèmes,  par  exemple  au  vers  2508  de  la  Vie  de  Saint  Gré- 
goire, etc. 

Les  autres  cas  d'attraction  que  nous  avons  relevés  se  trouvent 
tous  au  xiv^  siècle  :  ardre  prend  la  forme  ardy  à  la  page  45  de 
Foulques  Fitz  Warin,  au  vers  170  du  Prince  Noir,  et  dans  plusieurs 
autres  ouvrages. 

Sourdre  a  pour  prétérit  siirdi  fréquemment  dans  Nicolas  Trivet 
(cf.  par  exemple  27  r°,  65  r°)  et  joindre  hit  joindi  au  vers  3173  du 
Prince  Noir. 

Nous  n'en  avons  plus  relevé  aucun  exemple  dans  les  textes  poli- 
tiques ou  familiers  antérieurs  au  xv*^  siècle;  par  contre,  les  ouvrages 
légaux  nous  en  offrent  un  nombre  considérable  à  des  dates  qui  ne 
sont  certainement  pas  postérieures  à  1399.  Par  exemple  le  ms.  Y 
(pour  2  et  3  Edw.  II;  3,  Edw.  II)  qui  date,  d'après  Maitland,  de 
13 12  ou  environ,  donne  enfreiiiit  (2  et  3  Edw.  II,  96);  dcsircim 
(3  Edw.  II,  74,77);  tendisl  (3  Edw.  II,  160,  etc.). 

Nous  pouvons  encore  citer  les  formes  suivantes  qui,  parce  qu'elles 
se  rencontrent  très  fréquemment  dans  les  manuscrits  de  dates  très 
différentes,  ou  pour  une  autre  raison,  nous  semblent  avoir  été  d'un 
usage  courant  au  plus  tard  durant  la  seconde  moitié  du  wx"  siècle  : 
soiirdi  (30  Edw;  I",  107;  33  et  35  Edw.  I",  197,  etc.);  resorgi  (22 


598  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Edw.  P',  453);  enjrenites  (33  et  35  Edw.  l",  ici);  citons  encore 
pleioiiit  qui  n'est  pas  rare  dans  16  Edw.  III  (1342),  par  exemple  page 
83  ;  plciusl  ou  pJc'uil  se  trouve  du  reste  plus  fréquemment,  et  même 
plus  tard  dans  les  autres  Year  Books. 

C.  Les  prêter  ils  <?;;  dedi  '. 

Les  prétérits  faibles  en  deâi  sont  sporadiques  en  anglo-français;  il 
serait  môme  plus  exact  de  dire  qu'ils  n'existent  pas.  On  n'en  ren- 
contre ni  dans  le  Cumpoz,  ni  dans  le  Brandan,  ni  dans  le  Bes- 
tiaire. 

Le  Psautier  de  Cambridge  n'en  offre  que  des  traces  :  trois  cas 
surplus  de  quatre-vingts  cas  possibles  :  dcrumpîcs  (jt,,  15);  (à  côté 
de  dcruiiipis,  59,  2);  espaudicrent  (105,  37);  tendicrent  (13,  96);  le 
Psautier  d'Arundel  en  offre  aussi  quelques  exemples  :  voidies  (43, 
14)  ;  cnteudiel  (48,  12);  dcperdiet  (43,  3);  et  la  proportion  entre 
les  formes  actuelles  en  dedi  et  les  formes  qui  ne  le  sont  pas  et 
auraient  pu  l'être,  est  sensiblement  la  même. 

Le  seul  ouvrage  qui  nous  montre  un  emploi  à  peu  près  constant 
de  ce  prétérit,  c'est  le  Psautier  d'Oxford  qui  est,  comme  on  le  sait, 
très  continental. 

Voici  les  cas  qu'il  présente  : 

il)  Verbes  qui  ont  toujours  ie  :  confundies  (43,  9)  (2  fois)  ; 
deruiiipies  (73,  16)  (6  fois);  respondiet  (loi,  24)  (i  fois). 

/;)  Verbes  pour  lesquels  les  formes  en  ie  et  en  /  alternent  : 
atendiet  (65,  18);  atoidirent  (118,  95);  descendiet  (v,  38);  descen- 
dirent Qi,  5);  entendierent  (63,  10);  entendis  Çi'^S,  2)  ;  espandies  (88, 
4);  espandit  (u,  16);  perdies  (ji,  26);  perdis  Çij,  44);  resplendiet 
(117,  25);  resplendirent  (76,  iS);vendies  (43,  14);  vendit  (C,  45). 

D'autres  verbes,  comme  croire,  cumbattre,  toldre,  suivre,  bénir, 
convertir,  vestir,  n'ont  jamais  les  formes  caractéristiques  de  dedi. 
Pour  les  verbes  qui  présentent  ces  formes,  le  rapport  des  formes  en 
ie  aux  formes  en  /'  est  le  suivant  : 

I .  Pour  les  prétérits  en  (leJi,  on  peut  consulter  :  d'Arbois  de  Jubainville,  Rema- 
nia II,  477  ;  H.  Scliuchardt,  Parfaits  français  en  ie,  Romania  IV,  122  ;  Cornu, 
Romania  X,  216  ;  Wolterstorff,  Das  Perfektum  der  schwachen  Conjugation  im 
Altfranzôsischen  ;  Mever-Lùbke,  Grammaire  II. 


LE    PRETERIT  599 

ie,  i,  deuxième  personne  du  singulier,  63/36;  troisième  personne 
du  singulier,  90/36. 

Il  semblerait  donc  que  ce  sont  les  troisièmes  personnes  du  pluriel 
qui  ont  les  premières  cédé  à  l'analogie.  Nous  pensons  que  tous  ces 
prétérits  en  dedi  proviennent  des  traducteurs  mêmes  des  Psautiers 
(11 10  ?)  ;  elles  ne  sont  donc  pas  anglo-françaises. 

D.  Les  prétérits  en  m  '. 

Nous  parlerons  maintenant  des  prétérits  en  ///';  comme  ils  con- 
tiennent à  la  fois  des  prétérits  forts  et  des  prétérits  faibles  ils  forment 
entre  les  deux  grandes  classes  de  prétérits  la  plus  naturelle  des  tran- 
sitions. 

L'on  divise  ordinairement  les  prétérits  en  ///  en  cinq  classes,  les 
trois  premières  comprenant  les  prétérits  forts  :  T'^  classe,  verbes 
ayant  a  au  radical  et  le  prétérit  potiii;  2"  classe,  verbes  à  thèmes 
en  0  et  de  plus  debiii  et  bibiii;  y  classe,  verbes  à  thèmes  en  e;  la 
4^  classe  comprend  le  seul  verbe -w//// ;  la  5^  comprend  tous  les  autres 
prétérits  faibles  en  ni.  ■ 

Nous  étudierons  les  terminaisons  des  six  personnes  dans  ces  cinq 
classes. 

r .  Première  personne  du  singulier. 

La  première  personne  du  singulier  est  terminée  dans  la  première 
classe  par  la  diphtongue  oi ,  par  la  diphtongue  ni,  pour  les  verbes  des 
seconde,  troisième  et  cinquième  classes  ;  ces  deux  diphtongues 
agissent  d'abord  très  peu  l'une  sur  l'autre. 

La  première  personne  de  la  première  classe  reste  correctement  en 
oi.  Nous  ne  trouvons  qu'une  déviation  au  xii^  siècle  :  toui  dans  le 
Psautier  d'Arundel  (31,  3)  et  tui  dans  le  même  ouvrage  (38,  3).  Le 
passage  de  i  à.  y  au  xiii'=  siècle  (comme  dans  oi  :  soy  (  :  moy)  dans  les 
Chansons  IV,  65-67  ;  poy,  Plainte  Notre-Dame,  187)  est  tout  juste 
une  variante  orthographique  ;  même  au  siècle  suivant,  cette  forme 
persiste,  très  correcte,  0/,  Sainte  Marguerite  (415)  ;  soi,  2^  Appendice 
de  Pierre  de  Langtoft  (II,  240,  6),  Plainte  Notre-Dame. 

I.  Cf.  Suchicr,  Zeitsclirift  fur  rom.  Phil.  II,  p.  255  ;  Id.,  Aucassin  et  Nicolctte, 
p.  90  ;  Kôrting,  I,  p.  315  ;  Trommlitz,  Die  franz.  «/Perfekta  ausser.  poi  (potui). 
Mevcr-Lùhkc,  Grammaire,  II,  p.   357  sqq. 


6oo  l'hvolutiox  du  verbe  en  anglo-français 

Nous  ne  trouvons  à  signaler  qu'une  seule  irrégularité  dans  la 
langue  littéraire,  dans  le  petit  poème  de  Bozon  que  nous  venons  de 
citer  on  trouve  pou  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  240,  4),  ce  qui 
peut  n'être  après  tout  qu'une  erreur  cléricale. 

Nous  n'avons  relevé  que  peu  d'exemples  pour  la  première  per- 
sonne des  prétérits  de  cette  classe  en  dehors  de  la  littérature,  mais 
ils  sont  tous  corrects. 

La  diphtongue  ///  a  eu  à  subir  un  peu  plus  de  modifications, 
quoique  celles-ci  restent  encore  en  petit  nombre  ;  cette  différence 
provient  de  ce  que,  phoniquement,  elle  était  appelée  à  évoluer  plus 
que  oi.  Pendant  toute  la  durée  de  la  période  littéraire  anglo-fran- 
çaise, les  formes  correctes  restent  toujours  la  majorité.  On  ne  peut 
considérer  comme  une  irrégularité  le  passage  de  ///  à  //  qui  est 
caractéristique  de  l'anglo-français.  Nous  le  remarquons  déjà  dans 
certains  textes  du  xii^  siècle  ;  mais  on  doit  attribuer  les  exemples  de 
cette  époque  aux  scribes,  par  exemple  aparceu  que  l'on  trouve  dans 
la  Folie  Tristan  (au  vers  801)  ;  et  reçu  qui  se  lit  dans  Guischart  de 
Beauliu  (au  vers  1179);  ces  deux  exemples,  qui  seraient  isolés  au 
xii^  siècle,  ne  le  sont  pas  au  xiii^  ;  on  peut  donc  les  reporter  à  la 
date  de  leurs  mss.,  c'est-à-dire  à  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle. 
Ils  sont  donc  tout  proches  de  eslu  au  vers  109  de  la  Plainte  Notre- 
Dame  et  de  plusieurs  autres  formes  que  nous  n'avons  pas  à  donner 
ici. 

Les  formes  vraiment  incorrectes  sont  rares,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit  :  on  peut  classer  parmi  elles  le  conoi  qu'on  trouve  au  vers 
3735  de  Horn  et  qui  montre  l'attraction  des  premières  personnes  du 
singulier  de  la  première  classe  ;  aineui  du  Psautier  de  Cambridge 
(70,  15)  est  une  autre  déviation  du  type  normal;  on  peut  recon- 
naître avant  la  désinence  Ve  analogique  de  la  troisième  personne  du 
singulier.  Le  geiï  du  Saint  Auban  (331)  est  certainement  une  faute 
d'écriture  du  scribe  ou  de  lecture  de  l'éditeur;  il  faut  lire/M/  ou  gen, 
n  est  l'équivalent  phonique  de  ///,  et  1'^^  sert  à  adoucir  le  g,  mais  de 
toute  façon  on  doit  avoir  une  forme  monosyllabique  : 

Ki  au  ciel  vi  quant  jui  dormant  en  ma  maison. 

Coniis,  qu'on  lit  au  vers  1999  de  William  de  Waddington,  est  une 
forme  incorrecte  qu'on  peut  regarder  comme  l'un  des  plus  anciens 


LE   PRÉTÉRIT  éoi 

exemples  de  la  forme   moderne  (les  mss.  A  et  B  du  Manuel   des 
Péchés  ont  été  écrits  au  commencement  du  xiv*  siècle). 

Quant  à  la  première  personne  de  vouloir,  elle  appartient  aux 
prétérits  en  si,  elle  est  régulièrement  vols  dont  on  ne  trouve  du 
reste  que  très  peu  d'exemples,  citons  celui  qui  se  lit  dans  les  Dia- 
logues Grégoire,  31  v°  b,  etc.  '. 

On  peut  se  demander  si  le  voti  qu'on  trouve  dans  le  2^  Appen- 
dice de  Pierre  de  Langtoft  (II,  442,  19)  est  un  présent  ou  un  prété- 
rit ;  il  est  probable  que,  en  se  tenant  à  la  signification,  on  a  un 
prétérit,  qui  a  perdu  son  s  étymologique,  après  vocalisation  de  Ve. 
Il  serait  difficile  d'expliquer  cette  forme  d'une  autre  manière. 

En  dehors  de  la  langue  littéraire,  les  premières  personnes  de  cette 
classe  sont  très  peu  fréquentes  ;  la  diphtongue  ///  ne  persiste  guère 
que  dans  fui,  et  encore  ne  le  rencontrons-nous  qu'assez  rarement. 
En,  ou,  sont  les  plus  communs  ;  eu  est  employé  dans  receu,  par 
exemple  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  (1280,  94);  dans  les 
Parliamentary  Writs  (1322,  264,  424,  etc.).  Cette  forme  est  encore 
plus  commune  dans  les  Year  Books  (cf.  par  exemple  11  et  12  Edw- 
III,  433)  ;  dans  les  textes  légaux  on  arrive  même  à  employer  une 
forme   aussi  barbare  que  veu  Ç=  vidi)  (20  et  21  Edw.   l",   219). 

La  désinence  en  u  paraît  moins  fréquente,  ce  qui  semble  assez 
étonnant,  puisque  en  anglo-français  ///  aboutit  régulièrement  à  u. 
Nous  n'en  avons  trouvé  que  très  peu  d'exemples  à  la  première  per- 
sonne du  singulier  des  prétérits  de  cette  classe  ;  citons  :  reçu  dans 
Jean  de  Peckham  (1289,  702);  fu  dans  les  Year  Books  (comme  11 
et  12  Edw.  III,  511,  etc.). 

La  diphtongue  ou  se  rencontre  encore  plus  rarement  :  Jean  de 
Peckham  encore  nous  en  fournit  un  exemple  :  recou  (1280,  92). 
Les  autres  formes  en  ou  que  nous  avons  relevées  sont  très  rares  et 
ne  nous  semblent  pas  très  sûres  ;  certaines  d'entre  elles  ne  sont 
probablement  que  des  lapsus  calami.  C'est  encore  de  cette  façon  que 
nous  serions  tentés  d'expliquer  le  fue  (=  fui)  qui  se  trouve  dans 
les  Year  Books  11  et  12  Edw.  III  (p.  197),  à  moins  que  ue  ne  .<»oit 
ici  une  graphie  de  //  pour  ///. 

I.  Cf.  Kôrting,  I,  323. 


6o2  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

2 .   Seconde  personne  du  singulier,  première  personne  du  pluriel, 
seconde  personne  du  pluriel. 

La  diphtongue.  —  La  première  et  la  seconde  classe  ont,  à  ces 
personnes,  la  diphtongue  ou,  ou  la  voyelle  o  en  hiatus  devant  1'//. 
Cette  diphtongue  ne  resta  pas  longtemps  sans  subir  de  changement. 
Ou  devait  passer  à  eu  et  cette  dernière  diphtongue  à  la  voyelle 
simple  n.  On  trouve  ou  assez  régulièrement  au  commencement  du 
xii*"  siècle  ;  nous  lisons  par  exemple /)/om^  dans  les  Psautiers  d'Oxford 
(45,  3)  ;  de  Cambridge  (43,  3);  sonstes  au  vers  661  de  la  Folie  ; 
moumes  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (54,  14).  Mais  très  tôt  nous 
voyons  la  nouvelle  forme  s'introduire. 

Avoir,  en  particulier,  adopta  vite  et  d'une  façon  très  étendue  la 
diphtongue  eu  ou  la  voyelle  //  ;  malheureusement  nous  ne  pouvons 
relever  aucune  rime,  et  nous  aurons  à  reporter  chacun  des  exemples 
aux  dates  des  divers  manuscrits.  Dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan, 
(ms.  probablement  1167),  nous  avons  nus  (2M  vers  1598)  qui 
marque  peut-être  l'étape  entre  ous  et  eus.  On  trouve  encore  la 
seconde  personne  du  singulier  eus  au  vers  265  de  la  Chronique  de 
Fantosme;  et  c'est  la  forme  généralement  employée  dans  les  mss. 
de  l'Estorie  des  Engleis  de  Gaimar  (R,  commencement  du 
xiii'=  siècle),  comme  par  exemple  ^^om  eusies  qui  se  lit  dans  Thomas 
(1509)  ;  et  dans  la  Folie  (470). 

Les  formes  en  eu  ne  sont  pas  beaucoup  plus  rares  non  plus 
pour  savoir,  et  elles  semblent  aussi  anciennes  que  celles  d'avoir  : 
sens  se  lit  dans  le  Psautier  d'Oxford  (39,  12)  ;  dans  celui  d'Arundel 
(39,  10)  ;  au  vers  ^44  du  Drame  d'Adam. 

Les  exemples  ne  sont  pas  aussi  nombreux  pour  les  verbes  de  la 
seconde  classe;  on  trouve  beumes  au  vers  2493  du  Tristan  de  Thomas 
(fragment  Sneyd,  fin  du  xii''  ou  commencement  du  xiii'^  siècle)  ; 
beusies  dans  la  Folie  (vers  472). 

La  diphtongue  étymologique  a  absolument  disparu  de  ces  per- 
sonnes à  la  fin  du  xii'=  ou,  au  plus  tard,  au  commencement  du  siècle 
suivant. 

Au  xiii=  siècle,  nous  ne  trouvons  plus  que  eu  :  seu:^  dans  le  Saint 
Auban  ;  (244);  eûmes  axas  le  même  poème(i273,  1522);  eustes  se 
lit  dans  le  Saint  Julien  (80  v°)  et  dans  le  Saint  Edmund  (1256); 


LE    PRÉTÉRIT  603 

peustes  dans  le  Saint  Auban  (47);  seiistes  à2Lns\QS  Chansons  (I,  19)  ; 
eus  dans  le  Roman  des  Romans  (955),  etc. 

La  diphtongue  ou  se  trouve  fort  rarement,  comme  on  devait  s'y 
attendre,  en  dehors  des  œuvres  littéraires  ;  pouiiies  se  lit  cependant 
deux  fois  au  moins  dans  les  Year  Books  i  et  2  Edw.  II  (aux  pages  95 
et  136).  C'est  probablement  une  survivance  plus  ou  moins  raisonnée 
de  l'ancien  usage. 

Les  autres  exemples  que  nous  avons  relevés  portent  eu  :  peuiiies 
dans  les  Rymer's  Foedera  (1294,  II,  620  et  passini)  ;  eûmes  dans 
le  même  recueil  (1306,  II,  1022);  ineusmes  (ihid.,  1297,11,777). 

Ce  changement  de  ()/<  en  é?// est  dû  en  partie  àl'influence  des  verbes 
de  la  troisième  classe  qui  ont  régulièrement  aux  personnes  qui  nous 
occupent  la  diphtongue  eu.  Aussi  nous  ne  trouvons  pour  les  verbes 
de  cette  classe  aucune  irrégularité  au  xii^  siècle  ;  un  peu  plus  tard 
la  voyelle  simple  u  tend  à  prendre  la  place  de  la  diphtongue  comme 
cnistes  qui  rime  avec  receustes  dans  Robert  de  Gretham  (49  v°)  ; 
eslumes  au  §  46  des  Contes  de  Bozon  ;  mais  ce  changement  n'a  pas 
dû  prendre  place  avant  le  xiv^  siècle. 

Nous  ne  citerons  pas  les  exemples  extrêmement  nombreux  que 
nous  trouvons  dans  les  Statutes,  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham, 
dans  les  Parliamentary  Writs,  les  Literae  Cantuarienses,  les  Rymer's 
Foedera  et  les  différents  Year  Books  et  qui  nous  montrent  les 
premières  personnes  du  pluriel  des  prétérits  de  cette  classe.  Qu'il 
nous  suffise  de  dire  qu'on  trouve  presque  partout  la  graphie  eu  et 
dans  le  reste  des  cas  la  graphie  u,  dans  les  mêmes  conditions  et 
aux  mêmes  dates  que  pour  les  œuvres  littéraires.  Il  est  assez 
commun  toutefois  de  rencontrer,  au  lieu  de  cette  dernière  v03-elle, 
la  graphie ///,  par  exemple  dans //o'/^iw,  Literae  Cantuarienses  (1324, 
179}  et  passim  dans  les  Year  Books. 

3,    Troisième  personue  du  singulier  et  troisième  personne  du  pluriel. 

La  diphtongue.  —  Première  classe.  —  La  troisième  personne  du 
singulier  et  celle  du  pluriel  de  la  première  classe  ont  pour  son 
vocalique  sous  leur  forme  régulière  la  diphtongue  ou  ;  et  cette 
diphtongue  dura  longtemps  en  anglo-français  ;  on  la  rencontre 
dans  chaque  auteur  duxii''  siècle,  souvent  à  ht  rime,  principalement 
avec  la  troisième  personne  du  singulier  de  l'imparfait  des  verbes  de 


6o4  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

I  ;  nous  n'insisterons  pas  davantage  sur  des  formes  qui  sont  des 
plus  communes.  Elles  se  rencontrent  encore  au  xiii^  siècle, 
quoiqu'elles  soient  un  peu  moins  fréquentes  ;  nous  en  citerons 
quelques-unes,  surtout  parmi  celles  qui  ne  laissent  pas  de  place 
au  doute  '.  C'est  ainsi  que  dans  les  Evangiles  des  Dompnées  nous 
trouvons  sont  rimant  avec  vout  de  vouloir  (76  r°)  ;  et  pout  avec 
tout  de  toldre  (70  r°);  c'est  encore  avec  ce  dernier  verbe  que  ont 
rime  au  vers  163  de  la  Plainte  Notre-Dame.  Nous  relevons  des 
rimes  analogues  dans  la  '  Satire  -.pont  (:  vout)  (85  r°)  et  dans 
Dermod  :  ont  (:  volt)  (319).  ' 

Nous  n'avons  relevé  aucune  rime  aussi  significative  au 
xiv^  siècle,  szmî pout  qui  rime  avec  vout  dans  l'Evangile  de  l'Enfance 
(ms.  O,  165  b).  Les  œuvres  en  vers  de  Nicole  Bozon  nous  donnent 
cependant  plusieurs  rimes  qui  ont  quelque  valeur,  puisqu'elles 
montrent  que  le  scribe,  sinon  l'auteur,  connaissait  les  formes  avec 
diphtongue  ;  citons  quelques-unes  de  ces  rimes  :  dans  les  Vies  de 
Saints,  nous  trouvons  pont  (:  letout)  (103  v°)  ;  dans  la  Vie  de 
Saint  Paul,  sout  (:  enmerveillout)  (221)  ;  dans  la  Vie  de  Saint 
Richard,  ont  (:  mustrout,  610;  desirout,  1089  ;  alout,  1287)  '■>  ^out 
(:  grevout,  988).  Aucun  autre  auteur  de  ce  siècle,  nous  devons  le 
reconnaître,  ne  nous  a  montré  un  nombre  d'exemples  équivalent. 

Dans  le  corps  des  vers  ou  dans  les  œuvres  en  prose,  les  exemples 
sonttrès  communs,  même  au  xiv^  siècle.  C'est  ainsi  qu'on  peut  rele- 
ver ont  qui  se  trouve  dans  la  Vie  de  Sainte  Marguerite  (au  vers 
10)  ;  dans  le  2^  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft  (Plainte  Notre- 
Dame)  (II,  426,  5);  dans  Foulques  Fitz  Warin  (lé,  22);  au  §  i 
des  Contes  de  Bozon  et  pcissim  ;  au  folio  92  de  ses  Vies  de  Saints,  à 
la  strophe  123,  vers  b  et  passUn  dans  l'Évangile  de  l'Enfance  (O); 
en  somme  dans  la  plupart  des  auteurs. 

On  V\\.  pont  de  pouvoir  au  vers  390  de  Sainte  Marguerite  ;  dans 
Pierre  de  Langtoft  (I,  446,  6)  ;  dans  les  Contes  de  Bozon  (§  138)  ; 
sout  dans  le  2''  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft  (II,  426,  10)  ; 
dans  les  Contes  de  Bozon  (au  §  119).  Nous  aurions  pu  ici  mul- 
tiplier les  exemples,  et  nous  ne  prétendons  pas  citer  tous  ceux 
que  nous  avons  relevés  ;  nous  avons  voulu  montrer  aussi  claire- 


I .   En  d'autres  termes,  nous  négligerons  toutes  les  interrimes,  et  les  rimes  qui 
assemblent  un  de  ces  prétérits  et  un  imparfait  de  I. 


LE    PRÉTÉRIT  60$ 

ment  que  possible  que  les  formes  en  on  restent  employées  jusqu'à 
la  fin  de  la  littérature  anglo-française  et  qu'elles  restent  toujours 
très  communes. 

Il  arriva  même,  ce  qui  est  assez  curieux,  que,  après  que  17  se  fut 
vocalisée,  surtout  dans  le  groupe  oit,  les  écrivains  anglo-français 
considérèrent  parfois  ont  étymologique  comme  ayant  lui  aussi  cette 
origine,  et  l'écrivirent  oit,  qui,  du  reste,  se  prononçait  alors  de  la 
même  façon  que  olit.  C'est  ainsi  qu'on  peut  expliquer  soit  pour 
sout  de  savoir,  forme  qu'on  lit  dans  les  Légendes  de  Marie  d'Adgar 
(XXXIII,  38),  et  au  vers  2049  du  Tristan  de  Thomas;  évidem- 
ment ces  deux  formes  sont  dues  aux  scribes. 

La  diphtongue  o«  est  très  fréquente  dans  l'anglo-français  politique, 
légal  et  famiher:  dans  le  Liber    Albus  (1243,    116),    les  Literae 
■  Cantuarienses  (1333,  524),    le  Liber  Rubeus    de  Scaccario  (1325, 
940)^  et  dans  beaucoup  d'autres  recueils. 

Les  Year  Books  eux-mêmes  nous  en  offrent  des  exemples,  nom- 
breux et  assurés;  ainsi  ceux  que  nous  lisons  dans  le  ms.  Y  (13 12) 
(cf.  par  exemple  3  Edw.  II,  161^  185  tx.  passiiii).  Comme  dans  les 
recueils  postérieurs,  le  nombre  d'exemples  ne  diminue  pas,  il  faut 
considérer  que  cette  diphtongue  a  été  employée  longtemps  après 
la  date  de  Y,  autrement  dit  pendant  toute  la  période  qui  nous 
occupe . 

La  diphtongue  on  se  réduit  parfois  à  la  voyelle  0  {cï.  Imparfaits 
de  la  première  conjugaison),  et  cette  réduction  se  fait  dans  un  cer- 
tain nombre  de  cas  dès  le  xii^  siècle. 

Mais,  comme  nous  l'avons  vu  pour  ce  dernier  temps,  la  forme 
abrégée  n'a  pas  entièrement  dépossédé  la  terminaison  avec  la 
diphtongue,  elle  a  été  relativement  peu  commune,  sauf  quelques 
exceptions,  et  les  deux  formes  ont  existé  côte  à  côte  pendant  la 
plus  grande  partie  de  la  littérature  anglo-française.  C'est  ce  qui  est 
arrivé  au  prétérit. 

Le  premier  exemple  que  nous  trouvions  de  la  forme  en  ot  se 
rencontre  dans  le  Bestiaire  (au  vers  194);  elle  se  retrouve  dans 
Gaimar  {sot  au  vers  45.7),  dans  le  Drame  d'Adam  (par  exemple  au 
vers  701);  ot  se  lit  dans  Thomas  (au  vers  ion)  et  pot  dans  Fan- 
tosme  (vers  681);  mais  elle  est  attestée  par  la  rime  pour  la  pre- 
mière fois  dans  la  Vie  de  Sainte  Gilles  :  ot  (:  trot)  (au  vers  1721). 
Nous  ne   pouvons  donc  pas    reculer   la  date  de  cette   terminaison 


6o6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-fkançals 

beaucoup  plus  loin  que  l'époque  où  fut  écrit  le  ms.  du  Bestiaire, 
c'est-à-dire  vers  1167  ;  cela  est  exactement  ce  que  nous  avons 
remarqué  pour  les  imparfaits  en  ot  de  la  première  conjugaison; 

Les  rimes  en  ot,  si  on  excepte  les  interrimes  douteuses,  ne  sont 
pas  très  nombreuses  pendant  les  deux  derniers  siècles  de  l'anglo- 
français  littéraire  :  on  en  trouve  dans  les  Dialogues  Grégoire,  comme 
sol  (:  sot)  (au  folio  20  v°)  ;  dans  le  Josaphat  de  Chardri  (au  vers 
257),  ol  rime  avec  mot;  cette  rime  se  retrouve  telle  quelle  dans  les 
Evangiles  de  Robert  de  Gretham  (au  folio  26  r°),  et  au  vers  2236 
du  Saint  Edmund.  Robert  de  Gretham  nous  en  fournit  un  autre 
exemple  assuré  de  la  voyelle  :  pot  {:  sot)  (au  folio  66  r°)  ;  nous 
avons  déjà  fait  observer  que  cette  terminaison  est  plus  commune 
chez  Dermod  pour  les  imparfaits  de  I  ;  on  trouve  de  même  dans  ce 
poème  pot  (:  Dermod)  (vers  235  e\.  pass'nii)  ;  après  Dermod,  il  faut 
aller  jusqu'au  Prince  Noir  pour  retrouver  une  autre  forme  en  ot 
attestée  par  la  rime;  ot  y  rime  avec  Talebot  (au  vers  138),  avec 
mot  (au  vers  2489). 

Nous  n'avons  relevé  que  de  rares  exemples  de  cette  forme  dans 
les  ouvrages  non  littéraires,  comme  le  pot  qui  se  trouve  dans  un 
certain  nombre  de  passages  de  Rymer  et  des  Year  Books. 

La  fortune  de  cette  désinence  n'a  donc  pas  été  très  brillante  pour 
nos  prétérits,  c'est  exactement  le  sort  qu'elle  a  eu  pour  les  imparfaits 
de  L 

La  forme  en  u  ou  eu  fait  aussi  son  apparition  assez  tôt  ;  elle  ne 
provient  pas  directement,  pensons-nous,  des  formes  que  nous  avons 
étudiées  jusqu'ici,  0  ouvert  ne  passant  pas  à  //  en  anglo-trançais, 
mais  elle  est  le  résultat  d'une  assimilation  avec  les  formes  en  u  des 
deuxième,  troisième  et  cinquième  classes.  Cette  assimilation  attei- 
gnit surtout  trois  verbes  :  avoir,  plaire,  taire  ;  rappelons,  du  reste, 
que  nous  avons  relevé  pour  ce  dernier  verbe  à  la  première  per- 
sonne du  singulier  une  forme  ^H^  (Psautier  d'Arundel,  38,  3)  appa- 
rentée avec  les  premières  personnes  de  la  seconde  classe. 

Les  rimes  qui  établissent  l'existence  de  la  forme  en  //  au  xii^ 
siècle,  pour  la  troisième  personne  du  singulier,  ne  sont  pas  nom- 
breuses, mais  elles  sont  suffisantes.  La  première  que  nous  ayons 
relevée  se  lit  dans  Adgar:  pleut  (:  receut)  (XXI,  15,  lire  plut: 
reçut)  ;  à  la  même  époque  appartient  la  rime  ///  (:  murut)  qui  se 
trouve    dans  le   Tristan  de    Thomas  (au  vers   3067),  et  plut  (de 


LE    PRÉTÉRIT  607 

plaire)  (:  crut)  au  vers  1376  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine  de 
Sœur  Clémence  de  Barking.  Ces  trois  rimes  sont  significatives  et 
nous  suffisent  pour  fixer  avec  quelque  précision  la  date  à  laquelle 
la  forme  en  //  s'est  introduite  en  anglo-français.  C'est  entre  11 60  et 
1170  qu'elle  a  fait  son  apparition. 

Dans  le  corps  du  vers  de  certains  poèmes  et  dans  quelques 
ouvrages  en  prose  nous  avons  relevé  des  exemples  qui  peuvent 
être  contemporains  des  trois  que  nous  venons  de  citer,  ou  légère- 
ment postérieurs  :  par  exemple,  plut  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge (77,  25);  et  dans  le  corps  du  vers  529  de  l'Estorie  des 
Engleis,  et  du  vers  2110  de  la  Vie  de  Saint  Gilles  ;  eut  au  vers  616 
de  l'Estorie  des  Engleis.  Tut  et  put  (de  pouvoir)  se  rencontrent 
tous  les  deux  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  (respectivement  aux  vers 
2825  et  3671);  tous  ces  exemples  remontent  soit  à  la  fin  du  xii% 
soit  au  commencement  du  xiii^  siècle. 

Dans  cette  fin  du  xW^  siècle,  il  est  probable  qu'on  pourrait  trou- 
ver encore  un  certain  nombre  d'exemples  de  cette  forme,  mais  ceux 
que  nous  venons  de  citer  suffisent  sans  doute  à  montrer  que  cette 
forme  en  u  s'est  introduite  vers  11 60. 

Les  terminaisons  en  u  sont  assez  fréquentes  au  xiii^  siècle,  et  se 
trouvent  parfois  à  la  rime.  Citons-en  un  certain  nombre  :  dans 
Robert  de  Gretham,  nous  trouvons  la  rime  ont  (:  estot  d'estovoir) 
(29  r°)  ;  mais  comme  les  verbes  de  II  ne  prennent  que  rarement 
au  xiir  siècle  la  terminaison  ont,  il  faut  probablement  lire  lit  :  estut. 
Dans  le  Saint  Laurent^  nous  relevons  un  exemple  qui  n'est  pas 
douteux:  /</(:  reconnut)  au  vers  230  ;  de  même,  dans  la  Plainte 
d'Amour  (vers  854),  eut  {:  fut)  ;  plus  tard,  les  exemples  analogues 
ne  sont  pas  aussi  rares,  mais  aucun  d'eux  ne  se  trouve  à  la  rime. 
Pour  en  donner  quelques  cas  du  xiv^  siècle,  en  voici  qui  se  trouvent 
dans  le  corps  du  vers  :  eut  au  vers  26  du  Siège  de  Carlaverok, 
dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  360,  16),  ut  dans  les  Vies  de  Saints 
de  Bozon  (94  v°),  etc. 

Plaire  donne  plut  qui,  dans  les  Dialogues  Grégoire  (16  v°  a), 
rime  avec  aperçut  ;  il  rime  avec  mut  au  vers  364  d'Edward  le 
Confesseur  ;  on  le  rencontre  encore,  sous  la  forme  pliist,  dans  les 
Vies  de  Saints  de  Bozon,  rimant  avec  l'impartait  du  subjonctif  ust 
(92  v°)  ;  dans  Foulques  Fitz  Warin  il  est  employé  à  la  page  48. 

Robert  de  Gretham   nous   donne  pour  pouvoir   une    rime  qui 


6oS  l'évolution  du  verbe  en  anglo-prançais 

pourra  {xiraitre  un  peu  douteuse  :  poiil  (:  dout  de  devoir)  ;  mais 
ici  encore  nous  pouvons  remarquer  que  les  verbes  de  la  seconde 
classe  ne  prennent  jamais  on  au  xiii^  siècle.  D'ailleurs  les  exemples 
pour  lesquels  aucun  doute  ne  saurait  subsister  sont  communs  ; 
citons  put  qui  dans  le  même  auteur  rime  avec  conut  (au  tolio  i  5 
V''),  Pierre  de  Langtoft  l'emploie  fréquemment  (cf.  II,  342,  4), 
et  pour  pestre  put  (  :  aperçut)  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire 
(35  r"  b)  et  (:  fut)  dans  les  Évangiles  de  Robert  de  Gretham 
(38  r'^). 

On  trouve  aussi  des  exemples  de  cette  même  forme  pour  savoir: 
sut  (:  dut)  au  vers  144  du  Saint  Laurent,  etc.,  et  pour  taire  :  tut 
(:  fut)  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (49  v°  b)  et  (  :  mut) 
au  vers  1087  du  Petit  Plet  de  Chardri  et  au  folio  66  v°  de  la 
Genèse;  on  le  trouve  encore  assez  fréquemment  dans  Pierre  de 
Langtoft  (par  exemple  I,  380,  10,  etc.). 

Il  est  assez  difficile,  sinon  impossible,  de  préciser  dans  quel  rap- 
port, au  point  de  vue  du  nombre,  se  trouvent  les  formes  en  ou,  en 
0  -et  en  (^)7<.  Comme  nous  l'avons  montré  les  trois  désinences 
coexistent  à  partir  de  1160-1170,  mais  ce  n'est  que  vers  le  milieu 
du  xiii^  siècle  que  la  dernière  devient  réellement  commune. 

Nous  croyons  même  que  celle-ci  n'est  devenue  vraiment 
usuelle  qu'au  xiV^  siècle  et  qu'à  aucun  moment  le  nombre  des  cas 
où  elle  se  trouve  n'a  été  sensiblement  supérieur  au  nombre  des 
désinences  en  ou.  Il  n'en  va  pas  de  même  pour  la  langue  politique, 
diplomatique  et  familière  :  les  deux  formes  //  et  eu  sont  extrême- 
ment communes  dans  les  textes  non  littéraires,  et  nous  pourrions 
dresser  une  longue  liste  des  passages  où  l'une  et  l'autre  se  ren- 
contrent (cf.  Statutes,  1335,  1345,  1360,  etc.  ;  Rymer's  Foedera, 
1384,  VII,  436;  Annales  Londinienses,  1291,  221  et  passim  dansh 
plupart  des  Year  Books). 

Ces  trois  formes  que  peut  prendre  le  son  vocalique  à  la  troisième 
personne  du  singulier  des  verbes  de  la  première  classe  sont  toutes 
trois  des  formes  régulières.  Elles  ne  sont  pas  du  reste  les  seules, 
quoiqu'elles  soient  de  beaucoup  les  plus  répandues  ;  nous  avons  à 
citer  maintenant  quelques  autres  déviations  du  type  normal. 

A  la  place  de  la  voyelle  u  nous  trouvons  quelquefois  la  diphtongue 
///  ;  on  considère  généralement  que  ce  phénomène  est  exactement 
du  même  genre -que  celui  que   nous  avons  signalé  tout  à  l'heure 


LE    PRÉTÉRIT  609 

(soit  pour  sont)  ;  en  d'autres  termes,  on  admet  que  c'est  un 
autre  exemple  de  ce  qu'on  appelle  l'ùmgekehrte  Schreibung  Çc[. 
Stimming,  p.  193).  Le  premier  cas  que  nous  en  trouvions  pour  no 
verbes  se  lit  dans  le  ms.  O  de  Horn  au  vers  623  (fin  du  xiii^ 
siècle)  ;  au  lieu  de  ut,  on  y  trouve  uit.  Cet  exemple  se  trouve  dans 
le  corps  du  vers  et  doit  être  certainement  laissé  au  compte  du 
scribe .  On  en  trouve  aussi  un  cas  de  la  même  nature  dans  Boeve 
de  Haumtone  :  puil  (au  vers  1659).  Dans  les  Year  Books,  cette 
forme  est  loin  d'être  rare  ;  on  trouve  par  exemple /?////  (pestre)  (12 
et  13  Edw.  III,  21)  ;  poyt  du  même  verbe  (Year  Book,  30 
Edward  P',  511)  ne  nous  semble  qu'une  variante  de  la  forme 
précédente. 

Oe  pour  on  ou  0  est  très  rare  ;  on  en  trouve  pourtant  un 
exemple  dans  la  Plainte  Notre-Dame  :  poest  (au  vers  51)  (cf. 
troisième  personne  du  pluriel);  eo,  qu'on  trouve  dans  les  Contes  de 
Bozon  (seot,  §  18),  n'est  probablement  qu'une  variante  de  cette 
forme  ;  on  peut  comparer  ces  formes  cà  celles  que  nous  avons  énu- 
mérées  pour  la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'in- 
dicatif de  pouvoir,  estovoir,  etc.  (cf.  Présent  de  l'indicatif,  p.   154). 

Ii'ii  est  plus  commun.  On  en  trouve  déjà  un  exemple  dans  Fan- 
tosme  au  vers  1461  :  sieitt  de  savoir;  évidemment  ici  encore  ce  doit 
être  le  scribe  qui  est  responsable  de  cette  forme,  qu'on  ne  rencon- 
trera plus  avant  le  xiv^ siècle, comme  dans 5aV///,  Prince  Noir  (1830); 
tieust  qui  se  lit  au  §  23  des  Contes  de  Bozon.  Cette  diphtongue  est 
très  commune  en  dehors  des  œuvres  littéraires. 

Les  mêmes  variations  se  reproduisent  pour  la  troisième  personne 
du  pluriel,  peut-être  à  une  date  un  peu  plus  reculée  :  ose  trouve 
déjà  dans  le  ms.  A  de  l'Alexis  :  porent  (32  b),  et  dans  les  Psautiers, 
par  exemple  dans  celui  d'Oxford  :  onv// (105,  2}),  porent  (20,  11), 
sorent  (81,  5).  Cette  voyelle  se  retrouve  dans  tous  les  auteurs  sub- 
séquents :  Gaimar,  Fantosme,  Guillaume  de  Berneville  ;  les  formes 
avec  voyelle  sont  assez  fréquentes  chez  certains  auteurs  comme 
Adgar  et  Frère  Angier.  Elles  continuent  à  figurer  dans  tous  nos 
textes  du  xiii=  et  du  xiv^'  siècle  ;  mais  pour  cette  terminaison, 
nous  ne  pouvons  trouver  que  des  interrimes,  ce  qui  nous  enlève 
toute  certitude. 

Les  formes  en  11  sont  à  peine  plus  tardives  ;  les  Psautiers  d'Oxford 
et  de  Cambridge  en  contiennent  plusieurs  :  turent,  par  exemple,  se 

>9 


6lO  l'évolution    du    verbe    en    ANCiLO-FRANÇAlS 

trouve  dans  les  deux  ouvrages  (io6,  29)  ;  piirciil,  cureiil  et  surent  se 
trouvent  dans  l'Estorie  de  Gaimar(respectivement  aux  vers  1224,  4843 
et  4844);  enfin  nous  trouvons  notre  première  rime  dans  Adgar  : 
itrenl  (:  aparceurent)  (IV,  83);  les  rimes  deviennent  dès  lors  plus 
fréquentes  sinon  communes  ;  par  exemple  nous  trouvons  curent 
aux  rimes  suivantes  :  (:  furent)  Dialogues  Saint  Grégoire  (102 
r°  b);  (:  crurent)  dans  Robert  de  Gretham  (59  v")  ;  (:  furent)  dans 
le  Saint  Julien  (GG  r'). 

Les  mêmes  terminaisons  irrégulières  que  nous  avons  trouvées  à 
la  troisième  personne  du  singulier  se  répètent  presque  toutes  à  la 
troisième  personne  du  pluriel.  ///  pour  u  se  rencontre  par  exemple 
dans  nircnt  qui  se  trouve  dans  le  ms.  O  de  Horn  (au  vers  59e)  ; 
dans  piiircnt  qui  figure  au  vers  316  du  Saint  Edmund.  Oe  se  trouve 
d:ms  pocrcnt,  autre  exemple  du  Saint  Edmund  (au  vers  300).  Ajou- 
tons cependant  une  forme  du  pluriel  qui  n'a  pas  d'analogue  au 
singulier;  dans  l'Apocalypse,  on  trouve  eourcnt  {^;,  1339)  qui  esta 
eurent  ce  que  eurent  est  à  urent.  Dans  les  textes  non  littéraires  les 
seules  graphies  qu'on  rencontre  sont  en  et  //  employées  indifférem- 
ment l'une  pour  l'autre  ;  urent  (Statutes,  1305,!,  t,GG^;  eurent  (ibid., 
1350,  I,  316,  etc.)- 

Deuxième  classe.  —  Dans  la  première  partie  du  xii''  siècle, 
alors  que  les  troisiènl^s  personnes  de  la  première  classe  demeuraient 
stationnaires,  celles  de  la  deuxième  classe  montrèrent  une  tendance 
à  s'en  rapprocher,  tendance  favorisée  par  l'identité  ous-dous, 
oumes-doumes  ;  c'est  ce  qui  explique  les  quelques  formes  irrégulières 
qu'on  trouve  surtout  au  commencement  de  ce  siècle^  dans  le  Saint 
Brandan  :  dont  au  vers  158  (ms.  de  l'Arsenal  BLF,  283,  dut,  à  côté 
àt  dut  530),  mot  au  vers  1253  (Arsenal  muet  P.  I.)  et  meurent  qui 
se  trouve  dans  les  deux  Psautiers  d'Oxford  (108,  24)  et  de  Cam- 
bridge (77,  58).  Le  dernier  exemple  que  nous  a}'ons  trouvé  de  cette 
assimilation  au  xii^  siècle  se  lit  dans  le  Tristan  de  Thomas  :  dourcnt 
(au  vers  1137).  Après  cela,  nous  n'en  trouvons  plus  d'autre, 
excepté  deux  cas  très  douteux  :  les  deux  rimes  de  Robert  de  Gre- 
tham que  nous  avons  vues  tout  à  l'heure  :  estot  (  :  out)  (29  r°)  et 
dont  {:  pout)(95  '''")5  il  est  préférable  de  considérer  ces  rimescomme 
marquant  le  passage  de  I  à  II  plutôt  que  l'inverse;  il  y  a  de  plus 
chez  ce  même  auteur  une  rime  montrant  d'une  manière  indiscutable 
que  la  troisième  personne  du  prétérit  de    devoir  prenait    quelque- 


LE    PRÉTÉRIT  é  I  I 

fois  ('//  encore  à  cette  époque  ;  c'est  h  rime  dans  laquelle  tloiil  rime 
avec  l'imparfait  mustrout  (105  v°)  (cf.  Imparfaits  de  I,  troisième 
personne  du  singulier). 

En  dehors  de  la  littérature,  seules  les  formes  en  //,  de  même  que 
celles  qui  en  dérivent  et  que  nous  citons  plus  bas,  sont  employées. 
On  trouve  de  nombreux  exemples  de  ces  formes  dans  les  différents 
recueils. 

Les  autres  désinences  de  cette  classe  provenant  toutes  de  la  forme 
étymologique  sont  peu  nombreuses;  on  trouve  évidemment  ///qui 
n'est  qu'une  graphie  de  u  comme  biiit.au  folio  4  r"  de  Nicolas  Tri- 
vet,  auquel  on  peut  ajouter  mot  (:dedut,  déduit)  dans  le  Sermon  en 
vers  Deu  le  Omnipotent  (87  a)  et  en  dehors  des  textes  littéraires 
ihixt  (11  et  12  Edw.  III,  395);  quelquefois  eu,  comme  beat  dans 
Nicolas  Trivet  (39  v°);  cette  diphtongue  est  d'un  emploi  encore 
plus  fréquent  dans  la  langue  politique,  diplomatique  et  légale; 
citons  par  exemple  jeiisl  dans  les  Chroniques  de  Londres  (1262,  6); 
estent,  Year  Book   31  Edw.  I"  (391),  etc. 

La  troisième  personne  du  pluriel  est  ordinairement  terminée  en 
urent  et  il  est  très  rare  que  les  verbes  de  cette  classe  prennent  une 
autre  désinence  ;  nous  n'avons  jamais  rencontré  pour  ces  verbes  la 
terminaison  otirent.  Les  seules  formes  qui  s'écartent  quelque  peu 
du  type  normal  sont  celles  qui  montrent  la  diphtongue  ui  :  buyrenl 
(Boeve,  2584,  etc.),  forme  très  fréquente  dans  les  mss.  de  la 
fin  du  xiv^  siècle  ;  ou  eu  comme  dans  uieurent,  Psautier  d'Arundel 
(21,  7),  et  dans  Adgar  (XXXII,  89);  et  dans  le  même  auteur, 
bernent    (XXXIII,  38). 

On  rencontre  encore,  mais  au  xiv^  siècle  seulement,  la  diphtongue 
ue,  par  exemple  dans  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet  :  huèrent  (au 
folio  39  v°). 

Les  terminaisons  des  troisièmes  personnes  des  verbes  de  la  troi- 
sième classe  sont  encore,  s'il  est  possible,  plus  régulières,  étant 
donné  le  nombre  considérable  des  formes  employées.  Le  seul  verbe 
qui  montre  une  tendance  assez  constante  à  sortir  de  sa  classe,  c'est 
le  verbe  ester.  Nous  trouvons  assez  souvent  stout  ou  estoiit,  même  au 
xiii"^  siècle.  Le  Psautier  de  Cambridge  emploie  cette  forme  deux 
fois  (I,  I  ;  44,  9);  Robert  de  Gretham  en  a  aussi  un  exemple  (à 
moins  que  ce  ne  soit  un  imparfait)  au  folio  41  r°. 

On  la  retrouve  encore   au  xiV  siècle  dans  Pierre   de   Lano-toft  : 


6 12  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

estant  (I,  444,  i)  .  Nous  pouvons  cependant  nous  demander  ici 
encore  si  cette  forme  n'est  pas  un  imparfait  de  l'indicatif,  ce  qui  est 
plus  improbable  au  xiv^  siècle,  ou  si  elle  ne  provient  pas  d'une  con- 
fusion avec  ce  dernier  temps.  Ce  verbe  se  rencontre  quelquefois 
dans  la  langue  politique  et  légale,  et  il  ne  se  présente  jamais  que 
sous  la  forme  cstiit. 

Autres  classes. —  Il  n'y  a  qu'un  petit  nombre  de  verbes  à  prendre 
cet  on  de  la  première  classe,  et  ils  ne  le  font  que  rarement.  Par 
exemple  aparconl  du  vers  261  de  la  Folie  est  absolument  isolé  au 
xii^  et  même  au  xiii^  siècle,  alors  que  le  nombre  des  formes  régu- 
lières de  ce  verbe  est  extrêmement  grand  ;  il  faut  arriver  à  la  tin  du 
xiv''  siècle  pour  en  retrouver  un  autre  exemple  dans  la  langue  litté- 
raire ;  ce  n'est  que  dans  Nicolas  Trivet  qu'on  trouve  aparsout  (au 
folio  4  r°)  ;  ces  deux  exemples  ne  peuvent  pas  être  considérés 
comme  autre  chose  que  des  preuves  de  l'ignorance  ou  de  l'étour- 
derie  des  scribes.  Cependant,  et  ceci  nous  semble  plus  remarquable, 
on  trouve  des  exemples  analogues,  peu  nombreux  il  est  vrai,  en 
dehors  des  textes  littéraires  :  on  lit  par  exemple  dans  les  Historical 
and  Municipal  Documents  of  Ireland  :  jonst  {i-^i^,  421);  dans  les 
Literae  Cantuarienses  :  reconoiist(^Ji^i,  381). 

Les  autres  formes  qu'il  nous  reste  à  signaler  proviennent  norma- 
lement de  la  forme  étymologique,  aussi  nous  ne  'nous  y  arrêterons 
guère. 

Ici  encore  évidemment  nous  retrouvons  ///  pour  w  même  dans 
des  textes  du  xii*  siècle,  où  ils  sont  dus  aux  scribes,  comme  comiit 
dans  Adgar  (XV,  10)  et  dans  la  Folie  (6ro)  (:  estut)  et  la  Vie  de 
Saint  Gilles  (1289).  Cette  forme  se  retrouve  encore  au  xiV  siècle 
très  fréquemment  (cf.  Apocalypse,  3,  iiéi).  On  trouve  encore 
chez  les  scribes  ou  les  auteurs  du  xiii'^  siècle  d'autres  formes  telles 
que  aparceuit  dans  la  Folie  (849)  qui  rime  avec  mescunuit  ;  citons 
pour  le  prétérit  de  croire:^;'////,  Dermod  3401  ;  et  pour  celui  de  gésir: 
ju(J)t  (:  nuit)  au  vers  779  du  même  poème.  Tous  ces  verbes  ont 
l'apparence  de  prétérits  en  ivi . 

Il  nous  reste  à  signaler  un  fait  qui  est  probablement  beaucoup  plus 
important  que  tous  ceux  que  nous  avons  signalés  jusqu'ici  pour 
cette  troisième  classe  :  c'est  l'introduction  d'un  c  entre  le  radical  et 
la  terminaison  ;  ce  fait  s'observe  déjà  dans  les  Psautiers;  par  exemple 
on  trouve  dans  le  Psautier  d'Oxford  :  récent  (3,  5),  coucent(j,  15), 


LE    PRÉTÉRIT  613 

etc.;  dans  le  Psautier  de  Cambridge:  ciinc/il  (89,  12);  dans  celui 
d'Arundel  :  receut  (6,  10),  conneut  (138,  15).  Quelques  auteurs  du 
xii^  siècle  nous  donnent  des  exemples  moins  faciles  à  dater,  comme 
coneiil  dans  Adgar  (XVII,  608)  ou  l'exemple  que  nous  avons  déjà 
cité  dans  la  Folie  :  aperceuit  (au  vers   849). 

Pendant  les  deux  siècles  suivants  et  spécialement  après  1250,  les 
formes  telles  que  celles  que  nous  venons  d'énumérer  deviennent 
très  communes;  il  est  inutile  de  donner  une  liste  des  formes  en  eu 
que  nous  avons  relevées,  car  quelque  longue  que  nous  la  fassions, 
elle  restera  toujours  incomplète.  Nous  dirons  donc  qu'on  peut  en 
relever  des  exemples  dans  chaque  auteur,  mais  qu'ils  nous  ont  paru 
spécialement  nombreux  dans  les  Vies  de  Saints  de  Bozon  et  dans  la 
Chronique  de  Pierre  de  Langtoft. 

Dans  les  Contes  de  ce  dernier  auteur,  les  formes  en  eut  sont 
spécialement  communes  ;  citons  esteut  qu'on  lit  au  §  80,  creust  au 
§  30,  et  il  y  en  a  encore  quelques  autres.  C'est  probablement  le  verbe 
gésir  qui  nous  paraît  avoir  pris  le  plus  souvent  cette  forme  ;  nous 
avons  relevé  geut,  dans  les  Légendes  de  Marie  (XVII,  1021),  mais 
cette  forme  doit  plutôt  être  attribuée  au  scribe  qu'à  Adgar  lui- 
même  ;  jeust  est  employé  dans  la  Chronique  de  Londres  (1262, 
page  4)  ;  jueut  dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet  (48  r°). 

Ces  formes  ne  sont  pas  rares,  au  contraire,  dans  les  textes  qui 
n'appartiennent  pas  à  la  littérature.  Elles  s'étendent  donc  sur  presque 
toute  la  durée  de  la  littérature  anglo-française,  puisque  les  premières 
formes  qu'on  connaisse  se  lisent  dans  des  ouvrages  de  11 60  et  qu'on 
en  rencontre  encore  à  la  fin  du  xiv^  siècle. 

Il  n'en  va  pas  de  même  pour  les  terminaisons  qui  présentent  un 
i  en  hiatus  ;  nous  ne  rencontrons  des  formes  comme  giust,  dont  on 
trouve  un  exemple  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (au  §  54),  que 
dans  les  ouvrages  du  xiV  ;  et  à  l'exemple  que  nous  venons  de  citer, 
nous  pouvons  en  ajouter  quelques-uns  qui  sont  employés  par 
Nicolas  Trivet,  comme  ^('rn/(i)/,rtp6';Tm/.  Ces  formes  se  rencontrent 
spécialement  dans  les  textes  non  littéraires,  et  surtout  dans  le 
Liber  Rubeus  de  Scaccario  et  dans  les  Rymer's  Foedera. 

A  la  troisième  personne  du  pluriel,  nous  rencontrons  toutes  les 
irrégularités  que  nous  venons  de  signaler  pour  le  singulier;  pour  ne 
pas  allonger  outre  mesure  Ténumération  de  ces  formes,  nous  dirons 
que  la  désinence  en  eurent  se  rencontre  au  plus  tard  au  commen- 


6i4  l'iiVolution  du  vehbe  i:n  anglo-français 

cernent  du  xiii"^  siècle  et  nous  fournit  un  nombre  assez  considérable 
de  formes  ;  imnit  ne  date  que  du  siècle  suivant  et  est  surtout  com- 
mun dans  les  textes  diplomatiques  et  fimiliers,  quoiqu'on  puisse 
en  trouver  un  bon  nombre  d'exemples  dans  les  auteurs  ou  les 
scribes  de  la  fin  du  xiv^  siècle. 

Ajoutons  que  les  terminaisons  en  oiircnt  sont  des  plus  rares  et 
que  nous  ne  voyons  qu'un  seul  exemple,  eslourent,  dans  le  Psautier 
d'Oxford  (2,  2)  et  dans  celui  de  Cambridge  (37,  11). 

Nous  ne  rappellerons  que  pour  mémoire  esteirent  (Nicolas  Trivet, 
49  r°)  et  recouustrcut  (Nicolas  Trivet,  46  r°)  (cf.  Prétérits  en  ivi  et 
Prétérits  en  ///). 

Pour  la  quatrième  classe,  nous  ne  trouverons  qu'un  petit  nombre 
d'observations  à  taire.  \"ouloir,  à  la  troisième  personne  du  singulier, 
appartient  régulièrement  aux  prétérits  en  ///,  et  cette  personne  se 
présente  le  plus  souvent  sous  la  forme  t'o//.  Nous  ne  nous  arrêterons 
pas  à  citer  des  références  pour  cette  personne,  dont  on  peut  trouver 
des  exemples  dans  tous  les  auteurs  des  trois  siècles.  Nous  n'avons 
pas  non  plus  à  nous  occuper  des  changements  qu'elle  peut  subir. 
Leur  étude  est  du  ressort  de  la  phonétique.  Signalons  seulement 
que  la  première  graphie  voiil  que  nous  connaissions  se  trouve  dans 
le  ms.  A  de  la  Vie  de  Saint  Alexis  (19  e)  et  que  la  première 
rime  qui  nous  semble  probante  se  lit  dans  le  Tristan  de  Thomas: 
volt  (:  Ysolt)  au  vers  275.  C'est  donc  vers  1150  que  la  consonne  a 
dû  se  vocaliser. 

Du  reste  elle  a  persisté  très  longtemps  dans  l'écriture,  comme  on 
peut  s'en  convaincre  en  lisant  les  auteurs  du  xiii''  siècle  (c{. 
Dialogues  Saint  Grégoire,  121  v°  a).  Il  en  est  résulté  que  les  scribes 
ont  attribué  la  graphie  par  oJt  à  des  personnes  qui  n'avaient  jamais 
eu  d'/. 

Signalons  encore  une  autre  particularité  de  la  graphie  de  cette 
personne  :  plusieurs  auteurs  ou  scribes  du  xiV^  siècle  combinent  You 
avec  1'/  et  écrivent  voiilt.  Nous  avons  rencontré  cette  façon  d'écrire 
cette  troisième  personne  au  vers  48  du  Siège  de  Carlaverok  et  dans 
les  Vies  de  Saints  de  Nicole  Bozon  au  folio  93  v°. 

La  diphtongue  subit  pour  ce  verbe  les  mêmes  transformations 
que  pour  ceux  de  la  première  classe  ;  on  la  trouve  d'abord  à  la  rime 
telle  quelle  avec  des  terminaisons  en  ont,  imparfaits  delà  première 
conjugaison,  ou  prétérits  de  la  première  classe,  par  exemple  vont 


LE    PRÉTÉRIT  615 

(:  pcnsout)  au  vers  956  du  Josnphat  de  Chardri  ;  (:  sont)  dans 
Robert  de  Gretham  (76  r")  ;  (:  pout)  dans  la  Satire  (85  v°). 

Elle  se  réduit  aussi  à  la  voyelle  simple  0  :  vol  (:  dévot),  rime 
répétée  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  aux  vers  108,  825  (:  pot) 
dans  les  Dialogues  (21  v°  a),  etc. 

Mais  cette  forme  est  relativement  rare,  et  on  peut  hésiter  sur  la 
valeur  à  attribuer  à  cette  graphie. 

La  forme  en  //  se  rencontre  à  la  même  époque,  semble-t-il,  mais 
encore  plus  rarement;  elle  est  ordinairement  écrite  par  un  w, 
comme  wlt  dans  Boeve  (1023). 

Outre  ces  formes  régulières,  on  en  rencontre  quelques  autres  qui 
ne  sont  pas  aussi  faciles  à  expliquer,  sauf  au  mo3'eu  de  l'analogie 
avec  les  formes  des  autres  classes  ;  on  lit  par  exemple  dans  la  Vie 
de  Saint  Thomas  (III,  16),  veut  qui  est  à  vont  ce  que  eut  est  à 
out  ;  on  retrouve  cette  même  forme  avec  une  graphie  à  peine 
différente  à  la  page  97  de  Foulques  Fitz  Warin  :  velt. 

La  langue  diplomatique  connaît  toutes  les  formes  que  nous  venons 
de  citer  ;  elle  montre  de  plus  pour  la  troisième  personne  du  singu- 
lier une  forme  faible  :  vohtit,  qui  se  lit  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1324,  IV,  90). 

Les  formes  de  la  troisième  personne  du  pluriel  ne  correspondent 
pas  toujours  avec  celles  de  la  troisième  personne  du  singulier  ;  elles 
hésitent  entre  la  forme  des  prétérits  eu  ///,  celle  des  prétérits  en  si, 
même,  comme  nous  l'avons  vu,  celle  des  prétérits  en  avi.  On 
trouve  en  effet  volèrent  (lire  voleient  dans  Adgar  (XI,  137)  (cf. 
Prétérits  en  avi);  comme  forme  en  si  on  peut  citer  voiislrent,  Vie 
de  Saint  Grégoire,  1645  (cf.  Prétérits  en  si). 

Mais  les  formes  en  ni  restent  les  plus  nombreuses  et  se  rencontrent 
à  toutes  les  époques  :  voldreiit  se  lit  dans  le  Bestiaire  (au  vers  2181)  ; 
dans  le  Psautier  de  Cambridge  (106,  30)  ;  dans  l'Estorie  de  Gaimar 
(2025)  ;  dans  le  Saint  Edmund  (164,  etc.)  ;  vodrent  se  trouve  dans 
Adgar  (XXXIX,  88),  dans  le  Saint  Gilles  (au  vers  46e),  etc. 

On  peut  considérer  que  souloira  été  attiré  par  vouloir  ;  les  formes 
communes  aux  deux  verbes  sont  nombreuses,  et  il  n'y  a  rien  déplus 
naturel  que  de  voir  leurs  prétérits  prendre  des  formes  analogues  ; 
celui  de  souloir  appartient  réellement  en  anglo-français  à  la  quatrième 
classe  des  prétérits  en  ui.  On  trouve  au  xii*  siècle  la  lormc  en  oit 
assez  fréquemment  (cf.  par  exemple  dans  Adgar  I  E!g.  19  ;  dans  le 
Tristan  de  Thomas,  vers  2121,  etc.). 


6ié  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

Comme  pour  volt,  la  consonne  se  vocalise  devant  le  /  :  soiil  se 
trouve  dans  Adgar  (au  vers  15  de  V  Eg.)  ;  aussi  dans  le  Josaphat  de 
Chardri(au  vers  157);  cette  même  forme  est  employée  à  la  rime  dans 
la  Satire  où  elle  rime  avec  dout  (au  folio  80  v°)  ;  Robert  deGretham 
s'en  sert  aussi  (cf.  au  folio  44  v°). 

Il  y  a  enfin  une  forme  assez  commune  dans  la  langue  littéraire 
pour  le  prétérit  de  ce  verbe  :  c'est  la  forme  selt,  sent.  On  la  trouve 
pour  la  première  fois  à  la  rime  dans  le  Saint  Laurent  au  vers  291, 
(:  veut)  (cf.  aussi  dans  le  corps  du  vers  dans  Adgar  (XXXIII,  38); 
les  vers  1202  et  1564  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire  et  le  folio  90  v°  a 
des  Dialogues  Saint  Grégoire). 

Nous  rencontrons  aussi  quelquefois,  par  exemple  dans  la  Vie  de 
Saint    Grégoire,  seult  qui  est  une  contamination  entre  seh  et  sent. 

Ce  verbe  semble  être  tombé  en  désuétude  au  xiv^  siècle;  du 
moins  nous  n'avons  relevé  aucun  exemple  de  son  prétérit  à  cette 
époque  ;  on  pourrait  même  dire  qu'il  cesse  d'être  employé  après 
1250. 

Toutes  les  troisièmes  personnes  de  la  cinquième  classe  montrent 
une  régularité  plus  grande  que  celle  de  n'importe  laquelle  des 
autres  classes.  Au  singulier,  nous  trouvons  régulièrement  //,  et  les 
exemples  de  la  forme  correcte,  aux  trois  siècles  de  la  littérature 
anglo-française,  sont  si  communs  qu'il  est  absolument  inutile  d'en 
citer. 

Les  quelques  changements  que  nous  venons  de  signaler  n'ont  que 
peu  d'importance  ;  nous  trouvons  toujours  ///  pour  //  ;  cette  graphie 
se  trouve  dans  les  textes  du  \u^  siècle,  mais  o-n  peut  l'attribuer  au 
siècle  suivant;  citons  dans  Thomas  (vers  1285)  :  valiiit. 

A  la  fin  du  xiv^  siècle  quelques  graphies  vraiment  irrégulières 
font  leur  apparition  ;  la  diphtongue  0//  (par  attraction  des  formes  en 
ou  de  la  première  classe)  est  employée  par  Nicolas  Trivet  dans 
m  or  oust  (au  foho  17  v";  au  folio  7  r°)  ;  mais  ces  formes  n'appar- 
tiennent déjà  plus  à  la  langue  littéraire  ;  nous  pouvons  plus 
sûrement  les  regarder  comme  les  fiiutes  d'un  scribe  ignorant. 

Seules  les  formes  régulières  avec  u  ou  plus  rarement  m/  sont 
employées  dans  les  textes  non  littéraires. 

Les  formes  du  pluriel  sont  aussi  correctes  ;  elles  sont  toujours  en 
rent,  rarement  en  iiirent. 

Nous  pouvons  maintenant  dire  un  mot  des  formes  du  verbe  être. 


LE    riŒTÉRIT  617 

La  première  personne  du  singulier  est  en  ///,  quelquefois  en //  (comme 
dans  Thomas  au  vers  1630;  dans  la  Folie  au  vers  333  ;  au  vers  40 
du  Siège  de  Carlaverok  ou  dans  Pierre  de  Langtoft,  I,  188,  7). 

La  troisième  personne  du  singulier  est  le  plus  souvent  régulière  ; 
elle  se  présente  aussi  sous  l'une  des  formes  suivantes  -.fuit  ou  fuist, 
comme  dans  Nicolas  Trivet  (5  r°)  et  généralement  dans  le  Law 
French  (Year  Books  13  et  14  Edw .  III,  203,  239). 

Fust,  fil,  feu,  fent,  fciist  sont  des  formes  très  communes  (cf. 
Pierre  de  Langtoft,  II,  106,  21  ;Mem.  Pari.,  1305,5  §  7,  57,  98,  113, 
etc.).  On  peut  dire  généralement  qu'elles  se  rencontrent  dans  tous 
les  textes  politiques,  diplomatiques  et  familiers,  légaux.  Une  forme 
plus  rare  c'est  fiiht  dans  les  Royal  Letters  Henry  III  (1265,  ^j  293). 
Toutes  les  autres  formes  sont  régulières  ;  faisons  observer  qu'au 
pluriel  ///  pour  u  est  commun.  Des  formes  plus  rares  se 
rencontrent  à  l'occasion  ;  ainsi  fusrent  avec  s  parasite  dans  Jean  de 
Peckham(i346,  79);  fuierent  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1332, 
426  ;  1335,  581)  ■,juerent  dans  le  Year  Book  14  Edw.  111(277). 


LES  RIMES 

Nous  terminons  notre  étude  sur  le  son  vocalique  des  cinq 
classes  de  prétérits  en  ni  par  une  sorte  de  tableau  qui  donnera  les 
diiférentes  rimes  que  nous  avons  relevées  entre  les  troisièmes  per- 
sonnes de  classes  différentes.  Ce  sera  comme  un  résumé  de  ce  que 
nous  avons  dit  sur  les  changements  des  sons  vocaliques  dans  les 
troisièmes  personnes  des  prétérits  en  ni. 

Nous  pourrons  suivre  ainsi  pas  à  pas,  non  pas  tous  les  change- 
ments que  ces  prétérits  ont  subis,  ce  qui  était  expressément  le  but 
des  pages  qui  précèdent,  mais  le  grand  travail  d'assimilation  qui 
s'est  effectué.  D'abord,  voici  les  classes  dont  les  troisièmes  per- 
sonnes riment  dès  l'origine  : 

Dans  le  Cumpozet  le  Bestiaire,  III  rime  avec  V  : 

aparut  :  curiut,  Cumpoz  907  ;   cuncut  :  nparut,  Bestiaire  428. 

Dans  Gaimar,  II  rime  avec  V  : 

dut  :  morut,  5 142. 

Par  conséquent,  ces  trois  classes,  comme  il  est  naturel,  ont  à  la 
troisième  personne  du  singulier  le  même  son  vocalique  et  riment 


érS  l'évolutiox  du  verbe  en  anglo-français 

librement  entre  elles.  Ceci  est  très  régulier  ;  mais,  peu  après,  nous 
allons  trouver  des  rimes  qui,  étymologiquement,  le  sont  moins. 

Dans  Adgar,  nous  assistons  à  la  confusion  des  sons  des  diffé- 
rentes désinences.  D'abord  I  rime  avec  III  : 

plol  :  récent,  XXI,   151. 

curent  :  reçurent,  XV,  83  ;  XX,  43. 

ureiit  :  apercenrent ,  XMI,  85. 

On  trouve  quelques  rimes,  rares  du  reste,  dans  lesquelles  il  entre 
un  verbe  delà  première  classe  et  un  verbe  de  la  cinquième  : 

ont  :  murnt,  XXVIII,  191. 

eurent  :  cururent,  XXVI,  i  r. 

Les  rimes  entre  III  et  V  sont  évidemment  très  nombreuses  : 

reçut  :  valut,  IX,  86. 

conui  :  niurut,  I,  Eg.  68. 

conurent  cururent,  VI,  2,  252. 

Les  prétérits  de  la  deuxième  classe  riment  aussi  avec  ceux  de  la 
cinquième  : 

dut  :  niurut,  III,  13. 

dut  :  aparut,  VII,  69. 

est  ut  :  morust,  I  R,  46. 

estut  :  aparut,  XVII,  1057. 

Je  ne  cite  pas  tous  les  exemples  pour  les  deux  derniers  groupes 
de  rimes  (rimes  entre  III  et  V,  entre  II  et  V);  si  même  j'en  donne 
plus  que  l'occasion  ne  semble  le  comporter,  c'est  uniquement  pour 
montrer  d'un  seul  coup  d'œil  combien  les  rimes  entre  I  etlll,  et  entre 
I  et  V  sont  rares  encore  chez  Adgar.  Nous  ne  voyons  aucun  chan- 
gement dans  un  sens  ou  dans  l'autre  dans  les  rimes  de  Thomas  ;  on 
trouve  une  seule  rime  qui  accouple  un  prétérit  de  I  avec  un  pré- 
térit de  V:  ut  :  murnt,  3067. 

Sœur  Clémence  de  Barking  fait  rimer  une  fois  I  et  III  :  Vie  de 
Sainte  Catherine,  vers  1376: 

pJut   :  crut. 

Pour  en  finir  avec  les  rimes  de  ce  siècle,  dans  le  Saint  Gilles, 
nous  trouvons  que  III  rime  fréquemment  avec  II  : 

/'///  :  crut,  689.  Cf.  1289,  2765,  3371. 

Nous  voyons  donc  que  depuis  le  commencement  de  la  seconde 
moitié  du  xii^  siècle,  toutes  les  classes  des  prétérits  en  ni  riment 
entre  elles;  il  n'y  a  qu'une    exception  :    la  première  classe  ne  rime 


LE    PRÉTÉRIT  619 

jamais  avec  la  seconde.  Faut-il  admettre  que  ces  deux  classes  ne 
pouvaient  rimer  ?  Il  semble  difficile  de  l'admettre;  il  faudrait  pour 
cela  croire  que  la  troisième  et  la  cinquième  classe  avaient  à  la  troi- 
sième personne  du  singulier  deux  sortes  de  terminaisons  :  l'une 
qui  pouvait  rimer  avec  la  première  classe,  l'autre  rimant  exclusive- 
ment avec  la  seconde.  Cette  hypothèse  n'est  évidemment  pas 
admissible  ;  nous  avons  vu  toutes  les  désinences  de  chaque  classe, 
et  rien  ne  peut  nous  foire  croire  que  la  prononciation  de  ces  ter- 
minaisons n'ait  pas  été  à  chaque  période  uniforme.  Ce  qui  peut 
plus  justement  retenir  notre  attention^  c'est  le  très  petit  nombre 
de  rimes  montrant  les  formes  analogiques  dans  les  prétérits  de  la 
première  classe  ;  ceci  peut  s'expliquer  par  deux  considérations  : 
d'abord  l'assimilation  de  la  première  classe  aux  deux  autres  a  été 
progressive  et  les  formes  nouvelles  ont  certainement  existé  côte  à 
côte  avec  les  anciennes,  au  lieu  de  les  supplanter  d'un  jour  à  l'autre. 
Pendant  longtemps  les  formes  archaïques  ont  pu  sembler  plus  régu- 
lières. 

Ensuite  le  nombre  des  prétérits  de  la  première  classe  et  de  la 
seconde  est  de  beaucoup  inférieur  à  celui  des  autres  classes. 

Ces  deux  considérations  expliquent  suffisamment  pourquoi  il  se 
trouve  qu'on  ne  rencontre  aucune  rime  entre  I  et  II,  ensuite  pour- 
quoi il  est  en  somme  rare  de  trouver  des  troisièmes  personnes  de  î 
rimant  avec  des  troisièmes  personnes  de  III  ou  de  V. 

Il  est  donc  légitime  de  conclure  que  les  troisièmes  personnes  des 
trois  classes  des  prétérits  en  ///  riment  depuis  le  milieu  du  xii''  siècle, 
plus  exactement  depuis  iiéo. 

Il  ne  serait  donc  pas  très  utile  de  poursuivre  cette  étude  des  rimes 
plus  avant  dans  le  siècle  suivant  ;  cependant  il  est  peut-être  pré- 
férable de  chercher  dans  les  premiers  écrivains  du  xiii''  siècle  un 
complément  d'exemples  montrant  sans  doute  possible  que  la  con- 
fusion des  terminaisons  s'est  établie.. Ces  exemples  se  trouvent  faci- 
lement dans  Frère  Angier,  Robert  de  Gretham,  et  le  Saint  Laurent  ; 
il  ne  sera  pas  nécessaire  de  descendre  plus  bas;  nous  ne  citerons 
maintenant  que  les  rimes  qui  importent,  c'est-à-dire  les  rimes  de  I 
avec  II  et  avec  III. 

Nous  trouvons  les  exemples  suivants  de  rimes  entre  I  et  II  ; 
remarquons  que  ce  sont  les  premiers  exemples  de  ce  geinv  que 
nous  avons  rencontrés  : 


620  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

plut  :  comment.  Psautier  à  rimes  couées  (Harléien  4070)  au  vers 
1027  b. 

iiiî  :  mut,  Chardri,  Petit  Plet,  1087. 

sut  :dut,  Saint  Laurent,  144, 

Aussi  out  :  estot,  Robert  de  Gretham,  29  r" 

txpoiit  :  dont,  Robert  de  Gretham,  95  v°. 

Entre  les  verbes  de  I  et  ceux  de  III  les  rimes  sont  plus  nom- 
breuses : 

plut  :  aperçut.  Dialogues  Saint  Grégoire,  lé  v°  a. 

put  :  aperçut.  Dialogues  Saint  Grégoire,  135  v°  b. 

lit  :reconut.  Saint  Laurent,  230. 

tust:estut,  Genèse,  66  v°. 

urent  :  crurent,  Robert  de  Gretham,  59  v°.  De  même  : 

tut  :  fut.  Dialogues  Saint  Grégoire,  49  v°  b. 

put  :  fut,  Robert  de  Gretham,  38  r°. 

eut  :fut,  Plainte  d'Amour,  854. 

eurent  .-furent,  Genèse,  66  \°. 

Nous  ne  citons  que  quelques-unes  des  rimes  qu'on  rencontre 
pendant  la  première  moitié  du  xiii^  siècle  et  l'on  peut  voir  comme 
leur  nombre  s'est  accru  :  le  travail  d'unification  a  fait,  immédiate- 
ment après  1200,  les  plus  grands  progrès.  Vers  le  milieu  de  ce 
siècle,  et  probablement  quelque  temps  auparavant,  l'unification  est 
entièrement  terminée.  Cependant,  comme  nous  l'avons  fait  remar- 
quer dans  les  pages  précédentes,  les  formes  étymologiques  subsis- 
teront jusqu'à  la  fin  de  la  littérature  anglo-française  et  resteront 
toujours  celles  qu'on  emploie  le  plus  régulièrement  ;  mais  les 
formes  analogiques  se  trouveront  pendant  plus  d'un  siècle  et  demi 
côte  à  côte  avec  elles.  Et  ceci  est  bien  caractéristique  du  dialecte 
anglo-français . 

DIÉRÈSE  ET  SYNÉRÈSE  ' 

La  dernière  question  que  soulève  la  voyelle  en  hiatus  des  prété- 
rits en  ui  a  une  très  grande  importance  :  c'est  celle  de  la  synérèse 
qui  se  produit   dans  certaines  formes  et  à  certaines  personnes  :  la 

I.  On  peut  consulter  sur  ce  point,  H.  Suchier,  Ueber  die...,  p.  2  ;  surtout  l'ar- 
ticle sur  le  Dialecte  du  Saint  Leodegar,  Zeitschrift  II,  p.  281,  et  aussi,  Zeitschrift  I, 
p.  569.  Voir  aussi  Tohler,  Versification,  p.  41. 


LE    PRÉTÉRIT  621 

deuxième  personne  du  singulier,  la  première  et  la  deuxième  per- 
sonne du  pluriel  des  verbes  des  trois  premières  classes. 

Nous  n'avons  pas  pu  relever  un  nombre  très  considérable 
d'exemples  ;  ceux  que  nous  avons  cependant  suffisent  pour  nous 
montrer  que  la  diérèse  subsiste  pendant  tout  le  xu"  et  pendant  une 
grande  partie  du  xiii^  siècle. 

Pour  la  deuxième  personne  du  singulier,  nous  trouvons  un 
nombre  assez  restreint  de  cas  de  hiatus  dans  les  différents  poèmes 
du  xii^  siècle  ;  chacune  des  trois  premières  classes  est  cependant 
représentée,  la  première  par  uiis  que  nous  lisons  au  vers  1598  du 
Voyage  de  Saint  Brandan  ;  eiïs  au  vers  955  de  la  Chronique  de 
Jordan  Fantosme: 

Ne  n'eus  une  en  terre  de  rei  si  grand  honur  ; 

OU  encore  oiis  des  Distiques  de  Caton  d'Elie  de  Winchester  : 

Cum  les  oûs  devant. 

Pour  la  seconde  classe^  nous  avons  relevé  iiioils  au  vers  774  du 
Voyage  de  Saint  Brandan;  rcceus,  de  la  troisième,  se  lit  dans  la  Vie 
de  Saint   Grégoire,  au  vers  1359. 

Pendant  le  siècle  suivant,  les  exemples  ne  sont  pas  non  plus 
très  fréquents  ;  citons  eiis,  au  vers  955  du  Roman  des  Romans  : 

Tu  n'en  eus  plus  ke  trente  deners  ; 

et  on  pourrait  peut-être  en  trouver  quelques  autres  encore. 

Aux  autres  personnes,  il  nous  semble  que  les  exemples  de  dié- 
rèse sont  plus  communs,  mais  nous  ne  voulons  pas  allonger  outre 
mesure  la  liste  de  nos  citations.  Dans  le  Tristan  de  Thomas,  nous 
trouvons  avec  l'hiatus  eiuiies,  heiDiies  (aux  vers  2428  et  2493),  et  il 
est  conservé  encore  jusque  dans  le  Saint  Auban  ;  eiivies  se  lit  au 
vers  1522  de  ce  poème  : 

Puis  i<e  les  eûmes  truvez  e  eschoisi. 

A  la  seconde  personne  du  pluriel,  nous  pouvons  citer  eftstes  qui 
se  lit  dans  un  grand  nombre  de  poèmes,  comme  au  vers  1509  du 
Tristan  de  Thomas,  469  de  la  Folie,  etc.  ;  soûsles:^\i  vers  661  de  ce 
dernier  poème  ;' /'c/'/j/^'j,  ibid., au  vers  472  ;  dcceilstcs  au  vers  1589  de 


622  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Tristan.  Au  siècle  suivant,  le  nombre  d'exemples  est  encore  assez 
considérable  ;  on  peut  citer  eiisfcs  dans  Robert  de  Gretham  (80  v°), 
et  dans  les  Chansons  (I,  19).  On  en  trouve  même  dans  le  Saint 
Auban,  comme  le  eiisies,  cité  par  Suchier,  mais  que  nous  n'avons 
pas  retrouvé,  et  le  peïistes  du  vers  47  : 

E  en  quele  manere  peùstes  vus  passer? 

Dans  le  Poème  Allégorique  (I,  19),  nous  relevons  un  cas  assuré 
de  diérèse  dans  seiistes. 

Au  xiv^'  siècle,  il  est  difficile  de  pouvoir  se  rendre  compte  du 
nombre  de  syllabes  des  terminaisons  de  ces  trois  personnes  ;  nous 
n'aV'Ons  relevé  dans  les  œuvres  en  vers  aucun  exemple  qui  puisse 
nous  fournir  une  preuve  assurée  de  diérèse  au  prétérit. 

Par  contre  il  arrive  au  xiii*-'  siècle  qu'on  trouve  des  diérèses  qui 
ne  sont  pas  étymologiques.  On  en  relève  quelquefois  à  des  per- 
sonnes où  elle  est  régulière,  mais  dans  des  verbes  où  elle  ne  l'est 
pas,  comme  feiiiiies,  cité  par  M.  Suchier,  exemple  du  Saint  Auban 
(vers  1450). 

Les  autres  cas  de  diérèses  non  étymologiques  se  trouvent  à  la 
troisième  personne  du  pluriel.  Comme  on  le  sait,  cette  terminaison 
est  régulièrement  monosyllabique  en  orent  ou  en  tirent,  -et  le 
nombre  de  cas  où  cette  terminaison  a  le  nombre  régulier  de  syl- 
labes est  considérable'.  Voici  cependant  quelques  cas  où  l'in- 
fluence des  personnes  imparisyllabiques  s'est  tait  sentir. 

Dans  les  Légendes  de  Marie  d'Adgar,  où  les  troisièmes  personnes 
régulières  sont  en  grand  nombre,  on  trouve  eurent  (IV,  84  ;  XVII, 
85),  seiiient  (XX,  274): 

Del  miracle  grant  joie  eurent, 
Tuit  ensemble  grant  joie  eurent, 
Li  citedein  mot  ne  seûrent. 

Pour  les  verbes  de  la  seconde  classe,  Adgar  est  encore  le  seul  qui 
nous  offre  un  exemple  de  diérèse  irrégulière  à  la  troisième  personne 
du  pluriel.  On  trouve  chez  lui  ineiïrenf  (XXll,  89)  : 

Meurent  sei  li  vent  trestuit. 

I.  Le  Cunipoz,  le  Brandan,  le  Bestiaire,  Fantosme,  Saint  Gilles,  Guischart  de 
Beauliu  n'ont  que  des  exemples  réguliers. 


LE    PRÉTÉRIT  623 

et  il  a  encore  au  moins  un  exemple  pour  un  verbe  de  la  troi- 
sième classe,  (ipcrceûreiit,  IV,  83  : 

Quand  li  moine  s'aperccùrent. 

Il  est  aussi  très  probable  que  nous  en  avons  un  autre  cas  dans 
le  Tristan  de  Thomas  au  vers  203  5  : 

Ne  s'en  aperceùrent  nient. 

En  effet  sur  les  huit  exemples  de  nienl  qui  se  retrouvent  dans 
ce  poème,  il  n'y  en  a  qu'un,  si  l'on  fait  abstraction  de  l'exemple 
précédent,  qui  nous  montre  ce  mot  dissyllabique,  et  encore  nous 
croyons  que  même  dans  ce  cas  nient  n'est  compté  que  pour  une 
syllabe  (vers  136)  '. 

Nous  avons  rencontré  quelques  exemples  semblables  dans  les 
auteurs  du  xiii''  siècle  ;  citons  dans  les  Dialogues  Grégoire  le 
Grand  dirent  (102  r°  b)  et  aparccnroit  (130  v"  b).  Il  semble  d'après 
les  exemples  précédents  que  ce  soit  le  verbe  apercevoir  qui  montre 
le  plus  souvent  la  diérèse  irrégulière  à  la  troisième  personne  du 
pluriel  de  son  prétérit.  Nous  n'avons  pas  relevé  d'exemple  de  dié- 
rèse bien  assurée  postérieurement  à  Frère  Angier.  Citons  cepen- 
dant courent  qui  nous  semble  avoir  trois  syllabes  (Apocalypse,  7, 

Adgar,  Thomas  et  Frère  Angier  sont  donc  à  peu  près  les  seuls 
auteurs  qui  nous  présentent  un  certain  nombre  de  cas  de  diérèses 
irrégulières  à  la  troisième  personne  du  pluriel  ;  ils  n'en  fournissent 
d'ailleurs  aucun  à  la  troisième  personne  du  singulier.  Cette  dernière 
irrégularité  semble  spéciale  à  certains  auteurs  du  xiii''  et  du  xiV  siècle; 
nous  n'en  citerons  d'ailleurs  qu'un  petit  nombre  de  cas  que  nous 
choisirons  parmi  ceux  qui  nous  sembleront  les  plus  sûrs,  ou  les 
plus  caractéristiques.  Nous  en  relevons  un  assez  douteux  dans  les 

I .  Voici  ce  vers  : 

Que  petit  mci  aime  u  nient. 

Il  faut  probablement  ne  pas  faire  l'élision  de  l'i*  lin.d  de  aime  (cl.  Désinences 
personnelles,  troisième  personne  du  singulier,  la  dentale  caduque  finale,  p.  8j). 
En  admettant  la  diérèse  dans  dpercenroit  et  la  non  élision  dans  aime,  nient 
serait  toujours  monos\'llabique,  ce  qui  est  le  cas  du  reste  dans  la  Folie  de  Tris- 
tan . 


624  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Set   Donnans  de  Chardri,  qu'on  peut    du    reste   faire  disparaître 
assez  facilement  (au  vers  204)  : 

Rcceùt  bons  od  les  mauveis. 

Il  faut  probablement  lire  ici  :  les  bons  od  les  mauveis. 

Au  vers  141  de  la  Petite  Philosophie,  nous  relevons  une  troi- 
sième personne  du  singulier  avec  un  e  irrégulier  en  hiatus  :  conceûst 
qui  compte  pour  trois  syllabes.  Dans  la  Genèse  Notre-Dame,  nous 
rencontrons  un  exemple  analogue  :  crd'it  (au  folio  73  r°).  Cer- 
tains auteurs  du  xiv^  siècle  semblent  affectionner  cette  forme,  par 
exemple  Nicole  Bozon  ;  dans  ses  Vies  de  Saints  (au  folio  92  v°), nous 
lisons  comefist  (trois  syllabes)  et  dans  le  court  poème,  la  Vie  de 
Saint  Paul  l'Ermite,  nous  en  avons  au  moins  deux  exemples  assu- 
rés (aux  vers  137  et  240): 

Par  le  lou  apparceùt  tôt 

Dount  il  resceût  graunt  counfort 

Il  est  certain  que  nous  pourrions  dans  les  autres  poèmes  de  ce 
même  siècle  rencontrer  d'autres  exemples  analogues  ;  il  nous  a 
semblé  toutefois  qu'aucun  écrivain  de  cette  période  n'en  présente 
autant  que  Nicole  Bozon  ;  en  particulier  nous  n'en  avons  rencon- 
tré aucun  d'assuré  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtott. 

En  résumé  les  cas  de  diérèse  sont  rares  et  tardifs  à  la  troisième 
personne  du  singulier  :  on  pourrait  presque  les  négliger.  A  la  troi- 
sième personne  du  pluriel  ils  sont  trop  fréquents  et  souvent  trop 
bien  caractérisés  pour  être  mis  en  doute  ;  mais  ils  ne  se  trouvent 
que  dans  un  petit  nombre  d'auteurs  et  ne  peuvent  être  considérés 
comme  tout  à  fait  caractéristiques  en  anglo-français. 

Il  est  donc  assez  évident  que,  malgré  une  certaine  tendance  dans 
ce  sens,  la  diérèse  n'a  pas  réussi  à  s'étendre  beaucoup  en  anglo- 
français  ;  et  l'une  des  raisons  qui  expliquent  son  peu  d'action  sur 
les  personnes  qui  ne  présentent  pas  l'hiatus  régulièrement,  c'est 
qu'elle  n'a  pas  cessé  de  perdre  du  terrain  dans  les  personnes  où  elle 
était  étymologique.  Dès  les  premiers  temps  de  l'anglo-français, 
nous  voyons  que  la  synérèse  s'effectue  de  temps  en  temps  aux  trois 
personnes  où  il  y  avait  hiatus.  Au  xii^  siècle,  nous  en  relevons 
quelques  cas  qui  ne  sont  pas  douteux  :  le  premier  se  trouve  dans 
les  Légendes  d'Adgar  :  eûmes  (XIX,  106)  : 

Par  une  femme  eûmes  cumfort. 


LE    PRÉTÉRIT  625 

Un  autre,  beaucoup  plus  douteux,  se  lit  dans  la  Folie  Tristan  : 
bu))ics  au  vers  47 1  : 

De  un  hauap  bûmes  andui  '. 

Mais  c'est  surtout  au  siècle  suivant  que  nous  voyons  se  mani- 
fester le  plus  clairement  la  tendance  à  effectuer  la  synérèse  ;  nous 
n'en  citerons  que  quelques  cas.  A  la  deuxième  personne  du  singu- 
lier, nous  trouvons  : 

Receiis  au  vers  1359  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire  ;  et  un  demi- 
siècle  plus  tard,  peus  dms  le  Saint  Auban,  exemple  cité  par  M. 
Suchier,  mais  que  nous  n'avons  pas  retrouvé  ;  enfin  5d'//^  au  vers 
344  du  même  poème  : 

Sauf  (lire  :  sauve)  tun  cors  demeine  cum  sauver  seuz  autri. 

Nous  avons  rencontré  encore  dans  ce  même  poème  d'autres 
exemples  de  synérèse  à  la  première  personne  du  pluriel  ;  au  vers 
1146,  nous  lisons  r/'t7////('j"  : 

Créâmes  ke  de  sa  (lire  s')  emprise  fust  ja  ben  repentant. 
et  au  vers  1273,  eûmes  : 

Nos  veisins  e  amis  e  parens  k'eumes  cher. 

Comme  on  le  voit,  les  cas  de  synérèse  ne  sont  pas  nombreux  au 
xii'^  siècle  ni  même  au  commencement  du  xiii^  C'est  le  poème 
du  Saint  Auban  qui  nous  en  montre  le  premier  un  nombre  assez 
considérable. 

Au  xiv^'  siècle,  le  prétérit  se  trouve  assez  rarement  employé, 
surtout  pour  cette  classe  de  prétérits,  de  sorte  que  nos  exemples  ne 
sont  jamais  très  nombreux  ;  si  on  ajoute  à  cela  que,  pour  les 
exemples  que  nous  pouvons  rencontrer,  le  nombre  de  syllabes  est 
souvent  impossible  à  déterminer  à  cause  de  l'irrégularité  de  la  ver- 

I.  M.  Bédier  rétablit  :  D'un.  .  .beùmes.  .  .  ;  ce  qui  semble  très  justifié.  Nous  ne 
comptons  pas  ici  le  pus  du  Tristan  de  Thomas,  vers  2273,  donné  par  M.  Bédier 
comme  un  prétérit,  Lexique,  car  en  réalité  c'est  une  première  personne  du  présent 
de  l'indicatif: 

E  Dcus  !  pur  quel  ne  pus  mûrir, 
duand  perdu  ai  que  plus  désir. 

40 


62é  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 

sification,  on  comprendra  que  nous  sommes  réduits  à  ne  donner 
qu'un  tout  petit  nombre  de  cas  de  synérèse.  Cependant  les  textes 
que  nous  avons  lus  nous  ont  laissé  au  moins  une  impression, 
que  nous  ne  pouvons  pas  toujours  prouver  très  clairement  : 
c'est  que,  pour  la  plupart  des  auteurs  de  la  fin  du  xiii''  et  du 
xiV  siècle,  la  voyelle  en  hiatus  ne  doit  pas  compter  dans  la  mesure 
du  vers  (cf.  principalement  William  de  Waddington,  Pierre  de 
Langtoft,  etc.).  Nous  pouvons  donner  comme  exemples,  dans  les 
Heures  de  la  Vierge  :  receiistes  (au  folio  65  v°)  ;  dans  Pierre  de  Lang- 
toft :  receii-  (cf.  II,  208,  5).  Nous  ne  citerons  pas  plus  d'exemples 
pour  le  moment,  ceux  que  nous  venons  d'énumérer  nous  per- 
mettent de  conclure  que  : 

■1°  La  diérèse  a  été  conservée  dans  la  grande  majorité  des  cas 
pendant  le  xii^  et  la  plus  grande  partie  du  xiii^  siècle. 

2°  Elle  semble  avoir  été  commune  même  pendant  le  xiv^  siècle. 

3°  Les  cas  de  diérèse  irrégulière  restent  assez  rares,  excepté  chez 
un  petit  nombre  d'auteurs;  cette  diérèse  peut  affecter  soit  des  pré- 
térits pour  lesquels  elle  n'est  pas  étymologique,  ce  qui  est  très  rare, 
soit  des  personnes  qui  ne  devraient  pas  l'avoir. 

4°  C'est  vers  11 60  que  nous  rencontrons  les  premiers  cas  de 
synérèse  ;  mais  la  synérèse  est  très  rare  pendant  les  dernières 
années  de  ce  siècle,  et  à  peine  plus  commune  pendant  la  première 
partie  du   siècle  suivant. 

5°  Il  semble  qu'elle  soit  devenue,  sinon  la  règle,  au  moins  très 
commune  à  partir  de  1250  (Saint  Auban)  et  pendant  lé  xiV^ 
siècle. 

LA    consonne   de  LA   TERMINAISON   DANS  LES  CINa  CLASSES 

Nous  avons  déjà  étudié  (cf.  Désinences  personnelles,  troisième 
personne  du  singulier)  la  chute  de  la  dentale,  puis  l'introduction 
d'une  s  non  étymologique  à  la  troisième  personne  du  singulier. 
Nous  avons  maintenant  à  revenir  sur  ce  dernier  point,  et  à  reprendre 
la  même  question  à  un  autre  point  de  vue.  Nous  allons  voir  main- 
tenant quelles  sont  les  classes  qui  ont  été  le  plus  affectées  par 
cette  s  paragogique  et  dans  quel  ordre  elles  ont  été  atteintes. 

C'est  dans  les  textes  du  xii*^  siècle  que  nous  trouvons  les  pre- 
miers exemples  de  la  terminaison  st  dans  les  prétérits  en   ///,  et  ce 


LE    PRÉTÉRIT  627 

sont  les  verbes  de  la  cinquième  classe  qui  sont  les  premiers  à  la 
prendre.  Mais  les  premiers  cas  que  nous  rencontrons,  lorsqu'ils 
sont  à  la  rime,  montrent  que  ces  formes  riment  bien  avec  les  formes 
sans  s  ;  les  premiers  exemples  assurés  que  nous  trouvions  de  la  pré- 
sence de  1'^  datent  de  la  seconde  moitié  du  xii"^  siècle.  En  effet  la 
première  rime  significative  se  trouve  dans  les  Légendes  de  Marie 
d'Adgar  ;  on  y  lit  iimrnist  (prétérit)  à  la  rime  avec  fust.  Dans  le 
corps  du  vers  des  auteurs  de  cette  époque,  les  exemples  sont  beau- 
coup plus  communs,  mais  ils  peuvent  pour  la  plupart  appartenir 
aux  scribes.  Quelques-uns  de  cesexemples  cependant  doivent  appar- 
tenir à  la  fin  du  xir'  ou  au  commencement  du  xiii^  siècle  ;  ce  sont 
ceux  qu'on  lit  dans  le  manuscrit  R  de  Gaimar  : ///o;7/5/  (au  vers  1273), 
panist  (au  vers  2252).  Dans  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme, 
nous  relevons  plusieurs  formes  semblables;  citons  estciisl  (au  vers 
13  19,  peut-être  un  imparfait  du  subjonctir), //^5/,  certainement  un 
prétérit. 

En  un  mot,  la  plupart  des  poèmes  de  la  fin  du  xii"^  siècle  en 
présentent  quelques  cas,  qui  peuvent  du  reste  appartenir  aux 
scribes  et  dater  du  xiii'^  siècle. 

Il  faut  remarquer  que  tous  ces  exemples  nous  montrent  la 
désinence  iist  des  verbes  de  la  cinquième  classe.  La  seule  exception 
que  nous  connaissions  serait  esteust  que  nous  venons  de  citer  et 
qui  est  loin  d'être  sûr. 

Ce  n'est  que  plus  tard,  vers  1250,  que  les  verbes  de  la  seconde 
et  de  la  troisième  classe  suivent  l'exemple  de  ceux  de  la  cinquième. 
Les  premiers  exemples  que  nous  en  ayons  relevés  se  lisent  dans  le 
poème  de  Boeve  de  Haumtone  ;  et  évidemment  ici  nous  devons 
hésiter  avant  d'attribuer  à  l'auteur  les  formes  que  nous  rencontrons, 
comme  dust  qui  se  trouve  au  vers  1590.  Cette  même  forme  se 
trouve  encore  au  vers  2496  de  William  de  Waddington  ;  Ditist  est 
employé  au  vers  75  de  The  Song  of  the  Barons.  Et  d'une  façon 
générale  les  formes  analogues  abondent  au  siècle  suivant. 

Quant  aux  prétérits  de  la  première  classe,  il  semble  que  c'est  à 
la  même  époque  que  les  formes  irrégulières  se  rencontrent  ;  et  ici 
nous  devons  faire  ime  distinction  nécessaire  :  les  terminaisons  en  u 
et  en  eu  prennent  1'.^  en  même  temps  que  les  verbes  de  la  seconde 
et  de  la  troisième  classe,  par  exemple  eitst  au  vers  468  de  Boeve  de 
Haumtone;  iiist  qu'on  peut  lire  au  folio  66  v"  de  la  Genèse    et  au 


628  l'évolution  nu  verbe  en  anglo-français 

vers  905 1  du  Manuel  des  Péchés,  ou  encore  pliisl  qui    est  employé 
au  vers  iié  du  Saint  Auban. 

Toutes  ces  formes  sont  communes  au  xiv'^  siècle,  plus  communes 
que  les  formes  correspondantes  sans  s,  surtout  pour  les  radicaux  en 
en  comme  teust,  Pierre  de  Langtoft  (I,  ^§0,  10);  tieust,  Nicole 
Bozon  (Contes,  §  23). 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  prétérits  de  cet.te  classe,  et  ils  sont 
nombreux,  comme  nous  l'avons  vu,  qui  conservent  la  forme  éty- 
mologique ;  les  exemples  que  nous  avons  donnés  suffisent  à  mon- 
trer qu'ils  n'ont  pas  cette  consonne  parasite.  Les  exemples  con- 
traires sont  fort  rares  ;  nous  ne  trouvons  que  oust  qu'on  lit  au  vers 
II  de  la  Bounté  des  Femmes  de  Nicole  Bozon.  Il  est  probable  que 
cet  exemple  n'est  pas  absolument  isolé;  mais  il  est  certain  que  les 
formes  analogues  à  celle-là  ne  sont  pas  nombreuses. 

Nous  résumerons  en  ces  quelques  mots  les  lignes  qui  précèdent  : 

Us  parasite  s'introduit  probablement  dans  les  prétérits  en  /// 
vers  la  fin  du  xii''  siècle,  assurément  au  commencement  du  siècle 
suivant. 

Ce  sont  les  prétérits  de  la  cinquième  classe  qui  sont  d'abord 
atteints  et  ils  restent  seuls  sous  cette  forme  au  moins  jusque 
vers  le  milieu  du  xiii^  siècle,  peut-être  plus  tard. 

Vers  ou  après  1250,  nous  voyons  que  toutes  les  autres  classes 
sont  atteintes  à  leur  tour.  Et  nous  ne  découvrons  qu'une  seule 
exception  :  les  prétérits  de  la  première  classe  qui  conservent  la  forme 
étymologique.  Avec  cette  restriction,  tous  les  auteurs  du  xiv^  siècle 
emploient  aussi  librement  que  possible  les  prétérits  en  11  avec  ou 
sans  5  sans  raison  apparente.  Il  en  est  de  même  pour  les  textes  qui 
n'appartiennent  pas  à  la  littérature  ;  les  formes  en  ust  y  sont  extrê- 
mement communes. 

On  peut  probablement  considérer  comme  variante  de  la  graphie 
st  la  forme  qu'on  rencontre  dans  le  Chevalier,  la  Dame  et  le  Clerc; 
on  lit  en  effet  dans  ce  poème  coniiht  (au  vers  563),  contht  (au  vers 
^64),iiioriith  (lire  vioruht,  au  vers  585);  de  même  fuht  se  lit  dans 
les  Royal  Letters  Henry  III  (12^5,  II,  293)  (cf.  Prétérits  en  avi, 
Prétérits  en  /). 


LE   PRÉTÉRIT  629 


ACaUISITIONS   DES    PRETERITS    EN    UI 

Les  prétérits  en  ///  ne  peuvent  montrer  que  très  peu  de  nou- 
velles formes;  c'est  à  peine  s'ils  peuvent  conserver  tous  les  verbes 
qui  leur  appartiennent  régulièrement.  Nous  avons  vu  ester  et 
arester'  ;  avoir,  pouvoir,  vouloir,  passer  plus  ou  moins  fréquemment 
aux  prétérits  en  avi  ;  nous  verrons  un  peu  plus  tard  un  certain 
nombre  de  troisièmes  personnes  du  pluriel  de  ces  prétérits  prendre 
la  forme  des  prétérits  en  si  -.  Cependant  on  relève  aussi  plusieurs 
formes  qui  ont  été  gagnées  par  les  prétérits  en  ///  pendant  le  xiii^  et 
le  xiv^  siècle. 

Nous  croyons  que  pleurer  prend  souvent  cette  forme  ;  nous 
avons  cité  à  propos  de  l'imparfait  la  forme  ploiiroii  (première  per- 
sonne du  singulier)  dans  le  2^  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft  (II, 
446,  10);  ce  qui  pourrait  faire  prendre  cette  forme  pour  un  prétérit, 
ce  sont  les  exemples  suivants,  tous  antérieurs  à  celui  que  nous  venons 
de  citer. 

On  lit  phirurcnt  au  vers  1548  des  Set  Dormans  de  Chardri  ; 
ensuite  on  rencontre  plontt  plusieurs  fois  dans  les  œuvres  de  Frère 
Angier  (aux  vers  1712  et  2655  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  au 
folio  28  v°  a  des  Dialogues)  ;  plurust  se  trouve  dans  la  Genèse  (73 
V"),  et  au  siècle  suivant  aux  folios  92  v°,  94  r°  etc.  des  Vies  de 
Saints  de  Bozon.  On  peut  rapprocher  sinon  deplowaii,  au  moins  de 
pJonit  la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif 
pJiirt  qui  se  rencontre  très  fréquemment  (cf.  Désinences  personnelles, 
y  personne  du  singulier,  page  125).  Pleurer  semble  avoir  subi 
l'influence,  sur  plusieurs  points  de  sa  conjugaison,  d'un  verbe  comme 
mourir. 

1.  Ou  trouve  assez  fréquemment  h\  forme  étymologique  pour  le  prétérit  de  ces 
verbes,  même  au  xiiie  siècle  ;  cf.  Vie  de  Saint  Grégoire,  2801  ;  Dialogues,  96roa  ; 
Chardri,  Set  Dormans,  1041  ;  Robert  de  Gretham,  6  vo  ;  Saint  Auban,  1062. 
Au  xive  siècle,  on  la  rencotitre  encore,  Apocalypse  [B,  1161  ;  Contes  de  Bozon, 
§  80;  Pierre  de  Langtoft,  I,  44,  i  ;  même  les  Year  Books  nous  en  donnent  de 
nombreux  exemples.  Cf.  i  et  2  Edw.  II,  p.  57  ;  ils  ne  connaissent  pas  la  forme 
en  az'i. 

2.  Fo;«//r/;/,  Vie-tle  Saint  Grégoire,  1645  ;  rcqenoistrent ,  ibid.,  z-jS-j  ;  cnistretit, 
Genèse,  70r°;  snslrent.  Manuel  des  Péchés,  9053. 


630  l'évolution  du  verbf,  hn  anglo-français 

Les  autres  cas  de  reformation  ne  se  trouvent  pas  si  souvent 
répétés  ;  ils  sont  au  contraire  tous  isolés  et  peuvent  n'être  que 
l'expression  de  la  fantaisie  individuelle  de  chaque  auteur  ou  de 
chaque  scribe. 

On  relève  par  exemple  au  xiii''  siècle  aferiil  dans  la  Vie  de 
Saint  Grégoire(au  vers  216),  qu'on  retrouve  quelquefois  dans  les 
Year  Books  ;  crciiint  au  folio  121  v°  b  des  Dialogues  et  au  vers  3057 
d'Edward  le  Confesseur.  Siiit  de  suivre  se  trouve  dans  Edward  le 
Confesseur  au  vers  11 52;  ce  dernier  exemple  est  du  reste  assez 
commun,  nous  ne  voulons  pas  insister  sur  cette  forme  qui  appartient 
plus  à  la  phonétique  qu'à  la  morphologie  :  siut  provient  en  effet  de 
siuit  par  la  réduction  à  //  de  la  pseudo-diphtongue  ///. 

Quoique  en  apparence  seulement  une  acquisition  des  prétérits  en 
///,  siut  a  été  traité  comme  appartenant  réellement  à  cette  conju- 
gaison ;  c'est  ainsi  qu'il  prend  la  diphtongue  on  au  folio  92  v°  des 
Vies  de  Saints  de  Bozon.  De  même  esclnivaU,  employé  par  Pierre  de 
Langtoft  (II.  326,  14),  n'est  pas  une  reformation;  iireut  tsx.  ici 
encore  une  réduction  de  iiircnt. 

Sont  de  seoir  qui  est  employé  par  Bozon  dans  ses  Contes  (au  §  92), 
responnt  par  Nicolas  Trivet  (39  v°),  sont  au  contraire  de  véritables 
acquisitions. 

Les  personnes  autres  que  la  troisième  du  singulier  sont  très 
rares  :  nous  venons  d'en  citer  une,  eschurenl  ;  on  peut  ajouter 
niûiijiirent  donné  par  le  ms.  A  de  William  de'Waddington  au  vers 
3671  (B  mangèrent). 

Les  seules  reformations  que  nous  trouvions  en  dehors  des  textes 
littéraires  se  rencontrent  dans  les  Year  Books  et  elles  ne  nous 
arrêteront  pas  longtemps.  Dans  ces  recueils  elles  sont  nombreuses, 
et  souvent  absolument  inattendues;  pour  en  donner  une  idée,  nous 
pouvons  citer  les  formes  suivantes  :  purnisl  de  pourrir  (30  Edw.  P', 
169)  ;  seust  de  suivre  est  très  commun,  par  exemple  on  le  trouve 
dans  33  et  35  Edw.  P'  (185,  etc.)  ;  toiut  et  ternîmes  de  tenir  se 
rencontrent  dans  13  et  14  Edw.  III  (137  et  335);  âemnrrnst  de 
demorer  dans  17  et  18  Edw.  III  (135). 

Ce  ne  sont  à  proprement  parler  que  des  barbarismes. 


LE   PRÉTÉRIT  63 I 

II.  Les  prétérits  forts. 

A.  Les  prétérits  en  i. 

Les  prétérits  forts  en  /  comprennent  les  prétérits  des  verbes  voir, 
tenir  et  venir.  Les  prétérits  de  ces  deux  derniers  verbes  sont  ordi- 
nairement considérés  comme  des  prétérits  en  iii\  et  comme  tels  ils 
font  partie  de  la  même  classe  que  celui  de  vouloir;  cette  division, 
plus  correcte  au  point  de  vue  étymologique,  a  le  désavantage  de 
grouper  dans  la  même  classe  des  verbes  qui  n'ont  pas  à  ce  temps 
une  forme  en  commun  ;  car  tenir  et  venir  ont  des  formes 
analogues  à  celles  des  prétérits  en  i  et  vouloir  appartient  à  la  fois 
beaucoup  aux  prétérits  en  si  et  un  peu  aux  prétérits  en  ///'.  Il  semble 
donc  préférable  d'étudier  ensemble  les  trois  verbes  que  nous  avons 
cités. 

Les  farines. 
I.  Première  personne  du  singulier. 

La  première  personne  du  singulier  est  régulièrement  pour  ces 
trois  verbes  :  vi,  lin,  vin.  Les  deux  dernières  ne  se  rencontrent  du 
reste  jamais  sous  cette  forme  ;  elles  présentent  toujours  la  guttu- 
rale, soit  c,  soit  g.  Pour  les  formes  terminées  par  c,  on  peut  voir  les 
Psautiers  d'Oxford  et  de  Cambridge  (68,  3),  la  Folie  (vers  771), 
etc  ;  pour  g,  les  premières  personnes  qu'on  lit  se  trouvent  dans  le 
Poème  allégorique  (21),  et  au  vers  2452  de  William  de 
Waddington,  etc. 

Ces  deux  personnes,  qui,  du  reste,  ne  sont  pas  très  fréquemment 
employées,  sont  donc  toujours  régulières.  Vi,  de  son  côté,  ne  pré- 
sente pas  de  grandes  irrégularités  ;  on  le  trouve  quelquefois  avec 
une  s  non  étymologique  ;  le  premier  exemple  que  nous  en  ayons 
relevé  se  trouve  dans  le  SaintEdmund  (au  vers  1258)  ;  cette  forme, 
qui  n'est  probablement  qu'une  erreur  du  copiste,  doit  être  reportée 
au  xiv^  siècle  ;  à  cette  époque  du  reste  vis  est  un  peu  plus  com- 
mun ;  on  le  voit  dans  le  2"  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft  (II, 
428,  29)  et  dans  le  Prince  Noir  (vers  1652). 

I.   Cf.  Romaftia  X,  216  (Cornu);  Zeitschrift  II,  257  (Suchier). 


632  L  ÉVOLUTION    OU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Cette  forme  avec  s  ou  '{  n'est  pas  rare  dans  les  textes  non  litté- 
raires ;  nous  la  trouvons  par  exemple  dans  Rymer  :  vi^  (1339,  VI, 
119).  Les  autres  déviations  du  type  normal  sont  plus  rares,  et  même 
dans  les  Year  Books  c'est  la  forme  étymologique  qui  se  rencontre  le 
plus  fréquemment;  nous  trouvons  cependant  à  l'occasion  la  première 
personne  du  prétérit  du  verbe  voir  sous  une  apparence  très  irrégu- 
lière, comme  u\e  qu'on  lit  dans  le  Year  Book  16  Edw.  III  (p.  281). 

2.    Deuxième  personne  du  singulier,  première  et  deuxième  du  pluriel. 

Régulièrement  ces  trois  personnes  prennent  les  formes  suivantes  : 
ve(d)is,  tenis,  venis  ;  ve(d)imes,  tenimes,  venimes  ;  ve(d)istes, 
tenistes,  venistes  ;  la  consonne  intervocalique  se  maintient  dans  le 
cas  de  l'w  et  disparaît  dans  voir  et  ses  composés  ;  il  en  résulte  que 
tenir  et  venir  ont  les  trois  personnes  dont  nous  parlons  extrême- 
ment régulières  ',  tandis  que  celles  de  voir  subissent  quelques 
changements. 

Diérèse  et  synérèse  au  prétérit  de  voir. 

ci)  Diérèse,  —  Au  xii^  siècle,  la  plupart  des  personnes  du  prétérit 
de  voir  qui  présentent  l'hiatus  sont  absolument  régulières  ;  la  diérèse 
subsiste  dans  la  majorité  des  cas  et  il  est  peu  utile  d'en  citer  lors- 
qu'ils concordent  tous  aussi  bien. 

Au  xiii'^  siècle,  il  n'en  va  pas  exactement  de  même";  les  formes 
que  nous  relevons  sont  beaucoup  plus  mélangées  et  les  cas  de 
diérèse  et  ceux  qui  montrent  que  la  synérèse  s'est  effectuée  sont 
librement  employés  dans  chaque  auteur;  il  est  donc  bon  que  nous 
soyons  sûrs  d'un  certain  nombre  de  formes  à  diérèse  à  cette 
époque  et  nous  en  citerons  maintenant  quelques-unes. 

Nous  commencerons  par  le  Saint  Edmund  qui  nous  montre 
quelques  exemples  où  l'hiatus  est  régulièrement  conservé  ;  mais 
nous  n'en  donnerons  qu'un  cas  ;  c'est  le  veïmes  que  nous  lisons  au 
vers  1277  : 

Le  miracle  que  nus  veymes. 

I.  On  lit  cependant  dans  Boeve  devins,  1825  ;  mais  il  vaudrait  mieux  lire 
devenis  : 

Ke  tu  devins  (lire  devenis)  li  home  Boûn  le  fer. 


LE    PRÉTÉRIT   ■  633 

Il  en  va  de  même  pour  la  Vie  d'Edward  le  Confesseur,  qui  nous 
donne  veïstes  au  vers  1020  : 

Veïstes  vus  estranges  puis. 

Les  autres  contemporains  pourraient  nous  aider  à  augmenter  le 
nombre  de  ces  citations  ;  mais  nous  passerons  maintenant  à  la  Vie 
de  Saint  Auban  ;  dans  ce  poème,  les  cas  de  diérèse,  comme  nous 
le  dirons  plus  tard,  sont  moins  communs  que  les  cas  de  synérèse  ; 
nous  trouvons  cependant  au  moins  deux  exemples  pour  les  pre- 
miers :  veïmes  et  veïstes  (respectivement  aux  vers  1184  et  303).  On 
pourrait  probablement  leur  ajouter  quelques  cas  un  peu  douteux, 
mais  où  il  est  probable  que  la  diérèse  subsiste,  comme  au  vers  306: 

Le  pueple  ke  veïstes  tant  cruel  e  felun 

Il  faut  évidemment  lire  ve-isfs,  ou  plus  exactement  ne  pas 
compter  Ve  muet  à  l'hémistiche. 

Au  xiv^  siècle,  les  exemples  de  diérèse  sont  assez  rares  et  nous 
n'en  avons  pas  relevé  un  pour  lequel  nous  puissions  avancer  avec 
quelque  certitude  que  la  forme  étymologique  subsiste.  On  peut 
presque  affirmer  qu'il  n'y  a  plus  que  de  rares  cas  de  diérèse  au  pré- 
térit de  voir  après  1300. 

h)  Synérèse.  —  Ces  derniers  mots  nous  donnent  déjà  une  idée 
des  progrès  que  la  synérèse  a  faits  en  anglo-français  pendant  le 
xiir' siècle.  La  synérèse  remonte  même  peut-être  plus  haut;  les  pre- 
miers cas  se  rencontrent  non  pas  au  xiii''  mais  au  xii^  siècle,  A  cette 
époque  cependant,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  le  maintien 
de  la  voyelle  muette  en  hiatus  est  la  règle  ;  mais  il  y  a  quelques 
exceptions.  La  première  se  lit  dans  le  Psautier  d'Arundel  :  vimes 
(47,  7),  mais  comme  nous  ne  pouvons  contrôler  cette  forme 
par  la  mesure,  elle  est  extrêmement  douteuse,  car  nous  n'en  avons 
aucune  autre  assurée  et  se  suffisant  à  elle-même  dans  les  poèmes 
de  la  fin  du  xii^  siècle. 

Il  en  résulte  que  nous  ne  devons  pas  attacher  grande  importance 
à  la  forme  que  nous  donne  le  Psautier  d'Arundel,  carellc  peut  n'être 
qu'un  lapsus  calami. 

Au  xiii"  siècle,  les  cas  de  synérèse  deviennent  plus  nombreux  et 


(?34  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

d'autant  moins  douteux;  au  commencement  du  siècle,  nous  trou- 
vons dans  Edward    le  Confesseur  (au  vers  1025)  veistes  : 

K  Ne  veistes  dune?  »  «Ilugelin,  non  ». 

La  Genèse  Notre-Dame  a  veyincs  (au  folio  5 1  r°)  ;  la  même  forme 
se  retrouve  dans  la  Satire  (au  folio  87  r°). 

Enfin  il  n'y  en  a  pas  moins  de  quatre  dans  Saint  Auban  :  veimes 
(587,  1143,  1165)  '■>  ^^  peut-être,  quoique  ce  ne  soit  pas  très  pro- 
bable, veistes  (316). 

Kar  li  doilz  serrait  grantz,  ne  veimes  une  grainnur. 
Veimes  ke  par  Auhan  fu  cist  maus  tant  durant. 
Veimes  après  co  grant  gent  de  sei  laburant. 
Relever  le  veistes  envostre  avisiun. 

Au  xiv^  siècle,  comme  nous  l'avons  dit  tout  à  l'heure,  les 
exemples  que  nous  trouvons  de  ces  trois  personnes  de  voir  semblent 
avoir  effectué  la  synérèse  ;  par  exemple  dans  le  i'^'  Appendice  de 
Pierre  de  Langtoft,  nous  trouvons  veimes  (II,  418,  13). 

3.   Troisièine  personne  du  singulier  et  troisième   personne  dit  pluriel. 

Les  troisièmes  personnes,  singulier  et  pluriel,  des  prétérits  en  / 
sont  toujours  très  régulières  ;  on  ne  trouve  à  citer  que  des  défor- 
mations accidentelles  ou  des  changements  provenant  de  causes  plus 
générales. 

La  troisième  personne  du  singulier  de  voir  est  vit  et  au  xiv^ 
siècle  vyt  ;  celle  de  venir  et  tenir  est  vi{^y)nt,  ti{\)nt. 

Nous  ne  voyons  à  signaler  à  propos  de  ces  trois  formes  que  le 
phénomène  très  général  que  l'on  trouve  à  presque  toutes  les  troi- 
sièmes personnes  du  singulier  et  même  ailleurs  que  dans  les  verbes. 
Nous  voulons  parler  de  1'.^  qui  vient  appuyer  le  /  ou  le  groupe  nt 
final  ;  nous  avons  déjà  signalé  ce  phénomène  plus  d'une  fois,  en 
particulier  quand  nous  avons  étudié  les  désinences  de  la  troisième 
personne  du  singulier  ;  aussi  nous  ne  citerons  qu'un  tout  petit 
nombre  d'exemples.  Nous  avons  déjà  vu  l'exemple  de  l'Alexis  dans 
lequel  vit  a  pris  la  désinence  st  ;  citons  encore  vist  dans  Gaimar 
qui  ne  peut  être  qu'une  graphie  provenant  du  scribe  (au  vers  656, 
2148)  ;  William  de  Waddington  (au  vers  975)  emploie  la  même 


LE    PRÉTÉRIT  635 

forme.  Ce  n'est  guère  qu'au  kiy*^  siècle  que  nous  trouvons  vis! 
rimant  avec  des  verbes  ayant  régulièrement  la  terminaison  5/;  mais 
toutes  ces  rimes  ne  signifient  rien,  puisque  à  cette  époque  Vs  était 
certainement  amuie  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut.  C'est  ainsi 
qu'on  trouve  que  vist  rime  avec  prist  dans  The  Lament  on  the 
Death  of  Edward  P'  (vers  37);  purvii  rime  avec  mist  dans  les  Vies 
de  Saints  de  Bozon  (au  folio  93  v°),  etc. 

Us  est  beaucoup  plus  rare  et  plus  tardive  pour  les  deux  autres 
verbes;  nous  .n'en  avons  trouvé  d'exemple  qu'au  xiv^  siècle,  comme 
t'nist,  dans  The  Lament  on  the  Death  of  Edward  P'  (vers  16); 
avciusi  dans  le  Liber  Rubeus  de  Scaccario  (1323,  858). 

A  la  troisième  personne  du  pluriel,  nous  pouvons  constater  que 
nos  prétérits  conservent  aussi  d'une  fLiçon  très  constante  la  forme 
régulière  :  virent  pour  voir  et  ti}idrenf,vindrei!l  pour  tenir,  venir  ;  c'est 
la  forme  moderne  qu'on  trouve  dans  Rymer  :  vinrent  (1360,  \Y, 
257);  c'est  du  reste  un  exemple  isolé. 

LcJcnient  vocaVique  du  radical. 

La  première  et  la  troisième  personne  du  singulier  et  la  troisième 
du  pluriel  de  ces  trois  verbes  présentent  régulièrement  un  /  au 
radical.  Nous  allons  voir  que  ces  personnes  prennent  quelquefois 
une  des  diphtongues  ie  et  ei  ;  nous  distinguerons  voir  des  verbes 
tenir  et  venir,  car  nous  croyons  que  l'introduction  de  la  diph- 
tongue n'a  pas  exactement  la  même  cause  pour  le  premier  verbe 
que  pour  les  deux  autres. 

I.  Voir.  —  Des  deux  diphtongues  irrégulières,  la  diphtongue  ci 
est  la  plus  commune  ;  par  exemple  dans  la  langue  littéraire  on 
trouve  vc\  à  la  première  personne  dans  les  Contes  de  Nicole  Bo;^on 
(§  54)  ;  à  la  troisième  personne,  la  diphtongue  est  beaucoup  plus 
ancienne  weist  se  trouve  dans  le  ms.  A  de  l'Alexis  (49  d),  vcil 
dans  le  Psautier  d'Arundel  (32,  13).  Dans  les  textes  politiques  et 
diplomatiques,  cette  forme  se  rencontre  encore;  mais  on  peut,  pour 
la  plupart  des  cas  que  nous  avons  relevés,  se  demander,  comme 
pour  l'exemple  de  l'Alexis  que  nous  venons  de  citer,  si  l'on  n'a  pas 
affaire  à  un  subjonctif  imparfait.  Ce  n'est  guère  que  dans  les 
YearBooks  qu'on  rencontre  des  exemples  de  la  troisième  personne 
du   singulier    qui  ne    laissent    place   à   aucun     doute    (comme  30 


6}6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

Edward  P"",  75);  cependant  les  formes  veit  au  prétérit  sont  ren- 
dues beaucoup  plus  vraisemblables  par  la  forme  véirent  qui  se 
trouve  dans  le  même  psaume  des  Psautiers  d'Oxford  (34,  24)  et 
d'Arundel  (34,23). 

La  diphtongue  ie  est  beaucoup  moins  commune  dans  les  œuvres 
littéraires  et  ne  se  trouve  qu'à  la  troisième  personne  du  pluriel. 
(Cf.  cependant  vye,  Year  Book  16  Edw.  III,  281.) 
Nous  avons  déjà  cité  dans   les    acquisitions  des  prétérits  en  avi 
les  formes  vierent  qui  ne  leur  appartiennent  peut-être  pas. 

2.  Venir,  tenir.  —  Nous  pouvons  enfin  noter,  surtout  au  xiv^ 
siècle  et  dans  la  langue  légale,  un  changement  plus  général  qui 
semble  affecter  toutes  les  personnes  du  prétérit  détenir  et  de  venir. 
C'est  l'emploi  dans  le  thème  du  prétérit  dans  la  diphtongue  ie. 

On  trouve  dans  Nicolas  Trivet  tient  (37  r°,  59  v°  et  passini), 
vient  (81  v°,  etc.). 

Ces  formes  sont  plus  nombreuses  et  remontent  à  une  date  plus 
reculée  en  dehors  de  la  langue  littéraire  ;  les  Parliamentary  Writs 
en  ont  un  exemple  en  1301  (p.  131)  ;  le  Registrum  Palatinum 
Dunelmense  en  montre  un  autre  en  13 12  (p.  7),  etc.  Ils  sont 
encore  plus  connus  dans  les  Year  Books  (cf.  par  exemple  31  Edw. 
1^,483, etc.). 

La  diphtongue  ne  se  rencontre  pas  seulement  au  singulier  ;  nous 
la  relevons  au  pluriel  :  tiendrent,  viendrent  sont  employées  dans  les 
chroniques  de  Nicolas  Trivet  (au  folio  67  r°  et  passini)  ;  de 
même  dans  la  langue  familière,  Jean  de  Peckham  en  a  un  nouvel 
exemple  à  la  date  de  1381  (233)  et  les  exemples  ne  sont  rares 
ni  dans  Rymer,  ni  dans  les  différents  Year  Books  de  toutes 
dates. 

Quelquefois,  mais  assez  rarement,  la  diphtongue  ei  prend  la  place 
de  ie  ;  aveinst  se  lit  dans  le  Liber  Rubeus  de  Scaccario  (1323,  858); 
teint  dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense  (13 12,  7)  et  dans 
les  Year  Books  (cf.  21  Edw.  I",  185  ;  i  et  2  Edw.  II,  159)  ;  de 
même  on  trouve  au  pluriel  :  veindrent  dans  le  Year  Book  13  et  14 

Edw.  m  (p.  215). 

Chose  assez  curieuse,  cette  diphtongue  provenant  de  la  vo)'elle 
i  peut  se  réduire  à  la  voyelle  e.  Les  Year  Books  présentent  aussi 
assez  fréquemment  cette  dernière  voyelle  :  tent,  vent. 

Citons  enfin  pour  le    pluriel  un  phénomène  assez   général   en 


LE   PRÉTÉRIT  637 

anglo-français  :  c'est  dans  les  Year  Books  aussi  qu'on  trouve  le  plus 
fréquemment  un  e  svarabhaktique  pour  la  troisième  personne  du 
pluriel  de  venir  et  de  tenir  :  devindermt  (cf.  20  et  21  Edw.  I*"',  85  ; 
I  et  2  Edw.  II,  37  ;  2  et  3  Edw.  II,  112,  etc.).  • 

B.  Les  prétérits  en  si  '. 

Les  prétérits  en  si  forment  la  classe  la  plus  nombreuse  des  pré- 
térits forts  ;  l'étude  des  différentes  formes  que  ces  prétérits  ont 
adoptées  aux  six  personnes  en  anglo-français  est  aussi  importante 
qu'elle  est  intéressante.  Aux  verbes  qui  sont  régulièrement  en  si, 
nous  joindrons  le  prétérit  du  verbe  faire  ^  dont  les  formes,  à  l'ex- 
ception de  celle  de  la  troisième  personne  du  pluriel,  offrent  avec 
celles  qui  appartiennent  étymologiquement  à  cette  classe  la  plus 
grande  analogie. 

Nous  allons  voir  que  l'anglo-français  a  conservé  avec  une  régu- 
larité remarquable  les  formes  étymologiques  à  la  plupart  des  per- 
sonnes de  ces  parfaits. 

I.  Première  personne  du  singulier. 

La  première  personne  du  singulier  de  ces  verbes  est  régulière- 
ment terminée  par  s.  Au  lieu  de  s  on  rencontre  assez  souvent  i-  Le 
premier  exemple  que  nous  trouvions  de  ce  changement  se  ren- 
contre dans  le  Psautierde  Cambridge  :  Ji^^iiS,  121);  puis  le  Tristan 
de  Thomas  en  a  un  exemple  à  la  rime  :  di:{  (:  fii,  au  vers  1965)  ; 
mais  comme  fil  =  feci,  cette  interrime  peut  ne  provenir  que  du 
scribe  (Douce,  xiii^  siècle).  On  en  trouve  encore  quelques  cas  qui 
ont  la  même  origine  dans  le  même  Thomas  (au  vers  1275)  et 
dans  le  Donnei,  au  vers  82.  La  première  rime  probante  :  /;;:  (  :  fiz, 
subs.)  se  lit  dans  le  Petit  Plet  de  Chardri  (au  vers  1717);  et  cette 
même  forme  est  encore  employée  dans  le  corps  des  vers  236  du 
Saint  Laurent,  618  de  la  Lumière  as  Lais,  934  de  Dermod.  Au  vers 

1 .  Pour  les  prétérits  en  si,  on  pourra  consulter  le  travail  de  L.  Qischke, 
Die  Perfektbildung  der  starkcn  Vcrba  der  si  classe. 

2.  Pour^5,>;î  =  feci,  Cf.  Romaiiia  V,  65  (Thomsen)  ;  Zeitschrilt  III,  495, 
(Foerster). 


638  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

28  du  Siège  de  Carlavcrok  nous  retrouvons  la  même  rime  que  dans 
le  Petit  Plet  de  Chardri. 

Il  fout  remarquer  que,  quoiqu'il  y  ait  des  exemples  de  différents 
prétérits  en  si  prenant  i,  la  très  grande  majorité  des  exemples  que 
nous  venons  de  donner  se  rapportent  principalement  au  prétérit  de 
faire  ;  mais  cela  peut  provenir  tout  simplement  du  fait  que  ce 
verbe  se  trouve  employé  plus  fréquemment  à  cette  personne  que 
les  autres  verbes  de  sa  classe. 

Il  arrive  aussi,  quoique  plus  rarement  encore,  que  la  consonne 
finale  tombe  complètement  :  nous  en  trouvons  un  exemple  dans 
l'Estorie  des  Engleis  de  Gaimar  :  di  au  vers  2962,  mais  ce  ne  peut 
être  qu'une  erreur  du  scribe,  car  l'auteur  emploie  la  forme  régu- 
lière, nous  en  avons  une  preuve  dans  la  rime  dis  (:  pais),  2145 
(cf.  aussi  asis,  670^  etc.).  C'est  du  reste  le  seul  exemple  de  cette  forme 
que  nous  ayons  relevé  dans  la  langue  littéraire  avant  le  xiV  siècle. 
A  cette  dernière  époque,  les  exemples  de  la  chute  de  la  consonne 
finale  ne  sont  pas  très  rares,  et  on  les  trouve  même  à  la  rime, 
comme  di  (:  merci),  dans  le  De  Conjuge  non  ducenda  (32). 

2.  Deuxièmes  personnes  du  singulier  et  du  pluriel, 
première  personne  du  pluriel. 

Ces  trois  personnes  présentent  un  allongement  syllabique,  qui 
entraîne  une  dissimilation  vocalique  dans  les  verbes  ayant  /  libre 
au  radical  ' . 

D'où  il  résulte  que  nous  avons  quatre  questions  à  étudier  pour 
les  trois  personnes  :  a)  l'allongement  syllabique  ;  /')  la  dissimila- 
tion vocalique  ;  c)  le  sort  de  la  consonne  intervocalique  ;  d}  diérèse 
et  synérèse  après  la  chute  de  cette  consonne. 

a)   Allongement  syllabique. 

L'allongement  syllabique  se  fait  toujours  très  régulièrement  aux 
xir  et  XIII''  siècles  ;  les  formes  parisyllabiques  que  nous  rencontrons 
au  xiv^  siècle  proviennent  toujours  d'une  synérèse  dans  les  formes 
à  l'origine  imparisyllabiques.   Par  un  cas    assez  curieux  d'analogie, 

I.  Pour  fecisti;  d.  Roraania  XXVIII,  1 18  (Thomas)  ;  Zeitschrift  XXIII,  533, 
(Baist). 


LE    PRÉTÉRIT  639 

cet  allongement  semble  atteindre  la  première  personne  :  on  trouve 
en  effet  sets  =  sessi  dans  le  Psautier  d'Arundel  (25,  4)  ;  il  est  plus 
apparent  que  réel,  car  seis  est  probablement  monosyllabique. 

b)  Dissimilation  vocalique. 

Lorsque  le  radical  du  verbe  contient  /,  il  y  a  ordinairement  dissi- 
milation entre  1'/  du  thème  et  celui  de  la  désinence,  le  premier  pas- 
sant à  e.  Toutefois  nous  ne  rencontrons  pas  sur  ce  point  la  même 
régularité  que  dans  la  question  précédente  ;  souvent  IV  du  thème  se 
maintient,  jusqu'au  jour  évidemment  où  Vs  intervocalique  tombe. 

Les  formes  régulières  sont  évidemment  très  nombreuses,  et  il  est 
inutile  de  s'y  arrêter  et  d'en  donner  des  exemples  :  elles  se 
retrouvent  jusqu'au  xiv*  siècle. 

Mais,  au  lieu  de  la  voyelle  régulière  e,  on  trouve  souvent  soit  la 
diphtongue  ci,  soit  et  plus  communément  la  voyelle  z. 

Il  est  assez  rare  de  trouver  la  diphtongue  ei  :  on  en  voit  d'abord 
un  exemple  pour  faire  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  :  feisistes  (^au  vers 
3601),  exemple  qui  provient  peut-être  du  scribe  ;  puis  dans  la  Vie 
de  Saint  Grégoire  (au  vers  2203):  reisistes  de  rire,  et  ici  il  importe 
assez  peu  que  la  diphtongue  provienne  du  scribe,  puisqu'il  n'y  a  eu 
qu'un  intervalle  très  court,  s'il  y  en  a  eu  un,  entre  la  date  de  la 
composition  et  celle  à  laquelle  le  manuscrit  a  été  écrit. 

La  langue  légale  peut  nous  fournir  un  autre  exemple  d'autant 
meilleur  qu'il  est  daté.  Dans  les  Rymer's  Foedera  (date  1297),  nous 
Vivons  feisîsnu's  (vol.  Il,  p-  700).  Ce  sont  les  seuls  cas  de  ci  que  nous 
ayons  relevés. 

Il  est  plus  fréquent,  comme  nous  le  disions,  de  trouver  la 
voyelle  i  ;  le  xir  siècle  nous  montre  un  nombre  assez  considérable 
d'exemples  dans  lesquels  la  dissimilation  vocalique  ne  se  fiit  pas. 
Nous  allons  les  citer  par  ordre  alphabétique  puisque  ces  formes 
appartiennent  pour  la  plupart  à  la  même  date. 

Afflisis  se  rencontre  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (43,  2);  dcs- 
pisis  dans  le  Psautier  d'Arundel  (26,  15);  disis  est  employé  à  plu- 
sieurs reprises,  par  exemple  dans  le  Psautier  d'Oxford,  où  il  est  la 
seule  forme  connue  (par  exemple  88,  3  et  passiiii)  ;  descrisis  se 
rencontre  plus  tard  ;  c'est  même,  au  point  de  vue  chronologique,  la 
dernière  forme  de  ce  genre  que  nous  ayons  relevée  ;  il  est  employé 


640  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

par  Angier  (Dialogues,  129  v°  b).  Eslisis  se  lit  dans  le  Psautier 
d'Oxford,  où  il  est  employé  assez  souvent,  par  exemple  64,  4, 
Mettre  et  ses  composés  font  souvent  misis^  employé  une  fois  dans 
le  Psautier  d'Oxford  (8,  7),  dans  le  Psautier  d'Arundcl  (8,  6)  et 
dans  Guischart  de  Beauliu  (555).  Prisis  ne  se  trouve  que  deux  fois 
dans  le  Psautier  d'Oxford  (64,  4),  tandis  que  quisis  se  rencontre 
dans  les  trois  Psautiers  d'Oxford  (39,  10),  de  Cambridge  et  d'A- 
rundel  (39,  8). 

Il  est  à  remarquer  que  la  dissimilation  vocalique,  à  part  deux  cas, 
ne  manque  de  se  faire  que  dans  les  Psautiers  ;  tous  les  autres 
auteurs  de  ce  siècle,  sauf  Guischart  de  Beauliu  et  Angier,  la  font 
régulièrement  ;  cela  tient  surtout,  croyons-nous,  au  fait  que  nous 
allons  examiner  tout  à  l'heure.  La  chute  de  la  consonne  intervo- 
calique,  lorsqu'elle  a  été  assez  fréquente,  a  eu  pour  premier  résultat 
de  faire  persister  sous  forme  d'c  la  voyelle  en  hiatus  et,  par  analo- 
gie, cette  même  voyelle  séparée  de  1'/  de  la  terminaison  par  Xs.  En 
d'autres  termes,  prcïs,  qui  ne  pouvait  pas  subsister  sous  la  forme 
priis,  a  réagi  sur  presis  qui  existait  encore  et  l'a  empêché  de  devenir 
prisis. 

Mais  cette  chute  de  1'^  intervocalique  a  amené  d'autres  voyelles 
que  la  voyelle  /,  a  par  exemple:  dans  faismes,  qui  se  lit  dans  les 
Statutes  (1311,  I,  157)  ou  praisnies  qu'on  trouve  dans  les  Traités  de 
Rymer  (13 13,  III,  443)  ;  plus  rarement  oi  :  faismes,  Ky mer  (13 11, 
III,  262).  Mais  ici  il  ne  faut  plus  parler  de  dissimilation  vocalique. 
Après  la  chute  de  l'^,  e  et  /  ont  formé  une  sorte  de  diphtongue,  et 
cette  fausse  diphtongue  ci  3.  naturellement  évolué  vers  ai  et  oi. 

c)  Chute  de  Vs  intervocalique. 

Dans  un  certain  nombre  de  verbes,  l'.f  se  trouve  entre  deux 
voyelles,  et  dans  cette  position  elle  est  destinée  à  disparaître  ;  ce 
n'est  évidemment  que  très  progressivement  que  cela  a  eu  lieu.  Les 
formes  étymologiques  et  les  formes  sans  s  ont  coexisté  assez  long- 
temps. 

Il  serait  très  facile  de  se  rendre  un  compte  exact  de  la  façon  dont 
cela  s'est  produit  si  les  textes  que  nous  possédons  reflétaient  exacte- 
ment les  habitudes  de  l'auteur;  comme  il  n'en  est  rien,  dans  la 
plupart  des  cas  nous  en  sommes  encore  une  fois  réduits  aux  con- 
jectures, au  moins  jusqu'à  un  certain  point. 


LE    PRÉTÉRIT  64 1 

Car  dans  le  cas  présent,  ni  la  rime,  ni  la  mesure  du  vers  ne 
peuvent  nous  servir  ;  les  seuls  ouvrages  qui  peuvent  nous  donner 
des  renseignements  de  quelque  valeur  sont  ceux  pour  lesquels  l'in- 
tervalle entre  l'auteur  et  le  scribe  est  réduit  à  un  minimum,  par 
exemple  les  Psautiers,  les  Quatre  Livres  des  Rois  (et  encore  pour  ces 
traductions,  nous  savons  que  les  auteurs  ont  mis  à  profit  des  tra- 
ductions antérieures  dont  ils  peuvent  reproduire  certaines  habi- 
tudes de  style),  surtout  les  deux  poèmes  de  Frère  Angier,  et  dans 
un  autre  genre,  les  textes  politiques. 

Nous  n'avons  cependant  aucune  difficulté  à  reconnaître  les  cas 
dans  lesquels  Vs  a  été  conservée  ;  car  nous  pouvons  toujours  assi- 
gner comme  date  à  chaque  exemple  la  date  de  la  composition  de 
l'ouvrage  ;  il  est  peu  vraisemblable  que  les  scribes  aient  ajouté  des 
s,  et  s'ils  l'ont  fait,  le  seul  résultat  est  que  1'^  a  persisté  plus  long- 
temps encore  que  nous  ne  le  disons  ;  en  attribuant  donc  les  s  aux 
auteurs,  nous  restons  souvent  au-dessous  de  la  vérité. 

Les  exemples  qui  nous  montrent  la  persistance  de  cette  consonne 
sont  nombreux,  non  seulement  au  xii^  siècle,  mais  même  pendant 
le  xiir.  Il  arrive  même  que  certains  poètes  de  la  fin  du  xii"  siècle, 
comme  Guillaume  de  Berneville,  ne  semblent  pas  en  connaître 
d'autre.  Mais,  quoique,  même  à  cette  époque,  une  correction  abso- 
lue soit  l'exception^  tous  les  auteurs,  au  moins  jusqu'en  1250,  nous 
offrent  quelques  exemples  de  la  forme  avec  s.  Nous  ne  citerons  pas 
tous  les  cas  que  nous  trouvons  dans  Chardri,  Angier,  Robert  de 
Gretham,  et  nous  nous  contenterons  de  donner  un  petit  nombre 
de  formes  :  ainsi,  on  lit  reisis  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au 
vers  2203)  ;  descrisis  dans  les  Dialogues  (129  r"  b)  ;  et  desis  dans 
le  même  ouvrage  (126  v°  a)  ;  Robert  de  Gretham  nous  montre 
presis  Çau  folio  68  r°),  et  au  vers  1682  du  Saint  Edmund  on  peut 
lire  feshnes.  Après  cet  ouvrage,  les  exemples  sont  plus  rares  dans 
les  œuvres  littéraires  ;  mais  nous  avons  en  dehors  de  celles-ci  des 
preuves  que  Vs  a  été  conservée  fort  avant  dans  le  xiv^  siècle.  Nous 
ne  relevons  aucune  forme  avec  s  dans  les  Statutes  ;  mais  les 
Rymer's  Foedera  nous  en  donnent  un  nombre  assez  considérable 
d'exemples  jusque  dans  la  seconde  moitié  de  ce  siècle.  Nous  trou- 
vons en  effet  dans  ce  recueil  :  fesimes  à  la  date  de  1348  (V,  652)  ; 
et  promesimes  au  même  endroit  ;  desimcs  en  1369  (VI,  644)  et 
quelques  autres  passim.  Cela  sutfit  à  montrer  que  l'anglo-trançais, 

41 


642  l'évolution  du  verbe  en   ANGLO-1-RANÇAIS 

presque  jusqu'à  la  fin  de  sa  période  littéraire,  a  connu  et  employé 
les  formes  qui  montrent  ïs  étymologique. 

L'autre  côté  de  la  question,  chute  de  Vs,  devrait  nous  montrer 
la  foçon  dont  l'hiatus  s'est  produit,  et  les  progrès  qu'il  a  faits.  Le 
premier  verhe  que  nous  ayons  relevé  sous  la  forme  avec  hiatus  est 
le  verbe  seoir  ;  seïmes  se  lit  dans  les  Psautiers  d'Oxford  (136,  i)  et 
purseïs  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (0,  19). 

Que  ce  soit  ce  verbe  que  nous  a^'ons  trouvé  le  premier  sous  cette 
forme  dans  deux  textes  indépendants,  ce  peut  n'être  qu'un  hasard. 
Cependant  nous  ne  le  croyons  pas.  Il  nous  semble  au  moins  pro- 
bable que  ce  verbe  a  perdu  son  s  le  premier  parce  que  ses  autres 
temps  avaient  déjà  perdu  auparavant  eux  aussi  une  consonne  dans 
la  même  position  :  la  dentale  intervocalique. 

De  toutes  façons,  le  premier  exemple  de  cette  chute  de  Ys  date 
au  moins  de  iiéo.  A  peu  de  distance  de  ces  deux  exemples,  le  Psau- 
tier d'Arundel  nous  en  donne  un  autre  :  feïs  (38,  13)  ;  le  scribe  du 
Voyage  de  Saint  Brandan  (1167)  nous  en  offre  bien  davantage  : 
fermes  (au  vers  470)  ;  preïstes  (au  vers  752);  on  les  retrouve  tous 
dans  le  ms.  de  l'Arsenal. 

Parmi  les  formes  que  nous  n'hésitons  pas  à  attribuer  aux  scribes 
dans  les  ouvrages  de  cette  époque  (1150),  nous  trouvons  celles 
qui  se  lisent  dans  l'Estorie  des  Engleis  :  comme  feïuies  (au  vers  4-I  i) 
et  plusieurs  autres  dans  le  même  poème. 

Dans  les  ouvrages  qui  appartiennent  au  dernier  quart  du 
XII*  siècle  les  exemples  deviennent  d'autant  plus  fréquents  que  les 
formes  dues  aux  scribes  du  xiii'^  siècle  s'ajoutent  à  celles  qui  pro- 
viennent des  auteurs;  il  y  a  quelques  exceptions,  par  exemple  le 
poème  sur  la  Vie  de  Saint  Gilles,  où  seules  les  formes  avec  s 
sont  employées,  mais  elles  sont  rares.  La  plupart  des  ouvrages  de 
la  fin  du  XII*  siècle   montrent  des  exemples  de  ces  deux  formes. 

Citons  rapidement  quelques  exemples,  quoique  cela  ne  soit  pas 
très  nécessaire.  Dans  les  Légendes  de  Marie,  Adgar  emploie  le  plus 
souvent  les  formes  à  hiatus  :  feïstes  (II,  70  ;  XXIII,  77),  preïs, 
meïmes. 

Le  Tristan  de  Thomas  nous  fournit  un  nombre  d'exemples 
relativement  aussi  considérable  :  deïsîes  (au  vers  1693)  '■>  fi"f>^^ 
(1888)  ;  feïs  les  (1179);  preïstes  (1192)  ;  qiieïsies  (1292)  ;  et  reïstes 
(1178). 


LE    PRÉTÉRIT  643 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  cette  liste  d'exemples  ;  nous 
dirons  simplement  que  la  forme  ordinaire  de  ces  trois  personnes  à 
la  fin  du  xii^  siècle  et  pendant  le  xni^  est  celle  qui  présente  l'hiatus. 

Nous  avons  réservé  pour  la  fin  quelques  formes  des  Rymer's 
Foedera  et  des  Year  Books  qui  semblent  avoir  conservé  Vs  origi- 
nelle et  qui  en  réalité  ont  une  s  non  étymologique.  Les  formes  que 
nous  citions  tout  cà  l'heure  sont  parfaitement  correctes.  Il  n'en  est 
pas  de  même  de  celles  qui  suivent.  Vs  et  la  voyelle  qui  la  suit 
ont  certainement  une  origine  tout  à  fait  différente  dans  un  cer- 
tain nombre  de  cas,  comme  feiseiiies  qu'on  lit  dans  les  Rymer's 
Foedera  (1297,  I^j  749)  i  fesnmes  du  Year  Book  21  Edw.  P"" 
(p.  63);  nous  avons  probablement  là  des  formes  dérivées  defeisnies 
par  l'introduction  d'une  voyelle  svarabhaktique  après  ïs  parasite. 

C'est,  croyons-nous,  à  un  phénomène  de  ce  genre  qu'on  doit  les 
formes  suivantes  :  fiesiues  dans  Jean  de  Peckham  (1296,  289)  ; 
requiesmes  dans  Rymer  (1324,  lY,  90). 

d)  Diérèse  et  synérèse. 

La  chute  de  1'^  intervocalique  amène  aux  trois  personnes  où  elle 
a  lieu  un  hiatus  entre  les  voyelles  e  et  /  ;  l'anglo-français,  comme 
les  dialectes  du  continent,  a  toujours  tendu  à  faire  disparaître  les 
hiatus  et  dans  le  cas  actuel^  comme  ailleurs,  la  synérèse  s'est  faite 
progressivement. 

Le  xii^  siècle  du  reste  la  connaît  à  peine  ;  nous  ne  trouvons 
pour  les  prétérits  en  si  que  quelques  cas  isolés  et  souvent  douteux. 
Le  premier  exemple  de  synérèse  que  nous  trouvions  et  qui  nous 
semble  certain  se  rencontre  dans  Thomas  au  vers  1276  où  nous 
lisons  prainisles  : 

Vus  m'en  pramistes  grant  honur. 

Puis  on  lit  dans  Fantosme,  /ivV/w  (au  vers  8)  : 

Li  fcistes  présenter  senz  fei  mentie  aver. 

Ce  sont  les  seuls  cas  de  contraction  assurés  que  nous  connais- 
sions entre  II 60  et  1200. 

Même  au  commencement  du  xur'  siècle,  les  formes  à  synérèse 
sont  plus  rares  que  les  formes  régulières  ;  ces  dernières  sont  nom- 


644  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

breuses;  on  peut  s'en  rendre  compte  en  lisant  la  liste  des  exemples 
que  nous  avons  énumérés  précédemment,  et  nous  n'avons  donné 
qu'une  petite  partie  des  cas  existants  ;  voici  maintenant  tous  les 
exemples  de  cas  de  synérèse  que  nous  avons  relevés  à  cette  époque. 
Remarquons  d'abord  que  pour  cette  question  il  y  a  entre  les  diffé- 
rents auteurs  anglo-français  de  cette  époque  un  manque  d'unité 
frappant.  Certains  d'entre  eux  ne  nous  ont  pas  donné  un  seul 
exemple  de  synérèse,  par  exemple  le  poème  de  Saint  Edmund  ne 
connaît  et  n'emploie  que  la  forme  régulière.  Au  contraire  nous 
avons  relevé  un  nombre  relativement  considérable  de  cas  de  syné- 
rèse dans  les  poèmes  de  Chardri.  Faire  apparaît  trois  fois  sous  la 
forme  abrégée  ;  au  vers  292  du  Josaphat  ;  au  vers  982  des  Set  Dor- 
mans  et  au  vers  J14  du  Petit  Plet.  Voici,  dans  Tordre  ci-dessus, 
ces  trois  vers  : 

Boer  feistes  vus  ceste  jurnée; 
Nuveles  si  cum  feistes  er  ; 
Si  feistes  vus  en  ta  juvente . 

D'autres  prétérits  en  si  se  montrent  aussi,  quoique  moins  fré- 
quemment, sous  cette  forme  ;  prciiiies  se  trouve  au  vers  4 14  du 
Josaphat  : 

Pur  le  cunseil  ke  primes  er. 

Meisks  est  employé  de  la  même  façon  au  vers  668  des  Set 
Dormans  : 

Car  vus  les  meistes  a  cheval  ; 

et  déistes  au  vers  13 13  du  Petit  Plet  : 
E  vus  déistes  ca  en  arere. 

Même  la  Vie  de  Saint  Auban  ne  présente  pas  une  proportion 
aussi  forte  de  cas  de  synérèse  que  ces  trois  poèmes  de  Chardri  ; 
nous  n'avons  relevé  dans  ce  poème  qu'un  seul  exemple  de  ce  phé- 
nomène: feimes  au  vers  1546  : 

E  feimes  enbrever  a  arrement  nerci  ; 

M.  Suchier  (Ueber...)  en  cite  un  autre, /mto,  que  nous  n'avons 
pas  pu  identifier. 


LE    PRÉTÉRIT  645 

La  Satire  nous  donne  deux  exemples  de  feistes  (aux  folios  86  v°  et 

87  r°);  et  cette  même  forme  se  retrouve  au  vers  37  de  la  Plainte 

d'Amour  ; 

Vous  feistes  Deu  a  nous  descendre. 

Dans  la  Lumière  as  Lais,  nous  relevons  tncorefistcs,  au  vers  80. 

Comme  on  le  voit,  nous  avons,  dans  les  lignes  précédentes,  cité 
surtout  des  exemples  qui  nous  sont  fournis  par  le  verbe  faire,  prin- 
cipalement parce  que,  ce  verbe  étant  plus  emplo3'é  que  tous  les 
autres  de  la  même  classe,  les  cas  de  diérèse  ou  de  synérèse  qu'il  nous 
présente  sont  beaucoup  plus  communs.  Nous  aurions  pu  en  donner 
d'autres  provenant  des  autres  verbes  ayant  leur  prétérit  en  si  ;  nous 
citerons  remeistes,  au  folio  25  r°  des  Heures,  deii)ies(2  syllabes)  dans 
le  Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington.  Ajoutons  que  dans 
ce-dernier  ouvrage,  qui  compte  plus  de  dix  mille  vers,  nous  n'avons 
trouvé  aucun  cas  bien  assuré  de  diérèse  pour  les  prétérits  en  si. 

Il  nous  est  donc  facile  de  conclure  sur  cette  question  par  les 
remarques  suivantes  : 

1°  La  diérèse  dure  au  moins  jusque  vers  le  quatrième  quart  du 
xiii^  siècle  ;  les  exemples  que  nous  avons  trouvés  au  siècle  suivant 
sont  peu  nombreux  et  toujours  douteux. 

2"  Nous  trouvons  nos  premiers  exemples  de  S3MTérèse  très  tôt  ; 
le  Tristan  de  Thomas  nous  en  offre  un  cas  assuré. 

3°  Le  nombre  de  synérèses  augmente  constamment  pendant  la 
dernière  partie  de  ce  siècle  et  pendant  tout  le  siècle  suivant. 

3.  Troisième  personne  du  singulier  ;  troisième  personne  du  pluriel. 

A  la  troisième  personne  du  singulier,  la  voyelle  ou  la  diphtongue 
du  thème  est  suivie  par  la  désinence  si\  à  la  troisième  personne 
du  pluriel  par  la  désinence  sirenl  ;  ces  deux  désinences  sont  carac- 
téristiques des  prétérits  en  si. 

Nous  n'aurons  qu'un  mot  à  dire  des  changements  qui  affectent 
ces  deux  désinences. 

a)  Troisième  personne  du  singulier  st. 

Amuissemeut  et  disparition  de  /'s.  —  Dans  notre  étude  de  la  dési- 
nence st  à  la  troisième  personne  du  singulier,  nous  avons  étudié  la 
disparition  de  Vs  dans  les  prétérits  en  si.  Nous  n'avons  pas  l'intention 


6-1 6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

de  revenir  maintenant  sur  cette  question  et  nous  nous  bornerons  à 
rappeler  les  conclusions  auxquelles  nous  sommes  alors  arrivés. 

1°  Le  premier  exemple  de  la  disparition  de  Vs  date  de  1167  {ciiii- 
duit,  vers  1151,  dans  le  ms.  de  Londres  du  Brandan). 

2°  Cette  s  n'a  complètement  disparu  qu'au  commencement  du 
xiii'=  siècle  (rime  du  Saint  Gilles  (1469),  du  Josaphat  de  Chardri 
(847),  du  Saint  Laurent  (142). 

3°  Au  siècle  suivant,  nous  avons  trouvé  des  exemples  de  la  troi- 
sième personne  du  singulier  de  la  plupart  des  prétérits  en  si  sans  Vs 
étymologique,  et  des  rimes  assez  nombreuses  nous  ont  montré  l'iden- 
tité des  désinences  en  st  et  en  /.  Malgré  tout,  jusqu'à  la  fin  de  la 
littérature  anglo  française,  les  formes  étymologiques  ont  continué  à 
être  employées,  quoique  1'^  y  fût  devenue  purement  graphique  ', 

L'amuissement  de  Vs  devant  le  /  a  eu  pour  résultat  l'allongement 
de  la  voyelle  du  thème,  allongement  qui  s'exprime  de  différentes 
manières  :  d'abord,  au  lieu  de  la  consonne  étymologique,  nous 
trouvons  dans  certains  auteurs  une  /;  qui  sert  à  marquer  la  longueur 
de  la  voyelle.  Nous  lisons  ainsi  dans  le  Chevalier,  la  Dame  et  le 
Clerc:  mihl  (au  vers  119);  ashit,  lire  asiht  (au  vers  188);  fibt  (au 
vers  505).  L'identité  de  s  et  de  /;  dans  cette  position  est  démontrée 
par  la  rime  fihl  :  prist  (au  vers  579). 

Cet  allongement  est  encore  marqué  par  le  redoublement  de  la 
voyelle  du  thème;  répétons  ici  l'exemple  que  nous  avons  déjà  eu 
l'occasion  de  donner  :  siit  de  seoir,  qui  rime  avec  Christ  au  folio  93  r° 
des  Vies  de  Saints  de  Bozon.  (Cf.  Désinences  personnelles,  3*^  per- 
sonne du  singulier,  page  150.) 

b)  Troisième  personne  du   pluriel. 

La  troisième  personne  du  pluriel  des  prétérits  en  si  est  terminée 
régulièrement  par  strent.  La  seule  exception,  qui  n'en  est  réelle- 
ment pas  une,  est  la  terminaison  du  prétérit  de  faire.  Et  c'est  par 
cette  personne  que  nous  allons  commencer  cette  étude-. 

La  forme  ordinaire  de  cette  personne  est  firent  ;  c'est  celle  que 
nous  rencontrons  le  plus  souvent  et  le  plus  tôt. 

1.  Pour//,  seul  descendant  légitime  de  fecit,  cf.  Zeitschrift  I,  107  (Stengel). 

2.  Pour  la  troisième  personne  du  pluriel  du  prétérit  de  faire,  on  consultera: 
Mussafia,  fecerunt  in  francese,  Romania  XXVII,  290. 


LE   PRÉTÉRIT  647 

On  la  rencontre  au  vers  707  du  Cumpoz  et  passiiii;  dans  le  Bes- 
tiaire elle  rime  avec  chaïrent  (au  vers  1469)  ;  elle  est  répétée  un 
grand  nombre  de  fois  dans  les  Psautiers  :  dans  celui  d'Oxford  (par 
exemple  9,  15),  une  dizaine  de  fois,  aussi  fréquemment  dans  celui 
de  Cambridge  (9,  15)  et  dans  celui  d'Arundel  (9,  14,  écrit  firerent). 
Tous  les  autres  auteurs  du  xii^'  siècle  l'emploient  sinon  à  l'exclusion 
de  toute  autre,  ce  qui  est  le  cas  général^  du  moins  le  plus  souvent. 
On  la  trouve  par  exemple  deux  fois  à  la  rime  avec  des  prétérits 
en  jvi  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine  (vers  115  et  2412).  Au 
xiii^  siècle  les  rimes  qui  nous  assurent  cette  forme  sont  communes  (cf. 
Genèse,  51  v°  ;  Erection,  3  9  ;  William  de  Waddington,  3164;  Pierre 
de  Langtoft,  II,  422,  32;  Prince  Noir,  211,  682;  etc.). 

La  forme  en  istrent  au  contraire  est  très  rare,  et  elle  ne  se  trouve 
guère  qu'au  xii''  siècle.  On  ne  la  trouve  tout  d'abord  que  pour  les 
composés  de  faire,  défire,  déconfire,  etc.,  qui  se  rapprochent  beau- 
coup de  dire,  despirre. 

On  trouve  dcfistroit,  deconfistrent  dans  les  Psautiers,  par  exemple 
dans  celui  d'Oxford  (9,  6);  dans  celui  de  Cambridge  (37,  5)  et 
dans  celui  d'Arundel  ;  au  vers  1772  de  Gaimar  ;  plusieurs  fois  dans 
les  Quatre  Livres  des  Rois  (III,  16,  30;  III,  20,  17  et  18).  etc.  On 
trouve  des  exemples  de.  ces  formes  jusqu'à  la  fin  du  xiv*  siècle,  par 
exemple  deconfistrent  qui  se  lit  au  folio  25  r°  des  Chroniques  de 
Nicolas  Trivet. 

Les  formes  analogiques  pour  ces  verbes  sont  très  rares;  nous  n'en 
relevons  qu'une  :  defiienl  qui  se  trouve  dans  le  Psautier  d'Oxford 

(77,  33)- 

Pour  faire  lui-même,  nous  observons  exactement  Topposé.  Firent 

se  trouve  pour  ainsi  dire  dans  tous  les  auteurs,  tandis  que  fistrent 
est  extrêmement  rare,  et  les  exemples  que  nous  avons  rencontrés 
sont  Hmités  à  un  petit  nombre  d'ouvrages  du  xii^  siècle.  Enumérons 
rapidement  les  quelques  cas  de  fistrent  que  nous  avons  rencontrés  : 
nous  en  trouvons  tout  d'abord  un  exemple  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge (C,  54),  contre  six  cas  de  firent.  Dans  le  Psautier  d'Arundel, 
elle  se  trouve  employée  aussi  une  fois  (9,  5);  un  seul  ouvrage  en 
présente  plus  d'un  exemple,  c'est  le  Psautier  d'Oxford,  et  l'on  sait 
que  cette  traduction  n'est  pas  purement  anglo-française.  Ce  Psautier 
emploie  fistrent,  six  fois  (cf.  9,  5  et  passini).  Postérieurement, 
fistrent  disparaît  complètement. 


648  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

Par  conséquent,  il  est  évident  que  cette  forme  a  été  fort  peu 
employée  par  les  écrivains  anglo-français. 

Faire  n'est  du  reste  pas  le  seul  verbe  qui  ait  en  anglo-français  une 
troisième  personne  du  pluriel  en  ircnl.  Nous  avons  trouvé  dans  nos 
textes  tant  littéraires  que  politiques,  avant  1160  et  après  1250,  un 
grand  nombre  de  formes  en  irait,  au  lieu  de  sirent,  ce  qui  nous 
montre  une  certaine  tendance,  visible  surtout  dans  les  dernières 
années  de  l'anglo-français,  à  substituer  aux  terminaisons  régulières 
de  ces  troisièmes  personnes  du  pluriel  la  désinence  des  prétérits  en 
ivi  (voir  ci-dessus). 

Avant  II 60,  nous  rencontrons  deux  cas  au  moins  de  terminaison 
irrégulière  en  irent  :  la  première  se  lit  dans  le  ms.  A  de  l'Alexis 
(6,  b)  :  c'est  mirent  ;  la  seconde  se  lit  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan 
(au  vers,  1481):  destriiirent.  Cette  dernière  forme,  dans  ce  poème, 
est  du  reste  exceptionnelle  (cf.  destruistrent  au  vers  216). 

Pour  trouver  un  nouvel  exemple,  nous  devons  aller  jusqu'au 
Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington.  Use  peut  toutefois 
qu'il  y  en  ait  quelques-uns  dans  la  période  intermédiaire  qui  nous 
aient  échappé  ;  ils  ne  sont  certainement  pas  nombreux.  Dans  le 
Manuel  des  Péchés,  nous  rencontrons  une  forme  qui  va  devenir  par 
la  suite  très  commune  :  prirent.  Elle  est  assurée  par  la  rime  dans  cet 
ouvrage,  autant  du  moins  qu'elle  peut  l'être,  car  elle  rime  avec 
virent  qui  ne  prend  jamais,  à  notre  connaissance,  la  désinence  en 
istrcnt  (au  vers  1444).  Nous  admettrons  de  la  même  façon  les  rimes 
du  poème  du  Prince  Noir  :  prirent  (:  firent)  (au  vers  211)  ;  (:  mirent) 
(au  vers  2755);  la  troisième  rime  ne  nous  offre  aucune  difficulté, 
c  est  prirent  (:  départirent)  au  vers  3765  de  ce  dernier  poème. 

Toujours  dans  le  Prince  Noir,  nous  trouvons  (au  vers  173)  con- 
quirent; dans  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet,  nous  avons  sourdirent 
(au  folio  62  r°). 

En  dehors  de  la  littérature  la  première  de  ces  formes  est  extrê- 
mement commune;  citons  dans  les  Rvmer's  Foedera  1294,  II,  620; 
dans  les  Statutes  1376,  I,  397  ;  nous  pourrions  en  trouver  d'autres 
dans  les  différents  Year  Books  ;  quant  à  la  forme  prirent  elle  est 
extrêmement  commune  et  se  rencontre  dans  la  plupart  des  recueils 
après  1300. 

Les  quelques  citations  qui  précèdent  suffisent,  croyons-nous,  à 
montrer  que  l'anglo-français,  surtout  au  xiv«  siècle,   tendait  à    se 


LE    PRÉTÉRIT  649 

débarrasser  des  formes  si  spéciales  que  les  prétérits  en  si  avaient  à 
leur  troisième  personne  du  pluriel. 

Nous  ne  voulons  pas  dire  pour  cela  qu'elles  disparaissent,  et  les 
exemples  qui  suivent  vont  démontrer  péremptoirement  le  contraire. 
Les  troisièmes  personnes  qui  subsistent  nous  montrent  en  effet 
quelques  changements  qu'il  nous  faut  maintenant  étudier.  (Nous 
verrons  plus  tard,  en  étudiant  le  radical  à  ces  personnes,  qu'elles 
abandonnent  encore  d'une  autre  façon  la  forme  étymologique.) 

Les  changements  qu'il  nous  faut  maintenant  signaler  sont  d'ordre 
purement  phonique  : 

1.  Amuissement  et  disparition  de  IV  qui  appuie  le  t  de  la  dési- 
nence. 

2.  Introduction  entre  le  t  et  \'r  d'une  voyelle  svarabhaktique. 

I.  Disparition  de  1'^.  —  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  le  fait  que 
nous  avons  signalé  si  souvent  déjà,  quoiqu'il  ne  soit  pas  exactement 
de  notre  ressort,  de  l'amuissement  de  Vs  préconsonantique.  Cet 
amuissement  se  remarque  évidemment  à  la  troisième  personne  du 
pluriel  des  prétérits,  mais  il  nous  semble  à  cette  personne  beaucoup 
plus  tardif  que  dans  les  autres  cas  que  nous  avons  vus  jusqu'ici. 

Le  premier  exemple  que  nous  en  ayons  trouvé  se  lit  dans  Boeve 
de  Haumtone  :  c'est  reinitercut  (au  vers  2872).  La  disparition  de  Ys 
est  en  soi  très  vraisemblable  à  la  date  du  Boeve;  cependant  nous 
pencherions  à  l'attribuer  au  scribe,  car  de  telles  formes  sont  très 
rares  et  par  conséquent  douteuses  au  commencement  du  xiii^  siècle. 
Celui  qui  se  rapproche  de  l'exemple  de  Boeve  se  lit  dans  les  Chansons 
et  n'est  pas  non  plus  bien  assuré  :  on  lit  (Gg.  6,  28)  ccritrent  qui 
rime  avec  une  forme  en  s  :  enqiiistercnt. 

C'est  principalement  au  xiV  siècle  que  nous  retrouvons  ces  diffé- 
rentes formes,  et  elles  sont  fort  nombreuses  à  cette  époque  :  citons 
parmi  celles  que  nous  avons  recueillies  âesconfilrent,  qu'on  lit  au  folio 
25  r°  des  Chroniques  de  Nicolas  Trivet.  Et  cette  chute  de  Vs  se 
produit  même  quand  elle  se  trouve  entre  deux  consonnes.  On 
peut  citer  comme  exemple  artrenf  (ardeir)  qui  se  trouve  dans  cet 
auteur  (au  folio  57  v°). 

Les  ouvrages  non  littéraires  nous  fournissent  tous  des  exemples 
de  ce  même  développement  normal  qui  consiste  dans  l'amuissement 
de  Vs  avant  le  t  ;  dans  les  Hist.  and  Munie.  Documents  of  Ireland, 


650  l'évolution    du    VERIÎR    EN    ANGLO-l-RANÇAIS 

nous  trouvons  ainsi  picyuircnt  (1252,  206)  ;  et  cette  même  forme  se 
retrouve  encore  dans  les  Pari.  Writs  à  la  date  de  1280  (p.  8); 
dans  les  Mem.  Pari.  1305,  on  trouve  tretrent  (au  §  40)  ;  dans  Jean 
de  Peckham,  ^«r();///t';r;7/ (1346,  80).  Enfin  nous  pourrions  tirer 
des  différents  Year  Books  toute  une  liste  de  troisièmes  personnes  du 
pluriel  de  ces  prétérits  en  si  dans  lesquelles  IV  s'est  amuie  :  pleinfreiit, 
m  il  trait,  pritrent. 

Les  quelques  exemples  que  nous  avons  cités  nous  permettent  de 
fixer  avec  une  certaine  précision  la  date  à  laquelle  ce  phénomène  a 
commencé  à  se  produire.  Les  plus  anciens  exemples  que  nous  four- 
nissent les  textes  politiques  ou  diplomatiques  datent  du  commen- 
cement de  la  seconde  moitié  du  xiii^  siècle  ;  cette  date  est  sensible- 
ment plus  récente  (d'une  quinzaine  d'années  environ)  que  la  date 
de  la  composition  de  Boeve  de  Haumtone.  Si  nous  rapportons  au 
scribe  l'exemple  que  nous  trouvons  dans  ce  poème  et  ceux  des 
Chansons  que  nous  avons  cités,  ils  ne  remonteront  pas  plus  tôt  que 
le  commencement  du  xiv^  siècle. 

2.  Il  nous  reste  encore  à  signaler  un  autre  fait  purement  phonique 
qui  avait  déjà  engagé  notre  attention  à  l'infinitif;  dans  le  groupe  str 
un  e  svarabhaktique  s'introduit.  Les  exemples  sont  déjà  nombreux 
chez  Boeve,  comme  assistèrent  (vers  3102,  etc.),  ou  enqnisterent, 
Chansons  (Gg.  6,29);  treslerent  au  folio  50  v'^  de  la  Genèse,  qui  se 
retrouve  dans  Nicolas  Trivet  (15  r°)  ;  pristerent  au  vers  20  de  l'Érec- 
tion des  Murailles  de  New  Ross  ;  c'est  la  forme  ordinaire  de  ce  pré- 
térit en  dehors  de  la  littérature.  Nous  en  trouvons  des  exemples 
dans  les  Rymer's  Foedera  (1297,  I^j  l^A)'y  '^'^^'^^  l^s  Mem.  Pari. 
^05  (§§  125,  410),  et  surtout  dans  les  Year  Books  (cf.  13  et  14 
Edw.  III,  205,  371). 

D'autres  verbes  se  rencontrent;  pour  ne  pas  allonger  outre  mesure 
notre  liste  d'exemples,  nous  citerons  dans  les  œuvres  littéraires  du 
xiv^  siècle  disterent  qu'on  lit  dans  l'Apocalypse  (1088);  sisterent 
dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  428,  9)  ;  et  quelques  autres  tirés  des 
textes  n'appartenant  pas  à  la  littérature  :  reqnisterent  dans  les  Actes 
du  Parlement  d'Ecosse  (1323, 480)  (cf. aussi  Jean  de  Peckham  1346, 
80). 

Les  Year  Books  nous  en  donneraient  un  nombre  considérable  : 
assistèrent,  niislerent,  (/iiislerent,  etc. 


LE    PRÉTÉRIT  6^1 

Il  est  assez  rare  de  voir  cet  e,  lorsque  Vs  est  tombée,  et  tous  les 
exemples  que  nous  en  avons  peuvent  provenir  d'erreurs  cléricales  : 
asiterent,  Boeve  (3102)  ;  cscriterein,  Nicolas  Trivet  (65  r°). 

Le    thème. 
a)  La  voyelle. 

Nous  signalerons  tout  d'abord,  mais  sans  nous  y  arrêter  trop 
longuement,  le  changement  bien  connu  qu'on  observe  pour  ces  deux 
personnes  au  prétérit  du  verbe  maindre  et  de  ses  composés.  La 
voyelle  /  y  passe  très  fréquemment  à  e.  Le  participe  passé  du  luême 
verbe  nous  a  fourni  des  exemples  du  même  phénomène  (voir  page 
521)'.  M.  Suchier  admet  que  ce  changement  est  dû  à  l'influence 
du  verbe  mettre.  Assez  tard,  la  forme  régulière  se  rencontre  encore; 
nous  avons  relevé  un  exemple  de  reiiiestrcut  dans  la  \'ie  de 
Sainte  Catherine  de  Sœur  Clémence  de  Barking  (au  vers  1227). 
Malheureusement  pour  ces  formes,  nous  n'avons  pas  trouvé  à  la 
rime  des  exemples  aussi  nombreux  que  pour  le  participe  passé  ; 
aussi  nous  n'insisterons  pas  sur  ce  point. 

Les  autres  changements  que  nous  avons  à  exposer  sont  de  mince 
importance  et  ou  bien  ne  rentrent  pas  exactement  dans  notre  sujet 
ou  manquent  de  généralité  :  ce  sont  soit  des  développements 
phoniques  assez  normaux,  au  moins  pour  l'anglo-français,  ou  des 
phénomènes  d'analogie  qui  ne  se  manifestent  que  dans  des  exemples 
isolés.  Nous  parlerons  d'abord  de  quelques  changements  qui 
atteignent  la  diphtongue  du  verbe  faire;  nous  rencontrons  quelque- 
fois la  diphtongue  ai,  comme  dans  fuirent,  que  nous  avons  relevé 
dans  les  Annales  du  Monastère  de  Saint-Alban  (1326,  277)  et  qui 
provient  de  l'infinitif  (comparer  parler,  parlèrent  et  les  formes 
analogiques  que  nous  allons  signaler  :  ardre,  ar  cirent  ;  pleindre,  plein- 
dreniy,  la  diphtongue  oi  est  plus  rare  et  provient  de  l'évolution 
de  ei  ;  foirent  se  lit  dans  le  Psautier  d'Arundel  (21,  18).  La 
diphtongue  ie  est  fort  rare,  nous  en  |avons  cependant  rencontré 
des  exemples,,  surtout  en  dehors  des  œuvres  littéraires  :  le  plus 
ancien  que  nous  connaissions  se  lit  dans  les  Lettres  de  Jean  de 
Peckham  :  fiet  (qui  pourrait  être  une  erreur  de  lecture  pour  fisl). 

I.  Cf.  Schlosscr,  Quatre  Livres  des  Rois,  p.  «S. 


652  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

La  modification  la  plus  commune,  c'est  le  passage  de  /  a  e  \  Nous 
en  avons  trouvé  un  certain  nombre  d'exemples  dans  les  œuvres 
littéraires  à  une  date  ancienne,  par  exemple  le  désirent  du  Psautier 
d'Arundel  (24,  3),  qui  se  retrouve  au  vers  133  de  la  Folie 
Tristan. 

Au  xiii^  et  au  \ï\^  siècle  dans  toutes  les  catégories  de  textes 
anglo-français,  nous  rencontrons  des  preuves  que  ce  changement  a 
été  fort  commun  ;  fc~  (troisième  personne  du  singulier)  se  lit  dans 
les  Early  Statutes  of  Ireland  (1285,  46);/t'5/  dans  les  Rymer's  Foe- 
dera  (1298^  II,  835);  prestrent  dans  les  Royal  Letters  Henry  III 
(1168,  II,  320);  même  et  surtout  dans  les  Year  Books  (d.  prest 
dans  le  Year  Book  2  et  3  Edw.  II,  12). 

C'est  dans  cette  même  classe  que  nous  rangerons  le  phénomène 
dont  nous  parlions  tout  à  l'heure  :  le  passage  de  remist  à  reiiiest  ; 
comme  les  quelques  exemples  que  nous  venons  de  donner  le 
montrent,  le  passage  de  /  à  e  n'est  pas  limité  à  un  seul  verbe  et  la 
même  explication  doit  suffire  à  tous  les  exemples  qu'on  en  ren- 
contre. Il  se  peut,  comme  le  croit  M.  Suchier,  que  mettre  ait  exercé 
sur  maindre  une  certaine  influence;  mais  pour  ce  verbe,  comme 
pour  lesautres,  le  changement,  croyons-nous,  a  avant  tout  un  carac- 
tère phonique  surlequel  nous  reviendrons  dans  notre  seconde  partie. 

Nous  avons  encore  à  signaler  un  changement  auquel  est  soumise 
la  voyelle  /,  changement  qui,  probablement,  ne  diffère  que  dans  la 
forme  de  celui  que  nous  venons  d'exposer,  i  passe  fréquemment  à 
ci  et  on  peut  se  demander  si  dans  les  exemples  suivants  ei  n'est  pas 
le  plus  souvent  une  graphie  de  e.  Le  premier  exemple  que  nous 
ayons  de  ce  phénomène  semble  pourtant  bien  ancien  pour  cela  : 
il  se  lit  dans  le  Psautier  d'Arundel  à  deux  reprises  :  feist  (10,  3  ; 
17,21);  pour  les  autres  notre  explication  est  au  moins  vraisemblable. 
Nous  retrouvons /m/  dans  les  Evangiles  des  Dompnées  de  Robert 
de  Gretham  (64  v°)  et  deist  dans  le  Saint  Julien  (64  v°). 

On  peut  croire  aussi  que  cette  diphtongue  provient  des  personnes 
imparisyllabiques,  mais  les  deux  exemples  ci-dessus  nous  montrent 

I.  Pour  /  employé  à  la  place  de  e  fermé,  on  peut  voir  dans  les  Franzôsische 
Studien  (V,  147)  l'opinion  de  Behrens  :  «  Auch  ist  nicht  zu  ùbersehen,  dass  altè- 
res /  in  me.  T.  eiuer  sehr  oflfner,  deni  geschlossenen  e  so  nahestenden  /  Laut 
bezeichnet  hat,  dass  dafùr  haûfig  e  geschrieben  findet  woneben  dann  i  fur  sehr 
geschlossenes  e  in  me.  Hss.  als  umgekehrte  Schreibung  sich  erklàren  liesse.  » 


LE    PRÉTÉRIT  653 

clairement  que  ces  formes  sont  monosyllabiques.  A  la  troisième 
personne  du  pluriel,  les  cas  sont  moins  nombreux  et  plus  tardifs  : 
citons  retreisterenl  que  nous  trouvons  dans  la  Chronique  de  Nicolas 
Trivet  (15  r°). 

Cette  diphtongue  est  assez  commune  dans  les  différents  recueils 
de  textes  non  littéraires,  comme  par  exemple  dans  les  Statutes  -.feit 
(1332,  1,185)  ou  i-'scrcist  dans  le  Liber  Rubeus  de  Scaccario  (1323, 
858). 

b)  La  consonne  du  thème. 

Nous  n'avons  rien  de  particulier  à  dire  sur  la  consonne  du  thème: 
la  chute  de  Vu  dans  remist  et  prist  est  trop  générale,  en  français 
comme  en  anglo-français  pour  que  nous  nous  y  arrêtions. 

Dans  repunst,  Vn  est  tantôt  présente,  tantôt  absente. 

c)  Influence  de  l'infinitif. 

Nous  trouvons  encore  à  la  troisième  personne  du  pluriel  de  ces 
prétérits,  mais  uniquement  à  partir  de  laseconde  moitiédu  xiii^  siècle, 
une  autre  irrégularité  qui  aeu  assez  d'importance  dans  notre  dialecte. 
Les  troisièmes  personnes  du  pluriel  se  laissent  influencer  par  la 
forme  de  l'infinitif,  et  cette  influence  est  probablement  aidée,  dans 
une  certaine  mesure,  par  l'analogie  des  prétérits  en  avi  et  en  ivi 
qui,  à  la  troisième  personne  du  pluriel,  reproduisent  exactement 
dans  la  prononciation  la  forme  de  l'infinitif.  Nous  avons  déjà 
signalé  la  ïorme  fuirent  qui  peut  avoir  la  même  origine  que  celles 
que  nous  allons  donner  maintenant  ;  aucun  doute  toutefois  ne 
s'attache  à  celles  qui  suivent. 

Le  premier  exemple  que  nous  trouvions  à  citer  se  lit  dans  le  Saint 
Edmund  :  joindrent  employé  au  vers  669  ;  mais  cette  forme  n'est 
pas  attestée  et  comme  elle  nous  semble  un  peu  invraisemblable  à 
cette  date  et  dans  ce  poème,  nous  n'hésiterons  pas  à  l'attribuer  au 
scribe,  ce  qui  en  ferait  une  forme  du  xiV^  siècle.  Dans  la  Chro- 
nique de  Wil.  Rishanger,  nous  trouvons  (à  la  page  300)  un 
exemple  qui,  lui,  appartient  bien  à  la  seconde  partie  du  xiii*^  :  c'est 
esteindrent.  Il  est  inutile  de  faire  remarquer  que  les  deux  exemples 
précédents  dérivent  des  infinitifs  joindre  et  estreindre. 


654  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françaîs 

Il  en  est  de  môme  des  nombreuses  formes  analogiques  que  nous 
trouvons  au  xiV  siècle:  surdrent,  Pierre  de  Langtoft  (II,  370,  5); 
ardrent,(\h\à.,   11,418,  2). 

On  peut  encore  rapporter  à  l'infinitif,  sous  sa  forme  étymologique 
ou  sous  une  autre  forme,  surderent  au  folio  44  r°  delà  Genèse  (sur- 
dere)  ',pleynerent  au  tolio  75  v"  du  même  ouvrage  (pleynere)  ;  dcs- 
trurent  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  418,  2)  (destrure);  trahiermt  au 
vers  3857  du  Prince  Noir  (traiere). 

Les  exemples  ne  sont  pas  très  nombreux  dans  la  langue  politique  : 
on  trouve  rcindrent  (de  reindre  ^  raembre)  dans  les  Statutes  (1322 
I.  186);  ardrent  dans  les  Hist.  and  Munie.  Doc.  of  Ireland, 
(1319,  406);  on  pourrait  ici  citer  aussi /â!/r^;/f  qui  se  lit  dans  la 
Chronique  de  Saint  Alban  (1326,  277),  etc. 

Les  Year  Books  nous  donnent  une  plus  ample  moisson  :  pleindrcnt , 
maindrent,  joUidrent,  respnndrent  y  sont  fort  communs. 

Il  est  plus  difficile  d'expliquer  diserent,  Hist.  and  Munie.  Doc.  of 
Ireland  (1292,  205),  et  feserent,  Chronique  de  Saint  Alban  (1326, 
227),  qui  semblent  plutôt  être  des  formes  analogiques  en  avl. 

ACaUISITIONS  DES    PRETERITS   EN    SI 

Les  nouvelles  formations  en  si  inconnues  au  continent  sont 
rares  dans  l'anglo-français  littéraire  :  les  prétérits  en  si  n'avaient 
paSj  au  point  de  vue  phonique,  une  très  grande  force  de  résistance 
à  leurs  personnes  caractéristiques;  les  personnes  imparisyllabiques 
voient  le  plus  souvent  tomber  IV  intervocaliqueet  lasynérèse  se  faire 
progressivement.  Depuis  l'amuissement  de  Vs  devant  le /,1a  troisième 
personne  des  verbes  les  plus  employés  se  contond  avec  celle  des  pré- 
téritsen/i'/;  quanta  la  troisième  personne  du  pluriel,  elle  tend  à  prendre 
la  forme  irent  ou  erent.  Tout  conspire  à  faire  disparaître  ce  temps. 

Nous  allons  maintenant  étudier  les  quelques  acquisitions  qu'ils 
ont  pu  faire  en  anglo-français,  d'abord  aux  personnes  imparisylla- 
biques^ ensuite  à  la  troisième  personne  du  pluriel. 

Comme  on  le  voit,  nous  ne  considérons  pas  comme  des  acquisi- 
tions de  ces  prétérits  les  nombreuses  troisièmes  personnes  du  singu- 
lier qui  nous  montrent  la  désinence  en  st  ;  celles-ci  doivent  leur  s, 
même  si  l'analogie  a  eu  quelque  part  dans  le  changement  qu'ils  ont 
subi,  à  des  causes  beaucoup  plus  générales. 


1 


LE    PRÉTÉRIT  6\ 


)) 


A.  Extension  des  formes  imparisyllabiques^ . 

Les  personnes  imparisyllabiques  voient  un  certain  nombre  de 
prétérits  prendre  leurs  formes  et  montrer  l'allongement  syllabique. 
Ce  phénomène  ne  peut  évidemment  se  produire  que  tant  que 
subsiste  dans  les  prétérits  en  si  Ys  intervocalique,  ou  tout  au  moins 
aussi  longtemps  que  la  diérèse  se  fait  régulièrement. 

La  date  même  à  laquelle  la  synérèse  commence  à  se  faire  d'une 
manière  pour  ainsi  dire  régulière  voit  aussi  cesser  toute  acquisi- 
tion à  CQS  personnes. 

Voici  les  exemples  que  nous  avons  relevés  ;  on  verra  que  nous 
n'en  avons  découvert  aucun  nouveau.  Dans  le  Psautier  d'Oxford, 
on  lYouxe  deguerpesis  (9,  10),  de^iierpisis  (v,  27);  dans  le  Psautier 
de  Cambridge,  deguerpissis  QÇ,  27);  degmrpisis  (9,9)  se  trouve  dans 
le  Psautier  d'Arundel  (mais  déguerpis  dans  les  trois  Psautiers  21,  i, 
etc.).  On  a  encore  estahlisis  dans  le  Psautier  d'Oxford  (88,  -j6). 
Dans  Gaimar  on  trouve  (au  vers  442)  guarisimes  qui  reparaît 
encore  (^/m/tw)  jusque  dans  Saint  Gilles  (au  vers  ^^ç^y^ei  parsuesit 
(suivre)  au  vers  5921. 

Dans  les  ouvrages  non  littéraires,  ce  phénomène  est  à  peu  près 
inconnu  ;  nous  n'en  avons  relevé  qu'un  seul  exemple,  irrégulier  à 
plus  d'un  titre:  entendesit,  dans  les  Hist.  and  Municipal  Doc.  of 
Ireland  (1292,  205). 

B.    Troisième  personne  du  pluriel. 

A  part  ces  quelques  verbes  que  nous  venons  de  citer,  ce  sont 
uniquement  des  troisièmes  personnes  du  pluriel  qui  prennent  la 
forme  des  prétérits  en  si.  Faisons  remarquer  dès  maintenant  l'écart 
de  dates  entre  les  exemples  qui  suivent  et  ceux  qui  précèdent.  Les 
premières  formes  que  nous  avons  relevées  appartiennent  sans  aucun 
doute  possible  aux  premières  années  du  xiii^  siècle  ;  elles  pro- 
viennent d'un  prétérit  en  ///et  d'un  prétérit  en  /-z.'/.  Ces  deux  formes 
se  lisent  dans  les  poèmes  de  Frère  Angier:  reqenoistrent  se  lit  dans  la 

I .  Pour  cctie  question,  cf.  Gaston  Paris,  Etude  sur  le  rôle  de  l'acceni 
latin,  p.  74,  et  L.  Czische,  Die  Pertektbilduug  der  starken  verba  si  klasse  ini 
franzôsischen,  Risop  Studien,  pp.    122-127. 


656  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Vie  de  Saint  Grégoire  (au  vers  2787),  formequi  montre  probablement, 
plutôt  l'influence  de  son  inlinitif  que  celle  des  prétérite  en  si.  On 
trouves  encore  niarrislrent  dans  les  dialoges  (au  folio  32  r°  b).  Nous 
avons  déjà  à  cette  époquedes  représentants  des  deux  classes  de  prétérits 
qui  pourront  prendre  la  terminaison  des  prétérits  en  si.  Les  prété- 
rits en  iti  seront  toujours  les  plus  nombreux  ;  dans  la  Genèse.  Notre 
Dame  (au  folio  70  r"),  nous  trouvons  crustrent  de  croître;  au  vers 
9053  de  William  de  Waddington,  suslrent  de  savoir  ;  dans  Nicolas 
Trivet,  rcconustrcnt  reparaît  encore  (au  folio  47  r''),  probablement 
tous  la  même  influence  que  tout  à  l'heure. 

Hors  de  la  langue  littéraire,  deux  prétérits  en  ivi  apparaissent  : 
reponstrent  de  répondre,  qui  se  trouve  dans  un  grand  nombre  de 
cas,  surtout  dans  les  Rymer's  Foedera,  et  escistrent  de  issir,  qui  se 
lit  dans  les  Rymer's  Foedera  (1256,  I,  589).  Les  prétérits  en  /// 
sont  autrement  nombreux,  quoique  aucun  ne  soit  aussi  souvent 
employé  que  reponstrent.  Le  plus  connu  est  encore  conustrent  qu'on 
trouve  dans  le  Registrum  Malmesburiense  (1309,  I,  58);  et  fré- 
quemment dans  les  Year  Books,  comme  32  et  33  Edw.  I"  (209); 
II  et  12  Edw.  III  (647);  on  trouve  encore  encrustrent  dans  les 
Statutes  (1327,  I,  259),  dont  nous  avons  rencontré  un  exemple 
dans  la  Genèse  Notre-Dame.  Citons  encore  pour  en  finir  piistrcnt 
de  pestre  (ir  et  13  Edw.  III,  573);  resceiislrent  (14  Edw. III,  285). 

Comme  on  le  voit,  ces  quelques  troisièmes  personnes  du  pluriel 
sont  disséminées  sur  un  nombre  considérable  d'années  et  elles 
appartiennent  en  majorité  à  des  verbes  ayant  leur  prétérit  réguliè- 
rement en  ni. 

Il  nous  reste  maintenant  à  citer  le  seul  verbe  qui  soit  réelle- 
ment une  acquisition  des  prétérits  en  si,  le  verbe  vouloir.  Mais 
ses  formes,  sauf  les  quelques  exceptions  que  nous  avons  données, 
sont  si  régulières  (zvls,  vous,  volsis,  volsistes,  voiislrciit^  que  nous 
n'avons  pas  à  insister. 


CHAPITRE     IV 


L'IMPARFAIT  DU  SUBJONCTIF 


Nous  avons  déjà  traité  un  certain  nombre  de  questions  se  rap- 
portant aux  différentes  personnes  de  l'imparfait  du  subjonctif. 


Première  personne  du  singulier 

Seconde  personne    du  singulier 
Troisième  personne  du  singulier 


Première   personne  du    pluriel 

Seconde    personne    du   pluriel 

■q,  page         227 
Troisième  personne  du  pluriel  :  Désinences  accentuées,  page  235 


Chute  de  la  syllabe  se,  page  5  5 

Chute  de  sse,  page  5  5 

Chute  de  sses,  page  77 

Chute  de  s,  page  118 

Chute  de  st,  page  118 

^  pour  st,  page  119 

Désinence  en  oins,  page  177 

ions,  page  177 

—  iens,  page  196 
Désinence  en  e:{,   page  205 

—  /V 


A.  Phénomènes  généraux. 


Il  nous  reste  cependant  à  apporter  quelques  précisions  sur 
quelques  points  que  nous  ne  pouvions  pas  traiter  dans  le  chapitre 
des  Désinences  personnelles,  air  ils  sont  particuliers  à  l'impar- 
fait du  subjonctif.  Nous  voulons  parler  de  la  répartition  des 
désinences  aux  personnes  qui  en  ont  plus  d'une,  c'est-à-dire  à  la  pre- 
mière et  la  seconde  personne  du  pluriel,  et  de  la  chute  d'une  des 
deux  s  de  la  désinence. 

4^ 


6)8  l'évolution  du  verbe  ex  axglo-ikaxçais 


Première  personne  du  pluriel. 

Des  trois  terminaisons  que  nous  avons  énumérées  pour  la  pre- 
mière personne  du  pluriel  de  l'imparfait  du  subjonctif,  la  termi- 
naison unis  est  la  plus  commune  et  probablement  la  seule  dans  les 
ouvrages  littéraires.  Nous  n'énumérerons  pas  tous  les  exemples  que 
nous  avons  recueillis  ;  mais  nous  pouvons  dire  que  nous  en  avons 
pour  toutes  les  formes  de  l'imparfait  du  subjonctif  et  pour  toutes  les 
périodes;  des  formes  comme  ctnitissoms,  priassoins,  perdissiniis,  feis- 
siiiiis,  oitssuni,  deussum  se  rencontrent  dans  la  plupart  des  auteurs 
anglo-français. 

Il  est  digne  de  remarque  que  les  Year  Books  sont  d'accord  sur 
ce  point  avec  les  œuvres  littéraires,  et  que  les  désinences  en  tims 
soient,  nous  semble-t-il,  les  seules  qu'emploient  les  recueils  légaux. 
(Cf.  Maitland,  Year  Book  Edw.  II,  p.  liii-lxxvii.) 

Les  textes  familiers  nous  offrent  eux  aussi  un  nombre  asse;^  con- 
sidérable de  ces  désinences  ;  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  et  les 
Literae  Cantuarienses  '  ne  contiennent  aucun  exemple  des  deux 
autres  terminaisons. 

Celles-ci  sont  donc  limitées  strictement  aux  recueils  de  textes 
diplomatiques  et  politiques.  La  première,  la  désinence  en  ions  est 
cependant  assez  rare  :  nous  la  trouvons  sporadiquement  pendant 
tout  le  xiv'  siècle,  surtout  dans  les  Rymer's  Foedera-,  mais  aussi, 
quoique  plus  rarement,  dans  les  Statutes. 

La  terminaison  en  iens  est  beaucoup  plus  commune  et  elle  atteint 
tous  les  imparfaits  du  subjonctif  :  subjonctifs  de  I  :  parlissiens, 
Rymer's  Foedera  (1297,  ^^5  779)5  donissiens,  niandissiens.lmpa.r- 
faits  du  subjonctif  correspondant  à  un  prétérit  en  /  :  venissiens, 
dans  le  même  recueil  (1297,  II,  770)  ;  tenissiens;  à  des  prétérits  en 
si:  maiidissiens  (1297,  ^ï'  77^)  '■>  cntreprissiens,  feissiens. 

Mais  ce  sont  surtout  ces  imparfaits  qui  correspondent  à  un 
prétérit  en  ///  qui  montrent  cette  forme  ;  leur   nombre  est  beau- 

1.  Nous  en  avons  cependant  un  exemple  dans  le  recueil  de  Lettres  :  voiisis- 
sions,    13 18,  46. 

2.  Voici  les  quelques  exemples  que  nous  en  avons  trouvés  dans  Rymcr  :  doiiis- 
sions,  1 300,  voessiotis,  1 3 14,  eussions,  i  3 14,  proiiiessioiis,  eussions,  /eussions,  peussions. 


l'imparfait  du  subjonctif  659 

coup  plus  considérable  que  celui  de  tous  les  autres  imparfaits  du 
subjonctif  pris  tous  ensemble,  et  les  formes  qu'ils  fournissent  se 
trouvent  dans  la  plupart  des  recueils  de  textes  politiques.  Les  plus 
anciens  exemples  se  trouvent  à  la  même  date  dans  les  Statutes  et 
dans  les  Rymer's  Foedera  :  on  trouve  eussicus  à  l'année  1297  <^^iis 
les  Statutes(I,  124)  et  dans  Rymcr  (II,  764,  800).  Les  autr.es  verbes, 
moins  employés,  fournissent  moins  d'exemples  ;  mais  on  peut  citer 
pcHssiens,  creiissiens,  scussiens,  fciissiens. 

Il  serait  assez  utile  de  résumer  par  quelques  chiffres,  tout  à  tait 
approximatifs,  le  rapport  de  ces  différentes  formes  ons,  ions,  ieiis 
entre  elles  dans  les  différents  recueils.  Dans  un  tel  compte,  on  peut 
négliger  pour  les  Statutes  les  formes  en  io)!s  :  entre  les  deux  autres 
désinences  le  rapport  serait  celui  de  i  à  7,  le  plus  faible  chiffre 
représentant  les  désinences  en  iens.  Pour  Rymer  les  nombres 
seraient  i  à  5  et  à  9,  le  plus  petit  nombre  représentant  les  dési- 
nences en  ions,  le  second  les  désinences  en  iens,  le  troisième  les 
désinences  en  ons.  Nous  n'avons  pas  obtenu  ces  chiffres  sur  l'en- 
semble des  textes,  mais  au  moyen  de  différents  traités  à  différentes 
dates  du  xiV^  siècle. 

Nous  ne  tenons  pas  compte  de  la  désinence  icnies  que  nous 
n'avons  relevée  qu'une  fois  dans  Rymer  (j'uissiemes,  1,39,  ^',  1 15), 
ni  de  la  désinence  en  ems,  plus  commune,  mais  limitée  à  avoir  et 
être  (eusscnis  se  trouve  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Ecosse,  1233, 

I,  479  ;   dans  les  Parliamentary  Writs.,  1299,  I,  319  et  321  ;  1323, 

II,  602;  feussenis  dans  les  Parliamentary  Writs,  1300,  I,   340). 

Deuxième  personne  du  pluriel. 

La  deuxième  personne  du  pluriel  ne  nous  offre  que  deux  termi- 
naisons: l'une  avec  1'/,  l'autre  sans  17. 

La  terminaison  ordinaire  est  celle  qui  ne  montre  pas  1'/;  il  nous 
serait  facile  ici  de  citer  plusieurs  pages  d'exemples,  et  nous  nous 
trouvons  dans  l'embarras  pour  savoir  ce  que  nous  devons  citer  et  ce 
que  nous  devons  négliger.  Pour  la  langue  littéraire,  nous  pouvons 
borner  nos  exemples  à  l'imparfait  du  subjonctif  de  la  première  et 
de  la  seconde  conjugaison  car,  quand  nous  parlerons  de  la  diérèse 
pour  les  imparfaits  du  subjonctif  des  classes  en  /,  en  si  et  en  ///, 
nous  donnerons  suffisamment  d'exemples  pour  montrcr_^combien  ces 
formes  sont  usuelles. 


66o  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

I.  Terminaison  en  e:(^. 

Donnons  rapidement  pour  ces  deux  conjugaisons  des  exemples 
des  trois  siècles  :  chakngisseï  se  lit  au  vers  462  de  Gaimar;  aporiise:^ 
au  vers  885  du  Tristan  de  Thomas  ;  rendisc~  au  vers  712  du  Drame 
d'Adam  ;  qîiidcsse:^  se  trouve  employé  très  fréquemment  au  vers 
2484  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  au  vers  14  d'Aspremont  et  3254 
de  William  de  Waddington  ;  iiiorise:{  est  employé  par  ce  dernier 
auteur  (au  vers  10015)  ;  trovisseï  est  emplové  par  Pierre  de 
Langtoft  (II,  100,  4)  ;  chaunHsseï  au  §  8  des  Contes  de  Nicole  Bozon, 
etc. 

Les  exemples  ne  sont  pas  moins  communs  en  dehors  de  la  litté- 
rature :  on  trouve  dans  les  Parliamentary  Writs  cessisse:^  (ij^S? 
731)  ;  dans  Rymer  entreisset\,  gardissc:(  ;  kvesseï  dans  les  Lettres  de 
Jean  de  Peckham  (1257,  114);  /'^//«ic- dans  les  Literae  Cantua- 
rienses  (1334,  550)  ;  ienasse^,  dans  le  même  recueil  et  dans  la 
même  lettre.  Et  un  nombre  considérable  d'exemples  analogues.  Il 
en  va  de  même  des  textes  légaux;  citons  dans  un  seul  Year  Book, 
13  et  14  Edw.  III:  alasse:^  (p.  189);  clamasse^  (p.  209);  mous- 
trase:^  (p.  317).  Ceci  montre  suffisamment  qu'à  toute  époque,  dans 
toutes  sortes  de  textes  et  pour  toutes  classes  d'imparfaits  du  sub- 
jonctif, la  terminaison  en  q  est  extrêmement  commune. 

2.  Terminaison  en   />~. 

Les  terminaisons  en  ic:{,  sans  être  aussi  nombreuses  que  les  dési- 
nences sans  i,  se  trouvent,  pour  certains  verbes  au  moins,  à  toutes 
les  périodes  de  la  littérature  anglo-française.  Il  y  a  d'abord  cer- 
taines catégories  de  verbes  qui  ne  prennent  jamais  cette  terminai- 
son :  les  imparfaits  du  subjonctif  qui  correspondent,  soit  à  un  pré- 
térit en  avi,  soit  à  un  prétérit  en  ivi. 

Pour  les  trois  autres  classes  les  désinences  avec  ;  sont  plus  ou 
moins  fréquentes:  celle  qui  présente  le  plus  grand  nombre  d'exemples 
c'est  la  classe  des  prétérits  en  /. 

Veïssie:{  se  trouve  constamment  dans  la  Chronique  de  Jordan 
Fantosme  (cf.  par  exemple  aux  vers  876,  1204,   1285,  1763), 

On  retrouve  plus  tard  la  même  forme  dans  Aspremont  (au  vers 
117);  dans  la  Vie  de  Sainte  Marguerite  (au  vers  315);  dans  le 
Prince  Noir  (3383,  3926). 


l'imparfait  du   SUBJON'CTIF  66 1 

FeissJe~  est  assez  fréquent,  par  exemple  il  se  trouve  dans  le 
Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington  (au  vers  3185);  au 
vers  540  du  Prince  Noir. 

Dans  la  première  classe  des  prétérits  en  ni,  nous  ne  trouvons 
de  désinence  en  ie^  que  dans  Fantosme  :  eussiez  (vers  984),  pens- 
5/V^  (vers  1350),  et  dans  Sœur  Clémence  de  Barking  :  oussie{  (aux 
vers  279,  1176). 

Les  terminaisons  en  ic:(  ne  sont  donc  pas  rares  dans  la  littéra- 
ture ;  leur  nombre  toutefois  n'approche  pas  de  celui  des  terminai- 
sons sans  /.  Il  en  est  exactement  de  même  pour  les  textes  diploma- 
tiques et  politiques.  Voici  dans  ces  textes  un  petit  nombre 
d'exemples  de  désinences  en  ie^^:  ontrouye  feussne:(  dans  lesRymer's 
Foedera  (1325,  IV,  181);  diissic:^  dans  le  même  recueil  (1364,  VI, 
439)  ;  les  Literae  Cantuarienses  nous  donnent  vonsissie-  (1327, 
209);  duissie^  (i333j  527)  et  quelques  autres;  mais  ils  sont  rela- 
tivement rares . 

Nous  n'avons  pas  relevé  de  terminaisons  en  zV:^  dans  les  Year 
Books. 

Les  deux  s. 

Il  est  très  fréquent  de  trouver  en  anglo-français  les  deux  5 
qui  caractérisent  toutes  les  personnes  de  l'imparfait  du  subjonctif, 
sauf  évidemment  la  troisième,  réduites  à  une  seule. 

Ce  phénomène  se  rencontre  à  toutes  les  classes  sans  exception 
et  remonte  assez  haut.  Tout  d'abord,  nous  trouvons  de  nombreux 
exemples  qui  montrent  que  ces  imparfaits  appartenant  à  la  classe  enavi 
sont  écrits  avec  une  s  simple,  comme  aportise:(  qu'on  trouve  au  vers 
885  du  Tristan  de  Thomas  et  qui  peut  aussi  bien  appartenir  à  l'auteur 
qu'au  scribe;  hastise^,  emplo3'è  au  vers  806  de  la  Folie  de  Tristan, 
et  un  certain  nombre  d'autres  exemples  peuvent  se  retrouver  par  la 
suite.  Pour  les  verbes  de  la  classe  en  ivi,  nous  pouvons  aussi  citer 
un  nombre  assez  considérable  d'exemples  :  reïidise:^  qui  se  trouve  au 
vers  712  du  Drame  d'Adam;  niorise:^  dans  le  Manuel  des  Péchés,  au 
vers  100 15  (A);  perdise~  dans  le  roman  de  Foulques  Fitz  Warin 
(p.  58);  euiendisent  au  foUo  34  r°  des  Vies  de  Saints  de  Bozon. 

Nous  en  avons  relevé  un  plus  petit  nombre  pour  les  prétérits  en 
i  et  en  si  :  veiseï  (au  vers  2481  de  Dermod)  ;  ienisoil  dans  le  Saint 
Edmund  (au  vers  461).    Et  encore  dciseni  au   vers    1825  du   Saint 


662  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Auban  ;  feisent  se  rencontre  assez  communément  :  dans  le  Saint 
Auban  (au  vers  1745),  dans  le  Dermod  (aux  vers  1363,  2108). 
En  dehors  de  la  littérature,  les  exemples  ne  sont  pas  rares,  comme 
incisons  qu'on    relève  dans  le  Year  Book  13   et   i^    Edw.  III,   23. 

Ce  sont  les  verbes  qui  ont  un  prétérit  en  ni  qui  nous  fournissent 
pour  ce  phénomène  le  plus  grand  nombre  d'exemples,  en  même 
temps  que  les  plus  anciens.  Les  premiers  cas  de  chute  de  l'une  de 
ces  deux  s  nous  montrent  que  ce  phénomène  date  au  moins  de 
1167.  On  les  trouve  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  :  onsum, 
sonsnni,  ponse  (respectivement  aux  vers  764,  763,  1563)  (ms.  de 
l'Arsenal  :  ensson,  sonson).  On  en  trouve  encore  quelques  autres  dans 
les  poèmes  du  même  siècle,  mais  on  ne  saurait  décider  s'ils  appar- 
tiennent aux  auteurs  ou  aux  scribes,  comme  seuse:{,  deuse:^  (respecti- 
vement aux  vers  257,  396)  dans  le  Drame  d'Adam. 

Il  est  certain  que  leur  nombre  est  beaucoup  plus  considérable  au 
xiii^  siècle;  on  peut  citer  nse  aux  vers  341,  2732  du  Manuel  des 
Péchés;  snse  dans  le  Roman  des  Romans  (au  vers  437),  dans 
Dermod  (au  vers  1341),  dans  William  de  Waddington  (au  vers 
1234),  etc.  ;  duse:;^  aux  vers  50,  409  de  la  Plainte  d'Amour. 

Ces  exemples,  trop  nombreux  déjà,  et  nous  pourrions  en  trouver 
un  nombre  plus  considérable  encore  dans  les  textes  non  littéraires, 
montrent  combien  la  forme  avec  une  s  simple  est  devenue  commune; 
elle  est  presque  aussi  vieille  que  la  littérature  anglo-française  et  dure 
aussi  longtemps  qu'elle. 

Ce  n'est  que  dans  les  textes  légaux  que  cette  consonne  est  rem- 
placée par  c;  c'est  une  véritable  faute  d'orthographe  qui  ne  tire  pas 
à  conséquence  (cf.    aJacct  dans  le  Year  Book  20  et  21  Edw.   I", 

275). 


B.  Les  lmparfaits  du  subjonctif   des  différentes  conjugaisons. 
I.  Imparfaits  dn  snhjonctif  correspondant  h  nn  prétérit  en  avi. 

Ces  imparfaits  du  subjonctif  sont  extrêmement  réguliers;  nous 
n'avons  de  remarque  à  faire  que  sur  trois  points  de  médiocre 
Importance: 


l'imparfait    du    SUBJONXTIl-  663 

a)  La  voyelle  tonique  dans  les  terminaisons  dissyllabiques  dont 
la  finale  est  muette. 

/;)  La  voyelle  tonique  dans  les  terminaisons  monosyllabiques, 
r)  La  voyelle  protonique    dans   les  terminaisons  dissyllabiques. 

a)  La  voyelle  tonique  dans  les  terminaisons  dissyllabiques  dont  la 
syllabe  finale  est  muette. 

Cette  voyelle  tonique  est  le  plus  souvent  a,  et  cette  forme  est  la 
seule  que  connaissent  les  textes  littéraires.  En  dehors  de  la  littéra- 
ture, en  particulier  dans  les  œuvres  légales,  la  diphtongue  ai  n'est 
pas  rare;  les  Rymer's  Foedera  nous  en  montrent  plus  d'un  exemple, 
comme  alaissent,  J^'y/wmmt';// (respectivement  1339,  V,  116;  1338, 
V,  53);  ce  sont  les  plus  anciens  exemples  que  nous  ayons  ren- 
contrés. 

Les  Year  Books  nous  en  montrent  plusieurs. 

h)  La  voyelle  tonique  dans  les  terminaisons  monosyllabiques. 

Lorsque  la  terminaison  est  monosyllabique,  il  arrive  que  les 
scribes  du  xiv^  siècle  écrivent  au  au  lieu  de  a  dans  la  syllabe  accen- 
tuée ^  C'est  ainsi  que  nous  trouvons  consilaiist  au  vers  956,  pnaust 
au  vers  1019  du  Manuel  des  Péchés.  Ce  sont  les  exemples  les  plus 
anciens  que  nous  ayons  rencontrés  dans  la  littérature,  même  en  les 
attribuant  au  scribe;  cet  au  du  reste  n'est  qu'une  graphie  (les  deux 
exemples  que  nous  venons  de  citer  riment  en  a  pur,  le  premier  avec 
grantast,  le  second  avec  junast),  et  c'est  pour  cette  raison  que  nous 
n'insisterons  pas  davantage.  Ajoutons  cependant  que  cette  graphie 
est  relativement  rare  en  dehors  de  la  littérature. 

Rappelons  que  nous  avons  vu  quelque  chose  d'absolument  sem- 
blable aux  troisièmes  personnes  du  singulier  des  prétérits  en  avi 
(cf.  page  575). 

I.  On  peut  consulter  Busch,  p.  14  ;  Behrens,  Beitràge  zur  Geschichte  der  fran- 
zôsischen  Sprache  in  England,  Franzôsischen  Studien,  V,  p.  80. 


6^4  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

r)  La  vovelle  protonique  dans  les  terminaisons  dissyllabiques '. 

A  la  première  et  à  la  seconde  personne  du  pluriel,  la  première 
svllabe  de  la  désinence  a  /  comme  élément  vocalique.  Les  formes  en 
issoiis,  isse:;^  se  sont  très  bien  conservées  pendant  les  trois  siècles  qui 
nous  occupent.  Nous  ne  donnerons  qu'un  petit  nombre  d'exemples 
du  xiV-"  siècle  ;  ils  sont  extrêmement  communs  pour  les  deux  autres. 
On  lit  ainsi  dans  Pierre  de  Langtoft:  irovisseï  (II,  iio,  14);  chaun- 
tisse:(  au  §  8,  et  pIorissex_  au  §  29  des  Contes  de  Nicole  Bozon;  et  en 
dehors  de  la  littérature  :  mandissons,  grantissons,  donissons  dans  les 
Rymer's  Foedera  (cf.  1300,  II,  868;  1304,  II,  946;  1325,  IV,  81); 
maudissons  se  trouve  encore  dans  les  Parliamentary  Writs  (1300,  I, 
341),  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1329,  270),  etc. 

Lorsque  le  radical  du  verbe  est  en  i,  il  est  régulier  pour  les  deux 
personnes  qui  nous  occupent  d'avoir  ^  à  la  première  syllabe  de 
leur  désinence  :  par  exemple  qiiidesse:^  est  employé  dans  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  au  vers  2484. 

Cette  règle  n'a  pas  toujours  été  observée  et  l'on  trouve  de  temps 
en  temps  des  formes  comme  quidisse-  dans  William  de  Waddington 
(au  vers  3235).  Le  fait  contraire  se  produit  aussi  et  nous  trouvons 
assez  souvent  une  extension  anormale  de  cet^;  par  exemple  trovesse:^ 
est  employé  dans  les  Dialogues  Grégoire  (96  r"  a);  et  dans  Aspre- 
mont  (au  vers  145);  inoillesse:^  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon 
(au  §  94)  ;  les  œuvres  non  littéraires  présentent  un  grand  nombre 
d'exemples  de  cet  e  irrégulier  :  deliveressons  dans  les  Rymer's  Foedera 
(1279,11,  134)  ;  paiesst\  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1334,  550); 
levesseï  ôi-àns  Jean  de  Peckham  (1357,  114).  On  peut  aussi  trouver 
des  graphies  provenant  soit  de  c  soit  de  i  surtout  en  dehors  de  la 
littérature  ;  citons  par  exemple  entreissetz^  qui  se  trouve  dans  les 
Rymer's  Foedera  (13 n,  HI,  362). 

La  forme  moderne  se  rencontre  quelquefois  dans  la  langue  de  la 
littérature  de  la  fin  du  xiv^  siècle,  mais  elle  y  est  extrêmement  rare  ; 
nous  ne  trouvons  à  citer  que  osasse:^  dans  Foulques  Fitz  Warin  104. 
La  forme  moderne  avec  la  voyelle  a  se  rencontre  aussi  dans  les 
œuvres  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature,  et  elle  y  est  d'ail- 

I .  Pour  iss  à  la  première  et  à  la  seconde  personne  du  pluriel  de  l'imparfait  du 
subjonctif  de  /,  cf.  Zeitschrift  fur  romanische  Philologie  IX,  242  (W.  Meyer). 


l'imparfait  du  subjonctif  665 

leurs  assez  iréquente  ;  nous  la  trouvons  pour  la  première  fois  dans 
Rymer's  en  1360  ;  on  lit  en  effet  dans  un  traité  de  cette  date  :  renoii- 
cassons,transportassons,  ces  sas  sons,  délai  sa  s  son  s  ;  quoique  dans  la  langue 
légale  les  formes  étymologiques  soient  nombreuses  à  ces  deux  per- 
sonnes, les  terminaisons  avec  a  ne  sont  pas  rares  ;  par  exemple,  dans 
22  £d\v.  P''  on  trouve  pledasmn  (p.  ^ij),  portasiiDi  Çp.  349);  dans 
20  et  21  Edw.  I",  on  a  donasct  (p.  199)  ;  aJacet  (p.  275).  Dans  les 
recueils  plus  récents,  les  formes  modernes  deviennent  de  plus  en  plus 
nombreuses  ;  citons  par  exemple  dansles  YearBooks  13  et  14  Edw. 
III:  priassons  (p.  35);  alasseÀ^ijp.  i%^^\ clamasse:^  (p.  ^oc)'),moustrase^, 
vouchassoms  (p-  95),  etc.  Remarquons  surtout  que  les  formes  en  i  et 
celles  en  a  sont  absolument  mélangées  dans  le  ms.  Y  (13 12). 


2.  Imparfaits  du  subjonctif  des  verbes  en  ivi. 

Nous  n'avons  pour  les  imparfaits  du  subjonctif  qui  correspondent 
aux  prétérits  en  ivi  relevé^aucune  déviation  ayant  un  caractère 
relativement  permanent.  Nous  avons  trouvé  à  la  troisième  personne 
du  pluriel  quelques  formes  en  eissent  ;  mais  elles  sont  rares  et  ne  se 
trouvent  jamais  répétées  deux  fois  dans  le  même  auteur  ou  dans  le 
même  recueil.  La  seule  question  qu'ils  nous  offrent  à  traiter  est 
celle  des  acquisitions  qui,  en  dehors  de  la  littérature,  sont  assez 
nombreuses.  Nous  trouvons  un  verbe  avec  prétérit  en  si,  qui  prend 
presque  constamment  à  l'imparfait  du  subjonctif  la  forme  en  ivi: 
remaindre  ;  rciuaignissciil  se  trouve  par  exemple  dans  les  Parliamen- 
tary  Writs  (1318,  117);  dans  les  Rymer's  Foedera(i3i8,  III,  697), 
etc.  ;  reiiianissent  est  commun  dans  les  YearBooks  33,  35  Ed\v.  h% 
535  ;  3  Edw.  II,  167  (Y),  etc. 

Les  autres  formes  nouvelles  ne  présentent  pas  autant  de  régula- 
rité ;  citons  pour  les  prétérits  en  si,  ardissons  dans  les  Rymer's  Foe- 
dera  (13 15,  III,  535);  pour  les  prétérits  en  ///,  reciuissent,  Mem. 
Pari.  1305,  §  5  ;  cet  exemple  est  très  douteux;  reciuissent  peut  n'être 
qu'une  forme  un  peu  extraordinaire  des  imparfaits  du  subjonctif 
en  ïii,  ou  une  erreur  cléricale  pour  reciiissent  {iii  =■  //)  ;  ajoutons- 
y  volassent,  Rymer  (1338,  V,  45)  ;  morissent,  Rymer  (1364,  VI, 
447);  et  il  yen  a  encore  quelques  autres.  Nous  n'avons  relevé  qu'un 
prétérit  en  avi  :  trespassisseiit,  qui  semble  prendre  la  forme  desimpar- 


666  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

faits  du  subjonctif  en  ivi,\\  se  lit  dans  les  Rymer's  Foedera(i  139,  V, 
1 1 5).  Ce  dernier  exemple  n'est  pas  à  proprement  parler  une  acquisition 
des  imparfaits  dusubjonctif  des  verbes  ayant  un  prétérit  tnivi  ;  nous 
devons  y  voir  plutôt  le  résultat  de  l'influence  des  deux  personnes 
ayant  deux  syllabes  sonores  à  la  terminaison  :  trespassissons,  trcspas- 
sisse^  ont  amené  très  naturellement  trespassisscnt.  Cela  n'a  rien  de 
surprenant  ;  au  contraire,  nous  nous  étonnons  de  n'avoir  pas  relevé 
plus  de  formes  analogues  à  cet  exemple  de  Rymer. 

3.  Imparfaits  du  subjonctif  des  verbes  eiidedi. 

Nous  avons  vu  combien  étaient  rares  les  prétérits  en  dedi  ;  il  n'y  a 
rien  d'étonnant  que  les  imparfaits  du  subjonctif  qui  leur  corres- 
pondent soient  aussi  ou  même  plus  rares  :  ce  n'est  que  dans  le 
Psautier  d'Oxford  que  nous  en  trouvons,  et  il  n'y  en  a  qu'un  : 
deperdiest  (107,  23). 

4.  Imparfaits  du  subjonctif  en  ui. 

La  voyelle  en  hiatus. 
Première  classe  et  deuxième  classe. 

Pour  ces  deux  classes,  la  voyelle  en  hiatus  est  étymologiquement 
0 ,  et  elle  est  employée  pendant  longtemps.  On  la  rencontre  évi- 
demment chez  les  premiers  auteurs  anglo-français,  mais  même  très 
régulièrement  chez  Guischart  de  Beauliu  qui  a,  par  exemple, 
poiist  (aux vers  632,  639,  877,  887,  etc.);  dans  Horn  chez  lequel  on 
trouve  doilst  (d.u  vers  3582),  poiist  (418),  pousse  (i^j 4)  ;  dans 
Robert  de  Gretham  (aux  folios  32  v°,  63  v°,  102  v°),  aux  folios 
69  r°,  72  r°  du  Saint  Julien.  Cette  voyelle  se  retrouve  à  la  fin  du 
xiii^  et  au  commencement  du  xiv=  siècle,  dans  Dermod  (vers  125); 
même  dans  le  Siège  de  Carlaverok  (verr  42,  62).  Elle  n'est  pas  rare 
dans  les  poèmes  de  la  fin  du  xiv^  siècle,  et  sous  la  plume  de  certains 
scribes. 

On  trouve  même  quelquefois  des  0  qui  ne  sont  pas  étymologiques, 
comme  le  croiisl  (croire)  au  vers  2982  de  Horn,  mais  cette  forme  est 
isolée. 


l'imparfait  du  subjonxtif  ééy 

La  forme  en  eu  est  cependant  devenue  la  forme  usuelle  bien 
avant  le  xiv^  siècle  ;  il  est  impossible  de  préciser  à  quel  moment 
cette  diphtongue  a  fait  son  apparition.  On  la  trouve  dans  Gaimar, 
dans  le  Drame  d'Adam  et  dans  la  plupart  des  ouvrages  du  xii^  siècle, 
mais  elle  peut  provenir  des  scribes.  Nous  trouvons  des  renseigne- 
ments plus  assurés  dans  les  Psautiers  où  eu  est  employé.  Nous  pou- 
vons dire  d'une  façon  générale  que  les  'changements  dans  la  diph- 
tongue sont  les  mêmes  et  se  placent  aux  mêmes  dates  pour  l'impar- 
fait du  subjonctif  que  pour  le  prétérit  ;  il  en  va  de  même  pour  la 
voyelle  simple  u  qui  a  dû  se  montrer  au  xiii*^  siècle. 

Nous  n'insisterons  donc  pas  davantage  sur  cette  question. 

Les  textes  non  littéraires  nous  présentent  constamment  les  trois 
formes  ou,  eu,  u  :  mais  les  Statutes  ne  connaissent  pas  la  première, 
et  dans  ce  recueil  la  troisième  est  assez  rare  ;  quant  à  la  forme  avec 
///,  elle  est  évidemment  encore  moinscommune  que  la  forme  en  u  dont 
elle  dérive. 

Dans  les  Rymer's  Foedera  et  les  YearBooks,  les  trois  sons  voca- 
liques  se  trouvent  employés,  eu  étant  ici  encore  la  graphie  la  plus 
commune  ;  le  ms.  Y  des  Year  Books  3  Edw.  II,  etc.  présente  un 
très  grand  nombre  de  formes  en  eu  ;  ui  semble  être  fréquent  à  par- 
tir de  17  et  18  Edw.  111(1348). 

Il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  formes  précédentes  le  poïst 
qu'on  trouve  assez  communément  dans  le  Prince  Noir  aux  vers 
1465,  1829;  ce  polst  est  une  forme  continentale  (wallon). 

Diérèse  et  synérèse. 
Première  classe. 

Il  semblerait  que  les  imparfaits  du  subjonctif  de  la  première 
classe  aient  effectué  fort  tôt,  au  moins  dans  certains  cas,  la  synérèse, 
car  nous  trouvons  déjà  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  plusieurs 
exemples  qui  semblent  le  montrer  :  ousum  (au  vers  764),  ouse  (au 
vers  665),  sousum  (au  vers  763).  Mais  le  manuscrit  de  l'Arsenal  fait 
disparaître  toutes  ces  apparences  de  synérèse  : 

Pour  eussent  ne  fust  l'abit 
(Arsenal  :  eùs(t)  qui  convient  mieux  pour  le  sens.) 
Ainz  que  vostre  venir  sousum 


668  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

(Arsenal  :  Ançois  que  nous  vous  seiissons.) 
Volt  Deus  qu'a  vus  cunrei  oussum, 

(Arsenal  supprime  «  a  vus  ».) 

Aucun  exemple  de  S3'nérèse  ne  pourrait  donc  subsister  dans  une 
édition  qui  serait  basée  sur  les  deux  manuscrits;  nous  ne  pouvons 
même  pas  être  assurés  que  le  scribe  du  Saint  Brandan  (i  167)  lui- 
même  l'ait  faite  ;  il  est  probable  qu'il  ne  se  souciait  pas  beaucoup  de 
la  régularité  des  vers  qu'il  écrivait  et  que  les  quelques  cas  de  synérèse 
apparente  que  nous  venons  de  citer  ne  servent  qu'à  prouver  sa 
négligence. 

Cependant  on  peut  admettre  que  les  premiers  cas  assurés  de 
synérèse  datent  du  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xii^ 
siècle.  Dans  l'Estorie  des  Engleis,  nous  en  avons  au  moins  un  d'as- 
suré. Il  est  vrai  que  les  formes  qui  présentent  l'hiatus  sont  très 
nombreuses  et  que  la  plupart  des  cas  de  synérèse  apparente  pro- 
viennent de  l'éditeur  :  en  suppléant  la  voyelle  qui  manque,  nous 
rétablissons  en  même  temps  le  vers  ;  on  peut  voir  par  exemple  eiïst 
(164,  2672,2925',  3614,  5959,  6178);  eilsse(^c)^2^)  ;  seiïse  (-j64^, 
5941)  '  ;  poiist  (856);  seûst  (4441,  2318);  peiissent  (2166).  (Cf. 
vers  1608,  2925,  3180,  4442,  675.) 

Dans  plusieurs  cas,  on  peut  avoir  quelques  doutes,  et  il  n'est  pas 
toujours  facile  de  décider  si  la  synérèse  a  été  faite  ou  si  l'éditeur  a 
adopté  une  mauvaise  leçon.  En  voici  quelques-uns;  on  lit  au  vers 

2732  : 

A  manger  eust  car  co  requist. 

C'est  la  leçon  donnée  par  R  et  D  ;  L  et  H  ont  ot  qui  peut 
se  justifier.  Les  vers  6225,  6226  ne  sont  pas  donnés  par  tous  les 
manuscrits,  et  chacun  d'eux  contient  une  synérèse  : 

Tuit  H  franc  home  qui  eust  mestier 
I  eussent  itel  recoverer 

1.  Meis  si  Gillemar  eust  leisir       (2925), 

Lire  :  Gaimar  eùst  (D,  H). 

2.  Pur  quei  ma  gent  asemblé  eusse       (3942), 
Lire  :  ensemble  eûse  (R.) 

3.  Kil  ne  perdisist  si  iol  suse       (594105), 

Lire:  perdist,  seûsse  (D,  L,  H). 


l'imparfait  du  subjonctif  669 

Ces  vers  ne  se  trouvant  pas  dans  D,  Lni  H,  ne  sont  probablement 
qu'une  interpolation. 

Il  y  a  cependant  au  moins  un  cas  où  la  synérèse  a  dû  se  faire;  ce 
casse  trouve  au  vers  2671  : 

Mes  si  vus  me  le  eussez  celé, 

donné  par  tous  les  manuscrits. 

Il  y  en  a  peut-être  quelques  autres,  mais  cela  nous  semble  très 
peu  probable. 

Nous  sommes  donc  loin  du  nombre  de  synérèses  que  nous  trou- 
vons dans  le  Brandan,  et  cela  est  encore  plus  remarquable  si  on 
compare  l'étendue  des  deux  poèmes. 

Le  nombre  des  synérèses  est  déjà,  pour  les  verbes  de  la  première 
classe,  beaucoup  plus  considérable  dans  le  Tristan  de  Thomas,  et 
nous  trouvons  dans  ce  poème  un  état  de  choses  beaucoup  plus 
avancé  que  dans  Gaimar.  Nous  ne  nous  attarderons  pas  à  citer  tous 
les  cas  qu'on  peut  relever,  et  pour  le  détail  nous  renverrons  à 
l'étude  de  M.  Bédier  (II,  19  sqq). 

On  trouve  des  contractions    aux  vers  663,  664,    1527,    1529, 

1569,2417. 

Car  s'il  n'en  oust  si  grant  désir. 
A  sunvoleir  poust  asentir. 
S'en  ju vente  apris  ne  l'eussez. 
Si  li  reis  vus  eust  castié. 
Eussez  vus  emvers  lui  amur. 
Si  jo  seuse  qui  i  alat  '. 

Dans  la  Folie  de  Tristan  le  nombre  de  diérèses  est  assez  grand;  on 
ne  relève  par  contre  aucun  exemple  de  synérèse.  Pussent  se  lit  au 
vers  109  de  Haveloc  et  c'est  le  seul  exemple  de  synérèse  dans  tout 
ce  poème. 

Ou  garder  pussent  lur  seignur. 

Sœur  Clémence  de  Barking  fait  aussi  la  contraction  ;  mais  les  cas 
où  la  diérèse  subsiste  sont  environ  deux  ou  trois  fois  plus  nombreux 

I.  Quelques-uns  des  exemples  précédents  sont  peut-être  douteux  ;  les  vers  1527, 
1529,  1569  ne  sont  donnés  que  par  un  manuscrit  ;  au  vers  1569,  il  est  possible 
que  l'original  ait  porté  :  Eussez  vus  vers  lui.  Au  vers  2417,  le  ms.  D  semble  sup- 
primer ;  :  qui  ilast  (lire  aiast?). 


670  l'évolution  du  verhe  en  anglo-erançais 

que  ceux   d'où  elle  a  disparu.  Pour   ces  derniers  nous  trouvons  : 
eusses,  vers  201,  5031  : 

E  si  eusses  en  tei  raisun. 
Eusses  de  nos  maistres  apris. 

eiist  :  479  (douteux),  1881  : 

Asez  eust  une  peine  oùe  '. 
Ki  li  oust  à  mangier  dune. 

onss'u\,  279,  II 76  : 

A  qui  vus  oussiez  fait  honur. 
Que  delurmort  oussiez  enur. 

oiisseiil,  1159  (douteux)  : 

Car  s'il  n'oussent  en  Deu  creù  '. 

poust  (aux  vers  835,  836,  1550)  -: 

Si  huem  ne  fust,  ne  poust  mûrir; 
E  se  Deux,  ne  poust  revesquir  ; 
Co  cument  poust  cstre,  nel  vei. 

pou ss uni  (au  vers  1578)  : 

Cument  nus  i  poussum  parler. 

susses  (au  vers  272)  : 

Si  tu  te  susses  purpenser. 

C'est  donc  un  nombre  respectable  de  synérèses  que  nous  pou- 
vons relever  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine  :  il  y  en  a  au  moins 
douze  de  probables,  dont  quatre  sont  peut-être  discutables,  huit 
sont  aussi  assurées  que  possible. 

Au  contraire,  dans  l'Ipomédon,  les  cas  de  diérèses  sont  nombreux 

1.  La  synérèse  doit  s'effectuer,  soit  à  l'imparfait  du  subjonctif  (eust,  oussent, 
soit  au  participe  passé  (oue,  creu)  ;  nous  croyons  que  c'est  au  premier  de  ces  temps 
(cf.  Participe  passé,  page  519). 

2.  L'imparfait  du  subjonctif  est  plus  correct  et  plus  naturel,  mais  le  prétérit  n'est 
pas  impossible  ;  on  peut  donc  lire  ;  pout. 


l'imparfait  du  subjonctif  671 

(cf.  vers  158,  201,  3084,  etc.)  ;  les  éditeurs  ont  introduit  un  cas 
au  moins  de  synérèse.  Adonne  pour  le  vers  157  : 

Femme  ke  tôle  tecches  ust . 

MM.  Kôlbing  et  Koschwitz  ajoutent  une  s  à  tele.  Or  nous  avons 
vu  que  le  scribe  de  A  fait  parfois  des  synérèses  qui  ne  se  trouvent 
pas  dans  son  texte  et  essaie  de  rétablir  le  vers.  Il  ne  fallait  donc  pas 
ajouter  une  j  à  telc,  mais  supprimer  celle  de  tecches  et  lire  : 

Femme  ke  tele  tecche  eiist. 

C'est  à  peu  près  la  même  proportion  que  dans  Sœur  Clémence 
ou  une  proportion  légèrement  supérieure  que  nous  trouvons  dans 
la  Chronique  de  Jordan  Fantosme  ;  les  cas  de  diérèse  sont  très 
nombreux  ;  citons  rapidement  quelques-uns  de  ces  cas  :  eiist  se  lit 
aux  vers  82,  748;  seilst,  au  vers  793  ;  pleilst,  11 62;  peiisi,  799  ;  peiis- 
sie:^,  1173  ;  seiissent,  1143. 

Les  vers  qui  nous  montrent  que  la  synérèse  s'est  effectuée  à  ce 
temps  sont  beaucoup  moins  nombreux.  Nous  trouvons  d'abord 
quelques  troisièmes  personnes  du  singulier:  enst  (au  vers  917); 
peust  (au  vers  907)  ;  pleiisi  (au  vers  1726)  : 

Nen  eust  malveis  guerdon  en  lieu  de  sun  luier. 
Ki  me  peust  dire,  ne  sace  raconter.  (10  syllabes.) 
Sil  vus  pleust  a  oir  bon  fet  de  bone  gent. 

Pour  ce  dernier  vers,  on  pourrait  lire  plest. 

Nous  avons  aussi  relevé  quelques  secondes  personnes  du  pluriel  : 
eussiez  (au  vers  984),  peussie::^  (au  vers  1350),  et  une  troisième  per- 
sonne du  pluriel,  eussent  (au  vers  1179)  : 

De  faire  ultrage  dunt  eussiez  desturbier  ; 
Noise  peussiez  oir  en  la  cité  fremie  ; 
Tuz  les  essent  estikez,  ocis  e  mal  bailli. 

Par  conséquent,  les  synérèses  ne  sont  pas  négligeables  dans  Jor- 
dan Fantosme,  mais  nous  ne  croyons  pas  que  leur  nombre  atteigne 
la  moitié  du  nombre  des  diérèses. 

On  voit  que,  comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  la  pro- 
portion  des  synérèses,   si   elle   est  quelque  peu    supérieure  à  celle 


672  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

qu'on  trouve  dans  Thomas  et  même  dans  Sœur  Clémence,  reste 
encore  très  faible.  Guillaume  de  Berneville  et  Guischart  de  Beau- 
liu  montrent  un  recul  nettement  marqué  sur  Fantosme  et  Thomas; 
chez  ces  deux  auteurs,  on  ne  trouve  aucun  cas  de  synérèse  bien 
assuré;  ce  qui,  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles,  s'en  rapprocherait  le  plus, 
serait  le  vers  1156  dans  lequel  la  contraction  doit  av'oir  lieu,  soit 
pour  l'imparfait  du  subjonctif  d'avoir,  soit  pour  le  participe  passé 
de  gésir  : 

K'ele  eust  jeu  en  un  seul  jur. 

Pour  Guischart  de  Beauliu,  les  diérèses  sont  fréquentes  et  les 
synérèses  absolument  absentes. 

Il  y  a  cependant  au  xii'^  siècle  quelques  auteurs  qui  semblent  pré- 
férer les  formes  contractes  ;  ces  auteurs,  celui  des  Légendes  de  Marie 
et  celui  de  Horn,  écrivirent  pendant  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle, 
à  dix  ans  environ  d'intervalle.  Sur  le  point  qui  nous  occupe,  ces 
deux  écrivains  semblent  suivre  presque  le  même  usage.  Non  pas' 
que  les  cas  de  diérèse  soient  devenus  rares  chez  eux,  spécialement 
Idans  le  poème  de  Horn.  Ils  connaissent  et  emploient  l'un  et  l'autre 
a  forme  correcte  ;  mais  la  forme  moderne  est  très  commune,  pro- 
bablement plus  fréquente  que  l'autre  dans  Horn,  et  certainement  la 
forme  ordinaire  dans  les  Légendes  de  Marie. 

Citons  rapidement  les  vers  dans  lesquels  la  diérèse  subsiste  encore 
dans  ces  deux  poèmes. 

Dans  Horn,  elle  est  assurée  aux  vers  suivants  :  418,  1084,  115 1, 
1472,  1974,  2784  et  peut-être  dans  un  petit  nombre  d'autres  cas. 
Comme  on  le  voit,  ces  formes  étymologiques  doivent  se  rencon- 
trer encore  assez  fréquemment.  Elles  sont  un  peu  moins  communes 
dans  les  Légendes  de  Marie  d'Adgar. 

Citons  quelques  passages  où  nous  l'avons  rencontrée  :  VI,  2,  263  ; 
XV,  18;  XVIII,  51;  XIX,  113.  On  pourrait  allonger  quelque  peu 
cette  liste  ;  mais  il  n'en  resterait  pas  moins  évident  que  ces  formes 
sont  fort  disséminées  dans  les  différents  poèmes  d'Adgar. 

La  synérèse  a  eu  lieu  très  fréquemment  dans  ces  deux  auteurs  ; 
nous  penchons  à  croire  que  dans  Horn  elle  a  pris  place  dans  un 
nombre  de  cas  au  moins  égal  à  celui  des  formes  qui  restent  étymo" 
logiques  ;  le  mélange  est  certainement  très  curieux  dans  ce  poème  : 


l'imparfait  du  subjonctif  673 

les  formes  abrégées  se  trouvent  auprès  des  autres,  quelquefois  même 
dans  le  même  vers,  comme  au  vers  966  : 

Plust  i\  Deu  ke  de  niei,  oust  faite  rapine. 

Énumérons  maintenant  les  vers  où  les  formes  à  synérèse  sont 
employées  :  on  en  trouve  aux  vers  655,  1153,  364^,  3037,  2278 
(O),  2789  (H),  4227,  et  dans  plusieurs  autres  cas,  quelques-uns 
étant  assez  douteux. 

Dans  les  poèmes  d'Adgar,  les  exemples  sont  encore  plus  nom- 
breux, et  nous  n'avons  pour  citer  des  exemples  que  l'embarras  du 
choix;  citons  un  petit  nombre  de  vers  montrant  quelques  imparfaits 
du  subjonctif  sous  leur  forme  abrégée  : 

Kil  eussent  de  sun  serf  merci  ;  I  Eg.,  46 

Ke  le  dolent  peust  repairer  ;  I  Eg.,  49 

Ke,  si  li  pleust,  le  cunseillast  ;  IV,  63 

Cument  pust  cist  de  coer  legier  ;  VIII,  126 

Cum  dévorer  le  pust  a  tant  ;  IX,  62 

Ne  li  chalut  ki  seust  ses  estres  ;  XXVIII,  10 

D'icels  a  qui  il  eussent  dit  ;  XXVIII,  90 

Ke  de  ses  mesfaiz  eust  pardon.  XXVIII,  122 

En  outre,  on  peut  voir  des  exemples  de  formes  analogues  aux 
passages  suivants  :  I  Eg.,  ^9;  VII,  67  ;  IX,  65  ;  IX,  131  ;  XV,  4; 
XXIX,  45,  46,  57,  58.  Remarquons  en  outre  que  les  cas  de  dié- 
rèse sont  disséminés  dans  tous  les  morceaux,  et  nous  ne  nous  rappe- 
lons pas  en  avoir  trouvé  deux  dans  la  même  légende  ;  au  contraire, 
les  autres  formes  se  trouvent  pour  ainsi  dire  partout  et  sont  répé- 
tées souvent  à  quelques  vers  d'intervalle. 

On  voit  donc  que  les  auteurs  de  ces  deux  ouvrages  sont,  mais  à 
des  degrés  différents,  en  avance  sur  leurs  contemporains  ;  chez  eux 
le  nombre  des  formes  contractes  égale  ou  dépasse  celui  des  formes 
qui  sont  plus  exactement  étymologiques. 

Ceci  pourrait  nous  faire  croire  que,  à  partir  du  commencement 
du  xiir'  siècle,  nous  allons  voir  les  imparfaits  du  subjonctif  à  diérèse 
devenir  de  plus  en  plus  rares  et  tendre  à  disparaître.  Il  n'en  est 
rien  ;  la  forme  contracte  pendant  de  nombreuses  années  ne  va  mar- 
quer aucun  progrès  et  l'état  de  choses  que  nous  venons  d'analyser 
va  durer  sans  changement  ou  presque  pendant  tout  le  xiii'  et  peut- 

43 


674  l'évolution    du    verbe    en    ANGLO-IRANÇAIS 

être  même  pendant  une  partie  du  xiV^  siècle  ;  la  forme  moderne 
sera  plus  ou  moins  fréquente  pendant  cette  période, suivant  les 
auteurs  bien  plus  que  suivant  la  date  de  la  composition  ;  mais  elle 
ne  déplace  jamais  complètement  la  forme  présentant  la  diérèse.  On 
ne  peut  pas  tracer  une  courbe  montrant  la  disparition  de  cette  der- 
nière, et  nous  rencontrerons  à  toutes  les  époques  du  xiii'  siècle  et 
même  pendant  le  siècle  suivant  des  ouvrages  aussi  réguliers  ou  plus 
réguliers  que  les  Légendes  de  Marie,  comme  le  Saint  Edmund 
(après  1225),  les  Evangiles  des  Dompnées  (vers  1230),  Sardenai, 
Aspremont,  même  le  Siège  de  Carlaverok  et  le  poème  du  Prince 
Noir. 

Ceci  dit,  nous  pouvons  maintenant  passer  un  peu  dans  le  détail. 

Diérèse  et  syuércse  de  Chardri  h  IViUiani  de  Waddington. 

Pendant  la  première  moitié  du  xiii^  siècle,  on  ne  rencontre  que 
peu  d'écrivains  qui  ne  connaissent  que  la  forme  régulière.  Nous  ne 
trouvons  même  que  Frère  Angier  qui  soit  dans  ce  cas-là  ;  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  est  le  dernier  poème,  d'une  certaine  longueur,  en 
anglo-français,  qui  n'emploie  que  les  formes  à  hiatus  (cf.  Miss  Pope, 
p.  23). 

Les  autres  montrent  un  mélange  constant  des  deux  formes  ;  cer- 
tains auteurs  préfèrent  évidemment  les  formes  anciennes  ;  citons  le 
poème  d'Edward  le  Confesseur,  le  Saint  Edmund,  les  Evangiles  des 
Dompnées,  le  Saint  Julien.  Dans  le  premier  de  ces  ouvrages,  on 
trouve  des  exemples  de  diérèse  aux  vers  375,  1225,  3297  et  ailleurs  ; 
nous  n'avons  pu  trouver  qu'un  tout  petit  nombre  de  synérèses  :^//55^ 
(au  vers  3813),  nst  (au  vers  376)  : 

E  dist  :  «  Si  ]o  pusse  jotr 

E  kil  n'ust  garde  de  Richard.  » 

Dans  le  Saint  Edmund,  les  cas  de  diérèse  sont  des  plus  nombreux  : 
ei'ist  (aux  vers. 378,  844,  1136);  poftst  {^ux  vers  377,  3248);  seiist 
(1697);  eussent  (1908);  peiïssent  (149);  tandis  que  nous  n'avons 
relevé  qu'un  tout  petit  nombre  de  synérèses  :  nst  (aux  vers  820, 
2668)  : 

Ke  n'ust  tendrur  e  marrcnient 

Ke  cil  ki  ust  le  chief  trové. 


l'imparfait  du  subjon'Ctif  675 

.^  Le   nombre   des   contractions  est  presque    insignifiant    dans  les 
Évangiles  des  Dompnées  ;  citons  iist  (au  folio  70  v°)  : 

Tut  n'ust  il  pas  bien  tet  conu. 

Nous  allons  insister  un  peu  plus  sur  l'état  de  ces  imparfoits  du 
subjonctif  dans  les  trois  poèmes  de  Chardri  ;  nous  avons  dans  cet 
auteur  un  nombre  considérable  d'exemples,  qui  peuvent  iious  per- 
mettre de  nous  laire  une  idée  exacte  de  la  façon  dont  l'auteur 
traite  ces  temps.  Les  cas  de  diérèse  sont  communs;  on  trouve  par 
exemple  pour  avoir  :  ciisse,  au  vers  1064  des  Set  Dormans,  et  1099 
du  Petit  Plet  ;  de  plus,  nous  avons  une  douzaine  ou  plus  d'exemples 
de  t'ïlst;  pouvoir  aux  différentes  personnes  est  employé  sous  cette 
forme  une  quinzaine  de  fois,  savoir  une  dizaine,  etc. 

Mais  de  l'autre  côté,  les  synérèses  sont  nombreuses,  proportion- 
nellement beaucoup  plus  communes  que  dans  les  quatre  poèmes 
que  nous  venons  de  citer;  elles  représentent  environ  les  40  °/o  de 
l'ensemble  ;  ces  exemples  seraient  donc  trop  nombreux  pour  que 
nous  citions  tous  les  vers  où  ils  se  trouvent  et  nous  nous  conten- 
terons de  quelques  références  :  en  trouve  eust  dans  Josaphat  (aux 
vers  18 12,  2768);  aux  vers  916  du  Petit  Plet;  l'iisse:^  est  extrême- 
ment commun  dans  ce  dernier  poème  ;  on  peut  le  trouver  aux  vers 
26e,  593,  594,  878,  1062;  eussent  se  lit  dans  les  Set  Dormans  (aux 
vers  943,  9^6,  11 64).  De  même  pour  pouvoir,  peiisl  se  lit  dans 
Josaphat  aux  vers  1787,  2739;  dans  les  Set  Dormans  au  vers  1244; 
dans  le  Petit  Plet  au  vers  378  ;  pusse-  se  rencontre  souvent  dans  le 
Petit  Plet  (cf.  vers  276,  278,  894,  1537,  16 u  ;  pussent  au  vers 
2606  du  Josaphat.  Enfin  savoir  nous  oftre  aussi  un  certain  nombre 
de  cas  analogues  :  seust  (Josaphat,  819);  iwwrç  (Josaphat,  987,  9S9). 

Voilà  les  cas  principaux  de  contraction  dans  les  trois  poèmes  de 
Chardri  ;  le  nombre  considérable,  surtout  étant  donné  la  longueur 
modérée  des  trois  poèmes  de  cet  auteur,  des  exemples  assurés  de 
l'une  et  de  l'autre  forme  nous  permet  de  fiiire  quelques  remarques, 
qui,  si  elles  n'ont  pas  une  portée  générale,  sont  au  moins  vraies 
pour  Chardri.  Les  six  personnes  ne  sont  pas  atteintes  également  par 
la  synérèse,  et  des  deux  personnes  le  plus  employées,  la  troisième 
personne  du  singulier  est  celle  qui  conserve  le  mieux  la  forme 
régulière;  il  y  a  une  quarantaine  de  cas  où  l'hiatus  est  maintenu 
contre  une  dizaine  où  la  synérèse  s'est  faite.  La  seconde  personne 


éyé  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

du  pluriel,  qui  est,  avec  la  troisième  personne  du  singulier,  celle 
qu'on  rencontre  le  plus  souvent,  montre  un  état  de  choses  exacte- 
ment contraire  ;  nous  n'avons  que  deux  cas  de  diérèse  contre  dix- 
sept  où  la  synérèse  s'est  faite.  Il  est  à  peu  près  impossible  d'y  voir 
simplement  l'effet  du  hasard  et  cela  tendrait  à  nous  montrer  que 
c'est  la  deuxième  personne  du  pluriel  qui  a  le  moins  résisté  à  la 
tendance  qui  poussait  les  imparfaits  du  subjonctif  à  faire  la  contrac- 
tion, au  moins  dans  Chardri. 

Autant  qu'on  peut  en  juger,  aux  autres  personnes  le  nombre  des 
cas  de  diérèse  est  sensiblement  égal  aux  cas  contraires. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  aussi  longtemps  sur  la  fin  du 
xiir  siècle,  parce  que  les  exemples  que  nous  fournissent  les  diffé- 
rents poèmes  ne  sont  pas  assez  assurés  dans  tous  les  cas  pour  nous 
permettre  de  tirer  des  conclusions  bien  sûres.  Tout  d'abord,  il 
semble  que  dans  les  deux  poèmes  de  Sardenai  et  d'Aspremont,  la 
diérèse  soit  la  règle  et  que  les  autres  formes  soient  relativement 
assez  rares  ;  il  n'y  en  a  aucune  de  bien  assurée  (cf.  cependant,  eust 
qui  semble  monosyllabique  au  vers  268  d'Aspremont),  tandis  que 
les  formes  à  hiatus  sont  dans  un  certain  nombre  de  cas  indiscu- 
tables. On  relève  ei'ist  au  vers  267  d'Aspremont;  sëiist  au  vers  266 
de  Sardenai  ;  peûst  (aux  vers  96,  186);  seiist  (aux  vers  185,  249); 
eussent  (aux  \ ers  199,  297). 

Dans  le  poème  sur  Saint  Auban,  les  deux  formes  sont  employées, 
mais  celle  qui  conserve  la  voyelle  muette  en  hiatus  est  quatre  ou 
cinq  fois  plus  employée  que  l'autre  ;  on  trouve  par  exemple  :  eiisi 
(aux  vers  347,  694,  701,  1621,  1346),  eiïsseï  (au  vers  615),  peiïst 
(aux  vers  694,  701,  1342,  1541).  Comme  exemples  de  synérèses, 
on  peut  citer  ussuin  (au  vers  1525),  iisseiit  (au  vers  795),  pitst  (au 
vers  672)  : 

N'ussLim  nul  d'eus  Hecchi  pur  un  val  d'or  empli  ; 
Légers,  enters  e  sain  cum  ju  ussent  dormant  ; 
K'aïe  ne  rescusse  ne  pust  aver  mcster. 

On  remarquera  que  les  troisièmes  personnes  du  singulier  et  les 
secondes  du  pluriel  sont  rares  ou  absentes  sous  cette  forme  sans 
muette,  contrairement  à  ce  que  nous  observions  dans  Chardri. 

Dans  le  Sermon  en  vers  Deu  le  Omnipotent,  les  cas  de  diérèse 
sont  de  même  assez  nombreux  :  eiisl  {ij  c,  79  e,  80  d);  peiisl  (57  d, 
65  d),  tandis  que  les  exemples  de  contraction  sont  assez  peu  com- 
muns :  ust  (55  f);  pust  (67  a). 


l'imparfait    DU    SUBJONCTIF  677 

Il  est  par  conséquent  légitime  de  conclure  que  dans  cette  période, 
la  synérèse  n'a  fait  que  très  peu  de  progrès  ;  dans  la  plupart  des 
poèmes  que  nous  trouvons  alors,  la  forme  habituelle  est  celle  qui 
présente  l'hiatus  ;  ce  n'est  que  dans  quelques  auteurs  que  le  nombre 
des  contractions  approche  de  celui  des  diérèses. 

Fin  du  XIII*  et  xiv*  siècle. 

La  dernière  période  de  la  littérature  anglo-française  semble  con- 
server assez  exactement  les  habitudes  de  la  période  précédente  ;  il 
nous  est  toutefois  difficile  de  préciser  dans  certains  cas  quelles  sont 
celles  des  auteurs  particuliers,  l'irrégularité  de  la  versification  ne 
nous  permettant  pas  toujours  de  reconnaître  les  formes  de  ces  im- 
parfaits du  subjonctif. 

La  diérèse  subsiste;  chez  quelques  auteurs,  elle  est  la  règle  ;  et  ici 
encore  les  deux  poèmes  à  versification  régulière,  le  Siège  de  Carla- 
verok  et  le  poème  du  Prince  Noir,  nous  fournissent  des  indications 
précieuses.  Dans  ces  deux  ouvrages,  nous  trouvons  une  grande 
majorité  de  formes  régulières.  Le  Siège  de  Carlaverok  en  a  plusieurs, 
comme  poiïst  (aux  vers  42^  62);  paissent  (au  vers  62),  tandis  qu'au- 
cune forme  contractée  n'est  absolument  sûre,  sauf  tist  qu'on  lit  au 
vers  14.  Dans  le  Prince  Noir,  nous  lisons  eûst  (cf.  les  vers  449, 
1790,  1985,  4187,  4188);  pg/lf/  (1765,  1985);  pl^i'st  (2453). 

Les  formes  monosyllabiques  sont  moins  nombreuses  :  enst  peut 
se  lire  aux  vers  450,  46e,  2705;  eussent  au  vers  2176;  peitssent 
au  vers  2042. 

Les  autres  ouvrages  de  la  même  période  nous  présentent  de 
temps  en  temps  des  cas  de  diérèse  qui  ne  sont  pas  douteux  :  ei'ist  au 
vers  3402,  poiil  an  vers  125  de  Dermod  ;  eiist  aux  vers  990,  1157, 
2293,  seûst  au  vers  988  du  Manuel  des  Péchés  ;  poi'ist  au  vers  22  de 
la  Vie  de  Sainte  Madeleine  ;  pelisse  et  teiïsses  aux  vers  3  et  6  de  la 
Bountédes  Femmes  de  Nicole  Bozon  ;  poiisl  se  lit  deux  fois  dans  la  Vie 
de  Saint  Paul  rp>niite  de  ce  même  auteur  (aux  vers  77  et  2.17)  : 

La  se  quisit  ou  poùst  mcvndrc  ; 
Dount  il  poûst  cnscvcicr. 

et  seiïssent  une  fois  dans  la  \\e  de  Saint  Richard  (contre  cinq  cas 
assurés  de  synérèse)  : 

Kar  bcn  sont  se  il  le  seùssent 


678  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

et  il  en  va  de  même  pour  les  autres  poèmes  de  la  fin  du  xiii'^  et  du 
xiv'  siècle,  quoique,  en  bien  des  cas,  il  ne  soit  pas  possible  d'affir- 
mer que  l'on  a  une  forme  plutôt  que  l'autre. 

Nous  n'en  avons  cependant  relevé  aucun  cas  présentant  un  degré 
raisonnable  de  certitude  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft. 

Dans  tous  les  poèmes  que  nous  avons  cités  en  dernier  lieu  et  qui 
vont  depuis  Dermod  ou  le  Manuel  des  Péchés  (cire.  1260),  les 
formes  montrant  que  la  synérèse  s'est  effectuée  abondent.  Nous 
n'en  citerons  qu'un  tout  petit  nombre  pris  à  peu  près  au  hasard 
dans  quelques-uns  de  ces  poèmes. 

Usse  se  trouve  assez  communément,  comme  dans  le  Manuel  des 
Péchés  (cf.  les  vers  2^75,  10119);  au  folio  64  v°  des  Heures  de  la 
Vierge,  etc.;  iist  au  folio  92  v°  des  Vies  de  Saints  de  Bozon  ; 
iissuiii,  ibid.  (93  v°);  usse~  se  lit  dans  la  Genèse  Notre-Dame  (au 
folio  57  v°)  et  dans  William  de  Waddington  (au  vers  4651).  Si 
nous  passons  au  verbe  pouvoir,  nous  trouvons  piist  très  fréquem- 
ment dans  le  poème  de  Dermod  (comme  aux  vers  69,  2734,  3037, 
3316,  3318);  au  vers  78  de  la  Vie  de  Saint  Paul  l'Ermite.  Pour 
savoir,  citons  snst  dans  le  Manuel  des  Péchés  (au  vers  1202  et 
pnssiiii);  s/issc^,  au  folio  59  r°  de  la  Genèse  Notre-Dame;  et  au 
vers  3891  de  William  de  Waddington;  sussent  se  trouve  au  vers 
1341  de  Dermod.  Nous  n'en  citerons  pas  davantage.  Les  seules 
formes  assez  sûres  que  nous  ayons  dans  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft  sont  des  formes  contractes  (cf.  I,  48,  25  ;  II,  178,  18;  II, 

178,19). 

On  voit  donc  assez  clairement  quels  ont  été  les  progrès  de  la  syné- 
rèse en  anglo-français  pour  les  imparfaits  du  subjonctif  en  ///  de  la 
première  classe.  Les  premiers  exemples  remontent  à  ri6o,  peut  être 
plus  tôt  ;  au  commencement  du  xiii^  siècle,  et  même  à  la  fin  du 
siècle  précédent,  le  nombre  des  formes  à  synérèse  égale  presque, 
dans  certains  auteurs,  celui  des  formes  montrant  l'hiatus.  Cependant, 
à  la  fin  du  xiv^  siècle,  la  proportion,  dans  quelques  ouvrages,  n'a 
pas  changé  ;  elle  est  même  parfois  sensiblement  en  faveur  des 
formes  étymologiques.  De  plus,  presque  tous  les  écrivains  nous 
offrent  des  exemples  assurés  de  diérèse  jusque  dans  les  dernières 
années  de  ce  siècle.  La  forme  régulière  a  donc  persisté  d'une  façon 
remarquable. 

Ce  sont  les  scribes  qui  ont  supprimé  le  plus  souvent  la  syllabe 


l'imparfait  du  subjonctif  679 

étymologique  :  pour  eux.  la  voyelle  muette  semble  avoir  disparu, 
et  s'ils  écrivent  c  ou  c'  qui  est  étymologique,  il  n'est  pas  moins 
assuré  que  pour  eux  ce  n'est  qu'une  graphie  (exactement  comme  ///) 
du  son  //. 

Dans  les  œuvres  en  prose  de  la  langue  diploiuatique,  politique, 
etc.,  nous  ne  pouvons  jamais  savoir  si  la  diérèse  a  eu  lieu,  mais  il  y 
a  de  nombreux  cas  de  synérèse  qui  sont  évidents,  c'est  lorsque  l'élé- 
ment vocalique  du  radical  est  réduit  à  la  voyelle  // ;  cela  arrive  assez 
fréquemment,  par  exemple  dans  pitst  de  Jean  de  Peckham  (1280, 
128)  ;  pluist  (plaire)  dans  les  Statutes  (1369,  I,  392),  etc. 

Deuxième  et  troisième  classes. 

Les  exemples  que  nous  fournissent  les  autres  classes  sont  loin 
<l'être  aussi  nombreux  et  les  renseignements  qu'ils  nous  .donnent 
n'offrent  pas  le  même  degré  de  certitude  que  ceux  de  la  première 
classe . 

C'est  pour  cela  que  nous  avons  fait  dans  ce  chapitre  une  distinc- 
tion entre  les  différentes  classes,  distinction  qui  n'avait  pas  d'autre 
raison  d'être  que  de  séparer  les  résultats  assurés  de  ceux  qui  le  sont 
moins  ;  car,  il  semble  bien  que  les  imparfaits  du  subjonctif  dont 
nous  nous  occupons  maintenant  n'ont  pas  un  sort  différent  de  celui 
des  verbes  de  la  première  classe. 

Au  xir'  siècle,  ce  n'est  que  dans  certains  auteurs  que  la  synérèse 
est  faite;  les  formes  avec  hiatus  sont  celles  qui  dominent.  On  les 
trouve  souvent  dans  les  premiers  poèmes,  Cumpoz  et  Bestiaire  ; 
dans  Gaimar,  nous  relevons  plusieurs  formes  correctes  ;  Adgar  en  a 
plusieurs  :  deilst  (XVIII,  52);  coneiist  (XV,  17),  et  quelques  autres. 
Il  en  est  de  même  pour  Thomas,  pour  Sœur  Clémence  de  Barking 
qui  écrit  doilsses  (vers  2354),  deiissuDi  (vers  1080),  âoiissent  (vers 
2355);  pour  Fantosme  qui  nous  donne  les  exemples  suivants  : 
esleiisl  (aux  vers  795,  1092);  dei'ist  (au  vers  949);  pour  le  Saint 
Gilles  et  le  Sermun  de  Guischart  de  Beauliu  qui  ne  montrent  pas 
d'autre  forme  que  les  formes  à  diérèse,  pour  le  poème  de  Horn, 
dans  lequel  les  deux  formes  se  rencontrent,  mais  où  les  cas  de  dié- 
rèse sont  toujours  les  plus  communs  (c'î.  doilst,  vers  3582;  creiisf, 
1341,  2893;  coneiist,  4019,  et  quelques  autres);  nous  relevons 
encore  dans  les  Homélies  deiist  (au  vers  73). 


68o  l'évolution  du  verbe  en  anglo-prançais 

Nous  n'avons  certes  pas  épuisé  la  liste  des  cas  de  diérèse  qui  se 
rencontrent  à  cette  époque  ;  on  peut  voir  cependant,  d'après  les 
quelques  exemples  qui  précèdent,  qu'ils  sont  nombreux,  que  tous 
les  ouvrages  en  présentent  plusieurs,  et  que  certains  auteurs,  même  de 
la  fin  du  siècle,  Jordan  Fantosme,  Guillaume  de  Berneville,  Guis- 
chart  de  Beauliu,  ne  connaissent  pas  d'autre  forme. 

Les  synérèses  se  présentent  toutefois  de  bonne  heure,  même  si 
nous  attribuons  au  scribe  du  manuscrit  de  Londres,  comme  on  doit 
le  faire,  pensons-nous,  le  cas  de  synérèse  qu'on  trouve  dans  le 
Voyage  de  Saint  Brandan,  au  vers  1702  : 

Qui  doust  estre  de  nus  hante, 

OÙ  il  faut  lire  avec  le  manuscrit  de  l'Arsenal  :  Qu'estre  doust. 

Dans  l'Estorie  des  Engleis,  nous  trouvons  un  assez  grand  nombre 
de  cas  douteux  '  ;  pour  certains  d'entre  eux,  la  forme  contracte  pro- 
vient évidemment  du  scribe,  comme  au  vers  5930,  où  on  lit  : 

Ke  lom  issi  prendre  le  deust, 

au  lieu  de  la  bonne  leçon  :  K'om deûst.    . 

D'autres  vers  ne  se  prêtent  pas  aussi  facilement  à  la  correction  ; 
citons  par  exemple  levers  1855  : 

Si  dusse  par  dreit  jugement, 
supprimer  dreit  ?  ou  le  vers  5510  : 

Si  com  un  seir  dust  anuter, 

lire  :  dut,  prétérit. 

Pour  avoir  des  cas  de  synérèse  dus  à  un  auteur  et  qu'il  n'est  pas 
possible  de  révoquer  en  doute,  il  nous  faut  aller  jusqu'à  Adgar  ^;  dans 

1.  Nous  n'avons  pas  la  proportion  exacte  entre  les  formes  à  hiatus  et  les  formes 
contractes  dans  l'Estorie  des  Engleis  ;  nous  estimons  que  pour  les  imparfaits  du 
subjonctif  en  ni,  elle  est  approximativement  égale  à  8  sur  i,  le  chiffre  le  plus  fort 
représentant  celui  des  diérèses. 

2.  Si  nous  cherchons  à  déterminer  dans  Agdar  la  proportion  des  formes  à  dié- 
rèse et  des  formes  à  svnérèse  dans  les  Légendes  de  Marie,  nous  arrivons  dans  les 
mêmes  conditions  que  précédemment  au  chiffre  6  contre  7,  les  synérèses  étant 
plus  nombreuses  que  les  diérèses. 


l'imparfait  du  subjonctif  68 1 

les  Légendes  de  Marie  de  cet  auteur,  nous  relevons  quelques  cas 
assurés  de  synérèse,  par  exemple  (VI,  28)  : 

Ne  sufrir  dust  mal  si  grevos, 

OU  (XVII,  598)  : 

Li  reis  Nineveins  mort  receust. 

Les  cas  de  synérèse  sont  plus  rares  dans  le  Tristan  de  Thomas; 
et  les  imparfoits  du  subjonctif  de  II  ou  de  III  qui  la  présentent  ne 
sont  pas  nombreux  ;  nous  trouvons  à  citer  le  vers  2127  '  : 

Cui  Kaherdin  dust  femme  amer. 

Cette  même  forme  se  rencontre  au  vers  861  du  poème  d'Havelok; 

Que  lom  le  deust  issi  servir  ; 

mais  cet  exemple  manifestement  appartient  au  scribe  qui  a  voulu 
rétablir  le  nombre  de  syllabes  du  vers  que  faussait  la  synérèse  qu'il 
faisait  à  tort,  en  ajoutant  /'  devant  hom. 

Dans  Horn,  au  contraire,  les  cas  où  l'auteur  lui-même  a  effectué 
la  synérèse  sont  nombreux  -  ;  comme  diissitni,  diissc::^  aux  vers  2063, 
2854  : 

Si  fust  vostre  pleisir,  ne  me  dussez  guerpir. 
Ke  conoistre  ne  dussum  pur  lui  honurer. 

Citons  encore  conust  qu'on  trouve  au  vers  734  du  Donnei  des 
Amants. 

Concluons  donc  que  la  synérèse  existe  bien  au  xii^  siècle, 
qu'elle  remonte  au  plus  tard  à  la  seconde  moitié  de  ce  siècle,  mais 
que,  sauf  quelques  rares  exceptions,  c'est  la  forme  à  hiatus  qui  reste 
la  forme  usuelle. 

Au  xiii^  siècle,  nous  retrouvons  pour  ces  imparfaits  du  subjonctif 
à  peu  près  le  même  état  de  choses  que  pour  ceux  de  la  première 
classe.  Certains  auteurs  semblent  n'employer  que  les  formes  étymo- 

1 .  Le  rapport  des  formes  dissyllabiques  aux  formes  monosyllabiques  dans  le 
Tristan  de  Thomas  est  de  35  sur  12,  soit  environ  3  pour  i  (chiffres  de  Rôttiger, 
corri-és  sur  le  texte  de  M.  Bédier  ;  il  faut  ajouter  à  la  liste  de  Rôttiger  le  vers 
529). 

2.  Dans  les  mêmes  conditions  que  précédemment,  le  rapport  de  ces  lormes 
dans  le  poème  de  Morn  est  environ  6  pour  7. 


682  l'hvoi.ution  du  vf.rre  en  anglo-français 

logiques,  par  exemple  Frère  Angier,  Robert  de  Gretham,  Denys 
Piramus,  l'auteur  du  Saint  Julien.  Nous  disons  semblent,  car  les 
exemples  que  nous  avons  trouvés  ne  sont  pas  à  beaucoup  près  aussi 
communs  que  ceux  que  nous  pouvions  citer  tout  à  l'heure.  Voici 
cependant  quelques-uns  de  ces  exemples  qui  nous  permettent  de 
supposer  que  ces  différents  auteurs  ne  connaissent  que  les  formes 
régulières.  Nous  en  avons  un  certain  nombre  dans  la  Vie  de 
Saint  Grégoire  :  creûssent  (au  vers  510)  ;  receûssent  (au  vers  2035) 
et  deccusent  (au  vers  2524)  ;  Icilssent  (au  vers  2527)  ;  esteiist  (au 
vers  307)  ;  dciissoiis  (au  vers  896).  Ce  sont  tous  les  exemples 
que  nous  avons  rencontrés  dans  ce  poème;  il  y  en  a  à  peu  près 
autant  dans  les  Dialogues  et  tous  sont  aussi  réguliers  que  ceux  que 
nous  venons  d'énumérer.  Dans  Edward  le  Confesseur,  nous  rele- 
vons défissent  (au  vers  4393);  ce  verbe  se  rencontre  encore  aux 
folios  44  v°,  102  v°  de  Robert  de  Gretham,  aux  folios  68  r°,  69  r°, 
74  r°  du  Saint  Julien. 

Ces  exemples,  quoiqu'on  puisse  peut-être  les  juger  un  peu  trop 
rares,  et  Tabsence  de  formes  contractes  semblent  nous  donner  le 
droit  de  dire  que  les  auteurs  de  ces  cinq  poèmes  ne  connaissaient 
que  la  forme  régulière. 

Il  n'en  va  pas  exactement  de  même  pour  tous  les  autres  écrivains 
du  commencement  du  xiii^  siècle  ;  les  synérèses  sont  assez  fréquentes 
dans  les  autres  ouvrages  de  cette  période,  et  on  ne  trouve  plus  après  le 
Saint  Julien  de  poème  dune  certaine  longueur  employant  exclusi- 
vement les  imparfaits  du  subjonctif  présentant  l'hiatus.  Les  exemples 
qui  le  montrent  ne  sont  cependant  pas  très  rares  après  le  Saint 
Julien.  Le  Saint  Thomas  a  geilst  (au  vers  2524);  The  Song  of  the 
Church,  dut  (lire  deiist^  (au  vers  1264). 

Dans  le  Saint  Auban,  nous  ne  trouvons  qu'un  tout  petit  nombre 
de  diérèses  et  on  peut  se  rappeler  que  pour  les  verbes  de  la  pre- 
mière classe,  le  nombre  d'hiatus  était  considérable  et  fortement  en 
excès  sur  celui  des  synérèses.  Citons  ici  geiissent  (au  vers  1543)  : 

Cum  si  il  geùssent  tuz  vifs,  enters,  seins  e  gari. 

Ce  qui  est  douteux,  car  oii  pourrait  en  faire  un  vers  de  douze 
syllabes  en  élidant  1'/  de  si,  et  en  faisant  la  synérèse. 

On  trouve  encore  deiist  deux  fois  dans  le  Sermon  en  vers  Deu  le 


l'imparfait  du  subjonctif  683 

Omnipotent  (14  c,  64  d),  et  un  exemple  unique,  croyons-nous, 
dans  William  de  Waddington  (vers  4336). 

On  trouve  encore  quelques  diérèses  au  siècle  suivant,  dans  le 
Prince  Noir  d'abord,  car  il  n'est  pas  moins  régulier  ici  qu'avec  les 
verbes  de  la  première  classe  (cf.  vers  2818,  2930),  même  dans 
d'autres  ouvrages,  comme  dans  la  Vie  de  Sainte  Marguerite  :  deiist 
(367).  Nous  n'en  avons  pas  relevé  une  qui  fût  sûre  dans  toutes 
les  œuvres  en  vers  de  Nicole  Bozon  (les  synérèses  y  sont  nom- 
breuses). 

Ainsi  les  exemples  assurés  de  diérèse  deviennent  de  plus  en  plus 


rares. 


Nous  n'aurons  pas  cà  citer  un  grand  nombre  de  formes  contractes 
pour  prouver  qu'elles  sont  en  majorité.  D'abord  chez  Chardri  et 
dans  la  Plainte  d'Amour  nous  n'avons  relevé  pour  les  verbes  de 
ces  classes  que  des  exemples  de  synérèse  et  ils  sont  assez  nombreux: 
deust  se  trouve  par  exemple  au  vers  2772  de  Josaphat,  au  vers  800 
du  Petit  Plet  :  dusse^  est  extrêmement  fréquent  ;  dans  Josaphat  on 
trouve  cette  forme  au  moins  quatre  fois  (au  vers  1339,  2160, 
2162,  2164);  deux  fois  ou  plus  dans  les  Set  Dormans  (au  vers  317, 
695);  plus  de  quatre  fois  dans  le  Petit  Plet  (aux  vers  660,  695, 
931,  1670)  ;  on  la  retrouve  encore  aux  vers  50,  409  de  la  Plainte 
d'Amour.  Dussent  est  employé  au  vers  674,  795  du  Petit  Plet  et 
143  de  la  Plainte  d'Amour;  recciisse  au  vers  386    du  Petit   Plet, 


etc 


Il  y  a  plusieurs  exemples  assurés  de  synérèse  dans  le  Saint 
Auban  ;  ^eussent  et  eslcust  cités  par  M.  Suchier  ;  denst  (558,  1264)  ; 
deusses  (551,  962)- . 

Dans  le  Manuel  des  Péchés  de  William  de  Waddington  enfin  elles 
sont  très  communes  (cf.  vers  1095,  I390- 

Au  xiv^  siècle,  tous  les  auteurs  en  offrent  des  exemples,  même 
le  Prince  Noir  qui  a  deiist  (aux  vers  2819,  2955).  On  en  trouve 
encore  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  68,  21,  exemple  assez   sûr),  et 

1 .  Dans  Chardri,  en  tenant  compte  de  toutes  les  classes,  le  rapport  des  formes 
correctes  aux  formes  à  synérèse  est  égal  à  environ  5/2 , 

2.  M.  Suchier  cite  un  cas  de  diérèse  irrégulière  dans  le  Saint  Auban  :  /<'«.w^, 
vers  962. 


8^4  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

dans  Nicole  Bozon,  Bounté  des  Femmes  (vers  14),  et  Vies  de 
Saints,  etc.  \ 

Comme  le  montrent  ces  quelques  exemples,  l'hiatus  a  le  plus  sou- 
vent disparu  de  l'imparfait  du  subjonctif  correspondant  à  la  seconde 
et  à  la  troisième  classe  des  prétérits  en  ni. 

S'il  existe  donc  une  différence  entre  les  verbes  de  la  première 
classe  et  ceux  qui  appartiennent  aux  autres  classes,  ce  serait  que  ces 
derniers  présentent  au  xiii^  siècle  plus  de  synérèses  que  les  autres, 
c'est-à-dire  que,  une  fois  atteints,  ils  ont  moins  bien  résisté  que 
ceux  de  la  première  classe. 

La  langue  légale  nous  donne  une  autre  preuve,  s'il  en  est  besoin, 
que  la  forme  avec  synérèse  était  la  forme  ordinaire  à  la  fin  du 
xiii^  siècle.  Nous  trouvons  très  fréquemment  la  graphie  ///  au  lieu 
de  u  ;  il  est  évident  que  dans  une  forme  comme  duist  le  souvenir 
même  et  toute  trace  de  l'hiatus  se  sont  perdus. 

5.  Imparfaits  du  subjonctif  correspondant  aux  prétérits  en  i. 

Nous  retrouvons  ici  quelques-unes  des  questions  que  nous  avons 
déjà  traitées  à  propos  des  prétérits  de  ces  verbes.  Ils  présentent  à 
toutes  les  personnes  l'allongement  syllabique  que  nous  avons 
remarqué  à  trois  personnes  du  prétérit,  et  le  verbe  voir  seul  nous 
obligera  à  traiter  encore  une  fois  la  question  de  l'hiatus  et  de  la 
synérèse. 

a)  La  consonne  intervocalique. 

La  consonne  vocalique  est  toujours  conservée  dans  le  cas  de 
tenir  et  de  venir,  toujours  absente  pour  voir.  Cependant  ce  dernier 
verbe  dans  certains  exemples  que  nous  rencontrons  au  commence- 
ment du  xii®  siècle  nous  montre  à  ce  temps  mais  très  rarement  la 
dentale  intervocalique,  comme  dans  vedisse  que  nous  lisons  dans  la 
Vie  de  Saint  Alexis,  manuscrit  L  (92,  i). 

Les  deux  autres  verbes  ne  nous  offrent  qu'une  seule  irrégularité 
à  ce  point  de  vue:  le  radical  du  verbe  montre  souvent  une   mouil- 

I.  La  Vie  de  Saint  Richard  nous  offre  un  grand  nombre  d'exemples  des  syné- 
rèses {d.  33,  565,  1304, 1354). 

Len  dust  penser  la  curteisie  ; 
E  de  ceo  ke  dussent  aprendre  ; 
Kavant  ceo  ke  dusse  mûrir  ; 
Sa  beneicun  ou  tut  récusent. 


l'imparfait  du  subjonctif  685 

lure  irrégLilière .  Nous  n'en  avons  aucun  cas  bien  assuré  pour  le 
xiv^  siècle  dans  les  œuvres  littéraires;  mais  dans  les  textes  poli- 
tiques, diplomatiques,  l'imparfait  du  subjonctif  avec  une  »  mouillée 
n'est  pas  du  tout  rare.  Le  premier  cas  que  nous  ayons  relevé  se 
trouve  dans  les  premières  années  du  xiv^  siècle  et  peut  se  lire  dans 
les  Parliamentary  Writs  :  aveigHisse  (1^14,  I,  117).  L'exemple  le 
plus  ancien  des  Rymer's  Foedera  est  à  peine  plus  récent,  on  le  trouve 
en  eftet  à  l'année  1318  (III,  697).  Après  cette  date,  les  formes 
avec  n  mouillée  pour  venir  et  tenir  sont  assez  communes,  surtout 
dans  les  Year  Books,  qui  n'en  emploient  guère  d'autres. 

^)  L'hiatus. 

Après  la  chute  de  la  dentale  intervocalique,  il  y  a  eu  pour 
chaque  personne  de  l'imparfait  du  subjonctif  de  voir  hiatus  entre  le 
thème  et  la  désinence.  Nous  allons  étudier  maintenant  de  quelle 
façon,  et  à  quelle  époque  l'anglo-français  a  réduit  cet  hiatus. 

L'hiatus  a  subsisté  quelque  temps,  puis  la  svnérèse  s'est  faite  et 
la  voyelle  du  thème  a  disparu  devant  celle  de  la  désinence. 

La  diérèse  est  de  règle  au  xu^  siècle,  et  on  la  trouve  conserv-ée 
chez  tous  les  auteurs  depuis  Philippe  de  Thaûn  jusqu'à  Guischart 
de  Beauliu.  Un  seul  auteur  montre  un  certain  nombre  de  cas  où  la 
synérèse  s'est  produite  :  Jordan  Fantosme  ;  nous  trouvons  dans  cet 
auteur  quelques  cas  de  diérèse,  par  exemple  aux  vers  661,  897, 
922,  1047,  iioo,  1212,  1813. 

Mais  il  est  hors  de  doute  que  les  synèrèses  sont  relativement 
fréquentes;  on  en  trouve  au  vers  1450,  876,  1204,  1290,  1763. 
Voici  ces  vers  : 

Mes  s'il  veist  sud  seignur  a  qui  l'onur  apent. 
Le  jor  veissiez  burgeis,  bien  vaillant  chevalier. 
Dune  veissiez  targes  prendre  e  ces  escuz  buclez. 
Dune  veissiez  ces  marchans  e  venir  e  aler. 
Dune  veissiez  chevaliers  vistement  cuntcnir. 

Mais  Fantosme  est  une  exception  au  xii*"  siècle  et  même  chez  lui 
on  voit  que  la  diérèse  est  la  règle  et  la  synérèse  l'exception.  C'est 
ce  qui  a  encore  lieu  au  siècle  suivant  ;  l'hiatus  subsiste  le  plus  sou- 
vent :  voici  quelques   références  tirées  des  auteurs  en   vers    de  ce 


686  l'évolution  du  verbe  en  anglo-i-kançais 

siècle  qui  pourront  donner  une  idée  du  nombre  de  cas  où  la  diérèse 
se  rencontre  ;  nous  ne  répéterons  pas  pour  ciiaque  exemple  la 
forme  de  voir  à  laquelle  il  correspond. 

La  diérèse  est  fréquente  chez  Frère  Angier  ;  on  peut  en  trouver 
des  exemples  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (aux  vers  751,  2058)  ; 
dans  les  Dialogues  (17  v°  a)  (voïsseO;  dans  Robert  de  Gretham 
(au  folio  61  r°)  ;  dans  le  Josaphat  de  Chardri  (236  et  passim,  en 
tout  une  dizaine  de  fois)  ;  dans  les  Set  Dormans  (comme  aux  vers 
149,  103  5,  etc.)  et  au  vers  9 14 du  Petit  Plet.  Citons  encore, à  quelque 
distance  de  Chardri,  le  poème  d'Aspremont  qui  nous  en  montre  un 
cas  au  vers  117  et  le  Saint  Auban  qui  en  a  au  moins  deux  d'assu- 
rés (au  vers  482,  1529). 

Dans  les  poèmes  du  xiv^  siècle  qui  nous  permettent  de  juger  du 
nombre  de  syllabes  des  formes  du  verbe,  nous  rencontrons  toujours 
des  imparfaits  du  subjonctif  nous  montrant  la  diérèse,  comme  dans 
le  Siège  de  Carlaverok  (cf.  62)  ou  dans  le  Prince  Noir  (cf.  309, 
590,  620,  985,  1329,  3259). 

Tous  ces  exemples  nous  laissent  à  penser  que  la  synérèse  ne  doit 
pas  offrir  des  exemples  bien  nombreux.  Nous  en  voyons  une  dans 
le  Saint  Auban,  au  vers  695,  veisse^. 

Foille  veisez  blanchir,  le  chaut  tendrun  usler. 

Le  poème  de  Dermod  peut  aussi  nous  en  donner   un    autre  cas: 

V  ccDt  veisez  le  jor  plunger 

Et  un  autre  dans  le  Prince  Noir: 

Atant  veissez  venir  poignant  : 

Miss  M.  K.  Pope  substitue,  sans  bonne  raison,  à  veissez,  vez 
vous. 

Quoi  qu'on  puisse  penser  des  exemples  que  nous  venons  de 
donner,  il  reste  assuré  que  les  formes  à  diérèse  pour  l'imparfait  du 
subjonctif  de  voir  sont  communes  au  xiii'^  et  au  xiv^  siècle  ;  que 
les  synérèses  sont  relativement  rares,  lorsqu'elles  existent. 


l'imparfait  du  subjonctif  687 

6.  Imparfaits  du  subjonctif  en  si. 
Nous  traiterons  les  mêmes  questions  que  précédemment. 

a)  Consonne  intervocalique. 

Pour  cette  question  nous  ne  pouvons  que  nous  en  tenir  aux 
grapiiies,  car  ni  la  rime,  ni,  dans  un  grand  nombre  de  cas,  le  nombre 
des  syllabes  ne  peut  nous  venir  en  aide. 

Or  les  graphies,  pour  cette  question  spécialement,  sont  extrême- 
ment variables  :  1'^  intervocalique  apparaît  ou  disparait  sans  raison 
apparente.  Prenons  tout  d'abord  le  verbe  faire  ;  dans  certains 
ouvrages  les  formes  avec  s  sont  la  règle  pour  ce  verbe  ;  citons  par 
exemple    le  Cumpoz,  le  Psautier  d'Oxford,  Guischart  de  Beauliu. 

D'autres  ouvrages  comme  le  Psautier  de  Cambridge,  le  Psautier 
d'Arundel,  les  Légendes  de  Marie,  la  suppriment  régulièrement  ; 
mais  dans  la  grande  majorité  des  ouvrages  les  deux  formes  se 
trouvent  employées  concurremment  dans  des  proportions  infiniment 
variables . 

Nous  pouvons  remarquer  toutefois  qu'au  xiir  siècle  les  formes 
avec  s  diminuent  de  plus  en  plus  ;  au  commencement  du 
siècle  elles  se  trouvent  dans  un  certain  nombre  d'auteurs  ;  citons 
par  exemple  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire:  feisissent  (roév°  b), 
desconfisist  (26  r°  a);  dans  Robert  de  GrQX.\\3.m  :  fesi s  se  (84  v''), 
fesist'(8î  r").  Après  ce  dernier  auteur  1'^  devient  très  rare  ;  on  la 
rencontre  encore  sporadiquement,  même  au  xiv"  siècle  Çfcsist  dans 
le  Prince  Noir,  733,  647,  1861)  et  jusque  dans  les  ouvrages  non 
littéraires  de  cette  époque  (par  exemple  dans  Rymer  faisist, 
1347,  V,  652  ;  1367,  VI,  561)  et  quelques  autres.  Même  les  Year 
Books  les  plus  récents  emploient  cette  forme  :  fesist  (12  et  13 
Edw.  m,  193).  L'on  peut  dire  toutefois,  en  ne  tenant  compte  que 
des  graphies,  que  les  formes  sans  s  sont  de  beaucoup  les  plus  com- 
munes, depuis  1200  environ,  même  plus  tôt,  et  que  les  autres 
deviennent  assez  rares  après  cette  date. 

Les  autre.s  verbes  en  si  ne  présentent  pas  exactement  le  même 
état  de  choses;  on  peut  dire  que  pour  eux  IV  persiste  plus  constam- 
ment et  plus  longtemps  que  pour  faire.  Pendant  tout  le  xiir  siècle. 


688  l'évolution  du  verbe  en  anglo-i-rançais 

remploi  de  \'s  est  la  règle,  tandis  que  son  omission  n'est  que  l'ex- 
ception. Le  plus  grand  nombre  des  auteurs  de  cette  période 
emploient  presque  toujours  la  consonne  intervocalique  et  voici  les 
seuls  cas  que  nous  ayons  trouvés  d'où  Vs  est  absente.  Dans  le  Bran- 
dan,  nous  avons  un  exemple  dû  au  scribe  (1167),  plutôt  qu'à 
l'auteur:  c'est /)rm/  (au  vers  ii-^);  dans  l'Estorie  des  Engleis,  nous 
relevons  preïssent  (au  vers  2261),  nieïst  (au  vers  2406);  preïst  (au 
vers  5922);  deïst,  entre  autres,  est  employé  par  Adgar  (i  Eg.  118); 
//av.w  par  Thomas  (au  vers  2900);  ;f//;mi  se  lit  dans  les  Quatre 
Livres  des  Rois   (II,    3,  9);  queïsse  au  vers  2517  du  Saint  Gilles. 

Au  xiii'^  siècle  évidemment,  nous  trouvons  en  nombre  plus  con- 
sidérable les  formes  où  l'hiatus  apparaît.  Dans  Angier,  on  voit  que 
r^  de  dire  a  disparu,  et  elle  ne  reparaît  plus  que  rarement  ;  par 
exemple,  comme  formes  sans  s,  on  peut  citer  deïst  dans  les  Dia- 
logues (68  r°  b);  dans  le  Josaphat  (949)  ;  dans  le  Petit  Plet  (797) 
1735);  dans  le  Saint  Edmund(i9i9);  dans  le  Saint  Auban(i825), 
etc. 

Il  en  est  à  peu  près  de  même  pour  prendre.  On  trouve  de  nom- 
breux exemples  d'imparfaits  du  subjonctif  de  ce  verbe  sans  s  dans 
Chardri  (Josaphat,  142,  242;  Petit  Plet,  219);  on  pourrait  encore 
en  tirer  du  Roman  des  Romans,  de  William  de  Waddington,  de 
Pierre  de  Langtoft.  C'est  aussi  à  partir  de  Chardri  que  mettre  suit 
la  même  voie. 

Mais  les  formes  étymologiques  de  l'imparfait  du  subjonctif  de 
ces  verbes  (mettre,  prendre  et  dire)  restent  sensiblement  plus 
nombreuses  que  les  formes  correspondantes  de  faire. 

Pour  les  autres  verbes  de  cette  classe  présentant  une  s  intervoca- 
lique à  l'imparfait  du  subjonctif,  on  trouve  pendant  tout  le  xiii^ 
siècle,  et  pour  ainsi  dire  dans  chaque  auteur  de  ce  siècle,  des 
formes  où  cette  s  est  conservée.  Cela  arrive  surtout  évidemment 
dans  les  premières  années  de  ce  siècle,  comme  dans  le  Frère 
Angier,  où  elles  sont  spécialement  fréquentes  :  tramisist  (Vie  de 
Saint  Grégoire,  2084  ;  Dialogues,  130  r°  a);  remasist  (Dialogues, 
75  v°  b)  ;  qiiisissent  (ibid.,  76  r°  b).  Nous  en  relevons  de 
même  de  nombreux  exemples  dans  les  poèmes  de  cette  époque 
ou  même  postérieurs.  Citons  ireiùst,  au  vers  1826  du  Saint 
Edmund  ;  occesist,  occisisse,  dans  Robert  de  Gretham  (84  r°,  84  v°)  ; 
disist  dans  le  même  auteur  (80  v'')  ;  dcspeisist  (ibid.,  61  r'')  ;  prcsist 


IMPARFAIT  DU    SUBJONCTIF  689 

au  vers  886  du  Roman  des  Romans,  etc.  Et  ces  formes  durent 
jusqu'au  xiv^  siècle,  comme  le  tramesist  du  Prince  Noir  (vers  1464); 
mais,  à  cette  époque,  elles  ne  sont,  comme  nous  le  disions  tout  à 
l'heure,  que  des  cas  plus  ou  moins  isolés  qui  dénotent  simplement 
un  certain  goût  de  l'auteur  ou  du  scribe  pour  les  formes  vieillies. 
Pour  tous  ces  verbes,  les  deux  formes  se  rencontrent  dans  la 
langue  politique,  diplomatique,  familière  et  légale  ;  mais  les  formes 
sans  s  sont  les  plus  communes  dans  les  meilleurs  recueils. 

h)  La  voyelle  du   radical. 

I.  Dissimilation  vocalique.  —  Nous  n'insisterons  guère  sur  cette 
question  et  nous  nous  contenterons  de  citer  quelques  formes  peu 
régulières  : 

La  dissimilation  vocalique,  dans  les  verbes  ayant  i  dans  le 
thème,  ne  se  fait  pas  toujours  très  régulièrement  ;  voici  quelques 
cas  où  on  trouve  la  voyelle  du  radical  irrégulièrement  conservée. 

Au  commencement  du  xiii*^  siècle,  les  /  irréguliers  sont  assez 
communs  ;  nous  en  trouvons  plusieurs  exemples  dans  Robert  de 
Gretham,  comme  disist  (au  folio  80  v°  des  Evangiles  des  Dompnées 
et  passini)y  cscrisist  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (au  folio  147 
v°  b)  ;  occisisse  se  lit  encore  dans  les  Evangiles  des  Dompnées  (84  v°). 
Les  trois  verbes  que  nous  venons  de  citer  sont  relativement  com- 
muns sous  cette  forme  ;  d'autres  imparfaits  du  subjonctif  nous  ont 
semblé  plus  exceptionnels,  comme  (transynisist  et  quisissent  qui  se 
trouvent  tous  les  deux  dans  les  poèmes  de  Frère  Angier  (respecti- 
vement. Vie  de  Saint  Grégoire,  vers  2084  et  Dialogues,  76  r°  b). 

Au  lieu  de  /  ou  de  f,  on  a  parfois  ei  ;  c'est  la  forme  sous  laquelle 
apparaît  le  plus  souvent  l'imparfait  du  subjonctif  de  dcspirre  :  des- 
peisîst  se  trouve  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (82  v°  b  et  43 
v°  a)  ;  dans  les  Évangiles  de  Robert  de  Gretham  (61  r°).  Nous 
pouvons  répéter  ici  quelques-uns  des  exemples  que  nous  avons 
déjà  donnés  et  qui  montrent  la  diphtongue  ei  au  radical.,  par 
exemple  :  feisissent  dans  les  Dialogues  Saint  Grégoire  (106  v°  a)  ; 
feisist  dans  Rymer  (1367,  VI,  561),  et  de  plus /raV/j/  dans  ce  der- 
nier recueil  (1324,  IV,  90),  etc. 

Quelquefois  la    diphtongue  ai  apparaît  :  faisist  que  nous  avons 

44 


690  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

dans  Rymer  1348,  V,  652  ;  praisics,  Year  Books  i  et  2  Edw.  II,  24, 
etc. 

Ces  deux  diphtongues  se  rencontrent  après  la  chute  de  Vs  ;  faisse 
se  lit  dans  Jean  de  Peckham  (1307,  80),  dans  les  Literae  Cantua- 
rienses  (1359,  S$4);  faist  dans  les  Parliamentary  Writs  (1301,  I, 
132),  dans  Rymer  (1321,  III,  890);  dcissent  dans  les  Year  Books  20 
et  21  Edw.  I"  (61,  etc.). 

Diérèse  et  synérèse. 

Nous  nous  occuperons  d'abord  du  verbe  faire,  pour  lequel  nous 
avons,  comme  nous  venons  de  le  montrer,  des  exemples  plus 
anciens  de  la  chute  de  \'s  intervocalique  et  par  conséquent  de  l'hia- 
tus. 

Faire.  —  Au  xii^  siècle  la  diérèse  est  très  régulièrement  conservée  : 
nous  n'avons  relevé  qu'un  seul  cas  très  douteux  de  synérèse  dans 
Horn  (ms.  H)  au  vers  1605  :  fassent  : 

Kar  Horn  ot  défendu  quil  ne  feissent  noisée. 

(C  et  O  donnent  faceiit.') 

Au  xiii''  siècle,  pour  ce  verbe,  comme  pour  toutes  les  autres 
formes  présentant  étymologiquement  un  hiatus,  nous  trouvons  un 
nombre  assez  considérable  de  synérèses,  mais  la  synérèse  restera 
l'exception.  La  diérèse  est  la  règle  dans  Angier  (128  v°  a,  106  v°  b), 
dans  Chardri  (Josaphat,  2442,2666,  139;  Set  Dormans,  389,  585; 
dans  le  Petit  Plet,  301);  dans  Robert  de  Gretham  (aux  folios  81  r°, 
84  v°);  dans  le  Roman  des  Romans  (vers  755);  on  en  trouve  des 
exemples  jusque  dans  William  de  Waddington  (3185). 

D'un  autre  côté  nous  avons  relevé  dans  la  plupart  des  auteurs 
que  nous  venons  de  citer  et  à  partir  de  Chardri  un  certain  nombre 
de  formes  contractes.  On  trouve  dans  les  différents  poèmes  de  ce 
dernier  des  exemples  qui  montrent  d'une  façon  indubitable  que  la 
synérèse  s'est  effectuée  ;  voici  les  vers  qui  montrent  la  réduction 
de  l'hiatus.  Au  vers  723  de  Josaphat  : 

Kel  ne  feist  sage  sanz  targer. 

vers  faux,  du  reste. 


IMPARFAIT    DU    SUBJONCTIF  69! 

Au  vers  1758  des  Set  Dormans  : 

Cumcnt  lurfeist  greinnur  honur. 

Dans  Josaphat,  vers  2602  : 

Ke  Barachie  feissent  seinnur. 
Au  vers  554  du  même  poème  on  trouve  : 

Kil  se  feissent  tost  aprestcr. 
Enfin  au  vers  2601,  toujours  dans  Josaphat  : 

Tant  feissent  pur  la  sue  amur . 

Les  vers  723  et  554  de  Josaphat  sont  douteux;  le  premier,  de 
toute  façon,  est  un  vers  faux  ;  l'autre  nous  laisse  dans  le  doute,  car 
nous  ne  pouvons  pas  savoir  laquelle  des  deux  syllabes  muettes  ne 
doit  pas  compter,  Ve  en  hiatus  de/<;'/  ou  la  terminaison  à  l'hémis- 
tiche eut  de  ce  verbe.  Mais  les  autres  vers  suffisent  pour  montrer  que 
Chardri  fait  à  l'occasion  la  synérèse. 

Saint  Edmund  en  présente  aussi  un  exemple  au  vers  1941  (à 
côté  duquel  on  peut  citer  plusieurs  cas  de  diérèse,  par  exemple  le 
vers  1667)  : 

Ke  de  li  .feist  le  neis  voler. 

Le  même  phénomène  se  retrouve  dans  Aspremont  ;  on  trouve 
dans  deux  vers  consécutifs  un  cas  de  diérèse  (vers  132)  et  un  cas 
de  synérèse  (vers  133)  : 

Suz  ciel  u'at  beste  plus  feïst  a  preisier. 
Nen  nule  tere  plus  feist  a  cuveitier. 

Le  nombre  des  synérèses  est  encore  inférieur  à  celui  des  diérèses 
dans  Edward  le  Confesseur  et  dans  le  Chevalier  :  dans  le  premier 
de  ces  poèmes  on  trouve  au  moins  trois  fois  fcïsl  (vers  283, 
909,    1258),   contre   un  cas  où  la  synérèse    s'est    effectuée  (vers 

723): 

Ki  as  Daneis  en  feist  présent. 

Saint  Auban  lui-même  semble  toujours  faire  la  diérèse  (cf.  vers 


692  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

1569,  1745).  Dermod  a  un  nombre  à  peu  près  égal  des  deux 
formes  ;  la  diérèse  subsiste,  autant  qu'on  peut  en  juger,  dans  les 
vers  332,  2731,  3404  ;  les  vers  suivants  sont  au  contraire  des  cas 
de  synèrèse  (vers  306,  1363): 

Si  H  feist  honorablement. 
Se  feisent  tost  aparailer. 

Même  au  xiv^  siècle  nous  lisons  dans  Pierre  de  Langtoft  et  dans 
le  Prince  Noir  des  vers  qui  nous  montrent  que  la  diérèse  subsiste 
encore  ;  on  a  feïsses  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  88,  i  ;  I,  246,  9)  : 

Si  vus  tant  feïsses,  grant  joye  en  averay. 
Si  le  ray  Philipe(s)  i  feist  demoraunce . 

Mais  dans  tous  les  autres,  et  ils  sont  nombreux,  l'hiatus  a  dis- 
paru, semble-t-il. 

Dans  le  Prince  Noir  au  contraire,  nous  trouvons  les  formes  à 
diérèse  aux  vers  646,  731,  1869,  3773,  tandis  que  nous  ne 
sommes  sûrs  d'aucun  cas  contraire. 

Les  quelques  exemples  que  nous  avons  cités  nous  permettent 
d'arriver  à  une  conclusion  assez  précise .  Les  auteurs  anglo-français 
ont  connu  la  synèrèse  à  l'imparfait  du  subjonctif  de  faire  et  ils  ont 
employé  les  formes  contractes,  tantôt  pour  les  besoins  du  vers, 
tantôt  parce  que  cette  forme  leur  semblait  plus  usuelle.  Mais  cette 
nouvelle  forme  n'a  jamais  réussi  à  déplacer  complètement  l'autre  ; 
plusieurs  auteurs,  même  à  une  époque  tardive  de  la  littérature 
anglo-française,  emploient  encore  uniquement  la  forme  étymolo- 
gique, tous  la  connaissent. 

On  peut,  en  négligeant  l'exemple  de  Horn  qui  est  isolé  et  pro- 
vient du  scribe  de  H  (fin  du  xiii''  siècle),  considérer  que  la  synèrèse 
a  commencé  à  se  faire  avec  Chardri  (1220). 

Autres  verbes.  —  Puisque,  comme  nous  venons  de  le  dire,  Vs  est 
conservée  le  plus  souvent  au  xii^  siècle  pour  les  autres  verbes,  les 
cas  d'hiatus  ne  sont  pas  très  fréquents  et  par  conséquent  la  synè- 
rèse, s'il  en  existe  des  exemples,  ne  peut  être  que  rare.  De  toutes  les 
formes  que  nous  avons  rencontrées  il  ne  s'en  trouve  qu'une  en 
effet  où  la  synèrèse  se  soit  effectuée  ;  elle  se  trouve  chez  Gaimar, 
preist  au  vers  5922  : 

Sanz  contre  dit  Angevins  preist. 


IMPARFAIT    DU    SUBJONCTIF  693 

Ces  cas  de  synérèse  sont  un  peu  plus  nombreux  au  commence- 
ment du  xiii^  siècle  ;  nous  en  trouvons  un  dans  les  Dialogues  Saint 
Grégoire  :  Jcisse  (125  v°  b)  ;  dans  Chardri  il  y  en  a  quelques-uns  d'as- 
surés: meist  au  vers  768  de  Josaphat: 

U  la  père  meist  la  mcstrie  ; 

mesdeissent  dans  le  Petit  Plet  (au  vers  847)  : 

Car  s'il  ne  mesdeissent  de  tei. 
et  probablement  au  vers  142  du  Petit  Plet: 

Si  jeo  preisse  le  secle  trop  a  fes. 

Ici  la  synérèse  peut  n'être  qu'apparente,  le  <'  trop  »  et  le  «  jeo  » 
peuvent  provenir  du  copiste.  L'exemple  de  dcist  qu'on  trouve  au 
vers  1208  du  Saint  Edmund  est  douteux  aussi. 

E  ke  ceo  dei(s)t  qu'ele  nel  salue. 

Lire  :  E  ke  ceo  dist  qu'ele  ne  le  salue  ? 

Le  Saint  Auban,  au  vers  1825,  a  dcise,  où  s'est  faite  la  sjmérèse  : 

Ne  i  deise  fauseté  pur  tut  l'or  Costentin. 

Lire  :  n'i  ;  quant  à  fauseté,  il  compte  pour  trois  syllabes  (cf.  vers 
279,  361,  562,  598,  1002). 

Enfin  la  synérèse  se  fait  dans  les  Chansons  (VI,  93)  et  très  régu- 
lièrement dans  William  de  Waddington  :  entreiiu'isst'i  {1S02),  dcist 
(^lOi^G'),  deisse:^  (3186),  preisse\  (3890)  et  plusieurs  autres  encore. 

Il  en  va  exactement  de  même  pour  les  différents  auteurs  du 
xiv^  siècle  ;  de  loin  en  loin,  nous  rencontrons  un  cas  de  diérèse 
qui  semble  assez  sûr,  comme  dans  la  Vie  de  Saint  Paul  de  Nicole 
Bozon  (185): 

Si  jeo  meyscavaunt  la  meyn. 

Mais  de  telles  formes  n'ont  rien  de  régulier  et  la  plupart  des 
auteurs  semblent  faire  toujours  la  synérèse. 

Pour  ces  imparfaits  du  subjonctif,  la  synérèse  a  donc  commencé 


694  l'évolution  du  verbe  en  anglo-prançais 

à  sefiiire  dans  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle,  quoique  les  exemples 
de  cette  date  restent  assez  douteux  ;  au  commencement  du  xiii%  leur 
nombre  augmente  et  ils  sont  plus  assurés;  vers  1275  et  pendant  le 
siècle  suivant,  les  cas  d'hiatus  deviennent  très  rares. 

Extension  des  formes  en  si  à  Viinparfail  du  subjonctif. 

(Cf.  les  ouvrages  et  articles  cités  p.  655). 

Nous  avons  vu  qu'au  prétérit,  tant  que  l'allongement  syllabique 
s'est  fait  sentir,  les  personnes  imparisyllabiques  des  prétérits  en  si 
ont  attiré  un  certain  nombre  de  prétérits  et  leur  ont  justement 
donné  leur  forme  imparisyllabique.  Les  verbes  que  nous  avons 
alors  cités  comme  subissant  cette  attraction  sont  déguerpir,  établir 
et  guarir. 

Le  même  phénomène  se  produit  à  l'imparfait  du  subjonctif  mais 
d'une  fcKon  beaucoup  plus  étendue.  En  effet  1'^  qui  pour  le  prété- 
rit devient  relativement  rare  après  11 60,  se  maintient  beaucoup 
■mieux  dans  les  imparfaits  du  subjonctif  ;  au  lieu  de  n'appartenir 
qu'à  trois  personnes,  comme  au  prétérit,  elle  se  trouve  aux  six  per- 
sonnes; c'est  pour  cette  raison  même  d'abord  que  Vs  a  mieux 
résisté  au  temps  qui  nous  occupe,  et  aussi  que  les  acquisitions  que 
ce  temps  a  faites  sont  plus  nombreuses  et  s'étendent  sur  un  nombre 
d'années  beaucoup  plus  considérable. 

Si  nous  examinons  isolément  les  acquisitions  que  l'imparfait  du 
subjonctif  en  si  a  faites  au  xii^  siècle,  acquisitions  assez  peu  nom- 
breuses, nous  verrons  que  ce  sont  surtout  les  verbes  de  la  deuxième 
conjugaison  inchoative  qui  sont  atteints  ;  on  trouve  en  effet  pen- 
dant ce  siècle  :  perisist  dans  les  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cambridge 
(3,  12);  Adgar(XL,  52)  ;  saisis ist,  Quatre  Livres  des  Rois  (IV,  8, 
6);  ce  dernier  n'est  probablement  qu'une  erreur  cléricale.  Nous 
pouvons  citer  des  exemples  plus  convaincants  :  giiaresist,  Quatre 
Livres  des  Rois  (II,  2,  22;  IV,  5,  6);  tapesist,  Quatre  Livres  des 
Rois  (I,  19,  2);  sufrisist  àa.ns  Haveloc  (105 1). 

Le  perdisist  qu'on  lit  au  vers  5941  de  Gaimar  n'est  donné  que 
par  le  ms.  Royal,  et  nous  avons  vu  (imparfaits  du  subjonctif  en  ui, 
première  classe)  qu'il  valait  mieux  adopter  la  leçon  donnée  par  D, 
L  et  H  qui  portent  perdist . 

Cette  forme  en  isist  doit  donc  être  attribuée  au  scribe  du  ms. 
Royal,  ce  qui  la  remet  au  commencement  du  xiii'  siècle. 


IMPARFAIT    DU    SUBJONCTIF  695 

Par  conséquent  tous  les  exemples  qu'on  trouve  au  xii*  siècle  de 
l'extension  des  formes  en  si  à  l'imparfait  du  subjonctif  montrent 
que  ce  sont  des  inchoatifs  de  la  seconde  conjugaison  qui  adoptent 
cette  forme. 

Il  n'en  est  pas  de  même  pendant  les  deux  siècles  suivants  ;  cepen- 
dant on  pourra  remarquer  dans  la  liste  des  verbes  qui  suit  que  la 
plupart  ont  un  prétérit  en  ivi  ou  en  /  ;  nous  ne  trouvons  (sauf 
l'exception  que  nous  signalerons  plus  tard)  aucun  verbe  de  I, 
très  peu  de  verbes  ayant  régulièrernent  un  prétérit  en  ui. 

Les  deux  verbes  qui  montrent  le  plus  grand  nombre  d'exemples 
de  formes  analogiques  sont  les  verbes  venir  et  tenir;  on  peut 
même  dire  que  pendant  la  fin  du  xiii"  siècle  et  le  xiv%  la  forme 
en  si  est  la  forme  régulière  de  l'imparfait  du  subjonctif  de  ces  deux 
verbes. 

Nous  trouvons  par  exemple  vensist  dans  Robert  de  Gretham  (au 
folio  74  v°),  au  vers  1 141  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  dans  Boeve 
de  Haumtone  (au  vers  942),  ou  encore  avec  e  avant  la  désinence 
sisî,  vencsist  au  §  79  des  Contes  de  Bozon  ;  au  folio  46  v°  de  Nicolas 
Trivet. 

Dans  l'anglo-français  non  littéraire,  les  exemples  sont  assez 
communs;  citons  ceux  qu'on  trouve  dans  les  Statutes  (1321,!, 
183)  et  dans  lesYearBooks  13  et  14  Edw.  III  (p.  309). 

Il  en  va  évidemment  de  même  pour  le  verbe  tenir,  et  les  impar- 
faits du  subjonctif  en  si  pour  ce  verbe  abondent  au  xiii'  siècle. 
Tensist  se  rencontre  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au  vers  1216), 
dans  les  Dialogues  (au  folio  45  v°  a),  etc.  et  en  dehors  de  la  litté- 
rature, dans  les  Statutes,  dans  Rymer,  les  YearBooks.  Les  exemples 
sont  trop  communs  pour  qu'il  soit  nécessaire  que  nous  en  donnions 
une  liste. 

Ces  deux  verbes  sont  les  deux  seuls  verbes  ayant  un  prétérit  en  i 
qui  prennent  avec  une  très  grande  régularité  la  forme  en  si  à  ce 
temps. 

Les  verbes  qui  ont  un  prétérit  en  ivi  n'apparaissent  que  sporadi- 
quement sous  cette  forme  à  l'imparfait  du  subjonctif;  certaines 
formes  se  trouvent  répétées  dans  difi'érents  auteurs,  quelques-unes 
semblent  n'avoir  été  employées  que  par  un  seul  écrivain.  Nous 
allons  en  donner  rapidement  la  liste,  et  nous  suivrons  l'ordre 
chronologique  ;  nous  retrouverons  évidemment  quelques-unes  des 
formes  que  nous  avons  déjà  rencontrées  au  siècle  précédent. 


696  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Dans  les  Evangiles  des  Dompnées,  l'imparfait  du  subjonctif  nas- 
quesist  qui  peut  se  lire  au  folio  8  r°  est  assurée  par  la  mesure  du 
vers  ;  il  en  est  de  même  de  deux  autres  formes,  dont  l'une  a  déjà  été 
citée  :  giiairsist  qu'on  lit  au  folio  18  r°  et  peresist  de  périr,  employée 
au  folio  73  r°. 

Un  autre  auteur,  de  la  fin  du  xiii^siècle,  William  de  Waddington, 
nous  offre  plusieurs  exemples  analogues  dans  son  Manuel  des 
Péchés  ;  citons  oversist  d'ouvrir  (au  vers  5069);  ojfresist  (au  vers 
7578);  siijjresist  (au  vers  9657).  Ce  dernier  verbe  se  rencontre 
encore  assez  communément,  surtout  en  dehors  des  ouvrages  litté- 
raires, comme  dans  les  Mem.  Pari.  1305  (cf.  §  5)  ;  dans  les  Histo- 
rié and  Municipal  Documents  of  Ireland  (1292,  212)  et  passim. 
Vesquisisî  ne  semble  pas  rare  ;  nous  l'avons  rencontré  dans  les 
Distiques  de  Caton  d'Everart  de  Kirkham  {l'csqitisissent,  8  c),  dans 
Wil.  Rishanger  (page  276),    dans  les  Statutes  k  la  date  de  1311 

a  159). 

Perdre  fait  perdisist  qui  est  assuré  par  la  mesure  du  vers  dans 
Pierre  de  Langtoft  (II,  226,  8  ;  II,  424,  16)  ;  on  en  trouve  un 
autre  exemple  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  (§  112).  Ce  der- 
nier ouvrage  nous  donne  encore  (aux  §  133  et  82),  enlendesist  et 
vendesist. 

Ajoutons  enfin  partesisi  employé  dans  Wil.  Rishanger  (page  317)  ; 
rendisist  qu'on  trouve  dans  les  Mem.  Pari.  1305  (§  33). 

Voilà  donc  les  verbes  que  nous  avons  relevés  :  six  verbes  de  la 
seconde  conjugaison  :  guérir,  partir,  périr,  offrir,  ouvrir,  souftrir  ; 
six  de  la  quatrième  :  entendre,  naître,  perdre,  rendre,  vendre, 
vivre. 

Les  prétérits  en  ni  vont  nous  fournir  un  nombre  assez  considé- 
rable de  formes  de  ce  genre.  Citons  d'abord  les  deux  acquisitions 
les  plus  importantes,  les  deux  verbes  vouloir  et  valoir.  Inutile  ici  de 
citer  des  exemples  ;  l'imparfait  du  subjonctif  de  ces  deux  verbes  a 
toujours  la  forme  en  si. 

Un  autre  verbe  ayant  un  prétérit  en  ///  se  trouve  presque  aussi 
communément  employé  sous  cette  forme  :  c'est  le  verbe  mourir. 
Nous  ne  nous  rappelons  pas  avoir  jamais  rencontré  pour  ce  verbe 
un  imparfiiit  du  subjonctif  en  ///,  mais  il  a  quelquefois  la  forme  en 
i.  (Cf.  Prétérit,  p.   595)- 

L'imparfait  du  subjonctif  avec  s  est  très  commun  ;  les  premiers 


IMPARFAIT    DU    SUBJONCTIF  697 

exemples  remontent  assez  haut  ;  nous  croyons  qu'il  ne  s'en  trouve 
pas  avant  le  Chevalier,  la  Dame  et  le  Clerc  qui  nous  donne  (au 
vers  336)  morsist;on  trouve  par  la  suite  niorsissent  dans  Wil. 
Rishanger  (page  276)  ;  dans  les  œuvres  non  littéraires  cette  forme 
est  très   commune  ;   citons  nwrsissmt  dans  les   Mem.   Pari.   1305 

(§  193). 

Ce   même  verbe  présente   aussi  souvent  une  forme  légèrement 

différente  avec  e,  comme  moresist  qui  se  lit  dans  Wil.  Rishanger 
(page  27e),  et  dans  Pierre  de  Langtoft  (II,  344,  16).  La  voyelle  / 
remplace  quelquefois  la  muette  :  morisist  se  trouve  encore  dans 
Wil.  Rishanger  (page  295)  (cf.  vensist,  tensist  ;  venesist,  tenesist). 

Ces  trois  verbes  sont  les  principaux  exemples  que  nous  avons  à 
citer.  On  pourrait  en  trouver  quelques  autres,  surtout  dans  les  deux 
poèmes  de  Frère  Angier  qui  en  offre  à  lui  seul  autant  que  tout  le 
reste  des  œuvres  littéraires  prises  ensemble,  mais  aucun  n'est  aussi 
régulier  que  vouloir,  valoir  et  mourir.  Dans  l'auteur  que  nous 
venons  de  nommer,  on  peut  en  outre  remarquer  un  petit  nombre 
de  verbes  de  I  empruntant  aux  verbes  ayant  un  prétérit  en  si  la 
forme  de  leur  imparfait  du  subjonctif.  Mais  nous  ne  pouvons  pas 
considérer  comme  anglo-françaises  des  formes  comme /mw^jm/ (31 
r°  a)  ou  geilsist  Cm  r"  b).  (Pour  la  liste  complète  de  ces  formes 
dans  Angier,  voir  Miss  Pope,  page  43  et  Timothy  Cloran,  page  éo). 
Nous  ne  trouvons,  en  dehors  des  œuvres  de  Frère  Angier,  qu'un 
seul  verbe  de  I  prenant  à  ce  temps  cette  forme  :  c'est  le  verbe  bail- 
ler, et  on  ne  le  trouve  qu'en  dehors  de  la  littérature. 

Voici  donc  tous  les  exemples  que  nous  offre  la  littérature  anglo- 
française,  et  il  est  facile  de  voir  comment  la  forme  en  si  a  gagné  à 
l'imparfait  du  subjonctif  des  verbes  auxquels  régulièrement  cette 
forme  est  étrangère.  Ce  sont  les  inchoatifs  qui  ont  été  atteints  les 
premiers.  La  raison  de  ce  phénomène  nous  semble  assez  facile  à 
déterminer;  nous  croyons  en  réalitéqu'il  y  en  a  deux.  Toutd'abord, 
et  ceci  s'applique  à  tous  les  prétérits  en  ivi,  l'amuissement  de  Vs  du 
prétérit  a  entraîné  l'identité  des  désinences  dans  les  prétérits  giiarit, 
âist.  Cette  identité  a  pu  être  le  point  de  départ  de  la  confusion 
entre  les  imparfaits  du  subjonctif  en  ivi  et  en  si. 

Mais  en  second  lieu,  et  surtout,  les  inchoatifs  ne  semblent  pas 
avoir  d'imparfait  du  subjonctif  propre  ;  ce  temps  se  confond  avec  le 
présent  du  subjonctif  :  guarisse  sert  pour  les  deux  temps.  L'anglo- 


698  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

français,  dans  les  quelques  cas  que  nous  avons  cités,  a  tenté  de 
donner  une  forme  propre  à.  ces  imparfaits  du  subjonctif,  et  la  res- 
semblance sinon  l'identité  de  leurs  prétérits  avec  ceux  des  prétérits 
en  si  a  mené  naturellement  les  auteurs  à  pousser  encore  plus  loin 
la  ressemblance  et  à  donner  la  même  forme  aux  imparfaits  du 
subjonctif  de  ces  deux  classes  de  verbes. 

C'est  de  cette  façon  que  nous  nous  expliquons  l'extension  des 
formes  en  si  aux  verbes  inchoatifs.  De  ces  verbes,  cette  forme  a 
facilement  passé  à  tous  les  autres  verbes  de  II,  aussi  bien  aux  non 
inchoatifs  ordinaires,  comme  souffrir,  qu'aux  verbes  tenir  et  venir 
qui  ont  un  prétérit  en  /,  et  à  mourir  qui  a  un  prétérit  en  ivi  à  côté 
du  prétérit  régulier  en  ui.  De  même  entendi,  nasgui,  perdi,  rendi, 
vendi,  vesqiii  ont  amené  les  formes  que  nous  citions  tout  à  l'heure. 

Tout  cela  a  été  assez  lent  et  progressif;  nous  ne  pouvons  guère 
nous  fier  à  la  chronologie  des  exemples  que  nous  avons  relevés  ; 
rien  ne  pourrait  sembler  plus  naturel  que  de  supposer  que  l'ordre 
dans  lequel  nous  les  trouvons  est  réellement  l'ordre  dans  lequel 
ils  ont  apparu.  Mais  il  est  sûr  que  beaucoup  d'intermédiaires  et 
d'exemples  doivent  nous  manquer;  il  est  possible  que  rendre  ou 
vendre,  pour  lesquels  nous  n'avons  que  des  exemples  récents, 
aient  apparu  dans  des  textes  que  nous  ne  possédons  pas  ou  que 
nous  n'avons  pas  consultés  bien  longtemps  avant  nasquesist  pour 
lequel  nous  avons  un  exemple  assez  ancien.  La  seule  chose  qui 
nous  semble  assurée,  c'est  que  cette  extension  des  formes  en  si  à 
l'imparfait  du  subjonctif  a  commencé  avec  les  inchoatifs,  et  a  gagné 
ensuite  les  autres  prétérits  en  ivi.  Ajoutons  si  l'on  veut  que,  d'après 
nos  exemples,  tenir  et  venir  prennent  cette  forme  vers  le  commen- 
cement du  XIII*  siècle  ;  que  mourir  se  montre  avec  cette  désinence 
quelques  années  plus  tard  ;  que  souffrir,  ouvrir,  partir  et  vivre  pen- 
dant le  XIV*  siècle,  vendre,  entendre  et  bailler  à  la  fin  de  ce  même 
siècle,  se  trouvent  'atteints  à  leur  tour;  mais  toutes  ces  dates  ont 
une  valeur  très  médiocre. 

Un  assez  grand  nombre  des  verbes  précédents  se  trouvent  aussi 
en  dehors  des  œuvres  littéraires  et  nous  ne  reviendrons  pas  sur  ce 
point.  Disons  simplement  que  les  œuvres  diplomatiques,  politiques, 
familières,  légales  nous  donnent  quelques  exemples  que  nous 
n'avons  pas  encore  rencontrés.  Citons  d'abord  bausist  de  bailler  (cf. 
Futur),  le  seul  cas  vraiment  anglo-français  d'un  verbe  de  I  sous  cette 


IMPARFAIT    DU    SUBJONCTIF  699 

forme;  on  le  trouve  dans  les  Lettres  de  Jean  de   Peckham  (1310, 
36)  et  fréquemment  dans  les  Year  Bocks. 

Les  autres  formes  ne  sont  pas  aussi  communes  :  defausit  dans  les 
Rymer's  Foederà  (1278,  II,  108);  discheisisl  (de  choir)  dans  le 
même  recueil  (1278,  II,  107).  Surtout  suisisl  de  suivre,  suire,  suer 
qui  se  rencontre  dans  les  textes  politiques,  comme  dans  les  Parlia- 
mentary  Writs  (1314,  I,  136),  mais  surtout  dans  les  différents  Year 
Books  où  il  est  très  commun. 

Ces  derniers  recueils  nous  montrent  un  nombre  encore  plus  con- 
sidérable déformes  irrégulières  en  si;  toutes  celles  que  nous  avons 
eu  l'occasion  de  citer  y  sont  employées,  et  de  plus  on  rencontre  les 
verbes  suivants  :  respondesil  ■,  cstoysit  %  abatisit  \  recovresit  \  jousit 
(jouir)  5,  cursii  S  suffrisiuns  '. 

Enfin  ajoutons,  et  ce  n'est  pas  l'observation  la  moins  importante 
que  nous  avons  réservée  pour  la  fin,  que  les  verbes  valoir  et  vou- 
loir ont  dans  tous  les  textes,  légaux  et  autres,  comme  dans  les 
œuvres  littéraires,  la  forme  des  imparfaits  du  subjonctif  correspon- 
dant à  des  prétérits  en  si. 


Year  Book  21  Edw.  1er,  223,  285  ;  50  Edw.  1er,  249. 

—  21   Edw.   1er,  217. 

_  30  Edw.  I",  187. 

32  et  53  Edw.  I",  21. 

32  et  33  Edw.  1er,  127. 

—  32  et  35  Edw.  1er,  303. 

_  Eyre  of  Kent  ;  6  et  7  Edw.  II,  1 10. 


CHAPITRE    V 
FUTUR'    ET   CONDITIONNEL 


Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les  points  que  nous  avons  déjà  exa- 
minés en  étudiant  les  désinences  personnelles. 

Rappelons  brièvement  que  nous  avons  vu  au  futur  la  première 
personne  du  singulier  prendre  les  désinences  en  (ii{,y)y^i{,y),oi{y), 
a,  e,  les  trois  dernières  très  rares;  les  deuxièmes  personnes  du  sin- 
gulier prendre  quelquefois  ;^  au  lieu  de  s  (d.  p.  75);  la  troisième 
personne  du  singulier  perdre  la  dentale  (cf.  p.  97)  ;  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel  prendre  les  désinences  unt,  ont,  ount,  ent. 

Pour  le  conditionnel,  nous  avons  étudié  l'amuissement  de  la 
muette  finale  à  la  première  et  à  la  deuxième  personne  du  singulier 
et  à  la  troisième  du  pluriel  (cf.  p.  258).  Nous  avons  relevé  les  dif- 
férentes formes  de  la  diphtongue  (cf.  Désinences  personnelles,  p. 
274  ;  Imparfait  de  II,  III,  IV,  p.  565). 

Il  ne  nous  reste  à  étudier  que  les  changements  qui  appartiennent 
spécifiquement  à  ces  deux  temps. 

Comme  nous  allons  le  voir,  ces  deux  temps  ont  subi  en  anglo- 
français  des  modifications  nombreuses,  et  souvent  assez  profondes 
pour  leur  faire  perdre  leur  forme  étymologique  et  leur  donner  l'ap- 
parence d'autres  temps  du  verbe. 

Ces  modifications  diffèrent  selon  les  conjugaisons.  Nous  étudie- 
rons successivement  : 

i"  Futur  de  la  première  conjugaison. 
2°  Futur  de  la  deuxième  conjugaison. 
3°  Futur  de  la  troisième  et  de  la  quatrième  conjugaison. 

Ce  que  nous  dirons  du  futur  s'appliquera,  sauf  exceptions,  au 
conditionnel. 

I.  Pour  le  futur,  on  peut  consulter  :  Brôhan,  Die  Futur  hildung  im  Altfranzô- 
sischen  ;  Ancus  Martius,  Zur  Lehre  von  der  Verwendung  des  Futurs  im  Alt-  und 
Neufranzôsischen  ;  Rônsch,  Die  franz.  Futuralbildung,  Jahrbuch  VIII,  418. 


FUTUR   ET   CONDITIONNEL  7OI 

L  Futur  des  verbes  de  I. 

Les  modifications  que  les  futurs  de  In  première  conjugaison  ont 
eu  à  subir  en  anglo-français  sont  considérables;  la  forme  caracté- 
ristique de  ces  futurs  n'a  été  que  fort  rarement  respectée,  et  bien 
souvent  ce  n'est  que  le' contexte  qui  peut  nous  faire  savoir  à  quel 
temps  nous  avons  affaire. 

Ces  modifications  sont  dues,  pour  la  plupart,  à  la  voyelle  proto- 
nique et  à  la  consonne  r  qui  termine  le  radical  de  ce  temps. 

I .   Chute  de  /'e  protonique. 

Lorsque  le  radical  du  verbe  se  termine  par  une  consonne  simple, 
spécialement  par  r,  une  dentale  ou  une  labiale,  ou  par  n,  même  par 
une  voyelle,  Ve  pfotonique  disparait  le  plus  souvent. 

Les  exemples  sont  nombreux  et  appartiennent  à  toutes  les 
époques  de  la  littérature  anglo-française.  Nous  n'aurons  donc  pas 
besoin  de  les  multiplier  ;  nous  ne  donnerons  que  les  plus  caracté- 
ristiques et  ceux  qu'on  rencontre  le  plus  fréquemment  '. 

R.  —  C'est  pour  les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  r  que 
nous  rencontrons  les  exemples  les  plus  anciens  en  même  temps  que 
les  plus  assurés.  C'est  ainsi  que  la  forme  dcinorrai  nous  est  assurée 
par  la  mesure  du  vers  863  du  Voyage  de  Saint  Brandan  (Arsenal, 
BLF,  816): 

Ne  dotez  rien  ne  demorrai 

vers  qui  se  trouve  sous  cette  forme  dans  les  deux  manuscrits. 

Cette  forme,  par  la  suite,  devient  la  forme  ordinaire  du  futur  de 
ce  verbe  et  nous  pourrions  trouver  dans  les  différents  auteurs  des 
trois  siècles  qui  nous  occupent  la  matière  d'une  longue  liste  de  cita- 
tions. 

Dentale.  —  Dans  le  même  poème,  nous  rencontrons  sans  sa  voyelle 
atone  étymologique  un  verbe  dont  le  radical  est  terminé  par  une 
dentale  :  resiiscitrai  (au  vers  1561,  manque  dans  Arsenal,  BLF); 
mais  cet  exemple  est  d'autant  plus  douteux  que  nous  n'en  trouvons 

I .  Pour  le  même  phénomène  en  français,  voyez  Focrster  :  De  Venus,  la  Déesse 
d'Amor,  p.  63. 


702  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

pas  d'analogue  dans  les  autres  ouvrages  de  la  même  époque  ;  citons 
cependant  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au  vers  1047),  oslrai  et 
aidrei  dans  le  même  poème  (vers  2876)  et  dans  Boeve  de  Haumtone 
(au  vers  1980),  qui  nous  engagent  encore  à  attribuer  au  scribe  du 
ms.  de  Londres   l'exemple  du  Voyage  de  Saint  Brandan. 

Labiale.  —  Les  thèmes  à  labiale  nous  montrent  au  moins  un  verbe 
qui  se  rencontre  constamment  sans  voyelle  atone  au  futur  :  le  verbe 
trouver.  Le  premier  exemple  date  au  moins  de  11 67;  nous  lisons 
tnivra  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  au  vers  24e;  mais  ici  il  faut 
rétablir  Ve  atone  : 

Dex  truvera  qu'a  lui  estuet  (Arsenal  BLF,  191) 

et  par  conséquent  attribuer  au  scribe  la  responsabilité  de  cette  forme. 
Par  la  suite,  truvra  devient  du  reste  extrêmement  commun. 

N.  —  C'est  à  la  même  date,  au  plus  tard,  que  nous  devons  placer 
la  chute  de  Ve  dans  le  verbe  donner,  qui  se  rencontre  au  futur  sous 
la  forme  donrai  dans  le  Psautier  d'Oxford  (31,  19),  dans  le  Drame 
d'Adam  (451),  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine  (537)  et  dans  la 
plupart  des  auteurs.  Citons  encore  menrai  qui  est  à  peine  moins 
commun  que  le  précédent  et  se  rencontre  par  exemple  dans  le  Tris- 
tan de  Thomas  (au  vers  2561). 

Voyelle.  — Les  thèmes  vocaliques  nous  montrent  le  phénomène  à 
quelques  années  de  distance;  nous  avons  hiimiliras  dans  le  Psautier 
d'Arundel  (17,  29);  saliirei  dans  le  Saint  Edmund  (au  vers  3952). 
Les  exemples  de  formes  comme  les  précédentes  ne  sont  jamais  très 
communs  au  xii'^  siècle. 

Groupe  de  consonnes.  —  Il  est  encore  plus  rare  de  trouver  que  l'^; 
protonique  disparaît  quand  le  thème  du  verbe  est  terminé  par  un 
groupe  de  consonnes,  et  cependant  nous  avons  pour  ces  verbes  des 
exemples  qui  remontent  fort  haut  dans  la  littérature  anglo-française. 
Le  manuscrit  L  de  l'Alexis,  pour  la  strophe  46,  nous  àonnt  giiar- 
drat,  et  le  Psautier  d'Arundel  nous  montre  la  forme  encore  plus 
extraordinaire  tremblrai  (26,  2)  ;  mais  ces  deux  exemples,  qui  ne 
.sont  assurés  que  par  la  graphie,  pourraient  fort  bien  n'être  que  le 
résultat  de  la  négligence  des  scribes.  Pour  le  dernier  exemple,  la 
négligence  semble  cependant  assez  invraisemblable,  car  Ve  a  d'abord 
été  écrit,  puis  exponctué.  Ce  n'est  qu'au  xiV  siècle  que  les  formes 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  703 

analogues  aux  précédentes  deviendront  assez  fréquentes,  comme 
dans  Pierre  de  Langtoft  qui  écrit  enportra,  surtout  dans  le  poème 
de  l'Antecrist  qui  n'emploie  guère  que  des  futurs,  dont  quelques- 
uns  ont  une  forme  extraordinaire,  comme  nous  le  verrons  plus 
tard. 

Indiquons  maintenant  quelques-unes  des  conséquences  qu'en- 
traîne la  disparition  de  la  voyelle  atone. 

Pour  les  thèmes  terminés  par  la  consonne  r,  cette  chute  de  la 
voyelle  produit  la  consonne  double  ;;■  ;  nous  remarquerons  plus  tard 
que  l'anglo-français,  à  toutes  les  époques,  a  aimé  cette  consonne 
double,  et  il  est  possible  que  ce  soit  ce  désir  de  former  ce  groupe  qui 
ait  provoqué  la  chute  de  l'atone.  Toujours  est-il  que  dans  les  verbes 
qui  se  montrent  avec  cette  consonne  double,  le  futur  ne  diffère  en 
rien  de  certains  prétérits  de  I  que  nous  avons  déjà  cités.  Nous  allons 
maintenant  donner  quelques  nouveaux  exemples  de  ces  futurs  ;  on 
pourra  les  rapprocher  des  prétérits  que  nous  avons  énumérés  précé- 
demment (cf.  p.  575). 

Nous  trouvons  donc  jurnint  dans  le  Cumpoz  (au  vers  m)  et 
dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au  vers  2843)  etpassim;  esperrai  se 
rencontre  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (59,  6);  urrai  dans  le 
Psautier  d'Arundel  (5,  3);  pJurrunt  dans  la  Chronique  de  Jordan 
Fantosme  (au  vers  362). 

Enfin  nous  citerons  encore  durra,  dcnwrra,  aiirra,  et  nous  en 
laissons  de  côté  un  nombre  considérable  qui  appartiennent  aq  xii^ 
ou  au  commencement  du  xiii^  siècle.  Tous  ces  futurs  syncopés 
pourraient  être  aussi  bien  des  prétérits  qui  redoublent  leur  ;'. 

La  double  r  se  retrouve  encore  dans  un  autre  cas  d'une  façon 
fort  régulière  en  anglo-français.  Cette  chute  de  Ve  protonique  pro- 
duit souvent  des  groupes  de  consonnes  qui  se  réduisent  suivant  les 
lois  de  la  phonétique;  par  exemple  le  groupe  ;/;•  disparait  et  donne 
rr  ;  citons  dorrai  qui  se  trouve  dans  chaque  auteur  et  pour  lequel 
il  serait  oiseux  de  citer  des  références. 

Merrai,  de  mener,  est  à  peu  près  aussi  commun;  d'autres  verbes 
se  rencontrent,  moins  fréquemment  toutefois  que  les  deux  verbes 
précédents,  en  grande  partie  parce  qu'ils  ne  sont  pas  aussi  souvent 
employés,  comme  rdurreit  qu'on  trouve  dans  le  Saint  Gilles  (au 
vers  2220);  tourra.  Vie  de  Saint  Grégoire  (1957)  de  touner,  etc. 

Ce  phénomène  n'est  évidemment  pas  rare  dans  les  textes  poli- 


704  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

tiques,  diplomatiques  et  légaux;  nous  ne  voulons  pas  en  donner  une 
trop  longue  liste;  il  nous  suffira  de  dire  que  la  plupart  des  verbes 
que  nous  venons  de  citer  se  retrouvent  au  futur  sous  la  forme  que 
nous  avons  déjà  donnée  ;  on  peut  même  affirmer  qu'il  est  relative- 
ment rare  de  rencontrer  un  futur  de  cette  conjugaison  avec  l'atone 
protonique  ;  on  pourrait  en  trouver  quelques  cas,  spécialement  dans 
les  Statutes,  comme  \t  pJedera  (1300,  I,  136)  ou  jurerei;  mais  les 
formes  abrégées  sont  toujours  la  très  grande  majorité.  Cette  chute 
de  Ve  protonique  se  produit  même  après  un  groupe  de  consonnes,  et 
nous  relevons  ici  encore  des  exemples  analogues  à  ceux  que  nous 
venons  de  citer,  comme  portrons  dans  les  Statutes  (1335,  I,  275)  ; 
^flr^ron/ dans  les  Early  Statutes  ofireland  (1299,  224)  et  dans  les 
Rymer's  Foedera  (1392,  VII,  232);  cousailra,  Registrum  Palatinum 
Dunelmense  (13 li,  2)  et  quelques  autres  semblables. 

2.  Chute  d'une  r. 

La  disparition  de  la  voyelle  protonique  atone  entraîne  parfois  la 
chute  d'une  r  lorsque  le  thème  du  verbe  est  terminé  par  cette  con- 
sonne ;  cette  forme  du  futur  qui  a  en  somme  perdu  une  syllabe  est 
très  commune.  Dans  la  langue  littéraire,  nous  en  trouvons  d'abord 
des  exemples  dans  le  Psautier  de  Cambridge,  ce  qui  montre  que  ce 
phénomène  date  des  premiers  temps  de  l'anglo-français  :  dcsculurai 
(138,  2});  aiïrums  (ji,  11);  dans  le  Psautier  d'Arundel,  espérai 
(17,  2);jureie(2j,  57). 

Ces  formes  sont  assez  communes,  même  dans  les  premiers  temps 
de  l'anglo-français,  et  nous  en  trouvons  encore  davantage  au 
xiv^  siècle,  comme  dans  le  poème  de  l'Antecrist. 

Cette  chute  d'une  syllabe  entière  est  certainement  moins  com- 
mune avec  les  autres  thèmes.  Cependant  nous  trouvons  pour  les 
verbes  à  labiale  des  cas  assurés  de  cette  disparition  d'une  syllabe  dès 
la  fin  du  xiii^  siècle  ;  citons  par  exemple  livrai\que  nous  lisons  au 
vers  401  de  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme  : 

Jo  lur  livrai  la  veie,  la  gent  qui  nus  guerreie. 

I.  Remarquons  ici  encore  que  la  première  personne  du  futur  ne  diffère  pas  de 
la  première  personne  du  prétérit  et  que  les  six  personnes  du  conditionnel  se  con- 
fondent avec  les  personnes  de  l'impartait. 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  705 

et  truviX  qui  n'est  pas  moins  bien  assuré  parle  vers  1128  du  poème 
de  Horn  : 

Ne  me  truvez  vers  vus  fausse  ne  losengiere. 

Nous  pourrions  trouver,  même  à  une  date  plus  tardive,  des  exemples 
de  ce  phénomène,  et  nous  en  citerons  plus  bas  quelques-uns  ;  rap- 
pelons encore  ici  le  poème  de  l'Antecrist.  Les  formes  comme  celles 
qui  précèdent  y  sont  spécialement  nombreuses,  mais  la  versifica- 
tion est  si  irrégulière  que  nous  n'avons  pas  relevé  d'exemple  aussi 
concluant  que  ceux  qui  nous  sont  donnés  par  la  Chronique  de  Fan- 
tosme  ou  le  poème  de  Horn. 

De  toutes  façons,  nous  voyons  que  les  futurs  qui  précèdent  res- 
semblent plus  à  des  prétérits  ou  à  des  présents  de  l'indicatif  qu'à  de 
véritables  futurs,  au  moins  à  certaines  personnes. 

Et  à  mesure  que  nous  avançons  dans  la  littérature  anglo-fran- 
çaise, ces  formes  se  multiplient  :  il  devient  rare  qu'un  futur  d'un 
verbe  de  I  ait  l'air  d'un  futur.  Ceci,  pour  le  dire  en  passant,  explique 
comment  certains  auteurs  ou  scribes,  assez  itrnorants  de  la  lanijue 
qu'ils  écrivaient  ou  copiaient,  ont  pu  prendre  pour  des  prétérits  des 
futurs  aussi  clairs  que  vodrai  ou  vodra  (cf.  Prétérits  en  avi,  p.  573). 

Nous  allons  maintenant  citer  très  rapidement  quelques-unes  des 
formes  du  xiii^  ou  du  xiv"-'  siècle  qui  perdent  une  syllabe  :  eniront, 
dans  les  Dialogues  de  Saint  Grégoire  (123  r"  a)  et  dans  l'Apoca- 
lypse (a,  241);  phireies,  dans  Robert  de  Gretham  (91  v°)  et  dans 
la  Genève  (58  r°);  mustrai  se  lit  dans  Boeve  (857),  dans  le  Manuel 
des  Péchés  de  William  de  Waddington  (9829),  dans  l'Apocalypse 
(a,  251)  et  dans  Nicolas  Trivet  (2  r°).  Citons  encore  quelques  autres 
formes  qui  se  trouvent  presque  aussi  employées  que  les  précédentes  : 
dura,  dans  Boeve  (434);  cumparei,  dans  Chardri,  Josaphat  (133); 
Plainte  d'Amour  (987);  Satire  (82  r");  Antocrist  (232);  dcmorcit, 
dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  12,  26). 

Un  certain  nombre  des  exemples  précédents  sont  assurés  par  la 
mesure  du  vers.  Guerreier  montre  une  simplification  plus  grande 
encore  ;  on  trouve  fréquemment  i^ucrrai,  comme  dans  Boeve,  vers 
1948,  ou  dans  Pierre  de  Langtoft  (I,  404,  23),  et  dans  l'xAntecrist, 
au  vers  6  ;  il  est  du  reste  possible  que  cette  forme  provienne  direc- 
tement du  substantif  guerre. 

Dans  les  œuvres  n'appartenant  pas  à  la  littérature,  les  futurs  du 

45 


7o6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

genre  de  ceux  que  nous  avons  énumcrés  sont  encore  assez  nom- 
breux, quelques-uns  même  extrêmement  communs  ;  on  les  ren- 
contre spécialement  à  la  fin  du  xiii^  et  pendant  le  ww"  siècle.  Mostra, 
par  exemple,  se  trouve  partout  (Rymer,  1294,  ^I»  61^  et  passim; 
Statutes,  1309, 1,  155  et  pûssiin  ;  dans  les  divers  Year  Books,  comme 
20  et  21  Edw.  P"',  1^7);  deniora,  moins  employé  que  le  précé- 
dent, est  aussi  fort  commun  (cf.  Rymer,  1330,  IV,  438;  Year 
Books  II  et  12  Edw.  III,  369);  il  en  est  de  même  pour  procura 
(Rymer,  1297,  II,  789;  Statutes,  1^46,  I,  30e);  pour  approva 
(Rymer  et  Statutes,  pass'uii^  ;  citons  encore  rapidement  jura,  doua, 
entra,  délivra,  porta. 

Mais  cette  tendance  à  supprimer  du  futur  la  syllabe  caractéristique 
de  ce  temps  (ré)  a  été  effectivement  combattue  par  la  tendance, 
plus  lorte  encore,  qu'a  Tanglo-français  à  redoubler  la  consonne  r  ; 
c'est  cette  tendance  que  nous  allons  étudier  dans  les  pages  sui- 
vantes. 

3.  Métathèse  de  /'r. 

Lorsque  le  thème  du  verbe  est  terminé  par  une  consonne  suivie 
de  r,  l'anglo-français  de  toutes  les  époques  effectue  fréquemment  la 
métathèse  de  \'r  du  thème  ;  ici  encore  les  exemples  sont  extrême- 
ment nombreux  depuis  le  commencement  du  xii'^  siècle,  et  nous 
nous  contenterons  de  n'en  donner  que  quelques-uns.  Parmi  les 
plus  répandus,  on  peut  citer  enterrât  (entrer)  que  nous  avons  relevé 
dans  la  plupart  de  nos  auteurs,  depuis  le  Cumpoz  (au  vers  2924); 
dans  les  trois  Psautiers,  dans  Gaimar,  dans  Guischart  de  Beauliu 
(vers  491),  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (vers  2668),  dans  le 
Josaphat  de  Chardri  (vers  503),  dans  le  Saint  Thomas  (IV,  68).  Il 
en  est  de  même  pour  montrer  qui  fait  au  futur  niustcrrai,  dans  le 
Cumpoz  (au  vers  223),  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (90,  16), 
dans  Horn  (vers  2735),  etc. 

D'autres  exemples  se  présentent  moins  fréquemment,  comme 
obumberrai  au  vers  2530  du  Bestiaire  et  dans  le  Psautier  d'Oxford 
(90,  4)  ;  eniverrai  dans  ce  même  Psautier  (^,  58)  ;  rememberrai  dans 
le  Psautier  d'Oxford  (70,  8)  et  au  vers  170  du  Tristan  de  Thomas  ; 
uconverrai  dans  le  Petit  Plet  de  Chardri  (au  vers  1083). 

L'attraction  de  Yr  de  la  terminaison  rai  se  fait  sentir  plus  loin  que 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  707 

la  fin  du  thème;  nous  avons  des  exemples  où  cette  /'  attire  une 
r  du  milieu  du  thème,  comme  abeverras  dans  le  Psautier  de  Cam- 
bridge (33,  8). 

C'est  ce  mécanisme  qui  explique  pourquoi  certains  futurs  de  la 
première  conjugaison,  futurs  très  nombreux,  présentent  rr  ;  l'anglo- 
français  du  reste  a  souvent  redoublé  cette  lettre,  et  nous  avons 
rencontré,  surtout  en  dehors  de  la  littérature,  un  assez  grand  nombre 
de  verbes  qui  redoublent  cette  consonne  au  futur  sans  l'avoir  dans 
le  thème. 

Quelques-uns  de  ces  verbes  montrent  au  futur  les  deux  r 
d'une  façon  presque  constante  :  surtout  le  verbe  aller  et  le  verbe 
ester. 

0.)  aller.  —  Au  commencement  du  xii"'  siècle,  c'est  la  forme  étymo- 
logique du  futur  de  ce  verbe  qui  est  le  plus  généralement  employée; 
dans  les  Psautiers,  les  rr  sont  encore  rares  à  ce  temps,  le  Psautier 
d'Oxford  n'en  offre  aucun  exemple.  Quant  au  Psautier  de  Cambridge, 
on  voit,  en  comparantes  leçons  desdeux  manuscrits,  qu'ils  s'accordent 
sept  fois  pour  donner  irai,  une  fois  seulement  pour  donner  irrai 
(3,  i).  De  même,  dans  le  Psautier  d'Arundel,  la  forme  avec  les  deux 
r  est  rare.  Nous  pouvons  remarquer  le  même  état  de  choses  dans 
Gaimar  et  dans  Adgar,  chez,  lesquels  la  forme  avec  r  simple  est 
sinon  unique,  au  moins  prévalente.  Mais  un  peu  plus  tard,  c'est 
l'inverse  que  nous  remarquons.  Dans  Fantosme  et  Guillaume  de 
Berneville,  ce  sont  les  futurs  qui  redoublent  1'/-  qui  deviennent  les 
plus  nombreux.  Combien  de  ces  formes  doit-on  attribuer  aux  copistes  ? 
Il  est  impossible  de  le  dire.  Il  se  peut  qu'un  grand  nombre  de 
ces  formes  irrégulières  ne  proviennent  pas  de  l'auteur,  car  ce  n'est 
guère  qu'au  xni'^  siècle  que  irrai  devient  très  commun  dans  tous  les 
auteurs  ;  ceux  qui  ne  connaissent  pas  cette  graphie  (comme  l'auteur 
de  Saint  Edmund)  sont  rares,  tandis  que  certains  autres,  comme 
l'auteur  du  Saint  Auban,  l'emploient  à  l'exclusion  de  toute  autre. 
Aussi  ne  citerons-nous  pas  d'exemples  de  cette  forme,  au  xiir  siècle, 
pas  plus  que  ceux  qu'on  rencontre  si  fréquemment  au  xiV^,  car 
pendant  tout  ce  siècle,  comme  dans  le  précédent,  c'est  irrai  qui  est 
le  futur  régulier  d'aller.  La  langue  politique  ne  nous  donne  guère 
que  cette  graphie,  irai  est  tout  à  fait  exceptionnel. 

b)  Ester.  —  Nous  ne  trouvons  pas  pour  le  verbe  ester  le  même 
nombre  d'exemples  que  pour  aller,    mais  il  se  trouve  que  le  plus 


7o8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

grand  nombre  de  ces  exemples  a  les  deux  r.  Ainsi  nous  avons 
resterra  au  vers  770  du  Protheselaûs  de  Hue  de  Rotelande,  de  même 
que  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (II,  9,  7);  arcstenas  dans  le 
même  ouvrage  (I,  9,  27);  eslerruut  au  folio  79  v°  de  la  Genèse  et 
au  folio  69  r°  des  Heures,  aux  vers  166  et  275  de  l'Antecrist  ; 
estcrroiini  au  §  24  des  Contes  de  Nicole  Bozon  ;  dans  Nicolas  Trivet, 
passiiii  ;  enfin  dans  les  ouvrages  en  langue  légale,  cette  forme  se 
rencontre  très  fréquemment  et  toujours  avec  la  double  r  :  ohslcrra  (3  2 et 
33  Edw.  I",  ^^  et  59);  esterra  (11  et  12  Edw.  III,  189,  210;  13  et 
i4Edw.  III,  159).  Eslcrra  se  trouve  aussi  dans  Rymer  (1388,  VII, 
572)  ;  c'est  le  seul  exemple  du  futur  de  ce  verbe  que  nous  ayons 
relevé  dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques. 

Nous  n'avons  relevé  qu'un  seul  exemple  de  futur  avec  r  simple 
(17  et  13  Edw.  III,  55).  Cette  forme  est  donc  accidentelle  dans  les 
Year  Books. 

c)  Il  y  a  encore  un  assez  grand  nombre  de  verbes  de  I  autres  qu'aller 
et  ester  qui  prennent  ces  deux  rr  au  futur  ;  mais  aucun  ne  présente 
cette  forme  avec  quelque  régularité.  Les  quelques  exemples  que  nous 
allons  citer  maintenant  sont  sporadiques,  et  pourraient  être  consi- 
dérés comme  des  lapsus  calami  ou  des  fautes  d'orthographe  des 
scribes.  Par  exemple  le  seignitncraf  du  Psautier  d'Arundel  (9,  30)  ; 
le  donrra  des  Statutes  (1363,  I,  249)  ;  le  cuparlcrruni  du  YearBook 
22  Edw.  I"  (605),  etc. 

Néanmoins,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de  faire  observer 
que  toutes  les  formes  qui  précèdent,  même  les  formes  isolées,  con- 
courent à  nous  donner  l'impression  que  l'anglo-français  aimait  à 
redoubler  l'r  des  futurs  de  I,  principalement,  croyons-nous,  avant 
1250. 

4.  Réduction  de  rr  à  r. 

Il  arrive  cependant  que,  en  dépit  de  son  goût  pour  rr,  l'anglo- 
français  réduise  parfois  la  consonne  double  à  r  simple,  faisant  ainsi 
perdre  à  la  forme  son  apparence  de  futur  ;  cette  transformation 
nouvelle  atteint  la  plupart  des  verbes  que  nous  avons  déjà  cités, 
mais  il  est  presque  impossible  de  fixer  une  date  pour  ce  phénomène; 
il  semblerait  être  contemporain  de  celui  que  nous  venons  d'étu- 
dier, car  il  se  trouve  dans  les  mêmes  auteurs;  nous  le  croyons  tou- 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  7O9 

cefois  sensiblement  postérieur.  Ainsi  le  Bestiaire  a  entera  (476)  ; 
nwsterail  (1133);  le  Psautier  de  Cambridge,  musterai  (31,  9)  (forme 
qui  se  retrouve  dans  Guiscliart  de  Beauliu  au  vers  450);  cniverai 
(C,  63)  ;  iiuislerai  se  lit  dans  le  Psautier  d'Arundel  (10,  8);  deliverat 
au  vers  817  du  Drame  d'Adam  où  cette  forme  est  rare  ;  et  au  vers 
3927  de  Saint  Edmund  ;  eiicii nierai  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I, 
10,3). 

Les  textes  politiques  et  diplomatiques  en  présentent  aussi  des 
exemples,  moins  communs  cependant  que  ceux  qui  montrent  la 
double  consonne,  étymologique  ou  non,  ainsi  Uverount  (Mem.  Pari., 
1305,  §  i),  etc. 

Après  que  les  deux  r  ont  été  réduites  à  r  simple,  il  peut  arriver 
que  la  voyelle  atone  protonique  tombe  encore,  exactement  comme 
nousl'avonsvu  plus  haut.  Le  futur  prendalors évidemment  uneforme 
semblable  à  celles  que  nous  avons  signalées  pour  les  verbes  dont  le 
thème  est  terminé  par  une  consonne  simple;  toutes  deux  perdent 
la  syllabe  er  caractéristique  du  futur.  C'est  ainsi  qu'on  peut  relever 
de  nombreux  futurs  comme  entrai.,  mnstrai,  livrai  qui  sont  aussi  bien 
pour  la  forme  des  prétérits  que  des  futurs. 

Nous  voyons  donc  que  dans  la  plupart  des  verbes  del,  dans  ceux 
qui  sont  terminés  par  une  consonne  simple,  comme  dans  ceux  dont 
le  thème  présente  une  consonne  suivie  de  r,  la  même  simplifica- 
tion s'accomplit.  Par  des  routes  différentes,  ils  s'acheminent  tous 
vers  une  forme  qui  a  perdu  l'apparence  même  d'un  futur.  Ce  phé- 
nomène est  un  des  plus  importants  que  nous  puissions  observer 
dans  la  conjugaison  anglo-française  ;  il  a  non  seulement  oblitéré  une 
forme  essentielle  du  verbe,  mais  il  a  été  la  source  des  plus  grandes 
confusions  entre  les  formes  du  verbe  qui  devraient  être  les  plus 
différentes.  Cette  évolution  du  futur  a  commencé  pendant  les 
premières  années  de  la  littérature  anglo-française,  et,  ce  qui  est  encore 
plus  extraordinaire,  elle  nous  montre  les  formes  arrivant  au  terme 
logique  de  leur  évolution  pour  ainsi  dire  au  moment  même  où  cette 
évolution  commence. 

Ici,  sans  aucun  doute  possible,  nous  assistons  à  un  développement 
purement  phonique  et  nous  ne  pouvions  pas  ne  pas  en  parler,  sous 
peine  de  priver  notre  étude  de  la  conjugaison  d'un  des  chapitres 
les  plus  importants  qu'elle  doit  contenir. 


7 10  l'évolution   du  verbe  ex   AMGLO-1-RANÇAIS 

5 .  Graphies  de  f  atone  proionique, 

11  semble  presque  superflu  de  dire  que,  puisque  l'atone  proto- 
nique disparaît  du  futur  des  verbes  de  I  dans  un  nombre  considé- 
rable de  cas,  les  quelques  lignes  que  nous  avons  à  ajouter  sur  les 
difterentes  graphies  qu'elle  montre  ne  peuvent  pas  avoir  une  très 
grande  importance. 

Nous  semblons  admettre  de  prime  abord  que  les  formes  que  nous 
allons  signaler  pour  la  voyelle  atone  (/,  o  et  h)  ne  sont  en  réalité 
que  des  graphies.  Nous  devons  avouer  cependant  que  nous  n'en 
savons  rien,  et  cela  parce  que  nous  n'avons  aucun  moyen  de  le 
savoir.  Si  au  lieu  de  la  voyelle  e,  nous  ne  rencontrions  que  /,  nous 
n'aurions  probablement  pas  hésité  à  classer  les  formes  qui  nous 
montrent  cette  voyelle  comme  des  acquisitions  des  verbes  de  la 
seconde  conjugaison  inchoative.  Et  il  est  possible  qu'il  en  soit  ainsi, 
mais  alors  il  nous  est  beaucoup  plus  difficile  d'expliquer  les  futurs 
qui  nous  montrent  o  et  n.  Il  est  cependant  fort  vraisemblable  que 
les  raisons  qui  expliquent  une  classe  de  formes  ne  s'appliquent  pas 
nécessairement  à  l'autre  classe. 

Quoi  qu'il  en  soit,  et  sans  vouloir  décider  la  question,  nous  énu- 
mèr-erons  sous  ce  titre  les  formes  qui  présentent  une  voyelle  autre 
que  e  comme  atone  protonique. 

Celle  que  nous  rencontrons  le  plus  fréquemment,  c'est  la  voyelle 
/,  et  nous  pouvons  dater  avec  quelque  précision  le  moment  de  son 
apparition  dans  la  conjugaison  anglo-française.  Cette  voyelle,  en 
effet,  se  rencontre  surtout  chez  les  poètes  du  commencement  du 
xiii^  siècle.  Frère  Angier  en  montre  un  assez  grand  nombre  d'exemples, 
comme  repeirira,  qu'on  lit  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (au 
vers  461)  ;  entrira  se  rencontre  dans  le  même  poème  (vers  24:^7)  et 
dans  les  Dialogues  ;  nous  trouvons  enterrira  (au  folio  106  r°  a), 
mostriraî  (au  folio  51  r"  i).  De  même,  dans  les  Set  Dormans  de 
Chardri,  nous  relevons  esparnireie  (vers  715);  dans  le  ms.  du  Lai 
du  Cor  on  trouve  encore  n'/)tv/ra/,  repeirira  (aux  vers  160  et  163). 
Au  xiv^  siècle,  Pierre  de  Langtoft  écrit  encore  repeirira  (II,  354,  13). 
Ces  verbes  ne  se  rencontrent  pas  fréquemment  avec  la  désinence  en/r 
à  Tinfinitif.  La  langue  diplomatique  nous  en  offre  quelques  autres 
exemples;  citons  dans  Rymer  les  formes  donira,  doniront  (1337,  IV, 
760). 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  7II 

Les  futurs  qui  montrent  la  voyelle  o  sont  plus  rares  et  ne  se 
trouvent  pas  dans  les  œuvres  littéraires;  les  exemples  que  nous 
donnent  les  textes  politiques  et  autres  ne  sont  pas  très  nombreux  ; 
citons  snrveiora  (provenant  probablement  de  voir,  mais  sous 
l'influence  de  veiller,  cf.  Infinitif,  p.  408),  se  lit  dans  le  Liber  Rubeus 
de  Scaccario  (1323,  860).  On  a  encore  donorons  dans  les  Ro3'al 
Letters  Henr}-  IV  (1399, 8),  ce  dernier  montre  peut-être  l'attraction 
exercée  par  la  voyelle  du  thème. 

Enfin  il  faut,  croyons-nous,  considérer  giistiim  qui  se  trouve  au 
folio  74  r°  des  Evangiles  des  Dompnées  comme  une  erreur  du  scribe 
plutôt  que  comme  une  attraction  dans  le  genre  de  celle  que  montre 
donorons. 

Ajoutons  encore  ainara  au  vers  4  de  la  Vie  de  Sainte  Marguerite  ; 
mais  la  langue  de  ce  poème  est  si  irrégulière  que  nous  ne  pouvons 
guère  tenir  compte  de  cette  forme; 


IL  Futur  des  verbes  de  IL 

r .  Inchoatifs. 

Nous  ne  trouvons  que  peu  d'observations  à  faire  sur  le  futur  de 
ces  verbes  ;  ils  le  forment  très  régulièrement  en  irai,  et  la  forme 
étymologique  reste  la  forme  habituelle  à  toutes  les  époques  de  la 
littérature  anglo-française .  Signalons  cependant  quelques  déviations 
du  type  normal  :  la  plus  commune  consiste  dans  Laffaiblissement 
de  17  protonique  en  e  atone;  quelques  exemples  de  ces  formes,  qui 
ressemblent  ainsi  aux  futurs  de  I,  se  trouvent  déjà  au  xii<=  siècle, 
comme  enrichcra  dans  Horn  (au  vers  2373)  donné  par  les  trois 
mss.  ^sdsere:^^  dans  le  même  poème,  mais  donné  seulement  par  le 
ms.  O  (au  vers  4617);  degiierpcrai  dans  Guischart  de  Beauliu  (vers 
1218),  chez  qui  déguerpir  est  toujours  inchoatif  (cf.  giierpissc:^^,  540, 
gtierpissent,  81 6).  On  trouve  encore  dans  Edward  le  Confesseur 
transera  (au  vers  66^)  ;  on  peut  considérer  transir  comme  un 
inchoatif,  quoique  nous  n'ayons  rencontré  aucune  forme  qui  puisse 
nous  éclairer  sur  ce  point.  Dans  The  Song  of  Dermod  and  thc  Earl, 
deux  exemples  de  ce  passage  de  /  à  t;  peuvent  être  relevée:  acoinpic- 
rum  (au  vers  144);  pleverai  (au  vers  3411)- 


712  L  1-VOLUTION    DU    VHRBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

La  même  forme  eiihlancheroy  se  trouve  au  folio  67  r°  des  Heures  et 
au  vers  3  des  Pronostics  de  la  Mort,  et  dans  ce  dernier  poème  on 
lit  encore  (au  vers  2)  rcfreidcra.  Les  exemples  que  nous  avons  tirés 
des  auteurs  du  xiV^  siècle  ne  sont  guère  plus  nombreux;  on  a  voine- 
réiy  dans  l'Apocalypse  (a,  237);  garauntereye  et  jcjwra  qui  se  ren- 
contrent tous  les  deuxdanslesContesdeNicoleBozon  (respectivement 
aux  §§  137  et  45);  regéhir  qui  est  le  plus  souvent  inchoatif  (cf. 
p.  5  3  9),  fait  parfois  regerrai  Çmiiuenœ  de  gésir  ?)  au  futur,  par  exemple 
dans  l'Apocalypse  (^  et  y  131)- 

Dans  les  œuvres  non  littéraires,  nous  avons  relevé  aussi  un  cer- 
tain nombre  de  formes  semblables  ou  analogues,  comme  parfourne- 
rei  dans  les  Statutes  (1335,  I,  274);  seiseruut  se  lit  dans  les  Rymer's 
Foedera  (1312,  III,  367)  et  dans  20  et  21  Edw.  L'  (p.  331);  pune- 
rait  dans  31  Edw.  I"  (401).  Ces  mêmes  verbes  et  quelques  autres 
apparaissent  encore  sous  cette  forme  dans  un  très  grand  nombre  de 
textes  politiques,  diplomatiques  ou  légaux. 

On  peut  se  demander,  en  se  rappelant  ce  que  nous  avons  déjà 
vu  lorsque  nous  avons  étudié  le  présent  de  l'infinitif,  si  la  présence 
de  cet  e  au  futur  est  la  cause  (plus  exactement  une  des  causes)  ou 
la  conséquence  du  passage  de  l'infinitif  du  verbe  de  la  forme 
de  la  seconde  conjugaison  à  celle  de  la  première,  ou  si  ces  deux 
changements  sont  simultanés;  cette  question  sera  traitée  dans 
notre  seconde  partie;  mais  nous  pouvons  remarquer  dès  mainte- 
nant : 

1°  Que  le  nombre  des  futurs  est  très  naturellement  beaucoup 
moindre  que  celui  des  infinitifs  ;  ce  qui  suffirait  pour  disposer 
de  la  théorie  que  le  changement  a  son  point  de  départ  dans  le 
futur . 

2°  Que  nous  sommes  contraints  d'attribuer  ce  changement  des 
futurs,  dans  les  œuvres  littéraires,  aux  difierentes  dates  des  mss.  ; 
par  conséquent  notre  exemple  le  plus  ancien  remonte  au  commen- 
cement du  XIII*  siècle  au  plus  tard. 

3°  Que  pour  les  infinitifs  le  passage  de  I  à  II  remonte  pour  les 
œuvres  littéraires  à  la  fin  du  xii*  siècle. 

Par  conséquent,  s'il  y  a  eu  influence,  elle  provient  des  infinitifs; 
du  reste  il  n'est  pas  utile  de  recourir  à  cette  expUcation,  nous  le 
verrons  plus  tard  ;  mais  nous  pouvons,  au  moins  pour   l'instant, 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  713 

considérer    les    futurs   que   nous    avons    cités   comme  des    tuturs 
d'inchoatifs,  et  non  comme  provenant  d'infinitifs  en  er. 

Au  lieu  de  Yi  ou  de  IV,  on  trouve  quelquefois  dans  les  Year  Books 
ie,  comme  pericrcit  dans  le  Year  Book  13  et  14  (Edw.  III,  p.  45). 
Mais  les  différentes  formes  que  nous  avons  rencontrées  avec  une 
autre  voyelle  que  1'/  ou  que  Ve  nous  semblent  ou  très  douteuses 
ou  trop  récentes  pour  que  nous  puissions  en  tenir  compte. 

ACQUISITIONS 

Les  acquisitions  sont  des  plus  rares;  citons  pour  mémoire  les 
formes  en  /  des  futurs  de  I  que  nous  avons  déjà  vues  :  repeirira, 
entrira,  enterrirai,  mostrirai  qui  se  trouvent  dans  Frère  Angier; 
reposirai  dans  le  Lai  du  Cor;  repeirira  dans  le  Lai  du  Cor  et  Pierre 
de  Langtoft  ;  doiiira  dans  Rymer's  Foedera.  A  part  ces  quelques 
verbes  de  I  et  les  non  inchoatifs,  qui,  sous  l'influence  de  l'infinitif, 
prennent  /  au  futur  nous  ne  trouvons  à  citer  que  rendirons  au  folio 
2  r°  de  Nicolas  Trivet;  ahatira  dans  le  Year  Book  32  et  33  Edw.  I" 
(p.  155).  Nous  négligeons  plusieurs  autres  formes  tardives  des  Year 
Books . 

En  somme,  il  n'y  a  eu  qu'un  très  petit  nombre  de  verbes  à 
prendre  la  forme  du  futur  des  inchoatifs,  et  dans  la  plupart  des  cas 
nous  ne  savons  pas  si  ce  n'est  pas  accidentellement  que  ces  futurs 
ressemblent  à  ceux  qui  nous  occupent.  Rien  ne  nous  prouve  qu'il  y  ait 
eu  attraction  de  ceux-ci  sur  ceux-là. 

2.  Non  inchoahfs. 

Les  futurs  des  verbes  de  II  non  inchoatifs  sont  fort  corrects. 
Régulièrement,  1'/  de  l'infinitif  disparaît  pour  les  verbes  non  inchoa- 
tifs, dont  le  thème  se  termine  par  une  consonne  qui  peut  se  com- 
biner avec  la  terminaison  du  futur,  comme  currai  (Cumpoz,  3544 
Qi  passiin);  orrai  (Bestiaire,  485)  ;  ^'•/rra/  (Adgar,  XVII,  108 1). 

Lorsque  la  dernière  consonne  du  thème  est  »  ou  /,  une  dentale 
paragogique  s'introduit,  comme  dans  ciiildruus  (dans  le  Cumpoz 
au  vers  617;  dans  le  Psautier  d'Oxford,  128,  6),  vendrai,  dcfaldrai\ 

I.  Les  verbes  de  cette  dernière  catégorie  peuvent  prendre  un  e  svarabhaktique 
entre  la  terminaison  et  la  dentale.  Nous  en  reparlerons  en  même  temps  que  de  IV 
svarabhaktique  des  verbes  de  III  et  de  IV. 


714  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Les  autres  verbes  voient  un  (•  de  liaison  s'introduire  entre  le  thème 
et  la  désinence  :  coiivrerai,  soiiffrerai,  etc. 

I.  Ces  derniers  verbes  prennent  donc  ainsi  la  forme  des  futurs  de 

I  et  rien  ne  les  en  distingue,  aussi  ils  subissent  quelques-unes  des 
modifications  que  nous  avons  signalées  dans  les  pages  précédentes, 
et  que  nous  allons  répéter  rapidement  ici. 

a)  On  pourrait  croire  à  première  vue  que  IV  de  ces  futurs,  ayant 
le  plus  souvent  le  caractère  d'un  e  de  liaison,  ne  saurait  disparaître. 

II  n'en  est  rien  :  nous  rencontrons  un  certain  nombre  d'exemples 
qui  montrent  la  chute  de  cet  e,  exemples  assez  tardifs  du  reste  et 
inconnus  aux  œuvres  littéraires.  Tous  les  cas  que  nous  pouvons 
citer,  comme  uientrai,  dans  la  Chronique  de  Londres  (1340,  page 
So),  sent ro fit  dans  les  Statutes(i346,  I,  305),  proviennent  de  thèmes 
à  dentale  appuyée. 

b)  Il  est  beaucoup  plus  commun  de  trouver  des  cas  de  métathèse 
de  Vr,  et  il  nous  serait  facile  de  tirer  des  exemples  de  ce  phénomène 
de  chaque  auteur  littéraire  et  de  tous  les  textes  politiques  et  autres. 
Contentons-nous  de  donner  quelques  exemples  assez  anciens  et 
assez  répandus  ;  les  verbes  ouvrir,  couvrir,  découvrir,  offrir,  souf- 
frir '  nous  en  offrent  un  nombre  considérable.  On  lit  aoverrai  dans 
le  Psautier  d'Oxford  (48,  4)  ;  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (77, 
2);  covc rraid  ààns  le  Psautier  d'Oxford  (139;,  10);  au  vers  1887  de 
Horn,  au  vers  123  du  Donnei,  etc.  ;  offerrai,  sofferai  dans  le  Psautier 
d'Oxford  (68,  14);  dans  Horn  (4302),  etc. 

Ces  formes  ne  sont  pas  spéciales  à  la  littérature;  les  ouvrages 
politiques,  diplomatiques  et  familiers  pourraient  nous  en  fournir  une 
très  longue  hste. 

r)  Comme  pour  les  verbes  de  I,  il  arrive  très  fréquemment  que 
cette  r  soit  réduite  à  la  consonne  simple  ;  ici  encore  nous  nous 
contenterons  de  donner  quelques  exemples,  pour  ainsi  dire  pris 
au  hasard,  mais  provenant  des  verbes  que  nous  avons  déjà  cités  : 
ciwerat  au  vers  1267  du  Bestiaire;  descoverou  au  vers  340  de  Gaimar; 

I.  Nous  ne  pouvons  admettre  avec  Gaston  Paris,  Alexis,  page  125,  que  s iiffemi 
vient  de  l'infinitif  suffere  et  non  de  souffrir.  Il  faudrait  alors  imaginer  des  infini- 
tifs ot'ere,  covere,  offere,  etc.,  ce  qui  est  manifestement  impossible.  Du  reste  nous 
n'avons  jamais  rencontré  l'infinitif  sufere. 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  715 

overa  dans  Adgar  (VII,  471);  sofera  dans  le  ms.  L  de  l'Alexis 
(46  e)  ;  offerai  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (65,  13);  sucera 
dans  Adgar  (VIII,  147);  au  vers  1 391  de  la  Vie  de  Sainte  Catherine  ; 
dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  16,  6);  dans  Chardri  (Set  Dor- 
mans,  966),  etc. 

Ce  dernier  verbe  est  très  communément  rencontré  sous  cette 
forme  en  dehors  de  la  littérature  (cf.  dans  les  Statutes,  1286,  I, 
211;  1346,  I,  306;  Rymer,  1303,  II,  923;  1315,  III,  524,  etc.). 
Citons  encore  viuiârai  dans  les  Statutes  cà  la  date  de  1286  (I,  21  i). 

IL  Voyelle  /  et  autres  voyelles.  —  Sous  l'influence  de  leur  infini- 
tif, peut-être  aussi  grâce  à  l'attraction  des  futurs  des  inchoatifs, 
un  certain  nombre  de  non  inchoatifs  montrent  au  futur  la 
voyelle  /. 

Parmi  ceux-ci,  citons  d'abord  repentir,  qui  fait  repentira  dans  le 
Psautier  d'Oxford  (109,  5)  et  au  vers  185 1  du  Tristan  de  Thomas  ; 
nous  ne  croyons  pas  avoir  jamais  rencontré  pour  ce  verbe  la  forme 
étymologique.  Le  xn^  siècle  nous  oifre  des  formes  analogues  pour 
plusieurs  autres  verbes;  dans  les  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cam- 
bridge, on  relève  dormirai  (^^,  9);  mentirai  (8^,  35);  vestirai  (131, 
17);  servirai  (21,  33).  Cette  dernière  forme  se  trouve  encore  au 
vers  49  de  Fantosme;  on  peut  citer  au  xii^  siècle  regehirai,ciinver tirai, 
tous  les  deux  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (respectivement  9,  i  et 
67,23). 

Pendant  les  deux  siècles  suivants,  il  n'y  a  que  peu  d'exemples 
de  ces  formes  analogiques  à  noter  ;  la  grande  masse  des  non 
inchoatifs  reste  très  régulière  ;  citons  seulement  partira  dans  l'Apo- 
calypse (y,  94)  :  sentire-  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  (1283, 
405). 

En  somme,  les  cas  d'analogie  ne  sont  pas  très  nombreux,  et  ils 
le  sont  relativement  moins  pendant  le  xiii^  et  le  xiv^  siècle,  et  nous 
pouvons  considérer  ce  fait  comme  une  autre  preuve  de  l'action  des 
infinitifs  de  I. 

Pour  ces  verbes  encore,  nous  avons  relevé  un  exemple  et  un  seul 
de  l'emploi  de  la  voyelle  //  :  asseiilnre:;^  se  lit  dans  les  Statutes 
(1346,  I,  305).  Ici  encore  nous  croyons  à  une  erreur  matérielle  du 
scribe  ;  à  la  page  suivante,  dans  un  texte  analogue,  nous  voyons  la 
forme  correcte  assenlere:{.  Toutefois,  il  est  possible  que  le  scribe  ait 
considéré  //  comme  une  graphie  de  l'atone. 


7i6  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

III.   Futur  des  verbes  de  III  et  de  IV. 

Les  formes  irrégulières  que  nous  venons  de  signaler  à  la  première 
et  à  la  seconde  conjugaison  sont  loin  d'être  aussi  nombreuses  que 
celles  qu'il  nous  reste  à  étudier  pour  la  troisième  et  pour  la  qua- 
trième. 

Mais  pour  ces  deux  dernières,  la  plupart  des  modifications  que 
nous  allons  énumérer  rapidement  ne  sont  réellement  pas  spéciales 
au  futur,  ni  même  au  verbe.  Le  redoublement  de  l'r,  la  simplifica- 
tion de  yr,  \'e  svarabhaktique  sont  des  phénomènes  phoniques 
généraux  en  anglo-français.  Nous  ne  devrions  par  conséquent  pas 
insister  sur  ces  différentes  questions,  ni  nous  arrêter  longuement 
sur  ces  phénomènes.  Mais  nous  croyons  qu'ils  ont  une  importance 
particulière  pour  différents  temps  du  verbe  (surtout  à  l'infinitif  et 
au  futur);  ils  ont  beaucoup  contribué  à  changer  leur  physionomie. 
A  cause  de  cela,  nous  nous  permettrons  de  nous  arrêter  sur  ces 
points  un  peu  plus  longuement  que  nous  ne  l'avons  fait  jusqu'ici 
lorsque  nous  avons  eu  affaire  à  des  phénomènes  purement  pho- 
niques. 

Nous  trouvons  pour  le  futur  des  verbes  dont  l'infinitif  est  ter- 
miné par  oir  et  re,  trois  sortes  d'irrégularités  qui  proviennent  toutes 
de  la  présence  de  l'r  dans  la  terminaison. 

Les  verbes  dont  le  radical  est  terminé  par  une  dentale  voient, 
comme  on  le  sait,  cette  dentale  s'assimiler  à  l'r,  ce  qui  produit  le 
groupe  rv.  L'anglo-français  réduit  quelquefois  ce  double  r  à  r  simple 
probablement  sous  l'influence  des  nombreux  verbes  qui  n'ont 
qu'une  r  au  tutur  ;  les  cas  où  se  trouvent  les  formes  étymologiques 
restent  cependant  les  plus  nombreux  pendant  toutes  les  périodes  de 
l'anglo-français. 

Les  futurs  avec  r  simple  non  étymologique  se  rencontrent  dès  le 
xii*"  siècle;  nous  lisons  en  effet  dans  le  Bestiaire  (cf.  vers  1357) 
charat;  ocirai  se  trouve  dans  le  Psautier  de  Cambridge  Qç,  59)  (du 
reste  la  forme  correcte  occirrai  est  employée  dans  le  même 
ouvrage,  100,  5);  dans  le  Psautier  d'Arundel,  on  relève  :  vera  (30, 
26)  et  serai  (de  seoir)  (28,  9).  Ces  premiers  exemples  nous  mon- 
trent tout  au  moins  que  cette  simplification  date  de  la  première 
moitié  du  xii*^  siècle  ;  les  autres  ouvrages  nous  présentent  d'autres 


FUTUR   ET   CONDITIONNEL  717 

cas  semblables,  mais  nous  ne  savons  jamais  si  nous  devons  les  attri- 
buer aux  auteurs  ou  aux  scribes;  par  exemple  le  crerai  qui  est  si 
souvent  répété  dans  le  Drame  d'Adam  (vers  131,  169,  185)  et 
dans  le  poème  de  Horn  (cf.  par  exemple  le  vers  1462  du  ms. 
H);  orei  dans  Adgar  (XL,  5);  .ara  (seoir)  dans  Horn  (au  vers 
2675). 

On  pourrait  relever  plusieurs  autres  exemples  de  cette  chute  de 
l'r  étymologique  ;  mais  ils  resteraient  toujours  en  nombre  relative- 
ment peu  considérable  au  xir  siècle,  et  nous  trouverions  que  les 
cas  où  la  forme  étymologique  est  employée  pour  le  futur  des  verbes 
terminés  par  une  dentale  restent  toujours  les  plus  communs. 

Au  xiii'=  et  au  xiv^  siècle,  ce  phénomène  semble  se  produire  plus 
rarement  encore,  et  nous  ne  trouvons  qu'un  nombre  insignifiant 
d'exemples  dans  lesquels  les  deux  r  régulières  sont  réduites  à  une  seule. 
On  trouve  par  exemple  dans  le  Saint  Laurent  orci  du  verbe  oïr  (au 
vers  377);  la  même  forme  se  retrouve  dans  Boeve  de  Haumtone 
(au  vers  2232),  à  côté  du  reste  de  la  forme  régulière  orrei  (qui  est 
employée  au  vers  434);  dans  le  ms.  y  de  l'Apocalypse,  nous  avons 
viront  de  voir  (1057;  i^  donne  varrunt);  veray  est  employé  au  vers 
1286  du  Prince  Noir;  crerey  au  folio  93  V  des  Vies  de  Saints  de 
Bozon . 

Il  est  probable  qu'on  pourrait  allonger  la  liste  des  exemples  tirés 
des  œuvres  littéraires,  mais  il  est  certain  qu'on  ne  pourrait  pas 
arriver  à  donner  une  très  grande  importance  à  ces  exceptions,  qui 
deviennent,  semble-t-il.  de  moins  en  moins  communes  à  mesure 
qu'on  avance  dans  la  littérature  anglo-française. 

Dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques,  il  en  va  de  même, 
nous  ne  trouvons  aucune  régularité  dans  l'omission  d'une  des  deux 
r  étymologiques  ;  de  sorte  que  chacun  des  cas  que  nous  avons  rele- 
vés peut  bien  passer  pour  une  simple  faute  d'orthographe  facile  à 
expliquer. 

Il  semble  donc  bien  que  l'anglo-français,  après  avoir  tendu  pen- 
dant quelques  années  à  réduire  les  deux  ;■  à  une  seule,  a  depuis  le 
milieu  du  xii^  siècle  conservé  avec  la  plus  grande  régularité  la  forme 
étymologique  de  ces  futurs. 

Ce  qui  a,  croyons-nous,  empêché  l'extension  du  phénomène  que 
nous  venons  d'exposer,  c'est  le  développement  et  l'importance  du 
phénomène  opposé.  L'anglo-français  a  toujours  montré  une  ten- 


yiS  l'évolution  du  verbe  en  anglo-i-rançais 

dance  à  doubler  !'/•  du  futur,  comme  nous  avons  déjà  eu  l'occasion 
de  le  foire  observer,  et  le  nombre  des  verbes  qui  témoignent  de 
cette  tendance  est  considérable.  Ce  redoublement  de  Yr  ne  s'applique 
pas  du  reste  à  tous  les  verbes  de  III  et  de  IV^  au  xii^  siècle,  tout  au 
moins  ;  car  à  cette  époque  ce  sont  surtout,  on  pourrait  presque 
dire  uniquement,  les  verbes  dont  le  thènie  se  termine  par  une  gut- 
turale ou  une  palatale  qui  redoublent  Vr  au  futur,  et  ils  ont  cette 
forme  plus  souvent  que  la  forme  étvmologique. 

Dire  fait  presque  toujours  âirrni;  on  peut  voir  ce  futur  dans  le 
Psautier  d'Oxford  (17,  5  3)  ;  dans  lé  Psautier  de  Cambridge  (41,  9); 
dans  celui  d'Arundel  (17,  52);  très  fréquemment  dans  le  Drame 
d'Adam  (par  exemple  au  vers  81);  au  vers  1159  de  Gaimar. 
L'un  des  quatre  ms.  de  TEstorie  des  Engleis,  le  ms.  R,  qui  date  du 
coiumencement  du  xiii^  siècle,  emploie  presque  exclusivement  la 
forme  avec  rr.  Dans  Adgar,  il  y  a  à  peu  près  égalité  entre  les 
nombres  des  deux  formes,  celle  dont  nous  parlons  maintenant  se 
trouvant  par  exemple  au  morceau  XVII,  vers  997  et  pûssini  ;  on  la 
rencontre  encore  dans  le  Tristan  de  Thomas  (au  vers  1203);  dans 
Horn  (au  vers  2155)  ;  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  9,  6)  ; 
dans  Fantosme  (au  vers  351);  au  vers  2  du  Saint  Gilles. 

Le  nombre  des  exemples  devient  de  plus  en  plus  considérable  au 
XIII''  siècle.  Citons  un  petit  nombre  de  références.  Les  deux  rr  se 
trouvent  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  (2252,  1867,  dierrei;  2455, 
derreï)  ;  dans  le  Josaphat  de  Chardri  (40)  ;  dans  Robert  de  Gretham 
(r6  r°,  38  r°)  ;  au  vers  25  de  la  Plainte  d'Amour  et  70  du  Saint 
Edmund  ;  au  vers  5  de  Boeve,  171  du  Saint  Auban,  694  de  Dermod, 
3551  de  William  de  Waddington.  Il  serait  facile  de  faire  une  liste 
tout  aussi  longue  des  exemples  qu'on  trouve  dans  les  auteurs  du 
siècle  suivant  :  Apocalypse  (a,  29),  Pierre  de  Langtoft  (I,  34,  11  ; 
II,  198,  9),  Nicole  Bozon  (Contes,  §  31),  Chronique  de  Londres 
(73),  De  Con)uge(9,  35). 

Nous  ne  pouvons  donner  ici  qu'un  tout  petit  nombre  d'exemples, 
infime,  si  on  le  compare  au  nombre  des  cas  qu'on  peut  relever. 

Les  formes  de  dire  avec  une  r  simple  sont  l'exception  ;  on  en 
trouve  quelques-unes  dans  les  Psautiers  d'Oxford  (90,  2)  ;  de  Cam- 
bridge (;,  55);  d'Arundel  (41,  12);  dans  Thomas  (au  vers  8r8); 
dans  plusieurs  endroits  d'Adgarjdans  le  Saint  Gilles  (au  vers  2183); 
au  vers   1992  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire;  rarement   dans   Boeve  ; 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  7 19 

dans  les  Chansons   (i,    115);  trois  fois  dans  Saint  Auban  (contre 
deux  dirr)  et  quelques  autres  cas. 

En  dehors  des  œuvres  littéraires,  ce  n'est  que  dans  les  Year  Books, 
et  peut-être  dans  Rymer  que  l'on  trouve  pour  le  futur  et  le  condi- 
tionnel de  dire  la  forme  étymologique  avec  r  simple,  et  encore  cette 
forme  reste-t-elle  assez  rare. 

Les  Statutes,  Jean  de  Peckham,  les  Parliamentary  Writs,  etc., 
montrent  la  forme  qui  est  le  plus  souvent  employée  dans  la  litté- 
rature. 

Les  autres  verbes  à  palatale  ne  sont  pas  aussi  réguliers  dans  leur 
irrégularité  que  dire  ;  leur  tendance  à  prendre  r?-  au  futur  est  mani- 
feste ;  mais  le  nombre  des  exemples  qu'ils  nous  présentent  n'approche 
pas  de  celui  que  nous  fournit  le  verbe  dire. 

Nous  trouvons  despierras  dans  les  Psautiers  d'Oxford  et  de  Cam- 
bridge (50,  18)  ;  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  2,  30);  verbe 
qui  ne  se  rencontre  pas  très  souvent  au  futur.  Duire  et  ses  composés 
donnent  diiirra,  par  exemple  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  2, 
35);  dans  Horn  (au  vers  1653)  ;  dans  Chardri(Josaphat,  vers  1725); 
les  exemples  de  ce  verbe  restent  très  communs.  Détruire  prend  une 
forme  analogue  :  destriiirnoit  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois  (I,  20, 
20)  ;  au  vers  43  de  la  Vie  de  Saint  Grégoire,  1 3 12  du  Saint  Edmund  ; 
il  se  trouve  aussi  dans  les  Statutes  (i-97'  !>  i-3)-  Lirrai  se  ren- 
contre aussi  assez  communément,  par  exemple  au  vers  3874  de 
Horn,  dans  les  Set  Dormans  de  Chardri  au  vers  1502,  surtout  dans 
les  Statutes  (par  exemple  1285,  I,  100),  c'est  la  seule  forme  du 
futur  que  nous  connaissions  pour  ce  verbe.  Plaire  prend  la  même 
forme  ;  plerrai  et  planai  se  lisent  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois 
(I,  24,  5)  ;  dans  Horn  (1892)  ;  au  vers  2177  du  Saint  Gilles  ;  dans 
Boeve  (au  vers  199);  au  folio  68  r°  des  Heures;  dans  les  iMem. 
Pari.  1305  (§  148),  etc. 

Citons  encore  luire  qui  donne  assez  fréquemment  Inrrai,  par 
exemple  dans  l'Apocalypse  (mss.  ^ù  et  7,  au  vers  1106),  et  laisser, 
ou  plus  exactement  son  infinitif  hypothétique  lairc  qui  fait  très  cons- 
tamment lerrai. 

Ajoutons  encore  le  futur  du  verbe  faire,  dont  nous  verrons  plus 
loin  les  autres  formes  ;  celle  qui  montre  deux  r  n'est  pas  très  commune 
dans  la  littérature  ;  au  xW  siècle,  on  ne  la  trouve  guère  que  dans  le 
Protheselaus  de  Hue  de  Rotelande  (vtrs  3^6,  etc.)  où  elle  est  peut- 


720  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

être  duc  au  scribe  et  dans  le  Drame  d'Adam  (comme  aux  vers  99, 
iS-^,  484).  Évidemmentcette  formeappartient  spécialement  au  scribe. 
Même  au  xiii''  siècle,  les  deux  r  ne  sont  pas  très  communes  ;  cette 
graphie  ne  devient  usuelle  qu'à  la  fin  de  ce  siècle  et  pendant  le  siècle 
suivant.  Nous  pouvons  citer  comme  exemples  de  ces  formes  dans 
Robert  de  Gretham  les  futurs  de  faire  qu'on  trouve  aux  folios  26  r°, 
63  r°  et  passim;  dans  les  Heures  de  la  Vierge  au  folio  61  r°.  Le 
petit  nombre  des  cas  de  rr  dans  ces  ouvrages  et  dans  les  autres 
poèmes  de  la  même  époque  nous  montre  qu'ils  doivent  provenir 
des  scribes,  plutôt  que  des  auteurs.  Dans  les  manuscrits  écrits  au 
xiv=  siècle  et  surtout  dans  le  dernier  quart  de  ce  siècle,  jcrra  est 
extrêmement  commun.  Un  exemple  typique  est  le  ms.  Worcester 
qui  nous  a  conservé  le  poème  du  Prince  Noir  et  qui  date  de  1397. 
Dans  ce  ms.,  la  plupart  des  futurs  de  faire  sont  écrits  avec  deux  r. 

Dans  les  textes  politiques,  cette  forme  se  remarque  très  fréquem- 
ment et  dans  les  mêmes  conditions  que  dans  les  ouvrages  littéraires. 
C'est  la  forme  normale  du  futur  de  ce  verbe  dans  cette  catégorie  de 
textes  ;  par  exemple,  on  la  trouve  constamment  dans  les  Statutes  à 
partir  de  1300  (cf.  I,  136);  dans  les  Parliamentary  Writs  (1314, 
II,  8);  dans  les  Traités  de  Rymer,  dans  les  différents  recueils  de  lettres 
et  dans  les  Year  Books.  Du  reste  les  verbes  à  palatale  dans  les  ouvrages 
qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  (nous  n'avons  jusqu'ici,  sauf 
pour  faire,  cité  aucun  exemple  tiré  de  ces  textes),  prennent  aussi 
régulièrement  que  possible  l'r  double  au  futur;  nous  ne  répéterons 
pas  ici  tous  les  exemples  que  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  citer 
à  propos  des  textes  littéraires  ;  mentionnons  seulement  le  tutur  de 
lire  (licere),  livra,  qui  est  très  commun  dans  les  Statutes  (cf.  par 
exemple  1286,  I,  100). 

Tous  ces  exemples  sont  en  somme  réguliers.  Il  n'en  est  pas  de 
même  de  viverra  qui  se  lit  au  vers  974  de  Horn. 

On  pourrait  facilement  trouver  dans  les  textes  anglo-français,  litté- 
raires ou  non,  un  certain  nombre  de  futurs  présentant  ces  deux  r 
sans  justification  possible  ;  nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  énumérer 
des  formes  qui  ne  seraient  que  des  fautes  d'orthographe  sans  intérêt. 

Cependant  il  nous  reste  encore  à  signaler  une  forme  dans  laquelle 
la  double  r  ne  s'explique  guère,  mais  qui  se  trouve  si  souvent  que 
nous  sommes  obligés  de  considérer  qu'elle  a  été  assez  tôt  sanctionnée 
par  l'usage  anglo-français  :  c'est  serra  du  verbe  être. 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  72 1 

Il  n'est  pas  très  facile  de  débrouiller  les  éléments  de  l'histoire  de  ce 
futur,  scribes  et  auteurs  ayant  mélangé  d'une  façon  inextricable  les 
formes  avec  une  seule  r  et  celles  qui  en  présentent  deux.  Nous  ne 
croyons  pas  que  serra  remonte  aussi  haut  que  la  première  moitié  du 
xii^  siècle,  et  il  nous  semble  que  les  quelques  formes  qu'on  rencontre 
à  cette  époque  doivent  provenir  des  scribes;  mais  nous  sommes 
assurés  qu'elle  a  été  en  usage  au  commencement  de  la  seconde 
moitié.  Le  Psautier  d'Arundel  en  montre  quelques  exemples  (cf.  36, 
36);  mais  les  deux  r  au  futur  de  ce  verbe  restent  exceptionnelles. 
Elles  sont  plus  souvent  employées  dans  certains  autres  ouvrages, 
qui  ne  nous  aident  pas  à  dater  les  formes  qu'ils  nous  donnent  comme 
le  fait  le  Psautier  d'x\rundel  ;  ainsi  le  Drame  d'Adam  ;  mais  les  nom- 
breuses graphies  par  rr  peuvent  tout  aussi  bien  provenir  du  scribe 
que  de  l'auteur,  plus  vraisemblablement  même. 

Citons  encore,  comme  nous  présentant  des  exemples  de  cette 
forme:  Gaimar,  Adgar,  Guillaume  de  Berneville;  d'autres  écrivains 
de  la  même  époque  au  contraire  ne  nous  en  donnent  aucun  exemple 
ou  seulement  un  petit  nombre  de  cas,  comme  Thomas  et  Jordan 
Fantosme. 

Un  peu  plus  tardivement  dans  la  littérature  anglo-française,  serra 
devient  sinon  la  forme  unique,  ce  qui  est  vrai  pour  certains  auteurs, 
au  moins  la  forme  la  plus  employée.  Chardri  s'en  sert  très  souvent, 
et  l'emploie  de  préférence  à  la  forme  ordinaire  ;  le  poème  sur  Saint 
Edmund,  Boeve  de  Haumtone,  Edward  le  Confesseur  nous  montrent 
la  même  habitude;  l'auteur  du  Saint  Auban,  ou  son  scribe,  écrit  dix- 
sept  fois  les  deux  r  et  une  seule  fois  l'r  simple.  Il  en  va  de  même  au 
xiv^  siècle;  et  il  nous  suffira  de  dire  que  Pierre  de  Langtoft,  Nicole 
Bozon,  Nicolas  Trivet  préfèrent  cette  forme  à  toutes  les  autres. 

Ce  qu'il  faut  surtout  remarquer,  c'est  que  cette  forme  du  futur 
est  presque  la  seule  employée  en  dehors  de  la  littérature.  Tous  les 
textes  que  nous  connaissons  la  montrent  et  les  autres  formes  sont 
extrêmement  rares. 

Par  conséquent,  nous  pouvons  maintenant  conclure  que  l'anglo- 
français  a  redoublé  au  futur  l'r  d'un  grand  nombre  de  verbes;  pour 
le  plus  grand  nombre  (verbes  à  palatale)  les  deux  r  peuvent  se  jus- 
tifier et  on  ne  saurait  appeler  irrégulières  les  formes  comme  csUrra 
OM  ferra.  Dans  d'autres  cas,  il  est  plus  difficile  ou  impossible  de  jus- 
tifier la  présence  de  la  consonne  double;  mais  ces  dernières  formes 

46 


722  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

sont  assez  rares  et  ne  présentent  aucune  fixité;  il  faut  faire  une 
exception  pour  serra,  futur  de  être  ;  il  se  rencontre  assurément  dès 
le  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle,  devient 
commun  au  siècle  suivant,  et  est  la  forme  ordinaire  du  futur  au 
xiV'  siècle,  dans  les  œuvres  littéraires  et  surtout  en  dehors  de  la 
littérature. 

E  svarahhahiqiie  ' . 

Ce  qui  suit  s'applique  aux  futurs  de  III  et  de  IV,  aussi  à  certains 
futurs  de  II  {d.  plus  haut)  ;  même  à  certains  infinitifs  (cf.  Mode 
infinitif,  p.  441). 

LV  svarabhaktique  se  trouve  dans  les  verbes  dont  le  thème  est 
terminé  par  une  labiale  ou  une  dentale  appuyée,  que  ces  consonnes 
soient  étymologiques  ou  paragogiques. 

Qu'il  nous  soit  permis  de  remarquer  avant  de  commencer  que 
cette  question,  lorsqu'elle  a  été  traitée,  a  été  le  plus  souvent 
limitée  aux  futurs  des  verbes  avoir  et  savoir;  que  même  la  présence 
d'un  ^  à  ce  temps  de  ces  deux  verbes  a  été  considérée  comme  un  phé- 
nomène qui  leur  était  propre  et  non  comme  le  cas  particuUer 
d'un  phénomène  beaucoup  plus  général.  Avoir  et  savoir  n'ont  pas 
été  traités  d'une  manière  spéciale;  la  seule  difiîérence  qu'on  puisse 
remarquer  à  leur  sujet,  c'est  que,  leur  futur  et  leur  conditionnel  se 
rencontrant  beaucoup  plus  fréquemment,  les  exemples  d'd  svarabhak- 
tique pour  ces  verbes  sont  beaucoup  plus  nombreux. 

Cependant,  comme  nous  avons  eu  l'occasion  de  le  voir  plusieurs 
fois,  l'anglo-français  montre  toujours  une  certaine  irrégularité  en 
généralisant  certaines  formes  ;  et  il  se  trouve  que  certains  verbes 
montrent  plus  souvent  et  plus  tôt  Ve  qui  nous  occupe  maintenant. 
Nous  pourrons  donc,  au  besoin,  étudier  séparément  les  deux  verbes 
avoir  et  savoir,  non  pas  parce  que  nous  considérerons  que  la  pré- 
sence de  l't'  entre  leur  thème  et  leur  terminaison  constitue  une 
question  spéciale,  mais  parce  qu'il  nous  sera  alors  plus  facile  et  plus 
utile  de  diviser  la  question. 

Nous  allons  nous  trouver  ici  en  présence  des  mêmes  difficultés 
qui  nous  ont  arrêtés  plus  d'une  fois  jusqu'ici,  et  ces  difficultés  sont 

I.  Pour  cette  question,  on  pourra  voir  Suchier,  Ueber  die...,  p.  41  ;  Merwart, 
p.  II. 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  723 

probablement  plus  insurmontables  ici  que  partout  ailleurs  puisque  le 
plus  grand  nombre  de  nos  exemples  date  du  xiv^  siècle.  Comment 
reconnaître  la  présence  d'un  c  muet,  lorsque  la  versification  est  aussi 
irrégulière  que  possible,  lorsqu'il  est  parfois  impossible  de  décider 
du  nombre  de  syllabes  que  l'auteur  a  voulu  donner  à  son  vers,  et 
surtout  lorsque  nous  savons  que  les  e  muets  étymologiques  ou  non 
recevaient,  même  dans  les  meilleurs  auteurs,  un  traitement  incertain, 
comptant  ou  ne  comptant  pas  dans  le  vers  sans  autre  raison  appa- 
rente que  la  nécessité  du  moment? 

Il  semble  donc  a  priori  que  nous  ne  puissions  qu'enregistrer  quel- 
ques graphies.  Cependant  nous  pouvons  faire  quelque  chose  de  plus 
utile  que  de  signaler  les  habitudes  orthographiques  des  scribes; 
notre  but  n'est  pas  d'étudier  les  formes  habituelles  de  la  langue  de 
tel  ou  tel  auteur  et  encore  moins  de  tel  ou  tel  scribe;  nous  nous 
proposons  de  déterminer  l'évolution,  si  on  peut  employer  ici  ce 
terme,  de  l'anglo-français  en  général  ;  il  importe  donc  assez  peu  de 
savoir  si  dans  un  poème  donné  les  e  svarabhaktiques  comptent  dans 
la  mesure  du  vers.  Nous  aurons  simplement  à  nous  demander  à  quel 
moment  précis  cette  voyelle  a  été  introduite,  de  quelle  façon  elle 
s'est  généralisée,  à  quel  moment  elle  a  été  employée  par  la  majorité 
des  écrivains  et  pour  quelle  classe  de  verbes.  Nous  ne  nous  occu- 
perons donc  que  fort  peu  de  la  versification  ;  celle-ci  pourra'  peut- 
être,  avec  l'aide  des  manuscrits,  nous  aider  à  préciser  le  premier 
point,  la  date  de  l'introduction  de  la  voyelle.  Pour  tous  les  textes 
qui  seront  postérieurs  à  cette  date,  la  question  de  la  valeur  syllabique 
de  la  voyelle  ne  se  présentera  plus  ou  n'aura  plus  qu'une  impor- 
tance secondaire.  Il  nous  suffira  de  la  trouver  écrite  pour  qu'elle 
retienne  notre  attention,  car  ce  fait  seul  montrera  que  pour  quelqu'un, 
scribe  ou  auteur,  une  voyelle  a  semblé  nécessaire  ;  nous  ne  savons 
jamais,  à  deux  ou  trois  exceptions  près,  comment  les  auteurs  de  la 
seconde  moitié  du  xiii^  et  ceux  du  xiv''  siècle  traitaient  les  voyelles 
muettes,  et  la  question  actuelle  ne  saurait  nous  l'apprendre. 

Nous  commencerons  donc  par  l'étude  des  manuscrits,  et  nous 
renvoyons  à  la  liste  que  nous  avons  donnée  à  propos  du  passage  à 
la  désinence  en  er  des  infinitifs  de  III.  Nous  n'avons  dans  le  ms.  L 
de  l'Alexis  aucun  exemple  d'e  svarabhaktique  (cf.  avruin,  107  e)  ; 
mais  quelques  cas  se  rencontrent  dans  un  autre  manuscrit  de  la  même 
époque  ou  un  peu  plus  tardif:  le  ms.  C  du  Cumpoz  et  du  Bestiaire. 


724  L  EVOLUTION    DU    VERBK    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

On  y  lit  en  effet:  savereit  {auyeTs  1842,  Cumpoz)  ;  deverait  (1912, 
ibiJ.)  ;  avcreient  (1918,  ibid.)  ;  le  ms.  A  de  l'Alexis  nous  en  offre 
plusieurs  exemples  ;  citons  aucrad  (80  e)  ;  et  il  y  en  a  quelques 
autres. 

Ces  quelques  exemples  suffisent  pour  nous  montrer  que  cette 
voyelle  a  fait  son  apparition  dans  la  première  décade  de  la  seconde 
moitié  du  xii^  siècle,  et  qu'elle  a  tout  de  suite  affecté  plusieurs 
verbes  :  avoir,  savoir,  devoir.  Ceux-ci  ont  tous  une  labiale  comme 
consonne  finale  du  thème.  Nous  pensons  que  ce  n'est  que  par  hasard 
que  nous  n'avons  pas  relevé  dans  ces  manuscrits  de  thèmes  à  den- 
tale, et  les  Psautiers,  qui  ne  peuvent  pas  être  postérieurs  de  plus  de 
dix  ans  aux  manuscrits  que  nous  avons  cités,  nous  montrent  un  cer- 
tain nombre  de  thèmes  à  dentale  avec  cet  e;  citons  dans  le  Psautier 
d'Oxford  baterunt  (97,  9);  cstreindemt  (^6,  12)  ;  solderai  (36,  22); 
arderat  dans  le  Psautier  de  Cambridge  (45,  9;  49,  3  ;  78,  5).  Les 
thèmes  à  labiale  dans  ces  mêmes  Psautiers  nous  offrent  de  nouveaux 
exemples  :  parsizuerai  dans  celui  d'Oxford  (17,  41)  et  dans  celui  de 
Cambridge  (17,  38);  receverai  dans  ce  dernier  (49,  9  ;  74,  2). 

Nous  ne  multiplierons  pas  les  exemples  ;  ceux  que  nous  venons 
de  donner  montrent  que  des  verbes  à  dentale  ou  à  labiale,  très  variés, 
peuvent  prendre  cet  e.  Tous  ne  le  prennent  pas  ;  la  proportion, 
approximativement,  entre  les  formes  qui  l'ont  et  celles  qui  pourraient 
l'avoir  dans  le  Psautier  d'Oxford,  est  de  25  contre  75.  A  quoi  faut-il 
attribuer  l'absence  de  Ve  dans  les  trois  quarts  des  formes  ?  Peut-être 
à  la  fidélité  des  scribes  qui  reproduisent  exactement  leur  texte  trois 
fois  sur  quatre  ;  plus  probablement  au  fait  que  Ve  à  l'origine  n'a  pas 
affecté  immédiatement  tous  les  verbes. 

Dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  un  changement  se  produit  qui 
n'est  pas  négligeable.  Ici,  il  est  évident  que  la  proportion  des  formes 
avec  cet  e  n'est  pas  la  même  pour  les  verbes  à  dentale  que  pour  les 
verbes  à  labiale.  Pour  les  premiers,  la  forme  sans  e  et  régulière  est 
de  beaucoup  la  plus  commune;  nous  en  avons  relevé  55  exemples, 
contre  une  douzaine  de  cas  dans  lesquels  Ve  s'est  introduit.  Pour  les 
verbes  à  labiale  au  contraire,  Ve  est  le  plus  souvent  employé;  nous 
n'en  avons  pas  compté  moins  de  quarante-deux  tandis  que  les  formes 
qui  ne  l'ont  pas  ne  sont  qu'au  nombre  de  15  en  comptant  dans  ce 
dernier  total  13  formes  en  aiir  dans  lesquelles  il  nous  est  impos- 
sible de  savoir  si   Vu  est  voyelle  ou  consonne.    Autant  dire  que  la 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  725 

presque  totalité  des  verbes  à  labiale  a  admis  IV  svarabhaktique,  alors 
que  les  trois  quarts  des  verbes  à  dentale  y  échappent. 

Les  Quatre  Livres  des  Rois  nous  mènent  presque  à  la  fin  du 
xii^  siècle  et  nous  donnent  les  renseignements  les  plus  précis  et  les 
plus  sûrs  sur  les  formes  de  ces  futurs.  Nous  pouvons  donc  con- 
clure que  Ye  svarabhaktique  a  apparu  au  futur  entre  1 150  et  11 60, 
probablement  pas  plus  tôt  ;  que  les  premiers  exemples  nous  montrent 
des  thèmes  à  labiale  et  des  thèmes  à  dentale  ;  il  est  plus  probable 
que  tous  les  verbes  ayant  l'un  ou  l'autre  de  ces  thèmes  n'ont  pas 
tout  d'abord  été  affectés.  L'f  svarabhaktique  s'est  étendu  de  proche 
en  proche  ;  mais  les  thèmes  à  labiale  ont  été  plus  vite  gagnés  à  la 
forme  avec  voyelle  muette  que  les  autres.  A  la  fin  du  siècle,  on  peut 
dire  que  la  graphie  avec^  muet  est  la  forme  ordinaire  des  futurs  des 
verbes  à  labiale,  tandis  qu'elle  est  encore  relativement  rare  pour  les 
autres  verbes. 

Si  maintenant  nous  considérons  la  versification  des  poèmes  écrits 
entre  1150  et  1200,  nous  trouvons  un  état  de  choses  entièrement 
difiérent.  Les  auteurs  n'écrivent  cet  e  que  rarement  et  plus  rarement 
encore  lui  donnent  une  valeur  syllabique. 

C'est  Adgar  qui  le  premier  nous  offre  quelques  exemples  de  cet  e 
comptant  dans  la  mesure  du  vers,  et  les  exemples  que  nous  trouvons 
contiennent  tous  le  futur  du  verbe  avoir;  (XI,  422;  XVII,  407; 
XVII,  411). 

Mult  avérez  malveis  luier  ; 

De  ki  avérai  defensiun  ;  (douteux). 

Sulunc  qu'avéra  deservi. 

Il  y  a  encore  dans  cet  auteur  quelques  autres  cas  où  le  futur 
d'avoir  compte  pour  trois  syllabes ,  nous  n'avons  aucun  exemple 
assuré  du  même  phénomène  pour  d'autres  verbes. 

Dans  Jordan  Fantosme,  les  exemples  sont  fort  communs,  quatre 
ou  cinq  pour  avoir  (159,  285,  536,  1616  (?),  603);  deux  pour 
savoir  (103,  179)  ;  un  pour  perdre  (747). 

Mar  m'averunt  entre  encuntre  li  traître  es  chaumeis.  (14  syllabes.) 

E  quant  il  li  avéra  rendu,  e  s'il  bien  le  prend.  (14  svllabes.) 

Par  lui  ne  par  sa  force  n'averom  desturbier. 

Vus  m'averez  a  Lundrcs  ainz  vienge  quinze  dis. 

Ja  saverad  li  reis  Henri  asez  u  moversei. 

Mes  ki  bon  conseil  saverad,  vienged  avant,  sil.die. 

En  mun  vivant  n'en  perderai  plein  pié.  (10  syllabes.) 


726  l'évolution  du  verbe  en  anglo-françals 

Nous  n'en  avons  relevé  qu'un  seul  cas  dans  Tlpomédon  de  Hue 
de  Rotelande  (au  vers  3744)  : 

U  la  fiance  i  metterez. 

On  peut  en  trouver  quelques-uns  dans  le  poème  de  Horn  ;  mais 
tous  sont  assez  douteux,  comme  le  vers  4719  : 

(E  ?)  sa  mort  sil  purrad  mult  clier  leurvendera 

Sauf  dans  Jordan  Fantosme,  les  cas  qui  montrent  que  Ye  a  pris  la 
valeur  d'une  syllabe  sont  donc  très  rares. 

Nous  trouvons  de  même  dans  la  Vie  de  Saint  Gilles  plusieurs 
exemples  montrant  cet  c  compté  dans  la  mesure  du  vers  ;  l'un  d'entre 
eux  est  le  futur  d'un  verbe  à  dentale  :  snrdcniuî  (au  vers  218);  les 
deux  autres  proviennent  de  verbes  à  labiale  :  uioverad  (au  vers  1829); 
vivertiin  (au  vers  3170)  : 

Dunt  il  ne  surderuut  ja  mois. 
Meis  li  reis  ne  maverad  mie. 
Pur  tant  cum  nus  deus  viverum . 

Lire  :  «  comme  »  ? 

Avoir  et  savoir  nous  offrent  'en  outre  quelques  exemples  ;  pour 
le  premier  verbe  Ve  est  compté  dans  trois  cas  sur  un  total  de  treize 
formes  employées  ;  pour  le  second  dans  deux  cas  sur  un  total  de 
cinq.  Voici  les  cinq  vers  où  se  trouvent  ces  exemples  : 

K'a  curt  ternie  n'avéras  rien . 
U  avérez  dras  eestruiz. 
Delà  pour  kil  averunt. 
Tant  dunt  tu  me  saveras  gré. 
Demain  saverum  tut  le  veir. 

Ces  formes  sont  donc  assez  nombreuses  ;  mais  elles  restent  une 
minorité,  et  sauf  pour  avoir  et  savoir,  une  petite  minorité. 

Par  conséquent,  les  écrivains  de  la  fin  du  xii^  siècle  emploient 
parfois  les  e  svarabhaktiques  avec  valeur  syllabique,  mais  le  plus 
grand  nombre  des  e  que  nous  rencontrons  restent  purement  gra- 
phiques. 

Il  y  a  donc  divergence  manifeste  entre   l'usage    des  auteurs    et 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  727 

celui  des  scribes  qui  étaient  leurs  contemporains.  Ceci  nous  éclaire 
sur  la  valeur  de  cet  e.  Il  n'a  pas  été  considéré  d'abord  comme  un  e 
muet  ordinaire,  car  à  cette  époque  les  e  muets  sont  régulièrement 
comptés  dans  le  vers,  au  moins  chez  la  plupart  des  écrivains,  en  par- 
ticulier par  Guillaume  deBerneville.  Sa  valeur  a  été  pendant  le  pre- 
mier demi-siècle  de  son  emploi  celle  d'un  son  vocalique  accessoire, 
non  pas  inutile,  puisqu'on  l'écrivait,  mais  qui  se  prononçait  à 
peine  et  qui  n'avait  même  pas  la  valeur  de  Ve  muet  habituel.  N'est- 
pas  du  reste  le  vrai  rôle  des  voyelles  svarabhaktiques  d'aider  à  la 
prononciation  d'un  groupe  de  consonnes  sans  allonger  perceptible- 
mentla  longueur  du  mot?  Les  auteurs  qui  ont  compté  cet  e  comme 
une  syllabe  ont  dénaturé  sa  valeur  et  l'ont  fait  passer  au  rang  d'un  ^ 
muet  ordinaire. 

Il  semble  donc  que,  vers  la  fin  du  xii^  siècle,  les  thèmes  à  labiale 
et  quelques  verbes  à  dentale  l'emploient  régulièrement  au  futur  et 
ce  n'est  que  dans  un  petit  nombre  de  cas  que  cet  e  perd  sa  valeur 
propre  et  est  traité  comme  un  <' atone. 

Les  choses  restent  en  l'état  pendant  la  première  moitié  du  kiii* 
siècle;  les  auteurs  et  les  scribes  continuent  à  écrire  cet  g  et  les  pre- 
miers ne  le  comptent  que  rarement  :  il  reste  une  sorte  à'e  auxi- 
liaire, si  on  peut  dire,  différent  de  Ve  muet  ordinaire.  Nous  ne 
croyons  pas  par  exemple  que  l'on  puisse  trouver  dans  les  trois  poèmes 
de  Chardri  un  seul  exemple  donnant  à  cette  voj^elle  au  futur  la 
valeur  syllabique  ;  Frère  Angier  au  contraire  emploie  constamment 
la  forme  trisyllabique  pour  le  futur  du  verbe  avoir;  et  quelques 
autres  verbes  dans  les  poèmes  de  cet  auteur  montrent  le  même  allon- 
gement syllabique,  citons  vantera  (37  r°  b),  comme  thème  à  den- 
tale et  inovera  (99  r°  a)  comme  thème  labiale. 

Nous  croyons  remarquer  une  augmentation  de  ces  e  muets  svlla- 
biques  dans  le  second  tiers  du  xiii^  siècle  ;  les  formes  aver-  sont 
employées  dans  les  Evangiles  des  Dompnées,  mais  assez  peu  réguliè- 
rement ;  d'autres  exemples  se  rencontrent  dans  le  même  poème, 
surtout  de  verbes  à  labiale,  quoiqu'on  trouve  aussi  respundernu!  (au 
folio  19  r°).  Nous  ferons  à  peu  près  les  mêmes  observations  sur  le 
poème  de  Saint  Edmund  dans  lequel  nous  lisons  avcrum  (au  vers 
1003)  ',  perderum  (au  vers  17 10),  perdere:^^  (au  vers  2275);  devere{ 

I.  Cornent  averunt  le  larrun,  etc. 


728  l'évolution  du  verre  en  anglo-français 

(au  vers  1241);  resayvcrunl  (au  vers  3925),  comptant  respective- 
ment pour  trois  et  quatre  syllabes. 

Vers  le  milieu  du  xiii'^  siècle,  Vc  est  plus  souvent  syllabique, 
autant  qu'on  peut  en  juger.  Prenons  par  exemple  le  Saint  Auban;  Ve 
n'est  certainement  pas  purement  graphique  dans  les  exemples  sui- 
vants :  siirdcra  (au  vers  -|2S),  cspaiidera  (au  vers  432),  respiuidcrgi 
(au  vers  529),  perdcra  (au  vers  1576),  et  pour  les  thèmes  à  labiale: 
dcverad  (^ixu.  vers  182),  saverra  (au  vers  j[^2),receverai  (^âu  vers  1725). 
Pour  le  futur  du  verbe  avoir,  Vc  qui  est  régulièrement  écrit  ne 
compte  qu'une  fois  dans  la  mesure  du  vers.  Cela  nous  a  surpris  ; 
mais  il  est  fort  possible  que  l'auteur  ait  employé  la  forme  avec  u 
voyelle  :  aura,  laquelle  aura  été  changée  par  le  scribe  en  avra,  puis 
avéra. 

Après  le  Saint  Auban,  les  formes  avec  e  muet  ordinaire  deviennent 
de  plus  eu  plus  communes,  et  nous  ne  pouvons  songer  à  citer  ici 
toutes  les  formes.  Il  serait  peu  utile  de  pousser  plus  loin  cette  étude 
de  Ye  svarabhaktique  dans  les  textes  littéraires  anglo-français;  nous 
le  trouvons  presque  toujours,  sinon  toujours,  écrit  dans  les  ouvrages 
du  xiv^  siècle  ;  et  il  a  très  souvent  valeur  syllabique,  autrement  dit, 
il  cesse  le  plus  souvent  d'être  une  voyelle  svarabhaktique  pour  deve- 
nir une  simple  voyelle  muette.  Citons  à  ce  propos  une  forme  inté- 
ressante qui  se  lit  dans  le  poème  deDermod,  andthe  Earl,  et  qui  peut 
aussi  bien  appartenir  à  l'auteur  qu'au  scribe:  c'est  dcvoroie  qu'on  ren- 
contre au  vers  2433.  On  voit  que  dans  cette  forme  l'f,  originairement 
svarabhaktique,  a  été  assimilé  à  la  voyelle  de  la  terminaison  del'infi- 
nitif  ;  pour  celui  qui  Pa  écrite,  cette  voyelle  n'est  plus  simplement 
destinée  à  exprimer  une  prononciation  particulière  d'un  groupe  de 
consonnes,  ici  vr,  mais  elle  est  considérée  comme  une  partie  inté- 
grante et  étymologique  du  futur  :  ceci  nous  montre  d'une  façon 
concrète  que  Ye,  à  l'origine  svarabhaktique,  a  perdu  sa  nature. 

Nous  trouvons  une  graphie  analogue  de  Y 2.iont  àzns  surveioraÇào. 
voir,  mais  avec  confusion  avec  veiller)  qu'on  lit  dans  le  Liber  Rubeus 
de  Scaccario;  d'autres  voyelles,  comme  a,  se  rencontrent;  citons 
savara  qui  se  lit  dans  les  Literae  Cantuarienses,  1335,  58e. 

Nous  conclurons  maintenant  ces  remarques  sur  la  voyelle  svara- 
bhaktique au  futur  et  au  conditionnel  dans  les  ouvrages  littéraires.  La 
base  de  cette  étude  a  été  l'usagedes  scribes  tel  que  nous  le  montrent 
plusieurs  manuscrits.  Nous   avons  vu  que   Ye  svarabhaktique  a  été 


i 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  729 

employé  dès  le  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle, 
à  peu  près  également  d'abord  pour  les  verbes  dont  le  thème  est 
terminé  par  une  labiale  et  pour  ceux  qui  ont  une  dentale. 
Mais  Ve  s'est  généralisé  plus  rapidement  pour  les  premiers  que  pour 
les  seconds.  A  la  fin  de  ce  siècle,  cet  e,  pour  les  verbes  à  labiale,  est 
à  peu  près  général  ;  nous  ne  savons  pas  exactement  quand  il  l'a  été 
pour  l'autre  classe  de  verbes  ;  mais  nous  pouvons  reconnaître  que, 
vers  1250  au  plus  tard,  il  est  écrit  partout. 

Cette  forme  s'étant  généralisée  n'a  jamais  perdu  de  terrain.  \'oilà 
les  résultats  que  nous  donne  l'étude  des  manuscrits  et  pour  nous  ce 
sont  les  résultats  les  plus  clairs  et  les  plus  importants. 

C'est  sur  un  autre  ordre  de  faits  que  porte  notre  étude  sur  la 
langue  des  ouvrages  eux-mêmes.  Quand  et  dans  quelles  limites  Ve 
svarabhaktique  a-t-il  cessé  d'être  svarabhaktique  pour  devenir  un 
simplet"  muet  syllabique  ?  Les  résultats  que  nous  obtenons  soi^t  en 
partie  vagues,  incomplets  et  discutables.  L'étude  des  auteurs  pris  iso- 
lément, dans  la  plupart  des  cas,  n'aboutit  le  plus  souvent,  surtout  au 
xiii'-  siècle,  qu'à  des  conclusions  incohérentes.  Cependant,  de  l'en- 
semblp^  nous  pouvons  dégager  quelques  données  générales,  qui  sont 
vraies  relativement. 

1°  Dès  la  fin  du  xii^  siècle,  Ve  a  pris  dans  un  petit  nombre  de  cas 
une  valeur  syllabique  ;  ce  changement  provient  de  certains  auteurs 
et  affecte  spécialement  certains  verbes,  en  première  ligne  avoir  et 
savoir. 

2°  Ce  qui  était  limité  à  quelques  auteurs  à  la  fin  du  xii'^  siècle  et 
pendant  la  première  moitié  du  siècle  suivant,  devient  très  général 
après  1250;  en  même  temps  tous  les  verbes  qui  étaient  affectés  de  cet 
e  svarabhaktique  au  futur  et  au  conditionnel,  voient  ces  temps  aug- 
mentés d'une  syllabe.  En  somme,  on  peut  dire  que  Ve  réellement 
svarabhaktique  a  disparu  dans  l'anglo-français  du  xiV^  siècle  ou  plus 
exactement  a  évolué  vers  Ve  atone  ordinaire. 

Ve  svarabhaktique  est  très  commun  en  dehors  de  la  langue  litté- 
raire ;  les  exemples  que  nous  avons  relevés  sont  trop  nombreux 
pour  que  nous  puissions  songer  à  les  signaler  tous;  nous  nous  bor- 
nerons à  faire  quelques  constatations  générales. 

Pour  le  verbe  avoir,  la  forme  aver-  est  non  seulement  la  plus 
employée,  mais,  dans  la  plupart  des  recueils,  elle  est,  à  très  peu  de  chose 
près,  unique.  Dans  les  Statutes  nous  avons  relevé  deux  ou  trois  exemples 


730  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

de  livra  (^comme  en  1290,  I,  221);  un  ou  deux  de  aura  (comme 
en  1335,  I,  270);  supposons  qu'un  certain  nombre  de  l'une  ou  de 
l'autre  de  ces  formes  nous  ait  encore  échappé,  nous  n'arriverons 
jamais  qu'à  un  total  insignifiant,  si  on  le  compare  au  nombre  très 
considérable  de  formes  avec  e.  Ce  que  nous  disons  des  Statutes  s'ap- 
plique aussi  bien  aux  Rymer's  Foedera,  quoique  le  nombre  des 
formes  normales  soit  cependant  sensiblement  plus  élevé.  Les  formes 
en  aur  semblent  venir  par  paquets  ;  par  exemple,  dans  le  Traité 
qu'on  trouve  au  sixième  volume  (p.  446),  sous  la  date  de  1364,  on 
en  trouve  une  dizaine.  Atout  prendre,  ces  formes  sont  rares,  même 
dans  les  Rymer's;  elles  n'existent  pas  dans  plusieurs  autres  recueils  : 
les  Parliamentary  Writs',  ni  dans  les  Literae  Cantuarienses.  Quant 
aux  Year  Books,  on  trouve  un  peu  plus  de  fantaisie  mais  la  forme 
allongée  est  encore  de  beaucoup  la  plus  employée. 

Nous  avons  beaucoup  moins  d'exemples  pour  savoir,  mais  ceux 
que  nous  avons  nous  montrent  un  état  de  chose  analogue  :  peut- 
être  même  que  les  formes  normales  sont  proportionnellement  moins 
fréquentes  que  les  formes  correspondantes  d'avoir. 

Pour  devoir,  les  Statutes  allongent  régulièrement  le  radical  ; 
cependant  devr-  se  rencontre,  mais  n'est  employé  que  d'une  façon 
exceptionnelle  ;  citons  pour  cette  dernière  forme  l'exemple  du  pre- 
mier volume  des  Statutes,  p.  388  (1363)  ;  dans  les  Rymer's  Foedera 
qui  nous  présentent  toujours  des  formes  plus  variées  et  moins 
consistantes,  devr  est  moins  rare  ;  on  en  trouve  six  exemples  dans 
le  Traité  de  1364  (VI,  446). 

Par  conséquent,  le  futur  et  le  conditionnel  des  trois  verbes  précé- 
dents se  présentent  presque  toujours  sous  la  forme  allongée. 

Nous  ne  pouvons  pas  en  dire  autant  de  vouloir  ;  comme  les 
autres  verbes  qui  ont  un  thème  à  dentale  (voir  plus  bas),  Ve  muet 
entre  le  thème  et  la  désinence  n'a  pas  le  caractère  de  généralité 
qu'il  a  pour  les  verbes  précédents  ;  mais  les  exemples  de  vodera  sont 
si  nombreux  que  nous  avons  cru  devoir  les  rapprocher  de  ceux  de 
avoir,  savoir,  devoir. 

Vodra  tout  d'abord  est  assez  commun,  surtout  dans  les  Statutes 
(cf.  1335,  I,  275,  281,  2  fois  ;  1340,  I,  299),  si  commun  que  l'as- 
similation de  la  dentale  a  été  possible,  et  vora,  à  partir  du  milieu 
du  xiv^  siècle,  a  presque  supplanté  la  forme  précédente  (cf.  1350,!, 
310;  1353.  I.  3^3;  i377>  II,  2). 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  731 

Le  futur  montrant  Ve  svarabhaktique  est  à  peine  plus  employé 
que  les  deux  formes  précédentes  prises  ensemble  ;  on  la  trouve 
dès  la  fin  du  xiii'^  siècle  (cf.  Statutes,  1299,  I,  131  ;  dans  les  Par- 
liamentary  Writs  1297,  I,  393);  elle  est  commune  dans  tous  les 
recueils  pendant  la  première  moitié  du  siècle  suivant,  mais  semble 
un  peu  moins  employée  après  1350  (voir  cependant  dans  Rymer, 
1357,  IV,  758)  ;  elle  est  assez  fréquente  dans  les  Year  Books  (d. 
20  et  21  Edw.  I",  p.  181  et  passim). 

Nous  avons,  pour  les  quatre  verbes  précédents,  créé  pour  ainsi 
dire  une  classe  spéciale ,  parce  qu  ils  se  trouvent  beaucoup  plus 
employés  au  futur  que  les  autres  verbes. 

Nous  avons  cependantplusieurs exemples  nous  montrant  IV,  svara- 
bhaktique  ou  non,  affectant  d'autres  thèmes  à  labiale  ou  à  dentale. 
Citons  rapidement  x'/irra,  employé  dans  Rymer  (1359,  VI,  119); 
estendenini  dans  les  Statutes  (1267,  I,  197);  rcnderoit  dans  les 
Rymer's  Foedera  (1337,  IV,  758).  Faudera  est  très  commun,  on  le 
rencontre  par  exemple  dans  le  recueil  que  nous  venons  de  citer 
(1359,  VI,  114  ti  passim)  ;  on  pourrait  en  énuir.érer  encore  beau- 
coup d'autres  comme  isteront,  descendeni  dans  le  Liber  Albus  (1303, 
148);  peytereit  dans  les  Year  Books,  etc. 

D'autres  thèmes  se  trouvent  atteints  ;  mais  les  formes  qu'ils  nous 
donnent  sont  toujours  exceptionnelles  et  sont  plus  souvent  des 
preuves  de  l'incapacité  des  scribes  que  des  exemples  de  l'évolution 
delà  langue.  Citons  pour  en  finir  une  de  ces  formes  qui  montrent 
un  de  ces  e  avec  un  thème  vocalique  :  plaiera  de  plaire  qui  se  ren- 
contre dans  les  Rymer's  Foedera  (1375,  VII,  26).  Cet  exemple  et 
les  formes  analogues  qu'on  trouve  dans  les  recueils  les  plus  incorrects 
suffiraient  h  montrer  que  Ve  qui  avait  quelque  raison  d'être  comme 
e  svarabhaktique  a  entièrement  perdu  ce  caractère,  et  n'est  plus 
qu'un  e  muet  irrégulier  qui  s'introduit  entre  le  thème  et  la  désinence 
au  futur  et  au  conditionnel. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  du  futur  s'applique  aussi  bien  à 
d'autres  temps,  comme  l'infinitif  ou  certains  passés  définis  en  nvi  ; 
mais  pour  ces  deux  derniers  temps  le  nombre  d'exemples  est  trop 
restreint  pour  que  nous  puissions  tirer  des  conclusions  sûres.  Nous 
croyons  même  que  c'est  au  futur  et  au  conditionnel  qu'il  faut 
chercher  en  partie  la  raison  du  développement  de  cet  e  qui  se 
remarque  ailleurs  que  dans  le  verbe  et  que  ce  sont  aussi  ces  temps 


732  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

qui  nous  montrent  le  mieux  comment  cette  voyelle  a  perdu  sa 
nature.  Nulle  part  ailleurs  en  effet,  on  ne  peut  trouver  une  collec- 
tion Je  formes  analogues  susceptibles  de  le  prendre  et  assez  usitées 
pour  que  l'usure  des  formes  produise  les  changements  de  valeur  que 
nous  avons  signalés.  Nous  n'en  dirons  pas  davantage  sur  Ve  svara- 
bhaktique;  l'étude  des  textes  non  littéraires  n'a  pas  ici  grande 
importance  et  du  reste  elle  ne  peut  que  confirmer  les  conclusions 
auxquelles  l'étude  des  manuscrits  nous  avait  amenés. 

Nous  le  répétons,  cette  question  de  Ve  svarabhaktique  est  plus  du 
ressort  de  la  phonétique  que  de  la  morphologie,  quoique  la  plu- 
part des  auteurs  qui  ont  traité  cette  question  pour  le  futur,  en  par- 
ticulier pour  celui  du  verbe  avoir,  l'aient  rangé  parmi  les  phéno- 
mènes qui  affectent  le  verbe.  Nous  n'avons  pas  cru  devoir  la  laisser 
de  côté;  c'est  probablement  dans  le  verbe  qu'elle  a  eu  toute  son 
extension  ;  et  son  influence  a  été  telle  que  c'est  grâce  à  elle  que  le 
futur  du  verbe  en  anglo-français  a  pris  une  physionomie  toute  par- 
ticulière. 

Il  nous  reste,  maintenant  que  nous  avons  exposé  rapidement  les 
modifications  générales  que  le  verbe  a  subies  au  futur  et  au  condi- 
tionnel en  anglo-français,  à  parler  de  certains  futurs  particuliers 
dont  les  différentes  formes  ne  sont  pas  expliquées  par  les  considéra- 
tions précédentes  :  le  futur  du  verbe  être  et  celui  du  verbe 
faire . 

a)  Futur  du  verbe  être  ^ . 

On  trouve  pour  ce  verbe  deux  sortes  de  futur  : 

1°  Un  futur  qu'on  peut  appeler  étymologique  et  qui  remonte  au 
latin  ero,  is^  it,  imus,  itis,  unt. 

2°  Un  futur  analogique,  formé  comme  les  futurs  des  autres  verbes 
au  moyen  du  présent  de  l'infinitif  et  du  présent  de  l'indicatif  du 
verbe  avoir. 

Ce  dernier  futur  est  encore  double  pour  le  verbe  être  suivant  le 
radical  du  verbe  qui  est  employé,  l'un  étant  le  radical  de  l'infinitif  : 
eslr;  l'autre  un  radical  spécial  scr.  Nous  devons  donc  trouver  pour 
ce  verbe  trois  formes  du  futur.  Le  conditionnel,  évidemment,  ne 
connaît  que  les  deux  dernières. 

I.  Pour  le  futur  du  verbe  être,  on  peut  consulter  Romauia  VII,  p.  367  (Cornu); 
Zeitschrift  III,  p.   1 5 1  (Suchier). 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  733 

I.  Futur  étymologique. 

Les  formes  du  futur  étymologique  sont  employées  plus  ou  moins 
fréquemment  suivant  les  personnes  ;  nous  n'avons  par  exemple 
relevé  aucun  exemple  de  la  deuxième  personne  du  pluriel,  ce  qui 
du  reste  ne  veut  pas  dire  que  icrtes  ou  crtes  n'ait  jamais  été  employé  en 
anglo-français.  La  première  personne  du  pluriel  est  aussitrès  rare;  on 
trouve  cniics  au  vers  1919  de  Horn. 

La  première  et  la  seconde  personne  du  singulier  sont  les  plus 
communes,  surtout  au  xii^  siècle  ;  voici  quelques  exemples  de  la 
première  personne  :  iere  se  trouve  aux  vers  5387  de  l'Estorie  des 
Engleis  ;  ère  au  vers  1466  de  Thomas  et  au  vers  812  d'Edward  le 
Confesseur;  er  2iU  vers  8773  de  l'Ipomédon  ;  nous  devons  citer  les 
deux  formes  avec  gutturales  des  Quatre  Livres  des  Rois  que  nous 
avons  déjà  vues  :  ieir  (II,  6,  22),  crc  (I,  28,  17).  On  trouve  cette 
personne  sous  la  forme  iere  jusque  dans  le  ms.B  du  Vers  del  Juise 
(au  vers  408). 

Comme  exemples  de  la  seconde  personne  du  singulier,  nous  trou- 
vons iers  dans  les  Légendes  de  Marie  d'Adgar  (XIII,  98)  ;  dans  les 
Quatre  Livres  des  Rois  (I,  10,  6  ;  II,  5,2);  et  au  vers  830  d'Edward 
le  Confesseur. 

Nous  n'avons  relevé  aucun  exemple  de  ces  deux  personnes  dans 
les  ouvrages  postérieurs  à  Edward  le  Confesseur  ou  au  Vers  del 
Juise,  et  il  est  évident  que  l'emploi  de  ces  deux  formes  n'a  jamais  été 
très  étendu  et  qu'il  a  entièrement  cessé  assez  tôt. 

Il  n'en  est  pas  du  tout  de  même  pour  les  troisièmes  personnes  du 
singulier  et  du  pluriel;  (/)er/,  (^i)erenl  sont  les  seules  formes 
employées  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan,  et  elles  se  trouvent 
plus  ou  moins  fréquemment  dans  tous  les  autres  auteurs  du  xii*^ 
siècle  et  du  xiii^,  mais  elle  perd  du  terrain  à  mesure  que  la  forme 
analogique  sera  en  gagne. 

La  langue  politique,  diplomatique,  familière,  légale,  ne  connaît 
pas  ces  formes,  nous  n'en  avons  relevé  que  deux  exemples  :  ert  dans 
le  Liber  Albus  (1243.  118),  iert  dans  lesRymer'sFoedera  (1363,  VI, 

427)- 

Il  est  cependant  certain  qu'elles  ont  été  employées  jusque  dans  lu 

seconde  moitié  du  xiv"-'  siècle. 


734  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

2.  Futur  analogique  cstrai,  conditionnel  analogique  t'i/zr/V. 

La  forme  analogique  estrai,  esireie  est  rare  en  anglo-français  ;  on 
ne  la  trouve  que  dans  un  petit  nombre  d'ouvrages  du  xii'^  siècle.  L'au- 
teur du  Saint  Brandan  l'emploie  assez  fréquemment,  par  exemple  aux 
vers  425,  588,  1759;  c'estla  seule  qu'il  connaisse  pour  le  condition- 
nel (cf.  vers  615,  618,  859). 

On  la  rencontre  encore  une  fois  dans  le  Drame  d'Adam  :  estrat 
(au  vers  58),  et  deux  fois  dans  Horn  -.cstrc-  (au  vers  555),  estreit 
(au  vers  322,  C  et  O). 

Ce  sont  les  seuls  exemples  que  nous  ayons  relevés,  à  moins  qu'on 
n'y  joigne  encore eseriDit  dn  Psautier  d'Arundel  (18,  14),  contamina- 
tion entre  esterunt  et  serunt  ou  erreur  cléricale. 

Cette  forme  du  futur  semble  entièrement  absente  des  textes 
non  littéraires. 

}.  Forme  Analogique  sera ie,  sereie. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  laisse  déjà  supposer  ce  qu'il  nous 
reste  à  exposer  :  la  forme  moderne  est  en  anglo-français  de  beau- 
coup la  plus  employée.  On  ne  trouve  guère  qu'elle  à  quatre  per- 
sonnes sur  six  au  futur,  et  à  toutes  les  personnes  du  conditionnel; 
elle  se  rencontre,  comme  forme  unique  ou  ordinaire  de  ces  deux 
temps,  dans  tous  les  auteurs  anglo-français,  à  l'exception  d'un  poème 
du  commencement  du  xii^  siècle  :  le  Voyage  du  Saint  Brandan  .  La 
seule  question  qui  puisse  retenir  quelque  peu  notre  attention,  ce 
sont  les  progrès  que  la  forme  analogique  serai  a  faits  à  la  troisième 
personne  du  singulier  et  à  la  troisième  personne  du  pluriel  du 
futur. 

Nous  résumerons  en  quelques  lignes  les  principaux  points  de 
cette  question. 

Au  xii^  siècle,  la  forme  sera  se  trouve  déjà  assez  communément 
employée,  à  une  exception  près  :  dans  le  poème  du  Cumpoz  elle 
se  trouve  à  peu  près  aussi  souvent  que  la  forme  étymologique,  et 
dans  le  Bestiaire,  la  proportion  en  faveur  de  la  forme  qui  nous 
occupe  est  devenue  encore  unpeu  plusforte.  Les  Psautiers  nous  mon- 
trentque  .vc/vr  devient  de  plusenplusla  forme  ordinaire  du  futur  du 
verbe  être.  On  le  trouve  environ  sept  fois  contre  une  fois  iert  ;  et 
ce  rapport  se  maintient  à  peu  près  le  même  dans  le  Psautier  de  Cam- 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  735 

bridge.  Dans  la  Chronique  de  Fantosme,  la  Vie  de  Saint  Gilles  de 
Guillaume  de  Berneville,  la  Vie  de  Sainte  Catherine  de  Sœur  Clé- 
mence de  Barking,  la  forme  moderne  reste  toujours  plus  commune 
que  l'autre.  Il  nous  semble  peu  utile  de  poursuivre  auteur  par 
auteur  cette  étude  :  disons  que  la  forme  étymologique  subsiste 
toujours,  mais  qu'elle  reste  moins  employée  que  l'autre.  La  propor- 
tion entre  ces  deux  formes  varie  d'un  poème  à  l'autre  :  chaque 
auteur  suit  pour  l'emploi  de  ces  deux  formes  sa  fantaisie  ou  se 
laisse  imposer  l'une  ou  l'autre  de  ces  formes  par  les  nécessités  de  la 
versification.  Dans  Pierre  de  Langtoft  par  exemple  le  nombre  des 
deux  futurs  du  verbe  être  n'est  pas  extrêmement  différent  de  celui 
que  nous  avons  vu  pour  les  Psautiers  :  nous  trouvons  dans  la 
Chronique  de  cet  auteur  environ  neuf  5t'ra  contre  un  iert. 

Ceci  montre  que  les  deux  formes  ont  coexisté  pendant  toute 
la  période  qui  nous  a  occupés,  mais  que  le  nombre  des  formes 
étymologiques,  toujours  moindre  que  celui  de  sera,  a  varié  d'une 
façon  très  capricieuse. 

On  peut  dire  que  cette  dernière  forme  est  la  seule  que  con- 
naissent les  textes  non  littéraires  ;  les  quatre  ou  cinq  exemples  que 
nous  avons  relevés  de  l'autre  sont  négligeables.  Et  ceci  encore 
nous  est  une  nouvelle  preuve  que  iert,  au  moins  à  la  fin  du  xiii^ 
et  au  xiv^  siècle,  n'est  employé  que  lorsque  les  auteurs  ont  besoin 
pour  le  futur  du  verbe  être  d'une   forme  monosyllabique. 

b)  Futur  et  couditkmnel  de  faire. 

Le  futur  et  le  conditionnel  de  faire  présentent  régulièrement 
une  voyelle  muette  dans  la  syllabe  initiale  ;  les  formes  enfer  ne 
sont  ni  inconnues  ni  même  rares  en  anglo-français.  A  côté  de 
celle-ci  cependant,  on  trouve  aussi  une  autre  forme,  abrégée,  de 
laquelle  la  voyelle  du  thème  a  disparu,  en  fr.  Nous  nous  propo- 
sons d'étudier  maintenant  la  répartition  de  ces  deux  formes  aux 
diverses  époques  de  la  littérature  anglo-française. 

Nous  aurons,  à  dire  vrai,  les  plus  grandes  difficultés  à  arriver  à 
des  conclusions  un  peu  précises  :  les  mêmes  que  celles  que  nous 
avons  déjà  rencontrées  à  propos  de  Ve  svarabhaktique.  Car,  outre 
l'irrégularité  de  la  versification,  sur  laquelle  nous  ne  reviendrons 
pas,  il  faut  encore  tenir  compte  de  l'habitude  des  écrivains  anglo- 


736  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

français  de  compter  ou  de  ne  pas  compter  les  c  muets  dans  le  vers. 
Nous  aurons  constamment  h  nous  poser  les  questions  suivantes  : 
Fauteur  n'a-t-il  pas  foit  un  vers  faux  ?  Telle  forme  contracte,  est- 
elle  réellement  contracte,  ou  bien  l'auteur  traite-t-il  Ye  atone, 
comme  dans  tant  d'autres  endroits,  comme  une  syllabe  qu'on  pro- 
nonce ou  qu'on  ne  prononce  pas,  à  la  guise  de  chacun  ?  Cependant, 
dire  qu'une  syllabe  peut  ne  pas  se  compter  dans  un  vers,  n'est-ce 
pas  dire  qu'elle  est  réellement  muette  dans  la  prononciation  ordi- 
naire, en  d'autres  termes  que  la  forme  qui-  la  contient  est  une  forme 
contracte  ?  Il  semble  donc  légitime  de  conclure  que,  dans  tous  les 
cas  où  Yc  de  la  syllabe  initiale  de  faire,  au  futur  ou  au  condition- 
nel, semblera  ne  pas  compter  dans  la  mesure  du  vers,  ce  futur  sera 
un  futur  contracte,  et  que  ce  seront  surtout  les  cas  où  il  semblera 
compter  qui  devront  nous  être  suspects  ;  car  si,  pour  une  époque 
donnée,  nous  avons  des  preuves  que  cet  e  a  disparu  de  la  pronon- 
ciation dans  la  majorité  des  cas,  nous  serons  en  droit  de  consi- 
dérer les  formes  où  il  se  trouvera  un  c  atone  comme  une  preuve 
que  l'auteur,  pour  faire  son  vers,  a  dû  avoir  recours  à  une  forme 
peu  usuelle  et  archaïque.  Dans  ces  conditions,  cette  voyelle  n'aura 
plus  qu'une  valeur  de  fantaisie  ;  mais  il  nous  faudra  avant  tout 
montrer  que,  dans  le  plus  grand  nombre  de  cas,  à  cette  époque  1'^ 
atone  avait  disparu. 

Pendant  la  première  période  de  l'anglo-français  (jusqu'à  11 60), 
la  forme  pleine  se  trouve  seule  employée.  Dans  les  poèmes  de 
Philippe  de  Thaùn,  dans  le  Psautier  d'Oxford  nous  ne  rencon- 
trons aucun  exemple  de  la  forme  monosyllabique. 

Nous  pouvons  relever  deux  exceptions  cependant.  La  première, 
c'est  l'Estorie  des  Engleis.  Gaimar,  il  est  vrai,  emploie  le  plus  sou- 
vent la  forme  dissyllabique  et  les  exemples  absolument  sûrs  sont 
extrêmement  nombreux  (Voir  les  vers  276,  317,  339,  421,  1229, 
1886  et  passim).  Mais  il  y  a  quelques  cas  douteux  ;  citons  comme 
exemple  le  vers  3094  (R)  : 

Jameis  de  rien  ne  li  forf(e)runt. 

Mais  les  trois  autres  manuscrits  sont  d'accord  pour  montrer  qu'il 
flmt  supprimer  le  //  et  on  doit  lire  soit  :  «  ne  forferunt  »  avec  D  et 
L;  ou  avec  H  :  «  nel  forferunt  ».  Tous  les  autres  cas,  et  ils  sont  très 
peu  nombreux,  peuvent  de  la  même  façon  passer  pour  des  correc- 
tions du  scribe  du  ms.  R. 


FUTUR    ET    CONDITIONNEL  737 

La  seconde  exception  paraît  tout  d'abord  avoir  plus  d'impor- 
tance :  elle  est  constituée  par  le  poème  du  Voyage  de  Saint  Bran- 
dan.  L'auteur  de  ce  poème,  à  en  croire  l'édition  qu'en  a  donnée 
M.  Suchier,  n'emploierait  jamais  que  la  forme  monosyllabique 
(cf.  les  vers  367,  426,  551,  etc.)  ;  seuls  les  vers  43  et  920  pré- 
sentent la  forme  étymologique.  Cette  régularité  dans  l'emploi  de 
la  forme  courte  étonne  tout  d'abord  à  la  date  du  Saint  Brandan  ; 
mais  une  comparaison  même  rapide  avec  le  texte  du  manuscrit  de 
l'Arsenal  BLF  283  nous  montre  que  ces  différentes  formes  sont 
toutes  dues  au  scribe  du  manuscrit  de  Londres.  Elles  doivent  donc 
prendre  place  vers  11 67,  ce  qui  nous  paraît  beaucoup  plus  vrai- 
semblable. 

Car  après  11 60,  le  nombre  de  formes  courtes  augmente  brusque- 
ment ;  cependant  aucun  auteur  de  cette  époque  ne  nous  montre 
un  aussi  grand  nombre  de  cas  que  le  manuscrit  de  Londres  du 
Saint  Brandan,  ce  qui,  encore  une  fois,  nous  montre  combien  la 
langue  des  scribes  est  en  avance  sur  celle  des  auteurs.  Par  exemple 
le  Psautier  de  Cambridge  nous  donne  fras  (87,  10)  et  le  manuscrit 
B  du  même  Psautier  en  off"re  un  nouveau  cas  (28,8).  Dans  le 
Drame  d'Adam,  nous  en  relevons  encore  quelques  exemples  assu- 
rés par  la  mesure  du  vers  (cf.  les  vers  448  et  692)  alors  que  les 
formes  normales  sont  au  nombre  de  trente  environ. 

Le  nombre  de  ces  formes  est  donc  encore  assez  petit.-  Seul  le 
scribe  du  Saint  Brandan  nous  les  montre  presque  exclusivement. 
Mais  il  n'est  qu'une  exception  et  nous  pouvons  conclure  que,  entre 
II 60  et  II 70,  les  formes  abrégées  ne  sont  pas  inconnues;  elles 
commencent  à  s'introduire  dans  les  œuvres  littéraires,  mais  elles 
sont  regardées  le  plus  souvent  comme  des  formes  négligées  dont 
tous  les  auteurs  un  peu  soigneux  se  gardent  aussi  bien  que  pos- 
sible. 

Cette  conclusion  est  confirmée  par  l'étude  du  futur  de  faire  dans 
les  deux  auteurs  suivants  :  Adgar  et  Jordan  Fantosme.  Chez  eux, 
les  formes  contractes  deviennent  tout  à  coup  plus  communes  que 
les  formes  pleines.  Nous  avons  établi  dans  plusieurs  morceaux 
d' Adgar  le  rapport  du  nombre  des  formes  pleines  à  celui  des 
formes  abrégées  :  nous  avons  trouvé  un  rapport  À  peu  près  cons- 
tant et  égal  tantôt  à  5/7,  tantôt  à  13/18  ;  le  rapport  dans  Jordan 
Fantosme  est   égal    à   67/100,  ce    qui   est  un    peu    inférieur  aux 

47 


738  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

nombres  que  nous  venons  de  citer  pour  Adgar  (cf.  pour  Fan- 
tosme,  formes  pleines,  vers  330,  336,  347,  595,  869,  1302,  1417; 
formes  abrégées,  vers  188,  348^  808,  1453,  1454,  1489,  1576, 
1817,  1912,  1939,  2019  ;  douteux,  vers  1222). 

Il  en  va  exactement  de  même  pour  Thomas  qui  emploie  deux 
fois  plus  de  formes  contractes  que  de  formes  pleines,  soit  50/100  ; 
ce  qui  est  encore  inférieur  à  Fantosme. 

Par  contre^  on  trouve  encore  à  peu  près  à  la  même  époque,  ou 
même  plus  tard,  des  auteurs  qui,  comme  ceux  du  Saint  Gilles  et 
de  Horn,  préfèrent  la  forme  étymologique.  Dans  Horn,  les  deux 
formes  sont  en  nombre  sensiblement  égal,  dans  le  Saint  Gilles  on 
trouve  II  formes  pleines  contre  8  formes  abrégées,  soit  137/100. 

Nous  n'avons  plus  après  cette  date  cherché  les  proportions 
exactes  entre  les  nombres  de  ces  deux  formes  dans  les  différents 
auteurs.  Nous  avons  pu,  à  toutes  les  époques,  constater  que  chaque 
écrivain  emploie  pour  ainsi  dire  indistinctement  l'une  ou  l'autre 
de  ces  formes  ;  quelques-uns,  et  ils  sont  assez  rares,  comme  l'au- 
teur du  Saint  Edmund,  ne  veulent  pas  employer  la  forme  abrégée, 
qu'ils  considèrent  comme  moins  correcte  ;  d'autres,  et  ils  sont  plus 
nombreux,  n'emploient  presque  pas  celle-là,  comme  l'auteur  du 
Saint  Auban  (27/100)  ou  celui  de  Dermod  (29/100).  Au 
xiv^  siècle,  la  même  chose  arrive,  quoique  nous  ne  trouvions  plus 
d'auteur  qui  emploie  exclusivement  le  futur  qui  conserve  la 
voyelle  thématique  ;  dans  Pierre  de  Langtoft,  les  deux  futurs  sont 
en  nombre  à  peu  près  égal  ;  dans  Nicole  Bozon,  /;-  semble  avoir 
complètement  chassé  fer  ;  par  contre  le  Prince  Noir  n'a  aucun  cas 
assuré  de  la  forme  abrégée  ;  on  peut  la  soupçonner  dans  trois  vers 
(contre  vingt  îois  fer  '). 

La  question  est  infiniment  plus  simple  dans  les  textes  non  lit- 
téraires ;  la  forme  avec  e  est  la  plus  employée  et  la  proportion  dans 
n'importe  quel  recueil  est  grandement  en  sa  faveur.  Nous  avons 
cependant  tort  de  parler  de  la  forme  avec  e  ;  il  n'y  en  a  pas  qu'une, 
il  y  en  a,  comme  nous  l'avons  du  reste  dit,  deux  :  fera  tx.  ferra.  La 
première  est  la  plus  répandue  et  se  trouve  partout  ;  la  seconde  est 


I.  Vers    795  :         Ne  le  f(e)rons  pas  en  nostre  vie  ;  (lire  nel  ?) 

2680:         Les  f(e)roient  mûrir  a  hountage  ;  (fe-roint  on  troi-ent?) 
Î5s6  :         Pur  quoy  f(e)roie  je  un  parlement. 


FUTUF    HT   CONDITIONNEL  739 

limitée  à  un  certain  nombre  de  textes  comme  les  Statutes  et  les 
Parliamentary  Writs  ;  d'autres  ne  la  connaissent  pas. 

La  forme  abrégée  dans  n'importe  quel  recueil  est  probablement 
moins  commune  encore  que  la  seconde  des  deux  formes  ci-dessus  ; 
pour  ne  prendre  que  le  recueil  le  plus  correct,  les  Statutes  pré- 
sentent en  tout  9  cas  de  cette  forme  abrégée,  les  futurs  de  ce 
verbe  devant  probablement  se  compter  par  centaines.  Nous  ne 
pensons  pas  que  dans  les  Rymer's  Foedera  la  proportion  soit  sen- 
siblement supérieure  à  celle  que  nous  venons  d'indiquer.  Dans  les 
Year  Books,  les  formes  sont  certainement  plus  mélangées  et  il  est 
difficile  de  dire  quelles  sont  les  habitudes  de  ceux  qui  les  ont  écrits 
ou  copiés  ;  il  nous  semble  bien  cependant  que  la  forme  qui  con- 
serve la  voyelle  du  thème  reste  toujours  la  forme  habituelle  (cf.  Y). 

Nous  devons  cependant  signaler  une  exception  qui  ne  manque 
pas  d'importance  :  le  recueil  des  Literae  Cantuarienses  qui  nous 
représente  la  langue  familière.  Dans  ces  Lettres,  on  ne  saurait  dou- 
ter que  ce  soit  la  forme  abrégée  qui  est  la  forme  habituelle.  Et  sur 
ce  point  la  langue  familière  est  plus  voisine  de  la  langue  littéraire 
(cf.  les  œuvres  de  Nicole  Bozon)  que  de  la  langue  politique.  On 
pourrait  ajouter  que  quelques  chroniques  monastiques,  comme  les 
Annales  des  Monastères  de  Burton  et  de  Saint-AIban,  nous 
montrent  aussi  un  très  grand  nombre  de  formes  abrégées. 

Voici  donc  les  seuls  points  absolument  certains  auxquels  nous 
conduise  l'étude  qui  précède  : 

1 .  Jusqu'à  1 1 60,  nous  ne  rencontrons  aucun  cas  assuré  de  la 
chute  de  la  voyelle  du  thème  dans  les  futurs  et  conditionnels  de 
faire. 

2.  Les  formes /r  apparaissent  immédiatement  après  cette  date. 

3.  Elles  restent  d'abord  exceptionnelles  et  sont  probablement 
considérées  par  les  auteurs  comme  des  formes  négligées.  Les 
scribes  cependant  les  emploient  sans  scrupules,  même  avant  la  fin 
du  xu^  siècle. 

4.  Au  XIII'',  les  deux  formes  sont  employées  concurremment  ;  on 
ne  peut  pas  dire  que  l'une  déplace  l'autre. 

5 .  Il  en  va  de  même  au  xiv^  ;  quelques  auteurs  cependant  n'em- 
ploient guère  que  les  formes  abrégées  (dans  la  littérature  et  dans 
les  œuvres  familières). 

6.  La  forme  abrégée  est  rare  dans  les  œuvres  politiques  et  diplo- 
matiques. 


740  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-1-RANÇAIS 

Le  thème  an  jutur. 

Les  moditîcations  que  le  thème  subit  au  futur  (sans  distinction 
de  conjugaison)  sont  surtout  d'ordre  phonique  et  nous  n'en  dirons 
par  conséquent  que  quelques  mots.  Quelques-unes  sont  absolument 
normales  en  anglo-français,  comme  l'hésitation  entre  o  et  ti,  comme 
dorrai,  durrai,  niostrerai,  illustrerai,  niorrai,  miirrai  ;  la  graphie 
montrant  u  est  de  beaucoup  la  plus  commune  après  1150. 

D'autres  thèmes  montrent  des  variations  analogues  ;  nous 
remarquons  par  exemple  une  hésitation  entre  trarrai  et  trerrai, 
entre  plarrai  et  plerrai  ;  même  pour  ce  dernier  verbe,  la  diphtongue 
aie  se  rencontre  ;  plaierai  se  lit  dans  les  Rymer's  Foedera  1375,  VII, 
26. 

La  disparition  de  la  nasalisation  est  un  phénomène  aussi  régu- 
lier ;  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  citer  des  exemples  de  durrai 
et  inerrai  pour  donrai,  menrai  ;  ajoutons-y  maintenant  illustrerai, 
quoique  l'infinitif  lui-même  et  les  autres  différents  temps  nous 
donnent  de  nombreux  exemples  du  radical  miistr. 

Les  changements  anormaux  ne  sont  pas  rares  ;  nous  trouvons 
que  le  radical  du  futur  a  une  autre  forme  que  celui  de  l'infinitif, 
sans  qu'il  soit  toujours  possible  d'en  découvrir  la  raison.  C'est  ainsi 
que  Frère  Angier  écrit  dans  la  Vie  de  Saint  Grégoire  derrei  (au 
vers  2455)  et  dierrei  (au  vers  1867)  pour  dirai  ;  Jean  de  Peckham 
emploie  faroiii  (1287,439)  comme  futur  de  faire.  Dans  d'autres 
cas,  nous  trouvons  un  allongement  du  radical,  dans  poora  qui  se 
trouve  dans  le  Blacke  Booke  of  the  Admiralty  (1291,30),  dans 
seira  (de  seoir)  dans  le  Registrum  Malmesburiense  (1275,  I,  209). 
Plus  rarement  le  radical  s'abrège  ;  ainsi  arai  d'avoir  est  une  forme 
rare  en  anglo-français,  mais  qu'on  trouve  dans  le  Vers  del  Juise 
(ms.  B,  vers  22  et  passiiii). 

Enfin  il  est  assez  commun  à  certaine  époque  de  trouver  au  futur 
des  verbes  de  III  la  diphtongue  ei,  oi  de  l'infinitif;  la  langue  litté- 
raire semble  avoir  évité  ces  formes  assez  soigneusement;  elles  sont 
relativement  communes  en  dehors  de  la  littérature.  On  trouve 
voira  dans  les  Literae  Cantuarienses  (1253,795),  avoira  dans  les 
Annales  Londonienses  (1308,  153)  ;  aïoireit  assez  fréquemment 
dans  les    Year    Books  (cf.  11   et    12  Edw.  III,  147).  L'intérêt    de 


FUTUR    ET   CONDITIONNEL  74Ï 

ces  formes,  c'est  qu'elles  n'ont  été  possibles  que  du  jour  où  l'infi- 
nitif étymologique  en  oir  a  définitivement  déplacé  l'infinitif  à  ter- 
minaison en  er;  il  semble  que  ceux  qui  ont  employé  les  dernières 
formes  que  nous  avons  citées  se  sont  tenu  le  raisonnement  suivant  : 
si  on  doit  dire  avoir  et  non  aver,  veoir  et  non  veer,  de  même  on 
devra  employer  aval ra,  veoira  au  lieu  de  avéra,  veera. 


SECONDE    PARTIE 


SECONDE  PARTIE 


Nous  avons,  dans  noire  première  partie,  tenté  de  suivre  dans  ses 
détails  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français  ;  nous  nous  sommes 
abstenu,  autant  que  cela  nous  a  été  possible,  de  rechercher  l'ori- 
gine des  différentes  formes  que  nous  rencontrions,  surtout  lorsque 
cette  origine  pouvait  être  matière  à  discussion.  Nous  nous  sommes 
borné  à  exposer  sans  vouloir  expliquer. 

Ce  qui  nous  reste  à  faire  maintenant  c'est  de  rechercher  les 
causes  générales  des  phénomènes  qui  ont  changé  si  profondément 
la  conjugaison  du  verbe  en  anglo-français  ;  l'exposé  rapide  que 
nous  avons  fait  des  principales  formes  qu'il  peut  prendre  montre 
que  ces  causes  n'ont  pas  été  extrêmement  nombreuses  ;  les  mêmes 
phénomènes  se  produisent  sur  différents  points  de  la  conjugaison  : 
un  e  muet  étymologique  tombe  fréquemment  à  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  du  présent  de  l'indicatif,  à  la  deuxième  de  l'im- 
pératif, au  futur  ;  un  c  muet  parasite  se  montre  à  la  première  per- 
sonne du  singulier  du  présent  de  l'indicatif,  à  la  troisième  personne 
du  singulier  du  même  temps,  au  futur.  Tous  ces  phénomènes 
ont-ils  la  même  cause  ?  Dans  quelles  conditions  se  sont-ils  produits 
ou  plutôt,  se  sont-ils  produits  dans  les  mêmes  conditions  pour  cha- 
cun des  cas  que  nous  avons  relevés  ? 

Comme  on  le  voit,  nous  allons  avoir  à  répéter  daits  une  certaine 
mesure  ce  que  nous  avons  dit  dans  notre  première  partie,  au 
moins  à  revenir,  en  tâchant  de  les  grouper  et  de  les  expliquer,  sur 
les  exemples  que  nous  avons  donnés.  Nous  ferons  notre  possible 
pour  éviter  les  redites,  et  pour  les  citations  nous  renverrons  à  notre 
première  partie. 


74<5  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

On  nous  reprochera  peut-être  de  n'avoir  pas  opéré  ce  groupe- 
ment déjà  dans  notre  première  partie  et  d'avoir  suivi  sans  beau- 
coup de  raison  la  division  habituelle  :  désinences  personnelles, 
modes,  temps. 

Mais  il  nous  a  semblé  que  si  nous  avions  alors  rassemblé  les 
formes  qui  ont  été  le  sujet  de  changements  analogues,  nous  n'au- 
rions pas  évité  de  graves  défauts  :  d'abord,  une  telle  étude  aurait 
donné  l'impression  d'un  désordre  absolu  ;  nous  aurions  été  en  effet 
obligé  de  réunir  des  formes  absolument  hétéroclites,  comme  on  le 
constatera  par  la  suite  ;  ensuite  toute  impression  d'ensemble  aurait 
disparu,  une  même  forme  pouvant  à  la  même  époque  recevoir 
deux  ou  plusieurs  traitements  absolument  différents.  Surtout,  un 
tel  ordre,  plus  logique  que  celui  que  nous  avons  adopté,  n'aurait  pas 
rendu  compte  de  l'évolution  des  différentes  formes  ;  et  c'est  sur- 
tout cela  que  nous  avons  voulu  éviter. 

Pour  ces  différentes  raisons,  nous  avons  réservé  pour  notre 
seconde  partie  ce  traitement  purement  logique  qui  rassemble  les 
formes  provenant  du  jeu  des  mêmes  causes. 

Nous  allons  voir  que  ces  causes  peuvent  se  ranger  en  trois 
grandes  classes  :  évolution  phonique  ;  influence  d'un  temps  sur  un 
autre,  d'un  mode  sur  un  autre  ;  influence  exercée  par  d'autres  dia- 
lectes. On  considère  généralement  que  c'est,  de  ces  trois  classes,  la 
seconde  qui  a  exercé  l'action  la  plus  importante  :  qu'un  travail 
remarquable  d'analogie  s'est  effectué  en  anglo-français.  Miss  M.K. 
Pope  considère  cette  action  de  l'analogie  comme  caractéristique 
de  la  conjugaison  anglo-française  ;  elle  écrit  dans  son  Introduction 
au  Poème  du  Prince  Noir  (page  xliv):  «  The  main  characteristic  of 
the  Anglo-Norman  conjugation  System  :  simplification  by  analogical 
formations.  »  Nous  n'avons  pas  le  dessein  de  nier  ou  de  diminuer 
indûment  l'importance  et  le  nombre  de  formations  analogiques  ; 
mais  nous  allons  tenter  de  montrer  que  les  changements  purement 
phoniques  ont  eu  dans  les  modifications  que  le  verbe  a  subies  une 
part  beaucoup  plus  considérable  même  que  l'analogie.  Il  y  a  un 
grand  nombre  de  cas  où  il  est  difficile,  quelquefois  impossible,  de 
décider  si  telle  forme  du  verbe  est  due  à  l'analogie  ou  à  un  proces- 
sus phonique  régulier.  Notre  principe,  et  il  nous  semble  être  la 
condition  de  toute  étude  scientifique,  est  que  l'on  ne  doit  faire 
intervenir  l'analogie  que  lorsque  toute  autre  explication  est  impos- 


SECONDE   PARTIE  747 

sible  ;  si,  pour  une  forme  donnée,  on  peut  montrer  que  l'action 
normale  des  lois  phoniques  a  pu  produire  les  modifications  qu'on 
y  étudie,  on  devra  s'en  tenir  à  cette  explication.  L'analogie  pourra 
faire  comprendre  l'extension  plus  ou  moins  grande  du  phéno- 
mène, mais  elle  n'en  sera  pas  l'origine.  Il  nous  semble  trop  facile 
de  chercher  dans  la  conjugaison  des  formes  analogues  à  celles 
qu'on  doit  expliquer  et  d'admettre  que  celles-ci  proviennent  de 
celles-là. 


CHAPITRE     PREMIER 
LES  CHANGEMENTS  PHONIQUES  DANS  LE  VERBE 


Il  serait,  croyons-nous,  fort  possible  de  faire  une  histoire  assez 
complète  de  la  phonétique  anglo-française,  en  ne  prenant  ses 
exemples  que  dans  la  conjugaison.  Ce  n'est  évidemment  pas  notre 
objet.  On  comprendra  même  qu'un  petit  nombre  seulement  des 
changements  phoniques  qui  se  manifestent  dans  le  verbe  pourra 
arrêter  notre  attention.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les  formes  du 
verbe  qui  proviennent  évidemment  de  causes  générales. 

Nous  nous  retrouvons  encore  ici  en  présence  de  la  même  difficulté 
que  dans  la  première  partie  de  notre  travail. 

L'étude  des  changements  phoniques,  quels  qu'ils  soient,  que  nous 
rencontrons  dans  la  conjugaison  est-elle  de  la  compétence  d'un 
ouvrage  qui  traite  de  questions  de  morphologie  ?  Nous  avons  dû  à 
plusieurs  reprises  effleurer  cette  question  et  nous  allons  maintenant 
tâcher  d'y  donner  notre  réponse. 

Tout  d'abord,  il  est  impossible  de  faire  toujours  une  distinction 
absolument  nette  entre  la  phonétique  et  la  conjugaison  ;  un  très 
grand  nombre  de  phénomènes,  dont  cette  dernière  nous  offre  des 
exemples  et  qu'il  n'est  pas  possible  de  passer  sous  silence  quand  on 
fait  l'histoire  de  la  conjugaison,  ont  une  origine  purement  phonique. 
Que  dirait-on  d'un  traité  sur  le  verbe  anglo-français  qui  ne  men- 
tionnerait même  pas  le  passage  de  la  terminaison  de  l'infinitif 
ier  à  er  ou  de  ir  à  cr  ?  Ces  deux  phénomènes  sont  pourtant 
d'ordre  phonique.  De  l'autre  côté,  il  nous  est  impossible  de  refaire 
à  propos  du  verbe  toute  la  phonétique  de  l'anglo-français.  Il  nous 
faut  tracer  quelque  part  une  ligne  de  démarcation. 

Nous  pouvons  distinguer  en  trois  catégories  les  phénomènes  pho- 
niques que  le  verbe  peut  subir  : 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQ.UES    DANS    LE   VERBE  749 

1°  Changements  très  généraux  et  auxquels  le  verbe  est  soumis, 
comme  tous  les  autres  mots  :  vocalisation  de  17,  passage  de  «/  à  u, 
etc.  ;  nous  nous  sommes  contenté  de  mentionner  ces  changements 
sans  nous  y  arrêter . 

2°  Changements  qui  ont  pour  le  verbe  une  importance  qu'ils  ne 
peuvent  avoir  pour  les  autres  classes  de  mots  :  t  svarabhaktique  ou 
épenthétique,  par  exemple,  ou  passage  de  ie  à  e. 

Nous  ne  nous  sommes  fait  aucun  scrupule  de  nous  arrêter  assez 
longtemps  sur  ces  phénomènes. 

3°  Enfin,  phénomènes  dont  le  caractère  phonique  n'est  pas  aussi 
évident,  et  pour  lesquels  l'analogie  a  pu  intervenir  dans  une  certaine 
mesure.  Dans  les  pages  qui  suivent,  nous  insisterons  surtout  sur 
les  phénomènes  de  cette  nature. 

Nous  commencerons  par  dire  quelques  mots  aussi  brefs  que  pos- 
sible de  la  première  de  ces  catégories,  puis  nous  passerons  à  la 
seconde  et  à  la  troisième. 

PREMIÈRE    CATÉGORIE 
A.    \'0YELLES    ET    DIPHTONGUES. 

Les  données  de  la  phonétique  générale  expliquent  un  très  grand 
nombre  de  formes  du  verbe  ;  nous  allons  les  passer  très  rapidement 
en  revue. 

/.  —  h  pour  /,  qui  n'est  pas  rare  en  français  au  xiii"  siècle,  se 
trouve  à  peu  près  à  la  même  époque  en  anglo -français;  c'est  à  ce 
changement  qu'il  faut  attribuer,  parmi  les  formes  toniques  :  skuierent 
dans  le  Saint  Gilles,  eschaniicrerit  eirierent  dans  Foulques  Fitz  Warin,. 
viercnt  dans  Nicole  Bozon.  A  l'initiale,  nous  avons  cité  dans  Frère 
Angier  dicrrei  pour  dirai.  D'une  façon  générale,  de  telles  formes  sont 
rares  en  anglo-français. 

E  fermé.  —  Comme  le  fait  remarquer  M.  Suchier  (Voyelles 
toniques,  page  42,  §  17  <i),  l'anglo-français  connaît  ie  pour  t'  fermé 
(piere,  friere)  ;  le  verbe  nous  donne  un  certain  nombre  d'exemples  de 
ce  phénomène,  quelques-uns  remontent  à  une  date  très  ancienne.  On 
trouve  siet,  pour  set,  dans  le  Psautier  d'Oxford,  dans  Gaimar,  dans 
Thomas  ;  on  a  piert  (pareir)  dans  le  Cumpoz  ;  clnct  dans  William  de 
Waddinçton. 


750  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

La  graphie  qui  montre  eo  est  particulière  à  l'anglo-français  et 
remonte  à  la  seconde  moitié  du  xii^  siècle  (fèorin,  dans  le  Psautier 
de  Cambridge);  c'est  surtout  dans  le  verbe  que  cette  graphie  se 
montre:  citons  cbeot  qu'on  rencontre  dans  le  Saint  Brandan,  scot  et 
meot  qu'on  lit  dans  les  Contes  de  Bozon. 

A.  —  A  n'a  pas  subi  de  changements  aussi  radicaux  et  les  graphies 
sous  lesquelles  il  se  présente  dans  la  conjugaison  du  verbe,  quoique 
assez  nombreuses,  ne  s'écartent  pas  beaucoup  de  la  fo-rme  originale. 
En  sjdlabe  libre  a  est  écrit  ae  dans  deux  exemples  du  Psautier 
de  Cambridge;  aa  est  à  la  fois  plus  commun  et  plus  tardif:  aa  (=-- 
habet)  est  fréquent;  et  la  troisième  personne  du  singulier  des  pré- 
térits en  avi  présente  plusieurs  fois  cette  graphie  à  la  fin  du  xiV^  siècle. 
Ea  pour  ces  mêmes  personnes  est  peut-être  un  peu  plus  ancien,  on 
en  a  quelques  exemples  dans  Foulques  Fitz  Warin,  dans  Nicole 
Bozon,  dans  Nicolas  Trivet.  (Voir  aussi  Diphtongue  ai.) 

Au  plus  tard  vers  le  commencement  du  xiii^  siècle,  nous  rencon- 
trons ai  pour  a  :  vai  se  lit  dans  le  ms.  A  de  l'Alexis,  ai  (=  habet) 
dans  le  ms.  B  de  Horn  (au  vers  3848),  et  dans  le  ms.  O  du  même 
poème  (au  vers  5066),  lerrai  dans  Boeve,  vodrai  dans  l'Ipomédon, 
donay  dans  Pierre  de  Langtoft.  Mais  toutes  ces  formes,  sauf  la 
première,  nous  semblent  des  formes  analogiques  dont  nous  repar- 
lerons. 

Entravé,  a  est  souvent  écrit  par  au  :  les  premiers  exemples  que 
nous  trouvions  de  cette  graphie  se  rencontrent  dans  Robert  de 
Gretham  :  portaustes,  reneiaustes.  Cette  diphtongue  est  employée  pour 
la  troisième  personne  du  singulier  des  imparfaits  du  subjonctif  de  I 
dans  William  de  Waddington  ;  pour  la  première  personne  du  pluriel 
des  prétérits  en  avi  dans  le  ms.  Bodley  425,  dans  Rymer  (1282); 
dans  les  Parliamentary  Writs  (1300)  ;  pour  la  deuxième  personne  du 
pluriel  du  même  temps,  les  exemples  sont  encore  plus  nombreux  ; 
outre  ceux  que  nous  avons  cités,  on  en  trouve  dans  la  Genèse, 
dans  William  de  Waddington,  etc.  Cette  graphie  nous  indique  que  a 
a  remonté  vers  0  ouvert.  (Cf.  a  nasal.) 

Tous  ces  changements,  comme  on  le  sait,  se  retrouvent  également 
pour  d'autres  catégories  de  mots  et  ne  sont  pas  spéciaux  au  verbe. 

U.  —  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  discuter  toutes  les  graphies 
que  u  a  prises  en  anglo-français  et  que  nous  retrouvons  toutes  dans 


LES    CHANGEMENTS    PHONiaUES    DANS    LE    VERBE  75 1 

le  verbe.  Le  nombre  des  graphies  de  ce  son  provient  de  la  difficulté 
que  les  Anglais  avaient  et  ont  à  le  prononcer.  Ce  sont  des  approxi- 
mations de  ce  son  qui  sont  figurées  de  plusieurs  manières  différentes. 
Il  nous  semble  très  difficile  de  donner  un  ordre  logique  à  toutes  les 
formes  que  nous  rencontrons,  surtout  au  participe  passé,  et  nous 
ferons  remarquer  qu'il  nous  est  impossible  d'arriver  à  quelque  chose 
de  satisfaisant  en  nous  appuyant  seulement  sur  une  série  de  formes; 
il  faudrait  ici  comparer  ce  qui  se  passe  dans  le  verbe  au  traite- 
ment des  autres  mots  en  ii  ;  mais  ceci  est  du  ressort  de  la  phoné- 
tique générale. 

W  se  trouve  très  tôt  au  lieu  de  u  :  parsew  se  lit  dans  le  Psautier 
de  Cambridge  ;  des  formes  analogues  se  rencontrent  aussi  dans 
Nicolas  Trivet;  dans  les  Statutes  (1275),  ^^"s  le  Liber  Rubeus  de 
Scaccario  (1275). 

tJ/est  fort  commun  ;  Angier  emploie  le  premier  à  la  rime  un  par- 
ticipe terminé  par  cette  diphtongue  ;  et  elle  est  fréquente  au 
xiv^  siècle. 

En  ne  remonte  certainement  pas  aussi  haut,  mais  est  aussi  employé 
que  la  graphie  précédente  ;  Bozon  en  a  quelque  cas  dans  ses  Contes  ; 
Jean  de  Peckham  (1284),  les  Statutes  (1285),  les  Actes  du  Parle- 
ment d'Ecosse  (1262),  les  Mem.  Pari.  1305  en,  fourniraient  une 
liste  fort  longue. 

Nous  ne  trouvons  ieu  que  plus  tard:  dans  Bozon,  Trivet,  Thomas 
Walsingham. 

Ou  et  0  sont  rares. 

Ue  est  plus  général  en|ce  sens  qu'on  le  trouve  ailleurs  qu'au  parti- 
cipe passé.  Angier  nous  en  donne  quelques  exemples  :  piiesse,  puessent 
pour  pusse,  pussent  ;  mais  nous  trouvons  cette  diphtongue  surtout 
au  participe  passé:  dans  les  Statutes  (1380),  dans  les  Mem.  Pari. 
([305),  dans  les  Rymer's  Foedera  (1361). 

Telles  sont  les  principales  formes  que  peut  prendre  u  dans  le  verbe 
anglo-français  ;  encore  une  fois,  nous  n'essaierons  pas  de  démêler  et 
d'expliquer  toutes  ces  graphies. 

Nous  classerons  encore  dans  cette  première  catégorie  toutes  les 
graphies  ou  formes  que  prennent  les  voyelles  nasales  dans  la  conju- 
gaison ;  ces  dernières  ne  présentent  rien  de  bien  spécial  et  une  phoné- 


752  L  EVOLUTION    DU   VERBE   EN    ANGLO-FRANÇAIS 

tique  complète  de  l'anglo-français,  s'il  en  existait  une,  nous  mon- 
trerait à  d'autres  parties  du  discours  les  changements  que  nous  allons 
énumérer  pour  le  verbe. 

An.  —  Nous  avons  vu  que  la  nasale  de  a  prend  fréquemment  la 
graphie  ami  entre  1268  et  1360  (cf.  aussi  a  ci-dessus,  page  750)  ;  la 
graphie  en  dont  nous  avons  cité  quelques  exemples  au  participe 
présent  est  fort  naturelle  et  se  rencontre  au  xiV^  siècle  dans  un  cer- 
tain nombre  de  cas  en  dehors  de  la  conjugaison  ;  on  pour  an  est 
rare. 

O  fermé  suivi  d'une  nasale  peut  prendre  un  plus  grand  nombre  de 
formes,  dont  quelques-unes  ne  manquent  pas  d'intérêt.  Nous  ne 
nous  arrêterons  pas  aux  formes  un,  on,  oun  (dernier  quart  du 
xiii^  siècle)  ;  omps  ne  se  trouve  à  notre  connaissance  qu'à  la  première 
personne  du  pluriel  (désinence  masculine).  Nous  citerons  encore 
quatre  formes  que  prend  cette  nasale,  elles  ne  sont  pas  propres  au 
verbe.  Oo  se  trouve  fréquemment  à  la  troisième  personne  du  pluriel 
(désinence  masculine)  comme  dans  foont  ;  plus  rarement  à  la  pre- 
mière personne  du  pluriel  (désinence  masculine)  ;  jamais  aux  pre- 
mières personnes  du  pluriel  à  désinence  féminine.  Nous  croyons 
qu'il  n'y  a  que  très  peu  d'exemples  de  cette  graphie  en  dehors  du 
.  verbe. 

Oe  est  assez  répandu,  et  se  trouve  surtout  aux  premières  personnes 
du  pluriel  féminines  et  aux  troisièmes  masculines  ;  il  correspond  évi- 
demment à  oe,  graphie  de  0  ouvert  ;  soevies  (Parliamentary  Writs, 
1315),  50^«/  (Statutes,  1285)  sont  des  formes  qui  se  rencontrent 
quelquefois,  surtout  en  dehors  des  textes  littéraires.  Nous  n'insis- 
terons pas  davantage  sur  eo  qui  a  la  même  origine  et  le  même 
emploi. 

Il  est  moins  évident  que  les  formes  qui  présentent  la  graphie  en 
proviennent  de  la  forme  correcte  ;  on  trouve  sentes  dans  Angier, 
poèmes  dans  les  Year  Books,  sen  {=  sont)  dans  le  ms.  d'Edward  le 
Confesseur.  M.  Stimming  ne  cite  qu'un  seul  exemple  de  Vo  fermé 
nasal  prenant  dans  une  syllabe  protonique  la  graphie  en  :  mais  nous 
croyons  que  l'anglo-français  n'a  pas,  entre  autres  choses,  su  main- 
tenir la  distinction  entre  les  différentes  voyelles  nasales. 

La  place  que  ces  quelques  formes  occupent  dans  la  conjugaison 
du  verbe  est  trop  petite   pour  que  nous  nous  arrêtions  à  discutei 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  753 

cette  question  générale.  Et  nous  conclurons  que,  ces  dernières  formes 
en  en  mises  à  part,  si  on  le  veut,  les  nasales  n'offrent  dans  la  conju- 
gaison rien  qui  les  distingue  des  voyelles  nasales  qui  se  rencontrent 
dans  les  autres  espèces  de  mots. 

Il  nous  reste,  toujours  dans  cette  première  catégorie  de  changements 
qui  n'ont  rien  dans  le  verbe  de  plus  remarquable  qu'ailleurs,  à  exa- 
miner certaines  des  modifications  que  subissent  quelques  diphtongues. 
Ici,  nous  ne  traiterons  qu'une  partie  de  la  question,  la  moins  impor- 
tante. 

le.  —  Comme  on  le  sait,  le  passage  de  ie  à  ^  a  été  la  cause  de 
changements  très  profonds  dans  la  conjugaison  du  verbe  ;  mais  ie 
passe  encore  à  /  (cf.  la  liste  de  ces  changements  donnés  par  Stim- 
ming  à  la  page  202  de  Boeve  de  Haumtone,  exemples  tirés  de  l'Es- 
torie  des  Engleis,  de  Horn,  des  Psautiers;  voir  aussi  Suchier,  Voyelles 
toniques,  p.  87)  et  ce  changement  nous  explique  les  participes  passés 
preysi,  trenchi  qui  se  trouvent  à  la  rime  dans  Boeve  ;  despoili  de  la 
Plainte  d'Amour,  etc. 

Le  passage  de  ic  à  ei  est  attesté  dans  les  premiers  textes  anglo- 
français  (Stimming,  ibid.)  et  de  là  proviennent  les  premières  personnes 
en  -eiines  qui  montrent  plus  tard  la  diphtongue  ai,  puis,  plus  rare- 
ment, oi. 

Ei.  —  Les  transformations  de  la  monodiphtongue  ei  ont  été  nom- 
breuses et  elles  expliquent  un  grand  nombre  de  formes  du  verbe;  le 
passage  de  ei  à  i  est  rare  en  dehors  de  la  conjugaison,  on  en  relève 
cependant  quelques  cas  :  fi:;^  (vicem)  dans  Ipomédon,  cité  par  Stim- 
ming, op.  cit.,  p.  200. 

Dans  le  verbe  toutefois  ce  piiénomène  est  assez  commun  et  il 
explique  les  nombreux  imparfiiits  et  conditionnels  en  /  que  nous  avons 
déjà  cités  et  sur  lesquels  nous  ne  reviendrons  pas.  Nous  ne  parlons 
ici  que  pour  mémoire  des  infinitifs  en  ^/r  qui  prennent  la  désinence 

Le  passage  de  cette  diphtongue  à  ie  est  moins  rare.  Suchier  en  cite 
plusieurs  exemples  tirés  du  Psautier  de  Cambridge,  des  Quatre  Livres 
des  Rois,  du  Tristan  de  Thomas.  C'est  ce  passage  qui  a  donné  à  un 
petit  nombre  d'imparfaits  les  formes  en  ie  que  nous  avons  énu- 
mérées. 

D'après    Suchier  (Voyelles   toniques,    p.  93),    la  diphtongue  oi 

48 


754  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-l-RANÇAlS 

provenant  de  ei  serait  «  sans  doute  une  importation  du  continent  »  ; 
nous  le  croyons  comme  lui  ;  la  forme  en  oi  est  restée  toujours 
assez  rare  en  anglo-français,  et  a  été  limitée  à  un  petit  nombre  de 
scribes  ou  d'auteurs.  Le  scribe  des  Légendes  de  Marie  l'emploie  au 
moins  une  fois  ;  celui  du  Tristan  au  moins  une  fois  aussi  ;  plusieurs 
exemples  se  rencontrent  dans  Chardri,  Angier  seul  l'emploie  couram- 
ment. Nous  reparlerons  donc  de  cette  diphtongue  au  troisième  cha- 
pitre de  cette  seconde  partie. 

La  diphtongue  ai  pour  ei  nous  a  donné  quelques  imparfaits  de 
l'indicatif  et  conditionnels  en  ^7/.  à  partir  du  Psautier  de  Cambridge 
et  quelques  cas  d'infinitifs  en  air,  manair  qu'on  lit  dans  Robert 
de  Gretham  et  peut-être  aussi  ceux  du  Fragment  T'  du  Tristan  de 
Thomas  ;  rappelons  encore  les  quelques  formes  de  saie  pour  seie 
qu'on  trouve  par  exemple  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Ecosse. 

Pour  e  provenant  de  ei,  voir  plus  bas. 

Ai.  —  La  diphtongue  ai,  en  prenant  en  anglo-français  tant  de 
formes  différentes,  a  causé  des  changements  considérables  dans  le 
verbe;  mais,  comme  on  va  le  voir,  tous  ces  changements  s'expliquent 
assez  aisément  et  ont  un  caractère  de  grande  généralité.  Le  nombre 
des  modifications  qu'elle  a  subies  s'expliquera  aisément  si  on  consi- 
dère que  très  tôt  ai  s'est  identifié  avec  a,  avec  ei  et  avec  e  ouvert. 
Nous  allons  donc  trouver,  surtout  dans  le  verbe,  trois  groupes  de 
formes  dérivées  :  le  premier  de  ai  en  tant  que  a,  le  second  de  ai 
comme  identique  à  ei:   le  troisième    de  ai   équivalant   à  e  ouvert. 

La  diphtongue  ai  passe  souvent  à  a  ;  les  exemples  sont  nombreux 
et  on  peut  dans  la  conjugaison  les  distinguer  en  deux  classes  :  Tune 
qui  comprend  surtout  des  thèmes  et  qui  nous  donne  des  exemples 
datant  de  la  seconde  moitié  du  xii'^  siècle  :  fare  dans  les  Quatre 
Livres  des  Ko\s  •,fates  dans  Saint  Auban,  sa  dans  l'Estorie  des  Engleis, 
trahent  dans  la  Destruction  de  Rome,  auiiis  dans  le  Saint  Julien, 
etc. 

La  seconde  classe  comprend  des  désinences  de  la  première  personne 
du  singulier  des  prétérits  en  avi  et  du  futur  :  cette  seconde  classe 
comprend  beaucoup  plus  d'exemples  que  la  première  ;  comme  nous 
l'avons  vu,  le  premier  exemple  se  rencontre  dans  le  Roland  d'Oxford  ; 
on  en  trouve  par  la  suite  un  grand  nombre  dans  Horn,  Boeve,  Ipo- 
médon.  Foulques  Fitz  Warin  et  aussi  en  dehors  de  la  littérature. 

On  peut  considérer  comme  une  graphie  de  Va    (cf.  plus  haut 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQ.UES    DANS    LE    VERBE  755 

iiiovca,  etc.,  p.  574)  les  formes  si  nombreuses  en  ea  qu'on  trouve  prin- 
cipalement pour  le  verbe  faire  et  le  verbe  plaire  :  le  premier  exemple 
de  fearc  que  nous  ayons  relevé  se  lit  dans  les  Parliamentary  Writs 
de  1297;  phase  ne  se  rencontre  que  plus  tard  et  principalement 
dans  les  Year  Books.  Au  participe  passé,  on  trouve  feat  dans  les 
Parliamentary  Writs  (1299),  et  partout  dans  les  Year  Books,  treat 
dans  le  Liber  Albus  (1345).  Eai,  comme  dans  fcail  (Documents 
Inédits),  est  plus  rare,  et  aei  ne  se  rencontre  guère  que  dans  Angier; 
il  en  va  de  même  de  ae  qu'on  trouve  dans  placsf,  tracst,  tacsl,  tous 
les  trois  dans  Angier. 

Ces  différents  changements  proviennent  tous  de  l'évolution  plus 
ou  moins  normale  de  la  diphtongue  ai  et  de  la  voyelle  a.  Nous 
passerons  maintenant  rapidement  sur  ceux  qui  sont  communs  à  cette 
diphtongue  avec  (7  et  e. 

Ai  s'assimile  de  très  bonne  heure  à  ci  (voir  plus  haut),  quoique 
certaines  formes  en  ai  à  l'origine  soient  très  peu  employées  avec  la 
diphtongue  ei.  Les  premières  personnes  du  prétérit  et  du  futur  en  ei 
sont  relativement  rares  ;  feintes  n''est  pas  très  commun  et  il  en  va  de 
même  pour  les  autres  formes  ;  feire  par  exemple  n'est  jamais  assuré, 
eifei  (fac)  n'apparaît  qu'une  seule  fois  (Saint  Laurent).  Néanmoins, 
comme  ci,  ai  donne  i  (par  exemple//^  dans  les  Annales  de  Burton) 
ou  ie  (comme  trieti,  Parliamentary  Writs  1299)  et  plus  rarement 
encore  oi  (prétérit  de  I  dans  Angier). 

Le  passage  de  ai  à  e  est  beaucoup  plus  fréquent  ;  les  exemples 
sont  très  communs  en  dehors  de  la  conjugaison  et  ce  changement 
nous  explique  les  (ormes  fcrc,  fel,  vet,  ve  (va).  C'est  de  cette  voyelle 
que  proviennent  les  graphies  suivantes  :  ee  (attreel^.  Liber  Albus  ; 
fect:{,  Statutes  1278);  c:(  (dans  les  premières  personnes  que  nous 
avons  rencontrées  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham). 

Comme  on  le  voit,  les  changements  sont  nombreux  et  ils  suf- 
fisent à  eux  seuls  à  expliquer  la  diversité  des  formes  que  les  temps 
et  les  verbes  qui  ont  à  l'origine  la  diphtongue  ai  ont  prises. 

On.  —  Nous  savons  que  l'anglo-français  qui  fait  passer  0  à  ou  pré- 
sente aussi  de  nombreux  exemples  du  phénomène  opposé.  On  donne 
quelquefois  0,  comme  le  montrent  Stimming  (Boeve  de  Haumtone, 
p.  189),  Suchier  (Voyelles  toniques,  p.  58,  §  20  b),  Busch 
(  P-  24)- 


756  l'évolution  du  verbe  en  anglo  français 

Cette  transformation  de  la  diphtongue  nous  explique  les  chan- 
gements qui  surviennent  à  l'imparfait  des  verbes  de  la  première 
conjugaison  dès  le  commencement  du  xii^  siècle  (Psautiers,  Gaimar, 
ms.  du  Bestiaire)  et  pour  les  troisièmes  personnes  des  prétérits  en 
///  de  la  première  classe.  En  même  temps,  le  nombre  assez  restreint 
d'exemples  que  la  plionétique  générale  nous  fournit  pour  ce  chan- 
gement de  la  diphtongue  nous  explique  pourquoi  les  formes  en  o 
pour  ces  deux  temps  ont  été,  somme  toute,  assez  peu  communes. 

Ue.  —  La  monodiphtongue  m  a  reçu  un  nombre  considérable  de 
graphies,  environ  une  dizaine,  comme  le  montrent  les  exemples  cités 
par  Suchier,  dans  ses  Voyelles  toniques,  page  j6,  §  28  c  (tio,  oe,  0, 
0,  eo,  0,  u,  i)  et  Stimming  à  la  page  208  (cf.  aussi  page  207)  de  son 
édition  de  Boeve  (jie,  u,  eo,  e,  on,  eu,  0/).  Toutes  ces  graphies  se 
retrouvent  dans  le  verbe  et  la  phonétique  générale  anglo-française 
suffit  pour  expliquer  les  tormes  si  nombreuses  et  à  première  vue  si 
différentes  que  nous  avons  citées  pour  le  présent  de  l'indicatif  des 
verbes  pouvoir,  estovoir,  vouloir  :  ptiet,  poct^  pot,  peot,  pont,  piiit, 
poit,  put,  pet,  poiet,  peut.  La  série  est  absolument  complète  et  il  n'y  a 
aucune  de  ces  formes  qui  ne  puisse  se  rapporter  à  l'un  ou  à  l'autre 
des  exemples  qui  sont  cités  dans  les  deux  ouvrages  que  nous  venons 
de  mentionner. 

Voilà  les  formes  que  nous  rencontrons  dans  ce  que  nous  appelions 
tout  à  l'heure  la  première  catégorie.  Nous  avons  passé  très  rapide- 
ment et  cependant  nous  avons  expliqué  un  nombre  assez  considé- 
rable de  formes  employées  dans  la  conjugaison.  Malgré  nous,  cette 
première  catégorie  a  peut-être  pris  ici  un  développement  trop  grand. 
Nous  ne  le  regrettons  cependant  pas  ;  les  quelques  pages  qui  pré- 
cèdent ont  au  moins  servi  à  montrer  que  le  développement  phonique 
normal  de  l'anglo-français  a  été  la  cause  d'une  très  grande  part  des 
changements  qui  ont  affecté  la  conjugaison  et  l'établissement  de  ce 
fait  nous  compense  bien  de  quelques  longueurs  et  valait  bien  la 
place  que  nous  lui  avons  donnée.  Ensuite  dans  les  formes  que  nous 
avons  ainsi  expliquées,  il  y  en  a  déjà  quelques-unes  qu'un  examen 
superficiel  aurait  pu  faire  considérer  comme  des  formes  analogiques 
{escharnicrcnt,  soent,  preysi,poul),  etc. 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  757 


SECONDE    ET   TROISIEME    CATEGORIES 

Nous  avons  plus  haut  expliqué  quels  phénomènes  phoniques  nous 
rangions  dans  deux  catégories  distinctes:  les  phénomènes  phoniques 
dont  l'importance  est  surtout  considérable  pour  le  verbe  ;  les  phéno- 
mènes dont  l'origine  phonique  n'est  pas  aussi  évidente.  Les  diffé- 
rentes questions  que  soulève  l'examen  de  ces  deux  catégories  sont 
de  la  plus  grande  importance  pour  l'histoire  de  la  conjugaison  en 
anglo-français.  L'ordre  dans  lequel  nous  les  annoncions  nous  semble 
l'ordre  logique,  mais  il  nous  sera  plus  facile  de  commencer  par  la 
troisième  catégorie. 

La  question  principale  que  nous  allons  par  conséquent  traiter 
tout  d'abord,  c'est  la  confusion  dans  certaines  conditions  et  jusqu'à 
un  certain  point  des  trois  sons  :  e,  i,  et  ;  et  elle  suppose  plusieurs 
faits  : 

1°  Confusion  de  e  et  de  /  devant  r. 

2°  Confusion  de  e  et  de  /  dans  une  autre  position. 

3°  Confusion  de  e  avec  et. 

4'^  Confusion  de  /  avec  et. 

Nous  nous  rendons  compte  que  pour  traiter  ces  quatre  points, 
nous  aurons  à  revenir  sur  des  questions  que  nous  avons  déjà  traitées  ; 
mais  cette  distinction  nous  a  semblé  l'unique  moyen  de  mettre  en 
évidence  quelques  faits  de  la  plus  grande  importance  pour  l'anglo- 
français. 

Il  faut  aussi  comprendre  que  quand  nous  parlons  de  confusion, 
nous  ne  voulons  pas  dire  que  les  sons  qui  se  sont  confondus  ont 
été  pris  d'une  façon  absolue  et  sans  exception  les  uns  pour  les 
autres.  Cela  reviendrait  à  dire  que  ces  trois  sons  se  sont  réduits  à 
un  seul,  ce  qui  est  fort  loin  de  notre  pensée.  Ce  qui,  à  notre  avis, 
est  arrivé,  c'est  que  ces  trois  sons  ont  varié  tellement  qu'ils  ont  pris 
à  Toccasion  des  valeurs  analogues  qui  ont  le  plus  souvent  été  tra- 
duites par  des  graphies  plus  ou  moins  exactes.  Il  n'y  a  pas  eu  confu- 
sion dans  le  sens  où  l'on  peut  dire  que  la  diphtongue  ai  s'est  con- 
fondue avec  ei\  il  y  a  eu  plutôt  des  points  de  contact  entre  ces  diffé- 
rents sons  et  la.  voyelle  e  fermé  a  été  le  son  intermédiaire  où  les 
deux  autres  se  sont  rencontrés. 


7)8  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 


A.  Voyelles  et  diphtongues. 


Confusion   de  e,  i,  ei. 

I.  Confusion  de  e  et  de  /  devant  r  (infinitif  et  troisième  per- 
sonne du  pluriel  du  prétérit).  LV  fermé  long  tonique  passe  très  tôt, 
semble-t-il,  et  assez  fréquemment  à  /  devant  la  consonne  r  ;  le 
scribe  du  manuscrit  de  Londres  du  Voyage  de  Saint  Brandan  (1167) 
nous  en  donne  un  premier  exemple  :  esperir,  pour  l'infinitif  et 
alirent  pour  le  prétérit.  Ces  deux  exemples  semblent  toutefois  isolés 
au  xii^  siècle,  et  ce  n'est  que  pendant  le  siècle  suivant  que  nous 
rencontrons  des  cas  vraiment  nombreux  et  assurés  du  passage  de  la 
désinence  er  à  //' ;  ils  montrent  néanmoins  que  vers  11 67,  l'anglo- 
français  tendait  à  faire  remonter  Vc  fermé  vers  /,  ou  à  faire  des- 
cendre /  vers  Ve  fermé.  Nous  avons  cité  pour  l'infinitif  les  exemples 
nombreux  que  nous  fournissent  au  siècle  suivant  les  rimes  du  Roman 
des  Romans,  du  Manuel  des  Péchés,  des  Distiques  anonymes.  A 
la  même  époque,  les  troisièmes  personnes  du  prétérit  de  I  ne  sont 
pas  rares  avec  la  terminaison  irent  (voir  par  exemple  Dermod, 
la  Genèse,  etc.).  Il  en  va  de  même  au  siècle  suivant.  En  dehors  de 
la  httérature,  des  formes  analogues  sont  à  peine  moins  communes, 
sauf  pour  certains  verbes,  ce  qui  nous  ferait  croire  que  c'est  sur- 
tout l'analogie  s'ajoutant  à  l'action  phonique  qui  amène  à  cette 
époque  les  verbes  de  I  à  la  forme  de  l'infinitif  de  II.  Les  prétérits 
sont  peu  nombreux,  et  croyons-nous,  confinés  aux  textes  litté- 
raires. 

Il  en  est  tout  autrement  pour  le  phénomène  contraire;  le  premier 
exemple  que  nous  relevions  du  passage  de  /  à  ^  dans  le  verbe  se 
trouve  encore  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  et  doit  être  attribué 
au  scribe  ;  cependant  Guischart  de  Beauliu  nous  fournit  pour  l'in- 
finitif une  rime  qui  nous  permet  de  placer  ce  passage  à  la  fin  du 
xii^  siècle,  à  peu  de  distance  par  conséquent  du  phénomène  précé- 
dent. Les  formes  correspondantes  sont  encore  mieux  assurées  pour 
le   prétérit,  troisième  personne   du  pluriel,   car   on  en  trouve  des 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  759 

exemples,  non  seulement  dans  Saint  Brandan,  mais  dans  le  Psautier 
d'Arundel  et  dans  le  Saint  Gilles. 

Pendant  tout  le  xni^  siècle,  ces  formes  abondent  ;  les  rimes  que 
nous  avons  citées  se  rencontrent  dans  un  très  grand  nombre  d'au- 
teurs :  Robert  de  Gretham,  Boeve  de  Haumtone,  la  Genèse,  le 
Roman  des  Romans,  William  de  Waddington  et  beaucoup 
d'autres.  Nous  avons  même  vu  qu'au  xiV'  siècle,  le  nombre  d'infi- 
nitifs en  ir  et  de  prétérits  en  irent  a  diminué  au  point  de  disparaître. 
Et  il  en  va  de  même  pour  les  ouvrages  qui  n'appartiennent  pas  à  la 
littérature. 

Mais  nous  devons  remarquer  ici  ce  que  nous  appelions  dans  notre 
première  partie  les  rimes  douteuses  et  qui  sont  pour  nous  les 
rimes  significatives.  Ce  sont  celles  qui  accouplent  une  forme  en  er 
avec  une  forme  en  ir.  Celles  que  nous  avons  tout  d'abord  rencon- 
trées chez  les  scribes  du  xni^  siècle  ont  pu  nous  sembler  à 
première  vue  le  résultat  d'une  négligence  ;  mais  nous  n'avons  pas 
pu  nous  empêcher  de  remarquer  que  ces  rimes  se  multipliaient  sous 
la  plume  des  scribes  :  on  trouve  finierent  rimant  avec  dcsceiiderent 
dans  la  Genèse  ;  oyerent  avec  départirent  dans  le  Saint  Edmund  ; 
oyereiit  avec  tendirent  dans  le  même  poème  ;  siverent  avec  virent 
dans  le  Dermod  ;  ensechir  avec  foillier  dans  l'Antecrist  ;  plitrir  avec 
sitstenir  dans  la  Lamentation  ;  escoltir  avec  oier  dans  le  poème  du 
Prince  Noir,  pour  n'en  citer  qu'un  tout  petit  nombre.  Ce  mélange 
des  sons  a  lieu  exactement  comme  si,  pour  ceux  qui  écrivaient,  il 
n'y  avait  que  peu  ou  pas  de  différence  entre  e  et  /  devant  r.  Et  notre 
opinion  est  qu'en  réalité,  la  difl^érence  était  devenue  de  plus  en 
plus  petite  depuis  le  commencement  du  xni^  siècle. 

On  connaît  l'action  particulière  de  l'r  sur  les  voyelles  françaises  ; 
comme  le  dit  M.  Nyrop,  «  la  consonne  roulée  r,  qu'elle  soit  den- 
tale ou  uvulaire,  a  une  action  ouvrante  sur  la  voyelle  précédente"». 
Dans  un  dialecte  comme  l'anglo-français,  où  les  influences  conser- 
vatrices, au  point  de  vue  des  sons,  étaient  réduites  à  un  minimum, 
il  est  évident  que  cette  action  de  Vr  a  été  plus  vivement  sentie  que 
dans  n'importe  quel  autre  dialecte.  Il  en  est  résulté  un  double  phé- 
nomène, dont  le  premier  nous  retiendra  seul  ici  (nous  reparlerons 
un  peu  plus  bas  du  second)  :  /  en  s'ouvrant  passe  à  e  fermé.  Il   est 

I .  Grammaire  J,  p.  241,  5  244. 


760  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

possible  que  les  formes  qui  présentent  un  i  irrégulier,  formes  assez 
peu  nombreuses  du  reste,  nous  montrent  un  phénomène  de  réaction, 
et  cela  expliquerait  pourquoi  on  les  rencontre  surtout  dans  les  der- 
nières années  du  xii*  et  au  xiii^  siècle.  Ceci  du  reste  importe  peu  , 
des  deux  changements,  le  plus  important  est  sans  contredit  celui 
qui  nous  montre  le  passage  de  i  à  e. 

Cet  échange  de  voyelles  se  remarque  ailleurs  que  devant  r, 
quoique  Torigine  phonique  de  ce  changement  nous  semble  moins 
évidente  dans  les  exemples  que  nous  allons  maintenant  donner.  E 
passe  encore  à  i  dans  un  certain  nombre  de  participes  passés,  assez 
peu  nombreux.  Nous  avons  cité  les  exemples  que  nous  fournissent 
le  Saint  Edmund  (à  la  rime),  la  Plainte  d'Amour  (à  la  rime), 
William  de  Waddington  (à  la  rime).  Il  y  en  a  encore  quelques 
autres  ;  citons  surtout  remis  pour  reines  qui  nous  paraît  un  phéno- 
mène phonique  ;  mais  ils  peuvent  tous  passer  pour  des  phénomènes 
d'analogie.  Il  n'en  va  pas  de  même  pour  le  phénomène  opposé. 
Les  exemples  qui  nous  montrent  le  passage  de  /  à  e  sont  aussi 
nombreux  que  variés.  Nous  n'insisterons  pas  sur  les  participes  en  i 
qui  ont  passé  dans  la  classe  des  participes  en  e;  on  pourrait  soute- 
nir, sans  trop  de  difficulté,  que  ces  participes  ont  subi  l'influence  de 
leur  infinitif  ;  et  cela  est  très  probable,  quoique  nous  penchions  à 
croire  que  ces  formes  ont  une  origine  indépendante  de  celle  de  leur 
infinitif.  Mais  nous  avons  encore  d'autres  formes  pour  lesquelles 
nous  ne  concevons  aucune  hésitation.  D'abord  un  certain  nombre 
de  prétérits  en  si,  comme  destrent  pour  disfreul,  forme  très  fré- 
quente et  très  ancienne  en  anglo-français  (Psautier  d'Arundel, 
Folie  Tristan,  etc.);  mcstrent,  qui  est  moins  commun,  est  tout  aussi 
ancien,  puisque  cette  forme  se  trouve  dans  les  Quatre  Livres  des 
Rois  ;  prestrent  se  trouve  encore  dans  les  Royal  Letters  Henry  III 
à  la  date  de  1268.  Nous  avons  cité  encore  /<';^  (feci),  fest  (fecit), 
prest.  Le  participe  passé  de  querre  subit  le  même  changement  :  qnes 
se  lit  dans  Wil.  Rishanger,  à  la  rime  dans  Dermod,  dans  les  Traités 
de  Rymer.  Citons  encore  mentes  pour  mentis  qu'on  trouve  dans 
Boeve  de  Haumtone.  M.  Suchier  (Voyelles  toniques,  p.  42,  §  17 d) 
veut  expliquer  par  l'analogie  mestrent  pour  mistrent  ;  il  est  difficile 
d'étendre  cette  explication,  vraisemblable  pour  une  forme  isolée,  à 
toute  une  série  de  formes  aussi  dissemblables  que  celles  que  nous 
avons  citées.  Il  est  plus  naturel  d'admettre  que  /  n'a  pas  seulement 


LES    CHAKGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  yél 

passé  à  '.'  devant  r,  mais  que  chaque  fois  que  cette  voyelle  était 
entravée,  surtout  par  s,  elle  s'est  ouverte  au  point  de  pouvoir  rimer 
en  e  fermé  ' . 

De  la  même  façon,  nous  expliquerons  les  formes  assez  nom- 
breuses qui  nous  montrent  un  /  protonique  passant  à  e.  Les  nom- 
breux futurs  d'inchoatifs  que  nous  rencontrons  sous  la  forme  era 
peuvent  appartenir  à  cette  classe,  quoiqu'il  nous  semble  possible 
que  leur  e  soit  un  c  muet.  Mais  nous  n'avons  aucun  moyen  de 
contrôler  la  valeur  de  cet  e.  La  seule  raison  qui  puisse  nous  faire 
considérer  cet  e  comme  un  e  fermé,  c'est  que  les  verbes  qui  le 
prennent  le  conservent  très  régulièrement.  Si  nous  avions  affaire  à 
un  ('  muet,  il  est  plus  que  probable  que  cet  e  muet  recevrait  le 
même  traitement  que  1'^^  muet  des  verbes  de  I  et  des  verbes  non 
inchoatifs.  Sans  aucun  doute  possible,  nous  apercevons  dans  les 
imparfaits  du  subjonctif  des  verbes  de  I  un  passage  de  /  à  ^  :  tro- 
vesse^,  nioillesse^.  Il  nous  semble  donc  que  ce  phénomène  purement 
phonique  que  nous  venons  d'exposer  a  eu  une  action  considérable 
sur  la  conjugaison  du  verbe,  puisqu'il  a  fait  disparaître  presque 
tous  les  infinitifs  en  ir,  et  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  régu- 
lièrement en  irent,  aussi,  directement  ou  indirectement,  presque 
tous  les  participes  en  /  ;  et  qu'il  a  aussi  changé  la  forme  de  plu- 
sieurs prétérits  participes  passés  en  si,  et  celle  des  imparfaits  du 
subjonctif  des  verbes  de  L 

2.  Confusion  de  e,  i  avec  f/ devant  r.  —  Le  mécanisme  du  pas- 
sage de  //'  à  er  nous  aidera  à  nous  rendre  compte  du  passage  de  er 
(ir)  à  eir  et  vice  versa. 

Nous  parlerons  d'abord  du  plus  important  de  ces  phénomènes: 
le  passage  de  eir  à  er;  on  admet  généralement  que  ce  passage  est 
surtout  un  phénomène  d'analogie  Çd'.  Suchier,  Voyelles  toniques, 
p.  30,  §  30  b,  et  P.  Meyer,  Introduction  aux  Contes  de  Nicole 
Bozon,  p.  Ixiij).  Nous  ne  voulons  pas  dire  que  l'analogie  n'a  joué 
aucun  rôle  dans  ce  phénomène,  le  plus  important  peut-être  et  le 
plus  caractéristique  de  l'anglo-français  ;  mais  nous  pensons  et 
nous  allons  tâcher  de  montrer  que  ce  changement  a  été  avant  tout 
phonique. 

I.  Cf.  Stimming,  Boeve  de  Haumtone,  page  188,  où  les  exemples  suivants 
sont  cités  :  merce,.  Jetés  (dicitis),  peyseble,  artequels,  reche,  estref,  escles,  sere .  On 
pourrait  citer  un  nombre  d'exemples  beaucoup  plus  considérable  montrant  qu'en- 
travé, mais  spécialement  devant  r  et  5,  /  se  ferme  cl  passe  à  e. 


762  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Nous  avons  déjà,  sans  nous  y  arrêter,  donné  deux  raisons,  à 
priori,  qui  nous  semblent  rendre  probable  la  nature  phonique  de 
ce  changement  ;  évidemment,  les  preuves  de  cette  nature  sont  assez 
peu  satisfaisantes  et  ne  sauraient  emporter  la  conviction.  La  pre- 
mière est  la  suivante  :  si  le  passage  de  eir  à  er  était  analogique,  on 
s'attendrait  h  voir  les  formes  analogiques  gagner  du  terrain  dans 
la  conjugaison  des  verbes  qui  y  sont  soumis;  c'est  le  caractère  géné- 
ral de  l'analogie,  surtout  en  anglo-français.  Or,  dans  le  cas  actuel, 
nous  ne  trouvons  rien  de  pareil  :  les  infinitifs  de  III  en  er  datent  de 
la  seconde  moitié  du  xii%  ou,  au  plus  tard,  de  la  fin  du  même 
siècle  ;  à  cette  époque  les  imparfaits  en  ou  étaient  encore  fort  com- 
muns; or,  nous  ne  trouvons  aucun  verbe  de  III  avec  un  imparfait 
de  cette  forme.  Même  un  demi-siècle  plus  tard,  alors  que  la  termi- 
naison des  imparfaits  de  I  se  trouve  assez  fréquemment  employée 
pour  les  verbes  des  autres  conjugaisons,  une  seule  classe  ne  prend 
jamais  ou  ne  prend  que  très  rarement  cette  forme  :  les  imparfaits  des 
verbes  de  la  troisième  conjugaison. 

Un  autre  temps  a  une  forme  spéciale  dans  les  verbes  en  er  :  le 
prétérit.  Il  se  trouve  encore  que  la  plupart  des  verbes  en  anglo- 
français  prennent  plus  ou  moins  fréquemment  la  forme  de  ces  pré- 
térits ;  les  derniers  à  le  faire  et  les  plus  rares,  ce  sont  encore  les 
verbes  de  III.  L'analogie,  à  qiii  d'ordinaire  on  ne  fait  pas  facilement 
sa  part,  n'aurait  donc  agi  que  sur  une  seule  forme  du  verbe. 

Nous  trouvons  un  autre  argument  du  même  genre  sur  lequel 
nous  avons  assez  longuement  insisté  et  qui  n'avait  pas  échappé  à 
M.  Meyer,  quoiqu'il  en  tire  argument  pour  sa  théorie  de  l'analogie. 
Ce  fait  est  la  différence  de  date  entre  les  premières  formes  en  er 
pour  ces  infinitifs  chez  les  scribes  et  les  auteurs.  Les  premiers 
emploient  cette  terminaison  dès  11 50,  les  seconds  vers  ou  après 
II 80.  On  peut,  il  est  vrai,  considérer  que  pour  les  infinitifs  de  III 
pendant  un  certain  temps  la  terminaison  er  a  été  considérée  comme 
incorrecte;  mais  les  auteurs  anglo-français,  certains  d'entre  eux 
spécialement,  sont-ils  de  tels  puristes  qu'ils  se  refusent  à  employer 
une  forme  assez  commune. à  leur  époque  ?  Et  est-ce  que  cette  diffé- 
rence entre  la  langue  des  scribes  et  celle  des  auteurs  pendant  une 
trentaine  d'années  ne  nous  montre  pas  aussi  clairement  que  possible 
que  c'est  justement  pendant  ce  laps  de  temps  que  la  diphtongue 
s'est  trouvée  en  voie  de  transformation  ?   C'est  exactement  ce   que 


LES    CHANGEMENTS    PHONiaUES    DANS    LE    VERBE  763 

nous  avons  remarqué  en  étudiant  le  passage  à  er  des  infinitifs  de  IL 
Les  scribes  entendent  au  lieu  de  ir  (et  pourquoi  pas  de  eir  ?),  le  son 
er,  avec  un  e  très  fermé  (ou  très  ouvert),  et  ils  écrivent  ce  qui  leur 
semble  exprimer  le  mieux  le  son  qu'ils  perçoivent  :  er.  De  leur 
côté,  les  auteurs  plus  instruits  sentent  une  différence  entre  le  nou- 
veau son  en  er  et  le  son  normal  et  ils  ne  les  font  pas  rimer 
ensemble. 

Mais  ces  raisons  a  priori,  quelle  que  soit  leur  valeur,  ne  sont  pas 
très  convaincantes  puisqu'on  peut  plaider  avec  elles  le  pour  et  le 
contre  et  qu'elles  n'apportent  que  des  présomptions  ;  mais  nous  avons 
mieux  que  cela  pour  soutenir  la  théorie  de  l'origine  purement 
phonique  du  changement  qui  nous  occupe.  Le  mécanisme  de  ce 
changement  nous  semble  même  très  clair. 

Il  repose  sur  deux  faits  ou  suppose  deux  choses  : 

a)  Ei  de  la  terminaison  de  l'infinitif  c/r  passe  à  ê  ouvert  au  moment 
même  où 

h)  e,  dans  la  terminaison  er,  passe  lui-même,  à  l'occasion  sinon 
toujours,  à  e  ouvert,  ce  qui  établit  l'identité  occasionnelle  des  deux 
terminaisons. 

Nous  n'admettrons  pas  cependant  que  ces  deux  terminaisons, 
surtout  celle  des  infinitifs  de  I,  soient  toujours  en  e  ouvert  ;  il  y  a 
eu  certainement  des  flottements  et  des  hésitations  à  l'infinitif  entre 
la  valeur  ouverte  et  la  valeur  fermée  pour  ces  deux  voyelles,  même 
au  xiii^  siècle  :  la  prononciation  n'a  pas  été  fixe  et  il  n'y  a  rien 
d'extraordinaire  à  trouver  cet  infinitif,  pour  des  verbes  de  l'une  ou 
de  l'autre  de  ces  conjugaisons,  rimant  en  e  fermé;  nous  ne  voulons 
pas  établir  la  valeur  absolue  de  la  voyelle  dans  cette  terminaison. 
Tout  ce  que  nous  voulons  dire,  c'est  que,  entre  1150  et  la  fin  du 
xii=  siècle,  dans  un  nombre  de  cas  assez  considérable,  les  deux  sons 
vocaliques  ei  et  e  fermé  devant  ;-  se  sont  rencontrés  dans  la  valeur 
d'un  e  ouvert  ;  ils  ont  par  conséquent  pris  la  même  graphie  et 
rimé.  L'analogie  a  pu  intervenir  après  mais  n'a  pas  agi  avant. 

Il  s'agit  maintenant  de  montrer  que  cette  explication  n'est  pas 
contredite  par  la  phonétique  anglo-française,  mais  au  contraire  est 
entièrement  d'accord  avec  elle. 

a)  Le  passage  de  ciàe  ouvert  est  clairement  attesté  pour  le  com- 
mencement de  la  seconde  moitié  du  xii'^  siècle,  et   même    avant. 


764  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

On  en  trouve  des  exemples  pour  des  noms  de  lieu  dans  le  Domes- 
day  Book,  comme  on  le  voit  dans  Tétude  qui  se  trouve  au  tome  VIII 
delà  Zeitschrift,  p.  358  (ou  dans  Ueber  das  franzôsische  Sprachele- 
ment  im  Liber  Censualis,  de  Hildebrand,  page  38,  §4).  On  en 
trouve  dans  l'Estorie  des  Engleis,  par  exemple  aux  vers  1202,  2409, 
4320;  au  vers  31  du  Roland  d'Oxford.  M.  Stimming  en  donne 
plusieurs  exemples  dans  son  édition  de  Boeve  de  Haumtone  à  la 
page  197;  on  peut  voir  aussi  Behrens,  Zur  Lautlehre,  page  138. 
Même  M.  Suchier  l'admet,  dans  ses  Voyelles  toniques  (page  91, 
§  30  b,  et  page  92,  lignes  9,  21).  Les  cas  ne  sont  pas  extrêmement 
nombreux,  quoiqu'il  y  en  ait  plus  que  M.  Suchier  ne  le  suppose, 
mais  ils  suffisent  pour  montrer  que  les  infinitifs  de  III  ne  sont  pas 
les  seuls  exemples  de  ce  phénomène.  Ajoutons  aux  exemples  que 
nous  avons  donnés  et  à  ceux  qui  se  trouvent  dans  Stimming,  é'tv  pour 
eir  (heredem),  qu'on  lit  dans  les  Art.  Guill.,  au  volume  IX  de  la 
Zeitschrift,  page  83. 

On  pourra  cependant  se  demander  pourquoi  les  exemples  du  pas- 
sage de  et  à  couvert  ne  sont  pas  malgré  tout  plus  communs  pendant  la 
seconde  moitié  du  xii^  siècle;  nous  en  trouvons  une  raison  qui  nous 
paraît  très  suffisante.  A  cette  époque,  ei  hésitait  entre  les  deux 
valeurs  e  ouvert  et  ai  ;  pour  une  cause  ou  pour  une  autre,  l'anglo- 
français  n'a  pas  adopté  les  infinitifs  en  air  (cette  forme  se  trouve 
plus  tard,  mais  seulement  pour  certains  infinitifs,  dans  Robert  de 
Gretham,  et  pour  les  noms  verbaux  tels  que  poair)  ;  et  les  infinitifs 
en  oir  sont  de  date  plus  récente  (pour  ces  derniers,  nous  verrons 
plus  tard  qu'ils  sont  une  importation  du  continent).  Il  a  préféré 
pour  les  infinitifs  de  III  et  dans  plusieurs  autres  cas,  en  nombre 
qui  n'est  pas  négligeable,  la  valeur  de  e  ouvert  pour  la  diphtongue  ei. 

Il  est  donc  tout  au  moins  probable  que  dans  la  terminaison  cir  de 
l'infinitif,  c'est  l'évolution  phonique  normale  qui  a  donné  à  la 
diphtongue  ei  la  valeur  d'un  couvert  ;  il  est  absolument  inutile  de 
faire  intervenir  ici  l'analogie. 

/')  Notre  second  point  offre  encore  moins  de  difficultés. 
M.  Suchier  a  constaté,  dans  les  Voyelles  toniques,  que  devant  r 
l'anglo-normand  hésite  entre  couvert  et  c fermé,  et  il  cite  des  rimes 
de  Fantosme  qui  le  montrent  clairement  (cf.  page  74,  §  27  e). 
Ajoutons,  pour  la  même  époque,  la  laisse  de  Guischart  de  Beauliu 
qui  fait  rimer  en  ai,  c'est-à-dire  en  e  ouvert,    fraire.  maire,  paire. 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  765 

Ce  n'est  du  reste  pas  le  seul  cas  où  ce  changement  se  produise,  la 
nature  de  cet  e  fermé  change  de  la  même  manière  devant  /(op. cit., 
page  45,  §  17  Q. 

On  pourrait  du  reste  admettre,  toujours  avec  M.  Suchier,  que  la 
terminaison  er  (avec  e  ouvert),  en  particulier,  ajouterions-nous, 
lorsque  cet  c  ouvert  provient  de  ei,  passe  quelquefois  à  er  (avec  un 
('  fermé).  (Cf.  Voyelles  toniques,  page  35,  §  1 5  c).  Nous  croyons 
au  contraire  que  même  dans  les  cas  que  M.  Suchier  a  tirés 
de  Modwenne  (loc,  laudato),-  c'est  \'e  fermé  qui  a  passé  à  Ye  ouvert, 
et  ainsi  nous  pourrions  les  ajouter  cà  ceux  que  nous  citions  au 
paragraphe  précédent.  Cette  explication  serait  plus  conforme  à  ce 
que  nous  connaissons  de  l'action  de  IV  sur  la  voyelle  qui  la  précède. 

Nous  irons  même  plus  loin  :  dans  bien  des  cas,  même  lorsque 
cette  voyelle  n'est  pas  soumise  à  l'action  de  l'r,  elle  prend  une 
valeur  ouverte.  Et  nous  en  trouvons  de  nombreux  exemples  dans 
la  conjugaison  :  dès  le  xn^  siècle,  et  jusqu'à  la  fin  du  xiv"-',  nous 
rencontrons  ci  écrit  pour  e  ;  or,  comme  nous  le  disions  tout  à 
l'heure,  ei,  à  partir  de  11 50,  a  pris,  au  moins  de  temps  en  temps  et 
dans  certains  cas,  la  valeur  d'un  e  ouvert,  et  nous  ne  pouvons  guère 
attribuer  une  autre  valeur  à  la  diphtongue  irrégulière  que  nous 
trouvons  dans  les  deuxièmes  personnes  du  pluriel,  et  dans  les  parti- 
cipes passés  en  c. 

C'est  de  cette  façon  que  nous  nous  expliquons  les  formes  du 
ms.  A  de  l'Alexis  Çaporteit),  du  Psautier  d'Arundel  (esJeveis),  du 
ms.  R  de  l'Estorie  des  Engleis,  et  plus  tard  de  Boeve  de  Haumtone 
(/ra~),  d'Aspremont  (it'/-^),  des  Mem.  Pari.  1305  (p«^/~).  Cette 
explication  s'applique  à  seit  pour  set,  si  commun  entre  1 1 50  et  1250. 
Ces  formes,  disséminées  sur  toute  l'étendue  de  la  littérature  anglo- 
française,  montrent,  croyons-nous,  que  Ve  fermé,  contrairement  à 
ce  qu'on  pense  d'ordinaire,  tendait  à  prendre  et  a  pris  effectivement 
la  valeur  ouverte.  Il  est  au  moins  assuré  qu'il  l'a  prise  assez 
fréquemment,  et  cela  nous  ferait  considérer  qu'à  l'infinitif  des 
verbes  de  I  nous  avons  des  transformations  analogues  du  son 
étymologique. 

L'objection  la  plus  forte  qu'on  pourrait  formuler  contre  cette 
explication  est  celle  qui  est  tirée  de  la  phonétique  anglaise  {ci.  ten 
Brink,  the  Language  and  Mètre  of  Chaucer,  page  55);  mais  ten 
Brink  admet  lui-même   des  exceptions  et   cite    des   exemples    qui 


jéé  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-i-ka\çais 

montrent  un  e  ouvert  du  moyen  anglais  provenant  d'un  e  fermé 
français  (op.  cit.,  page  56).  De  plus,  de  quelle  valeur  peut  être  cet 
argument  qui  compare  des  formes  de  dates  aussi  différentes  ; 
nous  nous  occupons  de  la  valeur  d'une  voyelle  à  la  fin  du  xii"^ 
siècle  ;  ten  Brink  la  prend,  dans  une  langue  différente,  à  la  veille 
du  xv=. 

Beaucoup  de  changements  se  sont  produits  entre  ces  deux  dates, 
et  la  confusion  que  tout  le  monde  semble  admettre  entre  e  ouvert 
et  e  fermé  a  bien  pu  se  résoudre  en  deux  siècles  d'une  façon  diffé- 
rente de  celle  que  le  commencement  même  de  cette  confusion  aurait 
pu  laisser  prévoir. 

Au  fond,  ce  point  n'a  qu'une  importance  secondaire  pour  nous. 
Il  nous  suffit  que  la  confusion  entre  le  son  ouvert  et  le  son  fermé 
de  e  dans  la  terminaison  er  se  soit  produit  dans  la  seconde  moitié  du 
xii^  siècle  ;  et  même  cette  confusion  est  nécessaire  pour  notre  thèse, 
car  seule  elle  explique  comment,  à  un  même  moment,  l'infinitif  des 
verbes  de  I  a  pu  rimer  avec  Ve  provenant  de  /  et  avec  celui  qui 
remonte  à  la  diphtongue  ei. 

Voilà  donc  comment  nous  expliquons  le  changement  de  désinence 
des  infinitifs  de  III  :  ei  passant  à  e  ouvert,  e  hésitant  entre  e  ouvert 
et  e  fermé. 

Cette  explication  peut  couvrir  tous  les  faits  que  nous  connaissons 
et  que  nous  avons  exposés  dans  notre  première  partie;  elle  explique 
encore  pourquoi,  au  début,  les  rimes  entre  infinitifs  de  I  et  infinitifs 
de  III  sont  si  rares;  pourquoi,  même  au  commencement  du  xiii^ 
siècle,  certains  auteurs  qui  observaient  la  différence  entre  les  deux 
valeurs  de  Vc  ont  pu  éviter  de  faire  rimer  entre  eux  les  infinitifs 
de  ces  deux  conjugaisons  ;  pourquoi  enfin  nous  ne  trouvons  que 
très  tard  la  terminaison  cr  des  infinitifs  de  III  rimant  avec  la  termi- 
naison er  des  infinitifs  de  IL 

Ajoutons^  pour  être  juste,  que  nous  pensons  que  l'analogie  a  pu 
hâter  le  changement;  qu'elle  a  pu  même  intervenir,  nous  ne  le 
pensons  pas,  pour  aiguiller  la  diphtongue  ei  vers  e  ouvert  plutôt  que 
de  le  laisser  évoluer  avec  le  plus  grand  nombre  des  exemples  vers 
ai.  Mais  son  rôle  n'a  été  que  très  secondaire  et  n'a  eu  pour  résultat 
que  d'activer  la  transformation  phonique. 

La  même  évolution  phonique  peut  se  remarquer  dans  un  certain 
nombre  d'autres  formes  verbales,  et  ici,  comme  l'action  de  l'analogie 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQ.UES    DANS    LE    VERBE  767 

ne  pourrait  pas  être  invoquée,  nous  trouvons  le  meilleur  des  argu- 
ments pour  le  passage  dans  la  conjugaison  de  la  diphtongue  ei  à  e 
(ouvert).  Les  exemples  que  nous  en  avons  relevés  se  rencontrent 
presque  aussi  tôt  que  les  cas  qui  montrent  les  infinitifs  de  III  prenant 
la  désinence  des  infinitifs  de  la  première  conjugaison  ;  on  peut 
même  les  dater  avec  certitude  de  l'époque  qui,  comme  nous  le 
supposions  tout  à  l'heure,  a  vu  l'évolution  de  cette  diphtongue.  Ce 
sont  surtout  des  imparfaits  et  des  conditionnels,  et  nous  en  avons 
cité  un  certain  nombre  qui  présentent  la  voyelle  e  au  lieu  de  la 
diphtongue  :  le  premier  cas  que  nous  connaissions  se  trouve 
dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  et  doit  être  attribué  au  scribe  du 
ms.  de  Londres  (1167);  on  en  rencontre  aussi  dans  le  Psautier 
d'Oxford  et  dans  Adgar  ;  ajoutons  encore  seiet  et  seeit,  imparfaits  de 
seoir,  qui  présentent  deux  réductions  de  cette  diphtongue  et  qui  se 
lisent  à  deux  pages  d'intervalle  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois 
(II,  18,  9  et  24).  Le  second  de  ces  exemples  nous  montre  la 
réduction  s'opérant  dans  le  thème  du  verbe  ;  du  même  genre  est  le 
troisième  exemple  que  nous  avons  relevé  dans  les  Quatre  Livres 
des  Rois  :  vee  (=  videat,  II,  19,  37).  Pour  les  désinences  en  ei  de 
certains  subjonctifs,  nous  n'avons  trouvé  d'exemple  de  ce  phéno- 
mène que  beaucoup  plus  tard. 

Le  phénomène  inverse  est  beaucoup  plus  rare,  et  ici  nous  ne 
proposerons  qu'avec  beaucoup  d'hésitation  d'expliquer  au  moyen 
de  la  phonétique  les  infinitifs  de  I  qui,  dans  les  Quatre  Livres  des 
Rois  {fahleir),  prennent  la  diphtongue^/  ;  il  est  possible  toutefois  que 
le  scribe  ait  voulu  exprimer  au  moyen  de  cette  graphie  le  son 
ouvert  que  ea.  certainement  pris  de  temps  en  temps  au  moins  devant 
r.  Quant  aux  exemples  que  nous  rencontrons  dans  Angier,  ils  nous 
semblent  dus  à  une  influence  étrangère. 

Nous  éprouvons  encore  de  plus  grands  doutes  en  ce  qui  con- 
cerne le  passage  de  /  à  ei  :  les  formes  qui  nous  montrent  cette  transfor- 
mation ne  sont  pas  très  nombreuses,  et  elles  appartiennent  toutes  aux 
prétérits  en  /  et  en  si  :  les  premières  de  ces  formes  remontent  à  la 
seconde  moitié  du  xii^  siècle:  veist  dans  le  ms.  A  de  l'Alexis  et 
dans  le  Psautier  d'Arundel;  vetrent  dans  le  Psautier  que  nous 
venons  de  nommer  et  dans  celui  d'Oxford  ;  pour  les  prétérits  en  si, 
on  trouve  :  fcisl  dans  le  Psautier  d'Arundel  et  dans  Robert  de 
Gretham;  ^mf  dans  le  Saint  Julien,  et  un  peu  plus  tard,  les  formes 
feirent,  que  nous  avons  citées. 


768  l'évolution    du    verbe    ex    ANGLO-IRANÇAIS 

Nous  croyons  que  nous  avons  ici  une  diphtongue  ei  dont  le 
premier  élément  est  fermé  et  qui  provient  directement  de  Vi. 

Nous  n'insisterons  pas  non  plus  sur  1'/  qui  provient  de  ei  ;  nous 
n'en  avons  qu'un  petit  nombre  d'exemples  et  tous  assez  tardifs  ;  ils 
datent  probablement  de  la  seconde  partie  du  xiir  siècle  (Edward  le 
Confesseur,  scribe  ?,  Wil.  Rishanger)  ou  du  xiv^'  ;  il  est  probable 
que  les  quelques  terminaisons  en  ir  =  eir  ont  passé  au  préalable 
par  er. 

Mais  les  formes  verbales  qui  nous  montrent  le  passage  de  e  à  ei 
et  de  /  à  cette  même  diphtongue  sont  d'une  très  médiocre  impor- 
tance ;  il  n'en  est  pas  de  même  des  phénomènes  que  nous  avons 
étudiés  auparavant  ;  il  y  a  entre  eux  une  relation  très  étroite  et 
nous  pouvons  maintenant  les  exprimer  d'une  façon  plus  générale 
que  nous  ne  l'avons  fait  jusqu'ici. 

Dans  la  terminaison  er,  e  hésite  entre  la  valeur  ouverte  et  la 
valeur  fermée  ;  en  même  temps,  sous  l'influence  de  l'r,  1'/  de  la 
terminaison  ir  se  ferme  et  rime  avec  l'une  des  valeurs  de  la  termi- 
naison er,  tandis  que  la  diphtongue  ei  passe  à  e  ouvert  et  rime  avec 
l'autre  valeur  de  la  même  terminaison.  La  distinction  entre  les  deux 
valeurs  de  er  n'a  pas  duré  longtemps,  si  même  elle  a  été  clairement 
sentie,  et  les  infinitifs  des  trois  conjugaisons  ont  pu  rimer  entre 
eux.  Remarquons  seulement  que  les  rimes  qui  rapprochent  un 
verbe  de  II  d'un  verbe  de  III  sont,  comme  nous  le  disions,  extrême- 
ment rares  et  tardives.  (Voir  pour  cela  notre  première  partie.) 

Nous  avons  enfin  à  parler  des  phénomènes  qui,  tout  en  alfectant 
d'une  façon  générale  toute  espèce  de  mots  sans  distinction,  ont  une 
importance  particulière  pour  le  verbe.  Nous  parlerons  ici  de  la 
graphie  ee  qu'on  trouve  pour  toutes  sortes  d'^  et  des  changements 
qui  ont  pour  principe  la  voyelle  muette. 

Ee.  —  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  la  nature  de  e't-qui 
prend  la  place  de  e  ouvert  et  de  e  fermé',  mais  nous  pouvons 
admettre  avec  Mail  et  Suchier  que  cette  double  voyelle  était  des- 
tinée à  représenter  le  son  long  de  la  voyelle  simple;  cette  question  delà 

I.  On  peut  voir  sur  ce  point  Meyer-Lùbke,  Grammaire  I,  p.  175,  §  179; 
Suchier,  Grammaire, p.  89,  S  29  f  ;  Ueber  die...,  p.  35  ;  Litteraturblat  III,  16  ; 
Zeitschrift III,  p.  477;  Stimming,  Boeve  de  Haumtone,  p.  175  et  p.  202;Stur- 
zinger,  Orthographia  Gallica,  pp.  40  sqq.;  Mail,  Cumpoz,  pp.  68-69  ;  Uhlemann, 
Saint  Auban,  p.  563. 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQ.UES    DANS    LE    VERBE  769 

valeur  de  cet  ee  a  cependant  quelque  importance  au  point  de  vue  de 
la  versification  ;  mais  nous  n'avons  pas  trouvé  d'élément  qui  nous 
permette  de  soutenir,  en  nous  servant  des  exemples  que  nous  four- 
nit le  verbe,  une  opinion  quelle  qu'elle  soit.  Les  premiers  exemples 
qu'on  connaisse  de  cette  double  voyelle  se  trouvent  dans  une  forme 
duverbe,  danslems.  C  duCumpoz:iww^,  aveent,  et  dans  ces  deux  cas 
la  nouvelle  graphie  tient  la  place  de  ie.  Mais  presqiie  aussitôt  nous 
trouvons  des  exemples  où  elle  est  employée  pour  représenter  un 
simple  e  fermé,  comme  dans  les  secondes  personnes  du  pluriel,  que 
nous  lisons  dans  Chardri,  dans  Foulques  Fitz  Warin,  dans  la  Des- 
truction de  Rome,  dans  Bozon,  dans  Nicolas  Trivet  ;  le  futur  du 
verbe  faire  nous  donne  le  plus  grand  nombre  d'exemples  (voir  du 
reste  plus  bas),  et  nous  pouvons  faire  la  même  remarque 
à  propos  des  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  ;  le 
nombre  des  participes  passés  faibles  en  é  qui  se  montrent  sous  cette 
forme  est  aussi  très  considérable,  mais  ils  nous  semblent  plus  tar- 
difs et  ne  remontent  pas  plus  haut  que  la  fin  du  xiii^  siècle  :  ils  sont 
surtout  nombreux  dans  le  manuscrit  de  la  Destruction  de  Rome. 
Il  en  va  de  même  des  infinitifs  de  I  :  ils  sont  peu  nombreux,  même 
en  dehors  de  la  littérature,  et  tardifs  :  les  exemples  que  nous  avons 
cités  sont  pris  à  Foulques  Fitz  Warin,  à  la  Destruction  de  Rome,  au 
fragment  d'une  traduction  de  la  Bible. 

Même  les  formes  du  verbe  qui  ont  eu  à  l'origine  la  diphtongue 
ai  ou  ei  se  rencontrent  et  assez  tôt  avec  ee\  seet  de  savoir  est  très 
commun  à  partir  de  Saint  Auban  ;  on  le  trouve  dans  le  Manuel  des 
Péchés,  dans  la  Manière  de  Langage,  dans  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft.  Feet,  plus  tardif,  est  presque  aussi  employé  ;  leest  se  ren- 
contre dans  Pierre  de  Langtoft  ;  despleet  est  employé  par  le  scribe 
du  Petit  Plet  (xW  siècle);  vecl,  d'aller,  par  l'auteur  ou  le  scribe 
d'Edward  le  Confesseur;  feere  se  rencontre  dans  Pierre  de  Lang- 
toft et  dans  les  Rymer's  Vo^à^r-à -ygeenst,  comme  nous  l'avons  vu,  se 
trouve  dans  le  Saint  Auban.  Ces  exemples  sont  relativement 
plus  nombreux  que  ceux  des  autres  classes,  et  c'est  justement  la  fré- 
quence de  cette  graphie  pour  les  différentes  diphtongues  {ie,  ei,  ai) 
se  réduisant  en  anglo-français  à  une  voyelle  simple,  qui  nous 
semblerait  le  meilleur  argument  en  faveur  de  la  théorie  qui  regarde 
ee  comme  une  simple  graphie  de  n'importe  quel  e  long,  ouvert  ou 
fermé.  Cette  conclusion  a  quelque  importance  pour  la  conjugaison  : 

49 


770  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO- FRANÇAIS 

en  effet,  si^^,  dans  le  cas  des  infinitifs  et  des  participes  passés  de  I, 
indique  un  e  fermé  long,  nous  pouvons  croire  que  cette  graphie  a 
résulté  d'une  tendance  à  conserver  à  ces  deux  terminaisons  leur 
valeur  propre  ;  elle  suppose  donc  par  là  même  que  IV  dans  ces  ter- 
minaisons a  pu  prendre  une  autre  valeur. 

Ue  atone  a  été  la  cause  d'un  nombre  considérable  de  modifications 
dans  la  conjugaison  ;  de  toutes  les  causes  que  nous  avons  exposées 
ou  que  nous  verrons  par  la  suite,  il  n'y  en  a  aucune  qui  ait  eu  une 
action  plus  profonde  et  plus  étendue  que  celle  dont  nous  avons  à 
parler  maintenant.  Et  nous  croyons  que  les  quelques  faits  que  nous 
allons  signaler  et  les  réflexions  que  ces  faits  nous  suggèrent  expli- 
queront ou  aideront  à  expliquer  un  certain  nombre  de  points  encore 
obscurs  de  l'anglo-français. 

Nous  diviserons  cette  étude  en  trois  parties  : 

1°  Les  graphies  de  Ve  atone. 

1°  Chute  d'un  e  atone  étymologique. 

3°  Addition  d'un  <:>  atone. 

La  première  partie  montrera  que  les  Anglo-Français  ont  vite  perdu 
le  sens  de  la  valeur  intrinsèque  de  1'^  atone  ;  les  deux  autres,  qu'ils 
avaient  perdu  le  sens  de  son  emploi,  et  qu'ils  n'ont  jamais  bien 
perçu  la  différence  entre  la  voyelle  atone  et  la  détente  vocaliquequi 
se  produit  dans  certains  cas. 

L  Graphies  de  l'e  atone. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  toutes  les  graphies  que  l'e  atone  peut 
prendre  en  anglo-français  ;  qu'il  nous  suffise  de  dire  que  toutes  les 
voyelles  et  plusieurs  diphtongues  peuvent  prendre  cette  valeur,  au 
moins  dans  certains  cas.  A  se  trouve  après  la  tonique  devant  la 
consonne  nasale  n,  comme  dans  les  exemples  de  troisièmes  personnes 
du  pluriel  féminines  que  nous  avons  rencontrés  dans  Boeve;  la  ter- 
minaison muette  ant  est  du  reste  très  rare.  Avant  la  tonique,  on 
rencontrera  savara  dans  les  Literae  Cantuarienses  (i33))- 

I  est  plus  commun  avec  cette  valeur  et  ne  se  rencontre  pas  seule- 
ment à  la  troisième  personne  du  pluriel  ;  la  seconde  personne  du 
pluriel  nous  donne  plusieurs  exemples  (estis),  sur  lesquels  nous 
aurons  à  revenir.  A  la  troisième  personne  du  pluriel,  nous  avons 


LES    CHANGEMENTS    PHONiaUES    DANS    LE    VEKBE  77 1 

cité  :  vindrint^  siglint,  deniorirint,  t'uidrint,  issint,  'pJcindrint,  distrint 
et  quelques  autres  ;  les  exemples  que  'nous  trouvons  montrant  un 
/  avant  la  tonique  ne  sont  pas  très  significatifs,  car  ils  proviennent 
tous  de  futurs  qui  peuvent  être  des  acquisitions  des  futurs  inchoa- 
tifs.  Nous  verrons  plus  tard,  chapitre  m,  l'origine  des  formes  comme 
esiis;  pour  les  troisièmes  personnes  du  pluriel,  remarquons  que  les 
formes  qui  présentent  la  désinence  int  ont  le  plus  souvent  (comme 
dans  les  exemples  ci-dessus)  un  /  dans  le  thème;  sept  fois  sur  dix 
dans  les  œuvres  littéraires. 

La  voyelle  o,  comme  nous  l'avons  vu  à  la  troisième  personne  du 
pluriel,  est  assez  fréquente  avec  la  valeur  d'une  atone  (pour  l'origine 
de  cette  graphie,  cf.  chapitre  m)  ;  on  ne  la  rencontre  avec  cette 
valeur  après  la  tonique  qu'à  la  troisième  personne  du  pluriel;  avant  la 
tonique  on  en  rencontre  encore  un  exemple  au  futur  dans  snrveiora, 
(Liber  Rubeus  de  Scaccario,  1323),  àdiXis  donorons  (Royal  Letters 
Henry  rV,  1339). 

[7 se  rencontre  aussi,  et  plus  fréquemment  que  toutes  les  autres 
graphies,  à  la  première  personne  du  pluriel  (désinence  féminine)  et 
à  la  troisième  personne  du  pluriel  (désinence  féminine).  Nous 
aurons  du  reste  à  reparler  de  l'origine  de  ces  formes.  On  trouve 
quelques  rares  exemples  de  cette  voyelle  employée  avec  cette  valeur 
ailleurs  qu'après  la  tonique  :  gustura  dans  Robert  de  Gretham,  assen- 
ttirei  dans  les  Statutes  ;  mais  dételles  formes  sont  rares. 

Les  autres  graphies  n'ont  pas  la  même  importance;  nous  avons 
vu  que  ou  est  assez  commun,  mais  ne  se  trouve  que  comme  un 
succédané  de  //et  seulement  à  la  troisième  personne  du  pluriel,  sauf 
dans  les  deux  exemples  de  Rymer  1349  :  faissout,  puissoiit.  Ee  se 
rencontre  au  singulier  :  soffrec  (Statutes,  13 11)  et  au  pluriel: 
ansteent  (Saint  Auban)  ;  il  en  va  de  même  pour  eo  :  faceo  (Statutes, 
12?>Ç),  deschargeront  (Si^iwiQs,  1323),  jureoiit,  chivacheont  (Rymer). 
£3;  comme  atone  est  isolé  :  dciiiorgey{Kymev,  1300),  peut-être  aussi 
ftiysseint. 

Ces  graphies  si  variées  de  la  voyelle  atone  dans  des  positions  si 
différentes  montrent  tout  d'abord  que  les  écrivains  anglo-français  ne 
savaient  certainement  plus  comment  se  prononçait  l'atone,  et  ils 
lui  attribuaient  ditlcrentcs  formes,  suivant  leur  flintaisie.  Si  on  réflé- 
chit aussi  au  nombre  considérable  de  troisièmes  personnes  du  plu- 
riel que  nous  avons  citées  précédemment  et  montrant  toutes  sortes 


772  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

de  voyelles  et  de  diphtongues,  on  pourra  penser,  comme  nous  le 
disions  tout  à  l'heure,  que  la  distinction  entre  les  sons  nasaux  ne 
s'était  pas  non  plus  trop  bien  conservée. 


IL  Chute  et  addition  d'un  e  atone. 

L'anglo-français  nous  montre  à  une  date  très  reculée  et  jusqu'à  la 
fin  du  xiv^  siècle,  un  double  phénomène  qui  n'a  pas  peu  contribué  à 
modifier  profondément  la  conjugaison  :  tantôt  il  fait  disparaître  un 
e  atone  étymologique,  tantôt,  il  ajoute  une  muette  parasite  ;  ces 
deux  phénomènes  contradictoires  ne  peuvent  s'expliquer  que  comme 
les  résultats  d'une  seule  tendance  et  les  effets  d'une  même 
cause. 

Nous  distinguerons  en  trois  groupes  les  exemples  dont  nous 
avons  à  nous  occuper  maintenant  :  dans  le  premier,  nous  mettrons 
ceux  qui  nous  montrent  la  chute  ou  l'addition  d'un  c  atone  en 
position  finale  après  une  consonne  :  dans  la  seconde,  nous  verrons 
la  chute  et  l'addition  d'un  e  atone  en  hiatus  ;  dans  la  troisième,  la 
chute  ou  l'addition  d'un  e  interconsonantique. 

I.  Premier  groupe.  —  Chute  et  addition  d'un  e  atone 
en  position  finale  après  consonne. 

Chute  d'un  e  atone  étymologique.  —  Nous  pouvons  remarquer  que 
toutes  les  muettes  finales  qui  suivent  une  consonne  peuvent  disparaître 
en  anglo-français  ;  c'est  surtout  aux  troisièmes  personnes  du  singulier 
du  présent  de  l'indicatif  des  verbes  de  I  que  cette  chute  a  lieu  le  plus 
souvent  et  le  plus  tôt.  Les  premiers  exemples  que  nous  en  ayons  ren- 
contrés datent  du  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xii'^  siècle  ; 
les  tout  premiers  sont  des  présents  de  l'indicatif  des  verbes  de  I;  on 
trouve  aussi  à  quelques  années  de  distance  des  secondes  personnes  du 
singulier  de  l'impératif  de  la  même  conjugaison  ;  mais  tous  ces  cas 
proviennent  également  de  verbes  terminés  par  une  dentale  appuyée. 
Nous  avons  cité  dans  notre  première  partie  un  nombre  trop  consi- 
dérable d'exemples  pour  que  nous  insistions  longuement  sur  ce 
point  maintenant.  Rappelons,  pour  le  présent  de  l'indicatif,  l'exemple 
assuré  par  la  rime  dans  Gaimar  :  aquit  ;  regret  dans  l'Alexis  ;  ajust 
dans  le  Roland  d'Oxford  ;  covoit  dans  le  Drame  d'Adam.  Pour  l'im- 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  773 

pératif  acravent,  gart  dans  la  Vie  de  Sainte  Catherine  et  les  exemples 
que  nous  donnent  les  Quatre  Livres  des  Rois  et  la  Vie  de  Saint 
Gilles. 

Tous  ces  cas  de  chute  de  l'atone  remontent  donc  très  haut  et  nous 
avons  vu  que  ceux-ci,  non  seulement  continuent,  mais  ne  font  qu'aug- 
menter pendant  le  xni^  et  le  xiV^  siècle.  Les  subjonctifs  en  aiii 
qui  ont  ce  même  thème  perdent  aussi  leur  e  posttonique  plus  ou 
moins  souvent  à  la  troisième  personne  du  singulier. 

Il  en  résulte  que,  pour  ces  verbes  et  aux  temps  que  nous  venons 
de  nommer,  la  dentale  appu3^ée  devient  finale  dans  un  nombre 
d'exemples  assez  minime  au  xn^  siècle,  mais  très  considérable  par 
la  suite. 

Ce  n'est  que  vers  1250  que  les  autres  thèmes  consonantiques 
semblent  subir  pour  la  première  foiscette  perte  de  la  voyelle  postto- 
nique :  plnr,  siispir  se  lisent  dans  la  Genèse  Notre-Dame;  repair  à^\'\?> 
Pierre  de  Langtoft  ;  devour  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  et 
nous  pouvons  rapprocher  de  ces  troisièmes  personnes  du  singulier 
du  présent  de  l'indicatif  l'impératif  awr  qui  se  trouve  à  la  rime  dans 
le  Saint  Auban  ;  quelques  infinitifs  -.fer,  qner  (\ViQ  nous  avons  trouvés 
dans  quelques  auteurs  du  xiv^  siècle,  'et  particulièrement  dans  les 
textes  non  littéraires. 

Les  thèmes  en  //  nous  ont  donné  à  peu  près  à  la  même  date  les 
exemples  suivants  :  dun,  dans  William  de  Waddington,  dans  Wil, 
Rishanger  ;  soun,  enclyn,  sojorn  dans  Pierre  de  Langtoft,  etc.  ;  les 
thèmes  en  s  nous  montrent  au  présent  de  l'indicatif  oj-  dans  William 
de  Waddington,  V'im^éxzûî  pens  dans  le  Saint  Auban.  Pour  ces 
trois  classes  de  thèmes  consonantiques,  les  exemples  sont  assez 
communs  et  remontent  tous  à  la  même  date,  ou  à  peu  près.  Les 
autres  thèmes  en  m,  J,  1  mouillée  ne  nous  ont  fourni  que  peu 
d'exemples  et  ces  exemples  sont  tous  plus  tardifs. 

Comme  nous  le  verrons,  cette  chute  de  la  voyelle  étymologique 
dans  tous  les  cas  que  nous  venons  de  citer  s'explique  fort  aisément 
par  la  confusion  que  les  Anglo-Français  avaient  faite  entre  la  muette 
finale  et  la  détente  vocalique. 

Addition  d'un  e  atone  épithctique  aux  formes  consonantiques.  —  Un 
nombre  tout  aussi  considérable  de  formes  terminées  régulièrement 
par  une  dentale  appuyée  prennent  un  e  muet  irrégulier.  Nous  pou- 
vons remarquer  que  presque  tous  les  exemples  d'c  irréguliers  que 


774  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

nous  avons  relevés  à  la  première  personne  du  singulier  des  subjonc- 
tifs en  eni  proviennent  de  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une 
dentale  :  cunte.,  rcciiutc,  guarde  dans  le  Psautier  d'Oxford  ;  abilc, 
recuntc,  parle  dans  le  Psautier  de  Cambridge  ;  ahitc,  reciinte,  visite  à?ins 
le  Psautier  d'Arundel  ;  amende,  giiste  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois; 
cunle  dans  le  Poème  sur  Edward  le  Confesseur.  A  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  de  ces  subjonctifs  en  em,  il  nous  est  difficile  d'éta- 
blir un  ordre  quelconque  entre  les  formes  qui  nous  présentent  cet  e 
qui  n'est  pas  étymologique  ;  nous  avons  vu  cependant  que  les 
thèmes  à  dentale  qui  présentent  l'atone  sont  fort  nombreux,  mais  que 
cet  ^s'explique  par  le  souci  de  distinguer  la  dentale  du  thème  de  celle 
de  la  désinence.  Cette  explication,  qui  nous  semble  correcte  pour  les 
premiers  exemples  que  nous  rencontrons,  ne  saurait  s'appliquer  à  ceux 
que  nous  trouvons  postérieurement  à  la  chute  delà  dentale  caduque: 
cunte  dans  Edward  le  Confesseur;  amende  dans  WiUiam  de  Wad- 
dington:  grante  dans  le  Saint  Auban;  aide  un  peu  partout;  garde 
dans  les  Heures  de  la  Vierge,  Pierre  deLangtoft.  Et  nous  pourrions 
rappeler  ici  tous  les  exemples  que  nous  avons  relevés  dans  les  textes 
non  littéraires. 

Ces  exemples  sont  assez  tardifs  ;  ceux  que  nous  fournit  la  troi- 
sième personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  pour  ces  mêmes 
thèmes  sont  à  peu  près  de  la  même  date,  ou  légèrement  plus 
anciens.  Les  premières  formes  qui  présentent  à  cette  personne  cet  e 
irrégulier  sont  toutes  des  troisièmes  personnes  du  singulier  prove- 
nant de  thèmes  à  dentale,  comme  par  le, -x  la  rime  dans  le  Roman  de 
Philosophie  ;  consente  à  la  rime  dans  Deu  le  Omnipotent  ;  mette, 
départe  dans  Boeve  ;  mainte,  dans  la  Lumière  as  Lais  etc.  Et  ces 
troisièmes  personnes  en  te  sont  assez  nombreuses  au  xiii^  et  auxiV^ 
siècle. 

Les  autres  thèmes  consonantiques  ne  nous  fournissent  pas  autant 
d'exemples  et  dans  la  plupart  des  cas  ne  nous  donnent  que  des 
exemples  beaucoup  plus  récents  d'addition  d'f  posttonique.  A  la 
première  personne  du  singulier  des  subjonctifs  de  I,  nous  ne  trou- 
vons que  ailre  et  désire  au  xii^  siècle  (dans  les  Quatre  Livres  des 
Rois);  ces  mêmes  thèmes  en  r  nous  donnent  à  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  pour  ce  même  temps  espeire  danslt  Psautier  d'Ox- 
ford ;  le  Siège  de  Carlaverok,  pour  le  présent  de  l'indicatif,  a  apere  à  la 
rime.  Citons  enfin  les  infinitifs  de  I  et   de    II  qui  prennent  cette 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  775 

voyelle  :  esfere  dans  la  Genèse  ;  abaundunere  dans  les  Distiques  Ano- 
nymes ;  penscre,  estudiere,  ensevelire,  beisire,  veire,  sans  mentionner 
les  exemples  en  nombre  considérable  que  nous  trouvons  en  dehors 
de  la  littérature. 

On  pourrait  trouver,  et  nous  avons  cité  dans  notre  pre- 
mière partie,  plusieurs  autres  sortes  de  thèmes  consonantiques 
montrant  la  même  muette  irrégulière  ;  nous  ne  nous  y  arrêterons 
pas  maintenant. 

L'on  voit  donc  que,  dans  les  ouvrages  littéraires  comme  dans  les 
textes  politiques,  diplomatiques,  familiers  et  autres  anglo-français, 
ce  sont  les  mêmes  thèmes  qui  prennent  un  e  posttonique  irrégu- 
lier ou  qui  perdent  Ve  posttonique  régulier  qu'ils  avaient.  On  peut 
observer  en  outre  que  pour  tous  les  exemples  que  nous  avons 
donnés  de  ce  double  phénomène,  ce  sont  les  verbes  dont  le  thème 
est  terminé  par  une  dentale  appuyée  qui  offrent  les  exemples  les 
plus  nombreux  et  les  plus  anciens.  Viennent  ensuite  les  thèmes  en 
r,  ou  les  formes  terminées  par  r,  n  ou  s.  Ceci  n'est  pas  le  fait  d'une 
coïncidence  :  les  deux  phénomènes  proviennent  d'une  seule  cause, 
les  Anglo-Français  ont  commencé,  dès  la  seconde  moitié  du  xn^ 
siècle,  à  ne  plus  savoir  distinguer  Ye  atone  de  la  détente  vocalique 
qui  se  fait  sentir  surtout  pour  les  mots  qui  sont  terminés  par  une 
dentale  appuyée.  Les  écrivains  anglo-français  commencèrent  par 
ajouter  probablement  à  certaines  formes  un  e  épithétique  (ardenie 
du  Saint  Brandan,  ou  les  exemples  des  Psautiers),  mais  ils  ne  l'ajou- 
tèrent que  très  irrégulièrement  et  finirent,  comme  on  devait  s'y 
attendre,  par  le  confondre  avec  Ve  atone  étymologique.  C'est  delà 
que  provient —  en  partie  du  moins  —  l'irrégularité  avec  laquelle  ces 
écrivains  emploient  ou  omettent  cet  c  normal  ou  non^  étymolo- 
gique ou  épithétique. 

2.  Second  groupe.  —  Atone  en  hiatus. 

Nous  avons  à  nous  occuper  de  la  chute  et  de  l'addition  d'un  e 
atone  dues  à  des  causes  différentes  de  celles  que  nous  venons  d'exa- 
miner, et  ici,  il  nous  est  impossible  d'établir  entre  les  deux  phéno- 
mènes une  relation  aussi  étroite  que  celle  que  nous  avons  cru  décou- 
vrir précédemment. 

Nous  pouvons  remarquer  la   chute   d'un   e  atone  étymologique 


776  l'ûvolution  du  verre  ek  anglo-français 

dans- un  certain  nombre  de  cas  :  Ve  atone  disparaît  lorsqu'il  est  en 
hiatus  avec  la  tonique  en  position  posttonique  ou  protonique  ;  il 
lui  arrive  aussi  de  tomber,  mais  sporadiquement  quand  il  se  trouve 
entre  deux  consonnes,  même  à  Tinitiale.  Un  e  atone  parasite  peut 
apparaître  dans  les  deux  cas. 

Hiatus.  —  D'une  façon  générale,  on  peut  dire  que  l'anglo-fran- 
çais  a  tendu,  dès  le  milieu  du  xii''  siècle,  à  faire  disparaître  les  e 
atones  qui  se  trouvent  en  hiatus. 

Ceci  a  lieu  d'abord,  quoique  assez  rarement  et  assez  tard,  au  pré- 
sent de  l'indicatif,  à  la  troisième  personne  du  singulier  ou  du  plu- 
riel ;  pour  le  singulier  nous  trouvons  des  exemples  assurés  dans 
Boeve  de  Haumtone  Quere,  mercé),  à  la  rime  dans  Dermod  (crï), 
dans  Pierre  de  Langtoft  (agrè),  dans  Wil.  Rishanger  et  dans  l'Apo- 
calypse (ov,  présent  du  subjonctif);  mais  ces  exemples  datent  tous 
du  xiii^  ou  du  xiv«  siècle;  pour  la  troisième  personne  du  pluriel, 
nous  en  avons  trouvé  des  exemples  qui  remontent  au  moins  à  la 
seconde  moitié  du  xii^  siècle  {fuient  dans  Fantosme).  Pour  la 
seconde  personne  de  l'impératif,  il  en  va  de  même;  nous  avons  dans 
Adgar  esmai,  von,  et  au  siècle  suivant,  envei  est  fort  commun  (Robert 
de  Gretham). 

Mais,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer,  c'est  surtout  à 
l'imparfait  et  au  conditionnel  que  nous  pouvons  le  mieux  étudier 
ce  phénomène  dans  tout  le  développement  qu'il  a  pris  en  anglo- 
français,  et  nous  nous  contenterons  de  rapprocher  les  résultats  que 
nous  avons  déjà  obtenus  et  de  les  comparer  aux  autres  cas  qui 
montrent  la  disparition  d'un  e  atone  posttonique  en  hiatus:  comme 
précédemment,  il  n'y  a  pas  d'époque  où  on  ne  trouve  au  moins 
quelques  exemples  isolés  des  formes  étymologiques,  quoiqu'elles 
soient  devenues  extrêmement  rares  vers  le  milieu  du  xni^  siècle. 
Les  premiers  cas  d'amuissement  pour  l'imparfait  et  le  conditionnel 
remontent  à  environ  11 60,  mais  ils  restent  rares  jusqu'à  la  fin  de  ce 
siècle  (première  personnedu  singulier  :  Psautier  d'Arundel,  Psautier 
d'Oxford,  Fantosme  ;  troisième  personne  du  pluriel  :  Adgar,  Horn, 
Fantosme)  ;  quoique  certains  auteurs  du  xiii^  siècle  ne  présentent 
que  des  formes  régulières,  nous  remarquons  dès  le  début  de  ce  siècle, 
et  en  particulier  chez  Chardri,  une  augmentation  considérable  et 
subite  des  formes  raccourcies  ;  les  présents  de  l'indicatif  et  aussi  les 
présents  du  subjonctif  ne  montrent   pas   cette  quasi   disparition   si 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  777 

brusque  de  la  voyelle  atone  en  hiatus;  cela  est  spécial  à  l'imparfait 
et  au  conditionnel.  On  doit  noter  aussi  une  différence  dans  le 
nombre  de  formes  privées  de  la  voyelle  atone  régulière  :  aucune 
autre  terminaison  que  celle  de  l'imparfait  et  du  conditionnel  ne  se 
débarrasse  de  cette  voyelle  aussi  fréquemment. 

Mais,  ces  deux  différences  mises  à  part,  et  nous  ne  cachons  pas 
qu'elles  nous  semblent  fort  importantes,  Ve  atone  posttonique  a 
reçu  dans  toutes  ces  terminaisons  un  traitement  analogue. 

En  position  protonique,  Ye  atone  a  disparu  d'une  façon  encore 
plus  régulière,  et  ici  nous  nous  trouvons  en  présence  d'un  nombre 
très  considérable  d'exemples.  La  synérèse  de  la  voyelle  atone  peut 
s'observer  à  quatre  temps  :  au  prétérit  (prétérits  en  ///,  en  /,  en  si\ 
à  l'imparfait  du  subjonctif  (imparfoits  du  subjonctif  en  ui,  en  /,  en 
si),  à  l'infinitif  de  certains  verbes,  au  participe  passé  (participes  en 
H,  en  tum). 

Il  est  fort  difficile  de  donner  en  peu  de  mots  une  idée  claire  en 
même  temps  qu'exacte  de  la  disparition  de  la  voyelle  atone  proto- 
nique dans  tous  les  cas  que  nous  avons  énumérés,  et  nous  ne  vou- 
lons pas  ici  entrer  de  nouveau  dans  les  détails  que  nous  avons 
exposés  dans  notre  première  partie.  Pour  dessiner  la  ligne  générale 
de  cette  évolution,  nous  serons  obligés  de  négliger  très  souvent  des 
déviations  particulières,  et  ce  qui  sera  vrai  de  l'ensemble  pourra  se 
trouver  erroné  dans  le  détail. 

Remarquons  qu'il  est  probable,  sinon  certain,  qu'on  peut  trou- 
ver dans  toutes  les  catégories  ci-dessus  des  formes  où  l'hiatus  est 
conservé  jusqu'à  la  fin  du  xiv^  siècle  ;  mais  que  pour  chacune  d'elles 
la  synérèse  est  devenue  la  règle  entre  1250  et  1350. 

Les  premiers  cas  de  synérèse  se  rencontrent  tous,  à  une  excep- 
tion près,  vers  iiéo;  dans  Adgar,  pour  les  prétérits  en  ///  et  les 
participes  en  ii  ;  dans  le  Psautier  d'Arundel  pour  les  prétérits  en  /  ; 
dans  Thomas  pour  les  prétérits  en  si;  dans  l'Estorie  des  Engleis 
pour  les  imparfaits  du  subjonctif  en  ///  et  en  si;  dans  Jordan  Fan- 
tosme  pour  les  imparfaits  du  subjonctif  en  /;  dans  les*  Psautiers 
pour  les  quelques  prétérits  en  //////  qui  présentent  un  hiatus. 

La  plupart  des  auteurs  que  nous  venons  de  signaler  ne  nous  pré- 
sentent évidemment  pas  d'exemple  pour  une  catégorie  seulement, 
de  sorte  que  pendant  la  seconde  moitié  du  xu'  siècle,  les  cas  de 
synérèse  qui,  pris  isolément,  peuvent  paraître  négligeables,  se  pré- 


778  l'évolution    du    VHRliR    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

sentent  en  asse;^  grand  nombre  quand  on  les  rassemble;  et  si  nous 
rapprochons  ces  résultats  que  nous  venons  de  combiner  à  ceux  aux- 
quels nous  sommes  arrivés  en  étudiant  l'atone  posttonique  en  hia- 
tus, nous  voyons  que  cette  date  de  11 60  marque  le  commencement 
de  la  disparition  de  tous  les  e  atones  en  hiatus. 

Ici  encore,  le  nombre  de  cas  de  synérèse,  déjà  relativement  con- 
sidérable pendant  les  quarante  dernières  années  du  xii'^  siècle,  aug- 
mente, mais  toujours  d'une  façon  très  irrégulière,  pendant  les  trois 
premiers  quarts  du  siècle  suivant.  Et  s'il  fliUait  désigner  un  moment 
où  le  nombre  des  cas  de  diérèse  atteint  son  minimum,  dont  il  ne 
bougera  plus  par  la  suite,  nous  le  placerions  à  l'époque  où  écrivait 
William  de  Waddington. 

Une  seule  des  catégories  que  nous  avons  mentionnées  plus  haut 
montre  des  exemples  de  la  disparition  de  la  muette  à  une  date  sin- 
gulièrement plus  tardive  :  ce  sont  les  infinitifs  ver,  cher,  scr  qui  ne 
remontent  pas  plus  haut  que  le  milieu  du  xiii^  siècle. 

Telles  sont  les  lignes  générales  qu'a  suivies  l'évolution  de  Yc  atone 
en  hiatus,  soit  avant,  soit  après  la  tonique  ;  nous  le  répétons,  nous 
négligeons  volontairement  un  grand  nombre  de  détails  ;  on  peut 
se  rappeler  que  nous  nous  sommes  attaché  à  montrer  dans  notre  pre- 
mière partie  que  les  formes  régulières  se  rencontrent  dans  certains 
cas  très  avant  dans  les  textes  anglo-français  ;  nous  avons  aussi  essayé 
alors  de  déterminer  quelles  personnes  présentaient  les  premières  les 
formes  raccourcies.  Ici  nous  ne  nous  occupons  que  de  l'ensemble 
qui  nous  montre  la  diminution  considérable  des  formes  normales 
entre  11 60  et  1250  environ. 

C'est  un  phénomène  général  et,  autant  que  cela  se  peut  pour  l'an- 
glo-français,  régulier,  qui  a  tendu  à  faire  disparaître  tous  les  e  atones 
en  hiatus. 

Le  phénomène  contraire  est  beaucoup  plus  rare  et  s'explique  pro- 
bablement beaucoup  moins  facilement  :  l'anglo-français  du 
xiv^  siècle  ajoute  à  l'occasion  un  e  atone  après  une  voyelle,  surtout 
à  l'infinitif  et  devant  r  ;  c'est  le  phénomène  que  nous  avons  men- 
tionné à  propos  del'^svarabhaktique,  quoiqu'il  ne  puisse  pas  s'expli- 
quer de  la  même  façon  :  Nicolas  Trivet  a  estraiere,  les  Rymer's 
Foedera  /)/fl!/tT  (plaire),  rescriere  (1357),  conduere  (1395).  C'est  pro- 
bablement la  façon  dont  les  Anglo-Français  prononçaient  Vr  fran- 
çaise qui  a  provoqué  cette  graphie,  qui  reste  toujours  rare. 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  779 

L'importance  de  ce  phénomène  ne  saurait  se  comparer  à  celle  de 
celui  qui  montre  la  chute  de  Ve  dans  les  mêmes  conditions. 

Nous  mentionnerons  encore  ici  les  nombreux  cas  où  un  e  final 
est  ajouté  à  certaines  personnes  régulièrement  terminées  par  une 
voyelle;  mais  il  nous  semble  que  toutes  les  formes  qui  suivent  sont 
avant  tout  des  formes  analogiques.  On  trouve  cet  e  final  irrégulier 
au  présent  du  subjonctif  de  certains  verbes  de  I  qui  ont  un  thème 
vocalique  comme,  pour  la  première  personne,  aie  dans  Adgar  ;  esmaie 
à  la  troisième  personne  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan  ;  Joed,  vivi- 
fiet,  fc'/MwV/ dans  les  Psautiers;  à  difierentes  secondes  personnes  du 
singulier:  creics  dans  Robert  de  Gretham,  oycs  dans  les  Heures  de  la 
Vierge.  On  pourrait  ajouter  encore  ici  une  première  personne  du 
singulier  :  die  (dico),  dont  nous  avons  donné  de  nombreux 
exemples. 

Mais  encore  une  fois  ces  quelques  exemples  nous  paraissent  être 
des  formes  analogiques,  dont  nous  redirons  quelques  mots  au  cha- 
pitre suivant. 

3.  Troisième  groupe.  —  Atone  interconsonantique. 

a)  Chute  de  l'atone  en  position  protonique.  —  Nous  ne  trou- 
vons pas  pour  la  chute  de  Ve  atone  interconsonantique  des  exemples 
aussi  variés  et  par  conséquent  aussi  probants  que  pour  celle  de  1'^ 
atone  en  hiatus  ;  mais  la  série  que  nous  allons  citer  suffira  pour 
donner  une  idée  fort  exacte  de  l'étendue  et  de  l'importance  de  ce 
phénomène.  Nous  en  trouvons  des  exemples  avant  comme  après  la 
tonique  et  ce  sont  les  e  atones  protoniques  qui  disparaissent  les  pre- 
miers. C'est  surtout  au  futur  de  certains  verbes  de  la  première  con- 
jugaison que  ce  phénomène  se  produit  le  plus  souvent  et  le  plus 
régulièrement  ;  le  Brandan  nous  en  fournit  au  moins  un  exemple  qui 
doit  être  attribué  à  l'auteur  (i  i  lo)  et  quelques-uns  qui  ne  remontent 
qu'au  scribe  du  manuscrit  de  Londres  (1167).  Les  cas  de  chute  de 
la  voyelle  protonique  au  futur  sont  fort  communs  au  xn'  siècle  et 
ils  proviennent  de  thèmes  très  différents  :  thèmes  à  labiale,  thèmes 
en  r,  thèmes  en  w,  même  thèmes  vocahques.  Plus  tard  encore,  cet 
e  tombe  et  laisse  subsister  des  groupes  de  consonnes,  comme  dans 
auardrai,  treinblnii,  menirai;  mais  ces  exemples  qui  sont  peu  com- 
muns peuvent  bien  n'être  que  des  lapsus  des  scribes,  car  nous  n'en 


780  l'évolution  du  vlrbe  en  anglo-français 

avons  rencontré  aucun  qui  soit  attesté  par  la  mesure  du  vers.  La 
tendance  que  nous  avons  fait  remarquer  et  qui-  consiste  à  ajouter 
dans  certains  groupes  de  consonnes  une  voyelle  atone  qui  en  aide 
la  prononciation  trouve  ici  sa  contre-partie;  mais  cette  chute  de 
l'atone  protonique  est  entièrement  limitée  à  un  petit  nombre  de 
formes,  dont  la  plupart  remontent  au  commencement  du  xii"^  siècle. 
Quant  à  la  chute  de  l'atone  au  futur  du  verbe  faire,  elle  a  lieu  encore 
vers  iiéo;  Adgar,  Fantosme,  Thomas  nous  en  ont  fourni  de  nom- 
breux cas  que  nous  avons  cités  précédemment  et  les  formes  abré- 
gées du  futur  de  ce  verbe  deviennent  de  plus  en  plus  communes, 
jusqu'à  devenir,  vers  le  commencement  du  xiV'  siècle,  chez  certains 
auteurs,  les  seules  employées  (sauf  dans  les  textes  non  littéraires). 
C'est  donc  vers  11 60  que  la  chute  de  Ve  protonique  atteint  un  cer- 
tain nombre  de  verbes. 

/»)  Chute  de  l'atone  en  position  posttonique.  —  C'est  sensiblement 
plus  tard  que  le  même  phénomène  se  produit  après  la  tonique;  les 
premières  et  les  secondes  personnes  du  pluriel  féminines  se  rencontrent 
sans  muette  à  la  fin  du  xiii'  et  au  commencement  du  xiv^siècle  :  dans  la 
Destruction  de  Romeetdansles  Contes  de  Nicole  Bozon  ;  maiscen'est 
que  dans  les  ouvrages  non  littéraires  que  les  exemples  deviennent 
vraiment  communs;  dans  les  Rymer's  Foedera,  les  ^  atones  sont 
rares  pour  les  premières  personnes  féminines  faibles  depuis  1272; 
et  pour  toutes  les  secondes  personnes  du  pluriel,  les  formes  sans  e 
se  trouvent  fréquemment.  Néanmoins,  on  ne  doit  pas  attacher  trop 
d'importance  à  ce  fait,  excepté  en  tant  qu'il  montre  une  tendance 
de  l'anglo-français  :  celle  de  faire  disparaître  les  voyelles  atones  inter- 
consonantiques  en  quelque  position  qu'elles  se  trouvent;  mais  cette 
tendance  est  combattue,  comme  nous  le  disions  tout  à  l'heure,  par 
l'introduction  des  e  épithétiques  et,  comme  nous  allons  le  voir,  des 
e  épenthétiques.  De  plus,  il  nous  restera  à  signaler  encore  d'autres 
cas  qui  nous  montreront  l'addition  d'un  e  atone  qui  ne  peut  s'ex- 
pliquer par  aucune  des  raisons  que  nous  avons  données  et  que  nous 
classerons  parmi  les  formes  analogiques. 

c)  Atone  svarabhaktique,  ou  épenthétique.  — L'c  atone  que  nous 
avons  appelé  svarabhaktique  ne  diffère  pas  essentiellement  de  1'^' 
épithétique  dont  nous  venons  de  donner  des  exemples  (cf.  p.  773)  ; 
le  développem.ent  dans  le  corps  d'un  mot  d'une  voyelle  épenthé- 


LES    CHANGEMENTS    PHONiaUES    DANS    LE    VERBE  78 1 

tique  est  un  fait  commun  en  anglo- français  et  on  pourra  en  trou- 
ver plusieurs  exemples  dans  Stimming  (Boeve  de  Haumtone^ 
p.  179).  Mais  ce  phénomène  a  présenté  à  la  fois  une  extension 
beaucoup  plus  grande  et  une  régularité  beaucoup  plus  remarquable 
dans  le  verbe  que  pour  toute  autre  classe  de  mots.  Deux  temps 
étaient  spécialement  désignés  par  leur  forme  pour  montrer  cette 
voyelle  épenthétique  :  le  futur  et  le  présent  de  l'infinitif.  A  l'aide 
de  ces  deux  temps,  nous  pouvons  nous  faire  une  idée  fort  exacte  du 
développement  et  de  la  valeur  que  Ve  svarabhaktique  a  pris  en 
anglo-français.  Il  apparaît  à  ces  deux  temps  vers  le  milieu  du 
XII' siècle;  le  Psautier  d'Arundel  nous  en  donne  un  exemple  de 
date  assurée  pour  l'infinitif,  et  le  manuscrit  A  de  l'Alexis  ou  C  du 
Cumpoz,  de  même  que  le  Psautier  d'Oxford,  nous  en  fournissent 
d'aussi  certains  pour  le  futur. 

Tout  d'abord,  cet  c  atteint  surtout  les  verbes  à  labiale  et  quelque 
temps  plus  tard,  mais  la  légère  différence  entre  les  dates  peut  n'être 
qu'un  hasard,  les  verbes  à  dentale  appuyée.  Il  semble  probable  que 
les  écrivains  qui  employèrent  cet  e  les  premiers  ne  lui  donnèrent 
pas  une  valeur  syllabique  ;  il  fut  d'abord  ce  que  les  Anglais  appellent 
«  glide  »,  et  cela  explique  que  le  premier  cas  que  nous  trou- 
vions d'un  e  épenthétique  comptant  pour  une  syllabe  ne  se  ren- 
contre pas  avant  le  xiir'  siècle  (Edward  le  Confesseur),  pour  l'infini- 
tif, un  peu  plus  tôt  probablement  pour  le  futur  (Adgar,  Fantosme, 
Horn,  Vie  de  Saint  Gilles).  Il  est  probable  que  les  auteurs  qui  nous 
donnent  des  exemples  de  ces  e  muets  avec  valeur  syllabique, 
exemples  en  nombre  très  restreint,  ont  dû  l'employer  beaucoup  plus 
souvent  en  lui  donnant  une  simple  valeur  graphique.  Ce  n'est 
guère  que  vers  1250  que  nous  trouvons  ces  e,  surtout  pour  le  futur, 
comptant  régulièrement  pour  une  syllabe. 

Certains  futurs  semblent  être  spécialement  affectés  par  cette 
voyelle  épenthétique,  celui  d'avoir,  principalement,  et  on  pourrait 
expliquer  la  plus  grande  susceptibilité  de  ce  verbe  par  l'influence  de 
l'infinitif  fli'fr. 

Le  phénomène  de  svarabhakti  peut  s'observer  encore  à  d'autres 
temps,  mais  beaucoup  moins  régulièrement  qu'au  futur  et  qu'à 
l'infinitif  :  ce  sont  les  temps  ou  les  formes  qui  présentent  soit  le 
groupe  sin  soit  le  groupe  str,  par  exemple  feiseiiics,  assistèrent.  Et  on 
peut  comprendre  aisément  pourquoi  ces  formes  n'ont  pas  plus  sou- 


782  l'évolution    IJU    VERBE    EN    ANGLO-FKANÇAIS 

vent  cet  e  svarabhaktique,  si  on  admet,  comme  nous  le  montrerons 
plus  tard,  que  dans  ces  groupes  IV  s'est  amuie  de  fort  bonne  heure 
et  que  le  groupe  de  consonne  s'est  réduit  de  façon  à  rendre  inutile 
une  voyelle  épenthétique. 

Disons  encore  un  mot  de  la  forme  même  de  cette  voyelle  :  nous 
trouvons  le  plus  souvent  c.  et  on  peut  dire  que  toute  autre  graphie 
est  sporadique. 

/  se  rencontre  dans  une  demi-douzaine  d'exemples  :  hevire,  res- 
poiidire,  vivirc,  preudirc  ;  a  est  encore  plus  rare  :  savara  ;  a  ne  se  ren- 
contre qu'une  fois  ou  deux  :  suffrisiinies. 

Pendant  le  xiv*  siècle,  nous  trouvons  quelques  exemples  d't'  qui 
peuvent  être  des  e  svarabhaktiques,  employés  avec  des  verbes  à 
thème  vocalique  :  estraiere  (Trivet),  plaier  (Rymer),  condiiere 
(Rymer)  ;  mais  nous  croyons  avoir  là  des  exemples  d'un  phénomène 
légèrement  différent  que  nous  avons  déjà  mentionné  (voir  plus 
haut,  p.  778). 

Nous  avons  donc  vu  jusqu'ici  la  confusion  que  les  Anglo-Fran- 
çais ont  faite  entre  les  e  atones  en  position  finale  et  des  e  épithé- 
tiques  qu'ils  employaient  ou  n'employaient  pas  sans  raison  appa- 
rente; les  ^  épenthétiques  ont  la  même  origine  que  les  e  épithé- 
tiques,  mais  ils  ont  été  d'un  emploi  beaucoup  plus  régulier.  Ces 
quelques  fiiits  expliquent  bien  un  grand  nombre  de  phénomènes  que 
nous  avons  observés  dans  la  conjugaison  du  verbe  et  ils  rendent 
compte  en  même  temps  de  la  physionomie  même  que  nous  pré- 
sentent les  textes  anglo-français  du  xiV^  siècle,  où  les  e  atones 
abondent  là  où  on  ne  les  attend  pas  et  sont  absents  des  formes  où 
ils  sont  étymologiques. 

Voilà  donc  aussi  brièvement  que  possible  les  cas,  nombreux  et 
importants,  qui  doivent  le  changement  que  leur  torme  a  subi  à 
l'apparition  ou  à  la  chute  d'un  e  atone;  dans  tous  les  cas  que  nous 
avons  mentionnés,  sauf  les  quelques  réserves  que  nous  avons  faites, 
cette  chute  de  Ve  atone  étymologique  ou  l'addition  d'une  voyelle 
atone  parasite  est  due  à  des  influences  purement  phoniques;  et  nous 
cro3^ons  avoir  cité  la  grande  majorité  des  cas  pour  lesquels  l'irré- 
gularité de  la  forme  est  due  à  Ve  muet. 

Ce  que  nous  avons  dit  montre  bien  une  chose,  c'est  que  les 
écrivains  anglo-français,  à  partir  de  iiéo,  ont  commencé  à  s'em- 
brouiller sur  la  place  et  la   valeur  de  1'^'  atone;  ils  ont  confondu 


LES    CHANGEMENTS    PHONiaUES    DANS    LE    VERBE  783 

avec  la  muette  la  détente  vocalique  et  pris  dans  d'autres  cas  une 
détente  vocalique  pour  une  muette;  puis  et  toujours,  semble-t-il,  à 
la  même  époque,  les  e  muets  en  hiatus,  avant  ou  après  la  tonique, 
ne  se  sont  plus  fait  sentir  qu'irrégulièrement  dans  la  prononciation; 
les  atones  interconsonantiques  ont  eu  le  même  sort  au  moment 
même  où  une  muette  épenthétique  se  montre  dans  un  grand  nombre 
de  formes;  et  le  plus  grand  nombre  des  voyelles  atones,  à  partir  de 
1250,  a  pu  s'employer  ou  s'omettre  au  gré  de  chacun,  alors  que 
dans  d'autres  cas  où  il  était  entièrement  inutile,  le  même  e  atone 
a  semblé  nécessaire  à  la  prononciation.  Il  en  est  résulté  la  plus  grande 
confusion,  non  seulement  dans  le  verbe,  mais  surtout  dans  la  pro- 
nonciation etpar  conséquent  dans  la  versification.  Des  vers  français, 
parfaitement  corrects  pour  des  oreilles  françaises,  devaient  paraître  à 
un  écrivain  anglo-français  avoir  un  nombre  toujours  changeant  de  syl- 
labes. Et  ceci  nous  explique  mieux  que  toute  autre  considération  l'ir- 
régularité de  la  versification  qui  a  certainement  commencé  vers  la  fin 
du  xii^  siècle  et  qui  n'a  fait  qu'augmenter  pendant  les  deux  siècles 
suivants.  Cette  irrégularité  vient  d'abord  en  partie  de  ce  que  les 
écrivains  anglo-français  comptaient  ou  ne  comptaient  pas  les  voyelles 
muettes  à  volonté;  mais  elle  résulte  surtout  de  ce  que  leur  traite- 
ment des  muettes  leur  a  fait  très  tôt  perdre  le  sens  même  de  ce 
qu'est  un  vers  français.  Leur  façon  de  prononcer  le  français  rendait 
incorrects  les  neuf  dixièmes  des  vers  français  corrects  qu'il  leur 
arrivait  de  lire,  car  tous  les  vers  qu'ils  avaient  sous  les  yeux  sem- 
blaient avoir  un  nombre  de  syllabes  extrêmement  variable,  suivant 
le  nombre  dV  atones  qu'ils  avaient  et  que  les  Anglo-Français  comp- 
taient ou  ne  comptaient  pas.  Il  en  résulta  qu'après  un  temps  ils 
oublièrent  et  ne  purent  plus  reconnaître  que  le  principe  du  vers 
français,  c'est  le  nombre  fixe  de  syllabes. 

Voilà  les  résultats  que  le  traitement  de  Ve  atone  a  eus  sur  la  con- 
jugaison du  verbe  et,  incidemment,  sur  la  versification  en  anglo- 
français  ;  comme  on  peut  en  juger  de  ce  que  nous  venons  de  dire 
sur  ces  deux  points,  ces  résultats  sont  de  la  plus  grande  importance 
et  on  peut  conclure  que  de  tous  les  phénomènes  que  nous  avons 
exposés,  aucun  n'a  plus  contribué  à  modifier  la  physionomie  de 
l'anglo-français  que  le  traitement  que  \'e  atone  a  subi. 

Les  phénomènes  phoniques  qu'il  nous  reste  à  examiner  sont  loin 
d'avoir  la  même  importance  que  ceux  que  nous  venons  de  signaler, 


„  Q 


84  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

autrement  dit,  les  consonnes  n'ont  pas  eu  sur  le  développement  des 
formes  du  verbe  la  même  influence  que  les  voyelles  et  les  diph- 
tongues. 

Nous  aurons  à  passer  rapidement  en  revue  les  explosives  dentales, 
les  fricatives  dentales,  les  consonnes  mouillées,  la  vibrante  r. 

I.  Les  explosives  dentales. 
Dentale  finale  caduque. 

Nous  avons  vu  que  les  troisièmes  personnes  du  singulier  corres- 
pondant à  la  terminaison  latine  at,  les  troisièmes  personnes  du 
singulier  en  a,  en  /,  en  u,  les  participes  passés  ûiibles  en  e,  en  z 
et  en  u  sont  terminés  par  une  dentale  caduque.  De  ces  quatre 
classes,  les  participes  faibles  en  /  seuls  se  rencontrent  à  la, rime  avec 
des  mots  terminés  par  une  dentale  appuyée,  et  ces  rimes  se  ren- 
contrent assez  avant  dans  le  xii^  siècle,  puisqu'elles  se  trouvent  dans 
l'Estorie  des  Engleis,  dans  le  Drame  d'Adam  et  les  Légendes  de 
Marie.  Mais  à  part  les  quelques  exemples  que  nous  relevons  dans  ces 
quatre  ouvrages  pour  les  dentales  de  cette  classe  de  participes  passés, 
toutes  les  formes  du  verbe  terminées  par  une  dentale  caduque  sont 
entièrement  distinctes  de  celles  qui  montrent  une  dentale  appuyée. 
Dès  le  début  de  la  littérature  anglo-française,  on  trouve  que  ces 
formes  sans  distinction  peuvent  rimer  avec  des  mots  qui  ne  sont 
pas  terminés  par  une  dentale.  Mais  il  faut  remarquer  deux  choses  : 

1°  Les  formes  dans  lesquelles  la  dentale  suit  immédiatement  la 
voyelle  tonique  se  trouvent  quelquefois  à  la  rime  avec  des  mots  qui 
ont  dû  être  terminés  par  la  spirante  th;  les  participes  passés  (vers 
1140-1 150)  riment  respectivement  avec  Elvereth,  Edelfrid,  Suth, 
Cnuth  ;  il  n'est  probablement  pas  trop  hardi  de  généraliser  les  ren- 
seignements que  nous  donnent  ces  participes  et  de  conclure  que 
toutes  les  formes  verbales  qui  sont  terminées  par  une  dentale 
caduque  ont  montré,  à  peu  près  à  la  même  époque,  la  même  valeur 
pour  leur  dentale  finale.  Après  cette  date  (11 50),  nous  ne  trouvons 
plus  de  rime  qui  nous  permette  de  croire  que  cette  valeur  lui  a  été 
conservée. 

2°  Pour  les  troisièmes  personnes  du  singulier  qui  correspondent 
à  la  désinence  latine  al,  nous  retrouvons,    et  pendant  une  longue 


LES  CHANGEMENTS  PHONIQUES  DANS  LE  VERBE       785 

période,  cette  même  dentale  avec  une  autre  valeur,  celle  de  dentale 
de  liaison.  Les  exemples  sont  nombreux  pendant  tout  le  xii=  siècle 
et  se  prolongent  certainement  pendant  le  commencement  du  xni% 
peut-être  jusque  vers  1250. 

Dentale  finale  appuyée. 

Nous  retrouvons,  quoique  avec  une  extension  beaucoup  moins 
grande,  les  mêmes  phénomènes  pour  la  dentale  finale  appuyée  à  la 
troisième  personne  du  singulier  et  à  la  seconde  personne  du  singu- 
lier de  certains  impératifs.  Nous  n'avons  aucune  rime  qui  nous  per- 
mette d'affirmer  que  cette  dentale  a  passé  par  l'étape  spirante;  nous 
n'avons  pu  relever  que  quelques  graphies,  comme  rith,  seeth,  qui 
datent  de  la  fin  du  xni^  ou  du  xiv^  siècle.  Mais  les  chutes  de  cette 
dentale  sont  absolument  certaines.  Il  est  remarquable  que  quelques- 
uns  de  ces  cas  sont  presque  aussi  anciens  que  ceux  que  nous  avons 
signalés  pour  la  dentale  caduque  :  les  Psautiers  {pren,  impératif), 
l'Estorie  des  Engleis  Çsumun,  présent  de  l'indicatif),  le  Roland 
d'Oxford  {er,  imparfait  de  l'indicatif;  auiein,  présent  du  subjonctif), 
le  manuscrit  L  du  Saint  Alexis  {di,  présent  de  l'indicatif).  Frère 
Angier  (j-espon,  defen^  impératif),  nous  donnent  de  ce  phénomène 
un  nombre  assez  considérable  d'exemples  indiscutables.  Néanmoins 
leur  nombre  n'approche  pas  de  celui  des  exemples  que  nous  avons 
rencontrés  pour  la  dentale  caduque.  Pendant  les  deux  siècles  sui- 
vants, nous  trouvons  sans  leur  dentale  finale  appuyée  des  troisièmes 
personnes  du  singulier  de  plus  en  plus  nombreuses,  et  les  textes 
non  littéraires  nous  fournissent  leur  part  de  ces  formes;  elles  restent 
malgré  tout  exceptionnelles. 

A  une  date  beaucoup  plus  tardive,  nous  rencontrons  des  troi- 
sièmes personnes  du  pluriel  (masculines  et  féminines)  qui  perdent 
leur  dentale  de  la  même  façon;  les  premiers  exemples  que  nous 
ayons  trouvés  se  lisent  dans  le  poème  de  Boeve  de  Haumtone  :  ««, 
usen;  mais  ces  formes  sont  très  peu  nombreuses  dans  la  littérature  et 
rares  aussi  dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques;  leur  nombre 
ne  peut  même  pas  se  comparer  à  celui  des  troisièmes  du  singulier 
qui  ont  subi  cette  même  perte.  Il  en  va  de  même  pour  les  participes 
forts  en  ctiim;  Boeve  et  quelques  autres  ouvrages,  littéraires  ou  non, 
nous  fournissent  un  petit  nombre  d'exemples  comme  dis^  csly,  bcne, 
escondu. 

)0 


786  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Quant  aux  participes  présents,  on  peut  dire  qu'ils  conservent 
toujours  leur  dentale. 

Par  conséquent,  la  dentale  finale  appuyée,  dans  un  certain  nombre 
de  cas,  suit  la  même  marche  que  la  dentale  caduque,  passe  peut- 
être  à  la  spirante  et  tombe,  et  ces  cas  remontent  à  la  seconde  moi- 
tié du  XII''  siècle;  mais  ils  restent  exceptionnels  et  le  plus  souvent, 
en  particulier  à  la  troisième  personne  du  pluriel  et  au  participe  pré- 
sent, la  dentale  ne  subit  pas  de  modification. 

2.  Les  fricatives  dentales. 

L's  finale  ne  s'est  pas  toujours  très  bien  conservée  en  anglo-fran- 
çais et,  comme  pour  Ve  atone,  nous  assistons  à  cause  de  cela  à  un 
double  processus  :  chute  de  1'^  finale,  addition  d'une  s  finale  para- 
site. 

L'j"  finale  disparaît  assez  fréquemment  dans  les  formes  masculines 
terminées  régulièrement  par  une  voyelle  ou  une  consonne  suivie  de 
cette  s. 

Les  premières  personnes  du  singulier  qui  perdent  cette  s  ne  sont 
pas  très  communes  et  cette  chute  n'a  lieu  que  fort  tard  dans  les 
textes  littéraires  anglo-français  :  on  ne  rencontre  fa,  estoy,  truf,  doyn 
que  dans  les  textes  du  xiv^  siècle.  C'est  à  peu  de  chose  près  à  la 
même  date,  peut-être  un  peu  plus  tôt,  qu'il  faut  rapporter  les  formes 
de  la  première  personne  des  prétérits  en  ^/ sans  leur  5  étymologique, 
comme  di. 

Quoiqu'il  y  soit  plus  ancien,  ce  phénomène  n'est  pas  beaucoup 
plus  général  pour  la  deuxième  personne  du  singulier  qui  nous  donne 
fai  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  va  dans  Boeve. 

Nous  ne  nous  attarderons  pas  à  répéter  ce  que  nous  avons  dit  pré- 
cédemment à  propos  de  la  terminaison  de  la  première  personne  du 
pluriel  ;  nous  avons  montré  qu'elles  perdaient  leur  s  pendant  le  pre- 
mier quart  du  xii*^  siècle  et  que  vers  1250  les  désinences  asigma- 
tiques  parvenaient  à  prendre  la  place  des  désinences  régulières  ;  Vs  a 
ici  réellement  disparu  d'une  façon  à  peu  près  complète  et  dans 
aucun  autre  cas,  nous  ne  retrouverons  une  régularité  aussi  grande . 

Les  secondes  personnes  du  pluriel  à  terminaison  masculine, 
cependant,  nous  fournissent  un  certain  nombre  de  formes  qui 
montrent  que  la  désinence  s'est  réduite  à  e;  mais  nous  n'avons  ici 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS    LE    VERBE  787 

aucun  moyen  pour  décider  si  c'est  la  terminaison  avec  s,  ou  la  ter- 
minaison régulière  en  :^  ou,  comme  nous  le  pensons,  la  terminaison 
en  d  qui  perd  la  consonne  finale. 

Pour  ces  terminaisons  masculines,  le  nombre  de  formes  sans  la 
consonne  finale  est  assez  restreint,  mais  les  exemples  que  nous  en 
avons  remontent  tous  assez  haut.  A  la  deuxième  personne  du  sin- 
gulier, nous  trouvons /'f'.''^<^  dans  l'Alexis;  nf/ie  et  die  à  la  rime  dans 
Boeve  ;  face  dans  Pierre  de  Langtoft  et  dans  Bozon,  mais  quoiqu'ils 
remontent  assez  haut,  ces  exemples  restent  isolés.  Il  en  va  à  peu 
près  de  même  dans  les  premières  et  les  secondes  personnes  du  plu- 
riel féminines  ;  le  Psautier  d'Arundel  nous  en  donne  un  exemple 
(dite^  qui  se  retrouve  dans  l'Ipomédon  ;  le  Roland  d'Oxford  nous  en 
fournit  un  autre  (J'eshîie)  ;  le  poème  de  Boeve  de  Haumtone,  la  Vie 
de  Saint  Auban  en  ont  aussi  quelques-uns;  mais  tous  ces  cas  réunis 
ne  forment  pas  un  total  bien  imposant. 

Par  conséquent,  nous  surprenons  une  tendance  en  anglo-français 
à  faire  disparaître  l'^  finale,  soit  après  une  voyelle  ou  une  diphtongue, 
soit  après  un  £' muet;  mais  cette  tendance  reste  à  l'état  d'indica- 
tion et  ne  produit  que.  peu  de  résultats.  Le  seul  cas  où  nous  puis- 
sions remarquer  une  disparition  à  peu  près  régulière  de  1'^,  c'est 
après  la  voyelle  nasale  on. 

L'addition  d'une  s  se  produit  dans  un  plus  petit  nombre  d'exemples, 
mais  elle  semble  se  faire  plus  régulièrement,  et  nous  ne  pouvons  pas 
ne  pas  croire  que  cette  addition  s'est  faite,  dans  certains  cas  que  nous 
allons  citer,  par  le  jeu  naturel  des  lois  phoniques.  L'.^  s'est  généra- 
lisée à  la  première  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  et 
à  la  seconde  du  singulier  de  l'impératif  aux  thèmes  à  palatale  qui 
ne  l'ont  pas  ordinairement.  Cette  addition  de  1'^-  remonte  au  moins 
au  commencement  de  la  seconde  moitié  du  xn^  siècle  :  dis,  esli^, 
lis  sont  des  premières  personnes  du  présent  de  l'indicatif;  ja^,  dis, 
gis,  tes  des  impératifs. 

Au  commencement  du  xni''  siècle,  Vs  est  étendue  pour  ces  deux 
personnes  aux  verbes  à  dentale  :  ris,  pleins,  conclus  pour  les  pre- 
mières, ox,  desfens  pour  les  secondes.  Nous  assistons  ici  à  un  déve- 
loppement phonique  régulier  et  non  pas  à  un  phénomène  d'analo- 
gie, quoiqu'il  soit  évidemment  possible  d'expliquer  par  l'analogie  les 
formes  qui  précèdent. 

Nous  trouvons  un  phénomène  à   peu  près  analogue  à  la  chute 


788  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

de  Vs  finale  dans  l'amuissement  de  cette  consonne  devant  s,  dans  la 
terminaison  st,  phénomène  qui  a  sa  contre-partie  dans  l'apparition 
dans  certains  autres  cas  d'une  s  parasite.  La  terminaison  st  se  ren- 
contre dans  un  certain  nombre  de  formes  dans  le  verbe  :  à  la  troi- 
sième personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  de  quelques 
verbes,  à  celle  des  prétérits  en  si,  à  celle  de  l'imparfait  du  subjonctif 
de  tous  les  verbes  ;  à  la  deuxième  personne  du  pluriel  des  prétérits  ; 
à  la  troisième  des  prétérits  en  si. 

Nous  trouvons  des  preuves  de  l'amuissement  de  ïs  dans  toutes 
les  formes  que  nous  venons  de  donner,  mais  cet  amuissement  n'a 
pas  partout  le  même  caractère  de  généralité  et  ne  se  produit  pas  par- 
tout à  la  même  date.  C'est  vers  11 50  que  nous  relevons  des 
exemples  assurés  de  l'amuissement  de  1'^  au  présent  de  l'indicatif  et 
à  la  troisième  personne  du  singulier  des  prétérits  en  si  {cunmt,  dans 
le  Voyage  de  Saint  Brandan  •,cunduit,  dans  le  même  poème;  desiruit, 
dans  Gaimar;  cundniî,  dans  Fantosme).  Les  exemples  deviennent 
très  communs  pendant  le  xiii^  siècle. 

Vers  la  fin  du  xii"  siècle,  nous  trouvons  des  preuves  que  1'^  dis- 
paraît aussi  des  secondes  personnes  du  pluriel  des  prétérits,  et  pour 
ces  personnes,  nous  n'avons  pas  trouvé  d'exemple  antérieur  à  la 
Vie  de  Saint  Gilles  :  suffrites  et  fûtes;  ces  formes  se  retrouvent  au 
siècle  suivant,  mais  on  peut  dire  que  Ys  se  conserve  au  moins  dans 
l'orthographe.  Ce  n'est  que  vers  le  milieu  du  xiii^  siècle,  au  plus 
tôt,  qu'elle  disparaît  des  troisièmes  personnes  du  pluriel  des  prétérits 
en  si,  et  les  exemples  que  nous  avons  relevés  des  formes  sans  s  pour 
cette  personne  sont  très  rares:  remiterent  dans  Boeve;  à  la  même 
époque,  nous  rencontrons  ht  pour  lest,  subjonctif  de  laisser.  Enfin 
ce  n'est  qu'à  la  fin  du  xiii^  et  même,  pour  certaines  classes,  à  la  fin 
du  xiv%  que  les  imparfaits  du  subjonctif  se  débarrassent  de  leur  s  : 
fit  dans  la  Genèse,  faiisil  dans  Dermod,  oiit  dans  William  de  Wad- 
dington,  confessât  dans  Nicolas  Trivet. 

L'amuissement  de  1'^  a  donc  été  progressif,  car  il  semble  diffi- 
cile d'admettre  que  cette  consonne  ait  disparu  simultanément  de 
toutes  les  formes  qui  la  montraient  étymologiquement  et  cepen- 
dant soit  restée  dans  l'écriture  jusqu'à  des  dates  —  fixes  pour  cha- 
cune de  ces  formes  —  mais  diff"érant  suivant  la  classe  à  laquelle  elles 
appartiennent. 

Il  faut  reconnaître  ici  un  exemple  de  ce  dont  nous  parlions  tout 


LES    CHANGEMENTS    PHONIQ.UES    DANS    LE    VERBE  789 

à  l'heure;  les  lois  phoniques  ne  s'appliquent  pas  de  la  même  manière 
dans  tous  les  cas;  elles  sont,  pour  ainsi  dire,  suspendues  par  la 
résistance  de  certaines  formes  ou  pour  des  motifs  qui,  la  plupart  du 
temps,  nous  échappent. 

Du  reste,  d'autres  considérations  nous  forcent  à  admettre  que  1'^ 
appu5^ant  une  autre  consonne  n'avait  réellement  pas  disparu  com- 
plètement; surtout  ce  fait  que  cette  s  s'introduit,  pour  des  raisons 
purement  phoniques,  dans  des  formes  qui  ne  la  connaissaient  pas  à 
l'origine. 

Tout  d'abord,  tous  les  verbes  à  palatale  nous  montrent  cette  i 
pendant  le  xii^  siècle  et  pendant  une  partie  du  siècle  suivant;  et  nous 
admettons  que  dans  laist  (à  la  rime  dans  Tristan),  faist  (dans  les 
Quatre  Livres  des  Rois,  dans  le  manuscrit  C  de  Horn,  dans  Boeve 
de  Haumtone  et  Jean  de  Peckham),  traist  (commun  dans  le  Roland 
d'Oxford,  l'Estorie  des  Engleis),  liist  (Chardri),  dist,  cnndust  (tous 
les  deux  dans  Boeve  de  Haumtone),  Vs  est  non  seulement  pronon- 
cée, mais  qu'elle  est  amenée  par  des  raisons  phoniques,  les  mêmes 
qui  nous  ont  expliqué  la  présence  de  Vs  finale  de  certaines  premières 
personnes  du  singulier;  elles  sont  dues  à  la  présence  de  la  palatale 
dans  le  thème  et  cette  s,  dans  les  deux  cas,  apparaît  à  peu  près  au 
même  moment,  c'est-à-dire  vers  le  milieu  du  xii^  siècle. 

Il  en  est  de  même  pour  les  thèmes  à  dentale  ;  au  commencement 
du  xiii^  siècle,  on  trouve  quelques  verbes  dont  le  thème  est  terminé 
par  une  dentale  qui  prennent  à  la  troisième  personne  du  singulier 
une  s  qui  ne  semble  pas  étymologique  :  vest  (aller,  dans  le  Saint 
Edmund,  le  ms.  O  de  Guischart  de  Beauliu),  exactement  comme 
on  trouve  pour  la  première  personne  du  singulier,  à  la  même  époque, 
ris.  Les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  labiale  nous  mon- 
trent un  peu  plus  tard  le  même  phénomène  :  vist  (Heures),  scst 
(Boeve). 

Au  xiV  siècle  enfin,  nous  rencontrons  quelques  formations  ana- 
logiques dont  nous  reparlerons  plus  tard.  L'.v  atteindra  les  prétérits, 
les  premières,  les  secondes,  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  à 
terminaison  féminine,  même  des  subjonctifs  et  des  participes  passés, 
mais  dans  ces  formes,  Vs  nous  semble  purement  graphique. 

Z.  —  Nous  observons  pour  le  ;{  une  action  analogue  des  guttu- 
rales et  des  labiales;  les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une 
de  ces  consonnes  prennent  :{  au  lieu  de  s  à  la  seconde  personne  du 


790  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

singulier.  Pour  les  labiales,  nous  trouvons  des  exemples  avant  le 
milieu  du  xir  siècle,  comme  dans  Gaimar,  les  Psautiers,  la  Vie  de 
Sainte  Catherine  ;  pour  les  verbes  à  vélaire,  les  exemples  sont  quelque 
peu  plus  tardifs,  on  les  rencontre  dans  les  Psautiers  :  fai\  dans  les 
Quatre  Livres  des  Rois. 

Pour  ces  deux  catégories  de  verbes,  le  développement  du  :{  est 
sinon  normal,  du  moins  s'explique  par  des  raisons  phoniques.  Dans 
un  grand  nombre  de  cas  que  nous  verrons  plus  tard,  le  ^  est  sim- 
plement graphique  et  s'explique  par  des  actions  analogiques, 

3 .  Les  consonnes  mouillées. 

La  latérale  palatale  disparaît  souvent  de  la  conjugaison  en  anglo- 
français,  et  cela  n'a  rien  de  bien  étonnant,  car  on  peut  concevoir  les 
difficultés  que  cette  consonne  a  offertes  ci  la  prononciation  des 
Anglais.  Comme  en  français,  elle  se  vocalise  en  //  devant  une  con- 
sonne :  baudra  (de  bailler),  saudra  (de  saillir). 

Dans  un  nombre  de  cas  qui  a  pu  être  considérable,  elle  a  disparu 
sans  laisser  de  trace  ;  mais  comme  les  graphies  de  cette  consonne 
sont  extrêmement  variées,  nous  ne  pouvons  pas  toujours  nous 
rendre  compte  de  l'état  exact  des  choses  ;  toutefois  il  est  probable 
que  cette  disparition  de  la  mouillure  date  de  la  seconde  moitié  du 
XII*  siècle  ou  du  commencement  du  xiii''  ;  nous  avons  dans  Tris- 
tan, vulle,  forme  dans  laquelle  1'/  mouillée  a  presque  certainement 
passé  à  /  simple. 

Pour  la  nasale  palatale,  nous  possédons  des  renseignements  un 
peu  plus  précis.  Nous  la  voyons  passer  à  la  nasale  simple  avant  le 
milieu  du  xii*  siècle,  puisque  nous  rencontrons  dans  l'Estorie  des 
Engleis  remeine  (=  remaneat)  rimant  avec  pleine  ;  le  siècle  suivant 
nous  fournit  un  nombre  assez  considérable  d'exemples  de  n  simple 
prenant  la  place  de  n  mouillée.  Chardri,  le  Roman  des  Romans, 
the  Song  of  the  Barons,  nous  donnent  différentes  personnes  du 
subjonctif  de  maindre  avec  n  simple;  mais  aucun  autre  verbe  ne 
perd  aussi  tôt  que  celui-là  son  n  mouillée  :  pour  feindre  et  pour 
plaindre,  nous  n'avons  aucun  exemple  assuré  avant  le  xiv^  siècle 
{foyne,  Pierre  de  Langtoft;  pleine,  Statutes);  pour  tenir  et  venir,  des 
exemples  analogues  se  rencontrent  à  la  même  époque,  mais  principa- 
lement en  dehors  de  la  littérature. 

La  disparition  de  la  mouillure  dans  certaines  formes  où  elle  est 


LES  CHANGEMENTS  PHONIdUES  DANS  LE  VERBE        79 1 

étymologique  a  eu  pour  conséquence  la  création  de  formes  analo- 
giques où  la  lettre  mouillée  est  irrégulière;  nous  examinerons  ces 
formes  dans  le  chapitre  suivant,  en  reconnaissant  ici  qu'on  aurait 
pu  y  joindre  les  exemples  que  nous  avons  donnés  pour  maindre. 

Nous  pouvons  observer  dans  l'anglo-français,  à  propos  de  la  con- 
sonne r,  deux  tendances  contradictoires,  dont  nous  avons  vu  des 
exemples,  spécialement  lorsque  nous  avons  étudié  le  futur.  La  pre- 
mière consiste  dans  le  redoublement  de  1'/-;  la  seconde  dans  la 
réduction  de  rr  à  r  simple.  Les  cas  où  l'r  étymologiquement  simple 
se  trouve  redoublée  sont  très  variés;  mais  il  y  en  a  deux  qui  ont  une 
généralité,  même  une  régularité  assez  remarquable  :  le  redoublement 
de  IV  dans  les  verbes  dont  le  thème  est  terminé  par  une  palatale  ; 
le  redoublement  de  l'r  finale  du  thème. 

a)  Redoublement  de  IV  dans  les  verbes  à  palatale. 

A  l'infinitif  et  au  futur,  un  grand  nombre  de  verbes  dont  le  radi- 
cal est  terminé  par  une  palatale  présentent  régulièrement  rr.  Les 
exemples  de  ce  phénomène  remontent  au  commencement  de  la 
seconde  moitié  du  xii^  siècle,  mais  à  cette  époque  ce  ne  sont  que 
certains  verbes  qui  nous  montrent  la  consonne  double  ;  on  trouve 
defirre,  dirre  dans  les  Psautiers  ;  dirrai  est  la  forme  la  plus  commune 
du  futur  de  ce  dernier  verbe  depuis  les  Psautiers;  il  en  va  de  même 
probablement  pour  le  futur  de  despirc  qu'on  rencontre  avec  les 
deux  r  dans  les  Psautiers,  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois;  les 
verbes  en  stniire  et  les  composés  de  duire  nous  ont  aussi  fourni  un 
assez  grand  nombre  d'exemples.  Plaire,  traire,  même  lire  semblent 
prendre  régulièrement  une  forme  analogue  au  futur  ;  quant  à  faire 
il  ne  prend  guère  la  forme /^rm/ que  dans  les  ouvrages  qui  n'appar- 
tiennent pas  à  la  littérature,  mais  pour  cette  catégorie  d'ouvrages, 
c'est  la  forme  normale  de  ce  temps. 

b)  Redoublement  de  1'/'  finale  du  thème. 

Les  verbes  qui  ont  leur  thème  terminé  par  une  r  simple  tendent 
à  redoubler  cette  consonne;  nous  en  avons  cité  plusieurs  exemples, 
comme  les  troisièmes  personnes  du  pluriel,  dcsirruni,  afirrunt  et  les 
troisièmes  personnes  du  singulier  du  prétérit  -.jonrra,  dcinorra,  durni, 


792  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

desirra,  mais  ces  derniers  exemples  sont  beaucoup  plus  tardifs  que 
ceux  de  notre  première  catégorie  ;  ils  appartiennent  peut-être  à  la 
seconde  moitié  du  xiii%  plus  vraisemblablement  au  xiV^  siècle.  On 
pourrait  considérer  qu'ils  sont  dus  à  l'analogie  et  ont  été  entraînés 
par  les  futurs  où  les  deux  r  sont  régulières. 

Chute  d'une  r. 

Par  contre,  nous  avons  aussi  remarqué,  au  futur  des  verbes  qui 
présentent  régulièrement  à  ce  temps  rr,  une  simplification  de  la 
consonne  double,  et  cette  simplification  date  des  premières  années 
de  la  littérature  anglo-française  ;  elle  reste  très  fréquemment  faite 
pendant  le  xiii*  et  le  xiv*  siècle,  quoique  moins  commune  pendant 
cette  dernière  période.  (Cf.  les  futurs  desculurai,  espérai,  enterai,  mus- 
terai,  charai,  verai,  crerai,  etc.) 

Toutes  ces  formes  appartiennent  à  la  même  époque  et,  par  consé- 
quent, nous  ne  pouvons  pas  admettre  avec  Faulde  (Zeitschrift,  IV, 
547)  que  la  simplification  de  rr  se  produit  surtout  lorsque  la  con- 
sonne double  se  trouvait  entre  deux  e,  au  moins  dans  les  cas  où 
cette  consonne  est  secondaire.  On  peut  du  reste  voir  de  nombreux 
cas  de  simplification  de  rr  dans  Stimming,  Boeve  de  Haumtone, 
pp.  213,  214. 

Il  nous  est  impossible  de  trancher,  au  moyen  des  formes  du 
verbe  seulement,  la  question  de  savoir  si  le  redoublement  de  Yr  et 
la  simplification  de  rr  en  r  ne  sont  pas  le  résultat  de  simples  confu- 
sions. La  plupart  des  philologues  qui  ont  édité  les  textes  anglo- 
français  sont  arrivés  à  la  conclusion  que  l'emploi  de  la  lettre  simple 
ou  celui  de  la  lettre  double  dépendait  le  plus  souvent  de  la  fantaisie 
de  l'auteur.  Nous  ne  pouvons  ici  que  faire  remarquer  la  régularité 
avec  laquelle  les  verbes  dont  e  thème  est  terminé  par  une  palatale, 
tout  au  moins,  prennent  la  consonne  double  à  l'infinitif  et  surtout 
au  futur;  nous  admettrions  volontiers  que  tous  les  autres  cas  de 
redoublement  de  l'r  et  ceux  qui  montrent  la  simplification  de  rr 
sont  des  exemples  de  la  confijsion  qui  s'était  établie  en  anglo-fran- 
çais dès  lé  commencement  du  xii*  siècle. 

Il  nous  reste  à  mentionner  très  brièvement  quelques  phénomènes 
d'ordre  plus  général  que  ceux  que  nous  avons  examinés  jusqu'ici  : 
le  déplacement  de  l'accent,  l'assimilation,  la  dissimilation,  la  méta- 
thèse,  l'apocope. 


LES   CHANGEMENTS    PHONIQUES    DANS   LE   VERRE  793 

I.  Dèplacenieut  de  T accent. 

Les  cas  assurés  de  déplacement  de  l'accent  sont  peu  nombreux 
et  proviennent  tous  de  la  troisième  personne  du  pluriel  :  nous  ne 
parlerons  pas  ici  des  troisièmes  personnes  en  om/,  tint,  etc.,  pour 
lesquelles  Vo  et  1'//,  etc.,  peuvent  n'être  que  des  graphies  de  la  muette. 

Les  imparfaits  du  subjonctif  en  mit  au  contraire  nous  offrent  des 
cas  de  déplacement  de  l'accent,  ils  sont  du  reste  peu  nombreux  et  se 
trouvent  principalement  au  xii^  siècle  (Cumpoz,  trois  exemples; 
Quatre  Livres  des  Rois,  neuf  exemples)  ;  l'exemple  que  nous  four- 
nit le  poème  de  Boeve  de  Haumtone  et  celui  de  Rymer(i297)  sont 
plus  douteux. 

Pour  les  terminaisons  mit,  au  lieu  de  eut,  nous  avons  quatre 
exemples  seulement  nous  montrant  que  ces  formes  ont  fait  passer 
leur  accent  sur  la  syllabe  étymologiquement  muette  :  un  dans  les 
Évangiles  des  Dompnées,  les  trois  autres  dans  l'Apocalypse  ;  et  nous 
devons  considérer  comme  exceptionnelle  cette  valeur  attribuée  à  la 
terminaison  mit,  pour  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  norma- 
lement faibles. 

La  nasalisation  de  la  diphtongue  ei  dans  les  terminaisons  raccourcies 
eint  n'est  pas  à  proprement  parler  un  changement  d'accent,  quoi- 
qu'un élément  de  la  syllabe  atone  ait  passé  dans  la  syllabe  accentuée 
{esteint  (:  ceint)  dans  l'Apocalypse,  diseint  (:  ensement)  dans  le 
même  poème). 

En  dehors  de  la  troisième  personne  du  pluriel,  nous  ne  trouvons 
que  des  cas  extrêmement  douteux  de  déplacement  de  l'accent  :  citons 
les  quelques  infinitifs  de  IV  pour  lesquels  1'^  svarabhaktique,  comme 
perdere  que  nous  avons  déjà  cité  (Ore  au  perdere,  ore  au  cunquere). 
Pour  ces  infinitifs  qui  prennent  la  forme  des  verbes  de  I,  nous  avons 
dit  plus  haut  que  nous  ne  croyons  pas  qu'il  y  ait  eu  déplacement 
de  l'accent. 

Mais  nous  ne  pouvons  pas  dire  la  même  chose  pour  ces  infinitifs 
de  I  qui  prennent  la  forme  des  infinitifs  de  IV  :  dans  cmttre,  leetre, 
houstre,  gettre,  Iiittre,  boiitre,  l'accent  a  passé  de  la  désinence  sur  le 
thème;  nous  en  verrons  la  raison  tout  à  l'heure.  Ce  changement 
d'accentuation  a  été  assez  commun  dans  les  œuvres  littéraires  à 
partir  de  la  fin  du  xin'  siècle  et  a  surtout  pris  un  développement 
assez  considérable  dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques,  mais 
seulement  ou  principalement  à  partir  de  1325  ou  environ. 


794  L  KVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

Par  conséquent,  les  changements  dans  l'accent  sont  sinon  très 
importants,  du  moins  dignes  de  remarque  :  il  a  été  tantôt  reculé  sur 
la  syllabe  finale  étymologiquement  muette  .et  a  ainsi  transformé  des 
désinences  féminines  de  la  troisième  personne  du  pluriel  en  dési- 
nences masculines  et  des  verbes  de  IV  en  infinitifs  de  I;ou  bien,  avan- 
çant vers  le  commencement  du  mot,  il  a  changé  en  verbes  de  IV  de 
nombreux  infinitifs  de  I. 

2.  Assimilation  et  dissimulation. 

Les  phénomènes  d'assimilation  et  de  dissimilation  ne  sont  pas 
très  nombreux  dans  la  conjugaison,  et  leur  importance  reste  très 
secondaire. 

Nous  rencontrons  quelques  cas  d'assimilation  dans  la  voyelle  du 
radical  de  certains  verbes,  comme  gisir  dont  le  premier  exemple  se 
trouve  dans  le  Tristan  de  Thomas  et  qui  par  la  suite  est  commun 
dans  les  ouvrages  politiques  et  diplomatiques;  la  consonne  finale  du 
radical  s'assimile  à  la  consonne  de  la  désinence  dans  dorrai,  mer  rai. 
C'est  encore  par  assimilation  que  la  voyelle  /  prend  la  place  de  e 
dans  les  imparfaits  du  subjonctif:  disist,  escrisist,  occisisse,  transmisist, 
cuisissent  et  dans  les  prétérits  en  si  :  afflisis,  disis,  descrisis,  eslisis, 
misis,  prisis,  quisis.  C'est  parmi  ces  dernières  formes  que  nous  avons 
remarqué  les  premiers  cas  d'assimilation,  ceux  que  nous  présente 
l'imparfait  du  subjonctif  étant  un  peu  plus  tardifs. 

Les  cas  de  dissimilation  sont  à  peine  plus  communs  et  n'ont 
guère  plus  d'importance  ;  c'est  à  cette  cause  qu'il  faut  probablement 
attribuer  certains  changements  dans  le  thème  de  quelques  verbes, 
comme  meintiner,  ramentiver,  saer,  chaeir  aussi  bien  que  les  phéno- 
mènes de  dissimilation  normale  des  prétérits  et  des  imparfaits  du 
subjonctif  en  si. 

3.  Mêtathèse. 

La  mêtathèse  est,  comme  on  le  sait,  fort  commune  en  anglo- 
français,  et  il  serait  exagéré  de  dire  que  c'est  dans  la  conjugaison 
qu'elle  a  la  plus  grande  importance  ;  nous  en  trouvons  des  exemples 
dans  deux  cas  principaux  :  pour  le  futur  de  certains  verbes  de  I,  à 
l'infinitif  d'autres  verbes  de  la  même  conjugaison,  enfin  à  l'infinitif 
d'un  plus  grand  nombre  de  verbes  de  IV. 

Nous  avons  donné  les  exemples  des  futurs  de  I  qui  présentent  une 


LES  CHANGEMENTS  PHONIQ.UES  DANS  LE  VERBE        795 

métathèse  ;  ces  futurs,  comme  enterrai,  reinemberrai,  mosterrai,  pro- 
viennent tous  de  verbes  dont  le  radical  est  terminé  par  dentale  ou 
labiale  plus  r  ;  c'est  aussi  la  métathèse  qui  nous  semble  expliquer  le 
mieux  de  nombreuses  formes  /;w:(  du  futur  de  faire  (cf.  p.  769)  ;  il 
en  va  exactement  de  même  pour  les  infinitifs  de  I  qui  prennent  la 
forme  des  infinitifs  de  IV  et  que  nous  avons  cités  à  propos  des  chan- 
gements d'accent;  comme  on  l'a  vu  le  plus  grand  nombre  de  ces 
verbes  montre  un  radical  terminé  par  une  dentale  suivie  de  r  ;  nous 
n'avons  trouvé  ici  encore  que  remembre  qui  puisse  nous  servir 
d'exemple  de  thème  à  labiale.  Pour  les  verbes  de  IV,  les  exemples 
sont  à  peu  près  également  répartis  entre  les  deux  classes  de  thèmes; 
on  trouve  dans  les  oeuvres  littéraires  abater,  oynder,  vyver,  receyver  et 
il  en  va  de  même  dans  les  textes  politiques,  diplomatiques  et  autres. 

Nous  avons  admis  que  pour  les  verbes  de  I  qui  nous  présentent 
un  exemple  de  métathèse,  celle-ci  a  occasionné  un  changement 
d'accent;  tandis  que  pour  les  verbes  de  IV  pour  lesquels  le  même 
phénomène  s'est  produit  l'accent  n'a  pas  varié.  La  distinction  que 
nous  faisons  pourra  peut-être  sembler  absolument  arbitraire  ;  cepen- 
dant nous  ne  pouvons  pas  ne  pas  la  faire. 

Dans  le  premier  cas  il  nous  semble  probable  que  Ve  fermé  s'était 
amui  avant  que  la  métathèse  se  soit  faite,  c'est  même  cet  amuisse- 
ment  qui  à  nos  yeux  a  rendu  cette  métathèse  possible;  il  en  résul- 
terait que  le  changement  d'accent  a  précédé  la  métathèse,  tandis  que 
dans  le  second  cas  l'infinitif  de  IV  a  pris  la  forme  que  les  infinitifs 
de  I  avaient  juste  avant  le  moment  où  la  métathèse  allait  se  faire.  Ve 
avait  le  même  son  dans  cunter  et  dans  abater,  mais  ce  son  n'était  pas 
celui  de  e  fermé .  Il  avait  évolué  vers  Ve  muet,  autant  qu'un  e  pré- 
cédant ;■  peut  prendre  le  son  de  e  muet,  c'est-à-dire  un  eu  très  fermé. 

Du  reste  les  formes  en  er  et  en  re  pour  les  infinitifs  de  IV  sont  si 
mélangées  qu'on  trouve  parfois  un  même  verbe  sous  les  deux  formes 
à  quelques  lignes  d'intervalle;  or  il  semble  difficile  d'admettre  que 
le  scribe  ait  employé  simultanément  des  formes  corome  prender  et 
prendre  appartenant  à  des  conjugaisons  différentes. 

4.   Apocope. 

L'apocope  peut  se  remarquer  dans  un  petit  nombre  de  cas  dans 
la  conjugaison  ;•  le  plus  souvent  nous  trouvons  que  la  dernière  syl- 
labe atone  disparaît  entièrement.  Cette  syllabe  peut  être  es,  comme 


79^  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

dans  est,  pour  estes,  qu'on  trouve  dans  Boeve  de  Haumtone,  la 
Genèse,  et  les  textes  légaux  ;  ou  (s^ses,  par  exemple  dans///  (Pierre 
deLangtoft;  avantas  (Boeve  de  Haumtone),  osa  (Boeve  de  Haum- 
tone) et  dans  d'autres  secondes  personnes  du  singulier  de  l'imparfait 
du  subjonctif  qu'on  trouve  dans  les  textes  légaux. 

Cette  chute  de  la  dernière  syllabe  s'explique  dans  les  deux  cas  que 
nous  venons  de  mentionner  de  la  même  manière  :  1'^  final  disparaît, 
et  Ve  muet  ne  se  prononce  plus;  de  là  la  simplification  de  la  forme 
de  cette  seconde  personne. 

Il  est  moins  facile  d'expliquer  les  participes  passés  faibles  en  é 
qui  perdent  leur  voyelle  accentuée,  et  cependant  les  exemples  que 
nous  avons  relevés  de  ce  phénomène  sont  trop  communs  pour  que 
nous  les  considérions  simplement  comme  des  erreurs  cléricales  :  il 
est  vrai  que  les  ouvrages  littéraires  ne  nous  en  ont  fourni  aucun 
cas;  mais  les  Statutes,  comme  nous  lavonsdit,  nous  àownenx.  port  à 
la  date  de  1390;  dans  les  Rymer's  Foedera,  nous  trouvons  report, 
demaund,  est  (1297,  i299);les  Literae  Cantuariensesont^oz/^f  (i  377), 
et  les  Year  Books  ont  de  leur  côté  un  nombre  assez  considérable  de 
formes;  nous  croyons  que,  dans  cette  apocope  de  la  voyelle  accentuée, 
il  faut  voir  une  conséquence  du  traitement  de  Ve  muet  que  nous 
avons  précédemment  décrit  :  Vé  final  aura  été  considéré  comme  un 
e  muet  et  omis  en  conséquence. 

Dans'  les  quelques  pages  qui  précèdent,  nous  avons  rapidement 
passé  en  revue  les  principales  actions  phoniques  qui,  à  notre  avis, 
ont  exercé  leur  influence  sur  la  conjugaison  du  verbe  ;  et  nous 
croyons  que  le  plus  grand  nombre  des  modifications  que  la  conju- 
gaison a  subies  en  anglo-français,  et  parmi  celles-ci  quelques-unes  des 
plus  importantes,  se  trouvent  expliquées  d'une  manière  satisfaisante 
par  le  jeu  naturel  des  lois  phoniques  qui  ont  agi  d'une  fiiçon  générale 
sur  tout  l'anglo-français. 

Il  est  certain  qu'on  pourra  considérer  comme  douteuses  plusieurs 
des  explications  que  nous  avons  données  ci-dessus,  mais  nous 
croyons  que  de  deux  explications  possibles  et  également  vraisem- 
blables, l'une  phonique,  l'autre  analogique,  c'est  la  première  qu'on 
devra  adopter,  parce  qu'elle  est  la  plus  générale  et  que  par  conséquent 
elle  a  plus  de  chance  d'être  vraie. 


CHAPITRE    II 
FORMATIONS    ANALOGIQUES 


Ce  que  nous  disions  à  la  fin  du  chapitre  précédent  n'empêche  pas 
que  les  formations  analogiques  ne  soient  encore  en  nombre  consi- 
dérable dans  la  conjugaison  anglo-française;  et  leur  nombre  même, 
en  même  temps  que  la  variété  des  formations  qui  vont  maintenant 
nous  occuper,  rendent  très  difficile  la  tâche  de  donner  un  exposé  à 
la  fois  assez  compréhensif  et  clair  des  actions  multiples  que  nous 
avons  à  décrire. 

Nous  diviserons  letude  rapide  que  nous  allons  consacrer  à  l'ana- 
logie dans  le  verbe  en  trois  parties  : 

1.  Phénomènes  généraux  d'analogie. 

2.  Actions  analogiques  qui  s'exercent  à  l'intérieur  d'un  même 
verbe. 

3.  Actions  analogiques  qu'un  verbe  exerce  sur  un  autre  verbe. 

I.  Phénomènes  généraux  d'analogie. 

Nous  rencontrons  dans  la  conjugaison  quelques  phénomènes 
généraux  d'analogie;  du  reste,  il  nous  semble  que  l'analogie  a  ceci 
de  particulier  qu'elle  ne  s'arrête  que  rarement  au  point  où  elle  com- 
mence, et  nous  en  trouverons  plus  d'un  exemple  par  la  suite  ;  mais 
il  est  assez  rare  qu'elle  ait  agi  sur  un  très  grand  nombre  de  points, 
en  grande  partie  parce  que  son  action  est  progressive  et  qu'elle  a 
surtout  agi  en  anglo-français  pendant  le  xiv=  siècle;  nous  ne  trouvons 
donc  sur  bien  des  points  que  le  commencement  même  de  son  action. 
Ce  sont  surtout  les  textes  politiques  et  légaux  postérieurs  à  1400  qui 
nous  donnent  une  idée  de  ce  qu'elle  peut  faire. 


79^  L  ÉVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

a)  Changements  de  conjugaison. 

Les  changements  de  conjugaison  sont  rares  ;  en  effet,  nous  ne 
pouvons  pas  appeler  un  changement  de  conjugaison  l'adoption  par 
un  verbe  d'une  forme  ou  d'une  désinence  appartenant  à  une  conju- 
gaison voisine:  pour  qu'il  y  ait  changement  de  conjugaison,  il  faut 
que  nous  puissions  relever  un  certain  nombre  au  moins  des  formes 
qui  caractérisent  la  nouvelle  conjugaison  que  le  verbe  adopte.  Il 
n'est  pas  toujours  possible  de  se  rendre  compte  si  cette  condition 
est  remplie,  car  il  se  peut  qu'un  auteur  pour  lequel  ce  changement 
a  réellement  eu  lieu  n'emploie  que  des  formes  qui  appartiennent 
aussi  bien  à  la  conjugaison  normale  qu'à  l'autre,  ou  que  les  formes 
caractéristiques  soient  rares  chez  lui.  Par  conséquent  cela  implique 
un  certain  élément  de  doute  et  de  conjecture;  mais  nous  ne  donne- 
rons que  les  résultats  qui  nous  sembleront  assurés. 

Le  verbe  maudire  passe  à  la  première  conjugaison  pendant  la 
dernière  partie  du  xiii^  siècle  ;  nous  en  trouvons  pour  la  première  fois 
des  exemples  nombreux  et  bien  assurés  dans  le  Manuel  des  Péchés. 
William  de  Waddington  emploie  pour  l'infinitif  de  ce  verbe,  pour 
la  troisième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif,  pour  les 
différentes  personnes  du  prétérit,  toutes  les  formes  qui  sont  celles  des 
verbes  de  I  :  niandier,  niaudie,  mandiastes,  niaiidierent .  Par  la  suite, 
nous  ne  trouvons  plus  que  très  rarement  les  formes  étymologiques 
pour  ce  verbe.  Il  serait  assez  oiseux  de  prétendre  trouver  quel  est 
le  verbe  de  I  qui  a  amené  ce  changement  ;  d'autant  plus  qu'il  n'y 
en  a  peut-être  pas  eu  un  seul  en  particulier  à  avoir  agi  sur  maudire. 
Il  est  fort  possible  que  les  formes  que  nous  avons  citées  proviennent 
toutes  de  l'infinitif  et  que  cet  infinitif  lui-même  soit  sorti  plus  ou 
moins  normalement  de  l'infinitif  étymologique. 

Parmi  les  autres  changements  de  conjugaison  assurés,  nous  devons 
ranger  les  verbes  qui  hésitent  entre  la  conjugaison  inchoative  et 
celle  qui  ne  l'est  pas.  Nous  ne  reviendrons  pas  sur  ce  que  nous 
avons  dit  auparavant  sur  ce  point  ;  nous  ferons  remarquer  qu'il  y 
a  des  verbes  qui  prennent  régulièrement  l'une  et  l'autre  de  ces  formes, 
comme  emplir,  guarir,  guerpir,  haïr,  etc.  ;  d'autres  perdent  dans 
quelques  auteurs,  d'abord,  puis  d'une  façon  définitive,  l'infixé  qui 
leur  appartient  à  l'origine,  comme  establuvis  qu'on  finit  par  trouver 
constamment  dans  les  Rymer's  Foedera  ;  seise,  très  employé  dans  les 


FORMATIONS    ANALOGIQUES  799 

Statutes,  les  Year  Books  etc.  et  plusieurs  autres;  d'autres  enfin  qui 
prennent  l'infixé  d'une  façon  plus  ou  moins  constante:  repentiseï  dans 
William  de  Waddington  ;  assenlisseit  dans  Nicolas  Trivet  ;  cedissons 
dans  les  Rymer's  Foedera. 

Tous  les  exemples  des  deux  dernières  classes,  qui  sont  seuls  à 
proprement  parler  des  changements  de  conjugaison,  appartiennent 
à  la  dernière  partie  du  xiv^  siècle. 

b)  Extension  des  désinences. 

L'extension  des  désinences  nous  fournit  un  plus  grand  nombre 
de  faits  d'analogie  que  n'importe  laquelle  des  classes  que  nous  avons 
constituées. 

C'est  l'analogie  qui  a  étendu  à  un  grand  nombre  de  premières 
personnes  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  Ve  qu'elles  n'avaient 
pas  étymologiquement.  Le  demaine  du  Voyage  de  Saint  Brandan,  le 
parole  du  Psautier  de  Cambridge,  le  fie  du  Psautier  d'Arundel,  et 
d'une  façon  générale  toutes  les  formes  qui  ne  peuvent  pas  être 
expliquées  par  les  phénomènes  phoniques  que  nous  exposions  tout 
à  l'heure,  sont  des  phénomènes  d'analogie  ;  il  en  est  de  même  de 
die  pour  di,  de  vcye  ;  et  pour  la  première  personne  du  singulier  du 
subjonctif  de  certains  verbes  de  I,  de  aïe. 

C'est  de  la  même  manière  que  nous  expliquons  un  certain  nombre 
d'jT  à  cette  première  personne  du  singulier,  dans  les  verbes  dont  le 
thème  n'est  pas  terminé  par  une  palatale  ou  une  dentale,  comme 
suis  des  Quatre  Livres  des  Rois,  assol^  de  Pierre  de  Langtoft,  doys  de 
Nicolas  Trivet,  tienks  des  Rymer's  Foedera;  nous  avons  vu  que  ces 
s  parasites  sont  relativement  rares. 

L'addition  d'une  muette  analogique  se  retrouve  encore  à  la  seconde 
personne  du  singulier,  dans  creies,  toiles,  oyes  sous  l'influence  des 
verbes  de  I  et  sous  celle  des  subjonctifs  en  am  et  en  iam,  de  même 
que  dans  les  troisièmes  personnes  du  singulier  des  subjonctifs  en  cni 
dont  nous  n'avons  pas  encore  parlé,  comme  esniaie  du  Brandan, 
loed,  vivified,  envoiet  des  Psautiers,  et  d'un  nombre  d'autres  assez 
considérable,  comme  aprismet,  salved,  confcnne,  deignet,  toutes  formes 
que  nous  avons  mentionnées  déjà  et  qui  ne  peuvent  s'expliquer  par 
les  phénomènes  phoniques  que  nous  avons  exposés  au  chapitre 
précédent. 


8oo  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

L'action  des  troisièmes  personnes  du  singulier  des  verbes  de  II,  de 
III  ou  de  IV,  qui  n'ont  pas  d'e  muet,  explique  par  contre  les  formes 
irrégulières  de  cette  même  personne  de  certains  verbes  de  I  :  envcit, 
ottreit,  lot,  blmicboit,  plurt,  dcmiirt.  Enveit  et  ottreit  sont  dus  proba- 
blement à  veit  ;  lot  à  ot  (audit)  ;  phirt  et  demnrt  à  un  verbe  comme 
mourir  ou  courir  ;  blanchoit  à  quelque  forme  comme  veit  ou  deit  ;  le 
nombre  de  ces  formations  analogiques  est  restreint  et  ne  saurait  se 
comparer  à  celui  des  troisièmes  personnes  du  singulier  du  présent 
de  l'indicatif  qui  perdent  Ve  muet  sans  prendre  la  dentale. 

Un  nombre  considérable  de  troisièmes  personnes  en  st  est  dû  à 
l'action  de  l'analogie  :  pour  le  présent  de  l'mdicatif,  celles  qui  pro- 
viennent d'un  thème  autre  que  ceux  que  nous  avons  énumérés, 
covcwciQ  espeitst  dans  Gaimar;  veust  dans  les  Literae  Cantuarienses; 
vanst  dans  les  Mem.  Pari.  1305  •,empeinst  dans  le  Tristan  de  Thomas; 
geenst  dans  le  Saint  Auban  ;  tnaiii^iist  dans  Walter  de  Bibblesworth  ; 
posf  (==  pot)  dans  le  manuscrit  A  de  l'Ipomédon. 

Tous  les  prétérits  qui  ont  pris  indûment  cette  désinence  à  la  troi- 
sième personne  du  singulier  sont  des  formations  analogiques  :  les 
prétérits  en  ivi  :  cisist  dans  le  Psautier  d'Arundel;  languist  à  la  rime 
dans  l'Estorie  des  Engleis;  seisist  à  la  rime  dans  l'Ipomédon;  et  un 
très  grand  nombre  de  formes  semblables  ;  il  en  est  de  même  pour  les 
prétérits  en  ///  de  la  cinquième  classe  :  inorusl,  qui  se  rencontre  dans 
plusieurs  poèmes  de  la  fin  du  xii^  siècle  ;  parust  qui  n'est  pas  moins 
commun  ;  et  plusieurs  autres.  L'^  se  généralise  de  la  même  façon  à 
la  troisième  classe  :  cunust  dans  Chardri  ;  conceiist  dans  la  Genèse  ; 
et  enfin  à  la  première  et  à  la  seconde  classe  :  eust  (Boeve  de  Haum- 
tone);  /«^/(Genèse  Notre-Dame,  Manuel  des  Péchés);  Jw5/ (Boeve 
de  Haumtone)  ;  must  (William  de  Waddington);o//5^  (Nicole  Bozon). 
Les  prétérits  en  avi  nous  fournissent  quelques  cas  de  formes  ana- 
logiques en  st,  comme  parinst,  priast  dans  Pierre  de  Langtoft  ;  les 
prétérits  en  /  prennent  souvent  cette  désinence  analogique  :  vist  est 
assuré  par  plusieurs  rimes,  dans  the  Lamenton  the  Death  of  Edward 
L',  dans  William  de  Waddington,  dans  les  Vies  de  Saints  de  Nicole 
Bozon  ;  de  même  teinst  se  lit  dans  the  Lament  on  the  Death  of 
Edward  L',  dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham,  dans  le  Liber  Rubeus 
de  Scaccario. 

Aux  autres  temps  la  désinence  en  st  est  fort  rare  :  amoust,  poaisi, 
aist,  sc'isl,  aïst,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer,  sont  des  formes 
exceptionnelles. 


lORMATlONS    A\ALOGIQ.UES  8oi 

Une  comparaison  très  rapide  des  dates  auxquelles  ces  différentes 
formes  se  sont  introduites  en  anglo-français  pourra  nous  aider  à 
comprendre  la  façon  dont  l'analogie  a  agi  et  le  mécanisme  de  cette 
action. 

Ce  sont  les  prétérits  en  ivi  qui  ont  été  le  plus  tôt  atteints  (vers 
1 1 60)  et  ils  le  doivent  aux  prétérits  en  si,  qui  sont  si  voisins  d'eux 
par  la  forme,  comme  dist,  fist,  sist  ;  mais  il  ne  faut  pas  non  plus 
négliger  d'attribuer  une  certaine  influence  à  leurs  imparfaits  du  sub- 
jonctif qui  ont  dû  exercer  une  influence  au  moins  indirecte  sur  ces 
formes  :  il  est  probable  que  l'identité  des  désinences  dist,  deïst  a 
entraîné  l'identité  eisit  eisist.  Le  même  raisonnement  s'applique  aussi 
au  prétérit  en  /  de  voir.  C'est  du  reste  l'influence  de  l'imparfait  du 
subjonctif  qui  explique  les  formes  en  si  que  prennent  les  prétérits 
en  ui  de  la  troisième  et  de  la  cinquième  classe  ;  mais  cette  expli- 
cation ne  rend  pas  compte  du  fait  que  les  prétérits  en  ui  de  la 
seconde  et  de  la  première  classe,  de  même  que  les  prétérits  en  avi,  ne 
prennent  que  très  rarement  et  très  tard  Vs  devant  le  t  de  la  troisième 
personne  du  singulier. 

Il  nous  est  impossible  d'en  trouver  une  raison  satisfaisante  ;  et 
nous  ne  pouvons  ici  encore  que  renvoyer  à  la  règle  arbitraire  des 
grammairiens  anglo-français,  telle  qu'elle  est  énoncée  dans  l'Ortho- 
graphia Gallica. 

Le  groupe  st  se  rencontre  aussi  normalement  à  la  seconde  per- 
sonne du  pluriel  de  tous  les  prétérits  ;  mais  nous  n'avons  relevé 
qu'un  tout  petit  nombre  de  secondes  personnes  prenant  irréguliè- 
rement cette  s,  comme  [estes  qui  est  assez  commun,  comme  nous 
l'avons  montré;  rien  d'étonnant  du  reste,  les  secondes  personnes  du 
pluriel  à  désinence  féminine  étant  très  rares  sans  cette  s. 

Cette  consonne  a  encore  fait  des  progrès  en  dehors  des  deux 
personnes  où  elle  était,  quelquefois  au  moins,  étymologique  :  nous 
la  rencontrons  à  la  première  personne  du  pluriel,  assez  rarement 
pour  les  personnes  féminines  fortes,  comme  fais  ni  es,  plus  commu- 
nément pour  les  premières  personnes  féminines  faibles  :  la  Vie  de 
Saint  Auban  nous  en  fournit  quelques  cas;  surtout  les  textes  non 
littéraires  nous  donnent  au  xiv^'  siècle  des  exemples  de  ces  premières 
personnes  avec  une  s  appuyant  1'///  :  inandasiiics,  ftileiidisnics,  pre- 
viistncs,  porriesuies  ;  ces  formes  ne  deviennent  jamais  très  communes. 

L'addition  d'une  s  parasite  à  la  troisième  personne  du  pluriel  est 

51 


8o2  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

encore  plus  rare  :  nous  n'avons  trouvé  quefiisrent  dans  les  Documents 
Inédits. 

Nous  hésiterions  à  considérer  comme  provenant  de  la  même  cause 
1'^  qui,  dans  les  participes  passés  en  /,  à  partir  de  1150,  appuie  le  t 
final  :  nous  devons  y  voir  plutôt  un  désir  de  maintenir  la  consonne 
finale  caduque  qui  tendait  à  disparaître  ;  mais  il  est  possible  que  cette 
s  ait  la  même  origine  que  celle  du  prétérit  en  ivi  ou  provienne  d'elle. 

Les  cas  d'extension  de  désinence  par  analogie,  propres  à  l'anglo- 
français,  sont  des  plus  rares  aux  autres  personnes  ;  citons  pour  la 
première  personne  du  pluriel  les  quelques  désinences  qui  présentent 
irrégulièrement  un  i  comme  canghim  dans  l'Estorie  des  Engleis  ; 
pour  la  seconde  personne  du  pluriel  l'extension  des  formes  faibles 
à  dire  et  à  faire,  ce  qui,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer,  n'arrive 
que  très  rarement  ;  enfin,  à  la  troisième  personne  du  pluriel,  le  double 
phénomène  :  passage  des  terminaisons  masculines  à  la  forme  fémi- 
nine, comme  estent,  pour  estunt,  et  les  futurs  aseinblerent ,  nomerent, 
faudrent,  vendrent;  et  par  contre  le  passage  des  désinences  féminines 
à  la  forme  masculine  :  signefinnt,  hahitimt,  dinnt,  et  celui  des  prété- 
rits à  la  terminaison  en  unt.  Mais  nous  reviendrons  sur  ce  dernier 
point  au  chapitre  suivant. 

Voilà,  aussi  brièvement  que  possible,  comment  l'analogie  a  étendu 
certaines  désinences  à  des  personnes  qui  ne  les  ont  pas  étymologi- 
quement;  nous  avons,  croyons-nous,  montré  suffisamment  que  ces 
changements  ayant  l'analogie  comme  principe  sont  nombreux  et 
importants  ;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  même  ici  l'analogie  n'a 
eu  qu'une  action  secondaire  :  elle  a  étendu  Ve  muet  à  la  première 
personne  du  singulier  et  à  la  troisième  personne  du  singulier;  mais 
un  nombre  assez  considérable  de  premières  et  de  troisièmes  personnes 
avaient  auparavant  pris  ce  même  e  d'une  manière  sinon  phonique- 
ment  régulière,  au  moins  explicable,  ce  qui  revient  à  peu  près  à  la 
même  chose  ;  il  en  va  de  même  pour  la  généralisation  de  s  à  la  pre- 
mière personne  du  singulier  et  de  st  à  la  troisième. 

Toutes  les  formes  nouvelles  en  e  muet,  en  s,  en  st  ne  sont 
peut-être  pas  la  cause  des  formes  analogiques,  mais  si  elles  ne  suf- 
fisent pas  à  expliquer  leur  origine,  elles  aident  à  faire  comprendre 
l'extension  qu'elles  ont  prises  :  c'est  parce  que  l'anglo-français  créait 
des  formes  nouvelles  régulières  qu'il  a  été  amené  à  en  imaginer 
d'autres  qui  ne  l'étaient  pas. 


FORMATIONS   ANALOGiaUES  803 


II.   Actions  analogiques 

aui  s'exercent  a  l'intérieur  d'un  même  verbe. 

Nous  trouverons  ici  les  actions  réciproques  des  différents  radicaux 
du  verbe  et  même  celle  de  certaines  lettres  ou  syllabes  caractéris- 
tiques d'une  forme  sur  d'autres  formes. 

a)   Influence  de  l'indicatif. 

L'indicatif,  comme  nous  avons  eu  occasion  de  le  faire  remarquer, 
a  eu  une  assez  grande  influence  sur  la  conjugaison  de  tout  le  verbe, 
au  moins  dans  un  certain  nombre  de  cas  ;  mais  nous  devons  ici 
distinguer  entre  l'influence  du  radical  de  l'indicatif  et  celle  de  ses 
différents  temps. 

Nous  retrouvons  le  radical  de  l'indicatif  aux  autres  modes  dans 
plusieurs  cas  :  c'est  ainsi  que  nous  voyons  dans  Chardri  l'impératif 
save:(,  qui  nous  semble  un  aza^  sipr,[;.cvsv  ;  le  subjonctif  abandonne 
souvent  sa  forme  propre  pour  celle  de  l'indicatif:  nous  avons  eu 
l'occasion  de  le  montrer  pour  les  verbes  donner  {dont),  trouver 
(trous),  vouloir  (voile). 

C'est  aussi  à  cette  influence  du  thème  de  l'indicatif  que  nous  attri- 
buons la  forme  du  subjonctif  ^cfî^g  qui  est  employée  dans  le  Tristan 
de  Thomas,  dans  les  Quatre  Livres  des  Rois,  dans  Jordan  Fantosme 
et  qui  est  la  seule  forme  que  connaissent  les  textes  non  littéraires. 

Il  est  plus  difficile  de  préciser  l'action  de  ce  mode  à  l'infinitif, 
puisque  les  radicaux  de  ces  deux  modes  ne  diffèrent  ordinairement 
pas;  cependant  certaines  des  formes  que  prend  l'infinitif  du  verbe 
suivre  peuvent  provenir  de  Tun  ou  de  l'autre  des  radicaux  du  présent 
de  l'indicatif:  d'une  façon  générale,  on  peut  dire  que  tous  les  infi- 
nitifs de  ce  verbe  qui  présentent  un  //  subissent  l'influence  de  l'indi- 
catif, comme  suire,  siure,  siiir,  suer,  suwir  (du  présent  de  l'indicatif 
sui,  siu);  ceci  du  reste  n'est  pas  particulier  à  l'anglo-français  et  nous 
ne  nous  y  arrêterons  pas. 

Au  participe  présent,  nous  remarquons  les  trois  verbes  puissant, 
savant,  ava)il  dans  lesquelles  le  thème  de  l'indicatif  a  remplacé  le 
thème  ordinaire. 

Ajoutons  encore,  pour  en  terminer  avec  l'influence  du  mode  indi- 


8o4  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

catif,  des  exemples  de  l'action  que  certains  temps  ou  certaines  per- 
sonnes ont  exercée  :  \ec  des  impératifs  tienc,  prcnc,  assène,  demanc,  des 
prétérits  tinc  Qiiict^,  vinc,  etc.  (Cf.  première  partie,  chapitre  i,  la 
Palatale)  est  évidemment  dû  à  la  première  personne  du  singulier 
du  présent  de  l'indicatif  de  ces  mêmes  verbes.  L's  que  nous  trouvons 
à  la  seconde  personne  du  singulier  de  l'impératif  des  verbes  de  II,  III 
et  IV,  comme  c)^(du  Bestiaire),  suceurs Çdu  Psautier  d'Oxford),  desfens 
(de  la  Vie  de  Sainte  Marguerite),  eseri:{  (de  TApocalypse)  et  quelques 
verbes  de  I  comme  sacrefis  (à  la  rime  dans  le  Saint  Laurent) 
nous  montre  l'influence  évidente  de  la  seconde  personne  du  singu- 
lier du  présent  de  l'indicatif:  pour  d'autres  verbes  de  I  présentant 
es  à  cette  seconde  personne  de  l'impératif,  on  peut  hésiter  entre 
plusieurs  explications  :  influence  du  subjonctif,  qui  est  indéniable 
dans  un  certain  nombre  de  cas,  influence  de  l'indicatif,  addition  d'une 
s  parasite  après  une  voyelle  muette. 

Nous  terminerons  en  montrant  l'influence  de  la  troisième  per- 
sonne du  prétérit  de  certains  verbes  sur  leur  infinitif:  nous  trouvons 
pour  les  verbes  qui  ont  un  prétérit  tnavi  ou  en  ivi  identité  presque 
complète  entre  la  troisième  personne  du  pluriel  et  l'infinitif:  parler, 
parlèrent,  finir,  finirent.  Cela  a  amené,  vers  la  fin  du  xiv^  siècle, 
pour  certains  verbes  ayant  un  prétérit  en  si  la  formation  d'un  nouvel 
infinitif:  niandistrent  a.  produit  maudislrc  (dans  Nicolas  Trivet); 
cunquistrent  a  donné  cunqiiistre  et  cunquestre  (dans  le  poème  du  Prince 
Noir). 

b)  Influence  du  subjonctif. 

Nous  ne  mentionnerons  encore  ici  que  les  faits  qui  nous  semblent 
spéciaux  à  l'anglo-français  ;  par  conséquent  nous  ne  parlerons  pas 
de  l'impératif  des  verbes  avoir,  être,  savoir,  vouloir  ;  ni  des  impé- 
ratifs négatifs  cà  forme  de  subjonctif  (voir  le  chapitre  suivant). 

I.  Généralisation  du  thème  du  subjonctif. 

Dans  un  très  petit  nombre  de  cas,  nous  rencontrons  à  l'indicatif 
le  thème  du  subjonctif;  nous  avons  vu  les  formes  voise  (pour  veit) 
dans  Pierre  de  Langtoft;  aiinis  dans  les  Heures  de  la  Vierge  ;  eons 
dans  les  Documents  inédits  (1380);  aillent  dans  les  Statutes  (1388); 
chece  dans  les  Year  Books;  tous  ces  exemples  sont  des  présents  de 
l'indicatif  qui  ont  pris  le  radical  de  leur  subjonctif. 


FORMATIONS    ANALOGIQUES  805 

2.  Généralisation  du  suffixe  ge  ou  de  la  lettre  mouillée. 

Il  est  possible  que  dans  les  exemples  qui  suivent,  nous  trouvions 
des  verbes  autres  que  ceux  qui  ont  régulièrement  soit  ^c,  soit  une 
lettre  mouillée  cà  leur  subjonctif;  mais  nous  les  mentionnerons 
cependant  maintenant,  car  le  suffixe  ou  la  lettre  mouillée  leur  sont 
venus  certainement,  que  nous  en  ayons  des  exemples  ou  non,  par 
leur  subjonctif. 

Pendant  la  seconde  moitié  du  xiii«  siècle  et  tout  le  xiv%  nous' 
trouvons  un  nombre  assez  considérable  de  présents  de  l'indicatif 
qui  prennent  le  suffixe  ge  caractéristique  de  certains  subjonctifs  en 
iam  :  le  scribe  de  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme,  par 
exemple,  emploie  suvienge;  on  trouve  dans  Boeve  de  Haumtone 
qiierge,  miirge^;  viéor^e  se  lit  dans  les  Heures  de  la  Vierge;  prcnge 
dans  Wil.  Rishanger;  tienge  dans  les  Vies  de  Saints  de  Nicole 
Bozon  ;  parouge  dans  Pierre  de  Langtoft.  Tous  ces  indicatifs  se 
retrouvent  avec  une  régularité  plus  ou  moins  grande  dans  les 
textes  politiques,  diplomatiques  et  familiers  ;  et  dans  cette  catégorie 
d'ouvrages  nous  trouvons  aussi  quelques  exemples  qui  ne  se  ren- 
contrent pas  dans  les  œuvres  littéraires,  comme  demorge,  qui  est 
extrêmement  commun,  ou  le  conditionnel  euquergeroient ,  qui  se 
trouve  dans  les  Statutes  (1392). 

L'introduction  du  suffixe  semble  être  plus  ancienne  pour  l'impé- 
ratif; vienge  se  lit  fréquemment  dans  les  poèmes  postérieurs  à  1140, 
par  exemple  dans  TEstorie  des  Engleis,  dans  les  Légendes  de  Marie, 
etc.  ;  nous  ne  pouvons  cependant  pas  préciser  la  date  de  cette  forme  ; 
elle  doit  appartenir,  au  plus  tard,  à  la  première  moitié  du  xiii*  siècle. 

Souvienge  se  trouve  aussi  dans  le  poème  sur  Edward  le  Confes- 
seur, dans  le  Poème  allégorique;  prerige  est  employé  dans  Boeve, 
mais  ne  remonte  pas  plus  haut  que  la  fin  du  xiii^  siècle  ;  un  verbe  de  I, 
toutefois,  nous  fournit  deux  exemples  datant  certainement  du  com- 
mencement du  xiii^  siècle  :  aller,  qui,  dans  les  poèmes  de  Frère  Angier, 
fait  cà  l'impératif  augex.  et  vauges. 

Tels  sont  les  casprincipauxqui  nous  montrent  le  suffixe^^i'  sortant  du 
subjonctif;  on  peut  assurément  considérer  que  les  premiers  cas  qui 
nous  semblent  assurés  se  trouvent  au  mode  impératif  et  datent  de 
la  fin  du  xii^  siècle,  peut-être  du  commencement  du  xiii^  C'est  à 
partir  de  1250  que  les  exemples  deviennent  assez  communs  et  se  ren- 
contrent également  à  l'indicatif  et  à  l'impératif. 


8oé  l'évolutiox  du  verbe  en  anglo-français 

Nous  avons  rencontré  un  nombre  beaucoup  plus  considérable  de 
tormes  qui  nous  montrent  la  lettre  mouillée  du  subjonctif  se  géné- 
ralisant à  d'autres  modes.  VI  mouillée,  par  laquelle  nous  commen- 
cerons, ne  nous  offre  aucun  exemple  aussi  ancien  que  ceux  que 
nous  citerons  pour  Vu  mouillée,  et  le  nombre  de  formes  nouvelles 
que  nous  avons  trouvé  pour  la  première  consonne  reste  très  inférieur 
à  celui  que  nous  relevons  pour  la  seconde.  Les  exemples  d'une  / 
mouillée  irrégulière  au  mode  indicatif  ne  datent  que  du  xiV  siècle  : 
voillent  se  lit  dans  l'Apocalypse,  dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon, 
et  dans  ce  dernier  ouvrage,  on  trouve  aussi  toille. 

Des  formes  analogues  se  rencontrent  un  peu  plus  tôt  en  dehors 
des  ouvrages  littéraires,  par  exemple  le  vaillent  qu'on  trouve  dans  les 
Statutes  sous  la  date  de  1278  ;  cette  différence  de  date  ne  saurait 
avoir  une  grande  importance,  mais  elle  nous  permet  de  conclure 
que  c'est  au  conimencement  du  quatrième  quart  du  xiii^  siècle  que 
1'/  mouillée  du  subjonctif  a  commencé  à  gagner  certains  temps  de 
l'indicatif. 

L'action  du  premier  de- ces  modes  a  été  quelque  peu  plus  ancienne 
au  participe  présent;  quelques  verbes,  comme  vouloir,  ne  présentent 
à  ce  temps  que  la  lettre  mouillée;  vaillant  se  trouve  déjà  dans  les 
trois  Psautiers,  dans  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme  et  par  la 
suite  dans  la  plupart  des  textes  littéraires  ;  et  il  en  va  à  peu  près  de 
même  pour  les  autres,  quoique,  dans  certains  cas,  la  mouillure  ne 
soit  pas  aussi  évidente.  Les  exemples  de  ce  temps  pour  les  verbes 
valoir  et  douloir  sont  beaucoup  plus  rares,  mais  ceux  que  nous 
avons  cités  précédemment  nous  permettent  de  croire  qu'il  en  était 
de  même  pour  ces  verbes.  Ces  trois  verbes  sont  à  peu  près  les  seuls 
qui  nous  montrent  une  /  mouillée  analogique,  sauf  le  participe 
présent  aillant  qui  se  rencontre  dans  les  Statutes  (r335)  et  qui 
nous  montre  clairement  la  tendance  de  l'anglo-français  à  mouiller 
1'/. 

Cependant,  nous  devons  reconnaître  que  les  renseignements  que 
nous  avons  recueillis  pour  17  mouillée  analogique  sont  assez  maigres; 
les  cas  qui  présentent  Vn  mouillée  irrégulière  sont  plus  instructifs. 
Les  premiers  exemples  de  formes  analogiques  que  nous  rencontrions 
à  l'indicatif  remontent  à  la  seconde  moitié  du  xir  siècle,  au  plus 
tard  :  le  manuscrit  d'Oxford  du  Roland  nous  donne  meignenl  et 
pleigncf;  le  manuscrit  R  de  l'Estorie  des  Engleis  nous  fournit  acei- 


FORMATIONS  ANALOGIQUES  807 

gnent  ;  et  la  seconde  moitié  du  xiir  et  tout  le  xiV^  siècle  nous 
montrent  constamment  veignc,  teigne,  preigne.  Les  formes  analogues 
sont  proportionnellement  plus  communes  à  l'impératif;  nous  en 
avons  vues  dans  le  roman  de  Tristan  de  Thomas  Çciinveigne~),  dans 
la  Vie  de  Saint  Gilles  (i-efreigiï),  mais  ces  quelques  cas  ne  pourraient 
être  plus  anciens  que  les  présents  de  l'indicatif  que  nous  offre  le 
Roland  d'Oxford;  tout  ce  qu'on  peut  admettre  sur  ce  point,  c'est 
que  la  consonne  analogique  a  paru  à  peu  près  en  même  temps  dans 
les  deux  temps.  Ce  sont  encore  les  mêmes  verbes  que  précédemment 
qu'on  rencontre  encore  pendant  les  deux  siècles  suivants  :  sou- 
vigne,  veigne,  releygne:^,  preigne  sont  employés  très  souvent  comme 
impératifs. 

Aux  autres  modes,  la  consonne  mouillée  analogique  n'est  certai- 
nement pas  aussi  commune  :  zeignant,  teignant,  preignant  se  ren- 
contrent, comme  on  peut  bien  le  supposer,  mais  ces  formes  ne 
déplacent  pas  les  formes  étymologiques.  Ajoutons-y  encore  respoi- 
gnant,  commun  dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques,  qui 
n'est  pas  rare  à  côté  de  la  forme  sans  mouillure  respo(i)nant . 

Au  participe  passé,  w  mouillée  est  encore  plus  rare  ;  on  ne  la 
trouve  même,  à  notre  connaissance,  que  dans  ces  verbes  pour 
lesquels  Vn  mouillée  est  analogique,  même  au  subjonctif,  comme 
orâeigné,  traigm:(;  et  même  ces  exemples  ne  se  rencontrent  pas  dans 
les  œuvres  littéraires. 

La  consonne  analogique  a  le  même  caractère  d'exception  dans 
quelques  imparfaits  du  subjonctif,  comme  remaignisscut,  aveignisse 
dont  les  Parliamentary  Writs  et  les  Rymers'  Foedera  nous  four- 
nissent quelques  exemples  au  commencement  du  xiv^  siècle. 

Les  consonnes  mouillées  ont  donc  atteint  par  analogie  un  assez 
grand  nombre  de  temps  qui  présentent  régulièrement  la  consonne 
simple  ;  il  nous  semble  impossible,  et  peut-être  aussi  oiseux,  d'expli- 
quer pourquoi  il  se  fait  que  ce  sont  surtout  les  verbes  en  n  qui  ont 
été  atteints  par  ce  changement  ;  il  est  possible  que  ces  derniers  soient 
ou  plus  nombreux,  ou  plus  communs,  ou  que  leur  subjonctif  soit 
plus  employé;  il  reste  indiscutable  que  les  deux  consonnes  /  et  « 
mouillées  se  trouvent,  sous  l'influence  du  subjonctif,  à  l'impératif,  à 
l'indicatif,  au  participe  présent,  au  participe  passé,  dès  le  commence- 
ment de  la  seconde  moitié  du  xir'  siècle. 

Le  mode  subjcMictif  a   donc  exercé  une  action  considérable  sur 


8o8  l'évolution  du  verre  ex  anglo-fran^als 

les  autres  modes,  en  particulier  sur  le  présent  de  l'indicatif,  sur  l'im- 
pératif, et  aussi,  quoique  à  un  moindre  degré,  sur  le  participe  pré- 
sent. 

Cette  action  date  du  commencement  du  xii^  siècle,  et  nous  pou- 
vons admettre  qu'elle  a  commencé  à  se  faire  sentir  sur  les  impératifs 
(impératifs  en  gc);  on  comprend  facilement  que,  comme  ce  dernier 
mode  a  un  sens  très  voisin  de  celui  du  subjonctif,  il  ait  adopté 
dans  un  certain  nombre  de  cas  la  forme  même  d'un  mode  plus 
employé  en  même  temps  que  plus  distinct  que  lui.  Ensuite,  comme 
dans  la  plupart  des  cas  et  pour  la  plupart  des  personnes  les  trois 
temps  :  présent  de  l'indicatif,  impératif,  présent  du  subjonctif,  ne 
différaient  que  fort  peu,  le  présent  de  l'indicatif  s'est  trouvé  entraîné 
à  prendre  lui-même  la  forme  qui  était  devenue  celle  des  deux  autres 
temps  ;  et  cette  action  de  l'impératif  et  du  subjonctif  combinés  a  dû 
être  très  forte,  car  les  premiers  exemples  d'indicatifs  à  forme  de 
subjonctif  ne  sont  postérieurs  que  de  quelques  années  aux  impéra- 
tifs analogiques. 

Le  participe  présent  a  suivi  le  présent  de  l'indicatif. 

c)  Influence  de  Vinfinitif. 

L'infinitif  n'a  pas  eu  la  même  importance.  Les  formes  analogiques 
qui  dérivent  certainement  de  ce  mode  ne  sont  pas  très  nombreuses  ; 
dans  un  petit  nombre  de  cas  l'action  qu'il  a  exercée  est  indéniable  ; 
nous  retrouvons  la  forme  même  de  son  thème  dans  quelques  temps 
de  l'indicatif,  comme  pleiiident,  pleindoient,  prendoit,  formes  dont 
nous  aurons  à  reparler  au  chapitre  suivant.  C'est  surtout  sur  les 
prétérits  que  nous  pouvons  voir  la  forme  de  l'infinitif  exercer  une 
action  assez  étendue;  nous  avons,  dans  un  paragraphe  précédent 
(cf.  p.  804),  montré  que  les  prétérits  en  si  arrivaient  quelquefois 
à  imposer  la  forme  de  leur  troisième  personne  du  pluriel  à  l'infinitif; 
et  nous  trouvions  la  cause  de  ce  phénomène  dans  l'identité  qui 
existe  entre  la  troisième  personne  du  pluriel  du  prétérit  et  l'infini- 
tif des  verbes  de  I  et  de  IL  La  même  raison  explique  le  phénomène 
inverse  qui  est  beaucoup  plus  fréquent  que  celui  que  nous  avons 
déjà  exposé. 

Au  xiii^  siècle,  nous  trouvons  déjà  joyndrent  (Saint  Edmund), 
\>ms  esteindrent  iy^W.  Rishanger),  siirdrenf,  ardretit  (V'icrre  de  Lang- 


FORMATIONS  ANALOGIQUES  809 

toft),  et  dans  les  textes  politiques  et  diplomatiques,  les  formes 
comme  ardrent,  reindrent,  même  fuirent,  ne  sont  pas  rares.  D'autres 
fois,  ce  n'est  pas  la  forme  régulière  de  l'infinitif,  mais  sa  forme 
analogique,  qui  apparaît  au  prétérit,  comme  dans  snrderent,  pleync- 
rent,  iraiereiit.  Mais  dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  l'influence  de 
l'infinitif  est  évidente.  Elle  ne  l'est  pas  moins  dans  un  certain 
nombre  de  futurs  qui  adoptent  le  thènede  l'infinitif,  comme  avoira , 
voira,  faroiit  ;  cependant  ces  formes  sont  rares  et  ne  se  rencontrent 
jamais  dans  les  œuvres  littéraires. 

Nous  citerons  encore,  avant  de  quitter  l'infinitif,  quelques  exemples 
qui  peuvent  nous  montrer  son  influence  quoique  l'explication 
par  l'analogie  soit  ici  assez  douteuse.  Il  nous  semble  que  nous  retrou- 
vons le  thème  ou  une  partie  du  thème  de  l'infinitif  dans  fcit,  fcist 
pour  fist  qui  peuvent  provenir  de  la  troisième  personne  du  pluriel 
fcircnt  (Chroniques  de  l'Abbaye  de  Saint  Alban),  et  cette  dernière 
forme  nous  paraît  assez  clairement  analogique  et  due  à  l'infinitif. 
L'action  de  ce  mode  est  moins  évidente  dans  les  quelques  troisièmes 
personnes  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  :  saet,  plaest,  taest, 
traest  qui  peuvent  nous  reproduire  la  voyelle,  ou  une  graphie  de  la 
voyelle,  du  thème  de  l'infinitif,  mais  cette  explication  nous  semble 
très  hasardée,  et  nous  préférons  considérer,  comme  nous  l'avonsdéjà 
fait,  ne  comme  une  forme  assez  normale  de  la  diphtongue  ai. 

L'influence  très  limitée  que  l'infinitif  a  exercée  est  donc  très 
réelle  et  se  remarque  principalement  pour  les  prétérits  en  ii  et  sur 
les  futurs. 

d)  Influence  du  participe  présent. 

Le  participe  présent  ne  nous  retiendra  pas  longtemps;  c'est  peut- 
être  à  lui  que  nous  devons  le  v  de  povoir  (Rymer's  Foedera,  1347, 
1 348),  de  povuns  (Jean  de  Peckham,  1 282),  d\'.';crivre  (Cumpoz,  Ksto- 
rie  des  Engleis),  mais  ces  formes  ne  sont  pas  particulières  à  l'anglo- 
français. 

Telles  sont  rapidement  les  actions  analogiques  qui  se  sont  exercées 
à  l'intérieur  d'un  même  verbe;  à  notre  avis,  les  plus  importantes 
sont  celles  qui  proviennent  des  subjonctits. 


8 10  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

III.  Actions  analogiciues  qu'un  verbe  exerce 
SUR  un  autre  verbe. 

Après  ce  que  nous  avons  dit  au  premier  chapitre,  nous  n'aurons 
aucune  difficulté  à  reconnaître  les  formes  analogiques  qui  sont  dues 
à  l'action  d'une  conjugaison  sur  l'autre;  en  effet,  nous  avons  alors 
montré  que  certaines  formes  que  l'on  considère  ordinairement 
comme  analogiques  avaient  une  origine  purement  phonique  ;  mais 
nous  avons  laissé  de  côté  à  ce  moment  un  certain  nombre  de  formes 
que  le  développement  phonique  ne  pouvait  expliquer,  et  ce  sont 
justement  ces  formes  qui  vont  nous  occuper  maintenant. 

C'est  l'analogie  seule  qui  rend  compte  pour  les  imparfaits  de  la 
première  conjugaison  du  passage  de  la  forme  en  o{ii)e  à  la  forme  en 
eie;  ce  passage,  comme  nous  l'avons  vu,  a  pris  place  tout  d'abord 
vers  I  i6o  (dans  le  Psautier  de  Cambridge,  les  Légendes  de  Marie,  les 
Quatre  Livres  des  Rois)  ;  mais  les  formes  analogiques  ne  deviennent 
communes  que  vers  1250,  et  ce  sont  à  très  peu  de  chose  près 
les  seules  que  nous  trouvions  en  dehors  de  la  littérature.  Et  cepen- 
dant, avant  de  disparaître  entièrement,  les  imparfaits  en  on  ont  attiré 
à  leurs  formes  un  certain  nombre  d'imparfidts  de  verbes  appartenant 
à  la  seconde,  la  troisième  et  la  quatrième  conjugaison  ;  ces  formes 
irrégulières  se  rencontrent  surtout  pendant  le  xiv^  siècle  (Apocalypse, 
Nicole  Bozon,  Nicolas  Trivet). 

Il  en  va  de  même  pour  certaines  des  acquisitions  que  les  prétérits 
ont  faites;  toutes  les  formes  irrégulières  des  prétérits  en  avi  des 
cinq  premières  personnes  sont  analogiques  :  poai  (William  de  Wad- 
dington,  Pierre  de  Langtoft,  Nicole  Bozon);  les  secondes  personnes 
du  singulier,  comme  confuiidas  du  Psautier  d'Arundel;  les  troisièmes 
personnes  du  singulier  :  vonia  (Apocalypse),  trea  (scribe  du  Saint 
Edmund),  cundiat  (Genèse  Notre-Dame),  row/wM  (Nicole  Bozon)  ;  et 
enfin  les  quelques  premières  et  secondes  personnes  du  pluriel  :  endo- 
sames  (dans  Foulques  Fitz  Warin). 

Nous  avons  dit  précédemment  qu'un  nombre  très  considérable 
de  troisièmes  personnes  du  pluriel  pouvaient  et  devaient  s'expliquer 
par  le  développement  phonique  plus  ou  moins  régulier  ;  et  les 
exemples  des  formes  en  erent  auxquelles  nous  attribuons  cette  ori- 
gine représentent  presque  la  totalité  des  désinences  nouvelles.  Mais 


FORMATIONS    ANALOGIQUES  8  II 

cette  explication  phonique  ne  saurait  s'appliquer  à  toutes  ces  troi- 
sièmes personnes  du  pluriel   en  erent  créées  par  l'anglo-français^  et 
nous  allons  citer  maintenant  quelques  exemples  qui  ont  certaine- 
ment une  origine  analogique.  En  effet,  tous  les  prétérits  qui  appar- 
tiennent régulièrement  aux  classes  en  si  et  en  ni  ne  prennent  la 
terminaison  des  prétérits  en  avi  à  la  troisième  personne  que  par 
un  véritable  changement  de  conjugaison  ;  ces  nouvelles  formations 
remontent  dans  certains  cas  jusqu'à  la  fin  du  xir  siècle  ;  dans  les 
Légendes  de  Marie  d'Adgar,  nous  avons  relevé  volèrent  attesté  par 
la  mesure  du  vers  ;   mais  cet  exemple  est  absolument  isolé  à  cette 
époque,  et  il  est  permis  de  le  considérer  comme  un  barbarisme  qui 
est  particulier  à  Adgar  seulement,  ou  mieux  encore  de  lire  voleient. 
Ce  n'est  que  vers  la  fin  du  xiir'  siècle  que  des  formes  comme  sur- 
derent  (Genèse  Notre-Dame,  Pierre  de  Langtofi),/)/n'w^ra7/ (Genèse), 
curèrent  (Genèse),  avèrent  (manuscrit  O  de  Boeve)  se  trouvent  rela- 
tivement souvent.  Évidemment  au  siècle  suivant  des  formes  comme 
celles  que  nous  venons  de  citer  se  rencontrent  encore  plus  commu- 
nément et  nous  ne  reproduirons  pas  ici  la  liste  assez  longue  que 
nous  avons  donnée  dans  notre  première  partie.  Mais  nous  pouvons 
dès  maintenant  faire  remarquer  deux  choses  :  tout  d'abord  que  les 
désinences  nouvelles  en  erent  d'origine  phonique  sont  sans  aucun 
doute  plus  anciennes  que  les  désinences  analogiques  de  la  même 
forme  ;  ensuite,  et  par  voie  de  conséquence,  que  ces  formes  phoni- 
quement  régulières  ont  dû  avoir  une  certaine  action  sur  la  formation 
des  désinences  analogiques.  Et  toutes  les  remarques  qui  précèdent 
se  trouvent  confirmées  par  les  témoignages  que  nous  fournissent 
les  textes  diplomatiques,    politiques  et  familiers,  et  on   pourrait 
même  ajouter  les  textes  légaux,  quoique  les  renseignements  qu'ils 
nous  fournissent  manquent  un  peu  de  précision. 

Les  mêmes  remarques  peuvent  se  faire  au  sujet  des  acquisitions  des 
.prétérits  en  m;  cependant  quelques-unes  des  formations  analogiques 
que  nous  avons  rencontrées  et  citées  précédemment  ont  un  caractère 
de  régularité  que  nous  ne  trouvons  que  très  rarement  dans  les  nouvelles 
formations  en  avi;  par  exemple  les  verbes  choir,  croire,  mourir  se 
trouvent  assez  fréquemment  sinon  constamment  au  prétérit  sous  la 
forme  en  ivi  depuis  la  seconde  moitié  du  xir  siècle,  pour  les  deux 
premiers  et  le  commencement  du  xiir  pour  le  troisième.  L'action 
de  l'analogie  dans  ce  cas  a  été  assez  forte  pcnu"  taire  apparaître  des 
formes  en  /  à  chaque  personne. 


8i2  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

Pour  tous  les  autres  verbes  qui  nous  ont  donné  des  exemples  de 
nouvelles  formations,  les  cinq  premières  personnes  ne  se  rencontrent 
que  fort  rarement  et  fort  tard  ;  nous  n'en  trouvons  guère  avant  la 
fin  du  xiii*^  siècle  ou  plus  souvent  au  xiv*  :  germist  (Heures  de  la 
Vierge),  jettit  (Apocalypse),  rampist  (Nicole  Bozon),  ardy  (Foulques 
Fitz  Warin),  57//v//' (Nicolas  Trivet),  vailly  (Prince  Noir)  sont  après 
tout  des  formes  exceptionnelles. 

Au  contraire  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  analogiques  sont 
à  la  fois  plus  communes  et  plus  anciennes  :  firent,  prirent,  mirent 
que  nous  avons  citées  et  qui  sont  certainement  le  résultat  d'une 
analogie. 

L'analogie  a  eu,  comme  on  peut  en  juger  par  ce  que  nous  en 
avons  déjà  dit,  une  action  considérable  sur  les  prétérits  en  ni.  Non 
pas  que  les  formations  analogiques  aient  été  plus  nombreuses  ici 
que  pour  les  autres  classes  de  prétérits;  au  contraire,  et  nous  ne 
trouvons  à  citer  qu'un  seul  verbe  qui  montre  assez  fréquemment 
une  forme  en  ni  qui  n'est  pas  étymologique  :  le  verbe  pleurer.  Plo- 
rut,  plornrent,  et  à  l'imparfait  du  subjonctif  plorust  sont  communs  à 
partir  du  milieu  du  xiii^  siècle,  et  doivent  être  rapprochés  de  la 
troisième  personne  du  singulier  du  présent  de  l'indicatif  ^///r^  dont 
nous  avons  donné  quelques  exemples  ;  mais  à  part  ce  verbe, 
les  acquisitions  des  prétérits  en  ui  sont  des  plus  rares  et  sont  le  plus 
souvent  assez  douteuses.  L'action  de  l'analogie  se  remarque  surtout 
entre  les  prétérits  des  différentes  classes,  et  ici,  nous  pouvons  obser- 
ver toute  une  série  d'actions  et  de  réactions. 

La  première  personne  du  singulier  n'a  pas  varié  extrêmement  ; 
les  formes  en  oui,  ni  de  la  première  classe  sont  certainement  dues 
à  l'influence  des  personnes  correspondantes  de  la  seconde  classe  ;  de 
même  les  formes  en  oi  que  nous  avons  quelquefois  rencontrées  à  la 
troisième  classe  proviennent  de  la  première.  C'est,  comme  nous 
avons  tâché  de  le  montrer  précédemment,  surtout  à  la  troisième 
personne  du  singulier  et  du  pluriel  que  l'influence  des  diverses 
classes  les  unes  sur  les  autres  a  été  importante  ;  ainsi,  ce  sont  les 
verbes  de  la  première  classe  qui  ont  donné  à  ceux  de  la  seconde, 
de  la  troisième  et  même  de  la  cinquième  la  terminaison  ont  pour 
le  singulier  et  07<;w?/ pour  le  pluriel  :  dout,aparcout,7norousf,dourent, 
en  sont  des  exemples.  Comme  nous  le  montrent  les  dates  de  cqs 
diverses  formes,  la  première  classe  a  commencé  à  agir  sur  les  autres 


FORMATIONS    ANALOGIQ.UES  813 

dès  le  xii^  siècle.  Mais  les  formes  analogiques  du  genre  de  celles 
que  nous  venons  de  rappeler  n'ont  jamais  été  très  nombreuses  en 
anglo-français. 

Au  contraire,  les  formes  analogiques  que  l'influence  des  dernières 
classes  a  introduites  dans  la  première  sont  devenues  assez  tôt  très 
générales;  les  formes  analogiques  en  //  pour  les  troisièmes  personnes 
du  prétérit  de  cette  classe  sont  assurées  pour  la  date  de  ir6o 
(Légendes  de  Marie  d'Adgar)  ;  nous  n'avons  pas  à  répéter  ici  les 
listes  d'exemples  que  nous  avons  données  dans  notre  première  par- 
tie ;  les  rimes  que  nous  avons  citées  pour  la  fin  du  xii*  et  pour  le 
XIII*  siècle  sont,  comme  on  peut  se  le  rappeler,  assez  nombreuses,  et 
elles  ne  peuvent  être  qu'une  partie  du  nombre  total  de  ces  formes. 

Et,  comme  on  le  sait,  cette  action  de  l'analogie  devait  être  durable 
en  français  comme  en  anglo-français,  et  générale. 

Pour  les  personnes  imparisyllabiques,  comme  pour  les  imparlaits 
du  subjonctif  et  les  participes  passés  correspondant  cà  ces  prétérits 
en  ui,  nous  observons  encore  un  changement  purement  analogique  : 
c'est  le  passage  de  la  voyelle  en  hiatus  à  e  ;  évidemment  ici,  nous 
avons  une  autre  preuve  de  l'action  des  verbes  de  la  troisième 
classe  sur  ceux  de  la  première  :  eiis,  eusse,  en  sont  évidemment  dus 
à  receiis,  receûsse,  receiï.  Nous  pourrions  citer  encore  d'autres  points 
(j-cceiit,  eurent,  receurent)  montrant  une  action  analogue.  Cela  serait 
probablement  peu  utile. 

Comme  on  le  voit  l'analogie  a  assez  profondément  modifié  la 
physionomie  de  certains  prétérits  en  ui  ;  et  ce  sont  ceux  qui  appar- 
tiennent à  la  classe  la  moins  résistante  et  la  moins  nombreuse  qui 
ont  pris  la  forme  des  autres  classes  ;  mais  rien  de  ce  que  nous  venons 
de  dire  n'est  particulier  à  l'anglo-français  et  par  conséquent  l'analo- 
gie que  nous  trouvons  ici  avait  naturellement  quelque  chose  de 
fatal  puisqu'elle  s'est  produite  dans  tous  les  dialectes  français  et  en 
anglo-français. 

Il  nous  semble  à  peu  près  inutile  de  faire  remarquer  que  les  nou- 
velles formations  en  si  pour  le  prétérit  et  l'imparfait  du  subjonctif 
ne  peuvent  être  que  des  formations  analogiques,  soit  pour  les  per- 
sonnes imparisyllabiques,  soit,  dans  le  cas  des  prétérits  seulement, 
pour  la  troisième  personne  du  pluriel. 

L'/  qui  s'introduit  quelquefois  au  tutur  des  verbes  de  11  non 
inchoatifs  provient  aussi  évidemment  de  Xi  des  futurs  de  la  classe 


8 14  L  EVOLUTION    DU    VERBE    EN    ANGLO-FRANÇAIS 

voisine,  les  inchoatifs;  mais  on  peut  hésiter  à  attribuer  la  même 
origine  à  17  que  nous  avons  trouvé  à  quelques  futurs  de  I  (j-epeirira, 
dans  Angier  ;  reposirai,  dans  le  Lai  du  Cor),  ou  de  IV  (rendirons, 
dans  Nicolas  Trivet;  abatira,  dans  les  Year  Books).  On  serait  peut- 
être  tenté  de  considérer  cet  /  comme  une  graphie  de  la  muette  ;  mais 
nous  verrons  dans  le  chapitre  suivant  que,  pour  la  plupart  des  cas 
où  Vi  est  employé  avec  valeur  d'une  voyelle  muette,  on  peut  expli- 
quer cette  graphie  par  une  influence  étrangère;  ici,  nous  ne  trou- 
vons rien  de  tel,  et  il  nous  semble  plus  naturel  de  considérer  que 
Vi,  dans  ce  dernier  cas,  ne  diffère  en  rien  de  celui  que  nous  trouvons 
dans  les  verbes  de  II  inchoatifs.  La  confusion  qui  a  certainement 
dû  se  produire  a  été  facilitée  par  le  passage  à  la  forme  de  I  des  infi- 
nitifs de  II  inchoatifs  et  de  IV.  Si  un  infinitif  choiser  fliisait  au  futur 
choisira,  pourquoi  un  autre  infinitif  en  cr,  comme  reposer  ou 
render,  ne  prendrait-il  pas  la  même  voyelle  à  son  futur  ?  Tout  au 
moins  nous  pouvons  dire  que  la  confusion  des  infinitifs  devait 
amener  dans  un  grand  nombre  de  cas  une  confusion  analogue 
dans  les  futurs. 

Ces  formes  irrégulières  s'expliquent  donc  d'une  façon  qui  semble 
toute  naturelle  :  il  peut  y  avoir  eu  en  principe  un  changement 
purement  phonique  dans  les  infinitifs,  mais,  strictement  parlant, 
les  nouvelles  formes  du  futur  sont  dues  à  l'analogie. 

Le  présent  du  subjonctif  nous  montre  aussi  de  la  même  façon 
les  différentes  classes  agissant  les  unes  sur  les  autres,  et  il  est  ordi- 
nairement assez  facile  de  reconnaître  les  formes  qui  sont  dues  à 
l'analogie. 

Les  subjonctifs  en  cm  n'ont  exercé  qu'une  influence  des  plus 
restreintes  sur  les  autres  classes  de  subjonctifs  ;  c'est  cependant  par 
l'analogie  de  ces  subjonctifs  que  nous  expliquons  un  certain  nombre 
de  troisièmes  personnes  du  singulier  qui  ont  perdu  leur  c  muet 
étymologique,  comme  esjot  (Psautier  d'Oxford)  ;  acoilt  (Légendes 
de  Marie,  Vie  de  Sainte  Catherine)  ;  noist  (Guischart  de  Beauliu)  ; 
toutes  ces  formes,  comme  on  le  voit,  se  rencontrent  pendant  le 
xii^  siècle,  à  une  époque  par  conséquent  où  les  formes  étymolo- 
giques de  la  troisième  personne  du  singulier  des  subjonctifs  en  cm 
étaient  encore  très  nombreuses. 

Les  subjonctifs  en  iam  ont  agi  sur  les  autres  subjonctifs  de  deux 
façons  :  d'abord  en  leur  donnant  le  suffixe  ge,  ensuite  en  leur  four- 


FORMATIONS    ANALOGIQUES  815 

nissant  le  type  des  subjonctifs  à  lettre  mouillée.  Nous  avons  insisté 
assez  longuement  sur  ces  deux  points  dans  notre  première  partie 
pour  que  nous  ne  nous  y  arrêtions  pas  maintenant;  nous  ferons 
cependant  observer  que  pour  les  verbes  de  I,  les  subjonctifs  avec  le 
suffixe  ne  se  rencontrent  guère  que  pendant  le  xii*"  siècle,  et  que 
pour  les  subjonctifs  en  am  ces  formes  analogues  sont  rares  après 
cette  même  époque,  excepté  pour  quelques  verbes  en  /-  comme 
courir.  Les  subjonctifs  avec  mouillure  irrégulière  sont  par  contre 
rares  pendant  le  xii^  siècle,  et  ne  se  rencontrent  avec  quelque  fré- 
quence que  pendant  la  seconde  moitié  du  xiii''  et  pendant  tout  le 
xix"  siècle;  la  mouillure  devient  après  1250  si  commune  pour 
certains  verbes  comme  prendre,  respondre,  donner  que  les  formes, 
soit  étymologiques,  soit  en  ge,  deviennent  extrêmement  rares. 

On  peut  encore  considérer  comme  une  influence  du  même 
genre  celle  qui  a  généralisé  ci  certains  verbes  le  suffixe  ce;  mais 
cette  forme  du  subjonctif  n'a  eu  en  anglo-français  que  fort  peu  d'im- 
portance. 

Les  différentes  classes  des  subjonctifs  en  iain  n'ont  pas  été  sans 
agir  les  unes  sur  les  autres,  et  nous  l'avons  montré  précédemment, 
nous  nous  contenterons  de  rappeler  les  formes  analogiques  qui 
dérivent  du  subjonctif /<3^e  :  sace,  place,  tacc,  hace. 

Toutes  les  nouvelles  formations  de  l'infinitif  que  nous  n'avons 
pas  encore  mentionnées  dans  cette  seconde  partie  sont  des  forma- 
tions analogiques  ;  tout  d'abord  un  grand  nombre  de  verbes  de  IV 
qui  prennent  la  terminaison  en  er,  comme  treier,  occier,  repeller,  ester, 
coûter,  tystrer. 

Nous  serons  moins  affirmatifs  en  ce  qui  concerne  les  nombreux 
infinitifs  qui  prennent  la  terminaison  des  infinitifs  de  II;  quelques- 
uns  sont  cependant  analogiques,  sans  doute  possible,  comme  ovcrir, 
recoverir  pour  ovrer  et  recovrer,  sous  l'influence  du  verbe  ouvrir  ; 
ici  nous  voyons  l'action,  non  pas  d'une  terminaison,  mais  d'un  verbe 
paronyme. 

Si  nous  mettons  ces  quelques  verbes  à  part,  nous  ne  pouvons  pas 
être  assurés  de  l'action  de  l'analogie  dans  les  autres  exemples.  Les 
premiers  verbes  à  prendre  irrégulièrement  la  terminaison  ir  sont 
des  verbes  de  I  :  cj/j^hV  (Voyage  de  Saint  Brandan);  Icssir  (Manuel 
des  Péchés);  demenbryr  (Roman  des  Romans),  et  il  est  possible  que 
ces  formes  soient  dues  en  grande  partie  à  la  confusion  qui  s'était 


Sl6  l'évolution    du    verbe    en    ANGLO-IRAN  cals 

établie  entre  t  fermé  et  /  devant  r,  et  que  par  conséquent  ce  phéno- 
mène soit  phonique  à  l'origine;  mais  il  ne  faut  pas  se  dissimuler 
que  même  s'il  en  est  ainsi,  Tanalogie  a  eu  aussi  sa  part  dans  la  for- 
mation de  ces  nouveaux  infinitifs,  et  il  en  va  évidemment  de 
même  pour  les  verbes  de  III  ou  de  IV  qui  ont  pris  à  l'infinitif  cette 
terminaison  :  descendir,  resccvir  viennent  à  la  seconde  conjugaison 
après  avoir  passé  par  la  première. 

Nous  ne  pouvons  pas  observer  au  participe  présent  beaucoup  de 
phénomènes  analogiques;  signalons  seulement  la  diffusion  de  la 
désinence  en  eant  aux  verbes  être,  occuper,  dérober,  toucher,  venir, 
demorer,  regarder. 

Le  participe  passé  au  contraire  peut  nous  donner  un  nombre 
très  considérable  de  phénomènes  de  ce  genre,  ce  sont  les  différentes 
acquisitions  que  font  les  classes  de  participes  passés.  Nous  avons  vu 
que  les  participes  passés  en  é  attiraient  à  leur  forme  des  participes 
passés  en  /,  en  u,  et  même  quelques  participes  forts.  Évidemment 
ici  ce  n'est  que  Tanalogie  qui  peut  nous  rendre  compte  de  formes 
comme  seise,  aye:;^,  iiovei,  coiiibate,  mette,  attrae:{  et  tant  d'autres  par- 
ticipes qui  prennent  irrégulièrement  la  forme  même  des  participes 
de  I.  Il  en  va  de  même  pour  les  acquisitions  que  font  les  autres 
classes  de  participes;  nous  voyons  cependant  une  diff^érence.  A  tout 
prendre,  les  acquisitions  des  classes  autres  que  la  classe  en  é  sont 
moins  nombreuses  que  celles  dont  nous  venons  de  dire  un  mot; 
mais,  d'une  façon  générale,  elles  nous  semblent  plus  stables;  les  nou- 
velles formes  en  é  sont  des  acquisitions  pro  tempore  le  plus  sou- 
vent; celles  que  font  les  participes  en  /,  en  //,  les  participes  forts, 
ne  se  trouvent  pas  limitées  à  un  cas  ou  à  un  seul  auteur.  Chaï, 
convertu,  sentii,  tolu,  chaeit,  toleit,  traeit,  cuilleit  peuvent  n'être  pas 
absolument  réguliers;  ce  ne  sont  pas  des  barbarismes  comme  les 
quelques  participes  en  é,  que  nous  citons  quelques  lignes  plus 
haut. 

Voilà,  aussi  brièvement  que  possible,  quelle  a  été  l'action  de  l'ana- 
logie sur  la  conjugaison  en  anglo-français  et  les  différents  points  où 
elle  se  montre;  les  quelques  pages  qui  précèdent  prétendent  seule- 
ment résumer  les  différents  changements  qui  se  sont  produits  dans 
le  verbe  sous  cette  action;  elles  répètent  donc,  mais  à  un  point  de 
vue  différent  et  en  les  groupant,  les  faits  que  nous  avons  déjà  vus 
dans  notre  première  partie. 


FORMATIONS  ANALOGIQUES  817 

L'analogie  a  donc  causé  dans  les  verbes  des  changements  assez 
nombreux  et  considérables  :  elle  a  eu  une  double  tendance  ;  d'abord 
généraliser  les  terminaisons  caractéristiques  de  la  première  conju- 
gaison de  l'infinitif,  du  prétérit,  du  participe  passé.  Ici  elle  a  été 
précédée  et  aussi  aidée  par  le  développement  phonique  dont  nous 
avons  parlé  au  chapitre  précédent;  ensuite  elle  a  généralisé  à  un 
grand  nombre  de  temps  la  lettre  mouillée  du  subjonctif;  et  ici 
son  action  a  été  absolument  indépendante  de  toute  influence  pho- 
nique. 

C'est,  croyons-nous,  ce  qui  résume  le  plus  fidèlement  l'action  de 
l'analogie  dans  le  verbe  en  anglo-français. 


CHAPITRE  m 
LES  INFLUENCES   EXTÉRIEURES 


Il  nous  reste  encore  à  expliquer  un  nombre  assez  considérable 
des  formes  du  verbe  que  nous  avons  énumérées  dans  notre  pre- 
mière partie  ;  ces  formes  ne  peuvent  provenir  que  des  dialectes 
français  du  continent  ou  du  latin. 

Jusqu'à  présent,  on  n'a  pas  encore  consacré  d'étude  d'ensemble 
aux  influences  extérieures  que  le  dialecte  anglo-français  a  subies. 
Quelques  critiques  ont  vu,  dans  certains  auteurs,  l'influence  des 
textes  latins  qu'ils  traduisaient  ;  mais  l'influence  du  latin  ne  s'est 
pas  limitée  à  un  nombre  restreint  d'écrivains  ;  nous  allons  voir 
que,  dans  le  verbe  seul,  les  formes  d'un  emploi  à  peu  près  géné- 
ral qui  proviennent  du  latin  sont  relativement  très  nombreuses. 
Beaucoup  plus  importante  a  été  l'action  de  certains  dialectes  du 
Nord  et  de  l'Est  de  la  France  :  ils  ont  donné  à  la  conjugaison 
anglo-française,  à- partir  d'une  certaine  époque  que  nous  tâcherons 
de  déterminer  avec  la  plus  grande  précision  possible,  de  nombreuses 
formes  qui  étaient  inconnues  aux  premiers  textes  anglo-français. 
Non  seulement  cette  action  des  dialectes  continentaux  a  été  abso- 
lum.ent  méconnue,  mais  quand  un  éditeur  en  a  trouvé  des  traces 
dans  quelque  auteur,  il  en  a  conclu  que  la  langue  de  cet  auteur 
n'était  pas  de  l'anglo-français.  C'est  ce  qui  est  arrivé  à  Miss  M. 
K.  Pope  lorsqu'elle  a  publié  son  excellente  édition  du  poème  du 
Héraut  Chandos  ;  elle  a  remarqué  dans  ce  poème  un  nombre  assez 
considérable  de  formes  qui  appartiennent  au  dialecte  wallon,  et  elle 
en  a  conclu  que,  en  dépit  de  quelques  traits  indubitablement 
anglo-français,  le  poème  du  Prince  Noir  appartient  à  la  littérature 
française  du  continent.  Il  n'en  est  rien,  à  moins  qu'on  ne  consente 
à  faire  entrer  dans  cette  littérature  un  assez  grand  nombre  de 
poèmes  anglo-français  de  la  même  époque  et  la  plus  grande  partie 


LES    INFLUENCES    EXTÉRIEURES  819 

des  textes  non  littéraires  ;  car  la  plupart  des  traits  wallons  que  Miss 
M.  K.  Pope  a  trouvés  dans  son  poème^  nous  allons  les  retrouver 
dans  d'autres  ouvrages  littéraires  et  autres. 

Nous  admettrons,  si  l'on  veut,  que  dans  le  poème  du  Héraut 
Chandos  les  traits  wallons  sont  plus  nombreux  que  dans  n'im- 
porte quel  autre  ouvrage  de  la  même  époque,  quoique  même  cela 
ne  nous  semble  pas  très  sûr  ;  mais  cette  concession  ne  pourra  pas 
ôter  au  poème  du  Prince  Noir  son  origine  anglo-française  ;  on 
pourra  tout  au  plus  conclure  que  le  Héraut  Chandos,  pour  des  raisons 
qu'il  faudrait  préciser,  a  subi  comme  les  autres  écrivains  anglo-français 
de  son  temps,  et -peut-être  plus  qu'eux,  l'influence  du  dialecte  wal- 
lon. C'est  pour  cette  raison  que  nous  avons  feit  entrer  dans  notre 
travail  les  renseignements  que  nous  fournissait  la  langue  de  cet 
auteur. 

Il  est  toujours  assez  délicat  de  prouver  l'infl^uence  d'un  dialecte 
sur  un  autre  :  il  ne  suffit  pas  de  trouver  dans  l'un  et  dans  l'autre 
des  formes  analogues  et  de  les  rapprocher  ;  les  comparaisons  de  ce 
genre  peuvent  être  ingénieuses,  elles  emportent  difficilement  la 
conviction.  Nous  aurions  pu  dans  un  très  grand  nombre  de  cas 
faire  des  rapprochements  qui  auraient  semblé  curieux.  Mais  nous 
avons  l'intention  de  nous  borner  à  rapprocher  des  formes  latines 
ou  continentales  les  formes  anglo-françaises  qui  ne  peuvent  pas 
s'expliquer  d'une  autre  façon  que  par  l'emprunt  ou  l'imitation.  Il 
y  aura  encore  dans  un  certain  nombre  de  cas  un  élément  de 
doute;  mais  de  l'ensemble  des  cas  assurés  et  des  cas  douteux,  du 
rapprochement  des  certitudes  et  des  présomptions  nous  pourrons 
concevoir  une  idée  assez  exacte  de  l'importance  des  influences 
extérieures  sur  l'anglo-français. 

Nous  allons  étudier  successivement  : 

1°  L'influence  du  latin,  et  nous  ajouterons  un  mot  sur  l'influence 
du  provençal. 

2°  L'influence  du  français. 


I.    Influence  du  latin. 

Les  formes  du  verbe  latin  ont  exercé,  sans  qu'il  y  ait  place  pour 
le  moindre  doute,  à  notre  avis,  une  influence  assez  grande  sur  cer- 


820  l'évolution  du  verbe  en  ANGLO-1-RANÇALS 

tains  points  de  la  conjugaison.  Cette  influence  s'est  manifestée  de 
deux  façons:  d'abord  dans  quelques  graphies  de  l'atone  posttonique 
qui  reproduisent  les  terminaisons  latines  ;  ensuite  dans  la  création 
de  nouvelles  formes  copiées,  plus  ou  moins  fidèlement,  sur  quelque 
mot  latin. 

Les  graphies  de  l'atone  qui  proviennent  du  latin  sont  assez 
nombreuses  ;  nous  avons  vu,  à  la  seconde  personne  du  singulier  du 
présent  de  l'indicatif  de  certains  verbes  de  I,  la  terminaison  ûîi',  comme 
dunas  dans  le  Psautier  de  Cambridge,  et  peut-être  aussi  dunaes 
(contamination  entre  la  forme  française  et  la  forme  latine).  La  ter- 
minaison is  à  cette  même  personne  doit  avoir  une  origine  ana- 
logue :  lefacis  du  Boeve  de  Haumtone  reproduit,  ci  contre-sens  du 
reste,  \e  facis  latin  ;  et  on  peut  rapprocher  de  cette  {orme  faylis  du 
même  poème. 

Mais  les  exemples  qui  nous  viennent  de  la  seconde  personne  du 
singulier  sont  peu  nombreux  et  ne  se  rencontrent  que  dans 
quelques  auteurs.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  la  première,  la 
seconde  et  la  troisième  personne  du  pluriel.  A  la  première  per- 
sonne du  pluriel,  nous  avons  rencontré  très  fréquemment  la  termi- 
naison féminine  tnus,  calquée  évidemment  sur  la  terminaison  latine 
correspondante.  C'est  le  verbe  être  qui  nous  montre  le  premier 
cette  terminaison  :  sunms  est  extrêmement  commun  et  remonte  au 
moins  à  la  fin  de  la  première  moitié  du  xii^  siècle  ;  les  scribes  des 
Psautiers  nous  en  donnent  plusieurs  cas.  Et  siimus  dure  jusqu'à  la 
fin  du  xiv^  siècle.  A  peu  près  à  la  même  époque,  et  tout  au  plus  à 
quelques  années  d'intervalle,  nous  trouvons  la  même  terminaison 
aux  prétérits  (Psautier  d'Arundel,  Folie  Tristan,  Robert  de  Gre- 
tham),  et  cette  forme  de  la  muette  devient  très  commune  dans  le 
courant  du  siècle  suivant. 

Les  présents  de  l'indicatif  autres  que  celui  du  verbe  être  n'appa- 
raissent que  sensiblement  plus  tard  ;  et  il  est  possible  que  la  ter- 
minaison en  mus  que  nous  leur  trouvons  ne  provienne  pas  directe- 
ment du  latin,  mais  qu'elle  soit  une  forme  analogique  due  à  l'in- 
fluence de  siiiiiiis  et  des  prétérits. 

A  la  seconde  personne  du  pluriel,  c'est  la  terminaison  latine  tis 
que  nous  rencontrons  au  lieu  de  la  terminaison  tes  ;  et  ici  encore, 
c'est  le  verbe  être  qui  semble  avoir  été  le  premier  en  date  :  estis  se 
lit  dans  la  Lumière  as  Lais,  et  le  même  poème  nous  donne  encore 


LES   INFLUENCES    EXTÉRIEURES  82 1 

le  prêtent  comandastis  ;  un  peu  plus  tard  le  scribe,  sinon  l'auteur  du 
Boeve  de  Haumtone  emploie  les  prétérits  avec  la  même  terminai- 
son :  tnastis,  descendistis.  On  en  rencontre  encore  plus  d'un  exemple 
en  dehors  des  textes  littéraires  et  ce  qui  nous  porterait  à  croire  que 
cette  terminaison  a  été  plus  commune  que  le  nombre  d'exemples 
que  nous  avons  relevés  ne  le  montre,  c'est  que  les  textes  légaux  font 
un  emploi  considérable  de  formes  analogues  à  celles  que  nous 
venons  de  citer. 

Enfin,  nous  n'hésiterons  pas  à  attribuer  à  l'influence  du  latin  la 
désinence  en  unt  des  troisièmes  personnes  du  pluriel  féminines 
dont  nous  avons  cité  de  nombreux  exemples  dans  notre  première 
partie.  Comme  nous  le  disions  alors,  cette  forme  de  la  désinence 
féminine  de  la  troisième  personne  du  pluriel  se  rencontre  au  prété- 
rit d'abord,  et  à  quelques  années  de  distance,  au  présent  de  l'indica- 
tif. Le  Psautier  d'Oxford  et  l'Estorie  des  Engleis  nous  donnent  des 
formes  comme  ciinuerunt,  reusernni,  apelunt,  et  la  plupart  des 
ouvrages  qui  furent  écrits  pendant  la  seconde  moitié  du 
XII*  siècle  nous  en  montrent  un  nombre  plus  ou  moins  grand  de 
cas  :  la  Chronique  de  Jordan  Fantosme,  le  poème  de  Horn 
emploient  au  moins  de  temps  en  temps  cette  désinence  pour  la 
troisième  personne  du  pluriel. 

Et  il  en  va  de  même  pour  les  ouvrages  qui  ont  été  écrits  pendant 
les  siècles  suivants.  En  dehors  de  la  littérature^  cette  terminaison  se 
rencontre  aussi,  quoique  moins  fréquemment.  Nous  ne  nous  dis- 
simulons pas  que  les  terminaisons  masculines  en  mit  ont  dû  avoir 
une  influence  sur  la  formation  ou  plutôt  sur  l'extension  de  cette 
nouvelle  désinence  ;  et  cette  influence  de  l'analogie  nous  explique- 
rait pourquoi  ces  troisièmes  personnes  du  pluriel  sont  plus  nom- 
breuses que  celles  que  nous  avons  énumérées  précédemment  pour 
les  autres  personnes  du  pluriel  ;  mais  il  n'en  reste  pas  moins  vrai, 
du  moins  à  notre  avis,  que  c'est  dans  les  troisièmes  personnes  du 
pluriel  du  latin  qu'il  faut  chercher  l'origine  de  ces  formes. 

Il  semble  donc  que  le  latin  ait  exercé  une  influence  sur  la  forme 
de  la  voyelle  muette  de  toutes  les  désinences  féminines  en  anglo- 
français  :  influence  assez  peu  forte  dans  le  cas  de  la  seconde  per- 
sonne du  singulier  mais  assez  considérable  pour  les  trois  personnes 
du  pluriel. 

Nous  ne  dirons  qu'un  mot  de  l'influence  du  latin  sur  la  création 


822  l'Évolution  du  verbe  en  anglo-français 

de  nouvelles  formes  verbales.  Ce  sont  surtout  des  participes  passés 
que  nous  avons  classés  parmi  les  acquisitions  des  participes  en  siim 
et  en  tum.  Ces  acquisitions  sout  peu  nombreuses  dans  la  langue  lit- 
téraire ;  nous  en  avons  cependant  rencontré  une  au  début  du 
XIII''  siècle  dans  un  des  poèmes  de  Frère  Angier  :  compitnct.  Toutes 
les  autres  appartiennent  aux  textes  non  littéraires  et  se  rapportent 
à  des  dates  beaucoup  plus  avancées .  Les  premières  appartiennent  à 
la  classe  des  participes  passés  en  ^ww, comme  exprès  (Statutes,  1323) 
ou  annex  (Parliamentary  Writs,  13 14).  Ces  nouveaux  participes  ont 
été  modelés  sur  des  formes  latines,  expressiim,  discussum,  compul- 
siim  ;  il  y  a  cependant  quelques  formes  qui  ne  se  rapportent  à 
aucune  forme  latine  que  nous  connaissions,  comme  aiinex  (annixum 
probablement),  delibers,  ordein:;^.  Ces  deux  derniers  participés  peut- 
être  proviennent  des  participes  en  /  par  la  chute  de  la  dernière  syl- 
labe. 

Toutes  les  autres  reformations  en  sum  sont  dues  au  latin. 

■  Nous  avons  cité  aussi  des  participes  passés  qui  ont  été  copiés  sur 
les  participes  latins  en  ntmn  (restitutum,  institutum,  devolutum,  dis- 
tributum);  ce  sont  en  réalité  des  participes  faibles  en  latin,  mais 
l'anglo-français  les  a  traités  comme  des  participes  forts  en  ce  qu'il 
leur  a  conservé  la  dentale  finale.  Les  participes  en  ptiim  et  en  ctum 
n'ont  pas  été  moins  nombreux  et  leur  origine  n'est  pas  moins  évi- 
dente :  compunct,  conviçt,  astrict,  enfect,  direct,  conjiinct,  adept,  cor- 
rupt,  redempt,  assiimpt,  interriipt  sont  évidemment  pris  du  latin.  La 
seule  exception  que  nous  ayons  rencontrée  dans  ces  nouvelles  for- 
mations, c'est  le  participe  execut  qui  a  la  même  origine  que  delibers 
et  oi-dein^  que  nous  citions  plus  haut. 

Pour  en  terminer  avec  l'influence  du  latin,  nous  ajouterons  un 
mot  sur  les  changements  qu'il  a  causés  dans  certains  thèmes  ;  c'est 
la  forme  même  du  mot  latin  qui  a  causé  l'introduction  dans  un 
grand  nombre  de  cas  de  lettres  parasites,  comme  p  dans  escript 
(scriptum),  de  c  dans  sciet,  savent  (fausse  étymologie  de  scire),  de  c 
dans  un  grand  nombre  de  participes  passés,  comme  dict,  dediict, 
retract,  indiict,  instritct.  Tous  ces  exemples  datent  du  xiv^  siècle,  et 
particulièrement  de  la  seconde  moitié  de  ce  siècle . 

Il  est  à  peine  nécessaire  de  mentionner  l'influence  du  provençal 
sur  la  conjugaison  anglo-française.  Nous  avons  trouvé,  séparés  par 

un  intervalle  de  plus  de  deux  siècles,  deux  infinitifs  en  ar  :  guardar 


LES    INFLUENCES    EXTÉRIEURES  823 

qui  rime  avec  César  dans  le  Cumpoz  ;  repara r  dans  un  traité  de  1350 
des  Rymer's  Foedera. 

Ajoutons-y  trois  participes  en  al,  qui  sont  encore  plus  douteux  : 
obstinât  qui  rime  avec  prélat  dans  la  Petite  Sume  ;  tratat^  dans  les 
Rymer's  Foedera;  (1299)  inchoat:(  dans  les  Statutes  (134^).  Ces 
cinq  formes  sont  plus  vraisemblablement  dues  à  l'influence  du 
latin. 

II.  Influence   des  dl\lectes  français. 

L'anglo-français  a  donc  ressenti  à  peu  près  également  à  toutes 
les  époques  l'influence  du  latin,  et  nous  en  trouvons  des  traces  dans 
les  textes  littéraires  aussi  bien  que  dans  les  ouvrages  qui  n'appar- 
tiennent pas  à  la  littérature.  Cependant,  quoique  étendue,  cette 
influence  le  cède  en  importance  à  celle  qui  a  été  exercée  par  les 
dialectes  français  du  continent. 

Il  n'est  pas  dans  tous  les  cas  facile,  ni  même  possible,  d'attribuer 
avec  quelque  certitude  à  un  dialecte  déterminé  certaines  formes 
qui  se  sont  évidemment  introduites  dans  l'anglo-français.  Ces  der- 
nières peuvent  parfois  être  communes  à  tous  les  dialectes  du  con- 
tinent, et  nous  n'avons  aucune  raison  d'y  voir  la  preuve  de  l'in- 
fluence du  francien  plutôt  que  du  poitevin  ou  du  normand.  Nous 
grouperons  les  formes  de  cette  nature  et  nous  les  attribuerons,  sans 
tenter  de  préciser  davantage,  à  l'influence  continentale.  D'autres  se 
laissent  plus  facilement  localiser  ;  mais  elles  peuvent  appartenir  à 
tout  un  groupe  de  dialectes  ;  nous  les  attribuerons  donc  à  ceux  des 
dialectes  de  ce  groupe  qui  ont  laissé  par  ailleurs  des  traces  indiscu- 
tables de  leur  influence  sur  l'anglo-français. 

De  cette  façon,  notre  étude  comprendra  quatre  parties: 

a)  Influence  continentale. 

F)  Influence  des  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est. 

c)  Influence  du  bourguignon. 

d)  Influence  du  wallon  et  du  picard. 

a)  Influence  continentale. 

Nous  avons  pu  remarquer  à  difl^érentes  reprises  que  l'évolution 
normale  de   l'anglo-français  avait  eu  pour   résultat  de  taire  dispa- 


824  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

raître  un  certain  nombre  de  formes  régulières  de  la  conjugaison 
anglo-française,  et  que  subitement  et  sans  raison  apparente,  ces 
formes  à  une  certaine  époque  se  montraient  de  nouveau  d'une 
façon  à  peu  près  générale  dans  la  plupart  des  textes  anglo-français. 
Il  est  digne  de  remarque  que  cette  résurrection  des  formes  étymo- 
logiques s'est  produite  à  peu  près  à  la  même  date  dans  tous  les  cas  : 
nous  n'hésiterons  pas  à  attribuer  à  l'influence  continentale  ce 
renouveau  des  formes  anciennes.  On  ne  peut  en  effet  invoquer  ici 
le  développement  phonique,  puisque  ces  formes  sont  Justement  l'op- 
posé de  celles  que  le  développement  phonique  avait  produites  ;  ni 
l'analogie,  puisque,  dans  la  plupart  des  cas,  il  n'était  pas  resté  de 
formes  sur  lesquelles  on  aurait  pu  créer  des  formes  analogiques  ;  ni 
enfin  l'influence  des  textes  anglo-français  précédents  ou  un  retour 
à  l'usage  ancien  ;  nous  n'avons  jamais  vu  de  cas  montrant  claire- 
ment que  la  langue  des  premiers  ouvrages  anglo-français  ait  exercé 
une  influence  réelle  sur  des  ouvrages  postérieurs. 

Du  reste,  les  auteurs  du  xiv^  siècle  ne  pouvaient  guère  lire  les 
.ouvrages  du  xii'  que  dans  des  manuscrits  assez  récents,  et  nous 
savons  quelle  était  la  correction  des  scribes  du  xiii*  siècle  par 
exemple. 

Il  nous  reste  donc  à  attribuer  Ja  réapparition  des  formes  étymo- 
logiques à  une  influence  extérieure. 

Les  cas  qui  montrent  ainsi  un  retour  à  un  usage  plus  ancien  sont 
encore  assez  nombreux  et  nous  allons  les  rappeler  brièvement  en 
insistant  surtout  sur  les  dates  auxquelles  ils  se  rencontrent  de  nou- 
veau pour  la  première  fois.  Dans  les  désinences  personnelles,  nous 
avons  vu  que  les  terminaisons  masculines  de  la  première  personne 
du  pluriel  ont  perdu  progressivement  leur  5  finale  entre  11 10  et 
le  milieu  du  xiii*  siècle.  Un  très  petit  nombre  d'auteurs,  comme 
nous  le  disions,  ne  suivent  pas  pendant  cette  période  la  tendance 
générale,  par  exemple  Frère  Angier  ;  mais  c'est  certainement  sous 
l'influence  du  continent  que  Frère  Angier  a  rétabli  Vs  de  la  pre- 
mière personne  du  pluriel,  car,  comme  l'a  établi  Miss  M.  K. 
Pope,  l'influence  du  continent  a  été  assez  forte  sur  cet  auteur. 
Après  1250  toutefois  les  s  de  la  première  personne  du  pluriel  mas- 
culine deviennent  non  seulement  nombreuses  mais  à  peu  près 
générales  ;  le  Roman  des  Romans,  l'Ordre  de  Bel  Eyse,  le  Manuel 
des  Péchés,  nous  en  donnent  un  nombre  considérable  d'exemples 


LES    INFLUENCES    EXTERIEURES  825 

et  pendant  tout  le  siècle  suivant  les  terminaisons  asigmatiques  à 
cette  personne  sont  extrêmement  rares. 

Les  mêmes  remarques  peuvent  se  fltire  pour  les  textes  qui  ne 
rentrent  pas  dans  la  littérature  ;  quelques-uns,  à  vrai  dire,  montrent 
bien  quelques  formes  de  la  première  personne  du  pluriel  purement 
anglo-françaises,  comme  les  Literae  Cantuarienses  ;  mais  la  masse 
des  textes  politiques  et  familiers  a  adopté  la  forme  française  de 
cette  désinence  ;  et  l'on  pourra  trouver  assez  remarquable  que 
toutes  les  lettres  du  recueil  Royal  Letters  antérieures  à  1263  con- 
tiennent une  majorité  de  formes  sans  s  et  que  dans  celles  qui  sont 
postérieures  à  cette  date  les  désinences  sigmatiques  prédominent. 
Il  semble  donc  bien  établi  que,  entre  1250  et  1263,  l'usage  sur  ce 
point  en  anglo-français  a  changé  très  brusquement,  évidemment 
sous  l'influence  de  dialectes  français  qui  conservaient  Vs  dans  la 
terminaison  ons. 

La  première  personne  du  pluriel  nous  fournit  encore  la  matière 
d'une  remarque,  sur  laquelle  nous  serons  beaucoup  moins  affirma- 
tifs  :  cette  remarque  porte  sur  la  terminaison  ions.  Cette  terminai- 
son est  relativement  rare  à  certains  temps  (présent  du  subjonctif  en 
iani,  imparfait  du  subjonctif)  pendant  la  dernière  partie  du 
xii^  siècle  et  les  trois  premiers  quarts  du  xiii^;  après  1275,  au  con- 
traire, elle  devient  assez  commune  ;  mais  ici  on  doit  considérer 
que  la  désinence  ions  n'avait  jamais  complètement  disparu  à  ces 
temps  et  qu'ensuite  l'imparfait  de  l'indicatif  et  le  conditionnel 
l'avaient  conservée  très  régulièrement;  par  conséquent l'anglo-fran- 
çais  livré  à  ses  propres  ressources  aurait  pu  la  rétablir  aux  temps 
qui  nous  occupent.  Cela,  nous  devons  le  dire,  ne  nous  semble  pas 
très  vraisemblable. 

La  deuxième  personne  du  pluriel  masculine  nous  fournit  un  des 
exemples  les  plus  évidents  de  l'influence  du  français  sur  l'anglo- 
français  :  le  rétablissement  de  la  terminaison  iV:{.  Pour  ne  pas  avoir 
à  revenir  sur  le  sujet  de  la  diphtongue  ie,  nous  joindrons  ici  à  la 
deuxième  personne  du  pluriel  les  infinitifs  en  ier,  et  les  participes 
en  ié. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  répéter  ici  les  remarques  que 
nous  avons  laites  ni  les  exemples  que  nous  avons  donnés  dans 
notre  première  partie  ;  nous  nous  contenterons  de  rappeler  cer- 
taines conclusions  auxquelles  nous  sommes    arrivé  alors.   La  dési- 


826  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

nence  en  ie:^  a  été  toujours  conservée  à  l'imparfait  de  l'indicatif  et 
au  conditionnel  ;  pour  certains  imparfaits  du  subjonctif  cette  dési- 
nence s'est  assez  bien  maintenue  ;  pour  le  présent  de  l'indicatif  et  le 
présent  du  subjonctif,  />~  devient  sporadique  entre  ii6oet  1200  et 
disparaît  par  la  suite.  Les  infinitifs  en  icr  et  les  participes  en  /Vont 
subi  la  réduction  de  la  diphtongue  dans  les  mêmes  conditions  que 
cette  dernière  classe  des  terminaisons  en  ie:;^. 

Or,  pour  toutes  les  terminaisons  d'où  il  avait  disparu,  1'/  se 
montre  de  nouveau  vers  1280  :  dans  les  œuvres  littéraires,  on 
trouve  un  assez  grand  nombre  de  deuxièmes  personnes  du  pluriel 
qu'on  ne  trouvait  jamais  auparavant  avec  la  terminaison  itx  :  la 
Chronique  de  Pierre  de  Langtoft,  le  Siège  de  Carlaverok,  le 
Poème  du  Prince  Noir  nous  en  donnent  des  exemples  assez  nom- 
breux. Et  ces  mêmes  ouvrages  fournissent  une  Hste  encore  plus 
longue  de  participes  passés  en  ié  et  d'infinitifs  en  ier.  Mais  les  dates 
les  plus  précises  nous  sont  encore  ici  fournies  par  les  textes  non 
httéraires  ;  les  Statutes  nous  donnent  de  ces  infinitifs  quelques 
exemples  sous  la  date  de  1275  et  les  Early  Statutes  of  Ireland 
à  la  date  de  1285  ;  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  en  ont  aussi 
quelques-uns  en  1281  ;  les  Rymer's  Foedera  en  1294.  Pour 
les  participes  en  ié,  nous  rencontrons  les  premiers  exemples  encore 
dans  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham  et  à  la  même  date  de  1281  ; 
dans  les  Statutes  (1297)  ;  dans  les  Parliamentary  Writs  (1299)  ; 
enfin  nous  avons  aussi  pour  des  dates  très  voisines  des  exemples 
de  nouvelles  formes  de  la  seconde  personne  du  pluriel  en  /V~  :  en 
1284  pour  les  Lettres  de  Jean  de  Peckham,  en  1297  pour  le  livre 
des  Statutes. 

Il  est  donc  évident  que  vers  1275  ou  1280,  les  formes  en  ie^  qui 
depuis  plus  d'un  siècle  avaient  été  limitées  à  un  certain  nombre  de 
personnes,  les  terminaisons  en  ier  et  ié  qui,  pendant  le  même  espace 
de  temps,  avaient  à  peu  près  entièrement  disparu  de  l'anglo-français, 
reparaissent  en  même  temps  sur  toute  la  ligne.  Ici,  nous  avons 
d'une  façon  évidente  imitation  d'un  dialecte  français.  Nous  ne  sau- 
rions préciser  lequel  ;  mais  nous  verrons  tout  à  l'heure  que  cette 
question  même  de  la  diphtongue  ie  nous  fournira  quelques  indi- 
cations utiles. 

Enfin,  l'un  des  traits  caractéristiques  de  l'anglo-français  est, 
comme  nous    l'avons  déjà  dit   plus  d'une  fois,  et   comme   on  l'a 


LES    INILUENCES    EXTERIEURES  827 

montré  bien  longtemps  avant  nous,  le  passage  à  la  forme  en  er  des 
infinitifs  de  la  troisième  conjugaison.  Vers  la  fin  du  troisième  quart 
du  xiii^  siècle,  la  désinence  en  cir  ne  se  rencontre  plus  dans  la 
conjugaison.  Subitement  encore,  quoique  moins  subitement  que 
pour  la  diphtongue  ic,  nous  voyons  réapparaître  la  diphtongue  oi 
dans  la  terminaison  des  infinitifs  de  III. 

Certains  scribes  sont  les  premières  personnes  qui  emploient  de 
nouveau  la  désinence  régulière  des  infinitifs  de  la  troisième  conju- 
gaison, par  exemple  le  scribe  du  ms.  Douce  98,  ou  du  ms.  Cam- 
bridge University  Library  Ee,  i,  i  ;  les  auteurs  semblent  ne 
reprendre  que  plus  tard  cette  forme  ;  nous  en  avons  un  exemple 
dans  là  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  ;  un  peu  plus  tard,  dans 
les  poèmes  du  Prince  Noir,  les  Vies  de  Saints  de  Bozon,  dans  les 
Proverbes  de  Bon  Enseignement,  dans  la  Chronique  de  Nicolas 
Trivet,  les  exemples  sont  assez  nombreux. 

Les  textes  politiques  et  autres  du  même  genre  nous  ont  fourni 
plus  d'exemples  que  les  œuvres  littéraires  et  à  des  dates  plus 
anciennes;  dans  les  Statutes,  les  premiers  cas  remontent  à  1285,  et 
il  en  va  de  même  pour  les  recueils  de  langue  légale  qui  dès  le  com- 
mencement du  xiv^  siècle  nous  donnent  un  grand  nombre  de 
formes  régulières. 

Nous  devons  faire  remarquer  toutefois  que  ces  terminaisons  en 
oir  sont  certainement  beaucoup  plus  communes  dans  les  textes  poli- 
tiques et  diplomatiques  que  dans  les  œuvres  littéraires  ou  légales. 
Mais,  nous  pouvons  affirmer  toutefois  que  dans  l'ensemble  des 
écrits  anglo-français,  nous  retrouvons,  pendant  le  dernier  quart  du 
xiii"  siècle,  ou  au  plus  tard  au  commencement  du  siècle  suivant,  la 
même  tendance  générale  à  faire  revivre  les  désinences  régulières 
pour  les  infinitifs  de  III  ;  et  cette  tendance,  nous  ne  pouvons  en 
trouver  la  raison  que  dans  l'influence  exercée  sur  l'anglo-français 
par  les  dialectes  du  continent. 

Signalons  enfin  un  autre  point  qui  ne  manque  pas  d'importance: 
l'amuissement  de  1'^  muet  posttonique  après  la  diphtongue  ei  est 
encore  un  des  phénomènes  les  plus  importants  de  l'histoire  de  l'an- 
glo-français principalement  au  xui*  siècle  ;  et  nous  avons  vu  qu'au 
moment  où  William  de  Waddington  écrivait,  l'c  posttonique  avait 
disparu  à  peu  près  absolument. 

Or,  au  xiv"^  siècle,  dans  bien  des  cas,  nous  voyons  revenir  cet  c 


828  l'évolution  du  vekiîe  en  anglo-français 

muet  :  l'Erection  des  Murs  de  New  Ross,  le  Siège  de  Carlaverok,  le 
Poème  du  Prince  Noir  nous  en  donnent  de  nombreux  exemples  ; 
un  grand  nombre  de  scribes  de  cette  époque  écrivent  à  peu  près 
régulièrement  cette  voyelle.  De  même  en  dehors  de  la  littérature, 
les  formes  abrégées  sont  des  plus  rares.  Ve  est  constamment  écrit. 
A  quoi  attribuerons-nous  cette  régularité  imprévue  ?  A  n'en  pas 
douter,  elle  est  due  à  l'imitation  de  la  langue  écrite  sur  le  continent 
et  nous  ne  pouvons  pas  découvrir  de  raison  qui  puisse  rendre 
compte  d'un  ensemble  de  faits  aussi  précis. 

Nous  résumerons  maintenant  en  quelques  mots  les  particularités 
de  la  conjugaison  que  nous  attribuons  à  l'influence  du  français  : 

1 .  Rétablissement  de  1'^  dans  les  désinences  masculines  de  la  pre- 
mière personne  du  pluriel. 

2.  Rétablissement  de  la  diphtongue  ie  dans  un  grand  nombre 
de  formes  du  verbe. 

3.  Rétablissement  de  la  désinence  régulière  pour  les  infinitifs  de 

m. 

4.  Rétablissement  de  Ve  en  hiatus  après  la  diphtongue  ei. 

Ce  qu'il  est  nécessaire  de  remarquer  encore,  c'est  que  ces  diffé- 
rents phénomènes  se  reproduisent  tous  à  peu  près  à  la  même  date, 
ou  plus  exactement,  car  ces  nouvelles  formes  ne  se  sont  pas  géné- 
ralisées tout  d'un  coup,  les  premiers  exemples  que  nous  rencon- 
trions se  trouvent  tous  entre  1260  et  le  commencement  du 
xiv^  siècle. 

Nous  avons  trouvé  cet  ensemble  de  faits  assez  frappant  déjà  ; 
mais  nous  avons  des  renseignements  encore  plus  précis  qui  nous 
permettront  de  localiser  les  formes  d'emprunt  que  nous  trouvons 
en  anglo-français. 

b)  Influence  des  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est. 

Les  phénomènes  que  nous  venons  d'exposer  sont  relativement 
généraux,  et  il  est  par  conséquent  évident  que  nous  ne  pourrons 
pas  en  rencontrer  désormais  beaucoup  qui  présentent  ce  caractère  ; 
nous  trouverons  plus  de  traces  de  l'influence  des  dialectes  français 
sur  des  points  de  détail  que  sur  des  ensembles  de  formes. 

Nous  diviserons  notre  étude  en  deux  parties. 


LES    INFLUENCES    EXTERIEURES  -  829 

I.  Désinences  personnelles.  —  Nous  attribuerons  d'abord  à  l'in- 
fluence de  ce  groupe  de  dialectes  certaines  désinences  personnelles. 
La  désinence  féminine  faible  de  la  première  personne  du  pluriel  en 
ornes  n'a  jamais  été  très  employée  dans  la  littérature  anglo-française  ; 
nous  en  avons  relevé  et  cité  quelques  rares  exemples  au  xii'=  siècle; 
au  commencement  du  xiii%  nous  n'en  trouvons  d'exemples  que 
dans  les  poèmes  de  Frère  Angier.  Ce  n'est  que  vers  la  fin  de  ce 
siècle  et  pendant  tout  le  siècle  suivant  que  cette  désinence  devient 
assez  commune  dans  les  œuvres  littéraires  :  Walter  de  Bibblesworth, 
Pierre  de  Langtoft,  Nicolas  Trivet  nous  ont  fourni  de  nombreux 
exemples  de  cette  terminaison,  et  il  en  va  de  même  pour  les 
Rymer's  Foedera,  les  Historical  and  Municipal  Documents  of  Ire- 
land,  les  Literae  Cantuarienses. 

L'on  sait  du  reste  que  la  Champagne,  le  Cambrésis,  le  Brabant, 
la  Flandre,  l'Artois,  la  Picardie  emploient  très  fréquemment  cette 
désinence. 

Nous  n'insisterons  pas  trop  sur  ce  rapprochement,  car  puisque 
cette  terminaison  se  trouve  dans  le  Voyage  de  Saint  Brandan,  dans 
l'Estorie  des  Engleis,  il  pourra  sembler  inutile  d'invoquer  l'in- 
fluence de  la  Bourgogne  et  de  la  Picardie  ;  mais  il  nous  semble  que 
les  exemples  du  Saint  Brandan  ou  de  Gaimar,  très  anciens  et  très 
isolés,  ne  peuvent  guère  rendre  compte  de  la  recrudescence  assez 
soudaine  de  la  popularité  de  cette  désinence. 

Ce  qui  ne  peut  que  nous  fortifier  dans  cette  opinion,  c'est  que  le 
bourguignon  ou  le  wallon  ou  le  picard  ont  certainement  fourni  à 
l'anglo-français  d'autres  désinences  pour  la  première  personne  du 
pluriel  :  les  désinences  en  iens  et  en  ieines.  Ces  deux  désinences 
sont  inconnues  à  la  langue  littéraire,  mais,  comme  nous  l'avons  fait 
remarquer,  très  employées  dans  les  textes  politiques  et  diploma- 
tiques, spécialement  la  première.  Nous  en  avons  rencontré  des 
exemples  dans  les  plus  anciens  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la 
littérature:  les  Rymer's  Foedera  nous  en  donnent  un  très  grand 
nombre  sous  la  date  de  1294,  les  Statutes  sous  la  date  de  1297,  les 
Parliamentary  Writs  en  1299,  etc.,  et  ces  formes  se  trouvent 
employées  jusqu'en  1400  et  même  plus  tard.  Ici,  nous  ne  pouvons 
pas  avoir  de  doute  sur  l'origine  de  ces  désinences;  elles  viennent 
à  l'anglo-français  des  dialectes  de  l'Est  et  du  Nord  de  la  France  ; 
elles  se  sont  aussitôt  acclimatées  dans  la  langue  politique  et  diplo- 


830  l'évolution  du  verbk  en  anglo-françals 

matique  qui  n'avait  à  la  fin  du  xiii"^  siècle,  ni  passé,  ni  tradition  ; 
quant  aux  écrivains  purement  littéraires,  ils  se  sont  soustraits  à 
cette  influence  ;  les  formes  en  iciis  et  en  ieines  ont  dû  leur  sembler 
trop  différentes  des  désinences  qu'ils  avaient  jusqu'alors  emplo3^ées. 
Aussi  ne  les  emploient-ils  que  très  rarement.  Elles  se  rencontrent 
cependant,  comme  dans  le  premier  Appendice  de  Pierre  de  Langtoft. 
Il  se  peut  qu'on  puisse  en  relever  d'autres  exemples,  mais  ils  ne 
peuvent  être  très  nombreux.  Il  importe  du  reste  fort  peu  ;  il  nous 
suffit  qu'une  branche,  et  une  branche  importante  de  la  littérature 
anglo-française,  comprenant  des  productions  de  genre  très  différents, 
des  textes  politiques  et  diplomatiques,  des  lettres  familières,  des 
documents  légaux,  nous  présente  un  nombre  considérable  de  ces 
désinences  étrangères  à  l'anglo-français  pour  que  nous  en  concluions 
que  les  dialectes  qui  lui  ont  fourni  ces  formes  ont  joué  un  rôle 
assez  important  dans  le  développement  de  l'anglo-français.  Il 
n'est  pas  difficile  d'admettre  que  sur  un  point  la  langue  littéraire 
ait  pu  se  soustraire  plus  ou  moins  complètement  à  cette  influence. 

Les  désinences  personnelles  nous  offrent  encore  au  moins  deux 
points  qui  montrent  d'une  façon  fort  claire  l'influence  de  ces  mêmes 
groupes  de  dialectes.  On  pourra  dire  que  ce  ne  sont  que  des 
points  de  détail  qui  n'ont  même  pas  la  généraUté  des  terminaisons 
que  nous  venons  d'examiner.  Ce  n'est  même  pas  seulement  dans  une 
branche  tout  entière  de  la  production  anglo-française  que  se 
montrent  ces  désinences  dont  il  nous  reste  à  parler  ;  ce  ne  sont  que 
des  exemples  isolés  que  nous  avons  relevés.  Évidemment,  si  nous 
n'avions  pour  soutenir  notre  thèse  que  les  quelques  exemples  qui 
suivent,  nous  ne  pourrions  pas  arriver  à  des  conclusions  qui  aient  un 
caractère  suffisant  de  généralité.  Mais  nous  avons  montré  déjà 
quelques  cas  d'influence  indiscutables  ;  nous  en  verrons  encore 
d'autres  ;  dans  ces  conditions,  même  les  traces  d'influence  de  détail, 
si  on  peut  dire,  ont  leur  importance  et  montrent  qu'elle  s'est 
exercée  irrégulièrement  suivant  les  auteurs  et  qu'elle  a  été  assez 
profonde  pour  permettre  l'emploi  de  formes  que  la  généralité  des 
écrivains  évitaient.  C'est  dans  les  prétérits  en  avi  et  dans  les  impar- 
faits du  subjonctif  qui  leur  correspondent  que  nous  trouvons 
encore  des  traces  de  l'influence  des  désinences  personnelles  des  dia- 
lectes du  Nord  et  de  l'Est. 

Le  Poème  du  Prince  Noir  nous  a  donné  quelques  prétérits    en 


LES   INFLUENCES   EXTÉRIEURES  83 1 

avik  la  troisième  personne  du  pluriel  affectés  de  la  terminaison  en 
arent,  par  exemple  alarent  et  coronarent  ;  les  Rymer's  Foedera  nous 
ont  fourni  renunciarent,  1299,  et  les  Year  Books  conissarent.  Or,  ces 
formes  de  la  troisième  personne  du  pluriel  des  prétérits  en  avi  sont 
assez  communes  en  picard  et  peut-être  encore  plus  fréquentes  en 
bourguignon  ;  on  peut  en  trouver  par  exemple  de  nombreux  cas 
dans  les  Sermons  de  Saint  Bernard. 

Le  wallon  les  connaît  aussi  et  elles  y  sont  au  moins  aussi  fré- 
quentes que  dans  le  bourguignon  ;  on  peut  trouver  quelques  ren- 
seignements sur  cette  terminaison  en  wallon  dans  l'article  de 
la  Romania  XVI,  p.  121;  principalement  dans  le  travail  de  M. 
Suchier  au  volume  II  de  la  Zeitschrift,  p.  275  ;  enfin  M.  Wil- 
motte  (Études  de  Dialectologie  wallonne,  Romania  XVII,  n°  50) 
en  relève  de  nombreux  exemples  dans  le  dialecte  de  Liège. 

Nous  pouvons  rapprocher  de  cette  désinence  des  troisièmes  per- 
sonnes du  pluriel  des  prétérits  en  avi  la  troisième  personne  du  plu- 
riel des  imparfaits  du  subjonctif  de  la  même  classe  ;  c'est  la  termi- 
naison en  aissent;  nous  devons  avouer  que  cette  terminaison  est 
assez  rare  en  anglo-français,  puisque  nous  n'en  avons  que  deux 
exemples  qui  se  lisent  tous  les  deux  dans  les  traités  de  Rymer  : 
deinoraissent  qxï on  trouve  sous  la  date  de  1338,  et  alaisseut  sous  la 
date  de  1339. 

Tout  isolées  qu'elles  sont,  ces  deux  formes  doivent  s'expliquer 
et  elles  ne  s'expliquent  que  sous  l'action  des  dialectes  du  Nord  et 
de  l'Est  de  la  France  où  cette  désinence  est  assez  'commune. 

(Pour  le  bourguignon,  voir  les  Sermons  de  Saint  Bernard  ;  pour 
le  wallon,  cf.  Etudes  de  Dialectologie  wallonne  de  M .  Wilmotte, 
Romania  XVIII,  La  région  au  sud  de  Liège.) 

Le  second  point  est  plus  important,  car  nous  y  étudierons  une 
terminaison  qui  se  rencontre  non  seulement  à  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel,  mais  aussi  à  la  troisième  personne  du  singulier 
et  surtout  au  participe  passé.  Nous  groupons  ici,  pour  éviter  les 
redites  et  quoique  nous  sortions  des  désinences  personnelles,  des 
formes  analogues  et  de  même  origine.  Nous  voulons  parler  des 
terminaisons  en  ie  rimant  en  /  que  nous  avons  observées  dans  les 
trois  cas  que  nous  venons  d'énumérer  ;  nous  avons  vu  avec  cette 
terminaison  des  troisièmes  personnes  du  singulier,  des  troisièmes 
personnes  du  pluriel,  enfin  des  participes  passés.  Ces  formes  appar 


832  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

tiennent  toutes  à  la  littérature  ;  nous  ne  pouvons  pas  en  citer,  sauf 
aux  troisièmes  personnes  du  singulier  et  du  pluriel,  qui  proviennent 
des  textes  non  littéraires,  car  nous  avons  besoin  de  la  rime  pour 
pouvoir  distinguer  ces  participes,  quand  ils  proviennent  d'un  verbe 
de  I,  des  participes  en  té;  et  quand  ils  proviennent  d'un  verbe  de 
II,  nous  ne  savons  pas  si  Vc  final  n'est  pas  simplement  un  e  parasite. 
Mais  nous  sommes  assuré  de  l'existence  de  ces  formes  dans  la 
littérature  et  nous  pouvons  en  conclure  qu'a  fortiori,  elles  ont  dû 
exister  dans  les  textes  diplomatiques  et  politiques. 

Nous  avons  montré  dans  notre  première  partie  que  l'anglo- 
français  a  fait  au  xiv^  siècle  un  emploi  assez  étendu  de  la  désinence 
en  ie  (rimant  en  /)  pour  la  troisième  personne  du  singulier,  la 
troisième  personne  du  pluriel,  et  pour  certains  participes  passés. 
Nous  avons  cité  pour  la  troisième  personne  du  pluriel  certains 
exemples  qui  remontent  au  xii^  siècle,  mais  qui  nous  ont  semblé 
assez  douteux  :  prenient  (Psautier  de  Cambridge,  lire  prcignent  ?  ), 
reqiiiergient  (Quatre  Livres  des  Rois,  graphie  de  gé),  aiinuncient 
(Quatre  Livres  des  Rois).  Nous  ne  nous  occuperons  pas  davantage 
de  ces  quelques  formes  qui  sont  absolument  isolées  au  xii"  siècle. 
La  désinence  en  ie  ne  se  rencontre  guère  qu'au  xiv^  siècle. 
A  la  troisième  personne  du  singulier  nous  en  trouvons  plusieurs 
exemples  à  la  rime  dans  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft, 
dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon,  dans  la  Bounté  des  Femmes 
du  même  auteur,  sous  la  plume  du  scribe  de  la  Destruction  de 
Rome.  Ce  sont  surtout  des  verbes  de  II,  principalement  des 
inchoatifs,  qui  prennent  cette  désinence.  A  la  troisième  personne 
du  pluriel,  les  exemples  dans  la  littérature  remontent  un  peu  plus 
haut  :  devient  pour  dcivent  se  rencontre  dans  le  Manuel  des 
Péchés;  mais  c'est  surtout  au  participe  passé  que  nous  rencontrons 
cette  désinence  et  que  les  cas  sont  à  la  fois  les  plus  nombreux  et  les 
plus  assurés.  Le  Siège  de  Carlaverok,  la  Chronique  de  Pierre  de 
Langtoft,  le  poème  du  Prince  Noir,  le  manuscrit  de  la  Destruction 
de  Rome,  pour  n'en  citer  qu'un  petit  nombre,  nous  ont  fourni  une 
longue  liste  de  participes  passés  de  verbes  de  I  et  de  II  affectés  de 
cette  terminaison  ;  on  peut  donc  conclure  que  la  désinence  en  ie  a 
apparu,  dans  les  œuvres  littéraires,  à  peu  près  simultanément  dans 
les  trois  cas  que  nous  venons  d'énumérer,  et  que  la  date  de  cette 
apparition  est  le  commencement  du  xiV  siècle.  Les  renseignements 


LES    INFLUENCES    EXTÉRIEURES  833 

que  nous  avons  tirés  des  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  litté- 
rature concordent  aussi  bien  que  possible  avec  les  conclusions  que 
nous  venons  de  tirer  ;  les  premiers  exemples  de  la  désinence  en  ie 
que  nous  ayons  rencontrés,  se  lisent  dans  le  Blacke  Booke  of  the 
Admiralty  à  la  date  de  1291;  les  traités  de  Rymer  et  le  livre  des 
Statutes  nous  en  ont  donné  un  certain  nombre  de  cas  dans  le  cou- 
rant du  xiv^  siècle. 

Cette  terminaison  en  ie,  surtout  pour  le  participe  passé,  se  ren- 
contre très  régulièrement  dans  les  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est. 
Pour  le  bourguignon,  on  en  relève  des  exemples  dans  Villehar- 
douin  (Cf.  Natalis  de  Wailly)  ;  pour  le  picard,  nous  pouvons 
citer  les  œuvres  de  Philippe  Mouskes  et  d'Henri  de  Valenciennes  ; 
pour  le  wallon,  nous  voyons  que  Wilmotte  en  cite  des  cas  (Études 
de  Dialectologie  wallonne  III,  Romania  XIX,  p.  75)  pour  la  région 
namuroise,  aux  numéros  6  et  7. 

C'est  à  ces  dialectes,  ou  à  l'un  de  ces  dialectes,  que  l'anglo- 
français,  croyons-nous,  a  emprunté  cette  désinence  qui  a  eu  une 
fortune  si  rapide  et  si  considérable  au  xiV'  siècle.  Nous  croyons  en 
effet  impossible  de  faire  reiponter  aux  exemples  isolés  du  xii'  siècle 
l'origine  des  formes  du  xiv^  ;  seule  une  influence  étrangère  à  l'an- 
glo-français  a  pu  produire  ces  formes  si  nombreuses  ;  et  nous 
avons  ici  une  des  meilleures  preuves  de  cette  influence,  que  nous 
cherchons  à  établir,  non  seulement  sur  les  textes  politiques  et 
diplomatiques,  mais  sur  les  ouvrages  purement  littéraires. 

2.  Les  temps.  —  Les  temps  nous  fourniront  des  remarques  aussi 
importantes  que  les  désinences  personnelles.  Nous  étudierons 
d'abord  l'imparfait  de  l'indicatif  et  le  conditionnel  (terminaison  eie), 
et  la  diphtongue  radicale  (ei)  de  certains  subjonctifs.  En  ce  qui 
concerne  ces  formes,  nous  serions  très  tenté  d'attribuer  à  la 
même  influence  la  prédominance  de  la  diphtongue  oi  dans  la  con- 
jugaison du  verbe  à  certaines  époques  de  l'histoire  de  l'anglo- 
français. 

Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  faire  observer,  car  cette  ques- 
tion se  rattachait  indirectement  à  différents  points  de  notre  sujet, 
que  le  passage  de  et  à  oi  n'est  pas  très  commun  dans  la  phonétique 
anglo-française.  Et  les  exemples  de  ce  passage,  que  nous  avons 
relevés  dans  le  verbe  au  xW  siècle,  nous  les  considérerions  volontiers 
comme  provenant  de  l'influence  du  bourguignon  ou  du  wallon.  Et 

53 


834  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

ce  qui  nous  porterait  encore  à  le  croire,  c'es;  que  nous  n'observons 
guère  ce  changement  que  chez  les  auteurs  ou  pendant  les  périodes 
qui  ont  été  plus  particulièrement  soumis  aux  influences  du  conti- 
nent. Ainsi  Frère  Angier  est  le  seul  auteur  appartenant  au  com- 
mencement du  xiii^  siècle  qui  nous  montre  un  nombre  assez  consi- 
dérable de  formes  ayant  la  diphtongue  oi,  comme  Miss  M.  K.  Pope 
et  M.  Timothy  Cloran  le  font  observer. 

De  la  même  façon,  si  nous  passons  à  l'époque  suivante,  ce  n'est 
que  vers  1300  que  les  imparfaits  de  l'indicatif,  les  conditionnels, 
le  subjonctif  du  verbe  être,  prennent  cette  diphtongue  d'une  façon 
à  peu  près  régulière  dans  les  œuvres  littéraires.  Cette  influence,  si 
c'est  à  elle  qu'est  due  «cette  forme  de  la  diphtongue,  s'est  exercée 
un  peu  plus  tôt  en  dehors  de  la  littérature  :  la  diphtongue  oi  dans 
cette  catégorie  de  textes  est  commune  dès  le  commencement  du 
quatrième  quart  du  xiii"  siècle  et  elle  devient  à  peu  près  unique 
après  1350.  Cette  influence  nous  expliquerait  assez  bien  un  certam 
nombre  de  formes  qui  semblent  étranges  en  anglo-français  et 
même  contraires  à  toutes  les  tendances  de  la  phonétique  anglo- 
française  ;  citons  les  premières  personnes  du  singulier  du  futur  en 
oi  :  oie  pour  aie  (habeam)  :  foimes  pour  faimes  ;  dans  ces  quelques 
cas,  la  diphtongue  oi  provient  de  ai  après  que  cette  diphtongue  a 
évolué  vers  ei  ;  mais  le  dernier  développement  de  cette  évolution, 
que  rien  ne  fait  prévoir  ni  ne  justifie  dans  la  phonétique  anglo- 
française,  est  dû  à  l'influence  des  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est,  qui, 
comme  on  le  sait,  aff^ectionnent  la  diphtongue  oi. 

C'est  encore  à  ces  mêmes  dialectes  qu'il  faut  attribuer  le  nombre, 
très  restreint  au  xiii''  et  assez  considérable  au  xiv^  siècle,  de  dési- 
nences en  eir  qui  aff"ectent  les  infinitifs  de  I.  Le  bourguignon  en 
off"re,  comme  on  le  sait,  de  nombreux  exemples  (cf.  par  exemple 
les  Sermons  de  Saint  Bernard).  Pour  le  wallon,  M.  Wilmotte  nous 
donne  quelques  renseignements  pour  la  région  namuroise  au  volume 
XIX  de  la  Romania,  aux  numéros  lé  et  17. 

Cette  influence  des  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est  semble  s'être  fait 
sentir  tout  d'abord  dans  Frère  Angier;  c'est  le  seul  auteur  du  xiii^ 
siècle  qui  nous  présente  un  nombre  assez  grand  d'infinitifs  de  I 
affectés  de  la  terminaison  eir;  nous  avons  cité,  d'après  Miss  M.  K. 
Pope  :  aleir,  achiveir,  ameir,  eschiveir,  gardeir,  proveir,  salveir,  , 
troveir. 


LES   INFLUENCES   EXTÉRIEURES  835 

Mais  la  plus  grande  masse  des  exemples  se  retrouve  en  dehors 
de  la  littérature  ;  la  plupart  des  textes  politiques  et  diplomatiques 
nous  en  ont  fourni  quelques  exemples  :  dans  les  Statutes,  nous  avons 
vuessoneyr,  tueir  (1275);  à  la  date  de  1285,  les  Early  Statutes  of 
Ireland  nous  ont  donné  essoneyr,  et  alcir  en  1310  ;  troveir  se  ren- 
contre dans  les  Rymer's  Foedera  (1259)  et  dans  les  Parliamentary 
Writs  (1297).  Nous  en  avons  cité  encore  plusieurs  autres  et  il  nous 
aurait  été  assez  facile  d'en  trouver  encore  un  plus  grand  nombre. 
Ce  qu'il  faut  remarquer  et  ce  qui  montre  très  clairement  que  toutes 
ces  terminaisons  sont  un  emprunt  et  non  un  simple  passage  à 
la  troisième  conjugaison,  c'est  que  les  infinitifs  de  I  que  nous 
avons  relevés  sous  cette  forme  présentent  tous  la  désinence  en  eir  et 
non  celle  en  oir  qui  est  à  cette  époque  la  terminaison  ordinaire  des 
infinitifs  réguliers  de  la  troisième  conjugaison.  Quelques  verbes  de 
II  se  rencontrent  aussi  avec  cette  terminaison,  comme  veneir  et 
acompleir  ;  ils  ont  passé  probablement  par  les  formes  intermédiaires  : 
vener  et  acompler. 

Voilà  donc  en  quelques  mots  des  traces  en  anglo-français 
de  l'influence  de  certains  dialectes  français  :  le  picard  ou  le  wallon 
ou  le  bourguignon.  Nous  ne  pouvons  pas  déterminer  maintenant 
lequel  de  ces  trois  dialectes  a  pu  prêter  au  nôtre  les  formes  que  nous 
avons  énumérées,  et  comme  nous  verrons  que  l'anglo-français  a 
contracté  une  dette  envers  chacun  de  ces  trois  dialectes,  nous 
n'avons  aucune  raison  d'attribuer  les  emprunts  ci-dessus  à  l'un 
plutôt  qu'à  l'autre.  Nous  pouvons  résumer  ce  que  nous  venons 
d'exposer  en  disant  que  nous  avons  retrouvé  en  anglo-français, 
sous  l'influence  des  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est  de  la  France,  peut- 
être  trois,  certainement  deux  désinences  de  la  première  personne 
du  pluriel  :  orgies  ?,  iens,  iemes  ;  deux  désinences  de  la  troisième  per- 
sonne du  pluriel  :  la  désinence  en  arent  et  celle  en  aissmt.  La 
diphtongue  oi  du  conditionnel,  de  l'imparfait  de  l'indicatif,  etc., 
provient  peut-être  de  la  même  origine  ;  la  terminaison  en  ic  pour 
la  troisième  personne  du  singulier  et  du  pluriel  et  pour  le  participe 
passé,  de  même  que  la  terminaison  en  eir  pour  les  verbes  de  I,  sont 
dues  aux  mêmes  dialectes. 


836  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

c)  Influence  du  bourguignon. 

Les  remarques  que  nous  venons  de  faire  ont  une  importance 
incontestable,  mais  elles  manquent  encore  un  peu  de  précision  ;  il 
serait  intéressant  de  déterminer  exactement  si  les  formes  que  nous 
avons  énumérées  et  groupées  appartiennent  au  Nord  ou  à  l'Est  de 
la  France.  A  première  vue,  on  serait  tenté  de  les  attribuer  plutôt 
au  picard  ou  au  wallon  qu'au  bourguignon  ;  on  comprend  plus 
facilement  l'influence  des  deux  premiers  de  ces  dialectes,  tandis  que 
la  façon  dont  le  troisième  a  pu  agir  n'est  pas  aussi  évidente.  Et 
nous-même,  nous  nous  serions  contenté  de  signaler,  sans  nous  y 
arrêter  davantage,  les  rapports  entre  l'anglo-français  et  le  bourgui- 
gnon si  nous  n'avions  relevé  que  les  quelques  points  que  l'anglo- 
français  a  en  commun  avec  les  dialectes  de  l'Est  aussi  bien  que  du 
Nord. 

Mais  les  rapports  ne  s'arrêtent  pas  là.  Nous  avons  aussi  à  signa- 
ler quelques  formes  qui  ont  été  introduites  dans  l'anglo-français 
du  xiii^  ou  du  xiv^  siècle  et  qui  ne  sauraient  guère  provenir  que  du 
bourguignon. 

Remarquons  tout  d'abord  que  la  terminaison  de  la  première 
personne  du  pluriel  pour  l'imparfait  et  le  conditionnel  dans  l'anglo- 
français  politique  et  diplomatique  est  peut-être  plus  souvent  iejis 
que  ienus.  Or  iens  est  plus  spécialement  bourguignon,  et  iemes  plus 
spécialement  picard  ou  wallon.  Il  serait  donc  assez  difficile  de  com- 
prendre pourquoi  nous  pouvons  observer  cette  différence  entre 
l'emploi  des  deux  formes  en  anglo-français,  si  les  dialectes  du  Nord 
avaient  eu  seuls  quelque  influence  sur  notre  dialecte.  Au  contraire, 
nous  comprenons  très  bien  que,  si  les  deux  groupes  ont  agi  sur  lui, 
il  a  pu  développer  l'une  des  deux  formes  de  préférence  à  l'autre. 

Du  reste  nous  avons  mieux  que  cette  présomption.  Deux  faits 
que  nous  avons  signalés  dans  la  conjugaison  anglo-française  nous 
semblent  d'origine  bourguignonne  :  les  infinitifs  en  or  de  la  troisième 
conjugaison,  et  le  traitement  de  Vi  en  hiatus. 

Les  infinitifs  en  or  pour  eir  ne  sont  pas  très  rares  en  anglo- 
français  et  nous  les  rencontrons  dans  un  assez  grand  nombre  de 
textes  diff'érents.  Les  Traités  de  Rymer  nous  en  donnent  deux 
exemples  :  savour  dans  un  traité  de  1297,  resceivor  dans  un  autre 
qui   porte    la   date    de    1375  ;    ^^^   Chroniques  du  Monastère   de 


LES    INFLUENCES   EXTÉRIEURES  837 

Saint-Alban  ont  savor  en  13  lo,  les  Documents  Inédits  nous 
donnent  avor  à  la  date  de  1382.  On  pourrait  vraisemblablement 
en  relev  erd'autres  exemples  ;  surtout,  on  ne  doit  pas  oublier  qu'un 
nombre  assez  considérable  d'infinitifs  de  cette  espèce  a  pu  dispa- 
raître, corrigés,  soit  par  d'autres  scribes,  soit  par  les  éditeurs  eux- 
mêmes  qui  leur  donnaient  la  forme  plus  habituelle  er.  Quoi  qu'il 
en  soit  les  quelques  exemples  que  nous  avons  rencontrés  et  cités 
nous  suffisent;  nous  ne  pouvons  pas  les  considérer  comme  des 
erreurs  des  scribes  et  ils  nous  montrent  sans  aucun  doute  pos- 
sible que  le  dialecte  bourguignon  a  exercé  sur  l'anglo-français 
une  influence  qui  a  commencé  au  plus  tard  vers  la  fin  du  xiii« 
siècle. 

On  pourrait  peut-être  expliquer  par  l'influence  du  bourguignon 
le  traitement  dans  l'anglo-français  du  xiii''  et  du  xiv^  siècle  de  la 
voyelle  /  en  hiatus.  Nous  avons  dit  que  i  en  hiatus  passe  à  <?  et 
surtout  à  oi  dans  les  terminaisons  en  ions,  ie:^,  ier.  La  graphie  e  ne 
nous  arrêtera  pas  ;  nous  pouvons  en  effet  très  bien  admettre  que 
cette  graphie  soit  normale  en  anglo-français  et  ait  pu  se  produire 
sans  aucune  intervention  étrangère,  quoique  ce  soit  surtout  l'usage 
contraire  qui  soit  attesté  (cf.  criaiure  dans  le  Drame  d'Adam).  La 
diphtongue  oi  de  l'autre  côté  n'a  pas  pu  provenir  d'un  développe 
ment  phonique  normal  en  anglo-français.  En  eff"et,  non  seulement 
l'anglo-français  n'a  pas  montré  beaucoup  de  goût  pour  cette 
diphtongue,  mais  il  a  toujours  tendu  à  faire  passer  les  diphtongues 
à  la  voyelle  simple  et  c'est  le  contraire  qui  s'est  produit  ici.  Or  les 
formes  que  nous  présentent  la  diphtongue  sont  extrêmement  nom- 
breuses. Le  premier  exemple  d'une  première  personne  en  ions  que 
nous  trouvions  dans  la  littérature  se  lit  dans  la  Vie  de  Saint  Auban, 
mais  peut  ne  remonter  qu'au  xiv*  siècle  ;  pour  la  seconde  personne 
du  pluriel,  la  Vie  d'Edward  le  Confesseur  nous  donne  estoie-^ 
que  nous  attribuerions  aussi  au  scribe  et  qui  par  conséquent  ne 
remonterait  pas  plus  haut  que  Vestoïiim  de  la  Vie  de  Saint 
Auban. 

Les  œuvres  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  nous  four- 
nissent plus  d'exemples  et  des  dates  plus  précises;  la  première  per- 
sonne du  pluriel  que  nous  ayons  trouvée  dans  cette  catégorie 
d'ouvrages  avec  cette  diphtongue  se  lit  dans  les  Rymer's  Foedera 
sous  la  date  de  1294  et  à  partir  de  1300  les  exemples  se  multiplient 


838  l'évolution    pu    VERBE   EN    ANGLO-FRANÇAIS 

dans  la  plupart  des  recueils  ;  seul,  le  livre  des  Statutes  ne  nous  a 
donné  une  terminaison  en  oiuins  que  vers  le  milieu  du  xiv^  siècle 
(1344).  Néanmoins,  il  est  hors  de  doute  que  déjà  au  commence- 
ment de  ce  siècle  les  formes  analogues  sont  des  plus  communes  dans 
la  plupart  des  recueils.  Il  en  est  de  même  de  la  deuxième  personne 
du  pluriel,  la  désinence  en  oie^  est  très  fréquente  dans  tous  les 
recueils  à  partir  du  commencement  de  ce  siècle.  Nous  n'avons  pas 
relevé  un  aussi  grand  nombre  d'infinitifs  de  I  avec  la  terminaison 
en  oier;  cependant  leur  nombre  est  suffisant  pour  nous  montrer 
que  les  formes  comme  avansoier  (DocumQnts  Inédits  1372) n'avaient 
rien  d'exceptionnel,  surtout  après  1350. 

Nous  pourrions  hésiter  ici  encore  entre  le  picard  et  le  bourgui- 
gnon dans  la  question  de  savoir  à  l'influence  de  quel  dialecte  est 
due  l'introduction  de  cette  forme  en  anglo-français,  La  diphtongue 
oi  se  rencontre  dans  l'un  et  dans  l'autre  ;  mais  il  nous  a  semblé  que 
les  formes  en  oions,  oie:(,  oier  étaient  plus  communes  dans  le  dialecte 
de  l'Est  que  dans  le  dialecte  de  l'Ouest.  Et  pour  que  ces  différentes 
formes  aient  pu  prendre  dans  l'anglo-français  l'extension  que  nous 
leur  avons  vue,  il  a  fallu  nécessairement  que  le  dialecte  qui  a  servi 
de  modèle  ait  pu  lui  même  fournir  un  nombre  assez  considé- 
rable d'exemples.  Et  dans  ce  cas,  le  bourguignon  répond  mieux 
à  cette  condition  que  le  picard  (voir  cependant  Li  dis  dou  vrai 
Aniel  où  la  diphtongue  oi  se  rencontre  assez  fréquemment  au  lieu 
de  Vi  en  hiatus,  comme  desroier  au  vers  258  etc.). 

Si  l'on  n'admet  pas  cette  influence  du  bourguignon  sur  l'anglo- 
français  pour  ce  développement  de  1'/  en  hiatus  et  que  l'on  pense 
que  les  formes  oions,  oie:^,  oier  sont  dues  au  picard,  le  seul  trait  qui 
restera  comme  provenant  du  dialecte  de  l'Est  sera  celui  que 
montrent  les  quelques  infinitifs  en  orque  nous  venons  de  rappeler. 
Or,  même  pour  ces  infinitifs,  on  peut  trouver  que  l'action  d'un  dia- 
lecte plus  voisin  a  pu  s'exercer  ;  nous  ne  le  croyons  pas.  Cependant 
nous  devons  mentionner  le  fait  signalé  par  M.  Wilmotte  dans 
ses  Études  de  Dialectologie  wallonne  (Romania  XVII,  n°  13, 
XVIII,  n°  II,  Liège  et  la  région  au  sud  de  Liège)  que,  dans 
le  dialecte  wallon,  la  diphtongue  oi  passe  à  0  et  que  l'infinitif  des 
verbes  de  la  troisième  conjugaison  rime  avec  des  mots  tels  que  flor. 
Mais,  ce  qui  nous  fait  hésiter  à  attribuer  les  formes  ci-dessus  au 
wallon  c'est  que    nous   n'avons  jamais  rencontré  dans    les  textes 


LES   INFLUENCES   EXTÉRIEURES  839 

wallons  d'infinitif  de  III  écrit  avec  la  terminaison  or.  Or,  l'action 
de  ces  dialectes  sur  l'anglo-français  a  dû  être  surtout  et  peut-être 
uniquement  une  influence  des  textes  écrits.  La  prononciation  n'a 
pas  pu  avoir  d'influence  et  ce  n'est  qu'en  bourguignon  que  cette 
graphie,  à  notre  connaissance,  se  rencontre. 

Si  nous  nous  trompons,  comme  c'est  possible,  les  phénomènes 
que  nous  venons  de  citer  sont  des  preuves  de  l'action  des  dialectes 
du  Nord  et  Nord-Ouest,  et  non  de  l'Est. 

d)  Influence  du  picard  et  du  wallon. 

Nous  arrivons  enfin  à  l'influence  la  plus  considérable  qui  se  soit 
exercée  sur  l'anglo-français,  influence  à  laquelle  on  doit  attribuer 
certainement  le  plus  grand  nombre  des  formes  que  nous  avons 
énumérées  dans  la  section  qui  traite  de  l'influence  commune  des 
dialectes  du  Nord  et  de  l'Est,  et  dans  celle  qui  expose  les  emprunts 
que  l'anglo-français  a  faits  aux  dialectes  du  continent:  l'influence 
du  wallon  et  du  picard .  Nous  aurions  aimé  à  faire  une  distinction 
aussi  précise  que  possible  entre  l'action  de  ces  deux  dialectes,  car 
ils  ont  chacun  une  physionomie  propre  ;  mais,  sans  vouloir  faire 
intervenir  ici  la  Sprachmischung,  il  nous  a  été  impossible,  au  moyen 
du  verbe  seul,  de  faire  cette  distinction  d'une  façon  satisfaisante  ; 
le  plus  grand  nombre  des  formes  que  nous  allons  étudier  mainte- 
nant appartiennent,  comme  on  le  verra,  aux  deux  dialectes  égale- 
ment. Nous  nous  sommes  donc  résigné  à  ne  pas  établir  ici  de 
distinction  entre  l'influence  du  wallon  et  celle  du  picard.  Cepen- 
dant il  est  bon  de  remarquer  avant  de  commencer  que  les  formes 
caractéristiques  du  picard  sont  à  peu  près  entièrement  absentes  de 
l'anglo-français,  au  moins  au  point  de  vue  de  la  conjugaison.  En 
particulier,  ce  que  l'on  considère  très  justement  comme  la  caracté- 
ristique du  picard,  ch  pour  le  francien  c  et  vice  versa,  n'apparaît  pas 
dans  la  conjugaison  anglo-française;  nous  avons  rencontré  un 
exemple  de  fach  (facio)  (cf.  Li  dis  dou  vrai  Aniel,  page  xxij)  et 
quelques  autres  formes  analogues  absolument  isolées.  Une  autre 
forme  pourrait  bien  être  purement  picarde,  c'est  l'infinitif  iw;  mais, 
quoique  les  cas  qui  nous  montrent  cette  forme  soient  nombreux, 
nous  ne  pouvons  jamais  décider  d'une  taçon  certaine  si  nous  avons 
un  infinitif  monosyllabique  (yeeir,  après    synérèse)  ou    la  forme 


840  L  EVOLUTION    DU    VERBE   EN    ANGLO-FRANÇAIS 

picarde  dissyllabique.  Les  autres  formes  que  nous  allons  citer  ne 
sont  pas  absolument  spéciales  au  picard,  quelques-unes  ont  dû 
venir  à  l'anglo-français  par  l'entremise  de  ce  dialecte,  mais  nous 
ne  pouvons  jamais  avoir  quelque  chose  de  plus  sûr  qu'une  pré- 
somption. 

Au  contraire  le  wallon  a  donné  à  notre  dialecte  des  formes  qui 
n'appartiennent  qu'à  lui  et  son  influence  ne  peut  pas  laisser  de 
doute.  Miss  M.  K.  Pope  a  reconnu  et  montré  fort  clairement  cette 
influence  sur  le  poème  du  Héraut  deChandos  ;  où,  à  notre  avis,  elle 
a  erré,  c'est  en  ignorant  la  valeur  générale  de  cette  influence  et  en 
concluant  que  le  poème  du  Prince  Noir  n'appartient  pas  à  la  littéra- 
ture anglo-française.  Ce  que  nous  allons  voir  nous  montrera  que 
cette  influence  s'est  exercée,  très  inégalement,  nous  le  reconnais- 
sons, sur  toutes  les  branches  de  la  production  anglo-française, 
spécialement  sur  les  ouvrages  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littéra- 
ture. 

Nous  serons  encore  ici,  pour  être  aussi  complet  que  nous  le 
pouvons,  obligé  de  sortir  quelque  peu  de  notre  sujet  et  nous  divi- 
serons notre  étude  en  deux  parties:  influence  de  la  phonétique 
des  dialectes  du  Nord  sur  le  verbe  en  anglo-français  ;  influence 
de  la  conjugaison  des  dialectes  du  Nord  sur  le  verbe  en  anglo- 
français. 

I.  Influence  phonique.  —  Nous  retrouvons  dans  la  phonétique 
du  Nord  un  certain  nombre  de  traits  qui  nous  expliquent  plu- 
sieurs formes  anglo-françaises.  On  sait  qu'en  picard  aussi  bien 
qu'en  wallon  e  entravé  passe  à  la  diphtongue  ie.  M.  Wilmotte,  dans 
ses  Études  de  Dialectologie  wallonne,  en  cite  de  nombreux 
exemples  (voir  dans  Romania  XIX,  n°  ii),  comme  vieront,  futur 
de  voir,  soufliert,  appiert,  siet  (sapit);  ces  formes  se  rencontrent 
à  Liège  et  sont  encore  plus  communes  dans  la  région  namu- 
roise.  Plus  au  sud  encore,  en  Picardie,  ces  formes  sont  extrê- 
mement communes  ;  nous  trouvons  par  exemple  dans  le  Dis  dou 
vrai  Aniel,  sans  parler  de  l'exemple  que  nous  donne  le  titre  même  : 
lierre  (au  vers  260),  confies  (au  vers  329),  siervis  (au  vers  357), 
Robiers  (au  vers  409),  exemples  qui  nous  montrent  ce  phénomène 
à  la  tonique  et  à  l'initiale.  Ces  quelques  formes  prises  au  hasard 
sont  des  preuves  de  la  fréquence  de  ce  changement. 

Nous  en  trouvons  aussi  de  nombreux  exemples  dans  la  conju- 


LES    INFLUENCES    EXTERIEURES  84I 

gaison  du  verbe  en  anglo-français  et  nous  nous  bornerons  ici  à  rap- 
peler les  principaux  cas  que  nous  avons  déjà  exposés  dans  notre 
première  partie.  Nous  pouvons  dire  d'abord  d'une  façon  générale 
que  tous  les  retours  à  la  diphtongue  ie  que  nous  rencontrons  au 
XIV*  siècle  et  qu'on  a  surtout  considérés  jusqu'ici  comme  des  cas 
d'umgekehrte  Schreibung  sont  plus  vraisemblablement  des  preuves 
de  cette  influence  du  picard  et  du  wallon. 

Citons  en  première  ligne  les  nombreux  infinitifs  de  I  qui 
prennent  indûment  au  xiv*  siècle  la  désinence  en  ier  ;  nous  ne 
reproduirons  pas  ici  la  liste  que  nous  en  avons  faite  précédem- 
ment, nous  savons  que  de  telles  formes  irrégulières  sont  extrê- 
mement nombreuses  dans  les  ouvrages  littéraires  aussi  bien  qu'en 
dehors  de  la  littérature  pendant  tout  le  xiv^  siècle.  Nous  ne  ferons 
du  reste  aucune  difficulté  pour  admettre  que  ces  terminaisons  irré- 
gulières sont  en  partie  dues  à  l'analogie  et  à  l'ignorance  des  scribes 
et  des  écrivains  anglo-français  qui  ont  ainsi  étendu  à  des  verbes  qui 
n'y  avaient  pas  droit  une  terminaison  qui  était  nouvelle  pour  eux. 
Nous  ne  citerons  dans  le  verbe  qu'un  autre  cas  du  passage  de  ^  à  ie, 
quoiqu'on  puisse  en  trouver  plusieurs  autres;  c'est  celui  que  nous 
observons  dans  la  terminaison  /V;^  et  par  extension  dans  la  termi- 
naison des  participes  passés  de  la  première  conjugaison. 

Un  phénomène  du  même  genre,  c'est  le  passage  de  /  entravé  à 
cette  même  diphtongue  ;  et  ici  encore  l'influence  des  dialectes  qui 
nous  occupent  est  évidente.  Les  textes  picards  par  exemple  ont 
souvent  ier  au  lieu  de  ir  ;  Burguy  cite,  dans  la  Chronique  de  Jan 
van  Heilu,  les  {ormes  ferier,  teiiier,  venier,  etc.  ;  de  la  même  façon, 
comme  nous  l'avons  vu,  l'anglo-français  du  xiv*  siècle,  littéraire  ou 
non,  nous  a  fourni  toute  une  liste  d'infinitifs  de  II  affectés  de  cette 
terminaison  ;  le  manuscrit  B  de  Boeve  de  Haumtone  nous  donne 
escharnier  ;  la  Chronique  de  Wil.  Rishangera  tefiier,  la  Vie  de  Sainte 
Marguerite  nous  donne  pleisier  ;  le  Siège  de  Carlaverok,  venier  et 
tenier  ;  la  Chronique  de  Nicolas  Trivet  en  a  aussi  des  exemples  très 
nombreux. 

Il  en  va  de  même  pour  les  œuvres  non  littéraires  ;  et  les  premiers 
exemples  qu'elles  nous  donnent  remontent  au  commencement  du 
quatrième  quart  du  xiii'  siècle  :  ainsi  revertier  à  la  date  de  1278 
dans  le  Livre  des  Statutes.  Nous  n'allongerons  pas  cette  liste  ;  et 
nous  renverrons  à  ce  que  nous  avons  dit  sur  ce  point  dans  notre 


842  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

première  partie.  Comme  conséquence  et  peut-être  par  analogie, 
nous  trouvons  aussi  des  participes  passés  de  cette  même  conjugai- 
son avec  la  terminaison  té;  ces  participes  se  trouvent  dès  le  com- 
mencement du  XIV*  siècle  et  peuvent  provenir,  soit  des  participes 
réguliers  sous  l'influence  des  formes  picardes,  soit  directement, 
ce  qui  nous  semble  plus  probable,  des  nouveaux  infinitifs  en 
ter. 

Ce  passage  de  /  à  ie  nous  explique  encore  quelques  formes  sur 
lesquelles  nous  nous  sommes  déjà  arrêté  :  le  prétérit  des  deux 
verbe  tenir  et  venir  au  xiv^  siècle  montre  souvent,  toujours  à  la 
même  époque,  un  té  dans  le  thème.  Tient,  vient,  tiendront,  viendront 
sont  des  formes  communes  dans  Nicolas  Trivet,  dans  les  Parlia- 
mentary  Writs  (1301),  dans  le  Registrum  Palatinum  Dunelmense 
(13 12),  dans  les  Rymer's  Foedera.  L'exemple  le  plus  ancien  que 
nous  ayons  de  cette  forme  se  lit  dans  les  Lettres  de  Jean  de 
Peckham  (1281).  Et  on  sait  que  (cf.  par  exemple  Wilmotte,  la 
région  de  Liège,  Romania  XVII,  n°  52)  dans  les  dialectes  picards  et 
wallons,  ces  formes  ne  sont  pas  rares. 

Voilà  donc  qui  nous  explique  comment  il  se  fait  que  l'anglo- 
français,  après  s'être  débarrassé  presque  complètement  de  la 
diphtongue  ié  depuis  1200,  a  rej^ris,  même  a  introduit  dans  des 
cas  où  elle  n'était  pas  étymologique,  cette  même  diphtongue  à 
partir  de  1275  environ.  Les  formes  où  cette  diphtongue  est  étymo- 
logique ont  pu  être  prêtées  à  l'anglo-français  par  la  plupart  des  dia- 
lectes du  continent  ;  celles  où  la  diphtongue  est  irrégulière  ne 
peuvent  lui  venir  que  du  picard  ou  du  wallon. 

Nous  pouvons  rapprocher  ce  que  nous  venons  de  dire  d'un 
autre  fait  qui  est  loin  d'avoir  la  même  importance.  Le  wallon, 
comme  le  montre  M.  Wilmotte  (Études  de  Dialectologie  wallonne, 
Romania  XVIII,  n°  7),  remplace  souvent  la  voyelle  e  ouvert 
par  ae  :  màemes  pour  même  ;  nous  en  trouvons  quelques  exemples 
en  anglo-français  ;  dans  Frère  Angier,  nous  lisons  plaést,  taest, 
traest  ;  dans  ces  formes,  la  diphtongue  ai  étymologique  a  passé  à  e 
ouvert,  comme  nous  l'avons  montré.  Ne  pourrait-on  pas  comparer 
à  cette  graphie  les  formes  qui  nous  semblent  assez  difficiles  à 
expliquer:  feare,  feat,  treat,pleare}  Il  nous  paraît  très  probable  que 
la  graphie  wallonne  ae  a  pu  devenir  en  anglo-français  ea. 

Nous  allons  passer  plus  rapidement  sur  les  quelques  faits  de  la 


I 


LES   INFLUENCES    EXTÉRIEURES  843 

phonétique  wallonne  qui  peuvent  expliquer  certaines  formes  du 
verbe  anglo-français  ;  nous  ne  nous  dissimulerons  pas  que  dans  les 
quelques  cas  suivants,  nous  pouvons  n'avoir  affaire  qu'à  de  simples 
coïncidences  et  que  le  développement  normal  de  l'anglo-français 
explique  aussi  bien  sinon  mieux  que  l'influence  wallonne  certaines 
des  formes  qui  suivent.  Mais  si,  comme  nous  ne  pouvons  pas  en 
douter,  il  y  a  eu  influence  du  wallon  sur  l'anglo-français  sur 
d'autres  points,  l'exemple  du  premier  n'a  pu  que  favoriser  et  hâter 
le  développement  de  l'anglo-français  aux  points  où  ils  coïncidaient. 
L'un  des  phénomènes  les  plus  importants  de  la  phonétique  anglo- 
française  est,  comme  nous  l'avons  fait  observer,  la  chute  de  la 
voyelle  muette  posttonique  ;  elle  a  lieu  dans  un  grand  nombre  de 
cas  et  dans  toutes  les  positions  ;  en  wallon  la  muette  posttonique, 
spécialement  après  consonne,  tombe  souvent  (cf.  Wilmotte,  La 
région  au  sud  de  Liège,  Romania  XVIII,  n°  23);  il  en  résulte 
qu'une  forme  feir,  pour  faire,  est  aussi  bien  anglo-française  que 
wallonne.  Ceci  nous  aidera  à  comprendre  comment  il  se  fait  que, 
après  1300,  c'est-à-dire  au  moment  où  les  imparfaits,  conditionnels, 
etc.,  reprenaient  souvent  leur  ^  muet  étymologique,  les  infinitifs  de 
IV  perdent  si  souvent  leur  muette  finale.  L'anglo-français  tendait 
à  la  faire  disparaître  et  trouvait  dans  le  wallon  les  formes  mêmes 
qui  se  produisaient  naturellement  dans  sa  conjugaison. 

Nous  avons  aussi  remarqué,  surtout  quand  nous  nous  sommes 
occupé  du  futur,  que  le  verbe  en  anglo-français  se  trouvait  soumis  à 
deux  tendances  opposées  :  l'une  qui  tendait  à  lui  faire  redoubler  IV, 
et  cette  tendance  nous  semble  purement  anglo-française;  l'autre  qui 
lui  faisait  simplifier  les  r  doubles.  Or,  cette  seconde  tendance,  qui 
aurait  dû  peut-être  disparaître  devant  l'autre  si  l'anglo-français  avait 
été  livré  à  lui-même,  a  été  certainement  favorisée  par  une  tendance 
analogue  en  wallon  ;  M.  Wilmotte  montre  (Romania  XVIII,  n°  39  ^/V) 
que  dans  la  région  au  sud  de  Liège,  rr  se  réduit  à  r  simple  et  que  cç 
phénomène  est  général  ;  les  formes  du  futur  :  deniorat,  démoliront, 
morat,inoroit,veront,oronty  sont  des  plus  communes,  et,  à  quelques 
changements  près,  ces  formes  pourraient  aussi  bien  être  des  formes  du 
verbe  anglo-français.  Ici  encore,  nous  ne  voulons  pas  établir  des 
relations  de  cause  à  effet,  le  même  phénomène  a  fort  bien  pu  se 
produire  dans  les  deux  dialectes  sans  qu'on  puisse  voir  dans  les 
formes  de  l'un    la  cause  des  formes  de  l'autre  ;  mais  nous    ne  pou- 


$44  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

vons  pas  nous  empêcher  de  penser  que  si  les  formes  wallonnes 
n'ont  pas  produit  directement  les  futurs  anglo-français  que  nous 
avons  vus  et  qui  sont  très  anciens,  au  moins  elles  les  ont  aidés  à 
subsister  en  face  des  terminaisons  si  nombreuses  du  futur  où  IV 
simple  étymologique  a  été  redoublée. 

Nous  considérons  aussi  comme  un  fait  du  même  ordre  la  confusion 
qui  s'est  établie  dans  les  deux  dialectes  entre  les  deux  phonèmes 
5  et  ;(  ;  cette  confusion  remonte  fort  haut  en  anglo-français  ;  on 
peut  en  voir  les  résultats  dans  les  terminaisons  de  la  seconde  per- 
sonne du  singulier  et  de  la  seconde  personne  du  pluriel  masculine. 
Mais  cette  confusion  n'a  pu  que  s'accroître  sous  l'influence  du 
wallon  ;  nous  trouvons  encore  dans  l'étude  de  M.  Wilmotte  (La 
région  de  Liège,  Romania  XVII,  n°  35)  des  exemples  de 
l'emploi  de  :(  pour  s  ;  et  dans  les  Sermons  liégeois  du  xiii^  siècle 
une  substitution  assez  générale  de  j  à  :(  finale.  C'est  donc  exacte- 
ment la  même  confusion  qu'en  anglo-français  ;  et  nous  avons 
vu  les  résultats  qui  en  ont  découlé.  Du  même  ordre  est  la  confusion 
qui  s'établit  dans  les  dialectes  wallon  et  anglo-français  entre  les 
lettres  mouillées  et  les  lettres  simples  ;  c'est  encore  dans  la  région 
namuroise  que  M.  Wilmotte  a  observé  ce  phénomène  (Romania 
XIX,  n°'  36-37)  ;  /  simple  apparaît  pour  /  mouillée  et  vice  versa  ; 
nous  ne  répéterons  pas  ici  toutes  les  confusions  qui  se  sont  établies 
en  anglo-français  entre  ces  deux  consonnes,  mais  nous  noterons 
ici  encore  les  grands  rapports  qui  existent  entre  ces  deux  dialectes. 
Ajoutons  qu'ils  se  rencontrent  encore  dans  leurs  nombreuses 
manières  de  noter  Yn  mouillée  ;  M.  Wilmotte  (u.  s.  n°^  40,  41, 
42)  fait  remarquer  que  la  mouillure  de  la  nasale  est  représentée 
par  ni,  ngn,  gn(i),  igni,  et  si  l'on  veut  bien  se  reporter  à  ce  que 
nous  avons  ditnous-mêmesurlamême  question  (cf.  supra,  page  341), 
on  verra  que  l'anglo-français  du  xiv^  siècle  emploie  les  mêmes  gra- 
phies pour  remouillée. 

Voilà  les  différents  points  de  la  phonétique  wallonne  et  picarde 
qui  nous  ont  semblé  avoir  eu  une  certaine  influence  sur  le  verbe 
anglo-français  ;  nous  ne  pouvons  pas  en  dire  davantage  sans  sortir 
de  notre  sujet  complètement.  Ces  diffiérents  points  n'ont  pas  tous 
la  même  importance.  Quelques-uns,  les  derniers  que  nous  avons 
énumérés,  représentent  des  tendances  communes  aux  deux  dia- 
lectes, et  le  plus  qu'on  puisse  en  dire,  c'est  que  l'exemple  du  wallon 


LES    INFLUENCES   EXTÉRIEURES  845 

sur  ce  point  n'a  pu  que  favoriser  l'évolution  naturelle  de  l'anglo- 
français.  Les  autres  sont  plus  importants  et  représentent  une  véri- 
table influence  :  le  passage  de  é  à  ie,  de  i  à  ie,  de  e  z  ae  dans  nos 
textes  anglo-français  sont  évidemment  dus  à  l'action  des  dialectes 
du  Nord  de  la  France. 

2.  Influence  de  la  conjugaison  picarde  et  wallonne.  —  Le  dialecte 
wallon  a  agi  sur  le  verbe  d'une  façon  plus  directe  encore  ;  nous 
allons  prendre  successivement  dans  les  désinences  personnelles,  dans 
les  modes  et  dans  les  temps  les  traces  de  cette  influence. 

On  sait  qu'en  picard  comme  en  wallon,  la  désinence  ietms  est 
fort  commune  à  la  première  personne  du  pluriel  de  certains  temps; 
nous  pouvons  renvoyer  aux  trois  articles  de  M.  Wilmotte  dans 
Remania,  vol.  XVII,  XVIII,  XIX,  in-fin.  ;  à  vrai  dire,  cette  dési- 
nence n'est  pas  très  commune  dans  i'anglo-français  littéraire,  et 
dans  les  textes  qui  n'appartiennent  pas  à  la  littérature  cette  dési- 
nence présente  tantôt  la  diphtongue  ie,  tantôt  la  diphtongue  ei\ 
même  dans  les  Year  Books,  la  seconde  est  la  plus  commune, 
sinon  la  seule  employée.  Néanmoins,  elle  est  d'origine  continentale 
sous  ses  deux  formes  et  ne  peut  provenir  que  des  dialectes  du  Nord 
de  la  France.  Comme  nous  le  disions,  elle  a  été  fort  employée  à 
l'imparfait  de  l'indicatif,  au  conditionnel,  à  l'imparfait  du  subjonctif 
et  au  présent  du  subjonctif  en  iam.  Les  premiers  exemples  que  nous 
en  ayons  trouvés  remontent  à  la  fin  du  xiii=  siècle,  puisque  les 
Lettres  de  Jean  de  Peckham  nous  en  offrent  un  exemple  à  la  date 
de  1283,  et  les  Traités  de  Rymer,  plusieurs  autres  pour  l'année 
1297.  Mais  ce  n'est  guère  qu'au  siècle  suivant  que  cette  désinence 
devient  très  commune. 

Nous  avons  encore  à  faire  remarquer  une  diff'érence  assez  impor- 
tante entre  l'usage  des  textes  diplomatiques,  familiers  et  légaux  et 
ceux  des  ouvrages  politiques.  Le  premier  groupe  connaît  et  emploie 
également  aux  temps  que  nous  venons  de  mentionner  les  deux 
désinences  en  iens  et  en  ieines  ;  le  second  groupe  ne  fait  jamais 
usage  de  la  désinence  dont  nous  parlons  maintenant.  La  raison  de 
ce  fait  assez  singulier  n'est  pas  très  apparente  ;  on  serait  tenté  d'en 
conclure  que  les  textes  politiques  ont  subi  plus  fortement  l'influence 
bourguignonne;  mais  d'abord  la  désinence  en  ictnes  n'est  pas  incon- 
nue au  bourguignon;  ensuite  ce  serait,  à  notre  connaissance,  le 
seul  fait  montrant  pour  ces  textes  la  prédominance  de  l'influence 
bourguignonne. 


84e  l'évolution  du  verbe  ek  anglo-français 

Nous  pouvons  peut-être  attribuer  encore  à  l'influence  du  wallon 
certaines  premières  personnes  du  pluriel  qui  ont  déjà  attiré  notre 
attention  dans  notre  première  partie.  Nous  avons  vu  dans  les 
Traités  de  Rymer,  sous  la  date  de  1282  et  de  1300,  les  deux  formes 
poyins  et  reconessoyns \  dans  les  Mem.  Pari.  1305,  pussoyns\  dans  les 
Royal  Letters,  sous  la  date  de  1267  et  employée  deux  fois,  la  forme 
enveoins.  Le  sens  de  ces  cinq  premières  personnes  nous  semblait 
celui  de  l'imparfait  de  l'indicatif,  s^lwî  pussoyns  qui  est  évidemment 
un  subjonctif;  mais  il  est  fort  possible  que  ce  soit  des  prétérits,  et 
dans  ce  cas,  nous  aurions  ici  des  prétérits  en  ins  qui  sont  caracté- 
ristiques du  wallon.  M.  Wilmotte  en  parle  et  cite  des  exemples  de 
cette  forme  au  §  49  de  son  Etude  du  français  de  la  région  de  Liège 
(Romania  XVII)  et  Pasquet  (Romania  XV,  p.  133)  donne  des 
détails  sur  cette  désinence  dans  les  Dialogues  Grégoire;  il  cite 
atendins,  poins,  departins,  disins. 

Les  formes  anglo-françaises  que  nous  venons  de  citer  sont  sensi- 
blement différentes  de  tous  les  exemples  wallons  que  nous  avons 
vus  ;  sauf  une  seule,  poyins,  elles  conservent  Yo  qui  caractérise  ordi- 
nairement en  français  les  premières  personnes  du  pluriel  mascu- 
lines. Mais  la  forme  même  de  la  désinence  wallonne  est  assez  extra- 
ordinaire pour  qu'on  puisse  comprendre  que  les  écrivains  ou  les 
scribes  anglo-français  ne  l'aient  pas  reproduite  très  exactement  et  il 
est  probable  que  les  quelques  formes  que  nous  avons  relevées  sont 
une  contamination  entre  la  forme  française  de  l'imparfait  de  l'in- 
dicatif et  la  désinence  en  ins  des  prétérits  wallons.  Quoique  le 
nombre  de  ces  désinences  soit  minime,  leur  existence  dans  trois  de 
nos  textes  est  une  excellente  preuve  de  l'influence  que  le  wallon  a 
exercée  sur  l'anglo-français. 

Cette  influence  se  trahit  aussi  dans  certaines  désinences  de  la 
deuxième  personne  du  pluriel;  nous  avons  vu  que  les  désinences 
régulières  en  ei:^  à  cette  personne  disparaissent  entièrement  avant  la 
fin  du  XII'  siècle  et  que  de  nouvelles  formes,  présentant  la  même 
désinence,  se  retrouvent  assez  subitement  au  XIV^  Nous  avons  alors 
admis  qu'entre  ces  deux  désinences  de  même  forme,  il  n'y  avait 
qu'un  rapport  accidentel  de  ressemblance.  Ces  dernières,  en  efi^et, 
ne  proviennent  pas  du  latin  ^/w;  elles  sont  assez  générales  et  se  ren- 
contrent aussi  bien  dans  les  œuvres  littéraires  que  dans  les  textes 
politiques  et  diplomatiques.  Le  scribe  du  manuscrit  O  du  poème 


LES   INFLUENCES   EXTÉRIEURES  847 

de  Boeve  de  Haumtone  écrit  frets  (futur  de  faire);  celui  du  poème 
d'Aspremont  a  aei^^  ;  dans  l'Apocalypse,  nous  avons  relevé  escrifey, 
enfin  la  Chronique  de  Pierre  de  Langtoft  nous  a  fourni  encore 
quelques  exemples.  Les  mêmes  formes  se  rencontrent  à  la  même 
date  dans  les  recueils  non  littéraires  ;  en  particulier,  les  Traités  de 
Rymer  nous  ont  donné  des  secondes  personnes  du  pluriel  en  «';(  en 
1279  et  en  1299  {sachei^,  aveyt,  voylleyi).  On  s'explique  assez  diffi- 
cilement ces  formes;  on  peut  les  considérer  comme  une  graphie 
inexacte  et  un  peu  plus  compliquée  que  la  graphie  normale,  et  on 
ne  peut  pas  se  dissimuler  que  les  Anglo-Français  ont  eu  un  faible 
pour  les  graphies  de  ce  genre.  Mais  ces  formes  sont  trop  anciennes 
pour  que  cette  explication  soit  entièrement  satisfaisante;  la  compli- 
cation des  graphies  a  surtout  fleuri  pendant  la  seconde  moitié  du 
xiV^  siècle.  Il  nous  semble  plus  naturel  et  plus  sûr  d'admettre  que 
l'influence  wallonne,  qui  ne  peut  pas  faire  de  doute,  s'est  exercée 
ici  comme  dans  un  grand  nombre  d'autres  cas.  Et  en  effet  les  dési- 
nences en  ei:^  sont  communes  dans  ce  dialecte,  comme  on  l'a  mon- 
tré bien  souvent;  on  peut  voir  ce  que  M.  Wilmotte  dit  du  passage 
de  ^  à  ei,  mais  on  pourra  consulter  en  particulier  les  Sermons  Lié- 
geois du  xiii^  siècle  qui  donnent  un  nombre  considérable  d'exemples 
de  formes  absolument  analogues  à  celles  que  nous  avons  relevées 
dans  nos  textes. 

En  résumé,  le  wallon  a  donné  comme  désinences  personnelles  à 
l'anglo-français,  à  la  première  personne  du  pluriel,  les  désinences 
en  iemes,  cimes,  probablement  aussi  les  désinences  du  prétérit 
en  ins  pour  cette  même  personne  ;  à  la  seconde  personne  du  plu- 
riel, les  formes  en  ei^  de  la  fin  du  xiii^  et  du  xiv=  siècle  en  anglo- 
français  sont  dues  à  la  même  influence. 

Nous  n'avons  que  deux  ou  trois  faits  à  apporter  en  ce  qui  con- 
cerne les  modes,  et  ils  n'ont  pas  une  très  grande  importance.  Nous 
trouvons  à  l'indicatif  la  forme  de  l'infinitif  dans  pleimiciit,  pleimioicnt, 
preruioit;  l'on  sait  que  cette  influence  de  l'infinitif  sur  le  mode  indi- 
catif est  particulière  à  la  Belgique,  comme  on  peut  le  voir  dans  les 
Dialogues  Grégoire,  dans  l'étude  de  Risop,  Zeitschrift  VII,  57-62,  et 
dans  la  Grammaire  de  Meyer-Lùbke,  II,  p.  219,  §  154.  Les  quelques 
exemples  que  nous  venons  de  citer  se  trouvent  tous  les  trois  dans 
le  poème  du  Prince  Noir  du  Héraut  de  Chandos,  et  nous  n'en  avons 
pas  découvert  d'autre.  C'est  du  reste  un  des  très  rares  cas  où  l'in- 


848  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français 

fluence  du  wallon,  sur  le  verbe  au  moins,  ne  se  manifeste  que  dans 
ce  poème. 

A  l'infinitif,  nous  avons  encore  une  marque  assez  claire  que  les 
formes  du  verbe  en  wallon  ont  agi  sur  les  formes  correspondantes 
en  anglo-français.  M.  Wilmotte  (Romania  XVII,  n°  13)  montre 
qu'en  wallon  la  diphtongue  oi  passe  quelquefois  à  oe,  et  il  cite  entre 
autres  exemples  :  avoer,  valoer,  pouuoer  ;  cette  graphie  avait  proba- 
blement sa  raison  d'être  dans  ce  dialecte  et  indiquait  une  pronon- 
ciation particulière  de  la  diphtongue.  Que  cette  raison  existât  dans 
l'anglo-français  du  xiv^  siècle,  c'est,  à  dire  le  moins,  fort  douteux, 
et  cependant  nous  rencontrons  plusieurs  exemples  de  cette  graphie, 
surtout  dans  les  Traités  de  Rymer  :  avoer  se  lit  à  différentes  reprises 
(13 10,  1324),  de  même  qu  avoier,  qui  doit  provenir  de  la  forme 
précédente  (1331,  1380,  Year  Books)  ;  cette  forme  a  dû  même 
exister  ou  être  connue,  d'une  façon  ou  d'une  autre,  plus  tôt  que  le 
xiV  siècle  en  anglo-français  ;  nous  en  trouvons  une  présomption, 
sinon  une  preuve,  dans  la  deuxième  personne  du  pluriel  devoei  qu'on 
lit  dans  les  Rymer's  Foedera  à  la  date  de  1297  et  qui  ne  peut  pro- 
venir que  de  l'infinitif  devoer  mal  compris. 

Telles  sont  les  observations  que  nous  suggère  l'étude  des  modes. 
Nous  aurions  pu  parler  ici  des  infinitifs  en  ier  qui  nous  ont  occupé 
précédemment  quand  nous  avons  tenté  de  montrer  l'influence  que 
la  phonétique  wallonne  a  exercée  sur  le  verbe  anglo-français. 
Notre  distinction  pourra  sembler  artificielle  ;  nous  avons  simplement 
voulu  distinguer  les  questions  générales,  comme  celles  du  rétablis- 
sement de  la  diphtongue  ie,  dont  on  retrouve  des  traces  ailleurs  que 
dans  le  verbe,  d'une  question  qui,  comme  celle  des  infinitifs  en 
oer,  est  spéciale  à  la  conjugaison. 

Les  temps  vont  maintenant  nous  fournir  la  matière  de  plusieurs 
remarques,  dont  quelques-unes,  croyons-nous,  ont  une  grande 
importance. 

Le  premier  temps  qui  nous  arrêtera  est  le  prétérit  en  avi,  en  même 
temps  que  l'imparfait  du  subjonctif  qui  lui  correspond. 

On  sait  qu'en  wallon  et  aussi,  quoique  à  un  moindre  degré,  en 
picard.  Va  devant  une  consonne  passe  à  au;  M.  Wilmotte  en  a 
observé  des  traces  dans  le  dialecte  de  Liège  (Romania  XVII,  n°  3), 
et  dans  celui  de  la  région  au  sud  de  Liège  (Romania  XVIII,  n°  3), 
pendant  les  dernières  années  du  xiii^  siècle.  Nous   retrouvons  le 


LES    INFLUENCES    EXTÉRIEURES  8.|9 

même  phénomène  en  anglo-français,  à  peu  près  à  la  même  époque. 
Au  prétérit,  au  ne  se  rencontre  que  devant  une  consonne  nasale  ;  à 
l'imparfait  du  subjonctif,  on  le  trouve  aussi  devant  s  ;  rappelons  les 
exemples  que  nous  avons  cités  :  greaitrnes,  consllaitst.  Il  serait  aven- 
turé de  dire  qu'il  y  a  eu  ici  influence  ;  aussi  nous  nous  contentons 
de  marquer  le  rapprochement. 

Les  prétérits  en  ///,  les  imparfaits  du  subjonctif  qui  leur  corres- 
pondent, les  participes  en  //•  nous  donnent  des  preuves  certaines 
de  l'influence  du  wallon  et  surtout  du  picard  sur  le  verbe  anglo- 
français."  Nous  nous  sommes  évidemment  servi  pour  cette  partie 
de  notre  étude  de  l'article  admirable  de  M.  H.  Suchier  sur  ce  point 
dans  la  Zeitschrift  (II,  p.  270). 

Dans  ce  travail,  l'auteur  montre  que  pour  les  prétérits  en  ni,  les 
désinences  en  m  et  en  eu,  à  la  troisième  personne  du  singulier  et  du 
pluriel  pour  la  première,  la  seconde  et  la  troisième  classe,  sont 
essentiellement  picardes  et  wallonnes.  De  son  côté,  M.  Wilmotte, 
dans  ses  articles  de  Romania  que  nous  avons  tellement  mis  à  con- 
tribution (Romania  XIX,  in  fin.),  montre  que  dans  la  région  de 
Liège  la  désinence  en  ///  est  très  commune  pour  les  prétérits  en  ///'. 

Si  nous  recherchons  si  l'anglo-français  sur  ce  point  se  rapproche 
encore  de  ces  deux  dialectes,  nous  trouvons  un  nombre  assez  consi- 
dérable de  formes  qui  doivent  retenir  notre  attention.  Nous  avons 
vu  que  les  prétérits  en  ui  de  la  première  classe  prennent  très  fré- 
quemment a  la  troisième  personne  du  singulier  et  à  la  troisième 
personne  du  pluriel,  une  des  trois  formes  eu,  ui,  ieu.  De  ces  trois 
formes,  la  première  ne  peut  guère  provenir  des  formes  correspon- 
dantes que  nous  rencontrons  dans  les  dialectes  du  Nord  de  la 
France;  la  seconde  peut,  au  contraire,  avoir  cette  origine,  au  lieu 
d'être,  comme  on  le  croit  ordinairement,  un  cas  de  umgekehrte 
Sclireibung.  Quant  à  la  troisième,  elle  provient  certainement  des 
prétérits  en  ui  de  la  première  classe  du  picard  ou  du  wallon.  Remar- 
quons que  les  premières  formes  en  ///,  comme  uit  et  uirent  du  manu- 
scrit O  de  Horn,  puit  du  manuscrit  O  de  Boeve  de  Haumtone, 
plurent  dû  au  scribe  du  Saint  Edmund,  datent  toutes  de  la  fin  du 
xiii^  ou  du  commencement  du  xiv^  siècle.  C'est  aux  mêmes  dates 
qu'il  nous  faut  rapporter  les  formes  en  eiii  qui  deviennent  très  fré- 
quentes dans  .l'anglo-français  du  xiv-'  siècle  ;  nous  croyons  que  la 
première  de  ces  formes  se  trouve  dans  le  manuscrit  de  la  Chronique 


850  l'évolution    du    VKRBH   liN    ANGLO-FRANÇAIS 

de  Jordan  Fantosme  :  5«'t7//,  ce  qui  la  mettrait  au  commencement 
du  quatrième  quart  du  xiii^  siècle  ;  nous  en  avons  cité  un  certain 
nombre  d'autres  exemples  que  nous  avons  rencontrés  dans  les 
Contes  de  Nicole  Bozon  (jienst^,  dans  la  Chronique  de  Nicolas 
Trivet  {pieiit'),  dans  le  Poème  du  Prince  Noir  Çscieut).  Nous  ne 
pouvons  pas  voir  comment  on  pourrait  expliquer  ces  formes  sans 
faire  intervenir  les  dialectes  du  Nord  et  du  Nord-Ouest  de  la  France. 
L'évolution  phonique  de  l'anglo-frànçais  ne  pourrait  rendre  compte 
de  la  formation  de  la  diphtongue  eiii  qui  a  disparu  très  tôt  de  la 
langue  littéraire;  et  il  est  impossible  d'invoquer  ici  l'umgekehrte 
Schreibung,  ou  les  graphies  qui  sont  si  souvent  des  explications 
d'un  emploi  si  facile. 

L'anglo-français  a  connu  aussi  pour  les  autres  classes  des  prétérits 
en  ui  les  désinences  en  eu  pour  les  deux  troisièmes  personnes.  Dans 
ce  cas-ci  cependant,  nous  ne  parlerons  pas  d'influence;  en  effet, 
nous  trouvons  ces  désinences  en  eu  à  une  date  très  reculée  en  anglo- 
français  et  à  un  moment  où  toute  trace  d'influence  continentale  est 
entièrement  absente.  Les  premiers  cas  de  formes  de  ce  genre  se 
trouvent  en  eff"et  dans  les  Psautiers  ;  pour  la  seconde  et  la  première 
classe  (pleut,  scribe  des  Légendes  de  Marie  ;  geui,  Chronique  de 
Londres,  1262  ;  beui,  Nicolas  Trivet),  l'influence  du  wallon  n'est  pas 
plus  vraisemblable,  les  formes  en  eu,  communes  à  la  troisième  classe, 
se  sont  très  naturellement  généralisées  aux  autres. 

On  pourrait  tout  au  plus  admettre  que  ces  formes  sont  devenues 
assez  communes  en  anglo-français  sous  l'influence  des  dialectes 
picard  et  Vv'allon  ;  nous  dirons  la  même  chose  des  imparfaits  du  sub- 
jonctif en  uisse.  Il  se  peut  que  ces  imparfaits  du  subjonctif  ne  soient 
pas  proprement  anglo-français  et  que  des  formes  comme  reciuissent, 
duissent,  qui  sont  communes  dans  la  langue  du  xiv*"  siècle  et  se 
trouvent  ainsi  dans  la  plupart  des  ouvrages  non  littéraires,  aient  été 
modelées  sur  les  formes  correspondantes  du  wallon  où  elles  sont 
particulièrement  nombreuses.  Jusqu'ici,  on  s'est  servi  de  l'umgekehrte 
Schreibung  pour  expliquer  la  formation  des  désinences  de  ce  genre , 
et  nous  avouerons  que  cette  explication  commode  ne  nous  satisfait 
pas  entièrement.  Mais  pour  montrer  avec  quelque  vraisemblance 
que,  dans  le  cas  actuel,  l'origine  de  la  désinence  est  continentale,  il 
faudrait  des  preuves  plus  fortes  que  celles  que  nous  avons.  En  par- 
ticulier, il  faudrait  voir  si  dans  la  phonétique  générale  de  l'anglo- 


LES    IKFLL'ENCES    KXTÉRIELKES  8)1 

français,  on  ne  trouve  pas  ce  passage  de  k  à  ///',  cette  unigekehrte 
Schreibung  hypothétique,  seulement  dans  les  cas  où  le  wallon  et  le 
picard  montrent  eux-mêmes  ce  passage.  Nous  n'avons  pas  pu  le  faire 
et  cette  question  ne  saurait  entrer  dans  une  étude  du  verbe.  Aussi 
nous  considérerons  simplement  comme  possible  que  les  imparfaits 
du  subjonctif  en  ///55^  qui  se  rencontrent  assez  communément  dans 
la  langue  française  d'Angleterre  au  xiv  siècle,  aient  une  origine 
picarde  ou  wallonne. 

Ce  point  aurait  cependant  une  grande  importance  pour  notre 
thèse  ;  car  les  prétérits  et  imparfaits  du  subjonctif  en  ///  ont  une 
forme  qui  caractérise  bien  les  dialectes  du  Nord  et  du  Nord-Ouest 
de  la  France,  comme  l'a  si  bien  montré  M.  Suchier  dans  l'article 
que  nous  avons  cité  et  mis  à  contribution.  Nous  ne  sommes  assuré 
de  l'origine  continentale,  pour  les  formes  que  nous  avons  citées  jus- 
qu'ici, que  des  prétérits  en  ieii  et  nous  avons  quelques  présomptions 
que  les  prétérits  en  ni  et  les  imparfaits  du  subjonctif  en  iiissc  ont 
la  même  origine.  Nous  pouvons  aussi  établir  avec  quelque  certitude 
un  autre  point. 

C'est  principalement  au  participe  passé  que  nous  pouvons  obser- 
ver le  mieux  cette  influence  des  dialectes  que  nous  avons  men- 
tionnés. Et  pour  les  participes  passés  en  ///  en  picard,  on  pourra 
voir,  en  plus  de  l'article  de  M.  Suchier  dans  la  Zeitschritt,  les  obser- 
vations que  fait  sur  ce  sujet  Tobler  dans  son  Introduction  du  Dis 
dou  vrai  Aniel  (pp.  xxvij  et  xxviij).  Nous  trouvons  dans  l'anglo- 
français,  tant  littéraire  que  politique,  deux  formes  de  ces  participes 
passés  qui  remontent  sans  aucun  doute  au  picard  et  au  wallon.  La 
désinence  en  eu  se  rencontre  dès  la  fin  du  xiii^  siècle,  par  exemple 
dans  les  Statutes  à  la  date  de  1285  {a restcii),  ou  dans  les  Lettres  de 
Jean  de  Peckham  en  1284  {perdeii),  et  elle  est  souvent  employée 
pendant  tout  le  siècle  suivant  ;  dans  les  œuvres  littéraires  de  ce 
siècle,  nous  en  trouvons  de  nombreux  exemples,  comme  rcspomicu 
dans  les  Contes  de  Nicole  Bozon  ;  en  dehors  de  la  littérature  on 
trouve  dans  les  Actes  du  Parlement  d'Hcosse  •.atcii,  /iV/Jc// ;  dans  les 
Mem.  Pari.  1305  :  teneii. 

La  désinence  picarde  en  lu  ne  se  rencontre  pas,  à  notre  connais- 
sance, au  XIII'-"  siècle  en  anglo-français,  mais  elle  n'est  pas  rare  pen- 
dant le  xiV^;  les  Mem.  Pari.  1305  ont  leiciii  ;  elle  se  combine  sou- 
vent avec  la  désinence  précédente  sous  la  forme  icii.  et  des  trois  ter- 


8)2  l'évolution  du  verbe  en  anglo-fraK^çais 

minaisons,  c'est  cette  dernière  qui  est  hi  plus  employée.  Les  Contes 
de  Nicole  Bozon,  les  Chroniques  de  Nicolas  Trivet,  parmi  les 
œuvres  littéraires  de  cette  période,  nous  ont  fourni  plusieurs  parti- 
cipes où  cette  désinence  se  trouve,  comme  pieu,  dccieu,  rescieii  et 
quelques  autres.  En  dehors  de  la  littérature,  nous  avons  encore  ren- 
contré cette  forme  dans  les  Statutes  à  partir  de  1 3  30  ;  dans  les  Rymer's 
Foedera  elle  se  trouve  à  la  même  date  ;  enfin  la  forme  qui,  dans 
cette  catégorie  de  textes,  nous  semble  devoir  être  la  plus  ancienne, 
se  lit  dans  Thomas  Walsingham  :  eslicti  qu'on  trouve  à  la  date  de 
1310. 

Ici  encore  l'influence  du  Nord  de  la  France  ne  nous  semble  pas 
du  tout  douteuse.  Les  formes  en  eu,  à  vrai  dire,  auraient  pu  se 
produire  sans  intervention  étrangère,  par  généralisation  de  Ve,  après 
synérèse  faite  dans  des  participes  passés  de  la  forme  en  ;  mais  les 
autres  sont  certainement  d'importation  étrangère. 

Par  conséquent,  nous  arrivons  sur  ce  point  important  à  quelques 
résultats  qui  nous  semblent  assurés.  Deux  terminaisons  qui  se 
trouvent  dans  l'anglo-français  du  xiv^  siècle,  sont  d'origine  picarde 
ou  wallonne  :  la  terminaison  en  ieii  des  prétérits,  la  terminaison  en 
iii  et  probablement  aussi  la  terminaison  en  ieii  des  participes  passés. 

Sur  les  autres  points,  nous  n'avons  guère  que  des  présomptions  ; 
mais  si  nous  devons  choisir  entre  la  théorie  généralement  exposée 
de  l'umgekehrte  Schreibung  et  celle  de  l'influence  continentale, 
nous  n'hésiterons  pas  à  choisir  la  seconde. 

Il  nous  reste  encore  à  énumérer  quelques  autres  points  où  l'in- 
fluence du  wallon  et  du  picard  peut  se  déceler;  leur  importance  est 
minime  et  nous  avouerons  volontiers  que  l'on  peut  hésiter  beau- 
coup à  les  considérer  comme  probants. 

Le  wallon  et  tous  les  dialectes  du  Nord  de  la  France  n'ont  pas 
montré  beaucoup  de  faveur  aux  désinences  régulières  de  la  troisième 
personne  du  pluriel  des  prétérits  en  si  ;  ils  ont  substitué  aux  formes 
en  sireitl  une  forme  analogique  empruntée  aux  prétérits  en  iii  : 
irent.  L'anglo-français,  pendant  les  deux  premiers  siècles  de  son 
histoire,  a  conservé  très  régulièrement  les  désinences  caractéristiques 
de  cette  personne,  et  nous  avons  vu  qu'il  les  étendait  quelquefois, 
même  au  xiv^,  aux  prétérits  qui  ne  l'ont  pas  régulièrement.  Et 
cependant,  à  partir  de  la  fin  du  xiii'^  siècle,  nous  rencontrons  assez 
souvent   des  formes  analogiques    en    irent,  par  exemple    dans  le 


Les  influences  extérieures  M  5  3 

poème  du  Prince  Noir  et  dans  les  textes  non  littéraires.  Évidem- 
ment, l'analogie  a  pu  exercer  la  même  influence  d'une  façon  abso- 
lument indépendante  dans  les  dialectes  du  Nord  et  en  anglo-fran 
çais  ;  il  se  peut  aussi  que  ceux-là  aient  agi  sur  celui-ci. 

Si  après  les  prétérits  et  les  imparfaits  du  subjonctif  nous  passons 
aux  futurs  et  aux  conditionnels,  nous  pourrons  marquer  quelques 
rapports  qui  sont  assez  significatifs.  Nous  ne  pouvons  pas  établir 
sur  ces  points  que  les  formes  anglo-françaises  sont  dues  aux  formes 
correspondantes  du  wallon  ou  du  picard,  mais  les  ressemblances 
qui  existent  entre  ces  deux  groupes  de  dialectes  pourront  soit  expli- 
quer l'extension  en  anglo-français  des  formes  analogues,  soit  rendre 
plus  vraisemblable  l'action  générale  de  ceux-ci  sur  le  premier. 

Le  wallon  présente  au  futur  les  deux  traits  qui  caractérisent 
ce  temps  en  anglo-français.  Les  futurs  de  I  s'abrègent  par  la  perte 
de  la  syllabe  muette  protonique  ;  les  futurs  de  III  s'allongent  par 
l'addition  d'un  e  atone  avant  1'/'.  Nous  nous  sommes  suffisamment 
arrêté  sur  ces  deux  points  lorsque  nous  avons  étudié  ce  temps 
pour  que  nous  ne  revenions  pas  là-dessus  ;  nous  pouvons  simple- 
ment rappeler  qu'ils  sont  présents  dès  le  commencement  de  la 
seconde  moitié  du  xu'^  siècle,  quoique,  à  cette  époque,  1'^  atone  épen- 
thétique  des  verbes  de  III  ne  soit  que  très  rarement  syllabique  ;  par 
conséquent,  nous  ne  pouvons  pas  admettre  à  cette  date  reculée  une 
influence  wallonne  et  nous  ne  pouvons  voir  dans  la  ressemblance 
des  futurs  qu'une  coïncidence.  Mais  ce  qui  nous  semble  plus  impor- 
tant, c'est  le  fait  que  Ve  épenthétique  que  nous  avons  étudié  ne 
devient  fréquemment  syllabique  en  anglo-français  que  vers  ou  après 
1250,  c'est-à-dire  au  moment  même  où  sur  diflerents  points  l'in- 
fluence wallonne  se  fait  sentir  d'une  façon  indiscutable.  Nous  n'in- 
sisterons pas  sur  ce  rapprochement  qui  nous  semble  avoir  cependant 
quelque  signification;  mais  nous  retiendrons  le  tait  qu'en  anglo- 
français,  comme  en  wallon,  le  futur  tendait  à  prendre  les  mêmes 
formes.  (Cf.  M.  Wilmotte,  Études  de  dialectologie  wallonne,  Rema- 
nia XVIII,  n"  39/;/^  ;  c'est  à  tort,  croyons-nous,  que  l'auteur  voit 
dans  les  formes  meterat,  riverai  une  assimilation  à  la  première  con- 
jugaison; c'est  dans  la  phonétique  et  non  dans  la  morphologie  qu'il 
faut  chercher  l'origine  de  cet  e  épenthétique.) 

Dans  la  revue  rapide  des  formes  qui  précède,  nous  avons  avant 
tout  essayé  d'être  aussi  complets  que  possible,  et  il  s'ensuit  peut-être 


8)4  i;hvolution  du  verbe  en  anglo-iraxçais 

que  les  quelques  faits  essentiels  de  cette  étude  se  trouvent  en 
quelque  sorte  noyés  dans  les  détails.  Nous  devions  cependant  le 
faire  méthodiquement  et  il  nous  reste  maintenant  à  mettre  en 
lumière  et  dans  leur  ordre  d'importance  les  principaux  points  qui 
montrent  les  différentes  influences  qui  se  sont  exercées  sur  l'anglo- 
français  à  partir  du  quatrième  quart  du  xiii*^  siècle. 

Nous  suivrons  maintenant  l'ordre  inverse  de  celui  que  nous 
avons  adopté  jusqu'ici  et  nous  commencerons  par  l'influence  qu'ont 
exercée  sur  l'anglo-français  les  dialectes  du  Nord  et  du  Nord-Ouest 
de  la  France.  Nous  ramènerons  à  six  les  faits  les  plus  importants 
qui  nous  montrent  cette  action.  Nous  n'essaierons  pas  d'établir 
entre  ces  foits  un  ordre  chronologique.  Comme  nous  l'avons  vu  et 
comme  nous  le  prouvera  plus  clairement  ce  qui  suit,  la  plupart  de 
ces  faits  sont  contemporains  ;  il  n'existe  tout  au  plus  entre  eux  qu'un 
intervalle  d'une  décade  ou  deux,  et  nous  ne  pouvons  jamais  être 
assurés  que  Tordre  dans  lequel  nous  avons  trouvé  nos  exemples 
reproduise  exactement  Tordre  dans  lequel  les  faits  se  sont  produits . 

Le  wallon  et  le  picard  ont  donné  à  Tanglo-français  : 

1°  Les  désinences  en  ieiiies  et  en  iiis  de  la  première  personne  du 
pluriel  qui  se  rencontrent  toutes  les  deux  pour  la  première  fois 
vers  1280  ; 

2°  La  désinence  en  ei^  de  la  deuxième  personne  du  pluriel  qu'on 
trouve  à  la  fin  du  xiii'^  et  au  xiv^  siècle  ; 

3°  La  désinence  en  eu.  et  en  eiii  des  prétérits  en  ///  ;  les  dési- 
nences en  eu,  iu,  ieu  des  participes  passés  ;  ces  difl^érentes  terminai- 
sons se  rencontrent  vers  la  fin  du  xni'^  ou  au  commencement  du 
xiv^  siècle  ; 

4°  La  désinence  en  oer  des  infinitifs  de  la  troisième  conjugaison 
dont  le  premier  exemple  ne  remonte  qu'à  13 10,  quoique  nous 
ayons  des  raisons  de  croire  que  cette  forme  date  de  la  fin  du 
xiii'^  siècle  ; 

5°  C'est  sous  Tinfluence  de  ces  dialectes  que  la  voyelle  e  en 
anglo-français  passe  à  la  diphtongue  ic  au  xiv^  siècle  ; 

6°  De  plus,  sous  la  même  influence,  la  voyelle  /  prend  la  même 
forme  à  la  fin  du  xiir'  siècle. 

Ces  six  points  importants  sufiiraieni  à  prouver  Tinfluence  des 
dialectes  du  Nord  et  du  Nord-Ouest  de  la  France  sur  le  français 


LES    IXFLUENCKS    liXTHRIPX'RF.S  <>  )  ) 

d'Angleterre.  Ajoutons-v  trois  autres  points  moins  importants  ou 
plus  douteux  : 

1°  Le  passage  de  la  voyelle  e  ouvert  à  ac  et  peut-être  à  ea  ; 
2°  Le  passage  de  a  à  an  ; 

3°  La  forme  en  ///  des  prétérits  en  ///  de  la  première  classe  et  des 
imparfaits  du  subjonctif; 

et  quatre  autres  fiiits  qui   peuvent  n'être  que  des  coïncidences  : 

1°  La  chute  de  la  muette  posttonique; 

2°  La  simplification  de  rr  en  r  ; 

3°  La  confusion  entre  s  et  -  ; 

4^  La  confusion  des  lettres  mouillées. 

Il  faudrait  ajouter  à  ces  fiiits,  si  on  ne  croit  pas  à  l'influence  du 
bourguignon,  les  deux  points  que  nous  avons  mentionnés  à  ce 
sujet  : 

1"  Les  infinitifs  de  III  en  ()/•  ; 

2"  Le  passage  à  la  diphtongue  oi  de  Vi  en  hiatus. 

Ce  serait  encore  aux  mêmes  dialectes  qu'on  devrait,  dans  ce 
même  cas,  attribuer  les  formes  que  nous  avons  attribuées  à  l'action 
commune  des  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est  : 

1°  Les  désinences  en  ieiis  de  la  première  personne  du  pluriel, 
désinences  qui  se  montrent  vers  1275  ; 

2"  Les  désinences  des  troisièmes  personnes  du  prétérit  des  verbes 
de  la  première  conjugaison  en  arnit  ; 

3°  Les   imparfaits  du  subjonctif  de  cette  même  conjugaison  en 

aisse  ; 

4"  Les  désinences  de  la  troisième  personne  du  singulier,  de  la 
troisième  personne  du  pluriel,  du  participe  pas.sé  en  ie,  au  début  du 
xiv=  siècle  ; 

5°  Le  passage  à  ai  de  la  diphtongue  i'/,  à  la  un  du  xin"  siècle. 

Les  influences  du  Nord  et  du  Nord-Ouest  sont  donc  bien  établies, 
celle  de  l'Est  est  moins  sûre.  Remarquons  que  toutes  les  formes 
qui  rentrent  dans  une  des  catégories  ci-dessus  remontent  à  peu  près 
à  la  même  date,  comprise  entre  1275  et  i^>io. 


856  l'évolution   du   vhrbe  en   ANGLO-1-KANÇAIS 

Un  certain  nombre  d'autres  formes  sont  aussi  d'origine  continen- 
tale, mais  auraient  pu  provenir  de  n'importe  quel  dialecte  français  : 

I"  Rétablissement  de  Vs  final  aux  premières  personnes  du  pluriel 
à  terminaison  masculine,  après  1250; 

2°  Rétablissement  de  la  diphtongue  ie  dans  les  terminaisons  où 
elle  est  étymologique  vers  1275  ou  1280; 

3°  Rétablissement  des  terminaisons  en  -oir  pour  les  infinitifs  de 
III,  à  la  fin  du  xiii'^  siècle  ; 

4°  Rétablissement  de  Ve  muet  étymologique  posttonique  après 
la  diphtongue  ci,  à  peu  près  à  la  même  époque  ; 

5"  Peut-être  encore  rétablissement  des  désinences  en  ions. 

Nous  n'attribuons  à  aucun  dialecte  en  particulier  l'action  qui  a 
conduit  au  rétablissement  des  formes  ci-dessus  ;  mais  maintenant 
que  nous  avons  pu  déterminer  l'action  si  profonde  qui  a  été  exer- 
cée par  le  dialecte  wallon,  et  puisque  nous  n'avons  découvert  aucune 
trace  de  l'influence  d'un  autre  dialecte  (à  l'exception  du  bourgui- 
gnon), il  est  plus  que  probable  que  ces  dernières  formes,  qui  com- 
mencent à  apparaître  en  anglo-français,  vers  ou  après  1250,  ont  la 
même  origine  que  celles  que  nous  avons  énumérées  tout  d'abord . 
C'est  par  conséquent  le  wallon  et  le  picard,  aidés  peut-être  par  le 
bourguignon,  qui  ont  rétabli  dans  le  verbe,  en  partie  du  moins, 
un  nombre  considérable  de  formes  régulières  et  de  formes  qui  sont 
étrangères  à  l'anglo-français. 

Il  nous  reste  encore  deux  remarques  assez  importantes  à  faire  : 
d'abord,  comme  on  a  pu  le  voir,  les  textes  anglo-français  qui  n'ap- 
partiennent pas  à  la  littérature  montrent  mieux  que  les  autres  l'in- 
fluence continentale;  il  n'est  pas  facile  d'en  découvrir  la  raison. 
Celle  qui  se  présente  le  plus  naturellement  à  l'esprit  et  qui  a 
quelques  chances  d'être  vrai  est  que  les  œuvres  littéraires  du 
xiv^  siècle,  ayant  derrière  elles  une  tradition  déjà  ancienne,  pou- 
vaient se  soustraire  plus  aisément  aux  influences  extérieures  ;  les 
formes  qui  ne  s'éloignaient  pas  trop  de  celles  de  la  langue  de  leurs 
prédécesseurs  immédiats  pouvaient  être  admises  sans  trop  de  diffi- 
culté :  par  exemple,  les  terminaisons  en  ier,  les  infinitifs  en  oir  ; 
celles  qui  étaient  d'une  façon  trop  évidente  des  nouveautés,  comme 
les  désinences  de  la  première  personne  du  pluriel  tn  iens  ou  les 
infinitifs  en  or,  devaient  rencontrer  plus  de  résistance.  De  plus,  la 


LES   INFLUENCES    EXTERIEURES  857 

période  littéraire  s'arrête  très  peu  de  temps  après  que  l'influence 
continentale  a  commencé  à  se  faire  sentir;  si  nous  exceptons  le 
poème  du  Prince  Noir,  qui  montre,  comme  l'a  démontré  Miss 
M.  K.  Pope,  un  nombre  considérable  de  formes  wallonnes,  notre 
dernier  ouvrage  littéraire  dépasse  à  peine  le  commencement  du 
second  tiers  du  xiv^  siècle.  A  cette  époque,  on  conçoit  très  bien  que 
les  influences  dont  nous  avons  tenté  de  déterminer  l'action  n'aient 
pas  encore  eu  sur  les  œuvres  littéraires  leur  plein  efl"et;  et  l'on 
pourrait,  pour  mesurer  de  quelle  façon  les  formes  étrangères  se 
sont  implantées  dans  l'anglo-français  littéraire,  comparer  la  langue 
de  Nicolas  Trivet  (1334)  à  celle  du  Héraut  de  Chandos  (1385). 

Il  V  a  peut-être  encore  des  raisons  plus  convaincantes.  Il  se  peut, 
et  nous  le  croyons,  que  ce  soit  par  le  canal  de  l'anglo-français  poli- 
tique que  l'influence  wallonne  s'est  introduite  en  anglo-français;  il 
a  dû  y  avoir,  à  l'origine  de  cette  influence  littéraire,  des  faits 
d'ordre  politique  qui  expliquent  l'importance  subite  que  le  wallon 
a  prise  dans  le  développement  de  l'anglo-français.  Cette  explication 
rendrait  compte  non  seulement  de  l'action  jouée  par  ce  dialecte, 
mais  aussi  de  ses  limites.  Quelle  qu'en  soit  la  cause,  il  nous  paraît 
évident  que  le  wallon  a  d'abord  et  surtout  agi  sur  la  langue  non 
littéraire,  puis  sur  les  œuvres  littéraires  elles-mêmes. 

Remarquons  aussi  que  ces  deux  catégories  d'ouvrages,  fort  mal- 
heureusement, ne  coïncident,  au  point  de  vue  de  la  durée,  que  sur 
un  temps  relativement  très  court.  Les  premiers  textes  politiques  et 
diplomatiques  ne  remontent  qu'au  commencement  du  dernier  quart 
du  xiir  siècle;  la  période  littéraire  finit  vers  1330.  Si  nous  avions 
des  textes  politiques  antérieurs  à  1275,  ou  plutôt  antérieurs  au 
moment  où  l'influence  wallonne  a  commencé  à  se  faire  sentir,  nous 
aurions  la  possibilité  de  faire  des  rapprochements  extrêmement  inté- 
ressants et  d'étudier  de  plus  près  comment  les  dialectes  du  Nord  et 
du  Nord-Ouest  de  la  France  ont  agi  sur  l'anglo-français  ;  nous  pour- 
rions observer  exactement  sur  quels  points  ils  ont  d'abord  imposé 
leurs  propres  formes. 

Évidemment,  de  tels  regrets  sont  stériles.  Dans  un  autre  ouvrage, 
on  pourra  voir  comment  s'est  formée  cette  branche  de  la  production 
anglo-française  que  nous  avons  appelée  les  textes  non  littéraires. 
Pour  le  moment,  nous  ne  pouvons  pas  en  dire  davantage. 


CHAPITRE     I\' 
CONCLUSIONS     GÉNÉRALES 


Nous  avons  à  peu  près  terminé  cette  étude  du  verbe  en  anglo- 
français  ;  dans  notre  première  partie,  nous  avons  tenté  de  tracer 
l'évolution  des  formes  qu'il  a  prises;  dans  notre  seconde  partie, 
nous  avons  groupé  suivant  leur  origine  le  plus  grand  nombre  de  ces 
formes  et  dans  notre  dernier  chapitre  spécialement  nous  avons, 
crovons-nous,  montré  que  vers  la  fin  du  xiii^  siècle  les  influences 
continentales  ont  exercé  une  action  considérable  sur  les  formes 
du  verbe. 

Il  nous  reste  maintenant  à  jeter  un  coup  d'œil  sur  le  champ  que 
nous  avons  parcouru  et  à  donner  quelques  idées  générales  sur  notre 
sujet. 

Deux  dates  marquent,  dans  l'évolution  de  l'anglo-français,  des 
points  de  repère  extrêmement  importants  et  divisent  ainsi  l'histoire 
de  ce  dialecte  en  trois  périodes  qui  sont  suffisamment  marquées. 
Cette  division  est  évidemment  plus  commode  que  rigoureuse  ;  mais 
elle  représente  quelque  chose  de  réel.  La  première  de  ces  dates  est 
1160,  comme  M.  Suchier  l'a  bien  vu  avant  nous.  Avant  1160, 
Tanglo-trançais  ne  diffère  que  très  peu  des  dialectes  de  l'Ouest  de  la 
France  ;  dans  bien  des  cas  la  distinction,  surtout  au  point  de  vue  de 
la  conjugaison,  est  très  délicate,  quelquefois  impossible.  Ce  sont 
quelques  difterences  phoniques  et  des  différences  de  vocabulaire  qui 
permettent  de  distinguer  la  langue  des  auteurs  anglo-français  de 
celle  de  certains  auteurs  continentaux.  C'est  la  première  période  de 
l'anglo-français. 

La  seconde  est  marquée  par  un  certain  nombre  de  changements 
qui  sont  spéciaux  à  l'anglo-français  :  la  phonétique  évolue  assez 
rapidement  et  les  changements  phoniques  laissent  des  traces  pro- 
fondes sur  la  conjugaison  du  verbe  ;  les  formes  analogiques  se  mul- 


CO\CLl"SR)XS    GH\HK.\I.i:s  859 

tiplient;  la  conjugaison  dans  un  sens  se  simplifie  et  dans  l'autre  se 
complique.  11  taut  surtout  remarquer  dans  cette  période  femploi 
simultané  de  formes  d'âges  très  différents,  formes  archaïques, 
formes  qui  ont  phoniquement  évolué,  formes  analogiques  ;  er  aussi 
l'importance  de  ce  que  nous  avons  appelé  le  coefficient  personnel  : 
deux  auteurs  vivant  à  la  même  époque  peuvent  employer  deux 
langues  profondément  différentes.  C'est  pour  cette  raison  que  nous 
avons  renoncé  à  essayer  de  f;iire  une  distinction  entre  l'anglo-fran- 
çais  du  Nord  et  celui  du  Sud  de  l'Angleterre.  En  théorie,  cette  dis- 
tinction ne  manque  pas  de  justesse;  en  pratique,  pour  le  vtrbe  tout 
au  moins,  elle  est  impossible  à  observer. 

Cette  période  finit  quelque  temps  après  le  milieu  du  xin'  siècle. 
Vers  ou  après  1250,  plus  tard  pour  les  œuvres  littéraires,  un  nou- 
veau facteur  entre  en  jeu  :  l'influence  que  nous  résumerons  sous  le 
nom  d'influence  wallonne.  Cette  influence  complique  quelque  peu 
l'histoire  de  la  conjugaison.  Sur  certains  points,  le  verbe  continue 
son  évolution  plus  ou  moins  régulière  :  le  développement  phonique 
modifie  toujours  la  forme  du  verbe,  l'analogie  crée  toujours  de  nou- 
velles formes,  les  auteurs  et  les  scribes  montrent  un  goût  de  plus 
en  plus  vif  pour  les  graphies  compliquées  ;  les  grammairiens 
inventent  des  règles  de  fantaisie  qui  sont  plus  ou  moins  bien  obser- 
vées. Mais  sur  d'autres  points,  et  subitement,  sous  l'influence  wal- 
lonne, Tanglo-français  arrête  son  évolution  normale,  il  revient  à 
ces  formes  qui  avaient  disparu  depuis  un  siècle  ou  plus  déjà,  ou 
adopte  des  formes  qui  n'avaient  jamais  existé  auparavant  en  anglo- 
français.  II 10,  iiéo,  1250,  voilà  les  dates  cardinales  de  l'anglo- 
français. 

C'est  en  effet  après  1160  que  nous  trouvons  à  la  première  per- 
sonne du  singulier,  à  la  troisième  personne  du  singulier  de  l'indi- 
catif et  du  subjonctif  et  dans  quelques  autres  cas  les  premiers  c  ana- 
logiques ou  épithétiques  et  la  chute  de  Vc  étymologique  ;  à  la 
première  personne  du  singulier  les  premières  s  irrégulières,  c'est  peu 
de  temps  après  cette  date  que  nous  observons  la  contusion  de  l'.v 
finale  et  du  ~,  l'amuissement  de  Vs  appuyée;  c'est  alors  que  !'<•  post- 
tonique qui  suit  la  diphtongue  ei  tombe;  la  dentale  finale  perd  la 
valeur  de  spirante  douce  qu'elle  avait  encore  vers  11 45  (Hstorie  des 
Engleis),  pour  disparaître  complètement  ou  pour  ne  rester  que  sous 
la  forme  d'une  dentale  de  liaison  ;  c'est  encore  à  cette  époque  que 


86o  l'évolution  du  verbe  en  anglo-fkançais 

la  deuxième  personne  du  pluriel  nous  montre  dans  ses  désinences 
masculines  i,  s  ou  t;  c'est  entre  cette  date  et  la  fin  du  xii'^  siècle  que 
nous  relevons  les  premiers  exemples  des  infinitifs  de  III  affectés  de 
la  terminaison  en  cr  ;  que  les  désinences  en  ir  de  l'infinitif  ou  du 
prétérit  passent  à  la  forme  en  er  ;  que  les  premières  synérèses  s'ef- 
fectuent à  tous  les  temps  qui  présentent  l'hiatus  et  que  les  futurs 
des  deux  dernières  conjugaisons  nous  montrent  les  premiers  e  svara- 
bhaktiques.  Voilà  en  quelques  mots  le  tableau  des  changements  qui 
commencent  à  cette  période. 

Après  II 60,  les  changements  que  nous  venons  d'énumérer  conti- 
nuent à  se  produire,  et  ils  font  dans  certains  cas  des  progrès  assez 
irréguUers,  mais  considérables.  Pendant  cette  seconde  période,  nous 
voyons  se  montrer  les  caractères  principaux  de  l'anglo-français  :  le 
passage  de  la  diphtongue  ai  à  ei,  l'addition  à'e  muets  irréguliers,  et 
la  chute  des  e  muets  étymologiques  ;  les  graphies  par  aun,  oiin  des 
voyelles  nasales  a  et  0;  les  troisièmes  personnes  du  pluriel  sans 
dentale  ;  les  présents  de  l'indicatif  et  les  impératifs  en  ^e  ;  les  infi- 
nitifs en  cr  pour  la  seconde  et  la  troisième  conjugaison. 

Après  1250  et  jusqu'à  la  fin  de  la  période  Httéraire,  nous  aperce- 
vons distinctement  dans  la  conjugaison  du  verbe  deux  mouvements 
très  nets.  Le  premier  montre  la  continuation  de  l'évolution  qui  a 
commencé  en  iiéo  et  s'est  poursuivie  pendant  tout  le  xiii''  siècle. 
C'est  à  ce  mouvement  que  nous  devons  la  chute  d'une  syllabe  muette 
dans  les  désinences  féminines,  la  double  consonne  /;^  dans  les  dési- 
nences régulièrement  terminées  par  ^  ou  par  t  ;  la  généralisation  des 
consonnes  mouillées  à  l'indicatif,  à  l'impératif,  au  participe,  pour  ne 
citer  que  les  faits  principaux. 

Le  second  mouvement  est  constitué  par  l'influence  étrangère, 
particulièrement  l'influence  du  wallon  ;  nous  ne  répéterons  pas  ce 
que  nous  avons  dit  là- dessus  dans  nos  derniers  chapitres  :  rappe- 
lons seulement  la  réapparition  des  désinences  en  ie,  des  infinitifs  en 
oir,  des  muettes  posttoniques  après  la  diphtongue  ei,  de  Vs  aux 
premières  personnes  du  pluriel  à  désinence  masculine  ;  l'introduction 
des  nouvelles  désinences  en  iens,  ienies,  ei:(,  or,  arent,  aisse,  iii,  etc. 

Ce  double  mouvement  donne  sa  physionomie  propre  à  l'anglo- 
français  du  xiV'  siècle  et  le  rend  fort  différent  de  celui  de  la  période 
précédente;  il  est  vrai  que  dans  certains  auteurs  cette  influence  n'est 
pas  très  visible,  au  moins  n'est  pas  aussi  marquée  que  chez  d'autres. 


CONCLUSIOXS    GÉN'ÉRALES  86  I 

Cependant,  nous  rencontrons  partout  un  ensemble  de  traits  qui 
suffisent  à  caractériser  et  à  dater  la  langue  des  écrivains  de  cette 
période. 

Telle  a  été  l'évolution  du  verbe  en  anglo-français;  on  a  pu  voir 
que  cette  évolution  sur  bien  des  points  a  précédé  celle  qu'il  devait 
subir  sur  le  continent  ;  sur  d'autres,  les  formes  qu'il  a  prises  sont 
bien  spéciales  à  l'anglo-français  et  ont  trop  souvent  l'apparence  de 
véritables  barbarismes. 

Nous  n'ajouterons  plus  qu'un  mot.  Nous  n'avons  ici  évidemment  ni 
à  approuver  ni  à  condamner;  mais  nous  pouvons  nous  demander  si 
l'anglo-français  du  xiv°  siècle  est  bien  le  langage  corrompu,  le  jargon 
qu'on  se  représente  ordinairement.  Lé  verbe  nous  fournit  la  meil- 
leure pierre  de  touche,  et  nous  pouvons  voir  que  ce  qui  a  modifié 
le  plus  profondément  la  forme  du  verbe,  ce  sont  les  modifications 
phoniques,  les  formes  analogiques,  les  graphies.  Les  premières  repré- 
sentent l'évolution  normale  du  verbe  dans  les  dialectes  continentaux 
et  elles  ne  sont  pas,  toute  chose  considérée,  plus  extraordinaires  en 
anglo-français  qu'en  picard  par  exemple  ;  quant  aux  graphies,  elles 
contribuent  beaucoup  à  donner  à  l'anglo-français  de  la  dernière 
période  cette  apparence  bizarre  ou  barbare  qu'on  lui  connaît  ;  mais 
des  changements  sans  importance  pourraient  taire  disparaître  cette 
apparence.  Si  les  éditeurs  voulaient  adopter  pour  les  textes  anglo- 
français  du  xiV^  siècle  les  habitudes  françaises  de  la  même  époque, 
ce  que  nous  n'avons  pas  l'intention  de  recommander,  l'œil  ne  serait 
pas  choqué  par  des  formes  qui  semblent  à  première  vue  contraires 
au  génie  même  de  la  langue  française.  Remarquons  d'ailleurs  que 
les  textes  anglais  de  cette  époque  présentent  à  ce  point  de  vue  une 
irrégularité  beaucoup  plus  choquante  que  celles  des  textes  français. 

Restent  les  formes  analogiques  ;  celles-là  sont  très  souvent  abso- 
lument barbares,  comm.e  on  a  pu  s'en  convaincre  déjà  ;  mais  ces 
formes  analogiques  ne  sont  pas  encore  extrêmement  nombreuses  et 
elles  ne  suffisent  pas  à  faire  condamner  comme  «  jargon  »  tout 
l'anglo-français  du  xiv^  siècle.  Bien  plus,  il  faut  faire  pour  toute  la 
littérature  anglo-française  la  part  des  scribes  qui  ont  causé  infiniment 
plus  de  mal  qu'on  ne  s'imagine;  si  nos  meilleurs  textes  français 
nous  avaient  été  transmis  par  une  tradition  écrite  analogue  à  celle 
qui  nous  a  donné  nos  textes  anglo-français,  la  barbarie  n'aurait 
suère  été  moindre. 


862  L'i:v(M.urioN  du  vkkbi-:  i;n   anclo-irançais 

Entîn,  il  nous  semble  difficile  de  traiter  de  jargon  une  langue 
qui  a  laissé  des  monuments  comme  les  Statutes,  qui  sont  fréquem- 
ment des  chefs-d'œuvre  de  précision  et  de  clarté,  des  lettres  qui 
sont  souvent  écrites  d'un  style  facile,  agréable,  enjoué,  et,  ajoute- 
rons-nous, des  discussions  légales,  subtiles  en  même  temps  que 
limpides. 

Une  langue  qui  peut  montrer,  même  à  l'occasion  seulement,  de 
telles  qualités,  n'est  pas  un  jargon. 


TABLE     DES     MATIERES 


Introduction- 
Bibliographie 


PREMIÈRE    PARTIE    :    Les  Formes. 
LIVRE     PREMIER  :  Désinences   personnelles. 

CHAPITRE  I.  —  Première  personne  du  singulier. 

LV'  atone. 

Première  conjugaison 5 

Verbes  de  I  proparox\'tons 24 

Autres  conjugaisons 26 

L'i  finale. 

S  étymologique 51 

5  irrégulière 54 

La  palatale •  59 

Valeur  de  cette  consonne 4  5 

Autres  temps. 

Diphtongue  -j-  e  atone 41 

La  voyelle  atone 4  1 

La  diphtongue 54 

Chute  de  la  dernière  syllabe  muette 54 

Premières  personnes  en  ai 5  5 

Le  radical  de  la  première  peisonne  du  siiii^ulic-r 64 

CHAPITRE  II.  —  Deuxième  personne  du  singulier. 

La  consonne  de  la  terminaison. 

5et  ^ W> 

Chute  de  la  consonne  de  la  terminaison 7(-' 

La  voyelle  atone 77 

La  voyelle  tonique 7^ 

CHAPITRE  m.  —  Troisième  personne  du  singulier. 

La  dentale  caduque l'^o 


8^4  l'évolution  bu  verbe  en  anglo-françaIs 

La  dentale  appuyée 105 

Désinences  en  5/ 108 

Désinences  en  /;/ 121 

Chute  de  la  voyelle  et  maintien  de  la  dentale 125 

Chute  de  la  voyelle  et  de  la  dentale 1 26 

Addition  d'un  e  atone 136 

Désinence  ie 140 

Graphies  de  l'atone  finale 143 

Troisièmes  personnes  en  « 144 

Le  Thème. 

La  consonne  finale 149 

Allongement  de  la  voyelle  thématique 149 

Simplification  de  la  voyelle  du  thème 152 

Pouvoir,  estovoir,  vouloir 153 

CHAPITRE  IV.  —  Première  personne  du  pluriel. 

Terminaisons  féminines. 

Leur  extension 158 

La  consonne  finale 166 

La  voyelle  atone 167 

Chute  de  la  voyelle  atone 169 

S  parasite 171 

La  voyelle  accentuée 172 

Terminaisons  masculines. 

La  vovelle  nasale 177 

La  consonne  finale ,  181 

Ions 191 

lens 195 

CHAPITRE  V.  —  Deuxième  personne  du  pluriel. 

Terminaisons  féminines. 

Leur  extension 199 

La  consonne  finale 201 

La  voyelle  atone 202 

Le  premier  5  de  la  désinence 203 

La  voyelle  accentuée 204 

Terminaisons  masculines. 

La  consonne  finale 205 

La  voyelle 212 

Redoublement  de  la  voyelle 212 

La  diphtongue  ei 213 

Synérèse 213 

Terminaison  ei~ 213 

Terminaison  ie^ 218 


TABLE    DES    MATIÈRES  865 
CHAPITRE  VI.  —  Troisième  personne  du  pluriel.  " 

Désinences  masculines. 

La  voyelle  nasale ^,^ 

Désinences  masculines  par  déplacement  de  l'accent 2^4 

Désinence  accentuée  ont ,,„ 

Les  consonnes  finales 238 

Extension  des  formes  fortes 2îq 

Désinences  féminines. 

La  consonne  de  la  terminaison 2JO 

La  voyelle 241 

Terminaison  en  e(a)ieiii. 

La  voyelle  posttonique 2 .y 

La  diphtongue 274 

S  parasite _  ,-5 

Le  radical ,_^ 

LIVRE   II  :  Les  modes. 
CHAPITRE  I.  —  Le  mode  indicatii 


'79 


CHAPITRE  IL  —  Le  subjoxctik. 

Subjonctifs  en  em. 

Première  et  deuxième  personnes  du  singulier 28S 

Troisième  personne  du  singulier 295 

Le  radical  à  la  troisième  personne  du  singulier 297 

S  paragogique 304 

Perte  de  la  dentale  sans  addition  d'un  e  atone 305 

Développement  d'un  e  atone ^06 

Première  et  deuxième  personnes  du  pluriel 516 

Le  radical  des  subjonctifs  en  ou 516 

Subjonctifs  en  ce  ou  se  de  la  première  conjugaison 521) 

Influence  des  subjonctifs  en  em. 522 

Subjonctifs  en  am 525 

Le  radical ^24 

Subjonctifs  en  iaiii. 

La  désinence  à  la  première  et  à  la  seconde  personne  du  pluriel  ;  5 1 

Le  radical. î  3  ', 

V'erbes  à  labiale \\,\ 

Verbes  à  dentale .    .  559 

Verbes  à  liquide ;40 

Verbes  à  palatale ^46 

Subjonctifs  en  ce  des  verbes  de  III ^48 

Subjonctifs  en   ge ;  ^  1 

Subjonctif  du  verbe  être •  î  )<•; 


866  l'i-\'olutkjn  du  vhkbh  ek  anglo-ikançals 

CHAPITRE    111.    —    i;iMI>KR,VTIF. 

Impératifs  à  forme  de  subjonctif 361 

Première  conjugaison. 

Impératifs  en  <; 364 

Chute  de  la  voyelle  atone 365 

Chute  de  l'atone  et  addition  de  .\ 368 

Impératif  des  11^,  Ille,  IVc  conjugaisons. 

La  dentale 370 

Ler 571 

L'-J 371 

L'« 375 

Le  radical  de  l'impératif. 

Influence  de  l'indicatif 374 

Influence  du  subjonctif 374 

CHAPITRE  IV.    —  L'infinitif. 

Addition  ou  chute  d'un  t'  atone 57S 

Addition  de  s .  .  582 

Inlinitifs  de  I. 

Les  formes 382 

Acquisitions  des  infinitifs  en  ri 590 

Infinitifs  de  II 425 

Acquisitions  des  infinitifs  en  //• 425 

Infinitifs  de  III 432 

-acquisitions  des  infinitifs  en  cir 434 

Infinitifs  de  IV 437 

Acquisitions  des  infinitifs  en  ;■<; 437 

Le  radical  de  l'infinitif. 

VoN^elle  svarabhaktique 44 1 

Autres  modifications  du  thème 444 

CHAPITRE  V.  —  Les  participes. 

Participe  présent. 

Consonne  finale 450 

La  voyelle  nasale 4)2 

Le  radical  du  participe  présent 455 

Participe  passé. 

Participes  passés  faibles 460 

La  consonne  finale 4t>o 

La  voyelle  de  la  terminaison 465 

Les  acquisitions 477 

Acquisitions  des  participes  passés  en  e.  ..... 477 

Acquisitions  des  participes  passés  en  / 4^^^ 

Acquisitions  des  participes  passés  en  » 485 

Le  radical  des  participes  faibles 49  ^ 

Participes  passés  forts 5^9 


TABLE    DES    MATIÈRES  867 

En  siiin _  -  j  g 

En    tUlll r  -52 

En  atuni -■, , 

J  ■*H 

En  itiuii. ^2 - 

En  ut  uni _  r  2  r 

En  ctiun r^r 

En  Ituni -  -.  -. 

)  )) 

CHAPITRE  VI.  —   Les  inchoatifs 535 

LIVRE    III    :   Les  temps. 

CHAPITRE  I.  —  Présent  de  l'indicatif 3^y 

CHAPITRE  II.  —  Imparfait  de  l'indicatif 550 

Imparfaits  de  la  première  conjugaison c  cq 

Imparfaits  des  deuxième,  troisième  et  quatrième  conjugaisons 565 

CHAPITRE  III.  —  Prétérit 37j 

Les  prétérits  faibles. 

Prétérits  en  avi -y. 

Les  acquisitions. ^-é 

Prétérits  en  /î'/ j3q 

Les  acquisitions ^oi 

Prétérits  en  ui cgg 

Les  acquisitions ^29 

Les  prétérits  forts. 

Prétérits  en  i 631 

Prétérits  en  5/. . . (^-^n 

Le  thème 651 

Acquisitions  des  prétérits  en  si 6j^ 

CHAPITRE  IV.  —  Imparfait  du  subjonctif. 

Phénomènes  généraux 657 

Imparfaits  du  subjonctif  correspondant  à  un  prétérit  en  avi 662 

—  —                            —             ivi 665 

—  _                          _           ,i,,ii 666 

—  —                         —           iii 666 

—  —                         —           /■ 684 

—  —                          —            si 687 

Extension  des  formes  en  it 694 

CHAPITRE  V.  —  Futur  et  conditionnel. 

Futur  des  verbes  de  l 701 

Futur  des  verbes  de  II 711 

Futur  des  verbes  de  lll  et  de  IV 716 


S68  L'l^:VOLU'riON    du    verbe    en    ANCiLO-l-RANÇAlS 

Futur  du  verbe  être 732 

Futur  du  verbe  faire 735 

Le  thème  au  futur 740 

SECONDE     PARTIE 

CHAPITRE  I.  —  Les  changements  phoniq.ues  dans  le  verbe 748 

Première  catégorie 749 

Seconde  et  troisième  catégories 757 

CHAPITRE  IL  —  Formations  analogiques 797 

Phénomènes  généraux  d'analogie 797 

Actions  analogiques  à  l'intérieur  d'un  même  verbe 803 

Actions  analogiques  d'un  verbe  sur  un  autre  verbe 810 

CHAPITRE  III.  —  Les  influences  extérieures 818 

Influence  du  latin 819 

Influence  des  dialectes  français 823 

Influence  des  dialectes  du  Nord  et  de  l'Est 828 

Influence  du  bourguignon 836 

Influence  du  wallon  et  du  picard 839 

CHAPITRE  IV.  —  Conclusions  générales 858 


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Joseph  BÉDIER 

Professeur  au  Collège  de  France 

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par  le  roi  Charlemagne.  —  Les  chansons  de  geste  et  les  routes  d'Italie.  — 
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Leschansons  de  geste  et  le  pèlerinage  de  Compostelle. —  La  Chanson  de  Roland. 
De  l'autorité  du  manuscrit  d'Oxford,  pour  l'établissement  du  texte  de  la  Chanson 
de  Roland. 

IV.  Richard  de  Normandie  dans  les  chansons  de  geste.  —  Gormond  et  Isembard.  — 

Salomon  de  Bretagne.  —  L'abbaye  de  Saint-Denis.  —  Renaud  de  Montauban. 
—  Quelques  légendes  de  l'Ardenne.  —  Les  prétendus  modèles  mérovingiens 
des  chansons  de  geste.  —  L'histoire  dans  leschansons  de  geste.  —  Les  légendes 
de  Charlemagne.  —  Etc. 

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Professeur  à  l'Université   de    Liverpool 

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T^/rrie/f^/icî-nn  \  Mélanges  linguistiques.  I .  Latin  vulcraire  et  lancines  romanes. 
r'aJli>[\jablun).  Romani-Romania.  —  L'Appendix  Probi.  —  Version  latine 
de  l'Heptateuque.  —  L'altération  romane  du  C  latin.  —  La  dissimilation  consonan- 
tique  dans  les  langues  romanes.  —  II.  Langue  française  :  Grammaire  historique  de  la 
langue  française.  —  Histoire  de  la  langue.  —  Phonétique  :  O  fermé.  —  Français  R  =  D. 

—  La  vie  des  mots.  Les  plus  anciens  mots  d'emprunt.  —  Dictionnaire  de  la  langue 
française.  —  La  grammaire  et  l'orthographe.  —  Les  parlers  de  France.  —  III.  Notes 
étymologiques  :  Abrier,  abri.  —  Accoutrer,  fatras.  —  Andain.  —  Avoir  son  olivier 
courant.  —  Bascauda.  —  Boute  en  courroie.  —  Choisel.  —  Dehé.  —  Dîner.  — Faite. 

—  Ficatum  en  roman .  —  Guet-apens.  —  A.  Fr.  laïs.  —  Navrer.  —  Nuptias.  — 
Poulie.  —  Trouver.  —  Vapidus  «  Fade  »  etc..  etc..  Appendice  :  De  l'histoire  de 
l'orthographe  française.  —  Index  des  auteurs  et  des  textes  cités.  —  Index  des  mots. 
(Ces  index  forment  ^0  pages,  ce  chiffre  donne  un  aperçu  de  Viniportance  de  Vouvrage  et  des 
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T.  II,  ^61  pages  à  deux  colonnes.  F'nsemble 25  fr. 

SAINÉAN  (L.).  Les  sources  de  l'argot  français.  T.  I.  Des  origines  A  la  fin  du 
XV llle^  siècle.  T. II  -.Le  XIX^ siècle (iSoo-iS')0).  In-8  écu  (t.  I,  xvi-426  p.  ; II,  470 p.). 
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Tanquerey,  Frëd^ric  Joseph 
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Anglo-français 


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