?^^,*-H
•ft&ni!^
'H
L'ÉVOLUTION
DU VERBE
EN
ANGLO-FRANÇAIS
(XIP-XIV SIÈCLES)
F. J. TANQUEREY
DOCTEUR ES LETTRES
PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
EDOUARD CHAMPION
S, QDAI MALAQUAIS, $
I9IS
Téléphone: Gobelins 28-20
L'ÉVOLUTION DU VERBE
BN
ANGLO-FRANÇAIS
'^Hf — --*rt — /ïs^\i U^iO-V ^:i
MAÇON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS.
rrrrp
L'ÉVOLUTION
DU VERBE
EN
ANGLO-FRANÇAIS
(XIP-XIV^ SIÈCLES)
F/jr'^TANQUEREY
DOCTEUR ES LETTRES
PARIS
LIBRAIRIE ANCIENNE HONORÉ CHAMPION
EDOUARD CHAMPION
5, Q.UAI MALAQ.UAIS, 5
I9I5
Téléphone: Gobelins 28-20
Ts
INTRODUCTION
Tous les philologues ont, semble-t-il, exprimé sur la nature de
l'anglo-français des opinions différant fort peu les unes des autres.
D'abord ils admettent tous, et avec une rare unanimité, qu'on ne
saurait le considérer comme un dialecte français. Nous ne ferons
aucune difficulté pour faire nôtre l'idée généralement reçue et nous
ne nous imposerons pas la tâche impossible de comparer le fran-
çais d'Angleterre au français de Bourgogne ou de Picardie. Mais,
et cette question de dialecte mise à part, nous ne pouvons pas
accepter entièrement les idées qui ont cours sur le caractère de
l'anglo-français. Pour montrer ce qui le distingue des dialectes du
continent et préciser un peu sa nature, que la négation qui précède
n'explique pas, on dit simplement qu'il est une sorte de français
mal su, mal parlé, mal écrit. C'est ce que nous trouvons exprimé
dans cette phrase de Gaston Paris (Vie de saint Gilles, xxxv) :
« L'anglo-normand, y lisons-nous, n'est pas à proprement par-
ler un dialecte; il n'a jamais été qu'une manière imparfaite de par-
ler le français ; ceux même qui s'en servaient avaient conscience de
cette imperfection et cherchaient à l'atténuer, soit chez eux, soit
chez leurs enfants On parlait plus ou moins bien, sans que
jamais on pût empêcher quelques traits anglo-normands de se
glisser dans ses discours ou ses écrits. »
Nous avons cité cette phrase de Gaston Paris parce qu'il y
exprime cette conception de l'anglo-français de la façon lumineuse
qui lui est habituelle ; d'autres philologues auraient pu nous four-
nir des idées semblables. Il y a certainement dans ces lignes une
part de vérité que nous ne chercherons pas à diminuer ; elles
mettent en évidence l'importance de ce qu'on pourrait appeler le
coefficient personnel en anglo-français. On peut trouver dans cer-
tains auteurs des expressions, des formes, des fautes qui leur sont
propres et qui n'ont d'autre cause que leur ignorance de la langue
H INTRODUCTION
qu'ils écrivent. Mais tout d'abord, il ne faut pas oublier que le
français, langue littéraire, était en Angleterre une langue enseignée:
quoi de plus naturel qu'on essayât de corriger les fautes qu'on
commettait soi-même ou qu'on entendait commettre autour de
soi ; cela du reste aurait pu se produire si l'anglo-français avait été
un dialecte ordinaire. Si les Anglais cherchaient à atténuer chez
eux ou chez leurs enfants les particularités de leur français, cette
tendance pourrait se retrouver dans les personnes instruites ou à
demi instruites qui parlaient un dialecte continental. Un bourgui-
gnon ou un manceau n'essayaient-ils pas parfois de se défaire de
l'accent, des expressions qui dénonçaient leur origine mancelle ou
bourguignonne ?
Ensuite Gaston Paris omet de nous dire quel était ce français
qu'on enseignait en Angleterre entre iioo et 1400 et dont on
violait les lois. Ce n'était certainement pas le français de France,
car si cela était, nous devrions dans l'anglo-français du xiii^ et du
xiV siècle retrouver à côté des « quelques traits anglo-normands »
ce qui caractérise le trançais du xiii"-" et du xn"" siècle. Or tous les
faits nous montrent et tout le monde reconnaît que l'évolution de
l'anglo-français a été indépendante de celle du français continental.
On doit en conclure qu'il y avait en Angleterre un « type » spé-
cial de français avec ses formes, ses habitudes propres, distinct et
indépendant des dialectes continentaux : autrement dit, l'An-
gleterre possédait ce que les Anglais appelleraient un « standard
French » particulier. De sorte que les « imperfections qui se glis-
saient dans les discours et les écrits » étaient, non pas des fautes de
français, mais des fautes d'anglo-français.
Ces quelques idées a priori laissent donc supposer que l'anglo-
français a été autre chose qu'une mauvaise manière de parler et
d'écrire le français ; ce sont des preuves véritables que nous en
trouvons dans l'étude que nous avons laite sur le verbe. Celle-ci
met en évidence quatre points, que révélerait également toute
étude générale sur l'anglo-français : d'abord l'unité de la langue
dans un ouvrage donné ; puis l'unité de la langue à un moment
donné; ensuite l'évolution réelle qu'on peut observer pendant les
trois siècles de son existence; enfin l'influence restreinte exercée
sur elle par l'anglais. Ces quatre points sont, croyons-nous, si évi-
dents qu'il pourrait sembler inutile d'y insister : nous en diront
cependant quelques mots.
INTRODUCTION III
L'unité de la langue dans un même ouvrage peut se remarquer
dans les textes anglo-français du xiv'^ aussi bien que dans ceux du
xii" siècle. Or, quand on écrit un ouvrage d'une certaine étendue
dans une langue qu'on ne connaît qu'imparfaitement, on n'y
observe pas constamment et d'un bout à l'autre le même usage :
telle forme qui aura tout d'abord paru correcte disparaîtra après
quelque temps pour faire place à une autre ; les formes fautives
arriveront, pour ainsi dire, par paquets, et la fin de l'ouvrage ne
ressemblera plus au commencement. Ceci ne se présente jamais ou
n'arrive que très rarement en anglo-français : la fin des Evangiles
des Dompnées, du Manuel des Péchés, de la Vie de sainte Agnès ne
difiere en rien, pour la grammaire, de leur commencement. On ne
saurait attendre cette unité d'un auteur écrivant une langue qu'il
sait mal.
Cependant, nous devons faire observer que deux ouvrages écrits
par le même auteur à quelques années d'intervalle nous montrent
parfois, au point de vue de la langue, des différences très marquées;
Miss Pope l'a observé dans les œuvres de Frère Angier, et nous le
montrerons, sur un point spécial, pour celles de Chardri. Nous
n'attribuerons pas ces changements à l'ignorance, mais nous y
verrons le premier caractère de l'anglo-français : c'est une langue
qui évolue très vite.
En second lieu, et comme nous le disions tout à l'heure, deux
auteurs contemporains écrivent sensiblement la même langue ; il se
peut que certains d'entre eux emploient des formes qui leur soient
particulières, d'après le degré d'exactitude de leur connaissance du
français. Nous ne nierons pas que ce que nous appelions tout à
l'heure le coefficient personnel n'ait son importance; mais ces par-
ticularités ne sont que de simples détails disséminés dans l'ouvrage,
parfois employés une fois ou deux seulement ; à tel point qu'elles
ne nous suffisent jamais pour nous permettre d'attribuer à un
auteur déterminé, avec tant soit peu plus de certitude que pour le
français continental, la paternité d'un ouvrage d'origine douteuse.
Tout écrivain employant une langue imparfaitement connue de lui
a ses fautes de prédilection auxquelles on peut le reconnaître et
ce fait est des plus rares en anglo-français.
Cependant, il nous faut avouer que la langue de certains auteurs
ne concorde pas exactement avec celle de leurs contemporains ;
IV INTRODUCTION
Adgar n'écrit pas exactement la langue de Thomas. Remarquons
cependant de quelle nature sont ces divergences : sur tous les points
où ces deux contemporains diffèrent, Adgar nous montre l'usage
qui est destiné à prévaloir quelques années plus tard. N'est-ce pas
dire que Thomas, comparé à certains de ses contemporains, écrit
une langue plus ancienne ?
C'est un fait bien connu que la langue littéraire à toutes les
époques est plus ou moins en retard sur la langue parlée ; ceci est
très marqué en anglo-français, et nous y trouvons le second carac-
tère de cette langue : les meilleurs auteurs emploient une langue
très teintée d'archaïsme.
-Que l'anglo-français ait subi une évolution, nous ne pouvons
pas en douter et nous espérons que notre travail le montrera plei-
nement ; pour être précis, nous dirons que nous entendons par
évolution un développement, qui peut être inégal et irrégulier,
suivant une ligne déterminée : tel changement se produit à une
certaine époque; il reparaîtra à l'époque suivante, il s'aggravera, et
se propagera. Cela peut s'observer constamment dans la conjugai-
son anglo-française. Si l'anglo-français n'était qu'une manière
incorrecte d'écrire le français, dont on cherche à atténuer les
imperfections, à la rigueur, on pourrait comprendre que certaines
formes fautives se répètent, mais non pas qu'elles montrent un
développement indépendant et à peu près régulier. Ajoutons que
cette évolution en anglo-français ne ressemble pas à celle que nous
montrent les dialectes du continent ; d'abord, comme nous
l'avons vu, elle est beaucoup plus rapide; surtout, elle est inégale.
La rapidité de cette évolution jointe à la tendance à conserver les
formes archaïques a eu une conséquence assez curieuse : celle de
maintenir en même temps des formes ayant les âges les plus
divers. Il en est résulté une confusion extrême, non seulement
dans les formes, ce qui est déjà grave, mais dans les sons. Et ceci
est un des caractères les plus importants de l'anglo-français : il nous
montre un mélange des formes de toutes les dates.
Enfin notre dernière raison pour ne pas accepter entièrement
l'idée de G. Paris, c'est que l'influence de l'anglais a été fort peu
importante ;nous n'avons pas relevé dans la conjugaison de trace de
cette influence ; la syntaxe a été un peu touchée, mais le nombre des
solécismes dus à l'anglais doit être fort restreint et appartenir à
INTRODUCTION V
quelques auteurs du xiV' siècle. C'est le vocabulaire qui a été le
plus profondément modifié par cette influence ; ceci a son impor-
tance, sans être extrêmement grave ; même après cet influx de
mots étrangers, l'anglo-français reste du français et resterait un
dialecte français s'il en avait été un avant. La proportion de mots
anglais en anglo-français doit être inférieure et de beaucoup à celle
qu'on trouve dans le canadien moderne.
Mais si l'influence de l'anglais a été minime, le fait que l'anglo-
français, coupé du continent, n'est pas resté en contact avec le
français populaire et parlé, a été pour lui gros de conséquences.
L'anglo-français a conservé la plus grande partie de son vocabu-
laire, les principales règles de la syntaxe française, une conjugaison
française ; en somme ce qui peut sembler l'essentiel de la langue
écrite. En réalité, c'est peut-être l'essentiel qu'il a perdu en per-
dant la prononciation française ; les sons ont dégénéré et se sont
confondus, les phonèmes ont pris dans plusieurs cas une valeur
arbitraire et cette confusion s'est fait évidemment sentir sur la con-
jugaison aussi bien que sur la forme même des mots. Et nous avons
ici le quatrième caractère de l'anglo-trançais, le plus important :
séparé du français vivant, il a perdu la notion de la valeur des sons
français.
Voilà donc d'après nous ce qu'est l'anglo-français ; une langue
avec son unité et son développement ; elle est caractérisée par la
rapidité de son évolution, le mélange qu'elle oflVe de formes d'âges
très diflérents et la confusion qu'elle a laissé s'introduire dans sa
phonétique. Nous attribuons la plus grande importance à. ce der-
nier caractère, non seulement à un point de vue général, mais spé-
cialement pour la question que nous allons traiter : la conjugaison.
Nous sommes persuadé que le plus grand nombre des phénomènes
qui vont nous occuper ont leur origine et leur explication dans la
phonétique.
*
* *
Les quelques pages précédentes que nous avons employées à pré-
ciser nos idées sur l'anglo-français ne nous semblent pas superflues.
En effet si cette langue n'est qu'une manière fautive de parler le
français, une étude générale sur la conjugaison est impossible et
VI INTRODUCTION
illusoire; impossible, car quel que soit le nombre des citations que
nous donnerons, nous n'épuiserons jamais le nombre des formes
réelles ou simplement possibles ; nous ne pourrions que dresser un
catalogue précaire de formes, toujours incomplet et toujours sujet
à révision ; illusoire, car à quoi bon essayer de donner une exposi-
tion méthodique de formes fautives qui, si elles ne sont que des
fautes, ne sauraient avoir d'âge spécial et ne pourraient s'exposer que
dans un ordre arbitraire ?
Si au contraire, comme nous le croyons et comme nous venons
de le dire, l'anglo-français a été une langue, d'un genre spécial,
langue littéraire avec son évolution et son usage propres, une telle
étude est non seulement possible mais utile. On parle constam-
ment de la « corruption » de l'anglo-français et ce terme est sou-
vent le seul qui puisse caractériser d'une façon adéquate l'état de la
langue qu'emploient certains auteurs. Mais dans une langue aussi ana-
lytique que celle-ci, les seules flexions un peu complexes qui restent
se trouvent dans le verbe ; aussi l'étude de la conjugaison doit être
le meilleur moyen que nous avons à notre disposition pour suivre
pas à pas les progrès de l'évolution et la marche de la décomposi-
tion.
Nous nous sommes servi pour le travail qui suit de deux sortes
d'ouvrages : les œuvres littéraires des xii% xiii'^ et xiv'^ siècles et les
textes qui n'appartiennent pas à la littérature, textes politiques,
diplomatiques, familiers, légaux (fin du xiii% xiv= siècle). La dis-
tinction entre ces deux catégories d'ouvrages est souvent délicate,
parfois arbitraire.
Dans l'étude des œuvres littéraires, nous avons recueilli deux
sortes de renseignements : les uns sur la langue des auteurs, les
autres sur celle des scribes. Pour arriver à une connaissance aussi
assurée que possible de la langue des premiers, nous avons évi-
demment suivi les règles de la critique textuelle, et nous n'admet-
trons aucune forme qui ne soit absolument assurée, quel que soit
le texte emprunté. Cela est si évident que nous ne devrions pas y
insister. Cependant c'est une faute plus commune qu'on ne le
croit et on en trouve des exemples jusque dans l'excellent travail
que M. Stimming a mis à la suite de son édition de Boeve de
Haumtone.
Non seulement nous ne nous fierons pas toujours aux éditions
INTRODUCTION Vil
imprimées, mais même, dans certains cas, l'accord des mss. ne
nous semblera pas une preuve suffisante de l'authenticité d'une
forme. Il arrive très fréquemment que tous les manuscrits donnent
une leçon qui n'a pas dû être celle de l'auteur : nous pourrions
en citer de nombreux exemples : en voici un aussi simple que
commun : il arrive que tous les mss. reproduisant un texte du
xii'^ siècle donnent la terminaison analogique en ei à certains impar-
faits de I ailleurs qu'à la rime ; dans ce cas, l'accord des mss., s'ils
sont tous postérieurs à la date à laquelle ei remplace ou dans ces
terminaisons, ne suffira pas à authentiquer cette forme; nous n'hé-
siterons pas à la rejeter si dans le poème, d'un côté noua pouvons
relever des imparfaits étymologiques de I qui ne sont pas douteux
de l'autre, si nous n'avons aucune rime qui nous montre les
mêmes imparfaits de I sous la forme analogique.
La probabilité en eifet est que tous les scribes ont remplacé dans
les mêmes conditions la forme moins commune par la forme plus
commune à leur époque. Il est vrai que tous les cas qui se présen-
teront ne seront pas toujours aussi clairs que celui-là. Nos meil-
leurs moyens de contrôle pour l'authenticité des formes de la langue
d'un poème resteront donc la prosodie : nombre des syllabes du
vers pour certaines formes, rimes pour les terminaisons. Mais nous
ne pourrons pas oublier que la versification anglo-française est un
instrument de contrôle fort imparfait : les vers sont de longueur
variable, et il pourrait nous arriver par une heureuse correction, de
rétablir un vers et une forme qui auraient été l'un et l'autre incor-
rects dans le poème original. Ensuite, comme l'a fait remarquer
M. Meyer, certains auteurs, pour satisfaire aux exigences de la rime,
ne reculent pas devant le barbarisme. Par conséquent une forme
isolée, même si la mesure du vers ou la rime semble l'attester, peut
nous être à bon droit suspecte.
C'est une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas hésité à
multiplier les exemples ; une forme qui semble assurée à plusieurs
reprises doit être sûre.
Ily a encore un assez grand nombre de formes que nous pour-
rons attribuer avec quelque certitude aux auteurs plutôt qu'aux
scribes, en vertu d'une règle que nous avons observée constamment
dans cet ouvrage; elle n'est pis d'une rigueur absolue et ne peut
s'appliquer que dans les ctudçs gérîérales; lorsqu'on sort des études
Vni INTRODUCTION
particulières, sa vérité nous semble évidente. La voici : une forme
ancienne peut toujours être reportée à la date de «la composition de
l'ouvrage, une forme moderne à celle du manuscrit.
Ceci laisse déjà à supposer que le nombre des renseignements que
nous recueillerons de la sorte sera assez réduit, et qu'ils ne nous
éclaireront jamais sur certains points (comme les syllabes proto-
niques). Sur ces points et sur plusieurs autres, la langue des
manuscrits, et pour la période postérieure à 1275 celle des textes
non littéraires, sont nos seules ou nos meilleures sources d'informa-
tion ; ici plus que jamais une très grande prudence sera nécessaire
et nous aurons surtout à nous garder des généralisations hasardées.
Nous avons pu remarquer bien souvent que plusieurs scribes, par
ignorance ou par mattention, peuvent commettre indépendamment
la même erreur sans que la forme fautive ait réellement pour cela
passé dans l'usage anglo-français. Ce ne sera guère que la répétition
d'une forme non assurée qui pourra nous convaincre de l'authenti-
cité de cette forme. Et ici encore, nous trouvons une nouvelle rai-
son pour multiplier nos exemples.
Ce n'est pas cependant que nous pensions devoir négliger les
formes isolées; les fautes même sont souvent significatives et nous
éclairent sur la valeur réelle de certaines formes en nous montrant
avec quelles autres on pouvait les confondre. Pour n'en citer qu'un
exemple Jean de Peckham écrit par ei;^ la première personnne des
prétérits en avi, ce qui nous montre qu'il ne faisait pas de diftérence
entre la désinence ai et celle par exemple des deuxièmes personnes
du pluriel à terminaison masculine. Les renseignements de ce
genre ne sont pas rares et nous les enregistrerons à titre d'indi-
cation.
Tels sont les principes que nous nous sommes efforcé d'appliquer
dans les pages qui vont suivre ; pour la langue des auteurs, nous
avons choisi nos exemples parmi les formes attestées par la rime ou
la mesure du vers en y ajoutant les formes anciennes, même quand
elles ne sont pas autrement attestées; pour la langue des scribes,
nous prenons celles pour lesquelles le désaccord des mss. nous
montre qu'on ne peut les attribuer à l'auteur et les formes nou-
velles dans certains cas, même quand l'accord des mss. semblerait
permettre de les faire remonter à l'auteur lui-même.
Pour nous garder contre les barbarismes que commettent les
Introduction ix
auteurs et les incorrections accidentelles des scribes, nous nous
sommes permis dans un grand nombre de cas de donner beaucoup
d'exemples ; peut-être nous est-il arrivé quelquefois d'en donner
plus que l'occasion ne le comportait.
Nous avons exposé assez brièvement ces quelques principes, non
parce que nous pensons que leur nouveauté rende une longue
explication nécessaire, ils sont moins originaux que prudents, mais
pour qu'on puisse connaître à l'avance le degré de certitude que pré-
sentent les formes qu'on va lire, et aussi pour qu'on apprécie la soli-
dité de la base sur laquelle repose notre travail.
Nous avons jusqu'ici considéré les œuvres non littéraires comme
ayant la même nature et la même autorité que les manuscrits des
textes littéraires, et en le faisant, nous avons semblé admettre que
ces deux catégories d'ouvrages sont écrites dans la même langue.
Cela n'est pas exact ; il y a entre la langue littéraire et la langue
politique, diplomatique et familière un certain nombre de diffé-
rences, qui d'ailleurs s'effacent à mesure qu'on avance dans le
xiv*' siècle, en raison de l'influence que la seconde a exercée sur la
première.
Nous ne pouvons pas insister ici sur ce qui distingue ces deux
branches de l'anglo-français ; nous verrons quelques-unes de ces
différences dans notre seconde partie ; aussi pour ne pas confondre
les formes provenant de l'une ou de l'autre de ces variétés de l'anglo-
français, nous avons pour chacun des points les plus importants de
la conjugaison consacré une étude spéciale aux textes littéraires et
aux textes non littéraires.
Notre ouvrage est divisé en deux parties de dimensions fort iné-
gales.
Dans la première, qui est la plus longue, nous retraçons l'évolu-
tion des formes du verbe; nous avons adopté pour ce sujet la divi-
sion traditionnelle : désinences personnelles, modes, temps. Cette
fiçon de diviser les formes du verbe n'est cependant pas très
logique ; dans les modes, par exemple, nous étudions des modes à
un temps (impératif, infinitif), et pour les autres modes un seul
temps de ce mode (ainsi, le présent pour le subjonctif). De plus,
nous avons souvent hésité sur la nature de certains phénomènes;
avons-nous un changement de désinence, ou un changement
particulier à un temps? Tel autre phénomène doit-il s'appliquer à
II
X INTRODUCTION
un mode tout entier, ou se limiter à un seul temps? Il n'est pas
toujours possible de le dire, et on verra peut-être que nous avons
dû trop souvent admettre des distinctions assez arbitraires.
Ce qu'on peut dire en faveur de cette division, c'est quelle est
assez commode et nous avouerons n'en avoir pas trouvé de meil-
leure.
Dans notre seconde partie au contraire, nous avons pu adopter
un ordre essentiellement logique ; nous y groupons les formes pour
les expliquer. Nous aurons donc à reprendre un certain de formes
parmi celles que nous aurons exposées dans notre première partie.
Nous espérons avoir réduit au minimum le nombre des répétitions
nécessaires. Ce plan nous aura permis de séparer les questions de
tait des explications parfois hypothétiques que nous leur donnons.
BIBLIOGRAPHIE
Nous n'avons pas l'intention de donner dans cette bibliographie
un catalogue complet de tous les ouvrages appartenant à la littéra-
ture anglo-française ; cependant, nous pensons qu'on y trouvera les
œuvres les plus importantes de la littérature française en Angle-
terre. Dans la liste qui suit, nous mentionnons d'abord la date à
laquelle nous plaçons l'ouvrage, puis l'auteur, connu ou probable, et
nous indiquons brièvement l'édition dont nous nous sommes servi ;
nous ajoutons les études particulières dont l'ouvrage a été l'objet et
que nous avons mises à profit ; certaines d'entre elles nous ont
rendu les plus grands services, mais aucune d'elles ne nous a dis-
pensé de recourir aux textes mêmes, chaque fois qu'ils étaient acces-
sibles et de faire nous-même pour chaque ouvrage notre étude sur
la Conjugaison.
Nous avons adopté, pour la plupart des textes, les dates générale-
ment admises, ou celles que les éditeurs leur ont données ; nous
ne les avons changées que dans un petit nombre de cas et pour des
raisons qui nous ont paru graves.
A. OUVRAGES LITTÉRAIRES.
1110. Philippe de Thaùn : Cumpoz (édit. Mail). — Études particu-
lières : Fenge, SprachlicheUntersuchung d.Reim. d. Comp. (Stengels,
Ausg. und Abhand.).
1121. Le Voyage de Saint Brandan (édit. Suchier, Rom. Stud. I ; ms.
de l'Arsenal, Auracher Ztft. II). — • Études particulières: Brekke,
Étude sur la Flexion. . ; Hammer, Die Sprache der A. n. Brandans-
legende ; Birkenhoff, Ueber Metrum und Reim (Stengels Ausg. und
Abhand.).
1130. Philippe de Thaûn : Bestiaire (édit. Walberg. Cf. Remania XXIX,
Zeitschrift XXV). — Études particulières : Herzog, Zeitschrift XXVI.
Tobler, Herrigs Archiv CV .
Ml BlBLlOGRAMllt
1150. Saint Alexis, niss. A et L (édit. G. Paris). — Études particu-
lières : i'orster uiid Kosclnvitz, Uehungsbuch. Cf. Rom. XXXI.
1145-1150. GeotîVoi Gaimar : L'Estorie des Engleis (Master of the
Rolls ; Sir Thomas Duffus Hardy). — Études particulières : P. Meyer,
Rom. XVIII; J. Vising, Étude... Cf. Kupferschmidt, Rom. Stud.
IV.
\'ers 1150. Élie de Winchester ' : Distiques de Caton (édit. Stengel ;
Ausg. und Abhand.).
1150? Psautier d'Oxford (édit. Fr. Michel). — Études particulières:
Meister, Die Flexion . . ; Koschwitz, Zeitschrift II ; Harseim, Vokalis-
mus und Konsonantismus.
Entre 1150-1160. Havelok (Master of the Rolls). Cf. Kupferschmidt,
Rom. Stud. IV.
Vers 1160. Psautier de Cambridge (édit. Fr. Michel). — Études parti-
culières : Fichte, Die Flexion.,; Schumann, Vokalismus und Konson-
nantismus. . .
1160-1170. Psautier d'Arundel (édit. Beyer, Ztft XI et XII).
1160. Adgar : Légendes de Marie (édit. Neuhaus). — Études particu-
lières: Rolfs, Rom. Forsch. I.
1160-1170. Thomas: Tristan (édit. Bédier, S. A. T.) — Études parti-
culières : Rôttiger, Der Tristan des Thomas.
1160-1170. Drame d'Adam ^ (édit, K. Grass). — Études particulières:
V. Merguet, Das Sprachgebrauch... Dramas Adam.
1160-1170. Lai du Chèvrefeuille (édit. Fr. Michel).
1160-1170. La Folie Tristan (Oxford) (édit. Bédier, S. A. T.).
1170. Sœur Clémence de Barking : Vie de sainte Catherine (édit. Jar-
nik).
1170. Quatre Livres des Rois (édit. Le Roux de Lincy). — Études par-
ticulières : Langstroff, Die Verbal Flexion,,; Merwart, Die Verbal
Flexion..; Plahn, Les quatre Livres des Rois; Schlôsser, Die
Lautverhâltnisse...
1170. Horn (édit. Brede et Stengel, Ausg. und Abhand.). — Études
particulières : Oskar Dahms, Die Formenbau...
1174-1183. Jordan Fantosme, Chronique (édit. Fr. Michel). — Études
particulières : Vising, Étude..; Hermann Rose, Ueber die Metrik...
(Rom. Stud. V).
Après 1170. Guillaume de Berneville, Vie de saint Gilles (édit. G. Paris,
S. A. T.).
1. G. Paris place cet auteur dans le second tiers du xii*^ siècle ; nous croyons
pouvoir préciser et le mettre vers 1150.
2. Ouvrage plutôt français qu'anglo-français, en dépit de certaines rimes.
BIBLIOGRAPHIE XIII
1175-1180. Benêt, Vie de saint Thomas (édit. Fr. Michel).
1185. Hue de Rotelande ' : Ipomédon (édit. Kôibing et Koschwitz). —
Études particulières: Kluckow, Sprachliche... Studien ûber Prothese-
laûs.
Fin du XII^ s. Renaut de Montauban (édit. Matthes, Jahrbuch fiir rom.
und eng. Lit.).
Donnei des Amants (édit. G. Paris, Rom. XX\').
Guischart de Beauliu, Sermon en vers (édit. Gabrielson).
Homélies (Zeitschrift I).
1190 ? Simon de Fresne, Roman de Philosophie (édit. Matzke,
S. A. T.).
Vie de saint Georges (édit. Matzke, S. A. T.).
Com. Xlir' s. Everart de Kirkham ^, Distiques de Caton (édit. Sten-
gel, Ausg. und Abhand.).
Psautier à rimes couées 3 (édit. Gœdicke).
1212. Frère An2;ier, Dialogues de Gréo;oire le Grand.
1214. Vie de Grégoire le Grand (édit. P. Meyer, Rom. XII).— Études
particulières : Tim. Cloran, The Dialogues of Gregory the Great;
Mildred K. Pope, Étude sur la langue de Frère Angier.
Vie de saint Osith (édit. Baker, Mod. Lang. Rev. M).
1210-1230. Chardri, Josaphat ; les Set Dormans; le Petit Plet (édit.
Koch). — Études particulières: Mussafia, Ztft. HI.
1230 ? Robert Grosseteste, Le Chasteau d'Amour (édit. Cooke, Carmina
Anglonormannica) .
1230. Denys Pyramus +, Saint Edmund (Master of the Rolls, édit. Tho-
mas Arnold). — Études particulières, G. Paris. Rom. VIII.
1230. Saint Laurent (édit. Sôderhjelm).
1230. Robert de Gretham, les Évangiles des Dompnées (ms. British
Muséum, Addit. 26773).
Après 1237. Edward le Confesseur >' (Master of the Rolls).
Vie en vers d'Edward le Confesseur (édit. P. Meyer, Rom. XL).
1. Nous conservons la date donnée par' G. Paris ; nous crovons cependant
qu'elle devrait être reculée d'une quinzaine d'années.
2. G. Paris fait d'Everard de Kirkham un contemporain d'HIie de Winchester :
en réalité il a dû lui être très postérieur.
3. Il faut reculer d'une cinquantaine d'années la date que Gœdicke assigne à ce
Psautier ; nous observons que M. Vising a fait la même remarque (cf. Romanis-
chen Jahresberichtes XII).
4. Nous n'avons pas cru pouvoir placer ce poème, comme l'a fait G. Paris, au
commencement dû dernier quart du xn*^ siècle.
5. La dédicace montre que le poème est postérieur à 1237.
XIV BIBLIOGRAPHIE
1230-1250. Saint Thomas ' (i^dit. P. Meyer, S. A. jT.).
Bocve de Hauintonc (édit. Stimniing).
Milieu du XIII^' siècle. Amadas et Ydoine (édit. Andresen, Zeitschrift
XIII).
Petite Philosophie (édit. P. Meyer, Rom. VIII, XV).
Le Roman des Romans (ms. British Muséum, Royal 20 B XI\').
Le Chevalier, La Dame et le Clerc (édit. P. Meyer, Rom. I).
Saint Auban (édit. Atkinson). — Etudes particulières : Suchier,
Ueber die... Vie de saint Auban.
Sermon en Vers, Deu le Omnipotent (édit. H. Suchier). — Études
particulières : BokemûUer, Zur Lautkritik der Reimpredigt.
Sardenai (édit. Raynaud, Rom. XI et XIV).
Aspremont (édit. Langlois, Rom. XII et P. Meyer, Rom. XIX).
Otinel (édit. Langlois, Rom. XII).
Manuscrit du Pèlerinage de Charlemagne (cf. édit. Koschwitz).
1256 ? The Songofthe Church (édit. Wright, Political Songs).
•1260 ? Saint Julien^ (ms. Brit. Mus., Old Royal 8 E XVII).
1260. William de Waddington, Manuel des Péchés (édit. Furnivall,
0. E. T. S.).
Fragments d'une traduction de la Bible (édit. Bohnardot, Rom.
XVI).
1265. Érection des Murs de New Ross (édit. Fr. Michel).
1267. Pierre de Peckham, Lumière as Lais (édit. P. Meyer, Rom.
VIII, XV et XIX).
1260-1280. Lament of Simon of Montfort (édit. Wright, Political Songs).
The Song of the Barons (ibid.).
Chermaus, Assumpcione Notre-Dame 3 (ms. : Brit. Mus. Cot.Dom.
A XI).
1. Nous reculons quelque peu la date que donne G. Paris.
2. Saint Julien. Nous conservons à ce poème le titre de Saint Julien qu'on lui
a donné à cause des premiers vers :
Ici comence un estoire,
De seint Julien la mémoire (cf. Rom., XXIX, 21).
Ce sont surtout des préceptes moraux et religieux écrits dans une langue assez
soignée^sous forme de dialogue entre saint Julien et son disciple ; la versification
est généralement correcte ; nous plaçons ce poème au commencement du dernier
tiers du xni<: siècle : la langue ne diffère que peu de celle de William de Wad-
dington.
3. V Assumpcione Nostre Dame Seinle Marie, par Chermaus. Nous avons ici un
poème fort intéressant et qui ne manque pas de mérites ; nous n'avons pas tou-
jours à nous louer du scribe du ms. Cotton Domitien A XI qui nous l'a trans-
mis ; la versification a dû être assez correcte :
BIBLIOGRAPHIE XV
Genèse Notre-Dame ' (ms. : Brit. Mus. Cot. Dom. A XI).
Plainte Notre-Dame^ (ms. Bodl. Greaves 51).
The Song of Derniod and the Earl (édit. Goddard Orpen).
Après 1274. Li Rei de Engleterre (Master of the Rolls).
1280-1300. Li ver deljuïse (édit. de Feilitzen, ms.Bibl. Nat. 19525).
Satire sur le siècle ' (ms. Brit. Mus. Royal, 20 B XIV).
Heures de la Vierge + (ms., Brit. Mus. Harléien 273).
Walter de Henley, Le Dite de Hosebondrie (édit. Royal Historical
Society).
Segnours, ore escotez, ke Dieus vus benve [bcncie]
Par sa mort(e) dolerouse kl nus dona la v\o.
Le nom de l'auteur nous est conservé dans les derniers vers :
Ma dame, a ton honur fet ai ceo [cette] chanceun
Jeo ay a noun Chermaus, n(e) ubliez mie mon noun.
Ce poème offre de grandes analogies avec le suivant et la Plainte Notre Dame,
1 . La Genèse Notre-Dame est un poème très intéressant qui ne manque pas de
valeur littéraire; c'est toute l'histoire sainte, Ancien et Nouveau Testament,
racontée très simplement et non sans émotion ; nous en avons une copie soignée,
comme pour le précédent, mais où les fautes sont encore trop nombreuses.
2. La. Plainte Notre-Dame présente des ressemblances réelles avec la Genèse et
surtout YAssiimpcione; nous ne serions pas étonnés si ces trois poèmes étaient
dus à Chermaus ; nous préparons d'ailleurs une édition de ces poèmes où nous
discuterons ce point.
5. La Satire sur le siècle est un autre poème de 1926 vers, qui a encore une
réelle valeur littéraire ; la versification n'est pas très correcte, ni la langue :
Oyez, Seignurs, sermun ;
Ne orrez si veirs nun.
Le siècle est alez
Tut turné a déclin,
Près est de la fin ;
Al oil le veez.
4. Les Heures de la Vierge sont écrites en vers assez corrects ; en voici un spé-
cimen :
64 r. Si Deu ne garde la meson.
En vein travaillent li mason ;
Si Deu de tôt nen est gardein,
Cil qe la gaite la garde en vein ;
En vein devant le jour levez
Qe le pain de dolour manges ;
Qant ses chers amis mort serrunt
Le héritage Deu avrunt.
Nous joindrons à ces Heures le Placebo en romance qui appartient à hi même
époque .
XVI BIBLIOGRAPHIE
Anonyme. Hosehondrie, Seneschaucie (édit. Roval Hist. Society ;
ms. Canibr. Univ. Ee, i, i).
Fin du XIIP siècle. LOrdie de Bel Eyse (édit. Wright, Political
Songs).
Miracle de sainte Madeleine (édit. Rom. XXII).
Saint Nicolas (édit. P. Meyer, Rom. IV).
Pronostics de la Mort (édit. P. Meyer, Rom. IV).
Poème allégorique (édit. Rom. XV).
Chansons anglo-normandes (édit. P. Meyer, Rom. IV),
Lai du Cor (ms. Digby 86, d'après l'édition de Wulft).
1292. Wil. Rishanger, Cronica et Annales (Master of the Rolls).
1300 ? Petite Sume des Set Pèches Morteus ' (Br. Mus. ms. Harléien
4657)-
Les xxxvi mestre folies ' (ms. Brit. Mus., Harl. 4657).
Antecrist ' (ms. Brit. Mus. O.R. 8 E, XVII).
Evangile de l'Enfance (édit. Gast, Die beiden Redaktionen... Mss.
Bodl. Selden supra 38 ; Univ. Camb. Libr. Gg, i, i),
1300-1310. Gautier de Bibblesworth, Manière de Langage (édit.
P. Meyer).
Le roman de Foulques Fitz-Warin (édit. Moland).
1301. Traillebaston (édit. Wright, Political Songs).
1303. Siège de Carlaverok (édit. Nicolas).
1307. Pierre de Langtoft, Chronique (Master of the Rolls, édit. Tho-
mas Wright).
1307-1308. Lamentations au sujet de la mort d'Edward I" (édjt.
Wright. Political Songs).
1310-1315. La Plainte d'Amour ^ (mss. Bodl. Rawl. Poetry 241; Brit.
1. Petite Sume des Set Pèches Morteus ; Les xxxvi vicstre folies ; Antecrist. Nous
mentionnons ces trois poèmes, non pas à cause de leur valeur littéraire,
qui nous a semblé nulle, mais parce que nous y avons trouvé la matière
d'observations importantes ou curieuses ; en particulier, l' Antecrist, écrit presque
en entier au futur est |^ une mine d'observations pour la forme de ce temps
au xive siècle.
2. Plainte d'Amour. Nous avions pris copie de deux des manuscrits de la Plainte
d'Amour avec l'intention de publier ce beau poème. M. J. Vising nous a devan-
cés et nous n^ avons pas à le regretter . Nous ne partageons cependant pas son
opinion sur l'auteur de ce poème ; la langue nous semble sensiblement plus
ancienne que celle du second tiers du xive siècle, et nous ne croyons pas Nicole
Bozon capable d'avoir écrit ce poème qui dénote un talent très supérieur à celui
de l'auteur des Vies des Saints et du Char d'Orgueil. Nous avions tout d'abord
placé ce poème vers 1280.
BIBLIOGRAPHIE XVII
Mus. Harl. 273). — Études particulières : Johan Vising, La Plainte
d'Amour.
1300-1330. Apocalypse (édit. P. Meyer, Rom. XXV).
Saint Paul (édit. P. Meyer, Rom. XXIV).
Vie de sainte Marguerite (édit. P. Meyer, Rom. XL).
L'Evangel translate de latyn en franceys ' (ms. Brit. Mus. Cet.
Dom. A XI).
Ms. de la Destruction de Rome (édit. Grôber, Rom. II).
Ms. des Règles de Grosseteste (édit. Royal Historical Society,
Bodl. Douce 98).
De Conjuge non ducenda (édit. Wright, Latin poems commonly
attributed to Walter Mapes).
Vers 1330. Nicole Bozon, Contes (édit. P. Meyer, S. A. T.).
— De la Bounté des Femmes.
_ _ Vies de Saints ^ (Brit. Mus. Cot. Dom. A XI).
_ _ Vie de saint Paul l'Ermite (édit. Baker Mod.
Lang.Rev.).
— Vie de saint Panuce (édit. Baker).
__ Vie de saint Richard de Cicestre (édit. Baker,
Rev. des Langues Romanes, LUI).
_ _ _ Le char d'Orgueil (ms. Brit. Mus. O. R. 8 E,
XVII; Bodl., Bodley425)-
_ _ — Geste des Dames î (ms. Brit. Mus. O. R. 8 E,
XVII).
Proverbes de Bon Enseignement 4 (mss. : Brit.
Mus., Old Royal 8 E XVII; Arundel 507; Harléien 957; Addit.
22283; Bodléienne, Selden supra 74; Rawl. Poetry 241; BodJey
425 ; Bodley 761).
Vers 1330. La Passioun Notre Seignour 5 (ms. Brit. Mus. Harl. 2253).
1. VEvangel translate a certainement plus de mérites que l'Antecrist ; nous le
plaçons au commencement du xive siècle, car la langue rappelle celle de l'Apo-
calypse.
2. Nous désignerons par Vies de Saints et l'indication d'un folio les exemples
que-nous avons tirés de la Vie de Marie Madeleine et de celle de sainte Agnès que
nous trouvons dans le ms. Cotton Dom. A XL
3. Pour la Geste des Dames, cf. Rom. XIII et XXIV.
4. Les Proverbes de Bon Enseignement ne sont peut-être pas de Nicole Bozon ;
M. P. Meyer a signalé sept mss., nous en avons découvert un huitième. Nous
avons déjà copié ces huit manuscrits et nous donnerons sous peu une édition de
ce poème.
5. La Passioun Notre Seignour. Ce poème sur la Passion, d'environ 2.000 vers
donné par le ms. Harléien 2255 (cf. Lgerton 2710) doit appartenir à la seconde
XVIIl BIBLIOGRAPHIE
1334. Nicolas Trivet, Chroniques (ms. Brit. Muséum, Arundel s6).
1350 , Poème religieux ■ (ms. Royal 20 B, XIV).
1385. Le Héraut Chandos. Poème du Prince Noir (édit. Mildred K.
Pope). — Études particulières : Johan Kôtterit7-Sprachliche und text-
kritische Studien.
1397. Worcester Ms.
La liste des ouvrages que nous venons de donner ne prétend pas
être un catalogue complet de la production littéraire anglo-française
de riio à 1400; il y a un certain nombre de textes, imprimés ou
manuscrits, que nous avons consultés et que, pour une raison ou
pour une autre, nous n'avons pas mis à profit dans notre étude, ni
cités dans notre bibliographie.
Nous n'avons pas du reste accordé la même importance ci tous
les ouvrages qui précèdent ; ils nous ont tous servi, mais notre
effort a surtout porté sur un certain nombre d'auteurs ou d'ou-
vrages que nous considérons comme des points de repère, des
centres autour desquels on peut grouper la production littéraire
anglo-française, et qui représentent mieux que tous les autres l'an-
glo-français à ses différents moments. Ces ouvrages significatifs
sont :
moitié du xiye siècle. Il est possible que le scribe doive être tenu pour responsable
d'un certain nombre de formes fautives que nous rencontrons dans ce poème ;
en voici les derniers vers (33 v.) :
De coe devum requere la sue pite
Al nostre cher seignur qui maint en trinite
Tant cum nus sûmes el secle, si poums reclamer.
Icoe si nus otreit li parmanables Deus
Qui fist home e feme, cel e terre e mer.
[. Poème Religieux. Nous avons étudié ce poème en lui donnant la date du ms.,
car nous n'avons pas pu lui assigner une date même approximative ; il est écrit en
vers de 12 syllabes, et à certains points de vue il rappelle la Plainte d'Amour et
semblerait appartenir au commencement du xivc siècle ; d'un autre côté, il con-
tient beaucoup de formes qui sont certainement de la seconde moitié de ce siècle ;
nous n'emprunterons que fort peu d'exemples à ce poème. Voici les vers du début
(65 V.) :
Queor ke tut volt aver si ke ren ne li faille
Si aprenge d'amer chose ke dure e vaille ;
Li grain prenge a sun oes, a vein queor lest la paille
Le noel a sei gart, e jet al fu l'escaille.
BIBLIOGRAPH lÉ XIX
Pour le commencement du xii^ siècle^ le Cumpoz et le Bes-
tiaire ;
Pour le milieu de ce siècle, l'Estorie de Gaimar, en établissant le
texte à l'aide des variantes, ce qui est ordinairement assez facile ;
Pour la période 1160-1180, les Psautiers, le Tristan de Thomas,
la Vie de sainte Catherine à cause de la régularité de la versifica-
tion, et les Quatre Livres des Rois ;
Pour la fin de ce siècle, la Vie de saint Gilles et l'Ipomédon.
Les poèmes de Frère Angier et ceux de Chardri (en corrigeant
pour ce dernier le texte de Koch) nous donnent une excellente
idée de la langue du commencement du xii^ siècle.
Avec les Evangiles des Dompnées, nous trouvons la langue du
commencement du second tiers du xii'' siècle, et celle du milieu de
ce siècle dans le Saint Auban.
Le Manuel des Péchés de William de Waddington est le meilleur
modèle que nous ayons de la langue du commencement du troi-
sième tiers de ce même siècle, et le poème de Dermod, du qua-
trième quart.
Pour le commencement du xiv^ siècle, nous avons choisi le
poème de l'Apocalypse ; le nombre considérable des ouvrages de
Nicole Bozon nous permet de nous faire une idée aussi adéquate
que possible de ce qu'était l'anglo-français vers 1330, et le poème
du Prince Noir avec le Worcester manuscript nous fait connaître la
conjugaison à la fin du xiv^ siècle.
Ce n'est pas seulement à cause de leur valeur intrinsèque que
nous avons mis à part les quelques ouvrages précédents pour en
faire la base de notre travail ; nous avons été guidés dans notre
choix par une autre considération des plus importantes : celle des
dates.
Il était indispensable que nous eussions un certain nombre de
points de repère absolument assurés et assez rapprochés les uns des
autres, auxquels nous puissions rapporter les principales formes
nouvelles. Nous les avons trouvés dans les ouvrages que nous
venons d'énumérer ; il en résulte que la date des autres textes n'a
plus qu'une importance relative, les exemples qu'ils nous offriront
ne devant servir qu'à appuyer ceux que nous aurons rencontrés
dans l'autre classe de textes : pourvu que les ouvrages les moins
importants appartiennent approximativement aux dates que nous
XX BIBLIOGRAPHIE
leur avons assignées, nous sommes sûrs de ne pas commettre d'er-
reur grave. C'est ce qui nous a permis de faire entrer en ligne de
compte les textes manuscrits que nous avons cités et dont les dates
ne sont pas très assurées, en admettant même que nous ne nous
soyons pas parfois gravement trompé dans notre chronologie.
Nous ajouterons un mot sur notre façon de citer : pour les
œuvres en vers, nous donnons le numéro du vers ; nous donnons
pour les exemples que nous tirons du Voyage de saint Brandan la
leçon du ms. de Londres (Suchier) et celle du ms. de l'Arsenal
(Auracher) ; pour les ouvrages dont nous n'avons que de mauvaises
éditions, ils sont nombreux, l'Estorie des Engleis, la Chronique de
Fantosme, les poèmes de Chardri, nous nous sommes efforcé
de rétablir le texte exact, et cela n'a pas été une des moindres
difficultés que nous ayons rencontrées . Pour les ouvrages dont les
vers ne sont pas numérotés (comme la Chronique de Pierre de
Langtoft) nous donnons d'abord la tomaison s'il y a lieu, puis la
page, enfin le numéro du vers dans la page. Pour les œuvres en
prose (Foulques Fitz Warin), nous n'avons donné que la page,
excepté pour les Psautiers et les Quatre Livres des Rois où nous
citons par livre, psaume ou chapitre, verset.
Nous avons vérifié, et à plusieurs reprises, les citations que nous
avons faites, cependant il est évident que quelques erreurs ont dû
s'introduire ; nous espérons qu'on tiendra compte du nombre con-
sidérable des citations pour nous pardonner les erreurs matérielles
qui se sont glissées dans cet ouvrage .
B. OUVRAGES NON LITTÉRAIRES.
a) Lettres.
Royal Letters, Henry III (R. S.), édit. Rev. W. W. Shirley.
Vol. II, 1249-1270.
Lettres de Rois (Documents inédits).
Vol. IL 1305-1396.
Royal and Historical Letters (R. S.), édit. F. G. Hingeston.
1399.
Lettres de Jean de Peckham (R. S,), édit. G. T. Martin.
1277-1289.
BIBLIOGRAPHIE kXJ
Literae Cantuarienses (R. S.), édit. J. B. Sheppard.
1312-1408.
Letters from Northern Registers (R. S.), édit. Rev. James Raine.
1270-1347.
b) Textes politiques, diplomatiques, etc.
Rymer's Foedera.
Vols. I, II, III, IV, V, VI (1256-1399).
Statutes of the Realm, dans les « Publications of the Record Commis-
sioners. »
Vols. I et II (1275-1599).
Early Statutes of Ireland, John to Henry \' (R. S.).
Vol. I, 1280-13 20.
Parliamentary Writs, dans les « Publications of the Record Commissio-
ners ».
Vol. I et II, 1280-1320.
The Acts of Parliament of Scotland, dans les « Publications of the
Record Commissioners ».
Vol. I.
(■) Documents des finances, municipaux et autres.
Liber Rubeus de Scaccario (R. S.), édit. H. Hall.
Vol. III, 1266-1325.
The Blacke Booke of the Admiralty (R. S.), édit. Sir Travers Twiss.
\'ol. I et II, 1291-1391.
Historié and Municipal Documents of Ireland (R. S.), édit. J. T. Gil-
bert.
Vol. I, 131 5.
Munimenta Gildhallae Londoniensis (R. S.), édit. H. T. Riley.
1. Liber Albus.
1280.
2. Liber Custumarum.
1280.
Munimenta Academica (R. S.), édit. Rev. H. Anstey.
1348-13 58.
Registrum Palatinum Dunelmense (R. S.), édit. Sir Ihomas Duflus
Hardy.
Vol. I, 131 1-13 14;
Vol. II, 1 234-1 316 ;
Vol. III, 1302-1338.
XXII BIBLIOGRAPHIE
Chartularies of St Mary's Abbey, Dublin (R. S.), cdit. J. T. Gilbert.
Vol. I.
Registrum Malmesburiense (R. S.), édit. Rcv. J. S. Brewer.
Vol. I et II.
(Chartularies of St Mary's Abbey, Dublin (R. S.) édit. J. T. Gilbert.)
Vol. I.
d) Annales monastiques contenant des documents en français.
Annales Monastici(R. S.), édit. H. R. Luard.
1. Annales de Theokesberia ;
1263.
2. Annales de Burton ;
1263.
3. Annales de Oseneia ;
1277-1347-
Chronica Monasterii Sancti Albani(R. S.), édit. H. T. Riley.
1. Thomas Walsingham Historia Anglicana ;
1297.
2. Willelmi Rishanger Chronica et Annales ;
1259-1307.
3. Gesta Abbatum.
Vols. II et III 1298-1399.
Annales Londonienses.
1291-1330.
e) Autres annales.
/) Textes légaux.
Year Books (R. S.), édités par A. J. Horwood et par L. O. Pike.
15 volumes, 1 292-1 346.
Year Books (Selden Society), édités par Prof. Maitland.
9 volumes 1307-13 17.
Calendar of the Close Rolls (Calendars of State Papers), édités sous la
surveillance du Deputy Keeper of the Records.
1307 sqq.
Il nous resterait à citer deux catégories d'ouvrages : ceux qui
traitent de la conjugaison en français, soit qu'ils étudient toutes les
formes du verbe, soit qu'ils prennent pour sujet un mode, un
BIBLIOGRAPHIE XXII
temps, une désinence, une forme ; que le verbe soit spécialement
le but de leur étude, ou une partie seulement de leur sujet. Nous
avons contracté une dette immense envers tous ces auteurs, mais
leur nombre est tel que nous ne pouvons pas songer à les mention-
ner ici . On pourra voir dans les notes qui suivent chaque question
combien nous devons à cette catégorie d'ouvrages.
Nous ferons simplement remarquer ici que nous nous sommes
servi de la traduction française de l'ouvrage de M. Suchier sur les
Voyelles toniques, ensuite que par la Grammaire de M. Meyer-
Lûbke, nous entendons la traduction française de sa grammaire des
Langues romanes et par la Grammatik du même auteur, nous
comprenons son Historische Grammatik der Franzôsischen Sprache.
Il y a une autre catégorie d'ouvrages qui nous a été du plus
grand secours, nous voulons dire les études qui ont été consacrées
à l'anglo-français : tantôt des études générales, comme l'étude sur
le dialecte anglo-normand du xii^ siècle de Professer Johan Vising,
ou Laut- und Formenlehre der Anglonormannischen Sprache des
xiv. Jahrhunderts d'Emil Busch, ou l'Orthographia Gallica de
Stûrzinger. Plus souvent, ce sont des passages d'ouvrages généraux,
comme le Français et le Provençal de M. Suchier, les nombreux .
articles de M. P. Meyer que nous avons mis à profit ; plus sou-
vent encore les introductions où les éditeurs ont étudié leurs textes :
pour ce dernier genre de travail, nous ne pouvons pas passer sous
silence l'étude que M. Meyer a consacrée aux contes de Nicole
Bozon, ni le travail si riche que M. Stimming a mis à la suite de
son édition de Boeve de Haumtone.
Malgré notre désir d'avouer publiquement toutes ces dettes,
bien évidentes du reste, et de témoigner de notre reconnaissance à
tous ceux qui nous ont précédé et des labeurs desquels nous avons
profité, nous devons renoncer à les énumérer ici. Dans le corps de
cet ouvrage, et toutes les fois que l'occasion s'en présentera, nous
serons heureux de rendre à César ce qui appartient à César.
Saint- Andrews, mai 19 14.
Il me reste encore à remercier tous ceux qui m'ont facilité ce
long travail : M. Antoine Thomas tout d'abord, notre maître, dont
les conseils m'ont été si précieux ; ceux qui ont bien voulu revoir
X\|\ BIBLIOGRAPHIE
les épreuves de ce livre : M. L. R. Tanquerey, professeur au lycée
de Tulle, M. J. A. Videment, Lecturer à l'Université de Sheffield.
Mon dernier mot sera pour exprimer à ma mère toute ma recon-
naissance pour l'aide matérielle et morale qu'elle n'a cessé de me
donner et dont je puis seul apprécier toute l'étendue.
Lorient, juillet 1914.
Cet ouvrage a été imprimé pendant la guerre ; quoique mobilisé , je
n'ai pas voulu en interrompre l'impression. Aussi fai dû en corriger
hâtivement les épreuves pendant les loisirs que nie laissaient mes devoirs
militaires .
A bord du Tibre, Octobre 1^14.
PREMIERE PARTIE
Les Formes
LIVRE PREMIER
DÉSINENCES PERSONNELLES
CHAPITRE PREMIER
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER
La première personne du singulier, dont les désinences se sont
unifiées d'une façon si remarquable en français moderne, présentait
dans l'ancienne langue une assez grande variété de formes; il en
résulte qu'elle nous donne la matière de nombreuses observations.
Les différentes questions que les désinences de cette personne sou-
lèvent sont: a)rt'; b) 1'^; c) la gutturale; d) les terminaisons en
-eie; e) les terminaisons en -ai.
a) L'^. — On sait qu'en français moderne l'c atone est la dési-
nence caractéristique de la première personne du singulier du pré-
sent de l'indicatif des verbes de la première conjugaison. Cet ^' se
rencontre en anglo-français, non seulement avec les verbes de I,
mais, plus ou moins régulièrement, à toutes les conjugaisons.
I. PREMIÈRE CONJUGAISON.
Étymologiquement, deux classes de verbes de I seulement pré-
sentaient dans l'ancienne langue une désinence en e atone : d'abord
ceux qui se terminaient par un groupe de consonnes impossibles à
prononcer, comme iitr (d'où j'entre) ; ensuite ceux qui en latin
étaient accentués sur l'antépénultième (comme diibito, je doute).
Ce second cas se ramène naturellement au premier; car si le verbe est
accentué sur l'antépénultième, la chute de la voyelle pénultième
produit un groupe de consonnes nécessitant un e d'appui. Ce
groupe, il est vrai, s'est réduit de bonne heure ; double a rapidement
passé à Jo///t'; néanmoins, en français, le souvenir confus de l'ori-
gine de cet e final le maintint assez longtemps après qu'il eut
perdu sa raison d'être. Dans le français continental du reste, cet ('
muet disparaît totalement pendant un certain temps et les verbes
4 l'évolution du verbe en anglo-français
accentués sur l'ainépénultième subissent, par la suite, le même
traitement que les autres verbes.
Le français s'est implanté en Angleterre à une époque où les e
analogiques à la première personne du singulier étaient extrêmement
rares, sinon absolument inconnus. Par conséquent, rien de plus
naturel que de supposer que les premières œuvres anglo-fran-
çaises n'oftTent que des désinences régulières à cette personne.
Ce n'est cependant pas ce qui s'est produit : dès les premières
années du xii"" siècle, nous trouvons au moins un auteur qui
emploie à Toccasion la forme présentant une muette irrégulière.
Tous ses contemporains cependant ne nous montrent que des
formes étymologiques et pendant environ un demi-siècle les
exemples que nous fournit cet auteur demeurent uniques ; cette
inconsistence est tout à fait caractéristique de l'anglo-français.
Pendant cette première période (iiio-iiéo) de l'anglo-français
par conséquent, nous rencontrons un seul auteur irrégulier et un
grand nombre d'autres qui n'emploient jamais que les tormes éty-
mologiques. Nous ne citerons aucun exemple tiré des ouvrages de
ces derniers : il serait oiseux de faire une énumération de formes
parfciitement naturelles et qu'on pourra trouver dans les études de
détail consacrées à chacun de ces ouvrages. Nous ne ferons d'excep-
tion que pour l'Estorie des Engleis de Gaimar: dans ce poème les
formes étymologiques sont fréquentes et assurées par des rimes ou
la mesure des vers. On y trouve aussi, semble-t-il, quelques formes
irrégulières (cf. aux vers 688, ^698, 4974); mais aucune d'elles
n'aurait pu subsister dans un texte critique. Dans chacun des cas
que nous avons rencontrés, il suffit de supprimer Ve introduit par
le scribe ou par l'éditeur pour rétablir la mesure du vers ; par
exemple on doit lire au vers 688 :
Bien le vus jur, sil vus affi et non jure.
On pourrait facilement relever plusieurs autres exemples ana-
logues dans ce poème. Parfois il faut adopter pour rétablir la forme
régulière, la leçon de certains manuscrits, leçon rejetée par l'éditeur.
C'est ainsi qu'on lit au vei's 3698 :
U io ne note nule bealte
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 5
alors que les trois autres manuscrits D, L & H donnent la leçon
correcte :
U il n'en ot nule bealte.
A côté de ces formes corrompues par les scribes, nous en trou-
vons un nombre considérable de régulières (cf. à la rime, afi 668,
4355;/)^;w 1143, 2301 ; et 711, 2761, 4907, 6030, 6034 et plu-
sieurs autres; et dans le corps des vers 669, 707, 4618, 6298).
Il en va de même d'Elie de Winchester qui, dans ses distiques de
Caton, nous offre plusieurs exemples de formes régulières comme
enort (mort) au vers 174.
Tous ces ouvrages que nous pourrions citer nous représentent
aune exception près, la totalité des œuvres antérieures à 11 50, et
Ton voit qu'ils montrent tous la plus grande régularité ; il fallait
évidemment une ombre à ce tableau et c'est le Voyage de saint
Brandan' qui la donne. Quoique Fun des premiers ouvrages anglo-
français, ce poème nous présente un cas indiscutable de la forme
analogique, et c'est le plus_ancien exemple que nous ayons de cette
forme". Cet exemple ce trouve à la rime du vers 1302; on y voit
Jt';;w/;/^' rimer avec />m/6'. Cette rime se trouve dans le manuscrit
de Londres et dans celui de l'Arsenal. Dans ce même poème on a
encore relevé une autre rime très discutable aux vers 1451-1452 :
lie (: nie).
M. Willenberg a fait fort justement observer que cet exemple
n'a aucune valeur probante si ;nV = nego; cet f apparaissant dans
une interrime peut provenir de l'ignorance ou de la négligence du
scribe. Mais M. Willenberg a tort de croire que la présence de 1'^ irré-
gulier est mieux établie si nie est un présent du subjonctif. Nous
verrons plus tard que, pour les verbes de I, la première personne
du singulier de ce temps a conservé longtemps, en tous cas pen-
dant les trois premiers quarts du xii^ siècle, la forme régulière sans
i.Nous verrons que sur bien des points le Saint Brandan se détache nettement
du croupe des ouvrages de son époque et qu'il annonce l'usage en honneur 50
ou 75 ans plus tard. Nous penchons à croire qu'il a été fortement remanie par le
scribe du manuscrit de Londres. Cette opinion est confirmée de tous points par
l'étude du manuscrit de l'Arsenal BLF 285,' publié au volume II de la
Zeitschrift.
6 l'évolution du verbe en anglo-français
atone. Il est donc difficile de ne pas admettre que dans cet exemple
IV de toutes façons et pour les deux verbes appartient au scribe.
Par conséquent nous ne pouvons retenir comme exemple de IV
analogique que la première rime du Voyage de saint Brandan que
nous avons citée. Mais jamais un exemple isolé n'a eu beaucoup de
poids, et nous pouvons conclure que pendant la première moitié
du xii" siècle les premières personnes de I sont toujours régulières.
Pendant la seconde moitié du xii'^ siècle et la première du siècle
suivant, la forme étymologique reste la règle chez tous les auteurs,
la seule employée chez la plupart. Les formes avec voyelle atone ne
se rencontrent que chez les auteurs qu'on appelle « incorrects ». Il
serait peut-être bon, maintenant que la question se pose d'elle-
même, de déterminer la valeur que nous attribuerons aux différents
témoignages et de dire quels sont ceux que nous considérons
comme les plus significatifs. Si, pour un point déterminé, les auteurs
« corrects » d'une période nous montrent tous le même usage,
nous en conclurons que cet usage représente la règle de la langue
littéraire ; si de leur côté les auteurs « incorrects » nous montrent
l'usage contraire, nous considérerons que c'est surtout le témoi-
gnage de ces derniers qu'il nous faudra examiner.
En effet, la langue des écrivains, même au moyen cage et surtout
en anglo-français, est toujours et jusqu'à un certain point archaïque ;
elle tend encore à le rester davantage, à proportion de la difficulté
ou de la rareté des échanges avec la langue populaire. Pour cette
double raison, les plus corrects des écrivains anglo-français, surtout
pendant la période dont nous parlons, nous donnent avant tout
des preuves de la vitalité des traditions littéraires au point de vue
de la langue. Ceux au contraire qui nous semblent incorrects, se
souciant moins ou incapables d'écrire comme le faisaient leurs pré-
décesseurs, reproduiront aussi exactement que possible l'usage
courant de leur temps, et c'est justement cet usage qu'il nous
importe de déterminer, s'il est possible de le faire.
La seule difficulté sera de démêler ce qui peut n'être qu'une
erreur individuelle, et nous sommes sûrs d'avance que ces erreurs
ne sont pas rares, des faits généraux.
Cela n'est pas toujours facile ; mais une particularité morpholo-
gique répétée dans quelques auteurs indépendants suffit pour indi-
quer une tendance assez générale. Si cette même forme est
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 7
employée à l'exclusion de toute autre par quelques auteurs, même
incorrects, c'est la forme qui tend à devenir habituelle et normale
à l'époque.
Nous aurons donc à examiner les auteurs corrects, sans attacher
une trop grande importance aux renseignements qu'ils nous four-
nissent, surtout sans fonder notre jugement uniquement sur les
indications qu'ils nous donnent; ensuite à voir si, chez les autres,
les formes avec e atone ont quelque généralité. Si elles en ont,
nous conclurons que ces désinences analogiques sont devenues à
l'époque que nous préciseront ces auteurs, la forme normale de nos
premières personnes du singulier, quelles que soient les conclu-
sions que les autres auteurs aient pu nous suggérer ; si elles restent
accidentelles, nous admettrons que la forme étymologique n'a pas
été déplacée.
De 1150 à 1250, ces auteurs corrects restent le majorité ; Adgar,
pour la question actuelle, en est au même point que Gaimar,
quoique ordinairement il représente un état de choses plus avancé.
Chez lui aucun e analogique qui puisse résister à l'examen (cf. I,
Eg. 19; VR 23 5;MX, 113; XVII, 516, 613; XXI, 87 ; XXVIII,
178).
Il en va de même, et cela est moins extraordinaire, pour le Tris-
tan de Thomas (31, 908, 1334), la Folie Tristan (84, 302, 334),
et le Lai du Chèvrefeuille. Les formes correctes sont les seules
employées par sœur Clémence de Barking dans sa Vie de Sainte
Catherine (cf. vers 47, 385, 647, 688), par Jordan Fantosme
(cf. les rimes des vers 343, 498, 1024, 1360), et dans le drame
d'Adam (cf. vers 85, 130, 136, 243, 402, 628). Elles sont moins
communes, mais toujours les seules dans le poème de Horn (cf.
vers 362, 565, 466, 729), et dans Haveloc (755, '^(>C).
Gaston Paris, dans son introduction à la Vie de Saint Gilles, cite
un certain nombre d'exemples de formes étymologiques dans ce
poème ; ainsi, nous n'avons aucune raison de retenir comme un
exemple provenant de Guillaume de Berneville de Ye analogique le
demande du vers 2041 où cette première personne précède un mot
commençant par une voyelle :
Jo ne dcmand(e) a cette feiz
Pour clore le xii^ siècle, nous trouvons Guischart de Beauliu qui
8 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
nous offre un nombre considérable de premières personnes régu-
lières, assurées, soit par la rime (cf. vers 145) soit par la mesure
du vers (cf. 524, 667, 1148, 1201, 1202, 145 1, lire à ce dernier vers
espoent).
Nous ne donnons aucun exemple tiré des poèmes de Simund de
Freine; on pourra les lire dans l'Introduction de M. Matzke'.
Dans chacun des trois poèmes de Chardri, les rimes sont fré-
quentes : devi)i ( : fin) au vers 359 du Josaphat ; cinuant ( : demein-
tenant) dans le même poème au vers 918 , cri rime avec « esbaï » dans
les Set Dormans au vers 1441 et peu s avec « sens » au vers 105 du
Petit Plet. Le même état de choses — ■ formes étymologiques fré-
quentes, formes analogiques absentes — se remarque dans le Saint-
Laurent % dans le Psautier à rimes couées (Harléien, 4070), dans le
Saint Julien ' même dans le Saint Auban^.
Dans la Vie d'Edward le Confesseur les premières personnes du
présent de l'indicatif des verbes de I, et elles sont nombreuses, sont
absolument régulières.
Translat y rime avec « barat » au vers 30 ; oi' avec « enclos » au vers
60 ; cunt avec « dunt » au vers 7 5, etc. ;la régularité d'autres formes
est attestée par la mesure des vers 350, 811, etc. Une seule
forme semble faire exception, au vers 711; on y lit en effet ciinte;
mais la voyelle finale est en hiatus, nous venons de voir au vers 75
la forme régulière; rien ne nous empêche donc, comme nous
l'avons fait pour la Vie de Saint Gilles, d'attribuer \'e final au
scribe.
Les exemples sont spécialement nombreux et assurés dans le
« Fragment d'une traduction de la Bible » publié au tome XVI de
Romania, p. 183, sqq. (milieu du xiii"^ siècle). On rencontre à
la rime dans ce fragment apel (: Israël) (vers 397); demand ( : grant)
au vers 44e ; y«r (: amur) au vers 526, tandis qu'on ne trouve
aucune première personne incorrecte ; la même remarque s'applique
à l'Assumpcion Notre-Dame de Chermaus ; voir par exemple
fol. 81 v°.
1 . Page xli.
2. Porpens ( : tens) ; comeni ( : Lorenz) 75 ; les {: après) 202 etc.
3. Pens (: tens) 65 ro ; 76 ro, etc. Assurés par la mesure du vers : coi'eit
67 ro ; pli 67 V'O; mervoil 69 ro; os 72 ro.
4. Devin ( : vesin) 68 ; teniiiii ( : enterrin) 1845.
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 9
Par conséquent, comme nous le disions tout à l'heure, entre
II 50 et 1250 nous trouvons un nombre considérable d'auteurs
qui n'emploient que les formes régulières à la première personne
du singulier du présent de l'indicatif des verbes de I.
Les Légendes de Marie, le Tristan, le Lai du Chèvrefeuille, la
Folie Tristan, la Vie de Sainte Catherine, Horn, la Chronique de
Jordan Fantosme, le Drame d'Adam, la vie de Saint Gilles, le Ser-
mon en vers de Guischart de Beauliu, les poèmes de Simund de
Freine, ceux de Chardri, le Saint Laurent, le Saint. Julien, la Vie
d'Edward le Confesseur, le Saint Auban montrent un grand
nombre de formes étymologiques et ne montrent que celles-là.
La longueur même de cette liste laisse à penser qu'il ne reste
que peu d'auteurs qui présentent Ve analogique entre 1150 et
1250. Et parmi les auteurs dont il nous reste à parler maintenant,
il y en a chez lesquels la forme incorrecte est extrêmement rare.
Le Psautier de Cambridge par exemple ne nous présente qu'un
seul cas d'c irrégulier, c'est le parole qu'on trouve à '1, i. Il en est
de même des Quatre Livres des Rois: cet ouvrage nous donne un
nombre considérable de tormes régulières — et une seule forme
analogique piie, l\\ 20; les Distiques de Caton d'Everart de Kirk-
ham nous fournissent encore (19, e) un exemple assuré de cette
forme ; prie ( : mie).
On serait très tenté de considérer cet e unique, de parole et de
prie, — comme de simple lapsus calami ou une mauvaise rime.
Cependant, après un certain intervalle, ce dernier verbe apparaît
de nouveau sous la forme analogique dans un auteur ordinaire-
ment très correct, Robert de Gretham . On pourrait presque clas-
ser celui-ci parmi les auteurs ne présentant jamais la forme analo-
gique ; dans ses Évangiles des Dompnées nous n'avons relevé qu'un
seul cas où la mesure du vers exige un e. C'est prie (59 r") ; ce
n'est peut-être qu'un vers faux, car on retrouve pri ( : respundi)
68 r°, et passim assez fréquemment. De plus le nombre d'exemples
de premières personnes régulières est considérable dans ce poème,
on trouve à la rime deinaut ( : cumant) m r°; glorifi ( : respundi)
68 r° ; ciuit ( : mund) 9 v° . Si nous passons maintenant aux
formes du corps du vers assurées par la mesure, nous nous trou-
vons en présence d'une liste beaucoup plus étendue : citons seule-
ment : aim 84 v° ; gel 34 r" etc.
10 L EVOLUTION DU VERBK EN ANGLO-FRANÇAIS
Les mC'mcs remarques peuvent être faites au sujet du Saint
Edmund ; un grand nombre de formes étymologiques sont assu-
réeb soit par la rime ou par la mesure du vers^ par exemple ciiiit
( :Edmunt) au vers 199; cornant (: avant) au vers 706, etc. Un
assez grand nombre à'e cependant se trouvent écrits. Quelques-uns
sont très évidemment dus au scribe ou à l'éditeur, par exemple
au vers 2917 qui donne recorde ( : morte) et où il faut lire record :
mort.
Dans d'autres cas la correction ne s'impose pas aussi nettement ;
ainsi on trouve au vers 3954 :
Cum jeo aime tant cum sei vifs.
Ici il est extrêmement probable qu'il faut lire:
Cum jeo aim tant cum scie vifs.
Dans les quatre ouvrages que nous venons de citer, il est possible,
sinon probable, que les quelques e analogiques qu'on rencontre sont
le résultat d'une simple négligence. Mais nous ne pouvons pas nous
débarrasser aussi facilement des exemples que nous rencontrons
dans le Psautier d'Arundel, les deux poèmes de frère Angier et dans
Boeve de Haumtone.
Dans le Psautier d'Arundel, les e sont assez communs : on trouve
fie (10. i) ; habite (22.9) ; ourc (27.2).
Nous n'avons dans les poèmes de frère Angier que deux exemples
de formes irrégulières, mais ils sont absolument certains : paise
(: mesaise) 11 v° a; revire (: dire) v° a.
En ce qui concerne Boeve de Haumtone, il est très difficile, peut-
être impossible, de dire avec quelque exactitude comment sont trai-
tées les personnes qui nous occupent ; elles sont écrites au moins
neuf fois sur dix avec 1'^' final ; mais la versification est tellement
irrégulière que nous ne pouvons tenir aucun compte delà longueur
du vers : de l'étude de la versification, cependant, nous pouvons tirer
deux conclusions, l'une positive, l'autre purement négative :
1° On rencontre, assez rarement toutefois, des premières per-
sonnes de I à la rime dans des laisses masculines : par ex. chaunt
(: combataunt) i^, coininand (: vaillans) 2401 ; dèmand (: devant)
^jij ; otriiÇ: devis) 3254, et quelques autres.
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER I I
2" Les premières personnes de ces verbes ne se trouvent jamais
à la rime dans les vingt laisses féminines.
Il y a donc présomption pour que eiin 689; niaiind, 64; qiiid
130 etc. appartiennent en propre à l'auteur de Boeve de Haumtone.
On trouve cependant dans cet auteur un nombre assez considérable
de cas où il semble que l'on doive pour la mesure du vers conserver
1'^; par exemple, affie 159, envoie 54, porte 112, ose 3759; et proba-
blement dans quelques autres cas encore. Mais nous sommes ici
dans le domaine de la conjecture.
S'il était loisible, dans une étude de la langue anglo-française, de
distinguer dès périodes clairement marquées, nous pourrions dire
que pour la question qui nous occupe nous arrêtons la première
période après Saint Auban. En effet, tous les ouvrages qui le pré-
cèdent et le Saint Auban lui-même ont un caractère commun :
c'est de ne présenter jamais ou de présenter très rarement Ve analo-
gique à la première personne du singulier du présent de l'indicatif
de I. Cette distinction cependant est tout arbitraire; lorsque nous
arriverons à l'étude de quelque autre point, nous verrons que cette
première période, qui montre une unité réelle pour la question qui
nous occupe maintenant, ne correspondra plus à la réalité et nous
aurions à tracer une nouvelle ligne de démarcation à quelque autre
moment de la littérature anglo-française. Nous pouvons cependant
admettre que tous les ouvrages de cette période ont au moins un
caractère en commun : celui de ne piésenter que très rarement Ve
analogique à la première personne du singulier des verbes de I.
En un mot pour résumer aussi complètement et aussi brièvement
que possible les résultats de cette étude, nous pourrons avancer les
points suivants :
1° La présence d'un e irrégulier est assurée, pour im petit nombre
d'exemples dans un petit nombre d'ouvrages : le Voyage de saint
Brandan (i cas), le Psautier de Cambridge (i cas), le Psautier
d'Arundel (3 ou 4), les Quatre Livres des Rois (i cas), les Dis-
tiques de Caton d'Everart de Kirkham(i cas). Frère Angier (2 cas),
les Evangiles des Dompnées (i cas).
2° Plusieurs cas assez douteux peuvent se relever dans le poème
de Saint Edmund et dans Boeve de Haumtone.
3° Si nous ne prenons que les formes assurées, nous voyons
qu'un seul verbe se trouve employé sous cette forme plus d'une fois :
12 l'Évolution du verbe e\ anglo-français
prie. Par la suite, nous pourrons observer pour ce même verbe une
très grande hésitation ; il apparaîtra tantôt sous la forme étymolo-
gique, tantôt avec Vc analogique. Les autres verbes ne se trouvent
employés qu'une seule fois. Un seul de ces derniers, fie, a un thème
vocalique ; les autres montrent un thème consonantique, et, pour
quelques-uns au moins, comme demainc, parole, on peut expliquer
leur forme par l'influence des verbes accentués sur l'antépénul-
tième.
4° Les dates de ces formes impliquent une nouvelle difficulté ; si
on attribue la rime du saint Brandan à l'auteur du poème, ce que
nous ne pouvons pas ne pas faire, puisque le manuscrit' de l'Arsenal
est d'accord sur ce point avec celui de Londres, nous devons admettre
que notre premier exemple d'un e incorrect remonte à 1120.
Remarquons que les exemples les plus rapprochés de celui-là lui
sont postérieurs de quarante ans (1160).
Si nous appliquons maintenant le principe que nous énoncions
tout à l'heure, nous dirons que l'exemple du Saint Brandan est une
irrégularité purement individuelle; en réalité, nous pensons qu'elle
diffère matériellement de celles qui suivent ; l'au-teur de ce poème a
employé la forme fémine pour demaine, sous l'impression que c'était
un verbe analogue à repaire, c'est-à-dire accentué en latin sur l'anté-
pénultième. Cette forme n'a donc été qu'une erreur personnelle, une
faute d'orthographe. Après 1 160, il n'en est pas tout à fait de même :
le nombre des formes nouvelles nous prouve que c'est une ten-
dance générale de l'anglo-français qui se fait jour. Les forces con-
servatrices, qui restent toujours puissantes en anglo-français,
empêchent les formes féminines de la première personne de se
généraliser, et, encore vers 1250, elles marquent une tendance plu-
tôt qu'un fait accompli.
Du reste l'absence de cet e est si bien établie et sa présence si
exceptionnelle que la consonne finale subit des modifications pho-
niques qui datent évidemment de la seconde moitié du xii^ siècle
au plus tôt. Les premières personnes évoluent comme si elles ne
devaient jamais prendre Ve. On trouve ainsi des cas de vocalisations
de 1'/ (par conséquent postérieurs à Gaimar), comme apeii qui se
lit dans le Petit Plet de Chardri au vers 439; ou de chute de Vu
finale : atoiir (tourner) au vers 1962 de la Vie de saint Gré-
goire, etc.
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER I3
Pendant la seconde moitié du xiii^ siècle et pendant tout le xiv^
le nombre des formes analogiques augmente et celui des formes
étymologiques décroît évidemment dans la même proportion.
Dans les auteurs immédiatement postérieurs à 1250 ces dernières
sont encore de beaucoup les plus nombreuses, et elles le restent
autant qu'on peut l'affirmer jusqu'à la fin du xiv^ siècle. Ce n'est
donc pas simplement au point de vue du. ntviihre des e analogiques
que cette seconde période se distingue de la première. Pour nous, la
différence réelle est la suivante : tandis qu'avant 1250 les auteurs qui
emploient les formes modernes restent l'exception, après cette date,
tous les écrivains (au moins ceux qui montrent un certain nombre
de premières personnes du présent de l'indicatif des verbes de I)
emploient un nombre plus ou moins considérable de formes analo-
giques.
De plus il semble ressortir de l'étude que nous avons faite que
pendant cette période, quelques verbes se montrent surtout sous la
forme ét3'-mologique, d'autres sous la forme analogique. Mais les
verbes qui se trouvent employés très souvent prennent indifférem-
ment l'une ou l'autre de ces formes ; et si certains verbes semblent
n'avoir que l'une d'elles, c'est probablement qu'ils n'ont pas été
assez communs à la première personne du singulier pour présenter
des exemples de l'autre. Ce n'est donc purement qu'une question de
hasard. D'autres textes pourraient nous suppléer les exemples qui
nous manquent. Il est donc inutile de chercher ici une progression
et un ordre quelconque; inutile aussi d'essayer de déterminer quels
thèmes sont affectés de Ve analogique plus communément que les
autres. Il n'y a pas eu progression, et par conséquent on ne peut
découvrir de loi. Nous ne tomberons pas dans la même erreur que
les grammairiens de l'Orthographia Gallica, qui voyant les pre-
mières personnes affectées d'un e dans certains cas, et dans d'autres
conservant la forme étymologique, ont voulu, sinon expliquer, au
moins donner des règles pratiques d'orthographe et introduire un
ordre même artificiel là où régnait la seule fantaisie; nous donne-
rons cette règle tout à l'heure, non pas à cause de son importance,
mais pour montrer combien devait être profonde la contusion qui
rendait de telles subtilités nécessaires pour les expliquer.
Cette confusion a commencé à régner vers 1250; nous avonsvai-
nement tenté de diviser le siècle et demi qui sépare cette date de la
14 l'évolution du verbe en anglo-français
fin de h littérature anglo-française et de trouver dans la dernière
moitié du xiir' siècle un peu plus de régularité que pendant le siècle
suivant ; nous ne pensons pas que l'étude des textes justifie une
pareille distinction.
Nous allons donc montrer que les mêmes verbes se trouvent
fréquemment pendant cette période sous l'une ou l'autre de ces
formes.
I. — Les verbes à dentale nous ont semblé tout d'abord conserver
assez exactement leur forme étymologique ; mais nous ne pouvons
voir dans la différence entre le nombre des formes sans e et celui
des formes avec e, différence assez minime du reste, que l'effet d'un
hasard.
Certains verbes de cette catégorie, parce qu'ils sont très fréquem-
ment employés, nous fournissent un nombre considérable de
formes correctes. Parmi ceux-ci, il faut citer en première ligne les
verbes qui proviennent de mander, le simple se rencontrant plus
rarement. Les deux verbes, coiiiniander et demander se rencontrent
très fréquemment sous la forme correcte jusqu'à la fin du xiv^ siècle.
Par exemple on trouve :
cornant (: enfant) dans la Genèse N*^ D^' 52 r° ; (: habitant) dans
l'Erection des Murailles de New Ross au vers 217 ; (:atant) dans les
Chansons anglo-normandes VI, i; (: maudiant) dans William de
Waddington au vers 1864.
demand (: avant) dans la Genèse 61 r° (ratant) dans les Chansons
VI, 2; (:combattant) dans la Plainte N^ D^ au vers 115 et dans Wal-
ter de Bibblesworth, 174.
Nous ne citons pas pour ces deux verbes d'exemple tiré du corps
du vers ou d'ouvrages en prose, on en trouve jusque dans
Foulques Fitz Warin, Pierre de Langtoft, les Proverbes de Bon
Enseignement et les Vies de Saints de Bozon ; mais l'irrégularité
de la versification ne nous permet pas d'arriver, à la certitude.
Certains autres thèmes à dentale montrent aussi une certaine
régularité : citons rapidement acort (: tort) dans The Song of the
Barons vers 40; record au vers 8770 du Manuel des Péchés, à la
rime du vers 41 de la Vie de Saint Panuce. Mais ils sont relativement
peu nombreux et les formes correctes sont assez rares.
Les thèmes vocaUques se trouvent aussi très fréquemment sans
Ve analogique, et comme précédemment ce sont surtout certains
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 15
verbes qui semblent garder avec une difficulté plus ou moins grande
la forme étymologique. Le premier de ceux-ci est « loer ».
On le trouve ' sous la forme lo, ho ou Ion dans un grand nombre
d'auteurs, par exemple dans l'Apocalypse a, 232 ; au vers 235 de la
Vie de Sainte Marguerite ; à la rime du vers 40 du Siège de Carla-
verok ; dans Pierre de Langtoft, I, 478, 15, à la p. 144 des Règles
de Grosseteste, etc.; on peut encore ajouter, dans les Contes de
Nicole Bozon, aux §§ 22, 129, etc.
Prier n'est pas moins commun, et nous nous contenterons de
donner pour la forme pri les exemples les plus récents. On la lit
dans Pierre de Langtoft très fréquemment, par exemple dans le pre-
mier volume aux pages 100 (vers 24), 118 (vers 4), 476 (vers 16)
et passim. Elle n'est pas rare dans les Règles de Grosseteste (cf.
p. 124) ; on la trouve dans les Vies de Saints de Bozon (95 r"), aux
vers 215, 268, 297 delà Vie de Saint Paul l'Ermite, et au vers 1293
de la Vie de saint Richard; dans le Prince Noir au vers 4142 ; dans
les Chroniques de Nicolas Trivet (Arundel 56) 47 r°. C'est donc,
pour ainsi dire, dans chacun des auteurs de la fin du xiv^ siècle que
cette forme se rencontre. Et nous trouvons encore un nombre rela-
tivement considérable de thèmes vocaliques sans Ye analogique :
def\ rime avec « repondy » (prêt.) au folio 104 v° des Vies de Saints
de Bozon, merci avec « servi «(part, passé) au vers 3833 du Prince
Noir, etc.
Enfin, il y a un nombre assez considérable de thèmes en r à
échapper à l'analogie, conjur au vers 9997 du Manuel des Péchés,
au vers 1420 de l'Apocalypse (a, 3 et 7); à la page 20 de Foulques
Fitz Warin. Quelques autres verbes sont moint souvent employés,
mais sont assurés sous la forme étymologique, par exemple aor qui.
rime avec « dolor » au vers 267 de la Vie de Sainte Marguerite, dcsir qui
rime avec « servir » au vers 155 de la Vie de Saint Panuce, de Bozon
et qu'on retrouve encore rimant avec «venir » au vers 198 de la Vie de
Saint Paul ; ou })iestir qui rime avec « azur » au vers 6 du Siège de
Carlaverok, etc.
Nous ne voudrions pas abuser des énumérations, mais quoique la
liste des premières personnes du singulier régulières que nous
venons de donner soit déjà longue, nous. citerons encore un certain
I . Nous ne citons que les formes assurées.
i6 l'évolution du verbe en anglo-français
nombre de formes dont nous rencontrerons les contreparties un peu
plus loin.
Le verbe oser se présente fréquemment à la personne qui nous
occupe sons la forme c)j- ; donnons quelques références pour cette
personne. On la rencontre à la rime du vers 6 de la Plainte d'Amour;
elle est assurée par la mesure du vers 24 de the Songof the Church,
du vers 69 de Traillebaston et se lit dans un grand nombre
d'exemples plus douteux.
Aifii et reclaiin sont employés aux vers 168-169 de la Vie de
Sainte Marguerite; paroi sq lit au vers 209 de la Plainte Notre-Dame;
conseil est rencontré au § 49 des Contes de Nicole Bozon. N'oublions
pas la forme doini, une des formes de la première personne du sin-
gulier du présent de l'indicatif du verbe donner ; on la relève dans
de nombreux passages de différents auteurs, tels que Foulques Fitz
Warin, p. 49, ou Pierre de Langtoft, Second Appendice.
Remarquons ici que nous n'avons guère donné que les exemples
assurés par la rime ou la mesure, quoique cela ne soit pas nécessaire
et qu'un exemple qui n'est pas assuré n'en ait que plus de valeur,
montrant que la forme qu'on signale a duré, non seulement jusqu'à
l'auteur, mais peut-être même jusqu'au scribe. Nous verrons tout à
l'heure dans un certain nombre de cas les scribes rétablissant
inconsciemment les formes originales que les écrivains avaient
abandonnées.
II. — Pour passer maintenant à l'autre côté de la question, nous
allons voir aussi rapidement que possible les verbes qui prennent Ve
analogique après 1250. Et cette revue somiriaire des formes nouvelles
de la première personne du singulier a un double objet : d'abord elle
montrera qu'aucun auteur, pour peu qu'il ait à employer ces pre-
mières personnes, n'évite entièrement les e analogiques; en second
lieu, que ce sont aussi exactement qu'on peut s'y attendre, les mêmes
verbes que ceux que nous avons énumérés dans les pages précé-
dentes, qui le prennent.
Rappelons tout d'abord que les huit exemples de formes modernes
antérieures à 1250 : parole, deinaiiic, ourc, revire, paise, habite, prie,
fie nous ont montré six thèmes différents (thèmes en /, //, r, s, t,
et thèmes vocaliques) et que quelques-uns de ces mêmes verbes ont
reparu au siècle suivant sous la forme étymologique.
La même variété ou la même incohérence, et à un plus grand
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER I7
degré, doivent se retrouver pendant les cent cinquante dernières
années de la littérature anglo-française.
D'après ce que nous disions plus haut, il est impossible de décou-
vrir de quelle façon IV analogique a gagné les différents thèmes ;
autrement dit, de distinguer les différents points où la contagion a
commencé; même, quoique nous puissions remarquer que certains
thèmes semblent plus aff'ectés que d'autres, nous ne pouvons légiti-
mement en rien conclure ; car ceux qui offrent le plus grand
nombre d'exemples, sont justement ceux qui se trouvent le plus
emploj^és, et sont représentés également dans l'autre classe de pre-*
mières personnes, celles qui conservent la forme étymologique.
Ici encore nous trouverons des verbes qui nous semblent employés
plus fréquemment que d'autres sous la forme analogique ; nous ne
pouvons trouver à ce fliit d'autre explication que l'emploi plus ou
moins grand de ces formes. Il est digne de remarque cependant que les
verbes à thème vocalique, nous fourni un grand nombre d'exemples.
C'est un verbe à thème vocalique prier, qui se trouve, comme nous
l'avons dit, très fréquemment sous la forme étymologique. Prie est
du reste assez rare; on en rencontre un exemple à la page loo de
Foulques Fitz Warin. D'autres verbes ont très régulièremment Ve,
comme le verbe affier; affie, forme que nous avons déjà relevée
dans le Psautier d'Arundel et dans Boeve de Haumtone, se lit dans
un très grand nombre de cas à la fin du xiii'= et pendant le xiV siècle,
au vers 15 de la Plainte Notre-Dame, au vers 354 de Dermod, à
la page 69 de Foulques Fitz Warin, au § 61 des Contes de Nicole
Bozon, et très fréquemment à la rime dans le poème du Prince
Noir : cf. les vers 710, 1080, 1528, 4056. Faisons aussi observer
que nous n'avons pas trouvé d'exemple de la forme correcte, après
1250, pour ce verbe assez usuel.
Les autres verbes à thème vocalique donnent moins d'exemples
que le verbe fier; nous avons rencontré certefie dans Pierre de Lang-
toft II, 206, 24; guye dans Foulques Fitz Warin, p. 71; rencye
au § 5 1 des Contes de Nicole Bozon : supplie au vers 3206 du Prince
Noir.
Faudra-t-il conclure que les verbes à thème vocalique prennent
l'c plus souvent qu'ils ne gardent la forme régulière ? ou devrons-nous
admettre que certains verbes de cette classe, prier par exemple, sont
plus, réfractaires à l'f que d'autres comme atfier ? Une telle conclu-
2
i8 l'évolution du verbe en anglo-français
sion ne nous semble pas bien assurée ; elle est cependant possible,
et il est certain que, jugeant sur les exemples que nous avons
recueillis, de deux verbes ayant des formes absolument analogues,
l'un prend ordinairement la terminaison moderne, tandis que l'autre
reste ridèle à la forme ancienne et étymologique ; et ce fait en soi
est assez curieux. On doit le rapprocher de la règle qui est donnée
par l'Orthographia Gallica (CO 65 et H 1 8) ; nous citons CO : Item
quando non expresse non ponitur signum (c'est-à-dire le pronom
sujet de la première personne du singulier) ante verbum, ut : vous
pry, tune/?;-}' vel m'^^y débet terminare in )'.
(CO 66). Item si signum expresse ponitur, tune y mutabitur in/
et addetur e corne je maffic, jeo vous prie. Et hec régula intelligi-
tur, ubi diccio terminatur in y, sed si terminatur in consonante,
non tenet régula, ut je vous iiiaiic.
Conséquemment, d'après ce ms., les verbes qui ont un thème
terminé par / prennent 6' lorsque le sujet n'est pas sous-entendu. H du
reste donne une règle absolument contradictoire : Et sachez qant
jeo est mis devant le verbe(s) ut hic : jeo vous pry, jeo mafy,
oustant le jeo escriverez i en lieu de y et joignez e à luy, come
vous prie, m a [fie, etc. Cette contradiction n'a d'ailleurs aucune
importance : cette règle, comme tant d'autres du même ouvrage,
est absolument fantaisiste et n'a été suivie par personne. Elle nous
montre cependant qu'au temps même où cet ouvrage fut composé,
la forme sans voyelle atone était considérée comme la seule régu-
lière pour tous les verbes de I. Seuls les verbes en /, pour des rai-
sons et dans des conditions qu'on ne comprenait pas pouvaient être
employés, tantôt avec, tantôt sans e.
La seconde partie de la règle n'a pas été mieux observée que la
première ; les thèmes consonantiques apparaissent très fréquemment
avec ïe analogique. En première ligne, nous devons citer les thèmes
sigmatiques et les thèmes à dentale; pour ces catégories de verbes
nous nous contenterons d'un petit nombre d'exemples.
Parmi les verbes à thème sigmatique, le verbe oser se rencontre
plus fréquemment que n'importe quel autre avec Ve analogique; on
trouve des exemples de ose pour ainsi dire dans chaque ouvrage,
par exemple dans la Plainte Notre-Dame au vers 53 ; dans Pierre de
Langtoft I, 204, 16; au § 61 des Contes de Nicole Bozon. Prise
est aussi commun, nous en relevons un exemple à la rime avec
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 19
bise au vers 377 de la Plainte d'Atnour ou au vers 1136 du
Prince Noir.
Le verbe laisser apparaît le plus souvent à cette personne sous la
forme laisse ; elle est assurée par la mesure du vers 5 3 du Manuel
des Péchés : à la page 32 du premier volume des Chroniques de
Pierre de Langtoft, vers 7.
Tels sont les verbes sigmatiques qui se rencontrent le plus sou-
vent, et il est probable qu'ils sont plus employés que n'importe quel
autre verbe de cette même classe. Pour ceux-ci, nous trouvons des
cas à'e analogique, mais ils sont isolés, comme le repose qui rime
avec chose au vers 2 de la cinquième Chanson publiée par
M. Meyer dans Romania.
Nous pourrions sans difficulté trouver un non.ibre probablement
plus considérable d'exemples pour les verbes dont le thème est ter-
miné par une dentale; citons seulement quelques verbes assez
employés comme couimandc qui se lit dans la Genèse Notre-Dame au
folio 78 v° ; au vers 56 de TOrdre de Bel Eyse (quoiqu'il soit écrit
à cet endroit comniand'), au vers 4135 du Prince Noir. Tous ces
exemples sont assurés par la mesure du vers. Citons encore quelques
autres formes qui se trouvent un peu moins communément, comme
présente qui rime avec attente au vers 3138 du Prince Noir (ici
encore le scribe du ms. Worcester, qui date de 1397, écnl présent^;
dans les Contes de Nicole Bozon, § 83, on trouve encore comité.
Mais ces deux derniers verbes et quelques autres ne se rencontrent
sous cette forme qu'assez rarement.
Parmi les autres thèmes consonantiques, on ne trouve pas
souvent de verbes qui apparaissent plus d'une fois avec Ve analo-
gique; cependant le verbe aûrer n'est pas très rare sous la forme
ailrc; on la lit dans le Dermod au vers 2980 où elle rime avec créa-
ture ; de même on la rencontre au § 80 des Contes de Nicole
Bozon et dans quelques autres occasions. Citons encore, parmi les
verbes ayant thème en r, plore qui se lit dans Pierre de Langtoft
(I, 240, 8).
Nous ne voudrions pas pousser trop loin une énumération qui
ne prouverait pas grand'chose de plus que ce que nous venons de
montrer ; il ne sera peut-être pas inutile cependant de montrer que
les autres thèmes verbaux se trouvent aussi représentés dans la
liste assez longue des verbes qui prennent cet e irrégulier. \oic\ un
20 l'Évolution du verbe en anglo-français
thème en ;// : aynie qu'on trouve rimant avec clayme, troisième
personne du singulier du présent de l'indicatif, au vers 673 delà
Plainte d'Amour, et qu'on retrouve encore au folio 14 v° de Nico-
las Trivet. Les thèmes en / simple et en / mouillée ne sont pas
rares sous cette forme ; on a parole au vers 298 de la Vie de Sainte
Marguerite, et iiierveille qu'on lit dans la Plainte d'Amour au vers
46. Les thèmes en n ne sont pas très communs, cependant nous
trouvons à citer jiuie au vers 10119 du Manuel des Péchés et corne
à la page 85 de Foulques Fit;; Warin.
Nous avons encore à nous occuper du verbe donner ; nous
citions tout à l'heure quelques exemples de la forme étymologique
ou plus exactement de la forme sans e, il nous reste à donner ici
quelques cas de la forme avec voyelle muette. Donne, donne ou
doine sont des formes très communes pendant la seconde partie du
xiii^ et pendant le xiv^ siècle ; nous en avons des exemples
aux vers 1012, 3080 du Manuel des Péchés, dans Pierre de Langtoft
(11,434, 34)' et^^-
Tronve au contraire est rare, nous n'en n'avons rencontré dans les
œuvres littéraires qu'un seul exemple ; il se lit dans les Contes de
Nicole Bozon au § 17.
Nous ne donnerons pas plus d'exemples de ces formes modernes;
celles que nous venons d'énumérer suffiront, croyons-nous, à mon-
trer que pendant le siècle et demi qui précéda la fin de la littérature
anglo-française, elles sont devenues assez fréquentes. Mais elles sont
loin d'avoir réussi à faire disparaître les désinences étymologiques.
Les écrivains de cette période ont emplo5'é indistinctement l'une et
l'autre de ces formes, mais de préférence ces dernières. Certains
verbes ont peut-être conservé l'une plus longtemps ou adopté l'autre
plus tôt, mais il est dangereux de vouloir trouver des règles que les
contemporains étaient incapables de découvrir eux-mêmes. Il est
facile peut-être d'expliquer pourquoi les deux thèmes consonantiques
qui se rencontrent le plus souvent sous la forme moderne sont les
thèmes à dentale et sigmatique.
Pour les verbes en /, l'analogie seule peut expliquer la présence
de Ve muet; il n'est nulle part moins nécessaire que là.
Dans les autres cas, 1'^ est plutôt phonique qu'analogique (voir
seconde partie, chapitre F').
Les œuvres non littéraires écrites en anglo-français ne présentent
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 21
pas un nombre très considérable de premières personnes du singu-
lier; il est évident que ces personnes trouvent difficilement place dans
une collection de lois, et nous aurons ici à nous passer presque
entièrement du témoignage ordinairement si précieux des Statutes.
Dans les Rymer's Foedera, nous pouvons cependant relever un cer-
tain nombre d'exemples, et en considérant l'ensemble des cas que
nous avons recueillis, nous voyons que les & analogiques sont rares
jusqu'en 1338. Avant cette date, les exemples de premières personnes
régulières sont assez communs : les thèmes vocaliques, comme pri
(1256,1, 589; 1278, II, 97; 1322, III, 924...), wwy (1278, II,
()~ . .?), enjranuchi {i2']'x,, II, 97. -Oj ^^s thèmes à dentale comme
o'raM»/(i273, II, 11; 1297, II, 769 et 773), olw;//// (1273, II, ri),
et quelques autres encore se trouvent sans la voyelle analogique.
Il en est de même des Parliamentary Writs et des rares exemples
que nous lisons dans les Statutes : dans les premiers de ces recueils,
nous avons relevé prl (1322, II, Appendice, page 196); graunt
(1315, II, 427) et quelques autres; dans le second, nous trouvons
dtym (1306, I, 249). Les documents historiques et municipaux
nous en ont donné quelques autres qu'il est inutile de citer ici. Le
seul cas d'un e irrégulier que nous rencontrions à cette époque se
trouve dans les Rymer's Foedera : c'est grante que nous trouvons
en 1327 (IV, 244). Comme on le voit, c'est fort peu, même si on
tient compte du nombre restreint d'exemples que nous fournissent
ces textes.
Disons aussi un mot de la littérature familière qui a sur ce point
une assez grande importance; nous y retrouvons à peu près le
même état de choses que dans les Rymer's Foedera. Les Lettres
écrites pendant le xiii'' siècle, comme celles de Jean de Peckham,
sont extrêmement correctes. Nous y avons relevé un nombre très
fort de premières personnes du singulier sans e qu'il est absolument
inutile de citer ici. La seule irrégularité que nous ayons notée,
c'est la forme prie qui se lit dans une lettre de 1280 (92), à deux
reprises. Les lettres qui ont été écrites pendant les premières
années du xiV siècle, comme celles que nous trouvons dans le
recueil des Litterae Cantuarienses, contiennent surtout des dési-
nences étymologiques; les autres restant exceptionnelles.
A partir du second tiers du xiv^ siècle, on remarque aisément que
tous les textes que nous venons de citer présentent un nombre beau-
22 l'Évolution pu verbe en anglo-français
coup plus considcrable déformes analogiques: ce caractère est abso-
lument général. Un seul texte de 1338 dans les Rymer's Foedera
(vol. V, page 46) en offre trois exemples: approve, /w> (pour lou),
ratifie; un autre de 1356 (vol. V, page 856), en montre quatre :
donne, quitte, relessc, jure. Les lettres enfin ne manquent pas de nous
donner un certain nombre d'exemples de formes analogiques à la
même époque :prie est employé fréquemment sous cette forme dans
les Litterae Cantuarienses, pcciisc se lit dans le même recueil, p. 865
à la date de 1360 ; il en va de même pour les lettres anglo-françaises
qui se trouvent dans les Documents inédits; on peut citer: prie qui
est d'un usage très fréquent (par exemple 1382, 231), envoie (it,^6,
-78)-
Par conséquent, il semble bien que les e analogiques, qui se
trouvent sporadiquement à la fin du xiii'' siècle ne deviennent assez
fréquents qu'au commencement du second tiers du xiv% en même
temps dans les textes officiels et dans la correspondance privée.
Dans les Year Books, les formes étymologiques et les formes
analogiques sont toutes les deux communes, et il semble que nous
ne pouvons tirer des nombreux exemples que nous avons sous les
yeux, que l'une des deux conclusions suivantes : ou les scribes (plus
exactement les étudiants qui ont recopié les Year Books) ont changé
le texte d'une façon qui ne nous laisse aucun espoir de retrouver
des traces assurées du texte original; ou bien que l'emploi ou le rejet
de Ve final dépendait uniquement de la fantaisie de l'écrivain. On
peut cependant être un peu plus précis. Dans les Year Books qui
vont depuis 20 et 21 Edw. I'""" jusqu'à i et 2 Edw; II (1292-1307),
les formes correctes sont en majorité ; on rencontre, ^ra;//, quit, pos,
cleyni, surtout ton ouhnu; les e deviennent plus nombreux dans 2 et
3 Edw. II (1308); le ms. Y (qui date de 13 12) en donne un assez
grand nombre d'exemples pour 3 Edw. II : pose, quide, etc. Enfin
13 et 14 Edw. 111(1339-1340), présente cet e à peu près partout.
Mais de toutes ces dates, il n'y en a qu'une d'assurée, c'est celle
du ms. Y. Le témoignage de ce manuscrit suffit du reste à nous
montrer qu'au commencement du xiV' siècle, les iormes analogiques
étaient fort nombreuses dans la langue légale.
Les renseignements que nous fournit l'étude des textes non litté-
raires, quoique peu nombreux, ont une certaine importance ; ils
viennent confirmer et, jusqu'à un certain point, corriger ceux que
nous fournissent les ouvrages littéraires.
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 23
Ils les confirment en nous montrant que IV analogique s'est géné-
ralisé indistinctement pour tous les thèmes des verbes et que, à une
certaine époque, les deux formes ont été employées par les écrivains
sans qu'il y ait pu y avoir pour eux une raison de préférer l'une à
l'autre.
Mais ils les contredisent sur un point au moins; il est évident
que dans les textes politiques, les formes originales de la première
personne du singulier des verbes en / se sont en somme mieux con-
servées que dans les œuvres littéraires. Pour ces dernières, le libre
emploi de Ve analogique remonte, d'après nous, à la seconde moitié
du xiii'^ siècle ; pour les autres, la confusion ne saurait remonter
plus haut que le milieu du xiV' siècle. A laquelle de ces deux sources
de renseignements devons-nous nous fier ? Il nous semble évident que
les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature nous ofl^rent les
meilleures chances de certitude. La corruption de la versification ne
nous permet pas de distinguer avec sûreté la part du scribe de celle
de l'auteur, et nous croyons devoir conclure maintenant qu'un cer-
tain nombre des exemples qui nous semblaient certains, non pas
ceux qui se rencontrent à la rime, mais ceux qui paraissent assurés
parla mesure du vers, doivent provenir des scribes et non des écri-
vains.
Nous résumerions donc ainsi l'histoire de Ve analogique à la
première personne du singulier du présent de l'indicatif des verbes
de I, en tenant compte des renseignements fournis par les deux
classes d'ouvrages que nous avons consultés:
1° Ve irrégulier apparaît probablement très tôt en anglo-français;
peut-être en 1120, certainement en 1160.
2*^ Après 1160 et jusqu'à 1250, les e analogiques restent rares et
limités à quelques auteurs; il y a une tendance évidente à introduire
l'atone à la première personne ; mais cette tendance est plus que
contrecarrée par l'attachement aux formes archaïques.
3° Entre 1250 et 1350, lèse irréguliers se multiplient dans les
ouvrages littéraires ; mais un assez grand nombre de ces formes doit
provenir, souvent en dépit des apparences, des scribes plutôt que
des auteurs.
4° Pendant la seconde moitié du xiv^ siècle, au plus tard, chaque
verbe de I peut prendre indifi'éremment la forme étymologique ou
la forme analogique.
24 l'évolution du verbe en anglo-françals
5° Les premiers exemples nous montrent que dès le début, cet e
s'est attaché à tous les thèmes ; il en va de même par la suite.
6'' Cependant, certains thèmes et certains verbes ont, semble-t-il,
montré une certaine préférence pour l'une ou pour l'autre de ces
formes, prier montre le plus souvent la forme originale, fier la
forme analogique. Il ne faut pas attacher une grande importance à
cette remarque.
Verbes de I proparoxytons.
Les proparoxytons latins de la première conjugaison prennent en
français un e muet qui a tout d'abord été un e d'appui ; par exemple
le repaire du vers 286 a du Roland, dans lequel la muette a dû faire
son apparition avant la chute de la dentale.
Nous ne dirons que fort peu de chose du traitement que cette
classe de verbes a reçu en Angleterre ; il ne saurait différer beaucoup
de celui qu'il a subi sur le continent.
Dès le commencement du xii^ siècle, il semble que le souvenir
de l'origine de la voyelle muette ait disparu chez les auteurs anglo-
français. \Je qu'on voit à un verbe comme repaire semble n'avoir
pas plus de raison d'être qu'il n'en aurait dans ai'ir par exemple ;
par conséquent, au commencement même de la littérature anglo-
française, on tend à traiter ces verbes comme tous les autres verbes
de I, c'est-à-dire à supprimer leur voyelle muette.
Les exemples que nous avons relevés ne sont pas très nombreux,
ils montrent dès le commencement, non pas que l'unification s'est
faite complètement, mais qu'elle est en voie de se faire.
C'est ainsi que nous trouvons dans le Saint-Brandan, au vers
1358, repair qui rime avec air (même dans le ms. de l'Arsenal);
cette même forme se retrouve au vers 302 de la Folie de Tristan
qui reproduit la même rime. D'autres verbes se trouvent employés
sous cette forme encore plus souvent que repairier, par exemple
désirer. Nous trouvons désir constamment : au vers 12 du Pro-
theselaûs de Hue de Rotelande, rimant avec plaisir dans Adgar
(IX, 113); avec suspir au vers 963 du Donnei des Amants; il
rime avec tenir au vers 631 du Tristan de Thomas. On
le rencontre jusqu'au xiv^ siècle; il rime avec venir au vers 198
de la Vie de Saint Paul (Bozon).
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 25
Il en va de même pour douter, qui est un des verbes proparoxy-
tons de I les plus employés. C'est ainsi que nous trouvons dans les
Dialogues d'Angier ci la rime dont : (tout), (120 v° b) ; ce verbe
se rencontre encore sous la forme <//// au vers 555 de Thomas, au
vers 647 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence de
Barking et au vers 837 du Josaphat de Chardri. Citons encore chiil
pour culche dans Tristan (au vers 547), pris dans la Folie (au vers
370) Toutes ces formes sont assurées.
Même les verbes terminées par g, comme juger, apparaissent
quelquefois sans leur f, ce qui, comme le fait remarquer M. Meyer
Lûbke, est rare : nous trouvons dans Adgar (XVIII, 10^) jiig; le
texte donne :
Jo juge kil est digne del faire
où il faut évidemment lire : jug ; cette même forme se rencontre
d'ailleurs dans les Quatre Livres des Rois, (I, 16, 7); citons encore
chaJeng au vers 252 du Protheselaus de Hue de Rotelande qui est
assuré par la mesure.
Au xii'' siècle, on trouve un petit nombre de ces verbes employés
avec Ye étymologique; mais il faut plutôt admettre que c'est une
irrégularité du même genre que celles que nous avons eu l'occasion
de citer pour les autres verbes de la même conjugaison, comme le
blâme restitué par M. Bédier au vers 149 du Tristan, ou des e qui
sont encore sentis comme des e d'appui comme damage (: éritage)
au vers 821 du Donnei, ou cz/i'o/jt' (: richoise) au vers 2150 de la
Vie de Saint Gilles. Tous les autres exemples nous montrant que
les verbes accentués sur l'antépénultième ne diffèrent en rien des
autres verbes de I.
Lorsqu'un e d'appui est inutile, ils conservent plus ou moins
longtemps la forme analogique (sans e). Certains d'entre eux se ren-
contrent très tard sans l'atone : par exemple désir qui se trouve dans
William de Waddington (au vers 8665). Nous le remarquons sur-
tout pour la première personne de cuider :on trouve quid au \ers
33 de The Song of the Church ; il rime avec petit au vers 93 de
l'Erection des Murailles de New Ross ; avec mardi au vers 7 de
The Lament of Simon de Montfort; avec rendi dans le Manuel des
Péchés au vers 4750 ; au vers 4 de Traillebaston ; on le trouve à la
page 82 de Foulques Fitz Warin.
26 l'évolution du verbe en anglo-français
Au commencement de la seconde moitié du xiii*-' siècle, certains
de ces verbes prennent Vc analogique plus ou moins fréquemment,
dans les mêmes conditions que les autres verbes de leur conjugaison,
comme cioiitc dans la Plainte d'Amour, vers 769, 800;
E jeo me doute de damage.
Mes jeo me doute de malcse.
dans les Heures de la Vierge, 89 r° et le Placebo, 69 r°, tous les
deux assurés par là mesure du vers; à la page 79 de Foulques Fitz
Warin, au vers 280 du Prince Noir. .., etc.
L'anglo-français diplomatique et légal ne diffère en rien de l'an-
glo-français littéraire sous ce rapport.
Autres conjugaisons.
Ce sont évidemment les premières personnes du présent de
l'indicatit des verbes appartenant à la première conjugaison qui
prennent 1'^'. Mais il n'y a aucune raison fondamentale phonique ou
morphologique pour que cet e n'atteigne pas les autres conjugaisons
aussi. Si présent et merveil prennent e, rien n'empêche que sent et
voil ne le prennent aussi. Et comme nous allons le voir, nous trou-
vons en anglo-français des exemples assez nombreux de ces per-
sonnes provenant de verbes de II, III, IV, ayant un e final exactement
comme les verbes de I.
Cependant, nous avons dit précédemment que cet e est à la fois
en partie phonique et en partie analogique. L'utilité phonique
de Ve est la même pour présent et pour sent ; mais les actions ana-
logiques sont beaucoup plus puissantes pour le premier que pour
le second. Non seulement présent subit l'influence des verbes de sa
classe qui avaient déjà régulièrement cet e, mais il semble que la
troisième personne du singulier de ce même temps a quelque
influence. En effet si, pour entrer, on dit j'entre et il entre, pour-
quoi dirait-on il appelle et j'appeu, pour appeler?
Pour les verbes de II, III, IV, au contraire l'analogie est beaucoup
moins forte, les troisièmes personnes du singulier n'ont pas d'c et
la seule influence extérieure qui puisse s'exercer sur eux provient
de verbes d'une conjugaison différente.
Ici donc Ve serait encore plus phonique qu'analogique et
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER
^i
ceci expliquerait en môme temps, pourquoi il y a des e à ces conju-
gaisons et pourquoi il n'y en a pas davantage.
En même temps, cela nous met sous les yeux la raison pour
laquelle cet e n'est pas devenu la caractéristique de la première
personne du présent de l'indicatif dans tous les verbes en anglo-
français.
Les premiers exemples de cet e irrégulier remontent assez haut
dans la littérature anglo-française, puisqu'on les trouve déjà dans le
Psautier d'Arundel : par exemple voisse (42, 2) pour vois (vado),
et venche (39, 8) de venio . Ils nous offrent à cette date reculéeun
exemple des deux sortes de verbes destinés à prendre le plus sou-
vent Vc irrégulier : verbes en 5 et ceux qui sont terminés par une
palatale.
Cependant, nous remarquons que ces exemples sont absolument
isolés à cette époque, et ceux que nous avons recueillis immédiate-
ment après ceux de ce Psautier appartiennent à la fin du xiii'' ou au
xiv^ siècle.
Foissc ne se retrouvera même qu'à cette dernière époque dans la
Chronique de Pierre de Langtoft (I, 180, 23 et pas si ni).
Nous en trouvons toutefois quelques autres qui sont à une
moins grande distance du Psautier d'Arundel ; et parmi les verbes
terminés par s, c'est le verbe faire qui est le plus souvent irrégulier.
Fas ou /(T/;^ ne disparaît jamais complètement, mais il doit céder
beaucoup de terrain h face ; notre premier exemple absolument sûr
se lit au vers 595 de la Plainte d'Amour où cette forme rime avec
chasse. Dans les autres ouvrages du xiii^ siècle, nous en relevons
plus d'un cas ; mais il est fort possible que le plus grand nombre
appartienne aux scribes du siècle suivant.
Par exemple, dans le poème que nous venons de citer, au vers lé,
il fimt lire fas avec le ms. Harléien ; il en va de même pour les
formes qu'on rencontre aux vers 3583, 2996 du Manuel des Péchés.
Au KW siècle, /cia' devient très commun : Pierre de Langtoft semble
se servir très fréquemment de cette forme (cf. par exemple II, 88,
27 ; II, 202, 9) ; on la rencontre encore au § 143 des Contes de
Nicole Bozon; au vers 33 de la Vie de Saint Panuce, du même auteur,
et en dehors de la littérature, dans les Rymer's Foedera (1274, II5
30; 1345, V,. 452 et /)âf5.f/w).
L'identité fa^^, ha:;^ a pu amener cette nouvelle identité /</a', hicce ;
cette dernière forme se trouve au § 143 des Contes de Bo/on.
28 I.'l^VOLUTIOM DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Nous ne trouvons aucun verbe terminé par s à prendre l'é aussi
fréquemment q\ie faire ; citons encore reconoise qui se lit dans les
Rymer's Foedera (1345, V, ^52).
Par conséquent cette classe de verbes ne nous offre pas des
exemples très variés. Il n'en est pas de même de ceux qui sont ter-
minés par une palatale. Le nombre des formes provenant de verbes
différents est ici considérable. Postérieurement au venche du Psautier
d'Arundel nous trouvons à la rime dans Boevê :• rmgke (: avaunte)
au vers 2945, (laisse en-anl^; il faut sûrement lire rend (: avant);
mais au point de vue du scribe (commencement du xiv'' siècle), la
rime est significative. Rengke se trouve encore employé en maints
autres endroits ; ainsi, dans ce même poème de Boeve, au vers
2458 ; dans Foulques Fitz Warin aux pages 41 et 54 et passim; au
§ 80 des Contes de Nicole Bozon. Tenir ne se rencontre pas si fré-
quemment sous cette forme, on peut citer toutefois îieuhe dans
Foulques Fitz Warin, p. 54 ; tiengè dans les Vies desSaints de Bozon,
au fol. lO-i r°. Marge n'est pas rare ; le plus ancien exemple que
nous en ayons se trouve au vers 719 du Saint-Emund, et n'est pas
sûr. Par conséquent tous les exemples précédents peuvent être rap-
portés sans hésitation au xiv^ siècle. (Cf. Palatale à la première
personne du singulier.)
Les thèmes à dentale, comme cela a lieu pour les verbes de L pren-
nent assez communément un e épithétique; citons rapidement /)cr^(^ au
vers 2604 de Boeve, mette au § 55 des Contes de Bozon ; promette, qui
est extrêmement fréquent dans les Traités de Rymer (1297, II, 766;
1308,111,68; 1327,1V, 244; 1345, V, 452; 1398, VI, 586; 1380,
VII, 245). Ce verbe, si fréquemment employé dans les Traités,
n'a qu'assez rarement la force étymologique (cf. 1297, II, 773).
Lorsque la première personne se termine par une lettre mouillée,
étymologique ou non, Ve est employé très fréquemment — au moins
pour certains verbes.
Les exemples toutefois sont assez rares pour 77 mouillée : nous
avons relevé deveygne dans Pierre de Langtoft, Serment de Jean
Balliol, II, 192, 3; le même texte dans Rymer a devien. Cet
exemple {deveygne) semble isolé. Il n'en va pas de même pour le
présent de l'indicatif de vouloir : voile est extrêmement répandu.
On trouve cette forme tout d'abord au vers 1484 de Boeve, au
fol.78r° de la Genèse Notre-Dame, au fol. 81 v" del'Assumpcionede
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 29
Chermaus ; puis dans l'Apocalypse : a 208 (à côté du reste de voil,
vuil 3 et Y, 548). Puis elle apparaît encore dans Pierre de Langtoft,
II, 330, 9, etc.; Bozon l'emploie souvent, par exemple dans le
deuxième Appendice de Pierre de Langtoft, II, 444, 27. Enfin on la
trouve à la rime avec « toelle » dans les Vies des Saints du même
auteur ^)t, r°. En dehors de la littérature, les traités de Rymer
nous en offrent de nombreux exemples (1273, II, 11).
Les autres thèmes consonantiques prennent très rarement cet e ;
donne qui est employé au fol. éo v° du Placebo en romanz, de
même que requere et requirt, qui se lisent dans les Literse Cantua-
rienses (respectivement 1323, 112 et 1326, i7i)sont des exceptions.
Dans tous les exemples que nous avons cités jusqu'ici, Ve peut
être considéré comme jouant le rôle d'un e d'appui, en étendant
quelque peu la signification de ce terme. Il nous reste à voir main-
tenant un certain nombre d'e irréguliers, auxquels cette explication
ne saurait s'appliquer. Ce sont ceux qui suivent certains radicaux
vocaliques. Quelques verbes n'en sont que rarement affectés comme
veye = video qui se lit au fol. 78 r° de la Genèse Notre-Dame ou
treye de traire employé par William de Waddington au vers 17 18
du Manuel des Péchés. Il y en a au contraire un qui, à partir d'une
certaine date difficile à déterminer, mais ne pouvant pas être posté-
rieure au commencement du xiV siècle, se rencontre presque tou-
jours avec cet c : c'est le verbe dire. Nous trouvons très fréquem-
ment die à la rime, dans Pierre de Langtoft (cf. par exemple I, 50,
6; l, 128, 2;I, 200, 14, I, 280, 9 ; I, 320, 15; I, 380, 25, etc. ').
L'exemple die (: lundi) au vers ^2 de l'Erection des Murs de
New Ross, montre que dans ce cas Ve doit être attribué au scribe du
xiv^ siècle.
D'autres auteurs du xiv^ siècle emploient aussi cette forme, mais
beaucoup moins souvent que Pierre de Langtoft. Nous voyons die
rimer avec glutunie, dans la Petite Sume des Set Péchez Morteus
(99 v° b); elle est employée à la page 18 du Dite de Hosebonderie
de Walter de Henleye, etc. Nous en trouvons encore plusieurs
exemples en dehors de la littérature : dans Rymer, dans les Litera;
Cantuarienses, dans la Chronique de Londres à une date très
ancienne (1262, p. 5).
I. La forme régulière, i/j, se rencontre dans le même auteur deux fois à la rime :
II, 526, 25 II; 266, 28.
30 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Par conséquent, on peut voir que chacune des classes précédentes
présente un certain nombre d'exemples de verbes différents, plus ou
moins nombreux suivant la classe. Mais chacune d'elles a aussi un
verbe qui prend plus souvent que tous les autres cet e irrégulier :
face, rcnke, promette, voile, die sont les principaux.
Au point de vue de la date de cet e, nous nous trouvons dans
l'embarras. Ce sont les textes non-littéraires qui nous donnent les
dates les plus précises en même temps que les plus anciennes : face,
1274; promette, 1297; voile, 1273 ; die, 1262. Comme on le voit,
ces exemples appartiennent tous au troisième tiers ou au quatrième
quart du xiii^ siècle. Les exemples littéraires semblent plus tardifs.
Les rimes que nous possédons sont du commencement du
\W siècle; les exemples antérieurs à ceux-là sont très douteux et
peuvent être rejetés sur les scribes. Il nous semble donc légitime
de considérer l'addition de Ve comme appartenant à la fin du
xiii" siècle, en dehors de la littérature, au commencement du xiv^
dans les œuvres littéraires.
Nous aurions pu citer plus haut les exemples d'^ irrégulier que
nous avons relevés dans la langue légale; l'incertitude des dates
nous a foit préférer traiter de ces formes séparément. Là encore
nous retrouvons les mêmes classes, et les mêmes verbes. Faire,
vouloir et dire ne se trouvent que très rarement sans e à la pre-
mière personne du singulier du présent de l'indicatif. Face se lit à
peu près partout, par exemple 32, 33 Edw. L', 121 ; 3 Edw. II, 156,
162 (Ms Y : 13 12); voyle se trouve dans 22 Edw. I", 483, 511,
etc., et die da.ns 20 et 21 Edw. L'', m, 163 ; dans le ms. Y (13 12)
3 Edw. II, 123.
Avec ces verbes nous nous contenterons de citer quelques
exemples de personnes terminées par une palatale — pour donner
une idée de leur nombre. On trouve euteiihe, 21 Edw. L', 289;
prenhe, 22 Edw. P', 409 ; venke (vendre), 30 Edw. I", 143 ; plei)ike,
ibid., 259 ; tienke, 3 Edw. II, 170 (Y), etc.
Beaucoup de ces exemples appartiennent vraisemblablement,
comme on le voit, au commencement du xiv^ siècle; nous ne pou-
vons pas être sûrs de la date d'un certain nombre de formes voca-
liques qui prennent e comme oye (prétérit) 21 Edw. 1", 181 ; oye
3 Edw. III, 2 '.
1. Sue (;=^ sui) 13 et 14 Edw. 111; et /«c (=: fui) 11 et 12 Edw. III, 197, sont
es dés'eloppements phoniques, sinon réguliers, du moins fréquents, de sui, fui.
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 3I
Les renseignements que nous fournissent les Year Books con-
firment les conclusions que nous avons tirées précédemment.
II. — L'5 FINALE.
Régulièrement un certain nombre de verbes prennent s a la pre-
mière personne du singulier du présent de l'indicatif : d'autres
verbes ont pris par analogie cette s dès les commencements de la
langue. En français moderne cette s, limitée en ancien français à
certains verbes, a pris une extension considérable et est devenue la
caractéristique de cette personne dans trois conjugaisons sur quatre.
En anglo-français, cette consonne n'a pas réussi à prendre une très
grande place comme désinence de la première personne du singulier;
sa fortune a même été moins brillante que celle de Ve.
Nous allons tout d'abord énumérer les cas qui montrent la chute
de 1'^ étymologique ou de Vs datant de la période pré-littéraire, puis
nous étudierons les formes montrant l'addition d'une s.
A. S étymologique.
Deux catégories de verbes sont régulièrement terminées à la pre-
mière personne du singulier du présent de l'indicatif par s, les verbes
en SCO (dont les inchoatifs), et ceux dans lesquels la terminaison en
io ou eo est précédée d'une palatale . Ces personnes sont le plus sou-
vent régulières dans tous les ouvrages anglo-français, littéraires ou
non. Inutile même de citer des exemples.
C'est probablement dans la première de ces catégories qu'il iaut
ranger la première personne du singulier du présent de l'indicatif
de pouvoir. Puis' se trouve partout, depuis le Brandan (1427),
Horn (2028) (écrit pus) et le Donnei (675) (écrit peus), jusqu'au
Saint-Julien où il rime avec hus (69 r"), et à Pierre de Langtoft
(I, 100, 2é).
• Parmi les verbes terminés par gutturale plus i{c)o, le plus
I. Pour l'origine depuis (= possio), on peut voir Liicking (Mundarten, p. 154),
qui la rapporte à « poteo », et Gaston Paris, dans Romania,ViI, 622, de même que
Schulzke (e et 0 brefs plus / en normand, p. 9) qui la font remonter à un hypo-
thétique « posco ».
32 l'évolution du verbe en anglo-français
important est (ac'io ; il serait aussi focile qu'inutile de citer plusieurs
lignes d'exemples de/rt^ '.
On peut citer aussi comme appartenant à la même classe un verbe
beaucoup moins employé à la première personne : Gis se trouve
dans le Brandan, vers 1417 ; et il rime avec avis dans Saint-
Julien, 76 r°.
Par analogie avec fa^, analogie amenée probablement par la
similitude de fet et de het, haïr fait à la première personne du sin-
gulier hai ; les exemples ne sont pas rares; nous en trouvons un au
vers 558 du Tristan de Thomas, où il rime avec faz ; le Psautier
de Cambridge nous en donne un autre (5, 5) qui est écrit bais.
Pour six autres verbes, Y s est aussi ancienne, quoiqu'il soit pos-
sible qu'elle ne soit pas aussi régulière ; les verbes rover, trover,
prover — puis aller, donner, ester ont depuis le commencement
de la période littéraire une s, qui ne semble pas étymologique et
sur l'origine de laquelle on n'est pas encore d'accord. Cette s se
rencontre aussi bien dans les textes anglo-français que dans ceux du
continent.
Truis est relativement fort commun ; nous verrons plus tard les
quelques changements que cette forme peut subir; mais nous avons
déjà eu l'occasion de faire remarquer que la forme moderne est
extrêmement rare dans nos textes. Celle qui nous occupe mainte-
nant au contraire est assez commune du xiii'^ au xiv^ siècle^.
La première personne du singulier du présent de l'indicatit du
verbe rover est certainement moins employée, et les exemples de
1. Voici cependant quelques références : Cumpoz 66; Brandan 1474; Drame
d'Adam 351 ; Horn (H) 3160 (écrit fas); Donnai 175, 367 (écrit faç) ; Vie de Saint
Grégoire 470; Robert de Gretliam 23 r° ; Saint Julien 68 vo (fas); Apocalypse
1273, (fas) ; Sainte Marguerite 419 (fas); Foulques Fitz Warin, p. 25.
2. La forme truis, trois a été souvent étudiée ; on pourra voir les principales
hypothèses sur l'origine de cette forme dans les ouvrages suivants :
Diez, Gramniatik, 113, 256; Mever-Lùbke, vol. II, p. 191 ; Freund, Verbal
Flexion, p. 21 ; Nyrop, Grammaire, § 116, 4 ; Gaston Paris, Romania, VII, 623 ;
Schulzke, op. cit., p. 9 (trocso).
Dans les textes anglo-français, nous trouvons truis au vers 309 de Gaimar (écrit
trofs); dans Adgar, VII, 154, à la rime avec puis ; au vers 777 de la Vie de Sainte
Catherine; dans le poème de Horn 369 (écrit trofs) ; au vers 232 du Donnei, au
vers 26 du Siège de Carlaverok.
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 33
mis ne sont pas très répandus '.Pendant le premier siècle de la litté-
rature anglo-française, on en rencontre plusieurs ; mais nous n'en
avons relevé aucun postérieur au milieu du xiii'-' siècle. C'est la
seule forme que nous connaissions pour cette personne.
Pniis est rare dans les ouvrages littéraires ; nous n'en trouvons
qu'un seul exemple, à la rime du vers 777 (avec truis) de la Vie
de Sainte Catherine ; mais est extrêmement commun dans les diffé-
rents Year Books. Les formes que cette personne peut prendre dans
les recueils de textes légaux sont des plus variées ; mais on ne peut
pas ne pas remarquer la régularité avec laquelle toutes ces tonnes
conservent Vs -.
Aller fait toujours vois. Cette forme est extrêmement commune 5
et se conserve intacte, au moins en ce qui concerne la consonne
finale, dans toute la littérature anglo-française.
Il y a un verbe qui, sous l'influence d' aller, a formé sa première
personne en -ois : ester, qui f;iit estais. Cette forme est relative-
ment assez rare ; voici les quelques exemples que nous avons pu
relever : arestois rime avec vois (vao) au vers 7632 de l'Ipomédon ;
on trouve Qncort estois, dans les Quatre Livres des Rois (III, 17, i) ;
dans l'Apocalypse, 6 et y 152.
Enfin diiins se lit dans Adgar, XXIX, 159, où il rime avec
juins; dans Fantosme, au vers 594; dans Robert de Gretham,
G^ v° ; dans le Saint Auban, 488, dans la Vie de Sainte Marguerite,
273 ; dans Foulques Fitz Warin, 69, et dans bien d'autres
endroits encore.
En dehors du présent de l'indicatif, on trouve régulièrement s à
la première personne des prétérits en si, comniQ fis, dis (jpom les
exemples, cf. Prétérits en .f/).
1. Ruis ne se rencontre guère qu'au xii^ et au commencement du xiii^ siècle ;
on en voit des exemples dans le Cumpoz, au vers 3 191 ; dans Gaimar, aux vers
708, 3893 ; dans Adgar, XL, 542 ; dans Guischart deBeauliu, au vers 249. Au siècle
suivant, on le trouve au fol. 58 r" des Évangiles des Dompnés, au vers 10 d'Oti-
nel (écrit rufs).
2. Prus se lit dans 20-21 Edw. 1er aux pages 53, 319, 363; profs dans 30 Edw.
1er, g^; prcofs est de beaucoup la forme la plus commune : i et 2 Edw. II, 147 ;
3 Edw. II, 147 ; 3 Edw. II, 62, 138, dans Y.
3. Pour l'origine de ces formes, on peut consulter Lûcking, Mundarten, p. 212
(vadio); Foerster, Rom. Studien, III, p. i8(vado); et P. Marchot, Latin vulgaire
de la Gaule du Nord, vaiisio, eslansio et daiisio (Studi di filologia romanza,
vol. VIII, fasc. 23) (Cité par Nvrop, Grammaire, II, 425).
3
34 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Ceci dit, il nous reste maintenant à donner la liste des rares
exceptions aux formes que nous venons de citer. On n'en trouve
aucune dans toute la littérature du xii^ siècle. Le premier exemple
assuré que nous puissions citer est tiré du poème sur l'Erection des
Murs de New Ross ; on y rencontre la rime : plcvi (: dem}^) au
vers ii8; on a aussi dans le même ouvrage plevi (: hardi) vers
202, mais on pourrait aussi bien pour ce second exemple lire har-
dis ; la forme étymologique se retrouve d'ailleurs au vers 179,
rimant avec ennemis.
Le premier des deux exemples que nous venons de citer est le
seul cas certain de la chute de ïs que nous ayons relevé au
xiii^ siècle ; on peut v ajouter doiii donné par le ms. A (milieu du
XIII'-" siècle) pour le vers 8332 de Tlpomédon. Nous en rencontrons
davantage au siècle suivant.
L'Apocalypse nous en montre deux exemples : fa au vers 1273
«/oy (ester) au vers 239 ; mais ces deux exemples peuvent provenir
des scribes, le premier de celui de y, le second de celui d'à, et cela
rejetterait ces formes à la fin du xiv* siècle.
Pour donner et trouver la chute de Y s est plus assurée. Ces deux
verbes tendent à prendre la forme de tous les verbes de leur conju-
gaison, même, comme nous l'avons vu, à prendre Ve analogique.
Comme formes sans (' et sans ^ on peut citer triif au vers 127 de
l'Apocalypse (ms. ,3) ; '%« '<^ 1'^ P^ige 49 Je Foulques Fitz Warin,
etc. Dans les Year Books ces deux formes sont assez communes,
de même que pruf (y. g. 22 Edw. I", 575). Un autre verbe dans
ces recueils perd assez fréquemment son s, le verbe pouvoir. On
lit puyge (= puis-je) 20 et 21 Edw. F'', 193 etpassiin.
Par conséquent, il est clair que l'anglo-lrançais montre une régu-
larité très grande pour toutes les personnes qui ont s ; le petit
nombre des exceptions que nous avons citées en est une preuve.
On pourrait même sans hésitation les rejeter toutes et les consi-
dérer comme des exemples de négligence cléricale.
B. S irréi^uUère.
La correction est à peine moins grande pour la question qu'il
nous reste à étudier : les s irrégulières sont réellement rares, non
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 35
seulement au xii^ siècle, mais même pendant les trois siècles dont
nous nous occupons.
Dans les différents ouvrages du xii' siècle, nous avons relevé
sept exemples de i""" personnes du singulier présentant cette s :
toutes sont^ à un titre ou à un autre^ douteuses.
D'abord, nous pouvons hésiter sur le temps auquel appartiennent
certaines formes.
Il semble bien que nos auteurs n'aient pas toujours nettement
distingué entre di, dico et dis, dixi. Di est très commun, il est
vrai (voir les rimes dans Adgar, V. R, 15 ; dans Guischart de
Beauliu, 896, etc., etc.).
Il nous semble cependant que les exemples suivants de dis sont
des présents plutôt que des prétérits. L'un d'entre eux est le dis
(: mis) qu'on lit dans les Légendes de Marie (II, 34) :
Si fist l'en celui dunt (ore) vus dis.
Un autre dis (: pais) est employé par Gaimar, au vers 2145 de
l'Estorie des Engleis :
En icel tens dunt jo vus dis,
le sens est certainement « dont je vous parle », dans les deux
exemples ci-dessus ; citons aussi dis (: pris) au vers 2605 de l'Ipo-
médon.
Ces exemples sont à dire le moins discutables, et quoique nous
penchions à les considérer comme des présents, nous ne saurions
en faire état pour prouver l'existence de ïs irrégulière au
xii^ siècle.
Voyons maintenant si les autres cas que nous avons relevés à la
même époque sont plus probants.
L'un d'entre eux se trouve sous la plume d'un scribe du
xii'' siècle, c'est le recrei:{ du Roland d'Oxford (vers 3892) ; ensuite
nous trouvons dans deux ouvrages de la même époque suis, d'abord
dans les Quatre Livres des Rois (II, 7, r8), puis dans la Chronique
de Jordan Fantosme (au vers 2004). Il est vrai que le dernier de
ces deux exemples appartient probablement au scribe et doit être
reporté à la seconde moitié du wW siècle.
• Du même genre que le suis de la chronique de Fantosme est
36 l'i-volution du vi;ki5E en anglo-français
l'exemple que nous fournit le Donnei des Amants : esli:{, qui se lit
au vers 8^4 ; nous n'hésiterons pas à l'attribuer au scribe du
manuscrit. Plus curieux et aussi plus difficile à placer est l'exemple
que nous relevons au vers 735 du Roman de Philosophie : se:;^.
Cette forme est assez insolite en anglo-français, et nous ne croyons
pas en avoir rencontré d'autre exemple. Il est curieux dans ces
conditions que cette forme soit donnée par les deux manuscrits
(O ses) ; elle doit, cro3'ons-nous, provenir de Simun de Fresne lui-
même.
En résumé, nous trouvons au xii^ siècle :
I" Un exemple assuré de Vs dans le Roland d'Oxford (recreiz) et
un autre non moins sûr dans les Quatre Livres des Rois. Mais la
présence dans ces deux cas d'une s irrégulière pourrait à la rigueur
n'être qu'un lapsus calami des deux scribes.
2° Une i' irrégulière qui nous semble assez sûre dans un auteur
florissant sur les limites du xn^ et du xiii^ siècle.
3° Deux autres formes qui peuvent appartenir aussi bien ou
mieux aux scribes du xiii'^ qu'aux auteurs du xii^ siècle.
4° Un nombre assez considérable de formes qui peuvent être
soit des prétéiits de forme régulière, soit des présents de l'indi-
catif.
Après le xii^ siècle, les cas d's irrégulière deviennent plus nom-
breux et plus assurés sans devenir fréquents. La confusion que nous
signalions entre le présent et le prétérit continue et même s'ac-
croît. Dans les exemples suivants, lorsque le doute est possible,
nous croyons bien avoir affaire à des présents^ mais nous avons pu
nous tromper.
Les verbes qui prennent le plus volontiers 1'^ à cette personne
sont ceux dont le thème est terminé par une palatale. C'est tout
d'abord le cas pour ilis ; voici quelques exemples assurés par la
rime où nous croyons avoir rencontré des présents à forme irré-
gulière :
Au vers 4198 d'Edward le Confesseur dis (plutôt dixi que dico)
rime avec promis; la même forme rime avec occis au vers 2009 de
Dermod (cà côte de di : si, 2296) ; avec apris au fol. 80 v° de la
Satire sur le Siècle. Nous en avons quelques exemples à la rime
dans Boeve de Haumtone ; mais on sait que l'auteur fait facilement
rimer des mots dont la terminaison diffère d'une s ; citons toute-
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 37
lois le dis qu'on trouve dans une laisse en -is au vers 613 ; et un
autre exemple, plus douteux, qu'on lit au vers 2593. Pour ces deux
cas^ M. Stimming admet que 1'^- irrégulière s'est introduite au
présent de l'indicatif. A partir de la fin du xiii'' siècle 1'^ est assez
commune à cette forme, par exemple dans William de Waddington
(J/~) au vers 5126, et passiiii dans Pierre de Langtoft.
Nous relevons un autre verbe à palatale, qui comme dire et
élire (dont nous avons déjà cité un exemple) se rencontre assez
souvent avec cette consonne parasite : traire. Nous trouvons déjà
ireis dans le ms. O du Bestiaire (1720); puis au vers 39 d'Edward
le Confesseur ; et cette forme rime avec fes au vers 98 du
Poème Allégorique. Nous ne donnerons pas plus d'exemple pour
cette forme qui est aussi correcte que y^/~ ou conois ou tais; le
français connaît les deux formes trai et trais : mais rano;lo-francais
ne semble emplover que la seconde.
Les mêmes difficultés ne se rencontrent pas pour les exemples
suivants. Ce sont bien des formes analogiques ou plutôt des
formes avec s irrégulière ; elles sont bien peu nombreuses. Lis est
employé^dans le poème d'Edward le Confesseur à la rime avec pro-
mis au vers 1447 ; conclus rime avec plus au vers 12 du Siège de
Carlaverok; olri^ rime avec devis dans Boeve de Haumtone au
vers 3254.
Voilà les quelques exemples dont nous sommes siu's ; ils se
réduisent à trois pendant le xiii'^ siècle : un verbe de I et deux
verbes de IV.
A l'intérieur du vers lés cas d'i' irrégulière sont à peine plus
nombreux : ceux que nous fournissent les poèmes de Frère Angier
ont presque la valeur de ceux que nous avons cités précédem-
ment ; ils ne sont du reste pas nombreux et se réduisent à deux
verbes de IV : ris au vers 2212 de la Vie de Saint Grégoire Qi pleins
dans les Dialogues 107 r° a, deux fois (cité par Miss Pope). A la fin
du même siècle nous trouvons dans William de Waddington as
8767 A, qui n'est très probablement qu'un lapsus calami pour ai.
Le xiv^ siècle est à peine plus incorrect, et il est probable que le
plus grand nombre des s irrégulières que nous allons citer pro-
viennent des scribes, et datent par conséquent surtout du
xv^ siècle.
Dans Pierre de Langtoft les formes irrégulières sont rares, les
38 l'évolution du verbe en anglo-français
seules que nous ayons relevées sont : assol:^ de absoudre II, 468,
3 ; viiys (video ou videam) II, 270, 24 donné par A (C vais,
D veysse ; B, comme d'habitude, donne la bonne leçon vei) ;
Nicolas Trivet a doys, 48 v°, sous Tinfluence de voys ; le Prince
Noir proDies, 2427.
Aux temps autres que le présent, \'s fliit aussi son apparition cà
la même époque. Au prétérit, on la trouve assez fréquemment : par
exemple dans vis, 2^ appendice de Pierre de Langtoft, II, 428, 29 ;
et dans le Prince Noir, vers 1652 (cf. Prétérits en I).
On ne trouve jamais s à l'imparfait.
Les 5 irrégulières sont très rares dans l'anglo-français non-litté-
raire : on retrouve dans les Traités de Rymer la confusion entre
dico et dixi que nous avons rencontrée fréquemment dans la
langue littéraire, par exemple dis est employé, sans qu'il y ait
place pour le moindre doute, avec le sens d'un présent à la date de
1380 (VII, 2-14); outre cette forme, nous avons relevé dans le
même recueil deux présents de l'indicatif seulement qui présentent
Vs : escris (1274, II, 30), tienks (i}')6, V, 856).
Le phénomène est encore plus rare aux autres temps, nous ne
trouvons à citer que le passé défini rcsceii- (recipui) dans les
Literae Cantuarienses (1359, 8éo), qui peut fort bien n'être que le
résultat d'une erreur cléricale, car dans le même recueil les formes
correctes sont particulièrement nombreuses ; et l'imparfait de l'indi-
catif ^.fto dans Rymer's Foedera (1362, M, 377) qui semble aussi le
résultat d'une erreur.
Comme on le voit, les cas où 1'^ non étymologique s'est intro-
duite sont très peu nombreux, dans ce genre de textes.
Il en est exactement de même pour la langue légale ; on trouve
quelques rares s irrégulières cà des dates assez modernes, et pour
dire le moins, douteuses. Par exemple suis (30 Edw. l", 279), dis
(plus commun, 17 et 18 Edw. III, 135, 147, 171, 183).
Comme on a pu le voir dans les exemples précédents, :^ prend
souvent la place de s, et cela à une époque assez reculée. Sans par-
ler de /«:( et de bû~ qui sont réguliers, on peut remarquer le recrei\
du Roland d'Oxford, Veslii du Donnei, que nous avons donnés
plus haut. Dans un poème de la fin du xii'^ siècle on rencontre
manjui. Vie de Saint Gilles, vers 991. Nous avons encore cité st':{.
Roman de Philosophie; o/;/-, Boeve de Haumtone ; di:{, William de
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 39
Waddington ; assol:;^, Pierre de Langtoft. On trouve aussi au prétérit
y?- (Psautier de Cambridge 118-121); (cf. Prétérits en 5/); resceui
dans les Literae Cantuarienses.
Comme conclusion à cette étude, nous ajouterons les quelques
lignes suivantes :
1° Us s'est remarquablement bien conservée là où elle était éty-
mologique ou antérieure au xii^ siècle ;
2° La présence d'une 5 irrégulière n'est assurée qu'au xiii'' siècle,
et, pour un très petit nombre de cas seulement, à la fin du
XII'' ;
3° Les s irrégulières restent, à toutes les époques et dans tous
les genres d'ouvrages, extrêmement rares.
IIL — La palatale.
La palatale a pris une certaine extension en anglo-français ; pour
des raisons que nous examinerons plus tard, c'est au xiii^ siècle
que, comme consonne finale de la première personne du singulier
du présent de l'indicatif, elle se trouve le plus fréquemment
emplovée. Au xii^ siècle, le nombre de verbes prenant c, g ou k,
reste très petit; ce sont d'abord, et on pourrait dire uniquement, les
deux verbes venir et tenir qui l'adoptent au présent de l'indicatif
et au prétérit. Vienc et vinc, îienc et tinc se maintiennent presque
sans changement pendant les trois siècles qui nous occupent'. Les
seules variations que l'on puisse signaler sont des modifications
purement graphiques qui atteignent également toutes les formes à
gutturale. La consonne finale est écrite tantôt par c, et c'est la gra-
phie la plus commune, comme dans le Comput^ iienc, 126 ; dans
Brandan, veine, 1428 ; <: est une autre graphie qui se rapproche de
la précédente mais qui, au point de vue phonique, a une certaine
importance; on ne la trouve que rarement, wn^. Psautier d'Oxford,
39, 10; g est beaucoup plus usuel; Adgar, par exemple, l'emploie
presque exclusivement : vieiig, XL, 47 ; ieng, Chansons, VII, 32,
etc. Presque aussi commun est le k, quoique cette lettre n'appa-
I . Pour vienc on peut voir une explication dt h palatale (i de venio passant à
la consonne) dans Koschwitz, Pèlerinage, p. 90. Pour vinc, voir Foerster,
Zeitschrift fur romanische Philologie, III, 494-495 ; aussi Romania,X, 216 (Cornu,
Vin(c) = Venui).
40 l'évolution du verbe en anglo-français
raisse pas tout à fiiit aussi tôt, comme dans ve?ik, qui se lit dans la
Plainte d'Amour, 565. La forme picarde, ch ou chc, est relative-
ment rare; on lit: viiicb, dans Saint Edmund 1225, et vcnchc dans
le Psautier d'Arundel (39, 8). Il faut considérer Ve de viene, Adgar,
XIV, 55, comme un lapsus du copiste, si c'est réellement un e.
Ces différentes formes de ces deux verbes nous ont permis de
passer en revue les différentes graphies de la gutturale ; c'est du
reste un point qui n'a pas grande importance, du moins en anglo-
français; la graphie peut varier d'un scribe à l'autre; la seule chose
qui ait quelque importance c'est la rareté dans les textes littéraires
de la forme picarde.
Quelque temps après tenir et venir, un certain nombre de
verbes a3'ant la consonne n dans le thème prirent la palatale comme
finale de la première personne du singulier du présent de l'indi-
catif. Nous trouvons ainsi entenc^ au vers 592 du Compur, dans la
Plainte d'Amour, 56e, etc., peut-être par analogie avec ticiic, teiic
de tenir ; nous trouvons de même prcuc dans le Brandan, vers
1304.
A partir du milieu du xii'^ siècle et jusqu'à la fin du xiii*^ siècle,
le nombre des formes qui nous occupent devient plus considérable
et il est utile pour la clarté de les classer suivant la lettre finale du
thème.
En tenant compte de tenir et de venir, ce sont les verbes dont
le radical est terminé par ;/ ou qui contient ;/ comme le groupe »/, 7id,
qui présentent le plus grand nombre de cas d'addition de cette
consonne.
fl)ND. — Le verbe prendre a presque constamment r ou g. On
trouve déjà dans Thomas prciig, 6^j ; et il est employé à la rime
dans la Folie Tristan (: reng) au vers 495 ; prenh, se trouve dans
le Roman des Romans, 34 ; enpreng (: chamberleng), dans le
Poème Allégorique 80 ; etc. Plaindre ofi^re des exemples à la même
époque que prendre. Pleing se trouve dans Thomas au vers 141 3
(à côté de /)/«//;(: Bringvain), vers 970) ; et dans une rime dou-
teuse de la Folie Tristan (: desdeing), 854 ; on retrouve encore
plusieurs fois la même forme dans le courant du xiii^ siècle.
Rendre a évidemment subi l'influence de prendre. On a renc
I. Qui peuvent évidemment appartenir au scribe.
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 4I
dans la Vie de Saint Grégoire, vers 1843; rench, Angier, 64 v° a;
et dans Boeve de Haumtone un certain nombre de rimes qui ne
montrent rien : rcnc (: toucliant), 2945 , rcugkc (: avaunte), 2945,
lire rend; avaunt ; et renhe, 2438.
\o\c\ enfin quelques autres verbes d'un emploi plus rare :
reiiicyng, Poème Allégorique, 83 ; feyng, ibid., 208, et au vers 262
d'Elie de Winchester ; rccoiich, Angier, 64 r"a.
Nous ne prétendons pas dater ces différentes formes avec quelque
précision ; il est très possible que si nous ne trouvons qu'au com-
mencement du XIII'' siècle des exemples de la forme reric ce ne soit
que l'effet du hasard. Il est plus prudent de considérer les verbes
précédents comme faisant partie d'une seule classe dans laquelle la
palatale s'est introduite progressivement. C'est vers le milieu du
XII'' siècle que nous trouvons les premiers exemples assurés de la
palatale pour ces verbes, à l'exception de tenir et de venir.
NT. — Les verbes en -nt qui prennent cette consonne sont beau-
coup moins nombreux; nous n'avons même relevé que sentir qui
nous présente les formes : senk (Chansons, V, 6), et sciig (Poème
Allégorique, 193); elles sont du reste d'un usage fréquent, quoique
tardives.
b) R plus D ou V; R simple.
Un assez grand nombre de verbes dont le thème est terminé par
r, soit simple soit suivie d'une consonne qui tombe devant c ou k,
se rencontre avec la palatale dans les textes anglo-français. C'est
même, nous semble-t-il, la consonne qui est la plus affectée après n.
Au moins nous avons un exemple très ancien d'un thème en r suivi
d'une gutturale, c'est requicrc (Quatre Livres des Rois, IV, 5, 18);
après cette date, la forme avec palatale devient la forme ordinaire de
première personne du singulier du présent de l'indicatif de quérir.
Il en est de même pour mourir ; quoique nous n'ayons pas relevé
pour ce verbe d'exemple très ancien, il peut y en avoir qui nous aient
échappé. On en trouve un toutefois dans le Saint Edmund, au vers
719 sous la forme marge, et écrit mnrg dans les Chansons (MI, 10).
Lorsque IV est suivie dans le thème d'une consonne dentale ou
labiale, qui disparaît devant la palatale, la première personne de
l'indicatif de ce verbe prend volontiers cette consonne, comme scrc
de servir, Angier, 50 r'' a (cité par Miss Pope), ou picrc que l'on
trouve dans Horn, vers 3500, et pierk, deuxième Appendice de
42 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Pierre de Langtoft (II, 442, 29), tous les deux venant de perdre.
f) Il est assez rare de trouver d'autres thèmes verbaux prenant
ou susceptibles de prendre c ou k à la première personne. On peut
citer cependant un thème en / mouillée : couseih (Angier, 78 r° b);
{rvi^xs conseil (: foeil), id., 65 r° a); un autre en // : /^ra/wr (Angier,
Vie de Saint Grégoire, iioo).
On trouve même au xiv^ siècle parmi les rares formes à palatale
un verbe dont le verbe est terminé par / : paroiigc, second Appen-
dice de Pierre de Langtoft, II, 442, 29.
Pour Angier, qui présente des formes en c plus variées et plus
nombreuses que n'importe quel autre auteur anglo-français, voir la
liste dans l'étude de Miss Pope, p. 36, et Timothy Cloran, p. 59.
d) Il y a quelques verbes qui ont étymologiquement à la fin du
thème une palatale qui ne doit pas se confondre avec celle dont
nous venons de parler.
Par exemple testiinong, Psautier de Cambridge 80, 9; et enuing.
Quatre Livres des Rois, I, 16, 12 ; vouch, Horn 1145 venant respec-
tivement de testimonier, enuingdre, voucher (vocare).
e) Quoique la palatale ne soit pas d'un usage extrêmement fré-
quent en anglo-français, il arrive parfois qu'elle sorte du présent, et
même de l'indicatit et qu'elle affecte d'autres personnes que la
première. C'est ainsi que nous trouvons au futur, première per-
sonne : crc. Quatre Livres des Rois(I, 23, 17); icrc (ibid., II, 6, 22);
iercs à la deuxième personne du singulier (id., II, 22, 27); à l'impé-
ratif, deuxième personne du singulier, la forme très commune
{cu)iyienc(\h\à.., II, 10, 13); (j//i-)//V»r, Psautier d'Oxford (26, 20);
etc., demanc qui est plus rare (cf. Angier, Dialogues, 91 r° a); à la
troisième personne du singulier du prétérit, iiiicl (Quatre Livres
des Rois, III, I, 49); comme on le voit, sauf pour l'impératif de
tenir, cette extension du c est limitée à de certains auteurs.
Les premières personnes à palatale sont très peu nombreuses
dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature et nous n'ob-
servons pas la grande variété de formes que nous venons de signa-
ler dans les œuvres littéraires : disons tout d'abord que cette con-
sonne s'y présente principalement sous deux formes g et h, dont la
première est de beaucoup la plus commune. Les seuls verbes que
nous ayons rencontrés avec la palatale sont ceux dont le thème est
terminé par une ;/, et parmi ceux-ci tenir et venir sont certaine-
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 43
nient les plus employés sous cette forme. Nous ne recommencerons
pas à énumérer de nouveaux exemples pour ces deux verbes ; on les
rencontre à peu près partout, dans les Traités de Rymer (1303,
II, 918) dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1333, I, 539),
dans les Literae Cantuarienses (1363, 908). Prendre se rencontre
aussi, mais moins souvent, comme enipreiik dans les Traités de
Rymer (1323, III, roo8). Ajoutons-y un exemple qui est beaucoup
plus rare, recoma nul; , qu'on lit dans les Literae Cantuarienses (1363,
909).
Nous pourrions répéter les mêmes remarques au sujet des textes
de langue légale; nous ne citerons qu'un exemple qui nous montre
une forme assez rare de la palatale : eiiteiigh qui se trouve dans le
recueil 22 Edw. P"", p. 333, et qui est répété deux fois.
Si cette consonne dans tous ces textes est d'un emploi assez rare
au présent de l'indicatif, il va de soi qu'elle doit se rencontrer encore
plus rarement aux autres temps et aux autres personnes, le seul
exemple que nous ayons relevé en dehors de ceux dont nous
venons de donner une idée se trouve dans le Registrum Palatinum
Dunelmense où on lit deviiik (13 11, I, 92).
Cette question n'a donc eu qu'une médiocre importance en
anglo-français; à partir de 11 60 la palatale a commencé à atteindre
un petit nombre de verbes; elle semble avoir atteint le maximum
de son emploi vers le milieu du xiii^ siècle ; on n'en rencontre guère
que des exemples isolés au xiV, spécialement rares dans les textes
non littéraires.
VALEUR DE CETTE CONSONNE
Avant d'abandonner cette question, il est bon de nous demander
quelle valeur a été attribuée à cette consonne par les écrivains
anglo-français; évidemment, ici, seuls les textes littéraires, avec
leurs rimes, peuvent nous être de quelque utilité. Nous n'avons
relevé qu'un tout petit nombre de rimes nous montrant que la
gutturale dans les formes que nous avons citées a conservé sa
valeur propre ; rappelons la rime de la Folie Tristan (: reng),
celle du Poème Allégorique (: chamberleng) et une ou deux autres.
Elles nous montrent que la palatale se taisait sentir surtout, nous
semb!e-t-il^ au xir' siècle et peut-être aussi postérieurement.
j|4 L EVOLUTION DU ^•ERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Mais le plus grand nombre de rimes que nous avons recueillies
tendent à prouver que le h était purement graphique; rappelons
les rimes de Boeve de Haumtone; celles du Manuel des Péchés de
William de Waddington {enteuh, rimant avec sacrement, avec
comant, avec brevement. Cf. les vers 2699, 35 52, 9247), celle
des Chansons Çpleinic rimant avec teint, V, 26).
Si on attribue aux scribes seuls les graphies de la première per-
sonne du singulier qui présentent une palatale, ce qu'il est pos-
sible de faire, on n'en aura pas moins à conclure qu'au plus tard
vers la hn du xiii^ siècle la consonne a perdu sa valeur dans ces
terminaisons. Il est probable qu'on l'aura considérée comme fai-
sant partie de la graphie de la voyelle nasale à laquelle elle est le
plus souvent jointe.
Ces considérations ne nous poussent donc pas à adopter l'hypo-
thèse de Horning ', qui voit dans la gutturale l'origine de \'s
moderne caractéristique des premières personnes du singulier dans
les trois dernières conjugaisons. Un autre argument contre cette
théorie, s'il était nécessaire d'en chercher d'autres, se trouverait
dans la forme tieiiks que nous avons relevée dans les Rymer's Foe-
dera et citée plus haut.
Les autres consonnes à cette personne sont rares : les formes
comme devijtl (Rymer's Foedera, 1273, II, 11), tient (jd., ibid.);
tient (Royal Letters, 1249, II, 52) n'ont aucune espèce d'impor-
tance.
Ce ne sont que des fautes d'orthographe qui n'ont que très peu
de valeur, mais qu'il n'était pas inutile de signaler.
IV. — Autres temps.
A. Premières personnes du singulier terminées en
DIPHTONGUE + C ATONE.
I. La voyelle atone.
Un des phénomènes les plus caractéristiques de l'anglo-français,
I. Cf. Horning, Romanische Studien, V, XVIII, pp. 708 sqq., et Meyer-Lûbke,
II, p. 191 .
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER ^5
est kl disparition de la voyelle atone après une diphtongue ^ ; on en
trouve des exemples pour toutes espèces de mots; mais la conju-
gaison du verbe à la première personne et à la deuxième personne
du singulier et à la troisième personne du pluriel de certains temps
nous en donne des exemples remarquables. Cette question, à vrai
dire, est avant tout une question de phonétique, et si nous nous
en occupons en détail dans un ouvrage de morphologie, c'est que
d'abord, il nous semble impossible de tracer une ligne de démarca-
tion absolument infranchissable entre ces deux parties de la gram-
maire; ensuite nous avons le droit de nous demander si les lois
phoniques générales ont agi avec la même régularité sur les diffé-
rentes parties du verbe; en d'autres termes, il est possible à priori
que l'amuissement de l'atone finale n'ait pas été absolument régu-
lière, que Vc ait été maintenu plus longtemps dans certains cas que
dans d'autres.
Nous ne pouvons traiter maintenant qu'un point de cette ques-
tion ; nous aurons à y revenir à propos de la seconde personne du
singulier et surtout de la troisième personne du pluriel. Pour cha-
cune de ces personnes nous suivrons autant que possible la même
marche : d'abord nous examinerons la valeur de la voyelle atone
pendant le xii^ siècle, époque à laquelle cette question n'offre pas
de difficulté; pour les deux siècles suivants, nous aurons à distin-
guer deux classes, la première contenant les imparfaits de l'indi-
catif et les conditionnels, l'autre tous les autres temps présentant
l'atone en hiatus; pour ces deux classes, nous verrons tout d'abord
les cas où Ve atone est conservé, puis ceux où il est rejeté : cette
façon de procéder nous permettra d'envisager tous les aspects de la
question^.
A la première personne du singulier, la vo5'elle atone se trouve
en hiatus dans la position posttonique à plusieurs temps : à l'impar-
1. La question a été souvent étudiée; nous ne citons pas ici les différentes
monographies ; au point de vue général, on peut voir : Meyer-Lùbke, Grammaire,
I, 261 et 289; J. Vising, Étude, p. 70, et Litteraturblatt, IV, 310; P. Meyer,
Romania, I, 71 ; Koschwitz, Zeitschrift, Il 482 ; Suchier, Ueber.., p. 5 ; Stimniing,
Boeve, 181.
2. Pour (' ne comptant pas dans la mesure du vers, on peut voir dans Sucliicr,
Œuvres de Beaumanoir (I, cli), un pliénomène analogue ; cl', aussi Rydberg, Ges-
chichté des franz. c ; la thèse accessoire de M. Faral.
^6 l'évolution du verbe ex anglo-français
f-iit de l'indicatif des verbes de II, III, IV et à tous les condition-
nels après la monodiphtongue ei ou les diphtongues oi, ai.
a. XU" SIECLE.
Au XII"-' siècle, la voyelle atone est le plus souvent conservée.
Néanmoins on peut remarquer très tôt en anglo-français quelques
cas de chute de l'atone; cette chute ne semble d'abord qu'une irré-
gularité attribuable à certains scribes ou à des auteurs peu soigneux ;
nous n'en avons qu'un tout petit nombre d'exemples. Le Psautier
d'Arundel nous montre trois imparfaits de I sans e : crioii (30, 29);
humUiou (34, 15) ; riiioiiii (37, 8). Pour le conditionnel, le Psautier
d'Oxford nous donne /^ra (39, 11); pour le présent du subjonctif
Jordan Fantosme nous montre sei (au vers 511) :
Quarante jorz de terme ke seie mer passant, Sire.
Dans ce même auteur, on trouve un assez grand nombre à'e
posttoniques à la première personne du singulier qui ne comptent
pas dans la mesure du vers ; mais ils se trouvent tous à l'hémis-
tiche (cf. vers 144, 145, 406, 1965); tandis que les formes qui
ont conservé à l'atone sa valeur étymologique sont très nombreuses
(cf. vers 502, 592, 143 1). Horn a des exemples assurés de formes
régulières (vers 668 a, 877, 968, 2368), douteux de formes abré-
gées (668 b). Le poème de Renaut de Montauban a une forme
abrégée, avec inversion du sujet :
Le -porter li respont ; « Ore aie joie déhee... p. 12.
On pourrait trouver quelques autres exemples dans les manu-
scrits écrits à la fin de ce siècle, comme poai que le ms. Royal 13
A axi donne au vers 1878 de l'Estorie des Engleis (lire poï). Sans
vouloir rechercher tous les exemples de cette irrégularité qui n'ont
pas pu manquer de se glisser sous la plume des scribes, nous nous
contenterons des quelques cas que nous venons de signaler : ils ne
sont pas nombreux, mais ils nous montrent que la tendance à sup-
primer l't' muet final remonte à environ 1160 et que cette tendance
se manifeste également pour tous les temps qui ont cet e.
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 47
b. XIII" ET XIV^ SIÈCLES
I. Impartit et conditionnel.
Nous ne pouvons pas espérer retrouver au xiii^ siècle la régula-
rité du siècle précédent; après 1200, nous ne rencontrons plus que
de rares auteurs ne connaissant que les formes étymologiques. Il y
en a cependant, et nous pouvons citer Robert de Gretham qui
n'emploie jamais les formes abrégées, il nous donne par exemple
gisi'ie, 32 v° (3 syll.) ; piirrcic 43 r° (3 syll.) ; et l'auteur d'Edward
le Confesseur, diroie, 58 (3 syll.) ; savroie, 2223 ; ameroie{^ syll.), vers
4654. D'une façon générale les auteurs contemporains de Robert
de Gretham et immédiatement postérieurs nous montrent un
mélange constant des deux formes, mélange dans lequel les formes
abrégées vont prédominer de plus en plus. Dans les trois poèmes
de Chardri, nous pouvons observer une progression significative :
de l'un cl l'autre, on peut clairement voir le nombre de formes
correctes diminuer constamment. Dans le Josaphat d'abord, nous
avons deux exemples assurés de la forme régulière, aux vers 11 17
et 1893 •
Ke ne saveie ki il fut ;
Nun frez, car nel vudreie mie.
On pourrait trouver d'autres exemples ; mais ils sont tous discu-
tables. La voyelle finale disparaît dans un seul cas, au vers 2562 :
Nel freie pas en nule nianere.
Dans les Set Dormans, les formes étymologiques assurées sont
proportionnellement moins nombreuses ; nous en relevons deux,
aux vers 715, 1073 :
Ne vus esparnireie pas ;
E si purreie manger pain.
Les formes abrégées deviennent aussi nombreuses que les autres;
elles apparaissent aux vers 11 27 et 11 27 :
Kar jo purreie ja tant errer,
Ke ne savreie pas repeirer.
^8 l'évolution du verbe en anglo-français
Enfin dans le Petit Plet, la proportion se trouve renversée ; nous
ne trouvons dans ce poème^ où les premières personnes qui nous
occupent sont particulièrement nombreuses, — ce qui rend nos
conclusions d'autant plus sûres — , que 3 cas où la voyelle muette
étvmologique muette est conservée : I-14, 215, 879. Elle disparaît
au contraire dans 12 cas, aux vers : 151, 269, 272, 451, 471, 473,
478, 462, 1247, 1598, 1605, 1623.
Ces exemples sont trop nombreux pour que nous citions ces
douze vers; qu'il nous suffise de dire que la disparition de IV muet
final ne saurait ici être causée par l'inversion du pronom sujet, cette
inversion n'ayant lieu qu'une seule fois, pour le vers 1623.
L'étude des trois poèmes de Chardri nous montrerait donc que,
ou bien le poète est devenu de plus en plus négligent avec les années,
mais nous ne croyons pas qu'on ait fait cette remarque pour la langue
de Chardri ', ou, ce qui est plus vraisemblable, que pendant la vie
même de l'auteur, l'amuissement a fait des progrès considérables.
Cependant avant de tirer une conclusion aussi rigoureuse, que le
petit nombre des exemples fournis par les deux premiers poèmes ne
nous permet pas de tirer, nous devrons compléter notre étude sur
la première personne et comparer les résultats qu'elle nous fournira
avec ceux qui nous seront donnés par la deuxième personne du sin-
gulier et la troisième du pluriel. Nous nous contenterons de retenir
le fait, — sans attacher une importance exagérée aux chiffres — ,
que dans le Josaphat, les formes régulières sont plus nombreuses
que les autres, dans les Set Dormans elles sont en nombre à peu
près égal; dans le Petit Plet en nombre considérablement inférieur.
Nous ne trouvons pas du reste dans les poèmes qui ont été
écrits à peu près à la même date que ceux de Chardri une confir-
mation de ce que ngus venons de voir, ce qui, en anglo-français,
T. Cependant nous ne pouvons pas ici ne pas faire remarquer une coïncidence
à dire le moins fort curieuse. Miss Pope a montré qu'il y a dans la langue de Frère
Angier une évolution ou, pour mieux dire, un progrès à l'envers nettement mar-
qué. C'est ce que nous observons sur ce point spécial de la disparition de la muette
posttonique en hiatus dans son contemporain Chardri. Faut-il y voir un phéno-
mène général ? Est-ce une particularité des deux auteurs? Il est probable que c'est
cette seconde hypothèse qui est la plus vraisemblable. Mais dans ce cas cette dété-
rioration progressive de sa langue ne pourrait plus servir à prouver que Frère
Angier a appris le français sur le continent et l'a oublié en Angleterre, car on ne
peut trouver dans les poèmes de Chardri la moindre trace d'influence continentale
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 49
n'a rien de très étonnant. Frère Angier emploie bien les deux
formes (cf. Miss Pope, p. 23), mais il est douteux que Denis
Pyrame ait employé à la première personne du singulier la forme
abrégée; le seul exemple qui pourrait le faire croire c'est la forme
qu'on trouve au vers 599 :
E durrey vostre gareysun,
dans lequel dnrrd pourrait fort bien être un futur. Mais même en
admettant que ce verbe soit un conditionnel d'où 1'^ muet aurait
disparu, les formes qui l'ont conservé sont beaucoup plus nom-
breuses; citons-en quelques-unes, versé, 925, 932, 1260.
Si fesei(e) les serventeis ;
Kar nel otreiereie mie ;
Nel ferei(e) pur tut le mound ;
Car je quidoue veirement.
Et si nous rappelons ce que nous avons dit tout li Theure à pro-
pos des Évangiles des Dompnées et de la Vie d'Edward le Confes-
seur, nous verrons que certainement deux, probablement trois con-
temporains de Chardri n'emploient jamais la forme sans Ye muet
étymologique. Cela ne doit pas suffire cependant pour nous faire
rejeter le témoignage de Chardri, au contraire; il est probable en
effet que celui-ci représente l'asage ordinaire, tandis que les autres
écrivent une langue plus littéraire, pnr conséquent plus conserva-
trice et plus -archaïque.
Il est certain que les scribes et les écrivains de la seconde moitié
du xiii'^ siècle négligent le plus souvent Ve final dans ces formes.
Par exemple le scribe de la Folie Tristan l'omet souvent, et en
l'omettant détruit le vers (cf. par exemple vers 349, 398, 643, 823),
de même on trouve un grand nombre de cas analogues dans le
manuscrit D de l'Estorie des Engleis et de la Chronique de Fan-
tosme. Il en va de même pour tous les mss. écrits à cette époque.
Quant aux auteurs, nous pouvons voir qu'ils emploient indifterem-
ment les deux formes; cependant, autant que leur versification
incorrecte nous permet d'en juger, la voyelle muette compte très
rarement dans le vers. Le poème de Boeve de Haumtone ne nous
donne aucun exemple pour lequel nous puissions affirmer avec
quelque certitude que la forme correcte est gardée. Dans les Heures
4
50 L KVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
de la Vierge, nous pouvons rencontrer un petit nombre d'exemples
qui présentent la forme, étymologique, comme es foye au folio 68 r°.
Il V a cependant plusieurs ouvrages, parmi ceux qui présentent
quelques exemples de premières personnes du singulier de l'impar-
fliit de l'indicatif ou du conditionnel, qui amuïssent constamment
IV atone de cette première. Parmi ceux-ci on peut citer un poème
relativement correct, la Genèse de Notre-Dame. Dans ce poème,
nous avons rencontre un certain nombre de terminaisons abrégées
(d. 8, 58 r°, voJdrey ; 63 v\ avcy ; 65 v°, conusey (: fey) ; disei.
(: mei) 76 v° ; William de Waddington qui nous donne un
nombre considérable de formes abrégées (par exemple au vers 7879
descinmt avec dei, et avec parlai au vers 9903 ; pesai avec dépeçai au
vers 9484; poei avec lei au vers 8779; et cà l'intérieur du vers, les
exemples sont nombreux et probants, cf. 2674, 9913, 9949) ne
nous donne aucun cas assuré montrant la persistance de la muette.
Nous pouvons donc conclure que vers la fin du xiii^ siècle, la
muette ait à peu près absolument disparu des premières personnes
du singulier de ces deux temps.
Cependant au siècle suivant les exemples nous montrant qu'elle a
persisté sont relativement nombreux et probants. On la trouve dans
les écrivains en prose, dans les Contes de Nicole Bozon : Jesoyc
§ 143 ; dans les poèmes à versification incorrecte comme Pierre de
Langtoft et la Vie de Sainte Marguerite, au vers 86. Pour ces deux
classes d'ouvrages, nous ne savons pas si ïe muet conservé ou réta-
bli est graphique ou se prononce. Mais si nous trouvons un poème
dont par extraordinaire la versification est relativement correcte,
nous remarquons que 1'^" compte très fréquemment dans la mesure
du vers : c'est ainsi que nous trouvons dans le Siège de Carlaverok
donroie au vers 28 ; la Vie de Saint Richard, de Nicole Bozon, nous
donne au vers 548 : esfeie :
Dunt jeo esteie tant grevé.
dans le poème du Prince Noir ineiitiroye (: joie) 3773 ; oseroie (4 syl-
labes) 10 1.
Il est donc évident que Vc muet après avoir à peu près entièrement
disparu à la fin du xiii'^ siècle se montre de nouveau au xiv^ dans
un assez grand nombre de cas. Cependant il ne fout pas se dissimu-
ler que les exemples d'où IV étymologique sont absents à cette
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 51
époque restent beaucoup plus nombreux que ceux où il se trouve;
nous ne citerons pas ici d'exemple d'un phénomène trop évident.
Tous les écrivains, même les plus corrects, nous montrent des formes
irrégulières plus ou moins nombreuses, mais le plus souvent plus
fréquentes que les autres. Même le poème du Siège de Carlaverok
ou celui du Prince Noir ont un nombre considérable de ces formes '.
Cette première personne arrive à rimer librement avec la première
personne des prétérits de I, cf. plus haut les exemples de William
de Waddington ; et avec le futur, comme aloi (: dirroi) au vers 35
de De Conjuge non ducenda.
2. Présent du subjonctif.
Les présents du subjonctif qui à la première personne du singu-
lier présentent une diphtongue suivie d'un e muet ne sont ni aussi
nombreux ni aussi employés que les deux temps que nous venons
d'étudier; nos conclusions ne sauraient donc être sur ce point aussi
sûres que précédemment. Nous avons vu plus haut que Robert de
Gretham et l'auteur d'Edward le Confesseur n'emploient pour l'im-
parfait et le conditionnel que les formes régulières; il en va de
même pour le subjonctif: le premier nous donne aie, veie au fol. 26
r°, le second scie au vers 94; il faut encore ajouter à ces deux
auteurs Denys Pyramus; nous n'avons relevé chez celui-ci qu'un
seul de ces subjonctifs et il est régulier, vers 3954 :
Que jeo aim tant cum seie vifs.
Pour ce qui est de Chardri, nous n'avons pas dans ses différents
poèmes un nombre suffisant d'exemples pour pouvoir suivre très
exactement le développement de l'amuissement; dans Josaphat la
forme étymologique se retrouve dans trois cas, une fois à la rime :
seie (: veie, via) au vers 354, et deux fois dans le corps du vers, vers
1781 et 2157 :
Jeo grant ke jeo seie tué ;
Ke mort seie devant vus mis.
I . Pour le dernier de ces poèmes, Miss Pope (p. xi) a remarqué que l'amuisse-
ment n'avait lieu que lorsqu'il y a inversion du sujet; ceci est du reste absolument
spécial au Héraut de Sir John Chandos. A la liste des cas d'amuissement donné
par Miss Pope, on peut ajouter le vers 4261.
52 l'évolution du verbe en anglo-français
tandis qu'on ne trouve qu'une seule forme abrégée, au vers 1914:
Si vulez que scie baptisée.
Dans les Set Dormans, nous avons une forme étymologique et
aucune forme incorrecte, au vers 1124 :
Vout ke j'aie le sen perdu.
Dans le Petit Plèt au contraire, il n'y a encore qu'un seul de ces
subjonctifs, au vers 771, et il a perdu son e final :
E quident ke jeo seie d'asez.
Après Chardri et même pendant la dernière partie du xiii* siècle,
les subjonctifs se rencontrent encore asstz souvent avec Ve muet;
mais il n'est pas toujours possible de savoir si cet e compte dans la
mesure du vers.
Le poème de Saint-Auban nous en donne au moins un exemple
aussi sûr que possible, au vers 485 :
Proiez pur moi ke ne soie flecchiz.
On relève encore dans les Heures de la Vierge joie (2 syllabes),
soie au vers 86 de la Vie de Sainte Marguerite; aie au vers 3004 du
Poème du Prince Noir :
Que je nen ai (e) le meliour.
Cet e est assez souvent écrit dans la Chronique de Pierre de
Langtoft, mais aucun de ces exemples n'est assuré par la mesure du
vers. La Vie de Saint Paul l'Ermite de Nicole Bozon nous donne
(vers 144, 147, 148) j-f/V, eye, veye.
Les formes étymologiques restent donc suffisamment nombreuses
jusqu'à la fin du xiv^ siècle; mais elles sont toujours, croyons-nous,
en nombre inférieur à celui des formes irrégulières. Celles-ci se
trouvent très nombreuses pendant la seconde moitié du xiii'^ siècle;
Boeve de Haumtone en contient un certain nombre; mais il semble
que toutes doivent être mises au compte des scribes; ainsi on lit
sei au vers 1044, et cette forme est donnée par les deux manuscrits.
Il est remarquable que le manuscrit D qui est de la seconde moitié
du xiii^ siècle nous donne un plus grand nombre de formes abré-
gées (cf. vers 958, 1063, 125^, etc.) que le ms. B qui a été écrit
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 53
au xiv% de même dans le Manuel des Péchés, la forme sans e. est
la règle, et on en peut dire autant de la Plainte d'Amour, cf. vers
587:
Que (jeo) sei done de bon cotel, (2 mss.);
Au siècle suivant les exemples de la forme nouvelle ne sont cer-
tainement pas aussi nombreux; Pierre de Langtoft semble en avoir
quelques exemples. On trouve encore sd au vers 86 de Traillebaston ;
au fol. 26 r° de Nicol Trivet, etc.
Le traitement que la première personne du singulier des sub-
jonctifs terminés par une diphtongue et un e muet a reçu en anglo-
français est donc sensiblement le même que celui que nous avons
pu décrire pour l'imparfait de l'indicatif et le conditionnel, quoique
la disparition de la muette y soit moins marquée. On peut résumer
en quelques mots les différentes phases de la disparition de cette
voyelle muette.
1° Les premiers exemples qui nous montrent la chute de la
voyelle muette en hiatus datent de la seconde moitié du xii'' siècle
(à partir de iiéo); ils sont d'abord peu nombreux et limités à un
petit nombre d'écrivains et de scribes.
2° Au xiii^ siècle, et dès les premières années de ce siècle,
l'amuissement de cet g semble faire de grands progrès; les poèmes
de Chardri nous montrent la rapidité avec laquelle les formes
abrégées gagnent du terrain. Mais même cà cette époque, on ren-
contre certains auteurs qui ne connaissent que les formes étymolo-
giques.
Pendant la seconde moitié de ce siècle, celles-ci disparaissent
entièrement chez plusieurs auteurs, et deviennent sporadiques chez
les autres.
3° Au siècle suivant, les formes incorrectes restent la majorité;
cependant, il est évident que dans un très grand nombre de cas et
chez plusieurs auteurs, \e étymologique a été maintenu ou rétabli.
Nous n'ajouterons qu'un mot sur ces premières personnes dans
les textes non littéraires. Il est presque inutile de faire remarquer
que nous ne pouvons parler ici que de graphies et ensuite que de
par leur nature ces textes n'ont employé que fort rarement les
premières personnes du singulier; les Statutcs par exemple ne nous
fournissent pas un seul exemple. Nous devons reconnaître que
54 l'évolution du verbe en anglo-français
nous n'avons pas pu remarquer dans ces textes une recrudescence
des formes régulières pendant le xiv^ siècle. Celles-ci sont assez
rares après 1300; avant cette date, nous pouvons trouver des écri-
vains soigneux, comme Jean de Peckham, qui n'omettent jamais
Vc final : on lit dans ses lettres : eie (1280, 94); soie (1284, 554)-
Ceci ne se rencontre ja:mais au siècle suivant, les formes régulières
y sont sporadiques; citons cstoie dans lès Histor. and Municip.
Documents of Ireland (13 13, 279); purroye dans les Traités de
Rymer (1367, VI, 558) et quelques autres. Ce dernier recueil ne
nous donne guère pour le siècle dont nous parlons que des formes
sans muette; il en est de même des Litterae Cantuarienses. Il est
inutile de citer des exemples qui, même dans ce dernier recueil,
restent relativement peu nombreux.
Nous pouvons dire exactement la même chose des Year-Books;
ceux-ci contiennent un nombre infime de formes régulières, par
exemple soie 3 Edward II 83, donné par le ms. Y (13 12); mais de
telles formes sont rares.
Il est donc aussi clair que possible que la forme régulière dans
les textes diplomatiques, familiers, légaux a duré jusqu'à la fin du
xiii^ siècle et est devenue rare au xiv''; cependant cette conclusion
perd de sa valeur de ce fait que les meilleurs textes non littéraires
ne nous ont fourni aucun exemple. ,
2. La diphtongue.
Nous ne pouvons pas ici nous occuper de la diphtongue tonique
qui diffère selon les temps. L'imparfait de l'indicatif, le conditionnel,
le subjonctif d'être, de devoir, de voir ont la diphtongue ei ;
celui d'avoir a régulièrement ai; celui de jouir 0/, etc.
Nous nous contenterons simplement de faire remarquer mainte-
nant que ei passe à ai (disai : parlai, William de Waddington 9905)
et a oi au xiV^ siècle (iiiejiiiroie : joie, Prince Noir 3773); et que ai
passe à. ei (eie, Jean de Peckham 1280, 94); même oi (pye, Poème
Allégorique 157).
B. Chute de la dernière syllabe muette.
Un phénomène tout différent et d'une importance beaucoup
moindre est celui qui nous montre la chute d'un é muet précédé
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 55
d'une consonne. C'est la première personne du singulier de l'impar-
fait du subjonctif qui nous fournit des exemples de cette chute de
la voyelle muette et cette chute est évidemment accompagnée de la
disparition d'une des s de la terminaison, quelquefois des deux.
Nous pouvons le remarquer dans un certain nombre de cas que
nous fournit le poème de Boeve de Haumtone, par exemple avantas
que nous trouvons au vers 1713; une forme analogue se lit au vers
1575. Enfin et toujours dans ce même poème nous rencontrons au
vers 1014 osa a qui a perdu Vc muet et les deux s.
Ces formes sont surtout communes dans les textes légaux où
elles se rencontrent constamment; nous ne nous arrêterons pas à
citer un grand nombre d'exemples : citons seulement pledas dans le
Year Book 31, Edw. V"' , p. ^^j; demandas dans i et 2 Edw. II,
p. 138 (B et P donnent -jTj-c). Ce phénomène n'a d'importance qu'en
tant qu'il montre que la muette finale tendait à tomber dans
quelque position qu'elle se trouvât.
C. Premières personnes du singulier terminées par ai.
Deux temps présentent à la première personne du singulier la
diphtongue ai : tous les futurs et les prétérits de la première conju-
gaison. Ajoutons-y deux présents de l'indicatif ai et sai et, après la
chute de la voyelle muette (voir ci-dessus), un présent du sub-
jonctif a/V. Du reste, si nous parlons maintenant de ce présent du
subjonctif, nous pourrions à la rigueur mentionner aussi tous les
imparfaits de l'indicatif, les conditionnels et d'une façon générale
tous les temps qui nous ont occupés dans notre avant-dernière
section. En eff^et, tous ces temps, à une certaine époque, perdent leur
voyelle muette et, d'un autre côté, nous savons que la diphtongue
ai a passé de très bonne heure à ei. Et en efi'et, il se trouve que les
modifications de la diphtongue ei coïncident souvent avec celles
que nous allons observer dans la diphtongue ai, et nous nous per-
mettrons d'attirer l'attention sur ces points où une coïncidence nous
a frappés. Mais nous nous bornerons surtout à montrer les modi-
fications qui ont été subies à tous les temps où elle se trouve par
la seule diphtongue ai. S'il se rencontre des formes de cette
diphtongue qui sont spéciales à certains temps, nous les omettrons
ici pour n'en parler que quand il sera question de ces temps.
56 l'évolution du verbe en anglo-français
Nous ne ferons qu'indiquer la substitution de la voyelle y à /;
cette graphie, comme on le sait, est très générale en anglo-français
dès le commencement du xiv^ siècle (voir l'Apocalypse) sinon
plus tôt (cf. le Manuel des Péchés et les autres poèmes de la fin du
xiii'^ siècle); on peut lire à ce sujet les règles données par VOrthogra-
phia Gallica, p. 28 : XVII (T 17) : « Quandoque / stat immédiate
ante vel post m, n vel //, potest mutari in y ut legibilior sit vel
stare in sua natura. (H 92) Item quandocumque hec vocalis i inter
m et n vel u ponitur, potest mutari in y ut litera sit legibilior
legenti. »
Le changement de 1'/ en y n'a donc été tout d'abord qu'un souci
très louable de faciliter la lecture, dans les manuscrits, des groupes
de lettres où la présence d'un / pouvait en augmenter les difficultés.
Mais, comme tant d'autres règles données par l'Orthographia Gallica,
celle-ci n'a jamais été strictement observée et au xiv^ siècle les deux
voyelles / et y ont été librement prises l'une pour l'autre. Nous ne
reviendrons plus sur ce point qui n'est pas de notre compétence.
Il sera plus utile de nous arrêter sur les trois développements
principaux que nous pouvons observer pour la diphtongue ai :
1. Ai passe à ci puis à oi.
2. Ai passe à a.
3. Ai passe à e.
I . Ai passe à ei, oi ' .
Le premier de ces développements est fort connu, car il provient
de la confusion des diphtongues ai et ci (cf. dans l'ouvrage de
I. Dans le verbe, le passage de -ai à -ei ne s'observe pas seulement à la pre-
mière personne du singulier; on en trouve un autre exemple pour un impératif,
seconde personne du singulier ; mais ce changement est beaucoup plus rare. On le
trouve à l'impératif du verbe faire : fei ne se rencontre que dans certains manu-
scrits et il reste beaucoup moins commun que la forme étymologique /a/. Un des
exemples que nous avons relevés avec la diphtongue ei se lit dans deux manuscrits
du Saint Laurent pour le vers 593, dans le ms. P (manuscrit qui donne aussi le
Saint Alexis et date du commencement du xive siècle; du reste les trois impératifs
de faire que ce ms. donne pour le Saint Alexis sont réguliers : 35 a; 44 c; 67 e);
et le ms. B du vers del Juise (seconde moitié du xiiie siècle). On ne retrouve
cette forme que dans les mss. de la fin du xiv^ siècle et encore très rarement.
Pour cette question, on peut voir BokemûUer, op. cit., p. 21.
La question que nous venons de traiter n'appartient que d'assez loin à notre
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 57
M. Suchier, les Voyelles Toniques et dans le Boeve de Haumtone
de M. Stimmingce qui est dit dans le diphtongue aiy Quand nous
avons parlé de la diphtongue de l'imparfait de l'indicatif et du
conditionnel, nous avons cité des exemples du phénomène contraire.
Mais l'anglo-français a toujours montré un certain goût pour la
diphtongue ei de sorte que le passage de ai à ei est beaucoup plus
commun que le phénomène inverse.
Remarquons toutefois que nous trouvons à toutes les époques et
dans toutes les catégories de textes des exemples de la diphtongue
ai. Quant à la graphie en ci, nous nous contenterons de citer
quelques dates. C'est le futur qui nous donne les premiers exemples
de cette graphie et nous remarquerons qu'elle sera toujours plus
commune à ce temps. C'est au début du xiii^ siècle, principalement
dans les œuvres de Frère Angier, que nous en trouvons les exemples
dont l'ancienneté nous semble assurée : citons rcncontrei au vers
2722 de la Vie de Saint Grégoire. Nous pouvons trouver chez les
contemporains de Frère Angier d'autres exemples de formes ana-
logues : au vers 2857 d'Edward le Confesseur (^garrei), au vers 257
d'Aspremont; au vers 599 du Saint Edmund; au fol. 68 r° des
Heures de la Vierge; mais aucun de ces exemples n'a l'autorité de
ceux que nous fournit Angier en raison du laps de temps qui
s'écoule entre la composition de ces poèmes et la date des divers
manuscrits qui nous les ont conservés. Néanmoins nous sommes
assurés que nos premiers exemples datent du commencement du
xiii^ siècle.
Au xiv^ siècle cette graphie est très commune au futur, surtout
dans certains ouvrages parmi lesquels on peut citer l'Apocalypse
sujet : le passage de la diphtongue ai à ei est avant tout sinon uniquement une
question de phonétique. Mais, ce que nous voulons montrer c'est que les lois
phoniques ne s'appliquent pas absolument et sans distinction à toutes les parties
du verbe. La loi telle qu'elle est donnée pourrait laisser croire que, après une
certaine époque, toutes les diphtongues ai passent à ei; et nous venons de voir
qu'il n'en est rien : certaines formes prennent très vite et assez généralement la
graphie ei à la première personne du singulier, par exemple le futur; d'autres ne
semblent pas avoir adopté sinon aussitôt, au moins aussi complètement la graphie
part?/, les prétérits en Avi par exemple; enfin, il est certain que la seconde per-
sonne ^de l'impératif de faire ne prend cette dernière diphtongue que fort rare-
ment et conserve la graphie étymologique, en lui donnant probablement la valeur
générale que la" diphtongue ai a prise.
58 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
(a, 142 ; 3. 219 ; 7, 140), les Contes de Nicole Bozon (§ 137), les
Chroniques de Nicole Trivet (folio 29 r°).
En dehors de la littérature, le nombre des formes en ei n'est pas
moins considérable, parmi celles qui nous semblent assurées, nous
pouvons citer porrey dans les Statutes (1285, I, 24), la date de ce
statut est donnée comme douteuse, serrei (1306, I, 249), Ces
exemples nous montrent que la diphtongue « s'est trouvée employée
au futur, en dehors de la littérature, au plus tard au commence-
ment du xiv^ siècle et il est probable que si nos textes non-litté-
raires remontaient plus haut dans le xiii^ siècle, nous aurions trouvé
des exemples encore plus anciens, rejoignant ceux que nous fournit
Frère Angier.
Quant aux prétérits en avi, nous n'avons pas trouvé dans la lit-
térature d'exemple assuré de terminaison en ei avant le xiV' siècle.
Il y a pour cela une excellente raison. On sait que l'anglo-français
a perdu assez tôt (milieu du xiii^ siècle) le sens de la distinction de
l'imparfait et du prétérit : le mélange de ces deux temps dans cer-
tains auteurs est caractéristique.
Par conséquent, vers le milieu du xiii'^ siècle, les trois phéno-
mènes suivants se sont produits ou sont en train de se pro-
duire :
1° confusion de ai et de ei ; 2° chute de la muette posttonique
aux premières personnes du singulier, terminées par ei Ce) ; 3° con-
fusion entre l'imparfait et le prétérit.
Il en résulte que, étant donné une forme parlei dans un texte de
cette époque, nous ne pouvons jamais savoir d'une façon certaine si
nous avons à faire à un impartait ou à un prétérit, autrement dit à
parlai ou à parleie.
La même difficulté insurmontable se présente en dehors des
textes littéraires; nous avons relevé beaucoup d'exemples de ces
formes douteuses, mais il pourra sembler bien inutile de les énu-
mérer. Cependant quelques-unes nous ont semblé plus assurées que
les autres, ce qui peut n'être qu'une illusion. Jean de Peckham, à
bien des points de vue, est suffisamment correct et \echaiingey qu'on
lit (p. 128) dans une lettre de 1280 nous semble un prétérit. Ce
qu'il y a d'assuré c'est que de tous les exemples que nous avons
relevés, il nous est le plus souvent impossible d'affirmer que telle
forme, tel verbe, dans tel texte est certainement un nrétérit ou un
LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER 59
imparfait. Mais nous pouvons sans trop nous aventurer^ admettre
que la confusion de sens a justement été rendue possible par le pas-
sage de ai à ci au prétérit et que dans le nombre considérable
d'exemples douteux, il est sûr que les prétérits sont en nombre
plus ou moins important.
Or cette confusion commence probablement vers le milieu du
xiii^ siècle.
2 . Ai passe à oi ' .
Pour ce nouveau changement de la diphtongue (que ce change-
ment soit direct ou que oi provienne de ai en passant par ei, ceci
est un phénomène phonique qui ne nous regarde pas) nous nous
appuierons surtout, pour la raison que nous venons de donner, sur
les futurs.
Les premiers exemples assurés de la terminaison oi à ce temps se
trouvent tout à fait au début du xiii^ siècle dans les poèmes de
Frère Angier. Il est beaucoup moins utile pour cet auteur, comme
on le sait, de citer les rimes, puisque le manuscrit qui nous a con-
servé la Vie et les Dialogues Grégoire le Grand est très probable-
ment de la main de l'auteur et ne peut être en tout cas que de
quelques années postérieures à la composition de ces poèmes ; de
sorte que les exemples d'Angier qui suivent ont tous la même
autorité.
On trouve au présent de l'indicatif 0/ (habeo) (99 d 9, 148 b 2)
et au présent du subjonctif o/f (habeam) (112 b 33); au futur de
l'indicatif beivroi (69 c 8); diroi (102 a 29); porroi (88 b 15) ; au
prétérit /?r(WO«^/W (: toi) (48 b 18); /wi'oi (: moi) (103 à.2-Ç);aiueuoi
(99 b 35) ; entroi.
Mais on peut observer que la diphtongue oi est très rarement
assurée au xiii'^ siècle et aucun autre auteur de la même époque
que Frère Angier ne nous a offert un aussi grand nombre de formes
en oi, surtout aucune qui soit aussi assurée, et nous aimerions attri-
buer aux scribes la plupart des exemples que nous avons relevés.
On ne trouve en effet que seroi : enblancheroi au folio 67 r" des
Heures de la Vierge, enblancheroy au vers 3 des Pronostics de la
I. Pour le passage de «/ à 0/, cf. Ulricli,Zoitsclirift, III (i), 587.
6o l'évolution du verbe en anglo-français
Mort, dirroi au vers 5 de l'Ordre de Bel Eyse. Une rime assez peu
probante se rencontre dans Amadas et Ydoine sousferrai (futur)
(: octroi) Andresen 86.
Ce n'est du reste qu'au xiv^ siècle que nous trouvons cette ter-
minaison fréquemment et dans les rimes probantes, comme dans le
De Conjuge non ducenda où le futur dirroi rime avec l'imparfait
aloi (au vers 35). Cette forme dirroi se trouve du reste avec une
certaine régularité au xiV^ siècle ; on la rencontre assez fréquem-
ment dans différents auteurs. Citons par exemple dirroi dans Pierre
de Langtoft (I, 34, 11); au vers 9 du poème que nous venons de
citer, De Conjuge; à la p. 18 de Foulques Fitz Warin et dans un
certain nombre d'autres ouvrages encore.
Du reste il est évident que cette terminaison n'est pas strictement
limitée au futur du verbe dire, d'autres verbes la prennent aussi,
mais moins constamment, comme tend roi (au vers 17), froi (au
vers 3 1), ^orro/ (au vers 32) dans Trnillebaston. Nous trouvons
aussi soi pour sai dans les Rymer's Foedera (1368, VI, 586) ; mais
c'est la seule forme de ce genre que nous ayons trouvée pour le
verbe savoir.
Dans la langue légale, nous en retrouvons quelques exemples, par
exemple dirroi dans 20 et 21 Edw. l" (p. 17), mais ils sont à tout
prendre peu nombreux, isolés et ne se trouvent jamais dans les
recueils les plus corrects.
Quant aux prétérits en avi, nous supposons qu'il a dû y avoir à
la première personne du singulier des formes en oi, mais nous n'en
avons relevé aucun exemple assuré.
Remarquons d'ailleurs que, à notre avis du moins, nous n'avons
ici, comme dans la section précédente, le plus souvent qu'une gra-
phie ; il nous semble fort douteux que le futur et les prétérits de I
ait jamais eu en réalité une première personne en oi. De bonne
heure, la diphtongue ai s'est confondue avec ei ; à une certaine date,
cette dernière a été écrite oi, peut-être sans changer de son (voir
notre seconde partie, chapitre III). Les scribes qui écrivaient par
oi les imparfaits et les conditionnels ont cru légitime d'étendre
cette graphie aux futurs et aux prétérits en avi. Mais cela ne signi-
fie pas et les exemples que nous avons cités ne prouvent pas que
les premières personnes de ces deux temps aient pour terminaison
la diphtongue oi prononcée soit o-i soit o-a.
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 6î
3. Ai passe à a.
Le passage de ai à a est un phénomène phonique assez général
en anglo-français ' ; nous pouvons peut-être dire qu'il est surtout
remarquable dans les désinences du verbe, quoiqu'il n'y soit pas
extrêmement commun. Deux remarques s'imposent à nous tout
d'abord : nous ne rencontrons de ce phénomène, dans les désinences
du verbe, aucun exemple qui soit assuré par la rime, ce qui est fort
significatif déjà; et ensuite, ce qui Test davantage, ces formes
semblent propres à certains manuscrits seulement.
Nous en rencontrons les premiers exemples sous la plume de
certains scribes du xiii^ siècle et même du xii^. Le manuscrit
d'Oxtord du Roland nous en offre deux cas : muvera au vers 311, et
miirra au vers 1867. Le manuscrit R de l'Estorie des Engleis (qui
date du com. du xiii^ siècle), aux vers 609 et 1260, le manuscrit
L. de Jordan Fantosme (3^ tiers du xiii^ siècle), au vers 1345, et le
manuscrit O de Horn (com. du xiv^ siècle), au vers 4641 écrivent
sa poursai. Des formes analogues se rencontrent encore à plusieurs
reprises dans les différents manuscrits du dernier poème que nous
avons cité, en voici quelques exemples : O a atnerra au vers 891 ;
H, avéra au vers 3764, ira au vers 3813 (le manuscrit H date
de la fin du xiii^ siècle).
Le manuscrit B (xiv« siècle) de Boeve en présente lui aussi un
petit nombre (on peut citer /m au vers 801), tandis que ces
formes sont relativement communes au futur et même au prétérit
dans D, qui est postérieur à 1250, Ainsi le scribe de ce dernier
manuscrit écrit: lua (== tuai) vers 1307, doua (= donai) 1060,
enragera 2235, serra 2698. Nicole Bozon emploie cette désinence à
la prernière personne du singulier quelquefois ; dans ses Contes on
lit au § 44 //'û! et Nicolas Trivet emploie serra 62 v°.
Ajoutons encore que dans les œuvres littéraires nous trouvons
cette réduction même au conditionnel ; la diphtongue aie, qui,
comme nous venons de le voir, perd souvent Ve muet final, passe
quelquefois à a. Dermod emploie viiiira 2753, irra 3392 pour
viulraie, irraie. Il est possible que le même changement se soit effec-
I. Stimming (p. 195) nous donne quelques exemples de ce passage de ai à a
dans la tonique et la protonique; en voici quelques-uns du xii^ siècle qu'il n'a pas
cités et qui ne manquent pas d'intérêt : saiie dans le Psautier de Cambridge, 40, 4
(à côté de saine 6, 2); tarrai, ibid. 41, 4; dans le Tristan de Thomas chative
1 5 10 ; companie 2835 ■,fasance 1954.
62 l'évolution ver be en anglo-français
tué à l'imparfait de l'indicatif mais nous ne pouvons, pour les
mêmes raisons que précédemment, en être certains.
Les cas analogues où la terminaison ai passe à la voyelle a sont
plus fréquents dans l'anglo-français non littéraire. C'est le futur qui
nous fournit le plus grand nombre d'exemples, surtout, semble-t-il,
parce que ce temps, embrassant sous une seule forme tous les
verbes, se trouve plus souvent employé dans les textes que nous
avons à étudier; si la première personne du singulier du prétérit de
la première conjugaison se rencontrait aussi fréquemment, il est
Certain que nous aurions un nombre aussi considérable d'exemples
fournis par cette personne. Les Rymer's Foedera particulièrement
nous donnent un grand nombre de premières personnes du futur
terminées para ; on les trouve à diiférentes dates : pour ne citer que
les plus importantes nous trouvons (1368, vol. VI, ^S6)aconiplira,
ferra, deuioiirra; dans un traité de 1372 (voL VI, 709) on trouve
une dizaine de ces formes contre deux ou trois formes régulières.
De même dans les Documents inédits on lit : serra (1382, 231).
Les seuls exemples du prétérit de I se trouvent dans le dernier
recueil que nous venons de nommer ; on y rencontre envola (1382,
231), affia (1^82, 236).
Ces quelques exemples que nous avons énumérés suffisent tout
au moins à montrer qu'à partir du second tiers du xiv= siècle les
premières personnes avec terminaison en ai se rencontrent fréquem-
ment avec la terminaison a.
Une fois au moins le verbe avoir présente la même modification
à la première personne du singulier du présent de l'indicatif; on lit
en effet a (1365, VI, 472) pour af dans une formule de tabellion
public ; il est possible que ce ne soit qu'une erreur cléricale car les
autres formules portent ai.
Il est à remarquer que les Statutes présentent un certain nombre
d'exemples de premières personnes terminées par la dipthongue ai
ou ci et qu'on ne peut observer dans aucune d'elles la réduction de
la diphtongue k a. On trouve ainsi porrey (1286 ', 1, 211), serrei,
porterray, conustray (1306, I, 249) ; de même pour avoir, ay
(1286 ', I, 211). Il est vrai que tous les exemples que nous avons ne
vont pas plus loin que le commencement du xiv^ siècle. Ceux que
I. Date douteuse.
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 63
nous avons pu relever dans les Parliamentary Writs cependant des-
cendent un peu plus bas dans ce siècle ; on trouve en effet à la date
de 1322 (p. 202), eidrei, meintendrei , socurrei, defendrei ; mais tous
ces futurs sont écrits avec la diphtongue ci.
Au contraire dans les Year Books ces désinences en -a sont
extrêmement communes : avéra 20 et 21 Edw. I" 191, purra 33,
35 Edward I" 399 etc ; dans iG Edw. III c'est la seule dési-
nence de la première personne du futur. Les exemples sont moins
nombreux au prétérit ; on relève cependant esposa, 20 et 21 Edw. P""
121, et haiUa, 3 Edw. II 185 (Y).
De même pour avoir, agc (^= ai-je) se lit dans 21 Edw. I"
173, 195, ce n'est peut-être qu'une faute de lecture, ij peut avoir été
pris par l'éditeur pour un g.
Il n'est pas facile de conclure sur des données aussi incertaines,
il semble toutefois que l'on puisse admettre que :
\° a pour ai remonte à la seconde moitié du xii^ siècle où ce
changement est rare ;
2° qu'il a été un peu plus fréquent au xiii"^ siècle et encore plus
au xiv^ siècle ;
3° qu'il est surtout le fait de quelques scribes assez ignorants;
4° que la grande majorité des auteurs, même des écrivains non
littéraires, ignorent cette forme ;
5° et que cet a ne rime jamais avec 1'^? ordinaire.
4. Ai passe à e\
Quant à la voyelle e pour ai, elle est extrêmement rare ; au futur
nous n'avons rencontré ç\nt avère à la page loi de Foulques Fitz
Warin, tt frei (= ferai) donné par le manuscrit D. de Boeve de
Haumtone pour le vers 926. Citons encore la forme très dou-
teuse remeindre au vers 2036 du Josaphat de Chardri (L et O).
Au prétérit cette désinence se trouve encore, mais dans un seul
auteur, Jean de Peckham, qui écrit dans ses Lettres célèbres (1280,
94), esciimiuiei (1280, 149), snjfrei (1280, 99).
Il sera peut-être utile de résumer maintenant en quelques mots
ce que nous avons vu dans les pages précédentes.
I. La terminaison en -ai (y) reste à toutes les époques la dési
nence la plus commune.
I. Cf. Grôhers, Grundriss, I, 3, 552,
6^ l'évolution du verbe en anglo-français
2. Seule avec celle-ci, la terminaison en -ei se trouve employée
avec quelque régularité; et elle se rencontre assez fréquemment
comme terminaison de la première personne du singulier du futur.
On en relève des exemples à partir du commencement du xiii'^ siècle
et elle est relativement commune au xiv^
3. La diphtongue oi se rencontre certainement dans un auteur du
commencement du XIII'' siècle, Frère Angier; mais ce n'est qu'au
XIV* que nous trouvons quelques autres exemples de cette forme. A
l'exception des cas que nous fournit l'auteur que nous venons de
nommer, nous n'avons aucune preuve que la diphtongue oi ait été
autre chose qu'une graphie.
4. La désinence en a elle-même n'est peut-être qu'une graphie,
car nous ne l'avons jamais rencontrée à la rime ; elle semble spé-
ciale à certains scribes qui ne sont pas nombreux.
5. Enfin la désinence en e est encore beaucoup moins emplo3'ée
et ne se trouve pas dans plus d'une demi-douzaine d'exemples.
LE RADICAL DE LA PREMIERE PERSONNE DU SINGULIER
La première personne du singulier ne présente pas une unité
assez réelle pour que nous ayons à signaler des modifications géné-
rales dans le radical ; nous pourrions à la rigueur en trouver
quelques-unes , mais ce serait surtout des modifications purement
phoniques, qui ne nous regardent pas.
Nous croyons cependant pouvoir attirer l'attention ici sur deux
phénomènes, d'importance difi:'érente : le premier a la nature d'un
détail; c'est l'allongement du thème de certains verbes de I à la pre-
mière personne du singulier : les verbes à thème vocalique. Comme
type de cet allongement, nous pouvons citer la forme ho de loer,
qui se rencontre très fréquemment au xiv* siècle (cf. plus haut).
La voyelle double a dû développer rapidement un son consonan-
tique que les auteurs ont représenté par un lu : /otf est commun
en dehors de la littérature, spécialement dans les Year Books
(cf. supra). La diphtongue oi est rare, quoiqu'elle provienne de
cette môme tendance à allonger le radical ; à moins qu'on ne
veuille voir dans 1'/ le développement d'un son accessoire destiné à
adoucir l'hiatus. Loie se rencontre dans les Rymer's Foedera,
iy)6,\, 856.
LA PREMIÈRE PERSONNE DU SINGULIER 65
La seconde question est plus importante ; elle se rapporte aux
différentes formes que prennent à la première personne du singu-
lier les verbes donner, trouver, rover, prover. Le premier montre
indifféremment tout d'abord l'une des deux diphtongues ni ou oi;
duins et do'uis sont tous les deux fort communs ; mais cette diph-
tongue se trouve employée même pour les formes qui ont perdu 1'^
et pris Ve analogique. Doine se rencontre assez fréquemment au
xiv^ siècle ; c'est évidemment une contamination entre doifis et
donne.
La question principale qui est soulevée par les autres verbes se
rapporte à la consonne du radical. Ces trois verbes montrent très
fréquemment le v de l'infinitif sous forme de /. L'introduction de
cette consonne dans le thème remonte assez haut, puisqu'on trouve
trofs dans le ms. Arundel XIV de Gaimar (commencement du
xiV-' siècle). De même on trouve nifs au vers lo d'Otinel; mais
ces formes ne sont vraiment communes que dans les textes de la
langue légale ; nous avons cité plus haut des exemples de la pre-
mière personne du présent de l'indicatif du verbe prover ; on a
vu que dans les Year Books cette personne a toujours une/.
La présence de cette consonne dans ces différentes formes s'ex-
plique par le désir de ramener cette personne à une forme moins
différente de la forme normale du verbe à toutes les autres parties
de la coniusaison.
CHAPITRE II
LA DEUXIÈME PERSONNE DU SINGULIER
LA CONSONNE DE LA TERMINAISON
k.—SetZ.
On sait que, étymologiquement, la deuxième personne du sin-
gulier est terminée par s, sauf lorsque la consonne finale du radi-
cal est une dentale \
Nous ne trouvons à aucun moment en anglo-français un état de
choses absolument correct. Il serait plus agréable que réellement
rigoureux de distinguer dans l'histoire de l'anglo-français, à propos
de cette deuxième personne du singulier, comme sur beaucoup
d'autres points, des phases et une évolution bien marquées. Il est
impossible de le faire. Cependant, pour mettre un certain ordre
dans une question qui n'en comporte guère, il nous sera néces-
saire d'introduire un certain nombre de divisions. On peut à la
rigueur admettre dans l'histoire de la seconde personne du singu-
lier deux moments : le premier voit le z^ prendre une extension de
plus en plus considérable mais régulière : le second est marqué par
la confusion absolue entre 5 et ~ et par la tendance à considérer
cette dernière consonne comme la caractéristique de cette per-
sonne.
Il ne faut pas se dissimuler ce que cette formule précédente,
comme toutes les autres, quand il s'agit d'anglo-français, a, d'un
côté de trop absolu, de l'autre d'inexact. Elle est trop absolue, car à
toute époque de la littérature et dans tous les auteurs, on relève un
nombre considérable de formes régulières; inexacte, car il arrive
I. Stimming, dans son édition de Boeve de Haumtone, donne (pp. 229-230)
sur les consonnes 5 et :^ une étude dont les conclusions ne différent pas matérielle-
ment des nôtres (cf. en particulier le dernier § de la page 230).
LA DEUXIÈME PERSONNE DU SINGULIER 67
que dans ce que nous considérons comme le premier moment on
observe une confusion aussi grande que celle qui, d'après nous, carac-
térise le second.
Le premier moment pourra sembler très court : il s'étend depuis
le début du xii^ siècle jusque vers 1170.
C'est durant cette période que le :<; commence à se généraliser et
que son extension est soumise, semble-t-il, à des lois phoniques.
Comme M. Meyer-Lûbke l'a montré, la combinaison de Vs et
d'une labiale donne à cette époque :{, sinon toujours, au moins
très fréquemment. Aussi on trouve un ^ de cette sorte dans la plu-
part des premiers écrivains anglo-français. Toutefois ce n'est que
dans Gaimar que cette consonne est attestée par la rime comme
combinaison de labiale et de 5 ; on lit en effet dans l'Estorie des
Engleis se^ à la rime avec mostrez au vers 2747 ; à la même époque
ou antérieurement nous pouvons relever d'autres exemples qui
n'ont pas la même valeur parce qu'ils ne sont pas placés à la rime :
dei::^ se lit au vers 3416 du Cumpoz et dans le Bestiaire aux vers 939,
2681. Plus tard encore, mais toujours dans des auteurs du
XIF siècle, on retrouve cette même forme dans la Vie de Sainte
Catherine au vers 297, dans le Drame d'Adam au vers 124, au
vers 165 d'Elie de Winchester. Peut-être en a-t-on aussi un exemple
dans deis : veis dans Everart de Kirkham (80 a b), à moins que ce
ne soit un exemple de l'irrégularité contraire. Se^ que nous avons
déjà vu dans l'Estorie des Engleis, est très commun, soit dans les
œuvres en prose ou dans le corps du vers ; citons les formes qu'on
relève dans le Psautier de Cambridge (68, 7); dans Sœur Clémence
de Barking (au vers 266); dans le Drame d'Adam (aux vers 153,
293, et 125 où il écrit 5<7q), au vers 256 d'Elie de Winchester.
Les autres verbes à labiale ne sont pas très fréquemment employés
à la seconde personne du singulier ; citons toutefois un exemple
qui de toutes façons est très ancien, wo;{ employé au vers 1322 du
Voyage de Saint Brandan.
Mais tous les exemples précédents, à l'exception du premier, ne
sont pas attestés par une rime; s'ils appartiennent aux scribes, ils
sont sensiblement postérieurs à l'Estorie des Engleis (Ms. du Bran-
dan, 1167).
Il faut du reste remarquer que, même pour ces verbes, les termi-
naisons étymologiques ne sont pas rares : citons entre autres dans
Gaimar, deis au vers 3694; ses dans le Drame d'Adam 899.
68 l'évolution du verbe en anglo-français
A peu près à la même époque que les verbes à labiale, les verbes
à vélaire montrent à leur tour un ;(, par exemple dans les Psautiers
qui donnent /i7/~ (Oxford 103, s) dix, (Cambridge 89, 3) ; mais l'em-
ploi du - représentant vélaire -|- i- ne semble pas encore très géné-
ral ; le premier exemple qui soit assuré par la rime se trouve
dans la vie de Sainte Catherine, de Sœur Clémence de Barking au
vers 258: (iespi:^ ( : fiz).
De tous les verbes à vélaire, c'est faire qui montre le plus sou-
vent ce ~ à la seconde personne du singulier : fai\ se trouve déjà
dans le Psautier d'Oxford (103, 5) ; dans Adgar (XIII, 20) et au
vers 2955 de Horn où la forme 7^:^ montre peut-être une réaction
de /;rt^ ; citons encore fûi\ qui se lit dans le Sermon de Guischart de
Beaulieu (au vers -]86). Tous ces exemples ont ceci de commun qu'ils
se rencontrent dans le corps du vers seulement ; de toutes façons,
les plus anciens apparaissent vers 1 170 au plus tard.
Le verbe dire ne présente que très peu d'exemples de cette
seconde personne avec ^ ; nous trouvons toutefois la forme di^ dans
le Psautier de Cambridge (89, 3).
Les formes régulières se rencontrent à cette époque plus fréquem-
ment que les autres '. Fais est plus souvent employé que fai~ dans
le Psautier d'Arundel (même référence). Dans les autres ouvrages
elle est fréquente, quoique, elle non plus, n'apparaisse jamais à la
rime.
Tels sont les cas de :^ pour s que nous avons rencontrés à cette
époque, et l'on peut trouver très remarquable, pour l'anglo-français,
la manière très régulière dont le ^ gagne progressivement de nou-
velles classes de verbes.
Cependant le psautier de Cambridge fait exception à cette régu-
larité; on lit en effet dans cette traduction trois exemples de ;;^ ne
rentrant dans aucune des catégories précédentes et assez difficile-
ment explicables: le présent de l'indicatif dor:^ (43, 25), ou le :{
peut provenir de la chute de la labiale, et deux subjontifs : dcstiirni
I. Il est vrai que Koschwitz prétend que dans ce cas 5 provient de:{. Voici ce qu'il
avance (Zeitschrift fur rom. Phil., II, Compte rendu du travail de Meister) : « In
faii steht nicht ;{ fur 5 ; sondern umgekehrt in den beiden Formen, fais hat jùn-
geresidas ursprûnliche :^ verdrângt, gerade so in iw fur wî;ç ». La forme primi-
tive aurait donc eu :^, mais les plus anciens textes ont /a/5 (cf. Roland, vers 2582).
Voir Etienne, p. 306.
LA DEUXIÈME PERSONNE DU SINGULIER 69
(131, 10) etdeclitii (140, 4), à côté de déclines, 26, 10. On ne peut
s'empêcher de remarquer que ces deux derniers exemples sont les
seuls qui ne présentent pas la voyelle analogique e. On est donc natu-
rellement tenté de lier les deux faits et d'expliquer la présence du :^
par l'absence de la muette (cf. les subjonctifs en EM, et Seconde
partie).
Mais en même temps qu'il gagne de nouveaux verbes, le :( perd
du terrain sur d'autres points ; un certain nombre de verbes à den-
tale se présentent à la deuxième personne du singulier du présent
de l'indicatif avec -f ; plusieurs des exemples qui suivent, peut-être
tous, pourraient être considérés comme de simples fautes d'ortho-
graphe. Mais même si on l'admet, ils montreront que dès le com-
mencement du xii^ siècle de telles fautes étaient possibles et fré-
quentes. Citons quelques-unes de ces formes. Dans le ms. A de
l'Alexis (88 d.) on trouve déjà veis, forme qu'on retrouve dans le
Psautier d'Oxford (34, 25), dans le Psautier d'Arundel (34, 24 et
passiiii), dans Adgar (XXVIII, 115); voir aussi l'exemple d'Eve-
rart de Kirkham que nous venons de citer (veis ( : deis) 80 a b). De
même, creis se trouve au vers 2754 de l'Estorie des Engleis et est
donné par les quatre mss., ce qui est une présomption que cette
forme appartient à l'original,, puis aux vers 847 et 882 de la Vie de
Sainte Catherine, enfin dansAdgar, XXX, 183.
Enfin prens se lit dans le Psautier d'Oxford, 19, 17 ; et en ce qui
concerne ce dernier exemple, est-il nécessaire de recourir à l'expli-
cation de Koschwitz qui tient que le d qui appartient étymologi-
quement au radical a été considéré comme une dentale paragogique
et a priori ne faut-il pas admettre seulement, pour expliquer cette
forme, une théorie qui puisse en même temps rendre compte de
veis et de creis ?
Il nous semble que l'explication la plus satisfaisante en même
temps que la plus simple, est celle qui voit dans ces changements
le commencement de la confusion des deux phonèmes, cette con-
fusion qui doit devenir complète dans le cours du xiii*^ siècle,
époque à laquelle 5 et :^ seront absolument interchangeables. Ce qui
pourrait encore nous confirmer dans cette opinion, c'est qu'aucun
des exemples n'apparaît à la rime; ils peuvent donc, même celui
que donnent les quatre manuscrits de l'Estorie des Engleis, appar-
tenir aux scribes. Il en résulterait que nos premiers exemples de ce
70 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
phénomène remonteraient bien à la seconde moitié du xii*^ siècle,
mais seraient rares à cette époque et seraient plutôt des irrégularités
en quelque sorte personnelles qu'un usage tant soit peu général.
Comme nous le disions tout à l'heure, le second moment, celui
où s'affirme cette confusion, semble commencer avec les Quatre
Livres des Rois (iryo). Il est inutile de dire qu'à cette époque, et
même beaucoup plus tard, les formes régulières soit en s soit en :^
sont encore extrêmement nombreuses ; il est facile d'en trouver,
non seulement au xin*" mais aussi au xiV' siècle. Cependant, il est
nécessaire de remarquer ici qu'entre les formes correctes qu'on
trouve dans l'Estorie des Engleis, par exemple, ou dans les Quatre
Livres des Rois et celles qui se lisent dans Pierre de Langtoft ou
Nicole Bozon, il y a une différence essentielle. Les auteurs des
deux premiers ouvrages emploient tantôt j et tantôt :^ suivant l'idée
qu'ils ont de la correction grammaticale ; ils connaissent la diffé-
rence entre les deux consonnes et n'ignorent pas la règle, seulement
ils l'appliquent souvent mal. Pour les deux derniers, l'emploi de
l'une ou l'autre de ces deux consonnes n'est qu'une affaire de
chance ; ils ont peut-être quelque règle (cf. Orthographia Gal-
lica, CO, § II, p. 6 ; H§ 73, p. 7) quoique cela soit très douteux;
mais ces règles n'ont rien de commun avec la grammaire fran-
çaise. Surtout ils ne font pas la moindre différence entre les deux
phonèmes.
Il n'est pas facile toutefois de préciser à quel moment ces formes
d'apparence correcte deviennent simplement une question de
hasard.
Pour étudier cette question, nous énumérerons d'abord, aussi
rapidement que possible, les cas qui nous montrent:
1. L'emploi de s pour ~;
2. L'emploi de :^ pour s; mais plus spécialement :
a) :( s'ajoutant à un thème consonantiquesans altérer la consonne
précédente ;
b) i se joignant une voyelle ;
c) :( se joignant à une dentale (/~ ou d~).
I. s pour ^.
L'emploi de s pour ~, dans tous les verbes à dentale devient assez
commun apprès 1170; aller, croire, mentir, oïr, pouvoir, prendre,
LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 71
seoir, voir apparaissent fréquemment à la deuxième personne du
singulier du présent de l'indicatif avec la forme en s. Nous don-
nons quelques références pour creis, mens, os, prens, sies, veis '.
Quoiqu'elles soient très incomplètes elles pourront sembler
déjà assez nombreuses, et nous aurions pu aisément en citer
un plus grand nombre. Toutefois, si l'on considère que la plupart
de ces personnes ne sont pas employées d'une manière très fré-
quente, même que nous n'avons qu'un nombre très restreint de
secondes personnes du singulier, les exemples que nous venons
d'énumérer prennent une valeur plus considérable et montrent
avec une clarté suffisante que la consonne s prend fréquemment la
place de ;( ; quoique nous ne puissions pas ici préciser les dates de
ces différents changements, nous voyons qu'ils sont déjà nombreux
dans les premières années du xiii'= siècle et s'étendent, comme il
est naturel, jusqu'à la fin du XIV^
2. :( pour s.
Ce que nous avons observé tout à l'heure en étudiant le xii^ siècle,
se retrouve encore dans les œuvres des siècles suivants; les verbes à
labiale et les verbes à vélaire prennent de plus en plus communé-
ment ;{ à la deuxième personne du singulier du présent de l'indi-
catif. Et il nous semble que, pendant un certain temps au moins,
c'est consciemment que les auteurs ont continué à substituer dans
ces deux cas :^ à s. Devoir, par exemple pourrait nous fournir un
nombre considérable d'exemples, citons ceux quenousavons relevés
pendant la première partie du xiii'^ siècle : ^f/^ se lit dans les Quatre
Livres des Rois (I, 17, 43) ; dans la Vie de Saint Grégoire (au
vers 1331); Miss Pope en cite un exemple dans les Dialogues
(36 r°). Citons encore Robert de Gretham qui l'emploie au fol. 89
v°, le vers 297 du poème de Saint Auban, etc.
I. Creis, Saint Laurent, 357 ; Aspremont, 206 (écrit cres) ; Robert de Gretham,
73 ro (écrit creies) ; Sainte Marguerite, 1 12 (écrit crois); Pierre de Langtoft, I, 202,
7 (écrit crays) ; etc.
Mens, William de Waddington, 10202 ; Os, Saint Laurent, 221.
Petis, Saint Laurent, 700 ; Aspremont, 204 : Prens, Chardri, Josaphat,
1663.
Syes, Boeve, 1249; Genèse N^ D^, 75 r".
Veis: Saint Laurent, 545 ; Edward le Confesseur, 1065 ; Robert de Gretham,
76 ro.
72 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Nous pourrions de la même façon trouver de très nombreux
exemples de h forme jt',~, elle se rencontre dans la plupart des
auteurs du xiii^ siècle'. Quelques autres verbes, moins employés
du reste, peuvent encore se rencontrer, citons seulement resccii^
(qui est malgré sa forme un présent de l'indicatif) dans Pierre de
Langtoft II, 208, 5. En résumé, si les exemples de ^ à la deuxième
personne de l'indicatif sont sensiblement plus nombreux dans cette
période que dans la période précédente, néanmoins ce n'est qu'ex-
ceptionnellement que nous trouvons de nouveaux verbes.
Il en va tout autrement pour les verbes à vélaire; nous retrou-
vons bien avec ^ tous les verbes que nous citions tout à l'heure,
même les formes avec ;( deviennent plus constantes r/fl'/- devient
la forme à peu près unique ^ et nous ne rencontrons pour ce verbe
aucun exemple assuré de la terminaison étymologique. Mais de
plus, de nouveaux verbes sont atteints, citons /;> qu'on lit dans la
note de la page 50 des Quatre Livres des Rois; cunm\ dans le même
ouvrage II, 17, 8 ; attrei^ se trouve dans les Dialogues Grégoire le
Grand de Frère Angier, 2 v° a, etc. Ces formes, par la suite, vont se
généraliser très rapidement.
Enfin le :^ gagne encore plusieurs verbes n'appartenant à aucune
des classes ci-dessus; plusieurs verbes à linguale le prennent, sinon
très régulièrement, du moins fréquemment; le Saint Auban nous
donne de cette façon vo^ (de vouloir) au vers 185, veii~, 1297;
voil:(, 1668 ; nous trouvons d'autres exemples du même genre dans
plusieurs autres auteurs, quoique en moins grand nombre, comme
voel:(^ dans la Vie de Saint Grégoire au vers 403.
Ces formes, sauf peut-être les deux dernières que nous venons
de citer, ont une certaine régularité : le ■{ semble y conserver sa
nature, celle d'une consonne double. Nous verrons dans les pages
qui suivent des exemples franchement irréguliers. Nous voulons
toutefois, avant de parler de ces derniers, faire remarquer que,
même pour les trois classes de verbes que nous avons énumérées,
l'usage n'est pas général au xiii^ siècle; il varie au contraire presque
d'un auteur à l'autre. Il est évident par exemple que certains écri-
vains, tels que Chardri, préfèrent employer s à la deuxième per-
1. Sei se lit dans le Saiut-Laurent, 171 (mais ses 810); Robert de Gretham
34 ro (mais ses 66 r") ; Saint Auban, 218.
2. Fin\, Robert de Gretham, 65 vo, 39 vo(faz); Aspremout, 195.
LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 73
sonne du présent de Tindicatif. On peut trouver chez ce dernier s
pour ~, mais nous n'avons pas relevé d'exemples de l'usage contraire.
11 a régulièrement (fo ( : jadis) Petit Plet 133, iv/Lf Josaphat, 124,
483, vniis Petit Plet 1642. D'autres même, l'auteur de Boeve de
Haumtone par exemple, n'emploient guère que les formes en s ; le
seul exemple d'un ;^ à la deuxième personne du singulier que nous
puissions citer dans ce dernier poème c'est ^(V^, 100 ; et encore il
est fort probable que nous avons ici un pluriel précédé d'un pronom
singulier (cf. Stimming^ p. 12e, Anmerkungen 51). On trouve
d'ailleurs chez Boeve s dans la plupart des cas où chez d'autres ;(
est employé: ses (3179) vais (407), vois (2616) (tous les deux de
vouloir), dis (: garnis) (2393), etc.
Robert de Gretham qui écrit :^ après les labiales, comme nous
l'avons vu, conserve s après les linguales vols (: avéols) 18 v° ; vous
26 r°.
Ce qui montre le plus clairement la confusion entre 5 et :^ ce
sont les cas où, dans le même auteur, le même verbe prend indif-
féremment l'une ou l'autre des deux terminaisons ; les exemples
sont nombreux au xiir siècle et quand l'une et l'autre forme sont
assurées par la rime nous ne pouvons douter que l'auteur ait perdu
le sens de la différence entre les deux lettres. Il est vrai que nous
avons déjà vu cela dans les auteurs antérieurs aux Quatre Livres des
Rois, à une époque où il est difficile de croire que la distinction
entre 5 et ~ ait déjà été abolie; mais cela n'arrivait que pour les
verbes ou les classes de verbes qui étaient en train de changer de
terminaison. Il est évident qu'un tel changement, surtout dans une
langue aussi peu stable que l'anglo-français, ne pouvait pas se pro-
duire tout d'un coup et que l'on doit s'attendre à trouver les deux
formes concurremment.
Après les Quatre Livres des Rois, au contraire, ce changement
perpétuel de s en ::^et réciproquement s'observe à peu près pour tous
les verbes. C'est ainsi que dans ce dernier ouvrage : vai::;^ et vas (de
aller) vei^ et vais (de voir) se trouvent côte à côte, la forme ;^
restant beaucoup plus fréquente que l'autre pour ces deux verbes. Il
en va exactement de même, toujours dans les Quatre Livres des
Rois, pour les verbes ayant régulièrement s : ^675 et dei::^, dis et ^//;^,
fais et fai:(, vols et voli ; pour les verbes de cette catégorie la pro-
portion des.f et des ~ est très variable, :( prédomine pour faire et
74 l'évolution du verbe en anglo-français
pour dire, se trouve en nombre inférieur à celui des 5 pour vou-
loir et devoir. Si nous passons à d'autres auteurs nous trouvons
ses et sc\ (respectivement au vers 8io et 171) dans le Saint Lau-
rent, vols et voeJ~ dans la Vie de Saint Grégoire (vers 1514,
^03).
Et nous pourrions montrer dans chaque auteur, ou à peu près,
cette hésitation entre les deux formes.
Mieux encore que ces variations de la consonne finale, trois faits,
qui à vrai dire n'ont pas l'extension des faits que nous venons
d'étudier, prouvent l'identité absolue de :^ et de s pour les écri-
vains anglo-français de ce temps. Jusqu'alors :^ était considéré natu-
rellement comme une consonne double, désormais, il ne sera plus
qu'une consonne simple qui pourra :
1° s'ajouter à un thème consonnantique sans altérer la consonne
précédente ;
2° se joindre à une voyelle ;
3° se combiner avec une dentale.
. 1° C'est surtout aux thèmes terminés par r, m, n ou / que ;(
s'ajoute sans modifier le thème. Nous avons déjà vu cette consonne
devenant la désinence de la deuxième personne du singulier pour
un thème en ;;/ dans le Psautier de Cambridge, 43, 25. Mais alors
la consonne thématique disparaissait devant le ;( : désormais ce :(
n'aura plus et ne peut plus avoir d'influence sur le thème. Les
exemples sont très nombreux : eiiquici\ dans les Quatre Livres
des Rois, I, 28, 16; qiier:{ (: clerO dans les Dialogues Grégoire le
Grand 3 r° a ; )mie)\ dans les Quatre Livres des Rois, I, 25, 28 ;
moer:{ dans la Vie Saint Grégoire au vers 2568 ; iw/' dans la Vie
de Saint Grégoire au vers 403, t'o/7^ dans le Saint Auban 1668 ;
tieuT;^ dans les Quatre Livres des Rois, I, 25, 28; dans Horn,
976 ; dans Angier 26 v° a et quelques autres. Tous ces exemples
montrent très clairement ce que nous avons annoncé tout à l'heure,
à savoir que les auteurs dont ils sont tirés ne comprenaient plus
que :^ à la seconde personne du singulier était étymologiquement la
somme totale de la désinence s et de la dernière consonne du
thème ; autrement dit, ils ne voyaient plus la différence essentielle
entre 1 et s.
2° Ceci est encore mis en lumière par les deuxièmes personnes
du singulier à désinence vocalique e ou et, qui prennent ~ après
LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 75
leur voyelle. Lorsque cette voyelle est c, il devient impossible de
savoir si l'on a affaire à la deuxième personne du singulier ou à
celle du pluriel, car on sait que nos écrivains anglo-français n'hé-
sitent pas à faire suivre un sujet au singulier d'un verbe au pluriel
(cf. /// ave:^, dans Horn 3971 H et ce que nous avons dit plus
haut de poe:^^. Cette faute d'accord cependant n'est pas très fré-
quente et nous pouvons prendre les exemples suivants comme des
deuxièmes personnes du singulier ; qiiide~ Horn, 87e (dans les
4 manuscrits) ; sace~, Saint Gilles 423 ; aie~ id. 460. Il y a d'autres
exemples, et ils sont nombreux au xiv^ siècle ; mais ils sont plus
douteux et il est inutile de les citer.
On doit reconnaître toutefois qu'il est rare de trouver :^ à une
deuxième personne du futur ou d'un prétérit en A : nous en avons
cependant quelques-unes et il se peut qu'il y en ait d'autres qui
nous aient échappé ou qui se trouvent dans des auteurs que nous
n'avons pas consultés ; nous pouvons toutefois citer l'exemple du
Donnei des Amants, ie7idra~ (au vers 1000), et avra:( que donne
le ms. A pour le vers 1092 de l'Ipomédon.
3° Enfin il arrive, assez fréquemment même, que les écrivains
anglo-français font précéder d'une dentale le :{ de la désinence,
montrant par là aussi clairement que possible que, pour eux, le :(
est une consonne simple. Le premier exemple que nous avons pu
trouver se lit dans la Folie de Tristan et doit sans aucun doute
être attribué au scribe, c est fait i Ç: laiz) 370'. Le traducteur des
Quatre Livres des Rois écrit lui aussi, Jjcd~, II, 19, 6 ; le scribe d'Ed-
ward le Confesseur rrt7/;(. 2933. Les graphies de ce genre sont rela-
tivement fréquentes dans le Saint Auban i)ieiii:(^ 827, doi1:( f)'y'] , faitx_
129 ; citons encore l'exemple de Bozon sort:{^ qu'on peut lire dans
le deuxième appendice de Pierre de Langtoft, 11^ 428, 30.
Signalons aussi une forme très insolite ines:(^ ; elle se trouve dans
le Saint Gilles au vers 301 et nous semble une erreur cléricale pour
niet^.
Le mélange absolu des désinences en s et en ;(, en même temps
que les trois faits précédents, montre bien que dès le commence-
ment du xiii^ siècle au plus tard, les auteurs anglo-français avaient
entièrement perdu la notion de la diff"érence qui sépare 7^ de s.
I.M. Bédier dans son édition rétablit /a;':^.
76 l'évolution du verbe en anglo-français
Ceci est un phénomène phonique sur lequel nous n'avons pas le
droit de nous arrêter plus longtemps, mais que, du reste, nous
retrouverons lorsque nous étudierons la deuxième personne du
pluriel et les participes en é.
B. — Chute, de la consonne de la terminaison.
La consonne de la terminaison tombe quelquefois ; c'est un fait
assez rare, trop fréquent cependant et qui a trop d'analogues pour
qu'on puisse le mettre en doute. On en rencontre déjà un premier
exemple dans le ms. A de l'Alexis : perde (présent du subjonctif)
12 e; dans les Quatre Livres des Rois, Vs ou le :( tombe après la
diphtongue ai : fai (III, 19, 13) ; Boeve présente trois exemples de
ce phénomène : l'un qui n'est pas à la rime, va, 2080, et auquel on
peut opposer le vas du vers 3701 ; les deux autres sont à la rime :
affie (: mie) 47, die (: Nubie) 1 5 18. Tohler (Vermisch. Beit., I, 25,
26) considère ces deux verbes comme des impératifs. Il nous
semble difficile de nous ranger à cette opinion ; le plus qu'on pour-
rait dire, c'est que c'est sous l'influence de l'impératif que ces deux
verbes ont perdu leur s. Voici les deux vers où ils se trouvent :
Messager, je voil que tu ore me afie. (v. 47)
Di moi, dont tu es, je voile que tu le die... (15 18)
Nous devons reconnaître que ces deux derniers exemples n'ont
peut-être pas toute la valeur que leur attribuait Tobler ; quoiqu'ils
se trouvent à la rime, ils ne sont rien moins qu'assurés et peuvent
tout aussi bien provenir du scribe que de l'auteur Ils ne sont
donnés que par un seul manuscrit, et nous sommes à peu près cer-
tains que l'auteur du poème fait rimer sans scrupule des terminai-
sons qui diff^èrent d'une s (cf. laisses I, XI, XVI, XXII). Par con-
séquent, rien n'est plus possible que le texte original ait porté af/ies,
dies, et que la chute de 1'^ ne remonte qu'au xiV^ siècle. Quoi qu'il
en soit, nous ne pouvons les considérer comme des impératifs,
et pour nous, sans aucun doute, ce sont des subjonctifs ; il nous
est d'autant moins difficile de l'admettre qu'il y a eu avant eux,
surtout si nous les rejetons au xiv' siècle, des cas analogues qui
montrent la chute de la consonne finale à cette personne. Il y en a
évidemment quelques-uns de postérieurs à Boeve de Haumtone,
LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 77
quoique en petit nombre ; face dans Pierre de Langtoft, I, 194, 11
(C. seul) ; face dans Nicole Bozon, Contes, § 4, etc.
LA VOYELLE
1° Graphies de l'atone .
La voyelle atone qui dans certains cas précède l'^ est ordinaire-
ment exprimée par e. On .peut relever d'autres graphies, mais elles
sont peu nombreuses. Le Psautier de Cambridge emploie quelque-
fois a : dunas (17, 48). Il ne faut pas confondre cette terminaison
as avec celle de estas (id. 9, 21, et dans le Drame d'Adam, vers 1 14).
On rencontre aussi ne dans le même psautier (pour cette termi-
naison cf. Suchier, Grammaire, § 35 d, et Stimming, p. 184)
par exemple, dnnaes, 144, 16, sorte de compromis entre es et as.
Il est plus commun de trouver la muette exprimée par /. Ceci se
produit spécialement au xiv^ siècle et c'est surtout le verbe faire
qui semble susceptible de prendre la terminaison -is : facis se lit
par exemple dans Boeve (2590) dans Nicolas Trivet (47 r°), etc.
On peut citer encore /rt^'Z/V (Boeve, 2301).
2° Chute de Ve atone après la mono-diphtongue ei.
C'est évidemment le même phénomène que celui que nous avons
déjà eu l'occasion d'étudier à propos de la première personne du
singulier ; nous en parlerons donc très brièvement, d'autant plus
que le petit nombre d'exemples que nous fournit cette seconde per-
sonne ne nous permet pas d'arriver à des conclusions aussi précises
que précédemment.
La voyelle atone le plus souvent semble se conserver à l'imparfait
jusqu'à Robert de Gretham qui nous donne encore les exemples
suivants saveies (3 syllabes) 91 v°, pliireies (3 syll.) ibid.
Cependant au subjonctif d'être, nous trouvons déjà dans
Chardri seis, Sept Dormants, 1566 ;
Ki ne deïst : « Jhesu beneit sois tu ».
Citons encore dans la Vie de Saint Edward (Rom. XL, vers 11,
44) erreis :
Vallct, tu erreis malement .
Plus tard la même forme se rencontre dans Boeve, aux vers 1907,
78 l'évolution du verbe en anglo -français
221 J, mais la mesure du vers dans ces deux derniers cas ne peut
rien nous apprendre. Au xiv^ siècle, nous ne retrouverons cet e ni
à l'impartait ni au subjonctif; il a disparu, autant qu'on peut l'affir-
mer, de l'orthographe aussi bien que de la prononciation : solays,
Pierre de Langtoft, II, 208, 7 ; savays, Nicolas Bozon, Contes,
§ 32; sais (subjonctif d'être), Pierre de Langtoft, I, 478, 17.
3° Atone parasite.
Il est encore beaucoup plus rare que la voyelle atone s'introduise
là où elle n'est pas étymologique; ici encore nous pouvons nous
demander si nous n'avons pas affaire à des deuxièmes personnes du
pluriel avec un sujet singulier (cf. 2^ pers. plur. en -es^. Cest ainsi
que nous avons toiles dans Edward le Confesseur, 751, creies (i syll.)
au vers 11, 45 de la Vie de Saint Edward (Romania, XL) et encore
dans Robert de Gretham (73 r°) ; oyes (= oz), Heures de la Vierge,
68 r°. Il est probable que cette atone est purement graphique et
même une faute d'orthographe des scribes.
La voyelle tonique.
Nous n'avons aucune observation générale à faire sur la voyelle
tonique à la seconde personne du singulier. Nous ferons simple-
ment observer ici que le verbe être présente ordinairement la
forme es ; ies est rare, sauf dans certains auteurs du xii^ siècle, en
particulier Sœur Clémence de Barking (cf. vers 302, 355).
Nous ajouterons aussi quelques mots sur les différentes formes
que peut prendre le radical du verbe vouloir; quelques-unes de ces
formes ont déjà été étudiées; nous n'espérons pas donner toutes
celles qui peuvent se rencontrer en anglo-français, maisnous pen-
sons avoir relevé les plus importantes. Le radical de la seconde
personne est très fréquemment et très longtemps en vel- ; on
trouve par exemple vels dans les Quatre Livres des Rois, III, 17,
10 (cf. pour cette forme Lûcking, Mundarten, p. 228).
De cette forme en dérivent naturellement deux autres : d'abord
veus ' qu'on lit dans Boeve de Haumtone au vers 407, phénomène
I. Pour la question générale de la vocalisation de 17, on fera bien de consulter
Stock dans les Romanische Studien, III, 473 ; J. Vising, Etude, p. 87 ; Schiôsser,
Die Lautverhaltnisse der Quatre Livres des Rois, pass/'m ; Schumann, Vokalis-
nius und konsonantismus des Cambridger Psalters, 43.
LA DEUXIEME PERSONNE DU SINGULIER 79
phonique général de vocalisation de 17 qui ne nous regarde pas, et
en second lieu veals, comme bels donne beals ; cette dernière forme
provient donc par un processus régulier de la forme vels (cf. Foers-
ter, Zeitschrift fur romanische Philologie, i, 564) ' ; elle se trouve
dans les Quatre Livres des Rois au moins deux fois (I, 21, 3 ; II,
13, 26).
Le second thème de la seconde personne du singulier est
emprunté à l'infinitif; nous trouvons vols dans les Quatre Livres
des Rois (II, 13, 26) à côté de venis ; dans Robert de Gretham où
cette forme rime avec « aveols » au fol. 18 v°, forme qui passe
naturellement à vous, comme au fol. 26 r° des Evangiles des Domp-
nées. Le radical voel- qu'on trouve sous la forme voel^ au vers 403
de la Vie de Saint Grégoire est régulier, mais plus rare.
Enfin la seconde personne emprunte le thème de la première en
oi ; nous relevons dans le Saint Auban voil~ au vers 1668, et dans
cette forme 17 disparaît quelquefois, comme dans voi:^ que nous
donne le ms. B de Boeve de Haumtone pour le vers 2616.
Telles sont les principales formes de cette personne, elles sont,
comme on voit, assez variées, mais suffisamment régulières.
I. Pour cette question de eal, cf. Meyer-Lùbke, I, p. 163 ; Suchier, Gram-
maire, p. 81 ; et les différentes monographies sur le Psautier d'Oxford (Harseim,
p. 282), le Psautier de Cambridge (Schumann, p. 25), les Quatre Livres des Rois
(Schlôsser, p. 21), etc.
CHAPITRE III
LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER
De toutes les désinences, ce sont celles de la troisième personne
du singulier qui offrent à notre étude la matière la plus abondante,
et peut-être aussi les remarques les plus importantes. La raison de
ce phénomène est facile à trouver : c'est en effet la troisième per-
sonne du singulier qui se trouve être la plus employée, et qui offre
les désinences les plus variées. Par conséquent elle a été plus
sujette à l'usure et a offert moins de résistance que des personnes
moins communes ou plus homogènes.
LA CONSONNE FINALE
Toutes les troisièmes personnes du singulier sont terminées éty-
mologiquement par une dentale. Comme on le sait, cette dentale
peut être caduque ou appuyée.
Nous allons voir que l'évolution de ces deux sortes de dentales
en anglo-français, autant qu'on en peut juger, si elle n'a pas été
exactement la même, du moins a suivi des directions parallèles.
A. La dentale caduque.
La dentale caduque, avant de disparaître, a passé par trois états ;
elle a d'abord évidemment été t ou d dans l'écriture aussi bien
que dans la prononciation ; puis, mais le plus souvent sans changer
de graphie, elle a pris le son de //; doux ' ; enfin, avant de dispa-
I. Voici une courte liste des auteurs qui ont étudié la question de la dentale à
la troisième personne du singulier ; Gaston Paris, Introduction de l'Alexis, p. 98 ;
Freund, Verbal Flexion, p. 17, 18 ; Koschwitz, op. cit., 60-62 : Mail, Cumpoz,
82 ; Meister, Psautier d'Oxford, p. 68 ; Fichte, Psautier de Cambridge, p. 65 ;
H. Suchier, Reimpredigt, XX; Rydberg, op. cit., 89, 202 ; P. Meyer, L'Escoufle,
Introduction, p. iij ; Willenberg, Romanische Studien, III, p. 409, note 2.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 8l
raître complètement, la dentale qui n'est plus prononcée joue
encore un certain rôle dans la prosodie lorsqu'elle suit un e muet,
exactement le rôle que 1*5 finale après une voyelle muette joue
dans notre versification traditionnelle, elle empêche l'élision de
cette muette. C'est principalement M. H. Suchier qui a mis en
lumière cette action de la dentale caduque à la veille de disparaître
complètement '.
Ces difi'érents états de la dentale ont été successifs ; mais rien ne
prouve que les changements dans la nature de la dentale se soient
produits en même temps pour toutes les terminaisons qui la pos-
sèdent. N'est-il pas même possible que cette consonne se soit main-
tenue plus régulièrement à la terminaison de certains verbes pour
des raisons, d'analogie par exemple, qu'il nous est difficile de
découvrir ? Les généralisations ici, comme ailleurs, sont fort dange-
reuses. Elles le sont d'autant plus que pour certaines valeurs de la
dentale les points de comparaison nous manquent ou ne sont pas
absolument sûrs. Tout le monde admet que la dentale caduque
a passé par un son transitoire analogue au th doux. Une raison
phonique, tout à fait a priori, nous oblige à le supposer ; mais le
son, exceptionnel en français, où trouverons-nous la preuve de son
existence dans nos textes ? Comme on le verra tout à l'heure, nous
pouvons avoir quelques présom|")tions en faveur de l'existence de ce
son ; jamais une preuve indiscutable. Sur un autre point le doute
est non seulement permis, mais de rigueur. On admet générale-
ment que lorsqu'une dentalticaduque rime avec une dentale appuyée
on a une preuve aussi certaine que possible que la dentale caduque
a conservé sa valeur primitive. Cela est assez juste pour nos textes
du xii^ siècle ; mais une telle rime perd beaucoup de sa force pro-
bante, sinon toute force probante, si l'on peut montrer dans un
texte plus ancien une preuve que certaines dentales appuyées ou
s'affaibhssent ou tombent.
L'étude de la dentale caduque présente donc un certain nombre
de difficultés qui pourront nous arrêter plus d'une fois : questions
de classes, questions de verbes, doutes sur la valeur phonique d'une
graphie, doutes sur la valeur d'une rime.
Ce qui peut nous aider dans ces difficultés, c'est le nombre rela-
tivement considérable d'exemples que nous avons pu relever.
I. Ou plutôt immédiatement après sa disparition.
02 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Nous étudierons successivement la dentale caduque dans les ter-
minaisons : -et, -at, -it, -ut.
I. et = lat. at '.
Un fait indiscutable ressort de l'étude des premiers textes
anglo-français : la terminaison -cl (troisième personne du présent
de l'indicatif des verbes de I, et des subjonctifs en am) rime libre-
ment avec des mots en e muet pur, et jamais avec des mots avec
une dentale appuyée. Ce qui signifie que cette dentale est tombée
et a dépassé les deux premiers états que nous distinguions tout à
l'heure. Le fait est si évident que nous nous y arrêterons à peine.
Et cependant, pendant très longtemps, les scribes écrivent ce /
qui a disparu de la prononciation. Dans les Lapidaires en prose
publiés par M. Paul Meyer au volume XXXVIII de Romania,
nous trouvons, entre autres exemples, trovet à la p. 271, portet à la
p. 272.
Quelques exemples seulement suffiront à prouver cette chute de
la dentale. Le Comput nous donne sipiefie ( : Marie) 883 ; iiiaiire
(: dure) 136 et au subjonctif (f/V (: mie) 115. De même dans le
Voyage de Saint Brandan on peut trouver crie Ç^: Marie) 1253;
maine (: paine) 439 ; abrase (: grisopase) 1691 ; espande ( : grande)
1427, etc.
D'après Walberg, p. Iviij, dans le Bestiaire, -at rime 83 fois
en e pur et ne rime jamais avec e suivi d'une dentale appuyée. A
mesure que nous avançons, nous trouvons des exemples nouveaux
qu'il est bien inutile de donner ici. Gaimar, Adgar, Sœur Clé-
mence de Barking, Fantosme, le Drame d'Adam en offrent des
exemples par centaines. Toutes ces rimes sont concluantes ; dès le
début du xii^ siècle en Angleterre cette dentale a bien disparu de
la prononciation et le plus souvent de l'écriture.
Ces cas même sont beaucoup trop nombreux dans le Cumpoz,
le Brandan, le Bestiaire, pour qu'on puisse croire qu'elle ait gardé
jusqu'à cette époque sa valeur secondaire de //; doux.
Par conséquent l'anglo-français n'a pas connu les deux premières
valeurs de la dentale caduque dans la terminaison et at.
I. Cf. Romania, VII, 622. Willcnberg, Romanische Studien, III, 409, n. 2;
P. Meyer, l'Escoufle, Introduction, iii.
LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 83
Mais celle-ci est restée, au moins partiellement avant sa dispari-
tion totale, SOUS sa dernière forme, celle de dentale de liaison ' ; elle
peut empêcher l'élision à l'intérieur du vers.
L'étude de cette question présente de nombreuses difficultés, et
trop souvent, nous resterons dans le domaine de la conjecture.
Remarquons tout d'abord qu'on devrait distinguer ici deux ques-
tions assez différentes : la question phonique et la question proso-
dique ; en d'autres termes, il ne serait pas indifférent de préciser
jusqu'à quelle époque la dentale caduque finale s'est fait réellement
sentir dans la prononciation devant une voyelle comme une con-
sonne de liaison, et à partir de quel moment son maintien n'a plus
été qu'une habitude prosodique traditionnelle-. Ce n'est certaine-
ment pas avec nos textes anglo-français que nous pourrons résoudre
cette question d'une façon satisfaisante ; mais nous pourrons peut-
être nous former une idée de ce qui s'est passé dans ce dialecte :
nous pourrons poser en principe que, tant que la non élision sera
la règle, la dentale aura conservé une valeur phonique. Au con-
traire, lorsque l'hiatus ne sera plus qu'une habitude particulière à
certains auteurs, une sorte de tolérance dont ils useront quand le
besoin s'en fera sentir, nous pourrons être assurés que la pronon-
ciation de la dentale finale, dans les conditions que nous avons
dites, ne sera plus qu'un archaïs'me, ou un artifice prosodique.
Et, il ne nous est pas très difficile de trouver l'auteur qui, le pre-
mier, montre un nombre considérable de cas d'élision : c'est Adgar.
Avant lui l'hiatus est la règle : même, l'auteur du Voyage de Saint
Brandan ne semble jamais faire l'élision. Il est cependant impos-
sible de montrer une progression régulièrement croissante dans le
nombre des élisions d'un auteur à l'autre : nous ne trouvons pas
une régularité absolue dans les dialectes du Continent, et à plus
forte raison, nous ne pouvons pas espérer que l'anglo-français soit
plus régulier que le français même.
Il arrive au contraire fréquemment, et même dans les premières
années de la littérature anglo-française, que certains ouvrages pré-
sentent, à ce point de vue, un état de choses tantôt plus avancé,
1. Cf. J. Vising, op. cit., pp. 79-80; Sucliier, L'eber..., p. 80; Rcinipredigt,
p. XX ; Paul Meyer, L'Escoufîe, Introduction, p. iij .
2. Quoique la versification en ancien français soit très près de la phonétique,
ses règles ont dû toujours être, sur certains points, en retard sur la prononciation.
84 l'évolution du verbe en anglo-français
tantôt plus ancien que d'autres œuvres contemporaines. Par
exemple, la comparaison entre les deux poèmes de Philippe de
Thaûn est fort curieuse : Mail, dans son étude sur le Cumpoz
(p. 21), trouve dans ce poème trois cas d'élision à l'intérieur du
vers, contre dix où elle n'a pas lieu (cf. aussi Willenberg, Rom,
Studien, III, p. 409, n. 2). La proportion est exactement renversée
dans le Bestiaire : dans cet ouvrage on trouve 44 cas d'élision contre
12 d'hiatus ; ces cas se trouvant énumérés par Walberg (cf. p. Iviij),
nous nous dispenserons de les citer. Mais ce qui est plus étonnant,
c'est que les élisions sont proportionnellement moins nombreuses
dans un ouvrage sensiblement plus moderne, l'Estorie des Engleis,
que dans le Bestiaire. Ceci montre déjà avec quelle irrégularité la
dentale a été maintenue en anglo-français.
Nous en verrons d'ailleurs de nombreux exemples dans les pages
qui vont suivre.
Pour le moment, nous nous contenterons de donner successive-
ment dans l'ordre chronologique les cas d'hiatus, puis les cas d'éli-
sion qu'on trouve dans les difterents poèmes anglo-français.
Nous venons de dire un mot de l'Estorie des Engleis ; il est évi-
dent que les élisions y sont certainement moins nombreuses que les
cas contraires, la proportion y est environ de 2 à 3, à très peu de
chose près. Il est à remarquer que les présents du subjonctif sont
beaucoup plus nombreux que les présents de l'indicatif. Citons
quelques-uns de ces vers : nous avons au présent de l'indicatif, cric
au vers 4976 :
Merci crie a sun seignur.
Nous pouvons en énumérer davantage pour le présent du sub-
jonctif : rende au vers 799 ; vienne au vers 3867 ^face au vers 4990 ;
puisse au vers 6063. Voici ces vers :
Rende a la dame sun dreit 799,
Vienge a curt hastivement 3867,
Face un offre a sun seignur 499°)
Kil rende al rei sa cité 5954>
Li mal trebuz puisse il prendre 6063,
Vienge al curt, ses diz orras. 6126.
On en pourrait trouver plusieurs autres. Dans Adgar au con-
traire, les cas de non élision sont très rares : nous n'en avons
LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 85
relevé que deux ou trois d'assurés, et un nombre à peine plus con-
sidérable de douteux. Voici ceux qui nous semblent sûrs.
Ke len les puisse enganer IV, 12,
Qiie ameinet entre ses gens. VI, 19.
Au contraire les cas d'élision sont très nombreux ; nous ne don-
nerons pour le prouver qu'un petit nombre de références : IV, 30 ,
VI, 60; VII, 41; IX, 138; XV, 44; XVI, 15; XVII, 780;
XVIII, 141 ; XXI, 107, 133 ; XXVI, 129; XXVIII, 181, 205;
XXXIV, 21 ; XXXVI, 44 ; XXXIX, 105, etc.
Élie de Winchester dans sa traduction des distiques de Caton
peut nous fournir plusieurs exemples de non élision : cf. vers 190-
656:
Te mette a bandun ;
Kar al busuin se mustre il tut dis .
Dans le Tristan de Thomas, l'élision est certainement devenue
la règle; nous en trouvons des exemples aux vers 171, 204, 425,
437, 641, 1658, etc. Pour ce qui est de l'hiatus, nous sommes
quelque peu embarrassés : le savant éditeur, M, Bédier, semble en
admettre au moins un, au vers 2819 :
Il ne coveite altre ren .
Au contraire, dans un très grand nombre d'autres cas, il s'efforce
de faire disparaître l'hiatus, sans que nous puissions savoir sur
quel principe il s'appuie pour admettre les uns et rejeter les autres.
Par exemple au vers 1788, il écrit :
Si s'en apareille un flavel,
alors que les deux manuscrits. Douce et Strasbourg donnent : si
s'apareille. Il en va de même pour le vers 2582 ; le texte imprimé
porte :
Idunc suspire et plure et plaint ;
mais dans les deux manuscrits que nous venons de nommer, on
lit : Dune... Pour ces deux vers au moins, nous n'hésiterions pas à
préférer l'hiatus à une correction qui ne s'appuie pas sur le texte ;
surtout puisque M. Bédier lui-même admet que les fragments de
86 l'évolution du verbe en anglo-erançais
Strasbourg et le fragment Douce n'appartiennent pas à la même
famille (cf. Le Tristan de Thomas, vol. II, p. 8). Ce ne sont du
reste pas les seuls cas d'élision douteux ; il y en a plusieurs autres
où l'hiatus est, sinon aussi probable que dans les deux vers précé-
dents, tout au moins aussi vraisemblables que l'élision : au vers 952
le manuscrit donne :
due li n'estoce autre amer,
M. Bédier ajoute : //;/ devant anUe. Au vers 975 on lit :
Regarde en la main Ysolt,
édition Bédier : Si regarde... ; au vers 981 :
Hidonc plure e merci crie,
texte imprimé : merci li crie. Au vers 1026 :
De ce se derve e enrage,
texte imprimé : E de ce... ; au vers 1 164 :
Gete un cri e rien ne dit ;
texte imprimé : Si gete... ; au vers 2195 :
Puis li demande u il vait,
texte imprimé : E puis li...
Dans un très grand nombre d'autres cas, l'émendation proposée
par l'éditeur est plus vraisemblable, sans être assurée ; nous n'en
citerons qu'un exemple, le vers 869 :
Trove Ysolt chantant un lai ;
M. Bédier intervertit l'ordre des deux premiers mots du vers, et
il est fort possible qu'il ait raison. Pour tous les autres cas, nous
croyons les corrections malheureuses ; en particulier, nous ne pou-
vons admettre celles qui sont proposées contre l'autorité de deux
manuscrits '.
I. Il fout du reste ajouter que M. Bédier n'est pas lui-même très sûr de la
validité des corrections qu'il a imprimées ; on peut voir la note assez hésitante
qu'il consacre à ce point (vol. II, p. 30, n. 2); M. Bédier n'y cite que cinq cas
en tout (y compris le vers 2819) où il croit l'hiatus possible. Nous en admet-
LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 8/
Par conséquent, il est assez difficile, en se fiant au texte imprimé,
de se faire une opinion exacte sur les cas d'hiatus dans Thomas^
alors que l'éditeur semble être parti de ce principe qu'il devait sup-
primer tous les hiatus possible et qu'il y a réussi en ajoutant aux
vers où ces hiatus se produisent quelque monosyllabe, tel que e,
si etc., ce qui est toujours assez facile.
Cependant, du moment qu'on admet que des cas d'hiatus se ren-
contrent dans Thomas, et qu'on en trouve d'autres dans les auteurs
contemporains et même postérieurs, il semble difficile de pouvoir
faire un choix entre les casque nous fournissent les manuscrits, de
reconnaître les uns et de rejeter les autres sans avoir pour cela des
raisons graves fournies par les manuscrits eux-mêmes ou par la
grammaire. Nous devons donc, nous semble-t-il, faire entrer en
ligne décompte les cas d'hiatus que M. Bédier a rejetés sans auto-
rité suffisante. Mais même après que nous l'aurons fait, il n'en res-
tera pas moins vrai que le nombre des élisions reste encore supé-
rieur au nombre des hiatus ; la proportion en faveur des premières
nous a semblé légèrement plus forte que celle que nous avons cal-
culée dans l'Estorie des Engleis.
Il en va sensiblement de même pour la Folie Tristan. Les éli-
sions indiscutables sont assez nombreuses (cf. vers 47, 60, 156,
247).
M . Bédier admet que dans un seul cas l'élision n'a pas eu lieu
(cf. p. 12):
Bêle, ne vus en membre il? 659
Il rejette au contraire celui qu'on trouve au vers 373: -
Li fols se turne a cest mot,
et imprime : a icest mot .
Si nous passons maintenant au poème de Haveloc, nous trouvons
que l'élision au contraire est plus rare que l'hiatus.
trions bien davantage. Pour se faire une opinion il ne faut pas du reste ne con-
sidérer que les habitudes de Thomas lui-même ; il est bon de les comparer à celles
de ses contemporains dont la langue se rapproche de la sienne ; nous ne voyons
que très peu de différence entre la langue de Thomas et celle de Gaimar. Or,
dans Gaimar la non élision, comme nous venons de le montrer, est très com-
mune.
88 l'évolution du verbe en anglo-français
Le seul cas assuré d'clision, autant qu'on peut l'affirmer, se lit
au vers 718 :
Aval la gcltc igniclenient,
tandis que les cas d'hiatus semblent assez nombreux, par exemple
aux vers
La demande ou il ert nez 537,
Si Dieu la mette a honur 642,
Le cri lieve en la cité 708 .
Mais Haveloc est une exception à cette époque ; la Sœur Clé-
mence de Barking, qui ne saurait être de beaucoup postérieure au
poème d'Haveloc, fait ordinairement l'élision (cf. vers 27, 34, 253,
669, 854, 1014, 1671, 1817, 1868, 1926, 2068, 2375 (2 cas) 2425,
2495, 2521, 2685, 2687).
Nous avons cependant relevé quatre cas assurés de non élision :
ko te mande il par mei 559,
Que nul mustre en sa parole 510,
Vers lui se turne a itant 2153,
Dune cumande ignelement 2246.
Il est beaucoup moins aisé de savoir si dans Jordan Fantosme
l'élision a lieu ou non, non pas seulement parce que les vers dans
la Chronique, comme chez la plupart des auteurs anglo-français,
sont irréguliers, mais parce que, comme l'ont tait observer Ml J.
Vising, M. H. Suchier et M. Paul Meyer, l'auteur mélange d'une
façon capricieuse les vers de douze, de quatorze et de seize syllabes.
Toutefois l'hiatus semble assuré dans un petit nombre de cas:
Ne quide en sa vie estre desprisunez 240,
Le cuer al plus hardi en tremble e chancelé 242,
En romanz devise un bref, d'un anel i'enseele; 538.
Les deux suivants sont plus douteux :
Mes ki bon conseil saverad, vienged avant, sil die (14 syllabes)' 179,
Suspire e purpense cument ele est alee ^ . 777
1 . Ici on trouve un exemple de ce que nous avons dit plus haut ; on pourrait
facilement réduire ce vers de 14 syllabes à 12 en lisant : mes ki bon conseil
savrad, vienge avant, sil die. Nous préférons même cette leçon (cf. futur).
2. LV muet à l'hémistiche me semble ne pas compter dans Fantosme.
LA TROISIÈME PERSONKÉ DU SINGULIER 89
L'élision est certaine dans les cas suivants : vers 107, 302, 492,
779, 796, 2054.
Quant au Saint Gilles, nous avons compté environ soixante-dix
cas présentant l'élision, et nous avons pu en passer quelques-uns.
M. Gaston Paris cite onze cas où elle n'a pas lieu, vers 70, 135,
482, 617, 634, 776, 1329, 1386, I581, 2844, 3524 (cf. p. XIX,
n. i) ; on peut y ajouter trois autres:
E comandct a ses scrvanz, 580,
Ne ren k, urne en pussed user, 1267,
Li abes lur mustret e dit 2557.
Chez Guischart de Beaulieu enfin les exemples d'élision sont
extrêmement nombreux ; nous en avons compté plus de trente, et
il y en a davantage (cf. vers 32, 35, 112, 177, 213, 268), et il n'y
a en tout que quatre cas assez douteux, de non élision.
Le peissun prend le verni ke il quide user 893,
Le verni trove il duz e trove puis amer 894,
N'en i ad nul tant fort nel voille envahir 1086,
Quanque li hoem ad ci trestut mette en guage 1492.
Nous ne croyons pas qu'on puisse trouver d'autres cas d'hiatus
dans Guischart de Beaulieu, et des quatre exemples cités ci-dessus
deux au moins sont assez douteux (894 et 1492) car ils sont en par-
tie des conjectures de l'éditeur. Les cas d'hiatus sont rares dans
ripomédon ; en voici un que nous lisons au vers 1434:
Ameine il tut son harneis.
Le poème de Renaut de Montauban nous fournit au moins un
exemple d'hiatus, p. 13 :
Par les degrez de marbre comencet a puer .
Dans le Drame d'Adam, les cas sont peu fréquents et l'élision
semble toujours avoir lieu (cf. vers 63, 112, 510, 514, 599).
Pour dire le moins, il n'est donc pas très difficile de tirer une
conclusion de l'étude de la langue des écrivains du xii'= siècle, et la
raison est facile à comprendre: le maintien de la dentale de liaison
à partir de 11 60 environ, dépend presque entièrement du goût
personnel et des habitudes des auteurs.
Nous n'irons pas toutefois jusqu'à dire que les habitudes des
90 l'évolution du verbe en anglo-français
écrivains anglo-français prises dans leur ensemble sur ce point spé-
cial manquent entièrement d'unité et que chacun d'eux a été uni-
quement guidé par sa fantaisie ; nous ne le croyons pas et nous
pensons même que les pages précédentes nous montrent une véri-
table évolution ou plutôt progression dans la langue II se peut
qu'il y ait des exceptions comme Adgar; cela arrive ailleurs qu'en
anglo-français ; le mouvement général est cependant très bien mar-
qué dans ses grandes lignes et progressif.
Il y a conséquemment un certain nombre de points qui nous
semblent ressortir assez clairement des pages précédentes.
1° La dentale de liaison n'a conservé une valeur phonique que
jusque vers 1160. Les différences que nous avons notées sur ce
point entre le Cumpoz et le Bestiaire pourraient faire croire que ce
changement s'est effectué pendant la vie même de Philippe de
Thaûn, et cela est fort possible, mais bien douteux ; le grand
nombre de cas d'hiatus qu'on trouve dans les écrivains immédiate-
ment postérieurs nous pousserait à croire qu'il faut reculer cette
date. Mais on ne saurait descendre plus bas que 1160. Du reste, il
est fort possible que la même date ne puisse s'appliquer à tous les
auteurs, ni à toutes les parties de l'Angleterre.
2° Après II 60, la dentale n'a plus qu'une valeur de convention,
que certains auteurs reconnaissent, mais qui semble presque ignorée
des autres. Cependant la grande majorité des auteurs, peut-être
même la totalité, a conservé le souvenir de l'usage des écrivains de
la période immédiatement précédente, et montre un certain nombre
de cas d'hiatus .
3° Ce nombre va décroissant à mesure qu'on se rapproche du
XIII'' siècle.
Pendant cette dernière période, la question ne se simplifie pas, au
contraire; on peut même tout d'abord se demander si elle existe.
L'usage de maintenir la dentale de liaison diminuant visiblement,
il faut admettre qu'à un certain moment dans l'histoire de l'anglo-
français, cette dentale a disparu complètement. Quel est ce moment
précis? Il est impossible de l'indiquer avec quelque certitude.
Ce n'est pas seulement parce que comme aux autres périodes
chaque auteur a des habitudes qui lui sont propres, mais surtout
parce que, à partir de 1200, l'irrégularité de la versification ne nous
permet jamais de savoir si nous avons à faire, dans telle ou telle
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 91
occasion, à un cas d'hiatus ou à un vers court. Nous sommes le
plus souvent réduits à des conjectures plus ou moins hasardeuses;
pour tenter de donner plus de solidité à une base aussi fragile nous
avons établi pour les auteurs les plus importants, en dehors des
vers qui présentent un hiatus ou une élision possible', la propor-
tion des vers normaux, des vers longs et des vers courts.
Lorsque cette proportion est fortement en faveur des vers nor-
maux ou, si cela arrivait, des vers longs, il y aurait plus de chance,
étant donné un vers quelconque, pour qu'il soit normal ou long
plutôt que court, et si les cas où nous pouvons nous demander si
nous nous trouvons en présence d'un vers court ou d'un hiatus se
présentent avec une certaine fréquence, nous pouvons avoir une
quasi-certitude que quelques-uns au moins de ces vers présentent
bien des hiatus. En d'autres termes si nous trouvons qu'un auteur
n'aime pas les vers courts, nous pourrons, lorsque nous aurons à
décider si un vers est court ou présente un hiatus, pencher pour la
seconde hypothèse.
C'est ce qui a lieu pour Chardri; chez lui, tout d'abord, le nombre
d'élisions est considérable : voici quelques chiffres qui, quoique ne
représentant pas tous les cas d'élision, en donneront une idée :
Josaphat: 304, 348, 370, 97e, 1143, 1453, 1641, 1680, 1836,
1837, 1940, 2580. Set Dormans: 400, 608, 1117, 1119, 1245,
1283, ^479' 14995 i539j 1768, 1880, 1882. Petit Plet: 154, 559,
882, 918, 1305, 1371, 1754.
Dans tous les cas précédents, l'élision rend les vers justes.
En outre, on peut relever un assez grand nombre de cas où il
est possible que l'élision n'ait pas eu lieu; or en étudiant la versifi-
cation de Chardri, on trouve, exclusion faite des vers contenant
un cas possible de non élision, que pour les trois poèmes il y a envi-
ron 12 °/o de vers courts, 14 °/o de vers longs et 74°/o de vers nor-
maux ; il n'y a donc que 12 chances sur 100 pour qu'un vers donné
soit court; il est donc probable que la majorité des cas suivants
représentent des cas d'hiatus.
Josaphat :
Ki ken dieu mal u bcn ; 23.
Nen sace en tiite manere ; 726,
I, Dans un long poème le nombre de ces vers est trop petit pour changer sen-
siblement les proportions dont nous parlons dans les lignes suivantes.
92 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-PRANÇAIS
Kil me quide issi deccivre : 9^3 .
Estendu se lance a terre; 1094.
Kil ne pusse cstre truve; 1174.
Cil levé od sa cumpainie; 1675 .
Ke ne venge a celé feste ; 1736.
Kil li aide a cel besoin ; i939«
L'enfant le grante erraument ; 2443.
Set Dormans
Ki cest pais deive aveir ; 11 04.
Meintenant se lance a terre ; 1556 (cf. Jos. 1094).
Ne vus grève en ceste vie; 1724.
Kil vus tenge en unité ; 1837.
Pes nus tenge en tute terre; 1842.
Petit Plet;
Li veuz hoem se dresce a tant; 547.
Lem le troeve en l'escripture ; 603 .
Se il dechece enveillesce; 605.
L'em l'esproeve en maladie ; 736.
Amur prise e met en haut; 1283 .
Il y a donc dans les trois poèmes de Chardri 19 cas où l'hiatus
est possible (douze présents de l'indicatif et sept présents du sub-
jonctif). Comme les vers courts sont relativement rares chez ce
poète, il est évident qu'un certain nombre, peut-être la plupart,
des vers que nous avons cités ne sont pas des vers courts. En
d'autres termes quelques-uns de ces vers, lesquels? nous ne pou-
vons le préciser, présentent encore des exemples d'hiatus.
Si nous admettons que la moitié de ces vers sont courts, il en
restera encore une dizaine où l'influence de la dentale caduque se
fait encore sentir.
La proportion serait alors entre les cas de hiatus et les cas d'éli-
sion, environ de i à 5, peu différente, comme on le voit, de celle
que nous avons trouvée dans la Vie de Saint Gilles.
Après les poèmes de Chardri, nous voyons les cas de non-élision
diminuer encore. Nous n'avons pas pu déterminer de proportion
entre les hiatus et les élisions dans le long poème de Robert de
Gretham ; mais nous avons pu nous convaincre que les Evangiles
des Dompnées contiennent des exemples des uns et des autres.
Inutile de citer des cas d'élision, voici deux vers où elle ne se fait
certainement pas ; tous les deux se lisent au fol. 23 r°.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 93
Ki guverne e terre e ciel,
Ne cesset il loinz enveier.
Il y en a évidemment quelques autres ; mais le texte restant
encore à établir, nous n'en citerons pas davantage.
Le Psautier en vers coués, Harléien 4070, présente aussi un
nombre assez considérable de cas d'hiatus, comme :
Ki se fie en sei 156 d.
Ki dune a ses druz 323 e.
Si te vienge a gre 380 f .
Mais le nombre des hiatus est probablement inférieur à celui des
élisions (cf. Gœdicke, p. 25).
Avec le Saint Edmund et le poème d'Edward le Confesseur,
nous pouvons arriver à des résultats plus assurés.
Dans le premier de ces ouvrages, la versification est relativement
très correcte, plus correcte que celle des poèmes de Chardri, sur-
tout si on prend la peine de rétablir le texte, ce qui est ordinaire-
ment très facile. Voici la proportion des vers courts, longs, nor-
maux :
Nous avons trouvé 90,5 % de vers normaux, 7,5 % de vers
courts et 2 "/o de vers longs.
Or, si dans ce poème il y a un nombre considérable d'élisions
(par exemple, à l'intérieur des vers 160, 235, 314,833, 1792, 1847,
1963, 2211, 2252, 2367, 1737, et pour le subjonctif 650, 838),
nous ne trouvons que des exemples fort douteux d'hiatus ; voici
tous ceux que nous avonsrelevés:
Vers Occident garde e veit 1252
Mais ici il faut probablement lire: regarde.
Qui les regiuns done e toit 1785
D'après le vers 2071 il semblerait que rcgiiin ne compte que
pour deux syllabes (cf. aussi Miss Pope, op. cit., p. 72 et 73, n. i);
mais il est plus naturel de prendre ce mot comme ayant ici trois
syllabes.
Lothebroc sonne en engleis. 1885
Sonnent conviendrait aussi bien pour le sens.
94 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
A ccis parle Ingar c dist : 2163 .
E si parle al messager : 2316
Il est probable que pour ces deux derniers exemples il faut lire
parole qui est la forme ordinaire à cette époque, et même plus tard,
comme dans Dermod, vers 1434.
Par conséquent, il nous semble qu'il ne reste pas un seul cas pro-
bable de non élision dans tout le poème de Saint Edmund.
A première vue, il semblerait qu'il en aille tout autrement dans
la Vie d'Edw'ard le Confesseur ; les élisions sont évidemment nom-
breuses, mais on rencontre quelques cas d'hiatus dont on ne peut
pas disposer aussi aisément que dans le poème précédent par des
changements très simples du texte. Nous ne citerons qu'un petit
nombre de ces exemples :
Tuz surmunte etuzjustise 385,
Chef e cors gette en Tamise 499,
Benoit sacre enoint a rei 657,
E mut le moneste e prie 666,
Tendrement suspire e plure 732, etc.
On pourrait croire que ces quelques vers présentent des exemples
bien caractérisés d'hiatus; mais il faut observer : 1° Que le texte
n'est donné que par un seul ms., ce qui ôte aux exemples précé-
dents beaucoup de leur autorité; 2° Que la versification de ce
poème est beaucoup moins correcte que celle du poème précédent.
On ne trouve guère que 60 % de vers normaux ; plus exactement,
la Vie d'Edward le Confesseur nous semble écrite en vers de huit
et de sept syllabes ; on trouve d'assez longues tirades dont les vers
n'ont pour la plupart que sept syllabes, par exemple 603 sqq. Par
contre les vers de six syllabes et les vers longs sont très rares.
Il en résulte que, pas plus pour ce poème que pour le Saint
Edmund, nous ne pouvons admettre l'existence de l'hiatus à la
troisième personne du singulier en g, il y a de fortes présomptions
pour que l'élision soit régulièrement effectuée dans ces deux poèmes.
Nous croyons que les résultats auxquels nous sommes arrivés
jusqu'ici présentent un certain degré de certitude. La méthode qui
consiste à établir des proportions entre les vers courts, longs et nor-
maux, et à fonder tout le raisonnement sur les chiffres qu'on
obtient, pourra peut-être sembler très aventurée et ressembler un
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 95
peu trop aux combinaisons des jeux de hasard. Elle a été certaine-
ment appliquée, plus ou moins délibérément, avant nous, et doit
nous conduire dans la question présente à des résultats qui ne sont
pas négligeables, qui même ne doivent s'écarter que de très peu de
la réalité.
Tout au moins, elle nous donne ce résultat positif que dans les
poèmes de Chardri les vers courts sont rares ; or, nous trouvons un
certain nombre de vers qui doivent contenir des exemples d'un
usage qui se trouve dans les poèmes immédiatement antérieurs. Il
semble très naturel d'adopter la seconde alternative. De l'autre côté,
les vers courts dans Edward le Confesseur sont fort nombreux
(35 °/o) nous n'aurons donc pas à recourir à l'hypothèse de l'hiatus
pour expliquer les quelques vers que nous avons cités.
Nous en conclurons que Ve de la terminaison latine -at ne s'élide
pas toujours pendant le premier tiers du xiii'^ siècle ; que les exemples
que nous fournissent les poèmes de Chardri nous semblent presque
isolés à cette époque ; enfin que les auteurs qui le suivent immédia-
tement et appartiennent au second tiers du même siècle, ne montrent
aucune trace de cet usage.
Pour les œuvres postérieures à la Vie d'Edward le Confesseur, le
moyen indirect de contrôle dont nous nous sommes servis tout à
l'heure vient à nous manquer complètement. A partir du Saint
Auban, la versification devient trop irrégulière; la proportion des
vers qui s'écartent de la normale est trop élevée pour que nous puis-
sions avancer quelque chose avec quelque certitude, et nous ne
sommes même pas assurés qu'il y ait un seul cas de non élision.
Cependant les vers courts où l'hiatus de la muette finale de la
troisième personne du singulier rétablirait la mesure du vers sont,
dans le Saint Auban particulièrement, en très grand nombre; en
fait, si on admettait pour ce poème la non élision dans tous les cas
où elle est possible, nous en trouverions beaucoup plus dans le
Saint Edmund, que dans Edward le Confesseur, et même que dans
Chardri. Ce serait déjà, nous semble-t-il, une raison suffisante pour
rejeter tous ces cas d'hiatus possible. Voici les vers où les cas se
rencontrent: 24, 59, 103, 104, 175, 184, 363, 369, 454, 475, 506,
572, 652, 685, 698, 739, 1642, 1704 et quelques autres. C'est trop
pour que nous puissions y croire. Dans les autres poèmes du milieu
du xiii'^ siècle, nous n'avons aucun exemple assuré d'hiatus. L'éli-
96 l/èvOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
sion a communément lieu dans Aspremont et Sardcnai et il est
douteux qu'il taille voir des hiatus dans les quatre vers suivants :
Kc chevalier face en sa cuntreie ; Aspremont. 74.
Li arcevcsche se dresce en estant ; — 246 :
Si comence a lui parler; Sardenai, 64 (L & O.)
Si le comence aprochier; — 10 j.
Pour ce dernier vers on pourrait peut-être lire « a aprochier »
(cf. vers 247 O).
Nous croyons cependant qu'il est possible de considérer se dresce
en estant, Si comence a lui parler, comme de véritables formules
poétiques léguées par la poésie antérieure et acceptées en bloc avec
leur ancienne valeur prosodique;, et s'il en est ainsi ce sont pour
ainsi dire de véritables clichés, des cas d'hiatus inconscient, et les
autres exemples de Sardenai et d'Aspremont n'ont plus assez d'au-
torité pour nous fliire admettre que les auteurs de ce poème con-
naissaient plus ou moins exactement l'existence ou la valeur de ce
que nous avons appelé la dentale de liaison.
Du reste, les deux poèmes que nous venons de citer ne sont cer-
tainement pas les seuls à nous donner des exemples de ce genre;
c'est ainsi que nous retrouvons jusqu'au commencement du
xiv^ siècle de ces formules, qui sont des clichés prosodiques autant
que des clichés épiques. Citons par exemple dans V Evangile de l'En-
fance (62 b), mss. O et C :
Si se comence a dresser
Mais à part quelques exemples de ce genre, nous n'avons pas
relevé de cas assuré d'hiatus à cette époque. Si nous prenons The
Song of Dermod and the Earl, nous pourrions de prime abord
croire retrouver dans les vers suivants des exemples de la persis-
tance de la dentale de liaison :
Revmund parole a sa gent 1434
A haute voiz levé un cri 345 5.
Mais dans ce poème, la proportion de vers courts est très forte ;
nous en avons compté 35 "/o ; autrement dit, il semble être régu-
lièrement écrit en vers de huit ou de sept syllabes. Par conséquent
il est très difficile d'admettre que nous pouvons avoir dans ce poème
un seul exemple d'hiatus.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 97
Nous pensons donc que si, à la rigueur, on admet que la den-
tale de liaison ait laissé des traces dans la Vie de Saint Auban, et
nous n'irions certainement pas jusque là, on doit arrêter de toutes
façons à la date de ce dernier poème le phénomène qui nous a
occupé dans les pages précédentes.
Du reste, dans les poèmes à versification régulière du xiv'^ siècle,
le siège de Carlaverok ou le poème du Prince Noir, nous n'en avons
relevé aucune trace.
Conclusions sur la dentale de liaison.
Nous ne cacherons pas que les conclusions que nous permet de
tirer l'étude précédente ne sont pas aussi précises que nous pour-
rions le désirer.
Un certain nombre de faits toutefois en ressortent et nous
paraissent absolument indiscutables. En voici l'énumération :
1° La dentale finale dans les troisièmes personnes en et = at n'a
jamais en anglo-français connu d'autre existence que celle de den-
tale de liaison.
2° Cette dentale a gardé une valeur phonique jusque vers 1150
ou II 60 au plus tard.
3° Elle se rencontre depuis le commencement de la littérature
française en Angleterre et dure, soit jusqu'à Saint Auban (vers 1250)
soit au plus tard jusqu'à The Song of Dermot and the Earl (ver-
1270).
4" Pendant cette longue période la fortune de la dentale de liai-
son a connu des hauts et des bas ; elle a été souvent employée suis
vant les goûts particuliers de chaque auteur, et il arrive qu'elle est
plus fréquente dans un auteur du xiii'' siècle, comme Chardri, que
dans tel autre au xii'- comme Adgar.
5° Malgré tout, en considérant les grandes lignes de l'histoire de
cette dentale, on voit que son emploi diminue d'une façon pro-
gressive entre iiio et 1250.
II. La dentale dans les terminaisons en a (d).
Tous les futurs, les prétérits de la première conjugaison, le pré-
sent de l'indicatif du verbe avoir, et un peu plus tard, du verbe
aller ont la troisième personne du singulier terminée en a suivie d'une
7
98 l'évolution du verbe en ANCiLO-FRANÇAIS
dentale caduque. Il serait intéressant de connaître exactement révo-
lution de cette dentale en ano;lo-francais. Malheureusement, les ren-
seignements que les rimes peuvent nous donner, sont beaucoup
moins précis encore que pour les désinences en c (/) ; les rimes en a
pur et les rimes en n avec dentale appuyée sont très peu nombreuses;
pour les premières on ne trouve guère que les monosyllabes, ça, la,
ja et des mots latins ou savants ; pour les secondes, nous avons
relevé dans le Roland les composés de battre, mat première personne
singulier de mater, qiiat, il y en a probablement quelques autres,
mais il n'en reste pas moins vrai que les rimes sont rares. C'est en
partie pour cela que la plupart des écrivains anglo-français emploient
les formes qui nous occupent actuellement surtout en interrime
ou les font rimer avec quelques autres mots en a terminés eux
aussi par une dentale caduque. Il en résulte que le plus grand
nombre des rimes ne nous apprend rien. Il y a encore, nous
semble- t-il, une autre raison pour que nous soyons dans l'incerti-
tude. Nous pensons que la dentale finale caduque a pris et a con-
servé pendant quelque temps un son affaibli correspondant assez
exactement au //; 'doux anglais; or, ce son n'est en français qu'un
son transitoire qui ne pouvait se rencontrer que dans des mots à
terminaisons analogues; c'est pourquoi, tant que la dentale caduque
a conservé ce son de la spirante, les auteurs anglo-trançais ont été
réduits à n'user guère que des interrimes s'ils voulaient rimer exacte-
ment; et s'ils ne riment pas exactement, à quoi nous servent leurs
rimes ? Nous sommes donc ici dans le domaine des conjectures ;
mais puisque l'on admet généralement que la dentale intervocalique
française a passé par un état analogue à celui de //; doux, il semble
difficile de ne pas croire que le même phénomène se soit produit
pour les terminaisons en aï, surtout dans un pays où le son //; doux
a une stabilité qu'il n'a jamais eue dans le français du continent. Et
ce que nous disons des terminaisons en -at s'applique presque
autant aux terminaisons à dentale caduque en -// et en -ut.
Nous voyons en effet, au commencement du xiii*^ siècle, que les
terminaisons qui nous occupent ne riment ni en a pur ni en a
appuyé. Si nous prenons par exemple le Cumpoz, nous pourrons
relever plus de cent interrimes de troisièmes personnes du singulier
des prétérits de I, de futurs, du présent de l'indicatif d'avoir. Dans
ces rimes, et dans le corps du vers, la dentale est constamment con-
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 99
servée dans l'écriture ; mais elle n'a pas la valeur de la dentale
appuyée du mot bat par exemple. Qu'elle ait encore une certaine
valeur, c'est ce que montre, semble-t-il, l'absence absolue des rimes
de ces terminaisons avec des mots en a pur.
Car comment pourrions-nous expliquer dans ce poème l'ab-
sence complète de rimes, qui, dans les ouvrages subséquents, devien-
dront relativement nombreuses? La seule raison que nous puis-
sions imaginer, c'est que la dentale n'a pas encore disparu, mais a
pris un son qui n'est pas celui de la dentale appuyée. Ce raisonne-
ment nous donne une présomption, sinon une preuve, que, vers
I iio, la dentale caduque des terminaisons en -at avait un son affaibli,
qui ne saurait être que celui de th.
Il est du reste probable qu'elle ne l'a pas conservé très long-
temps, et les poèmes suivants accusent la disparition progressive de
cette dentale. Le Voyage de Saint Brandan, le Bestiaire et l'Estorie
des Engleis contiennent un certain nombre chacun de rimes accou-
plant une terminaison en -at avec quelque mot en -a pur. Le petit
nombre d'exemples que nous relevons dans ces trois ouvrages
tend à nous faire croire que l'évolution n'était pas encore com-
plète et que les poètes n'employaient guère ces rimes qu'à leur
corps défendant. Le Brandan n'en a qu'une seule : va (^ : la), à
côté de plusieurs interrimes ; le Bestiaire en a davantage ; ad qui
rime surtout avec des .futurs et des prétérits (^ail ( : purat) 499;
( : dunat) 801; ( : bevrat) 3061, etc.) se rencontre dans des
rimes en -a pur: (: Honocrotalia) au vers 1239; ( : mandragora)
au vers 1576, et un futur rime de la même façon : vera ( : assida)
au vers 1264. Gaimar ne nous offre pas un nombre aussi considé-
rable d'interrimes : durra ( .: la) au vers 6062.
On est donc fortement tenté de considérer la période qui s'étend
du Brandan à Gaimar (1121-11 50) comme le moment pendant
lequel la dentale caduque de ces terminaisons perd la dernière
valeur qu'elle était appelée à prendre.
Quoi qu'on puisse penser de cette hypothèse, il est hors de
doute qu'après Gaimar la dentale caduque a disparu entièrement de
ces terminaisons. Chez Adgar, Simun de Freine, Fantosme, Guis-
chart de Beauliu, elles riment couramment en -a pur ; nous n'en
donnerons que quelques exemples, car ce fitit a été reconnu bien
souvent déjà.
100 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Adgar entre autres exemples nous donne : ge1ta( : la) V R 222 ;
iih'im ( : ca), VI, 2, 175; au vers 699 du Roman de Philosophie
de Simun de Freine on lit va ( : la). Dans Jordan Fantosme, nous
rencontrons le présent a à la rime avec ja aux vers 1220, 1247 ; le
futur atoidra rimant avec Albania au vers 530 ; le prétérit avua
avec delà aux vers 531, 2521; apela avec la au vers 1961 et
plusieurs autres.
Nous pouvons donc considérer comme assuré que nos terminai-
sons ont définitivement perdu leur dentale vers 1150.
Cependant, si ce son transitoire disparaît assez vite, nous
croyons que le souvenir de son existence a dû persister assez long-
temps dans un certain nombre de cas particuliers. C'est du moins
de cette façon que nous interpréterions la graphie du scribe de
Guischart de Beauliu qui représente la dentale finale non appuyée
d'un futur par le signe qui en vieil anglais représentait le son du th
doux. Du reste, il ne nous convient pas de discuter la valeur de ce
signe dans nos manuscrits; nous pouvons toutefois rappeler que
le signe //; ou un signe équivalent n'est pas rare du tout dans les
difiïrents manuscrits anglo-français : à côté de charrad qu'on trouve
pour le vers 89 dans le Sermun de Guischard de Beauliu on ren-
contre encore suffriâ pour le vers 910 dans le même manuscrit.
Mais beaucoup mieux que la graphie de Guischart de Beauliu,
et les graphies analogues s'il y en a, le j-aisonnement que nous
tenions précédemment peut nous convaincre qu'à une certaine
époque, la dentale avait le son de th et même nous préciser le
moment où elle l'a perdu.
Si dans le Cumpoz, le Brandan, le Bestiaire et l'Estorie des
Engleis les interrimes en a sont nombreuses, les rimes en a pur
rares ou absentes, et que, après Gaimar, ces dernières deviennent
presque aussi communes que les premières, c'est que la dentale
finale a eu entre iioo et 11 50 un son qu'elle a perdu après cette
date.
in. La dentale dans les prétérits en /.
Pour les prétérits en /, nous pouvons, dans nos textes anglo-
français, trouver la dentale, avant sa chute, sous deux formes,
d'abord avec sa valeur propre et rimant avec des dentales appuyées;
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER lOI
ensuite, mais ici nous ne pouvons guère avancer que des liypo-
thèses très discutables, avec une valeur affaiblie.
Les exemples qui nous montrent des^ troisièmes personnes de
ces prétérits à dentale appuyée sont rares en anglo-français, mais
ils suffisent pour nous montrer que le souvenir de l'usage ancien
n'a pas entièrement disparu jusqu'au milieu du xii^ siècle. C'est
ainsi qu'on trouve dans le Cumpoz raeniplit à la rime avec dit aux
vers 1802 et 1122, dans Gaimar entre autres exemples, menti
rime avec dit (au vers 2773) ; enfin dans Fantosme on trouve ;///r-
m rimant avec vit (au vers 596). Nous pourrions citer un exemple
plusrécent: rt/c^/^/V qui rime avec vit au vers 1179 du Saint Gille;
cette rime semblait à juste titre probablement suspecte à Gaston
Paris qui propose de lire atendeit : veit.
Néanmoins les exemples que nous fournissent le Cumpoz,
Gaimar et Fantosme suffisent pour établir la présence, exception-
nelle si l'on veut, de la dentale caduque jusque dans la seconde
moitié du xii^ siècle; elle peut être un phénomène morphologique
aussi bien qu'un phénomène phonique.
Il est certainement plus- difficile d'établir d'une fitçon satisfai-
sante l'existence de la dentale avec son transitoire. Nous avons
cependant de fortes présomptions, sinon des preuves absolues,
qu'elle a eu le son de la spirante.
Il est certain que plusieurs auteurs, celui du Voyage de Saint
Brandan spécialement, s'abstiennent de faire rimer ces prétérits
autrement qu'entre eux. Cependant les mots terminés en / pur ou
en / avec dentale appuyée sont assez nombreux, et cela rend
l'abstention de ces auteurs plus significative que pour les troisièmes
personnes en a. Nous avons peut-être une preuve plus positive si
on peut accorder quelque valeur probante à certaines rimes de
Gaimar.
Dans l'Estorie, cnmbatit rime avec Edelfrid (vers 1013) et avec
Berefrid (vers 1625). Ces deux noms avaient alors en anglais
comme consonne finale un //; doux. Ces arguments sont loin d'être
absolument convaincants; mais d'un côté comme nous venons de
le voir, la dentale finale des prétérits en i subsistait, quelquefois au
moins; et de l'autre, comme nous allons le montrer elle avait à la
même époque disparu dans un grand nombre de cas ; il est difficile
de ne pas admettre que le son intermédiaire n'a pas laissé quelques
races dans les textes de cette même époque.
102 L liVOLUTION DU .VKRBE EN ANGLO-PRANÇAIS
Les rimes les plus nombix'uses nous montrent ces prétérits
rimant avec des mots en / pur; par exemple déjà dans le Cumpoz
nous relevons failli (: ami) 167 ; veuqui (: enemi) 781 ; rmiibali
(: enemi) 827; raciiipli (: di) 941. Cf. aussi vers 969, 1971,
3147. Il en est de même du Bestiaire, comme on peut le voir aux
vers 143, 296, 2381 .
Dans Gaimar les cas où la dentale est absente sont beaucoup plus
fréquents que ceux où elle est conservée, et les rimes ne sont pas
rares, eveilli {: cri) 237 ; oï (: cri) 855 ; reciiilli (: fini) 4851 ; cnm-
bali (: hardi) 5081.
Dans Fantosme, et à l'exception du cas cité plus haut, la dentale
a disparu ' ; nous avons relevé -un nombre assez considérable de
rimes probantes dans la Vie de Sainte Catherine, de Sœur Clé-
mence de Barking (cf. vers 491, 1784, 736) et dans Adgar
(II, .68; m, 35; XVIII, 171 ; XIX, 156; I Eg. 28; I Eg. 56 0-
Dans ces deux derniers auteurs, c'est le seul genre de rime qui sub-
siste. Nous n'irons pas plus loin ; les rimes que nous avons citées
montrent que la dentale caduque a définitivement disparu des Pré-
térits en ivi, vers 1175- Nous la verrons du reste reparaître, mais
appuyée d'une s sous l'influence des Prétérits en si ; ceci est du
reste une question toute différente que nous traiterons plus tard.
En résumé, pour ces prétérits, la dentale a subsisté sporadique-
ment pendant les trois premiers quarts du xu" siècle, elle avait
cependant commencé à disparaître dès le début de la littérature
anglo-française, mais elle ne disparaît définitivement sous cette
forme qu'au commencement du quatrième quart du xii^ siècle.
Quant au son intermédiaire de th, on peut croire qu'il a disparu
avant 1 1 7 5 .
IV. Chute de la dentale dans les prétérits en // Çd).
Les exemples que nous relevons pour cette question comportent
eux aussi un certain élément de doute, beaucoup moindre toutefois
que pour les troisièmes personnes que nous avons déjà examinées.
1. Cf. J. Vising, op. cit., pp. 89 et 85.
2. Rime avec merci qui lui-même rinie avec immaculati. I Eg. 120.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER IO3
Les rimes sont presque toutes des interrimes, mais dans le plus grand
nombre des cas où nous trouvons les prétérits faibles rimant avec
des mots terminés par une dentale, il nous est fiicile de déterminer
la valeur de cette dentale finale.
Nous avons pour cette question à distinguer entre deux sortes de
prétérits, les prétérits faibles de la cinquième classe et le prétérit
du verbe être.
Pour les premiers, on peut avancer deux faits de la première
importance :
1° on ne les trouve jamais écrits sans la dentale finale ;
2° ils ne riment jamais avec des mots en tt pur ; ces mots sont
évidemment assez peu nombreux en français, mais cependant nous
en trouvons un certain nombre (cf. plus bas).
Les seules rimes que nous trouvions nous montrent les prétérits
faibles rimant avec les prétérits forts pour lesquels la dentale
n'est pas caduque, et ces rimes se rencontrent à toutes les époques
de la littérature anglo-française. Or il est absolument certain que
la dentale appuyée de ces derniers prétérits s'est toujours mainte-
nue, ce qui montre par conséquent que la dentale caduque s'est
conservée de la mênie façon.
Voici quelques-unes de ces rimes.
Dans le Cumpoz, vers 907, on trouve aparut ( : cunut) ; dans
le Bestiaire vers 428, fl/)rtn// rime avec cuncut, etc. Vers le milieu
du xii" siècle on trouve inorut, pour ne citer qu'un seul verbe, fré-
quemment à la rime; dans Gaimar, il rime avec dut au vers 5142;
dans Thomas avec ut, vers 3067 ; dans le Folie avec sout,
vers 222 ; dans Adgar avec dut, VII, 69, avec conut, I Eg. -88,
avec out, XXVIII, 191, etc. Dans ce dernier auteur et dans
Simund de Freine, nous pouvons relever un nombre considérable
d'exemples analogues.
Ces rimes se trouvent encore dans la plupart des écrivains du
siècle suivant ; nous n'en citerons pas davantage : Angier, Chardri,
Robert de Gretham et tous les autres montrent très fréquemment à
la rime les verbes de la cinquième classe des prétérits en -ni, rimant
à la troisième personne du singulier avec ceux des trois premières
classes.
Ceci nous montre que ces verbes n'ont jamais perdu leur den-
tale finale en anglo-français.
104 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Le prétérit du verbe être a échappé à la loi générale des prété-
rites en -/// : il a perdu à la troisième personne du singulier sa
dentale finale de très bonne heure. Le premier exemple que nous
ayons relevé de la forme /// attestée par la rime se lit dans Gaimar
où elle rime avec Jesu au vers 1341; dans Adgar elle rime avec/w
( :=r focuni) V R, léi. On relève un nombre considérable de rimes
analogues dans Chardri (cf. Koch, p. xxxvi) ; elles se trouvent aux
vers II 17, 1132, 13 10, 1422 de Josaphat, au vers 13-I1 du Petit
Plet, etc. Fh a donc perdu sa dentale vers le milieu du xii'' siècle et
au siècle suivant les rimes qui assurent cette forme sont aussi très
nombreuses; cependant, et jusqu'au milieu du xiii'^ siècle^ on peut
rencontrer des exemples où la dentale est conservée, par exemple
dans les Dialogues de Saint Grégoire où //// rime avec tut de taire
(fol. 49 v° b); dans Robert de Gretham (fol. 38 r°) où il rime
avec put, de pouvoir et dans la Plainte d'Amour (au vers 834),
avec eut d'avoir. Il est donc possible que certains auteurs plus
corrects ou aimant les formes archaïques aient à l'occasion rendu à la
troisième personne du singulier du prétérit d'être la dentale qu'elle
avait perdue depuis à peu près soixante ans ou plus ; mais il faut
remarquer que les rimes que nous avons citées unissent toujours à
fu la troisième personne d'un prétérit fort, et jamais à un autre
mot. On serait donc en droit de se demander si ce n'est pas le pré-
térit fort qui, lui aussi, perd sa dentale exceptionnellement. Quoi
qu'il en soit, il est tout à fait évident que dans l'immense majorité
des cas, fu est employé sans dentale depuis le commencement
de la seconde moitié du xii^ siècle. Il peut y avoir, même au
xiii^ siècle, quelques exceptions, mais elles ne sauraient prouver
grând'chose.
Au xiv^ siècle, la dentale, comme nous l'avons vu et comme
nous le verrons, apparaît de nouveau appuyée par la consonne s ;
just est une des formes les plus employées, spécialement dans les
textes non littéraires.
CONCLUSIONS SUR LA DENTALE CADUQUE A LA
TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER
Tels sont les éléments qui nous permettent de nous faire une
idée de l'évolution de la dentale caduque finale aux différentes
troisièmes personnes du singulier en anglo-français.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I05
Ces terminaisons nous offrent, croyons-nous, des exemples de
tous les états par lesquels cette lettre a passé avant de disparaître.
Les prétérits faibles en ni, à l'exception de celui du verbe être,
conservent cette dentale jusqu'à la fin. Pour les prétérits en /, nous
avons plusieurs rimes qui nous montrent cette dentale conservée
sporadiquement vers le milieu du xii'^ siècle et prenant probable-
ment vers cette époque un son transitoire qui a dû être analogue
au fb doux, spirante dentale douce. Les troisièmes personnes du sin-
gulier terminées par a ont probablement, elles aussi, pris ce son
affaibli, au moment où fii perdait sa consonne finale. Enfin, l'étude
de la versification des poèmes antérieurs au Saint Auban montre
que les troisièmes personnes du singulier terminées par e ont con-
servé la dentale caduque sous forme de consonne de liaison, au
moins jusque dans le premier tiers du xiii*^ siècle, peut-être jusque
vers 1250.
B, La dentale appuyée.
La dentale appuyée montre une tendance à poursuivre la même
évolution que la dentale caduque, quoique les résultats de cette
tendance soient beaucoup moins généraux que ceux que nous
avons déjà observés.
Il n'est pas rare de trouver cette dentale exprimée par fh; cette
graphie est généralement due aux scribes et ne se rencontre guère
que lorsque l'influence de l'anglais est devenue assez forte, c'est-à-
dire dans la seconde moitié du xiii'^ siècle. C'est ainsi que nous
trouvons dans la Satire sur le Siècle rilb : despith au folio 80 v° ;
dans l'Apocalypse (jeetlj) y., 352. On pourrait certainement donner
un plus grand nombre d'exemples, mais il semble peu utile d'in-
sister davantage sur une simple graphie.
Du reste, quoique tJ) pour ^ ou ^ se rencontre encore au
XIII'' siècle, des cas assurés de la chute de cette dentale se trouvent
au siècle précédent. Gaimar est le premier auteur chez qui nous
relevions des rimes probantes, nous montrant la chute de la den-
tale au présent et au prétérit; par exemple le présent suiniin ' qui
I. On peut consulter sur ce point ce que dit Behrens, Beitràge zur Gescliiclite
der franzôsischen Sprache in England, Franzôsischen Siudien, V, p. 142.
io6 l'évolutton du verbe en anglo-français
rime au vers 2880 avec gcnin au vers 3020 avec passiun; il se
trouve aussi i\ Tintéricur de vers sous cette forme. Du reste d'autres
poèmes nous donnent des rimes analogues pour d'autres verbes ;
Horn fait rimer au vers 11.46 cspcl avec novel quoique cspclf reste
plus commun '.
Le ^/ = dit (dicit), au premier vers de la strophe 31 du Saint
Alexis, donné par le ms. L, appartient aussi évidemment au
xiii^ siècle quoiqu'il soit possible de ne le considérer que comme le
résultat d'une erreur cléricale.
Pendant tout le xii^ siècle, nous n'avons d'assuré par la rime
qu'un seul cas de la chute de la dentale fixe au prétérit ; elle se
trouve encore dans l'Estorie des Engleis ; Gaimar y fait rîmer traît-
sit (= transit) avec Beverli, au vers 1689 et avec Tosti au vers
5061. Ordinairement ce mot savant rime avec des terminaisons à
dentale caduque. Il est possible de considérer ici la chute du /
comme un fait d'analogie, plutôt que comme le résultat d'une évo-
lution phonique.
Enfin, une autre forme est assurée encore au xii^ siècle, c'est
l'imparfait er qui se trouve au vers 1214 du Roland d'Oxford, elle
deviendra du reste par la suite assez commune (cf. Horn, 82, O).
Au xiii^ siècle, le nombre des rimes du genre de celles que nous
venons de citer, est très petit, nous ne voyons que ciir (pour ciirt
de courir) rimant avec /r;7/r au vers 313 d'Aspremont.
Dans le corps du vers les exemples sont beaucoup plus nom-
breux, le poème de Boeve nous en présente un très grand nombre
de cas, ainsi ^ pour est au vers 853 etc.; Edward le Confesseur a
vai au vers 993, Otinel aer (de ardeir) au vers 38 etc. ; William
de Waddington covien au vers 5325. Tous ces exemples peuvent
n'être que des négligences des scribes, il convient peut-être de
ranger dans la même classe le reniahigii qu'on lit au vers 239 du
Bestiaire, dans le manuscrit O.
Au prétérit, nous relevons un fait légèrement différent dans tcnc
au vers 1630 du Saint Aubin, link dans Edward le Confesseur au
vers 362, la gutturale de la première personne persistant à la troi-
sième y fait tomber la dentale ^.
1. On trouve aussi dans l'Estorie des Engleis la forme régulière, vers 2652;
citons encore espel^ qu'on lit au vers 2154, du même poème.
2. On trouve cependant iinct.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I07
Nous ne trouvons que relativement peu d'exemples de cette
chute de la dentale appuyée au xiv^ siècle; ce n'est pas une de ces
irrégularités presque régulières comme on en trouve tant à cette
époque. Nous n'avons qu'un très petit nombre de cas à citer, et
parmi eux les rimes sont rares. Dans le siège de Carlaverok on a
preng, p. 2 6«ç dans Pierre de Langtoft, on trouve à la rime reqiicr
(II, 272, 22) et au prétérit, pris (Pierre de Langtoft, II, 60, 10);
on lit fis, dans Foulques Fitz-Warin, p. 22. Citons encore es qui
est assez commun dans le manuscrit Egerton des Miracles de la
Vierge (cf. VI, vers 207), et qu'on trouve aussi dans le manuscrit
qui donne le poème de Renaut de Montauban (cf. p. 22).
Les cas où la dentale appuyée disparaît sont relativement très
rares dans les ouvrages non littéraires, les textes les plus corrects,
comme les Statutes, les Lettres de Jean de Peckham, même
ceux dont la correction est plus douteuse, les Rymer's Foedera par
exemple, ne nous en offrent aucun exemple; nous avons pu cepen-
dant en recueillir quelques cas, on verra qu'ils sont à la fois
peu nombreux et de peu d'importance, étant donné le grand
nombre d'ouvrages consultés. Le premier exemple de la chute de
cette dentale se trouve à la date de 1285 dans les Early Statutes
of Ireland (p. 94) : amon pour amonte ; on voit que la voyelle
muette est tombée tout d'abord, puis la dentale a suivi. Dans le
Liber Rubeus de Scaccario (à la date de 1300, vol. III, p. 987), on
a fui pour fuit ^= fut; ci pour est se rencontre dans le Registrum
Palatinum Dunelmense (1302, III, ^i); pies ( = placet) se lit dans
les Letters from Northern Registers (1304, 103) et es dans les
Mem. Pari. 1305, § 136; coveneye est une forme très rare de
l'imparfait de l'indicatif employée une fois dans le même recueil
Dans les Literae Cantuarienses on trouve ne pas pour n'est pas, qui
se rencontre du reste dans la même page (1309, 195), enfin dans
une lettre de 1393 dans les Documents Inédits on trouve reqiier.
Les exemples sont plus nombreux dans les Year Books, mais ils
ne sont pas plus probants ; on trouve assez fréquemment au lieu de
est soit es (dans esse, est-ce) soit e, la première de ces formes se lit
dans 20 et 21 Edward L', p. 231; 21 Edw. P"", p. 183, et passini ;
la seconde dans TEyreof Kent 13 13, III, 133. On peut citer encore
quelques exemples de la chute de / après consonne : defen 20 et 21
Edw. I", 175; remeign i et 2 Edw. II, "-j ; jeisse pour feist 3 Edw.
io8 l'évolution du verbe en anglo-français
III, 6; après voyelle covcudrcy 33 et 35 Edw. V', 179, di 17 et
18 Edw. III, 149.
Comme on le voit le nombre d'exemples est très restreint ; ceux
que nous fournissent les Year Books sont de dates très indétermi-
nées et on pourrait sans trop de difficulté considérer chaque cas
pris individuellement comme une preuve de l'ignorance ou de
la négligence des scribes; cependant ces exemples nous donnent
des indications qu'il vaut mieux ne pas négliger et en les compa-
rant aux quelques cas que nous avons trouvés dans les œuvres litté-
raires nous nous rendons compte que la dentale finale même
appuyée tend à s'amuir et à disparaître.
Aux exemples précédents, nous pouvons en ajouter quelques
autres qui ne manquent pas d'intérêt; ils montrent à la troisième
personne du singulier et l'imparfait du subjonctif la chute de la
dentale finale de l'addition d'un e muet. Ces exemples ne se ren-
contrent que dans les Rymer's Foedera et les Statutes. On trouve
ainsi aprochase (1351, V, 754), vciiJlûise (1338, V, 46) dans le
premier recueil. Feusse et fuisse sont employés beaucoup plus sou-
vent : deux fois dans les Statutes (1369, I^ 390; 1378, II, 9) et une
dizaine de fois dans le Rymer (1392, 716, 1396, 829). Mais la
plupart des cas où nous trouvons feusse nous montrent que cette
forme ne doit pas provenir de la troisième personne régulière; en
effet ce mot se trouve le plus souvent dans la formule si fwtre
propre personne y feusse présente ; il semble donc qu'on ait plutôt
affaire à une attraction de la première personne du singulier.
DÉSINENCES EN ST
L'irrégularité plus ou moins grande suivant les auteurs et les
périodes des désinences en sf est une des caractéristiques de l'an-
glo-français. La question est naturellement assez complexe. Tout
d'abord on peut voir qu'elle est double : quelles sont les troisièmes
personnes du singulier qui prennent indûment 1'^ devant la dentale
finale? Quelles sont celles qui perdent Y s qu'elles devraient régu-
lièrement avoir ?
En second lieu, à quel moment Vs a-t-elle cessé d'être prononcée
et est-elle devenue purement .graphique ? Enfin, après que Vs a
perdu dans cette position sa valeur propre, suivant quels principes
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I09
OU quelles règles, s'il y en a, les auteurs l'ont-ils écrite ou omise ?
La plupart de ces questions, comme nous le verrons, sont con-
nexes.
Pour plus de clarté, il nous semble indispensable de distinguer
dès maintenant deux périodes : pendant la première, qui est la plus
importante au point de vue philologique, c'est la torme du verbe
latin qui est la cause directe, même la cause unique, de la présence
de 1'^ dans cette terminaison ; pendant la seconde, la présence de
cette consonne est due à des causes qui n'ont rien de commun
avec l'étymologie ; la fantaisie de l'écrivain, des soucis d'élégance,
tels que ceux que nous révèle l'Orthographia Gallica, des analogies
plus ou moins extraordinaires — sans parler des bévues des scribes
— concourent à produire les formes que nous relevons.
Il est toutefois impossible de fixer les dates ; la fantaisie, l'analo-
gie etc., se trouvent déjà au xii= siècle et agissent en même temps
que les tendances régulières.
Avant d'entrer dans les détails de la question, nous pouvons
faire observer qu'elle ne diffère qu'assez peu de la question de Vs à
la première personne du singulier. Le seul point qui sépare ces
deux questions, c'est que Vs peut être graphique à la troisième per-
sonne du singulier et qu'elle ne l'est jamais à la première. Nous
allons voir que le développement de Vs devant le t suit la même
marche que 1'^ finale.
L — Régulièrement ce sont les inchoatifs, puis les verbes en -sco
qui prennent Vs devant la dentale de la troisième personne du sin-
gulier.
L'anglo-français a eu vite fait d'étendre cette s à la plupart des
verbes à palatale, et nous trouvons des exemples de la termi-
naison en st pour ces verbes dans les premiers textes que nous pos-
sédons. Aucun des exemples que nous avons relevés ne se trouve
assuré par la rime, ce qui n'empêche pas un fort grand nombre de
ceux-ci d'être très anciens. Nous n'en citerons que quelques-uns et
tout d'abord ceux qui nous paraissent prendre constamment cette s
au xii^ siècle.
Le manuscrit A de l'Alexis nous donne au moins deux exemples
de ces formes : destniist (28 b), et gist (50 a)' ; cette dernière
I. Vom gist, cf. Thoniscii, Roinania Y, 67; Focrstcr, Zcitschrift fur roni. Pliil.
II, 178.
Four phiisl, cl. Stcngcl, Zcitschrift fur roni. Phil., I, 106, 107.
IIO L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-rRANÇAIS
forme nous est aussi donnée par le ms. L. Elles datent par consé-
quent du milieu du xir' siècle. Le Voyage de Saint Brandan nous
ortre aussi plusieurs exemples qu'il est plus difficile de dater : braist
(au vers 930), esïist (au vers 107). Citons surtout taisl (au vers
376); cette forme en effet se rencontre et même assez fréquem-
ment dans plusieurs autres auteurs ; cf. taest dans les Dialogues Gré-
goire le Grand (48, c, 24, Timothy Cloran).
Le Bestiaire nous donne sufist (vers 361) ; le Psautier de Cam-
bridge plâist (50, 17); (cf. plaesl dans les Dialogues Grégoire 71,
c, 41 Timothy Cloran u. s.) '. Sœur Clémence de Barking a paist
(vers 13), naist (vers 14) et bien d'autres exemples pourraient être
cités.
Nous ne voulons pas cependant allonger la liste, car dans toutes les
formes que nous avons données, Vs est assez facile à expliquer et,
autant que nous pouvons en juger, constante. Il n'en est pas de
même d'un certain nombre d'autres verbes à palatale : laisser, faire,
traire.
Prenons d'abord le verbe laisser ; la troisième personne du sin-
gulier du présent de l'indicatif de ce verbe se présente sous les deux
formes : laist et lait\ il n'eçt pas..^ass.uré que ces deux formes pro-
viennent--Je deux infinitifs différents. La première iinie 2vsc plaist
au vers 383 du Tristan de Thomas et est encore employée dans le
corps du vers 3786 de ce même poème; lest rime avec est dans
Edward le Confesseur et se rencontre passhn dans le corps du vers.
Le ms. R de l'Estorie desEngleis (première moitié du xiii^ s.) l'em-
ploie plusieurs fois (cf. vers 2633, 2814). Nous en trouvons des
exemples dans la Vie de Saint Emund, dans la Vie de Saint Gré-
goire (vers 938), dans William de Waddington (2183), dans le
Saint Auban (1440), etc.; enfin c'est la forme constamment
employée dans les Statutes.
Citons encore très rapidement quelques exemples de la forme
sans j, qui tout en étant moins fréquente est à peu près aussi
ancienne en anglo-français. La plus ancienne rime que nous ayons
rencontrée se lit dans le Tristan de Thomas au vers 1993, lait
(: estait) ; les mss. C, D et L de l'Estorie des Engleis l'emploient
I. On trouve cependant ^/^)// dans les Quatre Livres des Rois (cf. II, 19, 37);
cependant la fonne plaist est beaucoup plus commune, on la trouve 37 fois (cl.
Merwart, p. 12).
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I I I
aux deux vers que nous avons cités (2633, 2814). Une autre rime
se lit dans les œuvres de Guischart de Beauliu (: estait) au vers 70.
Et les exemples de cette forme continuent à être aussi nombreux,
à mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française. On la
rencontre aussi dans les ouvrages non littéraires et l'exemple le
plus ancien se trouve dans le Liber Custumarum, à la date de
1280, p. 288, sous la forme lel.
Comme on le voit, l'existence de lait à une époque reculée est
assurée d'une manière satisfiiisante; mais la forme avec -st reste
toujours la forme ordinaire de la troisième personne du singulier
du présent de l'indicatif de laisser. Quant à faire, c'est le contraire
qui est la règle; fait, fet est à toutes les époques la forme la plus
communément employée. Les exemples qui nous montrent faist
sont beaucoup plus rares ; le plus ancien que nous ayons relevé ne
remonte pas au milieu duKii*^ siècle ; il se lit dans les Quatre Livres
des Rois (II, 22, 12) ; on en trouve encore un autre cas dans le
ms. Ode Hovn, fest au vers 1365 ; le poème de Boeve de Haumtone
nous en offre encore un cas au vers 120, mss. B et D, et B seul nous
donne la même forme aux vers 1026, 1080; citons encore les
Lettres de Jean de Peckham (1280, 92), et surtout toute la série
des Year Books où cette forme est fort commune (cf. par exemple
14 Edward III, 53 Qipassiiii').
Nous pourrions répéter à peu de chose près les mêmes remarques
à propos de trait \s\ cette forme est fréquente, l'autre, traist, est rela-
tivement moins rare que faist. On la rencontre déjà dans le Roland
d'Oxford, au vers 3959; dans le corps du vers 4717 de l'Estorie
des Engleis (4 mss.); dans les Dialogues Grégoire le Grand, 71, c,
24 (cf. Tiraothy Cloran, p. 18).
Quelques autres verbes à palatale se rencontrent encore, mais
plus rarement avec la désinence -j'/ à la troisième personne du singu-
lier. Nous avons relevé par exemple dist au vers 2596 de Boeve;
dans les Set Dormans de Chardri liist {= lucet) au vers 1666.
Ajoutons encore un autre exemple tiré de Boeve de Haumtone :
condust au vers 2290 que M. Stimming considère, à tort, croyons-
nous, comme un prétérit.
Cette liste d'exemples assez longue peut suffire à montrer que, à
un moment ou à un autre, et très souvent dès le commencement
du xii"^ siècle, l'anglo-français a employé Vs à la troisième personne
112 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-l-RANÇAIS
du singiiliLT du présent de l'indicatif de la plupart des verbes h pala-
tale.
A coté de ces verbes à palatale, pour lesquels l'^- peut s'expliquer,
nous rencontrons un certain nombre de thèmes à labiale ou à den-
tale pour lesquels la présence de Ys à la troisième personne du sin-
gulier du présent de l'indicatif n'est pas aussi naturelle.
Les exemples qu'ils nous fournissent sont du reste moins nom-
breux et ordinairement plus récents que ceux que nous avons déjà
précédemment cités. Le plus ancien exemple que nous ayons
relevé pour les thèmes à dentale remonte au xiii"^ siècle ; on le lit
dans le Saint Edmund,où il est assuré dans une certaine mesure par
la rime, c'est vest (vadit) (: lest) aux vers 1361-1362'; un peu
plus tardivement, on rencontre une rime, douteuse encore, dans le
Poème Allégorique, vers 263, coiuhasl (: estast) (lire combat-estat).
Tous les autres exemples que nous pouvons citer doivent probable-
ment être attribués aux scribes : dans le ms. O. de Guischart de
Beauliu au vers 70, on trouve vest que nous avons déjà rencontré
dans le Saint Edmund ; pocsl (vers 235) &t post (vers 6281) dans le
ms. A (milieu du xiii'' s.) de l'Ipomédon. Arst se lit dans Pierre de
Langtoft (I, 186, i), et puist dans les Litterae Cantuarienses (1338,
653)-
Les rimes ne sont pas plus nombreuses pour les verbes à labiale
et la plus ancienne que nous ayons est encore postérieure à la rime
de Saint Edmund, c'est vist (vivit) (: Crist) dans les Heures de la
Vierge, et cette rime y est répétée aux folios 62 v° et 63 v°.
Boeve au vers 2995 a sest de savoir, forme qui se retrouve
assez souvent dans les Year Books à des dates indéterminées;
citons encore dcist au vers 50 du poème sur l'Antecrist, de devoir.
Pour les verbes en / et en n les exemples ne sont pas très rares,
et au moins l'un d'eux doit remonter assez haut, même s'il appar-
tient comme il est probable, au scribe. C'est espciist qui se lit au
vers 265 de l'Estorie des Engleis et nous avons cité précédemment
(cf. une autre forme du même verbe qu'on rencontre au vers 2154
du même poème : espel^ (=1 espelst ?) ^
1. On pourrait rejeter cette forme sur le scribe en lisant lait.
2. Pour la (orme espelt, on peut voir Gaston Paris, Alexis, p. 189, 70 e. Espelt
est donné par le ms. R ; D àonnz espalt, hespaut, Wespeaut. Dans cspeli, le ;^
La troisième Personne du singulier 113
Les verbes en / nous fournissent plusieurs autres exemples ;
citons vaust dans le Mem. Pari. 1305, § 56; veust dans les Litterae
Cantuarienses 1338, 653 ; dans 32, 33 Edw. I", p.. 5, et passim dans
les Year Bocks.
Les thèmes en n sont assez rares, citons empciusl au vers 1809 de
Thomas (ms. Str.^ du xiir' s.);geeiist dans le Saint 'Auban au vers
589, ces deux derniers exemples ressemblent à des prétérits en si,
mais le contexte montre clairement que ce sont des présents.
Il nous semble évident que dans les verbes précédents (verbes à
labiale, en /, en n\ Vs ne saurait avoir une origine étymologique;
à la rigueur, on pourrait encore admettre cette origine pour les
thèmes à dentale, quoique, comme nous le verrons plus tard, cela
ne soit pas très vraisemblable; pour les autres, la désinence en -st
ne peut être qu'analogique.
C'est ce que pourra nous montrer l'extension de la consonne .f à
d'autres troisièmes personnes du singulier. D'autres temps que le
présent de l'indicatif prennent irrégulièrement la désinence en -st ;
tout d'abord certains prétérits. On sait que seuls les prétérits en si
y ont droit; cependant, et souvent très tôt, d'autres prétérits se
montrent sous cette forme : les différents prétérits en ivi, et, à
quelques années près, les prétérits en ni. Les premiers furent
affectés d'abord ; on trouve dans un bon nombre d'auteurs du
xii^ siècle des prétérits en ivi montrant à la troisième personne
du singulier la terminaison -ist ; par exemple le Psautier d'Arun-
del nous donne cisist (18, 4); finristÇ^j, 10), etc. Dans l'Es-
torie des Engleis, des formes analogues sont extrêmement com-
niunes à l'intérieur du vers, et quelques-unes d'entre elles
doivent appartenir à l'auteur, car la rime nous montre que Gai-
mar donne quelquefois cette terminaison à des prétérits en ivi,
par exemple, on trouve : viarist Ç: asist) au vers 2010; resplcndist
au vers 6107. A partir de Gaimar, les rimes de ce genre sont assez
communes, citons dans la Vie de Saint Gilles laugitist (: mesfist)
au vers 143. Ces quelques exemples pourraient nous dispenser de
recourir aux auteurs du xiii^ siècle ; chez eux les rimes ne sont pas
rares (cf. Boeve de Haumtone vers 303, 599; Sardenai, vers 178,
doit être une graphie, assez rare, mais qui n'est pas unique de st. Nous trouvons
dans Horn ^employé (par le scribe?) avec une valeur différente. Giiiiris;^se lit
dans le ms. O aux vers 75 et 90 ; évidemment ici - équivaut à t7.
8
114 L EVOLUTION DU VHRBli KN ANGLO-FRANÇAIS
etc.) C'est surtout l'étude des manuscrits écrits au xiii'' et au xiv'
siècles, littéraires ou non, qui nous montre la tendance que tous les
prétérits de cette classe ont à prendre à la troisième personne du
singulier la terminaison en -isl.
Le nombre des formes en iist des prétérits en ui est au moins
aussi considérable, si celles-ci sont un peu plus tardives; plusieurs
d'entre elles sont assurées par la rime, citons mnrrusl (: soûst I. S.)
dans la Folie de Tristan au vers 22', cuiiust (: fust I. S.) dans les
Set Dormans au vers 1239 ; conceust (: frust = fructum) au folio
49 r° de la Genèse Notre-Dame. En dehors de la rime nous en trou-
vons de nombreux exemples dans Gaimar, viorust 129}, par iist
2252, etc., etc. , parus t se rencontre au vers 162 du Donnei des
Amants. Ces derniers exemples doivent ou peuvent provenir des
scribes, par conséquent ne remonter qu'au xiir' siècle; en effet, pen-
dant ce siècle et le siècle suivant, les scribes aussi bien que les
auteurs emploient pour les prétérits en /// la forme avec s aussi sou-
vent que la forme sans s : moriist, pantst, corust, se rencontrent dans
le Saint Julien 78 v°, dans Boeveau vers 3 266, dans le Saint Auban
vers 287, dans William de Waddington au vers 1259, ///5/, reciist,
cunust, crust, dans le Genèse, Boeve, Chardri, William de Wadding-
ton.
Ce sont, comme les exemples précédents le montrent, d'abord
les prétérits en /// de la cinquième classe, et, un peu plus tard peut-
être, ceux de la troisième qui prennent cette s. Au xii^ siècle et au
xiii'^ on ne trouve aucun exemple assuré de la désinence en si pour
la première et la seconde classes.
Ce n'est guère qu'au xiV siècle que cusl,pJust, pust, liusl, iiiust,
deviennent très communs ; fusl est fréquemment employé à cette
époque, on le rencontre dans la plupart des ouvrages du xiV^ siècle,
surtout en dehors de la littérature.
Nous ne citerons aucun exemple de formes de prétérits en isl (de
ivi) et en iisl en dehors de la littérature ; qu'il nous suffise de dire
qu'elles ne sont rares dans aucun des recueils politiques, diploma-
tiques, ni dans les Lettres.
Pour les prétérits en / celui de voir seul, se montre assez com-
munément avec .s7 ; on lit vist dans Gaimar au vers 65e (ms. R,
'• Mnrrust est peut-être ici, comme le croit M. Bédier, un impartait du sub-
joiKtif.
LA TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER 1 1 5
commencement du xiii^ siècle) et au vers 2 148; on le rencontre à la
rime avec prist dans The Lament on the Death of Edward ?' au
vers 37, à la rime avec mist dans les Vies de Saints de Bozon au
fol. 93 v°, au vers 975 de William de Waddington et très fré-
quemment dans les ouvrages non littéraires. Les autres prétérits
en /, les prétérits en avi et a (= habet) apparaissent beaucoup plus
rarement avec Vs ; cela provient probablement de la règle de l'Or-
thographia Gallica que nous citons plus loin, à moins que la règle
ne provienne, comme elle devrait le faire, de l'observation de
l'usage.
Tenir et venir ne nous donnent que très peu d'exemples :
tinst dans The Lament on the Death ofEdw. L'' au vers lé ; veinsl
dans les Lettres de Jean de Peckham (1280, 94); dans le Liber
Rubeus de Scaccario (1323, III, 858) et quelques autres.
La désinence ast au prétérit est rare, nous en trouverons très peu
d'exemples dans la littérature ; nous pouvons citer toutefois dans
Pierre de hzngiok parla si (I, 180, 6) et priast (II, 24, i). Dans les
ouvrages non littéraires, les formes analogues sont plus nombreuses,
sans être communes : citons poiast dans les Rymer's Foedera (1348,
V, 612), dans les Documents inédits (1382, 32e), etc. Pour avoir
nous ne trouvons ast que dans les Year Books, cf. par exemple 1 1
et 12 Edw. III, 197.
Pour tous les autres temps, la terminaison st est encore plus
rare ; dans la langue littéraire nous relevons seist (= siat) au vers
2642 de Boeve, mangust (manducet) dans Walter de Bibblesworth
(p. i')^), amoust est employé par le scribe du ms. A (milieu du
xiir^ s.) de l'Ipomédon (vers 3456); on pourrait en trouver
quelques autres dans les recueils de textes politiques et légaux ;
poaist, imparfait de l'indicatif de pouvoir, se trouve dans les Sta-
tutes(i37i, II, 20), fl'/5/(=habeat)dans les Rymer's Foedera (1366,
VI, 296) et quelques autres peut-être, mais en tout petit nombre.
Conclusion : Un grand nombre des dernières formes que nous
venons de citer sont très tardives ; nous ne pouvons même assigner
une date précise à celles que nous avons tirées des Year Books; mais
une conclusion s'imposa : dès le milieu du xii' siècle, surtout au
xiii= et xiv^ siècle, l'anglo-français tend à renforcer d'une. ^ soit dans
la prononciation, soit, comme il est possible, dans l'écriture seule-
ment, les dentales étymologiquement appuyées, mais que les phé-
ii6 l'Évolution du vEKBii en anglo-français
nonicnes phoniques naturels ont privées de leur consonne d'appui.
La raison de ce phénomène est très claire, nous avons vu que les
dentales finales tendaient toutes à disparaître, Vs parasite devait
assurer leur conservation. Puis Vs se généralisa quelque peu et
vint soutenir la dentale caduque des prétérits en ivi, où elle avait
persistéassez longtemps, et des prétérits en m qui ne la perdaient pas.
II. — Beaucoup moins commune que le phénomène que nous
venons d'étudier, est la chute de Vs étymologique dans la terminai-
son 5/', et cela s'explique par la tendance que nous venons de
remarquer dans tout l'anglo-français et qui consiste à renforcer d'une
s le t final après voyelle. Au présent de l'indicatif, nous avons relevé
un certain nombre de verbes en -sco qui perdent de temps en temps
cette s, par exemple le cunnit du vers 337 du Brandan (ms. 1 167);
mais les formes comme celles-là sont rares.
C'est surtout au prétérit (prétérits en si^, et à tous les imparfaits
du subjonctif que nous pouvons observer la chute de 1'^ étymolo-
gique.
Pour le premier de ces temps, les exemples sont nombreux,
anciens et assurés. Déjà dans le Brandan, au vers 1151 nous lisons
cwiduit, qui même s'il appartient au scribe, remonte au commence-
ment du troisième tiers du xii'' siècle. La seule rime d'ailleurs que
nous ayons à cette époque ne se rencontre pas avant la Vie de Saint
Gilles; dans ce poème on lit en effet : sttrst (: curt) au vers 1469.
Les autres exemples qu'on trouve dans les ouvrages de ce siècle
proviennent plutôt des scribes et appartiennent probablement au
siècle suivant.
C'est ainsi que nous pouvons citer : y?/ au vers 98 de Gaimaret
dans Adgar V R 114; destruit dans l'Estorie des Engleis au vers
1026, conduit au vers 11 54 de Jordan Fantosme, assii qui dans le
Saint Gilles rime avec une forme en st au vers 386.
Il est évident que le xii^ siècle, auquel du reste les exemples pré-
cédents peuvent appartenir, doit nous présenter de nombreux
exemples de cette disparition de Vs. Nous allons en citer quelques-
uns, parmi ceux qui se trouvent à la rime. Il est permis de trouver
assez curieux que de tous les exemples que nous avons relevés au
siècle précédent, surst seul se trouve à la rime et qu'au contraire à
1. I^our l'amuib^senicnt deTi, on peut lire Ulbrich, dans la Zeitschr., t. II, 522.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER II7
partir du Chardri, les rimes deviennent très nombreuses. Ceci
montrerait que quoique Vs eût disparu, les auteurs pendant
quelque temps ont évité de faire rimer les terminaisons des prété-
rits en si avec des mots où le / n'était pas appuyé d'une s. Les
auteurs du xiii^ siècle ne sont pas arrêtés par ce scrupule, et nous
trouvons un bon nombre de rimes significatives. Chardri par
exemple, a dist à la rime avec abit dans Josaphat au vers 847 ; le
Saint Laurent nous offre dit (: vit) aux vers 142, 121 ; le même
prétérit rime avec le participe passé écrit dans les Chansons (I,
7 et 8). Dcstruit rime avec nuit au vers 1143 de Dermod. De plus,
si 1'^ que, au siècle suivant, les prétérits en ivi prennent assez sou-
vent est purement graphique, nous pouvons regarder comme des
exemples probants les rimes que nous avons déjà citées : prisi : vist,
The Lament on the Death of Edw. L' vers 38 ; misf (: purvit) dans
les Vies de Saints de Nicole Bozon, 93 v°. Les formes, à l'intérieur
du vers, où cette s disparaît sont du reste extrêmement nombreuses ;
nous en citerons quelques exemples pour montrer que tous les pré-
térits en si sont atteints.
Parmi les verbes à thème vocalique que nous n'avons pas encore
vus, on peut citer : dcstruit dans Pierre de Langtoft (I, 52, 12);
retrct dans Foulques Fitz Warin (16); rescotit Chandos (431). Les
thèmes consonantiques sont très bien représentés ; thèmes en // :
enfreint Vievve de Langtoft (L"" x\ppendice, II, 416, 23) ; joint Nicole
Bozon (Contes, 51); Nicolas Trivet (19 v"); plcint Nicole Bozon
(Contes, § 53).
Dans les Statutes, les formes régulières sont à peu près les seules
employées ; citons cependant// (1322, I, 185) à côté de /.f/ (1278,
I, 45)^ etc., etc., dans Rymer les cas de chute de Vs sont assez nom-
breux, plaint par exemple est assez souvent répété; on le trouve
aussi à la date de 1292 dans les Hist. and Mun. Doc. of Ireland
(p. 205). Dans les Year Books, la forme sans s est la forme ordi-
naire, pour tous les prétérits en si, ple\nl,fe\nt, ireit, etc.
Il en est de même de la troisième personne du singulier de l'im-
parfait du subjonctif, qui montre assez fréquemment la chute de Vs
étymologique .
Mais pour cette personne, ce phénomène est beaucoup moins
général et beaucoup plus tardif que dans les prétérits que nous
venons d'étudier. Les exemples cependant se rencontrent dans la
ii8 l'évolution du verbe en anglo-français
littérature aussi bien que dans les ouvrages politiques, diploma-
tiques et familiers mais avec quelques différences.
Nous avons pour la première classe de textes anglo-français (textes
littéraires) à distinguer entre les conjugaisons.
Les désinences en -at dans les textes littéraires sont limités à
certains manuscrits et appartiennent probablement au xv^ siècle,
comme le confessât, laissât qu'on lit au fol. 55 r° des Chroniques
de Nicolas Trivet. La graphie 7^ (^= st) nous semble un phénomène
tout différent : ronforta:^ et cuntnsta:^ qu'on peut lire dans le Psau-
tier d'Oxford, ne sont peut-être que des étourderies du scribe (68,
A part quelques exemples de ce genre, l'imparfait du subjonctif
des verbes de i est constamment régulier.
Nous n'avons donc pas à nous en occuper.
Les autres conjugaisons sont beaucoup moins régulières et la
chute de Vs est assurée pour plusieurs imparfaits du subjonctif,
quoique les rimes ne soient pas nombreuses. Nous ne trouvons en
effet à la rime que fit (: voleit) dans le Genèse Notre Dame, au
fol. 53 v°; c'est évidemment une mauvaise rime et elle ne peut
nous éclairer sur rien, même pas sur la présence ou la disparition
de Vs; fit, du reste, se retrouve encore dans les Contes de Nicole
Bozon au § 517, etc.
Dans Dermod, nous trouvons aussi fatisit au vers 218, poiit au
vers 125 ', ont se lit dans Walter de Bibblesworth, 145 -jâut dans
The Song of the Church, vers 23.
La plupart de ces exemples datent de la première moitié, ou du
commencement de la seconde moitié, du xiv= siècle.
Les cas de chute de 1'^ sont plus nombreux en dehors de la litté-
rature et plus généraux. On trouve un bon nombre de formes en
-at même dans les recueils les plus corrects ; les Statutes ont Icssat
(1344, I, ^00) înonstra, prova (135 1, 1, 325) et plusieurs autres pos-
térieurs aux trois exemples précédents. Nous n'en citerons pas
davantage, qu'il nous suffise de dire que dans tous les recueils,
Rymer's Foedera (1278, II, 108) % même dans les Lettres de Jean de
1. Dans ce même poème, on trouve plusieurs formes qui peuvent être, soit des
imp. du subjonctif, soit des prétérits. Cf. 69, 5037, 3318. Il en va de même pour
tous les autres ouvrages du xive siècle .
2. C'est le plus ancien exemple dans ce recueil.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER II 9
Peckliam (1310, 36) les imparfaits du subjonctif de toutes les con-
jugaisons se rencontrent très communément à la troisième personne
du singulier sans 1*5 étymologique.
Dans les Year Books ces formes sont particulièrement nom-
breuses.
Par conséquent, pour cette chute de Vs étymologique aux diffé-
rents temps, nous remarquons un accord assez rare en anglo-français
entre les auteurs et les scribes. Pour les prétérits c'est entre 11 60
et 1170 que les premiers exemples apparaissent (manuscrit de
Londres du Voyage de Saint Brandan, Saint Gilles); pour le présent,
les premiers exemples datent de la même époque; pour l'imparfait
du subjonctif, les troisièmes personnes du singulier sans s ne
remontent qu'à la fin du xiii^ siècle (Rymer, peut-être les exemples
littéraires) ou au xiv'^ siècle (Jean de Peckham, Bozon).
La forme régulière est dans les œuvres politiques, diplomatiques,
familières, la forme ordinaire; dans les œuvres littéraires, la forme
unique des imparfaits du subjonctif de I.
III. — Valeur de l'^. — Il nous reste maintenant à combiner les
résultats de ces deux études, introduction d'une s parasite, chute
d'une s étymologique, et à voir si, en confrontant ces résultats,
nous ne trouverons pas l'explication de ce double phénomène.
rt) Pendant la seconde moitié du xii^ siècle, et, comme il est pro-
bable progressivemement, nous voyons 1'^ apparaître devant la den-,
taie de la troisième personne du singulier des présents des verbes à
palatale, des prétérits en ivi, des prétérits en /// de la cinquième
classe. Ces faits sont assurés par des rimes qui pour n'être pas très
nombreuses pour chaque catégorie de troisièmes personnes, sont suf-
fisantes pour les établir.
Pendant le même laps de temps, 1'^ étymologique tombe à la
troisième personne du singulier du présent de l'indicatif de certains
verbes, et des prétérits en si. Mais ici les rimes sont plus que rares ;
nous n'en trouvons qu'une (après 1 170) dans le Saint Gilles.
Sans vouloir pour cela rejeter les exemples qui sont assurés dans
une certaine mesure, soit par la date, soit par la concordance des
manuscrits, nous pourrons regarder ces chutes de Vs comme excep-
tionnelles et en conséquence nous admettrons, ce qui nous semble
évident, que, pendant toute cette période au moins, 1'.^ étymolo-
gique subsiste non seulement dans la graphie, mais aussi dans la
120 LKVOLUTION DU VRRBE i:\ ANr>LO-FRANÇAIS
prononciation. Les cas qui montrent hi chute de cette consonne
sont, si l'on veut, des fautes. Ceux dans lesquels elle s'est intro-
duite pendant cette période la prennent par suite de leur développe-
ment phonique normal, ou par analogie.
Ij) Il est plus difficile de déterminer la valeur de 1'^ dans la dési-
nence qui nous occupe pendant la première moitié du xiii^ siècle.
Les verbes et les temps que nous citions tout à l'heure continuent à
la prendre assez régulièrement, les prétérits en /// voient en outre
les verbes de leur troisième classe suivre ceux de la cinquième, les
présents des verbes à dentale font comme les présents des verbes à
gutturale.
De l'autre côté (chute de Vs étymologique) aucun fait nouveau
n'apparaît; on peut dire uniquement que le nombre des présents
et des prétérits en si sans leur 5 montre un certain accroissement.
C'est en somme une période indécise et nous croyons que l'^ ne se
faisait déjà plus sentir aussi régulièrement dans la prononciation.
Tous les doutes disparaissent pour la seconde moitié et surtout
vers la hn du xiii^ siècle, les présents à labiale, ceux dont le thème
est terminé par / et ?/, les prétérits en / apparaissent plus ou moins
fréquemment avec une s parasite.
Le nombre des prétérits en si sans s augmente aussi, et l'on voit
les troisièmes personnes dont la terminaison régulière est en isf
•rimer librement avec celles qui devraient avoir la désinence //. Faut-
il admettre que toutes doivent prendre Vs, ou qu'aucune de ces troi-
sièmes personnes ne doit l'avoir ? Ce que nous avons vu dans la
première période nous empêche, semble-t-il, d'adopter l'une ou
l'autre de ces conclusions, ou plutôt la seconde alternative seule
est vraisemblable en comprenant par ce que nous avons dit que 1'^
a cessé de se prononcer, et s'écrit ou ne s'écrit pas à la volonté de
l'écrivain.
La preuve indiscutable la plus ancienne que nous ayons relevée
de la disparition de Vs dans la prononciation se trouve dans un
auteur de la fin du xiii^ siècle, William de Waddmgton ; il fait
rimer au vers 25 du Manuel des Péchés plest avec seel (= septem) '.
Mais tout en disparaissant de la prononciation Y s a laissé des traces
I. Cf. Ulbrich dans l'article que nous venons de citer. En dehors delà conju-
gaison les preuves de la chute de Vs remontent à la fin du xii^ siècle.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 121
que nous retrouvons de temps à autre dans les graphies : en tombant,
cette consonne a allongé la voyelle précédente et en même temps
elle a pu servir à indiquer la longueur de la voN'elle précédente.
En anglo-français cette longueur ou cet allongement peuvent s'ex-
primer, quand ils s'expriment, de bien des manières : par une s chez
les auteurs soigneux, par/; chez d'autres, plus souvent en redoublant
la voyelle allongée.
Au xiV^ siècle la confusion s'accroît ; des présents du subjontif,
des imparfaits de l'indicatif, le prétérit du verbe être, le présent
d'avoir, des prétérits en avi (plus rarement) prennent 1'^; en même
temps elle disparaît de nombreux imparfaits du subjonctif; mais ce
n'est pas exactement un foit nouveau : c'est le résultat ou l'exagé-
ration de ce qui se passait dans la période précédente, la confusion
absolue entre les voyelles longues et les voyelles brèves.
C'est pour avoir observé probablement sans le comprendre, cet
ensemble de faits un peu complexes, que les auteurs de l'Orthogra-
phia Gallica ont énoncé cette règle bizarre (p. 8):
Et saches qu'en verbes du présent temps et pretert escriverez s,
commebatist (H 30); et : Item in verbis presentis et preteriti tempo-
ris, scribetis st après i,c, 0, 11, corne batist,fist, est, tost, lust etc.. (CO
73). Item in présent! et in preterito tempore inter /, e, 0, u et t dé-
bet s scribi, ut est, fist. tost, lust etc.. et in preterito inter a et /, ut
aninst (CO 96).
Ce qui signifie que toutes les troisièmes personnes du singulier du
présent et du prétérit à terminaison vocalique, sauf les présents en à,
doivent prendre st. Nous pouvons remarquer que cette règle n'a pas
été très régulièrement appliquée : nous trouvons un assez grand
nombre de personnes qui, d'après la règle, devraient prendre cet si
et qui ne l'ont pas, et d'autres, à thèmes consonantiques, qui ne
devraient pas le prendre et qui l'ont.
Cela n'est du reste pas pour nous étonner le moins du monde.
TERMINAISONS EN ht.
Nous avons dit tout à l'heure que Pamuissement de l'.s- dans la
terminaison -st avait produit un allongement de la voyelle précé-
dente, allongement qui avait été représenté de plusieurs façons.
Nous croyons en effet qu'on doit considérer comme une simple
122 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
variante graphique de la terminaison que nous venons d'étudier une
forme assez rare et tardive, mais significative, les terminaisons en
On les trouve dans un certain nombre de textes, assez incorrects,
c'est-à-dire qui ne respectent guère l'orthographe traditionnelle :
par exemple dans Amis et Amiloun voiisiht, mespreiht, 267 etc.;
dans le Chevalier, la Dame et le Clerc conveniht 231; dans les Royal
Letters du règne de Henry III. Dans ces lettres, on lit : juht (pré-
térit) et ////;/ (imparfait du subjontif) ; grauntaht (imparfait du sub-
jontit), 1265, II, 298 '.
Vh s'est aussi généralisée aux personnes où 1'^ n'était pas étymo-
logique ; les exemples sont assez nombreux : citons dans Amis et
Amiloun osaht, 414 ; onht, 533 ; dans le Chevalier, la Dame et le
Clerc, coniiht (Cf. ces différents prétérits et l'article de Behrens :
Beitrâge zur Geschichte der franzôsischen Sprache in England, I
Lautlehre der franzôsichen Lehnwôrter ; Franzôsischen Studien, V
Band, 2 Heft; p. 183).
Nous disions tout à l'heure que la chute de 1'^ avait produit un
allongement dans la voyelle précédente; le terme allongement n'est
peut-être pas assez exact ; nous pouvons lire dans l'Orthographia
Gallica quelques explications concordantes sur la valeur de cet /; :
voici en effet ce que nous lisons p. 8 :
(H 91, CO 18) Item quando aliquà syllaba pronunciatur quasi
cuni aspiratione, illa sillaba débet scribi cum 5 et / in loco aspiratio-
nis, verbi gratia est,cest, plest.
(T 7, H 29) Item quedam sillabe pronunciate quasi cum aspira-
tione possunt scribi cum s et /, verbi gratia est, plest, cest.
Enfin le ms H nous donne encore quelques détails assez précis
sur la prononciation de cette s :
(H 35) Et quant s est joynt (a la t, ele avéra lesoun)de h, corne
est, plest serront sonez eghl, pleght.
Cette incursion dans la phonétique avait son utilité, car elle nous
montre que Vs ne s'était pas à proprement amuie, mais qu'elle avait
pris à peu près le son de l'aspiration : la graphie par h était donc
très naturelle.
I. Cette graphie n'est du reste pas particulière aux verbes ; on trouve dans le
même recueil de Lettres : cette pour cette, et par analogie cehci.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I23
Ajoutons cependant que, d'après Femina, «/ doit se prononcer
cet ; autrement dit, croyons-nous, 1'^ en disparaissant de la pronon-
ciation a simplement servi à allonger la voyelle précédente.
LA VOYELLE
La voyelle muette qui précède la dentale caduque a elle aussi été
la source d'un assez grand nombre de modifications dans la forme
de certaines troisièmes personnes du singulier. Nous«pouvons clas-
sifier ces modifications sous trois chefs :
1° Chute de la voyelle et maintien de la dentale.
2° Chute de la voyelle et de la dentale.
3" Voyelle irrégulière.
I. Chute de la voyelle et maintien de la dentale.
Il y a en anglo-français un certain nombre de verbes de I qui sont
employés presque constamment sans voyelle muette avant la den-
tale finale. La forme irrégulière qu'ils prennent ainsi leur donne l'ap-
parence de verbes de II non-inchoatifs, de verbes de III ou de IV.
Le plus commun parmi ces verbes, et celui qui fait le premier
son apparition sous cette forme, c'est le verbe envoyer. Au com-
mencement du xii^ siècle, ce verbe a la forme normale. Cf. par
exemple les Psautiers d'Oxford et de Cambridge. Le plus ancien
exemple de la forme enveit que nous ayons rencontré se lit dans le
Psautier d'Arundel (33, 7). Il y en a même, croyons-nous, un autre
qui lui est antérieur : envei(e)t : dei(e)t au vers 5 du Cumpoz ; c'est
en tous cas la leçon du ms. S. C'est à peu près à l'époque du Psau-
tier d'Arundel qu'il faut placer les deux exemples que nous rencon-
trons dans Jordan Fantosme, aux vers 1422 et 1509. Tous les deux
sont assez sûrs, étant assurés par la mesure du vers. Il est inutile de
multiplier les exemples ; ceux que nous avons donnés établissent
suffisamment l'existence de cette forme pendant le troisième quart
au plus tard duxii^ siècle (cf. Suchier, Ueberdie..., p. 62).
Citons encore rapidement quelques-unes de celles que nous ren-
controns pendant les siècles suivants : Chardri dans son Josaphat
(vers 2809), fait rimer enveit avec seit ; on retrouve encore cette
forme dans le Saint Thomas (I, 33); dans le Saint Auban (1722);
124 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
dans le Roman des Romans (710) ; dans Renaut de Montauban 17,
39; 18, ré (cité par Suchier). Parmi les exemples qui se rencontrent
au xn"" siècle citons ceux qui se lisent dans les Rubriques du ms.
d'Edward le Confesseur (III, i) ; dans Pierre de Langtoft (I, 72, 12);
la rime de l'Apocalypse, h, 13 : enveil Ç: esteit).
Cette liste, qui pourra sembler un peu longue, montrera que cette
forme est commune dans les oeuvres littéraires depuis 1175 au
moins .
Il nous reste cependant à citer quelques cas où le verbe envoyer
est employé régulièrement à la troisième personne du singulier,
c'est-à-dire avec muette sans dentale. L'Ipomédon nous en offre un
exemple (au vers 8781) ; dans le Josaphat de Chardri (vers 988) et
le Roman des Romans, que nous citions tout à l'heure pour l'autre
forme, nous trouvons la rime : enveic (: veie) ; à l'époque même de
Chardri, nous voyons encore enveiet dans le Lapidaire en prose
(Romania XXXVIII, p. 271). Mais des exemples comme ceux-là
sont rares dans la littérature.
Un assez grand nombre de verbes ont été entraînés par l'in-
fluence d'enveit, otircit par exemple. Cette forme se trouve assez tôt
dans la littérature anglo-française. Le premier exemple que nous
ayons de cette forme se trouve dans le Saint Auban au vers 142;
on en trouve deux autres cas dans le second Appendice de Pierre
de Langtoft (I, 73, lé ; I, 86, 2).
De même qu'on trouve quelquefois la 3'' personne du singulier de
enveicr sous la forme correcte, ainsi, mais assez rarement, ottreier
prend la forme sans dentale avec muette : Saint Auban a ottn'c au
vers 478, et Langtoft âoltraie (I, 90, i).
Nous trouvons au xiii^ siècle quelques autres exemples que l'on
peut fort bien rapprocher de ceux que nous avons déjà cités : dans
Saint Auban on lit lot (loer) au vers 1468 ; on trouve encore blanchoii
dans Boeve de Haumtone (369).
M. Suchier (Ueber die..., p. 5 2) rapproche la forme enveii de lait;
au point de vue du sens, ce rapprochement est tout à fait satisfai-
sant ; mais il laisse quelque peu à désirer au point de vue de la
forme. Au moment où nous trouvons les premiers exemples de
enveit les diphtongues ei et ai étaient encore distinctes dans la majo-
rité des cas; la confusion commençait certainement à s'établir, mais
elle n'était pas encore assez avancée pour que, en créant une nou-
LÀ TROISIÈME PERSONNE DU SINGULIER Î2)
velle forme, les auteurs anglo-français n'en tinssent pas compte;
l'analogie de lait aurait pu amener la forme envait qu'on trouvera
du reste plus tard, mais non enveit. Il nous semble plus probable que
c'est veeir qui, au moyen de veit, a attiré enveit et les autres.
Nous allons voir d'ailleurs que le cas précédent n'est pas le seul
où nous pouvons reconnaître une action analogue d'une troisième
personne d'une des trois dernières conjugaisons sur un verbe de la
première. Nous trouvons déjà à la fin du xii^ siècle hotmrt qui rime avec
curt au vers 29 à 58 del'Ipomédon ; c'est une forme analogue que
nous montre plurer qui prend très fréquemment à la troisième
personnesingulier du présentdel'indicatif la îoïme. phirt, àpartir delà
seconde moitié du xin"" siècle, par exemple dans Boeve vers 763.
Cette forme est surtout commune au xiV^ siècle ; elle est même
à peu près la seule employée pour ce verbe. On la trouve dans Pierre
de Langtoft (II, 25e, 13 (à la rime); I, 240, i) ; on relève aussi
plourt qui rime avec sourt dans De conjuge non ducenda (au vers
148) et la même forme se trouve dans Foulques Fitz Warin (pp. 99,
100), et dans les Poèmes latins attribués à Walter Mapes (294).
Il en est à peu près de même pour demorer, Wil. Rishanger
emploie demurl et deinort (p. 287, 361) et Pierre de Langtoft en a
aussi quelques exemples (cf. I, 8, 21, I, 10, 12 ; I, 64, 18).
Il est probable que ces deux verbes ont subi l'influence de verbes
ayant une dentale fixe comme courir ou mourir.
Une forme analogue, c'est parolt, parout qu'on lit dans les Heures
de la Vierge (60 r"), et dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent
(105 b). Nous pouvons ^jouter quelques verbes isolés ou au moins
assez rarement employés, salut, dans Pierre de Langtoft (II, 28, 21),
nait (de neier) (Id., II, 282, 15).
Le nombre des verbes qui dans les œuvres non littéraires se pré-
sentent avec une dentale sans voyelle muette n'est pas très considé-
rable, le plus fréquemment employé est le verbe demorer qui se
trouve sous la ïormedeniort (ou avec quelque autre voyelle au thème)
d'une façon' constante. A peu près tous les textes que nous avons
étudiés en montrent quelque exemple, même les plus corrects, comme
le livre des Statutes ; nous n'avons même relevé aucun exemple de
la forme avec voyelle muette.
Les autr es verbes ne se présentent pas sous cette forme avec la
même constance, celui qui se rencontre le plus souvent après démo-
126 l'évolution du verbe en anglo-français
1er, c'est envoyer; eiivoil, par exemple est employé plusieurs fois
dans les Literae Cantuarienses (1432, 408). On peut ajouter aimif
qui ne se litque dans les Rymer's Foedera (1326, IV, 231).
Nous avons encore à mentionner un certain nombre de subjonc-
tifs qui perdent leur e muet et gardent leur dentale : seil, ait et piiist
sont fort communs évidemment (pour les deux premiers, voir
subjonctifs en iant), le second est assez librement mélangé avec
puisse. Les autres subjonctifs de ce genre sont exceptionnels ;
citons retrait qu'on trouve à la rime dans la Chronique de Pierre
de Langtoft (II, 244, 2).
II. Chute de la voyelle muette.
Il arrive, aussi, et plus fréquemment encore que certaines per-
sonnes régulièrement terminées par e muet perdent cet e muet '.
Ce phénomène est ancien en anglo-français, il date même de la pre-
mière moitié du xii'' siècle. Le premier exemple bien assuré se lit
dans l'Estorie des Engleis de Gaimar au vers 4967 ; on y trouve
aquit rimant avec respit. Cette tendance à supprimer Ve final était
déjà dans les habitudes desscribes de cette époque; c'est ce que nous
montre le regret du scribe du manuscrit L de l'Alexis (88. c) et ajust
employé au vers 917 par le scribe du Roland d'Oxford. A peu près
à la date même de ce dernier exemple, covoit est d'un usage plus
général ; on rencontre cette forme au vers 91 du Drame d'Adam où
elle est assurée par la mesure du vers: on trouve même à la rime
un verbe à thème vocalique : agre rimant avec aie au vers 2895 ^^
ripomédou.
Nous n'avons plus relevé d'exemples assuré de cette forme avant
lexiv^siècle ; dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (XIV, 3),
elle est assurée par la rime, coveit (: aparceit), tandis que l'auteur
du poème emploie covoite (au vers 180).
Les quelques exemples précédents montrent que la chute de la
voyelle muette a lieu uniquementpour les thèmesà dentale appuyée
surtout chez eux qui ont perdu la consonne d'appui.
Par la suite, les exemples sont nombreux pour cette dernière classe
I. Pour !a chute de la voyelle finale, cf. Cornu dans Romanische Forschungen,
XXIII, p. 1 10.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I27
de verbes. Jeter en particulier dès le xiii" siècle, prend la forme
getà la troisième personne du singulier du présent dé l'indicatif. On
en trouve de nombreux exemples dans Robert de Gretham, par
exemple à la rime avec muet (au fol. 6i v°), et un autre attesté par
la mesure (au fol. 43 r°). Boeve en a un cas au vers 970.
Les exemples sontspécialement nombreux dans la Plainte d'Amour,
quelques-uns sont très sûrs, comme celui du vers 988 qui fait rimer
get avec seet (de savoir) ou celui du vers 641 ; dans ce même
poème, ceux qu'on rencontre au vers 365 et 482 sont moins assurés.
Nous ne citerons pas touslescas de^^^u'on trouve au xiV' siècle, ils
sont trop nombreux; Pierre de Langtoft en particulier en a plusieurs
et Bozon l'emploie fréquemment (cf. Vie de Saint Panuce, 83).
A part jeter nous ne trouvons pas un très grand nombre de verbes
sans la muette. On peutconsidérer comme un exemple du xiV'siècle,
la graphie du scribe du Saint Edmund qui écrit abit (: descunfit) au
vers 893 ; il faut lire abite : descunfite ; les exemples de ce genre
sont communs. Comme forme employée par un auteur on peut
citer encore dont qui se lit dans Pierre de Langtoft (II, 374, 15).
On trouve aussi un petit nombre de subjonctifs comme uict qui
se lit dans l'Apocalypse (a et 3 478).
Les verbes précédents ne sont du reste pas les seuls verbes à den-
tale que nous rencontrions sans muette à cette personne ; ce n'est
même pas la classe qui nous fournit le plus grand nombre de cas.
Et si nous voulons, pour introduire un certain ordre, classer d'après
le nombre des exemples qu'ils nous fournissent les différents thèmes
verbaux, nous verrons que ce sont ceux terminés par fid{t) qui
arrivent les premiers ; après eux, on trouve successivement les
thèmes en r plus dentale, puis les thèmes en s plus dentale. Cette
distinction est assez arbitraire, et n'indique pas du tout l'ordre suivant
lequel les différents thèmes à dentale ont été atteints; et même le
nombre d'exemples fournis par chacune de ces catégories ne veut
rien dire en soi. Si les formes sans c des verbes en nd sont plus nom-
breuses que celles des verbes en si, cela n'a d'importance que si
nous savons qu'il y a un nombre sensiblement égal de verbes éga-
lement employés dant les deux catégories. Or nous ne le savons pas
ou plutôt nous sommes à peu près convaincus qu'il y a plus de
verbes en nd que de verbes en st et rt. C'est pour cela que nous n'in-
sisterons pas sur ce point et que nous n'attachons pas la moindre
importance au nombre des exemples que nous citons.
128 l'évolution du Verbe en anglo-i-rançaIs
Nous ne rencontrons au xii"- siècle aucune troisième personne du
singulier du présent de l'indicatif des verbes en n plus dentale delà
première conjugaison sans la muette étymologique. Au xiii^ siècle
au contraire, les cas où cet c disparaît sont très nombreux et. assurés
dès le commencement de ce siècle.
En effet, c'est dans Chardri que nous rencontrons notre premier
exemple; nous trouvons dans le Petit Plet (au vers 389) citniant
rimant avec cumandement ; désormais mander et ses composés
seront très souvent employés sous cette forme ; par exemple, elle se
trouve encore à la rime, au vers 2640 du Manuel des Péchés, dans
Pierre de Langtoft.
Dans le corps du vers, plusieurs exemples de cette forme sont
plus ou moins assurés par la mesure; citons rapidement dans Boeve
les vers 910 et 2745, dans William de Waddington les vers 2313,
6149 (A), 7875, 10256 (A et B), dans Pierre de Langtoft, II, 366,
21, dans Foulques Fitz Warin, pages 38, 103, etc.
Amender nous donne aussi un nombre respectable d'exemples,
quoiqu'il ne soit pas extrêmement employé. C'est ainsi que onient
se lit dant Robert de Gretham (au fol. 37 r°) ; dans les Rubriques
d'Edward le Confesseur (LXI 9, fin du xiii* siècle) et ces deux
exemples sont attestés par la mesure. Cranter n'est pas plus rare sans
cette muette à cette personne ; nous nous contenterons de citer la
rime de Pierre de Langtoft, I, 372, 8 et aussi dans le même auteur,
II, 70, 14. Ce dernier auteur emploie très fréquemment présent pour
présente, quelquefois même à la rime (on peut voir : I, 384, 24 ;
II, 46, 20; II, 122, 18 ; II, 308, 9, etc.).
Donnons encore quelques verbes qui se rencontrent moins fré-
quemment; on lit dans le Saint Edmund, au vers 1963, la rime
grniiil de gronder (: frunt); dans Edward le Confesseur, une
autre rime rapproche, au vers 147 1 -1472, agravent de gent ;
chant se lit au vers 2896 de Boeve de Haumtone, dans Pierre de
Langtoft (II, 344, 23); coiint dans les Contes de Nicole Bozon (au
§ 87), dans le Prince Noir (au vers 736), etc.
Comme on le voit, les exemples sont nombreux et la liste aurait
pu être plus longue encore. Elle suffit à mettre en évidence ce fait
que les formes sans muette à la troisième personne du singulier du
présent de l'indicatif des verbes en ntÇd) se rencontrent assurées et
assez nombreuses dès le commencement du xiir' siècle, et qu'elles
LA TROISIEME PERSONNE DtJ SINGULIER I25)
augmentent d'une façon considérable à mesure qu'on avance dans
la littérature anglo-française.
Il est plus rare que Ve tombe pour les verbes de II, de III ou de
IV ayant un thème en ;7/(J) à la troisième personne du subjonctif
présent; on en trouve quelques exemples, mais ce phénomène
appartient en propre au xiv" siècle '. Plusieurs sont assurés comme
dans Pierre de Langtoft défend (II, 206, 12, à la rime) et 7-eiid (I,
414, i).
De même, quoique l'exemple soit moins sûr, coiisoit au vers 468
de la Vie de Sainte Marguerite.
La moisson de formes sans e que l'on peut faire parmi les verbes
dont le radical est terminé par r suivie d'une dentale, est aussi très
abondante. Nous ne citerons cependant que trois ou quatre de ceux
qu'on rencontre le plus fréquemment : garder, porter, et leurs
composés, recorder, conforter.
Gard est très commun, mais assez tardif; on le lit dans Boeve
au vers 761, dans William de Waddington (A), au vers 4853, dans
la Manière de Langage, 391 ; et très fréquemment dans les Contes
de Nicole Bozon, par exemple, aux paragraphes 108, 118, 132 et
passini. Nous ne l'avons pas rencontré à la rime ; mais l'exemple du
Manuel des Péchés est assuré par la mesure.
Les exemples de port remontent à une date plus reculée; cette
tonne est assurée par la mesure du vers 795 d'Edward le Confesseur
elle est moins sûre au vers 3441 de Dermod ; quant à Pierre de
Langtoft, il l'emploie fréquemment (à la rime : I, 352, 346; I, 130,
10; II, 30, 6, etc.); on la relève encore dans William Rishanger,
292.
Citons encore, record dans William de Waddington, au vers
3069; confort d3.ns Pierre de Langtoft (I, 208, 19).
Comme on le voit pour certains de ces verbes, la chute de ïe date
du commencement du xiii"-' siècle, quoiqu'elle soit encore rare à
cette époque.
Nous aurions pu ranger dans notre première classe (dentale
appuyée pour laquelle la consonne d'appui disparait), les verbes
dont le thème est terminé par une dentale précédée de s, cette s
disparaissant, comme nous l'avons vu, vers le milieu du xiii^ siècle.
I. Cf. d'ailleurs Subjonctif en (>»/!
130 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-ERANÇAIS
Citons toutefois deux ou trois exemples de ces verbes : le ms. D
de Boeve (2^ moitié du xiir s.) nous donne iast, au vers 948; et
bdst au vers 2104; cette dernière forme se retrouve encore dans
Pierre de Langtoft (I, 118, 8; II, 412, 9, etc.); dans ce dernier
auteur, prcsl se rencontre constamment (cf. par exemple I, 142, 24,
1, 242, 9; I, ^88, 5; II, 336, 7).
irasl enfin se lit dans les Contes de Nicole Bozon, § 131, etc.
Comme on le voit, tous les exemples sont postérieurs à l'amuis-
sement de s devant /.
Comme nous le disions tout à l'heure, ce sont les thèmes à den-
tale qui perdent le plus régulièrement leur c étymologique; ce n'est
pas que nous n'ayons un assez grand nombre d'exemples d'autres
thèmes montrant à la troisième personne du singulier du présent
de l'indicatif pour les verbes de I, du présent du subjonctif pour les
autres conjugaisons, la même irrégularité. Mais pour nombreuses
qu'elles soient, ces formes restent sporadiques en ce sens qu'on
trouve rarement plusieurs exemples du même verbe, même dans
des auteurs différents.
Cependant, le verbe donner apparaît sans e deux ou trois fois :
dufi est assuré par la rime au vers 2646 du Manuel des Péchés
( : resun) ; on trouve donn dans Wil. Rishanger à la page 338, et il
peut se rencontrer encore dans quelques autres auteurs du xiv^ siècle.
En même temps que donn, citons quelques autres verbes dont le
thème est aussi terminé par ;/ ; les exemples qui suivent sont tous
tirés de la Chronique de Pierre de Langtoft : soiin (I, 358, 22);
enclyii (I, 180, 17; II, 100, 19) ; sojorii (I, 456, 18). Ces trois der-
niers exemples sont assez sûrs.
Les thèmes en r ne sont pas très rares dans l'^' ; l'une des formes
est attestée par la rime : pJiir ( : dolur) au fol. 58 r° de la Genèse
Notre-Dame; dans ce même poème, on rencontre siispir, ibid ;
Pierre de Langtoft peut ici encore nous fournir plusieurs exemples,
ainsi repair (I, 282, 8); enfin on lit âcvoitr au § 99 des Contes de
Nicole Bozon.
Pour les autres thèmes, nous trouvons deux exemples que nous
pouvons dater assez exactement ; le premier est os ( : purpos) au
Vf rs 2066 du Manuel des Péchés ; le second est aini : claiiii dû au
rubricateur du poème Edward le Confesseur XXXII (fin du xiii^ s.).
Pour terminer, citons deux thèmes en / et en / mouillée, pour
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 131
lesquels la date est plus douteuse : aval, dans Boeve de Haurutone^
au vers 2512, et comisayl dans Pierre de Langtoft (I^ 83, 13).
Au subjonctif, les exemples sont rares et tardifs, nous n'avons
rencontré que voyl qui est très fréquent dans Pierre de Langtoft
(cf. par exemple, I, 442, i; II, 212, 16).
Les thèmes en 'c sont représentés par guère de guerreier, dans
Boeve, 3048 ; surtout par agre, qui se trouve à la rime dans une
laisse en e fermé dans la Chronique de Pierre de Langtoft (II, i,
96, 20).
On trouve à citer un peu plus de thèmes en i : merci, dans Boeve
1379, peut appartenir au scribe; la troisième personne de crier
cri est plus fréquente et elle est assurée par la rime dans cri ( : saili)
qui se lit dans Dermot 2420 et par la mesure du vers dans la Chro-
nique de Pierre de Langtoft (I, 358, 20) qui l'emploie aussi quel-
quefois. Citons encore une forme que nous verrons assez souvent
en dehors de la littérature : pri par exemple dans Wil. Rishanger
(292). Nous n'avons rencontré qu'un seul thème en u, qui du reste
est à la rime, mais seulement au xiv* siècle : sain, Pierre de Lang-
toft (II, 92, 9).
Les thèmes vocaliques ne nous ont pas fourni beaucoup d'exemples
de troisièmes personnes du singuHer du présent du subjonctif per-
dant leur e étymologique ; citons oy (= audiat) qu'on lit dans l'Apo-
calypse (a 190).
Dans enter, Boeve 2748, profer, Pierre de Langtoft, I, 124, 3,
recover, id., I, 328, 16, nous n'avons pas chute de la voyelle muette,
mais une métathèse, fréquente en anglo-français.
Comme on le voit, la chute de Ve muet à la troisième personne
du singulier est devenue vers le commencement du xiv*^ siècle assez
générale, en ce sens que peu de thèmes verbaux réussissent à con-
server toujours intacte la forme étymologique ; cependant les
exemples que nous avons cités montrent que certaines diflérences
existent entre les différents verbes à ce point de vue; nous pourrons
les résumer en quelques lignes :
1° Deux temps sont affectés, le présent de l'indicatif et le présent
du subjonctif; mais pour de second temps, la chute de la muette
reste relativement rare, tandis qu'elle est commune pour le premier.
2° Pour le présent de l'indicatif, on remarque que certains thèmes
sont affectés plus tôt et plus généralement que certains autres. Les
13- L EVOLUTION DU VEKBE EN ANGLO-FRANÇAIS
exemples que nous avons recueillis montrent une réelle progression,
et on peut admettre qu'elle représente exactement ce qui s'est pro-
duit dans la réalité. Les premiers verbes à perdre leur voyelle muette
sont ceux dont le thème est terminé par une dentale simple ou
double ; pour ces verbes, la chute de la muette remonte à la fin de
la première moitié du xii*^ siècle. Lorsque la dentale finale du thème
est appuyée par n, r ou s, la muette ne commence à tomber qu'au
commencement du xiii'' siècle. Pour tous les verbes qui précèdent,
la chute de la muette est fréquente. Elle l'est moins pour les autres
thèmes consonantiques ///, ;/, /', s, l et 1 mouillée ; ils perdent leur
(' muet plus rarement et cela n'arrive que pendant la seconde moi-
tié du xiii^ ou le xiv" siècle. Les thèmes vocaliques viennent ensuite
pour la date et pour le nombre.
3° Quant aux quelques subjonctifs présents qu'on rencontre sans
leur voyelle muette, c'est au commencement du xiv^ siècle qu'il
faut rapporter les exemples qu'ils nous fournissent.
La chute de Ve atone final est un phénomène très fréquent dans
la langue non littéraire ; à l'indicatif des verbes de I, comme au
subjonctif des verbes de II, III et IV, ce sont surtout les thèmes en
n suivis d'une dentale qui sont affectés. Dans les Statutes of the
Realm, recueil où les exemples sont particulièrement nombreux,
nous avons relevé un nombre considérable de ces cas. Le verbe
mander et ses composés en particulier se rencontrent très fréquem-
ment à la troisième personne du singulier sous la forme niaund '.
La forme régulière se trouve aussi, mais elle est beaucoup moins
commune (13 51, I, 327; 1357, I, 346; 1275, I, 26); on pourrait
dire que, approximativement, les formes écourtées sont trois fois
plus nombreuses. Le verbe qui, après mander, est le plus souvent
rencontré sans Vc étymologique est le verbe granter. Remarquons
que, par la nature du texte, ces deux verbes sont d'un emploi très
fréquent. Pour ce verbe encore, la forme courte est sensiblement
plus commune que la forme normale, d'après nos calculs, grani se
rencontrerait un peu plus de deux fois plus souvent que graiite. Les
autres verbes en Jil, nd sont d'un emploi plus rare que ceux que
I. Maund, ou ses composés, se rencontre dans les Statutes aux endroits sui-
vants : vol. I, 127s, 27; 1326 ; 1330, 264; 1350. 320. 322; 1353, 330, 333, 357 ,
etc. Grant est employé dans le premier vol. 1326, 255; 1351J 325, 2 fois: 1351,
326; I353> 3SO.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 133
nous venons de citer; on en rencontre toutefois quelques-uns,
comme sur mont (1360, I, 370).
Tous les autres cas de chute de la muette au présent de l'indi-
catif, ils sont du reste peu nombreux, proviennent de verbes ter-
minés par une dentale appuyée par r comme eiiiport (1363, II, 383),
ou par s, comme arrest (1353, I, 330), coiist (1357, I, 354); on
remarquera du reste que ces trois derniers exemples sont sensible-
ment plus récents que ceux que nous trouvons pour mander et
granter.
Les autres recueils non littéraires ne montrent pas, sinon la même
correction, au moins la même régularité ; cependant, ce sont tou-
jours les verbes terminés par n plus dentale qui se trouvent le plus
communément : spécialement, mander et granter. Ces deux verbes
se lisent très fréquemment sous la forme inand, grant dans les
Rymer's Foedera ': les Mem. Pari. 1305 -, dans le Liber Rubeus de
Scaccario^, dans le Registrum Palatinum Dunelmense -^, etc. Les
autres thèmes en d ou / appuyé sont déjà plus communs que dans
les Statutes sous la forme abrégée : port se rencontre souvent dans
Rymer's (1306, II, 1013 ; 1339, V, 139); dans les Mem. Pari., 1305
(§276); dans les Litterae Cantuarienses (1356, 830); dans le Liber
Rubeus de Scaccario (1328, III, 886); dans le Blacke Booke of the
Admiralty (1385, I, 453). On trouve encore accord, record dans la
plupart de ces textes (Rymer's 1318, III, 724, Liber Rubeus de
Scaccario 1323, III, 886), et on pourrait relever un grand nombre
d'autres verbes de I, ayant un thème semblable à celui des précédents
qui perdent à l'occasion Ve étymologique de la troisième personne
du singulier.
Il n'est pas facile de rapprocher ici les textes politiques des
œuvres littéraires, à cause de la différence des dates. On pourra
remarquer cependant que 1'^' tombe aux verbes en n suivie d'une
dentale dans les premiers textes non littéraires, et que, même à cette
époque, cette chute est très fréquente.
On pourra remarquer encore que pour les autres thèmes à den-
I. 1277, II, 86; 1318, III, 724 ; 1334, IV, )94 ; 1390, VII, 677.
2- §§ 7 et passirn.
3. 886,894. ■
4. 1256, II, 1314 ; 1305, 61.
134 I. EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I-RANÇAIS
taie les dates, dans les œuvres littéraires et dans les autres, coïn-
cident aussi exactement que possible.
Mais ce ne sont pas seulement les thèmes à dentale qui sont
représentés dans la liste complète des exemples que nous fournissent
les œuvres familières, politiques et autres. Nous trouvons ici encore
un assez grand nombre de thèmes en n et en r, par exemple doun
dans les Early Statutes of Ireland 1320, 282, desù- qui se lit dans
différents recueils (Rymer 13 16, III, 495; Literae Cantuarienses
1363, 910). Les autres thèmes consonantiques sont rares : pays (de
peser) se lit dans les Letters from Northern Registers 1314, p. 144.
Citons encore quelques thèmes vocaliques : iiiercy dans les Parlia-
mentary Writs 1305, 153 ; pri qui est très fréquent dans les Memor.
Pari. 1305; par exemple §§ 113, 113, 172, envoi dans Rymer 1^14
111,495.
Ces cas sont non seulement moins nombreux que ceux que nous
avons examinés précédemment, mais la chute de Ve est beaucoup
moins constante; par exemple, merde sq trouve assez souvent dans
les Rymer's Foedera, et prie est commun dans les Mem. Pari. 1305.
Les dates sont du reste sensiblement les mêmes que dans les
ouvrages littéraires.
La chute de la muette au subjonctif est plus régulière en dehors
de la littérature ; elle a lieu dans deux cas principaux seulement :
1° dans les verbes qui présentent un thème en nd (et plus rarement
en rt) ; 2° dans les verbes qui ont une / mouillée au subjonctif. Ici
les Statutes et les autres textes sont d'accord.
On trouve pour ces deux catégories du subjonctif de nombreux
exemples : nous nous limiterons aux principaux : défend, se lit dans
les Statutes (vol. I, 1344, 300); dans les Rymer's Foedera (1278,
II, 103, 108; 1323,111, 1013; 1336, IV, 480; 1393, VII, 747);
dans le Liber Albus (1334, 419); dans le Registrum Palatinum
Dunelmense (13 12, II, 853).
Les autres verbes de IV en -ndre fournissent des formes sans e
presque aussi nombreuses ; pour en abréger l'énumération nous ne
citerons que celles qui sont employées dans les Statutes : rend (1230,
I, 268); vend (1350, I, 321; 1353, I, 338), etc. Comme autre
thème à dentale, nous avons par exemple départ, Statutes 1388,
11,56.
Pour les verbes qui ont 1'/ mouillée au subjonctif, les exemples
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I 3 )
ne sont pas très variés, mais ils sont fréquents. Ainsi on lit : voill
dans les Statutes (1309, I, 156), dans les Mem. Pari. 1305, § 199,
et dans plusieurs autres recueils. Assoil (iissoill) se trouve d'une
façon très régulière dans les Rynier's Foedera : on trouve ce verbe
dans la formule « Que Dieu assoill », employée chaque fois qu'un
roi d'Angleterre décédé est nommé, ce qui arrive fréquemment,
par exemple 1307, III, 13; 1333, IV, 566; 1367, VI, 568; 1383,
VII, 416,417; 1395, VII, 798'.
Si on examine au point de vue des dates les exemples précédents,
on voit que les exemples tirés des Traités de Rymer sont antérieurs
à ceux qu'on trouve dans les Statutes, de peu d"années pour les
radicaux qui présentent une / mouillée (commencement du xiv^ s.,
dans les deux cas), et d'un nombre assez considérable pour les autres
(Statutes, milieu du xiV s.; Rymer quatrième quart du xiii^). De
plus, si on s'en tient aux Statutes, on voit que la chute de la muette
a eu lieu au présent de l'indicatif avant d'atteindre le présent du
subjonctif.
Nous voyons donc qu'à ce point de vue la langue des Statutes et
la langue littéraire concordent entièrement.
Nous parlerons très brièvement de ce qui a eu lieu dans les Year
Books où l'on peut observer un état de choses analogue. Ce sont
surtout les verbes qui ont leur radical terminé par -nf, -nd qui perdent
Ve muet post-tonique à la troisième personne du singulier : demaiit
se rencontre dans un très grand nombre de p.issages (20 et 21
Edw. I", 12} ei passiiii), et aussi graiint, amoiint.
Parmi les autres verbes à dentale, on peut signaler porter qui
nous offre souvent la forme port (20 et 21 Edsv. I", 147). Nous
rencontrons aussi d'autres verbes présentant la même irrégularité :
thèmes en -s comme pourchasser, ou vocaliques comme avouer,
par exemple, piirchas est employé dans 30 Edward P"", 223 ; et avoiv
dans 32-35 Edvv. P^ 9 ex. pas si m.
A la troisième personne du singulier des subjonctifs en ani et en
îam, le même phénomène se produit et dans les mêmes conditions :
il est facile de relever un certain nombre d'exemples comme remi
30 Edward \", 33; rc\poiid, dans le même recueil, p. 505 ; perd,
ibid., 233; respond 31 Edward P"", 477. Les exemples sont extrême-
ment nombreux dans la plupart des recueils.
I, C^omparer le verbe anglais to assoil.
î}(y l'kVOI-UTION du VERBH en AN(;LO-rRANÇAIS
Si nous considérons les dates de ces exemples, nous pouvons
remarquer que les Year Books qui nous donnent le plus grand
nombre d'exemples sont ceux dont nous ne pouvons fixer la date
avec certitude; les autres, ils sont peu nombreux, en offrent beau-
coup moins, par exemple 7(1312). Ceci est pour nous faire croire
que la plupart des cas montrant la chute de cmuet sont postérieurs
au xiv^ siècle.
ADDITION DUN e ATONE
Le phénomène contraire à celui que nous venons d'étudier
s'observe dans un grand nombre de verbes de II, III et IV: à la
troisième personne du singulier du présent de l'indicatif qui, pour
ces verbes, se termine par une consonne, les écrivains anglo-fran-
çais d'une certaine époque aiment, dans certaines conditions, à
ajouter un e atone.
Nous n'avons relevé de cette irrégularité aucun exemple au
Nii'' siècle. Même au siècle suivant, les exemples assurés sont rares:
nous n'en avons trouvé que très peu à la rime. Citons dans le
Roman de Philosophie de Simund de Freine par/c (: quarte) (au vers
938); dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent f(W5^»/(?(:pulente)
(8, b). Ces deux exemples, quoique isolés, suffisent pour nous
montrer que la tendance à ajouter dans certains cas un e muet
non étymologique se fait jour dès le commencement du xiii^ siècle.
Remarquons encore que, comme on le voit, ces deux troisièmes
personnes qui, les premières, prennent Ve irrégulier, appartiennent
à des verbes dont le thème est terminé par une dentale appuyée.
Ce ne sont du reste pas les seuls cas que nous ayons rencontrés
dans les ouvrages de cette époque ; mais les autres, se trouvant tous
à l'intérieur des vers, doivent appartenir plutôt au xiv^ siècle et
sont à dire le moins discutables. Boeve de Haumtone en présente
plusieurs: inette (au vers 59), départe (au vers 864); aucun n'est
sûr. Dans le Roman des Romans, nous en rencontrons un autre
(au vers 69) : reverte, et nous lisons mainte dans la Lumière as Lais
(O. R. 1 5 D II). Ce n'est que dans les auteurs du xiV^ siècle, que les
exemples deviennent très nombreux, et pour la plupart peu dou-
teux : le phénomène devient plus commun, plus constant et plus
assuré. Cet e irrégulier affecte surtout les thèmes à dentale, au
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I37
point que pour certains verbes comme mettre et battre, la forme
avec e devient la forme régulièrement employée.
Voici pour ces deux formes quelques exemples que nous tirerons
principalement de Pierre de Langtoft et de Nicole Bozon. Mette se
rencontre très fréquemment dans le premier de ces auteurs (cf. en
particulier I, 8, 19; I, 30, 20; I, 178, 9; I, 314, 8; I, 358, 9 et
passim) tandis que met, qui du reste se trouve dans la Chronique
(cf. par exemple I, 386, 23) est peu employé. Un grand nombre
de ces formes irrégulières dont nous venons de donner les réfé-
rences semblent assurées, quoiqu'il n'y en ait aucune à la rime.
Nicole Bozon dans ses Contes et dans les Proverbes de Bon Ensei-
gnement emploie mette fréquemment ; citons dans les Contes les
§§ 21, 25, 132 et dans les Proverbes de Bon Enseignement O. R. 8 E
XVII, 325. Nous pourrions citer encore un assez grand nombre
d'exemples de cette forme tirés des auteurs contemporains.
Il en va de même pour batte qui est au xiv^' siècle d'un emploi
fréquent; Pierre de Langtoft (I, 242, 17 ; I, 444, 25 et passim),
Nicole Bozon (dans ses Contes, §§ 6, 7, etc.) s'en servent commu-
nément; on le lit encore dans l'Evangile de l'Enfance (mss O et C),
119 c.
Perdre, sous la forme perde, n'est guère plus rare (cf. Pierre de
Langtoft, I, 92, 16; II, 200, 19 ; Contes de Nicole Bozon, §§ 39,
46, 51, 117); en un mot, les trois verbes précédents prennent fort
régulièrement cet e parasite dans les œuvres des écrivains littéraires
du xiV siècle.
Aucun autre verbe ne montre la même régularité, plusieurs du
reste sont beaucoup moins employés que les précédents. Aussi
nous n'avons trouvé qu'un petit nombre de formes arde, comme
dans Pierre de Langtoft (I, 242, 6) et dans les Contes de Nicole
Bozon (§§ 112, 131), mais nous ne nous souvenons pas d'avoir
rencontré la désinence régulière de la troisième personne du singu-
lier du présent de l'indicatif de ce verbe après William de Wadding-
ton. Citons encore avec l'atone pende dans Pierre de Langtoft
(II, 124, 14), sourde dans les Contes de Nicole Bozon (§ 120),
transgloute dans le même ouvrage (§ 54).
Tous les exemples précédents, comme on le voit, nous montrent
l'addition de la muette aux thèmes à dentale.
Nous rencontrons un petit nombre d'exemples dans lesquels 1'^
138 l'évolution du verhh en anglo-français
s'ajoute à d'autres thèmes. Ainsi nous lisons dans Boeve de Haum-
tone: riiiiipc au vers 883 (scribe); dans un poème du xiV' siècle,
nous trouvons deux rimes : apere (: père), rescoue (: coue)quise lisent
toutes les deux dans le poème du Siège de Carlaverok, respective-
ment aux vers 28 et 73. Citons enfin voUe au présent de l'indicatif
qui se trouve au § 21 des Contes de Bozon.
Par conséquent, cet c irrégulier s'ajoute principalement aux
thèmes à dentale, et les plus anciens exemples pour ces thèmes
remontent au commencement du xni^ siècle. Mais 1'^? ne devient
commun qu'au xiV siècle et il affecte surtout certains verbes, ceux
dont le thème est terminé par une dentale. Et c'est à la même
époque que les autres thèmes se trouvent gagnés par l'atone.
Ce même phénomène se rencontre dans l'anglo-français politique
et diplomatique, quoique il n'y ait pas la même importance ni la
même régularité que le phénomène contraire (chute de Ve étymo-
logique à la 3^ personne du singulier des verbes de I). Dans les
Statutes, on ne peut relever d'addition d'un e muet qu'après les
verbes ayant un radical terminé par une dentale ; ici encore ce sont
les verbes qui ont la dentale précédée par n qui sont les plus
atteints : on trouve par exemple les présents de l'indicatif suivants:
apende dans le premier volume à la date de 1278 (p. 44); pciidc
(1350, I, 310) ;^é;/mft' (1376, I, 398; 1381, II, 18; 1389,11,62;
1396, II, 93). Parmi les autres thèmes à dentale, on peut citer:
perde (1360, I, 370), promette (1382, II, 24). Comme on le voit, le
nombre des exemples augmente sensiblement pendant la seconde
moitié du xiv^ siècle.
Les autres recueils de textes politiques ou diplomatiques ne pré-
sentent pas la même régularité ; ce ne sont plus seulement les
verbes en tui qui prennent cet e irrégulier, quoiqu'ils puissent nous
fournir des exemples assez nombreux, comme appende et respounde
qu'on lit dans le Registrum Palatinum Dunelmense (1302, III, 41)
et passim dans les Rymer's Foedera, mais tous les autres thèmes à
dentale et tous les autres thèmes terminés par une consonne ou
une voyelle. Nous ne citerons que quelques-uns des nombreux
exemples qu'on peut relever dans les textes non littéraires : parmi
les thèmes à dentale, nous trouvons dans les Mém. Pari., 1395 :
perde (§ 49); mette (§ 389); dans les Literae Cantuarienses sourde
(1394, 965); dans les Rymer's Voedera promette (1361, VI, 345).
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 139
Nous n'en citerons pas davantage ; ces quelques exemples nous
montrent que les principaux thèmes à dentale se trouvent atteints
et que cela arrive dans un grand nombre de recueils. Pour les
autres verbes nous énumérerons rapidement quelques formes :
ciisiiyte et denioerte se lisent dans les Traités de Rymer (respective-
ment 1325, IV, 157 ; 1347, V, 539). Citons encore este qu'on
trouve dans les Documents inédits (1396, 282).
Tous les exemples qui précèdent ont ceci de commun qu'ils
n'apparaissent qu'à une date très tardive.
Il est rare que l'addition de cet e coïncide avec la chute de la
dentale, cependant on en rencontre quelques [exemples comme le
coure au deuxième volume de Rymer (1300, 868) et nioeve qui se
lit dans les Literae Cantuarienses (1394, 95 5)-
Pour le prétérit de estre, on trouve quelquefois à la troisième
personne du singulier fiic ; mais cette forme peut n'être qu'une
graphie assez extraordinaire ou une étoiirderie des scribes pour la
forme très commune feu ; fue se lit par exemple dans le Registrum
Palatinum Dunelmense, premier volume, p. 347 (13 13) et un cer-
tain nombre de fois dans les Rymer's Foedera.
Le nombre des exemples d'e irréguliers que nous fournissent les
Year Books est considérable, mais de dates peu certaines. Remar-
quons toutefois que le ms. Y. de Edw. II (13 12) en présente plu-
sieurs.
Ce sont surtout les verbes à dentale qui montrent cet e parasite:
cette nouvelle forme est devenue la forme ordinaire pour certains
verbes comme surde, rende, descende, mette, abate, ioude, chete ; on
peut y ajouter este qui est plus rare (cf. 22 Edw. I^', 421 ; 1 1 et 12
Edw. III, 425) et même l'imparfait du subjonctif 'uste (14 Edw.
III, 97, 215).
Les autres thèmes consonantiques peuvent être représentés par
vesh, voyJe, etc.
La chute de la dentale se remarque dans die qui est très com-
mun, par exemple 20 et 21 Edw. I", 181, 185; 21, Edw. P',
895, etc., dans suye (de suivre) qui ne se rencontre que plus
tard, dans parfoitrnye. Ces trois derniers exemples peuvent servir à
montrer qu'à l'époque où les Year Books étaient écrits, la dentale
finale, non appuyée par une consone, avait disparu de la pronon-
ciation, en allongeant probablement la voyelle précédente.
140 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS
M. Stimming (Boeve de Haumtone, p. 183) pour expliquer les
formes mette, dcparte. ruinpe que nous avons déjà citées et
M. Sucliier (Reimpredigt, p.xv) pour expliquer consente, admettent
un changement de conjugaison. Les exemples ci-dessus du xiii'' et
du xiV^ siècle, littéraires ou non, nous montrent clairement
que cette explication n'est pas recevable. Elle nous conduirait à
admettre que la plupart des verbes de II, III et IV à dentale appuyée
passent automatiquement et en bloc à la première conjugaison; de
plus, notre étude de la première personne du singulier et les faits
que nous avons exposés à propos de la troisième personne du sin-
gulier du présent de l'indicatif des verbes de I nous montrent des
phénomènes analogues qu'un changement de conjugaison n'expli-
querait pas. Ici encore nous avons, comme nous l'exposerons dans
notre seconde partie, un phénomène phonique.
DÉSINENCE ie.
Nous pouvons ranger parmi les verbes qui prennent c à la troi-
sième personne du singulier ceux qui se terminent par ie '.
Quelques-uns de ces verbes au moins présentent vraiment une
nouvelle désinence, distincte de celle de la deuxième conjugaison
inchoative. Ce ne sont pas du reste les verbes de cette conjugaison
qui sont les seuls à prendre cette terminaison ; nous rencontrons
aussi sous cette forme des non-incohatifs et des verbes de IV. En
voici quelques exemples :
D'abord, parmi les incohatifs, nous trouvons, rimant en /, dans
Pierre de Langtoft : establye (cf. I, 42, 12; II, <)G, 16 ; II, 32, 27 ,
dans le corps du vers les exemples sont encore plus nombreux) ;
foye(ci. la rime I, 128, 21); les Contes de Nicole Bozon ne nous
donnent pas d'exemple assuré; citons toutefois enmaJadye aux§§86,
1 19, etc.
Les non-incohatifs sont très peu nombreux ; nous en relevons un
sous cette forme sous la plume du scribe de la Destruction de
Rome : siijfrie (peut-être un prétérit ?) ; Pierre de Langtoft nous
donne encore dans sa Chronique mentye (II, 282, 3); mais cet
exemple n'est pas à la rime.
I. Cf. 3e personne du pluriel, désinence en i{y)i'iit, et participes passés en
/(.v>.
LA TROISIÈME PERSONNt: DU SINGULIER 141'
En dehors de la seconde conjugaison, un seul verbe prend assez
régulièrement cette nouvelle désinence, c'est le verbe dire. On
trouve en effet die dans de nombreux auteurs ou manuscrits ;
Pierre de Langtoft encore ici nous fournit un grand nombre
d'exemples qui sont sûrs, car ils sont attestés par de nombreuses
rimes (cf. par exemple, I, lo, 21; I, 178, 18; II, 270, 6, etc.);
mentionnons encore dans le même ouvrage un composé de dire
qu'on trouve aussi à la rime: inandie (II, 270, 19). Un autre verbe
de IV est attesté sous cette forme par une rime dans un autre
poème, la Bounté des Femmes de Nicole Bozon ; nous y trouvons
en effet rye rimant avec courieysic au vers 85. On ne peut pas
s'étonner de ne rencontrer sous cette forme que ces deux verbes de
IV; il faut en effet pour que la désinence en ie soit possible que le
thème du verbe ait / pour voyelle accentuée ; de tels verbes sont
assez peu nombreux et peu employés.
Nous n'avons pas rencontré de nombreux verbes de I affectés de
cette désinence dans la langue littéraire ; nous aurions pu en citer
un certain nombre, tels que auuncic, jifgie, si nous avions voulu
faire entrer dans notre étude la langue du xV siècle ; les manuscrits
de cette époque nous fournissent un nombre assez considérable de
formes comme les deux précédentes ; nous ne citerons ici que
enfounàrie que nous avons relevé dans les Chroniques de Nicolas
Trivet (47 v"), quoiqu'il ne soit pas bien assuré que cet exemple
appartienne au \\\^ siècle.
En dehors de la littérature, le seul verbe de II ou de IV que nous
ayons rencontré est le verbe dire : die n'est pas rare dans le second
volume des Statuts et moins encore dans les Rymer's Foedera pour
la seconde partie du xiv^ siècle.
Nous relevons encore une désinence ou plutôt deux autres dési-
nences en ie en dehors de l'indicatif présent ou en dehors des deux
conjugaisons que nous venons de citer. Un certain nombre de
verbes de I montrent cette syllabe à leur troisième personne du
singulier du présent de l'indicatif ou du subjonctif : les composés
du verbe nuncier sont spécialement réguliers. Nous lisons par
exemple dans le Black Book of the Admiralty : promiucie sous la
date de 1291; c'est, du reste, la forme de ce genre la plus
ancienne. Reniincie se rencontre deux fois sous la même date
(1357), dans les Rymer's Foedera (VI, 50) et dans les Actes du
142 L EVOLUTION DU VliRBE EN ANCILO-FRANÇAIS
Parlement d'Ecosse (I, 520). Et il serait possible de citer un plus
grand nombre de cas analogues pour ce verbe.
Comme autre verbe de I, citons occiipic qui se trouve dans le
■second volume des Statutes, p. 35, sous la date de 1383.
Enfin, nous trouvons encore une troisième classe de ces dési-
nences dans les subjonctifs pour lesquels la consonne finale du radi-
cal est une consonne mouillée, veoillie "et voillie, de vouloir, sont
employés dans le Black Book of the Admiralty (1291, 18, 30 et
42); ayJliese trouve dans le même recueil de textes (1291, II, 30).
Enfin un verbe qui a un subjonctif en am mais qui prend le plus
souvent une lettre mouillée à ce temps (cf. sub.), prendre, se
rencontre à la troisième personne du singulier sous la forme préi-
gnie dans les Rymer's Foedera à l'année 1328 (IV, 340). Il est pro-
bable qu'ici 1'/ ne sert qu'à indiquer la mouillure de la consonne
précédente ; cependant, il arrive aussi que ïe muet disparaisse com-
plètement et on peut se demander quelle valeur attribuer à cet /
qui reste seul. Lui donnera-t-on la valeur d'une muette, ou lui
laissera-t-on sa prononciation ordinaire ? La forme voillit se trouve,
assez rarement du reste, dans les œuvres non littéraires, par exemple
dans les Statutes (vol. I, p. 102, 1285).
Les terminaisons en ie sont donc bien assurées à la troisième
personne du singulier du présent de l'indicatif ou du subjonctif de
certains incohatifs, de deux verbes de IV, dire et rire, et de plu-
sieurs verbes de I.
Ces exemples datent tous du commencement du xiv<= siècle.
Il en est de même pour les subjonctifs que nous avons cités en
dernier lieu.
On pourrait être tenté de considérer tous les exemples que nous
avons énumérés comme représentant tous la même forme d'une
désinence nouvelle. En réalité, nous avons affaire à trois phéno-
mènes entièrement distincts. Les quelques exemples que nous a
fournis la langue littéraire forment seuls ce que nous appelions la
nouvelle désinence en ie et nous voyons que cette désinence
affecte uniquement les verbes dont la troisième personne du singu-
lier du présent de l'indicatif est terminée régulièrement par //. De
ces verbes, seul le verbe dire se rencontre sous la forme die dans les
œuvres non littéraires.
Vi a une origine toute différente dans les deux autres cas : pour
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I43
voillie, ûillie, preignie Vi est purement graphique : ////", igni ne sont
que des graphies, l'anglo-français en connaît encore beaucoup
d'autres, des lettres mouillées / et n ; 17 n'y fait donc pas partie de
la désinence.
Quant à rcnoHcie et aux formes analogues qui appartiennent sur-
tout au xV siècle, nous avons encore un phénomène tout diffé-
rent ; ici 1'/ provient de l'infinitif. Nous verrons, quand nous étudie-
rons ce mode, qu'cà une certaine époque, l'anglo-français a retrouvé
les terminaisons en ier, mais elles n'ont pas toujours été employées
avec les verbes qui l'avaient étymologiquement ; et, ce qui nous
intéresse ici, 1'/ a été souvent ajouté à des personnes qui n'y avaient
aucun droit. C'est ce qui nous explique les quelques formes que
nous citions plus haut et d'autres analogues.
GRAPHIES DE l'aTONE FINALE
La langue littéraire écrit toujours l'atone finale à la troisième
personne du singulier, tout au moins dans ces auteurs que nous
avons étudiés, par e ; il n'en est pas de même pour la langue non
littéraire qui emploie un nombre assez considérable de graphies
différentes.
Mais aucune de celles que nous allons citer, n'a la moindre fixité;
toutes sont sporadiques, et dans certains cas, nous pourrions sup-
poser que telle graphie extraordinaire n'est qu'un lapsus calami si
nous ne savions pas par ailleurs que l'on rencontre dans d'autres
formes du verbe et pour d'autres mots ces mêmes graphies
employées d'une manière plus constante pour représenter la voyelle
atone.
Au présent de l'indicatif, nous trouvons que l'atone s'est très
bien conservée dans le cas où elle subsiste, aussi bien que pour
ceux où elle a été ajoutée. Signalons seulement la graphie ee qui
n'est pas très rare et se rencontre par exemple dans les Statutes,
vol. I, p. i6i (13 II) Çsoefree).
On trouve en outre dans Rymer : ey, comme dans dcmorgcy, à
deux années d'intervalle, en 1300 (vol. II, p. 868) et en 1302
(vol. II, p. 913), ou encore la diphtongue ou qui est employée
deux fois dans ce dernier recueil : jaissoiit (1357, VI, 10); piiissotit
(id., ibid.). La graphie co même se trouve un certain nombre de
144 ■ L EVOLUTION' DU VERBE EN ANGLO-I-KAKÇAlS
fois dans les Statures pour le subjonctif du verbe faire: faceo se ren-^
contre trois fois dans les Statutes de l'année 1285, une première
fois à la page 102, les deux autres p. 103.
I. Troisièmes personnes du singulier en a.
Quelques verbes se rencontrent en français ancien et moderne
qui ont la troisième personne du singulier terminé par a : le prin-
cipal de ces verbes est le verbe aller, et nous allons examiner
quelles ont été les formes que ce verbe a prises à la troisième per-
sonne du singulier.
La forme régulière et étymologique est vait ' et pendant un cer-
tain temps, c'est la forme qui a prévalu en anglo-français. Il est inu-
tile de citer tous les cas où cette forme si commune se rencontre,
qu'il nous suffise d'en mentionner quelques-uns: Cumpoz, 355,
Brandan, 153, Adgar XIII, 49, Tristan (: fait), 21, etc; cette dernière
rime se trouve encore au vers 317 de la Vie de Sainte Catherine.
La diphtongue est écrite par ei dans l'Estorie des Engleis où veit
(: feit) au vers 1774, ce qui du reste provient assurément du scribe ;
la même rime sous la même forme se retrouve dans la Vie de Saint
Gilles au vers 603 et au vers 1513 veit rime avec Icit de laisser.
On trouve aussi dans le Sermon en vers de Guischart de Beau-
liu, vait (vadit) : fait (facit) : trait (trahit): lait (laxat) : estait
(imparf.) : esmait (3'' personne du singulier du présent du subjonc-
tif) : plait (placitum), etc., vers 67-78. Frère Angier emploie de
même cette forme que nous lisons, par exemple, 139 a 35. On
trouve cependant quelquefois veit rimant avec une diphtongue ei
dont le premier élément est un e fermé. Cette rime se trouve dans
Robert de Gretham qui est cependant un rimeur scrupuleux (pour
un écrivain anglo-français) ; veit (: beneit) au folio 22 v^ ; une
rime de la même nature se trouve encore au vers 783 du Saint-
Edmund : veit y rime avec dreit et cette dernière se lit encore au
vers 783 du fragment d'une traduction de la Bible (Rom. XVI,
p. 183 sqq.). Mais les rimes de ce verbe avec fiiit, trait, etc., restent
toujours les plus nombreuses.
Une troisième variante de cette première forme, c'est la graphie
vet ; on la trouve par exemple dans Adgar (V R, 103); elle devient
I. Pour voit, cf. Mussafia, Zeitschrift, 1,409.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I45
dès lors de plus en plus commune, elle rime en e ouvert comme
dans la rime vet (: set = septem) au vers 3847 du Saint Edmund.
Certains auteurs (ou scribes) emploient concurremment les trois
formes ; c'est ainsi que dans Simund de Freine, nous trouvons :
vait, Saint-George, vers 106; veit, ibid., vers 804; vel, Roman de
Philosophie, 1137; une ou deux de ces formes peuvent appartenir
au scribe. Nous n'avons pas pu relever dans un même poème des
exemples assurés par la rime de ces trois formes, mais elles sont
librement mélangées après le Saint Edmund (que nons plaçons dans
le second quart du xiii^ siècle).
Au xiv'^ siècle, nous rencontrons une quatrième forme plus
curieuse qui, dans la deuxième moitié du siècle, devient très com-
mune ; la diphtongue analogique ei suit l'évolution de la diph-
tongue ét3'mologique ei et devient oi : voit se trouve par exemple
dans Foulques Fitz Warin (p. 99), dans le ms. B (1350) de l'Ipo-
médon (vers 1301) et n'est pas rare dans les Rymer's Foedera
après 1330, ni dans les Year Books ; mais cette forme n'apparaît
jamais à la rime dans les œuvres littéraires.
Sous une forme ou sous une autre, la troisième personne du
singulier d'aller dérivée phonétiquement de vait persiste donc pen-
dant toute la littérature 'anglo-française.
La forme va a cependant fait son apparition assez tôt : le pre-
mier exemple assuré que nous ayons rencontré se lit dans l'Estorie
de Gaimar : on la trouve dans deux endroits :va (:trovad), au vers
4009 et (:saluad) 5804 ; Adgar nous en offre au moins un cas (: ad)
I R 20 et la même rime se retrouve au vers 588 de la Vie de Sainte
Catherine de Sœur Clémence. Nous pouvons en signaler aussi dans
la Vie de Saint Gilles deux exemples qui ont échappé à Gaston Paris
{cï. Introduction de Saint Gilles, p. xxx) ; on lit en effet va (:ca)
18 18 et (: suna)25 3 .
Dans Chardri, on ne trouve jamais va à l'intérieur du vers ; à la
rime, cette forme existe, quoiqu'elle ne soit pas la plus commune.
Comment peut-on expliquer cette distinction ? Chardri considé-
rait-il cette forme nouvelle comme moins correcte ou moins litté-
raire que ve(jy puisqu'il ne l'emploie que lorsque la rime l'y oblige?
On trouve va à la rime avec cJmnta dans Josaphat, vers 873, avec
despcça dans le même poème, vers 2354; et avec tniva au vers
1061 des Set Dormans. Dans Simund de Freine, cette même
10
14^^ I. 'ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
tonne ne se trouve employée qu'en interrime et n'est peut-être
pas imputable à l'auteur ; elle est moins commune que veit.
Va se trouve aussi dans Robert de Gretham, mais est relative-
ment peu répandu ; on peut citer va (:a) au fol. i6 v". Va est assez
employé au xiv" siècle: on peut citer parmi les formes assez nom-
breuses qu'on rencontre: dans Pierre de Langtoft I, 80, 36 où cette
forme est à la rime et passiiu. Il est à remarquer que le ms. B de
cette chronique (ce ms. date de la seconde moitié du xiv^ siècle)
contient va très souvent. Dans la Bounté des Femmes de Nicole
Bozon, on la trouve encore à la rime avec verra au vers 15e et
dans le Prince Noir avec conta au vers 2486. Comme on le voit,
va n'est pas rare en anglo-français et cependant il n'a jamais été
aussi souvent employé que la forme étymologique qui a persisté et
qui a été en faveur autant ou plus que la forme analogique.
Ce qu'il faut surtout remarquer, croyons-nous, ce sont les lents
progrès que cette forme a faits tout d'abord. Le premier exemple
assuré que nous ayons est antérieur au milieu du xii^ siècle et au
commencement du xrri% comme nous le montrent les exemples de
Chardri, les écrivains un peu soigneux ne l'emploient guère que
quand ils ne peuvent pas faire autrement ; nous en dirions presque
autant de Robert de Gretham, qui date du second tiers du même
siècle ; en tout cas il est évident que ce n'est qu'au xiv^ siècle que
cette forme devient vraiment usuelle. C'est du reste aussi la période
pendant laquelle les écrivains sont le moins regardants.
En dehors des ouvrages littéraires, va n'est pas très employé :
nous ne pensons pas en avoir rencontré d'exemple dans les Sta-
tutes ; il y en a quelques-uns dans les Rymer's Foedera et dans
quelques autres recueils, mais la forme étvmologique est soit la
seule emplovée, soit la forme habituelle.
Pour le verbe ester, nous trouvons les deux mêmes terminaisons
fondamentales, quoique les formes que ce verbe prend à la 3^ per-
sonne du singulier du présent de l'indicatif soient beaucoup moins
variées que pour aller. Tout d'abord ester fait ordinairement à la
troisième personne du singulier estait ; nous rencontrons unique-
ment cette forme au xii^ siècle dans la langue littéraire ; elle est à
cette époque assez fréquente et est employée par l'auteur de Saint
Brandan au vers 1477 ; les Psautiers d'Oxford et de Cambridge
l'emploient aussi. le premier, psaume 102, 12, le second. 118,90;
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I47
dans le Tristan de Thomas nous Tavons plus d'une fois à la rime ;
elle rime par exemple avec ait au vers 1122. Saint Gilles la fait rimer
avec /fl'/7 (de laisser) au vers 1985. En dehors des rimes nous la
trouvons plusieurs fois chez Gaimar, dans Horn au vers 1023; dans
les Quatre Livres des Rois, II, 18, 29... à l'intérieur des vers 1787
et 2010 du Tristan de Thomas.
Esta n'est pas rare même à cette époque ; mais on peut faire ici
la remarque que nous avons déjà faite à propos de va dans les
poèmes de Chardri. Gaimar, qui présente un certain nombre de
formes esta à la rime, n'emploie jamais que estait lorsque les néces-
sités du vers ne le forcent pas à prendre une terminaison en a.
C'est ainsi que nous trouvons dans cet auteur «f^rt? rimant avec ad au
vers 2832 : on le rencontre dans le corps du vers ou en interrime
dans le poème de Horn aux vers 5 27, ,5 38, 1022, où il est peut-être
dû au scribe, comme dans le corps du vers des Légendes de Marie
d'Adgar XXVIII, 257 et passini.
Après le xii'' siècle cependant, la seule forme employée est cette
forme en a ; malgré tout, on peut dire qu'elle n'est pas très fré-
quente : cela tient à ce que ce verbe est déjà en train de disparaître.
Voici les quelques exemples que nous avons relevés : au folio 75 v°
du Saint Julien, il se trouve dans le corps du vers ; il rime avec
passera au tolio 62 r" des Heures de la \^ierge, on le trouve en
interrime dans William de Waddington cj/tz : aresta vers 3286, et
dans le corps des vers 3687, 6792 ; citons enfin Pierre de Langtoft,
I, 428, 8 ; et Foulques Fitz Warin, p. 93. La dernière rime pro-
bante en a que nous ayons rencontrée se lit dans l'Evangile de
l'Enflince, mss. O et G, strophe 172, vers d.
Aresler enfin qui prend assez souvent la forme en a connaît
aussi et assez, tôt la forme analogique : aresie (: tenpeste) Robert de
Gretham 107 v".
En dehors des œuvres littéraires la troisième personne du singu-
lier du verbe ester est d'un emploi assez rare ; le Liber Custumarum
la donne au moins une fois sous la (orme estet, à la date de 1302,
p. 1)0. On trouve fréquemment esta dans les Year Books (cf. par
exemple 20 et 21 Edw. F'', 179 ; 31 Edw. F'', 349; Eyre of Kent
13 13, III, 159; II et 12 Edw. III, 133; 12 et 13 Edw. III, i8i)-
mais cstef se trouve (dans ce dernier recueil, p. 186).
148 l'kvolution nu vhrbe en anglo-français
II. Lf thème a la troisième personne du singulier.
Les changements que subit la vov.elle du thème à h troisième
personne du singuHer sont nombreux et importants.
Nous avons toutefois à faire une distinction entre les modifica-
tions phoniques qui ne sont spéciales ni à cette personne ni au
verbe et celles qui ne se rencontrent qu'à la troisième personne du
singulier. Les premières ne nous intéressent pas ici, les secondes
appartiennent seules à notre sujet. Mais cette distinction n'est pas
toujours très facile à faire : dans les pages qui suivent on trouvera
évidemment beaucoup de formes dérivant des formes étymologiques
par une évolution régulière, là où cette évolution a pu être plus
générale que nous ne l'imaginons ou qu'on ne l'a reconnu jus-
qu'ici.
Cela en particulier est vrai des formes très nombreuses que
prennent les verbes pouvoir, estovoir, vouloir. Cependant nous
n'avons pas cru devoir les passer sous silence.
Nous omettrons donc surtout les modifications les plus générales
et les plus connues : le passage de /// à 11 ; celui de ie à £■ et à / (jient,
tent, tiut); celui de oc à. 0 et à u {proeve, prove, pruve...^ -^^le passage
de (7 à ûieth i (oitreie, otlrnic, ottn'e) eic...
Mais pour les modifications qui restent, une autre difficulté se
présente : nous ne devons parler ici que de celles qui atteignent la
troisième personne. Celles que nous trouvons à une autre personne
du même temps ou du même mode seront étudiées à ce temps ou à
ce mode. Il est encore possible que, faute d'exemples à d'autres per-
sonnes, nous ayons attribué à la troisième ce qui aurait appartenu à
tout un temps ou tout un mode.
Nous ferons donc tous nos efforts pour bannir des pages qui
suivent : i" toute question purement phonique ; 2° toute question
qui peut être plus générale.
Mais nous n'oserions pas affirmer y avoir complètement réussi.
Les différents points qui vont maintenant retenir notre attention
sont les suivants :
a) La consonne finale du thème ;
b) Allongement de la voyelle thématique ;
c) Abrègement de la voyelle thématique ;
d) Pouvoir, estovoir, vouloir.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I49
a) La consonne Ji nu le dn thème.
Les moditications subies par la consonne finale du thème sont
peu nombreuses et peu importantes, si nous négligeons celles qu'on
peut observer à d'autres personnes.
La présence d'une lettre mouillée {pregii, siège de Carlaverok
vers 26, renieign i et 2 Edw. II, 7) sera étudiée plus tard.
Signalons simplement l'apparition de la consonne latine dans
escript (Nicolas Trivet 16 r°).
b) Allongement de la voyelle thénialique.
Ce phénomène qui appartient au xiii'' et au xiv^ siècle, n'atteint
jamais qu'un nombre très restreint de verbes.
L'allongement prend différentes formes; ou bien la voyelle du
radical est redoublée, ou bien elle se diphtongue, ou encore une
autre voyelle s'ajoute à la voyelle étymologique.
Les thèmesqui redoublent la voyellesont ceux dont la partie voca-
lique est un e ', soit étymologique, soit dérivé ; et parmi ces verbes
c'est savoir qui nous donne le plus grand nombre d'exemples.
Seet est commun et date probablement de la fin du xiii^ siècle; nous
le rencontrons au vers 690 du Saint Auban, au vers 9 5 du Manuel des
Péchés et passim; dans Walter de Bibblesworth (144) ; dans Pierre
de Langtoft (I, 70, i et passim) ; dans Nicolas Trivet (48 r°), au
vers 45 de la Geste des Dames. Cette liste n'épuise ni les exemples
qu'on peut trouver, ni les auteurs qui ont employé cette forme.
Disons encore qu'elle est très fréquente dans les Year Books {ci. ^3
et 35 Edw. I", 55 ; 3 Edw. II, 66 etc.).
De la même façon faire donne quelquefois fect, mais dans des
textes assez récents, comme Walter de Bibblesworth (145) et dans
quelques Year Books ; de même choir au xiv= siècle prend la forme
cheet par exemple dans Pierre de Langtoft (I, 380, 24); laisser qui,
à la même époque, apparaît sous la forme lest devient leesl dans le
même auteur (I, 86,8 ; I, 380, 13); cette dernière forme est assez
rare ; nous n'en avons trouvé d'autre exemple que dans la langue
légale.
I. Phénomène phonique bien connu. Cl". Suchiei'j Voyelles toniques, p. 33.
150 I. KVOLrilOX DU VERBE l'X ANGLO-IKAXÇAIS
/V(7 pour l'i'il, vct estime forme du même genre ; on la rencontre
au vers 2917 du poème d'Edward le Confesseur, et elle provient
assurément du scribe.
D'autres verbes apparaissent encore à l'occasion avec ce double c,
comme .VéV//; de seoir dans l'Apocalypse (a, 352) et une forme un
peu différente ^^.(^(7/5/ qui se trouve au vers 589 du Saint Auban.
Ces mêmes formes se rencontrent de temps en temps en dehors
de la littérature ; citons encore un exemple que nous avons relevé
dans les Year Books et nulle part ailleurs : seert {ij et 18, Edw. III,
p. 263). Il n'y a donc qu'un nombre restreint de verbes à redoubler
la voyelle thématique e ; les cas que nous avons relevés dans les
œuvres littéraires doivent pour la plupart être attribués aux scribes ;
quelques-uns, comme scel (savoir), peuvent donc dater de la fin du
xiii"' ou du xiV siècle : il est probable que les autres ne remontent
pas plus haut que le xv^
Les exemples sont beaucoup plus rares, exceptionnels même,
lorsque la voyelle thématique est autre que e. La voyelle a se trouve
répétée dans aa qui se lit dans le Sermon en vers, Deu le Omnipo-
tent (35, d); les Documents inédits (1346, p. 81) et dans quelques
autres endroits '.
Dans les mêmes conditions, la voyelle / est redoublée, à notre
connaissance, dans trois exemples qui tous se lisent dans le Saint
Auban : viit (vivit) au vers 3 60; dcspiit :xu vers 646, cheriit au vers
655.
Autant que nous en pouvons juger, la voyelle redoublée ne
compte que pour une syllabe-.
L'allongement du thème par redoublement de la voyelle théma-
tique n'a donc pas eu une très grande importance ; il est certaine-
ment assez tardif.
Le nombre de cas de diphtongaison que nous rencontrons est
plus petit encore ; mais plusieurs de ces cas sont certainement très
anciens. Ici encore, c'est le verbe savoir qui nous donne le plus
grand nombre d'exemples ; seit se lit déjà dans le Psautier d'Oxford
(72, II); dans l'Estorie des Engleis cette forme se rencontre à dif-
férentes reprises, par exemple aux jvers 4598 (R) et 3221; le
1 . Cf. au prétérit pcissad, Nicolas Trivet, 8 r".
2. Cf. Infinitif en -(Yr.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I5I
Tristan de Thomas nous la montre au vers 1209. Mais seule la
forme que nous lisons dans le Psautier d'Oxford nous assure de
l'existence de la diphtongue au xii^ siècle ; nous n'avons relevé à
cette époque aucune rime, et les rimes que nous trouvons posté-
rieurement ne prouvent plus rien, puisqu'alors la diphtongue ei
rimait en f ouvert. C'est surtout entre 11 50 et 1250 que cette forme
nous a semblé être le plus employée et nous avons trouvé dans les
auteurs écrivant à cette époque un très grand nombre d'exemples.
A partir de la seconde moitié du xiii'^ siècle, elle devient plus rare,
quoiqu'on en trouve encore plusieurs cas, jusque dans les Contes de
Bozon (cf. § 132). C'est cette diminution du nombre de ces formes qui
nous a permis d'attribuer dans la majeure partie des cas aux auteurs
même les formes avec diphtongue que nous avons rencontrées.
Par analogie avec seit (ou fûit,feit}\ les écrivains anglo-français
ont employé beit de haïr, que nous rencontrons par exemple dans
l'Évangel Translaté, au folio 87 r°.
Quelques autres ouvrages du xii^ siècle nous montrent pour le
verbe savoir une autre diphtongue : ie. Nous ne pouvons douter
que cette nouvelle forme soit aussi ancienne que la précédente puis-
qu'on la trouve déjà dans le Psautier d'Oxford (9, 30 ; -| 6, 8 ; 98,
I...) où elle est plus commune que set ou que seit. Cependant les
autres textes de la même époque ne nous ont donné aucun exemple
bien assuré de cette forme ; il est vrai que certains poèmes nous la
montrent, comme l'Estorie des Engleis au vers 4598 ou le Tristan
de Thomas aux vers 984, 1 109. Mais elle semble employée seule-
ment par certains scribes ; l'exemple de Gaimar se trouve en effet
dans le manuicrit H (xiv^ siècle), ceux du Tristan dans le fragment
de Turin (T', vers la fin du xiii* siècle). Ce n'est guère que vers
1250 que nous avons relevé des exemples vraiment nombreux de
cette forme. Siet se lit par exemple dans le Siège de Carlaverok au
vers 4; dans les Chroniques de Londres sous la date de 1327,
page 60; dans Foulques Fitz Warin, à la p. 38; au vers 2925 de
la Chronique du Prince Noir et dans un grand nombre d'autres
ouvrages de la même époque. Du reste les œuvres 4ion littéraires
nous montrent fréquemment siet ou sciet.
Un petit nombre d'autres verbes se rencontrent aussi avec cette
diphtongue : chief ' se trouve emplové plusieurs fois dans le Manuel
I. Cette forme n'est régulière qu'en apparence. Au xiii'-' siècle»' c.idit » est repré-
senté par chel.
1)2 L EVOLUTION DU- VERBE EN ANGLO-EKANÇAIS
de Pcclics de William de W'addington et parmi les termes ana-
logues, on peut citer hiet de haïr au vers 2536.
Tous ces changements dans la forme de l'élément vocalique du
thème sont assez naturels ; il y en a d'autres qui pourront sembler
plus extraordinaires. Ainsi, la diphtongue eo se rencontre dans un
assez grand nombre de cas ; nous verrons plus tard que pouvoir,
estovoir, vouloir se présentent assez communément sous cette
forme. Quelques autres verbes de III la prennent aussi, comme
cheot de choir ' qu'on trouve à une date très reculée dans le Voyage
de Saint Brandan au vers 1156; s col {de savoir) dans les Contes de
Nicole Bozon, 34 ; nicol dans le Year Book 3 Edw. II, à la page
181.
Il faut du reste observer que pcot, esleot, iiieot, veot dérivent de
formes étymologiques, comme nous le montrerons tout à l'heure ;
cheot et scot sont des formes analogiques irrégulières.
L'addition d'une voyelle parasite est un phénomène peu différent
de la diphtongaison ; répétons ici encore les trois exemples de
Frère Angier que nous avons eu déjà l'occasion de citer et qui se
lisent tous les trois dans les Dialogues Grégoire le Grand (cf. Timo-
thy Cloran, p. 43), placsl 71, c. 51, taest 48, c. 24, Iraest ji,c. 24.
De la même sorte est sael de savoir qui se lit dans le Saint Auban
au vers 1568 et est surtout commun dans les Year Books, tandis
que seiet (même verbe) provient plutôt de seet avec une insertion
d'un / pour corriger l'hiatus ' ; cette dernière forme se lit dans les
Statutes (1267, I. 198, 307).
Aer de ardre dans Otinelvers 38, pleieiit dans les Early Statutes
ot Ireland 1285, 50 nous semblent plus difficiles à expliquer.
c) Simplification de la voyelle du thème.
Ce phénomène est encore plus rare et se produit plus tard que
celui que nous venons d'étudier : il se trouve dans des verbes que
nous avons déjà mentionnés : laisser qui donne Ict pour lait, tenir
et venir ont fréquemment au présent titii et vint au lieu de tient,
vient, par exemple dans les Heures de la Vierge aux folios 60 r° et
1. Cf. Suchicr, Grammaire, § 28 c, p. 79.
2. S'il y a hiatus, il faut admettre que les deux voyelles se prononçaient sépa-
rément.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER I53
6r r°. Dans les Statutes et ailleurs on trouve aussi et. plus commu-
nément pour ces deux derniers verbes teiit et veut. Mais ces modifica-
tions phoniques ne sont pas de notre ressort et nous nous conten-
tons de les indiquer en passant.
Nous verrons plus tard des cas analogues de simplification de la
voyelle du thème pour pouvoir, estovoir, vouloir.
d) Pouvoir, estovoir, vouloir.
Nous trouvons pour ces trois verbes un nombre considérable de
formes qui dérivent toutes phoniquement de la même origine, ou
tout au plus de deux origines différentes.
Nous pensons, quoique cela ne soit pas exactement notre sujet,
devoir les indiquer très brièvement, car elles diffèrent parfois les
unes des autres à un tel point qu'il est difficile de reconnaître en
ces formes le même temps et la même personne du même verbe.
Nous commencerons par pouvoir; nous verrons en même temps
que les difterentes formes de estovoir correspondent presque une à
une à celles que nous aurons citées ; quant à celles de vouloir, on
ne trouve pas une grande différence entre elles et celles des deux
autres verbes. L'examen de ces trois verbes aura au moins cette
utilité qu'il montrera toutes les formes possibles de la troisième
personne du présent de l'indicatif des verbes de III.
La forme ancienne et correcte piiet, cstuet n'est pas très com-
mune en anglo-français ; on la rencontre un petit nombre de lois
au xii^ siècle, par exemple dans le Psautier de Cambridge (ii8,
92 etc.), dans Fantosme (770), dans Thomas (vers 89, 2637),
dans Adgar (xix, 41), dans Saint Gilles (683); elle devient assez
rare au xiir siècle, et nous n'en avons relevé aucun exemple dans
les textes littéraires du xiv^ siècle. Cependant les textes politiques
et diplomatiques de la même époque la présentent quelquefois, et le
dernier exemple que nous en ayons encore rencontré se lit dans les
Rymer's Foedera dans un traité de 1390 (VII, 783) où elle se
trouve répétée plusieurs fois. Cette persistance des anciennes tormes
et, comme le montrera ce qui suit, le curieux mélange de formes
d'âges différents est bien caractéristique de l'anglo-français.
Poet est plus commun; on trouve cette forme dans le Saint Bran-
dan (1633), dans l'Alexis (ms. A, 203 d), dans Thomas (2928) et
1)4 L EVOLUTION DU- VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
dans la plupart des auteurs du xii"-" siècle. Elledure jusqu'auxiv"^ siècle
et est très répandue dans les ouvrages non littéraires les plus cor-
rects, par exemple dans les Statutes (1275, I, 37, etc.). Pot se
trouve dans les ouvrages anglo-français les plus anciens, elle est
même plus répandue que poel déjà au xii^ siècle, mais cela peut
provenir des scribes. En effet pendant très longtemps on ne la
trouve qu'à l'intérieur du vers et en interrime avec estot; la pre-
mière rime probante que nous ayons rencontrée date du xiii^ siècle.
C'est estot (: ot) dans Robert de Gretham 29 r°. On pourrait donc
admettre que la plupart des exemples que nous rencontrons anté-
rieurement à ce dernier sont le fait des scribes; mais comme le
Cumpoz (vers 63), le Bestiaire (vers 717), Gaimar (vers 269), Tho-
mas (vers 89) en ont des exemples, nous sommes forcés de reculer
la date de l'apparition de cette forme jusqu'au milieu du xii'^ siècle;
la difficulté subsiste donc. Comment se fait-il que, entre 11 50 et
1200, nous ne trouvions que des interrimes et que nous n'ayons
jamais une de ces formes rimant avec les prétérits en /// classe I, ou
les imparfaits de la T"^ conjugaison ? Il est à croire que Vo de ces
deux formes n'est d'abord pas un 0 qui puisse rimer avec Vo de
anwt ou de ot ; ce n'est qu'une graphie qui équivaut ou à peu près
à oe.
Après le commencement du xii*" siècle, du reste, ces deux formes
(^pot, estot^ semblent devenir assez rares; elles sont sporadiques.
Quoiqu'on puisse encore trouver pot au xiV^ siècle, par exemple dans
les Mem. Pari. 1305, § 126.
Les trois formes que nous avons vues jusqu'ici sont régulières; il
s'en trouve d'autres, dès lexii^ siècle, qui le sont moins et qu'il est
plus difficile d'expliquer ; telles sont : peot (cf. Suchier, Voyelles
Toniques, page 78, § 28 c) qu'on trouve dans le Brandan au vers i 5 ,
et qui dure jusqu'au xiv^ siècle (cf. par exemple les Contes de Nicole
Bozon, § 8, etc . ) ; f.v/t'O/ au vers 16 du même Brandan et qu'on peut
aussi bien que peot, avec lequel il rime, attribuer au scribe (date
du ms. II 67); cette forme peut d'ailleurs n'être qu'une graphie de
ne, oe. Les ïovmes pont, Brandan 245 (peout Nicole Bozon, Contes,
§ 19), estoui, Brandan 246, dérivent peut-être de celles qui pré-
sentent eo, à moins que, comme ont habuit, avait donné ot avec
lequel il coexista pendant longtemps, on n'ait admis que la forme
pot supposait une autre forme pont ; toutes les formes précédentes
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 155
peuvent donc être ramenées plus ou moins directement à celle qui a
la diphtongue étymologique.
Nous trouvons, toujours dans certains textes du xii*^ siècle, une
autre série de formes qui ne peuvent pas s'expliquer de la même
façon : celles qui ont leur point de départ dans la ïorme poil ou puit-
Ces deux diphtongues qui en anglo-français sont équivalentes (cf.
Suchier, op. cit., p. 6), § 24) proviennent peut-être, mais d'une
façon assez obscure, de la forme oe; plus vraisemblablement, elles se
rattachent au subjonctif /)t?m^ (cf. Subjonctif).
Elles ne sont pas rares même au xii^ siècle, quoique nous préfé-
rions les attribuer aux scribes du siècle suivant. C'est ainsi, pour ne
donner que quelques exemples, qu'on trouve puit, estiiit dans Tho-
mas (aux vers 2637 et ^ij), puist dans les Parliamentary Writs
(1298,318); dans les Rymer's Foedera (1312,111, 369 etc.), dans
le Year Book 13 et 14 Edw. in(p. 349).
Pour la forme en oi on trouve poit, estoii dans le Brandan (vers
1376), dans le Saint Gilles (au vers 3140). Au xiii'' siècle, elle se
rencontre dans la Plainte d'Amour (au vers 230), etc., etc., et elle
est employée jusqu'à la fin du xiv^ siècle, par exemple dans Nicolas
Trivet (5 r°).
La première de ces deux formes, celle qui contient la diphtongue
ni, a donnée phénomène phonique bien connu de l'anglo-français, u '
comme dans put, estiit qui se trouvent dans le Psautier d'Oxford
(54 13); dans Thomas (94, 1064); Gaimar (1839); Adgar (XXI\',
23), etc., et qui sont extrêmement communs dans les Year Books,
mais relativement rares dans les recueils politiques et familiers les
plus corrects (comme Jean de Peckham ou les Statutes).
Telles sont les principales formes que la troisième personne du
singulier de ces deux verbes est susceptible de prendre. Il y en a
plusieurs autres qui n'ont ni l'importance ni la généralité de celles
que nous venons de passer en revue.
Nous pouvons signaler les formes curieuses : pet - dans William
de Waddington (3603, et passiiii dans A), dans l'Evangile de
l'Entance (mss. O et C, strophe 77, vers d). Pet est surtout com-
1 . Cf. Suchier, Grammaire, 65, V 24 h : 11 peut du reste provenir aussi de w ; cl.
id.,.ibid., p. 79, §28 c.
2. Pour pet, d. Suchier, op. cit., p. 79, ;' iHc.
156 l'évolution du verbe en anglo-françals
niun dans les Year Books, on peut en trouver des exemples dans
20 et 21 Edw. !"■, pp. 233, 237, 241, 25 1, etc. ; /?(7/t'/ est aussi
relativement fréquent dans la langue légale ; on rencontre cette
forme dans 12 et 13 Edw. III, m, 289, etc.
La graphie moderne se rencontre enfin dans la première moitié
du xiV-' siècle pour les oeuvres littéraires, par exemple peut ' dans les
Contes de Nicole Bozon au § 2 et sensiblement à la même époque,
en dehors de la littérature, comme dans les Statu tes (1326, I, 287,
etc.); mais la plupart des formes que nous venons de citer se
trouvent employées simultanément à un moment ou à un autre des
trois siècles qui noiLs occupent.
Nous ne nous étendrons pas aussi longuement sur les différentes
formes que le verbe vouloir a prises à la troisième personne du sin-
gulier du présent de l'indicatif ; elles sont un peu moins nombreuses
que celles de pouvoir (et c'est pour cette raison que nous ne les
avons pas toutes données simultanément), mais les formes propre-
ment anglo-françaises s'expliquent toutes de la même façon dans
les deux cas.
La troisième personne régulière volt (Suchier, op. cit., p. 77, §28)
est la plus commune au xii'^ et au xiii"^ siècle; elle se trouve dans
le Cumpoz (vers 153); dans le Brandan (vers 155), et dans un
très grand nombre d'autres endroits. Vidt, qui ne diffère pas du
précédent, se trouve aussi fréquemment : dans les Psautiers d'Ox-
ford (21, 8) et de Cambridge (§ 1) dans le Tristan de Thomas (78),
dans le Saint Gilles (620). Volt passe aussi naturellement à vont
(cL Thomas).
On peut trouver aussi en grand nombre des formes à diphtongues;
nous pensons toutefois que ces formes sont en anglo-français posté-
rieures aux formes à voyelle ; cette diphtongue est tantôt oe, voelt,
au vers 225 du Drame d'Adam, tantôt ne, vuelt, Psautier de Cam-
bridge (21,8), eo, veolt dans les Psautiers d'Oxford (§ i) et d'Arun-
del(32, 12), que l'on trouve encore dans les Contes de Nicole
Bozon, sous la forme veot (§ 7). Ce que nous avons dit de pont,
estout, pot, estot peut se répéter de vont et de vot au vers 1228 de la
Vie de Saint Gilles; vnelt de son côté a donné la forme moderne
veut qui est rare mais qu'on trouve dans Adgar (cf. Prologue, vers
I. Nous n'avons jamais rencontré ?i/<?M/.
LA TROISIEME PERSONNE DU SINGULIER 157
II). En admettant même que cette forme soit due au scribe, il faut
reconnaître que la forme moderne se rencontre dans la première
moitié du xiii^ siècle.
Il nous reste à mentionner les formes en oi qu'on trouve pour
vouloir aussi bien que pour pouvoir. Ces formes sont aussi assez
difficiles à expliquer; on les rencontre au xiii^ et au xiv^ siècle : voit
se trouve pour le vers 1022 de Boeve dans le ms. D. (seconde
moitié du xiii^ siècle), aussi dans la Satire sur le Siècle (au folio
80 v'') ; dans le poème religieux du ms. Royal 20 B, XIV (au
folio 65 v"), et voyt se lit encore dans Wil. Rishanger (p. 277),
Il est encore moins facile de classer les différentes formes que le
verbe vouloir, en dehors des textes littéraires, prend à la troisième
personne du singulier du présent de l'indicatif; nous rencontrons
en eftet à la même époque des formes marquant des étapes phoniques
aussi différentes que possible. C'est ainsi que voet se trouve dans les
Statutes jusqu'au commencement du xiv^ siècle (1300,!, 137) et
vont dans les Literae Cantuarienses encore plus tard (1326-189).
Feiit apparaît dans les Statutes à la date de 1275 (I, 26) ; tandis
queir// se rencontre dans le même ouvrage en 1267 (I, 197). Une
des formes les plus communes est veot que nous lisons dans le
Registrum Malmesburiense (1275, I, 207) et dans les Year Books
très fréquemment (cf. 31 Edv^. P', 435, 2 et 3 Edw. II, 109, etc.).
Toutes les formes précédentes dérivent de la forme étymolo-
gique : nous en trouvons encore quelques autres qui ne peuvent
guère s'y rattacher : par exemple voysl dans les Early Statutes of
Ireland 1285, 60; dans les Year Books voillt, 16 Edw. III, 259 et
vost, id. ibid., qui nous semble inexplicable, sans parler de plusieurs
autres.
La seule conclusion que nous puissions tirer de l'examen de ces
formes c'est que, comme celles de pouvoir, elles représentent
deux types : l'un qui aboutit à la diphtongue eu et qui est exprimé
par de nombreuses graphies : ue, oe, eo, el, etc. dont l'étude est du
domaine de la phonétique.
Le second type montre la diphtongue /// ou oi.
Pour pouvoir, comme pour vouloir, le second type est beau-
coup plus rare que le premier. Nous tenterons plus tard d'ex-
pliquer plus pleinement l'origine et les rapports de ces deux
formes.
CHAPITRE IV
LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL
La première personne du pluriel nous offre un nombre de ter-
minaisons assez considérable ; au lieu de les distinguer, comme on
le fait ordinairement, en personnes fortes et en personnes faibles,
nous les diviserons en terminaisons féminines et en terminaisons
masculines. Les premières seules comprendront des formes fortes,
et un nombre assez grand de faibles ; les secondes ne comprendront
que des faibles. Cette division nous permettra d'étudier plus facile-
ment et d'une façon plus rationnelle les différents changements qui
peuvent se remarquer à la première personne du pluriel.
A. — Terminaisons féminines.
L'étude des premières personnes du pluriel à terminaison fémi-
nine comporte deux questions :
I. L'extension que la terminaison féminine a eue en anglo-tran-
çais.
IL Les modifications qu'elle a subies.
Ces deux questions, nous semble-t-il. épuisent complètement la
matière,
I. Leur extension.
I. Les fortes.
Le nombre des personnes fortes à la première personne du plu-
riel est des plus restreints en français ; la plus constante et la seule
qui ait subsisté dans la langue moderne est celle de la première per-
sonne du pluriel du présent de l'indicatif du verbe être : sommes. A
côté de cette forme l'ancien français en avait, pour la même per-
sonne de ce temps, une autre qui a disparu. Le futur de ce verbe
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 159
avait aussi une forme spéciale dont la langue moderne n'a pas con-
servé de trace.
Deux autres verbes nous montrent aussi à cette personne du pré-
sent de l'indicatif une forme forte : faire et dire.
Nous trouverons dans l'anglo-français des exemples de ces cinq
formes : sommes, esiues, ermcs, f ai mes, (fîmes:
a) Etre. — L'anglo-français a connu et employé les deux formes
fortes du présent de l'indicatif du verbe être. Nous ne parlerons pas
ici des différentes modifications que sommes a subies dans notre dia-
lecte ; ces modifications ne sont pas en effet particulières à cette
forme forte ; les faibles en omes nous les montrent également : nous
les étudierons donc toutes ensemble '.
La seconde forme est distincte de sommes et a une origine diffé-
rente. Elle n'a jamais été très emplovée en anglo-français et, si on
la compare au nombre d'exemples que nous fournit la première, on
voit qu'elle a à toutes époques été rare et sporadique. Cependant,
nous la rencontrons dans un grand nombre d'auteurs et pendant
près de deux siècles, ce qui est la preuve d'une certaine vitalité.
Nous pouvons remarquer tout d'abord qu'au commencement du
xii'^ siècle, elle se rencontre à peu près dans chaque auteur — ^ ce
qui nous prouve que son emploi ne provient pas de fantaisies per-
sonnelles ; — mais chacun de ces auteurs ne s'en sert que rarement
— ce qui montre que cette forme commençait déjà à disparaître ; —
enfin, à mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française
cette forme devient de plus en plus rare et n'est plus usitée au
xiv^ siècle -.
Voici la plupart des exemples de esmes qu'on peut relever dans
nos textes anglo-français : Philippe de Thaûn l'emploie une fois
dans le Bestiaire au vers 1475 ; Gaimar en montre aussi un seul
exemple dans l'Estorie des Engleis au vers 373 ; Hue de Rotelande
l'emploie au moins deux fois dans son Protheselaûs aux vers 460
et 497 ; il en est de même de Jordan Fantosme qui nous en a
donné deux exemples dans sa Chronique, aux vers 495 et 999.
Dans les Quatre Livres des Rois, nous l'avons rencontrée une fois
(I, 21, 5); dans le poème de Renaut de Montauban nous retrou-
I. l^our sommes, d. Thurneysen, Somes; Zehschrit't, X\'1II, 276.
2.. Pour la forme esmes, cf. Gaston Paris, Introduction de la Vie de Saint
Gilles, p. xviij ; et Meyer-Liibke, Grammaire, II, § 21 1 .
I 6o l'évolution du verbe en anglo-français
vons cette forme, écrite aimes, page 32. C'est le poème de la Vie
de Saint Gilles qui nous a donné le plus grand nombre d'exemples
à cette époque; csnies se trouve dans le corps des vers 864 et 2417
et à la rime avec pesmes au vers 959. Remarquons que cette rime
du Saint Gilles est la première que nous ayons trouvée; ici la
question de la rime n'a "que fort peu d'importance; esnies élzm dès
le commencement du xii'' siècle une forme archaïque et devenant
assez rare au siècle suivant^ on peut sans hésitation l'attribuer aux
auteurs plutôt qu'aux scribes qui, au contraire, ont dû remplacer
plus d'un exemple de cette forme par le plus ordinaire sommes.
Pour en arriver au xiii* siècle, nous avons trouvé dans les Évan-
giles des Dompnées esmcs au fol. 34 v^ ; à peu près à la même
époque esmes est employé six fois dans le Psautier en vers coués
(Harléien 4070), ce qui ferait croire que ce Psautier a une origine
ou un modèle beaucoup plus ancien. Plus tard, les exemples de
cette forme deviennent très rares : on lit emes au vers 3 5 1 1 du poème
d'Edward le Confesseur; dans Dermod, au vers 2520, nous le
trouvons encore ; il rime avec faimes au fol. 82 r° de la Satire sur
le Siècle et se rencontre deux fois, aux vers 125 et 634, dans le
Fragment de la Bible publié par Romania (vol. XVI) et dont l'ori-
ginal doit remonter au xii'" siècle.
C'est le dernier exemple que nous ayons rencontré de cette forme
dans les œuvres littéraires. En dehors de la littérature elle est tota-
lement inconnue.
Etre est le seul verbe qui ait, dans sa conjugaison, à deux temps
différents, une première personne du pluriel forte : le second temps
est le futur et la forme forte est ermcs (erimus). Celle-ci du reste
n'est que peu emplovée et n'a duré, en anglo-français, que fort peu
de temps.
Nous trouvons ermes uniquement au xii^ siècle et chez un petit
nombre d'auteurs, par exemple dans Horn au vers 1919. L'emploi
de cette forme est donc sporadique. En particulier, les auteurs
d'œuvres non littéraires l'ignorent absolument.
b) Faire. — La forme forte de faire se rencontre encore assez
fréquemment en anglo-français '.
Voici quelques références qui montreront que la forme forte de
faire est assez commune et a persisté assez longtemps.
I. Pour fiiiwes, cf. Paris. Romania. VU, 622 : Freund. Verbal Flexion, p. 18.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL l6l
Le Comput l'a au vers 831 ; le Psautier d'Oxford et celui de
Cambridge en ont quelques exemples (cf. 73,9 pour le premier;
p, 6, pour le second).
Adgar l'emploie (XVII, 36), les Quatre Livres des Rois aussi
(I, 21, 5); de même nous en voyons un exemple au vers 1123 de
la Vie de Sainte Catherine. On le rencontre au vers 4073 de Horn,
et trois fois dans Fantosme (vers 625, 1425, 1744), ^'^ même nous
le lisons dans Guischart de Beauliu (aux vers 854, 1725); et deux
fois dans la Vie de Saint Gilles (187, 1945).
Frère Angier l'emploie aussi, plus souvent même que n'importe
quel auteur anglo-français ; on trouye f aimes dans la Vie de Saint
Grégoire (au vers 983), feiiiics dans le même poème (vers 904);
même foiiiies, cité par Miss Pope, se trouve dans les Dialogues (au
fol. 81 V a). Faillies se lit, au vers 933 a du Psautier en vers
coués. Entîn le dernier exemple que nous ayons relevé de la forme
forte de faire se trouve dans la Satire sur le Siècle à la rime avec
eyiiics (82 r"). Comme on le voit cette lorme se prolonge assez
avant dans le xiii"' siècle .
Il est évident du reste, si l'on considère le nombre relativement
restreint des formes que nous avons citées, que la forme faible a dû
être encore plus employée que la forme forte; celle-là est attestée
par la rime à une date très éloignée ; le Bestiaire l'a déjà : jaisum
(: guerpissum) (117); on ne la retrouve cependant pas dans les
Psautiers d'Oxford et. de Cambridge : mais ils sont, une exception
et elle est employée par la suite dans chaque auteur.
Si nous nous occupons maintenant des ouvrages qui n'appar-
tiennent pas à la littérature, nous voyons que la forme forte de faire
est extrêmement rare. Nous ne l'avons relevée qu'une seule fois
dans les Statutes, recueil qui se fait remarquer par la correction et
le caractère archaïque de sa langue ; cette forme faisincs (avec s
parasite) se trouve dans le premier volume des Statutes à la page 157,
sous la date M 11 ; ainsi ce cas isolé est l'exemple le plus moderne
que nous ayons rencontré.
c) Dite. — Il en va tout autrement de dire ; pour ce verbe la
forme torte dimes est dès le commencement du xir' siècle plus
exceptionnelle encore que ne le sont faisincs ou es mes ; nous n'avons
trouvé qu'un nombre insignifiant d'exemples de cette forme forte.
On la rencontre dans le Bestiaire deux fois : aux vers 31 4 et 151 1 ;
II
l62 l/ÉNOLUTlON DU Vl-KBE EX ANGLO-ERANÇAIS
dans riîstoric des Engleis au vers 343 ; peut-être pourrait-on trou-
ver quelques autres cas au \ir' siècle, mais ils restent sporadiques.
Il est donc inutile de dire, plus inutile encore de vouloir démontrer
que la forme faible est la seule que connaissent les ouvrages de la
langue politique, diplomatique, familière, légale et la plupart des
œuvres littéraires '.
2. Les faibles.
Les terminaisons féminines faibles de la première personne du
pluriel sont beaucoup plus communes que les terminaisons fémi-
nines fortes.
Elles comprennent : 1° Les formes en -cviics qui sont employées à
côté des désinences masculines pour le présent et le futur de l'indi-
catif;
2° En second lieu les premières personnes du pluriel de tous les
prétérits et qui se terminent en -aines, -inics, -innés;
3" Certaines terminaisons en -ieiiies. -eiines.
Au point de vue de l'extension de ces formes, les prétérits ne
peuvent nous oflrir aucune difficulté, car ils conservent le plus régu-
lièrement du monde les terminaisons que nous venons d'énumérer ;
tout au plus pouvons-nous soupçonner un petit nombre de prété-
rits en -ivi de prendre une désinence masculine en -iiis. Nous ne
trouvons pas la même régularité pour les deux autres terminaisons
qui sont un peu des terminaisons d'occasion.
Faibles en -onies. — La. terminaison en -oiiies est rare dans l'an-
glo-français littéraire, surtout pendant le xii'^ siècle. A cette époque,
nous avons relevé quelques exemples, ordinairement isolés, dans
différents poèmes. Ainsi le Voyage de Saint Brandan nous a fourni,
manuscrit de l'Arsenal, les exemples suivants : vivoiiies au vers
761 ; avoines au vers 762; couver soines au vers 718. Dans l'Estorie
des Engleis, on rencontre un exemple qui a déjà été cité bien des
fois avant nous : conussuines qu'on trouve à la rime avec sûmes.
Mais il faut remarquer que cette forme se rencontre dans l'Epi-
logue du poème (au vers 373) et que cet Epilogue n'est donné que
par les mss. L et D.
T. Cf. .Mevcr-Liibke, Grammaire, II, ^ 169.
LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL 163
C'est tout ce que nous pouvons citer au xii'' siècle. Au commen-
cement du siècle suivant, ces exemples ne se rencontrent que dans
un auteur, Frère Angier, qui nous a donné eioiiies (: somes) 72 r° b.
Les exemples deviennent plus communs à la fin de ce siècle. Le
scribe de la Destruction de Rome emploie poroiiies au vers 795 ; à
peu près à la même époque nous en relevons encore un autre, qui,
n'étant pas employé à la rime, est peut-être moins bien assuré que
les autres : aiuomiis {j= avons) dans Walter de Bibblesworth, r6o.
Ils deviennent au xiv^ siècle un peu plus fréquents sans devenir
communs : Pierre de Langtoft nous en offre un exemple non attesté
du reste par la rime : voJuiues, II, 272, 2 ; et dans le premier Appen-
dice on lit encore rciiieiioiues, II, 400, 28. Enfin Nicolas Trivet,
ou son scribe, l'emploie un certain nombre de fois : aïoniiis, 48 r° ;
cscrivoinus, ibid. et passiiu.
Trois temps peuvent donc dans les œuvres littéraires prendre
à l'occasion la terminaison -ornes : le présent et le futur de l'indi-
catif, le présent du subjonctif, les trois temps qui ont à cette
première personne du pluriel la désinence -ons.
L'anglo-français diplomatique et politique n'emploie guère plus
souvent cette terminaison; elle se rencontre uniquement avec deux
temps : le présent et le futur de l'indicatif.
Au présent on trouve ^rnitnluinmes à la date de 1274 dans les
traités de Rymer (II, 33); enîendoiiies dans le même recueil de
textes (129 1, II, ^^c)) ; preysomes dans les Historié and Municipal
Documents of Ireland, en 1292 (pp. 208 et 209); aiwni's dans
Barthélémy Cotton (1295, 303)> ^^ ^^^^s ^^s Parliamentary Writs
(1299, I, 321) ; osoiiies dans les Literae Cantuarienses (1335, 567).
Ce sont à peu près tous les cas de présents en -oiiies que nous
ayons relevés; ils ne sont pas très nombreux. Les futurs sont encore
plus rares ; nous ne trouvons sotis cette forme que les verbes être
et faire : seromes dans Rymer's Foedera, à la date de 1337 (IV,
785); et dans Barthélémy Cotton (1297, 340); feromes se rencontre
encore dans ce dernier auteur au môme endroit et à la même date
en 1297, p. 3.|o.
Non seulement ces formes sont rares, mais i" elles ne se
trouvent jamais dans les recueils les plus corrects, comme par
exemple les Statutes ou les Lettres de Jean de Pcckham. En second
lieu, si l'on peut tirer une conclusion d'un nombre si restreint
164 l'évolution pu VERBE RN ANGLO-FRANÇALS
d'exemples, cette forme est limitée à un petit nombre d'années,
tous nos exemples se trouvant compris entre les deux dates extrêmes
1274 et 1335.
Au contraire, les exemples de cette désinence sont très nom-
breux dans la langue légale et descendent certainement jusqu'à
une date beaucoup plus récente, mais que nous ne pouvons malheu-
reusement pas préciser. On trouve déjà un grand nombre de ces
formes dans le Year Book 21 Edw. P'', irraiitoiims, p. 6^ ; poomes,
p. 81, deniandomus, p. 103, puysumes, p. 149, piissitines, p. 63,
fesuuies, p. 63, tmverseromes, p. 55 ; dans les Year Books suivants
on peut relever perdisomes, domvnes, defessoiiics, devomes, suomes
(suivre), etc., etc. Tout ce que nous pouvons assurer c'est que la
plupart de ces formes appartiennent au xV siècle, quelques-unes
peut-être au XIV^
Nous n'avons relevé, en dehors des ouvrages littéraires, aucun
exemple d'une première personne du présent du subjonctif en ornes.
Eiines. — Cette désinence n'appartient pas à l'anglo-français lit-
téraire : le seul exemple de cette désinence que nous puissions citer
en dehors du français diplomatique et légal se rencontre dans le
premier appendice de Pierre de Langtoft, et c'est la traduction d'une
Bulle Papale. C'est un imparfait de l'indicatif: cstciiiies que l'on
trouve à deux reprises (II, 394, 34; II, 420, i). L'influence du
style diplomatique est évidente ici.
Dans la langue diplomatique et politique, au contraire, la dési-
nence cimes est très employée. On la trouve comme terminaison de
la première personne du pluriel à trois temps : l'imparfait de l'indi-
catif, le conditionnel et l'imparfait du subjonctif; elle est relative-
ment comniune avec les deux premiers temps, rare au troisième.
Le premier exemple que nous en ayons trouvé à l'imparfait de
l'indicatif se trouve dans les lettres de Jean de Peckham sous la
date 1283 (p. 439) : esteimes \ c'est du reste l'imparfait du verbe
être qu'on rencontre le plus communément avec cette désinence.
Estcinies ou ses variantes est employé assez fréquemment dans les
Rymer's Foedera (cf. par exemple 1297, II, 749 ; 1320, III, 853).
D'autres ouvrages l'emploient aussi avec plus ou moins de régula-
rité : citons par exemple les Literae Cantuarienses (1341, 696,
2 fois); le Registrum Palatinum Dunelmense (1313, I, 386) et
quelques autres encore d'importance secondaire.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 165
Les seuls autres imparfaits de l'indicatif que nous ayons rencon-
trés sous cette forme se lisent dans les Rymer's Foedera, pardo-
neimes (1323, IV, 22), et dans les Literne Cantuarienses, avexincs,
1331, p. 366.
On pourrait, semble- t-il, négliger ces deux dernières formes qui
sont isolées, et considérer la désinence en -eiiues comme apparte-
nant en propre à l'imparfait de l'indicatif du verbe être dans la
langue politique et diplomatique.
Nous pouvons faire observer dès maintenant qu'il y a un grand
nombre de textes qui ne présentent aucun exemple de cette forme à
l'imparfait de l'indicatif; d'abord et surtout les Statutes ou plus
généralement tous les recueils de textes politiques.
Au conditionnel, les formes sont plus nombreuses et plus variées;
mais tous les exemples que nous en avons recueillis, et ils sont très
nombreux, se trouvent dans un seul recueil, les Rymer's Foedera.
C'est ainsi que nous trouvons pour ce temps : d'abord le verbe être
sous la forme seriemcs (1339, V, 114) qui est d'un emploi assez
commun. Nous avons. remarqué en outre que le plus grand nombre
des exemples que nous avons relevés nous sont fournis principale-
ment par les verbes de IIl et de IV ; pouvoir par exemple est très
fréquemment employé sous la forme porriciiics ; on la trouve déjà
en 1297 (II, 741); c'est ainsi la plus ancienne de ces formes; elle
est d'un usage fréquent après cette date dans ce même recueil (1297,
II, 742; 1320, III, 853 ; VII, 496; etc., etc.). Il en va de même
pour faire: fcricnics (1320, III, 853; 1339, V, 114). On trouve
cependant quelques exemples de verbes de I et de II : comme poiir-
cbacerictnci (1339, V, 114), k'iuidmes (1297, H? 749)^ ^^ l'on voit
par ce dernier exemple que, ce qui est très naturel, ils peuvent être
aussi anciens que les exemples que nous fournissent les conjugaisons
où les exemples sont plus nombreux.
Pour l'imparfait du subjonctif nous n'en avons rencontré qu'un
seul exemple, et il se trouve encore dans les R\mer's Foedera :
c'est fiiissicnics (1339, V, 115). Nous n'avons relevé aucun subjonc-
tif en -iaiii affecté de cette terminaison, et cela est assez extraordi-
naire (cf. Terminaison en -ieiis).
L'on peut voir, grâce aux exemples que nous avons cités, que les
terminaisons en- -/(•;//•« sont réparties entre 1297 et 1385, autre-
ment dit, elles occupent tout le xiV' siècle; elles sont cmplovées
i66 l'évolution du w.Rmi ex anglo-fkançals
pour la désinence de ki première personne du pluriel de trois temps ;
elles sont surtout fréquentes pour le conditionnel.
Lorsque nous étudierons ces temps, nous nous occuperons de
voir comment ces désinences sont employées relativement aux
autres désinences possibles.
Les Year Books présentent aussi cette désinence à trois temps :
l'impartait de l'indicatif, le conditionnel présent et le présent du
subjonctif; c'est ainsi que pour le premier de ces temps on trouve :
avey mes (20 et 21 Edw. L^^ 359; 33 et 35 Edw. P"", 49, 513, 531.
I et 2 Edw. II, 109; 3 Edw. II, 175). C'est la forme la plus
répandue avec esiciiiies qu'on trouve dans la plupart des recueils (cf.
par exemple 21 Edw. I", 61 ; 32, 33 Edw. I", 395, 397, 418, 521,
533, etc.). On trouve encore à ce temps: recouiseymes (20 et 21
Edw. L'', 311), sohimes, voleinics, etc.
Les conditionnels sont moins nombreux : citons piirreiiiics (30 Edw.
P"", 21, etc.) et le subjonctif en lAM eyeins (Jbid. , 81).
Comme on le voit, cette terminaison est beaucoup plus géné-
rale dans la langue légale que dans la langue politique et même dans
la langue diplomatique, et elle n'atteint pas exactement les mêmes
temps.
IL Chmi^h'iiu'iils dans la forme des premières personnes
du pluriel jéininines.
'a) La consonne finale.
La consonne finale est ordinairement s, plus rarement ~. Nous
ne citerons aucun exemple de désinences féminines avec s, celles qui
se trouvent dans les pages précédentes suffisant amplement.
:{ est- employée d'abord dans la langue littéraire vers la fin du
xiii^ siècle, peut-être avant. C'est ainsi qu'on trouve dans le Manuel
des Péchés de William de Waddington sumei, 7098, A. Cette gra-
phie devient surtout fréquente au xiv^ siècle ; dans certains auteurs
elle remplace même d'une façon presque régulière la désinence en
s ; cela, il est vrai, peut provenir des scribes ; par exemple, cette
graphie est fréquente dans certains mss. des Proverbes de Bon Ensei-
gnement et dans les Chroniques de Nicolas Trivet.
Ce changement cependant est assez rare dans la langue non lit-
LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL 1 67
téraire, et ne se trouve jamais dans les recueils de textes corrects ;
nous lisons dans Kymerso)iuiu'i, seroiiiiiie- (1337, IV, 785); por-
chûcerieiiic- (1339, V, 114). Nous n'avons pas relevé un seul
exemple d'un ^ à une première personne du pluriel au prétérit.
Il est aussi assez rare que cette consonne, s ou ^, tombe. On en
trouve surtout des cas dans la langue littéraire, et la plupart de
ceux-ci peuvent n'être que des lapsus calami ; le premier exemple
de ce fait que l'on puisse citer se lit dans le ms. d'Oxtord du Roland ;
fcsiinc au vers 418; on trouve encore assemhlame dans le Saint
Auban vers 1446 ; feïiiw (prêt.) dans la Satire sur le Siècle 86 v° ;
fume dans l'Evangel translaté au fol. 88 r" et quelques autres
exemples disséminés dans tout le reste de la littérature anglo-tran-
çaise. Cette chute de la consonne finale a aussi un caractère spora-
dique dans la langue non littéraire, comme — pour n'en citer qu'un
exemple — dans siimc qu'on trouve deux fois dans les Literae
Cantuarienses, 13 18, pp. 47 et 51. Tous les exemples précédents
ne sont peut-être que des fautes d'orthographe ; mais une faute d'or-
thographe, qui n'est pas le résultat de l'inattention ou d'un oubli, a
son importance ; dans le cas présent les exemples de premières per-
sonnes du pluriel féminines sans .f tendent à montrer que cette s
avait disparu de fort bonne heure de la prononciation.
/;) La voyelle atone de la terminaison.
Le plus souvent la voyelle atone de la terminaison est exprimée
par £', et on ne peut trouver à aucune époque de la littérature
anglo-française une autre lettre qui soit employée aussi Iréquem-
ment.
Voici cependant un certain nombre de graphies qui se trouvent
avec une certaine tréquence :
U. De très bonne heure // a été employé avec la valeur d'une
voyelle atone ; la première personne du pluriel du présent de l'in-
dicatif d'être semble spécialement aftectée ; snmns se voit déjà dans
les psautiers d'Oxford (r 19, ; et d. 102, i^ ; 123, 6), et d'Arun-
del (9, 9, etc.) ; dans Gaimar (au vers 302); dans la Folie (au
vers 740, où cette graphie est certainement due au scribe); dans les
Homélies, 137. C'est la forme qu'on voit fréquemment employée
dans le ms. L de Fantosme (cf. vers 739 et passim). Et cette gra-
phie de soin mes se retrouve pendant tout le xiii'" siècle et le xiV.
i68 l'évolution du verbe en anglo-français
D'autres présents de l'indicatif se rencontrent aussi avec la ter-
minaison oniiis ; citons par exemple aiuomns ^= avoms dans Walter
de Bihblesworth, p. i6o ; avomiis et escrivonins dans Nicolas Trivet
au fol. 48 r" ; mais ces formes sont beaucoup plus rares et plus tar-
dives que les exemples de siiiniis que nous venons d'énumérer.
On rencontre u avec la valeur d'une atone assez fréquemment
pour les autres premières personnes du pluriel à terminaison fémi-
nine. Le Psautier d'Arundel spécialement emploie assez souvent la
désinence -W//5 pour les prétérits : levamus {i<^, 9), esperaiiins (-^2,
22), receiumis (_|7, 8) ; nous trouvons de même dans la Folie Tris-
tan à la rime avec sumus, ////«//,v au vers 739. Robert de Gretham
ou, plus exactement, le scribe du manuscrit de Londres (Add. 26773)
emploie overamns (23 r"), prophetamns, parlamus (88 v°) et beau-
coup d'autres; dans Boeve nous relevons doimiiiits (vers 1602);
Nicolas Trivet en a un grand nombre comme feymns (prétérit)
(48 r°) ; et plusieurs autres exemples se rencontrent qu'il est peu
utile d'énumérer ; ce qui nous semble évident, c'est que cette gra-
phie a été surtout employée, et a été employée d'abord pour le
verbe être et les prétérits.
(Pour H employé comme voyelle atone, on peut consulter
Suchier, Ueber, à la p. 30, et Stimming, Boeve de Haumtone,
p. 183, ligne 43. Voir aussi le chapitre III de notre seconde partie.)
Les textes non littéraires ne nous oflrent rien de nouveau sur ce
point : les désinences en -us pour les premières personnes à termi-
naison féminine ne sont pas rares dans l'anglo-français diplomatique
surtout pour le verbe être ; ainsi les Traités de Rymer nous donnent
un exemple de siinms pour l'année 1297 (II, 790) et nous pour-
rions donner une longue liste d'exemples allant jusqu'aux dernières
années du xiv^ siècle.
Les autres présents de l'indicatif ne sont pas rares ; citons dans
les Rymer's Foedera entendomus (1291, IL 539); dans les Parlia-
mentary Writs </iw;///.? (avom^) (1299, I, 321); dans Barthélémy
Cotton femniis, seroiiins (1297, 340) pour ne citer que les plus
anciens exemples.
Dans tous ces recueils, les terminaisons en -us sont fort com-
munes pour les prétérits, et ils se rencontrent à toutes les dates ;
on ne saurait dire qu'un verbe quelconque est plus employé sous
cette forme qu'un autre ni que cette terminaison est plus commune
dans un recueil que dans un autre pour ce temps.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 169
II en va de même pour les Year Books.
En résumé : la terminaison -iis se rencontre à toutes les époques
et dans toutes les catégories de textes de la littérature anglo-fran-
çaise ; les temps et les verbes qui en sont affectés plus spécialement
sont les présents de l'indicatif, en particulier le présent du verbe
être, le futur, le présent du subjonctif; tous les prétérits. Les termi-
naisons en -ienies n'ont jamais la terminaison en -lis.
i. — Les graphies qui montrent / comme voyelle atone sont
beaucoup plus rares que les graphies par //. Dans la langue litté-
raire nous ne trouvons que seiniis qui est emplo)'é dans The Song
of Dermot and the Earl au vers 2309. Cette terminaison est presque
aussi rare dans la langue politique; nous ne trouvons à citer que
quelques exemples isolés comme : sujfrymis, dans les Municipal and
Historical Documents of Ireland (1292, p. 208); et poymis
(pûmes) et savymis (sûmes) dans les Letters from Northern
Registers (1306, 133). Dans la langue légale on peut rencontrer
quelques formes en -i)iis, comme priinis (21 Edw, I", 25). Ces
formes sont exceptionnelles ; mais nous pouvons remarquer qu'elles
contiennent toutes un / (sauf un cas qui présente la diphtongue ci)
dans le thème.
c) Chute de la voyelle atone.
Remarquons tout d'abord que pour les premières personnes ter-
minées par 'Oiiies, sa.uï sont mes, les terminaisons sans muette se con-
fondent avec les terminaisons masculines en -ons. Pour les impar-
faits et les conditionnels qui sont terminés en ietnes ou eimes
une confusion analogue se produit ; lorsque la muette disparaît on
ne peut distinguer la forme qui en résulte des désinences régulières
en ienis. Autrement dit, il est impossible dans ces deux cas de
pouvoir reconnaître si une forme sans voyelle atone et avec /;/
provient de la forme féminine ou si elle n'est qu'une variante de
la forme masculine.
Par conséquent nous ne pouvons parler dans ce qui suit que
des premières personnes fortes et des premières personnes du plu-
riel des prétérits.
Dans la langue littéraire la chute de la voyelle atone pour ces
différentes personnes est aussi rare que possible ; nous n'en avons
rencontré qu'un nombre de cas insignifiant pour les désinences
170 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
fortes, par exemple .s7////.s- du scribe de la Destruction de Rome (au
vers 706). Ceux que nous avons relevés pour les désinences faibles
sont encore plus tardifs et il arrive que rien ne peut permettre de
décider dans chacun de ces cas si cette chute de la muette provient
de l'auteur ou du scribe. Cela a lieu en particulier dans la Chro-
nique de Nicolas Trivet, où elle n'est pas aussi rare qu'ailleurs.
Nous ne pouvons donc pas savoir si ce phénomène appartient à la
période que nous étudions. Citons toutefois à titre de renseigne-
ment le veynis (de voir) qu'on lit dans les Contes de Nicole Bozon
(au § 46). Les autres exemples que nous avons trouvés dans les
différents auteurs de la fin du xiv^ siècle peuvent être attribués aux
scribes.
Dans la langue non littéraire au contraire, les exemples montrant
la chute de la voyelle atone sont assez fréquents. Remarquons
d'abord que nous n'en avons relevé qu'un exemple pour les pre-
mières personnes du pluriel fortes : siinis qui se lit dans les Histo-
rics and Municipal Documents of Irel. (1292, 208).
Il ne nous reste donc que les prétérits, et ici les cas où la chute
de la voyelle atone a eu lieu sont trop nombreux pour que nous
songions à les citer tous. C'est surtout dans les Traités de Rymer
que nous en trouvons des exemples : quelques-uns, connue cspn-
saiiis, 1272 (I, 883), remontent au troisième quart du xiii'^ siècle ;
le plus grand nombre appartient au siècle suivant ; citons retaillanis,
1306(11. 1019) ; chargeams, 1324 (IV, 30); envoiams, i'^26 (IV,
194), etc., etc., etc. Dans les autres recueils les exemples,
quoique en moins grand nombre, ne sont pas rares; tmitauis se lit
dans le Registrum Palatinum Dunelmense, 1372 (I, 275), enveaiiis
dans la Chronique du Monastère de Burton (1258, 455). C'est
dans la langue légale que cette chute de l'atone est la plus fré-
quente. Etre se montre très fréquemment à la première personne
du pluriel du présent de l'indicatif sous la forme siuns (cf. par
exemple 21 Edw. P"", 79 ; 30 Edw. \", 23, 53, 59, 61); à par-
tir de cette date (1302) les e atones posttoniques deviennent rares
et dans les recueils suivants la forme abrégée est sinon la seule que
Ton rencontre, du moins la plus commune.
Il en est de même pour les prétérits ; on uouvq funis , veniiiis, piir-
chasams, dans les dernières années du xiir siècle, à côté des formes
normales. Dans les recueils qui datent du commencement du
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I7I
xiv^ siècle, les e atones deviennent extrêmement rares ; on trouve
alors feyms, rescums, chaceaiiis, portanis, etc. Mais nous ne pouvons
dater avec quelque précision aucun des exemples que nous venons
de citer, surtout les derniers, et par conséquent nous sommes ten-
tés de les attribuer tous ou presque tous au xv-" siècle.
S'ils n'ont aucune valeur en eux-mêmes, ces exemples cependant
nous montrent bien que l'anglo-français tendait à se débarrasser
entièrement des terminaisons féminines à la première personne du
pluriel.
(/) s parasite.
Entre la voyelle tonique et Viii s'introduit quelquefois une s para-
site ; cette s est très rare dans les désinences féminines fortes ; le
seul exemple que nous puissions citer se trouve dans le Livre des
Statutes et cela dans le seul cas d'une terminaison forte que nous
trouvions dans ce recueil pour le verbe faire : faismes dans le pre-
mier volume (131 1, 157).
Les désinences féminines faibles au contraire se rencontrent assez
communément au xiv= siècle avec cette lettre parasite. Les textes
littéraires nous fournissent un certain nombre d'exemples ; mais ils
ne se trouvent tous au plus tôt qu'au xiii^ siècle et semblent pour
la plupart dus aux scribes : citons ciintasmes, truvasincs aux vers
1545, 1549 du Saint Auban ; oceismes, oïsnies, aux vers 1527, 1533
du même poème; veiiisines au vers 3514 d'Edward le Confesseur,
etc..
Au contraire la langue diplomatique et familière en présente un
nombre considérable, et ils sont employés avec une telle continuité,
sinon régularité, que nous pourrions en citer des exemples pour
ainsi dire d'année en année. Le premier cas que nous en ayons
relevé se trouve dans Rymer's Foedera, à l'année 1297; t^'est un
prétérit en ni, prévus mes (II, 769) et à. la même date nieusmes (II,
777). Ces deux exemples sont pour ainsi dire les précurseurs de ce
qui sera jusqu'à un certain point un des usages réguliers de la
langue politique du xiV^ siècle. Nous trouvons des prétérits en
avi, comme niaudasnics dans les Parliamentary Writs (1325, II,
695, et 710) ; ^■ranfasmes dans le premier Livre des Statutes (1344,
302) et vol. V des Rymer's Foedera (1339, 507); des prétérits en
172 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
ivi comme oitaidisnics dans les Parliamentary Writs (1325, II,
712, j 21) ; envai s mes dans R^mer's Foedera (13 15, III, 635); des
prétérits en /, comme tciiisnies dans Rymer (13 11, III, 298),
ci smes Çmème recueil, 13 10, III, 220; 13 11, III, 362); surtout
des Prétérits en /// ; nous avons déjà vu que les deux premiers
exemples sont des prétérits appartenant à cette catégorie ; au
xiV^ siècle ils deviennent extrêmement communs ; ils sont surtout
fréquents vers 1360; et ces formes durent au moins jusqu'à la fin
du xiv^ siècle, par exemple le susincs des Documents inédits (1399,
502).
Cette s parasite est plus rare aux terminaisons féminines de l'im-
parfait et du conditionnel ; nous n'en avons relevé qu'un exemple
après la diphtongue ie dans le conditionnel porriesiues employé dans
Rymer's (1385, VII, 496).
Cette s se rencontre aussi mais assez rarement dans les Year
Books ; aucun des cas que nous avons lus ne peut être attribué
avec quelque certitude à une date antérieure au xv^ siècle ; aussi
est-il inutile de s'y arrêter.
(') La voyelle accentuée.
La voyelle accentuée est régulièrement l'une des quatre voyelles
0, pour les présents, a, i, it, pour les prétérits ; et la diphtongue
ie, pour l'imparfait, le conditionnel et l'imparfait du subjonctif;
faire présente la diphtongue ai, être (esmes) la syllabe es .
Nous allons maintenant examiner les différentes façons dont
varie cette partie de la terminaison, ou du thème pour les per-
sonnes fortes.
0. — L'anglo-français littéraire emploie de préférence comme
voyelle accentuée pour la première personne du pluriel du verbe
être au présent de l'indicatif la voyelle //, ce qui est conforme à la
phonétique anglo-française (et normande). La forme s mues se
trouve partout dans les textes littéraires, et nous pouvons l'ajouter
dès maintenant dans les autres.
Sommes n'est pas inconnu, tant s'en faut, mais il reste relative-
ment rare ; le premier exemple qu'on rencontre se trouve au vers 19
du Tristan de Thomas ; mais il se trouve dans le corps du vers, ce
qui importe peu ; de plus il appartient au fragment de Cambridge
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I73
et celui-ci, d'après de La Villemarqué, est de la fin du xiii'' siècle, et
en outre « n'offre aucun trait de l'orthographe anglo-normande »
(Bédier, II, 2). C'est assez dire que cet exemple n'a aucune valeur
pour nous.
On trouve somes dans Horn au vers 3668 ; il est plus ou moins
assuré par la rime pour la première fois dans les Dialogues Saint
Grégoire, somes Q. eiomes) 72 r° b. La forme se trouve par la suite
plus fréquemment, mais elle reste une graphie assez rare et est
toujours douteuse. Au contraire, pour les personnes faibles, // ne se
trouve que dans l'exemple de l'Estorie des Engleis et du premier
Appendice de Pierre de Langtoft.
La langue diplomatique fait un usage plus fréquent de 0 ; les
Rymer's Foedera en particulier montrent cette voyelle presque aussi
souvent que la forme avec n ; et cela est surtout vrai des formes
faibles pour lesquelles la voyelle 0 est beaucoup plus commune que
//. Les exemples qui montrent -tvnes sont environ quatre fois plus
nombreux que les autres.
La terminaison en -unies ne se rencontre guère qu'à un petit
nombre de présents, comme grantuuimes dans Rymer's Foedera
(1274, II, 33), aviimes dans Barth. Cotton (1295, 303) ; et, mais
ceci peut n'être qu'une coïncidence, nous n'en avons pas relevé
d'exemple après la fin du xiir' siècle.
Nous observons le même état de choses dans la langue légale :
// est assez fréquent pour le verbe être, surtout lorsque Ve muet
final disparaît ; 0 est environ trois fois plus employé pour les per-
sonnes faibles qui ne perdent pas leur e posttonique.
// et 0 sont, pour les premières personnes du pluriel qui nous
occupent maintenant, les voyelles toniques les plus importantes et
dans la plupart des auteurs les seules employées. Cependant nous
trouvons un certain nombre de graphies plus ou moins phoniques
pour représenter le même son vocalique. // est rarement écrit
('//, parfois /// vers la fin du xiV^ siècle ; par exemple on trouve
souilles dans les Royal Letters Henry III, 1261 (p. 169), soiiiiiits
dans les Rymer's Foedera (1348, V, 636); siiyiiies st lit dans le
même ouvrage (1378, MI, 193) et dans les Literae Cantua-
rienses (i 327, 242).
0 peut prendre la forme oe par exemple dans soeines (Pari. Writs,
1315, II, 427), ou eo : seomus (20 et 21 Edw. I", 336). Ces quatre
174 L HVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
formes, assez rares d'ailleurs, peuvent s'expliquer sans trop de dif-
ficulté.
Il est plus difficile de reconnaître une simple modification pho-
nique dans quelques formes isolées qu'on trouve déjà dans certains
auteurs du xiii'' siècle, mais qui peuvent être mises au compte des
scribes, comme : seines au vers 3271 de la Vie de Saint Grégoire,
et seiniis au vers 2309 de Dermot.
Cependant on trouve encore eiiies dans les Year Books : poèmes
(i I et 12 Edw. III, 303 ; 365), poems (3 Edw. II, 22 (A) ; 69 (Y) ;
133 (Y); 154 (Y) : 160 (Y), etc. Et ces exemples ont une cer-
taine valeur car ils se trouvent en grand nombre dans le ms. Y,
ms, assez soigné qui, selon Maitland, date de 13 12.
La voyelle /. — Nous n'avons relevé aucune variation dans la
forme ou les graphies de la voyelle tonique /.
La voyelles. — La voyelle a est assez fréquemment, au xiv^^ siècle,
écrite par an ; nous n'en trouvons aucun exemple dans les textes
purement littéraires pour cette raison que les prétérits de I à la
première personne du pluriel sont rarement employés ; tous ceux
que nous avons relevés sont réguliers. Nous avons cependant un
exemple de nu dans un des plus mauvais manuscrits des Proverbes
de Bon Enseignement (Bodley 425).
La langue politique, au contraire, nous donne un très grand
nombre d'exemples de cette graphie an, et c'est Rymer qui nous
fournit la série la plus complète. Le premier exemple date de la fin
du xiii'^ siècle : c'est mandannies, 1282 (II, 197) ; puis on rencontre
successivement loaunies, 1297 (II, 749), greanmes, envoiaumes (id.,
ibid.), et au siècle suivant chargeamws, 1323 (IV, 22), etc. Dans
les autres recueils les cas de an, quoique moins nombreux, se ren-
contrent encore assez fréquemment, comme par exemple, pour la
langue politique, dans les Parliamentary Writs, premier volume
enveiannies (1300, 341).
Nous nous bornerons à ces quelques exemples que nous venons
de citer ; il nous faut cependant faire remarquer que certains
auteurs et en assez grand nombre, de même que plusieurs recueils
de textes diplomatiques ne nous offrent aucun exemple de première
personne du pluriel du prétérit ; cela provient en grande partie de
ce que, en anglo-français, la distinction entre imparfait et prétérit
s'efface, et en particulier la première personne du pluriel de ce
LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL I75
temps est fréquemment remplacée par la personne correspondante
de l'imparfait ; ceci se remarque surtout dans les ouvrages littéraires,
alors que les textes qui n'appartiennent pas à la littérature sont
presque toujours réguliers.
La diphtongue ic. — Nous n'avons pas pour les différentes gra-
phies de cette diphtongue à nous occuper des textes Uttéraires qui
ne nous en donnent qu'un exemple. Dans les recueils diploma-
tiques, la diphtongue est relativement très bien conservée.
Au conditionnel, il est rare de trouver une autre graphie et la
forme normale est employée environ huit fois plus souvent que
toutes les autres formes réunies. Nous ne citerons plus de ces
formes régulières, nous avons déjà eu l'occasion d'en donner plu-
sieurs. La seule divergence qu'on puisse signaler est l'emploi de la
diphtongue ei qui se rencontre un certain nombre de fois et à une
date assez reculée (fin du xiii^ siècle) ; c'est ainsi que nous trou-
vons pîirreirnes dans les Rymer's Foedera (1297, II, 742).
A l'imparfoit de l'indicatif, la proportion de formes correctes
n'est plus aussi forte ; celles-ci sont même en nombre sensiblement
inférieur à celui des formes qui présentent la diphtongue ei, que
nous venons de signaler au conditionnel. On trouve ainsi esteiiiies
dans les Lettres de Jean de Peckham (1283, -159) ; dans les Lettres
de Canterbury (1341, 696) au moins deux fois ; pardoneiiues dans
Rymer's Foedera (1323, IV, 22). La diphtongue ei passe, assez rare-
ment, il est vrai, à <// comme dans estaimes qui se lit dans le premier
volume du Registrum Palatinum Dunelmense (13 13, 386).
Le seul exemple que nous ayons trouvé d'un imparfait du sub-
jonctif avec cette désinence montre la dipthongue ic. Ces variations,
d'un temps à l'autre, n'ont probablement pas la moindre impor-
tance ; c'est l'usage général qu'il faut considérer. En combinant les
résultats que nous avons trouvés aux différents temps, nous voyons
que les deux diphtongues ie et ei sont toutes deux fréquemment
employées, la première, qui est la plus régulière, restant la plus
commune. La diphtongue ie ne passe jamais à e, et (j/ très rarement
à ai, jamais à oi.
Dans les Year Books, la diphtongue ie ne se rencontre jamais ; on
ne trouve que ci et e\ ; cependant il nous faut encore signaler une
autre forme de cette diphtongue : oi est employée quelquefois, par
exemple ^zns estoimes (i et 2 Edvv. II, 156). ce qui est un dévelop-
pement très normal de la diphtongue.
lyé l'évolution du vrrbh en anglo-français
ai. — La forme forte de faire présente à l'origine la diphtongue
ai ; lorsque les deux diphtongues ai et ei se seront confondues, la
ïormc jeivies l'emportera sur la forme étymologique. Nous n'avons
relevé aucune rime prohante, mais il fiuit que la confusion ait eu
lieu un certain temps avant le commencement du xiii'= siècle,
puisque nous trouvons les Dialogues de Grégoire le Grand foimes
au fol. 8i v° a.
Cette dernière forme est rare.
es. — La graphie es persiste probablement pendant tout le
XII* siècle, puisqu'il la fin de ce siècle nous lisons csmcs (: pesmes),
au vers 959 de la Vie de Saint Gilles. Mais déjà dans les poèmes de
cette époque, nous trouvons la graphie ei, par exemple dans Jordan
Fantosme (au vers 495). Nous n'hésiterons pas du reste à attribuer
cette graphie au scribe (D, milieu du xiii'' siècle).
Il en est de même de l'exemple de Robert de Greiliam au
fol. 34 v°. Dans la seconde moitié du xiii^ siècle, c'est ei qui se ren-
contre toujours et eimes rime avec feiines, comme au fol. 82 r° de la
Satire sur le Siècle ; dans l'exemple que nous a fourni le poème de
Renaut de Montauban, la diphtongue est même écrite par ai. La
graphie parc simple est rare.
Cela correspond du reste exactement avec ce que nous avons dit
de l'amuissement de s devant une consonne, et à l'évolution des
diphtongues ei et ai.
Il y a dans la langue non littéraire un certain nombre de pre-
mières personnes du pluriel féminines qui, à première vue, pour-
raient sembler avoir une nouvelle terminaison, avec déplacement
de l'accent ; par exemple suffrismiu": qu'on lit dans les Lettres de
Jean de Peckham (1280, 102) \ feiseiues dans Rymer's Foedera
(1297, ïlj 749) j reqiiiesmes à^ns ce même recueil (1325, IV, 90);
fiesmes Aiws les Documents inédits (1396, 289).
Tous ces prétérits semblent avoir souffert un déplacement de l'ac-
cent, et l'avoir sur Vu ou Ve qui précède Vin ou 1'^ parasite. Il n'en
est probablement rien ; et nous avons affaire ici à des voyelles
épenthétiques ou svarabhaktiques, produites par le groupe conso-
nantique -sni, groupe qui peut être étymologique, comme dans
regtnesmes, ou dont 1'^ peut avoir une origine analogique, comme
dans suffrisumes.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 177
B. — Terminaisons masculines '.
Les terminaisons masculines peuvent prendre quatre formes
-ans, -ions, -iens, -ms.
Ici encore, nous aurons à nous occuper de deux questions entiè-
rement dilîerentes : l'extension de ces désinences, en sed)nd lieu les
formes qu'elles adoptent.
L'extension des formes masculines ne nous arrêtera pas longtemps
ici. Il nous suffira pour le moment de faire remarquer que ces ter-
minaisons affectent la grande majorité des premières personnes du
pluriel; qu'il est assez rare qu'une désinence ordinairement mascu-
line devienne féminine, et que du reste nous avons signalé tous les
cas que nous avons relevés de ce phénomène quand nous avons
traité des terminaisons féminines.
Il V a cependant une autre question qui pourrait nous retenir
plus longtemps, c'est la distribution des trois terminaisons : -ons,
-ions et -iens. Mais cette question nous a semblé appartenir plutôt à
l'étude des différents temps. Nous nous contenterons maintenant de
dire que la terminaison en -ions se trouve toujours à l'imparfait de
l'indicatif, nu conditionnel, assez irrégulièrement dans les subjonc-
tifs en iani et rarement dans les imparfaits du subjonctif. (Cf. ces
temps.) Nous nous arrêterons plus longuement sur les formes des
désinences masculines.
I. La voyelle nasale.
Ce qui caractérise cette désinence, c'est la présence à la dernière
syllabe d'une voyelle nasale masculine, suivie ou non d'une s. En
anglo-trançais, cette voyelle nasale a eu différentes graphies; ou
pour mieux dire nous trouvons naturellement pour cette terminai-
son toutes les graphies que l'anglo-français a données à la nasale de
() ouvert.
I. Ct". Lorentz, Die crstc Person pluralis des \'crbums in AltfVanzosischcn :
Mever-Liibl;e, Grundriss, 1, 366; Korting, I, 121 ; Paris, Romania, XXI, 559-560:
VII, 623; Vendryès, Revue critique, 1901-1902, p. 149; Ouvau, Remarques
(Mémoires de la Société Linguistique de Paris, 161); Rotlienburg, Die endung
-ons. (Archiv fur das Studium der neuercn Sprachen und Literaturen, 460.)
i~S l'hvolution du vekbe kn angi.o-i-rançais
L:i première graphie considérée souvent (et pas toujours juste-
ment) comme caractéristique de l 'anglo-français est celle en //.
Elle se rencontre spécialement au xii'' siècle, quoiqu'elle soit très
fréquente à n'importe quelle période de la littérature française d'An-
gleterre; c'est la seule qui soit employée dans le Cumpoz, le Voyage
de Saint Brandan, le Bestiaire. On voit ensuite une et, plus tard,
plusieurs autres graphies prendre place à côté de la graphie ii.
La première en date de ces nouvelles graphies est la graphie oui.
Nous la rencontrons pour la première fois à la rime ' dans l'Estorie
des Engleis de Gaimar : Jisoni (: Grégorium) (1023); savoiii ( : reli-
giom) (1039); lisoiii ( : Encarnacion); et conqueroms (4337), depar-
toiiis (4338) dans le corps du vers; les formes en h existent
toujours et sont plus ou moins fréquentes suivant les manuscrits,
ce qui nous ferait rejeter tous les exemples précédents au xiir siècle.
Dans Horn, cette seconde graphie est assez commune, l'auteur ou
le scribe emploie oin et //;/ indifféremment et fait du reste, comme
il est naturel, rimer entre elles les deux terminaisons : avron ( ; ba-
run) (150); departon ( : sermon): tenom ( : abandun) 3162 sqq. Le
scribe de Fantosme connaît cette forme, mais il ne l'emploie que
rarement; nous en avons compté en tout cinq exemples, contre une
trentaine de formes avec u. Elles sont plus fréquentes dans le Drame
d'Adam; il y en a près d'une dizaine; c'est ainsi que dans tous les
auteurs du xiir siècle, à partir de Gaimar, on trouve des exemples
plus ou moins nombreux et d'une date peu assurée de la terminai-
son -oni. Nous ne pensons pas que ces exemples appartiennent aux
auteurs, puisque les scribes de la même époque les ignorent entiè-
rement. Angier n'en connaît point d'autres, et désormais ces formes
seront plus communes^; le fait même semble si constant qu'il est
impossible désormais de l'attribuer uniquement aux scribes : Robert
deGretham, par exemple, l'emploie aussi fréquemment que la termi-
naison en //;on la retrouve dans Boeve de Haumtone (cf. vers iroi,
sqq.); dans William de Waddington, dans les Heures de la Vierge
où elle est assez fréquente. Dans l'Ordre de Bel Eyse elle est seule
employée et dans Wil. Rishanger elle domine (cf. 284, etc.).
Par conséquent, nous pouvons être assurés de deux faits :
1. Ces rimes du reste n'ont que très peu ou aucune valeur.
2. Ce fait peut encore nous pousser à mettre au compte des scribes la plupart
des exemples que nous avons rencontrés au xii^ siècle.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I79
I" Dans la première moitié du xir siècle, c'est n qui est la gra-
phie à peu près unique.
2'' A partir du commencement du xiii'^' siècle, peut-être à partir
de 1250 seulement, o devient très commun.
Nous pouvons rester dans le doute en ce qui concerne la période
intermédiaire; cependant, quoique nous trouvions des rimes dans
Gaimar, il est probable que le nombre des graphies en o prove-
nant des auteurs a dû être très petit et qu'elle n'a été employée que
vers la fin du siècle.
Il faut donc conclure que cette désinence n'a guère fait son appa-
rition en anglo-français qu'à la fin du xir" siècle, ou au commence-
ment du xiii^
Il est fort commun de rencontrer au xiV siècle la graphie oiiiii.
L'on sait que les écrivains anglo-français ont, dans plusieurs cas,
exprimé certaines voyelles nasales, comme au et on, en plaçant un
u entre la vovelle et la consonne nasale (cf. E. Busch, p. 12 sqq.
et 25; Stimming, p. 173 et p. 192; cf. aussi participe présent). Ce
n'est guère qu'à la fin du xiii^ et au xiV siècle que cela a eu lieu
pour la première personne du pluriel; mais à cette époque cette
graphie devient rapidement très commune. Les exemples sont
nombreux chez Pierre de Langtoft : avroiims, responomns , volotuits,
etc. (c{. I, 100 sqq.); clirroiiiiis (:Apolynus, lire Apolyouns) (I, 98,
25); voleiinis, onvunis, fiissomiis, etc., se lisent dans différents pas-
sages du même auteur. On peut aussi remarquer que c'est le meil-
leur manuscrit de cette Chronique qui emploie le plus régulièrement
cette terminaison. Dans l'Apocalypse, dans Walter de Bibblesworth
(134, 159 et passiiii), dans les Contes et les Vies de Saints de
Nicole Bozon, dans les Proverbes de Bon Enseignement (spéciale-
ment peut-être, ms. Arundel 507), dans les Chroniques de Nicolas
Trivet (ci. 62 v" et passiiii), dans le Poème du Prince Noir (vers
171, etc.), les terminaisons dans lesquelles le son nasal est exprimé
par ou sont extrêmement fréquentes. Mais il ne faut pas oublier
que toutes les différentes formes que nous avons vues ne sont, au
point de vue de la nasale, qu'autant de variantes d'un seul son :
celui de 0 nasalisé.
Les mêmes changements ou à peu près se trouvent dans les
ouvrages non littéraires. Il faut cependant remarquer que, soit
parce que les textes diplomatiques et autres que nous avons sont
l8o 1. 'ÉVOLUTION' DU .VKRRE EN ANGLO-FRANÇAIS
d'une date plus rapprochée de nous que les ouvrages littéraires, soit
pour quelque autre raison, nous ne trouvons pas dans les premiers
textes diplomatiques une période où la voyelle // est employée à
l'exclusion de toute autre, ou mt'me plus régulièrement que la
vovelle ('. Dans le premier volume des Statutes, les deux voyelles
alternent et il serait difficile de dire laquelle se trouve le plus sou-
vent employée. Dans les Parliamentary Writs, et dans les traités
des Rymer's Foedera qui correspondent à la même époque, la ter-
minaison en -oins, est certainement plus fréquente, sans être pour
cela exclusive. Au contraire, dans certains recueils de lettres, on
trouve à la fin du xiii'-^ siècle, majorité de terminaisons avec u:
dans les Lettres de Jean de Peckham jusque vers 1290, -unis (jim^
est pour ainsi dire la seule terminaison employée; il en est de
même des Royal Letters Henry III à la date de 1253. Quelques
années plus tard, il nous semble évident qu'il v a eu un certain
changement dans l'usage et la vovelle 0 se rencontre plus fréquem-
ment. Il ne faut peut-être attacher qu'une très médiocre importance
à ces variations qui dépendent des auteurs, des scribes et de la
fantaisie des uns et des autres; elles ne sont du reste que des varia-
tions orthographiques et correspondent toujours à un son unique.
La graphie par ou présente très peu plus d'intérêt; elle semble
avoir fait son apparition dans la langue non littéraire vers le com-
mencement du dernier quart du xiir' siècle; nous en relevons des
exemples dans des lettres de Jean de Peckham écrites vers 1283,
et cette diphtongue, qui n'a jamais été aussi employée dans la langue"
politique que les terminaisons en // ou en 0, se rencontre cependant
dans la plupart des recueils de textes. On en trouve un assez grand
nombre d'exemples dans les Rymer's Foedera (1290, II, 472), dans
les Parliamentary Writs (1297, I, di^, dans les Mem. Pari. 1305,
quoique assez rarement (comme § 388); plus souvent dans le Liber
Custumarum. En un mot, cette graphie dans la langue politique
n'est pas rare, mais elle n'a jamais supplanté les autres voyelles,
spécialement 0.
Citons encore, pour en terminer avec les textes politiques et
diplomatiques, la désinence où la voyelle 0 est répétée : par exemple,
le volooms des Rymer's Foedera (1308, III, 58); on trouve cette
graphie trois ou quatre fois et il est à croire que ce n'est pas autre
chose qu'un lapsus du scribe.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL l8l
On ne trouve guère dans les Year Books que o et //, rarement o/i.
L'on voit Jonc que la désinence en oitii{s) qui fait son apparition
vers la fin du xiir' siècle n'a pas eu l'extension qu'on lui a souvent
attribuée; elle peut être fréquente dans certains ouvrages, il se peut
aussi qu'aucun texte du xiv"^ siècle ne soit sans la montrer; mais en
somme, elle n'a jamais eu la régularité qu'a eue par exemple //;/
dans la première moitié du xii'' siècle.
Il nous reste, pour en finir avec les graphies de la nasale, à signa-
ler une désinence de la première personne du pluriel en oiiips moins
commune que toutes les autres.
Même en dehors de la lans^ue littéraire, ces terminaisons avec /'
sont rares : on n'en rencontre que dans les Literae Cantuarienses :
prioinps, osomps, fassoiiips sous la date 1363 (p. 914); quant aux
textes littéraires ils ne nous présentent qu'un nombre très restreint
de formes avec p; nous n'en avons relevé que dans le Ms 7 de
r Apocalypse, soioiiips (wers 316). On pourrait peut-être en trouver
d'autres exemples, mais ils sont certainement très rares.
On peut remarquer, à propos de cette terminaison, dans les Year
Books, un fait curieux; à partir de i et 2 Edw. II (ci. pp. 19,
88,. etc.) le verbe entendre prend à la première personne du pluriel
du présent de l'indicatif la terminaison avec p; cntendomps se ren-
contre très fréquemment (cf. par ex. 2 et 3 Edw. II, p. 106; dans
3 Edw. II (Y)); et dans la plupart des recueils, c'est le seul
verbe qui se présente sous cette forme; dans ceux où entendre
n'est pas le seul à fournir des exemples, les autres cas sont extrê-
mement rares; nous n'avons relevé que agardouips (2 et 3 Edw. II,
160), pkdoinps (3 Edw. II, 30). Il est curieux, et pour nous inexpli-
cable, de voir une terminaison réservée, sans raison apparente, à un
seul verbe.
II. La consonne finale.
I. Sa forme.
Conuue nous le verrons dans les pages suivantes, la plupart des
premières personnes du pluriel sont terminées par une sifflante;
nous allons dire tout d'abord un mot aussi bref que possible de la
forme de cette sifflante.
102 L EVOLUTION DU . VHKBE HX ANGLO-FRANÇAIS
Dans le plus grand nombre des cas cette consonne est s; mais
elle est parfois remplacée par -; ce ^ se trouve aux premières per-
sonnes à terminaison masculine à peu près dans les mêmes condi-
tions que pour les personnes à terminaisons féminines; on la
rencontre surtout après les terminaisons en on m, non pas qu^une
lettre entraîne l'autre, mais l'introduction de otin pour un et de ^
pour .s dans l'orthographe anglo-française a lieu à peu près à la même
époque. Nous n'avons relevé aucun cas de ^ employé après la ter-
minaison -icii.
2. Extension de Vs.
Une connaissance superficielle des textes anglo-français suffit à
montrer que les premières personnes du pluriel prennent l'^ ou la
rejettent de la taçon la plus irrégulière du monde. Nous allons,
dans les pages qui suivent, tenter de nous rendre compte de la pro-
portion des désinences sigmatiques et asigmatiques aux difiérentes
époques de l'anglo-français.
Un premier point se laisse constater tout de suite : le plus grand
nombre des auteurs montrent les deux formes, non seulement dans
le corps du vers, mais même à la rime suivant les nécessités de la
versification.
Cette première constatation doit déjà nous mettre en garde contre
la tentation de tirer des conclusions trop précises. Nous devons
nous contenter de marquer les lignes générales de l'histoire de Vs à
la première personne du pluriel; et nous verrons que, même dans
ces limites, cette histoire est assez curieuse. Elle peut se résumer
en ces quelques mots :
Vs se présente d'abord dans un grand nombre de désinences, et
quelquefois dans toutes; puis elle perd peu à peu du terrain au
point de devenir rare. Après avoir passé par un minimum vers 1250,
les personnes en i" deviennent de plus en plus nombreuses et
finissent par devenir la forme ordinaire de la première personne du
pluriel.
Les trois premiers poèmes du xir siècle se trouvent à peu près
au même point pour la question qui nous occupe. L'analyse des
premières personnes du pluriel nous montre, avec un certain degré
de certitude, que les formes sigmatiques prédominent. Le Voyage
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 183
de Saint Brandan, tout d'abord, n'en connaît point d'autres, et nous
ne nous arrêterons pas à citer des exemples tirés de ce poème.
Le Cumpoz et le Bestiaire sont moins réguliers, tous les deux
ont la rime des désinences étymologiques aussi bien que des termi-
naisons asigmatiques. Mais les premières sont beaucoup plus nom-
breuses (5/1 environ).
Nous trouvons par exemple comme terminaisons asigmatiques
dans le Cumpoz, apclum ( : équinoctium) au vers iS77; ( : raisum)
au vers 1371. Dans le Bestiaire, nous avons relevé au vers 113 :
ciiteiidum ( : raisun). Comme exemples de terminaisons ét\molo-
giques, citons dans le premier de ces ouvrages : dcDiiisternius. venus
( : leuns) vers 1666 sqq.; a pel uns (: leuns) 313 i et quelques autres :
dans le second avitiis ( : limuns) au vers 672 apelnns ( : nuns) au
vers 1 136.
Donc il semble à peu près certain que chez les auteurs qui ont
écrit entre 11 10 et 11 30 ou même plus tard, la forme sans .v reste
exceptionnelle.
Remarquons toutefois, avant de nous arrêter à cette conclusion,
que dans les deux ouvrages de Philippe de Thaïm, l'usage du corps
du vers diffère énormément de celui des rimes. La proportion totale
de toutes les premières personnes du pluriel sans distinction de
position n'est plus du tout celle que nous donnions tout à l'heure.
Les désinences sigmatiques ne sont plus que les 14 ''/o (dans le
Cumpoz) et les 13 '^/o (dans le Bestiaire) du total. Évidemment
puisque la tendance, comme nous allons le voir, de l'anglo-français
à cette époque a été de faire tomber 1'^, un grand nombre des dési-
nences asigmatiques doit provenir des scribes. Mais quel nombre ?
N'est-il pas probable que Philippe de Thaùn lui-même a écrit sans
s plusieurs de ces désinences ? Et puisqu'il n'hésite pas, le cas
échéant, à se servir à la rime des formes nouvelles, n'est-il pas
possible qu'il les ait employées assez librement ' dans le corps du
vers? Nous ne pouvons évidemment pas trancher la question et
nous devons nous contenter de signaler un fait : les désinences
sigmatiques dominent à la rime, — et une probabilité : elles ont pu
dominer dans le corps du vers.
I. On conçoit en" effet as>.cz facilement qu'un auteur « soigne» plus ses rimes
que le corps même du vers.
184 l'hNOLUTION du VHKBE ex ANGLO-l-RANÇAIS
Ceci montre bien que les jiroportions et pourcentages peuvent
facilement induire en erreur.
Ce qui pourrait nous faire croire que dans les poèmes de Philippe
de Thaùn, il faut (aire entrer en ligne de compte, non seulement
les rimes, mais aussi les personnes employées dans le corps du
vers, c'est que dans les ouvrages qui suivent le Bestiaire, nous
trouvons un état de choses qui s'accorde, non pas avec l'usage
que nous révèle l'étude des rimes, mais bien avec celui que nous
trouvons dans le corps du vers. Pour les Psautiers évidemment
nous pouvons accuser les scribes d'avoir supprimé des s; mais on
pourrait alors se demander pourquoi ils ne les suppriment pas tous.
Les deux terminaisons se rencontrent en effet dans ces traductions;
entre le Psautier d'Oxford et celui de Cambridge, nous trouvons
une légère différence — dans le premier les désinences sigmatiques
sont les 10 °/o du total — et les 12 % dans le second.
Mais plus frappant encore est le fait que le poème de l'Estorie
des Engleis proprement dit, qui n'est que d'une quinzaine d'années
postérieur au Bestiaire, ne contient aucun exemple assuré de la forme
en s. Nous ne trouvons celle-ci que dans une interrime : conqueroins :
deiiiandoDis au vers 4337. Il est vrai que l'épilogue, donné par deux
manuscrits (L et D), nous montre à la rime deux personnes sig-
matiques, (ipeliius ( : Saissuns) au vers 260, et lerniiits ( : nons) au
vers 282.
Comme on le voit, c'est fort peu. Et cette ignorance de la forme
étymologique est très significative dans un auteur comme Gaimar.
Par conséquent, pendant la première moitié du xii^ siècle, voici
ce que nous avons vu :
1° Un poème (le A'oyage de Saint Brandan) qui n'emploie que
les désinences étymologiques;
2° Deux poèmes (le Cumpoz et le Bestiaire) qui montrent une
grande majorité de ces désinences à la rime — et le contraire à
l'intérieur du vers;
3° Un quatrième poème (l'Estorie des Engleis) qui connaît à
peine la forme régulière;
4° Deux ouvrages en prose (le Psautier dOxtbrd et celui de
Cambridge) qui préfèrent la forme nouvelle de la désinence.
Nous conclurons que, pendant cette première moitié du xii^ siècle,
le nombre des formes régulières a décru, et, semble-t-il, très rapi-
LA PREMIÈRE PERSONNE DU PLURIEL 185
dément. Il est probable qu'au commencement de cette période elles
ont été très nombreuses, spécialement chez certains auteurs; mais il
est tout aussi certain qu'à la fin elles sont devenues rares.
Dans la seconde partie de ce siècle, les progrès de la forme asig-
matique sont visibles. Il faut cependant diviser en deux classes les
auteurs de cette période : quelques-uns, et ils sont très peu nom-
breux, préfèrent encore ou emploient communément la forme éty-
mologique; les autres l'ignorent ou à peu près.
Il faut citer parmi les premiers Jordan Fantosme: dans sa Chro-
nique les désinences sigmatiques se rencontrent huit fois à la rime ',
sur un total de 24 laisses en -uns; les laisses en -an sont un peu
plus nombreuses, nous en avons compté 29, et elles ne contiennent
qu'une première personne du pluriel diuui au vers 1573. Au reste
à l'intérieur du vers, nous n'avons relevé que des formes asigma-
tiques, et elles sont particulièrement nombreuses, environ une
soixantaine. Toutefois, étant donné le nombre de formes en s à la
rime, nous rejeterons sur les scribes les exemples qu'on trouve
dans le corps du vers et nous conclurons que Jordan Fantosme
emploie presque uniquement les formes étymologiques.
Le nombre de ces formes est déjà beaucoup moindre dans l'ou-
vrage que nous mettons dans la même classe que Fantosme, les
Quatre Livres des Rois. Plâhn, et nos chiffres concordent avec les
siens, trouve que les désinences sigmatiques forment les 48 % du
total.
Tous les autres ouvrages de la seconde moitié du xir siècle que
nous avons étudiés nous montrent un état de choses entièrement
différent. Le poème de Guillaume de Berneville sur la Vie de Saint
Gilles contient encore un certain nombre de formes régulières assu-
rées : il y a en tout dans ce poème 5 premières personnes du plu-
riel en -uns à la rime -, et trois interrimes en -uns '. On compte par
contre treize rimes en -un ■* et cinq interrimes >. Si nous comparons
seulement les rimes, les formes nouvelles forment un peu plus des
1. Cf. vers 600 sqq.; vers 1552 sqq.
2. Aux vers 864, 1026, 1682, 205), 5264.
3. Aux vers 749, 2419, 3403.
4. Au.x vers 297, 1371, 1909, 2573, 2594, 2840, 2843, 3170, 3216, 3406. 3453'
3793-
5. .Vux vers S15, 1945, 2489, 2817, 3367.
r86 l'évolution du verbe en anglo-français
71 % du total. La proportion ne change pas si nous faisons entrer
en ligne de compte, d'après leur graphie, les interrimes. Mais nous
ne savons pas si nous ne devons pas compter comme formes étymo-
logiques toutes les interrimes quelles qu'elles soient. On compren-
dra aisément qu'un scribe ait dans les interrimes supprimé des s qui
n'étaient plus usuelles à son époque, on concevrait plus difficilement
qu'il les eût ajoutées. Dans ce cas, les formes sigmatiques plus
toutes les interrimes seraient aussi nombreuses que les autres. Ceci
montre d'une fliçon concrète la vanité des pourcentages. Nous
croyons devoir nous en tenir à ce que peut nous montrer l'étude
des rimes proprement dites et conclure que probablement dans le
Saint Gilles les formes nouvelles sont plus employées que les
autres.
Dans le corps du vers d'ailleurs ce sont les seules employées.
Le poème de Horn ne nous offre aucune difficulté; les premières
personnes du pluriel sont nombreuses à la rime comme dans le
corps du vers, et partout elles présentent la désinence sans .s" ' .
Avant que de quitter le xii^ siècle, nous mentionnerons encore
deux auteurs auxquels nous attachons ordinairement une grande
importance; mais dans la question actuelle, leur témoignage ne
nous servira que fort peu.
C'est un état de choses tout spécial que nous montre la Vie de
Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking : la première
personne du pluriel n'y rime qu'avec elle-même et les cas d'inter-
rime sont communs -. Or, dans ces interrimes, comme dans le
corps du vers, la graphie est toujours la graphie -/////. Dans le
Sermon en vers de Guischart de Beauliu, nous ne rencontrons
aucune rime; quant aux formes qui sont employées dans le corps
du vers, elles ne montrent que très rarement la terminaison étymo-
logique '. Ne pourrait-on pas conclure de cette absence de rimes ou
de rimes significatives dans ces deux ouvrages à une hésitation ou
une ignorance de la part des auteurs ?
Quoi qu'il en soit, la marche générale de cette désinence pendant
la seconde moitié du xii^ siècle est encore assez claire. Quelques
1. Aux vers 150, 154, 136, 609, 1592, 1399 mss. C et O. — 2861, 287^»,
5025, 3027, 3928. 3156, 3162, 3164 mss. C et H.
2. Aux vers 225, 733, 1067, 1 loi, 1 1 17, 1807, 2051, 2145, 2627.
5. Au vers 352.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL lôj
auteurs préfèrent ou emploient la terminaison étymologique;
d'autres (comme Sœur Clémence de Barking et Guischart de
Beauliu) semblent hésiter à employer l'une ou l'autre: mais la
majorité des écrivains adoptent hardiment la forme nouvelle, quittes
— si la rime l'exige — à se servir de la désinence sigmatique.
Pour ce qui est du xiii'^ siècle, nous trouvons dans les premières
années de ce siècle, deux auteurs qui emploient d'une façon assez
régulière, sinon uniquement, la forme étymologique : Frère Angier
et Robert de Gretham.
Il est nécessaire^ à propos du premier, de hiirc quelques distinc-
tions : Miss Pope a trouvé que dans la première partie des Dialogues,
oin, c'est-à-dire la forme asigmatique prédomine, alors que ans est
plus fréquent dans le reste de l'ouvrage. Pour ce qui est de la Vie
de Saint Grégoire, où l'on n'observe pas de différence de ce genre,
on y trouve une grande majorité de formes sigmatiques, par exemple
dans le premier tiers du poème, on ne trouve la désinence sans s
que quatre fois : osoiii 507 ; feroiii 213 ; façoni 910 ; pciisoiu 940 '.
Il y a donc eu progression constante des formes sigmatiques dans
ces ouvrages.
Le second auteur dont nous devons parler maintenant, en aban-
donnant quelque peu l'ordre chronologique, c'est Robert de Gre-
tham. Les Evangiles des Dompnées nous présentent un état de
choses qui leur est particulier et qui les rapprochent des ouvrages
de Frère Angier. Chez Robert de Gretham, les deux terminaisons
se rencontrent également à la rime : responderuiii (: nun) 6 r° ;
ciifenduDi (: lessun) 8 r" ; ardiins (: oreisuns) 12 r" ; espenissous
(: oreisuns) 12 r°. Le nombre de terminaisons sigmatiques cependant
est moindre que celui des premières personnes sans s. Mais ce qui,
d'après nous, est digne de remarque, c'est que, dans les interrimes,
c'est-à-dire lorsque l'auteur n'a pas à se soucier d'ajuster ses termi-
naisons en vue de la rime, il n'emploie (lui bien plutôt que le
scribe) que les désinences sigmatiques.
Voici donc deux auteurs relativement corrects, qui nous montrent
jusque vers 1230 un nombre considérable de formes étymologiques
1. Avec s on trouve : rimes rendons (: oreisons) 988 ; avons (: oreisons) 1058 ;
srrons (: sermons)- 1 103 ; en interrimes irons : tnovons 663 ; criengons : dciissoiis
895 ; l'eions : sentons 1027, etc. ; dans le corps du vers : errons 6')j.
i88 l'évolution du verbe en anglo-français
assurées par la rimt et dont nous n'avons aucune raison de douter.
Au contraire, chez les autres auteurs du xiir siècle, on ne trouve
guère que la terminaison sans s. Simund de Freine, Chardri, les
auteurs du Saint Laurent, du Saint Thomas, du Saint Edmund, de
la Petite Philosophie, d'Edward le Confesseur, ne nous offrent pour
ainsi dire aucun exemple de désinence sigmatique, tout au moins à
la rime ; les autres sont au contraire assez communes.
\cvs le milieu du xiii^ siècle, nous voyons donc que la grande
majorité des auteurs abandonnent souvent entièrement la forme
sigmatique ; quelques-uns l'emploient encore : Robert de Gretham
par souci peut-être de correction, Frère Angier sous l'influence du
continent probablement. Mais la très grande majorité des auteurs
de cette période l'ignorent.
Ils précisent ainsi en l'accentuant la tendance du siècle précédent.
Pendant la seconde moitié du xiii' siècle et pendant tout le xiv%
nous observons un revirement qui ne laisse pas que d'être un peu
étonnant; pendant quelque cent cinquante ans, la forme sigmatique va
par saccades et à-coups, si l'on peut dire, regagner le terrain qu'elle
avait perdu pendant les cent cinquante années précédentes. Vers la
iin du xiii^ siècle, nous rencontrons un certain nombre d'auteurs
qui connaissent ou même qui préfèrent la désinence avec s. Dans le
Roman des Romans, nous ne voyons à la rime que des terminaisons
sigmatiques : poiuis (: lamentaciuns) 91 ; prisuus (: toisuns) ; dans
l'Ordre de Bel Eyse, il en est de même ; nous n'avons (à l'intérieur
du vers, d'ailleurs) que des terminaisons avec s : ilevoiii{ (169, 171) ;
avo)}i:{ 193 ; averoii^ 194.
Pour d'autres, les deux terminaisons s'équilibrent, comme dans
les Heures de la Vierge : reqnemvu (: don) 60 v° ; dioms (: mesons)
64 r°. William de Waddington a quelque chose qui lui est spécial.
Il a bien à la rime les deux terminaisons, et la terminaison asig-
matique est plus commune encore que l'autre : dcviim (: surnun)
68; savom (: illusion) 1142 ; mais ce qu'il y a chez lui de plus
étrange, c'est que les personnes en 111ns riment toujours en us ;
on trouve ainsi : veiuns (: geluz) 1594, 2 fois ; deviuns (: nus) 7280;
savioms (: nus) 7912. Ce même phénomène se retrouve dans le
sermon en vers, Deu le Omnipotent : seilns (: nus) 49 e '.
j. Peut-on, comme le fait Suchier, considérer que Vu de nus, gelus se nasalise
et rapprocher ces formes de nuns =r nus cité par Fichte, Fle.xion im Cambridger
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 189
Par conséquent, entre 1250 et 1300, les formes en s regagnent du
terrain et deviennent aussi communes que les autres.
Au xiv^^ siècle, les formes sigmatiques deviennent de plus en plus
nombreuses ; c'est la terminaison que nous trouvons ordinairement
dans l'Apocalypse, quoique aucune rime ne nous l'assure, ce qui,
dans le cas actuel, est peu nécessaire ; nous en trouvons une dans le
Siège de Carlaverok : dions (: lyons) 36 ; et de très nombreuses dans
Pierre de Langtoft. Dans cet auteur, les terminaisons asigmatiques
ne se rencontrent qu'à Tintérieur du vers, comme : êlisoni (II, 280,
12) (B et D) ; averomn (II, 94, 3), et encore elles sont rares,
tandis que les terminaisons sigmatiques sont très communes, à la
rime comme dans le corps du vers (cf. supra les exemples donnés
pour les terminaisons en 07/). Nicole Bozon, dans ses Contes comme
dans ses Vies de Saints et les Proverbes de Bon Enseignement, s'ils
sont de lui, emploie principalement les terminaisons avec s. Il est
même assez rare de rencontrer dans le corps du vers, dans les Vies
de Saints, par exemple, la désinence uni (cf. toutefois iissum 93 v°).
11 en est exactement de même des Chroniques de Nicolas Trivet et
du Prince Noir.
La question de la consonne finale des désinences masculines de
la première personne du pluriel est, comme on le voit, assez
embrouillée ; il est difficile d'extraire d'exemples nombreux autant
que contradictoires une idée générale sur le développement de cette
personne, si toutefois il y a eu réellement développement.
Une seule conclusion, semble-t-il, est possible. Les formes sigma-
tiques pendant tout le xir' siècle et la première moitié du xiiP' ont
progressivement perdu du terrain. Des exceptions se rencontrent et
ces exceptions sont importantes, puisqu'elles comptent des auteurs
comme Guillaume de Berneville peut-être, certainement Jordan
Fantosme et Robert de Gretham. Malgré tout, l'usage que suivent
ces auteurs reste exceptionnel.
Ce terrain perdu, les formes avec s le regagnent pendant le siècle
et demi qui suit, et le regagnent si bien que les formes asigmatiques
sont devenues extrêmement rares à la fin du xiV siècle.
Psalter, p. 88 ? Nous croirions plutôt voir dans ces rimesunc prouve que les Anglais
prononçaient diflFicilèment le son nasal ///;, et Tassimilaient non pas au son le plus
voisin (qui serait on ou in) mais, si on peut dire, à la «raphie la plus voisine //.
I90 L EVOLUTION DU VHRI5E EN ANGLO-FRANÇAIS
De plus, l'étude de Tanglo- français non littéraire nous donne le
meilleur des arguments en faveur de cette conclusion. Dans tous
les textes non littéraires que nous avons étudiés, textes qui datent
au plus tôt de la fin du xiii^ siècle, les formes sans s sont extrême-
ment rares. Les plus corrects ne nous en offrent aucun exemple,
comme les Statutes, les Parliamentary Writs et quelques autres, et
en admettant que quelques cas aient pu nous échapper, il n'en
restera pas moins vrai que ces formes ne sont qu'une exception.
Le seul recueil qui présente un certain nombre de terminaisons
asigmatiques est le recueil de Traités de Rymer. Voici les exemples
que nous avons relevés : veiion, porom, avom qui se trouvent l'un
après l'autre dans un texte de 1256 (i, 588) ; puis en 1276 donom
(l, 839). Enfin nous avons rencontré encore quelques autres exemples
analogues, six ou sept, à différentes dates du xiv^ siècle, le dernier
exemple datant de 1390 (VII, 667) ; on voit que ces quelques cas
sont disséminés sur une période d'environ 150 ans ; et ils semblent
être relativement plus fréquents pendant la dernière moitié du
xii^ siècle, ce que notre étude de la langue littéraire pouvait nous
faire prévoir.
Enfin, si nous comparons ce nombre de formes asigmatiques,
dans Rvmer lui-même, à celui des cas avec s, nous verrons que ces
derniers sont infiniment plus nombreux. Il en va de même pour
les autres recueils qui ont de ces formes sans s ; nous en rencontrons
deux ou trois cas isolés dans les lettres de Jean de Peckham pour
l'année 1283; dans les Historié and Municipal Documents of
Ireland sous la date 1292 (p. 209), au § 127 des Mem. Pari.
1305, etc.
Dans quelques ouvrages seulement leur nombre est sensiblement
plus considérable ; dans les Literae Cantuarienses, ils se trouvent
assez fréquemment avant l'année 1359 ; dans les Annales de Bur-
ton, leur nombre est environ le sixième du nombre total des pre-
mières personnes faibles. Enfin, dans les Royal Letters Henry III la
forme om est prédominante jusqu'en 1263. Si maintenant, au lieu
de considérer le détail des textes que nous avons étudiés, nous
jetons un coup d'œil général sur cette branche de la littérature
anglo-française, nous pourrons avoir une idée d'ensemble au moins
tout aussi précise que celle qui se dégageait des œuvres purement
littéraires. La forme asigmatique est connue et employée par un
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 19I
certain nombre d'écrivains ; c'est une forme qui est surtout abon-
dante pendant les dernières années du xiii'-" siècle, trait vraiment
anglo-français. Cela cependant n'empêche pas que la forme habi-
tuelle, même pendant le xiii'' siècle, ne soit la forme avec s. Pour
les Year Books, la question est très simple : jusqu'au recueil
21 Edw. !'-'■ inclus, c'est-à-dire jusqu'à la fin du xiii^ siècle, la forme
-oiu prédomine visiblement. A partir de 3 i Edw. I", c'est le con-
traire qui a lieu, ouïs (^) devient très commun et la forme asigma-
tique est de plus en plus l'exception. Dans Y, qui est de 13 12, cette
dernière est à peine les 17 "L du total.
On voit donc que, quoique la question soit fort embarrassée et
semble très embarrassante, insoluble même à première vue, tous
les textes anglo-français concordent et montrent que les formes
sigmatiques, après avoir passé vers 1250 par un minimum, ont fini
par devenir à la fin du xiV- siècle, la seule forme employée.
Terminaisons -ions. — La désinence -ions subit les mêmes modi-
fications que la désinence -oiis ; c'est-à-dire que la vovelle accentuée
est tantôt // tantôt 0 ; mais nous n'avons relevé aucun exemple de
oit avant le xiV' siècle. De plus, les mêmes variations se repro-
duisent en ce qui concerne la présence ou l'absence de Vs finale.
Un seul changement est particulier aux désinences en -ions ; les
différentes graphies sous lesquelles se présente la vo3'elle en hiatus.
Dans la grande majorité des cas, la vovelle / est conservée
intacte ; c'est la graphie la plus habituelle jusqu'à la fin du xiv-' siècle.
Quelquefois cependant la voyelle c se rencontre à la place de Vi
étymologique ; mais cette graphie est relativement rare dans les
ouvrages littéraires ; nous en relevons par exemple un cas dans
Chardri : csteyiim au vers 171 2 des Set Dormans, et il appartient
probablement au scribe (Cotton, Caligula A IX, seconde moitié du
xiiP siècle) ; le manuscrit O présente au même endroit eslcyoïis.
Cette dernière désinence qui montre une diphtongue est encore
moins commune dans les ouvrages littéraires que la précédente.
Nous la retrouvons par exemple dans le Saint Auban : estoiuiii au
vers 1538, et au vers 143 (w/cv///;/) de la Vie de Saint Panuce de
Nicole Bozon.
E, ci ou oi se rencontre au contraire très fréquemment en dehors
de la littérature- aux différents temps qui ont régulièrement Vi en
hiatus.
192 L EVOLUTION DU VRRRK EN ANGLO-FRANÇAIS
A l'imparfait de l'indicatif, c n'est pas très commun dans certains
textes. Voici quelques-uns des exemples que nous avons pu relever.
Dans les Mem. Pari. 1305, nous lisons csiaviis (au § 127); cette
forme se retrouve dans le premier volume des Statutes à la p. 191
(13 12) et dans le Registrum Palatinum Dunelmense (esteuncs).
On trouve encore dans les Literae Cantuarienses aveoms (^\t,i%,
47 j ^33^5 334) i poyeoDis employé deux fois dans une lettre
(n*^* 582) de 1385.
La diphtongue est plus commune à ce temps, et nous nous con-
tenterons de donner les formes les plus répandues. Estoious se lit
par exemple dans les Rymer's Foedera en beaucoup d'endroits, le
plus ancien datant de 1294 ' ; dans les Documents inédits à la date
de 1307, p. 19 et passim, dans les Literae Cantuarienses aux dates
de 1340 et 1341 (n°' 695, 697), etc.
D'autres imparfaits se rencontrent aussi, mais en moins grand
nombre, soldons dans les Statutes (1344, I, 303); faisoicns dans les
Rymer's Foedera (1360, VI, 107).
Nous retrouvons le même état de choses pour le conditionnel :
formes assez peu nombreuses avec c {barrcoDis de haïr dans le Regis-
trum Palatinum Dunelmense, 1312, I, 853); très nombreuses avec
la diphtongue : purroions dans Rymer's Foedera (1336, M, 83 ;
1367, VI, 584 ; 1391, VII, 092), ferroions (1383, VII, 409; 1388,
VII, 611) ; serroions, irroions, vcnoions.
Les autres temps au contraire prennent toujours la vovelle /, quel-
quefois (', mais nous ne les avons jamais rencontrés avec la diph-
tongue ci ou ('/.
Ces temps sont le présent du subjonctif de certains verbes, l'im-
parfait du subjonctif et quelques présents de l'indicatif.
Le présent du subjonctif le plus commun est celui du verbe
faire ; la forme faceoins se rencontre constamment ; nous ne pou-
vons pas citer tous les exemples que nous avons relevés et qui ne
sont qu'une partie des cas que l'on pourrait recueillir. On la ren-
contre dans les Statutes (I, 1340, 293); dans les Parliamentary
Writs (13 12, II, 44 ; 1312, II, 45) et un nombre de fois considé-
rable dans les Rymer's Foedera '.
1. Voici quelques autres références : 1294, II, 620; 1324, IV, 94; 1360, VI
256 ; 1361, VI, 345 ; 1362, VI, 393 ; 1373, VII, -, etc.
2. Faceoms, Rvmer's 1296, II, 714; 1331. IV, 459; 1339, VI, 116; 1362, VI,
367.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL 193
D'autres verbes encore se présentent au présent du subjonctif
sous cette forme comme deniorgeons dans Rymer's (1359, VI, 118) ;
establisseoms (id. 13 10, III, 853), âdresseoms (id., 1345, V, 439).
Il y a aussi un bon nombre d'exemples de l'imparfait du subjonc-
tit, mais c'est toujours l'imparfiiit du subjonctif du verbe avoir :
eusseonis est très commun '.
Nous pouvons enfin citer un petit nombre de présents de l'indi-
catif, comme mandcoms dans le deuxième volume des Parliamentary
Writs (1312,44) ; dcstiirheonies dans les Rymer's Foedera (1296,11,
714) ; delaisseoins (ibid., 1360, VI, 259) et quelques autres.
Ces quelques exemples de présents de l'indicatif avec e en même
temps que la rareté de cet e à l'imparfait et au conditionnel peut
nous amener à nous demander si cet e était encore senti comme un
équivalent de 1'/ en hiatus ; la question est douteuse et nous la
reprendrons dans notre 2" partie (Cf. 2" partie, chapitre III).
C'est aussi la voyelle / qu'on trouve le plus fréquemment dans la
langue légale, volioiiis (3 3 et 3 5 Edw. F"", m) ; perdrioms (3 Edw. II,
134 (Y) ; 160 (Y). Nous avons rencontré aussi, quoique assez rare-
ment, k voyelle c : csteoms (33 et 35 Edw. V', 315) et plus souvent
ei : aveiums (33 et 35 Edw. I", 467; 11 et 12 Edw. III, 113);
purreioin (20 et 21 Edw. I", 47), serreioms (11 et 12 Edw. III, 447) ;
évidemment on pourrait citer un grand nombre de cas montrant
cette diphtongue passant à oi.
Mais saut les exemples avec /, nous ne pouvons guère faire fond
sur les formes que nous présentent les Year Books.
Il nous reste encore à citer avant d'en venir aux terminaisons en
iens, une désinence qui se trouve assez rarement, mais trop souvent
toutefois pour qu'on la passe sous silence : la désinence en oins ; on
en trouve quelques cas dans les Rymer's Foedera : poyins (1282, II,
197) ; rcœiiessoyiis (1300, II, 867) et peut-être quelques autres ; on
relève encore dans les Mém. Pari. 1305 : piissoiiis (§ 127) ; dans les
Royal Letters Henry III : enveoins (1267, 3 11) répété deux fois.
On pourrait se demander tout d'abord si cette nouvelle désinence
n'est pas une erreur cléricale pour la terminaison beaucoup plus
I. Eusseonis, Pari. Writs 1324, II, 677 ; 1525, II, 677 ; en 1325, pp. 692-693 ;
dans sept lettres consécutives, sur neuf I. S. d'avoir quatre en -eoins ; Rymer's 15 10,
m, 8)5 ; 1326, IV, 188.
13
194 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
commune ions ; nous ne le croyons pas ; il serait plus vraisemblable
peut-être que cette terminaison ne fût qu'une variante ou un déve-
loppement irrégulier de la terminaison oioiis, ou une désinence
spéciale (cf. 2^ partie, chapitre III).
Il nous sera permis de considérer la terminaison de ces quatre
exemples comme ayant une individualité distincte.
Chute de la voyelle dans les désinences niascnlines en ons. — Il
arrive que la voyelle tonique de la terminaison disparaisse quand
elle est en hiatus avec la voyelle du thème ' ; les cas de cette
sorte ne sont pas très communs, nous avons pu cependant en rele-
ver un certain nombre dans les ouvrages non littéraires ; le cas le
plus fréquent est celui du verbe pouvoir qui fait fréquemment à
la première personne du pluriel du présent de l'indicatif ptw^ ; nous
rencontrons cette forme par exemple dans le Registrum Palatinum
Dunelmense (1312, 191); dans les Literae Cantuarienses (1350,
560) ; enfin, dans les Rymer's Foedera, passim, pendant la seconde
moitié du xiv^ siècle. Il est plus rare de rencontrer la même syné-
rèse pour d'autres verbes ; et il y a pour cela une excellente raison,
c'est qu'il n'y a que peu de verbes qui peuvent présenter un" hiatus
entre deux 0 ; et s'il y en a, ils ne sont pas employés à la première
personne du pluriel aussi souvent que le verbe pouvoir. Nous n'avons
pas trouvé d'autre exemple de contraction de 00 en 0 ; mais il y a
quelques cas où nous voyons la voyelle accentuée 0 disparaître après
la diphtongue ai (é/). C'est ce qui explique des formes comme
seims pour seioms dans Rymer's Foedera (1322, 924, vol. III) ; ou
eyms pour eions dans les Literae Cantuarienses (1361, H76) ; et à
l'indicatif t'/7ir//;/5 pour enveioms dans les Annales de Burton (1258,
1155)-
Ces formes sont assez rares, et elles ne se trouvent que dans des
textes d'une correction assez douteuse ; par conséquent, il ne faut
pas leur attacher une trop grande importance, en soi. Mais elles
pourront nous éclairer sur certaines tendances de l'anglo-français,
et jointes à des formes analogues, elles nous fourniront peut-être
des indications précieuses.
I. Il semblerait plus naturel de dire que c'est la vo3elle du thème qui disparaît;
si nous ne le disons pas, c'est que la distinction n'a que peu d'importance. La
forme sous laquelle nous exposons la contraction poons pons nous permet de traiter
en même temps la contraction seioms seims.
LA PREMIERE PERSONNE DU PLURIEL I95
La terminaison (f)ens '. — La terminaison ie^is est très rare
dans la langue littéraire ; on ne la rencontre que dans un ouvrage
qui n'est pas entièrement anglo-français, le psautier d'Oxford ; il
nous donne deux subjonctifs en em : exhalciem et hem, -q 19, et
deux subjonctifs en iam : poissieni et desserviem, 0 6. Eiens, que
nous lisons dans les Distiques de Caton d'Everart de Kirkham (91 d),
est trop isolé dans la langue littéraire pour n'être pas une erreur
matérielle du scribe.
Il est donc impossible d'établir le moindre rapport entre ces
deux formes isolées et d'un anglo-gallicisme douteux et les formes
si nombreuses que nous allons voir dans les œuvres non littéraires.
La seule conclusion possible est que l'anglo-français littéraire n'a
pas connu ces formes.
Il en va tout autrement pour les ouvrages politiques, diploma-
tiques et familiers.
On trouve cette désinence sous deux formes et elle est employée
à quatre temps différents. Les deux formes sont la forme avec / et
la forme sans i, les quatre temps sont l'imparfait de l'indicatif, le
conditionnel, le présent du subjonctif en iani, enfin l'imparfait du
subjonctif.
Les imparfaits de l'indicatif en iens et en oiens (cf. supra) ^,
sont extrêmement nombreux ; le premier exemple que nous ayons
rencontré se place à la date de 1294. Nous le lisons dans les Rymer's
Foedera, voliens, vol. II, 620 ; ce même verbe se trouve répété
sous cette forme un certain nombre de fois ; dans Rymer d'abord
(1294, II, 620 ; trois fois ; 1304, II, 946), dans les Parliamentary
Writs (1324, II, 679; 1325, II, 694; 1325, II, 713; 1325, II,
721), et dans différents autres ouvrages. Nous trouvons aussi avec
la même terminaison l'imparfait du verbe être : estiens et estoiens ;
celui du verbe avoir, avicHs (Pari. Writs 1325, II, 722) et les
termes teniens, venieiis, votiliens, savicns, convoitiens, fntetidiens, main-
lenîens qui se trouvent toutes dans Rymer's Foedera à des dates
variant de 1294 à 133 1.
Pour l'imparfait de l'indicatif, nous ne trouvons aucune désinence
en eus.
1. Cf. G. Paris, Rom., XII, pp. 559-360. Vendryès, Revue critique, 1901-2,
149 sqq.
2. Après ce que nous avons dit, nous n'insisterons pas sur la diplitongaison de I'/.
196 l'évolution du verbe en anglo-françals
Le conditionnel nous fournit un nombre presque aussi considé-
rable d'exemples, la plupart cependant ne se rencontrent que dans
les Rymer's Foedera. Le premier exemple de cette terminaison pour
le conditionnel se place à la date de 1294 ; c'est averiens (II, 620);
les quatre conjugaisons sont représentées dans la liste d'exemples
que nous avons sous les yeux ; pour la première, nous avons accor-
driens (1299, II, 834), passeriens, enverriens ; pour la seconde, acm-
plenens (1297, II, 749), har riens \ pour la troisième, averiens que
nous avons déjà cité, porriens, verriens, voiirriens, ce dernier est très
fréquent; pour la quatrième serriens (1297, ^I» 79^)' fërriens. Il est
remarquable que les verbes de III et de IV se trouvent avec cette
forme beaucoup plus fréquemment que ceux des autres conjugaisons.
Le dernier exemple de ces conditionnels se trouve à la date de 1385.
Le conditionnel ne nous offre qu'une seule forme d'où l'i ait dis-
paru, purrenis qui se trouve dans les Literae Cantuarienses 1360,
872, où elle est répétée.
Les subjonctifs en iam ne présentent qu'un nombre assez restreint
de terminaisons en iens, et ces terminaisons sont limitées à être,
avoir, pouvoir et vouloir : soiens dans les Rymer's Foedera (1299,
II, 833); aiens (ibid., 1378, VII, 201^ ; peu s siens (ibid., 1297, II,
770); veulliens (\\:)\à., 1369, VI, 644).
Les dates extrêmes que nous avons pu relever nous sont encore
données par les traités de Rymer : ce sont 1297 et 1378.
Les formes sans / ne sont pas, cette fois encore, sensiblement plus
nombreuses ; le recueil de Rymer nous en fournit deux et il est le
seul qui en ait ; ces deux formes sont : ptiissens (1299, II, 834) et
peussens (13 10, III, 217).
L'imparfait du subjonctif a autant de formes en iens que deux
quelconques des temps que nous avons examinés ; et, quoiqu'elles
y soient plus nombreuses qu'ailleurs, elles ne sont pas limitées au
seul recueil de Rymer, comme c'était le cas pour le présent du
subjonctif Le premier exemple qu'on en trouve se lit dans le pre-
mier volume des Statutes, eiissiens 1297 (124), où il est répété
deux fois ; cette même forme se lit encore dans Rymer et à la
même date (II, 764, 800) et par la suite devient extrêmement
commune ; on la trouve de même dans les Parliamentary Writs
(1325, I, 694), et un grand nombre d'autres recueils l'ont aussi.
Aucun autre verbe ne pourrait montrer le même nombre d'exemples
LA PREMIÈRF. PERSONNE DU PLURIEL 19-
que le verbe avoir, quoique plusieurs se trouvent assez fréquem-
ment, comme le verbe être, fcussiens (ParïiamemâTy Writs, 1360,
I, 184, Rymer's 1303, II, 92^, etc.). Cette désinence se montre
moins régulièrement aux autres verbes, quoique, ici encore, toutes
les conjugaisons soient représentées.
Comme on le voit, c'est dans les traités de Rymer que nous
trouvons toujours les premiers en date des exemples que nous avons
à citer, et il est assez curieux que l'année 1297 dans Rymer comme
dans les Statutes soit celle qui marque l'introduction de cette forme.
Dans les Parliamentary Writs, nous pouvons relever un certain
nombre de cas montrant la chute de 1'/ en hiatus à ce temps ; ce
sont tous des imparfaits du subjonctif d'être et d'avoir: enssei/i
(1299, I, 319 et 321 ; 1325, II, 602) et deux autres fois pour le
verbe être : feussems (1300, I, 340). Il y a cependant un exemple
encore pliis ancien que ceux-là, il se trouve dans les Actes du Par-
lement d'Ecosse, eiisseiiis (1233, I, 479).
On rencontre aussi sporadiquement cette terminaison à un cin-
quième temps, le présent de l'indicatif : poeins est encore assez
répandu, on le trouve dans Rymer's Foedera (1297, II, 766 ; 1324,
IV, 627 ; 1342, V, 346) et dans les Literae Çantuarienses (1322,
76,2 fois). Ce dernier recueil nous donne même un autre exemple
pour un verbe de / : doutens (1341, 696), qui pourrait bien cette
lois n'être qu'une erreur du scribe, un lapsus calami ; mais on ne
peut se débarrasser aussi facilement des nombreux exemples que
nous avons cités provenant du verbe pouvoir.
Nous pouvons maintenant combiner les renseignements qui nous
sont fournis par les différents temps qui montrent cette désinence.
Nous verrons d'abord qu'elle présente presque toujours un /, et
qu'on pourrait expliquer les formes sans /, puisqu'elles sont assez
nombreuses, par l'ignorance ou la négligence des scribes ; en second
lieu ces terminaisons ont fait leur apparition vers la lin du xiir^ siècle;
les témoignages des différents textes sont si concordants qu'on
serait tenté de donner à cette apparition une date exacte, celle de
1294 ; mais ce serait quelque peu aventuré. Ces formes ont duré pen-
dant tout le xiV^ siècle, elles semblent avoir été le plus nombreuses
dans le premier tiers de ce siècle, quoique cela encore puisse bien
n'être qu'une coïncidence ; il est certain toutefois que ces formes
deviennent de plus en plus rares dans le dernier quart du xiv^ siècle.
198 l'évolution du verbe en anglo-français
Le temps qui a pris cette désinence le plus volontiers, est l'impar-
fait du subjonctif; puis le conditionnel, enfin l'imparfait. En der-
nier lieu, vient le présent du subjonctif; quant au présent de l'in-
dicatif, il est inutile d'en parler ; la désinence irrégulière en -eus
n'affecte qu'un verbe à ce temps, pouvoir.
CHAPITRE V
LA DEUXIÈME PERSONNE DU PLURIEL
DESINENCES FEMININES
Nous distinguons, comme nous l'avons déjà fait pour la première
personne du pluriel, les deuxièmes personnes du pluriel en deux
classes suivant que leur désinence contient ou non une voyelle
muette posttonique.
Comme pour la première personne du pluriel les désinences
féminines peuvent appartenir à une forme forte ou à une forme
faible ; ce sont du reste les mêmes verbes, être, faire, dire ', qui
prennent la forme forte, mais il n'y a qu'un seul temps qui ait la
terminaison féminine faible.
Le parallélisme entre les deux premières personnes du pluriel ne
s'arrête pas là ; dans les pages qui suivent, nous allons rencontrer
presque toute la série des phénomènes qui ont déjà arrêté notre
attention au chapitre précédent. Et c'est pour cette raison que nous
traiterons les différentes questions qui s'y rapportent plus succinc-
tement que nous ne l'avons fait.
I. Extension.
Nous devrons donc d'abord dire un mot de l'extension des formes
féminines à la deuxième personne du pluriel. Les désinences faibles
sont toujours régulières et ne nous arrêteront pas ; les désinences
fortes ne montrent pas la même régularité.
Comme dire et faire abandonnent la forme forte à la première
personne du pluriel, il leur arrive, quoique moins souvent, de
devenir faibles à la deuxième. Ceci est surtout vrai de dire.
r. Pour faites, dites on peut voir Neumann, Zeitschrift, II, 158.
200 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Die^ n'est pas rare et remonte au moins aux premières années
du xiii" siècle, comme en fait foi l'exemple que nous en relevons au
vers 119.] de la Vie de saint Grégoire, exemple isolé, mais signi-
ficatif. Moins sûr est le die;;^ que nous lisons dans le Petit Plet de
Chardri, au vers 1418. C'est encore la forme fiible que l'auteur (ou
le scribe) de Boeve de Haumtone emploie au vers 3302, et qu'on
retrouve dans la Plainte Notre-Dame, au vers 96 (impératif) et au
vers 211 de l'Erection des Murs de New Ross. Un exemple à la
rime (: volez) se lit au vers 2286 du Manuel des Péchés de William
de Waddington, et ce même auteur en présente un autre exemple
dans le corps du vers 1103 ; mais cette dernière forme est douteuse;
venant après si, elle peut être un subjonctif.
Au xiv^ siècle, die:(^ devient très commun ; l'Apocalypse, Pierre de
Langtoft et Nicolas Trivet nous en fournissent des exemples.
Quant à maudire, la forme faible est la forme ordinaire (cf. ninii-
disse:^ au vers 873 du Petit Plet).
FaiscÂ^ est très rare ; nous n'avons de cette forme aucun exemple
assuré : le seul cas que nous puissions citer est donné par le ms. A
de la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 246, 9) ; les manuscrits
B C et D donnent tous les trois feïsses qui est préférable à tous
les points de vue.
Être ne prend jamais la forme faible.
L'anglo-français non littéraire, au contraire, garde avec la plus
grande régularité les formes fortes ; nous n'avons relevé qu'un seul
exemple, où une forme faible ait pris la place d'une forme forte :
faceti dans les Chroniques de Saint-Alban (1326, 225); et cette
forme est d'autant moins étonnante que c'est un impératif. Ce
passage à la forme faible se trouve pour dire dans les Year Books,
mais il est à remarquer que die:^ ne s'y rencontre guère qu'à l'impé-
ratif ; de sorte qu'il est plus naturel de voir dans cette forme comme
dans les exemples analogues que nous venons de citer, un des
résultats de l'influence du subjonctif sur les autres modes.
Ajoutons que cette régularité est peut-être expliquée, en partie
tout au moins, par le très petit nombre de secondes personnes du
pluriel fortes qu'on rencontre dans les textes anglo-français diplo-
matiques et politiques.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 201
II. Les formes de cette terminaison .
a) La consonne finale.
La consonne finale est généralement s ; :^ fait son apparition dans
la Folie de Tristan et le Saint Gilles qui ont tous les deux este;^,
respectivement aux vers 264 et 2015. Cette graphie est très rare au
xii^ siècle et ces exemples peuvent être mis au compte des scribes ' ;
car ce n'est qu'au xiv'^ siècle que nous trouvons un nombre asse-z
considérable d'exemples de cette graphie ; ceux qu'on relève au
xiii'^ siècle, fête- de Boeve (791), de Dermot (2073), de Walter de
Bibblesworth (154) sont en somme très clairsemés.
Au siècle suivant, on rencontre au contraire la forme le~ qui
devient pour certains auteurs la graphie habituelle : il semble inutile
de remarquer que ce changement de graphie ne correspond pas à
un changement dans l'accentuation, les nouvelles formes ne rimant
jamais en é fermé.
Cette graphie est aussi fréquente dans les textes non littéraires,
et on pourrait dire que, à partir du commencement de la seconde
moitié du xiv^ siècle, elle est devenue la graphie prédominante; cela
est surtout vrai pour les Year Books.
On peut donc considérer que les premiers exemples de cette
graphie remontent au moins à la fin de la première moitié du
xiii^ siècle. Elle est donc, semble-t-il, sensiblement plus ancienne
que la graphie correspondante de la première personne du pluriel.
Il n'est pas rare de voir tomber à cette personne la consonne
finale : le premier exemple que nous en ayons remonte à une date
assez ancienne, c'est le dite du psautier d'Arundel (10, i). M. Meyer-
Lùbke - a voulu expliquer cette forme isolément : il y a cependant
dans les textes anglo-français un nombre assez considérable d'exemples
analogues, et si nous n'en trouvons pas d'autre au xii'^ siècle, les
siècles suivants nous en fournissent plusieurs. Nous relevons par
exemple dans Boeve : este (2216), dite (1964), veuiste (611) dans
Pierre de Langtoft : maiste (II, 438, 22), este, dans l'Evangile de l'En-
fance (ms. O 206, c) dans Foulques Fitz Warin : iins(]iiite(jo^); dite
I. Ms. Douce d. 6, milieu du xnie siècle ; ms. du Saint Gilles, xiii'-" siècle.
■ 2. (jrammatik. p. 40,$ 32.
202 LEVOLUTIOX DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
dans le ms. A de l'Ipomédon (vers 2995), pour n'en citer que
quelques-uns dans la langue littéraire.
Les exemples sont assez rares dans la langue politique et diplo-
matique ; nous avons cependant : este dans Rymer's Foedera (135 1,
V, 709) ; ils sont un peu plus communs dans la langue légale, por-
tate(2i Edw. \^% 121), fête (30 Edw. P^ 141), este (14 Edw. III,
313)-
Il nous semble difficile d'étendre à toutes ces formes l'explication
proposée par M. Meyer-Lûbke, et trop facile de les ranger dans la
classe, qu'on est peut-être tenté d'agrandir outre mesure, des lapsus
calami. Nous tenterons dans notre seconde partie de donner une
raison phonique à cette chute de Vs.
h) La voyelle atone.
A ces personnes, comme partout ailleurs, la voyelle atone post-
tonique est ordinairement exprimée par e; à partir du xiii^ siècle, on
rencontre assez communément la voyelle / avec la même valeur,
surtout pour les formes faibles. Citons pour les fortes : eslis au second
vers de la Lumière as Lais; pour les faibles : tuastis dans Boeve
(2216) ; commandàstis au vers 19 de la Lumière as Lais; descenâislis
dans Boeve (1247, D) ; tenistis, ibid. (vers 1716), etc.
Cet i se rencontre aussi dans les textes diplomatiques et familiers,
par exemple pari astis dans les Literae Ccntuarienses (1336, 593).
C'est surtout dans les Year Books qu'on peut relever cette graphie :
eytis (: êtes) (21 Edw. l", 283; 11 et 12 Edw. III); seysiiis
(30 Edw. P", 91); coniastis (31 Edw. l", 297).
Dans ce dernier recueil, ces terminaisons sont des plus com-
munes.
Les exemples de la langue littéraire nous montrent que cette
substitution de / à Ve muet ordinaire ne doit pas remonter plus
haut que les premières années du xiv^ siècle, ou les dernières du
XI^^
c) Chute de la voyelle atone.
Il n'est pas très rare, au moins dans les textes non littéraires, de
trouver des exemples de désinences féminines de la seconde per-
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 203
sonne du pluriel d'où la voyelle posttonique a disparu ; on trouve
par exemple pour les personnes (ortes fait -^ dans les Rymers's Foedera
(1330, IV, 453), et dans les Annales de Saint- Alban (1320, 74).
Les exemples sont plus nombreux pour les personnes faibles ; ces-
sai â^ dans les Literae Cantuarienses (1357, 636); donaf:( et mandat^
dans les Documents inédits (1382, 231); mais tous les exemples
que nous en avons relevés se trouvent dans la dernière partie du
xiv^ siècle.
Nous en rencontrons plusieurs exemples dans les Year Books :
feffati (^oEdsv. I-, 191) ;/e/- (30 Edw. I-, 75,247, etc.); suppo-
sais (31 Edw. I", 361); ets (33 et 35 Edw. I", 471, etc.); toutes
ces formes sont de dates très incertaines.
Nous avons trouvé à deux reprises la deuxième personne du plu-
riel du présent de l'indicatif de être sans la dernière syllabe : est dans
Boeve au vers 1683, et dans la Genèse Notre-Dame 79 r°.
Ces deux exemples sont isolés dans la langue littéraire et cette
forme est inconnue à la langue politique, diplomatique et familière,
et ne se retrouve plus que dans la langue légale (par exemple dans
30 Edw. P"", 3) et passim.), où elle estassez fréquente.
d) Le premier s de la désinence.
La deuxième personne du pluriel du verbe être et toutes les
deuxièmes personnes du pluriel féminines faibles ont une s après la
voyelle tonique. Cette s appuyant le / était destinée à disparaître
comme elle le fait dans la désinence en ist de la troisième personne
du singulier. Malheureusement ici, nous sommes en présence de
deux difficultés : d'abord, nous ne pouvons trouver que des inter-
rimes, ensuite ces secondes personnes sont très peu nombreuses.
Nos conclusions ne pourront pas comme précédemment s'appuyer
sur un nombre suffisant d'exemples bien attestés.
Le premier cas de la chute de s que nous trouvions dans la langue
littéraire se lit au vers 11 38 du Saint Gilles : Jutes; cette même
forme se trouve encore au vers 4697 du Manuel des Péchés. On
rencontre dans la Lumière as Lais, vers 17 et 21, commandatis,
ahurnates. Il est vrai que tous ces exemples peuvent appartenir aux
scribes (seconde moitié du xiii= siècle).
Mais ce qui prouve bien que pour l'auteur ou le scribe de la
204 L EVOLUTION DU VEUBl- EN ANGLO-FRAKÇAIS
Lumière as Lais Vs n'a plus dans cette position qu'une valeur con-
ventionnelle, c'est que — à quelques vers de distance — ces deux
mêmes verbes apparaissent encore, mais sous la forme étymolo-
gique : commandastis au vers 19, ahurnastcs au vers 26.
Postérieurement à ce poème, les exemples de la chute de s
deviennent (relativement au nombre de ces personnes) fort com-
muns pour les désinences faibles. Ils sont au contraire très peu
nombreux pour le verbe être. Les quelques exemples qu'on relève
de la forme êtes (Nicolas Trivet : ete^, 47 r°) se trouvent dans les
ouvrages de la fin du xiv" siècle et peuvent par conséquent prove-
nir des scribes du siècle suivant.
Faire au contraire ' prend assez tôt et fort souvent une s à
laquelle il n'a aucun droit. Le premier exemple que nous ayons
rencontré de la forme (estes se lit dans le Boeve de Haumtone au
vers 2061. Il est vrai qu'il peut être dû au scribe et appartenir au
xiv^ siècle. A cette époque du reste, nous en relevons plus d'un
exemple, dans Walter de Bibblesworth (1-13), dans Pierre de Lang-
toft (II, 78, 18), dans Nicole Bozon, etc.
Surtout certains textes non littéraires préfèrent /cy/t'j à la forme
régulière (cf. Rymer's Foedera et Letters from Northern Regis-
ters).
è) La voyelle accentuée.
Nous n'avons que très peu de remarque à faire sur la voyelle
accentuée des deuxièmes personnes du pluriel féminines.
I. Les Faibles.
Le seul changement dont nous puissions faire mention atteint la
voyelle a des prétérits en avi. Vers la fin du wW ou au xiv^ siècle
elle est parfois écrite au : par exemple dans Robert de Gretham, on
lit portùiistes et trovatistes (au fol. 62 v") ; William de Waddington,
dans le Manuel des Péchés, vers 3555, fliit rimer rcne'uuisles avec une
désinence en astes.
En dehors de la littérature cette graphie est commune, surtout
dans les moins corrects des recueils; les Year Books en particu-
I . Nous !)"avon.s relevé aucun exemple de ilistcs .
LA DEUXIÈME PERSONNE DU PLURIEL 205
lier en présentent de nombreux exemples. Mais ils semblent tous
assez tardifs.
2. Les Fortes.
Nous n'observons pour les personnes fortes que les changements
phoniques qu'on rencontre, non seulement dans le verbe, mais à
toutes les autres parties du discours ; par conséquent, les variations :
faites, feites, fctes, dont nous avons cité de nombreux exemples,
sortent de notre sujet.
Il en est de même d'une autre graphie, plus rare du reste, cites
pour estes. Cette graphie ne se trouve pas dans les œuvres littéraires
et n'apparaît que dans les textes politiques les moins réguliers, par
exemple dans les Letters from Northern Registers, ou dans les Year
Books (21 Edw. I-, 283).
Le verbe être prend aussi, rarement du reste, à cette personne la
ioxme yestes (2 syllabes) au vers 2935 du Prince Noir, probablement
sous l'influence de ies.
TERMINAISONS MASCULINES
Les deuxièmes personnes du pluriel à désinence masculine se
présentent sous trois formes :
a) La forme ^^ et ses variantes :
b) Eii^.
c) kl.
On voit donc que toutes les désinences masculines de la deuxième
personne du pluriel ont un caractère commun, celui d'être termi-
nées par la consonne ^ ; elles diffèrent dans la nature de la voyelle
accentuée. Nous commencerons donc par ce qui leur est commun,
la consonne finale, et nous étudierons ensuite la voyelle dans cha-
cune des terminaisons.
A. La consonne finale.
I. Ses formes.
■ La consonne fmale des deuxièmes personnes du pluriel taibles se
2o6 l'évolution du verbe en anglo-français
présente à nous sous diverses formes. La forme correcte en i\ est
aussi la plus fréquente et on la trouve pendant les trois siècles de la
littérature anglo-française.
Elle est unique au xii* siècle et reste la désinence la plus
employée dans les deux autres. On trouve cependant assez tôt le
\ remplacé assez irrégulièrement par d'autres consonnes, qui ne
sont jamais rien de plus que des variantes graphiques. Les diffé-
rents changements que nous allons signaler n'ont qu'une impor-
tance minime, aussi nous ne nous y arrêterons que le moins pos-
sible.
s est la première en date de ces variantes ; elle se rencontre déjà
dans le Voyage de Saint Brandan, où cette lettre est employée
d'une façon relativement fréquente à la place de :^ : on lit par
exemple merveilles au vers 472, etc. ; mais il est plus que probable
que ces formes proviennent du scribe et doivent par conséquent être
reportées à 1167. Le seul autre ouvrage du xii' siècle qui nous
montre un assez grand nombre de deuxièmes personnes du pluriel
en s est le Psautier de Cambridge, et on ne les rencontre jamais
dans cet ouvrage à l'indicatif, ce qui peut n'être qu'un hasard ; on
lit au subjonctif et à l'impératif : festes (117, 28) ; veuilles (4, 4),
(B, ei) ; remembres (x, 5); seies (79, i) (ms. B seulement). La
désinence en es est rare dans tous les autres auteurs du xii"' siècle;
on la trouve sporadiquement dans Adgar, comme esties (XL, 427).
Elle devient plus générale à partir de Frère Angier ; dans la Vie de
Saint Grégoire seulement on trouve : aies {^10) ; pnesses (1653) ;
dans le Saint Laurent, on a : soies (113) ; âmes (120); visites se lit
dans Robert de Gretham (23 v*') ; apportes (: destrer) (98); verres,
(1554), et plusieurs autres se relèvent dans Boeve; elle se trouve
dans une interrime de la Lumière as Lais, manges : murres, 75.
Nous pouvons en citer rapidement quelques autres exemples, comme
consentes (Aspremont, 292); oes (Dermot, 933); isteres (ibid.,
1882) ; repentes (dans William de Waddington, 3556); verres (ibid.,
4044). En résumé elle devient au xiii^ siècle à peu près aussi com-
mune que la terminaison régulière en e::^.
Au siècle suivant cette graphie n'est pas rare ; on la rencontre
encore dans l'Apocalypse, verres, y 590 ; dans la Vie de Sainte
Marguerite (cf. vers 229, 235, 245, etc.). Elle n'est pas absente des
ouvrages de Robert de Grosseteste, ni du Siège deCarlaverok, ni de
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 207
la Chronique de Pierre de Langtoft, ni de Foulques Fitz Warin, ni
de Bozon, ni du Prince Noir. C'est dire qu'on peut la trouver dans
la plupart des auteurs sinon dans tous les auteurs anglo-français du
xiv= siècle. Si l'on pouvait trouver le nombre ou tout au moins la
proportion des désinences en s (chose à peu près impossible), nous
cro3'ons qu'on trouverait une diminution très sensible de ces formes
au xiv^ siècle .
Il ne faut pas oubUer que cette forme, comme nous l'avons dit,
n'est qu'une graphie de^; il y a des rimes en assez grand nombre
qui montrent que les auteurs anglo-français ne percevaient plus de
différence entre ^ et :^.
Nous ne croyons point que cette confusion ait été déjà établie au
temps du Voyage de Saint Brandan, aussi les terminaisons en s que
nous trouvons à un certain nombre de secondes personnes dans cet
ouvrage doivent être mises au compte du scribe. Dans le Tristan de
Thomas, nous avons la rime : gardes : prenez (52) ' et dans le
Donnei : penics : save:{ (329) -, qui montrent que pour le scribe,
sinon pour l'auteur, q et es étaient des terminaisons équivalentes.
Plus tard encore, on rencontre de nombreuses rimes de cette
espèce : sojurnes : ferre^, Plainte d'Amour (252); serres : cree^,
William de Waddington (4044), et bien d'autres encore.
Cette terminaison rime du reste très bien aussi avec toutes sortes
de terminaisons en s ou ;^. Nous en avons de nombreuses preuves :
le Siège de Carlaverok au vers éo fait rimer verres avec r^~ ; dans le
Prince Noir, es rime avec les participes passés de I, doutes (j. nomez)
au vers 3430 et entendes (; trespassez) au vers 3448.
Citons, avant d'en finir, une forme dérivée de la désinence en
es : le seies~^ du Psautier d'Arundel (23, 9) ; c'est, soit un lapsus
du scribe et c'est le plus vraisemblable, soit une contamination de
q et de es.
La terminaison qui présente au lieu de ~ une dentale est au moins
aussi ancienne que la terminaison es : nous la trouvons en effet
pour la première fois dans le Voyage de Saint Brandan, où elle est
employée à la rime seet (: voiez), 359 ' ; cette rime montre qu'au
plus tard vers 1 167, on assimilait cf accentué à e^.
1. Fragment de Cambridge, lin du xni= siècle; probablement continental.
2. Manuscrit du xiii^ siècle.
5 . Le ms. de l'Arsenal a sees : voies .
2oS l'Évolution du verbe en anglo-français
Le Psautier de Cambridge montre cette désinence un grand
nombre de fois; elle y est même plus répandue que la terminaison
es : seied (6i, lo) ; conmi (80, 3); (B ez) ; conuîssed (141, 4);
viiillied (14), 2);chaulcd (146, 7); 70^^(148, i) (5 fois); heneissed
(y; 6). De même dans le Psautier d'Arundel, appriniet (33, 5); adorel
(28, ^)\§Jonfiel (21, 4).
Si l'on met à part ces trois ouvrages la désinence en cd est rare au
xii^ siècle. On ne la trouve ni dans Gaimar, ni dans Fantosme, ni
dans la plupart des autres auteurs de cette époque.
On pourrait se demander comment il se fait que cette désinence
se trouve ainsi limitée à un si petit nombre d'auteurs; la réponse
n'est pas fLicile à donner.
Plus tard dans la littérature anglo-française, nous nous trouvons
en présence d'un plus grand nombre de désinences en et, cependant
elles restent limitées à certains auteurs : Robert de Gretham l'a
quelquefois, quoiqu'elle ne soit pas commune chez lui. Voici les
exemples que nous avons relevés dans les Evangiles des Dompnées :
poet (au fol. 6 v°) ; rendet (23 r°). De même dans Boeve, où elle
est parfois employée, on relève : ensct (au vers 2126^ ; fiiet (au
vers 273). Elle est relativement plus répandue dans Edward le Con-
fesseur, qui nous donne devet (86); eict (618); seet (850); on
peut attribuer au scribe (milieu du xiii^ siècle) l'exemple qui se
trouve dans une des rubriques : inivisset (VI, 2). Elle est presque la
seule employée dans le ms. Cambr. Univ. Libr. Ee i i delà Hose-
bonderie de Walter de Henley.
Nous pouvons en relever d'autres exemples dans différents auteurs,
comme niettet, Satire (81 r°) ; voudrct : avendret, Chevalier, Dame
et Clerc (509); troveret, Walter de Bibblesworth (143).
Nous trouvons cette désinence encore au xiv^ siècle assez répan-
due, sans qu'elle gagne beaucoup de terrain ; recevet, dans l'Apoca-
lypse (y 1041); dans Pierre de Langtoft ; pcnset (I, 496, 16), B,
C et D, er; ksset, (A et B) (II, 52, 19) ; passet (II, 78, 23). On
peut en trouver quelques autres dans d'autres auteurs : pusset, Vies
de Saints, de Nicole Bozon (93 v°), facet, Nicolas Trivet (31 r°).
Cette terminaison n'a donc pas été très employée en anglo-fran-
çais, quoiqu'elle s'étende depuis 1160 jusqu'à la fin du xiV^ siècle.
Elle n'a jamais gagné beaucoup de terrain, est restée limitée à un
petit nombre d'auteurs et n'a jamais eu l'importance des deux dési-
nences précédentes.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 209
Cette terminaison ne fait son apparition que très tard dans la
langue littéraire ' ; nous ne l'avons même pas relevée dans la Chro-
nique de Pierre de Langtoft proprement dite. On en trouve plu-
sieurs exemples dans le second Appendice de Pierre de Langtoft,
comme aviseti (II, 436, 7); abreggct- (II, 244); aict{ (II, 434, 5);
cslaii^ (II, 436, 4), et dans le manuscrit Bodléienne Douce 98 qui
donne les Règles de Robert Grosseteste. Les Chroniques de
Londres à la date de 1339 ont piisscl;:^, ^/iW^ (p. 73). Cette
terminaison est rare chez Nicole Bozon (cf. sc'ict:^. Contes, § 21),
excepté dans certains manuscrits, comme les mss. Selden, supra
74 et Bodley 761 des Proverbes de Bon Enseignement. Elle est
très commune chez Nicolas Trivet et l'on peut citer volet:(^ (8 r°)
et scrrel\ (47 r°), etc. Et dans le Prince Noir, aurel^ (962); vet^
(1243); voillief- (1647).
Nous ne dirons qu'un mot de l'emploi de ces diverses con-
sonnes dans les textes qui n'appartiennent pas à proprement parler
à la littérature ; on retrouve dans la langue diplomatique, poli-
tique et familière les mêmes consonnes que celles que nous avons
examinées dans les ouvrages littéraires. La désinence en e^ est,
semble-t-il, la plus commune ; es, c/:^ ne sont pas rares ; et est beau-
coup moins fréquent.
Il est fort difficile le plus souvent de déterminer la proportion
suivant laquelle les trois premières sont employées ; cette proportion
varie d'abord suivant l'époque, suivant les auteurs et enfin varie
aussi énormément dans le même auteur. Dans les Statutes, par
exemple, nous trouvons dans un serment à la date de 1335 (vol. I,
p. 274), que sur huit futurs à la deuxième personne du pluriel,
sept sont écrits par q et le huitième est écrit es ; un autre serment
de 1346 (vol. I, p. 306) présente un nombre encore plus considé-
rable de ces deuxièmes personnes, il s'en trouve au moins trente et
toutes sont écrites par t'~. En 1332, au contraire, nous lisons deux
textes analogues à ceux que nous venons de citer (vol. I, pp. 247,
248); le premier de ces deux textes a 24 t'/:( contre 2 e:^, le second
15 es contre i e{. Ces exemples tirés du recueil le plus correct et
le plus consistant montrent bien à quel point les trois désinences que
nous étudions étaient mêlées et, si on peut le dire, interchan-
I. Cf. Hchrcus, Beitràge, Franzôsische Studien, V, p. 195.
14
210 l'Évolution du verbk hn anglo-français
geahles. Dans les Rymer's Foedera, la terminaison et~ devient de
plus en plus commune à partir du commencement du second quart
du xiv^ siècle ; elle est même plus fréquente que la terminaison <'~.
Les auteurs des Literae Cantuarienses semblent, jusque vers 1250,
ne pas employer très souvent cette terminaison ct^, et la dentale
est ordinairement absente des deuxièmes personnes du pluriel
masculines avant cette date; pendant les années qui suivent, elle
devient assez commune.
Tous les auteurs et recueils que nous venons de citer emploient
ces deux désinences plus souvent que n'importe quelle autre; et se
rencontre chez eux, mais assez rarement. D'autres auteurs cependant
semblent l'affectionner, comme Jean de Peckham : on la trouve plu-
sieurs lois dans diverses lettres à partir de 1280.
La seule conclusion que nous puissions tirer des œuvres non
littéraires c'est que la forme normale en e^ est employée à peu près
constamment dans tous ces textes ; la forme qui présente une den-
tale avant le :( se trouve dans les plus anciens textes non littéraires,
mais elle ne devient vraiment fréquente qu'à partir du commence-
ment du second quart ou du second tiers du xiv= siècle. La termi-
naison en es n'a pas eu un emploi aussi étendu, quoiqu'elle ait été
employée probablement plus tôt que et^ ; encore moins fréquente
est la désinence en et qui est, sinon limitée ci certains ouvrages, au
moins très rare dans la plupart. Dans les Year Books, la consonne
finale est le plus souvent :( ou /:( ; on trouve t assez fréquemment
dans 20 et 21 Edw. I" et s en même temps que :{ et que t à partir
de I et 2 Edw. IL
Comme nous ne pouvons apporter aucune précision sur les dates
de ces différentes formes dans les Year Books, nous les négligeons
entièrement dans notre conclusion. En combinant les renseigne-
ments que nous fournissent les autres écrits anglo-français, nous
trouverons que des quatre désinences en usage, c'est la désinence
régulière en e^ qui est à toute époque le plus généralement em-
ployée. Celles qui présentent ^ ou / datent toutes les deux de 11 67
au plus tard ; la désinence en es est commune surtout au commence-
ment du xiii" siècle, et devient plus rare à la fin de ce même siècle
et au siècle suivant. C'est ce qui explique pourquoi nous ne trou-
vons pas un grand nombre de deuxièmes personnes en -es en dehors
de la littérature. Et n'a pas eu la généralité de es; cette terminai-
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 211
son n'est jamais très commune excepté chez certains auteurs. La
désinence en ct:( qui présente le ^ et la dentale est peu commune
dans les œuvres littéraires, sauf dans les manuscrits datant des der-
nières années du xiv^ siècle. Elle est plus habituelle en dehors de
la littérature; elle date de la lin du xiii= siècle, mais ne devient
commune qu'à partir de 1325 ou 1330.
2. Chute de la consonne filiale '.
Avant de passer à l'étude de la voyelle des terminaisons mascu-
lines, il nous reste un mot à dire d'un phénomène, qui tout en
n'étant pas très commun, se présente quelquefois : la chute de la
consonne finale.
Comme un grand nombre de consonnes finales, celles que nous
trouvons à la deuxième personne du pluriel tombent parfois, que ce
soit le ^ ou plus vraisemblablement 1'^- ou la dentale. Nous avons
ainsi très tôt des deuxièmes personnes du pluriel à désinence voca-
lique. Le Psautier d'Arundel, Horn, Fantosme ou leurs scribes nous
en fournissent déjà plusieurs exemples ; aporte, Psautier d'Arundel
(28, 12); vienge, Horn (869) ; esmerveille (ibid. 4190); rende,
Fantosme (305, 1884). Le xiii'' siècle nous donne un assez grand
nombre d'exemples comme wa»6'(maneus) quiselit dansle Josaphat
de Chardri au vers 2838 ; vole, dans la Satire sur le Siècle (81 v°),
etc. Cette chute de la consonne finale se rencontre aussi sporadi-
quement dans différents auteurs du xiv^ siècle, comme Vescrifey (pour
escrifcyt) de l'Apocalypse, ,3, 87, sans que nous puissions savoir si la
forme abrégée est due au scribe ou provient de l'auteur. En dehors
de la littérature, ce n'est guère que dans les Rymer's Foedera que
nous trouvons des exemples de ce phénomène, et ils restent toujours
en petit nombre et sont très dispersés; citons contrevene (1325, IV,
131), considère (1342, V, 346), et il y en a encore quelques autres.
La consonne finale ne s'est donc pas toujours maintenue ; et nous
croyons que les terminaisons vocaliques de la seconde personne du
pluriel proviennent des terminaisons à dentale ; celles-ci sont déjà,
comme nous l'avons vu, très peu nombreuses en anglo-français, et
cela suffirait pour expliquer le petit nombre des terminaisons voca-
liques.
I. Cf. Meyer-Lûbke, Grammatik, § 32.
212 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
B. La VOYELLE
a) Désinences en c:(.
Les changements que la voyelle peut subir sont évidemment moins
nombreux et n'ont pas beaucoup plus d'importance que ceux qui
affectent la consonne. Dans toute la littérature anglo-française nous
n'en trouvons guère que trois.
I. Redoublement de la voyelle de la terminaison.
Ce phénomène que nous avons déjà observé à la troisième per-
sonne du singulier et que nous retrouverons à l'infinitif et au parti-
cipe passé, n'est pas spécial au verbe (cf. Suchier, Grammaire, loc.
laid.). Ve précédant la consonne finale est redoublé comme dans
restée:^, Chardri (Set Dormans,no8); free:;^ (Petit Plet, 281 '). Nous
ne pouvons savoir avec certitude si ces deux formes appartiennent
à la langue de Chardri lui-même ; elles sont données toutes les deux
par le ms. Cotton Caligula A IX, qui appartient à la fin du
xiii" siècle ; le ms. Cotton Vespasien A VII donne pour l'Ipomé-
don veneei, estee^ (vers 4567, 6504). Comme les auteurs du
xiii^ siècle ne nous ont pas fourni d'autre exemple de la terminaison
ee:!^ et comme le xiv^ siècle nous en donne un assez grand nombre,
par exemple avisée^ de Foulques Fitz Warin, 80 ; alee:{ du clerc de
la Destruction de Rome, vers 906 ; Jreei dans les Trente-six mestre
Folies au folio 97 r°, forme qui se retrouve encore dans les Contes
deBozon, § 63 et dans Nicolas Trivet, 47 r", il est plus naturel de la
considérer comme particulière à la fin du xiii^ et au xiV siècle.
Les deux exemples de Chardri, s'ils appartiennent à l'auteur — ce
qui est peu probable — nous montrent que ce double e ne comptait
que pour une syllabe :
Resteez vus ici un petit. (Set Dormaus, vers 1108.)
E vus treez une curteisie. (Petit Plet, vers 281.)
Les autres exemples ne nous donnent aucun renseignement sur
I. Il est possible que nous n'ayons pas dans freei une désinence en ee^ ; il a
pu y avoir métathèse, et, dans ce cas, le premier e représenterait la voj'elle du
thème.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 213
la valeur de ee. (Cf. du reste infinitif et participe passé). Nous
avons remarqué, sans parvenir à nous l'expliquer, que c'est le
futur du verbe faire qui nous présente le plus souvent la double
voyelle.
L'anglo-français non littéraire présente un certain nombre
d'exemples où Ve de la terminaison est écrit deux fois : le cas le plus
ancien qu'on en trouve se lit dans les Rymer's Foedera à la date de
1294 (II, 627), ce qui concorde bien avec la date du manuscrit de
Chardri, apelees ; puis un peu plus tard baillée^ et deliveree:^ à la date
de 1299 (II, 839); les autres recueils nous en offrent aussi un
certain nombre de cas, mais tous appartiennent au xiv* siècle,
comme freet:^ qui se trouve répété dans le premier livre des Statutes
(1332, 247); tc?idree~ dans les Parliamentary Writs (1305, 162);
demandee:{^ voyllee-^ qui se trouvent tous les deux dans les Memor.
Pari. 1305, au § 236; haslee:yAzns les Literae Cantuarienses (1318,
44), etc. Comme on le voit, les exemples que nous pouvons citer
sont assez peu nombreux, ils se trouvent dispersés dans un certain
nombre d'ouvrages^ et sur un certain nombre d'années.
Comme dans la langue littéraire, c'est vers la fin du xiii^ siècle
que se rencontrent les premiers exemples de cette terminaison et
c'est au siècle suivant qu'elle est le plus employée. Nous ne pou-
vons pas dater avec la même précision celles que nous trouvons en
assez petit nombre du reste dans les textes légaux : avérée^, 22
Edw. P% 633; vetidree-, 31 Edw. P"", y33; free^, 33 et 35 Edw. I",
299, 347; coulissée:^, i et 2 Edw. II, 79, etc.
Enfin, il ressort clairement de l'étude des trois classes de textes
que nous avons à notre disposition, que l'anglo-français n'a pas
employé très fréquemment cette terminaison et que le redouble-
ment de r^ n'a jamais eu beaucoup de vogue à la deuxième personne
du pluriel.
2. La diphtongue ei.
La seconde modification que peut subir la voyelle de la désinence
c'est de passer à ei (pour le passage de e fermé a ei en anglo-français,
cf. Stimming, p. 175, Busch, op. cit., p. 15, et Suchier, Gram-
maire, § 18. Voir aussi notre seconde partie, chapitre II). Ce passage
s'observe assez rarement pour les deuxièmes personnes du pluriel,
214 L i:VOLUTION DU VERBE EN ANGLO-ERANÇAIS
quoique l'on puisse cependant en rencontrer quelques exemples.
L'auteur ou le scribe du Boeve en a trois : /rm (3054); frcy:^
(2566); fcreys (2930); le poème d'Aspremont nous en donne un,
au vers 10, aeix_; nous en relevons un autre exemple dans l'Apoca-
lypse : escrifey (ji, 87). Au xiV siècle, il semble que cette
diphtongue puisse passer à ai, comme dans estait^, dans Pierre de
Langtoft (II, 436, 4). Par conséquent, elle affecte deux présents et
un imparlait de l'indicatif, deux futurs et un subjonctif présent en
ia)ii.
Il n'est pas probable qu'il faille faire remonter ces terminaisons
en cil '"^ celles que nous étudierons tout à l'heure; l'intervalle de
temps qui sépare ces deux classes d'exemples est trop considérable
pour qu'on puisse admettre une influence des plus anciennes sur les
plus récentes, d'autant que, n'étant pas assurées par la rime, les
désinences que nous trouvons dans Boeve et Aspremont peuvent
provenir des scribes et appartenir au xiV^ siècle, ce qui est le plus
vraisemblable.
Cette diphtongue ei est extrêmement rare dans les textes non lit-
téraires; nous n'en avons relevé qu'un petit nombre d'exemples.
Ils se trouvent dans les Foederade Rymer : sachei^ (1299, II, 840),
ou avec une dentale finale : voylleyt, aveyt (1279, II, 133); et
dans lesLetters from Northern Registers: w/Z/^V^ (impératif) (1346,
244).
Les autres recueils ignorent absolument cette terminaison. On la
trouve sporadiquement dans le Law French ; on peut en citer un
petit nombre d'exemples comme avendreys {21 Edw. l", 93); i'H'^
(22 Edw. P', 353) (qui peut du reste être fort bien une synérèse
pour veiei), chargereii (30 Edw. l", 243) et quelques autres.
Tous les exemples sont assez peu probants ; et il serait possible de
les attribuer tous à l'ignorance ou à la négligence des scribes, si nous
ne savions que le passage de e à ci est un phénomène phonique
dûment constaté dans Tanglo-français du xiii'^ et du xiv- siècle. La
deuxième personne du pluriel n'a certainement pas beaucoup souffert
de ce changement.
Signalons encore, avant de terminer l'énumération des différentes
formes que prend la voyelle tonique des deuxièmes personnes du
pluriel masculines, un changement qui ne semble pas avoir l'im-
portance de ceux que nous avons signalés : c'est le passage de ^;^ à
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 21 5
oe^. Ce phénomène est extrêmement rare et ne se trouve que dans
les Rymer's Foedera et pour un seul verbe, devoir : devoe^ (1297,11,
790). Il n'y a pas à en tenir compte.
3. Synérèse.
Le troisième changement que nous avions annoncé a une certaine
importance. Dans un petit nombre de cas, nous pouvons observer
une synérèse s'effectuant entre IV de la terminaison et la voyelle du
thème (verbes à thème vocalique). Ce phénomène est, dans les
œuvres littéraires, beaucoup plus rare encore que la chute de la
consonne finale; nous ne trouvons guère que 0^ au vers 117 de la
Vie de Saint Grégoire, et vei^ commun, même sur le Continent,
dans l'expression vei::^ci ; au vers 1243 du Prince Noir, nous rencon-
trons vetz^ comme présent de l'indicatif.
Il en va de même pour la langue non littéraire : celle-ci ne pré-
sente qu'un tout petit nombre de formes dans lesquelles la voyelle
de la désinence disparaît ; le petit nombre de ces exemples en même
temps que la qualité des recueils qui les donnent les rendent peu
satisfaisants. Néanmoins, nous citons les trois exemples que nous
avons relevés : dans Rymer's Foedera, on trouve seit:^ (1324, IV,
30); dans le Liber Albus : contemi:^^ {== continuez) (1365, 367).
Ajoutons encore po/;^ dans le Year Book 14 Edw. III (109). Ce
n'est donc que dans un nombre très restreint de secondes personnes
du pluriel que nous pouvons observer cette chute de la voyelle
accentuée ; il serait possible de considérer certains des exemples que
nous venons de citer comme de simples lapsus calarai ; il reste
assuré, croyons-nous, que la vo^'elle accentuée disparaît quelquefois
de certaines de ces personnes ; vet:^, o~, seit^ sont des exemples de
synérèse, assez rares, il est vrai, mais qui n'ont rien de bien éton-
nant.
h) Terminaison <'/;(.
Cette terminaison vient, comme on le sait, de la désinence
latine ètis\ à l'origine elle apparaît au subjonctif de I et au futur.
Ces désinences en ei:^ se rencontrent dans ranglo-français du
xii'^ siècle et elles ne sont pas aussi rares que Willenberg ' le pré-
I. Historische Untcrsuchung, p. 535.
2l6 L'r.VOLUTION DU VERBE EK ANGLO-IRANÇAIS
tend. Le Comput en a sept, dont six riment avec Dieis : giinriicn'i:(
(2307), Intvcrcii (2836), ^/t';v/~ (2847), (T;r;r/;(30i i), ^-^^-^(3048),
avrci::^ (3071). Enfin, la septicMne, Inivereiiy rime avec demaneis (au
vers 2054). Elles sont toutes régulières, excepté sacei:;^ qui est un
impératif. Cet emploi de n^ uniquement à la rime, dans un auteur
aussi ancien que Philippe de Thaûn, prouve que déjà à cette
époque la désinence était archaïque et n'était employée qu'en cas de
nécessité.
Cependant on la retrouve encore plus tard chez quelques prosa-
teurs. Le Psautier d'Oxford ' a deux futurs avec cette termi-
naison : serrei^ (126, 3), errei~ (94, 7). On rencontre encore dans
le même ouvrage sept impératifs ou subjonctifs : perisseii (2, 12),
sacei:^ (93, 8, 2 fois, mais sache;(, i fois, 4, 4), beneissei^ (65, 7),
heneisei^ (102, 20), benedisei~ (67, 28), establisscly (117, 26), regehis-
sei:^^ (96, 13) ; la diphtongue pour ces sept formes est irrégulière.
- Dans le Psautier de Cambridge, nous n'en relevons plus que deux
exemples, ce sont nriintei- (47, i-j), qui est un subjonctif présent en
m/et est, par conséquent, régulier, et percevei^Ç^S, i), subjonctif en
iam. Remarquons que le ms. B donne pour ces deux verbes la
terminaison e^.
Le Donnei a enfin une autre de ces formes, la dernière que nous
ayons relevée : vodrci~ (985) qui est un futur, et régulier. Les
manuscrits L et C du Cumpoz nous en offrent aussi quelques
exemples qui peuvent remonter plus haut que la date à laquelle ces
manuscrits ont été écrits. Le ms. C nous donne au vers 1305 sacei:(
(sapiatis), tandis que L nous donne troverei\ au vers 2053, devei\au
vers 2237, averei:^ au vers 2847. Il est impossible de dater ces
quatre exemples, tout ce que l'on peut dire, c'est qu'elles ont été
employées postérieurement au Cumpoz, puisqu'elles n'appartiennent
pas au texte du poème même, mais qu'elles sont au moins aussi
anciennes que le manuscrit dans lequel elles se trouvent (C et L
sont tous les deux postérieurs à 1150). Elles peuvent provenir d'un
texte de ce poème intermédiaire entre le texte primitif et la rédaction
de ces deux manuscrits.
Nous devons faire encore une remarque sur les formes qui se
I . Pour les deux Psautiers, il faut vraisemblablement faire remonter ces formes
aux traducteurs, c'est-à-dire à la fin du xie siècle pour le Psautier d'Oxford et au
commencement du xii^ pour celui de Cambridge.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 217
rencontrent dans les Psautiers. La date à laquelle nous rapportons
ces traductions est celle des manuscrits eux-mêmes ; mais on sait
que l'original date au plus tard des premières années du xii'' siècle.
Lorsqu'il s'agit de formes nouvelles, nous pouvons toujours les
attribuer à la date des manuscrits et nous ne pouvons nous tromper
dans ce cas que par excès de prudence. Mais quand nous avons
affaire, comme ici, à des formes anciennes nous ne pouvons que les
faire remonter à la date des traductions elles-mêmes. Il en résulte
que nous placerons au commencement du xii'^ siècle, et non vers
II 60, les terminaisons en -«;{ que nous trouvons dans les Psautiers.
Comme on le voit, la terminaison ^q a donc été encore assez fré-
quemment employée dans la première moitié du xii* siècle ; déjà
cependant les auteurs qui l'employaient la considéraient probable-
ment comme archaïque : elle est devenue assez rare pendant la
seconde moitié du xii^ siècle et disparaît par la suite.
On peut aussi observer, et ceci nous semble digne de remarque,
que des dix-neuf exemples que nous avons relevés, sans compter les
exemples des mss. C et L du Comput, dix sont réguliers. De ces
dix, six se trouvent dans le Comput, deux dans le Psautier d'Ox-
ford, un dans le Psautier de Cambridge, un dans le Donnei. Ceci
montre que la forme en ei\, en tant que désinence régulière, tend à
disparaître et que après iiio, elle ne se trouve qu'à l'état spora-
dique. Neuf autres sont irrégulières {sacei:;^, perisseiei, benissci-, esta-
hJissei^, regehissei:() ; on n'en trouve qu'une dans le Cumpoz, les
autres proviennent des Psautiers. On peut remarquer que pour ces
neuf formes, la désinence régulière serait /q, et ceci nous explique
immédiatement la présence de la désinence ei : elle provient d'une
confusion entre une désinence archaïque (provenant de etis) et une
diphtongue ie, qui est elle-même en train de disparaître en passant
à e. Du reste, les exemples ci-dessus ne sont pas les seuls cas du
passage de ie à ci (cf. Stimming, op. cit., p. 202; Suchier, Voyelles
toniques, p. 88, § 29 e). Le perceveii du Psautier de Cambridge est
une forme analogue '.
Citons pour en terminer avec la seconde personne du pluriel en
^:( quelques « monstres » que nous avons relevés dans Rvmer's et
qui peuvent n'être que des erreurs cléricales :
I. A )iiei!ei:{ au xcvs 508 du l^olnnd d'Oxford est évidemment un lapsus calanii
pour iiuierrei-.
2t8 1,'hvoi.ution du vf.rrf. f.\ anci.o-français
1° Introduction d'une nasale : feiissent:^, puissent:^ (131 ij III> 262,
263).
2° O comme vovellc accentuée de la désinence : vcrro:^ (^j^^y
IV, 345)-
y X comme consonne de la désinence : purrex (1342, V, 346).
r) Terminaison /V;^.
Nous n'avons pour l'étude de la diphtongue dans cette terminai-
son que deux questions à traiter : 1'/ de la désinence et le passage
de la diphtongue ie à la voyelle c.
I. Quand elle est conservée, la diphtongue garde le plus souvent
en anglo-français sa forme ordinaire ; cependant, au xiv^ siècle, nous
rencontrons de temps en temps le même phénomène que celui que
nous exposions ci-dessus à propos de la terminaison en ions :
c'est-à-dire que 1'/ en hiatus prend quelquefois la forme de la
diphtongue ei ou oi. Les œuvres littéraires ne nous offrent que fort
peu d'exemples de ce passage ; cependant, nous en trouvons un
d'abord dans le poème d'Edward le Confesseur, csioie::^ au vers
4055. Il est plus que probable que cette forme est due au scribe et
ne date que du xiV^ siècle; car elle est absolument isolée à cette
époque. Au contraire, dans les manuscrits qui datent du xiv siècle,
nous avons rencontré de temps en temps des exemples de dési-
nences analogues.
Du reste, c'est en dehors des œuvres littéraires que nous trou-
vons le plus grand nombre d'exemples; nous n'en citerons qu'un
tout petit nombre; les plus anciens, croyons-nous, ne datent guère
que de la fin de la première moitié du xiv^ siècle, comme arestoic'
que nous trouvons dans le Registrum Palatinum Dunelmense
(1341, I, 593), ou estoie:<^ employé dans les Rymer's Foedera (1361,
VI, 155 ; 1362, VI, 373 ; 1365, VI, 467), ou dans le même recueil,
dévoie- (1362, VI, 399, etc.). Cette désinence est encore plus com-
mune dans les Year Books, où nous trouvons constamment des
formes comme pu rreiei (20 et 21 Edw. I", 21); avreyei (21 Edw.
l", 143); ^5/orq(32 et 35 Edw. P"^, 333 ; 2 et 3 Edw. II, 80), Par
conséquent, sans être extrêmement commune, cette forme de la
désinence n'a pas été rare, surtout en dehors de la littérature.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 2I9
2. Étymologiquement huit temps peuvent prendre la désinence en
ie:( ; il nous reste maintenant à étudier quels sont les temps qui la
montrent en anglo-français et combien de temps ils la gardent. En
d'autres termes, il nous faut nous occuper maintenant de l'exten-
sion de cette désinence.
La réduction à ^ de la diphtongue ie est un des phénomènes les
plus connus de l'anglo-français, et il s'observe évidemment à cer-
taines secondes personnes du pluriel. Mais ici comme ailleurs, c'est
un phénomène purement phonique, dont l'étude n'appartient pas à
notre sujet '. De plus, si nons tentions de déterminer les dates aux-
quelles la diphtongue ic à ces personnes passe à c, le résultat serait
de mince valeur et risquerait d'induire en erreur. Si ce n'est, par
exemple, que vers iiéo que nous trouvons les premiers exemples
assurés du passage de /V~ à e^, il ne faudrait pas conclure que la
I. Cette question, que nous n'avons pas à traiter, est certainement une des
plus délicates que nous présente la phonétique anglo-française. Nous devons faire
ici une distinction entre la diphtongue ie qui est monosyllabique et les désinences
en ie dans lesquelles Vi est syllabique (Voir plus bas.)
Il y a de plus un certain nombre de difficultés que nous avons nous-mêmes
rencontrées, quoique notre étude ne soit pas un travail de phonétique.
i) On admet généralement que le passage de /Va c a la même date que les pre-
mières rimes qui accouplent cette diphtongue avec un e pur. Rien n'est moins
sûr, et une telle conclusion dépasse singulièrement les prémisses. De telles rimes
prouvent simplement que les poètes anglo-français faisaient rimer deux sons qui
n'étaient pas homophoniques. Les graphies des manuscrits nous montrent que
cette diphtongue a bien en réalité fait place à la vovelle e, mais nous pensons que
c'est sensiblement plus tard.
2) L'étude des rimes ne nous donne d'ailleurs que des renseignements vagues
et incomplets, car elles ne peuvent jamais nous montrer jusqu'à quel point la
diphtongue s'est maintenue ; elles ne nous éclairent et encore fort imparfaitement
que sur un côté de la question. Ici encore, c'est l'étude des manuscrits, contrôlée
en général par celle des rimes, qui pourra le mieux nous instruire.
3) Nous ajouterons encore' un mot sur le passage de ^ à ie au xiv^ siècle. Le
phénomène de l'umgekehrte Schreibung qu'on invoque ordinairement ne nous
semble pas très satisfaisant surtout dans le cas actuel. Il serait nécessaire de montrer
comment des graphies qui dataient de plus de deux siècles ont pu influencer d'une
façon aussi générale des écrivains et des scribes qui montrent toujours une con-
naissance si minime de la langue de leurs prédécesseurs. De plus où auraient-ils
trouvé leurs modèles ? Admettra-t-on qu'ils sont allés chercher les formes en ie
dans les plus vieux manuscrits, assez peu nom.breux, qui en oflVaicnt des exemples ?
Cela est fort invraisemblable. Dans notre seconde partie, nous essaierons une
autre explication.
220 L ÉVOLUTION DU VERRF. EN ANGI.O-PKANÇAIS
réduction plus générale de la diphtongue ne s'est, dans aucun cas,
produite avant cette date ; on peut peut-être, pour d'autres mots,
trouver des exemples beaucoup plus anciens.
Tout cela nous donne d'excellentes raisons pour ne pas intro-
duire dans un sujet de morphologie, des questions purement pho-
niques.
Mais sans vouloir traiter la question entièrement, nous trouvons
entre elle et notre sujet, des points de contact.
Par exemple on peut, sans vouloir discuter la question générale
du passage de /V à e, se demander jusqu'à quelle époque la dési-
nence icT^ a pu subsister, si après avoir disparu pendant un certain
temps, elle n'a pas été employée de nouveau, si même dans certains
cas^ elle n'a pas subsisté d'un bout à l'autre des trois siècles qui
nous occupent.
Voilà les questions que nous allons traiter maintenant. Ainsi
comprises, elles sont, nous a-t-il semblé, beaucoup plus morpholo-
giques que phoniques.
Ce qui donne, à notre avis, plus d'intérêt à cette question et en
même temps nous donne un certain droit de la traiter ici, c'est qu'il
nous semble que toutes les terminaisons en /e~ n'ont pas reçu le
même traitement : on doit tout d'abord distinguer deux terminai-
sons en /'^~ : Tune dans laquelle la désinence est monosyllabique
(présents de l'indicatif, impératifs, présents du subjonctif en eni et
en am, imparfaits du subjonctif), l'autre pour laquelle 1'/ en hiatus
est syllabique (imparfaits de l'indicatif, conditionnels, présents du
subjonctif en iani).
L'anglo-français n'a pas conservé cette distinction très exactement,
ou plutôt il a fait passer certains temps de la seconde classe dans la
première. Notre étude nous a montré qu'il fallait diviser en trois
groupes nos désinences en ie^ : deux groupes qui perdent Vi en
hiatus, un troisième qui le conserve toujours. Le premier groupe
comprend certains présents de l'indicatif, de l'impératif et du sub-
jonctif (en em et en aui); pour ces temps, 1'/ disparaît de bonne
heure et reparaît tard ou rarement ; le second groupe comprend des
désinences en ie monosyllabiques (imparfaits du subjonctif) et dis-
syllabiques (subjonctifs en iani) ; pour ces deux temps, 1'/ subsiste
plus longtemps et reparaît plus tôt. On pourra considérer comme
un peu factice cette distinction entre les deux premiers groupes;
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 221
nous pensons qu'elle correspond à la réalité. Le troisième groupe
est formé des temps (imparfait de l'indicatif et conditionnel) qui
ne perdent jamais leur i (/ syllabique).
PREMIER GROUPE
Présent de l'indicatif, impératif, présent du subjonctif des verbes
de I ; présent du subjonctif en aiii ' .
Tous ces temps ont la deuxième personne du pluriel terminée
en latin par atis, et étymologiquement ont en français la désinence
/q lorsque le radical du verbe est terminé par une gutturale (cf.
Infinitif et Suchier, Voyelles toniques).
A ces temps, la désinence en ie:( se rencontre en anglo-français
jusqu'aux Psautiers et même plus tard. En voici quelques
exemples pour chacun de ces temps :
a) Présent de l'indicatif et impératif des verbes de I.
Jttgie:;^ se lit à plusieurs reprises dans les Psautiers d'Oxford et de
Cambridge (dans le premier, dans les passages suivants : 2, lo; 8i,
3 ; dans le second : 25, i; 81, 2; 81, 3). Il en est de même de
esleecie^ dans le Psautier d'Oxford (2, 11) et de Cambridge (2, 11 ;
95, 11; 96, 12; 104, 3); et de annunciey^, Psautier d'Oxford (9,
II), de Cambridge (95, 2 ; a, 6).
On trouve encore dans le Psautier d'Oxford, mangie::^ (126, 3);
dans celui de Cambridge, verseillie^ (67, 33).
h) Présent du subjonctif des verbes de I.
Ici encore les Psautiers nous fournissent un certain nombre
d'exemples qui proviennent généralement des verbes qu'on a pu voir
dans le paragraphe précédent : jugie^ dans le Psautier d'Oxford
(57, i); cschalciei dans le Psautier d'Oxford (i, 18); dans celui de
Cambridge (•/;, 20).
c) Subjonctifs en aiii.
Enfin, on peut en dire autant pour les subjonctifs en aiii : beneissie:^
est employé 17 fois dans le Psautier d'Oxford, une fois dans celui
de Cambridge.
Dans ce dernier ouvrage, on relève encore ciinuissiexÇ^- 3 ; 45,
10), regeisiei{-u, 4).
I. Pour /e provenant de i? précédé d'une palatale, on peut voir l'article de
J. Vising dans la Zeitschrift (VI, 372V
222 L EVOLUTION DU VERBH EN ANGLO-FRANÇAIS
Après les Psautiers, et toujours au xii^ siècle, les cas de formes
régulières en ie:{ appartenant à l'une des trois classes ci-dessus sont
très rares. Il est possible que nous ne lés connaissions pas tous (les
rimes étant peu nombreuses) et que beaucoup de diphtongues
aient été réduites par le fait des scribes.
L'Estorie des Engleis nous donne la rime esiiierveillie:;^ (: sachiez)
au vers 4646 ; un ouvrage en prose, les Quatre Livres des Rois,
nous fournit trois exemples de subjonctifs de I : corucie:{ (I, 12,
14); vefigieiQ., 18, 25) ; algie:( (I, 28, 22) avec Vi étymologique.
Et en admettant avec Gaston Paris que pouvoir a eu un subjonctif
en am, on trouve encore puissie:^ qui dans la Vie de Sainte Cathe-
rine rime avec auriez (au vers 441) et avec aiez (au vers 535);
dans la même Vie, pJaignie:^ (vers 2527) rime encore avec aiez.
Par conséquent les exemples de formes régulières se prolongent
jusqu'à la fin du xu" siècle, et il est sûr que si nous avions les textes
exacts écrits à cette époque, nous en aurions trouvé un nombre
plus considérable.
La réduction de la diphtongue ic est cependant attestée par
maints exemples.
Nous n'avons pas l'intention d'entrer dans le détail de cette
question presque purement phonique ; mais, pour donner une idée
de la confusion qui s'établit dans la dernière partie du xir' siècle
entre les deux sons ie et e, nous nous contenterons de citer les
rimes très nombreuses que nous fournit le poème de Jordan Fan-
tosme. Chez celui-ci, la confusion peut sembler complète; par
exemple dans les laisses : vers 126-154,213-241, 1267-1721,1313-
1320, 1592-1600, 1977-2029, les deuxièmes personnes dont nous
parlons maintenant riment librement avec des terminaisons é' pur;
c'est le même état de choses que nous remarquons dans les laisses
51, 59, 67, 77, etc. de Horn. Aucun autre poème ne nous fournit
un nombre aussi considérable d'exemples. Cependant nous pouvons
faire quelques observations :
1° On peut relever quelques laisses où toutes les rimes sont cor-
rectes, cf. dans Fantosme, vers 492-496, mais ces rimes sont peu
nombreuses.
2° D'autres laisses sont à peu près correctes; il y a majorité de
rimes en e ou enic; cf. vers 213, 241 de Fantosme, et les laisses
51, 67 etc. de Horn.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 223
3° On peut discuter la valeur même de ces rimes ; on peut très
bien concevoir que le poète emploie couramment des rimes insuf-
fisantes, sans qu'il confonde absolument pour cela les sons qu'il
rapproche ainsi ; autrement dit, il peut faire rimer e avec ie tout
en conservant à cette dernière sa valeur de diphtongue. C'est ceque
nous ne sommes pas loin d'admettre, d'autant plus facilement que,
dans la grande majorité des cas, la graphie traditionnelle est absolu-
ment correcte, même à l'intérieur du vers (cf. laissiez, vers 1076,
1974)-
Ces graphies doivent remonter à l'auteur ; on ne voit pas bien
un scribe du xiii^ siècle les rétablissant de sa propre autorité.
Il en résulte que Jordan Fantosme, et avec lui tous les auteurs
de cette époque, font rimer assez librement les deux désinences,
mais conservent dans une certaine mesure la distinction qui existe
entre deux sons.
Nous n'avons pas relevé de faits aussi significatifs dans les autres
écrivains de la fin du xii^ ou dans ceux du commencement du xiii"^
siècle. La seule remarque que nous puissions faire, c'est que, lors-
qu'ils nous montrent à la rime les secondes personnes du pluriel
qui nous occupent, ces rimes nous montrent le mélange absolu des
deux terminaisons. Le poème de Boeve de Haumtone est très
significatif sur ce point. Nous devons mettre sur le même rang, ou
même considérer comme de valeur plus grande encore le témoi-
i^nage des scribes du commencement du xiii'^ siècle ; ils en sont
arrivés à ne plus employer à la deuxième personne du pluriel^ pour
les temps dont nous parlons, la diphtongue te, tandis que leurs pré-
décesseurs de la seconde moitié du xii^ siècle l'emploient encore à
l'occasion .
Ceci nous permet de conclure que nos deuxièmes personnes du
pluriel ont perdu leur diphtongue étymologique vers la fin du xii^
ou au commencement du xiii^ siècle.
Mais cette diphtongue perdue ne l'était pas pour toujours; elle
reparaît, très irrégulièrement, il est vrai, à la fin de ce dernier siècle.
Nous ne pouvons pas toujours distinguer dans l'irrégularité des
graphies l'usage suivi sur ce point par les écrivains littéraires du
xiV^ siècle, et cela est d'autant plus impossible que cette diphtongue
ainsi rétablie apu n'être que graphique ; mais sa présence à la fin du
XIII'' et pendant le xiV siècle est assurée dans les œuvres litté-
raires et en dehors de la littérature.
224 L EVOLUTION DU VERBE J-N ANGLO-FRANÇAIS
Nous n'avons relevé que peu d'exemples de ce phénomène dans
les œuvres littéraires : citons cependant aîinuiicie:^ qu'on lit dans
l'Evangile de l'Entance, ms. O, strophe 9, vers c ; d'autres manu-
scrits de cette époque en fournissent encore des cas isolés. Dans les
ouvrages familiers ou politiques, nous trouvons quelques exemples
de la terminaison /V~, à l'indicatif, au subjonctif ou à l'impératif de
quelques verbes de I : par exemple, nous trouvons efforciez dans les
lettres de Jean de Peckham (1284, )^o);arestoiex dans le Registrum
Palatinum Dunelmense (13 14, I, 593), forme dans laquelle la
désinence est évidemment dissyllabique ; cèssiei à l'année 1365,
dans les Documents Inédits (p. 171), et dans Rymer's Foedera
(1375, VII, 62); de même laissic:;^ se trouve dans les Documents
Inédits au même endroit, et plusieurs fois dans Rymer (1375, VII,
90; 1386, VII, 500; 1389, VII, 635). Ce sont les seuls exemples
que nous ayons relevés, et les exemples contraires sont infiniment
plus nombreux.
C'est à peu près à la même époque que les subjonctifs en aiii
reprennent eux aussi à l'occasion la désinence en zV;^. En voici
quelques exemples : cognoissic~se lit une fois ou deux (sur un nombre
assez considérable de cas) dans les Rymer's Foedera {d. par
exemple 1376, III, 118); pnissie:^ n'est pas rare, on le trouve dans
les Literae Cantuarienses (1322, 6-|) et communément dans diffé-
rents Year Books (cf. par exemple 12 et 13 Edw. III, 189), quoique
la forme sans / y soit plus ordinairement employée. Ajoutons
encore la forme soeffne:(^ dans les Rymer's Foedera (1379, VII, 90),
où 1'/ n'est pas étymologique.
Par conséquent les derniers exemples des formes régulières en
ie:{ pour les quatre temps datent de la fin du xii^ siècle. Un siècle
plus tard, cette désinence apparaît de nouveau, elle est irrégulière
parfois, elle n'est pas employée très souvent et est presque confi-
née, semble-t-il, aux ouvrages non littéraires.
DEUXIÈME GROUPE
D'après les nombreux exemples que nous avons recueillis, la ter-
minaison ie^ a été traitée d'une façon analogue à la deuxième per-
sonne du pluriel des subjonctifs et iam à celle des imparfaits du
subjonctif qui ont étymologiquement cette désinence. Nous rassem-
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 22)
blons ici deux terminaisons différentes à l'origine : celle des sub-
jonctifs en /rtm (comme celle des imparfaits et des conditionnels) est
dissyllabique; celle des imparfaits du subjonctif est monosyllabique.
Cependant il est évident que les premiers n'ont pas reçu le même
traitement que les imparfaits et les conditionnels, et qu'au contraire
ils semblent avoir eu le même sort que les imparfciits du subjonctif
auxquels nous les joignons. Nous aurions même pu rapprocher ce
second groupe du premier. Nous aurions peut-être dû le faire.
Car entre ces groupes, la seule différence, et nous n'osons pas
insister sur ce point tant elle nous paraît mince, est que les formes
que nous avons rencontrées pour ce groupe en iiéo et 1200
nous ont semblé moins exceptionnelles que pour le premier.
On peut aussi ajouter qu'en second lieu, les nouvelles formes en
lei se rencontrent plus fréquemment dans la langue littéraire du
XIV' siècle et sont plus nombreuses dans les textes politiques et
diplomatiques.
Les présents du subjonctif en iaiii doivent avoir régulièrement
ie;;^ à la deuxième personne du pluriel. Pendant la majeure partie
du xii^ siècle, la forme étymologique se rencontre fort régulière-
ment. Le Cumpoz nous en donne au moins deux exemples : sacie:(^
au vers 125 ; algie:;^ au vers 3343; sachiez rime avec esmerveilUe^ au
vers 4645 de l'Estorie des Engleis. Le Psautier d'Oxford toutefois
nen présente aucun, tandis que nous en relevons deux dans le
Psautier de Cambridge : sacici, 99, 3; voilliey, 104-15. Sachiez se
retrouve fréquemment dans la plupart des auteurs de la fin du
xii^ siècle, par exemple au vers 214 de la Chronique de Jordan
Fantosme, dans une laisse où les rimes en ie dominent (cf. page
précédente); au vers 1739 du poème de Horn, trois fois dans les
Quatre Livres des Rois (I, 6, 9 ; I, 9, 6); aux vers 170 et 1447 de
la Vie de Sainte Catherine, et probablement dans un certain
nombre d'autres exemples. Les autres présents du subjonctif en iaiii
sont moins fréquemment employés à cette personne : nous trou-
vons cependant dans les Quatre Livres des Rois :ûlgii'~, I, 25, 35 ;
■viengic^ au vers 2538 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé-
mence de Barking.
Enfin l'imparfait du subjonctif de certains verbes présente ou doit
présenter aussi cette désinence en ie^i à la deuxième personne du
pluriel. Les imparfaits du subjonctif qui correspondent à des prété-
15
226 l'Évolution du . verbi-: en anglo-prançais
rits en avi ou ivi ne la prennent jamais'. Sont seuls à l'avoir les
imparfaits du subjonctif qui correspondent à des prétérits en /, en
si, et en ui. C'est pour les verbes de la première de ces trois caté-
gories que ie:( est le plus commun, par exemple, nous en trouvons
des cas très nombreux dans Jordan Fantosme qui emploie veissie:;;^
un très grand nombre de fois, comme aux vers 676, 1204, 1283,
1763.
Il en va exactement de même pour les imparfaits du subjonctif
en ui; jusqu'à la fin du xii'' siècle, nous rencontrons un nombre
considérable de formes étymologiques : oussie:^ est employé au vers
279 de la Vie de Sainte Catherine, eussiez au vers 984, peussiei au
vers 1330 de la Chronique de Jordan Fantosme.
Pour les exemples qui précèdent, nous n'avons pas à tenir grand
compte de la position qu'ils occupent dans le vers. Du reste, à
priori, il est probable qu'ils appartiennent aux auteurs; les scribes
du xiir siècle ont plutôt été tentés de réduire les diphtongue qui
s'étaient conservées que de rétablir celles qui avaient disparu. Mais si,
par impossible, nos exemples proviennent des scribes, nous ne pou-
vons trouver dans ce fait qu'une preuve plus forte de la durée de
ces formes. Nous sommes donc certains de nous cantonner dans
les limites de la vraisemblance et tout au plus de rester en deçà de
la réalité en les attribuant aux auteurs.
Pour les raisons que nous avons données plus haut, nous ne cite-
rons aucun exemple de deuxièmes personnes du pluriel de subjonc-
tifs en iavi et d'imparfaits du subjonctif montrant la réduction de
la diphtongue. Nous nous contenterons de dire que pendant tout
le xiii'' siècle, nous n'avons relevé aucun exemple de la forme éty-
mologique; il en existe peut-être quelques-uns qui ont pu nous
échapper. Pour dire le moins, ils sont, s'ils existent, sporadiques.
Mais cette forme apparaît de nouveau au xiv^ siècle, à côté de l'autre.
Les exemples que nous avons pu relever sont assez nombreux.
Voici d'abord ceux que nous donnent les subjonctifs en iam.
Pierre de Langtoft en a un certain nombre, comme saciex_ (I, 78,
12); on trouve encore voylliex^ (I, 10, 25) (qui se rencontre encore
dans plusieurs auteurs; par exemple au vers 1647 du Prince Noir:
voiUieli), et vigniei (I, 19, 4, 13) employé aussi par Nicole Bozon
I . Sauf irrcgulièrcment conitiie dans ulissiei au vers 462 de la Chronique de
Jordan Fantosme ; mais cette irrégularité est rare.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 227
(?) dans les Proverbes de Bon Enseignement, et, par Nicolas Trivet,
45 v", 49 r°; sachiex^ rime avec travailliez aux vers 1177 et 1399
de la Vie de Saint Richard.
Dans la langue non littéraire, les exemples, à partir d'une cer-
taine date, sont encore plus fréquents ; c'est le verbe savoir qui
apparaît le plus souvent sous cette forme : sachie~ se trouve un
nombre considérable de fois : par exemple dans les Statutes, pre-
mier volume (1297, 123, 123; 13 18, 187; 1340, 289 ; 292 ; etc.);
les Parliamentary Writs nous offrent de cette forme des exemples
presque aussi communs ; quant aux Rymer's Foedera, on peut
remarquer que cette forme est surtout fréquente entre les années
1340 et 1370 ; après cette date elle est peut-être moins souvent
employée (cf. Présent du subjonctif).
A côté de savoir, et très commun encore, nous trouvons le
verbe vouloir avec 1'/ étymologique à la deuxième personne du
pluriel du subjonctif présent : voyllie::^ dans les Lettres de Jean de
Peckham (1283, 423); dans Rymer's Foedera (V, 1340, 164, 198 ;
1362, VI, 399 ; 1364, VI, 452) ; dans les Royal Letters Henry IV
(13995 5)' ^^"^- Nous pourrions peut-être allonger encore cette
liste ; mais les exemples que nous avons donnés nous suffisent ;
car ils montrent que la forme régulière fait de nouveau son appa-
rition en dehors de la littérature une vingtaine d'années avant la
fin du xiii^ siècle et qu'elle se trouve communément au siècle
suivant.
Dans les Year Books, le seul verbe qui prenne quelquefois, et
encore assez irrégulièrement, cet /, est le verbe savoir ; sachiez se
rencontre de temps en temps, par exemple dans le Year Book i et
2 Edw.II, 160 (Y).
Si nous combinons les résultats que nous a donnés pour cette
question, l'étude des ouvrages httéraires et des textes politiques,
nous voyons que 1'/ a été conservé dans les subjonctifs en /«w, pen-
dant les trois siècles qui nous occupent. La chaîne d'exemples qui
montrent cet / semble interrompue seulement pendant un peu plus
que les trois premiers quarts du wn" siècle ; certains verbes, en
premier lieu savoir, ensuite vouloir, semblent avoir conservé dune
fiiçon irrégulière, mais presque ininterrompue la forme étymolo-
gique.
C'est le même fait qui se reproduit, à peu de chose près, et à la
même date pour l'imparfait du subjonctif.
2 28 l'Évolution du verbe en anglo-français
Dès le début du xiv= siècle, dans la Vie de Sainte Marguerite,
nous trouvons veissic^ au vers 315 : Aspremont fournit un exemple
de cette même forme au vers 117 ; le poème du Prince Noir aux
vers 3383, 3926, etc.
Aucun autre verbe ne nous a fourni un aussi grand nombre
d'exemples : William de Waddington nous donne cependant au
vers 3 185, ym.szV:^, forme qui se retrouve encore au vers 544 du
Prince Noir, où elle rime avec l'imparfait de l'indicatif trouvie^.
Il en va de même des ouvrages non littéraires : nous trouvons
jeussiiey^ dans les Rymer's Foedera (1325, IV, 181); w//5m/q dans
les Literae Cantuarienses (1327, 209) ; duissie^ dans ce même
recueil (1383, 537); dussiez dans Rymer encore (1364, VI, 438),
etc.
Les Year Books ne nous ont fourni aucun exemple assuré d'une
forme en -iei à ces imparfaits du subjonctif.
Comme on le voit, ces renseignements fournis par les imparfaits
du subjonctif concordent avec ceux que nous ont donnés les pré-
sents du subjonctif en iam. Ils semblent simplement remonter un
peu plus haut dans les œuvres littéraires (William de Waddington) ;
mais il ne faut peut-être pas attacher d'importance à cette diffé-
rence.
TROISIEME groupe
Imparfait de l'indicatif, conditionnel.
Les deux temps mentionnés ci-dessus, dans les ouvrages litté-
raires comme dans les autres, présentent toujours Yi étymologique.
Les exemples sont trop nombreux pour que nous nous y arrêtions
longuement : citons, dans des textes du xiii'^ et du xiv* siècle, Deu
le Omnipotent, 57 f; Siège de Carlaverok, 4; Prince Noir, 1647. De
même tous les textes non littéraires contiennent un certain
nombre de ces exemples (cf Rymer's Foedera, 1357, VI, 583;
Pari. Writs, 1298, I, 318 ; 1299, I, 319 ;Jean de Peckham, 1289,
697). Il y a bien un petit nombre d'exceptions dans le Law
French ; mais elles n'ont rien de bien assuré et nous ne nous en
occuperons pas davantage.
LA DEUXIEME PERSONNE DU PLURIEL 229
La seule modification certaine qu'on puisse observer, c'est le
passage de la voyelle / à la diphtongue oi (cf. supra), et encore ce
passage est relativement rare, comme nous l'avons dit.
Mais 1'/ sous sa forme normale ou sous forme de la diphtongue
oi est toujours présent à la deuxième personne du pluriel de l'im-
parfait et du conditionnel.
Comme conclusion à cette étude, il nous suffira de résumer en
quelques mots les pages précédentes.
La désinence ie:{ au présent de l'indicatif, du subjonctif et à
l'impératif de quelques verbes de /, dure jusque vers 1160 et se
rencontre sporadiquement entre 11 60 et 1200.
Elle reparaît au milieu du xiv^ siècle, mais principalement dans
les textes politiques et diplomatiques.
Dans les subjonctifs en iani et les imparfaits du subjonctif où
elle est étymologique, cette désinence persiste jusqu'au commen-
cement du xiii^ siècle et reparaît à la fin du même siècle dans les
œuvres littéraires aussi bien que dans les autres.
A l'imparfait et au conditionnel, elle persiste régulièrement.
CHAPITRE VI
LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL
Comme la troisième personne du singulier, la troisième personne
du pluriel, à cause de son emploi très fréquent, a subi un nombre
considérable de modifications, d'importance diverse.
Comme nous l'avons fait dans les deux chapitres précédents nous
distinguerons ces troisièmes personnes en masculines et en fémi-
nines suivant la nature de leurs terminaisons.
A. DÉSINENCES MASCULINES.
Les désinences masculines comprennent un petit nombre de per-
sonnes fortes (ont, font, estent, vont) et des personnes faibles :
les futurs et les imparfaits du subjonctif accentués sur la dernière
syllabe. Pour l'étude de ces différentes personnes, nous suivrons
encore le plan que nous avons adopté précédemment et nous étudie-
rons successivement leurs formes, puis leur extension.
Les Formes.
La voyelle nasale.
La vo3'elle nasale peut se présenter sous deux sortes de graphies:
l'une régulière (//, o, ou) l'autre irrègulière (e). Nous ne nous arrê-
terons pas longuement sur les premières. Dans les premiers textes
anglo-français la voyelle nasale est écrite par //, comme nous
l'avons déjà fait observer pour la première personne du pluriel ,
et la désinence en -unt, non seulement durera aussi longtemps que
l'anglo-français lui-même, mais restera à tout prendre la graphie la
plus ordinaire.
De bonne heure cependant o fait son apparition ;le premier
exemple que nous ayons relevé de cette nouvelle graphie se lit au
vers 12 du Tristan de Thomas (verront').
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 231
Évidemment cette forme peut appartenir au scribe aussi bien
qu'à l'auteur ; mais de toutes façons, nous avons dans les poèmes
de Frère Angier des preuves nombreuses que Vo date au plus tard
du commencement du xiii^ siècle. Postérieurement à cette date et
jusqu'à la fin du xiv^ siècle, nous verrons un assez grand nombre
d'exemples de cette forme. Mais elle ne devient jamais aussi com-
mune que la précédente.
Quant à on, nous n'avons pas noté d'exemples plus anciens
que ceux qu'on trouve dans Boeve de Haumtone {Ci. fount 1033,
etc.) ; dans ce poème, cette graphie est des plus communes. Faut-
il croire que quelques-uns des nombreux exemples que nous y trou-
vons appartiennent à l'auteur ou doit-on les attribuer tous au scribe ' ?
11 est diflRcile de le décider. Toutefois, on ne saurait placer plus
tard que les premières années du xiV' siècle la prévalence de cette
graphie. Elle est trop souvent employée dans l'Apocalypse, Pierre
de Langtoft, etc. pour qu'on puisse imaginer que toutes les formes
en ouni proviennent des scribes.
Si les renseignements précédents manquent quelque peu de pré-
cision, nous pouvons espérer arriver à de meilleurs résultats en
étudiant les recueils non littéraires. Dans ceux-ci en effet, les trois
désinences se trouvent employées concurremment, et cela dans les
plus anciens textes.
«, comme dans les œuvres littéraires, reste la graphie le plus
généralement employée par tous les auteurs et à toutes les périodes ;
dans certains ouvrages même on trouve vingt formes en // contre
une en 0 ou en ou. La graphie par 0 n'est du reste pas très com-
mune ; elle est limitée certainement à quelques auteurs et peut-
être à quelques périodes. Ce sont les recueils qui nous semblent les
plus corrects qui l'emploient le plus fréquemment, par exemple
les Statutes. Et dans ce dernier ouvrage, où les 0 apparaissent du
reste à peu près à toutes les époques, c'est vers la fin du xiii=
siècle qu'ils sont le plus nombreux (Cf. les Statutes de l'année
1290).
La désinence en ou date du dernier quart du xiii^ siècle, mais
elle est d'abord assez peu employée (cf. E. Busch, p. 25).
I. Le nis. O de Boeve de Haumtone date de la seconde moitié du xiii= siècle,
et.B, où cette graphie est surtout fréquente, du xiv^.
232 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Elle devient fréquente un peu plus tard que les deux premières
à des dates qui varient suivant les ouvrages ; par exemple dans les
Statutes elle semble être en faveur entre les dates de 1330 et 1360,
sans qu'il soit possible d'affirmer qu'à tout autre moment elle n'ait
pas été autant ou plus employée ; vers la lin du xiv^ siècle cette
désinence est sensiblement moins commune qu'à cette date.
Dans les même conditions, nous remarquons que dans les traités
■ de Rymer le nombre des désinences en ou augmente entre 1350 et
1375 ; elles nous ont semblé spécialement fréquentes à cette der-
nière date, et quelques années plus tard, vers 1385, leur nombre
décroît d'une fiiçon marquée.
Il serait peu utile de citer successivement les différents recueils
de textes politiques, diplomatiques et autres, que nous avons étu-
diés. Qu'il nous suffise de dire qu'il y a entre eux la plus grande
variété, mais qu'on peut observer généralement les mêmes ten-
dances, à quelques exceptions ou différences près : la terminaison
oit se rencontre dès les dernières années du xiii^ siècle ; mais elle
ne devient (quand elle le devient), la terminaison habituelle des
troisièmes personnes du pluriel masculines que dans le second tiers
du xiV^ siècle. Dans la plupart des recueils, on peut en outre remar-
quer une diminution sensible dans le nombre de ces terminaisons
pendant le quatrième quart du xiv'' siècle.
Ces trois désinences régulières en w, en 0 et en on peuvent de
temps à autre subir des changements divers. Nous ne parlons pas
ici de la graphie erit que nous retrouverons tout à l'heure, mais de
certaines formes inconnues à la langue httéraire, comme celle qui
redouble Vo,Jooni, qu'on lit dans les Literae Cantuarienses (1344,
751), ou celle qui lui ajoute un e, comme soent qui se trouve dans
le premier livre des Statutes (1285, 103).
La désinence que nous appelons désinence irrégulière en eut est
beaucoup plus générale que les deux dernières que nous venons
de citer. D'abord elle appartient à la langue littéraire aussi bien
qu'aux ouvrages politiques, diplomatiques et autres. Cependant
elle est rare dans la littérature, rare surtout aux personnes fortes.
Nous ne trouvons à citer pour celles-ci que le sen (= sont) du
vers 842 d'Edward le Confesseur, forme qu'il faut sans doute attri-
buer au scribe (ms. milieu du xiii^ siècle).
Aux personnes faibles, elle est plus commune : nous voyons
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 233
déjà dans l'Apocalypse deux futurs en interrime : asembhrent :
nomerent ; dans les Contes de Nicole Bozon on trouve de même
faudreni au § 120, veiidrent au § 144 (^= faudront, vendront).
Ce n'est du reste qu'une graphie comme le prouve la rime
amarveil lemit : sunt, qu'on trouve dans l'Apocalypse, 7, 992. iMais
cette graphie est d'autant plus extraordinaire qu'au moment où
elle est surtout employée pour le futur, elle est en train de dispa-
raître des temps où elle est étymologique, comme nous le verrons
tout à l'heure.
Rare dans les œuvres Uttéraires, cette graphie est extrêmement
commune dans l'anglo-français diplomatique et politique ; les troi-
sièmes personnes du futur se rencontrent très fréquemment sous
cette forme. Les Statutes l'emploient à partir de l'année 1278
d'une façon continue jusqu'à la fin du xiv^ siècle; continue en ce
sens, qu'on en trouve des exemples d'année en année. Cette termi-
naison ent ne déplace cependant pas entièrement les terminaisons
que nous avons déjà vues : nous avons relevé dans les deux
volumes des Statutes qui donnent les textes du xiii^ et du xiv*
siècle environ vingt exemples de cette terminaison au futur : cer-
tains verbes semblent spécialement aff"ectés ; le plus employé sous
cette forme est le futur du verbe vouloir : voudrent se rencontre un
nombre de fois assez considérable, par exemple, et c'est le premier
exemple de cette terminaison en dehors de la littérature, dans le
premier volume des Statutes (1278, 44) ; puis on le rencontre
encore aux endroits suivants : 1326, 254; 1335,275; 1335, 281;
1346, 305 ; et dans le second volume, 1392, 83, etc. ; les verbes
des quatre conjugaisons sont atteints ; on trouve, toujours dans le
même recueil : portèrent (1299, I, 134) ; sentrent (1346, I, 305);
escherrent (i^^j, I, 352); prendreut (1346,!, 304). Les Parlia-
mentary Writs présentent le même état de choses, mais les futurs
étant employés beaucoup moins fréquemment, par la nature même
du texte, les exemples de cette forme sont évidemment moins
communs.
Dans les Rymer's Foedera, ces cas de terminaison en cul au
futur sont sensiblement moins nombreux que dans les Statutes :
ils ne sont pourtant pas rares •,vondrent est encore la forme en eut la
plus commune; on la trouve dans un certain nombre de cas à par-
tir du commencement du \iv^' siècle : 1509, III, 152; H 32, IV,
234 l'évolution du verbe en anglo-français
536 ; 1340, V, 203. Dans les autres recueils, il en est de même:
cette forme se trouve dans les Mem. Pari. 1305, § r; dans la
Chronique de Londres à la date de 1305 (page 32); dans le Liber
Rubeus de Scaccario (1306, 990); dans les Chroniques de Saint-
Alban (1316, 166) ; dans le Liber Albus (1335, 421). On pour-
rait multiplier les exemples. Cependant, même pour le verbe vou-
loir, la forme plus régulière en // ou en o{u)nt est la plus fréquente ;
les exemples en sont nombreux dans les Statutes, Rvmer's Foedera,
et assez communs dans les autres recueils.
Les Year Books pourraient nous fournir un nombre assez consi-
dérable d'exemples de cette désinence : voldrcnt se retrouve encore,
par exemple dans 11 et 12 Edw. III, page 335 ;comme autre verbe
on trouve assez communément serrent, comme dans 2 et 3 Edw.
II, 157 (A et D), etc.
Il pourra sembler extraordinaire que cet e, ainsi que tous les
autres c en anglo-français, se trouve quelquefois redoublé, comme
dans certijîreefit qu'on lit dans les Rymer's Foedera (i3_|8, V, 612).
Par conséquent, toutes sortes d'ouvrages, littéraires ou autres
nous donnent des exemples de cette désinence, qui est le plus
employée dans les textes politiques. Elle est très rare aux formes
fortes " ; on peut dire qu'elle est limitée aux formes faibles. Les
premiers exemples de eut pour ont se rencontrent dans les Sta-
tutes au commencement du quatrième quart du xiii^ siècle.
On en trouve jusqu'à la fin du xiv'' siècle.
B. DÉSINENCES masculines PAR DEPLACEMENT DE l'aCCENT ".
a) Voyelle nasale u.
Nous ne dirons qu'un mot sur ce point maintenant, car nous
aurons à y revenir quand nous traiterons la question plus générale
de la voyelle u dans les terminaisons féminines. Nous nous con-
tenterons de faire remarquer que quelques cas de déplacement de
l'accent sont assurés ; nous les trouvons dans l'Apocalypse :
I Évidemment dans ce cas le mot terminaison est impropre.
2. Pour le déplacement de l'accent à la troisième personne du pluriel on peut
consulter le travail de Soderhjelm : Uber Accent Verschiebung in den dritten
Person Pluralis im Altfranzôsischen.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 235
sîgnefiunl y rime avec oiint (a, 75, ^ et y» 74 ; 995, etc.), probable-
ment par analogie avec faire ; on trouve encore dans ce poème :
hahilunt à la rime avec sunt ([3 et y, 961). A- l'intérieur du vers,
nous rencontrons communément ^/ww^
F) Voyelle nasale a.
Certains imparfaits du subjonctif montrent à la place de la
voyelle muette finale habituelle, la terminaison accentuée mit.
Comme on le sait, cette désinence n'est pas particulière à l'anglo-
français ; elle est au contraire plus rare en Angleterre que dans cer-
tains dialectes du continent et notre étude ne saurait jeter sur ce
point aucune lumière nouvelle.
Nous devrons distinguer deux sortes de terminaisons en mit,
l'une accentuée, l'autre atone ; toutes deux assez rares. La pre-
mière se rencontre au xii*" siècle, et, comme sur le continent, c'est
l'imparfait du subjonctif seul qui est affecté par elle.
C'est ce fait et ce fait seul qui nous porte à considérer comme
accentuées les terminaisons des exemples qui suivent. Les mss,
du Comput la donnent assez fréquemment aux I. S. : cresis-
sant, C et A, 490; soiissant : dcitssaut, A 173. (Le ms. A a été
écrit vers 1160 ; le ms. C au milieu du xir siècle, d'après M. P.
Me3'er, un peu plus tard, d'après Mail). Les Quatre Livres des Rois,
ouvrage qui est à peu de chose près contemporain de A et de C,
ont de très nombreuses terminaisons en ant ; ici encore elles sont
limitées aux imparfaits du subjonctif, mais il faut remarquer que
ceux de I ne se montrent jamais avec cette désinence. Dans cet
ouvrage, nous avons relevé avec cette désinence sept verbes qui
font ensemble un total de neuf formes. Ce sont : venissant (l, 13,
II); deûssmit (I, 18, 22); laidissmitÇl, 24, 8); soussant (p. 42,
note i) ; cciusissmit (I, 25, 1^); fcïssmit (II, 3, ^i); fiissmit (II, 10,
6). En dehors de la littérature, nous n'avons trouvé qu'un exemple
d'imparfait du subjonctif avec la désinence mit ; il se trouve dans
Rymer -.•pm-dissmit Çjicfj, II, 183).
Au XIII* siècle, nous n'avons rencontré aucun cas vraiment
assuré de la terminaison accentuée mit. Nous trouvons, il est vrai,
un certain nombre de désinences de cette forme, dont nous repar-
lerons plus tard ; mais rien ne peut nous assurer qu'il y a eu dans
les quelques exemples que nous citerons, déplacement de l'accent.
Nous considérons que dans les formes qu'on trouve dans Boeve de
2^6 l'évolution du verbe en anglo-françals
Haumtonc, et qui peuvent être dues anscnhe: pussant 1668, descen-
dant 3200, curant 3507,^' est simplement une graphie de la voyelle
muette, graphie plus rare, mais pas plus étonnante que u, ou, i, 0
que nous verrons quand nous étudierons les désinences féminines.
Il n'y a, à notre avis, qu'un seul cas dans Boeve qui puisse se
ranger dans la catégorie des désinences en ant accentuées ; il se
trouve à la rime ; mais quoiqu'il y ait dans Boeve vingt-trois laisses,
c'est-à-dire plus de trois cents vers rimant en ant, ce cas ne se pré-
sente qu'une seule fois : c'est l'imparfait du subjonctif : portassent,
1747 ; il fliut ici probablement lire portassani pour avoir une rime
correcte ; malheureusement le vers est si peu régulier que la mesure
ne peut rien nous apprendre :
Que dis homes a peine ne portassent .
Mais le fait que ce verbe est un imparfait du subjonctif, qu'il est
dans une laisse en ant forme au moins une présomption en faveur
de ant accentué.
r) Voyelle nasale e.
Nous aurons d'autant moins de peine à l'admettre que, dans un
petit nombre de cas, l'accent passe sur la voyelle atone sans en
changer la forme ; les exemples ne sont pas nombreux et on pour-
rait alléguer que les rimes que nous allons citer ne sont rien autre
chose que des rimes pour l'œil ; cela est fort possible ; nous pen-
chons néanmoins vers l'explication qui admet une certaine con-
fusion des sons nasaux en anglo-français.
Si nous nous rappelons aussi le grand nombre de cas qui mon-
trent combien l'anglo-français a été de bonne heure hésitant sur la
valeur à attribuer aux voyelles atones muettes, nous arriverons à
comprendre plus facilement comment il se fait qu'il n'ait pas tou-
jours fait très exactement la différence entre eut accentué et eut
atone : c'est une distinction qu'une connaissance imparfiiite du
français ne devait pas leur permettre de faire.
Voici les quelques exemples qui nous montrent cette confusion :
dans le Psautier en rimes couées (Harléien 4070), nous trouvons
multiplient à la rime avec forment au vers 37 et périssent rimant
avec omnipotent au vers 544. De même dans « The Lanient of
îSimon of Monfort » nous voyons jerirent rimer avec malement au
vers 9.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 237
Ces trois rimes établissent, croyons-nous, que certains écrivains
anglo-français, dès le commencement du xiii^ siècle, ont confondu
les deux terminaisons, atones et accentuées, en ent. S'ils l'ont tait
à cette époque, que devons-nous croire du traitement de la dési-
nence féminine de la troisième personne du pluriel au siècle sui-
vant ? Il nous semble au moins possible qu'un certain nombre
d'auteurs ont donné à cette désinence la valeur d'une syllabe
accentuée, et d'autant plus aisément que les futurs prenaient sou-
vent la désinence en enf, sans changer, croyons-nous, la place de
l'accent.
Aucun auteur cependant ne nous donne un nombre suffisam-
ment grand de cas qui puissent nous montrer un déplacement sys-
tématique de l'accent. Ce phénomène en anglo-français est resté
sporadique ; et on peut le plus souvent attribuer à l'ignorance des
écrivains la plupart des cas que nous avons cités.
Il y a toutefois un auteur qui fait exception et qui emploie sou-
vent et avec une assez grande régularité des formes qui montrent
que l'accent tonique a passé sur une syllabe étymologiquement
atone. Cet auteur est Frère Angier et la désinence qu'il emploie
est la désinence en ont ; nous commencerons par déclarer que
cette désinence de Frère Angier est unique dans la littérature
anglo-française. Nous rencontrons bien, il est vrai, un grand
nombre de terminaisons en ont, surtout dans les textes qui n'ap-
partiennent pas à la littérature ; mais cette dernière ne nous semble
montrer que très rarement un déplacement de l'accent Elle n'a
donc qu'une ressemblance tout extérieure et accidentelle avec la
terminaison qu'emploie Angier.
C. DÉSINENCE ACCENTUÉE ONT. '
Nous trouvons assez fréquemment en anglo-français, outre celles
que nous avons vues, des troisièmes personnes du pluriel terminées
pàYont; mais il nous semble que toutes les désinences en ont n'ont
pas la même valeur. Certaines, et ce sont de beaucoup les plus
nombreuses, n'entraînent pas, tout au moins à l'origine, un dépla-
cement de l'accent. Elles affectent le plus souvent des présents de
l'indicatif ou du. subjonctif, et o n'est au début qu'une graphie de
la muette finale.
238 l'évolution du VKRI5H HN' ANGLO-FRANÇAIS
Nous n'avons donc pas à en parler ici, et nous les retrouverons
lorsque nous traiterons des troisièmes personnes du pluriel à dési-
nence féminine.
Quelques autres, au contraire, rentrent dans notre présent sujet ;
elles sont, croyons-nous, accentuées au lieu d'être atones. On ne les
rencontre que dans un seul écrivain. Frère Angier, et seulement
dans un poème de cet auteur : Les Dialogues Grégoire le Grand.
Les formes qui, dans ce poème, présentent cette désinence, sont
toutes des imparfaits du subjonctif; il y a donc une forte présomp-
tion pour que ce soit, comme nous le disions, une graphie de la
terminaison accentuée en ant dont nous venons de parler ; et,
quoique nous n'a3'ons aucune rime pour nous l'assurer, nous pou-
vons croire avec Miss Pope que l'accent a passé sur la terminaison,
comme dans les terminaisons en ant. Voici, d'après les conjugaisons
auxquelles ils appartiennent, les exemples qu'on en peut citer :
i"= conjug. : gardesont, 45 r° a ; desjeunesont, 46 r° a; criesont, 46 v°
b; dcmandissont, 35 v° b; repeirissont, 35 v° b. — 2" conjug. : scr-
vissoiit, 138 r° a; souffrissoni, 92 \'° a ; einpiissont, 102 v° b. —
3^ conjug. : vousissont, 138 r° a; vaiisissout, 149 v° a ; piiessont, 106 v"
a. — 4^ conjug. : reudissont, 29 v° b; naquissont, 143 v° b ; fussont,
75 v b. ^ ^
Les autres cas de terminaisons en ont nous semblent entièrement
différents.
Par conséquent, nous avons en anglo-français un nombre sinon
considérable au moins suffisant d'imparfaits du subjonctif accentués
sur la dernière syllabe. Ces formes se rencontrent pendant une cin-
quantaine d'années dans cinq ou six auteurs ou scribes.
Il faut donc corriger quelque peu ce que dit à ce sujet M. Wer-
ner Sôderhjelm (cf. p. xiv) et faire remonter jusqu'au milieu du
xii^ siècle leur apparition en anglo-français.
Les consonnes finales.
La consonne nasale est ordinairement ;/, et il est rare de trouver
/;/, la seule consonne qui puisse prendre sa place, comme dans
snnt, que l'on trouve dans le psautier d'Arundel, 24, 48 ; change-
ment peu remarquable et du reste isolé '.
I. Cf. Romania, I, 325, 337; Alexis, p. 102 et Koschwitz, Uberlieferung, p. 52;
Sôderhjelm, p. 2.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 239
Comme nous l'avons déjà vu à la troisième personne du singu-
lier, la dentale finale disparaît quelquefois. C'est cependant un phé-
nomène assez peu commun à la troisième personne du pluriel; nous
n'en rencontrons d'exemple qu'au xiir' et au xiv^ siècle. Du reste,
les cas de chute du t final à la troisième personne du pluriel sont
si peu nombreux qu'on serait presque en droit de les rejeter tous
comme des lapsus calami '. Cependant voici les quelques exemples
que nous avons rencontrés ; on remarquera que ce sont surtout des
formes fortes. Un n'est pas rare ; on le trouve par exemple trois
fois dans Boeve (cf. vers 1847), une fois dans Otinel, au vers 62 ;
et une fois dans les Rymer's Foedera (1373, VII, 13). Sun ou son
se rencontre à peu près le même nombre de fois ; dans Boeve de
Haumtone encore, où les formes de ce genre sont plus communes
que partout ailleurs; au vers 842 d'Edward le Confesseur; dans
Pierre de Langtoft (I, iio, 13). Fon se lit dans les Documents Iné-
dits (1396, 285). On trouve aussi un petit nombre de formes
faibles, char un au vers 1662 d'Aspremont ; vonldron dans les Trai-
tés de Rymer (1399, VIII, 99) et quelques autres encore. Nous
avons relevé aussi un petit nombre de formes analogues dans les
Year Books de la fin du xiV siècle.
Si nous ne rejetons pas ces formes comme des étourderies des
scribes, nous pourrons conclure de ce qui précède que la dentale
appuyée de la troisième personne du pluriel se maintient fort bien,
mieux encore qu'à la troisième personne du singulier. De plus,
l'absence de rimes pour les œuvres littéraires et la date très basse
des exemples correspondants dans les textes diplomatiques, nous
forceront à attribuer les exemples que nous avons tirés des poèmes
littéraires aux scribes et à rejeter ces formes au xiv^ siècle.
EXTENSION DES FORMES FORTES
Il y a cinq verbes qui prennent régulièrement la forme forte à la
troisième personne du pluriel : avoir, être, faire, aller, ester. Le der-
nier de ces verbes n'est pas très usité à la troisième personne du
pluriel, quoique nous ayons relevé des exemples de la torme
estnnt, à la rime, jusqu'au xiii^ siècle : commt estant ( : sunt), Petite
Philosophie (Romania, XV), vers 186 ; au contraire, dans l'anglo-
I. Cf. Bchrcns, Bcitràgc, Franzosische Studicn, V, p. 172.
240 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-1 RANÇAIS
français non littéraire, nous rencontrons un exemple au moins de
la désinence féminine : estent se lit dans les Statutes, I, 1283, 54;
quant à arestent, c'est la seule forme que nous ayons trouvée dans
tous les textes, littéraires et autres.
Des autres verbes, être conserve toujours la forme régulière ;
tout au moins nous n'avons jamais rencontré ce verbe avec une
forme féminine à la troisième personne du pluriel. Les autres au
contraire abandonnent quelquefois la forme forte, surtout le verbe
aller. Nous trouvons au xiV siècle, aylleut, Pierre de Langtoft, I,
350> 19-
Avoir n'est pas plus souvent irrégulier, et les quelques formes
faibles qu'on rencontre à la place de //;//, peuvent toujours être
considérées comme un subjonctif irrégulier, comme ayent de Pierre
de Langtoft, I, 300, 3.
Les ouvrages non littéraires, même les Year Books, sont sur ce
point absolument corrects.
Comme on le voit, les variations que nous avons à noter pour
les formes masculines de la troisième personne du pluriel, comme
aussi les gains et les pertes qui s'y rapportent, sont en même temps
peu importants et peu nombreux.
DÉSINENCES FEMININES
Pour les trois personnes du pluriel féminines, nous étudierons,
comme nous l'avons fait jusqu'ici, successivement les changements
qui affectent les consonnes puis la voyelle de la terminaison.
A. La CONSONNE DE LA TERMINAISON.
Nous n'avons que très peu de remarques à faire au sujet du t
final des troisièmes personnes du pluriel féminines; la seule chose
qui lui arrive, c'est de disparaître, et cela ne lui arrive que rare-
ment.
Nous n'avons relevé aucun exemple de cette chute de la dentale
finale dans les œuvres littéraires du xii* siècle^ et pendant les
siècles suivants nous n'en rencontrons qu'un nombre très restreint.
Nous pouvons citer voiscn à la p. 25 de Renaut de Montauban
(scribe), usen qui se lit au vers 1667 de Boeve, tyndrm qui est
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 24 1
employé dans la Genèse Notre-Dame au folio 57 v°, et dans ce
même poème viren au folio 73 v° ; ajoutons encore dans William
de Waddington fiisseii au vers 6413, et seien au vers 4673 de
ripomédon (A) .
Comme on le voit, aucun des exemples précédents n'est attesté
par la rime, et on sera peut-être tenté de les considérer comme des
erreurs matérielles des scribes, quoique de telles erreurs assez sou-
vent répétées ne s'expliquent pas très facilement. Les exemples que
nous trouvons dans les œuvres qui n'appartiennent pas à la littéra-
ture, plus nombreux que ceux que nous venons de donner, sans
être très communs, nous prouvent toutefois qu'il y a eu dans l'an-
glo-français une certaine tendance, à partir de la fin du xiii'' siècle,
à faire tomber ce /; cette tendance s'observe seulement chez les
moins corrects des écrivains.
C'est ainsi qu'on rencontre cyen et soycn, tous les deux dans Bar-
thélémy Cotton, 1294, 254; soicn dans les Rymer'sFoedera, 1294,
62'/; feiissen dans le même recueil, 1297, I^? 7^3 ; cnsiiien (1339,
V, 125), voidcn dans les Literae Cantuarienses (1320, 684). On
pourrait encore y ajouter quelques cas qui se trouvent dans les
Year Books.
Comme le nombre de troisièmes personnes du pluriel à dési-
nence féminine est considérablement plus grand que celles qui ont
une terminaison masculine, la chute de la dentale finale dans les
premières doit donc avoir été encore plus rare que dans les
secondes. Disons qu'elle est très rare pour les unes et plus pour
les autres.
Quant à la date de ce phénomène, elle est facile à déterminer;
les formes non littéraires datent au plus tôt de la dernière décade
du xiii*-' siècle ; celles que nous avons trouvées dans les œuvres
littéraires doivent appartenir à la fin du xiii^ et au xiv^ siècle. En
effet on peut sans hésiter attribuer aux scribes l'exemple que nous
avons relevé dans Boeve de Haumtone et dans Renaut de Montau-
ban.
B. La voyelle.
Nous recueillerons une plus riche moisson en cherchant dans
les textes anglo-français les différentes formes que prend la voyelle
posttonique : c'est surtout à propos de la troisième personne du
16
242 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
pluriel que nous pourrons remarquer, sans Tadmirer toutefois, la
variété des formes que les désinences du verbe peuvent prendre en
anglo-français. La voyelle e. est la graphie la plus ordinaire de
l'atone (surtout au xii'= siècle), et elle reste la graphie prédominante
à toutes les époques. Mais outre celle-là, on n'en compte pas moins
de sept autres difterentes. Celle qui va nous occuper la première,
c'est la graphie 11 ", et nous pouvons dire dès maintenant que
cette graphie prend une triple forme : u, 0, ou (cf. Désinences
masculines).
Nous avons donc ici avec les troisièmes personnes du pluriel à
terminaison masculine un parallélisme qui ne laisse pas que d'être
fort curieux, et qui peut-être le semblera encore plus quand nous
aurons étudié la valeur de cette graphie.
I. Terminaison unf.
On la trouve, cette graphie, dès le xii^ siècle, mais assez peu
commune d'abord, elle ne prend tout son développement qu'au
xiii^ et au xiV" siècle. Dès le commencement, on la voit affecter
également le présent et le prétérit ; notre premier exemple est un
prétérit : cnnnerunt pom' ctiiiuroit dans le Psautier d'Oxford (9, 9 ;
De toutes façons, cet exemple appartient au plus tard à la
seconde moitié du xii'^ siècle. Quant aux autres exemples que nous
rencontrons dans les ouvrages du même siècle, nous nous trouvons
dans la même difficulté, car aucun d'eux ne peut être assuré d'une
façon satisfaisante, puisque, comme nous tenterons de le mon-
trer plus tard, pendant un certain temps au moins, la voyelle u
dans cette position n'a été rien autre qu'une graphie de l'atone ; de
sorte qu'on doit hésiter à l'attribuer aux auteurs.
Il est même probable que les exemples suivants doivent être mis
au compte des scribes, car ils ne se trouvent que dans certains
manuscrits. Ainsi seul le ms. L de l'Estorie des Engleis ^ donne
apelimt (2833), reusenint (2856), niciicnnit (5077); seul le ms.
O de Horn ' nous fournit coilhiut (5163), siviiiil (1674), et
seul le ms. L de J. Fantosme + a la forme arstrunt au vers 803.
1. Pour cette question, cf. Stimming, 0/). cit., p. 183, 184.
2. Ms. L de Gaimar et de Fantosme, troisième tiers du xiii^ siècle.
3. Ms. O de Horn, commencement du xive siècle.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 243
Pour compléter la liste des exemples qui appartiennent peut-être
au xii^ siècle, il nous reste à donner celui qu'on trouve dans Adgar :
veunt, VR 198.
Ces désinences en // deviennent extrêmement communes au
xiii^ siècle aussi bien qu'au xiv^, quoiqu'on puisse observer que
c'est vers la fin du premier de ces deux siècles qu'on en rencontre
le plus grand nombre. Nous n'avons évidemment pas la prétention
de donner une liste complète de ces formes; l'utilité d'une telle
énumération serait fort mince. Nous nous contenterons de donner
quelques-uns des exemples que nous avons recueillis, certaines
formes pourront sembler intéressantes. Dans cette énumération,
nous serons contraints de suivre l'ordre chronologique des œuvres ;
cela n'implique pas que ce doive être nécessairement l'ordre chro-
nologique des exemples puisque, ici encore, nous sommes dans
l'impossibilité absolue de faire le départ entre les^ auteurs et les
scribes. Il est vrai que, connaissant par les exemples trouvés dans
les auteurs du xii^ siècle, la date extrême après laquelle on ne peut
reculer l'introduction de ces formes en anglo-français, la chronolo-
gie des exemples qui suivent n'a que peu d'importance. Elle pour-
rait simplement nous faire connaître à quel moment cette forme a
été le plus employée.
Mais si les œuvres littéraires, de par leur mode de transmission,
nous refusent des renseignements sûrs à cet égard, les textes poli-
tiques et autres pourront probablement nous donner sur ce point
une quasi certitude. En même temps que nous maintiendrons un
certain ordre chronologique, nous classifierons nos exemples
d'après les temps auxquels ils appartiennent.
Comme nous le disions tout à l'heure, // avec la valeur d'une
voyelle atone (cf. cependant le § suivant, p. 244) se rencontre
communément au présent de l'indicatif. Nous en trouvons quelques
exemples dans les Evangiles des Dompnées, mais ces exemples ne
sont pas nombreux. Dans le poème de [Boeve de Haumtone, au
contraire, ces désinences se trouvent en nombre considérable : elles
affectent surtout des verbes de la première conjugaison ' ; les autres
conjugaisons sont représentées par un plus petit nombre d'exemples -.
1. Chargiiiil (i-yS-j), desirnud (685), douninit (2^41), junuii (500), pensunt
(231 1), trovunt (354).
2. Diunt (1964), pendunt (914), veiunt (479).
244 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS .
Aucun auteur de cette époque ne nous donne un nombre de
désinences en ///// approchant de celui qu'on trouve dans Boeve,
et pour cette raison, nous n'hésiterions pas à rejeter sur le compte
du scribe (ms. B, xiV^ siècle) le plus grand nombre des terminaisons
en mit == eut qu'on lit dans ce poème, d'autant plus que le ms.
D n'emploie guère cette désinence (cf. cependant pendunt, 914).
Mais il n'v a que fort peu d'œuvres littéraires à n'en présenter
aucune. Nous lisons par exemple au folio 71 v° de la Genèse
Notre-Dame voliint; aiirrunt âu. vers 622 du Saint Auban, et dans
la Lumière as Lais, rendiint au vers 554. Les exemples sont encore
plus nombreux dans le petit poème sur l'Erection des Murailles de
New Ross ' ; Dermod en a quelques-uns, en nombre propor-
tionnellement moins considérable^. Ces terminaisons sont nom-
breuses dans Wil. Rishanger ', de même que dans Walter de
Bibblesworth •^.
L'Apocalypse nous offre un nombre assez considérable d'exemples
dont nous aurons à reparler plus tard : on peut relever dans ce
poème surtout des présents, et parmi ceux-ci le verbe signefier est
répété plusieurs fois; signefiiint (a, 75, |i et y, 74; 995); il y a
encore quelques autres, comme hahitimt (Jj et y, 96i),diunt (a, 204).
Comme une partie et peut-être la plus grande des exemples que
nous avons cités précédemment peut appartenir au xiv'' siècle, nous
allons arrêter ici une liste qui pourrait paraître trop longue déjà. Il
nous suffira de dire que tous les auteurs du xix" siècle emploient
plus ou moins fréquemment cette désinence. Nous rencontrons un
nombre considérable d'exemples de cette forme dans Pierre de
Langtoft, dans certains écrits de Nicole Bozon, etc.
Il n'est pas inutile de remarquer que dans les exemples précé-
dents, les verbes de I ne sont pas plus nombreux que ceux des
autres conjugaisons.
Après le présent de l'indicatif, le temps pour lequel nous trou-
vons plus communément la terminaison mit à la troisième per-
sonne du pluriel, c'est le prétérit : nous avons déjà vu que dans
les auteurs du xii^ siècle chez qui on les trouve, les terminaisons
1. Entrant (168), puunt (165), vendunt (99), etc.
2. Pount (132).
3. Clietmt (304), conesunt (iS^), poeiint (^24), pount (327).
4. Dewtint (143), isoiint (147, 161), vciunt (143).
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 245
unt étaient aussi nombreuses au prétérit qu'au présent ; le Psautier
d'Oxford a cuniierunt; Gaimar, rcilserunt et menenint ; Fantosme,
arstrunt.
Au siècle suivant, le nombre de ces terminaisons va continuer à
augmenter à ce temps au moins aussi rapidement que pour les
présents.
Donnons très rapidement quelques exemples choisis au hasard
dans un petit nombre d'auteurs du xiii^ et du xiv^ siècle. Robert
de Gretham nous montre plus de prétérits que de présents avec
cette désinence, ainsi on relève dans les Evangiles des Dompnées :
eiinint (85 r°), aresiiirunt (7 v°), estnniiit (32 v°), assemblerunt :
aresicntnt {^^ r°). Ils sont surtout communs dans Boeve ', et dans
les mêmes conditions que celles que nous exposions tout à l'heure
à propos des présents. On la rencontre encore dans la Genèse
Notre-Dame - : on peut même dire que dans le Roman des
Romans (ms. Royal 20 B XIV, xiv^ siècle), c'est la terminaison la
plus généralement employée au prétérit \
L'Apocalypse peut nous fournir aussi quelques exemples, comme
hiserunî (1342); il en est de même de Pierre de Langtoft, de
Nicole Bozon Çfnermit, Contes, § 84) et de la plupart des auteurs
du xiv^ siècle.
Aux autres temps, la terminaison unt est certainement beaucoup
plus rare ; on la trouve quelquefois à Timparfait comme dans Der-
mot and the Earl : ierunt (au vers 414), et pour le conditionnel on
peut citer l'exemple de Walter de Bibblesworth : veiidreyuiit {161).
Mais ces formes et quelques autres encore sont absolument isolées.
Remarquons, avant de quitter la langue littéraire, que des formes
comme lunf, sewnt, deiunt que l'on lit dans certains auteurs, comme
Walter de Bibblesworth (148, 162), contiennent une graphie équi-
valente à celle que nous étudions; ici, comme il arrive souvent en
anglo-français, zc équivaut à vu.
Cet // est certainement moins commun dans les textes qui n'ap-
partiennent pas à la littérature ; on en trouve cependant un cer-
tain nombre de cas qui pourront nous servir à préciser quelques
dates. Dans les Statutes, on lit ojjcuduut (13 n, I, 162), et quelques
1. Oyenuit (1700), sayseruni (2582), purnuit (2244, 2682).
2. Fiirunt (45 ro), amerunt (72 vo).
3. Donei unt {4^2), cesserunt : gardeiunt : troventnt : descoiiforterunl (633 sqq.).
2^6 l'évolution du verbe en ANGLO-rRANÇAIS
autres exemples à la même époque; dans les Early Statutes of Ire-
land, on trouve rcspoigiiiiiil (12S5, 62); dans Rynier, les exemples
sont nombreux pendant les deux premières décades du xiV^ siècle ;
surtout les Mem. Pari. 1305 nous en offrent un nombre d'exemples
relativement plus considérable : veniint, priiint, appeuâuut, cnriint,
suppJiunI (respectivement aux paragraphes : 42, 78, 82, 137, 275).
Nous pourrions trouver d'autres exemples à citer dans Jean de
Peckham pour la fin du xiii^ siècle et surtout dans le Registrum
Palatinum Dunelmense, au commencement du xiv^ siècle.
Les présents du subjonctif sont assez communs, quoique beau-
coup plus rares. Des formes comme pussuni. cyitiit se lisent dans
les Statutes et les Rymer's Foedera.
Mais nous trouvons surtout des prétérits, par exemple, pour
n'en citer que quelques-uns : vindriint, fitrnnt, employés dans le
premier volume des Statutes (1335, 269, 270), dans les Parliamen-
tary Writs (1297, éi), dans les Traités de Rymer (1274, II, 32;
1289, II, 448). Ici encore un recueil nous oft're un nombre
d'exemples relativement beaucoup plus élevé que les autres, les
Mem. Pari. 1305. Dans ce recueil, on trouve entre autres : cark-
nint, gastermit, debrnsernnt, ernportcrunt, extreierunt, fiirunt (respec-
tivement aux paragraphes 40, 182, 235, 275). Ce sont les seuls
temps qui, dans l'anglo-français diplomatique et familier, prennent
la désinence luit.
Dans les Year Books cette forme que prend la muette est très
commune, au moins jusqu'au règne d'Edward II (1306); on les
trouve quelquefois au présent: poiint (20 et 21 Edw. l", 171);
arcstitnt (21 Edw. I", 45); c?é)wz/(dedevoir) (22 Edw.P', 599). C'est
surtout le prétérit qui présente cette forme, et nous en avons
relevé un nombre considérable d'exemples à ce temps dans toute
la série des Year Books. Mais à partir de la seconde décade du
xiv^ siècle, elle est sensiblement moins fréquente. Citons quelques
exemples : dans 20 et 21 Edw. P"", on a furmit (p. 27), mitnint
(p. 41), porientiil et demanderunt (p. 305); dans 21 Edw. l" ' -.porle-
niiil, prUntni, fiintni ; dans 22 Edw. \" ~ : dejcndcnint, firunt, porte-
runt, apparirunl, etc.
1 . Respectivement aux pages 73, 73, 17, etc.
2. — — — 311, 325, 335, 401, etc.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 247
Dans I et 2 Edw.II ' •.avinsenint, porteruut; enfin, pour arrivera
la seconde partie du xiv^ siècle, dans 1 1 et 12 Edw. III ^ : sucrant,
devicnitil; dans 13 et 14 Edw. III > : portenuit, etc.
Nous pouvons donc maintenant préciser les dates les plus impor-
tantes dans l'histoire de cette terminaison.
Les premières formes ne remontent probablement pas plus tard
que la seconde moitié du xii^ siècle, et doivent se placer vers 11 60,
au plus tôt.
Pendant tout le xiii^ siècle nous pouvons relever des exemples
de nnt = ent ; mais c'est pendant les vingt premières années du
xiv^ siècle (peut-être même un peu plus tard) que cette désinence
a été le plus fréquemment employée.
Valeur de u dans la terminaison unt.
Il n'est pas sans importance de tâcher de déterminer la valeur
phonique de u dans les terminaisons que nous avons étudiées.
Implicitement nous avons admis que cette vo^^elle n'était ni plus ni
moins qu'une graphie de la muette, exactement comme nous l'avons
admis lorsque, à la première personne du pluriel, nous avons
rencontré des formes comme sumiis. Cependant cela n'est pas assez
évident pour qu'on puisse l'admettre sans examiner les faits d'un
peu plus près. A priori on se demande comment les écrivains anglo-
français ont pu maintenir longtemps une difterence, si jamais
il y en a eu une, entre funt et curunt ou entre estiint et arestunt.
Il nous faut donc examiner les rimes; mais celles-ci ne peuvent
nous faire connaître avec quelque certitude qu'un côté de la ques-
tion. Si nous trouvons une désinence régulièrement féminine,
écrite par unt et rimant avec une désinence masculine, nous savons
qu'il y a eu un déplacement de l'accent. Au contraire, si nous ren-
controns ces désinences dont nous nous occupons maintenant à la
rime avec une désinence féminine de même nature, nous sommes
naturellement portés à conclure, ce qui n'est pas toujours très cer-
tain, que l'une des deux formes provient du scribe et que dans ce
cas la rime n'a plus de valeur. Il semble donc que nous ne puissions
1. Respectivement aux pages 6, (S9, 145.
2. — • — — 21, 41.
3.- - 81.
248 l'évolution du verbe en anglo-françats
enregistrer que les cas où le déplacement de l'accent s'est produit.
Mais même si nous trouvons un certain nombre de ces cas, pour-
rons-nous conclure avec certitude que toutes les désinences en mit
ont été accentuées ? Il faudrait pour cela, croyons-nous, que le
nombre "de ces rimes soit considérable et qu'elles nous montrent
dans cette position un nombre suffisant de verbes différents. Ce
n'est pas le cas; nous n'avons relevé que quatre rimes où notre
désinence en //;// rime avec un mot en //;// accentué. La première
est très ancienne relativement et remonte au commencement du
XIII'' siècle. On la lit dans les Evangiles des Dompnées : coiifiindunt
(:runt de rompre) au fol. 25 v° ; les rimes qui suivent celle-ci au
point de vue chronologique lui sont postérieures de cent ans ; on
les lit toutes dans l'Apocalypse : signefiunt (: ount) au vers 75 (a) ou
74 (3 et y); cette même rime est répétée au vers 995. Dans le même
poème on trouve encore habitiiut (:sunt) au vers 961 (.3 et v).
Il est inutile de fliire remarquer comme ce nombre de rimes est
petit, si l'on considère d'un côté le nombre de ces nouvelles formes,
de l'autre le nombre des interrimes du futur et des troisièmes per-
sonnes du pluriel fortes, et surtout le nombre des rimes qui
accouplent cette nouvelle désinence en unt avec la terminaison
fétninine régulière. Nous trouvons dans Gaimar : rcuscrunt (: erent),
7>ie)ienintÇ: cheminèrent); dans la Lumière as Lais, au vers 554:
rend II ut (: apendent), etc.
Quoique l'on ne puisse guère exagérer la négligence des scribes,
il semble cependant difficile d'admettre que, dans un aussi grand
nombre de cas, ils aient accouplé des formes qu'ils sentaient diffé-
rentes ; il est plus facile de supposer qu'il y avait pour eux identité
complète entre cette terminaison mit et la terminaison régulière.
De plus le déplacement de l'accent s'iinaginerait assez mal à
l'imparfait et au conditionnel.
Nous conclurons donc que 1'// de ces désinences n'a été consi-
déré la plupart du temps par les auteurs et les scribes que comme
une graphie de la muette. Très rarement, quoique assez tôt, il y a
eu déplacement de l'accent et on peut trouver un tout petit
nombre d'exemples montrant ces personnes accentuées sur la dési-
nence.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 249
2. Terminaison ont.
Rare dans l'anglo-français littéraire, cette terminaison est extrê-
mement commune dans la langue non littéraire ; nous ne trouvons
en effet dans les ouvrages littéraires qu'un petit nombre de tetmi-
naisons en ont au présent de l'indicatif : pont dans le Saint Julien
(80 r°) ; vivont dans les Heures de la Vierge (6i v°) ; et dans les
Contes de Nicole Bozon : parlont (§ 13 e) etcnpernont (§ 88). Les
prétérits sont encore moins nombreux ; on trouve prêcheront dans
les Heures de la Vierge (62 v°), et ensonrderont dans Nicolas Trivet
(2 r°). Nous n'avons trouvé aucune de ces formes à la rime, mais
les cas de rime que nous avons déjà cités dans les terminai-
sons en iint suffisent à montrer que pour ces terminaisons, comme
pour les autres, il n'y a pas eu en général déplacement de l'accent.
Par conséquent il ne faut pas confondre ces désinences avec celle
des imparfaits du subjonctif que nous avons trouvés dans Frère
Angier et auxquels ils sont postérieurs de trois quarts de siècle pro-
bablement.
Ces désinences en ont qui nous occupent 'maintenant sont extrê-
mement fréquentes dans la langue diplomatique et politique : il
nous est impossible de songer à donner tous ces exemple de termi-
naisons, leur nombre étant beaucoup trop considérable ; rien que
dans les Statutes, nous en avons relevé environ trente et nous en
avons omis ; leur nombre est au moins aussi grand dans les Rymer's
Foedera; et les ouvrages moins étendus, comme les Parliamentary
Writs, les Literae Cantuarienses, les Lettres des Documents Lié-
dits, etc., en ont proportionnellement. Trois temps seulement
reçoivent cette désinence dans les Statutes et ouvrages analogues
(Writs et Mem. of Pari.), ce sont le présent de l'indicatif, le pré-
sent du subjonctif et le prétérit. Par exemple, pour le premier de
ces temps, nous trouvons dans le premier volume des Statutes
arivonf, de.'irbargeoiit (1323, 192); pour le présent du subjonctif,
nous avons viegnont (1335, 381 ; 13350, 317); pour le prétérit
conseilleront (1321, 182). La date la plus reculée à laquelle nous
trouvions des exemples de cette terminaison dans la langue pure-
ment politique est 1321, et il faut remarquer que, dans les Mem.
Pari. 1305, alors que les terminaisons en unt sont spécialement
nombreuses, les désinences en ont sont entièrement absentes.
250 l'évolution du vkrbe en anglo-français
Les premiers exemples que nous fournissent les Ryraer's Foedera
sont quelque peu plus anciens; nous relevons le premier cas dans
un traité de Tannée 1297, second volume, p. 783 : le prétérit vin-
drout. Ce sont du reste les mômes temps que nous rencontrons dans
Rymer, auxquels il faut cependant ajouter quelques imparfaits du
.subjonctif, que nous aurions peut-être dû classer avec la seconde
espèce de désinence en ont, quoiqu'il ne soit pas très vraisemblable
que ces formes présentent un déplacement de l'accent. Les présents
de l'indicatif et du subjonctif, comme aussi les prétérits que nous
trouvons chez Rvmer's ne diffèrent en rien de tous ceux que nous
avons cités ; nous nous contenterons de donner quelques-uns des
imparfaits du subjonctif, comme fnissont (1338, V, ^}'); tenissont
(1357, VI, 5).
Les autres ouvrages présentent un nombre plus ou moins consi-
dérable de ces formes ; dans quelques-uns, comme le Liber Rubeus
de Scaccario, elle est même plus fréquente que toute autre dési-
nence. Mais aucune des formes que nous avons relevées ne diffère
des types que nous avons déjà cités, et conséquemmentil est inutile
d'en donner un plus grand nombre.
Dans les Year Books, 0 se rencontre déjà avec la valeur d'un c
atone au commencement du xiV^^ siècle, comme dans rendant (30
Edw. l", 31); diont {ihid., 241); on trouve cette graphie aussi à
l'imparfait du subjonctif ; venisont (30 Edw. P'', 501). Ce n'est
guère qu'à partir du règne d'Edward II que 0 tend à déplacer com-
plètement les désinences que nous venons d'étudier, au présent de
l'indicatif et du subjonctif, comme dans volont (3 Edw. Il, d^) (Y),
puissont {2 et 3 Edw. II, 169), (Y), etc. et au prétérit: demanderont
mistront (2 et 3 Edw. II, 80), (Y), entreront (3 Edw. II, 193) (Y), etc.
Désormais cette forme sera dans la langue légale des pluscommunes,
plus fréquente que le simple e et que //, aussi employée que ou que
nous allons voir maintenant.
3. Terminaison ount.
Nous avons déjà vu que la diphtongue o//peut prendre la place de
la voyelle u ou 0 dans les désinences accentuées masculines de la
première personne et la troisième personne du pluriel. Il est assez
naturel par conséquent que le même fait se produise dans les ter-
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 25 I
minaisons féminines, c'est-à-dire lorsque la voyelle simple n'est elle-
même que la graphie de l'atone posttonique.
On trouve ces désinences féminines en oiiiit principalement au
xiv^ siècle ; nous en avons bien quelques exemples dans certains
auteurs du xiii'' siècle, mais il nous semble tout au moins probable
que les quelques cas que nous rencontrons à cette époque doivent
être attribués aux différents scribes et ainsi rejetés au siècle suivant.
(Cf. Première personne du pluriel et troisième personne du plu-
riel).
Comme les désinences atones tint et ont dont elle est dérivée,
elle est surtout fréquente au présent de l'indicatif et au prétérit ;
comme nous avons déjà cité un assez grand nombre d'exemples de
formes analogues dans les paragraphes qui précédent, nous nous
bornerons ici au minimum.
Pierre de Langtoft l'emploie assez souvent au présent de l'indica-
tif Çcomme giiyoïint, I, 136, 6); le roman de Foulques Fitz-Warin
en offre plusieurs exemples à ces deux temps ; dans les Contes de
Nicole Bozon, comme on peut le voir dans l'introduction de
M. Paul Meyer, on en rencontre un nombre considérable; il en va
de même des Chroniques de Nicolas Trivet, où ces terminaisons
sont encore plus communes. Cependant il est évident que l'emploi
de cette forme dépendait en grande partie de la fantaisie des scribes,
car elle est entièrement absente de certains mss. ; par exemple, nous
ne l'avons pas relevée dans certains mss. des Proverbes de Bon
Enseignement, ainsi dans le Bodleyyéi (cf. par exemple le fol.
182 r° et pûssiiii).
La diphtongue on avec valeur de voyelle muette est sensible-
ment plus rare dans la langue non littéraire. On serait peut-être
tenté de croire que les terminaisons muettes unt, ont, oiint sont
entre elles, au point de vue du nombre, dans le même rapport que
les terminaisons accentuées de la même forme ; nous ne croyons
pas qu'il en soit ainsi. La terminaison ount est comme terminaison
atone proportionnellement plus rare que onnt, terminaison accentuée ;
cependant elle se retrouve dans la plupart des recueils, mais uni-
quement à trois temps : le présent de l'indicatif et du subjonctif et
le prétérit ; on la rencontre un petit nombre de fois dans les Sta-
tutes, /)Ot)/m^, rt.rm'O?/;?/ (respectivement 1285, 96 et 1323, 192); de
môme dans les Parliamentary Writs, et une seule fois dans les
2)2
l'Évolution du verbe en anglo-français
Mem. Pari. J^o'j, prionnl, ^ 276. Rymer en fournit quelques cas,
eux aussi en petit nombre.
Somme toute, cette désinence est connue et assez peu employée.
Elle se trouve au présent de l'indicatif, au présent du subjonctif et
au prétérit.
Au contraire, elle est assez commune à ces mêmes temps dans
les Year Books, surtout à partir de la seconde décade du xiv^ siècle ;
on peut la trouver antérieurement à cette date ; par exemple
dioutit, prioiiiit se lisent dans le Year Book 31 Edward I" (417 et
429) ; mais elle est surtout fréquente vers le milieu du xiv^ siècle.
Dans 17 et 18 Edward III (1343 -1344), nous en trouvons un nombre
considérable de cas ; elle devient plus commune que 0 et même que
g, peut-être même aussi employée que //.
Dans l'ensemble de la littérature (au sens large du mot) anglo-
française, on est des plus rares en dehors des temps que nous venons
de citer. M. Stimming cependant croit en trouver un exemple à l'im-
parfait au vers 60 r de Boeve, fuoiiut. A priori, cela peut nous sem-
bler bien extraordinaire. Pour retrouver une désinence analogue
dans la littérature, il faut aller jusqu'à Nicolas de Trivet qui nous
donne disount au fol. 31 v° ; et encore ne sommes-nous pas sûrs
que cette forme appartienne à l'auteur lui-même, et si elle provient
du scribe, elle ne remonte pas plus haut que le xV^ siècle. Même
en dehors de la littérature, les exemples sont des plus rares en
dehors du présent et du prétérit, et ce n'est que dans le Law French
qu'on les trouve ; cette diphtongue se trouve employée de deux
façons dans les Year Books, d'abord avec la voyelle ou diphtongue
accentuée régulière, comme poieount (11 et 12 Edw. III, 399);
serreioimt (ibid., 363, 459), ou plus rarement sans cette diphtongue :
disount (2 et 3 Edw. II, 15, 52).
Il est donc fort peu probable que l'exemple de Boeve soit un
imparfait; le sens peut fort bien (mieux peut-être), s'accommoder
d'un présent de l'indicatif, et cette désinence n'est pas rare à ce
temps, comme nous l'avons vu '.
Par conséquent, nous pouvons conclure que la diphtongue ne se
rencontre jamais en dehors des trois temps que nous avons énu-
I . Voici le passage où se trouve cette forme :
Que quant il veient Boefs o le branc tbrbis,
Ensement il tuount com fet li mauviz.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 253
mérés, sauf dans certains ms. du xv^ siècle, et dans les Year Bocks
qui ne sont peut-être pas plus anciens.
4. Terminaison ant.
Nous trouvons enfin dans un petit nombre d'ouvrages littéraires
et de textes diplomatiques quelques terminaisons en ant qui nous
semblent atones. On les rencontre surtout dans Boeve de Haum-
tone, au présent de l'indicatif et au prétérit, exactement comme
pour les désinences atones en //, o, ou, que nous avons déjà
étudiées.
Citons dans Boeve, pussant (au vers 1668), descendant (au vers
3200), euraut (au vers 3507). Pour une raison que nous ne com-
prenons pas, le savant éditeur, M. Stimming, a rétabli dans son
texte pour les deux derniers seulement de ces exemples Ye étymo-
logique.
Nous pensons que ces trois formes appartiennent au scribe de B,
par conséquent qu'elles doivent être attribuées au xiv'' siècle. Les
seuls exemples que nous trouvions de cette terminaison en ant en
dehors de la littérature appartiennent à ce siècle et se trouvent
dans un tout petit nombre de textes.
Il nous semble évident que, comme nous l'avons vu, la termi-
naison a}it accentuée est inconnue à l'anglo-français non littéraire ;
nous n'avons rencontré qu'un seul exemple (celui de Rymer, cité
plus haut) de la terminaison ant à l'imparfait du subjonctif. Va
des désinences en ant qu'il nous reste à citer peut donc être consi-
déré comme atone. Elles sont du reste extrêmement rares; les deux
exemples que nous avons relevés sont ensuant, qui est un présent
de l'indicatif et se lit dans Rymer (135 1, V, 723), et l'imparfait de
l'indicatif w/t'/^/;// dans les Mem. Pari. 1305 (§ 392).
Cette désinence est tout aussi rare dans les Year Books : nous
avons ïtXcwé passant (50 Edw. I", 221); poiant (17 et 18 Edw.
m, 85), mais ces exemples isolés et éloignés l'un de l'autre pour-
raient à la rigueur passer pour des erreurs cléricales ; de toutes
façons ils n'ont que peu de valeur probante.
Néanmoins nous croyons que l'anglo-français à connu et employé,
assez rarement, il est vrai, une désinence atone ant et qu'elle
appartient au wv" siècle.
2)4 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
5. Terminaison /;//.
La graphie //// n'a pas l'importance des désinences que nous
venons d'étudier : d'abord, il ne peut y avoir aucun doute sur sa
valeur, car on ne la trouve jamais rimant avec /;// accentué, h'i ici
est certainement l'équivalent de IV atone.
Le premier exemple de la désinence int qu'on puisse citer se lit
dans le Saint Brandan : vindrint (au vers 355); mais il est certain
que la responsabilité de cette graphie doit être laissée au scribe. Le
ms. de l'Arsenal (vers 303) porte vindnmt. L'on ne rencontre
aucun autre exemple analogue à la troisième personne du
pluriel avant le second tiers du xiii^ siècle, et nous devons dire que
même plus tard cette graphie reste toujours rare et limitée à cer-
tains auteurs : Boeve, chez qui on est toujours à peu près certain
de rencontrer des exemples de toutes les irrégularités, a plusieurs
troisièmes personnes du pluriel terminées en int : comme sigJint
(1891), point (1961) (de /)0t7V) ; ce dernier exemple n'est pas très con-
cluant, czr point provient tout aussi vraisemblablement de poient, par
la chute de Ve muet en hiatus. Dermoten a aussi quelques exemples ;
c'est même l'auteur anglo-français qui en présente le plus grand
nombre ; nous lisons dans ce poènie : baillerint (619), vindrint
(740), dcmorirint (803), tindrini (1339). On trouve aussi cet /
dans certaines œuvres en prose : issitit, dans Wil. Rishanger
(p. 330). Le xiv^ siècle a connu cette terminaison mais ne l'a pas
employée souvent : pJeindri}it se trouve dans les Contes de Nicole
Bozon (au § 121), apellint dans les Chroniques de Nicolas Trivet
(au fol. 20 r").
Voilà à peu près tout ce que nous avons rencontré dans les textes
littéraires de ce siècle : comme on le voit, c'est peu et ne saurait se
comparer pour la fréquence à ce que nous avons trouvé pour les
terminaisons nnt, ont et ount.
Il en va de même pour les textes non littéraires ; la désinence
/;// ne se trouve que rarement et rarement dans les textes corrects,
comme les Statutes, Jean de Peckham, etc. ; nous en trouvons
quelques cas dans les Rymer's ¥oederâ : piisint (1275, L 885 ; 1357,
VI, 48) ; un seul dans les Parliamentary Wnts:viinlrint (1301, 132) ;
un autre dans les Mem. Pari. 1305 : fnrint (§ 12) ; et un nombre un
peu plus considérable dans uij mauvais texte des Historical and
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 255
Municipal Documents of Ireland (1292, p. 206 sqq): vijidriut, dis-
trint, lessint, pJcyntrint. La langue légale elle-même ne nous donne
que fort peu d'exemples en /;//, par exemple point (22 Edw. V\
423) ; et une forme plus assurée : velint (2 et 3 Edw. P"", 141) (Y).
Comme on le voit c'est peu, et peu concluant.
On peut cependant admettre que cette forme assez rare a été
employée depuis le milieu du xii"" siècle au xiv'' siècle par un petit
nombre d'auteurs ou de scribes.
6. Terminaison ie)it.
Nous avons encore à mentionner une autre terminaison, assez
commune en anglo-français ; elle ne soulève pas, croyons-nous, les
mêmes questions que les terminaisons précédentes: c'est la dési-
nence en ient. Nous avons déjà vu que la troisième personne du
singulier montre quelquefois une nouvelle désinence en ie distincte
à la fois de la terminaison régulière de la première conjugaison
et de celle de la seconde. Rappelons qu'on la trouve avec des verbes
de II, de I et de IV.
C'est à cette désinence de la troisième personne du singulier que
correspond celle dont nous avons maintenant à nous occuper. Dans
les œuvres littéraires, les exemples de zVwf sont peu nombreux et peu
concluants. Dans le purprenient du Psautier de Cambridge (78, 8)
et le rcqiiiergient des Quatre Livres des Rois (III, 18, 24), 1'/ peut
s'expliquer comme servant à exprimer la mouillure de la consonne
nasale, ou comme partie de la chuintante. Cette explication pos-
sible n'est pas bien satisfaisante ; surtout elle ne peut s'appliquer à
des formes comme annuncient des Quatre Livres des Rois (III, 22,
13), ni à devient (=deivent) que l'on trouve très fréquemment (le
premier exemple, à notre connaissance, se trouve dans le Manuel
des Péchés, au vers 7909). Nous avons tout d'abord été tentés de
regarder ce dernier exemple comme une faute de lecture pour dei-
vent {dénient et deinent pouvant se confondre très aisément); mais le
nombre de ces formes dans les œuvres littéraires nous a fait long-
temps hésiter à accepter cette explication. La graphie dans certains
manuscrits est absolument claire, voir par exemple devient au vers
50 de la Geste des Dames.
L'examen des autres écrits anglo-français a eu raison de nos
doutes ; dans la langue politique, diplomatique, etc., cette même
256 l'évolution du verbe en anglo-prançais
forme et des plus communes et se trouve dans hi plupart des recueils,
même les plus corrects .
Il est assez difhcile de croire que la même faute se soit répétée
si souvent dans toutes sortes de textes. Dans la majorité des cas,
il est impossible de nier que ieiit ait été écrit : l'examen de plusieurs
manuscrits nous l'a prouvé ; d'un autre côté, il est aussi difficile
d'admettre qa'un nombre considérable de copistes indépendants les
uns des autres aient commis un nombreconsidérable de fois la même
foute ; cela est spécialement difficile à admettre pour les scribes qui ont
copié les Statutes, car il est visible que les différentes copies qui
composent le recueil ont été faites avec le plus grand soin ; il nous
reste donc à admettre qu'un grand nombre des formes devient:
doivent être regardées comme ayant réellement la terminaison ienf;
nous le croirons surtout des exemples que nous trouvons dans les
Statutes (cf. 1285, joetpassim).
Les autres exemples de désinences en iejit ne peuvent pas nous
donner autant de doutes ; nous remarquons d'abord que les Sta-
tutes ne nous montrent cette désinence qu'après une lettre mouil-
lée, par exemple, dans le premier volume : veignieiil (1283, 54);
espn r nient {12S y, 96) ; voillient (1340, 284); dans le second volume,
nous trouvons d'abord ce dernier exemple (1379, 14) ; et aussi
çoiJlient (1377, 2).
Il en va à peu près de même pour Jean de Peckham qui n'em-
ploie cette désinence que dans voyl lient (1284, 565). Rymer, il
est vrai, nous fournit des textes où l'emploi de cette terminaison
est beaucoup plus étendu ; on trouve chez lui IV après toute sorte
de thèmes et à toutes sortes de temps : des présents de l'indicatif,
des présents du subjonctif, des imparfaits du subjonctif, comme
touchient (1289, ^^^ 44^); pcniient (1297, ^I' 7^4) 5 eussient (1360,
VI, 163).
Quant aux autres textes, cette terminaison, tout en étant moins
fréquente, n'est pas rare .• on la trouve dans les Literae Cantua-
nenses(i343, 728) ; dans le Blacke Booke of the Admiralty, dans
les Royal Letters Henry IV (1339, 8), etc.
C'est donc bien, avec certaines restrictions, une nouvelle dési-
nence de la troisième personne du pluriel qu'on rencontre dans
toutes les catégories de textes anglo-français ; elle y date du com-
mencement du xiii^ siècle et se rencontre jusqu'à la fin du xiv^ siècle ;
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 257
elle aft'ecte le présent de l'indicatif ou du subjonctif, d'abord des
verbes présentant comme dernière consonne du radical une lettre
mouillée, puis du verbe devoir qui nous donne un nombre
considérable d'exemples, enfin de quelques autres verbes. Les autres
temps sont extrêmement rares.
7. Redoublement de la voyelle atone.
On pourrait très légitimement considérer comme un cas de
déplacement de l'accent après redoublement de la muette de la ter-
minaison le aresteent de Saint Auban, vers 1466 (4 syllabes ?), à
moins que l'on ne considère simplement cette forme comme copiée
sur les formes régulières : effréent (ibid., 5) ; chéciit (ibid., Rubrique,
fol. 36 r°) ; assiêent, Li Vers del Juise (ms. B, vers 120) '.
Cependant les textes politiques et diplomatiques nous offrent un
certain nombre de cas où la muette est écrite deux fois ; nous
avons déjà eu Vocc2is\onà.QC\ttrdeschargeûnt dans le premier volume
des Statutes (1323, 192); mais par cette forme la présence de Ve
est justifiée par le g.
Cette explication ne saurait s'appliquera quelques autres exemples
qui se lisent dans les Rymer's Foedera; citons: scieunt (= seient) qui
se trouve à la date 1289 (II, 448) ; jureoiit, à la date 1349 (V, 661)
et chivacheont à la date 1368 (VI, 594). Ces différentes terminaisons
n'ont que peu d'importance.
Nous aurions peut-être pu créer pour la troisième personne du
pluriel, comme pour la seconde, une classe de monstres. Elle aurait
surtout compris ces troisièmes personnes qui montrent s Qi :(^
après le /. Ce sont tantôt des désinences masculines, comme istronts
qui se lit dans Rymer (1268, I, 858) ; serroni:^ dans le même recueil
(1376, VII, 706), ou des désinences féminines commeyi?/a'H/~, tou-
jours dans Rymer (135 1, V, 719).
Nous n'accordons évidemment aucune valeur à ces exemples qui
sont du reste extrêmement rares.
I. On peut probablement rapprocher les différentes formes que nous venons de
citer de feent (faire) qu'on lit dans le Jonas. Cf. Marchot, Zeitschrift, XXII,
401.
17
258 l'évolution du verbe en anglo-français
Terminaison en c{a)ient.
Il nous reste à parler d'une autre sorte de terminaison féminine
dans laquelle la voyelle atone est précédée de la diphtongue e^ûji.
1. Extension de celle terniiiiaisou.
Régulièrement, cette terminaison se rencontre aux troisièmes per-
sonnes du pluriel de tous les imparfaits de l'indicatif et de tous les
conditionnels, du présent de l'indicatif de certains verbc^s (comme
voir), du présent du subjonctif d'avoir et d'être.
Ce sont les seuls temps qui, dans les œuvres littéraires, se ren-
contrent avec cette terminaison, et ils la conservent toujours. Mais
en outre cette terminaison a un emploi particulier et irrégulier dans
les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littérature. On la trouve
assez fréquemment comme désinence de l'imparfait du subjonctif ;
les Statutes nous en offrent quelques exemples : fiiysseint (1285, I,
103), forme qui se trouve encore dans les Parliamentary Writs
(1325, 11,717, deux fois). On la rencontre aussi à d'autres temps :
au prétérit, par exemple vi ud rein !, employé dans les Rymer's Foedera
(1297, II, 783) ; au présent du subjonctif comme pnissoient, répété
trois fois dans le Liber Albus (1314,418); même au présent de l'indi-
catif dansles Statutes: flTm/mz/ (1297,1, i32).Ondoit probablement
rapprocher cette dernière forme de aresteenî (cf. supra) dans laquelle
l'hiatus a pu développer un /.
Cette désinence est extrêmement commune dans la langue légale
et se trouve employée d'une façon irrégulière, surtout avec deux
temps: l'imparfait du subjonctif et le prétérit; pour le premier de
ces temps, on trouve principalement, comme dans la langue poli-
tique,//yi^-dv;// (par exemple 33 et 35 Edw. I'^'', 525), pleyndreynt (id.
253), vindereynt (i et 2 Edw. II, pp. 10, 20, 23, forme attestée par
les trois mss.), tiendreynl (2 et 3 Edw. II, 141, donnée par Y), etc.
Il nous est impossible de savoir s'il y a eu, en même temps qu'un
changement de désinence, déplacement de l'accent ; il paraît tout au
moins probable que la désinence n'est pas simplement une graphie
de la muette.
2. Les formes de celle lerniiuaison.
a) La voyelle posttonique.
Le phénomène le plus général que nous puissions observer à pro-
pos des troisièmes personnes du pluriel terminées par voyelle ou,
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 259
plus souvent, diphtongue plus ent, consiste dans la chute de la
voyelle atone finale ; c'est ce que nous avons déjà étudié à la pre-
mière et à la seconde personne du singulier. Nous allons mainte-
nant voir si cette chute de l'atone en hiatus s'effectue ici dans les
mêmes conditions que précédemment; comme le nombre des
exemples fournis par la troisième personne du pluriel est beaucoup
plus considérable que ceux que nous avons rencontrés aux deux
autres personnes, nos conclusions seront plus faciles à tirer et plus
sûres.
Comme nous l'avons fait auparavant, nous étudierons tout d'abord
ce qui se passe au xii^ siècle, puis pour les deux siècles suivants,
nous examinerons successivement les désinences de l'imparfait de
l'indicatit et du conditionnel, puis celles du subjonctif.
XII^ SIÈCLE
Dans tous les ouvrages composés au xii^ siècle, nous pouvons
aisément relever de nombreux exemples montrant que les désinences
en eient, ouent, sont régulièrement conservées sous leur forme dis-
syllabique; ils sont si communs, depuis le Cumpoz jusqu'à Guis-
chart de Beauliu, que nous n'en citerons aucun.
Pendant cette période les cas d'amuissement de Ve sont par con-
séquent très rares et ne se produisent que pendant le dernier tiers
de ce siècle. Le premier que nous ayons rencontré se lit dans les
Légendes de Marie d'Adgar (1160) ; on trouve dans cet ouvrage
(V R, 96) le conditionnel reqiierreint, et cette forme est assurée par
la mesure du vers :
Pardun requerreint de quer parfit.
Cet exemple n'est pas des plus probants, le vers étant de toutes
façons un vers faux; peut-être faut-il lire querreint.
Dans Horn,les cas d'amuissement de Ve sont un peu plus nom-
breux; on trouve des imparfaits et des conditionnels de même que
quelques présents du subjonctif ; citons quelques-uns de ces cas :
Présent du subjonctif (vers 465):
Dicest mester od lui ovoil quil seient servant.
Imparfait de l'indicatif (vers 2690) :
2é0 L ÉVOLUTION DV VERBE EX ANGLO-I-RAKÇMS
Q.uil allaient a Senburc pur esbanciemcnt .
Conditionnel (vers 2691), (exemple douteux; faut-il lire be-ve-
reint ou he-vrei-ent ?) :
Si bevereieut od lui c bon viu c pimtnt.
Mais les présents de l'indicatif dans lesquels la voyelle muette de
la terminaison est en hiatus avec la voyelle du thème ne présentent
jamais la synérèse; de plus, même aux temps que nous venons de
citer, la forme correcte est de beaucoup la plus commune (cf. par
exempleles vers 48, 176,433,877, 1370,2546,2548,2828, 3908).
Il y a même dans ce poème un exemple très curieux qui montre la
forme étymologique employée à côté de la forme abrégée au même
temps (vers 2692) :
Ety(H'/d'/((;J«/ (2 syll.) as echcs, orreieiit (3 svU.) harpement.
Dans la Chronique de Jordan Fantosme, la proportion des formes
sans c atone et des formes étymologiques est peut-être un peu plus
forte que dans Horn ;rt' atone disparaît dans trois cas au présent de
l'indicatif, au vers 491 :
Kar li Escot me guerreient sans nule manaie.
Au vers 1 1 7 5 :
Femmes fuient al muster, chascune tud ravie.
Entin au vers 1947:
Issi cumveient le rei de si qu'a Westniuster.
De l'autre côté, les formes régulières sont très nombreuses ; on
en pourrait citer une trentaine (cf vers 132,431, 1495, 1496,
1844, 1940, 1945). Quoique encore assez peu communes, les
formes abrégées marquent un très grand progrès, si on peut dire,
sur le poème de Horn. Il en va de même aux autres temps, quoique
d'une façon moins remarquable peut-être, excepté au présent du
subjonctif qui semble conserver toujours très régulièrement sa voyelle ■
atone (cf. vers 1357, 1995) ; cela peut n'être qu'une coïncidence.
LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 26 1
A l'imparfait et au conditionnel, nous trouvons un nombre consi-
dérable de cas d'amuissement de ïe: en voici quelques-uns:
Ki lur honurs teneient del rei demeine (10 syll.), 691 .
Ne saveient porter armes a lei de chevalier, 1003.
Il esteient plus de lui par miliers e par cent, 1042.
Flamenc esteient hardis et mult acuragiez, 1 2 1 5 .
Kar il saveient mult bien li reis ert mult hardi, 1658.
Les vers qui nous attestent les formes avec atone syllabique sont
à peine plus nombreux (cf. 433, 643,923, 935, 1342, 1657, 1944,
et quelques autres).
Nous trouvons une preuve de la diffusion des formes abrégées
dans le fait qu'un écrivain aussi soigneux que Sœur Clémence de
Barking ne les évite pas entièrement ; on trouve chez elle (vers
1339):
Tost mavreient les oilz fors becchie.
Mais chez elle, comme dans les plus corrects des écrivains de la
fin du xii^siècle, cesformes sont rares ; quelques-uns même, comme
Guillaume de Berneville, les ignorent absolument (cf. Vie de Saint
Gilles, imparfait de l'indicatif, vers 69,85, 1065, 1276, 1735, 1741;
présent du subjonctif, 1627, 1792 ; présent de l'indicatif, 93, 459,
715, 929, 1044, 1561, 1527). Il en est de même de Renaut de
Montauban.
XIII^ ET XlV^ SIÈCLES
Au siècle suivant, il n'en va pas toutà fait de même ; nous allons
voir pendant les premières années de ce siècle le nombre des formes
régulières décroître d'une manière extrêmement rapide. Remarquons
tout d'abord qu'il n'y a qu'un tout petit nombre d'auteurs qui pendant
cette période ne connaissent que la terminaison dissyllabique. Ce
sont du reste les deux auteurs dont nous avons fait remarquer la
correction pour la première personne du singulier : Robert de Gre-
tham, dans ses Évangiles des Dompnées (cf. 23 r°, 39 r°, 65 r", 77
v°, etc.), et Denys Pyramus (cf. vers 435, 7 syll., 41 11). Ils sont
exceptionnels, et tous les autres présentent un nombre plus ou
moins considérable de formes d'où ïe en hiatus a disparu.
262 l'Évolution du verbe en anglo-fkançais
A. Imparfait et conditionnel.
Les poèmes deChardri nous montrent encore ici une progression
remarquable pour ces formes; dans le Josaphat, le nombre d'impar-
faits et de conditionnels qui ont retenu 1'^ atone en hiatus est encore
assez considérable, et nous pouvons en trouver plusieurs attestés
par la mesure du vers. Les imparfaits réguliers de la première con-
jugaison se rencontrent avec une terminaison dissyllabique dans deux
endroits: Jeiinoenl au vers 632 ; quidoent au vers 2613 :
Les oiz lermoent plus k'asez ;
E quidoent ke ildormeit !
Les imparfaits et conditionnels en dent peuvent nous donner évi-
demment des exemples encore plus nombreux : les terminaisons
dissyllabiques sont assurées entre autres par la mesure des vers 1647,
i8or, 1962, 2387, 2646. Voici ces cinq vers :
E kil amei(e)nt de fin quoer,
Lespuceles estei(e)nt lé ' ;
Ki duneient mut grant odur ;
Ki venei(e)ntvers noslre lei ;
Estraqgement estei(e)nt lé '.
Les cas d'amuissement dans ce poème sont légèrement plus nom-
breux que les formes normales: on en rencontre aux vers 313, 560,
1003,1294, 1545, 1648 (?), 1923, 1956, 1972, 1997, 2627,2635,
et quelques autres encore.
Nous ne citerons qu'un petit nombre de ces vers :
Li diseint ke crestien esteit, 313 ;
A tuz ki le vuleint amer, 560 ;
Quant il aveint issi pleidé, 1003.
Les Set Dormans ne nous fournissent aucun exemple montrant
la persistance de Ve atone aux imparfaits étymologiques de I ; les
autres au contraire sont assez communs ; on en rencontre des exemples
aux vers 127, 161,452, 772, 777, 859, que nous donnons dans cet
ordre :
I . Lé est monosyllabique dans Chardri.
LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 263
Ki ne vulei(t;)nt aûrer ;
Bien savei(e)nt ke ceste vie ;
Quant avei(e)nt icest respit ;
E vulei(e)nt en tute guise ;
E ceus ki vendrei(e)nt après ;
E disei(e)ntpar foie emprise.
Mais le nombre de cas de synérèse ou d'amuissement a augmenté
dans de fortes proportions : ii8, 155, 160, 246, 4)9,461, 663,
672, 706, 796, 881, 936, 1139, 1553, 1763, 1811, 1825; voici
quelques-uns de ces vers :
Les uns sembloent cauve suriz ;
Cil ki aveint feble curage ;
E quank'il poeint aramir ;
Aveint a primes trespassé.
Enfin le Petit Plet ne nous donne qu'un seul cas montrant la per-
sistance de Ve atone ; on le voit au vers 72 :
Mut chanteient a grant duçur.
Au contraire, les formes irrégulières sont assurées au moins dans
quatre cas, aux vers 65,264, 474, 848 :
E si esteintli arbre haut ;
Mut en purreint venir granz pertes (lire purreit ?) ;
Ki me soleient fere cumpainnie ;
D'autre le freint, ci cum jeo crei.
Il y a donc dans les trois poèmes de Chardri une progression
réelle, le nombre de formes sans e augmente d'un poème à l'autre
constamment ; et quoique nous n'attachions qu'une importance
médiocre aux proportionsnous pouvons résumer par quelqueschiffres
les résultats auxquels nous sommes arrivés : pour 100 terminaisons
de la troisième personne du pluriel de l'imparfait ou du condition-
nel, on trouve environ 60 cas d'amuissement de Ve atone dans le
Josaphat, 68 dans les Set Dormans et 75 dans le Petit Plet.
Pour ce qui est des poèmes de Frère Angier, les deux formes es
rencontrent (cf. Miss M. K. Pope, p. 23); nous ne connaissons pas
le rapport de ces deux formes. Dans le Saint Edmund, le nombre
des formes abrégées est supérieur à celui des formes correctes et le
264 l'évolution du verre en anglo-françals
rapport entre les deux formes est sensiblement le même que dans le
Petit Plet ou au moins que dans les Set Dormans. Les formes cor-
rectes se trouvent aux vers 114, 15e, 810, 1398, léoy, 1914, 191 5
et quelques autres moins sûrs '.
Les formes abrégées se trouvent assurées dans un nombre à peu
près double de cas ; on les rencontre aux vers suivants: 148, 244,
249, 335, 368, 431, 1032, 1093, 1133, 1154, 1381, 1457, 1759,
1913, 1921, 1998 \
11 est assez difficile de se rendre compte de ce qui se passe dans le
poème de Saint Auban; la plupart des vers où apparaissent des troi-
sièmes personnes du plurielde l'imparfait et du conditionnel ont une
mesure incertaine ou bien ces verbesy sont placés à l'hémistiche ; par
conséquent les éléments douteux sont trop nombreux pour que nous
puissions avoir une idée même approximative de l'état de ces termi-
naisons dans le poème. Il y a malgré cela quelques exemples assez sûrs
pour que nous n'ayons aucun doute sur l'existence de ces deux formes
de la désinence. Les vers 1 62 {savaient), 168 (estoient), i6^j (estaient),
1738 {anierroioit^, 1740 (ociroient) nous donnent des exemples
à peu près certains de terminaisons dissyllabiques ; par contre, les
vers 239 {disoient), 1 3 7 1 (estaient), 1 3 80 (estaient), 1 760 (estaient) nous
semblent aussi probants en faveur des terminaisons monosyllabiques.
Notre impression toutefois est que les premières sont plus nombreuses.
Les mêmes doutes nous poursuivent pendant la fin du xni'' siècle
et pendant le xiV^ ; il faut remarquer toutefois que les e sont écrits
assez communément. Sont-ils purement graphiques ? Cela est pos-
sible ; cependant quand il nous arrive de rencontrer un poème dont
la versification est à peu près régulière, nous avons la preuve que Ve
1. Aveient de ces treis parties ; 1 14.
Morz voleient estre a lur voil ; 156 et 810.
Si feseient tute la mit ; 1 398.
Si feseient tut li baron, IS98.
Kil les vendreient assaillir ; 1607.
Kant errouent od lur navie ; IÇH-
2. Nous citerons ici quelques-uns de ces vers :
Qu'il aveient en tens grant plenté; 244.
Grant doel en aveient e grant ire ; 249.
Un rei aveient, ço fu le veir ; 431.
Kant par ci feseient lur repaire ; 1032.
Kant la niet aveient aprcstc; 1381.
LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 265
comptait assez souvent dans la mesure du vers ; par exemple, dans
le Siège de Czrhv er ok, avoient a trois syllabes au vers 56 et les
exemples que nous fournit le poème sur le Prince Noir sont encore
plus nombreux (cf. Miss Pope, Introduction, p. xi). On peut aussi
relever quelques exemples assez douteux, pour dire le moins, de dési-
nences probablement régulières, dans la Chronique de Pierre de
Langtoft (cf. I, 12, 28). Remarquons encore que des quatre mss.
de ce poème, trois, A, C et D, omettent le plus souvent la lettre
muette, mais le quatrième et le meilleur, B, la conserve le plus
souvent.
Il résulte évidemment de ce que nous venons de dire que les
terminaisons abrégées doivent être extrêmement nombreuses après
la seconde moitié du xiii^ siècle ; en fait, elles deviennent la règle,
et nous n'observons ici une recrudescence de terminaisons étymolo-
giques à aucun moment du xiV siècle, comme nous avions cru le
faire pour la première personne du singulier.
Nous ne citerons que quelques exemples des formes que nous
avons relevées pendant cette période et qui montrent que la termi-
naison de la troisième personne du pluriel des deux temps qui nous
occupent est le plus souvent monosyllabique ; nous choisirons les
exemples qui nous ont semblé les plus sûrs. On lit par exemple
feseint au folio 50 r° de la Genèse Notre-Dame ; voleintzu vers 109
de la Plainte d'Amour; aveint au vers 530 du même poème ; dans
William de Waddington, ces désinences qui montrent eint avec la
valeur d'un monosyllabe sont en nombre considérable ; poeint par
exemple au vers 2262, esteint au vers 3781. Ces formes semblent
d'ailleurs se nmltiplier dans les poèmes de la fin du xiii^ siècle ; quel-
ques-uns sont douteux évidemment, et peuvent provenir des scribes
du siècle suivant. Il y en a cependant beaucoup que nous n'avons
aucune raison de rejeter, comme fesciiit au folio 61 v° des Heures
de la Vierge, alcint dans l'Erection des Murs de New Ross ; ou encore
quidount au vers 984 de Dermod et devant au vers 1274 du même
poème, pour ne citer que quelques formes.
Le même état de choses se remarque au xiv^ siècle ; nous ne pou-
vons songer à allonger notre liste d'exemples, trop longue déjà ;
qu'il nous suffise de dire que les exemples douteux de tout à l'heure
pourraient trouver place ici, comme représentant les habitudes des
scribes de cette époque. En un mot, assurées ou non par la mesure.
266 l'évolution du verbe en anglo-français
les désinences en eint sont de beaucoup les plus communes ; on les
trouve dans l'Apocalypse {diseint, a, io8) ; dans la Chronique de
Pierre de Langtoft (cf. par exemple alcyut, I, 12, 28 ; et toute la
laisse 1,90, 25 et pass'uii), dans Foulques Fitz Warin (devereicut, 16 ;
defcndreynt, 20 et pnssini). Enfin ces désinences sont à peu près
les seules qu'on rencontre dans les Contes de Nicole Bozon, dans
la Chronique de Nicolas Trivet^ dans les Vies de Saints du même
auteur' (Vie de Saint Richard, vers 435, 597, 755, 1676). C'est
assez dire que les désinences incorrectes ont tendu à devenir la
règle depuis le commencement de la moitié du xiii= siècle, et que,
sauf quelques exceptions, la forme étymologique est devenue extrê-
mement rare au siècle suivant.
Il nous faut cependant faire une remarque qui ne manque pas
d'importance. Comme nous l'avons dit les e syllabiques ne semblent
pas augmenter de nombre pendant lexiV^ siècle; mais il est évident
qu'au moins certains scribes de cette époque l'écrivent plus fré-
quemment qu'on ne le faisait à l'époque précédente. Cela est si vrai
que nous avons trouvé des exemples où cette voyelle a été écrite et
où elle ne compte pas dans la mesure du vers. Nous sommes alors
tentés de croire qu'elle a été rétablie par les scribes, alors même que
les auteurs qui étaient leurs contemporains ne donnaient pas à cet
e sa valeur syllabique.
Pour donner par conséquent une conclusion complète, nous
dirons quel'^ qui avait disparu de la prononciation dans les conditions
que nous avons exposées s'est trouvé rétabli dans un certain nombre
de cas dans l'écriture par certains auteurs ou scribes du xiv^ siècle.
B. Présent du subjonctif et de l'indicatif.
Les troisièmes personnes du pluriel du présent du subjonctif et
de l'indicatif pour lesquelles ïe muet de la désinence se trouve en
hiatus n'ont pas été soumises à la réduction que nous étudions au
même degré que les mêmes personnes de l'imparfait et du condi-
tionnel; cela est surtout vrai du présent de l'indicatif qui, comme
nous le verrons, ne montre que très rarement des formes d'où Ve
I. Nous trouvons un exemple où Ve en hiatus est gardé dans la Vie de Saint
Richard (contre quatre au moins d'où il a disparu) au vers 704:
Carnet esteient de conscience.
LA TROISIÈME PERSONNE DU PLURIEL 267
atone a disparu. Ce fait seul suffit à montrer que l'amuissement de
Ve n'est pas un fait purement phonique.
Nous n'insisterons pas sur les deux auteurs, Robert de Gretham
et Denys Pyramus, que nous avons jusqu'ici trouvés toujours très
corrects sur ce point; ils ne présentent aucune forme abrégée au
subjonctif et à l'indicatif. Dans les trois poèmes de Chardri, les
formes régulières restent toujours plus communes que les formes
incorrectes ; c'est ainsi qu'on trouve pour le premier de ces temps :
De ce seient trestuz tut prest; Josaphat, 558 ;
Od lu seient e jur é nut ; Josaphat, 1780 ;
U les enfans seient alez ; Set Dormans, 681 ;
Seient sumuns demain au jor ; Set Dormans, 686.
Le Petit Plet ne nous a donné aucun exemple pour ce temps.
Les vers qui montrent une désinence dissyllabique au présent de
l'indicatif sont beaucoup plus nombreux et nous nous contenterons
d'un petit nombre de références ; dîent comptant pour deux syl-
labes se rencontre très communément, aux vers 1280, 2553, 2672
du Josaphat ; éii, etc., des Set Dormans; 830, etc., du Petit Plet;
poent n'est guère moins commun (cf. v. 340, 347 des Set Dormans;
489, du Petit Plet). On trouve encore un nombre assez considé-
rable d'autres verbes, veient, prient, fuient, establient (cf. Set Dormans,
445, 361, 1805).
Les cas de synérèse ou d'amuissement sont beaucoup moins
communs même au subjonctif. On trouve dans le Josaphat seint au
vers 1769 :
Curteises seint et enveisées.
Un autre exemple, beaucoup plus douteux, se rencontre dans les
Set Dormans, au vers 1595 :
E huni seint ki par enfance,
OÙ il faut lire avec O le singulier seit^ ; comme on le voit, le nombre
de formes abrégées est des plus restreints. Il est relativement encore
I. Le singulier rétablit la mesure dans le vers qui suit (1596) :
Nus volt (au lieu de : voelent) mettre en autre créance.
268 l'kvolution du verbe en anglo-français
moindre pour les troisièmes personnes du présent de l'indicatif :
Josiiphat nous donne liiciit, au vers 2809 :
E dient ke l'autre li cnveit,
les Set Dormans : pocnt, csmaient, respectivement aux vers 1224,
1608 :
La u il poent aver mestrie ; •
E ne s'esmaient de nule ren.
Comme on le voit, nous sommes ici fort loin des proportions
que nous donnions pour cette même terminaison à l'imparfait et
au conditionnel ; IV muet se maintient bien mieux au présent de
l'indicatif et à celui du subjonctif qu'aux deux autres temps. Ce
n'est du reste pas dans les poèmes de Chardri seulement que nous
pouvons le remarquer; le Saint Edmund nous fournit un plus
grand nombre d'exemples que les autres ouvrages de cette époque, et
l'usage que suit l'auteur est à peu près celui que nous avons observé
dans Chardri. Au subjonctif, les désinences régulières sont nom-
breuses (cf. 1041, 1047, 3794), mais beaucoup plus rares que pour
le présent de l'indicatif (cf. v. 205, 320, 519, 817, 1102, 1122,
1391, 1392)'.
Les formes abrégées au contraire sont assez rares ; d'après nos
calculs, les présents du subjonctif réguliers sont quatre fois, les
présents de l'indicatif douze fois plus nombreux que les formes irré-
gulières des temps correspondants (cf. v. 47, 1060) ^
Dans le Saint Auban, nous trouvons plusieurs subjonctifs et de
nombreux présents de l'indicatif qui ont une désinence dissylla-
1. Kirs'entredient vérité ; 205
Avant enveient la rascailie ; ^20
E cels deprient Deu le grant ; 519
Plurent, crient e tel doel funt ; 817
Tuz se gréent granz e petiz; 1 102
E dient tuz : Bien est a faire; 1 122
As esches gewênt e as tables ; 1 391
Dient respiz e cuntent fables; 1392
E mult seient ben ustilez ; 1041
E de la mer seient apris ; 1047
Q.uil les seient (a) forteresce. 3794
2 . De jove les oyent e de gré.
En autres deus seient lur hernevs.
La troisiÈxVie personne du pluriel 269
bique, par exemple aux vers 1026, 1363, 1716; 664, 1067, 1289,
1332, 1464, 1597.
Mais seuls les présents du subjonctif, et encore très rarement,
nous montrent la chute delà voyelle muette, comme au vers 731 :
Mal aient Deu père u fust u ki de métal sunt.
Dans les autres auteurs de la fin du xiii^ siècle, nous trouvons
souvent que Ve atone a persisté au moins dans la graphie ; il est le
plus souvent impossible de dire s'il reste aussi dans la prononcia-
tion : citons cependant comme un exemple peu douteux le eyeiit du
vers 332 de la Plainte d'Amour :
Mes que il eyent bon chevaus ;
Le Siège de Carlaverok et le poème du Prince Noir ne nous
offrent aucun exemple ; la forme précédente est peut-être le dernier
exemple dont nous puissions être sûrs. Il est vrai que nous pouvons
concevoir autant de doutes sur la plupart des formes qui se pré-
sentent à nous sans leur e étymologique ; si nous nous en tenons
aux graphies que nous donnent les manuscrits, ce qui semble être
notre unique ressource au xiv^ siècle, nous voyons qu'à cette
époque le nombre de présents de l'indicatif ou du subjonctif qui
ont la forme abrégée est beaucoup plus considérable que les autres ;
citons rapidement : eint au vers lé du Saint Nicolas; seint qu'on
rencontre partout : Apocalypse, Dermod, Pierre de Langtoft; veint
de voir, au vers 843 de la Satire sur le Siècle, au § 5 des Contes
de Bozon; poiint ou point de pouvoir, au vers 132 de Dermod et au
§119 de Bozon ; et plusieurs autres formes qu'il serait peu utile
d'énumérer ici.
Par conséquent, il ressort de ce que nous venons de voir que
l'amuissement de Ve de la terminaison ne s'est pas généralisé aussi
vite au présent du subjonctif qu'à l'imparfait et au conditionnel ; que
vers le milieu du xiii^ siècle, et peut-être plus tard, les désinences
monosyllabiques pour ce temps restent exceptionnelles ; c'est le
xiV^ siècle seulement qui nous montre un emploi à peu près cons-
tant des terminaisons sans muette. Ceci s'applique aussi à un certain
nombre de terminaisons analogues du présent de l'indicatif, avec cette
restriction toutefois, que l'amuissement de la voyelle muette est
plus rare encore et plus tardive qu'au présent du subjonctif.
270 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Avant de quitter les œuvres littéraires, nous pouvons ajouter une
observation qui ne manque pas d'importance. Nos conclusions sur
la désinence en diphtongue plus ent auraient été quelque peu diffé-
rentes si, au lieu d'étudier les textes mêmes, nous n'avions observé
que les habitudes des scribes. On peut remarquer en effet que la
plupart des manuscrits écrits après le commencement du xiii^ siècle
nous montrent un amuissement systématique de la muette avec, le
plus souvent, une régularité qui est inconnue aux écrivains de la
période à laquelle appartient le manuscrit. Cette contradiction ou
divergence entre l'usage des scribes et celui des écrivains a certaine-
ment une signification. Elle montre qu'assez longtemps avant que
la terminaison diphtongue plus ent ait été généralement acceptée
comme monosyllabique dans la langue littéraire, elle avait pris cette
valeur dans la prononciation. Les scribes, comme il est naturel,
sont donc en avance sur les auteurs, car ils expriment les habitudes
actuelles du dialecte, alors que ces derniers emploient une langue
littéraire, c'est-à-dire teintée d'archaïsme. Certains scribes du xiV
siècle au contraire rétablissent souvent cet e.
Une conséquence assez rare de la chute de cette voyelle atone,
mais qui montre bien les progrès faits par l'amuissement à ces troi-
sièmes personnes du pluriel, c'est la nasalisation de la diphtongue
accentuée; nous ne rencontrons d'exemple assuré de ce phénomène
que dans un seul auteur qui est du reste généralement fort incor-
rect : on pourrait par conséquent ne voir qu'une rime pour l'œil,
dans les deux exemples suivants : esleint (: ceint), Apocalypse, (3,
52 ; disant (: ensement), ibid., ?, 252,
QjLioique isolés, ces deux exemples ont une certaine signification;
ils montrent que la forme abrégée est devenue la forme normale et
a réussi en certains cas à faire oublier celle-ci.
La question est beaucoup moins compliquée dans les textes non
littéraires; d'abord la versification ne peut plus nous venir en aide
puisque évidemment tous les textes sont en prose; mais par contre,
si nous perdons un moyen de contrôle bien douteux en anglo-
français, nous avons sous les yeux des textes qui datent de
l'époque à laquelle ils ont été écrits; ce qui va rendre nos conclu-
sions à la fois plus faciles à tirer et d'une portée plus limitée. Les
formes que nous allons relever et que nous allons analyser ne nous
font connaître qu'une chose : l'orthographe ; nous n'y trouvons
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 27 1
aucun renseignement sur la prononciation et ce dernier point est
infiniment plus important que l'autre '.
La moindre étude des textes diplomatiques et familiers nous
montre très clairement que dans l'immense majorité des cas Ve en
hiatus est conservé dans l'écriture .
Nous avons relevé dans les textes les plus importants toutes les
désinences en (c){a)(o)ient, et nous avons trouvé que la propor-
tion en faveur des graphies étymologiques est énorme dans la majo-
rité des textes. Dans les Statutes nous n'avons rencontré en tout
que quatre imparfaits et trois conditionnels sans Ve étymologique ;
aucun présent du subjonctif ne prend la forme abrégée ; les exemples
sont les suivants : poeiiit (iijS, I, 50 et 1318, I, 177); soleint
(1305, I, 144); voleifit (1360, I, 369); deverotnt (1311, I, 163);
vendroint (1315, I, 175); voudreirit (1344, I, 301).
Il n'est pas exagéré de dire que les formes régulières sont environ
de vingt à trente fois plus nombreuses. Il en est de même pour les
Parliamentary Writs, qui ont en tout trois formes en eint, deux
imparfaits et un conditionnel, tandis que les autres formes sont
plus nombreuses.
Les Early Statutes of Ireland et les Acts of Parliament of Scot-
land ne nous ont donné aucun cas d'irrégularité.
D'autres textes en présentent proportionnellement davantage,
quoique les formes régulières l'emportent de beaucoup sur celles qui
ne le sont pas.
Le Mem. Pari. 1305 a trois formes sans atone, ou très peu plus :
feseint, § 153 ;esteint,^ i2j •,purraint,^^S. Rymeren a un plus grand
nombre, une vingtaine au plus, croyons-nous : poaifil (12^4, II, 32;
1348, V, 613); auroint (1259, I, 675); vodreint (1330, IV, 453).
Nous en trouvons aussi des exemples isolés dans les autres textes, par
exemple les Lettres de Jean de Peckham où elles sont, tout en res-
tant toujours exceptionnelles, proportionnellement plus nombreuses
que dans les Statutes ou que dans Rymer; dans le Registrum Mal-
mesburiense, les Royal Letters. Nous n'en relevons aucun exemple
dans les Literae Cantuarienses.
On peut encore trouver, mais seulement dans les textes les plus
incorrects, et encore rarement, des formes qui ne se rencontrent pas
I. Le français moderne a bien gardé cet t- qui ne compte ni dans la prononcia-
tion ni dans la versification.
2-jl L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-f RANÇAIS
dans les Statures, ce sont les présents du subjonctif abrégés : Rymer
nous donne quatre ou cinq fois soint et aint (13 12, III, 366 ; 1333,
IV, 564 ; 138-], VII, 433) alors que la forme étymologique est très
fréquente; on trouve aussi nv// dans Barthélémy Cotton (1295, 300);
scint dans les Annales de Burton (1255, 453).
Mais ces formes, même chez les auteurs incorrects, restent très
rares.
Il est très difficile de dire avec précision comment la langue légale
a traité ces terminaisons ; non seulement chacun des Year Books
diffère de tous les autres ; non seulement, si on essaie d'établir des
rapports numériques entre les deux formes, on obtient des résultats
incohérents, mais les différents mss. de chaque Year Book, les diffé-
rentes parties qui le composent, présentent rarement le même
usage ; il y a incohérence quand on compare un recueil avec ceux
qui le précèdent ou qui le suivent ; incohérence quand on collationne
les mss. qui donnent le même texte, incohérence quand on met
côte à côte différentes parties d'un même recueil. On ne peut don-
ner, comme conclusions générales, que des affirmations élastiques
et vagues qui peuvent être en désaccord avec certains faits particu-
liers.
Cependant on peut, croyons-nous, avancer les propositions sui-
vantes :
1° La terminaison régulière, et la terminaison sans e atone se
trouvent toutes les deux dans tous les recueils que nous étudions.
Pour la terminaison régulière, ceci est évident : on en trouve des
exemples, comme avoient (17 et 18 Edw. III, 21, etc.) jusque dans
les derniers Year Books.
Pour la terminaison abrégée, il subsiste des doutes; nous ne
pouvons pas affirmer avec certitude que les exemples que nous
relevons dans les premiers recueils ne proviennent pas du scribe et
ne sont pas par conséquent postérieurs au xiv^ siècle. Toutefois les
Year Books édités pour la Selden Society nous fournissent les leçons
des divers mss. qui concordent souvent; surtout le ms. Y, qui date
de 13 12, nous donne des exemples sûrs comme acordoint (3 Edw.
II, 188), etc. Il est moralement certain qu'il faut faire remonter
plus haut l'apparition de cette forme, et nous accepterions la plupart
des exemples que nous donnent les premiers Year Books.
2" Les formes régulières sont les plus communes jusqu'au règne
La troisième personne du pluriel 1273
d'Edward III ; les formes abrégées à partir de ce moment deviennent
plus fréquentes que les autres.
La première partie de cette conclusion n'est rien moins que sûre;
les formes correctes sont certainement nombreuses, surtout dans les
texte de la Selden Society : Y, en quelques pages, nous donne :
disoient, eient, voleient (3 Edw. II,- 122, 188), et dans Y, il est évi-
dent que ces formes correctes sont plus nombreuses que les formes
abrégées, mais cela n'est pas vrai de certains autres recueils comme
33 et 35 Edw. \" par exemple, où c'est le contraire qui a lieu.
Mais nous sommes sûrs de la date de Y, et nous ne le sommes pas
de celle des formes du second recueil que nous venons de citer.
La seconde partie de notre conclusion est discutable aussi, à un
moindre degré. Dans les derniers Year Books les formes abrégées
sont beaucoup plus nombreuses, et elles doivent certainement
l'être ; mais pouvons-nous rapporter à la date du Year Book toutes
•les formes abrégées que nous y trouvons? dans quelle mesure fau-
drait-il reconnaître comme originales ces mêmes formes ?
Nous ne pouvons répondre à ces questions.
Le présent de l'indicatif de certains verbes a subi un traitement
particulier; pouvoir prend à la troisièiTie personne du pluriel du
présent de l'indicatif la forme poimt, qui doit provenir vraisembla-
blement de la forme po-ufit; pount se trouve dans lesStatutes (1275,
I, 26), dans Rymer (1297, II, 790), dans le Liber Rubeus de Scac-
cario (1325, 940). Il nous semble que de la même ïaçon po-ont a
donné pont, forme assez rare qu'on trouve dans les Statutes (1306
(1332?), I, 242).
Nous voici donc à même de marquer avec assez de précision les
principaux points de l'évolution de l'atone posttonique en hiatus
après la diphtongue ei, en tenant compte des trois personnes aux-
quelles nous avons étudié ce phénomène.
1. Entre 11 10 et ri6o l'atone se conserve très régulièrement à
tous les temps et à toutes les personnes où elle se rencontre.
2. Les premiers cas de disparition de cette voyelle dans la pro-
nonciation remontent tous (r*" personne, 2" personne du singulier;
3*= personne du pluriel) à 1160.
3. Ces cas de disparition de l'atone restent tout d'abord assez rares ;
le premier poète qui nous en montre un nombre assez considérable
18
274 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I-KANÇAIS
est Jordan Fantosme et surtout Chardri ; on observe une progres-
sion remarquable entre les trois poèmes de ce dernier auteur.
4. Les formes abrégées deviennent, sauf quelques exceptions, de
plus en plus communes à mesure qu'on avance dans le xiii'= siècle ;
vers 1275 (William de Waddington), on peut dire que les formes
régulières sont devenues extrêmement rares. Vc posttonique en hia-
tus n'est plus ni prononcé ni écrit.
5. Au xiV^ siècle, nous observons dans l'usage des écrivains
anglo-français une légère différence. Il semble bien que Ve ne soit
pas prononcé beaucoup plus souvent que pendant la période précé-
dente; mais il est certainement plus souvent écrit. Les manuscrits
de cette époque et en particulier les textes qui n'appartiennent pas
à la littérature nous ont offert un nombre très considérable d'exemples
nous montrant que Ye étymologique a été rétabli.
Nous n'avons pas fait entrer en ligne de compte les Year Books
qui sont trop incohérents.
/') La diphtongue ei {ai) à la troisième personne du pluriel '.
On trouve dans les textes politiques et diplomatiques pour la
diphtongue de ces troisièmes personne en eient, des changements qui
sont rares dans la langue littéraire ou qui y sont totalement incon-
nus.
1° La diphtongue de la terminaison est réduite à e.
Ce phénomène a surtout lieu. pour les présents de l'indicatif de
seoir, voir, et le présent du subjonctif d'avoir et d'être : nous lisons
sci'iil (iio), v.ciit (204) dans la Vie de Saint Panuce; les Statutes,
les Early Statutes of Ireland, les Parliamentar}' Writs, etc., nous
fournissent un nombre assez considérable d'exemples de. ces formes,
et nous allons en citer rapidement quelques-uns : eciit se lit dans les
Statutes (1297, I, 124); dans les Early Statutes of Ireland (i 320,
282); dans les Parliamentary Writs (1305, I, 162); smit se trouve
dans les Early Statutes of Ireland (1320, 280); dans les Parliamen-
tary Writs (1301, 104), etc. De même on peut lire la forme veent
dans les Parliamentary Writs(i305, § 161); etc.
Les deux premières formes que nous venons de citer se retrouvent
assez fréquemment dans les autres textes, par exemple dans les
Rymer's Foedera (1289, II, 448) ; dans les Royal Letters Henry III
I. Cf. Imparfait.
LA TROISIEME PERSONNE DU PLURIEL 275
(1258, 131 ; 126), 593), dans les Letters from Northern Registers
(1270, 27). On trouve que cette même réduction prend place
aussi, mais moins souvent, au conditionnel : vodremt, Mem;Parl.
1305 (§ 298).
Des formes analogues se rencontrent dans les Year Books : seent
(:= soient) (11 et 12 Edw. III, 588).
Cette réduction à la diphtongue devant Ve muet s'est produite
au commencement de la seconde moitié du xiii^ siècle pour les
auteurs peu soigneux ; un demi-siècle plus tard pour les autres.
Elle est assez générale en dehors de la littérature.
2° La diohtongue de la terminaison est réduite à /.
Cette réduction s'opère principalement à l'imparfait et au condi-
tionnel, comme dans vodrienl au vers 1 1 de l'Ipomédon (A). Nous
en trouvons des exemples dans la langue politique : ^cZ/Vw^ dans les
Statutes (1275, I, 26); et dans les Early Statutes of Ireland (1285,
48 et 96). L'imparfait de l'indicatif /^o/^n? est beaucoup plus commun,
on le rencontre par exemple fréquemment dans les Statutes (ainsi,
1322, I, 185 et 186; 1326, I, 252).
Les mêmes exemples se retrouvent dans les autres catégories de
textes non littéraires; on peut encore ajouter aux casque nous avons
cités des formes plus rares et qu'on ne trouve pas dans les meil-
leurs textes, par exemple : estient qui se lit dans Rymer (1379, VII,
226); tOHcherient dans le même recueil (1324, IV, 90); vcuârîcnt
(id., 1326, IV, 236).
Nous pouvons ajouter à ces différentes formes un exemple trouvé
dans la langue littéraire : senient, Nicolas Trivet (3 r°), mais qui
peut appartenir au xv^ siècle.
Les subjonctifs sont plus rares sous cette forme; le seul exemple,
répété trois fois du reste, que nous en ayons est sicnt de être, dans
les Early Statutes of Ireland (1285, 54, 86 et 88).
De même dans les Year Books on trouve : avient (20 et 21 Edw.
P', 149); ce phénomène doit se placer à peu près à la même date
que le précédent.
3" Chute de la diphtongue.
Il est fort rare que la diphtongue disparaisse entièrement, comme
' dans feseiit, qu'on lit dans les Mem. Pari. 1305 (§ 481) et dans les
Historic and Municipal Documents of Ireland (13 19, 421).
Cet exemple unique ne peut être qu'un lapsus.
1~G l'évolution pu VERBE EN ANGLO-l-RANÇAIS
r) S parasite.
Les cas dV parasite, très rare à la troisième personne du pluriel,
ne sont cependant pas inconnus ; on trouve par exemple fusrent
dans les Documents Inédits (1346, 79), et dans quelques autres
endroits du même recueil.
Le radical à la troisième personne du pluriel.
Nous n'avons noté que très peu de changements dans le radical
dus à la désinence de la troisième personne du pluriel ; la plupart
de ces changements ou bien ont des causes purement phoniques, et
par conséquent ne nous regardent pas Çpoennt, Wil. Rishanger,
324), ils ne présentent aucun caractère de généralité.
Nous ne citerons qu'un fait qui n'est pas rare et dont nous nous
servirons plus tard.
Un certain nombre de verbes dont le thème est terminé pas r
redoublent la consonne finale du thème lorsque leur troisième per-
sonne du pluriel prend la désinence (atone) u(o)nt. C'est ainsi que
nous trouvons desirrunt au vers 585 de Boeve; aiirrunf au vers 622
du Saint Auban; ajoutons à ces deux exemples pur riint pour purent
qu'on lit plusieurs fois dans Boeve (aux vers 2244^ 2682).
On remarquera que tous ces verbes qui sont des présents de l'in-
dicatif ou des prétérits, reproduisent exactement la forme des tuturs.
I
LIVRE SECOND
LES MODES
1
CHAPITRE PREMIER
LE MODE INDICATIF
Il n'y a en anglo-français que peu de changements qui aient
atteint le mode indicatif dans son ensemble ; il y a à cela une
raison évidente : dans tous les changements que nous avons étu-
diés jusqu'ici, ce sont les différentes personnes du mode indicatif
qui occupent les places les plus importantes. De plus l'indicatif n'a
pas l'unité, si on peut dire, d'un autre mode tel que l'impératif ou
même le subjonctif. Ses significations et ses formes sont beaucoup
plus diverses que celles des autres modes ; il embrasse des temps
qui, au point de vue de la formation, sont aussi différents que
possible : le présent par exemple, le futur, le prétérit (surtout les
prétérits forts). Il n'y a donc pas entre les temps qui composent ce
mode un peu hétéroclite la moindre unité d'origine. Il en résulte
que si l'on peut relever un plus grand nombre de changements
dans chacun des temps et des personnes qui le composent, ces
changements n'auront pas un caractère de généralité et n'affecte-
ront qu'un petit nombre de personnes ou de temps et trouvent plus
naturellement leur place dans les études que nous consacrons à
ces différents temps ou personnes. Ceci explique en partie au
moins pourquoi nous n'avons que très peu de chose à dire sur le
présent sujet.
Il est cependant évident que l'indicatif doit, plus que tout autre
mode peut-être, à cause de sa complexité même et de la fréquence
de son emploi, accuser certaines tendances qui se révèlent à diffé-
rents degrés dans les différentes parties du verbe.
Nous en avons relevé deux, d'importance et d'extension très dit-
férèntcs.
280 l.EVOLUTION DU \HRRK EN ANGLO-l-RANÇAlS
r' Nous tmiterons d'abord du moins important et nous en par-
lerons aussi brièvement que possible.
C'est l'extension à des temps ou à des personnes auxquels elle
est étrangère de la palatale de la première personne du singulier du
présent de l'indicatif. Nous avons eu l'occasion d'en citer quelques
exemples déjà {d. i"' pers. sing.), comme crc, ierc, iercs, première et
deuxième personne du singulier du futur d'être; on les rencontre
dans les Quatre Livres des Rois ; nous avons vu aussi un c au pré-
térit tiiict dans le même ouvrage. Nous pouvons ajouter que 1er se
rencontre parfois à la troisième personne du singulier du présent de
l'indicatif, comme dans tenc au vers 1630 du Saint Auban.
2" Le second phénomène est beaucoup plus important; on peut
le définir : le passage à l'indicatif de formes propres au subjonctif.
Il se présente sous une double forme : certains temps de l'indica-
tif prennent soit le ge, soit la lettre mouillée appartenant, étymolo-
giquement ou non, à leur subjonctif.
Tous les verbes qui prennent à différents temps de l'indicatif le
suffixe ge présentent le même suffixe au présent du subjonctif,
c'est-à-dire les verbes venir, tenir, mourir, quérir et prendre. La
grande majorité des exemples que nous allons avoir à citer nous
montrent cette terminaison affectant le présent de l'indicatif ; cepen-
dant c'est bien le mode indicatif tout entier qui subit ici l'influence
du subjonctif; en effet, nous relevons, assez tardivement, il est
vrai, et dans des textes souvent peu sûrs, quelques exemples qui
nous montrent ge au conditionnel, à l'imparfait de l'indicatif et
même au prétérit. Si c'est le présent de l'indicatif, comme il est
évident, qui a été le premier à adopter cette forme irrégulière, celle-
ci menaçait aussi tous les autres temps.
Les exemples ne sont pas rares dans les œuvres littéraires, et
nous n'en citerons qu'un petit nombre; ils sont relativement tar-
difs; on les rencontre surtout dans la seconde moitié du xiii^ siècle
et surtout au xiv^ siècle. Un seul cas pourrait appartenir à la
seconde partie du xii'^ : c'est suviens;e qu'on lit au vers 6 de la Chro-
nique de Jordan Fantosme ; mais il faut la mettre sur le compte du
scribe et le rejeter au milieu du xiii'^ siècle :
Al curuncr de vostre fiz ne vus suvienge (lire : suvient) il mie. (14 syllabes).
Les autres exemples que nous avons relevés ne remontent pas
plus haut ; ceux qui pourraient être les plus anciens se lisent
LE MODE INDICATIF 281
dans Boeve de Haumtone, comme niurge^ au vers 2813, querge au
vers 2727. Citons encore meorgent qui se lit dans les Heures de la
Vierge au folio 68 r° et dans les Contes de Nicole Bozon, § 140 et
passim. Preiige est assez commun (cf. par exemple Wil. Rishanger,
page 306) mais la forme la plus répandue est tienge (cf. les Vies
de Saints de Nicole Bozon au folio 104 r°). Citons encore un verbe
de l'.parouge, qui se lit dans la Chronique de Pierre de Langtoft,
second appendice, II, 438, 3.
Dans les textes politiques, ces formes ne sont pas rares, on ren-
contre spécialement un' autre verbe de la première conjugaison,
demorer sous la forme demoerge, le plus ancien exemple que nous
connaissions se trouvant dans les Literae Cantuarienses, 1329, 270.
Cette forme et toutes les autres que nous avons citées se trouvent
aussi dans tous les Year Books.
Les quelques verbes de I qui prennent le suffixe -ge nous semblent
sensiblement plus tardifs que les autres exemples (cf. d'ailleurs ce
que nous disons des subjonctifs en ge.
Les exemples qui nous montrent le suffixe à un autre temps que
le présent sont beaucoup plus rares; nous n'en citerons qu'un seul
cas, car les autres se trouvent dans les Year Books de la fin du
xiv^ siècle et sont loin d'être sûrs ; l'exemple que nous donnons est
le conditionnel enquergeroient qu'on lit dans les Statutes sous la date
1392, volume II, page 86.
Le subjonctif manifeste son influence sur le mode indicatif d'une
autre manière, plus générale encore, mais qui est analogue à la
première. Nous voulons parler de l'extension à l'indicatif de la
mouillure qui caractérise certains subjonctifs. Ici encore, c'est le
présent de l'indicatif qui est le premier à montrer des traces de cette
influence, et plus tard d'autres temps comme l'imparfait et le prété-
rit adoptent dans une certaine mesure la lettre mouillée. Cette
extension de la lettre mouillée est non seulement plus générale,
comme nous le disions tout à l'heure, mais plus ancienne que
l'adoption des formes Qnge. Nous en avons au moins deux exemples
au xii^ siècle : c'est le verbe manoir qui apparaît sous la forme mei-
gneul au vers 983 du Roland d'Oxford, et le verbe plaindre qui se
lit pleignet. au vers 2251 du même manuscrit de ce poème. Ces deux
exemples nous paraissent isolés à cette époque ; il y en a davantage
au siècle suivant ; citons par exemple aceigneut (asséner) au vers
282 l'évolution du verbe en anglo-français
6319 de l'Estorie des Engleis, donné par le ms. R (second quart du
xm" siècle). Certains manuscrits peuvent nous donner un nombre
considérable de ces formes, ce qui montre que, tout d'abord au
moins, ces formes ont dû être particulières à certains scribes. Nous
lisons par exemple dans le manuscrit O du Bestiaire (fin du
xii*-' siècle), remaign, pour levers 239 ; rechaingiie (rechaner), pour le
verbe 1834. Un peu plus tard, un des manuscrits qui donnent la
Plainte d'Amour, Rawlinson Poetry 241, en présente aussi un grand
nombre : x't7^''/w//75 au vers 260; veingnciit :i\ix vers 330 et 461 ;
teingnent Si\i vers /\o6 ; preignent au vers 329. Il est probable que
nous devons reculer ces exemples jusqu'au milieu du xiv^ siècle ; le
ms. Harléien 273, qui donne ce même poème, contient il est vrai
quelques formes avec une lettre mouillée qui lui sont communes
avec Rawlinson ; mais cette concordance ne saurait rien prouver et
peut n'être qu'un effet du hasard.
Il en résulte que nous devrons attribuer au xiv^ siècle tous les
exemples que nous rencontrons dans les poèmes du siècle précé-
dent quand ils ne seront assurés que par l'accord des mss.; or, nous
n'avons relevé aucun exemple à la rime.
Au xiv^ siècle, ces verbes qui nous montrent à l'indicatif la lettre
mouillée du subjonctif sont extrêmement nombreux; aucun n'a
été affecté comme le verbe vouloir; sa première personne du singu-
lier du présent de l'indicatif le désignait du reste pour cela, et on
pourrait peut-être avec autant de vraisemblance attribuer à l'in-
fluence de cette personne les formes si nombreuses avec/ mouillée,
comme la troisième personne du singulier voile qu'on trouve dans
l'Apocalypse (a, 208), dans Pierre de Langtoft (II, 330, 9); dans
les Proverbes de Bon Enseignement de Nicole Bozon; la troisième
personne du pluriel voilent, dans les Contes de Nicole Bozon (§21
et ailleurs) ; la première personne du pluriel voilions qui se trouve
par exemple dans le Prince Noir (au vers 793) ' ; la deuxième per-
sonne du pluriel voille^ comme dans les Contes de Nicole Bozon
(au § 86, etc.). Les formes avec lettre mouillée deviennent vers la
fin du xiv^ siècle plus communes que les formes régulières pour ce
verbe.
A côté de vouloir, on peut placer valoir qui, moins fréquemment
employé, ne saurait naturellement présenter le même nombre de
I. Miss Pope rétablit î'o/o»5.
LE MODE INDICATIF 283
formes que le premier verbe ; on trouve toutefois assez communé-
ment vaille, vaillent comme dans les Contes de Nicole Bozon (§ 95).
Citons encore un autre exemple : toilleiit, que nous lisons encore
dans ce même ouvrage (§43).
Parmi les verbes qui montrent à l'indicatif une n mouillée irré-
gulière, on peut citer prendre, venir et tenir. Nous avons déjà vu
que ces trois verbes et leurs composés apparaissent quelquefois à ce
mode avec le suffixe ge ; la lettre mouillée est encore beaucoup
plus fréquente, et elle devient pour ainsi dire la forme régulière.
Pregn est cependant assez rare comme troisième personne du sin-
gulier du présent de Tindicatif; nous trouvons cette forme dans le
siège de Carlaverok au vers 26; par contre, preignons, prcigne~,
preignent se rencontrent constamment dans les textes de la fin du
xiv^ siècle, par exemple au vers 3501 du Prince Noir et passim.
Il en va de même pour tenir et venir, Nous ne citerons pas plus
d'exemples, car la confusion des lettres simples et des lettres
mouillées est un trait bien connu de l'anglo-français d'une date
tardive.
Quoique la tendance de l'anglo-français que nous venons de
signaler soit générale et s'observe même en dehors du verbe, aucun
genre de mot, croyons-nous, et aucun autre temps de l'indicatif
certainement ne se montre aussi affecté que le présent. Cependant
les verbes que nous avons cités ci-dessus ont quelquefois une lettre
mouillée à l'imparfait. Les exemples sont assez communs dans cer-
tains mss., comme ceux des Proverbes de Bon Enseignement,
surtout le ms. Worcester qui donne le poème du Prince Noir et date
de 1397 (Schum) (cf. vers 35 11 et passim).
Ajoutons encore un mot à propos des textes non littéraires, qui
pourront préciser la date et le développement de cette tendance.
Dans le livre des Statutes, les premiers exemples datent de 1278 ;
on trouve en effet sous cette date dans le premier volume, p. 48,
vaillenl au présent de l'indicatif; mais à cette époque, les cas de ce
genre sont encore assez rares ; ils ne deviennent vraiment com-
muns que dans la seconde moitié du xiv* siècle. Dans Rymer, il en
va exactement de même : on trouve un très petit nombre
d'exemples isolés au commencement du xiv^ siècle, mais ce n'est
que plus tard que les formes de l'indicatif avec lettre mouillée
prennent une certaine régularité. Et nous pouvons faire exactement
284 l'évolution nu verbe en anglo-français
la même observation pour tous les autres recueils ; ceux qui sont
antérieurs à 1350, comme les Lettres de Jean de Peckham ou les
Mem. Pari. 1305, ne nous offrent qu'un nombre infime de cas.
De 1350 à 1399 les exemples deviennent très communs. Les
verbes qui prennent cette lettre mouillée sont pour la plupart ceux
qui ont un subjonctif en iniii, pour lequel la gutturale mouille la
dernière consonne du radical. Vouloir, comme dans la langue litté-
raire, est spécialement affecté ; nous trouvons voilions dans les Sta-
tutes (1340, 1,290), etc.; de même dans Rymer's Foedera {d. 1359,
VI, 118; 1362, VI, 377 et passiui) ; les Documents Inédits en ont
un exemple à la date de 1363 (page 166). La troisième personne du
pluriel se montre sous la forme voillent ou veuillent dans les
Annales Londinienses (13 12, 209), dans Rymer(i373, VII, 23)
et dans le second volume des Statutes (1379, 14), et en maints
autres endroits.
Tenir et venir sont aussi très souvent employés avec une n
mouillée, plus régulièrement même que dans la littérature, par
exemple nous avons ;relevé tiegnent, viegnent, tigtient, vignent dans
les Statutes (cf. 1311, I, 160; 1330, I, 264; 1340,1, 285; 1350,
I, 315), de même que dans Rymer et dans la plupart des autres
textes; en somme pour les trois verbes précédents la lettre mouil-
lée devient assez tôt la règle, la consonne simple l'exception.
Mais ce ne sont pas seulement les verbes ayant un subjonctif en
iam qui peuvent montrer une lettre mouillée, on trouve aussi des
indicatifs qui correspondent à des subjonctifs en am ou même en
em. Parmi les premiers, le verbe prendre est très commun, presque
aussi commun que les trois verbes précédents.
On trouve ^f^/g^wm^ dans les Statutes (1328, II, 10; 1399,11,
113); dans les Rymer's Foedera on a. preignons (1380, VII, 49;
1381, VII, 340, etc.) (cf. Subj. en ani).
Les verbes qui ont un subjonctif en cm sont moins nombreux et
moins souvent employés, le verbe mener n'est cependant pas rare
sous la forme meignent comme dans les Statutes (13 1 1, I, 159) ; mais
c'est surtout ordonner qui montre fréquemment une n mouillée ;
ordeignons sç. r^nconUQ couramment dans les Statutes (1379, VII,
2j8)(cf. Subj. en eni).
Les Year Books peuvent nous fournir une véritable collection de
formes analogues, et ce qui est plus remarquable, ils nous
LE MODE INDICATIt 285
montrent, comme la langue littéraire, la lettre mouillé sortant du
présent, et s'insinuant à d'autres temps, tels que l'imparfait et même
le prétérit.
Les exemples du présent sont trop nombreux pour que nous
songions à les donner tous ; voici les principaux verbes qui montrent
la lettre mouillée : vouloir ici encore est le verbe qui montre le
plus souvent cette lettre, et nous rencontrons des exemples des
formes nouvelles dès le commencement du xiv^ siècle (ms. Y, pas-
sinî). Pour tenir et venir, les formes correctes sont à cette époque
plus communes que les autres. Les autres verbes ne présentent la
lettre mouillée que sporadiquement : citons parmi ceux-ci fl?«/rey^»e
(par exemple 30 Edw. L', i8i),surtout /r5/)o/V«^(32 et 33 Edw. P',
119) qui deviendra encore plus commun dans les dernières années
du xiv^ siècle et surtout plus tard.
Mais même les Year Books ne nous donnent guère d'exemples de
ce phénomène que pour le présent de l'indicatif; on ne trouve que
de rares exemples d'une lettre mouillée irrégulière aux autres temps
de rindicatif, comme voiUeit qui nous semble le seul imparfait répété
un certain nombre de fois (cf. par exemple dans 2 et 3 Edw. II,
p. 86 ; 12 et 13 Edw. III, p. 19; 14 Edw. III, p. 45). Comme on
peut le voir, la plupart de ces exemples sont d'une date assez tar-
dive.
Les prétérits sont encore moins nombreux; c\\.onsvcignimes dans
2 et 3 Edw. II, p. 48 (A).
L'usage de l'anglo-français non littéraire ne diffère donc pas
matériellement de celui des autres branches de l'anglo-français.
On pourra peut-être nous reprocher d'avoir traité dans les pages
qui précèdent une question qui, se rapportant à la confusion des
consonnes simples et des consonnes mouillées, n'est pas exactement
de notre ressort; nous avons cependant cru devoir le faire ; l'addi-
tion du suffixe ge n'est certainement pas une question de phoné-
tique; la mouillure irrégulière de 1'/ et de Vn nous semble être un
fait de même nature. De plus, même prise en soi, cette dernière
question, impliquant, comme nous venons de le voir, une distinc-
tion entre certains temps, ne saurait être purement phonique.
'Nous ne songeons évidemment pas à nier le foit que l'anglo-
français n'a pas toujours su maintenir la distinction entre les con-
sonnes simples et les consonnes mouillées ; mais il nous semble que
286 l'évolution du verbe en anglo-irançais
lii contusion a été pour le verbe plus méthodique et plus régulière,
la consonne mouillée gagnant successivement et assez lentement
dift'érents temps de l'indicatif.
Et il nous semble qu'ici c'est le mode subjonctif qui a été la
grande cause de confusion.
Il nous reste d'ailleurs à signaler un certain nombre d'autres laits
d'un caractère plus exceptionnel et d'une nature différente qui
montrent encore cependant l'action du subjonctif sur l'indicatif. Un
certain nombre de verbes présentent un radical différent pour cha-
cun de ces modes ; il arrive que le mode indicatif adopte le radical
du mode subjonctif. C'est ainsi que nous trouvons dans la littéra-
ture voise pour veit ou va, par exemple dans Pierre de Langtoft (I,
i8o, 22); aiiDis, pour avons (sous l'influence de aûms, eiims. cf.
Subjonctifs en iavi), comme dans les Heures de la Vierge et au
vers 94 du Roman des Romans. Ces formes, qui appartiennent
au xiv^ siècle, sont, à tout prendre, rares dans les œuvres littéraires,
et nous n'en aurions certainement pas parlé si nous n'avions relevé,
en dehors de la littérature, des formes analogues qui confirment
celles que nous venons de citer.
Dans cette catégorie de textes, le radical du subjonctif se ren-
contre dans un assez grand nombre de cas ; on pourrait même affir-
mer qu'il ne se trouve aucun verbe ayant au subjonctif un radical
particulier qui ne le montre aussi au moins de temps en temps à
l'indicatif. Il serait assez facile d'apporter des preuves assez nom-
breuses de cette irrégularité, mais on doit malgré tout reconnaître
qu'elle est restée assez exceptionnelle.
Voici donc dans leur ordre chronologique quelques-uns des
exemples que nous avons rencontrés. On peut lire trosse, de trouver
(cf. Subjonctifs en ce), dans l'Appendice des Parliamentary Writs
sous la date de 1312(11, 45); eons, qu'on peut comparer à aiints
du Roman des Romans, se trouve dans les Documents inédits (1380,
216). Enfin citons encore aillent dans le second volume des
Statutes (1388, 58) : malgré leur apparence, toutes ces formes
sont, sans aucun doute, des indicatifs.
Plusieurs exemples analogues se rencontrent dans la langue
légale ; nous n'en citerons qu'un qui est si souvent répété dans
difiérents recueils qu'il est impossible de le considérer comme une
erreur cléricale ; c'est chece de cheoir. On le rencontre dans un
LE MODE INDICATIF' 287
grand nombre de Year Books comme i et 2 Edw. IT, page 82 (dans
les mss. A etD; R donne cbeeiiiit^ ; 13 et 14 Edw. III, page 45 ;
14 Edw. III, page 123.
Ces quelques exemples suffisent, croyons-nous, pour montrer
l'influence évidente exercée par le mode subjonctif sur le mode
indicatif.
Ce dernier subit encore l'action de quelques autres temps ; mais
cette action n'a pas laissé de traces aussi profondes que celles que
nous venons d'exposer ; nous nous contenterons donc d'énumérer
les exemples que nous avons recueillis sans y attacher une trop
grande importance.
Nous signalerons tout d'abord l'influence exercée dans un petit
nombre de cas par le présent de l'infinitif; c'est à ce temps qu'on
doit la présence d'un d à certaines formes de l'indicatif du verbe
plaindre ' ; on en trouve des exemples dans certains manuscrits de
la fin du xiV siècle, entre autres le Worcester ms. du poème du
Héraut Chandos. On trouve par exemple au vers 3888 de ce poème:
pleindent; au vers 3595, compleinâoîent \ au vers 1306, prendoit. Plus
important est le fait qu'il nous reste à signaler, l'apparition du v à
certaines formes de l'indicatif du verbe pooir, v qui provient proba-
blement du participe présent. L'exemple le plus ancien que nous en
ayons trouvé en anglo-français se lit dans les Lettres de Jean de
Peckham; sous la date de 1282 nous lisons en Q^ti poviins-,
page 278. C'est la seule forme avec v que nous trouvions dans cet
auteur. Une forme analogue peut se relever dans le roman de
Foulques Fitz Warin : poveynt à la page 109. Enfin nous avons de
cette forme un troisième exemple dans les Traités de Kymex \ povenl ,
VI, 277(1360). _
A notre connaissance, ces trois cas sont les seuls où la forme
moderne apparaisse. La langue légale ne connaît que la forme éty-
mologique.
Ajoutons que nous n'avons pas de renseignement précis pour le
verbe devoir.
1. Pour la question de la généralisation du dtn vieux français, on peut consulter
Risop dans la Zeitschrilt fur romanische Philologie, vol. VII, page 57 sqq.
2. Voir dans Meyer-Lubke, Grammaire II, § 25 1 .
CHAPITRE II
LE SUBJONCTIF
Pour nous conformer à la division traditionnelle nous allons
dans les pages qui suivent parler du subjonctif.
Cependant cette étude aurait dû prendre place parmi celles que
nous consacrons aux différents temps. Nous n'avons rien à dire du
subjonctif en tant que mode, au point de vue de la forme. Tout ce
qui va suivre ne se rapporte qu'à un temps, le présent, non pas au
mode tout entier.
Nous nous résignons toutefois à accepter cette division, quelque
illogique qu'elle soit, peut-être parce que nous n'en avons pas trouvé
de meilleure.
Le subjonctif, qui a été fort emplo3'é en ancien français', est
plus répandu encore en Angleterre que sur le continent. A la fin
du xiii^ et au xiv= siècle, oh^ trouve fréquemment en anglo-fran-
çais ce mode employé ^ns les propositions conditionnelles après
si, ce qui n'a rien de choquant en soi, et même, cela est plus
extraordinaire, dans les temporelles, mais plus rarement et plus
tard.
Il en résulte que nous pouvons relever dans nos textes des
exemples nombreux de ce mode. Ce sont les formes du présent
que nous allons étudier en les divisant en trois classes, suivant la
désinence du subjonctif du verbe latin d'où ils viennent : on, aiii,
iam.
A. — Subjonctifs en em-.
I. Prcmicrc et deuxième personnes du singulier.
Etymologiquement la première et la seconde personne du singu-
lier des subjonctifs de I n'ont de voyelle atone à leur désinence
1. Cf. Ritchie.
2. Cf. Gotthold Willenberg , Historiche Untcrsiichung ùber der Conjuntiv Prae-
sentis der ersten schwachen Conjugation im Franzôsischen . Rom. Studieu, III,
373> 399- Cf. aussi Romania XXV, 321, 322; Meyer-Lùbkc, Grammaire II,
S 146.
LE SUBJONCTIF 28^
que dans les mêmes conditions que la première personne du sin-
gulier du présent de l'indicatif de I comme il est évident. Il n'est
pas moins clair que ces formes régulières, sur le continent comme
en Angleterre, étaient destinées à disparaître plus ou moins rapi-
dement.
C'est de Taddition de Vc atone à ces deux personnes que nous
avons h parler maintenant, et on pourra se reporter à ce que nous
avons dit sur un sujet analogue dans les désinences de la première
personne du singulier.
Faisons observer toutefois, avant d'entrer dans le cœur du sujet,
que l'anglo-français, comme l'a fort justement fait remarquer Gaston
Paris (Préface de la Vie de Saint Gilles, p. xxi), a une tendance à
conserver, dans certains cas, les formes archaïques. Sous cette
forme cependant la pensée de Gaston Paris n'est qu'une demi-
vérité ; ce qui caractérise le français d'Angleterre à ce point de vue,
c'est le mélange des formes bien conservées avec d'autres beaucoup
plus récentes, des désinences étymologiquement correctes, avec des
désinences corrompues. 11 n'est pas rare de trouver dans le même
ouvrage des formes du verbe a3'ant les âges les plus différents.
Une terminaison archaïque, vieille de plus d'un siècle, et qu'on
aurait pu croire entièrement oubliée, voisine avec une autre forme
qui représente le terme de l'évolution de cette terminaison, et il se
peut que, à quelques pages de distance, on relève tous les intermé-
diaires par lesquels elle a passé. Ceci n'est pas toujours dû aux
scribes, comme on le dit trop facilement quelquefois : les textes
politiques nous le montrent.
Pour la question actuelle, nous trouvons de nombreux exemples
montrant la forme étymologique sans c coexistant avec la forme
analogique jusqu'au milieu du xiv^ siècle, semble-t-il.
Au XII'' siècle, les exemples de première et de seconde personne
du singulier de ces subjonctifs sont assez nombreux sous la forme
étymologique, quoiqu'on ne les trouve pas dans tous les auteurs.
Citons-en quelques exemples : dans le Psautier de Cambridge,
nous lisons /'gp()//5 (;, 25); repos (54, 6); cslee^ (105, 5). Le seul
exemple d'une première personne d'un subjonctif en ciii, dans le
Tristan de Thomas est régulière et assurée par la rime, c'est ûporl
(: confort) qu'on lit au vers 3019. De même dans le Lai du Chè-
vrefeuille nous trouvons la rime : nuit (: dunt) au vers 3 ; il nous
19
2^0 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
semble même que dans Adgar on doive supprimer IV' analogique au
moins dans un cas et lire desliirb (V R, 2^) :
Ke jco ne destiii-b(e) la matire.
On peut encore citer un cas où la forme étymologique est con-
servée dans les Quatre Livres des Rois : agitait (I, 23, 22); et un
autre dans le Donnei, où elle est assurée par la mesure du vers :
chaiil (973). Les formes étymologiques existent donc bien en Angle-
terre au xii*" siècle ; elles ne sont pas très nombreuses, mais elles
sont absolument sûres.
Le xiii^ et le xiV siècle peuvent nous donner encore plusieurs
exemples de la forme archaïque ; mais ils deviennent de plus en plus
rares et on n'en rencontre pas deux dans chaque auteur.
C'est ainsi que nous trouvons dans Chardri fi (: ami), Petit
Plet, 1608; les ( : après) dans la Vie de Saint Laurent au vers 202;
et dans le Saint Auban trcshiihlic, vers 637, où Ve a été écrit à tort
probablement '.
Ke lesu treshubli(e) ki cria tut le mund.
Même l'Apocalypse en a un exemple : Irons, a, 175; et la der-
nière forme qui nous soit assurée par la rime se lit dans le Siège de
Carlaverok au vers 46 : ordein (: guardein).
Remarquons aussi que le ms. B de William de Waddington
donne niaiigu zu vers 7552. La bonne leçon est cette fois donnée
par A qui a manjuce (cf. Subjonctifs en ce). Néanmoins cet exemple
d'une forme sans e à la première personne du singulier sous la
plume d'un scribe au xiv^ siècle est assez significative. Elle nous
montre que la forme étymologique n'a pas été oubliée.
L'anglo-français non littéraire ne nous fournit qu'un tout petit
nombre de premières personnes du singulier. Si nous négligeons
aile (aller), qui par la forme appartient aux subjonctifs en iani
(Royal Letters Henry III, 1249,11, 59), nous ne relevons que deux
exemples de cette personne, l'une qui ne présente pas Ve analo-
gique, trespas, dans les Parliamentary Writs (1322, 2" Appendice,
I . LV à riicmistiche du Saint Auban tantôt compte et tantôt ne compte pas dans
la mesure du vers.
LE SUBJONCTIF 29 I
202) ; l'autre qui a cet e : Use. (laisser) dans les Rymer's Foedera
(1256,1, 588).
Il est difficile de tirer une conclusion de ces deux exemples isolés
et contradictoires.
Nous pouvons donc nous en tenir à la conclusion à laquelle
nous a conduits notre étude de cette désinence dans les textes lit-
téraires, c'est-à-dire que, au xiV siècle, la forme étymologique
n'était pas oubliée.
Cependant il est nécessaire que nous appelions l'attention sur
un fait : Tanglo-français du xiii^ et du xiv^ siècle (cf. Désinences
personnelles, i"^^ personne du singulier, p. 44 ; y personne du sin-
gulier, p. 126) fait souvent disparaître de certaines désinences 1'^ final
posttonique, étymologique ou non. Les derniers exemples que nous
avons cités n'ont-ils pas été formés de la même façon par la chute
de \c analogique? Et dans ce cas, peut-on dire que deux irrégula-
rités, la seconde détruisant la première, font une forme régulière ?
Il n'est pas possible de trancher la première de ces questions. Mais
on devra admettre au moins que la forme étymologique se rencontre
jusqu'au milieu du xiii'= siècle.
Comme on doit s'y attendre, les exceptions dans le français
d'Angleterre sont très nombreuses et se produisent de bonne heure.
Il n'est même pas exagéré de dire que les exceptions sont ici plus
communes que les formes régulières et que la forme analogique
devient assez vite la règle.
L'<? non étymologique se rencontre très fréquemment dès le com-
mencement de la littérature anglo-française; on le trouve déjà dans
le Psautier d'Oxford, tandis que les formes sans e sont entièrement
absentes de cet ouvrage : c'est ainsi qu'on relève : cante(jo, 10);
reciinte {2),}o) ; gnarde (118, 66); munte (t, 26), etc.
Dans les deux autres Psautiers les exemples ne manquent pas non
plus, quoique l'on puisse citer, au moins dans le Psautier de Cam-
bridge, plusieurs cas de l'usage régulier. Voici pour ces deux ouvrages
les exemples à'e analogiques que l'on peut donner : Psautier de
Cambridge -.porte (50, 17); abite (26, 5); recuntc (9, 14), etc.;
dans le Psautier d'Arundel : recunte (25, 7); habile {26, 7); visite
(26, 8). Leur nombre, surtout dans le second de ces ouvrages, est
supérieur à celui des premières personnes régulières.
Les auteurs qui suivent ne nous fournissent pas le même nombre
de citations, car les premières personnes du subjonctif se ren-
i^i l'évolution du \erbh ln anglo-français
contrent chez eux plus rarement. On peut toutefois citer deux ou
trois exemples assez sûrs dans Adgar : triiise (XVII, 460) ' ; aïeÇKYU.,
533); nous en trouvons un autre dans la Folie Tristan: doinseÇi^j)-.
Les Quatre Livres des Rois ont un plus grand nombre de cas où Ve
se trouve : amende {}, 12, 3); aiirc (I, 15, 25); fruste (II, 22, 17);
désire (III, 19, 4); etc.
Ajoutons deux exemples qui ne sont pas très assurés : aïe au
vers 671 de Horn et enveie au vers 5 12 de Fantosme, et nous aurons
épuisé tous les exemples de la première personne du subjonctif à
forme analogique que nous avons relevés au xii* siècle. Il est clair
qu'au siècle suivant nous pourrions trouver un plus grand nombre
de cas de cet e analogique ; nous allons en citer les principaux, aussi
rapidement que possible.
Tr lisse- se lit dans les Set Dormans de Chardri (au vers 1132);
ose et uiunde tous les deux dans Boeve (respectivement aux vers 26-I
et 2202); cnnte est assuré par la rime (: cunte, substantif) au
vers 1058 d'Edward le Confesseur; de même que pasiiie qui
rime avec aime dans le Poème Allégorique (au vers 155); lesse se
lit dans les Chansons (V, 23), et ailre au vers 642 du Saint
A Liban.
Ajoutons pour le siècle suivant : parle, Bozon, Vies de Saints
(103 v°) ; comité (: compte). Prince Noir (96); comaiide, Manière
de Langage (386) et beaucoup d'autres encore qu'il serait oiseux
d'énumérer.
Pour la première personne du singulier, par conséquent les
formes régulières se trouvent assez constamment pendant le xii*", le
xii^' et peut-être le xiv^ siècle ; les formes analogiques remontent
au plus tard à la seconde moitié du xii"" siècle et sont fort com-
munes par la suite.
Pour la deuxième personne du singulier, nous n'avons que fort
peu de renseignements; ceux que nous avons concordent à peu près
tous pour prouver que cette seconde personne a pris très tôt Ve non
étymologique.
1. Pour la forme de ce subjonctif, pour lequel il est probable que Ve muet est
étymologique, on peut voir les études suivantes : Dicz, ID, 236; Frcund, Verbal
Flexion, 21; Gaston Paris, dans Romania (VI), I, 623rapporte cette forme à la
conjugaison inchoative ; Schulzke {e bref et 0 bref plus / accentués en normand,
p . 9) à une forme hypothétique trosco.
2. Pour ces verbes, voir plus bas.
LE SUBJONCTIF 293
Nous n'avons en effet relevé que deux verbes qui ont conservé la
forine ancienne : ils se lisent tous les deux dans le Psautier de
Cambridge : destiimi 131, 10; et déclin^ 140, 4 (à côté de déclines
26, 10); on peut du reste observer que dans ces deux exemples la
consonne de la terminaison est ~ au lieu de s ; ne pourrait-on pas
croire qu'ici :^^=^ es}
A part ces deux exemples les deuxièmes personnes du singulier
du présent du subjonctif ne se rencontrent guère qu'avec \'e analo-
gique. Il est très facile de le montrer, et nous ne citerons que
quelques formes comme oblies. Psautier d'Oxford (9, 35); rebutes
(ibid. 43, 25); otreics (ibid. -, 3). Même le Psautier de Cambridge
en a plusieurs exemples : aiircs (80, 9); visites (58, 5); meines {y.,
6). Ditinscs duns les Quatre Livres des Rois (IV, 5, 22) peut s'ex-
pliquer en considérant 1'^ comme une d'appui;
Robert de Gretham a cnveies (68 r°) ; les Heures de la Vierge,
encerches (69 r°).
Il semble donc que la seconde personne du singulier du présent
du subjonctif de I ait moins bien conservé que la première la forme
étymologique.
II. Les formes régulières des troisièmes personnes des suhjonclifs en em.
La troisième personne du singulier de ces subjonctifs a gardé
assez bien et assez longtemps sa forme étymologique en anglo-
français. Comme pour le français du continent, cette forme s'est
surtout conservée dans certains verbes qui sont d'un emploi assez
fréquent à cette personne; les autres, parce qu'ils étaient d'un usage
moins commun, ont moins bien résisté à la tendance générale de
la langue et aux influences extérieures, entre autres, celle de la
troisième personne du singulier du présent de l'indicatif et celle des
subjonctifs en am et en iam. Surtout un certain nombre de verbes,
comme nous le verrons tout à l'heure, par suite de l'évolution
phonique régulière à laquelle ils étaient soumis, en venaient à
prendre à cette personne une forme trop éloignée de celle de
toutes les autres personnes de leur temps et du verbe en général.
Apeut, confert, chant, deliurt, enseint, gret, let sont trop différents de
appeler, confermer, changer, délivrer, enseigner, grever, lever
pour subsister bien longtemps. L'anglo-français qui est, en même
294 I.'h'lVOLUTION DU VRRBE EN ANGLO-FRANÇAIS
temps que conservateur, audacieux, pour dire le moins, eut assez
vite fait de faire disparaître des formes d'apparence anormale et de
leur substituer les formes analogiques qui étaient du reste destinées
à devenir générales en français. Du reste, comme on a pu déjà s'en
rendre compte et comme nous aurons l'occasion de le répéter plu-
sieurs fois encore, il tendait dans un certain nombre de cas à
ajouter un e muet épithétique à certaines terminaisons. Toutes ces
tendances, analogie et évolution phonique, entrent en jeu dans la
question actuelle.
Cependant, pendant la plus grande partie du xii'^' siècle, c'est la
tendance conservatrice qui l'emporte. Pendant cette époque, de
nombreux auteurs ne connaissent encore que les formes étymolo-
giques et jusqu'au commencement du xiii'^ siècle on peut en trou-
ver qui n'emploient jamais la voyelle irrégulière ; tels sont Philippe
de Thaûn, Gaimar, Sœur Clémence de Barking, Simund de Freine
même, et cela est plus étonnant, Adgar.
Cependant, déjà durant cette période, nous trouvons des exemples
de la forme moderne ; elles ne sont d'abord qu'une petite minorité,
mais leur nombre ne cesse de s'accroître; de sorte qu'au xiii^ et û
fortiori au xiv'' siècle, aucun auteur n'emploie plus exclusivement
la forme étymologique. Le mouvement s'accentue surtout vers le
milieu du xiii'^ siècle. On ne trouve bientôt sous la forme normale
que les subjonctifs de certains verbes qui sont d'un emploi plus géné-
ral ou plus commun que les autres, comme garder ou aider.
Quoique, même pour ces verbes, l'analogie ait fait assez souvent son
œuvre, on rencontre le plus souvent pour eux la forme sans
muette; pour en citer quelques exemples assez tardifs, nous ren-
controns art dans le poème de Saint Julien au folio 66 v°; dans la
Vie de Saint Edmund, au vers 24 où il rime avec espirit et dans plu-
sieurs autres passages du même poème, comme par exemple au
vers 22. Nous trouvons cette même forme employée deux fois à la
rime dans William de Waddington, aux vers 2244 et 2912 (nous
aurons à revenir sur ces deux rimes). De même giiart ou guard, qui
se rencontre même plus tard : dans le Saint Edmund au vers 3^80
où Ve qui porte le texte imprimé est le résultat d'une erreur cléri-
cale ; au vers 2547 de William de Waddington : dans le Roman
des Romans au vers 549 où il rime avec musart. Nous le rencon-
trons encore au wV siècle, probablement au vers 85 de la Vie de
LE SUBJONCTIF 295
Sainte Marguerite : Ve y est écrit, mais sa suppression rétablit le
vers; au § 53 des Contes de Nicole Bozon. Enfin à la rime avec
Rocheward au vers 2332 du Prince Noir.
Il en va de même pour la troisième personne du subjonctif du
verbe sauver : on rencontre saut un peu partout au xii^ siècle ; au
xiii^ siècle nous en relevons encore de nombreux exemples; au
vers ^3 3 de la Vie de Saint Grégoire; dans les Dialogues de Saint
Grégoire au folio 98 r° a; à la rime avec haut au vers 1898 des Set
Dormans; avec ribaud dans Boeve au vers 282; avec haut au vers
273 de Dermod.
Plus commun que rt/7, ^^T^r/ et 5-(7//^ esidoinf, une des nombreuses
formes du subjonctif de donner. Nous ne citerons maintenant aucun
exemple de ce subjonctif; disons simplement qu'il se rencontre très
fréquemment au xiii'^ et au xW siècle (cf. Érection des Murs de
New Ross, vers 208 ; folio 60 v° des Heures de la Vierge ; vers 7
du Saint Nicolas; Robert de Gretham, 58 v°; Vie de Sainte Margue-
rite, 120; Contes de Nicole Bozon, § 47, etc.).
Les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature connaissent la
forme régulière, mais d'une façon générale, elles ne l'emploient que
rarement ; cette forme sans l'c analogique est surtout fréquente dans
les recueils qui nous donnent des textes appartenant au dernier
quart du xiii^ siècle, quoique, même à cette époque, elle ne soit
plus déjà très commune. Il n'y a qu'un tout petit nombre d'auteurs,
comme Jean de Peckham, à l'employer de préférence à l'autre,
quoique les recueils les plus corrects ne présentent pas à cette
époque une bien forte proportion en faveur des formes nouvelles ;
de 1275 à 1300 il y a environ dans les Statutes 35 "/o déformes
étymologiques. Des troisièmes personnes du singulier, sinon cor-
rectes de tous points, du moins sans cet e analogique, se rencontrent
jusqu'à la fin, ou à peu près^ du xiv^ siècle ; mais elles sont en tout
petit nombre et en nombre décroissant, de sorte qu'après 1340 elles
deviennent purement sporadiques.
A la fin du xiii^ siècle, ce sont les verbes à dentale qui nous
offrent le plus grand nombre de cas de troisièmes personnes du
singulier régulières, comme garl dans Rymer (1268, I, 868); Jean
de Peckham (1280, 94); les Royal Letters, Henry III (1270, II,
234); niaiiud dans les Statutes (1285, I, 99); aiucnt, commun dans
Jean de Peckham (par exemple 1283, ^123). On peut encore citer.
296 l'kvolution du verbh en anglo-français
comme relativement fréquentes, les {ormes po ri (Statu tes, 1300, I,
137); i'id dans Jean de Peckham (1281, 152).
Parmi les autres thèmes, nous trouvons assez communément hand
de bailler, par exemple dans les Statutes (1278, I, 49) et dans
les Early Statutes of Ireland (1285, 96); voist de aller est aussi
assez employé, on le relève dans le Liber Albus (1234, iio) ; dans
les Statutes (1275, I, 31, 49); dans le Liber Custumarum (1280,
281). etc., et amuissement de l'^", voit dans le Blacke Booke of the
Admiralty (1291, II, 32).
Citons enfin une autre forme assez répandue dans ces textes :
doinst. On la trouve par exemple dans les Lettres de Jean de Peckham
(1280, 94) ; dans les Annales du Monastère de Burton (1259, 473),
et passim.
Pendant le xiv^ siècle, ce sont les mêmes verbes, du moins les
verbes présentant un radical analogue qui conservent le mieux la
forme étymologique ; en d'autres termes, les verbes qui ont un
thème à dentale se rencontrent plus fréquemment que tous les autres
avec la forme sans c. On trouve en effet ayt dans Rymer (1372,
VI, 709); eyt dans les Literae Cantuarienses (1327, 202), tous les
deux d'aider; void, de vider, dans les Statutes (131 1, I, 162); gard
dans les Mem. Pari. (1305, § 234); puis dans le Registrum Pala-
tinum Dunelmense (1314, I, 386); dans les Literae Cantuarienses
(13 18, 45 ; 1357, 840); dans les Letters from Northern Registers
(13 14, 144). Parmi les autres thèmes à dentale, on trouve assez
souvent, comme précédemment, porter et ses composés, ainsi
dans les Statutes (1353, I, 338); dans Rymer (13 14, III, 470;
135 1, VII, 709). Quelques thèmes en si comme apprcst, qui se lit
dans les Documents Inédits (1364, 167), se rencontrent encore,
mais moins régulièrement.
Les autres exemples que nous avons relevés pendant ce siècle,
en petit nombre du reste, nous montrent un verbe en ;/, un verbe
en / mouillée et un verbe dont le radical est terminé par une vo)'elle;
ce sont : doint, qui devient de plus en plus rare (cf. Rymer, 1309^
III, 150; Annales Londinienses, 1330, 248; Registrum Palatinum
Dunelmense, 13 14, I, 386). Le verbe en / mouillée, surveiller, a
l'apparence d'un verbe à thème vocalique, surveit (Pari. Writs
1326, II, 753), et enfin le verbe dont le radical est terminé par
une voyelle est envoit dans Rymer (1330, IV, 450).
LE SUBJONCTIF 297
Ce sont, à très peu de choses près, tous les exemples que nous
avons relevés dans les textes du xiv^ siècle ; étant donné le nombre
des subjonctifs de I qu'on y rencontre, on voit que ces exemples
sont en nombre infime. On pourra remarquer aussi que le plus
récent de nos exemples date de 1372, que de 1340 à cette dernière
date, les exemples deviennent sporadiques; enfin que dans tout
l'anglo-français diplomatique et politique, ce sont toujours les
mêmes verbes qui reviennent sous cette forme : aider, donner,
garder, porter et quelques autres. La grande masse de la première
conjugaison a échappé, vers le milieu de ce siècle, à la forme éty-
mologique.
La forme étymologique est encore infiniment plus rare dans les
œuvres légales. Nous ne l'avons même rencontrée que dans une
seule expression, une formule dans laquelle il est difficile de recon-
naître un subjonctif. C'est l'exclamation meyde~ où il faut voir l'an-
cienne phrase : « (Si) vna'it Deus. »
On rencontre cette expression dans 22 Edw. I", 465.
IIL Le radical des subjonctifs en em à la troisième personne
du singulier (^f orme régulière).
Nous devons maintenant dire un mot du radical de la troisième
personne du singulier des subjonctifs en em qui n'ont pas réguliè-
rement un e d'appui à cette personne. La dentale venant s'adjoindre
au thème directement et sans l'intermédiaire d'une voyelle, y cause
des changements qui ne se produisent pas aux autres personnes.
Quant aux modifications et variations du thème qui sont communes
à toutes les personnes des subjonctifs en em, nous en parlerons plus
loin. Du reste, l'étude qui va suivre, en montrant jusqu'à quel
point l'addition de la dentale au thème peut avoir de l'influence sur
la forme de celui-ci, nous préparera probablement aux considéra-
tions que nous suggérera l'introduction de Yc analogique.
Pour plus de clarté, nous diviserons les verbes qui nous occupent
en un certain nombre de classes, suivant la lettre finale de leur
thème. Remarquons d'abord que les thèmes vocaliques ne nous
off"rent la matière d'aucune remarque ; nous avons de nombreux
exemples de subjonctifs provenant d'un verbe à thème vocalique,
tous sont réguliers.
298 l'évolution du verbe en anglo-français
Les thèmes consonantiques peuvent se diviser en thèmes terminés :
1° Par une consonne simple;
2° Par une consonne mouillée;
3° Par un groupe de consonnes.
A. Thèmes terminés par une consonne simple.
Lorsque le thème est terminé par une des trois consonnes ;;/, n
ou r, celui-ci n'éprouve aucun changement ' du fait de l'addition
de la dentale. Il en va de même pour les thèmes en s\ sauf qu'il
n'est pas rare de trouver 1'^ thème exprimée par :{, comme piirchait
qu'on lit au vers 2674 de la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé-
mence de Barking.
Les thèmes à dentale montrent la dentale du thème se con-
fondant avec celle de la désinence : ait se trouve très fréquemment
(voir les exemples et citations que nous avons données précédem-
ment). Citons encore cuveit, dans les Quatre Livres des Rois (I,
12, 7) ; crct au vers 2537 de la Vie de Sainte Catherine; habit dans
les Psautiers d'Oxford {G'è, 30) et de Cambridge (68, 28), etc.
Les seules remarques un peu intéressantes que nous trouvions à
faire se rapportent aux verbes dont le thème est terminé par / ou
par V. Pour les premiers, lorsque la consonne est précédée de a ou
de e, nous observons au xiii^ siècle la vocalisation de 1'/. Alt de
aler, par exemple, se retrouve un peu partout depuis le Cumpoz
(vers 142) jusqu'à Guischart de Beauliu (165 a; 1836, 1872); aut
se lit dans la Vie de Saint Grégoire, 441. La première rime que nous
ayons rencontrée est beaucoup plus tardive ; on la trouve dans le
Manuel des Péchés ( : vaut) au vers 1756. De même parler fait
1. Thèmes en w. — Aimt, Gaimar 11 18; Adgar, XXVIII, 83 ; Aspremont 93 ;
reclaiiut, Guischart de BeauHu 84 (en supprimant Ve que l'éditeur a conservé à
tort dans le texte critique).
Thèmes en n. — Fint, Cumpoz 2304; iiicini, Brandan 115 ; paint, Brandan 760;
enlumlnt, Psautier d'Oxford, 66, i ; soiint ( : demanderunt), Robert de Gretham
58 v°.
Thèmes en r. — Virt à la rime du vers 142 du Saint Brandan ; aïirt, psautier de
Cambridge 65, 3 ; tirt au vers 237 du Saint Gilles.
2. Thèmes en s. — Peist, Fantosme 762; Guischart de Beauliu 1265 ; à la rime
Saint Julien 68 vo.
LE SUBJONCTIF 299
parolt dans les Psautiers d'Oxford et d'Arundel (i6, 5). Dans le
Tristan de Thomas, cette forme rime avec Ysolt (cf. vers 1400); et
ce dernier mot rime en oui. Parout se trouve du reste dans les
Dialogues Grégoire (47 v°). On trouve aussi apeut (Estorie des
Engleis), mais jamais à la rime. Les autres thèmes en / ne subissent
aucun changement '.
Il est assez difficile de déterminer la date à laquelle la vocalisation
de 17 a pris place ; il n'y a aucune raison pour que cette vocalisation
au subjonctif ait précédé ou suivi les autres cas de vocalisation de
cette consonne ; il est probable que cette / a subsisté dans l'écri-
ture longtemps après avoir disparu de la prononciation. L'exemple
de Thomas est un des plus anciens exemples de vocalisation que
nous ayons ^.
Les thèmes en v, très peu nombreux, nous offrent des exemples
d'un phénomène qui n'est pas sans analogie avec celui que nous
venons d'exposer : le v final du thème passe à // devant la dési-
nence '. On peut citer aliiiî (ad-levet) dans le Psautier d'Oxford
(112, 7); cette même forme se rencontre encore dans le Psautier
de Cambridge (7, 5), d'Arundel (21, 2); aiiit (ad-juvet), dans les
trois mêmes Psautiers : Oxford (21, 11), Cambridge et Arundel
(21,2).
Comme on le voit, ces deux exemples ne se rencontrent que dans
trois ouvrages qui doivent provenir de traductions antérieures au
xii^ siècle; ces formes sont par conséquent des traces de formes plus
anciennes.
Plus fréquemment le v subsiste sous forme d'/, comme dans grcft
de grever qu'on lit par exemple dans les Rubriques de Saint
Thomas, fol. III v°, ou même disparaît complètement, comme dans
gret au vers 132 d'Edward le Confesseur, ou Jet (lever) au vers
8687 de l'Ipomédon (: chet).
1. Thèmes en /. — Définit, Psauiier d'Arundel, 7, 4; ceilt, Horn 829, etc.
2. M. J. Vising cite l'exemple de Gainiar, enchascout : volt, Estorie des Engleis,
vers 2005, comme le plus ancien exemple de vocalisation de 17 (cf. op. cit., p. 87).
3. On connaît les autres exemples de vocalisation du v; fabrica, hurge ; tabula,
taule. Cf. aussi Willenberg, Rom. Stud., III, 406 et Fôrster, Zeitschrift fur neu-
fran. Sprache und Literatur, 84.
300 L EVOLUTION DU VEKBE HN ANGLO-FRANÇAIS
B, Lettres mouillées.
L'addition du /.de la désinence fait régulièrement disparaître la
mouillure de Vl et de Vn ; les exemples de ce phénomène sont nom-
breux. On peut citer pour 17 : nierveilt : esveilt qui se trouvent au
vers 271, 272 du Cumpoz ; ou encore le verbe de II (cf. plus bas),
ruiJt dans Adgar (XXX, 142). Les exemples sont plus caractéris-
tiques pour les verbes ayant un thème présentant une ti mouillée;
ainsi : cnscinf (: seint) au vers 324 du Saint Laurent et au vers
2738 de Horn ; dcint de deigner se trouve dans les Dialogues
Saint Grégoire au fol. 40 r° b.
La mouillure disparaissant, 17 devant la dentale subit tous les
changements auxquels 17 simple est soumise. Elle tombe et nous
avons pour cette chute des exemples qui remontent très haut au
xii^ siècle ; le Bestiaire nous montre la rime merveit ( : deit) au vers
2873; dans le Sermun de Guischart de Beauliu : apareilt, au vers
1301, conseilla au vers 1307, figurent à la rime dans une laisse en
eit\ et dans ce même poème,, 17 disparaît de la graphie au vers 219 :
cîinseit '.
Il est beaucoup plus rare pour 17 de se vocaliser; voici cependant
quelques-uns des exemples de ce phénomène que nous avons rele-
vés : cunseiit se lit au vers 474 des Set Dormans de Chardri ; cini-
sout au vers 444 d'Edward le Confesseur (pour ou = eu, cf. Suchier,
les Voyelles toniques, p. 61, § 6). La vocalisation de 17 tendrait à
faire admettre la série cunseilt, cunselt, cunscut (cunsout) ; nous n'avons
retrouvé aucun exemple de la forme intermédiaire.
C. Groupes de consonnes.
Lorsque le thème du verbe est terminé par un groupe de con-
sonnes, on peut relever l'une des trois modifications suivantes :
à) Vocalisation d'une des consonnes du groupe.
h) Assimilation de la dernière consonne,
f) Chute de l'une des consonnes du groupe.
I. Cette disparition de 17 a dû coïncider avec la vocalisation de cette même
consonne dans d'autres cas ; la date donnée par M. Vising ne peut être qu'une
limite inférieure qu'il faudrait probablement reculer d'une vingtaine d'années.
LE SUBJONCTIF ^Of
T'eus ces phénomènes relèvent plutôt de la phonétique ; mais en
modifiant profondément la forme du subjonctif, ils préparent et
expliquent l'addition de ïe analogique.
a) Focalisation d'une des consonnes du groupe. — Nous ne nous
arrêterons pas à ce phénomène, et nous nous contenterons de citer
un autre cas de vocalisation du v : deliurt, de délivrer, qui se lit
dans les Quatre Livres des Rois (I, 26, 24; IV, 18, 30) (cf. aiut et
aliut cités plus haut) '.
b) Assimilation de la dernière consonne. — Nous devons ici nous
arrêter quelque peu sur les verbes de I dans lesquels le thème est
terminé par une palatale ; cette palatale est exprimée au subjonc-
tif tantôt par s, tantôt par -, enfin elle tombe quelquefois. Nous ne
nous arrêterons pas aux autres cas d'assimilation.
Les formes en s pour les verbes dont nous parlons sont nom-
breuses au xW siècle ; nous n'en citerons qu'un petit nombre à cette
époque : cunienst qui se trouve dans le Cumpoz au vers 2303 ; adreist,
qu'on trouve à la rime du vers 1303 dans le Sermun de Guischart
de Beauliu ; esdrest, employé dans le Psautier d'Oxford (67, i);
curnist dans le même ouvrage (2, 12); et toujours dans le même
Psautier : esledest (47, 10); escerst (108, 10); esculurst (u, $1). Le
Psautier de Cambridge a escerst, curust (respectivement 108, 12;
104, 38).
Les ;;; sont nombreux au commencement du siècle, au moins
dans certains textes, représentant probablement l'usage de l'époque
antérieure (cf. cependant purcba::^!, dans Sœur Clémence de Bar-
king, supra p. 298). Citons tar:(t au vers 2^43 du Cumpoz ; et dans
le Psautier de Cambridge, curust {2, 12) (et dans les Quatre Livres
des Rois, III, 9, 6); souressal^t (y;, 10); et quelques autres.
On pourrait probablement considérer comme une forme spéciale
celle qui combine 5 et ~ : eslee:^st dans le Psautier de Cambridge
(lo^, 3); Qicunicn:{st dans les Quatre Livres des Rois (III, 9, 6).
Mais déjà à cette époque la consonne finale du thème disparaît quel-
quefois, comme dans eschalt qui se rencontre dans le Psautier d'Ox-
ford (•/;, 10-15). Ces formes toutefois ne sont pas très communes,
car les formes vraiment régulières que nous venons de citer, avec
;( ou s, n'ont pas subsisté assez longtemps en anglo-français pour
.1. Cf. Willenbcrg, Rom. Stud., III, p. 406, et Fôrster, Zeitschrift fur nculV.
Sprache, 84.
302 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
évoluer d'une taçon régulière au point de vue phonique ; comme
nous le dirons tout à l'heure, elles ont été remplacées par les formes
analogiques avec c muet.
c) Chute de l'une des consonnes du groupe. — Cette simplification,
dont nous venons de citer un exemple, est celle que cause le plus
souvent l'addition de la dentale flexionnelle. On en trouve des
exemples dans quatre cas principaux.
1. Lorsque le thème est terminé par une consonne double ;
2. Lorsqu'il est terminé par une dentale appuyée;
3. Lorsque le dernier élément du groupe est m ou ;/ ;
. 4. Lorsque le groupe de consonnes est constitué par / et v.
Nous allons examiner très rapidement chacun de ces cas .
1. Lorsque le radical du verbe est terminé par une consonne
double, une de ces consonnes disparaît : citons Iruist (par exemple,
au vers 2222 du Bestiaire), past (comme au vers 4126 de l'Estorie
des Engleis), lest qui est extrêmement commun. Ce qui nous inté-
resse ici, c'est la disparition de la seconde consonne du groupe ; nous
avons déjà étudié (cf. 3'-' pers. du sing.) les désinences en st, et
nous avons vu comment, après l'amuissement de 1*5 devant le
t, cette désinence s'est naturellement réduite à /; ceci se produit
même au subjonctif. Le seul exemple que nous en trouvions à ce
temps c'est let : on trouve cette forme pour la première fois dans
Boeve de Haumtone au vers 62 (ms. B, xiv= s.). Mais quoique
régulière, cette forme est très rare dans les œuvres littéraires ; 1'^ est
le plus souvent conservée, et ce n'est que dans les Year Books
qu'elle est omise avec quelque régularité. Par conséquent, l'anglo-
français a tendu à conserver au subjonctif la désinence en st ei l'a
même conservée longtemps après que 1'.^ a été amuie dans les autres
terminaisons en st ; et au lieu de se développer régulièrement au
point de vue phonique, ce groupe, maintenu d'abord, a fait place
ensuite à la désinence analogique avec e muet.
2. Si une dentale appuyée termine le thème, elle se confond avec
la dentale de la terminaison. Nous pourrions répéter ici les réfé-
rences que nous avons données pour gart (cf. supra, p. 29^1). Ajou-
tons-y ament (: prent) dans les Dialogues Saint Grégoire (Timothy
Cloran, p. 1 3, vers 8) ; ( : mesprent)deux fois au fol. 24 r° des Evan-
giles des Dompnées ; (: jugement) au vers 1977 du Roman des
Romans, etc. ; port (: mort) au vers 1889 de l'Estorie des Engleis ;
LE SUBJONCTIF 303
prest ( : est) dans Havelok au vers 150 ; dans Pierre de Langtoft
(I, 90, 21). Et un nombre considérable d'autres exemples pourrait
être donné, sans grande utilité.
3. Lorsque le dernier élément du groupe de consonnes est m ou ;/,
cette consonne est d'abord conservée, puis disparaît (au plus tard,
vers I léo).
Nous n'avons que peu d'exemples qui montrent le groupe de
consonnes subsistant entièrement ; on peut citer cunfennl dans les
Quatre Livres des Rois (III, 2, 4). Ceux dans lesquels la réduction
a été opérée sont plus nombreux et plus probants ; confcrt se lit dans
le Psautier d'Oxford (19, 4), etc.; tiiri ( : curt) dans le Tristan de
Thomas au vers 1441 ; ( : surt) dans le Saint Edmund au vers 3800.
La même forme se rencontre à l'intérieur du vers dans un très
grand nombre de cas : au vers 1468 de la Vie de Sainte Catherine;
dans Adgar (XXXII, 1 5 et passivî) ; dans les Quatre Livres des Rois
(I, 5, 10); dans les Dialogues Saint Grégoire Qoiirt') (148 r° a);
dans Horn (au vers 2967); dans la Vie de Saint Gilles (au vers
1825), etc.
4. Dans le groupe Iv, v disparaît, puis / se vocalise : sait de
salver se rencontre dans le Bestiaire au vers 2296; dans la Vie
de Saint Gilles au vers 1968; dans Guischart de Beaulîu au vers
1923. Mais il est probable que, malgré la graphie, 1'/ s'est vocalisée
dans ces deux derniers exemples, comme il l'a été dans ait, pareil,
etc. (cf. plus haut). Pour ce verbe, nous ne trouvons de rimes
qu'au xiii^ siècle; elles sont par conséquent peu utiles. On trouve
saut ( : haut) dans les Set Dormans au vers 1898 ; ( : ribaud) au
vers 282 de Boeve de Haumtone ; ( : haut) dans Dermod, vers 273,
etc. Cette forme avec cette graphie est commune dans Angier,
Chardri, Robert de Gretham.
Les formes comme chant de changer (Ipomédon 8792) pour
*chanzt nous semblent incorrectes; elles sont certainement rares.
Telles sont les modifications que l'addition de la dentale de la
flexion cause dans le thème de différents verbes ; on voit que le
plus grand nombre de ces changements n'ont rien que de très
normal. Mais, et c'est la raison pour laquelle nous les avons
énumérés, on peut remarquer que ces changements ont préparé
indirectement l'abandon de la forme étymologique au profit de la
forme analogique. En effet, certaines de ces troisièmes personnes du
j04 L^ÉVOLUTIOK Dtj VERBE EN ANGLO-FRAMçAÏS
subjonctif semblent ne pas avoir de désinence spéciale et reproduire
simplement le thème du verbe, comme gct, port, prest. D'autres
semblent au contraire compliquer ce thème : purcha~l, curui:^t;
d'autres enfin diffèrent plus ou moins, mais quelquefois d'une façon
remarquable, de toutes les autres formes de la conjugaison ; en pre-
mier lieu, ces verbes qui vocalisent une consonne : aut, parout,
apciit, ciiusout, aiiit, aJiut, deliurl ; ici le thème est altéré au point
d'être méconnaissable ; et il en est de même des verbes qui perdent
soit la mouillure, soit une consonne au subjonctif : enseint, turt,
saut. Pour celles de ces formes qu'un emploi très fréquent au sub-
jonctif n'a pas rendues familières, la désinence analogique s'impose.
I. S PARAGOGiaUE. .
Les troisièmes personnes du singulier régulières du présent
du subjonctif, ne se montrent que rarement avec une s para-
gogique ; il y a pour cela une excellente raison, c'est qu'elles
deviennent relativement rares avant que la désinence st envahisse
la troisième personne du singulier (cf. plus haut, p. 294).
Les exemples comme aïst qu'on lit au folio 66 \° du Saint Julien
sont rares.
Nous devons maintenant nous arrêter quelques instants sur les
formes de cette personne pour le verbe donner, car nous y trouvons
ordinairement une s d'une autre nature. Nous pouvons dire que
ces formes sont doubles et qu'elles remontent à deux sources diffé-
rentes. La première, c'est dont ou dtint qui est le produit régulier
du latin donet ; on trouve cette forme très tôt, par exemple au vers
19 14 du Bestiaire où elle rime avec munt. Mais elle est assez peu
employée déjà au commencement du xii^ siècle; elle est archaïque
et plus tard elle devient rare. La seconde forme correspond au pré-
sent de l'indicatif J///?/5 (cf. Désinences personnelles, première per-
sonne du singulier) et à la première personne du suh]oncn(Çdiiinse)
qui en anglo-français a toujours 1'^ (cf. plus haut). Cette seconde
forme de la troisième personne du singulier est dninst ou doiust et
elle est très commune non seulement au xii^ siècle ' mais aussi et
I. On en trouve des exemples dans chaque auteur : Gaimar, Estorie, vers 2655 ;
dans le Tristan de Thomas, aux vers 919, 1278, 1398 etc. ; dans le Saint Gilles,
120, 1359; dans la Vie de Sainte Catherine, vers 24, etc.
LE SUBJOXCTIF 3O)
surtout aux siècles suivants '. Elle est aussi la forme la plus com-
mune de ce5 troisièmes personnes du singulier du subjonctif de
donner. Nous pouvons faire remarquer ici que Ys de doinst s'amuit
et disparaît fréquemment. La forme qui en résulte doint est très
commune, même dans les ouvrages du xii^ siècle, quoique dans
aucun de ceux-ci on ne puisse l'attribuer avec quelque certitude à
l'auteur -.
On rencontre aussi des formes bâtardes présentant la voyelle
tonique du subjonctif étymologique et la désinence si du second
subjonctif, comme doust au vers ^ 6 de la Vie de Saint Grégoire, au
vers 72 du Saint Laurent, etc.
Puis, après l'amuissement de Vs, cette forme bâtarde peut repro-
duire exactement le subjonctif étymologique comme le do)!t des
Chansons VI, 3.
Par conséquent, sans parler des formes avect- muet (donne, duiusc),
la troisième personne du singulier du présent du subjonctif de don-
ner peut se présenter sous l'une des formes : dont, doinsl, doint, doint,
dont.
IL Perte de la dentale sans addition d'un k muet.
Dans la langue littéraire, on ne trouve que peu d'exemples de ce
phénomène, les seuls que nous ayons relevés se lisent dans le
Roland d'Oxford : ainein (au vers 2760) et dans le ms. L du Gum-
poz: /</r~(2443); dans les Chansons (III, 2) honiir; mais ce dernier
exemple est assez douteux, car le verbe précédant un mot commen-
çant par une voyelle, on pourrait suppléer un c muet.
Dans la langue diplomatique on trouve donn, Early Statutes 01
Ireland (1320, 282), et dans la langue légale deninr (11 et 12 Edw.
III, 407); especefy (30 Edw. I", 75); pourchai (30 Edw. L"", 125).
Mais les cinq dernières formes citées ne proviennent pas de la forme
1. On peut en voir des exemples au vers 67 de la Vie de Saint Laurent; dans
la Plainte d'Amour, vers 1001 ; dans Robert de Gretham, 58 v^; dans la Vie de
Sainte Marguerite, 120; dans les Contes de Nicole Bozon, ^ 347; dans Pierre de
Langtoft.
2. Cf. le vers 165 a de Guischart de Beauliu ; le vers 208 de l'Érection des
Murailles de New Ross ; le fol. 60 \° des Heures de la Vierge ; le vers 7 du Saint
Nicolas, etc.
20
îo6 l'évolution nu ^■ERBE en anglo-françals
étymologique avec dentale sans voyelle ; elles proviennent de
hoiiurc, doimi\ demure, especejie, purchasse, après qu'ils ont perdu leur
voyelle muette.
Il est donc très rare que la dentale appuyée disparaisse à la troi-
sième personne du singulier des subjonctifs en eiii ; les seuls
exemples indiscutables que nous en ayons, celui de Roland et du
manuscrit L du Cumpoz, sont le fait des scribes.
III. Développement d'un e atone.
Comme nous l'avons déjà dit, un certain nombre de verbes
prennent au subjonctif devant la dentale de la troisième personne
du singulier un e d'appui, destiné à rendre possible la prononciation
de cette dentale. Cet c régulier se trouve évidemment dans les pre-
miers ouvrages anglo-français, aussi bien que dans les textes posté-
rieurs.
Dans un assez grand nombre de cas et très tôt dans la littérature
anglo-française, on voit apparaître dans certains autres verbes un e
que rien ne justifie. Il y a cependant, comme nous l'avons dit,
quelques auteurs qui ne l'ont jamais. Philippe de Thaûn, Gaimar,
Sœur Clémence de Barking, Adgar, Simund de Freine. Ce qui
veut dire en d'autres termes que les auteurs corrects n'emploient
jamais Ve analogique jusqu'à la fin du xii" siècle. Mais tous les
autres auteurs, même antérieurs à ceux que nous venons de citer,
montrent toujours quelques exemples de la forme irrégulière. Dans
certains ouvrages, celle-ci ne se rencontre que rarement : toutefois
comme on en trouve un ou plusieurs exemples assurés, nous avons
la certitude que la forme analogique est à peu d'années près aussi
vieille que l'anglo-français. Par exemple le poème du Voyage de
Saint Brandan peut nous en donner un assez grand nombre
d'exemples, et à ce propos on peut comparer ce que nous avons à
dire maintenant à ce que nous avons déjà dit de ce poème au sujet
de Vc analogique de la première personne du singulier.
Les exemples que nous trouvons dans Brandan et qui sont assu-
rés par la rime ou par la mesure sont: lessct{}^, target^}), esiiiaie;ces
exemples nous les reverrons encore à leur place, mais nous pou-
vons d'ores et déjà remarquer que cet c s'attache, dans les premiers
exemples que nous trouvons, aux thèmes vocaliques et aux thèmes
LE SUBJONCTIF 307
consonantiques terminés par un groupe de consonnes ou une con-
sonne double.
Pour faciliter l'étude de cette question nous pourrons, en prenant
comme point de départ les formes ci-dessus, classilier les irrégula-
rités sous plusieurs chefs :
a) Thèmes vocaliques. b) Thèmes à dentale, c) Thèmes termi-
nés par un groupe de consonnes.
Dans chacune de ces classes nous étudierons ces subjonctifs qui,
prenant Ve et perdant leur dentale, ont adopté la forme moderne.
a) Thèmes vocaliques.
Les thèmes vocaliques ne se présentent que rarement sous la
forme analogique au xii^ siècle, ou plutôt, car les exemples sont
assez nombreux, ces formes nouvelles ne se trouvent que dans un
petit nombre d'ouvrages, à savoir le Vovage de Saint Brandan et
les Psautiers.
Nous avons déjà énuméré les formes irrégulières qu'on trouve
dans le premier de ces ouvrages ; pour ce qui est des exemples qui
proviennent des thèmes vocaliques, nous n'en trouvons qu'un
assuré par la rime dans les deux manuscrits : esmaie, rimant avec
manaie au vers 226 (Arsenal 171) :
Et ni ait nul qui ja s'esmaie.
On en cite parfois un autre qui nous semble plutôt un présent
de l'indicatif: vers 1742 (Arsenal 1660), recrie qui rime avec mie.
Les trois Psautiers nous lournissent un nombre plus considérable
de formes analogiques pour ces thèmes : loed peut se lire dans le
Psautier d'Oxford, une fois ' (150, 5), et dans le Psautier de Cam-
bridge (32, 19)^; vivifiet se trouve à la fois dans le dernier de ces
ouvrages (32, 19) et dans le Psautier d'Arundel (40, 2) '. On relève
encore dans ce dernier envoiel (19, 2)^.
Au siècle suivant, les formes analogiques pour les thèmes voca-
liques deviennent évidemment de plus en plus communes et nous
n'avons pas l'intention de citer toutes celles qu'on peut rencontrer;
1. Dans le même Psautier, lot, r^ 10, doux fois.
2. Dans le même Psautier, lout, r, 10 et r, 16.
3. Fm)i/, Psautier d'Oxford 32, 19.
4; Eiiveit dans les deux autres Psautiers.
>08 LKMM.UriON DU \ ERBK KN AKGLO-FRANÇAIS
nous ne donnerons que celles qui nous semblent les plus assurées
et les plus significatives. Dans le Manuel des Péchés de Robert de
Grctiiani, nous relevons /('j>7/;;/(W/V rimant avec vie; Joue est employé
dans Edward le Confesseur au vers 869 '. Les exemples sont nom-
breux dans Boeve de Haunitone et dans William de Waddington,
mais ne ditîèrent pas de ceux que nous venons de citer. Les exemples
abondent au xiV siècle : ottrie, qui a conservé longtemps la forme
régulière, se lit dans Pierre de Langtoft, cà la rime (I, 322, 17) ; et
dans le Poème du Prince Noir à la rime du vers 4182; de même
dans ce poème avoie rime avec joie au vers 662, etc.
Citons encore siirveye de surveiller, toujours considéré comme un
thème vocalique au xiv^ siècle (cf. sorveer, p. 90 du Dit de Senes-
chaucie; sorvcr, passiiti). La forme du subjonctif que nous venons
de citer se trouve à la p. 10 de Walter de Henley.
b) Thèmes à deiitale.
Un nombre beaucoup plus considérable encore de ces e analo-
giques se rencontre avec les thèmes à dentale ; spécialement, les
exemples de formes irrégulières que nous trouvons au xii^ siècle
sont plus généraux, en ce qu'ils ne sont pas limités à un petit
nombre d'auteurs. Mais nous devons reconnaître par contre que les
exemples que nous fournissent de tels thèmes ne sont pas à beau-
ctiup près aussi significatifs que ceux que nous avons déjà énumé-
rés. Un grand nombre des formes qui suivent ne sont pas à pro-
prement parler irrégulières et peuvent phoniquement se dépendre.
h'e atone a la même raison d'être dans ces formes que dans les per-
sonnes du singulier des imparfaits du subjonctif. En effet lorsque
la dentale de la désinence se confond avec la dentale du thème_, la
troisième personne du singulier, comme nous l'avons déjà fait
remarquer, ne semble pas avoir de terminaison propre; pour la lui
conserver, certains écrivains séparent ou relient les deux dentales
par un c atone, et cet e d'appui, phoniquement irrégulier, se
défend par des raisons morphologiques (cî. Nyrop, H, § 203, 2).
Cependant nous n'irons pas jusqu'à dire que tous les exemples
que nous allons donner sont défendables. Quelques-uns le sont
I . N'est nuls ki n'eit joie e baudur
E n'en loue le Créât ur.
LE SUBJONCTIF 309
certainement ; pour les autres, pour le plus grand nombre même,
Ve est purement analogique. Pour les distinguer nous dirons >que
les exemples irréguliers sont ceux qui montrent la forme régulière
très fréquemment et la forme avec muette très tardivement ; pour
ceux-là nous avons réellement un phénomène d'analogie.
Le principe est plus facile à formuler qu'à appliquer ; nous don-
nerons tout d'abord les subjonctifs dont la muette peut, croyons-
nous, s'expliquer phoniquement ou morphologiquement ; ensuite
ceux où elle est analogique.
Le plus ancien exemple que nous a3'ons se trouve dans le Voyage
de Saint Brandan au vers 902 (Arsenal 855), où adeiile rime avec
tourmente; cette forme nous semble provenir de adenlet par suite
de la chute dentale finale, chute qui peut provenir du scribe. Le
Psautier de Cambridge nous donne plusieurs exemples analogues :
dehntd (34, 6); guardet (120, 8) (Psautier d'Oxford, giiarf); ajuste!
(113, 32) qu'on retrouve dans les Quatre Livres des Rois (II, 16, 18)
(Oxford, ajusl^. Le Psautier d'Arundel nous montre encore aguaitei
(9, 8). Nous n'hésiterons pas à considérer ici Yc comme un c d'ap-
pui employé pour séparer les deux dentales.
Il est assez difficile de décider si les exemples qu'il nous reste à
citer doivent être rangés dans la même classe que ceux que nous
venons d'énumérer ; il est probable que non, et nous pouvons con-
sidérer Vc qu'ils nous montrent comme un c purement analogique,
dû peut-être en partie aux formes quasi régulières que nous avons
vues.
Fantosme nous donne ainsi gale (au vers 444) ; ciDite rime avec
le substantif de même forme dans les rubriques d'Edward le Con-
fesseur (XXXVI, 12); amende est assuré par la mesure du vers 926
du Manuel des Péchés; conforte rime avec la troisième personne
du singulier du présent de l'indicatif du même verbe au vers 2079
du Prince Noir.
Nous ne saurions toutefois avoir aucun doute pour les formes
tardives et exceptionnelles comme grante, aide, garde (voir cependant
l'exemple du Psautier de Cambridge), ou porte. La première de ces
formes est employée dans le Saint Auban (au vers 1030) et reste
assez rare par la suite. Aide devient très commun après 1250 ; cette
forme est assurée par la mtsure du verbe 4993 du Manuel des
Péchés; dans Pierre de Langtoft (I, 468, i)); dans le Prince Noir
310 L ÉVOLUTION DU VRUBE EN ANGLO-FRANÇAIS
(2567, 3212); elle se lit au § 3 5 des Contes de Bozon. Nous avons
un nombre à peu près égal d'exemples pour garde : Ve muet est
assuré dans les Heures de la Vierge (au folio 68 r°); dans Pierre de
Lnngtoft très souvent (II, 46, 26; II, 230, 7 ; II, 420, 19); par la
rime avec le substantif dans le Prince Noir (293, looi, 2705, 1165,
2)39)-
Par conséquent, il est évident que les verbes à dentale prennent
souvent un e atone à la troisième personne du singulier. Mais pour
les premiers exemples que nous relevons cet c est en partie justifié.
Les formes vraiment analogiques ne remontent pas avant le milieu
du XIII* siècle.
c) Thèmes terminés par un groupe de consonnes.
Dans la plupart des exemples suivants Ve semble à première vue
nécessaire; on peut souvent le justifier, quoique pour chacun
d'eux, nous ayons relevé des exemples de formes absolument ana-
logues d'où il est absent. C'est dans cette catégorie que nous trou-
vons le plus grand nombre de formes avec e plus ou moins irrégu-
lier ; le Voyage de Saint Brandan en présente deux exemples qui
ne sont pas très assurés : lesset (: amonestet) (au vers 225); target
(au vers 135) '• Ce dernier verbe se retrouve dans le manuscrit A
du Cumpoz (au vers 2443). Le Psautier d'Oxford lui-même en a
quelques-uns du même genre : aprismet (ri8, 169), salved (ïj8,
73) (qui se trouve aussi dans les Quatre Livres des Rois, I, 4, 3) ;
plunged (68, 19); dans le Psautier d'Arundel on trouve aussi : con-
fermet (19, 4), et cunferme dans le Psautier d'Oxford (103, 17),
Il y a enfin un certain nombre de formes avec e communes aux
trois Psautiers : livred qui se rencontre cinq fois dans le Psautier
d'Oxford (40, 2 et passim) à côté de deliurt que nous avons déjà
cité; dans le Psautier de Cambridge (32, 19); dans le Psautier
d'Arundel (21, 3 ; 32, 19). Truisset est commun au Psautier
I. Cf. Willemberg, Rom. Stud. 383, Anmerk. I. Le ms. de l'Arsenal ne nous
donne ni l'un ni l'autre de ces exemples ; le vers qui contient tariJ-et a disparu par
accident; au lieu de lesset, ce ms. nous donne une leçon, meilleure en soi et qui
fait disparaître l'irrégularité, vers 168 :
Li abes dunt les amoneste
Que Dex les gart d'avoir tempeste.
LE SUBJONCTIF 3 1 1
d'Arundel et au Psautier d'Oxford: il se trouve Psaume 20, verset 8,
dans l'un et dans l'autre. On trouve aussi ciimenced dans les mss. C
et L du Cumpoz (pour le vers 2303); dninset est aussi employé au
vers 2938 par le scribe du Roland d'Oxford.
Pour quelques-uns des verbes précédents, nous ne pouvons pas
encore dire que nous avons une véritable irrégularité.
Dans un petit nombre de cas, Ye ne répond à aucun besoin, par
exemple dans lesset, truisset, dtiiiiset, ctimeuced. Ces quelques verbes
sont vraiment irréguliers.
La muette, dans quelques autres verbes, a été ajoutée pour con-
server ou faire reparaître le radical du verbe obscurci dans la forme
régulière, par exemple dans target pour tarst, salvet pour sait, pluu-
ged pour *plunzt, delivrcd pour deliurt. Toutes ces formes et
quelques autres encore sont irrégulières en tant qu'elles ne pro-
viennent pas directement du verbe latin, mais elles s'expliquent.
Dans deux autres cas la présence de Ve est au moins aussi justifiée
que son absence, d.uis aprismet et cunfermct.
Par conséquent dans cette classe, nous trouvons quelques formes
régulières, d'autres discutables, enfin plusieurs qui sont franchement
irrégulières.
Nous n'jénumérerons pas les exemples qu'on trouve par la suite :
blanieqnon trouve au vers 869 de Guischart de Beauliu (copiste ?),
Iniisse qui se lit dans le même auteur au vers 1023, doiiisc qui est
commun au xiv^ siècle, sauve qui n'est pas rare, mais qui est moins
commun que sait, saut ' ; pense - ; toutes ces formes sont à différents
degrés irrégulières, plus irrégulières certainement que celles que
nous ont fourni les verbes à dentale
1. Cf. dans le Josaphat de Chardri, vers 2508 :
Ke il sauve l'aime de li.
et au vers 2749 du même poème :
Il pria... ke...
Le sauvet a sun muriant.
Et dans Boeve, les vers 79, 489, 1 5 15 ; dans les Heures de la Vierge au fol. 66 r";
dans la Chronique de Pierre de Langtoft, II, 48, 26 ; II, 342, 6 et passitii ;
Foulques Fitz Warin, 30, etc.
2. Cf. Chardri, Josaphat au vers 1598 :
Deu en pense, ki ben le poet !
■Voir aussi Prince Noir, vers 1277.
312 I. HVOI.rTION DU VERHK EN ANGI.O-FRANÇAIS
d) Lettres mon i liées.
Pour la raison même que nous venons d'exposer, les verbes dont
le radical présente une lettre mouillée devaient prendre assez aisé-
ment un (' atone à la troisième personne du singulier; dans la forme
étymologique du subjonctif, la mouillure disparaît, et pour la con-
server, un e d'appui est nécessaire. C'est de cette façon que l'anglo-
français a tendu à se débarrasser d'un thème différant sensiblement
du thème de toutes les autres parties du verbe. Ceci explique pour-
quoi nous trouvons assez tôt des formes qui, par analogie, ont pris
le radical ordinaire du verbe et en même temps Ve atone ; citons :
dei^net au vers 999 de Guischart de Beauliu ; deinge au vers 343 de
la Vie de Saint Grégoire ; deigne au vers 26 de la Plainte Notre-
Dame ; suiiioile (: voile) au vers 92 d'Edward le Confesseur; baille
rime avec faille au folio 65 v° du poème religieux du ms. Royal 20
B XIV.
Quoi qu'en dise M. Gabrielson, dans son Introduction au Sermun
de Guischart de Beauliu, les formes étymologiques existent bien,
et nous en avons cité un certain nombre précédemment ; mais elles
n'ont jamais été très employées et ont vite fait place à ces formes
qui conservent le radical ordinaire du verbe.
e) Consonnes simples.
Les verbes dont le thème est terminé par une consonne simple
forment la classe la plus nombreuse dans la première conjugaison;
cependant, pour ces verbes, le nombre de formes nouvelles n'est
proportionnellement pas aussi grand que pour les autres classes. Ici
nous avons réellement les formes irrégulières de la troisième per-
sonne du singulier des verbes de I ; et nous pourrons remarquer
que les formes analogiques sont relativement assez tardives. On en
trouve, il est vrai, dans les Psautiers; mais ce sont les seuls
ouvrages de cette époque qui présentent cette irrégularité pour les
verbes de cette classe. Le Psautier de Cambridge a deux de ces
exemples : curnnet (68, 8); aposet (119, 3); le Psautier d'Oxford
a apost (9, 42). On rencontre encore dans ce dernier ouvrage deux
autres formes nouvelles : embrive (0, iS) ezespeire (129, 6).
LE SUBJONCTIF 3 I 3
Nous pouvons maintenant nous arrêter un instant et récapituler
les formes plus ou moins irrégulières que nous avons rencontrées
au xir' siècle. Nous n'avons trouvé Ve analogique, c'est-à-dire
emprunté aux subjonctifs en cm qui ont un e d'appui, ou aux sub-
jonctifs en aiii. et iain, que dans un tout petit nombre de cas :
d'abord pour certains verbes à thème vocalique (esinaie, Joe, vivi-
fied, cnvoiet) ; dans quelques autres terminés par une consonne
double ou un groupe de consonnes (Jesset, triiisset, duinset, comenced);
ou par une consonne simple (curunet, aposet, embrive, espeire). Ces
quelques cas, dont quelques-uns remontent aux tout premiers temps
de la littérature anglo-française, sont les seuls qui montrent l'ad-
dition d'un e irrégulier. Tous les autres nous montrent une irrégula-
rité d'un genre absolument différent, soit disparition du thème propre
à ce temps, soit mise en évidence de la dentale caduque de la dési-
nence par un e d'appui.
Jusqu'ici, nous nous sommes surtout occupés des formes du
xii^ siècle, tout en corroborant, au moyen d'exemples tirés des siècles
suivants, les exemples que nous citions. Nous allons maintenant
poursuivre très rapidement notre étude des formes analogiques
dans les verbes dont le thème est terminé par une consonne simple
au xiiT^ siècle et au xiv^.
Comme les quelques exemples que nous donnerons suffiront à le
montrer, l'analogie fait de grands progrès à cette époque, et la forme
avec muette se généralise de plus en plus.
Les thèmes sigmatiques sont nombreux sous cette forme avec
atone, et nous pourrions dresser une longue liste d'exemples; nous
n'en donnerons que quelques-uns, comme prise qui rime avec fran-
chise dans Edward le Confesseur (au vers 55); peisc est commun,
même à la rime, comme dans la Plainte d'Amour (vers 787, avec
maleise), dans le Roman des Romans (vers 44, avec eyse ;
cf. d'ailleurs, dans le même poème, peist, 577), dans Foulques Fitz
Warin (p. 85). Ceci montre assez que cette forme est devenue
sinon la forme habituelle, au moins une forme communément
employée.
Les autres thèmes consonantiques ne sont pas beaucoup plus
rares ; citons, parmi les thèmes en r, dure qui rime avec parjure
dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (LXI, 4) et aiire qui rime
avec cure dans les Rubriques de Saint Auban (fol. 34 v°); ces
exemples sont sensiblement plus tardifs.
31-1 l'évolution du verbe en anglo-français
Nous ne citerons qu'un petit nombre d'autres exemples ; d'abord
une autre forme du subjonctif de donner qu'on rencontre assez
communément, doi ne, comme au vers 988 du Roman des Romans
Deus nus doinc vcrai pardun,
dans les Heures de la Vierge (éi v°), et dans plusieurs autres cas.
Ces quelques exemples nous permettront de conclure que la
forme moderne, c'est-à-dire irrégulière, de ces subjonctifs est d'un
emploi courant au xiii'= siècle, et que leur nombre commence à deve-
nir considérable après la seconde décade de ce siècle.
Enfin, et pour terminer cette rapide énumération, il y a toute
une classe de subjonctifs de I qui, très naturellement, prennent tou-
jours Ve ; ce sont les subjonctifs en ge et ce. Ceci n'a rien que de très
naturel, car ces subjonctifs sont modelés sur les subjonctifs en
ia?n, qui l'ont toujours.
Nous les étudierons plus tard.
Il est peu utile, après ce que nous venons de dire, d'insister sur
les formes analogiques dans les ouvrages non littéraires^ puisque
nous n'avons pour ces ouvrages aucun texte antérieur au milieu du
xiii*^ siècle. Nous ferons simplement remarquer que les verbes, que
nous avons eu précédemment l'occasion de signaler, sous la forme
étymologique, dans la dernière partie de ce siècle, se trouvent aussi
avec Ve un nombre presque égal de fois : aide, garde, porte, voise (ou
aille^ sont très communs dans les Statutes, comme dans Rymer et
les autres, même avant 1300; de plus, on trouve, avec e, d'autres
verbes d'un emploi moins fréquent, qui n'apparaissent jamais sous
la forme étymologique, comme paie, demoere, passe, etc.
Au \\\^ siècle, même les premiers verbes que nous venons de
citer sont employés plus communément sous la forme moderne ;
on peut dire que c'est la seule qu'on trouve dans certains recueils
comme le Liber Rubeus de Scaccario ou le Registrum Malmesbu-
riense.
Certaines formes, telles que saut, aut qui se rencontrent très tard
dans la langue littéraire (cf. supra) sont inconnues dans les textes
politiques, diplomatiques, etc. Quant adonner, il ne prend la forme
féminine dans cette catégorie de textes que vers le commencement
du xiv^ siècle.
LE SUBJONCTIF 3 I 5
Comme nous disions plus haut que la forme étymologique de la
troisième personne du singulier des subjonctifs en eni est très rare
dans les textes légaux, nous n'aurons donc pas à insister maintenant
sur les formes modernes que présentent ces recueils. Elles sont
nombreuses : eyde, garde, sauve sont employés constamment (cL 31
Edw. l", 345 ; 30 Edw. I", 75, etc.) ; donner fait le plus sou-
vent doigne (33 et 35 Edw., I", 399; 11 et 12 Edw. III, 139);
trouver se montre le plus souvent sous la forme troefse (32 et 33
Edw. P% 115); aller prend trois formes : auge (20 et 21 Edw. P'»
123), forme assez rare; ayle (21 Edvv'. I", 121); voyse (11 et 12
Edw. III, 63).
Nous pouvons maintenant résumer avec assez de précision les
résultats que nous a fournis l'étude des différents textes anglo-
français.
1. Les formes régulières des troisièmes personnes du singulier du
présent du subjonctif en em persistent assez longtemps; elles sont
très nombreuses au xii^ siècle et jusque vers 1250. Mais pendant la
première moitié du xiii^ siècle, il ne se rencontre plus d'auteur qui
emploie exclusivement la forme régulière. De 1250 à la fin du
xiV siècle, les formes normales se rencontrent toujours, mais on
peut trouver quelques ouvrages qui n'en ont aucun exemple
assuré.
2. Les formes avec e atone datent de très haut dans la littérature
anglo-française. Même si on admet, nous ne sommes pas éloignés
de le f lire, et le manuscrit de l'Arsenal le montre assez clairement,
que le Voyage de Saint Brandan a été fortement remanié par le
scribe, les formes analogiques que nous trouvons dans ce poème
doivent remonter au moins à 1 167, ce qui les ramène à la date des
Psautiers; dans ces quatre ouvrages, on trouve, à côté déformes qui
peuvent se défendre, des formes irrégulières avec les verbes dont le
thème est terminé par une voyelle, un groupe de consonnes (ou une
consonne double) et plus rarement par une consonne simple.
3. A la fin du xii'' siècle et spécialement au commencement du
siècle suivant (^d. Guischart de Beauliu et Robert de Gretham),
nous trouvons encore des exemples de ces trois sortes de thèmes
employés sous la forme irrégalière; de plus les verbes dont le radi-
cal est terminé par une lettre mouillée se trouvent atteints. Les
Psautiers mis à part, ce n'est qu'au commencement du xiii"^ siècle
^l6 l."lh-OLUTIO\ DU VHRBE KN ANGLO-FRANÇAIS
que nous rencontrons des exemples assurés de la forme moderne
aux radicaux terminés par une consonne simple.
C'est donc à la fois par une extension des lois phoniques
(thèmes à groupe de consonnes et thèmes À dentale) et par analo-
gie (thèmes vocaliques d'abord) que les troisièmes personnes du
singulier des verbes de I se sont acheminées graduellement vers la
forme moderne .
IV. Première et deuxiè.mk personnes du pluriel.
Nous n'avons que fort peu de choses à dire de ces deux per-
sonnes. La première est régulièrement en u{o)ui{s^ ; les désinences
qui montrent un / comme caiigiiini qu'on lit au vers 449 de Gaimar
sont extrêmement rares et sont dues à l'ignorance des scribes.
Pour ce qui est de la seconde personne du pluriel, quelques-unes
seulement prennent la désinence en ie^ ; c'est à cause de cela que
nous en avons parlé au chapitre des Désinences personnelles.
V. Le radical des subjonctifs en efii.
Nous avons déjà dit quelques mots du radical de ces subjonctifs
dans les troisièmes personnes du singulier étymologiques. Il nous
reste à parler maintenant des changements plus généraux atteignant
chacune des personnes de ce temps.
I. La voyelle.
Nous n'avons relevé pour la voyelle thématique qu'un tout petit
nombre de changements qui ne soient pas dus à l'évolution pho-
nique njrmale. Nous allons maintenant citer quelques formes qui
ont une origine différente. C'est surtout pour la diphtongue ni
qu'on trouve régulièrement au subjonctif d'ennuyer, trouver,
donner... que les formes sont variées et parfois difficiles à expli-
quer.
Nous allons tâcher de montrer que ces formes si différentes pro-
viennent de deux radicaux distincts :
L'un, le radical étymologique présentant ni et ses dérivés pho-
niques;
LE SUBJONCTIF 317
L'autre qui est une généralisation du radical de l'indicatif.
I. Ui se rencontre constamment au xii" siècle et pendant une
grande partie du xiii'^; ici comme ailleurs, la diphtongue se réduit
souvent à la voyelle simple //, dès la fin du xiii'^ siècle. On trouve,
par exemple, trnsse au vers 1132 des Set Dormans de Chardri, et,
sous la date 1278, dans le premier volume des Statutes, à la page
49, etc. Ce premier changement de la diphtongue du thème n'a rien
que de très normal.
Ue et aussi oe qui en dérive peuvent provenir phoniquement de
la même diphtongue /// ; on trouve triiesse dans les Rymer's Foedera
(1306, II, 1012); troesse dans les Statutes, à la page 31 du premier
volume (1275). Il est possible que ces deux derniers exemples
doivent se ranger parmi ceux qui montrent une extension du radi-
cal de l'indicatif.
Ajoutons que pour ennuyer et donner nous relevons une
autre forme de la diphtongue ni : ai. Mais ici nous n'avons proba-
blement qu'une graphie, comme l'indique la rime du Drame d'Adam
(vers 114), a)ioit (: déduit).
Cependant oi est la forme la plus commune que prenne l'élément
vocalique du thème de donner ; elle est beaucoup plus répandue
que /// par exemple. On trouve oi pendant tout le xiii'' siècle et le
xiv^ (Roman des Romans, vers 988; William de Waddington, vers
936, 2228, 5282; érection des Murs de New Ross, vers 202, Sta-
tutes, Rymer, passini, etc.).
Trouver ne montre jamais cette diphtongue.
2. Nous avons déjà cité (cf. supra, p. 304) plusieurs formes de
donner (Bestiaire, Saint Laurent, Dialogues Grégoire), qui
présentent le radical de l'indicatif; elles ne sont probablement pas
des formations analogiques et proviennent de do net.
Pour trouver au contraire, nous sommes souvent en présence de
véritables formes analogiques. Il est possible que les thèmes en oc
et ne cités plus haut proviennent de l'indicatif, au lieu d'être le
résultat de l'évolution de ui. Toujours est-il que nous relevons
assez fréquemment vers la fin du xiii'^ et pendant le xiv' siècle
des thèmes montrant, sans doute possible, l'influence de l'indica-
tif.
On rencontre d'abord la voyelle 0, par exemple dans trofse qui se
lit dans les Parliamentary Writs, sous la date de 1297 (I, 54). Cette
3i8 l'évolution du verbe en anglo-françals
forme par la suite devient très commune, même la plus commune.
Elle se rencontre constamment dans les Traités de Rymer, et c'est la
seule qu'emploient les Year Books. On est certainement plus rare ;
on en trouve un exemple (jroiis) dans l'Apocalypse (a, 175); un
autre troussent à^iws les Statutes, à la date de [299 (I, 132) ;
R^'^mer et les Literae Cantuarienses en offrent aussi quelques
exemples.
Telles sont les principales formes prises par l'élément vocalique
dans le thème de ces verbes au subjonctif.
II. La consonne.
La consonne finale des subjonctifs en em subit un nombre assez
considérable de changements ; les uns sont sporadiques et nous ne
nous y arrêterons pas. Les autres ont un caractère plus marqué
de généralité ; parmi ceux-ci nous en citerons un seul, l'introduc-
tion d'une lettre mouillée.
Il y a dans la première conjugaison un certain nombre de verbes
qui, au subjonctif, mouillent irrégulièrement la consonne finale du
radical et qui prennent ainsi une forme qui les rapprochent des sub-
jonctifs en iam.
Le plus important de ces verbes est évidemment le verbe aller,
qui prend très fréquemment la forme moderne aille y elle se trouve
pour la première fois, croyons-nous, dans le Psautier de Cambridge
(31, 9); elle n'est pas très fréquente au xir' siècle. Auge et voise
sont beaucoup plus communément employés (cf. supra, p. 315).
Nous la retrouvons plusieurs fois au xiii^ siècle, en particulier
dans les Evangiles des Dompnées (au fol. 174 r°), dans le Saint
Julien (au fol. 48 v°), au vers 530 du Roman des Romans ; aucun
de ces exemples n'est du reste assuré par la rime. Ils sont plus com-
muns au xiv^ siècle; une des premières rimes où nous trouvions
cette forme se lit dans Pierre de Langtoft (I, 478, 8). yif///^ d'ailleurs
est la forme communément employée dans les ouvrages non litté-
raires ; dans les Statutes, elle alterne avec voise, dans les autres
recueils, elle est le plus souvent unique. Elle est tiès fréquente dans
les Year Books; auge y est employé sporadiquement pendant les
premières années du xiv^ siècle ; voise se trouve fréquemment même
plus tard.
LE SUBJONCTIF 319
Donner dans la langue littéraire prend, à la fin du xiii^ siècle et
pendant le xiv% la forme doigne, fréquente chez William de Wad-
dington (cf. 986, 2228, 3282). Les auteurs du xiv^ siècle l'em-
ploient presque à l'exclusion de toute autre. La langue politique ne
nous a fourni aucun exemple de cette dernière forme au xiii^ siècle,
alors que le xiv= l'emploie constamment ; c'est la seule forme que
connaissent les Year Books.
Le verbe mener montre très tôt une « mouillée au subjonctif;
la forme rneigne n'est cependant pas aussi commune que les deux
autres formes que nous venons de citer ; on la trouve pour la pre-
mière fois au xiii^ siècle, dans le manuscrit O de Horn, pour le
vers 2075 ; puis dans le manuscrit O du Josaphat de Chardri, pour
le vers 1258 (ameigmnt) ; postérieurement à cette dernière forme, les
exemples restent assez rares; citons celui que nous trouvons dans
le Second Appendice de Pierre de Langtoft (Nicole Bozon), II,
436, 36.
La langue politique nous a fourni des exemples intermédiaires;
ineigne se lit dans les Parliamentary Writs (13 15, II, 42e); dans les
Statutes (1321, I, 182; 1340, I, 298). Cette catégorie de textes
p^ut donner encore un certain nombre d'autres exemples montrant
d'autres verbes délayant n comme consonne finale du radical et pre-
nant une n mouillée au subjonctif. Le verbe qui, avec mener, semble
prendre cette forme le plus fréquemment, c'est le verbe ordonner ,;
ordeignc se rencontre dans un grand nombre de cas : citons les Sta-
tutes (1340, I, 270); les Rymer's Foedeia (1379, VII, 218) et
passiui .
La mouillure n'a donc pas été extrêmement commune pour le
subjonctif des verbes de I, elle n'a pas non plus été très rare ; elle
semble avoir été limitée à certains verbes: donner, mener, ordonner.
Pour le premier, la mouillure s'expliquerait assez aisément par la
forme même du subjonctif qui le rapproche évidemment de certains
subjonctifs en iani : teneam, veniam. Il est fort possible que
donner ait entraîné avec lui ordonner, quoique cela ne soit pas très
évident, ce dernier verbe était plus commun sous la forme ordener.
Quant à mener, nous ne pouvons pas avoir de doute ; il doit la
forme de son subjonctif à sa ressemblance avec manoir, malgré la
différence entre le sens de ces deux verbes.
L'extension de la mouillure a donc été ici un phénomène d'analo-
gie, bien plus qu'un fait de phonétique.
320 I, EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I-RANÇAIS
A. SUBJONCTIFS EN CE OU SE DE LA PREMIERE CONJUGALSON '
Les verbes de la première conjugaison qui prennent au subjonctif
la désinence ou le suffixe ce sont en très petit nombre en anglo-
français, et ne conservent pas très régulièrement cette forme. On
n'en trouve guère que cinq, à savoir : manger et ester avec ses
composés, et donner, rover, trouver. Pour le premier et le second
de ces verbes le suffixe est ordinairement ce; on trouve quelquefois
pour ester, toujours pour donner, rover, trouver, la graphie se.
Ma nj lice se trouve déjà dans le Bestiaire (au vers 1182) et se
retrouve dans les Quatre Livres des Rois (I, i_|, 18). Les écrivains
du xiii^ siècle en ont eux-mêmes plusieurs exemples ; on en voit
dans les Dialogues de Grégoire leGrand(i 1 1 r° b); puis au vers 1903
dans les manuscrits A et B du Manuel des Péchés ; au xiv'' siècle,
cette forme n'est pas rare ; citons dans l'Apocalypse les vers 99 et
84.
Remarquons à propos de cette forme que iiiangiist est assez peu
commun sur le continent : Cornu n'en cite qu'un seul exemple
(Recueil général desFableaux, tome I, 11/3^218; cf. Romania VII,
429, et Etienne, op, cit., p. 314). La première forme du subjonctif
refaite sur le présent de l'indicatif, date, croyons-nous, du commen-
cement du xiv^ siècle ; nous trouvons mangue dans l'Apocalypse
(3,84). _
Le subjonctif d'ester prend au point de vue de la désinence deux
formes : ce et se.
La première se rencontre surtout au xii'= siècle, et voici un certain
nombre de références donnant les différentes formes en ce que nous
avons relevées pour ce verbe. On trouve cette forme d'abord dans le
Bestiaire (au vers 1598), dans le Psautier de Cambridge (108, 7);elle
est employée au vers 952 du Tristan de Thomas, dans les Quatre
Livres des Rois (I, 17, 29 et II, 2, 22). Hlle se rencontre encore
au vers 3886 de Horn, dans la Vie de Sainte Catherine (vers 1203),
dans les Set Dormans de Chardri (vers 1125), dans Aspremont
(vers 189) et dans un nombre considérable d'autres cas.
La forme estoise est à cette époque beaucoup moins commune,
quoique nous en trouvions un premier exemple dans la Chronique
I. On peut consulter sur ce point Settegust, Jules César, XXX.
LE SUBJONCTIF 321
de Jordan Fantosme : cnntrestoise (au vers 519); nous en avons
relevé -encore quelques cas au xiii^ siècle, comme dans le Saint
Julien où elle rime avec poise (folio 68 r°) ; mais elle ne devient
jamais commune dans les œuvres littéraires. Par contre, elle est
presque la seule employée à toute époque dans les Statutes et est
très commune dans Rymer; surtout les Year Books l'emploient
fréquemment : la formule « estoise le jugement » y revient cons-
tamment. Cette forme provient évidemment de estois, comme voise
de vois.
A côté de ces formes régulières ou provenant de la forme éty-
mologique par une évolution phonique normale, nous relevons
une forme du thème, commune dans certains dialectes du Conti-
nent, assez rare en anglo-trançais: eslace (cf. Psautier de Cambridge,
108, 7). Nous avons affaire ici à une forme analogique qui pro-
vient de face, à cause de l'identité : fait estait : autrement dit
estace estait
face fait
Ajoutons quelques mots sur les subjonctifs en se dont la
forme provient du présent de l'indicatif, comme estoise dérive de
estois. Les verbes donner et trouver (nous n'avons rencontré
aucun exemple du subjonctif de rover), ont un subjonctif de cette
nature.
Nous avons mentionné précédemment les changements qui
peuvent affecter la forme de la diphtongue du thème, nous n'y
reviendrons pas maintenant. Ce qui doit nous occuper à présent
c'est la consonne finale du thème : nous devons voir comment se
comportent les groupes ns et ss. Nous pouvons dès maintenant dire
qu'ils ne subsistent pas toujours très régulièrement ; sous l'influence
des autres formes du verbe et principalement des personnes faibles
de l'indicatif, ces deux subjonctifs abandonnent assez communé-
ment leur forme propre pour prendre la consonne {^iiii pour donner
■V ou/ pour trouver)que montre la grande majorité des formesdeces
deux verbes. Nous aurions pu, semble-t-il, lorsque nous parlions de
la diphtongue de ces deux subjonctifs et que nous montrions qu'ils
adoptent dans certains cas la diphtongue de l'indicatif, joindre aux
remarques que nous faisions alors celles qui vont suivre et énumérer
ensemble tous les cas qui montrent pour les deux verbes en question
le passage au subjonctif du radical ordinaire du verbe : iloii- cl irov-.
322 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS
Mais cela ne nous a pas semblé possible, car dans la plupart des
exemples que nous avons relevés, c'est tantôt la voyelle, tantôt la
consonne de l'indicatif qui apparaît au subjonctif, rarement les deux
à la fois.
Le verbe donner ne nous arrêtera pas longtemps; nous avons
déjà cité un nombre suffisant d'exemples du subjonctif de ce verbe
pour que nous nous dispensions de faire une longue énumération.
Qu'il nous suffise de dire que les formes qui perdent Vs du thème
sont et de beaucoup les plus nombreuses. Nous trouvons le plus
souvent soit ;/, soit _i'^;/, comme nous l'avons déjà montré; soit,
comme nous le dirons plus tard, iig.
Les deux y se sont beaucoup mieux conservées dans le subjonctif
du verbe trouver : tniisse est commun à toutes les personnes pen-
dant toute la durée de la littérature anglo-française. Mais au
xiV^ siècle, dans les textes diplomatiques, nous avons rencontré un
nombre assez considérable de formes nous présentant f, comme
troeffe- que nous lisons dans les Rymer's Foedera (1323, IV, 340).
Ces formes pourront paraître n'être que des erreurs de lectures, les
deux / pouvant facilement se lire au lieu d'une double s longue, et
nous avons d'abord été tentés de les rejeter comme telles. Mais cette
forme est trop fréquemment employée, la lecture des différents
manuscrits que nous avons consultés est trop claire pour que cette
explication soit admissible. De plus il existe une forme intermé-
diaire qui doit avoir raison de tous les doutes. Nous avons rencontré
assez souvent un subjonctif nous donnant à la fois Vf et Vs ; comme
troefse, qui se lit entre autres cas dans le Liber Rubeus de Scaccario
(1323, 870) et dans plusieurs autres textes assez bons. Nous devons
surtout citer sur ce point diriérents Year Books où elle est très
fréquente (cf. 32 et 33 Edward l", 115 et passim).
Les formes en/ sont donc dérivées des formes en v ; les formes en
Js ne peuvent être qu'une contamination entre trosse et Irofe. Malgré
tout, nous ne pouvons pas ne pas croire que l'écriture n'ait eu
quelque influence dans la naissance de ces formes, et rien n'est plus
facile à admettre que cette influence à une époque où la langue
anglo-française était beaucoup plus écrite que parlée.
IXFLUK\-CEj DES SUBJONCTIFS EN EM SUR LES AUTRES CONJUGAISONS
Les subjonctifs en em ont exercé une influence très restreinte
sur les autres subjonctifs; et il est facile de comprendre qu'une
LE SUBJONCTIF
:>^y
forme destinée à disparaître et disparaissant progressivement n'ait
pas eu assez de vitalité pour attirer à elle un grand nombre de verbes.
On peut cependant relever quelques subjonctifs dont la troisième
personne du singulier, qui devrait être terminée régulièrement par
c suivi -d'une dentale caduque, laisse tomber leur e et ajoutent la
dentale directement au thème. C'est ainsi que nous expliquerions
esjot du Psautier d'Oxford (96, i); ûcoilt au vers 2286 de la Vie de
Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barkinget au vers 132 du
morceau XXX des Légendes de Marie ; )ioisl (noceat) de Guischart
de Beauliu (vers 1307); peut-être même piiist qui est assez com-
mun, par exemple Drame d'Adam, 92.
B. — SUBJONCTIFS EN AM.
Nous ne trouvons à foire au sujet des subjonctifs en aiii qu'un
tout petit nombre d'observations, et la plupart de celles-ci sont de
médiocre importance.
Nous dirons d'abord un mot de la troisième personne du singu-
lier; ensuite nous parlerons de la première et de la seconde personne
du pluriel, enfin du radical.
a) Troisième personne du singulier.
Un seul verbe présente à la troisième personne du singulier une
forme sur laquelle nous pourrons peut-être appeler l'attention : le
verbe pouvoir. Pendant tout le xiii^ siècle, la forme /)///V/, régulière
en ancien français (^c(. ait et seit), est commune dans nos différents
auteurs; il est à peu près inutile de citer des exemples d'une forme
qu'on rencontre dans la plupart des ouvrages de cette époque (cf.
le poème d'Havelok au vers léi, le Drame d'Adam au vers 92).
La forme moderne fait son apparition au xiii^ siècle et puisse est com-
mun dans les textes du xiv^.
Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit de la perte de la
voyelle muette à cette personne.
h^ Première et seconde personnes du pluriel.
Ici encore nous n'aurons que peu de remarques à faire. La pre-
mière personne du pluriel est régulièrement en unis, çt en anglo-
français cette terminaison est employée aussi régulièrement que pos-
324 L HVOI.UTION DU VERÏÎE EN .WGLCI-FRAXÇAIS
sible. Les exemples sont nombreux. La seule exception que nous
connaissions se lit dans le Psautier d'Oxford (0, 5), où nous rencon-
trons la terminaison iciii : possieiii (cf. dans ce même Psautier
cxhalciciii, r,, 19). Nous ne pensons pas que cette terminaison
puisse être regardée comme appartenant à l'anglo-trançais. L'/ est.
toujours absent des terminaisons de la première personne du pluriel
des subjonctifs en am, même pour ces verbes qui prennent indû-
ment une consonne luouillée (cf. preignons dans les Rymer's Foe-
dera, 1380, VII, 49; 1381, VII, 3.10; et dans les Year Books,
12 et 13 Edw. III, 289).
La deuxième personne du pluriel est à peu près aussi régulière
que la première. Nous avons déjà étudié la disparition de la dési-
nence en ie^ dans le cas où cette désinence est étymologique ;
nous n'y reviendrons pas. A part cette question, la deuxième
personne du pluriel ne nous fournit la matière d'aucune obser-
vation.
c) Le radical.
Le radical des subjonctifs en ani ne différant pas du radical du
verbe ne saurait, lui non plus, montrer des irrégularités qui lui
soient particulières.
I. La voxcllc.
La voyelle ne présente que des changements phoniques qui sont
généraux et ne nous regardent pas : la réduction de la diphtongue
ni, comme coud nie (Tvïsîân de Thomas, 2570); ^//;/(///f (Brandan,
637); condxe (Boeve de Haumtone, 1125 ; Pierre deLangtott. I, 128,
12). La seule remarque que nous puissions faire à propos de cette
diphtongue c'est que nous n'avons jamais observé la réduction pour
les verbes en slruire.
Une seule observation est vraiment de notre compétence, c'est
celle qui a rapport aux différents thèmes que prend le subjonctif
du verbe pouvoir (si nous considérons ce subjonctif comme un
subjonctif en a}}i). Nous trouvons en anglo-français les deux
formes qui se rencontrent également sur le continent' .: poisse et
puisse, toutes deux fort régulières.
1. Cf. Lùcking, Mundarteii, 154 (poteam); Willenberg, Rom. Studien III,
490 (possiam); Schulzke, op. cit., 9 (poscam); G. Paris (Remania VII, 622)
(pocsamj.
LE SUBJONCTIF 325
Nous trouvons des exemples de l'une et de l'autre dans notre dia-
lecte ; mais la première est fort rare. Elle nous est assurée au moins
une fois par la rime dans la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé-
mence de Barking : poisse rime dans ce poème avec angoisse (au
vers 15 12). Les autres exemples ne sont pas aussi sûrs, citons cepen-
dant pois qui se lit pour le vers 3109 dans le Roland d'Oxford ;
poissiez, au vers 895 du Tristan de Thomas et poisse dans le manu-
scrit L du Cumpoz pour le vers 145 1.
Tous ces exemples nous semblent bien certainement provenir du
premier type que nous avons cité. Nous retrouvons encore cette
diphtongue oi dans certains textes non littéraires du xiv"' siècle ;
mais nous hésiterions à les faire remonter au même type; on sait,
en effet, que la diphtongue ///dans certains cas à cette époque appa-
raît sous la forme oi ; il nous est donc impossible de savoir d'où pro-
viennent les exemples de ce siècle.
Le type qui montre la diphtongue ni est du reste beaucoup
mieux représenté que le précédent. Ici ce ne sont pas les exemples
qui nous manquent, la seule difficulté est de classifier d'une
manière rationnelle tous les exemples de formes variées que nous
rencontrons. Nous avons tout d'abord toutes les formes que peut
prendre la diphtongue /</, et elles sont nombreuses : //, comme dans
puce (William de Waddington, -^794) ou pusse (Rymer's Foedera,
1325, IV, 68); ue, comme dans piiesse, la forme la plus commune
(Mem. Pari., i305,§ 447). Nous pouvons nous demander ensuite
si les quelques formes qui suivent peuvent se rapporter au même
type, ou si plutôt elles ne sont pas dues à l'influence du présent de
l'indicatif.
Peuse est commun et se trouve dans les meilleurs textes du
xiv" siècle (Statutes, 1313, I, 174); la diphtongue a une forme
légèrement différente dans poeussc que nous trouvons dans Wil.
Rishanger et dans poesse qu'on lit dans les Statutes (1340, I, 298).
Nous ne pouvons pas trancher cette question et elle est peut-être
insoluble ; ce qu'il y a d'assuré, c'est que :
1° Les formes en oi, qui sont dialectales sur le continent, se
rencontrent en anglo-français et sont assurées au xii^ siècle;
2° Les formes en /// sont les plus nombreuses à toutes les
époques.
326 I.'hVOLUTION du VERBJi I-N ANGLO-FRANÇAIS
II. La consonne.
Il nous reste, pour en finir avec les subjonctifs en ain, à traiter
un certain nombre de questions qui se rapportent à la consonne du
thème ; ces questions sont au nombre de trois : Vs dans les subjonc-
tifs dc-s verbes ayant leur thème terminé par une palatale (dire,
conduire, détruire, lire, etc.); chute d'une consonne dans le sub-
jonctif du verbe suivre; enfin les consonnes mouillées dans les sub-
jonctifs en am.
I. Verbes à palatale.
Parmi ces verbes, quelques-uns ne prennent jamais au subjonctif
1'^ des personnes faibles de l'indicatif (présent et imparfait);
d'autres montrent é^^alement la forme analogique et la forme éty-
mologique ; enfin une troisième classe ne semble avoir que la forme
avec s.
A la première classe appartiennent dire et ses composés. Nous
n'avons, à aucune époque, trouvé pour ce verbe d'exemple de la
forme française moderne, tandis que les cas qui nous montrent la
forme étymologique sont extrêmement communs. Il semble presque
inutile de donner des exemples d'une forme aussi commune que
die; cependant nous allons en donner rapidement quelques-uns,
uniquement parmi ceux que nous avons trouvés à la rime. Die
rime avec folie au vers 359 de Jordan Fantosme; il se retrouve à
la rime du vers 124 de Josaphat, au folio 170 du Saint Julien, au
folio 46 r° de la Genèse ; dans les Rubriques d'Edward le Confes-
seur, LVII, 4; au vers 3385 de William de Waddington, dans
Pierre de Langtoft (I, 128, 3); au vers 3401 de Prince Noir, etc.
Évidemment on pourrait trouver un plus grand nombre d'exemples,
en ne prenant même, comme nous venons de le faire, que |ceux
qui sont emploj^és à la rime, mais ceux que nous venons de don-
ner montrent assez que la forme étymologique s'est admirablement
conservée.
Et il en va de même pour les composés de dire, bénir et maudire ;
on peut voir pour ces deux derniers verbes les rimes qu'on trouve
au folio 46 r° de la Genèse, dans Pierre de Langtoft (II, 208, 17),
et dans les Vies de Saints de Nicole Bozon (94 v°).
LE SUBJONCTIF 327
Nous observons la même régularité pour tous ces verbes (contre-
dit', Statutes, 1363, I, 382 etc.) dans tous les textes politiques et
diploni-Uiques ; les exemples sont particulièrement nombreux dans
les différents YearBooks ; mais il est inutile de s'arrêter plus longue-
ment sur cette question.
Diiire et ses composés, de même que les verbes en siruirc ne
sont pas aussi constamment réguliers.
La forme étymologique cependant reste la plus commune et de
beaucoup la plus employée. La liste des exemples pourrait être fort
longue'. Au contraire celle qui nous donnerait les formes montrant
s serait très courte. Ces formes cependant pour les verbes en
■ifniiir remontent au xii' siècle ou au commencement du xiii^ ;
desfniisset se lit dans le Psauiier d'Arundel (ii^, 3); destruice se ren-
contre au vers 444 de Jordan Fantosme. Aucune forme ne se
trouve à la rime. Quant à diiire nous n'avons trouvé qu'une forme
assez douteuse en s, dans un manuscrit des Proverbes de Bon
Enseignement, Harléien 957, au folio 29 v°.
Plus importante est la forme du subjonctif de lire et de ses com-
posés, en particulier d'élire qui est extrêmement commun dans les
textes politiques.
Tous ces verbes ont toujours 1'^ : on peut en citer de nombreux
exemples, comme au vers 899 de Boeve de Haumtone; au vers 74
de William de Waddington ; dans Pierre de Langtoft, IL 122, 3 et
passim dans les Statutes et les Parliamentary Writs,
Enfin, pour terminer cette question, il nous reste à parler des
verbes qui abandonnent leur radical propre pour celui d'une autre
partie du verbe.
On peut citer tout d'abord le subjonctif de aerdre; aderigal
donne régulièrement aherged qui se lit dans le Psautier de Cam-
bridge (156, 6); mais c'est le seul exemple de la forme étymolo-
gique. Déjà le Psautier d'Oxford a acrdc (136, 7).
I. En voici quelques-uns : Sainl Brandan, 657; Estorie des Engleis. 4846;
Tristan de Thomas, 2570; Saint Gilles, 3771 ; Vie de Saint Grégoire, 2010; Boeve
de Haumtone, 819, 1125; Pierre de Langtoft, 1, 128, 12; II, 74, 11.
Pour les verbes en struire : Psautier d'Oxford, 8, 3 ; Psautier d'Arundel, 8, 2;
Quatre Livres des Rois, III, 8, 57 ; Adgar, XXIII, 94; J. Fantosme, 281 ; Pierre
de Langtoft, I, 16, 25.
328 l'hvolutiox du vkrbk rn akglo-français
2. Chute d'une consonne.
A côté de ces quelques verbes qui prennent au subjonctif l'.s des
personnes faibles du présent de l'indicatif, nous en trouvons un qui
perd dans certains textes sa consonne étymologique. C'est le verbe
suivre. On le trouve au subjonctif, en dehors de la littérature,
sous la forme suie, et le plus ancien exemple qu'on en trouve se lit
dans les Statutes sous la date de 1275 (premier volume, p. 37 et
38). Cette forme est commune surtout dans les Year Books. Du
reste, ce n'est pas au subjonctif que nous devons rapporter cette
chute du i', mais à l'infinitif, qui se présente sous les formes suite,
suir, suer {cî. Infinitif) avec le sens du verbe anglais to sue'.
3. Lettres mouillées.
A. Perte de la mouillure étymologique.
Comme on le sait les verbes en ciiidve ont régulièrement une ;;
mouillée au subjonctif présent, et cette consonne se conserve assez
bien dans la plupart des textes anglo-français. On trouve par
exemple ataigne (: Mortagne) au vers 36 du Siège de Carlaverok ;
faigne Ç: Espavne) au vers 1638 du Prince Noir; feignent dans les
Statutes (1275, I, 29), etc. ; ilestreigne (i et 2 Edw. II, 120).
Il arrive cependant que la consonne mouillée fasse place à la con-
sonne simple : foyiie se lit dans la Chronique de Pierre de Langtoft
(II, 202, 5), dans le corps du vers.
Pleine n'est pas rare dans les textes non littéraires; on trouve plu-
sieurs exemples de cette forme dans les Statutes (cf. par exemple
1344, I, 301 ; 1363, I, 378) et surtout dans les Year Books.
Cependant, comme nous ne sommes assurés de cette forme par
aucune rime, nous sommes en droit de nous demander si nous
n'avons pas affaire ici à une graphie (///) insolite et irrégulière de la
consonne mouillée.
B. Mouillure non étymologique.
I. n mouillée. — Sous l'influence, comme il est probable, des
verbes en einâre, nous voyons un certain nombre de verbes en endre
I. Pour suivre, on trouvera quelques renseignements dans : Brandt, Aqua und
sequi; Frademann, Die Entwickelung von lat. qu im Franz., Kôrting, I,
p. 199.
LE SUBJONCTIF 329
et en ondre prendre au subjonctit une ii mouillée à laquelle ils n'ont
aucun droit.
Les deux principaux verbes soumis à cette irrégularité sont
prendre et répondre.
C'est le verbe prendre qui semble atteint tout d'abord; les pre-
miers exemples que nous rencontrons se lisent dans les poèmes du
xii*^ siècle; aucun d'eux toutefois n'étant assuré par la rime à cette
époque, il est plus probable qu'ils appartiennent aux scribes.
Le Psautier de Cambridge en a peut-être un, que nous avons eu
l'occasion de citer à propos des désinences en ienl, de la troisième
personne du pluriel: prenient (78, 8). Le Tristan de Thomas nous
en oftVe un exemple moins douteux, quoique de date incertaine :
preignent (au vers 962). Les auteurs du xiii^ siècle ont un grand
nombre d'exemples de cette forme; trois au moins assurés par la
rime : preigtic rime avec feigne au vers 4158 du poème d'Edward le
Confesseur; avec enseigne au vers 7129 de William de Waddington,
et la même rime se retrouve dans les Rubriques d'Edward le Con-
fesseur (XXI, 4). D'autres cas, fort nombreux, se rencontrent dans
le corps du vers : au vers 670 d'Edward le Confesseur; dans Saint
Thomas (III, 128); aux vers 927, 1438 du Saint Auban. Plu-
sieurs des exemples de ce siècle sont encore douteux, étant écrits par
ci 71 sans g.
Au xiv^ siècle, nous pouvons citer : preygne dans Pierre de Langtoft
(I, 44, 15); mespreygne (là. II, 4, 21); apregne (id., II, 164, 4), et
dans le Prince Noir au vers 10 10.
Les textes littéraires par conséquent nous montrent que prendre
a pris 1';/ mouillée peut-être à la fin du xii^ siècle, certainement dans
la première moitié du XIII^
Les plus anciens textes non littéraires nous fournissent des
exemples de preigne, ainsi les Statutes à la date de 1275 (I, 27), les
Rymer's Foedera à la date de 1297 (II, 741), les Parliamentary
Writs à la date de 1326 (II, 761), etc.
De plus, c'est la seule forme du subjonctif de prendre dans tous
les Year Books : preiigne se trouve dans 32 et 33 Edw. P"", 33;
preignoms, 12 et 13 Edw. III, 289; preigmi, 31 Edw. P"^, 425 ;
3 Edw. II, II) (Y), etc.
Nous verrons du reste tout à l'heure que, sauf dans les Year Books,
prendre à une autre forme, en ge, pour son subjonctif.
^30 l'évolution du verbe en anglo-français
Nous ne nous arrêterons pas aussi longtemps sur répondre.
D'abord dans la littérature, les exemples de la forme du subjonctif
avec // mouillée sont très rares et très tardifs. On trouve cependant
reipoific dans quelques manuscrits du xiv"^ siècle, par exemple à la
page i8 du Dite de Hosebondrie de Walter de Henley et ailleurs
assez fréquenmient. Cette dernière forme se rencontre encore dans
les Statutes et dans les Rymer's Foedera ; elle est moins commune
que respoigne qui est extrêmement fréquente dans les Year Books.
Nous verrons plus loin quelques exemples de ces formes.
2. / mouillée. — Quelques verbes en Wrt' présentent assez fréquem-
ment au subjonctif une / mouillée. Absoudre est même très commun
sous la forme assoilk qui remonte au commencement du xiii'' siècle,
puisque nous en trouvons un exemple dans la Vie de Saint Grégoire
(au vers 271). Du reste, dans la littérature, le subjonctifde ce verbe
est assez peu employé. Au contraire, il est fort commun dans les
textes politiques et diplomatiques; par exemple, on le trouve régu-
lièrement employé dans la formule : « Que Dieu assoille «, formule
répétée chaque fois que le nom d'un roi d'Angleterre défunt a été
mentionné '.
Le verbe toldre apparaît aussi quelquefois sous cette forme ; mais
son subjonctif est d'un usage restreint et les exemples sont assez
rares. Citons le plus ancien que nous ayons rencontré : toilh, Dia-
logues Saint Grégoire (70 r° b); et dans la langue politique, dans les
Parliamentary Writs(i323, II, 520).
3. Graphies de la consonne mouillée. — Pour les derniers
verbes que nous avons cités, la graphie ne présente pas de difficulté:
la mouillure est indiquée par /7/; pour la première classe, il en va
tout autrement, // mouillée étant représentée de plusieurs manières.
On trouve en particulier gn, ngn, ign, igni.
Par exemple on peut citer: pregne dans Rymer (1297, II, 741);
respogne dzns les Statutes (1278, I, 46); prengne dans les Statutes
(1275, I, 27); preigne dans les Parliamentary Writs (1326, II,
761); respoigne dans les Statutes (1275, ï. 28); preignie dans
Rymer (1328, IV, 340).
Dans un certain nombre de cas la mouillure de cette consonne est
à tout le moins douteuse; en particulier, lorsque le gtsi omis devant
I. Cf. le verbe anglais : to assoil.
LE SUBJONCTIF 3 3 I
\'n; si dans ce cas \'n est à la fois précédée et suivie d'un i, il nous
semble qu'on peut regarder sans crainte les trois lettres itii comme
une graphie qui n'est pas très rare de n mouillée : par exemple
preinie. Mais lorsque la forme ne présente qu'un seul / avant ou
après Vil, le doute est permis, comme pour les formes preyne dans
Barthélémy Cotton (1295, 300); responie (id., 1295, 300); mais
ces cas sont relativement rares.
C. — SUBJONCTIFS EN lAM.
Les subjonctifs français provenant des subjonctifs latins en iani,
forment la classe la plus nombreuse et la plus vivace des subjonc-
tifs. Ils se distinguent de ceux qui proviennent de la désinence
latine ain par une forme plus caractéristique, plus distincte de
celle du présent de l'indicatif, tout en ne présentant pas des différences
aussi profondes que celles qui séparent pour certains verbes de I
les deux temps que nous venons de citer. D'une façon générale, ce
qui caractérise les subjonctifs en iani, c'est la présence dans le
thème d'un /, soit sous sa forme vocalique, diphtongant la voyelle
(muire), soit sous sa forme consonantique (sache), soit sous la
forme d'une mouillure (remaigne).
Par conséquent l'action de la palatale de la terminaison latine
s'est surtout fait sentir sur le radicil : Ceci explique pourquoi nous
n'aurons que très peu de chose à dire des désinences de ce subjonctif.
Les seules personnes dont la terminaison a pu être influencée par
la jod latin, sont celles qui portent l'accent sur la désinence, par
conséquent la première et la seconde personne du pluriel.
L La désinence à la première et la seconde personne du pluriel.
a) Première personne du pluriel.
L'/ latin reste -à cette personne sous forme de / et la désinence
est régulièrement ions qui, comme nous l'avons vu, peut prendre
les formes eions, oions, iens.
Ces trois dernières ne se trouvent guère que dans les ouvrages
qui n'appartiennent pas à la littérature (cf. supra Désinences per-
sonnelles, première personne du pluriel).
332 L !• VOLUTION DU VHRUH KN ANGLO-FRANÇAIS
Cf qui doit nous occuper maintenant c'est l'extension de cette
dernière forme et sa fortune en anglo-français. Nous pouvons résu-
mer brièvement le traitement qu'elle a subi en disant qu'elle se ren-
contre de temps en temps jusque vers it6o; qu'elle disparaît au
xiii^ siècle complètement et qu'elle revient en usage vers le com-
mencement du xn*^ siècle, surtout en dehors de la littérature.
Les exemples de la terminaison ions au xiii*-' siècle sont rares :
nous n'avons du reste relevé qu'un nombre insignifiant de cette
personne à ce temps; le dernier, croyons-nous, esi vieniinns dans les
Quatre Livres des Rois (I, 19, 9).
Même au XII'-' siècle, on peut trouver des exemples — tous dou-
teux, nous l'avouons — delà terminaison sans i, comme facum qui
se lit dans les Légendes de Marie (XXIV, 48). Au siècle suivant,
nous pouvons citer : criengons (subjonctif en ge) au vers 893 de la
Vie de Saint Grégoire; viainuus (maindre) dans le Roman des
Romans (au vers 184); seiims (de être) qui rime avec nus dans le
Sermon en vers, Deu le Omnipotent (49); ainns au fol. 62 r" du
Saint Julien; eiim dans les Heures de la Vierge (au fol. 65 v°); et
plusieurs autres sans doute.
On trouve même plusieurs exemples de cette désinence au siècle
suivant, quoiqu'il soit souvent difficile de reconnaître avec quelque
certitude à quel mode une forme donnée peut appartenir. Citons
toutefois seoDis dans les Parliamentarv Writs (1326, II, 755).
A cette époque cependant les formes régulières reviennent en
honneur; nous avons déjà cité dans les textes politiques et diplo-
matiques principalement des exemples de terminaisons iens qui
remontent à 1299; elles ne sont pas très nombreuses, et nous ne
les avons rencontrées, ce qui n'est peut-être qu'une coïncidence,
qu'avec quatre verbes : être, pouvoir, avoir et vouloir. A la même
époque, ou peut-être un peu plus tard, faire prend la désinence
en eonis, et la forme faceoms est relativement comniune. Pour com-
pléter ces quelques renseignements, nous devons ajouter que, d'une
façon générale, ions est plus répandu que iens pendant tout le
xiv'^ siècle.
Ces quelques mots suffisent à montrer comment les quatre
formes ans, ions, iens, eons sont réparties. La première est spora-
dique sauf au xiii^ siècle ; la seconde est assez commune au xii^ et
au xiV ; les deux dernières affectent de préférence un petit
nombre de verbes.
Le subjonctif 33^
b) Seconde personne du pluriel.
A la seconde personne du pluriel, 1'/ subit une évolution ana-
logue; nous ne nous arrêterons pas sur ce point que nous avons
traité en grande partie, lorsque nous avons étudié, dans les dési-
nences personnelles, la terminaison /V~ aux différents temps. Qu'il
nous suffise de dire que nous avons relevé des exemples de cette
désinence régulière pour ces subjonctifs en iani jusqu'à la fin du
xii'' siècle, et depuis le commencement du xlv^
Entre ces deux époques, c'est-à-dire pendant une partie du
xii'^ siècle, tout le xiiiS peut-être les premières années du xiv^ et
d'une façon sporadique postérieurement, on rencontre cqs terminai-
sons sons la forme t'^.
L'auteur du Voyage de Saint Brandan, ou le scribe du manuscrit
qui nous a conservé ce poème (1167), a déjà sache^ au vers 1048 ;
Horn au vers 2754 nous donne sace^. Dans les poèmes de Chardri
ces formes sont communes : faa':{ aux vers 12, 816, du Josaphat,
etc.
Il en va de même pour le Saint Edmund Çd. vers 570) ; pour les
poèmes de Frère Angier (cf. Vie de Saint Grégoire au vers 951);
pour Boeve (cf. vers 634, 839, 1048, 1993); P^^^' ^^ Sermon en
vers; Deu le Omnipotent (ee^, 1 19 d) : on en trouve des exemples
dans la Plainte Notre-Dame au vers 31 ; dans Dermod au vers 645 ;
dans l'Erection des Murailles de New Ross au vers 9, etc.
Comme on le voit, cette liste d'exemples nous mène jusqu'au
xiv^^ siècle; et on pourrait en trouver d'autres postérieurement.
II. Le y ad i cul.
(Pour les terminaisons en />~, cf. Seconde Personne du pluriel.)
Les subjonctifs français qui correspondent à un subjonctif latin
en iaiu, étant, comme nous l'avons dit, très nombreux, leur radical
se présente sous des formes très variées; comme ces formes
dépendent en grande partie de la lettre finale du thème, il est indis-
pensable de diviser ces verbes en différentes classes suivant que le
thème se termine par une labiale, une dentale, une liquide ou une
palatale; de plus il est commode d'étudier ensemble tous les sub-
jonctifs qui se terminent en ce ou en ge. Le verbe être, à cause de
334 l'hvolutiox du verbe en anglo-français
la multiplicité de ses formes, pourra former une catégorie à part.
Nous pourrons ainsi distinguer sept classes dans les subjonctifs en
iam :
1 . Verbes à labiale (b et p).
2. Verbes à dentale (d et /).
3. Verbes à liquide (/ et n, ;).
4. Verbes à palatale {c, g, k).
3. Subjonctifs en ce.
6. Subjonctifs en ge.
7. Subjonctif du verbe être.
I. Verbes à labiale.
Cette classe comprend avoir, devoir, savoir et tous les verbes en
cevoir. Il n'y a que fort peu de choses à dire du premier de ces
verbes ; on sait que la troisième personne du singulier a perdu son
e dans les temps prélittéraires, et il n'apparaît jamais en anglo-
français. La diphtongue du radical est tantôt ai, tantôt ei\ quelque-
fois elle se laisse influencer par la terminaison et prend des formes
plus ou moins irrégulières. Elle se réduit parfois à a, devant une
terminaison accentuée, comme ae^ au vers éi2 de la Folie de Tris-
tan; ai'Diis, Saint Julien 62 r°; assez souvent ie dans les mêmes con-
ditions : eunis au folio 65 v° des Heures de la Vierge; ce:{ZM vers
1658 du Saint Gilles, même devant une terminaison atone; eent se
lit dans les Royal Letters Henry III (1258, p. 131); dans les Sta-
tutes (1297,1, 124); dans lesParliamentary Writs (1305, I, 121).
Ces derniers exemples montrent que cette réduction de la diph-
tongue a déjà eu lieu dans la secoi>de moitié du xiii^ siècle.
On trouve même la diphtongue oi au vers 2577 de la Vie de
Saint Grégoire où oie, habeavi, rime avec o/V, nudiat. Faut-il rappro-
cher cet exemple de ceux que citent M.Suchier (Voyelles toniques,
p. 74, 27 e)et M. Stimming (op. cit., p. 196 et 200)?
Nous serions plutôt tentés de considérer cette forme comme un
des nombreux cas où le désir de rimer a fait commettre à l'auteur
un barbarisme. Cela peut cependant étonner de la part de Frère
Angier,
Malgré les exceptions que nous venons de citer, la graphie ei ou
ai est de beaucoup la plus commune dans les œuvres littéraires.
LE SUBJOKCTir 335
Les textes non littéraires emploient de préférence, dans la plu-
part des cas, comme dans les Lettres de Jean de Peckham, la forme
avec la diphtongue ei; on pourrait multiplier les exemples en pre- *
nant à peu près au hasard dans les Statutes, les Parliamentary
Writs, Rymer. La diphtongue ai est plus rare, on la rencontre un
petit nombre de fois dans les Statutes : aitÇiij^, I, 28), ^/w/ (1305,
I, 144). Elle est plus commune dans les Rymer's Foedera, princi-
palement après 1340; mais elle n'est jamais aussi employée que
l'autre.
Devoir présente à l'origine la forme étymologique : le Cumpoz a
deiet (au vers 127), le Voyage de Saint Brandan a deies (au vers
56), etc.. Ce n'est qu'un peu plus tard que nous trouvons au sub-
jonctif le V de l'infinitif et des formes à terminaison accentuée; le
premier exemple ' que nous ayons relevé de cette forme se trouve
dans le Tristan de Thomas: deive au vers 154; rien ne nous dit
qu'il ne faille pas l'attribuer au scribe, d'autant plus que la forme
étymologique se rencontre dans le même poème et plus fréquem-
ment que la forme analogique (cf. par exemple au vers 2962);
cependant la forme moderne se rencontre très fréquemment après
Thomas; les Quatre Livres-des Rois nous en donnent un exemple
assuré (III, i, 27); Fantosme l'emploie au vers 137. L'on peut
tirer de Chardri un grand nombre d'exemples de cette forme; rien
que dans les Set Dormans nous trouvons la forme avec v aux vers
1104, 1248, 1298, etc. Saint Edmund en montre au moins un cas
au vers 838; Robert de Gretham au folio 58 r°. Et il en est ainsi
durant tout le xiii^ et le xiv^ siècle. La forme étymologique a donc
disparu complètement.
Quant à la langue politique, diplomatique et familière, elle ne
connaît que la forme avec v, que l'on trouve assez fréquemment :
dans les Statutes, doive (1306, I, 248); dans le Liber Albus, deyve
(1334, 420). Nous n'avons pas relevé d'exemple antérieur à 1306.
Dans les Year Books, on a bien deyve {21 Edw. I", 59), (1293);
mais cette forme date-t-elle bien de 1293, ou faut-il l'attribuer au
scribe ? Il est certain qu'elle est très fréquente et très régulièrement
employée dans ces recueils; il est à croire que si les copistes avaient
eu sous les yeux des textes portant quelquefois deie, ils n'auraient
I. 11 est imtérieur d'un siècle, ou environ, à la date assignée par M. Meyer-
Lùbke.
336 L^ÉVOLUTION DU VERBK EN ANGLO-FRANÇAIS
pas manqué de copier correctement au moins un certain nombre de
fois; ce qui montre que la forme avec v est vraisemblable à la date
que nous venons d'indiquer.
Le verbe savoir ne soulève qu'une question, c'est celle de la
forme que prend la labiale du thème devant la terminaison. On a
souvent répété qu'en anglo-français, savoir, sous l'influence de faire,
prend au subjonctif le thème sac- ; ceci n'est vrai qu'en partie, et
nous allons voir que, somme toute, le subjonctif avec la chuintante
est plus employé que le subjonctif avec la sibilante '.
C'est la forme sace, il est vrai, que l'on trouve dans les premiers
ouvrages anglo-français pour les trois personnes du singulier ; le
Cumpoz en montre un exemple au vers 261; dans le Voyage de
Saint Brandan elle rime au vers 3028 avec glace; au vers 41 19 du
Sermun de Guischart de Beauliu, avec face. A l'intérieur du vers,
les exemples, moins sûrs, sont beaucoup plus nombreux, comme
dans l'Estorie des Engleis et la Chronique de Jordan Fantosme.
Néanmoins, même à cette époque et pour ces trois personnes du
singulier, les formes étymologiques ne sont pas rares. Nous devons
reconnaître que nous n'en voyons jamais à la rime ; mais les
Quatre Livres des Rois nous fournissent plusieurs exemples qui
datent de la seconde moitié du xii" siècle; ainsi, nous y lisons :
sache (I, lé, 16; I, 20, 3 ; III, 3,9); en tout une dizaine d'exemples
contre deux ou trois avec la sibilante. Mais cette proportion de
formes étymologiques est très rare pendant ce siècle; on trouve
surtout des exemples isolés, comme dans le manuscrit B du Psau-
tier d'Oxford (38, 5); ou au vers 237 du Drame d'Adam et aux
vers 323 et 332 de la Vie de Sainte Catherine ou à la rime
(: arache) au vers 1253 de l'Ipomédon : la forme en ce domine
certainement à ces trois personnes.
Il n'en va pas de même pour les formes à terminaison accentuée,
et peut-être aussi pour la troisième personne du pluriel. Il nous
semble évident que pour la première et pour la seconde personne
du pluriel la consonne étymologique s'est beaucoup mieux main-
tenue que pour les personnes du singulier.
I. Pour le subjonctif de savoir, on pe-ut consulter Mail, Introduction du Cum-
poz, p. 92; Rolfs, Rom. Forschungen, p. 219; Rôttiger, le Tristan de Thomas,
p. 46 ; Settegast, Benoît de Saint-More, p. ,)•
LE SUBJONCTIF 337
Nous n'essaierons pas de citer tous les exemples que nous tour-
nissent les textes de cette époque, nous ne donnerons qu'un petit
nombre de formes de la seconde personne du pluriel sacbei- On la
trouve au vers 1048 du Brandan ; au vers 214 de la Chronique de
Jordan Fantosme ; dans Horn au vers 1739 ; trois fois au moins
dans les Quatre' Livres des Rois {cï. I, 6, 9); contre une forme
en c (I, 9, 6) ; au vers 1447 de la ^'ie de Sainte Catherine, au
vers 7301 de l'ipomédon, etc. Comme on le voit, la plupart des
auteurs ont conservé un certain nombre d'exemples de la forme
correcte, et l'emploient ordinairement plus souvent que la forme
analogique. Les exemples de sachent, moins nombreux, il est vrai,
que les exeinples des personnes précédentes, ne sont cependant pas
rares. Citons : le vers 581 de Gaimar ; et dans les Quatre Livres
des Rois ÎII, 14, 25, le seul exemple de cette personne.
Quoique, aux formes accentuées sur la terminaison, rb soit com-
mun, il n'est pas à dire pour cela que les tormes en r soient
absentes. Saciei se ti'ouve par exemple dans le Cumpoz au vers 125,
sace:^ dans Horn au vers 2754, sacu\ au vers 170 de la Vie de
Sainte Catherine, et probablement ailleurs encore. Néanmoins les
exemples que nous avons relevés montrent que, pour ces personnes,
les formes avec chuintantes sont certainement en majorité.
Au siècle suivant, r/.n"eprend du terrain à toutes les personnes. Ce
fait du reste suffit pour nous faire douter de 1 âge des exemples de
rh que nous venons de citer. Aucun d'eux n'est assuré par la rime
et, sauf sacheui, ne peut l'être. On pourrait donc trouver naturel
d'attribuer aux scribes les exemples ci-dessus. De cette sorte il n'en
resterait plus qu'un petit nombre, celui du Saint Rrandan et ceux
des Quatre Livres des Rois, à appartenir au xir siècle. Evidem-
ment on ne peut ici que choisir entre deux hypothèses. 11 semble
toutefois malaisé d'admettre que l'exemple du Saint Brandan soit
isolé et que la forme en ch ait apparu tout à coup sans qu'on puisse
ratrouver les anneaux de la chaîne qui doit relier les formes du
XIII'-' siècle au latin sapiain. On ne peut croire que la torme étymo-
logique ait disparu entièrement pour reparaître subitement.
Il est donc vraisemblable que, même si cJ) n'a été à aucune per-
sonne plus commun que r au xn^ siècle, il a dû exister un nombre
asse;^ considérable de formes étymologiques.
C>\ du reste, se rencontre encore souvent au xiir' siècle ; sacc se
33^ l'évolution du verbe en anglo-français
trouve par exemple dans Chardri (dans les Set Dormans, vers 1396,
etc.); il rime dans le Saint Laurent avec grâce (au vers 699); même
sace^ se trouve encore dans le Josdphat de Chardri (vers 8x6). Il
est assez commun dans le Saint Auban qui en ceci diffère des autres
auteurs : dans ce poème on peut lire^^^^ aux vei'^ ^90, 610, 1304,
1520; on le rencontre encore dans Dermod au vers 2519; néan-
moins le nombre de formes avec c est beaucoup moins considérable
que celui des terminaisons en ch : celles-ci se lisent un peu partout et
à toutes les personnes : sache se trouve dans la Vie de Saint Gré-
goire au vers 1399; sachons, page 6, vers 21 des Dialogues (Timo-
thyCloran), dans Chardri, Josaphat, 331, Set Dormans, 1397; sache::;^
au vers 570 du Saint Edmund; dans Boeve, 859; dans Dermod,
645 ; dans l'Erection des Murailles de Nevv' Ross, 9 ; etc. Il est dif-
ficile d'établir la proportion de ces deux formes. Disons que dans
les poèmes de Chardri, de même que dans le Saint Edmund, il y a
environ deux fois plus de formes en ch que de formes en c. Ces
chiffres ne sont que des approximations ; mais ils montrent qu'au
commencement du xiii^ siècle, c est en état d'infériorité sur ch.
Enfin, comme il est naturel, la forme régulière dépossède com-
plètement la forme analogique au xiv*^ siècle ; sache se trouve par-
tout : dans Pierre de Langtoft (I, -jo^, 22) et passiiii ; dans les
Heures de la Vierge, dans la Genèse, dans Foulques Fitz Warin,
p. 83; aux vers 363. 467, 1177, 1345, 1399, 1402, 1583 de la Vie
de Saint Richard.
En résumé, dans la langue littéraire, la forme avec sibilante fait
son apparition dès les débuts du xiii" siècle et afiecte spécialement
les formes accentuées sur le thème ; mais la forme étymologique ne
disparaît jamais complètement et après un certain temps reprend
peu à peu le terrain qu'elle avait perdu ; vers la fin du xii' siècle,
les deux formes sont employées simultanément et à peu près avec la
même fréquence, la forme régulière se trouvant principalement aux
personnes accentuées sur la terminaison ; pendant tout le xiii*^ siècle,
les progrès de la forme avec la chuintante continuent si bien qu'au
siècle suivant celle-ci est générale, l'autre ne subsistant guère qu'à
l'état d'archaïsme et de souvenir.
Nous n'avons pas relevé un seul exemple de la forme sac dans les
écrits non littéraires; on trouve au contraire des centaines
d'exemples de la forme avec ch. Les textes les plus anciens aussi
LH SUBJONCTIF 339
bien que ceux qui datent de la fin du xiv- siècle ont toujours sach
à toutes les personnes, par exemple, le Liber Custumarum (1237,
64), Royal Letters Henri III (1261, 168; 1265, 298); les Sta-
tures (1275, I, 29); Jean de Peckham (1280), et le xiv^ siècle ne
connaît pas d'autre forme. Tous les Yeâr Books emploient aussi la
forme avec ch, et fréquemment.
On peut toutefois observer, et nous terminerons par là, quelques
changements dans la voyelle du radical ; il arrive qu'elle se pré-
sente sous la forme ai : saicheà-àns les Rymer's Foedera, 1364, VI,
459; ou qu'une i parasite s'introduise entre la voyelle du thème et
la chuintante: sasclje dans Jean de Peckham, 1289, 703 ; ou encore
que le c soit répété devant 1'/.': sacche, Statutes, 1299, I, 132. Mais
ces variations n'ont que peu d'importance ou aucune importance ;
elles sont très rares et savoir conserve très régulièrement la forme
correcte.
2. Verbes à dentale.
Les verbes à dentale ne nous arrêteront pas longtemps; ils sont
toujours très réguliers dans la langue littéraire : nous avons déjà
signalé le veit du Psautier d'Arundel (9, 31 ; 13. 3) (= z7Wm/)dans
lequel la terminaison s'est allégée de Ve muet ; et dans le Psautier
d'Oxford, esjol (96, i); dans ce dernier cas aussi Ve. delà désinence
a disparu, mais les deux cas sont entièrement différents : le premier
montre une réduction purement phonique, le second est une assi-
milation aux subjonctifs en cm, comme le prouve csjocnt, du même
Psautier (39, 22). Du reste cette assimilation est rare ; elle se ren-
contre uniquement dans le Psautier d'Oxford et encore n'v est-elle
pas constante; on lit en effet esjoied {<)•), 11); esjoicvt (24, 31). Cf.
joie des Heures de la Vierge (62 r").
Une autre réduction, phonique comme la première, mais d'un
genre différent se produit encore pour le verbe voir. Ce subjonctif
présente sotivent dans son thème la voyelle e, au lieu de la diph-
tongue, comme veeni qui se lit dans les Actes du Parlement d'Ecosse
(1305, 121) et dans plusieurs autres endroits.
C'est un phénomène purement phonique dont nous avons vu déjà
plusieurs exemples.
^-|0 1 ï:\ O) LTION Dli VRRUE EN ANGLO-J-RANÇAIS
3. Verbes à liquide.
Lorsque le thème du verbe est terminé par une liquide, on sait
que la palatale de la désinence agit de deux fliçons suivant la nature
delà dernière consonne du thèiue. Si celle-ci est /ou //, la palatale
la mouille; si c'est une r, un /apparaît dans le thème. Ce dernier
phénomène se produit même quelquefois lorsque la dernière con-
sonne du thème est ;/ ou / et il n'est pas toujours tacile, ni même
possible de déterminer dans chaque cas lequel de ces deux phéno-
mènes s'est produit,
A. Mouillure. Nous étudierons successivement :
1° Les graphies de la mouillure.
2° La perte de la mouillure.
3° Les changements subis par la vovelle ou la diphtongue du
thème.
1° Graphies de la mouillure.
a) I mouillée. — L'/ mouillée est ordinairement exprimée par //,
un peu plus tard par ///. On trouve ainsi voile au vers 17 du Voyage
de Saint Brandan, au vers 22 de l'Erection des Murailles de New
Ross, etc.; vaille au vers 1046 de Thomas; au vers 636 du Drame
d'Adam ; dans la Vie de Saint Grégoire au vers 2718, etc., etc., ou
encore viiillc qu'on lit au vers 1762 du Tristan de Thomas et dans
un grand nombre d'autres cas. Les autres verbes peuvent nous donner
de nombreux exemples : doile et failet, tous les deux dans le Saint
Brandan, respectivement aux vers 18 et 994 ; on peut citer pour plu-
sieurs interrimes, pour vaille, faille et chaillc : dans Horn au vers
1796 ; dans Adgar, XXIX, 23.
Lorsque la voyelle finale disparaît, une seule / subsiste comme
dans w// (3^ personne du sing.), au vers 1505 de Boeve de Haum-
tone.
La mouillure de 1'/ est exprimée dans les ouvrages non litté-
raires d'une manière à peu près uniforme, au moyen d'une /double
précédée le plus souvent d'un / ; par exemple voilie ou vitille que
Ton trouve partout : Statutes, Parliamentary Writs, Jean de
Peckham, Rymer, etc. Il arrive que, pour vouloir spécialement,
cet /disparaisse :venle se lit dans les Statutes (1378, II, 9) ; dans les
Rymer's Foedera (1370, VI, 669); 1'/ dans ce cas est-elle encore
mouillée ? Il est impossible de l'affirmer. Enfin, il n'est pas rare
LE SUBJONCTIF 341
que 17 soit répété après 1'/, comme dans voillii' dans le Blacke Booke
of the Admiralty (1291,11, 28, 30, 36. 42), Historical and
Municipal Documents of Ireland (13 19. 407); Documents Inédits
(1382. 237).
/') /.' mouillée. Vu mouillée est ordinairement exprimée par
la graphie it^n ; c'est même la seule graphie que nous ayons
rencontrée au xir siècle et même au XIII^ C'est dire que les
exemples sont nombreux. Citons d'abord ceux qui proviennent de
remaneat : rcniaigne se lit au vers 239 du Bestiaire; au vers 4334
de l'Estorie des Engleis ; dans les Quatre Livres des Rois(I, 5, 7);
au vers 2879 de Horn. Tl rime avec enseigne au vers 984 de la Vie
de Saint Grégoire et se retrouve encore dans la Vie de Saint Lau-
rent (vers 58) ; dans Simon de Montfort (vers 28)-
Nous citons m.iintenant tous ces exemples parce que nous ren-
contrerons tout à l'heure pour ce même verbe une forme diffé-
rente, très employée aussi.
Venir et tenir ne nous offrent pas d'exemples en aussi grand
nombre et ils ne remontent pas aussi haut. C'est que la première
forme du subjonctif de ces verbes, comme nous le verrons, pré-
sente ge (cf. ci-dessous); on ne trouve la lettre mouillée qu'au
xiii" siècle; et elle est écrite tout d'abord par gn, comme veigne:{
au vers 734 de Boeve de Haumtone ; à cette époque et même
au siècle suivant elle est très commune. La seconde graphie
de 1'/; mouillée prend la forme //^i^//. comme dans iw/i^'-^/c dans les
Vies de Saints de Nicolas Bozon (94 v°). et elle se rencontre dans
la plupart des auteurs du xiv^ siècle. Celle qui ne montre pas le i,^
est plus rare et on peut se demander si la mouillure subsiste dans
veinient, au vers 59 de Boeve de Haumtone, venye dans Pierre de
Langtoft (I, 352. 23).
Telles sont, au point de vue de la lettre mouillée, les principales
graphies que nous trouvons dans la langue littéraire. Mais l'énu-
mération n'est pas encore complète.
Les formes que tenir et venir prennent au subjonctif sont encore
plus nombreuses dans la langue politique et diplomatique que
dans la langue littéraire ; nous ne pouvons même espérer dresser
ici une liste complète des graphies de Vn mouillée, mais nous
croyons pouvoir en donner les principales. Il est difficile de classer
toutes les formes que nous avons rencontrées ; en eflet, l'ordre
^^2 I. HVOLUTION DU VHKI51-, I.N A N(;L0-] KANÇAIS
chronoloi^iquc, qui serait Tordre logique, est impossible à déter-
miner.
Nous avons d'abord, comme dans les œuvres littéraires, un
nombre considérable de subjonctifs avec gn, comme veigne qui se
lit dans les premiers statuts (Statutes, 1282, I. 53 et pass'mi), dans
les Parlianicntary Writs (1325, II, 724), dans les Rymer's Foedera
(i32(->, I\', 2 ri); ou avec iigii, vcugiic, dans les Early Statutes of
Ircland (1285, 48), Il n'est pas rare de trouver o-n précédé ou suivi
(même précédé et suivi) d'un / : les formes comine veignieni qui
est employé dans les Statutes à différentes reprises (13 11, I, 160 ;
1330, I, 268), ou comme vieigne qu'on lit dans les Rymers Foedera
(1379, VII, 226) sont moins nombreuses que les précédentes mais
assez fréquentes. Elles datent du commencement du xiv^ siècle.
Une autre forme se présente communément ; mais il est probable
que la mouillure ne s'y trouve plus ; c'est celle qui présente ng '
comme vengent qu'on lit dans les Statutes (1267, I. 97 ; 1286,!,
210), dans les Traités de Rymer (1268, I, 8^)8) dans les Memorand.
Pari., 1305 (§ 78) ou tinge qu'on lit dans Rvmer, sous la date de
1268 (I, 248).
Ces formes, comme on le voit, sont anciennes, 1'// v est-elle tou-
jours mouillée? Nous l'ignorons.
Quant aux Year Books, ils montrent pour la consonne tinale du
radical toutes les graphies ci-dessus, et peut-être quelques autres
encore, mais^«, ngn, ign sont parmi les plus employées.
Les formes que nous venons de citer sont, comme on le voit,
assez nombreuses ; nous croyons même que les exemples qui pré-
cèdent montrent toutes les façons dont il est possible de représenter
Vn mouillée.
2° Perte de la mouillure .
En citant plusieurs des exemples précédents {voil, veulle et venge,
veinienl, venye) nous nous sommes déjà demandés si la mouillure
subsistait ; il est tout aussi possible qu'elle ait disparu dans ces
quelques formes que dans celles que nous allons maintenant énu-
inérer. Et pour être exacts, nous devons dire que nous ne sommes
certains de la disparition de la mouillure pour aucune des formes
qui suivent. Le plus que nous puissions affirmer c'est qu'elle n.'est
I . Ce sont plutôt des subjonctifs en gc ; cependant on ne saurait affirmer qu'il
n'v a pas eu mouillure. Cela cependant semble y&\} probable.
LE SUBJONCTIF 343
.pas apparente dans la graphie. Il est probable pourtant qu'elle
n'existe plus dans vidle qu'on lit au vers 2373 du Tristan de Tho-
mas, ni dans vueulle qui se trouve dans les Actes du Parlement
d'Ecosse (1357, 521).
Pour remaindre nous avons un plus grand nombre d'exemples et
heureusement deux au moins sont assurés par la rime. Et ces deux
exemples assurés nous permettent d'avoir moins de doutes pour
tous les autres.
Les manuscrits L et D de l'Estorie des Engleis nous donnent au
vers 4333 la rime reiiieinc (^: pleine) ; et cette nième rime se
retrouve dans The Song of the Barons (au vers 66). A côté de ces
exemples assurés, nous en avons plusieurs douteux : inainiiiis au
vers 184 du Roman des Romans ; remet ne dans le Josaphat de
Chardri (au vers 1735); reniament dans les Annales du Monastère
de Burton (1259, 492) et dans Barthélémi Cotton (1295, 300),
etc.
L'exemple de Tristan et celui de l'Estorie des Engleis nous
montrent que vouloir et remaindre ont perdu la mouillure, assez
rarement, il est vrai, dès la seconde moitié du xir' siècle ; pour
tenir et venir, nous n'avons pas, sauf dans ces cas qui nous
montrent la terminaison ^^e, d'exemple aussi ancien ni aussi sûr,
ceux que nous avons appartiennent tous aux textes politiques et
diplomatiques.
Il arrive en effet dans ces ouvrages que la mouillure dispa-
raisse au moins dans l'écriture : on trouve vyne dans les Literae
Cantuarienses à plusieurs reprises (1326, 177; 1327, 919); twc
se lit dans le même recueil (1326, 177), un petit nombre de fois
dans les Rymer's Foedera et assez fréquemment dans les Year
Books (cf. 20 et 21 Edw. P"", 67, etc.).
Nous avons relevé encore un certain nombre d'autres exemples
qui sont, à dire le moins, assez douteux, comme le veigniit des
Early Statutes of Ireland (1326, 312). Il est possible que ce dernier
exemple et quelques autres qu'on trouve dans Rymer soient des
erreurs des scribes; nous ne pensons pas qu'il en soit de même
pour les exemples des Literae Cantuarienses.
3° Elément vocalique du radical.
Ce que nous- venons de dire de la mouillure de Vh est en somme
^44 I. HVOI.UTIOK DU VHRHE KX ANCiLO- 1- KAXÇAIS
général, quoique nous n'ayons trouvé, comme exemples que les
formes du verbe vouloir. Dans l'étude du radical des verbes de
cette catégorie, nous n'aurons à parler que de vouloir, tenir et
\enir, tous les autres étant réguliers.
Le premier de ces verbes présente au subjonctif étymologiquement
la diphtongue ol, qui aboutit régulièrement àuiet par conséquent à
//. Cette évolution phonique est normale et par conséquent ne sau-
rait nous arrêter ici ; on pourra trouver ci-dessus des exemples de
ces trois former.
D autres radicaux se trouvent qui nont pas la même régularité,
et ne procèdent pas du radical étymologique par un développement
aussi normal. Nous devons donc nous en occuper.
La diphtongue <'M qui montre probablement l'influence du présent
de l'indicatif, est très commune dans la seconde partie du xiv"
siècle, nous en donnons quelques exemples plus haut. Nous devons
faire observer que le dernier, tiré des Actes du Parlement d'Ecosse,
présente la triphtongue iteii : vmiille (1357, 5 21). Nous avons
peut-être ici un développement de la vovelle //, ou un emprunt à
l'indicatif.
Une autre forme pourra sembler plus extraordinaire encore ; c'est
celle qui présente la diphtongue «" ; elle est loin d'être rare et
remonte à la fin du xin"-' siècle : veille se lit dans les Statutes
(1273. I, 29), dans les Early Statutes of Ireland (1285, 48), etc.
Hlle est surtout commune dans les Year Books. Mais l'origine de
cette diphtongue ne nous semble pas faire de difficulté : on ne
doit y voir qu'une graphie de ai qui s'est produite par umgekehrte
Schreibung après que ei a passé à ai.
Oei est plus rare ; cette triphtongue se trouve dans les Rymer's
Foedera (1330, IV, 950) et passini ; mais les exemples que nous
en avons appartiennent pour la plupart à la dernière partie du
xiV^ siècle.
L'élément vocalique du radical des deux verbes, tenir et venir,
montre aussi des variations assez importantes, et ici encore il est
délicat de faire exactement le départ entre les formes phonique-
ment régulières et celles qLii ne proviennent pas par une évolution
régulière des formes originales. Aussi nous nous contenterons de
signaler les différentes modifications que nous avons relevées sans
nous y appesantir. L'élément vocalique du radical passe de ie à ei,r
LE SUBJONCTIF 34)
et même /. Quelques-uns de ces changements sont connus clans la
phonétique anglo-française (cf. Suchier, Voyelles toniques, p. 87,
§ 29 e ; Stimming, Boeve de Haumtone, p. 202). Seul le passage de
ic à ci n'a pas été signalé ; il est évidemment postérieur au passage
de la diphtongue ci à la prononciation dV ouvert et à la réduction
de la diphtongue ic kc. La diphtongue ei comme graphie de l'élé-
ment vocalique du subjonctif de tenir et de venir est très commune
dans les textes littéraires; les scribes du xiv*^ siècle l'emploient très
fréquemment, par exemple vei^nc:^ au vers 734 de Boevc de Haum
tone (B) ; de même les écrivains de ce siècle (cf. les exemples de
Pierre de Langioft cités plus haut). Elle n'est pas moins commune
en dehors de la littérature, et on la trouve dans les premiers textes
des Statutes, dans les Mem. Pari., 1305. Pour ce qui est des
voyelles (' et /, nous n'avons ici que peu de remarques à foire : les
radicaux de ces verbes avec e se rencontrent déjà au xiii'' siècle ;
ceux avec / vers la fin du même siècle. Remarquons qu'il est très
rare de trouver IV employé sans être nasalisé, tandis que 17 se ren-
contre fréquemment sans ;/ : par exemple, on trouve ligne, vigiic au
vers 2075 du Manuel des Péchés; au vers 1993 de Boeve (B) ; au
folio 68 r° des Heures de la Vierge et fréquemment dans les Contes
de Nicole Bozon. La ïorme tingnc, vingne est assez rare (cf. Rymer's
Foedera, 1268, L 848). Rappelons les formes tyne, vvne des Literae
Cantuarienses, et le fait que les Year Books ne semblent connaître
que les radicaux en i.
B. L'/ passe dans le thème sans mouiller la consonne finale.
Lorsque le thème est terminé par /', la palatale n'afiecte pas
cette consonne, mais passe dans le thème sous la forme d'un /.
Nous trouvons des exemples de ce phénomène dans les verbes
mourir, quérir, férir. Ici encore nous pouvons observer la réduction
des deux diphtongues ie et ni aux voyelles é' et // ; et cette question
ne nous regarde pas. Disons seulement que le passage de ic à c dans
ces thèmes peut se remarquer dans les textes du xir' siècle (cf.
(jiicrcf dans le Psautier de Cambridge, 9, 34); tandis que la diph-
tongue ni subsiste jusqu'au milieu du xiii*^ siècle. Ce qu'il nous
appartient de signaler, c'est l'emploi de oc au lieu de la diphtongue
régulière, par exemple dans inocrc qu'on lit au vers 465 du Petit
Plet de Chardri, mais qui doit appartenir au scribe.
^6 l'Évolution du verbe en anglo-françals
4. Verbes à palatale.
Les verbes dont le thème est terminé par une palatale nous
oftrent la matière de quelques remarques : nous trouvons que 1';
du thème dû à la palatale se maintient fort bien ou disparaît d'une
façon normale. Nous allons citer un certain nombre d'exemples de
la torme plaise, afin de rendre évident le fait, dont nous aurons
besoin plus tard, que cette forme a été très employée dans la
langue littéraire; on la trouve dans les trois Psautiers : Psautier
d'Oxford (55, 3); de Cambridge (39, lé) ; d'Arundel (39, 16; et
18, 14 : plaissent'). Ce subjonctif apparaît une fois sous la forme
plaise dans les Quatre Livres des Rois (I, 15, 22); pleise se rencontre
encore dans les Dialogues Saint Grégoire (24 r°a) ; cette forme est
souvent employée rimant avec eise dans les Dialogues Saint Gré-
goire (3 r° a), dans le Petit Plet de Chardri (vers 96 et 523), dans
l'Ordre de Bel Eyse (248) ; dans la Manière de Langage (388). Par
conséquent cette torme est fréquemment assurée jusqu'à la fin du
XIII'' siècle, et les exemples sont encore très communs dans le corps
du vers, sinon à la rime, pendant tout le siècle suivant.
Le verbe taire prend la même forme : taises dans le Psautier
d'Oxtord (27, 1) et de Cambridge (20, 14). Nous n'avons pas un
très grand nombre d'exemples du subjonctif de ce verbe, par con-
séquent les rimes ne peuvent pas être très fréquentes, nous avons
relevé teyse rimant aussi avec eyse dans l'Ordre de Bel Eyse (au
vers 13).
Un des verbes appartenant cà cette classe a un subjonctif terminé
assez régulièrement par ace : faire. Nous n'avons noté aucun chan-
gement dans la forme du subjonctif de ce verbe : face se rencontre
invariablement dans chaque auteur. L'importance de cette forme
réside surtout dans l'action qu'elle a exercée sur d'autres verbes ;
faced. entraîné la formation d'un certain nombre de subjonctifs en
ace. La plus constante de ces nouvelles formations est hace, sub-
jonctif de haïr. On la trouve assez communément : par exemple à la
rime du vers 765 de Jordan Fantosme et du vers 1420 deGuischart
de Beauliu(/iîr^.- place : sace : hace') ; dans Robert de Gretham, 84 v°
et passim. Cette même rime se trouve encore dans la Vie de Sainte
Catherine de Sœur Clémence de Barking au vers 155.
LE SUBJONCTIF ^47
Plaire a aussi subi dans une certaine mesure l'influence du sub-
jonctif défaire; mais le nombre assez considérable des exemples de
plaise que nous axons cités ci-dessus montre que cette influence,
qui a été parfois exagérée, n'a pas été considérable. Voici une liste
assez longue, et que nous avons tâché de faire aussi complète que
possible des exemples de la forme place que nous avons relevés
dans les textes littéraires. Nous ne prétendons pas les avoir relevés
tous, mais ils suffisent pour nous montrer que le subjonctif de
plaire modelé sur face n'a jamais été aussi commun que la forme
régulière. Le traducteur des Quatre Livres des Rois emploie un
petit nombre de fois (trois fois, croyons-nous) la forme place (cf.
I, 12, 21); on la trouve encore dans la Chronique de Fantosme
(au vers 1937) ; dans le poème de Horn (au vers 3032) ; et dans
la Vie de Sainte Catherine (au vers 34) ; Guischart de Beauliu la
fait rimer (au vers 1411) avec face. Nous relevons quelques
exemples de cette forme dans les poèmes de Frère Angier, ainsi au
vers 2298 de la \'ie de Saint Grégoire et au folio I27v° b des Dia-
logues; on la trouve un nombre à peu près égal de fois dans Char-
dri : au vers 1330 des Set Dormans et 918 du Petit Plet. Nous
l'avons rencontrée deux fois dans le Saint Thomas (cf. I, 50 ; IV,
64); puis au vers 1924 de Boeve ; 13 15 du Saint Auban ; 129 1 de
Dermod. Elle est extrêmement rare dans les ouvrages du xiv
siècle, nous ne nous souvenons pas de l'avoir jamais rencontrée à
cette époque ' .
Les subjonctifs des verbes qui ont un thème à gutturale sont
très réguliers dans la langue diplomatique et politique : on trouve
face partout, eiifiie, isse, gise, lise (liceat). Plaire lui-même est tou-
jours très correct; dans tous les textes que nous avons lus, le sub-
jonctif de ce verbe est naturellement assez commun : il revient
constamment dans certaines formules et est employé en outre
dans un bon nombre d'autres cas ; or, la forme place ne se rencontre
I . Dans la Vie de Saint Gilles, Gaston Paris cite deux cas de place, vers 147
dire 148) et 2287. En réalité ces deux « subjonctifs » sont deux substantifs : voici
ces deux vers :
Sempres s'aiinent en la place (148).
Del cheval descent en la place (2287).
Fn réalité, il n'\- n dans le Saint Gilles aucun cas du subjonctif' de plaire.
7,^S l'Évolution du verbe en anglo-françals
jamais. Voici quelques exemples de plaise: on le trouve dans les
Rymer's Foedern (1270, 1,862; 1309, III, i')0 el passiin), dans
les Mem. Pari. 1305 (§ 56, etc.), fréquemment dans les Statutes
(1350, I, 317; 1353,1, 330, 1362,1, 376) et dans plusieurs autres
endroits. Il en va de même pour tous les autres recueils. La forme
régulière se maintient, avec de rares modifications dans le radical
que nous verrons plus tard, jusqu'à la fin du xiv^ siècle.
Les radicaux des verbes de cette catégorie ne montrent pas de
changements qui leur soient propres ou qui proviennent de l'in-
fiuence de la terminaison. Nous ne citerons que pour mémoire les
différentes formes que prend la diphtongue dans le verbe plaire:
ni, ei, e; nous ne trouvons que deux formes plus rares qui puissent
nous arrêter un peu plus longtemps ; ce sont Jease pour face qu'on
lit dans les Literae Cantuarienses (1330, 336), et please qui est
répété une dizaine de fois dans le Liber Custumarum (1377, 459)
et dans quelques autres recueils. Nous verrons que en est dans le
verbe une modification assez rare mais qui n'est pas inconnue de la
diphtongue ai '.
5. Subjonctifs en ce des verbes de III.
Nous avons déjà eu l'occasion de mentionner certains verbes de
la première conjugaison : ester, manger, rover, trover, qui ont un
subjonctif en se ou ce. Ce ne sont pas réellement les subjonctifs
en ce, car l'.v que nous retrouvons au subjonctif de ces verbes semble
faire partie, autant qu'on peut en juger, du thème de la première
personne du singulier du présent de l'indicatih C'est à la troi-
sième conjugaison que nous trouvons réellement des subjonctifs
en ce-.
L'anglo-français ne nous montre avec ce sutrixe que trois verbes
de III, mais ils se trouvent assez fréquemment employés ; ce sont
les verbes choir, estovoir, seoir et ses composés.
Le premier de ces verbes, qui du reste ne nous a pas fourni un
très grand nombre d'exemples pour 4e subjonctif, présente presque
1. Cf. Infinitif, notre seconde partie, chapitre M ; et comparer au verbe anglais
to please.
2. Cf. Setiegast, J. César, XXX.
LE SUBjONCTll- 349
toujours le suffixe ce. Le premier exemple que nous connaissions
de la forme chiece se lit dans le Psautier de Cambridge (34, 9) (à
côté de cheent, 5, 11). Nous la retrouvons ensuite dans les Quatre
Livres des Rois (II, 18, 3) ; pendant le siècle suivant, nous pouvons
relever l'exemple qui apparaît dans la Plainte Notre-Dame, au
vers 172 et passiiu ; et aussi dans Walter de Bibblesworth (143).
Cette forme est sensiblement plus commune pendant le xiv^ siècle ;
nous la lisons par exemple dans la Vie de Sainte Marguerite au vers
86, dans les Contes de Nicole Bozon aux §§ 22, 29, 67.
En dehors des textes littéraires, le subjonctif de ce verbe appa-
raît sous cette forme ou une forme voisine. Checc se rencontre fré-
quemment, surtout dans les Statutes ; chiese n'est pas rare, par
exemple dans les Statutes (1367, I, 376) ou dans les Year Books
(comme 16 Edw. III, p. 459 et pass/'m).
On trouve aussi assez communément dans les mêmes textes la
forme cbicte ou rhete : la première se trouve par exemple dans les
Statutes (13^0, 1,290), dans Rymer (1347, V, 546); la seconde dans
les Statutes (1326, I, 253), dans Rymer (1323, III, 1023), dans les
Year Books (16 Edw. III, 25, 184, leçon donnée par tous les manu-
scrits). Cette forme se trouve aussi, mais plus rarement, dans les
mss. des œuvres littéraires écrits au xn-^ siècle, par exemple à la
page 14 du Dit de Hosebondrie de Walter de Henley.
A première vue, on est tenté de considérer cette forme comme
une erreur de lecture de l'éditeur ou une faute d'écriture du scribe.
Cependant cette forme se rencontre dans un trop grand nombie
de mss. et dans des textes qui comme les Statutes ont eu des
scribes extrêmement consciencieux et des éditeurs très soigneux,
pour que cette explication soit admissible.
Le verbe estovoir, qui n'est pas très commun au subjonctif, ne se
présente qu'avec la forme ce ; voici les exemples que nous avons
pu relever de ce subjonctif.
On le lit dans le Bestiaire (au vers 1598); dans le Psautier de
Cambridge (108, 7); au vers 952 du Tristan de Thomas ; dans les
Quatre Livres des Rois (IV, i, 6 ; II, 2, 22); dans Horn au vers
3886 ; au vers 36 du Protheselaus de Hue de Rotelande ; dans la
Vie de Sainte Catherine au vers 1203 ; dans Guischart de Beauliu
au vers 254; dans les Set Dormans de Chardri au vers 1125.
Le verbe seoir apparaît avec ce, sec, ssc. Le Psautier d'Oxford a
5 51) 1. F.VOLUTK^K Dll \ EKBli T.N ANC.LO-IRANÇAIS
plusieurs exemples de la première terminaison : (loo, 8, et 7, 12 ;
au lieu de stcil, Meister, p. 75); nsiire se lit dans les Dialogues Gré-
goire (33 v° b) ; et dans le Josaphat de Chardri au vers 1427;
messecese trouve dans Walter de Bibblesworth (143). La forme en
se n'est employée que par le traducteur des Quatre Livres des Rois :
uesced (III, i, 24; III, 2, 24); les deux s se rencontrent très fré-
quemment dans les textes non littéraires (cf. Statutes, 1278,1. 49;
Liber Custumarum, 1280, 281).
Comme on le voit, les exemples assurés par la rime sont rares ;
mais comme les formes en re et sse sont disséminées depuis le com-
mencement du xii^ siècle jusqu'à la fin du xiv^ siècle, il n'importe
pas beaucoup de préciser les dates de ces différentes formes.
Tels sont les verbes qui dès les commencements de la littérature
anglo-française ont adopté la forme du subjonctif en a-; il y a encore
d'autres verbes pour lequel le ce n'est ni aussi ancien ni aussi cons-
tant, par exemple acquesse (: cesse), Satire sur le Siècle (6 r°) ; cette
forme, et quelques autres sont amenées par lès nécessités de la
rime.
Il nous reste à dire quelques mots du radical du verbe estovoir
au présent du subjonctif. Nous allons voir que ce temps se con-
fond souvent avec le temps correspondant du verbe ester, dont nous
avons déjà dit quelques mots ; la seule différence étant que le sub-
jonctif d'estovoir ne prend jamais la diphtongue ai, qui est la forme
qu'ester prend le plus communément. Mais même pour ce dernier
verbe la voyelle simple 0 est loin d'être rare. Esiocc devient par
conséquent la première forme commune au subjonctif de ces deux
verbes.
Il est probable que c'est à cette dernière forme qu'il faut rappor-
ter le subjonctif qui présente la diphtongue oe; esfoece se lit au vers
3886 de Horn et en plusieurs autres auteurs du xii^ siècle et du
commencement du siècle suivant. Mais cet 0 au radical donne plus
souvent et plus sûrement aussi un // comme dans estuce c{n on peut
lire dans Guischart de Beauliu et dans Aspremont. Ajoutons encore
une forme plus rare qui provient peut-être encore de l'a: estueched :
nous ne l'avons relevée que dans les Quatre Livres des Rois (II, 2,
22).
LE SUBJONCTir 35 1
6. Subjonctifs en ge.
Les subjonctifs en ge, comme on le verra par la liste qui suit,
sont assez communs en anglo-français ; aussi nous semble-t-il pré-
férable de les diviser en trois classes : la première comprendra les
verbes qui ont un subjonctif correspondant au latin iani ; pour ces
verbes la chuintante est étymologique et provient de IV de la ter-
minaison latine : ces verbes sont de beaucoup les plus nombreux. La
seconde et la troisième embrasseront toutes les deux des formations
analogiques correspondant respectivement aux subjonctifs en aiii
et en cm.
L Ge dans les subjonctifs en iaui.
La terminaison en ge a commencé par s'attacher dans les sub-
jonctifs en iani aux liquides qui ne sont pas susceptibles de se
mouiller, comme r; mais aussi à certains thèmes terminés par// :
mourir, quérir, maindre, tenir, venir, ont été peut-être les premiers
verbes à recevoir la terminaison ge.
C'est ainsi qu'on trouve presque simultanément : viengel, dans le
Cumpoz au vers 3499; venget ei veigent dans le Saint Brandan res-
pectivement aux vers royé (Arsenal 1029), 1609 (Arsenal 1528) :
venges dans le Bestiaire (944), etc. ; et aussi teingent dans le Brandan,
16 10 (Arsenal 1529) etc. ; nieinge de manoir au vers 119 du Saint
Brandan (ms. de l'Arsenal 85).
Les thèmes en ?/, prenant o^f au subjonctif, sont, comme on le voit,
assez nombreux ; parmi les thèmes en /', on trouve tout d'abord
mourir, ainsi iiiiirget du Saint Brandan (vers 61), niorge au vers
1604 du Bestiaire: puis qiiergent qui se trouve dans le ms. L de
l'Alexis (60 b), et dans le Psautier d'Oxford (103, 32) ; le Psautier
de Cambridge, en plus des exemples précédents, a aperget (89, 17);
le Tristan de Thomas nous offre encore un nouvel exemple : afierge
qui rime avec quierge au vers 248.
Quelques-uns de ces exemples demandent quelques remarques :
on peut observer que dans imdrged du Psautier de Cambridge (108,
16) le i de iam se trouve exprimé deux fois : une fois par 1'/ du
thème et une seconde fois par la chuintante ; de même dans requier-
gient, Quatre Livres des Rois (III, 18, 24), il est représenté deux
fois.
?)2 1, KVoi.urioN 1)1 \ i;kbi- i:x .\N(,i.()-i kançais
Tels soin les premier^ verbes qui prennent la chuintante au pré-
sent du subjonctif : ce sont uniquement des verbes avant comme
consonne finale du thème une des labiales n ou / .
Nous allons par la suite retrouver les mêmes verbes auxquels
viendront s'ajouter bon nombre d'autres. Nous n'avons relevé
aucun nouvel exemple de thème en // ou en / au xiiT' siècle; venir,
tenir et manoir d'un côté, mourir, quérir de l'autre sont les seuls
employés ; ce sont, croyons-nous, les seuls verbes ayant leur thème
terminé par )i ou /■ qui aient leur présent du subjonctif en 'kidi.
Les nouvelles fonnations ne sont pas très nombreuses : nous pou-
vons citer un verbe ayant son thème terminé par la labiale / :
vouloir, qui iait dans la Vie de Saint Grégoire veilgc au vers 37 et
ivilge au vers 352; et un autre verbe dont le thème se termine par
une dentale: assentir, qui fait (isson^e au vers 836 de la Vie de Saint
Grégoire.
Par conséquent, ces formations nouvelles sont en nombre intime
et limitées à un seul auteur. De plus, comme nous l'avons vu
précédemment, tenir, venir, etc., prennent fréquemment n mouil-
lée pendant le xiii'^ siècle, et conséquemment le nombre de formes
présentant régulièrement ^c au subjonctif présent en est diminué
d'autant.
On ne trouve à prendre gc dans la langue politique et diploma-
tique qu'un petit nombre de verbes ayant en latin un subjonctif en
icvit; nous n'en avons relevé que cinq; moins par conséquent
que pour les œuvres littéraires. Ce sont : tenir, venir, quérir, mou-
rir et pareir.
Nous avons déjà eu l'occasion de citer des exemples de tous ces
verbes, et nous n'y reviendrons pas, et nous nous contenterons
d'ajouter quelques mots. Quergc est très commun ; on le trouve dans
les Statutes à partir de 1278 (I, 44); dans le Liber Custumarum,
1280 (283); et dans Rymer très fréquemment. Les formes sans o^c
sont très rares pour verbe, nous n'en avons trouvé qu'un seul cas :
requière dans Rymer (1358, M, 89). Il semble que la forme en ge
est la seule que connaissent les Year Books; elle est en tous cas extrê-
mement fréquente dans la langue légale.
Mourir est aussi très fréquemment employé au subjonctif sous cette
forme; on en trouve un exemple dans les Statutes à la date de 1275
et nous ne l'avons iamais rencontré sous une autre forme. Elle
LE SUBJONCTII" 3)3
est spécialement fréquente dans les Year Books, Appergc ou appicrge
est beaucoup moins employé : on le trouve dans le Blacke Booke
of the Admiraky à la date de 129 1 (II, 24): dans les Statutes
(1330, I, 268), dans Rymer (1330,1V, 450), dans le Year Book
20 et 21 Edw. I" (p. 99).
Mais, à part ces cinq verbes, nous ne pouvons citer d'autre
exemple de cette forme de subjonctif pour les verbes de cette
catégorie.
II. Gc dans les subjonctifs en uni.
Ici encore ce sont les thèmes à labiale qui prennent le suffixe ge :
et il y a relativement plus d'exemples de ce suffixe parmi les verbes
à subjonctif en nm que pour les verbes pour lesquels il est étymo-
logique. Cependant ces formes ne sont extrêmement nombreuses
chez aucun auteur, sauf un seul. C'est un auteur du xiii^ siècle,
Frère Angier ; à lui seul il fournit plus de formes en ge que tous
les autres auteurs de son siècle réunis. On trouvera dans l'ouvrage
de Miss Pope la liste complète des formes en gc que l'on peut rele-
ver dans la Vie de Saint Grégoire et les Dialogues Saint Grégoire ;
nous ne citerons de ces verbes que ceux que l'on trouve dans d'autres
auteurs anglo-français.
La désinence s'ajoute principalement à quatre thèmes : /', Id,
■ )id, rd. Pour les trois derniers, le d n'appartient pas toujours au
thème ; mais, paragogique ou étymologique, il disparaît toujours
devant la désinence qui s'ajoute ainsi directement à la labiale. Voici
quelques exemples :
Courir, et c'est, croyons-nous, le seul verbe de cette classe,
prend régulièrement la forme curge ; elle se trouve déjà dans le
Cumpoz (vers 86), mais appartient peut-être au scribe ; dans le
Psautier d'Oxford et dans le Psautier de Cambridge (Ç, 2) ; dans le
Prothesalaùs, etc., cette forme est la seule ou à peu presque prenne
le subjonctif de courir.
Il n'y a que peu de verbes en A/ à montrer au subjonctif le suf-
fixe gc : c'est que, d'abord, les thèmes en Id sont peu nombreux
et ensuite que nous ne trouvons que peu d'exemples du subjonctif
de ces verbes ; nous ne trouvons guère à citer que : tolgel qui se
trouve au vers 1758 du Brandan (ms. de l'Arsenal, toillc 1676) ;
3 5-1 i; EVOLUTION DU VKRBt HN ANGLO-IRANÇAIS
/()/ow se lit dans le Psautier d'Oxford (30, 12); au vers 2261 de la
Vie de Sainte Catherine, de Sœur Clémence de Barking, dans la
Passioun Nostre Seigneur (33 v"), etc. Nous avons vu précédem-
ment le subjonctif d'absoudre. Les autres verbes en Id n'apparaissent
pas au subjonctif.
C'est parmi les thèmes en iid que nous rencontrons le plus
grand nombre de cas de chuintante : le plus employé de ces verbes
est le verbe prendre qui, sauf les exceptions que nous avons
déjà eu l'occasion de citer, fait presque constamment prcugc au
présent du subjonctif, surtout au xir^ et xiii'' siècle. Nous ne cite-
rons qu'un petit nombre d'exemples de cette forme, car il serait
oiseux de multiplier les exemples d'une forme aussi commune : on
trouve prenne dès le commencement de la littérature anglo-française :
dms le Brandan à la rime du vers i2o(:meinge, manoir) (ms. de
l'Arsenal, vers 86) ; dans le Bestiaire au vers 20 ; dans Thomas
(165, r6o6); dans Chardri (Josaphat, 2750); dans Simon de
Montfort (vers 39) ; dans les Contes de Bozon (86 et passivi).
Le verbe craindre se trouve aussi fréquemment au subjonctif
sous cette forme : par exemple crengel du Psautier d'Oxford (85,
10): de Cambridge (85, 11) (à côté de rrieinel 32, 8); d'Arundel
(21. 5) (à côté de rrieiiiet 32, 8); cr/eiigo)is. Vie de Saint Grégoire
(895)-
La lettre mouillée se rencontre au xiir siècle pour ces difterents
verbes, et le nombre de formes en ge diminue.
Plain ire et répondre emploient le suffixe moins souvent ; pour
le premier, nous en trouvons un exemple à la rime du vers 149
dans le Poème allégorique : plenge (: engreynge).
Pour répondre, nous avons repimge dans les trois Psautiers : dans
celui d'Oxford (18, 16); dans celui de Cambridge (68, 20) (mais
repuiies 26, 10) : et d'Arundel (18, 7) ; à la fin du xiir siècle et
pendant tout le xiV siècle c'est 1'// mouillée qui caractérise le sub-
jonctif de ce verbe.
Les thèmes en rd ne nous fournissent que perdre dont le sub-
jonctif est employé sous la {orme perge par Thomas 2529 (D et S)
et par Frère Angier, Vie de Saint Grégoire, au vers 895. Citons
enfin une forme que nous n'avons rencontrée qu'une seule lois :
c'est reniorge qui rime avec George au vers 2287 du Prince Noir.
Le nombre de subjonctifs en ani à prendre ge est, pour les œuvres
r
LE SUBJONCTU- 355
non littéraires, encore plus restreint que celui des subjonctifs en
iaiii. Nous ne trouvons qu'un verbe de cette catégorie qui se pré-
sente régulièrement sous cette forme : le verbe courir. Ce verbe, du
reste, a toujours très régulièrement la désinence ge à ce temps; et
les exemples qu'on pourrait citer sont extrêmement nombreux
(Statutes 1275, I, 26 ; Rymer, passiin ; Liber Custumarum 1300,
182. Liber Albus 1365, 370, et dans lesYearBooks 20 et 2 1 Edw. P'',
M)-
Prendre fait quelquefois preiigc, forme que nous avons citée
plus haut; elle est relativement rare et n'a ni la fréquence ni la
régularité des formes qui présentent une n mouillée.
Il est donc évident qu'il n'y a qu'un nombre très restreint de sub-
jonctifs en am à adopter dans ces textes la forme analogique en ge.
Dans la littérature et en dehors de la littérature, courir seul la prend
régulièrement, prendre à l'occasion . Les oeuvres littéraires montrent
en outre des exemples isolés de ge au subjonctif de toldre, craindre,
plaindre, répondre, perdre.
Il faut surtout remarquer que tous les exemples du suffixe o-g pour
les verbes en diii se trouvent concentrés dans les 150 premières
années et, pour certains d'entre eux, dans le premier siècle de la
littérature anglo-française. Les lettres mouillées après cette date
deviennent de plus en plus nombreuses. Ceci explique pourquoi les
formes en ge sont rares aux subjonctifs en ani dans les textes poli-
tiques et autres, qui ne remontent qu'au quatrième quart du
xiii^ siècle, et pourquoi le suffixe trg ne se rencontre régulièrement et
constamment que pour certains verbes, courir, mourir, dont la der-
nière consonne du radical ne peut se mouillei'.
Subjonctifs en cm.
■ Pour les subjonctifs en ge provenant de la première conjugaison,
nous retrouvons les trois caractéristiques que nous avons détermi-
nées pour les subjonctifs en arii :
I" Ils ne sont jamais très nombreux, sauf chez un seul auteur.
Frère Angier ;
2" Les verbes de I qui adoptent ce suffixe sont surtout des verbes
dont le thème est terminé par une labiale (/, /'/,«, ni, n);
3° Leur nombre diminue considérablement pendant la seconde
moitié du xni'^ et pendant le xiv*^ siècle.
^56 i/i:voLUTiON du verbe ek anglo-français
Nous allons énumérer rapidement les quelques exemples que
nous avons relevés; il sera inutile d'attirer l'attention sur le fait
qu'ils datent, sauf ceux que nous avons tirés des deux poèmes d'An-
gier et quelques autres, du xii'' siècle.
Aller prend fréquemment le suffixe ge; la forme algc est la forme
ordinaire du subjonctif de ce verbe, surtout au xii'' siècle ; aussi la
trouve-t-on d'abord chez les premiers auteurs anglo-français; dans
le Cumpoz (vers 3343, 3315), dans le Psautier d'Oxford et le
Psautier d'Arundel (38, 18), dans Horn (3823), etc., etc. Nous
avons déjà eu l'occasion de montrer que aille ou voise deviennent, à
partir du xiir' siècle, la forme ordinaire.
Apc'Igent, que l'on lit dans Adgar (Prologue 34), est beaucoup plus
rare; on le retrouve cependant sous la forme apeange dans les Dia-
logues de Saint Grégoire (33 r^' a) ; ce verbe n'a pas tardé à prendre
ou à reprendre la forme étvmologique, ou celle qui montre Yc ana-
logique.
Parler est le seul verbe avec un thème en ;7que nous ayons ren-
contré avec un subjonctif de ge : les exemples de pavolge ne sont
pas cependant rares, plus conmiuns que ceux que nous a fournis le
verbe précédent. Le Psautier d'Oxford en a deux exemples : (33/
13 ; et Cr. ::, i) ; Horn en a aussi un exemple (au vers 722) ; et
nous en relevons un autre dans les Distiques de Caton d'Evcrart de
Kirkham (57 f). Au xiii*^ siècle, parle est seul employé au sub-
jonctif.
Parmi les thèmes en n. donner se rencontre le plus régulièrement
avec o-g : âonge ou diiiiige se lit dans presque tous les auteurs anglo-
français du XII'' siècle : Psautier d'Oxford (103, 28); Horn (3634);
Vie de Saint Grégoire (1847); il est inutile de citer plus
d'exemples; ici encore, cette forme en ge est déplacée par une forme
plus étymologique : dohie, dohist et plus tard par doigne. Pour mener,
la forme en ge est plus rare encore et ne se rencontre qu'au
xii'^ siècle; nous avons déjà vu ce verbe prendre parfois au subjonc-
tif une n mouillée sous l'infiuence de manoir; c'est quelque chose
d'analogue que nous retrouvons ici : le ms. G de Horn a iiienge:^ (au
vers 2075) qui ■''S ^'^^ encore au vers 7016 de l'Ipomédon ; et les Quatre
Livres des Rois mangent (III, 8, 46) ; et Miss Pope cite amenge dans
les Dialogues Saint Grégoire (33 r° a).
Le Psautier de Gambridge nous donne encore un autre verbe avec
LE SUBJONCTIF 3 57
thème en // ou plutôt ni, tourner qui au subjonctif fait Uinigoit
(68, 3) ; il est assez remarquable que Vn soit conservée ; elle dis-
paraît dans loiiioc. Vie de Saint Grégoire (vers 47) et dans Rymer's
Foedera([. 885), sous la date 1272. Ce sont les seuls exemples de
cette forme que nous ayons relevés; le subjonctif régulier est beau-
coup plus fréquent.
Comme on le voit, tous les verbes précédents, saut donner, ne
prennent le suffixe ge au subjonctif qu'exceptionnellement. Il y a
cependant un certain nombre de verbes de I qui se rencontrent plus
fréquemment, plus régulièrement et plus longtemps avec un sub-
jonctif en ge et cela pour la raison que nous avons donnée tout à
l'heure. Ce sont les verbes dont le thème est terminé par r.
QuelquL'S-uns de ces verbes n'apparaissent guère au subjonctif que
sous cette forme : demorer par exemple se rencontre dès le
xii"' siècle sous la forme dcniuerjc, Psautier de Cambridge (54, 7);
âeinurge dans les Quatre Livres des Rois (II, 17, 18); il n'est rare
ni au XIII'' siècle ni au xiv^ ; par exemple il rime avec escurge dans
la Genèse Notre-Dame (59 r") et il se lit dans Pierre de Langtofc
(II, 232, 3), dans Nicolas Trivet (63 r°, etc.) et dans un assez
grand nombre d'auteurs du xiv^ siècle.
Pleurer fait quelquefois /^/ny^t; ou plorge, comme dans le Josaphat
de Chardri (au vers 1385); dans le second Appendice de Pierre de
Langtoft (II, 440, 17). Et cette forme du subjonctif de plorer a
duré longtemps comme celle de demorer (^d. ce que nous avons dit
de la 3^ personne du singulier du présent de l'indicatif de ces deux
verbes).
Durer est évidemment moins employé et son subjonctif est assez
peu commun; on te trouve sous la forme dorge au vers 7^1 du
Drame d'Adam, dans les Set Dormans de Chardri au vers 254.
Les verbes de I prenant ge au subjonctif dans la langue diploma-
tique et politique sont peu nombreux ; nous en avons rencontré trois
seulement : demeurer, jurer et parler. Le premier, demeurer, fait
toujours deinorge et on le rencontre sous cette forme dans tous nos
textes sans exception ; le plus ancien exemple cya'on puisse citer se
trouve dans les Statutes à la date de 1275; jurer est au subjonctif
d'un emploi plus rare ; on en trouve quelques cas, comme par
exemple y'// ro-é' dans les Annales de Burton (1258, ^55); dans les
Early Statutes of Ireland (1285, ^4)' ^"fi'"' '-^•^'"''^ '"^^ ^■^^'^^^' Rubeus
de Scaccario(i32 5, 958).
558 i.'hvolution du vhKm: e\ anglcvi kançais
Paro(ii\'t' Q^i nés rare; nous pouvons en citer un exemple dans
les Royal Letters Henry III (1258, 131).
. Les exemples sont encore moins nombreux dans les Year Books;
nous n'avons ^uère relevé que ih'iiiocri^i' qui est évidemment très
comnum.'
Ici encore, l'inliuence des formes en ge des subjonctifs en iaiii d
été très petite. Un seul verbe a été entièrement gagné à cette forme :
demoier; on pourrait peut-être ajouter /)/o;-^y. A part ces deux verbes,
nous rencontrons pour la première conjugaison pendant le xii'' siècle
un certain nombre de formes en ge plus ou moins régulièrement
emplovées : alge, donge ; — assez communément — , apelge, turge,
mange (menge), dorge, jusqu'au xiii'^ siècle. Les seuls verbes qui
prennent ge jusqu'à la fin du xiv^ siècle sont ceux dont le thème
est terminé par / .
Avant de quitter les subjonctifs en ge, notons les difiérentes gra-
phies que le radical de deux d'entre eux, mourir et demeurer, est
susceptible de prendre.
La diphtongue m est très rare dans les ouvrages non littéraires,
on la trouve dans demuerge Royal Letters Henry III (1258, 131) ;
on sait que cette diphtongue ne se maintient pas en anglo-français.
Elle est assez souvent remplacée par u, ce qui est le développement
phonique de cette diphtongue en anglo-français. La voyelle 0 de
son côté se rencontre au lieu de // : demorer se trouve assez fréquem-
ment avec 0, tandis que mourir présente plus rarement le radical
inor- au subjonctif. Ceci peut n'être que l'effet du hasard : les deux
graphies avant la même valeur, mais la graphie m reste la plus, com-
mune.
La diphtongue toutefois ne disparaît pas entièrement, au moins
de l'écriture, 0^ est commun; citons en dehors de la littérature iiioerge
dans les Statutes (1300, I, 137); dans le Liber Custumarum (1300,
125); dans Rymer (1303, II, 926), et oe se trouve ainsi jusqu'à la
fin du xiv*^ siècle.
La graphie eo est aussi extrêmement commune, au moins entre
12)0 et 1350; citons dans les Statutes lueorge. denieorge (I, 1275.
30; 1278, 44; 128Y, 54, etc.).
Toutes ces graphies se rencontrent, très mélangées évidemment,
dans la langue légale.
LE SUBJONXTIF 359
7. vSubjonctif du verbe être '.
Là monodiphtongue ci est ordinairement conservée dans les
tx;uvres littéraires, sous la forme ey, entre 1250 et 1^00 ;c)/ se ren-
contre, mais plus rarement, surtout après Boeve de Haumtone (cf.
vers 1254-55); mais ce n'est pas dans la littérature que nous trou-
vons toute la série des formes de la diphtongue du thème.
Dans la langue diplomatique, nous relevons d'abord la diphtongue
ei; c'est elle qui est employée de préférence à toutes les autres dans
les textes de la fin du xiii'' siècle ; nous pouvons le remarquer dans
les statuts qui datent de 1275 ; la diphtongue oi s'y trouve déjà
cependant et elle semble paraître de préférence à la troisième per-
sonne du pluriel. Quoi qu'il en soit, ci persiste jusqu'à la fin du
xiV^ siècle plus ou moins fréquemment employée.
A partir du commencement du xiV siècle, oi domine dans la plu--
part de nos textes; par exemple, dans les Mem. Pari. 1305, c'est la
seule forme employée ; dans les Statutes de 1340, elle est presque
unique, de même que dans les Actes du Parlement d'Ecosse. Dans
Rymer les formes en ei sont plus fréquentes ; du reste, l'importance
de ce point est minime, le même son étant représenté de ces deux
façons.
La diphtongue passe souvent à f à la troisième personne du plu-
riel, comme nous l'avons déjà vu ; et le même phénomène se pro-
duit, quoique plus rarement, à la première et à la seconde personne
du pluriel : sconis, sce:^ se rencontrent (cl. Parliamentary Writs
1326, 11,755).
La diphtongue ^// est relativement rare : on trouve par exemple
saient dans les Actes du Parlement d'Ecosse (1292, 446) ; sait dans
les Rymer's Foedera (1322, IV, 24).
Nous ne donnons que pour mémoire ces divers changements qui
sont plutôt du ressort de la phonétique.
Nous n'allons pas tenter de tirer de cette étude sur le subjonctit en
anglo-français une conclusion générale. Les données sont trop com-
plexes, les habitudes de style des écrivains trop variables pour qu'on
puisse espérer arrivera des résultats d'une exactitude pour ainsi dire
1. Pour l'origine de la troisième personne du singulier du présent du subjonc-
tif .<<'?7, on peut voir Cornu, Romania, VI, 248 et Grôber, Zeitschriftil. 185.
^6o l'évoiatk^x dv vekbk i-,\ a\gi.o-i KAXÇAIS
mathématique. Cependant un certain nombre d'idées peuvent res-
sortir des pages précédentes; les exceptions abondent, il est vrai,
mais on peut regarder comme suttîsamment vraies dans leurs lignes
générales les conclusions suivantes :
1° L'anglo-français a donné très tôt aux subjonctifs qui étymolo-
giquement prenaient une forme différente du reste de la conjugai-
son, le radical et la terminaison du présent de l'indicatif.
2^' L'angio-français, surtout à partir du xiii^ siècle^ a considéré
comme caractéristique du présent du subjonctif la lettre mouillée,
pour les verbes dont le thème est terminé par n ou /, et le suffixe |
i^i' pour ceux dont le thème est terminé par une /', à quelque conju-
gaison que ces verbes puissent appartenir. Du reste la svllabe ge
peut, surtout au xW et à un moindre degré au xiir siècle, caracté-
riser le subjonctif des verbes dont le thème se termine par /ou //.
^° L'importance du suffixe ce comme caractéristique du subjonc-
tif est beaucoup moindre.
CHAPITRE m
L'IMPÉRATIF
Ce mode ne comprend encore qu'un temps, et est assez peu
employé; par conséquent, il n'a pas l'importance des autres modes.
Bien plus nous n'aurons guère à nous occuper pour les questions
qu'il soulève que d'une seule personne : la seconde du singulier. Il
en résulte que nous n'aurons que fort peu de chose à dire.
Nous aurons du reste à nous passer presque entièrement du témoi-
gnage pourtant si précieux des textes politiques qui ne l'emploient
pour ainsi dire jamais.
Une question importante concerne les impératifs de toutes les con-
jugaisons; elle se rapporte à ces impératifs qui prennent la forme
du subjonctif; nous traiterons d'abord cette question générale, puis
nous étudierons successivement les modifications qui atteignent les
impératifs de la première conjugaison, puis celles que nous avons
pu observer dans les impératifs des trois autres.
1. Impératifs a forme de subjonctif.
Il }■ a un grand nombre de verbes qui à l'impératii prennent la
forme du subjonctif; pour certains d'entre eux cette forme est la
seule régulière et même la seule connue : en anglo-français, comme
sur le continent, ces verbes sont au nombre de quatre : avoir, être,
savoir et vouloir. Nous n'avons rien trouvé de remarquable dans la
forme de l'impératif de ces verbes en anglo-français. Pour avoir, les
exemples, depuis le Cumpoz jusqu'au poème du Prince Noir, sont
extrêmement nombreux et les seules variations que nous pourrions
7,62 I.KVOLUTION DU VEKBH KN ANGLO-FRANÇAIS
étudier sont celles qui artectent le radical, variations que nous avons
eu l'occasion de signaler quand nous avons parlé du subjonctif de
ce verbe; elles relèvent plutôt de la phonétique que de la morpho-
logie. Il en va de même pour les trois autres; la diphtongue de
I impératit du verbe être, la consonne de celui de savoir subissent
les mêmes changements qu'au subjonctif; les exemples que le verbe
vouloir nous fournit pour ce temps sont assez rares; nous n'en
avons relevé aucun pour pouvoir.
Deux formes cependant peuvent retenir quelque peu notre atten-
tion : d'abord le sace du Psautier d'Oxford (138, 22) et des Quatre
Livres des Rois (III, 2, 37), et la forme voyle qui est assez com-
mune; nous l'avons rencontrée pour la première fois au vers 1850
du Saint Edmund et elle devient la forme ordinaire de cet impératif
auxiV^ siècle. Dans ces deux exemples 1'.? flexionnelle a disparu, soit
naturellement comme pour un certain nombre de secondes per-
sonnes du singulier à terminaison féminine, — nous avons cité, dans
notre étude des désinences personnelles, de nombreux exemples de
ce phénomène, — soit, ce qui nous paraît plus vraisemblable, sous
l'influence des nombreux impératifs terminés par e.
La seconde classe d'impératifs à forme de subjonctif comprend
seulement des secondes personnes du singulier. Elles sont terminées
par es.
Nous trouvons dans cette classe des verbes de la première ainsi
que des verbes de l'une des trois dernières conjugaisons. Pour la
première conjugaison, nous avons relevé de nombreux exemples
dans les trois Psautiers, citons-en quelques-uns : dans le Psautier
d'Oxford : rebutes (43, 25); dans celui de Cambridge : argues, chasties
(6, i) ; déclines (26, 10) ; deleisses (26, 11); dejeles (50, 12) ; esvuides
(140, 8) ; //tvw (26, 14); recordes (78, 8); remenbres Çi^, 6) et
peut-être quelques autres encore (cf. Gotthold Willenberg, Histo-
rische Untersuchung ûber den Conjunctiv Praesentis der ersten
schwachen Conjugation im Franzôsischen, dans les Romanische
Studien III, p. 589). Dans le Psautier d'Arundel nous avons
relevé : desturnes (26, 14); déclines (26, 14); livres Çij, 3); chasties
(37, i); enloinnes (50, 12). Aucun autre écrivain de ce siècle et
même des siècles suivants ne nous a présenté un nombre d'exemples
de cette forme pour les verbes de I qui se rapproche de celui que
nous trouvons dans les Psautiers et nous en donnerons tout à l'heure
l/li\lPÉRATIF 363
une raison évidente. Au vers 117 du Drame d'Adam, nous twu-
xons Jeinanclcs \ dans la Vie de Saint Edmund, au vers 2921, nous
avons h'i.\ses\ dans les Heures de la Vierge, nous avons relevé au
tblio 69 r" remembres ; trois autres exemples se trouvent dans la Vie
de Sainte Marguerite : gardes au vers 333, demonstres au vers 333,
donesTmwQYs 553. Enfin, et pour en finir avec cette énumération,
0rdes se lit encore dans les Distiques de Caton de l'Anonyme du
XIII' siècle au vers 253.
Si nous considérons seulement les premiers exemples de cette
forme, nous comprenons aisément son origine ; tous les exemples
des Psautiers se lisent dans des phrases négatives et traduisent en
français le « ne » avec la deuxième personne du subjonctif du latin :
Domine... ne arguas me, neque... corripias me; ne avertas
faciem... ne déclines...
Et cet emploi de la forme du subjonctif a été longtemps limité
aux propositions négatives ; et c'est ce que nous pouvons remarquer
pour les exemples du Saint Edmund, des Heures de la Vierge,
que nous avons cités. Quant à ceux que nous avons rencontrés dans
les Distiques anonymes et dans la Vie de Sainte Marguerite, ils se
trouvent tous les quatre dans des phrases affirmatives. Néanmoins,
on voit que l'influence du tour latin a été la cause de la forme fran-
çaise et elle devait être plus forte sur les traducteurs que sur les
autres écrivains. C'est donc plutôt une particularité syntactique
qu'un phénomène morphologique.
Pour les verbes de II, III et de IV les exemples sont beaucoup
moins nombreux et moins frappants. Le premier que nous ayons
rencontré se lit dans le Bestiaire au vers 961 : oies; mais cet exemple
nous semble très douteux :
Maisoz tu, om de Dé,
Entent auctorité
E oies Escripture.
Nous croyons qu'il faut ici lire oiei ; ce mélange des personnes
du singulier et du pluriel n'a rien d'extraordinaire, surtout en
anglo-français (cf. Gaston Paris, Saint Alexis, p. 189, 67).
Dans les Psautiers, nous trouvons un assez grand nombre
d'exemples bien assurés : dans le Psautier d'Oxford : veies (î 2j , 6 et
^64 l.'lkvOLrTlON DL' VEKBK liN ANGLO-hRANÇAIS
7) ; dans le Psautier de Cambridge : rcpunes (26, 10) ; déguerpisses
(26, II); dans celui d'Arundel : taises (27, i) ; départes (34, 24) ;
iviist rennes (37, i). Everart de Kirkham, dans ses Distiques de
Caton, emploie, au vers 38 a, yt^/w que nous retrouvons encore dans
le poème de Saint Julien au folio68 t\
Tous les exemples précédents se rencontrent dans des phrases
négatives, excepté évidemment l'exemple douteux du Bestiaire que
nous avons cite. Et ces impératifs négatifs correspondent à des sub-
jonctifs avec m' dans le texte latin des Psaumes : ne sileas; ne disce-
das ; ne arguas.
Les exemples que nous fournissent les trois dernières conjugai-
sons, pour une raison ou pour une autre ne sont pas à beaucoup
près aussi nombreux que ceux que nous ont donnés les verbes de
la première conjugaison ; mais ils sont tous réguliers en tant que tous
se trouvent dans des phrases négatives.
La troisième classe des impératifs qui présentent la forme d'un
subjonctif comprend ces verbes qui présentent dans leur radical les
phonèmes caractéristiques du second de ces modes. Nous n'en parle-
rons pas ici : leur place est évidemment avec les impératifs qui
adoptent un radical appartenant à un autre mode.
Nous n'avons plus qu'à dire quelques mots de certaines formes
de l'impératif dans les différentes conjugaisons.
A. Première conjugaison.
Pour rimpératifde la première conjugaison, nous aurons à étu-
dier trois questions : les impératifs en a; la chute de la muette à
l'impératif; enhn la chute de l'atone avec addition d'une s.
I . Impératifs en a.
Le verbe aller forme la deuxième personne du singulier de son
impératif régulièrement en a : cette forme se conserve longtemps
sans modification : va se trouve à peu près dans chaque auteur du
xii^ siècle. On trouve cependant concurremment et à la même époque
une autre forme moins employée mais qui persiste à côté de l'autre :
■vai. On la rencontre pour la première fois en anglo-français dans le
ms. A de l'Alexis (11 b) ; puis dans les Quatre Livres des Rois (II,
I.'iMPÉRATir ^65
2, i); on la retrouve dans la Vie de Saint Grégoire (vers 1404);
dans le Saint Laurent (vers 580). Cette forme semble disparaître au
commencement du xiii^ siècle ; l'exemple du Saint Laurent est le
dernier que nous ayons rencontré. Avant sa disparition, il arrive
que cette forme se modifie encore; la diphtongue a/ subit une réduc-
tion et devient e dans ve des Dialogues Saint Grégoire (126 r° a).
A part ces exemples, peu nombreux, mais qui nous semblent sûrs
quoiqu'ils ne se trouvent jamais à la rime, c'est l'û qui est toujours
régulièrement employé.
Un autre verbe présente un impératif en // : le verbe ester ; cet
impératif n'est pas très fréquent, mais esta est la seule forme que
nous ayons relevée. On la trouve au vers 69 des Distiques de Caton
d'Elie de Winchester; dans les Quatre Livres des Rois (II, 2. i);
elle rime avec saka au vers 606 du Donnei ; on la rencontre encore
rimant avec ça dans la Vie de Saint Grégoire, au vers 652 et au vers
1320 de Saint Auban. Ce verbe devient de plus en plus rare aux
XIII'' et xiv^ siècles, et son impératif ne se retrouve plus, à notre
connaissance, en anglo-français après Frère Angier.
Le composé d'ester : arester, a un impératif de cette forme,
comme dans l'exemple que nous avons cité de la Vie de Saint Gré-
goire ; mais cette forme est très rare et arester comme rester suit
l'exemple des autres verbes de la première conjugaison et forme son
impératif en c.
Il ne faut pas ranger dans la même classe que les exemples précé-
dents certains impératifs que l'on rencontre dans le Psautier de
Cambridge : snfîae, 25, 2 (B -e); giiardas, 36, 37 (B -e); ae n'est ici
qu'une graphie de la muette, assez rare, mais qui n'est pas inconnue
{d. supra).
2. Chute de la voyelle atone.
Tous les impératifs de I, exceptéceux que nous venons de citer, ont
régulièrement l' comme désinence de la seconde personne du singu-
ier, provenant de la terminaison latine a. La forme étymologique
■ st de beaucoup la plus commune en anglo-français; mais il faut
(^évidemment s'attendre à rencontrer quelques irrégularités : nous en
trouvons de deux sortes : la première consiste dans la chute de Ve
étymologique ; la seconde dans l'addition d'une .v.
^66 i.'knoluiiox du \ krhl'. i-;n anclo-iuançais
La chutt de la von'cUc de la désinence ' se rencontre assez tôt :
les Psautiers sont les preniiei's ouvrages qui la montrent; les per-
sonnes sans e sont cependant, même dans ces ouvrages, une petite
minorité. Quoique les proportions ne signifient généralement. pas
grand'chose lorsqu'on les prend sur un nombre restreint d'exemples,
nous pouvons citer celles des personnes sans e dans les Psautiers
d'Oxford et de Cambridge. Dans le premier, la proportion est un
peu plus forte que 1/150; dans le second elle est de 2150; sans
vouloir tirer de ces chiffres des conclusions trop précises, on peut
dire que le nombre des personnes irrégulières est infime; voici les
quelques exemples que nous fournissent les Psautiers : celui d'Ox-
ford a dun ([x, 4); essai (25, 25) ; dans celui de Cambridge, nous
trouvons aûr (44, i); guard (16, 8) ; dans celui d'Arundel : resgtiard
(12, 2);deliur {2j\, 3), (cf. Subjonctif en em^; apel (49, 16). Le fait
que nous ne pouvons faire la part des copistes et celle des traducteurs
originaux, dans ces trois ouvrages, nous empêche de nous rendre
un compte exact des habitudes des scribes eux-mêmes. Il est pos-
sible que s'ils n'avaient pas eu de modèle et qu'ils eussent été livrés
à eux-mêmes le nombre de formes sans atone aurait été encore
plus considérable.
La plupart des autres auteurs de ce même siècle nous en oftVent
des exemples, ce qui nous prouve bien que la langue tendait natu-
rellement à supprimer la muette et que les formes écourtées ne sont
pas le résultat de l'ignorance ou de la fantaisie d'un individu. L'Es-
torie des Engleis nous en donne un exemple, douteux, car il se
trouve devant un mot commençant par une voyelle : rcturn (arere)
au vers 4707 ; dans la Vie de Sainte Catherine, de Sœur Clémence
de Barking, nous rencontrons un cas de chute de la muette assuré :
guard au vers 2563 :
Guard Its, Sire, d'aversitez ;
et au vers 2083 un autre exemple, douteux celui-là, car il se trouve
encore devant une voyelle : acravenL
De la même façon, nous trouvons dans les Légendes de Marie
I. Pour la chute de Ve atone, on peut voir Suchier. Zeitschrift, I, p. )69;Ueber
die , p. ^4 : Zeitschrift. IT, p. 48 s.
L'iMFÉRATJr 367
d'Adgar deux cas certains de la chute de Vc atone tinal : esmai (XIII,
81); ww (XXII, 125):
Regard amunt, ne t"esmai rien :
Vou dune tost a seinte Marie ;
et quatre autres douteux, parce qu'ils se trouvent aussi devant des
mots commençant par des voyelles : regard (XIII, 81); apel (IX,
99) ; îiefQiVll, 481 ; XXXII, 119).
Nous avons cité ainsi même les cas douteux, parce qu'il est fort
possible qu'ils appartiennent aux auteurs (cf. gard de la Vie de
Sainte Catherine et du Psautier de Cambridge, apel du Psautier
d'Arundel).
Dans les Quatre Livres des Rois, nous avons relevé /W (IV, 9, 26);
dans la Vie de Saint Gilles nous rencontrons une rime qui nous
montre d'une façon assurée cette chute de la muette : tart (: part) au
vers 1 20 1 .
Il ne semble pas très facile de classifier les exemples ci-dessus ; si
nous ne tenons compte que des formes qui sont sûres, nous trou-
vons que des douze verbes qui perdent à l'impératif leur muette éty-
mologique, trois sont des verbes à thème vocaliquc Cessai, esmai,
voiî), cinq sont terminés par une dentale appuyée Çguard, 3 fois,
jet, tart), quatre par une consonne simple ou double ou appuyée
(aiir, diiii, apel , delinr). De cette diversité, il n'est pas aisé de con-
clure quelque chose ; nous ne croyons cependant pas que dans tous
ces cas la chute de la muette puisse s'expliquer de la même façon;
pour les verbes à thème vocalique, nous voyons dans la chute de Vf
soit un simple phénomène d'analogie (comparer aux deux premiers
vei, au troisième l'impératif des nombreux verbes en oudre) ;
soit le même fait qu'à la première personne de l'imparfait et du
conditionnel ; mais la date de ces exemples rend douteuse la seconde
explication. Pour les thèmes consonantiques, il nous semble que la
chute de la voyelle muette est un phénomène purement phonique
et qu'il y a eu, dans l'esprit des écrivains anglo-français, confusion
entre Ve épithétique qu'ils employaient fréquemment à cette époque
déjà et l'é? étymologique (voir notre seconde partie, chapitre I).
Aux siècles suivants, il est évident que ce sont surtout les thèmes
à dentale qui sont les plus affectés, car ils se trouvent fréquemment
sans Vc flexionnel à l'impératif. Frère Angier emploie par exemple
^68 l'hvolutkix or \ i:kbi£ i:\' angi.o-i-kançais
dans les Dialogues dcnuiiic au iolio 91 i"' a; ^arl au tolio 49 i'" b et
dans un nombre considérable d'autres cas; cette même forme se
lit encore dans Robert de Gretham (27 v"); à la rime avec Aedward
au vers 7)éd'EdNvard le Confesseur et elle est répétée dans le même
poème aux vers 754 et 799; dans Saint Auban, on la retrouve avec
une nouvelle modification, <riir (vers 956) qui montre la chute delà
dentale du thème.
Comme on le voit, car l'impératif de garder n'est pas extrême-
ment employé, ces formes où la chute de Vc est assurée sont tort
nombreuses. Aucun autre verbe ne montre la même régularité dans
l'irrégularité.
On relève encore d'autres thèmes à dentale; par exemple on
trouve assez communément ^d dans Robert de Gretham (80 v") ; et
confort dans Pierre de Langtoft (I, 138, 4): mais ces formes sont
sporadiques.
Les autres thèmes se rencontrent plus rarement sans Ve étymolo-
gique ; parmi les thèmes consonantiques, on peut citer : aiir que
nous avons déjà rencontré au xW siècle et qui dans Saint Auban
(vers 584) rime avec honur; pens dans le même poème (au vers
563); et ces exemples isolés ne sauraient être d'un grand poids.
Quant aux verbes à thème vocalique, nous n'avons relevé que
peu d'exemples de la chute de la désinence. Pour l'un d'entre eux
cependant cette chute semble régulière ; envoyer fitit presque tou-
jours envei à la deuxième personne du singulier de l'impératif : nous
avons deux exemples attestés par la mesure dans Robert de Gre-
tham (23 v°, 68 r°) et cette forme se retrouve par la suite dans un
nombre de fois assez considérable, par exemple dans Pierre de Lang-
toft et dans Nicole 13ozon ; mais aucune des formes qu'on trouve
dans ces deux auteurs ne semble assurée. On pourrait certainement
rapprocher envei de la troisième personne du singulier du présent de
l'indicatif enveit, et attribuer la même origine à ces deux formes.
Le verbe voir, s'il a, comme nous l'admettions, amené par l'action
de sa troisième personne veil la forme enveit, a pu par son impératif
vei occasionner envei.
3. Chute de la muette et addition d'une s.
11 était à peine utile de faire un paragraphe spécial pour ce phéno-
mène qui ne nous est assuré que par un seul exemple : sacrefis qu'on
l'impératif 369
trouve rimant avec dis au vers 177 de la Vie de Saint Laurent ;
nous ne voyons pas du tout l'origine d'une telle forme et nous ne
pouvons y voir qu'un barbarisme qui a été causé par les nécessités
de la rime .
Avant d'abandonner les impératifs des verbes de I, disons un mot
de celui d'un verbe qui se trouve à cheval, sur la première et la qua-
trième conjugaison : le verbe laisser. Nous remarquerons d'abord
que ce verbe ne se présente jamais à ce temps, du moins à notre
connaissance, avec un e rnuet : toutes les formes de son impératif
sont monosyllabiques.
La forme la plus ancienne que nous lui connaissions est lai qui
ne peut provenir que de l'hypothétique laire; on trouve cette forme
dans le Voyage de Saint Brandan au vers 193 du manuscrit de
Londres et au vers 138 du manuscrit de l'Arsenal : cette forme est
donc bien établie pour les premières années de la littérature anglo-
française. On la retrouve aussi dans le manuscrit A du Saint Alexis
(74 c) ; au vers 284 du Saint Gilles.
Mais à cette dernière époque, cette forme a dû commencer à être
quelque peu archaïque, car à partir de 1160 c'est la forme lais que
nous rencontrons à peu près partout, comme dans les Légendes de
Marie (VIII, 213); dans les Quatre Livres des Rois (I, 14, 19);
au vers 339 de la Vie de Saint Gilles; au vers 641 du Donnei.
Evidemment, la diphtongue ai fait place à la diphtongue ei (rare-
ment) surtout à la voyelle e. Cette forme lais avec s et sans c muet
ne peut provenir que du verbe laisser après la chute de la voyelle
étymologique.
B. Impératif des 11% III'' et IV^ conjugaisons.
Nous avons déjà étudié un des phénomènes les plus importants
que nous ayons à signaler, lorsque nous avons énuméré les formes
qui nous montrent l'action du subjonctif sur la désinence de l'im-
pératif, spécialement dans les phrases négatives. Cependant, il y a
d'autres points que nous ne pouvons pas ne pas mentionner; les
irrégularités qui se relèvent à ce temps, et particulièrement à la
seconde personne du singulier sont relativement nombreuses et nous
pouvons les classer sous quatre chefs :
I . La dentale ;
24
370 L EVOLUTION DU VERBE EK ANGLO-ERANÇAIS
2. Lcr;
4. LV.
I . La dentale.
(i) Consonnes paragogiques.
La dentale paragogique de l'iniinitif n'apparaît pas à l'impératif;
les exemples ne sont pas extrêmement nombreux, mais on peut citer
/()/ qui se lit dans le Psautier de Cambridge (38, 12, etc.); dejrcin
(ibid., 37, 6); peis (ibid.,27, ^0)5 ciiustrein, /'é-p///; (dereponere), et
plusieurs autres. Nous pouvons ajouter rt^/m de raembre; ces formes
se conservent très exactement, autant que le petit nombre d'exemples
nous permet d'en juger.
IJ) Chute de la dentale étymologique.
Les verbes dont le thème est régulièrement terminé par une den-
tale perdent très souvent cette dentale à l'impératif (cf. Meyer-
Lûbkc, II, 151). Il est possible que la chute de la dentale soit un
phénomène analogue à ceux dont nous avons déjà parlé à propos de
la troisième personne du singulier ; plus vraisemblablement, étant
donné la date à laquelle nous l'observons ici, ces verbes ont subi
l'influence des verbes à dentale paragogique dont nous venons de
parler. Cette chute de la dentale à l'impératif peut remonter en eff"et
au xii" siècle quoique les exemples que nous rencontrons à cette
époque soient assez peu nombreux; dans les Psautiers' nous ne
relevons que /)/'f;/ qui devient désormais la forme régulière, et qu'on
retrouve partout par la suite. Auxiii^ siècle, cette irrégularité se géné-
ralise quelque peu, et les exemples deviennent plus nombreux ;
malheureusement pour cette chute de la dentale étymologique nous
n'avons relevé qu'un tout petit nombre d'exemples employés à la
rime.
Les Dialogues Grégoire le Grand cependant nous en oflrcnt deux :
rcspon (: raison)au folio 38 v° bet dcfen (: t'en) au folio 147 v°a. Par
conséquent, même si on ne tient pas grand compte des exemples
isolés des Psautiers, la dentale étymologique a commencé à dispa-
raître au plus tard au commencement du xiii'' siècle.
I. Oxford, 34, 2 ; Cambridge, 34, 2 ; ^4, 3.
L IMPÉRATIF 371
Par la suite nous relevons des exemples assez nombreux; mais
aucun n'est à la rime, ce qui leur enlève beaucoup de leur valeur.
Citons : enten au vers 650 de la Vie de Saint Grégoire, et dans
Saint Auban au vers 417 ; ren dans les Dialogues au folio 147 v° a;
pren au vers 67 du Saint Laurent, etc.
Le xiv^ siècle pourrait nous offrir encore un certain nombre
d'exemples analogues, qu'il est assez peu utile de citer, d'autant plus
que nous ne pouvons pas le plus souvent affirmer qu'ils appar-
tiennent au xiv^ siècle.
2 . Lq c.
Pendant le xii^ siècle et le commencement du xiii^ surtout, mais
aussi plus tard, il n'est pas rare de voir le 0^ ou le c qui s'ajoute
comme nous l'avons vu à la première personne du singulier du pré-
sent de l'indicatif, passer à la deuxième personne du singulier de
l'impératif. Nous avons eu à déterminer quels sont les thèmes ver-
baux qui à l'indicatif prennent cette lettre; à l'impératif comme à
l'autre temps, ce sont les thèmes en n qui se rencontrent le plus
souvent avec la palatale. Par exemple iienc ou tieng est commun :
nous trouvons cette forme dans le Psautier d'Oxford (26, 20); plu-
sieurs fois dans les Dialogues Grégoire le Grand (aux folios 100 v°
a; 105 r°b); au vers 456 du Saint Auban. Prendre est encore plus
commun sous cette forme; citons le vers 3094 de la Vie de Saint
Gilles, les folios 23 r°, 89 v°, 113 v" des Evangiles des Dompnées;
dans l'Apocalypse, version 3> le vers 527, etc., etc.
D'autres verbes se rencontrent, quoique moins fréquemment et
moins régulièrement; nous relevons par exemple dans les Dialogues
Grégoire le Grand, où de telles formes ne sont pas rares, assène au
folio 80 v° a, demanc au folio 91 r° a.
3. Us.
Vs n'est régulière à la deuxième personne de l'impératif que pour
un certain nombre de verbes, les verbes en sco, et en particulier les
inchoatifs; ce sont par conséquent les mêmes verbes qui prennent
s à la première personne du singulier et si à la troisième du présent
de l'indicatif. Les exemples que nous fournissent les verbes en sco
ne sont pas extrêmement nombreux ; ils sont tous parfaitement
réguliers.
1.
î-'' L'ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS
L'anglo-français a marqué une certaine hésitation en ce qui con-
cerne les verbes dont le thème est terminé par une palatale; et
nous pouvons rappeler ici ce que nous avons eu l'occasion de dire
pour cette même classe de verbes à la première et à la troisième
personne du singulier. Ce que nous montre l'impératif ne peut que
confirmer les observations que nous avait suggérées le présent de
l'indicatif.
En un mot, certains verbes à palatale prennent quelquefois s à
la seconde personne du singulier; le plus grand nombre ne la prend
jamais.
Nous pouvons commencer la rapide revue que nous allons faire
de ces verbes par bénir qui est un peu dans une situation à part. L'^
qu'il présente souvent à l'impératif a pu sembler aux auteurs anglo-
français faire partie intégrante de son thème.
Comme l'ajustement fait remarquer M. Koschwitz, les différentes
formes qu'on peut relever doivent être rapportées à un double infi-
nitif : benedir et benedistre. L'impératif correspondant à la seconde
forme de l'infinitif est hencdi, analogue au simple di; celui de la pre-
mière est beneis et est la forme la plus commune; on la trouve par
exemple dans le Psautier d'Oxford (27, 12); dans le Psautier de
Cambridge (64, 11).
Pour tous les autres verbes à gutturale, Vs n'est pas régulièrement
employée. Il y a toutefois quelques impératifs d'où elle est rare-
ment absente, par exemple celui du verbe taire; la forme te, quoique
étymologique, est isolée ; nous ne l'avons trouvée qu'à la fin du
xiv^ siècle, dans Nicolas Trivet (70 r") ; elle est cependant aussi
correcte que /a/ de faire, di de dire, siii de suivre (Brandan, 1599;
sieu, Quatre Livres des Rois, IV, 9, 8; Psautier d'Oxford, 33, i4,etc).
Malheureusement, les formes que nous donne Nicolas Trivet n'ont
pas grande valeur ; nous dirons même que la forme en apparence
étymologique te que nous avons citée nous semble n'être qu'un suc-
cédané de la forme incorrecte, mais ordinaire, tais : cette dernière se
rencontre fréquemment, par exemple dans les Distiques de Caton
d'Elie de Winchester (au vers 170); dans Adgar (VIII, 206); dans
Saint Gilles (2775); dans les Quatre Livres des Rois (II, 13, 20);
dans les Dialogues Saint Grégoire (: frais) (106 r° a); dans la Vie
Saint Grégoire, taes (: Moyses)(22éo); tes dans Foulques Fitz Warin
(31). Et la date très tardive de te ne saurait nous laisser la moindre
illusion.
L IMPERATIF 373
Il en est exactement de même de gis = jace ; la forme sans s serait
seule ét3^mologique et elle n'existe pas, tandis que l'on peut trouver
quelques exemples de l'autre quoique assez rarement, comme dans
Robert de Gretham (112 r°).
Du reste tous les autres verbes qui ont leur thème terminé par
une palatale ont une certaine tendance à prendre une s à la
deuxième personne du singulier de l'impératif : même dire et faire,
dont on trouve tant d'exemples avec la forme asigmatique J/ et/a/',
se rencontrent parfois sous la forme avec s : dis se trouve dans la Folie
Tristan (297); dans les Quatre Livres des Rois (I, 20, 6) ; et peut-
être ailleurs. On trouve /rt:^ dans le Drame d'Adam (au vers 311);
dans Pierre de Langtoft (II, 66, 19); mais ces deux formes sont
beaucoup moins communes que les formes sans s.
On trouve aussi à citer un certain nombre de verbes dont les
thèmes sont terminés par une autre lettre qu'une palatale, avec un
s à la deuxième personne du singulier de l'impératif.
C'est donc une irrégularité du même genre, quoique moins facile-
ment explicable, que l'on trouve dans o:^. Bestiaire (935 et 960);
suceurs. Psautier d'Oxford (G, 20) ; dcsfens. Vie de Sainte Margue-
rite (78) ; t'j-c/7:^dans l'Apocalypse (3 et 7, 75) (on trouve aussi dans
le même ouvrage escri, x, 123, escrif,^, 70).
Toutes les formes précédentes sont du reste sporadiqueset n'ont
certainement pas l'importance de tais, gis, dis et fas.
4. IJe.
Un certain nombre de verbes à thème vocalique ou consonan-
tique prennent à la deuxième personne du singulier de leur impé-
ratif un e que rien ne justifie.
Ici encore nous pouvons rappeler les faits que nous avons signa-
lés dans notre étude de la première personne du singulier. Les
premiers exemples de cet e irrégulier remontent très haut, puisqu'ils
se rencontrent dans le Psautier d'Arundel. On y lit en effet pour
le verbe ouïr: oie (19, 10); exoic (25, 12); la forme régulière est du
I. On trouve fai, Bestiaire 2181 ; Alexis (A) 54 e; Psautiers d'Oxford 3, 6;
de Cambridge 3, 7; d'Arundcl 6, 4; Adgar IX, 165 ; Quatre Livres des Rois I,
29,4; Fa, Pierre de Langtoft II, 70, 5 ; II, 138, 17; II, 202, 6. Di, Bestiaire
853 ; Psautier d'Oxford 34, 3 ; Adgar VIII, 217 ; Boevc 57.
574 L EVOLUTfOM DU VKRBR EN ANGLO-FRANÇAIS
reste employée concurremment avec celle-ci, on la trouve même
plusieurs fois (i6, i). Ce même phénomène se produit dans le
même ouvrage pour plusieurs verbes à dentale appuyée comme perde
(27, 3) Ci rende (17, 6).
Aucun autre ouvrage ne nous donne un nombre aussi consi-
dérable de formes présentant cette irrégularité. Cependant au
xiv^ siècle et peut-être même au xiii% un verbe, le verbe dire,
prend presque constamment un e à cette personne. Die se trouve
pour la première fois dans le poème de Boeve de Haumtone (au
vers 2iéi) ; si elle appartient au scribe, cette forme date du
xiv^ siècle, comme celle qu'on peut relever au fol. 65 r° des Heures
de la Vierge, dans Pierre de Langtoft (I, 242, 2), et dans un assez
grand nombre d'autres passages.
II. Le radical de l'lmpératif.
Le radical de l'impératif a été soumis à un certain nombre d'in-
fluences qui se sont exercées surtout à partir du commencement du
XIII' siècle. Ces influences proviennent des deux modes entre
lesquels l'impératif se trouve placé : l'indicatif et le subjonctif.
a) Influence de Vindicatif.
Cette influence de l'indicatif n'a pas pu être considérable, puisque
la plupart des impératifs ont le même radical que le présent de
l'indicatif ; elle n'a pu se produire que pour les quelques verbes,
que nous avons déjà énumérées, qui empruntent leur forme au sub-
jonctif.
La seule forme qui nous montre cette influence c'est l'impé-
ratif save:(_, sorte d'à^aç qu'on lit au vers 252 du Josaphat de
Chardri.
b) Influence du subjonctif.
Les subjonctifs en iam ont exercé une influence considérable
sur l'impératif, et cette influence, sans parler de celle qui nous a
donné l'impératif des cinq verbes, avoir, être, savoir, vouloir et
pouvoir, s'est manifestée de deux manières : 1° par la mouillure
de la consonne du radical ; 2° par l'addition du suffixe ge. Remar-
quons que ces deux phénomènes se sont produits peut-être dans
l'impératif 375
l'ordre inverse de celui dans lequel nous les énonçons ; mais le pre-
mier a été beaucoup plus important que l'autre.
Nous rencontrons cependant, dans les poèmes du xii" siècle,
quelques cas de mouillure, mais ils doivent être rejetés jusqu'au
xiii% comme le cniiveigik'-, employé au vers 1748 du Tristan de
Thomas, et le ;v/"/v/>;/ qu'on lit au vers 309 de la \"ie de Saint
Gilles. Cependant, à cause de l'importance de ce phénomène,
à cause aussi des deux exemples que nous venons de citer et
dont la date n'est pas assurée, nous commencerons par la mouillure
irrégulière.
Cependant nous ne relevons un nombre assez considérable
d'exemples, à l'exception de ceux qui précèdent, que vers la fin du
xiii^ siècle au plus tôt. Car c'est à cette date que nous trouvons à
citer le souvignc de William de Waddington, au vers 2727 du
manuscrit A du Manuel des Péchés ; mais, même en rapportant
cette dernière forme à la fin du xiir' siècle, c'est surtout au siècle
suivant que les exemples d'impératifs avec une consonne mouillée
deviennent communs. Nous en allons citer quelques cas, en les
empruntant à trois verbes qui ne connaissent pas à cette époque
d'autre torme de l'impératif. Prciguc e.«.t d'un emploi très fréquent;
on le trouve par exemple dans Pierre de Langtoft (II, 70, 8); dans
le Poème du Prince Xoir (auK vers loii, 3 240) et même dans les
textes non littéraires, comme les Rvmer's Foedera, les Literae Can-
tuarienses, et assez souvent dans les Year Books (ci. par exemple 13
et 14 Edw. III, p. 39, ms. Y et pnssiiii).
Venir et tenir ne sont pas plus rares à l'impératif sous cette
forme ; citons par exemple ritc\g)h\ qui se trouve dans Pierre de
Langtott (II, 138. 18 et dans plusieurs autres endroits); veig}if\,
répété plusieurs fois dans le Prince Noir (comme aux vers 2162,
3626).
C'est probablement pendant le xiii'' siècle que l'adjonction du suf-
fixe gi' peut se remarquer le plus souvent à l'impératif. On trouve
cependant des exemples assurés de ce phénomène même au siècle
précédent, comme viciig^ au vers 2864 de l'Estorie des Engleis ou
SNvioige d3.ns les Légendes de Marie d'Adgar (XXVIII, 177) ; dans
ces deux exemples la mesure du vers nous montre que l'impératif
compte une syllabe de plus que n'en a sa forme correcte. Même
il est possible qu'il y ait eu à cette époque plus de cas d'addition du
i7^ 1/ ÉVOLUTION DU VKRBR KN ANGI.O-PRANÇAIS
suffixe ^t' que nous n'en voyons, car, pour les deux personnes du
pluriel, ni la rime, ni la mesure du vers ne peut nous assurer de sa
présence. Nous ne pouvons pas avoir de doute pour le xiii^ siècle
les formes de l'impératif en i[e appartiennent bien à cette période.
Souvenir continue à prendre cette désinence, comme au vers 611
d'Edward le Confesseur, au vers 59 du Poème allégorique ; de
même tenir, comme il est naturel, ne diffère pas de venir ; on peut
voir tienge~ au vers 61 du poème que nous venons de citer. Nous
n'allongerons pas cette liste d'exemples. Il nous suffira de dire qu'au
xiii^ siècle, ces verbes sont très fréquemment employés à l'impéra-
tif avec le suffixe ge du subjonctif.
Nous pouvons ajouter encore un certain nombre d'exemples,
qui cependant n'ont ni l'importance ni la généralité de ceux qui
précèdent. Prendre, comme tenir et venir, nous montre assez sou-
vent le suffixe, surtout au xiii' siècle ; parmi les cas de prenge que
nous avons relevés, citons celui qu'on lit dans Boeve de Haumtone
(au vers 3004); celui du poème d'Edward le Confesseur (au vers
610).
Nous dirons encore un mot du verbe aller. On pourra trouver
extraordinaire que nous ayons attendu à être rendu aux impératifs
des verbes des trois dernières conjugaisons pour mentionner les
formes qui suivent. Mais aller a un subjonctif qui appartient aux
subjonctifs en iain et c'est à l'influence de ce subjonctif que nous
rapportons les formes de l'impératif qu'il nous reste à citer. On
trouve à celui-ci le suffixe ge, surtout au pluriel, comme dans
aitgei qu'on lit dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1037); il est
plus rare de le trouver au singulier; citons cependant la forme
assez extraordinaire vaiiges, due aussi à Frère Angier (cf. Vie de Saint
Grégoire, vers 840).
De cette double influence du subjonctif sur l'impératif, nous
placerions l'introduction du suffixe ge au xii^ et au xiii' siècle et
celle de la consonne mouillée au siècle suivant. Les textes et les
exemples que nous avons cités ne nous donnent pas entièrement
raison au point de vue des dates; mais: i" le nombre de ces deux
formes est bien plus considérable pour chacune d'elles aux époques
respectives que nous venons de leur assigner ; 2° les mêmes phé-
nomènes se sont produits dans cet ordre à l'indicatif;
Telles sont les déviations des types normaux que nous avons
I. IMPERATIF 377
relevées à l'impératif; elles sont nombreuses, quelques-unes ont
une grande importance ; aucune n'est véritablement très générale ;
c'est plutôt une série de modifications affectant un verbe particulier
ou un petit nombre de verbes se rattachant à un même type, que
de larges changements généraux.
Cependant, ici encore, il ne nous semble pas que l'anglo-fran-
çais soit allé pour ainsi dire au hasard ; les principales modifica-
tions subies par le mode impératif ont entre elles un certain lien,
sinon toutes, au moins quelques-unes. Nous ne reparlerons pas ici
des modifications qui sont communes à toutes les parties du verbe,,
comme la chute de Ve muet final, ou de la dentale. Les autres nous
montrent, semble-t-il, que l'impératif a été en quelque sorte pris
entre deux modes à la fois plus importants, plus employés et plus
« individuels » que lui : l'indicatif et le subjonctif. L'addition d'une
gutturale, c ou k ou g et peut-être l'addition de 5 à la seconde per-
sonne du singulier nous montrent comment le présent de l'indicatif
a agi sur lui; l'addition du suffixe ^^ au xii*- siècle, la mouillure de la
consonne du radical, toutes les fois que cette mouillure a été possible,
au xiv^, sont des preuves de l'influence du subjonctif. Et il nous
semble absolument certain que cette dernière influence, au moins
après 1200, a été de beaucoup la plus forte.
CHAPITRE IV
L'INFINITIF
Aucun mode, comme on le sait, ne soulève autant de questions
que l'infinitif; quoique, étymologiquement, les formes de ce mode
aux quatre conjugaisons soient très distinctes et très peu variées, l'an-
glo-français a apporté plus de confusion à ces formes qu'aux modes
ou aux temps les plus compliqués. Certaines de ces modifications
sont devenues si usuelles qu'elles ont été considérées, souvent à tort,
comme les caractéristiques du dialecte lui-même. Et sur plusieurs
points la lumière n'a pas encore été faite complètement.
Nous diviserons notre étude en deux parties : la première, la plus
courte et la moins importante, étudiera les questions générales indé-
pendantes des conjugaisons : la question de Ve final ; celle de ïs
final. La seconde comprendra les études sur les quatre conjugaisons
et se divisera pour chacune d'elles en deux parties : les formes et les
acquisitions.
A. Remarques générales sur la terminaison des infinitifs.
I. Addition ou chute d'un e atone.
I. Les infinitifs de I, de II et de III se présentent souvent en
anglo-français avec leur r final suivi d'un e atone non étymologique.
Les exemples sont nombreux pour les infinitifs en er ; la langue
littéraire, il est vrai, ne nous offre qu'un très petit nombre d'exemples
de ce phénomène et ils datent tous du xiv^ siècle ; estere qu'on lit
dans la Genèse (fol. 70 r°) doit probablement être attribué au scribe,
L INFINITIF 379
comme abaund unere âu vers 5 60 des Distiques de Citon (anonyme).
On trouve aussi pensere dans les Contes de Nicole Bozon (22, n° 4),
et dans la Chronique de Nicolas Trivet : estudiere (au fol. 7 v°).
Seuls les ouvrages littéraires peuvent nous renseigner sur la
nature de cet e ; malheureusement les rimes qui pourraient nous la
faire connaître sont plus que rares. Nous n'en avons relevé qu'une,
très tardive évidemment, comme le phénomène lui-même : aver qui
rime avec prière au fol. 93 r° des Vies de Saints de Nicole Bozon .
Quoique Ve ne soit pas écrit à cet infinitif, on peut admettre qu'il
aurait dû l'être et qu'il n'a pas été simplement graphique dans
cet exemple. Et il n'y a aucune raison pour penser qu'il en va
différemment pour les autres cas que nous avons cités.
C'est dans les ouvrages non littéraires que cette addition a été
faite le plus fréquemment ; les Statutes la font quelquefois à partir
du 2^ quart du xiv'' siècle, par exemple dans delivere (1326, I,
254), sopere (1335, I, 279) ', appartenere (1377, II, 5), estere (1392,
II, 84) ; les cas où cet e est ajouté sont plus nombreux dans les
Rymer's Foedera; nous n'en citerons que quelques-uns : le plus
ancien se rencontre à la fin du xiii^ siècle : recuvere (recouvrer) {1268,
I, 848) ; on trouve encore au commencement du xiv« siècle prière
(13 18, III, J24) ; demandere {i^^i, IV, 93); et plus tard reclamere,
destourbere, eidere.
Comme ce qui arrive pour les infinitifs en ier, il y a certains
recueils qui semblent montrer pour cette terminaison une
prédilection particulière ; ici, c'est le Registrum Palatinum Dunel-
mense et surtout le Liber Albus ; dans ce dernier ouvrage, nous
trouvons, à l'année 1334, carkere, descarkere, herbergere, esploitere
(p. /\i8)); marchandere (^i<))\ menere, enjoiere, avère, etc. (p. 420).
Le nombre des formes analogues qu'on peut relever dans les
Year Books est considérable : on en trouve dans les premiers de
ces recueils comme enjettere (21 Edw. I", 193), et quelques autres :
mais il nous est impossible de dater les exemples que nous y trou-
vons. Qu'elles aient été communes au commencement du xiv^
siècle, nous en avons une preuve dans les exemples qui se ren-
contrent dans le ms. Y de 3 Edw. II ; il donne estere (p. 72) ; ave-
rere, usere ; mais l'emploi de cet e ne devient vraiment général que
I. Cet infinitif se. trouve employé après des formes régulières :a disner, manger,
ne sopere.
380 l'évolution du verbe ex anglo-français
dans les Year Books d'une date plus tardive : par exemple, dans 14
Edw. III, 16 Edw. III, 17 et 18 Edw. III. Cet e se trouve surtout
employé, semble-t-il, avec certains infinitifs, comme ^/t'^'/r (3 Edw.
II, 130), chère {-^o Edw. I", 525).
Les verbes de II et de III qui ont conservé leur désinence régu-
lière sont aussi affectés, quoique à un moindre degré ; les oeuvres
littéraires elles-mêmes nous fournissent un certain nombre
d'exemples, comme les Vies de Saints de Bozon où nous trouvons
cette rime: eiisevclire (: martyre) (105 r°), la seule que nous ayons
rencontrée et que nous considérons comme très importante, et la
Chronique de Nicolas Trivet qui a beisire (50 r°).
Les Statutes ont un nombre plus considérable de cas analogues :
soeffrire (1340, I, 299), obeire{^ ^82, II, 26), establire (1399, II,
1 1 1) et dans les Parliamentary Writs acomplireÇi^ 14, II, 4 27). Nous
ne citerons pas tous les exemples que nous fournissent les autres
recueils ; ils ne sont pas très nombreux et sont très tardifs, dans les
Rymer's Foedera : servire (1392, VI, 732); ils sont très communs
dans le Liber Albus : lenire, rccevire, porrire, ocomplire (1334, 419
sqq.). Il en est de même pour la langue légale ; mais les infinitifs
en ir y sont assez peu nombreux et par conséquent la terminaison
zV^est rare.
Les dernières lignes que nous venons d'écrire sur les verbes de
II s'appliquent aussi bien aux verbes de III. Cependant, il faut
remarquer que ces derniers nous offrent des exemples plus anciens
et peut-être plus sûrs ; dans la langue littéraire William de Wad-
dington emploie souvent la forme veire (cf. par exemple 29,
2367) et ce même verbe se retrouve encore dans les auteurs pos-
térieurs : Foulques Fitz Warin (pp. 28, 29) ; dans les Contes de
Nicole Bozon (§§ 19, 23); et à la rime dans le Prince Noir voire
(: croire) (185); les autres verbes de III se trouvent rarement ou
ne se trouvent pas sous cette forme dans la langue littéraire. Il y a
cependant des exceptions : le scribe qui a écrit le ms. A du Manuel
des Péchés semble avoir un goût marqué pour les infinitifs de III
allongés d'un e atone .
Les autres catégories de textes anglo-français, tout en présentant
souvent la forme veire^ ne limitent pas à ce verbe de III l'addition
d'un e muet ; nous trouvons par exemple dans les Statutes : avoire
(1340, I, 295, 297), puri'oire {i}6/[, I, 347); dans les Early Sta-
l'infinitii 381
tûtes of Ireland, savoitc (1324, 304) et quelques autres; le dernier
exemple que nous avons cité se rencontre encore dans Rymer
(1279, II, 133), dans le Liber Albus, etc. Pour les raisons que
nous signalerons plus tard, ces formes sont rares dans les Year
Books ; citons seulement : f/;t7/r (33 et 35 Ed\v. L% 507).
2. Le phénomène opposé à celui que nous venons d'exposer
se remarque dans les verbes de IV. Il arrive assez fréquemment
aux infinitifs de cette classe de perdre Ve étymologique final. Les
formes qui suivent appartiennent toujours au xiv*^ siècle; nous en
trouvons quelques exemples dans les œuvres littéraires ; dans
Pierre de Langtoft nous lisons par exemple fer (= taire) (I, 64,
19; I, 112, 8), forme très commune au xiv^ siècle et qu'on
retrouve aux §§ 49 et 80 des Contes de Nicole Bozon; une forme
équivalente, fair, avec la diphtongue, est employée par Nicolas
Trivet au folio 29, et dans un petit nombre d'autres cas. Parmi
les autres verbes de IV subissant la même diminution, nous pou-
vons citer ijuer dans Pierre de Langtoft (I, 212, 4 ; II, 88, 20).
Quoique la plupart de ces formes se rencontrent dans des ouvrages
en vers, nous ne sommes jamais sûrs que Ve atone qui n'est pas
écrit, ne compte pas dans la mesure du vers. Une forme analogue
nous est attestée par une rime de Nicole Bozon, qui, au vers 248
de la Vie de Saint Paul l'Ermite, fait rimer dir avec ensevelir.
Les deux wevhes fair et quer se rencontrent aussi sous cette forme
à plusieurs reprises dans les Statutes (1351, I, 327; 1396, II, 93;
1369, I, 391; 1377, II, 2, etc.) et très fréquemment dans Rymer
(1333, IV, 564; 1324, IV, 90) et passim dans les Literae Cantua-
rienses. Ajoutons maintenant quelques autres verbes moins com-
muns : «///-dans les Statutes (1350, I, 318); et dans les Parlia-
mentary Writs (1324, II, 696); creir dans Rymer (1297, II, 771);
eslr (id., 13 17, III, 668) ; condtiir, deslruir, etc.
On pourrait peut-être ajouter ici suir qui est extrêmement com-
mun aussi bien dans la langue légale que dans la langue politique,
mais nous en donnerons des exemples lorsque nous parlerons des
acquisitions de la seconde conjugaison. Les Year Books pourraient
nous fournir plusieurs cas de cette chute de la muette : nous nous
contenterons de citer : fair (2 et 3 Edw. II, 90, 93 etc.) ei fer
(ibid., 104); eslyr (14 Edv. III, 55), destruir (ibid., loi) ; mais
sauf /a/r, tous les exemples que nous avons sont très tardifs, et
par conséquent douteux.
382 L^ÉVOLUTIOK DU VERBE EN AKGLO-FRANÇAIS
II. Addition de s.
On trouve dans la langue politique et diplomatique et plus
rarement dans la langue littéraire quelques formes qui peuvent
sembler curieuses^ sinon barbares ; il arrive quelquefois que cer-
tains infinitifs, spécialement des infinitifs de I, sont employés avec
l's du pluriel : par exemple doners, faits, graunîers dans les Sta-
tutes (1399, II, 113) ; paiers dans le même recueil (1399, II
iio); engendreres (id., 1397, II, 99), deux fois; levers (id., 1397,
II, 109); dans les Rymer's Foedera : paiers (1354, II, 812 ; 1390,
VII, 677) ; faires (1384, VII, 422) ; venirs (1388, VII, 588) ; et
peut-être quelques autres cas qui ont pu nous échapper.
Ces formes sont moins barbares qu'on pourrait le supposer ;
elles sont toujours jointes à un substantif pluriel par la préposition
à et jouent le rôle d'un adjectif {d. le français moderne : affaires,
avenirs).
Par exemple : Cent Marks a paiers (ou appaiers) au Roy.
Dans la langue littéraire, nous n'avons relevé que peu d'exemples
de ce phénomène ; la Destruction de Rome nous donne : conien-
cerz^y tresbucherx_(j']-^, 775).
Ces deux infinitifs seuls sont précédés de la préposition À ; on
en rencontre plusieurs autres qui ne le sont pas, comme voler^,
diireri,ciihri (75e, 774, 776, 777).
Il est probable que ce :^ provient du scribe anglais, habitué peut-
être aux formes de la langue politique.
Quant aux ouvrages légaux, ils ne présentent aucun infinitif
avec s.
B. Études particulières.
Les formes.
Les infinitifs de la première conjugaison sont régulièrement ter-
minés par er ; on trouve la désinence ier lorsque le thème du
verbe est terminé par c, ch, j, «, /, et encore par /, d, r, s, :-, (d)r,
nt, ss, sin, sn, si quand la syllabe précédente contient un / (cf.
Suchier, Les voyelles toniques, 29 c, p. 84).
Ici encore, comme nous l'avons vu à la deuxième personne du
pluriel, dès les premiers temps* de l'anglo-français, la diphtongue ie
passe à la voyelle simple e. Pour les raisons mêmes que nous avons
l'infinitif 383
eu l'occasion d'exposer déjà, nous ne suivrons pas les détails de ce
passage dans nos auteurs'.
Cette question purement phonique ne nous regarde pas, nous
avons ici simplement à voir :
1° Jusqu'à quelle date la forme étymologique en ier a subsisté.
2" A partir de quelle date la désinence en ier, étymologique ou
non, reparaît dans les textes anglo-français.
Nous répondrons brièvement à la première question : on trouve
sporadiquement la forme en ier en anglo-français après 11 50. Une
des dernières formes, aussi assurées qu'elles peuvent l'être, que
nous rencontrions se lit au vers 21 19 de la Vie de Sainte Cathe-
rine, où tencier rime avec mestier.
Évidemment, il est possible que 1'/ ait disparu du nom aussi
bien que du verbe ; mais on ne voit pas pourquoi il aurait été
rétabli par le scribe.
Au XIII'' siècle, il disparaît complètement.
2. Vers la Hn du xiv^ siècle nous voyons se produire le phé-
nomène inverse : exactement ce qui a eu lieu pour la seconde per-
sonne du pluriel en ie^, mais ici le retour à la diphtongue est plus
fortement marqué.
L'/, qui avait totalement disparu des désinences ier dès le commen-
cement du XII' siècle, refait son apparition à la fin du XIV^ Nous
tenterons d'expliquer dans notre seconde partie comment s'est pro-
duit ce phénomène. Les exemples de cette nouvelle terminaison
ier ne sont pas rares dans la dernière partie du xiv-' siècle, même
dans les œuvres littéraires. Nous en trouvons quelques exemples
dans le Siège de Carlaverok, où l'on voit (p. ^/O ju^ier rimer avec
legier ; dans Foulques Fitz Warin arestier se lit à la page 99 ; le
ms. B del'Ipomédon (1350) nous donne (pour le vers 373) amas-
sier ; Nicolas Trivet nous en offre de son côté un nombre assez
I. Pour le passage de ie à e, on peut voir les ouvrages suivants: pour les dia-
lectes du continent : Koschwitz, Rom. Studien II, p. 56 ; Pèlerinage, p. 19 ; V. Ram-
beau, Die Assonanzen im Oxforder Roland, p. 147 ; Uhlemann, Grammatische
Studien uber Wace, p. 43 ; Ulbrich, Zeitschrift II, p. 529 ; Volmôller, Mûnchener
Brut, xxxij ; Warncke, Marie de France, xxix ; G. Paris, Romania IV, p. 122 ;
Theodor Pohl, Untersuchung der Reime in Wace's « Roman de Rou et des ducs
de Normandie », Romanische Forschungen II, p. 321 ; .^dolf Schmitt, Guil-
laume le Clerc de Normandie insbesondere seine Magdalenen Légende, Roma-
nische Studien IV, p. 495 ;H. Suchier, Zeitschrift fiir rom. Phil. I, p. 569.
384 l'évolution du VERnK EN ANGLO-1 RANÇAIS
considérable : Jotier (15 r°) ; dcmainuiier {i $ v"); csperier (18 r°) ;
gardicr (^i^ y"^, etc. On pourra remarquer qu'aucune de ces ter-
minaisons en ier, sauf pour jugier, n'entre dans les catégories de
terminaisons en ier que nous avons énoncées d'après M . Suchier ;
ce n'est donc pas un retour à l'usage ancien et correct.
Le scribe de la Destruction de Rome emploie cette désinence
très souvent : on trouve contier (au vers 83) ; encUnier (au vers 84),
ciesporticr (^)4) ; crollier (135), esgardier (136); gastier (142), etc.
D'une façon générale, tous les scribes de la seconde moitié du
xiV siècle emploient ier plus ou moins fréquemment et plus ou
moins régulièrement . Mais c'est surtout en dehors de la littérature,
dans l'anglo-français politique, diplomatique, familier et légal que
cette désinence devient fréquente. Dans tous les textes que nous
avons étudiés, on rencontre des infinitifs avec cette terminaison, et
dans certains d'entre eux leur nombre est considérable. Ils sont
communs dans les Statutes, les Parliamentary Writs, les Mem.
Pari, et les autres recueils de cette nature ; encore plus fréquents
dans les Traités de Rymer ; extrêmement nombreux dans les
Literae Cantuarienses. Nous allons donner aussi brièvement que
possible quelques détails sur ces infinitifs.
On trouve avec cette désinence des verbes des quatre conjugai-
sons ; les plus communs sont probablement et comme il est natu-
rel les verbes de I, mais ceux de II ne leur cèdent pas de beaucoup;
les verbes de III et de IV sont relativement rares.
a) VERBES DE I.
Dans les Statutes et dans les recueils semblables, les verbes
qui ne font que reprendre cette terminaison, par opposition à
ceux qui la prennent illégitimement, sont nombreux; on
trouve en effet dans les Statutes : chacier, pronuncier (1275, I,
31 et 35); mangier (i^^o, I, 262); comencier (1340, I, 283, 280);
serchier Çïd., ibid.) ; pronuncier (id., ibid.) ; enforcier (1391, I, 78),
pour n'en citer que quelques-uns ; on peut encore retrouver la plu-
part de ces verbes dans les autres recueils, chacier dans les Early
Statutes ofireland (1285, éo); serchier, ajcrcier dans les Parliamen-
tary Writs (1297, I, 393, et 1312, 2'' App., z|5) ; et on peut leur
ajouter r edrcr ier (id., ibid.).
L INFINITIF 385
Mais il faut remarquer que : 1° aucun de ces verbes ne se
trouve employé d'une manière sensiblement plus fréquente que
les autres ; 2° aucun de ces verbes ne se présente exclusivement
sous cette forme.
Les infinitifs de I pour lesquels cette terminaison n'est pas con-
forme à l'étvmologie sont un peu plus nombreux que les autres;
nous allons en donner quelques exemples en essayant surtout de
donner ceux qui sont communs aux différents textes de la langue
politique que nous avons mis à contribution. Arestier se trouve
dans les Statutes (I, 1275, 29) ; dans les Early Statutes of Ireland
(1285, 54); dans les Parliamentary Writs(i3i8, II, 172) ; gran-
lier est employé dans les Statutes (1383, II, 35) ; dans les Mem.
Pari. 1305 (§ 38). Nous allons, pour abréger quelque peu notre
énumération, nous contenter de citer les verbes qui prennent cette
désinence sans donner de référence; dans les Statutes on relève:
contier, destorbîer, mostrier, ostier, occnpier, deposier, rentier ; dans les
Parliamentary Writs : desportier, exaniinier, hastier, remembrier, demo-
rier ; dans les Mem. Pari. 1305 : chauntier,arentier.
Les deux observations que nous avons faites à propos des
verbes pour lesquels la terminaison ier était étymologique s'ap-
pliquent encore ici.
Si l'on prend ensemble les deux classes des verbes de I avec cette
terminaison, on trouve que les Statutes présentent plus d'une
vingtaine de formes; les Parliamentar}' Writs une dizaine ; les
Mem. Pari, environ la moitié moins. Au point de vue des dates, il
est à peu près impossible de se rendre un compte exact de l'époque
à laquelle ces terminaisons ont été le plus employées; dans les
Statutes, on en trouve déjà six dans un seul texte de l'année 1275 i
après cette date, nous n'en trouverons jamais un nombre aussi
considérable pour une seule année, mais l'époque à laquelle nous
pouvons après celle-ci relever un plus grand nombre de cas est la
dernière décade du xiV' siècle.
Dans les Rymer's Foedera, le nombre de ces terminaisons est un
peu plus considérable encore ; on peut aussi remarquer que le
rapport entre les deux classes que nous avons distinguées plus
haut (étymologiques et non étymologiques) est changé en faveur
de la seconde. Comme formes qui reviennent à leur terminaison
primitive, on peut citer : adoniagicr (1338, V, 54) ; pourchacier
25
3 86 l'évolution du vekbi- ex akglo-i-kançals
(1339, V, 1 1 4); prou iincier {i^j{j, V, 764) ;tnnrlier{i}^S, \\6^6);
efforcicr {i})S, VI, 97);jiigier (1367, VI, 563) ; appaisicr, commen-
cier, adrechicr Cl peut-être quelques autres encore.
Les exemples qui nous montrent la terminaison ier affectant des
verbes de I qui n'ont pas étymologiquement cette désinence,
sont très fréquents. Quelques-uns se trouvent répétés plusieurs fois,
comme iiiiisirier (1294, II, 620; 1309, III. 152 ; 1330, IV, 450) ;
granlier {\ 1,20, III, 809 ; 1326, IV, 205 ; 1366, VI, 540). Enumé-
rons maintenant quelques-uns des autres verbes que nous avons
relevés : gardier, jnrier. al ier, toitniicr, osticr, occupier, par lier, execu-
tier, durier.
Dans Rymer, il n'y a que très peu d'exemples qui remontent à
la fin du xiii' siècle ; la plupart de ceux que nous avons relevés se
trouvent également distribués ou presque, dans le courant du
xiv^ siècle, sans qu'il soit possible d'établir avec précision à quel
moment ils se trouvent en plus grand nombre ; nous avons eu
l'impression que c'est la quatrième décade de ce siècle (1330-40)
qui nous a donné la plus riche moisson ; mais cela peut n'être
qu'un hasard.
Cependant, cette impression est jusqu'à un certain point confir-
mée par l'étude des textes en langue familière : les Lettres de Jean
de Peckham, qui datent de la fin du xiii" et du commencement du
xiv^, ne nous en offrent qu'un nombre restreint : proniincier (1281,
149) ; de même les Lettres de Rois des Documents Inédits, de
la fin du xiv% n'en présentent que peu : presenticr, avansoier (Doc.
inéd. 1380, 219 ; 1372, r88).
Au contraire, les Literae Cantuarienses, et spécialement celles qui
portent des dates entre 1325 et 1335, nous en offrent un nombre
extraordinaire; nous avons par exemple pour l'année 1332 : pari ier,
iiiaimdier, gardier, ministrier, achat ier, esploitier, enforlicr, coniandier,
salvier, pardonîer, pruvier. A Vannée 1333, en vingt lignes, nous
trouvons : recordier, donier, saiivier,parlier, ajfermier, portier ; pen-
dant ces dix ans la terminaison simple er disparait presque com-
plètement. Il ne semble donc pas impossible de conclure que
l'usage de la terminaison ier que l'on trouve dans tous les
ouvrages non littéraires anglo-français jusqu'à la fin du xiV siècle
a certainement commencé au plus tard avec le quatrième quart du
xiii*^ siècle et qu'il est arrivé à son maximum entre les années
1325 et 1335.
l'infinith- 387
Nous ne pouvons évidemment pas donner de date aussi précise
pour les infinitifs en ier que nous rencontrons dans les Year Books ;
cependant nous n'en avons relevé aucun exemple dans les tout pre-
miers recueils ; c'est dans 33 et 35 Edw. P'' (c'est-à-dire 1305-7)
que nous trouvons cette forme pour la première fois : legitiiiiier
(p. 577) et elle esta peu près isolée. Dans i et 2 Edv. Il, nous
■àvons accepticr (pp. 69 et 85); puis dans 2 et 3 Edw. II : oustier,
bustier (pp. 51, 158) ; dans 3 Edw. II : deschar gier, ostier, qui sont
assurés par Y (pp. 60, 62). On continue à en trouver dans les
recueils subséquents jusqu'à 17 et 18 Edw. III ; mais ces termi-
naisons sont peu nombreuses, et nous ne pouvons guère préciser
avec quelque certitude l'époque à laquelle elles ont été le plus com-
munément employées : nous savons seulement qu'elles ont existé
au commencement du xiV-' siècle et qu'elles ont continué, plus ou
moins sporadiquement, jusqu'à la fin de ce siècle; mais il est pro-
bable que les scribes ont dû en hire disparaître un grand
nombre.
L'étude de la terminaison ier dans les verbes de II, de III et de
IV appartient plus naturellement aux chapitres qui vont suivre ;
nous allons cependant en dire un mot maintenant, puisque, après
tout, en prenant cette terminaison ces verbes se sont joints aux
verbes de I; du reste, ce que nous allons dire ne pourra que confir-
mer les conclusions auxquelles nous a menés l'étude précédente.
Dans quelques ouvrages du xiii^ siècle, mais fort rarement, spé-
cialement pendant la seconde moitié du xiv% nous trouvons un
assez grand nombre d'infinitifs de II qui sont employés avec la ter-
minaison ier ; il est impossible de donner pour les exemples qui se
trouvent dans les oeuvres littéraires une date, même approximative,
de ce changement, car d'abord ces infinitifs sont rarement employés
à la rime, et quand ils le sont, ils se trouvent le plus souvent
accouplés avec la désinence en er. Pour les textes littéraires, le plus
sage serait de reculer la date de ce phénomène jusqu'au milieu du
xiv^ siècle. Cependant nous en trouvons un certain nombre
d'exemples avant cette date, comme escharuiei à la rime du vers
2587 de Boeve (ms. B, milieu du xiV^ siècle); loiier dans Wil.
Rishanger, -^t,^ ; faillie r cl servier sont tous les deux donnés par le
ms. A de l'Ipomédon (vers 260, 297) et on en trouve quelques
autres qui appartiennent à de mauvais textes de laiîii du xiii' siècle
388 l'évolution du vhrbe en anglo-frakçals
ou qui peuvent provenir des scribes du siècle suivant. Au connnen-
cenient du xiv"-' les formes en ier pour //' restent rares; citons dans
la Vie de Sainte Marguerite plcisier qui rime avec demorer au vers
71 et l'interrime mcintenier : couvenier aux vers 52-53 du Siège de
Carlaverok. Ce n'est que vers 1370 que les exemples deviennent
vraiment communs, par exemple dans la Chronique de Nicolas
Trivet où on peut lire aannplier {^2^ r°); departier (12 r°); dorniier
(12 V); morier (28 V, 46 v") ; servier (50 r''); siiffrier (28 v°) ;
tcnier (7 v", 1 5 r°) ; venier (15 r", 50 r°).
Ces formes ne sont pas très nombreuses dans la langue politique,
mais celles que nous y trouvons peuvent nous servir pour préciser
quelques dates ; et ces dates concordent exactement avec celles que
nous donnent les œuvres littéraires. Dans les Statutes, on relève un
petit nombre d'exemples avant la fin du wW siècle, comme rever-
tier (1278, I, 48). Le plus grand nombre, et il n'est pas très consi-
dérable dans ce recueil, se trouve vers le milieu du siècle suivant et
plus tard; citons ohcier (1340, I, 288; 1350, I, 319); piniier (1363,
I, 379). Dans la dernière partie de ce siècle, les exemples deviennent
proportionnellement plus nombreux : piinicr, acoiiiplier, departier et
quelques autres se rencontrent après 1375. Les Parliamentary Writs,
entre 13 14 et 1322, nous donnent : ciiUier, venier, parjonriiier; les
mêmes verbes et quelques nouveaux comme : reslnblier, assentier,
soetfrier,se trouvent dans les Traités de Rymerà des dates variables
et assez également disséminées entre le commencement et la fin du
xiv^ siècle. C'est encore dans les Literae Cantuarienses que nous
trouvons le plus grand nombre d'exemples toujours à la même date:
sentier, seissier, soeffrier, etc. Ils sont peu communs dans les Year
Books; on ne trouve guère que partier, garanlier et quelques autres.
Les verbes de III avec la désinence ier sont assez rares; pour les
œuvres littéraires nous trouvons ^^îvV/- donné pour le vers 2134 du
Cumpoz par le ms. S. Les Statutes et autres écrits politiques ne
nous en donnent aucun exemple ; Rynier en a au moins un, répété
plusieurs fois : recevier, qui se lit par exemple à l'année 1363 (vol.
VI, p. 430). Les Literae Cantuarienses sont le seul ouvrage qui
en présente un certain nombre de cas : 5rtr/Vr (1331, 431, 439;
M33019). avier(is^o, 336; 1331, 426, 427); ces deux foi mes
sont fréquentes; ajoutons: recevier, cheier.
Les verbes de la quatrième conjugaison se trouvent moins tré-
L INPIKITIF 309
quemment encore sous cette forme ; les ouvrages politiques et
diplomatiques n'en offrent aucun exemple; les Literae Cantuarienses
seules ont : ta! lier (1332, 39 0-
I; Modifications tic /'i.
Nousavons vu (première personne du pluriel) et nous verrons plus
tard (participe passé) que \'i de la diphtongue ie passe parfois à oi.
Ceci n'a lieu à l'infinitif que dans un nombre infime de cas. Nous
ne trouvons à citer que a lui 11 soicr dans les Documents inédits (1372,
188).
II. Autres terminaisons.
La terminaison des infinitifs de I prend rarement une autre forme
que celles que nous venons de voir. Il faut cependant signaler la ter-
minaison ecr et la terminaison ar.
L'anglo-français littéraire nous donne quelques exemples de la
première de ces terminaisons, par exemple dans Foulques Fitz
Warin : acordeer (p. 79).
On trouve encore cette même désinence dans un Fragment d'une
traduction delà Bible du milieu du xiii'^ siècle (Rom. XVI, p. 183,
559); on y lit tricloeer au vers 855 ; de même le scribe de la Des-
truction de Rome nous donne: esteer (vers 68); alecr (vers 1 1 1 et
124); ceieer (vers 269). En somme ce ne sont que les auteurs
d'ouvrages littéraires d'une date assez récente et spécialement les
scribes de la fin du xiv= siècle (cf. Nicolas Trivet) qui l'emploient;
et encore ne le font-ils que rarement. Le nombre de ces exemples
est trop peu considérable pour que nous puissions nous rendre un
compte exact de la valeur de cette terminaison; dans la traduction
de la Bible, eer semble compter pour deux syllabes :
Quiez mei tricheer ? dist Heliseu (décasyllabe).
Mais Foulques est en prose, et les exemples de la Destruction de
Rome appartiennent au scribe. Il est donc impossible de tirer une
conclusion assurée du seul exemple qui nous reste.
La langue politique et diplomatique nous en montre un nombre
plus considérable quoique minime encore et d'une date sensible-
ment plus reculée. Par exemple les Statutes ont cssoneer à la date
390 L EVOLUTION DU VF.RKH l-N ANGLO-FRAXÇAIS
de 1278 (I, 48); cs/^rr ( 1 3 5 3 , 1 , 329 et 337); peui-êire aussi enqueei-
(1350, I, 322), qui probablement est le résultat d'une métathèse
(cf. Infinitifs de la quatrième conjugaison). Comme on le voit, les
Statutes ne nous offrent qu'un tout petit nombre d'exemples de
cette désinence.
Les autres textes ne nous ont pas donné davantage ; c'est ainsi
que les Mem. Pari. 1305 ont pneer (§ 126); proveer se trouve dans
les Historic and Municipal Documents of Ireland (13 19, 453);
mostreer se lit dans les Documents inédits (1310, 57). Cette dési-
nence en eer est extrêmement rare dans les Year Books; nous n'en
citerons aucun exemple, car tous ceux que nous avons relevés sont
d'une date douteuse.
Ar^ comme désinence de l'infinitif de I, est encore plus rare ;
nous en avons trouvé un exemple à la rime dans le Comput : guar-
dar (: César) au vers 776, et un autre, plus douteux, dans Rymer :
reparar {\^^o, V, 675).
III. Acquisiiion des infiiiiiifs en er.
La conjugaison cr est une conjugaison vivante et a toujours, spé-
cialement en anglo-français, attiré les verbes de certaines autres
conjugaisons; il n'y a pas de phénomène plus connu, en anglo-
français, que le passage des infinitifs de III à la forme de I. Dans les
premiers textes déjà, nous trouvons des exemples de ce phénomène;
tous ne sont pas assurés, mais qu'ils proviennent des auteurs ou
des scribes on les y rencontre toujours. On a même l'habitude de
considérer cette présence à l'infinitif de terminaisons er pour eir
comme un des meilleurs critériums pour reconnaître si un ouvrage
a été composé par un auteur anglo-français ou écrit par un scribe
d'Angleterre. Cette question est donc importante et, quoiqu'elle ait
déjà retenu l'attention de nombreux savants, il sera bon que nous
l'étudions d'aussi près qu'il nous sera possible'.
I . Nous ne prétendons pas citer tous les ouvrages qui s'occupent de cette ques-
tion ; nous en donnerons simplement quelques-uns parmi les plus importants ; les
études qui précèdent généralement les éditions des différents auteurs anglo-fran-
çais traitent presque toutes, au point de vue de l'auteur, du passage de eir à er.
H. Suchier, Français et Provençal, p. 25; Voyelles toniques, p. 92,530;
r. Mever, Romania, XVIII. p. 626 : Introduction des Contes deN. Bozon, Ixij;
L INFIN'ITIF 391
Comme nous l'avons déjà dit, on trouve dans tous les ouvrages
anglo-français, même ceux de la première heure, des traces de ce
phénomène, mais il semble que, pour la majorité de ces cas, nous
devions en laisser la responsabilité aux scribes. Pour arriver à des
conclusions aussi certaines que possible, nous étudierons les princi-
paux textes du xii^ siècle à deux points de vue: d'abord nous tcâcherons
de découvrir quelles ont été les habitudes de l'auteur lui-même ;
ensuite nous déterminerons les habitudes des scribes. En reportant
à leurs dates respectives ces deux séries de données, nous arriverons
à nous faire une idée de ce qu'était l'usage d'une époque donnée
d'abord chez les auteurs, ensuite chez les scribes. Cette comparaison
nous sera des plus utiles et fournira, croyons-nous, une base excel-
lente à notre travail. Nous sommes même persuadés que cette
méthode seule pourra nous faire connaître non seulement la
modalité du passage de la terminaison eir à cr, mais surtout les
causes de ce changement.
Évidemment, pour étudier les auteurs, nous aurons à nous con-
tenter de l'étude des rimes dans les ouvrages en vers; d'une façon
générale, nous ne sommes pas portés à nous exagérer la solidité de
conclusions portant seulement sur des rimes ; nous savons trop que
la phonétique anglo-française, à certaines périodes, manquait trop
de rigueur pour que les rimes puissent être des instruments de con-
trôle bien sûrs ; et en second lieu, nous avons rencontré trop déformes
créées uniquement pour les nécessités de la rime pour que nous accor-
dions à celle-ci une très grande valeur dans tous les cas. Mais ces deux
objections ne s'appliquent pas à la période qui nous occupe. Même
quand le nombre de syllabes du vers présente aux auteurs anglo-
français de la première moitié du xu^ siècle des difficultés qui
semblent insurmontables, ils riment bien.
Pour la langue des scribes, nous aurons deux façons d'arriver à
la connaître. D'abord certains ouvrages en prose que nous rappor-
tons au temps où ils ont été écrits, comme les Quatre Livres des
Rois; ensuite dans chaque manuscrit les formes qui n'appar-
tiennent évidemment pas à l'auteur.
Meycr-Lùbke, Grammaire, II, p. 158,5 1 17 ; Stiraming, Boeve de Haumtone,
xxviij ; Behrens, Zur Lautlehere, p.i 38 ; Litteraturbhut, IV, 511; Ten Brink, Chau-
cer, p. 70. Voir aussi Hildebrand, Liber Censualis, p. 38, § 4 ;Huber, Abhandlung
ûber die Sprache des « Romans du Mont Saint-Michel », dans l'Archiv de Herrig,
1S86, p. 144.
^92 L KVOI.UTION DU VF.RBF. EN ANGLO-FRANÇAIS
Ici encore nous sommes loin d'arriver à la certitude, et dans les
deux cas précédents, il est possible que nous attribuions à un
scribe ce qui revient à l'auteur ou à un scribe d'une époque anté-
rieure. Mais comme nous avons à étudier des formes nouvelles, le
risque d'erreur est ici négligeable.
I. Les auteurs.
Dans les textes qui appartiennent aux trois premiers quarts du
xii^ siècle, nous ne relevons aucune rime irrégulière. Jamais un infi-
nitif de III ne rime en er. Au contraire, nous pouvons facilement
trouver des rimes assez nombreuses où ces infinitifs apparaissent
sous leur forme régulière.
Nous ne répéterons pas ici les exemples qu'on a donnés de telles
rimes pour le Bestiaire, le Cumpoz ou le Voyage de Saint Brandan.
Nous prendrons toutefois quelques exemples dans les poèmes qui
suivent immédiatement ceux que nous venons dénommer.
L'Estorie des Engleis de Gaimar nous montre un nombre assez
considérable d'infinitifs de la troisième conjugaison à la rime et
toujours ces rimes nous les montrent sous leur forme étymolo-
gique. En voici quelques-unes : au vers 3693, nous voyons aveir
rimant avec veir (verum), et avec eir au vers 4537; receveir rime
avec hair au vers 4552. Les rimes de ce genre ne sont pas rares dans
ce poème, mais il n'est pas utile d'en citer davantage. Quant aux
rimes contraires, elles n'existent pas. Les interrimes, il est vrai, nous
montrent souvent des infinitifs de III avec la désinence de la pre-
mière conjugaison, mais ces formes proviennent des scribes.
Dans Adgar_, nous trouvons le même état de choses ; les rimes
correctes sont assez communes, comme aveir (: seir), XII, 1 5 ;
sàveir (: seir), XXI, 96; mais, pour une raison ou pour une autre,
elles sont absolument et relativement moins nombreuses que dans
l'Estorie des Engleis.
Dans le Tristan de Thomas la seule rime qu'on trouve, c'est
aveir {: neir)au vers 156; dans la Folie Tristan, zwV(videre) (: veir
verum) au vers 133. Ni la Chronique de Fantosme, ni le poème de
Horn n'ont une seule laisse en eir; mais on peut remarquer que
les deux poèmes ont chacun plusieurs centaines de vers rimant en
er et qu'aucun infinitif de III ne s'est introduit dans ces laisses. De
L INFINITIF 393
même, les rimes en eir pour les infinitifs de III sont rares dans l'Ipo-
médon, les rimes en ^r absentes.
Le premier ouvrage en vers, à notre connaissance, qui nous
donne un exemple assuré du passage des infinitifs de III à la forme
des infinitifs de I, est la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clémence
de Barking; dans ce poème nous trouvons au vers 1321 la rime,
saveirÇ: parler); par contre les rimes régulières sont assez nombreuses;
par exemple poeir (: veir), 876. La date de la composition de cet
ouvrage n'est pas très facile à fixer ; une étude des rimes nous a
montré qu'on ne pouvait guère le faire remonter plus haut que 1 175 ;
en outre il est certainement antérieur au commencement du
XIII'' siècle. On doit donc considérer qu'il appartient au commence-
ment du quatrième quart du xii^ siècle.
A la même époque ou à très peu de chose près, l'auteur de la
Vie de Saint Gilles fait rimer maneir avec aprismer au vers 1623
saveir avec veer (vetare) au vers 3 121 ; ici encore nous pourrions
citer un nombre beaucoup plus considérable de rimes régulières.
Quelques années plus tard, le Donnei des Amants nous offre
encore de nouveaux exemples, plus nombreux, absolument et rela-
tivement, que dans les deux ouvrages précédents. Dans ce Donnei
des Amants, on trouve aver rimant trois fois avec des infinitifs de I,
avec doluserau vers 143, avec aler au vers 950 ; avec parler au vers
281. Enfin Everart de Kirkham, qui peut-être n'a écrit qu'au
xiii^ siècle, nous donne un assez grand nombre de ces formes dans
ses Distiques : poer (: ester) (15 d) ; saver (: estriver) (40 f) ; aver
(: duter) (52 f); (: duner) (55 f), nombre d'exemples considérable
étant donné le peu d'étendue du poème.
Voilà donc ce que nous font connaître les écrivains en vers du
xii^ siècle. Pendant les trois premiers quarts nous ne trouvons que
des rimes régulières ; pendant le quatrième quart de ce même siècle,
les rimes régulières continuent à dominer, mais au moins six formes
en er sont dûment attestées : saver (Vie de Sainte Catherine) ;
marier, saver (Vie de Saint Gilles) ; aver (Donnei des Amants, trois
fois) ; peut-être 10 : poer, saver, aver (2 fois), si les Distiques d'Eve-
rart de Kirkham ont été écrits au xii^ siècle.
En un mot, les formes correctes dominent pendant tout le siècle;
pendant les deux ou trois dernières décades on relève un petit
nombre de terminaisons irrégulières dont l'authenticité est cer-
taine.
^94 '• '-EVOLUTION DU VKRRH EN ANGLO-FRANÇAIS
2. Les scribes.
Ces conclusions cependant ne nous suffisent pas, et nous devons
maintenant les confronter avec celles que nous fournit l'étude des
manuscrits qui datent du xii^ siècle. Il est évident que l'absence des
formes nouvelles dans un manuscrit, reproduisant un ouvrage anté-
rieur à la Vie de Sainte Catherine ou à celle de Saint Gilles, ne
peut rien nous apprendre; la correction du texte que nous lisons
peut tout aussi bien provenir de la fidélité du scribe que de ses
habitudes propres ; ce sont surtout les formes irrégulières qui sont
instructives.
Nous avons choisi pour faire cette étude un certain nombre de
manuscrits écrits à différentes dates du xii^ siècle; les voici dans
leur ordre chronologique, avec leur date approximative.
1 . Manuscrit L de l'Alexis, vers 1150.
2. — Cott. du Cumpoz et du Bestiaire, vers 11 50.
3 . — A de l'Alexis, un peu postérieur à 1150.
4. — A du Cumpoz, — 1150.
5. — Psautier d'Oxford, — 11 50.
6. — Psautier d'Arundel, vers ii6o(?).
7. — Brandan, vers 1 167.
8. — Roland d'Oxford, vers 11 70.
9. — Quatre Livres des Rois, 3^ quart du xii' s.
10. — O du Bestiaire, versii75.
11. — Egerton des Légendes de Marie, fin du xii' s.
12. — Douce des vers 1268-3087 du Tristan de Thomas
dernières années du xii'^ s.
De cette façon nous avons des manuscrits qui couvrent aussi
exactement que possible la seconde moitié du xii* siècle.
Nous n'allons pas, pour ces différents mss., citer un grand nombre
d'exemples ; nous nous contenterons de résumer en quelques mots
pour chacun d'eux l'état des terminaisons en eir.
Nous allons voir que, immédiatement après le commencement
de la seconde moitié de ce siècle, les terminaisons irrégulières en
er se montrent et leur nombre augmente assez lentement d'abord
puis plus rapidement à mesure qu'on avance.
I. IXFIXITIF ^95
Dans les deux premiers mss. que nous avons cités, nous n'avons
pas relevé un seul exemple de terminaison irrégulière. Les premiers
cas de désinence en er pour les verbes de III se rencontrent dans les
trois manuscrits un peu postérieurs à 1150 : le ms. A de l'Alexis
en a quelques exemples (Cf. Paris, Introduction, p. 74 et strophe
ro6 d) ; le ms. A du Cumpoz en contient un peu plus (par
exemple aux vers 1199, 2134, 2175, etc.); le Psautier d'Oxford
ne nous donne qu'un seul cas de terminaison en er pour eir :
avcr(ioi, 14); dans le manuscrit qui nous a donné le Voyage
de Saint Brandan, nous relevons chaer (au vers 657), mimer
(muveir) (au vers 16 14) (cf Stengel, Zeitschrift fiir neufr. Sprache
und Literatur, I, 46) ; ces formes sont propres à ce manuscrit; celui
de l'Arsenal donne chict, mouvoir.
Par conséquent, ces six manuscrits nous montrent que, au com-
mencement de la seconde moitié du xii^ siècle, quelques scribes au
moins ignoraient probablement la désinence en er pour les infini-
tifs de III; mais que, immédiatement après 1150^ celle-ci apparaît
assez rarement d'abord sous la plume d'autres scribes.
Dans le Psautier d'Arundel, qui ne saurait être postérieur de
beaucoup aux derniers manuscrits que nous venons de citer, s'il
leur est postérieur, le nombre de ces formes nouvelles devient
subitement beaucoup plus considérable; ainsi on lit : ivcr (15, 10);
voer (26, 19); voicr (33, 12), pour ne citer qu'un seul verbe; dans
le Roland d'Oxford, nous en trouvons encore un certain nombre,
comme, au vers 426, saver.
En suivant toujours pas à pas l'ordre chronologique, nous voyons
ces terminaisons augmenter dans une proportion considérable dans
les Quatre Livres des Rois et la désinence en er s'appliquer à presque
tous les infinitifs de la troisième conjugaison ; nous n'en citerons
que quelques exemples, comme wér.(II, 3, 6); seer (III, i, 27);
àseer (\ll, 7, 21); ta mer (l, 40, 20). Le manuscrit des Légendes de
Marie, quoiqu'il respecte dans un bon nombre de cas les désinences
régulières de l'auteur, peut nous fournir toute la série des formes
en er, et il serait aussi inutile qu'ennuyeux de les citer toutes :
citons au hasard estuver (IK, $S') ; seer (V K , 198); r7îrr (XXVIII,
118).
Nous ne pouvons que répéter à propos du manuscrit Douce du
poème de Tristan ce que nous venons de dire du manuscrit des
39<> l'évolution du vkrbk en anglo-français
Légendes de Marie : les formes nouvelles y sont extrêmement nom-
breuses, comme aver (1301); poer (2454); saver (1791); veer
(2168); voler (2454).
Par conséquent il est déjà évident que les renseignements que
nous ont fournis les manuscrits concordent parfaitement entre eux
et ils sont assez nombreux pour emporter la conviction que les
scribes, dès le commencement de la seconde moitié du xii* siècle,
employaient la terminaison er pour les infinitifs de III, que ces
formes nouvelles augmentent très rapidement et que vers le com-
mencement du quatrième quart, elles sont déjà fort communes.
Si nous tentons maintenant de combiner les résultats que nous
fournit l'étude des textes et celle des manuscrits, nous arrivons à
cette conclusion que la substitution de cr à eir est certainement
antérieure dans les seconds. La désinence en er a apparu dans la
langue des auteurs à plus d'un quart de siècle plus tard que dans
la langue des manuscrits. Il y a en effet un intervalle d'au moins
trente ans environ entre le ms. A du Saint Alexis et la Vie de Sainte
Catherine.
Cette différence met en relief la discordance évidente qui existe
entre les deux classes, et cette discordance est double. D'abord nous
remarquons la différence de dates que nous signalions ; ensuite une
différence entre le nombre d'exemples que nous rencontrons dans
chacune d'elles, à un moment donné.
En effet les exemples que nous fournissent les auteurs ne sont
pas seulement sensiblement plus tardifs que ceux qui nous sont
donnés par les scribes, mais ils sont constamment moins nombreux.
Les rimes, qui chez eux nous assurent de l'existence de la dési-
nence ener pour les infinitifs de III, sont très rares, et nous verrons
tout à l'heure, en étudiant la même question au xiii^ siècle, qu'il
n'y a rien dans la nature des choses pour que ce nombre ne soit
infiniment plus considérable.
Les scribes sont donc doublement en avance sur les auteurs qui
leur sont contemporains, pour la date et pour le nombre des
exemples.
Ainsi, il semble à première vue, surtout si nous admettons qu'il
y a dans l'anglo-français une certaine unité, pour chaque période,
— ceci ne peut guère être nié pour l'anglo-français du xii^ siècle, et
cette hypothèse estla condition fondamentale de toute étudegénérale
L INFINITIF 397
sur le dialecte anglo-français, ■ — qu'il y ait une contradiction entre
l'usage des auteurs et celui des scribes; il n'en est rien cependant et
nous verrons dans la seconde partie de ce travail que ce sont ces
divergences mêmes qui nous expliqueront le mécanisme du passage
de eir à er. Pour le moment nous devons nous borner à exposer les
fiUtS.
Pour introduire un peu d'ordre et de clarté dans un sujet en soi
assez confus, il sera bon de diviser les auteurs du xiii^ siècle en trois
classes : ceux qui ne présentent jamais à la rime un infinitif de III
et une terminaison en er ; ceux pour lesquels nous trouvons à côté
des rimes régulières d'autres qui nous montrent que ces infinitifs
ont aussi, à l'occasion du moins, la nouvelle forme ; enfin ceux qui
par leurs rimes nous donneraient à croire qu'ils ne connaissent pas
ou ne veulent plus employer la forme correcte'.
Il est évident que les renseignements qui nous sont tournis par
les auteurs de la première et de la dernière classe ne nous per-
mettent pas de tirer des conclusions très rigoureuses. Que les
formes en eir ou celles en er soient absentes des rimes, cela peut
n'être après tout que l'effet du hasard; mais ces renseignements qui,
pris isolément, n'ont guère que la valeur de présomptions, prennent
une tout autre importance quand ils sont groupés ; on peut à la
rigueur admettre le hasard pour un auteur; il est beaucoup plus
difficile de l'admettre pour deux, surtout s'ils sont chronologique-
ment voisins.
I. Auteurs ne montrant pas à la rime la terminaison er, pour
les verbes de III. — Il n'y a que peu d'auteurs à entrer danscetpe caté-
gorie : de tous les ouvrages du xiii^ siècle que nous avons lus, nous
n'en trouvons que trois qui n'emploient jamais à la rime un infini-
tif de III avec un mot terminé par cr; ces trois ouvrages sont le
Saint Laurent, le Saint Julien, le Saint Edmund. Ils ont, au con-
traire, tous les trois des rimes régulières.
Par exemple, dans le Saint Laurent, veer (lire veeir) rime avec
espeir au vers 622 (cas unique). Le Saint Julien a solcir ('. espeir)
69 r° (cas unique) et nous trouvons les deux rimes suivantes dans
le Saint Edmund : saveir (: veir) (432); aveir (: eir) (457). Donc
I. Nous ne parlons: 1° que des poèmes d'une certaine longueur; 2° que des
poèmes qui, sous une des deux formes, ont à la rime des infinitits de III.
^9S 1. "ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-lKANÇAlS
nous trouvons pour ces trois poèmes: r' absence absolue des rimes
cir : er; 2^ quatre rimes régulières. On peut encore citer, pour
mémoire, des poèmes assez courts qui n'ont aucune rime en er où
entre un infinitif de III. Le Poème Allégorique qui a aver, saver
(: veir) au vers 6i-6^, et le Roman des Romans où aveir rime avec
vcir au vers 574. Comme on le voit, le nombre des auteurs et des
rimes qu'ils fournissent est mince, et ne saurait nous prouver
grand'chose.
IL Auteurs ayant à la rime les deux terminaisons pour les infi-
nitifs de III. — Il n'y a qu'un nombre insignifiant d'auteurs à avoir
simultanément lesdeux sortesde rimes : le seul important parmi eux,
c'est Frère Angier; celui-ci mélange très librement les deux formes,
ùiais non sans une certaine méthode. Comme le fait très justement
remarquer Miss Pope, ce n'est que très rarement que les verbes
auxiliaires de temps ou de mode : aveir, voleir, poeir (et elle aurait
pu ajouter saveir') nous montre le passage de eir à er (cf. Miss
Pope, op. cit., p. 62 et Timothy Cloran, p. 45). Les autres
infinitifs de III, au contraire, prennent fréquemment la dési-
nence des verbes de la première conjugaison. Nous allons en citer
quelques exemples d'après Miss Pope. Le verbe veeir se montre sou-
vent sous la forme voier qu'on trouve à la rime avec altier au vers
2353 de la Vie de saint Grégoire, avec arester et apaier dans les Dia-
logues (respectivement 3 r° b, 13 r'' a); le verbe seeir a une forme
analogue: soier, qui se rencontre au vers 1578 de la Vie de Saint
Grégoire ; citons encore arder, qui rime avec conter dans les Dia-
logues (21 r° b) et /ra'i'^r que nous trouvons à la rime avec entier
dans le même poème (21 r° b). Mais il n'est pas douteux que Frère
Angier n'emploie plus souvent les formes régulières; voir par exemple
se montre sous la forme voieir, qui nous est assurée par la rime
(: espeir), dans les Dialogues (90 b, 5, cité par Timothy Cloran,
p. 4)); elle rime encore avec veir (dans les Dialogues, 138 r° b) et
avec valeir (ibid., 137 r° b). Nous trouvons de la même façon soieir,
recevoir, eschiveir. Ces différentes formes ont été citées par Miss
Pope.
Il n'y a que peu de différences entre l'usage de Frère Angier et
celui que suit Robert de Gretham ; dans les Évangiles desDompnées,
les exemples des formes régulières sont sensiblement plus nom-
breux que les autres. Nous pouvons citer parmi les premières
L INFINITIF 399
iiianair, qui rime avec seir au folio 7 r'' ; aperceveir, qui rime avec veir
au folio 22 r°; aveir se montre plus d'une fois à la rime, comme
(: espeir) aux folios 26 v° et 33 r°; citons encore recevair à la rime
avec vair (verum) au folio 61 v°. De plus, et nous croyons que
cette remarque a quelque importance, toutes les interrimes pré-
sentent la forme régulière.
Les autres cependant ne sont pas rares, nous avons relevé les
rimes suivantes: recever (: abaisser) au folio 20 r°, veer (: mester)
au folio 60 v°; seer (: manger) au folio 85 r", etc. Nous ne pousse-
rons pas plus loin cette énumération.
Ajoutons enfin quelques exemples que nous avons relevés dans
le Sermon en vers Deu le Omnipotent ; dans ce poème, la propor-
tion des formes en er et des terminaisons régulières en eir est con-
sidérablement en faveur de la première ; nous n'avons qu'une seule
rime pour les secondes, aver rimant avec seir (strophe 6 e), tandis
que les premières apparaissent six fois : aver rime avec naufrer (5
d) ; avec penser (15 e) ; avec recorder (117 b); saver rime avec
averser (50 a); valer avec sauver (118 e); poer awec régner (121 c).
Dans une question comme celle-ci, des proportions basées sur la
rime uniquement ne signifient pas grand'chose ; les chiff"res précé-
dents cependant montrent que les formes nouvelles ne sont pas
loin d'avoir dépossédé les terminaisons régulières.
III. Auteurs ne faisant rimer qu'en er les infinitifs de III. —
Les auteurs dont les rimes ne montrent jamais la forme étymo-
logique pour les infinitifs de III forment la grande majorité des
écrivains anglo-français du xiii^ siècle. Dès les premières années de
ce siècle, l'un des auteurs les plus importants de cette période,
Chardri, ne nous donne jamais une forme assurée en er. Au con-
traire, les rimes qui accouplent un infinitif de I et un infinitif de
III sont très nombreuses ; aver par exemple rime avec grever au
vers 88 du Josaphat ; avec déliter (au vers 247) ; avec désirer (au
vers 249) ; saver dans ce même poème rime avec espleiter (au vers
1072) et avec repruver au vers 682 du Petit Plet.
Si nous passons aux poèmes de Simund de Freine, nous pouvons
faire la même remarque ; citons certaines de ces rimes, dont
quelques-unes sont très riches.. Veer rime avec forveer au vers 1571
du Roman de Philosophie ; avec neer au vers 1151 du même poème
et avec reneer aux vers 13 et 1643 du Saint Georges; avec preer au
400 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
vers 81 1 du même poème. Ajoutons-y aver qui rime avec graver
dans le Roman de Philosophie au vers 431, et seer qui rime avec
reneer au vers 435 du Saint Georges.
Les exemples se multiplient à mesure que nous avançons dans
le XIII' siècle, et il serait difficile et oiseux de vouloir les citer tous.
Si par exemple nous étudions les rimes de Boeve de Haumtone,
nous verrons que les laisses en er sont très nombreuses, elles sont
au nombre de quarante et une ', et que plusieurs de ces laisses,
surtout celles qui se trouvent dans la seconde moitié du poème,
sont très longues. Dans la plupart de ces laisses nous trouvons
quelques infinitifs de III (cf. par exemple laisses 21, 92, 104, 115,
117, 116, 121, 127, 129, 148 et pour les noms verbaux 92, 104,
129, 148, 155).
Comme on le voit, sans être en nombre très considérable, ces
laisses montrent amplement que les infinitifs de III rimaient très
librement avec des mots terminés en er.
Après Boeve, nous nous trouvons embarrassés par la multitude
des exemples : tous les verbes de III se trouvent avec la terminaison
de l'infinitif de I dans chaque auteur.
En continuant à suivre l'ordre chronologique que nous avons
suivi jusqu'ici pour cette question, voici quels sont les exemples
que nous pouvons en donner. Nous ne répéterons pas tous les
exemples d'aver, voler, poer; nous nous contenterons de donner
une référence pour ces verbes sans préciser celui auquel nous avons
affaire; nous ne donnerons les citations complètes que pour les
verbes qui ne sont pas auxiliaires de mode ou de temps.
Dans le poème sur Edward le Confesseur, nous rencontrons ce
passage de III à I à la rime du vers 437 etc. et chakr (: manacer)
au vers 882 ; la Genèse Notre-Dame a de nombreux cas analogues :
valer rime avec aler (46 v°) ; ver avec ester (50 r°) ; arder avec
achever (68 r°) et on trouve encore quelques autres rimes aux
folios 48 r°, 74 v", etc.
Saint Auban emploie ces infinitifs très volontiers à la rime
I. Liste donnée par Stimming, p. xlix ; dans cette liste quelques erreurs de
chiffres se sont glissées; il faut lire 55 au lieu de 62, effacer 81 et ajouter 165.
Nous ne comptons pas les nombreuses laisses où les rime en è et en er sont
mélangées, par exemple laisses 168, 175, 181, 205, etc. Nous n'avons trouvé
aucun infinitif de III dans ces dernières.
L INFINITIF 401
comme purvoier à la rime du vers 1695; aparer à celle du vers
1286; recever à celle du vers 13 13 ; ver et voier respectivement aux
vers 761 et 941; on peut ajouter les rimes des vers 70e, 13 13.
On peut aussi voir la rime des vers 94-95 de la Plainte Notre-
Dame, les vers 97, 558 de la Plainte d'Amour, et dans ce même
poème, au vers 422, la rime apparer (: parler). Veer rime avec esgar-
der dans l'Érection des Murailles de New Ross (au vers 130);
avec visiter et penser dans la Satire sur le Siècle (respectivement
aux folios 85 v° et 86 v°), et au folio 83 r° de ce même poème, on
\ohvaIer rimer avec oster, rime que l'on retrouve à peu près telle
quelle dans la Lumière as Lais (au vers 503). Pierre de Peckham a
aussi un verbe que l'on rencontre moins souvent sous cette forme,
parce qu'il est moins usuel que ceux que nous avons vus jusqu'ici :
cbaler qui rime avec manacer (au vers 882). William de Wadding-
ton, qui a un nombre considérable de ces rimes, emploie aussi cet
infinitif sous cette forme à la rime du vers 7714; les autres exemples
qu'on trouve chez cet auteur se lisent aux vers 1245 (l'ulci-);
2757 {ver'); 3268 {ser); 1205, etc.
Pour en finir avec le xiii^ siècle, citons quelques rimes de Der-
mod : vers 76, 311, 622, 941 (doler); (>/[% (estovcr); 1346 (rema-
ner) ; 476 (ver).
L'on a pu voir que les exemples tirés des rimes des difiérents
poèmes du xiir' siècle sont très nombreux ; ils auraient pu l'être
davantage si nous avions voulu donner tous les exemples que nous
avons relevés dans chaque auteur de ce siècle. Telle qu'elle est,
cette liste nous paraît suffisamment longue pour notre dessein.
Des trois catégories d'auteurs que nous avons distingués au
xiii" siècle, la plus importante est sans contredit la troisième. Du
moins elle nous fait connaître — tant par le nombre d'écrivains
qu'elle contient que par le nombre d'exemples significatifs que leurs
ouvrages nous présentent — l'usage général du xiii^ siècle.
Les deux autres catégories qui contiennent un nombre beaucoup
moins considérable d'auteurs n'ont probablement pas la même
importance, surtout si on fait entrer en ligne de compte le fait que
l'anglo-gallicisme de certains de ces auteurs, Frère Angier par
exemple ou l'auteur du Saint Laurent, a pu être mis en doute.
Cependant, pour ce passage de eir à er nous aurons à trouver
une explication générale qui rende compte à la fois de l'usage ordi-
26
402 L EVOLUTION DU VHRI5H EX AXGLO-rRANÇAIS
naire et des exceptions à cet usage. Nous l'essaierons plus tard.
Maintenant la seule conclusion qui s'impose c'est que les auteurs
de la première catégorie représentent une exception et l'usage
archaïque ; ceux de la deuxième un compromis entre la terminaison
correcte et la forme nouvelle; l'autre classe nous montre que les
rimes des infinitifs en eir avec les mots en er simple se généralise
très rapidement pendant le cours du xiii^ siècle. A partir du milieu
de ce siècle la terminaison en er a gagné tous les infinitifs de III;
la terminaison régulière a entièrement disparu pour faire place à la
terminaison analogique. Ce changement, comme nous l'avons vu,
ne s'est pas effectué tout d'un coup : si nous ne tenions compte
que des rimes que nous avons relevées au xiii" siècle, la terminai-
son er aurait pris moins d'un demi-siècle pour se substituera la ter-
minaison tir (du Saint Gilles à Chardri ou à Boeve de Haumtone);
si nous faisons entrer en ligne de compte les résultats que nous
fournit l'étude des manuscrits, nous voyons que, pour que ce chan-
gement s'accompHt, il a fallu un temps beaucoup plus long, à peu
près un siècle, ce qui est beaucoup plus vraisemblable.
Le commencement du xiv= siècle n'est évidemment pour les
œuvres purement littéraires que la continuation de l'état que nous
venons de préciser pour la seconde partie du xiii"^ siècle.
C'est dire que les terminaisons en cr pour les infinitifs de III
sont des plus communes; et évidemment, nous ne donnerons pas
ici les exemples qu'on peut rencontrer à cette époque et qui ne
sont qu'une répétition de ceux que nous avons vus auparavant.
Nous pouvons toutefois en donner quelques-uns que nous n'avons
pas encore rencontrés et qui montreront qu'aucun verbe n'échappe
au travail d'assimilation qui s'est fait pendant le dernier siècle.
C'est ainsi que nous rencontrons fort communément cheicr,
quoique ce verbe ait encore plusieurs autres formes pour son infi-
nitif, comme nous le verrons du reste plus tard ; la terminaison de
la première conjugaison se trouve à la rime (: sauver) au vers 207
de l'Apocalypse, à la page 100 de Foulques Fitz Warin. Nous
n'avons pas eu jusqu'ici de très nombreux exemples du verbe moz'er;
nous en trouvons plusieurs au xiv^ siècle ; cette forme est com-
mune dans Pierre de Langtoft (voir par exemple I, 124, 13 : I,
396, 16); dans la Chronique de Londres (comme à la page 55,
sous la date 1326). Le verbe cstovcir est rarement employé à l'in-
L INFINITIF 403
tinitifen anglo-français; nous trouvons cet infinitif avec une termi-
naison en er rimant avec corouner au vers 39 de la Lamentation sur
la Mort d'Edward I". Arder est commun dans Pierre de Langtoft
(I, 228, 29 ; I, 3z)é, 22); dans les Contes de Nicole Bozon (§ 92);
dans Nicolas Trivet (43 r°).
Nous arrêterons là nos citations, mais uniquement parce qu'il
nous semble inutile de les multiplier. Il nous reste maintenant à
exposer un fait plus important, dont les œuvres littéraires peuvent
nous donner une idée, mais qui ne nous apparaîtra dans toute son
étendue que dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature.
C'est la réapparition de la terminaison régulière à l'infinitif de la
troisième conjugaison. Nous avons dit qu'au xiii'^ siècle, au moins
après 1250, la désinence en eir avait entièrement disparu ; au com-
mencement du siècle suivant, et surtout pendant la seconde moitié,
ces terminaisons reparaissent.
Nous n'en trouvons aucun exemple à la rime, ce qui peut nous
porter à croire que les exemples que nous en relevons, comme
avoyr dans Pierre de Langtoft (I, 398, 18; I, 416, i ; II, 54, 4) ou
dans le corps du vers 1 66 de la Bounté des Femmes, appartiennent
aux scribes et par conséquent à la seconde moitié du siècle.
Cependant quelques manuscrits écrits avant 1350 nous offrent
plusieurs exemples indiscutables ; ici encore nous retrouvons,
quoique moins clairement marquée, la contradiction qui nous frap-
pait lorsque nous classions les premiers exemples du passage des
infinitifs de III à la forme de I. C'est dans les manuscrits datant de
II 50 environ que nous trouvons les premiers exemples de la ter-
minaison er pour les infinitifs en eir, tandis que les exemples assu-
rés par la rime sont postérieurs de 25 ou 30 ans au moins; de
même ces mêmes infinitifs reprennent leur désinence étymologique
plusieurs années plus tôt sous la plume des scribes que sous celle
des auteurs. Ici, la différence est moins frappante, et son impor-
tance est beaucoup moindre. Mais elle valait la peine d'être signalée.
C'est ainsi que nous trouvons dans le ms. de la Bodléienne qui
nous donne les Règles de Grosseteste, Douce 98, un grand nombre
de ces terminaisons en oir (cf. p. 130) ; de même le ms. de l'Univer-
sité de Cambridge Ee, i, 1 (Traité de Hosebonderic de Waltcr de
Henle\) donne ai'oyr {^, 6, 26), savûyrÇ/\, 6, 12, 32). Nouscitons
ces mss. parce qu'ils nous donnent un ncmbie assez considérable
.(04 l'kVOLUTIOX du VKRBt: EX ANGLO-IRANÇAIS
de ces formes; mais on en pourrait trouver dans la plupart des mss.
de la première moitié de ce siècle.
Ce n'est que vers la fin de ce siècle que les auteurs nous montrent
de ces formes régulières des infinitifs de III employées avec une
grande fréquence. Nicolas Trivet par exemple nous donne des
exemples fort nombreux, comme savoir (au folio 2 r° et passivi),
avoyr (6 r° et très fréquemment dans le reste de l'ouvrage); pour
les autres verbes, les exemples sont beaucoup moins communs;
nous avons encore trouvé asseoir (au folio 48 v°) et quelques
autres.
C'est dans le poème du Prince Noir que nous pouvons rencontrer
le plus grand nombre de ces formes et les exemples les plus assu-
rés; ils se trouvent en effet très fréquemment à la rime; citons-en
quelques-uns ici : recevoir rime avec voir (veriun) (a.\i vers 7); de
même qu'avoir (au vers 112), veer (au vers 1258) et veoir (au vers
1456). On peut voir sur ce point l'introduction de l'édition de
Miss M. K. Pope à la page xvi.
Nous pouvons maintenant résumer en quelques mots l'histoire
des acquisitions que les infinitifs de I ont faites parmi les verbes de
la troisième conjugaison :
I" Entre 11 10 et 1150 les verbes de III conservent à leur infini-
tif la désinence régulière.
2° Entre 11 50 et 1175 environ, un assez grand nombre de dési-
nences en er se trouvent employées pour ces verbes, mais unique-
ment par les scribes.
3° Ce n'est que vers 1175 que les nouvelles formes des infinitifs
de III sont attestées par la rime dans les œuvres littéraires.
4" Entre 1175 et 1200 elles restent très rares pour les auteurs
eux-mêmes et deviennent assez nombreuses sous la plume des
scribes.
5° Pendant les premières années du xiii'^ siècle, le nombre de
ces formes augmente et on ne trouve qu'un nombre insignifiant
d'auteurs qui ne les emploient pas.
6° Pendant le reste de ce siècle, les formes régulières dispa-
raissent entièrement.
7° Au commencement et pendant la première moitié du
xiV siècle, les auteurs continuent à suivre l'usage de la période pré-
cédente ; mais on remarque chez les scribes qui ont écrit à cette
époque un nombre assez considérable de formes étymologiques.
l'infinitif 405
8° Au milieu et à la tin de ce même siècle, les auteurs à leur
tour reprennent les désinences régulières pour les infinitifs de la
troisièine conjugaison.
On voit donc qu'il y a eu dans les changements successifs, pour
ne pas dire l'évolution, que les infinitifs en eir ont subis en anglo-
français une certaine régularité. On peut évidemment, et nous
l'avons fait, relever un certain nombre de déviations et d'excep-
tions ; cela est inévitable dans tous les dialectes, et à plus forte rai-
son, nous devons nous attendre à les rencontrer dans l'anglo-
français. Mais elles n'empêchent pas que le dessin général ne reste
très nettement marqué.
Dans les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature, nous
trouvons un état de choses qui n'est pas essentiellement différent,
quoiqu'il présente un certain nombre de traits particuliers. Il nous
semble préférable, même indispensable, de faire désormais une dis-
tinction entre les différents verbes de III et d'étudier séparément
dans une première classe les deux infinitifs d'avoir et de savoir et
dans une seconde tous les autres infinitifs.
Dans les textes politiques et diplomatiques, la forme aver, saver
est relativement commune entre 1285 et 1300; on la trouve répé-
tée à cette date une vingtaine de fois dans les Statutespar exemple :
(cf. 1275,1, 28, 33, 34 ; 1278, I, 45, trois fois; 1283, I, 53 ; 1285,
I, 98; 1297, I, 123, 124). Il en est de même des Parliamentary
Writs (cf. 1282, I, 12; 1290, I, 24); dans les Lettres de Jean de
Peckham (1283, 405, etc.) et dans les Rymer's Foedera; et elle est
relativement fréquente dans le Blacke Booke of the Admiralty (cf.
1291, II, 1 8 et /)aj5/m), dans les Annales de Burton.
Mais, même à cette époque, on peut déjà relever un nombre
assez considérable de formes régulières : les infinitifs avoir et savoir
existent et sont employés, quoique leur nombre soit intérieur à
celui des autres formes. Les Statutes nous en fournissent plusieurs
exemples, et nous allons en donner quelques-uns :
Les premiers exemples que nous ayons appartiennent aux der-
nières années du xiii* siècle : (cf. 1297, I, 123, 124; 1299, I, 131,
131, 132; 1300,1, 138, et quelques autres). Comme nous le disions
plus haut, pour l'ensemble de cette période, le nombre des cas
réguliers reste inférieur à celui des autres, mais aussitôt que la forme
apparaît dans les Statutes, elle devient immédiatement aussi com-
[Ob l/liVOLUTlOK DU VKRBE EN ANGLO-1-RANÇA.IS
mune que l'autre ou, plus précisément, si pour l'ensemble de la
période 1 278-1 300, er est dans ce recueil environ trois fois plus
nombreux que eir, pour les trois dernières années du xiir siècle, la
première terminaison ne représente plus que 60 % environ du total.
Nous pourrions probablement en dire autant des Rymer's Foedera
s'il était aussi facile et aussi sûr d'établir des m,oyennes pour ce
recueil ; nous nous contenterons de dire, pour rester dans la stricte
exactitude, que le nombre de formes étymologiques devient assez
grand dans ce recueil ù la fin du xiii^ siècle.
Pendant la même période, les Literae Cantuarienses (cf. 1299,
197), le Liber Albus (cf. 1243, m) en présentent des exemples
qui ne sont pas rares. En un mot tous les ouvrages politiques et
familiers que nous avons étudiés nous offrent, pour les dernières
années du xni^ siècle, un état de choses semblable à celui que nous
avons décrit pour les Statutes.
Pendant les quatre premières décades du xiv^ siècle (1300-1340),
les formes anglo-françaises en er pour l'infinitif de ces deux verbes
subsistent encore dans les Statutes et les recueils analogues ; on en
trouve encore un certain nombre, et nous avons relevé dans les
Statutes une quinzaine de ces formes, par exemple aver qui se
trouve dans les passages suivants : 1315, I, 174, 178; 1321,!,
182, 183; 1322, I, 186; 1323, I, 191, etc.; de même, dans les
Parliamentary Writs (1316, II, 3). Rymer nous en offre aussi des
exemples plus nombreux (1339, V, 138 etpassiui); et cette; forme
est assez commune dans les Literae Cantuarienses Çd. 1326, 171 ;
1324, 234, etc.).
Malgré tout, c'est la forme en oir qui à cette date domine nette-
ment dans la plupart des recueils : il suffit pour s'en convaincre de
lire les Statutes de cette époque ; le nombre de formes régulières
est considérable; nous en avons relevé environ une cinquantaine
et nous n'avons pas la prétention d'en avoir fait un dénombrement
complet. Pour donner une idée de la proportion à cette époque des
formes en er et de celles en eir, nous ne pouvons pas faire mieux
que de la chercher dans un Statut qui contient de nombreux
exemples de ces infinitifs; ce Statut porte la date de 1340; on
trouve la forme avec voyelle simple aux pages suivantes : 285
(2 fois), 287, 291 ; celle qui montre la diphtongue se lit aux pages
283, 284, 286, 287, 290, 291, 293, 295, 297, 298 (2 fois); par
L INFINITIF 407
conséquent le rapport entre ces deux formes serait 4/1 1. Ce Statut
ne diffère en rien des autres et peut être choisi comme type, et cela
suffit à montrer combien la forme étymologique est répandue. Il est
impossible de citer tous les exemples de formes étymologiques dans
les Traités de Rymer ; ici encore nous trouvons qu'elles surpassent
d'une façon considérable les formes purement anglo-françaises (on
pourra en trouver de nombreux exemples dans les passages ci-
après : 1302, II, 913; 1303, II, 928; 1311,111, 262; 1331,1V,
49). Et il en va de même pour les autres recueils, par exemple le
Liber Rubeus de Scaccario, qui, à la date de 1323, offre de nom-
breux cas de cette forme (aux pages 868, 876, 886), ou les Literae
Cantuarienses ou le Liber Albus.
L'on peut à peine dire qu'on observe une différence sensible dans
les vingt années qui suivent (1340- 13 60); avcr tisaver apparaissent
toujours et le rapport de ces formes aux formes normales est sensi-
blement le même ; mais nous observons entre ces deux dates, sur-
tout dans les Statutes, un fait qui était déjà apparent quelques
années auparavant ; dans ce dernier recueil en effet la plupart des
terminaisons er pour la période qui nous occupe maintenant sont
représentées par l'abréviation "; à tel point qu'il devient extrême-
ment rare de trouver la désinence en er de ces deux infinitifs sous
une forme non abrégée; et ceci introduit un nouvel élément de
doute, car il est possible que les scribes aient étendu la signification
de l'abréviation et ils ont pu représenter la nouvelle forme avoir
par l'abréviation ancienne déjà et traditionnelle av "' . Cela explique-
rait pourquoi la forme étymologique semble n'avoir pas gagné beau-
coup de terrain pendant ces vingt années, quoique, à tout prendre,
elle soit encore employée beaucoup plus fréquemment que la forme
en er et la forme abrégée prises ensemble. Nous n'avons pu faire
les mêmes observations pour tous les autres recueils car les éditeurs
ont développé presque partout les abréviations paléographiques.
Depuis 1360 jusqu'à la fin du siècle, les formes en er deviennent
de plus en plus rares pour tous les textes anglo-français qui n'appar-
tiennent pas à la littérature; on en trouve toujours quelques-unes,
surtout dans les recueils secondaires, comme les différentes Annales
ou Chroniques monastiques ; dans les grands recueils la terminaison
en oh est à très peu près la seule employée.
Nous n'avons pas pour les autres verbes de III des exemples aussi
.408 I.'kVOLUTIOX IJU V1:R15I- hn axc.lo-ikançais
nombreux ni des données aussi précises que pour avoir et savoir;
cependant, à quelques restrictions près, nous allons voir qu'ils ont
suivi une marche parallèle à celle que nous avons pu tracer dans les
pages précédentes. Il faut tout d'abord remarquer que, pour ces
verbes, moins employés que ceux que nous avons déjà vus, la dési-
nence de la première conjugaison, qui à la fin du xiii"^ siècle est
devenue la forme normale, persiste plus longtemps ; jusqu'en 1350,
les formes en er sont à peu près uniques; nous avons un bon
nombre d'exemples de verbes différents qui nous le montrent, et
en voici quelques-uns : arder dans Rymer (1256, I, 589); estover
(id., 1270, I, 262); vecr (ïd., 1289, II, 848; 1294, II, 857; 13 11,
III, 369; 13 16, III, 582); cet infinitif se trouve d'ailleurs répété
dans presque tous les recueils : dans les Parliamentary Writs(i297,
I, 54); dans les Literae Cantuarienses (13 12, 74); dans le Liber
Custumarum (13 10, 202), enfin très fréquemment dans les Statutes
(1320, I, 180 ; 1323, I, 192). Il faut signaler ici une particularité
de l'anglo-français politique et diplomatique, particularité qu'on peut
surtout observer dans les Statutes', c'est la confusion entre ziidere
et vigilare : on trouve fréquemment par exemple survcier pour sur-
veiller, qui montre que les scribes considéraient ce verbe comme un
composé du verbe voir ; et ce dernier est parfois écrit veier (cï.
Liber Custumarum, 13 10, 202). Il y a un certain nombre de cas où
il est difficile de juger si l'on a affliire à un verbe de III ou réelle-
ment à un infinitif de I, à voir ou à veiller. Citons maintenant rapi-
dement, sans nous arrêter à donner de références, certains infinitifs
qu'on peut relever dans nos textes ; les Statutes nous donnent : valer,
mover , parer , escheer , seer, rementiver ; les mêmes verbes se trouvent
presque tous dans Rymer, on y trouve de plus maner, recever.
Pendant cette période les formes correctes sont rares ; on trouve
dans les Statutes pz/rw/rt' répété à la page 347 du premier volume
(1354), et poeir (1305, I, 145), dnmr (1322, I, 189); mais ces
deux derniers exemples sont des noms verbaux.
Les terminaisons en er diminuent sensiblement dans la seconde
moitié du xiv"^ siècle, celles en g/V augmentent proportionnellement ;
il est inutile que nous citions un plusgrand nombre d'exemples des
I . Nous avons cependant trouvé sorver (-= surveiller) dans le Traité de Senes-
chaucie, p. 90,
L INFINITIF 409
premières, celles que nous avons données pour la première moitié
du xiv^ siècle peuvent suffire, et il est, croyons-nous, impossible de
découvrir si certains de ces verbes sont revenus à la terminaison
normale plus vite que les autres ; nous trouvons cependant pendant
cette période un assez grand nombre d'exemples de l'infinitif volorr
(cf. Rymer, 1362, IV, 381; Actsof Parliament of Scotland, 1363,
494); il en est ainsi pour devoi?', dans les Statutes (1360, I, 368) et
les Literae Cantuarienses (1395, 905). Nous n'avons relevé pour
ces deux autres verbes aucun exemple de l'autre forme ; veoir de
son côté devient, à partir de 1360, très commun dans les Rymer's
Foedera;on le trouveaussi dans les Statutes (1396, II, 94, etc.).
Citons encore rapidement recevoir, movoir, comparoir, asseoir,
escheoir qui se trouvent dans les Statutes et dans Rymer. Après 1370,
les formes en cr sont fort rares.
Par conséquent, légèrement en retard sur avoir et savoir, ces infi-
nitifs arrivent cependant à reprendre comme eux la forme étymolo-
gique qu'ils avaient abandonnée pendant environ un siècle.
Nous ne pouvons évidemment pas être aussi précis pour les
Year Books que nous avons tâché de l'être pour les Statutes par
exemple ; nous nous contenterons d'attirer l'attention sur un certain
nombre de faits que la lecture des Year Books rend assez évidents ;
les premiers Year Books ne contiennent que des formes en er à
l'infinitif des verbes de III ; nous n'avons relevé aucun exemple de
forme étymologique jusqu'au Year Book i et 2 Edw, II, mais cela
peut être aussi bien la faute de l'éditeur, qui ne nous donne pas les
variantes, que celle des scribes. Dans les premiers textes soigneuse-
ment édités, les terminaisons oir apparaissent : avoir se lit dans i et
2 Edw. II (7, 46, 25, 56); dans 3 Edw. II (aux pages 8, 53, 131,
139). Le ms. Y (1312) pourrait nous fournir un nombre très con-
sidérable d'exemples de cette forme, et dans les recueils postérieurs
cette forme est toujours très employée : citons-en quelques
exemples : Eyre of Kent (III, 143, etc.); 12 et 13 Edw. III (15,
etc.); 16 Edw. III (105).
Les exemples de formes étymologiques sont moins nombreux pour
le verbe savoir; nous pouvons en citer quelques-unes, comme dans
I et 2 Edw. 11(56) ; 16 Edw. III (35), etc. ; mais les Year Books
du règne d'Edw. III que nous avons consultés présentent une très
forte majorité de formes en er pour avoir et savoir.
jlO L HVOLUTIOM DU VI-RBE KN ANGLO-PRAXÇAIS
Quant aux autres verbes de III, ils ne semblent jamais prendre
(ou reprendre) la forme correcte, même dans le ms. Y ; ils appa-
raissent toujours avec la terminaison er, comme vakr, poiier, veer.
Ce passage à la première conjugaison prend, assez communément
pour certains verbes, une forme assez spéciale. Pour le verbe cheeir
par exemple la diphtongue passe de la terminaison dans le thème
cheier, 33,35 Edw. P' (69) ; vraisemblablement cette forme provient
de la forme ordinaire cheer, au moyen d'un /introduit pour empê-
cher l'hiatus; de même veiere dans iG Edw. III (p. 9); savoyer qu'on
lit dans 33 et 35 Edw. P' (p. 117) est une forme analogue, assez rare
du reste.
Nous pouvons maintenant donner des conclusions générales sur
le sort des formes en eir à l'infinitif en anglo-français. Nous ne
répéterons pas les différents points que nous avons énumérés à la
suite de notre étude de cette désinence dans les ouvrages littéraires.
Les textes politiques, diplomatiques, familiers et, jusqu'à un certain
point, légaux ne nous fournissent de renseignements nouveaux et
précis que sur un point seulement (n°^ 7 et 8) ; mais sur ce point
leur témoignage est de la plus grande valeur. Ce point, comme
on le prévoit, c'est l'emploi de la désinence en oir pour les infinitifs
de ÏII dont nous avons trouvé des exemples dans les œuvres litté-
raires au commencement du xiV siècle pour les scribes, à la fin du
même siècle pour les auteurs.
En dehors de la littérature, ce retour à la terminaison régulière est
encore plus clairement marqué. t*our avoir et savoir elle apparaît
dès les dernières années du xiii^ siècle, et elle gagne constamment
du terrain sur la forme en er^ au point de devenir pour ces deux
verbes la forme quasi unique à partir de 1360.
Pour les autres verbes de IIÏ, er reste fréquent jusqu'au milieu du
xiV siècle, mais arrive à disparaître presque entièreiTient pendant
le quatrième quart de ce même siècle. Pour ces verbes, par consé-
quent, l'usage de la langue politique coïncide presque exactement avec
celui de la langue littéraire.
Le retour à la forme étymologique a donc commencé par les deux
verbes de III les plus employés : avoir et savoir, et ce sont les recueils
non littéraires qui nous en offrent les exemples les plus reculés et
les plus sûrs.
L INFINITIF 411
IV. Infinitifs de II passant à I ^ .
Les infinitifs de la seconde conjugaison tendent à prendre la ter-
minaison er exactement comme les infinitifs de III; ce phénomène
a pris en anglo-français une extension presque aussi considérable
que celui que nous venons d'étudier; bien plus, comme nous le ver-
rons, il i commencé à peu près à la même époque et a suivi une
marche à peu près parallèle.
Le premier exemple que nous trouvions attesté par la rime date
lui aussi de la fin du xii^ siècle ; on trouve en effet dans le Sermon
de Guischart de Beauliu plaiser qui rime avec asaier et supplier au
vers 639 ; mais pour procéder comme nous l'avons fait j jsqu'ici nous
devons rechercher dans les différents manuscrits du xii*' siècle les
infinitifs qui prennent la terminaison des infinitifs de I : ils sont
certainement assez communs pour retenir l'attention. Le scribe du
Voyage de Saint Brandan (i 167) remplace souvent par e Vi tonique
des infinitifs de II. Voici quelques-uns des exemples que nous lui
attribuons dans ce poème : repenter (120), dormer (520), murer
(1046), voiner (142), tener (1530). Ces quelques exemples nous ont
paru absolument isolés, même à la date du ms. de Londres ; les cas
de passage de irh.er qui nous semblent chronologiquement les plus
voisins de ceux que nous venons de citer se lisent dans le ms. L
de la Chronique de Fantosme (commencement du xiii^ siècle):
on y lit/éTtT, assaiUier, vener, lai.ier (respectivement pour les vers
662, 530, 1290, 1379). Par conséquent la rime de Guischart de
Beauliu, les cinq formes du scribe du Saint Brandan et peut-êtr e
quelques-uns des exemples du ms. L de Fantosme appartiennent
seuls au xii^ siècle.
Ce phénomène n'est d'ailleurs ni très général ni très commun au
début du xiu^ siècle ; à cette époque encore il semble spécial aux
scribes, ce qui nous paraît la règle pour la plupart des changements
que nous observons en anglo-français. Rappelons d'abord les
exemples du ms. de Fantosme ; nous n'en citerons pas d'autres de
ce genre. Les rimes restent assez rares : Robert de Gretham f;iit
rimer refreider avec enbraser (folio 68 r°) ; Frère Angier emploie
I . Pour le passage de la terminaison ir à la forme cr, on peut voir Meyer-
Lùbke, Grammaire II, § 117, et H. Suchier, Ueber die..., p. 48.
_|I2 L KVOLUTIOX DU VHRI5E EN ANGLO-1-RANÇAIS
dementcr pour dcmenùr (vers 312 de la Vie de Saint Grégoire).
C'est le poème de Boeve de Haumtone qui nous montre le plus
grand nombre d'exemples et ceux-ci sont si communs à la rime qu'il
ne se peut pas qu'un certain nombre de ceux qui se trouvent dans
le corps du verbe n'appartiennent à l'auteur. Voici quelques-uns de
ceux que nous rencontrons à la rime : einpler, geser, vialader, morer,
vener (respectivement aux vers 2364, 1681, 2783, 1828 et 2415,
2190).
Ceux qui se trouvent dans le corps du vers sont beaucoup plus
nombreux : nous en citerons un petit nombre, et puisque l'auteur
n'hésite pas, le cas échéant, à employer ces infinitifs à la rime, il
n'y a pas beaucoup de raisons pour que nous hésitions nous-
mêmes à lui en attribuer au moins quelques-uns : citons-en un cer-
tain nombre parmi ceux qui se rencontrent le plus souvent : consen-
ter, donner, failer, ferer, morer, oyer, sérier, soffrer, tener, vener, vester
(respectivement aux vers 1830,1138, 3537, 284, 484, 2291, 2408,
1398, 1817, 2244, 493, 2774).
Nous mentionnons séparément overer (2291) qui, comme nous
le dirons plus tard, est souvent confondu avec son paronyme ouvrer
(operare); ajoutons à ces quelques verbes des rimes sur lesquelles
nous aurons à revenir : departer et couvener (2705), server et oyer
(2698, 2700) se trouvent à la rime dans une laisse en /. Nous
ne ferons pas d'énumération aussi longue pour les auteurs qui
viennent après Boeve de Haumtone, car de longues listes de
verbes ne prouveraient pas grand'chose, et ensuite ces auteurs ont,
toute proportion gardée, lin nombre d'exemples beaucoup moins
considérable. Nous citerons simplement quelques-unes des rimes
que nous avons relevées. Parmi les infinitifs de II rimant en er,
nous trouvons parier dans la Genèse Notre-Dame (82 r^), chever dans
le Roman des Romans (190), tener dans la Lament of Simon ot
Montfort (26), et dans le M aiueldes Péchés de William de Wadding-
ton : tener, pleiser, enorgueller (respeciivemcnt aux vers 1482, 3442,
7398) parmi beaucoup d'autres.
Nous ne citerons pas les infinitifs de II que nous avons rencon-
trés avec cette terminaison dans le corps des vers : nous ne savons
jamais à qui en attribuer la responsabilité, aux auteurs ou aux
scribes. C'est à ces derniers que nous ferons remonter les rimes
inexactes comme asailer : mentir, asailer : partir dans The Song of
LINFmiTlF 413
Dermod (respectivement aux vers 1032, 1574) qui sont pour nous
très significatives.
Nous passerons sans plus nous attarder aux textes de la fin du
xiii^ et du xiV^ siècle.
A cette époque, le nombre des infinitifs qui prennent ^r au lieu de
ir est très grand, et ces formes sont fréquemment attestées par les
rimes, le nombre de ces dernières est même beaucoup trop considé-
rable pour que nous puissions songer à les donner toutes. En voici
cependant quelques-unes, dans un ordre à peu près chronologique :
l'Apocalypse peut nous fournir un assez grand nombre d'exeniples,
comme overer, dont nous avons déjà parlé (^ et -(, 209, x, 300),
ruger (3 et y, 507) rimant avec des infinitifs de I : ajoutons-y des
formes assez communes à cette époque : escharmy(Ji et y, 709)' ^^ oier
(y, 1411); dans Traillebaston gyser (au vers 6^) ; oier se trouve répété
plusieurs fois dans le Siège de Carlaverok (cf. 4, 20). Le nombre
des rimes de ce genre n'est pas très considérable dans la Chronique
de Pierre de Langtoft, citons : erirycherQ., 216, 12), estabkr (I, 428,
9), oheier Ql" Appendice, II, 38e, 11). Les poèmes de la fin du
siècle nous donnent plusieurs autres rimes analogues, comm^repen-
Icr (: gabber) dans leDeConjuge nonduccnda(22), sustener (: mer)
dans la Lamentation sur la mort d'Edward I".
Comme précédemment, nous énumérerons ici quelques rimes
douteuses : on en trouve une dans le Traillebaston, soffrer : choiser
(65-66), une autre dans le Siège de Carlaverok, iiieinteuier : couvenier
(52) ; et dans le poème du Prince Noir, nous relevons oir (: gestier)
et (: escoltir) respectivement aux vers 1820 et 1647. Nous nous ser-
virons de ces rimes dans notre seconde partie.
Les exemples assurés du passage de ir à er sont donc nombreux,
mais ne peuvent se comparer pour le nombre à ceux qui ne le sont
pas, c'est-à-dire à ceux que nous trouvons à l'intérieur des vers et
dans les œuvres en prose. Ces derniers ont leur importance et leur
valeur car ils appartiennent pour la plupart au xiV siècle et la diffé-
rence que nous observons encore sur ce point entre la langue des
auteurs et celle des scribes a sa signification : c'est pourquoi nous espé-
rons qu'on nous parJonnera si nous ajoutons encore quelques exemples
de ce genre. Entre les années 1320 et 1340, la Chroniquede Londres
nous montre les formes suivantes : ùsailer, asenter, coverer, establer,
giser, maintenêr, oier, rejoier, seiser, ^oa^r^r (respectivement aux pages
414 I. EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
77, 57, 52, 68, 73, 49, 57, 41, 82). Le roman de Foulques Fitz
Warin nous montre fotier, overer, plaiser (124, 1066, 1326). Enfin
les Contes de Nicole Bozon et les Chroniques de Nicolas Trivet
nous en ont fourni un nombre considérable ; voici, pour le premier
de ces ouvrages, la liste que nous avons dressée, liste qui se trouve
être un peu plus complète que celle que donne M. Meyer : choiser,
einpler, enficbler, eninoiirer, enricber, failler, bayer, joyer, netter, oyer,
overer, departer, porrer, profrer, aqeller, quiller, regeier, reviler, sailer,
asailer, resailer, soffrer, meigtener, siistener, toler, tôlier, vener, pleyser
(nom verbal). (Ces exemples se trouvent aux paragraphes suivants :
84, 54, 84,28, 95, 99, 131, 2, 44, 29, 106, 37,51, 42, 118, 136,
né, 118, 80, 54, no, 127, 35, 2, 19, 5, 145, 118, 132, 88, 32.)
Dans la Chronique de Nicolas Trivet, nous rencontrons, entre
autres exemples, recoiller, flestrer, failler, florer, oyer, asailler, sofrer,
t'ow^r (respectivement aux folios 2 r°, 2 r°, 5 v°, 2 r°, 48 v°, 62 v°,
5 r°, 31 v°).
Il serait bon d'essayer de donner dès maintenant une idée d'en-
semble sur le passage à la forme de I des infinitifs de II dans les
ouvrages littéraires. Les premiers exemples que nous ayons relevés
datent de la fin du troisième quart du xii'' siècle ; à cette époque,
ils sont très rares à la rime mais assez communs chez certains scribes.
Le nombre de ces formes augmente sensiblement pendant la pre-
mière moitié du xiii^ siècle, et, à partir de 1275, il devient considé-
rable. On peut cependant faire deux remarques : le nombre des
rimes douteuses est relativement grand; en second lieu, ce sont les
ouvrages en prose qui nous semblent donner le plus fréquemment
aux infinitifs de II la désinence en er.
Nous ne pouvons pas songer à énumérer tous les exemples ana-
logues que nous avons relevés en dehors de la littérature ; nous nous
contenterons de marquer les grandes lignes du passage de ir à er.
Dans ces textes, la fin du xiii^ siècle nous montre un petit nombre
d'exemples ; un seul verbe dans les Statutes se trouve assez cons-
tamment : le verbe ozV (cf. 1278, I, 44). Oyer sera désormais très
commun. On le rencontrera pour ainsi dire dans chaque Statut. Et
il en est de mèmepour les autres classes de textes non littéraires : les
Traités, les Lettres, etc., nous en donnent un nombre indéfini
d'exemples.
De sorte que, à partir de la fin du xiii^ siècle, pour cet infinitif, la
L INFINITIF 415
terminaison régulière en ir devient de plus en plus. rare dans les
textes non littéraires. Nous avons remarqué que dans les Statutes
la forme encr de cet infinitif est surtout commune dans une for-
mule qui se trouve constamment répétée : « pour oyer et termi-
ner ». (On pourra trouver cette formule aux passages suivants des
Statutes: 1335, I, 272; 1336, I, 282 ; 134^, I, 301; 1350, I, 313 et
322; I, 1357,452.) Cependant oier ne se rencontre pas unique-
ment dans cette formule, et par contre oir s'y trouve parfois employé.
Les autres recueils de textes politiques et diplomatiques nous
donnent, outre le verbe o/Vr, un nombre considérable d'autres formes
analogues. Les exemples que nous y trouvons sont surtout, comme
dans le cas qui précède, des verbes qui sont appelés à n'avoir guère
par la suite que la forme en er pour leur infinitif. En première
ligne, nous citerons acoiiipler; cette forme se lit par exemple dans les
Rymer's Foedera (1294, II, 620; 1297, II, 770) ; dans le Liber
Albus, et dans un certain nombre d'autres recueils qui donnent des
textes de la même époque. Estahkr n'est guère moins commun, les
Rymer s Foedera nous fourniraient encore pour cet infinitif une
assez longue liste d'exemples (cf. 1283, II, 239). Citons encore,
sans nous y arrêter trop longtemps et en ne prenant nos citations
que dans le recueil que nous citions précédemment : teiier, qui est
déjà à cette époque très commun, surtout son composé niainlener
(1274, II, 32); vener^ dont nous n'avons pas relevé un aussi grand
nombre d'exemples (cf. 1297, II, 768); faillcr (id., ibid.); enfin
eiiipler qui n'est pas rare (cf. 1297, II, 742).
Nous avons, pour ne pas allonger notre énumération, pris les
exemples ci-dessus dans le même recueil, mais nous aurions aussi
bien pu les emprunter au Liber Albus ou aux recueils de Lettres.
Par conséquent, en dehors de la littérature, nous voyons tout
d'abord, comme acquisitions des formes en er parmi les infinitifs de
II, un certain nombre de verbes qui plus ou moins régulièrement
abandonnent la désinence qui leur est régulière.
Ceux-ci au siècle suivant, se retrouvent constamment et deviennent
plus communs, lorsqu'ils ne l'étaient pas déjà au siècle précédent,
sous cette nouvelle forme que sous la forme étymologique.
Ce ne sont du reste pas les seuls verbes qui, au xiv'' siècle, nous
présentent des exemples de la même irrégularité. Ils restent tou-
jours les plus employés et, si on peut dire, les plus réguliers, sous
41 6 l'j'-volution du vekbh kn anglo-i-kançais
la forme en er\ mais ils ne sont pas isolés, bien au contraire, car
si on voulait donner une liste complète des infinitifs de II qui
subissent ce c ban ge ment, c'est une liste de tous les verbes de cette
conjugaison qu'il faudrait dresser; nous ne le tenterons pas. Il
nous suffira de remarquer que dans les deux grands recueils qui ont
servi de base à notre travail, les Statuteset les Rymer'sFoedera, c'est
environ à la même date qu'on trouve le maximum des formes en
cr, à partir du milieu et surtout pendant le troisième tiers du
xiV siècle; avant 1350, on trouve encore un nombre assez consi-
dérable d'infinitifs de II qui prennent la terminaison régulière ;
entre 1350 et 1360 pour les Statutes, 1350 et 1370 pour les R3'mer's
Foedjra, les terminaisons en ir sont relativement rares; elles le
deviennent de plus en plus après ces deux dates, à tel point que
même dans les Statutes, elles disparaissent presque complètement ;
on ne trouve guère que des verbes qui semblent avoir presque
définitivement passé à la première conjugaison, au moins pour le
mode infinitif, comme oier, acoinpler et esiahler.
Parmi les verbes qui prennent le plus souvent en cr au lieu de
ir pendant tout le xiV siècle, on peut citer, outre ceux que nous
avons déjà vus : seiser qu'on trouve par exemple dans les Statutes
(1363, I, 378) et passiiii dans les Rymer's Foedera ; coiller dans 4es
Mem. Pari., 1305 (§ 481); dans les Statutes (i" vol., 1323, 193;
1340, 297; 1357, 352); dans les Actes du Parlement d'Ecosse
(1333, 540), dans Rymer (1330, IV, 451). On trouve encore
très communément 6'»/o/Vt, comme dans les Mem. Pari., 1305 (§27)
et dans le premier volume des Statutes (1330, 310 et 318); dans
les Early Statutes of Ireland (1320, 284) ; dans Rymer (1348, V,
611); citons encore rapidement dans les Statutes : morer, obeier,gar-
ner, isser, choiser, soffrer, giscr ; dans Kymev : foiuer, giser, obeier, assen-
ter, isser, soefirer, finer, socffrer dans les Literae Cantuarienses, etc.
Cette liste nous représente les verbes qu'on trouve le plus
communément.
Dans les Year Books, les infinitifs en ir que nous rencontrons
sous la forme de verbes de I sont fort communs, mais il nous est
impossible de préciser les dates auxquelles les différentes formes
apparaissent. Les Year Books du règne d'Edward P"" qui ont été
publiés pourraient nous off"rir une très longue liste : oyer, tener,
garanter, emplcr, arreiitcr, gisrr, fowcr, mais aucun de ces exemples
L INFINITIF 417
n'est assuré; l'on rencontre souvent dans le même recueil les formes
nouvelles à côté des formes anciennes : garantir est employé par
exemple dans 22 Edw. P' ; il y est plus commun que garanter, et
se trouve encore dans 30 Edw, \" (p. 29) ; assenlir est donné par
les ms. M, P, S^ Y, dans i et 2 Edw. II, p. 159, etc. Les e.xemples
de ces deux formes employés concurremment sont extrêmement
nombreux, et nous ne pouvons guère qu'en donner une idée.
Que peut-on en conclure ? Il nous semble qu'on n'a à choisir que
trois hypothèses vraisemblables. Ou bien les formes en //■ appar-
tiennent cà la date du Year Book et celles en er proviennent des
scribes qui ont recopié plus tard les notes prises par les auditeurs;
ou bien à l'époque où les premières notes furent prises la distinction
entre ir et er s'était déjà effacée (que le changement soit phonétique
ou analogique); ou bien ce sont les scribes dont nous possédons
les cahiers qui avaient perdu le sens de cette distinction. Nous
n'avons aucune raison intrinsèque pour ne pas admettre la pre-
mière hypothèse, mais les conclusions assurées que nous tirons des
textes politiques la rendent assez peu vraisemblable ; si nous admet-
tons la troisième, qui nous paraît la plus naturelle, la date de la con-
fusion est au moins 13 12 (date du ms. Y) : c'est un terminus
ad quem. Nous devons donc admettre que pendant le commence-
ment du xiV^ siècle et probablement pendant la fin du siècle précé-
dent, pour des raisons que nous verrons plus tard (cf. seconde par-
tie), la terminaison de l'infinitif des verbes de II, sans disparaître
complètement, se confond le plus souvent dans les textes en langue
légale avec celle des infinitifs de I et par la suite n'apparaît plus
que rarement.
Il nous est facile maintenant de jeter un coup d'œil d'ensemble sur
les faits que nous venons d'exposer. Les renseignements que nous
ont fournis les différentes catégories de textes sont aussi concordants
que possible, surtout si on tient compte de ce qu'il y a ordinaire-
ment de flottant dans l'anglo-français. Nous résumerons en quelques
paragraphes l'histoire de ces infinitifs en anglo-français.
1. La confusion entre la terminaison en ir et en er a certaine-
ment commencé vers la fin du xii^ siècle.
2. Elle a été telle que ce sont surtout les scribes, tels que
celui du Voyage de Saint Brandan, qui nous fournissent le plus
grand nombre d'exemples à cette époque: les auteurs ne nous ont
donné qu'un petit nombre de cas assurés.
4i8 l'évolution du verbe ex a\glo-i rançais
3. Le nombre des infinitifs de II qui prennent la terminaison
en ej- devient considérable pendant le xiii* siècle ; à partir de 1250
le nombre des formes assurées en er est très grand.
4. Pendant tout le siècle suivant, surtout vers 1350, dans la
littérature aussi bien que dans les textes familiers, politiques, diplo-
matiques, légaux, les terminaisons régulières deviennent extrême-
ment rares pour les infinitifs de II. Il y a, à vrai dire, quelques
auteurs qui font exception, mais ils sont peu nombreux.
\'. Iiijîiiilifs de IV prenant la tcriiiinaisoii des verbes de I.
On observe pour les infinitifs de la quatrième conjugaison le
même phénomène que celui que nous venons d'exposer pour la
première et la seconde : la terminaison étymologique re tend à
céder la place à la désinence er. Mais cette substitution, dont la
nature peut différer de celle des changements analogues que nous
avons étudiés dans les autres conjugaisons, se place en outre à une
date beaucoup plus tardive. Elle n'appartient ni au xii^ ni au xiii"
siècle. Dans certains ouvrages de ce dernier siècle, nous pouvons en
rencontrer quelques exemples, mais nous n'hésiterons pas à les
attribuer aux scribes du siècle suivant : le premier exemple assuré
que nous ayons de ce phénomène se lit dans le Manuel des Péchés
de William de Waddington. Enumérons cependant quelques-uns
des exemples que nous avons rencontrés dans les œuvres littéraires
antérieures à ce poème. La \'ie de Saint Edmund nous montre (au
vers 3766) la forme treier, pour traire; Boeve de Haumtone évi-
demment nous en donne aussi quelques exemples parmi lesquels
nous citerons occier pour occire. Mais, nous le répétons, ces formes,
isolées pendant les trois premiers quarts du xiii'^ siècle, doivent être
laissées aux scribes de la fin du siècle et du siècle suivant.
Aucun doute n'est permis pour les formes de ce genre que nous
lisons dans le Manuel des Péchés de William de Waddington et qui
sont employées à la rime. Signalons d'abord un verbe de la qua-
trième conjugaison pour lequel la forme de la première est devenue
habituelle et peut-être unique : le verbe maudire. Nous avons peut-
être affaire ici à un véritable changement de conjugaison. Pour les
formes de l'infinitif, nous nous contenterons de donner rapidement
quelques exemples: niaudier se trouve à la rime du vers 1848 avec
amer, au vers 1882 à la rime avec doter, au vers 3577, 4490 à la
rime avec custumer; cette forme est donc aussi assurée que possible.
L INFINITIF 419
Quelques autres verbes de IV se trouvent aussi à la rime dans le
Manuel des Péchés plus rarement ; nous pouvons cependant citer
braier (: apeser) au vers 4497. A l'intérieur du vers, surtout dans
le ms. A, cette désinence est très commune, mais elle peut être
attribuée aux scribes.
La Chronique de Wil. Rishanger contient un certain nombre de
formes analogues comme repelkr à la page 278, et le plus extraor-
dinaire de ces exemples est ester pour être à la page 331.
Le nombre des infinitifs augmente au xiv^ siècle, nous pouvons
maintenant les diviser en plusieurs classes.
1. Quelques-uns de ceux qui prennent cette nouvelle forme
n'ont qu'une ressemblance pour ainsi dire extérieure ou fortuite
avec les verbes de I: ce sont ceux qui perdent Ve muet final de leur
terminaison (cf. plus haut) ; la syllabe er qu'on leur voit n'est
pas de la même nature que celle des infinitifs de la première conju-
gaison puisqu'elle appartient ici au thème ; pour le verbe fer que
nous avons déjà vu, la voyelle t'est l'équivalent de la diphtongues^/.
Cette remarque s'applique encore à un infinitif comme quer.
Pierre de Laugtoft ou ses scribes nous offrent un assez grand
nombre de formes de ce genre: d'abord les deux exemples que nous
citions tout' à l'heure : fer (I, 64, 19; I, 112, 8) dont on peut rap-
procher (pour montrer quelle différence il y a entre ce verbe et un
infinitif de I) fair employé par Nicolas Trivet (au folio 29) ; et
quer (I, 212, 4; II, 86, 26); fer se trouve aux §§ 49 et 80 des
Contes de Nicole Bozon.
En se reportant aux exemples de chute de Vc muet final que nous
avons déjà cités, on trouvera un assez grand nombre de verbes qui
prennent ainsi accidentellement la forme des infinitifs de I.
2. Nous pouvons citer un certain nombre de cas où la res-
semblance n'est pas aussi purement extérieure ; elle provient,
comme nous le verrons dans la seconde partie de ce travail, d'une
métathèse de la voyelle muette finale.
Par conséquent, nous devons trouver d'abord dans cette classe
les verbes dont le radical est terminé par une consonne suivie d'une
dentale; les verbes de cette sorte se rencontrent à l'infinitif
avec la désinence de la première conjugaison sous la plume de tous
les écrivains de ce siècle ; par exemple nous lisons abaier, coiuhaler,
aux vers 1302, 1462 de la Destruction ; ils sont spécialement nom-
po l'évolution du VEKBK HN ANGLO-lRANÇAlS
breux chez Pitrre Je Langtott ; nous pouvons relever dans ses
Chroniques render (I, 48, ri), oyndcr (II, 8, 12), attender (II, 254,
1^), (Viifmider (II, 300, 21), ester (I, 172, 21), pour ne citer que
les plus communs. Nicole Bozon dans ses Contes peut nous four-
nir un grand nombre de cas semblables : defender (§ 5), metterÇihid.
et § 153); dans la Chronique de Londres (à la date de 1340,
p. 76), on trouve espaunder. Pender, tounder sont employés par Nico-
las Trivet (respectivement aux folios 19 r° et 35 v° et passini).
Les verbes dont le thème est terminé par une labiale se ren-
contrent aussi communément au xiV^ siècle sous la forme d'infinitifs
en er ; ces verbes sont du reste nombreux, surtout ceux qui se ter-
minent en vre; par exemple, on trouve ^dans Pierre de Langtoft
vyve7- (I, 392, 12), beyver (I, 438, 16), recayvcr (I, 446, 13).
Nous pourrions encore fournir une assez longue liste formée
par les infinitifs que nous montrent les Contes de Nicole Bozon,
comme skuer et siiiver que nous lisons aux §§ 44 et 145, ou roiiiper
employé au § 129. Et il en va exactement de même de tous les
auteurs de la fin de ce siècle, entre autres de Nicolas Trivet.
Nous rencontrons une métathèse de la même nature dans plu-
sieurs verbes qui ont un thème vocalique : les exemples que ceux-
ci nous fournissent sont certainement moins nombreux que ceux
que nous avons énumérés jusqu'ici sans pour cela être rares. Nous
avons tout d'abord relevé teer pour taire qu'on trouve dans les Dis-
tiques de Caton de l'Anonyme du xiv*' siècle au vers r8i et, dans
le même ouvrage, créer (pour: creire) qui rime avec ottroer, au vers
113 ; dans la Chronique de Pierre de Langtoft, nous avons rencon-
tré reer (rairc) (I, 148, 7); dans les œuvres en prose, nous en ren-
controns encore un certain nombre, comme brayer au § 120 des
Contes de Nicole Bozon ou créer dans les Chroniques de Nicolas
Trivet au folio 46 v°. C'est peut-être à cette classe qu'appar-
tiennent le maudier et le braier de William de Waddington.
Les infinitifs des trois catégories que nous venons d'énumérer
semblent bien avoir abandonné, à ce mode au moins, leur conjugai-
son, mais ici, comme dans notre première division, nous n'avons
peut-être qu'une apparence. Remarquons que nous n'avons relevé
qu'une seule rime (outre celles que nous donne le Manuel des
Péchés, voir plus haut) qui nous montre que la condition essen-
tielle de ce changement a été remplie: le déplacement de l'accent.
L INFINITIF 421
Cette rime se trouve dans la traduction des Distiques de Caton que
nous citions tout à l'heure : on lit en effet, au vers 113, créer rimant
avec ottroer. Quelle valeur faut-il attribuer à cette rime ? Nous ne
pensons pas qu'elle suffise à prouver que dans tous les exemples que
nous avons cités spécialement dans les thèmes à dentale et à labiale,
l'accent a passé sur la syllabe étymologiquement muette ; nous no
pouvons admettre autre chose que ce fait que la métathèse, dans
quelques cas et peut-être pour un certain nombre de verbes, surtout
à thème vocalique, dont le verbe croire, a été suivie d'un déplace-
ment de l'accent qui a donné réellement à ces infinitifs la forme des
infinitifs de I. Nous croyons que dans la majorité des cas, et tout
au moins au début, les formes que nous avons citées ne sont que
des graphies de la forme correcte.
3. Les cas où le passage des infinitifs de IV à la forme des infi-
nitifs de I est indubitable sont assez rares : nous y remarquons soit
une simple addition d'une r, soit un changement radical dans la
forme de l'infinitif régulier. Pour l'addition d'une r, nous pouvons
citer des exemples qui ne laissent place à aucun doute sur la réalité
du changement de désinence. Nous pouvons citer par exemple cou-
rer, dans la Chronique de Londres, à la date de 1341 {cL p. 82);
lystrer qu'on trouve dans les Contes de Nicole Bozon (au § 124).
C'est un changement profond dans la forme du verbe que nous
remarquons dans assoikr (formé sur le subjonctif si employé assoiUe,
cf. Subjonctifs en ani) que nous lisons dans le poème de la Des-
truction de Rome pour le vers 808.
Comme on le voit dans cette troisième classe, les exemples ne
sont ni nombreux ni importants : ils n'ont que l'autorité d'un clerc
très ignorant et celle de deux ouvrages en prose, dont les formes
ont pu et dû être altérées par des scribes.
Nous pouvons maintenant résumer en quelques mots ce que nous
venons de voir au sujet du passage des infinitifs de IV à la forme
de I dans les œuvres littéraires.
1. Pour un grand nombre de verbes, la forme des infinitifs de I
est purement extérieure;
2. Pour ceux qui la prennent par métathèse de la voyelle muette,
il est probable que ce changement a été d'abord purement gra-
phique ; nous avons cependant un exemple (peut-être plusieurs si
nous rattachons à cette classe le maiidier et le hrayer de William de
|22 l.'l^.VOLUTlON DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Waddington) montrant que lamétathèsea été suivie d'un déplace-
ment de l'accent.
3. Enfin, nous relevons encore un certain nombre d'exemples
pour lesquels aucun doute ne saurait exister, mais ils sont rares,
tardifs et sans autorité.
En dehors de la littérature, nous retrouvons les trois classes que
nous venons d'étudier, et elles nous donnent de nombreux
exemples.
Nous ne nous appesantirons pas sur la première classe ; et les
exemples de chute de \'e final que nous avons déjà donnés suffi-
ront pour montrer la forme que peuvent ainsi prendre certains
verbes de IV.
Dans la seconde classe, nous trouvons tout d'abord tous ou à
peu près tous les verbes dont le radical est terminé par une den-
tale précédée d'une consonne, le groupe ?idre se présentant spécia-
lement sous la forme nder. Parmi les plus fréquents, on peut citer
defender dans les Rymer's Foedera (1308, III, 86) et dans les Lite-
rae Cantuarienses (1380, 947); dans les Statutes (1390, II, 74),
etc. De même, on lit prender dans lesMem. Pari. 1305 (§ 199); dans
les Statutes (1376, I, 398); dans les Rymer's Foedera (1384, VII,
429). On trouve encore dans les Statutes : responder, deslreynder,
tounder, vender... dans les Rymer's Foedera descender, de^peuder,
somonder ; descender, despender, esteiider, vender dans les Year Books.
Nous ne croyons pas qu'il y ait un seul verbe en ndr qui n'appa-
raisse au moins une fois avec la métathèse de Ve muet.
Les autres verbes à dentale appuyée sont moins nombreux et
moins fréquents. Citons cependant parmi les verbes dont le
radical est terminé par une dentale double abûter (Rymer, 1361,
VI, 321; Statutes, 1397, II, no); et encore dans Rymer wetter ainsi
que ses composés remetter, promet ter, qui se trouvent très fréquem-
ment aussi dans les Year Books.
Les verbes en rd sont représentés par perder qui se lit dans diffé-
rents textes, en particulier les Statutes (1377, II, 2), ^aï aerder dans
Rymer (1369, VI, 626); et peut-être arder (id., passini). Il nous
faut encore mentionner les verbes en str qui se trouvent, rare-
ment du reste, à l'infinitif sous la forme de I : encrester dans
Rymer (1307, II, 1043; 1362, VI, 389) ; dans le Year Book 22
Edw. I" (321), verbe qu'on rencontre dans les Statutes sous la
l'infinitif 423
forme encrecer (1381, II, 18); ajoutons encore cognoister (dans
Rymer, 1390, VII, 662).
Nous pouvons arrêter là notre énumération des verbes terminés
par une dentale. Le nombre des verbes avec un autre thème est
relativement peu considérable ; il y a à prendre er quelques thèmes à
labiale, comme viver dans les Literae Cantuarienses (1363, 909),
dans les Year Books (30 Edw. P', 157, etc.); receiver Qst employé
danslesStatutes(i3ii, I, 164; 1399,11, 117), dans les Literae Can-
tuarienses (1329, 281). Nous avons déjà cité pour ce verbe des
exemples analogues tirés des mêmes recueils à propos du passage à
er des infinitifs en cir.
Rompre, qui a le thème terminé par l'explosive labiale p, prend
souvent à l'infinitif la forme ramper, par exemple dans Rymer
(1375, VII, 70) et les Year Books (14 Edw. III, 75).
L'on voit donc que ce sont les thèmes à dentale appuyée qui
présentent le plus grand nombre de cas où l'infinitif semble prendre
la forme d'un infinitif de I ; pour les autres thèmes, cette forme en
er, sans être extraordinaire, n'est pas aussi commune. C'est aussi ce
que l'on peut dire des thèmes vocaliques; nous en trouvons
quelques-uns avec la terminaison de l'infinitif de I à différentes
reprises, comme enqueer dans les Statutes, ou encore le verbe trcer,
qui se lit dans le même recueil (1353, I, 343) ; et dans les Parlia-
mentary Writs (1324, 287); on le trouve encore assez fréquem-
ment dans les Year Books, par exemple dans 20 et 2r Edw. P""
(p. 39). D'autres verbes à thème vocalique se trouvent plus rare-
ment sous cette forme, par exemple faicr pour faire dans Rymer
(1385, VII, 467); satisfier dans le même recueil (1380, VII, 244).
Nous ne trouvons que très peu de verbes dans la troisième catégo-
rie (addition d'une r) ; on peut citer : dans les Statutes summoner
pour somondre (cf. somonder, supra), 1397, II, loi ; somoner est
commim dans les Year Books (cf. par exemple Edw. I", 211). On
trouve encore socurer dans lès Pari. Writs (1322, IP Appendice,
202); encourer dans Rymer's Foedera (1360, VI, 260). Reqiierer se
trouve dans la plupart de nos textes ; les Statutes, le Liber Custu-
marum, les Literae Cantuarienses ; surtout les Year Books et les
Rymer's Foedera l'emploient constamment. Remarquons, à propos
de cette dernière forme, une expression qui est répétée très fré-
quemment dans Rvmer : « de reqiier et faire requerer ». Il est rare
.|24 l'évolution du vlkbk hn anglo-françals
de trouver dans cette formule les deux infinitifs avec la même forme,
encore plus rare de trouver l'infinitif de I en premier lieu; faut-il y
voir un souci de style chez le scribe ou l'écrivain qui aurait voulu
éviter d'entasser l'un sur l'autre trois infinitifs en re ? C'est possible,
mais peu vraisemblable ; cependant aucune autre explication ne nous
semble admissible.
Citons encore deux infinitifs que nous avons rencontrés fréquem-
ment dans un grand nombre de textes : tôlier et repeUer ; le premier
se lit dans les Documents Inédits (1310, 58), dans les Statutes
(1322, I, 188) et communément dans les Year Books (cf. 14 Edw.
III, p. 41, 105 et passiiti); «n rencontre le second dans les Sta-
tutes (1321, 1, 183 ; 1362,1, 375; 1350,1, 322; 1353, I, 337).
Tous ces exemples et plusieurs autres du passage de IV à I se
trouvent dans les Year Books, par exemple conystrer (22 Edw. l",
317,333, etc.); ardrer(ihid., 509, exc.y,destrehier{^^, et 35 Edw. I",
483) et beaucoup d'autres.
Faut-il considérer que, dans tous les exemples précédents des
textes non littéraires, nous avons le passage réel de l'infinitif de IV
à la forme de l'infinitif de I ? Nous ne le croyons pas. Il faut mettre
hors de cause les infinitifs de la troisième catégorie ; ceux-là sont
bien devenus des infinitifs de I. Il faut aussi leur ajouter certains
autres, comme satisfier et peut-être tous les verbes à thème voca-
lique qui s'écartent sensiblement de leur forme étymologique;
les autres nous apparaissent comme des graphies curieuses de la
forme régulière, dans lesquelles le déplacement de l'accent n'a pas
eu lieu. Ce qui nous le prouve dans ces textes non littéraires, c'est
le mélange des formes en er et des formes en re\ ce mélange est
constant dans tous les recueils, même dans les Statutes. On peut
dire que jamais on ne rencontre la forme nouvelle sans qu'on puisse
trouver, à quelques lignes ou à quelques pages d'intervalle, la forme
étymologique ; s'il y avait eu déplacement de l'accent, la différence
entre les deux formes aurait été trop grande pour que les scribes
aient pu les employer simultanément, non pas seulement une fois,
ce qui serait possible à une période de transition, mais constam-
ment.
Les deux formes : prender, verbe de I, et prendre, infinitif de IV,
sont impossibles simultanément ; on les trouve dans le même para-
graphe, dans un Traité de Rvmer (1384, VII, 429), de mêmequ'on
L INFINITIF 425
trouve à quelques lignes d' mier y aile accres ter et accrestre (id., 1362,
VI, 389); resceyver se trouve dans les Statures (tome II, 1390, 74),
receivre se lit à la page suivante ; de même, les formes correctes
mettre, battre, eschere, aparceivre se trouvent employées côte à côte
avec les formes en er. Q_uant au mélange des deux formes faire et
faier il est très fréquent partout.
De plus, s'il y avait réellement changement de conjugaison, on
pourrait observer un mouvement progressif et continu; cela n'a pas
du tout lieu ; nous trouvons au contraire dans les grands recueils
assez peu de changements à cet égird; le nombre de formes en er
varie évidemment d'une année à l'autre, mais sans la moindre régu-
larité, même générale ; il est évident que les scribes considéraient
les deux formes connue équivalentes et employaient l'une ou l'autre
selon leur fantaisie du moment.
h) INFINITIFS DE II.
Les infinitifs de la seconde conjugaison ne présentent pas un grand
nombre de variations dans leurs formes : leur désinence est régu-
lièrement en ir et cette terminaison n'est pas soumise à beaucoup
de changements. Dans la langue littéraire, il n'y en a même aucun,
si l'on en excepte le passage de ir à er que nous avons étudié dans
les pages qui précèdent.
La seule question qui soulève l'étude des infinitifs de la seconde
conjugaison est celle des acquisitions qu'ils ont faites.
I. Acquisitions des infinitifs en ir.
La seconde conjugaison est, après la première, celle qui attire au
mode infinitif le plus grand nombre de verbes des autres conjugai-
sons. Les premiers verbes qui subissent cette attraction, ou pour
parler plus exactement, qui semblent la subir les premiers, ce sont
les verbes de I. Ceux-ci, en effet, prennent assez fréquemment un
infinitif en ir, et c'est très tôt, dans la littérature anglo-française,
que nous pouvons trouver des formes attestées de ce phénomène
(cf. Stengel, Zeitschrift fur neufran. Sprache und Litteratur, I,
46).
.|26 i/lvolution du verbh en anglo-i-rançais
Dans le Voyage de Saint Brandan, nous trouvons en effet un
exemple de ce phénomène à la rime du vers 13 16 où esperir rime
avec serir '.
C'est, du reste, le seul exemple que nous en trouvions au
xir' siècle; pour en rencontrer un autre aussi concluant, il faut aller
jusqu'à la seconde moitié du xiii^ siècle. On relève en effet à cette
époque, dans The Lament of Simon of Montfort, au vers 25, la
rime denienhryr (: pyr == pire). Dans William de Waddington,
nous trouvons encore une autre rime ^ : hssir (: suffrir) 5555, et
dans les Distiques de Caton de l'Anonyme du xiv^ siècle on trouve
encore iïattir (: blaundir), vers 322. Ce phénomène est donc assez
bien attesté au moins au xiii^ siècle; il est assez peu probable que
les cas précédents ne soient que de mauvaises rimes, et il est plus
naturel d'admettre qu'entre 1250 et 1300 certains infinitifs de I ont
commencé à prendre la désinence de ir.
Dans les exemples que nous trouvons de temps en temps à la
rime dans les poèmes du xiv^ siècle, il entre un nouvel élément de
doute. Les rimes que nous relevons sont presque toutes ou toutes
des interrimes entre infinitifs : or, les verbes de II qui prennent à
l'infinitif la terminaison de I sont beaucoup plus nombreux que ceux
de I qui prennent la désinence en ir ; chaque fois que nous trou-
vons, rimant ensemble, un infinitif de I et un infinitif de II, nous
sommes en droit de nous demander, quelle que soit la graphie, si
c'est la désinence er ou la désinence ir que nous devons leur donner
à tous les deux. Puisque les infinitifs en er de la seconde conjugai-
son sont d'autre part les plus communs, nous sommes le plus sou-
vent en droit de croire que nous avons sous les yeux un cas du pas-
sage II à I plutôt qu'un exemple du phénomène inverse. Comme
1 . Cette forme doit du reste être attribuée au scribe, et remonter seulement à
1160; le manuscrit de l'Arsenal BLF 383 donne en effet estovoir : soir (vers
1267, Zeitschrift II, 452) qui convient aussi bien pour le sens et mieux pour la
mesure du vers :
Quant vient al diemance'al soir,
Deci m'en vois par estovoir.
2. Pour le passage de la terminaison ier à la torme ir, on peut consulter
H. Suchier, Ueber..., p. 47; et au bas de la p. 343 du deuxième volume de la
Zeitschrift les quelques lignes de Kosch\^ itz ; de même la note de la page 88 au
volume XXXVI de Romania, Stimming, Boeve de Haumtone, p. xxviij, etc.
l'infinitif 427
exemples, nous pouvons citer déjà ici : ensechir qui se trouve accou-
plé avec foillier au vers 95 du poème l'Antecrist ; plurir qui rime
avec sustenirau vers 54 de la Lamentation pour la Mort d'Edward P',
escoltir avec la rime oier au vers 1647 du Prince Noir. Tener et
oier, comme nous l'avons déjà vu, sont assez communs et on ne
peut en dire autant de plurir et d'escoUir, au moins dans les œuvres
littéraires (cf. cependant p/wr/ à la 3* personne du singulier).
Comme nous le verrons dans notre seconde partie, ce doute a
beaucoup moins d'importance qu'on serait tenté de lui attribuer
tout d'abord; les deux phénomènes se ramènent à un seul, ou plu-
tôt, proviennent de la même cause; et comme la rime demembryr:
pyr nous assure que les infinitifs de I peuvent prendre à l'occasion
la terminaison ir, nous allons nous contenter de citer les exemples
que nous avons pu relever au xiv^ siècle tendant à prouver que la
désinence/;- se substitue parfois à la terminaison er, avec cette restric-
tion que dans les cas de rimes entre infinitifs de I et infinitifs de II
il nous est impossible d'affirmer avec quelque certitude auquel des
deux phénomènes nous avons affaire.
L'Apocalypse a un exemple de ce passage de I à II à l'infinitif :
sonir(^Z, 423); dans la Chronique de Pierre de Langtoft, nous en
rencontrons plusieurs cas, mais aucun ne se trouve employé à la
rime, par exemple recoi'cryr qui est assez commun (voir par exemple
I, 281, i), et harlir qui est moins fréquent (II, 356, 18). Outre
l'exemple que nous citions tout à l'heure, on trouve encore dans la
Lamentation sur la mort d'Edw.ird I", sonir qui rime avec teisir au
vers 55, et dans le Prince Noir jugir (: mentir) au vers 4201,
(: départir) au vers 4232; contir (: partir) au vers 4208. La rime
reneer : oscir (aux vers 75-76) de l'Antecrist est extraordinaire.
Ce sont surtout les œuvres en prose qui nous fournissent le plus
grand nombre d'exemples, et il est probable qu'un certain nombre
des formes qui suivent sont dues aux scribes. Nous lisons dans le
Dit de Hosebonderie de Walter de Henley: averyr, gardyr,delyveryr,
engressyr, haylyr (2, 12, 16, 22, etc.); dans les Contes de Nicole
Bozon on trouve deniorir (§§ 3, 5, 15, 61), donir (§ 37); pardonir
(§ 80), gardir (§135), P^^àir (§ 82) .
Il faut remarquer que dans les œuvres en vers de Nicole Bozon
que nous avons étudiées, ces terminaisons ne se rencontrent jamais
à la rime. Dans les Chroniques de Nicolas Trivet enfin, on peut
428 l'évolution du vkrhe e\ anglo-français
Yn'c cnbcvei ir (au tolio 6 v°) ; guerrir pour guerreir (au folio 54 v°),
debotir (au même endroit).
D'autres formes en ir proviennent indubitablement des scribes ;
citons par exemple le pènsir donné pour le vers 45 du Petit Plet de
Chardri par le ms. V ou la laisse d'Apremont qui donne les rimes
suivantes : curùcir : ardir : enniiir : conseilUr : faillir : tencir.
Ici, nous avons probablement un phénomène spécial, assez peu
comnmn en anglo-français : le passage de ie à /.
Nous allons retrouver dans la langue diplomatique et politique
les mêmes verbes de I, et quelques autres encore, avec un infinitif
en ir ; de plus, nous aurons ici l'avantage de pouvoir déterminer
avec assez de précision quels sont les verbes qui se trouvent le plus
communément sous cette forme.
Le nombre des verbes de I à prendre cette désinence est ici beau-
coup plus considérable que dans les œuvres littéraires. Certains
verbes se montrent avec une telle régularité qu'il est impossible de
douter que l'on ait affaire à un changement de conjugaison.
Parmi les verbes fréquemment employés sous cette forme, on
peut citer en première ligne le verbe recovrer qui n'apparaît guère
que sous la forme recov{e)rir, par exemple dans les Statutes (cf.
1275, I, 33 ; 1278, I, 50 ; 1285, I, 54; 1317, I, 165 ; 1340, I,
287; 1379, II, 12). Les Rymer's Foedera nous donnent aussi un assez
grand nombre de cas où ce verbe prend la désinence des infinitifs de
II (cf. par exemple 1327, IV, 245 qi passini). Nous pourrions citer
encore dans certains Year Books plusieurs exemples de cette forme
(comme dans 21 Edward I", 183). De même, ozmr pour ouvrer est
aussi fort commun ; on le trouve dans les Parliamentary Writs
(1305, I, 262) et dans un fort grand nombre d'autres textes.
Les formes recovrer, ovrer sont très rares ; nous en avons relevé
un petit nombre d'exemples dans les Statutes, comme à la date
1326(1,253).
Tout aussi fréquent que le premier des verbes que nous venons
de citer, tretir se rencontre dans la plupart des recueils que nous
avons étudiés; nous pourrions tirer un très grand nombre
d'exemples de cette forme des Rymer's Foedera : par exemple dans
les passages suivants : 1295, II, 680; 1323, III, 1030 ; 1345, V,
439, 460, etc. ;dansles Literae Cantuarienses (1318, -^4) ; dans les
Actes du Parlement d'Ecosse (1323, 80); mais ce qui distingue ce
L INFINITll- 429
verbe de recovrir, c'est que la forme régulière est aussi fréquente
que l'intinitif avec la désinence de la seconde conjugaison ; on lit
treter dans les Rymer's Foedera dans un grand nombre de cas,
comme dans les traités de 1295. Toniir, comme pour le verbe pré-
cédent, est fréquent sans être la forme exclusivement employée ;
les Statutes la connaissent et on la trouve à plusieurs reprises (cf.
1340, I, 285, 287, 289 ; 1382, 24 ; 1388, II, 56), et il en va de
même dans la langue légale (21 Edward P', 279). Comme on le
voit, elle se montre plus tardivement dans les Statutes que les deux
verbes dont nous venons de citer des exemples ; et au commence-
ment dé la première moitié du xiv^ siècle, elle est encore assez
rare; elle est de plus en plus employée à partir de 1350. Le pre-
mier exemple de tiiniir que nous trouvions dans Rymer est à
peine plus ancien, 1330 (IV, 451), et les progrès de cette forme
sont certainement moins marqués que dans les Statutes ; on en
trouve des exemples en 1338, 1357, 1364 et un plus grand
nombre encore en 1378. Les Literae Cantuarienses nous donnent
des exemples de ce verbe sous cette forme à partir de 1326
(p. 189), et les exemples deviennent assez communs par la suite.
Les trois verbes précédents sont ceux qui nous ont donné le plus
grand nombre de cas du passage de ir à er, absolument en même
temps que relativement aux formes régulières ; d'autres, moins
employés, se trouvent cependant dans un certain nombre de
recueils : performir, gardir, demorir, governir. On trouve ces quatre
verbes dans les Statutes et dans Rymer ; de plus un ou plusieurs
sont employés dans les Parliamentary Writs, les Mem. Pari. 1305 ;
dans les Literae Cantuarienses, dans le Registrum Palatinum
Dunelmense, dans le Liber Custumarum, dans le Blacke Booke ot
the Admiralty.
Citons maintenant plus rapidement quelques verbes moins com-
muns sous cette forme ; les exemples que nous avons relevés dans
les Statutes, Rymer, les Literae Cantuarienses nous fourniront une
liste à peu près complète de ces verbes dans la langue politique et
familière et légale. Les Statutes nous donnent : averir, envoir, ordc-
nir, repeirir, restituir, tuir ; les Rymer's Foedera : alir, donir, eute-
rinir, kssir, levir, menir, pair, pensir ; les Literae Cantuarienses :
deliverir, destourbir, grevir, pû'lir, passir, iisir ; dans les Year
Books nous avons relcwé : pledyr, avenir, uiosfrir. Au point de vue
430 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-I'RANÇAIS
des dates, sauf tretir et recovrir, les exemples du passage des infini-
tifs de I à II sont rares au commencement du xiv* siècle ; ils
deviennent plus communs à partir de 1330, et vraiment fréquents
dans la seconde moitié du siècle.
IL Verbes de III passant à II.
Comme li plus grande partie des infinitifs en eir prennent la ter-
minaison er, il est naturel qu'il n'y en ait qu'un très petit nombre à
prendre la désinence de IL Le xii'^ siècle n'a pas connu ce changement,
et le xiii^ ne nous en offre pas non plus d'exemple bien assuré. Tout
ce que nous trouvons à citer dans ce siècle ce sont deux exemples
tirés, l'un de la Vie d'Edward le Confesseur : cheiir {âu vers 1360),
exemple que l'on peut sans hésitation attribuer au scribe ; l'autre
tiré de la Chronique de Wil. Rishanger : recevir (à la page 333).
Le plus ancien des exemples du passage d'un infinitif de III à la ter-
minaison ir ne remonterait donc pas plus haut que la fin du
XIII* siècle. Les autres exemples de la langue littéraire que nous
trouvons à citer ne se rencontrent pas avant la fin du xiv* siècle :
ils se lisent tous dans le poème du Prince Noir : veir (: envaïr)
(326) (: alentir) (3059).
Ce sont les seuls cas que nous ayons rencontrés dans la langue
littéraire ; il est inutile de faire remarquer combien ils sont peu
nombreux ; et encore pour certains d'entre eux, on peut se deman-
der s'ils appartiennent bien à la catégorie des verbes qui nous
occupent. Cheiir ou recevir ont fort bien pu arriver à la seconde
conjugaison en passant par la première, car les infinitifs cheier et
recever, comme nous l'avons vu, ne sont pas rares. S'il en était
ainsi, il ne resterait des exemples que nous donnons que celui de
veïr qui lui n'a pas pu passer par ver ; mais cet exemple unique ne
saurait prouver grand'chose. C'est une forme empruntée au
picard.
Les cas où l'infinitif de III prend la forme d'un infinitif de II ne
sont guère plus nombreux dans les ouvrages non littéraires ; on
peut toutefois citer escheir qui se trouve fréquemment (par exemple
Statutes, 1275, I, 36; Rymer, 1503, II, 924); mais faut-il lire
escheïr ou escheir ? Autrement dit, y a-t-il changement de désinence
ou disparition de la muette en hiatus? Rien ne peut nous le faire
L INFINITIF 431
savoir, mais il y a de grandes chances pour que ce soit plutôt le
second phénomème qui se soit produit.
Nous trouvons du reste dans ces mêmes textes des exemples
plus probants, quoique en petit nombre ; un seul se trouve
dans les Statutes : asavir (1275, I, 27) ; on peut y ajouter
les deux exemples de Rymer : appercevir (1325, IV, 180) et la nou-
velle formation appertir (1324, IV, 87) pour appareir formée sur la
troisième personne du singulier appert \ Les autres ouvrages ne
nous fournissent que bien peu de nouvelles formes : apparir dans le
Registrum Palatinum Dunelmense (1338,111, 212); et le nom
verbal pouir. Documents Inédits (1357, 113). Comme on le voit,
ces formes sont très peu nombreuses dans les textes politiques et
diplomatiques ; elles sont encore plus rares dans la langue légale ;
nous ne trouvons à citer que vaJyr, 21 Edv. \" (191) ; rescevir, 2 et
3 Edw. II (59) et passim.
III. Infinitif s de IV passant à IL
Les infînitits de IV se rencontrent très rarement avec la termi-
naison ir dans la langue littéraire. On ne trouve aucun exemple
de ce changement au xii^ siècle, et ceux qu'on rencontre dans les
siècles suivants sont toujours peu nombreux et isolés. Pour un de
ces verbes, la forme de l'infinitif de II est cependant si fréquente
qu'on peut à peine la considérer comme irrégulière : on trouve en
effet toJir beaucoup plus communément que toldre et tondre. On
lit déjà dans Robert de Gretham : tollir (: joïr) (folio 9 r°); dans
le Roman des Romans (au vers 702) : tolir (: tenir) ; ce même
infinitif rime encore avec haïr au vers 2418 du Prince Noir.
Si on met ce verbe à part, les infinitifs de III avec la terminai-
son //' ne se rencontrent qu'au xiv^ siècle : on pourrait presque
dire qu'ils ne se lisent que dans les écrivains en prose. Le seul
exemple que nous ayons relevé dans un ouvrage en vers est occyr
employé par Pierre de Langtoft à l'intérieur du vers (I, 248, 21);
ici encore nous n'avons pas changement de conjugaison, mais chute
de la voyelle finale.
Dans certains ouvrages en prose, au contraire, ces infinitifs sont
plus librement employés : dans les Contes de Nicole Bozon on
I. l";uit-il lire dppcriir qu atibeieir ?
_|32 l'kV0LUT10\ du VERBI: en ANGLO-IRANÇAIS
relève par exemple : discendir (§ 137), suïr (§ 44); «-hms Nicolas
Trivet : venquir (68 v°).
On aurait pu citer dans ce dernier auteur un nombre assez con-
sidérable de formes analogues ; mais il est fort possible que celles-ci
proviennent du scribe; elles n'appartiennent donc pas au xiv-' siècle,
et comme telles sortent de notre sujet.
Somme toute, les quelques exemples précédents suffisent tout
juste à montrer que ce phénomène n'était pas inconnu à la langue
littéraire anglo-française, mais qu'il }- est resté très rare.
Dans la langue politique et diplomatique il n'en est pas exacte-
ment de même, plusieurs verbes de IV se présentent avec un infi-
nitif en ir. Quelques verbes prennent cette forme en perdant sim-
plement Ve final de leur désinence (cf. supra).
Le plus employé, et de beaucoup, est le verbe suivre ; il prend
différentes formes : 5HzwV dans les Literae Cantuarienses (1303,
149); sciiyy dans les Statutes (1330, I, 264); surtout la forme 5m>,
qui se trouve à peu près partout (cf. Statutes, 1335, I, 273 ; 1346, I,
304; 1360,1, 36e, 367. Rymer, 1300, II, 913; 1340, V, 164;
1373, VII, 23). et évidemment surtout dans les Year Booksoù elle
se trouve pour ainsi dire à chaque page, quoique 5?/^r se rencontre
quelquefois. D'autres verbes prennent de la même façon une forme
analogue, comme dest ni ir (dans les Statutes, 1344,1, ^00); ''srbiiir
(id., 1353, I, 330, 332).
D'autres viennent à II en passant probablement par I : resceivir
qui se lit dans Rymer (1360, VI, 258 ; 1363, VI, 408) ; prend ir se
lit dans la Lettre de Thomas de Turberville (1295, 4^); ahatir dans
les Year Books, i et 2 Edw. II (35) (mais B et D abatre); 33 et
15 Edw. ^'■(155), etc.
Ici encore, nous n'avons qu'un petit nombre de cas et ces formes
restent purement exceptionnelles.
C) INFINITIFS DE III.
Les infinitifs de la troisième conjugaison ne montrent, à l'excep-
tion de ceux que nous avons signalés auparavant, que très peu de
changements dans leur désinence; il n'y a pas à s'en étonner,
puisque la littérature anglo-française reste très longtemps sans pos-
séder de désinence spéciale à cette conjugaison.
LIXFIKITIF 433
Voici cependant quelques remarques que nous suggère l'étude de
ces désinences. Les derniers exemples d'infinitifs réguliers que
nons trouvions dans la littérature avant que la terminaison er fût
devenue la seule terminaison des infinitifs de III nous montrent
tous la diphtongue ci ; nous en avons donné de nombreux exemples
précédemment^ qu'il nous suffise de rappeler maintenant les rimes
du Saint Edmund : saveir (: veir), 432 ; avcir (: eir) 457. La seule
variante qu'on puisse signaler est l'emploi de la diphtongue ai, par
exemple manair dans Robert de Gretham (7 r°) ; mais la rime
(: seir) montre que cette variante est purement graphique et due
au scribe ' .
Oi est très rare, presque aussi rare que ai ; on ne trouve cette
diphtongue que chez certains auteurs, comme Frère Angier, dont
l'anglo-gallicisme est douteux, ou tout au moins mélangé. On peut
lire dans cet auteur recevoir (Dialogues, 64 r° a).
Au contraire, lorsque, après une absence d'un siècle environ, la
désinence régulière reparaît, c'est sous la forme de oi ; il suffira
pour s'en convaincre de lire les exemples que nous avons déjà
cités.
Il en est de même, autant que nous pouvons le voir, dans les
œuvres non littéraires; dans les grands recueils, la diphtongue ei
ne se rencontre que dans de rares exceptions, que nous allons signa-
ler : dans les Statutes : veire (1396, II, 94) ; dans le Liber Albus :
avcir (1243, 132); .dans les Literae Cantuarienses : siirscir (1338,
650); en tout, trois infinitifs.
Il est possible, il est même certain, que notre liste est incom-
plète et qu'on pourrait probablement citer quelques autres exemples
d'infinitifs de III en ei dans cette catégorie de textes; il n'en reste
pas moins vrai que cette terminaison dans la langue politique et
diplomatique, de même que dans la langue littéraire de la fin du
xiv^ siècle, est très exceptionnelle. Cette considération, comme on
le verra plus tard, ne manque pas d'importance-.
1. Ajoutons que cette torme se rencontre assez fréquemment dans le fragment
T' du Tristan de Thomas (Cf. vers 1032, 11 10, 11 12) ; mais le scribe paraît
avoir été continental.
2. Cette simple constatation suffirait à montrer que le phénomène de l'umge-
kehrte Schreibung, s'il se produit quelquefois en anglo-français, ne s'est certai-
nement pas produit dans le cas présent.
28
^34 L EVOLUTION DU VHKBE EN AXGLQ-I RAXÇAIS
Signalons, avant d'en finir avec la forme de la désinence des
infinitifs de III, certaines autres terminaisons, toutes assez peu
fréquentes. Il est assez comnuni de trouver pour le verbe avoir et
même pour savoir ce qui semble une contamination des deux
formes avrr et avoir : avoer, par exemple dans les Rymer's Foedera
(1310, III, 221 ; 1324, IV, 30) ; un /peut même s'introduire, par
exemple rtiwVr toujours dans Rymer (13 51, IV, 493 ; 1380, VII,
273) ; savoyer se lit dans les Year Books (33 et 35 Edw. \"\ 117) ;
peut-être aurions-nous dû mentionner cette dernière forme avec
les acquisitions des infinitifs en er; mais avoer nous semble distinc-
tement une graphie dé avoir et avoicr ne peut provenir d'une autre
forme que celle-là (cf. notre seconde partie, chap. m).
Les terminaisons sans / ne sont pas rares ; on trouve par exemple
savor dans les chroniques du Monastère de Saint Alban (13 10,
166) ; resceivor dans Rymer (1375, VII, 76); avor. Documents Iné-
dits (1382, 237). Nous aurions volontiers négligé ces quelques
formes comme des erreurs cléricales si les infinitifs en or n'étaient
pas connus par ailleurs en français (cf. Philipon, les Parlers du
duché de Bourgogne, Romania, XLI, p. 581, §22, 3 et notre seconde
partie, chap. m).
Moins commune est la diphtongue ou : savoiir (Rvmer, 1297,
11741).
I. Acquisitions des infinitifs de III.
Ces infinitifs nous fournissent encore un autre point à traiter :
les acquisitions qu'ils ont faites.
Comme la désinence en eir était appelée à disparaître de la ter-
minaison des infinitifs de III, il semble a priori peu vraisemblable
que nous puissions trouver un grand nombre de nouveaux infini-
tifs avec cette terminaison. 11 y en a cependant. Au xii^ siècle,
alors que la terminaison des infinitifs de III subsistait encore, elle
a exercé son attraction sur un certain nombre d'infinitifs de I ;
citons d'abord espeleir qui n'est pas spécial à l'anglo-français et
qu'on trouve dans Gaimar (vers 293) et dans plusieurs autres
auteurs •,fableir se trouve dans les Quatre Livres des Rois (III, 9,
7) ; aler rime avec veir (verum) au vers 759 du Saint Gilles et
doit être attribué au scribe.
L INFINITIF 435
Comme on le voit, la liste des acquisitions au xii« siècle est fort
courte. Elle est beaucoup plus longue au siècle suivant. Mais elles
proviennent toutes du même auteur : Frère Angier. Voici les
exemples du passage de I à III que nous trouvons dans cet auteur.
La Vie de Saint Grégoire nous donne aleir (à la rime du vers
2001) ; proveir (au vers 2840) ; achiveir (au vers 1940). Pour les
Dialogues, voici les exemples cités par Timothy Cloran (p. 45).
(cf. Miss Pope, op. cit., p. 39) «-»/('/;■(: remaneir) (107, c. 28);
escbiveir {: voieir) (134, c, 9); esproveir (très commun) (: saveir)
(48, a, lé; etc.); gardeir (: aveir) (78, d, 19); salveir (: valeir)
(146, c, 10); froi'eir (: aveir) (72, d, 3). Il y a de plus un petit
nombre de verbes de IV à prendre cette désinence ; citons sonrdeir
(: ardeir) dans les Dialogues Saint Grégoire (107 v° b) (Miss
Pope).
On pourrait considérer que les rimes que nous venons de citer
ne sont pas très concluantes, puisque, comme nous l'avons vu,
Frère Angier fait souvent passer à la forme en er les infinitifs de
III, et il serait possible de considérer les rimes que nous avons
comme des preuves, non pas de la terminaison en eir des infinitifs
de I, mais comme montrant que les infinitifs de III passent à la pre-
mière conjugaison. Cependant la nature des manuscrits des poèmes
de Frère Angier rend une telle supposition tout à fait impro-
bable.
Remarquons que dans cet auteur les infinitifs de III ont ordi-
nairement la forme moderne en oir, tandis que les acquisitions de
cette conjugaison que nous venons de citer nous montrent la diph-
tongue ei.
Nous n'avons pas relevé postérieurement à Frère Angier
d'exemple assuré d'infinitif de I prenant la terminaison des verbes
de III; et il nous est presque absolument impossible d'en trouver.
Rappelons en effet que lorsque nous avons étudié le passage de III
à la forme de I, nous avons toujours admis qu'une rime entre deux
infinitifs de ces deux conjugaisons nous montrait que l'mfinitif de
la troisième prenait la forme de celui de la première, et c'est vrai-
semblablement ce qui a eu lieu en réalité ; mais comme ce sont
presque les seules rimes que nous trouvions, nous ne pouvons plus
saisir les traces du passage, s'il existe, de I à III.
Il est assez probable que s'il a eu lieu ce n'a été que rarement.
4}(-> L ÉVOLUTION DU VeRBE EN ANGLO-IRANÇAIS
Cependant dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature,
nous en avons rencontré un certain nombre, et quoique ce phéno-
mène ne se soit pas produit très souvent, les exemples que ces
textes nous donnent ont une grande importance parce qu'ils ne sont
pas limités à une courte époque ni à une catégorie d'ouvrages. Les
Statutes nous en ont fourni quelques exemples ; citons essomyr que
nous lisons en 1275 (I, 37), tueir (13 n, I, 164).
Le premier de ces deux exemples se retrouve encore dans les
Early Statutes of Ireland (1285, 86) qui nous donnent de plus aleir
(13 10, 270). Enfin à la date de 1297, les Parliamentary Writs ont
encore troveir (I, 34). Tels sont les principaux exemples qu'on ren-
contre dans les textes politiques; dans Rymer, nous en avons relevé
au moins trois cas : troveir (1259,!, 675); bailleir (1307, III, 19);
le troisième cas est celui d'un verbe de II, mais il est probable
qu'il est arrivé à cette forme en passant par la désinence er : acom-
pleir (^i^S^, VII, 411). lien va de même pour veneir (Literae Can-
tuarienses 1358, 843). Citons encore une forme assez curieuse,
qu'on lit dans les Rymer's Foedera, et totalement différente, croyons-
nous, de celles que nous avons vues jusqu'ici : siirvoir (surveiller)
(1373, VII, 12). Cette forme confirme ce que nous avons déjà dit de
la confusion qui s'était établie entre les deux verbes veiller et voir,
si voisins déjà par le sens et par la forme.
Les exemples que nous venons de citer se trouvent donc au
nombre de sept, que l'on pourrait fort bien réduire à six, acoviphir
pouvant n'être qu'une erreur cléricale pour acompUer (cf. supra).
On remarquera que ces six exemples se rencontrent à des dates
variant entre 1259 et 1311, à une époque où le retour à la forme
étymologique pour les infinitifs de III avait à peine commencé ;
ensuite^ la diphtongue dans ces quelques verbes, et dans accompJeir,
si on veut en tenir compte, est ei, alors que dans les infinitifs qui
reprennent la terminaison régulière de la troisième conjugaison,
ell'e est, comme nous l'avons déjà vu, oi. Ces deux considérations
suffisent pour prouver que ces infinitifs n'appartiennent qu'en
apparence à la troisième conjugaison ; ici encore, la nouvelle forme
n'est rien autre chose qu'une variante graphique de la forme étymo-
logique et n'est pas identique à 0/.
Nous n'avons pas tenu compte dans ce qui précède des textes de
langue légale ; les Year Books ne nous fournissent en eflet qu'un
L INFINITIF 437
très petit nombre d'exemples, comme departeyr (20 et 21 Edw. P"",
195). Nous n'avons pas rencontré dans les Year Books de cas
auquel nous puissions assigner une date approximative, mais rien
non plus qui puisse aller à l'encontre de la conclusion que nous
venons de tirer.
d) Infinitifs de IV.
Les infinitifs de IV ont eu à subir plus de modifications que les
infinitifs de II ou de III ; mais, comme nous le verrons plus tard,
ce sont surtout des modifications phoniques qui ne sont pas spé-
ciales à ce mode, ni même au verbe ; aussi passerons-nous assez
rapidement sur certaines d'entre elles.
I. Redoublement de /'r de la désinence.
Certains verbes, principalement ceux dont le thème (en latin)
présente une palatale, assimilent cette consonne à Vr de la dési-
nence et redoublent. Vr à l'infinitif. Nous ne citerons ici qu'un
assez petit nombre d'exemples, mais ceux que nous avons relevés
sont tous anciens, ainsi ceux que nous fournissent les Psautiers :
defirre (Oxford, 38, 15); dirre (Oxford et Cambridge, respective-
ment ^ 19 et 5 20) ; fairre dans les Royal Letters Henry III (1263-
70, II, 234).
Ce redoublement de Vr se remarque surtout au futur et nous en
parlerons plus longuement lorsque nous étudierons ce temps.
II. Acquisitions des infinitifs de IV.
La quatrième conjugaison n'était pas appelée à faire un grand
nombre d'acquisitions dans les dialectes du continent; et en anglo-
français sa fortune n'était pas destinée à être plus brillante. Nous
relevons cependant dans nos différents textes, et surtout dans ceux
qui appartiennent au xiv^ siècle, plusieurs infinitifs qui se rangent à
la forme de l'infinitif en re. Ils ne sont pas très nombreux et peuvent
le plus souvent s'expliquer par l'action des lois phoniques. Nous
citerons tout d'abord et dans une classe à part le verbe conquistre
qu'on trouve employé pour conquérir dans un certain nombre
13^ l'évolution UU VF.RliR FA' ANGLO-l-RAX ÇAIS
d'auteurs, par exemple dans les Chroniques de Nicolas Trivet (au
folio 58 r°), et dans le poème sur le Prince Noir (au vers 684).
Cet infinitif représente une véritable acquisition pour les infinitifs
de IV, facile à expliquer; mais nous n'en dirons pas davantage pour
le moment. Nous aurons occasion de reparler de cette forme quand
nous nous occuperons du radical de l'infinitif en général.
A part ce verbe, nous rencontrons un assez grand nombre d'infi-
nitifs qui prennent ou semblent prendre la forme des infinitifs de
IV. S'il est suffisant pour appartenir à cette conjugaison d'être ter-
miné par re, tous les exemples suivants ont passé à cette conjugai-
son. Mais la présence de Ve peut n'être qu'une ressemblance exté-
rieure. Nous allons diviser en deux groupes les infinitifs que nous
avons recueillis, d'après le mode de leur formation ; nous sommes
persuadés que les verbes du premier groupe n'ont pas changé de
conjugaison, malgré leur forme.
A. Ce groupe comprend les infinitifs terminés par re par suite de
l'addition d'un ^ muet à leur forme ordinaire. La ressemblance avec
les infinitifs de I n'est donc, pour ainsi dire, qu'extérieure et acci-
dentelle. Ce sont principalement les verbes de I qui subissent cette
addition.
Les verbes de II et de III sont eux aussi affectés de la même
manière, mais à un moindre degré. Nous avons traité cette question
et cité des exemples au commencement de notre élude sur l'infinitif.
B. Les verbes deL ont une autre manière de prendre à l'infinitif la
forme des verbes de IV : par métathèse de Vr de leur terminaison.
Le premier exemple que nous en ayons relevé se trouve dans le
Roman des Romans et doit être attribué probablement au scribe
du ms. Royal 20 B XIV qui date de la fin du xiv^ siècle: c'est cnntre,
pour conter, au vers 9 r . Dans Pierre de Langtoft nous trouvons de
ce changement trois exemples souvent cités : malheureusement, de
ces trois passages, deux doivent être attribués au scribe du ms. A
qui est un mauvais ms. ; le premier des exemples cités est lettre
(I, 46, ri); mais leetreesx. la leçon d'A seulement, alors que B, le
I. Sur ce passage des infinitifs de I à la forme de IV, on peut voir, entre autres :
P. Meyer, Introduction aux Contes de Nicole Bozon, Ixiv; Meyer-Liibke, Gram-
maire II, § 124 ; H. Suchier, Ueber die. . ., p. 41 ; Stimming, Boeve de Haum-
tone, xxix; D. Behrens, Beitrâge zur Gescliichte der franzôsischen Sprache in
England, Franzôsischen Studien V, p. 195.
L INFINITIF 439
meilleur des quatre mss., donne leter et C et D leyter; le second
exemple est houstre (I, 302, 12), mais ici encore la forme nouvelle
ne se trouve que dans A alors que les autres mss. ont la forme ordi-
naire : B ouhter, C oster.
Le troisième exemple n'est guère meilleur, car il n'est donné que
par le même ms. A, et pour cet exemple, nous n'avons pas
les variantes des autres mss. : c'est geltre que nous lisons dans
le premier volume (324, 9). Mais serait-il assuré par l'accord des
manuscrits que son témoignage isolé n'aurait pas grande valeur.
Tous les autres exemples que nous avons rencontrés sont plus
ou moins douteux ; ils se rencontrent dans des ouvrages du xiV^
siècle, mais peuvent être attribués aux scribes. Aussi nous n'en cite-
rons que quelques-uns ; dans le roman de Foulques Fitz-Warin,
nous rencontrons encore gittre, que nous avons déjà cité à la page
22, et à la page 86, liittre. Dans les Contes de Nicole Bozon, nous
en rencontrons aussi un certain nombre : ainsi letre §5 et lutlre § 21.
Ce dernier exemple est particulièrement commun dans la Chro-
nique de Nicolas Trivet (cf. 14 v°, 28 v° (deux fois), 63 r°, 69
r°). Nous n'avons jamais nous-même trouvé cette forme assurée par
une rime ; mais Stengel (Description du ms. Digby 86, p. ^ r) en
cite un cas : boiitre à la rime.
Tels sont les exemples que nous rencontrons dans la littérature,
en les attribuant tous au xiv^ siècle, ce que l'exemple cité par Sten-
gel et celui du Roman des Romans nous permettent de faire, on
voit que, même à cette époque, ils ne sont pas très nombreux. Il nous
faut surtout remarquer ici que tous ces verbes ont ceci de commun
que leur radical est terminé par une dentale appuyée ; et ceci nous
explique immédiatement le mécanisme de ce changement, il a été,
avant tout, sinon uniquement, phonique, et la métathèse qu'il pré-
sente est la contrepartie de celle qui a fait passer à la forme de I les
infinitifs de IV dont le thème se termine par une dentale ou une
labiale. Nous croirions que le changement d'accent a précédé cette
métathèse, qu'on a prononcé jetter avec l'accent sur l'initiale avant
de prononcer /V/^r^; ; mais ceci n'est plus de notre ressort.
Nous trouvons plus fréquemment dans l'anglo-français non
littéraire des exemples montrant le passage de certains infinitifs de I
àlaforme de IV. Pour la plupart ce sontdesverbes dont le thème est
terminé par une dentale, quelquefois une dentale simple, le plus sou-
I |0 L EVOLUTION- DU VERBE EK ANGLO-FRANÇAIS
vent appuvée ; il est plus rare de trouver avec un infinitif en re un
verbe de I dont le thème est terminé par une labiale appuvée ou une
vovelle.
Les deux verbes qui se rencontrent le plus fréquemment dans les
ouvrages diplomatiques ou politiques sont : gettrc dont nous avons
relevé quelques exemples dans les œuvres littéraires, et achatre. Le
dernier de ces deux verbes est employé dans les Statutes à partir
delà date 1^35 (I, 270, 2 fois) ; après cette date, on le rencontre
communément, sans que la forme étymologique disparaisse ; dans
les Rvmer's Foedera, il est aussi fréquent ; le premier exemple que
nous en ayons relevé date de 1337 et cette forme est librement
mélangée à la terme étymologique.
Gettrc se trouve sensiblement plus tôt puisque le plus ancien
exemple que nous en trouvions se rencontre dans le Registrum
Malmesburiense à la date de 1300 (p. 58). Rymer en a un autre à
la date de 1337 (IV, 625 ; 1375, ^T[, 23). On le trouve aussi dans
les Statutes (1388, II, 57), Les autres verbes terminés par une den-
tale qui prennent le plus souvent la forme des infinitifs de IV sont
ceux dont le radical est terminé par 7ui, comme amcudre, qui se
trouve à la fois dans les Rymer's Foedera (1323, III, loié), dans
les Statutes (13 5 7, I, 352); denmndre àzws Rymer (1383, MI, 409 ;
1389, MI, 652), dans les Statutes (1387, 0, 52) ; imrchandre dans
Rvmer (1394, VII, 771), dans le Year Book 22 Edw. P*^ (355) où
il est assez rare, dans le Year Book 16 Edw. III (23). Parmi les
autres verbes terminés par une dentale, appuyée ou non, on peut
citer gardn', ajoustre, pledrc, trctre, dans Rymer (1326, R^, 233);
prùcedre, dans les Statutes (1376, I, 398).
Il nous reste à citer encore reimmbre dont le thème est terminé
par mbr, mais la métathèse de IV a fait disparaître IV final du
thème.
La forme la plus rare parmi toutes celles que nous avons rencon-
trées, c'est paire pour paie r qu'on trouve deux fois dans les Rymer's
Foedera (1326, IV, 231; 1358, VI, 96).
Xous n'avons pas trouvé dans les textes diplomatiques ou fami-
liers de verbes d'une autre conjugaison que la première prenant à
l'infinitif la désinence rc ; l'exemple prùvidre pour pour\-oir, qu'on
lit dans les Statutes (1388, H, 60), est très peu concluant.
Les exemples que nous avons cités nous montrent, non seule-
L INFINITIF 441
ment quels sont les verbes qui changent ainsi de conjugaison à
l'intiiiitif, mais ils nous donnent les dates extrêmes qui marquent les
limites de ce phénomène. Nous n'avons relevé qu'un exemple avant
1323, ÏQ gettre du Registrum Malmesburiense qui est de 1300; cela
nous permet de dire que ce n'est guère qu'au commencement du
second quart du xiv^ siècle que certains verbes de I dans les
ouvrages non littéraires commencent à montrer la métathèse et
l'amuissement de leur c ; les cas analogues se trouvent assez sou-
vent par la suite, surtout dans la seconde moitié du xiv^' siècle, mais,
ils ne sont jamais très communs, saut pour certains verbes, tels
que acheter et jeter.
Pour les dates et pour les formes, les témoignages des textes non
littéraires concordent bien avec ceux que nous avons recueillis dans
la littérature : ce sont les mêmes dates, les mêmes classes de verbes,
même les mêmes verbes que nous rencontrons dans ces deux caté-
gories d'ouvrages.
LE RADICAL DE l'iXFIMTIF
I. Voyelle svarabhahique.
Les cas de svarabhakti se trouvent à la première, la deuxième et
la quatrième conjugaison ; ils sont spécialement communs dans les
verbes de cette dernière, sans être rares dans les deux autres. Nous
nous contenterons de citer maintenant un petit nombre d'exemples
suffisant à nous mener aux conclusions que nous aurons à tirer;
car nous aurons à revenir sur ce sujet quand nous parlerons du
futur,
i Comme verbe de la première conjugaison, nous pourrons citer
\ oierer, que l'on trouve dans Boeve de Haumtone (au vers 2291),
dans l'Apocalypse (,3 et 7 209), dans les Contes de Bozon (§ 51),
etc., dans les Statutes, passim, dans les Parliamentary Writs (1305,
I, 162), dans Rymer (1327, V, 245), etc.
Pour la seconde conjugaison, on peut cher coverir dans la Chro-
nique de Londres (1320, 52); dans Rymer (1373, VII, 23).
Ce sont surtout les verbes de IV qui se montrent sou's cette forme
et nous nous trouvons en présence d'un nombre considérable
d'exemples dont nous citerons seulement les principaux.
442 I.'ÉVOLUTIOM DU VHRBE KN ANGLO-FRANÇAIS
On commence à en rencontrer dès le xii^ siècle; dans bien des
cas, nous les devons aux scribes; mais malgré cela, nous pouvons
faire remonter assez haut la date de l'introduction de Ve. Car nous
lisons, par exemple, dans le Psautier d'Arundehywd/wr^ (30, 17, 4).
C'est du reste le seul cas assuré que nous ayons à cette époque.
Ceux qu'il nous reste à voir appartiennent probablement au xiii*
siècle; les ouvrages du siècle qui précède nous en offrent bien
quelques cas autres que celui du Psautier d'Arundel, mais il semble
plus prudent de les attribuer aux scribes. Ainsi, on ne peut avoir
de doute pour l'exemple de l'Estorie des Engleis : escrivere (au vers
3455), qui ne nousest donné que par R (O et L ont cscrire) et qui
rime avec lire. Il en va de même pour sivere dans Adgar (V R, 108),
respondere au vers 2231 de Horn, beivere dans les Homélies (loi).
Au xiv^ siècle évidemment, les mêmes exemples et d'autres ana-
logues se reproduisent constamment, de sorte que les verbes de IV
dont le thème est terminé par dentale -|- r, ou labiale -j- r,
prennent très fréquemment entre la dentale ou la labiale du thème
et la désinence un e svarabhaktique. Ajoutons encore que vers la fin
du XIV* siècle, cet ^ svarabhaktique ne s'introduit pas uniquement
entre deux consonnes ; il est développé même par un ;■ post-voca-
lique, comme dans la forme estraiere pour estraire, Nicolas Trivet,
Chroniques (28 v°).
Il nous reste maintenant à nous demander quelle a été la valeur
de cet e. Evidemment, dans tous les cas où il provient du scribe,
nous n'avons aucune indication qui nous permette de juger de sa
valeur; dans la plupart des autres cas, cet e reste purement gra-
phique, c'est-à-dire qu'il ne compte pas dans la mesure du vers.
Pour un petit nombre d'exemples seulement, cet c est devenu
syllabique ; nous en trouvons la preuve dans quelques poèmes du
xiii'^ siècle, par exemple perdere au vers 581 de la Vie d'Edward le
Confesseur :
Ore au perdere, ore au cunqucrc.
Il en est peut-être de même de ce vers de Dermod (qui se trouve
au milieu d'une tirade en vers de sept syllabes) :
U ci vivere, u mûrir.
On pourrait citer aussi, quoique avec moins de certitude encore,
le rcprcndere des Chansons, VI, 45.
L INFINITIF 443
Si nous admettons que Ve svarabhaktique a eu cette valeur,
même assez rarement, nous pouvons encore nous demander si cette
valeur a entraîné en même temps un déplacement de l'accent. Nous
n'avons rencontré aucune rime qui puisse nous le prouver. Nous
croyons que cette question est intimement liée à celle que nous
avons étudiée précédemment. Nous voyons en effet que ce sont
les mêmes verbes qui prennent cet e svarabhaktique ou qui montrent
la métathèse de 1'^ atone final. Au fond, nous n'avons même ici
qu'une question : entre rendere et render la différence est minime,
puisque nous avons vu qu'en anglo-français, au xiv^ siècle, Vr
final est souvent suivi d'un e atone épithétique. Nous avons émis
des doutes sur le déplacement de l'accent pour les formes telles que
render. De la solution qu'on doimera à cette première question
dépendra celle qu'on doit donner ici ou vice versa. Nous pensons
maintenant, comme tout à l'heure, que l'accent n'a pas passé sur
la voyelle muette, ou que s'il l'a fait ce n'est que dans un nombre
de cas tout à fait restreint et exceptionnellement; nous trouvons
un argument dans ce fait que Ve svarabhaktique est si rarement
syllabique. Du reste, nous ne pouvons pas trancher la question sur
de simples présomptions et nous ne pouvons conclure ni dans un
sens ni dans un autre.
Une autre question se pose, moins importante et à laquelle il
est plus facile de répondre. Si les deux formes rendere et render
sont dans un rapport si étroit, on peut se demander laquelle a pré-
cédé l'autre ; il n'est pas plus invraisemblable que la première ait
amené la seconde que de penser que la seconde est due à la pre-
mière, puisque l'anglo-français supprime aussi bien qu'il ajoute un
e atone après une consonne finale.
La question nous semble très claire, puisque le premier exemple
d'un c svarabhaktique remonte au Psautier d'Arundel (i i6o) et que
les formes en er ne datent que du xiv^ siècle. Celles-ci doivent
donc provenir des premières par suite de la chute de la voyelle
muette.
Si nous passons maintenant aux textes qui n'appartiennent pas
à la littérature, il nous suffira d'ajouter quelques mots. Les
voyelles svarabhaktiques sont loin d'être rares ; mais comme ce sont
exactement les mêmes formes et les mêmes verbes que ceux que
nous venons de rencontrer dans les œuvres littéraires, nous n'en
.J44 I- KVOLUTION DU VERBE EX ANGLO-FRANÇAIS
citerons aucun exemple. Cependant il y a une question où cette
catégorie de textes nous apporte quelques faits nouveaux : cette
question c'est la nature même de cette voyelle svarabhaktique.
Nous trouvons en effet un assez grand nombre d'exemples où cette
voyelle est / au lieu d'^.
En voici quelques-uns : dans un grand nombre de textes, même
les plus corrects, nous rencontrons bevire, comme dans les Statutes,
(1309, I, 155). Faut-il lire beiure} Nous ne le croyons pas, à cause
du nombre assez considérable d'exemples que nous avons relevés.
Citons encore du reste d'autres formes qui ne nous laissent aucun
doute : respondire se lit dans différents endroits des Rymer's Foedera
(cf. 1357, VI, 10) ; vivire est commun dans les Year Books (i et
2 Edw. II, 150 ; A et B donnent vyvri) ; prendire (3 Edw. III,
215). Nous pensons que ces quelques exemples doivent être
rapprochés des cas où nous voyons un déplacement de l'accent.
Ici, il nous semble que 1'/ a une autre valeur que la voyelle
muette et doit être accentué.
L'introduction d'une voyelle svarabhaktique est un des phéno-
mènes les plus communs en anglo-français ; c'est surtout dans les
formes du verbe (infinitif et futur) qu'on peut l'observer. Pour
ce qui est du mode qui nous occupe maintenant, voici les conclusions
générales auxquelles nous sommes arrivés.
1° Les premiers exemples de cette voyelle peuvent se trouver
pendant la seconde moitié du xii* siècle, mais ils ne deviennent
vraiment usuels que longtemps après, pendant le xiii^ siècle et
surtout le xiv'.
2° Les thèmes affectés par cette voyelle sont les thèmes terminés
par une dentale ou une labiale plus r ; les autres thèmes sont rares
et plus tardifs, surtout les thèmes vocaliques.
3° II est presque certain que cette voyelle a eu dans un petit
nombre de cas une valeur syllabique ; il est au moins douteux si,
pour les verbes de la quatrième conjugaison, l'addition de cette
voyelle a résulté d'un déplacement de l'accent.
IL Autres modifications du thème.
Il nous reste à exposer un certain nombre de changements subis
par le thème. Encore une fois, nous ferons notre possible pour ne
l'infinitif 445
pas parler de ces changements qui ne sont pas particuliers au verbe
et relèvent de la phonétique générale. Il n'est pas toujours facile de
faire cette distinction ; car nous verrons que plusieurs des change-
ments que nous avons maintenant à examiner ont une origine pho-
nique, comme du reste, pensons-nous, le plus grand nombre des
modifications qui ont changé si profondément la conjugaison du
verbe en anglo-français.
I. Ces changements atteignent assez rarement la consonne du
radical ; cependant, on trouve quelquefois soit changement dans la
dernière consonne du thème, comme dans adrechier qui se lit dans
les Rymers's Foedera (1385, VII, 496); soit l'addition d'une con-
sonne ; pour ce dernier cas, nous pourrions citer ici les exemples
de redoublement de 1';- dans les infinitifs de la quatrième conju-
gaison. Nous les avons déjà vus, et ils sont réguliers au point de
vue phonique.
On peut trouver des exemples d'un autre genre, spécialement la
présence d'un v à l'infinitif des verbes écrire et pooir ; escrivre est
assez commun ; on le trouve dans le Comput, dans le corps du
vers 150, ce qui permet de l'attribuer au scribe; on le rencontre
encore dans Gaimar (au vers 3455), cette fois à la rime avec lire,
ce qui nous oblige encore à le mettre au compte du scribe du ms.
R ; et il se rencontre encore de temps en temps dans les ouvrages
littéraires, mais il n'est jamais assuré par la rime. Il est plus rare
dans les recueils de textes politiques et diplomatiques ; on peut
citer transescrivre dans les Statutes (1344, I, 301).
Povoir est beaucoup plus rare. Rymer nous en offre deux
exemples dans le cinquième volume (1347, 591; 1348, 636). La
forme étymologique est, à part ces exceptions, la seule employée.
2. Nous trouvons que la voyelle du thème peut subir à l'infinitif
en anglo-français un certain nombre de modifications plus ou moins
importantes et qui lui sont propres; on peut diviser celles-ci en
trois catégories : assimilation, dissimilation, synérèse.
Les deux premières montrent les changements subis par le thème
sous l'influence de la voyelle de la terminaison ou de la forme qu'il
a lui-même à d'autres temps.
a) Les cas d'assimilation sont rares; nous ne trouvons dans les
ouvrages littéraires, politiques et diplomatiques que gisir, forme
assez commuiie qu'on trouve déjà dans le Tristan de Thomas (vers
44^ l'évolution du verbe en anglo-françal«;
1207); elle est surtout fréquente aux xiir^ et xiv siècles; dans
la langue politique, c'est la seule forme que nous ayons relevée,
comme dans les Statutes (1275, I, 26; 1353, I, 352; etc.),
dans les Rymer's Foedera(i339, V, 115).
h) Les cas de dissimilation sont beaucoup plus fréquents. Ils
nous montrent tous le passage à / d'une voyelle contretonique. On
les trouve quelquefois dans les verbes à thèmes consonantiques,
comme les composés de tenir, maintiner qui est surtout employé
dans les ouvrages non littéraires. On pourrait dresser une longue
liste des cas où l'on rencontre cette forme et des formes analogues,
citons seulement les Statutes (1344, I, 301); Rymer (1274, ^^>
32). Les Statutes nous donnent encore ranientiver dans le premier
volume (1340, 283). On peut à la rigueur considérer comme un
cas de dissimilation ou plutôt comme le passage à a de la muette
contretonique la forme acater, achater qui est la seule forme, que la
langue politique donne au thème de ce verbe, par exemple dans les
Statutes (1340, I, 298) et dans Rymer (1337, IV, 757), etc.
La dissimilation atteint surtout les verbes à thème vocalique de
I et de III; c'est une façon, sinon de faire disparaître l'hiatus, au
moins de l'adoucir ; on la trouve à l'infinitif des verbes veeir, seeir ;
la voyelle du thème se diphtongue en oi, ou, plus rarement, appa-
raît sous la forme d'un a. Nous trouvons, par exemple, voieir dans
les Dialogues Saint Grégoire (138 r° b) ; soieir dans la Vie de Saint
Grégoire (1578) tx. pas si m dans les Dialogues; purvoier dans le Saint
Auban (1895). Nous pourrions citer de nombreuses formes sem-
blables dans Rymer et les Statutes.
Les formes qui présentent a sont beaucoup moins communes et
limitées à deux verbes : nous avons par exemple saer dans William
de Waddington (9-I4) ; chaeir, chaer est beaucoup moins rare;
comme on sait, ce n'est pas à proprement parler une forme anglo-
française et elle se trouve fréquemment dans les textes du continent.
Citons cependant quelques exemples qui se lisent dans nos auteurs:
on la relève au vers 578 et passiiii dans le Roland d'Oxford ; dans
la Folie Tristan aux vers 825, 829 ; dans Boeve au vers iiiÇchaier) ;
au vers 466 de la Vie de Saint Gilles et dans un grand nombre
d'autres cas.
c) Mais la façon la plus commune en anglo-français de faire dis-
paraître rhiatus est la synérèse. On la trouve à difi"érentes dates
L INFINITIF 447
pour plusieurs verbes. Le premier à la subir est le verbe veeir; on
trouve cet infinitif sous une forme monosyllabique vers le milieu
du xiii= siècle. Le poème de Saint Auban nous en donne un exemple
assuré au vers 761 :
Pur ver le gugement au queu chiet fu mené.
Postérieurement à ce poème les exemples deviennent des plus
communs, et la forme régulière devient assez rare. Citons comme
exemples monosyllabiques ceux qu'on trouve aux vers 1430, 2700
de Boeve de Haumtone (assez douteux) ; dans William de Waddington
au vers 2757; au vers 476 de Dermod; dans Pierre de Langtoft(I,
348,4; II, 196, 23) et plusieurs autres. En dehors de la littérature le
premier exemple que nous connaissions se trouve dans les Rymer's
Foedera, sous la date 1294 (II, 650); dans les Statutes nous n'en
trouvons aucun cas avant 1303. Mais il est évident que Vc a pu
disparaître de la prononciation longtemps avant de disparaître de
l'écriture. Après cette date, la graphie ver est commune dans tous
les recueils non littéraires.
Les exemples de l'infinitif seeir sous la forme monosyllabique
sont beaucoup moins nombreux, et il en résulte que le premier cas
de synérèse est beaucoup plus tardif pour ce verbe ; nous n'en con-
naissons pas d'antérieur à ser qui se lit au vers 1245 du Manuel des
Péchés de William de Waddington, ou au vers 141 de la Vie de
Sainte Marguerite. Cher est inconnu à la langue littéraire et ne se ren-
contre que dans les textes légaux, par exemple dans 3 1 Edw. V\
P- 475-
On peut encore trouver d'autres cas de synérèse qui ne sont pas
aussi clairs que ceux que nous venons de citer; on peut par
exemple considérer la forme enniiir que nous avons relevée dans
Aspremont et citée plus haut comme provenant de la synérèse
à'enmnier ou à la rigueur d'ennuiir; la même explication s'appli-
querait aguerrir, employé au folio 54 v° des Chroniques de Nicolas
Trivet et dans les textes non littéraires.
d) Signalons maintenant un fait absolument diff^érent et qui a
une cause morphologique et non pas phonétique; ii nous mon-
trera l'influence de la troisième personne du prétérit sur l'infinitif.
Cette influence n'est exercée que par les prétérits en si. On sait
que pour les deux premières conjugaisons, il y a une grande analo-
.J4S l'kVOLÙTION du verbe en ANGLO-i-RANÇAlS
gie entre la troisième personne du pluriel et l'infinitif présent :
parlèrent, parler ; finirent, finir ; analogie qui est devenue une
identité dans l'anglo-français du xiii'^ et du xiv^ siècle. Quant aux
verbes de III, nous avons déjà vu leur infinitif prendre la forme des
infinitifs de I, et nous verrons la troisième personne du pluriel de leur
prétérit prendre la terminaison erent. Les verbes qui ont un prétérit en
si et qui le gardent ont montré une tendance à donner à leur infi-
nitif une forme analogue à celle delatroisièm.e personne du pluriel de
ce temps. On trouve quelquefois au xiv'^ siècle des infinitifs refaits
sur la troisième personne du pluriel de certains prétérits en si.
Nous avons déjà eu l'occasion de citer quelques exemples de l'infi-
nitif conquistre, aviquesfre. Citons encore l'infinitif inaiidistre qui se
lit dans les Chroniques de Nicolas Trivet au folio 5 r°. L'origine
de ces différentes formes est assez évidente.
i) Nous donnerons enfin les différentes formes que peut prendre
le thème de certains verbes, en particulier faire et suivre.
Le premier de ces verbes présente le plus souvent, à partir de la
seconde moitié du xiii'' siècle, tantôt la diphtongue ci, tantôt la
voyelle e au lieu de la diphtongue ai, ce qui est naturel.
Mais il y a encore, surtout en dehors des oeuvres littéraires,
d'autres formes qui ne s'expliquent pas aussi facilement, par
exemple/*?;'^ qui n'est pas rare (cf. Rymer, 1337, IV, 805) et aussi
feare moins commun, mais trop fréquent, surtout dans la langue
politique et légale, pour qu'on puisse le considérer comme une
erreur cléricale (cf. du reste Participe passé). On le trouve dans
les Parliamentary Writs (1297, I, 393) ; surtout dans les textes
légaux : ainsi dans i et 2 Edw. II (pp. 12, 20, 5(1, etc.); 13 et
14 Edw. 111(163).
Il est plus diflficile d'introduire quelque ordre dans les nom-
breuses formes de suivre; deux éléments de ce thème sont sujets à
changement : la diphtongue ui et la consonne v. Nous n'avons
trouvé dans la langue littéraire, aussi bien que dans les textes diplo-
matiques ou politiques, que de rares exemples où la diphtongue irise
trouve conservée sans modification en même temps que la consonne,
quoiqu'il soit probable qu'il existe plus d'exemples que nous ne
pensons d'une forme suivre. La diphtongue se trouve dans les
formes qui ont perdu la consonne, comme s iiire, Quatre Livres des
Rois (II, 2, 26), Statutes (1363, I, 379), et toutes les formes qui
LINFIXITIF 449
en sont dérivées : suir, suier, suer dont nous avons déjà, en différents
endroits, cité des exemples ; siyr (30 Edw. I", 85) s'y rattache
aussi. La diphtongue se présente au moins une fois sous la forme ioit,
et dans l'exemple que nous avons relevé la consonne i' est conservée :
siouvre se trouve dans le Tristan de Thomas au vers 26; l'élément
vocalique du thème est souvent écrit eu, et les exemples que nous
avons conservés de cette graphie ne montrent pas la consonne :
seuyr dans les Statutes (1330, I, 264); seuer dans les Literae Cantua-
rienses et les Statutes (1381, II, 21). Les formes qui montrent un
// simple ne sont pas très nombreuses, citons sinvir dans les Literae
Cantuarienses (1303, 149).
Mais la graphie, qui, après suire, est la plus commune et de beau-
coup, est celle qui montre un / simple dans le thème ; or, tous les
cas où nous relevons cette forme présentent régulièrement la con-
sonne V ou îv, comme shuere, forme très commune dans la langue
littéraire et assez commune dans la langue légale ; siewre qui ne dif-
fère guère de la forme précédente et qu'on trouve par exemple dans
les Statutes, dans Pierre de Langtoft (II, 19, i^y, sievre qui lui est
équivalente (cf. Pierre de Langtoft, I, 14, 17); et passiin dans
Rymer.
En résumé, on trouve les sons vocaliques suivants : «/, iou, en, 11
qui ne sont pas ordinairement suivis de la consonne; le son / qui
semble l'avoir toujours '.
I. Cf. P. Schulzke, Betontes ('-|-/ und ô+' i» der Normannischen Mundart.
Brandt, Aqua uud sequi.
29
CHAPITRE V
LES PARTICIPES
A. — Participe présent.
Le participe présent s'est maintenu en anglo-français d'une
façon remarquable ; nous ne trouverons par conséquent que peu
d'observations à faire sur ce point. Nous étudierons, comme nous
l'avons fait jusqu'ici, d'abord la consonne finale de la terminaison,
puis la voyelle nasale.
a) Consonne Jîuak.
La consonne finale de la terminaison est régulièrement / ;
lorsque cette consonne est suivie d'une s, nous devons trouver :(.
Mais deux phénomènes ont tendu à introduire dans la terminai-
son du participe une confusion absolue entre les deux consonnes /
et ;( ; l'un est un phénomène phonique, la disparition de l'élément
dental dans 7^ ; l'autre est morphologique, la disparition de la décli-
naison ; ces deux phénomènes ont eu le résultat suivant : Vs
flexionnelle, sous la forme d'une s ou d'un ^, s'est ajoutée très irré-
gulièrement à différents participes présents.
Nous n'avons pas à citer ici des exemples montrant la confusion
des cas en anglo-français ; disons seulement qu'on trouve déjà dans
les Psautiers quelques formes présentant une s (ou un ~) irrégu-
lier.
II est plus rare de trouver comme groupe final du participe pré-
sent les deux consonnes ^~ ; nous n'en trouvons guère d'exemples
que dans le Psautier d'Arundel, comme constreinans:^ (28, 5);
affliatisi (43> 9) I ^t ce n'est probablement que le résultat d'une
erreur d'un scribe ignorant.
LES PARTICIPES 45 1
A la fin du xiV siècle, les œuvres littéraires nous montrent un
certain nombre de terminaisons en t:{' ; par exemple dans Nicolas
Trivet. Mais cette forme est relativement rare dans la langue litté-
raire et ne se trouve vraiment souvent que dans les recueils poli-
tiques et diplomatiques. Les Statutes nous en fournissent un assez
grand nombre de cas, à une date assez reculée ;à l'année 1275,
nous lisons : ineffesaiint:((l, 26) ; les exemples deviennent plus nom-
breux vers le milieu du xiv^ siècle ; nous en verrons un assez grand
nombre lorsque nous aurons d'autres formes plus importantes ou
plus rares à citer ; qu'il nous suffise maintenant de dire que ces
formes sont fréquentes dans les Statutes et dans les recueils ana-
logues et qu'il est évident qu'aucune distinction n'est faite entre
cette désinence et la désinence normale. On en peut dire autant
des Traités de Rymer, t:( se trouve pendant les dernières années du
xiii^ siècle et devient surtout commun au XIV^ Évidemment nous
ne pouvons y voir qu'une graphie, une fiçon de compliquer la
forme extérieure des mots, ce que les écrivains et les scribes anglo-
français semblent avoir toujours recherché.
Les autres variations qui se rapportent à la consonne finale sont
beaucoup plus rares, on pourrait même les considérer comme
accidentelles ; nous pouvons tout d'abord noter dans un certain
nombre de cas la chute de la dentale ^ ; nous n'en avons relevé
aucun exemple dans la langue littéraire, quoique rien n'empêche de
supposer qu'elle ait pu se produire et se soit produite ; les textes
politiques et diplomatiques au contraire nous en fournissent plu-
sieurs cas : snffisaiin et demorauns dans les Parliamentary Writs
(1300, I, 341); dans Rymer les exemples sont communs : tendan
(1337, IV, 805); aians et entendans (1353, V, 277; 1383, VII,
418). On peut y ajouter les exemples ou une autre consonne, a- ou
c est substituée à la dentale ;«/V;/.r se lit dans les Rymer's Foedcra
(1348, V, 649); enjoigruwc est employé dans le même recueil (autre
copie du même morceau /^) (1323, III, looi) ; de même esciisaunc
dans les Letters from Northern Registers (1312, 21); ces derniers
exemples sont à proprement parler des monstres.
1. Ct. Behrens, Beitràge, Franzôsischc.i Studien V, p. 193.
2. Cf. id., ibid., p. 172.
4^± L ÉVOLUTION DU VERBH EN ANGLO-IKANÇAlS
b) Foyelle nasale.
Nous aurons à distinguer ici entre les graphies sous lesquelles
la nasale est susceptible de se présenter et les formes qui par l'ad-
jonction de quelque lettre, représentent une nouvelle terminai-
son.
I. Les graphies de la nasale.
Commençons par énoncer le fait que la graphie traditionnelle an
se trouve à toutes les époques et dans tous les recueils.
La graphie que nous avons à signaler immédiatement après
celle-ci, par ordre d'importance, est la forme aun ; cette forme est
bien connue et a été signalée dans les premières études qu'on a
faites de l'anglo-français. Il est cependant utile de s'y arrêter
quelque peu et de voir l'extension réelle que cette forme a eue en
anglo-français. Le premier exemple que nous puissions signaler se
trouve dans les Rymer's Foedera à la date de 1268 :fcsaunt(l, 847);
de même, nous en rencontrons un autre exemple dans les Sta-
tutes à la date de 1275 : ineffcsaiDi:^ (I, 26) ; les exemples sont assez
communs jusqu'à la lin du xiii^ siècle, surtout dans Rymer. Dans
les Statutes la terminaison an reste plus fréquente ; par exemple
dans le Statut de la ville de Londres, pour en citer un pris au
hasard, mais qui compte un assez grand nombre de participes pré-
sents, les formes en aiin restent sensiblement inférieures aux
autres.
Au commencement du xiv^ siècle, la nasale se trouve plus fré-
quemment représentée de cette manière, surtout dans les Traités de
Rymer; dans les Statutes elle reste, sinon l'exception, au moins la
plus rare des deux terminaisons ; il en est de même dans les
Literae Cantuarienses et de la plupart des autres recueils. Vers
1360, on peut remarquer dans presque tous les textes,' même ceux de
Rymer, une tendance assez marquée à revenir à la terminaison
régulière ; citons en particulier les traités 'de 1365 et de 1380 où
les participe.s présents étant nombreux, cette forme est relativement
rare.
La langue littéraire nous montre, croyons-nous, à peu près= le
même état de choses ; cependant il nous faut avouer qu'il nous a
LES PARTICIPES 4)3
été impossible de constater que le nombre de formes en aimt
décroît à la fin du xiv^ siècle.
Ce qui nous semble le premier exemple de cette forme dans la
langue littéraire se trouve dans le ms. Royal 20 B XIV des Légendes
de Marie : giieimentaunt (: enfant) (V R 19) (fin du xiii'^ ou com-
mencement du XIV* siècle); cette graphie est très commune dans
le ms. de Horn, dans Boeve de Haumtone et généralement dans
tous les auteurs du xiv* siècle .
Les deux graphies mit et aunt sont trop irrégulièrement employées
dans la langue légale pour que nous puissions avancer quoi que
ce soit d'assuré : le rapport entre ces deux formes varie d'un
manuscrit à l'autre ; il nous semble cependant que jusqu'au règne
d'Edward II les graphies sans u semblent prédominer, mais cela
n'a rien d'assuré.
Par conséquent, il serait dangereux de croire que, à partir d'une
certaine époque, la graphie aun est devenue la terminaison régu-
lière du participe présent en anglo-français. Il n'en est rien ; au a,
à toutes les périodes, été d'un usage courant, ordinaire ; la graphie
aun n'a été employée qu'assez tard (vers le commencement du
troisième tiers du xiii'' siècle), elle n'a gagné du terrain que pro-
gressivement, et elle n'en a gagné, semble-t-il, que pour le perdre,
probablement au commencement du troisième tiers ou du quatrième
quart du xiV' siècle.
De toutes les autres graphies de la nasale, celle qui montre, la
voyelle e est la plus commune ; dans la langue littéraire toutefois,
elle est extrêmement rare ; nous n'en avons relevé qu'un seul
exemple, il se lit dans le poème de Horn ; et cet exemple unique
n'a pas la moindre valeur. La langue diplomatique et familière en
a un nombre plus considérable ; l'exemple le plus ancien se trouve
dans les Literae Cantuarienses : travaillent (1335, 560). Chez
Rymer, cette graphie est assez fréquente à partir de l'année 1348 : à
cette date, on trouve durent^ et aienx (V, 649) ; en 1360, confient^
(VI, 211), voulhns (VI, 277); en 1364, ayens (VI, 458); et
quelques autres. Les Documents Inédits ont conimendent (1360, 118,
120); conficnl- (1361, 134, 135). Remarquons que les textes les plus
corrects, comme les Statutes, ou lés Lettres de Jean de Peckham,
n'en contiennent aucun exemple.
Nous pouvons probablement reléguer parmi les erreurs cléri-
454 I' liVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
cales la forme du participe présent asslgnoiint qui se trouve dans les
iMem. Pari. 1305, § 5 ; c'est le seul exemple d'un participe en omi
que nous ayons relevé '.
2. Terminaison c{ï)aul.
Les terminaisons en cauî, ciaiU, oiant ne sont pas de simples
graphies avant la valeur de ani ; la première de ces désinences se
rencontre particulièrement employée avec le verbe ester ; c'est le
seul verbe qui prenne cette forme dans les œuvres littéraires, par
exemple dans Boeve (2844); dans Walter de Bibblesvvorth (159) ;
dans Robert de Gretham (23 r°), (mais«/t/«5, 39 v°, rare du reste);
dans l'Apocalypse (751); {\r\z\s estaunt, y. 16); dans les Contes de
Nicole Bozon (§ 119). Ce même verbe se présente sous la même
forme dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature ; nous
rencontrons un grand nombre de « esteant » dans les Statutes
(1311,1, 159 ; 1335,1, 270; 1340, I, 282 ; 1362, I, 373), dans
les Rymer's Foedera, dans les Documents Inédits et dans les autres
recueils.
Mais ce qu'il y a de plus remarquable dans la langue diploma-
tique et politique, c'est l'extension que cette forme a prise. Ce
n'est plus seulement ester qui se rencontre avec cette terminaison,
mais un certain nombre d'autres verbes. Le premier atteint est le
verbe être et cela s'explique par sa ressemblance avec ester. Esteant
pour étant se trouve très communément, par exemple dans les
Statutes ; on trouve des exemples de cette forme dans le premier
volume des Statutes à partir de la date 1322 (p. 187), puis en 1346
(p. 304), en 1363 (p. 384), en 1382 (vol. II, p. 23), etc.; il en va
de même dans les Early Statutes of Ireland ([325, 3 10). Le recueil
de textes politiques qui donne le plus ancien exemple de cette
forme pour le verbe être, c'est les Parliamentary Writs qui en ont
un cas à Tannée 13 12 (^2" App., p. 44).
Les exemples que donne Rymer sont un peu plus anciens, le
premier datant de 1306 (II, 1022); on en trouve encore en 1318
(III, 722), en 1380 (VII, 238), et quelques autres; de même dans
I. Plus exactement, c'est le seul exemple que nous connaissions directement.
M. Vising, dans le Romanischen Jahresbericht (XII) signale des participes pré-
sents en ont dans le Lapidaire en prose publié par Mann (R F, II, p. 367) : parlant
(367), donnont (368) ; cette graphie est régulièrement employée dans cet
ouvrage .
LES PARTICIPES 455
les Documents Inédits, nous relevons cette forme aux endroits sui-
vants : 1365, 170; 1382, 237. Nous avons aussi rencontré un assez
grand nombre d'exemples dans les Year Books (cf. 31 Edw. P'',
319; 33 et 35 Edw. III, 177, 567).
A part ester et être, il n'y a qu'un tout petit nombre de verbes
qui aient un participe présent de cette forme. Nous pouvons citer
occuper dans les Statutes (1399, II, 112); et dérober dans les Par-
liamentary Writs (2'-' vol., Appendice, 1324, 261). Dans Rymer,
toucher se rencontre de temps en temps avec cette désinence (cf.
par exemple 1342, V, 352 ; 1351, V, 699) ; de même venir qui
apparaît dans ce même recueil sous la forme veneaiit (13 16, III,
582). Citons encore demorerdans les Literae Cantuarienses (1324,
129) et regarder dans les Year Books (17 et 18 Edw. III, 135).
Eant est la forme sous laquelle se rencontre habituellement
cette terminaison. Elle présente toutefois un certain nombre de
variantes qui, du reste, restent toujours assez exceptionnelles. Quel-
quefois, comme il est naturel en anglo-français, la voyelle en hia-
tus prend la forme d'un /, comme occupiaut dans les Statutes au
passage que nous avons déjà cité, demoriant dans les Literae Can-
tuarienses (u. s.). Cette forme ne se rencontre jamais pour ester
ni être; ces deux verbes montrent par contre un / qui s'introduit
pour adoucir l'hiatus: covumQ esteiant dans Rymer (13 57, VI, 29);
cet / parasite forme diphtongue avec Ve, et cette diphtongue ei passe
quelquefois à oi, comme dans estoianl qu'on lit dans Rymer encore
(1370, VI, 660) (Voir Désinences personnelles, 2"^ pers. du plu-
riel en ie^^-y Infinitifs en/Vr; et notre seconde partie, chap. m).
Le radical du participe présent .
Le radical du verbe peut subir un certain nombre de modifications
au participe présent ; nous allons signaler celles qui se rencontrent le
plus communément ; on peut les diviser en plusieurs classes :
1° Réduction de l'hiatus pour les verbes à thème vocalique.
2° Changements dans la partie vocalique du thème.
3° Radical emprunté à un autre temps ou mode.
1° Réduction de l'hiatus.
Les verbes qui ont un thème vocalique présentent un hiatus au
participe présent ; par exemple. Imant, veant oant.
4)6 I. 'ÉVOLUTION' Dr VERBF: FA' AN'CLO-IKANÇAIS
L'hiatus subsiste dans un très grand, peut-être dans le plus grand
nombre de cas ; il est parfois adouci par l'introduction d'un /, par
exemple : vcianl, oiant, haianl. Les exemples de ces formes sont
assez nombreux, mais l'importance de ce changement est trop
mince, et, d'un autre côté, l'introduction de cet / trop irrégulière
pour que nous nous y arrêtions davantage.
Citons cependant deux formes où la réduction de l'hiatus s'est
produite d'une façon différente : la voyelle qui précède 4a termi-
naison ant peut s'acheminer vers la consonne ou se consonan-
tifier ; par exemple dans oiiant (2 syllabes) qu'on trouve dans
Saint Auban, (S05, et zv^/// dans les Statutes, 1344, I, 300.
2" Changement de la partie vocalique du thème.
L'introduction d'un / pour adoucir l'hiatus dans les verbes à
thème vocalique a pour contrepartie la suppression de cette même
voyelle dans un certain nombre de verbes dont le thème se ter-
mine par une diphtongue contenant la voyelle / comme second
élément . Ce phénomène qui est commun dans les verbes qui
suivent, se produit surtout au wv^ siècle, et n'est qu'une des
formes de la tendance de l'anglo-français à réduire les diphtongues.
Par exemple, le verbe avoir fait souvent au participe présent eant
comme dans le Saint Edmund, où il est probablement dû au
scribe; on trouve encore cette forme dans les Statutes (1311, I,
160 et 162) et dans Rymer(i375, VII, 52 et pass'wi).
Le verbe traire nous montre aussi assez communément la même
réduction ; on trouve atlreant dans les Statutes (1311,1, 168) et
dans divers autres textes.
Tous les verbes en nire font, à partir du milieu du xiii'= siècle,
liant au participe présent, conduant, destriiant, etc. ; mais ces
formes ne peuvent guère retenir notre attention : cette réduction de
ut à u est un phénomène phonique général bien connu en anglo-
français.
3° Radical emprunté à un autre temps ou mode.
Le participe présent ne conserve pas toujours le radical qui lui
est propre ; il arrive qu'on relève des formes qui présentent le
radical du subjonctif, de l'indicatif, de l'infinitif ou des personnes
à terminaison féminine,
LES PARTICIPES 457
Le radical du subjonctif, radical étymologique ou analogique, se
rencontre très fréquemment au participe, cela est surtout vrai des
verbes qui montrent, régulièrement ou non, une consonne
mouillée comme consonne finale du thème ; la lettre mouillée se
retrouve fréquemment au participe présent. Vouloir, par exemple,
ne se montre jamais que sous la forme voillant ou les formes qui
dérivent de celle-là ; on la trouve dans les premiers textes anglo-
français comme dans le Psautier d'Oxford (5, 4), de Cambridge
(5, 3), d'Arundel (5, 4); dans Jordan Fantosme (vers 541) et ainsi
de suite jusqu'à la fin de la littérature anglo-française ; les textes
politiques et diplomatiques nous en offrent aussi de nombreux
exemples. Il y a malgré tout un certain nombre de variations à
noter pour le radical de ce verbe ; mais nous pensons que ce ne sont
que des variétés graphiques de la forme que nous avons citée ;
nous allons en donner quelques-unes sans espérer être complets, et
en prenant nos citations dans les textes non littéraires qui nous
montrent une série plus suivie d'exemples.
On trouve d'abord ces cas qui présentent la diphtongue oi sui-
vie de la lettre mouillée ; et ce sont les plus communs : voilKJ^ant
se trouve un peu partout : dans les Statutes (1340, I, 290), dans
Rymer (1387, VII, 563), dans les Literae Cantuarienses (1324,
128). La forme du subjonctif est ici très nette; d'autres formes
semblent combiner le radical du subjonctif et celui de l'indicatif; ce
sont celles qui présentent la diphtongue eu. Ces formes se divisent
en deux catégories suivant que la mouillure de 1'/ est apparente ou
non ; par exemple, d'un côté, on trouve veiilliant, comme dans les
Statutes (1350, I, 310) ; dans les Rymer's Foedera (1361, VI,
345), pour ne citer que ces exemples; de l'autre, on a ven liant dans
les Statutes (1350, I, 418) ; i'r/</^;w dans Rymer (1383, VII, 418).
Il est difficile sinon impossible de savoir si la mouillure a persisté
dans ces deux derniers exemples, mais il semble bien qu'elle a dis-
paru. Dans les ouvrages littéraires, la plupart des exemples, sinon
tous, nous montrent les deux /, et la mouillure n'est pas douteuse,
comme voillant dans le Psautier de Cambridge (5, 3) ou voillant
dans le Saint Auban (1132). Les formes qui ne redoublent pas 1'/
peuvent être considérées comme douteuses (cf. Psautier d'Oxford,
5, 4)-
Quelques autres verbes, comme valoir et douloir, semblent ne
se présenter au participe présent qu'avec la mouillure.
45^ l'évolution du verbi- kn anglo-françals
Aillant est beaucoup plus rare ; nous le relevons dans les Sta-
tutes (1335, I, 273) : on serait tenté de considérer cet exemple
unique, croyons-nous, comme un lapsus du scribe.
La question semble devoir être plus facile à traiter en ce qui
concerne les verbes qui ont n dans le thème, comme prendre et
répondre.
Dans la langue littéraire, les formes régulières se trouvent exclu-
sivement employées pour ces deux verbes pendant tout le xii'^ et
le xnr' siècle. Cependant, dans les poèmes de la dernière partie de ce
siècle on trouve quelques formes avec la lettre mouillée (cf. le
Manuel des Péchés de William de Waddington) ; mais elles
doivent être attribuées aux scribes. Ce n'est qu'au siècle suivant
qu'on en trouve en nombre tel qu'on ne peut douter qu'elles soient
devenues les formes ordinaires, par exemple dans Pierre de Lang-
toft et dans les Proverbes de Bon Enseignement. En dehors de la
littérature, nous en rencontrons surtout dans la seconde moitié du
xiv^ siècle ; cependant, on peut relever des exemples isolés long-
temps avant cette époque. Le plus ancien, à notre connaissance, se
lit dans les Statutes : respoignant (1285, I, 102). Dans quelques cas
1'/ subsiste^ mais le ^ disparaît : respoinant, preinant (Statutes, 1399,
II, 112; Rymer's Foedera, 1366, VI, 95). Les formes véritable-
ment correctes sont rares ou absentes après 1350.
Tenir et venir semblent avoir toujours été réguliers dans les
textes littéraires ; nous n'avons pas relevé d'exemple montrant la
lettre mouillée pour ces deux verbes, quoiqu'il puisse y en avoir.
Ici encore les recueils politiques et diplomatiques nous donnent un
petit nombre d'exemples qui montrent Vn mouillée à ces verbes ;
cf. Literae Cantuarienses (1380, 947); les Statutes (1379, II, 13;
1397, II, 107, etc.). Le g peut encore disparaître : teinant se trouve
un certain nombre de fois dans les Rvmer's Foedera (1388, VII,
585).
Il nous reste, pour épuiser ce que nous avons à dire sur ce
sujet, à ajouter un mot des deux verbes pouvoir et savoir.
La forme étymologique du premier de ces verbes est poant et
on la trouve fréquemment dans tous les textes littéraires et autres.
La forme puissant se rencontre toutefois de bonne heure ; on peut
en relever cinq exemples (contre 14 de la forme étymologique),
dans le Psautier de Cambridge (131, 2); on .la trouve encore, jouant
le rôle d'un participe présent, dans quelques ouvrages du xrii^
LES PARTICIPES 459
siècle comme dans les Set Dormans de Chardri (vers 687) ; mais
cette forme, d'une façon générale, a été plutôt employée comme
adjectif. Cette division des emplois est strictement observée dans
les ouvrages non littéraires.
C'est une différentiation du même genre que nous pouvons
observer pour savoir. La forme éiymo\ogic[ue savant est commune
au xii^ siècle comme participe présent, elle est par exemple fré-
quente dans les Psautiers ; ce n'est qu'au xiii= siècle que cette
forme est spécialement affectée à la fonction de substantif. A par-
tir de cette époque, la forme qui montre le radical du subjonctif
devient l'unique forme du participe présent ; elle date cependant
de plus haut, car nous la trouvons déjà dans le Psautier d'Arundel
(35, II) (i fois contre 5 fois savant). Cette distinction est fort
bien observée par la suite, quoiqu'il soit possible de relever des
exceptions comme le saichant du Saint Edmund (852), qui joue le
rôle d'adjectif.
C'est le radical du subjonctif avec la diphtongue, la mouillure
ou la chuintante qui a pénétré le plus au participe ; les cas qui
nous montrent le radical d'un autre temps, mode ou personne
sont exceptionnels.
Les formes que nous avons déjà citées : veulans, apartienant ,
montrent probablement l'influence de l'indicatif ; celle-ci est encore
plus claire dans avant qu'on lit dans le Psautier de Cambridge (37,
14) et dans les Literae Cantuarienses (1357, 837), mais ces deux
exemples nous semblent tout à fait isolés en anglo-français.
En résumé, le participe présent conserve fort bien la forme de
sa désinence ; les variantes les plus générales que nous avons
trouvé à signaler sont purement graphiques. En ce qui concerne le
radical, les formes étymologiques ne sont peut-être pas aussi bien
conservées; on note ici l'influence de deux temps : celle du présent
de l'indicatif, qui n'a pas été et ne pouvait pas être très forte, et
celle du présent du subjonctif. Mais il faut remarquer au sujet
de cette dernière que cette action ne s'est exercée que sur quelques
verbes, ensuite qu'à tout prendre elle a été assez tardive.
B. — Participe passé.
Peu de temps ont été aussi employés et certainement aucun n'a
eu en ancien français des formes plus variées que le participe passé.
4éo l'évolution nv verbe en anglo- français
On divise en deux grandes classes les formes que ce temps peut
prendre: les faibles et les fortes. Pour chacune de ces classes, nous
étudierons successivement les formes qu'ont prises les participes qui
y appartiennent, puis ce que nous appelons leur extension.
I. Participes passés faibles.
a) La consonne finale.
Nous avons déjà, dans le chapitre consacréà la troisième personne
du singulier, étudié la chute de la dentale finale caduque ; les pages
qui vont suivre sont destinées à compléter cette étude.
I. Participes en e{t).'
On peut déjà constater, dans les tout premiers textes anglo-fran-
çais, que la dentale finale de ces participes ne rime jamais avec une
dentale appuyée. A-t-elle encore ce son transitoire dont nous avons
parlé et dont nous avons essayé de déterminer l'existence ? Cela est
possible, mais difficile à montrer. En nous fondant sur les rimes des
différents poèmes du commencement du xii^ siècle, nous pouvons
faire les constatations suivantes. Dans le Cumpoz, les participes
passés en e{i) sont le plus souvent écrits avec cette dentale (39 fois
sur 44 cas); et ils riment 39 fois avec d'autres mots présentant une
dentale caduque (cf. par exemple por/^/ (: citet) au vers 668; enjtin-
dret (: citet) au vers 37 ; apelet (: utilitet) au vers 831, etc.); et ils
riment cinq fois en e pur; on trouve en effet 4 participes passés
rimant avec dé: pose (au vers 585), parle (au vers 847), ajuste (aux
vers 935, 937); enfin triive rime avec l'ablatif latin tempore (au
vers 751). Par la suite, nous voyons ces participes rimer librement
avec les mots en e pur (qui sont peu nombreux) ; c'est ce que nous
remarquons dans le Voyage de Saint Brandan par exemple.
Le Bestiaire, l'Estorie des Engleis de Gaimar, Fantosme nous
montrent le même état de choses ; nous ne citerons pas les nom-
breux cas où ces participes riment avec des mots terminés par une
dentale caduque, nous nous contenterons de donner quelques
LES PARTICIPES 4^1
exemples dans lesquels on les voit rimer en e pur. Ces rimes ne
peuvent pas être très nombreuses. Citons dans le Bestiaire : dune
(: Damede) (au vers 344) ; dans l'EstoriedesEngleis : lassé (\ pense^
nom verbal) (au vers 631); dans Fantosme: aimée (: luée) (au vers
448). Ces rimes n'ont rien que de naturel à cette époque; cepen-
dant, il y a au xii^ siècle deux rimes qui méritent d'être relevées ;
l'une se trouve dans les Légendes de Marie ; un participe passé de I
rime avec un mot terminé par une dentale non caduque : aciistu-
mel (: désuet) (VIII, 31); c'est le seul cas de ce genre que nous
ayons relevé dans toute la littérature du xii= siècle. La conclusion
que sa présence dans Adgar nous permet de tirer, en admettant
évidemment que ce ne soit pas purement une rime irrégulière, ce
qui est fort possible, serait que les auteurs avaient gardé le souve-
nir de l'ancienne valeur de la dentale et que lorsque cela leur était
utile, ils la lui rendaient pour ainsi dire temporairement.
L'autre rime a, à notre point de vue, plus d'intérêt; elle se
trouve dans Gaimar; on lit en effet au vers 3351 dans l'Estorie des
Engleis : Joet (: Elveret); or, au vers 3 161, ce même mot est écrit
par les quatre mss. : Elvere^/j et il rime avec une autre dentale
caduque (chastele^/; dans R, chasteleJ dans D, chastele/ dans L et
H), et dans l'anglais du xii^ siècle ce nom se prononçait avec un
th doux.
Ceci tendrait à prouver que du temps de Gaimar la dentale
caduque dans les terminaisons était encore sentie et se prononçait
avec une valeur se rapprochant de celle du th doux anglais. iMais ce
son en français ne pouvait être qu'un son transitoire, et après Gai-
mar nous ne trouvons plus de trace de la dentale pour les participes
passés de I.'On les rencontre encore principalement à la rime avec
des mots terminés par des dentales caduques ; mais les rimes de ces
participes avec les mots en e pur ne sont pas rares.
Il est donc évident que dès le commencement du y.W siècle la
dentale caduque des participes en c avait à peu près disparu; cepen-
dant dans certains cas, et aussi tardivement que Gaimar, on lui
voit attribuer une certaine valeur qui ne différait probablement guère
du //? anglais. Si cela a lieu dans Gaimar, ce son a dû se rencontrer
a fortiori pendant les premières années du xii= siècle (cf. Suchier,
Reimpredigt, pp. xxi, xxiv).
462 l'évolution du verbe f.x anglo-français
2. Participes en /(/).
Il n'y a guère de différence au point de vue de la dentale, entre
les participes en t' et les participes en /; pour ces derniers, la dentale
a certainement disparu au commencement du xir siècle. Ils riment
en /" pur plus souvent encore que les participes en e(d) ne riment
en c pur; cela peut du reste tenir à ce fait que les mots qui se ter-
minent en i pur sont plus nombreux que ceux qui ont e pur comme
voyelle finale. Voici quelques-unes de ces rimes en / pur : 'dans le
Cumpoz. Nous lisons : gnarni (: di) (vers 3148); dans le Bestiaire,
apovri (: ami)(ioi4), etc.; dans Gaimar: choisi (: di) et plusieurs
autres. Nous pourrions tirer de tous les auteurs suivants du xii'^
siècle de nombreux exemples de participes en i rimant soit avec des
dentales caduques, soit des mots en i pur.
On peut toutefois relever un certain nombre d'exemples de l'usage
contraire, mais ils sont rares. Voici les seuls cas où nous ayons sur-
pris un de ces participes à la rime avec une dentale appuyée ; dans
Gaimar nous trouvons norit (: dit) (au vers 61 31); enfuit
(: transit) (au vers 4162); dans le Drame d'Adam: fraït (: ait) (au
vers 384); dans les Légendes de Marie: ravit Ç: délit) (VI 2, 296).
Ces exemples, plus fréquents que les cas analogues que nous avons
relevés pour les participes en e, n'ont pas une grande importance,
surtout si l'on songe qu'ils ont pu être entraînés par l'analogie des
nombreux participes forts en it où la dentale est appuyée.
Comme pour les participes de I, il n'est pas douteux qu'avant de
disparaître tout à fait la dentale a pris pendant un temps, dont il est
difficile de préciser la durée et les dates extrêmes, un son transi-
toire de dentale adoucie. La seule rime qui pourrait nous le faire
supposer se trouve encore dans Gaimar : saisi (: Edelfrid), 1147.
Quoi qu'il en soit, il reste assuré que la dentale de ces participes
n'a ordinairement plus sa valeur de dentale ; on trouve ces parti-
cipes quelquefois à la rime avec des dentales appuyées, mais ces
cas sont des exceptions entraînées probablement par les participes
forts. On les rencontre encore rimant avec des mots terminés par
des dentales caduques qui avaient probablement la valeur du //; ;
surtout ils riment avec des mots en / pur.
Déjà dans les Psautiers, il arrive que, pour conserver la dentale,
on l'appuie d'un s : blancist, Psautier d'Oxford (0, 9).
LES PARTICIPES 463
3. Participes en ii(t).
Pour ces participes, les rimes et conséquemment les renseigne-
ments se trouvent en beaucoup plus petit nombre que pour les
participes que nous avons déjà étudiés; certains ouvrages ne nous
fournissent pas le moindre renseignement, le Cumpoz, par exemple.
Les autres poèmes ne nous donnent que des indications assez con-
tradictoires : par exemple dans le Voyage de Saint Brandan et le
Bestiaire, les participes en // riment avec des mots qui n'ont jamais
été terminés par une dentale ou qui ont une dentale caduque
comme veuthes (: nues) au vers 497 du Brandan, foilliic (: laitue)
au vers 1575 du Bestiaire et vencu (: vertu) au vers 2693 du même
poème.
Au contraire, Gaimar qui nous montre un nombre relativement
considérable de rimes en 11, en présente de toutes les sortes : un
petit nombre de participes en // riment avec une dentale stable,
comme dans l'exemple : eut (: murut) (vers 2228) ; plus souvent
ils sont accouplés avec une dentale caduque, ou avec des mots en //
pur. Ce qui arrive le plus fréquemment dans l'Estorie des Engleis,
c'est que ces participes se trouvent à la rime avec un mot anglais
terminé par th : avenu (: Suth) (1587); receû (: Suth) (2348);
venut (: Cnuth) (4293). Il est donc bien évident, surtout si on garde
en mémoire les exemples analogues que nous avons cités à propos
des participes passés en e et en /, que Gaimar lui-même, sinon les
écrivains contemporains, donne fréquemment à la dentale finale des
participes en «(/) la valeur de //;. Nous ne retrouvons aucune rime
après Gaimar qui puisse nous permettre de lui attribuer cette
valeur; il semble que la dentale soit définitivement tombée.
La dentale a donc complètement disparu quelque temps avant la
fin du XII' siècle.
D'après ce que nous venons de voir pour cette question, nous
pouvons tirer quelques conclusions générales, qu'on pourra rappro-
cher de celles auxquelles nous sommes arrivés pour les terminaisons
el, al de la troisième personne du singulier.
1° Dès le commencement du xii* siècle, la dentale des participes
passés faibles ne rime qu'avec les dentales caduques, les quelques
rimes avec une dentale appuyée qu'on peut relever n'ont pas une
i/rande valeur démonstrative.
464 l'évolution du vëkbe en anglo-français
2° Ces participes passés riment aussi très souvent dès la même
époque avec des mots sans dentale.
3° Ces rimes avec des mots sans dentale sont plus communes
pour les participes en / que pour les participes en e et plus com-
munes pour les participes en e que pour les participes en u.
4° La dentale avait peut-être déjà pris à cette époque le son du
th doux anglais.
5° Il est à peu près prouvé qu'elle a ce son pour les trois sortes de
participes faibles dans les œuvres de Gaimar: il est donc infiniment
probable qu'a fortiori elle l'a eu dans les écrivains qui l'ont précédé
et elle a dû le conserver quelque temps.
6° Ce son ne se retrouve plus et la dentale ne laisse aucune trace,
sauf de temps en temps dans l'écriture, à partir des œuvres de Fan-
tosme, s'il est loisible de tirer une conclusion de l'absence de rime.
La fin du xii^ siècle est de toute façon la limite la plus éloignée que
l'on puisse assigner à l'existence, sous quelque forme que ce soit,
de la dentale finale des participes passés faibles.
I. T^. — Nous avons vu qu'cà la fin ou avant la fin du xii^ siècle,
la dentale avait disparu de la terminaison du participe passé; nous
la voyons reparaître à la fin du xiv= siècle dans la langue littéraire,
et un siècle plus tôt dans les ouvrages qui n'appartiennent pas à la
littérature.
Les deux premières classes de participes passés ne nous fournissent
que peu d'exemples; pour les formes faibles en e et en /, nous ren-
controns cette graphie dans certains manuscrits d'ouvrages du
xiv^ siècle, par exemple dans le Selden supra 74 (Proverbes de Bon
Enseignement) : aviset^ (19, 4),appelet:( (31, i) ; dans les Chroniques
de Nicolas Trivet : apelety (46 r'').
En dehors de la langue littéraire, nous trouvons d'abord et beau-
coup plus tôt des exemples dans les textes politiques, par exemple
dans les Statutes : hailkti, écrit en 1278 (I, 44); (?)'/;{ (id., ibid.),
etc., etc.; dans les Parliamentary Writs : ameti (1303, I, 372), etc.
Chez les auteurs littéraires, en ce qui concerne les participes pas-
sés en u, la consonne double ti se rencontre dans les mêmes condi-
tions que pour les participes passés en e et en /; dans les recueils
non littéraires, les exemples sont sensiblement plus nombreux.
Voici, par exemple, ceux que nous rencontrons dans les Statutes:
veniii::^ (1278,1, 44); banuti (1326,!, 251); fww/:^ (1318, II, 172),
LES PARTICIPES 465
mieuti (1330,1,267); dans les Parliamentiiry Writs : rt/rj////-(i3 18,
II, 172), coinhatouti(i-^24, II, Append., 231).
Enfin pour ces trois classes de participes passés, la consonne
double se rencontre très fréquemment dans les ouvragée légaux à
partir de i et 2 Edw. IL
2. Autres consonnes. — Les autres consonnes sont rares ; elles ne
se rencontrent pas dans les ouvrages littéraires ; on trouve dans la
langue politique et diplomatique la consonne x employée en
finale, comme eslenx dcins les Statutes (1351, I, 327 ; 1363, I, 379,
trois fois) ; cet emploi de x est assez rare dans Rymer et peut
s'expliquer dans chaque cas comme une erreur cléricale.
b) Voyelle de la leniiinaison.
I . Participe passé en é.
I. /('. — Nous retrouverons, au participe passé, le même phéno-
mène que nous avons déjà observé à la deuxième personne du
pluriel du présent de l'indicatif et à l'infinitif de certains verbes de I ;
dans les mêmes conditions que pour cette personne et pour ce
mode, certains verbes ont régulièrement au participe passé la
terminaison ié. Nous ne voulons pas faire l'histoire complète de
ces désinences, mais nous pouvons la résumer ainsi : on en trouve
encore un certain nombre dans les Psautiers ; sans prétendre en
donner la liste complète, nous citerons seulement les verbes com-
muns aux deux Psautiers : drecie, esalciei, iriei, jngie::^, trenchie::^, et
nous renverrons aux ouvrages de Meister (p. 53) et de Fichte
(p. 53). Après les Psautiers, les formes en //sont de plus en plus
rares dans les textes littéraires ; on n'en trouve aucune au commen-
cement du xiii^ siècle. Elles reparaissent à la fin du xiv^ siècle.
Les exemples que nous fournissent les textes littéraires de cette
époque ne sont pas rares, quoique ceux qui sont assurés ne soient
pas très nombreux ; mais la lecture des manuscrits suffit à nous
montrer que les scribes emploient très fréquemment la graphie par
ie ; que ce soit étymologiquement ou non, peu nous importe à
présent. Nous ne voulons constater maintenant que le simple fait que
les graphies en ie pour les participes passés de I sont nombreuses
au xiV siècle ; citons tout d'abord les rimes (douteuses) du Siège
16(> 1. EVOLUTION DU VKRBK HN ANGI.O-PRANÇAIS
de Caiiaverok : avisillie, engrellic, oïlaillic (au vers 2359); cbargie,
dans Pierre de Langtoft (ms. B) ; dans les Proverbes de Bon Ensei-
gnement (Old Royal 8 \i XVII) nous relevons encore un autre
exemple plus douteux : partie. On pourrait peut-être Apmcv enlumie
dans les Contes de Nicole Bo/on (au § 112), certainement _^;ri7V au
vers 1008 et dcspiilie au vers 232 de la Vie de Saint Richard du
même auteur.
Ces exemples sont certainement peu nombreux, mais la lecture
de manuscrits anglo-français du xiv^ siècle pourrait fournir assez
vite une longue liste d'exemples.
En dehors de la littérature, les formes en ie sont plus anciennes,
sinon plus communes. Le premier cas que nous en rencon-
trions dans cette catégorie de textes peut se lire dans les
Statutes sous la date de 1297 : dciiiiiicics (\, 23). Désormais ce verbe
va reparaître très fréquemment sous cette forme, de même que
proniDicic et amincie. Nous ne donnerons pour ces formes qu'un
petit nombre de références : on peut dire d'une façon générale que
le plupart des textes, à toutes les dates, en contiennent quelques
exemples (cf. Statutes: 1330,1, 268; 1344, I, 301 ; 1376,1, 397;
1399, II, 119 ; Parliamentary Writs : 1299, I, 321 ; Rymer's
Foedera : 1302,11, 913, etc. ; Lettres de Jean de Peckham : 1281,
159 ; Literae Cantuarienses : 133 1, 392; Documents inédits :
1380, 217. Les Year Books en fournissent aussi de nombreux
cas, citons 20 et 21 Edw. I", 339; 30 Edw. L', 499 ; 14 Edw. III,
127 et pas si ni).
Les exemples sont donc nombreux et la liste de références ci-
dessus pourra en donner une idée. Du reste, si cette forme n'est
pas le seul participe passé prenant la désinence en /c, elle est du
moins la plus régulière de celles que nous avons rencontrées. Les
autres verbes que nous allons maintenant énumérer aussi rapide-
ment qu'il nous sera possible ne prennent la désinence en ie
qu'à l'occasion et se trouvent aussi ou plus communément iwcc la
désinence qui présente la voyelle simple. Au contraire, nous ne
nous souvenons pas d'avoir rencontré dans les textes non littéraires
du xiv^ siècle un seul exemple de l'un des trois participes ci-dessus
sans 1'/.
Nous ferons encore une autre observation. Nous trouverons dans
notre liste des participes en ie un ceitain nombre de formes
.1
LES PARTICIPES 467
régulières ; ce sont des participes qui reprennent la diphtongue à
laquelle ils avaient droit, mais leur nombre est sensiblement infé-
rieur à celui des participes qui nous montrent une diphtongue non
étymologique.
Nous citerons tout d'abord quelques participes de la première de
ces deux catégories. Nous avons rencontré assez souvent les deux
participes passés traitié et touchié ; le premier se rencontre surtout
dans les Rymer's Foedera (cf. 1339, V, 114 ; 1393, VI^ 426; 1390,
VII, 663), mais est encore employé dans d'autres recueils, comme
The Acts of Parliament of Scotland (cf. 1363, 493). Le second est
aussi d'un usage assez général ; les Rymer's Foedera nous en
donnent de nombreux exemples (1348, V, 63e), de même que les
Acts que nous venons de mentionner (cf. 1363, 493). Citons
encore les formes moins communes : chargié, acrocbié que nous lisons
dans les Statutes ; eiiipeschié, jugie, obligié qui se lisent dans les
Rymer's Foedera. Mais pour ces quelques verbes, ainsi que pour
plusieurs autres qui se rencontrent sous cette forme, la désinence
en t'est loin d'être rare.
La terminaison en jé a cependant été étendue à un nombre assez
considérable de participes passés qui n'y avaient aucun droit. Nous
pouvons citer par exemple dans les Statutes : gardié, oiistié,occupié,
hastié, partie; dans les Parliamentary Writs : niflnrilié,endentié,molestié;
dans Rymer : occupié, donnié, amie, sativié ; dans les Literae Cantua-
rienses -.endentié; dans le Liber Custumarum et le Liber Rubeus de
Scaccario, nous rencontrons encore plus d'un exemple du même
genre. D'une façon générale, nous pouvons dire, pour ne pas allonger
indéfiniment notre liste, que dans tous nos textes nous relevons
quelques exemples soit réguliers, soit irréguliers, de cette désinence.
Nous aurions pu citer aussi dans la première de ces deux classes le
nombre assez considérable de participes passés qui ont leur thème
terminé par une lettre mouillée. Ces verbes prennent régulièrement
un / devant la terminaison ; mais en anglo-français, on trouve assez
iréquemment cet / qui n'est peut-être qu'un élément de la graphie
de la consonne; il est assez difficile de dire si cette voyelle a une
valeur propre ou si elle n'est destinée qu'à représenter la mouil-
lure, par exemple, dans haillié (Statutes, 1335, I, 277), et dans.
a ccompaignié (Ky mer, 1348, V, 6^6).
Au point de vue des dates, on peut remarquer que les exemples
468 l'évolution du vlkbe en anglo-i-rançals
que nous avons cites tout d'abord, ceux chez lesquels, comme
prouuncié, Vi est étymologique, sont les premiers qui se trouvent
avec la désinence ié ; ils se rencontrent vers la lin du xiii'^
siècle dans les textes non littéraires ; les autres cas sont un peu
postérieurs ; on les lit d'abord au commencement du xiV^ siècle ;
mais ils ne deviennent vraiment communs qu'un peu plus tard,
c'est-à-dire vers I3-|0.
Dans les Year Books au contraire, la plupart des exemples de la
terminaison ié que nous avons relevés sont irréguliers, c'est-à-
dire proviennent de verbes qui n'ont pas étymologiquement cet / à
l'infinitif et au participe passé, comme ajornié (20 et 21 Edw. I",
^'i^), exaDiinié {^^ et 35 Edw. P"", 5), terminié (ibid., 13), saulvié
(2 et 3 Edw. n, 87), /)ni'/V(ibid., ioo),enportîé{ii et 12 Edw. III,
641) ; ici nous ne pouvons que très rarement arriver à fixer une
date un peu précise, mais cette constatation n'ôte rien de la force
des conclusions qui précèdent.
On doit faire une classe spéciale pour les participes en ié ' qui
proviennent des verbes en /r; ils sont assez communs, et nous
allons voir qu'ils correspondent exactement, comme on devait s'y
attendre, aux infinitifs de II qui prennent la désinence ier.
Le plus commun de ces participes est establié, on le rencontre
dans les Rymer's Foedera (cf. 1300, II, 866), dans les Statutes
(1387, II, 54) ; seisié est aussi fort commun : les Statutes en parti-
culier nous en off"rent plus d'un exemple (comme 131 1, I, 161).
Citons encore accoiiipUé dans Rymer (1303, II, 925 ; 1338, V,
46) ;/)//;//>' dans les Statutes (131 1, I, 164); quillié dans le même
recueil (1340, I, 296); unie, ibid. (1397, II, 100); dans Rymer :
Iminié, affaiblie (respectivement 1326, IV, 236 ; 1363, VI, 413).
Nous n'avons relevé aucun exemple de ces verbes dans les Year
Books.
2. Ei. — Dans certains dialectes du continent, la diphtongue ei
prend régulièrement dans certains cas la place de la voyelle e à la
tonique des participes passés de I. Cette diphtongue se rencontre
aussi en anglo-français, quoique assez rarement. On trouve d'abord
quelques exemples de cette terminaison ci au xii*" siècle. Citons
I . Pour cette question, on peut voir Stimniing, Introduction de Boeve, p. 202 ;
Suchier, Ueber die. . . ., p. 47 ; Romania XXXVI, 88, note.
LES PARTICIPES 469
aporteit dans lems. A de l'Alexis (strophe 19, premier vers), esleveis
dans le Psautier d'Arundel (23, 7) ; Gaimar en a deux exemples :
ntei^ (au vers 770), et /eiW~ (au vers 1383). Mais les deux exemples
de Gaimar sont loin d'être assurés, car le premier rim.e avec
afolez, et pour le second les mss. D et L donnent beneit, qui est
plus satisfaisant pour le sens. On doit donc attribuer au scribe du
ms. R ces quelques formes en ei; ceci du reste n'a pas grande
importance et ne fait que rejeter à la fin du xii^ siècle la date de
ces deux dernières formes ; cette terminaison ei est donc sporadique
à cette époque ; de plus elle est presque inconnue au siècle sui-
vant ; nous n'en trouvons d'exemples que dans les poèmes
d'Angier qui nous donnem paie- ( : deiz, 191 b 7, cité par Timothy
Cloran). Elle reparaît à la fin du xiv^ siècle tout en restant assez
rare dans les œuvres purement littéraires ; nous ne trouvons à citer
que des exemples douteux qui nous sont donnés par quelques
manuscrits du xiV siècle, comme engendreie, consolideie aux vers
137-138 de la Vie de Saint Richard; geteis. Proverbes de Bon Ensei-
gnement (21,4) ou emueugleis dans Nicolas Trivet (47 v°) ; cspuseie
(124), meneie (709), soueie (710), etc., dans le manuscrit A de l'Ipo-
médon ; estei (511), dans le Protheselaûs.
On peut donc conclure que les participes passés de I en ei ont
été d'un emploi fort rare dans les œuvres littéraires '.
Cette terminaison en ei est aussi assez rare dans la langue poli-
tique; nous pouvons citer dans les Mem. Pari. 1305 : paey^ (§ 274).
Dans les textes diplomatiques, au contraire, les exemples sont
très nombreux ; nous en relevons un bon nombre dans Rymer ; en
voici quelques-uns par ordre chronologique : à l'année 1338, nous
en trouvons deux : traiteit et acordeit ÇV , 55), qui sont répétés
quelques lignes plus bas avec la diphtongue ai; en 1363, on
trouve nomeiz (VI, 412) ; en 1365, aiiieis, consiitueit , redoubleis , etc.
Dans les Lettres de Jean de Peckham, il en est à peu près de
même; on xqXqvq honoureie (^i2?)i, 131) et JtWé)'(? (1283, 423); dans
les Documents Inédits nous trouvons oiistey (1392, 267). Le
nombre de ces formes, sauf dans les Rymer's Foedera, est en somme
assez restreint, surtout si l'on considère qu'ils sont répartis sur une
période de plus d'un siècle.
I. Cf. Stiniming, op. cit., p. 175 ; Busch, op. cit., p. 15 et 17; Suchier .
Voyelles toniques, § 17, p. 45 ; Mussafia, Zcitschrift fur ronnmische Philo-
logie III, pp. 106 et 267.
470 I. EVOLUTION nu VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Les Year Books ne nous ont donné aucun participe passé de I
affecté de cette terminaison.
3 . E(\ — Une terminaison qui est spéciale à la fin du xiii^' siècle et
au xiV"' siècle et que nous avons déjà eu l'occasion d'examiner à pro-
pos de la troisième personne du singulier, de la deuxième personne du
pluriel et de l'infinitif, c'est la terminaison où Ve est redoublé. Ici
encore ce n'est pas dans la langue littéraire que nous trouvons le
plus grand nombre d'exemples. Cependant, ils ne sont pas réel-
lement rares ; on en trouve déjà deux exemples dans le Sermon en
vers, Deu le Omnipotent : privée (78 e), aiiiee (78 f). Au xiV'
siècle les cas sont plus nombreux. Pierre de Langtoft nous donne
neei (I,i8, 13) et quelques autres passim ; dans le poème de Bozon
sur la Bounté des femmes nous en avons encore deux exemples :
porteei (au vers éi), nee^ (au vers 62) ; Foulques Fitz-Warin en
offre un très grand nombre : renversée:^ (26), acorâee:^^ (38)5 ^ntre-
haisee:;^ (58) i fiinee::^ (40) et peut-être quelques autres ; on peut
encore citer dans la Manière de Langage: âecouseex (384) et aJee-:{ au
vers 141 9 du ms. A de l'Ipomédon. Le scribe de la Destruction de
Rome emploie très fréquemment cette désinence ; nous pouvons
citer estee (au vers 15), ar})iee (au vers 443), embrasée (au vers
446), coupée (au vers 447), etc.
Comme on le voit, le nombre de ces formes est assez restreint :
l'anglo-français littéraire n'a pas été très favorable au redoublement
de la voyelle au participe passé. Quelle valeur faut-il attribuer à
cette terminaison ? Faut-il la considérer comme une simple graphie,
ou faut-il attribuer une valeur syllabique d. chacun des e ? Les deux
exemples que nous lisons dans le Sermon en vers et ceux que nous
donne Bozon, en admettant qu'ils appartiennent à l'auteur, nous
montrent que ce double e était purement graphique car ee:{ ne
compte que pour une syllabe dans le vers. C'est du reste la conclu-
sion à laquelle nous étions déjà arrivé dans nos études précé-
dentes.
Dans les textes non littéraires, la terminaison ee est très com-
mune ; mais il est toujours très difficile de savoir, étant donné une
terminaison ee, si on a affaire à une nouvelle forme de la désinence
ou si on ne se trouve en présence d'un féminin irrégulier, faute qui
n'est certes pas rare dans les textes anglo-français. Les exemples que
nous allons citer, aussi peu nombreux que possible pour ne pas
LES PARTICIPES 47 I
allonger nos listes d'exemples d'une façon démesurée, sont tous cer-
tainement des participes passés masculins. On trouve d'abord très
communément un participe passé fort : neet:^^, que nous, avons ren-
contré déjà dans les œuvres littéraires du xiv-' siècle et qu'on peut
lire dans les Statutes (1350, I, 310), dans Rymer (1313, III, 413
et passini). L'expression née et engendrée est assez commune dans les
Year Books (i et 2 Edw. II, 100 ; 2 et 3 Edw. II, 54, etc.).
Parmi les formes faibles, les plus anciennes qu'on rencontre se
trouvent dans les Statutes : grevée (nj^, I, 35) ; nontee:{ Çihid., p.
36) ; livereei{i2S$, I, 100) ; sauvée- (i^ocf, I, 136) ; grantee:^ (ibid.);
dans les Lettres de Jean de Peckham on a sauvée:^ (1280,94) 5 ^^
même les Early Statutes of Ireland nous montrent cette terminaison
à peu près à la même date: gardée (1285,50) ; les Parliamentary
Writs nous donnent grantee, prisée^ (1282, I, 12) ; les Mem. Pari.
(1305) : trovee::;^,agardeei,paiee:iÇ420,App. 7). Il est donc évident que
ces formes existaient et étaient d'un emploi assez fréquent dès la fin
du xiii" siècle dans la langue diplomatique et politique; et ces
formes se poursuivent pendant tout le xiv^ siècle, sans augmenter
beaucoup mais sans montrer de diminution. Tous les verbes de I
semblent pouvoir prendre cette terminaison ; nous trouvons dans
nos exemples à peu près tous les thèmes possibles, consonantiques
ou vocaliques. Etre lui-même a souvent son participe passé sous
cette forme : esfee (cf. par exemple Literae Cantuarienses, 133 1,
381 ; Rymer, 1373, VII, 5 ; 1375, VII, 75).
Par contre, aucun des nombreux verbes de II qui prennent le par-
ticipe passé de I ne semble avoir pris cette désinence ; ce peut
n'être qu'une coïncidence; elle est assez curieuse. Le seul verbe, à
l'exception de naître et d'être, qui n'appartenant pas à I se ren-
contre au participe passé avec ee, est encressee dans les Statutes
(1393, II, 91), à une date très tardive, comme on le voit. Nous
trouvons quelques exemples de cette forme, tous assez douteux,, dans
les Year Books : aJee {2 et 3 Edw. II, 86),oblieet (11 et 12 Edw. III,
193), et quelques autres.
4. — Les autres voyelles au participe passé des verbes de I sont très
rares ; et pour les formes qui nous restent à citer, nous ne rencon-
trons que des exemples isolés. Nous pouvons ûiire remarquer tout
d'abord que, à une exception près, les textes les plus corrects, sur-
tout les textes politiques des Statutes, des Parliamentary Writs,
472 L i;VOLUriON du VMRBF. KN AN(;LO-rRANÇAIS
etc., ne contiennent pas d'exemple d'une autre voyelle que e,
sous l'une quelconque des formes que nous avons déjà citées. Ce
n'est guère que dans les Rymer's Focdera que nous pouvons trou-
ver les terminaisons qui vont suivre.
J. — La terminaison qui montre un ^/ ne se rencontre que très
rarement ; nous trouvons dans Rymer : tratat^ (1299, II, 63 (S) ;
/;/r/.wrt/^, Statutes (134^, I, 301), et dans la littérature un exemple
à la rime: obstinai (: prélat) au folio 103 r° a de la Petite Sumc
de les Set Pèches morteus .
O. — Les terminaisons en 0 sont aussi rares ; nous lisons dans
Rymer : ciJos (13 18, III, 722) ; ^7/;/t)~ et donneos (1320, III, 853).
Elles sont trop isolées et trop extraordinaires pour que nous en
tenions grand compte. Il est très improbable qu'on doive considérer
ces terminaisons comme d€s désinences anglo-françaises.
5. Chute de la voyelle. — Il est assez rare que la voyelle accen-
tuée tombe; pourtant on en trouve quelques exemples dans plus
d'un recueil ; les Statutes nous donnent port (1390, II, 77) ;
Rymer a report et demaund (1297,11, 783), ost (1299, II, 841); le
Liber Custumarum : douht(i}jj, 462) ; même, dans la langue légale,
on trouve est (i^ Edw, III, 19). Il faut remarquer que chacune de
ces formes est terminée par une dentale et nous aurions peut-être
dû classer ces participes parmi les acquisitions des participes en tmn,
2. Participes passés en /.
Pour ces participes, la désinence se maintient très régulièrement
aussi bien dans les œuvres littéraires que dans les textes poUtiques,
diplomatiques, familiers, légaux. Nous ne trouvons même à signaler
aucune graphie.
La seule question que soulève l'étude de ces formes est celle de la
désinence en /( v)^'.
Il semble que l'on doive au xiv^ siècle reconnaître une nouvelle
classe de participes passés, les participes en ie ou plus souvent ye :
ils n'ont avec les participes réguliers en ie de commun que la forme
extérieure ; ils comprennent des verbes de I et de II et un très petit
nombre de verbes de IV; ils ont toujours e au masculin comme au
féminin, et ils riment en /. On peut les regarder comme un croise-
ment entre les. participes de I et ceux de IL
LES PARTICIPES 473
Voici les exemples que nous avons relevés dans la langue litté-
raire :
Verbes de I.
Au vers 24 du vers du Siège de Carlaverok, on trouve à la rime
croisUlie, engreillie, entaillie ; mais rien ne peut nous faire savoir si
ce ne sont pas des participes rimant en ié (cf. plus haut). Les
exemples que nous offre la Chronique de Pierre de Langfoft sont
moins douteux ; voici quelques-uns de ceux qui se trouvent à la
rime : marye (1, 130, 17 ; I, 322, i) ; enbuschye (I, 200,7) 5 esparpjye
(II, 280, 16) ; ohlye(\, 172,7 ; I, 320, 16 ; II, 34, 25). Ce dernier
participe, qui semble avoir été plus employé sous cette forme que
n'importe quel autre, se rencontre encore à la rime dans le poème
du Prince Noir au vers 455 ; dans ce poème d'ailleurs les exemples
de cette terminaison sont fréquents ; citons : logie (: mie) au vers
1062 ; baissie (: florie) au vers 2741 ; vecommencie (: afie) au vers
4055.
Le scribe qui a recopié le poème de la Destruction de Rome a
introduit dans son texte un nombre considérable de formes ana-
logues; citons-en quelques-unes : poeplie, embracie, desroiibie aux vers
493.599-
Verbes de IL
La terminaison en /()')'' semble plus naturelle et même très nor-
male dans les verbes de II. Nous croyons cependant qu'il faut la
distinguer de la terminaison régulière, et nous allons donner
quelques exemples de participes passés qui nous semblent indubita-
blement masculins, sous cette forme. Nous citerons des rimes, pour
être assurés de la présence de Ye muet. C'est encore Pierre de Lang-
toft qui nous fournit des exemples indiscutables ; on lit dans sa
Chronique : dormye (I, 78, 14) ;o>' (I, 178, 15) ; fiiye (I, 200, 24) ;
finye(\, 210, 13) ; 5a/53'^ (I, 390, 4 ;I, 434, 14); sevelyeÇL,^-^^, 10);
establye (II, 34, 8).
Ce dernier exemple est très commun et se rencontre encore dans
le roman de Foulques Fitz-Warin (p. 24).
Outre les verbes de I et de II que nous venons de citer, on
trouve encore sous cette forme un certain nombre de participes
(74 L EVOLUTIOM DU VERBE EN ANGLO-IRANÇAIS
passés en k ou torts, par exemple : Iciiyc dans Pierre de Langtott (I,
412, 4) et nitildye,(\m, comme nous le verrons plus tard, a fréquem-
ment un participe passé en /. A différentes reprises on le rencontre
à la rime sous la forme que nous venons d'écrire dans Pierre de
Langtoft (I, 390, 10 ; II, 386, ro). Nous ne pouvons citer aucun
participe qui dans l'anglo-français diplomatique et politique se pré-
sente à nous sous cette forme.
Il est. possible qu'il y en ait plusieurs parmi les nombreux
exemples que nous avons cités de participes passés prenant ou repre-
nant la désinence ié, mais nous n'avons aucun moyen de nous
rendre compte de la valeur de la lettre finale ; si c'est un e fermé,
les participes que nous avons cités appartiennent bien à la première
classe, si c'est un c muet, ils auraient dû prendre place ici.
3. Participes passés en it.
La voyelle des participes passés en // prend, très naturellement
d'ailleurs, un nombre considérable de formes. La plupart ne sont
'que des graphies de la voyelle // dont l'étude relève de la phoné-
tique^ aussi nous nous contenterons de les énumérer rapidement, en
en donnant quelques exemples.
Remarquons tout d'abord que la terminaison en // reste à toutes
les époques de la littérature (en prenant ce mot dans son sens large)
la forme la plus commune ; les ouvrages littéraires, aussi bien que
les recueils de textes poUtiques, diplomatiques, familiers, légaux,
nous en offrent un nombre considérable d'exemples. Les principales
graphies qui dérivent de celle-là nous montrent les voyelles ou
diphtongues suivantes : ui, tu, eu, icii, uc, w, 0, ou ; il serait assez
difficile d'expliquer la genèse de ces différentes formes si on s'en
tenait à l'étude du participe passé ; mais cette question est plus
générale, et comme telle sort du dessein de cet ouvrage.
Les formes en ui de la littérature sont bien connues, la plus
ancienne que nous ayons relevée se trouve dans Frère Angier et
elle rime en / : genui^ (: fiz) (56 d). Cette désinence d'ailleurs n'est
pas extrêmement fréquente au participe passé, même en dehors de
la littérature ; les Parliamentary Writs en ont quelques cas, par
exemple «/m/ (1299, 1, 320 ; 1325, II, 710). A partir de cette der-
nière date cependant cette désinence devient peut-être un peu plus
LES PARTICIPES 475
commune ; dans Rymer par exemple, elle est assez fréquemment
employée au xiv^ siècle (cf. 1325, IV, 137 ; 1360, VI, 162) ;
mais en somme elle reste toujours assez exceptionnelle.
En, qui provient peut-être de la généralisation de eii après syné-
rèse faite (voir cependant notre seconde partie), n'est pas rare dans
les œuvres proprement littéraires vers 1350; nous en avons relevé
un exemple dans les Contes de Bozon : iespondeu(^%<)) ; espaiidt-n(vers
162), enteudcii (vers 518), teuen (vers 493, 494, 776), veneii (ytrs
554) dans la Vie de Saint Richard ; nous ne citons évidemment pas
les formes qui ont cet e étymologiquement, ou qui l'ont pris alors
que la diérèse se faisait encore. Les exemples de cette forme sont
plus nombreux dans les textes non littéraires, par exemple dans les
Statutes : aresten (1285, I, 97)'; esten. Actes du Parlement d'Ecosse
(1305, 119) ; ra/Jt'// (ibid., 1292, 446); teneii, Mem. Pari., 1305
(§ 216); perdeu, Jean de Peckham (1284, 526) ; les cas ne sont pas
rares.
Tous les participes précédents se rencontrent dans les différents
Year Books; ces recueils montrent très fréquemment cette désinence
cil à partir des 20 et 21 Edw. l".
Les formes avec / en hiatus, iii, ieu, sont assez communes, sur-
tout la seconde. On ne les trouve que pour ces verbes qui
montrent, étymologiquement ou non, la diérèse à une époque
antérieure.
Les œuvres littéraires de la fin du xiv^ siècle nous en offrent plu-
sieurs exemples : dans les Contes de Bozon, le participe passé de
pestre prend la forme pieu (aux §§ 23, 121); Nicolas Trivet nous
montre devieii (2 v°) ; rescieu (ibid.) ; eslieu~ (25 r°), etc.
En dehers de la littérature, les formes en ieit sont à la fois plus
anciennes et plus communes. On en trouve dans tous les recueils,
par exemple r('::iriii dans les Mem. Pari., 1305 (§ 461); dans les
Statutes: w/m/^ (13 30, I, 267) ; rescieu (^1^62, I, 374; 1363, 1,379) ;
dieu, apercieu. Citons encore les participes que nous trouvons dans
Rymer : .yacM:( (1350? V, 207); i'/gM(i343, V, 357) ; dieus (1362,
VI, 348) ; rescieu, lieu, reslieu. Pour ce dernier verbe, l'exemple le
plus ancien se trouve dans Thomas Walsingham à là date 13 10
(p. 16).
Les Year Books ont un grand nombre d'exemples de ce genre ;
mais leur date reste toujours très douteuse ; on n'en trouve pas
47^ l'Ï:VOlution du verbe en anglo-français
avant le recueil 31 EJw. P' : bien (p. 297) ; cette terminaison se
rencontre dans les exemples suivants :^ï>//, que nous venons de voir
(cf. aussi 33 et 35 Edw, I", 53 et passiiii^ -yesUeu et lieu qui sont
très communs (33 et 35 Edw. \", 109 ; 11 et 12 Edw. P"", 21, 23,
457 ; 14 Edw. III, 209, 211, etc.); vieil (11 et 12 Edw. III, 585).
Comme on le voit, tous ces verbes ont présenté à l'origine un hia-
tus entre le thème et la désinence. La seule exception que nous
puissions signaler, c'est issieu, qui se trouve dans 33 Edw. P""
(P- 303)-
Les formes en m sont plus difficiles à distinguer, car on ne
peut toujours savoir si l'on a affaire à un féminin irrégulier ou à
une désinence particulière ; voici cependant quelques exemples de
cette forme ; citons d'abord vendiiccs des Statutes (1380, I, 370) ; si
ce n'est pas une erreur du scribe, cette forme est très probante ;
ieniie:^, Mem, Pari., 1305 (§ 383) ; le féminin detemtees dans Rymer
(1361, VI, 323); le masculin ^w:{(id., 1373, VII, 12); encriiei dans
les Literae Cantuarienses (1380, 947) ; et un très grand nombre
d'autres.
Les terminaisons qui présentent un iv sont rares dans les œuvres
littéraires ; on ne les trouve guère que dans les derniers ouvrages
du xiv= siècle, de sorte qu'il est difficile de savoir si cette forme
provient des scribes ou de l'auteur ; par exemple oive de Nicolas
Trivet (16 r°).
En dehors de la littérature, elle est au contraire très fréquente et
elle remonte fort haut. Le premier exemple que nous ayons relevé
se trouve dans les Statutes sous la date 1275 : duwe (I, 28) ; ce
n'est du reste pas un cas isolé ; nous en pouvons citer un autre : pur-
vezve dans le même recueil (I, 53), à la date de 1283 ; le^Liber Ru-
beus de Scaccario a diizue (1275, 1, 212) etî't'(><;6'^(i300, 1, 5 5) ; dans
Rymer, on rencontre seiue, eiue en 1294 (II, 627); dinue se lit dans
les Early Statutes of Ireland (1285, 52) ; et dans les Mem. Pari.,
1305 (§ 123) ; dans ce même ouvrage, resceiu, ciu sont employés au
§ 5. Comme on le voit, les exemples sont nombreux, variés et
d'une date assez reculée puisque certains d'entre eux datent du com-
mencement du quatrième quart du xiir siècle. Au xiv^ siècle évi-
demment, ils deviennent encore plus abondants ; mais il est inu-
tile d'en citer davantage.
Dans les Year Books, on en trouve un certain nombre, comme
LES PARTICIPES 477
ew, vew, etc. ; même il s'en trouve où Yu est employé en même
temps que le lu, comme dans eiiw (3 Edw, II, 123), donné par le
ms. M.
Les terminaisons avec 0 et ou sont rares ; citons les quelques
exemples que nous avons trouvés: teno:;^, Documents Inédits 1397),
299); doue, Statutes (1275, 1, 28) ; ro;;//'fl'/o«/^, Parliamentary Writs
(1324, 2^ App., 261); fo/o7/ dans Rymer (1397, VII, 850) ; et dans
les Year Books, bâton (30 Edw. V% 107), tenons (33 et 35 Edw. I",
399). Il est difficile de croire que ces formes se rattachent aux
formes étymologiques des participes passés forts en 11 de la pre-
mière classe.
LES ACQUISITIONS
I. Acquisitions des participes en e.
Les participes en e ont toujours exercé une grande attraction sur
les participes passés des autres conjugaisons (cf. toutefois ce que
nous disons des participes en n). On trouve dès le xii^ siècle des
verbes qui prennent irrégulièrement un participe enf.
Dans le Psautier d'Arundel les exemples sont déjà nombreux :
move:^ de mouvoir ' (lé, 6) ; beneic:^ (27, 8) ; corrunipeesÇ^j, 5) ; dans
Horn on trouve pour la première fois areste:^ (2309) ; (arestu se
trouve aussi dans Horn, 4467, etc. et dans la plupart des auteurs
du xii^ siècle).
Nous n'avons pas relevé au xii'^ siècle d'autres acquisitions pour
les participes passés en <? ; il y a dans les exemples précédents des
participes régulièrement en u, d'autres régulièrement forts. Les cas
d'acquisitions augmentent considérablement au siècle suivant et
nous les distinguerons désormais d'après la forme de leur participe
passé étymologique.
a) Participes en / prenant la désinence e.
Ces participes sont très nombreux; voici quelques-uns des exem-
ples que nous avons relevés au xiii'^ siècle ; à cause même de leur
nombre nous pourrons nous contenter de citer les cas assurés, c'est-
I. Lire moues ?
478 l'évolution du verbl kn anclo-iran^çais
à-dire ceux qui se trouvent à la rime. Nous trouvons ainsi : tapc:^
(:adure)qui se lit au vers 715 du Saint Edmund(cf. aussi vers 72);
on rencontre encore .sY/Vc (: engu lez) dans Boevc (2583); seise, du
reste, va devenir bientôt la forme ordinaire de ce participe, excepté
dans la langue légale qui oftVe le plus souvent seisi (cf. 22 Edw,
1"% 523 ; 35 et 35 Edw. I", passiiii, etc.). Citons encore : avili ei
( : privez) au vers 168 du Roman des Romans ; oye^ ( : enmoistez)
qui se trouve dans l'Ordre de BelEyse (216), et dans maints autres
poèmes, par exemple dans le Siège de Carlaverok, où ce participe
rime avec des ploie (au vers 2).
Dans Pierre de Langtoft les cas qui montrent le passage de / à é
sont très communs : esîahlei (I, 412, 18 ; I, 496, 5); luerpe est
donné par trois mss. A, C et D (II, 314, 14); et c'est la bonne
leçon ;forbane{ (I, 224, 5), enriche- et emple se trouvent tous les
deux dans les Contes de Bozon (aux §§ 98 et 130); Nicolas Trivet
nous donne rave (19 r°); acomple ( : divise) se trouve au vers
576 du Prince Noir ; boille^ est employé dans les Recettes de Cui-
sine (p. 51, n° i), maïs boyly (p. 55, n° 26).
La liste de ces participes passés que l'on rencontre dans les
textes de la langue politique, diplomatique^ et familière pourrait
être extrêmement longue; remarquons que dans cette liste, ce sont
les verbes provenant d'adjectifs qui sont les plus nombreux : enpovc-
re:^ se trouve très communément, par exemple dans les Statutes
(1275, I, 26; 1336, I, 277); dans les Early Statutes of Ireland
(1285, 48) ; dans les Literae Cantuarienses (1380, 947).
Nous pouvons citer encore etibaudei dans les Statutes (1346, I,
304), cncbicrc, id. (1363, I, 378); e)iiliir~c dans Rymer (1337, IV,
805); refresche dans les Documents Inédits (1390, 261; 1346, 81);
enriche, blesmc, etc.
Un assez grand nombre de verbes qui montrent un infinitif en
cr prennent aussi, comme on doit s'y attendre, un participe passé
en e, par exemple estable, seise, pursiu\ ; ces trois verbes se relèvent
très fréquemment sous cette forme; eslable se trouve pour la pre-
mière fois dans Rymer à la date de 1330 (IV, 438) (establi se
lit quelques lignes plus bas) ; seise dans les Statutes à la date de
1357 (I, 352) (5m/ reste toujours assez commun) et piirsiie:;^ se
trouve dans le même recueil sous la date de 1377 (II, 3 et passini).
A part ces verbes, on en rencontre d'autres qui ne sont pas aussi
LES PARTICIPES 479
régulièrement employés sous cette forme; par exemple, dans les
Statutes, esbaiei(d. 1378, II, 10) et meuniré (cf. 1380, II, 64).
Nous pourrions relever dans les Rymer's Foedera un nombre
d'exemples de ce genre encore plus considérable; parmi ceux qui
nous paraissent les plus remarquables nous citerons giierpé qui est
l'un des plus anciens que nous connaissions (cf. 1297, II5 783); un
autre est assez souvent répété, c'est quille (voir par exemple 1361,
VI, 312). Les autres recueils de textes non littéraires nous en offrent
à proportion, comme repleivê, plus ancien encore que guerpe ; nous
le trouvons dans le Liber Rubeus de Scaccario (cf. 1273, I, 213).
Des participes en //, mais en nombre relativement peu considé-
rable, se rencontrent encore avec la désinence en é ; nous ne ferons
pas une trop longue énumération des formes qu'on peut rencontrer
et nous nous contenterons de signaler ceux qui nous semblent pré-
senter de l'intérêt. Nous ne reparlerons p^Lsd'aresié; nous en avons
déjà dit un mot et nous aurons à mentionner cette forme à propos
des participes en u.
Nous trouvons un exemple du passage de // à é dans un poème
du milieu du xii^ siècle, et à première vue cet exemple pourrait
passer pour bien assuré. 11 se lit au vers 1798 de l'Estorie des
Engleis et se trouve à la rime : c'est combaté à la rime avec régné.
Mais ces deux vers ne sont donnés que par le ms. R (xiii^ siècle);
et cette forme est sans doute une interpolation du scribe. Ce n'est
guère qu'au xiv*' siècle que nous rencontrons des exemples à la fois
nombreux et sûrs; nous en citerons quelques-uns des plus com-
muns. Dans les Contes de Nicole Bozon, nous rencontrons mei-
^ntené (§ 1 5); une forme analogue est assurée par une rime du poème
du Prince Noir : bienveignei qui rime avec festoiez au vers 1447.
Dans les Chroniques de Nicolas Trivet, nous avons rencontré
veslé (ïoYio 60 r°) et la forme nssez curieuse moudre (moudre) (au
folio 49 V") ; celle-ci se retrouve dans Recettes de Cuisine un cer-
tain nombre de fois (cf. par exemple n° 6).
Du même genre que ce dernier est decousee:^^ qui se lit dans la
Manière de Langage (384).
Un certain nombre de formes sont assez douteuses, en particu-
lier celles qui sont terminées par -we, comme remewe qu'on lit dans
la Chronique de Londres (1322, 46), ou par juwe qui se lit dans le
même ouvrage (1330, 63). La rime iJjûie' (: devez) qui se trouve
480 l.'liVOLUTION DU VERfeK EN ANGLO-l-RA\ÇAlS
au vers 7722 (A) du Manuel des Péchés pourrait être considérée
comme douteuse pour une autre raison; ce verbe se trouvant fré-
quemment avec un participe en /ou en cil, il est possible que ce
soit l'un ou l'autre, et plutôt le second, de ces derniers qui ait pro-
duit la forme que nous venons de citer.
Nous ne pousserons pas plus loin cette liste d'exemples ; nous
aimerions à faire remarquer toutefois que certains scribes montrent
un goût tout particulier pour ces terminaisons ; ainsi le scribe de la
Destruction de Rome écrit sumree (2iux vers 1489, 2491), combatee
(au vers 1500). Ces formes n'ont pas grande importance, mais nous
désirions montrer que l'exemple combaie du ms. de l'Estorie des
Engleis n'était pas absolument isolé, à la date du ms. R.
Nous ne trouverons pas non plus un grand nombre de cas à citer
en dehors des textes littéraires. Une seule forme se montre assez tré-
quemment, c'est mové de mouvoir ; nous en rencontrons un grand
nombre d'exemples dans les Rymer's Foedera (cf. par exemple
1354, V, 782; 1384, vil, 430; 1396, VII, 67e), et même dans
les Statutes (cf. 1378, II, 9; 1388, II, 59), mais ces derniers
exemples, comme on le voit, sont extrêmement tardifs.
Recevoir fait quelquefois recevc (faut-il encore lire receue? cf.
Rymer's Foedera, 1340, V, 164 ; 1400, VII, 125). Plus certain est
le participe dermnpé qui se trouve dans les Statutes tout à lait à la fin
du xiv^ siècle (1396, II, ^4).
Telles sont les principales reformations en cque nous fournissent
les textes littéraires et autres et qui proviennent des participes en «,
toutes ces formes sont en somme peu nombreuses; elles sont tar-
dives, et ce sont surtout les auteurs, les scribes ou les textes incor-
rects qui nous en fournissent le plus grand nombre.
Pour en finir avec les acquisitions de la classe en é, nous allons
mentionner maintenant quelques participes forts qui prennent cette
désinence. Certains exemples remoncent jusqu'au xii^ siècle, comme
le beneiei que nous lisons dans le Psautier d'Arundel (28, 8). Mais
cette forme reste unique pendant à peu près un siècle. Les exemples
que nous rencontrons après celui-là se lisent dans le Manuel des
Péchés. Dans ce poème, nous trouvons à la rime un grand nombre
d'exemples de la forme maiidié (avec aie au vers 4508, avec senez
au vers 4681). Mais nous avons ici un véritable changement
de conjugaison, et non un simple changement de désinence au par-
Les t>ARTictPES 481
tîcipe passé; rappelons en effet l'infinitif maudier qui, comme nous
l'avons déjà montré, est très commun dans le William de Wadding-
ton. C'est du reste tout ce que nous avons trouvé de sûr au xiii^
siècle.
Au siècle suivant, les exemples deviennent un peu plus com-
muns; ce sont du reste pour la plupart des barbarismes qui ne
prouvent guère autre chose que l'ignorance de ceux qui les ont
employés, scribes ou auteurs. Citons-en quelques-uns que nous
avons relevés dans les ouvrages littéraires : mette, overee (ouverte),
desconfiee (desconfite) que nous lisons dans le ms. de la Destruction
de Rome (vers 1096, 1378, 1489), ou jointe^ qui rime avec degrez
au vers 22 de la Geste des Dames, ou attrae:;^ qui se trouve dans la
Chronique de Nicolas Trivet (folio 2 r°). En dehors des textes
littéraires, les exemples sont aussi très rares et parfois peu sûrs.
Nous ne donnerons que peu d'exemples de ce changement de
classe qui reste exceptionnel.
On pourrait peut-être considérer comme un changement de ce
genre la forme que prend traire au participe passé : tree:^^, tre\ dans
les Statutes (1377, II, 5 ; 1386, II, 40); la ressemblance de cette
forme avec les participes en c peut n'être que fortuite. A part ces
quelques cas les Statutes ne nous présentent guère que des formes
douteuses comme : inquiseï (1399, II, 117), qu'on peut charitable-
ment considérer comme régulières.
Il y en a davantage dans les Rymer's Foedera; soffre, qui date de
1297 (II, 783), se trouve assez fréquemment; dans les Literae
Cantuarienses on lit couvertes, masc. sing. qui est douteux (1380,
947); dans le Liber Custumarum :^oi'^r^5 (1377, 469), qui l'est
moins; dans les Annales Londonienses : somones (1322, p. 45) et
despise (i'^26, 56), qui est douteux. Citons la forme countrefaciex^
qui se rencontre dans le Liber Custumarum (1300, 190) avec le
sens de contrefait ; on trouve cette forme employée à propos de
monnaies ; nous pensons qu'il faut y voir l'influence du substantif
face.
On rencontre encore dans les Documents Inédits escrie^ (écrire)
(1370, 198). Les Year Books présentent assez fréquemment trois
formes de ce genre: somoiie (dans 30 Edw. I", p. 31 et pass'un) ;
destreiiie(\h\à., 67; 31 Edw. \", 383, etc.); attrae (ibid., passim).
Les autres participes passés forts qu'on peut rencontrer sous la
31
482 l'évolution du verbe en anglo-français
forme fliible en e ne se présentent pas avec la même régularité et
il est presque toujours impossible de préciser leur date.
2. Acquisitions des participes passés en i.
Au XII'' siècle les acquisitions de la classe en / sont très peu nom-
breuses ; nous n'en avons rencontré d'exemples que dans Gaimar
et Horn ; comme ils ne se trouvent pas à la rime, on peut sans hési-
tation les attribuer au xiii^ siècle, d'autant qu'à cette époque les
nouvelles formes sont relativement nombreuses : un assez grand
nombre de participes passent de la forme en ^ ou en « à la forme
en /.
flî) Participes régulièrement en e prenant la désinence /.
Pour les verbes de I dont le participe passé prend la désinence en
/, il nous faut distinguer entre les participes régulièrement en ié et
les participes en é.
Les premiers sont assez peu nombreux, et nous n'avons pas
relevé un nombre aussi considérable d'exemples pour ceux-ci que
pour les autres.
Dans Boeve, ce passage de ié à / nous est assuré par une rime :
nous lisons au vers 2309 preysi qui rime avec li, et dans le même
poème, mais dans le corps du vers 2769, trenchi '. Despoili se
trouve dans les deux manuscrits R et H de la Plainte d'Amour au
vers 470.
Si on passe au xiv^ siècle on trouve dans Pierre de Langtoft
esparny (II, 139, 9); dans les Contes de Bozon, soilli se trouve au
§ 17 ; assegi se lit dans Nicolas Trivet au folio 15 v°, etc. Tels
sont les principaux, mais non les seuls exemples qui se ren-
contrent dans la langue littéraire. Ajoutons-y quelques autres pris
en dehors de la littérature: envoi'i^ qu'on lit dans les Rymer's Foe-
dera (13 18, III, 724); esconiengi est commun dans les Year Books;
par exemple il se lit dans 30 Edw. P% 213 et passim.
Les acquisitions des participes en / provenant des participes en e
sont probablement moins nombreuses ; elles sont à un certain point
I. Cf. Stimming, p. 202.
LES PARTICIPES 483
de vue (cf. deuxième partie) plus remarquables, car ce sont de véritables
acquisitions et nous en citerons proportionnellement davantage.
Dans la littérature on n'en trouve qu'un petit nombre, par exemple
estais de ester qui, au vers 410 du Saint Edmund, rime avec pais;
dans la Plainte d'Amour, revili rime avec merci (au vers 985) ; cette
dernière forme se rencontre par la suite assez communément; citons
encore l'exemple qu'on en trouve dans William de Waddington au
vers 9739. Afiibli:^ se trouve dans l'Apocalypse au vers 263 ; gerniy
est employé à la page 14 du Traité de Hosebonderie de Walter de
Henley, et enfin on relève engressi au § 118 des Contes de Bozon.
La forme la plus fréquente, c'est lozvis du verbe louer ; on la trouve
dans William de Waddington (dans le corps du vers 2776), dans
Nicolas Trivet (au folio 46 v°) et très communément en dehors
des textes littéraires, par exemple dans le Liber Custumarum (1309,
81).
Dans la langue politique et familière, les acquisitions de cette
sorte sont assez nombreuses ; certains verbes de I même ne prennent
jamais au participe passé d'autre terminaison que la terminaison
en / : par exemple le verbe recovrer qui fait toujours recovri ; on le
trouve sous cette forme dans -les Statutes (cf. 1320, I, 180 ; 1350, I,
321 ; 13 51, I, 326 ; 1362, I, 372), dans les Documents Inédits
(1364, 167), dans les Year Books (30 Edw. P"", 43 ; 33 et 35 Edw.
L^ 93) (cf. Infinitif).
Les autres cas qui nous montrent cette terminaison sont moins
régulièrement employés ; les plus anciens se trouvent dans les
Rymer's Foedera : deliverys (1274, II, 30) ; ènparolys (1279, II,
133)-
Les autres exemples que nous avons relevés se rencontrent sur-
tout dans la première moitié du xiv^ siècle, comme severi^ dans les
Statutes (1340, I, 284) ; cette même forme se rencontre encore dans
la Chronique de Londres (p. 85) à la date de 1341 ; renoavely est
employé dans les Literae Cantuarienses (133 1, 367).
On en trouve encore d'autres cas, toujours en assez grand nombre,
dans la seconde moitié de ce même siècle, par exemple tivubli:^, dans
les Statutes (1363, I, 385) -^averri, dans les Year Books (20 et 21
Edw. I", p. 53); enpen-i (de empirer) (dans 14 Edw. III, 77) et
quelques autres dans les Year Books de cette époque à des dates
très difficiles à préciser; mais ils semblent certainement devenir
moins communs que dans la période précédente.
4^4 l'évolution du verbe feN ANGLO-FRANÇAIS
h) Participes en u prenant la désinence i.
Les participes en n qui abandonnent leur désinence pour la ter-
minaison / sont peu nombreux ; nous en relevons deux exemples
dans le ms. O de Horn, dont l'un, il est vrai, se trouve à la rime
et pourrait être attribué à l'auteur : vestii (vers 4676), que l'on
retrouve dans Nicolas Trivet (folio 59 r") ; l'autre se trouve dans
le corps du vers : cumhaîi (4790). Le verbe vivre se rencontre très
fréquemment au participe passé avec la forme en /, comme dans le
Petit Plet de Chardri où, au vers 1588, il rime avec ami, et dans
le Manuel des Péchés de William de Waddington où il rime avec
despendi (au vers 4153); nous pourrions aussi citer un nombre
considérable d'exemples de cette forme employés dans le corps du
vers, comme dans Saint Julien (au folio 71 v°, etc.), dans Pierre
de Langtoft (I, 288, 25 ; I, 442, 21).
D'autres verbes sont d'un emploi moins constant avec cette dési-
nence ; citons toutefois battre qui fiiit baty dans le Poème Allégo-
rique (au vers 25); corumpi:{, que l'on trouve dans l'Apocalypse
{^, 610).
Certains participes n'ont pour ainsi dire qu'une ressemblance
extérieure avec les participes passés en / ; par exemple dans Uii de
lire (Boeve, 3849), la diphtongue /// n'est qu'une graphie
(umgekehrte Schreibung?) de u (voir plus haut, les changements
subis par la voyelle u de cette terminaison).
Les participes régulièrement en // qui prennent la désinence en /
sont encore plus rares dans la langue non littéraire et ne se ren-
contrent guère dans les meilleurs recueils. Nous ne trouvons à citer
que rendy dans le Registrum Palatinum Dunelmense (13 n, I, 4),
et dans les Rymer's Foedera : purvei (13 12, III, 366), et aresii
(1360, VI, 296).
Les Year Books nous présentent certainement un plus grand
nombre de cas analogues à ceux que nous avons déjà cités, comme
respondy qui se lit dans le Year Book 21 Edw. P' (page 239);
mais la plupart des formes que nous avons relevées ne nous
semblent pas appartenir à notre période.
Nous trouvons un certain nombre de participes passés que nous
ne pouvons guère considérer comme irréguliers quand ils nous pré-
LES PARTICIPES 485
sentent un participe passé en i : chioir par exemple. Chat n'est
pas aussi commun que les différentes formes en u que nous avons
déjà citées ; mais elle n'est pas rare et se rencontre aussi communé-
ment que le participe à forme forte. Nous en avons trouvé des
exemples à toutes les périodes de la littérature anglo-française,
depuis le Voyage de Saint Brandan, où chaid rime avec hait (au vers
1023), ou TEstorie des Engleis (au vers 3313), jusqu'au Manuel
des Péchés (cf. vers 1029, 1330, 6684 et passinî) et l'Apocalypse
(P, 62).
Il nous reste encore à parler de quelques participes passés forts
qui prennent quelquefois la forme faible en / ; le plus important est
naître. Nasqui n'est pas très commun ; nous ne l'avons rencontré
qu'une seule fois à la rime nasqui (: fiz) dans l'Estorie des Engleis
(au vers 3596).
Nous mettrons dans la même classe le participe passé des verbes
composés de vertir, les {ormes convertit, purvertit sont beaucoup plus
communes que les formes fortes couver s, purvefs ; les Psautiers nous
fournissent en particulier un grand nombre d'exemples des deux
premières.
Les derniers exemples que nous venons de citer sont donc relati-
vement ou complètement réguliers. Les autres ne le sont pas du
tout; mais ils sont en somme assez peu nombreux et les formes
barbares restent, en considérant l'ensemble de la littérature anglo-
française, des exceptions qui ne prouvent pas grand'chose contre la
masse des auteurs anglo-français.
3. Acquisitions des participes en u.
Avant de traiter la question des acquisitions pour les participes
passés de ce type, il est bon que nous nous rendions compte
de la régularité avec laquelle certains participes en u ont conservé
leur forme étymologique. Il est vrai qu'en exposant les acquisitions
que les participes passés des autres classes ont faites, nous avons
vu par là même la contrepartie de la question que nous nous
proposons d'étudier. Il nous semble utile maintenant, au risque
de quelques répétitions, de voir de quelle façon certains participes
en u, tels qnarestu, ont subsisté en anglo-français.
4 86 l'évolution du verbe en anglo-français
Ce participe que nous venons de citer est un des plus impor-
tants de ceux qui doivent nous occuper maintenant. Nous avons
montré que le verbe arester subissait, comme il est naturel,
l'influence des autres verbes de sa conjugaison et que peut-être déjà
au XII'' siècle (cf. l'exemple de Horn), certainement au xiii'^ (cf.
l'exemple de Chardri), il montrait la forme aresté à son participe.
Mais la forme en u reste cependant en usage, non seulement à
cette époque, mais beaucoup plus tard, et à toutes les époques de
la littérature anglo-française, elle reste la plus employée. Elle est à
peu près la seule au xii"^ siècle et il serait facile d'en citer de nom-
breux exemples ; nous n'en avons cependant, pendant tout ce siècle,
relevé aucun à la rime ; nous avons été plus heureux pour le xiii^
et le XI v^ siècle.
Arestu rime avec saluau vers 2198 de Boeve, avec fu dans le Saint
Edmund, avec lu au vers 3285 de William de Waddington. On le
trouve encore dans Pierre de Langtoft (II, 116, 4), et dans la Chro-
nique de Londres sous la date 1326 (à la page 52).
L'anglo-français légal l'emploie aussi fréquemment : il se trouve
dans les Mem. Pari. 1305 (au § 127).
La langue légale ne connaît que la forme étymologique qui se
trouve employée fréquemment.
Suivre, comme nous l'avons déjà fait observer, se rencontre le
plus souvent avec un participe en / ; cependant la forme qui
provient régulièrement du latin sectiins est assez souvent employée
au xii^ siècle. Citons segnd dans le Saint Brandan aux vers 192,
1652 ; dans Horn au vers 4479 ; dans le Saint Gilles au vers 1836.
Pour eshi, cf. Participes forts.
Irascu se maintient aussi, il est très commun au xii^ siècle et se
retrouve encore au xiii^ : irascu rime avec fu au vers 146 du Saint
Edmund, avec Jesu au vers 11 15 d'Edward le Confesseur.
Si nous passons maintenant aux acquisitions des participes en
7/, nous verrons aisément qu'aucune classe de participes ne peut
montrer un nombre d'acquisitions aussi considérable que celle qui a
cette désinence ; non seulement en anglo-français, mais d'une façon
générale dans tous les dialectes français, cette terminaison a été
attribuée à beaucoup de verbes qui ne l'avaient pas régulièrement.
Pour ce qui nous concerne, nous trouvons que les participes en
u gagnent à leur forme des participes passés qui sont régulièrement :
LES PARTICIPES 487
a) En e. — Les acquisitions de ce genre sont assez nombreuses,
la plus ancienne semble être naessiiesÇ: aperçues), dans les Dialogues
Saint Grégoire (144 r° b), forme assez rare et qui n'a jamais été aussi
commune, à beaucoup près, que la forme régulière né, ni même que
nasqiii dont nous avons déjà donné quelques exemples.
Engettii, que Ton lit dans Nicolas Trivet (au folio 2 v°), est un
cas d'une espèce différente : nous avons ici un véritable change-
ment de conjugaison, provoqué par la forme gettre que l'infinitif
prend assez communément ; nous voyons encore le participe passé
gettu par exemple dans les textes légaux, comme dans le Year Book
II et 12 Edw. III (p. 439), et ailleurs.
Il en va de même, ou à peu près, pour foundu, de fonder que
nous rencontrons dans plusieurs endroits du Year Book 13 et 14
Edw. III (p. 163, 295, 299) et dans quelques autres Year Books ;
nous avons plutôt affaire à une confusion entre deux paronymes
fonder et fondre, confusion facilitée par la métathèse de l'r.
Comme véritables cas d'assimilation de forme ne provenant ni
d'un changement de conjugaison, ni d'une confusion entre paro-
nymes, nous ne trouvons guère à citer que gastu^ employé dans les
Statutes (1339, II, 109) et tournu qui se lit dans le Year Book 16
Edw. III (pp. 19 et 21). C'est à peu près tous les cas qui
montrent le passage du participe passé àt e k u.
h) En i. — Les verbes qui régulièrement devraient avoir leur
participe passé en / passent beaucoup plus facilement dans la classe
des participes en u. Les composés de vertir^ qui du reste connaissent
plutôt la forme forte du participe, se trouvent assez communément
avec un participe en u. Nous n'avons relevé d'exemples assurés qu'au
xiii^ siècle ; ainsi on lit dans la Vie de Saint Grégoire, à la rime du
vers 1878 : convertui{: vertuz); la même rime est employée par le
même auteur dans les Dialogues Saint Grégoire (75 v" b). Dans le
Roman des Romans, on trouve encore une rime analogue : revertue
(: remue) au vers 525. Nous avons plusieurs exemples de cette
forme dans les ouvrages du xiii« siècle, mais ils ne se rencontrent
que dans l'intérieur du vers.
Les auteurs du xiV siècle l'emploient assez souvent. Pierre de
Langtoft la montre aux rimes des vers suivants : I, 68, 17 ; II,
92, 14; Bozon, dans ses Vies de Saints, nous en donne un autre
exemple assuré par la rime : converîu:{ (: nuz) (au folio 94 r°) ;
488 l'évolution du verbe en anglo-français
dans la Chronique en prose de Nicolas Trivet cette forme n'est pas
rare (cf. le folio 46 r°).
Pour les autres formes de ce participe, d. Participes forts.
Sentir en anglo-français, comme dans beaucoup de dialectes fran-
çais, prend assez fréquemment la forme en 11 au participe passé ;
les exemples de cette forme sont communs, et on en rencontre
même quelques exemples au xii'' siècle, comme sentu (: tenu) du
Tristan de Thomas (vers m), et dans les Quatre Livres des Rois
(I, 19, 17). Il est surtout fréquent au xiii'' siècle ; la Vie de Saint
Grégoire a sentu (au vers 898) ; les Dialogues le font rimer avec
vertu (40 r° b) ; au vers 2371 du Saint Edmund, on a assentc (lire
assentiie) (: hue) ; dans le Manuel des Péchés de William de
Waddington on en trouve encore un autre exemple : consentu (: vertu)
(au vers 4995); il se trouve aussi à la rime dans Pierre de Langtoft
(II, 358, 15) ; à la rime avec issu dans les Vies de Saints de Bozon
(94 v°) ; dans les Contes du même auteur, il est employé au § 98.
Nous le lisons encore dans le Poème du Prince Noir (au vers
1898); il est très commun dans la Chronique de Nicolas Trivet,
on l'a par exemple au folio 46 r°, etc.
Cette forme en u est d'ailleurs la seule que nous trouvions dans
les textes diplomatiques et politiques, sans distinctions de correc-
tion, et les exemples que nous en avons relevés sont extrêmement
nombreux. Il en est à peu près de même de la langue légale, quoi-
qu'on rencontre sporadiquement dans les Year Books la forme cor-
recte, par exemple dans assenti (2 et 3 Edw. II, p. 55).
Mentir, si voisin par la forme de sentir, forme aussi, quoique
moins fréquemment peut-être, son participe passé en u ; on trouve
mentu pour la première fois dans Horn dans le corps du vers 3045,
etau folio 65 r° du Saint Julien rimantavec deceu ; puis dans William
de Waddington au vers 10200, rimant avec entendu ; dans l'Apoca-
lypse on lit mentu:^ (: Jésus) (205). Pierre de Langtoft l'emploie
(II, 294, 21); on le trouve aussi dans les Contes de Bozon (au § 23) ;
la forme en / est assez rare, nous ne l'avons relevée à la rime que
dans le Prince Noir où menti rime avec dit au vers 3813.
D'autres verbes se trouvent employés moins souvent, quelques-
uns cependant ne se rencontrent au participe passé que sous la forme
en u ; par exemple férir (cf. Dialogues Saint Grégoire n° 15 ; Saint
Auban, 83, 894 ; Statutes, passim ; Rymer, passini). Nous en trouvons
LES PARTICIPES 489
encore plusieurs autres qui, au participe passé, montrent cette
désinence assez communément : assaillu (: venu) est employé par
Robert de Cretham au folio 43 r° ; dans la Chronique de Fantosme
(au vers 1666); dans Horn (3122, 3260).
Certains participes passés en u sont d'un emploi plus rare :
banniitx_ n'est commun que dans les textes politiques d'une date assez
tardive (cf. Statutes, 1326, I, 251 ; 1396, II, 94, etc.).
Les Year Books fournissent encore quelques nouveaux exemples,
comme /(9rnM;( (fournir) (16 Edw. III, 137) qui ne se trouvent que
dans la langue légale.
c) Participes forts. — Les partfcipes passés forts fournissent
aussi leur part dans le nombre des reformations en //.
Nous avons déjà vu eslu qui est la forme la plus commune du
participe passé du verbe eslire ; on peut citer en outre choir
qui fait volontiers chaû, comme le montrent les exemples suivants :
dans l'Estorie desEngleis de Gaimar (au vers 4037), où il rime avec
féru ; dans Horn (au vers 3036); au vers 214 du Saint Laurent;
dans Robert de Cretham (folio 86 r°) ; il est employé deux fois à la
rime dans William de Waddington (cf. vers 1664).
Craindre prend aussi parfois un participe passé analogique : cremu ;
il est assez peu commun, on le trouve toutefois au vers 900 de la
Vie de Saint Grégoire, et au vers 1395 du Saint Auban. Nous
n'avons relevé aucun exemple de cette forme en dehors de la litté-
rature.
Offendu, participe passé de offendre, est plus répandu : on le lit
au vers 14 10 de Guischart de Beauliu ; au vers 605 de la Vie de
Saint Grégoire ; il rime avec peu dans les Dialogues (141 r° b) ;
on peut citer encore les Evangiles de Robert de Cretham (au folio
96 r°) et Pierre de Langtoft qui l'emploie à la rime (I, 240, 5).
Dans les Statutes, Rymer et les autres textes politiques ou diploma-
tiques, il se rencontre très fréquemment.
Il est beaucoup plus rare pour le verbe remaindre d'être employé
au participe passé avec la terminaison u : la forme reinaQi^sii
est pourtant assurée, par exemple par la rime remasu (: vencu) du
folio 20 r" a des Dialogues Saint Grégoire, ou remansriis (lire
refiiansus) (: venuz) dans le poème de Dermod (1150) (cf. Participes
passés forts).
Soldre et tordre ont aussi un participe en u. On trouve soJu
490 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
dans les Dialogues (^6 v° b) ; loin est plus commun : l'auteur du
Saint Brandan le fait rimer avec absolud(au vers 821) ; on le trouve
aussi dans la note de la page 201 des Quatre Livres des Rois ; deux
fois dans les Oeuvres de Frère Angier, dans la Vie au vers 2778, et
dans les Dialogues au folio 13 v° b, enfin à la rime avec vestu au
folio 88 r° de l'Evangel Translate. C'est la forme ordinaire de ce
participe.
Enfin vivre fait le plus souvent vécu, comme à la rime vesgti
(: vertu) du Saint Julien (78 r°).
D'autres participes passés, comme escondu, que l'on trouve dans
les Contes de Bozon (§ 121), ou conclu qui est relativement fré-
quent dans l'anglo-français, pourraient à première vue sembler des
acquisitions de la classe en u , mais leur ressemblance avec les
participes qui nous occupent est purement fortuite.
Il nous reste encore à signaler un assez grand nombre de nou-
velles formes qui sont moins des acquisitions, dans le sens où nous
prenons ordinairement ce mot, que de nouvelles formations. Elles
se rencontrent uniquement dans les textes qui n'appartiennent pas
à la littérature et sont évidemment calquées sur les participes latins
en Utum ; voici les quelques exemples que nous avons relevés :
La forme execut devient, à partir de 1328, la seule forme du par-
ticipe passé du verbe exécuter dans les ouvrages non littéraires. On
la trouve constamment dans les Statutes, qui nous donnent d'ailleurs
le premier exemple de cette forme que nous connaissions (1328, I,
259); on en rencontre encore des exemples en plusieurs endroits
(1357, I, 349 ; 1363, I, 378, 379, 383). Cette forme n'est pas
moins répandue dans Rymer (cf. 1340, V, 207 ; 1347, V,
750.) et dans d'autres recueils, comme le Liber Albus (1372,
506 ; 1398, 310, 511) ; nous l'avons encore rencontrée fré-
quemment dans tous les recueils de textes légaux.
Restitut et institut ne sont pas moins communs dans ces mêmes
ouvrages; les Statutes nous en donnent de nombreux exemples en
1335 (I, 277), puis en 1344, 1352, 1362, 1385, 1392, pour ne
citer que quelques dates ; de même dans les Rymer's Foedera
(1327, 1353, i^S^j 1362, 1377, 1384), dans les Actes du
Parlement d'Ecosse, dans les Parliamentary Writs et dans les Year
Books (20 et 21 Edw. I", 157, 177, 205; 22 Edw. I", 11).
D'autres formes se rencontrent, quoique moins régulièrement.
LES PARTICIPES 491
comme devolnt, dans les Statutes (1340, I, 292 ; 1351, I, 326),
et dans les Rymer's Foedera (1345, V, 159, 460), distribut:;^, qui
est assez rare (cf. Statutes, 1362, 1375).
Il nous semble donc absolument évident que si les acquisitions de
la classe en u n'ont pas été en anglo-français tout à fait aussi consi-
dérables que dans certains dialectes du continent, il serait exagéré
de dire avec M. Meyer-Lïibke que le type u n'a pas eu une grande
extension en Angleterre.
Le radical des participes faibles.
Nous n'avons que fort peu de choses à signaler sur ce sujet ; les
formes qui, comme liveré, présentent un e svarabhaktique ne
peuvent être citées que pour mémoire, cet e n'étant spécial ni au
participe passé, ni même au verbe.
Il est plus important et plus à propos de signaler un certain
nombre de verbes qui montrent indûment une consonne mouillée
au radical. Ordonner, à partir de la seconde moitié du xiv^ siècle,
ou même un peu plus tard, prend la forme ordeigné ; on trouve des
exemples de cette forme dans les derniers textes de la littérature
anglo-française, mais ils pourraient être attribués aux scribes. La
même incertitude n'existe pas pour les nombreux exemples des Sta-
tutes (par exemple 1377, II, n, et passim) ; pour ceux des Rymer's
Foedera (1379, VII, 219, etc.).
Les autres verbes qui subissent cette modification sont rares ;
nous avons relevé iraigiie:( de traîner dans the Blacke Booke of the
Admiralty (1385, I, 453). iVucun exemple de l'introduction d'une
lettre mouillée ne se rencontre dans les participes en i ou en u.
Nous n'avons du reste observé qu'un tout petit nombre de chan-
gements et tous insignifiants dans les radicaux des participes en / ;
nous avons déjà cité enparolys où le radical des personnes fortes a
passé à une forme faible.
Remarquons que l'hiatus est conservé au moyen d'une h dans
obebi qui se lit dans Rymer(r392, Vil, 728).
Le radical des participes passés en u ne nous offre que quelques
particularités de peu d'importance ; signalons simplement d'abord
l'introduction d'une consonne parasite, dans recevii (lire recew),
dans les Traités de Rymer (1297, II, 788); deiib::^ (id., 1394, VII,
492 L EVOLUTION DU VH RBE EN ANGLO-FRANÇAIS
772) ; surtout dans heit où 17; du verbe latin reparaît ; cette forme
est fréquente (cf. Rymer, 1337, IV, 777; et les Year Books 22
Edw, I", 371, 421 ; 31 Edw. I", 297; 33 et 35 Edw. I", 53).
La voyelle du radical est quelquefois modifiée, comme tanti de
tenir, forme isolée et sans importance (Documents Inédits, 1 3 10, 34).
Des modifications analogues, mais beaucoup plus importantes,
peuvent se remarquer au participe passé du verbe choir.
Aucun participe ne présente, nous semble-t-il, une aussi grande
variété de formes que celui-là : nous allons en citer quelques-unes
sans prétendre les citer toutes.
Chaii se rencontre dès le xii^ siècle, ou au commencement du
siècle suivant, car la voyelle du radical peut être attribuée au
scribe : Gaimar l'emploie à la rime du vers 4037, on la trouve
encore telle quelle au vers 3135 de Horn, et elle se rencontre assez
communément au xiii^ siècle et même au xiV (cf. Infinitif
chaeir^ chaer).
Pendant ce dernier siècle cependant les variations sont assez
nombreuses : citons les formes qui présentent un double n comme
chauiie, dans l'Apocalypse (a, 1029), ou mu charnu (id., ibid). Très
fréquemment une voyelle de liaison peut s'introduire entre la
voyelle du radical et celle de la terminaison, tantôt e comme chaeue,
dans Pierre de Langtoft (II, 292, 19), plus souvent / comme chaiu
au vers 91 de l'Apocalypse (a).
Avec le thème en e, nous trouvons des formes encore plus dif-
férentes : cheiï^sç. lit au vers 3300 du Prince Noir; dans le Saint
Edmund, on trouve au vers 45 la forme ceiie, due à l'auteur ou au
scribe.
Un w peut prendre la place de la voyelle u: cewe se lit dans l'Apo-
calypse (3, 785). Comme pour les thèmes en a, il est assez fréquent
de voir une voyelle parasite s'introduire entre le radical et la ter-
minaison, ainsi dans cheiii, Apocalypse (v, 785).
La variété des formes que peut prendre le participe passé en u
de choir est donc très grande et le rapport entre certaines de ces
formes, chaiu par exemple et cewe, n'est pas immédiatement appa-
rent.
Les participes 493
d) Participes en // corr^pondant aux prétérits en ni.
I. Synérèse et diérèse.
Les participes qui correspondent aux trois premières classes des
prétérits en ni (prétérits forts avec a, 0, e au radical) présentent à
l'origine un hiatus entre la voyelle finale du radical et Vu de la ter-
minaison.
Cette voyelle en ancien français s'est amuïe plus ou moins rapi-
dement, pour aboutir aux formes modernes eu, dû, reçu.
En anglo-français, le même phénomène a eu lieu, et ce sont les
progrès de la synérèse que nous allons étudier maintenant.
La voyelle du thème. — La voyelle du thème est régulièrement 0
pour la première classe et pour la seconde, e pour la troisième.
Ces deux voyelles prennent souvent la place l'une de l'autre, 0
passant quelquefois à la troisième classe, et beaucoup plus souvent
e prenant, conformément aux lois phoniques, dans la première et la
seconde, la place de la voyelle étymologique.
Mais les gains de la voyelle 0 n'ont eu que peu de durée et restent
en somme exceptionnels tandis que e était destiné à devenir géné-
ral.
Les verbes de la troisième classe ne se trouvent dans nos
premiers auteurs que très rarement terminés par ou au lieu de eu :
toutefois on trouve à citer des exemples de la terminaison de ou
pour tous les verbes. Dans le Voyage de Saint Brandan on a, au vers
1 178, recoiid, tandis que la forme en eu du même verbe se trouve par
exemple dans le même poème au vers 103 et passim, au vers 3072
du Bestiaire ; dans le Psautier d'Oxford (50, 6). De même cunoiit
se lit dans le Cumpoz (au vers 965), tandis que la forme correcte
se rencontre très communément dans les Psautiers d'Oxford (9,
17), de Cambridge (31, 5); dans le Tristan de Thomas (vers
2174); dans le Drame d'Adam (84e), etc.
Voir se présente aussi avec un radical en 0 comme dans vont
( : asout) dans le Voyage de Saint Brandan au vers 371 ; mais cet
exemple est isolé, ou à peu près, au moins à cette époque, alors que
les exemples où on trouve e sont extrêmement nombreux (cî. Bes-
494 l'évolution du verbh en anglo-français
tiaire, 194; Gaimar, 282, 1447 ; Adgar, II, no; XL, 457 etc.),
car on trouve plusieurs fois dans chaque auteur des exemples de
la forme régulière.
Il y a quelques verbes de cette classe qui ne se trouvent jamais
avec la voyelle 0 : croire, crestre, gésir ne font jamais croiï ni joii.
Comme on le voit, l'anglo-français du xii"^ siècle n'ignore pas abso-
lument le groupe ou pour les verbes de la troisième classe, mais il
ne l'emploie qu'assez rarement et seulement pour certains verbes.
Il n'en est pas ainsi pour la voyelle e dans les deux premières
classes; on sait du reste que cette voyelle était destinée à remplacer
Vo dans tous les cas où 0 était étymologique ; cette substitution ne
s'est accomplie que progressivement en anglo-français. Nous ne
voyons pas dans nos textes le moment où Ve analogique a com-
mencé à s'introduire ; les premiers auteurs que nous pouvons étudier
nous montrent les deux formes employées concurremment. La
seule chose que nous puissions faire, c'est de suivre pour chaque
verbe les progrès de Ve. Il est impossible de faire pour cette question
la part du scribe et celle de l'auteur ; mais il est assez peu vraisem-
blable que les scribes aient introduit Vo étymologique dans des
formes qui auraient déjà pris 1'^ analogique ; et si nous pouvons
admettre à la rigueur que cela se soit produit dans quelques cas,
nous ne pourrons plus le croire si nous trouvons un nombre
d'exemples assez considérable dans plusieurs auteurs de la même
époque. Nous obtiendrons, si nous fixons la date à laquelle 0 aura
cessé d'être employé au moment où les exemples de cet 0 devien-
dront soit rares, soit limités à un auteur, un terminus post quem
suffisamment précis.
Tous les ouvrages qui ont précédé les Psautiers, et les Psautiers
eux-mêmes, nous montrent fréquemment la forme ou ; on la trouve
pour avoir, dans le Cumpoz (vers 3403), dans le Brandan (vers
468), dans le Psautier d'Oxford (77, 41), etc. Pou se rencontre de
même dans le Brandan (au vers 95), dans les Psautiers d'Oxford et
de Cambridge (36, 5); le participe de plaire est ploiï dans le Psautier
d'Oxford (118, 108); tout, de taire, est employé dans les Psautiers
d'Oxford et de Cambridge (respectivement 48, 10, et 48, 20); mou
se lit dans le Psautier d'Oxford (14, 7) et dans celui de Cambridge
(81, 5)-
Jusqu'à cette époque, tous les auteurs que nous venons de citer
LES PARTICIPES 495
semblent employer régulièrement cette forme ; aussitôt après eux,
elle devient plus rare. La forme en ou se trouve encore dans Horn
qui, au vers 4001, nous donne vioïi, etc., et dans la Vie de Sainte
Catherine, de Sœur Clémence de Barking (oiie au vers 479). Cepen-
dant dans les différents mss. de Gaimar, de Thomas, d'Adgar, de
Fantosme, cette voyelle ne se rencontre jamais ou elle est sporadique.
Ainsi la forme en eu du participe de pouvoir, d'avoir, etc., se trouve
seule dans Gaimar et Thomas ; pour taire, Horn lui-même emploie
/m:^ (4098).
On peut donc conclure que la forme en on dans les participes
des deux premières classes a été d'un usage assez général en anglo-
français jusqu'aux Psautiers d'Oxford et de Cambridge ; il est même
fort possible que cette forme ait été la forme prédominante pour
ces verbes jusqu'à cette époque ; les textes tels que nous les avons
ne le montrent pas, mais nous avons à faire la part des scribes qui
ont dû bien souvent remplacer la forme ancienne en ou par la forme
nouvelle. Après les Psautiers, il est hors de doute que la vieille
forme a persisté pendant quelque temps encore; mais la forme
analogique l'a sans doute remplacée assez rapidement; il est pro-
bable que la diphtongue ou a été fréquente au moins jusqu'à Horn.
Après celui-ci elle devient sporadique.
Remarquons que certains verbes comme savoir et boire, appar-
tenant à l'une des deux premières classes, ne se montrent jamais
avec 0 au participe passé.
2. Synérèse.
La voyelle qui se trouve en hiatus (que ce soit e ou 0) devant
1'// de la terminaison devait disparaître devant cette dernière. Il est
important de savoir jusqu'à quelle époque elle s'est maintenue, et
pour cette question nous aurons à tenir compte des xiii^ et
xiV^ siècles aussi bien que du xii*" ; dans cette étude nous ne pour-
rons évidemment nous servir que des ouvrages en vers, et parmi
ceux-ci, il y a plusieurs poèmes qui, à cause de l'irrégularité de leur
versification, ne pourront nous être d'aucun secours.
Nous allons examiner successivement les différents verbes qui
composent la première classe, c'est-à-dire ceux qui ont a au radical,
plus le verbe pouvoir.
49^ l'évolution du verbe en anglo-français
première classe
a) Avoir. — Au xii*" et au xiii^ siècle, la diérèse est la règle ; les
exemples pour ces deux siècles sont trop nombreux pour que nous
tentions de les citer tous ; nous pouvons tout au moins en donner
quelques-uns que nous tirerons des principaux auteurs : le Cumpoz
(vers 3403, etc.), le Voyage de Saint Brandan(vers 468, etc.), l'Es-
torie des Engleis (vers 633, etc.), les Légendes de Marie (VI, 2,
292, etc.), le Tristan de Thomas (vers 178, etc.), la Folie Tristan
(vers 768, etc.), la Vie de Sainte Catherine (vers 479, 671, 1495),
la Chronique de Fantosme (vers 1663, 204, etc.), le Saint Gilles
(vers 207, etc.). Horn (vers 1 164, 3140, etc.) nous en donnent des
exemples très nombreux ; les auteurs qui les suivent en ont certai-
nement moins d'assurés, et nous citerons pour les principaux tous
les cas de diérèse que nous avons relevés.
Dans Chardri, la forme étymologique et régulière se trouve dans
Josaphat aux vers 86 et 308; dans les Set Dormans au vers 567 ;
le vers 37 du Saint Laurent en contient un exemple qui n'est pas
douteux. Ceux que l'on peut relever dans Robert de Gretham sont
plus rares ; citons le vers suivant qu'on trouve au folio 69 r° :
Si grant désir pas n'out eu.
Le poème sur Saint Edmund en a davantage, comme aux vers
1558 et 1993 '■> ^^ Saint Auban en a au moins un d'assuré (au vers
866); peut-être aussi au vers 1396 que nous citons :
Ke il avant urent despit eu,
(vers de 10 syllabes sans élision de 1'^ de ke).
Nous en trouvons encore dans Sardenai (au vers 400), dans
Aspremont (au vers i), dans- Sainte Madeleine (au vers 16).
A partir de cette époque, et pendant tout le xrv^ siècle, la
question devient de plus en plus délicate, presque impossible à
résoudre.
Dans son édition des Contes (en prose) de Bozon, M. Meyer
semble admettre que la diérèse se • maintient régulièrement, et il
marque partout Vu d'un tréma; cela ne nous semble pas si sûr. Les
seuls exemples assez bien assurés de diérèse que nous ayons relevés
pour avoir dans les poèmes du xlv= siècle se trouvent aux vers
1900, 2176 du Prince Noir :
I
LES PARTICIPES 497
Que nous avons eu vertu 1900;
Si bon congié eussent eu 2176 ;
dans la Chronique de Pierre de Langtoft (tous assez douteux) (cf.
Il, 178, 18 ; II, 276, 12; i^^ App., II, 402, 12).
Si nous passons maintenant aux cas qui nous montrent la dispa-
rition de la voyelle en hiatus, nous verrons tout d'abord que la
synérèse est rare pour avoir au xii^ siècle ; on en trouve cependant
quelques exemples; mais ils sont discutables : par exemple celui
qu'on lit au vers 565 de Jordan Fantosme :
L'aveit eu sa guarde, mes il nel pot guarder,
pourrait facilement se corriger en : L'ot eu.
Celui d'Adgar, XIII, 184:
Puis as eu doluruse entente...
est peut-être simplement un vers faux, ce qui n'aurait rien pour
nous surprendre, ou pourrait se lire en supprimant le puis .
En tous cas, les forrnes analogues aux précédentes sont très rares,
même entre iiéo et 1200.
Ce n'est que plus tard que, les exemples devenant plus fréquents
et moins douteux, l'on n'a aucune difficulté à admettre la synérèse:
dans le vers suivant de Chardri, il est extrêmement probable qu'elle
a eu lieu :
Dunt il out eu si grant pour . . . Josaphat, 2 1 1 3 .
(rime en ur).
Pour Saint Auban aucun doute n'est plus permis :
Par qui nos deus unt eu damage e desturber. 44
Ki grant chalur ceu jure grarx sei i unt eu. 857
K'a vostre cumpainnie dunt tant ai eu désir. 1227
L'on trouve encore des cas de synérèse pour avoir dans l'Apoca-
lypse et dans Pierre de Langtoft (cf. II, 27e, 5 i 2^ Appendice
(Bozon), II, 426, 13). La Vie de Saint Richard de Nicole Bozon
en offre aussi un exemple (3 13) :
En l'espérance k'aveint einz eu.
b) Pouvoir et pestre. — Au xii^ siècle, on trouve pour ces deux
verbes un assez grand nombre de cas de diérèse, comme dans le
32
49^ l'évolution du vkrbe en anglo-français
Brandan (au vers 95), dans le Bestiaire (au vers 604), dans le
Tristan de Thomas (au vers 3005), dans Guischart de Beauliu (au
vers 1131)'. plus tard on peut encore relever des exemples dissylla-
biques dans la Vie de Saint Grégoire (aux vers 302, 1458), dans les
Dialogues Saint Grégoire (au folio 141 r°), dans Robert de Gretham
au folio 85 r° :
Ert pcùe turbe si grande .
"Dans le Saint Auban, au vers 1391, nousavonsun exemple assez
douteux de diérèse.
Nous n'avons rencontré au xh" et au xiii'^ siècle aucun exemple
de forme présentant la synérèse. Ce n'est qu'au xW siècle que
nous en avons relevé quelques cas ; aucun ne nous a semblé très
sûr.
c) Savoir. — La forme dissyllabique est la seule employée au
xii^ siècle et la plus commune au xii^ . Nous trouvons pour ce
participe passé de nombreux exemples dont voici les principaux :
Brandan, 192; Gaimar, 4626 ; Adgar, XL, 439; Thomas, 2138;
Havelok, 137 ; Fantosme, 1856; Horn, 1204; Chardri, Set Dor-
mans, 1817; Petite Philosophie, 29; Saint Auban, 82; Plainte
d'Amour, 158 (Hai-léien); Satire sur le Siècle, 81 r", 85 r° ; Wil-
liam de Waddington, 185 1, 2230.
Les synérèses sont beaucoup moins nombreuses ; comme nous
l'avons déjà dit, on n'en trouve aucune au xii*^ siècle ; au xiii^ siècle,
elles sont encore assez rares: on peut en citer un exemple dans
Saint Auban, d'après M. Suchier (Ueber die..., p. 28).
Seu monosyllabique se trouve encore dans le Saint Edmund
(vers 1558); dans la Genèse Notre-Dame (75 r°) ; dans William de
Waddington (i 1 5 1); dans Pierre de Langtoft, nous avons rencontré
deux exemples très douteux.
d) Taire. — Le participe passé de taire ne se rencontre que rarement ;
nous trouvons de ce participe quelques exemples dissyllabiques au
xii^ siècle, comme aux vers 936 et 1006 de la Vie de Sainte Cathe-
rine; au vers 4098 de Horn; dans Sardenai, 2^ addition, vers 11 ;
dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 140, 12).
Nous n'avons rencontré aucun exemple de ce participe sous la
forme monosyllabique.
LES PARTICIPES 499
CONCLUSION SUR LES PARTICIPES EN U DE LA PREMIERE CLASSE
La conclusion que cette étude sommaire des différents participes
de cette classe nous permet de tirer, c'est que la synérèse n'est pas
inconnue même au xii'' siècle, mais que ses progrès ont été très
lents. Elle a atteint tout d'abord le verbe qui se trouvait par sa
nature autant que par sa signification, le plus communément
employé : le participe passé d'avoir.
La forme monosyllabique eu a pu être employée au xii^ siècle et
l'a certainement été au XIII^ Les autres participes n'ont été gagnés
par l'analogie que dans les derniers temps de la littérature anglo-
française, et certains auteurs soigneux, même au xiv'' siècle, ont évité
d'employer les formes à synérèse.
DEUXIÈME CLASSE
La deuxième classe comprend les verbes dont le thème est terminé
par 0, ou par e, i d'après une labiale ; les participes passés de cette
classe sont très peu nombreux, un seul étant employé fréquem-
ment.
a) Mouvoir. — Les exemples de mou dissyllabique sont très com-
muns au xii^ siècle ; on trouve en effet ce participe passé au vers 191
du Saint Brandan, dans Adgar (IX, 55), dans la Vie de Sainte
Catherine (au vers 1860) ; puis dans Jordan Fantosme (718) ; au
vers 4001 du ms. C de Horn. Frère Angier emploie assez souvent
la forme avec diérèse, par exemple au vers 317 de la Vie de Saint
Grégoire, et dans les Dialogues (aux folios 13 v° b, 77 v° a, 120
V b). Il en est de même pour Chardri : meû se trouve souvent
dans Josaphat (vers 532, 2079, 2088, 2650), dans les Set Dormans
(vers 1466, 1508); on trouve encore ce participe dissyllabique au
vers 217 du Saint Laurent, au vers 867 du Saint Auban et proba-
blement au vers 73 du même poème :
De ses diz est a merveilles meûz,
qui est vraisemblablement un vers de dix syllabes.
500 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
On peut encore citer un cas de participe passé sous la forme
dissyllabique au vers 189 de Sardenai ; nous en avons encore un
autre plus tardif, mais très sûr, dans les Vies de Saints de Bozon, au
folio 104 v° :
Dunt les paens sunt esmeù,
et au vers 242 de la Vie de Saint Paul l'Ermite :
Ke le corps ne se est meù ;
et deux autres dans le Prince Noir, aux vers 2587, 3158 :
Adonques est li host esmeùe ;
Qui moult ont le coer esmoù.
Nous en avons peut-être deux cas dans Pierre de Langtoft (I, 30,
3 ; II, 276, 14).
Le nombre des synérèses est fort loin d'atteindre celui des dié-
rèses ; le xii^ siècle n'en connaît aucune, sauf peut-être dans Horn ;
nous avons dans ce poème un exemple fort discutable. De même au
xiii^ siècle, les exemples qu'on en peut citer sont assez douteux.
M. Suchier (op. cit., p. 27) en a rencontré dans le Saint Auban un
exemple que nous n'avons pas retrouvé.
Dans le Petit Plet de Chardri, Koch, au vers 678, a adopté une
leçon (celle du ms. L) qui introduit une synérèse ;
M'est avis, de poi estes esmeu.
Mais si nous consultons les deux autres mss., qui appartiennent
à deux familles différentes, nous trouvons la leçon qui rétablit le
vers tout en respectant la diérèse dans le participe passé. Les autres
mss. en effet ont tous les deux un monosyllabe avant de poi ; O a
Mes de poi estes enmu; V porte Mut de poi est mu. Le texte est facile
à reconstituer ; c'est, soit : Mes de poi estes esmeû ; soit : Mut de
poi estes esmeù.
De cette façon le vers est juste et l'on voit aisément comment
les mauvaises leçons ont pu se produire. De plus la diérèse est
rétablie.
Au xiv^ siècle, la synérèse doit se trouver, semble-t-il, plus sou-
vent, quoique nous ne puissions citer aucun exemple très assuré.
LES PARTICIPES 50I
Nous en avons peut-être deux dans la Chronique de Pierre de
Langtoft (esmu, I, 398, 19 ; I, 166, 10).
h) Boire. — Le participe passé de boire se rencontre au xii^ siècle,
surtout sous sa forme dissyllabique beii. C'est ainsi que l'emploient la
plupart des écrivains de cette époque. Nous trouvons dans presque
tous leurs ouvrages des exemples aussi assurés 'que possible de dié-
rèse. Gaimar en a un cas au vers 3707, Adgar au vers IV, 9, Tho-
mas au vers 2498, Jordan Fantosme au vers 2004, Guillaume de
Berneville au vers 1478, Sœur Clémence de Barking au vers 1506,
Guischart de Beauliu au vers 1388. Dans l'Ipomédon, nous en ren-
controns un autre qui disparaît à tort dans la leçon choisie par les
éditeurs ; ils impriment (vers 227) :
Ni ad gueres mange ne beu,
alors que la leçon donnée par B rétablit la forme régulière : N'out
gueres...
Nous ne nous arrêterons pas à citer tous les exemples de la forme
beiï que nous avons relevés et nous nous contenterons de quelques
références. On la trouve dans le Saint Laurent (au vers 166),
dans le Saint Auban (aux vers 89, 858), dans l'Ordre de Bel Eyse
(au vers 102).
C'est le dernier exemple assuré de diérèse que nous ayons ren-
contré.
Mais pour ce verbe les synérèses ne sont pas rares et elles appa-
raissent assez tôt : la première que nous ayons relevée se lit dans
Jordan Fantosme, au vers 1953.
Il n'ot beu ne mangié trois jorz de la semaine,
Robert de Gretham en a lui-même un autre au folio 25 r° ; et le
Poème du Prince Noir (vers 3653) fait la synérèse dans le seul
exemple qu'il nous offre :
Qui nad beu et mangez assetz.
c) Devoir. — Pour ce verbe nous n'avons qu'un nombre infime
d'exemples et ils paraissent tous dissyllabiques.
CONCLUSION SUR LES PARTICIPES EN U DE LA DEUXIEME CLASSE
La deuxième classe est donc à peine plus irrégulière que la
502 L HVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
première ; on rencontre quelques exemples de synérèse au xii'^ siècle,
assurés pour boire, douteux pour mouvoir, mais pendant tout ce
siècle et le siècle suivant, autant que nous pouvons en juger, les
formes à diérèse et celles à synérèse se balancent encore ; tout au
moins^ on peut affirmer qu'on trouve des exemples des deux. Les
formes de mouvoir, spécialement, semblent s'être très bien conser-
vées '.
TROISIÈME CLASSE
Les verbes qui composent cette classe sont beaucoup plus nom-
breux et se rencontrent plus fréquemment au participe passé ; nous
aurons donc à nous prononcer sur un nombre plus considérable de
formes. Nous étudierons successivement les verbes en cevoir, con-
naître, croître, croire, gésir et voir.
a) Verbes en cevoir. — Ces verbes qui sont en si grand usage nous
fournissent un très grand nombre d'exemples ; au xii^ siècle, ils
ont presque tous la diérèse, et on en trouve dans tous les auteurs
ou à peu près-.
Nous n'en trouvons guère moins pendant tout le cours du
xiii^ siècle, aussi nous ne nous arrêterons pas sur les nombreuses
formes qui pendant la première moitié de ce siècle nous montrent
que la diérèse régulière subsiste'.
1. Si nous n'avions pas voulu limiter aux seuls auteurs en vers l'étude que nous
faisons maintenant, nous aurions pu citer ici l'exemple du Psautier d'Arundel :
cotnnme (17, 8), féminin qui montre bien que la synérèse s'est effectuée. Esinue,
féminin, se trouve aussi dans les Quatre Livres des Rois (III, 17, 11). Ces
exemples, de même que les formes qui nous proviennent des scribes, nous
montrent que les auteurs peu soigneux faisaient disparaître l'hiatus dans ce parti-
cipe passé au commencement du quatrième quart du xii^ siècle.
2. Voici quelques références, elles n'ont pas la prétention d'être complètes :
Voyage de Saint Brandan, 103, 1178 ; Bestiaire, 3072 ; Estorie des Engleis, 5410;
Légendes de Marie, XVII, 71 ; Tristan de Thomas, 928 ; Chronique de Fan-
tosme, 1112; Vie de Saint Gilles, 1686; Horn, 1683; Sermon de Guischart de
Beaiuliu, 1397, 1638.
3. Citons les références de quelques exemples que nous avons rencontrés dans
les poèmes delà première moitié du xiii^ siècle : Vie de Saint Grégoire, 1765,
1949; Dialogues Saint Grégoire, 23 v" a, 144 r» b; Chardri, Josaphat, 220, 398,
2434, 2626 ; Set Dormans, 1160, 181 1 ; Petit Plet, 1274 ; Saint Edmund, 696 ;
Saint Julien, 73 vo, 77 r" ; Sardenai, 190; Aspremont. 267.
LES PARTICIPES 5O3
Nous passerons immédiatement à la seconde moitié, car h cette
époque a priori les exemples doivent être plus douteux.
Nous rencontrons dans la Vie de Saint Auban un bon nombre
d'exemples qui ne peuvent nous laisser aucun doute ; aux vers 72,
92, 800, la diérèse est assurée :
Ki est en sun ostel entrez e receùz ;
Trop i es enganez, trop i es deceù ;
De decoler Auban receù du tirant.
D'autres le sont moins, quoiqu'il soit au moins probable que
riiiatus est conservé dans les vers qui suivent (76, 879) :
De veisins u serganz oï ne aperceu ;
(lire ici : n'aperceû).
Li mescreant en beivent, as mains l'un receû ' .
Dans le Sermun en vers Deu le Omnipotent, nous sommes assu-
rés de la présence d'aii moins un cas d'hiatus (9 d) :
Ke ne seit deceù.
Si nous poussons nos recherches dans les auteurs qui suivent
Saint Auban, nous remarquerons que les cas de diérèse se trouvent
assez rarement et que plusieurs semblent rien moins que sûrs.
Dans le poème de Dermod par exemple (vers 1711 et 2362), nous
avons diérèse ou deux vers de sept syllabes, ce qui est extrêmement
possible :
E li quens ad dune receu
Einz quil erent aperceu.
Nous en dirons autant des exemples que nous donne le Manuel
des Péchés (cf. vers 113 3), mais nous accepterions sans trop d'hé-
sitation celui que nous trouvons au vers 14 de la Vie de Sainte
Madeleine.
I . Il arrive que dans le Saint Auban la svllabe muette ne compte pas à l'hé-
mistiche; cf. par exemple vers 849, 860, 871,872, 891, 892, 904, 905, 907, etc.
Le contraire a lieu aussi ; on peut voir dans les deux laisses d'où les exemples
pre^cédents sont tirés les vers : 848, 852, 856, 861, 863, 866, 901.
504 l'évolution du verbf. en anglo-françals
Ajoutons-y quelques exemples que nous avons relevés dans les
textes du xiv^ siècle : le poème de l'Apocalypse en a au moins un
exemple : aparceûi (3 et -■;, 583) ; ils sont un'peu''plus nombreux dans
la Chronique de Pierre de Langtoft {c(. I, 28, 122 (C et D), I, 246,
5 ; I> 384. 15 ; I, 384. 16 ;I, 384, 21 ; I, 460, 29; II, 92, 18).
Nous n'en avons trouvé qu'un tout petit nombre de cas dans les
Vies de Saints de Bozon, comme au folio 104 v°, et dans la Vie de
Saint Panuce (au vers 125) :
Kaunt j'entendi k'out cuuceu.
En résumé, les formes à diérèse n'ont pas encore disparu au
commencement du xiv-" siècle, mais elles sont devenues rares chez
la plupart des auteurs. '
Les cas de synérèse ne sont pas rares, même au xii' siècle ; ils
sont cependant moins nombreux que beaucoup d'éditions impri-
mées pourraient le faire croire. Les scribes, à partir de 1275 envi-
ron, se sont attachés à faire disparaître les hiatus, et quelques-uns
ont même parfois pris la peine d'ajouter dans le vers une syllabe
quelconque pour rétablir la mesure. C'est ainsi que le scribe du
ms. A de l'Ipomédon écrit :
Si mestres l'ad bien aperceu,
leçon que les éditeurs ont eu le tort d'accepter, car la vraie leçon
est donnée par B qui supprime le « bien ».
Nous passons maintenant aux cas assurés de synérèse, qui sont
relativement nombreux ; le premier que nous ayons relevé se lit
dans Adgar (VR, 110); et la contraction nous semble ici aussi
sûre que possible :
Kar eus ne l'aveint aparcu.
Citons encore, dans le même poème (XII, 39) :
Li altre unt ci sanié receu.
Puis on en trouve un autre dans Horn (au vers 4093) (H);
mais cet exemple ne nous semble pas aussi certain que les précé-
dents.
En la presse de lagent quil nest apparceuz.
LES PARTICIPES 505
Et pour terminer la liste des exemples que nous trouvons à
cette époque, nous en voyons encore un autre dans Sœur Clé-
mence de Barking (au vers 941), qui ne fait aucune difficulté.
Désormais ces cas de synérèse vont se multiplier ; dans les
Dialogues Grégoire, Miss Pope en relève quatre (20 r°a ; 85 v° b).
Ils sont moins nombreux dans Chardri ; il n'y en a qu'un dans
le Josaphat (au vers 1124) ; mais il est bien caractérisé:
Vus en purriezestre deceu.
Le même participe se trouve avec la synérèse dans le Saint
Julien (aux folios 66 r° et 79 r°) :
Il est trahiz, il est deceu.
Citons encore les vers 739 et 1550 de la Vie de Saint Edmund,
vers qui contiennent de bons exemples de synérèse :
Aveit resceu coniossium ;
E le reaime aveit receu.
La Lumière as Lais au vers 630, le Poème Allégorique au vers
148, la Plainte d'Amour (aux vers 242, 526), William de Wadding-
ton'(au vers 3288), les^Heures delà Vierge(59 r°),nous en donnent
encore des exemples de tous points analogues aux précédents et sur
lesquels il serait oiseux d'insister.
Les exemples ne sont évidemment pas rares chez les auteurs du
siècle suivant ; citons quelques références pour les cas de synérèse
que nous avons trouvés dans la Chronique de Pierre de Langtoft :
I, 56, 16; I, 136, Il ; I, 240, 14;!, 398,24.
Nous en avons relevé de nombreux cas dans les Vies de Saints
de Nicole Bozon ; pour ne pas allonger outre mesure nos listes
d'exemples, nous ne donnerons que ceux qui se lisent dans la Vie
de Saint Richard (aux vers 146, 216, 1276, 1441) :
Fu née de mère e fu conceu ;
Ou seinte vcillesce receue ;
£ ses frères ke Turent receu ;
Apres aparceu ben esteit.
Par conséquent, pour cette catégorie très importante de parti-
5o6 l'évolution du verbh en anglo-français
cipes pissés, la synérèse a commencé à se foire vers 1170; elle est
devenue très commune vers 1275, et la règle au xiv^ siècle.
b) Connaître. — Nous ne citerons aussi pour le participe passé
du verbe connaître qu'un petit nombre des exemples que l'on
trouve montrant la diérèse : la plupart de nos auteurs du xii^ siècle
et du XIII'' en ont quelques-uns : par exemple Philippe de Thaun
(Cumpoz, au vers 965); Thomas (au vers 2174), le Drame
d'Adam (au vers 8^6), Horn (au vers 2337), Havelok (au vers
449), Saint Gilles (au vers 2663), Guischart de Beauliu (aux vers
1137, 1144, 1381), Hue de Rotelande (Ipomédon, 3174). Les
exemples, tout en restant assez communs, ne sont plus aussi fré-
quents au xiii= siècle ; c'est ainsi que dans Chardri nous n'en ren-
controns que deux cas : le premier au vers 1026 des Set Dormans,
Ne fust degent, ne cuneù ;
l'autre dans le Petit Plet au vers 1628 :
D'un bon ami ben cuneu.
Dans Saint Auban nous lisons (vers 22) :
N'i out plus cuneûz, ne nus plus communal.
Dans Aspremont (au vers 3), dans Sainte Madeleine (au vers 15),
nous retrouvons encore la forme à diérèse.
Signalons l'exemple assez peu sûr que nous trouvons dans la
Chronique de Pierre de Langtoft (I, 384, 17), et ajoutons-y encore
deux exemples du xiv^ siècle, d'abord dans une rubrique d'Edward
le Confesseur (XLVI, 6) :
Déguisez e descuneû,
et le vers du Siège de Carlaverok, page 54 :
Car conneiis estoit de tous.
Mais pour ce verbe encore la forme à synérèse est assez com-
mune. Dès le xii^ siècle, nous en trouvons des cas assurés ; voici
par exemple, le vers que nous lisons dans les Légendes de Marie,
d'Adgar (XXII, 25) :
Li Engleis i furent cuneu.
LES PARTICIPES 507
Le vers suivant se trouve dans le Tristan de Thomas (vers
3018):
Que pur la sue l'ai conue.
Le Saint Gilles nous en offre aussi un exemple (vers 766) :
Kar il se crent estre conu .
de même que Horn (vers 4489) (C) :
Ki des soens fud mut tost e oïd e conuz .
On trouve dans Frère Angier un grand nombre de cas de syné-
rèse cités par Miss Pope ; on peut lire au vers 1724 de la Vie de
Saint Grégoire, et aux folios 21 v° b, 114 r" a, pour les Dia-
logues Grégoire, des exemples de conu dissyllabique.
Le nombre des synérèses est, chez Chardri aussi, plus grand que
celui des diérèses pour le verbe qui nous occupe; on trouve ainsi,
dans les Set Dormans (506, 1354) :
Car de trestuz cuneuz esteit.
Est ben cuneu en la cite.
Et au vers 1454 du Petit Plet :
Ke ne fu conçue sa manere.
Nous trouvons de même dans Robert de Gretham recuneu au
folio 32 r° ; cimii au folio 70 v° :
Tut n'eust il pas bien fet conu.
Citons les vers suivants du Saint Auban (874-1800) :
Ta créature est tut n'eit tei Deu rekcneu
Bien unt ja recunu sa haute deïte.
La Plainte d'Amour, au vers 527, nous en donne un autre
exemple :
E aucune fez mesconu .
Nous arrêterons là nos citations. Après 1250,1a synérèse devient
la règle : les exemples sûrs sont assez peu nombreux (^d. Wil-
3o8 l'évolution du verbe en anglo-français
liam de Waddington au vers 2230); malgré cela il est difficile de
douter que les formes contractées sont devenues entre 1250 et
1400 presque les seules employées (cf. Pierre de Langtoft, I, 28,
30 ; I, 460, 28, etc.).
c) Croire el croître. — Nous étudierons ensemble les deux parti-
cipes creii, car ils ont eu, non seulement la même forme, mais aussi
la même fortune.
Tous deux, ils sont dissyllabiques au commencement du xii^
siècle el même plus tard. Pour croire, nous trouvons la forme à
diérèse dans le Bestiaire (au vers 1996) ; dans Adgar (VI, 2, 294),
dans le Tristan de Thomas (au vers 2882) ; dans la Folie Tristan
(au vers 759), dans Sœur Clémence de Barking (aux vers 853 et
II 59), dans Jordan Fantosme (au vers 1545), dans Horn (au vers
1964) ; Chardri nous en offre un exemple au vers 1321 du Petit
Plet; Robert de Gretham aux folios 58 r° et 63 v° ' ; on le trouve
aussi deux fois dans Saint Edmund (aux vers 1275, 3030), et une
fois dans la Genèse Notre-Dame (au folio 72 v°) ^ ; au vers 354
de Sardenai ; dans Saint Auban (au vers 862); au vers 251 du
Roman des Romans et au vers 1292 du Manuel des Péchés, enfin
dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 462, 18).
Croître ne présente qu'un nombre beaucoup moindre d'exemples.
Le Drame d'Adam l'emploie une fois, sous la forme ^dissyllabique
(cf. vers 671) ; Horn de même (au vers 1768 a); Miss Pope a
rencontrer/-^// trois fois dans Frère Angier, une fois dans la Vie de
Saint Grégoire (vers 1 121); deux fois dans les Dialogues (au folio
9 r° b) ; on le lit une fois dans les Set Dormans de Chardri (au
vers 886), et dans Sardenai (au vers 377).
Les cas de synérèse pour ces deux participes sont très peu
nombreux, surtout au xii^ siècle. On en trouve un pour crestre
dans Havelok, mais il nous semble assez douteux :
Vit Havelock et creuet grand.
1 . Robert de Gretham :
E pur iceo k'avezcreù 58 ro
E kil de tuz fust mielz creii. 65 vo
2. Genèse Notre-Dame :
E ceo serra cunte e ceo serra creû. 72 v"
LES t>ARTÎCIPES 500
Le premier et pourrait se supprimer.
Au xiii^ siècle, on ne trouve que trois cas de créa monosyl-
labique ; un pour croire : Dialogues Saint Grégoire, 119 r° a ; deux
pour crestre : l'un dans les Évangiles de Robert de Gretham :
Li boscens issi creu esteit. 72 vo
l'autre dans le Saint Auban (288) :
Parcruz ert, trente ans out, kar tant estoit dune d'âge.
Nous trouvons encore au xiv^ siècle un petit nombre d'exemples
de synérèse qui nous semblent assurés ; en particulier dans la
Chronique de Pierre de Langtoft, les trois exemples que nous con-
naissons de ce participe sont monosyllabiques : un pour croire (I,
240, 18) et deux pour croître (I, 240, 12; I, 462, 7).
Par conséquent, pour ces deux verbes, la forme avec diérèse
semble s'être conservée plus constamment que pour connaître et
que pour les verbes en cevoir . Mais ce peut n'être qu'une appa-
rence, et cela provient sans doute du nombre relativement restreint
des exemples que nous trouvons.
d) Gésir. — Les exemples pour ce verbe sont encore moins fré-
quents ; et cependant les terminaisons monosyllabiques sont plus
nombreuses que celles qui présentent la diérèse. Mais il ne faut
pas attacher à cette prédominance des formes contractées plus
d'importance que nous n'en avons reconnu à la prédominance
des formes dissyllabiques pour croire et croître .
Voici les formes à diérèse que nous avons relevées : Gaimar en
a un cas au vers 2658 ; Sœur Clémence de Barking au vers 1168;
le Saint Gilles au vers 1477; Robert de Gretham au folio 69 r° :
Sil nout à la porte geû ;
et le Saint Auban au vers 859. Ajoutons-y un exemple plus dou-
teux que nous relevons dans la Chronique de Pierre de Langtoft
(I, 140, 12).
De l'autre côté, nous trouvons des formes contractées en nombre
un peu plus grand. Adgar en a une (VI, 272) :
U li clers aveit jeu itant.
510 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Le Saint Gilles en a deux : un au vers io6 :
U ilout jeu un an c plus;
l'autre au vers i ii8 :
U la povre femme aveit geu.
Nous en rencontrons encore un autre dans le poème de Saint
Edmund (vers 2978) :
En quele maint en aveit giu .
Comme on le voit la synérèse est très fréquemment effectuée
pour ce participe passé, même au xiii^ siècle. Nous ne pouvons
citer aucun cas de synérèse suffisamment sûr au siècle suivant.
e) Lire. — Il est plus extraordinaire de ne rencontrer qu'un tout
petit nombre d'exemples pour le participe de lire; ce qui l'explique,
c'est le fait qu'au xii^ siècle le participe généralement employé est le
participe fort en it, surtout pour les composés de ce verbe, forme
qui se trouve encore au xiii^ siècle et au XIV^
Le participe en // de ce verbe montre le plus souvent la diérèse,
comme dans la Vie de Saint Grégoire (vers 854); dans les Dia-
logues (au folio 75 r° b) ; deux fois dans les Set Dormans de Chardri
(vers 1507, 1545) ; dans Robert de Gretham (au folio 62 v°) ' ;
dans le Saint Auban par deux fois (vers 83, 140); le Saint Julien
nous en fournit aussi un exemple (au folio 72 v°) ^ ; et aussi la
Satire sur le Siècle (84 v°) K Pierre de Langtoft en a lui-même un
cas assez sûr (cf. I, 28, 15), et la Vie de Saint Paul de Nicole Bozon
un antre assuré (128) :
Ke seint Pol i eut eleû.
La forme monosyllabique se trouve assez fréquemment, quoi-
qu'on puisse affirmer qu'elle est moins commune que l'autre ; les
mêmes auteurs qui se servent de la forme avec diérèse emploient,
le cas échéant, la forme avec synérèse dès le commencement du
XIII'' siècle. C'est ainsi que nous trouvons lu dans Frère Angier,
Dialogues Saint-Grégoire, 139 r° a; dans Chardri, Set Dormans,
1532 ; citons ce dernier vers :
1. Robert de Gretham; Kar il esleù les aveit. 62 v».
2. Saint Julien : Ke deus outdelmunde esleù. 72 V.
3. Satire sur le Siècle : Al livre e leù. 84 v°.
LES PARTICIPES 5 II
Ki furent dune crestiens esluz.
On trouve cette même forme aux folios 23 r° et 23 v° des
Evangiles des Dompnées et encore au vers 312 de la Vie d'Edward
le Confesseur :
Eslu es d'Engleterre ret.
Nous rencontrons encore quelques exemples analogues posté-
rieurement, nous ne citerons que les deux cas de synérèse que
nous montrent les deux exemples de ce participe dans la Vie de
Saint Richard de Nicole Bozon (aux vers 62e, 1067) :
La meillurc vie eslu aveit;
Le jur ke fut après eslu.
Les deux cas que nous avons relevés dans la Chronique de
Pierre de Langtoft (I, 302, 10; I, 320, 12), quoique assez sûrs,
sont moins significatifs.
On peut donc conclure que dans la grande majorité des cas le
participe de lire est monosyllabique après 1250.
f) Foir. — Enfin le dernier participe passé qu'il nous reste à
examiner dans cette classe est celui du verbe voir : ce verbe diffère de
tous ceux que nous avons étudiés jusqu'ici en ce que son prétérit n'est
pas un prétérit en ni. Pour ce verbe qui est d'un emploi si commun,
lasynérèse se trouve très fréquemment effectuée. Ce n'est pas à dire
pour cela que les formes où l'hiatus subsiste soient rares; nous
en rencontrons au contraire beaucoup pendant les trois siècles de
la littérature française d'Angleterre. La première forme à diérèse
que nous ayons rencontrée se trouve dans le Brandan : voi'it (au
vers 371) ; pendant tout le xii= siècle, elles sont fréquentes; nous
pouvons donner les références suivantes : Bestiaire, 194; Gaimar,
262, etc.; Adgar, II, iro; XL, 457 etc. ; Thomas, 397 ; Folie
Tristan, 692 ; Drame d'Adam, 894; Fantosme, 167, 572, 720 ;
Saint Gilles, 157 ; Guischart de Beauliu, 17, 323, 75 1, 891, en tout
neuf fois.
Dans les trois poèmes de Chardri, le nombre de formes dis-
syllabiques est considérable : nous en avons relevé quatorze cas ' ;
I . Voici les références des cas de diérèse qu'on peut relever dans Chardri :
Josaphat : 564, 758, 1271, 1309, 2070, 2092, 252, 5, 2763.
Set Dormans : 124, 196, 1152, 1159, 1465.
Petit Plet : 677.
512 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
il en est de même Je Robert de Gretham chez lequel nous n'avons
pas pu compter avec une exactitude suffisante tous les cas de dié-
rèse ' ; Saint Edmund en a une dizaine d'exemples (vers 695,
loii, 1409 -). Ils sont presque aussi communs dans le poème de
Saint Julien' ; la Plainte d'Amour en a un exemple seulement, au
vers 158 +, et le Roman des Romans, un autre, au vers 249'.
Citons encore le vers 1341 d'Edward le Confesseur^, et les quatre
exemples assurés de Saint Auban <; Aspremont au vers 7, Sardenai
au vers 353, en présentent chacun un exemple. Avant de sortir du
XIII* siècle, citons le cas de diérèse que l'on trouve au folio 84 de la
Satire sur le Siècle ^ et deux exemples assurés que l'on trouve dans
William de Waddington ^ aux vers 501, 2321 ; celui qu'on lit dans
Deu le Omnipotent, 36 c'°.
Les cas de diérèse que nous trouvons au xiV^ siècle ne sont que
rarement indiscutables, cependant, pour voir, nous avons la chance
d'en rencontrer plusieurs qui le sont. On en trouve un dans l'Apo-
calypse au vers 606 de .3 et v, et peut-être au vers 71 d'à; le
Siège de Carlaverok nous en fournit un autre au vers 68 ; la Bounté
1 . Robert de Gretham : Frère, fet il, as rien veû ? 27 vo
Bels frère, as rien plus veù ?
E n'out la richesce veù , 69 r"
Car si Lazare n'out ceo veû.
Mes pur ceo qu'il out ainz veû. 70 v
Al lit ke Pol aveit veû. 112 ro
2. Saint Edmund ; Segnurs, suvent avez veû. 695
Ki plus out oï e veù. loii
Kal tierz jor unt Frise veû. 1409
3. Saint Julien ; Tant cum Deu pur\-eû ly a. 71 ro
Kele ne pout estre veûe . 73 v»
Mes kant il ert issi veû . 79 r»
4. Plainte d'Amour : Ussez veû avant ceo jor. 158
5. Roman des Romans : Si avons ja asquanz veû. 249
6. Edward le Confesseur : Quand a ceo veû trestut l'ost, 1 341
7. Saint Auban : Or l'unt veû tut seint, du cors renuvelé. 984
Quant unt veû Aracle ke Dieu out regardé. 98e
Ben unt paen les angles veû e eschoisi. 1069
Tele nuvele en terre ne fu une mes veû. 1 390
8. Satire sur le Siècle : De muz ai veû. 84 ro
9. William de Waddington : 501, 232.
10. Deu le Omnipotent: Fu veû de la gent. 36 c
LES PARTICIPES 513
des Femmes de Bozon, un quatrième au vers io8 ; la Vie de Saint
Richard et celle de Saint Paul, du même auteur, en montrent
quatre '; le Prince Noir, pour sa part, nous en montre deux aux vers
1887, 1888, et la Chronique de Pierre de Langtoft en a au moins
trois (I, 23e, 6 ; I, i86, 13 ; I, 474, 11).
Comme on a pu le voir, aucun autre verbe ayant un participe
passé en // ne nous offre des matériaux aussi abondants que le
verbe voir ; nous avons pu citer un nombre assez considérable
d'exemples, et nous ne prétendons pas avoir épuisé la liste de ceux
que l'on pouvait citer.
Nous allons passer maintenant aux cas de synérèse pour ce par-
ticipe, et ils pourraient paraître, si on les comparait à ceux des
autres verbes, fort nombreux, mais cette impression ne subsistera
pas si on garde en mémoire le nombre total des cas où ce parti-
cipe est employé.
On trouve la forme contracte veii, dès le commencement du
xii^ siècle ; Gaimar nous en donne le premier un exemple (au
vers 1447) :
Par tote Bretaigne fu veu ;
On serait d'autant plus tenté d'essayer de corriger ce vers que
c'est le seul exemple de synérèse au participe passé que nous trou-
vions chez Gaimar ; on pourrait peut-être ne pas compter Ve final
de Bretaigne, mais il semble bien que Gaimar compte ordinaire-
ment avec la plus grande régularité Ve muet final.
Du reste on trouve un autre cas de synérèse dans Thomas au
vers 20 :
Li rois a veu quanque avon fait.
Les exemples précédents mettent hors de doute l'existence de la
forme à synérèse au commencement de la seconde moitié du
xii= siècle. Nous trouvons évidemment des exemples analogues dans
les auteurs qui suivent :
I. Nous allons citer ces quatre exemples :
Despuliee e despurveûe, Saint Richard, 252 ;
Seint Pol ke tut veu aveit, Saint Paul, 71 ;
Unkes mes n'eut un tel vcù, — 120 ;
Kar après kaunt il aveu, — ■ 241.
33
514 l'évolution du verbe E\' anglo-prançais
Fantosme nous montre le vers suivant où la synérèse a certaine-
ment lieu (618) :
Dcsque vus aie/, la cite vcu alumer ;
Il est encore probable que nous avons un exemple de synérèse
dans ce vers d'Adgar (VR, 211) , qui a de toutes façons une syl-
labe de trop :
Plus apert miracle ne fu veu.
Évidemment le nombre des synérèses ne peut être que plus con-
sidérable au xiii^ siècle. Chardri en a quelques cas, quatre ou cinq,
comparés aux quatorze cas de diérèse : ces quelques cas se
trouvent dans le Josaphat (au vers 2087, et peut-être 1923), dans les
Set Dormans (au vers 658), dans le Petit Plet (au vers 689). Voici
ces vers :
Quant les deables aveint veu
(a-vei-ent veu ? a-veint ve-u ?)
Tant pensa de ceo kil out veu.
Marfu veue lur bel juvente.
Jan'eit tant oï ne tant veu.
On peut citer deux exemples tirés du Saint Edmund (vers 74,
1301):
Avum bien veu que ceo est veyr.
(lire : veu que c'est...?)
En ordre dist, cum veu aveit.
Dans le même folio de Robert de Gretham, 10 v°, nous rele-
vons deux exemples de cette forme monosyllabique, exemples qui
ne sont pas douteux.
Le Saint Julien en est au même point, et la synérèse se fait dans
les deux vers suivants, tirés respectivement des folios 75 v° et 76 r° :
Tel n'aveit il une veu avant.
Car autre fez vus ay je veu.
Nous passerons plus rapidement sur les cas de synérèse que
nous rencontrons par la suite. Nous en avons relevé un dans
Edward le Confesseur (au vers 355); le Saint Auban nous en pré-
LES PARTICIPES 515
sente un plus grand nombre, au moins quatre Çd. les vers 323,
541, 849, 1835). Dans le Manuel des Péchés de William de Wad-
dington les exemples sont encore plus communs : on en rencontre
aux vers 1665, ^944j 3^97, et dans un poème aussi court que
l'Ordre de Bel Eyse, on en'trouve au moins deux (vers 53 et 226).
Les exemples assurés de la forme moderne ne peuvent donc pas
être rares au xiV siècle; la Chronique de Pierre de Langtoft nous
en montre au moins trois (cf. I, 28, 16; I, 236, 12; I, 462, 4).
Nicole Bozon en a un dans ses Vies de Saints (94 v°) et pas moins
de quatre dans sa Vie de Saint Richard (aux vers 215, 281, 460,
1119):
Lequel sans custume aveit veu :
Kar Dieu issi purveu l'aveit ;
K'enuingt, cum out purveu, serreit ;
L'église de cel ke n'est pas veue.
Enfin le Poème du Prince Noir nous montre la synérèse faite aux
vers 2586, 3092.
Comme on le voit, le nombre des cas de synérèse est considé-
rable pendant le xiv'' siècle et, dans certains auteurs au moins, la
forme moderne se rencontre plus fréquemment que la forme étymo-
logique. Partout elle a gagné du terrain, inégalement mais d'une façon
indéniable. Cependant il n'est pas possible de marquer avec préci-
sion les gains de la forme avec synérèse, et les généralisations sont
ici plus dangereuses que partout ailleurs. L'usage peut varier d'un
auteur à l'autre et même d'un ouvrage à l'autre pour un même
auteur. Nous en avons une preuve remarquable dans deux poèmes
de Nicole Bozon : la Vie de Saint Richard nous montre un cas de
diérèse et quatre cas de synérèse ; au contraire, la Vie de Saint
Paul a trois cas de diérèse et pas une seule synérèse. Et cette diffé-
rence se retrouve pour toutes les autres formes nous présentant la
même question de l'hiatus.
Aussi, nous ne tenterons pas d'être trop précis, et nous conclu-
rons simplement que les formes à synérèse sont devenues, d'une
façon générale et sauf exceptions, les plus communes à partir de
1275.
Arester prend rarement la forme à diérèse : le seul cas que nous
connaissions se lit dans l'Ipomédon (vers 3578) :
5i6 l'évolution du verbe en anglo-français
Suz en l'eor s'est aresteùz
Sa forme ordinaire est arestu ou aresté.
conclusion sur les participes en u de la troisième classe
Si maintenant nous rapprochons tous les résultats auxquels nous
sommes arrivés, dans la trop longue étude que nous avons consa-
crée aux participes de la troisième classe, nous voyons que tous ont
plusieurs traits communs.
1. C'est vers le temps d'Adgar que les formes à synérèse font
leur apparition pour la plupart des participes de cette classe.
2. La forme à hiatus reste pendant un certain temps la forme que
ces participes prennent le plus ordinairement.
3. Dans la seconde moitié du xiir siècle, vers l'époque du Saint
Auban, les formes contractes deviennent à peu près aussi répan-
dues que les formes à diérèse, au moins pour certains verbes.
4. Pendant le xiv^ siècle, les deux formes se retrouvent encore,
mais la forme contracte est peut-être la plus commune, pour les
mêmes participes.
résultats généraux
L'on a pu voir que, en anglo-français, les trois classes de parti-
cipes en u n'ont pas été traitées de la même façon, c'est pour cette
raison que nous nous sommes vus obligés de prendre séparément
chacune des trois classes. La première remarque que l'on puisse
faire, c'est que la synérèse a atteint les verbes de la troisième classe
un temps notable avant ceux des autres classes.
La troisième classe montre un certain nombre de cas de synérèse
dès le milieu du xii^ siècle ; la seconde classe pendant la seconde
partie du même siècle (Jordan Fantosme ? certainement Horn).
Tandis que la première n'est vraiment atteinte par la synérèse que
pendant le xiii^ siècle, à l'exception peut-être du participe passé
d'avoir.
On peut aussi remarquer que tous les verbes de la troisième
classe évoluent ensemble ; c'est à peu près à la même époque qu'ils
subissent la contraction ; au contraire, il y a entre les verbes des
LES PARTICIPES 517
deux autres classes des différences marquées ; autant que nous pou-
vons en juger par les exemples que nous avons relevés dans la
première par exemple, le participe passé d'avoir prend la forme
moderne beaucoup plus tôt que les autres verbes de sa classe ; dans
la seconde, au contraire, le participe passé de devoir restera dis-
syllabique plus régulièrement que n'importe quel autre verbe. Cela
tient surtout à la fréquence de l'emploi de chacun de ces parti-
cipes. Ceux de la troisième classe se rencontrent presque aussi
couramment les uns que les autres : connaître, recevoir, voir sont
très usuels, et par conséquent, ne tardent pas à prendre et prennent
en même temps la forme abrégée. Au contraire, les verbes des
autres classes sont plus hétéroclites; quelques verbes se trouvent
rarement employés au participe passé et ce sont ceux-là qui,
justement, gardent leur forme étymologique le plus longtemps.
On ne s'attend peut-être pas à rencontrer des cas bien évidents
de synérèse en dehors des ouvrages en vers ; et il est très certain
que, en dehors de la littérature, les cas où l'hiatus est évidemment
conservé sont rares et difficiles à reconnaître ; cependant nous en
trouvons plusieurs où ils subsistent indubitablement.
Les terminaisons en ezu, qui sont, comme nous l'avons montré
plus haut, relativement fréquentes, peuvent nous laisser des doutes;
nous somme cependant portés à croire que piirvewe dans les Statutes
(1283, 153), m'^(ibid., 1350, I, 312); /m'e dans les Parliamentar}'
Writs (13 18, II, 84) nous offrent, sinon des cas de diérèse, tout au
moins des exemples où la voyelle du radical a subsisté ; ces formes
nous semblent fort difficiles à expliquer phoniquement et
comme cela n'est pas de notre ressort, nous n'en dirons pas davan-
tage.
Une difficulté analogue nous attend si nous voulons nous rendre
compte de la valeur de la graphie ieu ou in : faut-il considérer
mieut:(, Statutes (1330, I, 267), comme un monosyllabe qui se serait
prononcé comme l'adverbe ou comme un dissyllabe ? Nous
n'avons aucun élément qui nous permette de former une opinion
qui présente quelque certitude ; il nous semble possible que cet /
puisse s'expliquer par une transformation de Ve en hiatus, phéno-
mène commun en anglo-français (on trouve déjà criaiure dans le
Drame d'Adam, vers 91); cet / a dû avoir tout d'abord une valeur
syllabique ; il est probable qu'il n'a pas tardé à prendre la valeur
5i8 l'évolution du verbe en anglo-françals
d'une consonne. Mais la première condition pour que ce change-
ment se soit produit est que la synérèse n'ait pas encore eu lieu
avant l'apparition de 1'/ ; donc les cas de diérèse ont certainement
dû être la règle immédiatement avant l'apparition de cette désinence
et peut-être pendant les premiers temps de son emploi. Or, comme
nous l'avons déjà vu, nous ne trouvons guère d'exemples de cette
terminaison avant le milieu du xiv^ siècle; ces formes suffiraient
donc à nous prouver que les cas de diérèse ont été communs au
moins jusqu'à cette époque, à moins que, comme nous le dirons
plus tard, ces participes en ien ne soient des formes d'emprunt.
Les considérations auxquelles nous venons de nous livrer appar-
tiennent plus ou moins au domaine de la conjecture; nous trouvons,
en dehors des œuvres littéraires, des données plus soUdes pour
affirmer que l'hiatus s'est maintenu dans un certain nombre de cas
jusqu'aux dernières années du xiv^ siècle.
Quelquefois nous trouvons un doublement de la voyelle du
thème :vemœ dans le Liber Rubeus de Scaccario (1300, I, 55);
cheeu da.ns Rymer (1328, FV, 354), peut-être duwe dans les Sta-
tutes (1275, I, 28); dans les Early Statutes of Ireland (1285, 52),
dans les Mem. Pari. (1305, § 125), etc., peut-être aussi parjuwes
dans les Annales Londonienses (1330, 63).
Ailleurs une h est écrite entre la désinence et le thème et cette
graphie est très fréquente ; par exemple receheu se lit dans Rymer
(1294, 11,619); ^^^'^ (ibid., 1358, VI, 96; 1375, VII, 71), Febu
est employé dans les Documents Inédits (1362, 157). Ailleurs
encore c'est une autre consonne qui empêche l'hiatus : recei'ii dans
Rymer (1297, II, 788).
Tous ces exemples nous montrent que jusque vers la fin du
xiv^ siècle, l'hiatus subsistait dans un certain nombre de cas;
dans d'autres, il était évité par d'autres moyens que par la syné-
rèse : introduction d'une consonne, ou changement de la termi-
naison en une consonne, ce dernier cas restant purement conjec-
tural.
RÉSUMÉ
La synérèse se trouve pour la première fois pour les verbes sui-
vants :
Avoir
Pouvoir
Pestre
Savoir
Taire
LES PARTICIPES
Première classe.
519
dans Adgar (11 60).
au xiv^ siècle.
au xiv^ siècle.
dans Saint Edmundet Saint Auban (?) (1230).
au xiv^ siècle.
Mouvoir
Boire
Devoir
Deuxième classe.
dans Horn (?), Saint Auban (?) (1170),
dans Jordan Fantosme, Horn (1170).
au xiv-" siècle.
^^erbes en cevoir
Connaître
Croire
Croître
Gésir
Lire
Voir
Troisième classe.
dans Adgar (i 160).
dans Adgar (11 60).
dans Dialogues Saint Grégoire (12 14).
dans Havelok (?) (1150) et Robert de Gre-
tham (1230).
dans Adgar (i 160).
dans Dialogues Saint Grégoire (12 14).
dans Gaimar (?) (11 50) et Thomas (1160).
II. Participes passés forts.
Nous distinguons les participes passés forts en deux classes : les
forts en sinn, les forts en ium.
a) Participes forts en suin.
Les participes forts en siim sont restés très réguliers et se sont
bien maintenus ; c'est ainsi qu'on rencontre aux xii^ et xiii^ siècles
les vieilles formes encore employées pour un certain nombre de ces
participes. Quelques-unes cependant deviennent rares et tendent à
disparaître; nous avons vu dans les pages précédentes plusieurs par-
ticipes qui perdent leur forme étymologique pour prendre la forme
faible en e, en /, ou en m.
520 L F.VOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Certains participes présentent même les deux formes côte à côte,
comme soldre, qui à côté de soin que nous avons vu, a donné sous
dans les Dialogues Saint Grégoire (48 v" b); ce dernier du reste est
très rare et nous n'en avons relevé que cet exemple. De mhvnQ reines
se trouve constamment dans tous les textes du xii^ siècle, et, moins
souvent^ il est vrai, au xiii% comme au vers 2800 du Dermod où il
rime avec detres, au vers 147 du Saint Auban, etc., à côté de
remansu. Il y a aussi d'autres verbes qui tendent plutôt à disparaître
qu'à adopter une forme nouvelle ; parmi ces formes qui ne se ren-
contrent plus que rarement, nous pouvons citer : estors que l'on ne
retrouve plus que chez Frère Angier à la rime avec misericors au
vers 1036 de la Vie de Saint Grégoire. Escons est un peu plus com-
mun ; on le trouve d'abord chez Angier, dans la Vie de Saint Gré-
goire (au vers 1126), puis dans les Dialogues (22 r° b); et sous la
forme escu^^ à la rime avec tuz au vers 310 de William de Wadding-
ton. Aers est rare ; mais on le trouve très tard, par exemple à la
page 22 du Dite de Hosebondrie de Walter de Henley.
La consonne. — Sous l'influence de leur prétérit et surtout des
participes forts en tnm, certains participes en suni prennent un /
après l'j comme /)m/ au vers 2895 ^^ Gaimar, dans les quatre mss.,
arst au vers 983 de Horn, et surmist dans les Documents Inédits
(1382, 230). Nous ne pouvons considérer ces formes que comme
de véritables fautes d'orthographe des scribes.
Un s'est, déjà dans le Psautier d'Oxford, introduite dans repos,
(repostum), par exemple repiins (68, 7) ; cependant les formes sans
n y sont encore les plus nombreuses (37, 9 ; 43, 27 où Cr. donne
une «; 138, 4). Il en est de même dans le Psautier de Cambridge
dans lequel n n'est écrite qu'une fois sur huit. Gaimar, ou le scribe,
l'écrit toujours, mais fait rimer le participe avec us : respons (: sur-
plus) (3238); désormais cette n se rencontrera très souvent, mais
son emploi demeurera très variable; certains auteurs l'emploieront
à l'occasion ; d'autres, comme le traducteur des Quatre Livres des
Rois, l'ignoreront.
Ce n'est que plus tard que nous voyons une n ajoutée au parti-
cipe passé de prendre, et encore cette forme reste exceptionnelle et
ne se rencontre que dans certains recueils non littéraires; nous
avons trouvé prins dans les Traités de Rymer aux endroits suivants :
135I5 ^} 717; 1390, VII, 689; 1394, VII, 779. Cette forme est
très rare en anglo-français.
LES PARTICIPES 521
La voyelle. — H y a un certain nombre de remarques à faire
sur la voyelle ou la diphtongue qui précède Vs dans les participes
en siim.
Remes (remansum) hésite entre la forme purement française e et
la forme anglo-française / ; e est plus commun et est seul pendant
un temps assez long attesté par la rime ; nous avons en effet dans
Gaimar remes (: clefs) au vers 2715 ; (: nefs) au vers 501 et au vers
3424; il rime avec Deus au vers 3604. Nous en avons aussi plu-
sieurs exemples dans les deux poèmes de Hue de Rotelande.
Mêm.e à la fin du xii* siècle, la forme en e est encore employée
à la rime, par exemple dans Guischart de Beauliu au vers 400.
Au xiii^ siècle, dans Dermod, on trouve encore une rime ana-
logue : remes (: detres). Dans une œuvre en prose, les Quatre
Livres des Rois, les deux formes mes (III, 3, 17), remis (II, 14, 7)
sont encore en usage.
Remis se rencontre pourtant et assez fréquemment dans certains
auteurs du xii^ siècle ; mais cette forme n'est jamais attestée ; c'est
toujours dans le corps du vers qu'on la trouve, comme dans
l'Estorie au vers 317 (le scribe du ms. R (fin du xii^ ou commen-
cement du xiii^ siècle) l'affectionne particulièrement), ou au vers
1906 de Horn (ms. O). La première rime que nous ayons trouvée
se lit dans le Saint Auban au vers 147 : requis (: pris).
Si nous attribuons aux scribes les exemples que nous donnent
l'Estorie des Engleis et Horn, nous voyons que nous ne pouvons
pas faire remonter la forme en / plus haut que les Quatre Livres
des Rois (1170) et il est possible que les auteurs n'aient adopté
cette forme que quelque temps après les scribes.
Cet / de remis n'arrive donc qu'assez tard dans la littérature
anglo-française ; quelque temps après que cet / déplace Ye étymolo-
gique, on voit se produire le phénomène contraire dans le participe
passé du verbe quérir. L'i de quis en effet y fait place à la diph-
tongue ei, qui naturellement passe à la voyelle e. Dans Dermod
nous trouvons en effet quels rimant (au vers 2973) avec mais, mois
(imprimé moins) ; et dans Wil. Rishanger ce même participe est
écrit ques (cf. p. 281). Cette dernière forme se retrouve encore
dans Rymer : reques (1358, VI, 98 et passim). Ceci, dans la langue
politique, se produit encore pour d'autres verbes; citons ^;c:^ pour
pris dans les Early Statutes of Ireland (1285, 54); )>iel:( pour mis
dans le même recueil (1320, 84).
522 l'Évolution du verbe en anglo-français
Comme pour les participes en e, il n'est pas rare de voir la voyelle
du thème redoublée ou renforcée. Ceci n'arrive guère dans la
langue littéraire; mais nous avons relevé plusieurs exemples de ce
phénomène dans les textes politiques et familiers. Citons seulement
rees (rasum), dans les Statutes (1330, I, 265), et aussi excloes,
Literae Cantuarienses (1331, 381).
acquisitions
Dans les ouvrage non littéraires, la classe des participes en sum
s'est augmentée de plusieurs acquisitions ou nouvelles formations,
et quelques-unes de celles-ci sont fort intéressantes. Nous trouvons
par exemple les formes suivantes: expresse dans les Statutes (1323,
I, 191); oppresse (1346, I, 304). Dans le même recueil on trouve
encore aw/îÉ'x (1328, I, 260; 1335, I, 277; 1340, I, 284), de même
que dans les Parliamentar}'^ Writs(i3i4, II, 118); on trouve ce
mot surtout employé comme adjectif. Les deux formes deUbers et
àelivers se rencontrent aussi fréquemment dans différents recueils,
par exemple dans les Rymer's Foedera (cf. 13 18, III, 724; 1346,
V, 812; 1357, VI, 781), dans les Statutes (1330, I, 268), sur-
tout dans les Year Books (30 Edw. I", 195 et passim ; 33 et 35
Edw. II, 54, 82). Disais est commun ; on le rencontre dans les Sta-
tutes (1351, I, 288; 1389, II, 61, etc.); dans les Year Books
(2 et 3 Edw. II, 44; 14 Edw. III, 23 ; 17 et 18 Edw. III, 105, 107,
235, etc.).
Nous trouvons encore dans les Statutes: ordein^ (i379j Hj 114)
et dans les Documents Inédits : compuls (1380, 219).
/;) Participes forts en turu.
Avant d'étudier en détail les différentes classes de participes,
nous pouvons dire quelques mots d'une question qui intéresse au
moins certains d'entre eux : la réduction de l'hiatus qui existe entre
la voyelle du thème et celle de la terminaison. Trois participes passés
en tum présentent à l'origine un hiatus : bénir, maudire et raembre.
Benedeit et maledeit ont suivi dans leur développement deux lignes
parallèles, et il est intéressant de marquer les différentes étapes par
où ont passé ces deux participes.
LES PARTICIPES 523
La forme originale avec dentale se rencontre dans les Psautiers
d'Oxford (112, 2) et de Cambridge (17, 47); elle peut provenir
du traducteur lui-même des Psautiers (iiio ?).
Dans ce dernier Psautier, on voit la dentale s'adoucir et prendre
sinon le son, au moins la graphie //; : benêt heit (27, 6). Il ne fau-
drait pas croire qu'à cette époque on ne connaissait que la forme
avec dentale ; l'autre est au contraire plus commune {beneeit dans
le Psautier d'Oxford, 9, 24 ; dans le Psautier de Cambridge, 36, 22 ;
dans le Psautier d'Arundel, 17, 49); même, ce qu'il y a de plus
extraordinaire, c'est que les trois Psautiers connaissent déjà la
forme dans laquelle la synérèse s'est effectuée : heneit se trouve en
effet dans le Psautier d'Oxford O^, 20), dans le Psautier de Cam-
bridge (40, 12), dans le Psautier d'Arundel (9, 21). Voici donc
trois ouvrages qui contiennent toutes les formes essentielles que ce
participe devait prendre.
La forme présentant la contraction sera désormais la plus fré-
quente ; on la trouve dans Gaimar à la rime du vers 1202 : hene^
où elle est assurée par la mesure du vers (D, L et H donnent beneit) ;
dans Adgar (XV, 2); dans les Quatre Livres des Rois (II, 2, 5);
et dans plusieurs autres écrivains du xii^ siècle. Nous trouvons
postérieurement à ces exemples un nombre considérable de formes
contractées dans le Saint Edmund (2855), ^^^^^ la Vie de Saint
Grégoire (2140), dans Saint Auban (270), dans les Heures de la
Vierge (59 v), etc.
Nous ne citerons que quelques exemples pour maudire qui suit
aussi exactement que possible la même voie que bénir.
On trouve la dentale et la forme trissyllabique dans les Psautiers
d'Oxford et de Cambridge (36, 22); peut-être au vers 1287 du
Tristan de Thomas, certainement dans le Drame d'Adam (434).
La forme contracte se trouve dans le Psautier de Cambridge (36,
22) (B); dans la Folie Tristan au vers 58 (le ms. donne malete que
M. Bédier a changé en màlditè) ; dans le Drame d'Adam (aux vers
473, 737, 429). MaJdit se rencontre pour la première fois dans la
Folie aux vers 585, 587.
A côté de la forme étymologique, nous trouvons donc, même
au xii= siècle, des exemples peu assurés, il est vrai, de la forme
analogique pour le participe passé de maudire.
Nous ne relevons malheureusement pas le même nombre
524 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
d'exemples pour le participe passé du verbe raembre ; les rensei-
gnements que nous avons sont donc rares et clairsemés, aussi nous
n'en dirons pas grand'chose. La diérèse a dû subsister pendant une
bonne partie du xii'' siècle ; nous trouvons un exemple de la
forme dissyllabique dans la Vie de Saint Gilles (au vers 3644), où on
trouve reient à la rime avec vient. Au commencement du siècle sui-
vant, nous avons des exemples qui nous montrent que la synérèse
s'est effectuée, d'abord dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1468) où
reinte rime avec seinte ; puis dans les Heures de la Vierge (au folio
62 r°) qui nous donnent la rime reint : seint.
Les formes.
Nous devons diviser ces participes en plusieurs classes, suivant
la lettre qui précède les consonnes de la désinence. Ces lettres
peuvent être :
1. La voyelle a-,
2. La voyelle i (J bref) ;
3. La voyelle ?/ (m bref);
4. La consonne c;
5. La consonne /;
6. La consonne p ;
7. La consonne r.
Quelques-unes de ces classes seulement nous offriront des obser-
vations valant la peine d'être faites.
I. Participes passés en atum (natum).
Le seul participe fort de cette classe est natum : né. Nous ne rap-
pellerons pas les formes faibles qu'il peut prendre (nasqui, naessu,
cf. supra). La forme forte est de beaucoup la plus usuelle, et on
en trouve des exemples dans chacun de nos auteurs ; nous ne ferons
donc pas la liste des exemples que l'on peut relever. Nous remar-
quons que dans la langue non littéraire 1'^ du radical est souvent
redoublé ; nous l'avons déjà fait observer, dans notre étude des par-
ticipes passés faibles en é.
LES t>ARTICIPES 5^5
2. Participes passés en itum.
Les participes passés de cette classe sont très peu nombreux et
ils ne nous offrent que de rares exemples en anglo-français. Ils
semblent avoir été sentis comme archaïques dès les premiers temps
de l'anglo-français. Nous trouvons dans la Vie de Saint Grégoire de
Frère Angier prientes, qui conserve Vn de l'infinitif, tandis que cette
n disparaît dans repost, qui rime avec host au vers 2617 du Saint
Edmund.
3. Participes passés en uttim.
Nous n'avons rien de spécial à dire sur ces participes ; les obser-
vations générales que nous venons de faire pour les participes
passés en itum s'appliquent également bien ici.
4. Participes passés en ctum '.
De tous les participes forts en tum, les participes passés pour les-
quels cette terminaison est précédée de c sont à la fois les plus
nombreux, les plus importants et les plus intéressants. Nous pou-
vons remarquer avant de commencer que ces participes se sont fort
bien conservés en anglo-français et que nous n'aurons à faire sur
leur forme que très peu d'observations.
2i) La consonne finale. — Comme toutes les autres formes du
verbe terminées par une dentale, même appuyée, on les voit perdre
quelquefois leur / final ; cette chute de la dentale est assurée pour
la première moitié du xiii^ siècle; car nous en trouvons un exemple
à la rime dans Boeve de Haumtone : dis, qui se lit au vers 84. Au
siècle suivant, nous rencontrons encore d'autres exemples assurés
de la même façon : maidye se trouve à la rime dans une laisse en ie
dans la Chronique de Pierre de Langtoft (cf. I, 390, 10), et on
voit esly rimer avec lundy au vers 2238 du Poème du Prince Noir.
Les exemples qui se trouvent dans le corps du vers sont évidem-
I. Pour les participes en é"//, on peut voir Foerster, Zeitsclirift III, p. io6;Mussa-
fia, Zeitschrift III, p. 267.
5 26 l'évolution du verbe en anglo-français
ment plus nombreux, mais nous ne savons jamais à quelle date les
rapporter. Aussi nous n'en citerons que quelques-uns, comme le
bene qu'on lit au vers 270 de la Plainte d'Amour; le coJly qui se
trouve dans la Chronique de Pierre de Langtoft (I, 460, 23), et
dans un ouvrage en prose : escondu, au § 121 des Contes de Nicole
Bozon .
Nous avons même rencontré un exemple, isolé du reste, qui nous
montre la dentale passant à la spirante douce : assouthe (Year Book
33 et 35 Edw. P', 105).
La chute du / final est assez rare dans les textes non littéraires,
et on n'en trouve d'exemple que dans les recueils les moins cor-
rects; les Statutes par exemple n'en présentent aucun cas; on
trouve dans Rymer destrue{i^26, IV, 236) et treie (1340, IV, 182);
nous ne pouvons pas établir la valeur de cet e final.
L'exemple du Year Book 22 Edw. I" : dedey pour dédit, p. 139,
est moins douteux et se rapproche des quelques exemples que
nous avons trouvés dans les œuvres littéraires, mais il est isolé.
Il nous semble qu'on peut considérer comme des cas de chute du
t, les exemples qui, aux xiii^ et xiv^ siècles, présentent un simple ~
comme consonne finale ; en ce cas, la liste s'allonge sensiblement,
et les Statutes même nous offrent quelques exemples : fe~ (1275, I,
26) ; constrein- (1383, II, 32); tree:;^ (i377, I, 115); sustre^ (1386,
II, 40) ; on en trouve aussi dans Rymer, comme dii~ (1307,111, 13,
etc.), et un certain nombre d'exemples que nous verrons tout à
l'heure.
Lorsque le / post-vocalique ne tombe pas, on le trouve ordinai-
rement appuyé, soit par s, comme dans dist, Boeve(3i) (à la
rime); dans fest qui se lit à la rime du vers 197 de la Vie de Saint
Osith et est, en dehors de la littérature, très commun, surtout dans
les Literae Cantuarienses (cf. 1333, 524); et dans un très grand
nombre d'autres recueils. C'est du reste un phénomène phonique
assez général.
Plus souvent encore le t est appuyé par un r, comme dans dict,
Statutes (1377, II, 2) ; faict dans Rymer (1389, VII, 634 ; 1396,
VII, 689); on relève encore dans ce dernier recueil deduct (1363,
VI, 447; 1390, VII, 6j6); retract (1394. VII, 772).
. On lit aussi induct dans le Year Book 14 Edw. II, 220; instruct
(ibid., p. 131), etc.
LES PARTICIPES 527
De plus toutes ou presque toutes les nouvelles formations
montrent ce c, comme nous le verrons tout à l'heure.
Toutefois on peut dire que dans lès ouvrages non littéraires, les
participes réguliers montrent le plus souvent la consonne double
tX^'y nous avons déjà eu l'occasion de remarquer cette terminaison
dans les participes passés en é, en / et en a ; mais c'est dans cette
classe de participes qui nous occupe maintenant qu'on voit cette
consonne le plus régulièrement. Les Statutes nous en fournissent
une liste considérable d'exemples et nous allons en donner un
tout petit nombre : atteint:;^ à la date de 1275 (I, 27); destreinti au
même endroit et à la même date; feet:^, dil::^, atteint^ à l'année 1278
(I, 44) ; ^('5/n/i;;; (13 11, I, 161); destrent^, mtmt date (p. 166);
/a//:^(i323, I, 191). Après cette date, les exemples continuent à
se rencontrer, mais nous n'en citerons pas davantage maintenant.
Les autres recueils, s'ils ne fournissent pas un aussi grand nombre
de cas que les Statutes, nous montrent cependant que cette termi-
naison était au moins commune partout ; par exemple nous trou-
vons dans les Munimenta Academica Oxon, destruil^ (1348^ i59)i
il en est de même dans Rymer, dans le Liber Albus, dans les Lite-
rae Cantuarienses; cette forme est commune dans tous ces recueils
et nous en trouverons un nombre suffisant d'exemples un peu
plus tard, lorsque nous énumérerons les nouveaux participes en
ctum.
b) La voyelle. — La voyelle accentuée subit quelques modifica-
tions, dont quelques-unes sont simplement des changements phoné-
tiques qui ne sont pas particuliers aux participes passés en ctum, et
d'autres qui le sont. Nous ne nous arrêterons pas sur les premiers.
I. Les participes passés qui montrent la voyelle /subissent quelques
changements de peu d'importance, et ces changements sont tous
exceptionnels. Les formes régulières sont toujours les plus nom-
breuses, comme parfit qui se rencontre régulièrement à peu près
partout, jusqu'au xiv= siècle (cf. dans la Chronique de Pierre de
Langtoft, I, 234, II).
On peut toutefois signaler la forme analogique parfaite qui se
trouve dans les Psautiers d'Oxford (v, 4) (Cr. donne parfite).
Il est rare de trouver la diphtongue oi; c'est dans Rymer que
nous trouvons la forme curieusement régulière, mais malheureu-
sement isolée, doit (= dictum) (1373, VII, 23); on peut cepen-
528 l'évolution du verUe en anglo-français
dant la rapprocher de ckdcy (22 Edw. I", 519), dont elle procède
phonétiquement.
2. La diphtongue ni. — La diphtongue /// subit la réduction à 11,
comme il est naturel ; le premier exemple assuré que nous ayons
de cette réduction se trouve dans la Vie de Saint Grégoire qui nous
donne la rime importante condti:^ : retenu:^ au vers 1976; les ter-
minaisons en u sont nombreuses, mais les rimes rares ; citons
seulement dans Pierre de Langtoft : desfrute (: lute) (I, 2, 8).
Ces formes sont très fréquentes dans les ouvrages non litté-
raires; ce sont même les plus communes pour cette classe de parti-
cipes.
3. La diphtongue m'. — Cette diphtongue dans la langue litté-
raire passe à et, e et c'est le seul changement que nous trouvions
à signaler ; /<'/ est des plus communs ; cette modification, qu'on
remarque aussi dans les recueils de textes politiques, etc., est pure-
ment phonique.
En dehors de la littérature, nous trouvons un assez grand
nombre de variations sur lesquelles il nous faut nous arrêter un peu
plus.
Quelques-unes ont pour point de départ la forme quia la voyelle
e: par exemple celles qui nous montrent le redoublement de cette
voyelle : feet:;;^, assez fréquent dans les Statutes (1278, I, 44; 13 18,
I, 177); retree^ dans le Liber Albus (1334, 420); attreet dans les
Year Books, par exemple 13 et 14 Edw. III (à la page 295), et
dans plusieurs autres cas encore. Nous rattacherons à la forme en e
ou en ee celle qui nous montre la diphtongue iê ; celle-ci s'est pro-
duite au moment où cette diphtongue revenait de nouveau en
honneur en anglo-français. Citons triet^ que nous lisons à la date
de 1299 dans les Parliamentary Writs (I, 3 19).
La voyelle / pour le verbe faire est des plus rares, et les quelques
exemples de Jit(e) que nous avons relevés, comme dans les Annales
de Burton (1255, p. 455), pourraient bien n'être que des erreurs
matérielles des scribes.
Nous parlerons enfin et en dernier lieu d'une forme de cette
diphtongue qui est très importante et assez commune ; nous avons
déjà eu l'occasion de citer des formes analogues à propos de l'infi-
nitif. La diphtongue dans les participes passés qui nous occupent
prend parfois la forme m. Feat, qui devait du reste passer dans l'an-
Les participes 5:29
glais sous cette forme même, se rencontre fréquemment à partir
de la fin du xiii^ siècle ; on en trouve des exemples dans les œuvres
littéraires^ mais les textes politiques et autres nous en ont fourni le
nombre le plus considérable. Le cas le plus ancien que nous con-
naissions se rencontre dans les Parliamentary Writs sous la date de
1299 (I, 393) et se trouve par la suite dans un grand nombre de
textes; signalons aussi cette forme dans les différents Year Books
(cf. II et 12 Edw. III, p. 415). Le verbe traire a lui aussi un par-
ticipe de la même forme : treat se trouve au xiV siècle, par exemple
dans le Liber Albus (1345,1, 389).
Feait, que nous avons rencontré dans les Documents Inédits, nous
paraît une contamination entre la forme normale et celle que nous
venons de citer. L'origine de ces formes nous semble d'ailleurs
assez obscure ; elles ne sont que des modifications du participe
passé étymologique ou, comme nous le suggérons, sans trop y
croire, dans notre seconde partie, des formes d'emprunt, ce qui est
assez peu vraisemblable.
4. Des phénomènes semblables peuvent s'observer pour les parti-
cipes forts dont le thème présente la diphtongue eL Cette diph-
tongue est la règle tout d'abord, et elle reste longtemps attestée par
les rimes ; par exemple nous lisons dans Robert de Gretham : traeit
(: esteit) au folio 68 v°; le même participe rime avec coveit au
vers 539 du Roman des Romans.
Cette diphtongue est quelquefois remplacée par la diphtongue
ai ; mais ce changement ne doit pas remonter plus haut que le
commencement du xiii^ siècle. Ainsi la forme cheaitc, qu'on lit au
vers 318 du Drame d'Adam, doit être attribuée au scribe.
Car ce n'est que dans la Vie de Saint Grégoire que nous trouvons
cette diphtongue attestée pour la première fois par une rime; benaite
y rime avec faite au vers 2140, et nous devons ajouter que cette
forme reste toujours assez rare. La rime ne prouve du reste pas
grand'chose puisqu'à cette époque les deux diphtongues s'étaient
déjà confondues.
La raison de la rareté de la forme précédente doit être cherchée
dans ce fait que la voyelle simple remplaça vite la diphtongue ei ;
nous en trouvons un exemple dans les Légendes de Marie d'Adgar :
chaet (XXVI, 32) et si, comme on doit probablement le faire,
on l'attribue au scribe, cette forme date encore du milieu du
xiii*^ siècle.
34
530 L EVOLUTION DU VEKBH EN ANGLO-FRANÇAIS
C'est du reste ce que nous montrent la plupart des exemples que
nous relevons postérieurement, par exemple les deux formes que
nous rencontrons dans Chardri et qui, ne se trouvant pas à la rime,
peuvent aussi bien provenir des scribes : toutes les deux se trouvent
dans les Set Dormans(aiix vers 285 et 1020); le poème de Dermod
nous en offre un autre (au vers 218); la première rime que nous
ayons rencontrée peut se lire dans les Heures de la Vierge où cette
forme rime avec beneite (folio 59 v°).
Par la suite, elle devient assez commune (voir par exemple la
Chronique de Londres, 1309, à la p. 35), sans réussir à déplacer la
forme ancienne. Nous pourrions en citer quelques exemples que
Nicole Bozon emploie dans ses Contes (§ 31) ou de Pierre de
Langtoft dans sa Chronique. Une remarque que nous devons fliire,
c'est l'emploi de la forme escheat (cf. l'anglais escheal) dans les textes
légaux où elle est extrêmement commune.
c) Nouvelles formations en eit. — On sait que les participes qui
nous occupent maintenant ont attiré à leur forme un grand
nombre d'autres participes, et cette attraction n'appartient pas
spécialement à l'anglo-français, au contraire. Nous devons diviser
ces nouvelles formations que nous avons rencontrées dans nos textes
en deux groupes. Le premier comprend des formes que nous trou-
vons déjà dans les premiers ouvrages anglo-français et qui par
conséquent sont d'importation continentale. Le second groupe com-
prendra des reformations de dates beaucoup plus modernes et qui
sont propres à notre dialecte.
Dans le premier de ces groupes, nous trouvons les quatre verbes
qui, sur le continent, prennent plus ou moins régulièrement cette
terminaison : choir, toldre, traire et cueillir.
Outre les terminaisons que nous lui avons vues (en ; et en n), le
premier de ces verbes montre assez souvent la terminaison en eit.
Nous ne ferons pas une longue énumération des exemples de chaeit
que nous avons recueillis ; nous avons déjà eu à citer quelques
exemples de cette forme quand nous avons analysé les change-
ments que subit la voyelle du radical de ces participes. Nous nous
contenterons d'ajouter maintenant un petit nombre de détails sur
son emploi.
Au XII* siècle, nous avons rencontré une douzaine d'exemples de
cette forme ; celle qui nous semble la plus ancienne se lit dans les
LES PARTICIPES 53 I
Quatre Livres des Rois (I, 33, 13); les autres cas qui se trouvent
dans les ouvrages de cette époque ne sont pas aussi assurés, car ils
ne se rencontrent que dans le corps du vers, comme celui que nous
lisons dans les Légendes de Marie (XXVI, 32), ou dans le poème de
Horn (au vers 343), dans le Drame d'Adam (vers 318), ou dans le
Sermun de Guischart de Beauliu (vers 1577).
Pendant tout le xiii^ siècle, cette forme est commune mais ne l'est
pas sensiblement plus que pendant la seconde moitié du xii% si
nous rapportons à cette dernière période tous les exemples que nous
venons de citer. Nous n'en donnerons que quelques exemples à
cette époque. Il y en a quelques cas dans les poèmes d'Angier,
dans les Dialogues (41 v° a) ; dans les Set Dormans de Chardri (vers
1020); escheî se lit aussi dans la Chronique de Londres (1309,
P- 35)-
On la trouve un peu moins souvent vers la fin du xiii^ siècle et
le xiv^ l'ignore presque absolument.
L'on peut voir dans ce que nous avons dit des formes en i et
des formes en // du participe passé de ce verbe la variété des
formes qu'il peut prendre ; mais parmi ces formes, on ne rencon-
trera presque jamais une forme forte dans la dernière partie du
xiii^ siècle et pendant tout le XIV^
Le second verbe qui prenne la désinence eit, c'est le verbe toldre
(cf. participes passés en u et participes passés forts en Ituui). Toleit
se trouve déjà au xii^ siècle, il est deux fois à la rime dans les
Légendes de Marie avec dreit ; au vers 4444 del'Estorie des Engleis;
dans les Légendes de Marie (VIII, 132); on le trouve en maints
autres endroits du même ouvrag*e, et on peut presque partout l'at-
tribuer à l'auteur, la forme en eit tendant plutôt à disparaître à
mesure qu'on avance dans la littérature anglo-française.
Pour les formes qui ne sont pas assurées par la rime on peut citer
un grand nombre de cas. Philippe de Thaûn l'emploie dans le Bes-
tiaire au vers 1641 ; on la rencontre dans le Psautier d'Arundel (9,
24); au vers 39 du Drame d'Adam; dans le Tristan de Thomas
(1369); dans le Saint Gilles (vers 1206).
Cette forme devient plus rare au xiii^ siècle ; elle semble déjà un
archaïsme ; certains auteurs l'emploient cependant ; ainsi dans Robert
de Gretham elle rime, au folio 68 v", avec esteit ; au vers 539 du
Roman des Romans, avec coveit; avec esteit au vers 3^ de Dcrmod ;
532 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-PRANÇAIS
et elle se lit dans le corps du vers 285 des Set Dormans de Chardri
et du vers 218 de Dermod.
Nous en avons relevé un plus petit nombre de cas pendant le
XI v^ siècle; dans la langue littéraire, on trouve tokt à la rime du
vers 759 dans la Vie de Saint Richard de Nicole Bozon et dans
Pierre de Langtoft (II, 180, 7), puis toleit dans les Contes de
Nicole Bozon (au § 31), et c'est tout ce que nous avons ren-
contré.
Comme on peut en juger d'après cet exposé, la forme en eit de ce
verbe tend à disparaître entièrement. Ceci est encore plus visible
pour les deux autres verbes qui n'ont .jamais été aussi souvent
employés sous cette forme au participe passé : traire et cueillir. Le
premier de ces deux verbes cependant se rencontre quelquefois,
mais nous n'en avons pas relevé d'exemple avant le xiii'' siècle,
quoiqu'il ait dû y en avoir. On le trouve pour la première fois
dans les Dialogues Grégoire à la rime avec chaeit sous la forme
traeit (au folio 41 v° a); Saint Edmund l'emploie encore et dans
l'exemple qu'il nous offre, on peut remarquer que la synérèse entre
la voyelle du thème et celle de la désinence s'est effectuée : trei:{
(au vers 2723).
Cette forme est plus commune en dehors de la littérature : nous
avons eu déjà l'occasion d'en citer quelques exemples tirés des
Parliamentary Writs (1299), du Liber Albus (1334, 1345), des
Year Books (12 et 13 Edw. III).
Quant au participe passé de cueillir, cuiUeit, il est extrêmement
rare, l'exemple que nous en trouvons dans le Psautier de
Cambridge : cuilleite (34, 16) est, autant que nous pouvons en juger,
un aua; dans la langue littéraire.
Il est un peu moins rare en dehors de la littérature : les Statutes
nous en donnent deux exemples, deux noms verbaux, il est vrai :
coiUect (1350, I, 321) et coilliet (1360, I, 370).
On voit donc que le type eit n'a pas eu dans le français d'An-
gleterre beaucoup d'extension; les verbes qui avaient régulièrement
cette désinence au participe passé l'ont gardée, ceux qui l'avaient
prise par analogie ont été peu nombreux, ont toujours eu une ou
plusieurs autres formes concurremment pour leur participe passé, et
pour ces verbes, le nombre des formes en eit a décru considéra-
blement pendant le xiv* siècle.
LES PARTICIPES 533
Si maintenant nous passons aux formes propres à l'anglo-fran-
çais, nous ne trouvons dans les œuvres littéraires qu'une seule
reformation proprement dite : compunct, qui ne se trouve employé
qu'une seule fois, au vers 2226 de la Vie de Saint Grégoire.
Au contraire, dans la langue politique, diplomatique et légale,
les nouvelles formations sont assez communes, on peut même dire
que leur emploi est une des caractéristiques de l'anglo-français non
littéraire. Les nouveaux participes passés se présentent ordinaire-
ment avec les consonnes et, comme les exemples suivants le
montrent.
La forme que nous trouvons le plus fréquemment est convict ;
elle se rencontre dans les Statutes à partir de 1320(1, 180) et est
fréquemment répétée (1346, I, 304; 1350, I, 312; 1377, II, 5);
on la trouve sensiblement plus tard dans Rymer (1373, VII, 23).
Elle est absente de la plupart des autres recueils, ou rare, excepté
dans les Year Books .
Dans les Statutes, on trouve encore plusieurs autres formes du
même genre : astrict (1386, II, 40), enfect (1388, II, 59); dans les
Rymer's Foedera on 2i direct (1340, V, 209) et conjiinct (1356, V,
836).
De plus, on pourrait réellement citer ici toutes les formes assez
communes en dehors de la littérature dans la deuxième moitié du
xiv^ siècle, comvat fact, tract, conduct, qui sont, sinon des formes
nouvelles, au moins des formes refaites.
5. Participes en ///////.
Il n'y a qu'un nombre très restreint de participes provenant du
latin Ituiii et ils ne sont que très rarement employés en anglo-
français. Citons, à cause des formes analogiques sous lesquelles
nous avons déjà rencontré ce participe, tout, de toldre, qui se trouve
au vers 768 du Petit Plet de Chardri et qui est extrêmement rare
dans les écrits anglo-français, littéraires ou non.
6. Participes en piui>i.
Remarquons seulement que l'/zde Tinfinitif s'est introduite dans
rons, de rompre, qui rime avec félons dans Boeve deHaumtone (cf.
vers 3232) et avec sunt dans les Chansons (III, 24).
534 l'évolution du verbe en anglo-français
La langue des ouvrages non littéraires nous présente quelques
nouvelles formes : adept et corrupl, dans les Statutes (respective-
ment 1350, I, 318; 1388, II, 59); et dans Kymtr : redemptes,
assit inpt:( (respectivement 1340, V, 208 ; 1390, VII, 677) ; dans les
Year Books : internipt (i et 2 Edw. II, 175 ; 11 et 12 Edw. III, 195
et passini).
Aucune de ces nouvelles formations n'a trouvé place dans la
langue littéraire.
CHAPITRE VI
LES INCHOATIFS
Un certain nombre de verbes appartenant par leur infinitif à la
seconde conjugaison sont inchoatifs, c'est-à-dire qu'il prennent
l'infixé iss à certains temps entre le radical et la terminaison. Ces
temps sont le présent et l'imparfait de l'indicatif, l'impératif, le
présent du subjonctif, le participe présent. Leur futur se distingue
de celui des non inchoatifs de cette même conjugaison en ce que
ces verbes conservent à ce temps 1'/ de l'infinitif.
A propos des verbes inchoatifs, nous étudierons d'abord les
verbes qui, hésitant entre les deux formes de la deuxième conju-
gaison, ont tantôt les formes inchoatives, tantôt les non inchoatives,
sans qu'on puisse considérer l'une ou l'autre comme absolument
irrégulière ; ensuite nous verrons un certain nombre de verbes qui
prennent indûment et exceptionnellement la forme inchoative ;
enfin, nous énumérerons un certain nombre d'autres verbes qui,
devant l'avoir, la perdent irrégulièrement.
I. Il y a en anglo- français un grand nombre de verbes qui
hésitent entre les deux formes de la seconde conjugaison ; non seu-
lement d'un auteur à l'autre, mais fréquemment dans le même
auteur et dans le même ouvrage. On ne peut pas dire pour ces
verbes que l'une des formes est plus régulière que l'autre. Nous
allons passer rapidement en revue les plus importants d'entre
eux.
Emplir est un de ces verbes ; il montre les deux formes ; mais au
xii'^ siècle et même au xiii'', les formes simples sont l'exception et
au contraire les formes inchoatives se rencontrent dans la plupart
des auteurs ; raeinpUst se lit dans le Psautier d'Oxford (102, 5).
53^ l'évolution du verbe en anglo-français
Dans le Psautier de Cambridge, qui ne connaît du reste que
celles-là, nous trouvons enipJisscl (19, 4) qui est aussi employé dans
le Psautier d'Arundel (17, 6). Il est inutile de citer un plus grand
nombre d'exemples de formes aussi communes à cette époque
qu'elles sont régulières.
Par conséquent, pendant ces deux siècles, les formes non inchoa-
tives restent l'exception : emples se trouve deux fois dans le Psau-
tier d'Oxford (i4-|, 7); empk se lit dans les Quatre Livres des Rois
(I, 16, i) ainsi que dans les Dialogues Saint Grégoire (63 r°) ;
ei)iple:(^ se lit dans les Heures de la Vierge (63 r°). Au xiv^ siècle,
les formes non inchoatives prennent une assez grande extension ;
mais nous ne pouvons jamais savoir si elles appartiennent à la
seconde conjugaison ou si elles proviennent du nouvel infinitif
empler : on trouve ainsi emples dans les Contes de Nicole Bozon.
Il en esta peu près de même pour guarir; il suit le plus souvent
la conjugaison inchoative ; nous en trouvons de fort nombreuses
preuves au xii'= et au xiii^ siècle. Le Bestiaire nous donne ainsi
guarit (au vers 2i92);^or//am se trouve dans les Psautiers d'Oxford
et de Cambridge (68, 22 ; 70, 2 respectivement) ; les Quatre
Livres des Rois ont giiarisse (II, 14, 4), qu'on lit encore au vers
1512 de Horn ; Saint Gilles a le même exemple au vers 1596, etc.
Les exemples continuent à être nombreux au xiii^ siècle, par
exemple dans le Josaphat de Chardri (aux vers 765, 1320), dans
le Saint Auban (au vers 953), et au siècle suivant dans les
Rubriques d'Eward le Confesseur (XLII, 8). Ces quelques exemples,
et ceux dont nous pourrions allonger notre liste, suffisent à mon-
trer que ces formes sont communes pendant cette période.
Les formes non inchoatives qu'on rencontre sont assez rares ;
c'est surtout le futur qui semble échapper à la conjugaison inchoa-
tive ; il a presque toujours, et à toutes les époques, la forme sans
voyelle : on le trouve sous la forme guarrai dans de Drame d'Adam
(au vers 905) (assuré par la mesure du vers); et de même dans
Adgar (XIII, 82); dans les Quatre Livres des Rois (I, 17, 36);
dans le Saint Gilles (414). Robert de Gretham l'emploie réguliè-
rement sous cette forme (par exemple au folio 97 v°); il en est de
même pour le conditionnel qu'on retrouve jusqu'au xiv^ siècle,
dans les Rubriques d'Edward le Confesseur (XXXIX, 6).
Les autres formes non inchoatives sont rares ; on ne les ren-
LES INCHOATIFS 537
contre qu'assez tard et dans des auteurs généralement incorrects
ou pour lesquels nous n'avons pas un texte bien sûr. Boeve de
Haumtone par exemple a (au vers 3224) la forme gare:( ; et à la fin
du xiv^ siècle, dans les Chroniques de Nicolas Trivet, nous trou-
vons le participe présent garraunt (au folio 8 r''); on pourrait citer
d'autres formes de ce même auteur qui fait le plus souvent un non
inchoatif de guarir.
Guerpir est lui-même presque toujours inchoatif; au xii^ siècle,
on ne trouve guère que la forme avec l'infixé iss, comme dans le
Cumpoz (au vers 1662), dans Thomas (1387), dans le Drame
d'Adam (71), dans Guischart de Beauliu (5^0, 816). Un peu plus
tard, cette forme est encore commune : Chardri l'emploie dans
Josaphat (par exemple au vers 502, etc.) ; on la trouve aussi dans
le Roman des Romans (vers 495); au xiV^ siècle, elle se trouve
dans les Contes de Nicole Bozon (§ m).
La forme non inchoative est plus rare ; au xii' siècle, on ne la
rencontre que dans le Psautier d'Arundel : degtierpeiit {^^, 21) ; au
xiii^, Chardri nous en fournit un nouvel exemple ; degnerpe\ qui se
lit au vers 1346 de Josaphat; o-^^^r/?^:^ se trouve dans la Plainte
Notre-Dame, dans Pierre de Langtoft (IF, 396, 26).
Haïr nous présente un état de choses exactement contraire. Pour
ce verbe ce sont les formes non inchoatives qui sont, et de beau-
coup, les plus communes. Nous allons donner un certain nombre
d'exemples montrant les deux formes dans ce verbe.
Au présent de l'indicatif, on trouve ha^ dont nous avons déjà
cité plusieurs exemples (cf. Première personne du singulier); la
seule forme employée pour la troisième est het qui se rencontre dans
presque chaque auteur (cf. Troisième personne du singulier) ; la
première personne du pluriel est haihn, employée par Robert de
Gretham ( 1 7 r°) ; la seconde, haye\, qu'on lit dans le Psautier de
Cambridge (96, ro) et dans William de Waddington (3737);
hémt est la troisième personne du pluriel : on la trouve dans le Don-
nei (au vers 46) et elle rime avec béent dans les Dialogues Grégoire
(107 v° b); la même forme avec un / euphonique est employée dans
le Saint Edmund (au vers 365), heyent. A l'imparfait, on trouve
haeie dans le Psautier d'Oxford (138, 21), et dans le Psautier de
Cambridge (138, 3); on le retrouveau vers 37 deGaimar, 1899 du
Saint Edmund, 2866 de William de Waddington et au folio 62 v°
des Heures.
538 l'évolution du verbe en anglo-français
Le participe présent nous fournit aussi un grand nombre
d'exemples de la forme simple : haan^ dans le Psautier de Cam-
bridge (17, 41); haiani se rencontre dans le Psautier d'Arundel(i7,
43), dans le Tristan de Thomas (900), etc.
Le futur a le plus souvent la forme sans / : harat se lit dans le
Bestiaire (1898), dans les Dialogues Saint Grégoire (42 r° a), dans
William de Waddington (2607), dans l'Apocalypse (1016), dans
Foulques Fitz Warin (38).
Les formes inchoatives sont très rares : on trouve, à la première
personne du singulier du présent de l'indicatif : hais dans le Psautier
de Cambridge (5, 5), ce qui peut être une forme inchoative ; au
participe présent : baissan:;^, dans le Psautier d'Oxford (17, 44).
Ce verbe semble ne prendre que la forme simple dans les ouvrages
non littéraires ; nous n'avons pas relevé de témoignage direct et
absolument probant de la forme inchoative; tous les exemples que
nous avons recueillis sont des futurs ou des conditionnels, et nous
verrons, quand nous parlerons de ces deux temps, qu'il est impossible
de faire fond sur ces temps pour la question qui nous occupe. Nous
trouvons par exemple dans les Literae Cantuarienses : harreyoms,
/;flrrom5 (respectivement 1333, 508 ; 1334, 550). Pour les quelques
verbes précédents, la question est donc bien simple : ils adoptent, à
quelques exceptions près, l'une des conjugaisons.
Plus que tout autre, le verbe joïr hésite entre les deux formes ; il
est difficile de déterminer laquelle est la plus fréquemment employée.
Citons d'abord les formes simples, que nous croyons plus usuelles
que les autres, dans les œuvres littéraires. Au présent et à l'impar-
fait de l'indicatif, nous relevons :
Esjoie^qmsQ trouve dans le Psautier d'Arundel (3^, 21; 39, 20;
46, i) et qu'on lit encore dans les Heures de la Vierge (61 r°), dans
les Vies de Saints de Bozon (105 r°, etc.).
Au subjonctif, on a joie (gaudeat) qui est moins commun mais
que nous avons relevé dans les Heures de la Vierge (au folio 62 r°).
Au participe présent, les exemples sont nombreux : joiati^ se
trouve fréquemment dans le Psautier de Cambridge (118, 162 et
passini) ; dans le Psautier d'Arundel au passage correspondant ; au
vers 579 du Saint Gilles, 2452 de la Vie de Saint Grégoire, 903
de Boeve, 1195 du Saint Auban, etc.
Citons maintenant quelques formes inchoatives : esjoisseï se
LES INCHOATIFS 539
trouve dans le Psautier d'Arundel (9, 2; 31, 14), dans Robert et
Gretham (78 r°, deux fois); esjoissani est employé dans le Psautier
de Cambridge (9, 3), mais il y est moins fréquent que l'autre
forme ; après les Psautiers, cette forme se trouve plus rarement ; elle
a même disparu complètement au xiv^ siècle.
Le futur se trouve sous les deux formes dans les Psautiers ; mais
la forme avec / est plus commune, tandis que dans les auteurs pos-
térieurs, c'est l'autre forme sans / qui est sans aucun doute la plus
usuelle.
Ce même verbe montre les deux formes dans les ouvrages de la
langue politique et diplomatique ; et il nous est impossible de décou-
vrirsi l'une d'elles a été plus employée que l'autre à une époque quel-
conque ; les mêmes écrivains semblent les employer indifféremment ;
par exemple dans le Liber Albus, à la même date 1334, on trouve
rejoient (p. 420), et enjoissent (p. 427) ; dans les Statutes, on a joise
(1370, II, 13 et passini) et enjoient (1350, I, 310; 1351, I, 325).
S'il y a une différence entre l'emploi de ces formes, nous croyons
qu'elle est en faveur de la forme non inchoative, mais il est possible
que la lecture d'un plus grand nombre de textes aurait pu nous
amener à professer l'opinion contraire.
Cependant c'est la forme non inchoative qui prévaut dans les
Year Books ; nous n'avons relevé dans aucun volume de ce recueil
d'exemple montrant l'infixé isc ou Vi au futur et au conditionnel.
Convertir et les autres composés de vertir sont rarement inchoa-
tifs ; on ne trouve guère comme formes inchoatives que convertisse
(: périsse) au vers looi de la Vie Saint Grégoire; revertirai dans
les Dialogues (31 r° b).
Au contraire, les formes simples sont souvent en usage ; convertes
se trouve dans les Psautiers d'Oxford (79, 4), et de Cambridge
(89, 3) ; la deuxième personne du pluriel : couverte:^, se trouve dans les
Heures (aux folios 62 v°, 63 v°) ; la troisième : purvertent, dans la
Petite Philosophie (vers 78). A l'imparfait, nous avons convertoient
dans la Vie deSaint Grégoire (2053) î à l'impératif : averte, dans les
Dialogues Saint Grégoire (81 v° b), enfin reverte dans le Roman
des Romans (69).
Regéhir présente les deux formes, et ici encore il est difficile de
décider quelle a été la forme la plus employée.
Nous en avons une preuve dans les Heures de la Vierge, qui nous
540 L EVOLUTION DU VERBR EM ANGLO-FRANÇAIS
montrent un mélange assez curieux des deux formes : d'un côté, on
relève regeùmis (6i r"), regeic:^ (63 v°), regeieiitÇSi v°), regeierex^ (68
r°) et de l'autre, regeït (61 r°), regehise:^ (éi r°).
La langue politique et diplomatique nous oft're encore un certain
nombre d'autres verbes qui hésitent entre les formes inchoatives et
les formes simples, et qui se rencontrent régulièrement sous l'une
ou l'autre forme. Nous trouvons ainsi le verbe établir sous les deux
formes •.estabUssous, dans les Statutes (1353, I, 333) ; dans le Liber
Albus : establissoit (1334, 424), et par contre, dans les textes des
Rymer's Foedera postérieurs à 1350, ce verbe se trouve toujours
sans l'infixé : cslablions (1373, VII, 51 ; 1375, VII, 104, etc.).
Au xiv^ siècle, les cas 'qui montrent la perte de l'infixé inchoatif
dans cette catégorie de textes deviennent assez nombreux ; le verbe
saisir, tout d'abord, se rencontre toujours sous la forme simple à
partir du milieu du xiv* siècle ; nous en trouvons un premier exemple
très tôt dans les Statutes : seise (1275, I, 33) ; et ces formes
deviennent très nombreuses au xiv^ siècle (cf. 1363, I, 378 ; 1377,
II, 3) ; le Registrum Palatinum Dunelmense en présente aussi
un certain nombre (cf. 1303, II, 61).
Enfin la langue légale fait un usage considérable de ce verbe, et la
forme qu'on relève dans les différents Year Books est presque
toujours la forme non inchoative (cf. 22 Edw. I", 425). Rappelons
du reste qu'au xiv^ siècle ce verbe a un inHnitif sciser. Dans la langue
littéraire, cette forme de saisir est beaucoup plus rare ; un seul
auteur semble en faire un usage assez fréquent : Pierre de Langtoft
(par exemple : I, 450, 28; II, 218, 14 et passiiii).
Tous les verbes sont plus ou moins réguliers sous l'une et l'autre
des deux formes. Nous allons examiner maintenant de véritables
irrégularités.
II. Un certain nombre de verbes perdent exceptionnellement la
forme inchoative qui leur est habituelle. Ce genre d'incorrection est
rare dans les ouvrages littéraires. Nous ne trouvons guère à citer que
suffoent, qu'on lit au vers 3145 du Saint Edmund :
Suffoent entur la parai ;
et flestrent qui se lit dans l'Apocalypse , 7 3, 819. Nous pourrions
probablement trouver quelques autres exemples du même genre,
LES INCHOATIFS 54 1
mais ils sont douteux, et ne sauraient le plus souvent prouver que
l'ignorance des scribes.
Nous pouvons cependant donner un petit nombre d'exemples
montrant les incorrections qu'un scribe (ou qu'un auteur anglo-
français) se permettait. Blêmir fait hlemeieul dans le i^"" Appendice de
Pierre de Langtoft (II, 418, 18); ensevelir fait eiisevele^ dans
Nicolas Trivet (16 v") ; transgloutir donne trajisgluleiit dans le Dit de
Hosebondrie de Walter de Henle}' (page 30), et dans les Contes
de Nicole Bozon, transgloute (au § 54). Les exemples de ce genre
ne manquent pas dans les mss. de la fin du xiv* siècle.
Citons enfin quelques verbes qui appartiennent régulièrement à
la conjugaison en iss, et qui passent quelquefois dans les textes de
la langue politique et diplomatique à la conjugaison simple :
dans les Statutes, nous trouvons d'abord ravir : ravie (1275, I, 29); .
fournir, dans un certain nombre de recueils, se comporte de la
même façon, par exemple parfnrne:^ dans Rymer (1330, IV, 450) ;
parfom'nent dans les Statutes (1360, I, 361).
On peut encore lire obeie dans les Parliamentary Writs (1324,
II, 677 ); dans les Statutes (1389, II, 6^) ; obeianfi dans ce dernier
recueil (1397, II, 98) ; mordrent de mordrir se trouve aussi dans
les Statutes (1378, II, 10).
Garantir, qui est d'un emploi très fréquent dans les Year Books,
se présente indifi'éremment sous les deux formes : garrante^ (20 et
21 Edw. I", 21, 201, 221) ■,garraunte(i6 Edvv. III, 493). Garauntisse
(33 et 35 Edw. I", 419 ; 16 Edw. III, 491). Garrantira, 20 et 21
Edw. I", 31, 221).
La perte de l'infixé dans ces verbes est toutefois une irrégularité
tout à fait exceptionnelle.
III. Nous allons voir maintenant quelques verbes qui prennent
irrégulièrement et pour ainsi dire par hasard la forme inchoative ; il
peut sembler assez remarquable que ce soit surtout au xii^ siècle que
nous trouvions cette sorte d'irrégularité ; l'explication de ce phéno-
mène n'est cependant pas difficile à trouver : ni le treizième ni le
quatorzième siècle n'abondent en verbes inchoatifs.
Nous pouvons d'abord citer une forme que l'on rencontre dans
Gaimar : baillisseient (au vers 2920), donnée par trois mss. et assurée
par la mesure.
Vers la fin du xiii^ siiècle, nous en rencontrons un autre exemple,
542 L EVOLUTION DU VKRBE EN ANGLO-IRANÇAIS
dans William de Waddington : repentisci (au vers 4671), mais cette
forme n'est d'ailleurs donnée que par un seul manuscrit : A. Au
xiV^ siècle, les exemples de nouvelles acquisitions pour lesinchoatifs
sont rares au milieu des licences que lesauteurs se permettent avec
la conjugaison. On peut tout au plus citer : faillyst qui se trouve
dans Pierre de Langtoft (II, 94, 1 8) ; assentisseit dans Nicolas Trivet
(46 r°) ; les ouvrages non littéraires n'offrent pas non plus beaucoup
d'exemples de cette irrégularité; citons cedissons da.ns les Rymer's
Foedera (1360, VI, 244).
Nous pouvons observer un phénomène légèrement différent dans
cette dernière classe d'ouvrages ; plusieurs verbes inchoatifs ou non
montrent l'infixé à des temps ou des personnes qui ne l'ont jamais;
ces formes se trouvent toutes à la fin du xiv= siècle ei principalement
dans les Statutes, par exemple arierissé (1390, II, 76); anwrtiser
(139 1, II, 80); garniser (13 n, II, 81); punissereienl (1393, II, 90);
des formes analogues se rencontrent très fréquemment dans les Year
Books de toutes les dates : citons-en quelques-unes : recoverissoms
(recovrer) (30 Edw. I", 39); rendisseit (2 et 3 Edw. II, 15), enfin
punisser (i et 2 Edw. II, 158). Cette dernière forme n'est du reste
donnée que par deux mss. (A et B) ; trois autres donnent punir
(M, Pet Y).
Les ouvrages littéraires ne nous offrent pas d'exemple de formes
aussi barbares que les précédentes ; nous avons trouvé sous la plume
de certains scribes l'infixé iss à des endroits inattendus, comme
dans chastiser donné pour le vers 154 du Bestiaire par le ms. O.
Mais ces formes isolées ne sauraient être que des erreurs matérielles
qui ne prouvent que la négligence de ceux qui les écrivent.
Il est inutile de donner un plus grand nombre d'exemples; ceux
que nous avons vus suffisent à nous instruire de la fortune que les
inchoatifs et les non inchoatifs ont rencontrée en Angleterre.
Pendant le xii^ et la première partie du xiii'' siècle, la distinction
entre les deux classes de la seconde conjugaison s'est en somme fort
bien maintenue ; un certain nombre de verbes hésitent en anglo-
français, comme sur le continent, entre les deux formes. On
remarque toutefois, dès le xii* siècle, une tendance à préférer les
formes plus simples. Cette tendance ne fait que s'affirmer à mesure
qu'on avance : ce sont tout d'abord les verbes hésitants qui se
dirigent de plus en plus vers la conjugaison sans infixe ; puis, mais
LES INCHOATIFS 543
surtoutaprès 1340, les verbes qui n'avaient jamais jusqu'alors hésité
entreles Jeux formes commencent à perdre les caractéristiques de leur
conjugaison. Enfin la notion même de la valeur de l'infixé disparaît :
certains auteurs l'introduisent, pour des inchoatifsou desnon inchoa-
tifs, à des temps où sa présence constitue un véritable barbarisme.
Mais malgré ces nouvelles formations, le nombre des inchoatifs
diminue constamment, c'est à peine s'il en reste des traces dans
certains Year Books ; ajoutons que la disparition de ce suffixe n'a
pu être que hâtée, d'un côté par l'influx d'infinitifs en ir provenant
d'autres conjugaisons et qui ne pouvaient guère prendre les
formes inchoatives, de l'autre, et surtout, par les formes en er que
prenaient les infinitifs de II.
I
LIVRE III
LES TEMPS
35
CHAPITRE PREMIER
LE PRÉSENT DE L'INDICATIF
j^e présent ne nous offre pas la matière d'un grand nombre de
remarques : beaucoup des observations que l'on peut faire sur ce
temps ont trouvé leur place dans les études que nous avons faites
des désinences personnelles ; d'autres, en moins grand nombre^
ont retenu notre attention lorsque nous avons étudié le mode indi-
catif.
Nous ne trouvons même pas de questions que le présent soulève
en tant que temps ; il n'y a pour ainsi dire que peu de chose de
commun entre les six personnes qui le composent.
Pour ce qui est de la désinence, quand on a étudié séparément
les désinences des différentes personnes, comme nous l'avons fait
dans notre première- partie, il ne reste absolument rien à dire.
Nous n'avons donc qu'à présenter quelques observations, de
mince importance, nous en convenons, sur les modifications du
radical du verbe au présent de l'indicatif.
LE RADICAL
I. Nous pouvons remarquer que les verbes devoir, suivre, pou-
voir, les verbes en iiire se présentent avec ou sans la consonne des
personnes fiiibles. Nous avons donné assez d'exemples de deivcnt
ou devient pour n'avoir pas à y revenir; la forme sans v se retrouve
jusqu'à la fin du xiv^ siècle, le dernier exemple que nous connais-
sions se lisant dans les Rymer's Foedera à la date de 1375 : doient
(VII, 62). Il en va à peu près de 'même pour les autres verbes';
548 l'évolution du verbe en anglo-français
nous ne donnerons ici que les derniers exemples sans la consonne
que nous ayons relevés : pour destruire, dcstniicul se lit dans les
Early Statures of Ireland, en 1320 (p. 282); pour pouvoir, poient
est employé dans les Rymer's Foedera en 1328 (IV, 340) Quant à
suivre, la forme sans v est la plus commune (Cf. les infinitifs suire,
siiir, suer).
2. La forme faible de la première personne du pluriel, et la troi-
sième personne du pluriel de dire soulèvent une question du même
genre : c'est la présence ou l'absence d'une s entre le thème ou la
désinence.
La forme sans s est la forme régulière en anglo-français ; elle se lit
dans les premiers poèmes du xii'^ siècle et reste à peu près la seule
forme employée dans tous les ouvrages anglo-français, littéraires et
autres, par exemple, elle se trouve à la rime dans le Bestiaire (au
vers 15 12), puis dans le Psautier d'Oxford (i 13, 27), dans Adgar
(IV, 98), dans les Quatre Livres des Rois (II, 12, 18), etc., etc.,
dans Jordan Fantosme (1401), Saint Gilles (2017), etc., etc. Vs
fait son apparition pour la première fois dans deux mss, du Bes-
tiaire : C qui est continental et L qui est anglo-français, et date
de la seconde moitié du xii^ siècle. Néanmoins la forme faible sans
s demeurera la forme régulière et généralement employée en anglo-
français.
3. Le présent de l'indicatif voit parfois son radical subir l'in-
fluence de celui d'une autre partie du verbe ; peintuiii, qui nous est
donné par le manuscrit O du Bestiaire (pour le vers 1394), a proba-
blement le radical de l'infinitif ; plaesf, taest, traest que Frère Angier
emploie (cf. 71 c, 31 ; 48 c, 24; 71 c, 24), peuvent, ce qui est
assez douteux, nous montrer une influence du même genre \
Voillt, qui est fort commun dans les différents Year Books (cf 16
Edw, III, 259), a certainement emprunté son radical au présent
du subjonctif.
4. Le radical du verbe savoir nous permet de faire quelques
remarques :
Dans la langue diplomatique et politique, nous observons, à la
troisième personne du singulier et du pluriel, l'introduction :
1° de la diphtongue ie qui elle-même se réduit parfois à / ;
I. On peut leur comparer le imu'ul de la Cantilène de Sainte Eulalie.
LE PRESENT DE L INDICATIF 549
2° d'un c dans le radical amené par l'analogie du latin scire.
Voici quelques exemples qui nous montreront ces deux phéno-
mènes : dans les Statutes on lit sciet (1275, I, 37)? scievent (1378,
II, 10), puis savent (1389, II, ()G') ; nous donnons l'avant-dernier
de ces exemples parce qu'il nous montre les deux faits ; il ne fau-
drait pas en conclure que l'apparition de la diphtongue ic n'est pas
plus ancienne ; par exemple, nous trouvons sievcnt dans Jean de
Peckham (1290, 92).
Sciet est aussi commun dans les Year Books (par exemple 1 1
et 12 Edw. III, 441).
CHAPITRE II
L'IMPARFAIT
A. — Imparfaits de la première conjugaison.
L'on sait que les imparfaits de la première conjugaison ont aux
trois personnes du singulier et à la troisième du pluriel, une forme
qui leur est particulière. Progressivement, en Angleterre comme sur
le continent, ces imparfaits se sont assimilés aux imparfaits des
trois autres conjugaisons et ont perdu leur forme étymologique. Il
est intéressant de suivre pas à pas cette marche des verbes de I vers
le gros des autres imparfiùts, et d'observer comment sefliit l'unifica-
tion.
I. Les formes'.
Les quatre personnes qui ont la terminaison caractéristique des
imparfaits de I ne présentent pas une grande variété de formes.
Elles montrent toutes la diphtongue ou ou la voyelle o. De plus, à
la première et la seconde personne du singulier, 1'// peut être rem-
placé par îu ou p^Tuii-; à la troisième personne du pluriel par lu
seulement ; et, quand il est employé, il ne subit aucun changement
à la troisième personne du singulier. Toutes ces formes se ren-
contrent dans le Psautier d'Oxford ; trois seulement sur quatre
(oiiue manquant) dans le Psautier de Cambridge.
Cependant ces graphies n'ont pas toutes la même extension ; et
nous allons tenter de déterminer, pour chaque personne, s'il est
nécessaire, la fréquence de chacune de ces formes. A la première
1. Pour ces Imparfaits, d. Lùcking, Mundarten, p. 211.
2. Un est peut-être équivalent à w.
L IMPARFAIT 5 5 I
et à hi seconde personne du singulier, qui ne nous donnent qu'un
nombre très limité d'exemples, car elles ne sont employées que
pendant un siècle seulement, la graphie oiie semble dominer tout
d'abord.
Dans les Psautiers que nous venons de citer, c'est la forme avec
lu qui est le plus souvent ernplo3'ée, et il est probable que celle-ci
est un intermédiaire entre om et o. Dans le Psautier d'Arundel, nous
pouvons remarquer que les graphies montrent plus de fixité, et
c'est oe qui est la forme ordinaire. Il en va de même de la Vie de
Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking ; on trouve dans
ce poème deux exemples de oe : 050^(1534), amoe (2385), contre
un exemple en oiie : afioue (2386). Remarquons du reste que ces
deux derniers exemples riment ensemble.
Dans le Saint G'Ues au contraire, nous ne trouvons que deux
terminaisons en one, aucune en oe ' : osoiie (au vers 350); lessoue
(au vers 33 n).
Nous n'avons pas relevé d'exemple plus récent.
Les formes que nous venons de citer ne sont pas, au point de
vue de la partie vocalique accentuée, très significatives. Aucune
rime, il y en a du reste fort peu de possibles, ne vient nous faire
connaître d'une façon assurée si c'est la diphtongue ou la voyelle
simple que l'auteur a employée.
Il est probable que, vu le peu de durée de la forme, les conclu-
sions que nous tirerons en nous fondant sur les graphies, attein-
dront un degré suffisant d'exactitude. Et les graphies nous
montrent qu'avant 11 60 c'est la diphtongue qu'on emploie de
préférence, et après cette date c'est plutôt la voyelle, sauf excep-
tions.
A la troisième personne du pluriel nous nous trouvons devant la
même difficulté. Cependant les rimes possibles sont plus nom-
breuses et nous en avons une dans Gaimar : parlocnt (: loent) au
vers 3749 de l'Estorie des Engleis (mss. DetL). Cetterime est assez
probante car louent ne se rencontre que beaucoup plus tard.
Quoique les formes étymologiques à cette personne durent jusque
vers 1240 au moins, nous n'avons relevé aucune rime après celle
I. Les deux exemples qui suivent ont échappé à Gaston Paris. Cf. Introduction
de la Vie de Saint Gilles, p. xxxiij.
552 l'évolutiox du verbe ex anglo-fraxçais
de Gaimar. Celle-ci nous donne tout au moins une limite inférieure
pour l'apparition de la voyelle. C'est la seule indication précise que
nous ayons pu découvrir.
Même après Gaimar, o//<'/// est fréquent; c'est la seule terminaison
qu'emploie Sœur Clémence ; d.burtoiient (2061); Umoiient {20G2).
De même on retrouve cette désinence dans Robert de Gretham :
gar douent (^11 T, v'');dans le Roman des Romans : a'/o//ey// (vers 176);
dans Dermod -.apeloiienî (1148); quidount (984); d'autres auteurs,
comme celui du Saint Edmund, emploient les deux désinences ;
dans le Saint Edmund on trouve : errouent (au vers 19 14); qiiidoent
(imprimé : qui deut) (au vers 2988). D'autres auteurs, mais en tout
petit nombre, n'emploient que oent, comme Chardri qui nous
donne lenuoent au vers 632 de Josaphat, semhloent au vers 118 des
Set Dormans, mais c'est le seul, à notre connaissance, qui soit dans
ce cas.
A ne considérer que les textes, on pourrait croire que c'est la
forme avec ou qui est la forme ordinaire et c'est ce que nous sommes
tentés de croire; mais nous devons tenir compte des scribes, et,
puisque nous ne trouvons aucune rime en faveur de l'une et de
l'autre désinence, il nous faut peut-être réserver notre jugement.
Cependant il est assez évident que pour les scribes (et pourquoi
n'en serait-il pas de même pour les auteurs ?), la forme montrant
la diphtongue a été à toutes les époques plus empWée que l'autre.
La troisième personne du singulier a elle aussi une double forme:
l'une qui montre la diphtongue ou, l'autre la voyelle 0 ; comme ces
imparfaits, lorsqu'ils sont employés à la rime, riment presque tou-
jours entre eux ou avec un prétérit en ni, comme ont, plout, lesquels
ont aussi les deux formes en on et en 0, il est diflEcile de décider
quelle est réellement la forme employée par chaque auteur : il faut
se contenter de signaler les graphies qu'on trouve, ou fonder ses
conclusions sur un petit nombre de rimes significatives.
a) Rimes significatives.
Les seules rimes un peu probantes tendent à nous montrer que
nos imparfaits avaient le son on; nous trouvons ces imparfaits
rimant avec des mots en oït; or, 17 venait de se vocaliser ' et la
I. Vocalisation de 17, consulter J. Vising, Étude, p. 87; Stock, Rom. Stud.
III, p. 475 ; Schlosser, p. 43 ; Schumann, p. 21, 28 tlpassim.
l'imparfait 553
diphtongue n'avait pas encore pu prendre le son vocalique simple;
ces rimes se rencontrent au xii"^ siècle, d'abord chez Gaimar :
enchascout (: volt) (au vers 2003) ; dans la Folie, on trouve amoiit
(: Ysolt) (au vers 117); dans les Homélies, maniout nmo. avec volt
(au vers 112).
Au xiii^ siècle, le nombre de rimes assurées en ou est plus con-
sidérable : on trouve par exemple pensout (: vont) au vers 958 du
Josaphat de Chardri ; iiianiont rime avec le même mot dans Robert
de Gretham (6 v°) ; plus significative encore la rime innstrout
(: dout = debuit) dans le même auteur (105 v°), car dont n'a
jamais passé kdot.
Dans Dermod, où les troisièmes personnes régulières sont
exceptionnellement nombreuses, il est difficile de dire quelle est la
valeur phonique de la terminaison. On les trouve d'abord dans un
grand nombre d'interrimes : (cf. vers 393, 1235, 162, 266, 402).
D'autres sont indubitablement en ou, comme perpensout (: vout)
(166), tuniout {: \o\t) {\o-jo) , a ffcr mont (: Gerout) (1397)- ^^ y
en a d'autres enfin, et en très grand nombre, où il semble que l'on
ait le son 0 : ce sont les rimes où un imparfait de I rime avec
Dermod : on en trouve aux vers 41, 105, 134, 151, 516, 626,727,
825, 1067. Il faut peut-être, croyons-nous, voir dans la difficulté
de trouver une rime à Dermod Texplication à la fois du grand
nombre des formes étymologiques et de leur valeur phonique.
Les auteurs de ce siècle qui font rimer les imparfaits en ot sont
très peu nombreux et ne nous offi'ent que peu d'exemples indiscu-
tables : on en trouve un à la rime dans A-ngier : escusot (: dévot)
dans la Vie de Saint Grégoire (vers 885) ; cet auteur n'emploie du
reste que cette forme : ^on5-/o/ {12 c, ^); Jîot (14 d, 14), quidot
(21 d, 12), alot (2j a, 32) (cf. Timothy Cloran, p. 41).
Ajoutons encore alot (: ot = audit) dans Sardenai (i'"'^ Add., 15),
et c'est à peu près tous les exemples probants que nous avons ren-
contrés .
F) Interrimes et graphies.
Si nous nous en tenons à ces rimes qui sont sûres, et aux autres
exemples d'Angier qui ne le sont pas moins, nous conclurons que
c'est la forme en ont qui a été le plus communément employée en
anglo-français, tant que la forme étymologique des imparfaits de I a
5 54 L EVOLUTION DU VERBE KN A\GLO-FRA\ÇAIS
subsisté, mais que, à partir de 1200, la forme avec la voyelle
simple n'a pas été rare. Nous arriverons aux même conclusions si
nous tenons compte aussi bien de certaines œuvres en prose, et des
interrimes avec les prétérits en ni, autrement dit si nous raisonnons
sur les graphies.
Dans le Brandan, c'est la forme en out qui est employée : on
trouve des imparfait de I à la rime avec pout de paître (vers
1565); avec o///(ii63, 77); It Psautier de Cambridge n'a que
cette terminaison (cf. Fichte, p. 24), de même que Sœur Clémence
de Barking.
Il en va à peu près de même au xiii^ siècle : Chardri la foit rimer
avec plout dans Josaphat (vers 73), avec out au vers 1290 du
même poème ; toutes les rimes que nous trouvons dans Simund
de Freine (Saint Georges^, 1019), dans Robert de Gretham (6 v°,
29 v°, 195 v°, 106 r°); dans le Saint Edmund (497, 1143); dans
la Genèse Notre-Dame (58 r°, 44 r°, 70 v°) ; dans le Chevalier
(vers 459) montrent toujours la diphtongue.
Nous n'avons que très peu d'auteurs chez lesquels nous trouvons
la terminaison ot : le Bestiaire en offre quelques exemples, mélan-
gés à des terminaisons ont : par exemple : stot (: ot) (au vers 125);
les troisièmes personnes du singulier des imparfaits de I sont toutes
en ot dans le Psautier d'Oxford ; il faut ensuite passer à Frère
Angier pour trouver cette terminaison régulièrement employée
(Vie, 57, 196, 885; Dialogues, 44 v" a, 133 v° b) ; après le Frère
Angier nous ne trouvons ot à la rime que sporadiquement jusqu'à
Dermod et à Sardenai (cf. vers éo, 260).
Comme on le voit, cette seconde étude vient confirmer les con-
clusions de la première. La terminaison ot n'a pas eu une fortune
très brillante en anglo-français. Elle est à peine postérieure à la ter-
minaison out et a existé en même temps qu'elle et à côté d'elle.
Mais certains auteurs, d'importance plus ou moins grande au
point de vue anglo-français, mis à part^ elle n'a pas réussi à prendre
la place de la désinence ont.
Si nous réunissons les conclusions auxquelles nous sommes arri-
vés en étudiant chaque personne, nous voyons que dans leurs
grandes lignes elles concordent suffisamment.
La diphtongue on a duré autant que les personnes étymologiques,
et s'est sensiblement mieux maintenue à la troisième personne du
singulier qu'aux autres.
L IMPARFAIT 555
La forme avec la voyelle o ne s'est pas introduite plus tard que
ii5o(pourla troisième personne du pluriel), ou 1160 (pour la
première, la deuxième et la troisième personne du singulier); elle
n'est pas rare au xii*^ siècle.
Nous avons maintenant à signaler une variante de la forme en
ot, la terminaison eut ou ut ; on peut comparer à cette terminaison
le passage de 0/// (habuit) à eut, n '. Cette terminaison se trouve
pour les imparfaits de I dans le ms. Royal de Gaimar ; on y trouve :
hantent (: out) (2643), sojnruent (3036), soint (2730); et dans le
ms. A de l'Ipomédon : reconfortnt (1695); qnidut (^^yo); de ces
formes on doit, nous semble-t-il, rapprocher phinit, qu'on lit dans
la Vie de Saint Grégoire (17 12, 2655) et dans les Dialogues Saint
Grégoire (28 v° a).
r) Disparition des terminaisons en ou.
Les exemples qu'on peut trouver pour les deux premières per-
sonnes du singulier sont trop peu nombreux pour qu'on puisse arri-
ver à des conclusions très précises ; nous n'avons relevé aucune
forme étymologique après la fin du xii^ siècle. De l'autre côté, l'un
des premiers exemples d'un verbe de I prenant la forme analogique
nous est donné par une première personne du singulier dans le
Psautier de Cambridge : deveeie (76, 4) de deveer.
Pour la troisième personne du pluriel, la première forme irrégu-
lière se trouve aussi dans le Psautier de Cambridge : deneaient (80,
14) ; nous en trouvons une seconde dans le Thomas de Tristan : cni-
doient au vers 2, mais cette forme n'est pas attestée par la rime et
peut ne provenir que du scribe (fragment de Cambridge, fin du
xiii^ siècle). Nous nous trouvons dans la même incertitude pour
qnidoient qui se trouve dans le corps du vers 189 d'Havelok - .
Les deux dernières formes que nous venons de citer sont tout au
plus possibles au xii^ siècle ; ce n'est qu'au xiii'-" siècle que nous
avons des formes assurées ; les rimes deviennent nombreuses; citons-
en quelques-unes : dans le Josaphatde Chardri, nous trouvons par
1. Pour les troisièmes personnes du singulier en ut, voir Stimming, Boevc de
Haumtone, p. 189.
2. Le ms. d'Havelok, Arundel XIV, est postérieur à 1327.
556 l'évolution du verbe en anglo-français
exemple hninncint qui rime avec ardeint (au vers 2052) ; chcintcieut
se trouve à la rime avec feseient, dans le Chevalier, la Dame et le
Clerc ; guardeient (: quereint) dans les Heures de la Vierge (63 r°) ;
hahitcient (: aveient) dans William de Waddington (1965); il faut
encore remarquer que dans les interrimes, même dans les poèmes
du xii^ siècle, c'est-à-dire dans les mss. écrits par des scribes du
xiii^ siècle, la forme généralement employée est la forme analo-
gique.
Il y a même certains auteurs qui semblent ne pas connaître la
forme régulière pour la troisième personne du pluriel : Frère Angier,
par exemple '.
^'oici donc, et pour résumer tout ce que nous venons de voir au
sujet de cette personne, comment se sont comportées en anglo-
français les personnes en 0(11^ oit. Les formes analogiques ont certai-
nement fait leur apparition pendant la seconde moitié du xii*' siècle;
elles sont d'abord restées en petit nombre et exceptionnelles, leur
absence à la rime le prouvant. Au xiii'' siècle, elles sont devenues
vite très communes; en même temps les désinences régulières ont
passé à l'état sporadique : on en rencontre jusque chez Dermod,
mais en petit nombre, et la majorité des auteurs ignore cette forme à
cette époque.
La troisième personne du singulier est probablement la plus
importante, et certainement celle qui nous fournit les renseigne-
ments les plus nombreux et les plus sûrs. Il nous est donc possible
de suivre aussi exactement que possible les progrès de la forme ana-
logique à cette personne.
Le cas le plus ancien d'une terminaison en eit que nous ayons
rencontré pour un verbe de I se lit dans un poème du commence-
ment du xii^ siècle : le Voyage de Saint Brandan; on y trouve en effet
Juigneit rimant avec un verbe de III au vers 456. Cependant, il
nous semble probable que cette leçon doive être rejetée en faveur
àt fuieit que donne un autre manuscrit (Arsenal BLF, 283) ; cette
forme irrégulière doit donc provenir du scribe, ce qui la rejette à la
date de 1167. A cette dernière époque, nous trouvons un exemple
indiscutable d'une autre forme analogique dans les Légendes de
Marie d'Adgar : alcit (: esteit) (XXXIX, 59).
T. Cf. Timothy Cloran, Miss Pope, p. 41.
I
L IMPARFAIT 557
Le poème de Havelok nous en donne aussi deux exemples, dont
l'un au moins est discutable ce sont lavoit (: recevoit) (au vers
248), et esinerveilloit (: veoit) (au vers 273), tous les deux donnés
par le ms. Arundel XIV.
Le ms. P, pour ces deux vers, donne des leçons qui font dispa-
raître l'irrégularité; mais pour le vers 248 la leçon qu'il donne ne
semble pas acceptable pour le sens. Au lieu de :
il donne
Les esquieles recevoit.
Et après manger les lavoit, Arundel XIV.
Les esquieles recevoit.
Et après manger de co serveit.
Pour l'autre exemple, la leçon de P qui donne la forme correcte
semble devoir être préférée :
Arundel XIV:
Ms. P
Li rois sesmerveilloit
De la force ken lui veoit.
Li reis même mut sovent
Le fit luter devant sa gent ;
A grant merveille le teneit
De la force ken lui aveit (lire veeit ?).
La question, au point de vue de l'histoire des désinences analo-
giques à la troisième personne du singulier des imparfaits de I, n'a
pas une grande importance ; un exemple ou deux de plus ne saurait
signifier grand'chose. Le point important est que ces formes datent
de II 60 environ et que tout d'abord elles ont été purement excep-
tionnelles. Ajoutons deux rimes que nous rencontrons dans l'Ipo-
médon: la première nous donne un exemple indiscutable; elle nous
montre aloeit rimant avec voleit (au vers 305); la seconde est plus
douteuse; elle accouple aresteit et veit (vers 457) : faut-il lire ares-
tait, présent de l'indicatif? (cf. dans le même poème les vers
4633, 8766).
Les exemples précédents ne sont du reste pas les seuls assurés :
et nous avons relevé quelques autres cas de terminaison en eit.
Un ouvrage en prose nous donne encore cinq exemples des nou-
558 l'évolution du verbe en anglo-françals
velles formes : dans les Quatre Livres des Rois nous lisons en effet
nincudeit (\\, 3, i'), sacrcficit (l\\, 19^ 5 1), _^/m;Wt7V (III, 4, l'y), passeil
(IV, 20, 9) tniveil (I, 23, 14). Les terminaisons régulières sont infi-
niment plus nombreuses. Donc le nombre des formes assurées jus-
qu'à la fin du xii'^ siècle est minime. Nous relevons cinq cas dans un
des prosateurs, deux ou trois cas très discutables à la rime dans deux
poèmes. Lorsqu'on compare ce nombre d'irrégularités au nombre
de formes régulières, dont nous n'avons aucune raison de douter,
on voit combien la forme étymologique l'emporte sur l'autre. Il est
vrai encore que, pour quelques auteurs, nous trouvons dans le
corps du vers des troisièmes personnes analogiques qui peuvent
leur appartenir aussi bien qu'aux scribes, comme dans le Thomas de
Tristan : cuidoit {^.m vers 5) ou mustreit, au vers 592 de la Vie de
Sainte Catherine de Sœur Clémence, ou cunisceit, au vers 1236 de
Fantosme ; mais même ces formes de date douteuse sont relative-
ment rares. Par conséquent, l'examen du corps du vers ne peut pas
nous faire modifier nos conclusions; la forme analogique est connue
au xii*^ siècle, mais elle est rare et reste l'exception.
Il y a du reste plusieurs auteurs qui sont absolument réguliers :
l'Estorie des Engleis de Gaimar ', la Vie de Saint Gilles, le Donnei,
Horn, les Homélies, le Sermun de Guischart de Beauliu ne
montrent jamais d'exemple qui soit assuré de la forme nouvelle;
celle-ci est même assez rare dans le corps du vers.
L'exemple que nous avons vu dans le Saint Brandan (en le lais-
sant au compte du scribe), celui d'Adgar, ceux des Quatre Livres
des Roisnous permettent de regarder 1160 comme la date (approxi-
mative) à laquelle ces formes analogiques ont commencé à s'intro-
duire.
Nous ne trouvons pas la même régularité au siècle suivant ; le
xiii^ siècle est irrégulier, dans l'irrégularité même : nous donnerons
donc, pour tâcher de montrer le plus exactement possible l'état
des choses à cette époque, un nombre assez considérable d'exemples
de formes analogiques tirés des différents auteurs que nous avons
étudiés. Nous diminuerons, à mesure que nous avancerons, le
nombre de ces exemples, car à partir d'une certaine date, les formes
analogiques deviendront trop communes pour qu'il soit nécessaire
I. Dans Gaimar, tous les imparfaits de I sont réguliers : au vers 5, lire haeieiit ;
au vers 150, lire retideit; au vers 155, nuriseit : feseit.
L IMPARFAIT 559
de les donner toutes. Dans la Vie de Saint Grégoire, espérer seul
prend la forme analogique: espereit Ç: ardeit) (au vers 124);
(:creit) (au vers 1863). On trouve d'ailleurs cspcrot, 196'. Les
exemples dans les Dialogues sont plus nombreux et plus variés ; on
trouve, entre autres : repairoit (: Benoit) (58 r° b) ; oroit (: eroit)
(54 v° b) ; amoit (: eroit) (71 r° b) ; crioit (: fesoit) (68 r° b); qui-
doit (: soloit) (56 r° a) ; justiseit (: deit) (71 r° b).
Dans Chardri et Robert de Gretham les formations analogiques
sont sensiblement plus fréquentes que les formes régulières; dans
Chardri, les premières sont à peu près deux fois plus nombreuses
que les autres (à la rime); la proportion est approximativement la
même dans Robert de Gretham.
Voici quelques exemples tirés de ces deux auteurs : pour Chardri,
nous nous contenterons des exemples tirés de Josaphat ; on en trou-
vera un nombre proportionnel dans les SetDormans et le Petit Plet.
Nous trouvons dans les rimes du premier de ces poèmes les formes
suivantes : aiiicit (: aperceit) (au vers 436) ; ameit (: esteit) (2095) ;
rtAm^ (: giseit) (2505) ; truveit {;. veneit) (588); guieit Ç: esteit)
(1974); l'i^f'cieit (: maneit) (2712).
Nous pourrions tirer un grand nombre d'exemples des rimes de
Robert de Gretham ; nous en donnerons quelques-uns pris au
hasard dans les premiers folios : nuncieit ( : esteit) (au folio 7 r°) ;
(: giseit) (9 v°) ; regnelt (: esteit) (10 r°) ; mendivcit (: seeit)
(26 r°), etc.
Nous retrouvons, dans le Chevalier, l'état de choses que nous
avons reconnu dans Chardri et Robert de Gretham, ou plutôt, le
nombre de formes nouvelles est devenu proportionnellement plus
grand encore ; on trouve dans ce court poème : aJeit (: liseit) (84) ;
fi^/V (: saveit) (93) ; amoit (: savoit) (loi); mangeit (: pesseit)
(105). Quant à William de Waddington, les rimes en eit où se
trouve un verbe de I sont légion (cf. vers 952, 2427, 2262, 3033,
3372, etc.).
Ces quelques auteurs que nous venons de citer, et plusieurs
autres l'auraient tait aussi bien, représentent, nous semble-t-il, la
marche générale de l'unitication des imparfaits au xiir^ siècle ; mais
I. Cf. Infinitif, pour les exemples de l'infinitif t'5/w/;; nous n'avons rencontré, ni
dans la Vie, ni dans Jes études de Timothy Cloran et de Miss Pope, aucun exemple
de l'infinitif de ce verbe.
560 l'évolution du verbe en anglo-français
ce serait bien mal connaître l'anglo-français que de croire que l'on ne
puisse pas trouver d'auteurs fliisant exception ; quelques-uns, très rares
à vrai dire, n'emploient jamais à la rime la forme analogique pour
les verbes de I, alors que la forme étymologique se rencontre : par
exemple la Genèse Notre-Dame et le Roman des Romans. D'autres
montrent un nombre plus considérable de formes en o(jty que de
formes en eit : par exemple le Saint Edmund et Dermod.
On ne trouve guère que deux cas analogiques à la rime dans le
premier: rr/V// (giseit) (3615); demandeit (: aveit) (1149); et deux
autres dans le corps du vers : doneit (3717), resteit (2702) ; dans
Dermod, les personnes régulières sont exceptionnellement com-
munes : cela provient peut-être de la fréquence avec laquelle le
nom propre Dermod apparaît à la rime, comme nous l'avons déjà
dit ; on ne trouve que trois cas de troisième personne en eit à la
rime chez cet auteur : ameit (: esteit) (5 3) ; pleideit (: esteit)(2i04) ;
suiorneit (: aveit) (2697).
Ces exceptions restent des exceptions. La grande majorité des
auteurs nous montre que la forme étymologique est en train de
disparaître, non sans quelques à-coups et plusieurs retours.
c?) Extension irrégulière des formes en 0// au xii'' et au xiii= siècle.
Dès le xii^ siècle, la désinence en ou, qui n'appartient régulière-
ment qu'à la première conjugaison, se trouve parfois dans certains
verbes des autres conjugaisons : ce sont surtout, fait important à
noter, des verbes de II et de IV qui prennent cette terminaison.
Le premier exemple que nous en rencontrions est de la même
date que le premier cas d'un imparfait de I en eit ; on trouve en
effet dans le Psautier de Cambridge un verbe de II et deux verbes
de IV avec, à l'imparfait, la terminaison des imparfaits de I.
Ce sont deux premières personnes du singulier : uvroeÇ^j, 13);
atendoe (37, 15), et une troisième personne du pluriel : espandoent
(40, 8) ; les exemples que nous pouvons tirer des Légendes de
Marie d'Adgar sont plus probants encore, car ils sont attestés par
la rime : on lit en effet chez cet auteur : slreiiioùtÇ: ont) (I R, 62);
tenoîit (: alout) (XXX, 109).
Ce sont les seuls exemples appartenant sans doute possible au
xii^ siècle ; nous pouvons en citer plusieurs autres, mais rien ne
nous permet de fiiirc retomber les responsabilités de Ces formes
l'imparfait 561
sur les auteurs plutôt que sur les scribes. Par exemple, dans le
corps du vers loi de la Folie Tristan, nous trouvons encore cre-
inout, qui doit probablement être attribué au scribe (deuxième
nioitié du xiii^ siècle).
L'éditeur et les scribes de Gaimar semblent s'être entendus pour
introduire des fautes dans un texte d'ailleurs très correct. Citons-en
un seul exemple : au vers 5408, nous lisons à la rime dans le
texte imprimé reveiioitf ; cette irrégularité doit être supprimée en
adoptant la leçon qui est donnée par D, L et H :
Godewine, Eadmund, les fiz Harald,
E les fiz Swain, Tosti, Reinald...
(Cf. The Anglo-Saxon Chronicle, pp. 1067 sqq., Simeon de
Durham, II, 187.)
Nous avons donc, dans tous les poèmes du xii^ siècle, deux
verbes de II, et trois verbes de IV, qui prennent à l'imparfait les
formes de I.
Au xiii^ siècle, ces irrégularités ne deviennent pas beaucoup plus
communes; la forme enc/a trop de vitalité pour se laisser absorber
par les imparfaits en ou. Les exemples que nous en rencontrons sont
tous des troisièmes personnes du singulier ou du pluriel, et comme
au siècle précédent, n'appartiennent jamais àla troisième conjugaison.
Dans les Dialogues Saint Grégoire, se trouve l'un de ces exemples :
obeissotÇ: comandot) au folio 81 v° a; dans les Set Dormans de
Chardri (au vers 835), nous avons cherisout Ç: amout) ; ces deux
exemples pourraient être révoqués en doute, on pourrait dire que
la faute provient du scribe et qu'on doit lire eit partout, les cas où
un imparfait de I prend la terminaison eit étant plus communs que
les cas contraires.
Les deux exemples suivants n'offrent pas cette difficulté : au vers
261 de la Plainte Notre-Dame, on a. vivout (: out), et au vers 100
de Dermod on trouve ploiioiit {: out).
Nous n'avons pour la troisième personne du pluriel qu'un cas
d'interrime, conséquemment un cas douteux : c'est niaiisocnt :
eschivoent au vers 89 de Sardenai. Rappelons enfin maintenant les
quelques exemples que nous avons cités plus haut et qu'on lit dans
les poèmes du xii'^ siècle : creiiioiil de la Folie Tristan, rcvcnout de
56
562 l'évolution du verbe en anglo-françals
l'Estorie des Engleis ; on doit tous les attribuer à l'ignorance des
scribes du xiir". Néanmoins, les cas où les imparfaits de I ont
donné leur forme aux verbes qui ne l'avaient pas régulièrement
sont des plus rares.
t') Les imparfaits en ()// auxn'^ siècle.
Nous avons laissé de côté, pour pouvoir les étudier dans un
chapitre spécial, tous les imparfaits de I qu'on rencontre au
xiv^ siècle, car non seulement ils sont traités de façon différente,
mais et surtout, nous n'avons pour eux que des renseignements
qui manquent de précision.
L'on trouve encore à cette époque un certain nombre de formes
en o(ii)Çe), o(^ii){e)s, o(//)/, o(^ii){e^}it , mais cette terminaison a cessé
d'être la terminaison caractéristique des imparfaits de I ; elle
s'emploie tout aussi bien pour les imparfaits des autres conjugaisons ;
c'est le développement naturel de la confusion que nous avons vue
s'esquisser au xiii" siècle.
La première personne est extrêmement rare ; nous n'en avons
relevé qu'un exemple dans tout le cours du xiv^ siècle : plourou, 2^
Appendice de Pierre de Langtoft (II, 446. 10) '. Il en va de même
pour la troisième personne du pluriel.
Les troisièmes personnes du singulier sont plus nombreuses ;
nous les diviserons en deux catégories : celles provenant d'un verbe
de I, celles qui ont un infinitif de II, III ou IV. Nous laisserons dans
cette seconde catégorie les verbes, s'il s'en trouve, qui ont pris par
analogie la terminaison cr à l'infinitif.
Voici les quelques exemples des verbes de I que nous avons pu
relever ; ceux que nous rencontrons à la rime sont encore assez
nombreux, et du reste cela n'importe guère. Citons dans les Vies
de Saints de ^ozon \ letout {;. pout de pestre) (folio 103 v°) ; dans la
Vie de Saint Richard : iiiiisiroiil (6 10), ^n'iw// (988), ^fo/Vo/// (1089),
alout (iiSy^ confonuoiit {i2')8), sont assurés. Dans l'Apocalypse
nous avons une rime des plus douteuses : ressemblûtit (: teignot de
teindre) (Pepys, 50). L'Évangile de l'Enfance (mss. O et C) nous en
donne un cas assuré : amont rime avec deux prétérits en ui,
strophe 165 .
I. La Plainte Notre-Dame deBozon.
l'imparfait 563
En dehors des rimes nous trouvons à la page 1 10 de Foulques
Fitz War'm : cn'eoiit ; plorôiit se lit au § 119 des Contes de Nicole
Bozon -jainot au vers 86 (corps du vers) du Prince Noir; enfin
Nicolas Trivet en montre lui-même quelques rares exemples,
comme enveyout (au folio 2 v°).
Dans la seconde catégorie, les exemples ne sont pas non plus
très nombreux ; nous pourrons faire remarquer ici encore le fait
sur lequel nous avons attiré déjà l'attention aux xii" et xiir siècles,
que les verbes de III ne sont pour ainsi dire pas représentés dans la
langue littéraire parmi les verbes qui prennent la terminaison en
ou, par analogie avec les verbes de I.
Dans les exemples que nous allons citer, les rimes sont rares, et
celles qu'on rencontre sont des cas d'interrime. -
Dans l'Apocalypse, ms. Pepys, vers 50, nous trouvons tcignot de
teindre qui rime avec resemblout; ici on pourrait vouloir lire tei-
gneit, resembleit. A la date de 1325, dans la Chronique de Londres,
p. 56, on lit pleinoîit, forme que nous avons déjà rencontrée (cf.
p. 561) et que nous retrouverons encore; les Contes de Nicole
Bozon en ont un nouvel exemple : entinncttout (au § 133). L'Évan-
gile de l'Enfance nous donne encore un cas assuré : siioiit desuivre
rime avec l'imparfait de I que nous citions tout à l'heure et les
deux mêmes prétérits en ///. Quant à la Chronique de Nicolas
Trivet, ces formes y sont nombreuses: perfeynol (11 y") ; plcxnout
(48 r°) ; ajoutons encore un verbe de III : scout (37 v"), le seul
exemple pour cette conjugaison que nous ayons relevé.
Les formes en 0 se rencontrent très rarement dans les œuvres
non littéraires, et ne s'emploient pas, dans le petit nombre de cas
que nous avons relevés, spécialement avec les verbes de I ; les seuls
exemples corrects que nous ayons trouvés sont trois troisièmes
personnes du pluriel : l'une, dclayoent, dans les Rymer's Foedera
(1299, II, 842) ; l'autre^ quidoent, danslellegistrum Malmesburiense
(1300, 1, 56); la dernière, estoent, dans les Mem. Pari. 1305 (§ 481).
C'est fort peu et nous pouvons aussi remarquer que les recueils
les plus corrects n'en donnent aucun exemple.
Nous trouvons aussi un certain nombre, très restreint, du reste,
de verbes de la seconde et de la quatrième conjugaisons qui
prennent cette forme ; par exemple, dans Rymer encore, nous
lisons : defailol (1278, II, 108); aveiiost avec s parasite (1297, II,
790); dans les Chroniques de Londres : plcinout (1325, 56).
564 l'évolution du verbe en anglo-français
Tous les exemples de cette forme que nous rencontrons en
dehors de la littérature datent donc de la fin du xiii* ou des
premières années du xiv^ siècle.
La seule conclusion que ces quelques cas nous permettent de
tirer est que, à la fin du xiii'' siècle, le souvenir de cette termi-
naison n'était pas absolument perdu, mais qu'il était à peu près
effacé et que les écrivains ne savaient plus avec quels verbes il
fallait l'employer.
Dans la langue légale, cette forme est encore plus rare ; nous en
avons cependant relevé quelques exemples, moins nombreux encore
que dans la langue diplomatique et politique : en voici un qui a
quelques" chances d'être authentique : estout (ester), 22 Edw. I",
491 (1294) (peut-être un prétérit ?)
La langue familière ne nous en a fourni aucun cas.
Faisons remarquer qu'il serait bien difficile d'établir un rapport
quelconque entre ces formes irrégulières que nous venons de donner
et le passage des différents infinitifs des trois dernières conjugaisons
à la forme de la première. D'abord, le nombre des nouveaux
imparfaits en 0 n'est pas en rapport avec celui des nouveaux infini-
tifs en er ; on ne peut découvrir aucun parallélisme entre les
deux phénomènes; enfin, les verbes dont nous venons de citer des
imparfaits de la forme des imparfaits de I : faillir, mettre, plaindre,
teindre, venir, ne sont pas ceux qui prennent le plus souvent et le
plus régulièrement à l'infinitif la terminaison des verbes de L Pour
terminer, nous n'avons qu'un exemple isolé d'un verbe de la
troisième conjugaison avec la désinence caractéristique des impar-
faits de L
Le petit nombre de formes étymologiques que nous rencontrons
pour les imparfaits de I à la fin du xiii^ et au xiv^ siècle est en soi
une preuve suffisante que ces verbes ont tous passé à la forme des
trois autres conjugaisons et nous rencontrons dans les auteurs de
cette période des rimes en très grand nombre. Nous n'allons pas
les citer ici.
Nous ferons simplement remarquer qu'à cette époque la termi-
naison de ces imparfaits montre la diphtongue oi (voir plus bas,
page 56e) et cette substitution de oi à ci n'a pu que hâter la dispa-
rition des imparfaits de I, s'il en était besoin.
l'imparfait 565
B. — Imparfaits drs deuxième, troisième et quatrième
CONJUGAISONS.
Nous avons déjà étudié (désinences personnelles) l'amuissement
et la disparition de Ye en hiatus à la première et à la deuxième
personne du singulier et à la troisième du pluriel. Nous allons
maintenant étudier la diphtongue elle-même.
La diphtongue.
La diphtongue de l'imparfait de ces trois conjugaisons a subi bien
des changements ; cependant on peut dire que depuis le commen-
cement du xii^ siècle jusque vers le milieu du xiv^, c'est la diph-
tongue ci qui reste, quelques auteurs mis à part, la forme la plus
commune. De plus, il est exact de remarquer que presque toutes
les autres formes que cette diphtongue a prises se trouvent déjà plus
ou moins répandues dans les ouvrages du xii^ siècle, qu'elles soient
dues du reste à l'auteur ou au scribe.
Comme nous l'avons dit, la diphtongue ei reste la forme com-
mune des imparfaits de II, III, IV pendant tout le xii% tout le xiii^
et une partie du xiv^ siècle. Il est inutile de citer les exemples de
cette forme au xii^ siècle ; tous les auteurs l'emploient sans excep-
tion, et au siècle suivant avec la voyelle / ou la voyelle y, c'est la
forme qu'on rencontre presque exclusivement dans Chardri, dans le
Saint Edmund, dans Robert de Gretham.
Au xiv^ siècle, elle est fréquente chez Pierre de Langtoft, dans les
Vies de Saints de Bozon, rare dans le poème du Prince Noir.
La diphtongue ei est parfois, et de très bonne heure, remplacée
par ai ; le premier exemple qu'on en trouve se rencontre dans le
Psautier de Cambridge qui en contient plusieurs exemples ; Tun
d'eux, et c'est le seul, est donné parles deux mss.: plaisait (100, 7);
les autres ne se trouvent pas dans B ; ce sont les formes suivantes :
disaie{iT,, 18); disaient (j'j, 19); rendaie (68, 6); siioaieÇ^j, 20);
à cause de leur importance pour la conjugaison en français, ces
exemples ont été cités depuis longtemps. Ils sont presque isolés au
XII'' siècle ; les autres cas qu'on relève ne sont pas sûrs et on peut
avec beaucoup plus de vraisemblance les attribuer aux différents
scribes du xiii= siècle qu'aux auteurs du xir'. Nous trouvons au
566 l'évolution du verbe en anglo-françals
moins Jeux de ces exemples dans TEstorie des Engleis (ms. R) de
Gaimiir : poai (1878); et cremaieul (3388); la Folie Tristan en offre
aussi quelques-uns, par exemple devait (au vers 69).
Au siècle suivant, la diphtongue ai devient presque aussi com-
mune que la terminaison ci. Tandis que quelques auteurs, comme
Frère Angier", l'emploient rarement, chez certains autres, tels que
les auteurs du Saint Laurent, de Boeve de Haumtone, de Dermod,
c'est elle qui prédomine. Aucune différence dans les auteurs de
la première moitié du xiv^ siècle : dans les Political Songs de cette
époque, dans Pierre de Langtoft, dans Nicole Bozon, les deux diph-
tongues sont très librement mélangées, et il serait impossible de
dire avec quelque certitude laquelle est la plus employée. Dans la
seconde moitié de ce siècle, elle ne disparaît évidemment pas, mais
avec t'/, elle passe au second plan. Par exemple ei et ai se ren-
contrent dans le Prince Noir, mais ni l'une ni l'autre n'est aussi
employée que l'autre désinence que nous allons étudier mainte-
nant.
La désinence en oi se rencontre dès le xii^ siècle; mais comme
les imparfaits avec cette terminaison ne sont jamais à cette époque
employés à la rime, il est plus vraisemblable de les attribuer au
siècle suivant. On trouve avoit dans les Légendes de Marie d'Adgar
(XIV, 31), et au vers 3065 du Tristan de Thomas : estoit; maisjoin
d'être commune au xii^ siècle, cette diphtongue ne sera pas d'un
usage fréquent même au XIII^ Il n'y a qu'un tout petit nombre
d'auteurs chez lesquels nous la trouvions couramment, chez Frère
Angier par exemple ; dans la Vie de Saint Grégoire et dans les Dia-
logues Grégoire la terminaison oi est celle qui est le plus communé-
ment employée à l'imparfiiit ; mais elle est loin d'avoir la même
importance chez les autres écrivains : elle est plutôt rare chez Char-
dri et Robert de Gretham, dans le Saint Laurent, le Saint Edmund.
On la trouve parfois dans Boeve, le Chevalier, Dermod. Même au
commencement du xiV^ siècle, elle ne se rencontre pas très sou-
vent; elle est assez fréquemment employée dans le Siège de
Carlaverok, dans le De Conjuge non ducenda, dans les Contes de
Bozon.
Elle ne devient très fréquente qu'un peu plus tard : par exemple
I. Cf. Timothv Cloran, p. 46.
l'imparfait 567
dans le Prince Noir, dans Pierre de Langtoft, et dans Nicolas Trivet,
elle est einplo3'ée presque à l'exclusion des autres.
Nous n'avons pas jusqu'ici semblé nous préoccuper des rimes et
nous avons fait uniquement cas des graphies.
C'est que pour les désinences de l'imparfait les rimes ayant
quelque valeur probante ne sont pas nombreuses : nous n'avons
relevé à la rime que des troisièmes personnes du singulier ou du
pluriel, rimant entre elles ou avec les personnes correspondantes du
conditionnel. Ces interrimes ne peuvent évidemment pas nous ren-
seigner beaucoup ; si celles que nous avons relevées veulent dire
quelque chose, elles montrent que les trois diphtongues ei, ai, oi
n'étaient que des graphies différentes d'un même son. On trouve
déjà dans la Folie Tristan voleit qui rime avec droit (au vers 31); et
au vers 69 du même poème, la rime esteit : devait ; il est évident
que l'on pourrait remplacer dans ces deux exemples les trois diph-
tongues par l'une quelconque d'entre elles ; tout au moins, nous
voyons que pour le scribe les trois sons étaient équivalents (date :
milieu du xiii^ siècle).
La même remarque peut être fliite pour la rime voleit : avoit aux
vers 241, 242 du Chevalier dont le ms. date de la même époque.
La première rime ayant une valeur probante que nous ayons
rencontrée, rime qui ne laisse pas que d'étonner quelque peu, se
trouve dans le De Conjuge nonducenda (au vers 35) : aIoy{: dirroi).
Toutes rares qu'elles sont, et quoique d'apparence très peu
significative, ces rimes nous donnent au moins des dates limites.
Pour le scribe de la Folie de Tristan, c'est-à-dire vers le milieu
du xiii^ siècle, les trois diphtongues ei, ai et oi provenant de ei sont
équivalentes ; dans le premier quart du xiv^ siècle, cette dernière
diphtongue se confond avec la diphtongue of provenant de ai.
Ces trois mêmes diphtongues se trouvent aussi dans les textes
anglo-français qui n'appartiennent pas à la littérature ; leur distribu-
tion rappelle celle que nous venons de voir. Ei et oi sont les plus
communément employées ; on les trouve dans les premiers textes
politiques côte à côte; ei est sensiblement plus commun que oi dans
les Statutes entre 1275 et 13 11, quoiqu'on ne puisse considérer
ces dates que comme des approximations ; même il arrive que la
seconde diphtongue se trouve plus employée que la première à cer-
taines dates comprises entre ces limites, par exemple à l'année 1297.
568 l'évolution du verbe en anglo-français
Cependant, ces réserves faites, on peut considérer l'année 1310
comme le moment où la désinence en oi l'emporte définitivement
sur l'ancienne dans les Statutes.
A peu près à la même date, dans les Lettres de Jean de Peckham,
on ne trouve guère que la diphtongue ancienne. Au contraire,
dans les Rymer's Foedera, autant qu'on peut en juger, oi, qui est
employé dès 1259, est probablement plus commun proportionnelle-
ment que dans les Statutes ; et, avant 1300, elle se trouve fréquem-
ment sinon presque exclusivement employée. Les renseignements que
nous fournissent les Year Books sont évidemment moins précis ;
cependant, d'une façon générale, ils concordent avec ceux que nous
pouvons tirer des Statutes : la diphtongue ci domine sans qu'il
puisse y avoir doute jusque pendant les premières années du
xiv^ siècle ; vers 1305, oi semble l'emporter.
Il serait intéressant de se rendre compte de la personne qui a subi
le plus et le plus tôt le changement de la diphtongue; ici, nous ne
pouvons guère parler que des troisièmes personnes du singulier et
du pluriel, car les deux autres personnes qui ont la diphtongue sont
trop rarement employées pour qu'on puisse tirer une conclusion.
On pourrait croire, à première vue, qu'il n'y a aucune raison pos-
sible pour que le changement de diphtongues ne se soit pas fait
simultanément à ces deux personnes ; et c'est ce que nous avons
nous-même cru tout d'abord. Cependant, en confrontant les exemples
que nous avons recueillis, nous n'avons pas pu ne pas remarquer
une différence : dans les Statutes nous trouvons que la distribution
des diphtongues n'est pas la même à la troisième personne du sin-
gulier et du pluriel : g/ est plus régulièrement conservé au singulier;
au pluriel nous trouvons presque toujours oi, excepté lorsque le
radical contient cette même diphtongue ou 0, comme pooir. Nous
nous trouvons incapable de tirer une conclusion des exemples que
nous avons relevés dans Rymer's Foedera, mais les Year Books
apportent un témoignage qui, quelle que soit sa valeur, vient con-
firmer celui des Statutes. Nous l'avons surtout remarqué pour le
Year Book 31 Edw. I" (1303).
L'année 1340, dans les Statutes, montre oi employé presque par-
tout, et cet état de choses se continue jusqu'à la fin du siècle. La
même remarque peut se faire pour Rymer, quoique la date à
laquelle cela se produit soit quelque peu plus ancienne ; quant aux
Year Books, dès 1337, les formes en «deviennent rares. -
l'imparfait - 569
La diphtongue ai est moins commune encore que la diphtongue
ci ; c'est dans les Year Books et dans Rymer qu'on la trouve le plus
fréquemment. Dans la première collection, elle se rencontre dans
les dernières années du xiii^ siècle, et elle devient relativement fré-
quente vers 1339 (cf. par exemple 12 et 13 Edw. III) où elle est
vraiment commune.
Dans les écrits politiques, elle ne se rencontre pas aussi souvent,
et de toute façon son apparition est plus tardive ; on rencontre
cette diphtongue surtout à la troisième personne du singulier, par
exemple dans les Parliamentary Writs, 13 14; au pluriel, elle fait
son apparition un peu plus tard, dans les Statutes, à la date de
1340 ; on pourrait peut-être relever des exemples plus anciens que
ceux-là, mais il est certain qu'on ne saurait en trouver un grand
nombre.
Aucune des terminaisons qu'il nous reste encore à examiner n'a
l'importance des trois diphtongues que nous venons d'étudier : ce
sont toutes des succédanés de la diphtongue ci ou de la diphtongue
ai; aussi nous ne nous y arrêterons guère.
La diphtongue ci donne quelquefois :
1° /(' comme dans siisteniet du Psautier de Cambridge (93, 18)
(cf. M. Suchier, Voyelles toniques, §30 b) ; ceci est très rare dans
l'anglo-français littéraire. Dans la langue légale toutefois, on ren-
contre cette forme un peu plus fréquemment : aviet (20 et 21
Edw. P-", 15); poiei (32 et 33 Edw. I", 63; 33 et 35 Edw. l",
239, etc.).
2° Il est beaucoup plus commun de rencontrer une voyelle
simple à la place de la diphtongue; ei sq réduit très fréquemment à
e: on en trouve des exemples dans le Voyage de Saint Brandan
(ms. cire. 1167), comme braiet (au vers 912); coniplaiscc peut se
lire dans le Psautier d'Oxford (34, 7); dans Adgar on trouve joiet
(V R, 203). On lit eissiret dans le ms. L du Bestiaire (vers
13 32); et au vers 1005 de Guischart de Beauliu on trouve la pre-
mière personne du singulier serrée. Citons encore poiei dans Wil.
Rishanger (p. 277); moveret, au vers 531 de la Destruction de
Rome; a ssigneret dans Rymer (1320, III, 852).
Poet est très commun dans les Year Books (cf. par exemple dans
31 Edw. I", 349 ; 32 et 33 Edw. I", 6y, 33 et 35 Edw. I", 239);
de même volet (2 et 3 Edw. II, 140).
570 1, ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
De la même façon, la diphtongue ai peut passer à a comme
fiiiaent dans le Psautier de Cambridge (30, 12).
Il est rare que eist réduise à /, cela n'arrive quW la troisième per-
sonne du pluriel, dans solieut, Statutes (1275, I, 26) et dans les
Harly Statutes of Ireland (1285, 46).
3° La diphtongue disparaît quelquefois, mais fort rarement, peut-
être dans paient, employé dans les Statutes (1322, 1, 185 ; 1330, I,
265), et dans /)0/7 (Year Book 2 et 3 Edw. II, 26), certainement
à^YïS fesent (Mem. Pari., 1305, § 481).
Nous allons donner maintenant les formes principales de l'im-
parfait du verbe estre. Ce verbe, comme on le sait, a deux formes
différentes à l'imparfait de l'indicatif : l'une qui vient directement
de l'imparfliit latin, tandis que l'autre est une forme analogique
tirée de l'infinitif estre comme perdeie est formé de perdre. On
peut ajouter une troisième forme beaucoup plus rare, on ne la
trouve que chez Angier, qui est une contamination des deux autres :
au radical de l'imparftit du verbe latin est ajoutée la terminaison
française : er -\- eie.
V forme. — Cette forme est employée pour quatre des six per-
sonnes de ce temps : les trois personnes du singulier et la troisième
du pluriel.
La première personne, ère, ne se rencontre pas souvent ; nous
l'avons relevée dans le Psautier de Cambridge (cr, i); au vers 356
de la Folie ; au vers 685 de la Vie de Sainte Catherine. Ce sont les
seuls exemples que nous connaissions en anglo-français .
La seconde personne est encore plus rare ; nous n'en avons
jamais vu qu'un seul exemple : ers dans Adgar (XXIII, 183); elle a
perdu son e muet flexionnel.
La troisième personne du pluriel a ordinairement la forne erent ;
on trouve aussi />;t;7/ dans le Saint Edmund (751) et dans Der-
mod (414). Ces deux formes ont, comme le montrent les rimes
(: guarderent) (Heures, 64 r°) ; (: portèrent) (Saint Edmund, 751),
etc., un e fermé; on la rencontre jusqu'au quatrième quart du
xiii'^ siècle.
La troisième personne du singulier est des quatre personnes celle
qui est de beaucoup la plus employée; on la rencontre fréquem-
ment jusqu'au xiv^ siècle dans les œuvres littéraires. Nous n'en
citerons aucun exemple, puisqu'on peut en trouver dans chaque
L IMPARFAIT 571
auteur anglo-français. Les formes sous lesquelles elle apparaît sont
très peu variées. Plus de neuf fois sur dix, elle présente la forme
habituelle, sinon parfaitement étymologique : erl. Comme à la troi-
sième personne du pluriel, il arrive que la voyelle initiale de ert se
diphtongue : la forme qu'elle prend alors est le plus souvent iert :
cette forme est assez répandue, beaucoup moins cependant que celle
qui présente la voyelle simple : on la trouve au vers 865 de Tris-
tan ; au vers 144 de la Folie Tristan, il faut probablement lire à la
rime iert : enquiert.
Cette forme est fréquente chez Dermod^ par exemple au vers 4.
Il est plus rare de trouver la diphtongue ci ; nous en relevons un
exemple au xiv^ siècle dans les Rubriques d'Edward le Confesseur
(LA7I, 10), ou ciii rime avec apert, ce qui montre que ei n'est
qu'une graphie de e.
Le / final de la troisième personne disparaît quelquefois en même
temps que Ye, qui est étymologique, reparaît.
Ere, en anglo-français comme en français, est très commun :
on trouve déjà cette forme dans le Saint Brandan au vers 86, et
dans trois autres endroits, mais elle n'est jamais attestée par la
rime ; dans Gaimar au contraire, elle rime avec amere (vers 4693)
et avec frère (au vers 1756); par la suite, on la trouvera souvent à
la rime : elle rime avec frère dans la Vie de Saint Grégoire (304);
avec lumere dans Robert de Gretham (10 v°) ; axec manere dans le
même auteur (29 v°) ; avec arere toujours dans les Evangiles des
Dompnées (90 v'^) ; avec mère dans Sainte Madeleine (78); Sarde-
nai (38) ; etc.
Comme pour cri, la voyelle initiale se diphtongue quelquefois
et on trouve icre qui rime avec Pierre deux fois dans la Vie de Saint
Grégoire (vers 1190, 2798) ; et dans Fantosme, ^rt', qu'il faut proba-
blement lire iere, rime avec le même mot (au vers 204).
Il est beaucoup plus rare que Vr de cette forme soit redoublée
comme dans erre, qui se trouve dans la Folie (au vers 103), et qui
n'est peut-être qu'un lapsus calami (M. Bédier rétablit, au lieu de
qu'erre, qui ert).
Comme on le voit, cette forme, quoique très employée, s'est fort
bien conservée, et ne présente que des variations ou régulières ou
sans importance.
Erl, iert, eirf, ère, iere, erre, ces six formes ne sont pas spéciales à
572 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
ranglo-français et peuvent se retrouver dans certains dialectes du
continent.
Cette forme étymologique de l'imparfait de être est extrêmement
rare hors des textes littéraires : on peut en citer quelques exemples,
comme erent dans les Chroniques de Londres (1339, p. 73); mais
elle est absolument inconnue à la plupart des recueils de textes
politiques et diplomatiques.
• 2" forme. — La forme esteie ne présente rien de particulier : au
commencement, dans le Brandan, le Cumpoz et le Bestiaire, elle est
aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel, sensiblement
moins répandue que la forme en er. A partir des Psautiers, et dans
tout le reste de la littérature anglo- française, elle prédomine à toutes
les personnes ; au wx" siècle la proportion des formes analogiques
aux formes étymologiques est de 96/100 (Pierre de Langtoft).
3'' forme. — Le Frère Angier, dans la langue littéraire anglo-fran-
çaise, est le seul qui emploie la forme mixte eroie, combinaison du
thème latin er, et de la désinence française e(o)ie. Il l'emploie à
toutes les personnes, sauf à la seconde du singulier, dont nous ne
trouvons chez lui aucun exemple et à la seconde du pluriel '.
I. Cf. Paul Meyer, Rom. XII, p. 201.
CHAPITRE III
LE PRÉTÉRIT
I. Les prétérits faibles.
A. Les prétérits e;/avi'.
I . Leurs formes.
La première personne du singulier des prétérits faibles en avi est
régulièrement terminée par ai; les exemples que nous en avons
trouvés, sans être très nombreux, suffisent pour le montrer ; cette
désinence est seule employée au xii' siècle et elle est la plus com-
mune pendant la plus grande partie du xiii'^. On la trouve par
exemple à la rime jusque dans Sardenai : travai (: Sardenai) au
vers 3.
Vers la fin du xiii'^ siècle, la diphtongue ei remplace assez fré-
quemment la diphtongue étymologique, et cette nouvelle forme
devient relativement fréquente au xiv^ siècle, sans toutefois dépla-
cer la terminaison ai(y). C'est, aussi exactement que possible, à cette
même date que cette même diphtongue fait son apparition à la pre-
mière personne du singulier de ce prétérit dans les textes non litté-
raires.
Jean de Peckham par exemple a chaungey (1280, p. 128 et pas-
siui), quoiqu'il emploie aussi couramment l'autre diphtongue ;
Rymer nous donne acordei (1295, II, 676, etc.). Les Year Books
nous fournissent un nombre considérable d'exemples montrant
indifféremment l'une ou l'autre de ces diphtongues; nous en ver-
rons quelques-uns plus loin ; il est d'autant plus inutile de les citer
I. Voir Meyer-Lùbke, Beitriige zur roman. Laut-uiid Formculehre II, et daus
la Zeitschrift IX, p. 223.
574 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
ici que nous restons dans la plupart des cas ignorants de la date de
ces prétérits.
Donnons enfin quelques formes qu'on rencontre dans les Lettres
de Jean de Peckham ; elles sont isolées et peuvent n'être que des
fautes d'orthographe, mais c'est justement parce que ce sont des
fautes d'orthographe qu'elles présentent de l'intérêt au point de
vue phonique : cclehre- (1280, 94); esciiminic:^ (1280, 149); siiffrei
(1280, 99).
(Pour le passage de ai à oi et de ai à a, voir Désinences person-
nelles, i'^ personne du singulier, p. 55 sqq.)
Nous n'avons que peu d'observations à faire sur la troisième per-
sonne du singulier, les principales modifications qu'elle subit ne lui
sont pas particulières : elle les partage avec d'autres troisièmes per-
sonnes du singulier, et pour cette raison ces modifications ont été
déjà étudiées aux Désinences personnelles.
(Terminaisons en 5/, cf. p. 115.)
Comme terminaison spéciale aux troisièmes personnes du singulier
des prétérits en avi, nousrencontrons au xiii^ siècle les désinences en
ea, par exemple palniea à la page 5 1 de Foulques Fitz Warin ; dans
les Contes de Nicolas Bozon : trovea(^ ^8), pciisca (p. 159); iiiovca
dans Nicolas Trivet (folio 23 v°).
Dans les Year Books cette désinence est assez commune ; elle
semble toutefois assez tardive.
Cette désinence nous suggère deux remarques : d'abord Ye est
purement graphique, autant que nous pouvons nous en rendre
compte '. Ensuite cette désinence ne doit pas se confondre avec des
formes telles que cumcnceaiÇpav exemple Psautier d'Oxford, 76, 10),
cxakeat (dans le Psautier d"Arundel, G6, 10) où Ve sert à adoucir
la gutturale. M.iis il est très possible que les exemples irréguliers du
xiv^ siècle tirent leur origine des formes régulières du xii^ siècle.
Les formes en aa sont rares, nous n'en avons relevé d'exemple
que dans Nicolas Trivet, comme passaa au folio 8 r° ^
La première et la deuxième personne du pluriel se sont, elles
1. Cf. Stimniing, Boeve de Haumtone, p. 179, 1. 8; p. 180, L 5 sqq.
2. Le redoublement de l'a est particulier au prétérit, lorsque cette vovelle fait
partie de la désinence ; nous avons déjà vu Va du radical redoublé dans aa de avoir
(cf. p. 150).
LE PRETERIT 575
aussi, très bien conservées, la voyelle accentuée a ne subissant pour
ainsi dire aucun changement. Citons seulement la graphie an qui
apparaît à la fin du xiii'', ou plus vraisemblablement au xiV siècle.
Nous lisons par exemple dansRymer : iiiaiidaumesÇiiSi, II, 197);
loaiiiiies, grcauiiies, mvoyaiimes (1297,11, 749); chargeaumes (1323,
IV, 22); envciaiimes, Parliamentary Writs (I, 1300, 341). Dans la
Genèse Notre-Dame, on relève portaiistes et Irovaiistcs au folio 62 v°;
nous trouvons de même dans William de Waddington, au vers 3555
du Manuel des Péchés, reneiaiistcs qui rime avec une terminaison en
astes. Ces formes sont probablement dues aux scribes : en tous cas
ce ne sont que des graphies.
Nous avons parlé déjà (Désinences personnelles, i''' personne du
pluriel, p. 171 ; 2'= personne du pluriel, p. 203) de l'introduction
d'une s parasite (^mandasmes, grantasmes), et de la chute de 1'^ éty-
mologique (coiiiandates, ahuruales) à ces deux personnes.
La troisième personne du pluriel prend quelquefois, comme
voyelle tonique, a au lieu de e. Les seuls exemples que nous ayons
se lisent dans le Poème du Prince Noir : coronarent se trouve au
vers 171 1, alarefit au vers 2639 ; ou elles appartiennent à la langue
diplomatique et légale, comme : renunciarent dans les Rymer's
Foedera (1299, II, 841); conissarent (Year Book 13 et 14 Edw. III,
99)-
Comme on le voit cette désinence est assez rare, et les recueils
les plus corrects l'ignorent.
LE RADICAL
Vers la fin du xiii^ siècle et pendant le xiv" siècle, on trouve que
la terminaison produit sur le radical des effets que l'on n'avait pas
observés jusqu'alors.
Les verbes de I dont le thème est terminé par une r redoublent
souvent cette r devant la voyelle a : nous trouvons en effet dans les
auteurs littéraires : joitrnt de jurer dans la Chronique de Londres,
p. 4, à la date de 1262, et p. 22(1290) ; cette même forme devient
par la suite assez commune et elle se rencontre encore dans Nicolas
Trivet au folio 23 v^' ; daiiona est aussi employé dans la même
Chronique à la date de 1272, p. il, de même que dans les Mem.
576 l'évolution du verbe en anglo-français
Pari. 1305 aux §§ 117, 305 ; diirra se lit dans le même ouvrage,
p. 38 (13 14); desirra dans les Contes de Nicole Bozon, § 23.
Les exemples que nous venons de donner et plusieurs autres du
même genre se rencontrent en dehors de la littérature, spécialement
dans les Rymer's Foedera. On peut observer une tendance géné-
rale chez les verbes de I dont le thème se termine par r à redoubler
cette consonne au prétérit.
Il en résulte que, comme nous le verrons encore mieux plus
tard, ces verbes ont au prétérit la même forme qu'au futur, et ils y
arrivent par un développement phonique assez normal plutôt que
sous l'action de l'analogie.
On ne saurait nier toutefois que ce dernier temps a eu une action
assez forte sur le prétérit; car il y a encore d'autres prétérits qui
prennent aussi le thème du futur; ils se rencontrent dans Foulques
Fitz Warin et ce sont de véritables barbarismes que l'on peut sans
nul doute attribuer au scribe. Ce sont des prétérits en ai et ceux de
pouvoir et de vouloir à forme de futur ; ils sont trop nombreux
pour qu'on puisse les prendre, comme on serait tenté de le faire,
pour des lapsus calami : on trouve vodray (à la p. 38); vodia (aux
p. 20, 43, 51, 70) ; purrei (p. 45).
Il est fort possible que l'identité jurra, demorra, durra, desirra,
etc. (futur), jurra, demorra, durra, desirra (prétérit), ait fait
provenir les nouvelles formes vodra, piirra (prétérit) des formes
régulières vodra, purra (futur). Néanmoins cette confusion est bien
extraordinaire.
2. Les acquisitions.
En anglo-français, nous trouvons un nombre considérable de
verbes de II, de III et de IV qui prennent au prétérit la forme des
prétérits en avi ; toutes les conjugaisons n'ont pas été également
atteintes par les formes analogiques, et dans une même conjugaison
on peut observer que certaines personnes prennent plus vite et plus
souvent que les autres les désinences du prétérit de I. Ce sont surtout
les troisièmes personnes du pluriel du prétérit en irent qui, à toutes
les époques de la littérature anglo-française, ont pris le plus commu-
nément la désinence erent. Aussi nous diviserons notre étude en deux
parties ; troisièmes personnes du pluriel en irenl, autres personnes.
LE PRETERIT 577
a) Troisièmes personnes du pluriel en iroit '.
Le fait de remplacer à la troisième personne du pluriel la termi-
maison ireiit par erent est à peu près aussi ancien que la littérature
anglo-française ; le voyage de Saint Brandan nous en fournit déjà
un premier exemple : chosscreiit pour choisir (au vers 465); cet exemple
pourrait être laissé au scribe (1167). Et c'est évidemment jusqu'à
cette dernière date qu'il f;mt reculer la rime oiercnt : joierent que l'on
trouve dans le même poème (vers 857). Le Psautier d'Arundel nous
offre aussi un exemple de ce changement de désinence ; nous y lisons
en effet establerent (16, 12) ; enfin le dernier exemple que nous
ayons relevé au xii^ siècle se lit dans la Vie de Saint Gilles : c'est
siiuierent (au vers 1669); on pourrait encore l'attribuer au scribe et
le rejeter ainsi au xiii'^ siècle.
Comme on le voit, sans être nombreux (même l'exemple du
Saint Gilles mis à part), les cas où un prétérit en irent prend la
terminaison en erent sont assez fréquents pour qu'on puisse con-
clure que dans la seconde moitié du \u° siècle, les prétérits en avi
attiraient déjà à leur troisième personne du pluriel les verbes de II
(cf. Infinitif).
Le xiii" siècle va du reste nous fournir un nombre considérable
de ces désinences en erent affectées à des verbes de IL II n'y a qu'un
petit nombre de ces cas qui soient attestés par la rime : nous pou-
vons citer dans la Genèse Notre-Dame : giierperent {: chantèrent) (au
folio 65 v°) ; dans l'Erection des Murailles de New Ross nous avons
encore asenterent (: alerent) (au vers 19), et plus tard, dans
l'Apocalypse : isserent (: ressemblèrent) (92^); il est plus commun
au xiii*" siècle de rencontrer des rimes comme finicrcnt (: descen-
dirent) (Genèse, 48 v°), oyerent (: départirent) (dans le Saint
Edmund, au vers 2665), oyerent (: tendirent) (ibid., 2709), syverent
(: virent) (au vers 547 de Dermod).
Même ces rimes, comme nous le verrons dans la seconde partie
de ce travail, ont leur importance.
Nous rencontrons des exemples de ^r^/z^ pour irent beaucoup plus
I. Cf. Romaiiia XXXVI, p. 88, uotc ; Zcitschrift II, p. 543 ; Suchicr, Ueber...,
p. 47.
37
578 'l'évolution du verbe en anglo-français
fréquemment dans le corps des vers ; nous n'en citerons que quelques-
uns, dans Timpossibilité où nous sommes de décider s'ils appar-
tiennent aux auteurs du xiii'- ou aux scribes du xiii'' et du xiv= siècle.
Nous en trouvons un très grand nombre dans le Saint Edmund,
trop grand même pour qu'ils appartiennent tous à l'auteur ; il est
donc plus sage de les attribuer au scribe, comme les rimes impar-
fliites que nous venons de citer nous porteraient du reste à le faire :
la date du ms. du Saint Edmund est environ la tin du xiii^ siècle.
On trouve par exemple dans ce poème : oycrcut (170, 248,
265), vesqnicroil (430, etc.). Dans Boeve, les exemples de cette
attraction sont au moins aussi communs : oierent se retrouve
au vers 587 ; saikrent est employé au vers 2580; sayscnmt au vers
2582 ; fmrent (de fuir) au vers 2935 ; citons encore ferercnt (ferir)
(3-37)5 isserent (3536), etc. La Genèse ne manque pas non plus de
formes analogues ; beaucoup d'entre elles ne font que répéter celles
que nous avons déjà vues, comme oyerent qui se trouve plusieurs
lois (par exemple au folio 51 r°), asailerent (-15 r° et passivi); on
peut y ajouter une forme que nous n'avons pas encore rencontrée et
qui va devenir par la suite très commune : hayerenl de haïr (au folio
44 i-°)-
Asailerent apparaît de nouveau au vers 1037 de Dermod et une
nouvelle forme /â!/)^;-^?// est employée au vers 731 du même ouvrage;
citons encore f aillèrent, très fréquemment employé par la suite et qui
se trouve par exemple au vers 1404 de William de Waddington.
Ajoutons encore une autre forn.e : escoperent, qui se lit dans le Ser-
mon en vers Deu le Omnipotent (44 d).
Au xiv^ siècle, nous retrouvons les mêmes exemples que dans les
auteurs du siècle précédent : issierent, empliereni aux vers 397, 420,
947 de la Destruction de Rome ; oyerent dans Foulques Fitz Warin
(à la page 18) ; dans les Contes de Bozon (au § 85), dans Nicolas
Trivet (46 v°), etc. Et encore les formes que nous avons déjà vues :
asaylerent dans Foulques Fitz Warin, encore page 46 et passiin ;
etfailereiil à la date de 13 14, page 38 de la Chronique de Londres.
Tous les verbes précédents prennent régulièrement erent à la
troisième personne du pluriel du prétérit ; les formes en / sont
rares (asaylirent à la page "68 de Foulques Fitz Warin) ou
absentes. Quelques autres verbes, sans employer cette forme avec
la même régularité que ceux qui précèdent, apparaissent le plus sou-
LE PRETERIT 579
vent avec la désinence des prétérits en avi à la troisième personne
du pluriel ; on peut citer parmi ceux-ci joierent qu'on trouve dans
l'Apocalypse (Jj, 573) ; dans Nicolas Trivet (19 r°) et ailleurs.
Citons enfin quelques-unes de ces formes qui sont extrêm ment
abondantes dans Nicolas Trivet : foivciriit (5 v°) ; hcicrcnt que nous
avons déjà rencontré (6 v°) ; choiscrent (14 r°); ciiscvilereiit (17 v°) ;
eiiiplerent Ç62 y°) ; coil lèvent Ç^^ r°).
Ce n'est pas une exagération de dire qu'avant la fin du xiv*^ siècle^
tous les verbes de la deuxième conjugaison ont à la troisième per-
sonne du pluriel de leur prétérit la terminaison erciit, la terminaison
régulière a pour ainsi dire entièrement disparu.
Les formes que nous avons citées nous donnent le caractère essen-
tiel du phénomène qui nous occupe, et nous arrêterons un instant
cette liste d'exemples. Ce que nous venons de dire du passage à
erenf de la désinence de la troisième personne du pluriel en irerit et
les quelques exemples que nous avons déjà cités suffisent pour
montrer clairement quelles analogies ou plutôt quelle identité il
montre avec le changement qui affecte les infinitifs de la seconde
conjugaison. Nous pourrions nous demander maintenant si le phéno-
mène dont nous venons de parler n'est pas simplement un résultat
de celui que nous étudions à l'infinitif? Cela ne nous semble pas
probable. Si les troisièmes personnes du pluriel en erent pour irent
étaient des formations analogiques, nous devrions observer, entre
celles-ci et la modification que nous montrent les infinitifs de II,
un certain intervalle de temps ; il faudrait que la terminaison en er
dans ces derniers ait eu le temps de prendre une apparence régu-
lière et usuelle avant de pouvoir gagner d'autres tormes. Or, c'est
exactement à la même époque que nous remarquons les premiers
exemples de ces deux phénomènes (ri6o), et- nous sommes parfai-
tement certains que ni l'un ni l'autre de ces phénomènes ne saurait
avoir une date plus reculée.
En second lieu, si c'était l'analogie qui avait produit la nouvelle
forme des troisièmes personnes du prétérit, nous devrions rencontrer
cette nouvelle terminaison en cr et en ercnl aux mêmes verbes dès
le début. Ce n'est pas cela qui a lieu. On a d'uncàié pi ai ser, repeiiler,
donner, de l'autre chossereiil, oierenl, joiereiil. Donc les deux phéno-
mènes sont bien indépendants; mais, comme nous nous attacherons
à le démontrer, ils proviennent de la même cause.
580 l'évolution du verbe en anglo-français
Nous avons cité ci-dessus les exemples qui nous paraissent les plus
importants ; ajoutons-leur rapidement quelques verbes qui, sans
appartenir à la seconde conjugaison, subissent le même changement.
Et les exemples qui suivent auront l'avantage de nous montrer
que le phénomène qui atteint la troisième personne du pluriel du
prétérit est indépendant ^du passage à l'infinitif de ir à cr. Nous
citerons ces quelques exemples sans trop nous attarder sur les dates
auxquelles il faudrait les rapporter.
Quelques-uns d'entre eux se rencontrent très fréquemment ; la
troisième personne du pluriel de suivre, par exemple, est le plus
souvent, à partir de la seconde moitié du xiii^ siècle, en erent ;
quelques textes du xii^ siècle nous montrent déjà cette forme, comme
la Vie de Saint Gilles qui a (au vers 1669) skuiercnt ; au xiii^ siècle
le même verbe apparaît dans la Plainte Notre-Dame (aux vers 44
et 50), sous la forme swyerent ; deux fois aussi dans Dermod l'on
trouve suèrent (vers 691, 739) et une fois syverent ( : virent) (au
vers 547). L'Apocalypse en a aussi plusieurs exemples : sucrent (v,
809); skvereiit (_^[, 11 64); on trouve du reste dans le même ouvrage
siiuirent Qj, ii6z|); etc.
Aucun autre verbe ayant irait à la troisième personne du pluriel
du prétérit ne prend Ve tonique à cette personne du pluriel aussi
fréquemment que suivre ; en voici quelques-uns qui se rencontrent
quelquefois : pnrvciercnt employé dans la Genèse Notre-Dame
(72 r"); defenderent qui est employé deux fois dans Dermod (vers
2000 et 2360) ; cheierent (: aorerent) dans l'Apocalypse (a, 346) ;
et chaierent (7, 335) dans le même poème ; la même forme se
rencontre dans Nicolas Trivet (au folio 31 r°). Descenderent est aussi
employé dans les Contes de Nicole Bozon au § 82 ; dans les Chro-
niques de Nicolas Trivet au folio 14 r° et dans un grand nombre
d'autres cas. Du même genre est defendere?it qu'on trouve dans
Foulques Fitz Warin à la page 46.
Nous pourrions ajouter un nombre d'exemples beaucoup plus
considérable ; mais nous nous contenterons d'en soumettre un de
plus, discutable, il est vrai. On trouve aux §§ 81 et 84 de Bozon
vierent pour virent; mais il est fort possible qu'on ait ici une graphie
assez peu commune pour / : (pour ie = /, cf. Stimming, p. 187 et
Suchier, Voyelles, p. 87, 29 e).
Dans cette liste, un peu longue déjà, il se trouve des verbes qui
LE PRÉTÉRIT 58 1
ne sont employés que beaucoup plus tard avec un infinitif en er,
suivre par exemple, ou défendre.
Nous n'avons pas l'intention de citer tous les verbes qui, dans
la langue politique, diplomatique, familière et légale, prennent la
désinence crcnt au lieu de ircnt ; nous nous contenterons de signaler
ceux qui sont les plus employés ou, à notre avis, les .plus remar-
quables. Sofrerent se trouve partout, par exemple dans les Statu tes
(1321, I, 184), dans Rymer, dans les Literae Cantuarienses etc.
Il en est de même pour enjoierent, responâerent, hatterent, assen-
icrent, oierent, qui n'apparaissent plus que très rarement sous la
forme étymologique; ces verbes semblent avoir passé sur ce point
à la première conjugaison. Nous pouvons cependant ajouter
quelques remarques à propos de la distribution des autres nouvelles
formes en erent dans nos diiférents recueils, car on peut relever des
variations considérables.
Les Statutes, par exemple, et tout d'abord, sont relativement
très corrects à ce point de vue encore ; le nombre de prétérits en i
qui prennent une troisième personne du pluriel en erent est très
minime ; le premier cas que nous ayons relevé de ce passage, c'est
le sofrerent que nous citions tout à l'heure, et la date à laquelle il se
trouve est 1321. Les autres cas qu'on rencontre sont très clairsemés
pendant la première moitié du xiv^ siècle, tandis que les troisièmes
personnes du pluriel en ireut sont fréquentes.
Vers la fin de ce siècle, les personnes irrégulières deviennent un
peu plus nombreuses. Ce que nous venons de dire s'applique aussi,
mais dans une moindre mesure, aux Parliamentary Writs qui ne
nous ont fourni qu'un nombre très restreint d'exemples; beaucoup
moins bien encore aux Mem. Pari. 1305 ; dans ce dernier recueil
les formes sont relativement très nombreuses.
Dans les Rymcr's Foedera, la correction laisse encore plus à
désirer; les troisièmes personnes du pluriel qui prennent la dési-
nence erent au lieu de irent deviennent extrêmement communes
après 1295. Nous rencontrons toutes Tes formes que nous avons-
citées dans les lignes qui précèdent et un assez grand nombre de
nouvelles. Nous ne donnerons qu'un exemple qui est spécialement
commun dans ce recueil : faillcrcnt (1297, II, 783); cette citation
était du reste parfaitement inutile, nous aurions pu nous contenter
de dire que la plupart de terminaisons en irciil, sinon toutes,
prennent, à l'occasion ou constamment, la forme en erent.
582 l'évolution du verbe en anglo-français
Les Literae Cantuarienses, ou si l'on veut la littérature familière
de cette époque, nous en donnent un grand nombre, moins consi-
dérable toutefois que dans les Rymer's Foedera ; quant aux textes
de langue légale, il nous suffira de dire que la terminaison en ireiil
y est très rare et a presque complètement disparu.
Autres acquisitions.
Dans la section qui suit, nous étudierons : 1° les troisièmes per-
sonnes du pluriel autres que celles de la seconde conjugaison qui
prennent la forme des prétérits en avi; 2° toutes les autres per-
sonnes des seconde, troisième et quatrième conjugaisons qui nous
montrent cette même forme.
a) Les troisièmes personnes que nous avons à citer maintenant
sont celles qui dans cette section nous donneront le plus grand
nombre d'exemples. Mais nous croyons, sans en être absolument
sûrs, d'abord que ces nouvelles terminaisons en ercnt sont sensible-
ment plus récentes que celles que nous ont fournies les prétérits en
ivi, ensuite que l'origine de ces nouvelles formations n'est pas la
même que celle des formes que nous avons déjà énumérées.
Ces troisièmes personnes du pluriel proviennent d'abord des
prétérits en ni, et il semble que les premiers exemples que nous
en trouvions soient fort anciens. Nous en avons un en effet dans
les Légendes de Marie d'Adgar : volèrent (XI, 137).
Puis la volèrent en hait pendre.
Cette forme, barbare pour le xii^ siècle, semble assurée par la
mesure du vers ; mais nous ne pouvons pas nous prononcer d'une
fiiçon absolument certaine, car nous n'avons pas les variantes
pour ce vers. On pourrait probablement lire voleient.
Ce n'est guère que vers la fin du xiii'^ siècle que nous commen-
çons à rencontrer assez communément des formes comme celle
d'Adgar, et cette date correspond bien avec celle du manuscrit des
Légendes de Marie. Le ms. B de Boeve de Haumtone nous donne
avèrent (pour le vers 2475); la Genèse Notre-Dame nous donne
aussi curèrent (au folio 73 r°), et on pourrait citer un petit
nombre d'exemples analogues dans les ouvrages de la fin de ce
siècle.
LE PRÉTÉRIT 583
Mais c'est surtout au xn"^^ que nous trouvons des exemples assez
nombreux en même temps qu'assurés. L'Apocalypse nous a montré
la première rime : aparerent qui rime avec ressemblèrent (y, 53 ;
^ 451). Cette même forme est employée dans les Contes de Nicole
Bozon (au § 84), dans la Chronique de Nicolas Trivet (cf. folio éo
v°) et dans quelques Year Books assez récents. Citons encore
vioverent (cf. d'ailleurs niovea, cité plus bas) que nous lisons dans ce
dernier ouvrage (folios 37 r°, 63 v°). Nous conclurons que ces
formes sont assez peu communes et que, en dépit des apparences
de l'exemple des Légendes de Marie, elles n'apparaissent pas avant la
fin du xiii^ siècle.
Ce sont les mêmes conclusions auxquelles nous arriverons pour
les désinences en erent provenant de prétérits en si. Le xiii*^ siècle
ne nous a donné que siirderent qui se lit dans la Genèse Notre-
Dame (folio 44 r°) ; le xiv^ nous en offre davantage : nous trouvons
dans le ms. L de Chardri satis fièrent, pour le vers 1803 du
Josaphat. Même Pierre de Langtoft dans sa Chronique n'en a qu'un
nombre insignifiant de cas. Citons une forme qui se trouve dans ce
poème et qui deviendra très commune dans les textes légaux delà
fin du xiv'^ siècle : pkynerent. Les ouvrages en prose nous montrent
certainement un nombre plus considérable de ces formes, et
quelques-unes doivent dater du xv^ siècle. Outre celles que nous
venons de voir, nous pouvons citer despiserent, que nous trouvons
dans la Chronique de Nicolas Trivet (au folio 63 r°), asseyerouni
dans le même ouvrage (au même folio) ; metterent, escriverent,
enoynlerenl, toujours dans Nicolas Trivet (respectivement aux folios
28 \°, 25 v°, 43 r"). Ces quelques formes nous ont paru assez
rares ; il n'en est pas de même pour ardèrent qui terminera notre
liste d'exemples ; nous le trouvons en effet dans Pierre de Langtoft
(I, 346, 9), dans Foulques Fitz Warin (page 29) et dans plusieurs
autres auteurs.
Certaines des formes précédentes peuvent nous inspirer quelques
doutes. Nous verrons plus tard que les troisièmes personnes du
prétérit : surdrent, ardrent, enoyntrent, ou des formes analogues, ne
sont pas rares. Les formes que nous venons de citer ne peuvent-
elles pas dans certains cas provenir de ces prétérits par l'introduction
d'une sorte d'c svarabhaktique ? Nous ne saurions pas alors si cet e
reçoit l'accent tonique. La question est de mince importance puisque
584 l'évolutiox du verbk en anglo-frakçais
nous sommes à peu près certains que ni apparercnt ni luoverenl, etc.
n'ont cette origine.
Comme on le voit, le nombre de ces nouvelles formes de la
troisième personne du pluriel des prétérits en si qui prennent la
désinense en crcnt est minime, et ces formes sont récentes. On ne
peut donc les comparer à ces acquisitions que les prétérits en ivi
et en / ont fournies à la classe des prétérits en avi pour cette per-
sonne. C'est que, comme nous nous efforçons de le montrer dans
notre seconde partie, ce dernier changement est d'origine pure-
ment phonique, tandis que les autres nouvelles forinations sont
analogiques.
Avant d'abandonner la question, nous allons montrer que nous
pouvons observer le mêhie état de choses dans les textes qui n'appar-
tiennent pas à la littérature. Ici encore ce sont les troisièmes per-
sonnes du pluriel qui dominent; dans les Statutes même, nous en
relevons un certain nombre de cas, par exemple inoverent (1327, I,
252); retrahercnt (1360, I, 269); rcceiverent (1362, I, 373); mais,
comme on le voit, ces formes, qui sont les seules que nous ayons
rencontrées, se trouvent à peu près isolées, et séparées les unes des
autres par un intervalle de temps assez considérable.
Les Early Statutes of Ireland nous en offrent un nouveau cas :
poierent (1286, 96); les Parliamentary Writs ont moverent (1325, I,
705); les Mem. Pari. 1305 ont toîkreut (§ 127 et § 388); ardèrent
(S ^S7y, devcreiit (§ 88).
Néanmoins dans la langue politique, il est évident que les formes
correctes se conservent assez bien ; les formes qui ne le sont pas se
rencontrent cependant assez tôt : 1286, 1305, 1327; mais leur
nombre n'augmente pas sensiblement ; de plus, on voit que les pré-
térits en ni et les prétérits en si sont à peu près également
atteints.
Dans Rymer les nouvelles acquisitions de la classe en avi à la
troisième personne du pluriel sont plus nombreuses, et on en
trouve dans ce recueil des cas assez curieux ; le plus ancien que
nous puissions citer se lit en 13 10 : solerent (III, 200); pendant la
seconde moitié du xiv^ siècle, les exemples augmentent d'une
manière considérable, on retrouve quelques-unes des formes que
nous avons déjà citées et quelques nouvelles, comme tenercnt pour
tiendrent (1360, VI, 244). Les Literae Cantuarienses en offrent
LE PRÉTÉRIT 585
plusieurs, entre autres traierent (1369, 916); les Letters from Nor-
thern Registers ont ^g/r«wi-^ra/^ (1347, 390), ardèrent (id.. ibid.).
Surtout, comme tout à l'heure, la Chronique de Londres nous
fourniraient une moisson abondante : citons parmi les formes que
nous avons relevées : treyerent, morerent, ardèrent (qu'on trouve res-
pectivement aux dates et aux pages suivantes : 1340, 71 ; 1324,
38; 1315. 39; 13^0,79)-
Nous n'insisterons pas sur les formes que nous rencontrons dans
les Year Books ; nous en trouvons un assez fort nombre de nou-
velles ; mais leurs dates sont la plupart du temps assez difficiles ou
impossibles à déterminer. Cependant quelques formes sont répétées
constamment, en voici les principales : morerent (13 et i-| Edw. III,
143) ; coniserent (13 et 14 Edw. III, 99, 109); pleynereui (33 et 35
Edw. ¥', 413).
Par conséquent, ce que nous trouvons en dehors des œuvres
littéraires n'est pas de nature à changer les conclusions que nous
exposions à la suite de notre étude des ouvrages littéraires. Ces
nouvelles formes sont probablement dues à l'analogie ; elles sont
relativement peu nombreuses et appartiennent à une époque assez
tardive.
h) Nous commencerons par citer un verbe qui passe en entier à la
classe des prétérits Quavi: ester et ses composés. La première forme
assurée que nous connaissions se rencontre à la rime dans le Ser-
mon envers de Guischart de Beauliu : cuntrestai (au vers 1187).
Par la suite, les formes analogiques deviennent plus communes
même à la rime. Néanmoins l'autre forme reste dans la plupart des
auteurs la forme la plus commune, comme nous le verrons en étu-
diant les prétérits en ///.
Pour les autres verbes, nous pensons que le plus grand nombre
de ceux que nous rencontrons sous la forme d'un prétérit de I ne
sont que des acquisitions partielles, si on peut dire, car ils ne
montrent qu'une ou deux personnes, rarement plus, avec cette
forme.
Les troisièmes personnes du singulier sont assez nombreuses
avec la terminaison a, quoique leur nombre n'approche pas de
celui de la troisième personne du pluriel. De plus nous n'en trou-
vons qu'au xiV' siècle et leurs formes ne sont jamais assurées par
la rime, ce qui nous permet de supposer qu'elles proviennent sou-
586 l'évolution du vhrbe en anglo-français
vent Je l'ignorance des scribes. Nous rencontrons un assez grand
nombre de verbes de II sous cette forme : voma, dans rApocal3^pse
(3^ 682); giieiicha, dans le Roman de Foulques Fitz Warin (p. 1 10),
et dans la Chronique de Nicolas Trivet : quilla, rcpciita, asscula
(respectivement aux folios 2 r°, 13 v°, 46 r°).
Aux autres conjugaisons nous trouvons un nombre relativement
moindre d'exemples. Le scribe de la Vie de Saint Edmund écrit
trea (pour le vers 1217). Nous attribuerions aussi au scribe les
quelques formes analogiques que nous trouvons dans le corps du
vers de la Genèse Notre-Dame : cundiat (de cunduire) et niaynat
(respectivement aux folios 44 v° et 49 v°). Plus barbare encore est
le prétérit vodra que nous lisons dans le roman de Foulques Fitz
Warin (pp. 20, 43, 45, 51, 70) (cf. aussi vodrai).
Sourdre, que nous avons vu prendre à la troisième personne du
pluriel la forme soiirdcrent, apparaît très fréquemment à la troisième
personne du singulier sous la forme sourda ; on en trouve des
exemples dès le commencement du xiV siècle, comme dans Pierre
de Langtoft (i^"" Appendice, II, 416^ 6); Nicole Bozon n'a pas un
trèsgrand nombre de ces formes nouvelles; nous n'avons trouvé que
coiiihala au § 21 ; et au § 46, entenda. Elles sont plus nombreuses
dans Nicolas Trivet ; citons seulement despisa (au folio 14 r°) et
uiovea (au folio 23 v°) (cf. d'ailleurs despiserent et nioverent qui
sont employés par le même auteur cité plus haut).
Au contraire, en dehors de la littérature, la troisième personne du
singulier nous fournit un nombre de cas proportionnellement beau-
coup moins considérable ; par exemple dans tous les écrits poli-
tiques, la seule forme nouvelle en a que nous ayons trouvée, c'est
poiat dans les Statutes (1387, II, 47) et le t final nous porte à croire
que nous avons affaire ici à un imparfait de l'indicatif. Rymer a la
même forme avec un s paragogique : poast (1348, V, 612); à côté
de cette forme douteuse, on peut encore citer feina qu'on lit dans
le même recueil sous la date de 1360, éo; et dans les Documents
Inédits poiûst (1382, 326) ; ireia et rescua (1346, 80).
Dans les textes de la langue légale, les exemples sont plus com-
muns; ils sont même abondants, comme oya, dtparta, valu, issa,
conissa qui sont répétés en divers endroits.
Les première et seconde personnes du pluriel sont beaucoup plus
rarement attirées à la forme des prétérits en avi et on ne les trouve
LE PRÉTÉRIT 587
que dans les auteurs les plus incorrects; non seulement on n'en
rencontre aucun cas dans la langue politique mais les Rymer's
Foedera n'en offrent qu'un exemple : sortames (1294, II, 620), que
l'on pourrait fort bien cette fois considérer comme un lapsus
calami ; dans les Documents Inédits, on relève vivantes (1346, 81);
dans le Registrum Palatinum Dunelmense : poatties,savauics (13 11,
i). Dans les œuvres littéraires, nous n'en avons relevé qu'un seul
cas dans un ouvrage en prose du xiv'' siècle : c'est enclosanies, qu'on
lit à la p. 21 de Foulques Fitz Warin.
Tous ces exemples ne prouvent guère qu'une chose : l'ignorance
profonde du français de ceux qui, scribes ou auteurs, ont écrit ces
formes ; du reste on v^oit qu'elles sont rares.
La form.e luaiidiastes qui, au vers 3554 du Manuel des Péchés,
riue avec reneiaustes, est un cas sensiblement différent; William
de Waddington ne connaît pas le verbe maudire, mais le verbe
maudier; c'est un changement total de conjugaison.
Ces barbarismes sont plus fréquents dans les Year Books, où on
lit des formes comme bâtâmes (20 et 21 Edw. P', 313); eains (32
et 35 Edw. I", 467) yvcasmes (ri et 12 Edw. III, 455); poaiiies
qui est très fréquent (13 et 14 Edw. III, 119). La seconde personne
du pluriel se conserve mieux, ce n'est que dans les Year Books
qu'on trouve des formes comme pesâtes (pestre) (33 et 35 Edw. F'',
449); ahatastes {12 et 13 Edw. III, 129).
Quant aux deux personnes que nous n'avons pas encore exami-
nées, la première et la deuxième du singulier, nous ne pouvons
pas arriver à des conclusions bien précises. Tout d'abord, nous
n'avons relevé aucun exemple d'une acquisition des prétérits de
I à la seconde personne, ni dans les textes littéraires, ni dans les
autres; citons cependant a)/;///;?i/(75' du Psautier d'Arundel (143, 9),
lapsus calami évident. Pour la première, il se rencontre un assez
grand nombre de formes qui peuvent être des nouvelles formations ;
mais pour ces personnes, un doute subsiste toujours ; il est sou-
vent impossible de dire si nous avons un prétérit analogique ou un
imparfait qui a perdu son e final ; des exemples de premières per-
sonnes que nous allons citer, il est probable que quelques-unes,
dans l'esprit de l'auteur, étaient des imparftits; mais il n'est pas
moins assuré que nous devons avoir un certain nombre de prétérits.
Pouvoir prend fréquemment la forme poai ; nous en avons proba-
588 l'évolution du verbe en anglo-français
blcmcnt un exemple au xiii'^ siècle au vers 6 no de William de
Waddington ; dans Pierre de Langtoft (I, 34, 12); de même dans
le 2" Appendice de Pierre de Langtoft (II, 440, 6).
Dans certains recueils politiques ou diplomatiques, familiers,
nous trouvons encore des exemples de la même forme qui ne nous
laissent aucun doute : dans les Letters from Northern Registers
(1326, 334) ; dans certains passages de Rymer ; dans les Year Books
où elle est très commune (par exemple 13 et 14 Edw. HT, p. 119,
319)-
Pour ce même verbe, nous rencontrons d'ailleurs, comme nous
l'avons vu précédemment, d'autres personnes qui ont pris le pré-
térit de I, poiat par exemple et poanies, ce qui rend plus vraisem-
blables les conjectures que nous sommes forcés de faire pour la pre-
mière personne.
Nous trouvons- encore un certain nombre d'autres premières per-
sonnes de prétérits en ai, prenant la forme des prétérits en avi ;
nous avons déjà cité la forme extraordinaire qu'on rencontre dans
Fouques Fitz Warin : piirra, p. 45 ; citons encore créai qu'on lit
dans le Manuel des Péchés de William de Waddington et qui
semble être aussi un prétérit ; et sa forme est assurée par la rime
(: cuntai) (vers 5810) ; vodray dans Foulques Fitz Warin (p. 38),
forme confirmée par la troisième personne vodra (20, 43, 51, 70)^
forme si fréquente dans ce roman et que nous avons eu l'occasion
de citer; estay à-A.\\s Pierre de Langtoft (II, 116, 14), exemple plus
douteux.
De même les formes suivantes tirées des Year Books nous pro-
duisent la même impression : brayay de braire (33, 35 Edw. P"",
123), fessey (id. , 159); pesey de pestre (id., 449) et conussai qui est
très fréquent et montre les formes des prétérits en avi h. toutes les
personnes.
Toutes les formes qui précèdent n'offrent pas le même degré de
probabilité ; il est simplement possible que chacune d'elles soit un
prétérit. Remarquons toutefois que nous ne nous trouvons jamais
dans l'incertitude lorsque nous lisons certains textes comme les
Statures ; pour ce recueil, nous sommes parfaitement sûrs qu'aucune
forme irrégulière du prétérit en ai ne s'est introduite dans la conju-
gaison.
Nous sommes toutefois assurés de rester dans les limites de la cer-
LE PRÉTÉRIT 589
titude en n'admettant comme reformation à la première personne
que les formes qui sont corroborées comme telles à la troisième
personne du singulier et à la rigueur du pluriel. Des exemples qui
précèdent, nous pourrons donc admettre comme assurés : pouvoir
et vouloir.
B. Les pré 1er ils en ivi.
I . Les Formes.
Les prétérits en ivi ne présentent pas une très grande variété
dans leurs formes ; les différentes personnes se sont maintenues
assez régulièrement pendant les trois siècles de la littérature anglo-
française ; aussi nous n'aurons qu'un tout petit nombre d'observa-
tions à présenter.
La première personne est ordinairement en /, écrite 3' (cf. Ortho-
graphia Gallica, H 92;T 17; C 25) pendant le xiv^ siècle. Les
exemples de l'une et l'autre forme sont nombreux, mais il nous
semble peu utile d'en citer.
De temps en temps, nous trouvons que cette première personne
prend une s comme dans chaïs (: dis) dans Adgar (VIII, 233); ou
saisis zu vers 1554 '^^ Horn ; c'est une remarque que nous avons
déjà eu l'occasion de faire lorsque nous avons traité de \'s analo-
gique à la première personne du singulier (cf. Désinences per-
sonnelles, p. 34).
La deuxième personne du singulier est tout aussi régulière ; la
seule forme qui ne le soit pas tout à foit se rencontre dans Boeve
(au vers 280) : inentes, alors que la terminaison régulière se trouve à
la rime pour le même verbe au vers 3584 (: mis).
11 arrive de trouver fréquemment à la troisième personne du
singulier la terminaison ist ; nous avons vu que la dentale à la
troisième personne des prétérits en ivi a commencé à disparaître
dès le début du xu'^ siècle, comme nous le montrent les rimes
de Cumpoz (irio). Elle était cependant restée dans un grand
nombre de cas dans l'écriture et même dans la prononciation {d.
Désinences personnelles, troisième personne du singulier, p. 113).
Du jour où IV dans les terminaisons régulières en ist se tutamuie,
les auteurs qui maintiennent la dentale dans l'écriture là même
où elle a disparu de la prononciation la conçoivent sous l'influence
590 L EVOLUTION DU VERBB EN ANGLO-FRANÇAIS
des prétérits en si comme appuyée d'une s. De là vient le nombre
. considérable de terminaisons en isl pour la troisième personne des
prétérits en ivi ; nous en trouvons déjà dans le Psautier d'Arundel:
eisislÇjS, 4) ; flurist (37, 10); nous avons des exemples encore plus
concluants dans Gaimar ; chez cet auteur nous trouvons un certain
nombre de troisièmes personnes du singulier de prétérits en ivi
rimant avec des troisièmes personnes du singulier de prétérits en
j>/, comme : langiiist (: mesfist) au vers 1143; marist (: assist)
au vers 2010; rcspkiidist (: fist) au vers 6107 ; dans le corps du
vers, nous avons un nombre beaucoup plus considérable de cas
analogues.
Les exemples tirés des auteurs du siècle suivant pourraient être
multipliés : qu'il nous suffise de citer un petit nombre de formes
qui nous montreront avec quelle liberté et aussi quelle irrégularité
les auteurs du xiii^ siècle et du xiV emploient ou rejettent cette ter-
minaison. Boeve emploie à la rime avec fist, oist (vers 303),
frciiiisl (vers 304), fcrist (vers 305) ; dans Sardenai on trouve
rimant ensemble (au vers 178) obeïsf et preïst; le xiv^ siècle
écrit aussi cette s, mais il nous a semblé que les exemples fournis
par les auteurs de ce siècle sont moins nombreux. Les rimes du
reste deviennent dans la plupart des œuvres en vers si irrégulières
qu'elles ne sauraient prouver quoi que ce soit. (Cf. Désinences
personnelles, troisième personne du singulier, p. 119.) La même
raison (amuissement de l'i devant /) explique le phénomène contraire
que l'on observe à la deuxième personne du pluriel ; 1'^ étymolo-
gique disparaît souvent, cela a lieu même dans certains textes du
xii^ siècle ; il est plus vraisemblable d'attribuer aux scribes du
xiij^ siècle les formes comme sitffritcs que nous rencontrons au
vers 1136 du Saint Gilles (ms. du xiii- siècle).
Au xiii*^ siècle toutefois, nous relevons des exemples très sûrs,
ainsi la rime très probante du Petit Plet de Chardri : iiasqnilés
(: quites) au vers 315 (cf. Désinences personnelles, deuxième
personne du pluriel, p. 203).
Avant d'en finir avec l'évolution des formes des prétérits en ivi,
nous avons à signaler encore une forme spéciale de la troisième per-
sonne du pluriel, terminaison qui correspond exactement avec une
désinence (Jt) que nous avons déjà observée dans les participes
passés; cette nouvelle terminaison des prétérits est la terminaison
ierent.
LE PRETERIT 59 I
Cette terminaison n'est pas rareau xiv^ siècle; malheureusement
nous n'avons pas pu la rencontrer à la rime : il est à croire que
dans cette terminaison is a la même valeur qu'au participe passé.
Cette terminaison se trouve avec des verbes de I ; mais ici,
comme nous n'avons pas de rime, il nous est impossible de savoir
si nous n'avons pas une terminaison ierent étymologique ou ana-
logique. On rencontre en outre des verbes de II : snuicrcni au vers
1669 du Saint G'xWts, escharnierent z la page 63 de Foulques Fitz
Warin, etc. ; même des verbes de III, comme vicreiit aux §§ 8r et
84 des Contes de Nicole Bozon ; et des verbes de IV : par exemple
riercnt à la page 63 de Foulques Fitz Warin.
Néanmoins il nous est impossible de savoir si les exemples pré-
cédents sont des formes nouvelles provenant des prétérits en ivi ou
des acquisitions des prétérits en avi.
Un certain nombre de verbes reproduisent simplement à leur
prétérit la forme du prétérit latin : transit dans l'Estorie des
Engleis, gcniiit et vixit dans Nicolas Trivet (3 v°).
- 2. Les acquisitions.
Ici encore, comme nous l'avons déjà tait pour les prétérits en avi,
il sera utile de distinguer deux sortes d'acquisitions : d'abord les
prétérits de I qui prennent irent à la troisième personne du pluriel ;
secondement tous les autres verbes et les autres personnes de I.
rt) irent pour erent.
Nous avons à examiner ici le phénomène opposé à celui qui a
retenu notre attention dans les pages précédentes ; nous verrons
dans notre seconde partie que ces deux phénomènes proviennent de
la même cause.
Il faut cependant reconnaître que ce phénomène n'a pas la même
extension que le premier, quoiqu'il remonte lui aussi très haut
dans la littérature anglo-française. Au vers 1000 du Saint Brandan,
nous lisons aJirent (: guarnirent) ; Birkenhoff a proposé une cor-
rection : issircnt serait d'après lui la bonne leçon; et elle est confir-
mée par le ms. de l'Arsenal BLF 283. Il est certain que alirent
semblerait un peu tôt à la date du Brandan, et cet exemple serait
isolé au commencement du \\\'' siècle, on peut même dire dans
592 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
tout le xii^ siècle. Il faut donc rejeter sur le scribe si sou-
vent incorrect du Brandan la responsabilité de cette forme (1167).
Nous ne pouvons pas en faire autant pour l'exemple que nous
donne le Protheselaùs de Hue de Rotelande (au vers 974 f), car
il est aussi assuré que possible par la rime ; nous lisons en effet
parlèrent : virent. Il faut ici admettre que le premier verbe est écrit
parlirent, ou que les deux sons sont si voisins qu'ils peuvent être
représentés indifféremment par l'une ou l'autre de ces graphies.
C'est à cette dernière hypothèse que nous nous rangerons dans
notre seconde partie.
Pendant tout le xiii^ siècle, nous rencontrons dans plusieurs
poèmes des formes qui nous montrent la confusion des deux termi-
naisons erent et irent. Nous ne donnerons qu'un tout petit nombre
de citations. Gettirent est employé au folio 57 v° de la Genèse
Notre-Dame; deniorirint se trouve au vers 808 du poème de Der-
mod .
Au xiv^ siècle, nous retrouvons toujours cette confusion : elle
se montre assez clairement dans la rime cheierent : inorirent quon
lit dans l'Evangel Translaté (au folio 87 v°). On trouve encore
dans la Chronique de Nicolas Trivet gnerrirent (au folio 47 v°) ; de
même, naufrirent se lit dans les Mem. Pari. 1305 (§ i SS); envoir eut
est employé dans les Rymer's Foedera (135 1, V, 72e).
Ces formes nouvelles en ircrit ne sont donc pas rares sans être
aussi communes que les nouvelles terminaisons en erent (provenant
de irent^ ; mais nous ne pouvons pas penser que nous avons dans
les deux cas les deux faces du même phénomène : la confusion des
deux sons vocaliquesg et/ devant ?• (cf. seconde partie, chap. 11).
Avant d'abandonner la troisième personne du pluriel, nous avons
encore à signaler, mais très rapidement, un autre groupe de nou-
velles formes en irent, provenant des prétérits en si. L'origine de
ces nouvelles formes est évidemment tout à fait différente : elles
sont purement analogiques, qu'elles soient anglo-françaises, ou que
dans notre dialecte elles ne soient que des formes d'emprunt.
Nous ne dirons qu'un mot maintenant à propos de ces troi-
sièmes personnes du pluriel ; nous aurons du reste à revenir sur
ce point, quand nous parlerons des prétérits en si, car il implique
une question plus générale : celle de la désinence régulière de la
troisième personne du pluriel du prétérit du verbe faire.
LE PRETERIT 593
Ce verbe, comme nous le montrerons, a presque toujours la
désinence en irent, même dans les plus anciens textes anglo-français,
comme le Cumpoz et le Bestiaire. Pour le verbe mettre, la forme
mirent n'est pas rare et elle se trouve déjà dans le ms. A de la Vie
de Saint Alexis (6 b) ; destniireut se rencontre dans le Voyage de
Saint Brandan au vers 1841.
C'est vers la fin du xiii*" siècle et spécialement en dehors de la
littérature que les troisièmes personnes du pluriel des prétérits en si
se montrent avec la terminaison des prétérits en ivi : nous trou-
vons à la rime prirent dans le Manuel des Péchés de William de
Waddington au vers 1^44, et trois fois dans le poème du Prince
Noir (vers 211, 2755, 3765).
Dans les Statutes, après 131 1, cette forme est très commune, et
on peut en trouver de nombreux exemples dans les Rymer's Foedera
de même que dans les Literae Cantuarienses.
Comme autres formes, nous citerons conquirent dans le Prince
Noir au vers 173 (cf. Rymer's Foedera, 1294,11, 620 et passim',
les Statutes, 1376, I, 397 et passim ; dans les Year Books où les
composés de quérir sont' communs sous cette forme); et soiirdirent
dans Nicolas Trivet (folio 62 r*"). Au xiv^ siècle, surtout dans
les ouvrages non littéraires, on voit cette désinence tendre à dépla-
cer complètement la forme étymologique.
h) Autres reformations en ivi.
Il est probable que les pages précédentes ont épuisé ou à peu
près tout l'intérêt que les acquisitions des prétérits en ivi peuvent
avoir.
Pour être complets, nous avons cependant un certain nombre de
points à exposer encore. Comme nous l'avons déjà fait pour les
acquisitions de la classe en avi, nous procéderons de la façon sui-
vante. Nous distinguerons parmi les acquisitions que nous avons
encore à énumérer :
1° Les verbes de la première conjugaison, à l'exception de la
troisième personne du pluriel.
2" Les verbes dont le prétérit est régulièrement en ///.
3° Les verbes qui ont régulièrement un prétérit fort en / ou
en si.
38
594 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
I. Verbes de I. — Pendant tout le xii'^ siècle, les acquisitions de
ce genre sont absolument absentes; elles sont extrêmement rares
pendant tout le siècle suivant.
Le premier exemple que nous connaissions montrera qu'il faut
descendre assez avant dans ce siècle pour trouver des verbes de I
dont le prétérit prend les désinences des prétérits en ivi. Cet
exemple, fennist, se lit en effet dans la Genèse Notre-Dame (au
folio 6) r°); de plus cet exemple n'est pas assuré et nous pouvons
fort bien le faire descendre jusqu'au xiv^ siècle.
Comme c'est le seul exemple que nous trouvions dans les
œuvres littéraires de ce siècle, on peut dire que, dans la littérature,
ce phénomène ne date que du XIV^
Ce n'est qu'à cette époque que nous rencontrons des verbes
ayant un prétérit en avi et prenant la forme qui nous occupe avec
quelque fréquence : en voici un certain nombre d'exemples tirés
de la langue littéraire de cette époque : une rime de l'Apocalypse
nous assure la forme ; jettit y rime avec espaundit au vers 891 de
Y : et dans le même ouvrage nous trouvons dans le corps du vers,
enchescit (de sécher) au vers 918(3); dans Foulques Fitz Warin
on en rencontre aussi quelques exemples, comme rouly (p. 47);
enveilly (p. 112), etc., mais ils peuvent ne dater que du xv^ siècle.
Remarquons en effet qu'il n'y en a que fort peu chez Nicole Bozon;
on peut citer dans les Contes raiiipist au § 7 ; chez Nicolas Trivet,
au contraire, les exemples sont beaucoup plus communs, mais pro-
bablement beaucoup plus tardifs aussi : recovery de recouvrer est
loin d'être rare (cf. par exemple aux folios 5 v°, 6 r°, etc.); irvili
se trouve au folio 47 v° ; cuyvcri au folio 48 r°, etc.
Nous n'avons jamais relevé dans la langue littéraire d'autre
personne que l'une des troisièmes à passer de avi à ivi. Les exemples
sont un peu plus variés en dehors de la littérature, et ils remontent
jusqu'au commencement du troisième tiers du xiii"^ siècle. C'est
ainsi qu'on rencontre pniuiiist (= pasma) dans les Chroniques de
Londres, 1262 (p. 4 et passiiii) ; passimcs dans les Royal Letters
Henry III (1262, II, 219). Dans les textes légaux les exemples
sont assez nombreux : un seul se présente avec quelque régularité :
recoveri de recouvrer (cf. par exemple 21 Edw . \", 19 et passim :
I et 2 Edw. II, 47 et passini) exactement comme nous avons mon-
tré que dans la langue politique recouvrir fait au prétérit recovra ;
LE PRETERIT 595
nous avons vu la même confusion se produire à l'inrtnitif entre ces
deux paronymes.
2. Verbes qui ont régiilièreiiient ini prétérit en ui. — Il y a un
certain nombre de verbes, qui, au lieu de leur prétérit régulier en
///, prennent la forme en /iv' ; quelques-uns d'entre eux finissent
même par abandonner complètement leur forme correcte. Parmi
ces derniers, il faut placer en première ligne le verbe choir; nous
avons déjà eu l'occasion, à propos du participe passé, de montrer
que ce verbe formait souvent ce temps au moyen de la désinence
en / ; la forme en / est encore plus commune au prétérit ; nous
n'avons même jamais relevé la forme correcte en ///. Toutes les
formes que nous connaissons sont en z ; au xii'^ siècle, nous avons
de cette forme de nombreux exemples : à la deuxième personne du
singulier chaïs (: dis) dans Adgar (VIII, 233); à la troisième chaït
(çf Gaimar, 2805; Boeve, 1028); ^5^/;t7, Nicolas Trivet (6 r°).
Croire se rencontre fréquemment aussi sous cette forme ; on
trouve à la première personne du singulier creï (: merci) dans les
Légendes de Marie d'Adgar (XXX, 203) ; et au vers 528 du Drame
d'Adam ; à la deuxième personne du singulier creïs dans ce dernier
poème (aux vers 423, 540). A la troisième personne du pluriel, les
exemples ne sont pas rares; on trouve deux fois (aux vers 1498,
1565) la rime creircnt (: suffirent) dans la Vie de Sainte Catherine;
creirent (^: venquirent) se lit dans Robert de Gretham(20 v°) ; (mais
crurent (: urent) 59 v°; (: furent) éo r° ; (: reçurent) 61 r°.
Il en va de même pour mourir, sauf qu'on ne trouve pas de
formes en î pour ce verbe avant le xiir' siècle; on en rencontre
une dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 212), qI passini dans
les Dialogues, mais ces formes sont emplo}-ées dans le corps du
vers, ce qui, pour ces deux poèmes, importe peu. Le premier
exemple assuré par la rime se rencontre dans la Satire (au folio
86 r°) : morist (: nuit), puis dans Dermod, niorit rime avec déduit
(au vers 1378); nous trouvons aussi des exemples de la troisième
personne du pluriel: vwrirent pai" exemple au vers 715 de la Vie de
Saint Grégoire et au vers 3427 du Manuel des Péchés de William
de Waddington ; mais aucun exemple ne se trouve à la rime.
Mûrirent est commun dans les textes politiques et diplomatiques,
conunun surtout dans les Year Books ; on trouve même, quoique
596 l'évolution du verbe en anglo-français
plus rarement, iiiorist, par exemple dans les Mem. Pari. 1305
(§ 3^0 (^f- Prétérits en ///).
D'autres prétérits de la même classe, mais en petit nombre, se
trouvent encore au xiii^ siècle avec les désinences en ivi ; citons par
exemple : dans les Heures de la Vierge (au folio 65 v°), la rime
receiisles (: oïstes); mais ce peut n'être qu'une mauvaise rime, les
deuxièmes personnes du pluriel ne prenant que fort rarement les
désinences en /, et recevoir, à part ce cas, conservant toujours dans
les œuvres littéraires sa forme régulière. Nous rencontrons au con-
traire, en dehors de la littérature, rcccïnies dans Rymer (1299, II,
848), et rcsevit (\u\ se lit assez fréquemment dans les Year Books,
par exemple dans 31 Edw. P' (311) ; il y a peut être ici un cas
assez compliqué de « umgekehrte Schreibung » : reçut est souvent
écrit resciit dans lequel u passe à ///, d'où reseuit, rcsevit.
Le nombre des exemples augmente vers la fin du xiv® siècle,
mais il n'y a aucun nouveau verbe qui prenne exclusivement i au
lieu de /// ; citons parmi les exemples que nous avons rencontrés :
apparist dans Nicolas Trivet (au folio 3 r°, etc.) ; vaiUy (: mercy) au
vers 2757 du Prince Noir.
En dehors des œuvres littéraires, on trouve cslireiit dans le Liber
Custumarum (13 14, 194); et dans les Letters from Northern
Registers, les formes barbares pc))7»/5, savymls (^l'^ii, 211). C'est
dans les Year Books que nous avons pu rencontrer le plus grand
nombre de formes aussi incorrectes que celles que nous venons de
citer: poyins (31 Edw. L"", 451); conist (2 et 3 Edw. II, 14);
conysmes (21 Edw. I", 55); currit {-^^ et 35 Edw. I", 148) et une
infinité d'autres.
Remarquons que dans les textes diplomatiques et politiques pro-
prement dits, de même que dans la plupart des écrits familiers, ce
changement de forme est rare. Les Statutes, les Parliamentary
Writs, les Memoranda Parliamenti, les Lettres de Jean de Peckham,
les Literae Cantuarienses, etc. ne nous en offrent pour ainsi dire
aucun cas. Ce n'est que dans les textes les plus corrompus,
comme les Letters from Northern Registers, ou dans ceux qui
doivent se rapporter à une date postérieure au xiv^ siècle, comme
les Year Books, que ces cas se présentent avec quelque fréquence.
3° Verbes qui ont réguliêremenf un prétérit en si. — Les prétérits
en si et les prétérits en ivi ont certaines formes en, commun:
LE PRETERIT 597
leurs premières personnes du singulier, les prétérits en ivi prenant
parfois une s (cf. supra), ou les prétérits en si perdant quelquefois
la leur (cf. Prétérits en si); leurs troisièmes personnes du singulier,
qui, pouvant avoir ou ne pas avoir st, arrivent à des désinences
analogues. Cette • ressemblance a pu entraîner l'assimilation de
formes qui, régulièrement, étaient entièrement différentes; de là
résultent de nombreux échanges entre ces deux classes.
Parmi les verbes qui échangent leur prétérit régulier en si pour
un prétérit en ivi, il faut citer en première ligne l'éiiir. On lit benes-
qiiit au folio 14 r° de Robert de Gretham, et cette forme n'est pas
rare postérieurement.
Le verbe toldre a fréquemment un prétérit analogique exactement
comme nous l'avons vu adopter pour son participe passé la forme
en /. La forme analogique du prétérit se rencontre surtout au
xni'' siècle : on la trouve deux fois à la rime dans Robert de Gre-
tham : tolit (: dit), et ( : petit) au folio 69 \° ; elle se trouve plus
fréquemment dans le corps du vers dans ce même auteur et dans
d'autres poèmes, par exemple au vers 2508 de la Vie de Saint Gré-
goire, etc.
Les autres cas d'attraction que nous avons relevés se trouvent
tous au xiv^ siècle : ardre prend la forme ardy à la page 45 de
Foulques Fitz Warin, au vers 170 du Prince Noir, et dans plusieurs
autres ouvrages.
Sourdre a pour prétérit siirdi fréquemment dans Nicolas Trivet
(cf. par exemple 27 r°, 65 r°) et joindre hit joindi au vers 3173 du
Prince Noir.
Nous n'en avons plus relevé aucun exemple dans les textes poli-
tiques ou familiers antérieurs au xv*^ siècle; par contre, les ouvrages
légaux nous en offrent un nombre considérable à des dates qui ne
sont certainement pas postérieures à 1399. Par exemple le ms. Y
(pour 2 et 3 Edw. II; 3, Edw. II) qui date, d'après Maitland, de
13 12 ou environ, donne enfreiiiit (2 et 3 Edw. II, 96); dcsircim
(3 Edw. II, 74,77); tendisl (3 Edw. II, 160, etc.).
Nous pouvons encore citer les formes suivantes qui, parce qu'elles
se rencontrent très fréquemment dans les manuscrits de dates très
différentes, ou pour une autre raison, nous semblent avoir été d'un
usage courant au plus tard durant la seconde moitié du wx" siècle :
soiirdi (30 Edw; I", 107; 33 et 35 Edw. I", 197, etc.); resorgi (22
598 l'évolution du verbe en anglo-français
Edw. P', 453); enjrenites (33 et 35 Edw. l", ici); citons encore
pleioiiit qui n'est pas rare dans 16 Edw. III (1342), par exemple page
83 ; plciusl ou pJc'uil se trouve du reste plus fréquemment, et même
plus tard dans les autres Year Books.
C. Les prêter ils <?;; dedi '.
Les prétérits faibles en deâi sont sporadiques en anglo-français; il
serait môme plus exact de dire qu'ils n'existent pas. On n'en ren-
contre ni dans le Cumpoz, ni dans le Brandan, ni dans le Bes-
tiaire.
Le Psautier de Cambridge n'en offre que des traces : trois cas
surplus de quatre-vingts cas possibles : dcrumpîcs (jt,, 15); (à côté
de dcruiiipis, 59, 2); espaudicrent (105, 37); tendicrent (13, 96); le
Psautier d'Arundel en offre aussi quelques exemples : voidies (43,
14) ; cnteudiel (48, 12); dcperdiet (43, 3); et la proportion entre
les formes actuelles en dedi et les formes qui ne le sont pas et
auraient pu l'être, est sensiblement la même.
Le seul ouvrage qui nous montre un emploi à peu près constant
de ce prétérit, c'est le Psautier d'Oxford qui est, comme on le sait,
très continental.
Voici les cas qu'il présente :
il) Verbes qui ont toujours ie : confundies (43, 9) (2 fois) ;
deruiiipies (73, 16) (6 fois); respondiet (loi, 24) (i fois).
/;) Verbes pour lesquels les formes en ie et en / alternent :
atendiet (65, 18); atoidirent (118, 95); descendiet (v, 38); descen-
dirent Qi, 5); entendierent (63, 10); entendis Çi'^S, 2) ; espandies (88,
4); espandit (u, 16); perdies (ji, 26); perdis Çij, 44); resplendiet
(117, 25); resplendirent (76, iS);vendies (43, 14); vendit (C, 45).
D'autres verbes, comme croire, cumbattre, toldre, suivre, bénir,
convertir, vestir, n'ont jamais les formes caractéristiques de dedi.
Pour les verbes qui présentent ces formes, le rapport des formes en
ie aux formes en /' est le suivant :
I . Pour les prétérits en (leJi, on peut consulter : d'Arbois de Jubainville, Rema-
nia II, 477 ; H. Scliuchardt, Parfaits français en ie, Romania IV, 122 ; Cornu,
Romania X, 216 ; Wolterstorff, Das Perfektum der schwachen Conjugation im
Altfranzôsischen ; Mever-Lùbke, Grammaire II.
LE PRETERIT 599
ie, i, deuxième personne du singulier, 63/36; troisième personne
du singulier, 90/36.
Il semblerait donc que ce sont les troisièmes personnes du pluriel
qui ont les premières cédé à l'analogie. Nous pensons que tous ces
prétérits en dedi proviennent des traducteurs mêmes des Psautiers
(11 10 ?) ; elles ne sont donc pas anglo-françaises.
D. Les prétérits en m '.
Nous parlerons maintenant des prétérits en ///'; comme ils con-
tiennent à la fois des prétérits forts et des prétérits faibles ils forment
entre les deux grandes classes de prétérits la plus naturelle des tran-
sitions.
L'on divise ordinairement les prétérits en /// en cinq classes, les
trois premières comprenant les prétérits forts : T'^ classe, verbes
ayant a au radical et le prétérit potiii; 2" classe, verbes à thèmes
en 0 et de plus debiii et bibiii; y classe, verbes à thèmes en e; la
4^ classe comprend le seul verbe -w//// ; la 5^ comprend tous les autres
prétérits faibles en ni. ■
Nous étudierons les terminaisons des six personnes dans ces cinq
classes.
r . Première personne du singulier.
La première personne du singulier est terminée dans la première
classe par la diphtongue oi , par la diphtongue ni, pour les verbes des
seconde, troisième et cinquième classes ; ces deux diphtongues
agissent d'abord très peu l'une sur l'autre.
La première personne de la première classe reste correctement en
oi. Nous ne trouvons qu'une déviation au xii^ siècle : toui dans le
Psautier d'Arundel (31, 3) et tui dans le même ouvrage (38, 3). Le
passage de i à. y au xiii'= siècle (comme dans oi : soy ( : moy) dans les
Chansons IV, 65-67 ; poy, Plainte Notre-Dame, 187) est tout juste
une variante orthographique ; même au siècle suivant, cette forme
persiste, très correcte, 0/, Sainte Marguerite (415) ; soi, 2^ Appendice
de Pierre de Langtoft (II, 240, 6), Plainte Notre-Dame.
I. Cf. Suchicr, Zeitsclirift fur rom. Phil. II, p. 255 ; Id., Aucassin et Nicolctte,
p. 90 ; Kôrting, I, p. 315 ; Trommlitz, Die franz. «/Perfekta ausser. poi (potui).
Mevcr-Lùhkc, Grammaire, II, p. 357 sqq.
6oo l'hvolutiox du verbe en anglo-français
Nous ne trouvons à signaler qu'une seule irrégularité dans la
langue littéraire, dans le petit poème de Bozon que nous venons de
citer on trouve pou dans Pierre de Langtoft (II, 240, 4), ce qui
peut n'être après tout qu'une erreur cléricale.
Nous n'avons relevé que peu d'exemples pour la première per-
sonne des prétérits de cette classe en dehors de la littérature, mais
ils sont tous corrects.
La diphtongue /// a eu à subir un peu plus de modifications,
quoique celles-ci restent encore en petit nombre ; cette différence
provient de ce que, phoniquement, elle était appelée à évoluer plus
que oi. Pendant toute la durée de la période littéraire anglo-fran-
çaise, les formes correctes restent toujours la majorité. On ne peut
considérer comme une irrégularité le passage de /// à // qui est
caractéristique de l'anglo-français. Nous le remarquons déjà dans
certains textes du xii^ siècle ; mais on doit attribuer les exemples de
cette époque aux scribes, par exemple aparceu que l'on trouve dans
la Folie Tristan (au vers 801) ; et reçu qui se lit dans Guischart de
Beauliu (au vers 1179); ces deux exemples, qui seraient isolés au
xii^ siècle, ne le sont pas au xiii^ ; on peut donc les reporter à la
date de leurs mss., c'est-à-dire à la seconde moitié du xiii^ siècle.
Ils sont donc tout proches de eslu au vers 109 de la Plainte Notre-
Dame et de plusieurs autres formes que nous n'avons pas à donner
ici.
Les formes vraiment incorrectes sont rares, comme nous l'avons
déjà dit : on peut classer parmi elles le conoi qu'on trouve au vers
3735 de Horn et qui montre l'attraction des premières personnes du
singulier de la première classe ; aineui du Psautier de Cambridge
(70, 15) est une autre déviation du type normal; on peut recon-
naître avant la désinence Ve analogique de la troisième personne du
singulier. Le geiï du Saint Auban (331) est certainement une faute
d'écriture du scribe ou de lecture de l'éditeur; il faut lire/M/ ou gen,
n est l'équivalent phonique de ///, et 1'^^ sert à adoucir le g, mais de
toute façon on doit avoir une forme monosyllabique :
Ki au ciel vi quant jui dormant en ma maison.
Coniis, qu'on lit au vers 1999 de William de Waddington, est une
forme incorrecte qu'on peut regarder comme l'un des plus anciens
LE PRÉTÉRIT éoi
exemples de la forme moderne (les mss. A et B du Manuel des
Péchés ont été écrits au commencement du xiv* siècle).
Quant à la première personne de vouloir, elle appartient aux
prétérits en si, elle est régulièrement vols dont on ne trouve du
reste que très peu d'exemples, citons celui qui se lit dans les Dia-
logues Grégoire, 31 v° b, etc. '.
On peut se demander si le voti qu'on trouve dans le 2^ Appen-
dice de Pierre de Langtoft (II, 442, 19) est un présent ou un prété-
rit ; il est probable que, en se tenant à la signification, on a un
prétérit, qui a perdu son s étymologique, après vocalisation de Ve.
Il serait difficile d'expliquer cette forme d'une autre manière.
En dehors de la langue littéraire, les premières personnes de cette
classe sont très peu fréquentes ; la diphtongue /// ne persiste guère
que dans fui, et encore ne le rencontrons-nous qu'assez rarement.
En, ou, sont les plus communs ; eu est employé dans receu, par
exemple dans les Lettres de Jean de Peckham (1280, 94); dans les
Parliamentary Writs (1322, 264, 424, etc.). Cette forme est encore
plus commune dans les Year Books (cf. par exemple 11 et 12 Edw-
III, 433) ; dans les textes légaux on arrive même à employer une
forme aussi barbare que veu Ç= vidi) (20 et 21 Edw. l", 219).
La désinence en u paraît moins fréquente, ce qui semble assez
étonnant, puisque en anglo-français /// aboutit régulièrement à u.
Nous n'en avons trouvé que très peu d'exemples à la première per-
sonne du singulier des prétérits de cette classe ; citons : reçu dans
Jean de Peckham (1289, 702); fu dans les Year Books (comme 11
et 12 Edw. III, 511, etc.).
La diphtongue ou se rencontre encore plus rarement : Jean de
Peckham encore nous en fournit un exemple : recou (1280, 92).
Les autres formes en ou que nous avons relevées sont très rares et
ne nous semblent pas très sûres ; certaines d'entre elles ne sont
probablement que des lapsus calami. C'est encore de cette façon que
nous serions tentés d'expliquer le fue (= fui) qui se trouve dans
les Year Books 11 et 12 Edw. III (p. 197), à moins que ue ne .<»oit
ici une graphie de // pour ///.
I. Cf. Kôrting, I, 323.
6o2 l'évolution du verbe en anglo-français
2 . Seconde personne du singulier, première personne du pluriel,
seconde personne du pluriel.
La diphtongue. — La première et la seconde classe ont, à ces
personnes, la diphtongue ou, ou la voyelle o en hiatus devant 1'//.
Cette diphtongue ne resta pas longtemps sans subir de changement.
Ou devait passer à eu et cette dernière diphtongue à la voyelle
simple n. On trouve ou assez régulièrement au commencement du
xii*" siècle ; nous lisons par exemple /)/om^ dans les Psautiers d'Oxford
(45, 3) ; de Cambridge (43, 3); sonstes au vers 661 de la Folie ;
moumes dans le Psautier de Cambridge (54, 14). Mais très tôt nous
voyons la nouvelle forme s'introduire.
Avoir, en particulier, adopta vite et d'une façon très étendue la
diphtongue eu ou la voyelle // ; malheureusement nous ne pouvons
relever aucune rime, et nous aurons à reporter chacun des exemples
aux dates des divers manuscrits. Dans le Voyage de Saint Brandan,
(ms. probablement 1167), nous avons nus (2M vers 1598) qui
marque peut-être l'étape entre ous et eus. On trouve encore la
seconde personne du singulier eus au vers 265 de la Chronique de
Fantosme; et c'est la forme généralement employée dans les mss.
de l'Estorie des Engleis de Gaimar (R, commencement du
xiii'= siècle), comme par exemple ^^om eusies qui se lit dans Thomas
(1509) ; et dans la Folie (470).
Les formes en eu ne sont pas beaucoup plus rares non plus
pour savoir, et elles semblent aussi anciennes que celles d'avoir :
sens se lit dans le Psautier d'Oxford (39, 12) ; dans celui d'Arundel
(39, 10) ; au vers ^44 du Drame d'Adam.
Les exemples ne sont pas aussi nombreux pour les verbes de la
seconde classe; on trouve beumes au vers 2493 du Tristan de Thomas
(fragment Sneyd, fin du xii'' ou commencement du xiii'^ siècle) ;
beusies dans la Folie (vers 472).
La diphtongue étymologique a absolument disparu de ces per-
sonnes à la fin du xii'= ou, au plus tard, au commencement du siècle
suivant.
Au xiii= siècle, nous ne trouvons plus que eu : seu:^ dans le Saint
Auban ; (244); eûmes axas le même poème(i273, 1522); eustes se
lit dans le Saint Julien (80 v°) et dans le Saint Edmund (1256);
LE PRÉTÉRIT 603
peustes dans le Saint Auban (47); seiistes à2Lns\QS Chansons (I, 19) ;
eus dans le Roman des Romans (955), etc.
La diphtongue ou se trouve fort rarement, comme on devait s'y
attendre, en dehors des œuvres littéraires ; pouiiies se lit cependant
deux fois au moins dans les Year Books i et 2 Edw. II (aux pages 95
et 136). C'est probablement une survivance plus ou moins raisonnée
de l'ancien usage.
Les autres exemples que nous avons relevés portent eu : peuiiies
dans les Rymer's Foedera (1294, II, 620 et passini) ; eûmes dans
le même recueil (1306, II, 1022); ineusmes (ihid., 1297,11,777).
Ce changement de ()/< en é?// est dû en partie àl'influence des verbes
de la troisième classe qui ont régulièrement aux personnes qui nous
occupent la diphtongue eu. Aussi nous ne trouvons pour les verbes
de cette classe aucune irrégularité au xii^ siècle ; un peu plus tard
la voyelle simple u tend à prendre la place de la diphtongue comme
cnistes qui rime avec receustes dans Robert de Gretham (49 v°) ;
eslumes au § 46 des Contes de Bozon ; mais ce changement n'a pas
dû prendre place avant le xiv^ siècle.
Nous ne citerons pas les exemples extrêmement nombreux que
nous trouvons dans les Statutes, dans les Lettres de Jean de Peckham,
dans les Parliamentary Writs, les Literae Cantuarienses, les Rymer's
Foedera et les différents Year Books et qui nous montrent les
premières personnes du pluriel des prétérits de cette classe. Qu'il
nous suffise de dire qu'on trouve presque partout la graphie eu et
dans le reste des cas la graphie u, dans les mêmes conditions et
aux mêmes dates que pour les œuvres littéraires. Il est assez
commun toutefois de rencontrer, au lieu de cette dernière v03-elle,
la graphie ///, par exemple dans //o'/^iw, Literae Cantuarienses (1324,
179} et passim dans les Year Books.
3, Troisième personue du singulier et troisième personne du pluriel.
La diphtongue. — Première classe. — La troisième personne du
singulier et celle du pluriel de la première classe ont pour son
vocalique sous leur forme régulière la diphtongue ou ; et cette
diphtongue dura longtemps en anglo-français ; on la rencontre
dans chaque auteur duxii'' siècle, souvent à ht rime, principalement
avec la troisième personne du singulier de l'imparfait des verbes de
6o4 l'évolution du verbe en anglo-français
I ; nous n'insisterons pas davantage sur des formes qui sont des
plus communes. Elles se rencontrent encore au xiii^ siècle,
quoiqu'elles soient un peu moins fréquentes ; nous en citerons
quelques-unes, surtout parmi celles qui ne laissent pas de place
au doute '. C'est ainsi que dans les Evangiles des Dompnées nous
trouvons sont rimant avec vout de vouloir (76 r°) ; et pout avec
tout de toldre (70 r°); c'est encore avec ce dernier verbe que ont
rime au vers 163 de la Plainte Notre-Dame. Nous relevons des
rimes analogues dans la ' Satire -.pont (: vout) (85 r°) et dans
Dermod : ont (: volt) (319). '
Nous n'avons relevé aucune rime aussi significative au
xiv^ siècle, szmî pout qui rime avec vout dans l'Evangile de l'Enfance
(ms. O, 165 b). Les œuvres en vers de Nicole Bozon nous donnent
cependant plusieurs rimes qui ont quelque valeur, puisqu'elles
montrent que le scribe, sinon l'auteur, connaissait les formes avec
diphtongue ; citons quelques-unes de ces rimes : dans les Vies de
Saints, nous trouvons pont (: letout) (103 v°) ; dans la Vie de
Saint Paul, sout (: enmerveillout) (221) ; dans la Vie de Saint
Richard, ont (: mustrout, 610; desirout, 1089 ; alout, 1287) '■> ^out
(: grevout, 988). Aucun autre auteur de ce siècle, nous devons le
reconnaître, ne nous a montré un nombre d'exemples équivalent.
Dans le corps des vers ou dans les œuvres en prose, les exemples
sonttrès communs, même au xiv^ siècle. C'est ainsi qu'on peut rele-
ver ont qui se trouve dans la Vie de Sainte Marguerite (au vers
10) ; dans le 2^ Appendice de Pierre de Langtoft (Plainte Notre-
Dame) (II, 426, 5); dans Foulques Fitz Warin (lé, 22); au § i
des Contes de Bozon et pcissim ; au folio 92 de ses Vies de Saints, à
la strophe 123, vers b et passUn dans l'Évangile de l'Enfance (O);
en somme dans la plupart des auteurs.
On V\\. pont de pouvoir au vers 390 de Sainte Marguerite ; dans
Pierre de Langtoft (I, 446, 6) ; dans les Contes de Bozon (§ 138) ;
sout dans le 2'' Appendice de Pierre de Langtoft (II, 426, 10) ;
dans les Contes de Bozon (au § 119). Nous aurions pu ici mul-
tiplier les exemples, et nous ne prétendons pas citer tous ceux
que nous avons relevés ; nous avons voulu montrer aussi claire-
I . En d'autres termes, nous négligerons toutes les interrimes, et les rimes qui
assemblent un de ces prétérits et un imparfait de I.
LE PRÉTÉRIT 60$
ment que possible que les formes en on restent employées jusqu'à
la fin de la littérature anglo-française et qu'elles restent toujours
très communes.
Il arriva même, ce qui est assez curieux, que, après que 17 se fut
vocalisée, surtout dans le groupe oit, les écrivains anglo-français
considérèrent parfois ont étymologique comme ayant lui aussi cette
origine, et l'écrivirent oit, qui, du reste, se prononçait alors de la
même façon que olit. C'est ainsi qu'on peut expliquer soit pour
sout de savoir, forme qu'on lit dans les Légendes de Marie d'Adgar
(XXXIII, 38), et au vers 2049 du Tristan de Thomas; évidem-
ment ces deux formes sont dues aux scribes.
La diphtongue o« est très fréquente dans l'anglo-français politique,
légal et famiher: dans le Liber Albus (1243, 116), les Literae
■ Cantuarienses (1333, 524), le Liber Rubeus de Scaccario (1325,
940)^ et dans beaucoup d'autres recueils.
Les Year Books eux-mêmes nous en offrent des exemples, nom-
breux et assurés; ainsi ceux que nous lisons dans le ms. Y (13 12)
(cf. par exemple 3 Edw. II, 161^ 185 tx. passiiii). Comme dans les
recueils postérieurs, le nombre d'exemples ne diminue pas, il faut
considérer que cette diphtongue a été employée longtemps après
la date de Y, autrement dit pendant toute la période qui nous
occupe .
La diphtongue on se réduit parfois à la voyelle 0 {cï. Imparfaits
de la première conjugaison), et cette réduction se fait dans un cer-
tain nombre de cas dès le xii^ siècle.
Mais, comme nous l'avons vu pour ce dernier temps, la forme
abrégée n'a pas entièrement dépossédé la terminaison avec la
diphtongue, elle a été relativement peu commune, sauf quelques
exceptions, et les deux formes ont existé côte à côte pendant la
plus grande partie de la littérature anglo-française. C'est ce qui est
arrivé au prétérit.
Le premier exemple que nous trouvions de la forme en ot se
rencontre dans le Bestiaire (au vers 194); elle se retrouve dans
Gaimar {sot au vers 45.7), dans le Drame d'Adam (par exemple au
vers 701); ot se lit dans Thomas (au vers ion) et pot dans Fan-
tosme (vers 681); mais elle est attestée par la rime pour la pre-
mière fois dans la Vie de Sainte Gilles : ot (: trot) (au vers 1721).
Nous ne pouvons donc pas reculer la date de cette terminaison
6o6 l'évolution du verbe en anglo-fkançals
beaucoup plus loin que l'époque où fut écrit le ms. du Bestiaire,
c'est-à-dire vers 1167 ; cela est exactement ce que nous avons
remarqué pour les imparfaits en ot de la première conjugaison;
Les rimes en ot, si on excepte les interrimes douteuses, ne sont
pas très nombreuses pendant les deux derniers siècles de l'anglo-
français littéraire : on en trouve dans les Dialogues Grégoire, comme
sol (: sot) (au folio 20 v°) ; dans le Josaphat de Chardri (au vers
257), ol rime avec mot; cette rime se retrouve telle quelle dans les
Evangiles de Robert de Gretham (au folio 26 r°), et au vers 2236
du Saint Edmund. Robert de Gretham nous en fournit un autre
exemple assuré de la voyelle : pot {: sot) (au folio 66 r°) ; nous
avons déjà fait observer que cette terminaison est plus commune
chez Dermod pour les imparfaits de I ; on trouve de même dans ce
poème pot (: Dermod) (vers 235 e\. pass'nii) ; après Dermod, il faut
aller jusqu'au Prince Noir pour retrouver une autre forme en ot
attestée par la rime; ot y rime avec Talebot (au vers 138), avec
mot (au vers 2489).
Nous n'avons relevé que de rares exemples de cette forme dans
les ouvrages non littéraires, comme le pot qui se trouve dans un
certain nombre de passages de Rymer et des Year Books.
La fortune de cette désinence n'a donc pas été très brillante pour
nos prétérits, c'est exactement le sort qu'elle a eu pour les imparfaits
de L
La forme en u ou eu fait aussi son apparition assez tôt ; elle ne
provient pas directement, pensons-nous, des formes que nous avons
étudiées jusqu'ici, 0 ouvert ne passant pas à // en anglo-trançais,
mais elle est le résultat d'une assimilation avec les formes en u des
deuxième, troisième et cinquième classes. Cette assimilation attei-
gnit surtout trois verbes : avoir, plaire, taire ; rappelons, du reste,
que nous avons relevé pour ce dernier verbe à la première per-
sonne du singulier une forme ^H^ (Psautier d'Arundel, 38, 3) appa-
rentée avec les premières personnes de la seconde classe.
Les rimes qui établissent l'existence de la forme en // au xii^
siècle, pour la troisième personne du singulier, ne sont pas nom-
breuses, mais elles sont suffisantes. La première que nous ayons
relevée se lit dans Adgar: pleut (: receut) (XXI, 15, lire plut:
reçut) ; à la même époque appartient la rime /// (: murut) qui se
trouve dans le Tristan de Thomas (au vers 3067), et plut (de
LE PRÉTÉRIT 607
plaire) (: crut) au vers 1376 de la Vie de Sainte Catherine de
Sœur Clémence de Barking. Ces trois rimes sont significatives et
nous suffisent pour fixer avec quelque précision la date à laquelle
la forme en // s'est introduite en anglo-français. C'est entre 11 60 et
1170 qu'elle a fait son apparition.
Dans le corps du vers de certains poèmes et dans quelques
ouvrages en prose nous avons relevé des exemples qui peuvent
être contemporains des trois que nous venons de citer, ou légère-
ment postérieurs : par exemple, plut dans le Psautier de Cam-
bridge (77, 25); et dans le corps du vers 529 de l'Estorie des
Engleis, et du vers 2110 de la Vie de Saint Gilles ; eut au vers 616
de l'Estorie des Engleis. Tut et put (de pouvoir) se rencontrent
tous les deux dans la Vie de Saint Gilles (respectivement aux vers
2825 et 3671); tous ces exemples remontent soit à la fin du xii%
soit au commencement du xiii^ siècle.
Dans cette fin du xW^ siècle, il est probable qu'on pourrait trou-
ver encore un certain nombre d'exemples de cette forme, mais ceux
que nous venons de citer suffisent sans doute à montrer que cette
forme en u s'est introduite vers 11 60.
Les terminaisons en u sont assez fréquentes au xiii^ siècle, et se
trouvent parfois à la rime. Citons-en un certain nombre : dans
Robert de Gretham, nous trouvons la rime ont (: estot d'estovoir)
(29 r°) ; mais comme les verbes de II ne prennent que rarement
au xiir siècle la terminaison ont, il faut probablement lire lit : estut.
Dans le Saint Laurent^ nous relevons un exemple qui n'est pas
douteux: /</(: reconnut) au vers 230 ; de même, dans la Plainte
d'Amour (vers 854), eut {: fut) ; plus tard, les exemples analogues
ne sont pas aussi rares, mais aucun d'eux ne se trouve à la rime.
Pour en donner quelques cas du xiv^ siècle, en voici qui se trouvent
dans le corps du vers : eut au vers 26 du Siège de Carlaverok,
dans Pierre de Langtoft (I, 360, 16), ut dans les Vies de Saints
de Bozon (94 v°), etc.
Plaire donne plut qui, dans les Dialogues Grégoire (16 v° a),
rime avec aperçut ; il rime avec mut au vers 364 d'Edward le
Confesseur ; on le rencontre encore, sous la forme pliist, dans les
Vies de Saints de Bozon, rimant avec l'impartait du subjonctif ust
(92 v°) ; dans Foulques Fitz Warin il est employé à la page 48.
Robert de Gretham nous donne pour pouvoir une rime qui
6oS l'évolution du verbe en anglo-prançais
pourra {xiraitre un peu douteuse : poiil (: dout de devoir) ; mais
ici encore nous pouvons remarquer que les verbes de la seconde
classe ne prennent jamais on au xiii^ siècle. D'ailleurs les exemples
pour lesquels aucun doute ne saurait subsister sont communs ;
citons put qui dans le même auteur rime avec conut (au tolio i 5
V''), Pierre de Langtoft l'emploie fréquemment (cf. II, 342, 4),
et pour pestre put ( : aperçut) dans les Dialogues Saint Grégoire
(35 r" b) et (: fut) dans les Évangiles de Robert de Gretham
(38 r'^).
On trouve aussi des exemples de cette même forme pour savoir:
sut (: dut) au vers 144 du Saint Laurent, etc., et pour taire : tut
(: fut) dans les Dialogues Saint Grégoire (49 v° b) et ( : mut)
au vers 1087 du Petit Plet de Chardri et au folio 66 v° de la
Genèse; on le trouve encore assez fréquemment dans Pierre de
Langtoft (par exemple I, 380, 10, etc.).
Il est assez difficile, sinon impossible, de préciser dans quel rap-
port, au point de vue du nombre, se trouvent les formes en ou, en
0 -et en (^)7<. Comme nous l'avons montré les trois désinences
coexistent à partir de 1160-1170, mais ce n'est que vers le milieu
du xiii^ siècle que la dernière devient réellement commune.
Nous croyons même que celle-ci n'est devenue vraiment
usuelle qu'au xiV^ siècle et qu'à aucun moment le nombre des cas
où elle se trouve n'a été sensiblement supérieur au nombre des
désinences en ou. Il n'en va pas de même pour la langue politique,
diplomatique et familière : les deux formes // et eu sont extrême-
ment communes dans les textes non littéraires, et nous pourrions
dresser une longue liste des passages où l'une et l'autre se ren-
contrent (cf. Statutes, 1335, 1345, 1360, etc. ; Rymer's Foedera,
1384, VII, 436; Annales Londinienses, 1291, 221 et passim dansh
plupart des Year Books).
Ces trois formes que peut prendre le son vocalique à la troisième
personne du singulier des verbes de la première classe sont toutes
trois des formes régulières. Elles ne sont pas du reste les seules,
quoiqu'elles soient de beaucoup les plus répandues ; nous avons à
citer maintenant quelques autres déviations du type normal.
A la place de la voyelle u nous trouvons quelquefois la diphtongue
/// ; on considère généralement que ce phénomène est exactement
du même genre -que celui que nous avons signalé tout à l'heure
LE PRÉTÉRIT 609
(soit pour sont) ; en d'autres termes, on admet que c'est un
autre exemple de ce qu'on appelle l'ùmgekehrte Schreibung Çc[.
Stimming, p. 193). Le premier cas que nous en trouvions pour no
verbes se lit dans le ms. O de Horn au vers 623 (fin du xiii^
siècle) ; au lieu de ut, on y trouve uit. Cet exemple se trouve dans
le corps du vers et doit être certainement laissé au compte du
scribe . On en trouve aussi un cas de la même nature dans Boeve
de Haumtone : puil (au vers 1659). Dans les Year Books, cette
forme est loin d'être rare ; on trouve par exemple /?//// (pestre) (12
et 13 Edw. III, 21) ; poyt du même verbe (Year Book, 30
Edward P', 511) ne nous semble qu'une variante de la forme
précédente.
Oe pour on ou 0 est très rare ; on en trouve pourtant un
exemple dans la Plainte Notre-Dame : poest (au vers 51) (cf.
troisième personne du pluriel); eo, qu'on trouve dans les Contes de
Bozon (seot, § 18), n'est probablement qu'une variante de cette
forme ; on peut comparer ces formes cà celles que nous avons énu-
mérées pour la troisième personne du singulier du présent de l'in-
dicatif de pouvoir, estovoir, etc. (cf. Présent de l'indicatif, p. 154).
Ii'ii est plus commun. On en trouve déjà un exemple dans Fan-
tosme au vers 1461 : sieitt de savoir; évidemment ici encore ce doit
être le scribe qui est responsable de cette forme, qu'on ne rencon-
trera plus avant le xiv^ siècle, comme dans 5aV///, Prince Noir (1830);
tieust qui se lit au § 23 des Contes de Bozon. Cette diphtongue est
très commune en dehors des œuvres littéraires.
Les mêmes variations se reproduisent pour la troisième personne
du pluriel, peut-être à une date un peu plus reculée : ose trouve
déjà dans le ms. A de l'Alexis : porent (32 b), et dans les Psautiers,
par exemple dans celui d'Oxford : onv// (105, 2}), porent (20, 11),
sorent (81, 5). Cette voyelle se retrouve dans tous les auteurs sub-
séquents : Gaimar, Fantosme, Guillaume de Berneville ; les formes
avec voyelle sont assez fréquentes chez certains auteurs comme
Adgar et Frère Angier. Elles continuent à figurer dans tous nos
textes du xiii= et du xiv^' siècle ; mais pour cette terminaison,
nous ne pouvons trouver que des interrimes, ce qui nous enlève
toute certitude.
Les formes en 11 sont à peine plus tardives ; les Psautiers d'Oxford
et de Cambridge en contiennent plusieurs : turent, par exemple, se
>9
6lO l'évolution du verbe en ANCiLO-FRANÇAlS
trouve dans les deux ouvrages (io6, 29) ; piirciil, cureiil et surent se
trouvent dans l'Estorie de Gaimar(respectivement aux vers 1224, 4843
et 4844); enfin nous trouvons notre première rime dans Adgar :
itrenl (: aparceurent) (IV, 83); les rimes deviennent dès lors plus
fréquentes sinon communes ; par exemple nous trouvons curent
aux rimes suivantes : (: furent) Dialogues Saint Grégoire (102
r° b); (: crurent) dans Robert de Gretham (59 v") ; (: furent) dans
le Saint Julien (GG r').
Les mêmes terminaisons irrégulières que nous avons trouvées à
la troisième personne du singulier se répètent presque toutes à la
troisième personne du pluriel. /// pour u se rencontre par exemple
dans nircnt qui se trouve dans le ms. O de Horn (au vers 59e) ;
dans piiircnt qui figure au vers 316 du Saint Edmund. Oe se trouve
d:ms pocrcnt, autre exemple du Saint Edmund (au vers 300). Ajou-
tons cependant une forme du pluriel qui n'a pas d'analogue au
singulier; dans l'Apocalypse, on trouve eourcnt {^;, 1339) qui esta
eurent ce que eurent est à urent. Dans les textes non littéraires les
seules graphies qu'on rencontre sont en et // employées indifférem-
ment l'une pour l'autre ; urent (Statutes, 1305,!, t,GG^; eurent (ibid.,
1350, I, 316, etc.)-
Deuxième classe. — Dans la première partie du xii'' siècle,
alors que les troisiènl^s personnes de la première classe demeuraient
stationnaires, celles de la deuxième classe montrèrent une tendance
à s'en rapprocher, tendance favorisée par l'identité ous-dous,
oumes-doumes ; c'est ce qui explique les quelques formes irrégulières
qu'on trouve surtout au commencement de ce siècle^ dans le Saint
Brandan : dont au vers 158 (ms. de l'Arsenal BLF, 283, dut, à côté
àt dut 530), mot au vers 1253 (Arsenal muet P. I.) et meurent qui
se trouve dans les deux Psautiers d'Oxford (108, 24) et de Cam-
bridge (77, 58). Le dernier exemple que nous a}'ons trouvé de cette
assimilation au xii^ siècle se lit dans le Tristan de Thomas : dourcnt
(au vers 1137). Après cela, nous n'en trouvons plus d'autre,
excepté deux cas très douteux : les deux rimes de Robert de Gre-
tham que nous avons vues tout à l'heure : estot ( : out) (29 r°) et
dont {: pout)(95 '''")5 il est préférable de considérer ces rimescomme
marquant le passage de I à II plutôt que l'inverse; il y a de plus
chez ce même auteur une rime montrant d'une manière indiscutable
que la troisième personne du prétérit de devoir prenait quelque-
LE PRÉTÉRIT é I I
fois ('// encore à cette époque ; c'est h rime dans laquelle tloiil rime
avec l'imparfait mustrout (105 v°) (cf. Imparfaits de I, troisième
personne du singulier).
En dehors de la littérature, seules les formes en //, de même que
celles qui en dérivent et que nous citons plus bas, sont employées.
On trouve de nombreux exemples de ces formes dans les différents
recueils.
Les autres désinences de cette classe provenant toutes de la forme
étymologique sont peu nombreuses; on trouve évidemment ///qui
n'est qu'une graphie de u comme biiit.au folio 4 r" de Nicolas Tri-
vet, auquel on peut ajouter mot (:dedut, déduit) dans le Sermon en
vers Deu le Omnipotent (87 a) et en dehors des textes littéraires
ihixt (11 et 12 Edw. III, 395); quelquefois eu, comme beat dans
Nicolas Trivet (39 v°); cette diphtongue est d'un emploi encore
plus fréquent dans la langue politique, diplomatique et légale;
citons par exemple jeiisl dans les Chroniques de Londres (1262, 6);
estent, Year Book 31 Edw. I" (391), etc.
La troisième personne du pluriel est ordinairement terminée en
urent et il est très rare que les verbes de cette classe prennent une
autre désinence ; nous n'avons jamais rencontré pour ces verbes la
terminaison otirent. Les seules formes qui s'écartent quelque peu
du type normal sont celles qui montrent la diphtongue ui : buyrenl
(Boeve, 2584, etc.), forme très fréquente dans les mss. de la
fin du xiv^ siècle ; ou eu comme dans uieurent, Psautier d'Arundel
(21, 7), et dans Adgar (XXXII, 89); et dans le même auteur,
bernent (XXXIII, 38).
On rencontre encore, mais au xiv^ siècle seulement, la diphtongue
ue, par exemple dans les Chroniques de Nicolas Trivet : huèrent (au
folio 39 v°).
Les terminaisons des troisièmes personnes des verbes de la troi-
sième classe sont encore, s'il est possible, plus régulières, étant
donné le nombre considérable des formes employées. Le seul verbe
qui montre une tendance assez constante à sortir de sa classe, c'est
le verbe ester. Nous trouvons assez souvent stout ou estoiit, même au
xiii"^ siècle. Le Psautier de Cambridge emploie cette forme deux
fois (I, I ; 44, 9); Robert de Gretham en a aussi un exemple (à
moins que ce ne soit un imparfait) au folio 41 r°.
On la retrouve encore au xiV siècle dans Pierre de Lano-toft :
6 12 l'évolution du verbe en anglo-français
estant (I, 444, i) . Nous pouvons cependant nous demander ici
encore si cette forme n'est pas un imparfait de l'indicatif, ce qui est
plus improbable au xiv^ siècle, ou si elle ne provient pas d'une con-
fusion avec ce dernier temps. Ce verbe se rencontre quelquefois
dans la langue politique et légale, et il ne se présente jamais que
sous la forme cstiit.
Autres classes. — Il n'y a qu'un petit nombre de verbes à prendre
cet on de la première classe, et ils ne le font que rarement. Par
exemple aparconl du vers 261 de la Folie est absolument isolé au
xii^ et même au xiii^ siècle, alors que le nombre des formes régu-
lières de ce verbe est extrêmement grand ; il faut arriver à la tin du
xiv'' siècle pour en retrouver un autre exemple dans la langue litté-
raire ; ce n'est que dans Nicolas Trivet qu'on trouve aparsout (au
folio 4 r°) ; ces deux exemples ne peuvent pas être considérés
comme autre chose que des preuves de l'ignorance ou de l'étour-
derie des scribes. Cependant, et ceci nous semble plus remarquable,
on trouve des exemples analogues, peu nombreux il est vrai, en
dehors des textes littéraires : on lit par exemple dans les Historical
and Municipal Documents of Ireland : jonst {i-^i^, 421); dans les
Literae Cantuarienses : reconoiist(^Ji^i, 381).
Les autres formes qu'il nous reste à signaler proviennent norma-
lement de la forme étymologique, aussi nous ne 'nous y arrêterons
guère.
Ici encore évidemment nous retrouvons /// pour w même dans
des textes du xii* siècle, où ils sont dus aux scribes, comme comiit
dans Adgar (XV, 10) et dans la Folie (6ro) (: estut) et la Vie de
Saint Gilles (1289). Cette forme se retrouve encore au xiV siècle
très fréquemment (cf. Apocalypse, 3, iiéi). On trouve encore
chez les scribes ou les auteurs du xiii'^ siècle d'autres formes telles
que aparceuit dans la Folie (849) qui rime avec mescunuit ; citons
pour le prétérit de croire:^;'////, Dermod 3401 ; et pour celui de gésir:
ju(J)t (: nuit) au vers 779 du même poème. Tous ces verbes ont
l'apparence de prétérits en ivi .
Il nous reste à signaler un fait qui est probablement beaucoup plus
important que tous ceux que nous avons signalés jusqu'ici pour
cette troisième classe : c'est l'introduction d'un c entre le radical et
la terminaison ; ce fait s'observe déjà dans les Psautiers; par exemple
on trouve dans le Psautier d'Oxford : récent (3, 5), coucent(j, 15),
LE PRÉTÉRIT 613
etc.; dans le Psautier de Cambridge: ciinc/il (89, 12); dans celui
d'Arundel : receut (6, 10), conneut (138, 15). Quelques auteurs du
xii^ siècle nous donnent des exemples moins faciles à dater, comme
coneiil dans Adgar (XVII, 608) ou l'exemple que nous avons déjà
cité dans la Folie : aperceuit (au vers 849).
Pendant les deux siècles suivants et spécialement après 1250, les
formes telles que celles que nous venons d'énumérer deviennent
très communes; il est inutile de donner une liste des formes en eu
que nous avons relevées, car quelque longue que nous la fassions,
elle restera toujours incomplète. Nous dirons donc qu'on peut en
relever des exemples dans chaque auteur, mais qu'ils nous ont paru
spécialement nombreux dans les Vies de Saints de Bozon et dans la
Chronique de Pierre de Langtoft.
Dans les Contes de ce dernier auteur, les formes en eut sont
spécialement communes ; citons esteut qu'on lit au § 80, creust au
§ 30, et il y en a encore quelques autres. C'est probablement le verbe
gésir qui nous paraît avoir pris le plus souvent cette forme ; nous
avons relevé geut, dans les Légendes de Marie (XVII, 1021), mais
cette forme doit plutôt être attribuée au scribe qu'à Adgar lui-
même ; jeust est employé dans la Chronique de Londres (1262,
page 4) ; jueut dans la Chronique de Nicolas Trivet (48 r°).
Ces formes ne sont pas rares, au contraire, dans les textes qui
n'appartiennent pas à la littérature. Elles s'étendent donc sur presque
toute la durée de la littérature anglo-française, puisque les premières
formes qu'on connaisse se lisent dans des ouvrages de 11 60 et qu'on
en rencontre encore à la fin du xiv^ siècle.
Il n'en va pas de même pour les terminaisons qui présentent un
i en hiatus ; nous ne rencontrons des formes comme giust, dont on
trouve un exemple dans les Contes de Nicole Bozon (au § 54), que
dans les ouvrages du xiV ; et à l'exemple que nous venons de citer,
nous pouvons en ajouter quelques-uns qui sont employés par
Nicolas Trivet, comme ^('rn/(i)/,rtp6';Tm/. Ces formes se rencontrent
spécialement dans les textes non littéraires, et surtout dans le
Liber Rubeus de Scaccario et dans les Rymer's Foedera.
A la troisième personne du pluriel, nous rencontrons toutes les
irrégularités que nous venons de signaler pour le singulier; pour ne
pas allonger outre mesure Ténumération de ces formes, nous dirons
que la désinence en eurent se rencontre au plus tard au commen-
6i4 l'iiVolution du vehbe i:n anglo-français
cernent du xiii"^ siècle et nous fournit un nombre assez considérable
de formes ; imnit ne date que du siècle suivant et est surtout com-
mun dans les textes diplomatiques et fimiliers, quoiqu'on puisse
en trouver un bon nombre d'exemples dans les auteurs ou les
scribes de la fin du xiv^ siècle.
Ajoutons que les terminaisons en oiircnt sont des plus rares et
que nous ne voyons qu'un seul exemple, eslourent, dans le Psautier
d'Oxford (2, 2) et dans celui de Cambridge (37, 11).
Nous ne rappellerons que pour mémoire esteirent (Nicolas Trivet,
49 r°) et recouustrcut (Nicolas Trivet, 46 r°) (cf. Prétérits en ivi et
Prétérits en ///).
Pour la quatrième classe, nous ne trouverons qu'un petit nombre
d'observations à taire. \"ouloir, à la troisième personne du singulier,
appartient régulièrement aux prétérits en ///, et cette personne se
présente le plus souvent sous la forme t'o//. Nous ne nous arrêterons
pas à citer des références pour cette personne, dont on peut trouver
des exemples dans tous les auteurs des trois siècles. Nous n'avons
pas non plus à nous occuper des changements qu'elle peut subir.
Leur étude est du ressort de la phonétique. Signalons seulement
que la première graphie voiil que nous connaissions se trouve dans
le ms. A de la Vie de Saint Alexis (19 e) et que la première
rime qui nous semble probante se lit dans le Tristan de Thomas:
volt (: Ysolt) au vers 275. C'est donc vers 1150 que la consonne a
dû se vocaliser.
Du reste elle a persisté très longtemps dans l'écriture, comme on
peut s'en convaincre en lisant les auteurs du xiii'' siècle (c{.
Dialogues Saint Grégoire, 121 v° a). Il en est résulté que les scribes
ont attribué la graphie par oJt à des personnes qui n'avaient jamais
eu d'/.
Signalons encore une autre particularité de la graphie de cette
personne : plusieurs auteurs ou scribes du xiV^ siècle combinent You
avec 1'/ et écrivent voiilt. Nous avons rencontré cette façon d'écrire
cette troisième personne au vers 48 du Siège de Carlaverok et dans
les Vies de Saints de Nicole Bozon au folio 93 v°.
La diphtongue subit pour ce verbe les mêmes transformations
que pour ceux de la première classe ; on la trouve d'abord à la rime
telle quelle avec des terminaisons en ont, imparfaits delà première
conjugaison, ou prétérits de la première classe, par exemple vont
LE PRÉTÉRIT 615
(: pcnsout) au vers 956 du Josnphat de Chardri ; (: sont) dans
Robert de Gretham (76 r") ; (: pout) dans la Satire (85 v°).
Elle se réduit aussi à la voyelle simple 0 : vol (: dévot), rime
répétée dans la Vie de Saint Grégoire aux vers 108, 825 (: pot)
dans les Dialogues (21 v° a), etc.
Mais cette forme est relativement rare, et on peut hésiter sur la
valeur à attribuer à cette graphie.
La forme en // se rencontre à la même époque, semble-t-il, mais
encore plus rarement; elle est ordinairement écrite par un w,
comme wlt dans Boeve (1023).
Outre ces formes régulières, on en rencontre quelques autres qui
ne sont pas aussi faciles à expliquer, sauf au mo3'eu de l'analogie
avec les formes des autres classes ; on lit par exemple dans la Vie
de Saint Thomas (III, 16), veut qui est à vont ce que eut est à
out ; on retrouve cette même forme avec une graphie à peine
différente à la page 97 de Foulques Fitz Warin : velt.
La langue diplomatique connaît toutes les formes que nous venons
de citer ; elle montre de plus pour la troisième personne du singu-
lier une forme faible : vohtit, qui se lit dans les Rymer's Foedera
(1324, IV, 90).
Les formes de la troisième personne du pluriel ne correspondent
pas toujours avec celles de la troisième personne du singulier ; elles
hésitent entre la forme des prétérits eu ///, celle des prétérits en si,
même, comme nous l'avons vu, celle des prétérits en avi. On
trouve en effet volèrent (lire voleient dans Adgar (XI, 137) (cf.
Prétérits en avi); comme forme en si on peut citer voiislrent, Vie
de Saint Grégoire, 1645 (cf. Prétérits en si).
Mais les formes en ni restent les plus nombreuses et se rencontrent
à toutes les époques : voldreiit se lit dans le Bestiaire (au vers 2181) ;
dans le Psautier de Cambridge (106, 30) ; dans l'Estorie de Gaimar
(2025) ; dans le Saint Edmund (164, etc.) ; vodrent se trouve dans
Adgar (XXXIX, 88), dans le Saint Gilles (au vers 46e), etc.
On peut considérer que souloira été attiré par vouloir ; les formes
communes aux deux verbes sont nombreuses, et il n'y a rien déplus
naturel que de voir leurs prétérits prendre des formes analogues ;
celui de souloir appartient réellement en anglo-français à la quatrième
classe des prétérits en ui. On trouve au xii* siècle la lormc en oit
assez fréquemment (cf. par exemple dans Adgar I E!g. 19 ; dans le
Tristan de Thomas, vers 2121, etc.).
6ié l'Évolution du verbe en anglo-françals
Comme pour volt, la consonne se vocalise devant le / : soiil se
trouve dans Adgar (au vers 15 de V Eg.) ; aussi dans le Josaphat de
Chardri(au vers 157); cette même forme est employée à la rime dans
la Satire où elle rime avec dout (au folio 80 v°) ; Robert deGretham
s'en sert aussi (cf. au folio 44 v°).
Il y a enfin une forme assez commune dans la langue littéraire
pour le prétérit de ce verbe : c'est la forme selt, sent. On la trouve
pour la première fois à la rime dans le Saint Laurent au vers 291,
(: veut) (cf. aussi dans le corps du vers dans Adgar (XXXIII, 38);
les vers 1202 et 1564 de la Vie de Saint Grégoire et le folio 90 v° a
des Dialogues Saint Grégoire).
Nous rencontrons aussi quelquefois, par exemple dans la Vie de
Saint Grégoire, seult qui est une contamination entre seh et sent.
Ce verbe semble être tombé en désuétude au xiv^ siècle; du
moins nous n'avons relevé aucun exemple de son prétérit à cette
époque ; on pourrait même dire qu'il cesse d'être employé après
1250.
Toutes les troisièmes personnes de la cinquième classe montrent
une régularité plus grande que celle de n'importe laquelle des
autres classes. Au singulier, nous trouvons régulièrement //, et les
exemples de la forme correcte, aux trois siècles de la littérature
anglo-française, sont si communs qu'il est absolument inutile d'en
citer.
Les quelques changements que nous venons de signaler n'ont que
peu d'importance ; nous trouvons toujours /// pour // ; cette graphie
se trouve dans les textes du \u^ siècle, mais o-n peut l'attribuer au
siècle suivant; citons dans Thomas (vers 1285) : valiiit.
A la fin du xiv^ siècle quelques graphies vraiment irrégulières
font leur apparition ; la diphtongue 0// (par attraction des formes en
ou de la première classe) est employée par Nicolas Trivet dans
m or oust (au foho 17 v"; au folio 7 r°) ; mais ces formes n'appar-
tiennent déjà plus à la langue littéraire ; nous pouvons plus
sûrement les regarder comme les fiiutes d'un scribe ignorant.
Seules les formes régulières avec u ou plus rarement m/ sont
employées dans les textes non littéraires.
Les formes du pluriel sont aussi correctes ; elles sont toujours en
rent, rarement en iiirent.
Nous pouvons maintenant dire un mot des formes du verbe être.
LE riŒTÉRIT 617
La première personne du singulier est en ///, quelquefois en // (comme
dans Thomas au vers 1630; dans la Folie au vers 333 ; au vers 40
du Siège de Carlaverok ou dans Pierre de Langtoft, I, 188, 7).
La troisième personne du singulier est le plus souvent régulière ;
elle se présente aussi sous l'une des formes suivantes -.fuit ou fuist,
comme dans Nicolas Trivet (5 r°) et généralement dans le Law
French (Year Books 13 et 14 Edw . III, 203, 239).
Fust, fil, feu, fent, fciist sont des formes très communes (cf.
Pierre de Langtoft, II, 106, 21 ;Mem. Pari., 1305,5 § 7, 57, 98, 113,
etc.). On peut dire généralement qu'elles se rencontrent dans tous
les textes politiques, diplomatiques et familiers, légaux. Une forme
plus rare c'est fiiht dans les Royal Letters Henry III (1265, ^j 293).
Toutes les autres formes sont régulières ; faisons observer qu'au
pluriel /// pour u est commun. Des formes plus rares se
rencontrent à l'occasion ; ainsi fusrent avec s parasite dans Jean de
Peckham(i346, 79); fuierent dans les Literae Cantuarienses (1332,
426 ; 1335, 581) ■,juerent dans le Year Book 14 Edw. 111(277).
LES RIMES
Nous terminons notre étude sur le son vocalique des cinq
classes de prétérits en ni par une sorte de tableau qui donnera les
diiférentes rimes que nous avons relevées entre les troisièmes per-
sonnes de classes différentes. Ce sera comme un résumé de ce que
nous avons dit sur les changements des sons vocaliques dans les
troisièmes personnes des prétérits en ni.
Nous pourrons suivre ainsi pas à pas, non pas tous les change-
ments que ces prétérits ont subis, ce qui était expressément le but
des pages qui précèdent, mais le grand travail d'assimilation qui
s'est effectué. D'abord, voici les classes dont les troisièmes per-
sonnes riment dès l'origine :
Dans le Cumpozet le Bestiaire, III rime avec V :
aparut : curiut, Cumpoz 907 ; cuncut : nparut, Bestiaire 428.
Dans Gaimar, II rime avec V :
dut : morut, 5 142.
Par conséquent, ces trois classes, comme il est naturel, ont à la
troisième personne du singulier le même son vocalique et riment
érS l'évolutiox du verbe en anglo-français
librement entre elles. Ceci est très régulier ; mais, peu après, nous
allons trouver des rimes qui, étymologiquement, le sont moins.
Dans Adgar, nous assistons à la confusion des sons des diffé-
rentes désinences. D'abord I rime avec III :
plol : récent, XXI, 151.
curent : reçurent, XV, 83 ; XX, 43.
ureiit : apercenrent , XMI, 85.
On trouve quelques rimes, rares du reste, dans lesquelles il entre
un verbe delà première classe et un verbe de la cinquième :
ont : murnt, XXVIII, 191.
eurent : cururent, XXVI, i r.
Les rimes entre III et V sont évidemment très nombreuses :
reçut : valut, IX, 86.
conui : niurut, I, Eg. 68.
conurent cururent, VI, 2, 252.
Les prétérits de la deuxième classe riment aussi avec ceux de la
cinquième :
dut : niurut, III, 13.
dut : aparut, VII, 69.
est ut : morust, I R, 46.
estut : aparut, XVII, 1057.
Je ne cite pas tous les exemples pour les deux derniers groupes
de rimes (rimes entre III et V, entre II et V); si même j'en donne
plus que l'occasion ne semble le comporter, c'est uniquement pour
montrer d'un seul coup d'œil combien les rimes entre I etlll, et entre
I et V sont rares encore chez Adgar. Nous ne voyons aucun chan-
gement dans un sens ou dans l'autre dans les rimes de Thomas ; on
trouve une seule rime qui accouple un prétérit de I avec un pré-
térit de V: ut : murnt, 3067.
Sœur Clémence de Barking fait rimer une fois I et III : Vie de
Sainte Catherine, vers 1376:
pJut : crut.
Pour en finir avec les rimes de ce siècle, dans le Saint Gilles,
nous trouvons que III rime fréquemment avec II :
/'/// : crut, 689. Cf. 1289, 2765, 3371.
Nous voyons donc que depuis le commencement de la seconde
moitié du xii^ siècle, toutes les classes des prétérits en ni riment
entre elles; il n'y a qu'une exception : la première classe ne rime
LE PRÉTÉRIT 619
jamais avec la seconde. Faut-il admettre que ces deux classes ne
pouvaient rimer ? Il semble difficile de l'admettre; il faudrait pour
cela croire que la troisième et la cinquième classe avaient à la troi-
sième personne du singulier deux sortes de terminaisons : l'une
qui pouvait rimer avec la première classe, l'autre rimant exclusive-
ment avec la seconde. Cette hypothèse n'est évidemment pas
admissible ; nous avons vu toutes les désinences de chaque classe,
et rien ne peut nous foire croire que la prononciation de ces ter-
minaisons n'ait pas été à chaque période uniforme. Ce qui peut
plus justement retenir notre attention^ c'est le très petit nombre
de rimes montrant les formes analogiques dans les prétérits de la
première classe ; ceci peut s'expliquer par deux considérations :
d'abord l'assimilation de la première classe aux deux autres a été
progressive et les formes nouvelles ont certainement existé côte à
côte avec les anciennes, au lieu de les supplanter d'un jour à l'autre.
Pendant longtemps les formes archaïques ont pu sembler plus régu-
lières.
Ensuite le nombre des prétérits de la première classe et de la
seconde est de beaucoup inférieur à celui des autres classes.
Ces deux considérations expliquent suffisamment pourquoi il se
trouve qu'on ne rencontre aucune rime entre I et II, ensuite pour-
quoi il est en somme rare de trouver des troisièmes personnes de î
rimant avec des troisièmes personnes de III ou de V.
Il est donc légitime de conclure que les troisièmes personnes des
trois classes des prétérits en /// riment depuis le milieu du xii'' siècle,
plus exactement depuis iiéo.
Il ne serait donc pas très utile de poursuivre cette étude des rimes
plus avant dans le siècle suivant ; cependant il est peut-être pré-
férable de chercher dans les premiers écrivains du xiii'' siècle un
complément d'exemples montrant sans doute possible que la con-
fusion des terminaisons s'est établie.. Ces exemples se trouvent faci-
lement dans Frère Angier, Robert de Gretham, et le Saint Laurent ;
il ne sera pas nécessaire de descendre plus bas; nous ne citerons
maintenant que les rimes qui importent, c'est-à-dire les rimes de I
avec II et avec III.
Nous trouvons les exemples suivants de rimes entre I et II ;
remarquons que ce sont les premiers exemples de ce geinv que
nous avons rencontrés :
620 l'évolution du verbe en anglo-français
plut : comment. Psautier à rimes couées (Harléien 4070) au vers
1027 b.
iiiî : mut, Chardri, Petit Plet, 1087.
sut :dut, Saint Laurent, 144,
Aussi out : estot, Robert de Gretham, 29 r"
txpoiit : dont, Robert de Gretham, 95 v°.
Entre les verbes de I et ceux de III les rimes sont plus nom-
breuses :
plut : aperçut. Dialogues Saint Grégoire, lé v° a.
put : aperçut. Dialogues Saint Grégoire, 135 v° b.
lit :reconut. Saint Laurent, 230.
tust:estut, Genèse, 66 v°.
urent : crurent, Robert de Gretham, 59 v°. De même :
tut : fut. Dialogues Saint Grégoire, 49 v° b.
put : fut, Robert de Gretham, 38 r°.
eut :fut, Plainte d'Amour, 854.
eurent .-furent, Genèse, 66 \°.
Nous ne citons que quelques-unes des rimes qu'on rencontre
pendant la première moitié du xiii^ siècle et l'on peut voir comme
leur nombre s'est accru : le travail d'unification a fait, immédiate-
ment après 1200, les plus grands progrès. Vers le milieu de ce
siècle, et probablement quelque temps auparavant, l'unification est
entièrement terminée. Cependant, comme nous l'avons fait remar-
quer dans les pages précédentes, les formes étymologiques subsis-
teront jusqu'à la fin de la littérature anglo-française et resteront
toujours celles qu'on emploie le plus régulièrement ; mais les
formes analogiques se trouveront pendant plus d'un siècle et demi
côte à côte avec elles. Et ceci est bien caractéristique du dialecte
anglo-français .
DIÉRÈSE ET SYNÉRÈSE '
La dernière question que soulève la voyelle en hiatus des prété-
rits en ui a une très grande importance : c'est celle de la synérèse
qui se produit dans certaines formes et à certaines personnes : la
I. On peut consulter sur ce point, H. Suchier, Ueber die..., p. 2 ; surtout l'ar-
ticle sur le Dialecte du Saint Leodegar, Zeitschrift II, p. 281, et aussi, Zeitschrift I,
p. 569. Voir aussi Tohler, Versification, p. 41.
LE PRÉTÉRIT 621
deuxième personne du singulier, la première et la deuxième per-
sonne du pluriel des verbes des trois premières classes.
Nous n'avons pas pu relever un nombre très considérable
d'exemples ; ceux que nous avons cependant suffisent pour nous
montrer que la diérèse subsiste pendant tout le xu" et pendant une
grande partie du xiii^ siècle.
Pour la deuxième personne du singulier, nous trouvons un
nombre assez restreint de cas de hiatus dans les différents poèmes
du xii^ siècle ; chacune des trois premières classes est cependant
représentée, la première par uiis que nous lisons au vers 1598 du
Voyage de Saint Brandan ; eiïs au vers 955 de la Chronique de
Jordan Fantosme:
Ne n'eus une en terre de rei si grand honur ;
OU encore oiis des Distiques de Caton d'Elie de Winchester :
Cum les oûs devant.
Pour la seconde classe^ nous avons relevé iiioils au vers 774 du
Voyage de Saint Brandan; rcceus, de la troisième, se lit dans la Vie
de Saint Grégoire, au vers 1359.
Pendant le siècle suivant, les exemples ne sont pas non plus
très fréquents ; citons eiis, au vers 955 du Roman des Romans :
Tu n'en eus plus ke trente deners ;
et on pourrait peut-être en trouver quelques autres encore.
Aux autres personnes, il nous semble que les exemples de dié-
rèse sont plus communs, mais nous ne voulons pas allonger outre
mesure la liste de nos citations. Dans le Tristan de Thomas, nous
trouvons avec l'hiatus eiuiies, heiDiies (aux vers 2428 et 2493), et il
est conservé encore jusque dans le Saint Auban ; eiivies se lit au
vers 1522 de ce poème :
Puis i<e les eûmes truvez e eschoisi.
A la seconde personne du pluriel, nous pouvons citer eftstes qui
se lit dans un grand nombre de poèmes, comme au vers 1509 du
Tristan de Thomas, 469 de la Folie, etc. ; soûsles:^\i vers 661 de ce
dernier poème ;' /'c/'/j/^'j, ibid., au vers 472 ; dcceilstcs au vers 1589 de
622 l'Évolution du verbe en anglo-français
Tristan. Au siècle suivant, le nombre d'exemples est encore assez
considérable ; on peut citer eiisfcs dans Robert de Gretham (80 v°),
et dans les Chansons (I, 19). On en trouve même dans le Saint
Auban, comme le eiisies, cité par Suchier, mais que nous n'avons
pas retrouvé, et le peïistes du vers 47 :
E en quele manere peùstes vus passer?
Dans le Poème Allégorique (I, 19), nous relevons un cas assuré
de diérèse dans seiistes.
Au xiv^' siècle, il est difficile de pouvoir se rendre compte du
nombre de syllabes des terminaisons de ces trois personnes ; nous
n'aV'Ons relevé dans les œuvres en vers aucun exemple qui puisse
nous fournir une preuve assurée de diérèse au prétérit.
Par contre il arrive au xiii*-' siècle qu'on trouve des diérèses qui
ne sont pas étymologiques. On en relève quelquefois à des per-
sonnes où elle est régulière, mais dans des verbes où elle ne l'est
pas, comme feiiiiies, cité par M. Suchier, exemple du Saint Auban
(vers 1450).
Les autres cas de diérèses non étymologiques se trouvent à la
troisième personne du pluriel. Comme on le sait, cette terminaison
est régulièrement monosyllabique en orent ou en tirent, -et le
nombre de cas où cette terminaison a le nombre régulier de syl-
labes est considérable'. Voici cependant quelques cas où l'in-
fluence des personnes imparisyllabiques s'est tait sentir.
Dans les Légendes de Marie d'Adgar, où les troisièmes personnes
régulières sont en grand nombre, on trouve eurent (IV, 84 ; XVII,
85), seiiient (XX, 274):
Del miracle grant joie eurent,
Tuit ensemble grant joie eurent,
Li citedein mot ne seûrent.
Pour les verbes de la seconde classe, Adgar est encore le seul qui
nous offre un exemple de diérèse irrégulière à la troisième personne
du pluriel. On trouve chez lui ineiïrenf (XXll, 89) :
Meurent sei li vent trestuit.
I. Le Cunipoz, le Brandan, le Bestiaire, Fantosme, Saint Gilles, Guischart de
Beauliu n'ont que des exemples réguliers.
LE PRÉTÉRIT 623
et il a encore au moins un exemple pour un verbe de la troi-
sième classe, (ipcrceûreiit, IV, 83 :
Quand li moine s'aperccùrent.
Il est aussi très probable que nous en avons un autre cas dans
le Tristan de Thomas au vers 203 5 :
Ne s'en aperceùrent nient.
En effet sur les huit exemples de nienl qui se retrouvent dans
ce poème, il n'y en a qu'un, si l'on fait abstraction de l'exemple
précédent, qui nous montre ce mot dissyllabique, et encore nous
croyons que même dans ce cas nient n'est compté que pour une
syllabe (vers 136) '.
Nous avons rencontré quelques exemples semblables dans les
auteurs du xiii'' siècle ; citons dans les Dialogues Grégoire le
Grand dirent (102 r° b) et aparccnroit (130 v" b). Il semble d'après
les exemples précédents que ce soit le verbe apercevoir qui montre
le plus souvent la diérèse irrégulière à la troisième personne du
pluriel de son prétérit. Nous n'avons pas relevé d'exemple de dié-
rèse bien assurée postérieurement à Frère Angier. Citons cepen-
dant courent qui nous semble avoir trois syllabes (Apocalypse, 7,
Adgar, Thomas et Frère Angier sont donc à peu près les seuls
auteurs qui nous présentent un certain nombre de cas de diérèses
irrégulières à la troisième personne du pluriel ; ils n'en fournissent
d'ailleurs aucun à la troisième personne du singulier. Cette dernière
irrégularité semble spéciale à certains auteurs du xiii'' et du xiV siècle;
nous n'en citerons d'ailleurs qu'un petit nombre de cas que nous
choisirons parmi ceux qui nous sembleront les plus sûrs, ou les
plus caractéristiques. Nous en relevons un assez douteux dans les
I . Voici ce vers :
Que petit mci aime u nient.
Il faut probablement ne pas faire l'élision de l'i* lin.d de aime (cl. Désinences
personnelles, troisième personne du singulier, la dentale caduque finale, p. 8j).
En admettant la diérèse dans dpercenroit et la non élision dans aime, nient
serait toujours monos\'llabique, ce qui est le cas du reste dans la Folie de Tris-
tan .
624 l'évolution du verbe en anglo-français
Set Donnans de Chardri, qu'on peut du reste faire disparaître
assez facilement (au vers 204) :
Rcceùt bons od les mauveis.
Il faut probablement lire ici : les bons od les mauveis.
Au vers 141 de la Petite Philosophie, nous relevons une troi-
sième personne du singulier avec un e irrégulier en hiatus : conceûst
qui compte pour trois syllabes. Dans la Genèse Notre-Dame, nous
rencontrons un exemple analogue : crd'it (au folio 73 r°). Cer-
tains auteurs du xiv^ siècle semblent affectionner cette forme, par
exemple Nicole Bozon ; dans ses Vies de Saints (au folio 92 v°), nous
lisons comefist (trois syllabes) et dans le court poème, la Vie de
Saint Paul l'Ermite, nous en avons au moins deux exemples assu-
rés (aux vers 137 et 240):
Par le lou apparceùt tôt
Dount il resceût graunt counfort
Il est certain que nous pourrions dans les autres poèmes de ce
même siècle rencontrer d'autres exemples analogues ; il nous a
semblé toutefois qu'aucun écrivain de cette période n'en présente
autant que Nicole Bozon ; en particulier nous n'en avons rencon-
tré aucun d'assuré dans la Chronique de Pierre de Langtott.
En résumé les cas de diérèse sont rares et tardifs à la troisième
personne du singulier : on pourrait presque les négliger. A la troi-
sième personne du pluriel ils sont trop fréquents et souvent trop
bien caractérisés pour être mis en doute ; mais ils ne se trouvent
que dans un petit nombre d'auteurs et ne peuvent être considérés
comme tout à fait caractéristiques en anglo-français.
Il est donc assez évident que, malgré une certaine tendance dans
ce sens, la diérèse n'a pas réussi à s'étendre beaucoup en anglo-
français ; et l'une des raisons qui expliquent son peu d'action sur
les personnes qui ne présentent pas l'hiatus régulièrement, c'est
qu'elle n'a pas cessé de perdre du terrain dans les personnes où elle
était étymologique. Dès les premiers temps de l'anglo-français,
nous voyons que la synérèse s'effectue de temps en temps aux trois
personnes où il y avait hiatus. Au xii^ siècle, nous en relevons
quelques cas qui ne sont pas douteux : le premier se trouve dans
les Légendes d'Adgar : eûmes (XIX, 106) :
Par une femme eûmes cumfort.
LE PRÉTÉRIT 625
Un autre, beaucoup plus douteux, se lit dans la Folie Tristan :
bu))ics au vers 47 1 :
De un hauap bûmes andui '.
Mais c'est surtout au siècle suivant que nous voyons se mani-
fester le plus clairement la tendance à effectuer la synérèse ; nous
n'en citerons que quelques cas. A la deuxième personne du singu-
lier, nous trouvons :
Receiis au vers 1359 de la Vie de Saint Grégoire ; et un demi-
siècle plus tard, peus dms le Saint Auban, exemple cité par M.
Suchier, mais que nous n'avons pas retrouvé ; enfin 5d'//^ au vers
344 du même poème :
Sauf (lire : sauve) tun cors demeine cum sauver seuz autri.
Nous avons rencontré encore dans ce même poème d'autres
exemples de synérèse à la première personne du pluriel ; au vers
1146, nous lisons r/'t7////('j" :
Créâmes ke de sa (lire s') emprise fust ja ben repentant.
et au vers 1273, eûmes :
Nos veisins e amis e parens k'eumes cher.
Comme on le voit, les cas de synérèse ne sont pas nombreux au
xii'^ siècle ni même au commencement du xiii^ C'est le poème
du Saint Auban qui nous en montre le premier un nombre assez
considérable.
Au xiv^' siècle, le prétérit se trouve assez rarement employé,
surtout pour cette classe de prétérits, de sorte que nos exemples ne
sont jamais très nombreux ; si on ajoute à cela que, pour les
exemples que nous pouvons rencontrer, le nombre de syllabes est
souvent impossible à déterminer à cause de l'irrégularité de la ver-
I. M. Bédier rétablit : D'un. . .beùmes. . . ; ce qui semble très justifié. Nous ne
comptons pas ici le pus du Tristan de Thomas, vers 2273, donné par M. Bédier
comme un prétérit, Lexique, car en réalité c'est une première personne du présent
de l'indicatif:
E Dcus ! pur quel ne pus mûrir,
duand perdu ai que plus désir.
40
62é l'Évolution du verbe en anglo-français
sification, on comprendra que nous sommes réduits à ne donner
qu'un tout petit nombre de cas de synérèse. Cependant les textes
que nous avons lus nous ont laissé au moins une impression,
que nous ne pouvons pas toujours prouver très clairement :
c'est que, pour la plupart des auteurs de la fin du xiii'' et du
xiV siècle, la voyelle en hiatus ne doit pas compter dans la mesure
du vers (cf. principalement William de Waddington, Pierre de
Langtoft, etc.). Nous pouvons donner comme exemples, dans les
Heures de la Vierge : receiistes (au folio 65 v°) ; dans Pierre de Lang-
toft : receii- (cf. II, 208, 5). Nous ne citerons pas plus d'exemples
pour le moment, ceux que nous venons d'énumérer nous per-
mettent de conclure que :
■1° La diérèse a été conservée dans la grande majorité des cas
pendant le xii^ et la plus grande partie du xiii^ siècle.
2° Elle semble avoir été commune même pendant le xiv^ siècle.
3° Les cas de diérèse irrégulière restent assez rares, excepté chez
un petit nombre d'auteurs; cette diérèse peut affecter soit des pré-
térits pour lesquels elle n'est pas étymologique, ce qui est très rare,
soit des personnes qui ne devraient pas l'avoir.
4° C'est vers 11 60 que nous rencontrons les premiers cas de
synérèse ; mais la synérèse est très rare pendant les dernières
années de ce siècle, et à peine plus commune pendant la première
partie du siècle suivant.
5° Il semble qu'elle soit devenue, sinon la règle, au moins très
commune à partir de 1250 (Saint Auban) et pendant lé xiV^
siècle.
LA consonne de LA TERMINAISON DANS LES CINa CLASSES
Nous avons déjà étudié (cf. Désinences personnelles, troisième
personne du singulier) la chute de la dentale, puis l'introduction
d'une s non étymologique à la troisième personne du singulier.
Nous avons maintenant à revenir sur ce dernier point, et à reprendre
la même question à un autre point de vue. Nous allons voir main-
tenant quelles sont les classes qui ont été le plus affectées par
cette s paragogique et dans quel ordre elles ont été atteintes.
C'est dans les textes du xii*^ siècle que nous trouvons les pre-
miers exemples de la terminaison st dans les prétérits en ///, et ce
LE PRÉTÉRIT 627
sont les verbes de la cinquième classe qui sont les premiers à la
prendre. Mais les premiers cas que nous rencontrons, lorsqu'ils
sont à la rime, montrent que ces formes riment bien avec les formes
sans s ; les premiers exemples assurés que nous trouvions de la pré-
sence de 1'^ datent de la seconde moitié du xii"^ siècle. En effet la
première rime significative se trouve dans les Légendes de Marie
d'Adgar ; on y lit iimrnist (prétérit) à la rime avec fust. Dans le
corps du vers des auteurs de cette époque, les exemples sont beau-
coup plus communs, mais ils peuvent pour la plupart appartenir
aux scribes. Quelques-uns de cesexemples cependant doivent appar-
tenir à la fin du xir' ou au commencement du xiii^ siècle ; ce sont
ceux qu'on lit dans le manuscrit R de Gaimar : ///o;7/5/ (au vers 1273),
panist (au vers 2252). Dans la Chronique de Jordan Fantosme,
nous relevons plusieurs formes semblables; citons estciisl (au vers
13 19, peut-être un imparfait du subjonctir), //^5/, certainement un
prétérit.
En un mot, la plupart des poèmes de la fin du xii"^ siècle en
présentent quelques cas, qui peuvent du reste appartenir aux
scribes et dater du xiii'^ siècle.
Il faut remarquer que tous ces exemples nous montrent la
désinence iist des verbes de la cinquième classe. La seule exception
que nous connaissions serait esteust que nous venons de citer et
qui est loin d'être sûr.
Ce n'est que plus tard, vers 1250, que les verbes de la seconde
et de la troisième classe suivent l'exemple de ceux de la cinquième.
Les premiers exemples que nous en ayons relevés se lisent dans le
poème de Boeve de Haumtone ; et évidemment ici nous devons
hésiter avant d'attribuer à l'auteur les formes que nous rencontrons,
comme dust qui se trouve au vers 1590. Cette même forme se
trouve encore au vers 2496 de William de Waddington ; Ditist est
employé au vers 75 de The Song of the Barons. Et d'une façon
générale les formes analogues abondent au siècle suivant.
Quant aux prétérits de la première classe, il semble que c'est à
la même époque que les formes irrégulières se rencontrent ; et ici
nous devons faire ime distinction nécessaire : les terminaisons en u
et en eu prennent 1'.^ en même temps que les verbes de la seconde
et de la troisième classe, par exemple eitst au vers 468 de Boeve de
Haumtone; iiist qu'on peut lire au folio 66 v" de la Genèse et au
628 l'évolution nu verbe en anglo-français
vers 905 1 du Manuel des Péchés, ou encore pliisl qui est employé
au vers iié du Saint Auban.
Toutes ces formes sont communes au xiv'^ siècle, plus communes
que les formes correspondantes sans s, surtout pour les radicaux en
en comme teust, Pierre de Langtoft (I, ^§0, 10); tieust, Nicole
Bozon (Contes, § 23).
Il n'en est pas de même des prétérits de cet.te classe, et ils sont
nombreux, comme nous l'avons vu, qui conservent la forme éty-
mologique ; les exemples que nous avons donnés suffisent à mon-
trer qu'ils n'ont pas cette consonne parasite. Les exemples con-
traires sont fort rares ; nous ne trouvons que oust qu'on lit au vers
II de la Bounté des Femmes de Nicole Bozon. Il est probable que
cet exemple n'est pas absolument isolé; mais il est certain que les
formes analogues à celle-là ne sont pas nombreuses.
Nous résumerons en ces quelques mots les lignes qui précèdent :
Us parasite s'introduit probablement dans les prétérits en ///
vers la fin du xii'' siècle, assurément au commencement du siècle
suivant.
Ce sont les prétérits de la cinquième classe qui sont d'abord
atteints et ils restent seuls sous cette forme au moins jusque
vers le milieu du xiii^ siècle, peut-être plus tard.
Vers ou après 1250, nous voyons que toutes les autres classes
sont atteintes à leur tour. Et nous ne découvrons qu'une seule
exception : les prétérits de la première classe qui conservent la forme
étymologique. Avec cette restriction, tous les auteurs du xiv^ siècle
emploient aussi librement que possible les prétérits en 11 avec ou
sans 5 sans raison apparente. Il en est de même pour les textes qui
n'appartiennent pas à la littérature ; les formes en ust y sont extrê-
mement communes.
On peut probablement considérer comme variante de la graphie
st la forme qu'on rencontre dans le Chevalier, la Dame et le Clerc;
on lit en effet dans ce poème coniiht (au vers 563), contht (au vers
^64),iiioriith (lire vioruht, au vers 585); de même fuht se lit dans
les Royal Letters Henry III (12^5, II, 293) (cf. Prétérits en avi,
Prétérits en /).
LE PRÉTÉRIT 629
ACaUISITIONS DES PRETERITS EN UI
Les prétérits en /// ne peuvent montrer que très peu de nou-
velles formes; c'est à peine s'ils peuvent conserver tous les verbes
qui leur appartiennent régulièrement. Nous avons vu ester et
arester' ; avoir, pouvoir, vouloir, passer plus ou moins fréquemment
aux prétérits en avi ; nous verrons un peu plus tard un certain
nombre de troisièmes personnes du pluriel de ces prétérits prendre
la forme des prétérits en si -. Cependant on relève aussi plusieurs
formes qui ont été gagnées par les prétérits en /// pendant le xiii^ et
le xiv^ siècle.
Nous croyons que pleurer prend souvent cette forme ; nous
avons cité à propos de l'imparfait la forme ploiiroii (première per-
sonne du singulier) dans le 2^ Appendice de Pierre de Langtoft (II,
446, 10); ce qui pourrait faire prendre cette forme pour un prétérit,
ce sont les exemples suivants, tous antérieurs à celui que nous venons
de citer.
On lit phirurcnt au vers 1548 des Set Dormans de Chardri ;
ensuite on rencontre plontt plusieurs fois dans les œuvres de Frère
Angier (aux vers 1712 et 2655 de la Vie de Saint Grégoire, au
folio 28 v° a des Dialogues) ; plurust se trouve dans la Genèse (73
V"), et au siècle suivant aux folios 92 v°, 94 r° etc. des Vies de
Saints de Bozon. On peut rapprocher sinon deplowaii, au moins de
pJonit la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif
pJiirt qui se rencontre très fréquemment (cf. Désinences personnelles,
y personne du singulier, page 125). Pleurer semble avoir subi
l'influence, sur plusieurs points de sa conjugaison, d'un verbe comme
mourir.
1. Ou trouve assez fréquemment h\ forme étymologique pour le prétérit de ces
verbes, même au xiiie siècle ; cf. Vie de Saint Grégoire, 2801 ; Dialogues, 96roa ;
Chardri, Set Dormans, 1041 ; Robert de Gretham, 6 vo ; Saint Auban, 1062.
Au xive siècle, on la rencotitre encore, Apocalypse [B, 1161 ; Contes de Bozon,
§ 80; Pierre de Langtoft, I, 44, i ; même les Year Books nous en donnent de
nombreux exemples. Cf. i et 2 Edw. II, p. 57 ; ils ne connaissent pas la forme
en az'i.
2. Fo;«//r/;/, Vie-tle Saint Grégoire, 1645 ; rcqenoistrent , ibid., z-jS-j ; cnistretit,
Genèse, 70r°; snslrent. Manuel des Péchés, 9053.
630 l'évolution du verbf, hn anglo-français
Les autres cas de reformation ne se trouvent pas si souvent
répétés ; ils sont au contraire tous isolés et peuvent n'être que
l'expression de la fantaisie individuelle de chaque auteur ou de
chaque scribe.
On relève par exemple au xiii'' siècle aferiil dans la Vie de
Saint Grégoire(au vers 216), qu'on retrouve quelquefois dans les
Year Books ; crciiint au folio 121 v° b des Dialogues et au vers 3057
d'Edward le Confesseur. Siiit de suivre se trouve dans Edward le
Confesseur au vers 11 52; ce dernier exemple est du reste assez
commun, nous ne voulons pas insister sur cette forme qui appartient
plus à la phonétique qu'à la morphologie : siut provient en effet de
siuit par la réduction à // de la pseudo-diphtongue ///.
Quoique en apparence seulement une acquisition des prétérits en
///, siut a été traité comme appartenant réellement à cette conju-
gaison ; c'est ainsi qu'il prend la diphtongue on au folio 92 v° des
Vies de Saints de Bozon. De même esclnivaU, employé par Pierre de
Langtoft (II. 326, 14), n'est pas une reformation; iireut tsx. ici
encore une réduction de iiircnt.
Sont de seoir qui est employé par Bozon dans ses Contes (au § 92),
responnt par Nicolas Trivet (39 v°), sont au contraire de véritables
acquisitions.
Les personnes autres que la troisième du singulier sont très
rares : nous venons d'en citer une, eschurenl ; on peut ajouter
niûiijiirent donné par le ms. A de William de'Waddington au vers
3671 (B mangèrent).
Les seules reformations que nous trouvions en dehors des textes
littéraires se rencontrent dans les Year Books et elles ne nous
arrêteront pas longtemps. Dans ces recueils elles sont nombreuses,
et souvent absolument inattendues; pour en donner une idée, nous
pouvons citer les formes suivantes : purnisl de pourrir (30 Edw. P',
169) ; seust de suivre est très commun, par exemple on le trouve
dans 33 et 35 Edw. P' (185, etc.) ; toiut et ternîmes de tenir se
rencontrent dans 13 et 14 Edw. III (137 et 335); âemnrrnst de
demorer dans 17 et 18 Edw. III (135).
Ce ne sont à proprement parler que des barbarismes.
LE PRÉTÉRIT 63 I
II. Les prétérits forts.
A. Les prétérits en i.
Les prétérits forts en / comprennent les prétérits des verbes voir,
tenir et venir. Les prétérits de ces deux derniers verbes sont ordi-
nairement considérés comme des prétérits en iii\ et comme tels ils
font partie de la même classe que celui de vouloir; cette division,
plus correcte au point de vue étymologique, a le désavantage de
grouper dans la même classe des verbes qui n'ont pas à ce temps
une forme en commun ; car tenir et venir ont des formes
analogues à celles des prétérits en i et vouloir appartient à la fois
beaucoup aux prétérits en si et un peu aux prétérits en ///'. Il semble
donc préférable d'étudier ensemble les trois verbes que nous avons
cités.
Les farines.
I. Première personne du singulier.
La première personne du singulier est régulièrement pour ces
trois verbes : vi, lin, vin. Les deux dernières ne se rencontrent du
reste jamais sous cette forme ; elles présentent toujours la guttu-
rale, soit c, soit g. Pour les formes terminées par c, on peut voir les
Psautiers d'Oxford et de Cambridge (68, 3), la Folie (vers 771),
etc ; pour g, les premières personnes qu'on lit se trouvent dans le
Poème allégorique (21), et au vers 2452 de William de
Waddington, etc.
Ces deux personnes, qui, du reste, ne sont pas très fréquemment
employées, sont donc toujours régulières. Vi, de son côté, ne pré-
sente pas de grandes irrégularités ; on le trouve quelquefois avec
une s non étymologique ; le premier exemple que nous en ayons
relevé se trouve dans le SaintEdmund (au vers 1258) ; cette forme,
qui n'est probablement qu'une erreur du copiste, doit être reportée
au xiv^ siècle ; à cette époque du reste vis est un peu plus com-
mun ; on le voit dans le 2" Appendice de Pierre de Langtoft (II,
428, 29) et dans le Prince Noir (vers 1652).
I. Cf. Romaftia X, 216 (Cornu); Zeitschrift II, 257 (Suchier).
632 L ÉVOLUTION OU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Cette forme avec s ou '{ n'est pas rare dans les textes non litté-
raires ; nous la trouvons par exemple dans Rymer : vi^ (1339, VI,
119). Les autres déviations du type normal sont plus rares, et même
dans les Year Books c'est la forme étymologique qui se rencontre le
plus fréquemment; nous trouvons cependant à l'occasion la première
personne du prétérit du verbe voir sous une apparence très irrégu-
lière, comme u\e qu'on lit dans le Year Book 16 Edw. III (p. 281).
2. Deuxième personne du singulier, première et deuxième du pluriel.
Régulièrement ces trois personnes prennent les formes suivantes :
ve(d)is, tenis, venis ; ve(d)imes, tenimes, venimes ; ve(d)istes,
tenistes, venistes ; la consonne intervocalique se maintient dans le
cas de l'w et disparaît dans voir et ses composés ; il en résulte que
tenir et venir ont les trois personnes dont nous parlons extrême-
ment régulières ', tandis que celles de voir subissent quelques
changements.
Diérèse et synérèse au prétérit de voir.
ci) Diérèse, — Au xii^ siècle, la plupart des personnes du prétérit
de voir qui présentent l'hiatus sont absolument régulières ; la diérèse
subsiste dans la majorité des cas et il est peu utile d'en citer lors-
qu'ils concordent tous aussi bien.
Au xiii'^ siècle, il n'en va pas exactement de même"; les formes
que nous relevons sont beaucoup plus mélangées et les cas de
diérèse et ceux qui montrent que la synérèse s'est effectuée sont
librement employés dans chaque auteur; il est donc bon que nous
soyons sûrs d'un certain nombre de formes à diérèse à cette
époque et nous en citerons maintenant quelques-unes.
Nous commencerons par le Saint Edmund qui nous montre
quelques exemples où l'hiatus est régulièrement conservé ; mais
nous n'en donnerons qu'un cas ; c'est le veïmes que nous lisons au
vers 1277 :
Le miracle que nus veymes.
I. On lit cependant dans Boeve devins, 1825 ; mais il vaudrait mieux lire
devenis :
Ke tu devins (lire devenis) li home Boûn le fer.
LE PRÉTÉRIT ■ 633
Il en va de même pour la Vie d'Edward le Confesseur, qui nous
donne veïstes au vers 1020 :
Veïstes vus estranges puis.
Les autres contemporains pourraient nous aider à augmenter le
nombre de ces citations ; mais nous passerons maintenant à la Vie
de Saint Auban ; dans ce poème, les cas de diérèse, comme nous
le dirons plus tard, sont moins communs que les cas de synérèse ;
nous trouvons cependant au moins deux exemples pour les pre-
miers : veïmes et veïstes (respectivement aux vers 1184 et 303). On
pourrait probablement leur ajouter quelques cas un peu douteux,
mais où il est probable que la diérèse subsiste, comme au vers 306:
Le pueple ke veïstes tant cruel e felun
Il faut évidemment lire ve-isfs, ou plus exactement ne pas
compter Ve muet à l'hémistiche.
Au xiv^ siècle, les exemples de diérèse sont assez rares et nous
n'en avons pas relevé un pour lequel nous puissions avancer avec
quelque certitude que la forme étymologique subsiste. On peut
presque affirmer qu'il n'y a plus que de rares cas de diérèse au pré-
térit de voir après 1300.
h) Synérèse. — Ces derniers mots nous donnent déjà une idée
des progrès que la synérèse a faits en anglo-français pendant le
xiir' siècle. La synérèse remonte même peut-être plus haut; les pre-
miers cas se rencontrent non pas au xiii'' mais au xii^ siècle, A cette
époque cependant, comme nous l'avons dit plus haut, le maintien
de la voyelle muette en hiatus est la règle ; mais il y a quelques
exceptions. La première se lit dans le Psautier d'Arundel : vimes
(47, 7), mais comme nous ne pouvons contrôler cette forme
par la mesure, elle est extrêmement douteuse, car nous n'en avons
aucune autre assurée et se suffisant à elle-même dans les poèmes
de la fin du xii^ siècle.
Il en résulte que nous ne devons pas attacher grande importance
à la forme que nous donne le Psautier d'Arundel, carellc peut n'être
qu'un lapsus calami.
Au xiii" siècle, les cas de synérèse deviennent plus nombreux et
(?34 l'évolution du verbe en anglo-français
d'autant moins douteux; au commencement du siècle, nous trou-
vons dans Edward le Confesseur (au vers 1025) veistes :
K Ne veistes dune? » «Ilugelin, non ».
La Genèse Notre-Dame a veyincs (au folio 5 1 r°) ; la même forme
se retrouve dans la Satire (au folio 87 r°).
Enfin il n'y en a pas moins de quatre dans Saint Auban : veimes
(587, 1143, 1165) '■> ^^ peut-être, quoique ce ne soit pas très pro-
bable, veistes (316).
Kar li doilz serrait grantz, ne veimes une grainnur.
Veimes ke par Auhan fu cist maus tant durant.
Veimes après co grant gent de sei laburant.
Relever le veistes envostre avisiun.
Au xiv^ siècle, comme nous l'avons dit tout à l'heure, les
exemples que nous trouvons de ces trois personnes de voir semblent
avoir effectué la synérèse ; par exemple dans le i'^' Appendice de
Pierre de Langtoft, nous trouvons veimes (II, 418, 13).
3. Troisièine personne du singulier et troisième personne dit pluriel.
Les troisièmes personnes, singulier et pluriel, des prétérits en /
sont toujours très régulières ; on ne trouve à citer que des défor-
mations accidentelles ou des changements provenant de causes plus
générales.
La troisième personne du singulier de voir est vit et au xiv^
siècle vyt ; celle de venir et tenir est vi{^y)nt, ti{\)nt.
Nous ne voyons à signaler à propos de ces trois formes que le
phénomène très général que l'on trouve à presque toutes les troi-
sièmes personnes du singulier et même ailleurs que dans les verbes.
Nous voulons parler de 1'.^ qui vient appuyer le / ou le groupe nt
final ; nous avons déjà signalé ce phénomène plus d'une fois, en
particulier quand nous avons étudié les désinences de la troisième
personne du singulier ; aussi nous ne citerons qu'un tout petit
nombre d'exemples. Nous avons déjà vu l'exemple de l'Alexis dans
lequel vit a pris la désinence st ; citons encore vist dans Gaimar
qui ne peut être qu'une graphie provenant du scribe (au vers 656,
2148) ; William de Waddington (au vers 975) emploie la même
LE PRÉTÉRIT 635
forme. Ce n'est guère qu'au kiy*^ siècle que nous trouvons vis!
rimant avec des verbes ayant régulièrement la terminaison 5/; mais
toutes ces rimes ne signifient rien, puisque à cette époque Vs était
certainement amuie comme nous l'avons dit plus haut. C'est ainsi
qu'on trouve que vist rime avec prist dans The Lament on the
Death of Edward P' (vers 37); purvii rime avec mist dans les Vies
de Saints de Bozon (au folio 93 v°), etc.
Us est beaucoup plus rare et plus tardive pour les deux autres
verbes; nous .n'en avons trouvé d'exemple qu'au xiv^ siècle, comme
t'nist, dans The Lament on the Death of Edward P' (vers 16);
avciusi dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, 858).
A la troisième personne du pluriel, nous pouvons constater que
nos prétérits conservent aussi d'une fLiçon très constante la forme
régulière : virent pour voir et ti}idrenf,vindrei!l pour tenir, venir ; c'est
la forme moderne qu'on trouve dans Rymer : vinrent (1360, \Y,
257); c'est du reste un exemple isolé.
LcJcnient vocaVique du radical.
La première et la troisième personne du singulier et la troisième
du pluriel de ces trois verbes présentent régulièrement un / au
radical. Nous allons voir que ces personnes prennent quelquefois
une des diphtongues ie et ei ; nous distinguerons voir des verbes
tenir et venir, car nous croyons que l'introduction de la diph-
tongue n'a pas exactement la même cause pour le premier verbe
que pour les deux autres.
I. Voir. — Des deux diphtongues irrégulières, la diphtongue ci
est la plus commune ; par exemple dans la langue littéraire on
trouve vc\ à la première personne dans les Contes de Nicole Bo;^on
(§ 54) ; à la troisième personne, la diphtongue est beaucoup plus
ancienne weist se trouve dans le ms. A de l'Alexis (49 d), vcil
dans le Psautier d'Arundel (32, 13). Dans les textes politiques et
diplomatiques, cette forme se rencontre encore; mais on peut, pour
la plupart des cas que nous avons relevés, se demander, comme
pour l'exemple de l'Alexis que nous venons de citer, si l'on n'a pas
affaire à un subjonctif imparfait. Ce n'est guère que dans les
YearBooks qu'on rencontre des exemples de la troisième personne
du singulier qui ne laissent place à aucun doute (comme 30
6}6 l'évolution du verbe en anglo-françals
Edward P"", 75); cependant les formes veit au prétérit sont ren-
dues beaucoup plus vraisemblables par la forme véirent qui se
trouve dans le même psaume des Psautiers d'Oxford (34, 24) et
d'Arundel (34,23).
La diphtongue ie est beaucoup moins commune dans les œuvres
littéraires et ne se trouve qu'à la troisième personne du pluriel.
(Cf. cependant vye, Year Book 16 Edw. III, 281.)
Nous avons déjà cité dans les acquisitions des prétérits en avi
les formes vierent qui ne leur appartiennent peut-être pas.
2. Venir, tenir. — Nous pouvons enfin noter, surtout au xiv^
siècle et dans la langue légale, un changement plus général qui
semble affecter toutes les personnes du prétérit détenir et de venir.
C'est l'emploi dans le thème du prétérit dans la diphtongue ie.
On trouve dans Nicolas Trivet tient (37 r°, 59 v° et passini),
vient (81 v°, etc.).
Ces formes sont plus nombreuses et remontent à une date plus
reculée en dehors de la langue littéraire ; les Parliamentary Writs
en ont un exemple en 1301 (p. 131) ; le Registrum Palatinum
Dunelmense en montre un autre en 13 12 (p. 7), etc. Ils sont
encore plus connus dans les Year Books (cf. par exemple 31 Edw.
1^,483, etc.).
La diphtongue ne se rencontre pas seulement au singulier ; nous
la relevons au pluriel : tiendrent, viendrent sont employées dans les
chroniques de Nicolas Trivet (au folio 67 r° et passini) ; de
même dans la langue familière, Jean de Peckham en a un nouvel
exemple à la date de 1381 (233) et les exemples ne sont rares
ni dans Rymer, ni dans les différents Year Books de toutes
dates.
Quelquefois, mais assez rarement, la diphtongue ei prend la place
de ie ; aveinst se lit dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323, 858);
teint dans le Registrum Palatinum Dunelmense (13 12, 7) et dans
les Year Books (cf. 21 Edw. I", 185 ; i et 2 Edw. II, 159) ; de
même on trouve au pluriel : veindrent dans le Year Book 13 et 14
Edw. m (p. 215).
Chose assez curieuse, cette diphtongue provenant de la vo)'elle
i peut se réduire à la voyelle e. Les Year Books présentent aussi
assez fréquemment cette dernière voyelle : tent, vent.
Citons enfin pour le pluriel un phénomène assez général en
LE PRÉTÉRIT 637
anglo-français : c'est dans les Year Books aussi qu'on trouve le plus
fréquemment un e svarabhaktique pour la troisième personne du
pluriel de venir et de tenir : devindermt (cf. 20 et 21 Edw. I*"', 85 ;
I et 2 Edw. II, 37 ; 2 et 3 Edw. II, 112, etc.). •
B. Les prétérits en si '.
Les prétérits en si forment la classe la plus nombreuse des pré-
térits forts ; l'étude des différentes formes que ces prétérits ont
adoptées aux six personnes en anglo-français est aussi importante
qu'elle est intéressante. Aux verbes qui sont régulièrement en si,
nous joindrons le prétérit du verbe faire ^ dont les formes, à l'ex-
ception de celle de la troisième personne du pluriel, offrent avec
celles qui appartiennent étymologiquement à cette classe la plus
grande analogie.
Nous allons voir que l'anglo-français a conservé avec une régu-
larité remarquable les formes étymologiques à la plupart des per-
sonnes de ces parfaits.
I. Première personne du singulier.
La première personne du singulier de ces verbes est régulière-
ment terminée par s. Au lieu de s on rencontre assez souvent i- Le
premier exemple que nous trouvions de ce changement se ren-
contre dans le Psautierde Cambridge : Ji^^iiS, 121); puis le Tristan
de Thomas en a un exemple à la rime : di:{ (: fii, au vers 1965) ;
mais comme fil = feci, cette interrime peut ne provenir que du
scribe (Douce, xiii^ siècle). On en trouve encore quelques cas qui
ont la même origine dans le même Thomas (au vers 1275) et
dans le Donnei, au vers 82. La première rime probante : /;;: ( : fiz,
subs.) se lit dans le Petit Plet de Chardri (au vers 1717); et cette
même forme est encore employée dans le corps des vers 236 du
Saint Laurent, 618 de la Lumière as Lais, 934 de Dermod. Au vers
1 . Pour les prétérits en si, on pourra consulter le travail de L. Qischke,
Die Perfektbildung der starkcn Vcrba der si classe.
2. Pour^5,>;î = feci, Cf. Romaiiia V, 65 (Thomsen) ; Zeitschrilt III, 495,
(Foerster).
638 l'évolution du verbe en anglo-français
28 du Siège de Carlavcrok nous retrouvons la même rime que dans
le Petit Plet de Chardri.
Il fout remarquer que, quoiqu'il y ait des exemples de différents
prétérits en si prenant i, la très grande majorité des exemples que
nous venons de donner se rapportent principalement au prétérit de
faire ; mais cela peut provenir tout simplement du fait que ce
verbe se trouve employé plus fréquemment à cette personne que
les autres verbes de sa classe.
Il arrive aussi, quoique plus rarement encore, que la consonne
finale tombe complètement : nous en trouvons un exemple dans
l'Estorie des Engleis de Gaimar : di au vers 2962, mais ce ne peut
être qu'une erreur du scribe, car l'auteur emploie la forme régu-
lière, nous en avons une preuve dans la rime dis (: pais), 2145
(cf. aussi asis, 670^ etc.). C'est du reste le seul exemple de cette forme
que nous ayons relevé dans la langue littéraire avant le xiV siècle.
A cette dernière époque, les exemples de la chute de la consonne
finale ne sont pas très rares, et on les trouve même à la rime,
comme di (: merci), dans le De Conjuge non ducenda (32).
2. Deuxièmes personnes du singulier et du pluriel,
première personne du pluriel.
Ces trois personnes présentent un allongement syllabique, qui
entraîne une dissimilation vocalique dans les verbes ayant / libre
au radical ' .
D'où il résulte que nous avons quatre questions à étudier pour
les trois personnes : a) l'allongement syllabique ; /') la dissimila-
tion vocalique ; c) le sort de la consonne intervocalique ; d} diérèse
et synérèse après la chute de cette consonne.
a) Allongement syllabique.
L'allongement syllabique se fait toujours très régulièrement aux
xir et XIII'' siècles ; les formes parisyllabiques que nous rencontrons
au xiv^ siècle proviennent toujours d'une synérèse dans les formes
à l'origine imparisyllabiques. Par un cas assez curieux d'analogie,
I. Pour fecisti; d. Roraania XXVIII, 1 18 (Thomas) ; Zeitschrift XXIII, 533,
(Baist).
LE PRÉTÉRIT 639
cet allongement semble atteindre la première personne : on trouve
en effet sets = sessi dans le Psautier d'Arundel (25, 4) ; il est plus
apparent que réel, car seis est probablement monosyllabique.
b) Dissimilation vocalique.
Lorsque le radical du verbe contient /, il y a ordinairement dissi-
milation entre 1'/ du thème et celui de la désinence, le premier pas-
sant à e. Toutefois nous ne rencontrons pas sur ce point la même
régularité que dans la question précédente ; souvent IV du thème se
maintient, jusqu'au jour évidemment où Vs intervocalique tombe.
Les formes régulières sont évidemment très nombreuses, et il est
inutile de s'y arrêter et d'en donner des exemples : elles se
retrouvent jusqu'au xiv* siècle.
Mais, au lieu de la voyelle régulière e, on trouve souvent soit la
diphtongue ci, soit et plus communément la voyelle z.
Il est assez rare de trouver la diphtongue ei : on en voit d'abord
un exemple pour faire dans la Vie de Saint Gilles : feisistes (^au vers
3601), exemple qui provient peut-être du scribe ; puis dans la Vie
de Saint Grégoire (au vers 2203): reisistes de rire, et ici il importe
assez peu que la diphtongue provienne du scribe, puisqu'il n'y a eu
qu'un intervalle très court, s'il y en a eu un, entre la date de la
composition et celle à laquelle le manuscrit a été écrit.
La langue légale peut nous fournir un autre exemple d'autant
meilleur qu'il est daté. Dans les Rymer's Foedera (date 1297), nous
Vivons feisîsnu's (vol. Il, p- 700). Ce sont les seuls cas de ci que nous
ayons relevés.
Il est plus fréquent, comme nous le disions, de trouver la
voyelle i ; le xir siècle nous montre un nombre assez considérable
d'exemples dans lesquels la dissimilation vocalique ne se fiit pas.
Nous allons les citer par ordre alphabétique puisque ces formes
appartiennent pour la plupart à la même date.
Afflisis se rencontre dans le Psautier de Cambridge (43, 2); dcs-
pisis dans le Psautier d'Arundel (26, 15); disis est employé à plu-
sieurs reprises, par exemple dans le Psautier d'Oxford, où il est la
seule forme connue (par exemple 88, 3 et passiiii) ; descrisis se
rencontre plus tard ; c'est même, au point de vue chronologique, la
dernière forme de ce genre que nous ayons relevée ; il est employé
640 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
par Angier (Dialogues, 129 v° b). Eslisis se lit dans le Psautier
d'Oxford, où il est employé assez souvent, par exemple 64, 4,
Mettre et ses composés font souvent misis^ employé une fois dans
le Psautier d'Oxford (8, 7), dans le Psautier d'Arundcl (8, 6) et
dans Guischart de Beauliu (555). Prisis ne se trouve que deux fois
dans le Psautier d'Oxford (64, 4), tandis que quisis se rencontre
dans les trois Psautiers d'Oxford (39, 10), de Cambridge et d'A-
rundel (39, 8).
Il est à remarquer que la dissimilation vocalique, à part deux cas,
ne manque de se faire que dans les Psautiers ; tous les autres
auteurs de ce siècle, sauf Guischart de Beauliu et Angier, la font
régulièrement ; cela tient surtout, croyons-nous, au fait que nous
allons examiner tout à l'heure. La chute de la consonne intervo-
calique, lorsqu'elle a été assez fréquente, a eu pour premier résultat
de faire persister sous forme d'c la voyelle en hiatus et, par analo-
gie, cette même voyelle séparée de 1'/ de la terminaison par Xs. En
d'autres termes, prcïs, qui ne pouvait pas subsister sous la forme
priis, a réagi sur presis qui existait encore et l'a empêché de devenir
prisis.
Mais cette chute de 1'^ intervocalique a amené d'autres voyelles
que la voyelle /, a par exemple: dans faismes, qui se lit dans les
Statutes (1311, I, 157) ou praisnies qu'on trouve dans les Traités de
Rymer (13 13, III, 443) ; plus rarement oi : faismes, Ky mer (13 11,
III, 262). Mais ici il ne faut plus parler de dissimilation vocalique.
Après la chute de l'^, e et / ont formé une sorte de diphtongue, et
cette fausse diphtongue ci 3. naturellement évolué vers ai et oi.
c) Chute de Vs intervocalique.
Dans un certain nombre de verbes, l'.f se trouve entre deux
voyelles, et dans cette position elle est destinée à disparaître ; ce
n'est évidemment que très progressivement que cela a eu lieu. Les
formes étymologiques et les formes sans s ont coexisté assez long-
temps.
Il serait très facile de se rendre un compte exact de la façon dont
cela s'est produit si les textes que nous possédons reflétaient exacte-
ment les habitudes de l'auteur; comme il n'en est rien, dans la
plupart des cas nous en sommes encore une fois réduits aux con-
jectures, au moins jusqu'à un certain point.
LE PRÉTÉRIT 64 1
Car dans le cas présent, ni la rime, ni la mesure du vers ne
peuvent nous servir ; les seuls ouvrages qui peuvent nous donner
des renseignements de quelque valeur sont ceux pour lesquels l'in-
tervalle entre l'auteur et le scribe est réduit à un minimum, par
exemple les Psautiers, les Quatre Livres des Rois (et encore pour ces
traductions, nous savons que les auteurs ont mis à profit des tra-
ductions antérieures dont ils peuvent reproduire certaines habi-
tudes de style), surtout les deux poèmes de Frère Angier, et dans
un autre genre, les textes politiques.
Nous n'avons cependant aucune difficulté à reconnaître les cas
dans lesquels Vs a été conservée ; car nous pouvons toujours assi-
gner comme date à chaque exemple la date de la composition de
l'ouvrage ; il est peu vraisemblable que les scribes aient ajouté des
s, et s'ils l'ont fait, le seul résultat est que 1'^ a persisté plus long-
temps encore que nous ne le disons ; en attribuant donc les s aux
auteurs, nous restons souvent au-dessous de la vérité.
Les exemples qui nous montrent la persistance de cette consonne
sont nombreux, non seulement au xii^ siècle, mais même pendant
le xiir. Il arrive même que certains poètes de la fin du xii" siècle,
comme Guillaume de Berneville, ne semblent pas en connaître
d'autre. Mais, quoique, même à cette époque, une correction abso-
lue soit l'exception^ tous les auteurs, au moins jusqu'en 1250, nous
offrent quelques exemples de la forme avec s. Nous ne citerons pas
tous les cas que nous trouvons dans Chardri, Angier, Robert de
Gretham, et nous nous contenterons de donner un petit nombre
de formes : ainsi, on lit reisis dans la Vie de Saint Grégoire (au
vers 2203) ; descrisis dans les Dialogues (129 r" b) ; et desis dans
le même ouvrage (126 v° a) ; Robert de Gretham nous montre
presis Çau folio 68 r°), et au vers 1682 du Saint Edmund on peut
lire feshnes. Après cet ouvrage, les exemples sont plus rares dans
les œuvres littéraires ; mais nous avons en dehors de celles-ci des
preuves que Vs a été conservée fort avant dans le xiv^ siècle. Nous
ne relevons aucune forme avec s dans les Statutes ; mais les
Rymer's Foedera nous en donnent un nombre assez considérable
d'exemples jusque dans la seconde moitié de ce siècle. Nous trou-
vons en effet dans ce recueil : fesimes à la date de 1348 (V, 652) ;
et promesimes au même endroit ; desimcs en 1369 (VI, 644) et
quelques autres passim. Cela sutfit à montrer que l'anglo-trançais,
41
642 l'évolution du verbe en ANGLO-1-RANÇAIS
presque jusqu'à la fin de sa période littéraire, a connu et employé
les formes qui montrent ïs étymologique.
L'autre côté de la question, chute de Vs, devrait nous montrer
la foçon dont l'hiatus s'est produit, et les progrès qu'il a faits. Le
premier verhe que nous ayons relevé sous la forme avec hiatus est
le verbe seoir ; seïmes se lit dans les Psautiers d'Oxford (136, i) et
purseïs dans le Psautier de Cambridge (0, 19).
Que ce soit ce verbe que nous a^'ons trouvé le premier sous cette
forme dans deux textes indépendants, ce peut n'être qu'un hasard.
Cependant nous ne le croyons pas. Il nous semble au moins pro-
bable que ce verbe a perdu son s le premier parce que ses autres
temps avaient déjà perdu auparavant eux aussi une consonne dans
la même position : la dentale intervocalique.
De toutes façons, le premier exemple de cette chute de Ys date
au moins de iiéo. A peu de distance de ces deux exemples, le Psau-
tier d'Arundel nous en donne un autre : feïs (38, 13) ; le scribe du
Voyage de Saint Brandan (1167) nous en offre bien davantage :
fermes (au vers 470) ; preïstes (au vers 752); on les retrouve tous
dans le ms. de l'Arsenal.
Parmi les formes que nous n'hésitons pas à attribuer aux scribes
dans les ouvrages de cette époque (1150), nous trouvons celles
qui se lisent dans l'Estorie des Engleis : comme feïuies (au vers 4-I i)
et plusieurs autres dans le même poème.
Dans les ouvrages qui appartiennent au dernier quart du
XII* siècle les exemples deviennent d'autant plus fréquents que les
formes dues aux scribes du xiii'^ siècle s'ajoutent à celles qui pro-
viennent des auteurs; il y a quelques exceptions, par exemple le
poème sur la Vie de Saint Gilles, où seules les formes avec s
sont employées, mais elles sont rares. La plupart des ouvrages de
la fin du XII* siècle montrent des exemples de ces deux formes.
Citons rapidement quelques exemples, quoique cela ne soit pas
très nécessaire. Dans les Légendes de Marie, Adgar emploie le plus
souvent les formes à hiatus : feïstes (II, 70 ; XXIII, 77), preïs,
meïmes.
Le Tristan de Thomas nous fournit un nombre d'exemples
relativement aussi considérable : deïsîes (au vers 1693) '■> fi"f>^^
(1888) ; feïs les (1179); preïstes (1192) ; qiieïsies (1292) ; et reïstes
(1178).
LE PRÉTÉRIT 643
Nous ne pousserons pas plus loin cette liste d'exemples ; nous
dirons simplement que la forme ordinaire de ces trois personnes à
la fin du xii^ siècle et pendant le xni^ est celle qui présente l'hiatus.
Nous avons réservé pour la fin quelques formes des Rymer's
Foedera et des Year Books qui semblent avoir conservé Vs origi-
nelle et qui en réalité ont une s non étymologique. Les formes que
nous citions tout cà l'heure sont parfaitement correctes. Il n'en est
pas de même de celles qui suivent. Vs et la voyelle qui la suit
ont certainement une origine tout à fait différente dans un cer-
tain nombre de cas, comme feiseiiies qu'on lit dans les Rymer's
Foedera (1297, I^j 749) i fesnmes du Year Book 21 Edw. P""
(p. 63); nous avons probablement là des formes dérivées defeisnies
par l'introduction d'une voyelle svarabhaktique après ïs parasite.
C'est, croyons-nous, à un phénomène de ce genre qu'on doit les
formes suivantes : fiesiues dans Jean de Peckham (1296, 289) ;
requiesmes dans Rymer (1324, lY, 90).
d) Diérèse et synérèse.
La chute de 1'^ intervocalique amène aux trois personnes où elle
a lieu un hiatus entre les voyelles e et / ; l'anglo-français, comme
les dialectes du continent, a toujours tendu à faire disparaître les
hiatus et dans le cas actuel^ comme ailleurs, la synérèse s'est faite
progressivement.
Le xii^ siècle du reste la connaît à peine ; nous ne trouvons
pour les prétérits en si que quelques cas isolés et souvent douteux.
Le premier exemple de synérèse que nous trouvions et qui nous
semble certain se rencontre dans Thomas au vers 1276 où nous
lisons prainisles :
Vus m'en pramistes grant honur.
Puis on lit dans Fantosme, /ivV/w (au vers 8) :
Li fcistes présenter senz fei mentie aver.
Ce sont les seuls cas de contraction assurés que nous connais-
sions entre II 60 et 1200.
Même au commencement du xur' siècle, les formes à synérèse
sont plus rares que les formes régulières ; ces dernières sont nom-
644 l'évolution du verbe en anglo-français
breuses; on peut s'en rendre compte en lisant la liste des exemples
que nous avons énumérés précédemment, et nous n'avons donné
qu'une petite partie des cas existants ; voici maintenant tous les
exemples de cas de synérèse que nous avons relevés à cette époque.
Remarquons d'abord que pour cette question il y a entre les diffé-
rents auteurs anglo-français de cette époque un manque d'unité
frappant. Certains d'entre eux ne nous ont pas donné un seul
exemple de synérèse, par exemple le poème de Saint Edmund ne
connaît et n'emploie que la forme régulière. Au contraire nous
avons relevé un nombre relativement considérable de cas de syné-
rèse dans les poèmes de Chardri. Faire apparaît trois fois sous la
forme abrégée ; au vers 292 du Josaphat ; au vers 982 des Set Dor-
mans et au vers J14 du Petit Plet. Voici, dans Tordre ci-dessus,
ces trois vers :
Boer feistes vus ceste jurnée;
Nuveles si cum feistes er ;
Si feistes vus en ta juvente .
D'autres prétérits en si se montrent aussi, quoique moins fré-
quemment, sous cette forme ; prciiiies se trouve au vers 4 14 du
Josaphat :
Pur le cunseil ke primes er.
Meisks est employé de la même façon au vers 668 des Set
Dormans :
Car vus les meistes a cheval ;
et déistes au vers 13 13 du Petit Plet :
E vus déistes ca en arere.
Même la Vie de Saint Auban ne présente pas une proportion
aussi forte de cas de synérèse que ces trois poèmes de Chardri ;
nous n'avons relevé dans ce poème qu'un seul exemple de ce phé-
nomène: feimes au vers 1546 :
E feimes enbrever a arrement nerci ;
M. Suchier (Ueber...) en cite un autre, /mto, que nous n'avons
pas pu identifier.
LE PRÉTÉRIT 645
La Satire nous donne deux exemples de feistes (aux folios 86 v° et
87 r°); et cette même forme se retrouve au vers 37 de la Plainte
d'Amour ;
Vous feistes Deu a nous descendre.
Dans la Lumière as Lais, nous relevons tncorefistcs, au vers 80.
Comme on le voit, nous avons, dans les lignes précédentes, cité
surtout des exemples qui nous sont fournis par le verbe faire, prin-
cipalement parce que, ce verbe étant plus emplo3'é que tous les
autres de la même classe, les cas de diérèse ou de synérèse qu'il nous
présente sont beaucoup plus communs. Nous aurions pu en donner
d'autres provenant des autres verbes ayant leur prétérit en si ; nous
citerons remeistes, au folio 25 r° des Heures, deii)ies(2 syllabes) dans
le Manuel des Péchés de William de Waddington. Ajoutons que dans
ce-dernier ouvrage, qui compte plus de dix mille vers, nous n'avons
trouvé aucun cas bien assuré de diérèse pour les prétérits en si.
Il nous est donc facile de conclure sur cette question par les
remarques suivantes :
1° La diérèse dure au moins jusque vers le quatrième quart du
xiii^ siècle ; les exemples que nous avons trouvés au siècle suivant
sont peu nombreux et toujours douteux.
2" Nous trouvons nos premiers exemples de S3MTérèse très tôt ;
le Tristan de Thomas nous en offre un cas assuré.
3° Le nombre de synérèses augmente constamment pendant la
dernière partie de ce siècle et pendant tout le siècle suivant.
3. Troisième personne du singulier ; troisième personne du pluriel.
A la troisième personne du singulier, la voyelle ou la diphtongue
du thème est suivie par la désinence si\ à la troisième personne
du pluriel par la désinence sirenl ; ces deux désinences sont carac-
téristiques des prétérits en si.
Nous n'aurons qu'un mot à dire des changements qui affectent
ces deux désinences.
a) Troisième personne du singulier st.
Amuissemeut et disparition de /'s. — Dans notre étude de la dési-
nence st à la troisième personne du singulier, nous avons étudié la
disparition de Vs dans les prétérits en si. Nous n'avons pas l'intention
6-1 6 l'évolution du verbe en anglo-français
de revenir maintenant sur cette question et nous nous bornerons à
rappeler les conclusions auxquelles nous sommes alors arrivés.
1° Le premier exemple de la disparition de Vs date de 1167 {ciiii-
duit, vers 1151, dans le ms. de Londres du Brandan).
2° Cette s n'a complètement disparu qu'au commencement du
xiii'= siècle (rime du Saint Gilles (1469), du Josaphat de Chardri
(847), du Saint Laurent (142).
3° Au siècle suivant, nous avons trouvé des exemples de la troi-
sième personne du singulier de la plupart des prétérits en si sans Vs
étymologique, et des rimes assez nombreuses nous ont montré l'iden-
tité des désinences en st et en /. Malgré tout, jusqu'à la fin de la
littérature anglo française, les formes étymologiques ont continué à
être employées, quoique 1'^ y fût devenue purement graphique ',
L'amuissement de Vs devant le / a eu pour résultat l'allongement
de la voyelle du thème, allongement qui s'exprime de différentes
manières : d'abord, au lieu de la consonne étymologique, nous
trouvons dans certains auteurs une /; qui sert à marquer la longueur
de la voyelle. Nous lisons ainsi dans le Chevalier, la Dame et le
Clerc: mihl (au vers 119); ashit, lire asiht (au vers 188); fibt (au
vers 505). L'identité de s et de /; dans cette position est démontrée
par la rime fihl : prist (au vers 579).
Cet allongement est encore marqué par le redoublement de la
voyelle du thème; répétons ici l'exemple que nous avons déjà eu
l'occasion de donner : siit de seoir, qui rime avec Christ au folio 93 r°
des Vies de Saints de Bozon. (Cf. Désinences personnelles, 3*^ per-
sonne du singulier, page 150.)
b) Troisième personne du pluriel.
La troisième personne du pluriel des prétérits en si est terminée
régulièrement par strent. La seule exception, qui n'en est réelle-
ment pas une, est la terminaison du prétérit de faire. Et c'est par
cette personne que nous allons commencer cette étude-.
La forme ordinaire de cette personne est firent ; c'est celle que
nous rencontrons le plus souvent et le plus tôt.
1. Pour//, seul descendant légitime de fecit, cf. Zeitschrift I, 107 (Stengel).
2. Pour la troisième personne du pluriel du prétérit de faire, on consultera:
Mussafia, fecerunt in francese, Romania XXVII, 290.
LE PRÉTÉRIT 647
On la rencontre au vers 707 du Cumpoz et passiiii; dans le Bes-
tiaire elle rime avec chaïrent (au vers 1469) ; elle est répétée un
grand nombre de fois dans les Psautiers : dans celui d'Oxford (par
exemple 9, 15), une dizaine de fois, aussi fréquemment dans celui
de Cambridge (9, 15) et dans celui d'Arundel (9, 14, écrit firerent).
Tous les autres auteurs du xii^' siècle l'emploient sinon à l'exclusion
de toute autre, ce qui est le cas général^ du moins le plus souvent.
On la trouve par exemple deux fois à la rime avec des prétérits
en jvi dans la Vie de Sainte Catherine (vers 115 et 2412). Au
xiii^ siècle les rimes qui nous assurent cette forme sont communes (cf.
Genèse, 51 v° ; Erection, 3 9 ; William de Waddington, 3164; Pierre
de Langtoft, II, 422, 32; Prince Noir, 211, 682; etc.).
La forme en istrent au contraire est très rare, et elle ne se trouve
guère qu'au xii'' siècle. On ne la trouve tout d'abord que pour les
composés de faire, défire, déconfire, etc., qui se rapprochent beau-
coup de dire, despirre.
On trouve dcfistroit, deconfistrent dans les Psautiers, par exemple
dans celui d'Oxford (9, 6); dans celui de Cambridge (37, 5) et
dans celui d'Arundel ; au vers 1772 de Gaimar ; plusieurs fois dans
les Quatre Livres des Rois (III, 16, 30; III, 20, 17 et 18). etc. On
trouve des exemples de. ces formes jusqu'à la fin du xiv* siècle, par
exemple deconfistrent qui se lit au folio 25 r° des Chroniques de
Nicolas Trivet.
Les formes analogiques pour ces verbes sont très rares; nous n'en
relevons qu'une : defiienl qui se trouve dans le Psautier d'Oxford
(77, 33)-
Pour faire lui-même, nous observons exactement Topposé. Firent
se trouve pour ainsi dire dans tous les auteurs, tandis que fistrent
est extrêmement rare, et les exemples que nous avons rencontrés
sont Hmités à un petit nombre d'ouvrages du xii^ siècle. Enumérons
rapidement les quelques cas de fistrent que nous avons rencontrés :
nous en trouvons tout d'abord un exemple dans le Psautier de Cam-
bridge (C, 54), contre six cas de firent. Dans le Psautier d'Arundel,
elle se trouve employée aussi une fois (9, 5); un seul ouvrage en
présente plus d'un exemple, c'est le Psautier d'Oxford, et l'on sait
que cette traduction n'est pas purement anglo-française. Ce Psautier
emploie fistrent, six fois (cf. 9, 5 et passini). Postérieurement,
fistrent disparaît complètement.
648 l'évolution du verbe en anglo-françals
Par conséquent, il est évident que cette forme a été fort peu
employée par les écrivains anglo-français.
Faire n'est du reste pas le seul verbe qui ait en anglo-français une
troisième personne du pluriel en ircnl. Nous avons trouvé dans nos
textes tant littéraires que politiques, avant 1160 et après 1250, un
grand nombre de formes en irait, au lieu de sirent, ce qui nous
montre une certaine tendance, visible surtout dans les dernières
années de l'anglo-français, à substituer aux terminaisons régulières
de ces troisièmes personnes du pluriel la désinence des prétérits en
ivi (voir ci-dessus).
Avant II 60, nous rencontrons deux cas au moins de terminaison
irrégulière en irent : la première se lit dans le ms. A de l'Alexis
(6, b) : c'est mirent ; la seconde se lit dans le Voyage de Saint Brandan
(au vers, 1481): destriiirent. Cette dernière forme, dans ce poème,
est du reste exceptionnelle (cf. destruistrent au vers 216).
Pour trouver un nouvel exemple, nous devons aller jusqu'au
Manuel des Péchés de William de Waddington. Use peut toutefois
qu'il y en ait quelques-uns dans la période intermédiaire qui nous
aient échappé ; ils ne sont certainement pas nombreux. Dans le
Manuel des Péchés, nous rencontrons une forme qui va devenir par
la suite très commune : prirent. Elle est assurée par la rime dans cet
ouvrage, autant du moins qu'elle peut l'être, car elle rime avec
virent qui ne prend jamais, à notre connaissance, la désinence en
istrcnt (au vers 1444). Nous admettrons de la même façon les rimes
du poème du Prince Noir : prirent (: firent) (au vers 211) ; (: mirent)
(au vers 2755); la troisième rime ne nous offre aucune difficulté,
c est prirent (: départirent) au vers 3765 de ce dernier poème.
Toujours dans le Prince Noir, nous trouvons (au vers 173) con-
quirent; dans la Chronique de Nicolas Trivet, nous avons sourdirent
(au folio 62 r°).
En dehors de la littérature la première de ces formes est extrê-
mement commune; citons dans les Rvmer's Foedera 1294, II, 620;
dans les Statutes 1376, I, 397 ; nous pourrions en trouver d'autres
dans les différents Year Books ; quant à la forme prirent elle est
extrêmement commune et se rencontre dans la plupart des recueils
après 1300.
Les quelques citations qui précèdent suffisent, croyons-nous, à
montrer que l'anglo-français, surtout au xiv« siècle, tendait à se
LE PRÉTÉRIT 649
débarrasser des formes si spéciales que les prétérits en si avaient à
leur troisième personne du pluriel.
Nous ne voulons pas dire pour cela qu'elles disparaissent, et les
exemples qui suivent vont démontrer péremptoirement le contraire.
Les troisièmes personnes qui subsistent nous montrent en effet
quelques changements qu'il nous faut maintenant étudier. (Nous
verrons plus tard, en étudiant le radical à ces personnes, qu'elles
abandonnent encore d'une autre façon la forme étymologique.)
Les changements qu'il nous faut maintenant signaler sont d'ordre
purement phonique :
1. Amuissement et disparition de IV qui appuie le t de la dési-
nence.
2. Introduction entre le t et \'r d'une voyelle svarabhaktique.
I. Disparition de 1'^. — Nous ne reviendrons pas sur le fait que
nous avons signalé si souvent déjà, quoiqu'il ne soit pas exactement
de notre ressort, de l'amuissement de Vs préconsonantique. Cet
amuissement se remarque évidemment à la troisième personne du
pluriel des prétérits, mais il nous semble à cette personne beaucoup
plus tardif que dans les autres cas que nous avons vus jusqu'ici.
Le premier exemple que nous en ayons trouvé se lit dans Boeve
de Haumtone : c'est reinitercut (au vers 2872). La disparition de Ys
est en soi très vraisemblable à la date du Boeve; cependant nous
pencherions à l'attribuer au scribe, car de telles formes sont très
rares et par conséquent douteuses au commencement du xiii^ siècle.
Celui qui se rapproche de l'exemple de Boeve se lit dans les Chansons
et n'est pas non plus bien assuré : on lit (Gg. 6, 28) ccritrent qui
rime avec une forme en s : enqiiistercnt.
C'est principalement au xiV siècle que nous retrouvons ces diffé-
rentes formes, et elles sont fort nombreuses à cette époque : citons
parmi celles que nous avons recueillies âesconfilrent, qu'on lit au folio
25 r° des Chroniques de Nicolas Trivet. Et cette chute de Vs se
produit même quand elle se trouve entre deux consonnes. On
peut citer comme exemple artrenf (ardeir) qui se trouve dans cet
auteur (au folio 57 v°).
Les ouvrages non littéraires nous fournissent tous des exemples
de ce même développement normal qui consiste dans l'amuissement
de Vs avant le t ; dans les Hist. and Munie. Documents of Ireland,
650 l'évolution du VERIÎR EN ANGLO-l-RANÇAIS
nous trouvons ainsi picyuircnt (1252, 206) ; et cette même forme se
retrouve encore dans les Pari. Writs à la date de 1280 (p. 8);
dans les Mem. Pari. 1305, on trouve tretrent (au § 40) ; dans Jean
de Peckham, ^«r();///t';r;7/ (1346, 80). Enfin nous pourrions tirer
des différents Year Books toute une liste de troisièmes personnes du
pluriel de ces prétérits en si dans lesquelles IV s'est amuie : pleinfreiit,
m il trait, pritrent.
Les quelques exemples que nous avons cités nous permettent de
fixer avec une certaine précision la date à laquelle ce phénomène a
commencé à se produire. Les plus anciens exemples que nous four-
nissent les textes politiques ou diplomatiques datent du commen-
cement de la seconde moitié du xiii^ siècle ; cette date est sensible-
ment plus récente (d'une quinzaine d'années environ) que la date
de la composition de Boeve de Haumtone. Si nous rapportons au
scribe l'exemple que nous trouvons dans ce poème et ceux des
Chansons que nous avons cités, ils ne remonteront pas plus tôt que
le commencement du xiv^ siècle.
2. Il nous reste encore à signaler un autre fait purement phonique
qui avait déjà engagé notre attention à l'infinitif; dans le groupe str
un e svarabhaktique s'introduit. Les exemples sont déjà nombreux
chez Boeve, comme assistèrent (vers 3102, etc.), ou enqnisterent,
Chansons (Gg. 6,29); treslerent au folio 50 v'^ de la Genèse, qui se
retrouve dans Nicolas Trivet (15 r°) ; pristerent au vers 20 de l'Érec-
tion des Murailles de New Ross ; c'est la forme ordinaire de ce pré-
térit en dehors de la littérature. Nous en trouvons des exemples
dans les Rymer's Foedera (1297, I^j l^A)'y '^'^^'^^ l^s Mem. Pari.
^05 (§§ 125, 410), et surtout dans les Year Books (cf. 13 et 14
Edw. III, 205, 371).
D'autres verbes se rencontrent; pour ne pas allonger outre mesure
notre liste d'exemples, nous citerons dans les œuvres littéraires du
xiv^ siècle disterent qu'on lit dans l'Apocalypse (1088); sisterent
dans Pierre de Langtoft (II, 428, 9) ; et quelques autres tirés des
textes n'appartenant pas à la littérature : reqnisterent dans les Actes
du Parlement d'Ecosse (1323, 480) (cf. aussi Jean de Peckham 1346,
80).
Les Year Books nous en donneraient un nombre considérable :
assistèrent, niislerent, (/iiislerent, etc.
LE PRÉTÉRIT 6^1
Il est assez rare de voir cet e, lorsque Vs est tombée, et tous les
exemples que nous en avons peuvent provenir d'erreurs cléricales :
asiterent, Boeve (3102) ; cscriterein, Nicolas Trivet (65 r°).
Le thème.
a) La voyelle.
Nous signalerons tout d'abord, mais sans nous y arrêter trop
longuement, le changement bien connu qu'on observe pour ces deux
personnes au prétérit du verbe maindre et de ses composés. La
voyelle / y passe très fréquemment à e. Le participe passé du luême
verbe nous a fourni des exemples du même phénomène (voir page
521)'. M. Suchier admet que ce changement est dû à l'influence
du verbe mettre. Assez tard, la forme régulière se rencontre encore;
nous avons relevé un exemple de reiiiestrcut dans la \'ie de
Sainte Catherine de Sœur Clémence de Barking (au vers 1227).
Malheureusement pour ces formes, nous n'avons pas trouvé à la
rime des exemples aussi nombreux que pour le participe passé ;
aussi nous n'insisterons pas sur ce point.
Les autres changements que nous avons à exposer sont de mince
importance et ou bien ne rentrent pas exactement dans notre sujet
ou manquent de généralité : ce sont soit des développements
phoniques assez normaux, au moins pour l'anglo-français, ou des
phénomènes d'analogie qui ne se manifestent que dans des exemples
isolés. Nous parlerons d'abord de quelques changements qui
atteignent la diphtongue du verbe faire; nous rencontrons quelque-
fois la diphtongue ai, comme dans fuirent, que nous avons relevé
dans les Annales du Monastère de Saint-Alban (1326, 277) et qui
provient de l'infinitif (comparer parler, parlèrent et les formes
analogiques que nous allons signaler : ardre, ar cirent ; pleindre, plein-
dreniy, la diphtongue oi est plus rare et provient de l'évolution
de ei ; foirent se lit dans le Psautier d'Arundel (21, 18). La
diphtongue ie est fort rare, nous en |avons cependant rencontré
des exemples,, surtout en dehors des œuvres littéraires : le plus
ancien que nous connaissions se lit dans les Lettres de Jean de
Peckham : fiet (qui pourrait être une erreur de lecture pour fisl).
I. Cf. Schlosscr, Quatre Livres des Rois, p. «S.
652 l'évolution du verbe en anglo-français
La modification la plus commune, c'est le passage de / a e \ Nous
en avons trouvé un certain nombre d'exemples dans les œuvres
littéraires à une date ancienne, par exemple le désirent du Psautier
d'Arundel (24, 3), qui se retrouve au vers 133 de la Folie
Tristan.
Au xiii^ et au \ï\^ siècle dans toutes les catégories de textes
anglo-français, nous rencontrons des preuves que ce changement a
été fort commun ; fc~ (troisième personne du singulier) se lit dans
les Early Statutes of Ireland (1285, 46);/t'5/ dans les Rymer's Foe-
dera (1298^ II, 835); prestrent dans les Royal Letters Henry III
(1168, II, 320); même et surtout dans les Year Books (d. prest
dans le Year Book 2 et 3 Edw. II, 12).
C'est dans cette même classe que nous rangerons le phénomène
dont nous parlions tout à l'heure : le passage de remist à reiiiest ;
comme les quelques exemples que nous venons de donner le
montrent, le passage de / à e n'est pas limité à un seul verbe et la
même explication doit suffire à tous les exemples qu'on en ren-
contre. Il se peut, comme le croit M. Suchier, que mettre ait exercé
sur maindre une certaine influence; mais pour ce verbe, comme
pour lesautres, le changement, croyons-nous, a avant tout un carac-
tère phonique surlequel nous reviendrons dans notre seconde partie.
Nous avons encore à signaler un changement auquel est soumise
la voyelle /, changement qui, probablement, ne diffère que dans la
forme de celui que nous venons d'exposer, i passe fréquemment à
ci et on peut se demander si dans les exemples suivants ei n'est pas
le plus souvent une graphie de e. Le premier exemple que nous
ayons de ce phénomène semble pourtant bien ancien pour cela :
il se lit dans le Psautier d'Arundel à deux reprises : feist (10, 3 ;
17,21); pour les autres notre explication est au moins vraisemblable.
Nous retrouvons /m/ dans les Evangiles des Dompnées de Robert
de Gretham (64 v°) et deist dans le Saint Julien (64 v°).
On peut croire aussi que cette diphtongue provient des personnes
imparisyllabiques, mais les deux exemples ci-dessus nous montrent
I. Pour / employé à la place de e fermé, on peut voir dans les Franzôsische
Studien (V, 147) l'opinion de Behrens : « Auch ist nicht zu ùbersehen, dass altè-
res / in me. T. eiuer sehr oflfner, deni geschlossenen e so nahestenden / Laut
bezeichnet hat, dass dafùr haûfig e geschrieben findet woneben dann i fur sehr
geschlossenes e in me. Hss. als umgekehrte Schreibung sich erklàren liesse. »
LE PRÉTÉRIT 653
clairement que ces formes sont monosyllabiques. A la troisième
personne du pluriel, les cas sont moins nombreux et plus tardifs :
citons retreisterenl que nous trouvons dans la Chronique de Nicolas
Trivet (15 r°).
Cette diphtongue est assez commune dans les différents recueils
de textes non littéraires, comme par exemple dans les Statutes -.feit
(1332, 1,185) ou i-'scrcist dans le Liber Rubeus de Scaccario (1323,
858).
b) La consonne du thème.
Nous n'avons rien de particulier à dire sur la consonne du thème:
la chute de Vu dans remist et prist est trop générale, en français
comme en anglo-français pour que nous nous y arrêtions.
Dans repunst, Vn est tantôt présente, tantôt absente.
c) Influence de l'infinitif.
Nous trouvons encore à la troisième personne du pluriel de ces
prétérits, mais uniquement à partir de laseconde moitiédu xiii^ siècle,
une autre irrégularité qui aeu assez d'importance dans notre dialecte.
Les troisièmes personnes du pluriel se laissent influencer par la
forme de l'infinitif, et cette influence est probablement aidée, dans
une certaine mesure, par l'analogie des prétérits en avi et en ivi
qui, à la troisième personne du pluriel, reproduisent exactement
dans la prononciation la forme de l'infinitif. Nous avons déjà
signalé la ïorme fuirent qui peut avoir la même origine que celles
que nous allons donner maintenant ; aucun doute toutefois ne
s'attache à celles qui suivent.
Le premier exemple que nous trouvions à citer se lit dans le Saint
Edmund : joindrent employé au vers 669 ; mais cette forme n'est
pas attestée et comme elle nous semble un peu invraisemblable à
cette date et dans ce poème, nous n'hésiterons pas à l'attribuer au
scribe, ce qui en ferait une forme du xiV^ siècle. Dans la Chro-
nique de Wil. Rishanger, nous trouvons (à la page 300) un
exemple qui, lui, appartient bien à la seconde partie du xiii*^ : c'est
esteindrent. Il est inutile de faire remarquer que les deux exemples
précédents dérivent des infinitifs joindre et estreindre.
654 l'évolution du verbe en anglo-françaîs
Il en est de môme des nombreuses formes analogiques que nous
trouvons au xiV siècle: surdrent, Pierre de Langtoft (II, 370, 5);
ardrent,(\h\à., 11,418, 2).
On peut encore rapporter à l'infinitif, sous sa forme étymologique
ou sous une autre forme, surderent au folio 44 r° delà Genèse (sur-
dere) ',pleynerent au tolio 75 v" du même ouvrage (pleynere) ; dcs-
trurent dans Pierre de Langtoft (II, 418, 2) (destrure); trahiermt au
vers 3857 du Prince Noir (traiere).
Les exemples ne sont pas très nombreux dans la langue politique :
on trouve rcindrent (de reindre ^ raembre) dans les Statutes (1322
I. 186); ardrent dans les Hist. and Munie. Doc. of Ireland,
(1319, 406); on pourrait ici citer aussi /â!/r^;/f qui se lit dans la
Chronique de Saint Alban (1326, 277), etc.
Les Year Books nous donnent une plus ample moisson : pleindrcnt ,
maindrent, joUidrent, respnndrent y sont fort communs.
Il est plus difficile d'expliquer diserent, Hist. and Munie. Doc. of
Ireland (1292, 205), et feserent, Chronique de Saint Alban (1326,
227), qui semblent plutôt être des formes analogiques en avl.
ACaUISITIONS DES PRETERITS EN SI
Les nouvelles formations en si inconnues au continent sont
rares dans l'anglo-français littéraire : les prétérits en si n'avaient
paSj au point de vue phonique, une très grande force de résistance
à leurs personnes caractéristiques; les personnes imparisyllabiques
voient le plus souvent tomber IV intervocaliqueet lasynérèse se faire
progressivement. Depuis l'amuissement de Vs devant le /,1a troisième
personne des verbes les plus employés se contond avec celle des pré-
téritsen/i'/; quanta la troisième personne du pluriel, elle tend à prendre
la forme irent ou erent. Tout conspire à faire disparaître ce temps.
Nous allons maintenant étudier les quelques acquisitions qu'ils
ont pu faire en anglo-français, d'abord aux personnes imparisylla-
biques^ ensuite à la troisième personne du pluriel.
Comme on le voit, nous ne considérons pas comme des acquisi-
tions de ces prétérits les nombreuses troisièmes personnes du singu-
lier qui nous montrent la désinence en st ; celles-ci doivent leur s,
même si l'analogie a eu quelque part dans le changement qu'ils ont
subi, à des causes beaucoup plus générales.
1
LE PRÉTÉRIT 6\
))
A. Extension des formes imparisyllabiques^ .
Les personnes imparisyllabiques voient un certain nombre de
prétérits prendre leurs formes et montrer l'allongement syllabique.
Ce phénomène ne peut évidemment se produire que tant que
subsiste dans les prétérits en si Ys intervocalique, ou tout au moins
aussi longtemps que la diérèse se fait régulièrement.
La date même à laquelle la synérèse commence à se faire d'une
manière pour ainsi dire régulière voit aussi cesser toute acquisi-
tion à CQS personnes.
Voici les exemples que nous avons relevés ; on verra que nous
n'en avons découvert aucun nouveau. Dans le Psautier d'Oxford,
on lYouxe deguerpesis (9, 10), de^iierpisis (v, 27); dans le Psautier
de Cambridge, deguerpissis QÇ, 27); degmrpisis (9,9) se trouve dans
le Psautier d'Arundel (mais déguerpis dans les trois Psautiers 21, i,
etc.). On a encore estahlisis dans le Psautier d'Oxford (88, -j6).
Dans Gaimar on trouve (au vers 442) guarisimes qui reparaît
encore (^/m/tw) jusque dans Saint Gilles (au vers ^^ç^y^ei parsuesit
(suivre) au vers 5921.
Dans les ouvrages non littéraires, ce phénomène est à peu près
inconnu ; nous n'en avons relevé qu'un seul exemple, irrégulier à
plus d'un titre: entendesit, dans les Hist. and Municipal Doc. of
Ireland (1292, 205).
B. Troisième personne du pluriel.
A part ces quelques verbes que nous venons de citer, ce sont
uniquement des troisièmes personnes du pluriel qui prennent la
forme des prétérits en si. Faisons remarquer dès maintenant l'écart
de dates entre les exemples qui suivent et ceux qui précèdent. Les
premières formes que nous avons relevées appartiennent sans aucun
doute possible aux premières années du xiii^ siècle ; elles pro-
viennent d'un prétérit en ///et d'un prétérit en /-z.'/. Ces deux formes
se lisent dans les poèmes de Frère Angier: reqenoistrent se lit dans la
I . Pour cctie question, cf. Gaston Paris, Etude sur le rôle de l'acceni
latin, p. 74, et L. Czische, Die Pertektbilduug der starken verba si klasse ini
franzôsischen, Risop Studien, pp. 122-127.
656 l'évolution du verbe en anglo-français
Vie de Saint Grégoire (au vers 2787), formequi montre probablement,
plutôt l'influence de son inlinitif que celle des prétérite en si. On
trouves encore niarrislrent dans les dialoges (au folio 32 r° b). Nous
avons déjà à cette époquedes représentants des deux classes de prétérits
qui pourront prendre la terminaison des prétérits en si. Les prété-
rits en iti seront toujours les plus nombreux ; dans la Genèse. Notre
Dame (au folio 70 r"), nous trouvons crustrent de croître; au vers
9053 de William de Waddington, suslrent de savoir ; dans Nicolas
Trivet, rcconustrcnt reparaît encore (au folio 47 r''), probablement
tous la même influence que tout à l'heure.
Hors de la langue littéraire, deux prétérits en ivi apparaissent :
reponstrent de répondre, qui se trouve dans un grand nombre de
cas, surtout dans les Rymer's Foedera, et escistrent de issir, qui se
lit dans les Rymer's Foedera (1256, I, 589). Les prétérits en ///
sont autrement nombreux, quoique aucun ne soit aussi souvent
employé que reponstrent. Le plus connu est encore conustrent qu'on
trouve dans le Registrum Malmesburiense (1309, I, 58); et fré-
quemment dans les Year Books, comme 32 et 33 Edw. I" (209);
II et 12 Edw. III (647); on trouve encore encrustrent dans les
Statutes (1327, I, 259), dont nous avons rencontré un exemple
dans la Genèse Notre-Dame. Citons encore pour en finir piistrcnt
de pestre (ir et 13 Edw. III, 573); resceiislrent (14 Edw. III, 285).
Comme on le voit, ces quelques troisièmes personnes du pluriel
sont disséminées sur un nombre considérable d'années et elles
appartiennent en majorité à des verbes ayant leur prétérit réguliè-
rement en ni.
Il nous reste maintenant à citer le seul verbe qui soit réelle-
ment une acquisition des prétérits en si, le verbe vouloir. Mais
ses formes, sauf les quelques exceptions que nous avons données,
sont si régulières (zvls, vous, volsis, volsistes, voiislrciit^ que nous
n'avons pas à insister.
CHAPITRE IV
L'IMPARFAIT DU SUBJONCTIF
Nous avons déjà traité un certain nombre de questions se rap-
portant aux différentes personnes de l'imparfait du subjonctif.
Première personne du singulier
Seconde personne du singulier
Troisième personne du singulier
Première personne du pluriel
Seconde personne du pluriel
■q, page 227
Troisième personne du pluriel : Désinences accentuées, page 235
Chute de la syllabe se, page 5 5
Chute de sse, page 5 5
Chute de sses, page 77
Chute de s, page 118
Chute de st, page 118
^ pour st, page 119
Désinence en oins, page 177
ions, page 177
— iens, page 196
Désinence en e:{, page 205
— /V
A. Phénomènes généraux.
Il nous reste cependant à apporter quelques précisions sur
quelques points que nous ne pouvions pas traiter dans le chapitre
des Désinences personnelles, air ils sont particuliers à l'impar-
fait du subjonctif. Nous voulons parler de la répartition des
désinences aux personnes qui en ont plus d'une, c'est-à-dire à la pre-
mière et la seconde personne du pluriel, et de la chute d'une des
deux s de la désinence.
4^
6)8 l'évolution du verbe ex axglo-ikaxçais
Première personne du pluriel.
Des trois terminaisons que nous avons énumérées pour la pre-
mière personne du pluriel de l'imparfait du subjonctif, la termi-
naison unis est la plus commune et probablement la seule dans les
ouvrages littéraires. Nous n'énumérerons pas tous les exemples que
nous avons recueillis ; mais nous pouvons dire que nous en avons
pour toutes les formes de l'imparfait du subjonctif et pour toutes les
périodes; des formes comme ctnitissoms, priassoins, perdissiniis, feis-
siiiiis, oitssuni, deussum se rencontrent dans la plupart des auteurs
anglo-français.
Il est digne de remarque que les Year Books sont d'accord sur
ce point avec les œuvres littéraires, et que les désinences en tims
soient, nous semble-t-il, les seules qu'emploient les recueils légaux.
(Cf. Maitland, Year Book Edw. II, p. liii-lxxvii.)
Les textes familiers nous offrent eux aussi un nombre asse;^ con-
sidérable de ces désinences ; les Lettres de Jean de Peckham et les
Literae Cantuarienses ' ne contiennent aucun exemple des deux
autres terminaisons.
Celles-ci sont donc limitées strictement aux recueils de textes
diplomatiques et politiques. La première, la désinence en ions est
cependant assez rare : nous la trouvons sporadiquement pendant
tout le xiv' siècle, surtout dans les Rymer's Foedera-, mais aussi,
quoique plus rarement, dans les Statutes.
La terminaison en iens est beaucoup plus commune et elle atteint
tous les imparfaits du subjonctif : subjonctifs de I : parlissiens,
Rymer's Foedera (1297, ^^5 779)5 donissiens, niandissiens.lmpa.r-
faits du subjonctif correspondant à un prétérit en / : venissiens,
dans le même recueil (1297, II, 770) ; tenissiens; à des prétérits en
si: maiidissiens (1297, ^ï' 77^) '■> cntreprissiens, feissiens.
Mais ce sont surtout ces imparfaits qui correspondent à un
prétérit en /// qui montrent cette forme ; leur nombre est beau-
1. Nous en avons cependant un exemple dans le recueil de Lettres : voiisis-
sions, 13 18, 46.
2. Voici les quelques exemples que nous en avons trouvés dans Rymcr : doiiis-
sions, 1 300, voessiotis, 1 3 14, eussions, i 3 14, proiiiessioiis, eussions, /eussions, peussions.
l'imparfait du subjonctif 659
coup plus considérable que celui de tous les autres imparfaits du
subjonctif pris tous ensemble, et les formes qu'ils fournissent se
trouvent dans la plupart des recueils de textes politiques. Les plus
anciens exemples se trouvent à la même date dans les Statutes et
dans les Rymer's Foedera : on trouve eussicus à l'année 1297 <^^iis
les Statutes(I, 124) et dans Rymcr (II, 764, 800). Les autr.es verbes,
moins employés, fournissent moins d'exemples ; mais on peut citer
pcHssiens, creiissiens, scussiens, fciissiens.
Il serait assez utile de résumer par quelques chiffres, tout à tait
approximatifs, le rapport de ces différentes formes ons, ions, ieiis
entre elles dans les différents recueils. Dans un tel compte, on peut
négliger pour les Statutes les formes en io)!s : entre les deux autres
désinences le rapport serait celui de i à 7, le plus faible chiffre
représentant les désinences en iens. Pour Rymer les nombres
seraient i à 5 et à 9, le plus petit nombre représentant les dési-
nences en ions, le second les désinences en iens, le troisième les
désinences en ons. Nous n'avons pas obtenu ces chiffres sur l'en-
semble des textes, mais au moyen de différents traités à différentes
dates du xiV^ siècle.
Nous ne tenons pas compte de la désinence icnies que nous
n'avons relevée qu'une fois dans Rymer (j'uissiemes, 1,39, ^', 1 15),
ni de la désinence en ems, plus commune, mais limitée à avoir et
être (eusscnis se trouve dans les Actes du Parlement d'Ecosse, 1233,
I, 479 ; dans les Parliamentary Writs., 1299, I, 319 et 321 ; 1323,
II, 602; feussenis dans les Parliamentary Writs, 1300, I, 340).
Deuxième personne du pluriel.
La deuxième personne du pluriel ne nous offre que deux termi-
naisons: l'une avec 1'/, l'autre sans 17.
La terminaison ordinaire est celle qui ne montre pas 1'/; il nous
serait facile ici de citer plusieurs pages d'exemples, et nous nous
trouvons dans l'embarras pour savoir ce que nous devons citer et ce
que nous devons négliger. Pour la langue littéraire, nous pouvons
borner nos exemples à l'imparfait du subjonctif de la première et
de la seconde conjugaison car, quand nous parlerons de la diérèse
pour les imparfaits du subjonctif des classes en /, en si et en ///,
nous donnerons suffisamment d'exemples pour montrcr_^combien ces
formes sont usuelles.
66o l'évolution du verbe en anglo-français
I. Terminaison en e:(^.
Donnons rapidement pour ces deux conjugaisons des exemples
des trois siècles : chakngisseï se lit au vers 462 de Gaimar; aporiise:^
au vers 885 du Tristan de Thomas ; rendisc~ au vers 712 du Drame
d'Adam ; qîiidcsse:^ se trouve employé très fréquemment au vers
2484 de la Vie de Saint Grégoire, au vers 14 d'Aspremont et 3254
de William de Waddington ; iiiorise:{ est employé par ce dernier
auteur (au vers 10015) ; trovisseï est emplové par Pierre de
Langtoft (II, 100, 4) ; chaunHsseï au § 8 des Contes de Nicole Bozon,
etc.
Les exemples ne sont pas moins communs en dehors de la litté-
rature : on trouve dans les Parliamentary Writs cessisse:^ (ij^S?
731) ; dans Rymer entreisset\, gardissc:( ; kvesseï dans les Lettres de
Jean de Peckham (1257, 114); /'^//«ic- dans les Literae Cantua-
rienses (1334, 550) ; ienasse^, dans le même recueil et dans la
même lettre. Et un nombre considérable d'exemples analogues. Il
en va de même des textes légaux; citons dans un seul Year Book,
13 et 14 Edw. III: alasse:^ (p. 189); clamasse^ (p. 209); mous-
trase:^ (p. 317). Ceci montre suffisamment qu'à toute époque, dans
toutes sortes de textes et pour toutes classes d'imparfaits du sub-
jonctif, la terminaison en q est extrêmement commune.
2. Terminaison en />~.
Les terminaisons en ic:{, sans être aussi nombreuses que les dési-
nences sans i, se trouvent, pour certains verbes au moins, à toutes
les périodes de la littérature anglo-française. Il y a d'abord cer-
taines catégories de verbes qui ne prennent jamais cette terminai-
son : les imparfaits du subjonctif qui correspondent, soit à un pré-
térit en avi, soit à un prétérit en ivi.
Pour les trois autres classes les désinences avec ; sont plus ou
moins fréquentes: celle qui présente le plus grand nombre d'exemples
c'est la classe des prétérits en /.
Veïssie:{ se trouve constamment dans la Chronique de Jordan
Fantosme (cf. par exemple aux vers 876, 1204, 1285, 1763),
On retrouve plus tard la même forme dans Aspremont (au vers
117); dans la Vie de Sainte Marguerite (au vers 315); dans le
Prince Noir (3383, 3926).
l'imparfait du SUBJON'CTIF 66 1
FeissJe~ est assez fréquent, par exemple il se trouve dans le
Manuel des Péchés de William de Waddington (au vers 3185); au
vers 540 du Prince Noir.
Dans la première classe des prétérits en ni, nous ne trouvons
de désinence en ie^ que dans Fantosme : eussiez (vers 984), pens-
5/V^ (vers 1350), et dans Sœur Clémence de Barking : oussie{ (aux
vers 279, 1176).
Les terminaisons en ic:( ne sont donc pas rares dans la littéra-
ture ; leur nombre toutefois n'approche pas de celui des terminai-
sons sans /. Il en est exactement de même pour les textes diploma-
tiques et politiques. Voici dans ces textes un petit nombre
d'exemples de désinences en ie^^: ontrouye feussne:( dans lesRymer's
Foedera (1325, IV, 181); diissic:^ dans le même recueil (1364, VI,
439) ; les Literae Cantuarienses nous donnent vonsissie- (1327,
209); duissie^ (i333j 527) et quelques autres; mais ils sont rela-
tivement rares .
Nous n'avons pas relevé de terminaisons en zV:^ dans les Year
Books.
Les deux s.
Il est très fréquent de trouver en anglo-français les deux 5
qui caractérisent toutes les personnes de l'imparfait du subjonctif,
sauf évidemment la troisième, réduites à une seule.
Ce phénomène se rencontre à toutes les classes sans exception
et remonte assez haut. Tout d'abord, nous trouvons de nombreux
exemples qui montrent que ces imparfaits appartenant à la classe enavi
sont écrits avec une s simple, comme aportise:( qu'on trouve au vers
885 du Tristan de Thomas et qui peut aussi bien appartenir à l'auteur
qu'au scribe; hastise^, emplo3'è au vers 806 de la Folie de Tristan,
et un certain nombre d'autres exemples peuvent se retrouver par la
suite. Pour les verbes de la classe en ivi, nous pouvons aussi citer
un nombre assez considérable d'exemples : reïidise:^ qui se trouve au
vers 712 du Drame d'Adam; niorise:^ dans le Manuel des Péchés, au
vers 100 15 (A); perdise~ dans le roman de Foulques Fitz Warin
(p. 58); euiendisent au foUo 34 r° des Vies de Saints de Bozon.
Nous en avons relevé un plus petit nombre pour les prétérits en
i et en si : veiseï (au vers 2481 de Dermod) ; ienisoil dans le Saint
Edmund (au vers 461). Et encore dciseni au vers 1825 du Saint
662 l'évolution du verbe en anglo-français
Auban ; feisent se rencontre assez communément : dans le Saint
Auban (au vers 1745), dans le Dermod (aux vers 1363, 2108).
En dehors de la littérature, les exemples ne sont pas rares, comme
incisons qu'on relève dans le Year Book 13 et i^ Edw. III, 23.
Ce sont les verbes qui ont un prétérit en ni qui nous fournissent
pour ce phénomène le plus grand nombre d'exemples, en même
temps que les plus anciens. Les premiers cas de chute de l'une de
ces deux s nous montrent que ce phénomène date au moins de
1167. On les trouve dans le Voyage de Saint Brandan : onsum,
sonsnni, ponse (respectivement aux vers 764, 763, 1563) (ms. de
l'Arsenal : ensson, sonson). On en trouve encore quelques autres dans
les poèmes du même siècle, mais on ne saurait décider s'ils appar-
tiennent aux auteurs ou aux scribes, comme seuse:{, deuse:^ (respecti-
vement aux vers 257, 396) dans le Drame d'Adam.
Il est certain que leur nombre est beaucoup plus considérable au
xiii^ siècle; on peut citer nse aux vers 341, 2732 du Manuel des
Péchés; snse dans le Roman des Romans (au vers 437), dans
Dermod (au vers 1341), dans William de Waddington (au vers
1234), etc. ; duse:;^ aux vers 50, 409 de la Plainte d'Amour.
Ces exemples, trop nombreux déjà, et nous pourrions en trouver
un nombre plus considérable encore dans les textes non littéraires,
montrent combien la forme avec une s simple est devenue commune;
elle est presque aussi vieille que la littérature anglo-française et dure
aussi longtemps qu'elle.
Ce n'est que dans les textes légaux que cette consonne est rem-
placée par c; c'est une véritable faute d'orthographe qui ne tire pas
à conséquence (cf. aJacct dans le Year Book 20 et 21 Edw. I",
275).
B. Les lmparfaits du subjonctif des différentes conjugaisons.
I. Imparfaits dn snhjonctif correspondant h nn prétérit en avi.
Ces imparfaits du subjonctif sont extrêmement réguliers; nous
n'avons de remarque à faire que sur trois points de médiocre
Importance:
l'imparfait du SUBJONXTIl- 663
a) La voyelle tonique dans les terminaisons dissyllabiques dont
la finale est muette.
/;) La voyelle tonique dans les terminaisons monosyllabiques,
r) La voyelle protonique dans les terminaisons dissyllabiques.
a) La voyelle tonique dans les terminaisons dissyllabiques dont la
syllabe finale est muette.
Cette voyelle tonique est le plus souvent a, et cette forme est la
seule que connaissent les textes littéraires. En dehors de la littéra-
ture, en particulier dans les œuvres légales, la diphtongue ai n'est
pas rare; les Rymer's Foedera nous en montrent plus d'un exemple,
comme alaissent, J^'y/wmmt';// (respectivement 1339, V, 116; 1338,
V, 53); ce sont les plus anciens exemples que nous ayons ren-
contrés.
Les Year Books nous en montrent plusieurs.
h) La voyelle tonique dans les terminaisons monosyllabiques.
Lorsque la terminaison est monosyllabique, il arrive que les
scribes du xiv^ siècle écrivent au au lieu de a dans la syllabe accen-
tuée ^ C'est ainsi que nous trouvons consilaiist au vers 956, pnaust
au vers 1019 du Manuel des Péchés. Ce sont les exemples les plus
anciens que nous ayons rencontrés dans la littérature, même en les
attribuant au scribe; cet au du reste n'est qu'une graphie (les deux
exemples que nous venons de citer riment en a pur, le premier avec
grantast, le second avec junast), et c'est pour cette raison que nous
n'insisterons pas davantage. Ajoutons cependant que cette graphie
est relativement rare en dehors de la littérature.
Rappelons que nous avons vu quelque chose d'absolument sem-
blable aux troisièmes personnes du singulier des prétérits en avi
(cf. page 575).
I. On peut consulter Busch, p. 14 ; Behrens, Beitràge zur Geschichte der fran-
zôsischen Sprache in England, Franzôsischen Studien, V, p. 80.
6^4 l'évolution du verbe en anglo-français
r) La vovelle protonique dans les terminaisons dissyllabiques '.
A la première et à la seconde personne du pluriel, la première
svllabe de la désinence a / comme élément vocalique. Les formes en
issoiis, isse:;^ se sont très bien conservées pendant les trois siècles qui
nous occupent. Nous ne donnerons qu'un petit nombre d'exemples
du xiV-" siècle ; ils sont extrêmement communs pour les deux autres.
On lit ainsi dans Pierre de Langtoft: irovisseï (II, iio, 14); chaun-
tisse:( au § 8, et pIorissex_ au § 29 des Contes de Nicole Bozon; et en
dehors de la littérature : mandissons, grantissons, donissons dans les
Rymer's Foedera (cf. 1300, II, 868; 1304, II, 946; 1325, IV, 81);
maudissons se trouve encore dans les Parliamentary Writs (1300, I,
341), dans les Literae Cantuarienses (1329, 270), etc.
Lorsque le radical du verbe est en i, il est régulier pour les deux
personnes qui nous occupent d'avoir ^ à la première syllabe de
leur désinence : par exemple qiiidesse:^ est employé dans la Vie de
Saint Grégoire au vers 2484.
Cette règle n'a pas toujours été observée et l'on trouve de temps
en temps des formes comme quidisse- dans William de Waddington
(au vers 3235). Le fait contraire se produit aussi et nous trouvons
assez souvent une extension anormale de cet^; par exemple trovesse:^
est employé dans les Dialogues Grégoire (96 r" a); et dans Aspre-
mont (au vers 145); inoillesse:^ dans les Contes de Nicole Bozon
(au § 94) ; les œuvres non littéraires présentent un grand nombre
d'exemples de cet e irrégulier : deliveressons dans les Rymer's Foedera
(1279,11, 134) ; paiesst\ dans les Literae Cantuarienses (1334, 550);
levesseï ôi-àns Jean de Peckham (1357, 114). On peut aussi trouver
des graphies provenant soit de c soit de i surtout en dehors de la
littérature ; citons par exemple entreissetz^ qui se trouve dans les
Rymer's Foedera (13 n, HI, 362).
La forme moderne se rencontre quelquefois dans la langue de la
littérature de la fin du xiv^ siècle, mais elle y est extrêmement rare ;
nous ne trouvons à citer que osasse:^ dans Foulques Fitz Warin 104.
La forme moderne avec la voyelle a se rencontre aussi dans les
œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature, et elle y est d'ail-
I . Pour iss à la première et à la seconde personne du pluriel de l'imparfait du
subjonctif de /, cf. Zeitschrift fur romanische Philologie IX, 242 (W. Meyer).
l'imparfait du subjonctif 665
leurs assez iréquente ; nous la trouvons pour la première fois dans
Rymer's en 1360 ; on lit en effet dans un traité de cette date : renoii-
cassons,transportassons, ces sas sons, délai sa s son s ; quoique dans la langue
légale les formes étymologiques soient nombreuses à ces deux per-
sonnes, les terminaisons avec a ne sont pas rares ; par exemple, dans
22 £d\v. P'' on trouve pledasmn (p. ^ij), portasiiDi Çp. 349); dans
20 et 21 Edw. I", on a donasct (p. 199) ; aJacet (p. 275). Dans les
recueils plus récents, les formes modernes deviennent de plus en plus
nombreuses ; citons par exemple dansles YearBooks 13 et 14 Edw.
III: priassons (p. 35); alasseÀ^ijp. i%^^\ clamasse:^ (p. ^oc)'),moustrase^,
vouchassoms (p- 95), etc. Remarquons surtout que les formes en i et
celles en a sont absolument mélangées dans le ms. Y (13 12).
2. Imparfaits du subjonctif des verbes en ivi.
Nous n'avons pour les imparfaits du subjonctif qui correspondent
aux prétérits en ivi relevé^aucune déviation ayant un caractère
relativement permanent. Nous avons trouvé à la troisième personne
du pluriel quelques formes en eissent ; mais elles sont rares et ne se
trouvent jamais répétées deux fois dans le même auteur ou dans le
même recueil. La seule question qu'ils nous offrent à traiter est
celle des acquisitions qui, en dehors de la littérature, sont assez
nombreuses. Nous trouvons un verbe avec prétérit en si, qui prend
presque constamment à l'imparfait du subjonctif la forme en ivi:
remaindre ; rciuaignissciil se trouve par exemple dans les Parliamen-
tary Writs (1318, 117); dans les Rymer's Foedera(i3i8, III, 697),
etc. ; reiiianissent est commun dans les YearBooks 33, 35 Ed\v. h%
535 ; 3 Edw. II, 167 (Y), etc.
Les autres formes nouvelles ne présentent pas autant de régula-
rité ; citons pour les prétérits en si, ardissons dans les Rymer's Foe-
dera (13 15, III, 535); pour les prétérits en ///, reciuissent, Mem.
Pari. 1305, § 5 ; cet exemple est très douteux; reciuissent peut n'être
qu'une forme un peu extraordinaire des imparfaits du subjonctif
en ïii, ou une erreur cléricale pour reciiissent {iii =■ //) ; ajoutons-
y volassent, Rymer (1338, V, 45) ; morissent, Rymer (1364, VI,
447); et il yen a encore quelques autres. Nous n'avons relevé qu'un
prétérit en avi : trespassisseiit, qui semble prendre la forme desimpar-
666 l'évolution du verbe en anglo-français
faits du subjonctif en ivi,\\ se lit dans les Rymer's Foedera(i 139, V,
1 1 5). Ce dernier exemple n'est pas à proprement parler une acquisition
des imparfaits dusubjonctif des verbes ayant un prétérit tnivi ; nous
devons y voir plutôt le résultat de l'influence des deux personnes
ayant deux syllabes sonores à la terminaison : trespassissons, trcspas-
sisse^ ont amené très naturellement trespassisscnt. Cela n'a rien de
surprenant ; au contraire, nous nous étonnons de n'avoir pas relevé
plus de formes analogues à cet exemple de Rymer.
3. Imparfaits du subjonctif des verbes eiidedi.
Nous avons vu combien étaient rares les prétérits en dedi ; il n'y a
rien d'étonnant que les imparfaits du subjonctif qui leur corres-
pondent soient aussi ou même plus rares : ce n'est que dans le
Psautier d'Oxford que nous en trouvons, et il n'y en a qu'un :
deperdiest (107, 23).
4. Imparfaits du subjonctif en ui.
La voyelle en hiatus.
Première classe et deuxième classe.
Pour ces deux classes, la voyelle en hiatus est étymologiquement
0 , et elle est employée pendant longtemps. On la rencontre évi-
demment chez les premiers auteurs anglo-français, mais même très
régulièrement chez Guischart de Beauliu qui a, par exemple,
poiist (aux vers 632, 639, 877, 887, etc.); dans Horn chez lequel on
trouve doilst (d.u vers 3582), poiist (418), pousse (i^j 4) ; dans
Robert de Gretham (aux folios 32 v°, 63 v°, 102 v°), aux folios
69 r°, 72 r° du Saint Julien. Cette voyelle se retrouve à la fin du
xiii^ et au commencement du xiv= siècle, dans Dermod (vers 125);
même dans le Siège de Carlaverok (verr 42, 62). Elle n'est pas rare
dans les poèmes de la fin du xiv^ siècle, et sous la plume de certains
scribes.
On trouve même quelquefois des 0 qui ne sont pas étymologiques,
comme le croiisl (croire) au vers 2982 de Horn, mais cette forme est
isolée.
l'imparfait du subjonxtif ééy
La forme en eu est cependant devenue la forme usuelle bien
avant le xiv^ siècle ; il est impossible de préciser à quel moment
cette diphtongue a fait son apparition. On la trouve dans Gaimar,
dans le Drame d'Adam et dans la plupart des ouvrages du xii^ siècle,
mais elle peut provenir des scribes. Nous trouvons des renseigne-
ments plus assurés dans les Psautiers où eu est employé. Nous pou-
vons dire d'une façon générale que les 'changements dans la diph-
tongue sont les mêmes et se placent aux mêmes dates pour l'impar-
fait du subjonctif que pour le prétérit ; il en va de même pour la
voyelle simple u qui a dû se montrer au xiii*^ siècle.
Nous n'insisterons donc pas davantage sur cette question.
Les textes non littéraires nous présentent constamment les trois
formes ou, eu, u : mais les Statutes ne connaissent pas la première,
et dans ce recueil la troisième est assez rare ; quant à la forme avec
///, elle est évidemment encore moinscommune que la forme en u dont
elle dérive.
Dans les Rymer's Foedera et les YearBooks, les trois sons voca-
liques se trouvent employés, eu étant ici encore la graphie la plus
commune ; le ms. Y des Year Books 3 Edw. II, etc. présente un
très grand nombre de formes en eu ; ui semble être fréquent à par-
tir de 17 et 18 Edw. 111(1348).
Il ne faut pas confondre avec les formes précédentes le poïst
qu'on trouve assez communément dans le Prince Noir aux vers
1465, 1829; ce polst est une forme continentale (wallon).
Diérèse et synérèse.
Première classe.
Il semblerait que les imparfaits du subjonctif de la première
classe aient effectué fort tôt, au moins dans certains cas, la synérèse,
car nous trouvons déjà dans le Voyage de Saint Brandan plusieurs
exemples qui semblent le montrer : ousum (au vers 764), ouse (au
vers 665), sousum (au vers 763). Mais le manuscrit de l'Arsenal fait
disparaître toutes ces apparences de synérèse :
Pour eussent ne fust l'abit
(Arsenal : eùs(t) qui convient mieux pour le sens.)
Ainz que vostre venir sousum
668 l'évolution du verbe en anglo-français
(Arsenal : Ançois que nous vous seiissons.)
Volt Deus qu'a vus cunrei oussum,
(Arsenal supprime « a vus ».)
Aucun exemple de S3'nérèse ne pourrait donc subsister dans une
édition qui serait basée sur les deux manuscrits; nous ne pouvons
même pas être assurés que le scribe du Saint Brandan (i 167) lui-
même l'ait faite ; il est probable qu'il ne se souciait pas beaucoup de
la régularité des vers qu'il écrivait et que les quelques cas de synérèse
apparente que nous venons de citer ne servent qu'à prouver sa
négligence.
Cependant on peut admettre que les premiers cas assurés de
synérèse datent du commencement de la seconde moitié du xii^
siècle. Dans l'Estorie des Engleis, nous en avons au moins un d'as-
suré. Il est vrai que les formes qui présentent l'hiatus sont très
nombreuses et que la plupart des cas de synérèse apparente pro-
viennent de l'éditeur : en suppléant la voyelle qui manque, nous
rétablissons en même temps le vers ; on peut voir par exemple eiïst
(164, 2672,2925', 3614, 5959, 6178); eilsse(^c)^2^) ; seiïse (-j64^,
5941) ' ; poiist (856); seûst (4441, 2318); peiissent (2166). (Cf.
vers 1608, 2925, 3180, 4442, 675.)
Dans plusieurs cas, on peut avoir quelques doutes, et il n'est pas
toujours facile de décider si la synérèse a été faite ou si l'éditeur a
adopté une mauvaise leçon. En voici quelques-uns; on lit au vers
2732 :
A manger eust car co requist.
C'est la leçon donnée par R et D ; L et H ont ot qui peut
se justifier. Les vers 6225, 6226 ne sont pas donnés par tous les
manuscrits, et chacun d'eux contient une synérèse :
Tuit H franc home qui eust mestier
I eussent itel recoverer
1. Meis si Gillemar eust leisir (2925),
Lire : Gaimar eùst (D, H).
2. Pur quei ma gent asemblé eusse (3942),
Lire : ensemble eûse (R.)
3. Kil ne perdisist si iol suse (594105),
Lire: perdist, seûsse (D, L, H).
l'imparfait du subjonctif 669
Ces vers ne se trouvant pas dans D, Lni H, ne sont probablement
qu'une interpolation.
Il y a cependant au moins un cas où la synérèse a dû se faire; ce
casse trouve au vers 2671 :
Mes si vus me le eussez celé,
donné par tous les manuscrits.
Il y en a peut-être quelques autres, mais cela nous semble très
peu probable.
Nous sommes donc loin du nombre de synérèses que nous trou-
vons dans le Brandan, et cela est encore plus remarquable si on
compare l'étendue des deux poèmes.
Le nombre des synérèses est déjà, pour les verbes de la première
classe, beaucoup plus considérable dans le Tristan de Thomas, et
nous trouvons dans ce poème un état de choses beaucoup plus
avancé que dans Gaimar. Nous ne nous attarderons pas à citer tous
les cas qu'on peut relever, et pour le détail nous renverrons à
l'étude de M. Bédier (II, 19 sqq).
On trouve des contractions aux vers 663, 664, 1527, 1529,
1569,2417.
Car s'il n'en oust si grant désir.
A sunvoleir poust asentir.
S'en ju vente apris ne l'eussez.
Si li reis vus eust castié.
Eussez vus emvers lui amur.
Si jo seuse qui i alat '.
Dans la Folie de Tristan le nombre de diérèses est assez grand; on
ne relève par contre aucun exemple de synérèse. Pussent se lit au
vers 109 de Haveloc et c'est le seul exemple de synérèse dans tout
ce poème.
Ou garder pussent lur seignur.
Sœur Clémence de Barking fait aussi la contraction ; mais les cas
où la diérèse subsiste sont environ deux ou trois fois plus nombreux
I. Quelques-uns des exemples précédents sont peut-être douteux ; les vers 1527,
1529, 1569 ne sont donnés que par un manuscrit ; au vers 1569, il est possible
que l'original ait porté : Eussez vus vers lui. Au vers 2417, le ms. D semble sup-
primer ; : qui ilast (lire aiast?).
670 l'évolution du verhe en anglo-erançais
que ceux d'où elle a disparu. Pour ces derniers nous trouvons :
eusses, vers 201, 5031 :
E si eusses en tei raisun.
Eusses de nos maistres apris.
eiist : 479 (douteux), 1881 :
Asez eust une peine oùe '.
Ki li oust à mangier dune.
onss'u\, 279, II 76 :
A qui vus oussiez fait honur.
Que delurmort oussiez enur.
oiisseiil, 1159 (douteux) :
Car s'il n'oussent en Deu creù '.
poust (aux vers 835, 836, 1550) -:
Si huem ne fust, ne poust mûrir;
E se Deux, ne poust revesquir ;
Co cument poust cstre, nel vei.
pou ss uni (au vers 1578) :
Cument nus i poussum parler.
susses (au vers 272) :
Si tu te susses purpenser.
C'est donc un nombre respectable de synérèses que nous pou-
vons relever dans la Vie de Sainte Catherine : il y en a au moins
douze de probables, dont quatre sont peut-être discutables, huit
sont aussi assurées que possible.
Au contraire, dans l'Ipomédon, les cas de diérèses sont nombreux
1. La synérèse doit s'effectuer, soit à l'imparfait du subjonctif (eust, oussent,
soit au participe passé (oue, creu) ; nous croyons que c'est au premier de ces temps
(cf. Participe passé, page 519).
2. L'imparfait du subjonctif est plus correct et plus naturel, mais le prétérit n'est
pas impossible ; on peut donc lire ; pout.
l'imparfait du subjonctif 671
(cf. vers 158, 201, 3084, etc.) ; les éditeurs ont introduit un cas
au moins de synérèse. Adonne pour le vers 157 :
Femme ke tôle tecches ust .
MM. Kôlbing et Koschwitz ajoutent une s à tele. Or nous avons
vu que le scribe de A fait parfois des synérèses qui ne se trouvent
pas dans son texte et essaie de rétablir le vers. Il ne fallait donc pas
ajouter une j à telc, mais supprimer celle de tecches et lire :
Femme ke tele tecche eiist.
C'est à peu près la même proportion que dans Sœur Clémence
ou une proportion légèrement supérieure que nous trouvons dans
la Chronique de Jordan Fantosme ; les cas de diérèse sont très
nombreux ; citons rapidement quelques-uns de ces cas : eiist se lit
aux vers 82, 748; seilst, au vers 793 ; pleilst, 11 62; peiisi, 799 ; peiis-
sie:^, 1173 ; seiissent, 1143.
Les vers qui nous montrent que la synérèse s'est effectuée à ce
temps sont beaucoup moins nombreux. Nous trouvons d'abord
quelques troisièmes personnes du singulier: enst (au vers 917);
peust (au vers 907) ; pleiisi (au vers 1726) :
Nen eust malveis guerdon en lieu de sun luier.
Ki me peust dire, ne sace raconter. (10 syllabes.)
Sil vus pleust a oir bon fet de bone gent.
Pour ce dernier vers, on pourrait lire plest.
Nous avons aussi relevé quelques secondes personnes du pluriel :
eussiez (au vers 984), peussie::^ (au vers 1350), et une troisième per-
sonne du pluriel, eussent (au vers 1179) :
De faire ultrage dunt eussiez desturbier ;
Noise peussiez oir en la cité fremie ;
Tuz les essent estikez, ocis e mal bailli.
Par conséquent, les synérèses ne sont pas négligeables dans Jor-
dan Fantosme, mais nous ne croyons pas que leur nombre atteigne
la moitié du nombre des diérèses.
On voit que, comme nous le disions tout à l'heure, la pro-
portion des synérèses, si elle est quelque peu supérieure à celle
672 l'évolution du verbe en anglo-français
qu'on trouve dans Thomas et même dans Sœur Clémence, reste
encore très faible. Guillaume de Berneville et Guischart de Beau-
liu montrent un recul nettement marqué sur Fantosme et Thomas;
chez ces deux auteurs, on ne trouve aucun cas de synérèse bien
assuré; ce qui, dans la Vie de Saint Gilles, s'en rapprocherait le plus,
serait le vers 1156 dans lequel la contraction doit av'oir lieu, soit
pour l'imparfait du subjonctif d'avoir, soit pour le participe passé
de gésir :
K'ele eust jeu en un seul jur.
Pour Guischart de Beauliu, les diérèses sont fréquentes et les
synérèses absolument absentes.
Il y a cependant au xii'^ siècle quelques auteurs qui semblent pré-
férer les formes contractes ; ces auteurs, celui des Légendes de Marie
et celui de Horn, écrivirent pendant la seconde moitié du xii^ siècle,
à dix ans environ d'intervalle. Sur le point qui nous occupe, ces
deux écrivains semblent suivre presque le même usage. Non pas'
que les cas de diérèse soient devenus rares chez eux, spécialement
Idans le poème de Horn. Ils connaissent et emploient l'un et l'autre
a forme correcte ; mais la forme moderne est très commune, pro-
bablement plus fréquente que l'autre dans Horn, et certainement la
forme ordinaire dans les Légendes de Marie.
Citons rapidement les vers dans lesquels la diérèse subsiste encore
dans ces deux poèmes.
Dans Horn, elle est assurée aux vers suivants : 418, 1084, 115 1,
1472, 1974, 2784 et peut-être dans un petit nombre d'autres cas.
Comme on le voit, ces formes étymologiques doivent se rencon-
trer encore assez fréquemment. Elles sont un peu moins communes
dans les Légendes de Marie d'Adgar.
Citons quelques passages où nous l'avons rencontrée : VI, 2, 263 ;
XV, 18; XVIII, 51; XIX, 113. On pourrait allonger quelque peu
cette liste ; mais il n'en resterait pas moins évident que ces formes
sont fort disséminées dans les différents poèmes d'Adgar.
La synérèse a eu lieu très fréquemment dans ces deux auteurs ;
nous penchons à croire que dans Horn elle a pris place dans un
nombre de cas au moins égal à celui des formes qui restent étymo"
logiques ; le mélange est certainement très curieux dans ce poème :
l'imparfait du subjonctif 673
les formes abrégées se trouvent auprès des autres, quelquefois même
dans le même vers, comme au vers 966 :
Plust i\ Deu ke de niei, oust faite rapine.
Énumérons maintenant les vers où les formes à synérèse sont
employées : on en trouve aux vers 655, 1153, 364^, 3037, 2278
(O), 2789 (H), 4227, et dans plusieurs autres cas, quelques-uns
étant assez douteux.
Dans les poèmes d'Adgar, les exemples sont encore plus nom-
breux, et nous n'avons pour citer des exemples que l'embarras du
choix; citons un petit nombre de vers montrant quelques imparfaits
du subjonctif sous leur forme abrégée :
Kil eussent de sun serf merci ; I Eg., 46
Ke le dolent peust repairer ; I Eg., 49
Ke, si li pleust, le cunseillast ; IV, 63
Cument pust cist de coer legier ; VIII, 126
Cum dévorer le pust a tant ; IX, 62
Ne li chalut ki seust ses estres ; XXVIII, 10
D'icels a qui il eussent dit ; XXVIII, 90
Ke de ses mesfaiz eust pardon. XXVIII, 122
En outre, on peut voir des exemples de formes analogues aux
passages suivants : I Eg., ^9; VII, 67 ; IX, 65 ; IX, 131 ; XV, 4;
XXIX, 45, 46, 57, 58. Remarquons en outre que les cas de dié-
rèse sont disséminés dans tous les morceaux, et nous ne nous rappe-
lons pas en avoir trouvé deux dans la même légende ; au contraire,
les autres formes se trouvent pour ainsi dire partout et sont répé-
tées souvent à quelques vers d'intervalle.
On voit donc que les auteurs de ces deux ouvrages sont, mais à
des degrés différents, en avance sur leurs contemporains ; chez eux
le nombre des formes contractes égale ou dépasse celui des formes
qui sont plus exactement étymologiques.
Ceci pourrait nous faire croire que, à partir du commencement
du xiir' siècle, nous allons voir les imparfaits du subjonctif à diérèse
devenir de plus en plus rares et tendre à disparaître. Il n'en est
rien ; la forme contracte pendant de nombreuses années ne va mar-
quer aucun progrès et l'état de choses que nous venons d'analyser
va durer sans changement ou presque pendant tout le xiii' et peut-
43
674 l'évolution du verbe en ANGLO-IRANÇAIS
être même pendant une partie du xiV^ siècle ; la forme moderne
sera plus ou moins fréquente pendant cette période, suivant les
auteurs bien plus que suivant la date de la composition ; mais elle
ne déplace jamais complètement la forme présentant la diérèse. On
ne peut pas tracer une courbe montrant la disparition de cette der-
nière, et nous rencontrerons à toutes les époques du xiii' siècle et
même pendant le siècle suivant des ouvrages aussi réguliers ou plus
réguliers que les Légendes de Marie, comme le Saint Edmund
(après 1225), les Evangiles des Dompnées (vers 1230), Sardenai,
Aspremont, même le Siège de Carlaverok et le poème du Prince
Noir.
Ceci dit, nous pouvons maintenant passer un peu dans le détail.
Diérèse et syuércse de Chardri h IViUiani de Waddington.
Pendant la première moitié du xiii^ siècle, on ne rencontre que
peu d'écrivains qui ne connaissent que la forme régulière. Nous ne
trouvons même que Frère Angier qui soit dans ce cas-là ; la Vie de
Saint Grégoire est le dernier poème, d'une certaine longueur, en
anglo-français, qui n'emploie que les formes à hiatus (cf. Miss Pope,
p. 23).
Les autres montrent un mélange constant des deux formes ; cer-
tains auteurs préfèrent évidemment les formes anciennes ; citons le
poème d'Edward le Confesseur, le Saint Edmund, les Evangiles des
Dompnées, le Saint Julien. Dans le premier de ces ouvrages, on
trouve des exemples de diérèse aux vers 375, 1225, 3297 et ailleurs ;
nous n'avons pu trouver qu'un tout petit nombre de synérèses :^//55^
(au vers 3813), nst (au vers 376) :
E dist : « Si ]o pusse jotr
E kil n'ust garde de Richard. »
Dans le Saint Edmund, les cas de diérèse sont des plus nombreux :
ei'ist (aux vers. 378, 844, 1136); poftst {^ux vers 377, 3248); seiist
(1697); eussent (1908); peiïssent (149); tandis que nous n'avons
relevé qu'un tout petit nombre de synérèses : nst (aux vers 820,
2668) :
Ke n'ust tendrur e marrcnient
Ke cil ki ust le chief trové.
l'imparfait du subjon'Ctif 675
.^ Le nombre des contractions est presque insignifiant dans les
Évangiles des Dompnées ; citons iist (au folio 70 v°) :
Tut n'ust il pas bien tet conu.
Nous allons insister un peu plus sur l'état de ces imparfoits du
subjonctif dans les trois poèmes de Chardri ; nous avons dans cet
auteur un nombre considérable d'exemples, qui peuvent iious per-
mettre de nous laire une idée exacte de la façon dont l'auteur
traite ces temps. Les cas de diérèse sont communs; on trouve par
exemple pour avoir : ciisse, au vers 1064 des Set Dormans, et 1099
du Petit Plet ; de plus, nous avons une douzaine ou plus d'exemples
de t'ïlst; pouvoir aux différentes personnes est employé sous cette
forme une quinzaine de fois, savoir une dizaine, etc.
Mais de l'autre côté, les synérèses sont nombreuses, proportion-
nellement beaucoup plus communes que dans les quatre poèmes
que nous venons de citer; elles représentent environ les 40 °/o de
l'ensemble ; ces exemples seraient donc trop nombreux pour que
nous citions tous les vers où ils se trouvent et nous nous conten-
terons de quelques références : en trouve eust dans Josaphat (aux
vers 18 12, 2768); aux vers 916 du Petit Plet; l'iisse:^ est extrême-
ment commun dans ce dernier poème ; on peut le trouver aux vers
26e, 593, 594, 878, 1062; eussent se lit dans les Set Dormans (aux
vers 943, 9^6, 11 64). De même pour pouvoir, peiisl se lit dans
Josaphat aux vers 1787, 2739; dans les Set Dormans au vers 1244;
dans le Petit Plet au vers 378 ; pusse- se rencontre souvent dans le
Petit Plet (cf. vers 276, 278, 894, 1537, 16 u ; pussent au vers
2606 du Josaphat. Enfin savoir nous oftre aussi un certain nombre
de cas analogues : seust (Josaphat, 819); iwwrç (Josaphat, 987, 9S9).
Voilà les cas principaux de contraction dans les trois poèmes de
Chardri ; le nombre considérable, surtout étant donné la longueur
modérée des trois poèmes de cet auteur, des exemples assurés de
l'une et de l'autre forme nous permet de fiiire quelques remarques,
qui, si elles n'ont pas une portée générale, sont au moins vraies
pour Chardri. Les six personnes ne sont pas atteintes également par
la synérèse, et des deux personnes le plus employées, la troisième
personne du singulier est celle qui conserve le mieux la forme
régulière; il y a une quarantaine de cas où l'hiatus est maintenu
contre une dizaine où la synérèse s'est faite. La seconde personne
éyé l'évolution du verbe en anglo-français
du pluriel, qui est, avec la troisième personne du singulier, celle
qu'on rencontre le plus souvent, montre un état de choses exacte-
ment contraire ; nous n'avons que deux cas de diérèse contre dix-
sept où la synérèse s'est faite. Il est à peu près impossible d'y voir
simplement l'effet du hasard et cela tendrait à nous montrer que
c'est la deuxième personne du pluriel qui a le moins résisté à la
tendance qui poussait les imparfaits du subjonctif à faire la contrac-
tion, au moins dans Chardri.
Autant qu'on peut en juger, aux autres personnes le nombre des
cas de diérèse est sensiblement égal aux cas contraires.
Nous ne nous arrêterons pas aussi longtemps sur la fin du
xiir siècle, parce que les exemples que nous fournissent les diffé-
rents poèmes ne sont pas assez assurés dans tous les cas pour nous
permettre de tirer des conclusions bien sûres. Tout d'abord, il
semble que dans les deux poèmes de Sardenai et d'Aspremont, la
diérèse soit la règle et que les autres formes soient relativement
assez rares ; il n'y en a aucune de bien assurée (cf. cependant, eust
qui semble monosyllabique au vers 268 d'Aspremont), tandis que
les formes à hiatus sont dans un certain nombre de cas indiscu-
tables. On relève ei'ist au vers 267 d'Aspremont; sëiist au vers 266
de Sardenai ; peûst (aux vers 96, 186); seiist (aux vers 185, 249);
eussent (aux \ ers 199, 297).
Dans le poème sur Saint Auban, les deux formes sont employées,
mais celle qui conserve la voyelle muette en hiatus est quatre ou
cinq fois plus employée que l'autre ; on trouve par exemple : eiisi
(aux vers 347, 694, 701, 1621, 1346), eiïsseï (au vers 615), peiïst
(aux vers 694, 701, 1342, 1541). Comme exemples de synérèses,
on peut citer ussuin (au vers 1525), iisseiit (au vers 795), pitst (au
vers 672) :
N'ussLim nul d'eus Hecchi pur un val d'or empli ;
Légers, enters e sain cum ju ussent dormant ;
K'aïe ne rescusse ne pust aver mcster.
On remarquera que les troisièmes personnes du singulier et les
secondes du pluriel sont rares ou absentes sous cette forme sans
muette, contrairement à ce que nous observions dans Chardri.
Dans le Sermon en vers Deu le Omnipotent, les cas de diérèse
sont de même assez nombreux : eiisl {ij c, 79 e, 80 d); peiisl (57 d,
65 d), tandis que les exemples de contraction sont assez peu com-
muns : ust (55 f); pust (67 a).
l'imparfait DU SUBJONCTIF 677
Il est par conséquent légitime de conclure que dans cette période,
la synérèse n'a fait que très peu de progrès ; dans la plupart des
poèmes que nous trouvons alors, la forme habituelle est celle qui
présente l'hiatus ; ce n'est que dans quelques auteurs que le nombre
des contractions approche de celui des diérèses.
Fin du XIII* et xiv* siècle.
La dernière période de la littérature anglo-française semble con-
server assez exactement les habitudes de la période précédente ; il
nous est toutefois difficile de préciser dans certains cas quelles sont
celles des auteurs particuliers, l'irrégularité de la versification ne
nous permettant pas toujours de reconnaître les formes de ces im-
parfaits du subjonctif.
La diérèse subsiste; chez quelques auteurs, elle est la règle ; et ici
encore les deux poèmes à versification régulière, le Siège de Carla-
verok et le poème du Prince Noir, nous fournissent des indications
précieuses. Dans ces deux ouvrages, nous trouvons une grande
majorité de formes régulières. Le Siège de Carlaverok en a plusieurs,
comme poiïst (aux vers 42^ 62); paissent (au vers 62), tandis qu'au-
cune forme contractée n'est absolument sûre, sauf tist qu'on lit au
vers 14. Dans le Prince Noir, nous lisons eûst (cf. les vers 449,
1790, 1985, 4187, 4188); pg/lf/ (1765, 1985); pl^i'st (2453).
Les formes monosyllabiques sont moins nombreuses : enst peut
se lire aux vers 450, 46e, 2705; eussent au vers 2176; peitssent
au vers 2042.
Les autres ouvrages de la même période nous présentent de
temps en temps des cas de diérèse qui ne sont pas douteux : ei'ist au
vers 3402, poiil an vers 125 de Dermod ; eiist aux vers 990, 1157,
2293, seûst au vers 988 du Manuel des Péchés ; poi'ist au vers 22 de
la Vie de Sainte Madeleine ; pelisse et teiïsses aux vers 3 et 6 de la
Bountédes Femmes de Nicole Bozon ; poiisl se lit deux fois dans la Vie
de Saint Paul rp>niite de ce même auteur (aux vers 77 et 2.17) :
La se quisit ou poùst mcvndrc ;
Dount il poûst cnscvcicr.
et seiïssent une fois dans la \\e de Saint Richard (contre cinq cas
assurés de synérèse) :
Kar bcn sont se il le seùssent
678 l'évolution du verbe en anglo-français
et il en va de même pour les autres poèmes de la fin du xiii'^ et du
xiv' siècle, quoique, en bien des cas, il ne soit pas possible d'affir-
mer que l'on a une forme plutôt que l'autre.
Nous n'en avons cependant relevé aucun cas présentant un degré
raisonnable de certitude dans la Chronique de Pierre de Langtoft.
Dans tous les poèmes que nous avons cités en dernier lieu et qui
vont depuis Dermod ou le Manuel des Péchés (cire. 1260), les
formes montrant que la synérèse s'est effectuée abondent. Nous
n'en citerons qu'un tout petit nombre pris à peu près au hasard
dans quelques-uns de ces poèmes.
Usse se trouve assez communément, comme dans le Manuel des
Péchés (cf. les vers 2^75, 10119); au folio 64 v° des Heures de la
Vierge, etc.; iist au folio 92 v° des Vies de Saints de Bozon ;
iissuiii, ibid. (93 v°); usse~ se lit dans la Genèse Notre-Dame (au
folio 57 v°) et dans William de Waddington (au vers 4651). Si
nous passons au verbe pouvoir, nous trouvons piist très fréquem-
ment dans le poème de Dermod (comme aux vers 69, 2734, 3037,
3316, 3318); au vers 78 de la Vie de Saint Paul l'Ermite. Pour
savoir, citons snst dans le Manuel des Péchés (au vers 1202 et
pnssiiii); s/issc^, au folio 59 r° de la Genèse Notre-Dame; et au
vers 3891 de William de Waddington; sussent se trouve au vers
1341 de Dermod. Nous n'en citerons pas davantage. Les seules
formes assez sûres que nous ayons dans la Chronique de Pierre de
Langtoft sont des formes contractes (cf. I, 48, 25 ; II, 178, 18; II,
178,19).
On voit donc assez clairement quels ont été les progrès de la syné-
rèse en anglo-français pour les imparfaits du subjonctif en /// de la
première classe. Les premiers exemples remontent à ri6o, peut être
plus tôt ; au commencement du xiii^ siècle, et même à la fin du
siècle précédent, le nombre des formes à synérèse égale presque,
dans certains auteurs, celui des formes montrant l'hiatus. Cependant,
à la fin du xiv^ siècle, la proportion, dans quelques ouvrages, n'a
pas changé ; elle est même parfois sensiblement en faveur des
formes étymologiques. De plus, presque tous les écrivains nous
offrent des exemples assurés de diérèse jusque dans les dernières
années de ce siècle. La forme régulière a donc persisté d'une façon
remarquable.
Ce sont les scribes qui ont supprimé le plus souvent la syllabe
l'imparfait du subjonctif 679
étymologique : pour eux. la voyelle muette semble avoir disparu,
et s'ils écrivent c ou c' qui est étymologique, il n'est pas moins
assuré que pour eux ce n'est qu'une graphie (exactement comme ///)
du son //.
Dans les œuvres en prose de la langue diploiuatique, politique,
etc., nous ne pouvons jamais savoir si la diérèse a eu lieu, mais il y
a de nombreux cas de synérèse qui sont évidents, c'est lorsque l'élé-
ment vocalique du radical est réduit à la voyelle // ; cela arrive assez
fréquemment, par exemple dans pitst de Jean de Peckham (1280,
128) ; pluist (plaire) dans les Statutes (1369, I, 392), etc.
Deuxième et troisième classes.
Les exemples que nous fournissent les autres classes sont loin
<l'être aussi nombreux et les renseignements qu'ils nous .donnent
n'offrent pas le même degré de certitude que ceux de la première
classe .
C'est pour cela que nous avons fait dans ce chapitre une distinc-
tion entre les différentes classes, distinction qui n'avait pas d'autre
raison d'être que de séparer les résultats assurés de ceux qui le sont
moins ; car, il semble bien que les imparfaits du subjonctif dont
nous nous occupons maintenant n'ont pas un sort différent de celui
des verbes de la première classe.
Au xir' siècle, ce n'est que dans certains auteurs que la synérèse
est faite; les formes avec hiatus sont celles qui dominent. On les
trouve souvent dans les premiers poèmes, Cumpoz et Bestiaire ;
dans Gaimar, nous relevons plusieurs formes correctes ; Adgar en a
plusieurs : deilst (XVIII, 52); coneiist (XV, 17), et quelques autres.
Il en est de même pour Thomas, pour Sœur Clémence de Barking
qui écrit doilsses (vers 2354), deiissuDi (vers 1080), âoiissent (vers
2355); pour Fantosme qui nous donne les exemples suivants :
esleiisl (aux vers 795, 1092); dei'ist (au vers 949); pour le Saint
Gilles et le Sermun de Guischart de Beauliu qui ne montrent pas
d'autre forme que les formes à diérèse, pour le poème de Horn,
dans lequel les deux formes se rencontrent, mais où les cas de dié-
rèse sont toujours les plus communs (c'î. doilst, vers 3582; creiisf,
1341, 2893; coneiist, 4019, et quelques autres); nous relevons
encore dans les Homélies deiist (au vers 73).
68o l'évolution du verbe en anglo-prançais
Nous n'avons certes pas épuisé la liste des cas de diérèse qui se
rencontrent à cette époque ; on peut voir cependant, d'après les
quelques exemples qui précèdent, qu'ils sont nombreux, que tous
les ouvrages en présentent plusieurs, et que certains auteurs, même de
la fin du siècle, Jordan Fantosme, Guillaume de Berneville, Guis-
chart de Beauliu, ne connaissent pas d'autre forme.
Les synérèses se présentent toutefois de bonne heure, même si
nous attribuons au scribe du manuscrit de Londres, comme on doit
le faire, pensons-nous, le cas de synérèse qu'on trouve dans le
Voyage de Saint Brandan, au vers 1702 :
Qui doust estre de nus hante,
OÙ il faut lire avec le manuscrit de l'Arsenal : Qu'estre doust.
Dans l'Estorie des Engleis, nous trouvons un assez grand nombre
de cas douteux ' ; pour certains d'entre eux, la forme contracte pro-
vient évidemment du scribe, comme au vers 5930, où on lit :
Ke lom issi prendre le deust,
au lieu de la bonne leçon : K'om deûst. .
D'autres vers ne se prêtent pas aussi facilement à la correction ;
citons par exemple levers 1855 :
Si dusse par dreit jugement,
supprimer dreit ? ou le vers 5510 :
Si com un seir dust anuter,
lire : dut, prétérit.
Pour avoir des cas de synérèse dus à un auteur et qu'il n'est pas
possible de révoquer en doute, il nous faut aller jusqu'à Adgar ^; dans
1. Nous n'avons pas la proportion exacte entre les formes à hiatus et les formes
contractes dans l'Estorie des Engleis ; nous estimons que pour les imparfaits du
subjonctif en ni, elle est approximativement égale à 8 sur i, le chiffre le plus fort
représentant celui des diérèses.
2. Si nous cherchons à déterminer dans Agdar la proportion des formes à dié-
rèse et des formes à svnérèse dans les Légendes de Marie, nous arrivons dans les
mêmes conditions que précédemment au chiffre 6 contre 7, les synérèses étant
plus nombreuses que les diérèses.
l'imparfait du subjonctif 68 1
les Légendes de Marie de cet auteur, nous relevons quelques cas
assurés de synérèse, par exemple (VI, 28) :
Ne sufrir dust mal si grevos,
OU (XVII, 598) :
Li reis Nineveins mort receust.
Les cas de synérèse sont plus rares dans le Tristan de Thomas;
et les imparfoits du subjonctif de II ou de III qui la présentent ne
sont pas nombreux ; nous trouvons à citer le vers 2127 ' :
Cui Kaherdin dust femme amer.
Cette même forme se rencontre au vers 861 du poème d'Havelok;
Que lom le deust issi servir ;
mais cet exemple manifestement appartient au scribe qui a voulu
rétablir le nombre de syllabes du vers que faussait la synérèse qu'il
faisait à tort, en ajoutant /' devant hom.
Dans Horn, au contraire, les cas où l'auteur lui-même a effectué
la synérèse sont nombreux - ; comme diissitni, diissc::^ aux vers 2063,
2854 :
Si fust vostre pleisir, ne me dussez guerpir.
Ke conoistre ne dussum pur lui honurer.
Citons encore conust qu'on trouve au vers 734 du Donnei des
Amants.
Concluons donc que la synérèse existe bien au xii^ siècle,
qu'elle remonte au plus tard à la seconde moitié de ce siècle, mais
que, sauf quelques rares exceptions, c'est la forme à hiatus qui reste
la forme usuelle.
Au xiii^ siècle, nous retrouvons pour ces imparfaits du subjonctif
à peu près le même état de choses que pour ceux de la première
classe. Certains auteurs semblent n'employer que les formes étymo-
1 . Le rapport des formes dissyllabiques aux formes monosyllabiques dans le
Tristan de Thomas est de 35 sur 12, soit environ 3 pour i (chiffres de Rôttiger,
corri-és sur le texte de M. Bédier ; il faut ajouter à la liste de Rôttiger le vers
529).
2. Dans les mêmes conditions que précédemment, le rapport de ces lormes
dans le poème de Morn est environ 6 pour 7.
682 l'hvoi.ution du vf.rre en anglo-français
logiques, par exemple Frère Angier, Robert de Gretham, Denys
Piramus, l'auteur du Saint Julien. Nous disons semblent, car les
exemples que nous avons trouvés ne sont pas à beaucoup près aussi
communs que ceux que nous pouvions citer tout à l'heure. Voici
cependant quelques-uns de ces exemples qui nous permettent de
supposer que ces différents auteurs ne connaissent que les formes
régulières. Nous en avons un certain nombre dans la Vie de
Saint Grégoire : creûssent (au vers 510) ; receûssent (au vers 2035)
et deccusent (au vers 2524) ; Icilssent (au vers 2527) ; esteiist (au
vers 307) ; dciissoiis (au vers 896). Ce sont tous les exemples
que nous avons rencontrés dans ce poème; il y en a à peu près
autant dans les Dialogues et tous sont aussi réguliers que ceux que
nous venons d'énumérer. Dans Edward le Confesseur, nous rele-
vons défissent (au vers 4393); ce verbe se rencontre encore aux
folios 44 v°, 102 v° de Robert de Gretham, aux folios 68 r°, 69 r°,
74 r° du Saint Julien.
Ces exemples, quoiqu'on puisse peut-être les juger un peu trop
rares, et Tabsence de formes contractes semblent nous donner le
droit de dire que les auteurs de ces cinq poèmes ne connaissaient
que la forme régulière.
Il n'en va pas exactement de même pour tous les autres écrivains
du commencement du xiii^ siècle ; les synérèses sont assez fréquentes
dans les autres ouvrages de cette période, et on ne trouve plus après le
Saint Julien de poème dune certaine longueur employant exclusi-
vement les imparfaits du subjonctif présentant l'hiatus. Les exemples
qui le montrent ne sont cependant pas très rares après le Saint
Julien. Le Saint Thomas a geilst (au vers 2524); The Song of the
Church, dut (lire deiist^ (au vers 1264).
Dans le Saint Auban, nous ne trouvons qu'un tout petit nombre
de diérèses et on peut se rappeler que pour les verbes de la pre-
mière classe, le nombre d'hiatus était considérable et fortement en
excès sur celui des synérèses. Citons ici geiissent (au vers 1543) :
Cum si il geùssent tuz vifs, enters, seins e gari.
Ce qui est douteux, car oii pourrait en faire un vers de douze
syllabes en élidant 1'/ de si, et en faisant la synérèse.
On trouve encore deiist deux fois dans le Sermon en vers Deu le
l'imparfait du subjonctif 683
Omnipotent (14 c, 64 d), et un exemple unique, croyons-nous,
dans William de Waddington (vers 4336).
On trouve encore quelques diérèses au siècle suivant, dans le
Prince Noir d'abord, car il n'est pas moins régulier ici qu'avec les
verbes de la première classe (cf. vers 2818, 2930), même dans
d'autres ouvrages, comme dans la Vie de Sainte Marguerite : deiist
(367). Nous n'en avons pas relevé une qui fût sûre dans toutes
les œuvres en vers de Nicole Bozon (les synérèses y sont nom-
breuses).
Ainsi les exemples assurés de diérèse deviennent de plus en plus
rares.
Nous n'aurons pas cà citer un grand nombre de formes contractes
pour prouver qu'elles sont en majorité. D'abord chez Chardri et
dans la Plainte d'Amour nous n'avons relevé pour les verbes de
ces classes que des exemples de synérèse et ils sont assez nombreux:
deust se trouve par exemple au vers 2772 de Josaphat, au vers 800
du Petit Plet : dusse^ est extrêmement fréquent ; dans Josaphat on
trouve cette forme au moins quatre fois (au vers 1339, 2160,
2162, 2164); deux fois ou plus dans les Set Dormans (au vers 317,
695); plus de quatre fois dans le Petit Plet (aux vers 660, 695,
931, 1670) ; on la retrouve encore aux vers 50, 409 de la Plainte
d'Amour. Dussent est employé au vers 674, 795 du Petit Plet et
143 de la Plainte d'Amour; recciisse au vers 386 du Petit Plet,
etc
Il y a plusieurs exemples assurés de synérèse dans le Saint
Auban ; ^eussent et eslcust cités par M. Suchier ; denst (558, 1264) ;
deusses (551, 962)- .
Dans le Manuel des Péchés de William de Waddington enfin elles
sont très communes (cf. vers 1095, I390-
Au xiv^ siècle, tous les auteurs en offrent des exemples, même
le Prince Noir qui a deiist (aux vers 2819, 2955). On en trouve
encore dans Pierre de Langtoft (I, 68, 21, exemple assez sûr), et
1 . Dans Chardri, en tenant compte de toutes les classes, le rapport des formes
correctes aux formes à synérèse est égal à environ 5/2 ,
2. M. Suchier cite un cas de diérèse irrégulière dans le Saint Auban : /<'«.w^,
vers 962.
8^4 l'évolution du verbe en anglo-français
dans Nicole Bozon, Bounté des Femmes (vers 14), et Vies de
Saints, etc. \
Comme le montrent ces quelques exemples, l'hiatus a le plus sou-
vent disparu de l'imparfait du subjonctif correspondant à la seconde
et à la troisième classe des prétérits en ni.
S'il existe donc une différence entre les verbes de la première
classe et ceux qui appartiennent aux autres classes, ce serait que ces
derniers présentent au xiii^ siècle plus de synérèses que les autres,
c'est-à-dire que, une fois atteints, ils ont moins bien résisté que
ceux de la première classe.
La langue légale nous donne une autre preuve, s'il en est besoin,
que la forme avec synérèse était la forme ordinaire à la fin du
xiii^ siècle. Nous trouvons très fréquemment la graphie /// au lieu
de u ; il est évident que dans une forme comme duist le souvenir
même et toute trace de l'hiatus se sont perdus.
5. Imparfaits du subjonctif correspondant aux prétérits en i.
Nous retrouvons ici quelques-unes des questions que nous avons
déjà traitées à propos des prétérits de ces verbes. Ils présentent à
toutes les personnes l'allongement syllabique que nous avons
remarqué à trois personnes du prétérit, et le verbe voir seul nous
obligera à traiter encore une fois la question de l'hiatus et de la
synérèse.
a) La consonne intervocalique.
La consonne vocalique est toujours conservée dans le cas de
tenir et de venir, toujours absente pour voir. Cependant ce dernier
verbe dans certains exemples que nous rencontrons au commence-
ment du xii® siècle nous montre à ce temps mais très rarement la
dentale intervocalique, comme dans vedisse que nous lisons dans la
Vie de Saint Alexis, manuscrit L (92, i).
Les deux autres verbes ne nous offrent qu'une seule irrégularité
à ce point de vue: le radical du verbe montre souvent une mouil-
I. La Vie de Saint Richard nous offre un grand nombre d'exemples des syné-
rèses {d. 33, 565, 1304, 1354).
Len dust penser la curteisie ;
E de ceo ke dussent aprendre ;
Kavant ceo ke dusse mûrir ;
Sa beneicun ou tut récusent.
l'imparfait du subjonctif 685
lure irrégLilière . Nous n'en avons aucun cas bien assuré pour le
xiv^ siècle dans les œuvres littéraires; mais dans les textes poli-
tiques, diplomatiques, l'imparfait du subjonctif avec une » mouillée
n'est pas du tout rare. Le premier cas que nous ayons relevé se
trouve dans les premières années du xiv^ siècle et peut se lire dans
les Parliamentary Writs : aveigHisse (1^14, I, 117). L'exemple le
plus ancien des Rymer's Foedera est à peine plus récent, on le trouve
en eftet à l'année 1318 (III, 697). Après cette date, les formes
avec n mouillée pour venir et tenir sont assez communes, surtout
dans les Year Books, qui n'en emploient guère d'autres.
^) L'hiatus.
Après la chute de la dentale intervocalique, il y a eu pour
chaque personne de l'imparfait du subjonctif de voir hiatus entre le
thème et la désinence. Nous allons étudier maintenant de quelle
façon, et à quelle époque l'anglo-français a réduit cet hiatus.
L'hiatus a subsisté quelque temps, puis la svnérèse s'est faite et
la voyelle du thème a disparu devant celle de la désinence.
La diérèse est de règle au xu^ siècle, et on la trouve conserv-ée
chez tous les auteurs depuis Philippe de Thaûn jusqu'à Guischart
de Beauliu. Un seul auteur montre un certain nombre de cas où la
synérèse s'est produite : Jordan Fantosme ; nous trouvons dans cet
auteur quelques cas de diérèse, par exemple aux vers 661, 897,
922, 1047, iioo, 1212, 1813.
Mais il est hors de doute que les synèrèses sont relativement
fréquentes; on en trouve au vers 1450, 876, 1204, 1290, 1763.
Voici ces vers :
Mes s'il veist sud seignur a qui l'onur apent.
Le jor veissiez burgeis, bien vaillant chevalier.
Dune veissiez targes prendre e ces escuz buclez.
Dune veissiez ces marchans e venir e aler.
Dune veissiez chevaliers vistement cuntcnir.
Mais Fantosme est une exception au xii*" siècle et même chez lui
on voit que la diérèse est la règle et la synérèse l'exception. C'est
ce qui a encore lieu au siècle suivant ; l'hiatus subsiste le plus sou-
vent : voici quelques références tirées des auteurs en vers de ce
686 l'évolution du verbe en anglo-i-kançais
siècle qui pourront donner une idée du nombre de cas où la diérèse
se rencontre ; nous ne répéterons pas pour ciiaque exemple la
forme de voir à laquelle il correspond.
La diérèse est fréquente chez Frère Angier ; on peut en trouver
des exemples dans la Vie de Saint Grégoire (aux vers 751, 2058) ;
dans les Dialogues (17 v° a) (voïsseO; dans Robert de Gretham
(au folio 61 r°) ; dans le Josaphat de Chardri (236 et passim, en
tout une dizaine de fois) ; dans les Set Dormans (comme aux vers
149, 103 5, etc.) et au vers 9 14 du Petit Plet. Citons encore, à quelque
distance de Chardri, le poème d'Aspremont qui nous en montre un
cas au vers 117 et le Saint Auban qui en a au moins deux d'assu-
rés (au vers 482, 1529).
Dans les poèmes du xiv^ siècle qui nous permettent de juger du
nombre de syllabes des formes du verbe, nous rencontrons toujours
des imparfaits du subjonctif nous montrant la diérèse, comme dans
le Siège de Carlaverok (cf. 62) ou dans le Prince Noir (cf. 309,
590, 620, 985, 1329, 3259).
Tous ces exemples nous laissent à penser que la synérèse ne doit
pas offrir des exemples bien nombreux. Nous en voyons une dans
le Saint Auban, au vers 695, veisse^.
Foille veisez blanchir, le chaut tendrun usler.
Le poème de Dermod peut aussi nous en donner un autre cas:
V ccDt veisez le jor plunger
Et un autre dans le Prince Noir:
Atant veissez venir poignant :
Miss M. K. Pope substitue, sans bonne raison, à veissez, vez
vous.
Quoi qu'on puisse penser des exemples que nous venons de
donner, il reste assuré que les formes à diérèse pour l'imparfait du
subjonctif de voir sont communes au xiii'^ et au xiv^ siècle ; que
les synérèses sont relativement rares, lorsqu'elles existent.
l'imparfait du subjonctif 687
6. Imparfaits du subjonctif en si.
Nous traiterons les mêmes questions que précédemment.
a) Consonne intervocalique.
Pour cette question nous ne pouvons que nous en tenir aux
grapiiies, car ni la rime, ni, dans un grand nombre de cas, le nombre
des syllabes ne peut nous venir en aide.
Or les graphies, pour cette question spécialement, sont extrême-
ment variables : 1'^ intervocalique apparaît ou disparait sans raison
apparente. Prenons tout d'abord le verbe faire ; dans certains
ouvrages les formes avec s sont la règle pour ce verbe ; citons par
exemple le Cumpoz, le Psautier d'Oxford, Guischart de Beauliu.
D'autres ouvrages comme le Psautier de Cambridge, le Psautier
d'Arundel, les Légendes de Marie, la suppriment régulièrement ;
mais dans la grande majorité des ouvrages les deux formes se
trouvent employées concurremment dans des proportions infiniment
variables .
Nous pouvons remarquer toutefois qu'au xiir siècle les formes
avec s diminuent de plus en plus ; au commencement du
siècle elles se trouvent dans un certain nombre d'auteurs ; citons
par exemple dans les Dialogues Saint Grégoire: feisissent (roév° b),
desconfisist (26 r° a); dans Robert de GrQX.\\3.m : fesi s se (84 v''),
fesist'(8î r"). Après ce dernier auteur 1'^ devient très rare ; on la
rencontre encore sporadiquement, même au xiv" siècle Çfcsist dans
le Prince Noir, 733, 647, 1861) et jusque dans les ouvrages non
littéraires de cette époque (par exemple dans Rymer faisist,
1347, V, 652 ; 1367, VI, 561) et quelques autres. Même les Year
Books les plus récents emploient cette forme : fesist (12 et 13
Edw. m, 193). L'on peut dire toutefois, en ne tenant compte que
des graphies, que les formes sans s sont de beaucoup les plus com-
munes, depuis 1200 environ, même plus tôt, et que les autres
deviennent assez rares après cette date.
Les autre.s verbes en si ne présentent pas exactement le même
état de choses; on peut dire que pour eux IV persiste plus constam-
ment et plus longtemps que pour faire. Pendant tout le xiir siècle.
688 l'évolution du verbe en anglo-i-rançais
remploi de \'s est la règle, tandis que son omission n'est que l'ex-
ception. Le plus grand nombre des auteurs de cette période
emploient presque toujours la consonne intervocalique et voici les
seuls cas que nous ayons trouvés d'où Vs est absente. Dans le Bran-
dan, nous avons un exemple dû au scribe (1167), plutôt qu'à
l'auteur: c'est /)rm/ (au vers ii-^); dans l'Estorie des Engleis, nous
relevons preïssent (au vers 2261), nieïst (au vers 2406); preïst (au
vers 5922); deïst, entre autres, est employé par Adgar (i Eg. 118);
//av.w par Thomas (au vers 2900); ;f//;mi se lit dans les Quatre
Livres des Rois (II, 3, 9); queïsse au vers 2517 du Saint Gilles.
Au xiii'^ siècle évidemment, nous trouvons en nombre plus con-
sidérable les formes où l'hiatus apparaît. Dans Angier, on voit que
r^ de dire a disparu, et elle ne reparaît plus que rarement ; par
exemple, comme formes sans s, on peut citer deïst dans les Dia-
logues (68 r° b); dans le Josaphat (949) ; dans le Petit Plet (797)
1735); dans le Saint Edmund(i9i9); dans le Saint Auban(i825),
etc.
Il en est à peu près de même pour prendre. On trouve de nom-
breux exemples d'imparfaits du subjonctif de ce verbe sans s dans
Chardri (Josaphat, 142, 242; Petit Plet, 219); on pourrait encore
en tirer du Roman des Romans, de William de Waddington, de
Pierre de Langtoft. C'est aussi à partir de Chardri que mettre suit
la même voie.
Mais les formes étymologiques de l'imparfait du subjonctif de
ces verbes (mettre, prendre et dire) restent sensiblement plus
nombreuses que les formes correspondantes de faire.
Pour les autres verbes de cette classe présentant une s intervoca-
lique à l'imparfait du subjonctif, on trouve pendant tout le xiii^
siècle, et pour ainsi dire dans chaque auteur de ce siècle, des
formes où cette s est conservée. Cela arrive surtout évidemment
dans les premières années de ce siècle, comme dans le Frère
Angier, où elles sont spécialement fréquentes : tramisist (Vie de
Saint Grégoire, 2084 ; Dialogues, 130 r° a); remasist (Dialogues,
75 v° b) ; qiiisissent (ibid., 76 r° b). Nous en relevons de
même de nombreux exemples dans les poèmes de cette époque
ou même postérieurs. Citons ireiùst, au vers 1826 du Saint
Edmund ; occesist, occisisse, dans Robert de Gretham (84 r°, 84 v°) ;
disist dans le même auteur (80 v'') ; dcspeisist (ibid., 61 r'') ; prcsist
IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 689
au vers 886 du Roman des Romans, etc. Et ces formes durent
jusqu'au xiv^ siècle, comme le tramesist du Prince Noir (vers 1464);
mais, à cette époque, elles ne sont, comme nous le disions tout à
l'heure, que des cas plus ou moins isolés qui dénotent simplement
un certain goût de l'auteur ou du scribe pour les formes vieillies.
Pour tous ces verbes, les deux formes se rencontrent dans la
langue politique, diplomatique, familière et légale ; mais les formes
sans s sont les plus communes dans les meilleurs recueils.
h) La voyelle du radical.
I. Dissimilation vocalique. — Nous n'insisterons guère sur cette
question et nous nous contenterons de citer quelques formes peu
régulières :
La dissimilation vocalique, dans les verbes ayant i dans le
thème, ne se fait pas toujours très régulièrement ; voici quelques
cas où on trouve la voyelle du radical irrégulièrement conservée.
Au commencement du xiii*^ siècle, les / irréguliers sont assez
communs ; nous en trouvons plusieurs exemples dans Robert de
Gretham, comme disist (au folio 80 v° des Evangiles des Dompnées
et passini)y cscrisist dans les Dialogues Saint Grégoire (au folio 147
v° b) ; occisisse se lit encore dans les Evangiles des Dompnées (84 v°).
Les trois verbes que nous venons de citer sont relativement com-
muns sous cette forme ; d'autres imparfaits du subjonctif nous ont
semblé plus exceptionnels, comme (transynisist et quisissent qui se
trouvent tous les deux dans les poèmes de Frère Angier (respecti-
vement. Vie de Saint Grégoire, vers 2084 et Dialogues, 76 r° b).
Au lieu de / ou de f, on a parfois ei ; c'est la forme sous laquelle
apparaît le plus souvent l'imparfait du subjonctif de dcspirre : des-
peisîst se trouve dans les Dialogues Saint Grégoire (82 v° b et 43
v° a) ; dans les Évangiles de Robert de Gretham (61 r°). Nous
pouvons répéter ici quelques-uns des exemples que nous avons
déjà donnés et qui montrent la diphtongue ei au radical., par
exemple : feisissent dans les Dialogues Saint Grégoire (106 v° a) ;
feisist dans Rymer (1367, VI, 561), et de plus /raV/j/ dans ce der-
nier recueil (1324, IV, 90), etc.
Quelquefois la diphtongue ai apparaît : faisist que nous avons
44
690 l'évolution du verbe en anglo-français
dans Rymer 1348, V, 652 ; praisics, Year Books i et 2 Edw. II, 24,
etc.
Ces deux diphtongues se rencontrent après la chute de Vs ; faisse
se lit dans Jean de Peckham (1307, 80), dans les Literae Cantua-
rienses (1359, S$4); faist dans les Parliamentary Writs (1301, I,
132), dans Rymer (1321, III, 890); dcissent dans les Year Books 20
et 21 Edw. I" (61, etc.).
Diérèse et synérèse.
Nous nous occuperons d'abord du verbe faire, pour lequel nous
avons, comme nous venons de le montrer, des exemples plus
anciens de la chute de \'s intervocalique et par conséquent de l'hia-
tus.
Faire. — Au xii^ siècle la diérèse est très régulièrement conservée :
nous n'avons relevé qu'un seul cas très douteux de synérèse dans
Horn (ms. H) au vers 1605 : fassent :
Kar Horn ot défendu quil ne feissent noisée.
(C et O donnent faceiit.')
Au xiii'' siècle, pour ce verbe, comme pour toutes les autres
formes présentant étymologiquement un hiatus, nous trouvons un
nombre assez considérable de synérèses, mais la synérèse restera
l'exception. La diérèse est la règle dans Angier (128 v° a, 106 v° b),
dans Chardri (Josaphat, 2442,2666, 139; Set Dormans, 389, 585;
dans le Petit Plet, 301); dans Robert de Gretham (aux folios 81 r°,
84 v°); dans le Roman des Romans (vers 755); on en trouve des
exemples jusque dans William de Waddington (3185).
D'un autre côté nous avons relevé dans la plupart des auteurs
que nous venons de citer et à partir de Chardri un certain nombre
de formes contractes. On trouve dans les différents poèmes de ce
dernier des exemples qui montrent d'une façon indubitable que la
synérèse s'est effectuée ; voici les vers qui montrent la réduction
de l'hiatus. Au vers 723 de Josaphat :
Kel ne feist sage sanz targer.
vers faux, du reste.
IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 69!
Au vers 1758 des Set Dormans :
Cumcnt lurfeist greinnur honur.
Dans Josaphat, vers 2602 :
Ke Barachie feissent seinnur.
Au vers 554 du même poème on trouve :
Kil se feissent tost aprestcr.
Enfin au vers 2601, toujours dans Josaphat :
Tant feissent pur la sue amur .
Les vers 723 et 554 de Josaphat sont douteux; le premier, de
toute façon, est un vers faux ; l'autre nous laisse dans le doute, car
nous ne pouvons pas savoir laquelle des deux syllabes muettes ne
doit pas compter, Ve en hiatus de/<;'/ ou la terminaison à l'hémis-
tiche eut de ce verbe. Mais les autres vers suffisent pour montrer que
Chardri fait à l'occasion la synérèse.
Saint Edmund en présente aussi un exemple au vers 1941 (à
côté duquel on peut citer plusieurs cas de diérèse, par exemple le
vers 1667) :
Ke de li .feist le neis voler.
Le même phénomène se retrouve dans Aspremont ; on trouve
dans deux vers consécutifs un cas de diérèse (vers 132) et un cas
de synérèse (vers 133) :
Suz ciel u'at beste plus feïst a preisier.
Nen nule tere plus feist a cuveitier.
Le nombre des synérèses est encore inférieur à celui des diérèses
dans Edward le Confesseur et dans le Chevalier : dans le premier
de ces poèmes on trouve au moins trois fois fcïsl (vers 283,
909, 1258), contre un cas où la synérèse s'est effectuée (vers
723):
Ki as Daneis en feist présent.
Saint Auban lui-même semble toujours faire la diérèse (cf. vers
692 l'évolution du verbe en anglo-français
1569, 1745). Dermod a un nombre à peu près égal des deux
formes ; la diérèse subsiste, autant qu'on peut en juger, dans les
vers 332, 2731, 3404 ; les vers suivants sont au contraire des cas
de synèrèse (vers 306, 1363):
Si H feist honorablement.
Se feisent tost aparailer.
Même au xiv^ siècle nous lisons dans Pierre de Langtoft et dans
le Prince Noir des vers qui nous montrent que la diérèse subsiste
encore ; on a feïsses dans Pierre de Langtoft (II, 88, i ; I, 246, 9) :
Si vus tant feïsses, grant joye en averay.
Si le ray Philipe(s) i feist demoraunce .
Mais dans tous les autres, et ils sont nombreux, l'hiatus a dis-
paru, semble-t-il.
Dans le Prince Noir au contraire, nous trouvons les formes à
diérèse aux vers 646, 731, 1869, 3773, tandis que nous ne
sommes sûrs d'aucun cas contraire.
Les quelques exemples que nous avons cités nous permettent
d'arriver à une conclusion assez précise . Les auteurs anglo-français
ont connu la synèrèse à l'imparfait du subjonctif de faire et ils ont
employé les formes contractes, tantôt pour les besoins du vers,
tantôt parce que cette forme leur semblait plus usuelle. Mais cette
nouvelle forme n'a jamais réussi à déplacer complètement l'autre ;
plusieurs auteurs, même à une époque tardive de la littérature
anglo-française, emploient encore uniquement la forme étymolo-
gique, tous la connaissent.
On peut, en négligeant l'exemple de Horn qui est isolé et pro-
vient du scribe de H (fin du xiii'' siècle), considérer que la synèrèse
a commencé à se faire avec Chardri (1220).
Autres verbes. — Puisque, comme nous venons de le dire, Vs est
conservée le plus souvent au xii^ siècle pour les autres verbes, les
cas d'hiatus ne sont pas très fréquents et par conséquent la synè-
rèse, s'il en existe des exemples, ne peut être que rare. De toutes les
formes que nous avons rencontrées il ne s'en trouve qu'une en
effet où la synèrèse se soit effectuée ; elle se trouve chez Gaimar,
preist au vers 5922 :
Sanz contre dit Angevins preist.
IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 693
Ces cas de synérèse sont un peu plus nombreux au commence-
ment du xiii^ siècle ; nous en trouvons un dans les Dialogues Saint
Grégoire : Jcisse (125 v° b) ; dans Chardri il y en a quelques-uns d'as-
surés: meist au vers 768 de Josaphat:
U la père meist la mcstrie ;
mesdeissent dans le Petit Plet (au vers 847) :
Car s'il ne mesdeissent de tei.
et probablement au vers 142 du Petit Plet:
Si jeo preisse le secle trop a fes.
Ici la synérèse peut n'être qu'apparente, le <' trop » et le « jeo »
peuvent provenir du copiste. L'exemple de dcist qu'on trouve au
vers 1208 du Saint Edmund est douteux aussi.
E ke ceo dei(s)t qu'ele nel salue.
Lire : E ke ceo dist qu'ele ne le salue ?
Le Saint Auban, au vers 1825, a dcise, où s'est faite la sjmérèse :
Ne i deise fauseté pur tut l'or Costentin.
Lire : n'i ; quant à fauseté, il compte pour trois syllabes (cf. vers
279, 361, 562, 598, 1002).
Enfin la synérèse se fait dans les Chansons (VI, 93) et très régu-
lièrement dans William de Waddington : entreiiu'isst'i {1S02), dcist
(^lOi^G'), deisse:^ (3186), preisse\ (3890) et plusieurs autres encore.
Il en va exactement de même pour les différents auteurs du
xiv^ siècle ; de loin en loin, nous rencontrons un cas de diérèse
qui semble assez sûr, comme dans la Vie de Saint Paul de Nicole
Bozon (185):
Si jeo meyscavaunt la meyn.
Mais de telles formes n'ont rien de régulier et la plupart des
auteurs semblent faire toujours la synérèse.
Pour ces imparfaits du subjonctif, la synérèse a donc commencé
694 l'évolution du verbe en anglo-prançais
à sefiiire dans la seconde moitié du xii^ siècle, quoique les exemples
de cette date restent assez douteux ; au commencement du xiii% leur
nombre augmente et ils sont plus assurés; vers 1275 et pendant le
siècle suivant, les cas d'hiatus deviennent très rares.
Extension des formes en si à Viinparfail du subjonctif.
(Cf. les ouvrages et articles cités p. 655).
Nous avons vu qu'au prétérit, tant que l'allongement syllabique
s'est fait sentir, les personnes imparisyllabiques des prétérits en si
ont attiré un certain nombre de prétérits et leur ont justement
donné leur forme imparisyllabique. Les verbes que nous avons
alors cités comme subissant cette attraction sont déguerpir, établir
et guarir.
Le même phénomène se produit à l'imparfait du subjonctif mais
d'une fcKon beaucoup plus étendue. En effet 1'^ qui pour le prété-
rit devient relativement rare après 11 60, se maintient beaucoup
■mieux dans les imparfaits du subjonctif ; au lieu de n'appartenir
qu'à trois personnes, comme au prétérit, elle se trouve aux six per-
sonnes; c'est pour cette raison même d'abord que Vs a mieux
résisté au temps qui nous occupe, et aussi que les acquisitions que
ce temps a faites sont plus nombreuses et s'étendent sur un nombre
d'années beaucoup plus considérable.
Si nous examinons isolément les acquisitions que l'imparfait du
subjonctif en si a faites au xii^ siècle, acquisitions assez peu nom-
breuses, nous verrons que ce sont surtout les verbes de la deuxième
conjugaison inchoative qui sont atteints ; on trouve en effet pen-
dant ce siècle : perisist dans les Psautiers d'Oxford et de Cambridge
(3, 12); Adgar(XL, 52) ; saisis ist, Quatre Livres des Rois (IV, 8,
6); ce dernier n'est probablement qu'une erreur cléricale. Nous
pouvons citer des exemples plus convaincants : giiaresist, Quatre
Livres des Rois (II, 2, 22; IV, 5, 6); tapesist, Quatre Livres des
Rois (I, 19, 2); sufrisist àa.ns Haveloc (105 1).
Le perdisist qu'on lit au vers 5941 de Gaimar n'est donné que
par le ms. Royal, et nous avons vu (imparfaits du subjonctif en ui,
première classe) qu'il valait mieux adopter la leçon donnée par D,
L et H qui portent perdist .
Cette forme en isist doit donc être attribuée au scribe du ms.
Royal, ce qui la remet au commencement du xiii' siècle.
IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 695
Par conséquent tous les exemples qu'on trouve au xii* siècle de
l'extension des formes en si à l'imparfait du subjonctif montrent
que ce sont des inchoatifs de la seconde conjugaison qui adoptent
cette forme.
Il n'en est pas de même pendant les deux siècles suivants ; cepen-
dant on pourra remarquer dans la liste des verbes qui suit que la
plupart ont un prétérit en ivi ou en / ; nous ne trouvons (sauf
l'exception que nous signalerons plus tard) aucun verbe de I,
très peu de verbes ayant régulièrernent un prétérit en ui.
Les deux verbes qui montrent le plus grand nombre d'exemples
de formes analogiques sont les verbes venir et tenir; on peut
même dire que pendant la fin du xiii" siècle et le xiv% la forme
en si est la forme régulière de l'imparfait du subjonctif de ces deux
verbes.
Nous trouvons par exemple vensist dans Robert de Gretham (au
folio 74 v°), au vers 1 141 de la Vie de Saint Grégoire, dans Boeve
de Haumtone (au vers 942), ou encore avec e avant la désinence
sisî, vencsist au § 79 des Contes de Bozon ; au folio 46 v° de Nicolas
Trivet.
Dans l'anglo-français non littéraire, les exemples sont assez
communs; citons ceux qu'on trouve dans les Statutes (1321,!,
183) et dans lesYearBooks 13 et 14 Edw. III (p. 309).
Il en va évidemment de même pour le verbe tenir, et les impar-
faits du subjonctif en si pour ce verbe abondent au xiii' siècle.
Tensist se rencontre dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1216),
dans les Dialogues (au folio 45 v° a), etc. et en dehors de la litté-
rature, dans les Statutes, dans Rymer, les YearBooks. Les exemples
sont trop communs pour qu'il soit nécessaire que nous en donnions
une liste.
Ces deux verbes sont les deux seuls verbes ayant un prétérit en i
qui prennent avec une très grande régularité la forme en si à ce
temps.
Les verbes qui ont un prétérit en ivi n'apparaissent que sporadi-
quement sous cette forme à l'imparfait du subjonctif; certaines
formes se trouvent répétées dans difi'érents auteurs, quelques-unes
semblent n'avoir été employées que par un seul écrivain. Nous
allons en donner rapidement la liste, et nous suivrons l'ordre
chronologique ; nous retrouverons évidemment quelques-unes des
formes que nous avons déjà rencontrées au siècle précédent.
696 l'évolution du verbe en anglo-français
Dans les Evangiles des Dompnées, l'imparfait du subjonctif nas-
quesist qui peut se lire au folio 8 r° est assurée par la mesure du
vers ; il en est de même de deux autres formes, dont l'une a déjà été
citée : giiairsist qu'on lit au folio 18 r° et peresist de périr, employée
au folio 73 r°.
Un autre auteur, de la fin du xiii^siècle, William de Waddington,
nous offre plusieurs exemples analogues dans son Manuel des
Péchés ; citons oversist d'ouvrir (au vers 5069); ojfresist (au vers
7578); siijjresist (au vers 9657). Ce dernier verbe se rencontre
encore assez communément, surtout en dehors des ouvrages litté-
raires, comme dans les Mem. Pari. 1305 (cf. § 5) ; dans les Histo-
rié and Municipal Documents of Ireland (1292, 212) et passim.
Vesquisisî ne semble pas rare ; nous l'avons rencontré dans les
Distiques de Caton d'Everart de Kirkham {l'csqitisissent, 8 c), dans
Wil. Rishanger (page 276), dans les Statutes k la date de 1311
a 159).
Perdre fait perdisist qui est assuré par la mesure du vers dans
Pierre de Langtoft (II, 226, 8 ; II, 424, 16) ; on en trouve un
autre exemple dans les Contes de Nicole Bozon (§ 112). Ce der-
nier ouvrage nous donne encore (aux § 133 et 82), enlendesist et
vendesist.
Ajoutons enfin partesisi employé dans Wil. Rishanger (page 317) ;
rendisist qu'on trouve dans les Mem. Pari. 1305 (§ 33).
Voilà donc les verbes que nous avons relevés : six verbes de la
seconde conjugaison : guérir, partir, périr, offrir, ouvrir, souftrir ;
six de la quatrième : entendre, naître, perdre, rendre, vendre,
vivre.
Les prétérits en ni vont nous fournir un nombre assez considé-
rable de formes de ce genre. Citons d'abord les deux acquisitions
les plus importantes, les deux verbes vouloir et valoir. Inutile ici de
citer des exemples ; l'imparfait du subjonctif de ces deux verbes a
toujours la forme en si.
Un autre verbe ayant un prétérit en /// se trouve presque aussi
communément employé sous cette forme : c'est le verbe mourir.
Nous ne nous rappelons pas avoir jamais rencontré pour ce verbe
un imparfiiit du subjonctif en ///, mais il a quelquefois la forme en
i. (Cf. Prétérit, p. 595)-
L'imparfait du subjonctif avec s est très commun ; les premiers
IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 697
exemples remontent assez haut ; nous croyons qu'il ne s'en trouve
pas avant le Chevalier, la Dame et le Clerc qui nous donne (au
vers 336) morsist;on trouve par la suite niorsissent dans Wil.
Rishanger (page 276) ; dans les œuvres non littéraires cette forme
est très commune ; citons nwrsissmt dans les Mem. Pari. 1305
(§ 193).
Ce même verbe présente aussi souvent une forme légèrement
différente avec e, comme moresist qui se lit dans Wil. Rishanger
(page 27e), et dans Pierre de Langtoft (II, 344, 16). La voyelle /
remplace quelquefois la muette : morisist se trouve encore dans
Wil. Rishanger (page 295) (cf. vensist, tensist ; venesist, tenesist).
Ces trois verbes sont les principaux exemples que nous avons à
citer. On pourrait en trouver quelques autres, surtout dans les deux
poèmes de Frère Angier qui en offre à lui seul autant que tout le
reste des œuvres littéraires prises ensemble, mais aucun n'est aussi
régulier que vouloir, valoir et mourir. Dans l'auteur que nous
venons de nommer, on peut en outre remarquer un petit nombre
de verbes de I empruntant aux verbes ayant un prétérit en si la
forme de leur imparfait du subjonctif. Mais nous ne pouvons pas
considérer comme anglo-françaises des formes comme /mw^jm/ (31
r° a) ou geilsist Cm r" b). (Pour la liste complète de ces formes
dans Angier, voir Miss Pope, page 43 et Timothy Cloran, page éo).
Nous ne trouvons, en dehors des œuvres de Frère Angier, qu'un
seul verbe de I prenant à ce temps cette forme : c'est le verbe bail-
ler, et on ne le trouve qu'en dehors de la littérature.
Voici donc tous les exemples que nous offre la littérature anglo-
française, et il est facile de voir comment la forme en si a gagné à
l'imparfait du subjonctif des verbes auxquels régulièrement cette
forme est étrangère. Ce sont les inchoatifs qui ont été atteints les
premiers. La raison de ce phénomène nous semble assez facile à
déterminer; nous croyons en réalitéqu'il y en a deux. Toutd'abord,
et ceci s'applique à tous les prétérits en ivi, l'amuissement de Vs du
prétérit a entraîné l'identité des désinences dans les prétérits giiarit,
âist. Cette identité a pu être le point de départ de la confusion
entre les imparfaits du subjonctif en ivi et en si.
Mais en second lieu, et surtout, les inchoatifs ne semblent pas
avoir d'imparfait du subjonctif propre ; ce temps se confond avec le
présent du subjonctif : guarisse sert pour les deux temps. L'anglo-
698 l'évolution du verbe en anglo-français
français, dans les quelques cas que nous avons cités, a tenté de
donner une forme propre à. ces imparfaits du subjonctif, et la res-
semblance sinon l'identité de leurs prétérits avec ceux des prétérits
en si a mené naturellement les auteurs à pousser encore plus loin
la ressemblance et à donner la même forme aux imparfaits du
subjonctif de ces deux classes de verbes.
C'est de cette façon que nous nous expliquons l'extension des
formes en si aux verbes inchoatifs. De ces verbes, cette forme a
facilement passé à tous les autres verbes de II, aussi bien aux non
inchoatifs ordinaires, comme souffrir, qu'aux verbes tenir et venir
qui ont un prétérit en /, et à mourir qui a un prétérit en ivi à côté
du prétérit régulier en ui. De même entendi, nasgui, perdi, rendi,
vendi, vesqiii ont amené les formes que nous citions tout à l'heure.
Tout cela a été assez lent et progressif; nous ne pouvons guère
nous fier à la chronologie des exemples que nous avons relevés ;
rien ne pourrait sembler plus naturel que de supposer que l'ordre
dans lequel nous les trouvons est réellement l'ordre dans lequel
ils ont apparu. Mais il est sûr que beaucoup d'intermédiaires et
d'exemples doivent nous manquer; il est possible que rendre ou
vendre, pour lesquels nous n'avons que des exemples récents,
aient apparu dans des textes que nous ne possédons pas ou que
nous n'avons pas consultés bien longtemps avant nasquesist pour
lequel nous avons un exemple assez ancien. La seule chose qui
nous semble assurée, c'est que cette extension des formes en si à
l'imparfait du subjonctif a commencé avec les inchoatifs, et a gagné
ensuite les autres prétérits en ivi. Ajoutons si l'on veut que, d'après
nos exemples, tenir et venir prennent cette forme vers le commen-
cement du XIII* siècle ; que mourir se montre avec cette désinence
quelques années plus tard ; que souffrir, ouvrir, partir et vivre pen-
dant le XIV* siècle, vendre, entendre et bailler à la fin de ce même
siècle, se trouvent 'atteints à leur tour; mais toutes ces dates ont
une valeur très médiocre.
Un assez grand nombre des verbes précédents se trouvent aussi
en dehors des œuvres littéraires et nous ne reviendrons pas sur ce
point. Disons simplement que les œuvres diplomatiques, politiques,
familières, légales nous donnent quelques exemples que nous
n'avons pas encore rencontrés. Citons d'abord bausist de bailler (cf.
Futur), le seul cas vraiment anglo-français d'un verbe de I sous cette
IMPARFAIT DU SUBJONCTIF 699
forme; on le trouve dans les Lettres de Jean de Peckham (1310,
36) et fréquemment dans les Year Bocks.
Les autres formes ne sont pas aussi communes : defausit dans les
Rymer's Foederà (1278, II, 108); discheisisl (de choir) dans le
même recueil (1278, II, 107). Surtout suisisl de suivre, suire, suer
qui se rencontre dans les textes politiques, comme dans les Parlia-
mentary Writs (1314, I, 136), mais surtout dans les différents Year
Books où il est très commun.
Ces derniers recueils nous montrent un nombre encore plus con-
sidérable déformes irrégulières en si; toutes celles que nous avons
eu l'occasion de citer y sont employées, et de plus on rencontre les
verbes suivants : respondesil ■, cstoysit % abatisit \ recovresit \ jousit
(jouir) 5, cursii S suffrisiuns '.
Enfin ajoutons, et ce n'est pas l'observation la moins importante
que nous avons réservée pour la fin, que les verbes valoir et vou-
loir ont dans tous les textes, légaux et autres, comme dans les
œuvres littéraires, la forme des imparfaits du subjonctif correspon-
dant à des prétérits en si.
Year Book 21 Edw. 1er, 223, 285 ; 50 Edw. 1er, 249.
— 21 Edw. 1er, 217.
_ 30 Edw. I", 187.
32 et 53 Edw. I", 21.
32 et 33 Edw. 1er, 127.
— 32 et 35 Edw. 1er, 303.
_ Eyre of Kent ; 6 et 7 Edw. II, 1 10.
CHAPITRE V
FUTUR' ET CONDITIONNEL
Nous ne reviendrons pas sur les points que nous avons déjà exa-
minés en étudiant les désinences personnelles.
Rappelons brièvement que nous avons vu au futur la première
personne du singulier prendre les désinences en (ii{,y)y^i{,y),oi{y),
a, e, les trois dernières très rares; les deuxièmes personnes du sin-
gulier prendre quelquefois ;^ au lieu de s (d. p. 75); la troisième
personne du singulier perdre la dentale (cf. p. 97) ; la troisième per-
sonne du pluriel prendre les désinences unt, ont, ount, ent.
Pour le conditionnel, nous avons étudié l'amuissement de la
muette finale à la première et à la deuxième personne du singulier
et à la troisième du pluriel (cf. p. 258). Nous avons relevé les dif-
férentes formes de la diphtongue (cf. Désinences personnelles, p.
274 ; Imparfait de II, III, IV, p. 565).
Il ne nous reste à étudier que les changements qui appartiennent
spécifiquement à ces deux temps.
Comme nous allons le voir, ces deux temps ont subi en anglo-
français des modifications nombreuses, et souvent assez profondes
pour leur faire perdre leur forme étymologique et leur donner l'ap-
parence d'autres temps du verbe.
Ces modifications diffèrent selon les conjugaisons. Nous étudie-
rons successivement :
i" Futur de la première conjugaison.
2° Futur de la deuxième conjugaison.
3° Futur de la troisième et de la quatrième conjugaison.
Ce que nous dirons du futur s'appliquera, sauf exceptions, au
conditionnel.
I. Pour le futur, on peut consulter : Brôhan, Die Futur hildung im Altfranzô-
sischen ; Ancus Martius, Zur Lehre von der Verwendung des Futurs im Alt- und
Neufranzôsischen ; Rônsch, Die franz. Futuralbildung, Jahrbuch VIII, 418.
FUTUR ET CONDITIONNEL 7OI
L Futur des verbes de I.
Les modifications que les futurs de In première conjugaison ont
eu à subir en anglo-français sont considérables; la forme caracté-
ristique de ces futurs n'a été que fort rarement respectée, et bien
souvent ce n'est que le' contexte qui peut nous faire savoir à quel
temps nous avons affaire.
Ces modifications sont dues, pour la plupart, à la voyelle proto-
nique et à la consonne r qui termine le radical de ce temps.
I . Chute de /'e protonique.
Lorsque le radical du verbe se termine par une consonne simple,
spécialement par r, une dentale ou une labiale, ou par n, même par
une voyelle, Ve pfotonique disparait le plus souvent.
Les exemples sont nombreux et appartiennent à toutes les
époques de la littérature anglo-française. Nous n'aurons donc pas
besoin de les multiplier ; nous ne donnerons que les plus caracté-
ristiques et ceux qu'on rencontre le plus fréquemment '.
R. — C'est pour les verbes dont le thème est terminé par r que
nous rencontrons les exemples les plus anciens en même temps que
les plus assurés. C'est ainsi que la forme dcinorrai nous est assurée
par la mesure du vers 863 du Voyage de Saint Brandan (Arsenal,
BLF, 816):
Ne dotez rien ne demorrai
vers qui se trouve sous cette forme dans les deux manuscrits.
Cette forme, par la suite, devient la forme ordinaire du futur de
ce verbe et nous pourrions trouver dans les différents auteurs des
trois siècles qui nous occupent la matière d'une longue liste de cita-
tions.
Dentale. — Dans le même poème, nous rencontrons sans sa voyelle
atone étymologique un verbe dont le radical est terminé par une
dentale : resiiscitrai (au vers 1561, manque dans Arsenal, BLF);
mais cet exemple est d'autant plus douteux que nous n'en trouvons
I . Pour le même phénomène en français, voyez Focrster : De Venus, la Déesse
d'Amor, p. 63.
702 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
pas d'analogue dans les autres ouvrages de la même époque ; citons
cependant dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 1047), oslrai et
aidrei dans le même poème (vers 2876) et dans Boeve de Haumtone
(au vers 1980), qui nous engagent encore à attribuer au scribe du
ms. de Londres l'exemple du Voyage de Saint Brandan.
Labiale. — Les thèmes à labiale nous montrent au moins un verbe
qui se rencontre constamment sans voyelle atone au futur : le verbe
trouver. Le premier exemple date au moins de 11 67; nous lisons
tnivra dans le Voyage de Saint Brandan au vers 24e; mais ici il faut
rétablir Ve atone :
Dex truvera qu'a lui estuet (Arsenal BLF, 191)
et par conséquent attribuer au scribe la responsabilité de cette forme.
Par la suite, truvra devient du reste extrêmement commun.
N. — C'est à la même date, au plus tard, que nous devons placer
la chute de Ve dans le verbe donner, qui se rencontre au futur sous
la forme donrai dans le Psautier d'Oxford (31, 19), dans le Drame
d'Adam (451), dans la Vie de Sainte Catherine (537) et dans la
plupart des auteurs. Citons encore menrai qui est à peine moins
commun que le précédent et se rencontre par exemple dans le Tris-
tan de Thomas (au vers 2561).
Voyelle. — Les thèmes vocaliques nous montrent le phénomène à
quelques années de distance; nous avons hiimiliras dans le Psautier
d'Arundel (17, 29); saliirei dans le Saint Edmund (au vers 3952).
Les exemples de formes comme les précédentes ne sont jamais très
communs au xii'^ siècle.
Groupe de consonnes. — Il est encore plus rare de trouver que l'^;
protonique disparaît quand le thème du verbe est terminé par un
groupe de consonnes, et cependant nous avons pour ces verbes des
exemples qui remontent fort haut dans la littérature anglo-française.
Le manuscrit L de l'Alexis, pour la strophe 46, nous àonnt giiar-
drat, et le Psautier d'Arundel nous montre la forme encore plus
extraordinaire tremblrai (26, 2) ; mais ces deux exemples, qui ne
.sont assurés que par la graphie, pourraient fort bien n'être que le
résultat de la négligence des scribes. Pour le dernier exemple, la
négligence semble cependant assez invraisemblable, car Ve a d'abord
été écrit, puis exponctué. Ce n'est qu'au xiV siècle que les formes
FUTUR ET CONDITIONNEL 703
analogues aux précédentes deviendront assez fréquentes, comme
dans Pierre de Langtoft qui écrit enportra, surtout dans le poème
de l'Antecrist qui n'emploie guère que des futurs, dont quelques-
uns ont une forme extraordinaire, comme nous le verrons plus
tard.
Indiquons maintenant quelques-unes des conséquences qu'en-
traîne la disparition de la voyelle atone.
Pour les thèmes terminés par la consonne r, cette chute de la
voyelle produit la consonne double ;;■ ; nous remarquerons plus tard
que l'anglo-français, à toutes les époques, a aimé cette consonne
double, et il est possible que ce soit ce désir de former ce groupe qui
ait provoqué la chute de l'atone. Toujours est-il que dans les verbes
qui se montrent avec cette consonne double, le futur ne diffère en
rien de certains prétérits de I que nous avons déjà cités. Nous allons
maintenant donner quelques nouveaux exemples de ces futurs ; on
pourra les rapprocher des prétérits que nous avons énumérés précé-
demment (cf. p. 575).
Nous trouvons donc jurnint dans le Cumpoz (au vers m) et
dans la Vie de Saint Grégoire (au vers 2843) etpassim; esperrai se
rencontre dans le Psautier de Cambridge (59, 6); urrai dans le
Psautier d'Arundel (5, 3); pJurrunt dans la Chronique de Jordan
Fantosme (au vers 362).
Enfin nous citerons encore durra, dcnwrra, aiirra, et nous en
laissons de côté un nombre considérable qui appartiennent aq xii^
ou au commencement du xiii^ siècle. Tous ces futurs syncopés
pourraient être aussi bien des prétérits qui redoublent leur ;'.
La double r se retrouve encore dans un autre cas d'une façon
fort régulière en anglo-français. Cette chute de Ve protonique pro-
duit souvent des groupes de consonnes qui se réduisent suivant les
lois de la phonétique; par exemple le groupe ;/;• disparait et donne
rr ; citons dorrai qui se trouve dans chaque auteur et pour lequel
il serait oiseux de citer des références.
Merrai, de mener, est à peu près aussi commun; d'autres verbes
se rencontrent, moins fréquemment toutefois que les deux verbes
précédents, en grande partie parce qu'ils ne sont pas aussi souvent
employés, comme rdurreit qu'on trouve dans le Saint Gilles (au
vers 2220); tourra. Vie de Saint Grégoire (1957) de touner, etc.
Ce phénomène n'est évidemment pas rare dans les textes poli-
704 l'évolution du verbe en anglo-français
tiques, diplomatiques et légaux; nous ne voulons pas en donner une
trop longue liste; il nous suffira de dire que la plupart des verbes
que nous venons de citer se retrouvent au futur sous la forme que
nous avons déjà donnée ; on peut même affirmer qu'il est relative-
ment rare de rencontrer un futur de cette conjugaison avec l'atone
protonique ; on pourrait en trouver quelques cas, spécialement dans
les Statutes, comme \t pJedera (1300, I, 136) ou jurerei; mais les
formes abrégées sont toujours la très grande majorité. Cette chute
de Ve protonique se produit même après un groupe de consonnes, et
nous relevons ici encore des exemples analogues à ceux que nous
venons de citer, comme portrons dans les Statutes (1335, I, 275) ;
^flr^ron/ dans les Early Statutes ofireland (1299, 224) et dans les
Rymer's Foedera (1392, VII, 232); cousailra, Registrum Palatinum
Dunelmense (13 li, 2) et quelques autres semblables.
2. Chute d'une r.
La disparition de la voyelle protonique atone entraîne parfois la
chute d'une r lorsque le thème du verbe est terminé par cette con-
sonne ; cette forme du futur qui a en somme perdu une syllabe est
très commune. Dans la langue littéraire, nous en trouvons d'abord
des exemples dans le Psautier de Cambridge, ce qui montre que ce
phénomène date des premiers temps de l'anglo-français : dcsculurai
(138, 2}); aiïrums (ji, 11); dans le Psautier d'Arundel, espérai
(17, 2);jureie(2j, 57).
Ces formes sont assez communes, même dans les premiers temps
de l'anglo-français, et nous en trouvons encore davantage au
xiv^ siècle, comme dans le poème de l'Antecrist.
Cette chute d'une syllabe entière est certainement moins com-
mune avec les autres thèmes. Cependant nous trouvons pour les
verbes à labiale des cas assurés de cette disparition d'une syllabe dès
la fin du xiii^ siècle ; citons par exemple livrai\que nous lisons au
vers 401 de la Chronique de Jordan Fantosme :
Jo lur livrai la veie, la gent qui nus guerreie.
I. Remarquons ici encore que la première personne du futur ne diffère pas de
la première personne du prétérit et que les six personnes du conditionnel se con-
fondent avec les personnes de l'impartait.
FUTUR ET CONDITIONNEL 705
et truviX qui n'est pas moins bien assuré parle vers 1128 du poème
de Horn :
Ne me truvez vers vus fausse ne losengiere.
Nous pourrions trouver, même à une date plus tardive, des exemples
de ce phénomène, et nous en citerons plus bas quelques-uns ; rap-
pelons encore ici le poème de l'Antecrist. Les formes comme celles
qui précèdent y sont spécialement nombreuses, mais la versifica-
tion est si irrégulière que nous n'avons pas relevé d'exemple aussi
concluant que ceux qui nous sont donnés par la Chronique de Fan-
tosme ou le poème de Horn.
De toutes façons, nous voyons que les futurs qui précèdent res-
semblent plus à des prétérits ou à des présents de l'indicatif qu'à de
véritables futurs, au moins à certaines personnes.
Et à mesure que nous avançons dans la littérature anglo-fran-
çaise, ces formes se multiplient : il devient rare qu'un futur d'un
verbe de I ait l'air d'un futur. Ceci, pour le dire en passant, explique
comment certains auteurs ou scribes, assez itrnorants de la lanijue
qu'ils écrivaient ou copiaient, ont pu prendre pour des prétérits des
futurs aussi clairs que vodrai ou vodra (cf. Prétérits en avi, p. 573).
Nous allons maintenant citer très rapidement quelques-unes des
formes du xiii^ ou du xiv"-' siècle qui perdent une syllabe : eniront,
dans les Dialogues de Saint Grégoire (123 r" a) et dans l'Apoca-
lypse (a, 241); phireies, dans Robert de Gretham (91 v°) et dans
la Genève (58 r°); mustrai se lit dans Boeve (857), dans le Manuel
des Péchés de William de Waddington (9829), dans l'Apocalypse
(a, 251) et dans Nicolas Trivet (2 r°). Citons encore quelques autres
formes qui se trouvent presque aussi employées que les précédentes :
dura, dans Boeve (434); cumparei, dans Chardri, Josaphat (133);
Plainte d'Amour (987); Satire (82 r"); Antocrist (232); dcmorcit,
dans Pierre de Langtoft (I, 12, 26).
Un certain nombre des exemples précédents sont assurés par la
mesure du vers. Guerreier montre une simplification plus grande
encore ; on trouve fréquemment i^ucrrai, comme dans Boeve, vers
1948, ou dans Pierre de Langtoft (I, 404, 23), et dans l'xAntecrist,
au vers 6 ; il est du reste possible que cette forme provienne direc-
tement du substantif guerre.
Dans les œuvres n'appartenant pas à la littérature, les futurs du
45
7o6 l'évolution du verbe en anglo-français
genre de ceux que nous avons énumcrés sont encore assez nom-
breux, quelques-uns même extrêmement communs ; on les ren-
contre spécialement à la fin du xiii^ et pendant le ww" siècle. Mostra,
par exemple, se trouve partout (Rymer, 1294, ^I» 61^ et passim;
Statutes, 1309, 1, 155 et pûssiin ; dans les divers Year Books, comme
20 et 21 Edw. P"', 1^7); deniora, moins employé que le précé-
dent, est aussi fort commun (cf. Rymer, 1330, IV, 438; Year
Books II et 12 Edw. III, 369); il en est de même pour procura
(Rymer, 1297, II, 789; Statutes, 1^46, I, 30e); pour approva
(Rymer et Statutes, pass'uii^ ; citons encore rapidement jura, doua,
entra, délivra, porta.
Mais cette tendance à supprimer du futur la syllabe caractéristique
de ce temps (ré) a été effectivement combattue par la tendance,
plus lorte encore, qu'a Tanglo-français à redoubler la consonne r ;
c'est cette tendance que nous allons étudier dans les pages sui-
vantes.
3. Métathèse de /'r.
Lorsque le thème du verbe est terminé par une consonne suivie
de r, l'anglo-français de toutes les époques effectue fréquemment la
métathèse de \'r du thème ; ici encore les exemples sont extrême-
ment nombreux depuis le commencement du xii'^ siècle, et nous
nous contenterons de n'en donner que quelques-uns. Parmi les
plus répandus, on peut citer enterrât (entrer) que nous avons relevé
dans la plupart de nos auteurs, depuis le Cumpoz (au vers 2924);
dans les trois Psautiers, dans Gaimar, dans Guischart de Beauliu
(vers 491), dans la Vie de Saint Grégoire (vers 2668), dans le
Josaphat de Chardri (vers 503), dans le Saint Thomas (IV, 68). Il
en est de même pour montrer qui fait au futur niustcrrai, dans le
Cumpoz (au vers 223), dans le Psautier de Cambridge (90, 16),
dans Horn (vers 2735), etc.
D'autres exemples se présentent moins fréquemment, comme
obumberrai au vers 2530 du Bestiaire et dans le Psautier d'Oxford
(90, 4) ; eniverrai dans ce même Psautier (^, 58) ; rememberrai dans
le Psautier d'Oxford (70, 8) et au vers 170 du Tristan de Thomas ;
uconverrai dans le Petit Plet de Chardri (au vers 1083).
L'attraction de Yr de la terminaison rai se fait sentir plus loin que
FUTUR ET CONDITIONNEL 707
la fin du thème; nous avons des exemples où cette /' attire une
r du milieu du thème, comme abeverras dans le Psautier de Cam-
bridge (33, 8).
C'est ce mécanisme qui explique pourquoi certains futurs de la
première conjugaison, futurs très nombreux, présentent rr ; l'anglo-
français du reste a souvent redoublé cette lettre, et nous avons
rencontré, surtout en dehors de la littérature, un assez grand nombre
de verbes qui redoublent cette consonne au futur sans l'avoir dans
le thème.
Quelques-uns de ces verbes montrent au futur les deux r
d'une façon presque constante : surtout le verbe aller et le verbe
ester.
0.) aller. — Au commencement du xii"' siècle, c'est la forme étymo-
logique du futur de ce verbe qui est le plus généralement employée;
dans les Psautiers, les rr sont encore rares à ce temps, le Psautier
d'Oxford n'en offre aucun exemple. Quant au Psautier de Cambridge,
on voit, en comparantes leçons desdeux manuscrits, qu'ils s'accordent
sept fois pour donner irai, une fois seulement pour donner irrai
(3, i). De même, dans le Psautier d'Arundel, la forme avec les deux
r est rare. Nous pouvons remarquer le même état de choses dans
Gaimar et dans Adgar, chez, lesquels la forme avec r simple est
sinon unique, au moins prévalente. Mais un peu plus tard, c'est
l'inverse que nous remarquons. Dans Fantosme et Guillaume de
Berneville, ce sont les futurs qui redoublent 1'/- qui deviennent les
plus nombreux. Combien de ces formes doit-on attribuer aux copistes ?
Il est impossible de le dire. Il se peut qu'un grand nombre de
ces formes irrégulières ne proviennent pas de l'auteur, car ce n'est
guère qu'au xni'^ siècle que irrai devient très commun dans tous les
auteurs ; ceux qui ne connaissent pas cette graphie (comme l'auteur
de Saint Edmund) sont rares, tandis que certains autres, comme
l'auteur du Saint Auban, l'emploient à l'exclusion de toute autre.
Aussi ne citerons-nous pas d'exemples de cette forme, au xiir siècle,
pas plus que ceux qu'on rencontre si fréquemment au xiV^, car
pendant tout ce siècle, comme dans le précédent, c'est irrai qui est
le futur régulier d'aller. La langue politique ne nous donne guère
que cette graphie, irai est tout à fait exceptionnel.
b) Ester. — Nous ne trouvons pas pour le verbe ester le même
nombre d'exemples que pour aller, mais il se trouve que le plus
7o8 l'évolution du verbe en anglo-français
grand nombre de ces exemples a les deux r. Ainsi nous avons
resterra au vers 770 du Protheselaûs de Hue de Rotelande, de même
que dans les Quatre Livres des Rois (II, 9, 7); arcstenas dans le
même ouvrage (I, 9, 27); eslerruut au folio 79 v° de la Genèse et
au folio 69 r° des Heures, aux vers 166 et 275 de l'Antecrist ;
estcrroiini au § 24 des Contes de Nicole Bozon ; dans Nicolas Trivet,
passiiii ; enfin dans les ouvrages en langue légale, cette forme se
rencontre très fréquemment et toujours avec la double r : ohslcrra (3 2 et
33 Edw. I", ^^ et 59); esterra (11 et 12 Edw. III, 189, 210; 13 et
i4Edw. III, 159). Eslcrra se trouve aussi dans Rymer (1388, VII,
572) ; c'est le seul exemple du futur de ce verbe que nous ayons
relevé dans les textes politiques et diplomatiques.
Nous n'avons relevé qu'un seul exemple de futur avec r simple
(17 et 13 Edw. III, 55). Cette forme est donc accidentelle dans les
Year Books.
c) Il y a encore un assez grand nombre de verbes de I autres qu'aller
et ester qui prennent ces deux rr au futur ; mais aucun ne présente
cette forme avec quelque régularité. Les quelques exemples que nous
allons citer maintenant sont sporadiques, et pourraient être consi-
dérés comme des lapsus calami ou des fautes d'orthographe des
scribes. Par exemple le seignitncraf du Psautier d'Arundel (9, 30) ;
le donrra des Statutes (1363, I, 249) ; le cuparlcrruni du YearBook
22 Edw. I" (605), etc.
Néanmoins, nous ne pouvons nous empêcher de faire observer
que toutes les formes qui précèdent, même les formes isolées, con-
courent à nous donner l'impression que l'anglo-français aimait à
redoubler l'r des futurs de I, principalement, croyons-nous, avant
1250.
4. Réduction de rr à r.
Il arrive cependant que, en dépit de son goût pour rr, l'anglo-
français réduise parfois la consonne double à r simple, faisant ainsi
perdre à la forme son apparence de futur ; cette transformation
nouvelle atteint la plupart des verbes que nous avons déjà cités,
mais il est presque impossible de fixer une date pour ce phénomène;
il semblerait être contemporain de celui que nous venons d'étu-
dier, car il se trouve dans les mêmes auteurs; nous le croyons tou-
FUTUR ET CONDITIONNEL 7O9
cefois sensiblement postérieur. Ainsi le Bestiaire a entera (476) ;
nwsterail (1133); le Psautier de Cambridge, musterai (31, 9) (forme
qui se retrouve dans Guiscliart de Beauliu au vers 450); cniverai
(C, 63) ; iiuislerai se lit dans le Psautier d'Arundel (10, 8); deliverat
au vers 817 du Drame d'Adam où cette forme est rare ; et au vers
3927 de Saint Edmund ; eiicii nierai dans les Quatre Livres des Rois (I,
10,3).
Les textes politiques et diplomatiques en présentent aussi des
exemples, moins communs cependant que ceux qui montrent la
double consonne, étymologique ou non, ainsi Uverount (Mem. Pari.,
1305, § i), etc.
Après que les deux r ont été réduites à r simple, il peut arriver
que la voyelle atone protonique tombe encore, exactement comme
nousl'avonsvu plus haut. Le futur prendalors évidemment uneforme
semblable à celles que nous avons signalées pour les verbes dont le
thème est terminé par une consonne simple; toutes deux perdent
la syllabe er caractéristique du futur. C'est ainsi qu'on peut relever
de nombreux futurs comme entrai., mnstrai, livrai qui sont aussi bien
pour la forme des prétérits que des futurs.
Nous voyons donc que dans la plupart des verbes del, dans ceux
qui sont terminés par une consonne simple, comme dans ceux dont
le thème présente une consonne suivie de r, la même simplifica-
tion s'accomplit. Par des routes différentes, ils s'acheminent tous
vers une forme qui a perdu l'apparence même d'un futur. Ce phé-
nomène est un des plus importants que nous puissions observer
dans la conjugaison anglo-française ; il a non seulement oblitéré une
forme essentielle du verbe, mais il a été la source des plus grandes
confusions entre les formes du verbe qui devraient être les plus
différentes. Cette évolution du futur a commencé pendant les
premières années de la littérature anglo-française, et, ce qui est encore
plus extraordinaire, elle nous montre les formes arrivant au terme
logique de leur évolution pour ainsi dire au moment même où cette
évolution commence.
Ici, sans aucun doute possible, nous assistons à un développement
purement phonique et nous ne pouvions pas ne pas en parler, sous
peine de priver notre étude de la conjugaison d'un des chapitres
les plus importants qu'elle doit contenir.
7 10 l'évolution du verbe ex AMGLO-1-RANÇAIS
5 . Graphies de f atone proionique,
11 semble presque superflu de dire que, puisque l'atone proto-
nique disparaît du futur des verbes de I dans un nombre considé-
rable de cas, les quelques lignes que nous avons à ajouter sur les
difterentes graphies qu'elle montre ne peuvent pas avoir une très
grande importance.
Nous semblons admettre de prime abord que les formes que nous
allons signaler pour la voyelle atone (/, o et h) ne sont en réalité
que des graphies. Nous devons avouer cependant que nous n'en
savons rien, et cela parce que nous n'avons aucun moyen de le
savoir. Si au lieu de la voyelle e, nous ne rencontrions que /, nous
n'aurions probablement pas hésité à classer les formes qui nous
montrent cette voyelle comme des acquisitions des verbes de la
seconde conjugaison inchoative. Et il est possible qu'il en soit ainsi,
mais alors il nous est beaucoup plus difficile d'expliquer les futurs
qui nous montrent o et n. Il est cependant fort vraisemblable que
les raisons qui expliquent une classe de formes ne s'appliquent pas
nécessairement à l'autre classe.
Quoi qu'il en soit, et sans vouloir décider la question, nous énu-
mèr-erons sous ce titre les formes qui présentent une voyelle autre
que e comme atone protonique.
Celle que nous rencontrons le plus fréquemment, c'est la voyelle
/, et nous pouvons dater avec quelque précision le moment de son
apparition dans la conjugaison anglo-française. Cette voyelle, en
effet, se rencontre surtout chez les poètes du commencement du
xiii^ siècle. Frère Angier en montre un assez grand nombre d'exemples,
comme repeirira, qu'on lit dans la Vie de Saint Grégoire (au
vers 461) ; entrira se rencontre dans le même poème (vers 24:^7) et
dans les Dialogues ; nous trouvons enterrira (au folio 106 r° a),
mostriraî (au folio 51 r" i). De même, dans les Set Dormans de
Chardri, nous relevons esparnireie (vers 715); dans le ms. du Lai
du Cor on trouve encore n'/)tv/ra/, repeirira (aux vers 160 et 163).
Au xiv^ siècle, Pierre de Langtoft écrit encore repeirira (II, 354, 13).
Ces verbes ne se rencontrent pas fréquemment avec la désinence en/r
à Tinfinitif. La langue diplomatique nous en offre quelques autres
exemples; citons dans Rymer les formes donira, doniront (1337, IV,
760).
FUTUR ET CONDITIONNEL 7II
Les futurs qui montrent la voyelle o sont plus rares et ne se
trouvent pas dans les œuvres littéraires; les exemples que nous
donnent les textes politiques et autres ne sont pas très nombreux ;
citons snrveiora (provenant probablement de voir, mais sous
l'influence de veiller, cf. Infinitif, p. 408), se lit dans le Liber Rubeus
de Scaccario (1323, 860). On a encore donorons dans les Ro3'al
Letters Henr}- IV (1399, 8), ce dernier montre peut-être l'attraction
exercée par la voyelle du thème.
Enfin il faut, croyons-nous, considérer giistiim qui se trouve au
folio 74 r° des Evangiles des Dompnées comme une erreur du scribe
plutôt que comme une attraction dans le genre de celle que montre
donorons.
Ajoutons encore ainara au vers 4 de la Vie de Sainte Marguerite ;
mais la langue de ce poème est si irrégulière que nous ne pouvons
guère tenir compte de cette forme;
IL Futur des verbes de IL
r . Inchoatifs.
Nous ne trouvons que peu d'observations à faire sur le futur de
ces verbes ; ils le forment très régulièrement en irai, et la forme
étymologique reste la forme habituelle à toutes les époques de la
littérature anglo-française . Signalons cependant quelques déviations
du type normal : la plus commune consiste dans Laffaiblissement
de 17 protonique en e atone; quelques exemples de ces formes, qui
ressemblent ainsi aux futurs de I, se trouvent déjà au xii<= siècle,
comme enrichcra dans Horn (au vers 2373) donné par les trois
mss. ^sdsere:^^ dans le même poème, mais donné seulement par le
ms. O (au vers 4617); degiierpcrai dans Guischart de Beauliu (vers
1218), chez qui déguerpir est toujours inchoatif (cf. giierpissc:^^, 540,
gtierpissent, 81 6). On trouve encore dans Edward le Confesseur
transera (au vers 66^) ; on peut considérer transir comme un
inchoatif, quoique nous n'ayons rencontré aucune forme qui puisse
nous éclairer sur ce point. Dans The Song of Dermod and thc Earl,
deux exemples de ce passage de / à t; peuvent être relevée: acoinpic-
rum (au vers 144); pleverai (au vers 3411)-
712 L 1-VOLUTION DU VHRBE EN ANGLO-FRANÇAIS
La même forme eiihlancheroy se trouve au folio 67 r° des Heures et
au vers 3 des Pronostics de la Mort, et dans ce dernier poème on
lit encore (au vers 2) rcfreidcra. Les exemples que nous avons tirés
des auteurs du xiV^ siècle ne sont guère plus nombreux; on a voine-
réiy dans l'Apocalypse (a, 237); garauntereye et jcjwra qui se ren-
contrent tous les deuxdanslesContesdeNicoleBozon (respectivement
aux §§ 137 et 45); regéhir qui est le plus souvent inchoatif (cf.
p. 5 3 9), fait parfois regerrai Çmiiuenœ de gésir ?) au futur, par exemple
dans l'Apocalypse (^ et y 131)-
Dans les œuvres non littéraires, nous avons relevé aussi un cer-
tain nombre de formes semblables ou analogues, comme parfourne-
rei dans les Statutes (1335, I, 274); seiseruut se lit dans les Rymer's
Foedera (1312, III, 367) et dans 20 et 21 Edw. L' (p. 331); pune-
rait dans 31 Edw. I" (401). Ces mêmes verbes et quelques autres
apparaissent encore sous cette forme dans un très grand nombre de
textes politiques, diplomatiques ou légaux.
On peut se demander, en se rappelant ce que nous avons déjà
vu lorsque nous avons étudié le présent de l'infinitif, si la présence
de cet e au futur est la cause (plus exactement une des causes) ou
la conséquence du passage de l'infinitif du verbe de la forme
de la seconde conjugaison à celle de la première, ou si ces deux
changements sont simultanés; cette question sera traitée dans
notre seconde partie; mais nous pouvons remarquer dès mainte-
nant :
1° Que le nombre des futurs est très naturellement beaucoup
moindre que celui des infinitifs ; ce qui suffirait pour disposer
de la théorie que le changement a son point de départ dans le
futur .
2° Que nous sommes contraints d'attribuer ce changement des
futurs, dans les œuvres littéraires, aux difierentes dates des mss. ;
par conséquent notre exemple le plus ancien remonte au commen-
cement du XIII* siècle au plus tard.
3° Que pour les infinitifs le passage de I à II remonte pour les
œuvres littéraires à la fin du xii* siècle.
Par conséquent, s'il y a eu influence, elle provient des infinitifs;
du reste il n'est pas utile de recourir à cette expUcation, nous le
verrons plus tard ; mais nous pouvons, au moins pour l'instant,
FUTUR ET CONDITIONNEL 713
considérer les futurs que nous avons cités comme des tuturs
d'inchoatifs, et non comme provenant d'infinitifs en er.
Au lieu de Yi ou de IV, on trouve quelquefois dans les Year Books
ie, comme pericrcit dans le Year Book 13 et 14 (Edw. III, p. 45).
Mais les différentes formes que nous avons rencontrées avec une
autre voyelle que 1'/ ou que Ve nous semblent ou très douteuses
ou trop récentes pour que nous puissions en tenir compte.
ACQUISITIONS
Les acquisitions sont des plus rares; citons pour mémoire les
formes en / des futurs de I que nous avons déjà vues : repeirira,
entrira, enterrirai, mostrirai qui se trouvent dans Frère Angier;
reposirai dans le Lai du Cor; repeirira dans le Lai du Cor et Pierre
de Langtoft ; doiiira dans Rymer's Foedera. A part ces quelques
verbes de I et les non inchoatifs, qui, sous l'influence de l'infinitif,
prennent / au futur nous ne trouvons à citer que rendirons au folio
2 r° de Nicolas Trivet; ahatira dans le Year Book 32 et 33 Edw. I"
(p. 155). Nous négligeons plusieurs autres formes tardives des Year
Books .
En somme, il n'y a eu qu'un très petit nombre de verbes à
prendre la forme du futur des inchoatifs, et dans la plupart des cas
nous ne savons pas si ce n'est pas accidentellement que ces futurs
ressemblent à ceux qui nous occupent. Rien ne nous prouve qu'il y ait
eu attraction de ceux-ci sur ceux-là.
2. Non inchoahfs.
Les futurs des verbes de II non inchoatifs sont fort corrects.
Régulièrement, 1'/ de l'infinitif disparaît pour les verbes non inchoa-
tifs, dont le thème se termine par une consonne qui peut se com-
biner avec la terminaison du futur, comme currai (Cumpoz, 3544
Qi passiin); orrai (Bestiaire, 485) ; ^'•/rra/ (Adgar, XVII, 108 1).
Lorsque la dernière consonne du thème est » ou /, une dentale
paragogique s'introduit, comme dans ciiildruus (dans le Cumpoz
au vers 617; dans le Psautier d'Oxford, 128, 6), vendrai, dcfaldrai\
I. Les verbes de cette dernière catégorie peuvent prendre un e svarabhaktique
entre la terminaison et la dentale. Nous en reparlerons en même temps que de IV
svarabhaktique des verbes de III et de IV.
714 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Les autres verbes voient un (• de liaison s'introduire entre le thème
et la désinence : coiivrerai, soiiffrerai, etc.
I. Ces derniers verbes prennent donc ainsi la forme des futurs de
I et rien ne les en distingue, aussi ils subissent quelques-unes des
modifications que nous avons signalées dans les pages précédentes,
et que nous allons répéter rapidement ici.
a) On pourrait croire à première vue que IV de ces futurs, ayant
le plus souvent le caractère d'un e de liaison, ne saurait disparaître.
II n'en est rien : nous rencontrons un certain nombre d'exemples
qui montrent la chute de cet e, exemples assez tardifs du reste et
inconnus aux œuvres littéraires. Tous les cas que nous pouvons
citer, comme uientrai, dans la Chronique de Londres (1340, page
So), sent ro fit dans les Statutes(i346, I, 305), proviennent de thèmes
à dentale appuyée.
b) Il est beaucoup plus commun de trouver des cas de métathèse
de Vr, et il nous serait facile de tirer des exemples de ce phénomène
de chaque auteur littéraire et de tous les textes politiques et autres.
Contentons-nous de donner quelques exemples assez anciens et
assez répandus ; les verbes ouvrir, couvrir, découvrir, offrir, souf-
frir ' nous en offrent un nombre considérable. On lit aoverrai dans
le Psautier d'Oxford (48, 4) ; dans le Psautier de Cambridge (77,
2); covc rraid ààns le Psautier d'Oxford (139;, 10); au vers 1887 de
Horn, au vers 123 du Donnei, etc. ; offerrai, sofferai dans le Psautier
d'Oxford (68, 14); dans Horn (4302), etc.
Ces formes ne sont pas spéciales à la littérature; les ouvrages
politiques, diplomatiques et familiers pourraient nous en fournir une
très longue hste.
r) Comme pour les verbes de I, il arrive très fréquemment que
cette r soit réduite à la consonne simple ; ici encore nous nous
contenterons de donner quelques exemples, pour ainsi dire pris
au hasard, mais provenant des verbes que nous avons déjà cités :
ciwerat au vers 1267 du Bestiaire; descoverou au vers 340 de Gaimar;
I. Nous ne pouvons admettre avec Gaston Paris, Alexis, page 125, que s iiffemi
vient de l'infinitif suffere et non de souffrir. Il faudrait alors imaginer des infini-
tifs ot'ere, covere, offere, etc., ce qui est manifestement impossible. Du reste nous
n'avons jamais rencontré l'infinitif sufere.
FUTUR ET CONDITIONNEL 715
overa dans Adgar (VII, 471); sofera dans le ms. L de l'Alexis
(46 e) ; offerai dans le Psautier de Cambridge (65, 13); sucera
dans Adgar (VIII, 147); au vers 1 391 de la Vie de Sainte Catherine ;
dans les Quatre Livres des Rois (I, 16, 6); dans Chardri (Set Dor-
mans, 966), etc.
Ce dernier verbe est très communément rencontré sous cette
forme en dehors de la littérature (cf. dans les Statutes, 1286, I,
211; 1346, I, 306; Rymer, 1303, II, 923; 1315, III, 524, etc.).
Citons encore viuiârai dans les Statutes cà la date de 1286 (I, 21 i).
IL Voyelle / et autres voyelles. — Sous l'influence de leur infini-
tif, peut-être aussi grâce à l'attraction des futurs des inchoatifs,
un certain nombre de non inchoatifs montrent au futur la
voyelle /.
Parmi ceux-ci, citons d'abord repentir, qui fait repentira dans le
Psautier d'Oxford (109, 5) et au vers 185 1 du Tristan de Thomas ;
nous ne croyons pas avoir jamais rencontré pour ce verbe la forme
étymologique. Le xn^ siècle nous oifre des formes analogues pour
plusieurs autres verbes; dans les Psautiers d'Oxford et de Cam-
bridge, on relève dormirai (^^, 9); mentirai (8^, 35); vestirai (131,
17); servirai (21, 33). Cette dernière forme se trouve encore au
vers 49 de Fantosme; on peut citer au xii^ siècle regehirai,ciinver tirai,
tous les deux dans le Psautier de Cambridge (respectivement 9, i et
67,23).
Pendant les deux siècles suivants, il n'y a que peu d'exemples
de ces formes analogiques à noter ; la grande masse des non
inchoatifs reste très régulière ; citons seulement partira dans l'Apo-
calypse (y, 94) : sentire- dans les Lettres de Jean de Peckham (1283,
405).
En somme, les cas d'analogie ne sont pas très nombreux, et ils
le sont relativement moins pendant le xiii^ et le xiv^ siècle, et nous
pouvons considérer ce fait comme une autre preuve de l'action des
infinitifs de I.
Pour ces verbes encore, nous avons relevé un exemple et un seul
de l'emploi de la voyelle // : asseiilnre:;^ se lit dans les Statutes
(1346, I, 305). Ici encore nous croyons à une erreur matérielle du
scribe ; à la page suivante, dans un texte analogue, nous voyons la
forme correcte assenlere:{. Toutefois, il est possible que le scribe ait
considéré // comme une graphie de l'atone.
7i6 l'évolution du verbe en anglo-français
III. Futur des verbes de III et de IV.
Les formes irrégulières que nous venons de signaler à la première
et à la seconde conjugaison sont loin d'être aussi nombreuses que
celles qu'il nous reste à étudier pour la troisième et pour la qua-
trième.
Mais pour ces deux dernières, la plupart des modifications que
nous allons énumérer rapidement ne sont réellement pas spéciales
au futur, ni même au verbe. Le redoublement de l'r, la simplifica-
tion de yr, \'e svarabhaktique sont des phénomènes phoniques
généraux en anglo-français. Nous ne devrions par conséquent pas
insister sur ces différentes questions, ni nous arrêter longuement
sur ces phénomènes. Mais nous croyons qu'ils ont une importance
particulière pour différents temps du verbe (surtout à l'infinitif et
au futur); ils ont beaucoup contribué à changer leur physionomie.
A cause de cela, nous nous permettrons de nous arrêter sur ces
points un peu plus longuement que nous ne l'avons fait jusqu'ici
lorsque nous avons eu affaire à des phénomènes purement pho-
niques.
Nous trouvons pour le futur des verbes dont l'infinitif est ter-
miné par oir et re, trois sortes d'irrégularités qui proviennent toutes
de la présence de l'r dans la terminaison.
Les verbes dont le radical est terminé par une dentale voient,
comme on le sait, cette dentale s'assimiler à l'r, ce qui produit le
groupe rv. L'anglo-français réduit quelquefois ce double r à r simple
probablement sous l'influence des nombreux verbes qui n'ont
qu'une r au tutur ; les cas où se trouvent les formes étymologiques
restent cependant les plus nombreux pendant toutes les périodes de
l'anglo-français.
Les futurs avec r simple non étymologique se rencontrent dès le
xii*" siècle; nous lisons en effet dans le Bestiaire (cf. vers 1357)
charat; ocirai se trouve dans le Psautier de Cambridge Qç, 59) (du
reste la forme correcte occirrai est employée dans le même
ouvrage, 100, 5); dans le Psautier d'Arundel, on relève : vera (30,
26) et serai (de seoir) (28, 9). Ces premiers exemples nous mon-
trent tout au moins que cette simplification date de la première
moitié du xii*^ siècle ; les autres ouvrages nous présentent d'autres
FUTUR ET CONDITIONNEL 717
cas semblables, mais nous ne savons jamais si nous devons les attri-
buer aux auteurs ou aux scribes; par exemple le crerai qui est si
souvent répété dans le Drame d'Adam (vers 131, 169, 185) et
dans le poème de Horn (cf. par exemple le vers 1462 du ms.
H); orei dans Adgar (XL, 5); .ara (seoir) dans Horn (au vers
2675).
On pourrait relever plusieurs autres exemples de cette chute de
l'r étymologique ; mais ils resteraient toujours en nombre relative-
ment peu considérable au xir siècle, et nous trouverions que les
cas où la forme étymologique est employée pour le futur des verbes
terminés par une dentale restent toujours les plus communs.
Au xiii'= et au xiv^ siècle, ce phénomène semble se produire plus
rarement encore, et nous ne trouvons qu'un nombre insignifiant
d'exemples dans lesquels les deux r régulières sont réduites à une seule.
On trouve par exemple dans le Saint Laurent orci du verbe oïr (au
vers 377); la même forme se retrouve dans Boeve de Haumtone
(au vers 2232), à côté du reste de la forme régulière orrei (qui est
employée au vers 434); dans le ms. y de l'Apocalypse, nous avons
viront de voir (1057; i^ donne varrunt); veray est employé au vers
1286 du Prince Noir; crerey au folio 93 V des Vies de Saints de
Bozon .
Il est probable qu'on pourrait allonger la liste des exemples tirés
des œuvres littéraires, mais il est certain qu'on ne pourrait pas
arriver à donner une très grande importance à ces exceptions, qui
deviennent, semble-t-il. de moins en moins communes à mesure
qu'on avance dans la littérature anglo-française.
Dans les textes politiques et diplomatiques, il en va de même,
nous ne trouvons aucune régularité dans l'omission d'une des deux
r étymologiques ; de sorte que chacun des cas que nous avons rele-
vés peut bien passer pour une simple faute d'orthographe facile à
expliquer.
Il semble donc bien que l'anglo-français, après avoir tendu pen-
dant quelques années à réduire les deux ;■ à une seule, a depuis le
milieu du xii^ siècle conservé avec la plus grande régularité la forme
étymologique de ces futurs.
Ce qui a, croyons-nous, empêché l'extension du phénomène que
nous venons d'exposer, c'est le développement et l'importance du
phénomène opposé. L'anglo-français a toujours montré une ten-
yiS l'évolution du verbe en anglo-i-rançais
dance à doubler !'/• du futur, comme nous avons déjà eu l'occasion
de le foire observer, et le nombre des verbes qui témoignent de
cette tendance est considérable. Ce redoublement de Yr ne s'applique
pas du reste à tous les verbes de III et de IV^ au xii^ siècle, tout au
moins ; car à cette époque ce sont surtout, on pourrait presque
dire uniquement, les verbes dont le thènie se termine par une gut-
turale ou une palatale qui redoublent Vr au futur, et ils ont cette
forme plus souvent que la forme étvmologique.
Dire fait presque toujours âirrni; on peut voir ce futur dans le
Psautier d'Oxford (17, 5 3) ; dans lé Psautier de Cambridge (41, 9);
dans celui d'Arundel (17, 52); très fréquemment dans le Drame
d'Adam (par exemple au vers 81); au vers 1159 de Gaimar.
L'un des quatre ms. de TEstorie des Engleis, le ms. R, qui date du
coiumencement du xiii^ siècle, emploie presque exclusivement la
forme avec rr. Dans Adgar, il y a à peu près égalité entre les
nombres des deux formes, celle dont nous parlons maintenant se
trouvant par exemple au morceau XVII, vers 997 et pûssini ; on la
rencontre encore dans le Tristan de Thomas (au vers 1203); dans
Horn (au vers 2155) ; dans les Quatre Livres des Rois (I, 9, 6) ;
dans Fantosme (au vers 351); au vers 2 du Saint Gilles.
Le nombre des exemples devient de plus en plus considérable au
XIII'' siècle. Citons un petit nombre de références. Les deux rr se
trouvent dans la Vie de Saint Grégoire (2252, 1867, dierrei; 2455,
derreï) ; dans le Josaphat de Chardri (40) ; dans Robert de Gretham
(r6 r°, 38 r°) ; au vers 25 de la Plainte d'Amour et 70 du Saint
Edmund ; au vers 5 de Boeve, 171 du Saint Auban, 694 de Dermod,
3551 de William de Waddington. Il serait facile de faire une liste
tout aussi longue des exemples qu'on trouve dans les auteurs du
siècle suivant : Apocalypse (a, 29), Pierre de Langtoft (I, 34, 11 ;
II, 198, 9), Nicole Bozon (Contes, § 31), Chronique de Londres
(73), De Con)uge(9, 35).
Nous ne pouvons donner ici qu'un tout petit nombre d'exemples,
infime, si on le compare au nombre des cas qu'on peut relever.
Les formes de dire avec une r simple sont l'exception ; on en
trouve quelques-unes dans les Psautiers d'Oxford (90, 2) ; de Cam-
bridge (;, 55); d'Arundel (41, 12); dans Thomas (au vers 8r8);
dans plusieurs endroits d'Adgarjdans le Saint Gilles (au vers 2183);
au vers 1992 de la Vie de Saint Grégoire; rarement dans Boeve ;
FUTUR ET CONDITIONNEL 7 19
dans les Chansons (i, 115); trois fois dans Saint Auban (contre
deux dirr) et quelques autres cas.
En dehors des œuvres littéraires, ce n'est que dans les Year Books,
et peut-être dans Rymer que l'on trouve pour le futur et le condi-
tionnel de dire la forme étymologique avec r simple, et encore cette
forme reste-t-elle assez rare.
Les Statutes, Jean de Peckham, les Parliamentary Writs, etc.,
montrent la forme qui est le plus souvent employée dans la litté-
rature.
Les autres verbes à palatale ne sont pas aussi réguliers dans leur
irrégularité que dire ; leur tendance à prendre r?- au futur est mani-
feste ; mais le nombre des exemples qu'ils nous présentent n'approche
pas de celui que nous fournit le verbe dire.
Nous trouvons despierras dans les Psautiers d'Oxford et de Cam-
bridge (50, 18) ; dans les Quatre Livres des Rois (I, 2, 30); verbe
qui ne se rencontre pas très souvent au futur. Duire et ses composés
donnent diiirra, par exemple dans les Quatre Livres des Rois (I, 2,
35); dans Horn (au vers 1653) ; dans Chardri(Josaphat, vers 1725);
les exemples de ce verbe restent très communs. Détruire prend une
forme analogue : destriiirnoit dans les Quatre Livres des Rois (I, 20,
20) ; au vers 43 de la Vie de Saint Grégoire, 1 3 12 du Saint Edmund ;
il se trouve aussi dans les Statutes (i-97' !> i-3)- Lirrai se ren-
contre aussi assez communément, par exemple au vers 3874 de
Horn, dans les Set Dormans de Chardri au vers 1502, surtout dans
les Statutes (par exemple 1285, I, 100), c'est la seule forme du
futur que nous connaissions pour ce verbe. Plaire prend la même
forme ; plerrai et planai se lisent dans les Quatre Livres des Rois
(I, 24, 5) ; dans Horn (1892) ; au vers 2177 du Saint Gilles ; dans
Boeve (au vers 199); au folio 68 r° des Heures; dans les iMem.
Pari. 1305 (§ 148), etc.
Citons encore luire qui donne assez fréquemment Inrrai, par
exemple dans l'Apocalypse (mss. ^ù et 7, au vers 1106), et laisser,
ou plus exactement son infinitif hypothétique lairc qui fait très cons-
tamment lerrai.
Ajoutons encore le futur du verbe faire, dont nous verrons plus
loin les autres formes ; celle qui montre deux r n'est pas très commune
dans la littérature ; au xW siècle, on ne la trouve guère que dans le
Protheselaus de Hue de Rotelande (vtrs 3^6, etc.) où elle est peut-
720 l'évolution du verbe en anglo-françals
être duc au scribe et dans le Drame d'Adam (comme aux vers 99,
iS-^, 484). Évidemmentcette formeappartient spécialement au scribe.
Même au xiii'' siècle, les deux r ne sont pas très communes ; cette
graphie ne devient usuelle qu'à la fin de ce siècle et pendant le siècle
suivant. Nous pouvons citer comme exemples de ces formes dans
Robert de Gretham les futurs de faire qu'on trouve aux folios 26 r°,
63 r° et passim; dans les Heures de la Vierge au folio 61 r°. Le
petit nombre des cas de rr dans ces ouvrages et dans les autres
poèmes de la même époque nous montre qu'ils doivent provenir
des scribes, plutôt que des auteurs. Dans les manuscrits écrits au
xiv= siècle et surtout dans le dernier quart de ce siècle, jcrra est
extrêmement commun. Un exemple typique est le ms. Worcester
qui nous a conservé le poème du Prince Noir et qui date de 1397.
Dans ce ms., la plupart des futurs de faire sont écrits avec deux r.
Dans les textes politiques, cette forme se remarque très fréquem-
ment et dans les mêmes conditions que dans les ouvrages littéraires.
C'est la forme normale du futur de ce verbe dans cette catégorie de
textes ; par exemple, on la trouve constamment dans les Statutes à
partir de 1300 (cf. I, 136); dans les Parliamentary Writs (1314,
II, 8); dans les Traités de Rymer, dans les différents recueils de lettres
et dans les Year Books. Du reste les verbes à palatale dans les ouvrages
qui n'appartiennent pas à la littérature (nous n'avons jusqu'ici, sauf
pour faire, cité aucun exemple tiré de ces textes), prennent aussi
régulièrement que possible l'r double au futur; nous ne répéterons
pas ici tous les exemples que nous avons déjà eu l'occasion de citer
à propos des textes littéraires ; mentionnons seulement le tutur de
lire (licere), livra, qui est très commun dans les Statutes (cf. par
exemple 1286, I, 100).
Tous ces exemples sont en somme réguliers. Il n'en est pas de
même de viverra qui se lit au vers 974 de Horn.
On pourrait facilement trouver dans les textes anglo-français, litté-
raires ou non, un certain nombre de futurs présentant ces deux r
sans justification possible ; nous ne nous arrêterons pas à énumérer
des formes qui ne seraient que des fautes d'orthographe sans intérêt.
Cependant il nous reste encore à signaler une forme dans laquelle
la double r ne s'explique guère, mais qui se trouve si souvent que
nous sommes obligés de considérer qu'elle a été assez tôt sanctionnée
par l'usage anglo-français : c'est serra du verbe être.
FUTUR ET CONDITIONNEL 72 1
Il n'est pas très facile de débrouiller les éléments de l'histoire de ce
futur, scribes et auteurs ayant mélangé d'une façon inextricable les
formes avec une seule r et celles qui en présentent deux. Nous ne
croyons pas que serra remonte aussi haut que la première moitié du
xii^ siècle, et il nous semble que les quelques formes qu'on rencontre
à cette époque doivent provenir des scribes; mais nous sommes
assurés qu'elle a été en usage au commencement de la seconde
moitié. Le Psautier d'Arundel en montre quelques exemples (cf. 36,
36); mais les deux r au futur de ce verbe restent exceptionnelles.
Elles sont plus souvent employées dans certains autres ouvrages,
qui ne nous aident pas à dater les formes qu'ils nous donnent comme
le fait le Psautier d'x\rundel ; ainsi le Drame d'Adam ; mais les nom-
breuses graphies par rr peuvent tout aussi bien provenir du scribe
que de l'auteur, plus vraisemblablement même.
Citons encore, comme nous présentant des exemples de cette
forme: Gaimar, Adgar, Guillaume de Berneville; d'autres écrivains
de la même époque au contraire ne nous en donnent aucun exemple
ou seulement un petit nombre de cas, comme Thomas et Jordan
Fantosme.
Un peu plus tardivement dans la littérature anglo-française, serra
devient sinon la forme unique, ce qui est vrai pour certains auteurs,
au moins la forme la plus employée. Chardri s'en sert très souvent,
et l'emploie de préférence à la forme ordinaire ; le poème sur Saint
Edmund, Boeve de Haumtone, Edward le Confesseur nous montrent
la même habitude; l'auteur du Saint Auban, ou son scribe, écrit dix-
sept fois les deux r et une seule fois l'r simple. Il en va de même au
xiv^ siècle; et il nous suffira de dire que Pierre de Langtoft, Nicole
Bozon, Nicolas Trivet préfèrent cette forme à toutes les autres.
Ce qu'il faut surtout remarquer, c'est que cette forme du futur
est presque la seule employée en dehors de la littérature. Tous les
textes que nous connaissons la montrent et les autres formes sont
extrêmement rares.
Par conséquent, nous pouvons maintenant conclure que l'anglo-
français a redoublé au futur l'r d'un grand nombre de verbes; pour
le plus grand nombre (verbes à palatale) les deux r peuvent se jus-
tifier et on ne saurait appeler irrégulières les formes comme csUrra
OM ferra. Dans d'autres cas, il est plus difficile ou impossible de jus-
tifier la présence de la consonne double; mais ces dernières formes
46
722 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
sont assez rares et ne présentent aucune fixité; il faut faire une
exception pour serra, futur de être ; il se rencontre assurément dès
le commencement de la seconde moitié du xii^ siècle, devient
commun au siècle suivant, et est la forme ordinaire du futur au
xiV' siècle, dans les œuvres littéraires et surtout en dehors de la
littérature.
E svarahhahiqiie ' .
Ce qui suit s'applique aux futurs de III et de IV, aussi à certains
futurs de II {d. plus haut) ; même à certains infinitifs (cf. Mode
infinitif, p. 441).
LV svarabhaktique se trouve dans les verbes dont le thème est
terminé par une labiale ou une dentale appuyée, que ces consonnes
soient étymologiques ou paragogiques.
Qu'il nous soit permis de remarquer avant de commencer que
cette question, lorsqu'elle a été traitée, a été le plus souvent
limitée aux futurs des verbes avoir et savoir; que même la présence
d'un ^ à ce temps de ces deux verbes a été considérée comme un phé-
nomène qui leur était propre et non comme le cas particuUer
d'un phénomène beaucoup plus général. Avoir et savoir n'ont pas
été traités d'une manière spéciale; la seule difiîérence qu'on puisse
remarquer à leur sujet, c'est que, leur futur et leur conditionnel se
rencontrant beaucoup plus fréquemment, les exemples d'd svarabhak-
tique pour ces verbes sont beaucoup plus nombreux.
Cependant, comme nous avons eu l'occasion de le voir plusieurs
fois, l'anglo-français montre toujours une certaine irrégularité en
généralisant certaines formes ; et il se trouve que certains verbes
montrent plus souvent et plus tôt Ve qui nous occupe maintenant.
Nous pourrons donc, au besoin, étudier séparément les deux verbes
avoir et savoir, non pas parce que nous considérerons que la pré-
sence de l't' entre leur thème et leur terminaison constitue une
question spéciale, mais parce qu'il nous sera alors plus facile et plus
utile de diviser la question.
Nous allons nous trouver ici en présence des mêmes difficultés
qui nous ont arrêtés plus d'une fois jusqu'ici, et ces difficultés sont
I. Pour cette question, on pourra voir Suchier, Ueber die..., p. 41 ; Merwart,
p. II.
FUTUR ET CONDITIONNEL 723
probablement plus insurmontables ici que partout ailleurs puisque le
plus grand nombre de nos exemples date du xiv^ siècle. Comment
reconnaître la présence d'un c muet, lorsque la versification est aussi
irrégulière que possible, lorsqu'il est parfois impossible de décider
du nombre de syllabes que l'auteur a voulu donner à son vers, et
surtout lorsque nous savons que les e muets étymologiques ou non
recevaient, même dans les meilleurs auteurs, un traitement incertain,
comptant ou ne comptant pas dans le vers sans autre raison appa-
rente que la nécessité du moment?
Il semble donc a priori que nous ne puissions qu'enregistrer quel-
ques graphies. Cependant nous pouvons faire quelque chose de plus
utile que de signaler les habitudes orthographiques des scribes;
notre but n'est pas d'étudier les formes habituelles de la langue de
tel ou tel auteur et encore moins de tel ou tel scribe; nous nous
proposons de déterminer l'évolution, si on peut employer ici ce
terme, de l'anglo-français en général ; il importe donc assez peu de
savoir si dans un poème donné les e svarabhaktiques comptent dans
la mesure du vers. Nous aurons simplement à nous demander à quel
moment précis cette voyelle a été introduite, de quelle façon elle
s'est généralisée, à quel moment elle a été employée par la majorité
des écrivains et pour quelle classe de verbes. Nous ne nous occu-
perons donc que fort peu de la versification ; celle-ci pourra' peut-
être, avec l'aide des manuscrits, nous aider à préciser le premier
point, la date de l'introduction de la voyelle. Pour tous les textes
qui seront postérieurs à cette date, la question de la valeur syllabique
de la voyelle ne se présentera plus ou n'aura plus qu'une impor-
tance secondaire. Il nous suffira de la trouver écrite pour qu'elle
retienne notre attention, car ce fait seul montrera que pour quelqu'un,
scribe ou auteur, une voyelle a semblé nécessaire ; nous ne savons
jamais, à deux ou trois exceptions près, comment les auteurs de la
seconde moitié du xiii^ et ceux du xiv'' siècle traitaient les voyelles
muettes, et la question actuelle ne saurait nous l'apprendre.
Nous commencerons donc par l'étude des manuscrits, et nous
renvoyons à la liste que nous avons donnée à propos du passage à
la désinence en er des infinitifs de III. Nous n'avons dans le ms. L
de l'Alexis aucun exemple d'e svarabhaktique (cf. avruin, 107 e) ;
mais quelques cas se rencontrent dans un autre manuscrit de la même
époque ou un peu plus tardif: le ms. C du Cumpoz et du Bestiaire.
724 L EVOLUTION DU VERBK EN ANGLO-FRANÇAIS
On y lit en effet: savereit {auyeTs 1842, Cumpoz) ; deverait (1912,
ibiJ.) ; avcreient (1918, ibid.) ; le ms. A de l'Alexis nous en offre
plusieurs exemples ; citons aucrad (80 e) ; et il y en a quelques
autres.
Ces quelques exemples suffisent pour nous montrer que cette
voyelle a fait son apparition dans la première décade de la seconde
moitié du xii^ siècle, et qu'elle a tout de suite affecté plusieurs
verbes : avoir, savoir, devoir. Ceux-ci ont tous une labiale comme
consonne finale du thème. Nous pensons que ce n'est que par hasard
que nous n'avons pas relevé dans ces manuscrits de thèmes à den-
tale, et les Psautiers, qui ne peuvent pas être postérieurs de plus de
dix ans aux manuscrits que nous avons cités, nous montrent un cer-
tain nombre de thèmes à dentale avec cet e; citons dans le Psautier
d'Oxford baterunt (97, 9); cstreindemt (^6, 12) ; solderai (36, 22);
arderat dans le Psautier de Cambridge (45, 9; 49, 3 ; 78, 5). Les
thèmes à labiale dans ces mêmes Psautiers nous offrent de nouveaux
exemples : parsizuerai dans celui d'Oxford (17, 41) et dans celui de
Cambridge (17, 38); receverai dans ce dernier (49, 9 ; 74, 2).
Nous ne multiplierons pas les exemples ; ceux que nous venons
de donner montrent que des verbes à dentale ou à labiale, très variés,
peuvent prendre cet e. Tous ne le prennent pas ; la proportion,
approximativement, entre les formes qui l'ont et celles qui pourraient
l'avoir dans le Psautier d'Oxford, est de 25 contre 75. A quoi faut-il
attribuer l'absence de Ve dans les trois quarts des formes ? Peut-être
à la fidélité des scribes qui reproduisent exactement leur texte trois
fois sur quatre ; plus probablement au fait que Ve à l'origine n'a pas
affecté immédiatement tous les verbes.
Dans les Quatre Livres des Rois, un changement se produit qui
n'est pas négligeable. Ici, il est évident que la proportion des formes
avec cet e n'est pas la même pour les verbes à dentale que pour les
verbes à labiale. Pour les premiers, la forme sans e et régulière est
de beaucoup la plus commune; nous en avons relevé 55 exemples,
contre une douzaine de cas dans lesquels Ve s'est introduit. Pour les
verbes à labiale au contraire, Ve est le plus souvent employé; nous
n'en avons pas compté moins de quarante-deux tandis que les formes
qui ne l'ont pas ne sont qu'au nombre de 15 en comptant dans ce
dernier total 13 formes en aiir dans lesquelles il nous est impos-
sible de savoir si Vu est voyelle ou consonne. Autant dire que la
FUTUR ET CONDITIONNEL 725
presque totalité des verbes à labiale a admis IV svarabhaktique, alors
que les trois quarts des verbes à dentale y échappent.
Les Quatre Livres des Rois nous mènent presque à la fin du
xii^ siècle et nous donnent les renseignements les plus précis et les
plus sûrs sur les formes de ces futurs. Nous pouvons donc con-
clure que Ye svarabhaktique a apparu au futur entre 1 150 et 11 60,
probablement pas plus tôt ; que les premiers exemples nous montrent
des thèmes à labiale et des thèmes à dentale ; il est plus probable
que tous les verbes ayant l'un ou l'autre de ces thèmes n'ont pas
tout d'abord été affectés. L'f svarabhaktique s'est étendu de proche
en proche ; mais les thèmes à labiale ont été plus vite gagnés à la
forme avec voyelle muette que les autres. A la fin du siècle, on peut
dire que la graphie avec^ muet est la forme ordinaire des futurs des
verbes à labiale, tandis qu'elle est encore relativement rare pour les
autres verbes.
Si maintenant nous considérons la versification des poèmes écrits
entre 1150 et 1200, nous trouvons un état de choses entièrement
difiérent. Les auteurs n'écrivent cet e que rarement et plus rarement
encore lui donnent une valeur syllabique.
C'est Adgar qui le premier nous offre quelques exemples de cet e
comptant dans la mesure du vers, et les exemples que nous trouvons
contiennent tous le futur du verbe avoir; (XI, 422; XVII, 407;
XVII, 411).
Mult avérez malveis luier ;
De ki avérai defensiun ; (douteux).
Sulunc qu'avéra deservi.
Il y a encore dans cet auteur quelques autres cas où le futur
d'avoir compte pour trois syllabes , nous n'avons aucun exemple
assuré du même phénomène pour d'autres verbes.
Dans Jordan Fantosme, les exemples sont fort communs, quatre
ou cinq pour avoir (159, 285, 536, 1616 (?), 603); deux pour
savoir (103, 179) ; un pour perdre (747).
Mar m'averunt entre encuntre li traître es chaumeis. (14 syllabes.)
E quant il li avéra rendu, e s'il bien le prend. (14 svllabes.)
Par lui ne par sa force n'averom desturbier.
Vus m'averez a Lundrcs ainz vienge quinze dis.
Ja saverad li reis Henri asez u moversei.
Mes ki bon conseil saverad, vienged avant, sil.die.
En mun vivant n'en perderai plein pié. (10 syllabes.)
726 l'évolution du verbe en anglo-françals
Nous n'en avons relevé qu'un seul cas dans Tlpomédon de Hue
de Rotelande (au vers 3744) :
U la fiance i metterez.
On peut en trouver quelques-uns dans le poème de Horn ; mais
tous sont assez douteux, comme le vers 4719 :
(E ?) sa mort sil purrad mult clier leurvendera
Sauf dans Jordan Fantosme, les cas qui montrent que Ye a pris la
valeur d'une syllabe sont donc très rares.
Nous trouvons de même dans la Vie de Saint Gilles plusieurs
exemples montrant cet c compté dans la mesure du vers ; l'un d'entre
eux est le futur d'un verbe à dentale : snrdcniuî (au vers 218); les
deux autres proviennent de verbes à labiale : uioverad (au vers 1829);
vivertiin (au vers 3170) :
Dunt il ne surderuut ja mois.
Meis li reis ne maverad mie.
Pur tant cum nus deus viverum .
Lire : « comme » ?
Avoir et savoir nous offrent 'en outre quelques exemples ; pour
le premier verbe Ve est compté dans trois cas sur un total de treize
formes employées ; pour le second dans deux cas sur un total de
cinq. Voici les cinq vers où se trouvent ces exemples :
K'a curt ternie n'avéras rien .
U avérez dras eestruiz.
Delà pour kil averunt.
Tant dunt tu me saveras gré.
Demain saverum tut le veir.
Ces formes sont donc assez nombreuses ; mais elles restent une
minorité, et sauf pour avoir et savoir, une petite minorité.
Par conséquent, les écrivains de la fin du xii^ siècle emploient
parfois les e svarabhaktiques avec valeur syllabique, mais le plus
grand nombre des e que nous rencontrons restent purement gra-
phiques.
Il y a donc divergence manifeste entre l'usage des auteurs et
FUTUR ET CONDITIONNEL 727
celui des scribes qui étaient leurs contemporains. Ceci nous éclaire
sur la valeur de cet e. Il n'a pas été considéré d'abord comme un e
muet ordinaire, car à cette époque les e muets sont régulièrement
comptés dans le vers, au moins chez la plupart des écrivains, en par-
ticulier par Guillaume deBerneville. Sa valeur a été pendant le pre-
mier demi-siècle de son emploi celle d'un son vocalique accessoire,
non pas inutile, puisqu'on l'écrivait, mais qui se prononçait à
peine et qui n'avait même pas la valeur de Ve muet habituel. N'est-
pas du reste le vrai rôle des voyelles svarabhaktiques d'aider à la
prononciation d'un groupe de consonnes sans allonger perceptible-
mentla longueur du mot? Les auteurs qui ont compté cet e comme
une syllabe ont dénaturé sa valeur et l'ont fait passer au rang d'un ^
muet ordinaire.
Il semble donc que, vers la fin du xii^ siècle, les thèmes à labiale
et quelques verbes à dentale l'emploient régulièrement au futur et
ce n'est que dans un petit nombre de cas que cet e perd sa valeur
propre et est traité comme un <' atone.
Les choses restent en l'état pendant la première moitié du kiii*
siècle; les auteurs et les scribes continuent à écrire cet g et les pre-
miers ne le comptent que rarement : il reste une sorte à'e auxi-
liaire, si on peut dire, différent de Ve muet ordinaire. Nous ne
croyons pas par exemple que l'on puisse trouver dans les trois poèmes
de Chardri un seul exemple donnant à cette voj^elle au futur la
valeur syllabique ; Frère Angier au contraire emploie constamment
la forme trisyllabique pour le futur du verbe avoir; et quelques
autres verbes dans les poèmes de cet auteur montrent le même allon-
gement syllabique, citons vantera (37 r° b), comme thème à den-
tale et inovera (99 r° a) comme thème labiale.
Nous croyons remarquer une augmentation de ces e muets svlla-
biques dans le second tiers du xiii^ siècle ; les formes aver- sont
employées dans les Evangiles des Dompnées, mais assez peu réguliè-
rement ; d'autres exemples se rencontrent dans le même poème,
surtout de verbes à labiale, quoiqu'on trouve aussi respundernu! (au
folio 19 r°). Nous ferons à peu près les mêmes observations sur le
poème de Saint Edmund dans lequel nous lisons avcrum (au vers
1003) ', perderum (au vers 17 10), perdere:^^ (au vers 2275); devere{
I. Cornent averunt le larrun, etc.
728 l'évolution du verre en anglo-français
(au vers 1241); resayvcrunl (au vers 3925), comptant respective-
ment pour trois et quatre syllabes.
Vers le milieu du xiii'^ siècle, Vc est plus souvent syllabique,
autant qu'on peut en juger. Prenons par exemple le Saint Auban; Ve
n'est certainement pas purement graphique dans les exemples sui-
vants : siirdcra (au vers -|2S), cspaiidera (au vers 432), respiuidcrgi
(au vers 529), perdcra (au vers 1576), et pour les thèmes à labiale:
dcverad (^ixu. vers 182), saverra (au vers j[^2),receverai (^âu vers 1725).
Pour le futur du verbe avoir, Vc qui est régulièrement écrit ne
compte qu'une fois dans la mesure du vers. Cela nous a surpris ;
mais il est fort possible que l'auteur ait employé la forme avec u
voyelle : aura, laquelle aura été changée par le scribe en avra, puis
avéra.
Après le Saint Auban, les formes avec e muet ordinaire deviennent
de plus eu plus communes, et nous ne pouvons songer à citer ici
toutes les formes. Il serait peu utile de pousser plus loin cette étude
de Ye svarabhaktique dans les textes littéraires anglo-français; nous
le trouvons presque toujours, sinon toujours, écrit dans les ouvrages
du xiv^ siècle ; et il a très souvent valeur syllabique, autrement dit,
il cesse le plus souvent d'être une voyelle svarabhaktique pour deve-
nir une simple voyelle muette. Citons à ce propos une forme inté-
ressante qui se lit dans le poème deDermod, andthe Earl, et qui peut
aussi bien appartenir à l'auteur qu'au scribe: c'est dcvoroie qu'on ren-
contre au vers 2433. On voit que dans cette forme l'f, originairement
svarabhaktique, a été assimilé à la voyelle de la terminaison del'infi-
nitif ; pour celui qui Pa écrite, cette voyelle n'est plus simplement
destinée à exprimer une prononciation particulière d'un groupe de
consonnes, ici vr, mais elle est considérée comme une partie inté-
grante et étymologique du futur : ceci nous montre d'une façon
concrète que Ye, à l'origine svarabhaktique, a perdu sa nature.
Nous trouvons une graphie analogue de Y 2.iont àzns surveioraÇào.
voir, mais avec confusion avec veiller) qu'on lit dans le Liber Rubeus
de Scaccario; d'autres voyelles, comme a, se rencontrent; citons
savara qui se lit dans les Literae Cantuarienses, 1335, 58e.
Nous conclurons maintenant ces remarques sur la voyelle svara-
bhaktique au futur et au conditionnel dans les ouvrages littéraires. La
base de cette étude a été l'usagedes scribes tel que nous le montrent
plusieurs manuscrits. Nous avons vu que Ye svarabhaktique a été
i
FUTUR ET CONDITIONNEL 729
employé dès le commencement de la seconde moitié du xii^ siècle,
à peu près également d'abord pour les verbes dont le thème est
terminé par une labiale et pour ceux qui ont une dentale.
Mais Ve s'est généralisé plus rapidement pour les premiers que pour
les seconds. A la fin de ce siècle, cet e, pour les verbes à labiale, est
à peu près général ; nous ne savons pas exactement quand il l'a été
pour l'autre classe de verbes ; mais nous pouvons reconnaître que,
vers 1250 au plus tard, il est écrit partout.
Cette forme s'étant généralisée n'a jamais perdu de terrain. \'oilà
les résultats que nous donne l'étude des manuscrits et pour nous ce
sont les résultats les plus clairs et les plus importants.
C'est sur un autre ordre de faits que porte notre étude sur la
langue des ouvrages eux-mêmes. Quand et dans quelles limites Ve
svarabhaktique a-t-il cessé d'être svarabhaktique pour devenir un
simplet" muet syllabique ? Les résultats que nous obtenons soi^t en
partie vagues, incomplets et discutables. L'étude des auteurs pris iso-
lément, dans la plupart des cas, n'aboutit le plus souvent, surtout au
xiii'- siècle, qu'à des conclusions incohérentes. Cependant, de l'en-
semblp^ nous pouvons dégager quelques données générales, qui sont
vraies relativement.
1° Dès la fin du xii^ siècle, Ve a pris dans un petit nombre de cas
une valeur syllabique ; ce changement provient de certains auteurs
et affecte spécialement certains verbes, en première ligne avoir et
savoir.
2° Ce qui était limité à quelques auteurs à la fin du xii'^ siècle et
pendant la première moitié du siècle suivant, devient très général
après 1250; en même temps tous les verbes qui étaient affectés de cet
e svarabhaktique au futur et au conditionnel, voient ces temps aug-
mentés d'une syllabe. En somme, on peut dire que Ve réellement
svarabhaktique a disparu dans l'anglo-français du xiV^ siècle ou plus
exactement a évolué vers Ve atone ordinaire.
Ve svarabhaktique est très commun en dehors de la langue litté-
raire ; les exemples que nous avons relevés sont trop nombreux
pour que nous puissions songer à les signaler tous; nous nous bor-
nerons à faire quelques constatations générales.
Pour le verbe avoir, la forme aver- est non seulement la plus
employée, mais, dans la plupart des recueils, elle est, à très peu de chose
près, unique. Dans les Statutes nous avons relevé deux ou trois exemples
730 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
de livra (^comme en 1290, I, 221); un ou deux de aura (comme
en 1335, I, 270); supposons qu'un certain nombre de l'une ou de
l'autre de ces formes nous ait encore échappé, nous n'arriverons
jamais qu'à un total insignifiant, si on le compare au nombre très
considérable de formes avec e. Ce que nous disons des Statutes s'ap-
plique aussi bien aux Rymer's Foedera, quoique le nombre des
formes normales soit cependant sensiblement plus élevé. Les formes
en aur semblent venir par paquets ; par exemple, dans le Traité
qu'on trouve au sixième volume (p. 446), sous la date de 1364, on
en trouve une dizaine. Atout prendre, ces formes sont rares, même
dans les Rymer's; elles n'existent pas dans plusieurs autres recueils :
les Parliamentary Writs', ni dans les Literae Cantuarienses. Quant
aux Year Books, on trouve un peu plus de fantaisie mais la forme
allongée est encore de beaucoup la plus employée.
Nous avons beaucoup moins d'exemples pour savoir, mais ceux
que nous avons nous montrent un état de chose analogue : peut-
être même que les formes normales sont proportionnellement moins
fréquentes que les formes correspondantes d'avoir.
Pour devoir, les Statutes allongent régulièrement le radical ;
cependant devr- se rencontre, mais n'est employé que d'une façon
exceptionnelle ; citons pour cette dernière forme l'exemple du pre-
mier volume des Statutes, p. 388 (1363) ; dans les Rymer's Foedera
qui nous présentent toujours des formes plus variées et moins
consistantes, devr est moins rare ; on en trouve six exemples dans
le Traité de 1364 (VI, 446).
Par conséquent, le futur et le conditionnel des trois verbes précé-
dents se présentent presque toujours sous la forme allongée.
Nous ne pouvons pas en dire autant de vouloir ; comme les
autres verbes qui ont un thème à dentale (voir plus bas), Ve muet
entre le thème et la désinence n'a pas le caractère de généralité
qu'il a pour les verbes précédents ; mais les exemples de vodera sont
si nombreux que nous avons cru devoir les rapprocher de ceux de
avoir, savoir, devoir.
Vodra tout d'abord est assez commun, surtout dans les Statutes
(cf. 1335, I, 275, 281, 2 fois ; 1340, I, 299), si commun que l'as-
similation de la dentale a été possible, et vora, à partir du milieu
du xiv^ siècle, a presque supplanté la forme précédente (cf. 1350,!,
310; 1353. I. 3^3; i377> II, 2).
FUTUR ET CONDITIONNEL 731
Le futur montrant Ve svarabhaktique est à peine plus employé
que les deux formes précédentes prises ensemble ; on la trouve
dès la fin du xiii'^ siècle (cf. Statutes, 1299, I, 131 ; dans les Par-
liamentary Writs 1297, I, 393); elle est commune dans tous les
recueils pendant la première moitié du siècle suivant, mais semble
un peu moins employée après 1350 (voir cependant dans Rymer,
1357, IV, 758) ; elle est assez fréquente dans les Year Books (d.
20 et 21 Edw. I", p. 181 et passim).
Nous avons, pour les quatre verbes précédents, créé pour ainsi
dire une classe spéciale , parce qu ils se trouvent beaucoup plus
employés au futur que les autres verbes.
Nous avons cependantplusieurs exemples nous montrant IV, svara-
bhaktique ou non, affectant d'autres thèmes à labiale ou à dentale.
Citons rapidement x'/irra, employé dans Rymer (1359, VI, 119);
estendenini dans les Statutes (1267, I, 197); rcnderoit dans les
Rymer's Foedera (1337, IV, 758). Faudera est très commun, on le
rencontre par exemple dans le recueil que nous venons de citer
(1359, VI, 114 ti passim) ; on pourrait en énuir.érer encore beau-
coup d'autres comme isteront, descendeni dans le Liber Albus (1303,
148); peytereit dans les Year Books, etc.
D'autres thèmes se trouvent atteints ; mais les formes qu'ils nous
donnent sont toujours exceptionnelles et sont plus souvent des
preuves de l'incapacité des scribes que des exemples de l'évolution
delà langue. Citons pour en finir une de ces formes qui montrent
un de ces e avec un thème vocalique : plaiera de plaire qui se ren-
contre dans les Rymer's Foedera (1375, VII, 26). Cet exemple et
les formes analogues qu'on trouve dans les recueils les plus incorrects
suffiraient h montrer que Ve qui avait quelque raison d'être comme
e svarabhaktique a entièrement perdu ce caractère, et n'est plus
qu'un e muet irrégulier qui s'introduit entre le thème et la désinence
au futur et au conditionnel.
Ce que nous venons de dire du futur s'applique aussi bien à
d'autres temps, comme l'infinitif ou certains passés définis en nvi ;
mais pour ces deux derniers temps le nombre d'exemples est trop
restreint pour que nous puissions tirer des conclusions sûres. Nous
croyons même que c'est au futur et au conditionnel qu'il faut
chercher en partie la raison du développement de cet e qui se
remarque ailleurs que dans le verbe et que ce sont aussi ces temps
732 l'évolution du verbe en anglo-français
qui nous montrent le mieux comment cette voyelle a perdu sa
nature. Nulle part ailleurs en effet, on ne peut trouver une collec-
tion Je formes analogues susceptibles de le prendre et assez usitées
pour que l'usure des formes produise les changements de valeur que
nous avons signalés. Nous n'en dirons pas davantage sur Ve svara-
bhaktique; l'étude des textes non littéraires n'a pas ici grande
importance et du reste elle ne peut que confirmer les conclusions
auxquelles l'étude des manuscrits nous avait amenés.
Nous le répétons, cette question de Ve svarabhaktique est plus du
ressort de la phonétique que de la morphologie, quoique la plu-
part des auteurs qui ont traité cette question pour le futur, en par-
ticulier pour celui du verbe avoir, l'aient rangé parmi les phéno-
mènes qui affectent le verbe. Nous n'avons pas cru devoir la laisser
de côté; c'est probablement dans le verbe qu'elle a eu toute son
extension ; et son influence a été telle que c'est grâce à elle que le
futur du verbe en anglo-français a pris une physionomie toute par-
ticulière.
Il nous reste, maintenant que nous avons exposé rapidement les
modifications générales que le verbe a subies au futur et au condi-
tionnel en anglo-français, à parler de certains futurs particuliers
dont les différentes formes ne sont pas expliquées par les considéra-
tions précédentes : le futur du verbe être et celui du verbe
faire .
a) Futur du verbe être ^ .
On trouve pour ce verbe deux sortes de futur :
1° Un futur qu'on peut appeler étymologique et qui remonte au
latin ero, is^ it, imus, itis, unt.
2° Un futur analogique, formé comme les futurs des autres verbes
au moyen du présent de l'infinitif et du présent de l'indicatif du
verbe avoir.
Ce dernier futur est encore double pour le verbe être suivant le
radical du verbe qui est employé, l'un étant le radical de l'infinitif :
eslr; l'autre un radical spécial scr. Nous devons donc trouver pour
ce verbe trois formes du futur. Le conditionnel, évidemment, ne
connaît que les deux dernières.
I. Pour le futur du verbe être, on peut consulter Romauia VII, p. 367 (Cornu);
Zeitschrift III, p. 1 5 1 (Suchier).
FUTUR ET CONDITIONNEL 733
I. Futur étymologique.
Les formes du futur étymologique sont employées plus ou moins
fréquemment suivant les personnes ; nous n'avons par exemple
relevé aucun exemple de la deuxième personne du pluriel, ce qui
du reste ne veut pas dire que icrtes ou crtes n'ait jamais été employé en
anglo-français. La première personne du pluriel est aussitrès rare; on
trouve cniics au vers 1919 de Horn.
La première et la seconde personne du singulier sont les plus
communes, surtout au xii^ siècle ; voici quelques exemples de la
première personne : iere se trouve aux vers 5387 de l'Estorie des
Engleis ; ère au vers 1466 de Thomas et au vers 812 d'Edward le
Confesseur; er 2iU vers 8773 de l'Ipomédon ; nous devons citer les
deux formes avec gutturales des Quatre Livres des Rois que nous
avons déjà vues : ieir (II, 6, 22), crc (I, 28, 17). On trouve cette
personne sous la forme iere jusque dans le ms.B du Vers del Juise
(au vers 408).
Comme exemples de la seconde personne du singulier, nous trou-
vons iers dans les Légendes de Marie d'Adgar (XIII, 98) ; dans les
Quatre Livres des Rois (I, 10, 6 ; II, 5,2); et au vers 830 d'Edward
le Confesseur.
Nous n'avons relevé aucun exemple de ces deux personnes dans
les ouvrages postérieurs à Edward le Confesseur ou au Vers del
Juise, et il est évident que l'emploi de ces deux formes n'a jamais été
très étendu et qu'il a entièrement cessé assez tôt.
Il n'en est pas du tout de même pour les troisièmes personnes du
singulier et du pluriel; (/)er/, (^i)erenl sont les seules formes
employées dans le Voyage de Saint Brandan, et elles se trouvent
plus ou moins fréquemment dans tous les autres auteurs du xii*^
siècle et du xiii^, mais elle perd du terrain à mesure que la forme
analogique sera en gagne.
La langue politique, diplomatique, familière, légale, ne connaît
pas ces formes, nous n'en avons relevé que deux exemples : ert dans
le Liber Albus (1243. 118), iert dans lesRymer'sFoedera (1363, VI,
427)-
Il est cependant certain qu'elles ont été employées jusque dans lu
seconde moitié du xiv"-' siècle.
734 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
2. Futur analogique cstrai, conditionnel analogique t'i/zr/V.
La forme analogique estrai, esireie est rare en anglo-français ; on
ne la trouve que dans un petit nombre d'ouvrages du xii'^ siècle. L'au-
teur du Saint Brandan l'emploie assez fréquemment, par exemple aux
vers 425, 588, 1759; c'estla seule qu'il connaisse pour le condition-
nel (cf. vers 615, 618, 859).
On la rencontre encore une fois dans le Drame d'Adam : estrat
(au vers 58), et deux fois dans Horn -.cstrc- (au vers 555), estreit
(au vers 322, C et O).
Ce sont les seuls exemples que nous ayons relevés, à moins qu'on
n'y joigne encore eseriDit dn Psautier d'Arundel (18, 14), contamina-
tion entre esterunt et serunt ou erreur cléricale.
Cette forme du futur semble entièrement absente des textes
non littéraires.
}. Forme Analogique sera ie, sereie.
Ce que nous venons de dire laisse déjà supposer ce qu'il nous
reste à exposer : la forme moderne est en anglo-français de beau-
coup la plus employée. On ne trouve guère qu'elle à quatre per-
sonnes sur six au futur, et à toutes les personnes du conditionnel;
elle se rencontre, comme forme unique ou ordinaire de ces deux
temps, dans tous les auteurs anglo-français, à l'exception d'un poème
du commencement du xii^ siècle : le Voyage du Saint Brandan . La
seule question qui puisse retenir quelque peu notre attention, ce
sont les progrès que la forme analogique serai a faits à la troisième
personne du singulier et à la troisième personne du pluriel du
futur.
Nous résumerons en quelques lignes les principaux points de
cette question.
Au xii^ siècle, la forme sera se trouve déjà assez communément
employée, à une exception près : dans le poème du Cumpoz elle
se trouve à peu près aussi souvent que la forme étymologique, et
dans le Bestiaire, la proportion en faveur de la forme qui nous
occupe est devenue encore unpeu plusforte. Les Psautiers nous mon-
trentque .vc/vr devient de plusenplusla forme ordinaire du futur du
verbe être. On le trouve environ sept fois contre une fois iert ; et
ce rapport se maintient à peu près le même dans le Psautier de Cam-
FUTUR ET CONDITIONNEL 735
bridge. Dans la Chronique de Fantosme, la Vie de Saint Gilles de
Guillaume de Berneville, la Vie de Sainte Catherine de Sœur Clé-
mence de Barking, la forme moderne reste toujours plus commune
que l'autre. Il nous semble peu utile de poursuivre auteur par
auteur cette étude : disons que la forme étymologique subsiste
toujours, mais qu'elle reste moins employée que l'autre. La propor-
tion entre ces deux formes varie d'un poème à l'autre : chaque
auteur suit pour l'emploi de ces deux formes sa fantaisie ou se
laisse imposer l'une ou l'autre de ces formes par les nécessités de la
versification. Dans Pierre de Langtoft par exemple le nombre des
deux futurs du verbe être n'est pas extrêmement différent de celui
que nous avons vu pour les Psautiers : nous trouvons dans la
Chronique de cet auteur environ neuf 5t'ra contre un iert.
Ceci montre que les deux formes ont coexisté pendant toute
la période qui nous a occupés, mais que le nombre des formes
étymologiques, toujours moindre que celui de sera, a varié d'une
façon très capricieuse.
On peut dire que cette dernière forme est la seule que con-
naissent les textes non littéraires ; les quatre ou cinq exemples que
nous avons relevés de l'autre sont négligeables. Et ceci encore
nous est une nouvelle preuve que iert, au moins à la fin du xiii^
et au xiv^ siècle, n'est employé que lorsque les auteurs ont besoin
pour le futur du verbe être d'une forme monosyllabique.
b) Futur et couditkmnel de faire.
Le futur et le conditionnel de faire présentent régulièrement
une voyelle muette dans la syllabe initiale ; les formes enfer ne
sont ni inconnues ni même rares en anglo-français. A côté de
celle-ci cependant, on trouve aussi une autre forme, abrégée, de
laquelle la voyelle du thème a disparu, en fr. Nous nous propo-
sons d'étudier maintenant la répartition de ces deux formes aux
diverses époques de la littérature anglo-française.
Nous aurons, à dire vrai, les plus grandes difficultés à arriver à
des conclusions un peu précises : les mêmes que celles que nous
avons déjà rencontrées à propos de Ve svarabhaktique. Car, outre
l'irrégularité de la versification, sur laquelle nous ne reviendrons
pas, il faut encore tenir compte de l'habitude des écrivains anglo-
736 l'évolution du verbe en anglo-français
français de compter ou de ne pas compter les c muets dans le vers.
Nous aurons constamment h nous poser les questions suivantes :
Fauteur n'a-t-il pas foit un vers faux ? Telle forme contracte, est-
elle réellement contracte, ou bien l'auteur traite-t-il Ye atone,
comme dans tant d'autres endroits, comme une syllabe qu'on pro-
nonce ou qu'on ne prononce pas, à la guise de chacun ? Cependant,
dire qu'une syllabe peut ne pas se compter dans un vers, n'est-ce
pas dire qu'elle est réellement muette dans la prononciation ordi-
naire, en d'autres termes que la forme qui- la contient est une forme
contracte ? Il semble donc légitime de conclure que, dans tous les
cas où Yc de la syllabe initiale de faire, au futur ou au condition-
nel, semblera ne pas compter dans la mesure du vers, ce futur sera
un futur contracte, et que ce seront surtout les cas où il semblera
compter qui devront nous être suspects ; car si, pour une époque
donnée, nous avons des preuves que cet e a disparu de la pronon-
ciation dans la majorité des cas, nous serons en droit de consi-
dérer les formes où il se trouvera un c atone comme une preuve
que l'auteur, pour faire son vers, a dû avoir recours à une forme
peu usuelle et archaïque. Dans ces conditions, cette voyelle n'aura
plus qu'une valeur de fantaisie ; mais il nous faudra avant tout
montrer que, dans le plus grand nombre de cas, à cette époque 1'^
atone avait disparu.
Pendant la première période de l'anglo-français (jusqu'à 11 60),
la forme pleine se trouve seule employée. Dans les poèmes de
Philippe de Thaùn, dans le Psautier d'Oxford nous ne rencon-
trons aucun exemple de la forme monosyllabique.
Nous pouvons relever deux exceptions cependant. La première,
c'est l'Estorie des Engleis. Gaimar, il est vrai, emploie le plus sou-
vent la forme dissyllabique et les exemples absolument sûrs sont
extrêmement nombreux (Voir les vers 276, 317, 339, 421, 1229,
1886 et passim). Mais il y a quelques cas douteux ; citons comme
exemple le vers 3094 (R) :
Jameis de rien ne li forf(e)runt.
Mais les trois autres manuscrits sont d'accord pour montrer qu'il
flmt supprimer le // et on doit lire soit : « ne forferunt » avec D et
L; ou avec H : « nel forferunt ». Tous les autres cas, et ils sont très
peu nombreux, peuvent de la même façon passer pour des correc-
tions du scribe du ms. R.
FUTUR ET CONDITIONNEL 737
La seconde exception paraît tout d'abord avoir plus d'impor-
tance : elle est constituée par le poème du Voyage de Saint Bran-
dan. L'auteur de ce poème, à en croire l'édition qu'en a donnée
M. Suchier, n'emploierait jamais que la forme monosyllabique
(cf. les vers 367, 426, 551, etc.) ; seuls les vers 43 et 920 pré-
sentent la forme étymologique. Cette régularité dans l'emploi de
la forme courte étonne tout d'abord à la date du Saint Brandan ;
mais une comparaison même rapide avec le texte du manuscrit de
l'Arsenal BLF 283 nous montre que ces différentes formes sont
toutes dues au scribe du manuscrit de Londres. Elles doivent donc
prendre place vers 11 67, ce qui nous paraît beaucoup plus vrai-
semblable.
Car après 11 60, le nombre de formes courtes augmente brusque-
ment ; cependant aucun auteur de cette époque ne nous montre
un aussi grand nombre de cas que le manuscrit de Londres du
Saint Brandan, ce qui, encore une fois, nous montre combien la
langue des scribes est en avance sur celle des auteurs. Par exemple
le Psautier de Cambridge nous donne fras (87, 10) et le manuscrit
B du même Psautier en off"re un nouveau cas (28,8). Dans le
Drame d'Adam, nous en relevons encore quelques exemples assu-
rés par la mesure du vers (cf. les vers 448 et 692) alors que les
formes normales sont au nombre de trente environ.
Le nombre de ces formes est donc encore assez petit.- Seul le
scribe du Saint Brandan nous les montre presque exclusivement.
Mais il n'est qu'une exception et nous pouvons conclure que, entre
II 60 et II 70, les formes abrégées ne sont pas inconnues; elles
commencent à s'introduire dans les œuvres littéraires, mais elles
sont regardées le plus souvent comme des formes négligées dont
tous les auteurs un peu soigneux se gardent aussi bien que pos-
sible.
Cette conclusion est confirmée par l'étude du futur de faire dans
les deux auteurs suivants : Adgar et Jordan Fantosme. Chez eux,
les formes contractes deviennent tout à coup plus communes que
les formes pleines. Nous avons établi dans plusieurs morceaux
d' Adgar le rapport du nombre des formes pleines à celui des
formes abrégées : nous avons trouvé un rapport À peu près cons-
tant et égal tantôt à 5/7, tantôt à 13/18 ; le rapport dans Jordan
Fantosme est égal à 67/100, ce qui est un peu inférieur aux
47
738 l'évolution du verbe en anglo-français
nombres que nous venons de citer pour Adgar (cf. pour Fan-
tosme, formes pleines, vers 330, 336, 347, 595, 869, 1302, 1417;
formes abrégées, vers 188, 348^ 808, 1453, 1454, 1489, 1576,
1817, 1912, 1939, 2019 ; douteux, vers 1222).
Il en va exactement de même pour Thomas qui emploie deux
fois plus de formes contractes que de formes pleines, soit 50/100 ;
ce qui est encore inférieur à Fantosme.
Par contre^ on trouve encore à peu près à la même époque, ou
même plus tard, des auteurs qui, comme ceux du Saint Gilles et
de Horn, préfèrent la forme étymologique. Dans Horn, les deux
formes sont en nombre sensiblement égal, dans le Saint Gilles on
trouve II formes pleines contre 8 formes abrégées, soit 137/100.
Nous n'avons plus après cette date cherché les proportions
exactes entre les nombres de ces deux formes dans les différents
auteurs. Nous avons pu, à toutes les époques, constater que chaque
écrivain emploie pour ainsi dire indistinctement l'une ou l'autre
de ces formes ; quelques-uns, et ils sont assez rares, comme l'au-
teur du Saint Edmund, ne veulent pas employer la forme abrégée,
qu'ils considèrent comme moins correcte ; d'autres, et ils sont plus
nombreux, n'emploient presque pas celle-là, comme l'auteur du
Saint Auban (27/100) ou celui de Dermod (29/100). Au
xiv^ siècle, la même chose arrive, quoique nous ne trouvions plus
d'auteur qui emploie exclusivement le futur qui conserve la
voyelle thématique ; dans Pierre de Langtoft, les deux futurs sont
en nombre à peu près égal ; dans Nicole Bozon, /;- semble avoir
complètement chassé fer ; par contre le Prince Noir n'a aucun cas
assuré de la forme abrégée ; on peut la soupçonner dans trois vers
(contre vingt îois fer ').
La question est infiniment plus simple dans les textes non lit-
téraires ; la forme avec e est la plus employée et la proportion dans
n'importe quel recueil est grandement en sa faveur. Nous avons
cependant tort de parler de la forme avec e ; il n'y en a pas qu'une,
il y en a, comme nous l'avons du reste dit, deux : fera tx. ferra. La
première est la plus répandue et se trouve partout ; la seconde est
I. Vers 795 : Ne le f(e)rons pas en nostre vie ; (lire nel ?)
2680: Les f(e)roient mûrir a hountage ; (fe-roint on troi-ent?)
Î5s6 : Pur quoy f(e)roie je un parlement.
FUTUF HT CONDITIONNEL 739
limitée à un certain nombre de textes comme les Statutes et les
Parliamentary Writs ; d'autres ne la connaissent pas.
La forme abrégée dans n'importe quel recueil est probablement
moins commune encore que la seconde des deux formes ci-dessus ;
pour ne prendre que le recueil le plus correct, les Statutes pré-
sentent en tout 9 cas de cette forme abrégée, les futurs de ce
verbe devant probablement se compter par centaines. Nous ne
pensons pas que dans les Rymer's Foedera la proportion soit sen-
siblement supérieure à celle que nous venons d'indiquer. Dans les
Year Books, les formes sont certainement plus mélangées et il est
difficile de dire quelles sont les habitudes de ceux qui les ont écrits
ou copiés ; il nous semble bien cependant que la forme qui con-
serve la voyelle du thème reste toujours la forme habituelle (cf. Y).
Nous devons cependant signaler une exception qui ne manque
pas d'importance : le recueil des Literae Cantuarienses qui nous
représente la langue familière. Dans ces Lettres, on ne saurait dou-
ter que ce soit la forme abrégée qui est la forme habituelle. Et sur
ce point la langue familière est plus voisine de la langue littéraire
(cf. les œuvres de Nicole Bozon) que de la langue politique. On
pourrait ajouter que quelques chroniques monastiques, comme les
Annales des Monastères de Burton et de Saint-AIban, nous
montrent aussi un très grand nombre de formes abrégées.
Voici donc les seuls points absolument certains auxquels nous
conduise l'étude qui précède :
1 . Jusqu'à 1 1 60, nous ne rencontrons aucun cas assuré de la
chute de la voyelle du thème dans les futurs et conditionnels de
faire.
2. Les formes /r apparaissent immédiatement après cette date.
3. Elles restent d'abord exceptionnelles et sont probablement
considérées par les auteurs comme des formes négligées. Les
scribes cependant les emploient sans scrupules, même avant la fin
du xu^ siècle.
4. Au XIII'', les deux formes sont employées concurremment ; on
ne peut pas dire que l'une déplace l'autre.
5 . Il en va de même au xiv^ ; quelques auteurs cependant n'em-
ploient guère que les formes abrégées (dans la littérature et dans
les œuvres familières).
6. La forme abrégée est rare dans les œuvres politiques et diplo-
matiques.
740 L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-1-RANÇAIS
Le thème an jutur.
Les moditîcations que le thème subit au futur (sans distinction
de conjugaison) sont surtout d'ordre phonique et nous n'en dirons
par conséquent que quelques mots. Quelques-unes sont absolument
normales en anglo-français, comme l'hésitation entre o et ti, comme
dorrai, durrai, niostrerai, illustrerai, niorrai, miirrai ; la graphie
montrant u est de beaucoup la plus commune après 1150.
D'autres thèmes montrent des variations analogues ; nous
remarquons par exemple une hésitation entre trarrai et trerrai,
entre plarrai et plerrai ; même pour ce dernier verbe, la diphtongue
aie se rencontre ; plaierai se lit dans les Rymer's Foedera 1375, VII,
26.
La disparition de la nasalisation est un phénomène aussi régu-
lier ; nous avons déjà eu l'occasion de citer des exemples de durrai
et inerrai pour donrai, menrai ; ajoutons-y maintenant illustrerai,
quoique l'infinitif lui-même et les autres différents temps nous
donnent de nombreux exemples du radical miistr.
Les changements anormaux ne sont pas rares ; nous trouvons
que le radical du futur a une autre forme que celui de l'infinitif,
sans qu'il soit toujours possible d'en découvrir la raison. C'est ainsi
que Frère Angier écrit dans la Vie de Saint Grégoire derrei (au
vers 2455) et dierrei (au vers 1867) pour dirai ; Jean de Peckham
emploie faroiii (1287,439) comme futur de faire. Dans d'autres
cas, nous trouvons un allongement du radical, dans poora qui se
trouve dans le Blacke Booke of the Admiralty (1291,30), dans
seira (de seoir) dans le Registrum Malmesburiense (1275, I, 209).
Plus rarement le radical s'abrège ; ainsi arai d'avoir est une forme
rare en anglo-français, mais qu'on trouve dans le Vers del Juise
(ms. B, vers 22 et passiiii).
Enfin il est assez commun à certaine époque de trouver au futur
des verbes de III la diphtongue ei, oi de l'infinitif; la langue litté-
raire semble avoir évité ces formes assez soigneusement; elles sont
relativement communes en dehors de la littérature. On trouve
voira dans les Literae Cantuarienses (1253,795), avoira dans les
Annales Londonienses (1308, 153) ; aïoireit assez fréquemment
dans les Year Books (cf. 11 et 12 Edw. III, 147). L'intérêt de
FUTUR ET CONDITIONNEL 74Ï
ces formes, c'est qu'elles n'ont été possibles que du jour où l'infi-
nitif étymologique en oir a définitivement déplacé l'infinitif à ter-
minaison en er; il semble que ceux qui ont employé les dernières
formes que nous avons citées se sont tenu le raisonnement suivant :
si on doit dire avoir et non aver, veoir et non veer, de même on
devra employer aval ra, veoira au lieu de avéra, veera.
SECONDE PARTIE
SECONDE PARTIE
Nous avons, dans noire première partie, tenté de suivre dans ses
détails l'évolution du verbe en anglo-français ; nous nous sommes
abstenu, autant que cela nous a été possible, de rechercher l'ori-
gine des différentes formes que nous rencontrions, surtout lorsque
cette origine pouvait être matière à discussion. Nous nous sommes
borné à exposer sans vouloir expliquer.
Ce qui nous reste à faire maintenant c'est de rechercher les
causes générales des phénomènes qui ont changé si profondément
la conjugaison du verbe en anglo-français ; l'exposé rapide que
nous avons fait des principales formes qu'il peut prendre montre
que ces causes n'ont pas été extrêmement nombreuses ; les mêmes
phénomènes se produisent sur différents points de la conjugaison :
un e muet étymologique tombe fréquemment à la troisième per-
sonne du singulier du présent de l'indicatif, à la deuxième de l'im-
pératif, au futur ; un c muet parasite se montre à la première per-
sonne du singulier du présent de l'indicatif, à la troisième personne
du singulier du même temps, au futur. Tous ces phénomènes
ont-ils la même cause ? Dans quelles conditions se sont-ils produits
ou plutôt, se sont-ils produits dans les mêmes conditions pour cha-
cun des cas que nous avons relevés ?
Comme on le voit, nous allons avoir à répéter daits une certaine
mesure ce que nous avons dit dans notre première partie, au
moins à revenir, en tâchant de les grouper et de les expliquer, sur
les exemples que nous avons donnés. Nous ferons notre possible
pour éviter les redites, et pour les citations nous renverrons à notre
première partie.
74<5 l'évolution du verbe en anglo-français
On nous reprochera peut-être de n'avoir pas opéré ce groupe-
ment déjà dans notre première partie et d'avoir suivi sans beau-
coup de raison la division habituelle : désinences personnelles,
modes, temps.
Mais il nous a semblé que si nous avions alors rassemblé les
formes qui ont été le sujet de changements analogues, nous n'au-
rions pas évité de graves défauts : d'abord, une telle étude aurait
donné l'impression d'un désordre absolu ; nous aurions été en effet
obligé de réunir des formes absolument hétéroclites, comme on le
constatera par la suite ; ensuite toute impression d'ensemble aurait
disparu, une même forme pouvant à la même époque recevoir
deux ou plusieurs traitements absolument différents. Surtout, un
tel ordre, plus logique que celui que nous avons adopté, n'aurait pas
rendu compte de l'évolution des différentes formes ; et c'est sur-
tout cela que nous avons voulu éviter.
Pour ces différentes raisons, nous avons réservé pour notre
seconde partie ce traitement purement logique qui rassemble les
formes provenant du jeu des mêmes causes.
Nous allons voir que ces causes peuvent se ranger en trois
grandes classes : évolution phonique ; influence d'un temps sur un
autre, d'un mode sur un autre ; influence exercée par d'autres dia-
lectes. On considère généralement que c'est, de ces trois classes, la
seconde qui a exercé l'action la plus importante : qu'un travail
remarquable d'analogie s'est effectué en anglo-français. Miss M.K.
Pope considère cette action de l'analogie comme caractéristique
de la conjugaison anglo-française ; elle écrit dans son Introduction
au Poème du Prince Noir (page xliv): « The main characteristic of
the Anglo-Norman conjugation System : simplification by analogical
formations. » Nous n'avons pas le dessein de nier ou de diminuer
indûment l'importance et le nombre de formations analogiques ;
mais nous allons tenter de montrer que les changements purement
phoniques ont eu dans les modifications que le verbe a subies une
part beaucoup plus considérable même que l'analogie. Il y a un
grand nombre de cas où il est difficile, quelquefois impossible, de
décider si telle forme du verbe est due à l'analogie ou à un proces-
sus phonique régulier. Notre principe, et il nous semble être la
condition de toute étude scientifique, est que l'on ne doit faire
intervenir l'analogie que lorsque toute autre explication est impos-
SECONDE PARTIE 747
sible ; si, pour une forme donnée, on peut montrer que l'action
normale des lois phoniques a pu produire les modifications qu'on
y étudie, on devra s'en tenir à cette explication. L'analogie pourra
faire comprendre l'extension plus ou moins grande du phéno-
mène, mais elle n'en sera pas l'origine. Il nous semble trop facile
de chercher dans la conjugaison des formes analogues à celles
qu'on doit expliquer et d'admettre que celles-ci proviennent de
celles-là.
CHAPITRE PREMIER
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE
Il serait, croyons-nous, fort possible de faire une histoire assez
complète de la phonétique anglo-française, en ne prenant ses
exemples que dans la conjugaison. Ce n'est évidemment pas notre
objet. On comprendra même qu'un petit nombre seulement des
changements phoniques qui se manifestent dans le verbe pourra
arrêter notre attention. Nous ne reviendrons pas sur les formes du
verbe qui proviennent évidemment de causes générales.
Nous nous retrouvons encore ici en présence de la même difficulté
que dans la première partie de notre travail.
L'étude des changements phoniques, quels qu'ils soient, que nous
rencontrons dans la conjugaison est-elle de la compétence d'un
ouvrage qui traite de questions de morphologie ? Nous avons dû à
plusieurs reprises effleurer cette question et nous allons maintenant
tâcher d'y donner notre réponse.
Tout d'abord, il est impossible de faire toujours une distinction
absolument nette entre la phonétique et la conjugaison ; un très
grand nombre de phénomènes, dont cette dernière nous offre des
exemples et qu'il n'est pas possible de passer sous silence quand on
fait l'histoire de la conjugaison, ont une origine purement phonique.
Que dirait-on d'un traité sur le verbe anglo-français qui ne men-
tionnerait même pas le passage de la terminaison de l'infinitif
ier à er ou de ir à cr ? Ces deux phénomènes sont pourtant
d'ordre phonique. De l'autre côté, il nous est impossible de refaire
à propos du verbe toute la phonétique de l'anglo-français. Il nous
faut tracer quelque part une ligne de démarcation.
Nous pouvons distinguer en trois catégories les phénomènes pho-
niques que le verbe peut subir :
LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 749
1° Changements très généraux et auxquels le verbe est soumis,
comme tous les autres mots : vocalisation de 17, passage de «/ à u,
etc. ; nous nous sommes contenté de mentionner ces changements
sans nous y arrêter .
2° Changements qui ont pour le verbe une importance qu'ils ne
peuvent avoir pour les autres classes de mots : t svarabhaktique ou
épenthétique, par exemple, ou passage de ie à e.
Nous ne nous sommes fait aucun scrupule de nous arrêter assez
longtemps sur ces phénomènes.
3° Enfin, phénomènes dont le caractère phonique n'est pas aussi
évident, et pour lesquels l'analogie a pu intervenir dans une certaine
mesure. Dans les pages qui suivent, nous insisterons surtout sur
les phénomènes de cette nature.
Nous commencerons par dire quelques mots aussi brefs que pos-
sible de la première de ces catégories, puis nous passerons à la
seconde et à la troisième.
PREMIÈRE CATÉGORIE
A. \'0YELLES ET DIPHTONGUES.
Les données de la phonétique générale expliquent un très grand
nombre de formes du verbe ; nous allons les passer très rapidement
en revue.
/. — h pour /, qui n'est pas rare en français au xiii" siècle, se
trouve à peu près à la même époque en anglo -français; c'est à ce
changement qu'il faut attribuer, parmi les formes toniques : skuierent
dans le Saint Gilles, eschaniicrerit eirierent dans Foulques Fitz Warin,.
viercnt dans Nicole Bozon. A l'initiale, nous avons cité dans Frère
Angier dicrrei pour dirai. D'une façon générale, de telles formes sont
rares en anglo-français.
E fermé. — Comme le fait remarquer M. Suchier (Voyelles
toniques, page 42, § 17 <i), l'anglo-français connaît ie pour t' fermé
(piere, friere) ; le verbe nous donne un certain nombre d'exemples de
ce phénomène, quelques-uns remontent à une date très ancienne. On
trouve siet, pour set, dans le Psautier d'Oxford, dans Gaimar, dans
Thomas ; on a piert (pareir) dans le Cumpoz ; clnct dans William de
Waddinçton.
750 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
La graphie qui montre eo est particulière à l'anglo-français et
remonte à la seconde moitié du xii^ siècle (fèorin, dans le Psautier
de Cambridge); c'est surtout dans le verbe que cette graphie se
montre: citons cbeot qu'on rencontre dans le Saint Brandan, scot et
meot qu'on lit dans les Contes de Bozon.
A. — A n'a pas subi de changements aussi radicaux et les graphies
sous lesquelles il se présente dans la conjugaison du verbe, quoique
assez nombreuses, ne s'écartent pas beaucoup de la fo-rme originale.
En sjdlabe libre a est écrit ae dans deux exemples du Psautier
de Cambridge; aa est à la fois plus commun et plus tardif: aa (=--
habet) est fréquent; et la troisième personne du singulier des pré-
térits en avi présente plusieurs fois cette graphie à la fin du xiV^ siècle.
Ea pour ces mêmes personnes est peut-être un peu plus ancien, on
en a quelques exemples dans Foulques Fitz Warin, dans Nicole
Bozon, dans Nicolas Trivet. (Voir aussi Diphtongue ai.)
Au plus tard vers le commencement du xiii^ siècle, nous rencon-
trons ai pour a : vai se lit dans le ms. A de l'Alexis, ai (= habet)
dans le ms. B de Horn (au vers 3848), et dans le ms. O du même
poème (au vers 5066), lerrai dans Boeve, vodrai dans l'Ipomédon,
donay dans Pierre de Langtoft. Mais toutes ces formes, sauf la
première, nous semblent des formes analogiques dont nous repar-
lerons.
Entravé, a est souvent écrit par au : les premiers exemples que
nous trouvions de cette graphie se rencontrent dans Robert de
Gretham : portaustes, reneiaustes. Cette diphtongue est employée pour
la troisième personne du singulier des imparfaits du subjonctif de I
dans William de Waddington ; pour la première personne du pluriel
des prétérits en avi dans le ms. Bodley 425, dans Rymer (1282);
dans les Parliamentary Writs (1300) ; pour la deuxième personne du
pluriel du même temps, les exemples sont encore plus nombreux ;
outre ceux que nous avons cités, on en trouve dans la Genèse,
dans William de Waddington, etc. Cette graphie nous indique que a
a remonté vers 0 ouvert. (Cf. a nasal.)
Tous ces changements, comme on le sait, se retrouvent également
pour d'autres catégories de mots et ne sont pas spéciaux au verbe.
U. — Nous ne nous arrêterons pas à discuter toutes les graphies
que u a prises en anglo-français et que nous retrouvons toutes dans
LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 75 1
le verbe. Le nombre des graphies de ce son provient de la difficulté
que les Anglais avaient et ont à le prononcer. Ce sont des approxi-
mations de ce son qui sont figurées de plusieurs manières différentes.
Il nous semble très difficile de donner un ordre logique à toutes les
formes que nous rencontrons, surtout au participe passé, et nous
ferons remarquer qu'il nous est impossible d'arriver à quelque chose
de satisfaisant en nous appuyant seulement sur une série de formes;
il faudrait ici comparer ce qui se passe dans le verbe au traite-
ment des autres mots en ii ; mais ceci est du ressort de la phoné-
tique générale.
W se trouve très tôt au lieu de u : parsew se lit dans le Psautier
de Cambridge ; des formes analogues se rencontrent aussi dans
Nicolas Trivet; dans les Statutes (1275), ^^"s le Liber Rubeus de
Scaccario (1275).
tJ/est fort commun ; Angier emploie le premier à la rime un par-
ticipe terminé par cette diphtongue ; et elle est fréquente au
xiv^ siècle.
En ne remonte certainement pas aussi haut, mais est aussi employé
que la graphie précédente ; Bozon en a quelque cas dans ses Contes ;
Jean de Peckham (1284), les Statutes (1285), les Actes du Parle-
ment d'Ecosse (1262), les Mem. Pari. 1305 en, fourniraient une
liste fort longue.
Nous ne trouvons ieu que plus tard: dans Bozon, Trivet, Thomas
Walsingham.
Ou et 0 sont rares.
Ue est plus général en|ce sens qu'on le trouve ailleurs qu'au parti-
cipe passé. Angier nous en donne quelques exemples : piiesse, puessent
pour pusse, pussent ; mais nous trouvons cette diphtongue surtout
au participe passé: dans les Statutes (1380), dans les Mem. Pari.
([305), dans les Rymer's Foedera (1361).
Telles sont les principales formes que peut prendre u dans le verbe
anglo-français ; encore une fois, nous n'essaierons pas de démêler et
d'expliquer toutes ces graphies.
Nous classerons encore dans cette première catégorie toutes les
graphies ou formes que prennent les voyelles nasales dans la conju-
gaison ; ces dernières ne présentent rien de bien spécial et une phoné-
752 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
tique complète de l'anglo-français, s'il en existait une, nous mon-
trerait à d'autres parties du discours les changements que nous allons
énumérer pour le verbe.
An. — Nous avons vu que la nasale de a prend fréquemment la
graphie ami entre 1268 et 1360 (cf. aussi a ci-dessus, page 750) ; la
graphie en dont nous avons cité quelques exemples au participe
présent est fort naturelle et se rencontre au xiV^ siècle dans un cer-
tain nombre de cas en dehors de la conjugaison ; on pour an est
rare.
O fermé suivi d'une nasale peut prendre un plus grand nombre de
formes, dont quelques-unes ne manquent pas d'intérêt. Nous ne
nous arrêterons pas aux formes un, on, oun (dernier quart du
xiii^ siècle) ; omps ne se trouve à notre connaissance qu'à la première
personne du pluriel (désinence masculine). Nous citerons encore
quatre formes que prend cette nasale, elles ne sont pas propres au
verbe. Oo se trouve fréquemment à la troisième personne du pluriel
(désinence masculine) comme dans foont ; plus rarement à la pre-
mière personne du pluriel (désinence masculine) ; jamais aux pre-
mières personnes du pluriel à désinence féminine. Nous croyons
qu'il n'y a que très peu d'exemples de cette graphie en dehors du
. verbe.
Oe est assez répandu, et se trouve surtout aux premières personnes
du pluriel féminines et aux troisièmes masculines ; il correspond évi-
demment à oe, graphie de 0 ouvert ; soevies (Parliamentary Writs,
1315), 50^«/ (Statutes, 1285) sont des formes qui se rencontrent
quelquefois, surtout en dehors des textes littéraires. Nous n'insis-
terons pas davantage sur eo qui a la même origine et le même
emploi.
Il est moins évident que les formes qui présentent la graphie en
proviennent de la forme correcte ; on trouve sentes dans Angier,
poèmes dans les Year Books, sen {= sont) dans le ms. d'Edward le
Confesseur. M. Stimming ne cite qu'un seul exemple de Vo fermé
nasal prenant dans une syllabe protonique la graphie en : mais nous
croyons que l'anglo-français n'a pas, entre autres choses, su main-
tenir la distinction entre les différentes voyelles nasales.
La place que ces quelques formes occupent dans la conjugaison
du verbe est trop petite pour que nous nous arrêtions à discutei
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 753
cette question générale. Et nous conclurons que, ces dernières formes
en en mises à part, si on le veut, les nasales n'offrent dans la conju-
gaison rien qui les distingue des voyelles nasales qui se rencontrent
dans les autres espèces de mots.
Il nous reste, toujours dans cette première catégorie de changements
qui n'ont rien dans le verbe de plus remarquable qu'ailleurs, à exa-
miner certaines des modifications que subissent quelques diphtongues.
Ici, nous ne traiterons qu'une partie de la question, la moins impor-
tante.
le. — Comme on le sait, le passage de ie à ^ a été la cause de
changements très profonds dans la conjugaison du verbe ; mais ie
passe encore à / (cf. la liste de ces changements donnés par Stim-
ming à la page 202 de Boeve de Haumtone, exemples tirés de l'Es-
torie des Engleis, de Horn, des Psautiers; voir aussi Suchier, Voyelles
toniques, p. 87) et ce changement nous explique les participes passés
preysi, trenchi qui se trouvent à la rime dans Boeve ; despoili de la
Plainte d'Amour, etc.
Le passage de ic à ei est attesté dans les premiers textes anglo-
français (Stimming, ibid.) et de là proviennent les premières personnes
en -eiines qui montrent plus tard la diphtongue ai, puis, plus rare-
ment, oi.
Ei. — Les transformations de la monodiphtongue ei ont été nom-
breuses et elles expliquent un grand nombre de formes du verbe; le
passage de ei à i est rare en dehors de la conjugaison, on en relève
cependant quelques cas : fi:;^ (vicem) dans Ipomédon, cité par Stim-
ming, op. cit., p. 200.
Dans le verbe toutefois ce piiénomène est assez commun et il
explique les nombreux imparfiiits et conditionnels en / que nous avons
déjà cités et sur lesquels nous ne reviendrons pas. Nous ne parlons
ici que pour mémoire des infinitifs en ^/r qui prennent la désinence
Le passage de cette diphtongue à ie est moins rare. Suchier en cite
plusieurs exemples tirés du Psautier de Cambridge, des Quatre Livres
des Rois, du Tristan de Thomas. C'est ce passage qui a donné à un
petit nombre d'imparfaits les formes en ie que nous avons énu-
mérées.
D'après Suchier (Voyelles toniques, p. 93), la diphtongue oi
48
754 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-l-RANÇAlS
provenant de ei serait « sans doute une importation du continent » ;
nous le croyons comme lui ; la forme en oi est restée toujours
assez rare en anglo-français, et a été limitée à un petit nombre de
scribes ou d'auteurs. Le scribe des Légendes de Marie l'emploie au
moins une fois ; celui du Tristan au moins une fois aussi ; plusieurs
exemples se rencontrent dans Chardri, Angier seul l'emploie couram-
ment. Nous reparlerons donc de cette diphtongue au troisième cha-
pitre de cette seconde partie.
La diphtongue ai pour ei nous a donné quelques imparfaits de
l'indicatif et conditionnels en ^7/. à partir du Psautier de Cambridge
et quelques cas d'infinitifs en air, manair qu'on lit dans Robert
de Gretham et peut-être aussi ceux du Fragment T' du Tristan de
Thomas ; rappelons encore les quelques formes de saie pour seie
qu'on trouve par exemple dans les Actes du Parlement d'Ecosse.
Pour e provenant de ei, voir plus bas.
Ai. — La diphtongue ai, en prenant en anglo-français tant de
formes différentes, a causé des changements considérables dans le
verbe; mais, comme on va le voir, tous ces changements s'expliquent
assez aisément et ont un caractère de grande généralité. Le nombre
des modifications qu'elle a subies s'expliquera aisément si on consi-
dère que très tôt ai s'est identifié avec a, avec ei et avec e ouvert.
Nous allons donc trouver, surtout dans le verbe, trois groupes de
formes dérivées : le premier de ai en tant que a, le second de ai
comme identique à ei: le troisième de ai équivalant à e ouvert.
La diphtongue ai passe souvent à a ; les exemples sont nombreux
et on peut dans la conjugaison les distinguer en deux classes : Tune
qui comprend surtout des thèmes et qui nous donne des exemples
datant de la seconde moitié du xii'^ siècle : fare dans les Quatre
Livres des Ko\s •,fates dans Saint Auban, sa dans l'Estorie des Engleis,
trahent dans la Destruction de Rome, auiiis dans le Saint Julien,
etc.
La seconde classe comprend des désinences de la première personne
du singulier des prétérits en avi et du futur : cette seconde classe
comprend beaucoup plus d'exemples que la première ; comme nous
l'avons vu, le premier exemple se rencontre dans le Roland d'Oxford ;
on en trouve par la suite un grand nombre dans Horn, Boeve, Ipo-
médon. Foulques Fitz Warin et aussi en dehors de la littérature.
On peut considérer comme une graphie de Va (cf. plus haut
LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 755
iiiovca, etc., p. 574) les formes si nombreuses en ea qu'on trouve prin-
cipalement pour le verbe faire et le verbe plaire : le premier exemple
de fearc que nous ayons relevé se lit dans les Parliamentary Writs
de 1297; phase ne se rencontre que plus tard et principalement
dans les Year Books. Au participe passé, on trouve feat dans les
Parliamentary Writs (1299), et partout dans les Year Books, treat
dans le Liber Albus (1345). Eai, comme dans fcail (Documents
Inédits), est plus rare, et aei ne se rencontre guère que dans Angier;
il en va de même de ae qu'on trouve dans placsf, tracst, tacsl, tous
les trois dans Angier.
Ces différents changements proviennent tous de l'évolution plus
ou moins normale de la diphtongue ai et de la voyelle a. Nous
passerons maintenant rapidement sur ceux qui sont communs à cette
diphtongue avec (7 et e.
Ai s'assimile de très bonne heure à ci (voir plus haut), quoique
certaines formes en ai à l'origine soient très peu employées avec la
diphtongue ei. Les premières personnes du prétérit et du futur en ei
sont relativement rares ; feintes n''est pas très commun et il en va de
même pour les autres formes ; feire par exemple n'est jamais assuré,
eifei (fac) n'apparaît qu'une seule fois (Saint Laurent). Néanmoins,
comme ci, ai donne i (par exemple//^ dans les Annales de Burton)
ou ie (comme trieti, Parliamentary Writs 1299) et plus rarement
encore oi (prétérit de I dans Angier).
Le passage de ai à e est beaucoup plus fréquent ; les exemples
sont très communs en dehors de la conjugaison et ce changement
nous explique les (ormes fcrc, fel, vet, ve (va). C'est de cette voyelle
que proviennent les graphies suivantes : ee (attreel^. Liber Albus ;
fect:{, Statutes 1278); c:( (dans les premières personnes que nous
avons rencontrées dans les Lettres de Jean de Peckham).
Comme on le voit, les changements sont nombreux et ils suf-
fisent à eux seuls à expliquer la diversité des formes que les temps
et les verbes qui ont à l'origine la diphtongue ai ont prises.
On. — Nous savons que l'anglo-français qui fait passer 0 à ou pré-
sente aussi de nombreux exemples du phénomène opposé. On donne
quelquefois 0, comme le montrent Stimming (Boeve de Haumtone,
p. 189), Suchier (Voyelles toniques, p. 58, § 20 b), Busch
( P- 24)-
756 l'évolution du verbe en anglo français
Cette transformation de la diphtongue nous explique les chan-
gements qui surviennent à l'imparfait des verbes de la première
conjugaison dès le commencement du xii^ siècle (Psautiers, Gaimar,
ms. du Bestiaire) et pour les troisièmes personnes des prétérits en
/// de la première classe. En même temps, le nombre assez restreint
d'exemples que la plionétique générale nous fournit pour ce chan-
gement de la diphtongue nous explique pourquoi les formes en o
pour ces deux temps ont été, somme toute, assez peu communes.
Ue. — La monodiphtongue m a reçu un nombre considérable de
graphies, environ une dizaine, comme le montrent les exemples cités
par Suchier, dans ses Voyelles toniques, page j6, § 28 c (tio, oe, 0,
0, eo, 0, u, i) et Stimming à la page 208 (cf. aussi page 207) de son
édition de Boeve (jie, u, eo, e, on, eu, 0/). Toutes ces graphies se
retrouvent dans le verbe et la phonétique générale anglo-française
suffit pour expliquer les tormes si nombreuses et à première vue si
différentes que nous avons citées pour le présent de l'indicatif des
verbes pouvoir, estovoir, vouloir : ptiet, poct^ pot, peot, pont, piiit,
poit, put, pet, poiet, peut. La série est absolument complète et il n'y a
aucune de ces formes qui ne puisse se rapporter à l'un ou à l'autre
des exemples qui sont cités dans les deux ouvrages que nous venons
de mentionner.
Voilà les formes que nous rencontrons dans ce que nous appelions
tout à l'heure la première catégorie. Nous avons passé très rapide-
ment et cependant nous avons expliqué un nombre assez considé-
rable de formes employées dans la conjugaison. Malgré nous, cette
première catégorie a peut-être pris ici un développement trop grand.
Nous ne le regrettons cependant pas ; les quelques pages qui pré-
cèdent ont au moins servi à montrer que le développement phonique
normal de l'anglo-français a été la cause d'une très grande part des
changements qui ont affecté la conjugaison et l'établissement de ce
fait nous compense bien de quelques longueurs et valait bien la
place que nous lui avons donnée. Ensuite dans les formes que nous
avons ainsi expliquées, il y en a déjà quelques-unes qu'un examen
superficiel aurait pu faire considérer comme des formes analogiques
{escharnicrcnt, soent, preysi,poul), etc.
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 757
SECONDE ET TROISIEME CATEGORIES
Nous avons plus haut expliqué quels phénomènes phoniques nous
rangions dans deux catégories distinctes: les phénomènes phoniques
dont l'importance est surtout considérable pour le verbe ; les phéno-
mènes dont l'origine phonique n'est pas aussi évidente. Les diffé-
rentes questions que soulève l'examen de ces deux catégories sont
de la plus grande importance pour l'histoire de la conjugaison en
anglo-français. L'ordre dans lequel nous les annoncions nous semble
l'ordre logique, mais il nous sera plus facile de commencer par la
troisième catégorie.
La question principale que nous allons par conséquent traiter
tout d'abord, c'est la confusion dans certaines conditions et jusqu'à
un certain point des trois sons : e, i, et ; et elle suppose plusieurs
faits :
1° Confusion de e et de / devant r.
2° Confusion de e et de / dans une autre position.
3° Confusion de e avec et.
4'^ Confusion de / avec et.
Nous nous rendons compte que pour traiter ces quatre points,
nous aurons à revenir sur des questions que nous avons déjà traitées ;
mais cette distinction nous a semblé l'unique moyen de mettre en
évidence quelques faits de la plus grande importance pour l'anglo-
français.
Il faut aussi comprendre que quand nous parlons de confusion,
nous ne voulons pas dire que les sons qui se sont confondus ont
été pris d'une façon absolue et sans exception les uns pour les
autres. Cela reviendrait à dire que ces trois sons se sont réduits à
un seul, ce qui est fort loin de notre pensée. Ce qui, à notre avis,
est arrivé, c'est que ces trois sons ont varié tellement qu'ils ont pris
à Toccasion des valeurs analogues qui ont le plus souvent été tra-
duites par des graphies plus ou moins exactes. Il n'y a pas eu confu-
sion dans le sens où l'on peut dire que la diphtongue ai s'est con-
fondue avec ei\ il y a eu plutôt des points de contact entre ces diffé-
rents sons et la. voyelle e fermé a été le son intermédiaire où les
deux autres se sont rencontrés.
7)8 l'évolution du verbe en anglo-français
A. Voyelles et diphtongues.
Confusion de e, i, ei.
I. Confusion de e et de / devant r (infinitif et troisième per-
sonne du pluriel du prétérit). LV fermé long tonique passe très tôt,
semble-t-il, et assez fréquemment à / devant la consonne r ; le
scribe du manuscrit de Londres du Voyage de Saint Brandan (1167)
nous en donne un premier exemple : esperir, pour l'infinitif et
alirent pour le prétérit. Ces deux exemples semblent toutefois isolés
au xii^ siècle, et ce n'est que pendant le siècle suivant que nous
rencontrons des cas vraiment nombreux et assurés du passage de la
désinence er à //' ; ils montrent néanmoins que vers 11 67, l'anglo-
français tendait à faire remonter Vc fermé vers /, ou à faire des-
cendre / vers Ve fermé. Nous avons cité pour l'infinitif les exemples
nombreux que nous fournissent au siècle suivant les rimes du Roman
des Romans, du Manuel des Péchés, des Distiques anonymes. A
la même époque, les troisièmes personnes du prétérit de I ne sont
pas rares avec la terminaison irent (voir par exemple Dermod,
la Genèse, etc.). Il en va de même au siècle suivant. En dehors de
la httérature, des formes analogues sont à peine moins communes,
sauf pour certains verbes, ce qui nous ferait croire que c'est sur-
tout l'analogie s'ajoutant à l'action phonique qui amène à cette
époque les verbes de I à la forme de l'infinitif de II. Les prétérits
sont peu nombreux, et croyons-nous, confinés aux textes litté-
raires.
Il en est tout autrement pour le phénomène contraire; le premier
exemple que nous relevions du passage de / à ^ dans le verbe se
trouve encore dans le Voyage de Saint Brandan et doit être attribué
au scribe ; cependant Guischart de Beauliu nous fournit pour l'in-
finitif une rime qui nous permet de placer ce passage à la fin du
xii^ siècle, à peu de distance par conséquent du phénomène précé-
dent. Les formes correspondantes sont encore mieux assurées pour
le prétérit, troisième personne du pluriel, car on en trouve des
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 759
exemples, non seulement dans Saint Brandan, mais dans le Psautier
d'Arundel et dans le Saint Gilles.
Pendant tout le xni^ siècle, ces formes abondent ; les rimes que
nous avons citées se rencontrent dans un très grand nombre d'au-
teurs : Robert de Gretham, Boeve de Haumtone, la Genèse, le
Roman des Romans, William de Waddington et beaucoup
d'autres. Nous avons même vu qu'au xiV' siècle, le nombre d'infi-
nitifs en ir et de prétérits en irent a diminué au point de disparaître.
Et il en va de même pour les ouvrages qui n'appartiennent pas à la
littérature.
Mais nous devons remarquer ici ce que nous appelions dans notre
première partie les rimes douteuses et qui sont pour nous les
rimes significatives. Ce sont celles qui accouplent une forme en er
avec une forme en ir. Celles que nous avons tout d'abord rencon-
trées chez les scribes du xni^ siècle ont pu nous sembler à
première vue le résultat d'une négligence ; mais nous n'avons pas
pu nous empêcher de remarquer que ces rimes se multipliaient sous
la plume des scribes : on trouve finierent rimant avec dcsceiiderent
dans la Genèse ; oyerent avec départirent dans le Saint Edmund ;
oyereiit avec tendirent dans le même poème ; siverent avec virent
dans le Dermod ; ensechir avec foillier dans l'Antecrist ; plitrir avec
sitstenir dans la Lamentation ; escoltir avec oier dans le poème du
Prince Noir, pour n'en citer qu'un tout petit nombre. Ce mélange
des sons a lieu exactement comme si, pour ceux qui écrivaient, il
n'y avait que peu ou pas de différence entre e et / devant r. Et notre
opinion est qu'en réalité, la difl^érence était devenue de plus en
plus petite depuis le commencement du xni^ siècle.
On connaît l'action particulière de l'r sur les voyelles françaises ;
comme le dit M. Nyrop, « la consonne roulée r, qu'elle soit den-
tale ou uvulaire, a une action ouvrante sur la voyelle précédente"».
Dans un dialecte comme l'anglo-français, où les influences conser-
vatrices, au point de vue des sons, étaient réduites à un minimum,
il est évident que cette action de Vr a été plus vivement sentie que
dans n'importe quel autre dialecte. Il en est résulté un double phé-
nomène, dont le premier nous retiendra seul ici (nous reparlerons
un peu plus bas du second) : / en s'ouvrant passe à e fermé. Il est
I . Grammaire J, p. 241, 5 244.
760 l'évolution du verbe en anglo-français
possible que les formes qui présentent un i irrégulier, formes assez
peu nombreuses du reste, nous montrent un phénomène de réaction,
et cela expliquerait pourquoi on les rencontre surtout dans les der-
nières années du xii* et au xiii^ siècle. Ceci du reste importe peu ,
des deux changements, le plus important est sans contredit celui
qui nous montre le passage de i à e.
Cet échange de voyelles se remarque ailleurs que devant r,
quoique Torigine phonique de ce changement nous semble moins
évidente dans les exemples que nous allons maintenant donner. E
passe encore à i dans un certain nombre de participes passés, assez
peu nombreux. Nous avons cité les exemples que nous fournissent
le Saint Edmund (à la rime), la Plainte d'Amour (à la rime),
William de Waddington (à la rime). Il y en a encore quelques
autres ; citons surtout remis pour reines qui nous paraît un phéno-
mène phonique ; mais ils peuvent tous passer pour des phénomènes
d'analogie. Il n'en va pas de même pour le phénomène opposé.
Les exemples qui nous montrent le passage de / à e sont aussi
nombreux que variés. Nous n'insisterons pas sur les participes en i
qui ont passé dans la classe des participes en e; on pourrait soute-
nir, sans trop de difficulté, que ces participes ont subi l'influence de
leur infinitif ; et cela est très probable, quoique nous penchions à
croire que ces formes ont une origine indépendante de celle de leur
infinitif. Mais nous avons encore d'autres formes pour lesquelles
nous ne concevons aucune hésitation. D'abord un certain nombre
de prétérits en si, comme destrent pour disfreul, forme très fré-
quente et très ancienne en anglo-français (Psautier d'Arundel,
Folie Tristan, etc.); mcstrent, qui est moins commun, est tout aussi
ancien, puisque cette forme se trouve dans les Quatre Livres des
Rois ; prestrent se trouve encore dans les Royal Letters Henry III
à la date de 1268. Nous avons cité encore /<';^ (feci), fest (fecit),
prest. Le participe passé de querre subit le même changement : qnes
se lit dans Wil. Rishanger, à la rime dans Dermod, dans les Traités
de Rymer. Citons encore mentes pour mentis qu'on trouve dans
Boeve de Haumtone. M. Suchier (Voyelles toniques, p. 42, § 17 d)
veut expliquer par l'analogie mestrent pour mistrent ; il est difficile
d'étendre cette explication, vraisemblable pour une forme isolée, à
toute une série de formes aussi dissemblables que celles que nous
avons citées. Il est plus naturel d'admettre que / n'a pas seulement
LES CHAKGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE yél
passé à '.' devant r, mais que chaque fois que cette voyelle était
entravée, surtout par s, elle s'est ouverte au point de pouvoir rimer
en e fermé ' .
De la même façon, nous expliquerons les formes assez nom-
breuses qui nous montrent un / protonique passant à e. Les nom-
breux futurs d'inchoatifs que nous rencontrons sous la forme era
peuvent appartenir à cette classe, quoiqu'il nous semble possible
que leur e soit un c muet. Mais nous n'avons aucun moyen de
contrôler la valeur de cet e. La seule raison qui puisse nous faire
considérer cet e comme un e fermé, c'est que les verbes qui le
prennent le conservent très régulièrement. Si nous avions affaire à
un (' muet, il est plus que probable que cet e muet recevrait le
même traitement que 1'^^ muet des verbes de I et des verbes non
inchoatifs. Sans aucun doute possible, nous apercevons dans les
imparfaits du subjonctif des verbes de I un passage de / à ^ : tro-
vesse^, nioillesse^. Il nous semble donc que ce phénomène purement
phonique que nous venons d'exposer a eu une action considérable
sur la conjugaison du verbe, puisqu'il a fait disparaître presque
tous les infinitifs en ir, et les troisièmes personnes du pluriel régu-
lièrement en irent, aussi, directement ou indirectement, presque
tous les participes en / ; et qu'il a aussi changé la forme de plu-
sieurs prétérits participes passés en si, et celle des imparfaits du
subjonctif des verbes de L
2. Confusion de e, i avec f/ devant r. — Le mécanisme du pas-
sage de //' à er nous aidera à nous rendre compte du passage de er
(ir) à eir et vice versa.
Nous parlerons d'abord du plus important de ces phénomènes:
le passage de eir à er; on admet généralement que ce passage est
surtout un phénomène d'analogie Çd'. Suchier, Voyelles toniques,
p. 30, § 30 b, et P. Meyer, Introduction aux Contes de Nicole
Bozon, p. Ixiij). Nous ne voulons pas dire que l'analogie n'a joué
aucun rôle dans ce phénomène, le plus important peut-être et le
plus caractéristique de l'anglo-français ; mais nous pensons et
nous allons tâcher de montrer que ce changement a été avant tout
phonique.
I. Cf. Stimming, Boeve de Haumtone, page 188, où les exemples suivants
sont cités : merce,. Jetés (dicitis), peyseble, artequels, reche, estref, escles, sere . On
pourrait citer un nombre d'exemples beaucoup plus considérable montrant qu'en-
travé, mais spécialement devant r et 5, / se ferme cl passe à e.
762 l'évolution du verbe en anglo-français
Nous avons déjà, sans nous y arrêter, donné deux raisons, à
priori, qui nous semblent rendre probable la nature phonique de
ce changement ; évidemment, les preuves de cette nature sont assez
peu satisfaisantes et ne sauraient emporter la conviction. La pre-
mière est la suivante : si le passage de eir à er était analogique, on
s'attendrait h voir les formes analogiques gagner du terrain dans
la conjugaison des verbes qui y sont soumis; c'est le caractère géné-
ral de l'analogie, surtout en anglo-français. Or, dans le cas actuel,
nous ne trouvons rien de pareil : les infinitifs de III en er datent de
la seconde moitié du xii% ou, au plus tard, de la fin du même
siècle ; à cette époque les imparfaits en ou étaient encore fort com-
muns; or, nous ne trouvons aucun verbe de III avec un imparfait
de cette forme. Même un demi-siècle plus tard, alors que la termi-
naison des imparfaits de I se trouve assez fréquemment employée
pour les verbes des autres conjugaisons, une seule classe ne prend
jamais ou ne prend que très rarement cette forme : les imparfaits des
verbes de la troisième conjugaison.
Un autre temps a une forme spéciale dans les verbes en er : le
prétérit. Il se trouve encore que la plupart des verbes en anglo-
français prennent plus ou moins fréquemment la forme de ces pré-
térits ; les derniers à le faire et les plus rares, ce sont encore les
verbes de III. L'analogie, à qiii d'ordinaire on ne fait pas facilement
sa part, n'aurait donc agi que sur une seule forme du verbe.
Nous trouvons un autre argument du même genre sur lequel
nous avons assez longuement insisté et qui n'avait pas échappé à
M. Meyer, quoiqu'il en tire argument pour sa théorie de l'analogie.
Ce fait est la différence de date entre les premières formes en er
pour ces infinitifs chez les scribes et les auteurs. Les premiers
emploient cette terminaison dès 11 50, les seconds vers ou après
II 80. On peut, il est vrai, considérer que pour les infinitifs de III
pendant un certain temps la terminaison er a été considérée comme
incorrecte; mais les auteurs anglo-français, certains d'entre eux
spécialement, sont-ils de tels puristes qu'ils se refusent à employer
une forme assez commune. à leur époque ? Et est-ce que cette diffé-
rence entre la langue des scribes et celle des auteurs pendant une
trentaine d'années ne nous montre pas aussi clairement que possible
que c'est justement pendant ce laps de temps que la diphtongue
s'est trouvée en voie de transformation ? C'est exactement ce que
LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 763
nous avons remarqué en étudiant le passage à er des infinitifs de IL
Les scribes entendent au lieu de ir (et pourquoi pas de eir ?), le son
er, avec un e très fermé (ou très ouvert), et ils écrivent ce qui leur
semble exprimer le mieux le son qu'ils perçoivent : er. De leur
côté, les auteurs plus instruits sentent une différence entre le nou-
veau son en er et le son normal et ils ne les font pas rimer
ensemble.
Mais ces raisons a priori, quelle que soit leur valeur, ne sont pas
très convaincantes puisqu'on peut plaider avec elles le pour et le
contre et qu'elles n'apportent que des présomptions ; mais nous avons
mieux que cela pour soutenir la théorie de l'origine purement
phonique du changement qui nous occupe. Le mécanisme de ce
changement nous semble même très clair.
Il repose sur deux faits ou suppose deux choses :
a) Ei de la terminaison de l'infinitif c/r passe à ê ouvert au moment
même où
h) e, dans la terminaison er, passe lui-même, à l'occasion sinon
toujours, à e ouvert, ce qui établit l'identité occasionnelle des deux
terminaisons.
Nous n'admettrons pas cependant que ces deux terminaisons,
surtout celle des infinitifs de I, soient toujours en e ouvert ; il y a
eu certainement des flottements et des hésitations à l'infinitif entre
la valeur ouverte et la valeur fermée pour ces deux voyelles, même
au xiii^ siècle : la prononciation n'a pas été fixe et il n'y a rien
d'extraordinaire à trouver cet infinitif, pour des verbes de l'une ou
de l'autre de ces conjugaisons, rimant en e fermé; nous ne voulons
pas établir la valeur absolue de la voyelle dans cette terminaison.
Tout ce que nous voulons dire, c'est que, entre 1150 et la fin du
xii= siècle, dans un nombre de cas assez considérable, les deux sons
vocaliques ei et e fermé devant ;- se sont rencontrés dans la valeur
d'un e ouvert ; ils ont par conséquent pris la même graphie et
rimé. L'analogie a pu intervenir après mais n'a pas agi avant.
Il s'agit maintenant de montrer que cette explication n'est pas
contredite par la phonétique anglo-française, mais au contraire est
entièrement d'accord avec elle.
a) Le passage de ciàe ouvert est clairement attesté pour le com-
mencement de la seconde moitié du xii'^ siècle, et même avant.
764 l'évolution du verbe en anglo-français
On en trouve des exemples pour des noms de lieu dans le Domes-
day Book, comme on le voit dans Tétude qui se trouve au tome VIII
delà Zeitschrift, p. 358 (ou dans Ueber das franzôsische Sprachele-
ment im Liber Censualis, de Hildebrand, page 38, §4). On en
trouve dans l'Estorie des Engleis, par exemple aux vers 1202, 2409,
4320; au vers 31 du Roland d'Oxford. M. Stimming en donne
plusieurs exemples dans son édition de Boeve de Haumtone à la
page 197; on peut voir aussi Behrens, Zur Lautlehre, page 138.
Même M. Suchier l'admet, dans ses Voyelles toniques (page 91,
§ 30 b, et page 92, lignes 9, 21). Les cas ne sont pas extrêmement
nombreux, quoiqu'il y en ait plus que M. Suchier ne le suppose,
mais ils suffisent pour montrer que les infinitifs de III ne sont pas
les seuls exemples de ce phénomène. Ajoutons aux exemples que
nous avons donnés et à ceux qui se trouvent dans Stimming, é'tv pour
eir (heredem), qu'on lit dans les Art. Guill., au volume IX de la
Zeitschrift, page 83.
On pourra cependant se demander pourquoi les exemples du pas-
sage de et à couvert ne sont pas malgré tout plus communs pendant la
seconde moitié du xii^ siècle; nous en trouvons une raison qui nous
paraît très suffisante. A cette époque, ei hésitait entre les deux
valeurs e ouvert et ai ; pour une cause ou pour une autre, l'anglo-
français n'a pas adopté les infinitifs en air (cette forme se trouve
plus tard, mais seulement pour certains infinitifs, dans Robert de
Gretham, et pour les noms verbaux tels que poair) ; et les infinitifs
en oir sont de date plus récente (pour ces derniers, nous verrons
plus tard qu'ils sont une importation du continent). Il a préféré
pour les infinitifs de III et dans plusieurs autres cas, en nombre
qui n'est pas négligeable, la valeur de e ouvert pour la diphtongue ei.
Il est donc tout au moins probable que dans la terminaison cir de
l'infinitif, c'est l'évolution phonique normale qui a donné à la
diphtongue ei la valeur d'un couvert ; il est absolument inutile de
faire intervenir ici l'analogie.
/') Notre second point offre encore moins de difficultés.
M. Suchier a constaté, dans les Voyelles toniques, que devant r
l'anglo-normand hésite entre couvert et c fermé, et il cite des rimes
de Fantosme qui le montrent clairement (cf. page 74, § 27 e).
Ajoutons, pour la même époque, la laisse de Guischart de Beauliu
qui fait rimer en ai, c'est-à-dire en e ouvert, fraire. maire, paire.
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 765
Ce n'est du reste pas le seul cas où ce changement se produise, la
nature de cet e fermé change de la même manière devant /(op. cit.,
page 45, § 17 Q.
On pourrait du reste admettre, toujours avec M. Suchier, que la
terminaison er (avec e ouvert), en particulier, ajouterions-nous,
lorsque cet c ouvert provient de ei, passe quelquefois à er (avec un
(' fermé). (Cf. Voyelles toniques, page 35, § 1 5 c). Nous croyons
au contraire que même dans les cas que M. Suchier a tirés
de Modwenne (loc, laudato),- c'est \'e fermé qui a passé à Ye ouvert,
et ainsi nous pourrions les ajouter cà ceux que nous citions au
paragraphe précédent. Cette explication serait plus conforme à ce
que nous connaissons de l'action de IV sur la voyelle qui la précède.
Nous irons même plus loin : dans bien des cas, même lorsque
cette voyelle n'est pas soumise à l'action de l'r, elle prend une
valeur ouverte. Et nous en trouvons de nombreux exemples dans
la conjugaison : dès le xn^ siècle, et jusqu'à la fin du xiv"-', nous
rencontrons ci écrit pour e ; or, comme nous le disions tout à
l'heure, ei, à partir de 11 50, a pris, au moins de temps en temps et
dans certains cas, la valeur d'un e ouvert, et nous ne pouvons guère
attribuer une autre valeur à la diphtongue irrégulière que nous
trouvons dans les deuxièmes personnes du pluriel, et dans les parti-
cipes passés en c.
C'est de cette façon que nous nous expliquons les formes du
ms. A de l'Alexis Çaporteit), du Psautier d'Arundel (esJeveis), du
ms. R de l'Estorie des Engleis, et plus tard de Boeve de Haumtone
(/ra~), d'Aspremont (it'/-^), des Mem. Pari. 1305 (p«^/~). Cette
explication s'applique à seit pour set, si commun entre 1 1 50 et 1250.
Ces formes, disséminées sur toute l'étendue de la littérature anglo-
française, montrent, croyons-nous, que Ve fermé, contrairement à
ce qu'on pense d'ordinaire, tendait à prendre et a pris effectivement
la valeur ouverte. Il est au moins assuré qu'il l'a prise assez
fréquemment, et cela nous ferait considérer qu'à l'infinitif des
verbes de I nous avons des transformations analogues du son
étymologique.
L'objection la plus forte qu'on pourrait formuler contre cette
explication est celle qui est tirée de la phonétique anglaise {ci. ten
Brink, the Language and Mètre of Chaucer, page 55); mais ten
Brink admet lui-même des exceptions et cite des exemples qui
jéé l'Évolution du verbe en anglo-i-ka\çais
montrent un e ouvert du moyen anglais provenant d'un e fermé
français (op. cit., page 56). De plus, de quelle valeur peut être cet
argument qui compare des formes de dates aussi différentes ;
nous nous occupons de la valeur d'une voyelle à la fin du xii"^
siècle ; ten Brink la prend, dans une langue différente, à la veille
du xv=.
Beaucoup de changements se sont produits entre ces deux dates,
et la confusion que tout le monde semble admettre entre e ouvert
et e fermé a bien pu se résoudre en deux siècles d'une façon diffé-
rente de celle que le commencement même de cette confusion aurait
pu laisser prévoir.
Au fond, ce point n'a qu'une importance secondaire pour nous.
Il nous suffit que la confusion entre le son ouvert et le son fermé
de e dans la terminaison er se soit produit dans la seconde moitié du
xii^ siècle ; et même cette confusion est nécessaire pour notre thèse,
car seule elle explique comment, à un même moment, l'infinitif des
verbes de I a pu rimer avec Ve provenant de / et avec celui qui
remonte à la diphtongue ei.
Voilà donc comment nous expliquons le changement de désinence
des infinitifs de III : ei passant à e ouvert, e hésitant entre e ouvert
et e fermé.
Cette explication peut couvrir tous les faits que nous connaissons
et que nous avons exposés dans notre première partie; elle explique
encore pourquoi, au début, les rimes entre infinitifs de I et infinitifs
de III sont si rares; pourquoi, même au commencement du xiii^
siècle, certains auteurs qui observaient la différence entre les deux
valeurs de Vc ont pu éviter de faire rimer entre eux les infinitifs
de ces deux conjugaisons ; pourquoi enfin nous ne trouvons que
très tard la terminaison cr des infinitifs de III rimant avec la termi-
naison er des infinitifs de IL
Ajoutons^ pour être juste, que nous pensons que l'analogie a pu
hâter le changement; qu'elle a pu même intervenir, nous ne le
pensons pas, pour aiguiller la diphtongue ei vers e ouvert plutôt que
de le laisser évoluer avec le plus grand nombre des exemples vers
ai. Mais son rôle n'a été que très secondaire et n'a eu pour résultat
que d'activer la transformation phonique.
La même évolution phonique peut se remarquer dans un certain
nombre d'autres formes verbales, et ici, comme l'action de l'analogie
LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 767
ne pourrait pas être invoquée, nous trouvons le meilleur des argu-
ments pour le passage dans la conjugaison de la diphtongue ei à e
(ouvert). Les exemples que nous en avons relevés se rencontrent
presque aussi tôt que les cas qui montrent les infinitifs de III prenant
la désinence des infinitifs de la première conjugaison ; on peut
même les dater avec certitude de l'époque qui, comme nous le
supposions tout à l'heure, a vu l'évolution de cette diphtongue. Ce
sont surtout des imparfaits et des conditionnels, et nous en avons
cité un certain nombre qui présentent la voyelle e au lieu de la
diphtongue : le premier cas que nous connaissions se trouve
dans le Voyage de Saint Brandan et doit être attribué au scribe du
ms. de Londres (1167); on en rencontre aussi dans le Psautier
d'Oxford et dans Adgar ; ajoutons encore seiet et seeit, imparfaits de
seoir, qui présentent deux réductions de cette diphtongue et qui se
lisent à deux pages d'intervalle dans les Quatre Livres des Rois
(II, 18, 9 et 24). Le second de ces exemples nous montre la
réduction s'opérant dans le thème du verbe ; du même genre est le
troisième exemple que nous avons relevé dans les Quatre Livres
des Rois : vee (= videat, II, 19, 37). Pour les désinences en ei de
certains subjonctifs, nous n'avons trouvé d'exemple de ce phéno-
mène que beaucoup plus tard.
Le phénomène inverse est beaucoup plus rare, et ici nous ne
proposerons qu'avec beaucoup d'hésitation d'expliquer au moyen
de la phonétique les infinitifs de I qui, dans les Quatre Livres des
Rois {fahleir), prennent la diphtongue^/ ; il est possible toutefois que
le scribe ait voulu exprimer au moyen de cette graphie le son
ouvert que ea. certainement pris de temps en temps au moins devant
r. Quant aux exemples que nous rencontrons dans Angier, ils nous
semblent dus à une influence étrangère.
Nous éprouvons encore de plus grands doutes en ce qui con-
cerne le passage de / à ei : les formes qui nous montrent cette transfor-
mation ne sont pas très nombreuses, et elles appartiennent toutes aux
prétérits en / et en si : les premières de ces formes remontent à la
seconde moitié du xii^ siècle: veist dans le ms. A de l'Alexis et
dans le Psautier d'Arundel; vetrent dans le Psautier que nous
venons de nommer et dans celui d'Oxford ; pour les prétérits en si,
on trouve : fcisl dans le Psautier d'Arundel et dans Robert de
Gretham; ^mf dans le Saint Julien, et un peu plus tard, les formes
feirent, que nous avons citées.
768 l'évolution du verbe ex ANGLO-IRANÇAIS
Nous croyons que nous avons ici une diphtongue ei dont le
premier élément est fermé et qui provient directement de Vi.
Nous n'insisterons pas non plus sur 1'/ qui provient de ei ; nous
n'en avons qu'un petit nombre d'exemples et tous assez tardifs ; ils
datent probablement de la seconde partie du xiir siècle (Edward le
Confesseur, scribe ?, Wil. Rishanger) ou du xiv^' ; il est probable
que les quelques terminaisons en ir = eir ont passé au préalable
par er.
Mais les formes verbales qui nous montrent le passage de e à ei
et de / à cette même diphtongue sont d'une très médiocre impor-
tance ; il n'en est pas de même des phénomènes que nous avons
étudiés auparavant ; il y a entre eux une relation très étroite et
nous pouvons maintenant les exprimer d'une façon plus générale
que nous ne l'avons fait jusqu'ici.
Dans la terminaison er, e hésite entre la valeur ouverte et la
valeur fermée ; en même temps, sous l'influence de l'r, 1'/ de la
terminaison ir se ferme et rime avec l'une des valeurs de la termi-
naison er, tandis que la diphtongue ei passe à e ouvert et rime avec
l'autre valeur de la même terminaison. La distinction entre les deux
valeurs de er n'a pas duré longtemps, si même elle a été clairement
sentie, et les infinitifs des trois conjugaisons ont pu rimer entre
eux. Remarquons seulement que les rimes qui rapprochent un
verbe de II d'un verbe de III sont, comme nous le disions, extrême-
ment rares et tardives. (Voir pour cela notre première partie.)
Nous avons enfin à parler des phénomènes qui, tout en alfectant
d'une façon générale toute espèce de mots sans distinction, ont une
importance particulière pour le verbe. Nous parlerons ici de la
graphie ee qu'on trouve pour toutes sortes d'^ et des changements
qui ont pour principe la voyelle muette.
Ee. — Nous n'avons pas à nous occuper ici de la nature de e't-qui
prend la place de e ouvert et de e fermé', mais nous pouvons
admettre avec Mail et Suchier que cette double voyelle était des-
tinée à représenter le son long de la voyelle simple; cette question delà
I. On peut voir sur ce point Meyer-Lùbke, Grammaire I, p. 175, § 179;
Suchier, Grammaire, p. 89, S 29 f ; Ueber die..., p. 35 ; Litteraturblat III, 16 ;
Zeitschrift III, p. 477; Stimming, Boeve de Haumtone, p. 175 et p. 202;Stur-
zinger, Orthographia Gallica, pp. 40 sqq.; Mail, Cumpoz, pp. 68-69 ; Uhlemann,
Saint Auban, p. 563.
LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 769
valeur de cet ee a cependant quelque importance au point de vue de
la versification ; mais nous n'avons pas trouvé d'élément qui nous
permette de soutenir, en nous servant des exemples que nous four-
nit le verbe, une opinion quelle qu'elle soit. Les premiers exemples
qu'on connaisse de cette double voyelle se trouvent dans une forme
duverbe, danslems. C duCumpoz:iww^, aveent, et dans ces deux cas
la nouvelle graphie tient la place de ie. Mais presqiie aussitôt nous
trouvons des exemples où elle est employée pour représenter un
simple e fermé, comme dans les secondes personnes du pluriel, que
nous lisons dans Chardri, dans Foulques Fitz Warin, dans la Des-
truction de Rome, dans Bozon, dans Nicolas Trivet ; le futur du
verbe faire nous donne le plus grand nombre d'exemples (voir du
reste plus bas), et nous pouvons faire la même remarque
à propos des textes qui n'appartiennent pas à la littérature ; le
nombre des participes passés faibles en é qui se montrent sous cette
forme est aussi très considérable, mais ils nous semblent plus tar-
difs et ne remontent pas plus haut que la fin du xiii^ siècle : ils sont
surtout nombreux dans le manuscrit de la Destruction de Rome.
Il en va de même des infinitifs de I : ils sont peu nombreux, même
en dehors de la littérature, et tardifs : les exemples que nous avons
cités sont pris à Foulques Fitz Warin, à la Destruction de Rome, au
fragment d'une traduction de la Bible.
Même les formes du verbe qui ont eu à l'origine la diphtongue
ai ou ei se rencontrent et assez tôt avec ee\ seet de savoir est très
commun à partir de Saint Auban ; on le trouve dans le Manuel des
Péchés, dans la Manière de Langage, dans la Chronique de Pierre de
Langtoft. Feet, plus tardif, est presque aussi employé ; leest se ren-
contre dans Pierre de Langtoft ; despleet est employé par le scribe
du Petit Plet (xW siècle); vecl, d'aller, par l'auteur ou le scribe
d'Edward le Confesseur; feere se rencontre dans Pierre de Lang-
toft et dans les Rymer's Vo^à^r-à -ygeenst, comme nous l'avons vu, se
trouve dans le Saint Auban. Ces exemples sont relativement
plus nombreux que ceux des autres classes, et c'est justement la fré-
quence de cette graphie pour les différentes diphtongues {ie, ei, ai)
se réduisant en anglo-français à une voyelle simple, qui nous
semblerait le meilleur argument en faveur de la théorie qui regarde
ee comme une simple graphie de n'importe quel e long, ouvert ou
fermé. Cette conclusion a quelque importance pour la conjugaison :
49
770 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO- FRANÇAIS
en effet, si^^, dans le cas des infinitifs et des participes passés de I,
indique un e fermé long, nous pouvons croire que cette graphie a
résulté d'une tendance à conserver à ces deux terminaisons leur
valeur propre ; elle suppose donc par là même que IV dans ces ter-
minaisons a pu prendre une autre valeur.
Ue atone a été la cause d'un nombre considérable de modifications
dans la conjugaison ; de toutes les causes que nous avons exposées
ou que nous verrons par la suite, il n'y en a aucune qui ait eu une
action plus profonde et plus étendue que celle dont nous avons à
parler maintenant. Et nous croyons que les quelques faits que nous
allons signaler et les réflexions que ces faits nous suggèrent expli-
queront ou aideront à expliquer un certain nombre de points encore
obscurs de l'anglo-français.
Nous diviserons cette étude en trois parties :
1° Les graphies de Ve atone.
1° Chute d'un e atone étymologique.
3° Addition d'un <:> atone.
La première partie montrera que les Anglo-Français ont vite perdu
le sens de la valeur intrinsèque de 1'^ atone ; les deux autres, qu'ils
avaient perdu le sens de son emploi, et qu'ils n'ont jamais bien
perçu la différence entre la voyelle atone et la détente vocaliquequi
se produit dans certains cas.
L Graphies de l'e atone.
Nous n'insisterons pas sur toutes les graphies que l'e atone peut
prendre en anglo-français ; qu'il nous suffise de dire que toutes les
voyelles et plusieurs diphtongues peuvent prendre cette valeur, au
moins dans certains cas. A se trouve après la tonique devant la
consonne nasale n, comme dans les exemples de troisièmes personnes
du pluriel féminines que nous avons rencontrés dans Boeve; la ter-
minaison muette ant est du reste très rare. Avant la tonique, on
rencontrera savara dans les Literae Cantuarienses (i33))-
I est plus commun avec cette valeur et ne se rencontre pas seule-
ment à la troisième personne du pluriel ; la seconde personne du
pluriel nous donne plusieurs exemples (estis), sur lesquels nous
aurons à revenir. A la troisième personne du pluriel, nous avons
LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VEKBE 77 1
cité : vindrint^ siglint, deniorirint, t'uidrint, issint, 'pJcindrint, distrint
et quelques autres ; les exemples que 'nous trouvons montrant un
/ avant la tonique ne sont pas très significatifs, car ils proviennent
tous de futurs qui peuvent être des acquisitions des futurs inchoa-
tifs. Nous verrons plus tard, chapitre m, l'origine des formes comme
esiis; pour les troisièmes personnes du pluriel, remarquons que les
formes qui présentent la désinence int ont le plus souvent (comme
dans les exemples ci-dessus) un / dans le thème; sept fois sur dix
dans les œuvres littéraires.
La voyelle o, comme nous l'avons vu à la troisième personne du
pluriel, est assez fréquente avec la valeur d'une atone (pour l'origine
de cette graphie, cf. chapitre m) ; on ne la rencontre avec cette
valeur après la tonique qu'à la troisième personne du pluriel; avant la
tonique on en rencontre encore un exemple au futur dans snrveiora,
(Liber Rubeus de Scaccario, 1323), àdiXis donorons (Royal Letters
Henry rV, 1339).
[7 se rencontre aussi, et plus fréquemment que toutes les autres
graphies, à la première personne du pluriel (désinence féminine) et
à la troisième personne du pluriel (désinence féminine). Nous
aurons du reste à reparler de l'origine de ces formes. On trouve
quelques rares exemples de cette voyelle employée avec cette valeur
ailleurs qu'après la tonique : gustura dans Robert de Gretham, assen-
ttirei dans les Statutes ; mais dételles formes sont rares.
Les autres graphies n'ont pas la même importance; nous avons
vu que ou est assez commun, mais ne se trouve que comme un
succédané de //et seulement à la troisième personne du pluriel, sauf
dans les deux exemples de Rymer 1349 : faissout, puissoiit. Ee se
rencontre au singulier : soffrec (Statutes, 13 11) et au pluriel:
ansteent (Saint Auban) ; il en va de même pour eo : faceo (Statutes,
12?>Ç), deschargeront (Si^iwiQs, 1323), jureoiit, chivacheont (Rymer).
£3; comme atone est isolé : dciiiorgey{Kymev, 1300), peut-être aussi
ftiysseint.
Ces graphies si variées de la voyelle atone dans des positions si
différentes montrent tout d'abord que les écrivains anglo-français ne
savaient certainement plus comment se prononçait l'atone, et ils
lui attribuaient ditlcrentcs formes, suivant leur flintaisie. Si on réflé-
chit aussi au nombre considérable de troisièmes personnes du plu-
riel que nous avons citées précédemment et montrant toutes sortes
772 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
de voyelles et de diphtongues, on pourra penser, comme nous le
disions tout à l'heure, que la distinction entre les sons nasaux ne
s'était pas non plus trop bien conservée.
IL Chute et addition d'un e atone.
L'anglo-français nous montre à une date très reculée et jusqu'à la
fin du xiv^ siècle, un double phénomène qui n'a pas peu contribué à
modifier profondément la conjugaison : tantôt il fait disparaître un
e atone étymologique, tantôt, il ajoute une muette parasite ; ces
deux phénomènes contradictoires ne peuvent s'expliquer que comme
les résultats d'une seule tendance et les effets d'une même
cause.
Nous distinguerons en trois groupes les exemples dont nous
avons à nous occuper maintenant : dans le premier, nous mettrons
ceux qui nous montrent la chute ou l'addition d'un c atone en
position finale après une consonne : dans la seconde, nous verrons
la chute et l'addition d'un e atone en hiatus ; dans la troisième, la
chute ou l'addition d'un e interconsonantique.
I. Premier groupe. — Chute et addition d'un e atone
en position finale après consonne.
Chute d'un e atone étymologique. — Nous pouvons remarquer que
toutes les muettes finales qui suivent une consonne peuvent disparaître
en anglo-français ; c'est surtout aux troisièmes personnes du singulier
du présent de l'indicatif des verbes de I que cette chute a lieu le plus
souvent et le plus tôt. Les premiers exemples que nous en ayons ren-
contrés datent du commencement de la seconde moitié du xii'^ siècle ;
les tout premiers sont des présents de l'indicatif des verbes de I; on
trouve aussi à quelques années de distance des secondes personnes du
singulier de l'impératif de la même conjugaison ; mais tous ces cas
proviennent également de verbes terminés par une dentale appuyée.
Nous avons cité dans notre première partie un nombre trop consi-
dérable d'exemples pour que nous insistions longuement sur ce
point maintenant. Rappelons, pour le présent de l'indicatif, l'exemple
assuré par la rime dans Gaimar : aquit ; regret dans l'Alexis ; ajust
dans le Roland d'Oxford ; covoit dans le Drame d'Adam. Pour l'im-
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 773
pératif acravent, gart dans la Vie de Sainte Catherine et les exemples
que nous donnent les Quatre Livres des Rois et la Vie de Saint
Gilles.
Tous ces cas de chute de l'atone remontent donc très haut et nous
avons vu que ceux-ci, non seulement continuent, mais ne font qu'aug-
menter pendant le xni^ et le xiV^ siècle. Les subjonctifs en aiii
qui ont ce même thème perdent aussi leur e posttonique plus ou
moins souvent à la troisième personne du singulier.
Il en résulte que, pour ces verbes et aux temps que nous venons
de nommer, la dentale appu3^ée devient finale dans un nombre
d'exemples assez minime au xn^ siècle, mais très considérable par
la suite.
Ce n'est que vers 1250 que les autres thèmes consonantiques
semblent subir pour la première foiscette perte de la voyelle postto-
nique : plnr, siispir se lisent dans la Genèse Notre-Dame; repair à^\'\?>
Pierre de Langtoft ; devour dans les Contes de Nicole Bozon, et
nous pouvons rapprocher de ces troisièmes personnes du singulier
du présent de l'indicatif l'impératif awr qui se trouve à la rime dans
le Saint Auban ; quelques infinitifs -.fer, qner (\ViQ nous avons trouvés
dans quelques auteurs du xiv^ siècle, 'et particulièrement dans les
textes non littéraires.
Les thèmes en // nous ont donné à peu près à la même date les
exemples suivants : dun, dans William de Waddington, dans Wil,
Rishanger ; soun, enclyn, sojorn dans Pierre de Langtoft, etc. ; les
thèmes en s nous montrent au présent de l'indicatif oj- dans William
de Waddington, V'im^éxzûî pens dans le Saint Auban. Pour ces
trois classes de thèmes consonantiques, les exemples sont assez
communs et remontent tous à la même date, ou à peu près. Les
autres thèmes en m, J, 1 mouillée ne nous ont fourni que peu
d'exemples et ces exemples sont tous plus tardifs.
Comme nous le verrons, cette chute de la voyelle étymologique
dans tous les cas que nous venons de citer s'explique fort aisément
par la confusion que les Anglo-Français avaient faite entre la muette
finale et la détente vocalique.
Addition d'un e atone épithctique aux formes consonantiques. — Un
nombre tout aussi considérable de formes terminées régulièrement
par une dentale appuyée prennent un e muet irrégulier. Nous pou-
vons remarquer que presque tous les exemples d'c irréguliers que
774 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
nous avons relevés à la première personne du singulier des subjonc-
tifs en eni proviennent de verbes dont le thème est terminé par une
dentale : cunte., rcciiutc, guarde dans le Psautier d'Oxford ; abilc,
recuntc, parle dans le Psautier de Cambridge ; ahitc, reciinte, visite à?ins
le Psautier d'Arundel ; amende, giiste dans les Quatre Livres des Rois;
cunle dans le Poème sur Edward le Confesseur. A la troisième per-
sonne du singulier de ces subjonctifs en em, il nous est difficile d'éta-
blir un ordre quelconque entre les formes qui nous présentent cet e
qui n'est pas étymologique ; nous avons vu cependant que les
thèmes à dentale qui présentent l'atone sont fort nombreux, mais que
cet ^s'explique par le souci de distinguer la dentale du thème de celle
de la désinence. Cette explication, qui nous semble correcte pour les
premiers exemples que nous rencontrons, ne saurait s'appliquer à ceux
que nous trouvons postérieurement à la chute delà dentale caduque:
cunte dans Edward le Confesseur; amende dans WiUiam de Wad-
dington: grante dans le Saint Auban; aide un peu partout; garde
dans les Heures de la Vierge, Pierre deLangtoft. Et nous pourrions
rappeler ici tous les exemples que nous avons relevés dans les textes
non littéraires.
Ces exemples sont assez tardifs ; ceux que nous fournit la troi-
sième personne du singulier du présent de l'indicatif pour ces mêmes
thèmes sont à peu près de la même date, ou légèrement plus
anciens. Les premières formes qui présentent à cette personne cet e
irrégulier sont toutes des troisièmes personnes du singulier prove-
nant de thèmes à dentale, comme par le, -x la rime dans le Roman de
Philosophie ; consente à la rime dans Deu le Omnipotent ; mette,
départe dans Boeve ; mainte, dans la Lumière as Lais etc. Et ces
troisièmes personnes en te sont assez nombreuses au xiii^ et auxiV^
siècle.
Les autres thèmes consonantiques ne nous fournissent pas autant
d'exemples et dans la plupart des cas ne nous donnent que des
exemples beaucoup plus récents d'addition d'f posttonique. A la
première personne du singulier des subjonctifs de I, nous ne trou-
vons que ailre et désire au xii^ siècle (dans les Quatre Livres des
Rois); ces mêmes thèmes en r nous donnent à la troisième per-
sonne du singulier pour ce même temps espeire danslt Psautier d'Ox-
ford ; le Siège de Carlaverok, pour le présent de l'indicatif, a apere à la
rime. Citons enfin les infinitifs de I et de II qui prennent cette
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 775
voyelle : esfere dans la Genèse ; abaundunere dans les Distiques Ano-
nymes ; penscre, estudiere, ensevelire, beisire, veire, sans mentionner
les exemples en nombre considérable que nous trouvons en dehors
de la littérature.
On pourrait trouver, et nous avons cité dans notre pre-
mière partie, plusieurs autres sortes de thèmes consonantiques
montrant la même muette irrégulière ; nous ne nous y arrêterons
pas maintenant.
L'on voit donc que, dans les ouvrages littéraires comme dans les
textes politiques, diplomatiques, familiers et autres anglo-français,
ce sont les mêmes thèmes qui prennent un e posttonique irrégu-
lier ou qui perdent Ve posttonique régulier qu'ils avaient. On peut
observer en outre que pour tous les exemples que nous avons
donnés de ce double phénomène, ce sont les verbes dont le thème
est terminé par une dentale appuyée qui offrent les exemples les
plus nombreux et les plus anciens. Viennent ensuite les thèmes en
r, ou les formes terminées par r, n ou s. Ceci n'est pas le fait d'une
coïncidence : les deux phénomènes proviennent d'une seule cause,
les Anglo-Français ont commencé, dès la seconde moitié du xn^
siècle, à ne plus savoir distinguer Ye atone de la détente vocalique
qui se fait sentir surtout pour les mots qui sont terminés par une
dentale appuyée. Les écrivains anglo-français commencèrent par
ajouter probablement à certaines formes un e épithétique (ardenie
du Saint Brandan, ou les exemples des Psautiers), mais ils ne l'ajou-
tèrent que très irrégulièrement et finirent, comme on devait s'y
attendre, par le confondre avec Ve atone étymologique. C'est delà
que provient — en partie du moins — l'irrégularité avec laquelle ces
écrivains emploient ou omettent cet c normal ou non^ étymolo-
gique ou épithétique.
2. Second groupe. — Atone en hiatus.
Nous avons à nous occuper de la chute et de l'addition d'un e
atone dues à des causes différentes de celles que nous venons d'exa-
miner, et ici, il nous est impossible d'établir entre les deux phéno-
mènes une relation aussi étroite que celle que nous avons cru décou-
vrir précédemment.
Nous pouvons remarquer la chute d'un e atone étymologique
776 l'ûvolution du verre ek anglo-français
dans- un certain nombre de cas : Ve atone disparaît lorsqu'il est en
hiatus avec la tonique en position posttonique ou protonique ; il
lui arrive aussi de tomber, mais sporadiquement quand il se trouve
entre deux consonnes, même à Tinitiale. Un e atone parasite peut
apparaître dans les deux cas.
Hiatus. — D'une façon générale, on peut dire que l'anglo-fran-
çais a tendu, dès le milieu du xii'' siècle, à faire disparaître les e
atones qui se trouvent en hiatus.
Ceci a lieu d'abord, quoique assez rarement et assez tard, au pré-
sent de l'indicatif, à la troisième personne du singulier ou du plu-
riel ; pour le singulier nous trouvons des exemples assurés dans
Boeve de Haumtone Quere, mercé), à la rime dans Dermod (crï),
dans Pierre de Langtoft (agrè), dans Wil. Rishanger et dans l'Apo-
calypse (ov, présent du subjonctif); mais ces exemples datent tous
du xiii^ ou du xiv« siècle; pour la troisième personne du pluriel,
nous en avons trouvé des exemples qui remontent au moins à la
seconde moitié du xii^ siècle {fuient dans Fantosme). Pour la
seconde personne de l'impératif, il en va de même; nous avons dans
Adgar esmai, von, et au siècle suivant, envei est fort commun (Robert
de Gretham).
Mais, comme nous l'avons déjà fait remarquer, c'est surtout à
l'imparfait et au conditionnel que nous pouvons le mieux étudier
ce phénomène dans tout le développement qu'il a pris en anglo-
français, et nous nous contenterons de rapprocher les résultats que
nous avons déjà obtenus et de les comparer aux autres cas qui
montrent la disparition d'un e atone posttonique en hiatus: comme
précédemment, il n'y a pas d'époque où on ne trouve au moins
quelques exemples isolés des formes étymologiques, quoiqu'elles
soient devenues extrêmement rares vers le milieu du xni^ siècle.
Les premiers cas d'amuissement pour l'imparfait et le conditionnel
remontent à environ 11 60, mais ils restent rares jusqu'à la fin de ce
siècle (première personnedu singulier : Psautier d'Arundel, Psautier
d'Oxford, Fantosme ; troisième personne du pluriel : Adgar, Horn,
Fantosme) ; quoique certains auteurs du xiii^ siècle ne présentent
que des formes régulières, nous remarquons dès le début de ce siècle,
et en particulier chez Chardri, une augmentation considérable et
subite des formes raccourcies ; les présents de l'indicatif et aussi les
présents du subjonctif ne montrent pas cette quasi disparition si
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 777
brusque de la voyelle atone en hiatus; cela est spécial à l'imparfait
et au conditionnel. On doit noter aussi une différence dans le
nombre de formes privées de la voyelle atone régulière : aucune
autre terminaison que celle de l'imparfait et du conditionnel ne se
débarrasse de cette voyelle aussi fréquemment.
Mais, ces deux différences mises à part, et nous ne cachons pas
qu'elles nous semblent fort importantes, Ve atone posttonique a
reçu dans toutes ces terminaisons un traitement analogue.
En position protonique, Ye atone a disparu d'une façon encore
plus régulière, et ici nous nous trouvons en présence d'un nombre
très considérable d'exemples. La synérèse de la voyelle atone peut
s'observer à quatre temps : au prétérit (prétérits en ///, en /, en si\
à l'imparfait du subjonctif (imparfoits du subjonctif en ui, en /, en
si), à l'infinitif de certains verbes, au participe passé (participes en
H, en tum).
Il est fort difficile de donner en peu de mots une idée claire en
même temps qu'exacte de la disparition de la voyelle atone proto-
nique dans tous les cas que nous avons énumérés, et nous ne vou-
lons pas ici entrer de nouveau dans les détails que nous avons
exposés dans notre première partie. Pour dessiner la ligne générale
de cette évolution, nous serons obligés de négliger très souvent des
déviations particulières, et ce qui sera vrai de l'ensemble pourra se
trouver erroné dans le détail.
Remarquons qu'il est probable, sinon certain, qu'on peut trou-
ver dans toutes les catégories ci-dessus des formes où l'hiatus est
conservé jusqu'à la fin du xiv^ siècle ; mais que pour chacune d'elles
la synérèse est devenue la règle entre 1250 et 1350.
Les premiers cas de synérèse se rencontrent tous, à une excep-
tion près, vers iiéo; dans Adgar, pour les prétérits en /// et les
participes en ii ; dans le Psautier d'Arundel pour les prétérits en / ;
dans Thomas pour les prétérits en si; dans l'Estorie des Engleis
pour les imparfaits du subjonctif en /// et en si; dans Jordan Fan-
tosme pour les imparfaits du subjonctif en /; dans les* Psautiers
pour les quelques prétérits en ////// qui présentent un hiatus.
La plupart des auteurs que nous venons de signaler ne nous pré-
sentent évidemment pas d'exemple pour une catégorie seulement,
de sorte que pendant la seconde moitié du xu' siècle, les cas de
synérèse qui, pris isolément, peuvent paraître négligeables, se pré-
778 l'évolution du VHRliR EN ANGLO-FRANÇAIS
sentent en asse;^ grand nombre quand on les rassemble; et si nous
rapprochons ces résultats que nous venons de combiner à ceux aux-
quels nous sommes arrivés en étudiant l'atone posttonique en hia-
tus, nous voyons que cette date de 11 60 marque le commencement
de la disparition de tous les e atones en hiatus.
Ici encore, le nombre de cas de synérèse, déjà relativement con-
sidérable pendant les quarante dernières années du xii'^ siècle, aug-
mente, mais toujours d'une façon très irrégulière, pendant les trois
premiers quarts du siècle suivant. Et s'il fliUait désigner un moment
où le nombre des cas de diérèse atteint son minimum, dont il ne
bougera plus par la suite, nous le placerions à l'époque où écrivait
William de Waddington.
Une seule des catégories que nous avons mentionnées plus haut
montre des exemples de la disparition de la muette à une date sin-
gulièrement plus tardive : ce sont les infinitifs ver, cher, scr qui ne
remontent pas plus haut que le milieu du xiii^ siècle.
Telles sont les lignes générales qu'a suivies l'évolution de Yc atone
en hiatus, soit avant, soit après la tonique ; nous le répétons, nous
négligeons volontairement un grand nombre de détails ; on peut
se rappeler que nous nous sommes attaché à montrer dans notre pre-
mière partie que les formes régulières se rencontrent dans certains
cas très avant dans les textes anglo-français ; nous avons aussi essayé
alors de déterminer quelles personnes présentaient les premières les
formes raccourcies. Ici nous ne nous occupons que de l'ensemble
qui nous montre la diminution considérable des formes normales
entre 11 60 et 1250 environ.
C'est un phénomène général et, autant que cela se peut pour l'an-
glo-français, régulier, qui a tendu à faire disparaître tous les e atones
en hiatus.
Le phénomène contraire est beaucoup plus rare et s'explique pro-
bablement beaucoup moins facilement : l'anglo-français du
xiv^ siècle ajoute à l'occasion un e atone après une voyelle, surtout
à l'infinitif et devant r ; c'est le phénomène que nous avons men-
tionné à propos del'^svarabhaktique, quoiqu'il ne puisse pas s'expli-
quer de la même façon : Nicolas Trivet a estraiere, les Rymer's
Foedera /)/fl!/tT (plaire), rescriere (1357), conduere (1395). C'est pro-
bablement la façon dont les Anglo-Français prononçaient Vr fran-
çaise qui a provoqué cette graphie, qui reste toujours rare.
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 779
L'importance de ce phénomène ne saurait se comparer à celle de
celui qui montre la chute de Ve dans les mêmes conditions.
Nous mentionnerons encore ici les nombreux cas où un e final
est ajouté à certaines personnes régulièrement terminées par une
voyelle; mais il nous semble que toutes les formes qui suivent sont
avant tout des formes analogiques. On trouve cet e final irrégulier
au présent du subjonctif de certains verbes de I qui ont un thème
vocalique comme, pour la première personne, aie dans Adgar ; esmaie
à la troisième personne dans le Voyage de Saint Brandan ; Joed, vivi-
fiet, fc'/MwV/ dans les Psautiers; à difierentes secondes personnes du
singulier: creics dans Robert de Gretham, oycs dans les Heures de la
Vierge. On pourrait ajouter encore ici une première personne du
singulier : die (dico), dont nous avons donné de nombreux
exemples.
Mais encore une fois ces quelques exemples nous paraissent être
des formes analogiques, dont nous redirons quelques mots au cha-
pitre suivant.
3. Troisième groupe. — Atone interconsonantique.
a) Chute de l'atone en position protonique. — Nous ne trou-
vons pas pour la chute de Ve atone interconsonantique des exemples
aussi variés et par conséquent aussi probants que pour celle de 1'^
atone en hiatus ; mais la série que nous allons citer suffira pour
donner une idée fort exacte de l'étendue et de l'importance de ce
phénomène. Nous en trouvons des exemples avant comme après la
tonique et ce sont les e atones protoniques qui disparaissent les pre-
miers. C'est surtout au futur de certains verbes de la première con-
jugaison que ce phénomène se produit le plus souvent et le plus
régulièrement ; le Brandan nous en fournit au moins un exemple qui
doit être attribué à l'auteur (i i lo) et quelques-uns qui ne remontent
qu'au scribe du manuscrit de Londres (1167). Les cas de chute de
la voyelle protonique au futur sont fort communs au xn' siècle et
ils proviennent de thèmes très différents : thèmes à labiale, thèmes
en r, thèmes en w, même thèmes vocahques. Plus tard encore, cet
e tombe et laisse subsister des groupes de consonnes, comme dans
auardrai, treinblnii, menirai; mais ces exemples qui sont peu com-
muns peuvent bien n'être que des lapsus des scribes, car nous n'en
780 l'évolution du vlrbe en anglo-français
avons rencontré aucun qui soit attesté par la mesure du vers. La
tendance que nous avons fait remarquer et qui- consiste à ajouter
dans certains groupes de consonnes une voyelle atone qui en aide
la prononciation trouve ici sa contre-partie; mais cette chute de
l'atone protonique est entièrement limitée à un petit nombre de
formes, dont la plupart remontent au commencement du xii"^ siècle.
Quant à la chute de l'atone au futur du verbe faire, elle a lieu encore
vers iiéo; Adgar, Fantosme, Thomas nous en ont fourni de nom-
breux cas que nous avons cités précédemment et les formes abré-
gées du futur de ce verbe deviennent de plus en plus communes,
jusqu'à devenir, vers le commencement du xiV' siècle, chez certains
auteurs, les seules employées (sauf dans les textes non littéraires).
C'est donc vers 11 60 que la chute de Ve protonique atteint un cer-
tain nombre de verbes.
/») Chute de l'atone en position posttonique. — C'est sensiblement
plus tard que le même phénomène se produit après la tonique; les
premières et les secondes personnes du pluriel féminines se rencontrent
sans muette à la fin du xiii' et au commencement du xiv^siècle : dans la
Destruction de Romeetdansles Contes de Nicole Bozon ; maiscen'est
que dans les ouvrages non littéraires que les exemples deviennent
vraiment communs; dans les Rymer's Foedera, les ^ atones sont
rares pour les premières personnes féminines faibles depuis 1272;
et pour toutes les secondes personnes du pluriel, les formes sans e
se trouvent fréquemment. Néanmoins, on ne doit pas attacher trop
d'importance à ce fait, excepté en tant qu'il montre une tendance
de l'anglo-français : celle de faire disparaître les voyelles atones inter-
consonantiques en quelque position qu'elles se trouvent; mais cette
tendance est combattue, comme nous le disions tout à l'heure, par
l'introduction des e épithétiques et, comme nous allons le voir, des
e épenthétiques. De plus, il nous restera à signaler encore d'autres
cas qui nous montreront l'addition d'un e atone qui ne peut s'ex-
pliquer par aucune des raisons que nous avons données et que nous
classerons parmi les formes analogiques.
c) Atone svarabhaktique, ou épenthétique. — L'c atone que nous
avons appelé svarabhaktique ne diffère pas essentiellement de 1'^'
épithétique dont nous venons de donner des exemples (cf. p. 773) ;
le développem.ent dans le corps d'un mot d'une voyelle épenthé-
LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 78 1
tique est un fait commun en anglo- français et on pourra en trou-
ver plusieurs exemples dans Stimming (Boeve de Haumtone^
p. 179). Mais ce phénomène a présenté à la fois une extension
beaucoup plus grande et une régularité beaucoup plus remarquable
dans le verbe que pour toute autre classe de mots. Deux temps
étaient spécialement désignés par leur forme pour montrer cette
voyelle épenthétique : le futur et le présent de l'infinitif. A l'aide
de ces deux temps, nous pouvons nous faire une idée fort exacte du
développement et de la valeur que Ve svarabhaktique a pris en
anglo-français. Il apparaît à ces deux temps vers le milieu du
XII' siècle; le Psautier d'Arundel nous en donne un exemple de
date assurée pour l'infinitif, et le manuscrit A de l'Alexis ou C du
Cumpoz, de même que le Psautier d'Oxford, nous en fournissent
d'aussi certains pour le futur.
Tout d'abord, cet c atteint surtout les verbes à labiale et quelque
temps plus tard, mais la légère différence entre les dates peut n'être
qu'un hasard, les verbes à dentale appuyée. Il semble probable que
les écrivains qui employèrent cet e les premiers ne lui donnèrent
pas une valeur syllabique ; il fut d'abord ce que les Anglais appellent
« glide », et cela explique que le premier cas que nous trou-
vions d'un e épenthétique comptant pour une syllabe ne se ren-
contre pas avant le xiir' siècle (Edward le Confesseur), pour l'infini-
tif, un peu plus tôt probablement pour le futur (Adgar, Fantosme,
Horn, Vie de Saint Gilles). Il est probable que les auteurs qui nous
donnent des exemples de ces e muets avec valeur syllabique,
exemples en nombre très restreint, ont dû l'employer beaucoup plus
souvent en lui donnant une simple valeur graphique. Ce n'est
guère que vers 1250 que nous trouvons ces e, surtout pour le futur,
comptant régulièrement pour une syllabe.
Certains futurs semblent être spécialement affectés par cette
voyelle épenthétique, celui d'avoir, principalement, et on pourrait
expliquer la plus grande susceptibilité de ce verbe par l'influence de
l'infinitif fli'fr.
Le phénomène de svarabhakti peut s'observer encore à d'autres
temps, mais beaucoup moins régulièrement qu'au futur et qu'à
l'infinitif : ce sont les temps ou les formes qui présentent soit le
groupe sin soit le groupe str, par exemple feiseiiics, assistèrent. Et on
peut comprendre aisément pourquoi ces formes n'ont pas plus sou-
782 l'évolution IJU VERBE EN ANGLO-FKANÇAIS
vent cet e svarabhaktique, si on admet, comme nous le montrerons
plus tard, que dans ces groupes IV s'est amuie de fort bonne heure
et que le groupe de consonne s'est réduit de façon à rendre inutile
une voyelle épenthétique.
Disons encore un mot de la forme même de cette voyelle : nous
trouvons le plus souvent c. et on peut dire que toute autre graphie
est sporadique.
/ se rencontre dans une demi-douzaine d'exemples : hevire, res-
poiidire, vivirc, preudirc ; a est encore plus rare : savara ; a ne se ren-
contre qu'une fois ou deux : suffrisiinies.
Pendant le xiv* siècle, nous trouvons quelques exemples d't' qui
peuvent être des e svarabhaktiques, employés avec des verbes à
thème vocalique : estraiere (Trivet), plaier (Rymer), condiiere
(Rymer) ; mais nous croyons avoir là des exemples d'un phénomène
légèrement différent que nous avons déjà mentionné (voir plus
haut, p. 778).
Nous avons donc vu jusqu'ici la confusion que les Anglo-Fran-
çais ont faite entre les e atones en position finale et des e épithé-
tiques qu'ils employaient ou n'employaient pas sans raison appa-
rente; les ^ épenthétiques ont la même origine que les e épithé-
tiques, mais ils ont été d'un emploi beaucoup plus régulier. Ces
quelques fiiits expliquent bien un grand nombre de phénomènes que
nous avons observés dans la conjugaison du verbe et ils rendent
compte en même temps de la physionomie même que nous pré-
sentent les textes anglo-français du xiV^ siècle, où les e atones
abondent là où on ne les attend pas et sont absents des formes où
ils sont étymologiques.
Voilà donc aussi brièvement que possible les cas, nombreux et
importants, qui doivent le changement que leur torme a subi à
l'apparition ou à la chute d'un e atone; dans tous les cas que nous
avons mentionnés, sauf les quelques réserves que nous avons faites,
cette chute de Ve atone étymologique ou l'addition d'une voyelle
atone parasite est due à des influences purement phoniques; et nous
cro3^ons avoir cité la grande majorité des cas pour lesquels l'irré-
gularité de la forme est due à Ve muet.
Ce que nous avons dit montre bien une chose, c'est que les
écrivains anglo-français, à partir de iiéo, ont commencé à s'em-
brouiller sur la place et la valeur de 1'^' atone; ils ont confondu
LES CHANGEMENTS PHONiaUES DANS LE VERBE 783
avec la muette la détente vocalique et pris dans d'autres cas une
détente vocalique pour une muette; puis et toujours, semble-t-il, à
la même époque, les e muets en hiatus, avant ou après la tonique,
ne se sont plus fait sentir qu'irrégulièrement dans la prononciation;
les atones interconsonantiques ont eu le même sort au moment
même où une muette épenthétique se montre dans un grand nombre
de formes; et le plus grand nombre des voyelles atones, à partir de
1250, a pu s'employer ou s'omettre au gré de chacun, alors que
dans d'autres cas où il était entièrement inutile, le même e atone
a semblé nécessaire à la prononciation. Il en est résulté la plus grande
confusion, non seulement dans le verbe, mais surtout dans la pro-
nonciation etpar conséquent dans la versification. Des vers français,
parfaitement corrects pour des oreilles françaises, devaient paraître à
un écrivain anglo-français avoir un nombre toujours changeant de syl-
labes. Et ceci nous explique mieux que toute autre considération l'ir-
régularité de la versification qui a certainement commencé vers la fin
du xii^ siècle et qui n'a fait qu'augmenter pendant les deux siècles
suivants. Cette irrégularité vient d'abord en partie de ce que les
écrivains anglo-français comptaient ou ne comptaient pas les voyelles
muettes à volonté; mais elle résulte surtout de ce que leur traite-
ment des muettes leur a fait très tôt perdre le sens même de ce
qu'est un vers français. Leur façon de prononcer le français rendait
incorrects les neuf dixièmes des vers français corrects qu'il leur
arrivait de lire, car tous les vers qu'ils avaient sous les yeux sem-
blaient avoir un nombre de syllabes extrêmement variable, suivant
le nombre dV atones qu'ils avaient et que les Anglo-Français comp-
taient ou ne comptaient pas. Il en résulta qu'après un temps ils
oublièrent et ne purent plus reconnaître que le principe du vers
français, c'est le nombre fixe de syllabes.
Voilà les résultats que le traitement de Ve atone a eus sur la con-
jugaison du verbe et, incidemment, sur la versification en anglo-
français ; comme on peut en juger de ce que nous venons de dire
sur ces deux points, ces résultats sont de la plus grande importance
et on peut conclure que de tous les phénomènes que nous avons
exposés, aucun n'a plus contribué à modifier la physionomie de
l'anglo-français que le traitement que \'e atone a subi.
Les phénomènes phoniques qu'il nous reste à examiner sont loin
d'avoir la même importance que ceux que nous venons de signaler,
„ Q
84 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
autrement dit, les consonnes n'ont pas eu sur le développement des
formes du verbe la même influence que les voyelles et les diph-
tongues.
Nous aurons à passer rapidement en revue les explosives dentales,
les fricatives dentales, les consonnes mouillées, la vibrante r.
I. Les explosives dentales.
Dentale finale caduque.
Nous avons vu que les troisièmes personnes du singulier corres-
pondant à la terminaison latine at, les troisièmes personnes du
singulier en a, en /, en u, les participes passés ûiibles en e, en z
et en u sont terminés par une dentale caduque. De ces quatre
classes, les participes faibles en / seuls se rencontrent à la, rime avec
des mots terminés par une dentale appuyée, et ces rimes se ren-
contrent assez avant dans le xii^ siècle, puisqu'elles se trouvent dans
l'Estorie des Engleis, dans le Drame d'Adam et les Légendes de
Marie. Mais à part les quelques exemples que nous relevons dans ces
quatre ouvrages pour les dentales de cette classe de participes passés,
toutes les formes du verbe terminées par une dentale caduque sont
entièrement distinctes de celles qui montrent une dentale appuyée.
Dès le début de la littérature anglo-française, on trouve que ces
formes sans distinction peuvent rimer avec des mots qui ne sont
pas terminés par une dentale. Mais il faut remarquer deux choses :
1° Les formes dans lesquelles la dentale suit immédiatement la
voyelle tonique se trouvent quelquefois à la rime avec des mots qui
ont dû être terminés par la spirante th; les participes passés (vers
1140-1 150) riment respectivement avec Elvereth, Edelfrid, Suth,
Cnuth ; il n'est probablement pas trop hardi de généraliser les ren-
seignements que nous donnent ces participes et de conclure que
toutes les formes verbales qui sont terminées par une dentale
caduque ont montré, à peu près à la même époque, la même valeur
pour leur dentale finale. Après cette date (11 50), nous ne trouvons
plus de rime qui nous permette de croire que cette valeur lui a été
conservée.
2° Pour les troisièmes personnes du singulier qui correspondent
à la désinence latine al, nous retrouvons, et pendant une longue
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 785
période, cette même dentale avec une autre valeur, celle de dentale
de liaison. Les exemples sont nombreux pendant tout le xii= siècle
et se prolongent certainement pendant le commencement du xni%
peut-être jusque vers 1250.
Dentale finale appuyée.
Nous retrouvons, quoique avec une extension beaucoup moins
grande, les mêmes phénomènes pour la dentale finale appuyée à la
troisième personne du singulier et à la seconde personne du singu-
lier de certains impératifs. Nous n'avons aucune rime qui nous per-
mette d'affirmer que cette dentale a passé par l'étape spirante; nous
n'avons pu relever que quelques graphies, comme rith, seeth, qui
datent de la fin du xni^ ou du xiv^ siècle. Mais les chutes de cette
dentale sont absolument certaines. Il est remarquable que quelques-
uns de ces cas sont presque aussi anciens que ceux que nous avons
signalés pour la dentale caduque : les Psautiers {pren, impératif),
l'Estorie des Engleis Çsumun, présent de l'indicatif), le Roland
d'Oxford {er, imparfait de l'indicatif; auiein, présent du subjonctif),
le manuscrit L du Saint Alexis {di, présent de l'indicatif). Frère
Angier (j-espon, defen^ impératif), nous donnent de ce phénomène
un nombre assez considérable d'exemples indiscutables. Néanmoins
leur nombre n'approche pas de celui des exemples que nous avons
rencontrés pour la dentale caduque. Pendant les deux siècles sui-
vants, nous trouvons sans leur dentale finale appuyée des troisièmes
personnes du singulier de plus en plus nombreuses, et les textes
non littéraires nous fournissent leur part de ces formes; elles restent
malgré tout exceptionnelles.
A une date beaucoup plus tardive, nous rencontrons des troi-
sièmes personnes du pluriel (masculines et féminines) qui perdent
leur dentale de la même façon; les premiers exemples que nous
ayons trouvés se lisent dans le poème de Boeve de Haumtone : ««,
usen; mais ces formes sont très peu nombreuses dans la littérature et
rares aussi dans les textes politiques et diplomatiques; leur nombre
ne peut même pas se comparer à celui des troisièmes du singulier
qui ont subi cette même perte. Il en va de même pour les participes
forts en ctiim; Boeve et quelques autres ouvrages, littéraires ou non,
nous fournissent un petit nombre d'exemples comme dis^ csly, bcne,
escondu.
)0
786 l'évolution du verbe en anglo-français
Quant aux participes présents, on peut dire qu'ils conservent
toujours leur dentale.
Par conséquent, la dentale finale appuyée, dans un certain nombre
de cas, suit la même marche que la dentale caduque, passe peut-
être à la spirante et tombe, et ces cas remontent à la seconde moi-
tié du XII'' siècle; mais ils restent exceptionnels et le plus souvent,
en particulier à la troisième personne du pluriel et au participe pré-
sent, la dentale ne subit pas de modification.
2. Les fricatives dentales.
L's finale ne s'est pas toujours très bien conservée en anglo-fran-
çais et, comme pour Ve atone, nous assistons à cause de cela à un
double processus : chute de 1'^ finale, addition d'une s finale para-
site.
L'j" finale disparaît assez fréquemment dans les formes masculines
terminées régulièrement par une voyelle ou une consonne suivie de
cette s.
Les premières personnes du singulier qui perdent cette s ne sont
pas très communes et cette chute n'a lieu que fort tard dans les
textes littéraires anglo-français : on ne rencontre fa, estoy, truf, doyn
que dans les textes du xiv^ siècle. C'est à peu de chose près à la
même date, peut-être un peu plus tôt, qu'il faut rapporter les formes
de la première personne des prétérits en ^/ sans leur 5 étymologique,
comme di.
Quoiqu'il y soit plus ancien, ce phénomène n'est pas beaucoup
plus général pour la deuxième personne du singulier qui nous donne
fai dans les Quatre Livres des Rois, va dans Boeve.
Nous ne nous attarderons pas à répéter ce que nous avons dit pré-
cédemment à propos de la terminaison de la première personne du
pluriel ; nous avons montré qu'elles perdaient leur s pendant le pre-
mier quart du xii*^ siècle et que vers 1250 les désinences asigma-
tiques parvenaient à prendre la place des désinences régulières ; Vs a
ici réellement disparu d'une façon à peu près complète et dans
aucun autre cas, nous ne retrouverons une régularité aussi grande .
Les secondes personnes du pluriel à terminaison masculine,
cependant, nous fournissent un certain nombre de formes qui
montrent que la désinence s'est réduite à e; mais nous n'avons ici
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERBE 787
aucun moyen pour décider si c'est la terminaison avec s, ou la ter-
minaison régulière en :^ ou, comme nous le pensons, la terminaison
en d qui perd la consonne finale.
Pour ces terminaisons masculines, le nombre de formes sans la
consonne finale est assez restreint, mais les exemples que nous en
avons remontent tous assez haut. A la deuxième personne du sin-
gulier, nous trouvons /'f'.''^<^ dans l'Alexis; nf/ie et die à la rime dans
Boeve ; face dans Pierre de Langtoft et dans Bozon, mais quoiqu'ils
remontent assez haut, ces exemples restent isolés. Il en va à peu
près de même dans les premières et les secondes personnes du plu-
riel féminines ; le Psautier d'Arundel nous en donne un exemple
(dite^ qui se retrouve dans l'Ipomédon ; le Roland d'Oxford nous en
fournit un autre (J'eshîie) ; le poème de Boeve de Haumtone, la Vie
de Saint Auban en ont aussi quelques-uns; mais tous ces cas réunis
ne forment pas un total bien imposant.
Par conséquent, nous surprenons une tendance en anglo-français
à faire disparaître l'^ finale, soit après une voyelle ou une diphtongue,
soit après un £' muet; mais cette tendance reste à l'état d'indica-
tion et ne produit que. peu de résultats. Le seul cas où nous puis-
sions remarquer une disparition à peu près régulière de 1'^, c'est
après la voyelle nasale on.
L'addition d'une s se produit dans un plus petit nombre d'exemples,
mais elle semble se faire plus régulièrement, et nous ne pouvons pas
ne pas croire que cette addition s'est faite, dans certains cas que nous
allons citer, par le jeu naturel des lois phoniques. L'.^ s'est généra-
lisée à la première personne du singulier du présent de l'indicatif et
à la seconde du singulier de l'impératif aux thèmes à palatale qui
ne l'ont pas ordinairement. Cette addition de 1'^- remonte au moins
au commencement de la seconde moitié du xn^ siècle : dis, esli^,
lis sont des premières personnes du présent de l'indicatif; ja^, dis,
gis, tes des impératifs.
Au commencement du xni'' siècle, Vs est étendue pour ces deux
personnes aux verbes à dentale : ris, pleins, conclus pour les pre-
mières, ox, desfens pour les secondes. Nous assistons ici à un déve-
loppement phonique régulier et non pas à un phénomène d'analo-
gie, quoiqu'il soit évidemment possible d'expliquer par l'analogie les
formes qui précèdent.
Nous trouvons un phénomène à peu près analogue à la chute
788 l'évolution du verbe en anglo-français
de Vs finale dans l'amuissement de cette consonne devant s, dans la
terminaison st, phénomène qui a sa contre-partie dans l'apparition
dans certains autres cas d'une s parasite. La terminaison st se ren-
contre dans un certain nombre de formes dans le verbe : à la troi-
sième personne du singulier du présent de l'indicatif de quelques
verbes, à celle des prétérits en si, à celle de l'imparfait du subjonctif
de tous les verbes ; à la deuxième personne du pluriel des prétérits ;
à la troisième des prétérits en si.
Nous trouvons des preuves de l'amuissement de ïs dans toutes
les formes que nous venons de donner, mais cet amuissement n'a
pas partout le même caractère de généralité et ne se produit pas par-
tout à la même date. C'est vers 11 50 que nous relevons des
exemples assurés de l'amuissement de 1'^ au présent de l'indicatif et
à la troisième personne du singulier des prétérits en si {cunmt, dans
le Voyage de Saint Brandan •,cunduit, dans le même poème; desiruit,
dans Gaimar; cundniî, dans Fantosme). Les exemples deviennent
très communs pendant le xiii^ siècle.
Vers la fin du xii" siècle, nous trouvons des preuves que 1'^ dis-
paraît aussi des secondes personnes du pluriel des prétérits, et pour
ces personnes, nous n'avons pas trouvé d'exemple antérieur à la
Vie de Saint Gilles : suffrites et fûtes; ces formes se retrouvent au
siècle suivant, mais on peut dire que Ys se conserve au moins dans
l'orthographe. Ce n'est que vers le milieu du xiii^ siècle, au plus
tôt, qu'elle disparaît des troisièmes personnes du pluriel des prétérits
en si, et les exemples que nous avons relevés des formes sans s pour
cette personne sont très rares: remiterent dans Boeve; à la même
époque, nous rencontrons ht pour lest, subjonctif de laisser. Enfin
ce n'est qu'à la fin du xiii^ et même, pour certaines classes, à la fin
du xiv% que les imparfaits du subjonctif se débarrassent de leur s :
fit dans la Genèse, faiisil dans Dermod, oiit dans William de Wad-
dington, confessât dans Nicolas Trivet.
L'amuissement de 1'^ a donc été progressif, car il semble diffi-
cile d'admettre que cette consonne ait disparu simultanément de
toutes les formes qui la montraient étymologiquement et cepen-
dant soit restée dans l'écriture jusqu'à des dates — fixes pour cha-
cune de ces formes — mais diff"érant suivant la classe à laquelle elles
appartiennent.
Il faut reconnaître ici un exemple de ce dont nous parlions tout
LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 789
à l'heure; les lois phoniques ne s'appliquent pas de la même manière
dans tous les cas; elles sont, pour ainsi dire, suspendues par la
résistance de certaines formes ou pour des motifs qui, la plupart du
temps, nous échappent.
Du reste, d'autres considérations nous forcent à admettre que 1'^
appu5^ant une autre consonne n'avait réellement pas disparu com-
plètement; surtout ce fait que cette s s'introduit, pour des raisons
purement phoniques, dans des formes qui ne la connaissaient pas à
l'origine.
Tout d'abord, tous les verbes à palatale nous montrent cette i
pendant le xii^ siècle et pendant une partie du siècle suivant; et nous
admettons que dans laist (à la rime dans Tristan), faist (dans les
Quatre Livres des Rois, dans le manuscrit C de Horn, dans Boeve
de Haumtone et Jean de Peckham), traist (commun dans le Roland
d'Oxford, l'Estorie des Engleis), liist (Chardri), dist, cnndust (tous
les deux dans Boeve de Haumtone), Vs est non seulement pronon-
cée, mais qu'elle est amenée par des raisons phoniques, les mêmes
qui nous ont expliqué la présence de Vs finale de certaines premières
personnes du singulier; elles sont dues à la présence de la palatale
dans le thème et cette s, dans les deux cas, apparaît à peu près au
même moment, c'est-à-dire vers le milieu du xii^ siècle.
Il en est de même pour les thèmes à dentale ; au commencement
du xiii^ siècle, on trouve quelques verbes dont le thème est terminé
par une dentale qui prennent à la troisième personne du singulier
une s qui ne semble pas étymologique : vest (aller, dans le Saint
Edmund, le ms. O de Guischart de Beauliu), exactement comme
on trouve pour la première personne du singulier, à la même époque,
ris. Les verbes dont le thème est terminé par une labiale nous mon-
trent un peu plus tard le même phénomène : vist (Heures), scst
(Boeve).
Au xiV siècle enfin, nous rencontrons quelques formations ana-
logiques dont nous reparlerons plus tard. L'.v atteindra les prétérits,
les premières, les secondes, les troisièmes personnes du pluriel à
terminaison féminine, même des subjonctifs et des participes passés,
mais dans ces formes, Vs nous semble purement graphique.
Z. — Nous observons pour le ;{ une action analogue des guttu-
rales et des labiales; les verbes dont le thème est terminé par une
de ces consonnes prennent :{ au lieu de s à la seconde personne du
790 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
singulier. Pour les labiales, nous trouvons des exemples avant le
milieu du xir siècle, comme dans Gaimar, les Psautiers, la Vie de
Sainte Catherine ; pour les verbes à vélaire, les exemples sont quelque
peu plus tardifs, on les rencontre dans les Psautiers : fai\ dans les
Quatre Livres des Rois.
Pour ces deux catégories de verbes, le développement du :{ est
sinon normal, du moins s'explique par des raisons phoniques. Dans
un grand nombre de cas que nous verrons plus tard, le ^ est sim-
plement graphique et s'explique par des actions analogiques,
3 . Les consonnes mouillées.
La latérale palatale disparaît souvent de la conjugaison en anglo-
français, et cela n'a rien de bien étonnant, car on peut concevoir les
difficultés que cette consonne a offertes ci la prononciation des
Anglais. Comme en français, elle se vocalise en // devant une con-
sonne : baudra (de bailler), saudra (de saillir).
Dans un nombre de cas qui a pu être considérable, elle a disparu
sans laisser de trace ; mais comme les graphies de cette consonne
sont extrêmement variées, nous ne pouvons pas toujours nous
rendre compte de l'état exact des choses ; toutefois il est probable
que cette disparition de la mouillure date de la seconde moitié du
XII* siècle ou du commencement du xiii'' ; nous avons dans Tris-
tan, vulle, forme dans laquelle 1'/ mouillée a presque certainement
passé à / simple.
Pour la nasale palatale, nous possédons des renseignements un
peu plus précis. Nous la voyons passer à la nasale simple avant le
milieu du xii* siècle, puisque nous rencontrons dans l'Estorie des
Engleis remeine (= remaneat) rimant avec pleine ; le siècle suivant
nous fournit un nombre assez considérable d'exemples de n simple
prenant la place de n mouillée. Chardri, le Roman des Romans,
the Song of the Barons, nous donnent différentes personnes du
subjonctif de maindre avec n simple; mais aucun autre verbe ne
perd aussi tôt que celui-là son n mouillée : pour feindre et pour
plaindre, nous n'avons aucun exemple assuré avant le xiv^ siècle
{foyne, Pierre de Langtoft; pleine, Statutes); pour tenir et venir, des
exemples analogues se rencontrent à la même époque, mais principa-
lement en dehors de la littérature.
La disparition de la mouillure dans certaines formes où elle est
LES CHANGEMENTS PHONIdUES DANS LE VERBE 79 1
étymologique a eu pour conséquence la création de formes analo-
giques où la lettre mouillée est irrégulière; nous examinerons ces
formes dans le chapitre suivant, en reconnaissant ici qu'on aurait
pu y joindre les exemples que nous avons donnés pour maindre.
Nous pouvons observer dans l'anglo-français, à propos de la con-
sonne r, deux tendances contradictoires, dont nous avons vu des
exemples, spécialement lorsque nous avons étudié le futur. La pre-
mière consiste dans le redoublement de 1'/-; la seconde dans la
réduction de rr à r simple. Les cas où l'r étymologiquement simple
se trouve redoublée sont très variés; mais il y en a deux qui ont une
généralité, même une régularité assez remarquable : le redoublement
de IV dans les verbes dont le thème est terminé par une palatale ;
le redoublement de l'r finale du thème.
a) Redoublement de IV dans les verbes à palatale.
A l'infinitif et au futur, un grand nombre de verbes dont le radi-
cal est terminé par une palatale présentent régulièrement rr. Les
exemples de ce phénomène remontent au commencement de la
seconde moitié du xii^ siècle, mais à cette époque ce ne sont que
certains verbes qui nous montrent la consonne double ; on trouve
defirre, dirre dans les Psautiers ; dirrai est la forme la plus commune
du futur de ce dernier verbe depuis les Psautiers; il en va de même
probablement pour le futur de despirc qu'on rencontre avec les
deux r dans les Psautiers, dans les Quatre Livres des Rois; les
verbes en stniire et les composés de duire nous ont aussi fourni un
assez grand nombre d'exemples. Plaire, traire, même lire semblent
prendre régulièrement une forme analogue au futur ; quant à faire
il ne prend guère la forme /^rm/ que dans les ouvrages qui n'appar-
tiennent pas à la littérature, mais pour cette catégorie d'ouvrages,
c'est la forme normale de ce temps.
b) Redoublement de 1'/' finale du thème.
Les verbes qui ont leur thème terminé par une r simple tendent
à redoubler cette consonne; nous en avons cité plusieurs exemples,
comme les troisièmes personnes du pluriel, dcsirruni, afirrunt et les
troisièmes personnes du singulier du prétérit -.jonrra, dcinorra, durni,
792 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
desirra, mais ces derniers exemples sont beaucoup plus tardifs que
ceux de notre première catégorie ; ils appartiennent peut-être à la
seconde moitié du xiii% plus vraisemblablement au xiV^ siècle. On
pourrait considérer qu'ils sont dus à l'analogie et ont été entraînés
par les futurs où les deux r sont régulières.
Chute d'une r.
Par contre, nous avons aussi remarqué, au futur des verbes qui
présentent régulièrement à ce temps rr, une simplification de la
consonne double, et cette simplification date des premières années
de la littérature anglo-française ; elle reste très fréquemment faite
pendant le xiii* et le xiv* siècle, quoique moins commune pendant
cette dernière période. (Cf. les futurs desculurai, espérai, enterai, mus-
terai, charai, verai, crerai, etc.)
Toutes ces formes appartiennent à la même époque et, par consé-
quent, nous ne pouvons pas admettre avec Faulde (Zeitschrift, IV,
547) que la simplification de rr se produit surtout lorsque la con-
sonne double se trouvait entre deux e, au moins dans les cas où
cette consonne est secondaire. On peut du reste voir de nombreux
cas de simplification de rr dans Stimming, Boeve de Haumtone,
pp. 213, 214.
Il nous est impossible de trancher, au moyen des formes du
verbe seulement, la question de savoir si le redoublement de Yr et
la simplification de rr en r ne sont pas le résultat de simples confu-
sions. La plupart des philologues qui ont édité les textes anglo-
français sont arrivés à la conclusion que l'emploi de la lettre simple
ou celui de la lettre double dépendait le plus souvent de la fantaisie
de l'auteur. Nous ne pouvons ici que faire remarquer la régularité
avec laquelle les verbes dont e thème est terminé par une palatale,
tout au moins, prennent la consonne double à l'infinitif et surtout
au futur; nous admettrions volontiers que tous les autres cas de
redoublement de l'r et ceux qui montrent la simplification de rr
sont des exemples de la confijsion qui s'était établie en anglo-fran-
çais dès lé commencement du xii* siècle.
Il nous reste à mentionner très brièvement quelques phénomènes
d'ordre plus général que ceux que nous avons examinés jusqu'ici :
le déplacement de l'accent, l'assimilation, la dissimilation, la méta-
thèse, l'apocope.
LES CHANGEMENTS PHONIQUES DANS LE VERRE 793
I. Dèplacenieut de T accent.
Les cas assurés de déplacement de l'accent sont peu nombreux
et proviennent tous de la troisième personne du pluriel : nous ne
parlerons pas ici des troisièmes personnes en om/, tint, etc., pour
lesquelles Vo et 1'//, etc., peuvent n'être que des graphies de la muette.
Les imparfaits du subjonctif en mit au contraire nous offrent des
cas de déplacement de l'accent, ils sont du reste peu nombreux et se
trouvent principalement au xii^ siècle (Cumpoz, trois exemples;
Quatre Livres des Rois, neuf exemples) ; l'exemple que nous four-
nit le poème de Boeve de Haumtone et celui de Rymer(i297) sont
plus douteux.
Pour les terminaisons mit, au lieu de eut, nous avons quatre
exemples seulement nous montrant que ces formes ont fait passer
leur accent sur la syllabe étymologiquement muette : un dans les
Évangiles des Dompnées, les trois autres dans l'Apocalypse ; et nous
devons considérer comme exceptionnelle cette valeur attribuée à la
terminaison mit, pour les troisièmes personnes du pluriel norma-
lement faibles.
La nasalisation de la diphtongue ei dans les terminaisons raccourcies
eint n'est pas à proprement parler un changement d'accent, quoi-
qu'un élément de la syllabe atone ait passé dans la syllabe accentuée
{esteint (: ceint) dans l'Apocalypse, diseint (: ensement) dans le
même poème).
En dehors de la troisième personne du pluriel, nous ne trouvons
que des cas extrêmement douteux de déplacement de l'accent : citons
les quelques infinitifs de IV pour lesquels 1'^ svarabhaktique, comme
perdere que nous avons déjà cité (Ore au perdere, ore au cunquere).
Pour ces infinitifs qui prennent la forme des verbes de I, nous avons
dit plus haut que nous ne croyons pas qu'il y ait eu déplacement
de l'accent.
Mais nous ne pouvons pas dire la même chose pour ces infinitifs
de I qui prennent la forme des infinitifs de IV : dans cmttre, leetre,
houstre, gettre, Iiittre, boiitre, l'accent a passé de la désinence sur le
thème; nous en verrons la raison tout à l'heure. Ce changement
d'accentuation a été assez commun dans les œuvres littéraires à
partir de la fin du xin' siècle et a surtout pris un développement
assez considérable dans les textes politiques et diplomatiques, mais
seulement ou principalement à partir de 1325 ou environ.
794 L KVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
Par conséquent, les changements dans l'accent sont sinon très
importants, du moins dignes de remarque : il a été tantôt reculé sur
la syllabe finale étymologiquement muette .et a ainsi transformé des
désinences féminines de la troisième personne du pluriel en dési-
nences masculines et des verbes de IV en infinitifs de I;ou bien, avan-
çant vers le commencement du mot, il a changé en verbes de IV de
nombreux infinitifs de I.
2. Assimilation et dissimulation.
Les phénomènes d'assimilation et de dissimilation ne sont pas
très nombreux dans la conjugaison, et leur importance reste très
secondaire.
Nous rencontrons quelques cas d'assimilation dans la voyelle du
radical de certains verbes, comme gisir dont le premier exemple se
trouve dans le Tristan de Thomas et qui par la suite est commun
dans les ouvrages politiques et diplomatiques; la consonne finale du
radical s'assimile à la consonne de la désinence dans dorrai, mer rai.
C'est encore par assimilation que la voyelle / prend la place de e
dans les imparfaits du subjonctif: disist, escrisist, occisisse, transmisist,
cuisissent et dans les prétérits en si : afflisis, disis, descrisis, eslisis,
misis, prisis, quisis. C'est parmi ces dernières formes que nous avons
remarqué les premiers cas d'assimilation, ceux que nous présente
l'imparfait du subjonctif étant un peu plus tardifs.
Les cas de dissimilation sont à peine plus communs et n'ont
guère plus d'importance ; c'est à cette cause qu'il faut probablement
attribuer certains changements dans le thème de quelques verbes,
comme meintiner, ramentiver, saer, chaeir aussi bien que les phéno-
mènes de dissimilation normale des prétérits et des imparfaits du
subjonctif en si.
3. Mêtathèse.
La mêtathèse est, comme on le sait, fort commune en anglo-
français, et il serait exagéré de dire que c'est dans la conjugaison
qu'elle a la plus grande importance ; nous en trouvons des exemples
dans deux cas principaux : pour le futur de certains verbes de I, à
l'infinitif d'autres verbes de la même conjugaison, enfin à l'infinitif
d'un plus grand nombre de verbes de IV.
Nous avons donné les exemples des futurs de I qui présentent une
LES CHANGEMENTS PHONIQ.UES DANS LE VERBE 795
métathèse ; ces futurs, comme enterrai, reinemberrai, mosterrai, pro-
viennent tous de verbes dont le radical est terminé par dentale ou
labiale plus r ; c'est aussi la métathèse qui nous semble expliquer le
mieux de nombreuses formes /;w:( du futur de faire (cf. p. 769) ; il
en va exactement de même pour les infinitifs de I qui prennent la
forme des infinitifs de IV et que nous avons cités à propos des chan-
gements d'accent; comme on l'a vu le plus grand nombre de ces
verbes montre un radical terminé par une dentale suivie de r ; nous
n'avons trouvé ici encore que remembre qui puisse nous servir
d'exemple de thème à labiale. Pour les verbes de IV, les exemples
sont à peu près également répartis entre les deux classes de thèmes;
on trouve dans les oeuvres littéraires abater, oynder, vyver, receyver et
il en va de même dans les textes politiques, diplomatiques et autres.
Nous avons admis que pour les verbes de I qui nous présentent
un exemple de métathèse, celle-ci a occasionné un changement
d'accent; tandis que pour les verbes de IV pour lesquels le même
phénomène s'est produit l'accent n'a pas varié. La distinction que
nous faisons pourra peut-être sembler absolument arbitraire ; cepen-
dant nous ne pouvons pas ne pas la faire.
Dans le premier cas il nous semble probable que Ve fermé s'était
amui avant que la métathèse se soit faite, c'est même cet amuisse-
ment qui à nos yeux a rendu cette métathèse possible; il en résul-
terait que le changement d'accent a précédé la métathèse, tandis que
dans le second cas l'infinitif de IV a pris la forme que les infinitifs
de I avaient juste avant le moment où la métathèse allait se faire. Ve
avait le même son dans cunter et dans abater, mais ce son n'était pas
celui de e fermé . Il avait évolué vers Ve muet, autant qu'un e pré-
cédant ;■ peut prendre le son de e muet, c'est-à-dire un eu très fermé.
Du reste les formes en er et en re pour les infinitifs de IV sont si
mélangées qu'on trouve parfois un même verbe sous les deux formes
à quelques lignes d'intervalle; or il semble difficile d'admettre que
le scribe ait employé simultanément des formes corome prender et
prendre appartenant à des conjugaisons différentes.
4. Apocope.
L'apocope peut se remarquer dans un petit nombre de cas dans
la conjugaison ;• le plus souvent nous trouvons que la dernière syl-
labe atone disparaît entièrement. Cette syllabe peut être es, comme
79^ l'évolution du verbe en anglo-français
dans est, pour estes, qu'on trouve dans Boeve de Haumtone, la
Genèse, et les textes légaux ; ou (s^ses, par exemple dans/// (Pierre
deLangtoft; avantas (Boeve de Haumtone), osa (Boeve de Haum-
tone) et dans d'autres secondes personnes du singulier de l'imparfait
du subjonctif qu'on trouve dans les textes légaux.
Cette chute de la dernière syllabe s'explique dans les deux cas que
nous venons de mentionner de la même manière : 1'^ final disparaît,
et Ve muet ne se prononce plus; de là la simplification de la forme
de cette seconde personne.
Il est moins facile d'expliquer les participes passés faibles en é
qui perdent leur voyelle accentuée, et cependant les exemples que
nous avons relevés de ce phénomène sont trop communs pour que
nous les considérions simplement comme des erreurs cléricales : il
est vrai que les ouvrages littéraires ne nous en ont fourni aucun
cas; mais les Statutes, comme nous lavonsdit, nous àownenx. port à
la date de 1390; dans les Rymer's Foedera, nous trouvons report,
demaund, est (1297, i299);les Literae Cantuariensesont^oz/^f (i 377),
et les Year Books ont de leur côté un nombre assez considérable de
formes; nous croyons que, dans cette apocope de la voyelle accentuée,
il faut voir une conséquence du traitement de Ve muet que nous
avons précédemment décrit : Vé final aura été considéré comme un
e muet et omis en conséquence.
Dans' les quelques pages qui précèdent, nous avons rapidement
passé en revue les principales actions phoniques qui, à notre avis,
ont exercé leur influence sur la conjugaison du verbe ; et nous
croyons que le plus grand nombre des modifications que la conju-
gaison a subies en anglo-français, et parmi celles-ci quelques-unes des
plus importantes, se trouvent expliquées d'une manière satisfaisante
par le jeu naturel des lois phoniques qui ont agi d'une fiiçon générale
sur tout l'anglo-français.
Il est certain qu'on pourra considérer comme douteuses plusieurs
des explications que nous avons données ci-dessus, mais nous
croyons que de deux explications possibles et également vraisem-
blables, l'une phonique, l'autre analogique, c'est la première qu'on
devra adopter, parce qu'elle est la plus générale et que par conséquent
elle a plus de chance d'être vraie.
CHAPITRE II
FORMATIONS ANALOGIQUES
Ce que nous disions à la fin du chapitre précédent n'empêche pas
que les formations analogiques ne soient encore en nombre consi-
dérable dans la conjugaison anglo-française; et leur nombre même,
en même temps que la variété des formations qui vont maintenant
nous occuper, rendent très difficile la tâche de donner un exposé à
la fois assez compréhensif et clair des actions multiples que nous
avons à décrire.
Nous diviserons letude rapide que nous allons consacrer à l'ana-
logie dans le verbe en trois parties :
1. Phénomènes généraux d'analogie.
2. Actions analogiques qui s'exercent à l'intérieur d'un même
verbe.
3. Actions analogiques qu'un verbe exerce sur un autre verbe.
I. Phénomènes généraux d'analogie.
Nous rencontrons dans la conjugaison quelques phénomènes
généraux d'analogie; du reste, il nous semble que l'analogie a ceci
de particulier qu'elle ne s'arrête que rarement au point où elle com-
mence, et nous en trouverons plus d'un exemple par la suite ; mais
il est assez rare qu'elle ait agi sur un très grand nombre de points,
en grande partie parce que son action est progressive et qu'elle a
surtout agi en anglo-français pendant le xiv= siècle; nous ne trouvons
donc sur bien des points que le commencement même de son action.
Ce sont surtout les textes politiques et légaux postérieurs à 1400 qui
nous donnent une idée de ce qu'elle peut faire.
79^ L ÉVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
a) Changements de conjugaison.
Les changements de conjugaison sont rares ; en effet, nous ne
pouvons pas appeler un changement de conjugaison l'adoption par
un verbe d'une forme ou d'une désinence appartenant à une conju-
gaison voisine: pour qu'il y ait changement de conjugaison, il faut
que nous puissions relever un certain nombre au moins des formes
qui caractérisent la nouvelle conjugaison que le verbe adopte. Il
n'est pas toujours possible de se rendre compte si cette condition
est remplie, car il se peut qu'un auteur pour lequel ce changement
a réellement eu lieu n'emploie que des formes qui appartiennent
aussi bien à la conjugaison normale qu'à l'autre, ou que les formes
caractéristiques soient rares chez lui. Par conséquent cela implique
un certain élément de doute et de conjecture; mais nous ne donne-
rons que les résultats qui nous sembleront assurés.
Le verbe maudire passe à la première conjugaison pendant la
dernière partie du xiii^ siècle ; nous en trouvons pour la première fois
des exemples nombreux et bien assurés dans le Manuel des Péchés.
William de Waddington emploie pour l'infinitif de ce verbe, pour
la troisième personne du singulier du présent de l'indicatif, pour les
différentes personnes du prétérit, toutes les formes qui sont celles des
verbes de I : niandier, niaudie, mandiastes, niaiidierent . Par la suite,
nous ne trouvons plus que très rarement les formes étymologiques
pour ce verbe. Il serait assez oiseux de prétendre trouver quel est
le verbe de I qui a amené ce changement ; d'autant plus qu'il n'y
en a peut-être pas eu un seul en particulier à avoir agi sur maudire.
Il est fort possible que les formes que nous avons citées proviennent
toutes de l'infinitif et que cet infinitif lui-même soit sorti plus ou
moins normalement de l'infinitif étymologique.
Parmi les autres changements de conjugaison assurés, nous devons
ranger les verbes qui hésitent entre la conjugaison inchoative et
celle qui ne l'est pas. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous
avons dit auparavant sur ce point ; nous ferons remarquer qu'il y
a des verbes qui prennent régulièrement l'une et l'autre de ces formes,
comme emplir, guarir, guerpir, haïr, etc. ; d'autres perdent dans
quelques auteurs, d'abord, puis d'une façon définitive, l'infixé qui
leur appartient à l'origine, comme establuvis qu'on finit par trouver
constamment dans les Rymer's Foedera ; seise, très employé dans les
FORMATIONS ANALOGIQUES 799
Statutes, les Year Books etc. et plusieurs autres; d'autres enfin qui
prennent l'infixé d'une façon plus ou moins constante: repentiseï dans
William de Waddington ; assenlisseit dans Nicolas Trivet ; cedissons
dans les Rymer's Foedera.
Tous les exemples des deux dernières classes, qui sont seuls à
proprement parler des changements de conjugaison, appartiennent
à la dernière partie du xiv^ siècle.
b) Extension des désinences.
L'extension des désinences nous fournit un plus grand nombre
de faits d'analogie que n'importe laquelle des classes que nous avons
constituées.
C'est l'analogie qui a étendu à un grand nombre de premières
personnes du singulier du présent de l'indicatif Ve qu'elles n'avaient
pas étymologiquement. Le demaine du Voyage de Saint Brandan, le
parole du Psautier de Cambridge, le fie du Psautier d'Arundel, et
d'une façon générale toutes les formes qui ne peuvent pas être
expliquées par les phénomènes phoniques que nous exposions tout
à l'heure, sont des phénomènes d'analogie ; il en est de même de
die pour di, de vcye ; et pour la première personne du singulier du
subjonctif de certains verbes de I, de aïe.
C'est de la même manière que nous expliquons un certain nombre
d'jT à cette première personne du singulier, dans les verbes dont le
thème n'est pas terminé par une palatale ou une dentale, comme
suis des Quatre Livres des Rois, assol^ de Pierre de Langtoft, doys de
Nicolas Trivet, tienks des Rymer's Foedera; nous avons vu que ces
s parasites sont relativement rares.
L'addition d'une muette analogique se retrouve encore à la seconde
personne du singulier, dans creies, toiles, oyes sous l'influence des
verbes de I et sous celle des subjonctifs en am et en iam, de même
que dans les troisièmes personnes du singulier des subjonctifs en cni
dont nous n'avons pas encore parlé, comme esniaie du Brandan,
loed, vivified, envoiet des Psautiers, et d'un nombre d'autres assez
considérable, comme aprismet, salved, confcnne, deignet, toutes formes
que nous avons mentionnées déjà et qui ne peuvent s'expliquer par
les phénomènes phoniques que nous avons exposés au chapitre
précédent.
8oo l'évolution du verbe en anglo-français
L'action des troisièmes personnes du singulier des verbes de II, de
III ou de IV, qui n'ont pas d'e muet, explique par contre les formes
irrégulières de cette même personne de certains verbes de I : envcit,
ottreit, lot, blmicboit, plurt, dcmiirt. Enveit et ottreit sont dus proba-
blement à veit ; lot à ot (audit) ; phirt et demnrt à un verbe comme
mourir ou courir ; blanchoit à quelque forme comme veit ou deit ; le
nombre de ces formations analogiques est restreint et ne saurait se
comparer à celui des troisièmes personnes du singulier du présent
de l'indicatif qui perdent Ve muet sans prendre la dentale.
Un nombre considérable de troisièmes personnes en st est dû à
l'action de l'analogie : pour le présent de l'mdicatif, celles qui pro-
viennent d'un thème autre que ceux que nous avons énumérés,
covcwciQ espeitst dans Gaimar; veust dans les Literae Cantuarienses;
vanst dans les Mem. Pari. 1305 •,empeinst dans le Tristan de Thomas;
geenst dans le Saint Auban ; tnaiii^iist dans Walter de Bibblesworth ;
posf (== pot) dans le manuscrit A de l'Ipomédon.
Tous les prétérits qui ont pris indûment cette désinence à la troi-
sième personne du singulier sont des formations analogiques : les
prétérits en ivi : cisist dans le Psautier d'Arundel; languist à la rime
dans l'Estorie des Engleis; seisist à la rime dans l'Ipomédon; et un
très grand nombre de formes semblables ; il en est de même pour les
prétérits en /// de la cinquième classe : inorusl, qui se rencontre dans
plusieurs poèmes de la fin du xii^ siècle ; parust qui n'est pas moins
commun ; et plusieurs autres. L'^ se généralise de la même façon à
la troisième classe : cunust dans Chardri ; conceiist dans la Genèse ;
et enfin à la première et à la seconde classe : eust (Boeve de Haum-
tone); /«^/(Genèse Notre-Dame, Manuel des Péchés); Jw5/ (Boeve
de Haumtone) ; must (William de Waddington);o//5^ (Nicole Bozon).
Les prétérits en avi nous fournissent quelques cas de formes ana-
logiques en st, comme parinst, priast dans Pierre de Langtoft ; les
prétérits en / prennent souvent cette désinence analogique : vist est
assuré par plusieurs rimes, dans the Lamenton the Death of Edward
L', dans William de Waddington, dans les Vies de Saints de Nicole
Bozon ; de même teinst se lit dans the Lament on the Death of
Edward L', dans les Lettres de Jean de Peckham, dans le Liber Rubeus
de Scaccario.
Aux autres temps la désinence en st est fort rare : amoust, poaisi,
aist, sc'isl, aïst, comme nous l'avons fait remarquer, sont des formes
exceptionnelles.
lORMATlONS A\ALOGIQ.UES 8oi
Une comparaison très rapide des dates auxquelles ces différentes
formes se sont introduites en anglo-français pourra nous aider à
comprendre la façon dont l'analogie a agi et le mécanisme de cette
action.
Ce sont les prétérits en ivi qui ont été le plus tôt atteints (vers
1 1 60) et ils le doivent aux prétérits en si, qui sont si voisins d'eux
par la forme, comme dist, fist, sist ; mais il ne faut pas non plus
négliger d'attribuer une certaine influence à leurs imparfaits du sub-
jonctif qui ont dû exercer une influence au moins indirecte sur ces
formes : il est probable que l'identité des désinences dist, deïst a
entraîné l'identité eisit eisist. Le même raisonnement s'applique aussi
au prétérit en / de voir. C'est du reste l'influence de l'imparfait du
subjonctif qui explique les formes en si que prennent les prétérits
en ui de la troisième et de la cinquième classe ; mais cette expli-
cation ne rend pas compte du fait que les prétérits en ui de la
seconde et de la première classe, de même que les prétérits en avi, ne
prennent que très rarement et très tard Vs devant le t de la troisième
personne du singulier.
Il nous est impossible d'en trouver une raison satisfaisante ; et
nous ne pouvons ici encore que renvoyer à la règle arbitraire des
grammairiens anglo-français, telle qu'elle est énoncée dans l'Ortho-
graphia Gallica.
Le groupe st se rencontre aussi normalement à la seconde per-
sonne du pluriel de tous les prétérits ; mais nous n'avons relevé
qu'un tout petit nombre de secondes personnes prenant irréguliè-
rement cette s, comme [estes qui est assez commun, comme nous
l'avons montré; rien d'étonnant du reste, les secondes personnes du
pluriel à désinence féminine étant très rares sans cette s.
Cette consonne a encore fait des progrès en dehors des deux
personnes où elle était, quelquefois au moins, étymologique : nous
la rencontrons à la première personne du pluriel, assez rarement
pour les personnes féminines fortes, comme fais ni es, plus commu-
nément pour les premières personnes féminines faibles : la Vie de
Saint Auban nous en fournit quelques cas; surtout les textes non
littéraires nous donnent au xiv^' siècle des exemples de ces premières
personnes avec une s appuyant 1'/// : inandasiiics, ftileiidisnics, pre-
viistncs, porriesuies ; ces formes ne deviennent jamais très communes.
L'addition d'une s parasite à la troisième personne du pluriel est
51
8o2 l'évolution du verbe en anglo-français
encore plus rare : nous n'avons trouvé quefiisrent dans les Documents
Inédits.
Nous hésiterions à considérer comme provenant de la même cause
1'^ qui, dans les participes passés en /, à partir de 1150, appuie le t
final : nous devons y voir plutôt un désir de maintenir la consonne
finale caduque qui tendait à disparaître ; mais il est possible que cette
s ait la même origine que celle du prétérit en ivi ou provienne d'elle.
Les cas d'extension de désinence par analogie, propres à l'anglo-
français, sont des plus rares aux autres personnes ; citons pour la
première personne du pluriel les quelques désinences qui présentent
irrégulièrement un i comme canghim dans l'Estorie des Engleis ;
pour la seconde personne du pluriel l'extension des formes faibles
à dire et à faire, ce qui, comme nous l'avons fait remarquer, n'arrive
que très rarement ; enfin, à la troisième personne du pluriel, le double
phénomène : passage des terminaisons masculines à la forme fémi-
nine, comme estent, pour estunt, et les futurs aseinblerent , nomerent,
faudrent, vendrent; et par contre le passage des désinences féminines
à la forme masculine : signefinnt, hahitimt, dinnt, et celui des prété-
rits à la terminaison en unt. Mais nous reviendrons sur ce dernier
point au chapitre suivant.
Voilà, aussi brièvement que possible, comment l'analogie a étendu
certaines désinences à des personnes qui ne les ont pas étymologi-
quement; nous avons, croyons-nous, montré suffisamment que ces
changements ayant l'analogie comme principe sont nombreux et
importants ; mais il ne faut pas oublier que même ici l'analogie n'a
eu qu'une action secondaire : elle a étendu Ve muet à la première
personne du singulier et à la troisième personne du singulier; mais
un nombre assez considérable de premières et de troisièmes personnes
avaient auparavant pris ce même e d'une manière sinon phonique-
ment régulière, au moins explicable, ce qui revient à peu près à la
même chose ; il en va de même pour la généralisation de s à la pre-
mière personne du singulier et de st à la troisième.
Toutes les formes nouvelles en e muet, en s, en st ne sont
peut-être pas la cause des formes analogiques, mais si elles ne suf-
fisent pas à expliquer leur origine, elles aident à faire comprendre
l'extension qu'elles ont prises : c'est parce que l'anglo-français créait
des formes nouvelles régulières qu'il a été amené à en imaginer
d'autres qui ne l'étaient pas.
FORMATIONS ANALOGiaUES 803
II. Actions analogiques
aui s'exercent a l'intérieur d'un même verbe.
Nous trouverons ici les actions réciproques des différents radicaux
du verbe et même celle de certaines lettres ou syllabes caractéris-
tiques d'une forme sur d'autres formes.
a) Influence de l'indicatif.
L'indicatif, comme nous avons eu occasion de le faire remarquer,
a eu une assez grande influence sur la conjugaison de tout le verbe,
au moins dans un certain nombre de cas ; mais nous devons ici
distinguer entre l'influence du radical de l'indicatif et celle de ses
différents temps.
Nous retrouvons le radical de l'indicatif aux autres modes dans
plusieurs cas : c'est ainsi que nous voyons dans Chardri l'impératif
save:(, qui nous semble un aza^ sipr,[;.cvsv ; le subjonctif abandonne
souvent sa forme propre pour celle de l'indicatif: nous avons eu
l'occasion de le montrer pour les verbes donner {dont), trouver
(trous), vouloir (voile).
C'est aussi à cette influence du thème de l'indicatif que nous attri-
buons la forme du subjonctif ^cfî^g qui est employée dans le Tristan
de Thomas, dans les Quatre Livres des Rois, dans Jordan Fantosme
et qui est la seule forme que connaissent les textes non littéraires.
Il est plus difficile de préciser l'action de ce mode à l'infinitif,
puisque les radicaux de ces deux modes ne diffèrent ordinairement
pas; cependant certaines des formes que prend l'infinitif du verbe
suivre peuvent provenir de Tun ou de l'autre des radicaux du présent
de l'indicatif: d'une façon générale, on peut dire que tous les infi-
nitifs de ce verbe qui présentent un // subissent l'influence de l'indi-
catif, comme suire, siure, siiir, suer, suwir (du présent de l'indicatif
sui, siu); ceci du reste n'est pas particulier à l'anglo-français et nous
ne nous y arrêterons pas.
Au participe présent, nous remarquons les trois verbes puissant,
savant, ava)il dans lesquelles le thème de l'indicatif a remplacé le
thème ordinaire.
Ajoutons encore, pour en terminer avec l'influence du mode indi-
8o4 l'évolution du verbe en anglo-français
catif, des exemples de l'action que certains temps ou certaines per-
sonnes ont exercée : \ec des impératifs tienc, prcnc, assène, demanc, des
prétérits tinc Qiiict^, vinc, etc. (Cf. première partie, chapitre i, la
Palatale) est évidemment dû à la première personne du singulier
du présent de l'indicatif de ces mêmes verbes. L's que nous trouvons
à la seconde personne du singulier de l'impératif des verbes de II, III
et IV, comme c)^(du Bestiaire), suceurs Çdu Psautier d'Oxford), desfens
(de la Vie de Sainte Marguerite), eseri:{ (de TApocalypse) et quelques
verbes de I comme sacrefis (à la rime dans le Saint Laurent)
nous montre l'influence évidente de la seconde personne du singu-
lier du présent de l'indicatif: pour d'autres verbes de I présentant
es à cette seconde personne de l'impératif, on peut hésiter entre
plusieurs explications : influence du subjonctif, qui est indéniable
dans un certain nombre de cas, influence de l'indicatif, addition d'une
s parasite après une voyelle muette.
Nous terminerons en montrant l'influence de la troisième per-
sonne du prétérit de certains verbes sur leur infinitif: nous trouvons
pour les verbes qui ont un prétérit tnavi ou en ivi identité presque
complète entre la troisième personne du pluriel et l'infinitif: parler,
parlèrent, finir, finirent. Cela a amené, vers la fin du xiv^ siècle,
pour certains verbes ayant un prétérit en si la formation d'un nouvel
infinitif: niandistrent a. produit maudislrc (dans Nicolas Trivet);
cunquistrent a donné cunqiiistre et cunquestre (dans le poème du Prince
Noir).
b) Influence du subjonctif.
Nous ne mentionnerons encore ici que les faits qui nous semblent
spéciaux à l'anglo-français ; par conséquent nous ne parlerons pas
de l'impératif des verbes avoir, être, savoir, vouloir ; ni des impé-
ratifs négatifs cà forme de subjonctif (voir le chapitre suivant).
I. Généralisation du thème du subjonctif.
Dans un très petit nombre de cas, nous rencontrons à l'indicatif
le thème du subjonctif; nous avons vu les formes voise (pour veit)
dans Pierre de Langtoft; aiinis dans les Heures de la Vierge ; eons
dans les Documents inédits (1380); aillent dans les Statutes (1388);
chece dans les Year Books; tous ces exemples sont des présents de
l'indicatif qui ont pris le radical de leur subjonctif.
FORMATIONS ANALOGIQUES 805
2. Généralisation du suffixe ge ou de la lettre mouillée.
Il est possible que dans les exemples qui suivent, nous trouvions
des verbes autres que ceux qui ont régulièrement soit ^c, soit une
lettre mouillée cà leur subjonctif; mais nous les mentionnerons
cependant maintenant, car le suffixe ou la lettre mouillée leur sont
venus certainement, que nous en ayons des exemples ou non, par
leur subjonctif.
Pendant la seconde moitié du xiii« siècle et tout le xiv% nous'
trouvons un nombre assez considérable de présents de l'indicatif
qui prennent le suffixe ge caractéristique de certains subjonctifs en
iam : le scribe de la Chronique de Jordan Fantosme, par
exemple, emploie suvienge; on trouve dans Boeve de Haumtone
qiierge, miirge^; viéor^e se lit dans les Heures de la Vierge; prcnge
dans Wil. Rishanger; tienge dans les Vies de Saints de Nicole
Bozon ; parouge dans Pierre de Langtoft. Tous ces indicatifs se
retrouvent avec une régularité plus ou moins grande dans les
textes politiques, diplomatiques et familiers ; et dans cette catégorie
d'ouvrages nous trouvons aussi quelques exemples qui ne se ren-
contrent pas dans les œuvres littéraires, comme demorge, qui est
extrêmement commun, ou le conditionnel euquergeroient , qui se
trouve dans les Statutes (1392).
L'introduction du suffixe semble être plus ancienne pour l'impé-
ratif; vienge se lit fréquemment dans les poèmes postérieurs à 1140,
par exemple dans TEstorie des Engleis, dans les Légendes de Marie,
etc. ; nous ne pouvons cependant pas préciser la date de cette forme ;
elle doit appartenir, au plus tard, à la première moitié du xiii* siècle.
Souvienge se trouve aussi dans le poème sur Edward le Confes-
seur, dans le Poème allégorique; prerige est employé dans Boeve,
mais ne remonte pas plus haut que la fin du xiii^ siècle ; un verbe de I,
toutefois, nous fournit deux exemples datant certainement du com-
mencement du xiii^ siècle : aller, qui, dans les poèmes de Frère Angier,
fait cà l'impératif augex. et vauges.
Tels sont les casprincipauxqui nous montrent le suffixe^^i' sortant du
subjonctif; on peut assurément considérer que les premiers cas qui
nous semblent assurés se trouvent au mode impératif et datent de
la fin du xii^ siècle, peut-être du commencement du xiii^ C'est à
partir de 1250 que les exemples deviennent assez communs et se ren-
contrent également à l'indicatif et à l'impératif.
8oé l'évolutiox du verbe en anglo-français
Nous avons rencontré un nombre beaucoup plus considérable de
tormes qui nous montrent la lettre mouillée du subjonctif se géné-
ralisant à d'autres modes. VI mouillée, par laquelle nous commen-
cerons, ne nous offre aucun exemple aussi ancien que ceux que
nous citerons pour Vu mouillée, et le nombre de formes nouvelles
que nous avons trouvé pour la première consonne reste très inférieur
à celui que nous relevons pour la seconde. Les exemples d'une /
mouillée irrégulière au mode indicatif ne datent que du xiV siècle :
voillent se lit dans l'Apocalypse, dans les Contes de Nicole Bozon,
et dans ce dernier ouvrage, on trouve aussi toille.
Des formes analogues se rencontrent un peu plus tôt en dehors
des ouvrages littéraires, par exemple le vaillent qu'on trouve dans les
Statutes sous la date de 1278 ; cette différence de date ne saurait
avoir une grande importance, mais elle nous permet de conclure
que c'est au conimencement du quatrième quart du xiii^ siècle que
1'/ mouillée du subjonctif a commencé à gagner certains temps de
l'indicatif.
L'action du premier de- ces modes a été quelque peu plus ancienne
au participe présent; quelques verbes, comme vouloir, ne présentent
à ce temps que la lettre mouillée; vaillant se trouve déjà dans les
trois Psautiers, dans la Chronique de Jordan Fantosme et par la
suite dans la plupart des textes littéraires ; et il en va à peu près de
même pour les autres, quoique, dans certains cas, la mouillure ne
soit pas aussi évidente. Les exemples de ce temps pour les verbes
valoir et douloir sont beaucoup plus rares, mais ceux que nous
avons cités précédemment nous permettent de croire qu'il en était
de même pour ces verbes. Ces trois verbes sont à peu près les seuls
qui nous montrent une / mouillée analogique, sauf le participe
présent aillant qui se rencontre dans les Statutes (r335) et qui
nous montre clairement la tendance de l'anglo-français à mouiller
1'/.
Cependant, nous devons reconnaître que les renseignements que
nous avons recueillis pour 17 mouillée analogique sont assez maigres;
les cas qui présentent Vn mouillée irrégulière sont plus instructifs.
Les premiers exemples de formes analogiques que nous rencontrions
à l'indicatif remontent à la seconde moitié du xir siècle, au plus
tard : le manuscrit d'Oxford du Roland nous donne meignenl et
pleigncf; le manuscrit R de l'Estorie des Engleis nous fournit acei-
FORMATIONS ANALOGIQUES 807
gnent ; et la seconde moitié du xiir et tout le xiV^ siècle nous
montrent constamment veignc, teigne, preigne. Les formes analogues
sont proportionnellement plus communes à l'impératif; nous en
avons vues dans le roman de Tristan de Thomas Çciinveigne~), dans
la Vie de Saint Gilles (i-efreigiï), mais ces quelques cas ne pourraient
être plus anciens que les présents de l'indicatif que nous offre le
Roland d'Oxford; tout ce qu'on peut admettre sur ce point, c'est
que la consonne analogique a paru à peu près en même temps dans
les deux temps. Ce sont encore les mêmes verbes que précédemment
qu'on rencontre encore pendant les deux siècles suivants : sou-
vigne, veigne, releygne:^, preigne sont employés très souvent comme
impératifs.
Aux autres modes, la consonne mouillée analogique n'est certai-
nement pas aussi commune : zeignant, teignant, preignant se ren-
contrent, comme on peut bien le supposer, mais ces formes ne
déplacent pas les formes étymologiques. Ajoutons-y encore respoi-
gnant, commun dans les textes politiques et diplomatiques, qui
n'est pas rare à côté de la forme sans mouillure respo(i)nant .
Au participe passé, w mouillée est encore plus rare ; on ne la
trouve même, à notre connaissance, que dans ces verbes pour
lesquels Vn mouillée est analogique, même au subjonctif, comme
orâeigné, traigm:(; et même ces exemples ne se rencontrent pas dans
les œuvres littéraires.
La consonne analogique a le même caractère d'exception dans
quelques imparfaits du subjonctif, comme remaignisscut, aveignisse
dont les Parliamentary Writs et les Rymers' Foedera nous four-
nissent quelques exemples au commencement du xiv^ siècle.
Les consonnes mouillées ont donc atteint par analogie un assez
grand nombre de temps qui présentent régulièrement la consonne
simple ; il nous semble impossible, et peut-être aussi oiseux, d'expli-
quer pourquoi il se fait que ce sont surtout les verbes en n qui ont
été atteints par ce changement ; il est possible que ces derniers soient
ou plus nombreux, ou plus communs, ou que leur subjonctif soit
plus employé; il reste indiscutable que les deux consonnes / et «
mouillées se trouvent, sous l'influence du subjonctif, à l'impératif, à
l'indicatif, au participe présent, au participe passé, dès le commence-
ment de la seconde moitié du xir' siècle.
Le mode subjcMictif a donc exercé une action considérable sur
8o8 l'évolution du verre ex anglo-fran^als
les autres modes, en particulier sur le présent de l'indicatif, sur l'im-
pératif, et aussi, quoique à un moindre degré, sur le participe pré-
sent.
Cette action date du commencement du xii^ siècle, et nous pou-
vons admettre qu'elle a commencé à se faire sentir sur les impératifs
(impératifs en gc); on comprend facilement que, comme ce dernier
mode a un sens très voisin de celui du subjonctif, il ait adopté
dans un certain nombre de cas la forme même d'un mode plus
employé en même temps que plus distinct que lui. Ensuite, comme
dans la plupart des cas et pour la plupart des personnes les trois
temps : présent de l'indicatif, impératif, présent du subjonctif, ne
différaient que fort peu, le présent de l'indicatif s'est trouvé entraîné
à prendre lui-même la forme qui était devenue celle des deux autres
temps ; et cette action de l'impératif et du subjonctif combinés a dû
être très forte, car les premiers exemples d'indicatifs à forme de
subjonctif ne sont postérieurs que de quelques années aux impéra-
tifs analogiques.
Le participe présent a suivi le présent de l'indicatif.
c) Influence de Vinfinitif.
L'infinitif n'a pas eu la même importance. Les formes analogiques
qui dérivent certainement de ce mode ne sont pas très nombreuses ;
dans un petit nombre de cas l'action qu'il a exercée est indéniable ;
nous retrouvons la forme même de son thème dans quelques temps
de l'indicatif, comme pleiiident, pleindoient, prendoit, formes dont
nous aurons à reparler au chapitre suivant. C'est surtout sur les
prétérits que nous pouvons voir la forme de l'infinitif exercer une
action assez étendue; nous avons, dans un paragraphe précédent
(cf. p. 804), montré que les prétérits en si arrivaient quelquefois
à imposer la forme de leur troisième personne du pluriel à l'infinitif;
et nous trouvions la cause de ce phénomène dans l'identité qui
existe entre la troisième personne du pluriel du prétérit et l'infini-
tif des verbes de I et de IL La même raison explique le phénomène
inverse qui est beaucoup plus fréquent que celui que nous avons
déjà exposé.
Au xiii^ siècle, nous trouvons déjà joyndrent (Saint Edmund),
\>ms esteindrent iy^W. Rishanger), siirdrenf, ardretit (V'icrre de Lang-
FORMATIONS ANALOGIQUES 809
toft), et dans les textes politiques et diplomatiques, les formes
comme ardrent, reindrent, même fuirent, ne sont pas rares. D'autres
fois, ce n'est pas la forme régulière de l'infinitif, mais sa forme
analogique, qui apparaît au prétérit, comme dans snrderent, pleync-
rent, iraiereiit. Mais dans un cas comme dans l'autre, l'influence de
l'infinitif est évidente. Elle ne l'est pas moins dans un certain
nombre de futurs qui adoptent le thènede l'infinitif, comme avoira ,
voira, faroiit ; cependant ces formes sont rares et ne se rencontrent
jamais dans les œuvres littéraires.
Nous citerons encore, avant de quitter l'infinitif, quelques exemples
qui peuvent nous montrer son influence quoique l'explication
par l'analogie soit ici assez douteuse. Il nous semble que nous retrou-
vons le thème ou une partie du thème de l'infinitif dans fcit, fcist
pour fist qui peuvent provenir de la troisième personne du pluriel
fcircnt (Chroniques de l'Abbaye de Saint Alban), et cette dernière
forme nous paraît assez clairement analogique et due à l'infinitif.
L'action de ce mode est moins évidente dans les quelques troisièmes
personnes du singulier du présent de l'indicatif : saet, plaest, taest,
traest qui peuvent nous reproduire la voyelle, ou une graphie de la
voyelle, du thème de l'infinitif, mais cette explication nous semble
très hasardée, et nous préférons considérer, comme nous l'avonsdéjà
fait, ne comme une forme assez normale de la diphtongue ai.
L'influence très limitée que l'infinitif a exercée est donc très
réelle et se remarque principalement pour les prétérits en ii et sur
les futurs.
d) Influence du participe présent.
Le participe présent ne nous retiendra pas longtemps; c'est peut-
être à lui que nous devons le v de povoir (Rymer's Foedera, 1347,
1 348), de povuns (Jean de Peckham, 1 282), d\'.';crivre (Cumpoz, Ksto-
rie des Engleis), mais ces formes ne sont pas particulières à l'anglo-
français.
Telles sont rapidement les actions analogiques qui se sont exercées
à l'intérieur d'un même verbe; à notre avis, les plus importantes
sont celles qui proviennent des subjonctits.
8 10 l'évolution du verbe en anglo-français
III. Actions analogiciues qu'un verbe exerce
SUR un autre verbe.
Après ce que nous avons dit au premier chapitre, nous n'aurons
aucune difficulté à reconnaître les formes analogiques qui sont dues
à l'action d'une conjugaison sur l'autre; en effet, nous avons alors
montré que certaines formes que l'on considère ordinairement
comme analogiques avaient une origine purement phonique ; mais
nous avons laissé de côté à ce moment un certain nombre de formes
que le développement phonique ne pouvait expliquer, et ce sont
justement ces formes qui vont nous occuper maintenant.
C'est l'analogie seule qui rend compte pour les imparfaits de la
première conjugaison du passage de la forme en o{ii)e à la forme en
eie; ce passage, comme nous l'avons vu, a pris place tout d'abord
vers I i6o (dans le Psautier de Cambridge, les Légendes de Marie, les
Quatre Livres des Rois) ; mais les formes analogiques ne deviennent
communes que vers 1250, et ce sont à très peu de chose près
les seules que nous trouvions en dehors de la littérature. Et cepen-
dant, avant de disparaître entièrement, les imparfaits en on ont attiré
à leurs formes un certain nombre d'imparfidts de verbes appartenant
à la seconde, la troisième et la quatrième conjugaison ; ces formes
irrégulières se rencontrent surtout pendant le xiv^ siècle (Apocalypse,
Nicole Bozon, Nicolas Trivet).
Il en va de même pour certaines des acquisitions que les prétérits
ont faites; toutes les formes irrégulières des prétérits en avi des
cinq premières personnes sont analogiques : poai (William de Wad-
dington, Pierre de Langtoft, Nicole Bozon); les secondes personnes
du singulier, comme confuiidas du Psautier d'Arundel; les troisièmes
personnes du singulier : vonia (Apocalypse), trea (scribe du Saint
Edmund), cundiat (Genèse Notre-Dame), row/wM (Nicole Bozon) ; et
enfin les quelques premières et secondes personnes du pluriel : endo-
sames (dans Foulques Fitz Warin).
Nous avons dit précédemment qu'un nombre très considérable
de troisièmes personnes du pluriel pouvaient et devaient s'expliquer
par le développement phonique plus ou moins régulier ; et les
exemples des formes en erent auxquelles nous attribuons cette ori-
gine représentent presque la totalité des désinences nouvelles. Mais
FORMATIONS ANALOGIQUES 8 II
cette explication phonique ne saurait s'appliquer à toutes ces troi-
sièmes personnes du pluriel en erent créées par l'anglo-français^ et
nous allons citer maintenant quelques exemples qui ont certaine-
ment une origine analogique. En effet, tous les prétérits qui appar-
tiennent régulièrement aux classes en si et en ni ne prennent la
terminaison des prétérits en avi à la troisième personne que par
un véritable changement de conjugaison ; ces nouvelles formations
remontent dans certains cas jusqu'à la fin du xir siècle ; dans les
Légendes de Marie d'Adgar, nous avons relevé volèrent attesté par
la mesure du vers ; mais cet exemple est absolument isolé à cette
époque, et il est permis de le considérer comme un barbarisme qui
est particulier à Adgar seulement, ou mieux encore de lire voleient.
Ce n'est que vers la fin du xiir' siècle que des formes comme sur-
derent (Genèse Notre-Dame, Pierre de Langtofi),/)/n'w^ra7/ (Genèse),
curèrent (Genèse), avèrent (manuscrit O de Boeve) se trouvent rela-
tivement souvent. Évidemment au siècle suivant des formes comme
celles que nous venons de citer se rencontrent encore plus commu-
nément et nous ne reproduirons pas ici la liste assez longue que
nous avons donnée dans notre première partie. Mais nous pouvons
dès maintenant faire remarquer deux choses : tout d'abord que les
désinences nouvelles en erent d'origine phonique sont sans aucun
doute plus anciennes que les désinences analogiques de la même
forme ; ensuite, et par voie de conséquence, que ces formes phoni-
quement régulières ont dû avoir une certaine action sur la formation
des désinences analogiques. Et toutes les remarques qui précèdent
se trouvent confirmées par les témoignages que nous fournissent
les textes diplomatiques, politiques et familiers, et on pourrait
même ajouter les textes légaux, quoique les renseignements qu'ils
nous fournissent manquent un peu de précision.
Les mêmes remarques peuvent se faire au sujet des acquisitions des
.prétérits en m; cependant quelques-unes des formations analogiques
que nous avons rencontrées et citées précédemment ont un caractère
de régularité que nous ne trouvons que très rarement dans les nouvelles
formations en avi; par exemple les verbes choir, croire, mourir se
trouvent assez fréquemment sinon constamment au prétérit sous la
forme en ivi depuis la seconde moitié du xir siècle, pour les deux
premiers et le commencement du xiir pour le troisième. L'action
de l'analogie dans ce cas a été assez forte pcnu" taire apparaître des
formes en / à chaque personne.
8i2 l'évolution du verbe en anglo-français
Pour tous les autres verbes qui nous ont donné des exemples de
nouvelles formations, les cinq premières personnes ne se rencontrent
que fort rarement et fort tard ; nous n'en trouvons guère avant la
fin du xiii*^ siècle ou plus souvent au xiv* : germist (Heures de la
Vierge), jettit (Apocalypse), rampist (Nicole Bozon), ardy (Foulques
Fitz Warin), 57//v//' (Nicolas Trivet), vailly (Prince Noir) sont après
tout des formes exceptionnelles.
Au contraire les troisièmes personnes du pluriel analogiques sont
à la fois plus communes et plus anciennes : firent, prirent, mirent
que nous avons citées et qui sont certainement le résultat d'une
analogie.
L'analogie a eu, comme on peut en juger par ce que nous en
avons déjà dit, une action considérable sur les prétérits en ni. Non
pas que les formations analogiques aient été plus nombreuses ici
que pour les autres classes de prétérits; au contraire, et nous ne
trouvons à citer qu'un seul verbe qui montre assez fréquemment
une forme en ni qui n'est pas étymologique : le verbe pleurer. Plo-
rut, plornrent, et à l'imparfait du subjonctif plorust sont communs à
partir du milieu du xiii^ siècle, et doivent être rapprochés de la
troisième personne du singulier du présent de l'indicatif ^///r^ dont
nous avons donné quelques exemples ; mais à part ce verbe,
les acquisitions des prétérits en ui sont des plus rares et sont le plus
souvent assez douteuses. L'action de l'analogie se remarque surtout
entre les prétérits des différentes classes, et ici, nous pouvons obser-
ver toute une série d'actions et de réactions.
La première personne du singulier n'a pas varié extrêmement ;
les formes en oui, ni de la première classe sont certainement dues
à l'influence des personnes correspondantes de la seconde classe ; de
même les formes en oi que nous avons quelquefois rencontrées à la
troisième classe proviennent de la première. C'est, comme nous
avons tâché de le montrer précédemment, surtout à la troisième
personne du singulier et du pluriel que l'influence des diverses
classes les unes sur les autres a été importante ; ainsi, ce sont les
verbes de la première classe qui ont donné à ceux de la seconde,
de la troisième et même de la cinquième la terminaison ont pour
le singulier et 07<;w?/ pour le pluriel : dout,aparcout,7norousf,dourent,
en sont des exemples. Comme nous le montrent les dates de cqs
diverses formes, la première classe a commencé à agir sur les autres
FORMATIONS ANALOGIQ.UES 813
dès le xii^ siècle. Mais les formes analogiques du genre de celles
que nous venons de rappeler n'ont jamais été très nombreuses en
anglo-français.
Au contraire, les formes analogiques que l'influence des dernières
classes a introduites dans la première sont devenues assez tôt très
générales; les formes analogiques en // pour les troisièmes personnes
du prétérit de cette classe sont assurées pour la date de ir6o
(Légendes de Marie d'Adgar) ; nous n'avons pas à répéter ici les
listes d'exemples que nous avons données dans notre première par-
tie ; les rimes que nous avons citées pour la fin du xii* et pour le
XIII* siècle sont, comme on peut se le rappeler, assez nombreuses, et
elles ne peuvent être qu'une partie du nombre total de ces formes.
Et, comme on le sait, cette action de l'analogie devait être durable
en français comme en anglo-français, et générale.
Pour les personnes imparisyllabiques, comme pour les imparlaits
du subjonctif et les participes passés correspondant cà ces prétérits
en ui, nous observons encore un changement purement analogique :
c'est le passage de la voyelle en hiatus à e ; évidemment ici, nous
avons une autre preuve de l'action des verbes de la troisième
classe sur ceux de la première : eiis, eusse, en sont évidemment dus
à receiis, receûsse, receiï. Nous pourrions citer encore d'autres points
(j-cceiit, eurent, receurent) montrant une action analogue. Cela serait
probablement peu utile.
Comme on le voit l'analogie a assez profondément modifié la
physionomie de certains prétérits en ui ; et ce sont ceux qui appar-
tiennent à la classe la moins résistante et la moins nombreuse qui
ont pris la forme des autres classes ; mais rien de ce que nous venons
de dire n'est particulier à l'anglo-français et par conséquent l'analo-
gie que nous trouvons ici avait naturellement quelque chose de
fatal puisqu'elle s'est produite dans tous les dialectes français et en
anglo-français.
Il nous semble à peu près inutile de faire remarquer que les nou-
velles formations en si pour le prétérit et l'imparfait du subjonctif
ne peuvent être que des formations analogiques, soit pour les per-
sonnes imparisyllabiques, soit, dans le cas des prétérits seulement,
pour la troisième personne du pluriel.
L'/ qui s'introduit quelquefois au tutur des verbes de 11 non
inchoatifs provient aussi évidemment de Xi des futurs de la classe
8 14 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
voisine, les inchoatifs; mais on peut hésiter à attribuer la même
origine à 17 que nous avons trouvé à quelques futurs de I (j-epeirira,
dans Angier ; reposirai, dans le Lai du Cor), ou de IV (rendirons,
dans Nicolas Trivet; abatira, dans les Year Books). On serait peut-
être tenté de considérer cet / comme une graphie de la muette ; mais
nous verrons dans le chapitre suivant que, pour la plupart des cas
où Vi est employé avec valeur d'une voyelle muette, on peut expli-
quer cette graphie par une influence étrangère; ici, nous ne trou-
vons rien de tel, et il nous semble plus naturel de considérer que
Vi, dans ce dernier cas, ne diffère en rien de celui que nous trouvons
dans les verbes de II inchoatifs. La confusion qui a certainement
dû se produire a été facilitée par le passage à la forme de I des infi-
nitifs de II inchoatifs et de IV. Si un infinitif choiser fliisait au futur
choisira, pourquoi un autre infinitif en cr, comme reposer ou
render, ne prendrait-il pas la même voyelle à son futur ? Tout au
moins nous pouvons dire que la confusion des infinitifs devait
amener dans un grand nombre de cas une confusion analogue
dans les futurs.
Ces formes irrégulières s'expliquent donc d'une façon qui semble
toute naturelle : il peut y avoir eu en principe un changement
purement phonique dans les infinitifs, mais, strictement parlant,
les nouvelles formes du futur sont dues à l'analogie.
Le présent du subjonctif nous montre aussi de la même façon
les différentes classes agissant les unes sur les autres, et il est ordi-
nairement assez facile de reconnaître les formes qui sont dues à
l'analogie.
Les subjonctifs en cm n'ont exercé qu'une influence des plus
restreintes sur les autres classes de subjonctifs ; c'est cependant par
l'analogie de ces subjonctifs que nous expliquons un certain nombre
de troisièmes personnes du singulier qui ont perdu leur c muet
étymologique, comme esjot (Psautier d'Oxford) ; acoilt (Légendes
de Marie, Vie de Sainte Catherine) ; noist (Guischart de Beauliu) ;
toutes ces formes, comme on le voit, se rencontrent pendant le
xii^ siècle, à une époque par conséquent où les formes étymolo-
giques de la troisième personne du singulier des subjonctifs en cm
étaient encore très nombreuses.
Les subjonctifs en iam ont agi sur les autres subjonctifs de deux
façons : d'abord en leur donnant le suffixe ge, ensuite en leur four-
FORMATIONS ANALOGIQUES 815
nissant le type des subjonctifs à lettre mouillée. Nous avons insisté
assez longuement sur ces deux points dans notre première partie
pour que nous ne nous y arrêtions pas maintenant; nous ferons
cependant observer que pour les verbes de I, les subjonctifs avec le
suffixe ne se rencontrent guère que pendant le xii*" siècle, et que
pour les subjonctifs en am ces formes analogues sont rares après
cette même époque, excepté pour quelques verbes en /- comme
courir. Les subjonctifs avec mouillure irrégulière sont par contre
rares pendant le xii^ siècle, et ne se rencontrent avec quelque fré-
quence que pendant la seconde moitié du xiii'' et pendant tout le
xix" siècle; la mouillure devient après 1250 si commune pour
certains verbes comme prendre, respondre, donner que les formes,
soit étymologiques, soit en ge, deviennent extrêmement rares.
On peut encore considérer comme une influence du même
genre celle qui a généralisé ci certains verbes le suffixe ce; mais
cette forme du subjonctif n'a eu en anglo-français que fort peu d'im-
portance.
Les différentes classes des subjonctifs en iain n'ont pas été sans
agir les unes sur les autres, et nous l'avons montré précédemment,
nous nous contenterons de rappeler les formes analogiques qui
dérivent du subjonctif /<3^e : sace, place, tacc, hace.
Toutes les nouvelles formations de l'infinitif que nous n'avons
pas encore mentionnées dans cette seconde partie sont des forma-
tions analogiques ; tout d'abord un grand nombre de verbes de IV
qui prennent la terminaison en er, comme treier, occier, repeller, ester,
coûter, tystrer.
Nous serons moins affirmatifs en ce qui concerne les nombreux
infinitifs qui prennent la terminaison des infinitifs de II; quelques-
uns sont cependant analogiques, sans doute possible, comme ovcrir,
recoverir pour ovrer et recovrer, sous l'influence du verbe ouvrir ;
ici nous voyons l'action, non pas d'une terminaison, mais d'un verbe
paronyme.
Si nous mettons ces quelques verbes à part, nous ne pouvons pas
être assurés de l'action de l'analogie dans les autres exemples. Les
premiers verbes à prendre irrégulièrement la terminaison ir sont
des verbes de I : cj/j^hV (Voyage de Saint Brandan); Icssir (Manuel
des Péchés); demenbryr (Roman des Romans), et il est possible que
ces formes soient dues en grande partie à la confusion qui s'était
Sl6 l'évolution du verbe en ANGLO-IRAN cals
établie entre t fermé et / devant r, et que par conséquent ce phéno-
mène soit phonique à l'origine; mais il ne faut pas se dissimuler
que même s'il en est ainsi, Tanalogie a eu aussi sa part dans la for-
mation de ces nouveaux infinitifs, et il en va évidemment de
même pour les verbes de III ou de IV qui ont pris à l'infinitif cette
terminaison : descendir, resccvir viennent à la seconde conjugaison
après avoir passé par la première.
Nous ne pouvons pas observer au participe présent beaucoup de
phénomènes analogiques; signalons seulement la diffusion de la
désinence en eant aux verbes être, occuper, dérober, toucher, venir,
demorer, regarder.
Le participe passé au contraire peut nous donner un nombre
très considérable de phénomènes de ce genre, ce sont les différentes
acquisitions que font les classes de participes passés. Nous avons vu
que les participes passés en é attiraient à leur forme des participes
passés en /, en u, et même quelques participes forts. Évidemment
ici ce n'est que Tanalogie qui peut nous rendre compte de formes
comme seise, aye:;^, iiovei, coiiibate, mette, attrae:{ et tant d'autres par-
ticipes qui prennent irrégulièrement la forme même des participes
de I. Il en va de même pour les acquisitions que font les autres
classes de participes; nous voyons cependant une diff^érence. A tout
prendre, les acquisitions des classes autres que la classe en é sont
moins nombreuses que celles dont nous venons de dire un mot;
mais, d'une façon générale, elles nous semblent plus stables; les nou-
velles formes en é sont des acquisitions pro tempore le plus sou-
vent; celles que font les participes en /, en //, les participes forts,
ne se trouvent pas limitées à un cas ou à un seul auteur. Chaï,
convertu, sentii, tolu, chaeit, toleit, traeit, cuilleit peuvent n'être pas
absolument réguliers; ce ne sont pas des barbarismes comme les
quelques participes en é, que nous citons quelques lignes plus
haut.
Voilà, aussi brièvement que possible, quelle a été l'action de l'ana-
logie sur la conjugaison en anglo-français et les différents points où
elle se montre; les quelques pages qui précèdent prétendent seule-
ment résumer les différents changements qui se sont produits dans
le verbe sous cette action; elles répètent donc, mais à un point de
vue différent et en les groupant, les faits que nous avons déjà vus
dans notre première partie.
FORMATIONS ANALOGIQUES 817
L'analogie a donc causé dans les verbes des changements assez
nombreux et considérables : elle a eu une double tendance ; d'abord
généraliser les terminaisons caractéristiques de la première conju-
gaison de l'infinitif, du prétérit, du participe passé. Ici elle a été
précédée et aussi aidée par le développement phonique dont nous
avons parlé au chapitre précédent; ensuite elle a généralisé à un
grand nombre de temps la lettre mouillée du subjonctif; et ici
son action a été absolument indépendante de toute influence pho-
nique.
C'est, croyons-nous, ce qui résume le plus fidèlement l'action de
l'analogie dans le verbe en anglo-français.
CHAPITRE m
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES
Il nous reste encore à expliquer un nombre assez considérable
des formes du verbe que nous avons énumérées dans notre pre-
mière partie ; ces formes ne peuvent provenir que des dialectes
français du continent ou du latin.
Jusqu'à présent, on n'a pas encore consacré d'étude d'ensemble
aux influences extérieures que le dialecte anglo-français a subies.
Quelques critiques ont vu, dans certains auteurs, l'influence des
textes latins qu'ils traduisaient ; mais l'influence du latin ne s'est
pas limitée à un nombre restreint d'écrivains ; nous allons voir
que, dans le verbe seul, les formes d'un emploi à peu près géné-
ral qui proviennent du latin sont relativement très nombreuses.
Beaucoup plus importante a été l'action de certains dialectes du
Nord et de l'Est de la France : ils ont donné à la conjugaison
anglo-française, à- partir d'une certaine époque que nous tâcherons
de déterminer avec la plus grande précision possible, de nombreuses
formes qui étaient inconnues aux premiers textes anglo-français.
Non seulement cette action des dialectes continentaux a été abso-
lum.ent méconnue, mais quand un éditeur en a trouvé des traces
dans quelque auteur, il en a conclu que la langue de cet auteur
n'était pas de l'anglo-français. C'est ce qui est arrivé à Miss M.
K. Pope lorsqu'elle a publié son excellente édition du poème du
Héraut Chandos ; elle a remarqué dans ce poème un nombre assez
considérable de formes qui appartiennent au dialecte wallon, et elle
en a conclu que, en dépit de quelques traits indubitablement
anglo-français, le poème du Prince Noir appartient à la littérature
française du continent. Il n'en est rien, à moins qu'on ne consente
à faire entrer dans cette littérature un assez grand nombre de
poèmes anglo-français de la même époque et la plus grande partie
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 819
des textes non littéraires ; car la plupart des traits wallons que Miss
M. K. Pope a trouvés dans son poème^ nous allons les retrouver
dans d'autres ouvrages littéraires et autres.
Nous admettrons, si l'on veut, que dans le poème du Héraut
Chandos les traits wallons sont plus nombreux que dans n'im-
porte quel autre ouvrage de la même époque, quoique même cela
ne nous semble pas très sûr ; mais cette concession ne pourra pas
ôter au poème du Prince Noir son origine anglo-française ; on
pourra tout au plus conclure que le Héraut Chandos, pour des raisons
qu'il faudrait préciser, a subi comme les autres écrivains anglo-français
de son temps, et -peut-être plus qu'eux, l'influence du dialecte wal-
lon. C'est pour cette raison que nous avons feit entrer dans notre
travail les renseignements que nous fournissait la langue de cet
auteur.
Il est toujours assez délicat de prouver l'infl^uence d'un dialecte
sur un autre : il ne suffit pas de trouver dans l'un et dans l'autre
des formes analogues et de les rapprocher ; les comparaisons de ce
genre peuvent être ingénieuses, elles emportent difficilement la
conviction. Nous aurions pu dans un très grand nombre de cas
faire des rapprochements qui auraient semblé curieux. Mais nous
avons l'intention de nous borner à rapprocher des formes latines
ou continentales les formes anglo-françaises qui ne peuvent pas
s'expliquer d'une autre façon que par l'emprunt ou l'imitation. Il
y aura encore dans un certain nombre de cas un élément de
doute; mais de l'ensemble des cas assurés et des cas douteux, du
rapprochement des certitudes et des présomptions nous pourrons
concevoir une idée assez exacte de l'importance des influences
extérieures sur l'anglo-français.
Nous allons étudier successivement :
1° L'influence du latin, et nous ajouterons un mot sur l'influence
du provençal.
2° L'influence du français.
I. Influence du latin.
Les formes du verbe latin ont exercé, sans qu'il y ait place pour
le moindre doute, à notre avis, une influence assez grande sur cer-
820 l'évolution du verbe en ANGLO-1-RANÇALS
tains points de la conjugaison. Cette influence s'est manifestée de
deux façons: d'abord dans quelques graphies de l'atone posttonique
qui reproduisent les terminaisons latines ; ensuite dans la création
de nouvelles formes copiées, plus ou moins fidèlement, sur quelque
mot latin.
Les graphies de l'atone qui proviennent du latin sont assez
nombreuses ; nous avons vu, à la seconde personne du singulier du
présent de l'indicatif de certains verbes de I, la terminaison ûîi', comme
dunas dans le Psautier de Cambridge, et peut-être aussi dunaes
(contamination entre la forme française et la forme latine). La ter-
minaison is à cette même personne doit avoir une origine ana-
logue : lefacis du Boeve de Haumtone reproduit, ci contre-sens du
reste, \e facis latin ; et on peut rapprocher de cette {orme faylis du
même poème.
Mais les exemples qui nous viennent de la seconde personne du
singulier sont peu nombreux et ne se rencontrent que dans
quelques auteurs. Il n'en est pas de même pour la première, la
seconde et la troisième personne du pluriel. A la première per-
sonne du pluriel, nous avons rencontré très fréquemment la termi-
naison féminine tnus, calquée évidemment sur la terminaison latine
correspondante. C'est le verbe être qui nous montre le premier
cette terminaison : sunms est extrêmement commun et remonte au
moins à la fin de la première moitié du xii^ siècle ; les scribes des
Psautiers nous en donnent plusieurs cas. Et siimus dure jusqu'à la
fin du xiv^ siècle. A peu près à la même époque, et tout au plus à
quelques années d'intervalle, nous trouvons la même terminaison
aux prétérits (Psautier d'Arundel, Folie Tristan, Robert de Gre-
tham), et cette forme de la muette devient très commune dans le
courant du siècle suivant.
Les présents de l'indicatif autres que celui du verbe être n'appa-
raissent que sensiblement plus tard ; et il est possible que la ter-
minaison en mus que nous leur trouvons ne provienne pas directe-
ment du latin, mais qu'elle soit une forme analogique due à l'in-
fluence de siiiiiiis et des prétérits.
A la seconde personne du pluriel, c'est la terminaison latine tis
que nous rencontrons au lieu de la terminaison tes ; et ici encore,
c'est le verbe être qui semble avoir été le premier en date : estis se
lit dans la Lumière as Lais, et le même poème nous donne encore
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 82 1
le prêtent comandastis ; un peu plus tard le scribe, sinon l'auteur du
Boeve de Haumtone emploie les prétérits avec la même terminai-
son : tnastis, descendistis. On en rencontre encore plus d'un exemple
en dehors des textes littéraires et ce qui nous porterait à croire que
cette terminaison a été plus commune que le nombre d'exemples
que nous avons relevés ne le montre, c'est que les textes légaux font
un emploi considérable de formes analogues à celles que nous
venons de citer.
Enfin, nous n'hésiterons pas à attribuer à l'influence du latin la
désinence en unt des troisièmes personnes du pluriel féminines
dont nous avons cité de nombreux exemples dans notre première
partie. Comme nous le disions alors, cette forme de la désinence
féminine de la troisième personne du pluriel se rencontre au prété-
rit d'abord, et à quelques années de distance, au présent de l'indica-
tif. Le Psautier d'Oxford et l'Estorie des Engleis nous donnent des
formes comme ciinuerunt, reusernni, apelunt, et la plupart des
ouvrages qui furent écrits pendant la seconde moitié du
XII* siècle nous en montrent un nombre plus ou moins grand de
cas : la Chronique de Jordan Fantosme, le poème de Horn
emploient au moins de temps en temps cette désinence pour la
troisième personne du pluriel.
Et il en va de même pour les ouvrages qui ont été écrits pendant
les siècles suivants. En dehors de la littérature^ cette terminaison se
rencontre aussi, quoique moins fréquemment. Nous ne nous dis-
simulons pas que les terminaisons masculines en mit ont dû avoir
une influence sur la formation ou plutôt sur l'extension de cette
nouvelle désinence ; et cette influence de l'analogie nous explique-
rait pourquoi ces troisièmes personnes du pluriel sont plus nom-
breuses que celles que nous avons énumérées précédemment pour
les autres personnes du pluriel ; mais il n'en reste pas moins vrai,
du moins à notre avis, que c'est dans les troisièmes personnes du
pluriel du latin qu'il faut chercher l'origine de ces formes.
Il semble donc que le latin ait exercé une influence sur la forme
de la voyelle muette de toutes les désinences féminines en anglo-
français : influence assez peu forte dans le cas de la seconde per-
sonne du singulier mais assez considérable pour les trois personnes
du pluriel.
Nous ne dirons qu'un mot de l'influence du latin sur la création
822 l'Évolution du verbe en anglo-français
de nouvelles formes verbales. Ce sont surtout des participes passés
que nous avons classés parmi les acquisitions des participes en siim
et en tum. Ces acquisitions sout peu nombreuses dans la langue lit-
téraire ; nous en avons cependant rencontré une au début du
XIII'' siècle dans un des poèmes de Frère Angier : compitnct. Toutes
les autres appartiennent aux textes non littéraires et se rapportent
à des dates beaucoup plus avancées . Les premières appartiennent à
la classe des participes passés en ^ww, comme exprès (Statutes, 1323)
ou annex (Parliamentary Writs, 13 14). Ces nouveaux participes ont
été modelés sur des formes latines, expressiim, discussum, compul-
siim ; il y a cependant quelques formes qui ne se rapportent à
aucune forme latine que nous connaissions, comme aiinex (annixum
probablement), delibers, ordein:;^. Ces deux derniers participés peut-
être proviennent des participes en / par la chute de la dernière syl-
labe.
Toutes les autres reformations en sum sont dues au latin.
■ Nous avons cité aussi des participes passés qui ont été copiés sur
les participes latins en ntmn (restitutum, institutum, devolutum, dis-
tributum); ce sont en réalité des participes faibles en latin, mais
l'anglo-français les a traités comme des participes forts en ce qu'il
leur a conservé la dentale finale. Les participes en ptiim et en ctum
n'ont pas été moins nombreux et leur origine n'est pas moins évi-
dente : compunct, conviçt, astrict, enfect, direct, conjiinct, adept, cor-
rupt, redempt, assiimpt, interriipt sont évidemment pris du latin. La
seule exception que nous ayons rencontrée dans ces nouvelles for-
mations, c'est le participe execut qui a la même origine que delibers
et oi-dein^ que nous citions plus haut.
Pour en terminer avec l'influence du latin, nous ajouterons un
mot sur les changements qu'il a causés dans certains thèmes ; c'est
la forme même du mot latin qui a causé l'introduction dans un
grand nombre de cas de lettres parasites, comme p dans escript
(scriptum), de c dans sciet, savent (fausse étymologie de scire), de c
dans un grand nombre de participes passés, comme dict, dediict,
retract, indiict, instritct. Tous ces exemples datent du xiv^ siècle, et
particulièrement de la seconde moitié de ce siècle .
Il est à peine nécessaire de mentionner l'influence du provençal
sur la conjugaison anglo-française. Nous avons trouvé, séparés par
un intervalle de plus de deux siècles, deux infinitifs en ar : guardar
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 823
qui rime avec César dans le Cumpoz ; repara r dans un traité de 1350
des Rymer's Foedera.
Ajoutons-y trois participes en al, qui sont encore plus douteux :
obstinât qui rime avec prélat dans la Petite Sume ; tratat^ dans les
Rymer's Foedera; (1299) inchoat:( dans les Statutes (134^). Ces
cinq formes sont plus vraisemblablement dues à l'influence du
latin.
II. Influence des dl\lectes français.
L'anglo-français a donc ressenti à peu près également à toutes
les époques l'influence du latin, et nous en trouvons des traces dans
les textes littéraires aussi bien que dans les ouvrages qui n'appar-
tiennent pas à la littérature. Cependant, quoique étendue, cette
influence le cède en importance à celle qui a été exercée par les
dialectes français du continent.
Il n'est pas dans tous les cas facile, ni même possible, d'attribuer
avec quelque certitude à un dialecte déterminé certaines formes
qui se sont évidemment introduites dans l'anglo-français. Ces der-
nières peuvent parfois être communes à tous les dialectes du con-
tinent, et nous n'avons aucune raison d'y voir la preuve de l'in-
fluence du francien plutôt que du poitevin ou du normand. Nous
grouperons les formes de cette nature et nous les attribuerons, sans
tenter de préciser davantage, à l'influence continentale. D'autres se
laissent plus facilement localiser ; mais elles peuvent appartenir à
tout un groupe de dialectes ; nous les attribuerons donc à ceux des
dialectes de ce groupe qui ont laissé par ailleurs des traces indiscu-
tables de leur influence sur l'anglo-français.
De cette façon, notre étude comprendra quatre parties:
a) Influence continentale.
F) Influence des dialectes du Nord et de l'Est.
c) Influence du bourguignon.
d) Influence du wallon et du picard.
a) Influence continentale.
Nous avons pu remarquer à difl^érentes reprises que l'évolution
normale de l'anglo-français avait eu pour résultat de taire dispa-
824 l'évolution du verbe en anglo-français
raître un certain nombre de formes régulières de la conjugaison
anglo-française, et que subitement et sans raison apparente, ces
formes à une certaine époque se montraient de nouveau d'une
façon à peu près générale dans la plupart des textes anglo-français.
Il est digne de remarque que cette résurrection des formes étymo-
logiques s'est produite à peu près à la même date dans tous les cas :
nous n'hésiterons pas à attribuer à l'influence continentale ce
renouveau des formes anciennes. On ne peut en effet invoquer ici
le développement phonique, puisque ces formes sont Justement l'op-
posé de celles que le développement phonique avait produites ; ni
l'analogie, puisque, dans la plupart des cas, il n'était pas resté de
formes sur lesquelles on aurait pu créer des formes analogiques ; ni
enfin l'influence des textes anglo-français précédents ou un retour
à l'usage ancien ; nous n'avons jamais vu de cas montrant claire-
ment que la langue des premiers ouvrages anglo-français ait exercé
une influence réelle sur des ouvrages postérieurs.
Du reste, les auteurs du xiv^ siècle ne pouvaient guère lire les
.ouvrages du xii' que dans des manuscrits assez récents, et nous
savons quelle était la correction des scribes du xiii* siècle par
exemple.
Il nous reste donc à attribuer Ja réapparition des formes étymo-
logiques à une influence extérieure.
Les cas qui montrent ainsi un retour à un usage plus ancien sont
encore assez nombreux et nous allons les rappeler brièvement en
insistant surtout sur les dates auxquelles ils se rencontrent de nou-
veau pour la première fois. Dans les désinences personnelles, nous
avons vu que les terminaisons masculines de la première personne
du pluriel ont perdu progressivement leur 5 finale entre 11 10 et
le milieu du xiii* siècle. Un très petit nombre d'auteurs, comme
nous le disions, ne suivent pas pendant cette période la tendance
générale, par exemple Frère Angier ; mais c'est certainement sous
l'influence du continent que Frère Angier a rétabli Vs de la pre-
mière personne du pluriel, car, comme l'a établi Miss M. K.
Pope, l'influence du continent a été assez forte sur cet auteur.
Après 1250 toutefois les s de la première personne du pluriel mas-
culine deviennent non seulement nombreuses mais à peu près
générales ; le Roman des Romans, l'Ordre de Bel Eyse, le Manuel
des Péchés, nous en donnent un nombre considérable d'exemples
LES INFLUENCES EXTERIEURES 825
et pendant tout le siècle suivant les terminaisons asigmatiques à
cette personne sont extrêmement rares.
Les mêmes remarques peuvent se fltire pour les textes qui ne
rentrent pas dans la littérature ; quelques-uns, à vrai dire, montrent
bien quelques formes de la première personne du pluriel purement
anglo-françaises, comme les Literae Cantuarienses ; mais la masse
des textes politiques et familiers a adopté la forme française de
cette désinence ; et l'on pourra trouver assez remarquable que
toutes les lettres du recueil Royal Letters antérieures à 1263 con-
tiennent une majorité de formes sans s et que dans celles qui sont
postérieures à cette date les désinences sigmatiques prédominent.
Il semble donc bien établi que, entre 1250 et 1263, l'usage sur ce
point en anglo-français a changé très brusquement, évidemment
sous l'influence de dialectes français qui conservaient Vs dans la
terminaison ons.
La première personne du pluriel nous fournit encore la matière
d'une remarque, sur laquelle nous serons beaucoup moins affirma-
tifs : cette remarque porte sur la terminaison ions. Cette terminai-
son est relativement rare à certains temps (présent du subjonctif en
iani, imparfait du subjonctif) pendant la dernière partie du
xii^ siècle et les trois premiers quarts du xiii^; après 1275, au con-
traire, elle devient assez commune ; mais ici on doit considérer
que la désinence ions n'avait jamais complètement disparu à ces
temps et qu'ensuite l'imparfait de l'indicatif et le conditionnel
l'avaient conservée très régulièrement; par conséquent l'anglo-fran-
çais livré à ses propres ressources aurait pu la rétablir aux temps
qui nous occupent. Cela, nous devons le dire, ne nous semble pas
très vraisemblable.
La deuxième personne du pluriel masculine nous fournit un des
exemples les plus évidents de l'influence du français sur l'anglo-
français : le rétablissement de la terminaison iV:{. Pour ne pas avoir
à revenir sur le sujet de la diphtongue ie, nous joindrons ici à la
deuxième personne du pluriel les infinitifs en ier, et les participes
en ié.
Nous n'avons pas l'intention de répéter ici les remarques que
nous avons laites ni les exemples que nous avons donnés dans
notre première partie ; nous nous contenterons de rappeler cer-
taines conclusions auxquelles nous sommes arrivé alors. La dési-
826 l'évolution du verbe en anglo-français
nence en ie:^ a été toujours conservée à l'imparfait de l'indicatif et
au conditionnel ; pour certains imparfaits du subjonctif cette dési-
nence s'est assez bien maintenue ; pour le présent de l'indicatif et le
présent du subjonctif, />~ devient sporadique entre ii6oet 1200 et
disparaît par la suite. Les infinitifs en icr et les participes en /Vont
subi la réduction de la diphtongue dans les mêmes conditions que
cette dernière classe des terminaisons en ie:;^.
Or, pour toutes les terminaisons d'où il avait disparu, 1'/ se
montre de nouveau vers 1280 : dans les œuvres littéraires, on
trouve un assez grand nombre de deuxièmes personnes du pluriel
qu'on ne trouvait jamais auparavant avec la terminaison itx : la
Chronique de Pierre de Langtoft, le Siège de Carlaverok, le
Poème du Prince Noir nous en donnent des exemples assez nom-
breux. Et ces mêmes ouvrages fournissent une Hste encore plus
longue de participes passés en ié et d'infinitifs en ier. Mais les dates
les plus précises nous sont encore ici fournies par les textes non
httéraires ; les Statutes nous donnent de ces infinitifs quelques
exemples sous la date de 1275 et les Early Statutes of Ireland
à la date de 1285 ; les Lettres de Jean de Peckham en ont aussi
quelques-uns en 1281 ; les Rymer's Foedera en 1294. Pour
les participes en ié, nous rencontrons les premiers exemples encore
dans les Lettres de Jean de Peckham et à la même date de 1281 ;
dans les Statutes (1297) ; dans les Parliamentary Writs (1299) ;
enfin nous avons aussi pour des dates très voisines des exemples
de nouvelles formes de la seconde personne du pluriel en /V~ : en
1284 pour les Lettres de Jean de Peckham, en 1297 pour le livre
des Statutes.
Il est donc évident que vers 1275 ou 1280, les formes en ie^ qui
depuis plus d'un siècle avaient été limitées à un certain nombre de
personnes, les terminaisons en ier et ié qui, pendant le même espace
de temps, avaient à peu près entièrement disparu de l'anglo-français,
reparaissent en même temps sur toute la ligne. Ici, nous avons
d'une façon évidente imitation d'un dialecte français. Nous ne sau-
rions préciser lequel ; mais nous verrons tout à l'heure que cette
question même de la diphtongue ie nous fournira quelques indi-
cations utiles.
Enfin, l'un des traits caractéristiques de l'anglo-français est,
comme nous l'avons déjà dit plus d'une fois, et comme on l'a
LES INILUENCES EXTERIEURES 827
montré bien longtemps avant nous, le passage à la forme en er des
infinitifs de la troisième conjugaison. Vers la fin du troisième quart
du xiii^ siècle, la désinence en cir ne se rencontre plus dans la
conjugaison. Subitement encore, quoique moins subitement que
pour la diphtongue ic, nous voyons réapparaître la diphtongue oi
dans la terminaison des infinitifs de III.
Certains scribes sont les premières personnes qui emploient de
nouveau la désinence régulière des infinitifs de la troisième conju-
gaison, par exemple le scribe du ms. Douce 98, ou du ms. Cam-
bridge University Library Ee, i, i ; les auteurs semblent ne
reprendre que plus tard cette forme ; nous en avons un exemple
dans là Chronique de Pierre de Langtoft ; un peu plus tard, dans
les poèmes du Prince Noir, les Vies de Saints de Bozon, dans les
Proverbes de Bon Enseignement, dans la Chronique de Nicolas
Trivet, les exemples sont assez nombreux.
Les textes politiques et autres du même genre nous ont fourni
plus d'exemples que les œuvres littéraires et à des dates plus
anciennes; dans les Statutes, les premiers cas remontent à 1285, et
il en va de même pour les recueils de langue légale qui dès le com-
mencement du xiv^ siècle nous donnent un grand nombre de
formes régulières.
Nous devons faire remarquer toutefois que ces terminaisons en
oir sont certainement beaucoup plus communes dans les textes poli-
tiques et diplomatiques que dans les œuvres littéraires ou légales.
Mais, nous pouvons affirmer toutefois que dans l'ensemble des
écrits anglo-français, nous retrouvons, pendant le dernier quart du
xiii" siècle, ou au plus tard au commencement du siècle suivant, la
même tendance générale à faire revivre les désinences régulières
pour les infinitifs de III ; et cette tendance, nous ne pouvons en
trouver la raison que dans l'influence exercée sur l'anglo-français
par les dialectes du continent.
Signalons enfin un autre point qui ne manque pas d'importance:
l'amuissement de 1'^ muet posttonique après la diphtongue ei est
encore un des phénomènes les plus importants de l'histoire de l'an-
glo-français principalement au xui* siècle ; et nous avons vu qu'au
moment où William de Waddington écrivait, l'c posttonique avait
disparu à peu près absolument.
Or, au xiv"^ siècle, dans bien des cas, nous voyons revenir cet c
828 l'évolution du vekiîe en anglo-français
muet : l'Erection des Murs de New Ross, le Siège de Carlaverok, le
Poème du Prince Noir nous en donnent de nombreux exemples ;
un grand nombre de scribes de cette époque écrivent à peu près
régulièrement cette voyelle. De même en dehors de la littérature,
les formes abrégées sont des plus rares. Ve est constamment écrit.
A quoi attribuerons-nous cette régularité imprévue ? A n'en pas
douter, elle est due à l'imitation de la langue écrite sur le continent
et nous ne pouvons pas découvrir de raison qui puisse rendre
compte d'un ensemble de faits aussi précis.
Nous résumerons maintenant en quelques mots les particularités
de la conjugaison que nous attribuons à l'influence du français :
1 . Rétablissement de 1'^ dans les désinences masculines de la pre-
mière personne du pluriel.
2. Rétablissement de la diphtongue ie dans un grand nombre
de formes du verbe.
3. Rétablissement de la désinence régulière pour les infinitifs de
m.
4. Rétablissement de Ve en hiatus après la diphtongue ei.
Ce qu'il est nécessaire de remarquer encore, c'est que ces diffé-
rents phénomènes se reproduisent tous à peu près à la même date,
ou plus exactement, car ces nouvelles formes ne se sont pas géné-
ralisées tout d'un coup, les premiers exemples que nous rencon-
trions se trouvent tous entre 1260 et le commencement du
xiv^ siècle.
Nous avons trouvé cet ensemble de faits assez frappant déjà ;
mais nous avons des renseignements encore plus précis qui nous
permettront de localiser les formes d'emprunt que nous trouvons
en anglo-français.
b) Influence des dialectes du Nord et de l'Est.
Les phénomènes que nous venons d'exposer sont relativement
généraux, et il est par conséquent évident que nous ne pourrons
pas en rencontrer désormais beaucoup qui présentent ce caractère ;
nous trouverons plus de traces de l'influence des dialectes français
sur des points de détail que sur des ensembles de formes.
Nous diviserons notre étude en deux parties.
LES INFLUENCES EXTERIEURES - 829
I. Désinences personnelles. — Nous attribuerons d'abord à l'in-
fluence de ce groupe de dialectes certaines désinences personnelles.
La désinence féminine faible de la première personne du pluriel en
ornes n'a jamais été très employée dans la littérature anglo-française ;
nous en avons relevé et cité quelques rares exemples au xii'= siècle;
au commencement du xiii% nous n'en trouvons d'exemples que
dans les poèmes de Frère Angier. Ce n'est que vers la fin de ce
siècle et pendant tout le siècle suivant que cette désinence devient
assez commune dans les œuvres littéraires : Walter de Bibblesworth,
Pierre de Langtoft, Nicolas Trivet nous ont fourni de nombreux
exemples de cette terminaison, et il en va de même pour les
Rymer's Foedera, les Historical and Municipal Documents of Ire-
land, les Literae Cantuarienses.
L'on sait du reste que la Champagne, le Cambrésis, le Brabant,
la Flandre, l'Artois, la Picardie emploient très fréquemment cette
désinence.
Nous n'insisterons pas trop sur ce rapprochement, car puisque
cette terminaison se trouve dans le Voyage de Saint Brandan, dans
l'Estorie des Engleis, il pourra sembler inutile d'invoquer l'in-
fluence de la Bourgogne et de la Picardie ; mais il nous semble que
les exemples du Saint Brandan ou de Gaimar, très anciens et très
isolés, ne peuvent guère rendre compte de la recrudescence assez
soudaine de la popularité de cette désinence.
Ce qui ne peut que nous fortifier dans cette opinion, c'est que le
bourguignon ou le wallon ou le picard ont certainement fourni à
l'anglo-français d'autres désinences pour la première personne du
pluriel : les désinences en iens et en ieines. Ces deux désinences
sont inconnues à la langue littéraire, mais, comme nous l'avons fait
remarquer, très employées dans les textes politiques et diploma-
tiques, spécialement la première. Nous en avons rencontré des
exemples dans les plus anciens textes qui n'appartiennent pas à la
littérature: les Rymer's Foedera nous en donnent un très grand
nombre sous la date de 1294, les Statutes sous la date de 1297, les
Parliamentary Writs en 1299, etc., et ces formes se trouvent
employées jusqu'en 1400 et même plus tard. Ici, nous ne pouvons
pas avoir de doute sur l'origine de ces désinences; elles viennent
à l'anglo-français des dialectes de l'Est et du Nord de la France ;
elles se sont aussitôt acclimatées dans la langue politique et diplo-
830 l'évolution du verbk en anglo-françals
matique qui n'avait à la fin du xiii"^ siècle, ni passé, ni tradition ;
quant aux écrivains purement littéraires, ils se sont soustraits à
cette influence ; les formes en iciis et en ieines ont dû leur sembler
trop différentes des désinences qu'ils avaient jusqu'alors emplo3^ées.
Aussi ne les emploient-ils que très rarement. Elles se rencontrent
cependant, comme dans le premier Appendice de Pierre de Langtoft.
Il se peut qu'on puisse en relever d'autres exemples, mais ils ne
peuvent être très nombreux. Il importe du reste fort peu ; il nous
suffit qu'une branche, et une branche importante de la littérature
anglo-française, comprenant des productions de genre très différents,
des textes politiques et diplomatiques, des lettres familières, des
documents légaux, nous présente un nombre considérable de ces
désinences étrangères à l'anglo-français pour que nous en concluions
que les dialectes qui lui ont fourni ces formes ont joué un rôle
assez important dans le développement de l'anglo-français. Il
n'est pas difficile d'admettre que sur un point la langue littéraire
ait pu se soustraire plus ou moins complètement à cette influence.
Les désinences personnelles nous offrent encore au moins deux
points qui montrent d'une façon fort claire l'influence de ces mêmes
groupes de dialectes. On pourra dire que ce ne sont que des
points de détail qui n'ont même pas la généraUté des terminaisons
que nous venons d'examiner. Ce n'est même pas seulement dans une
branche tout entière de la production anglo-française que se
montrent ces désinences dont il nous reste à parler ; ce ne sont que
des exemples isolés que nous avons relevés. Évidemment, si nous
n'avions pour soutenir notre thèse que les quelques exemples qui
suivent, nous ne pourrions pas arriver à des conclusions qui aient un
caractère suffisant de généralité. Mais nous avons montré déjà
quelques cas d'influence indiscutables ; nous en verrons encore
d'autres ; dans ces conditions, même les traces d'influence de détail,
si on peut dire, ont leur importance et montrent qu'elle s'est
exercée irrégulièrement suivant les auteurs et qu'elle a été assez
profonde pour permettre l'emploi de formes que la généralité des
écrivains évitaient. C'est dans les prétérits en avi et dans les impar-
faits du subjonctif qui leur correspondent que nous trouvons
encore des traces de l'influence des désinences personnelles des dia-
lectes du Nord et de l'Est.
Le Poème du Prince Noir nous a donné quelques prétérits en
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 83 1
avik la troisième personne du pluriel affectés de la terminaison en
arent, par exemple alarent et coronarent ; les Rymer's Foedera nous
ont fourni renunciarent, 1299, et les Year Books conissarent. Or, ces
formes de la troisième personne du pluriel des prétérits en avi sont
assez communes en picard et peut-être encore plus fréquentes en
bourguignon ; on peut en trouver par exemple de nombreux cas
dans les Sermons de Saint Bernard.
Le wallon les connaît aussi et elles y sont au moins aussi fré-
quentes que dans le bourguignon ; on peut trouver quelques ren-
seignements sur cette terminaison en wallon dans l'article de
la Romania XVI, p. 121; principalement dans le travail de M.
Suchier au volume II de la Zeitschrift, p. 275 ; enfin M. Wil-
motte (Études de Dialectologie wallonne, Romania XVII, n° 50)
en relève de nombreux exemples dans le dialecte de Liège.
Nous pouvons rapprocher de cette désinence des troisièmes per-
sonnes du pluriel des prétérits en avi la troisième personne du plu-
riel des imparfaits du subjonctif de la même classe ; c'est la termi-
naison en aissent; nous devons avouer que cette terminaison est
assez rare en anglo-français, puisque nous n'en avons que deux
exemples qui se lisent tous les deux dans les traités de Rymer :
deinoraissent qxï on trouve sous la date de 1338, et alaisseut sous la
date de 1339.
Tout isolées qu'elles sont, ces deux formes doivent s'expliquer
et elles ne s'expliquent que sous l'action des dialectes du Nord et
de l'Est de la France où cette désinence est assez 'commune.
(Pour le bourguignon, voir les Sermons de Saint Bernard ; pour
le wallon, cf. Etudes de Dialectologie wallonne de M . Wilmotte,
Romania XVIII, La région au sud de Liège.)
Le second point est plus important, car nous y étudierons une
terminaison qui se rencontre non seulement à la troisième per-
sonne du pluriel, mais aussi à la troisième personne du singulier
et surtout au participe passé. Nous groupons ici, pour éviter les
redites et quoique nous sortions des désinences personnelles, des
formes analogues et de même origine. Nous voulons parler des
terminaisons en ie rimant en / que nous avons observées dans les
trois cas que nous venons d'énumérer ; nous avons vu avec cette
terminaison des troisièmes personnes du singulier, des troisièmes
personnes du pluriel, enfin des participes passés. Ces formes appar
832 l'évolution du verbe en anglo-français
tiennent toutes à la littérature ; nous ne pouvons pas en citer, sauf
aux troisièmes personnes du singulier et du pluriel, qui proviennent
des textes non littéraires, car nous avons besoin de la rime pour
pouvoir distinguer ces participes, quand ils proviennent d'un verbe
de I, des participes en té; et quand ils proviennent d'un verbe de
II, nous ne savons pas si Vc final n'est pas simplement un e parasite.
Mais nous sommes assuré de l'existence de ces formes dans la
littérature et nous pouvons en conclure qu'a fortiori, elles ont dû
exister dans les textes diplomatiques et politiques.
Nous avons montré dans notre première partie que l'anglo-
français a fait au xiv^ siècle un emploi assez étendu de la désinence
en ie (rimant en /) pour la troisième personne du singulier, la
troisième personne du pluriel, et pour certains participes passés.
Nous avons cité pour la troisième personne du pluriel certains
exemples qui remontent au xii^ siècle, mais qui nous ont semblé
assez douteux : prenient (Psautier de Cambridge, lire prcignent ? ),
reqiiiergient (Quatre Livres des Rois, graphie de gé), aiinuncient
(Quatre Livres des Rois). Nous ne nous occuperons pas davantage
de ces quelques formes qui sont absolument isolées au xii" siècle.
La désinence en ie ne se rencontre guère qu'au xiv^ siècle.
A la troisième personne du singulier nous en trouvons plusieurs
exemples à la rime dans la Chronique de Pierre de Langtoft,
dans les Contes de Nicole Bozon, dans la Bounté des Femmes
du même auteur, sous la plume du scribe de la Destruction de
Rome. Ce sont surtout des verbes de II, principalement des
inchoatifs, qui prennent cette désinence. A la troisième personne
du pluriel, les exemples dans la littérature remontent un peu plus
haut : devient pour dcivent se rencontre dans le Manuel des
Péchés; mais c'est surtout au participe passé que nous rencontrons
cette désinence et que les cas sont à la fois les plus nombreux et les
plus assurés. Le Siège de Carlaverok, la Chronique de Pierre de
Langtoft, le poème du Prince Noir, le manuscrit de la Destruction
de Rome, pour n'en citer qu'un petit nombre, nous ont fourni une
longue liste de participes passés de verbes de I et de II affectés de
cette terminaison ; on peut donc conclure que la désinence en ie a
apparu, dans les œuvres littéraires, à peu près simultanément dans
les trois cas que nous venons d'énumérer, et que la date de cette
apparition est le commencement du xiV siècle. Les renseignements
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 833
que nous avons tirés des textes qui n'appartiennent pas à la litté-
rature concordent aussi bien que possible avec les conclusions que
nous venons de tirer ; les premiers exemples de la désinence en ie
que nous ayons rencontrés, se lisent dans le Blacke Booke of the
Admiralty à la date de 1291; les traités de Rymer et le livre des
Statutes nous en ont donné un certain nombre de cas dans le cou-
rant du xiv^ siècle.
Cette terminaison en ie, surtout pour le participe passé, se ren-
contre très régulièrement dans les dialectes du Nord et de l'Est.
Pour le bourguignon, on en relève des exemples dans Villehar-
douin (Cf. Natalis de Wailly) ; pour le picard, nous pouvons
citer les œuvres de Philippe Mouskes et d'Henri de Valenciennes ;
pour le wallon, nous voyons que Wilmotte en cite des cas (Études
de Dialectologie wallonne III, Romania XIX, p. 75) pour la région
namuroise, aux numéros 6 et 7.
C'est à ces dialectes, ou à l'un de ces dialectes, que l'anglo-
français, croyons-nous, a emprunté cette désinence qui a eu une
fortune si rapide et si considérable au xiV' siècle. Nous croyons en
effet impossible de faire reiponter aux exemples isolés du xii' siècle
l'origine des formes du xiv^ ; seule une influence étrangère à l'an-
glo-français a pu produire ces formes si nombreuses ; et nous
avons ici une des meilleures preuves de cette influence, que nous
cherchons à établir, non seulement sur les textes politiques et
diplomatiques, mais sur les ouvrages purement littéraires.
2. Les temps. — Les temps nous fourniront des remarques aussi
importantes que les désinences personnelles. Nous étudierons
d'abord l'imparfait de l'indicatif et le conditionnel (terminaison eie),
et la diphtongue radicale (ei) de certains subjonctifs. En ce qui
concerne ces formes, nous serions très tenté d'attribuer à la
même influence la prédominance de la diphtongue oi dans la con-
jugaison du verbe à certaines époques de l'histoire de l'anglo-
français.
Nous avons déjà eu l'occasion de faire observer, car cette ques-
tion se rattachait indirectement à différents points de notre sujet,
que le passage de et à oi n'est pas très commun dans la phonétique
anglo-française. Et les exemples de ce passage, que nous avons
relevés dans le verbe au xW siècle, nous les considérerions volontiers
comme provenant de l'influence du bourguignon ou du wallon. Et
53
834 l'évolution du verbe en anglo-français
ce qui nous porterait encore à le croire, c'es; que nous n'observons
guère ce changement que chez les auteurs ou pendant les périodes
qui ont été plus particulièrement soumis aux influences du conti-
nent. Ainsi Frère Angier est le seul auteur appartenant au com-
mencement du xiii^ siècle qui nous montre un nombre assez consi-
dérable de formes ayant la diphtongue oi, comme Miss M. K. Pope
et M. Timothy Cloran le font observer.
De la même façon, si nous passons à l'époque suivante, ce n'est
que vers 1300 que les imparfaits de l'indicatif, les conditionnels,
le subjonctif du verbe être, prennent cette diphtongue d'une façon
à peu près régulière dans les œuvres littéraires. Cette influence, si
c'est à elle qu'est due «cette forme de la diphtongue, s'est exercée
un peu plus tôt en dehors de la littérature : la diphtongue oi dans
cette catégorie de textes est commune dès le commencement du
quatrième quart du xiii" siècle et elle devient à peu près unique
après 1350. Cette influence nous expliquerait assez bien un certam
nombre de formes qui semblent étranges en anglo-français et
même contraires à toutes les tendances de la phonétique anglo-
française ; citons les premières personnes du singulier du futur en
oi : oie pour aie (habeam) : foimes pour faimes ; dans ces quelques
cas, la diphtongue oi provient de ai après que cette diphtongue a
évolué vers ei ; mais le dernier développement de cette évolution,
que rien ne fait prévoir ni ne justifie dans la phonétique anglo-
française, est dû à l'influence des dialectes du Nord et de l'Est, qui,
comme on le sait, aff^ectionnent la diphtongue oi.
C'est encore à ces mêmes dialectes qu'il faut attribuer le nombre,
très restreint au xiii'' et assez considérable au xiv^ siècle, de dési-
nences en eir qui aff"ectent les infinitifs de I. Le bourguignon en
off"re, comme on le sait, de nombreux exemples (cf. par exemple
les Sermons de Saint Bernard). Pour le wallon, M. Wilmotte nous
donne quelques renseignements pour la région namuroise au volume
XIX de la Romania, aux numéros lé et 17.
Cette influence des dialectes du Nord et de l'Est semble s'être fait
sentir tout d'abord dans Frère Angier; c'est le seul auteur du xiii^
siècle qui nous présente un nombre assez grand d'infinitifs de I
affectés de la terminaison eir; nous avons cité, d'après Miss M. K.
Pope : aleir, achiveir, ameir, eschiveir, gardeir, proveir, salveir, ,
troveir.
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 835
Mais la plus grande masse des exemples se retrouve en dehors
de la littérature ; la plupart des textes politiques et diplomatiques
nous en ont fourni quelques exemples : dans les Statutes, nous avons
vuessoneyr, tueir (1275); à la date de 1285, les Early Statutes of
Ireland nous ont donné essoneyr, et alcir en 1310 ; troveir se ren-
contre dans les Rymer's Foedera (1259) et dans les Parliamentary
Writs (1297). Nous en avons cité encore plusieurs autres et il nous
aurait été assez facile d'en trouver encore un plus grand nombre.
Ce qu'il faut remarquer et ce qui montre très clairement que toutes
ces terminaisons sont un emprunt et non un simple passage à
la troisième conjugaison, c'est que les infinitifs de I que nous
avons relevés sous cette forme présentent tous la désinence en eir et
non celle en oir qui est à cette époque la terminaison ordinaire des
infinitifs réguliers de la troisième conjugaison. Quelques verbes de
II se rencontrent aussi avec cette terminaison, comme veneir et
acompleir ; ils ont passé probablement par les formes intermédiaires :
vener et acompler.
Voilà donc en quelques mots des traces en anglo-français
de l'influence de certains dialectes français : le picard ou le wallon
ou le bourguignon. Nous ne pouvons pas déterminer maintenant
lequel de ces trois dialectes a pu prêter au nôtre les formes que nous
avons énumérées, et comme nous verrons que l'anglo-français a
contracté une dette envers chacun de ces trois dialectes, nous
n'avons aucune raison d'attribuer les emprunts ci-dessus à l'un
plutôt qu'à l'autre. Nous pouvons résumer ce que nous venons
d'exposer en disant que nous avons retrouvé en anglo-français,
sous l'influence des dialectes du Nord et de l'Est de la France, peut-
être trois, certainement deux désinences de la première personne
du pluriel : orgies ?, iens, iemes ; deux désinences de la troisième per-
sonne du pluriel : la désinence en arent et celle en aissmt. La
diphtongue oi du conditionnel, de l'imparfait de l'indicatif, etc.,
provient peut-être de la même origine ; la terminaison en ic pour
la troisième personne du singulier et du pluriel et pour le participe
passé, de même que la terminaison en eir pour les verbes de I, sont
dues aux mêmes dialectes.
836 l'évolution du verbe en anglo-français
c) Influence du bourguignon.
Les remarques que nous venons de faire ont une importance
incontestable, mais elles manquent encore un peu de précision ; il
serait intéressant de déterminer exactement si les formes que nous
avons énumérées et groupées appartiennent au Nord ou à l'Est de
la France. A première vue, on serait tenté de les attribuer plutôt
au picard ou au wallon qu'au bourguignon ; on comprend plus
facilement l'influence des deux premiers de ces dialectes, tandis que
la façon dont le troisième a pu agir n'est pas aussi évidente. Et
nous-même, nous nous serions contenté de signaler, sans nous y
arrêter davantage, les rapports entre l'anglo-français et le bourgui-
gnon si nous n'avions relevé que les quelques points que l'anglo-
français a en commun avec les dialectes de l'Est aussi bien que du
Nord.
Mais les rapports ne s'arrêtent pas là. Nous avons aussi à signa-
ler quelques formes qui ont été introduites dans l'anglo-français
du xiii^ ou du xiv^ siècle et qui ne sauraient guère provenir que du
bourguignon.
Remarquons tout d'abord que la terminaison de la première
personne du pluriel pour l'imparfait et le conditionnel dans l'anglo-
français politique et diplomatique est peut-être plus souvent iejis
que ienus. Or iens est plus spécialement bourguignon, et iemes plus
spécialement picard ou wallon. Il serait donc assez difficile de com-
prendre pourquoi nous pouvons observer cette différence entre
l'emploi des deux formes en anglo-français, si les dialectes du Nord
avaient eu seuls quelque influence sur notre dialecte. Au contraire,
nous comprenons très bien que, si les deux groupes ont agi sur lui,
il a pu développer l'une des deux formes de préférence à l'autre.
Du reste nous avons mieux que cette présomption. Deux faits
que nous avons signalés dans la conjugaison anglo-française nous
semblent d'origine bourguignonne : les infinitifs en or de la troisième
conjugaison, et le traitement de Vi en hiatus.
Les infinitifs en or pour eir ne sont pas très rares en anglo-
français et nous les rencontrons dans un assez grand nombre de
textes diff'érents. Les Traités de Rymer nous en donnent deux
exemples : savour dans un traité de 1297, resceivor dans un autre
qui porte la date de 1375 ; ^^^ Chroniques du Monastère de
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 837
Saint-Alban ont savor en 13 lo, les Documents Inédits nous
donnent avor à la date de 1382. On pourrait vraisemblablement
en relev erd'autres exemples ; surtout, on ne doit pas oublier qu'un
nombre assez considérable d'infinitifs de cette espèce a pu dispa-
raître, corrigés, soit par d'autres scribes, soit par les éditeurs eux-
mêmes qui leur donnaient la forme plus habituelle er. Quoi qu'il
en soit les quelques exemples que nous avons rencontrés et cités
nous suffisent; nous ne pouvons pas les considérer comme des
erreurs des scribes et ils nous montrent sans aucun doute pos-
sible que le dialecte bourguignon a exercé sur l'anglo-français
une influence qui a commencé au plus tard vers la fin du xiii«
siècle.
On pourrait peut-être expliquer par l'influence du bourguignon
le traitement dans l'anglo-français du xiii'' et du xiv^ siècle de la
voyelle / en hiatus. Nous avons dit que i en hiatus passe à <? et
surtout à oi dans les terminaisons en ions, ie:^, ier. La graphie e ne
nous arrêtera pas ; nous pouvons en effet très bien admettre que
cette graphie soit normale en anglo-français et ait pu se produire
sans aucune intervention étrangère, quoique ce soit surtout l'usage
contraire qui soit attesté (cf. criaiure dans le Drame d'Adam). La
diphtongue oi de l'autre côté n'a pas pu provenir d'un développe
ment phonique normal en anglo-français. En eff"et, non seulement
l'anglo-français n'a pas montré beaucoup de goût pour cette
diphtongue, mais il a toujours tendu à faire passer les diphtongues
à la voyelle simple et c'est le contraire qui s'est produit ici. Or les
formes que nous présentent la diphtongue sont extrêmement nom-
breuses. Le premier exemple d'une première personne en ions que
nous trouvions dans la littérature se lit dans la Vie de Saint Auban,
mais peut ne remonter qu'au xiv* siècle ; pour la seconde personne
du pluriel, la Vie d'Edward le Confesseur nous donne estoie-^
que nous attribuerions aussi au scribe et qui par conséquent ne
remonterait pas plus haut que Vestoïiim de la Vie de Saint
Auban.
Les œuvres qui n'appartiennent pas à la littérature nous four-
nissent plus d'exemples et des dates plus précises; la première per-
sonne du pluriel que nous ayons trouvée dans cette catégorie
d'ouvrages avec cette diphtongue se lit dans les Rymer's Foedera
sous la date de 1294 et à partir de 1300 les exemples se multiplient
838 l'évolution pu VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
dans la plupart des recueils ; seul, le livre des Statutes ne nous a
donné une terminaison en oiuins que vers le milieu du xiv^ siècle
(1344). Néanmoins, il est hors de doute que déjà au commence-
ment de ce siècle les formes analogues sont des plus communes dans
la plupart des recueils. Il en est de même de la deuxième personne
du pluriel, la désinence en oie^ est très fréquente dans tous les
recueils à partir du commencement de ce siècle. Nous n'avons pas
relevé un aussi grand nombre d'infinitifs de I avec la terminaison
en oier; cependant leur nombre est suffisant pour nous montrer
que les formes comme avansoier (DocumQnts Inédits 1372) n'avaient
rien d'exceptionnel, surtout après 1350.
Nous pourrions hésiter ici encore entre le picard et le bourgui-
gnon dans la question de savoir à l'influence de quel dialecte est
due l'introduction de cette forme en anglo-français, La diphtongue
oi se rencontre dans l'un et dans l'autre ; mais il nous a semblé que
les formes en oions, oie:(, oier étaient plus communes dans le dialecte
de l'Est que dans le dialecte de l'Ouest. Et pour que ces différentes
formes aient pu prendre dans l'anglo-français l'extension que nous
leur avons vue, il a fallu nécessairement que le dialecte qui a servi
de modèle ait pu lui même fournir un nombre assez considé-
rable d'exemples. Et dans ce cas, le bourguignon répond mieux
à cette condition que le picard (voir cependant Li dis dou vrai
Aniel où la diphtongue oi se rencontre assez fréquemment au lieu
de Vi en hiatus, comme desroier au vers 258 etc.).
Si l'on n'admet pas cette influence du bourguignon sur l'anglo-
français pour ce développement de 1'/ en hiatus et que l'on pense
que les formes oions, oie:^, oier sont dues au picard, le seul trait qui
restera comme provenant du dialecte de l'Est sera celui que
montrent les quelques infinitifs en orque nous venons de rappeler.
Or, même pour ces infinitifs, on peut trouver que l'action d'un dia-
lecte plus voisin a pu s'exercer ; nous ne le croyons pas. Cependant
nous devons mentionner le fait signalé par M. Wilmotte dans
ses Études de Dialectologie wallonne (Romania XVII, n° 13,
XVIII, n° II, Liège et la région au sud de Liège) que, dans
le dialecte wallon, la diphtongue oi passe à 0 et que l'infinitif des
verbes de la troisième conjugaison rime avec des mots tels que flor.
Mais, ce qui nous fait hésiter à attribuer les formes ci-dessus au
wallon c'est que nous n'avons jamais rencontré dans les textes
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 839
wallons d'infinitif de III écrit avec la terminaison or. Or, l'action
de ces dialectes sur l'anglo-français a dû être surtout et peut-être
uniquement une influence des textes écrits. La prononciation n'a
pas pu avoir d'influence et ce n'est qu'en bourguignon que cette
graphie, à notre connaissance, se rencontre.
Si nous nous trompons, comme c'est possible, les phénomènes
que nous venons de citer sont des preuves de l'action des dialectes
du Nord et Nord-Ouest, et non de l'Est.
d) Influence du picard et du wallon.
Nous arrivons enfin à l'influence la plus considérable qui se soit
exercée sur l'anglo-français, influence à laquelle on doit attribuer
certainement le plus grand nombre des formes que nous avons
énumérées dans la section qui traite de l'influence commune des
dialectes du Nord et de l'Est, et dans celle qui expose les emprunts
que l'anglo-français a faits aux dialectes du continent: l'influence
du wallon et du picard . Nous aurions aimé à faire une distinction
aussi précise que possible entre l'action de ces deux dialectes, car
ils ont chacun une physionomie propre ; mais, sans vouloir faire
intervenir ici la Sprachmischung, il nous a été impossible, au moyen
du verbe seul, de faire cette distinction d'une façon satisfaisante ;
le plus grand nombre des formes que nous allons étudier mainte-
nant appartiennent, comme on le verra, aux deux dialectes égale-
ment. Nous nous sommes donc résigné à ne pas établir ici de
distinction entre l'influence du wallon et celle du picard. Cepen-
dant il est bon de remarquer avant de commencer que les formes
caractéristiques du picard sont à peu près entièrement absentes de
l'anglo-français, au moins au point de vue de la conjugaison. En
particulier, ce que l'on considère très justement comme la caracté-
ristique du picard, ch pour le francien c et vice versa, n'apparaît pas
dans la conjugaison anglo-française; nous avons rencontré un
exemple de fach (facio) (cf. Li dis dou vrai Aniel, page xxij) et
quelques autres formes analogues absolument isolées. Une autre
forme pourrait bien être purement picarde, c'est l'infinitif iw; mais,
quoique les cas qui nous montrent cette forme soient nombreux,
nous ne pouvons jamais décider d'une taçon certaine si nous avons
un infinitif monosyllabique (yeeir, après synérèse) ou la forme
840 L EVOLUTION DU VERBE EN ANGLO-FRANÇAIS
picarde dissyllabique. Les autres formes que nous allons citer ne
sont pas absolument spéciales au picard, quelques-unes ont dû
venir à l'anglo-français par l'entremise de ce dialecte, mais nous
ne pouvons jamais avoir quelque chose de plus sûr qu'une pré-
somption.
Au contraire le wallon a donné à notre dialecte des formes qui
n'appartiennent qu'à lui et son influence ne peut pas laisser de
doute. Miss M. K. Pope a reconnu et montré fort clairement cette
influence sur le poème du Héraut deChandos ; où, à notre avis, elle
a erré, c'est en ignorant la valeur générale de cette influence et en
concluant que le poème du Prince Noir n'appartient pas à la littéra-
ture anglo-française. Ce que nous allons voir nous montrera que
cette influence s'est exercée, très inégalement, nous le reconnais-
sons, sur toutes les branches de la production anglo-française,
spécialement sur les ouvrages qui n'appartiennent pas à la littéra-
ture.
Nous serons encore ici, pour être aussi complet que nous le
pouvons, obligé de sortir quelque peu de notre sujet et nous divi-
serons notre étude en deux parties: influence de la phonétique
des dialectes du Nord sur le verbe en anglo-français ; influence
de la conjugaison des dialectes du Nord sur le verbe en anglo-
français.
I. Influence phonique. — Nous retrouvons dans la phonétique
du Nord un certain nombre de traits qui nous expliquent plu-
sieurs formes anglo-françaises. On sait qu'en picard aussi bien
qu'en wallon e entravé passe à la diphtongue ie. M. Wilmotte, dans
ses Études de Dialectologie wallonne, en cite de nombreux
exemples (voir dans Romania XIX, n° ii), comme vieront, futur
de voir, soufliert, appiert, siet (sapit); ces formes se rencontrent
à Liège et sont encore plus communes dans la région namu-
roise. Plus au sud encore, en Picardie, ces formes sont extrê-
mement communes ; nous trouvons par exemple dans le Dis dou
vrai Aniel, sans parler de l'exemple que nous donne le titre même :
lierre (au vers 260), confies (au vers 329), siervis (au vers 357),
Robiers (au vers 409), exemples qui nous montrent ce phénomène
à la tonique et à l'initiale. Ces quelques formes prises au hasard
sont des preuves de la fréquence de ce changement.
Nous en trouvons aussi de nombreux exemples dans la conju-
LES INFLUENCES EXTERIEURES 84I
gaison du verbe en anglo-français et nous nous bornerons ici à rap-
peler les principaux cas que nous avons déjà exposés dans notre
première partie. Nous pouvons dire d'abord d'une façon générale
que tous les retours à la diphtongue ie que nous rencontrons au
XIV* siècle et qu'on a surtout considérés jusqu'ici comme des cas
d'umgekehrte Schreibung sont plus vraisemblablement des preuves
de cette influence du picard et du wallon.
Citons en première ligne les nombreux infinitifs de I qui
prennent indûment au xiv* siècle la désinence en ier ; nous ne
reproduirons pas ici la liste que nous en avons faite précédem-
ment, nous savons que de telles formes irrégulières sont extrê-
mement nombreuses dans les ouvrages littéraires aussi bien qu'en
dehors de la littérature pendant tout le xiv^ siècle. Nous ne ferons
du reste aucune difficulté pour admettre que ces terminaisons irré-
gulières sont en partie dues à l'analogie et à l'ignorance des scribes
et des écrivains anglo-français qui ont ainsi étendu à des verbes qui
n'y avaient pas droit une terminaison qui était nouvelle pour eux.
Nous ne citerons dans le verbe qu'un autre cas du passage de ^ à ie,
quoiqu'on puisse en trouver plusieurs autres; c'est celui que nous
observons dans la terminaison /V;^ et par extension dans la termi-
naison des participes passés de la première conjugaison.
Un phénomène du même genre, c'est le passage de / entravé à
cette même diphtongue ; et ici encore l'influence des dialectes qui
nous occupent est évidente. Les textes picards par exemple ont
souvent ier au lieu de ir ; Burguy cite, dans la Chronique de Jan
van Heilu, les {ormes ferier, teiiier, venier, etc. ; de la même façon,
comme nous l'avons vu, l'anglo-français du xiv* siècle, littéraire ou
non, nous a fourni toute une liste d'infinitifs de II affectés de cette
terminaison ; le manuscrit B de Boeve de Haumtone nous donne
escharnier ; la Chronique de Wil. Rishangera tefiier, la Vie de Sainte
Marguerite nous donne pleisier ; le Siège de Carlaverok, venier et
tenier ; la Chronique de Nicolas Trivet en a aussi des exemples très
nombreux.
Il en va de même pour les œuvres non littéraires ; et les premiers
exemples qu'elles nous donnent remontent au commencement du
quatrième quart du xiii' siècle : ainsi revertier à la date de 1278
dans le Livre des Statutes. Nous n'allongerons pas cette liste ; et
nous renverrons à ce que nous avons dit sur ce point dans notre
842 l'évolution du verbe en anglo-français
première partie. Comme conséquence et peut-être par analogie,
nous trouvons aussi des participes passés de cette même conjugai-
son avec la terminaison té; ces participes se trouvent dès le com-
mencement du XIV* siècle et peuvent provenir, soit des participes
réguliers sous l'influence des formes picardes, soit directement,
ce qui nous semble plus probable, des nouveaux infinitifs en
ter.
Ce passage de / à ie nous explique encore quelques formes sur
lesquelles nous nous sommes déjà arrêté : le prétérit des deux
verbe tenir et venir au xiv^ siècle montre souvent, toujours à la
même époque, un té dans le thème. Tient, vient, tiendront, viendront
sont des formes communes dans Nicolas Trivet, dans les Parlia-
mentary Writs (1301), dans le Registrum Palatinum Dunelmense
(13 12), dans les Rymer's Foedera. L'exemple le plus ancien que
nous ayons de cette forme se lit dans les Lettres de Jean de
Peckham (1281). Et on sait que (cf. par exemple Wilmotte, la
région de Liège, Romania XVII, n° 52) dans les dialectes picards et
wallons, ces formes ne sont pas rares.
Voilà donc qui nous explique comment il se fait que l'anglo-
français, après s'être débarrassé presque complètement de la
diphtongue ié depuis 1200, a rej^ris, même a introduit dans des
cas où elle n'était pas étymologique, cette même diphtongue à
partir de 1275 environ. Les formes où cette diphtongue est étymo-
logique ont pu être prêtées à l'anglo-français par la plupart des dia-
lectes du continent ; celles où la diphtongue est irrégulière ne
peuvent lui venir que du picard ou du wallon.
Nous pouvons rapprocher ce que nous venons de dire d'un
autre fait qui est loin d'avoir la même importance. Le wallon,
comme le montre M. Wilmotte (Études de Dialectologie wallonne,
Romania XVIII, n° 7), remplace souvent la voyelle e ouvert
par ae : màemes pour même ; nous en trouvons quelques exemples
en anglo-français ; dans Frère Angier, nous lisons plaést, taest,
traest ; dans ces formes, la diphtongue ai étymologique a passé à e
ouvert, comme nous l'avons montré. Ne pourrait-on pas comparer
à cette graphie les formes qui nous semblent assez difficiles à
expliquer: feare, feat, treat,pleare} Il nous paraît très probable que
la graphie wallonne ae a pu devenir en anglo-français ea.
Nous allons passer plus rapidement sur les quelques faits de la
I
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 843
phonétique wallonne qui peuvent expliquer certaines formes du
verbe anglo-français ; nous ne nous dissimulerons pas que dans les
quelques cas suivants, nous pouvons n'avoir affaire qu'à de simples
coïncidences et que le développement normal de l'anglo-français
explique aussi bien sinon mieux que l'influence wallonne certaines
des formes qui suivent. Mais si, comme nous ne pouvons pas en
douter, il y a eu influence du wallon sur l'anglo-français sur
d'autres points, l'exemple du premier n'a pu que favoriser et hâter
le développement de l'anglo-français aux points où ils coïncidaient.
L'un des phénomènes les plus importants de la phonétique anglo-
française est, comme nous l'avons fait observer, la chute de la
voyelle muette posttonique ; elle a lieu dans un grand nombre de
cas et dans toutes les positions ; en wallon la muette posttonique,
spécialement après consonne, tombe souvent (cf. Wilmotte, La
région au sud de Liège, Romania XVIII, n° 23); il en résulte
qu'une forme feir, pour faire, est aussi bien anglo-française que
wallonne. Ceci nous aidera à comprendre comment il se fait que,
après 1300, c'est-à-dire au moment où les imparfaits, conditionnels,
etc., reprenaient souvent leur ^ muet étymologique, les infinitifs de
IV perdent si souvent leur muette finale. L'anglo-français tendait
à la faire disparaître et trouvait dans le wallon les formes mêmes
qui se produisaient naturellement dans sa conjugaison.
Nous avons aussi remarqué, surtout quand nous nous sommes
occupé du futur, que le verbe en anglo-français se trouvait soumis à
deux tendances opposées : l'une qui tendait à lui faire redoubler IV,
et cette tendance nous semble purement anglo-française; l'autre qui
lui faisait simplifier les r doubles. Or, cette seconde tendance, qui
aurait dû peut-être disparaître devant l'autre si l'anglo-français avait
été livré à lui-même, a été certainement favorisée par une tendance
analogue en wallon ; M. Wilmotte montre (Romania XVIII, n° 39 ^/V)
que dans la région au sud de Liège, rr se réduit à r simple et que cç
phénomène est général ; les formes du futur : deniorat, démoliront,
morat,inoroit,veront,oronty sont des plus communes, et, à quelques
changements près, ces formes pourraient aussi bien être des formes du
verbe anglo-français. Ici encore, nous ne voulons pas établir des
relations de cause à effet, le même phénomène a fort bien pu se
produire dans les deux dialectes sans qu'on puisse voir dans les
formes de l'un la cause des formes de l'autre ; mais nous ne pou-
$44 l'évolution du verbe en anglo-français
vons pas nous empêcher de penser que si les formes wallonnes
n'ont pas produit directement les futurs anglo-français que nous
avons vus et qui sont très anciens, au moins elles les ont aidés à
subsister en face des terminaisons si nombreuses du futur où IV
simple étymologique a été redoublée.
Nous considérons aussi comme un fait du même ordre la confusion
qui s'est établie dans les deux dialectes entre les deux phonèmes
5 et ;( ; cette confusion remonte fort haut en anglo-français ; on
peut en voir les résultats dans les terminaisons de la seconde per-
sonne du singulier et de la seconde personne du pluriel masculine.
Mais cette confusion n'a pu que s'accroître sous l'influence du
wallon ; nous trouvons encore dans l'étude de M. Wilmotte (La
région de Liège, Romania XVII, n° 35) des exemples de
l'emploi de :( pour s ; et dans les Sermons liégeois du xiii^ siècle
une substitution assez générale de j à :( finale. C'est donc exacte-
ment la même confusion qu'en anglo-français ; et nous avons
vu les résultats qui en ont découlé. Du même ordre est la confusion
qui s'établit dans les dialectes wallon et anglo-français entre les
lettres mouillées et les lettres simples ; c'est encore dans la région
namuroise que M. Wilmotte a observé ce phénomène (Romania
XIX, n°' 36-37) ; / simple apparaît pour / mouillée et vice versa ;
nous ne répéterons pas ici toutes les confusions qui se sont établies
en anglo-français entre ces deux consonnes, mais nous noterons
ici encore les grands rapports qui existent entre ces deux dialectes.
Ajoutons qu'ils se rencontrent encore dans leurs nombreuses
manières de noter Yn mouillée ; M. Wilmotte (u. s. n°^ 40, 41,
42) fait remarquer que la mouillure de la nasale est représentée
par ni, ngn, gn(i), igni, et si l'on veut bien se reporter à ce que
nous avons ditnous-mêmesurlamême question (cf. supra, page 341),
on verra que l'anglo-français du xiv^ siècle emploie les mêmes gra-
phies pour remouillée.
Voilà les différents points de la phonétique wallonne et picarde
qui nous ont semblé avoir eu une certaine influence sur le verbe
anglo-français ; nous ne pouvons pas en dire davantage sans sortir
de notre sujet complètement. Ces diffiérents points n'ont pas tous
la même importance. Quelques-uns, les derniers que nous avons
énumérés, représentent des tendances communes aux deux dia-
lectes, et le plus qu'on puisse en dire, c'est que l'exemple du wallon
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 845
sur ce point n'a pu que favoriser l'évolution naturelle de l'anglo-
français. Les autres sont plus importants et représentent une véri-
table influence : le passage de é à ie, de i à ie, de e z ae dans nos
textes anglo-français sont évidemment dus à l'action des dialectes
du Nord de la France.
2. Influence de la conjugaison picarde et wallonne. — Le dialecte
wallon a agi sur le verbe d'une façon plus directe encore ; nous
allons prendre successivement dans les désinences personnelles, dans
les modes et dans les temps les traces de cette influence.
On sait qu'en picard comme en wallon, la désinence ietms est
fort commune à la première personne du pluriel de certains temps;
nous pouvons renvoyer aux trois articles de M. Wilmotte dans
Remania, vol. XVII, XVIII, XIX, in-fin. ; à vrai dire, cette dési-
nence n'est pas très commune dans i'anglo-français littéraire, et
dans les textes qui n'appartiennent pas à la littérature cette dési-
nence présente tantôt la diphtongue ie, tantôt la diphtongue ei\
même dans les Year Books, la seconde est la plus commune,
sinon la seule employée. Néanmoins, elle est d'origine continentale
sous ses deux formes et ne peut provenir que des dialectes du Nord
de la France. Comme nous le disions, elle a été fort employée à
l'imparfait de l'indicatif, au conditionnel, à l'imparfait du subjonctif
et au présent du subjonctif en iam. Les premiers exemples que nous
en ayons trouvés remontent à la fin du xiii= siècle, puisque les
Lettres de Jean de Peckham nous en offrent un exemple à la date
de 1283, et les Traités de Rymer, plusieurs autres pour l'année
1297. Mais ce n'est guère qu'au siècle suivant que cette désinence
devient très commune.
Nous avons encore à faire remarquer une diff'érence assez impor-
tante entre l'usage des textes diplomatiques, familiers et légaux et
ceux des ouvrages politiques. Le premier groupe connaît et emploie
également aux temps que nous venons de mentionner les deux
désinences en iens et en ieines ; le second groupe ne fait jamais
usage de la désinence dont nous parlons maintenant. La raison de
ce fait assez singulier n'est pas très apparente ; on serait tenté d'en
conclure que les textes politiques ont subi plus fortement l'influence
bourguignonne; mais d'abord la désinence en ictnes n'est pas incon-
nue au bourguignon; ensuite ce serait, à notre connaissance, le
seul fait montrant pour ces textes la prédominance de l'influence
bourguignonne.
84e l'évolution du verbe ek anglo-français
Nous pouvons peut-être attribuer encore à l'influence du wallon
certaines premières personnes du pluriel qui ont déjà attiré notre
attention dans notre première partie. Nous avons vu dans les
Traités de Rymer, sous la date de 1282 et de 1300, les deux formes
poyins et reconessoyns \ dans les Mem. Pari. 1305, pussoyns\ dans les
Royal Letters, sous la date de 1267 et employée deux fois, la forme
enveoins. Le sens de ces cinq premières personnes nous semblait
celui de l'imparfait de l'indicatif, s^lwî pussoyns qui est évidemment
un subjonctif; mais il est fort possible que ce soit des prétérits, et
dans ce cas, nous aurions ici des prétérits en ins qui sont caracté-
ristiques du wallon. M. Wilmotte en parle et cite des exemples de
cette forme au § 49 de son Etude du français de la région de Liège
(Romania XVII) et Pasquet (Romania XV, p. 133) donne des
détails sur cette désinence dans les Dialogues Grégoire; il cite
atendins, poins, departins, disins.
Les formes anglo-françaises que nous venons de citer sont sensi-
blement différentes de tous les exemples wallons que nous avons
vus ; sauf une seule, poyins, elles conservent Yo qui caractérise ordi-
nairement en français les premières personnes du pluriel mascu-
lines. Mais la forme même de la désinence wallonne est assez extra-
ordinaire pour qu'on puisse comprendre que les écrivains ou les
scribes anglo-français ne l'aient pas reproduite très exactement et il
est probable que les quelques formes que nous avons relevées sont
une contamination entre la forme française de l'imparfait de l'in-
dicatif et la désinence en ins des prétérits wallons. Quoique le
nombre de ces désinences soit minime, leur existence dans trois de
nos textes est une excellente preuve de l'influence que le wallon a
exercée sur l'anglo-français.
Cette influence se trahit aussi dans certaines désinences de la
deuxième personne du pluriel; nous avons vu que les désinences
régulières en ei:^ à cette personne disparaissent entièrement avant la
fin du XII' siècle et que de nouvelles formes, présentant la même
désinence, se retrouvent assez subitement au XIV^ Nous avons alors
admis qu'entre ces deux désinences de même forme, il n'y avait
qu'un rapport accidentel de ressemblance. Ces dernières, en efi^et,
ne proviennent pas du latin ^/w; elles sont assez générales et se ren-
contrent aussi bien dans les œuvres littéraires que dans les textes
politiques et diplomatiques. Le scribe du manuscrit O du poème
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 847
de Boeve de Haumtone écrit frets (futur de faire); celui du poème
d'Aspremont a aei^^ ; dans l'Apocalypse, nous avons relevé escrifey,
enfin la Chronique de Pierre de Langtoft nous a fourni encore
quelques exemples. Les mêmes formes se rencontrent à la même
date dans les recueils non littéraires ; en particulier, les Traités de
Rymer nous ont donné des secondes personnes du pluriel en «';( en
1279 et en 1299 {sachei^, aveyt, voylleyi). On s'explique assez diffi-
cilement ces formes; on peut les considérer comme une graphie
inexacte et un peu plus compliquée que la graphie normale, et on
ne peut pas se dissimuler que les Anglo-Français ont eu un faible
pour les graphies de ce genre. Mais ces formes sont trop anciennes
pour que cette explication soit entièrement satisfaisante; la compli-
cation des graphies a surtout fleuri pendant la seconde moitié du
xiV^ siècle. Il nous semble plus naturel et plus sûr d'admettre que
l'influence wallonne, qui ne peut pas faire de doute, s'est exercée
ici comme dans un grand nombre d'autres cas. Et en effet les dési-
nences en ei:^ sont communes dans ce dialecte, comme on l'a mon-
tré bien souvent; on peut voir ce que M. Wilmotte dit du passage
de ^ à ei, mais on pourra consulter en particulier les Sermons Lié-
geois du xiii^ siècle qui donnent un nombre considérable d'exemples
de formes absolument analogues à celles que nous avons relevées
dans nos textes.
En résumé, le wallon a donné comme désinences personnelles à
l'anglo-français, à la première personne du pluriel, les désinences
en iemes, cimes, probablement aussi les désinences du prétérit
en ins pour cette même personne ; à la seconde personne du plu-
riel, les formes en ei^ de la fin du xiii^ et du xiv= siècle en anglo-
français sont dues à la même influence.
Nous n'avons que deux ou trois faits à apporter en ce qui con-
cerne les modes, et ils n'ont pas une très grande importance. Nous
trouvons à l'indicatif la forme de l'infinitif dans pleimiciit, pleimioicnt,
preruioit; l'on sait que cette influence de l'infinitif sur le mode indi-
catif est particulière à la Belgique, comme on peut le voir dans les
Dialogues Grégoire, dans l'étude de Risop, Zeitschrift VII, 57-62, et
dans la Grammaire de Meyer-Lùbke, II, p. 219, § 154. Les quelques
exemples que nous venons de citer se trouvent tous les trois dans
le poème du Prince Noir du Héraut de Chandos, et nous n'en avons
pas découvert d'autre. C'est du reste un des très rares cas où l'in-
848 l'évolution du verbe en anglo-français
fluence du wallon, sur le verbe au moins, ne se manifeste que dans
ce poème.
A l'infinitif, nous avons encore une marque assez claire que les
formes du verbe en wallon ont agi sur les formes correspondantes
en anglo-français. M. Wilmotte (Romania XVII, n° 13) montre
qu'en wallon la diphtongue oi passe quelquefois à oe, et il cite entre
autres exemples : avoer, valoer, pouuoer ; cette graphie avait proba-
blement sa raison d'être dans ce dialecte et indiquait une pronon-
ciation particulière de la diphtongue. Que cette raison existât dans
l'anglo-français du xiv^ siècle, c'est, à dire le moins, fort douteux,
et cependant nous rencontrons plusieurs exemples de cette graphie,
surtout dans les Traités de Rymer : avoer se lit à différentes reprises
(13 10, 1324), de même qu avoier, qui doit provenir de la forme
précédente (1331, 1380, Year Books) ; cette forme a dû même
exister ou être connue, d'une façon ou d'une autre, plus tôt que le
xiV siècle en anglo-français ; nous en trouvons une présomption,
sinon une preuve, dans la deuxième personne du pluriel devoei qu'on
lit dans les Rymer's Foedera à la date de 1297 et qui ne peut pro-
venir que de l'infinitif devoer mal compris.
Telles sont les observations que nous suggère l'étude des modes.
Nous aurions pu parler ici des infinitifs en ier qui nous ont occupé
précédemment quand nous avons tenté de montrer l'influence que
la phonétique wallonne a exercée sur le verbe anglo-français.
Notre distinction pourra sembler artificielle ; nous avons simplement
voulu distinguer les questions générales, comme celles du rétablis-
sement de la diphtongue ie, dont on retrouve des traces ailleurs que
dans le verbe, d'une question qui, comme celle des infinitifs en
oer, est spéciale à la conjugaison.
Les temps vont maintenant nous fournir la matière de plusieurs
remarques, dont quelques-unes, croyons-nous, ont une grande
importance.
Le premier temps qui nous arrêtera est le prétérit en avi, en même
temps que l'imparfait du subjonctif qui lui correspond.
On sait qu'en wallon et aussi, quoique à un moindre degré, en
picard. Va devant une consonne passe à au; M. Wilmotte en a
observé des traces dans le dialecte de Liège (Romania XVII, n° 3),
et dans celui de la région au sud de Liège (Romania XVIII, n° 3),
pendant les dernières années du xiii^ siècle. Nous retrouvons le
LES INFLUENCES EXTÉRIEURES 8.|9
même phénomène en anglo-français, à peu près à la même époque.
Au prétérit, au ne se rencontre que devant une consonne nasale ; à
l'imparfait du subjonctif, on le trouve aussi devant s ; rappelons les
exemples que nous avons cités : greaitrnes, consllaitst. Il serait aven-
turé de dire qu'il y a eu ici influence ; aussi nous nous contentons
de marquer le rapprochement.
Les prétérits en ///, les imparfaits du subjonctif qui leur corres-
pondent, les participes en //• nous donnent des preuves certaines
de l'influence du wallon et surtout du picard sur le verbe anglo-
français." Nous nous sommes évidemment servi pour cette partie
de notre étude de l'article admirable de M. H. Suchier sur ce point
dans la Zeitschrift (II, p. 270).
Dans ce travail, l'auteur montre que pour les prétérits en ni, les
désinences en m et en eu, à la troisième personne du singulier et du
pluriel pour la première, la seconde et la troisième classe, sont
essentiellement picardes et wallonnes. De son côté, M. Wilmotte,
dans ses articles de Romania que nous avons tellement mis à con-
tribution (Romania XIX, in fin.), montre que dans la région de
Liège la désinence en /// est très commune pour les prétérits en ///'.
Si nous recherchons si l'anglo-français sur ce point se rapproche
encore de ces deux dialectes, nous trouvons un nombre assez consi-
dérable de formes qui doivent retenir notre attention. Nous avons
vu que les prétérits en ui de la première classe prennent très fré-
quemment a la troisième personne du singulier et à la troisième
personne du pluriel, une des trois formes eu, ui, ieu. De ces trois
formes, la première ne peut guère provenir des formes correspon-
dantes que nous rencontrons dans les dialectes du Nord de la
France; la seconde peut, au contraire, avoir cette origine, au lieu
d'être, comme on le croit ordinairement, un cas de umgekehrte
Sclireibung. Quant à la troisième, elle provient certainement des
prétérits en ui de la première classe du picard ou du wallon. Remar-
quons que les premières formes en ///, comme uit et uirent du manu-
scrit O de Horn, puit du manuscrit O de Boeve de Haumtone,
plurent dû au scribe du Saint Edmund, datent toutes de la fin du
xiii^ ou du commencement du xiv^ siècle. C'est aux mêmes dates
qu'il nous faut rapporter les formes en eiii qui deviennent très fré-
quentes dans .l'anglo-français du xiv-' siècle ; nous croyons que la
première de ces formes se trouve dans le manuscrit de la Chronique
850 l'évolution du VKRBH liN ANGLO-FRANÇAIS
de Jordan Fantosme : 5«'t7//, ce qui la mettrait au commencement
du quatrième quart du xiii^ siècle ; nous en avons cité un certain
nombre d'autres exemples que nous avons rencontrés dans les
Contes de Nicole Bozon (jienst^, dans la Chronique de Nicolas
Trivet {pieiit'), dans le Poème du Prince Noir Çscieut). Nous ne
pouvons pas voir comment on pourrait expliquer ces formes sans
faire intervenir les dialectes du Nord et du Nord-Ouest de la France.
L'évolution phonique de l'anglo-frànçais ne pourrait rendre compte
de la formation de la diphtongue eiii qui a disparu très tôt de la
langue littéraire; et il est impossible d'invoquer ici l'umgekehrte
Schreibung, ou les graphies qui sont si souvent des explications
d'un emploi si facile.
L'anglo-français a connu aussi pour les autres classes des prétérits
en ui les désinences en eu pour les deux troisièmes personnes. Dans
ce cas-ci cependant, nous ne parlerons pas d'influence; en effet,
nous trouvons ces désinences en eu à une date très reculée en anglo-
français et à un moment où toute trace d'influence continentale est
entièrement absente. Les premiers cas de formes de ce genre se
trouvent en eff"et dans les Psautiers ; pour la seconde et la première
classe (pleut, scribe des Légendes de Marie ; geui, Chronique de
Londres, 1262 ; beui, Nicolas Trivet), l'influence du wallon n'est pas
plus vraisemblable, les formes en eu, communes à la troisième classe,
se sont très naturellement généralisées aux autres.
On pourrait tout au plus admettre que ces formes sont devenues
assez communes en anglo-français sous l'influence des dialectes
picard et Vv'allon ; nous dirons la même chose des imparfaits du sub-
jonctif en uisse. Il se peut que ces imparfaits du subjonctif ne soient
pas proprement anglo-français et que des formes comme reciuissent,
duissent, qui sont communes dans la langue du xiv*" siècle et se
trouvent ainsi dans la plupart des ouvrages non littéraires, aient été
modelées sur les formes correspondantes du wallon où elles sont
particulièrement nombreuses. Jusqu'ici, on s'est servi de l'umgekehrte
Schreibung pour expliquer la formation des désinences de ce genre ,
et nous avouerons que cette explication commode ne nous satisfait
pas entièrement. Mais pour montrer avec quelque vraisemblance
que, dans le cas actuel, l'origine de la désinence est continentale, il
faudrait des preuves plus fortes que celles que nous avons. En par-
ticulier, il faudrait voir si dans la phonétique générale de l'anglo-
LES IKFLL'ENCES KXTÉRIELKES 8)1
français, on ne trouve pas ce passage de k à ///', cette unigekehrte
Schreibung hypothétique, seulement dans les cas où le wallon et le
picard montrent eux-mêmes ce passage. Nous n'avons pas pu le faire
et cette question ne saurait entrer dans une étude du verbe. Aussi
nous considérerons simplement comme possible que les imparfaits
du subjonctif en ///55^ qui se rencontrent assez communément dans
la langue française d'Angleterre au xiv siècle, aient une origine
picarde ou wallonne.
Ce point aurait cependant une grande importance pour notre
thèse ; car les prétérits et imparfaits du subjonctif en /// ont une
forme qui caractérise bien les dialectes du Nord et du Nord-Ouest
de la France, comme l'a si bien montré M. Suchier dans l'article
que nous avons cité et mis à contribution. Nous ne sommes assuré
de l'origine continentale, pour les formes que nous avons citées jus-
qu'ici, que des prétérits en ieii et nous avons quelques présomptions
que les prétérits en ni et les imparfaits du subjonctif en iiissc ont
la même origine. Nous pouvons aussi établir avec quelque certitude
un autre point.
C'est principalement au participe passé que nous pouvons obser-
ver le mieux cette influence des dialectes que nous avons men-
tionnés. Et pour les participes passés en /// en picard, on pourra
voir, en plus de l'article de M. Suchier dans la Zeitschritt, les obser-
vations que fait sur ce sujet Tobler dans son Introduction du Dis
dou vrai Aniel (pp. xxvij et xxviij). Nous trouvons dans l'anglo-
français, tant littéraire que politique, deux formes de ces participes
passés qui remontent sans aucun doute au picard et au wallon. La
désinence en eu se rencontre dès la fin du xiii^ siècle, par exemple
dans les Statutes à la date de 1285 {a restcii), ou dans les Lettres de
Jean de Peckham en 1284 {perdeii), et elle est souvent employée
pendant tout le siècle suivant ; dans les œuvres littéraires de ce
siècle, nous en trouvons de nombreux exemples, comme rcspomicu
dans les Contes de Nicole Bozon ; en dehors de la littérature on
trouve dans les Actes du Parlement d'Hcosse •.atcii, /iV/Jc// ; dans les
Mem. Pari. 1305 : teneii.
La désinence picarde en lu ne se rencontre pas, à notre connais-
sance, au XIII'-" siècle en anglo-français, mais elle n'est pas rare pen-
dant le xiV^; les Mem. Pari. 1305 ont leiciii ; elle se combine sou-
vent avec la désinence précédente sous la forme icii. et des trois ter-
8)2 l'évolution du verbe en anglo-fraK^çais
minaisons, c'est cette dernière qui est hi plus employée. Les Contes
de Nicole Bozon, les Chroniques de Nicolas Trivet, parmi les
œuvres littéraires de cette période, nous ont fourni plusieurs parti-
cipes où cette désinence se trouve, comme pieu, dccieu, rescieii et
quelques autres. En dehors de la littérature, nous avons encore ren-
contré cette forme dans les Statutes à partir de 1 3 30 ; dans les Rymer's
Foedera elle se trouve à la même date ; enfin la forme qui, dans
cette catégorie de textes, nous semble devoir être la plus ancienne,
se lit dans Thomas Walsingham : eslicti qu'on trouve à la date de
1310.
Ici encore l'influence du Nord de la France ne nous semble pas
du tout douteuse. Les formes en eu, à vrai dire, auraient pu se
produire sans intervention étrangère, par généralisation de Ve, après
synérèse faite dans des participes passés de la forme en ; mais les
autres sont certainement d'importation étrangère.
Par conséquent, nous arrivons sur ce point important à quelques
résultats qui nous semblent assurés. Deux terminaisons qui se
trouvent dans l'anglo-français du xiv^ siècle, sont d'origine picarde
ou wallonne : la terminaison en ieii des prétérits, la terminaison en
iii et probablement aussi la terminaison en ieii des participes passés.
Sur les autres points, nous n'avons guère que des présomptions ;
mais si nous devons choisir entre la théorie généralement exposée
de l'umgekehrte Schreibung et celle de l'influence continentale,
nous n'hésiterons pas à choisir la seconde.
Il nous reste encore à énumérer quelques autres points où l'in-
fluence du wallon et du picard peut se déceler; leur importance est
minime et nous avouerons volontiers que l'on peut hésiter beau-
coup à les considérer comme probants.
Le wallon et tous les dialectes du Nord de la France n'ont pas
montré beaucoup de faveur aux désinences régulières de la troisième
personne du pluriel des prétérits en si ; ils ont substitué aux formes
en sireitl une forme analogique empruntée aux prétérits en iii :
irent. L'anglo-français, pendant les deux premiers siècles de son
histoire, a conservé très régulièrement les désinences caractéristiques
de cette personne, et nous avons vu qu'il les étendait quelquefois,
même au xiv^, aux prétérits qui ne l'ont pas régulièrement. Et
cependant, à partir de la fin du xiii'^ siècle, nous rencontrons assez
souvent des formes analogiques en irent, par exemple dans le
Les influences extérieures M 5 3
poème du Prince Noir et dans les textes non littéraires. Évidem-
ment, l'analogie a pu exercer la même influence d'une façon abso-
lument indépendante dans les dialectes du Nord et en anglo-fran
çais ; il se peut aussi que ceux-là aient agi sur celui-ci.
Si après les prétérits et les imparfaits du subjonctif nous passons
aux futurs et aux conditionnels, nous pourrons marquer quelques
rapports qui sont assez significatifs. Nous ne pouvons pas établir
sur ces points que les formes anglo-françaises sont dues aux formes
correspondantes du wallon ou du picard, mais les ressemblances
qui existent entre ces deux groupes de dialectes pourront soit expli-
quer l'extension en anglo-français des formes analogues, soit rendre
plus vraisemblable l'action générale de ceux-ci sur le premier.
Le wallon présente au futur les deux traits qui caractérisent
ce temps en anglo-français. Les futurs de I s'abrègent par la perte
de la syllabe muette protonique ; les futurs de III s'allongent par
l'addition d'un e atone avant 1'/'. Nous nous sommes suffisamment
arrêté sur ces deux points lorsque nous avons étudié ce temps
pour que nous ne revenions pas là-dessus ; nous pouvons simple-
ment rappeler qu'ils sont présents dès le commencement de la
seconde moitié du xu'^ siècle, quoique, à cette époque, 1'^ atone épen-
thétique des verbes de III ne soit que très rarement syllabique ; par
conséquent, nous ne pouvons pas admettre à cette date reculée une
influence wallonne et nous ne pouvons voir dans la ressemblance
des futurs qu'une coïncidence. Mais ce qui nous semble plus impor-
tant, c'est le fait que Ve épenthétique que nous avons étudié ne
devient fréquemment syllabique en anglo-français que vers ou après
1250, c'est-à-dire au moment même où sur diflerents points l'in-
fluence wallonne se fait sentir d'une façon indiscutable. Nous n'in-
sisterons pas sur ce rapprochement qui nous semble avoir cependant
quelque signification; mais nous retiendrons le tait qu'en anglo-
français, comme en wallon, le futur tendait à prendre les mêmes
formes. (Cf. M. Wilmotte, Études de dialectologie wallonne, Rema-
nia XVIII, n" 39/;/^ ; c'est à tort, croyons-nous, que l'auteur voit
dans les formes meterat, riverai une assimilation à la première con-
jugaison; c'est dans la phonétique et non dans la morphologie qu'il
faut chercher l'origine de cet e épenthétique.)
Dans la revue rapide des formes qui précède, nous avons avant
tout essayé d'être aussi complets que possible, et il s'ensuit peut-être
8)4 i;hvolution du verbe en anglo-iraxçais
que les quelques faits essentiels de cette étude se trouvent en
quelque sorte noyés dans les détails. Nous devions cependant le
faire méthodiquement et il nous reste maintenant à mettre en
lumière et dans leur ordre d'importance les principaux points qui
montrent les différentes influences qui se sont exercées sur l'anglo-
français à partir du quatrième quart du xiii*^ siècle.
Nous suivrons maintenant l'ordre inverse de celui que nous
avons adopté jusqu'ici et nous commencerons par l'influence qu'ont
exercée sur l'anglo-français les dialectes du Nord et du Nord-Ouest
de la France. Nous ramènerons à six les faits les plus importants
qui nous montrent cette action. Nous n'essaierons pas d'établir
entre ces foits un ordre chronologique. Comme nous l'avons vu et
comme nous le prouvera plus clairement ce qui suit, la plupart de
ces faits sont contemporains ; il n'existe tout au plus entre eux qu'un
intervalle d'une décade ou deux, et nous ne pouvons jamais être
assurés que Tordre dans lequel nous avons trouvé nos exemples
reproduise exactement Tordre dans lequel les faits se sont produits .
Le wallon et le picard ont donné à Tanglo-français :
1° Les désinences en ieiiies et en iiis de la première personne du
pluriel qui se rencontrent toutes les deux pour la première fois
vers 1280 ;
2° La désinence en ei^ de la deuxième personne du pluriel qu'on
trouve à la fin du xiii'^ et au xiv^ siècle ;
3° La désinence en eu. et en eiii des prétérits en /// ; les dési-
nences en eu, iu, ieu des participes passés ; ces difl^érentes terminai-
sons se rencontrent vers la fin du xni'^ ou au commencement du
xiv^ siècle ;
4° La désinence en oer des infinitifs de la troisième conjugaison
dont le premier exemple ne remonte qu'à 13 10, quoique nous
ayons des raisons de croire que cette forme date de la fin du
xiii'^ siècle ;
5° C'est sous Tinfluence de ces dialectes que la voyelle e en
anglo-français passe à la diphtongue ic au xiv^ siècle ;
6° De plus, sous la même influence, la voyelle / prend la même
forme à la fin du xiir' siècle.
Ces six points importants sufiiraieni à prouver Tinfluence des
dialectes du Nord et du Nord-Ouest de la France sur le français
LES IXFLUENCKS liXTHRIPX'RF.S <> ) )
d'Angleterre. Ajoutons-v trois autres points moins importants ou
plus douteux :
1° Le passage de la voyelle e ouvert à ac et peut-être à ea ;
2° Le passage de a à an ;
3° La forme en /// des prétérits en /// de la première classe et des
imparfaits du subjonctif;
et quatre autres fiiits qui peuvent n'être que des coïncidences :
1° La chute de la muette posttonique;
2° La simplification de rr en r ;
3° La confusion entre s et - ;
4^ La confusion des lettres mouillées.
Il faudrait ajouter à ces fiiits, si on ne croit pas à l'influence du
bourguignon, les deux points que nous avons mentionnés à ce
sujet :
1" Les infinitifs de III en ()/• ;
2" Le passage à la diphtongue oi de Vi en hiatus.
Ce serait encore aux mêmes dialectes qu'on devrait, dans ce
même cas, attribuer les formes que nous avons attribuées à l'action
commune des dialectes du Nord et de l'Est :
1° Les désinences en ieiis de la première personne du pluriel,
désinences qui se montrent vers 1275 ;
2" Les désinences des troisièmes personnes du prétérit des verbes
de la première conjugaison en arnit ;
3° Les imparfaits du subjonctif de cette même conjugaison en
aisse ;
4" Les désinences de la troisième personne du singulier, de la
troisième personne du pluriel, du participe pas.sé en ie, au début du
xiv= siècle ;
5° Le passage à ai de la diphtongue i'/, à la un du xin" siècle.
Les influences du Nord et du Nord-Ouest sont donc bien établies,
celle de l'Est est moins sûre. Remarquons que toutes les formes
qui rentrent dans une des catégories ci-dessus remontent à peu près
à la même date, comprise entre 1275 et i^>io.
856 l'évolution du vhrbe en ANGLO-1-KANÇAIS
Un certain nombre d'autres formes sont aussi d'origine continen-
tale, mais auraient pu provenir de n'importe quel dialecte français :
I" Rétablissement de Vs final aux premières personnes du pluriel
à terminaison masculine, après 1250;
2° Rétablissement de la diphtongue ie dans les terminaisons où
elle est étymologique vers 1275 ou 1280;
3° Rétablissement des terminaisons en -oir pour les infinitifs de
III, à la fin du xiii'^ siècle ;
4° Rétablissement de Ve muet étymologique posttonique après
la diphtongue ci, à peu près à la même époque ;
5" Peut-être encore rétablissement des désinences en ions.
Nous n'attribuons à aucun dialecte en particulier l'action qui a
conduit au rétablissement des formes ci-dessus ; mais maintenant
que nous avons pu déterminer l'action si profonde qui a été exer-
cée par le dialecte wallon, et puisque nous n'avons découvert aucune
trace de l'influence d'un autre dialecte (à l'exception du bourgui-
gnon), il est plus que probable que ces dernières formes, qui com-
mencent à apparaître en anglo-français, vers ou après 1250, ont la
même origine que celles que nous avons énumérées tout d'abord .
C'est par conséquent le wallon et le picard, aidés peut-être par le
bourguignon, qui ont rétabli dans le verbe, en partie du moins,
un nombre considérable de formes régulières et de formes qui sont
étrangères à l'anglo-français.
Il nous reste encore deux remarques assez importantes à faire :
d'abord, comme on a pu le voir, les textes anglo-français qui n'ap-
partiennent pas à la littérature montrent mieux que les autres l'in-
fluence continentale; il n'est pas facile d'en découvrir la raison.
Celle qui se présente le plus naturellement à l'esprit et qui a
quelques chances d'être vrai est que les œuvres littéraires du
xiv^ siècle, ayant derrière elles une tradition déjà ancienne, pou-
vaient se soustraire plus aisément aux influences extérieures ; les
formes qui ne s'éloignaient pas trop de celles de la langue de leurs
prédécesseurs immédiats pouvaient être admises sans trop de diffi-
culté : par exemple, les terminaisons en ier, les infinitifs en oir ;
celles qui étaient d'une façon trop évidente des nouveautés, comme
les désinences de la première personne du pluriel tn iens ou les
infinitifs en or, devaient rencontrer plus de résistance. De plus, la
LES INFLUENCES EXTERIEURES 857
période littéraire s'arrête très peu de temps après que l'influence
continentale a commencé à se faire sentir; si nous exceptons le
poème du Prince Noir, qui montre, comme l'a démontré Miss
M. K. Pope, un nombre considérable de formes wallonnes, notre
dernier ouvrage littéraire dépasse à peine le commencement du
second tiers du xiv^ siècle. A cette époque, on conçoit très bien que
les influences dont nous avons tenté de déterminer l'action n'aient
pas encore eu sur les œuvres littéraires leur plein efl"et; et l'on
pourrait, pour mesurer de quelle façon les formes étrangères se
sont implantées dans l'anglo-français littéraire, comparer la langue
de Nicolas Trivet (1334) à celle du Héraut de Chandos (1385).
Il V a peut-être encore des raisons plus convaincantes. Il se peut,
et nous le croyons, que ce soit par le canal de l'anglo-français poli-
tique que l'influence wallonne s'est introduite en anglo-français; il
a dû y avoir, à l'origine de cette influence littéraire, des faits
d'ordre politique qui expliquent l'importance subite que le wallon
a prise dans le développement de l'anglo-français. Cette explication
rendrait compte non seulement de l'action jouée par ce dialecte,
mais aussi de ses limites. Quelle qu'en soit la cause, il nous paraît
évident que le wallon a d'abord et surtout agi sur la langue non
littéraire, puis sur les œuvres littéraires elles-mêmes.
Remarquons aussi que ces deux catégories d'ouvrages, fort mal-
heureusement, ne coïncident, au point de vue de la durée, que sur
un temps relativement très court. Les premiers textes politiques et
diplomatiques ne remontent qu'au commencement du dernier quart
du xiir siècle; la période littéraire finit vers 1330. Si nous avions
des textes politiques antérieurs à 1275, ou plutôt antérieurs au
moment où l'influence wallonne a commencé à se faire sentir, nous
aurions la possibilité de faire des rapprochements extrêmement inté-
ressants et d'étudier de plus près comment les dialectes du Nord et
du Nord-Ouest de la France ont agi sur l'anglo-français ; nous pour-
rions observer exactement sur quels points ils ont d'abord imposé
leurs propres formes.
Évidemment, de tels regrets sont stériles. Dans un autre ouvrage,
on pourra voir comment s'est formée cette branche de la production
anglo-française que nous avons appelée les textes non littéraires.
Pour le moment, nous ne pouvons pas en dire davantage.
CHAPITRE I\'
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Nous avons à peu près terminé cette étude du verbe en anglo-
français ; dans notre première partie, nous avons tenté de tracer
l'évolution des formes qu'il a prises; dans notre seconde partie,
nous avons groupé suivant leur origine le plus grand nombre de ces
formes et dans notre dernier chapitre spécialement nous avons,
crovons-nous, montré que vers la fin du xiii^ siècle les influences
continentales ont exercé une action considérable sur les formes
du verbe.
Il nous reste maintenant à jeter un coup d'œil sur le champ que
nous avons parcouru et à donner quelques idées générales sur notre
sujet.
Deux dates marquent, dans l'évolution de l'anglo-français, des
points de repère extrêmement importants et divisent ainsi l'histoire
de ce dialecte en trois périodes qui sont suffisamment marquées.
Cette division est évidemment plus commode que rigoureuse ; mais
elle représente quelque chose de réel. La première de ces dates est
1160, comme M. Suchier l'a bien vu avant nous. Avant 1160,
Tanglo-trançais ne diffère que très peu des dialectes de l'Ouest de la
France ; dans bien des cas la distinction, surtout au point de vue de
la conjugaison, est très délicate, quelquefois impossible. Ce sont
quelques difterences phoniques et des différences de vocabulaire qui
permettent de distinguer la langue des auteurs anglo-français de
celle de certains auteurs continentaux. C'est la première période de
l'anglo-français.
La seconde est marquée par un certain nombre de changements
qui sont spéciaux à l'anglo-français : la phonétique évolue assez
rapidement et les changements phoniques laissent des traces pro-
fondes sur la conjugaison du verbe ; les formes analogiques se mul-
CO\CLl"SR)XS GH\HK.\I.i:s 859
tiplient; la conjugaison dans un sens se simplifie et dans l'autre se
complique. 11 taut surtout remarquer dans cette période femploi
simultané de formes d'âges très différents, formes archaïques,
formes qui ont phoniquement évolué, formes analogiques ; er aussi
l'importance de ce que nous avons appelé le coefficient personnel :
deux auteurs vivant à la même époque peuvent employer deux
langues profondément différentes. C'est pour cette raison que nous
avons renoncé à essayer de f;iire une distinction entre l'anglo-fran-
çais du Nord et celui du Sud de l'Angleterre. En théorie, cette dis-
tinction ne manque pas de justesse; en pratique, pour le vtrbe tout
au moins, elle est impossible à observer.
Cette période finit quelque temps après le milieu du xin' siècle.
Vers ou après 1250, plus tard pour les œuvres littéraires, un nou-
veau facteur entre en jeu : l'influence que nous résumerons sous le
nom d'influence wallonne. Cette influence complique quelque peu
l'histoire de la conjugaison. Sur certains points, le verbe continue
son évolution plus ou moins régulière : le développement phonique
modifie toujours la forme du verbe, l'analogie crée toujours de nou-
velles formes, les auteurs et les scribes montrent un goût de plus
en plus vif pour les graphies compliquées ; les grammairiens
inventent des règles de fantaisie qui sont plus ou moins bien obser-
vées. Mais sur d'autres points, et subitement, sous l'influence wal-
lonne, Tanglo-français arrête son évolution normale, il revient à
ces formes qui avaient disparu depuis un siècle ou plus déjà, ou
adopte des formes qui n'avaient jamais existé auparavant en anglo-
français. II 10, iiéo, 1250, voilà les dates cardinales de l'anglo-
français.
C'est en effet après 1160 que nous trouvons à la première per-
sonne du singulier, à la troisième personne du singulier de l'indi-
catif et du subjonctif et dans quelques autres cas les premiers c ana-
logiques ou épithétiques et la chute de Vc étymologique ; à la
première personne du singulier les premières s irrégulières, c'est peu
de temps après cette date que nous observons la contusion de l'.v
finale et du ~, l'amuissement de Vs appuyée; c'est alors que !'<• post-
tonique qui suit la diphtongue ei tombe; la dentale finale perd la
valeur de spirante douce qu'elle avait encore vers 11 45 (Hstorie des
Engleis), pour disparaître complètement ou pour ne rester que sous
la forme d'une dentale de liaison ; c'est encore à cette époque que
86o l'évolution du verbe en anglo-fkançais
la deuxième personne du pluriel nous montre dans ses désinences
masculines i, s ou t; c'est entre cette date et la fin du xii'^ siècle que
nous relevons les premiers exemples des infinitifs de III affectés de
la terminaison en cr ; que les désinences en ir de l'infinitif ou du
prétérit passent à la forme en er ; que les premières synérèses s'ef-
fectuent à tous les temps qui présentent l'hiatus et que les futurs
des deux dernières conjugaisons nous montrent les premiers e svara-
bhaktiques. Voilà en quelques mots le tableau des changements qui
commencent à cette période.
Après II 60, les changements que nous venons d'énumérer conti-
nuent à se produire, et ils font dans certains cas des progrès assez
irréguUers, mais considérables. Pendant cette seconde période, nous
voyons se montrer les caractères principaux de l'anglo-français : le
passage de la diphtongue ai à ei, l'addition à'e muets irréguliers, et
la chute des e muets étymologiques ; les graphies par aun, oiin des
voyelles nasales a et 0; les troisièmes personnes du pluriel sans
dentale ; les présents de l'indicatif et les impératifs en ^e ; les infi-
nitifs en cr pour la seconde et la troisième conjugaison.
Après 1250 et jusqu'à la fin de la période Httéraire, nous aperce-
vons distinctement dans la conjugaison du verbe deux mouvements
très nets. Le premier montre la continuation de l'évolution qui a
commencé en iiéo et s'est poursuivie pendant tout le xiii'' siècle.
C'est à ce mouvement que nous devons la chute d'une syllabe muette
dans les désinences féminines, la double consonne /;^ dans les dési-
nences régulièrement terminées par ^ ou par t ; la généralisation des
consonnes mouillées à l'indicatif, à l'impératif, au participe, pour ne
citer que les faits principaux.
Le second mouvement est constitué par l'influence étrangère,
particulièrement l'influence du wallon ; nous ne répéterons pas ce
que nous avons dit là- dessus dans nos derniers chapitres : rappe-
lons seulement la réapparition des désinences en ie, des infinitifs en
oir, des muettes posttoniques après la diphtongue ei, de Vs aux
premières personnes du pluriel à désinence masculine ; l'introduction
des nouvelles désinences en iens, ienies, ei:(, or, arent, aisse, iii, etc.
Ce double mouvement donne sa physionomie propre à l'anglo-
français du xiV' siècle et le rend fort différent de celui de la période
précédente; il est vrai que dans certains auteurs cette influence n'est
pas très visible, au moins n'est pas aussi marquée que chez d'autres.
CONCLUSIOXS GÉN'ÉRALES 86 I
Cependant, nous rencontrons partout un ensemble de traits qui
suffisent à caractériser et à dater la langue des écrivains de cette
période.
Telle a été l'évolution du verbe en anglo-français; on a pu voir
que cette évolution sur bien des points a précédé celle qu'il devait
subir sur le continent ; sur d'autres, les formes qu'il a prises sont
bien spéciales à l'anglo-français et ont trop souvent l'apparence de
véritables barbarismes.
Nous n'ajouterons plus qu'un mot. Nous n'avons ici évidemment ni
à approuver ni à condamner; mais nous pouvons nous demander si
l'anglo-français du xiv° siècle est bien le langage corrompu, le jargon
qu'on se représente ordinairement. Lé verbe nous fournit la meil-
leure pierre de touche, et nous pouvons voir que ce qui a modifié
le plus profondément la forme du verbe, ce sont les modifications
phoniques, les formes analogiques, les graphies. Les premières repré-
sentent l'évolution normale du verbe dans les dialectes continentaux
et elles ne sont pas, toute chose considérée, plus extraordinaires en
anglo-français qu'en picard par exemple ; quant aux graphies, elles
contribuent beaucoup à donner à l'anglo-français de la dernière
période cette apparence bizarre ou barbare qu'on lui connaît ; mais
des changements sans importance pourraient taire disparaître cette
apparence. Si les éditeurs voulaient adopter pour les textes anglo-
français du xiV^ siècle les habitudes françaises de la même époque,
ce que nous n'avons pas l'intention de recommander, l'œil ne serait
pas choqué par des formes qui semblent à première vue contraires
au génie même de la langue française. Remarquons d'ailleurs que
les textes anglais de cette époque présentent à ce point de vue une
irrégularité beaucoup plus choquante que celles des textes français.
Restent les formes analogiques ; celles-là sont très souvent abso-
lument barbares, comm.e on a pu s'en convaincre déjà ; mais ces
formes analogiques ne sont pas encore extrêmement nombreuses et
elles ne suffisent pas à faire condamner comme « jargon » tout
l'anglo-français du xiv^ siècle. Bien plus, il faut faire pour toute la
littérature anglo-française la part des scribes qui ont causé infiniment
plus de mal qu'on ne s'imagine; si nos meilleurs textes français
nous avaient été transmis par une tradition écrite analogue à celle
qui nous a donné nos textes anglo-français, la barbarie n'aurait
suère été moindre.
862 L'i:v(M.urioN du vkkbi-: i;n anclo-irançais
Entîn, il nous semble difficile de traiter de jargon une langue
qui a laissé des monuments comme les Statutes, qui sont fréquem-
ment des chefs-d'œuvre de précision et de clarté, des lettres qui
sont souvent écrites d'un style facile, agréable, enjoué, et, ajoute-
rons-nous, des discussions légales, subtiles en même temps que
limpides.
Une langue qui peut montrer, même à l'occasion seulement, de
telles qualités, n'est pas un jargon.
TABLE DES MATIERES
Introduction-
Bibliographie
PREMIÈRE PARTIE : Les Formes.
LIVRE PREMIER : Désinences personnelles.
CHAPITRE I. — Première personne du singulier.
LV' atone.
Première conjugaison 5
Verbes de I proparox\'tons 24
Autres conjugaisons 26
L'i finale.
S étymologique 51
5 irrégulière 54
La palatale • 59
Valeur de cette consonne 4 5
Autres temps.
Diphtongue -j- e atone 41
La voyelle atone 4 1
La diphtongue 54
Chute de la dernière syllabe muette 54
Premières personnes en ai 5 5
Le radical de la première peisonne du siiii^ulic-r 64
CHAPITRE II. — Deuxième personne du singulier.
La consonne de la terminaison.
5et ^ W>
Chute de la consonne de la terminaison 7(-'
La voyelle atone 77
La voyelle tonique 7^
CHAPITRE m. — Troisième personne du singulier.
La dentale caduque l'^o
8^4 l'évolution bu verbe en anglo-françaIs
La dentale appuyée 105
Désinences en 5/ 108
Désinences en /;/ 121
Chute de la voyelle et maintien de la dentale 125
Chute de la voyelle et de la dentale 1 26
Addition d'un e atone 136
Désinence ie 140
Graphies de l'atone finale 143
Troisièmes personnes en « 144
Le Thème.
La consonne finale 149
Allongement de la voyelle thématique 149
Simplification de la voyelle du thème 152
Pouvoir, estovoir, vouloir 153
CHAPITRE IV. — Première personne du pluriel.
Terminaisons féminines.
Leur extension 158
La consonne finale 166
La voyelle atone 167
Chute de la voyelle atone 169
S parasite 171
La voyelle accentuée 172
Terminaisons masculines.
La vovelle nasale 177
La consonne finale , 181
Ions 191
lens 195
CHAPITRE V. — Deuxième personne du pluriel.
Terminaisons féminines.
Leur extension 199
La consonne finale 201
La voyelle atone 202
Le premier 5 de la désinence 203
La voyelle accentuée 204
Terminaisons masculines.
La consonne finale 205
La voyelle 212
Redoublement de la voyelle 212
La diphtongue ei 213
Synérèse 213
Terminaison ei~ 213
Terminaison ie^ 218
TABLE DES MATIÈRES 865
CHAPITRE VI. — Troisième personne du pluriel. "
Désinences masculines.
La voyelle nasale ^,^
Désinences masculines par déplacement de l'accent 2^4
Désinence accentuée ont ,,„
Les consonnes finales 238
Extension des formes fortes 2îq
Désinences féminines.
La consonne de la terminaison 2JO
La voyelle 241
Terminaison en e(a)ieiii.
La voyelle posttonique 2 .y
La diphtongue 274
S parasite _ ,-5
Le radical ,_^
LIVRE II : Les modes.
CHAPITRE I. — Le mode indicatii
'79
CHAPITRE IL — Le subjoxctik.
Subjonctifs en em.
Première et deuxième personnes du singulier 28S
Troisième personne du singulier 295
Le radical à la troisième personne du singulier 297
S paragogique 304
Perte de la dentale sans addition d'un e atone 305
Développement d'un e atone ^06
Première et deuxième personnes du pluriel 516
Le radical des subjonctifs en ou 516
Subjonctifs en ce ou se de la première conjugaison 521)
Influence des subjonctifs en em. 522
Subjonctifs en am 525
Le radical ^24
Subjonctifs en iaiii.
La désinence à la première et à la seconde personne du pluriel ; 5 1
Le radical. î 3 ',
V'erbes à labiale \\,\
Verbes à dentale . . 559
Verbes à liquide ;40
Verbes à palatale ^46
Subjonctifs en ce des verbes de III ^48
Subjonctifs en ge ; ^ 1
Subjonctif du verbe être • î )<•;
866 l'i-\'olutkjn du vhkbh ek anglo-ikançals
CHAPITRE 111. — i;iMI>KR,VTIF.
Impératifs à forme de subjonctif 361
Première conjugaison.
Impératifs en <; 364
Chute de la voyelle atone 365
Chute de l'atone et addition de .\ 368
Impératif des 11^, Ille, IVc conjugaisons.
La dentale 370
Ler 571
L'-J 371
L'« 375
Le radical de l'impératif.
Influence de l'indicatif 374
Influence du subjonctif 374
CHAPITRE IV. — L'infinitif.
Addition ou chute d'un t' atone 57S
Addition de s . . 582
Inlinitifs de I.
Les formes 382
Acquisitions des infinitifs en ri 590
Infinitifs de II 425
Acquisitions des infinitifs en //• 425
Infinitifs de III 432
-acquisitions des infinitifs en cir 434
Infinitifs de IV 437
Acquisitions des infinitifs en ;■<; 437
Le radical de l'infinitif.
VoN^elle svarabhaktique 44 1
Autres modifications du thème 444
CHAPITRE V. — Les participes.
Participe présent.
Consonne finale 450
La voyelle nasale 4)2
Le radical du participe présent 455
Participe passé.
Participes passés faibles 460
La consonne finale 4t>o
La voyelle de la terminaison 465
Les acquisitions 477
Acquisitions des participes passés en e. ..... 477
Acquisitions des participes passés en / 4^^^
Acquisitions des participes passés en » 485
Le radical des participes faibles 49 ^
Participes passés forts 5^9
TABLE DES MATIÈRES 867
En siiin _ - j g
En tUlll r -52
En atuni -■, ,
J ■*H
En itiuii. ^2 -
En ut uni _ r 2 r
En ctiun r^r
En Ituni - -. -.
) ))
CHAPITRE VI. — Les inchoatifs 535
LIVRE III : Les temps.
CHAPITRE I. — Présent de l'indicatif 3^y
CHAPITRE II. — Imparfait de l'indicatif 550
Imparfaits de la première conjugaison c cq
Imparfaits des deuxième, troisième et quatrième conjugaisons 565
CHAPITRE III. — Prétérit 37j
Les prétérits faibles.
Prétérits en avi -y.
Les acquisitions. ^-é
Prétérits en /î'/ j3q
Les acquisitions ^oi
Prétérits en ui cgg
Les acquisitions ^29
Les prétérits forts.
Prétérits en i 631
Prétérits en 5/. . . (^-^n
Le thème 651
Acquisitions des prétérits en si 6j^
CHAPITRE IV. — Imparfait du subjonctif.
Phénomènes généraux 657
Imparfaits du subjonctif correspondant à un prétérit en avi 662
— — — ivi 665
— _ _ ,i,,ii 666
— — — iii 666
— — — /■ 684
— — — si 687
Extension des formes en it 694
CHAPITRE V. — Futur et conditionnel.
Futur des verbes de l 701
Futur des verbes de II 711
Futur des verbes de lll et de IV 716
S68 L'l^:VOLU'riON du verbe en ANCiLO-l-RANÇAlS
Futur du verbe être 732
Futur du verbe faire 735
Le thème au futur 740
SECONDE PARTIE
CHAPITRE I. — Les changements phoniq.ues dans le verbe 748
Première catégorie 749
Seconde et troisième catégories 757
CHAPITRE IL — Formations analogiques 797
Phénomènes généraux d'analogie 797
Actions analogiques à l'intérieur d'un même verbe 803
Actions analogiques d'un verbe sur un autre verbe 810
CHAPITRE III. — Les influences extérieures 818
Influence du latin 819
Influence des dialectes français 823
Influence des dialectes du Nord et de l'Est 828
Influence du bourguignon 836
Influence du wallon et du picard 839
CHAPITRE IV. — Conclusions générales 858
LIBRAIRIE ANCIENNE En. CHAMPION, ÉDITEUR, s, QUAI MALAQUAIS
Joseph BÉDIER
Professeur au Collège de France
LES LÉGENDES ÉPIQUES
Recherches sur la formation des chansons de geste
I. Le cycle de Guillaume d'Orange. 1908, iii-8 8 fr.
II . La légende de Girard de Roussillon. — La légende de la conquête de la Bretagne
par le roi Charlemagne. — Les chansons de geste et les routes d'Italie. —
Ogier de Danemark et saint Faron de Meaux. — La légende de Raoul de
Cambrai. 1909, in-8 8 fr.
Grand Prix Gobert à r Académie française.
III. La légende des « Enfances » de Charlemagne et l'histoire de Charles Martel. —
Leschansons de geste et le pèlerinage de Compostelle. — La Chanson de Roland.
De l'autorité du manuscrit d'Oxford, pour l'établissement du texte de la Chanson
de Roland.
IV. Richard de Normandie dans les chansons de geste. — Gormond et Isembard. —
Salomon de Bretagne. — L'abbaye de Saint-Denis. — Renaud de Montauban.
— Quelques légendes de l'Ardenne. — Les prétendus modèles mérovingiens
des chansons de geste. — L'histoire dans leschansons de geste. — Les légendes
de Charlemagne. — Etc.
Pierre CHAMPION
Archiviste Paléographe
FRANÇOIS VILLON
Sa vie et son temps
2 volumes in-8 de ht Bibliothèque du xv" siècle 20 fr.
Grand Prix Gobert 1914
Gaston PARIS
Mélanges de Littérature Française
DU MOYEN AGE
publiés par Mario ROQUES
A.-L. TEKRACHER
Professeur à l'Université de Liverpool
ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE LINGUISTIQUE
LES
AIRES MORPHOLOGIQUES
DANS LES
PARLERS POPULAIRES
DU
NORD-OUEST DE L'ANGOUMOIS
(1800- 1900)
I vol . in-8 de xiv-248 pp . et 452 pp. à! Appendices 25 fr-
Atlas de 50 cartes 15 fr-
L'ouvrage complet (Texte et Atlas) 40 fr.
/
I. IBKAl RI li ANCIENNE Iv3. CHAMPION, I-:DITEU1<, 5. QUAI MALAQUAIS
COHEN. Le Parler arabe des juifs d'Alger 25 fr.
ERNOUr. Les Éléments dialectaux du vocabulaire latin 7 fr. 50
FOULET (Lucien). Le Roman de Renard, lort volume in-8 de xni-574 pages.
13 !V.
GRAMMONT (Maurice). Le vers français, ses moyens d'expression, son har-
monie. 2= édition refondue et augmentée. 1915, in-8 de 310 p 12 fr.
MEILLE r. Les Dialectes indo-européens .' 4 fr, 50
Mélanges linguistiques offerts à M. F. de Saussure 10 fr. 50
MEUNIER (Jean-Marie). Étude morphologique sur les pronoms personnels
dans les parlers actuels du Nivernais. InH», avec une carte 15 fr.
— Atlas linguistique et tableaux des pronoms personnels du Nivernais.
Supplément A 1 Étude morphologique sur les pronoms personnels dans les parlers actuels
du Nivernais. In-fol. de 1 5 cartes et 1 5 tableaux. 25 fr.
— Monographie phonétique du parler de Chaulgnes, canton de la Charité-sur-
Loire (Nièvre). Avec i carte et. 21 planches hors texte (Figures réduites de 1/8). In-8.
15 fr.
— Index lexiGographique de tous les mots celtiques, grecs, latins, bourgui-
gnons, chaulgnards. etc., contenus dans la Monographie du parler de Chaulgnes.
In-8 10 fr.
Les 4 volumes ensemble 45 fr.
T^/rrie/f^/icî-nn \ Mélanges linguistiques. I . Latin vulcraire et lancines romanes.
r'aJli>[\jablun). Romani-Romania. — L'Appendix Probi. — Version latine
de l'Heptateuque. — L'altération romane du C latin. — La dissimilation consonan-
tique dans les langues romanes. — II. Langue française : Grammaire historique de la
langue française. — Histoire de la langue. — Phonétique : O fermé. — Français R = D.
— La vie des mots. Les plus anciens mots d'emprunt. — Dictionnaire de la langue
française. — La grammaire et l'orthographe. — Les parlers de France. — III. Notes
étymologiques : Abrier, abri. — Accoutrer, fatras. — Andain. — Avoir son olivier
courant. — Bascauda. — Boute en courroie. — Choisel. — Dehé. — Dîner. — Faite.
— Ficatum en roman . — Guet-apens. — A. Fr. laïs. — Navrer. — Nuptias. —
Poulie. — Trouver. — Vapidus « Fade » etc.. etc.. Appendice : De l'histoire de
l'orthographe française. — Index des auteurs et des textes cités. — Index des mots.
(Ces index forment ^0 pages, ce chiffre donne un aperçu de Viniportance de Vouvrage et des
matières étudiées.) 1906-1909, in-8, 800 pages 25 fr.
RAYNAUD (Gaston) et LEMAITRE (Henri). Le Roman de Renart le Contrefait-
Deux volumes in-8 Jésus. T. I, xxii-571 pages, deux colonnes et une planche. —
T. II, ^61 pages à deux colonnes. F'nsemble 25 fr.
SAINÉAN (L.). Les sources de l'argot français. T. I. Des origines A la fin du
XV llle^ siècle. T. II -.Le XIX^ siècle (iSoo-iS')0). In-8 écu (t. I, xvi-426 p. ; II, 470 p.).
Les deux volumes ensemble. Prix 15 fr.
Cartes Muettes de TAtlas Linguistique
Préparées pour l'étude philologique et linguistique des mots
petit format, la carte
ofr.
iS
grand format, la carte
0 fr. 30
par 25
3fr.
par 25
6 fr.
par 50
5tr.
par 50
10 fr.
par 100 et au-dessus
8fr.
par 100 et au-dessus
I éfr.
.^
PC
T3
Tanquerey, Frëd^ric Joseph
L'évolution du verbe en
Anglo-français
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY
fc-".^.;-.v 'w ■■■■^.: