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Full text of "Macbeth. Traduction nouvelle et littérale, avec une préf. et des notes par Célestin Demblon"

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\  W.  SHAKESPEARE 

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Macbeth 

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TRADUCTION  NOUVELLE  ET  LITTÉRALE 

avec  une  Préface  et  des  Notes 


par 


CÉLESTIN  DEMBLON 

Membre  de  la  Chambre  des  Représentants 
Professeur  à  l'Université  Nouvelle  de  Bruxelles 


C'est  toi,  lady  Macbeth,  âme  puissante  au  crime, 
Rêre  d'Eschyle  éclos  au  climat  des  autans... 

B/tUDBLAIRB. 


bruxelles 
Paul  LACOMBLEZ,   Editeur 

3Ij  RUE  DES  PAROISSIENS,   3I 
1904 


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Macbeth 


ŒUVRES  PRINCIPALES  DU  MEME  AUTEUR 


Cantique  de  Noël,  composé  à  17  ans;  1876. 

Le  Château  de  Way-Barsan,  nouvelle  ;  1878. 

Mentine,  roman;  1879. 

La  Relique  du  roi  Dagobert,  comédie  en  un  acte. 

La  Conscription,  nouvelle;  1881. 

Contes  mélancoliques,  un  volume  de  138  pages; 
S""»  édition;  1883-1884. 

Mes  Croyances,  un  volume  de  324  pages  ;  1884. 

Le  Roitelet,  poème  en  prose  de  50  pages;  s"^*^  édition. 

Noël  d'un  Démocrate,  poème  en  prose  de  100  pages. 

Les  Patrons  des  Mineurs,  étude  historique,  une  bro- 
chure; ^"«  7nille. 

Panorama  de  Souvenirs,  tableau  littéraire,  une  bro- 
chure; 2"'«  inille. 


EN   PREPARATION  : 

AuRORA,  un  volume  qui  paraîtra  prochainement  à  Paris 
et  comprendra  Atirora  (inédit),  les  Contes  Mélanco- 
liques, le  Roitelet,  Noël  d'un  Démocrate,  les  Emerveille- 
ments (inédits). 

La  Littérature  belge  de  langue  française,  deux 
volumes  dont  le  premier  a  paru  en  90  articles  de 
1891  à  1894  dans  le  journal  Le  Peuple. 

Francine  Liégeois,  drame  en  quatre  actes 

La  Noël  et  l'Epiphanie,  étude  historique,  avec  quatre 
dessins  de  Célestin  Demblon,  d'après  Diirer,  Corrège, 
Rubens  et  Rembrandt  ;  un  opuscule. 

Evolution  des  genres  et  des  tempéraments  musi- 
caux depuis  Palestrina  et  Sébastien  Bach 
jusqu'à  nos  jours,  brochure. 

Evolution  du  paysage  a  travers  les  écoles  de 
peinture  depuis  le  xv™»  siècle,  brochure. 


SOUS  PRESSE  : 

Victor  Hugo  et  la  Belgique,  brochure. 
Hamlet. 


W.  SHAKESPEARE 

MACBETH 

TRADUCTION  NOUVELLE   ET  LITTÉRALE 
avec   une   Préface   et  des   Notes 


par 


CELESTIN  DEMBLON 

Membre  de  la  Chambre  des  Représentants 
Professeur  à  l'Université  Nouvelle  de  Bruxelles 


C'est  toi,  lady  Macbeth,  âme  puissante  au  crime. 
Rêve  d'Eschyle  éclos  au  climat  des  autans... 
Baudelaire. 


bruxelles 
Paul   LACOMBLEZ,    Editeur 

31,   RUE  DES   PAROISSIENS,   31 
1904 

Tous  droits  réservés 


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PR 


PREFACE 


A^oîis  avons  tenté  de  traduire  Macbeth  aussi  liltèralcincnt  que 
le  permet  le  génie  de  la  langue  française.  Les  remarquables  tra- 
ductions de- François-Victor  Hugo  et  d'Emile  Montégut,  quoique 
très  stcpèrieures  à  celles  de  Laplace,  de  Letourneur ,  de  Guizot  et 
de  Francisque  Michel,  et  même  à  celle  de  Benjamin  Laroche,  sont 
cependa7it pleines  eyicore  d'inexactitudes  et  plus  ou  moins  systé- 
matiques. C'est  surtout,  semble-t-il,  ce  caractère  lègèremeyit  systé- 
matique qui  les  rend  souvent  inexactes.  La  nôtre  ne  vise  qu'à  gar- 
der aussifidèles  que  possible  la  physionomie  et  la  saveur  de  l'original, 
—  sans  le  franciser.  On  peut  toujoîirs  discuter  quelqices  expres- 
sions, car  certains  passages  de  Macbeth  so7it  à  juste  titre 
cotisidérés  —  7wus  l'avons  bien  me!  —  comme  particulièrement 
difficiles;  mais  ayant  batmi  toute  préoccupation  systématique, 
nous  pensons  que  la  chicane  ne  pourra  èpiloguer  sur  grand' chose. 

Bien,  qtu  Macbeth,  au  premier  acte  sttrtout,  soit  peut-être  celui 
des  trente-sept  drames  de  William  Shakespeare  qui  appelle  le  plus 
de  Jiotes,  nous  en  arjotis  réduit  le  nombre  et  FéteJidue  ati  strict 
nécessaire. 

Le  lecteur  français,  espérons-nous,  aura  dcvajit  lui  le  chef- 
d'œzcvre  dans  sa  Jiudité  terrible  et  dans  sa  magnificence.  Macbeth 
est  il  le  plus  beau  drame  de  l'immortel  Will  comme  i?iclinent  à  le 
croire  des  critiques  anglais  tels  que  Addison,  Johnsoti,  Malone, 
Drake,  Thomas  Campbell?  Tranche  qui  peut  cette  qiccstion  !  Bien 
hardi  quiconque  oserait  choisir  esthétiquement  entre  tant  de  mer- 
veilles incomparables  ;  car.,  dans  le  domaine  du  drame  proprevient 
dit,  malgré  certains  chefs-d'œuvre  espagnols  de  Calderon  et  de 
Lope  de  Vega,  et  malgré  les  meilleurs  drames  romantiques  du 
théâtre  allemand  et  du  français.,  chacuji  sait  que  Shakespeare  ne 
peut  être  comparé  qu'à  lui-même!  Toujours  l'admiratiofi  hésitera 
entre  Hamlet,  Othello,  Macbeth,  Romeo  et  Juliette,  le  Roi 


Lear,  /^  Marchand  de  Venise,  Jules  César,  Cymbeline,  Comme 
il  vous  plaira,  Coriolan,  Antoine  et  Cléopâtre,  le  Songe  d'une 
Nuit  d'été,  la  Tempête,  la  trilogie  des  deux  Henri  IV  et  des 
Joyeuses  Femmes  de  Windsor, /^wr  ne  citer,  dit,  inonde  illimité 
d'un  génie  hors  pair,  que  les  principales  de  ces  créations  si  variées 
malgré  leur  glorieux  air  de  Camille.  Quant  à  nous,  nous  n'ose- 
rions choisir,  par  exemple,  entre  Othello  et  Macbeth  ;  et,  sans  le 
vouloir  dire  précisément  supérieur ,  notre  prédilection  s'attache  à 
Hamlet,  —  dont  une  traduction  à  cette  heure  achevée  suivra 
celle-ci. 

Mais  est-il  nécessaire  d'ajouter  qu'on  n' admirera  jamais  trop 
Macbeth  ?  C'est,  en  dépit  ^''Othello  et  même  du  Roi  Lear,  le  plus 
sombre  drame  de  Shakespeare,  sinon  le  plus  triste,  le  plus  profond 
ou  le  plus  pathétique  ;  c'est  atcssi,  avec  Hamlet,  celui  quiacomme 
le  plus  d'intensité  nationale,  c'est  le  plus  anglais.  —  le  plus  écos- 
sais, si  l'on  veut.  C'est  enfi^i  le  plus  sauvagement  mystérieux  :  il 
faut  surtout  le  voir  représenté  pour  bien  s'en  rendre  compte!  Tou- 
tes approximatives  que  soient  ces  comparaisons,  l'on  pourrait  dire 
que  Macbeth  tient  dans  l'œuvre  du  dieu  de  Strafford-sur-Avon 
la  même  place  que  les  Choéphores  oîi  toute  /'Orestie  dans  celle 
d'Eschyle,  —  le  seul  génie  dramatique  qui  soit  de  la  taille  de 
Shakespeare,  —  qtie  le  Jugement  dans  l'œuvre  de  Michel- Ange, 
que  le  ChevAi&T  etiA  Mort  dans  celle  d'Albert  Diirer,  que  le 
Misanthrope  dans  celle  de  Molière,  y^^'Alceste  dans  celle  de 
Gluck,  que  /'Héroïque  dans  celle  de  lieethoven,  que  les  Trois 
Croix  dans  celle  de  Rembrandt.  A  la  lecture,  la  couleur  en  appa- 
raît localemejit  noire  ou  crépusculaire,  —  bien  que  Shakespeare 
ne  se  soit  fort  occïipé  que  de  la  couleur  morale,  et  qu'à  cet  égard, 
pour  le  dire  en  passant,  puisque  l'école  romantique  française  s'en 
est  tant  axitorisée  au  théâtre,  il  se  rapproche  peut-être  autant  d'un 
Prosper  Mérimée  que  d'un  Victor  Hugo... 

Nous  n'insisterons  pas  sur  cette  coiclejcr  morale,  sur  le  don, 
shakespearien  entre  tous,  de  créer  des  caractères  à  la  fois  profon- 
dément individuels  et  propres  à  diverses  nationalités,  bien  que 
nécessairement  vus,  à  notre  sens,  sous  le  prisme  anglais  ;  logiqtie- 
ment  mobiles  comme  la  vie  même,  —  qu'ils  restent  dans  le  réel  ou 
qu'ils  soient  transportés  dans  le  rêve; —  et  qui,  tout  en  passant 
dans  la  tumultueuse  immensité  du  drame,  le  dominent  ou  même 
l'excédent  :  ce  serait  dépasser  les  bornes  d'une  courte  préface  et 


PREFACE 


d'ailleurs  redire  ce  que  tout  l'univers  sait.  Car,  quelle  gloire  est 
vraiment  plus  universelle?  Et  combien  le  sont  au  même  point? 
Jamais  poète  n'injitsa  tant  de  vie  et  de  vérité  générale  à  tant  de 
personnages  distincts,  d'un  si  complet  relief,  qu'il  les  ait  tirés  de 
lui-même,  ou  qic'il  les  ait  hetcreusement  pris,  avec  la  souveraine 
liberté  du  génie,  à  des  chroniques  quetco7iqtces ,  à  d'obscurs  écri- 
vains, pour  les  transfigurer  d'une  matiière  impérissable  et  les 
marquer  de  sa  prestigieuse  estampille.  Dans  ce  dernier  cas,  c'est 
le  volé  qui  lui  doit  une  reconnaissance  sans  bornes.  Quel  hon- 
neur et  quelle  fortune  d'avoir  été  dépouillé  par  William  Shakes- 
peare! Non  moins  que  le  suprême  Beethoven,  il  re7id  avec  usure 
et  parfois  au  centuple  à  toute  l'humanité  ce  qu'il  a  emprunté,  — 
et  qjt'il  utilise  de  telle  majiière  que  nul  désormais  ne  saurait  plus 
se  r approprier .  Comme  l'a  bien  dit  Campbell,  il  transforme  du 
sable  sec  en  or.  Le  créateur  de  Macbeth,  i'Othello  et  de  Hamlet 
a  fait  sortir  d'honnêtes  incoiimcs  de  l' ombre  pour  les  illustrer  d'une 
note  dans  son  œuvre.,  ce  qui  leur  vaut  une  modeste  notoriété  ines- 
pérée. C'est  ainsi  qu'Hcrcute  emportait  sans  y  songer  lespygmées 
dans  les  plis  de  son  manteau. 

Eh  !  qui  saurait  sans  moi  que  Cottin  à  prêché? 

s'écrie  plaisamtnent  Boileau.  Qui,  sans  Shakespeare,  —  sauf 
quelques  profcssio7inels,  —  connaîtrait  beaucoup  Belleforest, 
Lancham,  Hollinshed,  Arthur  Broke,  Ljiigi  da  Porto,  Silvayn, 
Sà,vo  Germanic7is  et  }Jiai)its  autres  qui  certes  ontfourtii  à  l'his- 
toire d'utiles  matériaux ,  mais  qui  n'ont  pas  d'art  ni  de  personna- 
lité tranchée  ?  Ce  sotit  de  fort^  estimables  momies  anonymes, 
même  quand  elles  portent  zm  nom,  d'  «  éminents  »  académiciens 
ou  tout  comme , qui  sortent  enfin  d'une  crypte  peu  connue  poîir  pren- 
dre place  dans  les  corridors  du  Louvre,  des  Offices,  du  Vatican, 
de  la  Pinacothèque  oîc  du  Bristish  Mîiseum,  et  sur  lesqzielles  les 
visiteurs  qui  montent  co7itinuellement  voir  Hubert  et  Jean  Van 
Eyck,  Léonard  de  Vinci,  Raphaël,  Titien,  Rubens,  Velasquez, 
Rembratidt,  Clatcde  Gelée,  Ruysdaël,  Watteau  et  Delacroix, 
jettent  dti  moins  îcn  coup  d' œil cji  passant!  Et  si  Shakespeare,  — 
infatigable  liseur  dont  la  science  littéraire  alimeiitait  le  génie,  — 
apu faire  des  emprunts  à  Ovide,  à  Sencqtce,  à  Pluiarque,  à  saint 
Augustin,  à  Froissart,  à  Montaigne,  sa?is  do?i?ier  plus  de  lustre 


PREFACE 


à  ces  génies  d'ordre  d'ailleurs  diversement  iyijérieur  au  sien,  n'en 
a-t-il  pas  aussi  donne  davantage  à  Huon  de  Bordeaux,  à  Robert 
Wace,  à  Geo^roy  de  Moininouth,  voire  à  Thomas  Morus,  à 
Bandello  et  à  Amyot  ? 

Aussi —  exceptiofis faites  de  quelques  abus  d'euphuisme,  d'etti- 
phase,  de  métaphores  recherchées  ou  peu  fotidues,  de  mauvais 
goût  ou  d'obsciiritè,  —  ne  suffit-il  pas  d'amirer  ici  un  style,  ou 
plutôt,  ce  mot  n'ayant  gtùre pour  l'Anglo-Saxon  le  sens  comme 
distinct  et  artiste  qic'y  donne  le  Français,  jme  langue  libre, 
fertile,  énergique,  grouillante  d'images  }iébîcleuseme}it éclatantes, 
une  langue  dont  la  vivante  concisioji  s'épanouit  parfois  en  ampli' 
ficatio7is  oratoires,  une  langue  qui  semble  tissue  des  riches  rayons 
de  la  Renaissance  devenus  à  la  fois  plus  diffus,  plus  f^dgurants 
et  plus  embrumés  :  il  fard  encore  admirer  l'étonnante  justesse  du 
langage  sur  l'acceyit  toujours  vrai  duquel  on  tatit  écrit,  les  conti- 
Jiuelles  intentions  qui  n'échappent  qu'à  ceux  qui  ne  comprennent 
et  ne  sentent  rien,  qui  font  dire  à  Coleridge  que  Shakespeare  est  une 
«  puissance  créatrice  omniprésente  »  et  à  Hippolyte  Taine  qu'il 
avait  la  faculté  prodigieuse  d' apercevoir  en  un  cliji  d'œil  tout  son 
personnage  dans  ses  détails  et  son  ensemble,  et  qjie  tel  mot  d'Ham- 
let  ou  d'Othello,  pour  être  expliqué,  demanderait  trois  pages  de 
comme7itaires. 

Il fatct  pénétrer  ces  intentiotis,  voir  ce  qu'o7i  ne  voit  pas  toujours 
à  première  vice,  deviner  l'embrasement  d'oii  sort  l'étincelle  perçue, 
saisir  ce  monde  étendu  si  énigmatiquemerit  profo7id  sous  l'impé- 
tueuse bacchaiiale  de  brtcsques  passions  sans  frein  qui  s'etitredévo- 
rent;  ce  monde  qui,  malgré  ses  rudesses,  est  cepe7ida7it  U7te  idéali- 
sation de  la  Renaissa7ice  anglaise  so7nbre)ne7it  luxuriatite, 
fastueuse.  brtUale  et  débridée,  au  point  qu'on  en  croit  à  peine  les 
té//ioignages  du  tei7ips  et  les  drai/ies  souve7it  crjis,  bestiaux, 
ii/ipassibles  et  mornes  des  rivaux  à  de/ni  oubliés  de  Shakespaere  ; 
ce  7/i07ide  oie  s'unisse7it  e7i  ic7i  chaos  fuya7it  et  bariolé  coi7ime  un 
âpre  Rabelais  da7is  U7i  Véro7ièse  halluciné  sur  U7ifond  de  scepti- 
que indiffére7ice  à  la  Mo7itaig7ic  mêlée  d'ainour  ;  ce  mo7ide  à  la 
fois  dèlira7it,  vorace  et  loyal  do7it  la  tragédie  se/iible  l'état  jiatxcrel, 
oii  d'i7icroyables  ig7io//iinies  et  de  si7iistres  férocités  lieurte7it  des 
cris  é)7iouvants,  des  trai7iées  d'éloque7ice,  de  brilla7its  croqicis,  des 
délicatesses  suaves  et  com7ne  i7ico7iscie7ites,  d'ad7>iirables  7/iaxim^s 
pratiques,  —  tandis  qu'u7te  libérale  puissa7ice  i7ico7imie  semble 


PRKFACE 


cachée  derrière,  on  ne  sait  quel  impénétrable  élément  philosophi- 
que,  impartial  ,  neutre,  à  qui  rien  n'échappe ,•  qui  règle  tout  le 
déchaînement  à  lajaçon  dont  Ricbens,  comme  l'explique  Fromen- 
tin, reste  calme  sotcs  ses  envolées;  qui  vous  attire  sans  se  livrer 
beaucoup  (^i)  ;  mais  qui,  s'il  ne  prend  jamais  personnelleme?it 
parti,  s'il  reste  autant  que  possible  étranger  à  ce  qic'il  dépeint, 
n'en  mêle  pas  moins,  par  la  parce  des  choses,  avec  une  ironie  et 
■une  commisération  qui  se  contrebalancent,  son  être  et  son  accent 
spécial  à  l'incomparable  famille  qu'il  enpaiite  et  qu'il  mène  à  de 
fatals  cataclysmes.  C'est  William  Shakespeare.  C'est  William 
Shakespeare,  l'homme  qui  a  pris  beaucoup  à  chacun  de  nous,  U7i 
de  cetcv  qui  mêlent  particulièrement  bien  le  ciel  et  la  terre  et  dont 
la  large  compréhension  native  plane  au-dessus  des  préjugés,  et 
celui  qui  a  le  plus  imaginé  d'inoubliables  caractères,  —  comme 
Sébastien  Bach  est  celui  qtci  a  le  plus  créé  de  rythmes  musicau.x 
hardis,  imprévus,  solides,  austérement  ineffables  et  d'une  monu- 
mentale  sublimité. 

C'est  William  Shakespeare,  un  de  ces  hommes  prodigieusement 
tares,  grand  parmi  les  gratids  mêmes,  comme  on  n'en  voit  guère 
qu'au  bout  de  plusieurs  siècles,  et  qui  savent  découvrir  et  garder 
toute  la  fontaine  de  jfouvence:  ta?idis  que  les  âges  passent,  empor- 
tant des  rafales  de  sottises  et  de  vaniteuses  méchancetés,  ils  restent 
comme  des  astres  vers  qui  les  générations  toîirnent  sans  cesse  les 
yeu.v  pour  demander  la  lumière,  le  réconfort,  la  beauté,  l'illusion 
sacrée.  C'est  que,  malgré  certains  défauts  qui  ne  méritent  guère 
plus  de  critiques  que  les  taches  du  soleil,  celui  qu'eti  sa  concision 
aisée  et  son  impressionnante  justesse  Alfred  de  Musset  appelle 
île  grand  ami  Shakespeare-»  mêle  à  tout  cette  irrésistible  et  subtile 
flamme  de  sincérité  qtii  tient  au.v  doigts  mêmes  de  l'enchanteur, 
comme  dit  Joubert  à  propos  de  ChSteatcbriand,  qui  ne  s'acquiert 
pas  plus  qu'elle  ne  trompe  la  foule  toujotirs  renaissante  de  lecteurs, 
qui  circtde  magique  dans  l'œuvre  entière,  qui  n'appartient  dans 
sa  plénitude  qu'au  génie,  et  qui,  mens  divinior,  anime,  embellit 
et  pxirifie  jusqu' aux  exhibitions  même  de  l'infamie  humaine  ! 

(i)  Ace  propos,  Emerson  dit  dans  ses  ftepresenlatioe  Met  qu'un  homme 
intelligent  peut  nicher  dans  le  cerveau  de  Platon,  par  exemple,  y  placer  sa  pen- 
sée, chose  impossible  avec  Shakespaere  qui  tient  le  lecteur  à  la  porte.  «  A  good 
reader  can,  in  a  sort,  nestle  Plato  s  brain,  and  think.  from  thence,  butnot  into 
Shakespeare  's.  We  ara  still  out  of  the  doors.  » 


PREFACE 


C'est  naUirellement  aussi  ce  qui  déchaîna  souvent  l'envie  d'une 
foule  de  contemporains.  Les  sijfflements  des  vipères  se  mêlent  tou- 
jours au  concert  d' acclainations  qice  soulève  la  Gloire.  Le  génie  a 
ses  furibonds  détracteurs,  —  comme  il  a  ses  singes  grotesques,. 
Les  deux  espèces  sont  même  parfois  rétmies.  Il  a  les  pau.v  amis, 
les  talents  factices  toicjoîcrs  assez  7iombreu.x  qui  7iefont  qu'une 
rhétorique  plus  ou  moins  adroite,  ne  dépassent  pas  le  cercueil, 
dont  les  prétetitio7is  même  démesurées  ne  froissent  personne,  et 
que  la  haine  éperdue  et  vigilante  oppose  comme  d'éphémères  lam- 
pions à  l'astre  indestrttctible  ;  il  a  les  railleries  et  les  sourires 
suffisants  des  hommes  remarquables  —  pour  di.v  ans,  et  pour 
leurs  semblables  !  —  des  accomodeurs  habiles  qui  croient  que  le 
vrai  Shakespeare,  c'est  eux-mêmes  ;  il  a  les  rééditeurs  de  perfidies 
faciles  qui  font  profession  de  trouver  Hector  Berlioz  et  Richard 
Wagner  e.vtravaga7its ;  il  a  les  rires  épais,  les  crânes  dépriviés, 
l'incurable  myopie,  et  la  légeyidaire  bêtise  aufro7it  de  taureau  ! 
On  tenta  même  de  mépriser  Shakespeare,  mi  que,  comme  l'a  dit 
Hugo,  les  nains  sojit  dédaigneu.v  de  toute  letir  hatiteur!  On  mit 
au-dessus  de  lui  ceux  que  l'autre  dieti  de  la  littérature  anglaise, 
lord  Byroji,  qui  conyiut  iiaturellement  aussi  ces  risibles  manoeu- 
vres de  la  rage  impuissance,  appelle,  daiis  sa  mordante  dédicace 
de  Don  Juan,  les  vi7igt-quatre  merles  da7is  tm  pâté  —  four  and 
twenty  Blackbirds  in  a  pye  !  — les  vingt-quatre  atitres  poètes 
du  te77ips  dont  chacu7i  est  «  le  i/ieilleur  »  ;  et  Shakespeare  se  vit 
tour  à  tour  préférer  Marlowe,  Be7i  Jonso7i,  Webster,  Greene, 
Flechter,  Beaimiont,  —  otc  Lily  —  et  bie7i  d'autres,  quelque-uns 
fort  intéressa7its  d'ailleurs,  mais  sans  réel gé7iie,  et  qui  disparais- 
sent devant  le  Magicien  û?'Hamlet  et  de  Cymbeline  co/iwie  d'in- 
certaines  étoiles  dans  l'explosio7i  des  feux  de  l'aurore.  On  affecta 
même  de  ne  pas  le  voir  !  Inutile  d'ajouter  qu'on  l'injuriait  sans 
cesse,  co7iwie  si  l'o7i  7i'eiit  pas  été  bien  convaincti  de  sa  no?i- 
existence. 

Shakespeare  crut  inutile  de  rép07idre.  Longte77tps ava7it  Lefra7ic 
de  Po7npignan,  il  connaissait  l'histoire  des  Africai7is  qxii  la7icent 
des  flèches  au  soleil.  Maître  de  hii  co7iime  de  l'ave7iir,  il  se  tint 
i7)iperticrbable7}ie7it  tranquille  dans  sa  force,  car  cet  orageux 
créateur  insondable,  qu'o7i  se  figurerait  à  pre7nière  vue  belliqueux 
et  susceptible,  f7it,  toîis  les  contemporains  l'attestent,  U7i  homme 
bienveillant,  doux,  civil,  ouvert,  aftectuetuc,  —  d'esprit  pratique 


VII 


comme  un  A  nglais,  —  et  d'une  rarissisme  délicatesse.  Qui  doti- 
terait  d'ailleurs  de  cette  délicatesse  devant  l'incomparable  galerie 
de  femmes  qu'il  a  créées  :  Ophélie,  Desdémone,  Cor  délie,  Miranda, 
Juliette,  Portia  f  devant  les  paroles  impressionnantes  qui 
sortent  de  la  bouche  de  ses  héros  préférés  :  Hamlet,  Othello,  Roméo, 
Hotspur,  Jacques,  Brut  us.  Timon  ?  ou  devant  les  passages  de 
son  Adnnis,  traits  de  véritable  amour  que  la  virilité  du  poète 
rend  par  contraste  plus  délicats  encore? 

No  longer  mourn  for  me  when  I  am  dead 

for  1    love  you  so 

That  I   in  your  sweet  thougts  would  be  forgot 
If  thinking  on  me  then  thould  make  you  woe. 
«  Ne  pleurez  pas   sur  moi  quand  je  serai  mort...  car  je  vous  aime  tant  que  je 

voudrais  être  oublié  dans  vos  tendres  pensées  si  penser  à  moi  vous  causait  alors 

de  la  douleur». 

.  Si  Shakespeare  n'a  jamais  pris  garde  aux  insultes,  ses  admi- 
rateurs les  ont  par  curiosité  recueillies.  En  voici  puelques-unes  : 
tête  pleine  de  drôleries,  fou,  tigre,  blême  Jeannot.  Elles 
écrasent  d'une  honte  et  d'jifi  ridicule  indélébiles  les  itisiilteurs,  — 
déplorables  chauves-souris  qui  se  sont  enferrées  dans  les  hersillons 
d!un  château-fort  enchanté!  Faut-il  dire  que  rien  n'y  fit 
d'ailleurs?  L'aimant  secret  du  grand  Will,  son  ima^nation, 
sa  langue  originale,  remportèrent  triomphalement.  L'instinct 
général  ne  s'y  trompa  jamais  un  instant,  —  ni  la  postérité 
qtii  lui  restera  toujoicrs,  et  pour  cause,  fidèle.  Haines,  perfidies, 
mépris  feints,  sottes  injures,  tout  sombra  promptement  aux 
bas  fonds  de  l'oubli.  Et  de  son  époque,  qui  n'apparaîtrait  plus 
guère  qu'en  une  pénombre  sans  l'éclat  qu'il  lui  communique,  et 
qui  n'intéresse  tant  que  par  lui,  seulWilliam  Shakespeare  rayonne 
pour  jamais  à  travers  le  monde  orageux  et  féerique  des  trente- 
sept  drames  qu'il  édifia  en  une  quinzaine  d'années.  —  Dans 
l'histoire  entière,  il  fi'y  a  peut  être  que  ces  deux  autres  hommes 
miraciUeux,  d'une  famille  d'esprits  d'ailleurs  différente, 
Raphaël  et  Mozart,  qui  aient  réalisé  pareil  effort  en  un  si  court 
espace  Je  temps! 

Un  jour,  réunissant  e7i  tm  volume  Macbeth,  Hamlet  f/Othello 
que  nous  allons  bientôt  traduire,  nous  reviendrons  plus  longue- 
ment qu'ici  —  et  qu'autrefois  dans  le  Wallon,  le  Peuple  et  la 


VIII  PREFACE 

Réforme  —  sur  l'homme  extraordinaire  qtii  semble  aux  temps 
modernes  ce  qii' Homère  est  à  l'antiquité,  ce  que  Dajite  est  att 
moyen  âge  :  nous  y  reviendrons  après  les  Villemain,  les  Guizotj 
les  Chasles,  les  Lamartine,  les  Hugo,  les  Montègut,  les 
Schèrer,  les  Taine,  les  Saint-  Victor,  les  Méziéres,  les  Stapfer, 
les  Wattendorff,  les  Darmesteter,  les  Jusserand,  potir  ne  citer 
qtie  les  principaux  Français,  sans  otiblier  bien  entendu  les  criti- 
ques d'Outre-Manche  et  les  travaux  de  la  Shakespeare  Society 
et  dela'New  Shakespeare  Society,  fii  la  fameuse  question  Bacon- 
Shaicspearc  sur  laquelle  on  a  écrit  eji  Ajigletcrre  et  en  Amérique 
pbcsieurs  livres,  nombre  de  brochures  et  qzielques  centaines 
d'articles.  Aujourd'hui,  notis  nous  bornons  à  condenser  l'essentiel, 
ce  qui  ne  signifie  pourtant  pas  qu'une  cime  telle  que  Macbeth 
exige  absolument  zen  guide  ni  surtout  une  présentation. 

CÉLESTIN   DeMBLON. 

Liège  et  Rome,  septembre  XÇ04.. 


PERSONNAGES 


DuNCAN,  roi  d'Ecosse. 

„  >    fils  de  Duncan. 

DONALBAIN,     ) 

Macbeth,  général  de  Duncan,  puis  roi. 
Banquo,  général  de  Duncan,  ami  de  Macbeth. 
Macduff, 
Lenxox, 

Ross,  \^   nobles  écossais. 

Menteith, 

Angus, 

CaiThness, 

Fléance,  fils  de  Banquo. 

SiwARD,  comte  de  Northumberland  et  général   des  forces 

anglaises. 
Le  jeune  Siward. 

Seyton,  officier  de  la  suite  de  Macbeth. 
Un  fils  de  Macduff. 
Un  Médecin  anglais. 
Un  Médecin  écossais. 
Un  Soldat^  un  Officier,  ufi   Vieillard. 
Lady  Macbeth. 
Lady  Macduff. 
Ufie  suivante  de  Lady  Macbeth. 
Hécate. 
Trois  sorcières. 

Seigneurs,   Gentilshommes,   Officiers,  Soldats,  Meurtriers, 
Messagers  et  autres  Comparses.  Le  spectre  de  Banquo 
•  et  autres  Apparitions. 


La  scène  est  en  Ecosse  et  ufic  partie  du  quatrième  acte  en 
A  ngleterre. 


ACTE  I 

SCÈNE  PREMIÈRE 
Une  vaste  plaine.  Tonnerre  et  éclairs. 

Entre7it  trois  sorcières. 

Première  Sorcière.  Quand  nous  rencontrerons-nous 
encore  nous  trois,  dans  le  tonnerre,  l'éclair  ou  la  pluie  ? 

Deuxième  Sorcière.  Quand  le  vacarme  sera  fini,  quand  la 
bataille  sera  perdue  ou  gagnée. 

Troisième  Sorcière.  Ce  sera  avant  le  coucher  du  soleil. 

Première  Sorcière.  A  quelle  place  ? 

Deuxième  Sorcière.  Sur  la  bruyère. 

Troisième  Sorcière.  Pour  y  rencontrer  Macbeth. 

Première  Sorcière.  J'y  vais,  Graymalkin  !  (i) 

Deuxième  Sorcière.  Paddock  appelle  :  —  tout  à  l'heure! 

Toutes.  Le  beau  est  impur  et  l'impur  est  beau  :  voltigeons 
à  travers  le  brouillard  et  l'air  malpropre. 

Elles  sortent. 

SCÈNE  II 

Un  camp  près  de  Forres.  Alarme  au  loin. 

Entrent  Dunxan,  Malcolm,  Donalbaix,  Lexnox,  avec  des 
serviteurs  ;  ils  rencontrent  un  s£rge?tt  blessé. 

DuNCAN.  Quel  est  cet  homme  ensanglanté?  Il  peut  dire, 
comme  semble  l'indiquer  son  état,  la  plus  récente  situation 
de  la  révolte. 

Malcolm.  C'est  le  sergent  (2)  qui,  comme  un  bon  et  hardi 

(0  Graymalkin  et  Paddock  sont  respectivement  les  vieux  noms  populaires  du 
chat  et  du  crapaud. 

(2)  Le  sergent  était  alors  un  ofificier. 


soldat,  a  combattu  pour  me  sauver  de  la  captivité.  —  Salut, 
brave  ami  !  dis  au  roi  oîi  en  était  la  lutte  quand  tu  l'as  quittée. 

Le  Sergent.  Elle  restait  douteuse  comme  deux  nageurs 
épuisés  qui  se  cramponnent  l'un  à  l'autre  et  paralysent  leur 
adresse.  L'impitoyable  Macdonwald  —  qui  mérite  d'être  un  re- 
belle, car,  pour  cela,  les  multiples  infamies  de  la  nature  pullu- 
lent en  lui,  —  est  pourvu  par  les  îles  de  l'ouest  de  Kernes  et  de 
Gallowglasses  (  i  )  ;  et  la  fortune,  souriant  à  sa  querelle  maudite, 
s'est  conduite  comme  la  prostituée  d'un  rebelle  :  mais  tout  a 
été  insuffisant,  car  le  brave  Macbeth  —  il  mérite  bien  ce  nom  — 
dédaignant  la  fortune,  sa  lame  brandie  qui  fumait  de  sanglan- 
tes exécutions,  comme  un  favori  de  la  vaillance,  s'est  taillé  un 
passage  jusqu'à  la  face  du  misérable;  et  sans  lui  donner  une 
poignée  de  main  ni  lui  dire  portez-vous  bien,  avant  qu'il 
l'eût  décousu  du  crâne  à  la  mâchoire,  et  fixé  sa  tête  sur  nos 
créneaux. 

DuNXAN.  O  vaillant  cousin  !  (2)  digne  gentilhomme! 

Le  Sergent.  Comme  d'oii  le  soleil  projette  sa  lumière,  des 
orages  meurtriers  et  d'afîYeux  tonnerres  éclatent,  ainsi  de 
cette  irruption,  d'où  le  secours  semblait  venir,  les  périls 
grandirent.  Notez-le  bien,  roi  d'Ecosse,  notez  le  bien  :  à  peine 
la  justice,  armée  de  la  valeur,  avait-elle  forcé  ces  Kernes 
agiles  à  ne  se  fier  qu'à  leurs  talons,  que  le  chef  de  Norvège, 
calculant  son  avantage,  avec  des  armes  fourbies  et  de  nou- 
veaux renforts  d'hommes,  commença  un  autre  assaut. 

DuNCAN.  Cela  n'épouvanta-t-il  pas  nos  capitaines,  Macbeth 
et  Banquo .'' 

Le  Sergent.  Oui,  comme  les  moineaux  les  aigles,  ou  le 
lièvre  le  lion.  Pour  dire  la  vérité,  je  dois  déclarer  qu'ils  étaient 
comme  des  canons  deux  fois  chargés,  tant  ils  redoublaient 
leurs  coups  sur  l'ennemi  :  voulaient-ils  se  baigner  dans  des 
blessures  fumantes  ou  immortaliser  un  autre  Golgotha,  je  ne 
puis  le  dire  ;  mais  je  suis  défaillant,  mes  larges  blessures  crient 
à  l'aide. 

DuNCAN.  Les  paroles  te  conviennent  aussi  bien  que  les 
blessures;  elles  sentent  également  l'honneur.  —  Allez  lui 

(I)  Les  Kernes  et  les  Gallowglasses  étaient  des  noms  de  peuplades  irlandaises. 
<2)  Duncan  et  Macbeth  étaient  fils  de  deux  sœurs. 


ACTE  PREMIER 


trouver  des  chirurgiens.  {Le  Sergent  sort,  assisté.)  Qui  vient 
ici  ? 

Malcolm.  Le  digne  thane  de  Ross. 

Lexnox.  Quelle  vivacité  paraît  dans  ses  yeux  !  Ainsi  doit 
regarder  celui  qui  doit  révéler  des  choses  étranges. 

Entre  Ross. 

Ross.  Dieu  sauve  le  roi  ! 

DuNCAN.  D'oii  viens-tu,  digne  thane? 

Ross.  De  Fife,  grand  roi,  où  les  bannières  norvégiennes 
narguent  le  ciel  et  éventent  notre  peuple  glacé.  Le  roi  de 
Norvège  lui-même,  avec  de  formidables  masses,  aidé  de  ce 
traître  le  plus  déloyal,  le  thane  de  Cawdor,  avait  engagé  une 
funeste  lutte,  jusqu'à  ce  que  le  fiancé  de  Bellone,  cuirassé 
dans  l'épreuve,  l'eût  attaqué  de  front  dans  les  mêmes  condi- 
tions, pointe  contre  pointe  rebelle,  bras  contre  bras,  conte- 
nant sa  prodigue  ardeur;  et  pour  conclure,  la  victoire  descen- 
dit sur  nous. 

DuNXAN.  Grand  bonheur  ! 

Ross.  Et  maintenant,  Swéno,  le  roi  de  Norvège,  implore 
un  arrangement;  nous  n'avons  pas  voulu  lui  permettre  d'en- 
terrer ses  hommes  avant  qu'il  eût  payé,  dans  l'île  de  Saint- 
Colomban,  dix  mille  dollars  au  profit  général  (i). 

Du.NXAN.  Ce  thane  de  Cawdor  ne  trahira  plus  notre  intime 
intérêt  :  —  allez  prononcer  sa  mort  immédiate,  et  de  son 
ancien  titre  saluez  Macbeth. 

Ross.  Je  le  ferai. 

DuNCAN.  Ce  qu'il  a  perdu,  le  noble  Macbeth  l'a  gagné. 

Ils  sortent. 
SCÈNE  III 
Une   bruyère  (2). 
Tonnerre.  Entrent  les  trois  Sorcières. 

Première  Sorcière.  Où  as-tu  été,  sœur  ? 
Deuxiè.me  Sorcière.  Tuer  le  porc. 

(i>  Saint-Colme  's  Inch,  aujourd'hui  Jnchcomb,  est  une  petite  île  à  l'embou- 
chure du  Forth,  prés  d'Edimbourg.  En  écossais  (erse),  inch  signifie  île. 

(2)  François-Victor  Hugo  dit  qu'une  superstition  populaire  désigne  la  bruyère 
de  Harmuir,  sur  la  limite  des  comtés  d'Elgin  et  de  N'airn,  comme  le  lieu  où  Mac- 
beth vit  les  sorcières. 


Troisième  Sorcière.  Sœur,  et  toi? 

Première  Sorcière.  Une  femme  de  matelot  avait  des  châ- 
taignes dans  son  pan  d'habit,  et  mâchonnait,  et  mâchonnait, 
et  mâchonnait  :  —  «  Donne-m'en  »  lui  dis- je.  —  «  Arrière,  toi, 
sorcière  !  »  cria  la  carogne  à  la  croupe  engraissée.  Son  mari  est 
allé  à  Alep,patronsur  le  Tigre (i):  mais  je  voguerai  là  dans  un 
crible  et,  comme  un  rat  sans  queue  (2),  j'agirai,  j'agirai, 
j'agirai. 

Deuxième  Sorcière.  Je  te  donnerai  un  vent  (3). 

Première  Sorcière.  Tu  es  bonne. 

Troisième  Sorcière.  Et  moi  un  autre. 

Première  Sorcière.  J'ai  moi-même  tous  les  autres;  et  les 
véritables  ports  où  ils  soufflent,  sous  les  termes  qu'ils  con- 
naissent, sur  ma  carte  de  marin.  Je  le  rendrai  sec  comme  du 
foin  :  le  sommeil  n'ira  ni  jour  ni  nuit  se  pencher  sur  sa  pau- 
pière close  ;  il  vivra  comme  un  homme  maudit  :  fatigué  neuf 
fois  neuf  semaines,  il  languira  et  dépérira  (4)  ;  et  si  sa  barque 
ne  peut  se  perdre,  elle  sera  pourtant  battue  par  la  tempête. 
—  Regardez  ce  que  j'ai. 

Deuxième  Sorcière.  Montre-moi,  montre-moi. 

Première  Sorcière.  J'ai  ici  le  pouce  d'un  pilote  naufragé 
comme  il  revenait  chez  lui. 

Bruit  de  tambour. 


(1)  Sir  W.  G.  Trevelyan  a  remarqué  que  dans  les  Voyages  d'Hakluyt,  il  se 
trouve  diverses  lettres  et  journaux,  d'un  voyage  fait  à  Alep  sur  le  T^jV/re,  de  Lon- 
dres, dans  l'année  1583  (Edition  Staunton). 

{2)  Quand  les  sorcières  prenaient  la  forme  d'un  animal,  dit  Steevens,  cet  ani- 
mal n'avait  point  de  queue. 

(3)  Les  sorcières  vendaient  des  vents.  Ce  singulier  commerce  existait  encore  en 
1814.  'Voir  à  ce  sujet  la  longue  et  curieuse  note  où  E.  Montégut  rappelle  comment, 
cette  année-là,  'Walter  Scott  acheta  un  vent  dans  les  Orcades. 

(4)  Il  s'agit  de  l'envoûtement,  opération  cabalistique  de  la  magie  noire  par 
laquelle  on  jetait  un  mauvais  sort,  un  maléfice,  sur  une  personne  ou  sur  un  animal. 
Cette  pratique  a  été  fort  répandue  dans  l'antiquité,  au  moyen-âge  et  jusque  dans 
les  temps  modernes.  Un  objet  quelconqvie,  généralement  une  figure  de  cire,  figu- 
rait la  personne  détestée  :  la  ressemblance  n'était  pas  nécessaire,  mais  un  prêtre 
devait  baptiser  l'image.  Le  sortilège  consistait  à  torturer  cette  image  :  on  croyait 
que  la  personne  raaléficiée,  envoûtée,  ressentait  les  souffrances,  —  périssait  même 
si  l'on  frappait  au  cœur  la  statuette  de  cire  !  Faut-il  rappeler  les  sacrements  admi- 
nistrés à  des  reptiles,  les  messes  du  diable,  etc? 


ACTE   PREMIER 


Troisième  Sorcière.  Un  tambour,  un  tambour  !  Macbeth 
vient. 

Toutes  trois.  Les  sœurs  magiques,  main  dans  la  main, 
messagères  de  la  mer  et  de  la  terre,  iront  ainsi,  en  ronde,  en 
ronde  :  trois  fois  pour  toi,  trois  pour  moi,  et  trois  fois  encore 
pour  faire  neuf  :  —  Paix  !  —  le  charme  est  terminé. 

Entrent  Macbeth  et  Jianquo. 

Macbeth.  Je  n'ai  jamais  vu  un  jour  si  mauvais  et  si  beau. 

Banquo.  a  quelle  distance  estjjce  qu'on  appelle  Forres.''  — 
Quelles  sont  celles-là,  si  desséchées  et  si  sauvages  dans  leur 
accoutrement,  qui  ne  paraissent  pas  habiter  la  terre 
et  cependant  qui  s'y  trouvent .''  —  Vivez-vous  ?  ou  êtes-vous 
quelque  chose  qu'un  homme  peut  questionner  1  Vous  semblez 
itie  comprendre,  car  chacune  à  la  fois  pose  son  doigt  gercé  sur 
ses  lèvres  maigres  :  —  vous  semblez  être  des  femmes,  et  pour- 
tant vos  barbes  me  défendent  de  croire  que  vous  en  êtes. 

Macbeth.  Parlez,  si  vous  pouvez  ;  —  qui  êtes-vous  .'' 

Première  Sorcière.  Salut,  Macbeth!  salut  à  toi,  thane  de 
Glamis.  (i) 

Deuxième  Sorcière.  Salut,  Macbeth  !  salut  à  toi,  thane  de 
Cawdor. 

Troisième  Sorcière.  Salut.  Macbeth  !  salut  à  toi,  qui  seras 
roi  bientôt  ! 

Banquo.  Bon  seigneur,  pourquoi  tressaillez-vous,  et  sem- 
blez-vous  craindre  des  choses  qui  sonnent  si  bien  ?  —  Au  nom 
de  la  vérité,  êtes-vous  fantastiques  ou  êtes-vous  réellement  ce 
qu'en  apparence  vous  montrez  ?  Vous  saluez  mon  noble  com- 
pagnon d'une  faveur  actuelle  et  de  la  grande  prédiction  d'une 
haute  fortune  et  d'une  royale  espérance,  au  point  qu'il  en  sem- 
ble ravi  :  —  à  moi  vous  ne  dites  rien  :  si  vous  pouvez  voir 
dans  les  seqiences  du  temps,  et  dire  quels  grains  germeront  et 
lesquels  ne  le  feront  pas,  parlez,  alors,  à  moi  qui  ne  demande 
ni  ne  crains  vos  faveurs  ni  votre  haine. 


(i)  On  lit  dans  la  traduction  Montégut  la  note  suivante,  empruntée  à  l'édition 
Peter  et  Galpin  :  «  Le  thaneship  de  Glamis  était  l'ancien  héritage  de  la  famille  de 
Macbeth.  Le  château  où  vécurent  les  Macbeth  est  encore  debout,  et  était  dans  ces 
dernières  années  la  résidence  du  comte  de  Strathmore.  » 


MACBETH 


Première  Sorcière.  Salut! 

Deuxième  Sorcière.  Salut  ! 

Troisième  Sorcière.  Salut  ! 

Première  Sorcière.  Plus  petit  que  Macbeth,  et  plus 
grand. 

Deuxième  Sorcière.  Moins  heureux,  cependant  beaucoup 
plus  heureux. 

Troisième  Sorcière.  Tu  pourras  produire  des  rois,  bien 
que  tu  n'en  doives  pas  être  un  ;  ainsi,  tous  nos  saluts,  Macbeth 
et  Banque  ! 

Première  Sorcière.  Macbeth  et  Banquo,  tous  nos  saluts! 

Macbeth.  Arrêtez,  parleuses  incomplètes,  dites  m'en  davan- 
tage :  par  la  mort  de  Sinel,(i)  jesais  que  je  suis  thane  deGla- 
mis  ;  mais  comment  le  suis-je  de  Cawdor .''  Le  thane  de  Cawdor 
vit,  gentilhomme  prospère;  et  être  roi  n'entre  pas  dans  l'ex- 
pectative de  ma  croyance,  non  plus  qu'être  thane  de  Cawdor. 
Dites  d'où  vous  tenez  cette  étrange  nouvelle?  ou  pourquoi, 
sur  cette  bruyère  dévastée,  vous  arrêtez  notre  marche  par  de 
telles  salutations  prophétiques.?  Parlez,  je  vous  l'enjoins. 

Les  sorcières  s'évanouissent. 

Banquo.  La  terre  a  des  bulles  comme  l'eau  en  a,  et  celles- 
ci  en  sont  :  —  où  sont-elles  évanouies  .'* 

Macbeth.  Dans  l'air;  et  ce  qui  semblait  corporel  a  fondu 
comme  l'haleine  dans  le  vent.  —  Que  ne  sont-elles  restées! 

B.\NQuo.  Etait-il  ici  des  êtres  tels  que  ceux  dont  nous  venons 
de  parler.''  ou  avons-nous  mangé  de  la  racine  de  folie  qui  tient 
la  raison  prisonnière.''  (2) 

Macbeth.  Vos  enfants  seroht  rois. 

Banquo.  Vous  serez  roi. 

Macbeth.  Et  thane  de  Cawdor  en  outre,  —  cela  n'allait-il 
pas  ainsi  .'* 

B.VNQUO.  C'était  le  sens  même  et  les  mots.  —  Qui  vient  ici? 

t,  Entrent  Ross  et  Angus. 

Ross.  Le  roi  a  reçu  avec  bonheur,  Macbeth,  les  nouvelles 
de  ton  succès;  et  en  apprenant  ton  aventure  personnelle  dans 

(i)  Sinel  était  le  père  de  Macbeth. 

(2)  Racine  de  ciguë;  selon  d'autres,  de  jusquiame. 


ACTE  PREMIER 


les  mêlées  des  révoltés,  son  admiration  et  ses  éloges  ont  lutté 
ensemble  :  devenu  en  outre  comme  muet  à  la  vue  du 
reste  de  la  journée,  il  te  trouve  dans  les  intrépides  rangs  nor- 
végiens, ne  craignant  pas  les  étranges  images  de  la  mort  que 
tu  créas  toi-même.  Aussi  pressés  que  la  grêle  venaient  cour- 
riers sur  courriers,  et  chacun  d'eux  apportait  des  éloges  pour 
ta  grande  défense  du  royaume,  et  les  étalait  devant  lui. 

Angus.  Nous  sommes  envoyés  pour  t'apporter,  de  la  part 
de  notre  royal  maître,  des  remercîments,  et  seulement  pour 
te  conduire  en  sa  présence  et  non  pour  te  récompenser. 

Ross.  Et,  comme  gage  d'un  plus  grand  honneur,  il  m'a  com- 
mandé de  t'appeler  en  son  nom  thane  de  Cawdor  :  pour  ce 
surcroît  d'honneur,  salut  au  plus  honorable  thane  !  car  ce  titre 
est  à  toi. 

Baxquo.  Quoi,  le  diable  peut  dire  vrai .'' 

Macbeth.  Le  thane  de  Cawdor  vit  :  pourquoi  me  vêtez- 
vous  d'habits  empruntés? 

Angus.  Celui  qui  fut  le  thane  vit  encore,  mais  un  lourd 
jugement  pèse  sur  sa  vie  qu'il  mérite  de  perdre.  S'est-il  ligué 
avec  les  gens  de  Norvège,  ou  a-t-il  soutenu  les  rebelles  par 
une  aide  cachée  et  avantageuse,  ou  a-t-il  travaillé  avec  les  uns 
et  les  autres  à  la  ruine  de  son  pays,  je  ne  sais  ;  mais  des  tra- 
hisons capitales,  confessées  et  prouvées,  l'ont  renversé. 

Macbeth  {à  part).  Glamis  et  thane  de  Cawdor!  Le  plus 
grand  est  à  venir.  —  {A  Ross  et  à  Angus.)  Merci  de  vos 
peines.  —  (.-1  part  à  Manqua).  N'espérez-vous  pas  que  vos 
enfants  seront  rois,  quand  celles  qui  me  rendirent  thane  de 
Cawdor,  ne  promirent  pas  moins  pour  eux  ? 

Banquo  (à  part  à  Macbeth).  Cela,  pris  au  sérieux,  peut 
encore  vous  enflammer  pour  la  couronne,  en  sus  de  la 
seigneurie  de  Cawdor.  Mais  c'est  étrange  :  souvent  pour  nous 
attirer  à  notre  perte,  les  agents  des  ténèbres  nous  disent  des 
vérités;  ils  nous  séduisent  par  d'honnêtes  frivolités,  pour  nous 
entraîner  aux  plus  graves  conséquences.  —  Cousin,  un  mot, 
je  vous  prie. 

Macbeth.  Deux  %'érités  sont  dites,  comme  d'heureux  pro- 
logues de  l'acte  grandissant  vers  l'impériale  chose. — Je  vous 
remercie,  gentilshommes.  —  (^  part.)  Cette  surnaturelle 
sollicitation  peut  être  mauvaise,  elle  ne  peut  être  bonne.  Si 


MACBETH 


elle  est  mauvaise,  pourquoi  m'a  t-elle  donné  un  gage  de  suc- 
cès qui  devient  une  réalisation?  Je  suis  thane  de  Cawdor.  Si 
elle  est  bonne,  pourquoi  cédé-je  à  la  suggestion  dont  l'épou- 
vantable image  dresse  ma  chevelure  et  heurte  mon  cœur  à  mes 
côtes,  contre  l'habitude  de  la  nature?  Les  craintes  présentes 
sont  moindres  que  d'horribles  imaginations  :  ma  pensée,  où 
le  meurtre  n'est  encore  qu'une  chimère,  ébranle  tellement 
ma  simple  nature  d'homme,  que  la  faculté  en  est  étouffée  par 
une  conjoncture,  et  rien  n'existe  que  ce  qui  n'est  pas. 

Banquo.  Voyez  comme  notre  compagnon  est  absorbé. 

Macbeth  (à  part).  Si  le  sort  me  veut  comme  roi,  eh  bien, 
le  sort  peut  me  couronner  sans  mon  concours. 

Banquo.  Les  nouveaux  honneurs  lui  sont  comme  des  vête- 
ments dont  la  forme  n'adhère  qu'avec  l'aide  de  l'habitude. 

MACBETiHà  pari).  Arrive  ce  qui  pourra,  le  temps  et  l'heure 
glissent  à  travers  le  jour  le  plus  rude. 

Banquo.  Digne  Macbeth,  nous  attendons  votre  agrément. 

Macbeth.  Accordez-moi  votre  pardon  :  —  mon  stupide 
cerveau  était  travaillé  par  des  choses  oubliées.  Bons  gentils- 
hommes, vos  peines  sont  enregistrées,  et  chaque  jour  je  tour- 
nerai la  feuille  pour  les  lire.  —  Allons  vers  le  roi.  —  {A  part, 
à  Banqico).  Pensez  à  notre  aventure;  et  plus  tard,  ayant  pesé 
cela  dans  l'intervalle,  nous  ouvrirons  l'un  à  l'autre  nos  libres 
cœurs. 

Banquo  {a  part  à  Macbeth).  Très  volontiers. 

Macbeth  {^à part  à  Ba7iquo).  Jusque  là,  assez.  —  Venez, 
amis. 

Ils  sortent. 

SCÈNE  IV 

Forres.  Une  chambre  dans  le  palais.  Fanfares. 

Entrent  Duncan,  Malcolm,  Doxalbain,  Lennox  et  des  gens 
de  la  suite. 

Duncan.  Est-elle  faite,  l'exécution  de  Cawdor?  Ceux  qui 
étaient  en  mission  ne  sont  pas  encore  revenus  ? 

Malcolm.  Mon  suzerain,  ils  ne  sont  pas  encore  revenus. 
Mais  j'ai  parlé  avec  quelqu'un  qui  l'a  vu  mourir,  et  qui  a  rap- 
porté qu'il  avait  très  franchement  avoué  ses  trahisons,  imploré 


ACTE  PREMIER  I3 


le  pardon  de  votre  grandeur,  et  montré  un  profond  repentir  : 
rien  dans  sa  vie  ne  l'a  tant  honoré  que  son  départ;  il  est  mort 
comme  quelqu'un  qui  aurait  appris  en  mourant  à  rejeter  la 
chose  la  plus  chère  qu'il  eût,  ainsi  qu'une  indifférente  baga- 
telle, (i) 

DuiNXAN.  Il  n'est  aucun  art  pour  découvrir  la  composition 
de  l'âme  sur  le  visage  :  c'était  un  gentilhomme  en  qui  j'avais 
placé  une  absolue  confiance. 

Entrent  Macbeth,  Banqiw,  Ross  et  Angus. 

O  le  plus  vaillant  cousin  !  Le  péché  de  mon  ingratitude 
me  pesait  en  ce  moment  même  :  tu  es  allé  si  loin  que  l'aile  la 
plus  rapide  de  la  récompense  est  lente  à  t'atteindre.  Que  n'as- 
tu  mérité  moins,  afin  que  la  somme  des  remercîments  et  du 
payement  l'emportât!  11  ne  me  reste  rien  à  dire,  singn  qu'il 
t'est  dû  plus  qu'on  ne  pourrait  te  payer. 

Macbeth.  Je  vous  dois  l'obéissance  et  la  103'auté  :  par  leur 
exercice,  elles  se  paient  elles-mêmes.  Le  rôle  de  votre  gran- 
deur est  d'accueillir  nos  devoirs;  et  nos  devoirs  sont  les 
enfants  et  les  serviteurs  de  votre  trône  et  de  votre  majesté  ;  ils 

(i)  Des  commentateurs  veulent  voir  ici  une  allusion  à  Robert  Davreux,  comte 
d'Essex,  mort  sur  léchafaud  en  1601,  à  34  ans.  Ses  talents  et  surtout  sa  beauté 
charmèrent  la  reine  Elisabeth  dont  il  devint  le  favori  en  titre  en  1588,  à  la  mort  de 
son  beau-pere  Leicester,  le  «  cher  Robin  ».  Il  avait  alors  21  ans;  Elisabeth,  55. 
Epris  de  littérature,  protecteur  de  Bacon  et  de  Shakespeare,  plein  de  rares  quali- 
tés, d'Essex  entreprit  plusieurs  campagnes  qui  réussirent,  bien  qu'il  se  fût  plutôt 
montré  intrépide  et  même  téméraire  que  grand  capitaine.  'Violente  et  passionnée 
comme  toute  sa  race,  ta  dernicre  des  Tudors,  jalouse  autant  qu'éprise,  finissait  tou- 
jours par  lui  pardonner  ses  infidélités  aprcs  des  scènes  scandaleusement  retentis- 
santes. Mais  à  la  suite  de  la  malheureuse  campagne  d'Irlande,  d'Essex  fut  disgracié, 
sous  l'impulsion  des  Cécils.  Il  tenta  de  soulever  Londres  et  fut  arrêté.  La  reine 
lui  aurait  encore  pardonné,  s'il  n'avait  refusé  par  orgueil  de  faire  la  moindre 
avance.  On  sait  avec  quelle  ingratitude  acharnée  l'illustre  François  Bacon  soutint 
l'acte  d'accusation  ;  on  sait  aussi  que  la  foule  faillit  écharper  le  bourreau.  Ainsi 
mourut  le  dernier  amant  de  la  reine  fameuse,  savante  et  superbe,  que  le  pape 
Sixte-Quint  appelait  un  gran  cervelto  di  principessa,  ajoutant  dans  son  lan- 
gage expressif,  suivant  une  piquante  anecdote,  qu'il  aurait  voulu  coucher  une  nuit 
avec  elle  pour  procréer  un  nouvel  Alexandre  le  Grand  !  —  Les  recherches  de 
Malone  et  de  Staunton  prouvent  que  la  première  représentation  de  Macbeth  eut 
lieu  après  1Ô03,  fort  probablement  en  lOoa,  c'est-à-dire  trois  ans  après  la  mort 
d'Elisabeth.  L'allusion  relevée  par  les  commentateurs  pourrait-elle  être  de  Sha- 
kespeare.' Aurait-il  qualifié  de  u  trahisons  »  les  actes  ou  plutôt  l'acte  de  son 
ancien  ami  i  Bacon  seul  peut-être  aurait  parlé  ainsi  ! ... 


u 


ne  font  que  ce  qui  est  juste  en  faisant  tout  pour  votre  amour 
et  votre  honneur. 

DuNCAN.  Sois  bienvenu  ici.  Je  viens  de  te  planter  et  je  tra- 
vaillerai à  activer  ta  croissance.  —  Noble  Banquo,  tu  n'as  pas 
moins  mérité,  et  il  faut  qu'on  sache  qu'il  en  est  ainsi  :  laisse- 
moi  t'embrasser  et  te  tenir  sur  mon  cœur. 

Banquo.  Si  je  grandis  là,  la  moisson  sera  pour  vous. 

DuNCAN.  Mes  joies  abondantes,  débordant  de  plénitude, 
cherchent  à  se  cacher  daiîs  les  larmes  du  chagrin.  —  Fils, 
parents,  thanes,  et  vous  dont  la  situation  s'en  rapproche  le 
plus,  sachez-le.  nous  voulons  léguer  notre  état  à  notre  aîné, 
Malcolm,  que  nous  nommerons  désormais  prince  de  Cumber- 
land  (i):  honneur  qui  ne  doit  pas  le  revêtir  seul,  car  des 
signes  de  noblesse,  comme  des  étoiles,  brilleront  sur  tous 
ceux  qui  les  méritent.  —  Partons  pour  Inverness,  et  je  m'en- 
gagerai davantage  envers  vous. 

Macbeth.  Le  repos  est  un  travail,  quand  il  n'est  pas 
employé  pour  vous  :  je  serai  moi-même  l'avant-coureur  et  je 
réjouirai  l'ouïe  de  ma  femme  par  l'annonce  de  votre  appro- 
che :  ainsi,  je  prends  humblement  congé. 

DuNCAN.  Mon  vaillant  Cawdor  ! 

Macbeth  {à  part).  Le  prince  de  Cumberland!  voici  une 
marche  sur  laquelle  je  dois  tomber,  si  je  ne  saute  pas  dessus, 
car  elle  se  trouve  sur  ma  route.  Etoiles,  cachez  vos  feux;  que 
la  lumière  ne  voie  pas  mes  noirs  et  profonds  désirs;  l'œil 
ignore  la  main  ;  cependant  laissons  s'accomplir  ce  que  l'œil 
redoute  de  voir  quand  c'est  fait. 

//  sort. 

DuNCAN.  Vraiment,  digne  Banquo,  —  il  est  si  plein  de 
vaillance!  Je  me  régale  de  sa  louange,  c'est  un  banquet  pour 
moi.  —  Suivons  celui  dont  le  soin  se  porte  en  avant  pour  pré- 
parer notre  bienvenue  :  c'est  un  incomparable  parent. 


Fa7ifares.  Ils  sortent. 


(i)  La  couronne  d'Ecosse  n'était  pas  héréditaire  au  temps  de  Duncan  (ii"  siè- 
cle). Le  successeur  du  roi  vivant,  désigné  par  celui-ci,  prenait  le  titre  de  prince  de 
Cumberland.  Possédé  comme  fief  par  le  roi  d'Ecosse,  le  Cumberland  relevait ie 
la  couronne  d'Angleterre. 


ACTE  PREMIER  1$ 


SCÈNE  V 

Inverness.  Unechambredans  lechâteau  de  Macbeth. 

Entre  lady  Macbeth  lisant  une  lettre. 

Lady  Macbeth.  «  Elles  m'ont  rencontré  le  jour  de  la  vic- 
toire, et  j'ai  appris  par  une  révélation  qui  s'est  accomplie 
qu'elles  ont  en  elles  un  savoir  plus  qu'humain.  Comme  je 
brûlais  du  désir  de  les  questionner  encore,  elles  devinrent  de 
l'air  et  s'évanouirent.  Pendant  que  je  restais  transporté  d'ad- 
miration, arrivèrent  les  envoyés  du  roi  qui  m'appelèrent  tous 
«  Thane  de  Cawdor  »,  titre  dont  les  étranges  sœurs  m'avaient 
salué  auparavant,  en  me  renvoyant  à  l'avenir  avec  «  Salut,  tu 
seras  roi!  »  J'ai  cru  bon  de  t'apprendre  cela,  ma  plus  chère 
compagne  de  grandeur,  afin  que  tu  ne  perdes  pas  ta  part  de 
joie  en  restant  ignorante  de  la  fortune  qui  t'es  promise.  Garde 
cela  dans  ton  cœur,  et  adieu.  »  Tu  es  Glamis  et  Cawdor,  et 
tu  seras  ce  qu'on  t'a  promis;  cependant,  je  crains  ta  nature; 
elle  trop  pleine  du  lait  de  l'humaine  bonté  pour  prendre  le 
plus  court  chemin  ;  tu  voudrais  être  grand;  tu  n'es  pas  sans 
ambition,  mais  tu  n'as  pas  la  maladie  qui  sert  cela  :  ce  que  tu 
veux  hautement,  ce  que  tu  veux  saintement,  te  le  voudrais 
sans  tricher,  et  pourtant  tu  voudrais  bien  gagner  injustement. 
Tu  voudrais  avoir,  grand  Glamis,  ce  qui  te  crie  :  «  Ainsi  dois- 
tu  faire  pour  avoir  cette  chose  ;  et  tu  crains  d'autant  plus  de 
la  faire  que,  réalisée,  tu  ne  voudrais  pas  la  défaire.  »  Accours 
vite  ici,  que  je  verse  mes  ardeurs  dans  ton  oreille,  et  que 
j'annihile  par  la  force  de  ma  langue  tout  ce  qui  t'écarte  du 
cercle  d'or,  dont  le  destin  et  un  secours  surnaturel  semblent 
aussi  t'avoir  couronné.  {Entreuti  serviteur.')  Quelles  sont  vos 
nouvelles  ? 

Le  Serviteur.  Le  roi  vient  ici  ce  soir. 

Lady  Macbeth.  Tu  es  fou  de  dire  cela  :  ton  maître  n'est-il 
pas  avec  lui?  S'il  en  était  ainsi,  il  ta'aurait  informée  en  vue 
des  préparatifs. 

Le  ServiteIjr.  Si  cela  vous  plaît,  <;'est  vrai;  notre  thane 
arrive  :  un  de  mes  compagnons,  dépêché  par  lui,  presque 
mort  d'épuisement,  n'a  pu  faire  qu'à  peine  son  message. 

Lady  Macbeth.  Donne-lui  des  soins  :  il  apporte  de  gran- 


i6 


des  nouvelles.  (Z^  serviteur  sort.)  Le  corbeau  même  est 
enroué  qui  croasse  la  fatale  entrée  de  Duncan  sous  mes  cré- 
neaux. (  I  )  Venez,  vous,  esprits  qui  accompagnez  les  mortel- 
les pensées,  faites-moi  changer  de  sexe  ici  :  et  remplissez-moi, 
du  crâne  à  l'orteil,  de  la  plus  terrible  cruauté  !  épaississez 
mon  sang,  fermez  accès  et  passage  au  remords,  qu'aucun  poi- 
gnant retour  de  la  nature  n'ébranle  mon  dessein  féroce  ni 
n'établisse  la  paix  entre  son  effet  et  lui  !  Venez  dans  mes  seins 
de  femme  et  prenez  mon  lait  pour  du  fiel,  vous,  ministres 
homicides,  partout  où  dans  vos  aveugles  substances  vous  ser- 
vez les  maux  de  la  nature!  Viens,  épaisse  nuit,  et  couvre-toi 
de  la  plus  obscure  fumée  de  l'enfer,  afin  que  mon  couteau 
affilé  ne  voie  pas  la  blessure  qu'il  fera  et  que  le  ciel  ne  puisse 
regarder  furtivement  à  travers  la  couverture  des  ténèbres 
pour  crier  :  «  Arrête,  arrête  !  »  {Etitre  Macbeth).  Grand  Gla- 
mis!  digne  Cawdor.''  plus  grand  que  tous  les  deux  par  le  salut 
à  venir!  Tes  lettres  m'ont  transportée  au  delà  du  présent 
ignorant,  je  touche  maintenant  l'avenir  tout  proche. 

Macbeth.  Mon  plus  cher  amour,  Duncan  vient  ici  ce  soir.. 

Lady  Macbeth.  Et  quand  s'en  va-t-il  d'ici  1 

Macbeth.  Demain,  à  ce  qu'il  se  propose. 

Lady  Macbeth.  Oh  !  jamais  le  soleil  ne  verra  ce  demain  !  " 
Votre  face,  mon  thane,  est  comme  un  livre  où  les  hommes 
peuvent  lire  d'étranges  choses  :  —  pour  tromper  le  monde, 
paraissez  comme  le  monde;  portez  la  bienvenue  dans  votre 
œil,  dans  votre  main,  sur  votre  langue  :  ayez  l'air  de  la  fleur 
innocente,  mais  soyez  le  serpent  sous  elle.  II  faut  pourvoir  à 
celui  qui  vient  :  remettez  la  grande  affaire  de  cette  nuit  à  ma 
diligence,  qui  peut  seule  donnera  toutes  nos  nuits  et  à  tous 
nos  jours  futurs  le  souverain  pouvoir  de  l'empire. 

Macbeth.  Nous  en  reparlerons. 

Lady  Macbeth.  Seulement  regardez  avec  assurance;  une 
figurée  altérée  est  toujours  à  craindre  :  abandonnez-moi  tout 
le  reste. 

Ils  sortent. 


(i)  «  La  corbeau,  dit  Montégut,  c'est-à-dire  le  serviteur  qui  porte  à  lady  Mac- 
beth la  nouvelle  de  cette  visite  qui  sera  fatale  à  Duncan.  »  Cette  interprétation 
nous  surprend  et  nous  paraît  bien  inexacte! 


ACTE   PREMIER  I7 


SCENE   VI 

^  Inverness.  Devant  le  château. 

Hautbois    Les  serviteurs  de  Macbeth  attendent,  avec  des  torches. 

Entrent  Duncan,  Malcolm,  Donalbain,  Banquo, 
Lennox,    Macduff,    Ross,    Angus   et  des  gens  de  la  suite. 

DuNCAN.  Ce  château  a  une  agréable  situation;  l'air  vif  et 
doux  procure  des  sensations  délicates. 

Banquo.  Cet  hôte  de  l'été,  le  martinet  qui  hante  les  tem- 
ples, nous  prouve  par  son  heureuse  demeure  que  l'haleine  du 
ciel  se  respire  amoureusement  ici  :  pas  une  saillie,  une  frise, 
un  arc-boutant,  un  coin  favorable  où  cet  biseau  n'ait  suspendu 
son  nid  et  son  berceau  fécond  :  où  il  procrée  et  fréquente  le 
plus,  j'ai  observé  que  l'air  est  pur. 

Entre  ladv  Macbeth. 

DuN'CAN.  Voyez,  voyez,  notre  honorée  hôtesse!  —  L'amour 
<\u'\  nous  poursuit  est  parfois  notre  tourment,  et  cependant 
nous  le  remercions  parce  qu'il  est  l'amour.  Par  là,  je  vous 
apprends  que  vous  devez  prier  Dieu  pour  vos  peines,  et  nous 
remercier  de  ce  que  nous  vous  ennuyons. 

Ladv  Macbeth.  Tous  nos  services  en  tout  point  doublés, 
puis  redoublés,  seraient  une  pauvre  et  simple  affaire  pour 
soutenir  les  profonds  et  larges  honneurs  dont  votre  majesté 
comble  notre  maison  :  pour  les  anciens  bienfaits  et  pour  les 
nouveaux  accumulés  sur  eux,  nous  restons  vos  obligés,  (i) 

Duncax.  Où  est  le  thane  de  Cawdor  ?  Nous  avons  couru  sur 
ses  talons,  et  nous  avions  l'intention  d'être  son  annonciateur; 
mais  il  monte  bien,  et  son  grand  amour,  vif  comme  son  épe- 
ron, l'a  amené  dans  sa  maison  avant  nous.  Belle  et  noble 
hôtesse,  nous  sommes  vos  convives  ce  soir. 

Lady  Macbeth.  Vos  serviteurs  offrent  toujours  en  compte 
leurs  proches,  eux-mêmes,  et  tout  ce  qu'ils  possèdent,  pour 
faire  leur  vérification  selon  votre  bon  plaisir  :  encore  vous 
rendent-ils  votre  bien. 

DuNC.AX.  Donnez-moi  votre  main;  conduisez-moi  vers  votre 

(i)  Littéralement  :  nous  restons  cos  ermites. 


i8 


hôte  :  nous  l'aimons  infiniment,  et  nous  lui  continuerons  nos. 
faveurs.  Avec  votre  permission,  hôtesse. 

SCÈNE  VII 

inverness.  Un  couloir  dans  le  château  de  Macbeth. 

Haîitbois  et  torches  Entrent  et  passent  îin  écuyer 

et  divers  serviteurs  avec  des  plats  et  des  objets  de  service. 

Puis  entre  Macbeth. 

Macbeth.  Si  c'était  fini  quand  ce  sera  fait,  il  serait  bon  que' 
ce  fût  fait  promptement  :  si  l'assassinat  pouvait  entraver  sa 
conséquence,  et  fixer  avec  sa  fin  sa  réussite;  si  ce  coup  pou- 
vait être  le  va-tout  et  la  fin  complète  ici,  rien  qu'ici,  sur  ce 
rivage  et  ce  banc  de  sable,  nous  braverions  la  vie  à  venir. 
Mais  dans  ces  cas,  nous  avons  encore  un  jugement  ici;  nous 
donnons  de  sanglantes  leçons  qui,  une  fois  apprises,  revien- 
nent atteindre  l'initiateur;  l'impartiale  justice  présente  les 
ingrédients  de  la  coupe  empoisonnée  à  nos  propres  lèvres.  Il 
est  ici  sous  une  double  sauvegarde  :  d'abord  parce  que  je  suis 
son  parent  et  son  sujet,  deux  fortes  raisons  contre  un  tel  acte; 
ensuite,  parce  que  je  suis  son  hôte  qui  devrait  fermer  la  porte 
sur  son  meurtrier,  loin  de  tenir  moi-même  le  poignard.  Et 
puis,  ce  Duncan  a  exercé  si  doucement  le  pouvoir,  a  été  si 
pur  dans  sa  grande  charge,  (i)  que  ses  vertus  plaideront 
comme  des  anges  à  la  voix  de  la  trompette  contre  le  crime 
maudit  de  sa  mort;  et  la  pitié,  comme  un  petit  enfant  nu  et 
nouveau-né  chevauchant  sur  la  tempête,  ou  comme  un  chéru- 
bin du  ciel  porté  par  les  aveugles  coursiers  de  l'air,  soufflera 
l'horrible  action  dans  tous  les  yeux,  au  point  que  les  larmes 
abattront  le  vent.  (21  Je  n'ai  d'autre  éperon  pour  piquer  les 
fiancs  de  mon  dessein  que  d'enfourcher  l'ambition  qui  saute 
par  dessus  elle-même  et  tombe  sur  autrui 

Entre  lady  Macbeth. 

(i)  Dans  le  récit  de  la  Chronique  d' Anrjleterre,  d'Ecosse  et  d'Irlande  publiée 
en  1577  P"""  Rapliaël  Hollinshed,  où  Shakespeare  a  trouvé  le  sujet  de  Macbtth, 
récit  emprunté  à  la  chronique  latine  de  Hector  Boèce  (.mort  vers  1550),  on  ht  que 
JJuncan  était  une  aainle  soupe  au  lait. 

{2)  Allusion  au  mot  :  petite  pluie  abat  grand  vent. 


ACTE   PREMIER  I9 


Macbeth.  Eh  bien  !  quelles  nouvelles  ? 

Lady  Macbb:th.  Il  a  presque  soupe  :  pourquoi  avez-vous 
quitté  la  chambre? 

Macbeth.  M'a-t-il  demandé? 

Lady  Macbeth.  Ne  le  savez- vous  pas? 

Macbeth.  Nous  n'irons  pas  plus  loin  dans  cette  affaire  :  il 
m'a  récemment  honoré,  et  j'ai  obtenu  de  toutes  les  sortes  de 
gens  une  approbation  dorée  qui  veut  être  portée  maintenant 
dans  son  lustre  le  plus  neuf,  et  non  être  jetée  de  côté  si  tôt. 

Lady  Macbeth.  Etait-elle  ivre  cette  espérance  dans 
laquelle  vous  vous  pariez  vous-même  ?  a-t-elle  dormi  depuis? 
et  s'éveille-t-elle  maintenant  pour  regarder  si  verte  et  si  pâle 
ce  qu'elle  faisait  si  librement?  Dès  ce  moment,  j'estime  pareil 
ton  amour.  Crains-tu  d'être  le  même  dans  ton  action  et  dans 
ton  courage  que  tu  es  dans  ton  désir?  Voudrais-tu  avoir  ce 
que  tu  considères  comme  l'ornement  de  la  vie  et  rester  comme 
un  lâche  dans  ta  propre  estime,  laissant  «  je  n'ose  »  accompa- 
gner «  je  voudrais  >^,  comme  le  pauvre  chat  de  l'adage  ?  (  i) 

Macbeth.  Je  t'en  prie,  paix  :  j'ose  faire  tout  ce  qui  sied  à 
un  homme;  qui  ose  plus  n'en  est  pas  un. 

Laly  M.vcbeth.  Quelle  bête  était-ce  donc  qui  vous  fit  me 
communiquer  cette  entreprise  ?  Quand  vous  l'osiez  faire,  vous 
étiez  un  homme  ;  et  si  vous  êtes  plus  que  vous  n'étiez  alors, 
vous  êtes  beaucoup  plus  qu'un  homme.  Ni  le  temps  ni  le  lieu 
ne  vous  favorisaient  alors,  et  cependant  vous  vouliez  les  créer 
tous  deux  :  ils  se  créent  eux-mêmes,  et  ce  concours  mainte- 
nant vous  anéantit.  J'ai  allaité,  et  je  sais  combien  il  est  doux 
d'aimer  l'enfant  qui  suce  le  lait  :  j'eusse  voulu  quand  il-  sou- 
riait à  ma  face  arracher  mon  sein  de  ses  gencives  sans  dents  et 
lui  briser  la  cervelle,  si  j'avais  juré  comme  vous  de  faire  cela. 

M.\CBETH.  Si  nous  échouions  ? 

L.ADY  Macbeth.  Si  nous  échouions!  Elevez  seulement 
votre  courage  à  la  hauteur  voulue,  et  nous  n'échouerons  pas. 
Lorsque  Duncan  dormira,  —  à  quoi  l'invitera  bien  vite  le  dur 


(I)  Cet  adage  se  trouve  dans  les  proverbes  de  Heywood  :  «  The  cat  would  eat 
fish  and  would  net  wether  feet.  »  Le  chat  voudrait  manger  le  poisson  et  ne  vou- 
drait pas  mouiller  ses  pattes.  C'est  le  proverbe  latin  :  Catus  amat  pisces,  sed 
aquas  intrare  récusât  ou  Catus  amat  pisces,  sed  non  vuU  tinr/ere  plantas. 


MACBETH 


voyage  de  la  journée,  —  je  saurai  si  bien  convaincre  par  le 
vin  et  l'orgie  ses  deux  chambellans  que  leur  mémoire,  cette 
gardienne  du  cerveau,  sera  une  fumée,  et  le  réceptable  de 
leur  raison,  un  simple  alambic  :  quand  leurs  natures  abreu- 
vées reposeront  dans  un  sommeil  de  porc  comme  dans  la 
mort,  qu'est-ce  que  vous  et  moi  ne  pourrons  pas  accomplir 
sur  Duncan  non  gardé?  que  n'endosserons-nous  pas  à  ses 
spongieux  officiers  qui  porteront  la  culpabilité  de  notre  grand 
meurtre  ? 

Macbeth.  Ne  mets  au  monde  que  des  fils,  car  ta  fougue 
intrépide  ne  peut  enfanter  que  des  mâles  !  X'admettra-t-on  pas 
quand  nous  aurons  marqué  de  sang  ces  deux  endormis  de  sa 
propre  chambre,  et  employé  leurs  poignards  mêmes,  qu'ils 
ont  fait  cela  ? 

Lady  Macbeth.  Qui  osera  admettre  autre  chose  quand 
nous  ferons  rugir  notre  affliction  et  nos  clameurs  sur  sa 
mort  ? 

Macbeth.  Je  suis  décidé,  et  je  dirige  chaque  agent  corpo- 
rel vers  cette  action  terrible.  En  avant,  et  trompons  le  monde 
par  les  plus  belles  apparences  ;  tace  trompeuse  doit  cacher  ce 
qu'un  cœur  faux  connaît. 

I/s  sortent. 


ACTE  II 

SCÈNE  I 
Inverness.  La  cour  du  château  de  Macbeth. 

Entre   Banouo  précède    de    Fléanxe    qui  porte   itne   torche. 

Banquo.  Où  en  est  la  nuit,  enfant  ? 

Fléanxe  La  lune  est  couchée  ;  je  n'ai  pas  entendu  l'hor- 
loge. 

Banquo.  Elle  se  couche  à  minuit. 

Fléance  Je  crois  qu'il  est  plus  tard,  seigneur. 

B.wouo.  Tiens,  prends  mon  épée  :  —  ils  font  de  l'économie 
au  ciel.  Leurs  chandelles  sont  toutes  éteintes  :  —  prends  cela 
aussi. Un  lourd  appel  pèse  sur  moi  comme  du  plomb,et  cepen- 
dant je  ne  voudrais  pas  dormir  :  —  miséricordieuses  puis- 
sances, réprimez  en  moi  les  pensées  maudites  que  la  nature 
donne  dans  le  repos!  —  Donnez-moi  mon  épée.  — Oui  est  là? 

Entre  Macbeth  et  lui  serviteur  avec  une  torche. 

Macbeth.  LTn  ami. 

Banquo  —  Quoi,  seigneur,  non  encore  couché  ':  Le  roi  est 
au  lit  :  il  a  goûté  un  plaisir  extraordinaire  et  il  a  envoyé  tout 
de  suite  de  grandes  largesses  à  vos  officiers  :  il  envoie  aussi  ce 
diamant  à  votre  femme  qu'il  appelle  la  plus  aimable  hôtesse, 
et  il  s'est  retiré  avec  une  infinie  satisfaction. 

AL\CBETH.  N'étant  pas  préparés,  notre  désira  été  assujetti 
à  l'insuffisance  :  sans  quoi,  il  se  serait  donné  libre  carrière. 

B.\NOUO.  Tout  est  bien.  —  J'ai  rêvé  la  nuit  dernière  des 
trois  étranges  sœurs  :  elles  vous  ont  fait  voir  quelque  vérité. 

Macbeth.  Je  ne  pense  plus  ù  elles  :  cependant,  quand 
nous  disposerons  d'une  heure  à  convenir,  nous  l'employerons 
à  parler  de  cette  alïaire,  si  vous  y  consentez. 

Banouo.  .\  votre  meilleur  loisir. 


Macbeth.  Si  vous  adhérez  à  mon  désir,  —  quand  cela  sera, 
cela  vous  procurera  un  grand  honneur. 

Banquo.  Pourvu  que  je  ne  perde  rien  en  cherchant  à 
l'augmenter,  mais  que  je  garde  toujours  mon  cœur  libre  et 
ma  loyauté  pure,  je  me  laisserai  conseiller. 

Macbeth.  Bon  repos  en  attendant  ! 

Banquo.  Merci  seigneur  :  à  vous  de  même  ! 

Sortent  Bariquo  et  Fliance. 

Macbeth.  Va  prier  ta  maîtresse,  quand  mon  breuvage  sera 
prêt,  de  frapper  sur  la  cloche.  Va  au  lit.  {l.c  $.erviteur  sort.) 
Est-ce  un  poignard  que  je  vois  devant  moi,  le  manche  %ers 
ma  main.'  Viens,  laisse-moi  te  saisir-:  —  je  ne  te  tiens  pas, 
et  pourtant  je  1^  vois  toujours.  N'es  tu  pas,  fatale  vision, 
sensible  au  toucher  comme  à  la  vue?  ou  n'es-tu  qu'un  poi- 
gnard imaginaire,  une  fausse  création  provenant  d'un 
cerveau  qu'oppresse  la  fièvre.''  Je  te  vois  pourtant,  sous  une 
forme  aussi  palpable  que  celui  que  je  tire  maintenant.  Tu 
m'indiques  la  route  que  je  vais  suivre,  et  j'allais  user  d'un 
instrument  pareil.  Mes  yeux  sont  devenus  les  fous  des 
autres  sens,  ou  d'une  autre  valeur  que  tout  le  reste  :  je  te 
vois  toujours:  et  sur  ta  lame  et  sur  ta  poignée  je  vois  des 
gouttes  de  sang  qui  n'}'  étaient  pas  auparavant.  —  Une  telle 
chose  n'existe  point  :  c'est  la  sanglante  besogne  qui  s'anime 
ainsi  à  mes  yeux.  —  Maintenant,  sur  la  moitié  du  monde  la 
nature  semble  morte,  et  les  mauvais  rêves  abusent  le  som- 
meil voilé  ;  maintenant  la  sorcellerie  célèbre  le  sacrihce  de  la 
pâle  Hécate  :  et  le  meurtre  Hètri,  alarmé  par  sa  sentinelle,  le 
loup,  qui  veille  en  hurlant,  comme  à  pas  dérobés,  avec  les 
grandes  enjambées  du  ravisseur  Tarquin,  s'avance  vers  son 
but  comme  un  fantôme.  —  Toi,  terre  stable  et  fermement 
assise,  n'entends  point  mes  pas,  ignore  dans  quels  chemins 
ils  vont,  de  crainte  que  les  pierres  elles-mêmes  ne  bavardent 
sur  mon  dessein,  et  n'enlèvent  la  présente  horreur  à  l'occa- 
sion qui  lui  convient  maintenant.  —  Pendant  que  je  menace,  ' 
il,  vit  :  les  paroles  donnent  un  soufHe  trop  froid  au  feu  de 
l'action.  (Une  cloche soiinc.)  Je  marche  et  c'est  fait:  la  cloche 
m'invite.  Ne  l'entends  pas,  Duncan  ;  car  c'est  un  glas  qui 
t'appelle  au  ciel  ou  dans  l'enfer. 

Il  sort. 


ACTE   DEUXIÈME  23 


SCENE   II 

Entre  Lady  Macbeth. 

Lady  Macbeth.  Ce  qui  les  a  enivrés,  m'a  enhardie;  ce  qui 
les  a  éteints  m'a  donné  du  feu.  —  Ecoutons  !  —  Silence.  — 
C'était  le  hibou  qui  criait,  ce  fatal  crieur  qui  donne  la  plus 
désagréable  bonne  nuit.  —  Il  est  à  l'œuvre;  les  portes  sont 
ouvertes,  et  les  valets  gloutons  se  moquent  de  leur  charge 
par  leurs  ronflements  :  j'ai  drogué  leurs  boissons,  (i)  de  sorte 
que  la  mort  et  la  nature  combattent  autour  d'eux  pour  qu'ils 
vivent  ou  qu'ils  meurent. 

M.\CBETH  (f/  l'inicriertr).  Oui  est  là  .'  quoi,  ho  ! 

Lady  Macbeth.  Hélas!  je  crains  qu'ils  ne  soient  éveillés, 
et  que  ce  ne  soit  pas  fait  :  —  c'est  la  tentative  et  non  l'action 
qui  nous  confondrait.  — «Ecoutons  !  — J'ai  placé  leur  poignard 
tout  près;  il  n'a  pu  ne  pas  les  trouver.  —  S'il  n'avait  pas 
ressemblé  à  mon  père  en  dormant,  j'aurais  fait  cela.  —  Mon 
mari  ! 

Rentre  Macbeth. 

Macbeth.  J'ai  fait  l'action.  —  X'as-tu  pas  entendu  un 
bruit .' 

Lady  Macbeth.  J'ai  entendu  le  hibou  huer  et  les  grillons 
crier.  N'avez-vous  pas  parlé  .' 

M.\cbeth.  Quand  ? 

Lady  M.\cbeth.  Tantôt. 

M.\CBETH.  Comme  je  descendais  .' 

Lady  Macbeth.  Oui. 

Macbeth.  Ecoutons  !  —  Oui  couche  dans  la  seconde 
chambre .' 

L.\dy  Macbeth.  Donalbain. 

Macbeth.  C'est  une  pitoyable  vue.  {Il  regarde  ses  mains.) 

Lady  Macbeth.  Une  folle  pensée  que  de  dire  :  une 
pitoyable  vue. 

Macbeth.  Il  y  en  a  un  qui  a  ri  dans  son  sommeil,  et  un 
qui  a  crié  :  au  meurtre!  de  sorte  qu'ils  se  sont  éveillés  l'un 

(I)  ^oastradaisons possets  par  boissons.  Le posset,  <\u' on  prenait  d'habitude 
avant  de  se  coucher,  était  une  sorte  de  crème  faite  de  sucre,  de  vin  d'Espagne  et 
d'oeufs  battus. 


24 


l'autre  :  je  me  suis  arrêté  et  je  les  ai  écoutés  :  mais  ils  ont  dit 
leurs  prières,  et  se  sont  préparés  à  dormir  de  nouveau. 

Lady  Macbeth.  Il  y  en  a  deux  de  logés  ensemble. 

Macbeth.  L'un  a  crié  «  Dieu  nous  bénisse  !  »  et  l'autre 
«  amen  !  »,  comme  s'ils  m'avaient  vu,  avec  ces  mains  de 
bourreau.  En  entendant  leurs  frayeurs,  je  n'ai  pu  dire  «amen» 
quand  ils  ont  dit  «  Dieu  nous  bénisse  !  » 

Lady  Macbeth.  N'y  réfléchissez  pas  si  profondément. 

Macbeth.  Mais  pourquoi  n'ai-je  pu  prononcer  «amen  »? 
J'avais  le  plus  besoin  de  bénédictions,  et  «  amen  »  m'est  resté 
dans  la  gorge. 

Lady  M.\cbeth.  Ces  actions  ne  doivent  pas  être  considé- 
rées dans  ce  sens;  pris  de  la  sorte,  cela  rendrait  fou. 

Macbeth.  Il  m'a  semblé  que  j'entendais  une  voix  criant  : 
«  Ne  dors  plus  !  Macbeth  assassine  le  sommeil  !  »  —  L'inno- 
cent sommeil,  le  sommeil  qui  rétablit  l'écheveau  de  la  vie 
embrouillée  par  l'inquiétude,  la  mort  de  l'existence  de 
chaque  jour,  le  bain  du  travail  douloureux,  le  baume  des 
âmes  blessées,  le  second  agent  de  la  grande  nature,  le  prin- 
cipal nourricier  de  la  fête  de  la  vie... 

L.\DY  Macbeth.  Que  voulez-vous  dire.-" 

Macbeth.  Toujours  elle  criait  :  «  Ne  dors  plus  !  »  dans  la 
maison.  «  Glamis  a  tué  le  sommeil,  et  par  conséquent  Caw- 
dor  ne  dormira  plus.  —  Macbeth  ne  dormira  plus  !  » 

L.\DY  M.\CBETH.  Oui  était-ce  qui  criait  ainsi .''  Quoi,  digne 
thane,  vous  relâchez  votre  noble  énergie  en  jugeant  si  folle- 
ment les  choses.  —  Allez  prendre  un  peu  d'eau,  et  lavez  de 
votre  main  ce  témoignage  malpropre.  —  Pourquoi  avez-vous- 
apporté  ces  poignards  hors  de  la  chambre .''  ils  doivent  rester 
là  :  allez  les  y  remettre  et  barbouillez  de  sang  les  valets 
endormis. 

Macbeth.  Je  n'irai  plus  :  je  suis  eftVayé  en  songeant  à  ce 
que  j'ai  fait  :  contempler  de  nouveau  cela,  je  n'ose. 

L.\DY  Macbeth.  Infirme  de  volonté!  Donnez-moi  les 
poignards  :  l'endormi  et  le  mort  ne  .sont  que  des  peintures  : 
c'est  l'œil  de  l'enfance  qui  a  peur  d'un  diable  peint.  S'il 
saigne,  je  dorerai  les  visages  des  valets  aussi,  car  ce  crime 
doit  sembler  être  le  leur.  (Elle sort.  Otijrappe  dehors.) 

M.vcbeth.  D'où  vient  ce  heurt.'  Comment  se  fait-il  que 


ACTE   DEUXIEME  25 


tout  bruit  m'épouvante?  Quelles  mains  sontce  ici?  Ah!  elles 
arrachent  mes  yeux  !  Tout  l'océan  du  grand  Neptune  pour- 
rait-il laver  entièrement  mes  mains?  Non;  ces  mains  tein- 
draient plutôt  les  mers  immenses  d'incarnat,  changeant  le 
vert  en  rouge. 

Rentre  Lady  Macbeth. 

Lady  Macbeth  Mes  mains  ont  votre  couleur,  mais  je 
rougirais  de  porter  un  cœur  si  blanc.  {On  frappe  dehors.) 
J'entends  un  coup  à  l'entrée  du  sud  :  —  retirons-nous  dans 
notre  chambre:  un  peu  d'eau  nous  nettoyera  de  cet  acte  : 
combien  c'est  facile  donc!  Votre  constance  vous  a  aban- 
donné. —  {Oti frappe  dehors.)  Écoutez!  on  frappe  plus  fort  : 
prenez  votre  robe  de  nuit,  de  crainte  qu'une  circonstance  ne 
nous  appelle,  et  que  nous  ne  paraissions  veiller  :  —  ne  vous 
perdez  pas  si  pauvrement  en  vos  pensées. 

Macbeth.  Ne  pas  connaître  mon  action,  cela  serait  meil- 
leur que  de  ne  pas  me  connaître.  (Ow/^(7//>^û^<?/î(7^5.)  Réveille 
Duncan  avec  ton  bruit  !  Je  voudrais  que  tu  le  pusses  ! 

Ils  sortent. 
SCÈNE  III 
Entre  un  Portier.  On  prappe  dehors. 

Le  Portier.  Voilà  un  bruit  vraiment!  Si  un  homme  était 
portier  de  la  porte  de  l'enfer,  il  aurait  une  ancienne  habitude 
de  la  clef.  —  i^On frappe  dehors  )  Frappe,  frappe,  frappe  !  Qui 
est  là,  au  nom  de  Belzébuth?  Voici  un  fermier  qui  s'est 
pendu  parce  qu'il  attendait  de  l'abondance;  vous  venez  à 
temps;  ayez  assez  de  serviettes  autour  de  vous;  ici,  vous 
suerez  pour  cela.  —  (6>m  prappe  dehors.)  Frappe,  frappe  !  Oui 
est  là,  au  nom  de  l'autre  diable  ?  Ma  foi,  c'est  un  casuiste  qui 
peut  jurer  par  les  deux  plateaux  contre  l'un  ou  l'autre;  qui, 
ayaiit  commis  assez  de  trahisons  pour  l'amour  de  Dieu,  n'a 
pu  cependant  équivoquer  avec  le  ciel  :  oh  !  viens,  casuiste. — 
{On  prappe  dehors.)  Frappe,  frappe,  frappe!  Oui  est  là?  Ma 
foi,  c'est  un  tailleur  anglais  qui  vient  ici  pour  avoir  volé  hors 
d'un  haut-de-chausses   français  :  entrez,  tailleur  :  ici  vous 


pourrez  rôtir  votre  oie  (i).  —  (On  frappe  dehors.)  Frappe, 
frappe  ;  jamais  de  repos  !  Oui  êtesvous? —  Mais  cette  place 
est  trop  froide  pour  l'enfer.  Je  ne  veux  pas  être  portier  du 
diable  plus  longtemps:  je  pensais  avoir  introduit  quelques- 
unes  de  toutes  les  professions  qui  vont  par  un  chemin  de 
primevères  à  l'éternel  feu  de  joie. —  {On  frappe  dehors.) 
Tantôt,  tantôt!  Je  vous  en  prie,  sou  venez- vous  du  portier. 
{Il  ouvre  la  forte.) 

Eyitrejit  Macduffct  Lennox. 

Macduff.  Etait-il  si  tard,  l'ami,  quand  vous  avez  été  au 
lit,  que  vous  restez  couché  si  tard  .' 

Le  Portier  Ma  foi,  seigneur,  nous  avons  bu  jusqu'au 
deuxième  chant  du  coq  ;  et  la  boisson,  seigneur,  est  une 
grande  provocatrice  de  trois  choses. 

Macduff.  Quelles  sont  les  trois  choses  que  la  boisson 
provoque  spécialement  t 

Le  Portier.  Vraiment,  seigneur,  le  nez  peint,  le  sommeil 
et  l'urine.  La  lascivité,  seigneur,  elle  la  provoque  et  l'em- 
pêche: elle  provoque  le  désir,  mais  elle  empêche  l'exécution: 
donc,  boire  beaucoup  peut  être  appelé  une  équivoque  avec  la 
lascivité  :  cela  la  produit  et  cela  l'éteint;  cela  l'excite  et  cela 
la  diminue  ;  cela  y  fait  croire  et  la  décourage  ;  cela  la  soutient 
et  ne  la  soutient  pas  ;  pour  conclure,  cela  la  trompe  dans  le 
sommeil,  et,  lui  donnant  un  démenti,  l'abandonne. 

Macduff.  Je  crois  que  le  boire  t'a  donné  un  démenti  la 
dernière  nuit. 

•Le  Portier.  Il  l'a  fait,  seigneur,  et  la  gorge  même  contre 
moi;  mais  je  l'ai  récompensé  pour  son  démenti,  et  je  crois 
que  je  suis  plus  fort  que  lui;  quoiqu'il  m'ait  pris  quelque 
peu  par  les  jambes,  j'ai  cependant  eu  l'adresse  de  le  jeter  de 
côté. 

Macduff.  Ton   maître    est-il   levé?  —  Notre    bruit    l'a 

réveillé  :  le  voici. 

Entre  Macbeth. 

(i)  Rôtir  votre  oie.  Il  y  a  ici  un  jeu  de  mots  difficile  à  traduire.  Goose,  eu 
anglais,  signifie  à  la  fois  une  nie  et  le  morceau  de  fer  que  les  tailleurs  français  nom- 
ment carr^'au.  —  Il  y  a  là  aussi'un  trait  de  satire  contre  les  hauts- de-chausses 
français  qui  étaient  tellement  étroits  qu'il  semblait  impossible  d'en  voler  un  mor- 
ceau. 


ACTE   DEUXIÈME  27 


Lenn'OX.  Bonjour,  noble  seigneur. 

Macbeth.  Bonjour  à  tous  les  deux. 

Macduff.  Le  roi  est-il  debout,  honorable  thane.' 

Macbeth.  Pas  encore. 

Macduff.  Il  m'avait  chargé  de  l'éveiller  à  temps  :  j'ai 
presque  laissé  passer  l'heure. 

M.\cbeth.  Je  vais  vous  conduire  h  lui. 

Macduff.  Je  sais  que  c'est  une  agréable  embarras  pour 
vous;  mais  cependant  c'en  est  un. 

Macbeth.  Le  travail  nous  réjouit  malgré  l'embarras 
matériel.  Voici  la  porte. 

M.\CDUFF.  Je  me  permettrai  de  l'appeler,  car  c'est  mon 
propre  service. 

Lennox.  Le  roi  part-il  d'ici  aujourd'hui  ? 

Macbeth.  11  part  :  il  l'a  décidé  ainsi. 

Lennox  La  nuit  a  été  déréglée  :  où  nous  couchions,  les 
cheminées  ont  été  abattues;  et,  à  ce  qu'on  dit,  des  lamenta- 
tions ont  été  entendues  dans  l'air  ;  d'étranges  cris  de  mort  ; 
et  des  prophéties  aux  accents  terribles  annonçant  d'aftreux 
embrasements  et  des  événements  troublés  prêts  à  éclore  dans 
ce  déplorable  temps  :  l'oiseau  nocturne  a  crié  toute  la  nuit  : 
quelques-uns  disent  que  la  terre  était  fiévreuse  et  a  chancelé. 

Macbeth.  C'a  été  une  rude  nuit. 

Lennox.  Ma  jeune  mémoire  n'en  peut  comparer  aucune 
autre  à  celle-là. 

Rentre  Macditjff. 

Macduff.  O  horreur,  horreur,  horreur!  La  langue  ni  le 
cœur  ne  peuvent  te  concevoir  ni  te  nommer. 

Macbeth.  Lennox.  Qu'y  a-t-il .' 

Macduff.  La  honte  a  fait  son  chef-d'œuvre  !  Le  meurtre 
le  plus  sacrilège  a  forcé  le  temple  béni  du  Seigneur,  et  volé 
la  vie  de  l'édifice  ! 

Macbeth.  Qu'est-ce  que  vous  dites  t  la  vie  "i 

Lennox.  Avez-vous  en  vue  sa  majesté  ? 

Macduff.  Approchez  de  la  chambre,  et  détruisez  votre  vue 
devant  une  nouvelle  (jorgone  :  (  i  )  —  ne  me  commandez  pas  de 

(.1)  Une  seule  des  trois  Gorgones,  Méduse,  avait  la  propriété  de  changer  en 
pierre  ceux,  qui  la  regardaient. 


parler;  voyez,  et  parlez  vous-mêmes.  —  (^Sortent  Macbeth  et 
Le7i?io.x.)  Réveillez-vous,  réveillez- vous  !  —  Sonnez  la  cloche 
d'alarme  :  —  meurtre  et  trahison  !  —  Banquo  et  Donalbain  ! 
Malcolm  !  réveillez-vous  !  Secouez  ce  sommeil  moelleux, 
contrefaçon  de  la  mort,  et  regardez  la  mort  elle-même! 
Debout,  debout,  et  voyez  l'image  du  grand  jugement! 
Malcolm  1  Banquo  !  levez- vous  comme  de  vos  tombeaux,  et 
marchez  comme  des  esprits  pour  soutenir  cette  horreur  ! 

E titre  Lady  Macbeth. 

Lady  Macbeth.  Qu'y  a-t-il,  qu'une  si  hideuse  trompette 
appelle  et  rassemble  les  dormeurs  de  la  maison?  parlez, 
parlez  ! 

Macduff.  O  tendre  dame,  vous  ne  devez  pas  entendre  ce 
que  je  peux  dire  :  cela,  répété  à  l'oreille  d'une  femme,  la 
tuerait  en  y  tombant. 

Entre  Banquo. 

Macduff.  Banquo.  Banquo,  notre  royal  maître  est  assas- 
siné ! 
Lady  Macbeth.  Malheur,  hélas!  quoi,  dans  notre  maison .-" 
Banquo.  Trop  cruel  partout  !  —  Cher  DufF,  je  t'en  prie, 
démens-toi  toi-même,  et  dis  que  cela  n'est  pas. 

Retitrcnt  Macbeth  et  Lcn?io.x. 

Macbeth.  Que  ne  suis-je  mort  une  heure  avant  ce  hasard, 
j'aurais  vécu  un  temps  béni  ;  car,  dès  ce  moment,  il  n'y  a  plus 
rien  de  sérieux  dans  l'humanité  :  tout  n'est  que  jouet,  la 
gloire  et  l'honneur  sont  morts;  le  vin  de  la  vie  est  tiré,  et  le 
caveau  ne  peut  plus  se  targuer  que  de  la  lie. 

E titrent  Malcolm  et  Donalbain. 

Donalbain.  Qu'y  a-t-il  de  mal  'ï 

Macbeth.  Votre  mal,  et  vous  l'ignorez  :  la  source,  la  tête, 
la  fontaine  de  votre  sang  est  arrêtée,  —  la  vraie  source  en 
est  arrêtée. 

Macduff.  Votre  royal  père  est  assassiné. 

Malcolm.  Oh,  par  qui .'' 

Lennox.  Ceux  de  sa  chambre,  à  ce  qu'il  semble,  ont  fait 
cela  :  leurs  mains  et  leurs  visages  étaient  tout   marqués  de 


ACTE  peuxièmb;  29 


sang;  leurs  poignards  aussi,  que  nous  avons  découverts  non 
essuyés  sous  leurs  coussins  :  ils  ouvrirent  de  grands  yeux  et 
se  troublèrent  :  la  vie  d'un  homme  ne  devait  pas  leur  être 
confiée. 

Macbeth.  Oh,  néanmoins  je  regrette  ma  fureur,  qui  me 
les  a  fait  tuer. 

M.A.CDUFF.  Pourquoi  avez-vous  fait  cela  ? 

Macbeth.  Oui  peut  être  sage  et  éperdu,  modéré  et  furieux, 
loyal  et  indifférent,  au  même  moment.'  Personne  :  la  viva- 
cité de  mon  violent  amour  a  dépassé  le  calme  de  la  raison. 
Ici  gisait  Duncan,  sa  tête  argentée  couverte  de  son  sang  doré  ; 
et  ses  blessures  ouvertes  semblaient  une  brèche  faite  à  la 
nature  pour  livrer  un  désolant  passage  au  désastre  :  là,  les 
meurtriers  teints  des  couleurs  de  leur  crime,  leurs  poignards 
épaissement  enduits  de  sang  :  qui  pourrait  se  retenir,  s'il  a 
un  cœur  pour  aimer,  et  dans  ce  cœur  le  courage  de  faire  con- 
naître son  amour. '' 

L.\DV  Macbeth.  Emmenez-moi  d'ici,  oh  ! 

M.\ci>UFF   V^eillez  ;i  la  dame. 

Mai.coi.m  (à  part  à  Donalbaiii) .  Pourquoi  retenons-nous 
nos  langues,  qui  peuvent  le  mieux  réclamer  ce  sentiment 
pour  nous. 

Doxalbain  (à  pari  à  Malcolm).  Que  pourrions  dire  ici,  où 
notre  sort,  caché  dans  un  antre,  pourrait  s'élancer  et  nous 
saisir.''  Partons  ;  nos  larmes  ne  sont  pas  encore  brassées. 

M.MXOLM  (à  part  à  DonalbainJ.  Ni  notre  ardente  douleur, 
en  mesure  d'agir. 

B.\NQU0.  Veillez  à  la  dame  :  —  {Lady  Macbeth  est  emportée) 
et  quand  nous  aurons  couvert  nos  membres  nus  qui  soutirent 
d'être  exposés,  réunissons  nous  et  examinons  cette  alïaire 
extraordinairement  sanglante  pour  en  sav^oir  plus  long.  Les 
craintes  et  les  scrupules  nous  agitent  :  je  me  tiens  sous  la 
grande  main  de  Dieu;  et  de  là  je  me  défends  contre  la  secrète 
intention  d'une  traîtreuse  méchanceté. 

Macduff.  Et  je  fais  de  même. 

Tous.  Nous  tous  aussi. 

Macbeth.  Allons  promptement  revêtir  une  tenue  virile, 
et  réunissons-nous  dans  la  salle. 

Tous.  D'accord. 

lous  sortent,  excepte  Malcolm  et  Donalbain. 


30  MACBETH 


Malcolm.  Que  voulez-vous  faire  ?  Ne  nous  joignons  pas  à 
eux  :  montrer  une  douleur  non  ressentie  est  un  office  que 
l'homme  faux  remplit  aisément.  Je  vais  en  Angleterre. 

DoNALBAiN.  Moi  en  Irlande;  notre  fortune  séparée  garde 
à  tous  deux  plus  de  sûreté  :  il  y  a  des  poignards  dans  les 
sourires  des  hommes  :  le  plus  rapproché  de  notre  sang  est  le 
plus  près  d'être  sanguinaire. 

Malcolm.  Cette  flèche  meurtrière  qui  est  décochée  n'est 
pas  encore  abattue  ;  et  notre  plus  sûr  parti  est  d'éviter  le 
point  de  mire.  Donc,  à  cheval  ;  et  ne  nous  montrons  pas 
délicats  touchant  le  congé  à  prendre,  mais  disparaissons  :  il 
est  justifié  le  vol  de  celui  qui  se  dérobe  lui-même,  quand  il 
ne  reste  plus  de  miséricorde. 

Ils  sortent. 

SCÈNE  IV 
Inverness.    En    dehors  du  château  de   Macbeth. 

Entrent  Ross  et  tm  Vieillard. 

Le  Vieillard.  Je  me  rappelle  bien  soixante-dix  années  : 
dans,  cet  espace  de  temps  j'ai  vu  des  heures  terribles  et  des 
choses  étranges;  mais  cette  nuit  cruelle  a  réduit  à  peu  de 
chose  mes  précédentes  expériences. 

Ross.  Ah  !  bon  père,  tu  le  vois,  les  cieux  comme  troublés 
par  l'action  de  l'homme,  menacent  son  théâtre'  sanglant. 
D'après  l'horloge,  il  est  jour,  et  pourtant  la  nuit  sombre 
étouffe  le  flambeau  voyageur  :  est-ce  la  prédominance  de  la 
nuit  ou  la  honte  du  jour  qui  ensevelit  la  face  de  la  terre  dans 
les  ténèbres  quand  la  vivante  lumière  devrait  la  caresser .'' 

Le  Vieillard.  C'est  contre  nature,  aussi  bien  que  l'acte 
commis.  Mardi  dernier,  un  faucon,  très  élevé  dans  l'orgueil 
de  son  essor,  fut  poursuivi  et  tué  par  un  hibou  preneur  de 
souris. 

Ross.  Et  les  chevaux  de  Duncan,  —  chose  des  plus 
étranges  et  certaine,  —  beaux  et  rapides,  favoris  de  leur  race, 
sont  retournés  sauvages  à  la  nature,  brisant  leurs  stalles,  se 
lançant  au  dehcjrs,  refusant  obéissance,  comme  s'ils  voulaient 
faire  la  guerre  au  genre  humain. 


ACIE   DEUXIEME  3I 


Le  Vieillard.  On  dit  qu'ils  se  mangèrent  l'un  l'autre. 
Ross.   Ils  le  firent,  ii  la   stupéfaction  de   mes   j-eux   qui 
vu3'aient  cela  !  —  Voici  le  bon  MacdulF. 

Entre  Macduff. 

Ross.  Comment  va  le  monde,  seigneur,  maintenant  ? 

Macduff.  Quoi,  ne  le  voyez-vous  pas.'' 

Ross.  Sait-on  qui  a  commis  cet  acte  plus  que  sanguinaire.'' 

Macduff.  Ceux  que  Macbeth  a  égorgés. 

Ross.  Hélas  !  Quoi  de  bon  pouvaient-ils  en  attendre  ? 

M.\CDUFF.  Ils  étaient  surbornés  :  Malcohm  et  Donalbain, 
les  deux  fils  du  roi,  sont  sortis  furtivement  et  se  sont  enfuis  : 
ce  qui  porte  sur  eux  les  soupçons  du  crime 

Ros.s.  Contre  nature  encore!  Extravagante  ambition  qui 
anéantit  l'instrument  même  de  ta  propre  vie  !  —  Alors  le  plus 
vraisemblable  est  que  la  souveraineté  tombera  sur  Macbeth. 

Macduff.  11  est  déjà  nommé;  et  il  est  allé  à  Scone  pour 
être  investi,  (i) 

Ross.  Où  est  le  corps  de  Duncan  ? 

Macduff.  Porté  au  cimetière  de  Colomban,  le  saint  dépôt 
de  ses  prédécesseurs,  et  le  gardien  de  leurs  os.  (2) 

Ross.  Irez-vous  à  Scone  ? 

M.ACDUFF.  Non,  cousin,  je  vais  à  Fife. 

Ross.  Bien,  je  m'y  rendrai. 

Macduff.  Bon,  puissiez-vous  y  voir  des  choses  bien 
faites,  —  adieu,  —  de  crainte  que  nos  anciens  habits  ne  con- 
viennent mieux  que  nos  nouveaux. 

Ross.  Adieu,  père. 

Le  Vieillard.  Que  la  bénédiction  de  Dieu  soit  avec  vous, 
et  avec  tous  ceux  qui  voudraient  faire  le  bien  du  mal,  et  des 
amis  des  ennemis. 

Ils  sortent. 


(i)  Voir  sur  l'importance  de  Scone  dans  l'histoire  d'Ecosse  la  note  intéressante 
de  l'édition  Staunton,  traduite  par  Montégut.  Elle  est  trop  longue  pour  que  nous 
la  reproduisions  ici. 

(2)  L'île  de  Saint-Colomban,  ou  ile  du  Cimetière,  ou  île  des  druides,  est  un  des 
noms  de  l'île  d'Iona,  à  l'ouest  du  duché  d'j\.rjyll.  Prés  de  la  cathédrale,  s'étend  !e 
cimetière  où  se  trouvent  les  tombes  de  4S  rois  écossais  et  les  lignages  de  la  plupart 
des  lords  des  îles.  Voir  l'édition  Staunton. 


ACTE  III 

SCÈXE  PREMIÈRE 
Forres.  Une  chambre  dans  le  palais. 

Entre  Banouo. 

Banouo.  Tu  es  maintenant  cela,  —  roi,  Cawdor,  (ilamis, 
tout,  comme  l'ont  promis  les  étranges  femmes;  et,  je  le  crains, 
tu  as  le  plus  atrocement  joué  dans  ce  but  :  cependant  elles  ont 
dit  que  cela  ne  resterait  pas  à  ta  postérité,  mais  que  je  serais 
moi-même  la  racine  et  le  père  de  rois  nombreux.  Si  la  vérité 
est  sortie  d'elles  —  puisque  sur  toi,  Macbeth,  brillent  leurs 
prédictions,  pourquoi  ces  vérités,  bonnes  à  ton  égard,  ne 
seraient-elles  pas  aussi  mon  oracle  et  ne  fonderaient-elles  pas 
mon  espoir.'  Mais,  silence;  rien  de  plus. 

Sonneries  retentissantes.  Efitre7it  Macbeth, 
en  roi;  lady  Macbeth,  en  reine  ;  Lennox, 
Ross,  Seigîiriirs,  Dames  et  gens  de  la 
suite. 

Macbeth.  Voici  notre  principal  convive. 

Lady  Macbeth.  S'il  avait  été  oublié,  notre  grande  fête 
aurait  eu  comme  une  lacune,  et  tout  y  aurait  été  désagréable. 

Macbeth.  Ce  soir,  nous  avons  un  grand  souper  :  seigneur, 
j'y  sollicite  votre  présence. 

B.\XQUo.  Que  votre  altesse  me  commande  ;  mes  services  lui 
restent  toujours  attachés  par  le  plus  indissoluble  lien. 

Macbeth.  Montez-vous  à  cheval  cet  a})rès-midi .'' 

Banquo.  Oui,  mon  bon  seigneur. 

Macbeth.  Sinon  nous  aurions  désiré,  dans  notre  conseil 
de  ce  jour,  vos  bons  avis  qui  nous  ont  toujours  été  sûrs  et 
favorables;  mais  nous  les  prendrons  demain.  Allez-vous  loin 
à  cheval .'' 


ACTE   TROISIEME  33 


Banquo.  Aussi  loin,  monseigneur,  qu'il  faut  pour  remplir 
le  temps  entre  cette  heure  et  le  souper  :  si  mon  cheval  ne  va 
pas  bien,  j'emprunterai  à  la  nuit  une  ou  deux  de  ses  heures 
obscures. 

Macbeth.  Ne  manquez  pas  à  notre  fête. 

Banquo.  Monseigneur,  je  n'ai  garde. 

M.\CBETH.  Nous  apprenons  que  nos  sanguinaires  cousins 
sont  réfugiés  en  Angleterre  et  en  Irlande,  niant  leur  cruel  par- 
ricide, occupant  leurs  auditeurs  d'étranges  inventions  ;  mais  à 
demain  tout  cela,  quand  nous  aurons  en  outre  une  affaire  d'état 
réclamant  notre  présence.  Courez  à  cheval  :  adieu  jusqu'à 
votre  retour  ce  soir.  Fléance  va-t-il  avec  vous.' 

Baxquo.  Oui,  mon  bon  seigneur  :  le  temps  nous  presse. 

Macbeth.  Je  souhaite  à  vos  chevaux  vitesse  et  sûreté  de 
pied;  et  ainsi  je  vous  recommande  à  leur  dos.  Adieu.  {Sort 
Banquo.^  Laissons  chacun  maître  de  son  temps  jusqu'à  sept 
heures  du  soir;  pour  faire  à  nos  invités  une  plus  douce  bien- 
venue, nous  voulons  rester  seuls  jusqu'à  l'heure  du  souper  : 
jusque  là,  Dieu  soit  avec  vous  !  {Sortent  lady  Macbeth,  les  sei- 
gneurs, les  dames,  etc.)  Maraud,  un  mot  :  ces  hommes  atten- 
dent-ils notre  volonté? 

Le  Serviteur.  Ils  sont,  monseigneur,  en  dehors  de  la  porte 
du  palais. 

M.\cbeth.  Amène-les  devant  nous.  [Sort  le  serviteur.)  Etre 
cela  n'est  rien,  si  on  ne  l'est  en  sûreté.  —  Nos  craintes  s'arrê- 
tent profondes  sur  Banquo  ;  et  dans  la  supériorité  de  sa  nature 
règne  ce  qui  doit  être  redouté  :  il  ose  beaucoup;  et,  avec  cet 
indomptable  sang-froid  de  son  âme,  il  a  une  sagesse  qui  guide 
sa  valeur  à  agir  sûrement.  Il  n'y  a  que  lui  que  je  craigne  ;  et 
mon  génie  est  dominé  par  lui  comme  on  dit  que  Marc-Antoine 
l'était  par  César.  Il  censura  les  sœurs  quand  elles  commencè- 
rent à  me  donner  le  nom  de  roi,  et  leur  ordonna  de  lui  par- 
ler; alors,  comme  des  prophétesses,  elles  le  saluèrent  père 
d'une  lignée  de  rois  :  elles  placèrent  une  couronne  stérile  sur 
ma  tête,  et  me  mirent  un  sceptre  infécond  au  poing,  d'oii 
l'arrachera  une  main  étrangère,  nul  fils  de  moi  ne  devant  me 
succéder.  S'il  en  est  ainsi,  c'est  pour  la  postérité  de  Banquo 
que  j'ai  perdu  mon  âme;  pour  elle  que  j'ai  tué  l'aimable  Dun- 
can;  pour  elle  seule  que  j'ai  mis  le  remords  dans  le  vase  de 


34 


ma  paix,  et  donné  mon  joyau  éternel  à  l'ennemi  commun  des. 
hommes  afin  de  produire  cette  postérité  de  rois,  la  race  des 
enfants  de  Banquo  !  Plutôt  qu'il  en  soit  ainsi,  viens,  destin, 
dans  la  lice,  et  sois  mon  champion  à  outrance!  —  Qui  est  là? 
{Re7itre  le  serviteur  avec  deux  meurtriers.)  Maintenant,  allez  à 
la  porte  et  restez-y  jusqu'à  ce  que  nous  appelions.  {Sort  le  ser- 
viteur). N'est-ce  pas  hier  que  nous  avons  parlé  ensemble.'' 

Premier  Meurtrier.  En  effet,  plaise  à  votre  altesse. 

Macbeth.  Eh  bien,  alors,  vous  avez  maintenant  réfléchi  à 
mes  paroles.''  Sachez  que  ce  fut  lui,  dans  le  temps  passé,  qui 
vous  retint  ainsi  hors  de  la  fortune,  ce  que  vous  pensiez  être 
le  fait  de  notre  personne  innocente  :  je  vous  l'ai  prouvé  dans 
notre  dernière  entrevue,  employée  à  examiner  avec  vous 
comment  vous  aviez  été  trompés,  traversés,  de  quels  instru- 
ments l'on  s'était  servi  contre  vous,  et  toutes  les  autres  cho- 
ses dont  une  demi-intelligence  et  une  pensée  affaiblie  peuvent 
dire  :  •*■  Banquo  fit  cela.  » 

Premier  meurtrier  Vous  nous  l'avez  fait  connaître. 

Macbeth.  Je  l'ai  fait;  et  j'ai  été  plus  loin,  c'est  là  mainte- 
nant l'objet  de  notre  seconde  entrevue.  Trouvez-vous  la 
patience  assez  prédominante  dans  votre  caractère  pour  laisser 
passer  cela.''  Etes-vous  assez  èvangéliques  pour  prier  en 
faveur  de  ce  brave  homme  et  de  sa  prospérité,  lui  dont  la 
main  vous  a  courbés  vers  le  tombeau  et  appauvri  les  vôtres 
pour  jamais.'' 

Premier  meurtrier.  Nous  sommes  des  hommes,  mon 
suzerain. 

Macbeth.  Oui,  dans  le  catalogue,  vous  passez  pour  des 
hommes;  de  même  que  limiers,  lévriers,  métis,  épagneuls, 
mâtins,  barbets,  caniches  et  demi-loups  sont  tous  désignés 
sous  le  nom  de  chiens;  mais  la  liste  de  valeur  distingue  le 
rapide,  le  lent,  le  subtil,  le  sédentaire,  le  chasseur,  chacun 
selon  la  qualité  que  la  bienfaisante  nature  a  mise  en  lui; 
ainsi  il  reçoit  une  désignation  particulière  dans  cette  liste  où 
ils  sont  tous  également  inscrits  :  il  en  est  de  même  pour  les 
hommes.  Maintenant,  si  vous  avez  une  place  dans  cette 
liste,  et  si  vous  n'êtes  pas  au  dernier  rang  de  la  virilité,  dites- 
le  ;  et  je  proposerai  à  vos  courages  une  affaire  dont  l'exécu- 
tion fera  disparaître  votre  ennemi,  vous  attachera  à  notre 


ACTE   TROISIEME  35 


cœur  et  à  notre  amour,  à  nous  qui  consumons  une  santé  que 
sa  vie  seule  rend  mauvaise  et  que  sa  mort  rétablirait. 

Second  Meurtrier.  —  Je  suis  un  homme,  mon  suzerain, 
que  les  viles  atteintes  et  les  rebuffades  du  monde  ont  telle- 
ment excité,  que  je  suis  indifférent  à  tout  ce  qui  peut  offenser 
le  monde. 

Premier  Meutrier.  Et  moi  un  autre  tellement  las  de 
malheurs,  tellement  ballotté  par  la  fortune  que  je  risquerais 
ma  vie  sur  toute  chance  pour  l'améliorer,  ou  la  perdre. 

M.\cbeth.  Vous  savez  tous  deux  que  Banquo  fut  notre 
ennemi. 

SecoiND  Meurtrier.  Parfaitement,  monseigneur. 

Macbeth.  II  est  aussi  le  mien;  et  tellement  acharné  que 
chaque  minute  de  son  existence  menace  ce  qu'il  y  a  de  plus 
intime  dans  ma  vie;  et  quoique  je  puisse  de  mon  plein  pou- 
voir le  balayer  de  ma  vue,  et  dire  à  ma  volonté  d'avouer  cela, 
je  ne  le  dois  cependant  pas,  pour  certains  amis  qui  sont  à  la 
fois  les  siens  et  les  miens,  dont  je  ne  dois  pas  perdre  l'affec- 
tion, mais  avec  lesquels  je  devrais  pleurer  la  chute  de  celui 
que  j'aurais  abattu  moi-même  :  et  c'est  pourquoi  je  recherche 
votre  aide,  voulant  cacher  l'affaire  aux  yeux  du  public  pour 
diverses  raisons  graves. 

Second  Meurtrier.  Nous  exécuterons,  monseigneur,  ce 
que  vous  nous  commandez. 

Premier  Meurtrier.  Bien  que  nos  existences... 

Macbeth.  Vos  ardeurs  brillent  à  travers  vous.  Dans  une 
heure  au  plus,  je  vous  montrerai  où  vous  devez  vous  mettre  ; 
je  vous  ferai  savoir  le  meilleur  moment  de  l'épier,  car  cela 
doit  être  fait  ce  soir,  et  à  quelque  distance  du  palais;  pensez 
toujours  que  j'ai  besoin  de  rester  innocent  ;  et  avec  lui  —  pour 
ne  point  laisser  de  difficultés  ni  de  replâtrages  dans  cette 
affaire,  —  Fléance,  son  fils,  qui  lui  tient  compagnie  et  dont 
la  disparition  n'est  pas  moins  importante  que  celle  de  son 
père,  doit  subir  la  fatalité  de  cette  heure  sombre.  Décidez- 
vous  vous-mêmes  ensemble  :  je  reviendrai  tantôt. 

Les  deux  Meurtriers.  Nous  sommes  décidés,  mon- 
seigneur. 

Macbeth.  Je  vous  appelerai  tout  à  l'heure  :  restez 
dehors.  {^Les  meicrtriers  sortent.)  C'est  fini  :  —  Banquo,  si  ton 
âme  en  fuite  doit  trouver  le  ciel,  elle  le  trouvera  ce  soir. 


36 


SCENE  II 
Forres.   Un  autre  appartement  dans  le  palais. 

E}itrc7it  Lady  Macbeth  et  un  Serviteur. 

Lady  Macbeth.  Banquo  a-t  il  quitté  la  cour.-' 

Le  Serviteur.  Oui,  Madame,  mais  il  revient  encore  ce 
soir. 

Lady  Macbeth.  Dis  au  roi  que  j'attends  son  bon  plaisir, 
pour  quelques  mots. 

Le  Serviteur.  Madame,  j'y  vais. 

Lady  Macbeth.  Nous  ne  possédons  rien,  tout  se  perd,  là 
où  notre  désir  est  accompli  sans  satisfaction  :  il  est  plus  sûr 
d'être  celui  que  nous  exterminons  que  de  rester  par  son 
extermination  dans  une  joie  douteuse.  {^Entre  Macbeth.')  Eh 
bien,  monseigneur  !  pourquoi  demeurez-vous  seul,  faisant  des 
plus  tristes  imaginations  vos  compagnes,  vous  accoutumant 
à  ces  pensées  qui  devraient  réellement  mourir  avec  ceux 
qu'elles  concernent?  Les  choses  sans  nul  remède  doivent 
être  négligées:  ce  qui  est  fait  est  fait. 

Macbeth.  Nous  avons  tailladé  le  serpent,  nous  ne  l'avons 
pas  tué  :  il  voudra  se  rejoindre,  tandis  que  notre  pauvre 
malice  reste  menacée  de  ses  premières  dents  Mais  que  la 
structure  des  choses  se  disjoigne,  que  l'un  et  l'autre  monde 
soulîrent,  plutôt  que  de  manger  toujours  dans  la  crainte,  et 
de  dormir  dans  la  douleur  de  ces  terribles  rêves  qui  nous 
agitent  chaque  nuit  :  mieux  vaut  être  a-vec  le  mort  que  nous 
avons  envoyé  dans  la  paix  pour  obtenir  sa  place,  que  d'avoir 
l'âme  torturée  dans  un  délire  sans  repos.  Duncan  est  dans  sa 
tombe  ;  après  la  fièvre  agitée  de  la  vie,  il  dort  bien  ;  la  trahison 
a  fait  son  pis  aller  ;  ni  l'acier,  ni  le  poison,  ni  la  haine  inté- 
rieure, ni  l'invasion  étrangère,  rien  ne  peut  plus  le  toucher. 

L.\DY  Macbeth.  Allons,  mon  aimable  seigneur,  dépouillez 
vos  durs  regards;  S03'ez  brillant  et  joyeux  parmi  nos  invités 
ce  soir. 

Macbeth.  Je  le  serai,  mon  amour;  et  soyez  de  même,  je 
vous  en  prie;  portez  votre  souvenir  sur  Banquo;  distinguez- 
le  à  la  fois  par  vos  regards  et  par  vos  paroles  :  il  est  peu 
sûr  le  temps  oii  nous  devons  laver  notre  honneur  dans  ces 


ACTE   TROISIÈME  37 


torrents  de  flatteries  et  faire  de  nos  visages  les  masques  de 
nos  cœurs  pour  cacher  ce  qu'ils  sont. 

Lady  Macbeth.  Laissez  cela. 

Macbeth.  Oh  !  mon  âme  est  pleine  de  scorpions,  chère 
femme  !  Tu  sais  que  Banquo  et  Fléance  vivent. 

Lady  Macbeth.  Mais  les  exemplaires  de  la  nature  ne  sont 
pas  éternels  en  eux. 

Macbeth.  Cela  me  soulage  encore  ;  on  peut  les  attaquer; 
sois  donc  joyeuse  :  avant  que  la  chauve-souris  ait  pris  son 
vol  obscur  ;  avant  qu'à  l'appel  de  la  noire  Hécate,  l'escarbot 
porté  par  ses  élytres  ait  annoncé  de  ses  sourds  bourdonne- 
ments la  rumeur  nocturne,  une  action  d'une  sensible  impor- 
tance sera  accomplie. 

Lady  Macbeth.  Que  doit-il  y  avoir? 

Macbeth.  Sois  innocente  de  cela,  ma  très  chère  poulette^ 
jusqu'à  ce  que  tu  y  applaudisses  :  —  Viens,  ténébreuse  nuit, 
voile  les  tendres  yeux  du  jour  compatissant,  et  de  ta  main 
sanglante  et  invisible,  détruis  et  mets  en  pièces  ce  grand  lien 
qui  me  rend  pâle!  —  La  lumière  s'assombrit,  et  le  corbeau 
s'envole  vers  le  bois  où  il  niche;  les  bonnes  choses  du  jour 
commencent  à  tomber  et  à  s'assoupir,  tandis  que  les  noirs 
agents  de  la  nuit  se  dressent  vers  leurs  proies. — Tu  t'étonnes 
de  mes  paroles;  mais  reste  tranquille;  les  choses  mauvaises 
commencées  se  fortifient  par  le  mal  :  ainsi,  je  t'en  prie,  viens 
avec  moi. 

Ils  sortcjit. 

SCÈNE  III 

Forres.  Un  parc  avec  une  porte  conduisant  au  palais. 

Entrent  Trois  Meurtriers. 

Premier  Meurtrier.  Mais  qui  t'a  ordonné  de  te  joindre  à 
nous  1 

Troisième  Meurtrier.  Macbeth. 

Second  Meurtrier.  Il  ne  doit  pas  exciter  notre  défiance, 
puisqu'il  nous  rappelle  notre  tâche  et  ce  que  nous  devons 
faire  exactement. 

Premier  Meurtrier.  Alors  reste  avec  nous.  L'ouest 
brille  encore  de  quelques  raies  de  jour  :  maintenant,- pressé, 


38 


le  voyageur  en  retard  gagne  rapidement  l'auberge  propice  ; 
et  l'objet  de  notre  veille  est  près  d'arriver 

Troisième  Meurtrier.  Écoutez!  j'entends  des  chevaux. 

Banquo  (du  dehors).  Donnez-nous  une  lumière,  ici,  ho! 

SecOiND  Meurtrier.  C'est  donc  lui  :  les  autres  que  l'on 
attendait  sont  déjà  à  la  cour. 

Premier  Meurtrier.  Ses  chevaux  font  un  détour. 

Troisième  Meurtrier.  D'un  mille  environ  ;  mais  ordi- 
nairement, comme  tout  le  monde,  il  marche  d'ici  à  la  porte 
du  palais. 

Second  Meurtrier.  Une  lumière,  une  lumière  ! 

Troisième  Meurtrier.  C'est  lui 

Premier  Meurtrier.  Tenez  bon. 

Entrent  Banquo  et  FUayice  avec  une  torche. 

Banquo.  Il  y  aura  de  la  pluie  ce  soir. 
Premier  Meurtrier.  Qu'elle  tombe. 

Ils  assaillent  Banquo. 

Baxquo.  O  trahison!  —  Fuis,  bon  Fléance,  fuis,  fuis,  fuis! 
Tu  me  vengeras.  —  O  misérable  ! 

Il  meurt.  Fléance  s'échappe,  (i) 

Troisième  Meurtrier  Qui  a  renversé  la  lumière? 

Premier  Meurtrier.  N'était-ce  pas  le  moyen.' 

Troisième  Meurtrier.  Il  n'y  en  a  qu'un  d'abattu  :  le  fils 
s'est  sauvé. 

Second  Meurtrier.  Nous  avons  perdu  la  meilleure  moitié 
de  notre  affaire. 

Premier  Meurtrier.  Eh  bien,  partons,  et  allons  dire  ce 
qui  est  fait. 

(i)  Nous  reproduisons  sans  commentaires  la  curieuse  note  de  François-Victor 
Hugo:  «  Fléance  se  réfugia  dans  le  pays  de  Galles,  et  il  fut  si  bien  reçu  par  la  fille 
du  roi  de  ce  pays,  que  celle-ci,  dit  la  chronique  d'Holinshed,  consentit  pur  cour- 
toisie ù  se  laisser  faire  un  enfant  par  lui.  Cet  enfant,  qui  fut  nommé  Walter, 
devint  plus  tard  grand  sénéchal  du  roi  d'Ecosse  ufer  le  litre  de  lord  steward 
(d'où  est  venu  le  nom  de  Stuart)  et  fut  piire  d'une  nombreuse  postérité.  Un  de 
ses  arrières  petit-fils  épousa  la  fille  de  Robert  Bruce,  et  en  eut  à  son  tour  un  fils  qui 
futroi  d'Ecosse  sous  le  nom  de  Robert  II.  —  C'est  ainsi  que  l'illustre  maison  de 
Stuart  dut  son  origine  aux  complaisances  d'une  princesse  hospitalière  pour  un 
proscrit.  » 


ACTE   TROISIÈME  39 


SCENE  IV 

Forres.  —  Une  chambre  d'apparat  dans  le  palais. 

Un  banquet  préparé.  Entrent   Macbeth,    Lady    Macbeth, 
Ross,  Lennox,  des  seigneurs  et  des  gens  de  suite. 

Macbeth.  Vous  connaissez  vos  rangs  respectifs,  asseyez- 
vous  :  aux  premiers  comme  aux  derniers,  une  cordiale  bien- 
venue. 

Les  Seigneurs.  Nos  remercîments  à  votre  majesté. 

Macbeth.  Nous  nous  mêlerons  à  la  société,  et  représente- 
rons l'humble  amphytrion.  Notre  hôtesse  garde  son  rang; 
mais,  au  meilleur  moment,  nous  la  prierons  de  souhaiter  la 
bienvenue. 

Lady  Macbeth.  Souhaitez-la  pour  moi,  sire,  à  tous  nos 
amis;  car  mon  cœur  dit  qu'ils  sont  bienvenus. 

Macbeth.  Vois,  ils  te  répondent  par  de  cordiaux  remer- 
cîments. —  Les  deux  côtés  sont  égaux  :  je  vais  m'asseoir  ici 
au  milieu.  (Le  premier  meurtrier  paraît  à  la  porte.)  Soyez  tout 
à  la  joie  :  tantôt  nous  boirons  une  rasade  à  la  ronde.  —  Il  y 
a  du  sang  sur  ton  visage. 

Le  Meurtrier.  C'est  celui  de  Banquo  alors. 

M.\cbeth.  Il  est  mieux  sur  toi  qu'en  lui.  Est-il  dépêché.' 

Le  Meutrier.  Monseigneur,  il  a  la  gorge  coupée;  c'est 
moi  qui  ai  fait  cela. 

M.\cbeth.  Tu  es  le  meilleur  des  coupe-gorges;  il  est  bon 
aussi  celui  qui  a  fait  la  même  chose  à  Fléance  :  si  tu  as  fait 
cela,  tu  seras  son  égal. 

Le  Meurtrier.  Très  roj'al  sire,  Fléance  s'est  échappé. 

Macbeth.  Mon  inquiétude  renaît  alors;  sans  cela,  j'aurais 
été  tranquille,  entier  comme  le  marbre,  solide  comme  le  roc; 
aussi  libre  et  dilaté  que  l'air  ambiant  ;  mais  à  présent  je  suis 
emprisonné,  encagé,  retenu,  enchaîné  dans  des  doutes  cruels 
et  dans  des  terreurs.  Mais  Banquo  est-il  en  sûreté  ? 

Le  Meutrier.  Oui,  mon  bon  seigneur  :  en  sûreté  dans  un 
fossé  où  il  reste  avec  vingt  profondes  entailles  à  la  tête:  la 
moindre  causerait  la  mort. 

M.\cbeth.  Mes  remercîments  ;  le  grand  serpent  gît  là  ;  le 
vermisseau  qui  s'est  sauvé,  est  d'une  nature  qui  pourra  pro- 


40  MACBETH 

duire  avec  le  temps  du  venin,  mais  n'a  pas  de  dents  à  cette 
heure.  —  Va-t'en  :  demain,  nous  nous  entendrons  encore. 

Le  meurtrier  sort. 

Lady  Macbeth.  Mon  royal  seigneur,  vous  ne  prenez  pas 
de  plaisir  :  le  festin  est  vendu  si  l'on  ne  montre  pas  souvent 
pendant  sa  durée  qu'il  est  offert  avec  cordialité  ;  mieux  vau- 
drait manger  chez  soi  ;  hors  de  là,  l'assaisonnement  des  mets 
est  la  cérémonie;  la  réunion  serait  pauvre  sans  cela. 

Macbeth.  Agréable  aide-mémoire  !  —  Maintenant,  qu'une 
bonne  digestion  accompagne  l'appétit,  et  la  santé  par  dessus 
tout  ! 

Lennox.  Qu'il  plaise  à  votre  altesse  de  s'asseoir. 

Le  spectre  de  Banqtco  entre  et  s'assied  à  la  place  de  Macbeth. 

Macbeth.  Nous  abriterions  maintenant  ici  l'honneur  de 
notre  contrée,  si  l'aimable  personne  de  notre  Banquo  était 
présente  :  pourvu  que  j'aie  plutôt  à  l'accuser  de  négligence 
qu'à  le  plaindre  pour  un  malheur  ! 

Ross.  Son  absence,  sire,  lui  fera  reprocher  sa  promesse. 
Qu'il  plaise  à  votre  altesse  de  nous  gratifier  de  sa  royale 
compagnie. 

Macbeth.  La  table  est  pleine. 

Lennox.  Voici  une  place  réservée,  sire. 

Macbeth.  Où  1 

Lennox.  Ici,  mon  bon  seigneur.  Qu'est-ce  qui  émeut  votre 
altesse? 

Macbeth.  Tu  ne  peux  dire  que  j'ai  fait  cela  :  ne  secoue  pas 
tes  boucles  sanglantes  devant  moi. 

Ross.  Gentilshommes,  levez-vous  ;  son  altesse  n'est  pas 
bien. 

Lady  Macbeth.  Assej^ez-vous,  dignes  amis  :  —  monsei- 
gneur est  souvent  ainsi,  et  l'a  été  dès  sa  jeunesse  :  je  vous  en 
prie,  restez  assis  ;  l'accès  est  momentané  ;  dans  un  instant,  il 
sera  rétabli  :  si  vous  y  faites  trop  attention,  vous  l'oftenserez 
et  vous  augmenterez  son  délire;  mangez,  et  ne  le  regardez 
pas.  —  Etes-vous  un  homme  "i 

Macbeth.  Oui,  et  un  hardi,  qui  ose  regarder  ce  qui  épou- 
vanterait le  démon. 


ACTE   TROISIÈME  41 


Lady  Macbeth.  O  la  belle  sottise!  ce  sont  les  images 
mêmes  de  vos  terreurs  :  c'est  le  poignard  tiré  dans  l'air  qui, 
disiez-vous,  vous  menait  vers  Duncan.  Oh  !  ces  fêlures  et  ces 
transports,  impostures  d'une  vraie  terreur,  conviendraient 
bien  près  d'un  feu  d'hiver  dans  le  conte  d'une  femme,  approu- 
vée par  sa  grand'mère.  C'est  une  honte  !  Pourquoi  faites-vous 
de  telles  grimaces  ?  Tout  bien  pesé,  vous  ne  regardez  qu'un 
escabeau.  , 

Macbeth.  Je  t'en  prie,  regarde  ici  !  riens  !  regarde  !  voici  ! 
qu'en  dis-tu .''  Quoi,  quel  souci  ai-je .''  Si  tu  peux  faire  un 
signe  de  tête,  parle  aussi.  —  Si  les  charniers  et  les  tombeaux 
peuvent  rendre  ce  que  nous  ensevelissons,  nos  monuments 
seront  les  panses  des  milans. 

Le  fantôme  disparaît. 

Lady  M.\cbeth.  Quoi,  entièrement  énervé  par  la  folie  ? 

Macbeth.  Si  je  reste  ici,  je  le  vois. 

Lady  Macbeth.  Fi,  par  pudeur! 

Macbeth.  On  a  verse  du  sang  avant  ce  jour,  dans  l'ancien 
temps,  avant  que  la  loi  humaine  épurât  la  tranquille  prospé- 
rité; oui,  et  depuis  lors  aussi,  on  a  commis  des  meurtres 
terribles  à  entendre  raconter  ;  le  temps  fut  où,  quand  les 
cervelles  étaient  dehors,  les  hommes  mouraient,  et  c'était 
fini  ;  mais  maintenant,  ils  se  relèvent  encore  avec  vingt  bles- 
sures mortelles  à  la  tête,  et  nous  chassent  de  nos  sièges  :  cela 
est  plus  étrange  qu'un  tel  meurtre. 

Lady  Macbeth.  Mon  digne  seigneur,  vos  nobles  amis  vous 
réclament. 

M.\cbeth.  Je  l'oubliais  :  —  ne  prenez  pas  garde  à  moi,  mes 
très  dignes  amis  ;  j'ai  une  étrange  infirmité,  qui  n'est  rien  pour 
ceux  qui  me  connaissent.  Allons,  amitié  et  santé  à  tous;  puis 
je  vais  m'asseoir.  —  Donnez-moi  du  vin,  à  pleine  coupe.  — 
Je  bois  à  la  joie  générale  de  toute  la  table,  et  à  notre  cher  ami 
Banquo  qui  nous  manque  ;  que  n'est-il  ici  !  à  tous,  à  lui,  nous 
buvons,  et  tous  à  tous  ! 

Les  Seig.\eurs.  Nos  civilités,  et  notre  gage. 

Rentre  lefatiiâmc. 

Macbeth.  Arrière  !  et  quitte  ma  vue  !  que  la  terre  te  cache  ! 
Tes  os  sont  sans  moelle,  ton  sang  est  froid;  tu  n'as  aucune 
pensée  dans  ces  yeux  que  tu  fais  briller! 


42 


Lady  Macbeth.  Ne  voyez  là,  nobles  amis,  qu'une  chose 
habituelle;  ce  n'est  rien  d'autre;  seulement,  cela  gâte  le  plai- 
sir de  la  soirée. 

Macbeth.  Ce  qu'un  homme  ose,  je  l'ose  :  approche  sous  la 
forme  de  l'ours  hérissé  de  Russie,  du  rhinocéros  armé,  ou  du 
tigre  d'Hyrcanie;  prends  toute  autre  forme  que  celle-là,  et 
mes  nerfs  solides  ne  trembleront  point;  ou  revis  et  défie-moi 
au  désert  avec  ton  épée  :  si  je  m'arrête  en  tremblant,  déclare 
que  je  suis  le  marmot  d'une  fille.  Hors  d'ici,  ombre  horrible! 
moquerie  chimérique,  hors  d'ici!  {Le  spectre  disparaît.)  Quoi 
donc  !  lui  parti,  je  suis  encore  un  homme.  —  Je  vous  en  prie, 
restez  assis. 

Lady  Macbeth.  Vous  avez  chassé  la  joie  et  bouleversé 
cette  agréable  réunion  par  le  plus  singulier  désordre. 

Macbeth.  De  telles  choses  peuvent  elles  être  et  fondre  sur 
nous  comme  un  nuage  d'été,  sans  causer  un  étonnement 
extraordinaire.'' Vous  me  saisissez,  même  dans  l'état  oîi  je 
suis,  quand  à  présent  je  songe  que  vous  pouvez  contempler 
de  telles  visions  et  garder  le  rouge  naturel  de  vos  joues,  tan- 
dis que  les  miennes  sont  blanches  de  frayeur. 

Ross.  Quelles  visions,  monseigneur  ! 

Lady  Macbeth.  Je  vous  en  prie,  ne  lui  parlez  pas  ;  il  va  de 
mal  en  pis  ;  les  questions  l'exaspèrent  :  à  tous,  bonne  nuit  : 
—  ne  vous  occupez  pas  du  rang  pour  partir,  mais  sortez  tous 
ensemble. 

Lexnox.  Bonne  nuit;  et  qu'une  meilleure  santé  attende  sa 
majesté  ! 

Lady  Macbeth.  Une  bienfaisante  nuit  à  tous  ! 

Tous  sortent,  exceptés  Macbeth  et  Lady  Macbeth. 

Macbeth.  Il  y  aura  du  sang  ;  on  dit  que  le  sang  veut  du 
sang  :  on  a  vu  des  pierres  se  mouvoir  et  des  arbres  parler; 
des  augures,  et  des  récits  accusateurs  par  la  voix  des  pies,  des 
choucas  et  des  freux  dénoncent  l'homme  de  sang  le  mieux 
caché.  —  Où  en  est  la  nuit .-' 

Lady  Macbeth.  Proche  du  matin,  qui  lutte  avec  elle. 

Macbeth.  Que  dis-tu  de  Macduffqui  refuse  de  se  rendre  à 
notre  grande  invitation  ? 

Lady  Macbeth.  Avez-vous  envoyé  auprès  de  lui,  sei- 
gneur .'' 


ACTE   TROISIÈME  43 


Macbeth.  J'ai  appris  cela  chemin  faisant,  mais  j'enverrai  : 
il  n')'  en  a  pas  un  d'entre  eux  chez  qui  je  n'entretienne  un  ser- 
viteur. J'irai  demain  —  et  de  bonne  heure  —  trouver  les 
sœurs  magiques  :  elles  m'en  diront  davantage,  car  maintenant 
je  suis  résolu  à  connaître  le  pire  par  les  pires  moyens.  Devant 
mon  propre  bien,  toutes  les  raisons  doivent  céder  :  je  suis 
entré  si  avant  dans  le  sang  que  si  je  n'avançais  pas  davantage, 
retourner  serait  aussi  pénible  que  continuer:  j'ai  en  tête  des 
choses  étranges  que  ma  main  exécutera  et  qui  veulent  être 
faites  avant  d'être  scrutées. 

Lady  Macbeth.  Vous  avez  besoin  du  remède  de  toute 
créature  :  dormir 

Macbeth.  Allons  dormir.  Mon  singulier  oubli  de  moi- 
même  est  la  première  manifestation  d'une  crainte  que  l'habi- 
tude adoucira  ;  —  nous  sommes  jeunes  encore  dans  le  crime. 

Ils  sortent. 
SCÈXE  V 
Une  bruyère. 

lonnerre.  Entrent  trois  SoRCXÈRKS  rencontrant  Hécate,  (i) 

Première  Sorcière.  Quoi  donc,  Hécate!  vous  semblez 
irritée. 

Hécate.  N'ai-je  pas  raison,  impertinentes  et  téméraires 
sorcières  que  vous  êtes.'  Comment  avez-vous  osé  faire  avec 
Macbeth  commerce  et  trafic  d'énigmes  et  de  choses  funèbres, 
quand  moi,  la  maîtresse  de  vos  charmes,  la  créatrice  secrète 
de  tous  les  maux,  je  n'ai  pas  été  appelée  à  y  participer,  ni  à 
montrer  la  gloire  de  notre  art .'  Et  ce  qui  est  pis,  tout  ce  que 
vous  avez  fait  ne  l'a  été  que  pour  un  fils  pervers,  haineux  et 
violent  qui,  comme  les  autres,  aime  ses  propres  intérêts,  et 
non  pas  vous.  Mais  faites  amende  maintenant  ;  allez-vous  en 

(i)  Hécate  était  de  toute  antiquité  la  reine  des  sorcières,  puisque  c'était  de  ce 
nom  que  Diane  était  connue  aux  enfers.  Réginald  Scott,  dans  sa  Découverte  de  la 
sorcellerie,  rapporte  que  les  sorcières  avaient,  de  nuit,  des  entrevues  avec  Héro- 
diate  et  les  dieux  païens,  et  quelles  couraient  à  cheval  avec  Diane,  la  déesse 
païenne.  Leur  reine,  ou  maîtresse  souveraine,  est  toujours  une  divinité  païenne. 
Dame  Sibylle,  Minerve,  ou  Diane.  (Tollet). 


44 


et  attendez-moi  dans  la  matinée  à  l'abîme  de  l'Achéron  :  il 
s'y  rendra  pour  connaître  sa  destinée  :  préparez  vos  vases  et 
talismans,  vos  charmes  et  toutes  les  choses  nécessaires.  Je  suis 
dans  l'air;  j'employerai  cette  nuit  à  une  œuvre  horrible  et 
fatale  :  je  dois  réaliser  de  grandes  choses  avant  midi  :  au  coin 
de  la  lune  est  suspendue  une  épaisse  goutte  vaporeuse;  je 
veux  la  saisir  avant  qu'elle  tombe  à  terre;  et,  distillée  par 
mes  tours  magiques,  elle  suscitera  des  esprits  si  artificieux 
que,  par  la  force  de  leur  illusion,  il  sera  entraîné  dans  le  ver- 
tige ;  il  repoussera  du  pied  la  destinée,  méprisera  la  mort  et 
portera  ses  espérances  au-dessus  de  la  sagesse,  de  la  grâce  et 
de  la  crainte:  et  vous  savez  toutes  que  la  sécurité  est  la 
suprême  ennemie  des  mortels.  (Musique  et  chant  dans  le  loin- 
tain.) «  Venez,  venez,  etc.  »  (i)  Ecoutez  !  On  m'appelle;  mon 
petit  esprit,  voyez,  est  assis  sur  un  nuage  de  brouillard,  et 
m'attend. 

Elle  sort. 

Première  Sorcière.  Venez,  hâtons-nous  ;  elle  reviendra 
bientôt. 

Elles  sortent. 

SCÈNE  VI 
Forres.   Une  chambre  dans  le  palais. 

E7itrent  Lennox  et  un  autre  Seigneur. 

Lennox.  Mes  dernières  paroles  n'ont  fait  qu'éveiller  vos 
pensées,  qui  peuvent  se  donner  carrière  :  seulement,  dis-je, 
les  choses  ont  été  étrangement  rapportées.  L'aimable  Dun- 
can  a  été  plaint  par  Macbeth  :  —  ma  foi,  il  était  mort.  —  Et 
le  très  vaillant  Banquo  se  promenait  trop  tard  ;  vous  pouvez 
dire,  si  cela  vous  plaît,  que  Fléance  l'a  tué,  car  Fléance  s'est 
enfui  :  les  gens  ne  doivent  pas  se  promener  trop  tard.  Oui  ne 

(i)  Ce  chant  est-il  perdu  ou,  comme  le  pense  un  des  plus  savants  commenta- 
teurs de  Shakespeare,  Staunton,  n'est-il  que  celui  qu'on  trouve  dans  la  Sorcière, 
pièce  médiocre  de  Middleton  probablement  écrite  vers  1613,  mais  seulement  impri- 
mée en  1778  ?  Il  y  a  là  une  question  intéressante,  assez  complexe,  qu'on  a  beau- 
coup discutée  en  Angleterre.  Nous  nous  bornons  à  la  signaler  ici,  son  exposé 
demandant  trop  de  développements. 


ACTE   TROISIEME  45 


pense  combien  ce  fut  monstrueux  à  Malcolm  et  à  Donalbain 
de  tuer  leur  bon  père?  Action  damnée  !  comme  elle  affligea 
Macbeth!  N'exécuta-t-il  pas  sur  le  champ,  dans  sa  rage 
pieuse,  les  deux  coupables  qui  étaient  esclaves  de  la  boisson 
et  captifs  du  sommeil?  N'était-ce  pas  agir  noblement?  Oui, 
et  sagement  aussi,  car  cela  eût  irrité  tout  cœur  vivant 
d'entendre  ces  hommes  nier.  Aussi  dis-je  qu'il  a  bien  mené 
toutes  les  choses  ;  et  je  pense  que,  s'il  avait  sous  ciel  les  fils 
de  Duncan,  —  ce  qui  n'arrivera  pas,  plaise  au  ciel  —  ceux-ci 
apprendraient  ce  que  c'est  que  de  tuer  un  père  ;  et  Fléance 
aussi.  Mais,  silence  !  —  car  j'apprends  que  pour  des  paroles 
libres  et  pour  n'avoir  pas  été  présent  à  une  fête  du  tyran, 
j'apprends  que  Macduff"  vit  en  disgrâce  :  seigneur,  pouvez- 
vous  dire  où  il  s'est  retiré  ? 

Le  Seigneur.  Le  fils  de  Duncan  dont  ce  t3'ran  usurpe  le 
droit  héréditaire,  vit  à  la  cour  d'Angleterre  ;  et  il  est  reçu  par 
le  très  pieux  Edouard  avec  une  telle  faveur  que  la  malveil- 
lance de  la  fortune  n'enlève  rien  au  grand  respect  qu'il 
inspire  :  Macbeth  est  allé  là-bas  prier  le  saint  roi  d'appeler  à 
son  aide  Northumberland  et  le  belliqueux  Siward,  afin 
qu'avec  leur  appui  —  que  Celui  qui  est  là-haut  protège 
l'entreprise  !  —  nous  puissions  encore  manger  à  nos  tables, 
dormir  pendant  nos  nuits,  débarrasser  nos  fêtes  et  nos  ban- 
quets de  poignards  sanglants,  rendre  un  fidèle  hommage  et 
recevoir  de  libres  honneurs  ;  —  toutes  choses  après  les- 
quelles nous  languissons  maintenant  :  et  ce  récit  a  tellement 
exaspéré  le  roi  qu'il  prépare  quelque  entreprise  de  guerre. 

Lexnox.  A-t-il  envoyé  auprès  de  Macduiï? 

Le  Seigneur.  Oui  ;  et  avec  un  absolu  «  Monsieur,  pas 
moi  »  s'est  vu  renvoyé  le  messager  assombri  qui  a  murmuré 
quelque  chose  signifiant  :  «  Vous  regretterez  l'heure  oii  vous 
me  chargez  de  cette  réponse  ». 

Lennox.  Et  cela  devait  bien  l'engager  à  être  prudent,  à 
rester  à  la  distance  que  suggère  sa  sagesse.  Que  quelque  ange 
saint  vole  à  la  cour  d'Angleterre  et  expose  son  message  avant 
qu'il  arrive,  afin  qu'une  prompte  bénédiction  retourne  bien- 
tôt dans  notre  contrée  qui  souffre  sous  une  main  maudite  ! 

Le  Seigneur.  J'envoie  mes  prières  avec  lui. 

Ib  sortent. 


ACTE  IV 

SCÈNE  I 
Une  caverne.  Au  milieu,  un  chaudron   bouillant. 

To?i?icrre.  Entrent  les  trois  Sorcières. 

Première  Sorcière.  Trois  fois  le  chat  tacheté  a  miaulé,  (i) 
Seconde  Sorcière.  Et  trois  fois  le  porc-épic  a  glapi. 
Troisième  Sorcière.  La  harpie  crie  :  —  il  est  temps,  ilest 
temps. 

Première  Sorcière. 

Tournons  autour  du  chaudron  ; 
Jetons  les  entrailles  empoisonnées.  — 
Crapaud,  qui  sous  la  froide  pierre. 
Trente  et  un  jours  et  trente  et  une  nuits, 
As  sué  du  venin  en  dormant. 
Bous  le  premier  dans  le  pot  enchanté. 

Toutes. 

Redoublons,  redoublons  de  peine  et  de  trouble  ; 
Feu,  brûle;  et  toi,  chaudron,  bouillonne. 

(I)  Warburton  rappelle  que,  de  temps  immémorial,  le  chat  fut  l'agent  et  le 
favori  des  sorcières  ;  que  Galinthia,  ayant  été  changée  en  chat  par  le  destin  (voir 
Antonius  Liberalis,  Méiainorphoses,  chap.  XXIX),  Hécate  eut  pitié  d'elle  et 
en  fit  sa  prêtresse,  fonction  qu'elle  occupe  depuis  lors;  et  qu'Hécate  elle-même 
prit  la  forme  d'un  chat  quand  Typhon  força  les  dieux  et  les  déesses  à  se  cacher 
sous  des  formes  d'animaux.  Douce,  autre  commentateur  de  Shakespeare,  ajoute, 
que  chez  les  Egyptiens,  le  chat  était  consacré  à  Iris  ou  la  Lune,  leur  Hécate  ou 
Diane,  et  par  conséquent  fort  honoré  ;  qu'on  possède  beaucoup  d'idoles  de  chats, 
et  que  le  Sistrum  des  prêtres  d'Iris  était  généralement  orné  d'une  figure  de  chat 
avec  un  croissant  sur  la  tête. 


ACTE   QUATRIEME  47 


Seconde  Sorcière. 

Filet  d'un  serpent  des  marécages, 

Dans  le  chaudron  bous  et  cuis  ; 

Œil  de  lézard  d'eau  et  doigt  de  grenouille, 

Poil  de  chauve-souris  et  langue  de  chien, 

Fourche  de  vipère  et  pointe  de  ver  aveugle 

Patte  de  lézard  et  aile  de  hibou,  — 

Par  un  charme  d'un  mal  puissant. 

Comme  un  bouillon  d'enfer,  cuisez  et  bouillonnez. 

Toutes. 

Redoublons,  redoublons  de  peine  et  de  trouble  ; 
Feu,  brûle;  et  toi,  chaudron,  bouillonne. 

Troisième  Sorcière. 

Ecaille  de  dragon,  dent  de  loup, 
Momie  de  sorcière,  panse  et  goulïre 
Du  furieux  requin  de  mer  ; 
Racine  de  ciguë  qui  fouille  dans  la  nuit  ; 
Foie  de  Juif  blasphémateur; 
Fiel  de  chèvre  et  bouture  d'if 
Fendu  pendant  l'éclipsé  de  lune, 
Nez  de  Turc  et  lèvre  de  Tartare  ; 
Doigt  de  jeune  enfant  étranglé 
Laissé  dans  une  fosse  par  une  coureuse 
Faites  le  gruau  épais  et  sale; 
Ajoutons-y  un  estomac  de  tigre 
Comme  ingrédient  de  notre  chaudière. 

Toutes. 

Redoublons,  redoublons  de  peine  et  de  trouble 
Feu,  brûle;  et  toi,  chaudron,  bouillonne. 

Seconde  Sorcière. 

Refroidissons  cela  avec  du  sang  de  babouin 
Pour  que  le  charme  soit  solide  et  bon. 

Entre  Hécate. 


HÉCATE. 

Oh  !  bien  fait  !  J'apprécie  vos  peines  ; 

Et  chacune  aura  part  aux  profits  ; 

Et  maintenant  chantez  autour  du  chaudron 

Comme  une  ronde  d'elfes  et  de  fées, 

Enchantant  tout  ce  que  vous  avez  mis  là. 

Musique  et  chants  :  «  Xoirs  esprits,  etc.  »  (i) 
Seconde  Sorcière. 

Par  le  picotement  de  mes  pouces, 
Quelque  chose  de  pervers  vient  ici  : 

Ouvrez,  serrure 

A  quiconque  frappe  ! 

Entre  Macbeth.- 

Macbeth.  Et  bien,  vous,  sorcières  cachées,  sombres  et 
nocturnes!  Que  faites-vous  ?  , 

Toutes.  Une  œuvre  sans  nom. 

Macbeth.  Je  vous  en  conjure,  par  ce  que  vous  professez,  — 
de  quelque  manière  que  vous  ayez  appris  cela,  répondez-moi  : 
dussiez-vous  délier  les  vents  et  les  faire  lutter  contre  les  égli- 
ses ;  dussent  les  vagues  écumantes  mêler  et  engloutir  la  mari- 
ne; dussent  les  épis  de  blé  et  les  arbres  s'abattre,  (2)  les  châ- 
teaux crouler  sur  la  tète  de  leurs  habitants,  les  palais  et  les 
pyramides  incliner  leurs  têtes  jusqu'à  leurs  fondements;  dût 
le  trésor  des  germes  de  la  nature  s'écrouler  pêle-mêle  jus- 
qu'à ce  que  la  destruction  même  se  soit  épuisée,  répondez  à 
ce  que  je  vous  demande. 

Première  Sorcière.  Parle. 

Deuxième  Sorcière.  Demande. 

Troisième  Sorcière.  Nous  répondrons. 

Première  Sorcière.  Dis,  si  tu  préfères  entendre  cela  de 
nos  bouches  ou  de  celles  de  nos  maîtres. 

(i)  «  Ce  chant  comme  celui  de  l'acte  précédent  se  trouve  également  dans  Mid- 
dletonet  Avenant.  »  {Montégut). 

(2)  On  croyait  que  les  sorcières  pouvaient  transporter  les  moissons  d'un  champ 
dans  un  autre;  et  qu'une  fois  la  moisson  formée  en  épis,  une  tempête  soulevée 
par  sortilège  pouvait  l'abattre. 


ACTE   QUATRIEME  49 


Macbeth.  Appelez-les,  faites  les  moi  voir. 

Première  Sorcière.  Versez  le  sang  d'une  truie  (i)  qui  a 
mangé  ses  neufs  cochons  de  lait;  lancez  dans  la  flamme  la 
graine  qui  a  transpiré  du  gibet  d'un  assassin. 

Toutes.  Viens,  grand  ou  petit;  montre  adroitement  ta 
personne  et  ton  office. 

Tonnerre.  Se  lève  /'Apparition  d'tcnc  tête  casquée. 

M.\CBETH.  Dis-moi,  toi,  puissance  inconnue... 

Première  Sorcière.  Il  connaît  ta  pensée  :  écoute  sa 
parole,  mais  ne  dis  rien. 

L'Apparition  a  la  tête  casquée.  Macbeth  !  Macbeth  ! 
Macbeth!  prend  garde  à  Macduff  ;  prend  garde  à  Macduft"; 
prend  garde  au  thanc  de  Fife.  —  Renvo3'ez-moi  :  c'est  assez. 

Elle  descend. 

Macbeth.  Qui  que  tu  sois,  pour  ton  bon  avis,  mes  remer- 
cîments  ;  tu  as  directement  touché  ma  crainte; —  mais  un 
mot  encore. 

Première  Sorcière.  Il  ne  veut  pas  être  commandé  :  en 
voici  un  autre,  plus  puissant  que  le  premier. 

Tonnerre.  Se  lève  /'Apparition  d'un  Efifattt  etisanglantè. 

L'Enfant  ensanglanté.  Macbeth!  Macbeth!  Macbeth! 

Macbeth.  Je  voudrais  avoir  trois  oreilles  pour  t'entendre. 

L'Enfant  ensanglanté.  Sois  sanguinaire,  hardi  et  résolu; 
méprise  en  riant  le  pouvoir  de  l'homme,  car  nul  être  né  de  la 
femme  ne  pourra  nuire  à  Macbeth. 

//  descend. 

Macbeth.  Alors,  vis,  MacduiT:  qu'ai-je  à  craindre  de  toi.'' 
Mais  pourtant,  je  veux  rendre  l'assurance  doublement  sûre 
et  exiger  un  engagement  du  sort  :  tu  ne  vivras  pas  ;  je  pourrai 
dire  à  la  crainte  blême  qu'elle  ment,  et  dormir  en  dépit  du 
tonnerre. 

(i)  «  HoUinshed,  dans  son  Histoire  d'Ecosse,  rapporte  qu'une  des  lois  de 
Kenneth  II  ordonne  que  .si  une  truie  a  manyé  ses  marcassins,  elle  soit  lapidée  à 
mort  et  enterrée,  et  que  personne  ne  mange  de  sa  chair.  »  {Montégut). 


Tonnerre.  Se  levé  /'Apparition'  d'un  E^ifanl  couronné  tenant 
un  arbre  à  la  inahi. 

Macbeth.  Quel  est  celui-ci  qui  se  lève  comme  la  postérité 
d'un  roi,  et  porte  sur  son  front  d'enfant  la  couronne  suprême 
de  la  souveraineté? 

Toutes.  Ecoute,  mais  ne  lui  parle  pas. 

L'ExFANT  COURONNÉ.  Aie  un  cœur  de  lion,  sois  orgueil- 
leux, et  n'aie  cure  de  ce  qui  gronde,  ni  de  ce  qui  s'agite,  ni  du 
lieu  où  sont  les  conspirateurs  :  Macbeth  ne  sera  jamais  vaincu 
jusqu'à  ce  que  la  grande  forêt  de  Birnam  s'avance  contre  lui 
sur  la  haute  colline  de  Dunsinane. 

Macbeth.  Cela  ne  sera  jamais  ;  qui  peut  influencer  la 
forêt,  ordonner  à  l'arbre  d'arracher  sa  racine  fixée  en  terre  t 
Agréables  présages  !  bien  !  Tête  de  la  rébellion,  ne  te  lève 
jamais,  avant  que  la  forêt  de  Birnam  marche,  et  notre  Mac- 
beth haut-placé  achèvera  le  bail  de  la  nature,  ne  rendra  son 
dernier  souffle  qu'avec  le  temps  et  par  la  fatale  coutume.  — 
Cependant  mon  cœur  tremble  de  savoir  une  chose  :  dites- 
moi,  —  si  votre  art  peut  aller  jusque  là,  —  la  postérité  de 
Banquo  règnera-t-elle  jamais  sur  ce  royaume  'i 

Toutes.  Ne  cherche  pas  à  en  savoir  davantage. 

M.\CBETH.  Je  veux  être  satisfait  :  si  vous  me  refusez  cela, 
qu'une  éternelle  malédiction  tombe  sur  vous  !  Dites-moi  :  — 
pourquoi  ce  chaudron  s'enfonce-t  il .'  et  quel  est  ce  bruit  ? 

Hautbois. 

Première  Sorcière.  Paraissez. 
Deuxième  Sorcière.  Paraissez. 
Troisième  Sorcière.  Paraissez. 

ToiTTES.  Paraissez  à  ses  yeux  et  affligez  son  cœur  ;  venez 
comme  des  ombres,  et  disparaissez  de  même. 

Huit  Rois  apparaissent,  et  défilent  en 
ordre,  le  dernier  avec  une  glace  à  la 
main  ;  le  spectre  de  Banquo  les  suit. 

Macbeth.  Tu  ressembles  trop  à  l'esprit  de  Banquo  ;  redes- 
cends !  ta  couronne  brûle  mes  prunelles  ;  et  ta  chevelure,  toi, 
l'autre  couronné  d'or,  ressemble  à  la  première;  le  troisième 


ACTE  QUATRIÈME 


aussi.  —  Immondes  sorcières!  pourquoi  me  montrez-vous 
cela  ?  —  Un  quatrième  ?  —  Frémissez,  mes  yeux  !  —  Quoi,  la 
lignée  s'étendra  jusqu'au  jour  du  jugement?  —  Un  autre 
encore  ?  —  Un  septième  ?  —  Je  n'en  veux  pas  voir  dav'antage  ; 
—  et  cependant  le  huitième  apparaît  avec  un  miroir  qui  m'en 
montre  beaucoup  plus;  et  j'en  vois  qui  portent  de  doubles 
globes  et  de  triples  sceptres  (  i)  :  horrible  spectacle  !  —  Mainte- 
nant je  m'aperçois  que  c'est  vrai,  car  l'ensanglanté  Banquo 
me  sourit  et  me  les  désigne  comme  étant  les  siens.  —  Quoi, 
en  est-il  ainsi  ? 

Première  Sorcière.  Oui,  seigneur,  tout  cela  est  vrai  :  — 
mais  pourquoi  Macbeth  reste-t-il  ainsi  confondu  .'  —  Venez, 
sœurs,  ranimons  ses  esprits  et  montrons-lui  les  meilleures  de 
nos  délices  :  je  vais  charmer  l'air  pour  qu'il  produise  des  sons, 
pendant  que  vous  exécuterez  votre  antique  ronde,  afin  que 
ce  grand  roi  puisse  dire  dans  sa  bonté  que  nos  hommages  ont 
payé  sa  bienvenue. 

Mitsiqne.  Les  Sorcières  dansent,  et  puis 
s'cvayioiiisscnt. 

Macbeth.  Où  sont-elles .''  Parties .'  —  Que  cette  heure 
pernicieuse  reste  à  jamais  maudite  dans  le  calendrier  !  — 
Venez,  vous  là  dehors  ! 

Entre  Lexxox.  Que  veut  votre  grâce .' 

Macbeth.  Avezvous  vu  les  sœurs  fatales  .' 

Lenxox.  Non,  monseigneur. 

M.^cbeth.  N'ont-elles  pas  passé  près  de  vous  .' 

Lexxox.  Non.  vraiment,  monseigneur. 

M.\CBETH.  Infecté  soit  l'air  sur  lequel  elles  ont  chevauché  ; 
et  damnés  tous  ceux  qui  se  fient  à  elles  !  —  J'ai  entendu  le 
galop  d'un  cheval  :  qui  est  venu  par  ici  ? 

(i)  «  Ceci  est  une  allusion  à  Jacques  I",  qui  descendait,  dit-on.  de  Banquo,  et 
qui  le  premier  réunit  sous  le  même  sceptre  les  deux  iles  britanniques  et  les  trois 
royaumes.  La  tête  armée  d'un  casque  figure  la  tête  de  Macbeth,  coupée  et  pré- 
sentée à  Malcolm  par  Macduff;  l'enfant  ensanglanté  est  Macduff  venu  au  monde 
avant  terme  ;  l'enfant  avec  une  couronne  sur  la  tête  et  un  rameau  à  la  main,  c'est 
le  royal  Malcolm,  qui  dans  sa  marche  sur  Dunsinane  ordonna  à  chacun  de  ses 
soldats  de  couper  une  branche  et  de  la  porter  devant  lui.  »  (Benjandn  Laroche) 
On  sait  que  Jacques  I'^,  successeur  d'Elisabeth,  régna  de  1603  à  1625. 


52 


Lennox.  Ce  sont  deux  ou  trois  hommes,  monseigneur,  qui 
vous  apportent  la  nouvelle  que  Macduft" s'est  enfui  en  Angle- 
terre. 

Macbeth.  Enfui  en  Angleterre! 

Lennox.  Oui,  mon  bon  seigneur. 

M.vCBETH.  Temps,  tu  devances  mes  terribles  exploits  :  le 
but  fugitif  n'est  jamais  atteint,  à  moins  que  l'action  ne  l'ac- 
compagne :  dès  ce  moment,  les  vrais  premiers-nés  de  mon 
cœur  seront  les  premiers-nés  de  ma  main.  Et  tantôt  même, 
pour  couronner  mes  pensées  de  mes  actes,  sitôt  fait  que 
pensé,  je  veux  surprendre  le  château  de  MacdufT,  m'emparer 
de  Fife,  passer  au  fil  de  l'épée  sa  femme,  ses  enfants,  et  tous 
les  êtres  malheureux  qui  prolongent  sa  lignée.  Pas  de  jac- 
tance comme  un  sot;  j'accomplirai  cet  acte  avant  que  le 
dessein  refroidisse;  mais  plus  de  visions!  —  Oîi  sont  ces 
gentilshommes.''  Venez,  conduisez-moi  près  d'eux. 

Ils  sortent. 

♦  SCÈNE  II 

Fife.  Une  chambre  dans  la  château  de  Macduff.  (i) 

Entrent  Lady  Macduff,  so7i  fils  et  Ross. 

Lady  Macduff.  Qu'avait-il  fait,  pour  s'enfuir  du  pays  ? 

Ross.  Vous  devez  avoir  de  la  patience,  madame. 

Lady  Macduff.  Lui  n'en  a  pas  eu  :  sa  fuite  a  été  une  folie  : 
quand  ce  ne  sont  pas  nos  actions,  ce  sont  nos  craintes  qui  font 
de  nous  des  traîtres. 

Ross.  Vous  ignorez  si  cela  fut  sagesse  ou  crainte. 

Lady  Macduff.  Sagesse!  laisser  sa  femme,  laisser  ses 
enfants,  sa  demeure  et  ses  titres,  dans  un  lieu  d'oii  lui-même 
s'enfuit.''  Il  ne  nous  aime  pas;  l'instinct  de  la  nature  lui 
manque;  car  le  pauvre  roitelet,  le  plus  petit  des  oiseaux, 
luttera,  quand  ses  petits  sont  au  nid,  contre  le  hibou.  Tout 
est  crainte,  et  rien  n'est  amour  ;  la  sagesse  est  bien  faible  où. 
la  fuite  heurte  toute  raison. 

(i)  «  Sur  la  côte  de  Fifeshire,  à  environ  trois  raille  de  Dysart,  on  voit  encore  les 
tours  quadrangulaires  d'un  château  qu'on  suppose  avoir  été  celui  de  Macduff. 
(Fr.-V.  liuQO,  tome  III,  1859). 


ACTE   QUATRIÈME  53 


Ross.  Ma  très  chère  cousine,  je  vous  en  prie,  réprimandez- 
vous,  car  votre  mari  est  noble,  sage,  judicieux,  et  il  connaît  à 
fond  les  dangers  de  l'heure.  Je  n'ose  en  dire  davantage  ;  mais  ils 
sont  cruels  les  temps  où  nous  sommes  traîtres  sans  le  savoir 
nous-mêmes,  où  nous  occupons  la  rumeur  de  ce  que  nous 
craignons  sans  pourtant  connaître  l'objet  de  notre  crainte,  où 
nous  flottons  sur  une  mer  farouche  et  violente,  ballotès  en 
tous  sens.  —  Je  prends  congé  de  vous  ;  d'ici  peu  de  temps,  je 
serai  de  retour  :  les  choses  venues  au  pire  cesseront,  ou  bien 
elles  remonteront  où  elles  en  étaient  auparavant.  —  Mon 
joli  cousin,  bénédiction  sur  vous  ! 

L.\DY  Macduff.  Il  est  reconnu  et  cependant  il  est  orphelin. 

Ross.  Je  suis  vraiment  fou  ;  si  je  restais  plus  longtemps,  ce 
serait  ma  disgrâce  et  votre  malheur  :  je  prends  congé  cette 
fois. 

//  sort. 

L.\DY  Macduff.  Petit,  votre  père  est  mort  ;  et  que  ferez- 
vous  maintenant  ?  Comment  vivrez-vous  .'' 

L'Enfant.  Comme  les  oiseaux,  mère. 

Lady  M.\cduff.  Quoi  !  de  vers  et  de  mouches  ? 

L'Enfant.  De  ce  que  je  trouverai,  veux  je  dire  ;  c'est  ainsi 
qu'ils  font. 

Lady  Macduff.  Pauvre  oiseau  !  tu  ne  craindras  jamais  ni 
glu,  ni  piège,  ni  trébuchet  ? 

L'Enf.vnt.  Pourquoi  les  craindrais-je,  mère .''  Ils  ne  sont 
pas  mis  pour  les  pauvres  oiseaux.  Mon  père  n'est  pas  mort, 
quoi  que  vous  disiez. 

Lady  Macduff.  Si,  il  est  mort  :  comment  feras-tu  pour 
avoir  un  père  ? 

L'Enf.\nt.  Non,  comment  ferez- vous  pour  avoir  un  mari  ? 

Lady  Macduff.  Eh  bien,  j'en  puis  acheter  vingt  à  quelque 
marché. 

L'Enfant.  Alors,  vous  les  achèteriez  pour  les  revendre. 

Lady  M.a.cduff.  Tu  parles  avec  tout  ton  esprit  ;  et  même, 
ma  foi,  a%'ec  assez  d'esprit  pour  ton  âge. 

L'Enf.\nt.  Mon  père  était-il  un  traître,  mère .'' 

L.\DY  Macduff.  Oui,  il  en  était  un. 

L'Enfant.  Qu'est-ce  qu'un  traître.'' 


54 


Lady  Macduff.  Eh  bien,  c'est  celui  qui  jure  et  qui  ment. 

L'Enfant.  Et  ce  sont  tous  des  traîtres,  ceux  qui  font  cela  ? 

Lady  Macduff.  Quiconque  fait  cela  est  un  traître  et  dok 
être  pendu. 

L'ExNfant.  Et  ils  doivent  tous  être  pendus,  ceux  qui  jurent 
et  qui  mentent .'' 

Lady  M.\cduff.  Tous. 

L'Enfant.  Oui  doit  les  pendre  ? 

Lady  M.\cduff.  Et  bien,  les  honnêtes  gens. 

L'Enf.\nt.  Alors  les  menteurs  et  les  jureurs  sont  des  fous; 
car  il  y  a  assez  de  menteurs  et  de  jureurs  pour  battre  les  hon- 
nêtes gens,  et  les  pendre. 

Lady  Macduff.  Que  Dieu  t'assiste,  pauvre  singe!  Mais 
comment  feras-tu  pour  avoir  un  père .' 

L'Enfant.  S'il  était  mort,  vous  pleureriez  :  si  vous  ne  le 
faisiez  pas,  ce  serait  bon  signe  que  j'aurais  vite  un  nouveau 
père, 

Lady  M.\cduff.  Pauvre  babillard,  comme  tu  parles  ! 

Entre  un  Messager. 

Le  Messager.  Réjouissez-vous,  belle  dame!  Je  ne  vous 
suis  pas  connu,  bien  que  je  sache  votre  haute  condition.  Je 
crains  que  quelque  danger  ne  soit  près  de  vous  :  si  vous  vou- 
lez suivre  l'avis  d'un  homme  simple,  ne  restez  pas  :  partez 
d'ici  avec  vos  enfants.  A  vous  efl:Va)-er  ainsi,  semble-t-il,  je 
suis  trop  barbare;  faire  pis  à  votre  égard  serait  tomber  dans 
une  cruauté,  qui  n'est  que  trop  près  de  votre  personne.  Je 
n'ose  rester  plus  longtemps. 

//  sort. 

Lady  Macduff.  Où  fuirais-je.'  Je  n'ai  fait  aucun  mal.  Mais 
je  me  souviens  maintenant  que  je  suis  en  ce  monde  terrestre 
où  faire  le  mal  est  souvent  louable,  où  faire  le  bien  est  par- 
fois regardé  comme  une  dangereuse  folie  :  pourquoi  hélas! 
produire  alors  cette  défense  de  femme,  dire  que  je  n'ai  fait 
aucun  mal .'  (Entremit  les  mcxirtricrs.)  Quels  sont  ces  visages .? 

Premier  Meurtrier.  Où  est  votre  mari? 

Lady  M.vcduff.  Dans  nul  lieu  assez  profane,  j'espère, 
pour  que  de  tels  que  toi  puissent  le  trouver. 


ACTE   Ql-ATRIÈMF,  55 


Premier  Meurtrier.  C'est  un  traître. 
L'Enfaxt.  Tu  mens,  scélérat  poilu  ! 

Premier  Meurtrier.  Quoi,  vous,  œuf,  jeune  fretin  de 
trahison  ! 

Il  le  poigvardc. 

L'enf.wt.  Il  m'a  tué,  mère  :  fuj-ez,  je  vous  en  prie! 

//  meurt.  Lady  Macduff  sort  en  criant 
<i.  Au  meurtre!  »  poursuivie  par  les 
assassins. 

SCÈNE  III 
Angleterre.  Devant  le  palais  du  roi. 

Entrent  Malcolm  et  Macduff. 

Malcolm.  Cherchons  quelque  ombre  solitaire,  et  là  soula- 
geons nos  tristes  cœurs. 

Macduff.  Brandissons  plutôt  l'épée  mortelle,  et,  comme 
des  hommes  courageux,  relevons  notre  patrie  tombée  :  cha- 
que nouveau  matin,  de  nouvelles  veuves  gémissent,  de  nou- 
veaux orphelins  crient,  de  nouvelles  douleurs  frappent  la 
face  du  ciel  qui  en  résonne  comme  s'il  souftYait  a%'ec  l'Ecosse 
et  hurlait  les  mêmes  paroles  de  douleur. 

Malcolm.  Ce  que  je  crois,  je  veux  le  déplorer;  ce  que  je 
connais,  je  le  crois;  et  ce  que  je  puis  redresser,  si  je  trouve  le 
temps  propice,  je  le  redresserai.  Ce  que  vous  avez  dit  est 
peut-être  vrai.  Ce  tyran  dont  le  nom  seul  ulcère  nos  langues, 
était  autrefois  réputé  honnête  :  vous  l'avez  beaucoup  aimé  ;  il 
ne  vous  a  pas  encore  touché.  Je  suis  jeune;  mais  quelque 
chose  peut  vous  favoriser  auprès  de  lui  à  mes  dépens  ;  il  serait 
prudent  d'oftrir  un  faible,  pauvre  et  innocent  agneau  pour 
apaiser  un  dieu  furieux. 

Macduff.  Je  ne  suis  pas  un  traître. 

Malcolm.  Mais  Macbeth  en  est  un.  Une  bonne  et  ver- 
tueuse nature  peut  faillir  sur  un  ordre  impérial.  Mais  je  vous 
demande  pardon  ;  ce  que  vous  êtes,  mes  pensées  ne  peuvent 
le  transformer;  les  anges  sont  toujours  brillants  quoique  le 
plus  brillant  soit  tombé  :  si  même  toutes  les  choses  infâmes 


56  MACBETH 


portaient  le  front  de  la  vertu,  la  vertu  paraîtrait  encore  ce 
qu'elle  est. 

Macduff.  J'ai  perdu  mes  espérances. 
Malcolm.  Peut-être  là  même  oîi  j'ai  trouvé  mes  doutes. 
Pourquoi  avez-vous  quitté  votre  femme  et  vos  enfants,  ces 
objets  précieux,  ces  puissants  liens  d'amour,  avec  tant 
d'indiflerence,  sans  leur  dire  adieu .''  —  Je  vous  en  prie,  ne 
voyez  pas  votre  déshonneur  dans  mes  défiances,  mais  bien 
ma  propre  sécurité  :  —  vous  pouvez  être  fort  sincère,  quoi 
que  je  pense. 

Macduff.  Saigne,  saigne,  pauvre  pays  !  Puissante  tyrannie, 
assieds  solidement  ta  base,  car  la  bonté  n'ose  te  faire  échec  ! 
étends  tes  maux,  ton  droit  est  incontesté  !  —  Porte-toi  bien, 
seigneur  :  je  ne  voudrais  pas  être  le  scélérat  que  tu  penses 
pour  tout  le  territoire  qui  est  sous  l'étreinte  du  tyran,  et 
pour  le  riche  Orient  par  dessus  le  marché. 

Malcolm.  Ne  vous  oftensez  point-:  je  ne  parle  pas  ainsi  en 
crainte  absolue  de  vous.  Je  crois  que  notre  pays  succombe 
sous  le  joug;  il  pleure,  il  saigne,  et  chaque  jour,  une  nouvelle 
entaille  s'ajoute  à  ses  blessures  ;  je  crois,  de  plus,  que  bien 
des  mains  s'y  lèveraient  pour  mon  droit,  et  ici,  le  gracieux 
roi  d'Angleterre  m'offre  plusieurs  bons  milliers  de  soldats  ; 
mais,  après  tout  cela,  quand  j'aurai  foulé  la  tête  du  t)-ran, 
ou  quand  je  l'aurai  mise  au  bout  de  mon  épée,  mon  pauvre 
pays  aura  plus  de  maux  encore  qu'auparavant;  il  souffrira 
davantage,  et  de  manières  plus  différentes  que  jamais,  par 
celui  qui  succédera. 

Macduff.  Qui  serait  ce  ? 

Malcolm.  C'est  moi-même  que  je  désigne,  possédant  tous 
■les  genres  de  vices  si  invétérés  que,  dès  qu'ils  paraîtront,  le 
noir  Macbeth  semblera  pur  comme  neige,  et  que  le  pauvre 
royaume  le  tiendra  pour  un  agneau,  en  comparaison  de  mes 
méfaits  sans  bornes. 

Macduff.  Des  légions  de  l'horrible  enfer  ne  peut  sortir  un 
démon  plus  damné,  dépassant  Macbeth  en  infamies. 

Malcolm.  Je  reconnais  qu'il  est  sanguinaire,  luxurieux, 
avare,  faux,  perfide,  subtil,  rusé,  imprégné  de  chaque  vice 
qui  a  un  nom  ;  mais  il  n'y  a  pas  de  fond,  aucun,  à  ma  passion  : 
vos  femmes,  vos  filles,  vos  matrones  et  vos  vierges  ne  pour- 


ACTE.  QU ATRIO>[E  57 


ront  combler  le  puits  de  ma  convoitise  ;  et  mon  désir  surmon- 
terait tous  les  faibles  obstacles  qui  s'opposeraient  à  ma 
volonté  :  mieux  vaut  Macbeth  régnant  qu'un  tel  que  moi. 

Macduff.  L'intempérance  illimitée  dans  notre  nature  est 
une  tyrannie;  elle  a  causé  la  faiblesse  prématurée  d'heureux 
trônes  et  la  chute  de  nombreux  rois.  Mais  ne  craignez  pas 
néanmoins  de  prendre  ce  qui  vous  appartient  :  vous  pourrez 
inviter  vos  plaisirs  à  une  large  abondance,  et  cependant 
paraître  froid,  le  moment  venu  de  cacher  votre  jeu.  Nous 
avons  assez  de  dames  complaisantes  :  il  ne  peut  exister  en 
vcîus  de  vautour  assez  dévorant  pour  toutes  celles  qui  se 
dévoueront  à  votre  grandeur,  son  inclination  une  fois 
connue. 

Maixolm.  En  outre,  germe  là,  comme  le  plus  mauvaise 
affection,  une  avarice  tellement  insatiable  que,  si  j'étais  roi, 
je  supprimerais  les  nobles  pour  avoir  leurs  terres,  enviant  les 
jo3-aux  de  l'un  et  la  maison  de  l'autre;  et  mes  acquisitions 
seraient  comme  un  assaisonnement  qui  augmenterait  encore 
ma  faim;  de  sorte  que,  forgeant  d'injustes  querelles  contre 
les  bons  et  les  loj^aux,  je  les  détruirais  pour  accaparer  leurs 
biens. 

Macduff.  Cette  avarice  perce  plus  profondément,  pousse 
de  plus  pernicieuses  racines  que  la  luxure  féconde  comme 
l'été  ;  et  elle  a  été  l'épée  qui  a  tué  certains  de  nos  rois  ;  cepen- 
dant, ne  craignez  rien;  l'Ecosse  est  assez  riche  pour  combler 
vos  désirs  avec  vos  biens  propres  :  tous  ces  vices  sont  sup- 
portables, mis  en  balance  avec  d'autres  vertus. 

Malcolm.  Mais  je  n'en  ai  pas  :  ces  vertus  qui  conviennent 
aux  rois,  comme  la  justice,  la  sincérité,  la  tempérance,  la 
fermeté,  la  générosité,  la  persévérance,  la  piété,  l'humilité, 
la  patience,  le  courage,  la  force  d'àme,  je  n'ai  nul  goût  pour 
elles  ;  mais  abondent  en  moi  les  variétés  de  chaque  vice, 
fonctionnant  par  tous  les  moyens.  Non,  si  j'avais  le  pouvoir, 
je  verserais  le  lait  suave  de  la  concorde  en  enfer,  troublerais 
la  paix  universelle,  détruirais  toute  harmonie  sur  la  terre. 

Macduff.  O  Ecosse,  Ecosse! 

Malcolm.  Si  un  pareil  est  digne  de  régner,  parle  :  je  suis 
comme  j'ai  dit. 

Macduff.   Digne    de   régner!   non,    ni    de    vivre.   —   O 


58 


misérable  nation  sous  le  sceptre  ensanglanté  d'un  tyran  sans 
titre,  quand  reverras-tu  tes  jours  heureux,  puisque  la  famille 
la  plus  fidèle  de  ton  trône  se  détruit  par  son  propre  ostra- 
cisme, et  blasphème  sa  race?  —  Ton  royal  père  était  le  plus 
saint  roi  ;  la  reine  qui  te  porta,  plus  souvent  agenouillée  que 
debout,  mourut  chaque  jour  de  sa  vie.  Porte-toi  bien!  Ces 
maux  que  tu  réunis  en  toi  m'ont  banni  de  l'Ecosse.  —  O  mon 
cœur,  ton  espérance  meurt  ici! 

Malcolm.  —  Macduff,  cette  noble  passion,  fille  de  l'inté- 
grité, a  efifacé  de  mon  âme  mes  sombres  scrupules,  et  récon- 
cilié mes  pensées  avec  ta  bonne  fidélité  et  ton  honneur.  L'in- 
fernal Macbeth,  par  plusieurs  de  ses  artifices,  a  voulu  m'at- 
tirer  en  son  pouvoir,  et  une  sagesse  prudence  m'interdit 
toute  précipitation  trop  crédule;  mais  que  Dieu  là-haut  juge 
entre  toi  et  moi  !  car  désormais  je  me  place  sous  ta  direction, 
et  je  rétracte  les  dénigrements  que  je  me  suis  adressés  ;  je 
réprouve  les  souillures  et  les  vices  dont  je  me  suis  accusé, 
comme  étrangers  à  ma  nature.  Je  n'ai  pas  encore  connu  de 
femme;  je  ne  me  suis  jamais  parjuré;  à  peine  ai  je  convoité 
ce  qui  m'appartient;  en  aucun  temps  je  n'ai  violé  ma  foi;  je 
ne  livrerais  point  le  diable  à  son  compagnon;  et  la  vérité  ne 
me  charme  pas  moins  que  la  vie  :  mon  premier  langage  men- 
songer vient  d'être  tenu  contre  moi-même  :  —  ce  que  je  suis 
vraiment  est  à  tes  ordres  et  5  ceux  de  mon  pays,  où,  de  fait, 
avant  ton  arrivée,  le  vieux  Siward,  avec  dix  mille  soldats 
déjà  prêts,  se  disposait  à  marcher  ;  maintenant,  partons  en- 
semble, et  que  la  chance  du  succès  soit  pour  notre  juste 
cause!  Pourquoi  êtes- vous  silencieux  ? 

M.vCDUFF.  Des  choses  aussi  agréables  et  d'aussi  désagréa- 
bles à  la  fois  sont  difficiles  à  mettre  d'accord. 

Entre  un  mèdecui. 

M.\LCOLM.  —  Bien  ;  nous  en  dirons  davantage  tantôt.  —  Le 
roi  vient-il,  je  vous  prie. 

Le  Médecin.  —  Oui,  seigneur  ;  il  y  a  là  une  troupe  d'êtres 
malheureux  qui  attendent  de  lui  leur  guérison  :  leur  maladie 
défie  les  plus  grands  efforts  de  l'art  ;  mais  à  son  contact,  tant 
le  ciel  a  sanctifié  sa  main,  il  y  a  bientôt  amélioration. 

Malcolm.  Je  vous  remercie,  docteur. 

Le  médecin  sort. 


ACTE   QUATRIÈME  59 


Macduff.  Quelle  est  la  maladie  qu'il  a  en  vue? 

Malcolm.  —  Elle  est  appelée  mal  du  roi  :  une  très  mira- 
culeuse opération  de  ce  bon  roi  que  souvent,  depuis  mon 
séjour  en  Angleterre,  je  lui  ai  vu  faire.(i)  Comment  il  invoque 
le  ciel,  c'est  lui  qui  le  sait  le  mieux;  mais  les  gens  atteints 
d'étrange  sorte,  les  gonflés  et  les  ulcéreux,  pitoyables  à  voir 
et  désespérant  la  médecine,  il  les  guérit  avec  de  saintes 
prières  en  suspendant  à  leur  cou  un  poinçon  d'or;  et  l'on  dit 
qu'il  laissera  à  ses  successeurs  royaux  cette  salutaire  bénédic- 
tion. Outre  cette  singulière  vertu,  il  a  un  don  céleste  de 
prophétie  ;  et  divers  bienfaits  environnent  son  trône,  le  pro- 
clamant plein  de  vertu. 

Macduff.  Voyez  :  qui  vient  ici.' 

Malcolm.  Un  compatriote;  mais  pourtant  je  ne  le  connais 
pas  (2). 

Entre  Ross. 

Macduff.  Mon  très  aimable  cousin,  S03'ez  ici  le  bienvenu. 

Malcolm.  Je  le  reconnais  maintenant  :  —  Dieu  bon,  éloi- 
gnez les  causes  qui  nous  rendent  étrangers  ! 

Ross.  Seigneur,  amen. 

Macduff.  L'Ecosse  en  reste-t-elle  où  elle  en  était? 

Ross.  Hélas  !  pauvre  pays,  —  presque  eftVayé  de  se  connaî- 
tre lui-même!  Elle  ne  peut  plus  être  appelée  notre  mère, 
mais  notre  tombe,  cette  terre  oîi  l'on  ne  voit  sourire  personne, 
excepté  ceux  qui  ne  savent  rien;  où  soupirs,  gémissements  et 
cris  déchirant  l'air  s'échappent  sans  être  remarqués  ;  où  la 
douleur  violente  semble  un  transport  modéré  :  on  demander 
peine  pour  qui  sonne  le  glas  des  morts  ;  et  la  vie  des  hommes 


(i)  HoUinshed  affirme  qu'Edouard  le  Confesseur  possédait  le  don  de  guérir  les 
infirmités  et  les  maladies,  qu'il  avait  coutume  de  soulager  ceux  que  tourmentait  le 
mal  du  roi  (les  écrouelles),  et  qu'il  transmit  ce  don  à  ses  successeurs.  On  sait  que 
le  même  pouvoir  était  attribué  aux  rois  de  France.  Naïves  superstitions  et  gros- 
sières flatteries  !  Une  onction  avec  la  sainte  ampoule  était  d'abord  faite  sur  la 
main  royale  prétendue  miraculeuse  qui  guérissait  de  soi-disant  malades. 
Charles  X  se  livra  encore  à  cette  mauvaise  plaisanterie  en  1824.  On  se  rappelle 
l'allusion  méchante  qu'y  fait  son  «  fidèle  »  Chateaubriand  dans  les  Mémnires 
d'Outre-Tombe. 

(2)  Malcolm,  dit  Montégut,  reconnaît  d'abord  Ross  à  son  plaid. 


6o  MACBETH 


de  bien  s'éteint  avant  que  les  fleurs  de  leur  toque  soient 
mortes  ou  seulement  languissantes. 

Macduff.  O  rapport  trop  saisissant,  et  cependant  trop 
vrai  ! 

Malcolm.  Quel  est  le  plus  récent  malheur  ? 

Ross.  Celui  qui  est  vieux  d'une  heure  fait  siffler  quiconque 
le  narre  :  chaque  minute  en  enfante  un  nouveau. 

Macduff.  Comment  se  porte  ma  femme  ? 

Ross.  Mais,  bien. 

Macduff.  Et  tous  mes  enfants  ? 

Ross.  Bien  aussi. 

Macduff.  Le  t)'ran  n'a  pas  troublé  leur  paix .' 

Ross.  Non  ;  ils  étaient  bien  en  paix  quand  je  les  ai  quittés. 

Macduff.  Ne  soyez  pas  avare  de  vos  paroles  :  comment 
vont-ils .'' 

Ross.  Quand  je  suis  parti  pour  apporter  ici  les  nouvelles, 
que  j'ai  trouvées  bien  lourdes,  la  rumeur  courait  que  beau- 
coup de  dignes  compagnons  s'étaient  levés,  ce  qui  devint  pour 
moi  une  certitude  absolue  quand  je  vis  les  troupes  du  tyran 
sur  pied;  maintenant,  c'est  l'heure  de  les  aider;  votre  pré- 
sence en  Ecosse  créerait  des  soldats,  ferait  combattre  nos 
femmes  voulant  mettre  fin  à  leurs  terribles  détresses. 

Malcolm.  Que  tous  prennent  courage,  nous  y  allons  :  le 
gracieux  roi  d'Angleterre  nous  a  prêté  le  brave  Siward  et  dix 
mille  hommes;  un  plus  vieux  ni  un  meilleur  soldat  n'existe 
dans  la  chrétienté. 

Ross.  Je  voudrais  répondre  de  même  à  cet  encouragement  ! 
Mais  j'ai  à  dire  des  mots  qui  devraient  se  hurler  dans  l'air 
désert,  où  l'on  ne  pourrait  les  entendre. 

Macduff.  Qui  concernent-elles.''  la  cause  générale.'  ou  est- 
ce  un  malheur  privé,  n'intéressant  qu'un  seul  cœur.' 

Ross.  Il  n'y  a  pas  d'âme  honnête  qui  ne  ressente  un  tel 
malheur,  bien  que  la  part  principale  vous  concerne  seul. 

Macduff  S'il  me  concerne,  ne  me  le  cachez  pas,  communi- 
quez-le moi  vite. 

Ross.  Que  vos  oreilles  ne  méprisent  pas  à  jamais  ma  lan- 
guequi  leur  réserve  la  plus  douloureuse  chose  qu'elles  aient 
encore  ouï. 

Macduff.  Ah  !  je  devine  ce  que  c'est. 


ACTE  QUATRIÈME  6l 


Ross.  Votre  château  a  été  surpris  ;  votre  femme  et  vos 
enfants  ont  été  sauvagement  massacrés;  vous  relater  de 
quelle  manière  serait  ajouter  votre  mort  à  celle  de  ces 
victimes  assassinées  (i). 

Malcoi.m.  Cieux  cléments  !  —  Allons,  mon  ami  !  ne  tirez 
pas  votre  chapeau  sur  vos  sourcils;  laissez  parler  votre  dou- 
leur :  la  douleur  qui  ne  parle  point  murmure  au  cœur  trop 
plein  et  lui  dit  de  se  briser. 

Macduff.  Mes  enfants  aussi  ? 

Koss.  Femme,  enfants,  serviteurs,  tout  ce  qu'ils  ont  pu 
trouver. 

Macduff.  Et  je  devais  être  absent!  —  Ma  femme  tuée 
aussi  ? 

Ross.  Je  l'ai  dit. 

Maixoi-m.  Raffermissez-vous  :  faisons  un  remède  de  notre 
grande  vengeance  qui  guérira  cette  mortelle  douleur. 

Macduff.  Il  n'a  pas  d'enfants.  —  Tous  mes  gentils  petits  ? 
Avez-vous  dit  tous  ?  —  O  milan  d'enfer  !  —  Tous  ?  Quoi,  tous 
mes  jolis  poussins  et  leur  mère  sous  un  coup  féroce .' 

Malcolm.  Envisagez  cela  comme  un  homme. 

Macduff.  Ainsi  ferai-je;  mais  je  dois  aussi  sentir  cela 
comme  un  homme  :  je  ne  puis  oublier  qu'il  a  existé  de  telles 
créatures,  les  plus  précieuses  de  toutes  pour  moi.  —  Les 
cieux  ont  vu  cela,  et  sans  prendre  leur  parti  ?  Coupable 
Macduff,  ils  ont  été  frappés  à  cause  de  toi  !  Misérable  que  je 
suis,  ce  n'est  point  pour  leurs  fautes,  mais  pour  la  mienne, 
que  ce  féroce  massacre  s'est  abattu  sur  eux  :  que  le  ciel  les 
reçoive  maintenant  ! 

Malcolm.  Que  cela  soit  la  pierre  à  aiguiser  de  votre  épée  ; 
changez  votre  douleur  en  colère;  ne  vous  émouvez  pas  le 
cœur,  exaspérez-le  ! 

Macduff.  Oh  !  je  pourrais  sembler  une  femme  avec  mes 
yeux,  et  un  vantard  avec  ma  langue  !  —  Mais,  cieux  tran- 
quilles, coupez  court  à  tout  répit;  conduisez-moi  face  à  face 
avec  ce  démon  d'Ecosse  ;  mettez-le  à  la  portée  de  mon  épée  ; 
s'il  échappe,  que  le  ciel  lui  pardonne  aussi  ! 

Malcolm.  Ces  accents  sont  plus  courageux.  Venez,  allons 


(i)  Littéralement  :  fi  la  curée  de  ces  daims  assassinés. 


62 


vers  le  roi;  nos  forces  sont  prêtes;  vous  n'avez  plus  qu'à 
prendre  congé  :  Macbeth  est  mûr  pour  la  chute,  et 
les  puissances  d'en  haut  préparent  leurs  agents.  Consolez- 
vous  du  mieux  que  vous  pourrez  :  la  nuit  est  longue  qui  ne 
retrouve  jamais  le  jour. 

Ils  sortent. 


ACTE  V  (i) 


SCENE  I 
Dunsiane.   Une  salle  dans  le  château. 

Entrent  îtn  MÉDECIN  et  une  Dame  de  compagnie. 

Le  Médecin.  J'ai  veillé  deux  nuits  avec  vous,  mais  je  ne 
puis  apercevoir  aucune  vérité  dans  votre  récit.  Quand  s'est- 
elle  promenée  pour  la  dernière  lois  ? 

La  Dame.  Depuis  que  sa  majesté  est  entrée  en  campagne, 
je  l'ai  vue  se  lever  de  son  lit,  jeter  sa  robe  de  nuit  sur  elle, 
ouvrir  son  armoire,  prendre  du  papier,  le  plier,  écrire  des- 
sus, le  lire,  ensuite  le  sceller,  puis  retourner  au  lit,  et  tout 
cela  dans  le  plus  profond  sommeil. 

Le  Médecin.  C'est  un  grand  trouble  de  la  nature  que  de 
réunir  le  bienfait  du  sommeil  aux  actes  de  la  veille  !  —  Dans 
cette  agitation  assoupie,  outre  sa  promenade  et  ses  autres 
actions,  que  lui  avez  vous  entendu  dire  .'' 

L.A.  D.\ME.  Des  choses,  monsieur,  que  je  ne  répéterai  pas 
après  elle. 

Le  Médecin.  A  moi  vous  le  jwuvez  ;  et  il  est  extrême- 
ment utile  de  le  faire. 

L.\.  Dame.  Ni  à  vous  ni  à  personne,  n'ayant  aucun  témoin 
pour  confirmer  ma  parole.  —  Vo3'ez,  elle  vient  ici  ! 

Entre  lady  Macbeth  avec  ttn  bougeoir. 


(I)  Nous  avons  maintenu  la  division  par  actes  eomme  tous  les  traducteurs  de 
Shakespeare,  F.  Hugo  excepté,  parce  quelle  répond  aux  habitudes  françaises.  A 
vrai  dire,  cependant,  elle  a  peu  d'utilité.  Certaines  éditions  anglaises  la  conser- 
vent; d'autres  la  rejettent.  Elle  fut  introduite  dans  la  première  édition  complète 
de  Shakespeare  que  publièrent  sept  ans  après  sa  mort,  en  1623,  les  acteurs 
Héming  et  Condell.  Shakespeare  ne  l'indique  dans  aucun  des  drames  qui 
parurent  séparément  de  son  vivant. 


64 


C'est  sa  façon  habituelle  ;  et,  sur  ma  vie,  elle  dort  profon- 
dément. Observez-la  ;  approchez. 

Le  Médecin.  Comment  se  procure-t-elle  cette  lumière.' 

L.\  Dame.  Mais  à  côté  d'elle  ;  elle  a  de  la  lumière  près  d'elle 
continuellement;  c'est  son  ordre. 

Le  Médecin.  Vous  voyez,  ses  yeux  sont  ouverts. 

L.\  D.\ME.  Oui,  mais  leur  sens  est  fermé. 

Le  Médecin.  Que  fait-elle  maintenant .'  Voyez  comme  elle 
se  frotte  les  mains. 

L.\  D.\ME.  C'est  une  de  ses  actions  habituelles  que  de  sem- 
bler ainsi  se  laver  ses  mains  :  je  l'ai  vue  continuer  de  la  sorte 
un  quart-d'heure. 

L.vDY  Macbeth.  Il  y  a  encore  une  tache  ici. 

Le  Médecin.  Ecoutez  !  elle  parle  :  je  vais  noter  tout  ce 
qu'elle  dit  pour  mieux  aider  ma  mémoire. 

L.\DY  Macbeth.  Pars,  maudite  tache!  pars,  te  dis-je!  — 
Une,  deux  ;  eh  bien,  c'est  donc  l'heure  de  faire  cela.  —  L'en- 
fer est  ténébreux!  —  Fi,  monseigneur,  fi!  un  soldat,  et 
effrayé.'' Qu'avons-nous  à  craindre  qu'on  le  sache,  quand  nul 
n'en  pourra  demander  compte  à  notre  toute-puissance.''  — 
Cependant,  qui  aurait  pensé  que  le  vieillard  avait  en  lui  tant 
de  sang  ? 

Le  Médecin.  Entendez-vous  cela  .' 

Lady  M.\cbeth.  Le  thane  de  Fife  avait  une  femme  :  ou 
est-elle  maintenant.'  —  Quoi,  ces  mains  ne  seront  donc  jamais 
propres  ?  —  Non,  plus  de  cela,  monseigneur,  plus  de  cela  : 
vous  gâtez  tout  avec  ce  tressaillement. 

Le  Médecin.  Allez,  allez;  vous  avez  connu  ce  que  vous 
deviez  pas  connaître. 

L.\  Dame.  Elle  a  dit  ce  qu'elle  ne  devrait  pas  dire,  j'en  suis 
siire  :  le  ciel  sait  ce  qu'elle  a  connu. 

L.\DY  Macbeth.  L'odeur  du  sang  est  toujours  ici  :  tous  les 
parfums  de  l'Arabie  ne  purifieraient  pas  cette  petite  main. 
Oh,  oh,  oh  ! 

Le  Médecin.  Quel  soupir  est-ce  là!  le  cœur  est  doulou- 
reusement chargé. 

L.A.  D.\ME.  Je  ne  voudrais  pas  avoir  un  cœur  pareil  dans 
ma  poitrine  pour  toute  la  dignité  de  la  personne. 

Le  Médecin.  Bien,  bien,  bien... 


ACTE   CINQUIÈME  65 


La  Dame.  Prions  Dieu  que  ce  soit  bien,  monsieur. 

Le  Médecin.  Cette  maladie  est  en  dehors  de  mon  art; 
cependant  j'en  ai  connu  qui  se  promenaient  en  dormant  et  qui 
sont  morts  saintement  dans  leurs  lits. 

Lady  M.\cbeth.  Lavez  vos  mains,  mettez  votre  robe  de 
nuit;  n'ayez  pas  l'air  si  pâle  :  —  je  vous  le  dis  encore,  Banquo 
est  enterré;  il  ne  peut  sortir  de  sa  tombe. 

Le  Médecin.  Est-ce  vrai.? 

Lady  Macbeth.  Au  lit,  au  lit;  on  frappe  à  la  porte  :  venez, 
venez,  venez,  venez,  donnez-moi  votre  main  ;  ce  qui  est  fait 
ne  peut  être  défait  :  au  lit,  au  lit,  au  lit.  (Elle  sort)  (i). 

Le  Médecin.  Ira-t-elle  maintenant  au  lit .'' 

La  Dame.  Directement. 

Le  Médecin.  D'affreux  chuchottements  se  répandent  :  les 
actes  contre  nature  produisent  des  troubles  contre  nature  :  les 
consciences  corrompues  déchargent  leurs  secrets  dans  leurs 
sourds  oreillers  :  elle  a  plus  besoin  du  prêtre  que  du  méde- 
cin. —  Dieu,  Dieu  nous  pardonne  à  tous  !  —  Surveillez-la  ; 
éloignez  d'elle  les  causes  de  toute  incommodité,  et  gardez  tou- 
jours les  yeux  sur  elle  ;  ainsi,  bonne  nuit  :  elle  a  confondu  mon 
âme  et  étonné  ma  vue  :  je  pense,  mais  n'ose  parler. 

La  Dame.  Bonne  nuit,  bon  docteur. 

Ils  sortent. 

SCÈNE  II 

La  campagne  près  de  Dunsinane. 

Entrejit  avec  tambours  et  enseignes  Menteith,  Caithness, 
Angus,  Lennox  et  des  soldats. 

Mentheit.  L'armée  anglaise  approche,  conduite  par 
Malcolm,  son  oncle  Siward  et  le  bon  Macduff;  la  vengeance 
brûle  en  eux,  car  leur  juste  cause  exciterait  un  ermite  au 
combat  acharné  et  au  carnage. 

Angus.  Nous  les  rencontrerons  en  bon  état  près  du  bois 
de  Birnam  ;  ils  viennent  de  ce  côté. 

(I)  Le  docteur  américain  Kellogg,  dans  son  livre  Analyses  de  la  folie,  de 
l'imbécilité  et  du  suicide  dans  Shakesneare  (1860),  montre  combien  est  vraie 
la  scène  du  somnambulisme  de  Lady  Macbeth. 


66  MACBETH 


Caithxess.  Qui  sait  si  Donalbain  est  avec  son  frère  ? 

Lennox.  Il  n'y  est  certainement  pas,  seigneur;  j'ai  une 
liste  de  toute  la  noblesse  :  le  fils  de  Siward  est  là  et  beaucoup 
déjeunes  gens  imberbes  qui  tout  à  l'heure  montreront  pour 
la  première  fois  leur  bravoure. 

Mextheith.  Que  fait  le  t3'ran  ? 

Caithxess.  Il  fortifie  solidement  la  grande  Dunsinane  : 
quelques  uns  disent  qu'il  est  fou;  d'autres,  qui  le  haïssent 
moins,  appellent  cela  une  vaillante  furie;  mais  une  chose 
certaine,  c'est  qu'il  ne  peut  boucler  sa  cause  malade  dans  le 
ceinturon  du  droit. 

AxGUS.  Maintenant,  il  sent  ses  crimes  cachés  qui  collent  à 
ses  mains;  maintenant,  à  chaque  minute,  des  révoltes  lui 
reprochent  sa  foi  violée;  ceux  qu'il  commande  ne  marchent 
que  par  force,  non  par  amour  ;  maintenant,  il  sent  que  son 
titre  est  trop  large  pour  lui  comme  une  robe  de  géant  sur  un 
petit  voleur. 

Mextheith.  Qui  donc  blâmerait  ses  sens  tourmentés  de 
s'agiter  et  de  tressaillir,  quand  tout  ce  qui  est  en  lui  se  repro- 
che d'y  être  ? 

Caithxess.  Bien,  marchons  sur  lui,  pour  offrir  notre 
obéissance  où  elle  est  véritablement  due  :  cherchons  le 
remède  pour  notre  société  malade  ;  et  pour  purger  grâce  à 
lui  notre  pays,  versons  tout  notre  sang. 

Lexnox.  Ou  tout  ce  qu'il  en  faut  pour  arroser  la  fleur  sou- 
veraine, et  noyer  les  mauvaises  herbes.  Mettons-nous  en 

marche  vers  Birnam. 

Ils  sortent. 

SCÈNE  III 

Dunsinane.   Une  salle  dans  le  château  (i). 

Entre7ii  Macbeth,  le  Médecin  et  des  gens  de  la  suite. 

Macbeth.  Ne  me  transmettez  plus  de  rapports;  laissez-les 

fuir  tous  :  jusqu'à  ce  que  le  bois  de  Birnam  (2)  se  meuve  vers 

(i)  Krançois-Victor  Hugo  dit  qu'on  ne  sait  au  juste  sur  quelle  montagne  de  la 
chaîne  de  Dunsinane  dans  le  comté  de  Perth  se  trouvait  le  château  de  Macbeth. 

(2)  «  Birnam  Hill  est  à  environ  un  mille  de  Drunkeld.  C'est  une  montagne  haute 
de  1,040  pieds,  au  sommet  de  laquelle  on  retrouve  les  traces  d'un  ancien  fort 
appelé  la  Cour  de  Duncar.  On  y  montre  encore  deux  vieux  arbres  qui  sont, 
assure-t-on,  l'unique  débris  de  l'immense  foret  qui  vainquit  Macbeth.  «(Fra/ic- 
Vlct.  Hu'jo). 


ACTE   CINQUIÈME  67 


Dunsinane,  je  ne  puis  être  atteint  par  la  crainte.  Qu'est-ce 
que  le  bambin  Malcolm?  N'est-il  pas  né  d'une  femme  ?  Les 
esprits  qui  connaissent  tous  les  événements  fatals  m'ont 
déclaré  ceci  :  «  Ne  crains  rien,  Macbeth  ;  nul  homme  né 
d'une  femme  n'aura  jamais  de  pouvoir  sur  toi.  »  —  Fuyez 
donc,  thanes  perfides,  et  mêlez-vous  aux  épicuriens  an- 
glais (i)  :  l'âme  sur  qui  je  règne  et  le  cœur  que  je  porte 
ne  seront  jamais  affaissés  sous  le  doute  ni  secoués  par  la 
crainte. 

Entre  un  valet. 

Macbeth.  Le  diable  te  damne  tout  noir,  blême  vaurien  ! 
où  as-tu  pris  cet  air  d'oie.' 

Le  Valet.  11  y  a  dix  mille... 

I\L'\CBETH.  Oies,  vilain .'' 

Le  Valet.  Soldats,  seigneur. 

Macbeth.  Va  piquer  ta  face  et  farder  ta  peur,  toi,  lâche 
valet  !  Quels  soldats,  gueux  .^  Mort  de  ton  âme  !  ces  joues 
blanches  comme  linge  sont  conseillères  de  peur.  Quels 
soldats,  face  livide.-* 

Le  Valet.  Les  forces  anglaises,  s'il  vous  plaît. 

Macbeth.  Ta  face  hors  d'ici  !  (Le  valet  sort.)  Seyton  !  —  Je 
me  sens  le  cœur  malade  quand  je  regarde...  —  Seyton,  dis-je  ! 
—  Ce  coup  va  me  porter  en  triomphe  pour  toujours,  ou 
m'abattre  maintenant.  J'ai  vécu  assez  longtemps  :  dans  sa 
course,  ma  vie  s'est  desséchée  comme  la  feuille  jaune;  et  de 
ce  qui  doit  accompagner  la  vieillesse  comme  l'honneur,  l'af- 
fection, l'obéissance,  les  foules  d'amis,  je  ne  dois  rien  atten- 
dre: mais  à  leur  place,  malédictions  profondes  sinon  bruyan- 
tes, hommages  simulés,  vaines  paroles  que  les  malheureux 
cœurs  voudraient  bien  mais  n'osent  refuser.  Seyton  ! 

E7itre  Seytox. 
Seytox.  Quel  est  votre  bon  plaisir? 
Macbeth.  Quelles  nouvelles  encore  ? 
Seytox.  Tout  ce  qu'on  a  rapporté,  monseigneur,  se  con- 
firme. 

(i)  Les  Ecossais,  économes  et  frugaux,  jugeaient  épicuriens  les  Anglais,  de  tout 
temps  soucieux  du  confort.  Voir  ce  que  dit  à  ce  sujet  des  deux  peuples'  Frois- 

sard  dans  ses  Chroniqitet.  (Livre  I,  partie  i,  chap.  XXXIV). 


Macbeth.  Je  combattrai  jusqu'à  ce  que  ma  chair  soit 
hachée  de  mes  os.  Donnez-moi  mon  armure. 

Seyton.  Ce  n'est  pas  encore  nécessaire. 

Macbeth.  Je  veux  la  mettre.  —  Faites  partir  plus  de 
chevaux,  qu'on  batte  le  pa3's  à  la  ronde,  qu'on  pende  ceux 
qui  parlent  d'avoir  peur.  —  Donnez-moi  mon  armure.  — 
Comment  va  votre  malade,  docteur .' 

Le  Médecin.  Elle  est  moins  malade,  monseigneur,  que 
troublée  par  de  fréquentes  imaginations  qui  lui  enlèvent  le 
repos. 

Macbeth.  Guérissez-la  de  cela  :  ne  pouvez-vous  secourir 
une  âme  malade,  arracher  de  sa  mémoire  un  chagrin  enraciné, 
eftacer  les  inquiétudes  gravées  dans  son  cerveau,  et  avec 
quelque  doux  antidote  d'oubli,  purifier  une  poitrine  pleine  de 
cette  humeur  dangereuse  qui  pèse  sur  le  cœur .'' 

Le  Médecin.  A  cet  égard,  le  malade  doit  se  guérir  lui- 
même. 

Macbeth.  Jetez  la  médecine. aux  chiens,  je  n'en  veux  pas. 
—  Allons,  mettez-moi  mon  armure  ;  donnez-moi  mon  bâton 
de  commandement  :  —  Seyton,  faites  partir.  —  Docteur,  les 
thanes  m'abandonnent.  —  Allons,  monsieur,  dépêchons,  — 
Si  vous  pouviez,  docteur,  examiner  l'urine  de  mon  pays, 
découvrir  sa  maladie,  et  le  purger  pour  lui  rendre  sa  pleine 
santé  première,  je  vous  applaudirais  dans  l'écho  même  pour 
qu'il  vous  applaudît  de  nouveau.  —  Enlevez  cela,  dis-je.  — 
Quelle  rhubarbe,  quel  séné,  ou  quelle  drogue  purgative 
pourrait  nettoyer  ces  Anglais  d'ici  ?  —  Avez-vous  entendu 
parler  d'eux  ? 

Le  Médecin.  Oui,  mon  bon  seigneur  ;  votre  royal  prépa- 
ratif  nous  en  fait  entendre  quelque  chose. 

Macbeth.  Portez  cela  derrière  moi.  —  Je  ne  craindrai  la 
mort  ni  la  ruine,  tant  que  la  forêt  de  Birnam  ne  vient  pas  à 
*Dunsinane. 

Toîcs  sortent,  saicf  le  Médecin. 

Le  Médecin.  Si  j'étais  loin  de  Dunsinane  et  libre,  l'appât 
du  gain  ne  m'y  ramènerait  pas  aisément. 


ACTE   CINQUIÈME  69 


SCÈNE   IV. 

La  campagne  près  de  Dunsinane.  Un  bois  en  vue. 

Entrent  avec  tambours  et  étendards  Maixolm,  le  vieicx  Siward 
et  lejeîoie  Siward,  Macduff,  Caithness,  Angus,  Lennox, 
Ross  et  des  soldats  en  marche. 

Malcolm.  Cousins,  j'espère  que  les  jours  sont  tout  proches 
où  nos  foyers  seront  en  sûreté. 

Menïheith.  Nous  n'en  doutons  nullement. 

Siward.  Quel  bois  est  là  devant  nous  "i 

Mentheith.  Le  bois  de  Birnam. 

Malcolm.  Que  chaque  soldat  coupe  une  branche  d'arbre 
et  la  porte  devant  lui  :  de  cette  manière  nous  cacherons  la 
force  de  notre  armée,  et  nous  tromperons  les  éclaireurs 
chargés  de  faire  rapport  sur  nous. 

Les  Soldats.  Cela  sera  fait. 

Siward.  Nous  n'avons  rien  appris,  sinon  que  le  tyran  plein 
de  confiance  reste  encore  dans  Dunsinane,  et  y  soutiendra 
notre  assaut. 

Malcolm.  C'est  son  principal  espoir  :  partout  où  il  a  été 
possible  de  le  faire,  petits  et  grands  se  sont  révoltés  à  la  fois  ; 
et  nul  ne  le  sert  que  des  gens  forcés  dont  le  cœur  est  absent 
aussi. 

Macduff.  Attendons  pour  porter  des  jugements  sûrs  l'issue 
définitive,  et  faisons  preuve  d'activés  qualités  militaires. 

Siward.  L'heure  approche  qui  nous  fera  connaître  avec 
une  pleine certitudeceque  nous  dirons  et  ceque  nousdevrons 
faire.  Les  opinions  théoriques  se  rapportent  à  des  espoirs 
incertains,  mais  un  résultat  sûr  doit  décider  des  coups  :  la 
guerre  fait  avancer  vers  cela. 

Ils  sortent  en  ordre. 

SCÈNE  V 

Dunsinane.  L'intérieur  du  château 

Entrc7ît,  avec  tambours  et  étendards,  Macbeth,  Seyton 
et  dt&3i>oldats. 

Macbeth.  Plantez  nos  étendards  sur  les  murs  extérieurs  ; 
le  cri  de  guerre  est  toujours  «  ils  viennent  ».  La  force  de 


notre  château  se  rit  d'un  siège  qu'il  faut  dédaigner  :  laissons- 
les  étendus  jusqu'à  ce  que  la  famine  et  la  fièvre  les  dévorent  : 
s'ils  n'étaient  pas  renforcés  par  ceux  qui  devraient  être  avec 
nous,  nous  les  aurions  hardiment  rencontrés,  barbe  contre 
barbe,  et  repoussés  chez  eux.  (Un  cri  de  femme  à  l'mtèi-ieurj 
Quel  est  ce  bruit? 
Seyton.  C'est  un  cri  de  femme,  mon  bon  seigneur. 

//  sort. 

Macbeth.  J'ai  presque  perdu  le  sentiment  de  la  crainte  : 
un  temps  fut  où  mes  sens  se  seraient  presque  glacés  en  enten- 
dant un  cri  nocturne;  et  si  j'écoutais  une  histoire  horrible, 
mes  cheveux  voulaient  s'animer  et  se  redresser  comme  s'ils 
eussent  été  vivants  :  je  me  suis  trop  gorgé  d'horreurs  ;  l'épou- 
vante, familière  à  mes  cruelles  pensées,  ne  peut  plus  m'alar- 
mer. 

Rentre  Seyton. 

Macbeth.  Quel  était  donc  ce  cri .? 

Seyton.  La  reine,  monseigneur,  est  morte. 

Macbeth.  Elle  serait  morte  plus  tard  ;  l'heure  serait  quand 
même  venue  de  dire  ce  mot-là.  —  Demain,  et  demain,  et 
demain,  cela  rampe  de  son  petit  train  de  jour  en  jour,  jusqu'à 
la  dernière  syllabe  du  temps  marqué;  et  tous  nos  jours  pas- 
sés étaient  des  fous  éclairant  la  route  de  la  mort  poudreuse. 
Eteins,  éteins-toi,  courte  lumière!  La  vie  n'est  qu'une  ombre 
errante;  un  pauvre  comédien  qui  se  pavane  et  s'agite  une 
heure  sur  le  théâtre,  et  puis  qu'on  n'entend  plus  :  c'est  un 
conte  dit  par  un  idiot,  plein  de  bruit  et  de  furie,  ne  signifiant 
rien. 

Entre  un  Messager. 

Tu  viens  pour  user  ta  langue;  ton  histoire,  vite. 

Le  Messager.  Mon  gracieux  seigneur,  je  vaudrais  rappor- 
ter ce  que  j'affirme  que  j'ai  vu,  mais  je  ne  sais  comment  le 
faire. 

Macbeth.  Eh  bien,  dites,  monsieur. 

Le  Messager.  Comme  je  me  trouvais  de  garde  sur  la  col- 
line, je  regardais  vers  Birnam,  et  tout-à-l'heure,  me  sembla- 
t-il,  le  bois  commença  à  se  mettre  en  mouvement. 


ACTE   ClNXjriÈME  7I 


Macbeth.  Menteur  et  esclave  ! 

Le  Messager.  Que  je  subisse  votre  colère,  s'il  n'en  est  pas 
ainsi  :  dans  l'espace  de  ces  trois  milles,  vous  pouvez  le  voir 
venir  ;  un  bocage  mouvant,  dis-je. 

Macbeth  Si  ce  que  tu  dis  est  faux,  tu  seras  suspendu  vivant 
au  prochain  arbre  jusqu'à  ce  que  la  faim  t'ait  vaincu;  si  ton 
langage  est  vrai,  je  n'ai  cure  que  tu  m'en  fasses  autant.  — 
J'hésite  dans  ma  résolution,  et  commence  à  soupçonner 
l'équivoque  du  démon  qui  ment  avec  un  air  de  vérité  :  «  Ne 
crains  rien  jusqu'à  ce  que  la  forêt  de  Birnam  vienne  à  Dun- 
sinane  ;  »  -^  et  maintenant  la  forêt  s'avance  vers  Dunsinane.  — 
Aux  armes,  aux  armes,  et  dehors  !  Si  ce  qu'il  affirme  est  vrai, 
il  n'importe  que  je  fuie  ou  que  je  reste  ici.  Je  commence  à 
être  las  du  soleil  et  souhaite  que  l'empire  du  monde  soit 
maintenant  détruit.  —  Sonnez  la  cloche  d'alarme  !  —  Souffle, 
vent  !  viens,  naufrage  !  Au  moins,  nous  mourrons  avec  le 
harnais  sur  notre  dos. 

Ils  sortent. 

SCÈNE  VI 

Dunsinane.  Une  plaine  devant  le  château. 

Entrent^    avec    tambours    et    étendards,    M,\ixOhM,    le   vieux 
SiwARD,  Macduff,  etc.,  et  leur  année  portant  des  branches. 

Maixolm,  Maintenant,  assez  proche;  jetez  vos  écrans 
feuillus,  et  montrez-vous  tels  que  vous  êtes.  —  Vous,  digne 
oncle  (i),  avec  mon  cousin,  votre  très  noble  fils,  vous  diri- 
gerez notre  premier  engagement  :  le  digne  Macduff  et  nous, 
nous  prendrons  sur  nous  le  reste,  suivant  notre  plan. 

Sivi'ARD.  —  Polrtez-vous  bien.  —  Pourvu  que  nous  trou- 
vions l'armée  du  tyran  ce  soir,  je  veux  que  nous  soyons 
battus,  si  nous  ne  l'attaquons  pas. 

Macduff.  Faisons  parler  toutes  nos  trompettes;  rendez 
tout  leur  souffle  à  ces  bruyantes  avant-courrières  du  sang  et 
de  la  mort. 

Ils  sortent. 

(i)  La  femme  de  Dunc?n,  dit  HoUinshed,  était  la  fille  de  Siward,  comte  de 
Northumberland. 


72 


SCENE  VII 
Dunsinane.  —  Une  autre  partie  de  la  plaine. 

Alarmes.  Entre  Macbeth. 

Macbeth.  Ils  m'ont  lié  à  un  pieu  ;  je  ne  puis  fuir,  mais, 
comme  l'ours,  je  dois  me  battre  jusqu'au  bout.  Quel  est  celui 
qui  n'est  pas  né  de  la  femme  ?  J'ai  à  craindre  un  tel,  ou 
personne. 

Ejitre  le  jeune  Siward. 

Le  jeune  Siward.  Quel  est  ton  nom  1 

Macbeth.  Tu  serais  épouvanté  de  l'entendre. 

Le  jeune  Siward.  Non;  quand  même  tu  t'appellerais  d'un 
nom  plus  ardent  qu'il  y  en  ait  dans  l'enfer. 

Macbeth.  Mon  nom  est  Macbeth. 

Le  jeune  Siward.  Le  diable  lui  même  ne  pourrait  pro- 
noncer un  nom  plus  odieux  à  mon  oreille. 

Macbeth.  Non,  ni  plus  terrible. 

Le  jeune  Siward.  Tu  mens,  tyran  exécré  ;  avec  mon  épée 
je  prouverai  que  tu  dis  un  mensonge. 

Ils  coinbattentj  et  le  jeune  Siward  est  tué. 

Macbeth.  Tu  étais  né  d'une  femme.  —  Mais  je  souris  aux 
épées,  et  méprise  ces  armes  risibles  brandies  par  l'homme 
qui  est  né  d'une  femme. 

//  sort. 
Alarmes.  Etitre  Macduff. 

Macduff.  Le  bruit  est  de  ce  côté.  —  Tyran,  montre  ta 
face  !  Si  tu  es  tué  et  que  ce  ne  soit  pas  d'un  de  mes  coups,  les 
spectres  de  ma  femme  et  de  mes  enfants  me  hanteront  à 
jamais.  Je  ne  puis  toucher  à  ces  misérables  Kernes  dont  les 
bras  sont  loués  pour  porter  leurs  bâtons;  ou  toi,  Macbeth, 
ou  bien  je  rengaine  mon  épée  encore  inactive,  le  tranchant 
intact.  Tu  devrais  être  là  :  ce  grand  fracas  semble  annoncer 
quelqu'un  de  la  plus  haute  marque  :  —  fais  le  moi  trouver, 
fortune  !  et  je  ne  demande  plus  rien. 

Il  sort.  Alarmes, 
Entrent  Malcolm  et  le  vieux  Siward. 


ACTE  CINQUIÈME  •  73 


SiWARD.  De  ce  côté,  monseigneur;  —  le  château  s'est  faci- 
lement rendu  ;  les  gens  du  tyran  combattent  des  deux  côtés  ; 
les  nobles  thanes  agissent  bravement  dans  cette  guerre  ;  la 
journée  se  déclare  presque  pour  vous,  et  il  reste  peu  à  faire. 

Malcolm.  Nous  avons  trouvé  des  adversaires  qui  se  bat- 
taient à  côté  de  nous. 

Siw.\RD.  Entrons,  seigneur,  dans  le  château. 

Ils  sorieiit.  Alarmes. 
SCÈNE  VIII 
Dunsinane.   Une  autre  partie  de  la  plaine. 

Entre  Macbeth. 

Macbeth.  Pourquoi  joueraisje  le  fou  romain,  et  mourrais- 
je  de  ma  propre  épée  1  tant  que  je  vois  des  vivants,  les  entail- 
les font  mieux  sur  eux. 

Entre  Macdtij^. 

Macduff.  Tourne-toi,  chien  d'enfer,  tourne-toi! 

Macbeth.  Entre  tous  les  autres  hommes,  je  t'ai  évité  ;  mais 
va-t'en  ;  mon  âme  est  déjà  trop  chargée  du  sang  des  tiens. 

Macduff.  Je  n'ai  pas  de  paroles,  —  ma  voix  est  dans  mon 
épée,  scélérat  plus  sanguinaire  que  les  mots  ne  peuvent  le 
dire! 

Macbeth.  Tu  perds  ta  peine  :  tu  pourrais  aussi  aisément 
atteindre  l'air  invulnérable  avec  ton  épée  effilée  que  verser 
mon  sang;  abats  ta  lame  sur  des  cimiers  vulnérables;  je  pos- 
sède une  âme  enchantée  qui  ne  doit  point  céder  à  quelqu'un 
né  d'une  femme. 

Macduff.  Désespère  de  ton  charme;  et  que  l'ange  que  tu 
as  toujours  servi  te  dise  que  Macduft  fut  arraché  avant  terme 
du  sein  de  sa  mère. 

Macbeth.  Maudite  soit  la  langue  qui  me  parle  ainsi,  car 
elle  a  intimidé  la  meilleure  part  de  l'homme  que  je  suis!  Et 
qu'on  ne  croie  plus  ces  démons  trompeurs  qui  biaisent  avec 
nous  par  un  double  sens,  qui  réservent  à  nos  oreilles  des 
paroles  de  promission,  et  brisent  nos  espérances!  —  Je  ne 
combattrai  pas  avec  toi. 

Macduff,  Alors,  rends-toi,  poltron,  et  vis  pour  être  le 


74 


spectacle  et  la  surprise  du  temps  :  nous  te  peindrons,  comme 
nos  monstres  rares,  au  dessus  d'une  perche,  et  nous  écrirons 
dessous  :  «  Ici  vous  pouvez  voir  le  tyran  ». 

Macbeth.  Je  ne  me  rendrai  pas  pour  baiser  la  terre  devant 
les  pieds  du  jeune  Macduff,  et  pour  être  harcelé  par  la  malé- 
diction de  la  populace.  Bien  que  le  bois  de  Birnam  soit  venu 
à  Dunsinane,  et  que  tu  me  combattes,  toi  qui  n'es  pas  né 
d'une  femme,  je  tenterai  le  dernier  coup  :  —  devant  mon 
corps  je  jette  mon  belliqueux  bouclier  :  frappe,  Macduff,  et 
damné  soit  celui  qui  crie  le  premier  :  «  Arrête,  assez  !  » 

Ils  sortent  en  se  battant. 
Retraite.   Fanfare.   Entrent,  avec    tam- 
bours et  étendards,   Malcolm,  le  vieux 
Si'Ji'ard,     Roos,     Lennox,     Caithness, 
Menteith  et  des  soldats. 

Malcolm.  Je  voudrais  que  les  amis  qui  nous  manquent 
revinssent  saufs. 

SiwARD.  Quelques-uns  doivent  bien  être  perdus;  et  pour- 
tant, d'après  ceux  que  je  vois,  une  si  grande  journée  que 
celle-ci  est  achetée  à  bon  marché. 

Malcolm.  Macduff  manque,  et  votre  noble  fils. 

Ross.  Votre  fils,  monseigneur,  a  payé  sa  dette  de  soldat  : 
il  n'a  vécu  que  jusqu'à  ce  qu^il  fût  un  homme;  il  n'a  pas  eu 
plutôt  prouvé  sa  vaillance  dans  le  poste  dangereux  où  il  a 
combattu,  qu'il  est  mort  comme  un  homme. 
■   SiWARD.  Il  est  donc  mort  ? 

Ross.  Oui,  et  rapporté  du  champ  de  bataille  :  votre  dou- 
leur ne  doit  pas  se  mesurer  à  son  courage,  car  alors  elle 
n'aurait  pas  de  fin. 

SiwARD.  A-t-il  ses  blessures  par  devant.? 

Ross.  Oui,  sur  le  front. 

SiWARD.  Eh  bien,  alors,  qu'il  soit  le  soldat  de  Dieu.  Si 
j'avais  autant  de  fils  que  j'ai  de  cheveux,  je  ne  leur  souhai- 
terais pas  une  plus  belle  mort  ;  et  de  cette  manière,  son  glas 
est  sonné. 

Malcolm.  Il  mérite  une  plus  grande  douleur,  et  je  la  lui 
vouerai. 

SiWARD.  Il  n'en  mérite  pas  une  plus  grande;  on  affirme  qu'il 


ACTE  CINQUIÈME 


est  bien  parti,  et  qu'il  a  payé  sa  dette  :  que  Dieu  soit  donc 
avec  lui  !  —  Voici  une  consolation  plus  nouvelle. 

Rentre  Macduff  avec  la  tête  de  Macbeth 
sur  une  perche. 

Macduff.  Salut,  roi  !  car  tu  l'es  :  regarde  oii  se  trouve  la 
tête  maudite  de  l'usurpateur;  nous  sommes  libres;  je  te  vois 
entouré  de  la  perle  du  royaume,  chacun  t'exprime  en  son  âme 
le  même  salut  que  moi;  et  je  demande  que  toutes  les  voix 
crient  avec  la  mienne  :  salut,  roi  d'Ecosse  ! 

Tous.  Salut,  roi  d'Ecosse  ! 

M.\LCOLM.  Nous  n'attendrons  pas  un  plus  grand  laps  de 
temps  avant  de  faire  le  compte  de  nos  diverses  afîections,  et 
de  nous  acquitter  envers  vous.  Mes  thanes  et  mes  parents, 
vous  serez  désormais  comtes,  —  les  premiers  que  l'Ecosse  ait 
encore  nommés  de  ce  titre.  Ce  qui  reste  à  faire  de  plus,  ce 
qui  sera  aussi  réalisé  avec  le  temps,  —  rappeler  chez  eux  nos 
amis  exilés  au  loin  pour  avoir  fui  les  pièges  d'une  redoutable 
tyrannie,  dénoncer  au  grand  jour  les  cruels  ministres  de  ce 
boucher  mort  et  de  cette  reine  diabolique,  qui,  croit-on,  s'est 
ôté  la  vie  d'une  main  violente,  —  toutes  ces  choses,  et  d'autres 
aussi  nécessaires,  nous  nous  en  occuperons,  avec  l'aide  de 
Dieu,  et  nous  les  exécuterons  tour  à  tour  en  temps  et  lieu  : 
ainsi,  nos  remercîments  à  tous  en  général  et  à  chacun  de 
vous  que  nous  invitons  à  venir  nous  voir  couronner  à  Scone. 

Fanfare.  Ils  sortent. 


FIN 


PAUL  LACOMBLEZ,  Editeur,  Bruxelles. 

APSChot  (Comte  d')    Sourires  perdus 3 

CouPOUble  (L.).  Mes  Pandectes,  préface  par  Edmond  Picard  .  3 

—  Notre  langue i 

—  Profils  blancs  et  Frimousses  noires,  illustré        .        .  3  $( 

—  Images  d'Outremer,  illustré 3  5' 

—  La  famille  Kaekcbroeck 3  S 

—  Pauline  Platbrood 3  SI 

—  Les  Noces  d'Or 3 

De  Coster  (Charles).  La  légende  d'Ulenspiegel S 

—  Légendes  flamandes 3  5) 

De  Haulleville  (Baron).  En  vacances 3  ' 

—  Portraits  et  Silhouettes,  a  vol.  à.        .        .  3 

—  J.  M.  J.  Bodson 2    )i 

DeiattPe  (Louis).  Contes  de  mon  village 3  5< 

—  ^  Les  miroirs  de  jeunesse 3  M 

Demoldep  (Eugène).  Contes  d'Yperdamme 3  o( 

De  Rignier.  Le  bosquet  de  Psyché ,  t    i 

Destree  (Jules).  Journal  des  Destrce t  4 

Eekhoud  (G.).  Les  fusillés  de  Malines 3  $1 

—  La  nouvelle  Carthage  (édit.  définitive)    .        .        .        .  4    ? 

—  Nouvelles  Kermesses ••35? 

—  Au  siècle  de  Shakespeare 3    • 

Emepson.  Sept  Essais,  avec  préface  de  Maeterlinck        .        .        .        .  3  5* 

Gapnip  (George).  Les  Chameux,  roman 3  5* 

—  Contes  à  Marjolaine 3  5^ 

Qpeyson  (Emile).  A  travers  passions  et  caprices '}  S) 

Krains  (H.).  Histoires  lunatiques 3    f 

ulchtervelde  (C"  G.  de).  Légendes  de  l'inconnu  géographique.        .  2  j 

Maeterlinck  (IW.)  Théâtre,  3  volumes  à 3  S 

—  Les  sept  princesses,  drame ■<';'8 

—  Serres  chaudes.  —  Quinze  chansons.        .        .        .  3'? 

—  L'Ornement  des  Noces  spirituelles    .        .        .        .  5    | 

—  Les  disciples  à  Sais  et  Fragments  de  Novalis         .  4  jt 
Mallapmé  (Stéphane).Villiers  de  l'Isle-Adam,  avec  portraitde  'Villiers, 

gravé  par  Desboutin 3  ** 

Maubel  (Henry).    Etude  de  jeune  fille .2 

—  Quelqu'un  d'aujourd'hui 3  5 

Philippe  (Marie).  Les  Enfants  sur  la  Scène 25 

Picard  (Ectmond).  Scènes  de  la  vie  judiciaire  :  Paradoxe  sur  l'Avocat. 

—  La  Forge  Roussel.  —  L'Amiral.  —  La  Veillée  de 

l'Huissier.  —  Mon  Oncle  le  Jurisconsulte       .        .  4 

~  El  Moghreb  al  Âksa  (Mission  belge  au  Maroc)  .        .  4  - 

—  En  Congolie 3  5 

—  Monseigneur  le  Mont-Blanc 2 

—  Vie  simple 2 

—  Le  Sermon  sur  la  montagne  et  le  Socialisme      .        .  2 

—  Comment  on  devient  Socialiste i 

—  L'Aryano-Séraitisme 3 

—  Désespérance  de  F'aust,  prologue  pour  le  théâtre,  ill.  z 

—  Jéricho,  Comédie-drame  en  3  actes      ....  3 

—  Fatigue  de  vivre.  Comédie-drame  en  4  actes       .        .  2  j 

—  Psukè,  Dialogue  pour  le  théâtre,  eni  acte,  illustré     .  3 

—  Le  Juré",  Monodrame  en  5  actes,  illustré     ...  3 
Plerron  (Sander).  Pages  de  Charité 3  5 

—  Les  délices  du  Brabant      ....••  3  ! 

Ruyters  (A.)-  Les  mains  gantées  et  les  pieds  nus 3  ! 

Sigogne  (Emile).  Contes  merveilleux 3 

—  L'art  de  parler 3  ! 

TordeusfJeannet.  Manuel  de  prononciation 2 

Van  Doorslaer(  Hector).  Sur  l'Escaut,  préface  par  Edmond  Picard    .       3! 

Van  Uerberghe  (Charles).  Les  Flaireurs i 

Van  Zype.  —  NOS   PEINTRES.  I  :   Baertsoen,  Courtens,  Laermans, 

Levêque,    Lynen,    Ronner,    Stobbaerts,  Vanaise.  Un 

grand  volume  avec  8  phototypies 3  1 

II  :   Fabry,    Bemier,     Frédéric,    Gilsoul,    Gouwelocs,  jj 

R.  Janssens,   Mathieu,  J.   Smits.   Un  grand    volume 

avec  8  phototypies 3  . 

—  La  Révélation,  roman 3 

Waller  (Max).  Daisy,  roman    .  .       .  ....       3 


PR 

2779 

M3D4 


Shakespeare,   William 
Macbeth 


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