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\ W. SHAKESPEARE
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Macbeth
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TRADUCTION NOUVELLE ET LITTÉRALE
avec une Préface et des Notes
par
CÉLESTIN DEMBLON
Membre de la Chambre des Représentants
Professeur à l'Université Nouvelle de Bruxelles
C'est toi, lady Macbeth, âme puissante au crime,
Rêre d'Eschyle éclos au climat des autans...
B/tUDBLAIRB.
bruxelles
Paul LACOMBLEZ, Editeur
3Ij RUE DES PAROISSIENS, 3I
1904
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Macbeth
ŒUVRES PRINCIPALES DU MEME AUTEUR
Cantique de Noël, composé à 17 ans; 1876.
Le Château de Way-Barsan, nouvelle ; 1878.
Mentine, roman; 1879.
La Relique du roi Dagobert, comédie en un acte.
La Conscription, nouvelle; 1881.
Contes mélancoliques, un volume de 138 pages;
S""» édition; 1883-1884.
Mes Croyances, un volume de 324 pages ; 1884.
Le Roitelet, poème en prose de 50 pages; s"^*^ édition.
Noël d'un Démocrate, poème en prose de 100 pages.
Les Patrons des Mineurs, étude historique, une bro-
chure; ^"« 7nille.
Panorama de Souvenirs, tableau littéraire, une bro-
chure; 2"'« inille.
EN PREPARATION :
AuRORA, un volume qui paraîtra prochainement à Paris
et comprendra Atirora (inédit), les Contes Mélanco-
liques, le Roitelet, Noël d'un Démocrate, les Emerveille-
ments (inédits).
La Littérature belge de langue française, deux
volumes dont le premier a paru en 90 articles de
1891 à 1894 dans le journal Le Peuple.
Francine Liégeois, drame en quatre actes
La Noël et l'Epiphanie, étude historique, avec quatre
dessins de Célestin Demblon, d'après Diirer, Corrège,
Rubens et Rembrandt ; un opuscule.
Evolution des genres et des tempéraments musi-
caux depuis Palestrina et Sébastien Bach
jusqu'à nos jours, brochure.
Evolution du paysage a travers les écoles de
peinture depuis le xv™» siècle, brochure.
SOUS PRESSE :
Victor Hugo et la Belgique, brochure.
Hamlet.
W. SHAKESPEARE
MACBETH
TRADUCTION NOUVELLE ET LITTÉRALE
avec une Préface et des Notes
par
CELESTIN DEMBLON
Membre de la Chambre des Représentants
Professeur à l'Université Nouvelle de Bruxelles
C'est toi, lady Macbeth, âme puissante au crime.
Rêve d'Eschyle éclos au climat des autans...
Baudelaire.
bruxelles
Paul LACOMBLEZ, Editeur
31, RUE DES PAROISSIENS, 31
1904
Tous droits réservés
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■•^:-J*^l-OHl»t''
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PREFACE
A^oîis avons tenté de traduire Macbeth aussi liltèralcincnt que
le permet le génie de la langue française. Les remarquables tra-
ductions de- François-Victor Hugo et d'Emile Montégut, quoique
très stcpèrieures à celles de Laplace, de Letourneur , de Guizot et
de Francisque Michel, et même à celle de Benjamin Laroche, sont
cependa7it pleines eyicore d'inexactitudes et plus ou moins systé-
matiques. C'est surtout, semble-t-il, ce caractère lègèremeyit systé-
matique qui les rend souvent inexactes. La nôtre ne vise qu'à gar-
der aussifidèles que possible la physionomie et la saveur de l'original,
— sans le franciser. On peut toujoîirs discuter quelqices expres-
sions, car certains passages de Macbeth so7it à juste titre
cotisidérés — 7wus l'avons bien me! — comme particulièrement
difficiles; mais ayant batmi toute préoccupation systématique,
nous pensons que la chicane ne pourra èpiloguer sur grand' chose.
Bien, qtu Macbeth, au premier acte sttrtout, soit peut-être celui
des trente-sept drames de William Shakespeare qui appelle le plus
de Jiotes, nous en arjotis réduit le nombre et FéteJidue ati strict
nécessaire.
Le lecteur français, espérons-nous, aura dcvajit lui le chef-
d'œzcvre dans sa Jiudité terrible et dans sa magnificence. Macbeth
est il le plus beau drame de l'immortel Will comme i?iclinent à le
croire des critiques anglais tels que Addison, Johnsoti, Malone,
Drake, Thomas Campbell? Tranche qui peut cette qiccstion ! Bien
hardi quiconque oserait choisir esthétiquement entre tant de mer-
veilles incomparables ; car., dans le domaine du drame proprevient
dit, malgré certains chefs-d'œuvre espagnols de Calderon et de
Lope de Vega, et malgré les meilleurs drames romantiques du
théâtre allemand et du français., chacuji sait que Shakespeare ne
peut être comparé qu'à lui-même! Toujours l'admiratiofi hésitera
entre Hamlet, Othello, Macbeth, Romeo et Juliette, le Roi
Lear, /^ Marchand de Venise, Jules César, Cymbeline, Comme
il vous plaira, Coriolan, Antoine et Cléopâtre, le Songe d'une
Nuit d'été, la Tempête, la trilogie des deux Henri IV et des
Joyeuses Femmes de Windsor, /^wr ne citer, dit, inonde illimité
d'un génie hors pair, que les principales de ces créations si variées
malgré leur glorieux air de Camille. Quant à nous, nous n'ose-
rions choisir, par exemple, entre Othello et Macbeth ; et, sans le
vouloir dire précisément supérieur , notre prédilection s'attache à
Hamlet, — dont une traduction à cette heure achevée suivra
celle-ci.
Mais est-il nécessaire d'ajouter qu'on n' admirera jamais trop
Macbeth ? C'est, en dépit ^''Othello et même du Roi Lear, le plus
sombre drame de Shakespeare, sinon le plus triste, le plus profond
ou le plus pathétique ; c'est atcssi, avec Hamlet, celui quiacomme
le plus d'intensité nationale, c'est le plus anglais. — le plus écos-
sais, si l'on veut. C'est enfi^i le plus sauvagement mystérieux : il
faut surtout le voir représenté pour bien s'en rendre compte! Tou-
tes approximatives que soient ces comparaisons, l'on pourrait dire
que Macbeth tient dans l'œuvre du dieu de Strafford-sur-Avon
la même place que les Choéphores oîi toute /'Orestie dans celle
d'Eschyle, — le seul génie dramatique qui soit de la taille de
Shakespeare, — qtie le Jugement dans l'œuvre de Michel- Ange,
que le ChevAi&T etiA Mort dans celle d'Albert Diirer, que le
Misanthrope dans celle de Molière, y^^'Alceste dans celle de
Gluck, que /'Héroïque dans celle de lieethoven, que les Trois
Croix dans celle de Rembrandt. A la lecture, la couleur en appa-
raît localemejit noire ou crépusculaire, — bien que Shakespeare
ne se soit fort occïipé que de la couleur morale, et qu'à cet égard,
pour le dire en passant, puisque l'école romantique française s'en
est tant axitorisée au théâtre, il se rapproche peut-être autant d'un
Prosper Mérimée que d'un Victor Hugo...
Nous n'insisterons pas sur cette coiclejcr morale, sur le don,
shakespearien entre tous, de créer des caractères à la fois profon-
dément individuels et propres à diverses nationalités, bien que
nécessairement vus, à notre sens, sous le prisme anglais ; logiqtie-
ment mobiles comme la vie même, — qu'ils restent dans le réel ou
qu'ils soient transportés dans le rêve; — et qui, tout en passant
dans la tumultueuse immensité du drame, le dominent ou même
l'excédent : ce serait dépasser les bornes d'une courte préface et
PREFACE
d'ailleurs redire ce que tout l'univers sait. Car, quelle gloire est
vraiment plus universelle? Et combien le sont au même point?
Jamais poète n'injitsa tant de vie et de vérité générale à tant de
personnages distincts, d'un si complet relief, qu'il les ait tirés de
lui-même, ou qic'il les ait hetcreusement pris, avec la souveraine
liberté du génie, à des chroniques quetco7iqtces , à d'obscurs écri-
vains, pour les transfigurer d'une matiière impérissable et les
marquer de sa prestigieuse estampille. Dans ce dernier cas, c'est
le volé qui lui doit une reconnaissance sans bornes. Quel hon-
neur et quelle fortune d'avoir été dépouillé par William Shakes-
peare! Non moins que le suprême Beethoven, il re7id avec usure
et parfois au centuple à toute l'humanité ce qu'il a emprunté, —
et qjt'il utilise de telle majiière que nul désormais ne saurait plus
se r approprier . Comme l'a bien dit Campbell, il transforme du
sable sec en or. Le créateur de Macbeth, i'Othello et de Hamlet
a fait sortir d'honnêtes incoiimcs de l' ombre pour les illustrer d'une
note dans son œuvre., ce qui leur vaut une modeste notoriété ines-
pérée. C'est ainsi qu'Hcrcute emportait sans y songer lespygmées
dans les plis de son manteau.
Eh ! qui saurait sans moi que Cottin à prêché?
s'écrie plaisamtnent Boileau. Qui, sans Shakespeare, — sauf
quelques profcssio7inels, — connaîtrait beaucoup Belleforest,
Lancham, Hollinshed, Arthur Broke, Ljiigi da Porto, Silvayn,
Sà,vo Germanic7is et }Jiai)its autres qui certes ontfourtii à l'his-
toire d'utiles matériaux , mais qui n'ont pas d'art ni de personna-
lité tranchée ? Ce sotit de fort^ estimables momies anonymes,
même quand elles portent zm nom, d' « éminents » académiciens
ou tout comme , qui sortent enfin d'une crypte peu connue poîir pren-
dre place dans les corridors du Louvre, des Offices, du Vatican,
de la Pinacothèque oîc du Bristish Mîiseum, et sur lesqzielles les
visiteurs qui montent co7itinuellement voir Hubert et Jean Van
Eyck, Léonard de Vinci, Raphaël, Titien, Rubens, Velasquez,
Rembratidt, Clatcde Gelée, Ruysdaël, Watteau et Delacroix,
jettent dti moins îcn coup d' œil cji passant! Et si Shakespeare, —
infatigable liseur dont la science littéraire alimeiitait le génie, —
apu faire des emprunts à Ovide, à Sencqtce, à Pluiarque, à saint
Augustin, à Froissart, à Montaigne, sa?is do?i?ier plus de lustre
PREFACE
à ces génies d'ordre d'ailleurs diversement iyijérieur au sien, n'en
a-t-il pas aussi donne davantage à Huon de Bordeaux, à Robert
Wace, à Geo^roy de Moininouth, voire à Thomas Morus, à
Bandello et à Amyot ?
Aussi — exceptiofis faites de quelques abus d'euphuisme, d'etti-
phase, de métaphores recherchées ou peu fotidues, de mauvais
goût ou d'obsciiritè, — ne suffit-il pas d'amirer ici un style, ou
plutôt, ce mot n'ayant gtùre pour l'Anglo-Saxon le sens comme
distinct et artiste qic'y donne le Français, jme langue libre,
fertile, énergique, grouillante d'images }iébîcleuseme}it éclatantes,
une langue dont la vivante concisioji s'épanouit parfois en ampli'
ficatio7is oratoires, une langue qui semble tissue des riches rayons
de la Renaissance devenus à la fois plus diffus, plus f^dgurants
et plus embrumés : il fard encore admirer l'étonnante justesse du
langage sur l'acceyit toujours vrai duquel on tatit écrit, les conti-
Jiuelles intentions qui n'échappent qu'à ceux qui ne comprennent
et ne sentent rien, qui font dire à Coleridge que Shakespeare est une
« puissance créatrice omniprésente » et à Hippolyte Taine qu'il
avait la faculté prodigieuse d' apercevoir en un cliji d'œil tout son
personnage dans ses détails et son ensemble, et qjie tel mot d'Ham-
let ou d'Othello, pour être expliqué, demanderait trois pages de
comme7itaires.
Il fatct pénétrer ces intentiotis, voir ce qu'o7i ne voit pas toujours
à première vice, deviner l'embrasement d'oii sort l'étincelle perçue,
saisir ce monde étendu si énigmatiquemerit profo7id sous l'impé-
tueuse bacchaiiale de brtcsques passions sans frein qui s'etitredévo-
rent; ce monde qui, malgré ses rudesses, est cepe7ida7it U7te idéali-
sation de la Renaissa7ice anglaise so7nbre)ne7it luxuriatite,
fastueuse. brtUale et débridée, au point qu'on en croit à peine les
té//ioignages du tei7ips et les drai/ies souve7it crjis, bestiaux,
ii/ipassibles et mornes des rivaux à de/ni oubliés de Shakespaere ;
ce 7/i07ide oie s'unisse7it e7i ic7i chaos fuya7it et bariolé coi7ime un
âpre Rabelais da7is U7i Véro7ièse halluciné sur U7ifond de scepti-
que indiffére7ice à la Mo7itaig7ic mêlée d'ainour ; ce mo7ide à la
fois dèlira7it, vorace et loyal do7it la tragédie se/iible l'état jiatxcrel,
oii d'i7icroyables ig7io//iinies et de si7iistres férocités lieurte7it des
cris é)7iouvants, des trai7iées d'éloque7ice, de brilla7its croqicis, des
délicatesses suaves et com7ne i7ico7iscie7ites, d'ad7>iirables 7/iaxim^s
pratiques, — tandis qu'u7te libérale puissa7ice i7ico7imie semble
PRKFACE
cachée derrière, on ne sait quel impénétrable élément philosophi-
que, impartial , neutre, à qui rien n'échappe ,• qui règle tout le
déchaînement à lajaçon dont Ricbens, comme l'explique Fromen-
tin, reste calme sotcs ses envolées; qui vous attire sans se livrer
beaucoup (^i) ; mais qui, s'il ne prend jamais personnelleme?it
parti, s'il reste autant que possible étranger à ce qic'il dépeint,
n'en mêle pas moins, par la parce des choses, avec une ironie et
■une commisération qui se contrebalancent, son être et son accent
spécial à l'incomparable famille qu'il enpaiite et qu'il mène à de
fatals cataclysmes. C'est William Shakespeare. C'est William
Shakespeare, l'homme qui a pris beaucoup à chacun de nous, U7i
de cetcv qui mêlent particulièrement bien le ciel et la terre et dont
la large compréhension native plane au-dessus des préjugés, et
celui qui a le plus imaginé d'inoubliables caractères, — comme
Sébastien Bach est celui qtci a le plus créé de rythmes musicau.x
hardis, imprévus, solides, austérement ineffables et d'une monu-
mentale sublimité.
C'est William Shakespeare, un de ces hommes prodigieusement
tares, grand parmi les gratids mêmes, comme on n'en voit guère
qu'au bout de plusieurs siècles, et qui savent découvrir et garder
toute la fontaine de jfouvence: ta?idis que les âges passent, empor-
tant des rafales de sottises et de vaniteuses méchancetés, ils restent
comme des astres vers qui les générations toîirnent sans cesse les
yeu.v pour demander la lumière, le réconfort, la beauté, l'illusion
sacrée. C'est que, malgré certains défauts qui ne méritent guère
plus de critiques que les taches du soleil, celui qu'eti sa concision
aisée et son impressionnante justesse Alfred de Musset appelle
île grand ami Shakespeare-» mêle à tout cette irrésistible et subtile
flamme de sincérité qtii tient au.v doigts mêmes de l'enchanteur,
comme dit Joubert à propos de ChSteatcbriand, qui ne s'acquiert
pas plus qu'elle ne trompe la foule toujotirs renaissante de lecteurs,
qui circtde magique dans l'œuvre entière, qui n'appartient dans
sa plénitude qu'au génie, et qui, mens divinior, anime, embellit
et pxirifie jusqu' aux exhibitions même de l'infamie humaine !
(i) Ace propos, Emerson dit dans ses ftepresenlatioe Met qu'un homme
intelligent peut nicher dans le cerveau de Platon, par exemple, y placer sa pen-
sée, chose impossible avec Shakespaere qui tient le lecteur à la porte. « A good
reader can, in a sort, nestle Plato s brain, and think. from thence, butnot into
Shakespeare 's. We ara still out of the doors. »
PREFACE
C'est naUirellement aussi ce qui déchaîna souvent l'envie d'une
foule de contemporains. Les sijfflements des vipères se mêlent tou-
jours au concert d' acclainations qice soulève la Gloire. Le génie a
ses furibonds détracteurs, — comme il a ses singes grotesques,.
Les deux espèces sont même parfois rétmies. Il a les pau.v amis,
les talents factices toicjoîcrs assez 7iombreu.x qui 7iefont qu'une
rhétorique plus ou moins adroite, ne dépassent pas le cercueil,
dont les prétetitio7is même démesurées ne froissent personne, et
que la haine éperdue et vigilante oppose comme d'éphémères lam-
pions à l'astre indestrttctible ; il a les railleries et les sourires
suffisants des hommes remarquables — pour di.v ans, et pour
leurs semblables ! — des accomodeurs habiles qui croient que le
vrai Shakespeare, c'est eux-mêmes ; il a les rééditeurs de perfidies
faciles qui font profession de trouver Hector Berlioz et Richard
Wagner e.vtravaga7its ; il a les rires épais, les crânes dépriviés,
l'incurable myopie, et la légeyidaire bêtise aufro7it de taureau !
On tenta même de mépriser Shakespeare, mi que, comme l'a dit
Hugo, les nains sojit dédaigneu.v de toute letir hatiteur! On mit
au-dessus de lui ceux que l'autre dieti de la littérature anglaise,
lord Byroji, qui conyiut iiaturellement aussi ces risibles manoeu-
vres de la rage impuissance, appelle, daiis sa mordante dédicace
de Don Juan, les vi7igt-quatre merles da7is tm pâté — four and
twenty Blackbirds in a pye ! — les vingt-quatre atitres poètes
du te77ips dont chacu7i est « le i/ieilleur » ; et Shakespeare se vit
tour à tour préférer Marlowe, Be7i Jonso7i, Webster, Greene,
Flechter, Beaimiont, — otc Lily — et bie7i d'autres, quelque-uns
fort intéressa7its d'ailleurs, mais sans réel gé7iie, et qui disparais-
sent devant le Magicien û?'Hamlet et de Cymbeline co/iwie d'in-
certaines étoiles dans l'explosio7i des feux de l'aurore. On affecta
même de ne pas le voir ! Inutile d'ajouter qu'on l'injuriait sans
cesse, co7iwie si l'o7i 7i'eiit pas été bien convaincti de sa no?i-
existence.
Shakespeare crut inutile de rép07idre. Longte77tps ava7it Lefra7ic
de Po7npignan, il connaissait l'histoire des Africai7is qxii la7icent
des flèches au soleil. Maître de hii co7iime de l'ave7iir, il se tint
i7)iperticrbable7}ie7it tranquille dans sa force, car cet orageux
créateur insondable, qu'o7i se figurerait à pre7nière vue belliqueux
et susceptible, f7it, toîis les contemporains l'attestent, U7i homme
bienveillant, doux, civil, ouvert, aftectuetuc, — d'esprit pratique
VII
comme un A nglais, — et d'une rarissisme délicatesse. Qui doti-
terait d'ailleurs de cette délicatesse devant l'incomparable galerie
de femmes qu'il a créées : Ophélie, Desdémone, Cor délie, Miranda,
Juliette, Portia f devant les paroles impressionnantes qui
sortent de la bouche de ses héros préférés : Hamlet, Othello, Roméo,
Hotspur, Jacques, Brut us. Timon ? ou devant les passages de
son Adnnis, traits de véritable amour que la virilité du poète
rend par contraste plus délicats encore?
No longer mourn for me when I am dead
for 1 love you so
That I in your sweet thougts would be forgot
If thinking on me then thould make you woe.
« Ne pleurez pas sur moi quand je serai mort... car je vous aime tant que je
voudrais être oublié dans vos tendres pensées si penser à moi vous causait alors
de la douleur».
. Si Shakespeare n'a jamais pris garde aux insultes, ses admi-
rateurs les ont par curiosité recueillies. En voici puelques-unes :
tête pleine de drôleries, fou, tigre, blême Jeannot. Elles
écrasent d'une honte et d'jifi ridicule indélébiles les itisiilteurs, —
déplorables chauves-souris qui se sont enferrées dans les hersillons
d!un château-fort enchanté! Faut-il dire que rien n'y fit
d'ailleurs? L'aimant secret du grand Will, son ima^nation,
sa langue originale, remportèrent triomphalement. L'instinct
général ne s'y trompa jamais un instant, — ni la postérité
qtii lui restera toujoicrs, et pour cause, fidèle. Haines, perfidies,
mépris feints, sottes injures, tout sombra promptement aux
bas fonds de l'oubli. Et de son époque, qui n'apparaîtrait plus
guère qu'en une pénombre sans l'éclat qu'il lui communique, et
qui n'intéresse tant que par lui, seulWilliam Shakespeare rayonne
pour jamais à travers le monde orageux et féerique des trente-
sept drames qu'il édifia en une quinzaine d'années. — Dans
l'histoire entière, il fi'y a peut être que ces deux autres hommes
miraciUeux, d'une famille d'esprits d'ailleurs différente,
Raphaël et Mozart, qui aient réalisé pareil effort en un si court
espace Je temps!
Un jour, réunissant e7i tm volume Macbeth, Hamlet f/Othello
que nous allons bientôt traduire, nous reviendrons plus longue-
ment qu'ici — et qu'autrefois dans le Wallon, le Peuple et la
VIII PREFACE
Réforme — sur l'homme extraordinaire qtii semble aux temps
modernes ce qii' Homère est à l'antiquité, ce que Dajite est att
moyen âge : nous y reviendrons après les Villemain, les Guizotj
les Chasles, les Lamartine, les Hugo, les Montègut, les
Schèrer, les Taine, les Saint- Victor, les Méziéres, les Stapfer,
les Wattendorff, les Darmesteter, les Jusserand, potir ne citer
qtie les principaux Français, sans otiblier bien entendu les criti-
ques d'Outre-Manche et les travaux de la Shakespeare Society
et dela'New Shakespeare Society, fii la fameuse question Bacon-
Shaicspearc sur laquelle on a écrit eji Ajigletcrre et en Amérique
pbcsieurs livres, nombre de brochures et qzielques centaines
d'articles. Aujourd'hui, notis nous bornons à condenser l'essentiel,
ce qui ne signifie pourtant pas qu'une cime telle que Macbeth
exige absolument zen guide ni surtout une présentation.
CÉLESTIN DeMBLON.
Liège et Rome, septembre XÇ04..
PERSONNAGES
DuNCAN, roi d'Ecosse.
„ > fils de Duncan.
DONALBAIN, )
Macbeth, général de Duncan, puis roi.
Banquo, général de Duncan, ami de Macbeth.
Macduff,
Lenxox,
Ross, \^ nobles écossais.
Menteith,
Angus,
CaiThness,
Fléance, fils de Banquo.
SiwARD, comte de Northumberland et général des forces
anglaises.
Le jeune Siward.
Seyton, officier de la suite de Macbeth.
Un fils de Macduff.
Un Médecin anglais.
Un Médecin écossais.
Un Soldat^ un Officier, ufi Vieillard.
Lady Macbeth.
Lady Macduff.
Ufie suivante de Lady Macbeth.
Hécate.
Trois sorcières.
Seigneurs, Gentilshommes, Officiers, Soldats, Meurtriers,
Messagers et autres Comparses. Le spectre de Banquo
• et autres Apparitions.
La scène est en Ecosse et ufic partie du quatrième acte en
A ngleterre.
ACTE I
SCÈNE PREMIÈRE
Une vaste plaine. Tonnerre et éclairs.
Entre7it trois sorcières.
Première Sorcière. Quand nous rencontrerons-nous
encore nous trois, dans le tonnerre, l'éclair ou la pluie ?
Deuxième Sorcière. Quand le vacarme sera fini, quand la
bataille sera perdue ou gagnée.
Troisième Sorcière. Ce sera avant le coucher du soleil.
Première Sorcière. A quelle place ?
Deuxième Sorcière. Sur la bruyère.
Troisième Sorcière. Pour y rencontrer Macbeth.
Première Sorcière. J'y vais, Graymalkin ! (i)
Deuxième Sorcière. Paddock appelle : — tout à l'heure!
Toutes. Le beau est impur et l'impur est beau : voltigeons
à travers le brouillard et l'air malpropre.
Elles sortent.
SCÈNE II
Un camp près de Forres. Alarme au loin.
Entrent Dunxan, Malcolm, Donalbaix, Lexnox, avec des
serviteurs ; ils rencontrent un s£rge?tt blessé.
DuNCAN. Quel est cet homme ensanglanté? Il peut dire,
comme semble l'indiquer son état, la plus récente situation
de la révolte.
Malcolm. C'est le sergent (2) qui, comme un bon et hardi
(0 Graymalkin et Paddock sont respectivement les vieux noms populaires du
chat et du crapaud.
(2) Le sergent était alors un ofificier.
soldat, a combattu pour me sauver de la captivité. — Salut,
brave ami ! dis au roi oîi en était la lutte quand tu l'as quittée.
Le Sergent. Elle restait douteuse comme deux nageurs
épuisés qui se cramponnent l'un à l'autre et paralysent leur
adresse. L'impitoyable Macdonwald — qui mérite d'être un re-
belle, car, pour cela, les multiples infamies de la nature pullu-
lent en lui, — est pourvu par les îles de l'ouest de Kernes et de
Gallowglasses ( i ) ; et la fortune, souriant à sa querelle maudite,
s'est conduite comme la prostituée d'un rebelle : mais tout a
été insuffisant, car le brave Macbeth — il mérite bien ce nom —
dédaignant la fortune, sa lame brandie qui fumait de sanglan-
tes exécutions, comme un favori de la vaillance, s'est taillé un
passage jusqu'à la face du misérable; et sans lui donner une
poignée de main ni lui dire portez-vous bien, avant qu'il
l'eût décousu du crâne à la mâchoire, et fixé sa tête sur nos
créneaux.
DuNXAN. O vaillant cousin ! (2) digne gentilhomme!
Le Sergent. Comme d'oii le soleil projette sa lumière, des
orages meurtriers et d'afîYeux tonnerres éclatent, ainsi de
cette irruption, d'où le secours semblait venir, les périls
grandirent. Notez-le bien, roi d'Ecosse, notez le bien : à peine
la justice, armée de la valeur, avait-elle forcé ces Kernes
agiles à ne se fier qu'à leurs talons, que le chef de Norvège,
calculant son avantage, avec des armes fourbies et de nou-
veaux renforts d'hommes, commença un autre assaut.
DuNCAN. Cela n'épouvanta-t-il pas nos capitaines, Macbeth
et Banquo .''
Le Sergent. Oui, comme les moineaux les aigles, ou le
lièvre le lion. Pour dire la vérité, je dois déclarer qu'ils étaient
comme des canons deux fois chargés, tant ils redoublaient
leurs coups sur l'ennemi : voulaient-ils se baigner dans des
blessures fumantes ou immortaliser un autre Golgotha, je ne
puis le dire ; mais je suis défaillant, mes larges blessures crient
à l'aide.
DuNCAN. Les paroles te conviennent aussi bien que les
blessures; elles sentent également l'honneur. — Allez lui
(I) Les Kernes et les Gallowglasses étaient des noms de peuplades irlandaises.
<2) Duncan et Macbeth étaient fils de deux sœurs.
ACTE PREMIER
trouver des chirurgiens. {Le Sergent sort, assisté.) Qui vient
ici ?
Malcolm. Le digne thane de Ross.
Lexnox. Quelle vivacité paraît dans ses yeux ! Ainsi doit
regarder celui qui doit révéler des choses étranges.
Entre Ross.
Ross. Dieu sauve le roi !
DuNCAN. D'oii viens-tu, digne thane?
Ross. De Fife, grand roi, où les bannières norvégiennes
narguent le ciel et éventent notre peuple glacé. Le roi de
Norvège lui-même, avec de formidables masses, aidé de ce
traître le plus déloyal, le thane de Cawdor, avait engagé une
funeste lutte, jusqu'à ce que le fiancé de Bellone, cuirassé
dans l'épreuve, l'eût attaqué de front dans les mêmes condi-
tions, pointe contre pointe rebelle, bras contre bras, conte-
nant sa prodigue ardeur; et pour conclure, la victoire descen-
dit sur nous.
DuNXAN. Grand bonheur !
Ross. Et maintenant, Swéno, le roi de Norvège, implore
un arrangement; nous n'avons pas voulu lui permettre d'en-
terrer ses hommes avant qu'il eût payé, dans l'île de Saint-
Colomban, dix mille dollars au profit général (i).
Du.NXAN. Ce thane de Cawdor ne trahira plus notre intime
intérêt : — allez prononcer sa mort immédiate, et de son
ancien titre saluez Macbeth.
Ross. Je le ferai.
DuNCAN. Ce qu'il a perdu, le noble Macbeth l'a gagné.
Ils sortent.
SCÈNE III
Une bruyère (2).
Tonnerre. Entrent les trois Sorcières.
Première Sorcière. Où as-tu été, sœur ?
Deuxiè.me Sorcière. Tuer le porc.
(i> Saint-Colme 's Inch, aujourd'hui Jnchcomb, est une petite île à l'embou-
chure du Forth, prés d'Edimbourg. En écossais (erse), inch signifie île.
(2) François-Victor Hugo dit qu'une superstition populaire désigne la bruyère
de Harmuir, sur la limite des comtés d'Elgin et de N'airn, comme le lieu où Mac-
beth vit les sorcières.
Troisième Sorcière. Sœur, et toi?
Première Sorcière. Une femme de matelot avait des châ-
taignes dans son pan d'habit, et mâchonnait, et mâchonnait,
et mâchonnait : — « Donne-m'en » lui dis- je. — « Arrière, toi,
sorcière ! » cria la carogne à la croupe engraissée. Son mari est
allé à Alep,patronsur le Tigre (i): mais je voguerai là dans un
crible et, comme un rat sans queue (2), j'agirai, j'agirai,
j'agirai.
Deuxième Sorcière. Je te donnerai un vent (3).
Première Sorcière. Tu es bonne.
Troisième Sorcière. Et moi un autre.
Première Sorcière. J'ai moi-même tous les autres; et les
véritables ports où ils soufflent, sous les termes qu'ils con-
naissent, sur ma carte de marin. Je le rendrai sec comme du
foin : le sommeil n'ira ni jour ni nuit se pencher sur sa pau-
pière close ; il vivra comme un homme maudit : fatigué neuf
fois neuf semaines, il languira et dépérira (4) ; et si sa barque
ne peut se perdre, elle sera pourtant battue par la tempête.
— Regardez ce que j'ai.
Deuxième Sorcière. Montre-moi, montre-moi.
Première Sorcière. J'ai ici le pouce d'un pilote naufragé
comme il revenait chez lui.
Bruit de tambour.
(1) Sir W. G. Trevelyan a remarqué que dans les Voyages d'Hakluyt, il se
trouve diverses lettres et journaux, d'un voyage fait à Alep sur le T^jV/re, de Lon-
dres, dans l'année 1583 (Edition Staunton).
{2) Quand les sorcières prenaient la forme d'un animal, dit Steevens, cet ani-
mal n'avait point de queue.
(3) Les sorcières vendaient des vents. Ce singulier commerce existait encore en
1814. 'Voir à ce sujet la longue et curieuse note où E. Montégut rappelle comment,
cette année-là, 'Walter Scott acheta un vent dans les Orcades.
(4) Il s'agit de l'envoûtement, opération cabalistique de la magie noire par
laquelle on jetait un mauvais sort, un maléfice, sur une personne ou sur un animal.
Cette pratique a été fort répandue dans l'antiquité, au moyen-âge et jusque dans
les temps modernes. Un objet quelconqvie, généralement une figure de cire, figu-
rait la personne détestée : la ressemblance n'était pas nécessaire, mais un prêtre
devait baptiser l'image. Le sortilège consistait à torturer cette image : on croyait
que la personne raaléficiée, envoûtée, ressentait les souffrances, — périssait même
si l'on frappait au cœur la statuette de cire ! Faut-il rappeler les sacrements admi-
nistrés à des reptiles, les messes du diable, etc?
ACTE PREMIER
Troisième Sorcière. Un tambour, un tambour ! Macbeth
vient.
Toutes trois. Les sœurs magiques, main dans la main,
messagères de la mer et de la terre, iront ainsi, en ronde, en
ronde : trois fois pour toi, trois pour moi, et trois fois encore
pour faire neuf : — Paix ! — le charme est terminé.
Entrent Macbeth et Jianquo.
Macbeth. Je n'ai jamais vu un jour si mauvais et si beau.
Banquo. a quelle distance estjjce qu'on appelle Forres.'' —
Quelles sont celles-là, si desséchées et si sauvages dans leur
accoutrement, qui ne paraissent pas habiter la terre
et cependant qui s'y trouvent .'' — Vivez-vous ? ou êtes-vous
quelque chose qu'un homme peut questionner 1 Vous semblez
itie comprendre, car chacune à la fois pose son doigt gercé sur
ses lèvres maigres : — vous semblez être des femmes, et pour-
tant vos barbes me défendent de croire que vous en êtes.
Macbeth. Parlez, si vous pouvez ; — qui êtes-vous .''
Première Sorcière. Salut, Macbeth! salut à toi, thane de
Glamis. (i)
Deuxième Sorcière. Salut, Macbeth ! salut à toi, thane de
Cawdor.
Troisième Sorcière. Salut. Macbeth ! salut à toi, qui seras
roi bientôt !
Banquo. Bon seigneur, pourquoi tressaillez-vous, et sem-
blez-vous craindre des choses qui sonnent si bien ? — Au nom
de la vérité, êtes-vous fantastiques ou êtes-vous réellement ce
qu'en apparence vous montrez ? Vous saluez mon noble com-
pagnon d'une faveur actuelle et de la grande prédiction d'une
haute fortune et d'une royale espérance, au point qu'il en sem-
ble ravi : — à moi vous ne dites rien : si vous pouvez voir
dans les seqiences du temps, et dire quels grains germeront et
lesquels ne le feront pas, parlez, alors, à moi qui ne demande
ni ne crains vos faveurs ni votre haine.
(i) On lit dans la traduction Montégut la note suivante, empruntée à l'édition
Peter et Galpin : « Le thaneship de Glamis était l'ancien héritage de la famille de
Macbeth. Le château où vécurent les Macbeth est encore debout, et était dans ces
dernières années la résidence du comte de Strathmore. »
MACBETH
Première Sorcière. Salut!
Deuxième Sorcière. Salut !
Troisième Sorcière. Salut !
Première Sorcière. Plus petit que Macbeth, et plus
grand.
Deuxième Sorcière. Moins heureux, cependant beaucoup
plus heureux.
Troisième Sorcière. Tu pourras produire des rois, bien
que tu n'en doives pas être un ; ainsi, tous nos saluts, Macbeth
et Banque !
Première Sorcière. Macbeth et Banquo, tous nos saluts!
Macbeth. Arrêtez, parleuses incomplètes, dites m'en davan-
tage : par la mort de Sinel,(i) jesais que je suis thane deGla-
mis ; mais comment le suis-je de Cawdor .'' Le thane de Cawdor
vit, gentilhomme prospère; et être roi n'entre pas dans l'ex-
pectative de ma croyance, non plus qu'être thane de Cawdor.
Dites d'où vous tenez cette étrange nouvelle? ou pourquoi,
sur cette bruyère dévastée, vous arrêtez notre marche par de
telles salutations prophétiques.? Parlez, je vous l'enjoins.
Les sorcières s'évanouissent.
Banquo. La terre a des bulles comme l'eau en a, et celles-
ci en sont : — où sont-elles évanouies .'*
Macbeth. Dans l'air; et ce qui semblait corporel a fondu
comme l'haleine dans le vent. — Que ne sont-elles restées!
B.\NQuo. Etait-il ici des êtres tels que ceux dont nous venons
de parler.'' ou avons-nous mangé de la racine de folie qui tient
la raison prisonnière.'' (2)
Macbeth. Vos enfants seroht rois.
Banquo. Vous serez roi.
Macbeth. Et thane de Cawdor en outre, — cela n'allait-il
pas ainsi .'*
B.VNQUO. C'était le sens même et les mots. — Qui vient ici?
t, Entrent Ross et Angus.
Ross. Le roi a reçu avec bonheur, Macbeth, les nouvelles
de ton succès; et en apprenant ton aventure personnelle dans
(i) Sinel était le père de Macbeth.
(2) Racine de ciguë; selon d'autres, de jusquiame.
ACTE PREMIER
les mêlées des révoltés, son admiration et ses éloges ont lutté
ensemble : devenu en outre comme muet à la vue du
reste de la journée, il te trouve dans les intrépides rangs nor-
végiens, ne craignant pas les étranges images de la mort que
tu créas toi-même. Aussi pressés que la grêle venaient cour-
riers sur courriers, et chacun d'eux apportait des éloges pour
ta grande défense du royaume, et les étalait devant lui.
Angus. Nous sommes envoyés pour t'apporter, de la part
de notre royal maître, des remercîments, et seulement pour
te conduire en sa présence et non pour te récompenser.
Ross. Et, comme gage d'un plus grand honneur, il m'a com-
mandé de t'appeler en son nom thane de Cawdor : pour ce
surcroît d'honneur, salut au plus honorable thane ! car ce titre
est à toi.
Baxquo. Quoi, le diable peut dire vrai .''
Macbeth. Le thane de Cawdor vit : pourquoi me vêtez-
vous d'habits empruntés?
Angus. Celui qui fut le thane vit encore, mais un lourd
jugement pèse sur sa vie qu'il mérite de perdre. S'est-il ligué
avec les gens de Norvège, ou a-t-il soutenu les rebelles par
une aide cachée et avantageuse, ou a-t-il travaillé avec les uns
et les autres à la ruine de son pays, je ne sais ; mais des tra-
hisons capitales, confessées et prouvées, l'ont renversé.
Macbeth {à part). Glamis et thane de Cawdor! Le plus
grand est à venir. — {A Ross et à Angus.) Merci de vos
peines. — (.-1 part à Manqua). N'espérez-vous pas que vos
enfants seront rois, quand celles qui me rendirent thane de
Cawdor, ne promirent pas moins pour eux ?
Banquo (à part à Macbeth). Cela, pris au sérieux, peut
encore vous enflammer pour la couronne, en sus de la
seigneurie de Cawdor. Mais c'est étrange : souvent pour nous
attirer à notre perte, les agents des ténèbres nous disent des
vérités; ils nous séduisent par d'honnêtes frivolités, pour nous
entraîner aux plus graves conséquences. — Cousin, un mot,
je vous prie.
Macbeth. Deux %'érités sont dites, comme d'heureux pro-
logues de l'acte grandissant vers l'impériale chose. — Je vous
remercie, gentilshommes. — (^ part.) Cette surnaturelle
sollicitation peut être mauvaise, elle ne peut être bonne. Si
MACBETH
elle est mauvaise, pourquoi m'a t-elle donné un gage de suc-
cès qui devient une réalisation? Je suis thane de Cawdor. Si
elle est bonne, pourquoi cédé-je à la suggestion dont l'épou-
vantable image dresse ma chevelure et heurte mon cœur à mes
côtes, contre l'habitude de la nature? Les craintes présentes
sont moindres que d'horribles imaginations : ma pensée, où
le meurtre n'est encore qu'une chimère, ébranle tellement
ma simple nature d'homme, que la faculté en est étouffée par
une conjoncture, et rien n'existe que ce qui n'est pas.
Banquo. Voyez comme notre compagnon est absorbé.
Macbeth (à part). Si le sort me veut comme roi, eh bien,
le sort peut me couronner sans mon concours.
Banquo. Les nouveaux honneurs lui sont comme des vête-
ments dont la forme n'adhère qu'avec l'aide de l'habitude.
MACBETiHà pari). Arrive ce qui pourra, le temps et l'heure
glissent à travers le jour le plus rude.
Banquo. Digne Macbeth, nous attendons votre agrément.
Macbeth. Accordez-moi votre pardon : — mon stupide
cerveau était travaillé par des choses oubliées. Bons gentils-
hommes, vos peines sont enregistrées, et chaque jour je tour-
nerai la feuille pour les lire. — Allons vers le roi. — {A part,
à Banqico). Pensez à notre aventure; et plus tard, ayant pesé
cela dans l'intervalle, nous ouvrirons l'un à l'autre nos libres
cœurs.
Banquo {a part à Macbeth). Très volontiers.
Macbeth {^à part à Ba7iquo). Jusque là, assez. — Venez,
amis.
Ils sortent.
SCÈNE IV
Forres. Une chambre dans le palais. Fanfares.
Entrent Duncan, Malcolm, Doxalbain, Lennox et des gens
de la suite.
Duncan. Est-elle faite, l'exécution de Cawdor? Ceux qui
étaient en mission ne sont pas encore revenus ?
Malcolm. Mon suzerain, ils ne sont pas encore revenus.
Mais j'ai parlé avec quelqu'un qui l'a vu mourir, et qui a rap-
porté qu'il avait très franchement avoué ses trahisons, imploré
ACTE PREMIER I3
le pardon de votre grandeur, et montré un profond repentir :
rien dans sa vie ne l'a tant honoré que son départ; il est mort
comme quelqu'un qui aurait appris en mourant à rejeter la
chose la plus chère qu'il eût, ainsi qu'une indifférente baga-
telle, (i)
DuiNXAN. Il n'est aucun art pour découvrir la composition
de l'âme sur le visage : c'était un gentilhomme en qui j'avais
placé une absolue confiance.
Entrent Macbeth, Banqiw, Ross et Angus.
O le plus vaillant cousin ! Le péché de mon ingratitude
me pesait en ce moment même : tu es allé si loin que l'aile la
plus rapide de la récompense est lente à t'atteindre. Que n'as-
tu mérité moins, afin que la somme des remercîments et du
payement l'emportât! 11 ne me reste rien à dire, singn qu'il
t'est dû plus qu'on ne pourrait te payer.
Macbeth. Je vous dois l'obéissance et la 103'auté : par leur
exercice, elles se paient elles-mêmes. Le rôle de votre gran-
deur est d'accueillir nos devoirs; et nos devoirs sont les
enfants et les serviteurs de votre trône et de votre majesté ; ils
(i) Des commentateurs veulent voir ici une allusion à Robert Davreux, comte
d'Essex, mort sur léchafaud en 1601, à 34 ans. Ses talents et surtout sa beauté
charmèrent la reine Elisabeth dont il devint le favori en titre en 1588, à la mort de
son beau-pere Leicester, le « cher Robin ». Il avait alors 21 ans; Elisabeth, 55.
Epris de littérature, protecteur de Bacon et de Shakespeare, plein de rares quali-
tés, d'Essex entreprit plusieurs campagnes qui réussirent, bien qu'il se fût plutôt
montré intrépide et même téméraire que grand capitaine. 'Violente et passionnée
comme toute sa race, ta dernicre des Tudors, jalouse autant qu'éprise, finissait tou-
jours par lui pardonner ses infidélités aprcs des scènes scandaleusement retentis-
santes. Mais à la suite de la malheureuse campagne d'Irlande, d'Essex fut disgracié,
sous l'impulsion des Cécils. Il tenta de soulever Londres et fut arrêté. La reine
lui aurait encore pardonné, s'il n'avait refusé par orgueil de faire la moindre
avance. On sait avec quelle ingratitude acharnée l'illustre François Bacon soutint
l'acte d'accusation ; on sait aussi que la foule faillit écharper le bourreau. Ainsi
mourut le dernier amant de la reine fameuse, savante et superbe, que le pape
Sixte-Quint appelait un gran cervelto di principessa, ajoutant dans son lan-
gage expressif, suivant une piquante anecdote, qu'il aurait voulu coucher une nuit
avec elle pour procréer un nouvel Alexandre le Grand ! — Les recherches de
Malone et de Staunton prouvent que la première représentation de Macbeth eut
lieu après 1Ô03, fort probablement en lOoa, c'est-à-dire trois ans après la mort
d'Elisabeth. L'allusion relevée par les commentateurs pourrait-elle être de Sha-
kespeare.' Aurait-il qualifié de u trahisons » les actes ou plutôt l'acte de son
ancien ami i Bacon seul peut-être aurait parlé ainsi ! ...
u
ne font que ce qui est juste en faisant tout pour votre amour
et votre honneur.
DuNCAN. Sois bienvenu ici. Je viens de te planter et je tra-
vaillerai à activer ta croissance. — Noble Banquo, tu n'as pas
moins mérité, et il faut qu'on sache qu'il en est ainsi : laisse-
moi t'embrasser et te tenir sur mon cœur.
Banquo. Si je grandis là, la moisson sera pour vous.
DuNCAN. Mes joies abondantes, débordant de plénitude,
cherchent à se cacher daiîs les larmes du chagrin. — Fils,
parents, thanes, et vous dont la situation s'en rapproche le
plus, sachez-le. nous voulons léguer notre état à notre aîné,
Malcolm, que nous nommerons désormais prince de Cumber-
land (i): honneur qui ne doit pas le revêtir seul, car des
signes de noblesse, comme des étoiles, brilleront sur tous
ceux qui les méritent. — Partons pour Inverness, et je m'en-
gagerai davantage envers vous.
Macbeth. Le repos est un travail, quand il n'est pas
employé pour vous : je serai moi-même l'avant-coureur et je
réjouirai l'ouïe de ma femme par l'annonce de votre appro-
che : ainsi, je prends humblement congé.
DuNCAN. Mon vaillant Cawdor !
Macbeth {à part). Le prince de Cumberland! voici une
marche sur laquelle je dois tomber, si je ne saute pas dessus,
car elle se trouve sur ma route. Etoiles, cachez vos feux; que
la lumière ne voie pas mes noirs et profonds désirs; l'œil
ignore la main ; cependant laissons s'accomplir ce que l'œil
redoute de voir quand c'est fait.
// sort.
DuNCAN. Vraiment, digne Banquo, — il est si plein de
vaillance! Je me régale de sa louange, c'est un banquet pour
moi. — Suivons celui dont le soin se porte en avant pour pré-
parer notre bienvenue : c'est un incomparable parent.
Fa7ifares. Ils sortent.
(i) La couronne d'Ecosse n'était pas héréditaire au temps de Duncan (ii" siè-
cle). Le successeur du roi vivant, désigné par celui-ci, prenait le titre de prince de
Cumberland. Possédé comme fief par le roi d'Ecosse, le Cumberland relevait ie
la couronne d'Angleterre.
ACTE PREMIER 1$
SCÈNE V
Inverness. Unechambredans lechâteau de Macbeth.
Entre lady Macbeth lisant une lettre.
Lady Macbeth. « Elles m'ont rencontré le jour de la vic-
toire, et j'ai appris par une révélation qui s'est accomplie
qu'elles ont en elles un savoir plus qu'humain. Comme je
brûlais du désir de les questionner encore, elles devinrent de
l'air et s'évanouirent. Pendant que je restais transporté d'ad-
miration, arrivèrent les envoyés du roi qui m'appelèrent tous
« Thane de Cawdor », titre dont les étranges sœurs m'avaient
salué auparavant, en me renvoyant à l'avenir avec « Salut, tu
seras roi! » J'ai cru bon de t'apprendre cela, ma plus chère
compagne de grandeur, afin que tu ne perdes pas ta part de
joie en restant ignorante de la fortune qui t'es promise. Garde
cela dans ton cœur, et adieu. » Tu es Glamis et Cawdor, et
tu seras ce qu'on t'a promis; cependant, je crains ta nature;
elle trop pleine du lait de l'humaine bonté pour prendre le
plus court chemin ; tu voudrais être grand; tu n'es pas sans
ambition, mais tu n'as pas la maladie qui sert cela : ce que tu
veux hautement, ce que tu veux saintement, te le voudrais
sans tricher, et pourtant tu voudrais bien gagner injustement.
Tu voudrais avoir, grand Glamis, ce qui te crie : « Ainsi dois-
tu faire pour avoir cette chose ; et tu crains d'autant plus de
la faire que, réalisée, tu ne voudrais pas la défaire. » Accours
vite ici, que je verse mes ardeurs dans ton oreille, et que
j'annihile par la force de ma langue tout ce qui t'écarte du
cercle d'or, dont le destin et un secours surnaturel semblent
aussi t'avoir couronné. {Entreuti serviteur.') Quelles sont vos
nouvelles ?
Le Serviteur. Le roi vient ici ce soir.
Lady Macbeth. Tu es fou de dire cela : ton maître n'est-il
pas avec lui? S'il en était ainsi, il ta'aurait informée en vue
des préparatifs.
Le ServiteIjr. Si cela vous plaît, <;'est vrai; notre thane
arrive : un de mes compagnons, dépêché par lui, presque
mort d'épuisement, n'a pu faire qu'à peine son message.
Lady Macbeth. Donne-lui des soins : il apporte de gran-
i6
des nouvelles. (Z^ serviteur sort.) Le corbeau même est
enroué qui croasse la fatale entrée de Duncan sous mes cré-
neaux. ( I ) Venez, vous, esprits qui accompagnez les mortel-
les pensées, faites-moi changer de sexe ici : et remplissez-moi,
du crâne à l'orteil, de la plus terrible cruauté ! épaississez
mon sang, fermez accès et passage au remords, qu'aucun poi-
gnant retour de la nature n'ébranle mon dessein féroce ni
n'établisse la paix entre son effet et lui ! Venez dans mes seins
de femme et prenez mon lait pour du fiel, vous, ministres
homicides, partout où dans vos aveugles substances vous ser-
vez les maux de la nature! Viens, épaisse nuit, et couvre-toi
de la plus obscure fumée de l'enfer, afin que mon couteau
affilé ne voie pas la blessure qu'il fera et que le ciel ne puisse
regarder furtivement à travers la couverture des ténèbres
pour crier : « Arrête, arrête ! » {Etitre Macbeth). Grand Gla-
mis! digne Cawdor.'' plus grand que tous les deux par le salut
à venir! Tes lettres m'ont transportée au delà du présent
ignorant, je touche maintenant l'avenir tout proche.
Macbeth. Mon plus cher amour, Duncan vient ici ce soir..
Lady Macbeth. Et quand s'en va-t-il d'ici 1
Macbeth. Demain, à ce qu'il se propose.
Lady Macbeth. Oh ! jamais le soleil ne verra ce demain ! "
Votre face, mon thane, est comme un livre où les hommes
peuvent lire d'étranges choses : — pour tromper le monde,
paraissez comme le monde; portez la bienvenue dans votre
œil, dans votre main, sur votre langue : ayez l'air de la fleur
innocente, mais soyez le serpent sous elle. II faut pourvoir à
celui qui vient : remettez la grande affaire de cette nuit à ma
diligence, qui peut seule donnera toutes nos nuits et à tous
nos jours futurs le souverain pouvoir de l'empire.
Macbeth. Nous en reparlerons.
Lady Macbeth. Seulement regardez avec assurance; une
figurée altérée est toujours à craindre : abandonnez-moi tout
le reste.
Ils sortent.
(i) « La corbeau, dit Montégut, c'est-à-dire le serviteur qui porte à lady Mac-
beth la nouvelle de cette visite qui sera fatale à Duncan. » Cette interprétation
nous surprend et nous paraît bien inexacte!
ACTE PREMIER I7
SCENE VI
^ Inverness. Devant le château.
Hautbois Les serviteurs de Macbeth attendent, avec des torches.
Entrent Duncan, Malcolm, Donalbain, Banquo,
Lennox, Macduff, Ross, Angus et des gens de la suite.
DuNCAN. Ce château a une agréable situation; l'air vif et
doux procure des sensations délicates.
Banquo. Cet hôte de l'été, le martinet qui hante les tem-
ples, nous prouve par son heureuse demeure que l'haleine du
ciel se respire amoureusement ici : pas une saillie, une frise,
un arc-boutant, un coin favorable où cet biseau n'ait suspendu
son nid et son berceau fécond : où il procrée et fréquente le
plus, j'ai observé que l'air est pur.
Entre ladv Macbeth.
DuN'CAN. Voyez, voyez, notre honorée hôtesse! — L'amour
<\u'\ nous poursuit est parfois notre tourment, et cependant
nous le remercions parce qu'il est l'amour. Par là, je vous
apprends que vous devez prier Dieu pour vos peines, et nous
remercier de ce que nous vous ennuyons.
Ladv Macbeth. Tous nos services en tout point doublés,
puis redoublés, seraient une pauvre et simple affaire pour
soutenir les profonds et larges honneurs dont votre majesté
comble notre maison : pour les anciens bienfaits et pour les
nouveaux accumulés sur eux, nous restons vos obligés, (i)
Duncax. Où est le thane de Cawdor ? Nous avons couru sur
ses talons, et nous avions l'intention d'être son annonciateur;
mais il monte bien, et son grand amour, vif comme son épe-
ron, l'a amené dans sa maison avant nous. Belle et noble
hôtesse, nous sommes vos convives ce soir.
Lady Macbeth. Vos serviteurs offrent toujours en compte
leurs proches, eux-mêmes, et tout ce qu'ils possèdent, pour
faire leur vérification selon votre bon plaisir : encore vous
rendent-ils votre bien.
DuNC.AX. Donnez-moi votre main; conduisez-moi vers votre
(i) Littéralement : nous restons cos ermites.
i8
hôte : nous l'aimons infiniment, et nous lui continuerons nos.
faveurs. Avec votre permission, hôtesse.
SCÈNE VII
inverness. Un couloir dans le château de Macbeth.
Haîitbois et torches Entrent et passent îin écuyer
et divers serviteurs avec des plats et des objets de service.
Puis entre Macbeth.
Macbeth. Si c'était fini quand ce sera fait, il serait bon que'
ce fût fait promptement : si l'assassinat pouvait entraver sa
conséquence, et fixer avec sa fin sa réussite; si ce coup pou-
vait être le va-tout et la fin complète ici, rien qu'ici, sur ce
rivage et ce banc de sable, nous braverions la vie à venir.
Mais dans ces cas, nous avons encore un jugement ici; nous
donnons de sanglantes leçons qui, une fois apprises, revien-
nent atteindre l'initiateur; l'impartiale justice présente les
ingrédients de la coupe empoisonnée à nos propres lèvres. Il
est ici sous une double sauvegarde : d'abord parce que je suis
son parent et son sujet, deux fortes raisons contre un tel acte;
ensuite, parce que je suis son hôte qui devrait fermer la porte
sur son meurtrier, loin de tenir moi-même le poignard. Et
puis, ce Duncan a exercé si doucement le pouvoir, a été si
pur dans sa grande charge, (i) que ses vertus plaideront
comme des anges à la voix de la trompette contre le crime
maudit de sa mort; et la pitié, comme un petit enfant nu et
nouveau-né chevauchant sur la tempête, ou comme un chéru-
bin du ciel porté par les aveugles coursiers de l'air, soufflera
l'horrible action dans tous les yeux, au point que les larmes
abattront le vent. (21 Je n'ai d'autre éperon pour piquer les
fiancs de mon dessein que d'enfourcher l'ambition qui saute
par dessus elle-même et tombe sur autrui
Entre lady Macbeth.
(i) Dans le récit de la Chronique d' Anrjleterre, d'Ecosse et d'Irlande publiée
en 1577 P""" Rapliaël Hollinshed, où Shakespeare a trouvé le sujet de Macbtth,
récit emprunté à la chronique latine de Hector Boèce (.mort vers 1550), on ht que
JJuncan était une aainle soupe au lait.
{2) Allusion au mot : petite pluie abat grand vent.
ACTE PREMIER I9
Macbeth. Eh bien ! quelles nouvelles ?
Lady Macbb:th. Il a presque soupe : pourquoi avez-vous
quitté la chambre?
Macbeth. M'a-t-il demandé?
Lady Macbeth. Ne le savez- vous pas?
Macbeth. Nous n'irons pas plus loin dans cette affaire : il
m'a récemment honoré, et j'ai obtenu de toutes les sortes de
gens une approbation dorée qui veut être portée maintenant
dans son lustre le plus neuf, et non être jetée de côté si tôt.
Lady Macbeth. Etait-elle ivre cette espérance dans
laquelle vous vous pariez vous-même ? a-t-elle dormi depuis?
et s'éveille-t-elle maintenant pour regarder si verte et si pâle
ce qu'elle faisait si librement? Dès ce moment, j'estime pareil
ton amour. Crains-tu d'être le même dans ton action et dans
ton courage que tu es dans ton désir? Voudrais-tu avoir ce
que tu considères comme l'ornement de la vie et rester comme
un lâche dans ta propre estime, laissant « je n'ose » accompa-
gner « je voudrais >^, comme le pauvre chat de l'adage ? ( i)
Macbeth. Je t'en prie, paix : j'ose faire tout ce qui sied à
un homme; qui ose plus n'en est pas un.
Laly M.vcbeth. Quelle bête était-ce donc qui vous fit me
communiquer cette entreprise ? Quand vous l'osiez faire, vous
étiez un homme ; et si vous êtes plus que vous n'étiez alors,
vous êtes beaucoup plus qu'un homme. Ni le temps ni le lieu
ne vous favorisaient alors, et cependant vous vouliez les créer
tous deux : ils se créent eux-mêmes, et ce concours mainte-
nant vous anéantit. J'ai allaité, et je sais combien il est doux
d'aimer l'enfant qui suce le lait : j'eusse voulu quand il- sou-
riait à ma face arracher mon sein de ses gencives sans dents et
lui briser la cervelle, si j'avais juré comme vous de faire cela.
M.\CBETH. Si nous échouions ?
L.ADY Macbeth. Si nous échouions! Elevez seulement
votre courage à la hauteur voulue, et nous n'échouerons pas.
Lorsque Duncan dormira, — à quoi l'invitera bien vite le dur
(I) Cet adage se trouve dans les proverbes de Heywood : « The cat would eat
fish and would net wether feet. » Le chat voudrait manger le poisson et ne vou-
drait pas mouiller ses pattes. C'est le proverbe latin : Catus amat pisces, sed
aquas intrare récusât ou Catus amat pisces, sed non vuU tinr/ere plantas.
MACBETH
voyage de la journée, — je saurai si bien convaincre par le
vin et l'orgie ses deux chambellans que leur mémoire, cette
gardienne du cerveau, sera une fumée, et le réceptable de
leur raison, un simple alambic : quand leurs natures abreu-
vées reposeront dans un sommeil de porc comme dans la
mort, qu'est-ce que vous et moi ne pourrons pas accomplir
sur Duncan non gardé? que n'endosserons-nous pas à ses
spongieux officiers qui porteront la culpabilité de notre grand
meurtre ?
Macbeth. Ne mets au monde que des fils, car ta fougue
intrépide ne peut enfanter que des mâles ! X'admettra-t-on pas
quand nous aurons marqué de sang ces deux endormis de sa
propre chambre, et employé leurs poignards mêmes, qu'ils
ont fait cela ?
Lady Macbeth. Qui osera admettre autre chose quand
nous ferons rugir notre affliction et nos clameurs sur sa
mort ?
Macbeth. Je suis décidé, et je dirige chaque agent corpo-
rel vers cette action terrible. En avant, et trompons le monde
par les plus belles apparences ; tace trompeuse doit cacher ce
qu'un cœur faux connaît.
I/s sortent.
ACTE II
SCÈNE I
Inverness. La cour du château de Macbeth.
Entre Banouo précède de Fléanxe qui porte itne torche.
Banquo. Où en est la nuit, enfant ?
Fléanxe La lune est couchée ; je n'ai pas entendu l'hor-
loge.
Banquo. Elle se couche à minuit.
Fléance Je crois qu'il est plus tard, seigneur.
B.wouo. Tiens, prends mon épée : — ils font de l'économie
au ciel. Leurs chandelles sont toutes éteintes : — prends cela
aussi. Un lourd appel pèse sur moi comme du plomb,et cepen-
dant je ne voudrais pas dormir : — miséricordieuses puis-
sances, réprimez en moi les pensées maudites que la nature
donne dans le repos! — Donnez-moi mon épée. — Oui est là?
Entre Macbeth et lui serviteur avec une torche.
Macbeth. LTn ami.
Banquo — Quoi, seigneur, non encore couché ': Le roi est
au lit : il a goûté un plaisir extraordinaire et il a envoyé tout
de suite de grandes largesses à vos officiers : il envoie aussi ce
diamant à votre femme qu'il appelle la plus aimable hôtesse,
et il s'est retiré avec une infinie satisfaction.
AL\CBETH. N'étant pas préparés, notre désira été assujetti
à l'insuffisance : sans quoi, il se serait donné libre carrière.
B.\NOUO. Tout est bien. — J'ai rêvé la nuit dernière des
trois étranges sœurs : elles vous ont fait voir quelque vérité.
Macbeth. Je ne pense plus ù elles : cependant, quand
nous disposerons d'une heure à convenir, nous l'employerons
à parler de cette alïaire, si vous y consentez.
Banouo. .\ votre meilleur loisir.
Macbeth. Si vous adhérez à mon désir, — quand cela sera,
cela vous procurera un grand honneur.
Banquo. Pourvu que je ne perde rien en cherchant à
l'augmenter, mais que je garde toujours mon cœur libre et
ma loyauté pure, je me laisserai conseiller.
Macbeth. Bon repos en attendant !
Banquo. Merci seigneur : à vous de même !
Sortent Bariquo et Fliance.
Macbeth. Va prier ta maîtresse, quand mon breuvage sera
prêt, de frapper sur la cloche. Va au lit. {l.c $.erviteur sort.)
Est-ce un poignard que je vois devant moi, le manche %ers
ma main.' Viens, laisse-moi te saisir-: — je ne te tiens pas,
et pourtant je 1^ vois toujours. N'es tu pas, fatale vision,
sensible au toucher comme à la vue? ou n'es-tu qu'un poi-
gnard imaginaire, une fausse création provenant d'un
cerveau qu'oppresse la fièvre.'' Je te vois pourtant, sous une
forme aussi palpable que celui que je tire maintenant. Tu
m'indiques la route que je vais suivre, et j'allais user d'un
instrument pareil. Mes yeux sont devenus les fous des
autres sens, ou d'une autre valeur que tout le reste : je te
vois toujours: et sur ta lame et sur ta poignée je vois des
gouttes de sang qui n'}' étaient pas auparavant. — Une telle
chose n'existe point : c'est la sanglante besogne qui s'anime
ainsi à mes yeux. — Maintenant, sur la moitié du monde la
nature semble morte, et les mauvais rêves abusent le som-
meil voilé ; maintenant la sorcellerie célèbre le sacrihce de la
pâle Hécate : et le meurtre Hètri, alarmé par sa sentinelle, le
loup, qui veille en hurlant, comme à pas dérobés, avec les
grandes enjambées du ravisseur Tarquin, s'avance vers son
but comme un fantôme. — Toi, terre stable et fermement
assise, n'entends point mes pas, ignore dans quels chemins
ils vont, de crainte que les pierres elles-mêmes ne bavardent
sur mon dessein, et n'enlèvent la présente horreur à l'occa-
sion qui lui convient maintenant. — Pendant que je menace, '
il, vit : les paroles donnent un soufHe trop froid au feu de
l'action. (Une cloche soiinc.) Je marche et c'est fait: la cloche
m'invite. Ne l'entends pas, Duncan ; car c'est un glas qui
t'appelle au ciel ou dans l'enfer.
Il sort.
ACTE DEUXIÈME 23
SCENE II
Entre Lady Macbeth.
Lady Macbeth. Ce qui les a enivrés, m'a enhardie; ce qui
les a éteints m'a donné du feu. — Ecoutons ! — Silence. —
C'était le hibou qui criait, ce fatal crieur qui donne la plus
désagréable bonne nuit. — Il est à l'œuvre; les portes sont
ouvertes, et les valets gloutons se moquent de leur charge
par leurs ronflements : j'ai drogué leurs boissons, (i) de sorte
que la mort et la nature combattent autour d'eux pour qu'ils
vivent ou qu'ils meurent.
M.\CBETH (f/ l'inicriertr). Oui est là .' quoi, ho !
Lady Macbeth. Hélas! je crains qu'ils ne soient éveillés,
et que ce ne soit pas fait : — c'est la tentative et non l'action
qui nous confondrait. — «Ecoutons ! — J'ai placé leur poignard
tout près; il n'a pu ne pas les trouver. — S'il n'avait pas
ressemblé à mon père en dormant, j'aurais fait cela. — Mon
mari !
Rentre Macbeth.
Macbeth. J'ai fait l'action. — X'as-tu pas entendu un
bruit .'
Lady Macbeth. J'ai entendu le hibou huer et les grillons
crier. N'avez-vous pas parlé .'
M.\cbeth. Quand ?
Lady M.\cbeth. Tantôt.
M.\CBETH. Comme je descendais .'
Lady Macbeth. Oui.
Macbeth. Ecoutons ! — Oui couche dans la seconde
chambre .'
L.\dy Macbeth. Donalbain.
Macbeth. C'est une pitoyable vue. {Il regarde ses mains.)
Lady Macbeth. Une folle pensée que de dire : une
pitoyable vue.
Macbeth. Il y en a un qui a ri dans son sommeil, et un
qui a crié : au meurtre! de sorte qu'ils se sont éveillés l'un
(I) ^oastradaisons possets par boissons. Le posset, <\u' on prenait d'habitude
avant de se coucher, était une sorte de crème faite de sucre, de vin d'Espagne et
d'oeufs battus.
24
l'autre : je me suis arrêté et je les ai écoutés : mais ils ont dit
leurs prières, et se sont préparés à dormir de nouveau.
Lady Macbeth. Il y en a deux de logés ensemble.
Macbeth. L'un a crié « Dieu nous bénisse ! » et l'autre
« amen ! », comme s'ils m'avaient vu, avec ces mains de
bourreau. En entendant leurs frayeurs, je n'ai pu dire «amen»
quand ils ont dit « Dieu nous bénisse ! »
Lady Macbeth. N'y réfléchissez pas si profondément.
Macbeth. Mais pourquoi n'ai-je pu prononcer «amen »?
J'avais le plus besoin de bénédictions, et « amen » m'est resté
dans la gorge.
Lady M.\cbeth. Ces actions ne doivent pas être considé-
rées dans ce sens; pris de la sorte, cela rendrait fou.
Macbeth. Il m'a semblé que j'entendais une voix criant :
« Ne dors plus ! Macbeth assassine le sommeil ! » — L'inno-
cent sommeil, le sommeil qui rétablit l'écheveau de la vie
embrouillée par l'inquiétude, la mort de l'existence de
chaque jour, le bain du travail douloureux, le baume des
âmes blessées, le second agent de la grande nature, le prin-
cipal nourricier de la fête de la vie...
L.\DY Macbeth. Que voulez-vous dire.-"
Macbeth. Toujours elle criait : « Ne dors plus ! » dans la
maison. « Glamis a tué le sommeil, et par conséquent Caw-
dor ne dormira plus. — Macbeth ne dormira plus ! »
L.\DY M.\CBETH. Oui était-ce qui criait ainsi .'' Quoi, digne
thane, vous relâchez votre noble énergie en jugeant si folle-
ment les choses. — Allez prendre un peu d'eau, et lavez de
votre main ce témoignage malpropre. — Pourquoi avez-vous-
apporté ces poignards hors de la chambre .'' ils doivent rester
là : allez les y remettre et barbouillez de sang les valets
endormis.
Macbeth. Je n'irai plus : je suis eftVayé en songeant à ce
que j'ai fait : contempler de nouveau cela, je n'ose.
L.\DY Macbeth. Infirme de volonté! Donnez-moi les
poignards : l'endormi et le mort ne .sont que des peintures :
c'est l'œil de l'enfance qui a peur d'un diable peint. S'il
saigne, je dorerai les visages des valets aussi, car ce crime
doit sembler être le leur. (Elle sort. Otijrappe dehors.)
M.vcbeth. D'où vient ce heurt.' Comment se fait-il que
ACTE DEUXIEME 25
tout bruit m'épouvante? Quelles mains sontce ici? Ah! elles
arrachent mes yeux ! Tout l'océan du grand Neptune pour-
rait-il laver entièrement mes mains? Non; ces mains tein-
draient plutôt les mers immenses d'incarnat, changeant le
vert en rouge.
Rentre Lady Macbeth.
Lady Macbeth Mes mains ont votre couleur, mais je
rougirais de porter un cœur si blanc. {On frappe dehors.)
J'entends un coup à l'entrée du sud : — retirons-nous dans
notre chambre: un peu d'eau nous nettoyera de cet acte :
combien c'est facile donc! Votre constance vous a aban-
donné. — {Oti frappe dehors.) Écoutez! on frappe plus fort :
prenez votre robe de nuit, de crainte qu'une circonstance ne
nous appelle, et que nous ne paraissions veiller : — ne vous
perdez pas si pauvrement en vos pensées.
Macbeth. Ne pas connaître mon action, cela serait meil-
leur que de ne pas me connaître. (Ow/^(7//>^û^<?/î(7^5.) Réveille
Duncan avec ton bruit ! Je voudrais que tu le pusses !
Ils sortent.
SCÈNE III
Entre un Portier. On prappe dehors.
Le Portier. Voilà un bruit vraiment! Si un homme était
portier de la porte de l'enfer, il aurait une ancienne habitude
de la clef. — i^On frappe dehors ) Frappe, frappe, frappe ! Qui
est là, au nom de Belzébuth? Voici un fermier qui s'est
pendu parce qu'il attendait de l'abondance; vous venez à
temps; ayez assez de serviettes autour de vous; ici, vous
suerez pour cela. — (6>m prappe dehors.) Frappe, frappe ! Oui
est là, au nom de l'autre diable ? Ma foi, c'est un casuiste qui
peut jurer par les deux plateaux contre l'un ou l'autre; qui,
ayaiit commis assez de trahisons pour l'amour de Dieu, n'a
pu cependant équivoquer avec le ciel : oh ! viens, casuiste. —
{On prappe dehors.) Frappe, frappe, frappe! Oui est là? Ma
foi, c'est un tailleur anglais qui vient ici pour avoir volé hors
d'un haut-de-chausses français : entrez, tailleur : ici vous
pourrez rôtir votre oie (i). — (On frappe dehors.) Frappe,
frappe ; jamais de repos ! Oui êtesvous? — Mais cette place
est trop froide pour l'enfer. Je ne veux pas être portier du
diable plus longtemps: je pensais avoir introduit quelques-
unes de toutes les professions qui vont par un chemin de
primevères à l'éternel feu de joie. — {On frappe dehors.)
Tantôt, tantôt! Je vous en prie, sou venez- vous du portier.
{Il ouvre la forte.)
Eyitrejit Macduffct Lennox.
Macduff. Etait-il si tard, l'ami, quand vous avez été au
lit, que vous restez couché si tard .'
Le Portier Ma foi, seigneur, nous avons bu jusqu'au
deuxième chant du coq ; et la boisson, seigneur, est une
grande provocatrice de trois choses.
Macduff. Quelles sont les trois choses que la boisson
provoque spécialement t
Le Portier. Vraiment, seigneur, le nez peint, le sommeil
et l'urine. La lascivité, seigneur, elle la provoque et l'em-
pêche: elle provoque le désir, mais elle empêche l'exécution:
donc, boire beaucoup peut être appelé une équivoque avec la
lascivité : cela la produit et cela l'éteint; cela l'excite et cela
la diminue ; cela y fait croire et la décourage ; cela la soutient
et ne la soutient pas ; pour conclure, cela la trompe dans le
sommeil, et, lui donnant un démenti, l'abandonne.
Macduff. Je crois que le boire t'a donné un démenti la
dernière nuit.
•Le Portier. Il l'a fait, seigneur, et la gorge même contre
moi; mais je l'ai récompensé pour son démenti, et je crois
que je suis plus fort que lui; quoiqu'il m'ait pris quelque
peu par les jambes, j'ai cependant eu l'adresse de le jeter de
côté.
Macduff. Ton maître est-il levé? — Notre bruit l'a
réveillé : le voici.
Entre Macbeth.
(i) Rôtir votre oie. Il y a ici un jeu de mots difficile à traduire. Goose, eu
anglais, signifie à la fois une nie et le morceau de fer que les tailleurs français nom-
ment carr^'au. — Il y a là aussi'un trait de satire contre les hauts- de-chausses
français qui étaient tellement étroits qu'il semblait impossible d'en voler un mor-
ceau.
ACTE DEUXIÈME 27
Lenn'OX. Bonjour, noble seigneur.
Macbeth. Bonjour à tous les deux.
Macduff. Le roi est-il debout, honorable thane.'
Macbeth. Pas encore.
Macduff. Il m'avait chargé de l'éveiller à temps : j'ai
presque laissé passer l'heure.
M.\cbeth. Je vais vous conduire h lui.
Macduff. Je sais que c'est une agréable embarras pour
vous; mais cependant c'en est un.
Macbeth. Le travail nous réjouit malgré l'embarras
matériel. Voici la porte.
M.\CDUFF. Je me permettrai de l'appeler, car c'est mon
propre service.
Lennox. Le roi part-il d'ici aujourd'hui ?
Macbeth. 11 part : il l'a décidé ainsi.
Lennox La nuit a été déréglée : où nous couchions, les
cheminées ont été abattues; et, à ce qu'on dit, des lamenta-
tions ont été entendues dans l'air ; d'étranges cris de mort ;
et des prophéties aux accents terribles annonçant d'aftreux
embrasements et des événements troublés prêts à éclore dans
ce déplorable temps : l'oiseau nocturne a crié toute la nuit :
quelques-uns disent que la terre était fiévreuse et a chancelé.
Macbeth. C'a été une rude nuit.
Lennox. Ma jeune mémoire n'en peut comparer aucune
autre à celle-là.
Rentre Macditjff.
Macduff. O horreur, horreur, horreur! La langue ni le
cœur ne peuvent te concevoir ni te nommer.
Macbeth. Lennox. Qu'y a-t-il .'
Macduff. La honte a fait son chef-d'œuvre ! Le meurtre
le plus sacrilège a forcé le temple béni du Seigneur, et volé
la vie de l'édifice !
Macbeth. Qu'est-ce que vous dites t la vie "i
Lennox. Avez-vous en vue sa majesté ?
Macduff. Approchez de la chambre, et détruisez votre vue
devant une nouvelle (jorgone : ( i ) — ne me commandez pas de
(.1) Une seule des trois Gorgones, Méduse, avait la propriété de changer en
pierre ceux, qui la regardaient.
parler; voyez, et parlez vous-mêmes. — (^Sortent Macbeth et
Le7i?io.x.) Réveillez-vous, réveillez- vous ! — Sonnez la cloche
d'alarme : — meurtre et trahison ! — Banquo et Donalbain !
Malcolm ! réveillez-vous ! Secouez ce sommeil moelleux,
contrefaçon de la mort, et regardez la mort elle-même!
Debout, debout, et voyez l'image du grand jugement!
Malcolm 1 Banquo ! levez- vous comme de vos tombeaux, et
marchez comme des esprits pour soutenir cette horreur !
E titre Lady Macbeth.
Lady Macbeth. Qu'y a-t-il, qu'une si hideuse trompette
appelle et rassemble les dormeurs de la maison? parlez,
parlez !
Macduff. O tendre dame, vous ne devez pas entendre ce
que je peux dire : cela, répété à l'oreille d'une femme, la
tuerait en y tombant.
Entre Banquo.
Macduff. Banquo. Banquo, notre royal maître est assas-
siné !
Lady Macbeth. Malheur, hélas! quoi, dans notre maison .-"
Banquo. Trop cruel partout ! — Cher DufF, je t'en prie,
démens-toi toi-même, et dis que cela n'est pas.
Retitrcnt Macbeth et Lcn?io.x.
Macbeth. Que ne suis-je mort une heure avant ce hasard,
j'aurais vécu un temps béni ; car, dès ce moment, il n'y a plus
rien de sérieux dans l'humanité : tout n'est que jouet, la
gloire et l'honneur sont morts; le vin de la vie est tiré, et le
caveau ne peut plus se targuer que de la lie.
E titrent Malcolm et Donalbain.
Donalbain. Qu'y a-t-il de mal 'ï
Macbeth. Votre mal, et vous l'ignorez : la source, la tête,
la fontaine de votre sang est arrêtée, — la vraie source en
est arrêtée.
Macduff. Votre royal père est assassiné.
Malcolm. Oh, par qui .''
Lennox. Ceux de sa chambre, à ce qu'il semble, ont fait
cela : leurs mains et leurs visages étaient tout marqués de
ACTE peuxièmb; 29
sang; leurs poignards aussi, que nous avons découverts non
essuyés sous leurs coussins : ils ouvrirent de grands yeux et
se troublèrent : la vie d'un homme ne devait pas leur être
confiée.
Macbeth. Oh, néanmoins je regrette ma fureur, qui me
les a fait tuer.
M.A.CDUFF. Pourquoi avez-vous fait cela ?
Macbeth. Oui peut être sage et éperdu, modéré et furieux,
loyal et indifférent, au même moment.' Personne : la viva-
cité de mon violent amour a dépassé le calme de la raison.
Ici gisait Duncan, sa tête argentée couverte de son sang doré ;
et ses blessures ouvertes semblaient une brèche faite à la
nature pour livrer un désolant passage au désastre : là, les
meurtriers teints des couleurs de leur crime, leurs poignards
épaissement enduits de sang : qui pourrait se retenir, s'il a
un cœur pour aimer, et dans ce cœur le courage de faire con-
naître son amour. ''
L.\DV Macbeth. Emmenez-moi d'ici, oh !
M.\ci>UFF V^eillez ;i la dame.
Mai.coi.m (à part à Donalbaiii) . Pourquoi retenons-nous
nos langues, qui peuvent le mieux réclamer ce sentiment
pour nous.
Doxalbain (à pari à Malcolm). Que pourrions dire ici, où
notre sort, caché dans un antre, pourrait s'élancer et nous
saisir.'' Partons ; nos larmes ne sont pas encore brassées.
M.MXOLM (à part à DonalbainJ. Ni notre ardente douleur,
en mesure d'agir.
B.\NQU0. Veillez à la dame : — {Lady Macbeth est emportée)
et quand nous aurons couvert nos membres nus qui soutirent
d'être exposés, réunissons nous et examinons cette alïaire
extraordinairement sanglante pour en sav^oir plus long. Les
craintes et les scrupules nous agitent : je me tiens sous la
grande main de Dieu; et de là je me défends contre la secrète
intention d'une traîtreuse méchanceté.
Macduff. Et je fais de même.
Tous. Nous tous aussi.
Macbeth. Allons promptement revêtir une tenue virile,
et réunissons-nous dans la salle.
Tous. D'accord.
lous sortent, excepte Malcolm et Donalbain.
30 MACBETH
Malcolm. Que voulez-vous faire ? Ne nous joignons pas à
eux : montrer une douleur non ressentie est un office que
l'homme faux remplit aisément. Je vais en Angleterre.
DoNALBAiN. Moi en Irlande; notre fortune séparée garde
à tous deux plus de sûreté : il y a des poignards dans les
sourires des hommes : le plus rapproché de notre sang est le
plus près d'être sanguinaire.
Malcolm. Cette flèche meurtrière qui est décochée n'est
pas encore abattue ; et notre plus sûr parti est d'éviter le
point de mire. Donc, à cheval ; et ne nous montrons pas
délicats touchant le congé à prendre, mais disparaissons : il
est justifié le vol de celui qui se dérobe lui-même, quand il
ne reste plus de miséricorde.
Ils sortent.
SCÈNE IV
Inverness. En dehors du château de Macbeth.
Entrent Ross et tm Vieillard.
Le Vieillard. Je me rappelle bien soixante-dix années :
dans, cet espace de temps j'ai vu des heures terribles et des
choses étranges; mais cette nuit cruelle a réduit à peu de
chose mes précédentes expériences.
Ross. Ah ! bon père, tu le vois, les cieux comme troublés
par l'action de l'homme, menacent son théâtre' sanglant.
D'après l'horloge, il est jour, et pourtant la nuit sombre
étouffe le flambeau voyageur : est-ce la prédominance de la
nuit ou la honte du jour qui ensevelit la face de la terre dans
les ténèbres quand la vivante lumière devrait la caresser .''
Le Vieillard. C'est contre nature, aussi bien que l'acte
commis. Mardi dernier, un faucon, très élevé dans l'orgueil
de son essor, fut poursuivi et tué par un hibou preneur de
souris.
Ross. Et les chevaux de Duncan, — chose des plus
étranges et certaine, — beaux et rapides, favoris de leur race,
sont retournés sauvages à la nature, brisant leurs stalles, se
lançant au dehcjrs, refusant obéissance, comme s'ils voulaient
faire la guerre au genre humain.
ACIE DEUXIEME 3I
Le Vieillard. On dit qu'ils se mangèrent l'un l'autre.
Ross. Ils le firent, ii la stupéfaction de mes j-eux qui
vu3'aient cela ! — Voici le bon MacdulF.
Entre Macduff.
Ross. Comment va le monde, seigneur, maintenant ?
Macduff. Quoi, ne le voyez-vous pas.''
Ross. Sait-on qui a commis cet acte plus que sanguinaire.''
Macduff. Ceux que Macbeth a égorgés.
Ross. Hélas ! Quoi de bon pouvaient-ils en attendre ?
M.\CDUFF. Ils étaient surbornés : Malcohm et Donalbain,
les deux fils du roi, sont sortis furtivement et se sont enfuis :
ce qui porte sur eux les soupçons du crime
Ros.s. Contre nature encore! Extravagante ambition qui
anéantit l'instrument même de ta propre vie ! — Alors le plus
vraisemblable est que la souveraineté tombera sur Macbeth.
Macduff. 11 est déjà nommé; et il est allé à Scone pour
être investi, (i)
Ross. Où est le corps de Duncan ?
Macduff. Porté au cimetière de Colomban, le saint dépôt
de ses prédécesseurs, et le gardien de leurs os. (2)
Ross. Irez-vous à Scone ?
M.ACDUFF. Non, cousin, je vais à Fife.
Ross. Bien, je m'y rendrai.
Macduff. Bon, puissiez-vous y voir des choses bien
faites, — adieu, — de crainte que nos anciens habits ne con-
viennent mieux que nos nouveaux.
Ross. Adieu, père.
Le Vieillard. Que la bénédiction de Dieu soit avec vous,
et avec tous ceux qui voudraient faire le bien du mal, et des
amis des ennemis.
Ils sortent.
(i) Voir sur l'importance de Scone dans l'histoire d'Ecosse la note intéressante
de l'édition Staunton, traduite par Montégut. Elle est trop longue pour que nous
la reproduisions ici.
(2) L'île de Saint-Colomban, ou ile du Cimetière, ou île des druides, est un des
noms de l'île d'Iona, à l'ouest du duché d'j\.rjyll. Prés de la cathédrale, s'étend !e
cimetière où se trouvent les tombes de 4S rois écossais et les lignages de la plupart
des lords des îles. Voir l'édition Staunton.
ACTE III
SCÈXE PREMIÈRE
Forres. Une chambre dans le palais.
Entre Banouo.
Banouo. Tu es maintenant cela, — roi, Cawdor, (ilamis,
tout, comme l'ont promis les étranges femmes; et, je le crains,
tu as le plus atrocement joué dans ce but : cependant elles ont
dit que cela ne resterait pas à ta postérité, mais que je serais
moi-même la racine et le père de rois nombreux. Si la vérité
est sortie d'elles — puisque sur toi, Macbeth, brillent leurs
prédictions, pourquoi ces vérités, bonnes à ton égard, ne
seraient-elles pas aussi mon oracle et ne fonderaient-elles pas
mon espoir.' Mais, silence; rien de plus.
Sonneries retentissantes. Efitre7it Macbeth,
en roi; lady Macbeth, en reine ; Lennox,
Ross, Seigîiriirs, Dames et gens de la
suite.
Macbeth. Voici notre principal convive.
Lady Macbeth. S'il avait été oublié, notre grande fête
aurait eu comme une lacune, et tout y aurait été désagréable.
Macbeth. Ce soir, nous avons un grand souper : seigneur,
j'y sollicite votre présence.
B.\XQUo. Que votre altesse me commande ; mes services lui
restent toujours attachés par le plus indissoluble lien.
Macbeth. Montez-vous à cheval cet a})rès-midi .''
Banquo. Oui, mon bon seigneur.
Macbeth. Sinon nous aurions désiré, dans notre conseil
de ce jour, vos bons avis qui nous ont toujours été sûrs et
favorables; mais nous les prendrons demain. Allez-vous loin
à cheval .''
ACTE TROISIEME 33
Banquo. Aussi loin, monseigneur, qu'il faut pour remplir
le temps entre cette heure et le souper : si mon cheval ne va
pas bien, j'emprunterai à la nuit une ou deux de ses heures
obscures.
Macbeth. Ne manquez pas à notre fête.
Banquo. Monseigneur, je n'ai garde.
M.\CBETH. Nous apprenons que nos sanguinaires cousins
sont réfugiés en Angleterre et en Irlande, niant leur cruel par-
ricide, occupant leurs auditeurs d'étranges inventions ; mais à
demain tout cela, quand nous aurons en outre une affaire d'état
réclamant notre présence. Courez à cheval : adieu jusqu'à
votre retour ce soir. Fléance va-t-il avec vous.'
Baxquo. Oui, mon bon seigneur : le temps nous presse.
Macbeth. Je souhaite à vos chevaux vitesse et sûreté de
pied; et ainsi je vous recommande à leur dos. Adieu. {Sort
Banquo.^ Laissons chacun maître de son temps jusqu'à sept
heures du soir; pour faire à nos invités une plus douce bien-
venue, nous voulons rester seuls jusqu'à l'heure du souper :
jusque là, Dieu soit avec vous ! {Sortent lady Macbeth, les sei-
gneurs, les dames, etc.) Maraud, un mot : ces hommes atten-
dent-ils notre volonté?
Le Serviteur. Ils sont, monseigneur, en dehors de la porte
du palais.
M.\cbeth. Amène-les devant nous. [Sort le serviteur.) Etre
cela n'est rien, si on ne l'est en sûreté. — Nos craintes s'arrê-
tent profondes sur Banquo ; et dans la supériorité de sa nature
règne ce qui doit être redouté : il ose beaucoup; et, avec cet
indomptable sang-froid de son âme, il a une sagesse qui guide
sa valeur à agir sûrement. Il n'y a que lui que je craigne ; et
mon génie est dominé par lui comme on dit que Marc-Antoine
l'était par César. Il censura les sœurs quand elles commencè-
rent à me donner le nom de roi, et leur ordonna de lui par-
ler; alors, comme des prophétesses, elles le saluèrent père
d'une lignée de rois : elles placèrent une couronne stérile sur
ma tête, et me mirent un sceptre infécond au poing, d'oii
l'arrachera une main étrangère, nul fils de moi ne devant me
succéder. S'il en est ainsi, c'est pour la postérité de Banquo
que j'ai perdu mon âme; pour elle que j'ai tué l'aimable Dun-
can; pour elle seule que j'ai mis le remords dans le vase de
34
ma paix, et donné mon joyau éternel à l'ennemi commun des.
hommes afin de produire cette postérité de rois, la race des
enfants de Banquo ! Plutôt qu'il en soit ainsi, viens, destin,
dans la lice, et sois mon champion à outrance! — Qui est là?
{Re7itre le serviteur avec deux meurtriers.) Maintenant, allez à
la porte et restez-y jusqu'à ce que nous appelions. {Sort le ser-
viteur). N'est-ce pas hier que nous avons parlé ensemble.''
Premier Meurtrier. En effet, plaise à votre altesse.
Macbeth. Eh bien, alors, vous avez maintenant réfléchi à
mes paroles.'' Sachez que ce fut lui, dans le temps passé, qui
vous retint ainsi hors de la fortune, ce que vous pensiez être
le fait de notre personne innocente : je vous l'ai prouvé dans
notre dernière entrevue, employée à examiner avec vous
comment vous aviez été trompés, traversés, de quels instru-
ments l'on s'était servi contre vous, et toutes les autres cho-
ses dont une demi-intelligence et une pensée affaiblie peuvent
dire : •*■ Banquo fit cela. »
Premier meurtrier Vous nous l'avez fait connaître.
Macbeth. Je l'ai fait; et j'ai été plus loin, c'est là mainte-
nant l'objet de notre seconde entrevue. Trouvez-vous la
patience assez prédominante dans votre caractère pour laisser
passer cela.'' Etes-vous assez èvangéliques pour prier en
faveur de ce brave homme et de sa prospérité, lui dont la
main vous a courbés vers le tombeau et appauvri les vôtres
pour jamais.''
Premier meurtrier. Nous sommes des hommes, mon
suzerain.
Macbeth. Oui, dans le catalogue, vous passez pour des
hommes; de même que limiers, lévriers, métis, épagneuls,
mâtins, barbets, caniches et demi-loups sont tous désignés
sous le nom de chiens; mais la liste de valeur distingue le
rapide, le lent, le subtil, le sédentaire, le chasseur, chacun
selon la qualité que la bienfaisante nature a mise en lui;
ainsi il reçoit une désignation particulière dans cette liste où
ils sont tous également inscrits : il en est de même pour les
hommes. Maintenant, si vous avez une place dans cette
liste, et si vous n'êtes pas au dernier rang de la virilité, dites-
le ; et je proposerai à vos courages une affaire dont l'exécu-
tion fera disparaître votre ennemi, vous attachera à notre
ACTE TROISIEME 35
cœur et à notre amour, à nous qui consumons une santé que
sa vie seule rend mauvaise et que sa mort rétablirait.
Second Meurtrier. — Je suis un homme, mon suzerain,
que les viles atteintes et les rebuffades du monde ont telle-
ment excité, que je suis indifférent à tout ce qui peut offenser
le monde.
Premier Meutrier. Et moi un autre tellement las de
malheurs, tellement ballotté par la fortune que je risquerais
ma vie sur toute chance pour l'améliorer, ou la perdre.
M.\cbeth. Vous savez tous deux que Banquo fut notre
ennemi.
SecoiND Meurtrier. Parfaitement, monseigneur.
Macbeth. II est aussi le mien; et tellement acharné que
chaque minute de son existence menace ce qu'il y a de plus
intime dans ma vie; et quoique je puisse de mon plein pou-
voir le balayer de ma vue, et dire à ma volonté d'avouer cela,
je ne le dois cependant pas, pour certains amis qui sont à la
fois les siens et les miens, dont je ne dois pas perdre l'affec-
tion, mais avec lesquels je devrais pleurer la chute de celui
que j'aurais abattu moi-même : et c'est pourquoi je recherche
votre aide, voulant cacher l'affaire aux yeux du public pour
diverses raisons graves.
Second Meurtrier. Nous exécuterons, monseigneur, ce
que vous nous commandez.
Premier Meurtrier. Bien que nos existences...
Macbeth. Vos ardeurs brillent à travers vous. Dans une
heure au plus, je vous montrerai où vous devez vous mettre ;
je vous ferai savoir le meilleur moment de l'épier, car cela
doit être fait ce soir, et à quelque distance du palais; pensez
toujours que j'ai besoin de rester innocent ; et avec lui — pour
ne point laisser de difficultés ni de replâtrages dans cette
affaire, — Fléance, son fils, qui lui tient compagnie et dont
la disparition n'est pas moins importante que celle de son
père, doit subir la fatalité de cette heure sombre. Décidez-
vous vous-mêmes ensemble : je reviendrai tantôt.
Les deux Meurtriers. Nous sommes décidés, mon-
seigneur.
Macbeth. Je vous appelerai tout à l'heure : restez
dehors. {^Les meicrtriers sortent.) C'est fini : — Banquo, si ton
âme en fuite doit trouver le ciel, elle le trouvera ce soir.
36
SCENE II
Forres. Un autre appartement dans le palais.
E}itrc7it Lady Macbeth et un Serviteur.
Lady Macbeth. Banquo a-t il quitté la cour.-'
Le Serviteur. Oui, Madame, mais il revient encore ce
soir.
Lady Macbeth. Dis au roi que j'attends son bon plaisir,
pour quelques mots.
Le Serviteur. Madame, j'y vais.
Lady Macbeth. Nous ne possédons rien, tout se perd, là
où notre désir est accompli sans satisfaction : il est plus sûr
d'être celui que nous exterminons que de rester par son
extermination dans une joie douteuse. {^Entre Macbeth.') Eh
bien, monseigneur ! pourquoi demeurez-vous seul, faisant des
plus tristes imaginations vos compagnes, vous accoutumant
à ces pensées qui devraient réellement mourir avec ceux
qu'elles concernent? Les choses sans nul remède doivent
être négligées: ce qui est fait est fait.
Macbeth. Nous avons tailladé le serpent, nous ne l'avons
pas tué : il voudra se rejoindre, tandis que notre pauvre
malice reste menacée de ses premières dents Mais que la
structure des choses se disjoigne, que l'un et l'autre monde
soulîrent, plutôt que de manger toujours dans la crainte, et
de dormir dans la douleur de ces terribles rêves qui nous
agitent chaque nuit : mieux vaut être a-vec le mort que nous
avons envoyé dans la paix pour obtenir sa place, que d'avoir
l'âme torturée dans un délire sans repos. Duncan est dans sa
tombe ; après la fièvre agitée de la vie, il dort bien ; la trahison
a fait son pis aller ; ni l'acier, ni le poison, ni la haine inté-
rieure, ni l'invasion étrangère, rien ne peut plus le toucher.
L.\DY Macbeth. Allons, mon aimable seigneur, dépouillez
vos durs regards; S03'ez brillant et joyeux parmi nos invités
ce soir.
Macbeth. Je le serai, mon amour; et soyez de même, je
vous en prie; portez votre souvenir sur Banquo; distinguez-
le à la fois par vos regards et par vos paroles : il est peu
sûr le temps oii nous devons laver notre honneur dans ces
ACTE TROISIÈME 37
torrents de flatteries et faire de nos visages les masques de
nos cœurs pour cacher ce qu'ils sont.
Lady Macbeth. Laissez cela.
Macbeth. Oh ! mon âme est pleine de scorpions, chère
femme ! Tu sais que Banquo et Fléance vivent.
Lady Macbeth. Mais les exemplaires de la nature ne sont
pas éternels en eux.
Macbeth. Cela me soulage encore ; on peut les attaquer;
sois donc joyeuse : avant que la chauve-souris ait pris son
vol obscur ; avant qu'à l'appel de la noire Hécate, l'escarbot
porté par ses élytres ait annoncé de ses sourds bourdonne-
ments la rumeur nocturne, une action d'une sensible impor-
tance sera accomplie.
Lady Macbeth. Que doit-il y avoir?
Macbeth. Sois innocente de cela, ma très chère poulette^
jusqu'à ce que tu y applaudisses : — Viens, ténébreuse nuit,
voile les tendres yeux du jour compatissant, et de ta main
sanglante et invisible, détruis et mets en pièces ce grand lien
qui me rend pâle! — La lumière s'assombrit, et le corbeau
s'envole vers le bois où il niche; les bonnes choses du jour
commencent à tomber et à s'assoupir, tandis que les noirs
agents de la nuit se dressent vers leurs proies. — Tu t'étonnes
de mes paroles; mais reste tranquille; les choses mauvaises
commencées se fortifient par le mal : ainsi, je t'en prie, viens
avec moi.
Ils sortcjit.
SCÈNE III
Forres. Un parc avec une porte conduisant au palais.
Entrent Trois Meurtriers.
Premier Meurtrier. Mais qui t'a ordonné de te joindre à
nous 1
Troisième Meurtrier. Macbeth.
Second Meurtrier. Il ne doit pas exciter notre défiance,
puisqu'il nous rappelle notre tâche et ce que nous devons
faire exactement.
Premier Meurtrier. Alors reste avec nous. L'ouest
brille encore de quelques raies de jour : maintenant,- pressé,
38
le voyageur en retard gagne rapidement l'auberge propice ;
et l'objet de notre veille est près d'arriver
Troisième Meurtrier. Écoutez! j'entends des chevaux.
Banquo (du dehors). Donnez-nous une lumière, ici, ho!
SecOiND Meurtrier. C'est donc lui : les autres que l'on
attendait sont déjà à la cour.
Premier Meurtrier. Ses chevaux font un détour.
Troisième Meurtrier. D'un mille environ ; mais ordi-
nairement, comme tout le monde, il marche d'ici à la porte
du palais.
Second Meurtrier. Une lumière, une lumière !
Troisième Meurtrier. C'est lui
Premier Meurtrier. Tenez bon.
Entrent Banquo et FUayice avec une torche.
Banquo. Il y aura de la pluie ce soir.
Premier Meurtrier. Qu'elle tombe.
Ils assaillent Banquo.
Baxquo. O trahison! — Fuis, bon Fléance, fuis, fuis, fuis!
Tu me vengeras. — O misérable !
Il meurt. Fléance s'échappe, (i)
Troisième Meurtrier Qui a renversé la lumière?
Premier Meurtrier. N'était-ce pas le moyen.'
Troisième Meurtrier. Il n'y en a qu'un d'abattu : le fils
s'est sauvé.
Second Meurtrier. Nous avons perdu la meilleure moitié
de notre affaire.
Premier Meurtrier. Eh bien, partons, et allons dire ce
qui est fait.
(i) Nous reproduisons sans commentaires la curieuse note de François-Victor
Hugo: « Fléance se réfugia dans le pays de Galles, et il fut si bien reçu par la fille
du roi de ce pays, que celle-ci, dit la chronique d'Holinshed, consentit pur cour-
toisie ù se laisser faire un enfant par lui. Cet enfant, qui fut nommé Walter,
devint plus tard grand sénéchal du roi d'Ecosse ufer le litre de lord steward
(d'où est venu le nom de Stuart) et fut piire d'une nombreuse postérité. Un de
ses arrières petit-fils épousa la fille de Robert Bruce, et en eut à son tour un fils qui
futroi d'Ecosse sous le nom de Robert II. — C'est ainsi que l'illustre maison de
Stuart dut son origine aux complaisances d'une princesse hospitalière pour un
proscrit. »
ACTE TROISIÈME 39
SCENE IV
Forres. — Une chambre d'apparat dans le palais.
Un banquet préparé. Entrent Macbeth, Lady Macbeth,
Ross, Lennox, des seigneurs et des gens de suite.
Macbeth. Vous connaissez vos rangs respectifs, asseyez-
vous : aux premiers comme aux derniers, une cordiale bien-
venue.
Les Seigneurs. Nos remercîments à votre majesté.
Macbeth. Nous nous mêlerons à la société, et représente-
rons l'humble amphytrion. Notre hôtesse garde son rang;
mais, au meilleur moment, nous la prierons de souhaiter la
bienvenue.
Lady Macbeth. Souhaitez-la pour moi, sire, à tous nos
amis; car mon cœur dit qu'ils sont bienvenus.
Macbeth. Vois, ils te répondent par de cordiaux remer-
cîments. — Les deux côtés sont égaux : je vais m'asseoir ici
au milieu. (Le premier meurtrier paraît à la porte.) Soyez tout
à la joie : tantôt nous boirons une rasade à la ronde. — Il y
a du sang sur ton visage.
Le Meurtrier. C'est celui de Banquo alors.
M.\cbeth. Il est mieux sur toi qu'en lui. Est-il dépêché.'
Le Meutrier. Monseigneur, il a la gorge coupée; c'est
moi qui ai fait cela.
M.\cbeth. Tu es le meilleur des coupe-gorges; il est bon
aussi celui qui a fait la même chose à Fléance : si tu as fait
cela, tu seras son égal.
Le Meurtrier. Très roj'al sire, Fléance s'est échappé.
Macbeth. Mon inquiétude renaît alors; sans cela, j'aurais
été tranquille, entier comme le marbre, solide comme le roc;
aussi libre et dilaté que l'air ambiant ; mais à présent je suis
emprisonné, encagé, retenu, enchaîné dans des doutes cruels
et dans des terreurs. Mais Banquo est-il en sûreté ?
Le Meutrier. Oui, mon bon seigneur : en sûreté dans un
fossé où il reste avec vingt profondes entailles à la tête: la
moindre causerait la mort.
M.\cbeth. Mes remercîments ; le grand serpent gît là ; le
vermisseau qui s'est sauvé, est d'une nature qui pourra pro-
40 MACBETH
duire avec le temps du venin, mais n'a pas de dents à cette
heure. — Va-t'en : demain, nous nous entendrons encore.
Le meurtrier sort.
Lady Macbeth. Mon royal seigneur, vous ne prenez pas
de plaisir : le festin est vendu si l'on ne montre pas souvent
pendant sa durée qu'il est offert avec cordialité ; mieux vau-
drait manger chez soi ; hors de là, l'assaisonnement des mets
est la cérémonie; la réunion serait pauvre sans cela.
Macbeth. Agréable aide-mémoire ! — Maintenant, qu'une
bonne digestion accompagne l'appétit, et la santé par dessus
tout !
Lennox. Qu'il plaise à votre altesse de s'asseoir.
Le spectre de Banqtco entre et s'assied à la place de Macbeth.
Macbeth. Nous abriterions maintenant ici l'honneur de
notre contrée, si l'aimable personne de notre Banquo était
présente : pourvu que j'aie plutôt à l'accuser de négligence
qu'à le plaindre pour un malheur !
Ross. Son absence, sire, lui fera reprocher sa promesse.
Qu'il plaise à votre altesse de nous gratifier de sa royale
compagnie.
Macbeth. La table est pleine.
Lennox. Voici une place réservée, sire.
Macbeth. Où 1
Lennox. Ici, mon bon seigneur. Qu'est-ce qui émeut votre
altesse?
Macbeth. Tu ne peux dire que j'ai fait cela : ne secoue pas
tes boucles sanglantes devant moi.
Ross. Gentilshommes, levez-vous ; son altesse n'est pas
bien.
Lady Macbeth. Assej^ez-vous, dignes amis : — monsei-
gneur est souvent ainsi, et l'a été dès sa jeunesse : je vous en
prie, restez assis ; l'accès est momentané ; dans un instant, il
sera rétabli : si vous y faites trop attention, vous l'oftenserez
et vous augmenterez son délire; mangez, et ne le regardez
pas. — Etes-vous un homme "i
Macbeth. Oui, et un hardi, qui ose regarder ce qui épou-
vanterait le démon.
ACTE TROISIÈME 41
Lady Macbeth. O la belle sottise! ce sont les images
mêmes de vos terreurs : c'est le poignard tiré dans l'air qui,
disiez-vous, vous menait vers Duncan. Oh ! ces fêlures et ces
transports, impostures d'une vraie terreur, conviendraient
bien près d'un feu d'hiver dans le conte d'une femme, approu-
vée par sa grand'mère. C'est une honte ! Pourquoi faites-vous
de telles grimaces ? Tout bien pesé, vous ne regardez qu'un
escabeau. ,
Macbeth. Je t'en prie, regarde ici ! riens ! regarde ! voici !
qu'en dis-tu .'' Quoi, quel souci ai-je .'' Si tu peux faire un
signe de tête, parle aussi. — Si les charniers et les tombeaux
peuvent rendre ce que nous ensevelissons, nos monuments
seront les panses des milans.
Le fantôme disparaît.
Lady M.\cbeth. Quoi, entièrement énervé par la folie ?
Macbeth. Si je reste ici, je le vois.
Lady Macbeth. Fi, par pudeur!
Macbeth. On a verse du sang avant ce jour, dans l'ancien
temps, avant que la loi humaine épurât la tranquille prospé-
rité; oui, et depuis lors aussi, on a commis des meurtres
terribles à entendre raconter ; le temps fut où, quand les
cervelles étaient dehors, les hommes mouraient, et c'était
fini ; mais maintenant, ils se relèvent encore avec vingt bles-
sures mortelles à la tête, et nous chassent de nos sièges : cela
est plus étrange qu'un tel meurtre.
Lady Macbeth. Mon digne seigneur, vos nobles amis vous
réclament.
M.\cbeth. Je l'oubliais : — ne prenez pas garde à moi, mes
très dignes amis ; j'ai une étrange infirmité, qui n'est rien pour
ceux qui me connaissent. Allons, amitié et santé à tous; puis
je vais m'asseoir. — Donnez-moi du vin, à pleine coupe. —
Je bois à la joie générale de toute la table, et à notre cher ami
Banquo qui nous manque ; que n'est-il ici ! à tous, à lui, nous
buvons, et tous à tous !
Les Seig.\eurs. Nos civilités, et notre gage.
Rentre lefatiiâmc.
Macbeth. Arrière ! et quitte ma vue ! que la terre te cache !
Tes os sont sans moelle, ton sang est froid; tu n'as aucune
pensée dans ces yeux que tu fais briller!
42
Lady Macbeth. Ne voyez là, nobles amis, qu'une chose
habituelle; ce n'est rien d'autre; seulement, cela gâte le plai-
sir de la soirée.
Macbeth. Ce qu'un homme ose, je l'ose : approche sous la
forme de l'ours hérissé de Russie, du rhinocéros armé, ou du
tigre d'Hyrcanie; prends toute autre forme que celle-là, et
mes nerfs solides ne trembleront point; ou revis et défie-moi
au désert avec ton épée : si je m'arrête en tremblant, déclare
que je suis le marmot d'une fille. Hors d'ici, ombre horrible!
moquerie chimérique, hors d'ici! {Le spectre disparaît.) Quoi
donc ! lui parti, je suis encore un homme. — Je vous en prie,
restez assis.
Lady Macbeth. Vous avez chassé la joie et bouleversé
cette agréable réunion par le plus singulier désordre.
Macbeth. De telles choses peuvent elles être et fondre sur
nous comme un nuage d'été, sans causer un étonnement
extraordinaire.'' Vous me saisissez, même dans l'état oîi je
suis, quand à présent je songe que vous pouvez contempler
de telles visions et garder le rouge naturel de vos joues, tan-
dis que les miennes sont blanches de frayeur.
Ross. Quelles visions, monseigneur !
Lady Macbeth. Je vous en prie, ne lui parlez pas ; il va de
mal en pis ; les questions l'exaspèrent : à tous, bonne nuit :
— ne vous occupez pas du rang pour partir, mais sortez tous
ensemble.
Lexnox. Bonne nuit; et qu'une meilleure santé attende sa
majesté !
Lady Macbeth. Une bienfaisante nuit à tous !
Tous sortent, exceptés Macbeth et Lady Macbeth.
Macbeth. Il y aura du sang ; on dit que le sang veut du
sang : on a vu des pierres se mouvoir et des arbres parler;
des augures, et des récits accusateurs par la voix des pies, des
choucas et des freux dénoncent l'homme de sang le mieux
caché. — Où en est la nuit .-'
Lady Macbeth. Proche du matin, qui lutte avec elle.
Macbeth. Que dis-tu de Macduffqui refuse de se rendre à
notre grande invitation ?
Lady Macbeth. Avez-vous envoyé auprès de lui, sei-
gneur .''
ACTE TROISIÈME 43
Macbeth. J'ai appris cela chemin faisant, mais j'enverrai :
il n')' en a pas un d'entre eux chez qui je n'entretienne un ser-
viteur. J'irai demain — et de bonne heure — trouver les
sœurs magiques : elles m'en diront davantage, car maintenant
je suis résolu à connaître le pire par les pires moyens. Devant
mon propre bien, toutes les raisons doivent céder : je suis
entré si avant dans le sang que si je n'avançais pas davantage,
retourner serait aussi pénible que continuer: j'ai en tête des
choses étranges que ma main exécutera et qui veulent être
faites avant d'être scrutées.
Lady Macbeth. Vous avez besoin du remède de toute
créature : dormir
Macbeth. Allons dormir. Mon singulier oubli de moi-
même est la première manifestation d'une crainte que l'habi-
tude adoucira ; — nous sommes jeunes encore dans le crime.
Ils sortent.
SCÈXE V
Une bruyère.
lonnerre. Entrent trois SoRCXÈRKS rencontrant Hécate, (i)
Première Sorcière. Quoi donc, Hécate! vous semblez
irritée.
Hécate. N'ai-je pas raison, impertinentes et téméraires
sorcières que vous êtes.' Comment avez-vous osé faire avec
Macbeth commerce et trafic d'énigmes et de choses funèbres,
quand moi, la maîtresse de vos charmes, la créatrice secrète
de tous les maux, je n'ai pas été appelée à y participer, ni à
montrer la gloire de notre art .' Et ce qui est pis, tout ce que
vous avez fait ne l'a été que pour un fils pervers, haineux et
violent qui, comme les autres, aime ses propres intérêts, et
non pas vous. Mais faites amende maintenant ; allez-vous en
(i) Hécate était de toute antiquité la reine des sorcières, puisque c'était de ce
nom que Diane était connue aux enfers. Réginald Scott, dans sa Découverte de la
sorcellerie, rapporte que les sorcières avaient, de nuit, des entrevues avec Héro-
diate et les dieux païens, et quelles couraient à cheval avec Diane, la déesse
païenne. Leur reine, ou maîtresse souveraine, est toujours une divinité païenne.
Dame Sibylle, Minerve, ou Diane. (Tollet).
44
et attendez-moi dans la matinée à l'abîme de l'Achéron : il
s'y rendra pour connaître sa destinée : préparez vos vases et
talismans, vos charmes et toutes les choses nécessaires. Je suis
dans l'air; j'employerai cette nuit à une œuvre horrible et
fatale : je dois réaliser de grandes choses avant midi : au coin
de la lune est suspendue une épaisse goutte vaporeuse; je
veux la saisir avant qu'elle tombe à terre; et, distillée par
mes tours magiques, elle suscitera des esprits si artificieux
que, par la force de leur illusion, il sera entraîné dans le ver-
tige ; il repoussera du pied la destinée, méprisera la mort et
portera ses espérances au-dessus de la sagesse, de la grâce et
de la crainte: et vous savez toutes que la sécurité est la
suprême ennemie des mortels. (Musique et chant dans le loin-
tain.) « Venez, venez, etc. » (i) Ecoutez ! On m'appelle; mon
petit esprit, voyez, est assis sur un nuage de brouillard, et
m'attend.
Elle sort.
Première Sorcière. Venez, hâtons-nous ; elle reviendra
bientôt.
Elles sortent.
SCÈNE VI
Forres. Une chambre dans le palais.
E7itrent Lennox et un autre Seigneur.
Lennox. Mes dernières paroles n'ont fait qu'éveiller vos
pensées, qui peuvent se donner carrière : seulement, dis-je,
les choses ont été étrangement rapportées. L'aimable Dun-
can a été plaint par Macbeth : — ma foi, il était mort. — Et
le très vaillant Banquo se promenait trop tard ; vous pouvez
dire, si cela vous plaît, que Fléance l'a tué, car Fléance s'est
enfui : les gens ne doivent pas se promener trop tard. Oui ne
(i) Ce chant est-il perdu ou, comme le pense un des plus savants commenta-
teurs de Shakespeare, Staunton, n'est-il que celui qu'on trouve dans la Sorcière,
pièce médiocre de Middleton probablement écrite vers 1613, mais seulement impri-
mée en 1778 ? Il y a là une question intéressante, assez complexe, qu'on a beau-
coup discutée en Angleterre. Nous nous bornons à la signaler ici, son exposé
demandant trop de développements.
ACTE TROISIEME 45
pense combien ce fut monstrueux à Malcolm et à Donalbain
de tuer leur bon père? Action damnée ! comme elle affligea
Macbeth! N'exécuta-t-il pas sur le champ, dans sa rage
pieuse, les deux coupables qui étaient esclaves de la boisson
et captifs du sommeil? N'était-ce pas agir noblement? Oui,
et sagement aussi, car cela eût irrité tout cœur vivant
d'entendre ces hommes nier. Aussi dis-je qu'il a bien mené
toutes les choses ; et je pense que, s'il avait sous ciel les fils
de Duncan, — ce qui n'arrivera pas, plaise au ciel — ceux-ci
apprendraient ce que c'est que de tuer un père ; et Fléance
aussi. Mais, silence ! — car j'apprends que pour des paroles
libres et pour n'avoir pas été présent à une fête du tyran,
j'apprends que Macduff" vit en disgrâce : seigneur, pouvez-
vous dire où il s'est retiré ?
Le Seigneur. Le fils de Duncan dont ce t3'ran usurpe le
droit héréditaire, vit à la cour d'Angleterre ; et il est reçu par
le très pieux Edouard avec une telle faveur que la malveil-
lance de la fortune n'enlève rien au grand respect qu'il
inspire : Macbeth est allé là-bas prier le saint roi d'appeler à
son aide Northumberland et le belliqueux Siward, afin
qu'avec leur appui — que Celui qui est là-haut protège
l'entreprise ! — nous puissions encore manger à nos tables,
dormir pendant nos nuits, débarrasser nos fêtes et nos ban-
quets de poignards sanglants, rendre un fidèle hommage et
recevoir de libres honneurs ; — toutes choses après les-
quelles nous languissons maintenant : et ce récit a tellement
exaspéré le roi qu'il prépare quelque entreprise de guerre.
Lexnox. A-t-il envoyé auprès de Macduiï?
Le Seigneur. Oui ; et avec un absolu « Monsieur, pas
moi » s'est vu renvoyé le messager assombri qui a murmuré
quelque chose signifiant : « Vous regretterez l'heure oii vous
me chargez de cette réponse ».
Lennox. Et cela devait bien l'engager à être prudent, à
rester à la distance que suggère sa sagesse. Que quelque ange
saint vole à la cour d'Angleterre et expose son message avant
qu'il arrive, afin qu'une prompte bénédiction retourne bien-
tôt dans notre contrée qui souffre sous une main maudite !
Le Seigneur. J'envoie mes prières avec lui.
Ib sortent.
ACTE IV
SCÈNE I
Une caverne. Au milieu, un chaudron bouillant.
To?i?icrre. Entrent les trois Sorcières.
Première Sorcière. Trois fois le chat tacheté a miaulé, (i)
Seconde Sorcière. Et trois fois le porc-épic a glapi.
Troisième Sorcière. La harpie crie : — il est temps, ilest
temps.
Première Sorcière.
Tournons autour du chaudron ;
Jetons les entrailles empoisonnées. —
Crapaud, qui sous la froide pierre.
Trente et un jours et trente et une nuits,
As sué du venin en dormant.
Bous le premier dans le pot enchanté.
Toutes.
Redoublons, redoublons de peine et de trouble ;
Feu, brûle; et toi, chaudron, bouillonne.
(I) Warburton rappelle que, de temps immémorial, le chat fut l'agent et le
favori des sorcières ; que Galinthia, ayant été changée en chat par le destin (voir
Antonius Liberalis, Méiainorphoses, chap. XXIX), Hécate eut pitié d'elle et
en fit sa prêtresse, fonction qu'elle occupe depuis lors; et qu'Hécate elle-même
prit la forme d'un chat quand Typhon força les dieux et les déesses à se cacher
sous des formes d'animaux. Douce, autre commentateur de Shakespeare, ajoute,
que chez les Egyptiens, le chat était consacré à Iris ou la Lune, leur Hécate ou
Diane, et par conséquent fort honoré ; qu'on possède beaucoup d'idoles de chats,
et que le Sistrum des prêtres d'Iris était généralement orné d'une figure de chat
avec un croissant sur la tête.
ACTE QUATRIEME 47
Seconde Sorcière.
Filet d'un serpent des marécages,
Dans le chaudron bous et cuis ;
Œil de lézard d'eau et doigt de grenouille,
Poil de chauve-souris et langue de chien,
Fourche de vipère et pointe de ver aveugle
Patte de lézard et aile de hibou, —
Par un charme d'un mal puissant.
Comme un bouillon d'enfer, cuisez et bouillonnez.
Toutes.
Redoublons, redoublons de peine et de trouble ;
Feu, brûle; et toi, chaudron, bouillonne.
Troisième Sorcière.
Ecaille de dragon, dent de loup,
Momie de sorcière, panse et goulïre
Du furieux requin de mer ;
Racine de ciguë qui fouille dans la nuit ;
Foie de Juif blasphémateur;
Fiel de chèvre et bouture d'if
Fendu pendant l'éclipsé de lune,
Nez de Turc et lèvre de Tartare ;
Doigt de jeune enfant étranglé
Laissé dans une fosse par une coureuse
Faites le gruau épais et sale;
Ajoutons-y un estomac de tigre
Comme ingrédient de notre chaudière.
Toutes.
Redoublons, redoublons de peine et de trouble
Feu, brûle; et toi, chaudron, bouillonne.
Seconde Sorcière.
Refroidissons cela avec du sang de babouin
Pour que le charme soit solide et bon.
Entre Hécate.
HÉCATE.
Oh ! bien fait ! J'apprécie vos peines ;
Et chacune aura part aux profits ;
Et maintenant chantez autour du chaudron
Comme une ronde d'elfes et de fées,
Enchantant tout ce que vous avez mis là.
Musique et chants : « Xoirs esprits, etc. » (i)
Seconde Sorcière.
Par le picotement de mes pouces,
Quelque chose de pervers vient ici :
Ouvrez, serrure
A quiconque frappe !
Entre Macbeth.-
Macbeth. Et bien, vous, sorcières cachées, sombres et
nocturnes! Que faites-vous ? ,
Toutes. Une œuvre sans nom.
Macbeth. Je vous en conjure, par ce que vous professez, —
de quelque manière que vous ayez appris cela, répondez-moi :
dussiez-vous délier les vents et les faire lutter contre les égli-
ses ; dussent les vagues écumantes mêler et engloutir la mari-
ne; dussent les épis de blé et les arbres s'abattre, (2) les châ-
teaux crouler sur la tète de leurs habitants, les palais et les
pyramides incliner leurs têtes jusqu'à leurs fondements; dût
le trésor des germes de la nature s'écrouler pêle-mêle jus-
qu'à ce que la destruction même se soit épuisée, répondez à
ce que je vous demande.
Première Sorcière. Parle.
Deuxième Sorcière. Demande.
Troisième Sorcière. Nous répondrons.
Première Sorcière. Dis, si tu préfères entendre cela de
nos bouches ou de celles de nos maîtres.
(i) « Ce chant comme celui de l'acte précédent se trouve également dans Mid-
dletonet Avenant. » {Montégut).
(2) On croyait que les sorcières pouvaient transporter les moissons d'un champ
dans un autre; et qu'une fois la moisson formée en épis, une tempête soulevée
par sortilège pouvait l'abattre.
ACTE QUATRIEME 49
Macbeth. Appelez-les, faites les moi voir.
Première Sorcière. Versez le sang d'une truie (i) qui a
mangé ses neufs cochons de lait; lancez dans la flamme la
graine qui a transpiré du gibet d'un assassin.
Toutes. Viens, grand ou petit; montre adroitement ta
personne et ton office.
Tonnerre. Se lève /'Apparition d'tcnc tête casquée.
M.\CBETH. Dis-moi, toi, puissance inconnue...
Première Sorcière. Il connaît ta pensée : écoute sa
parole, mais ne dis rien.
L'Apparition a la tête casquée. Macbeth ! Macbeth !
Macbeth! prend garde à Macduff ; prend garde à Macduft";
prend garde au thanc de Fife. — Renvo3'ez-moi : c'est assez.
Elle descend.
Macbeth. Qui que tu sois, pour ton bon avis, mes remer-
cîments ; tu as directement touché ma crainte; — mais un
mot encore.
Première Sorcière. Il ne veut pas être commandé : en
voici un autre, plus puissant que le premier.
Tonnerre. Se lève /'Apparition d'un Efifattt etisanglantè.
L'Enfant ensanglanté. Macbeth! Macbeth! Macbeth!
Macbeth. Je voudrais avoir trois oreilles pour t'entendre.
L'Enfant ensanglanté. Sois sanguinaire, hardi et résolu;
méprise en riant le pouvoir de l'homme, car nul être né de la
femme ne pourra nuire à Macbeth.
// descend.
Macbeth. Alors, vis, MacduiT: qu'ai-je à craindre de toi.''
Mais pourtant, je veux rendre l'assurance doublement sûre
et exiger un engagement du sort : tu ne vivras pas ; je pourrai
dire à la crainte blême qu'elle ment, et dormir en dépit du
tonnerre.
(i) « HoUinshed, dans son Histoire d'Ecosse, rapporte qu'une des lois de
Kenneth II ordonne que .si une truie a manyé ses marcassins, elle soit lapidée à
mort et enterrée, et que personne ne mange de sa chair. » {Montégut).
Tonnerre. Se levé /'Apparition' d'un E^ifanl couronné tenant
un arbre à la inahi.
Macbeth. Quel est celui-ci qui se lève comme la postérité
d'un roi, et porte sur son front d'enfant la couronne suprême
de la souveraineté?
Toutes. Ecoute, mais ne lui parle pas.
L'ExFANT COURONNÉ. Aie un cœur de lion, sois orgueil-
leux, et n'aie cure de ce qui gronde, ni de ce qui s'agite, ni du
lieu où sont les conspirateurs : Macbeth ne sera jamais vaincu
jusqu'à ce que la grande forêt de Birnam s'avance contre lui
sur la haute colline de Dunsinane.
Macbeth. Cela ne sera jamais ; qui peut influencer la
forêt, ordonner à l'arbre d'arracher sa racine fixée en terre t
Agréables présages ! bien ! Tête de la rébellion, ne te lève
jamais, avant que la forêt de Birnam marche, et notre Mac-
beth haut-placé achèvera le bail de la nature, ne rendra son
dernier souffle qu'avec le temps et par la fatale coutume. —
Cependant mon cœur tremble de savoir une chose : dites-
moi, — si votre art peut aller jusque là, — la postérité de
Banquo règnera-t-elle jamais sur ce royaume 'i
Toutes. Ne cherche pas à en savoir davantage.
M.\CBETH. Je veux être satisfait : si vous me refusez cela,
qu'une éternelle malédiction tombe sur vous ! Dites-moi : —
pourquoi ce chaudron s'enfonce-t il .' et quel est ce bruit ?
Hautbois.
Première Sorcière. Paraissez.
Deuxième Sorcière. Paraissez.
Troisième Sorcière. Paraissez.
ToiTTES. Paraissez à ses yeux et affligez son cœur ; venez
comme des ombres, et disparaissez de même.
Huit Rois apparaissent, et défilent en
ordre, le dernier avec une glace à la
main ; le spectre de Banquo les suit.
Macbeth. Tu ressembles trop à l'esprit de Banquo ; redes-
cends ! ta couronne brûle mes prunelles ; et ta chevelure, toi,
l'autre couronné d'or, ressemble à la première; le troisième
ACTE QUATRIÈME
aussi. — Immondes sorcières! pourquoi me montrez-vous
cela ? — Un quatrième ? — Frémissez, mes yeux ! — Quoi, la
lignée s'étendra jusqu'au jour du jugement? — Un autre
encore ? — Un septième ? — Je n'en veux pas voir dav'antage ;
— et cependant le huitième apparaît avec un miroir qui m'en
montre beaucoup plus; et j'en vois qui portent de doubles
globes et de triples sceptres ( i) : horrible spectacle ! — Mainte-
nant je m'aperçois que c'est vrai, car l'ensanglanté Banquo
me sourit et me les désigne comme étant les siens. — Quoi,
en est-il ainsi ?
Première Sorcière. Oui, seigneur, tout cela est vrai : —
mais pourquoi Macbeth reste-t-il ainsi confondu .' — Venez,
sœurs, ranimons ses esprits et montrons-lui les meilleures de
nos délices : je vais charmer l'air pour qu'il produise des sons,
pendant que vous exécuterez votre antique ronde, afin que
ce grand roi puisse dire dans sa bonté que nos hommages ont
payé sa bienvenue.
Mitsiqne. Les Sorcières dansent, et puis
s'cvayioiiisscnt.
Macbeth. Où sont-elles .'' Parties .' — Que cette heure
pernicieuse reste à jamais maudite dans le calendrier ! —
Venez, vous là dehors !
Entre Lexxox. Que veut votre grâce .'
Macbeth. Avezvous vu les sœurs fatales .'
Lenxox. Non, monseigneur.
M.^cbeth. N'ont-elles pas passé près de vous .'
Lexxox. Non. vraiment, monseigneur.
M.\CBETH. Infecté soit l'air sur lequel elles ont chevauché ;
et damnés tous ceux qui se fient à elles ! — J'ai entendu le
galop d'un cheval : qui est venu par ici ?
(i) « Ceci est une allusion à Jacques I", qui descendait, dit-on. de Banquo, et
qui le premier réunit sous le même sceptre les deux iles britanniques et les trois
royaumes. La tête armée d'un casque figure la tête de Macbeth, coupée et pré-
sentée à Malcolm par Macduff; l'enfant ensanglanté est Macduff venu au monde
avant terme ; l'enfant avec une couronne sur la tête et un rameau à la main, c'est
le royal Malcolm, qui dans sa marche sur Dunsinane ordonna à chacun de ses
soldats de couper une branche et de la porter devant lui. » (Benjandn Laroche)
On sait que Jacques I'^, successeur d'Elisabeth, régna de 1603 à 1625.
52
Lennox. Ce sont deux ou trois hommes, monseigneur, qui
vous apportent la nouvelle que Macduft" s'est enfui en Angle-
terre.
Macbeth. Enfui en Angleterre!
Lennox. Oui, mon bon seigneur.
M.vCBETH. Temps, tu devances mes terribles exploits : le
but fugitif n'est jamais atteint, à moins que l'action ne l'ac-
compagne : dès ce moment, les vrais premiers-nés de mon
cœur seront les premiers-nés de ma main. Et tantôt même,
pour couronner mes pensées de mes actes, sitôt fait que
pensé, je veux surprendre le château de MacdufT, m'emparer
de Fife, passer au fil de l'épée sa femme, ses enfants, et tous
les êtres malheureux qui prolongent sa lignée. Pas de jac-
tance comme un sot; j'accomplirai cet acte avant que le
dessein refroidisse; mais plus de visions! — Oîi sont ces
gentilshommes.'' Venez, conduisez-moi près d'eux.
Ils sortent.
♦ SCÈNE II
Fife. Une chambre dans la château de Macduff. (i)
Entrent Lady Macduff, so7i fils et Ross.
Lady Macduff. Qu'avait-il fait, pour s'enfuir du pays ?
Ross. Vous devez avoir de la patience, madame.
Lady Macduff. Lui n'en a pas eu : sa fuite a été une folie :
quand ce ne sont pas nos actions, ce sont nos craintes qui font
de nous des traîtres.
Ross. Vous ignorez si cela fut sagesse ou crainte.
Lady Macduff. Sagesse! laisser sa femme, laisser ses
enfants, sa demeure et ses titres, dans un lieu d'oii lui-même
s'enfuit.'' Il ne nous aime pas; l'instinct de la nature lui
manque; car le pauvre roitelet, le plus petit des oiseaux,
luttera, quand ses petits sont au nid, contre le hibou. Tout
est crainte, et rien n'est amour ; la sagesse est bien faible où.
la fuite heurte toute raison.
(i) « Sur la côte de Fifeshire, à environ trois raille de Dysart, on voit encore les
tours quadrangulaires d'un château qu'on suppose avoir été celui de Macduff.
(Fr.-V. liuQO, tome III, 1859).
ACTE QUATRIÈME 53
Ross. Ma très chère cousine, je vous en prie, réprimandez-
vous, car votre mari est noble, sage, judicieux, et il connaît à
fond les dangers de l'heure. Je n'ose en dire davantage ; mais ils
sont cruels les temps où nous sommes traîtres sans le savoir
nous-mêmes, où nous occupons la rumeur de ce que nous
craignons sans pourtant connaître l'objet de notre crainte, où
nous flottons sur une mer farouche et violente, ballotès en
tous sens. — Je prends congé de vous ; d'ici peu de temps, je
serai de retour : les choses venues au pire cesseront, ou bien
elles remonteront où elles en étaient auparavant. — Mon
joli cousin, bénédiction sur vous !
L.\DY Macduff. Il est reconnu et cependant il est orphelin.
Ross. Je suis vraiment fou ; si je restais plus longtemps, ce
serait ma disgrâce et votre malheur : je prends congé cette
fois.
// sort.
L.\DY Macduff. Petit, votre père est mort ; et que ferez-
vous maintenant ? Comment vivrez-vous .''
L'Enfant. Comme les oiseaux, mère.
Lady M.\cduff. Quoi ! de vers et de mouches ?
L'Enfant. De ce que je trouverai, veux je dire ; c'est ainsi
qu'ils font.
Lady Macduff. Pauvre oiseau ! tu ne craindras jamais ni
glu, ni piège, ni trébuchet ?
L'Enf.vnt. Pourquoi les craindrais-je, mère .'' Ils ne sont
pas mis pour les pauvres oiseaux. Mon père n'est pas mort,
quoi que vous disiez.
Lady Macduff. Si, il est mort : comment feras-tu pour
avoir un père ?
L'Enf.\nt. Non, comment ferez- vous pour avoir un mari ?
Lady Macduff. Eh bien, j'en puis acheter vingt à quelque
marché.
L'Enfant. Alors, vous les achèteriez pour les revendre.
Lady M.a.cduff. Tu parles avec tout ton esprit ; et même,
ma foi, a%'ec assez d'esprit pour ton âge.
L'Enf.\nt. Mon père était-il un traître, mère .''
L.\DY Macduff. Oui, il en était un.
L'Enfant. Qu'est-ce qu'un traître.''
54
Lady Macduff. Eh bien, c'est celui qui jure et qui ment.
L'Enfant. Et ce sont tous des traîtres, ceux qui font cela ?
Lady Macduff. Quiconque fait cela est un traître et dok
être pendu.
L'ExNfant. Et ils doivent tous être pendus, ceux qui jurent
et qui mentent .''
Lady M.\cduff. Tous.
L'Enfant. Oui doit les pendre ?
Lady M.\cduff. Et bien, les honnêtes gens.
L'Enf.\nt. Alors les menteurs et les jureurs sont des fous;
car il y a assez de menteurs et de jureurs pour battre les hon-
nêtes gens, et les pendre.
Lady Macduff. Que Dieu t'assiste, pauvre singe! Mais
comment feras-tu pour avoir un père .'
L'Enfant. S'il était mort, vous pleureriez : si vous ne le
faisiez pas, ce serait bon signe que j'aurais vite un nouveau
père,
Lady M.\cduff. Pauvre babillard, comme tu parles !
Entre un Messager.
Le Messager. Réjouissez-vous, belle dame! Je ne vous
suis pas connu, bien que je sache votre haute condition. Je
crains que quelque danger ne soit près de vous : si vous vou-
lez suivre l'avis d'un homme simple, ne restez pas : partez
d'ici avec vos enfants. A vous efl:Va)-er ainsi, semble-t-il, je
suis trop barbare; faire pis à votre égard serait tomber dans
une cruauté, qui n'est que trop près de votre personne. Je
n'ose rester plus longtemps.
// sort.
Lady Macduff. Où fuirais-je.' Je n'ai fait aucun mal. Mais
je me souviens maintenant que je suis en ce monde terrestre
où faire le mal est souvent louable, où faire le bien est par-
fois regardé comme une dangereuse folie : pourquoi hélas!
produire alors cette défense de femme, dire que je n'ai fait
aucun mal .' (Entremit les mcxirtricrs.) Quels sont ces visages .?
Premier Meurtrier. Où est votre mari?
Lady M.vcduff. Dans nul lieu assez profane, j'espère,
pour que de tels que toi puissent le trouver.
ACTE Ql-ATRIÈMF, 55
Premier Meurtrier. C'est un traître.
L'Enfaxt. Tu mens, scélérat poilu !
Premier Meurtrier. Quoi, vous, œuf, jeune fretin de
trahison !
Il le poigvardc.
L'enf.wt. Il m'a tué, mère : fuj-ez, je vous en prie!
// meurt. Lady Macduff sort en criant
<i. Au meurtre! » poursuivie par les
assassins.
SCÈNE III
Angleterre. Devant le palais du roi.
Entrent Malcolm et Macduff.
Malcolm. Cherchons quelque ombre solitaire, et là soula-
geons nos tristes cœurs.
Macduff. Brandissons plutôt l'épée mortelle, et, comme
des hommes courageux, relevons notre patrie tombée : cha-
que nouveau matin, de nouvelles veuves gémissent, de nou-
veaux orphelins crient, de nouvelles douleurs frappent la
face du ciel qui en résonne comme s'il souftYait a%'ec l'Ecosse
et hurlait les mêmes paroles de douleur.
Malcolm. Ce que je crois, je veux le déplorer; ce que je
connais, je le crois; et ce que je puis redresser, si je trouve le
temps propice, je le redresserai. Ce que vous avez dit est
peut-être vrai. Ce tyran dont le nom seul ulcère nos langues,
était autrefois réputé honnête : vous l'avez beaucoup aimé ; il
ne vous a pas encore touché. Je suis jeune; mais quelque
chose peut vous favoriser auprès de lui à mes dépens ; il serait
prudent d'oftrir un faible, pauvre et innocent agneau pour
apaiser un dieu furieux.
Macduff. Je ne suis pas un traître.
Malcolm. Mais Macbeth en est un. Une bonne et ver-
tueuse nature peut faillir sur un ordre impérial. Mais je vous
demande pardon ; ce que vous êtes, mes pensées ne peuvent
le transformer; les anges sont toujours brillants quoique le
plus brillant soit tombé : si même toutes les choses infâmes
56 MACBETH
portaient le front de la vertu, la vertu paraîtrait encore ce
qu'elle est.
Macduff. J'ai perdu mes espérances.
Malcolm. Peut-être là même oîi j'ai trouvé mes doutes.
Pourquoi avez-vous quitté votre femme et vos enfants, ces
objets précieux, ces puissants liens d'amour, avec tant
d'indiflerence, sans leur dire adieu .'' — Je vous en prie, ne
voyez pas votre déshonneur dans mes défiances, mais bien
ma propre sécurité : — vous pouvez être fort sincère, quoi
que je pense.
Macduff. Saigne, saigne, pauvre pays ! Puissante tyrannie,
assieds solidement ta base, car la bonté n'ose te faire échec !
étends tes maux, ton droit est incontesté ! — Porte-toi bien,
seigneur : je ne voudrais pas être le scélérat que tu penses
pour tout le territoire qui est sous l'étreinte du tyran, et
pour le riche Orient par dessus le marché.
Malcolm. Ne vous oftensez point-: je ne parle pas ainsi en
crainte absolue de vous. Je crois que notre pays succombe
sous le joug; il pleure, il saigne, et chaque jour, une nouvelle
entaille s'ajoute à ses blessures ; je crois, de plus, que bien
des mains s'y lèveraient pour mon droit, et ici, le gracieux
roi d'Angleterre m'offre plusieurs bons milliers de soldats ;
mais, après tout cela, quand j'aurai foulé la tête du t)-ran,
ou quand je l'aurai mise au bout de mon épée, mon pauvre
pays aura plus de maux encore qu'auparavant; il souffrira
davantage, et de manières plus différentes que jamais, par
celui qui succédera.
Macduff. Qui serait ce ?
Malcolm. C'est moi-même que je désigne, possédant tous
■les genres de vices si invétérés que, dès qu'ils paraîtront, le
noir Macbeth semblera pur comme neige, et que le pauvre
royaume le tiendra pour un agneau, en comparaison de mes
méfaits sans bornes.
Macduff. Des légions de l'horrible enfer ne peut sortir un
démon plus damné, dépassant Macbeth en infamies.
Malcolm. Je reconnais qu'il est sanguinaire, luxurieux,
avare, faux, perfide, subtil, rusé, imprégné de chaque vice
qui a un nom ; mais il n'y a pas de fond, aucun, à ma passion :
vos femmes, vos filles, vos matrones et vos vierges ne pour-
ACTE. QU ATRIO>[E 57
ront combler le puits de ma convoitise ; et mon désir surmon-
terait tous les faibles obstacles qui s'opposeraient à ma
volonté : mieux vaut Macbeth régnant qu'un tel que moi.
Macduff. L'intempérance illimitée dans notre nature est
une tyrannie; elle a causé la faiblesse prématurée d'heureux
trônes et la chute de nombreux rois. Mais ne craignez pas
néanmoins de prendre ce qui vous appartient : vous pourrez
inviter vos plaisirs à une large abondance, et cependant
paraître froid, le moment venu de cacher votre jeu. Nous
avons assez de dames complaisantes : il ne peut exister en
vcîus de vautour assez dévorant pour toutes celles qui se
dévoueront à votre grandeur, son inclination une fois
connue.
Maixolm. En outre, germe là, comme le plus mauvaise
affection, une avarice tellement insatiable que, si j'étais roi,
je supprimerais les nobles pour avoir leurs terres, enviant les
jo3-aux de l'un et la maison de l'autre; et mes acquisitions
seraient comme un assaisonnement qui augmenterait encore
ma faim; de sorte que, forgeant d'injustes querelles contre
les bons et les loj^aux, je les détruirais pour accaparer leurs
biens.
Macduff. Cette avarice perce plus profondément, pousse
de plus pernicieuses racines que la luxure féconde comme
l'été ; et elle a été l'épée qui a tué certains de nos rois ; cepen-
dant, ne craignez rien; l'Ecosse est assez riche pour combler
vos désirs avec vos biens propres : tous ces vices sont sup-
portables, mis en balance avec d'autres vertus.
Malcolm. Mais je n'en ai pas : ces vertus qui conviennent
aux rois, comme la justice, la sincérité, la tempérance, la
fermeté, la générosité, la persévérance, la piété, l'humilité,
la patience, le courage, la force d'àme, je n'ai nul goût pour
elles ; mais abondent en moi les variétés de chaque vice,
fonctionnant par tous les moyens. Non, si j'avais le pouvoir,
je verserais le lait suave de la concorde en enfer, troublerais
la paix universelle, détruirais toute harmonie sur la terre.
Macduff. O Ecosse, Ecosse!
Malcolm. Si un pareil est digne de régner, parle : je suis
comme j'ai dit.
Macduff. Digne de régner! non, ni de vivre. — O
58
misérable nation sous le sceptre ensanglanté d'un tyran sans
titre, quand reverras-tu tes jours heureux, puisque la famille
la plus fidèle de ton trône se détruit par son propre ostra-
cisme, et blasphème sa race? — Ton royal père était le plus
saint roi ; la reine qui te porta, plus souvent agenouillée que
debout, mourut chaque jour de sa vie. Porte-toi bien! Ces
maux que tu réunis en toi m'ont banni de l'Ecosse. — O mon
cœur, ton espérance meurt ici!
Malcolm. — Macduff, cette noble passion, fille de l'inté-
grité, a efifacé de mon âme mes sombres scrupules, et récon-
cilié mes pensées avec ta bonne fidélité et ton honneur. L'in-
fernal Macbeth, par plusieurs de ses artifices, a voulu m'at-
tirer en son pouvoir, et une sagesse prudence m'interdit
toute précipitation trop crédule; mais que Dieu là-haut juge
entre toi et moi ! car désormais je me place sous ta direction,
et je rétracte les dénigrements que je me suis adressés ; je
réprouve les souillures et les vices dont je me suis accusé,
comme étrangers à ma nature. Je n'ai pas encore connu de
femme; je ne me suis jamais parjuré; à peine ai je convoité
ce qui m'appartient; en aucun temps je n'ai violé ma foi; je
ne livrerais point le diable à son compagnon; et la vérité ne
me charme pas moins que la vie : mon premier langage men-
songer vient d'être tenu contre moi-même : — ce que je suis
vraiment est à tes ordres et 5 ceux de mon pays, où, de fait,
avant ton arrivée, le vieux Siward, avec dix mille soldats
déjà prêts, se disposait à marcher ; maintenant, partons en-
semble, et que la chance du succès soit pour notre juste
cause! Pourquoi êtes- vous silencieux ?
M.vCDUFF. Des choses aussi agréables et d'aussi désagréa-
bles à la fois sont difficiles à mettre d'accord.
Entre un mèdecui.
M.\LCOLM. — Bien ; nous en dirons davantage tantôt. — Le
roi vient-il, je vous prie.
Le Médecin. — Oui, seigneur ; il y a là une troupe d'êtres
malheureux qui attendent de lui leur guérison : leur maladie
défie les plus grands efforts de l'art ; mais à son contact, tant
le ciel a sanctifié sa main, il y a bientôt amélioration.
Malcolm. Je vous remercie, docteur.
Le médecin sort.
ACTE QUATRIÈME 59
Macduff. Quelle est la maladie qu'il a en vue?
Malcolm. — Elle est appelée mal du roi : une très mira-
culeuse opération de ce bon roi que souvent, depuis mon
séjour en Angleterre, je lui ai vu faire.(i) Comment il invoque
le ciel, c'est lui qui le sait le mieux; mais les gens atteints
d'étrange sorte, les gonflés et les ulcéreux, pitoyables à voir
et désespérant la médecine, il les guérit avec de saintes
prières en suspendant à leur cou un poinçon d'or; et l'on dit
qu'il laissera à ses successeurs royaux cette salutaire bénédic-
tion. Outre cette singulière vertu, il a un don céleste de
prophétie ; et divers bienfaits environnent son trône, le pro-
clamant plein de vertu.
Macduff. Voyez : qui vient ici.'
Malcolm. Un compatriote; mais pourtant je ne le connais
pas (2).
Entre Ross.
Macduff. Mon très aimable cousin, S03'ez ici le bienvenu.
Malcolm. Je le reconnais maintenant : — Dieu bon, éloi-
gnez les causes qui nous rendent étrangers !
Ross. Seigneur, amen.
Macduff. L'Ecosse en reste-t-elle où elle en était?
Ross. Hélas ! pauvre pays, — presque eftVayé de se connaî-
tre lui-même! Elle ne peut plus être appelée notre mère,
mais notre tombe, cette terre oîi l'on ne voit sourire personne,
excepté ceux qui ne savent rien; où soupirs, gémissements et
cris déchirant l'air s'échappent sans être remarqués ; où la
douleur violente semble un transport modéré : on demander
peine pour qui sonne le glas des morts ; et la vie des hommes
(i) HoUinshed affirme qu'Edouard le Confesseur possédait le don de guérir les
infirmités et les maladies, qu'il avait coutume de soulager ceux que tourmentait le
mal du roi (les écrouelles), et qu'il transmit ce don à ses successeurs. On sait que
le même pouvoir était attribué aux rois de France. Naïves superstitions et gros-
sières flatteries ! Une onction avec la sainte ampoule était d'abord faite sur la
main royale prétendue miraculeuse qui guérissait de soi-disant malades.
Charles X se livra encore à cette mauvaise plaisanterie en 1824. On se rappelle
l'allusion méchante qu'y fait son « fidèle » Chateaubriand dans les Mémnires
d'Outre-Tombe.
(2) Malcolm, dit Montégut, reconnaît d'abord Ross à son plaid.
6o MACBETH
de bien s'éteint avant que les fleurs de leur toque soient
mortes ou seulement languissantes.
Macduff. O rapport trop saisissant, et cependant trop
vrai !
Malcolm. Quel est le plus récent malheur ?
Ross. Celui qui est vieux d'une heure fait siffler quiconque
le narre : chaque minute en enfante un nouveau.
Macduff. Comment se porte ma femme ?
Ross. Mais, bien.
Macduff. Et tous mes enfants ?
Ross. Bien aussi.
Macduff. Le t)'ran n'a pas troublé leur paix .'
Ross. Non ; ils étaient bien en paix quand je les ai quittés.
Macduff. Ne soyez pas avare de vos paroles : comment
vont-ils .''
Ross. Quand je suis parti pour apporter ici les nouvelles,
que j'ai trouvées bien lourdes, la rumeur courait que beau-
coup de dignes compagnons s'étaient levés, ce qui devint pour
moi une certitude absolue quand je vis les troupes du tyran
sur pied; maintenant, c'est l'heure de les aider; votre pré-
sence en Ecosse créerait des soldats, ferait combattre nos
femmes voulant mettre fin à leurs terribles détresses.
Malcolm. Que tous prennent courage, nous y allons : le
gracieux roi d'Angleterre nous a prêté le brave Siward et dix
mille hommes; un plus vieux ni un meilleur soldat n'existe
dans la chrétienté.
Ross. Je voudrais répondre de même à cet encouragement !
Mais j'ai à dire des mots qui devraient se hurler dans l'air
désert, où l'on ne pourrait les entendre.
Macduff. Qui concernent-elles.'' la cause générale.' ou est-
ce un malheur privé, n'intéressant qu'un seul cœur.'
Ross. Il n'y a pas d'âme honnête qui ne ressente un tel
malheur, bien que la part principale vous concerne seul.
Macduff S'il me concerne, ne me le cachez pas, communi-
quez-le moi vite.
Ross. Que vos oreilles ne méprisent pas à jamais ma lan-
guequi leur réserve la plus douloureuse chose qu'elles aient
encore ouï.
Macduff. Ah ! je devine ce que c'est.
ACTE QUATRIÈME 6l
Ross. Votre château a été surpris ; votre femme et vos
enfants ont été sauvagement massacrés; vous relater de
quelle manière serait ajouter votre mort à celle de ces
victimes assassinées (i).
Malcoi.m. Cieux cléments ! — Allons, mon ami ! ne tirez
pas votre chapeau sur vos sourcils; laissez parler votre dou-
leur : la douleur qui ne parle point murmure au cœur trop
plein et lui dit de se briser.
Macduff. Mes enfants aussi ?
Koss. Femme, enfants, serviteurs, tout ce qu'ils ont pu
trouver.
Macduff. Et je devais être absent! — Ma femme tuée
aussi ?
Ross. Je l'ai dit.
Maixoi-m. Raffermissez-vous : faisons un remède de notre
grande vengeance qui guérira cette mortelle douleur.
Macduff. Il n'a pas d'enfants. — Tous mes gentils petits ?
Avez-vous dit tous ? — O milan d'enfer ! — Tous ? Quoi, tous
mes jolis poussins et leur mère sous un coup féroce .'
Malcolm. Envisagez cela comme un homme.
Macduff. Ainsi ferai-je; mais je dois aussi sentir cela
comme un homme : je ne puis oublier qu'il a existé de telles
créatures, les plus précieuses de toutes pour moi. — Les
cieux ont vu cela, et sans prendre leur parti ? Coupable
Macduff, ils ont été frappés à cause de toi ! Misérable que je
suis, ce n'est point pour leurs fautes, mais pour la mienne,
que ce féroce massacre s'est abattu sur eux : que le ciel les
reçoive maintenant !
Malcolm. Que cela soit la pierre à aiguiser de votre épée ;
changez votre douleur en colère; ne vous émouvez pas le
cœur, exaspérez-le !
Macduff. Oh ! je pourrais sembler une femme avec mes
yeux, et un vantard avec ma langue ! — Mais, cieux tran-
quilles, coupez court à tout répit; conduisez-moi face à face
avec ce démon d'Ecosse ; mettez-le à la portée de mon épée ;
s'il échappe, que le ciel lui pardonne aussi !
Malcolm. Ces accents sont plus courageux. Venez, allons
(i) Littéralement : fi la curée de ces daims assassinés.
62
vers le roi; nos forces sont prêtes; vous n'avez plus qu'à
prendre congé : Macbeth est mûr pour la chute, et
les puissances d'en haut préparent leurs agents. Consolez-
vous du mieux que vous pourrez : la nuit est longue qui ne
retrouve jamais le jour.
Ils sortent.
ACTE V (i)
SCENE I
Dunsiane. Une salle dans le château.
Entrent îtn MÉDECIN et une Dame de compagnie.
Le Médecin. J'ai veillé deux nuits avec vous, mais je ne
puis apercevoir aucune vérité dans votre récit. Quand s'est-
elle promenée pour la dernière lois ?
La Dame. Depuis que sa majesté est entrée en campagne,
je l'ai vue se lever de son lit, jeter sa robe de nuit sur elle,
ouvrir son armoire, prendre du papier, le plier, écrire des-
sus, le lire, ensuite le sceller, puis retourner au lit, et tout
cela dans le plus profond sommeil.
Le Médecin. C'est un grand trouble de la nature que de
réunir le bienfait du sommeil aux actes de la veille ! — Dans
cette agitation assoupie, outre sa promenade et ses autres
actions, que lui avez vous entendu dire .''
L.A. D.\ME. Des choses, monsieur, que je ne répéterai pas
après elle.
Le Médecin. A moi vous le jwuvez ; et il est extrême-
ment utile de le faire.
L.\. Dame. Ni à vous ni à personne, n'ayant aucun témoin
pour confirmer ma parole. — Vo3'ez, elle vient ici !
Entre lady Macbeth avec ttn bougeoir.
(I) Nous avons maintenu la division par actes eomme tous les traducteurs de
Shakespeare, F. Hugo excepté, parce quelle répond aux habitudes françaises. A
vrai dire, cependant, elle a peu d'utilité. Certaines éditions anglaises la conser-
vent; d'autres la rejettent. Elle fut introduite dans la première édition complète
de Shakespeare que publièrent sept ans après sa mort, en 1623, les acteurs
Héming et Condell. Shakespeare ne l'indique dans aucun des drames qui
parurent séparément de son vivant.
64
C'est sa façon habituelle ; et, sur ma vie, elle dort profon-
dément. Observez-la ; approchez.
Le Médecin. Comment se procure-t-elle cette lumière.'
L.\ Dame. Mais à côté d'elle ; elle a de la lumière près d'elle
continuellement; c'est son ordre.
Le Médecin. Vous voyez, ses yeux sont ouverts.
L.\ D.\ME. Oui, mais leur sens est fermé.
Le Médecin. Que fait-elle maintenant .' Voyez comme elle
se frotte les mains.
L.\ D.\ME. C'est une de ses actions habituelles que de sem-
bler ainsi se laver ses mains : je l'ai vue continuer de la sorte
un quart-d'heure.
L.vDY Macbeth. Il y a encore une tache ici.
Le Médecin. Ecoutez ! elle parle : je vais noter tout ce
qu'elle dit pour mieux aider ma mémoire.
L.\DY Macbeth. Pars, maudite tache! pars, te dis-je! —
Une, deux ; eh bien, c'est donc l'heure de faire cela. — L'en-
fer est ténébreux! — Fi, monseigneur, fi! un soldat, et
effrayé.'' Qu'avons-nous à craindre qu'on le sache, quand nul
n'en pourra demander compte à notre toute-puissance.'' —
Cependant, qui aurait pensé que le vieillard avait en lui tant
de sang ?
Le Médecin. Entendez-vous cela .'
Lady M.\cbeth. Le thane de Fife avait une femme : ou
est-elle maintenant.' — Quoi, ces mains ne seront donc jamais
propres ? — Non, plus de cela, monseigneur, plus de cela :
vous gâtez tout avec ce tressaillement.
Le Médecin. Allez, allez; vous avez connu ce que vous
deviez pas connaître.
L.\ Dame. Elle a dit ce qu'elle ne devrait pas dire, j'en suis
siire : le ciel sait ce qu'elle a connu.
L.\DY Macbeth. L'odeur du sang est toujours ici : tous les
parfums de l'Arabie ne purifieraient pas cette petite main.
Oh, oh, oh !
Le Médecin. Quel soupir est-ce là! le cœur est doulou-
reusement chargé.
L.A. D.\ME. Je ne voudrais pas avoir un cœur pareil dans
ma poitrine pour toute la dignité de la personne.
Le Médecin. Bien, bien, bien...
ACTE CINQUIÈME 65
La Dame. Prions Dieu que ce soit bien, monsieur.
Le Médecin. Cette maladie est en dehors de mon art;
cependant j'en ai connu qui se promenaient en dormant et qui
sont morts saintement dans leurs lits.
Lady M.\cbeth. Lavez vos mains, mettez votre robe de
nuit; n'ayez pas l'air si pâle : — je vous le dis encore, Banquo
est enterré; il ne peut sortir de sa tombe.
Le Médecin. Est-ce vrai.?
Lady Macbeth. Au lit, au lit; on frappe à la porte : venez,
venez, venez, venez, donnez-moi votre main ; ce qui est fait
ne peut être défait : au lit, au lit, au lit. (Elle sort) (i).
Le Médecin. Ira-t-elle maintenant au lit .''
La Dame. Directement.
Le Médecin. D'affreux chuchottements se répandent : les
actes contre nature produisent des troubles contre nature : les
consciences corrompues déchargent leurs secrets dans leurs
sourds oreillers : elle a plus besoin du prêtre que du méde-
cin. — Dieu, Dieu nous pardonne à tous ! — Surveillez-la ;
éloignez d'elle les causes de toute incommodité, et gardez tou-
jours les yeux sur elle ; ainsi, bonne nuit : elle a confondu mon
âme et étonné ma vue : je pense, mais n'ose parler.
La Dame. Bonne nuit, bon docteur.
Ils sortent.
SCÈNE II
La campagne près de Dunsinane.
Entrejit avec tambours et enseignes Menteith, Caithness,
Angus, Lennox et des soldats.
Mentheit. L'armée anglaise approche, conduite par
Malcolm, son oncle Siward et le bon Macduff; la vengeance
brûle en eux, car leur juste cause exciterait un ermite au
combat acharné et au carnage.
Angus. Nous les rencontrerons en bon état près du bois
de Birnam ; ils viennent de ce côté.
(I) Le docteur américain Kellogg, dans son livre Analyses de la folie, de
l'imbécilité et du suicide dans Shakesneare (1860), montre combien est vraie
la scène du somnambulisme de Lady Macbeth.
66 MACBETH
Caithxess. Qui sait si Donalbain est avec son frère ?
Lennox. Il n'y est certainement pas, seigneur; j'ai une
liste de toute la noblesse : le fils de Siward est là et beaucoup
déjeunes gens imberbes qui tout à l'heure montreront pour
la première fois leur bravoure.
Mextheith. Que fait le t3'ran ?
Caithxess. Il fortifie solidement la grande Dunsinane :
quelques uns disent qu'il est fou; d'autres, qui le haïssent
moins, appellent cela une vaillante furie; mais une chose
certaine, c'est qu'il ne peut boucler sa cause malade dans le
ceinturon du droit.
AxGUS. Maintenant, il sent ses crimes cachés qui collent à
ses mains; maintenant, à chaque minute, des révoltes lui
reprochent sa foi violée; ceux qu'il commande ne marchent
que par force, non par amour ; maintenant, il sent que son
titre est trop large pour lui comme une robe de géant sur un
petit voleur.
Mextheith. Qui donc blâmerait ses sens tourmentés de
s'agiter et de tressaillir, quand tout ce qui est en lui se repro-
che d'y être ?
Caithxess. Bien, marchons sur lui, pour offrir notre
obéissance où elle est véritablement due : cherchons le
remède pour notre société malade ; et pour purger grâce à
lui notre pays, versons tout notre sang.
Lexnox. Ou tout ce qu'il en faut pour arroser la fleur sou-
veraine, et noyer les mauvaises herbes. Mettons-nous en
marche vers Birnam.
Ils sortent.
SCÈNE III
Dunsinane. Une salle dans le château (i).
Entre7ii Macbeth, le Médecin et des gens de la suite.
Macbeth. Ne me transmettez plus de rapports; laissez-les
fuir tous : jusqu'à ce que le bois de Birnam (2) se meuve vers
(i) Krançois-Victor Hugo dit qu'on ne sait au juste sur quelle montagne de la
chaîne de Dunsinane dans le comté de Perth se trouvait le château de Macbeth.
(2) « Birnam Hill est à environ un mille de Drunkeld. C'est une montagne haute
de 1,040 pieds, au sommet de laquelle on retrouve les traces d'un ancien fort
appelé la Cour de Duncar. On y montre encore deux vieux arbres qui sont,
assure-t-on, l'unique débris de l'immense foret qui vainquit Macbeth. «(Fra/ic-
Vlct. Hu'jo).
ACTE CINQUIÈME 67
Dunsinane, je ne puis être atteint par la crainte. Qu'est-ce
que le bambin Malcolm? N'est-il pas né d'une femme ? Les
esprits qui connaissent tous les événements fatals m'ont
déclaré ceci : « Ne crains rien, Macbeth ; nul homme né
d'une femme n'aura jamais de pouvoir sur toi. » — Fuyez
donc, thanes perfides, et mêlez-vous aux épicuriens an-
glais (i) : l'âme sur qui je règne et le cœur que je porte
ne seront jamais affaissés sous le doute ni secoués par la
crainte.
Entre un valet.
Macbeth. Le diable te damne tout noir, blême vaurien !
où as-tu pris cet air d'oie.'
Le Valet. 11 y a dix mille...
I\L'\CBETH. Oies, vilain .''
Le Valet. Soldats, seigneur.
Macbeth. Va piquer ta face et farder ta peur, toi, lâche
valet ! Quels soldats, gueux .^ Mort de ton âme ! ces joues
blanches comme linge sont conseillères de peur. Quels
soldats, face livide.-*
Le Valet. Les forces anglaises, s'il vous plaît.
Macbeth. Ta face hors d'ici ! (Le valet sort.) Seyton ! — Je
me sens le cœur malade quand je regarde... — Seyton, dis-je !
— Ce coup va me porter en triomphe pour toujours, ou
m'abattre maintenant. J'ai vécu assez longtemps : dans sa
course, ma vie s'est desséchée comme la feuille jaune; et de
ce qui doit accompagner la vieillesse comme l'honneur, l'af-
fection, l'obéissance, les foules d'amis, je ne dois rien atten-
dre: mais à leur place, malédictions profondes sinon bruyan-
tes, hommages simulés, vaines paroles que les malheureux
cœurs voudraient bien mais n'osent refuser. Seyton !
E7itre Seytox.
Seytox. Quel est votre bon plaisir?
Macbeth. Quelles nouvelles encore ?
Seytox. Tout ce qu'on a rapporté, monseigneur, se con-
firme.
(i) Les Ecossais, économes et frugaux, jugeaient épicuriens les Anglais, de tout
temps soucieux du confort. Voir ce que dit à ce sujet des deux peuples' Frois-
sard dans ses Chroniqitet. (Livre I, partie i, chap. XXXIV).
Macbeth. Je combattrai jusqu'à ce que ma chair soit
hachée de mes os. Donnez-moi mon armure.
Seyton. Ce n'est pas encore nécessaire.
Macbeth. Je veux la mettre. — Faites partir plus de
chevaux, qu'on batte le pa3's à la ronde, qu'on pende ceux
qui parlent d'avoir peur. — Donnez-moi mon armure. —
Comment va votre malade, docteur .'
Le Médecin. Elle est moins malade, monseigneur, que
troublée par de fréquentes imaginations qui lui enlèvent le
repos.
Macbeth. Guérissez-la de cela : ne pouvez-vous secourir
une âme malade, arracher de sa mémoire un chagrin enraciné,
eftacer les inquiétudes gravées dans son cerveau, et avec
quelque doux antidote d'oubli, purifier une poitrine pleine de
cette humeur dangereuse qui pèse sur le cœur .''
Le Médecin. A cet égard, le malade doit se guérir lui-
même.
Macbeth. Jetez la médecine. aux chiens, je n'en veux pas.
— Allons, mettez-moi mon armure ; donnez-moi mon bâton
de commandement : — Seyton, faites partir. — Docteur, les
thanes m'abandonnent. — Allons, monsieur, dépêchons, —
Si vous pouviez, docteur, examiner l'urine de mon pays,
découvrir sa maladie, et le purger pour lui rendre sa pleine
santé première, je vous applaudirais dans l'écho même pour
qu'il vous applaudît de nouveau. — Enlevez cela, dis-je. —
Quelle rhubarbe, quel séné, ou quelle drogue purgative
pourrait nettoyer ces Anglais d'ici ? — Avez-vous entendu
parler d'eux ?
Le Médecin. Oui, mon bon seigneur ; votre royal prépa-
ratif nous en fait entendre quelque chose.
Macbeth. Portez cela derrière moi. — Je ne craindrai la
mort ni la ruine, tant que la forêt de Birnam ne vient pas à
*Dunsinane.
Toîcs sortent, saicf le Médecin.
Le Médecin. Si j'étais loin de Dunsinane et libre, l'appât
du gain ne m'y ramènerait pas aisément.
ACTE CINQUIÈME 69
SCÈNE IV.
La campagne près de Dunsinane. Un bois en vue.
Entrent avec tambours et étendards Maixolm, le vieicx Siward
et lejeîoie Siward, Macduff, Caithness, Angus, Lennox,
Ross et des soldats en marche.
Malcolm. Cousins, j'espère que les jours sont tout proches
où nos foyers seront en sûreté.
Menïheith. Nous n'en doutons nullement.
Siward. Quel bois est là devant nous "i
Mentheith. Le bois de Birnam.
Malcolm. Que chaque soldat coupe une branche d'arbre
et la porte devant lui : de cette manière nous cacherons la
force de notre armée, et nous tromperons les éclaireurs
chargés de faire rapport sur nous.
Les Soldats. Cela sera fait.
Siward. Nous n'avons rien appris, sinon que le tyran plein
de confiance reste encore dans Dunsinane, et y soutiendra
notre assaut.
Malcolm. C'est son principal espoir : partout où il a été
possible de le faire, petits et grands se sont révoltés à la fois ;
et nul ne le sert que des gens forcés dont le cœur est absent
aussi.
Macduff. Attendons pour porter des jugements sûrs l'issue
définitive, et faisons preuve d'activés qualités militaires.
Siward. L'heure approche qui nous fera connaître avec
une pleine certitudeceque nous dirons et ceque nousdevrons
faire. Les opinions théoriques se rapportent à des espoirs
incertains, mais un résultat sûr doit décider des coups : la
guerre fait avancer vers cela.
Ils sortent en ordre.
SCÈNE V
Dunsinane. L'intérieur du château
Entrc7ît, avec tambours et étendards, Macbeth, Seyton
et dt&3i>oldats.
Macbeth. Plantez nos étendards sur les murs extérieurs ;
le cri de guerre est toujours « ils viennent ». La force de
notre château se rit d'un siège qu'il faut dédaigner : laissons-
les étendus jusqu'à ce que la famine et la fièvre les dévorent :
s'ils n'étaient pas renforcés par ceux qui devraient être avec
nous, nous les aurions hardiment rencontrés, barbe contre
barbe, et repoussés chez eux. (Un cri de femme à l'mtèi-ieurj
Quel est ce bruit?
Seyton. C'est un cri de femme, mon bon seigneur.
// sort.
Macbeth. J'ai presque perdu le sentiment de la crainte :
un temps fut où mes sens se seraient presque glacés en enten-
dant un cri nocturne; et si j'écoutais une histoire horrible,
mes cheveux voulaient s'animer et se redresser comme s'ils
eussent été vivants : je me suis trop gorgé d'horreurs ; l'épou-
vante, familière à mes cruelles pensées, ne peut plus m'alar-
mer.
Rentre Seyton.
Macbeth. Quel était donc ce cri .?
Seyton. La reine, monseigneur, est morte.
Macbeth. Elle serait morte plus tard ; l'heure serait quand
même venue de dire ce mot-là. — Demain, et demain, et
demain, cela rampe de son petit train de jour en jour, jusqu'à
la dernière syllabe du temps marqué; et tous nos jours pas-
sés étaient des fous éclairant la route de la mort poudreuse.
Eteins, éteins-toi, courte lumière! La vie n'est qu'une ombre
errante; un pauvre comédien qui se pavane et s'agite une
heure sur le théâtre, et puis qu'on n'entend plus : c'est un
conte dit par un idiot, plein de bruit et de furie, ne signifiant
rien.
Entre un Messager.
Tu viens pour user ta langue; ton histoire, vite.
Le Messager. Mon gracieux seigneur, je vaudrais rappor-
ter ce que j'affirme que j'ai vu, mais je ne sais comment le
faire.
Macbeth. Eh bien, dites, monsieur.
Le Messager. Comme je me trouvais de garde sur la col-
line, je regardais vers Birnam, et tout-à-l'heure, me sembla-
t-il, le bois commença à se mettre en mouvement.
ACTE ClNXjriÈME 7I
Macbeth. Menteur et esclave !
Le Messager. Que je subisse votre colère, s'il n'en est pas
ainsi : dans l'espace de ces trois milles, vous pouvez le voir
venir ; un bocage mouvant, dis-je.
Macbeth Si ce que tu dis est faux, tu seras suspendu vivant
au prochain arbre jusqu'à ce que la faim t'ait vaincu; si ton
langage est vrai, je n'ai cure que tu m'en fasses autant. —
J'hésite dans ma résolution, et commence à soupçonner
l'équivoque du démon qui ment avec un air de vérité : « Ne
crains rien jusqu'à ce que la forêt de Birnam vienne à Dun-
sinane ; » -^ et maintenant la forêt s'avance vers Dunsinane. —
Aux armes, aux armes, et dehors ! Si ce qu'il affirme est vrai,
il n'importe que je fuie ou que je reste ici. Je commence à
être las du soleil et souhaite que l'empire du monde soit
maintenant détruit. — Sonnez la cloche d'alarme ! — Souffle,
vent ! viens, naufrage ! Au moins, nous mourrons avec le
harnais sur notre dos.
Ils sortent.
SCÈNE VI
Dunsinane. Une plaine devant le château.
Entrent^ avec tambours et étendards, M,\ixOhM, le vieux
SiwARD, Macduff, etc., et leur année portant des branches.
Maixolm, Maintenant, assez proche; jetez vos écrans
feuillus, et montrez-vous tels que vous êtes. — Vous, digne
oncle (i), avec mon cousin, votre très noble fils, vous diri-
gerez notre premier engagement : le digne Macduff et nous,
nous prendrons sur nous le reste, suivant notre plan.
Sivi'ARD. — Polrtez-vous bien. — Pourvu que nous trou-
vions l'armée du tyran ce soir, je veux que nous soyons
battus, si nous ne l'attaquons pas.
Macduff. Faisons parler toutes nos trompettes; rendez
tout leur souffle à ces bruyantes avant-courrières du sang et
de la mort.
Ils sortent.
(i) La femme de Dunc?n, dit HoUinshed, était la fille de Siward, comte de
Northumberland.
72
SCENE VII
Dunsinane. — Une autre partie de la plaine.
Alarmes. Entre Macbeth.
Macbeth. Ils m'ont lié à un pieu ; je ne puis fuir, mais,
comme l'ours, je dois me battre jusqu'au bout. Quel est celui
qui n'est pas né de la femme ? J'ai à craindre un tel, ou
personne.
Ejitre le jeune Siward.
Le jeune Siward. Quel est ton nom 1
Macbeth. Tu serais épouvanté de l'entendre.
Le jeune Siward. Non; quand même tu t'appellerais d'un
nom plus ardent qu'il y en ait dans l'enfer.
Macbeth. Mon nom est Macbeth.
Le jeune Siward. Le diable lui même ne pourrait pro-
noncer un nom plus odieux à mon oreille.
Macbeth. Non, ni plus terrible.
Le jeune Siward. Tu mens, tyran exécré ; avec mon épée
je prouverai que tu dis un mensonge.
Ils coinbattentj et le jeune Siward est tué.
Macbeth. Tu étais né d'une femme. — Mais je souris aux
épées, et méprise ces armes risibles brandies par l'homme
qui est né d'une femme.
// sort.
Alarmes. Etitre Macduff.
Macduff. Le bruit est de ce côté. — Tyran, montre ta
face ! Si tu es tué et que ce ne soit pas d'un de mes coups, les
spectres de ma femme et de mes enfants me hanteront à
jamais. Je ne puis toucher à ces misérables Kernes dont les
bras sont loués pour porter leurs bâtons; ou toi, Macbeth,
ou bien je rengaine mon épée encore inactive, le tranchant
intact. Tu devrais être là : ce grand fracas semble annoncer
quelqu'un de la plus haute marque : — fais le moi trouver,
fortune ! et je ne demande plus rien.
Il sort. Alarmes,
Entrent Malcolm et le vieux Siward.
ACTE CINQUIÈME • 73
SiWARD. De ce côté, monseigneur; — le château s'est faci-
lement rendu ; les gens du tyran combattent des deux côtés ;
les nobles thanes agissent bravement dans cette guerre ; la
journée se déclare presque pour vous, et il reste peu à faire.
Malcolm. Nous avons trouvé des adversaires qui se bat-
taient à côté de nous.
Siw.\RD. Entrons, seigneur, dans le château.
Ils sorieiit. Alarmes.
SCÈNE VIII
Dunsinane. Une autre partie de la plaine.
Entre Macbeth.
Macbeth. Pourquoi joueraisje le fou romain, et mourrais-
je de ma propre épée 1 tant que je vois des vivants, les entail-
les font mieux sur eux.
Entre Macdtij^.
Macduff. Tourne-toi, chien d'enfer, tourne-toi!
Macbeth. Entre tous les autres hommes, je t'ai évité ; mais
va-t'en ; mon âme est déjà trop chargée du sang des tiens.
Macduff. Je n'ai pas de paroles, — ma voix est dans mon
épée, scélérat plus sanguinaire que les mots ne peuvent le
dire!
Macbeth. Tu perds ta peine : tu pourrais aussi aisément
atteindre l'air invulnérable avec ton épée effilée que verser
mon sang; abats ta lame sur des cimiers vulnérables; je pos-
sède une âme enchantée qui ne doit point céder à quelqu'un
né d'une femme.
Macduff. Désespère de ton charme; et que l'ange que tu
as toujours servi te dise que Macduft fut arraché avant terme
du sein de sa mère.
Macbeth. Maudite soit la langue qui me parle ainsi, car
elle a intimidé la meilleure part de l'homme que je suis! Et
qu'on ne croie plus ces démons trompeurs qui biaisent avec
nous par un double sens, qui réservent à nos oreilles des
paroles de promission, et brisent nos espérances! — Je ne
combattrai pas avec toi.
Macduff, Alors, rends-toi, poltron, et vis pour être le
74
spectacle et la surprise du temps : nous te peindrons, comme
nos monstres rares, au dessus d'une perche, et nous écrirons
dessous : « Ici vous pouvez voir le tyran ».
Macbeth. Je ne me rendrai pas pour baiser la terre devant
les pieds du jeune Macduff, et pour être harcelé par la malé-
diction de la populace. Bien que le bois de Birnam soit venu
à Dunsinane, et que tu me combattes, toi qui n'es pas né
d'une femme, je tenterai le dernier coup : — devant mon
corps je jette mon belliqueux bouclier : frappe, Macduff, et
damné soit celui qui crie le premier : « Arrête, assez ! »
Ils sortent en se battant.
Retraite. Fanfare. Entrent, avec tam-
bours et étendards, Malcolm, le vieux
Si'Ji'ard, Roos, Lennox, Caithness,
Menteith et des soldats.
Malcolm. Je voudrais que les amis qui nous manquent
revinssent saufs.
SiwARD. Quelques-uns doivent bien être perdus; et pour-
tant, d'après ceux que je vois, une si grande journée que
celle-ci est achetée à bon marché.
Malcolm. Macduff manque, et votre noble fils.
Ross. Votre fils, monseigneur, a payé sa dette de soldat :
il n'a vécu que jusqu'à ce qu^il fût un homme; il n'a pas eu
plutôt prouvé sa vaillance dans le poste dangereux où il a
combattu, qu'il est mort comme un homme.
■ SiWARD. Il est donc mort ?
Ross. Oui, et rapporté du champ de bataille : votre dou-
leur ne doit pas se mesurer à son courage, car alors elle
n'aurait pas de fin.
SiwARD. A-t-il ses blessures par devant.?
Ross. Oui, sur le front.
SiWARD. Eh bien, alors, qu'il soit le soldat de Dieu. Si
j'avais autant de fils que j'ai de cheveux, je ne leur souhai-
terais pas une plus belle mort ; et de cette manière, son glas
est sonné.
Malcolm. Il mérite une plus grande douleur, et je la lui
vouerai.
SiWARD. Il n'en mérite pas une plus grande; on affirme qu'il
ACTE CINQUIÈME
est bien parti, et qu'il a payé sa dette : que Dieu soit donc
avec lui ! — Voici une consolation plus nouvelle.
Rentre Macduff avec la tête de Macbeth
sur une perche.
Macduff. Salut, roi ! car tu l'es : regarde oii se trouve la
tête maudite de l'usurpateur; nous sommes libres; je te vois
entouré de la perle du royaume, chacun t'exprime en son âme
le même salut que moi; et je demande que toutes les voix
crient avec la mienne : salut, roi d'Ecosse !
Tous. Salut, roi d'Ecosse !
M.\LCOLM. Nous n'attendrons pas un plus grand laps de
temps avant de faire le compte de nos diverses afîections, et
de nous acquitter envers vous. Mes thanes et mes parents,
vous serez désormais comtes, — les premiers que l'Ecosse ait
encore nommés de ce titre. Ce qui reste à faire de plus, ce
qui sera aussi réalisé avec le temps, — rappeler chez eux nos
amis exilés au loin pour avoir fui les pièges d'une redoutable
tyrannie, dénoncer au grand jour les cruels ministres de ce
boucher mort et de cette reine diabolique, qui, croit-on, s'est
ôté la vie d'une main violente, — toutes ces choses, et d'autres
aussi nécessaires, nous nous en occuperons, avec l'aide de
Dieu, et nous les exécuterons tour à tour en temps et lieu :
ainsi, nos remercîments à tous en général et à chacun de
vous que nous invitons à venir nous voir couronner à Scone.
Fanfare. Ils sortent.
FIN
PAUL LACOMBLEZ, Editeur, Bruxelles.
APSChot (Comte d') Sourires perdus 3
CouPOUble (L.). Mes Pandectes, préface par Edmond Picard . 3
— Notre langue i
— Profils blancs et Frimousses noires, illustré . . 3 $(
— Images d'Outremer, illustré 3 5'
— La famille Kaekcbroeck 3 S
— Pauline Platbrood 3 SI
— Les Noces d'Or 3
De Coster (Charles). La légende d'Ulenspiegel S
— Légendes flamandes 3 5)
De Haulleville (Baron). En vacances 3 '
— Portraits et Silhouettes, a vol. à. . . 3
— J. M. J. Bodson 2 )i
DeiattPe (Louis). Contes de mon village 3 5<
— ^ Les miroirs de jeunesse 3 M
Demoldep (Eugène). Contes d'Yperdamme 3 o(
De Rignier. Le bosquet de Psyché , t i
Destree (Jules). Journal des Destrce t 4
Eekhoud (G.). Les fusillés de Malines 3 $1
— La nouvelle Carthage (édit. définitive) . . . . 4 ?
— Nouvelles Kermesses ••35?
— Au siècle de Shakespeare 3 •
Emepson. Sept Essais, avec préface de Maeterlinck . . . . 3 5*
Gapnip (George). Les Chameux, roman 3 5*
— Contes à Marjolaine 3 5^
Qpeyson (Emile). A travers passions et caprices '} S)
Krains (H.). Histoires lunatiques 3 f
ulchtervelde (C" G. de). Légendes de l'inconnu géographique. . 2 j
Maeterlinck (IW.) Théâtre, 3 volumes à 3 S
— Les sept princesses, drame ■<';'8
— Serres chaudes. — Quinze chansons. . . . 3'?
— L'Ornement des Noces spirituelles . . . . 5 |
— Les disciples à Sais et Fragments de Novalis . 4 jt
Mallapmé (Stéphane).Villiers de l'Isle-Adam, avec portraitde 'Villiers,
gravé par Desboutin 3 **
Maubel (Henry). Etude de jeune fille .2
— Quelqu'un d'aujourd'hui 3 5
Philippe (Marie). Les Enfants sur la Scène 25
Picard (Ectmond). Scènes de la vie judiciaire : Paradoxe sur l'Avocat.
— La Forge Roussel. — L'Amiral. — La Veillée de
l'Huissier. — Mon Oncle le Jurisconsulte . . 4
~ El Moghreb al Âksa (Mission belge au Maroc) . . 4 -
— En Congolie 3 5
— Monseigneur le Mont-Blanc 2
— Vie simple 2
— Le Sermon sur la montagne et le Socialisme . . 2
— Comment on devient Socialiste i
— L'Aryano-Séraitisme 3
— Désespérance de F'aust, prologue pour le théâtre, ill. z
— Jéricho, Comédie-drame en 3 actes .... 3
— Fatigue de vivre. Comédie-drame en 4 actes . . 2 j
— Psukè, Dialogue pour le théâtre, eni acte, illustré . 3
— Le Juré", Monodrame en 5 actes, illustré ... 3
Plerron (Sander). Pages de Charité 3 5
— Les délices du Brabant ....•• 3 !
Ruyters (A.)- Les mains gantées et les pieds nus 3 !
Sigogne (Emile). Contes merveilleux 3
— L'art de parler 3 !
TordeusfJeannet. Manuel de prononciation 2
Van Doorslaer( Hector). Sur l'Escaut, préface par Edmond Picard . 3!
Van Uerberghe (Charles). Les Flaireurs i
Van Zype. — NOS PEINTRES. I : Baertsoen, Courtens, Laermans,
Levêque, Lynen, Ronner, Stobbaerts, Vanaise. Un
grand volume avec 8 phototypies 3 1
II : Fabry, Bemier, Frédéric, Gilsoul, Gouwelocs, jj
R. Janssens, Mathieu, J. Smits. Un grand volume
avec 8 phototypies 3 .
— La Révélation, roman 3
Waller (Max). Daisy, roman . . . .... 3
PR
2779
M3D4
Shakespeare, William
Macbeth
PLEASE DO NOT REMOVE
CARDS OR SLIPS FROM THIS POCKET
UNIVERSITY OF TORONTO LIBRARY