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Full text of "Madame Vigée-Le Brun, peintre de Marie-Antoinette"

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PIERRE  DE  NOLHAC 


MADAME 


VIGÉE  LE  BRUIS 


PEINTRE  DE  MARIE-AISTOirsETTE 


PARIS 

GOUPIL    &    G'*,     ÉniTEIHS-lMPHlMEURS 

MANZF,  .lOYANT  tSc  C'S  kditeuus-imi'himeuhs,  successkuhs 
24,  BOULEVARD  DES  CAPUCINES 


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MADAME 


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VIGEE-LE  BRUN 


DU  MEME  AUTEUR 


GRANDES    EDITIONS    ILLUSTREES 


LOUIS    XV    ET    MARIE    LECZINSKA. 

LOUIS    XV    ET    MADAME    DE    POMPADOUR. 

LA    DAUPHINE    MARIE-ANTOINETTE. 

LA    REINE    MARIE-ANTOINETTE. 

LES    FEMMES    DE  v  VERSAILLES. 

NATTIER,  PEINTRE    DE   LA   COUR    DE   LOUIS   XV 

BOUCHER,     PREMIER    PEINTRE    DU     ROI. 

.].-n.     FRAGONARD. 

MADAME    VIGÉE-LE     BRUN. 

HUHERT  ROBERT. 

LES    .lARDINS    DE     VERSAILLES. 

HISTOIRE    DU     CHATEAU     DE    VERSAILLES. 


LA   REINE  MARIE-ANTOINETTE 

f.UiDce  Je   Vei Si-iiilfs ) 


PIERRE  DE  NOLHAC 


MADAME 


VIGÉE  LE  BRUN 


PEINTRE  DE  MARIE-ANTOINETTE 


PARIS 

GOUPIL    &    C'",     ÉDITEURS-IMPRIMEURS 

MANZI,  JOYANT  &  G'",  RDiTBuns-iMriiiMBuns,  successrurs 
24,  BOULEVARD  DES  CAPUCINES 

19L2 


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MADAME 

VIGÉE-LE  BRUN 


LES  femmes  régnaient  alors  ;  la  Révolu- 
tion les  a  détrônées.  »  Le  mot  est  de 
Madame  Vigée-Le  Brun,  une  de  celles 
dont  l'empire  fut  le  plus  incontesté  et  le  plus 
doux.  Elle  l'exerça  dans  le  monde,  qui  ne 
lui  refusa  aucun  succès,  et  dans  les  arts,  où 
la  complaisance  de  la  postérité  lui  a  laissé 
le  sceptre  fleuri  que  ses  contemporains  lui 
décernèrent. 

Elle  n'appartient  pas  à  la  lignée  des  grands 
peintres,  cette  jolie  Parisienne  qui  fut  au  ser- 
vice des  reines  frivoles,  des  beautés  de  cour 
ou  de  comédie  ;  mais  elle  a  son  rang  parmi  les 
maîtres  du  portrait,  car  elle  porte  un  exact 
témoignage  sur  son  époque.  L'artiste  fut 
appréciée   par    les  académies  nombreuses  qui 


2  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

lui  (îrenl  place ,  point  seulement  par  galan- 
terie; et  la  femme  est  connue  par  ses  mé- 
moires, par  les  souvenirs  de  ses  amis,  par  les 
images  qu'elle  a  laissées  d'elle. 

Elle  avait  l'âme  bienveillante ,  aisément 
émue,  faite  pour  nous  rendre  la  sensibilité  d'un 
temps,  où  le  mot  et  la  chose  tinrent  tant  de 
place.  Le  sentiment  passe  et  s'envole,  et  à 
peine  si  la  tristesse  dure  plus  que  la  joie  ;  un 
peu  de  mélancolie  s'égare  sur  les  visages,  mais 
seulement  ce  qu'il  faut  pour  plaire  davantage 
et  pour  que  le  sourire  ait  plus  de  prix. 

Le  joli  seul  inspire  Madame  Vigée-Le  Brun. 
Elle  veut  qu'on  soit  jolie  et  excelle  à  y  pour- 
voir. Sa  peinture  est  élégante,  fragile,  futile, 
enveloppée  de  grâce  et  d'abandon.  Son  pinceau 
se  plaît  aux  robes  de  velours,  aux  flottantes 
dentelles ,  que  relève  le  soulier  de  satin  ;  il 
préfère  parfois  les  rusti(jues  ajustements  des 
bergères  de  Florian,  qui  jettent  une  simple 
écharpe  sur  le  corsage  de  soie  fine. 

On  aime  cette  femme  d'être  si  bien  l'inter- 
prète d'une  société  galante  et  insouciante,  qui 
se  joue  à  elle-même  une  comédie  au  tragicpie 
dénouement.  On  hii  sait  gré  de  révéler  le 
secret  criiii  siècle  cpii  fait  de  l'amour  un  ('aj)rice, 
dans  un  décor  où  l'existence  semble  légère,  et 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  3 

aussi  le  bonheur.  Elle  attire  parce  qu'elle  est 
femme,  toute  académicienne  qu'elle  soit,  avec 
ses  charmes  et  ses  défauts ,  qui  sont  des 
charmes  encore.  Son  talent  est  sans  effort, 
sans  prétention.  Elle  est  naturelle  en  sa  vérité 
puérile  ;  mais  toute  sa  psychologie  est  dans  ce 
cœur  doucement  sensible  :  il  s'émeut  de  l'ap- 
parente beauté,  sans  rien  voir  au  delà.  Ses 
personnages  n'ont  rien  à  lui  dire,  elle  n'a  rien 
à  leur  prêter.  C'est  par  là  que  son  œuvre 
rejoint  celle  de  Nattier  et  semble  de  la  même 
qualité  morale. 

La  reine  Marie-Antoinette,  en  la  prenant 
pour  son  peintre  favori,  a  deviné  que  le  pin- 
ceau serait  assez  souple,  assez  ingénument 
flatteur  pour  rendre  la  fierté  de  sa  jeunesse,  la 
splendeur  de  ses  cheveux,  l'éclat  de  son  teint, 
et  pour  atténuer  tout  le  reste.  L'esprit  frivole 
et  délicieux  de  la  Reine  passait  tout  entier 
dans  l'étude  de  ses  toilettes,  dans  l'édifice  de 
sa  coiffure,  dans  la  fleur  qu'elle  tenait  à  la 
main.  Gomme  elle  a  bien  compris  son  royal 
modèle,  cette  Vigée-I^e  Brun,  qui  avait,  elle 
aussi,  le   désir  vif  et   continu   de  plaire  ! 

De  tant  de  portraits  féminins,  si  tendre- 
ment caressés,  les  meilleurs  peut-être  sont 
ceux  qui  représentent  l'artiste  elle-même,  gen- 


4  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

liment  souriante,  un  peu   tlétachée,   le  regard 
perdu.  Sa  bouche  a  la  fraîcheur   de  sa  grâce, 
et  ses  cheveux  bouclés  s'échappent  du  mou- 
choir noué   ou  du  turban,  encadrant  le  visage 
mutin.    Elle    était  mère,   cependant,    et  mère 
aimante,   mettant  au-dessus  de  son  art  cette 
maternité    dont    elle   savait  le   prix.    C'est  le 
secret   de   l'atmosphère   intime    qui    réchauffe 
parfois  ses  compositions.   Dans  le  tableau  du 
Louvre  où,  demi-nue  et  si  jolie,  elle  serre  sur 
son  cœur  la  fdlette  aux  grands  yeux,  son  regard 
luit  de  la  joie  qui  l'enivre.  Le  sentiment,  cette 
fois,   est  profond  et  fort.  Cette  expression  de 
l'amour    maternel    nous    prend    les    premiers 
regards  ;    nous   ne  voyons   qu'ensuite  le  beau 
modelé  du  bras,    la    main    finement   dessinée, 
l'épaule  blanche,   le  riche   ton   des  étoffes   et 
du  nœud  rouge  qui  retient  les  cheveux. 

Presque  autant  que  l'amour  maternel,  l'ami- 
tié, son  amitié  pour  (pielques  hommes,  éleva 
(juelquefois  Madame  Vigée-Le  Brun  au-dessus 
du  niveau  ordinaire  de  son  talent.  Ce  sont  de 
vraies  images  intellectuelles  que  celles  de 
Vernct,  de  Grétry,  d'iliibort  Hol)ert.  Cepen- 
dant, 1  aimable  amie  du  comte  de  \  aiidreuil  a 
couvert  trop  de  toiles  pour  (ju'on  y  puisse 
chercher    beaucoup    de    chefs  -  d\rti\rc  .     Elle- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  5 

même  en  a  fait  le  compte  :  six  cent  soixante- 
deux  portraits,  sans  parler  des  tableaux  com- 
posés et  des  paysages  !  Une  bonne  partie  a  été 
peinte  en  émigration  ;  des  portraits  lui  furent 
demandés  par  toute  l'Europe,  alors  qu'elle 
promenait  ses  pinceaux  à  Turin,  à  Rome,  à 
Naples,  à  Vienne,  à  Pétersbourg,  à  Berlin,  à 
Dresde  et  à  Londres.  Son  plus  long  séjour  fut 
en  Russie,  où  elle  travailla  six  ans,  chaque 
jour,  du  matin  au  soir,  réservant  seulement  le 
dimanche  pour  recevoir  les  visites  et  les  com- 
pliments de  ses  modèles  du  lendemain.  Nous 
en  avons  les  listes  authentiques,  où  les  majes- 
tés souveraines  et  les  beautés  illustres  ne 
manquent  point.  Mais  c'est  la  femme  française 
que  Madame  Vigée-Le  Brun  sut  rendre  le 
mieux,  et  c'est  elle  seule  qui  fait  durable  son 
aimable  gloire. 

Elle  a  compris  merveilleusement  les  femmes 
de  sa  génération  et  les  a  représentées  comme 
elles  rêvaient  d'être  admirées.  Le  portrait  de 
la  duchesse  de  Polignac,  chantant  la  romance 
au  clavecin,  est  aussi  significatif  à  ce  point  de 
vue  que  celui  de  Madame  Elisabeth  de  France 
en  bergère  de  Trianon.  C'est  la  même  forme 
de  sensibilité  qui  s'y  révèle,  et  toutes  les 
œuvres  de  l'artiste,  celles  que  gardent  encore 


6  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

les  familles  comme  celles  que  montrent  les 
musées,  servent  à  nous  faire  connaître  Tàme 
féminine  de  ce  temps. 

Nous  y  retrouvons  nos  aïeules  en  chapeau 
de  paille,  au  fichu  savamment  négligé,  celles 
qui  cueillent  des  fleurs  champêtres  ou  celles 
qui  étreignent  maternellement  leurs  enfants 
blondes,  les  mêmes  qui  supporteront  vaillam- 
ment les  misères  de  l'exil  ou  monteront  d'un 
pas  ferme  à  l'échafaud.  Et  nous  aimons  ces 
beautés  lointaines,  en  leurs  jours  de  bonheur 
sans  nuage,  dans  l'enivrement  de  leur  jeunesse 
et  de  leur  royauté  paisible  ;  nous  partageons 
l'ardeur  à  la  fois  badine  et  respectueuse,  tendre 
et  quelquefois  fidèle,  qu'elles  surent  trouver 
chez  leurs  adorateurs. 


Cette  carrière  si  brillante  et  si  rare,  mêlée 
aux  événements  les  plus  intéressants ,  aux 
sociétés  les  plus  diverses,  nous  est  connue 
jusqu'à  présent  par  un  livre  presque  célèbre,  les 
Souvenirs  de  Madame  Vige'e-Le  Brun,  publiés 
pour  la  première  fois  en  1835,  l'artiste  ayant 
(juatre-vingts  ans.  L'ouvrage  est  un  des  plus 
fréqnennnent  cités  sur  réj)0(juc  où  elle  a  vécu, 
et  il  nous  a  conservé  une  foule  d'anecdotes,  de 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  7 

portraits  et  de  détails  de  mœurs  qu'on  ne  ren- 
contre point  ailleurs.  Reconnu  par  Madame 
Vigée-Le  Brun  comme  son  œuvre,  on  ne  sau- 
rait admettre  cependant  qu'elle  l'ait  rédigé. 
Des  morceaux  originaux,  des  lettres  authen- 
tiques qu'on  a  d'elle  et  dont  quelques-unes 
figurent  dans  notre  livre,  sont  fort  loin  d'offrir 
l'agrément  littéraire  des  mémoires  imprimés  ; 
il  est  donc  certain  que  le  texte  des  Soiwenirs 
a  été  sinon  entièrement  composé,  au  moins 
préparé  pour  l'impression  par  un  ou  plusieurs 
lettrés  professionnels. 

Celle  qui  avait  été  l'artiste  jolie  et  la  femme 
à  la  mode  du  temps  de  Louis  XVI,  était  deve- 
nue, sous  la  Restauration  et  le  règne  de  Louis- 
Philippe,  une  vieille  dame  toujours  gracieuse, 
encore  entourée,  qui  donnait  à  souper,  pei- 
gnait des  paysages  romantiques  et  racontait 
volontiers  ses  souvenirs.  Ses  amis  étaient  plus 
empressés  à  recueillir  les  anecdotes  que  les 
paysages,  et  les  notaient  souvent  par  écrit. 
Nous  avons  des  fragments  manuscrits  anté- 
rieurs aux  Souvenirs  et  relatifs  à  des  faits  qui 
y  ont  été,  plus  tard,  mis  en  œuvre.  Déjà,  le 
neveu  par  alliance  de  Madame  Vigée-Le  Brun, 
Justin  Tripier-Le  Franc,  et  l'un  des  familiers 
de  son  salon,   Aimé  Martin,  avaient  lire  parti 


8  MADAME    VIGÉE-LE    BRUN 

tous  deux  de  ses  conversations ,  dans  les 
courtes  notices  qu'ils  avaient  publiées  sur  elle. 
En  1829.  sa  chère  princesse  Natalie  Rourakine 
avait  obtenu  d'elle  un  récit  biographique  d'un 
caractère  un  peu  spécial,  qui  lui  fut  envoyé  en 
Russie.  On  sollicita  bientôt  la  septuagénaire  de 
faire  ou  de  laisser  faire  un  ouvrage  complet 
du  récit  de  sa  vie. 

La  mode  était  aux  mémoires  ;  à  défaut  de 
manuscrits  originaux,  toute  une  équipe  de  lit- 
térateurs se  chargeait  de  fournir  la  librairie 
française  de  compositions  plus  ou  moins  vrai- 
semblables, qui  alimentaient  la  curiosité  des 
contemporains  sur  la  fin  de  l'ancien  régime  et 
l'époque  singulière  qui  l'avait  suivie.  Survi- 
vante d'un  temps  qui  apparaissait  déjà  loin- 
tain, l'esprit  nettement  meublé  de  renseigne- 
ments précis,  Madame  Vigée-Le  Brun  était 
toute  désignée  pour  prêter  son  nom  à  une 
opération  fructueuse  et  relativement  véridique. 
Elle  s'y  décida,  moins  par  amour-propre  que 
par  désir  de  se  défendre  devant  la  postérité 
de  pénibles  légendes  qui  avaient  pesé  long- 
temps sur  sa  réputation.  Elle  écrivait  à  Aimé 
Martin  en  lui  parlant  de  ses  chagrins  et  des 
calomnies  qui  avaient  assombri  sa  vie,  en  appa- 
ronco  si  lioiircnsc;  elle  lui  annonçait,  on  même 


MADAME    VIGÉE-LE    BRUN  9 

temps,  l'envoi  des  premiers  cahiers  où  elle 
essayait  de  se  raconter  :  a  Enfin,  mon  bien 
bon,  j'ai  commencé  ce  que  vous  m'aviez  recom- 
mandé depuis  plusieurs  années.  Vous  savez 
combien  j'avais  d'aversion  pour  faire  ce  que 
vous  appelez  mes  Mémoires,  car  il  faut  bien, 
malgré  tous  les  événements  dont  j'ai  été  spec- 
tatrice, que  je  parle  de  moi.  Ce  moi  est  si 
ennuyeux  pour  les  autres  que,  vrai,  sous  ce 
rapport,  j'y  avais  renoncé;  mais, M.  de  Gaspa- 
riny,  qui  comme  vous  m'a  pressée  de  les 
écrire,  m'y  détermine  en  me  disant  :  «  Eh 
«  bien,  Madame,  si  vous  ne  les  faites  pas  vous- 
«  même,  on  les  fera  après  vous,  et  Dieu  sait 
«  ce  qu'on  y  écrira!  »  J'ai  compris  cette  rai- 
son, ayant  été  souvent  si  méconnue,  si  calom- 
niée, que  je  me  suis  décidée,  depuis  six  mois, 
à  noter  à  mesure  ce  dont  je  me  rappelle  dans 
tous  les  temps,  dans  tous  les  lieux.  Vous  n'y 
verrez  ni  style,  ni  phrase,  ni  période.  Je  trace 
seulement  les  faits  avec  simplicité  et  vérité, 
comme  on  écrit  une  lettre  à  son  amie.  »  Cette 
première  rédaction ,  dont  on  peut  juger  par 
quelques  pages  conservées,  était,  en  effet, 
assez  informe;  style,  phrase  et  période  y  furent 
ajoutés  avec  abondance,  parfois  aux  dépens  de 
la  vérité. 


10  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Les  inexactitudes  de  détail ,  les  fausses 
dates,  les  confusions  qu'on  peut  relever  à 
chaque  instant  dans  les  Souvenirs,  n'enlèvent 
rien  à  l'intérêt  de  ce  livre  charmant  et  la  cou- 
leur générale  en  reste  juste.  Quelques-unes 
des  erreurs,  d'ailleurs,  sont  imputables  à 
Madame  Vigée-Le  Brun  elle-même.  L'âge 
qu'elle  avait,  lorsqu'elle  consulta  sa  mémoire, 
excuse  quelques  défaillances,  et  l'on  n'est  point 
fâché,  d'autre  part,  de  rencontrer  çà  et  là  une 
preuve  nouvelle  d'authenticité  dans  la  façon 
dont  un  esprit  féminin  défigure  la  réalité.  Les 
préventions  d'une  amitié  trop  ardente  ou  celles 
d'un  ressentiment  inapaisé  troublent  égale- 
ment le  jugement  de  la  bonne  dame.  Elle  omet 
volontiers  ce  qui  peut  lui  être  désagréable  ; 
ainsi  ne  nomme-t-elle  pas  une  seule  fois 
Madame  Labille  -  Guiard  ,  qui  est  entrée  en 
môme  temps  qu'elle  à  l'Académie  et  dont  la 
rivalité  grandissante  lui  a  été  pénible  pendant 
tant  d'années.  Deux  ou  trois  allusions  perfides 
ne  suffisent  j)as  à  renseigner  sur  cette  artiste 
qu'elle  voudrait  faire  oublier  et  à  (pii  l'avenir, 
plus  équitable,  ménage  une  juste  revanche. 

C'est  sur  la  période  la  plus  intéressante 
de  sa  vie  (jue  Madame  Vigée-Le  Brun  a  fait 
paraître  le  moins  de  pages.  Nous  savons  par  le 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  11 

menu  l'histoire  de  ses  pérégrinations  à  tra- 
vers l'Europe,  et  il  suffit  presque,  pour  satis- 
faire le  lecteur,  de  préciser  la  chronologie 
quelque  peu  flottante  de  ses  notes  de  voyage. 
Notre  curiosité  est  plus  exigeante  pour  l'époque 
qui  précède  la  Révolution  et  fut  le  plus  beau 
moment  de  sa  production  de  peintre.  Si  nom- 
breux qu'ils  paraissent,  les  détails  donnés  sur 
ce  temps  nous  semblent,  à  juste  titre,  incom- 
plets. C'est  là  surtout  que  les  rectifications 
de  noms,  de  dates  et  de  jugements  sont  néces- 
saires ;  c'est  là  que  les  témoignages  contem- 
porains, les  correspondances  administratives 
ou  privées,  les  critiques  des  expositions,  les 
papiers  de  famille,  permettent  d'esquisser,  dans 
la  marge  de  l'autobiographie  complaisante,  une 
biographie  nouvelle  et  plus  vraie. 


(1755-178-2) 

Elisabeth-Louise  Vigée  est  née  à  Pans, 
rue  Coq-Héron,  le  16  avril  1755.  Comme 
plusieurs  des  bons  peintres  du  siècle, 
elle  sort  d'une  famille  d'artistes;  son  père, 
Louis  Vigée,  est  un  portraitiste  qui  appartient 
à  l'Académie  de  Saint-Luc,  aux  salons  de 
laquelle  il  exposa  ses  ouvrages  ;  il  est  connu 
par  des  pastels  honorables,  de  ceux  qui  font 
cortège  de  fort  loin  aux  chefs-d'œuvre  de  La 
Tour  et  de  Perroneau.  Le  sentiment  filial  a 
dicté  le  jugement  des  Souvenir.s  (dont  nous 
citons  de  préférence  le  texte  original)  :  «  Mon 
père  était  rempli  de  talent  et  d'esprit.  Une 
gaieté  si  vraie  qu'elle  se  communiquait  aisé- 
ment. Il  peignait  avec  une  facilité  extrême  le 
portrait   au   pastel  ;   j'en    ai  vu   de   lui  dignes 


I 


14  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

du  fameux  La  Tour.  Avant  son  mariage,  il  pei- 
gnit à  rhuile  dans  le  genre  de  Watteau  ;  j'en 
ai  un  chez  moi,  plein  de  finesse  et  d'une  char- 
mante couleur.   » 

Vigée  était  un  homme  bon,  aimant  son  art, 
spirituel  et  gai  à  la  façon  française  d'autre- 
fois, qui  savait  amuser  ses  modèles  en  contant 
l'anecdote  et  lutiner  les  grisettes  du  quartier 
sans  cesser  d'adorer  sa  femme.  Celle-ci,  Jeanne 
Messain,  sortait  d'une  famille  paysanne  des 
environs  de  Neufchàteau  ;  elle  était  belle,  et 
c'est  à  ce  sang  de  Lorraine  que  sa  fille  dut  la 
grâce  des  traits  et  la  fraîcheur  délicate  du 
teint. 

L'enfance  d'Elisabeth,  racontée  par  elle 
dans  ses  papiers  inédits,  est  celle  de  toutes  les 
petites  Parisiennes  de  sa  classe.  En  nourrice 
dans  la  banlieue,  puis  en  sevrage  chez  des  cul- 
tivateurs d'Epernon,  elle  revient  à  cinq  ans 
chez  ses  parents,  pour  être  mise  aussitôt  au 
couvent.  C'est  une  sévère  maison  pour  une 
petite  fille  au  cœur  tendre,  que  cette  Trinité 
de  la  rue  de  Charonne,  au  faubourg  Saint- 
Antoine;  elle  y  développe  à  l'excès  une  sensi- 
bilité qui  la  fait  crier  au  dortoir,  quand  s'éteint 
la  lampe,  fuir  à  l'approche  du  curé  dont  l'habit 
noir  l'eirraie.  Sa  joie  est  de  crayonner  les  jours 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  15 

de  vacances,  comme  elle  le  voit  faire  à  son 
père  :  elle  barbouille  sur  les  murs,  sur  les  livres 
et  les  cahiers  de  ses  compagnes.  C'est  une 
vocation  qui  se  révèle.  «  J'avais  alors  sept  ans 
et  demi,  raconte-t-elle  ;  mon  père  avait  chez 
lui  des  élèves  qui  dessinaient  à  la  lampe  des 
têtes  d'après  nature.  Un  soir,  je  voulus  aussi 
m'y  établir;  ces  jeunes  messieurs  se  moquèrent 
de  moi,  prirent  les  meilleures  places.  Je  me 
mis  derrière  eux  et  dessinai  une  tête  à  barbe, 
modèle  de  ce  temps-là.  Quand  je  la  montrai  à 
mon  père,  il  en  fut  si  content  qu'il  me  dit  : 
«  Tu  es  née  peintre,  mon  enfant,  ou  il  n'en 
«  sera  jamais.  » 

L'enfant  est  d'une  santé  si  frêle  que  les 
parents  se  décident  à  la  reprendre  à  onze  ans, 
après  sa  première  communion.  Elle  trouve  à 
la  maison  un  frère  plus  jeune  qu'elle  de  trois 
ans  et  demi,  garçon  vif  et  bouillant,  qui  sera 
l'aimable  poète  Etienne  Vigée  :  «  Il  était  l'en- 
fant gâté  de  ma  mère,  étant  joli  comme  un 
ange,  moi  laide,  ce  qui  déplaisait  à  ma  mère, 
mais  j'en  étais  dédommagée  par  mon  père, 
qui  me  gâtait.  »  Les  soupers  sans-façon  du 
bon  Vigée  étaient  fameux  parmi  les  artistes. 
Les  enfants  quittaient  la  table  avant  le  des- 
sert,  et    de    leurs  lits    entendaient    les   rires 


i 


16  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

déchaînés  et  les  chansons.  Davesne,  un  con- 
frère de  rAcadémie  de  Saint-Luc,  et  Poinsinet, 
l'auteur  dramatique,  récitaient  de  la  poésie 
légère  ;  Doyen,  qui  passait  alors  pour  un  grand 
peintre  et  qui  avait  au  moins  de  grandes  idées 
sur  la  peinture,  les  développait  volontiers  et 
avec  chaleur.  Il  les  semait  dans  l'esprit  d'Eli- 
sabeth, qui  l'écoutait  en  l'admirant,  ses  beaux 
yeux  brillant  dans  son  maigre  visage.  Ses  pre- 
mières impressions  s'effacent  dans  la  grande 
douleur  que  lui  cause  la  mort  de  son  père,  en 
mai  1768;  c'est  Doyen,  le  meilleur  ami  du 
défunt,  qui  devient  le  premier  conseiller  de 
l'adolescente  ;  l'arrachant  à  son  chagrin,  il  lui 
remet  les  crayons  à  la  main  et  l'engage  à  abor- 
der le  pastel  et  l'huile.  «  Doyen,  dit-elle,  vou- 
lait me  persuader  que  mes  dessins  étaient 
dignes  de  lui  ;    il  m'en  achetait  ou  en  faisait 

le   semblant Je   n'avais    pas   besoin  d'être 

encouragée,  car  je  n'avais  pas  d'autre  bonheur 
que  de  pouvoir  me  perfectionner.  Mon  plus 
grand  plaisir  était  d'aller  voir  des  tableaux,  et 
lorsque  j'entendais  parler  de  peinture,  le  cœur 
me  battait.  »  Ces  dispositions  étaient  pré- 
cieuses à  cultiver  :  après  toute  une  vie  de 
labeur,  le  bon  Vigée  ne  laissait  à  partager, 
entre  sa  femme  et  ses  enfants,    qu'un  héritage 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  17 

de  35,339  livres,  et  la  jeune  lîlle  avait  à  assurer 
seule  l'indépendance  de  sa  vie. 

Elle  a  rencontré  une  amie,  à  peine  son 
aînée,  qui  a  les  mêmes  goûts,  la  même  éduca- 
tion, et  va  travailler  avec  elle.  C'est  Rosalie 
Bocquet,  fille  d'un  peintre  éventailliste,  qui 
tient  boutique  au  quartier  Saint-Denis,  lui- 
même  fils  d'un  peintre  du  Roi,  et  frère  d'An- 
dré Bocquet,  dessinateur  des  Menus.  Par  sa 
mère,  fille  de  Noël  Halle,  Mademoiselle  Boc- 
quet (plus  tard  Madame  Filleul)  descend  d'une 
autre  lignée  d'artistes.  Elle  n'a  pas  seulement 
le  charme  d'une  hérédité  affinée,  elle  a  encore 
celui  d'une  beauté  accomplie  ;  mais  Elisabeth 
ne  nous  laisse  pas  ignorer  qu'elle-même  est 
tout  à  fait  transformée,  et  qu'à  quatorze  ans 
elle  est  devenue  assez  jolie  fille  pour  trouver 
des  soupirants.  «  .J'étais  si  forte,  dit-elle,  et 
si  formée,  qu'on  me  donnait  seize  ans.  C'est 
alors  qu'on  commença  à  vouloir  me  séduire  ; 
mais  j'étais  tellement  occupée  de  l'étude  de 
mon  art  que  je  ne  pouvais  penser  à  autre 
chose.  »  Tout  au  plus  remarquait-elle,  en  se 
promenant  avec  sa  mère,  le  dimanche,  aux 
Tuileries,  que  les  compliments  n'allaient  pas 
seulement  à  celle-ci.  Rosalie  Bocquet  et  Elisa- 
beth Vigée  dessinent  ensemble    d'après   l'an- 


i 


18  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

tique,  chez  Briard,  de  l'Académie  royale,  qui 
a  son  atelier  au  Louvre  et  donne  volontiers  des 
leçons  aux  jeunes  personnes.  Elles  sont  sui- 
vies de  leur  bonne,  portant  le  petit  dîner  dans 
un  panier,  et  il  leur  arrive  d'acheter  «  des  mor- 
ceaux de  bœuf  à  la  mode  »  au  portier  du 
Louvre. 

Briard  n'est  qu'un  maître  sans  talent  ; 
mais,  un  jour,  les  écolières  font  la  connais- 
sance d'un  autre  habitant  du  palais,  Joseph 
Vernet,  dont  les  conseils  ont  plus  d'autorité. 
Elles  se  lient  avec  la  petite  Emilie,  sa  fille, 
qui  épousera  plus  tard  l'architecte  Chalgrin. 
Vernet  prend  en  amitié  ces  jeunes  filles  si 
laborieuses  ,  si  désireuses  de  réussir  .  Il  leur 
recommande  d'étudier  surtout  la  nature,  mais 
aussi  les  grands  maîtres  italiens  et  flamands. 
La  mère  d'Elisabeth  la  mène  au  Luxembourg, 
dans  la  galerie  des  Rubens,  puis  dans  ces  col- 
lections libéralement  ouvertes  aux  artistes  par 
le  duc  d'Orléans,  au  Palais-Royal,  et  par  le 
duc  de  Praslin,  le  marquis  de  Lévis,  le  rece- 
veur général  des  Finances  Randon  de  Boisset. 
Ses  premières  impressions  d'art  sont  à  noter  : 
«  Dès  (jue  j'entrais  dans  une  de  ces  riches 
galeries,  on  pouvait  exactement  me  comparer 
à  l'abeille,  tant  j'y  récoltais  de  connaissances 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  19 

et  de  souvenirs  utiles  à  mon  art,  tout  en  m'eni- 
vrant  de  jouissances  dans  la  contemplation  des 
grands  maîtres.  En  outre,  pour  me  fortifier,  je 
copiais  quelques  tableaux  de  flubens,  quelques 
têtes  de  Rembrandt,  de  Van  Dyck,  et  quelques 
têtes  de  jeunes  filles  de  Greuze,  parce  que  ces 
dernières  m'expliquaient  fortement  les  semi- 
tons  qui  se  trouvent  dans  les  carnations  déli- 
cates; Van  Dyck  les  explique  aussi,  mais  plus 
finement.  Je  dois  à  ce  travail  l'étude  si  impor- 
tante de  la  dégradation  des  lumières  sur  les 
parties  saillantes  d'une  tête,  dégradation  que 
j'ai  tant  admirée  dans  les  têtes  de  Raphaël, 
qui  réunissent,  il  est  vrai,  toutes  les  perfec- 
tions.  » 

Madame  Vigée  s'est  remariée  ;  elle  est  de- 
venue Madame  Le  Fèvre  ;  le  riche  joaillier  qui 
l'a  épousée  a  pris  la  jeune  artiste  dans  sa  mai- 
son, située  rue  Saint-IIonoré,  au  coin  de  la 
place  du  Palais-Royal.  C'est  un  vilain  beau- 
père,  qu'elle  déclare  avare  et  jaloux,  et  qui 
s'approprie  tout  ce  qu'elle  commence  à  ga- 
gner. Elle  a  fait,  comme  il  est  d'usage,  ses 
tableaux  de  début  en  prenant  les  modèles 
dans  sa  propre  famille  :  sa  mère  au  pastel  en 
sultane,  son  frère  en  écolier,  M.  Le  Fèvre  «  en 


20  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

bonnet  de  nuit  et  en  robe  de  chambre  »  ;  son 
chef-d'œuvre  d'alors,  peint  à  quinze  ans  et 
demi,  est  un  portrait  ovale  de  sa  mère  ;  le  joli 
visage  est  presque  de  face  et  les  épaules  sont 
recouvertes  d'une  pelisse  de  satin  blanc  bro- 
dée d'une  fourrure  de  cygne.  Parmi  les  voisins 
ou  connaissances ,  Elisabeth  représente  une 
aimable  Madame  Suzanne,  dont  le  mari  est 
sculpteur  de  l'Académie  de  Saint-Luc;  les 
époux  Baudelaire  et  leurs  filles  ;  Mademoiselle 
Pagelle,  marchande  de  modes  de  la  Dauphine, 
et  son  commis.  Puis  viennent  les  premières 
commandes  de  gens  de  qualité  :  elle  peint 
Madame  d'Aguesseau  et  son  chien,  la  comtesse 
de  La  Vieuville,  le  marquis  de  Choiseul,  le 
comte  de  La  Blache,  maréchal  de  camp,  qui 
vient  d'hériter  de  Pâris-Duverney,  et  la  com- 
tesse, née  Gaillard  de  Beaumanoir.  Ces  por- 
traits sont  d'un  dessin  sage,  assez  vivants, 
sans  qu'aucune  personnalité  d'artiste  s'y  re- 
connaisse; on  y  sent  surtout  qu'elle  a  reçu  les 
conseils  de  Greuze,  (jui  sont  venus  compléter 
ceux  de  Vernet. 

On  l'invite  beaucouj)  à  dîner,  pour  sa  jolie 
ton  m  II 10  et  sa  grâce.  Chez  le  sculpteur  Le- 
moyne,  où  se  réunit  une  société  distinguée,  elle 
voit  les  célébrités  du  tenq)s,  La  Tour.   Lekain, 


MADAME    YIGEE-LE    BRUN  21 

Grétry,  Tavocat  Gerbier  ;  et  la  gaieté  des  repas 
s'achève  dans  ces  chansons  du  dessert,  sup- 
plice des  jeunes  demoiselles,  dont  son  talent 
la  dispense.  C'est  dans  ces  réunions  qu'elle  va 
créer  sa  clientèle,  et  elle  commence  à  tenir,  à 
partir  de  1773,  la  liste  annuelle  des  com- 
mandes, où  souvent  les  noms  sont  étrangement 
défigurés,  mais  où  se  trouvent  des  indications 
précises  sur  son  activité  et  les  différents 
mondes  qu'elle  fréquente. 

Elle  débute,  cette  année- là,  par  M.  de 
Roissy  et  sa  femme,  fille  de  Gerbier,  Made- 
moiselle du  Petit  -  Thouars  et  le  comte  du 
Barry.  Ce  dernier,  grand  ami  des  arts  et 
connaisseur  en  toutes  sortes  de  beautés,  n'est 
autre  que  le  fameux  «  Roué  »  ;  il  pourrait  déjà 
l'introduire  à  la  Cour,  par  les  cabinets  de  la 
favorite,  sa  belle-sœur  ;  mais  le  peintre  de 
Marie-Antoinette  y  entrera  plus  tard  par  une 
meilleure  porte.  De  jolies  femmes  s'adressent 
à  elle  ;  leurs  louanges,  le  succès  qu'obtient 
leur  image,  vont  contribuer  à  diriger  de  pré- 
férence la  jeune  iillc  vers  les  portraits  fémi- 
nins. Elle  a  entendu  chanter,  chez  Lemoyne, 
l'adorable  Madame  de  Bonneuil,  qui  ne  saura 
point  vieillir  et  qu'elle  retrouvera,  sous  le 
Consulat,    belle-mère   de    Regnault   de   Saint- 


22  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

Jean-d'Angély,  et  toujours  avec  sa  «  fraî- 
cheur de  rose  »  ;  sa  sœur,  Madame  Thilorier, 
est  la  femme  de  l'avocat  au  Parlement,  et 
l'artiste  aura  plusieurs  fois  l'occasion  de  les 
peindre  l'une  et  l'autre.  Elle  se  lie  surtout 
avec  Madame  de  Verdun,  femme  du  fermier 
général,  qui  possède  le  château  de  Colombes. 
«  Madame  de  Verdun,  écrira-t-elle  sous  la 
Restauration,  peut  être  citée  pour  son  esprit 
à  la  fois  si  fin  et  si  naturel  ;  la  bonté,  la  gaieté 
de  son  caractère  la  faisaient  rechercher  géné- 
ralement, et  je  puis  regarder  comme  un  bon- 
heur de  ma  vie  qu'elle  ait  été  la  première  et 
qu'elle  soit  encore  ma  meilleure  amie.   » 

Reçue  à  Colombes,  Elisabeth  Vigée  y  voyait 
une  autre  société  «  composée  d'artistes,  de 
gens  de  lettres  et  d'hommes  spirituels  »,  parmi 
lesquels  Carmontellc,  intime  du  maître  de  la 
maison,  l'auteur  de  ces  aimables  «  proverbes  » 
qu'on  jouait  de  tous  côtés  sur  les  scènes  parti- 
culières. La  jeune  fille  était  partout  remarquée 
pour  sa  beauté  épanouie,  ce  cpii  ne  laissait  pas 
de  la  gêner  dans  l'exercico  de  sa  profession  : 
a  Plusieurs  amateurs  de  ma  fîi^ure,  raconte- 
t-elle,  me  faisaient  peindre  la  leur,  dans  l'es- 
poir (1(*  parvenir  à  me  jjlairc...  ;  dès  que  je 
m'aj)ercevais    (pi'ils    voulaient    me    faire    des 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  23 

yeux  tendres,  je  les  peignais  à  regards  perdus^ 
ce  qui  s'oppose  à  ce  que  l'on  regarde  le  peintre. 
Alors,  au  moindre  mouvement  que  faisait  leur 
prunelle  de  mon  côté,  je  leur  disais  :  J'en  suis 
aux  yeux;  cela  les  contrariait  un  peu,  comme 
vous  pouvez  croire,  et  ma  mère,  qui  ne  me 
quittait  pas  et  que  j'avais  mise  dans  ma  confi- 
dence, riait  tout  bas.  »  Les  souvenirs  impri- 
més ne  nomment  que  le  marquis  de  Choiseul 
parmi  ces  galants  ;  les  manuscrits  ajoutent 
Jean  du  Barry  et  insistent  sur  un  comte  de 
Brie,  qui  vint  se  faire  peindre  en  1774  :  «  Il 
devint  amoureux  forcené  de  moi  ;  il  ne  pou- 
vait me  parler;  ma  mère  ne  me  quittant  pas 
aux  séances,  il  me  suivait  partout  et,  ne  pou- 
vant avoir  la  facilité  de  me  parler,  il  laissa  un 
jour,  sur  la  commode  de  ma  mère,  des  titres 
de  rente,  je  me  rappelle  encore,  19,000  francs. 
Ma  mère,  sitôt  qu'il  fut  parti,  vit  ces  papiers 
et,  furieuse,  lorsqu'il  revint  le  lendemain,  elle 
les  lui  rendit  avec  indignation  et  lui  défendit 
sa  porte  ;  mais  toujours  il  me  suivait  par- 
tout. »  On  verra  que  M.  de  Brie  essaya  de  se 
venger  du  dédain  de  cette  jeune  vertu,  au  mo- 
ment de  son   mariage. 

«   A  cette   époque,    réellement,    la    beauté 
était   une   illustration   »  ;    Mademoiselle   Vigée 


24  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

faisait  sensation  avec  Mademoiselle  Bocquet, 
quand  elles  paraissaient  sur  le  boulevard  du 
Temple,  où,  le  jeudi,  la  société  élégante  se 
promenait  en  voiture  ;  les  jeunes  gens  à  cheval 
caracolaient  autour  d'elles,  et  les  petits  maî- 
tres, dans  les  allées,  les  lorgnaient  au  passage. 
Elles  fréquentaient,  aux  Champs-Elysées,  les 
grands  concerts  d'orchestre  du  Golisée ,  où, 
sur  le  vaste  perron  de  la  salle,  le  duc  de 
Chartres  et  ses  amis  dévisageaient  les  femmes 
et  les  moquaient.  Elles  allaient,  aux  soirs 
d'été,  voir  tirer  les  feux  d'artifice  au  W  auxhall  ; 
mais  leur  meilleur  plaisir  était  la  jolie  prome- 
nade du  Palais-Royal,  avec  cette  large  allée 
abritée  d'arbres  énormes,  où  les  jeunes  filles 
venaient  le  dimanche,  après  la  grand'messe, 
montrer  leurs  claires  toilettes  de  printemps.  Le 
Palais-Royal  n'était  pas  encore  envahi  par  la 
mauvaise  compagnie,  qui  se  confinait  dans  les 
quinconces;  on  s'y  promenait  sans  inconvé- 
nient, même  le  soir,  après  les  représentations 
de  l'Opéra,  dont  la  salle  était  voisine,  et  qui 
finissaient  à  huit  heures  et  demie.  Ces  soirées, 
qui  ne  se  prolongeaient  pas  trop  tard,  ces  mu- 
si(pies  au  clair  de  lune,  où  des  artistes  et  des 
amateurs  jouaient  de  la  iiarj)e  et  ilu  violon,  où 
l'on    entendait    en   plein    air    les    virtuoses    du 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  25 

chant,  Garât  et  Azevedo,  toute  cette  élégance 
paisible  de  la  vie  de  Paris  où  le  luxe  impur  ne 
s'étalait  point,  ont  laissé  dans  l'esprit  d'Elisa- 
beth Visrée  un  délicieux  souA'enir. 

Au  retour  de  telles  promenades,  il  était 
pénible  d'aller  dormir  dans  un  recoin  sans  air, 
au  pied  du  lit  maternel,  en  ce  logis  d'un  beau- 
père  tyrannique  et  grognon.  Elle  ne  connais- 
sait la  campagne,  dont  elle  devait  tant  jouir 
plus  tard,  que  par  le  pitoyable  Chaillot,  où 
M.  Le  Fèvre  avait  loué  une  bicoque;  on  y  allait, 
du  samedi  au  lundi,  voir  pousser  les  haricots 
et  les  capucines,  et,  toute  la  journée  du  di- 
manche, les  garçons  de  boutique,  réunis  dans 
le  voisinage,  tiraient  bruyamment  des  coups 
de  fusil  sur  les  oiseaux.  Mais  des  amis  bien- 
veillants ,  le  ménage  Suzanne ,  ouvrirent  à 
l'imagination  d'Elisabeth  le  trésor  des  belles 
résidences  royales  et  princières  des  environs 
de  Paris.  Elle  vit,  grâce  à  eux,  Sceaux  avec 
son  double  parc,  celui  de  Le  Nôtre  et  celui  de 
la  nature,  que  le  duc  de  Penthièvre  livrait 
libéralement  au  public  ;  Chantilly  ,  avec  ses 
lacs  et  SCS  rivières,  et  la  somptuosité  de  la 
résidence  des  Coudé  ;  Marly,  avec  ses  cas- 
cades, ses  marbres  et  ses  salles  de  verdure. 
Un  matin,   à  Marly,  elle  rencontra    Marie-An- 


l 


26  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

toinette  se  promenant  avec  plusieurs  dames 
en  robe  blanche,  toutes,  «  si  jeunes,  si  jolies, 
dit-elle,  qu'elles  me  firent  Teffet  d'une  appari- 
tion ;  j'étais  avec  ma  mère  et  je  m'éloignais, 
quand  la  Reine  eut  la  bonté  de  m 'arrêter, 
m'engageant  à  continuer  ma  promenade  par- 
tout où  il  me  plairait  ».  C'était  la  première 
fois  que  l'artiste  voyait  celle  qui  devait  être 
son  plus  cher  modèle  et  de  qui  elle  a  toujours 
parlé  avec  une  affectueuse  émotion. 

Un  incident  pénible  troubla  un  instant  sa 
jeune  carrière.  Le  système  des  corporations 
étendait  ses  abus  jusque  dans  les  arts,  où  il 
fallait  être,  ainsi  qu'en  tout  autre  travail, 
apprenti  ou  maître.  Comme  Mademoiselle 
Vigée  travaillait  sans  titre ,  on  se  présenta 
chez  elle  pour  saisir  son  atelier.  Elle  oOrit 
alors  de  se  faire  recevoir  maître- peintre  à 
l'Académie  de  Saint-Luc,  et  ses  démarches  l'y 
firent  agréer  j)ar  lettres  du  25  octobre  1774. 
Elle  exposa,  à  cet  ellet,  quelques  œuvres  à 
l'hôtel  .bibacli,  rue  Saint-Mcrri,  où  cette  mo- 
deste confrérie  réunissait  les  travaux  de  ses 
membres.  Plus  d'un  véritable  artiste  s'était 
révélé  dans  ces  exj)ositions  secondaires,  moins 
solennelles   (pie    celles    de   l'Académie    royale. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  27 

et  la  dernière  eut  lieu  au  mois  d'août  1774. 
Mademoiselle  Bocquet  y  présentait  le  portrait 
d'Eisen,  adjoint  au  recteur  de  l'Académie  de 
Saint-Luc.  Une  femme  d'un  mérite  plus  grand, 
Madame  Guiard,  née  Adélaïde  Labille  des  Ver- 
tus, s'y  produisit  en  même  temps  qu'Elisabeth 
Vigée.  Ce  fut  pour  toutes  deux  la  première 
manifestation  publique  de  leur  talent,  et  de- 
puis elles  devaient  toujours  rivaliser,  tant  dans 
le  monde  qu'à  l'Académie  royale.  Voici  l'énu- 
mération  des  portraits  que  le  livret  de  Saint- 
Luc  attribue  à  la  fille  de  Vigée,  et  dont  aucun 
nom  ne  se  retrouve  dans  la  liste  qu'elle  a 
dressée  de  ses  œuvres  : 

Le  portrait  de  M.  Dumesnil,  recteur.  (Ce  tableau  a  été 
donné  par  1  auteur  pour  sa  réception  à  l'Académie.)  — 
La  Peinture,  la  Poésie  et  la  Musique,  sous  des  figures 
de  femmes  qui  les  caractérisent.  (Ces  trois  tableaux  sont 
peints  à  l'huile  et  portent  2  pieds  6  pouces  de  haut  sur 
2  pieds  de  large.)  —  Le  portrait  de  M.  ***.  Il  est  repré- 
senté jouant  de  la  lyre,  (Ce  tableau  est  peint  à  l'huile.) 
—  Celui  de  M.  Le  Comte.  Il  est  vu  dans  son  cabinet 
avec  un  globe  et  des  livres.  —  Le  portrait  de  M.  Eour- 
nier,  conseiller  de  l'Académie  de  Saint-Luc.  —  Le  por- 
trait de  Mademoiselle  de***,  en  buste.  (Tableau  au  pastel, 
de  forme  ovale.)  —  Plusieurs  portraits  et  tètes  d'études 
sous  le  même  numéro. 

L'artiste  fut  mise  à  la  mode  par  le  succès 
qu'obtinrent   ces  portraits  auprès  d'un    public 


28  MADAME    VIGEE-LE    BllUN 

curieux  de  jeunes  talents,  qui  aimait  à  les 
découvrir  aux  expositions  de  Saint-Luc.  Dès 
Tannée  suivante,  ses  commandes  augmentent 
en  nombre  et  surtout  en  qualité.  Quelques 
nobles  étrangers  s'adressent  à  elle  ;  tel  le 
comte  SchouvalofT,  autrefois  l'amant  de  l'impé- 
ratrice Elisabeth  de  Russie,  que  recomman- 
dent aux  Parisiens  l'amitié  de  Voltaire  et  la 
fondation  de  l'Académie  des  Arts  de  Saint- 
Pétersbourg;  il  joint  ((  une  politesse  bienveil- 
lantc  à  un  ton  pariait».  Elisabeth  peint  encore 
le  j)rince  de  Nassau,  un  des  grands  batailleurs 
de  l'époque,  qui  a  commencé  sa  vie  en  accom- 
pagnant Bougainville  autour  du  monde,  le 
comte  de  Deux-Ponts,  puis,  en  1775,  Madame 
de  Laborde,  Mademoiselle  de  Gossé,  M.  de 
Montville,  homme  aimable  et  fort  répandu,  et 
Madame  de  Montville;  la  spirituelle  Madame 
Denis,  nièce  de  Voltaire;  Mademoiselle  Julie 
Carreau,  qui  réunit  chez  elle  des  gens  de  lettres 
et  des  personnes  de  qualité,  et  qui  plus  tard 
épousera  Talma.  Tout  ce  monde  est  agréable 
au  peintre  et  sert  sa  renommée;  puis  une 
heureuse  rencontre  l'introduit  chez  la  prin- 
cesse de  Hohan-liochcfort,  née  Orléans-Rothe- 
bii,  femme  u  très  spirituelle,  mais  tête  légère  », 
dont  11-  niih'eu,   ({u'olle  nous  décrit,    initie  de 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  29 

plus  près  la  jeune  fille  aux  nobles  manières  : 
a  Le  fond  de  sa  société  se  composait  de  la 
belle  comtesse  de  Brionne  et  de  sa  fille,  la 
princesse  de  Lorraine,  du  duc  de  Choiseul,  du 
cardinal  de  Rohan,  de  M.  de  Rulhières,  l'au- 
teur des  Disputes  ;  mais  le  plus  aimable  de  tous 
les  convives  était  sans  contredit  le  duc  de 
Lauzun;  on  n'a  jamais  eu  autant  d'esprit  et  de 
gaieté...  Nous  n'étions  jamais  plus  de  dix  ou 
douze  à  table.  C'était  à  qui  serait  le  plus 
aimable  et  le  plus  spirituel.  J'écoutais  seule- 
ment, comme  vous  pouvez  croire,  et,  quoique 
trop  jeune  pour  apprécier  entièrement  le 
charme  de  cette  conversation,  elle  me  dégoû- 
tait  de  beaucoup  d'autres.   » 

Mademoiselle  Vigée  peignit  une  partie  de 
la  famille  du  prince  de  Rohan-Rochefort,  son 
fils  le  prince  Jules,  Mademoiselle  de  Rochefort; 
et,  bientôt  après,  les  noms  les  plus  relevés  se 
pressent  sur  ses  listes.  C'est  la  princesse  de 
Craon,  le  prince  et  la  princesse  de  Montbarrey, 
Mesdames  de  Lamoignon  et  de  Montmorin  ; 
des  étrangères,  comme  la  duchesse  d'Arenberg, 
une  comtesse  Potocka,  une  Milady  Berkeley, 
et  aussi  la  belle  Madame  Grant,  un  jour  prin- 
cesse de  Talleyrand  et  que  l'artiste  peindra  à 
trois   époques   de   sa   vie.    Les   critiques   déjà 


30  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

remarquent  son  talent;  on  trouve  dans  VAlma- 
nac/i  sur  les  Peintres  le  premier  jugement 
publié  sur  elle  :  «  Mademoiselle  Vigée  a  pris 
la  route  d'une  artiste  qui  veut  se  faire  une 
grande  réputation.  Remplie  du  désir  d'exceller, 
elle  écoute  avec  douceur  et  ses  émules  et  ses 
maîtres  dans  l'art  de  rendre  le  portrait  avec 
vérité.  Déjà  ceux  qui  sortent  de  son  atelier  se 
ressentent  de  ses  heureuses  impressions;  ils 
sont  composés  avec  goût;  le  sentiment  y  brille, 
les  habillements  y  sont  bien  faits  et  sa  cou- 
leur est  vigoureuse.  »  Ces  lignes  élogieuses 
sont  signées  du  nom   de  Le   Brun. 

La  renommée  de  l'artiste  s'étend  de  jour 
en  jour;  elle  ne  néglige  rien  pour  l'entretenir, 
ni  la  parure  de  sa  personne,  ni  les  attentions 
délicates  pour  ses  modèles,  ni  les  fréquenta- 
tions profitables.  Elle  a  des  amis  parmi  les 
abbés  lettrés  qui  sont  les  conseillers  du  beau 
monde  :  l'abbé  Giroux,  (jui  lui  amène  le  prince 
de  Nassau,  l'abbé  Arnaud,  le  fameux  gluckiste, 
qui  la  prône  auprès  de  ses  confrères  de  l'Aca- 
démie française.  Elle  s'acquiert  la  protection 
de  celte  puissante  mmp.ignie,  en  bii  faisant 
liommage  de  deux  portraits  mancpianl  à  sa 
collection,   ceux  de  La  Bruyère  et  du  cardinal 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  31 

de  Fleury,  peints  par  elle  d'après  des  gravures. 
Elle  les  a  offerts  par  une  lettre  charmante, 
dont  lecture  a  été  donnée  dans  la  séance  du 
9  août  1775  :  «  L'Académie,  lit-on  au  registre 
des  procès-verbaux,  a  chargé  M.  le  Secrétaire 
de  lui  écrire  pour  la  remercier,  et  en  même 
temps  a  donné  d'une  voix  unanime  à  Made- 
moiselle Vigée  ses  entrées  à  toutes  les  séances 
publiques.  »  Elle  conserva  toujours  la  lettre 
que  D'Alembert,  secrétaire  perpétuel,  écrivit 
au  nom  de  l'Académie  :  «  Ces  deux  portraits, 
disait-il,  en  lui  retraçant  deux  hommes  dont  le 
nom  lui  est  cher,  lui  rappelleront  sans  cesse. 
Mademoiselle,  le  souvenir  de  tout  ce  qu'elle 
vous  doit  et  qu'elle  est  flattée  de  vous  devoir: 
ils  seront  de  plus,  à  ses  yeux,  un  monument 
durable  de  vos  talents,  qui  lui  étaient  déjà 
connus  par  la  voix  publique,  et  qui  sont  encore 
relevés  en  vous  par  l'esprit,  par  les  grâces  et 
par  la  plus  aimable  modestie.  »  Outre  le  bruit 
fait  autour  de  ce  don,  l'artiste  y  gagna  liioii- 
neur  d'une  visite  de  ce  petit  homme  sec,  froid 
et  parfaitement  poli  qu'était  D'Alembert  :  «  Il 
resta  longtemps,  écrit-elle,  et  parcourut  mon 
atelier  en  me  disant  mille  choses  flatteuses. 
Je  n'ai  jamais  oublié  ([u'il  venait  de  sortir, 
quand  une  grande  dame,  qui  s'était  trouvée  là. 


32  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

me  demanda  si  j'avais  fait  d'après  nature  ces 
portraits  de  La  Bruyère  et  de  Fleury,  dont  on 
venait  de  parler  :  —  «  Je  suis  un  peu  trop 
jeune  pour  cela,  répondis- je  sans  pouvoir 
m'empècher  de  rire,  mais  fort  contente  pour 
la  pauvre  dame  que  racadémicicn  fût   parti.  » 

La  gracieuse  personne  d'Elisabeth  Vigée, 
devenue  si  importante,  ne  tarde  pas  à  être 
recherchée  en  mariage.  Toute  à  son  art  et  à 
ses  jeunes  ambitions,  elle  ne  pense  guère  à 
changer  de  vie,  et  la  seule  raison  qui  l'y  déci- 
derait serait  de  quitter  une  maison  qui  lui  est 
devenue  insupportable.  Elle  n'est  point  armée, 
d'ailleurs,  pour  se  défendre  contre  l'offre  d'une 
union  fâcheuse,  surtout  quand  elle  se  présente 
sous  des  formes  qui  peuvent  séduire  une  âme 
d'artiste.  Son  beau-père  est  venu  habiter  rue 
de  Cléry,  dans  l'hôtel  Lubert,  où  demeure  le 
fils  de  Pierre  Le  Brun,  jadis  fameux  marchand 
de  curiosités  de  la  rue  Saint-IIonoré  ;  le  jeune 
homme  a  continué  le  commerce  des  tableaux 
et  dirige  comme  expert,  avec  Pierre  Rémy,  les 
ventes  importantes.  Il  n  dans  son  appartement 
de  précieux  morceaux  de  toutes  les  écoles  ; 
Elisabeth,  ravie  d'un  tel  voisinage,  frécjuente 
les  tableaux  et  le  marchand  ;  elle  est  reconnais- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  33 

santé  qu'on  lui  prête  chez  elle  les  plus  belles 
toiles  pour  les  étudier  ou  les  copier.  Le  Brun, 
qui  n'est  point  sot  et  qui  est  lui-même  peintre 
de  portraits  médiocres,  a  deviné  l'avenir  bril- 
lant et  lucratif  réservé  au  talent  de  la  jeune 
fille  ;  bien  fait  de  sa  personne,  obligeant,  enjô- 
leur ,  il  l'entoure  de  flatteries  et  de  préve- 
nances. Il  a  écrit  d'elle  les  premiers  éloges 
que  sa  jeunesse  ait  eu  à  savourer  sur  le  papier 
imprimé.  Après  six  mois  de  voisinage  et  de 
cour  discrète,  il  se  déclare.  On  le  croit  plus 
riche  qu'il  ne  l'est,  la  splendeur  de  son  logis, 
qui  n'est  qu'un  magasin,  faisant  illusion  à  la 
mère  autant  qu'à  la  fille  ;  elles  ignorent  à  quel 
point  il  est  joueur  et  coureur  de  tripots.  Le 
portrait  de  Le  Brun  peint  par  lui-même,  qui 
est  de  l'époque  tardive  où  il  organisa  le  Muséum 
national,  révèle  fort  bien  le  personnage.  Vêtu 
d'un  habit  bleu  barbeau  et  coiffé  d'un  feutre 
noir,  il  feuillette  d'une  main  la  collection  d'es- 
tampes de  maîtres  qu'il  a  publiée,  et  tient  de 
l'autre  la  j)alettc  qui  n'eût  pas  suffi  à  illustrer 
son  nom;  un  camée  brille  à  son  doigt,  un  autre 
est  planté  dans  sa  cravate  blanche;  c'est  un 
homme  important  et  qui  veut  qu'on  le  sache; 
mais  le  regard  faux  et  libertin,  dans  le  visage 
usé,    montre   avec   trop    d'évidence    qu'Elisa- 


I 


34  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

beth  n'a  pas  fixé  sa  vie  dans  une  union  sans 
nuage. 

La  demande  agréée,  le  mariage  fut  célébré 
dans  l'intimité,  avec  la  dispense  de  deux  bans, 
en  l'église  Saint-Eustache,  le  11  janvier  1776. 
Jean -Baptiste -Pierre  Le  Brun,  bourgeois  de 
Paris,  est  porté  sur  l'acte  comme  âgé  de  près 
de  vingt -huit  ans;  Elisabeth- Louise  Vigée , 
comme  âgée  de  vingt  ans  et  demi.  Les 
deux  mères  sont  présentes,  et  les  témoins  de 
l'épouse,  outre  son  beau-père,  sont  maître 
Jean-Antoine  Desfont,  notaire  au  Châtelet,  et 
maître  Pierre  Delépine,  acolyte  du  diocèse  de 
Paris.  Le  mariage  est  tenu  quelque  temps 
secret;  Le  Brun,  ayant  dû  épouser  la  fille  d'un 
Hollandais  «  avec  lequel  il  faisait  un  grand 
commerce  en  tableaux  »,  n'a  point  voulu  le 
déclarer,  paraît-il,  avant  la  fin  de  ses  afi'aires. 
Cet  arrangement  ne  va  pas  sans  inconvénients, 
car  beaucoup  de  gens,  croyant  simplement  à 
un  projet,  viennent  trouver  la  jeune  femme 
pour  tâcher  de  l'en  détourner;  son  ami  Aubert, 
joaillier  de  la  Couronne,  l'assure  «  qu'elle  ferait 
mieux  de  s'attacher  une  pierre  au  cou  et  de 
se  jeter  dans  la  rivière  plutôt  que  d'épouser 
Le  Brun  ».  La  jeune  duchesse  d'Arcnbcrg, 
Madame    de    Canillac   et    Madame    de    Souza, 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  35 

ambassadrice  de  Portugal,  lui  portent  aussi 
leurs  conseils  tardifs.  La  pauvre  enfant  pleure 
après  ces  visites  ;  mais  elle  se  console  d'illu- 
sions et  croit  d'autant  plus  aisément  à  l'exagé- 
ration de  la  médisance  que  les  calomnies  ne 
l'épargnent  pas  elle-même.  Le  mari  a  dû  inter- 
venir, un  mois  après  leur  mariage,  auprès  du 
commissaire  de  son  quartier,  pour  la  défendre 
contre  les  assiduités  insultantes  de  l'infatigable 
comte  de  Brie.  Il  le  dénonce  comme  auteur  de 
propos  outrageants  pour  l'honneur  de  sa  femme 
et  de  deux  lettres  anonymes,  «  dans  lesquelles 
il  fait  passer  ladite  Vigée  pour  une  fille  pros- 
tituée à  tout  venant  »,  notamment  «  au  sieur 
abbé  Giroux,  au  sieur  abbé  Arnaud  et  au  sieur 
Gazes  ».  Tels  sont  les  premiers  amants  qu'on 
prête  à  Madame  Vigée-Le  Brun,  liste  menson- 
gère que  la  méchanceté  allongera  au  cours  de 
sa  vie.'' 

Les  époux  entraient  en  ménage  avec  une 
petite  fortune  et  des  revenus  suffisamment 
assurés  pour  leur  permettre  de  payer,  par 
échéances,  l'hôtel  qu'ils  habitaient  et  que  le 
chevalier  de  Lubert  et  sa  sœur  cédaient  pour 
200,000  livres.  Les  apports  de  Le  Brun  étaient 
évalués  à  85,272  livres  en  tableaux,  9,%0  livres 
en  meubles,  12,59^  livres  versées  pour  le  pre- 


36  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

mier  paiement  de  Thôtel  Lubert,  et  6,320  livres 
de  créances  contre  29,390  livres  de  dettes  ; 
Mademoiselle  Vigée  apportait  en  dot  15,242 
livres,  dont  7,793  représentent  sa  part  de  Théri- 
tage  paternel  et  7,449  son  «  épargne  de  pein- 
ture »,  ses  meubles,  linges  et  bijoux.  Ce 
dernier  chiffre  peut  sembler  mince,  car  c'est 
plus  de  16,000  livres  qu'a  mis  de  côté,  «  dans 
son  art  de  peinture  »,  Rosalie  Bocquet,  lors- 
qu'elle épouse,  l'année  suivante,  M.  Filleul, 
concierge  du  château  de  la  Muette.  Au  reste, 
dans  le  mariage  Le  Brun,  les  avantages  pécu- 
niaires sont,  malgré  les  apparences,  au  béné- 
fice du  mari.  Désormais,  celui-ci  administrera 
les  revenus  du  talent  de  sa  jeune  femme  de  la 
façon  la  plus  égoïste,  tout  au  profit  de  ses 
propres  intérêts.  Elle-même  ignore  la  valeur 
de  l'argent  ;  c'est  Le  Brun  qui  fixe  le  prix  de 
ses  tableaux  et  en  touche  le  montant.  On  cite 
sa  réponse  à  Madame  de  La  Guiclie  lui  olfrant 
mille  écus  pour  son  portrait  :  «  Non,  je  ne  puis 
le  faire  à  moins  de  cent  louis;  y  a-t-il  cent 
louis  dans  mille  écus  ?  » 

Une  re(juête  au  prévôt  de  Paris,  dont  le 
brouillon  s'est  égaré  dans  les  ])apicrs  de  Le 
Brun,  révèle  que  la  vie  du  ménage,  en  ses  pre- 
mières  années,    fut   parfois    bien    difficile.    Le 


JEANNE-JULIE-LOUISE  LE  BRUN 

FILLE  DE  l'artiste 

1792 

(Musée  de  Bologne) 


\ 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  37 

mari  avait  dû  accepter  un  jour  l'idée  d'une 
séparation  de  biens.  La  «  suppliante  »,  rap- 
pelant les  conditions  de  son  contrat,  «  espérait 
qu'avec  une  pareille  dot,  le  talent  qu'elle  avait 
dans  l'art  de  la  peinture,  son  travail,  celui  de 
son  mari  et  le  commerce  qu'il  pourrait  faire, 
elle  pourrait  vivre  tranquillement  à  l'abri  de 
la  gêne  et  de  la  détresse;  mais  elle  s'est  cruel- 
lement trompée.  Son  mari,  par  de  fausses  spé- 
culations, a  fait  des  pertes  très  considérables. 
de  sorte  qu'il  a  été  obligé  de  faire  beaucoup  de 
dettes  et  se  trouve  actuellement  poursuivi  par 
ses  créanciers.  La  suppliante  se  trouve  en  ce 
moment  exposée  à  être  réduite  à  la  dernière 
misère  ;  elle  ne  voit  d'autre  moyen  pour  empê- 
cher la  dissipation  totale  de  sa  fortune  que 
d'intenter  l'action  qui  lui  est  ouverte  par  la  loi, 
qui  est  sa  séparation  de  biens,  et  c'est  pour 
y  parvenir  qu'elle  a  été  conseillée  d'avoir 
recours  à  votre  autorité.  »  Cette  démarche 
n'eut  pas  de  suite,  et  la  séparation  des  époux 
ne  fut  prononcée  qu'au  temps  du  divorce  révo- 
lutionnaire. 

Les  affaires  du  marchand  se  rétablirent  peu 
à  peu,  surtout  par  l'heureuse  administration 
des  gains  de  sa  jeune  femme.  Il  fît  construire 
alors,  dans  la  cour  de  son  hùtel,  cette  fameuse 


38  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

salle  de  vente  qui  aida  au  développement  de 
son  commerce  et  fut  assez  spacieuse  pour 
servir  d'église  pendant  la  Révolution.  Dans  la 
notice  qu'il  écrivit  alors  sur  «  la  citoyenne  Le 
Brun  »,  il  rendit  un  hommage  ému  et  recon- 
naissant à  sa  supériorité,  mais  sans  hésiter  le 
moins  du  monde  à  s'attribuer  une  part  dans 
ses  succès  :  «  Le  sort  qui  me  la  destinait  pour 
femme  lui  réservait  les  moyens  de  cultiver  un 
art  auquel  je  m'étais  voué  moi-même  et  où... 
je  pouvais  faire  passer  sous  ses  yeux  tout  ce 
que  les  grandes  Ecoles  des  maîtres  les  plus 
célèbres  offrent  de  plus  beau  et  de  plus  pré- 
cieux dans  tous  les  genres...  Nous  travaillâmes 
donc  à  l'envi  l'un  de  l'autre,  et  ce  que  j'avais 
prévu  arriva;  c'est  qu'entretenue  sans  cesse 
dans  son  amour  pour  la  peinture  par  l'aspect 
des  beaux  tableaux  qui  remplissaient  mes 
magasins,  placée  dans  un  rapport  continuel 
avec  les  chefs-d'œuvre  des  Rubens,  des  Rem- 
brandt, des  Guide  et  des  Albane,  la  citoyenne 
Le  Brun  atteignit  ce  degré  de  perfection  qui  lui 
a  fait  assigner,  depuis  plusieurs  années,  une 
des  premières  j)laccs  parmi  les  grands  peintres 
de  notre  Ecole.   » 

Dès    l'année  de    son  mariage,    Madame  Le 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  39 

Brun  fut  admise  à  travailler  pour  la  Cour.  Sa 
première  commande  lui  fut  sans  doute  procu- 
rée par  Ghalgrin,  intendant  des  Bâtiments  de 
Monsieur,  comte  de   Provence.   Le  30  novem- 
bre 1776,    le    frère  du    Roi   ordonnançait  une 
somme   de   2,320  livres  pour  le  paiement   de 
son  portrait  original  et  de  plusieurs  copies.  Il 
y  avait  en  tout  douze  toiles  semblables,  ce  qui 
ne  met  pas   chacune  d'elles   à   un  haut  prix; 
l'opération  était  cependant  fructueuse,  l'artiste, 
pour  peindre  son  original  n'ayant  eu  nullement 
la    peine  d'aller  à  Versailles;  elle  ne  fit  sans 
doute  qu'un    simple   arrangement   d'un   autre 
portrait.  Il  en  fut  de  môme  pour  celui  de   la 
Reine,  qui  est  mentionné  parmi  des  présents 
royaux  :  «  Fourni  par  la  dame  Le  Brun,  peintre, 
un  portrait  de  la  Reine,  accordé  par  Sa  Majesté 
à  M.  Elie  de  Beaumont  à  l'occasion  de  la  fête 
des   bonnes    gens    établie    dans    sa    terre    de 
Canon;   du  prix   de  480   livres.  »    Ces  détails 
n'ont    d'autre    intérêt    que    de    montrer    par 
quels    modestes    travaux    Madame    Le    Brun 
commence   à    se    faire    connaître    à   la    Cour. 
On   trouve,    l'année   suivante,   au    compte   des 
dépenses  imprévues  :   «  Mémoire  de  deux  por- 
traits de  la  Reine,  ovales,  en  buste  et  en  habit 
de  cour,    ordonnes  par  M.  de  la   Ferté,  inten- 


40  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

dant,  contrôleur  général  des  Menus-Plaisirs  du 
Roi,  exécutés  par  Madame  Le  Brun  dans  le 
courant  de  l'année  1777.  »  Ces  tableaux,  évi- 
demment peu  importants ,  étaient  estimés 
240  livres  pièce;  un  autre  fut  commandé  «  avec 
les  mains  »,  et  l'artiste,  qui  n'était  pas  encore 
payée  en  1779,  écrivait  en  ces  termes  à  Papil- 
lon de  la  Ferté  : 

Monsieur, 

Voilà  près  de  deux  ans  écoulés  depuis  que  j'ai  fait 
quatre  portraits  de  la  Reine  ;  dans  cet  espace  de  temps, 
j'ai  été  payée  de  deux;  il  en  reste  deux  autres,  l'un  de 
240  livres,  l'autre  de  480  livres.  Vous  me  rendriez  le  plus 
ffrand  service,  si  vous  vouliez  bien  me  donner  une  ordon- 
nance  extraordinaire  pour  que  je  touche  celte  bagatelle.  Ce 
service  serait  on  ne  peut  plus  agréable  à  mon  mari,  dans 
un  moment  où  on  lui  manque  un  payement  considérable  ; 
faites-moi  la  grâce  d'écouter  la  requête  que  jai  l'honneur 
de  vous  représenter,   ma  reconnaissance  sera  entière.  Je 

suis,    etc. 

Le  BnuN. 
Ce  3  juillet  1779. 

Les  années  qui  suivent  amènent  devant  les 
pinceaux  de  la  jeune  femme  la  duchesse  de 
Chartres,  (]iii  l'honore  déjà  d'une  particulière 
hienvcilhince,  la  comtesse  d'Ilunolstein,  née 
Harbantanc,  la  présidente  de  Becdelièvre, 
M.  de  Sainl-Priost,  ami)assadeur  à  Constanti- 
noplc,    le    marcjuis    d'Armaillé    cl    le    duc    de 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  41 

Gossé.  Ce  dernier,  qui  est  le  fils  du  vieux  maré- 
chal de  Brissac  et  portera  bientôt  le  titre  de 
duc  de  Brissac,  passe  pour  un  des  meilleurs 
amateurs  du  temps;  il  a  réuni,  en  son  hôtel  de 
la  rue  de  Grenelle,  une  précieuse  collection  de 
livres,  de  curiosités  et  de  peintures  de  maîtres, 
que  Madame  Vigée-Le  Brun  a  souvent  parcou- 
rue. C'est  pour  M.  de  Gossé  qu'elle  a  fait  cette 
«  copie  d'un  portrait  de  Madame  du  Barry  » 
que  l'amant  empressé,  au  premier  temps  de  sa 
liaison,  tient  à  posséder  parmi  ses  trésors. 
M.  de  Gossé  a  pris  en  amitié  la  jeune  artiste, 
et  lui  achète  divers  tableaux,  une  «  tète  pen- 
chée »,  une  «  femme  en  lévite  »,  plusieurs 
tètes  d'étude;  il  lui  commande  aussi  son  por- 
trait, en  attendant  de  l'introduire  à  Louve- 
ciennes  chez  Madame  du  Barry.  Le  duc  est 
une  excellente  caution  dans  la  société  d'alors; 
c'est  l'homme  qualifié  pour  conseiller  les 
femmes  dans  le  choix  d'un  portraitiste,  et 
Madame  Le  Brun  lui  doit  assurément  beau- 
coup. 

Parmi  la  bourgeoisie,  elle  peint  Madame 
Lenormand,  Madame  de  Gérando,  Madame 
Monge,  Madame  Thilorier  et  les  enfants  de 
l'architecte  Brongniart,  de  (jui  lloudon  modèle 
les   bustes.    Par    un    goùl    fréquent    chez    les 


i 


42  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

artistes  femmes,  elle  aime  à  peindre  Tenfance, 
et  fait  le  portrait  du  jeune  Gros,  âgé  de  sept 
ans,  fils  du  miniaturiste  leur  voisin,  qui  vient 
jouer  souvent  dans  son  atelier.  Elle  ne  se  con- 
tente pas  de  «  bourrer  »  l'aimable  garçon  «  de 
dragées  et  de  poires  tapées  »  ;  elle  lui  met  le 
crayon  dans  les  doigts,  le  fait  travailler,  encou- 
rage sa  vocation  précoce.  Celui-ci  s'étonne  de 
voir  sur  ses  tableaux  a  toujours  que  des  mes- 
sieurs et  des  dames,  et  jamais  des  chevaux  »  ; 
et,  comme  elle  avoue  ne  savoir  pas  les  faire, 
l'enfant  saisit  un  papier  et  dessine  un  cheval 
le  plus  exactement  du  monde.  Le  petit  écolier 
devait  entrer,  cinq  ans  plus  tard,  dans  Tatelier 
de  David  et  faire  un  singulier  honneur  à  ces 
premières  leçons  de  Madame  Le  Brun,  que 
Gros,  devenu  un  illustre  peintre,  se  rappellera 
toujours  avec  affection. 

En  1779,  advint  à  Madame  Vigée-Le  Brun 
la  plus  heureuse  aventure  de  sa  vie,  celle  qui, 
en  achevant  de  la  mettre  à  la  mode,  devait 
assurer  auprès  de  la  postérité  sa  popularité 
la  plus  durable.  l'^Ilc  fut  api)clée  à  Versailles 
par  la  reine  Marie-Antoinette  pour  faire  d'elle, 
après  tant  de  copies,  un  premier  portrait 
d'après  nature.   «  C'est  alors  que  je  fis  le  })or- 


LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE 

1783 

(Collection  de  M.  le  baron  Edouard  de  Rothschild) 


i 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  43 

trait  qui  la  représente  avec  un  grand  panier, 
vêtue  d'une  robe  de  satin  et  tenant  une  rose 
à  la  main.  Ce  portrait  était  destiné  à  son  frère 
Joseph  II,  et  la  Reine  m'en  ordonna  deux 
copies.  »  Il  est  aisé  de  désigner  ce  tableau  : 
c'est  le  grand  portrait  en  pied,  dont  l'original 
est  à  Vienne,  encastré  dans  une  boiserie  des 
appartements  de  la  Hofburg  et  que  mention- 
nent, sans  le  nom  de  l'auteur,  les  correspon- 
dances diplomatiques.  Il  ne  fut  pas  à  l'origine 
destiné  à  Joseph  II,  mais  à  l'Impératrice  elle- 
même,  désireuse  ardemment  de  posséder  les 
traits  de  sa  fille,  partie  de  Vienne  tout  enfant 
et  dont  chacun  lui  vantait  la  transformation 
en  belle  jeune  femme.  Marie-Thérèse,  dès 
qu'elle  eut  la  toile,  écrivait  à  Marie-Antoinette: 
«  Votre  grand  portrait  fait  mes  délices.  Ligne 
a  trouvé  de  la  ressemblance,  mais  il  me  suffit 
qu'il  représente  votre  figure,  de  laquelle  je 
suis  bien  contente.  »  Madame  Le  Brun  indique 
plusieurs  copies  de  sa  main;  deux  furent  com- 
mandées par  la  Reine ,  l'une  pour  garder 
dans  ses  appartements,  l'autre  pour  envoyer 
à  l'impératrice  de  Russie  ;  deux  encore  furent 
faites  pour  M.  et  Madame  de  Vcrgennes.  Il 
reste  deux  de  ces  répliques  dans  les  collections 
de  l'État  français,  dont  aucune  n'a  le  collier 


44  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

de  perles  qui  figure  sur  l'original  de  Vienne. 
On  sait  qu'il  s'établit  plus  tard,  et  du  vivant 
même  de  l'artiste, une  confusion  assez  étrange: 
le  tableau  fut  gravé  par  Roger,  sous  la  Restau- 
ration, avec  le  nom  du  peintre  Roslin  ;  et,  bien 
que  cette  gravure  ait  eu  une  grande  diffusion, 
on  ne  voit  pas  que  le  véritable  auteur  ait 
réclamé  contre  l'erreur  commise  au  profit  de 
son  confrère  suédois. 

Plusieurs  maîtres  notoires  avaient  déjà 
reproduit  les  traits  de  la  brillante  souve- 
raine. Ducreux  avaient  peint  l'Archiduchesse; 
Drouais  et  Duplessis,  la  Dauphine;  Madame 
Le  Brun  sera  le  peintre  de  la  Reine.  Parmi 
tant  d'oeuvres  de  tous  les  arts,  qui  font  de 
l'iconographie  de  Marie-Antoinette  une  des 
plus  riches  et  des  plus  variées  qui  soient,  ses 
tableaux  charmants  restent  seuls  vraiment 
populaires.  Elle  a  représenté  la  Reine  dans 
toutes  les  attitudes,  dans  tous  les  costumes; 
elle  a  été,  pendant  la  dernière  période  de  la 
vie  à  Versailles,  son  peintre  favori,  on  pour- 
rait tlirc  officiel,  si  le  mot  n'était  bien  grave 
pour  un  talent  comme  le  sien;  elle  a  multiplié 
les  originaux  et  les  copies ,  les  toiles  qui 
restaient  la  propriété  du  Hui,  et  celles  (|ui, 
ofTertes  eu  souvenir  aux  familiers,  aux  ambas- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  45 

sadeurs,  aux  cours  étrangères,  allaient  répan- 
dre à  travers  le  monde  l'image  de  cette  belle 
reine  de  France. 

Nul  de  ces  ouvrages,  il  faut  bien  le  dire,  n'a 
de  valeur  absolue  en  tant  que  portrait.  La  flat- 
terie des  artistes  a  ce  privilège  de  tromper, 
outre  leurs  modèles,  la  postérité.  C'est  ailleurs 
qu'il  faut  chercher  la  véritable  physionomie 
et  les  traits  exacts  de  la  Reine,  sous  les  pin- 
ceaux plus  fidèles  deDuplessis,  deWertmiiller, 
de  Kocharski.  Madame  Le  Brun  a  mis  trop  de 
soin  à  atténuer  les  détails  fâcheux ,  les  yeux 
ronds  et  gros,  la  lèvre  autrichienne;  elle  a  su, 
du  moins,  dégager  le  charme  particulier  d'une 
beauté  qui  fut  à  la  fois  incomplète  et  souve- 
raine, la  fierté  du  regard,  l'élégance  du  port, 
la  fraîcheur  éclatante  du  teint;  elle  a  donné  le 
portrait  idéal  de  Marie-Antoinette,  en  la  pei- 
gnant telle  que  celle-ci  voulait  être  peinte 
et  telle  que  le  sentiment  public  voulait  la 
voir. 

Tandis  qu'elle  travaillait  pour  la  Reine,  plu- 
sieurs portraits  de  cour  lui  étaient  commandés. 
Appelée  au  Raincy,  chez  le  vieux  duc  d  Or- 
léans, elle  le  peignait  ainsi  que  Madame  de 
Montesson,   cette  femme   d'esprit  et   de   sens 


46  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

devenue  l'épouse  morganatique  du  prince  :  a  A 
l'exception  du  plaisir  que  je  pris  à  voir  de 
grandes  parties  de  chasses,  écrira-t-elle,  je 
m'ennuyais  passablement  au  Raincy  ;  mes 
séances  finies,  je  n'avais  de  société  qui  me  fût 
agréable  que  celle  de  Madame  Berthollet,  fort 
aimable  femme  qui  jouait  fort  bien  de  la 
harpe...  A  propos  de  ce  voyage,  je  ne  puis  me 
rappeler  sans  rire  une  particularité  qui,  dans 
le  temps,  scandalisa  beaucoup.  Pendant  que 
Madame  de  Montesson  me  donnait  séance,  la 
vieille  princesse  de  Conti  vint  un  jour  lui  faire 
une  visite,  et  cette  princesse,  en  me  parlant, 
m'appela  toujours  «  Mademoiselle  ».  J'étais 
alors  sur  le  point  d'accoucher  de  mon  premier 
enfant,  ce  qui  rendait  la  chose  tout  à  fait 
étrange.  Il  est  vrai  que  jadis  toutes  les  grandes 
dames  en  agissaient  ainsi  avec  leurs  infé- 
rieures; mais  cette  morgue  de  la  Cour  avait 
fini  avec  Louis  XV.  » 

Elle  peint  à  ce  moment  la  grosse  duchesse 
de  Mazarin,  la  vicomtesse  de  Virieu,  née  Male- 
teste,  dame  d'honneur  de  Madame  Sophie, 
puis  le  marquis  de  Montes(juiou ,  écuyer  de 
Monsieur,  la  mar(|uise  de  Montcscjuiou  et  leur 
douce  belle-fille  de  quinze  ans,  (jui  lui  fournit 
l'occasion  de  composer  un  de  ses  plus  sédui- 


MADAME  GRANT 

PLUS    TARD    PRINCESSE    DE   TALLEYRANU 

1783 

(Collection  de  M.  Jacques  Doncet) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  47 

sants  portraits  de  bergère.  L'artiste  semble 
adoptée  par  cette  famille  d'honnêtes  gens,  qui 
la  fait  venir  souvent  à  Maupertuis,  où  elle 
jouit,  dans  le  décor  d'une  noble  demeure,  de 
la  grande  hospitalité  seigneuriale  d'autrefois  : 
a  M.  de  Montesquiou  tenait  là  véritablement 
l'état  d'un  grand  seigneur.  Gomme  il  était 
écuyer  de  Monsieur,  il  lui  était  facile  de  mettre 
à  nos  ordres  chevaux,  calèches  et  voitures  de 
toute  espèce.  Les  repas  étaient  splendides  ;  le 
château  était  assez  vaste  pour  contenir  habi- 
tuellement trente  ou  quarante  maîtres,  tous 
bien  logés,  parfaitement  soignés;  et  cette 
nombreuse  société  se  renouvelait  sans  cesse. 
La  mère  et  la  femme  de  M.  de  Montesquiou 
avaient  pour  moi  mille  bontés.  Sa  belle-fille 
(qui  depuis  a  été  gouvernante  du  fils  de 
Napoléon),  mariée  seulement  en  1780,  était 
douce,  naturelle,  très  aimable.  Quant  à  lui, 
je  l'avais  vu  souvent  à  Paris,  et  il  m'avait  tou- 
jours semblé  fort  spirituel,  mais  sec  et  fron- 
deur; à  Maupertuis,  il  était  doux,  a  (Table  ;  en 
un  mot,  ce  n'était  plus  le  même  homme. 
Quand  par  hasard  nous  nous  trouvions  en 
petit  nombre,  il  nous  faisait  le  soir  des  lec- 
tures et  s'en  acquittait  à  merveille.  C'est  à 
Maupertuis,    étant    grosse    et   souffrante,    que 


48  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

j'ai  fait  son   portrait,   dont  je   n'ai  jamais  été 
satisfaite.    » 

La  jeune  femme  est  toute  à  son  travail,  à 
sa  joie  de  produire  sans  relâche  des  œuvres 
admirées.  Dans  les  rares  loisirs  que  lui  laissent 
ses  impatients  modèles,  elle  prépare  un  grand 
tableau  mythologique,  Vénus  liant  les  ailes  de 
l'Amour;  et  l'on  s'est  à  peine  aperçu,  tant  elle 
a  de  courage  et  d'entrain,  qu'elle  est  aux  der- 
niers temps  de  sa  grossesse.  Le  jour  même 
où  l'enfant  va  naître,  en  février  1780,  elle  ne 
quitte  point  l'atelier  :  «  Je  travaillais  à  ma 
Vénus,  dit-elle,  dans  les  intervalles  que  me 
laissaient  les  douleurs.  »  Au  reste,  son  impré- 
voyance a  été  grande  et,  sans  la  bonne  Madame 
de  Verdun,  qui  est  venue  par  hasard  dans  la 
matinée,  le  nouveau-né  eût  manqué  de  tout, 
et  la  mère  des  soins  les  plus  nécessaires. 
«  Vous  voilà  bien  !  disait  son  amie;  vous  êtes 
un  vrai  garçon;  je  vous  avertis,  moi,  que  vous 
accoucherez  ce  soir.  —  Non,  non,  je  ne  veux 
pas  aujourd'hui;  j'ai  demain  séance!  »  L'en- 
fant, qui  interrompt  aussi  peu  que  possible 
les  travaux  du  peintre,  est  une  fille,  .Icanne- 
Julie-Luuisc  ;  la  mcre  l'aimera  tl'une  tendresse 
passionnée,  qui  lui  causera,  au  cours  de  sa  vie, 
SCS  plus  vives  joies  et  ses  plus  cruels  chagrins. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  49 

Elle  ambitionne  alors  les  honneurs  et  les 
avantages  que  procure  l'Académie  royale  de 
peinture  et  de  sculpture,  dont  l'entrée  n'est 
point  refusée  aux  femmes.  Pour  mériter  d'y 
être  admise  et  montrer  qu'elle  est  capable 
d'aborder  les  grands  sujets,  elle  s'est  attachée 
à  traiter,  à  côté  du  portrait,  les  scènes  allé- 
goriques. Son  tableau,  la  Paix  ramenant 
l'Abondance,  est  daté  de  1780.  Elle  a  pris 
pour  modèles  les  deux  charmantes  filles  de 
son  ami  Hall.  C'est  rendre  une  politesse  à 
l'artiste  suédois,  car  Hall  a  fait  d'elle  une 
miniature,  que  nous  n'avons  plus  et  qu'elle 
dit  extrêmement  ressemblante.  Il  l'achevait 
en  1778,  au  moment  de  la  venue  de  Voltaire, 
à  qui  il  eut  occasion  de  la  montrer  ;  Madame 
Le  Brun  rappelle  avec  complaisance  que  «  le 
célèbre  vieillard,  après  l'avoir  regardée  long- 
temps, la  baisa  à  plusieurs  reprises;  j'avoue 
que  je  fus  très  flattée  d'avoir  reçu  une  pareille 
faveur,  et  que  je  sus  fort  bon  gré  à  Hall  d'être 
venu  me  l'affirmer.  » 

Quand  la  grande  composition  de  Madame 
Vigée-Le  Brun  sera  exposée,  les  critiques 
ignoreront  que  l'Abondance,  k  cette  femme 
superbe  à  la  Uubens  »,  n'est  autre  (jue  la 
belle  Lucie  Hall,  et  la  Paix  sa  sœur  Adèle.  Le 


I 


50  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

modèle  de  la  première,  disent-ils,  «  a  été  tiré 
sans  doute  de  tout  ce  que  les  campagnes  pré- 
sentent de  plus  sain  et  de  plus  robuste... 
On  admire  des  formes  larges,  les  contours 
moelleux,  l'attitude  pittoresque  de  l'Abon- 
dance savamment  posée,  tandis  que  la  Paix, 
lille  du  Ciel,  est  dessinée  d'un  trait  plus  pré- 
cis. Elle  porte,  répandue  sur  sa  figure,  cette 
douceur,  ce  calme,  ce  repos  des  habitants  de 
l'Olympe;  son  vêtement,  uni  et  sévère,  con- 
traste à  merveille  avec  le  brillant  des  étoffes 
que  laisse  négligemment  flotter  sa  compagne, 
tout  à  fait  terrestre.  Celle-ci  est  plus  élégam- 
ment coiffée;  mille  fleurs  ceignent  sa  tête, 
tandis  que  l'autre  n'est  couronnée  que  de 
feuilles  d'olivier.  De  ces  diverses  oppositions, 
il  résulte  une  harmonie  dans  le  tableau,  qui 
cause  au  sj)ectateur  ce  ravissement  dont  le 
principe,  ignoré  du  vulgaire,  est  bientôt  saisi 
par  le  connaisseur.  »  L'œuvre  tant  prônée  est 
aujourd  luii  au  Louvre;  on  y  goûte  encore  la 
grâce  des  symboles  et  les  oppositions  heu- 
reuses de  coloris  (pii  témoignent  de  la  sûre 
maîtrise  de  l'artiste. 

Ses  préoccupations  de  grande  composition 
ne  rempêchcnt  point  de  répondre  aux  nom- 
breuses ilemandes  de  portraits  qui  lui  arrivent 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  51 

de  tous  côtés.  On  commence  à  s'inscrire  chez 
elle  et  à  attendre  son  tour.  Elle  se  réserve, 
autant  qu'elle  le  peut,  pour  les  personnages 
les  plus  illustres.  Les  années  1781  et  178*2  lui 
amènent  la  princesse  de  Lamballe,  la  duchesse 
de  Polignac,  la  duchesse  de  Chaulnes,  la  prin- 
cesse de  Croy,  et  parmi  les  beautés  de  Paris, 
Madame  d'Harvelay,  femme  du  garde  du  Tré- 
sor royal,  qui  épousera  M.  de  Galonné,  Made- 
moiselle de  Laborde,  fille  du  banquier  de  la 
Cour,  et  Madame  Le  Couteulx  du  Molay,  fdle 
de  la  belle  Madame  Fourrât,  qu'adore  André 
Chénier. 

Elle  travaille  aussi  pour  la  famille  royale. 
En  1781,  elle  peint  Monsieur,  comte  de  Pro- 
vence, cette  fois  d'après  nature,  ce  qui  lui 
donne  l'occasion  de  goûter  l'esprit  du  prince 
et  d'entendre  les  plates  chansons  qu'il  a  la 
manie  de  chanter  de  sa  voix  fausse.  «  Com- 
ment trouvez-vous  que  je  chante.  Madame 
Le  Brun  ?  »  lui  dit-il  un  jour.  —  Comme  un 
prince.  Monseigneur.  »  Elle  a  un  mot  précis, 
dans  ses  Souvenirs,  sur  chacun  de  ses  modèles. 
Elle  dit  de  Madame  Elisabeth  :  «  Les  traits  de 
cette  dernière  n'étaient  point  réguliers,  mais 
son  visage  exprimait  la  plus  douce  bienveil- 
lance et  sa  grande  fraîcheur  était  remarquable; 


52  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

en  tout,  elle  avait  le  charme  d'une  jolie  ber- 
gère. »  Voici  pour  Madame  de  Lamballe  : 
«  Sans  être  jolie ,  elle  paraissait  l'être  à 
quelque  distance;  elle  avait  de  petits  traits, 
un  teint  éblouissant  de  fraîcheur,  de  superbes 
cheveux  blonds  et  beaucoup  d'élégance  dans 
toute  sa  personne.  »  C'est  en  bergère,  en  effet, 
que  nous  avons  la  sœur  de  Louis  XVI,  tandis 
que  Madame  de  Lamballe  est  représentée  en 
habit  de  cour,  avec  une  immense  coiffure 
enguirlandée  de  fleurs  haut  perchées,  faite 
pour  mettre  en  valeur  une  splendide  chevelure, 
et  qui  sied  fort  mal  cependant  au  visage  menu 
de  la  princesse. 

Les  grandes  dames  n'aiment  guère  à  être 
conseillées  ;  mais  Madame  Le  Brun  est  assez 
heureuse  pour  trouver  déjà  quelques  élégantes 
qui  se  soumettent  à  son  goût  :  «  Comme 
j'avais  horreur  du  costume  que  les  femmes 
portaient  alors,  raconte-t-elle,  je  faisais  tous 
mes  efforts  pour  le  rendre  un  peu  plus  pitto- 
resque, et  j'étais  ravie,  quand  j'obtenais  la 
confiance  de  mes  modèles,  de  pouvoir  les 
draper  à  ma  fantaisie.  On  ne  ])ortait  point 
encore  de  châles  ;  mais  je  disposais  de  larges 
écharpes,  légèrement  entrelacées  autour  du 
corps  et  sur  les  bras,  avec  lesquelles  je  tâchais 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  53 

d'imiter  le  beau  style  des  draperies  de  Raphaël 
et  du  Dominiquin...  Je  tâchais,  autant  qu'il 
m'était  possible,  de  donner  aux  femmes  que 
je  peignais  l'attitude  et  l'expression  de  leur 
physionomie;  celles  qui  n'avaient  pas  de  phy- 
sionomie (on  en  voit),  je  les  peignais  rêveuses 
et  nonchalamment  appuyées...  »  Un  portrait 
de  Madame  Grant,  les  yeux  au  ciel  et  tenant 
à  la  main  un  morceau  de  chant,  illustre  à  point 
cette  dernière  observation,  qui  montre  combien 
Madame  Le  Brun  sait  d'instinct  son  métier  de 
peintre  de  femmes. 

D'ordinaire,  elle  enlève  la  tête  en  trois  ou 
quatre  séances  d'une  heure  et  demie  seule- 
ment, pour  ne  pas  énerver  le  modèle;  elle  le 
distrait,  le  fait  reposer,  parle  de  ce  qui  l'inté- 
resse :  ((  Tout  cela  est  de  l'expérience  avec 
les  femmes,  écrira-t-ellc  un  jour;  il  faut  les 
flatter,  leur  dire  qu'elles  sont  belles,  qu'elles 
ont  le  teint  frais,  etc.,  etc.  Cela  les  met  en 
belle  humeur  et  les  fait  tenir  avec  plus  de 
plaisir...  Il  faut  aussi  leur  dire  qu'elles  posent 
à  merveille;  elles  se  trouvent  engagées  par  là 
à  se  bien  tenir.  »  Elle  les  prie  instamment 
«  de  ne  point  amener  de  sociétés,  car  toutes 
veulent  donner  leur  avis  et  font  tout  gâter  ». 
Elle  ne  trouve  pas  d'inconvénient  à  u  consulter 


54  MADAME    VIGÉE-LE    BRUN 

les  artistes  et  les  gens  de  goût  »  ;  mais  elle 
conseille  à  ses  confrères  de  ne  pas  s'inquiéter 
des  critiques  :  «  Ne  vous  rebutez  pas,  si  quel- 
ques personnes  ne  trouvent  aucune  ressem- 
blance à  vos  portraits;  il  y  a  un  grand  nombre 
de  gens  qui  ne  savent  point  voir.   » 

En  1782,  la  vie  laborieuse  de  l'artiste  fut 
interrompue  par  un  voyage  qui  devait  ajouter 
singulièrement  au  trésor  de  sa  technique.  On 
vendait  à  Bruxelles  la  grande  collection  de 
tableaux  du  prince  Charles,  et  Le  Brun,  qui 
traitait  avec  la  Flandre  et  la  Hollande,  en  pro- 
fita pour  aller  avec  sa  femme  voir  l'exposition. 
Elle  fut  reçue  à  Bruxelles  par  la  duchesse 
d'Arcnberg,  qu'elle  avait  beaucoup  vue  à 
Paris,  et  y  rencontra  le  prince  de  Ligne, 
qu'elle  devait  retrouver  tant  de  fois  à  Ver- 
sailles et  dans  l'émigration.  Le  prince  n'avait 
pas  seulement  la  réputation  d'esprit  et  d'ama- 
bilité que  toutes  les  cours  d'Europe  avaient 
contribué  à  lui  donner;  il  passait  aussi  pour 
grand  connaisseur  d'art  et  montra  aux  époux 
Le  Brun  sa  galerie,  riche  surtout  en  portraits 
de  Hubens  et  de  Van  Dyck.  Il  les  reçut  ensuite 
dans  son  habitation  de  Bêlai I,  au  milieu  des 
jardins  cclcbres  (juil  venait  do  créer  :  «  Mais 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  55 

ce  qui  effaçait  tout  dans  ce  beau  lieu,  c'était 
l'accueil    d'un   maître  de  maison  qui,  pour  la 
grâce  de  son   esprit  et  de  ses  manières,   n'a 
jamais  eu  son  pareil.  »  Les  éloges  de  Madame 
Le  Brun  s'adressent  au  connaisseur  qui  ne  lui 
ménageait    pas   les    compliments.    Il   l'admira 
sincèrement,   si   l'on   en  croit    cette    page   où 
l'écrivain   princier,    après   avoir   sacrifié    avec 
mépris   toute  la  peinture  française  du  siècle, 
de  Boucher  à  Greuze,  fait  une  exception  pour 
son  amie  :  «  C'est  l'étude  de  la  carnation  des 
Italiens  et  du  coloris  des  Flamands  qui  rend, 
à  mon  avis,  même  Madame  Le  Brun  supérieure 
à  son  pays,  par  la  magie  et  la  hardiesse  des 
couleurs  qu'elle  emploie    dans  ses    draperies, 
où  elle  ose   tout  sans  que  cela   jure,  et  en  y 
mettant,    au  contraire,    une    harmonie  singu- 
lière :   l'humide  des  yeux,  le  transparent  de  la 
peau,  cachant  bien  les  petits  défauts  qu'on  lui 
reproche   quelquefois,  tantôt  pour  une  Vénus 
un  peu  trop    jeune    peut-être,  tantôt   pour  un 
paysage,  dans  le  fond  assez  insignifiant,  tantôt 
pour  une  proportion  un  peu  manquée.  Le  peu 
de  ressemblance,  dont  on  l'accuse  une  fois  sur 
douze,    est   même   une    injustice.    Qu'on    voie 
son    Hamilton-Sibyllc,   et   (ju\)n   tombe  à    ses 
genoux  !   Que  le  portrait  de   la  Reine,  tout  en 


I 


56  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

blanc,  était  beau  !  qu'il  y  avait  d'art  à  en 
exprimer  si  bien  toutes  les  nuances,  depuis  les 
souliers,  les  bas,  les  vêtements  et  la  chemise, 
jusqu'au  teint  éclatant  de  cette  belle  prin- 
cesse !  »  La  Sibylle  n'existait  pas  à  l'époque 
du  séjour  à  Bruxelles  ;  mais  «  la  Reine  en 
blanc  »  avait  eu  le  temps  do  devenir  célèbre 
en  Europe,  et  le  prince  de  Ligne,  qui  admirait 
à  Vienne  le  portrait,  et  le  modèle  à  Versailles, 
ressentait  déjà  pour  le  peintre  de  Marie- 
Antoinette  les  sentiments  qu'il  professera  toute 
sa  vie. 

Les  voyageurs  se  rendirent  en  Hollande.  Ils 
visitèrent  plusieurs  villes,  où  Madame  Vigée- 
Le  Brun  observa  les  mœurs  du  pays ,  et 
Amsterdam ,  qui  lui  montra  beaucoup  de 
peinture.  Elle  parle  avec  admiration,  non 
point  de  Rembrandt,  mais  de  Van  der  Helst, 
dont  une  «  Assemblée  »,  qu'elle  vit  à  l'hôtel 
de  ville,  lui  laissa  une  forte  impression  ;  et 
au  retour,  ce  fut  à  Anvers,  dans  les  galeries 
et  les  églises,  qu'elle  s'instruisit  le  plus.  Elle 
trouva  chez  un  particulier  «  le  fameux  chaj)eau 
de  paille  »  vendu  plu?;  Lard,  ccrivait-cllc.  \un\v 
une  somme  considérable  :  «  Cet  admirable 
tableau  représente  une  des  femmes  de  Rubens; 
son    grand    eflel    réside    dans    les   deux   difTé- 


YOLANDE-GABRIELLE-MARTINE   DE  POLASTRON 
DUCHESSE  DE  POLIGNAG 

1782 

(Collection  de  M.  le  duc  de  Polignac) 
Photographie  A.  Joguet 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  57 

rentes  lumières  que  donnent  le  simple  jour  et 
la  lueur  du  soleil;  ainsi  les  clairs  sont  au 
soleil,  et  ce  qu'il  me  faut  appeler  les  ombres, 
faute  d'un  autre  mot,  est  le  jour...  Ce  tableau 
me  ravit  et  m'inspira  au  point  que  je  fis  mon 
portrait  à  Bruxelles  en  cherchant  le  même 
effet.   » 

Le  portrait  dont  parle  Tartiste,  et  qu'elle 
exposa,  dès  son  retour,  au  petit  Salon  de  la 
Correspondance,  est  celui  où  elle  tient  sa 
palette  à  la  main,  ayant  sur  la  tète  un  chapeau 
de  paille  qu'ornent  une  plume  et  des  fleurs 
des  champs.  Il  y  a  le  génie  d'un  grand  peintre 
dans  l'œuvre  du  maître  d'Anvers;  mais  que 
d'habileté  et  d'aisance  dans  cette  œuvre  où  la 
jeune  Française  s'adapte  à  la  manière  de 
Rubens,  tout  en  demeurant  elle-même  !  Elle 
s'est  amusée  au  jeu  du  clair-obscur,  et  joli- 
ment le  chapeau  projette  sur  le  haut  du  visage 
une  ombre  pâle;  progressant  avec  intensité 
jusqu'à  la  poitrine  menue,  la  lumière  plus  bas 
éclate  sur  les  mains  longues  et  blanches,  et 
c'est  comme  une  symj)honie  de  clartés.  Certes 
Madame  Vigée-Le  Brun  s'est  rappelé  la  sou- 
plesse enfantine  d'Hélène  Fourment  cl  s'est 
trouvée  à  travers  elle;  mais  la  langueur  lla- 
mande  a  fait  place  ici  à  l'enjouement  parisien. 


58  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Le  recrard  et  le  sourire  de  cette  femme  sont 
de  chez  nous,  comme  le  chapeau  et  la  plume 
envolée. 

Dans  le  même  esprit ,  l'artiste  peignait 
alors  la  duchesse  de  Polignac,  cette  brune 
délicate  aux  grands  yeux  bleus,  qui  gardait 
à  trente-trois  ans  une  beauté  toute  juvénile. 
Elle  est  accoudée,  une  rose  à  la  main.  Le  cha- 
peau de  bergère,  rejeté  en  arrière  sur  les  che- 
veux bouclés  et  tombants,  voile  à  peine  de  son 
ombre  le  front  d'enfant,  et  les  yeux  fleurissent 
à  la  lumière  comme  les  bleuets  du  chapeau. 
Bleue  aussi  est  la  ceinture  qui  retient  la  robe 
blanche  éblouissante ,  sous  l'écharpe  noire 
négligemment  jetée  ;  et  cette  simplicité  raf- 
finée du  vêtement  s'accorde  avec  le  caractère 
de  la  grande  dame,  avec  ce  charme  tendre  et 
nonchalant  par  lequel  elle  avait  conquis  un 
cœur  de  reine.  Le  peintre  qui  savait  évoquer  de 
telles  grâces,  et  nous  les  rend  sensibles  encore, 
avait  dès  lors  la  pleine  possession  de  son 
talent. 


II 

(1783-1786) 

IL  était  temps  que  Madame  Vigée-Le  Brun 
reçût  la  consécration  officielle  et  se  fît 
admettre  à  l'Académie  royale  de  peinture. 
Ses  succès  répétés,  l'augmentation  de  sa  noble 
clientèle,  l'importance  qu'elle  prenait  dans  le 
monde  des  arts  commençaient  à  déchaîner 
contre  elle  l'envie  de  ses  confrères.  Ne  pou- 
vant nier  la  valeur  de  ses  œuvres,  on  affectait 
de  dire  qu'elle  était  aidée  par  la  main  plus 
experte  d'un  peintre  connu,  qui  habitait  préci- 
sément la  maison  des  époux  Le  Brun.  L'ai- 
mable Ménageot  les  fré(picntait,  en  effet,  et 
on  le  comptait  parmi  les  admirateurs  de  la 
jeune  femme;  elle  peignait  môme  ce  bel  homme 
en  gilet  jaune  à  fleurs  et  en  habit  gorge  de 
pigeon.     Mais    leur    prétendue    collaboration 


60  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

n'existait  que  dans  l'imagination  des  nouvel- 
listes, qui  attribuaient  avec  autant  de  légèreté 
les  tableaux  de  Madame  Labille-Guiard  à  son 
bon  ami,  le  peintre  Vincent;  encore  Vincent 
était-il  le  maître  direct  d'Adélaïde  Labille  et 
devait-il,  sur  le  tard,  l'épouser.  Ménageot, 
peintre  froid,  mais  d'expérience,  qui  traitait 
avec  une  conscience  paisible  les  sujets  d'his- 
toire, donnait  à  l'occasion  à  sa  jeune  voisine 
des  conseils  dont  elle  se  montra  reconnais- 
sante; de  là  à  retoucher  ses  œuvres,  il  y  a 
loin.  Le  public  put,  d'ailleurs,  s'en  assurer 
plus  tard,  le  jour  où  les  peintures  des  deux 
artistes  furent  rapprochées  sur  les  murs  du 
Salon,  et  les  mauvaises  langues  durent  enfin 
reconnaître  qu'il  n'y  avait  entre  leurs  œuvres 
nulle  ressemblance  de  technique  ni  d'expres- 
sion. 

Les  médisances,  même  les  moins  vraisem- 
blables, sont  aisément  accueillies,  quand  elles 
dénigrent  un  talent  trop  fêté,  que  favorise  la 
fortune.  L'anecdote  diminuant  l'artiste  à  la 
mode  était  répandue  [)ar  des  rivaux  et  peut- 
être  par  une  rivale,  que  toute  une  cabale  ten- 
tait de  lui  opposer.  C'est  celle-ci  surtout  que 
vise  une  j)lirase  aiguë  des  Soui'rfu'rs  •  «  Quel- 
ques   femmes    m'en   voulaient    de    n'être    j)as 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  61 

aussi  laides  qu'elles  ;  mais  plusieurs  ne  me 
pardonnaient  pas  d'avoir  la  vogue  et  de  faire 
payer  mes  tableaux  plus  cher  que  les  leurs.  » 
Le  talent  ici  n'est  pas  mis  en  cause  ;  il  eût  été 
difficile  de  le  nier  chez  cette  jeune  Labille- 
Guiard,  qui  débuta  précisément  avec  notre 
peintre  à  l'Académie  de  Saint -Luc  et  qui 
avouait,  en  même  temps  qu'elle,  l'ambition  de 
la  grande  Académie.  Elle  y  trouvait,  pour 
la  soutenir,  tout  un  groupe  d'artistes  amis, 
qu'elle  avait  eu  l'ingénieuse  idée  de  faire  poser 
devant  elle  ;  ses  portraits  de  Vien,  de  Pajou, 
de  Bachelier,  de  Voiriot ,  de  Gois,  d'autres 
encore,  lui  valaient  autant  de  voix  assurées. 
Elle  avait  d'ailleurs  une  science  solide,  un 
coloris  excellent,  un  don  privilégié  de  rendre 
les  ressemblances,  et  Madame  Vigée-Lc  Brun, 
qui  ne  peint  pas  mieux  qu'elle,  ne  lui  est 
guère  supérieure  que  par  la  grâce  des  arran- 
gements et  par  un  sens  plus  délicat  de  la 
beauté. 

Une  même  difficulté  semblait  écarter  les 
deux  artistes.  Il  y  avait  déjà  d'autres  femmes  à 
l'Académie  :  Madame  Vien,  peintre  en  minia- 
ture et  de  nature  morte  ;  Madame  Vallayer- 
Coster ,  peintre  de  fleurs;  Madame  Uoslin, 
peintre  de  portraits  au  pastel  ;  mais  la  com- 


62  MADAME    YIGEE-LE    BRUN 

pagnie  craignait  d'être  envahie  par  les  talents 
féminins  et  désirait  limiter  le  nombre  des 
places  qui  pourraient  être  réservées  aux  «  aca- 
démiciennes ».  La  prochaine  place  vacante  reve- 
nait, dans  l'opinion  des  confrères,  à  Madame 
Labillc-Guiard,  et  encore  eût-on  voulu  la  faire 
attendre.  Le  premier  peintre  du  Roi,  M.  Pierre, 
était  le  plus  acharné  contre  le  beau  sexe  et 
mettait  l'influence  de  sa  haute  situation  au  ser- 
vice des  détracteurs  de  Madame  Vigée-Le 
Brun.  C'est  lui  qui  rappelait  avec  le  plus  d'in- 
sistance la  profession  de  son  mari  et  invoquait 
contre  elle  l'article  des  statuts  interdisant  le 
commerce  des  tableaux  aux  membres  de  l'Aca- 
démie. Cette  opposition  aurait  pu  être  déci- 
sive, malgré  qu'il  y  eût,  dans  la  classe  des 
amateurs  associés  à  l'Académie  de  peinture, 
un  parti  dévoué  à  l'artiste  de  la  Cour.  L'abbé 
de  Saint-Non,  l'abbé  Pommyer,  le  duc  de 
Chabot,  le  comte  d'AlIry,  le  baron  de  Besenval 
faisaient  valoir  les  titres  du  j)ortraitiste  de 
leurs  belles  amies.  Mais  il  fallut,  pour  l'impo- 
ser, une  intervention  plus  haute,  celle  de  la 
Reine  elle-même. 

Marie-Antoinette,  conlldcnlc  du  désir  de  son 
peintre,  en  souhaitait  depuis  longtemps  la  réali- 
sation ;  clic  eu  avait  parlé  à  plusieurs  reprises 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  63 

au  comte  d'Angiviller  ;  celui-ci  lui  avait  tou- 
iours  objecté  le  règlement  de  l'Académie  et 
l'interdiction  faite  aux  artistes  qui  la  compo- 
saient de  se  livrer  au  commerce  des  tableaux  ; 
les  membres  de  la  compagnie  étaient,  du  reste, 
intraitables  sur  ce  point.  La  Reine  ayant  in- 
sisté à  nouveau,  comme  en  témoignent  les 
pièces  qu'on  va  lire,  M.  d'Angiviller  se  décida 
à  demander  au  Roi  une  dispense  formelle  en 
faveur  de  la  femme  du  marchand  Le  Brun. 
Voici  l'ingénieux  mémoire  qu'il  présenta  à 
Louis  XVI,  le  14  mai  1783,  pour  violer  les 
règlements  de  l'Académie,  tout  en  y  rendant 
hommage  : 

Dans  les  statuts  donnés  par  Louis  XIV  à  l'Acadéniie 
de  peinture,  il  est  défendu  à  tout  artiste  de  faire  le  com- 
merce des  tableaux,  soit  directement,  soit  indirectement. 
Ce  règlement  a  été  confirmé  par  Votre  Majesté  de  la  ma- 
nière la  plus  authentique;  il  est  de  la  plus  grande  impor- 
tance de  maintenir  une  loi  qui  contribue  à  la  gloire  des 
arts  et,  ce  qui  est  bien  plus  important,  les  soutient  dans 
un  pays  où  ils  sont  si  utiles  et  si  nécessaires  pour  le  com- 
merce avec  l'étranger. 

La  dame  Le  Brun,  femme  d'un  marchand  de  tableaux, 
a  un  très  grand  talent  et  serait  sûrement  depuis  long- 
temps à  l'Académie  sans  le  commerce  que  fait  son  mari. 
On  dit,  et  je  le  crois,  qu'elle  ne  se  mêle  pas  du  commerce; 
mais,  en  France,  une  femme  n'a  point  d'autre  état  que 
celui  de  son  mari.  La  Reine  honore  la  dame  Le  Brun  de 
ses  bontés  et  cette  femme  en  est  digne,  non  seulement  par 


64  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

ses  talents,  mais  encore  par  sa  conduite.  Sa  Majesté  m'a 
fait  l'honneur  de  nie  demander  sil  n'y  avait  pas  moyen, 
sans  détruire  la  loi  et  en  lui  laissant  toute  sa  force,  de  faire 
admettre  Madame  Le  Brun  dans  cette  compagnie,  qu'il  est 
intéressant  de  soutenir  dans  toute  l'exactitude  et  la  rigueur 
des  statuts,  surtout  depuis  que  Votre  Majesté  a  accordé  la 
liberté  aux  Arts.  J'ai  eu  l'honneur  de  Lui  répondre  que  la 
protection  dont  Elle  honorait  Madame  Le  Brun  tombait 
sur  un  sujet  assez  distingué  pour  qu'une  exception  en  sa 
faveur  devint  plutôt  une  confirmation  qu'une  infraction  à 
la  loi,  si  elle  était  motivée  sur  cette  respectable  protection 
et  que  Votre  Majesté  voulût  l'autoriser  par  un  acte  formel. 
Je  supplie,  en  conséquence,  Votre  Majesté  de  vouloir 
bien  me  donner  ses  ordres,  et  je  La  supplie  de  vouloir 
bien  borner  à  quatre  le  nombre  des  femmes  qui  pourront 
à  l'avenir  être  admises  dans  1  Académie.  Ce  nombre  est 
suffisant  pour  honorer  le  talent,  les  femmes  ne  pouvant 
jamais  être  utiles  au  progrès  des  Arts,  la  décence  de  leur 
sexe  les  empêchant  de  pouvoir  jamais  étudier  d'après 
nature  et  dans  l'école  publique  établie  et  fondée  par  Votre 
Majesté. 

Le  Roi  consentit  et  imposa  des  volontés 
qui  furent  aussitôt  communiquées  à  Pierre, 
directeur  de  TAcadémie,  par  son  chef,  M.  d'An- 
giviller.  Elles  étaient  votées  le  31  mai,  à  la 
séance  d'élection,  et  le  procès- verbal  consi- 
gnait ainsi  les  preuves  de  Tintervention  di- 
recte de  Marie-Antoinette  dans  les  allaires  de 
la  compagnie  : 

En  ouvrant  la  séance,  le  secrétaire  a   fait  lecture  d  une 
lettre   en   date   du  30    mai    1783,   écrite    de    Versailles    à 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  65 

M,  Pierre,  directeur,  par  M.  le  comte  dAngiviller,  direc- 
teur et  ordonnateur  général  des  Bâtiments  du  Roi,  par 
laquelle  il  annonce  que  la  Reine,  daignant  honorer  la 
demoiselle  Louise-Elisabeth  Vigée,  de  Paris,  peintre, 
femme  du  sieur  Le  Brun,  marchand  de  tableaux,  de  la 
protection  la  plus  particulière  et  que  la  Reine  elle-même 
lui  ayant  à  plusieurs  fois  et  dernièrement  encore,  donné 
de  nouvelles  preuves  de  l'intérêt  qu'Elle  voulait  bien 
prendre  à  cette  artiste,  lui,  le  comte  d'Angiviller,  se  fai- 
sant un  devoir  et  une  loi  de  se  conformer  au  désir  de  la 
Reine,  et  de  conserver  en  même  temps  les  statuts  de 
l'Académie  dans  toute  leur  force,  il  avait,  en  conséquence, 
mis  sous  les  yeux  du  Roi  l'article  des  nouveaux  statuts  qui 
interdit  de  la  manière  la  plus  précise  à  tout  membre  de 
l'Académie  le  commerce  des  tableaux  et  témoigné  le  désir 
que  la  Reine  en  avait  montré  que  le  Roi  donnât  une  dis- 
pense en  faveur  de  Madame  Le  Brun.. 

li'Académie ,  exécutant  avec  un  profond  respect  les 
ordres  de  son  souverain,  a  reçu  la  demoiselle  Vigée,  femme 
du  sieur  Le  Brun,  académicienne  sur  la  réputation  de  ses 
talents,  en  invitant  la  dame  Le  Brun  à  faire  apporter  de 
ses  ouvrages  à  la  prochaine  assemblée,  L'Académie  a,  de 
plus,  délibéré  qu'il  sera  fait...  une  lettre  de  remerciement 
à  M.  d'Angiviller  d'avoir  conservé  les  droits  de  l'Académie 
et  la  force  de  ses  statuts,  et  d'avoir  ûxé  irrévocablement 
le  nombre  des  académiciennes  à  quatre.  Il  sera  aussi 
témoigné  par  ladite  lettre  à  M.  le  Directeur  général  que  la 
compagnie  ne  doute  pas  que  la  dame  Le  Brun,  déjà  reçue 
académicienne,  ne  justifie,  en  apportant  de  ses  ouvrages, 
et  sa  renommée  et  la  [)rolection  auguste  dont  elle  est 
honorée. 

Toutes  ces  irrégularités  commises  et  enre- 
gistrées,  la  délibération  continua    suivant    les 


(3G  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

formes  ordinaires.  Roslin,  au  même  moment, 
présentait  à  la  compagnie  «  la  demoiselle  Adé- 
laïde Labille  des  Vertus,  née  à  Paris,  femme 
de  M.  Guiard,  peintre  de  portraits,  qui  a  fait 
apporter  de  ses  ouvrages  »  ;  les  voix  étaient 
prises,  la  présentation  agréée  et  le  portrait  de 
M.  Pajou  accepté  pour  un  des  morceaux  de 
réception  de  l'artiste.  Madame  Vigée-Le  Brun 
donna,  de  son  côté,  à  la  séance  suivante,  la 
Paix  qui  ramène  l'Abondance .  Elle  ne  devait 
pas  tarder  à  justifier,  par  le  lustre  qu'elle  allait 
jeter  sur  les  expositions  de  l'Académie,  l'ex- 
ception unique  faite  en  sa  faveur  et  l'éclatant 
appui  que  lui  avait  donné  iMarie-Antoinette  pour 
forcer  la  main  à  ses  nouveaux  confrères.  Et  déjà 
ses  admirateurs  célébraient  galamment  sa  facile 
victoire  ;  un  poète  du  Journal  de  Paris  l'en 
félicitait  au  nom  de  tous  les  amateurs  français  : 

Le  beau  titre  qui  vous  honore 
Depuis  longtemps  vous  était  dû  ; 
Vous  n'osiez  y  prétendre  encore 
Que  de  nous  vous  l'aviez  reçu. 
L'événement  nous  justifie, 
Le  vœu  général  est  rempli, 
Et  le  front  de  la  Modestie 
A  nos  regards  s'est  embelli 
De  la  couronne  du  Génie  ! 

Madame  Labillc-Guiard  et  Madame   V'igée- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  67 

Le  Brun  se  retrouvèrent,  quelques  mois  plus 
tard,  devant  le  public  du  Salon.  La  première 
montrait  de  fort  beaux  pastels;  la  seconde, 
toute  une  série  d' œuvres  importantes.  On 
essaya  vainement  de  nuire  à  leur  succès  par 
quelques  couplets  venimeux,  qui  coururent 
Paris  en  gravure  et  où  Madame  Guiard  sur- 
tout se  trouva  insultée  comme  artiste  et  comme 
épouse .  Son  amie,  la  comtesse  d'Angiviller, 
employa  son  crédit  pour  faire  supprimer  «  ce 
libelle  affreux  ».  Madame  Vigée-Le  Brun,  en 
quelques  vers  plus  plats,  était  moins  mal- 
traitée : 

Si  votre  équipage  est  brillant, 
Ne  vous  gonflez  pas  trop,  la  belle  ! 
Votre  orgueil  est  impertinent 
Et  votre  couleur  infidèle. 

Elle  pouvait,  en  effet,  s'enorgueillir,  car 
elle  obtenait,  d'un  public  sans  parti  pris,  un 
succès  comme  il  s'en  était  rarement  vu  ;  les 
nouvellistes  disaient  :  «  Le  sceptre  d'Apollon 
semble  tomber  en  quenouille,  et  c'est  une 
femme  qui  emporte  la  palme  !  »  La  foule  des 
curieux  la  découvrait  et  son  nom,  du  jour  au 
lendemain,  devenait  célèbre.  D'ordinaire,  à 
cbaque  exposition  du  Louvre,  un  jeune  talent 
se  révélait  et  se  faisait  adopter  par  la  mode; 


68  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

on  en  parlait  «  dans  les  soupers,  dans  les 
cercles  et  jusque  dans  les  ateliers  »  :  c'était 
elle,  cette  année-là ,  qui  accaparait  l'enthou- 
siasme :  «  Lorsque  quelqu'un  annonce  qu'il 
arrive  du  Salon ,  on  lui  demande  d'abord  : 
«  Avez-vous  vu  Madame  Le  Brun  ?  Que  pen- 
«  sez-vous  de  Madame  Le  Brun  ?  »  En  même 
temps,  on  lui  suggère  sa  réponse  :  «  N'est-il 
pas  vrai  que  c'est  une  femme  étonnante  que 
Madame  Le  Brun  ?  »  On  rappelait  sa  récente 
élection,  croyant  qu'elle  avait  été  «  reçue  aca- 
démicienne d'emblée,  suivant  le  privilège  de 
son  sexe  et  dans  une  des  quatre  places  qui  lui 
sont  uniquement  et  spécialement  afTectées  ». 
On  disait  sa  réputation  puissamment  servie 
par  les  charmes  de  sa  personne  :  «  C'est  une 
jeune  et  jolie  femme,  pleine  d'esprit  et  de 
grâces,  voyant  la  meilleure  compagnie  de  Paris 
et  de  Versailles,  donnant  des  soupers  fins  aux 
artistes,  aux  auteurs,  aux  gens  de  qualité;  sa 
maison  est  l'asile  où  les  Polignac  ,  les  Vau- 
dreuil,  les  Polastron,  les  courtisans  les  ])lus 
accrédités  et  les  plus  délicats  viennent  cher- 
cher une  retraite  contre  les  ennuis  tlo  hi  ('-our 
et  rencontrent  le  plaisir  qui  les  fuit  ailleurs...  » 
Et,  bien  que  ces  détails  des  nouvellistes  ne 
fussent  pas  d'une   parfaite  exactitude,   ils  ser- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  69 

valent  à  augmenter  la  considération  de  l'artiste 
et  à  répandre  sa  jeune  renommée. 

Son  choix  de  tableaux  pour  l'exposition 
comprenait  trois  compositions  «  d'histoire  » 
et  des  portraits.  A  côté  de  son  morceau  de 
réception,  la  Paix  qui  ramène  l'Abondance^ 
elle  reprenait  à  Boucher  deux  sujets  inspirés 
par  la  légende  de  Vénus  :  Jiinon  venant  em- 
prunter la  ceinture  de  Vénus,  d'après  un  pas- 
sage d'Homère,  et  Ve'nus  liant  les  ailes  de 
V Amour.  Ce  dernier  était  un  pastel  appartenant 
à  M.  de  Vaudreuil.  La  déesse  remplissait  son 
rôle  maternel  avec  une  noble  gravité,  et  l'en- 
fant divin,  privé  de  ses  mouvements,  avait 
«  dans  la  circonstance  quelque  chose  de  bou- 
deur et  de  maussade  ».  Dans  l'autre  tableau, 
au  contraire,  il  s'égayait,  jouant  avec  la  cein- 
ture de  sa  mère  déjà  livrée  à  la  souveraine  de 
l'Olympe.  La  brune  Junon  paraissait  plus  belle 
que  Vénus,  ce  qui  pouvait  passer  pour  un  hom- 
mage rendu  à  la  vertu  ;  et  sa  nudité  ollrait 
tant  d'appas  que  M.  le  comte  d'Artois  n'hésita 
point  à  payer  quinze  mille  livres  le  tableau 
destiné  à  honorer  les  grâces  conjugales. 

Parmi  les  portraits  de  Madame  \'igée-Le 
Brun  ,  les  plus  importants  étaient  le  sien, 
qu'avait  inspiré    Rubans,   et  celui   de   la  mar- 


70  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

quise  de  La  Guiche,  en  jardinière.  Trois  autres 
appartenaient  à  la  Famille  royale,  ceux  de  la 
Heine,  de  Monsieur  et  de  Madame.  La  com- 
tesse de  Provence  avait  la  tête  nue  ;  la  Reine 
portait  un  chapeau  de  paille  ;  la  première  était 
en  buste,  la  seconde,  vue  jusqu'à  mi-corps. 
Mais  l'une  et  l'autre  étaient  habillées  en 
«  gaulle  »,  c'est-à-dire  en  robe  blanche  serrée 
à  la  taille,  suivant  une  mode  du  moment;  on 
les  prétendit  «  en  chemise  » ,  ce  qui  donna 
lieu  à  des  récriminations  de  tout  genre  :  «  Bien 
des  gens,  écrit  un  critique,  ont  trouvé  déplacé 
qu'on  offrît  en  public  ces  augustes  person- 
nages sous  un  vêtement  réservé  pour  l'inté- 
rieur de  leur  palais  ;  il  est  à  présumer  que 
l'auteur  y  a  été  autorisé  et  n'aurait  pas  pris 
d'elle-même  une  pareille  liberté.  Quoi  qu'il  en 
soit,  Sa  Majesté  est  très  bien  ;  Elle  a  cet  air 
leste  et  délibéré,  cette  aisance  qu'Elle  pré- 
fère à  la  gêne  de  la  représentation  et  qui, 
chez  Elle,  ne  fait  point  tort  à  la  noblesse  de 
son  rôle.  Quelques  critiques  Lui  trouvent  le 
cou  trop  élancé  ;  ce  serait  une  petite  faute  de 
dessin  ;  du  reste,  beaucoup  de  fraîcheur  dans 
hi  figure,  d'élégance  dans  le  maintien,  de  na- 
turel dans  Tattitude  font  aimer  ce  j)ortrait  ;  il 
intéresse    même   ceux    qui,    au    premier    coup 


LA  REINE  MARIE-ANTOINETÏE 

Portrait  do  la  Reine  «  en  guullc  »  exposé  au  Salon  de  1783 
I Galerie  du   Palais  i^rantl-ducal,  à  Daimsladt) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  71 

d'œil,  n'y  reconnaîtraient  pas  la  Reine.  »  Le 
Roi  sut-il  quelque  chose  des  propos  tenus  sur 
r  «  indécence  »  de  cette  image  ?  Marie-An- 
toinette en  fut-elle  offensée  ?  Tant  d'attaques 
alors  dirigées  contre  elle  la  trouvaient  extrê- 
mement sensible,  et  sans  doute,  après  peu  de 
jours  d'exposition,  vint  de  sa  part  l'ordre  de 
retirer  le  tableau  du  Salon. 

C'est  peut-être  cependant  le  plus  joli  por- 
trait de  la  Reine,  celui  qui  rend  le  mieux,  dans 
cette  blanche  simplicité,  toute  la  séduction 
personnelle  de  la  jeune  souveraine.  Elle  est 
auprès  d'une  corbeille  de  fleurs  placée  sur  une 
table  et  fait  un  bouquet.  Nul  falbala,  pas  de 
bijoux;  une  robe  de  mousseline,  une  «  gaulle  » 
à  peine  décolletée  et  froncée  aux  manches, 
avec  une  ceinture  de  tulle  jaune.  Cette  toilette 
enfantine  prête  à  Marie-Antoinette  une  grâce 
juvénile  et  cet  air  dégagé  et  naturel  que  goû- 
tait tant  son  intimité.  Son  port  de  tête  a  gardé 
la  majesté  qui  la  faisait  reconnaître  entre 
toutes  ses  dames  ;  sur  les  cheveux  en  boucles 
le  chapeau  de  paille,  à  plumes  et  ruban  bleus, 
cache  le  front  trop  haut,  laissant  dans  la 
lumière  le  visage  aux  traits  adoucis  comme 
toujours  [)ar  l'artiste.  Le  célèbre  portrait  «  ù 
la  rose  »,   où  le   visage   et    l'altitude  sont  les 


72  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

mêmes ,  n'est  qu'une  variante  de  celui-ci ,  et 
le  «  grand  habit  »  qu'y  porte  la  Reine  semble 
avoir  été  peint  par  concession  au  préjugé 
public,  pour  conserver  une  composition  char- 
mante, en  retirant  aux  malveillants  toute  occa- 
sion de  raillerie.  La  Reine  se  promène  dans 
un  jardin,  et  un  rosier  remplace  la  corbeille 
de  fleurs  ;  mais  c'est  le  même  bouquet,  avec 
une  grosse  rose,  que  les  mains  merveilleuses 
s'amusent  à  nouer  d'un  ruban. 

C'est  l'année  où  Marie -Antoinette  a  de- 
mandé le  plus  grand  nombre  de  fois  son 
image  au  peintre  favori.  Elle  en  avait  besoin 
pour  beaucoup  d'amis;  c'est  ainsi  que  les  deux 
répliques  presque  identiques  que  nous  avons 
du  portrait  «  en  gauUe  »  étaient  destinées, 
l'une  à  la  princesse  Louise  de  Hesse,  à  Darm- 
stadt,  l'autre  au  comte  Charles  de  Damas.  Mais 
celui  qu'elle  a  donné  le  plus  souvent,  contem- 
porain du  double  j)ortrait  a.  à  la  rose  » ,  est 
tout  différent  :  elle  y  est  vue  à  mi -corps, 
assise  devant  une  table  et  tenant  un  livre  posé 
sur  un  coussin.  La  tête  ressemble  beaucoup 
à  celle  des  compositions  précédentes;  mais 
le  bonnet  est  retenu  par  des  torsades  de  perles 
et,  sous  la  collerette  de  dentelle,  un  niagni- 
fHjue    corsage    de    velours    rouge    relève    ses 


MADAME    VIGKE-LE    BRUN  73 

basques  élégantes  sur  une  robe  de  velours 
jaune.  C'est  le  portrait  de  «  la  Reine  en  robe 
de  velours  »,  que  l'artiste  mentionne  parmi 
ses  œuvres  de  1783  et  qu'elle  aurait  repro- 
duit jusqu'à  huit  fois;  comme  elle  dit  avoir, 
au  même  temps,  exécuté  trois  copies  de  «  la 
Reine  avec  un  chapeau  »  et  deux  autres 
tableaux  de  a  la  Reine  en  grand  habit  »,  on 
voit  quelle  place  a  tenue  alors  dans  ses  tra- 
vaux sa  chère  souveraine. 

La  faveur  si  fidèle  de  Marie -Antoinette 
entourait  la  jeune  académicienne  d'un  pres- 
tige que  ses  rivales  ne  devaient  jamais  con- 
naître. Elle  était  admise  à  peindre  les  Enfants 
de  France  d'abord  séparément,  puis  réunis  ; 
c'était  un  honneur  désiré  de  tous  les  peintres, 
qu'elle  était  seule  à  obtenir.  Même  l'incident 
du  Salon  avait  servi  ses  intérêts,  en  faisant  les 
gens  discourir  à  son  sujet;  et,  si  les  envieux 
qu'elle  excitait  insinuaient  encore  qu'elle  ne 
finissait  pas  elle-même  ses  tableaux,  et  «  qu'un 
artiste  amoureux  d'elle  lui  prêtait  son  secours  », 
les  personnes  sans  parti  pris  continuaient  à 
l'applaudir,  en  déclarant  :  «  C'est  à  elle,  en 
se  soutenant  par  de  nouveaux  chefs-tl'œuvre, 
en  se  surpassant  elle-même,  s'il  est  possible, 
à    justifier    sa    réputation    et    à    démentir   ces 


74  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

indignes   propos.   »    C'est   ce  que  répétait   en 
vers  un  poète  du  temps,  dont  le  madrigal  ven- 
deur courait  en  manuscrit  : 
o 

Être  femme  aimable  et  jolie 

Vous  semble  un  partage  trop  doux  ; 

Vous  voulez,  je  crois,  contre  vous. 

Par  vos  succès  armer  l'envie. 

Mais  vous  sied-il,  en  vérité. 

De  négliger  le  soin  de  plaire. 

Pour  partager  avec  Homère 

Une  triste  immortalité  ? 

Grâce  à  votre  célébrité, 

L'Amour  de  vous  ne  parle  guère, 

Et  votre  nom  est  plus   cité 

Sur  le  Parnasse  qu'à  Cythère!... 

Cette  production  abondante,  ce  travail 
acharné  n'étaient  point  sans  surmener  outre 
mesure  le  faible  tempérament  de  la  jeune 
femme.  Elle  donnait  jusqu'à  trois  séances  le 
même  jour,  et  celles  de  l'après-midi  la  fati- 
guaient extrêmement,  lui  délabraient  l'esto- 
mac; elle  en  venait  à  ne  plus  digérer  et  «  mai- 
grissait à  faire  peur  ».  Le  joli  buste  de  Pajou, 
aux  cheveux  é[)ars,  montre  ses  traits  délicats 
et  passionnés  comme  ravagés  par  un  mal  mys- 
térieux. 11  y  a  chez  elle,  à  toute  heure,  une 
dépense  excessive  de  force  nerveuse;  tous  ses 
sens    vibrent   à   l'extrême    :    «  J'entends   trop, 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  75 

dira-t-elle  à  l'anatomiste  Fontana,  je  vois  trop, 
je  sens  tout  d'une  lieue.  »  Sa  vue,  d'ailleurs 
excellente,  ne  peut  supporter  l'éclat  des  jours 
faux,  les  reflets  du  soleil  sur  des  murs  blancs, 
la  lumière  trop  vive  des  lampes  «  à  quin- 
quets  »  ;  un  odorat,  fin  à  l'excès,  la  fait  souffrir 
de  toutes  les  odeurs.  Le  bruit  particulière- 
ment la  torture;  c'est  le  grand  désagrément 
de  sa  vie  ;  elle  en  a  parlé  souvent,  et  on  la 
verra  adresser  à  la  princesse  Kourakine  un 
gros  cahier  énonçant  les  bruits  qu'elle  a  eu  à 
subir  au  cours  de  son  existence,  tout  le  fracas 
des  rues  de  Paris,  tout  l'imprévu  de  sa  vie 
de  voyage  aux  insomnies  provoquées,  aux 
réveils  brusques,  dont  le  souvenir  la  poursuit. 
Elle  note  assez  curieusement  ces  dispositions, 
qui  ont  les  inconvénients  d'une  infirmité  véri- 
table :  «  Ce  qui  m'a  constamment  tourmentée, 
ce  sont  les  bruits  divers  qui  m'ont  poursuivie 
partout;  j'en  ai  distingué  de  ronds,  de  pointus  ; 
je  pourrais  même  les  tracer  par  des  lignes;  les 
anguleux  surtout  m'ont  cruellement  attaqué 
les  nerfs.    » 

Avec  une  telle  nature  physique  et  une  vie 
si  laborieuse,  il  n'est  pas  étonnant  ([ue  ses 
forces  déclinent  assez  vite.  Son  activité  se 
ralentit;    au  cours  de   I78'i,  au  moment  où  le 


76  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

succès  lui  attire  des  commandes  toujours  plus 
nombreuses,  elle  ne  peint  que  cjuatre  portraits, 
outre  le  tableau  des  Enfants  de  France  qu'elle 
oublie  de  mentionner  dans  sa  liste.  En  re- 
vanche, elle  répète  jusqu'à  six  fois,  par  un 
labeur  purement  matériel  ,  celui  d'un  des 
hommes  qu'elle  aime  le  mieux,  M.  de  Vau- 
dreuil.  La  délicate  affection  du  comte  com- 
mence dès  lors  à  entourer  de  soins  et  de  pré- 
venances cette  fragile  amie,  qui  survivra,  d'ail- 
leurs, à  tous  ceux  qui  s'inquiètent  alors  pour 
sa  santé.  Sur  le  désir  de  M.  de  Vaudrcuil  et 
de  quelques  intimes,  elle  a  reçu  le  médecin, 
qui  lui  a  ordonné  de  supprimer  le  travail 
des  après-dîner.  Elle  doit  consentir,  chaque 
jour,  le  repas  fini,  à  une  sieste  réparatrice; 
c'est  ce  qu'elle  appelle  «  son  calme  »,  et 
cette  habitude  lui  devient  si  salutaire  (pfelle 
la  gardera  toute  sa  vie. 

La  maladie  impose  à  Madame  Vigée-Le 
Brun  une  privation  dont  une  jolie  femme  à  la 
mode  se  console  malaisément  :  elle  ne  peut 
plus  tliiicr  CM  ville.  Mais  le  dîner  de  nos  pères, 
qui  a  lieu  dans  l'après-midi,  est  remplacé  sou- 
vent par  le  souper  dans  les  sociétés  où  les 
plaisirs  de  l'esprit  l'emportent   sur  ceux  de  la 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  77 

table  ;  et  c'est  bientôt  un  usage  établi  parmi 
les  artistes  et  les  gens  de  goût  que  de  venir 
souper  autour  de  l'aimable  peintre.  Son  appar- 
tement de  la  rue  de  Cléry,  en  dépit  des  Rubens 
et  des  Van  Dyck  qui  décorent  les  murs,  n'est 
ni  très  vaste,  ni  très  luxueux;  on  se  réunit 
dans  la  chambre  à  coucher,  qui  sert  de  salon 
et  dont  la  tenture  est  d'un  papier  semblable  à 
la  toile  de  Jouy  des  rideaux  du  lit.  Mais  la 
bonne  grâce  de  l'accueil,  la  simplicité  joyeuse 
des  convives,  les  délassements  toujours  bien 
choisis,  attirent  à  ces  modestes  soirées  ce  qu'il 
y  a  de  plus  distingué  à  Paris  et  plus  d'un  habitué 
de  Versailles.  Peut-être  les  grands  seigneurs  et 
les  maréchaux  de  France  n'y  sont-ils  pas  aussi 
assidus  que  Madame  Vigée-Le  Brun  croira  se  le 
rappeler  ;  elle  citera  un  jour  le  maréchal  de 
Noailles,  le  maréchal  de  Ségur,  le  marquis  de 
Montesquiou,  le  prince  de  Ligne,  le  comte  d'An- 
traigues,  le  comte  de  Grammont,  le  baron  et  la 
baronne  de  Talleyrand  ;  mais  ce  sont  là  des 
amateurs  de  musique  qui  paraîtront  chez  elle 
seulement  lorsqu'elle  organisera  des  concerts. 
De  tout  temps  elle  a  cet  ami  fidèle,  M.  de 
Vaudreuil,  qui  va  partout  dans  Paris  s'appro- 
visionner d'anecdotes  j)iquantes.  qu'il  apporte 
le  lendemain  au  cercle  de  la  Heine.   Le  cheva- 


78  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

lier  de  Boufflers  colporte  chez  l'artiste  ses 
petits  vers  et  le  vicomte  de  Ségur  y  improvise 
ses  mots  d'esprit.  Le  marquis  de  Cubicres, 
l'agronome,  s'y  trouve  avec  Boutin,  le  finan- 
cier. Ils  y  rencontrent  commodément  les  ar- 
tistes, Robert,  Vernet,  Ménageot,  Brongniart, 
et  surtout  les  gens  de  lettres  :  l'abbé  Delille, 
distrait  et  charmant ,  qui  conte  comme  per- 
sonne et  dit  ses  vers  à  ravir  ;  l'autre  grand 
poète  du  temps,  Ecouchard  Lebrun,  qui  s'est 
lui-même  surnommé  Lebrun  -  Pindare,  et  qui 
récite  avec  feu  des  odes  admirées  ;  Chamfort , 
que  M.  de  Vaudreuil  loge  chez  lui  et  qui 
jette  trop  souvent  dans  la  conversation  l'àcreté 
d'un  propos  cynique;  l'érudit  Ginguené,  que 
Pindare  a  imposé,  et  dont  la  nature  sèche  et 
sans  gaieté  déplaît  à  Madame  Vigée-Le  Brun  ; 
enfin,  son  frère,  dont  elle  est  fière  pour  sa 
prestance  et  sa  jolie  figure,  et  qu'elle  a  fort 
poussé  dans  le  monde.  Vigée  a  donné  au  public 
quelques  actes  de  comédie,  et  Vaudreuil  Ta 
fait  nommer  secrétaire  du  cabinet  de  Madame; 
c'est  un  limeur  frivole  de  l'école  de  Dorât, 
mais  liseur  expert,  causeur  brillant,  qui  n'ac- 
cable point  les  gens  de  ses  œuvres  j)oéti(jues 
et  sait  faire  valoir  celles  des  autres. 

La  présence  de  femmes  séduisantes  et  fines 


LE  COMTE  DE  VAUDREUIL 

1784 

{Ancienne  collection  de  Madame   la  l'icomlesse  de  Clcrinonl-Tunnci  le) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  79 

met  en  verve  tous  ces  gens  d'esprit.  Les 
quatre  meilleures  amies  de  la  maîtresse  de 
maison  sont  Madame  de  Verdun,  Madame  Le 
Gouteulx  du  Moley,  la  marquise  de  GroUier  et 
la  marquise  de  Sabran,  que  lie  à  M.  de  Bouf- 
flers  une  affection  qui  finira  par  le  mariage. 
On  y  voit  aussi  la  comtesse  de  Ségur,  la  mar- 
quise de  Rougé,  Madame  de  Pezay  et  la  fille 
du  chargé  d'affaires  de  Saxe,  M.  de  Rivière, 
qui  vient  d'épouser  Vigée  et  d'introduire  dans 
la  famille  une  alliance  des  plus  honorables. 
Madame  Vigée  a  les  yeux  noirs  très  vifs,  le 
nez  retroussé,  la  bouche  mutine,  et  sa  belle- 
sœur  a  pris  plaisir  à  la  peindre.  Chacune  de 
ces  dames  a  son  cercle  d'adorateurs  et  son 
poète  pour  la  célébrer;  mais  nulle  n'est  jalouse 
de  voir  la  première  couronne  toujours  décernée 
à  l'artiste,  et  toutes  applaudissent  sans  réserve 
la  fameuse  Epitre  à  ma  sœur,  que  leur  lit  Vigée 
avant  de  l'envoyer  à   VAlmanacli  des  Muses  : 

Femme  aimable,   peintre  cliarmant, 
Toi  chez  qui  la  nature  allie 
Aux  dons  heureux  du  sentiment 
Les  dons  si  rares  du  génie, 
Toi   pour  (pii   semhie   reverdir 
Cette   palme  l()ngtemj)s   flétrie. 
Que  Rose-Alba  seule  a  cueillie 
Va  que  le  garde  l'avenir... 

Pour  réciter  des  vers  et  jouer  des  charades 


80  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

en  action,  cette  agréable  société  se  réunissait 
vers  neuf  heures;  à  dix,  on  passait  dans  la 
salle  à  manger,  a  Mon  souper,  raconte  Madame 
Vigée-Le  Brun,  était  des  plus  simples;  il  se 
composait  toujours  d'une  volaille,  d'un  pois- 
son, d'un  plat  de  légume  et  d'une  salade,  en 
sorte  que,  si  je  me  laissais  entraîner  à  retenir 
quelques  visites,  îl  n'y  avait  réellement  plus 
de  quoi  manger  pour  tout  le  monde  ;  mais  peu 
importait,  on  était  gai,  on  était  aimable,  les 
heures  passaient  comme  des  minutes  et,  vers 
minuit,   chacun  se  retirait.  » 

Bientôt,  à  la  poésie  s'ajouta  la  musique, 
et  l'artiste  assure  qu'elle  donna,  dans  son 
modeste  salon,  les  meilleurs  concerts  de  Paris. 
On  peut  croire  qu'elle  n'exagère  point  ;  sa 
liaison  intime  avec  Grétry  retenait  sans  cesse 
chez  elle  le  spirituel  musicien,  qui  prenait 
plaisir  à  lui  offrir  la  primeur  de  ses  morceaux 
d'opéras.  Sacchiniet  Martini  faisaient  de  même, 
et  les  interprètes  qu'ils  lui  amenaient  se  trou- 
vaient aussi  les  plus  fameux.  Ses  chanteurs 
habituels  étaient  Garai,  Azevedo,  Uicher  et 
Madame  Todi.  Dans  les  duos  de  la  grande 
cantatrice  italienne,  Madame  Vigée-Le  Brun 
risquait  parfois  sa  voix  agréable,  mais  sans 
étude,   sa   voix    «   aux   sons   argentés   »,   disait 


MADAME    VIGÉE-LE    BRUN  81 

le  galant  Grétry.  Sa  jolie  belle -sœur,  qui 
chantait  aussi ,  accompagnait  sur  le  piano  à 
livre  ouvert.  Pour  la  musique  instrumentale, 
on  entendait  le  violoniste  Viotti,  dont  le  jeu 
était  un  modèle  de  force  et  d'expression  ; 
Salentin,  qui  jouait  du  hautbois;  Hulmandel 
et  Cramer,  du  piano-forte;  Janson  et  Duport, 
de  la  basse;  le  beau  Marin,  de  la  harpe.  On 
eut  un  jour  la  surprise  d'admirer  au  piano  la 
virtuosité  de  la  jeune  Madame  de  Mongeroult; 
mais  le  musicien  qu'on  était  le  plus  fier  de 
recevoir  était,  sans  nul  doute,  le  prince  Henri 
de  Prusse.  Le  frère  du  grand  Frédéric,  qui 
vivait  alors  à  Paris  pour  jouir  du  plaisir  de 
la  société  et  des  arts,  arrivait  en  haussant  sa 
petite  taille  et  parcourait  l'assistance  de  ses 
yeux  qui  louchaient  fortement  ;  ce  défaut  dis- 
paraissait dans  une  certaine  douceur  du  regard, 
comme  son  lourd  accent  tudesque  dans  l'obli- 
geance de  ses  paroles.  Il  amenait  avec  lui  son 
premier  violon,  qui  ne  le  quittait  pas  dans  ses 
voyages,  et  il  s'asseyait  sans  façon  devant  le 
pupitre  pour  jouer  sa  partie  de  quatuor,  avec 
cette  ardeur  enflammée  pour  la  musique  qui 
lui  tenait  lieu  de  talent.  Tels  étaient  les  exé- 
cutants des  concerts  de  Madame  Vigée-Le 
Brun,  où   peu   à   peu   la    meilleure    société   se 


82  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

donnait  rendez-vous  et  où,  les  chaises  man- 
quant dans  la  pièce  étroite,  on  voyait  parfois 
de  grands  personnages  s'asseoir  par  terre  pour 
écouter. 

L'artiste  n'est  point  trop  grisée  par  ces 
succès  mondains,  qui  achèvent  de  consacrer 
sa  vogue.  Elle  a  une  conscience  sereine  de  ses 
mérites,  qui  la  met  à  l'aise  partout;  traitée  en 
amie  par  les  grandes  dames  qui  se  font  peindre 
par  elle,  cette  familiarité  de  rapports,  qu'elle 
retrouvera  plus  tard  dans  les  diverses  sociétés 
de  l'Europe,  lui  semble  déjà  toute  naturelle. 
Elle  n'est  pas  dénuée  de  prétention;  mais  son 
cœur  excellent  fait  excuser  des  façons  de  petite 
maîtresse,  que  les  hommages  masculins  ont 
développées.  Sa  préciosité  agacera  Madame  de 
Boigne  qui,  tout  enfant,  la  verra  à  Rome  et 
nous  la  montre,  avec  sa  malveillance  et  sa  pré- 
cision ordinaires,  «  très  bonne  personne  », 
«  toujours  assez  sotte  » ,  et  possédant  «  à 
l'excès  toutes  les  petites  minauderies  aux- 
quelles son  double  titre  d'artiste  et  de  jolie 
femme  lui  donnait  droit  ».  Sauf  le  grief  de 
sottise,  les  traits  sont  justes.  L'artiste  a,  par- 
dessus tout,  le  guiit  de  plaire,  et  assurément  ce 
qu'elle  apprécie  le  plus,  au  cours  de  sa  vie,  ce 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  83 

sont  les  louanges  que  certains  hommes  de 
cour  s'empressent  de  mettre  à  ses  pieds  ;  c'est 
qu'elles  s'adressent  moins  au  peintre  qu'à  la 
femme,  et  que  Madame  Vigée-Le  Brun  est 
infiniment  coquette,  et  beaucoup  plus  vaine  de 
ses  grâces  que  de  son  talent. 

Quelle  tendre  complaisance  l'émeut,  chaque 
fois  qu'elle  parle  de  M.  de  Vaudreuil  !  Certes, 
le  comte  est  très  fidèlement  attaché,  et  du  fond 
du  cœur,  à  la  douce  duchesse  de  Polignac,  et, 
s'il  fréquente  assidûment  rue  de  Gléry,  c'est 
seulement  pour  le  plaisir  qu'il  trouve  à  se 
réunir  en  toute  liberté  à  des  gens  d'esprit, 
comme  le  prince  charmant  de  leur  cénacle. 
Mais  il  sait  l'art  de  parler  aux  femmes,  et  il 
enchante  les  bourgeoises  de  Paris  par  l'habile 
et  discrète  façon  dont  il  transpose  pour  elles 
la  phrase  enjôleuse  de  Versailles.  L'artiste  est 
sensible  à  sa  chaude  manière  de  prôner  l'amitié 
et  de  soutenir  ses  amis,  et  à  tant  de  belles 
qualités  morales  qu'elle  célèbre  à  plusieurs 
reprises  ;  elle  l'est  surtout  aux  façons  du  grand 
seigneur  et  aux  galanteries  délicates  qu'il  lui  a 
prodiguées.  Ses  pinceaux  ont  hésité  pour  le 
peindre  ;  le  visage  de  son  modèle  semble  trop 
efieminé,  et  Drouais  en  avait  vu  autrement  la 
grâce  virile;   le  morceau    n'a  jnis  autant  d'ac- 


84  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

cent  que  les  souvenirs  écrits ,  aussi  précis 
qu'enthousiastes  :  «  Né  dans  un  rang  élevé,  le 
comte  de  Vaudreuil  devait  encore  plus  à  la 
nature  qu'à  la  fortune,  quoique  celle-ci  l'eût 
comblé  de  tous  ses  dons...  Il  était  grand,  bien 
fait,  son  maintien  avait  une  noblesse  et  une 
élégance  remarquables;  son  regard  était  doux 
et  fm  ,  sa  physionomie  extrêmement  mobile 
comme  ses  idées,  et  son  sourire  obligeant 
prévenait  pour  lui  au  premier  abord.  Le  comte 
de  Vaudreuil  avait  beaucoup  d'esprit;  mais  on 
était  tenté  de  croire  qu'il  n'ouvrait  la  bouche 
que  pour  faire  valoir  le  vôtre,  tant  il  vous 
écoutait  d'une  manière  aimable  et  gracieuse  ; 
soit  que  la  conversation  fût  sérieuse  ou  plai- 
sante, il  en  savait  prendre  tous  les  tons,  toutes 
les  nuances,  car  il  avait  autant  d'instruction 
que  de  gaieté...  »  En  vérité,  la  toile  de  1784 
nous  rend  peu  de  chose  de  cet  homme  de  cour 
accompli,  qui  ne  se  révéla  médiocre  qu'en 
politique. 

M.  de  Vaudreuil  possédait  à  Gennevilliers 
une  élégante  maison  au  milieu  d'un  beau  do- 
maine de  (  liasse ,  acheté  pour  recevoir  son 
grand  ami,  le  comte  d'Artois.  Il  avait  fait  amé- 
nager une  jolie  salle  de  comédie,  ce  qui  com- 
plétait souvent  les  installations  d'un  temps  où 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  85 

le  spectacle  de  salon  faisait  fureur.  Aux  acteurs 
professionnels  se  mêlaient  les  amateurs ,  et 
Madame  Vigée-Le  Brun,  sa  belle-sœur  et  son 
frère,  y  jouèrent  plus  d'une  fois  l'opéra-co- 
mique  avec  Madame  Dugazon,  Garât  et  deux 
comédiens  fameux  retirés  du  théâtre,  Gailleau 
et  Laruette.  Dans  Rose  et  Colas,  on  confia  à 
l'artiste  le  rôle  de  Rose,  à  Garât,  celui  de 
Colas.  «  M.  le  comte  d'Artois  et  sa  société 
assistaient  à  nos  spectacles.  J'avoue  que  tout 
ce  beau  monde  me  donna  la  peur  au  point  que, 
la  première  fois  qu'ils  y  vinrent,  sans  que  j'en 
fusse  prévenue,  je  ne  voulus  plus  jouer  ;  la 
crainte  de  désobliger  les  amis  qui  jouaient 
avec  moi  me  décida  seule  à  entrer  en  scène  ; 
aussi  M.  le  comte  d'Artois,  avec  sa  grâce  ordi- 
naire, vint-il  entre  les  deux  pièces  nous  encou- 
rager par  tous  les  compliments  imaginables.  » 
Le  dernier  spectacle  de  Gennevilliers  fut 
donné  par  la  Comédie-Française  et  ce  fut  une 
nouveauté,  le  Mariage  de  Figaro.  Pour  s'y 
résoudre,  M.  de  Vaudrcuil  avait-il  été,  comme 
le  croit  Madame  Le  Brun,  harcelé  par  l'auteur, 
que  grisait  le  souvenir  du  Barbier  de  Scville 
joué  par  la  Reine  à  Trianon  ?  Le  mécène  ne 
trouvait-il  pas  loul  à  fait  picpiant,  comme 
d'autres  grands  seigneurs  d'alors,  d'a|)plaudir 


86  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

hardiment  cette  guerre  déclarée  avec  tant  d'es- 
prit à  leurs  privilèges?  Les  Souvenirs  notent 
qu'on  s'étonna,  dans  l'assistance,  de  ce  dia- 
logue impertinent,  de  ces  couplets  tous  diri- 
gés contre  la  Cour,  dont  une  grande  partie 
était  présentée  la  représentation.  Beaumarchais 
semblait  ivre  de  joie  ;  «  il  courait  de  tous 
côtés,  comme  un  homme  hors  de  lui-même  ; 
et  comme  on  se  plaignait  de  la  chaleur,  il 
ne  donna  pas  le  temps  d'ouvrir  les  fenêtres 
et  cassa  tous  les  carreaux  avec  sa  canne,  ce 
qui  fit  dire,  après  la  pièce,  qu'il  avait  dou- 
blement cassé  les  vitres  ». 

On  allait  à  Gennevilliers  pour  passer  quel- 
ques jours,  et  c'est  là  que  Madame  Vigée-Le 
Brun  exerçait  le  mieux  cette  royauté  féminine 
qui  lui  procura  des  moments  si  doux.  Le  châ- 
telain, qui  veillait  au  plaisir  de  ses  hôtes, 
inventait  pour  eux  des  surprises  nouvelles  ; 
aussi  M.  de  Vaudreuil  était-il  à  leurs  yeux  un 
magicien  que  célébrait  Lebrun-Pindare,  dans 
un  assez  joli  poème,  L'Enchanteur  et  la  Fe'e, 
inspiré,   disait-il,   d'un   a   vieux  grimoire  »  : 

Aimer   tuus  les  arls   fut   sa   gloire, 
Se  faire  aimer,   tout  son   bonheur  ; 
Tout   en   lui    n  était  (ju'âme  et    tout    parlait   au   cii-ur. 
...Le   ciel   pour   comble   de   laveur 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  87 

Lui  donna  pour  amie  une  charmante  Fée, 

Bien  digne  de  mon  Enchanteur. 
Elle  avait  tout  :  esprit,  talent,  grâce,  candeur; 
Magique  déité  de  qui  la  main  savante 
Peignait  l'âme  et  rendait  une  toile  vivante. 
Il  n'est  plus,  direz-vous,  de  ces  prodiges-là, 
La  Fée  et  l'Enchanteur  ont  passé  l'onde  noire. 
—  Non,  mes  amis;  Vaudreuil  et  Le  Brun  que  voilà 
Ont  changé  mon   conte   en   histoire. 

A  Gennevilliers,  Madame  Vigée-Le  Brun 
voyait  le  monde  de  la  Cour  ;  elle  le  voyait 
aussi  chez  Madame  de  la  Reynière,  dans  le 
magnifique  hôtel  que  le  bonhomme  Grimod 
avait  fait  bâtir  aux  Champs-Elysées,  et  où 
fréquentaient  assidûment  les  hommes  de  la 
société  de  la  Reine,  le  comte  d'Adhémar,  le 
baron  de  Besenval  et  Vaudreuil  ;  les  femmes 
venaient  aux  grandes  soirées,  célèbres  pour 
leur  bonne  musique,  et  Madame  Le  Brun  se 
rappelait  avec  plaisir  y  avoir  noué  son  amitié 
avec  la  comtesse  de  Ségur. 

D'autres  maisons  de  la  finance,  moins 
noblement  fréquentées,  mais  non  moins  agréa- 
bles, étaient  ouvertes  à  l'artiste.  L'excellent 
Beaujon,  dont  elle  faisait  le  portrait  pour  l'hô- 
pital fondé  par  lui,  ne  donnait  point  de  fêtes; 
impotent  et  cloué  sur  son  fauteuil  à  roulettes, 
il  ne  pouvait  qu'engager  ses  amis  à  jouir  des 
trésors  d'art  entassés  par  ses  soins  à  lElyséc- 


88  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Bourbon.  M.  de  Sainte-James  offrait  de  somp- 
tueux dîners  dans  sa  belle  a  folie  »  de  Neuilly  ; 
Madame  Vigée-Le   Brun  s'y  montra   quelque- 
fois.  Elle  allait  surtout  chez  Boutin,  assez  lié 
avec  elle  pour  paraître  à  ses  concerts,  et  qui 
recevait  ses  nombreux  amis  avec  une  princière 
munificence.   Le  jeudi,  la  jeune  femme   sacri- 
fiait sa  sieste  journalière  pour  monter  à  Tivoli, 
dont  le  vaste  parc  et  les  ombrages  touffus  se 
développaient    sur    les    premières    pentes    de 
Montmartre.   C'était  un  peu  loin  de  ce  Paris, 
qui  finissait  aux  boulevards  ;  mais  elle  n'aurait 
pu  manquer  au  dîner  hebdomadaire  que  Bou- 
tin arrangeait  pour  elle;  elle  y  rencontrait  tous 
ses    intimes,    son    frère,    Delille,    Lebrun     le 
poète,  Robert  le  peintre  avec  sa  femme,  Bron- 
gniart   et,    aussi  souvent  que  le  permettaient 
ses  devoirs  de  courtisan,  M.  de  Vaudreuil  ;  au 
plus,   douze   personnes   à   table,   que  réjouis- 
saient  l'air  de    la    campagne    et   Tabandon   de 
l'amitié.   Plus  tard,  pendant  la  Révolution,  les 
dîners  du  jeudi  continuèrent  chez  Boutin  ;   on 
y    porta   régulièrement   la  santé    des   absents, 
Vaudreuil  et   Madame  Le   Brun,    juscpi'aii  jour 
où   Tivoli  fut  confisqué   j)ar  la   nation  et  l'ai- 
mable auiphilryun  envoyé  à  l'échafaud. 

La    même    société    se    retrouvait,    l'été,    à 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  89 

Mortefontaine,  qu'habitait  le  prévôt  des  mar- 
chands Le  Peletier,  le  plus  décousu  des 
hommes,  à  qui  le  cordon  bleu,  obtenu  par 
charge,  avait  quelque  peu  tourné  la  tête. 
Madame  Vigée-Le  Brun  riait  de  sa  figure 
comique,  de  son  teint  blême  qu'il  couvrait  de 
rouge  à  l'usage  des  dames,  de  sa  «  perruque 
fiscale  »,  au  toupet  en  pain  de  sucre,  accom- 
pagnée de  boucles  poudrées  tombant  sur  les 
épaules  ;  le  chevalier  de  Goigny  se  moquait  de 
ses  ridicules  et  narrait  ses  prétentions  aux 
bonnes  fortunes  de  la  Cour.  Cette  riche  maison 
était  fort  mal  tenue,  et  le  meilleur  plaisir  des 
invités  était  la  promenade  dans  les  parcs 
immenses  de  Mortefontaine  et  d'Ermenonville, 
et  les  parties  de  bateau  sur  le  lac. 

Les  rossignols  de  Mortefontaine  devinrent 
fameux  par  un  petit  poème  de  Lebrun,  qui 
nous  donne  le  ton   de  cette  aimable  société  : 

Sur  ces  bords  enchanteurs,  doux  asiles  du  sage, 
Le  Brun,  je  vous  cherchais,  je  volais  sur  vos  pas; 
J'interrogeais  l'écho  qui  ne   répondait  pas, 
Quand  mille  rossignols,  dans  leur  tendre  ramage, 
Dirent  :  «  Nous  l'avons  vue  errer  sur  ce  rivage 

Et  l'embellir  par  ses  appas. 
D'un  seul  de  ses  regards,  dans  ce  petit  bocage, 

Mille  Amours  sont  nés  à  la  fois  ; 

Et  nous,  sous  le  mémo  feuillage, 
Nous  étions  déjà  nés  des  accents  de  sa  voix.    » 


90  MADAME    VIGEE-LE   BRUN 

Au  Moulin-Joli,  le  site  était  encore  plus 
beau  et  les  hôtes  charmants.  La  grande  île, 
couverte  de  bosquets  et  de  vergers,  qu'un  bras 
de  la  Seine  séparait  en  deux  parties  jointes 
par  un  pont  pittoresque,  représentait  aux  ima- 
ginations du  temps  un  véritable  «  Elysée  ». 
c(  Qui  que  vous  soyez,  écrivait  le  prince  de 
Ligne,  si  vous  n'êtes  pas  des  cœurs  endurcis, 
asseyez -vous  entre  les  bras  d'un  saule  au 
Moulin-Joli,  sur  les  bords  de  la  rivière.  Lisez, 
voyez  et  pleurez;  ce  ne  sera  pas  de  tristesse, 
mais  d'une  sensibilité  délicieuse.  Le  tableau 
de  votre  âme  viendra  s'offrir  à  vous...  Méditez 
avec  le  sage,  soupirez  avec  l'amant  et  bénissez 
Watelet.  »  On  rêvait  avec  délice  sous  le  ber- 
ceau des  grands  saules  pleureurs  ;  on  goûtait 
la  richesse  de  ton  des  feuillages  et  le  jeu  des 
reflets  dans  les  eaux  ;  la  causerie  était  exquise 
avec  le  maître  du  lieu,  d'une  intelligence  si 
avertie,  si  bon  connaisseur  des  choses  d'art, 
dont  le  caractère  très  riant  ne  souffrait  cepen- 
dant autour  de  lui  qu'une  société  peu  nom- 
breuse et  choisie.  Le  Moulin -Joli  faisait  un 
cadre  parfait  aux  grâces  finissantes  de  cette 
amie  de  trente  ans,  Marguerite  Lccomlo,  (jue 
les  poètes  avaient  célébrée,  dont  les  artistes 
avaient    ro|)io(lnif    les  traits   s|iiiituels   et   ^pie 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  91 

plusieurs  académies  d'Italie  avaient  galam- 
ment reçue,  comme  graveur,  sur  la  demande 
de  Watelet,  au  cours  de  leurs  longs  voyages 
d'amateurs  et  d'amoureux.  La  conversation  de 
tels  amis  était  pour  Madame  Vigée-Le  Brun  infi- 
niment profitable,  enrichie  de  tant  d'expérience, 
ornée  de  tant  de  souvenirs,  auxquels  l'excel- 
lent Hubert  Robert  aimait  ajouter  les  siens. 

C'étaient  les  heureux  moments  de  la  vie 
de  l'artiste,  ceux  qui  la  reposaient  de  son 
labeur  et  la  récompensaient  de  ses  efforts. 
Mais  ses  succès  n'allaient  pas  sans  lutte  et, 
à  chaque  nouveau  Salon,  elle  devait  livrer, 
devant  l'opinion  toujours  changeante,  une  ba- 
taille nouvelle.  Celui  de  1785  ne  fut  pas  aussi 
triomphal  pour  elle  que  le  précédent  et  les  amis 
de  Madame  Labille-Guiard  eurent  leur  revanche. 
Les  rigoristes,  d'autre  part,  s'inquiétaient  de  ce 
que  l'exemple  de  ces  femmes  de  talent  fût 
trop  imité  par  «  beaucoup  de  demoiselles  dont 
on  prônait  dans  les  feuilles  |)ubliques  les  heu- 
reuses dispositions  »,  car,  disait-on,  a  un  tel 
art  était  pernicieux  j)(>iir  les  personnes  du 
sexe...  et  les  entraînait  presque  toujours  dans 
le  libertinage  ».  Pidansat  de  Mayrobert  deman- 
dait   grâce    pour    «    nos    Minerves    dames    »    : 


92  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

«  Il  est  des  parties,  écrivait-il,  auxquelles  les 
femmes  semblent  plus  appelées  que  les  hommes, 
et,  dans  les  arts  comme  dans  les  lettres,  tout 
ce  qui  tient  aux  grâces  et  à  l'enjouement  est, 
par  essence,  de  leur  domaine.  Depuis  plusieurs 
expositions,  leurs  ouvrages  brillent  au  Salon 
entre  ceux  du  second  ordre.  Elles  disputent  la 
palme  aux  hommes  ;  elles  l'emportent  et  s'en 
glorifient  tour  à  tour.  Je  vous  ai  parlé  dans 
le  temps  et  à  plusieurs  reprises  des  succès  de 
Mademoiselle  Vallayer,  devenue  Madame  Cos- 
ter  ;  je  me  suis  enthousiasmé  en  1783,  sur  les 
chefs-d'œuvre  brillants  et  vigoureux  de  Madame 
Le  Brun.  C'est  aujourd'hui  Madame  Guiard, 
dès  lors  la  serrant  de  près,  qui  triomphe  et 
fait  entourer  ses  productions  avec  ces  cris  de 
surprise  et  de  ravissement  involontaires  qui  ne 
s'arrachent  que  par  un  mérite  réel  et  éclatant.  » 
Le  parallèle  était  nettement  établi  dans  une 
page  fort  instructive  du  Journal  général  de 
France,  où  l'éloge  des  rivales  semble  réparti 
avec  équité  :  «  Peu  de  peintres  sont  faits  pour 
attirer  la  foule  des  admirateurs  comme  Madame 
Le  Brun.  Notre  admiration  pour  elle  n'est 
pourtant  ])as  exclusive  et  nous  ne  prenons  pas 
le  ton  de  ces  enthousiastes  qui  crient  dans  le 
Salon,  dans  les  jardins  ])ubli(s,  dans  les  cafés  : 


LA  BARONNE  DE  CRUSSOL 

1785 

(Musée  de  Toulouse) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  93 

«  Madame  Le  Brun  a  écrasé  Roslin  ;  elle  vaut 
«  mille  fois  mieux  que  Duplessis ,  Vestier 
«  n'en  approche  pas;  elle  triomphe  de  Madame 
«  Guiard!  »  Chaque  peintre  distingué  a  son  mé- 
rite qui  ne  détruit  pas  celui  de  l'autre.  Richesse 
et  brillant  dans  les  couleurs,  grâce  et  nou- 
veauté dans  les  attitudes,  goût  exquis  pour  les 
ajustements,  telles  sont  les  parties  qui  carac- 
térisent les  rares  talents  de  Madame  Le  Brun. 
Gela  n'empêche  pas  que  Madame  Guiard  ne 
mérite  de  grands  éloges  par  la  résolution  de 
ses  effets,  par  la  fermeté  et  la  facilité  de  son 
exécution.  Son  talent  répond  à  la  forme  d'une 
Diane,  celui  de  Madame  Le  Brun  tient  à  la 
forme  d'une  Vénus.  Madame  Guiard  s'est  peinte 
en  pied,  ayant  derrière  elle  deux  élèves;  cet 
ouvrage  a  le  plus  grand  succès  et  le  mieux 
mérité.  Le  portrait  de  M.  le  Contrôleur,  ceux 
de  Madame  de  Crussol  et  de  Madame  de 
Gramont-Caderousse,  par  Madame  Le  Brun,  ont 
reçu  les  plus  justes  applaudissements.  Ainsi 
ces  deux  dames  sont  deux  célèbres  rivales,  qui 
ont  des  droits  égaux  à  l'admiration  publique.  » 
Madame  Guiard  exposait,  outre  la  grande 
toile  qui  la  représente  avec  Mesdemoiselles 
Capet  et  Rosemond,  ses  élèves,  un  portrait 
aristocratique,  celui  de  la  comtesse  de  Flaliaut; 


94  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

la  belle-sœur  de  M.  d'Angiviller,  dont  le  nom 
manquait  modestement  au  livret,  était  auprès 
du  berceau  de  son  petit  enfant  ;  elle  paraissait 
«  chaste  comme  Pénélope,  et  toute  l'habitude 
du  corps  annonçait  la  vertu  conjugale  dans 
toute  sa  modestie  la  plus  parfaite  ».  Les 
modèles  de  Madame  Vigée-Le  Brun  n'annon- 
çaient rien  de  semblable;  ses  cinq  beautés  de 
cour  avaient  tenu  à  être  nommées,  et  leurs 
attitudes,  leurs  mines  ou  la  fantaisie  de  leur 
toilette  témoignaient  surtout  du  désir  qu'elles 
avaient  d'être  remarquées  comme  les  plus 
brillantes  et  les  plus  jolies. 

C'était  d'ailleurs,  pour  l'artiste,  une  expo- 
sition avantageuse,  et  dont  la  coquetterie  de 
ses  modèles  servait  le  succès.  Nous  avons 
encore  ce  groupe  charmant,  qui  résume  les 
élégances  du  moment  et  laisse  entrevoir  ces 
âmes  légères.  Gomme  elle  est  fière  dans  sa 
nonchalance ,  cette  comtesse  de  Clermont- 
Tonnerre,  plus  tard  marquise  de  Talaru,  qui 
a  voulu  être  peinte  en  sultane  !  Vêtue  d'une 
étoile  jaune,  coifTée  d'un  turban  retenu  par  des 
perles,  ses  doigts  jouent  avec  un  (il  de  |)crlcs 
et  clic  porte  au  cou  un  collier  d'or.  La  brune 
duchesse  de  Gaderousse-Gramont  est  la  plus 
jolie    des    vendangeuses    et    presse    dans    ses 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  95 

mains  les  lourds  raisins  de  sa  corbeille.  Le 
chapeau ,  sans  plume  ni  ruban ,  est  rejeté 
en  arrière  en  un  gracieux  mouvement  d'en- 
volée, et  auréole  la  tète  mutine  et  frisée. 
L'étroit  corsage  noir  descend  en  pointe  sur 
le  jupon  rouge  que  soutiennent  de  larges 
paniers  ;  des  nœuds  agrémentent  l'épaule,  et 
l'écharpe  enveloppante  se  noue  sur  la  poi- 
trine :  c'est  un  mélange  inattendu  d'élégance 
et  de  rusticité,  qui  n'a  pas  encore  été  vu.  La 
comtesse  de  Ségur  est  peinte  au  temps  où  le 
départ  de  son  jeune  époux  pour  l'ambassade 
de  Russie  la  rend  plus  intéressante  encore  ; 
elle  montre,  sous  le  grand  chapeau  à  plumes, 
un  franc  visage  encadré  de  boucles  légères, 
où  les  dents  éclatantes  paraissent  dans  un 
sourire  spirituel.  La  veste  de  velours  dessine 
la  taille,  qu'amincit  l'ampleur  du  jupon  aux 
plis  cassants;  les  longues  mains  pâles  se 
croisent  sur  la  table  où  des  fleurs  sont  jetées  ; 
le  fichu  de  linon,  négligemment  noué,  cache 
à  j)cine  l'opulente  poitrine  que  la  lumière  vient 
caresser. 

Coquette  et  ingénue  à  la  fois,  la  comtesse 
de  Chatcnay  fait  penser  aux  femmes  de  Greuze; 
vue  de  dos,  elle  tourne  vers  le  spectateur  la 
plus  jolie  tète  blonde;  uu  ruban  retient  sur  le 


96  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

haut  du  front  les  longs  cheveux  qui  retombent, 
soyeux  comme  ceux  d'une  enfant,  sur  le  fichu 
blanc  des  épaules.  Toute  une  âme  puérile  et 
câline  est  dans  ces  grands  yeux  et  dans  cette 
ligne  des  lèvres  où  se  joue  quelque  mystère. 
Voici  enfin  la  baronne  de  Crussol,  moins  jeune, 
semble-t-il,  mais  avec  le  même  regard  enjô- 
leur, la  même  bouche  dédaigneuse  et  mièvre. 
Elle  est  en  chapeau  garni  de  rubans  et  laisse, 
suivant  la  mode  du  jour,  ses  cheveux  se 
dérouler  librement  sur  le  corsage  de  soie;  elle 
chante  assise,  un  cahier  de  musique  dans  les 
mains;  sûre  de  son  charme  et  de  sa  beauté, 
elle  ne  paraît  point  davantage  ignorer  ce  que 
sa  voix  ajoute   à  tant  de  grâces. 

Le  plus  remarqué  de  ces  portraits  était 
celui  de  la  piquante  vendangeuse,  qui  inaugu- 
rait une  mode  nouvelle  :  «  Je  ne  pouvais  souf- 
frir la  poudre,  écrit  Madame  Vigée-Le  Brun  ; 
j'obtins  de  la  belle  duchesse  de  Gramont- 
Caderousse  qu'elle  n'en  mettrait  pas  pour 
se  faire  peindre  ;  ses  cheveux  étaient  d  un  noir 
d'ébène  ;  je  les  séparai  sur  le  front,  arrangés 
en  boucles  irrégulières.  Après  ma  séance,  qui 
finissait  à  l'heure  du  dîner,  la  duchesse  ne 
dérangeait  rien  à  sa  coifiurc  et  allait  ainsi  au 
spectacle.  Une  aussi  jolie  femme  devait  donner 


MARIE-GABRIELLE    DE    SINETY 
DUCHESSE    DE    C ADEROUSSE-GRAMONT 

1785 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  Sinéty) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  97 

le  ton  ;  cette  mode  prit  doucement,  puis  devint 
enfin  générale.  »  Une  tradition  de  famille  veut 
que  la  duchesse  de  Gaderousse  ait  été  appelée 
à  Trianon  par  la  Reine,  qui  souhaitait  lui  voir 
porter,  dans  le  cadre  champêtre  de  ses  jardins, 
le  costume  dont  Madame  Le  Brun  l'avait 
habillée.  La  petite  littérature  du  temps  s'em- 
parait de  cette  fantaisie  et  l'on  trouve ,  dans 
les  recueils  manuscrits ,  des  vers  qu'on  peut 
recueillir  comme  un  document  sur  l'histoire 
des  modes  féminines  : 

SUR  LE  PORTRAIT 
DE  MADAME  DE  GADEROUSSE 

PEINTE    EN     VENDANGEUSE 
PAU      MADAME     VIGÉE-LE      BRUN 

Quelle  est  cette  bergère  au  teint  si  délicat, 

A  l'œil  fripon,  à  la  bouche  mutine  ? 
Un  corset  noir  peint  sa  taille  enfantine 
Et  son  jupon  de  pourpre  en  relève  l'éclat. 

Elle  sourit  et  craint  qu'on  la  devine  ; 
Des  champs  elle  revient,  mais  tout  innocemment 
Porte  un  panier  chargé  des  fruits  de  la  vendange. 
C'est  vous,  jeune  Gramont;  sous  ce  déguisement 

Vous  n'avez  pas  perdu  les  traits  d'un  ange. 
Paraissez  à  la  Cour,  souveraine  des  cœurs, 
Et  nos  beaux  dieux  soudain,  par  un  prodige  étrange, 
Vont  prendre  la  houlette  et  le  chapeau  de  (leurs, 

Et  croiront  ne  pas  perdre  au  change. 

Parmi  tant  de  critiques,  celle  de  Figaro  au 
Salon   de  peinture  indique  hieu  l'engouement 


98  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

mondain  dont  bénéficiait  l'artiste.  Ecoutons 
Chérubin  parler  :  «  Figaro  !  regarde  ce  por- 
trait :  quelle  fraîcheur  dans  les  chairs  !  quel 
goût  dans  l'ajustement  !  quel  moelleux  dans 
l'attitude  !  que  de  vérité  dans  ce  satin  !  cri- 
tique, si  tu  l'oses...  Il  ne  faut  que  des  yeux 
pour  voir  que  ce  tableau  est  charmant  ;  et  ce 
portrait  en  bergère,   comme  le   mouchoir  est 

chiffonné  avec  grâce!   regarde  ces  formes 

—  Figaro,  à  la  comtesse  :  Madame,  voilà  un 
éloge  bien  fort  ;  remarquez  qu'il  n'est  point 
exagéré,  quoique  fait  sans  réflexion.  —  L\ 
Comtesse  :  Le  sentiment  ne  trompe  jamais  ;  il 
en  dirait  bien  davantage,  s'il  savait  que  ces 
tableaux  viennent  d'une  femme.  —  Chérubin, 
avec  chaleur  :  D'une  femme  !  d'une  femme  !  Je 
juge  qu'elle  est  jolie,  qu'elle  est  aimable, 
qu'elle  se  peint  dans  tous  ses  ouvrages.  — 
Figaro  (à  part)  :  Le  j)otit  sorcier!  il  ne  se 
trompe  pas  d'un  mot.  »  Et  voilà  de  la  critique 
d'art  au  ton  du  xviii"  siècle. 

A  ces  excellents  morceaux  de  peinture,  à  la 
véridi(jue  et  fine  image  de  Grétry ,  qui  les 
accompagnait,  la  censure  ne  pouvait  mordre. 
Elle  se  rattrapait  sur  une  Bacchante  et  lui 
reprochail  d'être  exécutée  avec  mollesse,  de 
montrer  des  chairs    exsangues  et  des   genoux 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  99 

mal  dessinés  :  «  Dès  qu'une  femme  de  goût 
s'échappe  dans  le  pays  de  l'histoire,  écrivait 
Le  Frondeur  au  Salon,  on  s'aperçoit  que  la 
carte  lui  manque.  »  Pour  les  portraits,  la  ma- 
lignité des  critiques  ne  s'en  prenait  qu'aux 
brillants  modèles  et  profitait  de  la  présence 
d'une  autre  toile,  représentant  M.  de  Galonné, 
pour  faire  expier  par  de  piquantes  épigrammes 
le  plaisir  qu'avaient  ces  dames  à  montrer  leur 
image  par  le  peintre  à  la  mode  :  «  L'une  est 
en  sultane,  boudant  de  n'avoir  pas  été  choisie 
par  son  maître  pour  cette  nuit-là  ;  l'autre  en 
jardinière  qui,  sous  ce  déguisement  simple  et 
attrayant,  cherche  les  aventures  ;  celle-là  mi- 
naude, celle-ci  agace  ;  la  dernière  séduit  par 
les  charmes  de  sa  voix.  Du  sein  de  toutes  ces 
beautés  s'élève  M.  le  Contrôleur  général  et, 
comme  il  n'est  point  ennemi  du  sexe,  les 
bonnes  gens  croient  le  voir  au  milieu  de  son 
sérail.  Ce  portrait  historié  est  bien  plus  sa- 
vant... Il  est  riche  de  composition,  vrai  dans 
ses  détails  ;  les  étoffes  en  sont  précieuses  ;  les 
ombres,  les  reflets  ménagés  avec  soin  ;  il  est 
monté  sur  le  haut  ton  de  couleur  qui  lui  con- 
vient. La  ressemblance  du  personnage  est  telle 
que  chacun  le  nomme  au  premier  coup  d'œil  ; 
c'est  son  air  ouvert,  son   œil  plein  de  feu,   sa 


100  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

figure  spirituelle,  riante  et  affable  ;  c'est 
l'homme  en  un  mot,  c'est  M.  de  Galonné  exac- 
tement :  mais  ce  n'est  pas  le  Contrôleur  géné- 
ral, il  a  l'air  plus  distrait  qu'occupé  ;  une  lettre 
du  Roi,  un  mémoire  déployé  à  côté  de  lui,  sont 
excellents  pour  faire  briller  le  talent  de  l'ar- 
tiste, mais  ne  sont  que  des  enseignes  et  ne 
désignent  nullement  ce  ministre  enchanteur 
qui  sait  avec  tant  d'art  attirer  au  fisc  public, 
non  seulement  l'argent  de  la  nation,  mais  celui 
des  étrangers,  pour  le  reverser  ensuite  avec 
tant  de  profusion  et  de  munificence.  »  Ainsi  les 
pinceaux  de  Madame  Vigée-Le  Brun  servaient- 
ils  à  la  popularité  du  spirituel  ministre,  qui 
si  allègrement  conduisait  le  Trésor  à  la  ban- 
queroute. La  plume  du  frère  le  célébrait  à  son 
tour  dans  VAlmanach  des  Muses,  où  il  sut  tou- 
jours flagorner  les  gens  en  place  : 

POUR  LE  PORTRAIT  DE  M.  DE  CALONiNE 

...Galonné,  de  nos  Arts  sois  donc  aussi  le  père  ! 
Les  bras  tendus  vers  toi,  vois-les  se  rassembler; 
Vois  k  leur  groupe  heureux  les  Muses  se  mêler  ; 
Ils  l'offrent  leurs  clforts,  seconde  leur  envie, 
De  l'émulation  naît  souvent  le  génie  ; 
S'ils  revivent  en  toi,  par  eux  tu  revivras. 
Colbert,  enseveli  dans  la  nuit  du  trépas, 
Sans  eux  n'eût  point  reçu  le  légitime  hommage 
Que  chaque  jour  encor  on  rend  à  son  image. 

Ce  portrait  d'apparat,  où  Madame  Le  Brun 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  101 

avait  esssayé  de  se  mesurer  avec  Roslin  et  les 
Vanloo,  et  n'apparaissait  pas  inférieure  à  ces 
maîtres,  allait  lui  causer  bien  vite  les  chagrins 
les  plus  cuisants.  L'envie,  cette  fois,  l'attaquait 
sur  le  point  sensible  de  Thonneur  féminin,  car 
on  répandait  le  bruit  qu'elle  était  la  maîtresse 
du  «  ministre  enchanteur  »,  si  généreux  des 
deniers  de  l'Etat  au  bénéfice  de  ses  amis.  Dès 
l'ouverture  du  Salon,  les  Promenades  de  Cri f es 
l'imprimaient  assez  grossièrement  à  propos 
du  tableau  :  «  C'est  ici  que  Madame  Le  Brun 
a  touché  le  plus  en  maître  ;  c'est  ici  où  il  y 
a  le  plus  de  difficultés  vaincues  et  il  le  faut 
avouer,  c'est  dans  cette  occasion  qu'elle 
s'est  rendue  le  plus  entièrement  maîtresse  de 
son  sujet.  »  On  comprend  l'irritation  de  l'ar- 
tiste devant  l'insinuation  :  «  Un  nommé  Gor- 
sas,  dira-t-elle,  que  je  n'ai  jamais  vu  ni  connu, 
vomissait  des  horreurs  contre  moi.  »  Ces 
«  horreurs  »  devaient  tenir  une  place  cruelle 
dans  sa  vie  ;  bien  des  heures  furent  pour  elle 
empoisonnées  par  cette  histoire,  qui  l'a  pour- 
suivie partout,  l'a  signalée  à  la  haine  révolu- 
tionnaire ,  a  refroidi  à  son  égard  certaines 
bienveillances  et  parait  avoir  été  révélée  plus 
tard  à  sa  fille  pour  la  détacher  d'elle.  Les  allu- 
sions   nombreuses    et   vagues  à    la    calomnie, 


102  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

qui  émaillent  ses  souvenirs,  se  rapportent  aux 
racontars  sur  M.  de  Galonné  bien  plus  qu'aux 
premières  attaques  contre  son  talent,  dont  ses 
triomphes  d'artiste  l'avaient  largement  vengée. 
Il  serait  indiscret  de  mettre  en  doute  sa  défense 
sur  cet  épisode  capital  de  sa  vie  ;  il  vaut  mieux 
la  présenter  telle  qu'elle  la  donne  elle-même, 
en  précisant  des  détails  que  son  plaidoyer 
laisse  dans  l'ombre. 

Le  grand  portrait  du  Contrôleur  général 
assis  en  habit  de  satin  noir  à  sa  table  de  tra- 
vail, et  dont  la  tête  a  été  répétée  par  l'ar- 
tiste, fut  gravé  en  1787  par  De  Bréa,qui  ajouta 
aux  papiers  le  titre  du  rapport  au  Roi  sur  l'As- 
semblée des  Notables.  Madame  Vigée-Le  Brun 
l'avait  exécuté  en  1785  dans  son  atelier  et  non, 
comme  il  semblerait,  à  l'hôtel  des  Finances; 
si  le  ministre,  en  effet,  est  allé  assez  longtemps 
rue  de  Cléry,  c'est  que  le  nombre  de  ses 
occupations  ne  lui  a  pas  permis  de  donner  des 
séances  régulièrement  suivies  ;  la  tête  ache- 
vée, l'artiste  a  terminé  son  travail  de  mémoire 
a  au  point,  dit -elle,  de  ne  pas  faire  les 
mains  d'après  lui,  quoi(jue  j'eusse  l'habitude 
de  les  faire  toujours  d'après  mes  modèles  ». 
Elle  n'aurait  pu  peindre  le  cabinet  ihi  mi- 
nistre, ni  son  bureau  familier,  puisqu'elle  n'alla 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  103 

qu'une  fois  chez  lui  et  sans  ses  pinceaux  :  «  Il 
donnait  une  grande  soirée  au  prince  de  Prusse 
et,  ce  prince  venant  habituellement  chez  moi, 
il  avait  jugé  convenable  de  m'inviter.  »  Au 
reste,  comment  avoir  le  moindre  goût  pour 
M.  de  Galonné?  Il  était  peu  séduisant  et  por- 
tait perruque  :  «  Une  perruque  !  Jugez  comme, 
avec  mon  amour  du  pittoresque  ,  j'aurais  pu 
m'accoutumer  à  une  perruque  !  Je  les  ai  tou- 
jours eues  en  horreur,  au  point  de  refuser  un 
riche  mariage  parce  que  le  prétendant  por- 
tait perruque,  et  je  ne  peignais  qu'à  regret  les 
hommes  coiffés  ainsi.»  Tels  sont  les  arguments 
un  peu  singuliers  que  trouvait  une  femme  de  ce 
siècle  pour  défendre  sa  vertu  suspectée. 

Une  aventure,  qui  lui  fut  attribuée  à  tort,  a 
été,  d'après  Madame  Vigée-Le  Brun,  l'origine 
de  la  venimeuse  légende.  On  peut  la  raconter 
sous  les  noms  véritables,  qu'elle  dévoilait  à  ses 
familiers  à  l'époque  où  l'héroïne  vivait  encore 
dans  une  vieillesse  respectée.  En  1784,  le  fameux 
«  Roué  »,  Jean  du  Barry,  avait  amené  à  Paris 
sa  seconde  femme,  épousée  à  Toulouse  et  (|ui 
était  née  Rabaudy  de  Montoussin  ;  il  avait  pris 
une  maison  dans  la  capitale,  menait  assez  grand 
train,  sous  le  nom  de  comte  de  Serre,  et  les 
chroniques  du  temps  disent  que  M.  de  Galonné 


104  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

était  fort  épris  de  la  jolie  comtesse.  Madame 
Vigée-Le  Brun  faisait  le  portrait  de  Madame 
de  Serre.  Un  jour,  en  prenant  séance,  celle-ci 
la  pria  de  lui  prêter  pour  le  soir  sa  voiture  et 
son  cocher,  afin  d'aller  au  spectacle.  Ce  ser- 
vice ne  pouvait  se  refuser  ;  mais  le  lendemain 
matin,  quand  Madame  Vigée-Le  Brun  demanda 
ses  chevaux,  ni  cocher,  ni  voiture  n'avaient 
encore  reparu.  On  envoya  chez  Madame  de 
Serre,  qui  n'était  point  rentrée,  et  l'on  apprit 
qu'elle  avait  passé  la  nuit  à  l'hôtel  des  Finances. 
Le  cocher,  interrogé  par  les  gens  de  l'hôtel, 
par  d'autres  peut-être,  avait  dit  avec  simpli- 
cité qu'il  appartenait  à  Madame  Le  Brun  ,  et 
tout  le  monde  avait  pu  croire  que  c'était  elle 
que  la  voiture  avait  amenée.  La  coupable  ne 
reparut  pas  chez  son  peintre  ,  qui  l'accusa 
toujours  d'avoir  voulu  sauver  sa  réputation 
aux  dépens  de  celle  d'autrui.  «  Elle  m'a  fait 
bien  du  mal  »,  s'écriait  l'artiste,  ne  doutant 
pas  que  toutes  les  calomnies  ne  fussent  nées 
de  cette  perfidie   a  digne  de  l'Enfer   ». 

Pierre  Le  Brun  rebâtissait  à  neuf ,  en  ce 
moment  même,  la  maison  (j[u'il  possédait  rue 
du  Gros-Chenet,  et  l'on  raconta  que  Calonne 
en  sijpj)orlait  tous  les  frais.  N'avait-il  pas  payé 
son    portrait,   comme   l'imprimait    Gorsas,    en 


CHARLES-ALEXANDRE  DE  GALONNE 

CONTROLEUR    GÉNÉRAL    DES    FINANCES 

1785 

(Collection  de  M.  Jacques  Doucet) 


MADAMK    VIGKE-LE    BRUN  105 

pastilles  enveloppées  de  billets  de  la  Caisse 
d'Escompte  ou,  selon  d'autres,  en  or  empilé 
dans  un  pâté  ?  Le  Brun  oppose  des  faits  précis 
en  faveur  de  sa  femme  :  «  Galonné  lui  envoya 
3,600  livres  en  billets  de  la  Caisse  d'Escompte, 
dans  une  tabatière  qui  pouvait  valoir  1,200  li- 
vres ;  plusieurs  personnes  présentes  à  l'ouver- 
ture du  paquet  peuvent  l'attester.  »  Atteinte 
par  une  de  ces  accusations  vagues  et  terribles 
qui,  non  plus  qu'établies,  ne  peuvent  être 
réfutées.  Madame  Vigée-Le  Brun  se  défendait 
encore,  à  ce  sujet,  sur  ses  vieux  jours,  et  par- 
lait de  quatre  mille  francs  dans  une  boîte  esti- 
mée vingt  louis;  elle  ajoutait  :  «  On  fut  même 
étonné  de  la  modicité  de  cette  somme;  car... 
M.  de  Beaujon,  que  je  venais  de  peindre  de 
même  grandeur,  m'avait  envoyé  buit  mille 
francs,  sans  qu'on  s'avisât  de  trouver  le  prix 
trop  énorme.  »  Pendant  la  Révolution,  alors 
qu'elle  fut  considérée  comme  émigrée,  les 
pampblétaires  exploitèrent  contre  le  mari  la 
légende  de  la  «  maîtresse  de  Calonne  »,  deve- 
nue conspiratrice  à  l'étranger.  Le  Brun  ne  se 
vantait  plus  alors  d'avoir  formé  à  lui  seul 
toute  la  galerie  de  tableaux  de  M.  de  Calonne; 
il  était  obligé  de  publier,  en  l'an  11,  un  a  pré- 
cis historique  »  sur  la  vie  do  sa  femme,  afin  de 


106  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

réfuter  point  par  point  leurs  calomniateurs  et 
établir  les  sources  de  leur  fortune.  Nous  y 
trouvons  d'autres  détails  sur  les  gains  de  l'ar- 
tiste :  «  Avec  un  talent  comme  le  sien,  avec 
un  revenu  aussi  considérable  que  celui  qu'il 
lui  procurait ,  puisqu'un  buste  seul  lui  était 
payé  600  livres,  qu'elle  peignait  avec  une  faci- 
lité étonnante,  et  qu'elle  gagnait,  année  com- 
mune, 24  ou  30,000  livres  ;  avec  les  bénéfices 
que  je  faisais  moi-même  dans  un  commerce 
très  actif  et  très  étendu  ;  avec  un  état  de  mai- 
son tel  que  nous  n'avons  jamais  eu  plus  de 
quatre  personnes  à  notre  service,  dont  un  seul 
domestique  pour  nous  deux  ;  après  vingt  an- 
nées de  travail  enfin,  est-il  si  difficile  de  croire 
que  nous  ayons  pu  trouver  dans  nos  écono- 
mies une  somme  suffisante  pour  payer  le  prix 
de  nos  maisons,  et  en  faire  bâtir  une,  dont 
les  constructions  ne  sont  point  totalement 
acquittées?...  Qu'on  ne  parle  donc  plus  des 
richesses  de  la  citoyenne  Le  Brun  !  qu'ils 
cessent  donc  ces  bruits  infâmes  semés  contre 
elle,  sur  sa  prétendue  liaison  avec  un  mi- 
nistre, qu'elle  avait  vu  quelquefois  avant  qu'il 
entrât  en  place  et  qu'elle  n'a  plus  revu,  du 
moment  où  son  portrait  a  été  fini  !  que  l'envieux 
rougisse   et  que    le  calomniateur  se  taise  !   » 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  107 

Bien  avant  cette  prose  conjugale,  et  dès  le 
temps  de  ce  fameux  Salon  de  1785,  les  muses 
de  l'amitié  avaient  offert  à  la  victime  du 
a  souffle  empoisonné  de  l'envie  »  leurs  témoi- 
gnages consolateurs.  Les  manuscrits  reportent 
à  cette  époque  une  page  émue  de  Vigée  remer- 
ciant un  ce  généreux  chevalier  »  d'avoir  «  raf- 
fermi le  laurier  de  «  la  Rosalba  de  notre  âge  ». 
Il  répondait  à  cette  petite  pièce  de  «  M.  Le- 
brun, secrétaire  des  commandements  de  Mon- 
seigneur le  prince  de  Conti  »  : 

VERS  A  MADAME   LE   BRUN 

SUR    LES     CRITIQUES    PARUES    A    l'oCCASION    DU    SALON 

DE    1785 

Chère  Le  Brun,  la  gloire  a  ses  orages; 

L'Envie  est  là  qui  guette  le  talent; 

Tout  ce  qui  plaît,  tout  mérite  excellent 

Doit  de  ce  monstre  essuyer  les  outrages. 

Qui  mieux  que  toi  les  mérita  jamais  ? 

Un  pinceau  mâle  anime  tes  portraits; 

Non,  tu  n'es  plus  femme  que  l'on  renomme; 

L'Envie  est  juste,  et  ses  cris  obstinés, 

Et  ses  serpents  contre  toi  déchaînés, 

Mieux  que  nos  voix  te  déclarent  grand  homme  ! 

Malgré  les  délicates  attentions  des  amis  de 
l'artiste,  en  dépit  des  soins  multipliés  que  pre- 
nait son  entourage  pour  lui  éviter  de  trop 
nombreuses  blessures,  la  calomnie  continuait 


108  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

son  œuvre.  Elle  se  produisait  sous  bien  des 
formes  et  finissait  par  associer  dans  tous  les 
esprits  le  nom  de  Madame  Le  Brun  à  celui  de 
Galonné.  Cette  peste  de  Champcenetz,  dans  ses 
couplets  de  V Assemblrc  des  notables,  faisait 
chanter   au    Contrôleur    général  : 

J'ai  dissipé  les  trésors  de  la  France  ! 
D'Artois,  Le  Brun  et  d'autres  sont  contents... 

On  va  jusqu'à  faire  figurer,  parmi  les  libé- 
ralités du  ministre,  le  don  du  Moulin-Joli,  le 
délicieux  domaine  qui  vient  d'être  vendu  après 
la  mort  de  Watelet.  Cette  invention  trouve 
créance,  désespère  la  pauvre  Le  Brun  et  néces- 
site un  démenti  public,  qu'insèrent  les  auteurs 
du  Journal  de  Paris ^  le  20  août  1786  : 

«  Permettez-moi,  Messieurs,  de  me  servir  de  la  voix 
de  votre  journal  pour  détromper  les  personnes  qui  veulent 
absolument  que  ce  soit  moi  qui  ai  acheté  le  Mouliii-Joli. 
Plusieurs  gazettes  étrangères  l'ont  imprimé  ot,  d'après 
leur  assertion,  tout  le  monde  me  fait  compliment  sur 
cette  acquisition.  Veuillez  donc  bien,  Messieurs,  publier 
que  je  ne  suis  point  propriétaire  du  Moulin-Joli  et  que 
c'est  à  un  négociant  connu  qu'il  appartient  depuis  près 
d'un  mois. 

«  J  ai  l'honneur  d'être,  etc.   » 

L'acquéreur  du  Moulin-Joli  est  un  M.  Gau- 
dran,  qui  n'entend  rien  au  pittoresque  et  gâte 
en  remaniements  «  l'Elysée  «  des  artistes.  Il  y 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  109 

convie  du  moins,  avec  bonne  grâce,  les  anciens 
familiers  du  lieu;  Lebrun-Pindare trouve  encore, 
en  s'y  promenant,  les  rimes  de  ses  odes  orgueil- 
leuses; Madame  Vigée-Le  Brun  y  revient,  en 
1788,  pour  passer  tout  un  mois  avec  sa  fille; 
elle  y  fait  alors  un  de  ses  meilleurs  portraits, 
celui  de  son  grand  ami  Hubert  Robert  dans 
le  négligé  du  travail,  tenant  à  la  main  sa 
palette  et  peignant  sans  doute  une  fois  de  plus 
le  pont  de  bateaux,  d'un  si  joli  reflet,  et  les 
peupliers  des  bords   de  la  Seine. 


III 

(1787-1789) 

LES  peintures  de  Madame  Vigée-Le  Brun 
nous  permettent  de  suivre,  avec  les 
variations  de  la  mode,  les  progrès  de 
certains  sentiments  et  de  certaines  attitudes 
morales  chez  les  femmes  de  son  temps.  Le 
retour  à  la  nature,  que  Jean-Jacques  Rousseau 
et  ses  lectrices  ont  tant  prôné,  s'est  attesté 
dans  le  portrait  dès  l'époque  où  débutait  l'ar- 
tiste. On  rechercha  alors  les  arrangements  les 
plus  simples,  en  abandonnant  le  grand  habit, 
le  costume  de  cour  ou  d'apparat,  qu'il  était  ordi- 
naire de  peindre  sous  le  règne  de  Louis  XV. 
Au  temps  de  Louis  XVI,  le  goût  de  la  simi)li- 
cité  s'exagère  au  point  de  donner  naissance  à 
une  complication  nouvelle;  et  la  convention 
qui  s'impose  est  à  peine  moins  artificielle  que 


112  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

celle  de  Nattier,  jugé  pourtant  si  suranné. 
Comme  aux  jours  des  llébés  et  des  Dianes 
chasseresses,  les  femmes  tiennent  à  être  repré- 
sentées sous  l'imprévu  du  travesti  ;  il  leur  faut 
toujours  le  piquant  de  la  fiction,  et  ce  n'est 
plus  à  la  mythologie,  mais  à  la  vie  rustique, 
qu'elles  le  demandent. 

Toutes  les  idées  du  moment  se  dirigent 
dans  le  même  sens.  Il  ne  suffit  plus  aux  nobles 
demeures  de  s'entourer  du  jardin  à  l'anglaise, 
tracé  en  méandres  savants  et  que  l'on  croit 
plus  rapproché  de  la  nature  que  le  jardin 
rectiligne  de  nos  pères.  En  ces  parcs  déjà 
transformés,  on  doit  mettre  maintenant  des 
fabriques  tout  à  fait  champêtres  et,  s'il  se 
peut,  un  décor  de  village  au  crépi  à  demi 
ruiné;  on  y  introduit  la  maison  de  chaume  et 
le  moulin,  qui  mire  dans  l'étang  son  mur 
couvert  de  mousse.  De  même,  pour  l'image 
féminine,  le  chapeau  de  paille  ou  le  mouchoir 
noué  sur  les  cheveux,  la  grande  écharpe  de 
linon  uni,  no  marquent  pas  suffisamment  que 
l'idéal  de  la  vie  des  champs  s'est  entièrement 
emparé  des  âmes;  il  devient  indispensable 
d'adopter  de  véritables  déguisements,  qui  mé- 
tamorphosent sur  la  toile  la  grande  dame  en 
villageoise. 


MADAME    VIGÉE-LE    BRUN  113 

Telle  est  la  révélation  que  nous  fait,  par  le 
seul  classement  de  ses  œuvres,  le  peintre  des 
femmes.  Des  portraits  comme  ceux  de  la 
duchesse  de  Polignac,  puis  de  la  duchesse  de 
Caderousse,  ont  indiqué  l'évolution  qui  s'ac- 
complit; les  suivants  montrent  où  elle  vient 
aboutir.  Voici  ce  qu'a  demandé  la  comtesse  de 
Puységur  pour  apparaître  à  jamais  en  laitière. 
Elle  a  voulu  les  bras  nus,  la  poitrine  largement 
découverte  sous  un  corsage  de  laine  rouge 
sans  nul  ornement;  la  jupe  de  laine  brune  la 
plus  rude;  les  deux  mains,  fort  belles  au  reste, 
croisées  sur  la  cruche  de  grès  posée  au  bord 
de  la  margelle  d'un  puits.  Point  de  rouge  assu- 
rément, et  le  teint  frais  de  la  femme  des 
champs;  rien  ne  révélerait  donc,  sous  le  cha- 
peau de  paille  dénué  de  ruban  et  de  fleurs, 
que  cette  belle  paysanne  a  sa  place  à  la  Cour, 
sans  le  doigt  de  poudre  qui  reste  sur  les 
cheveux  et  qu'on  n'a  pas  voulu  sacrifier.  Cette 
laitière  a  été  peinte  en  1786;  une  autre  le 
fut  deux  ans  plus  tard  ;  c'est  la  jeune  mar- 
quise de  La  Guiche,  qui  tient  des  bleuets  d'une 
main,  de  l'autre  sa  cruche,  et  dont  la  seule 
élégance  est  une  écharpe  de  soie  jetée  sur  le 
rustique  corsage.  Entre  les  deux  dates,  le 
Hameau    de    la    Reine   s'est  achevé,    embelli. 


114  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

prêté  aux  plus  inattendues  fantaisies;  il  est 
devenu  l'amusement  de  la  femme  de  France 
qui  suit  le  plus  ardemment,  le  plus  aveuglé- 
ment, les  indications  de  la  mode;  et  pour  se 
promener  parmi  les  vaches  de  sa  prairie,  pour 
les  traire  elle-même  avec  l'aide  de  sa  fer- 
mière, pour  battre  son  beurre  et  le  découper 
sur  les  tablettes  de  marbre,  Marie-Antoinette 
a  porté  plus  d'une  fois  ces  vêtements,  qui  évo- 
quent le  joli  rêve  des  laiteries  de  Rambouillet 
et  de  Trianon. 

Il  n'y  a  pas  de  portrait  peint  représentant 
Marie-Antoinette  en  travesti  de  laitière,  ana- 
logue au  profil  dessiné,  gravé  par  Ruotte,  qui 
se  rapporte  à  ce  moment  de  sa  vie.  Mais  qu'elle 
ait  souhaité  une  telle  image,  on  n'en  peut  dou- 
ter; un  jour  qu'elle  était  à  Trianon,  coiffée  en 
cornette  de  paysanne,  pour  une  répétition  de 
Rose  et  Colas  à  laquelle  assistait  Madame  Le 
Brun ,  elle  lui  demanda  de  la  peindre  en  ce 
costume.  Il  est  dommage  que  l'artiste  n'ait 
pas  parlé  de  cet  épisode  et  qu'on  ait  égaré  le 
croquis  fait  ce  jour-là,  selon  l'ami  qui  nous  le 
raconte.  Au  reste,  la  Reine  n'a  pas  eu  le  temps 
de  satisfaire  son  caprice,  car  cette  mode 
extrême  a  été  fort  courte.  On  aimerait  à  croire 
que,   devenue  plus  sage  et  comprenant  mieux 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  115 

les  exigences  de  son  rang,  elle  se  soit  privée 
de  l'amusante  satisfaction  que  d'autres  s'accor- 
daient autour  d'elle.  Le  portrait  «  en  gaulle  », 
dont  la  simplicité  affectée  avait  fait  murmurer 
le  public  du  Salon,  pouvait  la  mettre  en  garde 
contre  une  fantaisie  piquante  chez  une  beauté 
de  cour,  puérile  et  déplacée  chez  la  Reine. 
En  tout  cas,  les  derniers  portraits  qu'elle 
demande  à  Madame  Vigée-Le  Brun  sont  ceux 
où  le  caractère  royal  est  le  mieux  marqué,  où 
l'on  trouve,  à  défaut  d'une  ressemblance  que 
le  modèle  n'exige  point,  la  majesté  de  la  sou- 
veraine unie  aux  grâces  de  la  femme. 

Le  plus  célèbre  de  tous,  celui  qui  parut 
au  Salon  de  1787,  y  ajoutait  la  glorification 
d'une  maternité,  de  laquelle  Marie-Antoinette 
était  fière  et  dont  elle  commençait  à  com- 
prendre tous  les  devoirs.  On  peut  remarquer 
qu'elle  décida  cette  commande  dès  l'époque 
du  Salon  de  1785;  le  comte  d'Angiviller,  qui 
reçut  l'ordre  de  s'en  occuper,  écrivait  à  l'ar- 
tiste, le  12  septembre  :  «  La  Reine  m'ayant, 
Madame,  fait  part  de  l'intention  où  elle  était 
de  se  faire  peindre  en  grand,  avec  ses  trois 
enfants,  je  lui  ai  proposé  de  vous  charger  de 
cet  ouvrage,  ce  qu'elle  a   agréé...    C'est  avec 


116  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

un  vrai  plaisir  que  je  vous  fais  part  des  inten- 
tions de  Sa  Majesté  à  cet  égard...  Je  suis  bien 
flatté  d'avoir  à  vous  annoncer  cette  marque 
de  distinction  particulière  que  la  Reine  fait 
de  vos  talents.  »  Jusqu'alors,  tous  les  portraits 
de  la  Reine  avaient  été  ordonnés  directement 
par  elle  à  Madame  Vigée-Le  Brun;  celui- 
ci  fut  commandé,  suivant  les  formes  ordi- 
naires, par  les  Bâtiments  du  Roi.  Le  premier 
peintre  Pierre  fut  chargé  de  demander  une 
esquisse  très  poussée,  que  la  Reine  voulait 
avoir:  puis  l'artiste  se  mit  au  travail,  «  de 
manière  à  n'avoir  plus  besoin,  pour  le  termi- 
ner, que  des  études  des  têtes  ».  Les  arrange- 
ments et  la  date  de  la  commande  expliquent 
une  particularité  de  ce  tableau  sur  laquelle 
on  a  souvent  discuté,  la  présence  d'un  berceau 
vide,  assez  maladroitement  placé  dans  une 
composition  où  tous  les  autres  morceaux  sont 
harmonieux  et  nécessaires.  L'esquisse  fut  faite 
pendant  la  dernière  grossesse  de  la  Reine,  et 
le  tableau  commencé  devait  montrer  dans  ses 
langes  la  princesse  Sophie- Hélène-Béatrice, 
née  à  Versailles  le  9  juillet  1786.  Cette  petite 
«  Madame  Sophie  »,  do  qui  l'histoire  n'a  guère 
parlé,  mourut  le  49  juin  de  l'année  suivante, 
et  la  place  resta  vide  dans  le  berceau  qu'on  ne 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  117 

pouvait  plus  supprimer  et  dont  le  Dauphin 
soulève  d'un  geste  assez  inutile  le  léger 
rideau. 

On  admit  volontiers,  quand  ce  tableau  fut 
exposé  en  août  1787,  que  cette  couchette 
énigmatique  fût  celle  du  petit  duc  de  Norman- 
die, assis  sur  les  genoux  de  sa  mère,  auprès  de 
Madame  Royale  debout,  qui  la  caresse;  mais 
on  adressait  à  toute  la  composition  un  repro- 
che dont  l'expression  ne  laisse  pas  d'être 
intéressante  :  «  Cette  composition  est  simple, 
facile,  bien  groupée;  mais  il  en  résulte  une 
critique  très  juste  et  qui  n'échappe  à  aucun 
observateur  un  peu  réfléchissant,  c'est  que  les 
airs  de  tète  ne  répondent  en  rien  à  la  situa- 
tion :  la  Reine,  soucieuse,  distraite,  semble 
plutôt  éprouver  de  l'affliction  que  la  joie 
expansive  d'une  mère  qui  se  complaît  au 
milieu  de  ses  enfants.  L'air  sérieux  de  la  fille 
fait  supposer  que  déjà,  dans  un  âge  suscep- 
tible de  participer  aux  chagrins  de  sa  mère, 
elle  cherche  à  la  consoler  par  sa  tendresse 
affectueuse.  Le  duc  de  Normandie,  loin  d'avoir 
l'expression  d'un  enfant  en  pareille  position, 
qu'exprime  Virgile  [)ar  ce  vers  si  ingénu  : 
«  Incipe,  paive puer,  risu  cognoscere  matrem  !  » 
ne    montre    aucune   gaieté;   on   le  juge  triste. 


118  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

sinon  par  réflexion,  au  moins  par  sympathie. 
Enfin,  le  geste  du  Dauphin  est  un  hors-d'œuvre 
qui  l'isole  de  cette  scène  intéressante.  »  Cette 
gravité  dans  l'expression  de  la  Reine,  on  l'at- 
tribue volontiers  aux  chagrins  que  lui  appor- 
tait le  déclin  du  règne ,  surtout  après  TafTaire 
du  Collier,  alors  que  se  déchaînait  contre 
elle  une  opinion  savamment  excitée  ;  à  vrai 
dire,  il  y  a  plutôt  dans  le  visage  une  placi- 
dité insignifiante,  qui  tient  à  l'insuffisance  de 
la  pose  accordée  à  l'artiste.  Il  est  sûr  que 
ce  portrait  de  Marie -Antoinette  est  un  des 
moins  ressemblants.  Les  critiques  le  repro- 
chaient à  leur  façon  à  Madame  Vigée-Le  Brun, 
lorsqu'ils  regrettaient  qu'elle  eût  donné  à  la 
Reine  «  un  éclat,  une  fraîcheur,  une  pureté, 
que  ne  peuvent  conserver  les  chairs  d'une 
femme  de  trente  ans  ;  sa  carnation  éclipse 
celle  de  Madame,  un  peu  dans  l'ombre  il  est 
vrai,  celle  du  Dauphin  supposé  éloigné,  mais 
celle  même  du  duc  de  Normandie,  personnage 
saillant  avec  elle  et  qui  ne  devrait  être  qu'un 
assemblage  de  lis  et  de  roses.   » 

Dans  cette  œuvre  où  elle  avait  cherché 
surtout  la  noble  ordonnance,  la  magnificence 
du  décor  et  la  richesse  des  colorations,  Madame 
Vigce-Le  Rrun  ne  s'était  pas  beaucoup  préoc- 


MADAME  ROYALE  ET  SON  FRERE,  LE  DAUPHLN 

1784 

(Musce  de  Versailles) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  119 

cupée  de  la  ressemblance  de  ses  modèles. 
Madame  Royale  et  son  frère  aîné  avaient  été 
traités  de  même,  quand  elle  avait  peint,  en 
1784,  d'après  deux  études  séparées,  l'agréable 
groupe  assis  dans  un  bocage,  où  la  princesse 
et  son  frère  tiennent  dans  leurs  mains  un  nid 
de  fauvettes.  De  la  Reine,  qui  se  prêtait  tou- 
jours avec  complaisance  à  son  travail,  elle 
avait  obtenu  une  pose  nouvelle  ;  elle  a  dit 
expressément  que  la  dernière  séance  qu'elle 
eut  de  Marie-Antoinette  lui  fut  accordée  à 
Trianon ,  en  vue  de  ce  grand  tableau.  Elle 
donne  quelques  détails  sur  ces  séances,  demeu- 
rées parmi  ses  plus  doux  souvenirs,  et  nous 
tenons  d'elle  plusieurs  anecdotes  sur  la  Reine 
qui  ne  sont  pas  sans  valeur  pour  la  mieux 
connaître.  Marie-Antoinette  ne  lui  cachait  pas 
les  amertumes  de  sa  vie;  comme  l'artiste  avait 
l'occasion  de  remarquer  son  air  de  tête  impo- 
sant, elle  répliquait  vivement,  songeant  à  tant 
de  méchants  mots  dits  sur  elle  :  «  Si  je  n'étais 
pas  reine,  on  dirait  que  j'ai  l'air  insolent,  n'est-il 
pas  vrai  ?  »  Sa  grâce  d'accueil  était  parfaite, 
comme  pour  tous  ceux  qu'elle  aimait,  et 
Madame  Vigée-Le  Brun  cite  d'elle  des  traits 
de  bonté  vraie,  celui-ci  par  exemple,  dont  nous 
donnons  le  premier  récit  écrit  sous   la   dictée 


120  MADAME     VIGEE-LE    BRUN 

de  l'artiste,  un  peu  moins  dramatise  que  celui 
qui  a  été  tant  reproduit  :  «  Un  jour,  elle  man- 
qua au  rendez-vous  que  lui  avait  donné  la 
Reine  pour  une  séance,  parce  qu'elle  avait  été 
indisposée.  Le  lendemain,  elle  y  alla  pour 
s'excuser  de  sa  non  venue;  elle  se  présenta  à 
l'huissier  de  la  chambre,  M.  Campan,  et  lui 
demanda  à  parler  à  la  Reine.  Celui-ci,  arro- 
gant comme  tous  les  gens  en  place,  la  reçut 
avec  un  air  froid  et  presque  colérique,  et  lui 
dit  :  «  C'était  hier,  Madame,  que  la  Reine  vous 
«  attendait  ;  elle  va  promener  aujourd'hui  ; 
«  vous  avez  dû  voir  sa  voiture  qui  l'attend,  et 
«  certes,  elle  ne  s'amusera  pas  à  vous  donner 
«  séance.  »  Madame  Le  Brun  insista,  disant 
qu'elle  voulait  seulement  prendre  les  ordres 
de  la  Reine  et  qu'elle  se  retirerait  aussitôt. 
Toute  émue  et  pensant,  avec  étonnement  toute- 
fois, que  Sa  Majesté  s'était  fâchée  contre  elle, 
par  la  mauvaise  humeur  qu'elle  endurait  par 
ricochet  de  la  part  de  M.  Campan,  elle  fut 
admise.  Mais  quelle  fut  sa  surprise,  quand  elle 
entendit  la  Reine  lui  dire  qu'elle  ne  voulait 
point  qu'elle  eût  fait  ainsi  une  course  inutile- 
ment. Elle  décommanda  sa  calèche  pour  lui 
donner  séance.  »  D'autres  détails  sont  venus 
s'ajouter  à  cette  petite  scène  :  l'empressement 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  121 

ému  de  Madame  Le  Brun,  la  boîte  de  couleurs 
renversée,  la  Reine  ramassant  elle-même  les 
brosses  sur  le  parquet,  pour  éviter  une  fatigue 
à  la  jeune  femme,  alors  dans  une  grossesse 
avancée.  L'anecdote  brodée  ainsi,  et  qui  soude 
ensemble  des  souvenirs  distincts,  n'a  d'ailleurs 
rien  d'invraisemblable  ;  c'est  une  jolie  trans- 
position du  geste  de  Charles-Quint  ramassant 
les  pinceaux  du  Titien.  ^ 

L'étiquette  ne  gênait  guère  la  Reine  ni 
l'artiste,  malgré  l'habit  paré  que  celle-ci  était 
obligée  de  porter  pour  ses  séances.  M.  de  Bre- 
teuil  y  parut  un  jour  et  déchira  cruellement  dans 
sa  conversation  toutes  les  femmes  de  la  Cour. 
Marie-Antoinette  se  laissait  aller  à  l'écouter  ; 
elle  était  sûre  de  la  discrétion  du  témoin,  et, 
près  de  lui,  se  sentait  toujours  en  confiance. 
Le  sentiment  maternel,  très  fort  chez  toutes 
les  deux,  et  surtout  une  réelle  communauté  de 
goûts,  contribuaient  à  diminuer  les  distances  ; 
quand  Marie -Antoinette,  dans  les  repos  de 
Madame  Le  Brun,  chantait  avec  elle  les  duos 
de  Grétry,  leur  musicien  préféré,  il  n'y  avait 
plus,  dans  le  cabinet  royal,  que  deux  femmes, 
aimant  les  mêmes  choses,  capables  d'échanger 
une  sympathie  sincère  et  qui  auraient  pu  être 
deux  amies. 


122  MADxVME    VIGEE-LE    BRUN 

Le  succès  de  la  toile  où  la  Reine  est 
entourée  de  ses  enfants  fut  considérable  à  la 
Cour.  Après  le  Salon ,  on  Texposa  dans  la 
grande  galerie  de  Versailles;  M.  d'Angiviller 
présenta  l'auteur  à  Louis  XVI,  qui  causa  avec 
elle  devant  le  tableau  et  lui  dit  :  «  Je  ne  me 
connais  pas  en  peinture,  mais  vous  me  la  faites 
aimer.  »  Il  déclara  peu  après  l'intention,  qu'il 
ne  réalisa  point,  de  commander  son  propre 
portrait  à  l'artiste  qui  avait  satisfait  son  cœur 
de  père.  Un  récit  manuscrit,  écrit  sous  la  dic- 
tée de  Madame  Le  Brun,  assure  qu'il  ne  tint 
qu'à  elle  d'obtenir,  outre  les  dix-huit  mille 
livres  des  Bâtiments,  une  récompense  plus 
haute  pour  son  œuvre  :  «  Le  Roi  en  manifesta 
son  contentement  au  comte  d'Angiviller,  qui 
lui  proposa  d'accorder  à  Madame  Le  Brun  le 
grand  cordon  noir;  mais  celle-ci,  ayant  appris 
la  proposition  du  comte,  alla  le  trouver  et  le 
supplia  de  ne  point  reparler  au  Roi  de  cette  dis- 
tinction, car  ses  ennemis  s'en  seraient  encore 
servis  pour  la  calomnier.  M.  d'Angiviller  n'en 
})arla  plus,  et  comme  de  tous  temps,  à  ce  qu'il 
paraît,  il  a  fallu  demander  une  distinction  pour 
l'obtenir.  Madame  Le  Brun  n'en  obtint  pas.  » 
La  faveur  de  ses  souverains  était  d'un  prix 
immense    aux    yeux    de    l'artiste.     Elle    savait 


MADAME     VIGEE-LE    BRUN  123 

comment  conserver  et  accroître  celle  de  la 
Reine.  Dans  son  dernier  portrait  fait  du  vivant 
du  modèle,  celui  qui  est  daté  de  1788,  elle  se 
montrait  avant  tout  préoccupée  de  conserver 
leur  agrément  juvénile  à  des  traits  qui  durcis- 
saient trop  visiblement,  et  elle  y  réussissait 
une  fois  encore.  De  ce  portrait  existent  deux 
exemplaires,  que  différencie  seulement  la  pré- 
sence d'un  collier  de  quatre  rangs  de  perles 
dans  celui  que  garde  Versailles.  Marie-Antoi- 
nette, tenant  un  livre  à  ses  armes,  est  assise 
dans  un  grand  fauteuil  Louis  XV,  devant  une 
table  qui  supporte  la  couronne  et  un  des  vases 
de  cristal  remplis  de  fleurs  dont  elle  aimait  à 
orner  ses  appartements.  L'architecture  du  fond 
n'est  pas  moins  majestueuse  que  dans  le 
tableau  où  sont  les  enfants  ;  la  robe  de  soie 
blanche,  bordée  de  fourrure,  s'étale  en  plis 
magnifiques  sous  le  manteau  de  velours  bleu  ; 
l'aigrette  de  plumes  domine  avec  grâce  le 
grand  turban  de  soie  blanche  sur  les  cheveux 
abondants;  mais  quelle  confiance  peut  inspirer 
le  peintre  de  ce  visage,  dont  les  lignes  sont 
trop  pures,  dont  le  menton  révèle  à  peine 
l'embonpoint  venant  avec  l'âge,  et  qui  dillcrc 
si  complètement  de  tous  les  autres  portraits 
de  la  Reine  à  la  même  époque  ? 


124  MADAME    VIGEE-LE     BRUN 

Madame  Vigée-Le  Brun  avait  vu  reparaître 
à  ses  côtés,  au  Salon  de  i787,  son  éternelle 
rivale,  Madame  Labille-Guiard.  Auprès  du  por- 
trait de  la  Reine,  on  admirait  un  tableau 
presque  aussi  important,  qui  représentait 
Madame  Adélaïde  dans  ses  appartements,  en 
grand  manteau  de  velours  rouge;  Madame 
Guiard  y  joignait  un  vigoureux  portrait  de 
Madame  Elisabeth  et  une  tête  d'étude  au 
pastel,  faite  en  vue  du  portrait  de  Madame 
Victoire.  De  tels  morceaux,  d'une  exécution 
moins  souple  dans  les  chairs  que  ceux  de 
Madame  Le  Brun,  mais  supérieurs  dans  les 
accessoires  et  les  étoffes,  permettaient  à  bien 
des  connaisseurs  d'afficher  leur  préférence 
pour  l'artiste  que  les  tantes  du  Roi  avaient 
adoptée  et  à  qui  un  brevet  royal  venait  de 
conférer  le  titre  de  «  peintre  de  Mesdames  ». 
Le  peintre  de  Marie-Antoinette  était  persua- 
dée que  Madame  Guiard  a  essayait,  par  tous 
les  moyens  imaginables,  de  la  noircir  dans 
l'esprit  de  ces  princesses  ».  Elle  se  défendait 
du  moins,  devant  le  j)ublic,  par  une  exposi- 
tion d'une  richesse  extraordinaire  :  un  grand 
tableau  de  famille,  la  marquise  de  Pezay  et  la 
mar(juisc  de  Rougé  avec  ses  enfants;  d'autres 
portraits  :  la  comtesse  de  Béon,  le  jeune  baron 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  125 

d'Espagnac,  Madame  de  La  Briche,  Madame  de 
Lagrange;  plusieurs  «  portraits  et  études  sous 
le  même  numéro  »,  puis  trois  morceaux  qui 
formaient  un  ensemble  amusant  et  nouveau 
dans  son   œuvre. 

Il  s'agissait  de  portraits  d'acteurs,  dont 
l'artiste  avait  pris  les  modèles  parmi  les  habi- 
tués de  sa  maison.  Le  chanteur  Gailleau,  retiré 
depuis  longtemps  de  la  Comédie-Italienne, 
était  peint  en  costume  de  chasse,  fusil  en 
main,  gibecière  au  côté  ;  un  critique  repro- 
chait à  ce  comédien  sur  le  retour  de  a  déployer 
avec  grâce  les  trente-deux  perles  dont  sa 
bouche  est  ornée  ».  Madame  Molé-Raymond, 
pensionnaire  du  Roi  à  la  Comédie-Française, 
portait  un  costume  de  bourgeoise;  les  cheveux 
flottants  sous  un  grand  chapeau  bleu,  les  mains 
dans  l'énorme  manchon  du  moment  ;  on  la 
trouvait  hardie  et  provocante  comme  une  pro- 
meneuse du  Palais -Royal  ;  mais  son  rire  de 
bonne  humeur  désarmait  les  censeurs  tentés 
de  crier  au  mauvais  goût.  Enfin  ,  l'actrice  à 
la  mode,  la  sensible  Dugazon,  était  rej>ré- 
sentée  dans  son  rôle  du  jour,  Nina  ou  la  Folle 
par  amour,  au  moment  pathétique  où,  faisant 
un  bouquet  sur  un  banc  de  jardin,  elle  croit 
brusquement    entendre    la    voix   de  Germeuil, 


126  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

son  amant.  Le  sujet,  alors  si  populaire,  eût 
assuré  le  succès  du  tableau  ;  mais  l'exécu- 
tion était  d'une  qualité  rare  et  valait  le  sen- 
timent exprimé  :  «  Jamais,  racontera  Madame 
Le  Brun,  on  n'a  pu  nous  rendre  Nina,  Nina 
tout  à  la  fois  si  décente  et  si  passionnée,  et 
si  malheureuse  ,  si  touchante  que  son  aspect 
seul  faisait  fondre  en  larmes  les  spectateurs... 
J'étais  trop  enthousiaste  de  Madame  Dugazon 
pour  ne  pas  l'engager  souvent  à  venir  souper 
chez  moi  ;  nous  remarquions  que,  si  elle  venait 
de  jouer  Nina,  elle  conservait  encore  ses  yeux 
un  peu  hagards,  en  un  mot  qu'elle  restait 
Nina  toute  la  soirée.   » 

A  ce  même  Salon  de  1787,  Madame  Vigée- 
Le  Brun  présentait  encore  le  portrait  de  sa 
fille  de  profd,  tenant  un  miroir  où  l'image 
se  reflétait  de  face  ;  cette  jolie  étude  enfan- 
tine avait  été  gravée  à  l'eau-forte  et  au  lavis 
par  son  ami  le  comte  de  Paroy ,  qui  l'expo- 
sait dans  une  salle  voisine,  ainsi  qu'un  por- 
trait de  Madame  Le  Brun  au  lavis.  Les 
amateurs  de  l'artiste  pouvaient,  d'ailleurs, 
satisfaire  en  ce  sens  toute  leur  curiosité,  car 
elle  s'était  peinte  pour  eux  daiis  le  fameux 
tableau  où  clic  tient  sa  fille  en  robe  blanche 
sur    ses  genoux,    ayant   elle-même  un    châle 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  127 

violet,  un  jupon  de  salin  jaune  et  une  large 
écharpe  de  mousseline  blanche  roulée  dans 
les  cheveux.  Le  charme  incontestable  de 
l'œuvre  et  aussi  ce  qui  s'y  mêle  de  précio- 
sité irritante  se  trouvent  assez  bien  marqués 
dans  une  critique  du  temps  :  «  La  joie  brille 
en  ses  yeux  ;  elle  triomphe  de  porter  un  si 
précieux  fardeau  et  rend  à  son  enfant  tous 
les  sourires  qu'elle  en  reçoit.  Une  mignar- 
dise que  réprouvent  également  et  les  artistes, 
et  les  amateurs,  et  les  gens  de  goût,  dont  il 
n'y  a  point  d'exemple  chez  les  anciens,  c'est 
qu'en  riant  elle  montre  les  dents.  Cette  affec- 
tation est  surtout  déplacée  dans  une  mère; 
elle  ne  compassé  point  de  la  sorte  ses  mou- 
vements... »  Plus  délicat  et  plus  simple  sera 
l'autre  groupe  de  la  mère  et  de  l'enfant,  exé- 
cuté pour  M.  d'Angiviller,  où  Madame  Vigée- 
Le  Brun,  en  robe  blanche,  ceinte  d'une  écharpe 
rouge,  a  les  cheveux  retenus  par  une  bande- 
lette. C'est  répanouissemcnt  complet,  mais 
sûrement  idéalisé,  de  cette  beauté  reconnue 
des  contemporains,  qui  devait  être  faite  sur- 
tout de  grâce  vivante,  d'expression  cares- 
sante et  mobile.  Les  traits  sont  beaucoup 
moins  purs  dans  le  portrait  de  David,  ébauché 
vraisemblablement  à  cette  époque  ;  le  cou  est 


128  MADAME    YIGEE-LE    BRUN 

fort,  le  visage  large,  la  bouche  spirituelle, 
mais  grande.  Il  y  a  loin  de  cette  image  à  celle 
que  traça  d'elle-même  l'artiste  délicieusement 
coquette.  Son  pinceau  enjoliva  tant  de  ses 
contemporaines  qu'on  lui  pardonne  volontiers 
cette  supercherie,  qui  fit  sa  bouche  si  menue, 
ses  yeux  si  grands,  dans  un  ovale  délicate- 
ment arrondi. 

Madame  Vigée-Le  Brun,  avant  la  Révolu- 
tion, était  avec  David  en  relations  des  plus  cor- 
diales. Il  venait  chez  elle  et,  lorsqu'elle  a  cru 
devoir  flétrir,  sur  ses  vieux  jours,  la  carrière 
jacobine  du  peintre,  elle  n'a  point  insisté  sur 
l'intimité  à  laquelle  est  dû  son  portrait;  elle 
a  même  passé  sous  silence  quelques  services 
reçus  de  l'obligeance  de  son  grand  confrère. 
C'est  ainsi  que,  dans  l'été  de  1787,  lorsque 
Madame  Le  Brun  fit  reconstruire  son  atelier, 
il  prit  quelque  temps,  au  Louvre,  les  élèves 
qu'elle  avait  chez  elle  et  encourut  de  ce  chef 
un  blâme  de  M.  d'Angiviller.  Accusé  de  violer 
le  règlement,  qui  interdisait  le  mélange  des 
deux  sexes  dans  l'éducation  des  artistes,  il 
répondit  au  directeur  général  :  «  J'ai  en  dépôt 
chez  moi  trois  demoiselles,  élèves  de  Madame 
Le  Brun,  qui  doit  les  reprendre  lorsque  son 
bâtiment  sera  fini  ;  elles  sont  absolument  éloi- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  129 

gnées  de  l'atelier  de  mes  élèves,  avec  lequel 
elles  n'ont  aucune  communication . . .  Leurs 
mœurs  sont  irréprochables;  elles  appartiennent 
à  des  parents  dont  la  réputation  est  établie  de 
la  manière  la  plus  honorable,  et  c'est  à  cette 
seule  considération  que  je  me  suis  attaché 
pour  rendre  un  service  passager,  gratuit  et 
tendant  à  maintenir  d'heureuses  dispositions.  » 
Les  jeunes  filles  n'en  furent  pas  moins  expul- 
sées du  Louvre,  mais  nous  apprenons,  par  la 
correspondance  échangée  à  propos  de  cet  inci- 
dent, que  Madame  Vigée-Le  Brun,  imitant 
Madame  Labille-Guiard,  avait  alors  plusieurs 
élèves  ;  celles  dont  s'était  chargé  David  étaient 
Mademoiselle  Duchosal  et  les  filles  de  M.  Le 
Uoux  de  la  Ville,  dont  l'aînée  devint  Madame 
Benoist,  l'Emilie  des  Lettres  de  Dumoustier 
et  l'un  des  peintres  de   la   cour  impériale. 

Il  y  a,  dans  le  tableau  de  David,  achevé  et 
signé  seulement  en  l'an  XI,  quelques  détails 
de  costume  probablement  contemporains  du 
fameux  «  souper  grec  »,  qui  est  une  des  anec- 
dotes les  plus  célèbres  de  la  vie  parisienne  de 
l'époque.  Au  retour  de  ses  voyages,  Madame 
Vigée-Lc  Brun  porte,  dans  son  atelier,  une 
robe  blanche  serrée  par  une  ceinture  jaune 
et  haute  soutenant  les  seins,  vêtement  devenu 


130  MADAME     VIGEE-LE    BRUN 

alors  d'usage  courant;  elle  est  chaussée  de  san- 
dales «  à  l'esclavage  »,  et  une  grande  écharpe 
jaune  posée  sur  la  chaise  d'acajou  est  brodée 
d'un  dessin  à  palmettes.  Mais  elle  inaugura 
peut-être  ce  costume,  la  gracieuse  hôtesse  de 
la  rue  de  Cléry,  le  jour  où,  par  une  fantaisie 
d'artiste  conforme  aux  goûts  de  toute  sa 
société,  elle  improvisa  ces  divertissements  à 
l'antique  qui  intriguèrent  la  Ville  et  la  Cour, 
et  dont  finit  par  s'occuper  l'Europe  entière. 
L'épisode  dut  contribuer  pour  une  bonne  part 
à  l'avènement  des  modes  nouvelles.  N'oublions 
pas,  en  effet,  que  le  groupe  d'écrivains,  d'ar- 
tistes, d'homme  de  naissance  ou  de  finance 
qui  se  réunissaient  autour  de  Madame  Le  Brun, 
donnait  le  ton  sur  bien  des  points.  Le  rôle 
revenait  aux  particuliers,  puisque  la  Cour  ne 
le  remplissait  plus  ;  il  leur  appartenait,  au  len- 
demain des  grands  succès  de  David  au  Salon, 
de  diriger  à  son  tour  la  mode  dans  les  voies 
où  les  arts  s'étaient  engagés  avec  assurance; 
il  fallait  lui  indiquer  le  parti  qu'elle  pouvait 
tirer,  pour  son  incessant  renouvellement,  de 
cette  antiquité  familière,  révélée  du  côté  latin 
par  les  fouilles  triIcM'culanum,  et  qui  revivait, 
pour  le  monde  grec,  dans  le  Voyage  du  jeune 
AnacJiarsis. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  131 

Après  trente  années  de  préparation,  le  livre 
de  l'abbé  Barthélémy  paraissait  en  1787,  et 
bénéficiait  d'un  engouement  sans  exemple 
pour  un  ouvrage  d'érudition.  Ce  n'est  pas 
seulement  que  l'abbé  fût  un  savant  aimable, 
qui  avait  appris  chez  Madame  de  Choiseul  et 
Madame  de  la  Reynière  l'art  d'intéresser  à  la 
science  les  gens  du  monde  ;  c'est  aussi  que 
l'antiquité  hantait  toutes  les  cervelles  et  que 
les  femmes  elles-mêmes,  ayant  épuisé  les  fan- 
freluches du  siècle,  y  pressentaient,  pour  leur 
luxe  et  leur  parure,  des  ressources  inconnues. 
Le  livre  de  Barthélémy  vint  précisément  ins- 
pirer la  soirée  grecque  de  Madame  Le  Brun, 
qui  en  a  fait  mettre  dans  ses  Souvenirs  un 
long  et  complaisant  récit.  Une  narration  plus 
courte  et  plus  ancienne,  due  à  Aimé  Martin, 
suffira  à  rappeler  quels  détails  essentiels  se 
présentaient  à  la  mémoire  de  l'artiste,  quand 
elle  contait  cette   histoire  : 

«  Les  Voyages  du  jeune  Anacharsis  venaient 
de  paraître  ;  Madame  Le  Brun  en  faisait  la 
lecture  avec  son  frère  Vigée,  lorsque  la  des- 
cription d'un  repas  fit  naître  à  ce  dernier 
l'envie  de  goûter  des  sauces  grecques.  Cette 
idée  plaît  à  Madame  Le  Brun  et  met  en  mou- 
vement   sa    vive    imagination.    Plusieurs    amis 


132  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

devaient  justement  souper  le  soir  avec  elle. 
Son  cuisinier  était  habile  ;  elle  l'appelle,  lui 
décrit,  lui  ordonne  les  sauces  et  se  charge 
elle-même  de  décorer  la  salle  du  festin.  Un 
grand  paravent  est  disposé  pour  servir  de  fond 
au  tableau  ;  on  dresse  une  table  d'acajou  ;  les 
chaises  sont  drapées  à  la  manière  des  lits 
antiques  ;  le  comte  de  Paroy,  qui  habite  le 
même  hôtel ,  envoie  un  long  manteau  de 
pourpre  et  les  plus  beaux  vases  étrusques  de 
son  riche  cabinet;  M.  de  Cubières  fait  appor- 
ter sa  lyre  d'or,  dont  il  jouait  avec  une  rare 
perfection.  Tout  s'arrange,  tout  prend  un  air 
de  fête.  Au  milieu  de  ces  préparatifs,  arrive 
le  poète  Lebrun;  il  se  croit  à  Athènes;  vite, 
l'enchanteresse  l'environne  des  plis  du  man- 
teau de  pourpre,  le  décoiffe  et  pose  une  cou- 
ronne de  fleurs  sur  ses  cheveux  épars.  Sous 
ce  costume,  c'était  Pindare,  Homère,  Anacréon. 
Plusieurs  beautés  célèbres.  Mesdames  de  Bon- 
neuil,  Vigée,  Chalgrin,  fille  de  Vernet,  arrivent 
successivement  ;  les  coiffer  à  la  grecque,  les 
revêtir  de  tuniques,  les  transformer  en  Athé- 
niennes, tout  cela  ne  fut  qu'un  jeu  pour 
Madame  Le  Brun...  Les  mêmes  ajustements 
(]ui  embellissaient  ses  compositions  embel- 
lirent pour  cette  fois  ses  convives.    Chaudet, 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  133 

Ginguené,  Yigée,  M.  de  Rivière,  couverts  de 
riches  draperies,  prirent  place  au  festin.  Les 
dames,  qui  toutes  étaient  musiciennes,  qui 
toutes  avaient  des  voix  charmantes.  Madame 
Le  Brun  avec  elles,  chantaient  en  chœur  :  Le 
Dieu  de  Paphos  et  de  Cnide  ;  sa  lyre  d'or  en 
main,  M.  de  Cubières  accompagnait  cet  air 
divin  de  Gluck  ;  Pindare  -  Lebrun  ,  le  front 
couronné  de  fleurs,  récitait  les  odes  d'Ana- 
créon  et  présidait  cette  poétique  assemblée. 
Des  raisins  de  Corinthe,  des  figues,  des  olives, 
une  volaille  et  deux  anguilles  avec  des  sauces 
grecques,  des  gâteaux  de  miel,  quelques  entre- 
mets légers,  couvraient  la  table.  Deux  jeunes 
esclaves  vêtues  de  longues  tuniques,  Mademoi- 
selle de  Bonneuil  et  Mademoiselle  Le  Brun, 
circulaient  autour  des  convives  et  leur  ver- 
saient des  vins  de  Chypre  dans  des  coupes 
d'Herculanum. 

«  Deux  personnes  en  retard,  M.  le  comte 
de  Vaudreuil  et  M.  Boutin,  arrivent  au  milieu 
de  la  fête  ;  on  leur  ouvre  les  deux  battants, 
ils  restent  immobiles  de  surprise.  Chacun  alors 
se  leva  à  son  tour,  pour  jouir  de  l'ensemble  du 
tableau.  Les  poètes  se  récriaient  sur  l'heu- 
reuse disposition  du  banquet  ;  les  gens  de 
cour  sur  la    grâce   des   costumes,    tous   sur  la 


134  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

beauté  des  jeunes  Grecques.  Mais  les  artistes 
remarquaient  que  la  couleur  sombre  des  vases 
antiques  et  de  la  table  d'acajou  faisait  ressortir 
en  lumière  tous  les  personnages,  ce  qui  don- 
nait en  même  temps  de  l'inspiration  aux  figures 
et  de  l'éclat  aux  tableaux. 

«  Dès  le  lendemain,  le  bruit  de  cette  fête 
charmante  se  répandit  dans  tout  Paris.  Madame 
Le  Brun  fut  priée  de  la  renouveler  ;  elle  s'y 
refusa,  ne  voulant  pas  changer  en  une  froide 
comédie  un  moment  d'inspiration.  Pour  se 
venger,  on  dit  au  Roi  que  le  souper  avait 
coûté  vingt  mille  francs  ;  le  Roi  en  parla  avec 
humeur  au  marquis  de  Cubières,  qui  n'eut  pas 
de  peine  à  le  détromper.  Mais  l'envie  et  la 
renommée  ne  renoncent  pas  si  facilement  à 
leurs  exagérations  ;  ce  souper  devait  faire  le 
tour  de  l'Europe  ;  partout,  dans  ses  voyages^ 
Madame  Le  Brun  en  entendit  raconter  des 
merveilles  ;  à  Rome,  il  avait  coûté  trente  mille 
francs;  à  Vienne,  cinquante  mille;  à  Saint- 
Pétersbourg,  soixante  mille;  à  Londres,  quatre- 
vingt  mille  :  «  En  vérité,  me  disait  un  jour 
a  Madame  Le  Brun,  si  j'étais  allée  jusqu'en 
a  Chine,  je  crois  qu'on  ne  m'en  aurait  pas 
«  tenue  quitte  pour  un  million  !  » 

De  cet   épisode,   qu'il   nous  plaît   de  juger 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  135 

significatif  pour  l'histoire  des  mœurs,  l'artiste 
gardait  surtout  un  souvenir  d'amertume,  qui 
se  rattachait  péniblement  pour  elle  aux  pré- 
tendues libéralités  de  M.  de  Galonné.  Au  reste, 
l'antiquité,  retrouvée  une  fois  de  plus  par  les 
artistes,  ne  devait  pas  laisser  de  grandes  traces 
dans  l'œuvre  même  de  Madame Vigée-Le  Brun; 
son  départ  de  France,  qui  allait  survenir 
presque  aussitôt,  l'éloigna  du  milieu  où  les 
tendances  nouvelles  n'auraient  pas  manqué  de 
l'influencer.  Elle  s'y  fût  prêtée  sans  doute,  car 
aucun  peintre  ne  laissa  plus  volontiers  inspirer 
par  la  mode,  et  ses  derniers  portraits  faits 
à  Paris  témoignent  abondamment  de  sa  sou- 
plesse. 

Ce  fut  une  pure  fantaisie  d'artiste  de  prendre 
pour  modèles  ces  beaux  Hindous  cuivrés  que  le 
sultan  du  Maïssour ,  Tipoo  Saïb,  envoya  au 
roi  Louis  XVI,  en  1787,  afin  de  lui  deman- 
der son  alliance  contre  les  Anglais.  Madame 
Vigée-Lc  Brun  les  vit  à  l'Opéra,  les  trouva  si 
pittoresques  qu'elle  les  voulut  peindre,  et, 
comme  l'interprète  l'assura  qu'ils  ne  con- 
sentiraient à  poser  que  sur  la  demande  de 
Sa  Majesté  elle-même,  elle  put  obtenir  cette 
faveur  de  la  Cour.  Elle  a  raconté  com- 
ment elle  fut  reçue  à  l'hôtel  qu'habitaient  les 


136  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

«  ambassadeurs  indiens  »  ;  ils  lui  jetèrent,  à 
l'entrée,  de  Teau  de  rose  sur  les  mains  et 
posèrent  ensuite  avec  complaisance.  Le  plus 
âgé,  de  qui  la  tête  était  superbe,  fut  représenté 
assis  avec  son  fds  près  de  lui.  Un  autre,  de 
très  haute  taille  et  portant  aussi  la  barbe 
blanche,  se  nommait  Davicli  Khan;  elle  le  fit 
en  pied,  tenant  son  long  ])oignard  recourbé,  vêtu 
d'une  robe  de  mousseline  blanche  serrée  à  la 
taille  par  une  ceinture  rayée,  et  d'une  veste 
parsemée  de  fleurs  brodées.  Ces  tableaux, 
exposés  en  1789,  rappelèrent  alors  au  public 
l'immense  curiosité  qu'avaient  excitée,  au 
cours  de  leur  séjour  à  Paris,  ces  magnifiques 
personnages.  Ils  s'étaient  plu  aux  courtes 
séances  pendant  lesquelles  l'artiste  avait  rapi- 
dement brossé  leur  image,  et  ils  l'avaient 
invitée,  avec  son  amie,  la  jolie  Bonneuil,  à  un 
étrange  repas  étalé  sur  le  parquet,  où  elles 
devaient  se  tenir  presque  couchées  autour  des 
plats  servis  avec  les  doigts  par  leurs  hôtes.  Le 
meilleur  souvenir  qu'elle  garda  d'eux  fut  cette 
pièce  de  mousseline  à  larges  fleurs  brodées 
d'or  et  de  couleurs ,  que  Madame  du  Barry 
détacha  pour  elle  des  présents  qu'ils  lui  avaient 
portés;  sous  le  Consulat,  elle  en  improvisa, 
un  soir,  une  merveilleuse  robe  de  bal. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  137 

Le  duc  de  Brissac,  pour  qui  Madame  Vigée- 
Le  Brun  travailla  si  souvent,  l'avait  introduite 
à  Louveciennes,  dans  l'admirable  résidence  de 
sa  maîtresse.  Elle  y  fut  appelée  pour  séjourner 
en  1786,  et  fit  son  premier  portrait  d'après 
nature  de  cette  beauté  mûrissante,  mais  encore 
savoureuse.  Madame  du  Barry  vivait  dans  ce 
petit  château  que  Louis  XV  lui  avait  donné  et 
auquel,  au  temps  de  sa  faveur,  elle  avait 
ajouté  le  joli  pavillon  dominant  les  bords  de 
la  Seine.  Le  jardin,  le  château,  le  pavillon 
regorgeaient  d'œuvres  d'art  ;  sous  l'apparte- 
ment qu'occupait  le  peintre,  a  se  trouvait  une 
galerie  fort  peu  soignée,  dans  laquelle  étaient 
placés  sans  ordre  des  bustes,  des  vases,  des 
colonnes,  des  marbres  les  plus  rares  et  une 
quantité  d'autres  objets  précieux;  en  sorte 
qu'on  aurait  pu  se  croire  chez  la  maîtresse  de 
plusieurs  souverains,  qui  tous  l'auraient  enri- 
chie de  leurs  dons  ».  Drouais,  Fragonard,  Vien, 
Pajou,  AUegrain  avaient  orné  les  salons,  que 
décoraient  les  bronzes  fameux  de  Gouthière. 
Au  milieu  de  ces  richesses.  Madame  du  Barry 
restait  simple  dans  sa  toilette  et  dans  sa  façon 
de  vivre  ;  les  amis  qu'elle  recevait,  et  dont 
plusieurs  appartenaient  à  hi  Cour,  célébraient 
à  l'envi  la  grâce  de   l'accueil  et  le  charme  du 


138  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

séjour.  Madame  Vigée-Le  Brun,  qui  habita  le 
château  à  plusieurs  reprises,  parle  de  la  com- 
tesse avec  reconnaissance;  elle  a  laissé,  sur 
ses  conversations  et  ses  amitiés,  des  témoi- 
gnages qui  concordent  parfaitement  avec  tant 
d'autres,  tous  favorables  à  l'ancienne  maîtresse 
de  Louis  XV.  Ses  deux  amies  les  plus  intimes 
étaient  la  marquise  de  Brunoy  et  la  belle 
Madame  de  Souza,  née  Canillac,  femme  de  Don 
Vincente  de  Souza- Coutinho ,  ambassadeur 
de  Portugal.  M.  de  Brissac  toujours  présent 
mettait  pourtant  la  plus  grande  réserve  exté- 
rieure dans  ses  rapports  avec  la  dame  du  logis. 
Plusieurs  hommes  considérables  venaient  la 
visiter  :  le  marquis  d'Armaillé,  le  prince  de 
Beauvau,  et  le  baron  de  Breteuil,  ministre  de 
la  Maison  du  Roi,  qui  avait  à  Saint-Cloud  son 
habitation  d'été.  M.  de  Montville,  dont  l'ar- 
tiste avait  fait  autrefois  le  portrait,  habitait 
aussi  dans  le  voisinage  et  fréquentait  la  châ- 
telaine ;  il  venait  les  prendre  jiour  les  conduire 
à  son  domaine  célèbre,  «  le  Désert  »,  situé  sur 
la  lisière  de  la  forêt  de  Marly.  C'était  une  habi- 
tation construite  «  à  la  chinoise  »,  au  milieu 
d'un  jardin  anglais  rempli  de  bâtiments  curieux 
et  bizarres,  devenu  un  but  de  promenade  ])our 
les  amateurs  et  dont  la  Reine  vint   s'inspirer 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  139 

durant  ses  travaux  au  Petit-Trianon.  Riche, 
aimable,  élégant,  ami  des  arts,  et  cependant 
«  le  mortel  le  plus  ennuyé  de  France  »,  M.  de 
Montville  est  un  des  contemporains  qui  auraient 
mérité  de  Madame  Vigée-Le  Brun  plus  qu'une 
simple  mention  dans  ses  souvenirs. 

Elle  trouvait,  semble-t-il,  quelque  solitude 
dans  ce  charmant  Louveciennes.  Habituée  au 
mouvement  de  la  vie  de  Paris,  aux  relations 
nombreuses,  aux  châteaux  de  financiers,  tou- 
jours bruyants  de  l'arrivée  ou  du  départ 
d'hôtes  nouveaux,  elle  s'étonnait  que  Madame 
du  Barry  pût  vivre  dans  un  isolement,  qu'elle 
exagère  probablement  par  les  comparaisons 
venues  à  son  esprit .  L'occupation  princi- 
pale de  la  comtesse  consistait  à  visiter  les 
pauvres  des  environs  et  à  leur  porter  ses 
secours  elle-même;  elle  menait  l'artiste  dans 
ses  charitables  promenades,  et  le  soir,  au  coin 
du  feu,  repassait  devant  elle  ses  souvenirs. 
Sobre  de  détails  sur  Louis  XV  et  sa  cour,  elle 
parlait  toujours  a  avec  le  plus  grand  respect 
pour  l'un  et  le  plus  grand  ménagement  pour 
l'autre.  Tous  les  jours,  après  diner,  nous 
allions  prendre  le  café  dans  ce  pavillon  si 
renommé  pour  le  goût  et  la  richesse  de  ses 
ornements.  »  Par  cette   fréquentation    intime, 


140  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Madame  Vigée-Le  Brun  se  pénétrait  de  l'âme 
de  son  modèle.  Le  premier  de  ses  portraits 
reproduisit,  par  une  fantaisie  de  la  comtesse, 
la  disposition  d'une  miniature  de  Lawreince, 
faite  vingt  ans  plus  tôt,  au  temps  de  sa  rayon- 
nante jeunesse.  Elle  est  en  buste,  le  peignoir 
serré  à  la  taille  par  un  ruban  mauve,  avec  un 
chapeau  de  paille  orné  de  fleurs  et  d'une  plume 
grise.  Madame  du  Barry,  sûre  de  son  splen- 
dide  automne,  a  voulu  le  comparer  à  la 
fraîcheur  de  son  printemps.  De  beaux  cheveux 
se  déroulent  autour  du  cou  nu;  le  sourire  est 
exquis  et  plein  de  promesse  ;  c'est,  dit  l'artiste, 
«  celui  d'une  coquette,  car  ses  yeux  allongés 
n'étaient  jamais  entièrement  ouverts  ».  Madame 
Vigée-Le  Brun  renseigne  exactement  sur  une 
femme  qui  inspirait  encore  des  sentiments 
passionnés  :  «  Elle  était  grande,  sans  l'être  trop; 
elle  avait  de  l'embonpoint;  la  gorge  un  peu 
forte,  mais  fort  belle;  son  visage  était  encore 
charmant,  ses  traits  réguliers  et  gracieux;  ses 
cheveux  étaient  cendrés  et  bouclés  comme  ceux 
d'un  enfant,  son  teint  seulement  commençait 
à  se  gâter.  »  Elle  ne  mettait  pas  de  rouge 
cependant,  et  c'est  une  fâcheuse  restauration 
qui  en  barbouilla  le  second  portrait  par  Madame 
Le  Brun,   que  l'auteur  revit  avec  chagrin  dans 


LA  COMTESSE  DU  BARRY 

Détail  du  tableau  dont  la  tète  a  été  peinte  en  1789 
(Collection  de  M.  le  baron  Fould-Springer) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  141 

cet  état,  après  la  Révolution.  Le  modèle,  vêtu 
de  satin  blanc,  y  tient  une  couronne  et  s'ap- 
puie sur  un  piédestal.  Ce  deuxième  portrait 
était  destiné,  comme  le  premier,  à  M.  de  Bris- 
sac.  Après  la  mort  tragique  de  celui-ci,  le 
«  chapeau  de  paille  »  passa  aux  mains  du  duc 
de  Rohan- Chabot,  qui  écrivait  à  la  comtesse  : 
«  Celui  que  je  garde  est  si  agréable,  si  ressem- 
blant et  si  piquant,  que  j'en  suis  extrêmement 
content  et  transporté  du  bonheur  de  le  possé- 
der...  )) 

Le  troisième  portrait  de  Madame  du  Barry 
fut  commencé  seulement  au  mois  de  septembre 
1789;  interrompu  par  le  départ  de  l'artiste, 
elle  ne  l'acheva  que  beaucoup  plus  tard,  après 
son  retour  d'émigration.  La  tète  était  d'une 
«  ressemblance  ravissante  »  :  «  Il  est  parlant, 
et  d'un  agrément  infini,  »  disait  encore  M.  de 
Rohan-Chabot.  Et  certes,  à  le  retrouver  dans 
une  collection  française,  même  à  voir  la  copie 
de  la  Bibliotlièque  de  Versailles,  on  comprend 
la  séduction  exercée  par  cette  ienime  sur  ses 
contemporains.  Très  belle  encore  en  ses  qua- 
rante-six ans,  l'ancienne  favorite,  assise  au 
pied  d'un  arbre  de  son  domaine,  rêve,  les 
yeux  mi-clos,  dans  une  attitude  abandonnée. 
Elle  tient  un  léger  bouquet  fait  d'un  lis  et  d'une 


142  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

rose.  Echappées  du  voile  blanc  qui  la  cou- 
ronne, les  boucles  entourent  voluptueusement 
le  paisible  visage.  L'extrême  simplicité  du 
portrait  raconte  une  époque,  mais  aussi  un 
caractère,  ce  que  le  peintre  a  rarement 
essayé  ;  le  sourire  y  revêt  toute  la  science 
des  tendresses  et  la  mélancolie  de  les  avoir 
vécues. 

Il  faut  marquer,  au  reste,  dans  l'œuvre  du 
portraitiste,  une  évolution  nouvelle.  Aux  années 
qui  précèdent  immédiatement  la  Révolution, 
l'influence  de  David  devient  prépondérante,  et 
David  lui-même,  par  ses  nobles  portraits 
presque  sévères,  traduit  des  âmes  déjà  chan- 
gées. Les  déguisements  champêtres  disparais- 
sent de  l'œuvre  de  Madame  Vigée-Lc  Brun;  on 
ne  les  lui  demande  plus,  et  on  n'exige  pas 
encore  les  arrangements  à  l'antique,  qui  vont 
bientôt  envahir  la  mode.  Elle  exécute  alors 
des  tableaux  sérieux  et  graves,  qui  semblent 
refléter  le  sérieux  des  esprits  et  la  gravité  des 
événements.  Les  accessoires  n'encombrent 
plus  ou  ne  servent  (ju'à  mieux  évoquer  le 
lieu,  à  mieux  définir  le  personnage;  l'attitude 
apprêtée  pour  la  pose  disparait  et  le  corps 
prend    son    pli    naturel    sous    le    vêtement  de 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  143 

tous  les  jours.  C'est  ainsi  que  David  va  conce- 
voir ses  images  célèbres  de  Madame  Chalgrin, 
de  Madame  de  Pastoret  et  quelques  autres  ;  et 
déjà  Madame  Vigée-Le  Brun  peint  Madame  du 
Barry  au  jardin,  Madame  de  Sabran,  Madame 
Lenormand.  Ces  deux  derniers  portraits,  qu'on 
peut  choisir  parmi  ceux  que  lui  doit  cette 
courte  période,  sont  d'une  liberté  piquante,  et 
tout  à  fait  voisins  de  composition  :  la  grande 
dame  croise  ses  bras  sur  un  coussin,  la  bour- 
geoise s'y  accoude  en  tenant  une  brochure; 
mais  elles  ont,  l'une  et  l'autre,  la  tête  encadrée 
de  leurs  boucles  descendant  sur  le  fichu  et 
sont  vêtues  d'une  mousseline  qu'une  ceinture 
serre  à  la  taille.  Elles  offrent,  malgré  la  diver- 
sité des  traits,  la  même  expression  spirituelle, 
le  même  agrément  sans  prétention,  qui  ont  fait 
dans  tous  les  temps  le  véritable  attrait  de  la 
femme  française.  Cette  fois  encore.  Madame 
Vigée-Le  Brun,  inspirée  par  son  siècle,  conseil- 
lée par  ses  propres  modèles,  fait  presque  à 
nos  yeux  œuvre  d'historien. 

Elle  ne  s'assujettissait,  d'ailleurs,  à  aucune 
manière  et  se  montrait  artiste  de  race,  en 
appropriant  au  caractère  de  chacune  de  ses 
contemporaines  des  ressources  infiniment  va- 
riées de  composition.  En  même  temps  qu'elle 


144  MADAME    YIGEE-LE    BRUN 

se  peignait  si  simplement,  les  bras  nus,  avec 
sa  fille,  pour  M.  d'Angiviller,  elle  saisissait 
Madame  Perregaux,  la  femme  du  banquier, 
dans  un  de  ces  mouvements  vifs  qui  rappellent 
ses  portraits  de  théâtre.  Penchée  au  bord  d'une 
galerie  d'où  elle  écarte  un  rideau,  la  jeune 
femme  en  collerette,  sous  un  grand  chapeau 
à  plumes,  est  fixée  dans  une  attitude  imprévue; 
elle  semble  prêter  l'oreille,  et  ses  yeux  mali- 
cieux répondent  déjà  à  des  paroles  lointaines. 
L'œuvre  plaisait  particulièrement  à  son  auteur, 
qui  en  demandait  le  prêt,  par  ce  joli  billet, 
pour  la  faire  figurer  au  Salon  : 

Madame  Le  Brun  envoie  savoir  des  nouvelles  de 
Madame  Perregaux,  et  elle  la  prie  de  vouloir  bien  avoir 
la  bonté  de  lui  envoyer  son  portrait  ou  de  donner  des 
ordres  dans  le  cas  où  elle  l'enverrait  chercher,  Madame 
Le  Brun  ayant  reçu  l'avertissement  que  tous  les  artistes 
de  l'Académie  aient  à  envoyer  leurs  tableaux  pour  avoir 
la  grandeur  de  chacun,  afin  de  pourvoir  à  l'ordre  des 
places  au  plus  tôt.  Comme  le  portrait  de  Madame  Perre- 
gaux est  le  plus  charmant  de  tous  à  cause  de  sa  ressem- 
blance, Madame  Le  Bnin  le  met  h  la  tète  de  sa  collection, 
et  prie  le  bien  aimable  original  de  ne  point  l'oublier  et  de 
recevoir  l'assurance  de  ses  tendres  sentiments. 

Ce  Salon  de  1781)  s'ouvre  au  milieu  du 
trouble  des  esprits,  thins  le  mois  (jui  suit  la 
destruction  de  la  Bastille.   Les  toiles  qu'y  réu- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  145 

nit  Madame  Vigée-Le  Brun  sont  des  genres  les 
plus  divers.  A  côté  de  pittoresques  études, 
comme  les  envoyés  Indiens,  et  de  cette  belle 
page  de  réalité  qu'est  le  portrait  d'Hubert 
Robert,  voici  le  jeune  prince  Lubomirski  en 
Amour  de  la  Gloire,  tenant  une  couronne  de 
myrte  et  de  laurier,  allégorie  élégante  qu'une 
illustre  famille  (lattée  a  payée  douze  mille 
francs;  à  côté  d'un  portrait  du  Dauphin,  qui  est, 
à  cette  date,  le  futur  Louis  XVII,  voici  un  déli- 
cieux buste  de  la  fille  de  l'ami  Brong-niart,  une 
brunette  en  marmotte,  et  la  belle  Madame  Rous- 
seau, femme  d'un  autre  architecte  du  Roi, 
peinte  en  1787,  portant  une  enfant  dans  ses 
bras,  encore  avec  la  coiffe  et  le  corsage  des 
paysannes,  que  les  grandes  dames  ont  aban- 
donnés. L'artiste  présente  enfin,  en  indiquant 
des  préoccupations  nouvelles,  le  fameux  por- 
trait de  la  duchesse  d'Orléans.  Nul  ne  trouve 
indiscret  qu'on  révèle  au  public  le  caractère 
sentimental  d'une  princesse  et  qu'on  fasse  part 
à  tous  des  secrets  chagrins  de  sa  destinée. 
C'est  que  la  mélancolie  est  à  la  mode  et  qu'il 
est  intéressant  de  verser  des  pleurs.  La  du- 
chesse nonchalamment  assise,  porto  une  robe 
de  mousseline  rayée  sous  un  léger  vêtement 
de    satin    blanc.  Accoudée  sur  un   coussin    de 


10 


146  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

velours  rouge,  elle  appuie  la  tête  sur  la  main, 
et  du  turban  de  gaze  s'échappent  de  longues 
boucles  blondes.  Ses  yeux  sont  tristes,  et  le 
médaillon  attaché  à  la  ceinture  semble  peint 
pour  l'expliquer  :  une  femme  éplorée,  les  che- 
veux épars,  est  au  pied  d'un  saule  ;  un  chien 
la  regarde,  emblème  de  la  fidélité;  sur  une 
urne  se  lit  le  mot  Amitié.  Cette  composition 
émeut  les  âmes  sensibles,  et  intéresse  tout  le 
monde  par  la  curiosité  qui  s'attache  à  la  femme 
du  prince  adversaire  de  la  Cour,  prêt  à  recevoir 
le  nom  d'  «  Egalité  ».  La  duchesse  d'Orléans 
est  respectée  de  tous  les  partis;  le  duc  de 
Brissac  écrit  de  sa  terre  d'Anjou  à  Madame  du 
Barry,  à  propos  de  l'exposition  :  «  Je  pense 
qu'il  y  a  eu  fort  peu  de  portraits,  surtout  de 
Madame  Le  Brun,  qui  a  exposé  celui  de  Madame 
la  duchesse  d'Orléans  ;  elle  est  faite  pour  être 
généralement  estimée  et  aimée,  et  peut  paraître 
en  public  en  quelque  temps  que  ce  soit.  » 

L'artiste,  depuis  longtemj)s  attaquée  de 
tous  côtés,  n'était  pas  aussi  sympathique  que 
la  princesse;  l'opinion  lui  en  voulait  de  la 
faveur  constante  dont  elle  avait  joui  auprès  de 
la  Heine,  et  elle  partageait  rimpojiularité  de 
tout  un  groupe  de  ses  modèles,  les  familiers 
de    Marie-Antoinette,    dénoncés    par    les    bro- 


LA  DUCHESSE  D  ORLEANS 

LOUISE-MAIME-ADKI.AÏDE    DE    nOllRnON-I'ENTHIKYHE 

1789 

(Musée  (le  Versailles) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  147 

chures,  honnis  dans  les  clubs,  et  qui  commen- 
çaient à  émigrer.  Déjà  la  famille  de  Polignac, 
Madame  de  Polastron,  M.  de  Vaudreuil,  étaient 
partis  pour  la  Suisse,  afin  d'y  attendre  le  réta- 
blissement de  l'ordre;  beaucoup  de  gens  de 
cour  se  disposaient  à  les  imiter.  Paris  était 
dans  une  effervescence  dangereuse  ;  Madame 
Vigée-Le  Brun,  tentée,  elle  aussi,  de  quitter 
une  ville  aussi  troublée,  l'aurait  fait  sans  les 
portraits  promis  qui  la  retenaient.  Plus  tard, 
elle  raconta  souvent  les  émotions  qu'elle  avait 
éprouvées  en  ce  commencement  de  la  Révolu- 
tion. Dès  1788,  se  rendant  avec  Robert  à 
Romainville,  chez  le  maréchal  de  Scgur,  elle 
avait  remarqué  que  les  paysans  ne  les  saluaient 
plus;  quelques-uns  même  les  menaçaient  du 
bâton.  Dans  l'été  de  1789,  étant  à  Marly,  chez 
Madame  Auguier,  sœur  de  Madame  Campan  et 
comme  elle  attachée  au  service  de  la  Reine, 
l'artiste  voyait  avec  stupeur  la  maréchaussée 
fraterniser  avec  les  pires  malandrins  du  pays. 
Les  salons  n'étaient  pas  moins  inquiétants.  Un 
soir,  chez  elle,  Ginguené  avait  osé  lire  une  ode 
à  M.  Necker,  où  il  proclamait  «  qu'on  ne  pou- 
vait régénérer  la  France  sans  répandre  du 
sang  »  ;  M.  de  Vaudreuil  et  le  peintre  s'étaient 
regardés   sans    rien  dire,  devinant    en    un  ins- 


148  MADAME    VIGEE-LE     BRUN 

tant  cette  âme  haineuse  qui  en  révélait  tant 
d'autres.  L'amer  mépris  de  Lebrun -Pindare 
pour  une  société  dont  il  avait  vécu,  éclatait  en 
paroles  violentes.  Dînant  à  Malmaison,  Madame 
Vigée-Le  Brun  rencontrait  l'abbé  Sieyès  a  et 
plusieurs  ardents  amateurs  de  la  Révolution  », 
et  elle  écoutait  avec  effroi  leurs  prédictions  ; 
le  maître  du  logis,  ce  hurlait  contre  les  nobles  », 
et  l'abbé  lui-même  annonçait  qu'on  irait  trop 
loin. 

Parmi  ses  anecdotes  sur  1789,  l'artiste  en 
narre  quelques-unes  qui  ont  leur  prix  :  «  Je 
me  rappelle  parfaitement  qu'un  soir  où  j'avais 
réuni  du  monde  chez  moi  pour  un  concert,  la 
plus  grande  partie  des  personnes  qui  m'arri- 
vaient  entraient  avec  l'air  consterné  ;  elles 
avaient  été  le  matin  à  la  promenade  de  Long- 
champ  ;  la  populace,  rassemblée  à  la  barrière 
de  l'Etoile,  avait  injurié  de  la  façon  la  plus 
effrayante  les  gens  qui  passaient  en  voiture; 
des  misérables  montaient  sur  les  marchepieds 
en  criant  :  a  L'année  prochaine,  vous  serez 
«  derrière  vos  carrosses  et  c'est  nous  qui 
«  serons  dedans  »,  ainsi  que  mille  autres  pro- 
pos plus  infâmes  encore.  Ces  récits,  comme  vous 
pouvez  croire,  attristèrent  beaucoup  ma  soi- 
rée. »    Elle    pensait    être    personnellement    en 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  149 

danger.  Installée,  cette  année  même,  dans  la 
maison  de  la  rue  du  Gros-Chenet,  celle  qu'on 
disait  payée  par  les  libéralités  de  Galonné, 
elle  la  croyait  spécialement  marquée  pour  le 
pillage.  On  jetait  du  soufre  dans  ses  caves  ; 
les  gens  de  la  rue  la  menaçaient  du  poing 
quand  elle  paraissait  à  sa  fenêtre.  Gomme  sa 
santé  s'altérait  parmi  tant  d'émotions  et  d'ima- 
ginations fiévreuses,  Brongniart  et  sa  femme, 
qui  avaient  leur  logement  à  l'Hôtel  des  Inva- 
lides, lui  offrirent  pendant  plusieurs  jours 
l'hospitalité;  puis  elle  séjourna  rue  de  la 
Ghaussée-d'Antin,  chez  M.  de  Rivière,  père 
de  sa  belle-sœur  Vigée.  Elle  pouvait  se  croire 
en  sûreté  dans  la  maison  d'un  ministre 
étranger;  mais  le  spectacle  de  la  rue,  les 
manifestations  bruyantes  de  la  populace,  les 
conversations  toujours  agitées  qui  l'entou- 
raient, continuaient  à  l'énerver;  elle  ne  travail- 
lait presque  plus.  On  lui  conseilla  de  s'absenter 
et  d'aller  en  Italie,  ce  qu'elle  projetait  depuis 
que  son  ami  Ménagcot  était  devenu  directeur 
de  l'Académie  de  France  à  Home.  Elle  avait 
compté  passer  le  mois  de  septembre  à  Louvo- 
ciennes,  où  elle  commençait  le  dernier  portrait 
de  Madame  du  Barry;  mais,  obligée  de  faire 
une  course  à  Paris,   elle  y  trouva  la  situation 


150  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

si  alarmante,  qu'elle  se  décida  au  voyage, 
renvoyant  à  son  retour  l'achèvement  des  por- 
traits entrepris. 

Le  départ  n'était  point  aisé  ;  on  surveillait 
les  sorties  de  la  capitale;  sa  voiture  chargée 
ayant  excité  les  soupçons  du  voisinage,  des 
gardes  nationales  en  armes  envahirent  son 
salon  pour  lui  signifier  qu'elle  eût  à  renoncer 
à  ses  préparatifs.  Elle  dut  s'accommoder  de  la 
diligence,  ce  qui  amena  un  retard  de  quinze 
jours,  car  toutes  les  personnes  qui  émigraient, 
ayant  les  mêmes  raisons  de  prudence,  envahis- 
saient les  voitures  publiques.  Les  trois  places 
pour  elle,  sa  fille  et  sa  gouvernante,  se  trou- 
vaient retenues  au  6  octobre,  le  soir  même 
de  la  tragique  journée  où  le  Roi  et  la  Reine 
étaient  conduits  à  Paris  par  l'émeute.  A  minuit, 
brisée  de  peur  et  de  fatigue,  elle  fut  traînée 
au  bureau  des  messageries  par  son  frère,  son 
mari  et  le  fidèle  Robert,  qui  suivirent  à  la 
portière  les  voyageuses  à  travers  le  terrible 
faubourg  Saint-Antoine,  jusqu'à  la  barrière  du 
Trône.  Le  trajet  de  Paris  à  Lyon  fut  sinistre  ; 
la  j>auvre  femme  craignait  toujours  d'être 
reconnue  sous  son  déguisement  d'ouvrière  mal 
velue,  malgré  le  lichu  (luellc  faisait  tomber 
sur  ses  yeux.   Auprès  d'elle,   un  individu    mal 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  151 

odorant  ne  parlait  que  de  mettre  les  gens  à  la 
lanterne  ;  un  jacobin  forcené  pérorait  dans  la 
voiture  et  dans  les  auberges  ;  il  circulait  par- 
tout de  terribles  nouvelles  de  la  capitale,  qui 
la  disaient  à  feu,  et  le  Roi  et  la  Reine  massa- 
crés. L'enfant  n'était  pas  moins  effrayée  que 
la  mère.  A  Lyon,  continuant  de  se  cacher,  elles 
passèrent  trois  jours  dans  la  maison  d'un  négo- 
ciant, qui  les  recommanda  comme  des  parentes 
à  un  voiturier  du  pays  pour  les  mener  jusqu'à 
la  frontière. 

Madame  Le  Brun  ne  respira  librement  que 
lorsqu'elle  eut  franchi  le  Pont-de-Beauvoisin  ; 
mais  la  beauté  des  Alpes  de  Savoie,  l'inattendu 
des  spectacles  de  montagne,  du  chemin  des 
Echelles,  du  Mont-Cenis,  lui  apportèrent  très 
vite  une  distraction  bienfaisante  et,  lorsqu'elle 
arriva  à  Turin,  les  inquiétudes  et  les  incom- 
modités du  voyage  étaient  effacées  de  son 
souvenir  par  le  pittoresque  nouveau  que  ses 
regards  de  peintre  venaient  de  découvrir. 
Jamais  auparavant  clic  n'avait  pu  prévoir  que 
son  art  s'intéresserait  à  autre  chose  qu'à  la 
la  figure  humaine;  par  une  illusion  assez  fré- 
quente, la  nature  alpestre  lui  fit  croire  qu'elle 
était  capable  de  rendre  l'émotion  qu'elle  en 
tirait.   Elle  s'y  essaiera  désormais;  on  la  verra 


152  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

partout,  et  surtout  en  Suisse,  composer, 
presque  toujours  au  pastel,  d'innombrables 
paysages  de  rochers,  de  lacs  et  de  cascades, 
d'un  arrangement  enfantin,  d'une  exécution 
maladroite,  qui  diminueraient  ses  titres  d'ar- 
tiste si  l'on  voulait  y  attacher  quelque  impor- 
tance. Personne,  il  est  vrai,  ne  s'en  soucie,  et 
l'on  note  seulement  pour  mémoire  que  l'Ecole 
française  a  dû  la  vocation  d'un  médiocre 
peintre  de  montagne  aux  troubles  révolution- 
naires, qui  arrachèrent  un  grand  portraitiste 
à  ses  modèles  de  Paris. 


IV 

(1790-1801) 

LE  séjour  de  Madame  Vigée-Le  Brun  en 
Italie  inaugure  cette  existence  errante 
qu'elle  va  mener  si  longtemps  et  où  elle 
va  perdre  par  degrés,  tout  en  s'assurant  beau- 
coup d'argent  et  de  renommée,  le  talent  déli- 
cieusement original  que  la  France  de  Louis  XVI 
a  vu  grandir.  L'Italie,  tout  d'abord,  ne  la 
dépayse  pas  entièrement.  Elle  y  rencontre, 
dans  les  arts,  les  écoles  qu'elle  a  étudiées  par 
les  collections  et  au  milieu  desquelles  elle  a 
vécu,  puisque  les  magasins  de  son  mari  étaient 
remplis  de  leurs  œuvres  ;  dans  la  société,  elle 
retrouve  une  partie  de  ses  amis,  que  l'émigra- 
tion jette  peu  à  peu  au  delà  des  Alpes,  des 
compatriotes  établis  depuis  longtemps  et  des 
étrangers  à  qui   la  vie  de  Paris  est   familière. 


154  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Ses  travaux  bénéficient  de  circonstances  aussi 
favorables,  et  presque  tous  les  portraits  qu'elle 
peint  à  cette  époque  demeurent  dans  sa  meil- 
leure manière. 

Elle  dut,  dès  la  première  heure,  se  mettre 
au  travail.  M.  Le  Brun,  fidèle  à  ses  habitudes, 
n'avait  point  donné  d'argent,  et  cent  louis, 
qu'elle  avait  reçus  du  bailli  de  Crussol  pour 
son  portrait,  au  moment  du  départ,  furent  son 
seul  viatique  pour  la  longue  route.  L'isolement, 
du  moins,  ne  lui  pesa  point,  car,  en  chaque  ville, 
elle  rencontra  des  gens  de  sa  connaissance, 
fiers  de  recevoir  l'illustre  peintre  et  de  lui  faire 
les  honneurs  du  pays.  A  Turin,  elle  logea  chez 
Porporati,  le  graveur  excellent,  qu'elle  avait 
beaucoup  vu  à  Paris  en  1787,  et  qui  avait  fait 
des  démarches  pour  graver  le  grand  tableau 
de  la  Reine  avec  ses  enfants  ;  à  son  retour, 
elle  peignit  le  portrait  de  la  fille  de  l'artiste 
piémontais,  que  le  burin  de  celui-ci  a  inter- 
prété. A  Parme,  elle  était  accueillie  par  le 
comte  de  Flavigny,  ministre  de  I^ouis  XVI  à 
la  cour  de  l'Infant,  et  par  sa  femme,  qui  la 
présentait  à  la  sœur  de  Marie-Antoinette.  Un 
de  leurs  amis,  le  vicomte  de  Lcspignière,  qui 
se  rendait  à  Home,  se  chargea  d'y  accompa- 
gner les  voyageuses;    elles    purent  ainsi,    en 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  155 

toute  sécurité,  traverser  les  montagnes,  et  leur 
voiturin  fut  suivi  constamment  par  celui  de  ce 
gentilhomme,  qui  se  prêta  aux  arrêts  de  l'ar- 
tiste. Elle  voulait  voir,  dans  les  grandes  villes 
seulement,  les  monuments  et  les  œuvres  d'art 
consacrés .  Elle  n'eût  pas  omis  un  des  palais 
de  Bologne  où  figuraient  des  peintures  de  la 
fameuse  école  alors  en  honneur  dans  l'ensei- 
gnement universel  de  l'art  ;  à  Florence,  elle 
prit  de  vives  jouissances  aux  galeries  Médicis 
et  Pitti  et  les  analysa  avec  intelligence,  mais 
sans  daigner  remarquer  une  seule  œuvre  anté- 
rieure à  Raphaël.  Partout,  ses  confrères  lui  ren- 
daient hommage:  à  peine  arrivée  à  Bologne,  elle 
recevait  le  directeur  de  l'Académie  des  Beaux- 
Arts,  lui  apportant  ses  lettres  de  réception  ;  le 
jour  où  elle  visita,  à  Florence,  la  galerie  des 
portraits  de  grands  peintres  peints  par  eux- 
mêmes,  on  lui  laissa  entendre  qu'elle  y  pour- 
rait envoyer  le  sien  ;  et  la  proposition  lui  sem- 
bla si  flatteuse  qu'elle  se  mit  au  travail  dès 
son  arrivée  à  Rome. 

A  Rome,  ce  sont  d'abord  les  artistes  fran- 
çais qui  lui  font  un  accueil  enthousiaste.  L'ami 
Ménageot,  qui  administre  depuis  doux  ans  le 
palais  Mancini ,  reçoit  à  la  descente  de  voi- 
ture la  mère  et  la  fille,  leur  donne  l'hospitalité 


156  MADAME     VIGEE-LE    BRUN 

dans  un  petit  appartement  du  palais,  avance 
l'argent  nécessaire  à  leurs  premiers  besoins. 
Le  jour  même  de  l'arrivée,  il  mène  l'impa- 
tiente voyageuse  à  Saint-Pierre  et  au  Jugement 
dernier;  le  lendemain,  au  musée  du  Vatican, 
puis  au  Colisée.  Les  jeunes  pensionnaires  du 
Roi,  dont  plusieurs  ont  dîné  chez  elle  à  Paris, 
viennent  en  corps  lui  présenter  leurs  hom- 
mages. Parmi  eux  sont  Girodet,  Fabre  et  Le- 
thière;  ils  lui  offrent  la  palette  de  leur  cama- 
rade Drouais,  mort  prématurément  et  qui  fut 
un  des  mieux  doués  parmi  les  élèves  peintres  ; 
ils  demandent  en  échange  quelques-uns  des 
pinceaux  dont  elle  s'est  servie.  Elle  ne  reste 
pas  longtemps  à  l'Académie  ;  le  train  des  voi- 
turins,  qui  ont  leur  remise  dans  une  rue  laté- 
rale, les  chants  et  la  musette  dos  Calabrais 
devant  une  Madone  éprouvent  ses  oreilles  trop 
délicates  ;  elle  est  chassée  successivement  de 
la  place  d'Espagne  et  de  trois  autres  domiciles 
par  les  bruits  divers  qui  la  poursuivent,  et  le 
souvenir  de  cette  odyssée  et  de  ces  souffrances, 
qu'elle  retrouvera  dans  presque  toutes  les 
villes,  tient  autant  de  place  dans  ses  récits 
que  ses  observations  un  peu  banales  devant 
les  antiques  renommés  ou  les  peintures  de 
Raphaël. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  157 

Madame  Vigée-Le  Brun  visite  Rome  avec 
enchantement.  Accompagnée  d'abord  de  Ména- 
geot  et  du  peintre  Denis,  aucun  palais,  aucune 
villa  n'échappe  à  sa  curiosité  ;  initiée  par 
eux  aux  itinéraires  que  consacrent  l'admiration 
des  siècles  et  la  routine  des  ciceroni,  elle 
cherche  bientôt  l'agrément  des  promenades 
solitaires.  «  On  ne  se  lasse  point  de  revoir  ce 
Colisée,  ce  Capitole,  ce  Panthéon,  cette  place 
Saint-Pierre ,  avec  sa  colonnade,  sa  superbe 
pyramide,  ses  belles  fontaines,  que  le  soleil 
éclaire  d'une  manière  si  magnifique,  que  sou- 
vent l'arc-en-ciel  se  joue  sur  celle  qui  est  à 
droite  en  entrant.  »  Elle  connaît  les  points  de 
vue  fameux,  les  aspects  les  plus  goûtés  au 
clair  de  lune,  les  villas  dont  s'entretiennent 
les  étrangers.  Elle  a,  du  reste,  comme  il  con- 
vient, choisi  son  coin  préféré,  sur  les  hauteurs 
du  Monte-Mario,  où  elle  va  dîner  avec  les 
œufs  frais  de  Vosteria  et  le  poulet  froid  qu'ap- 
porte son  fidèle  Germain,  en  vue  de  la  belle 
ligne  lointaine  des  Apennins.  Partout  elle  se 
livre  à  des  émotions  d'artiste,  rêve,  crayonne, 
ne  s'ennuie  jamais.  Les  journées  passées  à 
Frascati,  à  Tivoli,  à  la  villa  Atlriana,  sont 
parmi  les  mieux  remplies  de  sa  vie.  a  Tous 
les  artistes   ont   dû  sentir,  comme   moi,   qu'il 


158  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

est  impossible  de  marcher  autour  de  Rome  sans 
éprouver  le  besoin  de  se  servir  de  ses  crayons; 
je  n'ai  jamais  pu  faire  un  petit  voyage,  pas 
même  une  promenade,  sans  rapporter  quel- 
ques croquis;  toute  place  m'était  bonne  pour 
me  poser,  tout  papier  me  convenait  pour  faire 
mon  dessin.  »  Il  lui  arrive  de  prendre  un 
coucher  de  soleil  de  la  terrasse  de  la  Trinité- 
des-Monts,  au  dos  d'une  lettre  de  change  de 
M .  de  Laborde. 

«  Il  n'existe  pas  une  ville  au  monde,  observe- 
t-elle,  dans  laquelle  on  puisse  passer  le  temps 
aussi  délicieusement  qu'à  Rome,  y  fût-on  privé 
de  toutes  les  ressources  qu'offre  la  bonne 
société.  »  Mais  notre  Parisienne  est  trop 
sociable  pour  négliger  ces  ressources,  dont 
Rome  abonde  en  tous  les  temps  et  que  lui 
offrent  naturellement,  outre  les  Français  établis 
dans  la  ville,  tous  ceux  que  les  troubles  du 
royaume  viennent  d'y  jeter.  Parmi  les  premiers, 
le  plus  illustre  est  le  cardinal  de  Bernis,  qui 
achève  péniblement  auprès  de  Pie  VI  la  mission 
diplomatique  et  religieuse  (]ue  Louis  XV  lui  a 
confiée;  son  accueil  reste  toujours  magnifique, 
sa  maison  aussi  grandement  hos])italière,  aussi 
rechercliée  des  étrangers  et  des  Romains. 
Madame  Le  Brun  raconte  le  beau  dîner  diplo- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  159 

matique,  donné  en  son  honneur,  où  elle  a  vu 
le  cardinal  manger  ses  deux  petits  plats  de 
légumes,  assis  entre  elle  et  Angelica  Kaufmann. 
L'ancien  ami  de  Madame  de  Pompadour 
rend  agréable  le  séjour  de  Rome  à  tous  ces 
nobles  voyageurs  qui  deviennent  des  émigrés, 
et  parmi  lesquels  l'artiste  retrouve  son  cher 
Vaudreuil,  Madame  de  Polastron,  qui  n'a  pas 
rejoint  encore  le  comte  d'Artois,  tous  les 
Polignac,  le  duc  et  la  duchesse  de  Flcury,  le 
duc  et  la  duchesse  de  Fitz-James,  et  cette 
pauvre  princesse  de  Monaco,  qui  aura  le  dange- 
reux courage  de  retourner  en  France  pendant 
la  Terreur.  L'artiste  prétend  avoir  évité  de 
fréquenter  la  famille  de  Polignac,  par  pru- 
dence, «  en  considération  des  parents  et  des 
amis  qu'elle  avait  en  France  ».  Des  lettres  de 
Vaudreuil  la  contredisent  sur  ce  point,  tout  en 
rendant  de  nouveaux  hommages  aux  charmes 
de  sa  société  ;  il  dit  au  comte  d'Artois  son 
regret  de  quitter  Rome  à  la  suite  de  ses  amis  : 
«  Les  arts  y  charmaient  mes  ennuis  ;  ma  ten- 
dresse pour  le  cardinal,  sa  bonté  pour  moi 
m'attachaient  à  cette  ville,  et  mon  bon  ange  y 
avait  amené  Madame  Le  Brun  que  j'aime  ten- 
drement. » 

L'amitié  la  plus  intime  réunit  alors  Madame 


160  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Vigée-Le  Brun  à  la  duchesse  de  Fleury, 
cette  Aimée  de  Coigny  que  son  mari  avait  cru 
prudent  d'emmener  en  Italie,  pour  soustraire 
sa  jeunesse  moins  aux  dangers  de  l'émeute 
révolutionnaire  qu'aux  séductions  déjà  victo- 
rieuses de  M.  de  Lauzun.  L'artiste  aima  son 
imagination  ardente,  sa  curiosité  de  l'art,  sa 
passion  pour  les  paysages  ;  «  je  trouvais  en  elle 
une  compagne  telle  que  je  l'avais  souvent 
désirée  ».  Et,  comme  elle  ne  peut  passer  sous 
silence  les  scandales  trop  connus  d'une  vie 
orageuse,  elle  en  excuse  au  moins  les  débuts  : 
((  Songeant  combien  elle  était  jeune,  combien 
elle  était  belle,  je  tremblais  pour  le  repos  de 
sa  vie  ;  je  la  voyais  souvent  écrire  au  duc  de 
Lauzun...  et  je  craignais  pour  elle  cette  liaison, 
quoique  je  puisse  penser  qu'elle  était  fort  inno- 
cente. »  Madame  Le  Brun  était-elle  vraiment 
assez  naïve  pour  croire  à  cette  innocence  ? 
Madame  de  Fleury,  en  tout  cas,  pouvait 
s'amuser  à  égarer  une  bonne  âme,  ([ui  ne 
s'aperçut  même  point  des  assiduités  de  lord 
Malmesbury,  très  vite  rival  de  l'absent,  et  se 
contenta  de  prendre  en  la  compagnie  i\c  la 
jeune  duchesse  un  très  vif  plaisir  de  sympathie. 
l']llcs  se  rencontraient  le  soir  chez  lady  Clifibrd, 
rendez-vous    de    la    société    anglaise,    ou    a    la 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  161 

conversazione  du  prince  Camille  de  Rohan, 
ambassadeur  de  Malte,  chez  qui  les  étrangers 
venaient,  suivant  l'usage  romain,  raconter  ce 
qu'ils  avaient  vu  dans  la  journée  et  se  ren- 
seigner sur  les  promenades  du  lendemain.  Le 
peintre  et  la  grande  dame  couraient  la  cam- 
pagne ensemble,  allaient  à  la  découverte  dans 
les  villas  inhabitées,  s'intéressaient  aux  fouilles 
et  aux  trouvailles  des  paysans .  Elles  fini- 
rent par  s'installer  quelque  temps  à  Genzano , 
dans  une  espèce  de  palais  ayant  appartenu 
à  Carlo  Maratta,  au  bord  du  charmant  lac  de 
Némi.  Elles  goûtèrent  extrêmement  le  pitto- 
resque du  pays  ;  on  avait  loué  des  ânes,  dont  un 
pour  la  petite  Le  Brun,  et  ce  furent  chaque  jour 
des  excursions  dans  les  monts  Albains,  au  bois 
de  Lariccia,  le  long  de  la  «  galerie  »  d'Albano  ; 
c'étaient  des  lieux  qu'Hubert  Robert  avait 
recommandés  à  son  amie,  et  qui  furent  toujours 
motifs  de  peintres.  Madame  Vigée-Le  Brun  y 
fit  beaucoup  de  paysages,  à  l'huile  et  au  pastel; 
mais  l'on  peut  regretter  qu'elle  n'ait  préféré 
reproduire  les  traits  de  la  jeune  compagne,  au 
a  visage  enchanteur  »,  au  «  regard  brûlant  », 
avec  qui  elle  faisait  si  «  bon  ménage  »  dans  la 
grande  maison  de  Genzano. 

Tous  ses  portraits  romains    sont  des    por- 


162  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

traits  d'étrangers.  Il  y  avait  à  Rome  une  clien- 
tèle toute  prête,  que  la  bonne  Kaufmann  ne 
suffisait  point  à  satisfaire  ;  la  Française  nou- 
velle venue  dut  à  sa  renommée  quelques  belles 
commandes.  Elle  peignit  lord  Bristol ,  une 
jeune  Portugaise  nommée  Madame  Silva,  Ma- 
demoiselle Roland,  maîtresse  et  bientôt  femme 
de  lord  Wolseley,  probablement  l'élégante  en 
robe  de  satin  rayé ,  qui  joue  de  la  harpe, 
debout  auprès  d'une  table  où  est  posé  un  vase 
étrusque  ;  miss  Pitt,  fille  de  lord  Camelford, 
une  beauté  de  seize  ans,  qui  devint  une  Hébé 
sur  les  nuages,  tenant  la  coupe  d'usage,  où 
l'aigle  vient  boire.  L'aigle  fut  peint  d'après 
nature  ;  le  cardinal  de  Bernis,  qui  en  possédait 
un,  l'envoya  chez  l'artiste,  qui  eut  grand'peur 
de  son  bec  et  grand'peine,  comme  on  peut  le 
croire,  à  le  faire  tenir  en  paix.  Le  plus  pitto- 
resque de  ces  portraits  de  Rome  fut  relui  d'une 
Polonaise,  la  comtesse  Potocka ,  née  Cetner, 
qui  avait  été  princesse  de  Lambesc  par  un 
mariage  précédent  ;  elle  fut  placée  de  face,  les 
mains  croisées,  aj^puyée  sur  un  rocher  surplom- 
bant un  ravin  où  tombent  des  cascades.  Il  y 
a  évidemment,  dans  cette  disposition  a  pitto- 
resque »  à  l'excès,  un  souvenir  de  la  promenade 
faite  par  l'artiste,  avec  ses  confrères  Ménageot 


LA  COMTESSE  POTOGKA,  NÉE  GETNER 

1790 

(Collection  de  M.  le  comte  Charles  Lanchoromhij 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  163 

et  Denis,  aux  classiques  cascatelles  de  Tivoli. 

Au  mois  d'avril,  la  Semaine  sainte  étant 
passée.  Madame  Vigée-Le  Brun  suivit  l'exemple 
des  étrangers  et  se  proposa  d'aller  séjourner 
quelque  temps  à  Naples.  Elle  s'y  rendit  par  la 
route  de  Terracine  et  prit  son  logis  à  Chiaia,  à 
l'hôtel  du  Maroc,  dans  un  de  ces  beaux  sites 
de  la  «  Marine  »,  que  décrivent  si  abondam- 
ment les  Souvenirs.  Fêtée,  dès  son  arrivée, 
par  le  monde  diplomatique,  elle  eut  tout  aussi- 
tôt des  portraits  à  faire,  dont  le  premier  fut 
celui  de  la  comtesse  Catherine  Vassilievna  Ska- 
vronsky,  femme  de  l'ambassadeur  de  Russie; 
c'était  une  nièce  de  Potemkine,  «  jolie  comme 
un  ange  »  et  d'une  grâce  alanguie  et  pares- 
seuse ;  son  bonheur  était  «  de  vivre  étendue 
sur  un  canapé,  enveloppée  d'une  grande  pelisse 
noire  et  sans  corset  »  ;  et  elle  était  si  indiffé- 
rente, même  à  sa  beauté,  qu'on  ne  lui  voyait 
jamais  porter  les  magnifiques  diamants  de  son 
écrin  et  qu'elle  ne  faisait  plus  ouvrir  les  caisses 
de  Paris,  remplies  des  plus  belles  parures  de 
Mademoiselle  Berlin,  que  sa  belle-mère  com- 
mandait pour  elle.  Cette  belle-mère,  qui  l'ado- 
rait autant  que  son  mari,  fit  graver  par  G.  Mor- 
ghen,  l'année  suivante,  la  toile  de  Madame  Le 


164  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Brun,  qui  la  représente  sur  son  divan  regar- 
dant amoureusement  un  médaillon  conjugal. 
L'artiste  fit  trois  fois  la  délicieuse  image  de  la 
jeune  femme,  qui  devait,  après  la  mort  de 
l'ambassadeur,  épouser  le  bailli  Litta,  expres- 
sément relevé  pour  elle  des  vœux  de  Malte  par 
le  Saint-Père.  Le  séjour  de  Madame  Le  Brun 
à  Naples  dut  beaucoup  d'agrément  à  cette  hos- 
pitalière famille  et  aussi  à  l'accueil  du  baron 
de  Talleyrand,  ambassadeur  de  France,  et  du 
chevalier  Ilamilton,  ambassadeur  d'Angleterre. 
Le  fils  du  premier  lui  fit  faire  la  visite  de 
Capri  ;  le  second,  la  tournée  d'Ischia  et  de 
Procida,  qui  dura  cinq  jours.  L'Anglais  avait 
dans  sa  felouque,  avec  les  musiciens,  une 
Mrs.  Ilart,  qui  était  sa  maîtresse  et  dont  il 
allait  faire,  peu  de  temps  après,  la  célèbre  lad)' 
Ilamilton. 

On  sait  quelle  beauté  prestigieuse  avait 
cette  femme  et  la  singulière  aptitude  de  son 
visage  à  se  prêter  à  toutes  les  expressions. 
Priée  par  le  chevalier  Ilamilton,  séduite  par  le 
charme  étrange  qu'offrait  un  tel  modèle  et 
qu'un  si  grand  nombre  d'artistes  ont  cherché 
à  rendre,  Madame  Vigée-Le  Brun  la  peignit 
trois  fois.  Elle  en  fit  d'abord  une  Ariane,  ainsi 
qu'elle   l'écrivait    à   Madame   du   Barry.    «    une 


MADAME    VIGEE-LE     BRUN  165 

Ariane  gaie  » ,  qui  fut  sans  doute  transfor- 
mée en  «  Bacchante  au  bord  de  la  mer  »,  puis 
une  Sibylle,  enfin  une  Bacchante  dansant  avec 
un  tambour  de  basque.  Elle  savait  beaucoup 
d'anecdotes  sur  la  célèbre  aventurière,  qui, 
paraît-il,  manquait  d'élégance  et  s'habillait 
«  très  mal  »  hors  de  ses  poses  .  Le  portrait 
en  Sibylle  fut  fait  à  Caserte,  où  elle  habitait 
alors,  et  le  peintre  y  amena  un  jour  la  du- 
chesse de  Fleury  et  la  princesse  Joseph  de 
Monaco,  qui  assistèrent  à  la  séance.  Elle  avait 
coilTé  Mrs.  Hart  d'un  châle  tourné  autour  de  la 
tête  en  forme  de  turban,  dont  un  bout  retom- 
bait et  faisait  draperie.  Cette  coiffure  l'embel- 
lissait tellement  et  l'expression  prise  par  le 
modèle  était  si  particulière  que  ces  dames, 
invitées  à  dîner  par  le  chevalier  Hamilton,  ne 
reconnurent  point  tout  d'abord  la  jeune  femme 
quand,  ayant  repris  sa  toilette  ordinaire,  elle 
vint  les  retrouver  au  salon.  La  Sibylle,  dont 
le  peintre  n'exécuta  alors  qu'un  buste,  fut  répé- 
tée à  Rome,  en  1792,  en  une  grande  toile,  avec 
son  attitude  inspirée,  le  beau  corps  drapé  de 
rouge  franc,  le  front  serré  d'un  turban  vert 
pâle.  Ce  portrait  fameux  fut  un  de  ceux  aux- 
quels Madame  Le  Brun  attacha  le  plus  de 
prix  ;   elle  le  garda  et  le  transporta  avec  elle 


166  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

pendant  ses  voyages,  le  déroulant,  à  chaque 
arrêt,  pour  en  faire  juger  les  connaisseurs.  Elle 
ne  consentit  à  s'en  défaire  que  fort  tard,  pour 
la  duchesse  de  Berry. 

Madame  Vigée-Le  Brun  se  plut  extrême- 
ment à  Naples  ;  elle  monta  plusieurs  fois  au 
Vésuve,  assista  aux  fêtes  populaires,  visita  les 
ruines  classiques,  poussant  jusqu'aux  temples 
de  Paestum,  faisant  de  l'archéologie  à  l'occa- 
sion, comme  tout  le  monde  en  fait  en  ce  bien- 
heureux pays.  De  nombreuses  pages  des  Sou- 
venirs  sont  consacrées  à  ce  séjour  et  comptent 
parmi  les  mieux  venues.  On  peut  y  comparer 
une  des  lettres  qu'elle  écrivit  alors,  où  se 
retrouvent  plusieurs  des  impressions  dévelop- 
pées abondamment,  et  d'un  tout  autre  style, 
par  le  rédacteur  de  l'ouvrage.  D'autres  lettres 
reprises  et  insérées  au  milieu  des  récits,  une 
à  Hubert  Robert  sur  Rome,  une  à  Brongniart 
sur  le  Vésuve,  ont  subi  tout  un  remaniement 
littéraire  ;  celle  que  Madame  du  Barry  reçut 
de  son  amie,  dans  l'été  de  1790,  est  authen- 
tique ; 

Madame  la  Comtesse, 

Voilà  des  siècles   que  je  di^sire  me  rappeler  à  votre 
souvenir  et  à  vos  bontés.   Ce   n'est  point  oubli,   je   vous 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  167 

assure;  mais  j'ai  si  peu  de  moments  à  moi,  M.  Robert  a 
dû  vous  informer  combien  je  m'occupais  de  vous,  Madame 
la  Comtesse,  et  l'ai  prié  souvent  de  me  donner  de  vos 
nouvelles;  j'espère  qu'il  aura  eu  l'honneur  de  vous  le  dire. 
Je  suis  actuellement  à  Naples,  qui  est  un  séjour  délicieux; 
la  nature  s'est  plu  à  embellir  ce  beau  climat;  le  ciel  y  est 
pur;  la  vue  de  la  mer,  qui  encadre  la  ville,  qui  surmonte 
la  terrible  (sic)  en  amphithéâtre,  font  tout  ensemble  un 
coup  d'œil  pittoresque  et  charmant.  Je  vais  m'y  promener 
souvent,  et  c'est  un  grand  plaisir  de  suivre  le  coteau  de 
Pausilipe  qui,  de  même  en  amphithéâtre,  nous  montre  des 
maisons  de  campagne  de  distance  en  distance.  J'y  ai  fait 
aussi  mes  courses  d'antiquités,  en  parcourant  les  lieux 
qu'a  si  bien  décrits  Virgile.  Ces  tristes  restes  de  monu- 
ments détruits  ne  sont  plus  que  des  vestiges  informes,  et 
cependant  on  les  voit  avec  un  respect,  un  sentiment  que 
l'on  ne  peut  décrire.  Ce  qui  m'a  le  plus  enchantée  est  la 
vue  du  promontoire  de  Misène,  Procita,  Iscya.  Du  haut 
du  lac  Averne,  on  découvre  ces  trois  îles  se  détachant 
dans  l'étendue  de  la  vaste  mer.  C'est  une  vue  vraiment 
poétique  ;  le  jour  le  plus  pur  éclaire  ces  masses  dune  ma- 
nière aérienne,  le  calme  qui  y  règne,  tout  cela  produit  un 
effet  magique  ;  l'on  croit  rêver  en  regardant.  Je  suis  allée 
aussi  à  Paestum  ;  ce  voyage  est  très  fatigant,  mais  j'avoue 
qu'on  ne  tient  pas  au  désir  de  voir  des  monuments  de 
3  ou  4,000  ans  si  près  de  soi,  la  distance  n'étant  que  de 
25  lieues.  C'est  là  où  l'on  voit  trois  temples,  dont  un,  celui 
de  Junon,  bien  conservé;  sa  forme  extérieure  est  presque 
en  son  entier;  il  est  d'ailleurs  noble  et  imposant  comme 
tout  ce  qu'ont  fait  les  Anciens.  Nous  ne  sommes  en  com- 
paraison que  des  pygmées.  Ce  n'est  pas  qu'il  ne  reste 
aussi  des  choses  qui  ont  leur  échelle  très  petite,  car  la 
ville  de  Pompéia  est  d'une  proportion  de  petitesse  in- 
croyable.   Le   temple   qu'on  y  voit,  celui  d'isis,  est  très 


168  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

petit,  les  maisons  aussi  ;  mais  il  faut  croire  que  c'était 
un  faubourg  ou  bien  quelque  chose  comme  cela. 

Mais,  pour  en  revenir  à  Naples  et  à  ce  qui  l'entoure, 
j'avoue  qu'il  faut  voir  ce  pays  comme  une  lanterne  ma- 
gique délicieuse  ;  mais  y  fixer  ses  jours,  il  faut  être  accou- 
tumé à  l'idée  et  à  la  terreur  qu'inspirent  ces  volcans.  Ce 
mont  Vésuve  fait  peur,  et  surtout,  comme  l'on  n'en  peut 
douter,  tous  ces  lieux  d'alentour  sont  toujours  en  atten- 
dant ou  éruptions  ou  tremblements  de  terre,  ou  même  la 
peste  qui  existe  à  deux  ou  trois  lieues  pendant  la  grande 
chaleur.  Les  lacs  où  l'on  met  rouir  le  lin  produit  (sic)  aux 
habitants  des  campagnes  un  air  infecté,  qui  leur  donne  la 
fièvre  et  la  mort.  Voilà  le  revers  de  la  médaille.  Sans  tous 
ces  petits  inconvénients,  tout  le  monde  habiterait  ce  déli- 
cieux climat.  Je  comptais  n'y  rester  que  six  semaines  ; 
mais  j'y  ai  tant  de  tableaux  à  faire  que  j'y  suis  pour  six 
mois  ;  cela  retarde  mon  doux  projet  de  Luciennes,  celui 
de  terminer  votre  portrait  au  mois  d'octobre.  Mais  que  je 
reviendrai  avec  plaisir  !  Car  là  tout  est  beau,  tout  est  bien, 
point  de  revers  de  médaille. 

Je  peins  ici  Madame  de  Skavronski,  l'anibassadrico  de 
Russie,  qui  est  fraîche,  jolie  et  excellentissime  personne. 
Je  devais  commencer  par  vous  instruire  que  j'ai  aussi  les 
enfants  de  la  Reine  :  les  deux  aînés  sont  déjà  fort  avancés. 
Le  Roi  et  la  Reine,  à  qui  j'ai  eu  l'honneur  d'être  présentée 
avec  le  tableau  que  j'ai  fait  à  Rome,  m'ont  reçue  avec  une 
bonté  et  une  grâce  parfaites.  En  tout,  je  n'ai  qu'à  me 
louer  de  l'indulgence  que  l'on  m'a  accordée  à  Rome  et  à 
Naples,  et  même  dans  les  villes  où  je  n'ai  fait  que  passer. 
L'on  m'a  reçue  de  toutes  les  Académies  ;  cela  ne  fait 
que  m'encourager  à  mériter  de  si  flatteuses  distinctions. 
Je  peins  aussi  une  très  belle  femme,  Madame  Hart,  qui 
est  amie  du  ministre  d'Angleterre  ;  j'en  fais  un  grand 
tableau  d'Ariane  gaie,  sa  figure  prêtant  à  ce  choix.  Mais  je 


LA  COMTESSE  CATHERINE-VASSILIEWNA 
SKAVRONSKY 

PLUS    TARD    MAHIÉE    AU    nAILLI    LITTA 

1700 

fColleclion  de  Madame  la  princesse  Z.  i'oustoupoff'i 


MADAME    VIGÉE-LE    BRUN  169 

crains  bien,  Madame  la  Comtesse,  d'abuser  de  votre  com- 
plaisance en  vous  faisant  tous  ces  détails  ;  cette  lettre  est 
déjà  trop  longue  ;  j'ai  compté  sur  l'intérêt  que  vous  avez 
eu  la  bonté  de  me  témoigner  ;  pardonnez-moi  donc  de 
causer  aussi  longtemps  avec  vous.  Soyez  assurée  par  là 
même  que  je  ne  vous  oublie  pas  et  que  ce  sera  pour  moi 
un  grand  bonheur  d'être  au  moment  où  je  pourrai  vous  en 
dire  encore  davantage.  Malgré  toutes  les  jouissances  que 
les  arts  me  procurent  dans  ce  voyage,  je  retournerai  avec 
un  grand  plaisir  pour  revoir  tout  ce  qui  m'attache  à  ma 
patrie  ;  c'est  le  mot,  n'est-ce  pas  ?  Avant  d'y  revenir,  je 
veux  revoir  encore  ma  chère  Rome,  que  j'idolâtre  par  tout 
ce  qu'elle  renferme  de  divin.  Ah  !  c'est  là  où  je  voudrais 
vivre  avec  mes  parents  et  amis. 

Mais  enfin,  je  veux  en  finir,  car  si  je  décrivais  Rome, 
je  ne  quitterais  pas  la  plume  de  sitôt,  et  ce  qui  m'occupe 
en  ce  moment,  c'est  la  prière  que  je  vous  fais.  Madame  la 
Comtesse,  de 'me  donner  de  vos  nouvelles,  et  si  votre 
santé  est  aussi  bonne  que  je  1  ai  laissée.  Parlez-moi  aussi 
de  M.  le  duc  de  Brissac  ;  se  souvient-il  de  moi  ?  Si  vous 
voyez  Madame  l'ambassadrice  de  Portugal ,  Madame  la 
comtesse  de  Brunoy,  rappelez-moi,  je  vous  prie,  à  leur 
souvenir  en  les  assurant  de  mes  hommages  respectueux. 
C'est  avec  les  mêmes  sentiments  que  j'ai  l'honneur  d'être, 
Madame  la  Comtesse, 

Votre  très  humble  et  très  obéissante  servante, 

Le  Brun. 

Je  vous  prie  aussi  de  ne  pas  m'oublier  auprès  de  M.  il 
Madame  de  Boisséson;  comment  se  portent-ils  et  ce  qui 
leur  appartient  ?  —  La  Reine  est  accouchée  hier  d'un 
prince,  ce  qui  cause  une  joie  générale  à  Naples. 

La  reine  Marie -Caroline  fut  enchantée   de 


170  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

voir  dans  ses  états  l'artiste  qui  était  le  peintre 
attitré  de  sa  sœur,  la  reine  de  France.  Elle  eut 
aussitôt  l'idée  d'utiliser  sa  présence  pour  avoir 
de  jolis  portraits  de  ses  deux  filles,  dont  elle 
négociait  le  mariage.  Un  matin,  Madame  Le 
Brun  vit  entrer  chez  elle  le  baron  de  Talley- 
rand,  chargé  de  lui  faire  part  du  désir  royal. 
L'artiste  se  mit  sans  délai  au  travail  et,  toute 
flattée  qu'elle  fût,  ne  trouva  pas  près  de  ses  mo- 
dèles princiers  le  même  agrément  qu'avec  les 
autres.  La  fille  aînée  de  la  Reine,  la  princesse 
Marie-Thérèse,  était  fiancée  à  l'empereur  Fran- 
çois II  ;  la  cadette,  Marie-Louise,  laide  et  gri- 
macière, allait  épouser  le  grand-duc  de  Tos- 
cane. Il  fallut  ensuite  peindre  Marie-Christine, 
plus  tard  reine  de  Sardaigne,  et  le  prince  royal. 
Mais  Marie-Caroline,  satisfaite  de  l'artiste,  avec 
qui  librement  elle  pouvait  parler  de  sa  haine 
contre  la  révolution  de  France ,  tenait  elle- 
même  à  avoir  son  image  de  cette  main  habile 
à  flatter  les  reines.  Un  voyage  à  Vienne  avec  le 
Roi  en  empêcha  rimmédiatc  exécution.  Madame 
Le  Brun  en  profita  pour  revenir  à  Rome,  en 
mars  i7*Jl,  passer  la  Semaine  sainte  et  revoir 
ses  amis.  Ménageot  écrivait  à  M.  d'Angivillcr  : 
a  Madame  Le  Brun,  qui  a  eu  les  plus  grands 
succès  à  Naples,   compte   venir  incessamment 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  171 

passer  six  semaines  à  Rome,  pour  se  refaire  du 
travail  et  de  l'air  de  Naples,  qui  avaient  altéré 
sa  santé  ;  elle  retournera  à  Naples  en  même 
temps  que  le  Roi  et  la  Reine,  dont  elle  doit 
faire  les  portraits.   » 

Les  six  semaines  de  repos  si  nécessaire  se 
réduisirent  à  quelques  jours  ;  à  peine  arrivée, 
l'artiste   dut    repartir   pour  Naples,    où    Leurs 
Majestés  napolitaines  venaient  de  rentrer,    et 
elle  peignit  alors  le  tableau  où  Marie-Caroline 
rappelle  si  curieusement  Marie-Antoinette  dans 
le  dernier  portrait  fait  à  Versailles.   L'attitude 
est  en  partie  la  même  ;  la  coiffure,  le  fichu,  le 
collier  ressemblent  à  ceux  que  porte  la  reine 
de  France;    le  livre  sur  les  genoux  est  placé 
identiquement;   seul   le  bras  gauche,   accoudé 
sur  un  coussin,  fait  reposer  la  tête  sur  la  main 
d'une  façon   assez  maladroite.  Mais  la  grande 
différence  est  dans  l'interprétation  du  visage  ; 
en    peignant    Marie  -  Antoinette,    Madame    Le 
Brun  se  souvenait  de  tant  d'études  faites  d'un 
jeune  visage  et  en  conservait  naturellement  la 
grâce  sous  ses    pinceaux  ;    mise    en    présence 
de    Marie -Caroline    quadragénaire,    et   voyant 
pour  la   première    fois    ces    traits   usés   avant 
l'âge,  ravagés  par  les  passions  et  les  ambitions 
de  tant  d'années,  il  lui  fut  impossible  de  leur 


172  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

rendre  une  fraîcheur  qu'ils  n'eurent  d'ailleurs 
jamais.  C'est  donc  presque  une  vieille  femme 
dure  et  sans  bonté  que  nous  fait  entrevoir 
l'artiste,  malgré  l'effort  trop  visible  d'une  flat- 
terie impuissante. 

Elle  se  trouve  plus  à  l'aise  avec  l'excellent 
Paesiello,  le  musicien  de  la  Cour,  qu'elle  repré- 
sente dans  le  feu  de  la  composition  du  Te 
Deum  chanté  à  l'occasion  de  l'heureux  voyage 
des  souverains.  Ses  yeux  se  lèvent  vers  le  ciel, 
sa  bouche  s'entr'ouvre,  tandis  que  ses  doigts 
courent  sur  le  clavier.  L'œuvre,  justement 
célèbre,  est  plus  près  de  la  vérité  que  tant 
d'effigies  conventionnelles  dont  Madame  Vigée- 
Le  Brun  va  être  désormais  prodigue.  Au  Salon 
du  Louvre  où  elle  l'envoie,  roulé  avec  une 
toile  de  Ménageot,  le  Paesiello  fait  sensation  ; 
il  y  mérite  l'éloge  de  David  et  soutient  la  répu- 
tation de  l'auteur.  Mais  c'est  le  moment  du 
triomphe  incontesté  de  Madame  Labille-Guiard, 
désormais  débarrassée  de  l'illustre  rivale  et 
toute  vouée  aux  célébrités  nouvelles.  Une  quan- 
tité de  ses  pastels  représentent  les  hommes 
du  jour  :  Robespierre,  les  frères  Lameth,  Bar- 
nave,  Victor  de  Broglie,  M.  d'Orléans,  d'autres 
Constituants  encore  ;  ces  modèles,  Madame  Le 
Brun  rougirait  de  les  peindre,  elle  qui  est  atta- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  173 

chée  si  fidèlement  aux  idées  de  ses  princes. 
Elle  reçoit,  à  cette  époque,  de  pénibles  nou- 
velles de  France.  Ce  n'est  plus  M.  dWngiviller 
qui  a  présidé  à  l'ouverture  du  Salon,  le  dernier 
que  fera  l'Académie  royale  ;  le  directeur  géné- 
ral des  Bâtiments,  dénoncé,  menacé  comme 
tant  d'autres  serviteurs  du  Roi,  a  dû  quitter 
son  poste  et  fuir  en  Allemagne.  Tous  les  liens 
de  société  sont  détruits  ;  Madame  Le  Brun 
apprend  avec  indignation  que  plusieurs  de  ses 
anciens  familiers,  tels  que  Chamfort  et  Gin- 
guené,  servent  bruyamment  la  Révolution,  et 
Delille  lui  écrit  :  «  La  politique  a  tout  perdu  ; 
on  ne  cause  plus  à  Paris  !   » 

A  Rome  même,  où  elle  revient  après  avoir 
travaillé  pour  la  reine  de  Naples,  elle  trouve 
déjà  bien  changé  le  milieu  qu'elle  a  connu 
l'année  précédente.  Le  cardinal  de  Bernis  a  dû 
remettre  au  Pape  ses  lettres  de  rappel  ;  la 
France  n'est  plus  représentée  auprès  du  Saint- 
Siège  ;  les  Français  sont  mal  vus  dans  la  ville, 
car  beaucoup  professent  des  idées  révolution- 
naires ;  les  artistes  surtout,  (pii  sont  nom- 
breux, les  affichent  volontiers,  et  il  n'est  pas 
jusqu'aux  jeunes  pensionnaires  du  Roi  <|iii  no 
causent  les  plus  grands  soucis   à   leur  honnête 


174  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

directeur.  L'arrestation  de  la  famille  royale  à 
Varennes  est  une  nouvelle  réjouissante  pour 
ces  «  jacobins  »  ;  elle  consterne  Madame  Le 
Brun  et  ses  amis.  Sa  dernière  joie,  pendant  ce 
séjour,  est  de  faire  le  portrait  de  Mesdames 
Adélaïde  et  Victoire,  qui  viennent  d'arriver  à 
Rome,  heureuses  de  trouver  à  leur  disposition 
l'artiste  qu'elles  n'avaient  jamais  fait  appeler  à 
Versailles.  C'est  qu'alors  on  boudait  volontiers 
Marie-Antoinette,  on  critiquait  ses  goûts  autant 
que  sa  conduite  ;  dans  le  malheur  survenu, 
devant  la  menace  des  événements,  on  la  plaint, 
on  la  soutient  même,  on  approuve  sa  politique. 
Madame  Adélaïde  va  louer  sa  fermeté  et  son 
courage,  et  Madame  Victoire,  après  le  Dix- 
Août,  ira  jusqu'à  la  nommer  «  notre  malheu- 
reuse et  héroïque  reine  ».  Tels  sont  à  présent 
les  sentiments  de  la  petite  cour  de  Mesdames, 
où  se  trouve  parmi  les  fidèles  la  comtesse 
d'Osmond,  dont  la  fdle  a  pour  camarade  de 
jeu  celle  de  Madame  Le  Brun,  Celle-ci  est  natu- 
rellement très  goûtée  dans  le  cercle  des  vieilles 
princesses,  que  les  patriotes  de  Rome  appellent 
déjà  «  les  demoiselles  Capet  »  et  que  la  Révo- 
lution viendra  chasser  bientôt  de  l'abri  qu'elles 
ont  cru  trouver  à  l'ombre  du  Vatican. 

Madame  Vigée-Le  Brun    quitte  Rome  bien 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  175 

avant  les  événements  tragiques  qui  précipite- 
ront les  représailles;  mais  elle  a  pu  savoir  que 
le  gouvernement  pontifical  prenait  déjà  des 
mesures  sévères  contre  ses  compatriotes,  en 
expulsant  des  États  romains  de  nombreux 
artistes  imprudents  dans  leurs  propos.  Elle  a 
conservé  la  date  de  son  départ,  le  14  avril  1792, 
et  le  souvenir  de  ses  regrets.  Elle  a  décrit  la 
noble  vallée  du  Tibre,  les  cascades  de  Terni 
qu'elle  dessina,  l'aspect  de  Spolète  et  de 
Pérouse,  les  peintures  de  Raphaël  rencontrées 
sur  le  chemin,  telle  que  la  Madone  de  Foligno, 
encore  à  sa  place  primitive.  Elle  a  dit  le  plai- 
sir qu'elle  avait  eu  à  donner  aux  chefs-d'œuvre 
de  Florence  plus  de  temps  qu'à  son  premier 
passage.  Elle  y  trouvait  installé  dans  la  galerie 
des  portraits  d'artistes  celui  qu'elle  avait 
envoyé  de  Rome,  le  26  août  précédent,  avec 
une  belle  lettre  au  grand-duc  de  Toscane.  Le 
chevalier  Pelli,  directeur  de  la  galerie  grand- 
ducale,  rappelait  dans  son  rap})ort  le  succès 
qu'avait  eu  à  Rome  et  à  Naples  la  réplique 
qu'elle  en  avait  faite  })Our  lord  Bristol,  et  il 
ajoutait  :  Qucsto  ritratto  rapp  resent  a  la  Brun 
sedente  in  atto  di  coniinc la r  quello  délia 
regina  Maria  Antonictta,  e  de  più  che  mezza 
figura,    in  habito  nero,  dipinto  alla  Van  Dyck 


176  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

con  una  franchezza  et  con  una  inlelligenza 
singolare,  onde  pare  uscilo  dal  penello  di  un 
iiomo  di  sommo  inerito,  piii  che  da  quello  di 
una  femina.  On  sait  que  Vivant  Denon,  gra- 
vant à  l'eau-lorte  cette  œuvre  fameuse,  rem- 
plaçait par  la  tête  de  Raphaël  celle  de  Marie- 
Antoinette,  qui  est  indiquée  sur  l'original  et 
que  Madame  Le  Brun  avait  tenu  à  y  mettre 
pour  rappeler  au  souvenir  de  tous  son  titre  de 
peintre  de  la  Reine  ;  mais  le  prudent  graveur 
ne  trahissait  pas  tout  à  fait  sa  compatriote, 
car  elle  avait  copié,  précisément  à  Florence, 
le  portrait  de  Raphaël  par  lui-môme  qui  ne 
quitta  jamais  son  atelier. 

Elle  rencontra  Denon  à  Venise,  où  elle  se 
rendit,  non  sans  avoir  visité  Sienne,  Parme  et 
Mantoue.  L'ancien  diplomate  n'était  plus  qu'un 
artiste,  parcourant  à  nouveau  pour  son  seul 
plaisir  cette  Italie  qu'il  avait  appris  à  aimer  au 
service  du  Roi.  Sa  présence  rendit  infiniment 
agréable  à  Madame  Le  Brun  le  séjour  au  mi- 
lieu des  dernières  élégances  de  la  déclinante 
Sérénissime.  Il  se  fit  son  cicérone,  la  condui- 
sit, le  lendemain  de  son  arrivée,  à  la  cérémo- 
nie du  mariage  du  Doge  avec  la  mer,  lui 
montra  les  églises  où  les  peintres  vénitiens 
n'avaient   pas  de    plus   fervent    commentateur 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  177 

que  lui.  Elle  s'enthousiasma  pour  les  fresques 
du  Tintoret  et  aussi  pour  les  pastels  de  la 
Rosalba.  Elle  ne  fut  pas  moins  ravie  par  la 
belle  amie  de  son  guide,  cette  signora  Isabella 
Marini,  d'origine  grecque  et  née  Teotochi,  qui 
épousa  plus  tard  le  comte  Albrizzi,  et  qui  était, 
à  cette  date,  la  beauté  célèbre  et  représenta- 
tive dont  Venise  ne  peut  se  passer.  Comme 
elle  y  joignait  beaucoup  d'esprit,  son  salon 
devenait  le  rendez-vous  de  l'Europe.  Madame 
Le  Brun  prit  plaisir  à  peindre  sa  tête  char- 
mante, les  sombres  cheveux  retenus  par  une 
bandelette  blanche  retombant  en  boucles  sur 
les  épaules  demi-nues,  beauté  presque  roman- 
tique de  la  «  sage  »,  de  la  «  divine  »  Isabella, 
que  va  servir  Foscolo. 

Madame  Vigée-Le  Brun  ({uitte  Venise  pour 
rentrer  en  France.  Elle  s'arrête  à  Padoue,  où 
elle  remarque  pour  la  première  fois  des  pein- 
tures antérieures  à  celles  (ju'cllo  aclniiie  avec 
son  temps,  les  fresques  «  très  bien  compo- 
sées »  de  Giotto,  qu'elle  croit  avoir  vues  à  la 
basilique  de  Saint-Antoine,  et  celles  d'un  cer- 
tain Montigni,  (jui  n'est  autre  (pie  Mantegna, 
«  dont  les  figures,  dit-elle,  el  tous  leurs  acces- 
soires sont  de  la  plus  grande  finesse  ».  Elle 
visite  Vicence  et  passe  une  semaine  à  Vérone, 


178  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

en  la  compagnie  de  nobles  clames  italiennes 
«  fort  spirituelles  ».  A  Turin,  elle  voit  la  reine 
de  Sardaigne,  la  bonne  Madame  Clotilde  de 
France,  pour  laquelle  elle  a  des  lettres  de 
Mesdames,  mais  qui  refuse  de  se  faire  peindre; 
«  le  gros  Madame  »  a  renoncé  au  monde, 
coupé  ses  cheveux  et  fini  par  devenir  mécon- 
naissable de  maigreur.  Madame,  comtesse  de 
Provence,  après  un  fâcheux  séjour  à  Coblentz, 
a  trouvé  asile  dans  son  cher  Piémont  ;  elle 
reçoit  affablement  son  peintre  d'autrefois,  lui 
donne  pour  compagne  de  promenade  sa  fidèle 
lectrice,  cette  Madame  de  Gourbillon  qui  a  orga- 
nisé la  fuite  de  Paris  et  dont  Madame  Vigée- 
Le  Brun  fait  le  portrait.  Elles  gémissent 
ensemble  sur  le  malheur  des  temps,  et  ca- 
ressent cependant,  comme  tous  les  émigrés 
d'alors,  res})oir  d'un  prompt  rétablissement  de 
l'ordre  et  du  châtiment  légitime  des  rebelles. 
Porporati  ayant  offert  à  l'artiste  d'habiter,  pen- 
dant les  chaleurs  d'août,  une  ferme  qu'il  a  en 
pleine  campagne,  aux  environs  de  Turin,  elle  y 
prend,  avec  sa  fille,  tout  le  plaisir  n  dos  lieux 
enchanteurs  et  solitaires  »  ,  quand  les  nou- 
velles de  France  viennent  l'arracher  à  ses  rêves 
de  retour  :  «  La  charrette  (jiii  aj)|)ortait  les 
lettres  étant  arrivée  un   soir,  le  voilurier  m'en 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  179 

remit  une  de  mon  ami  M.  de  Rivière,  frère  de 
ma  belle-sœur,  qui  m'apprenait  les  affreux  évé- 
nements du  Dix-Août  et  me  donnait  des  détails 
épouvantables.  J'en  fus  bouleversée  ;  ce  beau 
ciel,  cette  belle  campagne,  se  couvrirent  à  mes 
yeux  d'un  voile  funèbre.  Je  me  reprochai 
l'extrême  quiétude,  les  douces  jouissances  que 
je  venais  de  goûter;  dans  l'angoisse  que 
j'éprouvais,  d'ailleurs,  la  solitude  me  devenait 
insupportable,  et  je  pris  le  parti  de  retourner 
aussitôt  à  Turin.  En  entrant  dans  la  ville,  que 
vois -je,  mon  Dieu  ?  Les  rues  encombrées 
d'hommes,  de  femmes  de  tout  âge,  qui  se  sau- 
vaient des  villes  de  France  et  venaient  à 
Turin  chercher  un  asile .  Ils  arrivaient  par 
milliers,  et  le  spectacle  était  déchirant.  La 
plupart  d'entre  eux  n'emportait  ni  paquets, 
ni  argent,  ni  même  de  pain,  car  le  temps  leur 
avait  manqué  pour  songer  à  autre  chose  qu'à 
sauver  leur  vie...  Madame  fît  porter  de  nom- 
breux secours  ;  nous  parcourûmes  la  ville, 
accompagnées  de  son  écuyer,  cherchant  des 
logements  et  des  vivres  pour  les  malheureux, 
sans  pouvoir  en  trouver  autant  qu'il  fallait.  » 
Pendant  ces  tristes  jours,  les  mauvaises  nou- 
velles se  multiplient;  M.  de  Rivière  arrive  lui- 
même,  ayant  fait  un  voyage  difficile,  ayant  vu 


180  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

mille  horreurs  le  long  de  la  route  et  le  mas- 
sacre des  prêtres  au  Pont-de-Beauvoisin,  rassu- 
rant cependant  l'artiste  sur  la  vie  de  ses  pa- 
rents et  de  ses  amis. 

Il  ne  peut  plus  être  question  de  rentrer  à 
Paris.  Au  reste,  Madame  Le  Brun  est  sur  la 
liste  des  émigrés  et  sous  le  coup  des  lois  qui 
les  frappent.  C'est  en  vain  que  son  mari  a 
tenté  de  lui  faire  appliquer  l'exception  stipulée 
en  faveur  des  artistes  absents  de  France  pour 
leurs  travaux.  Une  pétition  à  la  Convention, 
présentée  le  10  frimaire  an  II,  n'a  pas  reçu  de 
réponse.  Le  Brun,  rallié  prudemment  aux  idées 
nouvelles,  défend  sa  femme  devant  l'opinion 
par  un  plaidoyer  mis  en  brochure  qui  ne  suffira 
pas  à  détruire  la  légende  de  «  la  maîtresse  de 
Calonne  ».  Il  faut  que  l'artiste  se  résigne  à 
l'exil. 

Elle  loue  d'abord,  avec  M.  de  Rivière,  une 
vigne  sur  le  coteau  de  Moncalieri  ;  le  calme 
champêtre  et  le  caractère  paisible  des  habitants 
la  reposent  de  ses  émotions  et  lui  font  re- 
prendre les  pinceaux.  Puis  elle  se  décide  à 
gagner  Milan ,  où  de  nombreuses  curiosités 
l'attirenl.  l'Jle  y  est  reçue  avec  honneur,  se 
plaît  aux  o-aleries,  aux  concerts,  aux  ])rome- 
nadcs   en    voiture  :    «    En   tout,   dit -elle    déjà, 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  181 

Milan  me  faisait  bien  souvent  penser  à  Paris, 
tant  par  son  luxe  que  par  sa  population .  » 
Elle  admire  les  environs,  «  si  ravissants  que  je 
ne  cessais  d'en  faire  des  croquis  »,  et,  lors- 
qu'elle va  au  lac  Majeur,  elle  reçoit  du  prince 
Borromée  la  permission  d'habiter  la  délicieuse 
Isola  Bella.  Le  comte  Wilczek,  ambassadeur 
d'Autriche,  qui  l'a  prise  en  affection,  lui  con- 
seille alors  d'aller  à  Vienne,  où  il  se  porte 
garant  de  l'excellent  accueil  qu'elle  recevra, 
s'offrant  à  la  recommander  partout  ;  la  France 
lui  restant  fermée,  elle  s'y  décide,  et  trouve  à 
point  d'obligeants  Polonais ,  pour  faire  la  route 
de  compapagnie.  La  belle  traversée  des  mon- 
tagnes du  Tyrol  et  de  Styrie  lui  offre  une  suite 
d'enchantements;  puis  elle  s'installe  à  Vienne, 
avec  ses  nouveaux  amis,  commençant  à  com- 
prendre, après  avoir  eu  jusqu'alors  les  yeux 
tournés  vers  Paris,  qu'une  vie  toute  nouvelle, 
la  vie  de  l'artiste  expatriée  s'ouvre  devant 
elle. 

Elle  vécut  les  deux  tragi([ues  années  1793 
et  1794  dans  la  capitale  où  retentirent  le  plus 
directement  les  premiers  événements  révo- 
lutionnaires. Quelques  émigrés  de  marque  s'y 
étaient   fixés,   et    le  monde  de   la  Cour  suivait 


182  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

avec  un  intérêt  ému  les  péripéties  du  drame 
où  était  engagée  la  vie  de  la  sœur  de  l'Em- 
pereur. Vienne  apprit  avec  stupeur  la  mort  de 
Louis  XVI,  et  les  nouvelles,  dès  lors,  se  succé- 
dèrent si  terribles,  que  l'entourage  de  Madame 
Le  Brun ,  afin  de  ménager  une  sensibilité 
devenue  maladive,  s'entendit  pour  ne  pas  les 
laisser  parvenir  jusqu'à  elle .  Elle  ne  sut  le 
procès  et  l'exécution  de  sa  chère  souveraine 
que  par  un  mot  de  son  frère,  qui  ne  lui  manda 
aucun  détail  :  «  Je  n'appris  rien  par  les  jour- 
naux, car  je  n'en  lisais  plus,  depuis  le  jour 
qu'ayant  ouvert  une  gazette  chez  Madame  de 
Rombeck,  j'y  trouvai  le  nom  de  neuf  per- 
sonnes de  ma  connaissance  qu'on  avait  guil- 
lotinées ;  on  prenait  même  un  grand  soin, 
dans  ma  société,  de  me  cacher  tous  les  papiers 
nouvelles.   » 

L'horrible  événement  fit,  tout  auprès  d'elle, 
une  victime  :  la  duchesse  de  Polignac,  toujours 
très  délicate  et  dont  la  santé  s'était  fort  altérée 
depuis  la  Révolution,  ne  put  survivre  à  la  mort 
de  Marie-Antoinette.  Fille  s'était  retirée  avec  les 
siens  dans  un  village  aiii)rès  de  Schœnbrùnn,et 
Madame  Vigée-Le  Brun,  (jui  vint  se  fixer  quelque 
temps  dans  le  voisinage,  la  voyait  dépérir  de 
jour  on  jour.  Les  lettres  de  VaudrcMiil  laconlont 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  183 

avec  émotion  la  fin  prématurée  de  cette  femme 
si  aimée  et  longtemps  si  heureuse,  qui  expirait, 
usée  par  la  souffrance,  le  5  décembre  1793  : 
«  Elle  est  morte  victime  de  son  chagrin,  de 
son  attachement,  de  sa  reconnaissance,  nous 
cachant  ses  peines  pour  ne  pas  augmenter  les 
nôtres. . .  Peu  de  moments  avant  la  fin,  ses  mains 
se  sont  jointes  pour  prier;  puis  elle  les  a  rap- 
prochées serrées  contre  son  cœur,  et  c'est 
ainsi  que  son  dernier  souffle ,  doux  et  pur 
comme  son  âme ,  s'est  évaporé.  Son  visage 
céleste,  avant  et  après  la  mort,  a  conservé  sa 
beauté  et  son  calme  inaltérable...  Quelle  année 
funeste  !  Roi,  Reine,  amie,  j'ai  tout  perdu.  » 
Le  duc  de  Polignac,  la  duchesse  de  Guiche,  la 
comtesse  Diane,  entouraient  le  lit  de  mort  de 
la  pauvre  duchesse;  Madame  Vigée-Le  Brun 
partageait  le  désespoir  de  toute  cette  famille 
à  laquelle  tant  de  liens  l'unissaient.  Elle  traçait 
pour  eux  une  fois  encore,  et  de  mémoire,  les 
traits  vieillis  et  douloureux  de  celle  qu'elle 
avait  peinte  autrefois,  dans  tout  l'éclat  de  sa 
suave  beauté  ;  une  gravure  en  était  aussitôt 
exécutée,  et  le  comte  d'Artois  s'associait  déli- 
catement à  cette  commémoration,  en  écrivant 
à  Vaudreuil  :  «  J'ai  appris  (|uc  Madame  Le 
Brun   avait    fait  un    poitiMit  de  celle  que  nous 


184  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

pleurerons  toujours,  et  que  le  comte  Jules  le 
ferait  graver.  Fais-moi  un  plaisir  auquel  j'atta- 
che beaucoup  de  prix  :  je  veux  que  tu  arranges 
avec  Madame  Le  Brun  que  ce  soit  moi  qui  paie 
son  ouvrage,  et  je  veux  être  chargé  également 
des  frais  de  la  gravure.  Ce  sera  une  véritable 
consolation  pour  moi,  et  mes  amis  ne  me  la 
refuseront  pas.  »  La  gravure  de  Fisher,  tirée  à 
Vienne  en  1794,  probablement  pour  les  seuls 
amis,  fut  reproduite  à  Londres  par  J.  Smith, 
afin  de  satisfaire  aux  demandes  des  émigrés  et 
de  tant  d'àmes  sensibles  en  Europe,  que  tou- 
chait profondément  le  souvenir  de  la  Reine 
et  de  ses  amitiés. 

La  société  viennoise,  qui  avait  reçu  avec 
empressement  le  peintre  de  Marie-Antoinette, 
ne  lui  permettait  pas  de  s'absorber  dans  le 
chagrin  qui  aurait  été  nuisible  à  sa  santé  et  à 
son  travail.  Elle  était  de  tous  les  concerts,  de 
toutes  les  fêtes,  de  tous  les  bals;  et  Dieu  sait 
si  l'on  valsait  ardemment  à  Vienne,  et  si  l'on 
jouait  avec  entrain  la  comédie»  de  salon  en 
cette  année  1793  !  Elle  vit  nn  grand  l);il  ;i  la 
Cour,  et  y  retrouva,  fort  enlaidie  déjà,  la  jeune 
impératrice  ([u'elle  avait  peinte  à  Naples,  et 
(pji  avait  perdu  sa  ressemblance  avec  sa  mère 
cl  avec  «   notre   chère  reine   de  France  ».   On 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  185 

l'avait  d'abord  invitée  chez  la  comtesse  de 
Thun,  ce  qui  suffît  pour  l'introduire  dans 
la  plus  haute  société.  Elle  fréquenta  surtout, 
par  la  suite,  la  maison  du  baron  et  de  la 
baronne  Stroganoff,  où  elle  rencontra  un  fort 
brillant  compatriote,  le  comte  de  Langeron, 
qui  devait  gagner  plus  tard  quelque  gloire 
militaire  contre  son  pays  et  bornait  alors  ses 
ambitions  à  plaire  aux  Viennoises  et  à  tenir 
les  premiers  rôles  dans  leurs  comédies.  On  la 
trouvait  encore  chez  la  comtesse  de  Pries, 
veuve  du  banquier,  et  chez  la  comtesse  de 
Rombeck ,  sœur  du  comte  Cobcntzl,  qui  avait 
fait  de  son  salon  le  centre  des  quêtes  et  des 
loteries  charitables  de  la  ville. 

L'artiste  avait  été  recommandée  au  vieux 
Kaunitz,  toujours  curieux  des  choses  françaises, 
qui  l'appela  aussitôt  «  ma  bonne  amie  y>  et 
l'invita  plusieurs  fois  à  ses  dîners,  où  son 
goût,  son  jugement,  sa  verve,  toujours  vive 
malgré  son  grand  âge,  émerveillaient  les  con- 
vives. Le  prince  exposa  l' Ilamilton  -  Sibvlle 
dans  son  palais,  pendant  (piinze  jours,  et  en 
fit  les  honneurs  à  la  C(Mir  et  au  ptd)lir.  Parmi 
tant  de  nobles  demeures  ouvertes  à  Madann^ 
Vigée-Le  Brun,  il  en  était  une  presque  fran- 
çaise: «  Une  personne,  (lit-(>llc.  quojo  retrouvai 


186  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

avec  bonheur  à  Vienne  fut  Madame  la  comtesse 
de  Brionne,  princesse  de  Lorraine;  elle  avait 
été  parfaite  pour  moi  dès  ma  plus  grande  jeu- 
nesse, et  je  repris  la  douce  habitude  d'aller 
souvent  souper  chez  elle,  où  je  rencontrais 
fréquemment  ce  vaillant  prince  de  Nassau,  si 
terrible  dans  un  combat,  si  doux  et  si  modeste 
dans  un  salon.  » 

Toutes    les    jolies    femmes    qui    voulaient 
connaître   l'artiste,   toutes  les  désœuvrées  qui 
venaient  par  mode  admirer  la  fameuse  Sibylle, 
souhaitaient  avoir  leur  portrait;   elle   s'arran- 
geait pour  l'accorder  seulement  à  celles   dont 
le  visage  l'inspirait.  C'est  ainsi    qu'elle   fit   la 
très  belle  comtesse  Rinska,   née  comtesse  de 
Dietrichstein,     la    baronne    de    Mayern-Faber, 
la  comtesse  PâllTy,    une  princesse   Eszterhazy 
rêvant    au    bord    de    la    mer,    assise   sur  des 
rochers,     la    comtesse    Sophie    Ilaugwitz     en 
Muse,    avec   un    manteau    rouge,    et    la    jeune 
princesse  de  Lichtenstein,   de  qui   l'expression 
douce  et  céleste  donna  l'idée  de  la  représenter 
en  Iris  s'élançant  dans  les  airs.  Mademoiselle 
de  Frics  n'était  j)as  jolie,  mais  excellente  musi- 
cienne, ce  qui  lui  valut  d'être  peinte  en  Saplio, 
clianl.'int  et  s\icc()mj)agnant  de  la  lyre. 

tt    Luc  siKicté   fort  agréable,  écrit  Madame 


LADY  HAMILTON,  EN  SIBYLLE 

1792 

(Collection  de  Madame  la  comteifse  E.  de  Pourtalès) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  187 

Le  Brun,  était  celle  des  Polonaises;  presque 
toutes  sont  aimables  et  jolies,  et  j'ai  peint 
quelques-unes  des  plus  belles.  »  Elle  les  trou- 
vait réunies  le  plus  souvent  chez  deux  grandes 
dames  ,  la  princesse  Czartoryska ,  mère  du 
prince  Adam ,  et  la  princesse  Lubomirska , 
qu'elle  avait  connue  à  Paris  et  qui  était  la 
tante  du  prince  Henri ,  peint  par  elle  en  Amour 
de  la  Gloire  ;  elle  le  représentait  de  nouveau  à 
Vienne,  en  Amphion  jouant  de  la  lyre,  avec 
trois  naïades  qui  Técoutent  et  qui  seraient, 
suivant  une  tradition.  Mesdames  de  Polignac 
et  de  Guiche  et  la  jeune  «  Brunette  »  Le  Brun. 
Elle  peignait  encore  la  comtesse  Séverin  Po- 
tocka,  la  princesse  Sapieha  et  la  comtesse 
Zamoyska  dansant  avec  un  chàle  une  de  ces 
élégantes  et  tranquilles  danses  polonaises,  qui 
conviennent  à  merveille  aux  beautés  de  ce 
pays,  «  car  on  a  tout  le  temps  d'admirer  leur 
taille  et  leur  visage  ».  Les  relations  de  Madame 
Vigée-Le  Brun  avec  les  Polonais,  les  portraits 
assez  nombreux  qu'elle  a  faits  d'eux,  ont  laissé 
croire  qu'elle  avait  séjourné  elle-même  à  Var- 
sovie, et  les  historiens  de  l'art  national  l'ins- 
crivent parmi  les  peintres  étrangers  cpii  se  sont 
arrêtés  en  Pologne  pour  y  travailler,  l^lle  ne 
devait  cependant  traverser  la  capitale  de  l'an- 


188  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

cien  royaume  ni  à  l'aller  ni  au  retour  de  son 
voyage  en  Russie. 

Madame  Le  Brun  avait  retrouvé  à  Vienne 
un  des  plus  anciens  amis,  et  des  plus  précieux, 
qu'elle  eût  dans  la  haute  société  européenne. 
C'était  le  prince  de  Ligne,  avec  qui  ne  taris- 
saient point  les  causeries  sur  les  choses  de 
France  et  sur  les  souvenirs  de  la  malheureuse 
Marie-Antoinette.  Le  prince  aimait  aussi  ra- 
conter ce  voyage  en  Grimée  avec  la  grande 
Catherine,  qu'il  avait  mis  en  si  jolies  lettres 
pour  la  marquise  de  Coigny.  Faisant  part  à 
l'artiste  de  son  admiration  pour  l'Impératrice, 
il  l'engageait  à  aller  se  présenter  à  elle,  lui 
promettant  de  grands  avantages  à  travailler 
en  Russie.  Le  comte  Rasomovsky,  ambassa- 
deur de  Catherine  à  Vienne,  dont  elle  avait 
peint  la  femme,  et  quelques  Russes  de  passage 
lui  donnaient  les  mêmes  assurances.  Dès  le 
début  de  Tannée  ITO-i,  elle  était  décidée  à  se 
rendre  à  Saint-Pétersbourg.  Le  comte  d'Artois, 
solliciLé  j)ar  M.  de  Vaudreuil,  lui  envoyait  un 
passeport,  (jui  devait  en  même  temps  lui  servir 
de  certificat  :  «  Je  réjionds,  écrivait-il,  qu'elle 
sera  bien  reçue  cL  (|ur  je  suis  cliarnié  (|ij'elle 
fasse  ce  voyage.  »  Une  autre  lettre  du   prince 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  189 

au  protecteur  de  Tartiste  montre  qu'il  avait  dû 
repousser  une  demande  plus  indiscrète  :  ce  Je 
suis  au  désespoir,  mon  ami,  de  ne  pouvoir 
pas  donner  à  Madame  Le  Brun  une  lettre  pour 
l'Impératrice;  mais  tu  en  sentiras  facilement 
l'impossibilité,  quand  je  te  dirai  que  je  n'en  ai 
donné  qu'au  seul  Galonné,  et  à  aucun  autre. 
D'ailleurs,  sois  bien  sûr  que  ce  que  j'ai  fait 
est  plus  que  suffisant,  et  que  la  réception  sera 
aussi  aimable  que  lucrative.  »  Ce  n'était  point 
de  l'eau  bénite  de  cour,  car  il  écrivait  quelques 
jours  après  :  «  J'ai  su  par  des  lettres  de  Russie 
que  Madame  Le  Brun  y  serait  reçue  à  merveille 
et  qu'elle  y  était  attendue  avec  impatience; 
je  m'empresse  de  te  le  dire.    » 

Les  voies  ainsi  préparées,  Madame  Vigée- 
Le  Brun  tarda  plus  d'un  an  à  se  mettre  en 
route.  Les  charmes  de  Vienne,  la  société  tou- 
jours chère  de  M.  do  Vaudreuil,  les  portraits 
de  femmes  sans  cesse  demandes,  repoussèrent 
longtemps  son  départ.  Au  dernier  moment , 
elle  céda  encore  à  la  tentation  d'iiabiter  le  site 
le  plus  beau  des  environs  de  Vienne,  l'ancien 
couvent  de  Kahlcnberg,  qui  domine  la  plaine 
du  Danube.  Joseph  II  en  avait  fait  présent  au 
prince  de  Ligne,  qui  devait  plus  lard  le  répa- 
rer el  y  donner  de  grandes  fêtes  à   la   société 


190  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

viennoise.  Le  prince  proposa  à  l'artiste  d'ho- 
norer sa  montagne  par  la  présence  du  génie; 
il  écrivit  à  cette  occasion  des  vers,  qui  sont 
assurément  parmi  ses  plus  mauvais  et  Madame 
Le  Brun  n'a  pas  manqué  de  nous  les  conserver. 
Flattée  de  l'invitation,  curieuse  d'un  séjour 
aussi  singulier,  elle  fut  s'enfermer  pendant 
trois  semaines  dans  les  immenses  bâtiments 
de  Kahlenberg,  avec  sa  fille,  la  gouvernante 
et  M.  de  Rivière.  Celui-ci  s'était  attaché  à 
ses  pas,  l'avait  suivie  à  Vienne  et  passait 
son  temps  à  faire  des  miniatures  de  ses  por- 
traits. En  descendant  du  couvent,  où  l'avaient 
ravie  l'immensité  des  horizons  et  la  splendeur 
des  clairs  de  lune,  elle  fit  ses  adieux  à  Vienne, 
le  19  avril  1795,  pour  se  rendre  en  Russie. 

Les  étapes  de  ce  long  voyage  lui  laissèrent 
des  souvenirs  de  tout  genre ,  où  ses  études 
d'art  tiennent  une  place.  A  Dresde  s'arrètant 
quelques  jours,  elle  fréquenta  assidûment  la 
galerie  fameuse  et  resta  a  en  adoration  »  devant 
la  Madone  de  Saint-Sixte.  La  salle  réservée 
aux  œuvres  de  Rosalba  lui  fait  dire  qu'elles 
sont  «  d'une  vérité  enchanteresse  ».  a  L'élec- 
teur, raconte-t-elle,  me  fit  prier  d'exposer  dans 
cette  belle  galerie  ma  Sibylle,  qui  voyageait 
avec    moi,    et  pendant   une   semaine   toute   la 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  191 

Cour  y  vint  voir  mon   tableau.    Je  m'y  rendis 
moi-même  le  premier  jour,  afin  de  témoigner 
à  l'électeur  combien  j'étais  vivement  touchée  et 
reconnaissante  de  cette  haute  faveur.  »  Elle  ne 
quitta  point  Dresde  sans  rendre  visite  à  Mengs, 
comme  elle  avait  fait  à  Vienne  pour  Casanova. 
Dans  la  capitale  de  la  Prusse,  elle  ne  passa  que 
cinq    jours   et  n'eut    aucun    artiste  à   visiter. 
Elle  énumère  les  curiosités  des  palais  royaux 
de  Berlin,   de   Potsdam,    de    Charlottenbourg, 
ne  trouvant  à  citer,  parmi  les  tableaux,  qu'une 
Assomption    de   Charles   Le  Brun,  «  qui,  sous 
les  traits  d'un  des  apôtres,  donne  les  traits  de 
l'illustre  peintre  ».  Elle  découvrit  un  vrai  coin 
de  France,   à  Reinsberg,   résidence  du    prince 
Henri.  La   comtesse  de   Sabran,  son  fils  et  le 
chevalier  de  Boufflers  y  étaient  établis,   et  le 
spirituel  portrait  de  la  comtesse,  celui  qu'avait 
gravé    Berger,    «  tiré  du  cabinet  de    S.  A.  R. 
Mgr  le  prince  Henri  de  Prusse  »,  se  montrait 
en  bonne  place  dans  les  collections.   Le   che- 
valier  s'était    fait    cultivateur    sur   des    terres 
données  par  le  prince,  mais  sans  abdiquer  son 
r(Me  de  grand  seigneur  et  d'homme  i\Q  lettres. 
«  On  menait  dans  ce  beau  lieu,  raconte  Madame 
Le  Brun,  la  vie  la  plus  douce  et  la  phis  agréa- 
ble. Il   y  avait  une  troupe  de  comédiens  fran- 


192  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

çais,  qui  appartenait  au  prince.  On  a  donné 
pendant  mon  séjour  quelques  comédies  assez 
bien  jouées,  ainsi  que  plusieurs  concerts,  car 
le  maître  avait  conser\é  toute  sa  passion  pour 
la  musique.  »  Il  fallut  s'arracher  à  ces  agré- 
ments, qui  contrastaient  si  fort  avec  les  souf- 
frances de  tant  de  familles  françaises  errant  à 
travers  l'Allemagne.  Pour  faire  la  pénible  route 
de  Kœnigsberg  et  de  Riga,  Madame  Le  Brun 
eut  la  surprise  de  trouver  une  quantité  do 
comestibles  et  de  vins,  «  de  quoi  nourrir  un 
régiment  prussien  )),  que  l'excellent  prince, 
par  une  dernière  attention  pour  son  amie,  avait 
fait  placer  dans  les  coffres  de  la  voiture. 

L'artiste  est  enthousiasmée  par  le  premier 
aspect  de  Saint-Pétersbourg,  où  elle  arrive  le 
25  juillet,  et  son  admiration  pour  la  magnifi- 
cence des  monuments,  des  palais,  des  quais  et 
des  perspectives  ne  se  démentira  pas  un  seul 
instant  pendant  son  long  séjour.  Elle  est  man- 
dée à  Tsarkoïé-Sélo,  où  la  conduit  le  comte 
Eszterhazy,  «  ambassadeur  de  France  »,  selon 
le  titre  accordé  à  l'envoyé  de  Louis  XVIIL 
Elle  nous  conte  le  mécontentement  de  «  l'am- 
bassadrice »,  en  la  voyant  paraître  en  toilette 
de  mousseline  pour  raudioncc  impériale,  l'ex- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  193 

trême  embarras   qu'elle   en  éprouve,  l'accueil 
affable  de  cette  grande  Catherine,  dont  le  nom 
seul  l'intimidait  et  qui  sait  la  mettre  parfaite- 
ment à  l'aise,  la  visite  de  ces  splendides  jardins 
bordés  par  la  mer,  où  lui  apparaît,  en  tunique 
blanche,    arrosant    des    œillets,    la   délicieuse 
princesse  Elisabeth,  femme  d'Alexandre,  enfin 
les  tracasseries  de  cour   qui,    dès   le   premier 
jour,    s'agitent    autour   de    la    nouvelle   venue 
et    l'empêchent    d'occuper    l'appartement    au 
palais,  que  l'Impératrice  lui  avait  destiné.  Cette 
contrariété    légère     s'efface    dans     le     plaisir 
qu'elle  éprouve  à  recevoir  aussitôt  l'admirable 
accueil  que  réserve,  à  qui  sait  lui  plaire,  l'hos- 
pitalière société  russe  :  «  Je   ne   saurais  dire, 
écrit-elle,  avec  quel  empressement,  avec  quelle 
bienveillance  affectueuse   un   étranger  se  voit 
rechercher  dans  ce  pays,  surtout  s'il   possède 
([uelque  talent.  Mes  lettres  de  recommandation 
me  devinrent  tout  à  fait  inutiles  ;  non  seule- 
ment je  fus  aussitôt  invitée  à  passer   ma  vie 
dans  les  meilleures  et  plus  agréables  maisons, 
mais  je  retrouvai  à  Saint-Pétersbourg  plusieurs 
anciennes    connaissances,    et    même    d'anciens 
amis.  »  De  ces  amis  d'autrefois,  le  plus  pré- 
cieux fut  le  comte  Stroganoff,  qui  le   premier 
fêta  l'artiste  et    déploya   pour  elle   les    mngni- 


194  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

licences  du  luxe  moscovite.  Les  dîners  sur  les 
terrasses ,    au  bord   de    la    Neva ,    les    soirées 
enchantées  par  la  musique  et  la  promenade  en 
barque,    les   feux   d'artifice   tirés   sur  le  grand 
fleuve,    Madame   Vigée-Le  Brun  a  narré  tout 
cela,    avec  la  vivacité  des  souvenirs  heureux; 
et,  aussi  la  vie  de  l'hiver,   les   spectacles,  les 
concerts,  les  bals,  les  thés  et  les  soupers,  où 
tout  lui  plaisait  des  usages   russes,   en  même 
temps    qu'elle     retrouvait    a    toute    l'urbanité, 
toute    la    grâce    d'un     cercle   français   ».    Elle 
approuvait  le  mot  de  la  princesse  Dolgorouky  : 
«  Il  semble  que  le  bon  goût  ait  sauté  à  pieds 
joints    de    Paris    à   Saint  -  Pétcrsbourg .    »    Le 
salon    de   cette   princesse  rivalisait   avec   celui 
de  la  princesse  Michel  Golitzyne,    moins  belle 
qu'elle,  mais  plus  jolie  et  fantasque  à  l'excès. 
Le    comte    de    Ghoiseul-Gouffier,    fort    épris 
de   celle-ci,    supportait    tout   de    son    humeur 
bizarre,   aux  caprices  incessants.  La  princesse 
Dolgorouky,  que  Potemkine  avait  adorée,  mon- 
trait des   façons  plus   paisibles  et  recevait  les 
soins    du    comte    Gobentzl ,     ambassadeur    de 
l'empereur  François   II.    Madame   Le  Brun   fut 
invitée  chez   elle,    à  Alexandrovsky,    dès   l'été 
de  son  arrivée,  et  c'est  là  qu'elle  organisa  pour 
la  j)rc'niicrc  fois  ces  tableaux  vivants,  qui  firent 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  195 

fureur    Fhiver    suivant    à    Saint-Pétersbourg. 
Elle    aima    ensuite,    plus  que   toute  autre,    la 
maison  de  la   princesse,   de  qui  elle  admirait 
et  appréciait  fort  vivement  le  caractère  et  la 
beauté  :  «   Ses  traits  avaient  tout  le  caractère 
grec,  mêlé  de  quelque   chose  de  juif,    surtout 
de  profil;    ses    longs   cheveux   châtain   foncé, 
relevés     négligemment ,     tombaient     sur     ses 
épaules  ;  sa   taille  était  admirable  et   toute   sa 
personne  avait  à  la  fois  de  la  noblesse  et  de  la 
grâce  sans  aucune  affectation.  »  Nous  pouvons 
juger    de    ces    charmes     par    le   portrait ,    où 
Madame   Le  Brun  accorda  à  cette  noble  amie 
la  faveur  de  la  représenter  dans  l'attitude  de 
sa  Sibylle.   L'œuvre   achevée,   la   jirincesse  lui 
envoya  une  fort  belle  voiture  et  un   bracelet, 
formé    d'une  tresse  de   cheveux,    sur  laquelle 
des  lettres  en  diamants  faisaient  lire  :  «  Ornez 
celle  qui  orne  son  siècle.  »  L'inséparable  de  la 
princesse  Dolgorouky  était  la  princesse  Natalie 
Kourakine,  la  bonté,  la  douceur  même,  qu'il  était 
«  tout  à  fait  impossible  de  voir  sans   ainuM-  ». 
C'est   elle    qui    garda,    en    Russie,     la    grande 
affection  de  Madame  Vigéc-Le   Brun  ;   celle-ci 
sera  heureuse  de  la  recevoir  phis  lard  à   Paris 
et  lui  dédiera  la  première  partie  des  Soinrnirs, 
où  le  pays  de  la  |)rincesse  tient  tant  de  place. 


196  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Elle  est  prodigue  d'anecdotes,  presque  tou- 
jours bienveillantes,  sur  cette  société  de  Saint- 
Pétersbourg,  qui  se  dispute  sa  présence  aima- 
ble et  couvre  ses  tableaux  de  billets  de  banque. 
Ses  portraits  illustrent  parfaitement  son  récit  ; 
ils  sont  presque  aussi  nécessaires,  à  qui  veut 
connaître  le  monde  russe  aux  dernières  années 
du  siècle,  que  ceux  de  Lampi,  de  Ghtchoukine, 
de  Borovikovsky,  qui  le  peignent  en  même 
temps  qu'elle.  Elle  ne  leur  est  assurément  pas 
inférieure  comme  peintre,  e+  pour  la  disposi- 
tion des  costumes,  l'interprétation  de  certaines 
grâces  de  langueur  orientale,  elle  ne  craint 
point  leur  rivalité.  Elle  est  comme  toujours, 
heureusement  servie  par  l'instinct  de  son  sexe 
et  son  expérience  des  charmes  féminins,  et  il 
lui  arrive  parfois  de  traduire  avec  justesse  le 
caractère  même  des  races.  Ce  sont  bien  les 
types  divers  delà  beauté  slave,  qu'elle  a  su 
rendre,  et  quelques-uns  avec  des  traits  sensuels 
très  particuliers.  Telles,  entre  beaucoup 
d'autres,  la  princesse  Anna  Alexandrowna 
Golitzyne,  qui  rêve  nonchalamment  appuyée 
sur  un  coussin,  la  princesse  Tatiana  Vassi- 
lievna  YoussoupolF,  née  i'^ngelhardt ,  qui  noue 
auprès  d'un  autel  rustique  une  couronne  de 
fleurs,  la  princesse  Mario  Kotchoubev.  née  Vas- 


MADAME    VIGÉE-LE    BRUN  197 

siltchikoff,  occupée  à  dessiner,  la  comtesse 
Anna  Stroganoff,  née  princesse  Troubetzkoi, 
arrangeant  des  fleurs  dans  un  vase,  la  jeune 
princesse  Anna  Bélosselsky-Belozersky,  Cathe- 
rine Vladimirowna  Apraxine,  Vera  Petrowna 
Vassiltchikoff,  la  princesse  Koutousoff,  femme 
du  célèbre  feld- maréchal,  et  surtout  cette 
belle  comtesse  Marie  Feodorowna  Zouboff,  née 
Lubomirska,  qu'un  délicieux  arrangement  mon- 
tre couchée  sur  un  grand  divan  et  pressant 
sur  sa  poitrine  une  colombe.  Quelques  groupe- 
ments maternels,  où  l'on  savait  qu'elle  excel- 
lait, furent  demandés  à  l'artiste  ;  la  princesse 
Alexandra  Petrovna  Golitzyne  a  dans  les  bras 
un  adorable  enfant  ;  la  princesse  Catherine 
Nikolaewna  Menchikoiî  au  piano  semble  inter- 
rompre son  jeu  pour  prendre  le  sien  sur  ses 
genoux  ;  enfin  une  grande  toile  représente  la 
comtesse  Catherine  Samoïloff,  née  princesse 
Troubetzkoi,  entre  sa  fille  et  son  fils,  à  l'entrée 
d'un  beau  parc  verdoyant  et  rempli  des  Heurs 
de  l'été.  Plusieurs  de  ces  portraits,  qui  sont 
parmi  les  plus  importants  de  iMadame  \  igée- 
Le  Brun,  manquent  à  ses  listes  ou  s'y  trouvent 
avec  des  noms  méconnaissables. 

La  famille  impériale  la  fit  travailler  souvent. 
On    s'étonne    que    l'impératrice    Catherine,   si 


198  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

généreuse  de  son  image  aux  artistes  de  son 
temps,  n'ait  pas  autorisé  Madame  Le  Brun 
à  la  peindre.  Elle  fut  mécontente,  suivant  la 
tradition  de  Saint-Pétersbourg,  du  premier 
tableau  qu'elle  lui  avait  commandé;  c'était  le 
double  portrait  de  ses  petites-filles,  la  grande- 
duchesse  Alexandra  Pavlowna  et  sa  sœur 
Hélène.  Les  deux  adolescentes  enlacées,  tenant 
et  regardant  le  portrait  de  l'Impératrice,  furent 
d'abord  peintes  en  tuniques  à  la  grecque,  que 
le  favori  Platon  Zouboff  crut  devoir  faire  sup- 
primer ;  la  toilette  à  manches  longues  qui  cou- 
vrit les  bras  nus  déjà  exécutés  gâta  le  groupe, 
au  dire  de  l'artiste.  La  vérité  est  que  Catherine 
ne  trouva  point  de  ressemblance  :  «  Elle  a  fait 
des  niaises  de  mes  jolies  petites-fdles  »,  disait- 
elle.  Madame  Le  Brun,  qui  raconte  les  choses 
à  sa  manière,  prétend  qu'elle  avait  obtenu  de 
peindre  l'Impératrice,  mais  par  malheur,  quel- 
ques jours  seulement  avant  sa  mort.  Elle  se 
dédommagea  par  le  portrait  de  la  grande- 
duchesse  Elisabeth  Alexéewna,  qu'elle  repré- 
senta en  pied,  couronnée  de  roses  et  disposant 
des  fleurs  dans  une  corbeille.  Elle  la  fit  encore 
avec  un  châle  violet,  accoudée  sur  un  coussin, 
et  ce  dernier  tableau,  dont  on  a  des  répliques, 
était  destiné  à  la  mère  de  la  princesse,  la  mar- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  199 

grave  de  Bade,  à  Carlsruhe.  Elle  peignit  aussi  la 
grande-duchesse  Anna  Feodorowna,  née  prin- 
cesse de  Cobourg-Gotha,  femme  du  grand-duc 
Constantin  Pavlovitch,  et  le  grand -duc  lui- 
même. 

Ces    travaux   et    sa    renommée   valaient   à 
Madame  Le  Brun  ses  entrées  à  la  Cour;  elle  a 
décrit  des  galas  chez  l'Impératrice,  et  le  bal  le 
plus  magnifique  à  ses  yeux  fut  celui  dont  elle 
eut  le  très  vif  plaisir  de  faire  le  tour  au  bras 
du  jeune  prince  Bariatinsky  :  «  L'Impératrice, 
très  parée,  était  assise  dans  le  fond  de  la  salle, 
entourée  des  premiers  personnages  de  la  Cour; 
près    d'elle    se    tenaient   la    grande -duchesse 
Marie,  Paul,  Alexandre,  qui  étaient  superbes, 
et    Constantin,    tous    debout.   Une   balustrade 
ouverte  les  séparait  de  la  galerie  où  l'on  dan- 
sait... Il  me  serait  impossible  de  dire  quelle 
quantité  de  jolies  femmes  je  vis  alors  passer 
devant  moi  ;    mais  je  ne   puis  m'cmpêchcr  de 
dire   qu'au   milieu   de  toutes  ces   beautés,   les 
princesses  de  la  famille  impériale  remportaient 
encore.    Toutes   les    quatre    étaient    habillées 
à  la  grecque,  avec  des  tunicpics  (]u'at tachaient 
sur  leurs  épaules  des  agrafes  en  gros  diamants. 
Je  m'étais  mêlée  de  la  toilette  de  la  grande- 
duchesse  Elisabeth,  en  sorte  que  son  costume 


200  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

était  le  phis  correct;  cependant  les  deux  filles 
de  Paul,  Hélène  et  Alexandrine,  avaient  sur  la 
tête  des  voiles  de  gaze  bleue  clairsemée  d'ar- 
gent, qui  donnaient  à  leur  visage  je  ne  sais 
quoi  de  céleste.  La  magnificence  de  tout  ce 
qui  entourait  l'Impératrice,  la  richesse  de  la 
salle,  le  grand  nombre  de  belles  personnes, 
cette  profusion  de  diamants,  l'éclat  de  mille 
bougies ,  faisaient  véritablement  de  ce  bal 
quelque  chose  de  magique.  »  A  ces  splendeurs 
l'artiste  ne  pouvait  comparer  celles  des  bals 
de  Versailles,  qu'elle  n'avait  point  eu  l'occasion 
de  voir. 

La  paisible  grandeur  de  la  Russie,  qu'admira 
Madame  Le  Brun  aux  derniers  moments  du 
règne  de  Catherine,  fut  altérée  durant  son 
séjour  par  la  mort  de  l'Impératrice  et  le  règne 
tyrannique  de  Paul  I",  que  devait  terminer 
l'assassinat.  Elle  était  assurée  d'une  entière 
faveur  auprès  de  l'impératrice  Marie  Feodo- 
rowna,  qu'elle  avait  vue  pour  la  première  fois 
à  Paris  quand  les  grands-ducs  héritiers  y  étaient 
venus  sous  le  nom  de  comte  et  comtesse  du 
Nord.  L'empereur  Paul,  qui  avait  voulu  de  la 
main  de  Borovikovsky  son  portrait  en  grand 
apparat ,  où  les  insignes  de  l'autocratie  se 
mêlent  à  ceux  de  la  grande-maîtrise  de  Malte, 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  201 

avait  commandé,  en  1799,  à  l'artiste  française 
une  somptueuse  image  officielle  de  Timpératrice 
Marie.  Elle  est  en  grand  panier,  une  couronne 
de   diamants   sur    la   tête;    un  rideau   soulevé 
laisse  apparaître  la  colonnade  d'un  palais  impé- 
rial ;    des  plans  se  déroulent  sur  un  tabouret. 
L'Empereur    assista    souvent    aux  séances   de 
pose,  avec   ses  deux  fils   aînés,  et  Madame  Le 
Brun  put  observer  de    près   «   ses  yeux    plus 
qu'animés  »  et  «  une  sorte  d'élégance  »  dont 
il  ne  manquait  point,  malgré  son  nez  camard 
et  sa  «  fort  grande  bouche  garnie  de  dents  très 
longues  »,  qui  «   le  faisaient  ressembler  à  une 
tête  de  mort  ».  L'étrange  souverain,  qui  terro- 
risait sa  noblesse,  aimait  les  arts  et  les  artistes. 
Il  fut  très  bienveillant  pour  Madame  Le  Brun 
et    il    se   montrait    tel   encore  pour   un   vieux 
peintre  français,  que  celle-ci  avait  eu  la  joie 
inattendue   de    trouver   à    Saint-Pétersbourg; 
c'était   Doyen,  le  meilleur  ami  de  son  père,  le 
conseiller  de  ses  premiers  essais  de  peinture, 
installé  en  Russie,   où  Catherine  l'avait  appelé 
afin  d'exécuter  d'importantes  commandes  pour 
les  palais  impériaux. 

La  bonne  impératrice  Marie,  toujours  d'em- 
bonpoint un  peu  fort  et  i\c  visage  très  noble 
sous  ses  superbes  cheveux  blonds,  ne  gardait 


202  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

de    son  séjour    en    France  que  des  souvenirs 
agréables  ;  le  sort  de  cette  famille  royale,  qui 
l'avait  si   bien   reçue,   lui  inspirait  une  grande 
commisération.  Elle  dut  s'intéresser  à  un  pro- 
jet que  Madame  Le  Brun  formait  alors.  Pour- 
suivie par  la  pensée  des  malheurs  de  Louis  XVI 
et  de  Marie-Antoinette,  elle  voulait  faire  a  un 
tableau   qui   les  représentât   dans    un    de   ces 
moments  touchants    et    solennels  qui   avaient 
dû  précéder   leur  mort  ».   Pour    avoir  le  dé- 
tail véridique  des  scènes,  des  costumes  et  du 
décor,    elle   écrivit  à  Cléry,    dernier  valet   de 
chambre  du  Roi,  réfugié  à  Vienne;  ce  qu'il  lui 
raconta   l'émut   à  tel  point,    qu'elle    reconnut 
impossible,    dit-elle,   «    d'entreprendre    un 
ouvrage  pour  lequel  chaque  coup  de  pinceau 
m'aurait  fait  fondre  en  larmes  ».  Elle  se  borna, 
un  peu  plus  tard,  à  envoyer  à  Madame  Royale, 
à  Mittau,   par  l'entremise  du  comte  de  Cessé, 
un  portrait  de  Marie-Antoinette  fait  de  mémoire, 
dont  la  princesse,  dans  sa  lettre  de  remercie- 
ment,  parut  sincèrement  touchée.  Madame  Le 
Brun  avait  chez  elle,  à  ce  moment,  un  des  plus 
importants  portraits  de  sa  malheureuse  souve- 
raine; à  l'occasion  sans  doute  d'un  envoi  de  toiles 
de  maîtres  (jiic  son  jmari  lui  adressait  pour  les 
exj)oser  en  Russie,  elle  faisait  venir  de  France 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  203 

son  grand  tableau,  le  dernier  peint,  où  la  Reine 
est  en  velours  bleu.  Les  grands-ducs  et  toute 
la  Cour  vinrent  le  voir,  le  dimanche  matin, 
jour  où  elle  ouvrait  son  atelier;  elle  y  convia 
aussi  les  Français,  alors  nombreux  dans  la  ville; 
le  prince  de  Condé  «  ne  prononça  pas  une 
parole;   il  fondit  en  larmes  ». 

L'émigration  française  se  réunissait  volon- 
tiers autour  de  Stanislas-Auguste,  roi  détrôné 
de  Pologne,  qui  vivait  à  Saint-Pétersbourg, 
honoré  et  mélancolique.  L'artiste  manquait 
rarement  ses  petits  soupers,  où  n'étaient  pas 
moins  fidèles  l'ambassadeur  d'Angleterre  et  le 
marquis  de  Rivière,  le  grand  ami  du  comte 
d'Artois,  qui  prenait  plaisir  à  la  causerie 
royale,  pleine  d'une  sincère  bonté  et  animée 
d'une  foule  d'anecdotes.  Madame  Le  Brun  dit, 
à  propos  de  la  passion  sincère  de  Poniatowski 
pour  les  arts  :  «  Rien  ne  me  touchait  autant 
que  de  l'entendre  me  répéter  souvent  qu'il 
aurait  été  heureux  que  j'eusse  été  à  Varsovie 
l()is([u'il  était  encore  roi.  »  Klle  fit  de  lui  deux 
bons  portraits,  l'un  qu'elle  emj)orta  en  F'rance, 
l'autre  costumé  «  à  la  Henri  W  »,  avec  un  cha- 
peau à  plumes,  qui  lui  fut  demandé  par  hi 
comtesse  Mniszek,  nièce  du  roi.  Elle  n'ajou- 
tait d'ailleurs  à  son  œuvre  féminine  (pic  bien 


204  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

peu  de  portraits  d'hommes,  ceux,  par  exemple, 
du  prince  Bariatinsky,  du  magnifique  Alexandre 
Rourakine  et  de  son  frère,  le  prince  Alexis, 
époux  de  sa  chère  amie,  la  princesse  Natalie. 
Les  maris  des  femmes  qu'elle  peignait  s'adres- 
saient de  préférence  à  Lampi  ou  aux  peintres 
russes.  Ceux-ci  voulurent  témoigner  à  l'aimable 
Française  l'estime  qu'ils  avaient  pour  elle. 
L'Académie  de  Saint-Pétersbourg,  dont  Doyen 
était  l'un  des  officiers,  décida  de  la  recevoir 
parmi  ses  membres  ;  elle  a  raconté  la  cérémonie 
fort  solennelle  de  la  réception,  qui  eut  lieu  le 
16  juin  1800  et  que  présidait  un  autre  de  ses 
amis,  le  comte  Stroganoff.  Elle  peignit  alors 
pour  l'Académie  un  portrait  qui  la  représente  au 
travail,  sa  palette  à  la  main,  qu'elle  disait  plus 
tard  à  ses  familiers  le  meilleur  qu'elle  eût  fait 
d'elle-même. 

Un  grand  chagrin  gâte  les  souvenirs  de  son 
séjour  en  Russie.  Il  ébranla  sa  santé,  (|ui  avait 
résisté  jusqu'alors  à  des  excès  de  travail.  Sa  fille 
était  devenue  une  personne  accomplie,  dit-elle, 
pour  les  grâces,  l'intelligence  et  Finstruction; 
elle  avait  eu  partout  les  meilleurs  maîtres,  savait 
l'anglais  et  l'allemand,  chantait  l'italien  à  mer- 
veille, s'accompagnait  sur  le  piano  et  la  guitare  et 
possédait  d'heureuses  dispositions  pour  la  pein- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  20i 

ture,  qui  donnaient  à  l'artiste  le  doux  espoir 
de  revivre  en  elle.  Mais  la  gouvernante  amenée 
de  France  exerçait  sur  l'enfant  une  influence 
qui  finissait  par  la  détacher  de  sa  mère.  A  dix- 
sept  ans ,  l'amour  s'en  mêla  ;  elle  s'éprit  d'un 
M.  Nigris,  secrétaire  du  comte  Tchernycheff, 
et  toute  la  société  de  Saint-Pétersbourg  s'in- 
téressa, sans  discrétion,  au  bonheur  de  a  Bru- 
nette  ».  Madame  Le  Brun  avait  rêvé  un  autre 
gendre,  le  peintre  Guérin,  de  qui  la  jeune 
renommée  arrivait  jusqu'à  elle;  il  y  eut  long- 
temps des  malentendus,  des  aigreurs.  Enfin, 
le  consentement  de  M.  Le  Brun  étant  arrivé 
de  Paris,  le  mariage  eut  lieu;  la  mère  donna 
pour  dot  tout  Ce  qu'elle  avait  gagné  à  Saint- 
Pétersbourg,  et  presque  aussitôt,  sentant  dé- 
truit chez  l'enfant  le  sentiment  dont  elle  avait 
fait  le  charme  de  sa  vie,  ne  retrouvant  plus 
le  même  plaisir  à  aimer  une  fille  qu'elle  jugeait 
ingrate,  elle  saisit  l'occasion  de  se  dépayser  et 
fut  vivre  quelque  temps  à  Moscou. 

Elle  passa  cinq  mois  dans  la  vieille  capitale 
de  l'empire,  honorée  et  choyée  comme  elle 
l'avait  été  à  Saint-Pétersbourg.  Elle  y  eut  à  faire 
aussitôt  une  foule  de  portraits  et  i)artagea 
son  temps  entre  le  tiavail  et  les  distractions 
mondaines  offertes  de  toute  part.  La  comtesse 


206  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Stroganoff  et  la  maréchale  SoltikofT  rivalisèrent 
d'amabilité  pour  elle;  elle  observa  d'autres 
aspects  de  la  somptuosité  russe  chez  le  prince 
Alexandre  Kourakine  et  le  comte  Boutourline; 
mais  sa  santé  s'altérait  de  plus  en  plus.  Elle 
revint  à  Saint-Pétersbourg  au  lendemain  de  la 
mort  tragique  de  l'empereur  Paul;  elle  vit  l'al- 
légresse qui  suivit  l'avènement  d'Alexandre; 
elle  eut  le  temps  de  faire  du  nouvel  empereur 

r 

et  de  l'impératrice  Elisabeth  des  études  au 
pastel,  qui  devaient  lui  servir  pour  des  tableaux 
à  l'huile;  mais  elle  sollicita  bien  vite  de  Leurs 
Majestés  une  permission,  donnée  à  contre- 
cœur, de  quitter  leurs  états.  Elle  se  trouvait 
à  bout  de  forces  et  ne  pouvait  se  rétablir  qu'en 
changeant  de  climat.  Elle  repartit  de  Saint- 
Pétersbourg,  le  cœur  plein  de  reconnaissance, 
et  non  sans  regretter  tant  d'amitiés  chères 
qu'elle  y  avait  nouées  et  qu'elle  s'imaginait 
pouvoir  y    retrouver  un   jour. 

La  route  fut  dure  et  difficile  pour  une 
malade.  Elle  sou  11  rit  de  la  chaleur,  de  la  mau- 
vaise nourriture,  de  la  fâcheuse  organisation 
des  relais,  des  maladresses  du  a  bon  j)ère 
Rivière  »,  et  aussi  de  la  déconvenue  de  ne  plus 
trouver  à  Millau  la  famille  royale  de  France, 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  207 

qu'elle  espérait  y  rencontrer.  Son  «  supplice  » 
s'atténua  à  Rœnigsberg  ;  elle  se  reposa  à  Ber- 
lin, où  elle  arriva  vers  la  fin  de  juillet  1801, 
et  elle  se  sentit  tout  à  fait  rassérénée  dès 
qu'une  autre  Majesté,  la  reine  Louise,  l'eût 
conviée  à  faire  son  portrait .  Il  fallut  aller 
s'établir  à  Potsdam,  où  séjournait  la  reine  de 
Prusse.  Madame  Le  Brun  lui  trouva  ce  visage 
«  céleste  »  qu'elle  attribuait  aisément  aux  per- 
sonnes augustes,  et  s'émut  devant  cette  beauté 
d'une  éblouissante  fraîcheur,  que  rendaient 
plus  éclatante  encore  le  grand  deuil  et  une 
couronne  d'épis  de  jais  :  «  Plus  je  voyais,  dit- 
elle,  cette  charmante  reine,  plus  j'étais  sen- 
sible au  bonheur  de  l'approcher.  Elle  parut 
désirer  voir  les  études  que  j'avais  faites  d'après 
l'empereur  Alexandre  et  l'impératrice  Elisa- 
beth; je  m'empressai  de  les  lui  porter,  ainsi  que 
mon  tableau  de  la  Sibylle  que  je  fis  remettre 
sur  châssis.  »  La  reine  Louise  eut  pour  elle 
mille  prévenances,  jusqu'à  détacher  de  ses  beaux 
bras,  pour  les  mettre  aux  siens,  des  bracelets 
«  dans  le  genre  antique  »,  dont  l'artiste  lui 
faisait  compliment.  Il  en  résulta  deux  études 
au  pastel  et  quelques  autres  de  la  famille  du 
prince  Ferdinand,  que  Madame  Le  Brun  devait 
copier  à  l'huile  des  son  retour  à  Paris. 


208  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Elle  songeait  sérieusement  à  revenir  dans 
son  pays  et  dut  voir,  à  ce  sujet,  le  général 
Beurnonville.  ambassadeur  de  France  à  Berlin; 
elle  avait  aperçu  déjà,  en  Russie,  et  avec  une 
horreur  qu'elle  ne  dissimule  point,  les  cocardes 
tricolores;  mais  c'était  sa  première  visite  à  un 
représentant  du  régime  nouveau.  Elle  eut  la 
surprise  de  trouver  un  «  citoyen  »  fort  bien 
élevé,  qui  l'engagea  «  de  la  manière  la  plus 
flatteuse  »  à  regagner  une  patrie  où  l'ordre 
et  la  paix  étaient  complètement  rétablis.  Les 
obstacles  venant  d'être  levés,  elle  ne  deman- 
dait qu'à  se  laisser  convaincre. 

Sous  les  divers  gouvernements  révolution- 
naires, Le  Brun  avait  multiplié  les  démarches 
pour  obtenir  que  sa  femme  fût  rayée  de  la  liste 
des  émigrés.  Mais  la  notoriété  publique  signalait 
sans  cesse  les  relations  et  les  «  menées  »  de  la 
citoyenne  Le  Brun,  et  les  autorités  du  Direc- 
toire refusaient  encore  d'entendre  les  voix  qui 
s'élevaient  pour  elle.  En  vain.  Madame  Tallicn 
elle-même,  en  brumaire  an  VII,  a-t-elle  écrit 
de  sa  main  au  ministre  de  la  Police  en  faveur 
d'une  femme  inorfonsive,  «  dont  le  talent  fait 
l'admiration  de  l'Europe  »  et  semble  assuré- 
ment manquer  aux  élégances  nouvelles.  En 
vain,  le  8  thermidor  suivant,  Barras  a-t-il  reçu 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  209 

une  députation  de  douze  artistes  réputés,  lui 
apportant  une  pétition  solennelle,  signée  de 
deux  cent  cinquante -cinq  noms.  On  y  lit  de 
Madame  Le  Brun  l'éloge  le  plus  touchant  et  la 
défense  la  plus  habile  :  «  Artiste,  son  but  en 
voyageant  fut  d'étudier  et  de  produire.  Elle  l'a 
rempli.  Comment  resterait-elle  confondue  dans 
la  masse  errante  et  coupable  des  émigrés  ? 
Mais  au  juste  intérêt  que  ses  talents  inspirent, 
au  vif  désir  que  nous  éprouvons  de  la  revoir 
au  milieu  de  nous,  se  joint  l'inquiétude  que 
nous  donne  l'état  alarmant  de  sa  santé.  Qu'elle 
ne  soit  point  perdue  pour  son  pays,  citoyens 
Directeurs,  que  la  France  qui  l'a  vue  naître 
recueille  et  ses  derniers  travaux  et  ses  derniers 
soupirs  !  C'est  à  la  grande  Nation  qu'il  appartient 
de  protéger  ses  grands  talents.  Nous  réclamons 
votre  justice,  citoyens  Directeurs,  et  nous  rede- 
mandons la  citoyenne  Le  Brun  au  nom  des 
lois,  au  nom  de  l'honneur  national  et  en  votre 
nom.  «  Trois  pages  de  signatures  réunissent 
l'élite  des  arts,  des  lettres  et  des  sciences.  Ce 
sont  les  peintres  David ,  Fragonard  ,  Greuze, 
Girodct,  Isabey,  Lagrcnée,  Prud'hon,  Regnault, 
Robert,  Van  Spaendonck,  Suvée,  Carie  Vernet, 
Vien,  Vincent;  les  sculpteurs  Dejoux,  Gois, 
Houdon ,   Julien,    Pajou  ;    les  architectes  Rron- 

14 


210  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

gniart,  Chalgrin,  Fontaine,  Percier,  Peyre, 
Raymond;  les  graveurs  Bervic,  Duvivier;  les 
musiciens  Gossec,  Méhul,  Martini;  les  littéra- 
teurs Cailhava,  Chénier,  Colin  d'IIarleville, 
Ducis,  François  de  Neufcliâteau,  Legouvé,  Mil- 
lin,  Parny;  les  savants  Cuvier,  Fourcroy,  Lacé- 
pède,  Lamarck,  Parmentier. . .  Tant  d'efforts 
seraient  inutiles,  si  le  tout-puissant  David,  ne 
se  décidait  à  s'acquitter  enfin,  par  de  pres- 
santes démarches  personnelles,  du  devoir  de 
l'amitié.  La  radiation  devient  définitive,  par  un 
arrêté  des  Consuls  du  5  juin  1800,  et  Madame 
Le  Brun  reçoit  à  Berlin  les  pièces  qui  lui  per- 
mettent de  rentrer  en  France. 

Tout  l'invitait  à  en  profiter  ;  les  lettres  de 
ses  amis  se  faisaient  pressantes.  Elle  voulut 
revenir  en  passant  par  Dresde,  où  elle  retrouva 
la  princesse  Dolgorouky  ;  et  elle  s'arrêta  aussi 
à  Brunswick,  dans  la  famille  de  M.  de  Rivière. 
Elle  revit  enfin  avec  émotion  cette  pairie, 
a  théâtre  de  tant  de  crimes  si  atroces  »,  où 
clic  pleurait  tant  de  personnes  chères.  Le  mari 
nota  sur  ses  carnets  le  jour  mémorable  du 
retour  :  «  Du  6  octobre  1789,  qu'elle  est  partie, 
au  18  janvier  1802,  font  douze  années,  trois 
mois  cL  douze  jours  qu'elle  est  absente.  » 


V 

(1802-1842) 

LA  rentrée  de  Madame  Vigce-Le  Brun  fut, 
dans  le  Paris  du  Consulat,  un  petit 
événement.  Les  artistes  s'en  réjouirent, 
le  monde  en  parla,  et  les  gazettes  l'annoncè- 
rent :  «  Madame  Le  Brun,  disait  le  Journal  de 
Paris,  est  de  retour  depuis  la  fin  du  mois  de 
nivôse,  après  une  absence  de  neuf  ou  dix  ans. 
Elle  a  retrouvé  sa  charmante  maison,  rue  du 
Gros-Chenet,  dans  l'état  où  elle  l'avait  laissée. 
Son  mari  avait  eu  l'attention  de  conserver  le 
même  ordre  dans  l'arrangement  des  meubles, 
des  tableaux,  des  gravures;  ses  chevalets,  ses 
palettes,  ses  pinceaux,  tout  était  à  la  même 
place.  Cette  intéressante  artiste  peut  ainsi  con- 
tinuer, si  elle  veut,  l'esquisse  qu'elle  avait 
commencée  il  y  a  dix  ans.  » 


212  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Ce  mari  si  attentif  avait  pris,  au  cours  de 
1794,  la  précaution  de  divorcer;  l'acte  qu'il 
obtint  résultait  de  la  séparation  de  fait  entre 
les  époux,  ce  par  l'abandon  du  domicile  com- 
mun depuis  plus  de  six  mois  sans  nouvelles  ». 
Ce  fut  une  mesure  de  prudence,  sans  consé- 
quence pour  les  rapports  d'affection  et  qui 
donna  désormais  à  Madame  Le  Brun  la  libre 
disposition  de  ses  biens.  M.  Le  Brun  tout  à  ses 
affaires,  à  ses  voyages,  à  son  commerce  qui 
prenait  une  extension  extraordinaire,  ne  devait 
plus  jouer  de  rôle  dans  la  vie  de  sa  femme, 
jusqu'à  l'année  1813,  date  de  sa  mort. 

Madame  Le  Brun  se  retrouvait  dans  une 
ville  où  tout  était  changé,  et  où  les  mœurs 
différaient  beaucoup  plus  de  celles  de  l'ancien 
régime  que  ne  s'en  éloignait  la  vie  mondaine 
des  capitales  qu'elle  avait  habitées.  Elle  s'y 
accommoda  assez  vite,  entourée,  fêtée  comme 
elle  le  fut,  ne  s'étonnant  pas  du  mouvement 
qui  emportait  la  génération  nouvelle,  mais  seu- 
lement de  voir  si  vieillis  les  hommes  et  les 
femmes  de  la  sienne. 

Dès  le  surlendemain  de  son  retour,  elle  fut 
au  bal  chez  Madame  Rognault  de  Saint-Jean 
d'Angély  ;  peu  après,  à  une  soirée  de  musique 
chez  Madame  de  Ségur.    Elle   vit  une  société 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  213 

distinguée,  brillante,  et  beaucoup  de  jeunes 
femmes,  qui  ne  lui  semblèrent  pas  moins  belles 
que  celles  d'autrefois.  D'autres  émigrés,  récem- 
ment rentrés,  n'acceptaient  pas  sans  amertume 
de  trouver  leurs  places  prises  et  partout  des 
figures  inconnues  :  «  Vous  devez  être  furieuse- 
ment désorienté,  disait  Madame  Le  Brun  au 
comte  d'Espinchal;  vous  ne  connaissez  plus 
personne  dans  les  loges  de  l'Opéra  et  de  la 
Comédie.  »  Pour  elle  au  contraire,  ce  chapitre 
de  ses  Souvenirs,  malgré  quelques  confusions 
de  mémoire  et  la  couleur  royaliste  de  tout 
l'ouvrage,  donne  bien  le  sentiment  qu'elle  sut 
prendre  sa  part  de  cet  heureux  moment  de  la 
vie  française. 

L'amitié    lui    procurait    encore    de    douces 
oies.    Madame  de  Bonneuil  était  restée  aussi 
olie.  Madame  de  Verdun,  la  marquise  de  Grol- 
ier,  aussi  bonnes,  les  Brongniart  aussi  dévoués. 
Ses   vieux   confrères   Hubert   Robert,    Greuze, 
Ménageot,  se  montraient  charmés  de  la  revoir. 
C'était  de  bien  petites  gens  après  tant  de  fré- 
quentations illustres  ;    mais    la    vanité,  qui    hii 
troublait  souvent  l'imagination,   n'altérait  rien 
de   son   excellent   cœur.   Elle  s'intéressait   aux 
progrès    des  Arts ,    à   ce    Muséum   du    Louvre 
rempli    de  merveilles,    au    succès    des    jeunes 


214  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

talents,  comme  Guérin,  Girodet  et  Gérard.  Son 
petit  ami  Gros  lui  avait  donné  de  grandes  espé- 
rances ;  elle  n'en  fut  pas  moins  étonnée  «  de 
retrouver  l'enfant  homme  de  génie  et  chef 
d'école  ».  Gros,  si  attachant  par  sa  franchise  et 
l'originalité  de  son  caractère,  entra  vite  dans 
son  intimité.  Elle  ne  voulut  pas  la  renouer  avec 
David  :  les  idées  de  ce  jacobin,  et  les  actes 
qu'on  lui  reprochait  pendant  la  tourmente,  la 
dispensèrent  de  toute  reconnaissance. 

Bientôt  elle  reprend  ses  soupers  d'artistes, 
elle  donne  un  bal,  elle  fait  dresser  chez  elle 
un  théâtre  pour  jouer  la  comédie  :  «  Je  m'em- 
pressais, dit-elle,  par  ces  réunions,  de  rendre 
aux  Russes  et  aux  Allemands  qui  se  trou- 
vaient à  Paris  quelques-uns  des  plaisirs  qu'ils 
m'avaient  procurés  dans  leur  pays  avec  tant  de 
grâce  et  tant  de  bienveillance.  Je  passais  ma  vie 
avec  eux.  Je  voyais  surtout,  presque  tous  les 
jours,  la  princesse  Dolgorouky,  qui  avait  été  si 
parfaite  pour  moi  à  Saint-Pétersbourg;  le 
séjour  de  Paris  lui  plaisait  assez,  et  elle  était 
parvenue  promptemcnt  à  se  former  une  société 
des  plus  aimables  gens  de  nos  salons.  »  La  prin- 
cesse fut  présentée  à  Bonaparte.  Je  hii  demandai 
comment  elle  avait  trouvé  la  cour  du  Premier 
Consul  :  «  Ce  n'est  [)as    une   cour,    me  réj)on- 


LA  PRINCESSE  GATHERINE-FEODUllUWWA 
DOLGOROLIKV 

NÉE    PRINCESSE    BAHIATINSKY 
(Au  prince  P.  Dolgoroukyj 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  215 

dit-elle,    c'est    une   puissance.   »    Madame    Le 
Brun    évite    d'entrer    en    contact    avec    cette 
puissance.  Elle  prétend  avoir  des   avances  de 
Madame  Bonaparte,  qui  vient  la  voir   dès   son 
retour  et  lui  rappelle  les  bals  où  elles  se  sont 
rencontrées  avant  la  Révolution  ;  Lucien  visite 
son  atelier  et  lui  dit  les  choses  les  plus  flat- 
teuses sur  la   Sibylle ,    qui   fait   maintenant  la 
curiosité  de  Paris.  Fidèle  à  ses   princes  et   au 
souvenir  de  Marie-Antoinette,  l'artiste  s'accou- 
tume  mal   à  l'idée    du    pouvoir  nouveau  ;    des 
idées  noires    bientôt    la   poursuivent  ;   tout   le 
passé  révolutionnaire  hante  son  esprit  ;  elle  est 
prise  d'une  tristesse  que  ne  suffit  pas  à  guérir 
un  séjour  dans  les  bois  de  Meudon,  près  de  la 
maison    qu'habite,   avec   les  dames  de    Belle- 
garde,  la  chère  compagne  de  ses  promenades 
dans  la  campagne  romaine.  Aimée  de   Coigny. 
L'artiste    s'imagine  qu'elle  guérira    à    Londres 
et,  comme  c'est  la  seule  des  grandes  capitales 
qu'elle   n'ait  point  vue,    un  peu  de  curiosité  y 
aidant,  elle  passe  le   détroit  avec  sa  gloire  et 
ses  pinceaux. 

A  Londres,  elle  se  remet  à  travailler  et  se 
trouve  si  bien  f[ue,  étant  venue  pour  trois  mois, 
elle    demeure    près    de    trois    ans  .    La    haute 


216  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

société  anglaise  lui  a  fait  l'accueil  auquel  elle 
est  habituée  ;  mais  elle  a  goûté  plus  encore  la 
présence  des   compatriotes   qu'elle   préfère  et 
dont  elle  partage  tous   les   sentiments.  Il  n'y 
a  personne  à  Paris,  à  ce  moment,  avec  qui  elle 
puisse  causer  comme  avec  M.    de   Vaudreuil; 
le  comte  est  bien  changé  et  vient  de  se  marier, 
mais  il  garde  au  service  de  son  prince  son  inal- 
térable dévouement.   C'est  dans  un  tel  milieu 
que  Madame  Le  Brun  se  sent  à  l'aise,   sous  le 
charme  attristé  d'une  communauté  de   souve- 
nirs :  «  Je   retrouvai    en    Angleterre,    dit-elle, 
une  foule  d'émigrés  français,  que  j'invitai  bien- 
tôt à  mes   soirées.  J'eus   le  bonheur  aussi   de 
rencontrer  M.  le  comte  d'Artois  ;  je  me  trouvai 
avec  lui  chez  lady  Parceval,  qui  recevait  beau- 
coup d'émigrés.  Il  avait   pris  de  l'embonpoint 
et  me  parut  vraiment  très  beau.  Peu  de  temps 
après,  il  me  fit  l'honneur  de   venir  voir    mon 
atelier  ;   j'étais  dehors,    et  je   ne   revins   qu'au 
moment  où  il  sortait  de  chez  moi  ;   mais  il  eut 
la   bonté  de  rentrer  pour  me  faire  compliment 
(hi   portrait  du  prince  de   Galles,  dont  il  parut 
fort   satisfait.   »    Ce   |)ortrait  était    destiné    par 
M.    le   prince    à    Mrs.    Fitz  -  Herbert.    L'artiste 
associait  son  travail  à  des  amours  plus  mélan- 
coliques,  lorsqu'elle    jieignait,    pour   le    comte 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  217 

d'Artois  lui-même,  Madame  de  Polastron  déjà 
flétrie  par  le  mal  qui  devait  l'emporter. 

Elle  recevait  beaucoup  et  donnait  d'ex- 
cellente musique  dans  son  appartement  de 
Madox  Street;  son  vieil  ami  Viotti  s'y  faisait 
entendre  à  côté  de  la  Grassini,  qui  obtenait  au 
théâtre  ses  premiers  succès.  Elle  retrouvait 
en  Angleterre  nombre  d'anciennes  connais- 
sances. Un  jour,  lady  Hamilton,  qui  venait  de 
perdre  son  époux  et  chez  qui  elle  s'était  fait 
inscrire,  vint  étaler  chez  elle  d'immenses  voiles 
noirs  et  une  douleur  théâtrale  :  «  Je  trouvai, 
dit-elle,  cette  Andromaque  énorme,  car  elle 
avait  horriblement  engraissé  »  ;  elle  apprit  en 
même  temps  que  le  feu  mari  avait  vendu 
avantageusement  les  portraits  de  Naples,  même 
celui  que  l'artiste  lui  avait  gracieusement 
donné.  La  vie  de  Londres  l'intéressa  ;  elle  fut 
aux  raouts  de  lady  Hertford  et  de  la  duchesse 
de  Devonshire.  L'été,  elle  visita  les  châteaux 
historiques,  fit  à  Bath  la  saison  d'usage  et 
apprécia  quelques  séjours  de  campagne  dans 
plusieurs  belles  résidences  :  à  Knowles,  chez 
la  duchesse  de  Dorsct,  dont  elle  avait  peint  la 
fille;  à  Stowe,  chez  la  marquise  de  Bucking- 
ham  ;  à  Benheim,  chez  la  fameuse  margrave 
d'Anspach,  qui  lui  demandait  son   projire  por- 


218  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

trait  et  celui  d'un  fils  qu'elle  avait  de  son 
mari  anglais,  M.  Repell.  Elle  passa  quelques 
jours  à  Twickenham ,  auprès  de  la  jeune 
comtesse  de  Vaudrcuil  et  y  exécuta  les  pas- 
tels de  ses  deux  fils.  Le  comte  la  mena  faire 
une  visite  au  duc  d'Orléans,  qui  voisinait 
volontiers,  à  cette  date,  avec  les  amis  du 
comte  d'Artois  ;  le  duc  de  Montpensier  vint 
même  plusieurs  fois  prendre  l'artiste  pour 
l'emmener  dessiner  avec  lui  les  paysages  boisés 
des  environs. 

Il  n'y  avait  pas  alors  de  musée  public  à 
Londres.  Madame  Vigée-Le  Brun  put  étudier 
les  portraits  de  l'Ecole  anglaise  dans  les 
galeries  particulières  et  aussi  chez  les  peintres; 
elle  visita  avec  curiosité  ses  confrères,  dont 
plusieurs  la  virent  arriver  sans  plaisir  et  cher- 
chèrent même  à  déprécier  sa  peinture.  Elle 
parle  surtout  de  Reynolds,  dont  le  jugement 
favorable  sur  ses  propres  œuvres  paraît  l'avoir 
beaucoup  flattée  ;  mais  elle  ne  dit  pas  expressé- 
ment avoir  rencontré  le  grand  artiste.  Elle 
n'était  plus  assez  jeune  pour  profiler  de  ces 
voisinages  magnifiques.  Ses  habitudes  d'art  et 
sa  manière  étaient  depuis  longtemps  fixées; 
on  ne  voit  pas  que  ses  tableaux  faits  en  Angle- 
terre  aient   plus  d'accent   que    les  précédents. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  219 

Quelques-uns  n'y  sont  pas  inférieurs,  surtout 
des  portraits  de  femmes  de  théâtre,  comme 
Madame  Grassini,  représentée  dans  le  rôle  de 
Zaïre,  c'est-à-dire  en  costume  oriental,  avec 
une  tunique  rouge  sans  manches,  recouvrant 
une  robe  de  gaze  rose  parsemée  de  fleurs  roses 
et  serrée  par  une  ceinture  aux  agrafes  d'or,  ou 
encore  Madame  Vestris,  enveloppée  d'un  man- 
teau bleu,  un  collier  de  corail  au  cou,  les 
cheveux  flottant  au  vent,  et  dont  l'étrange 
beauté  apparaît  sous  un  ciel  d'orage,  dans  une 
interprétation  déjà  romantique. 

Lorsque  survint  la  rupture  de  la  Paix 
d'Amiens,  les  sujets  français  arrivés  depuis 
moins  d'une  année  furent  obligés  de  quitter 
l'Angleterre.  Madame  Vigée-Le  Brun,  aux 
yeux  des  Anglais,  était  trop  bonne  sujette  de 
Louis  XVIII  pour  ne  pas  avoir  droit  à  de  parti- 
culières faveurs.  Aussi  le  prince  de  Galles  lui 
apporta-t-il  lui-même  un  sauf-conduit  royal, 
accordant  toute  protection  et  toutes  facilités 
de  voyage. 

Du  côté  des  autorités  françaises,  les  choses 
n'étaient  pas  aussi  simples  :  elle  avait  un 
passeport  périmé  et  craignait  d'èlre  forcée  de 
rester  en  Ano:leterre  au  moment  même  où  sa 
fille,   lassée  de  la  Russie,    revenait  c>n    France; 


220  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

elle  voulait  cependant  pouvoir  demeurer  à  son 
gré,  pour  terminer  les  portraits  commencés  et 
en  toucher  le  prix.  Des  dispositions  maladives 
aggravaient  ses  inquiétudes.  Il  fallut  le  dévoue- 
ment de  M.  Perregaux,  son  banquier,  qu'elle 
accablait  de  lettres  éperdues,  et  la  bonne  grâce 
de  Portails  et  de  Talleyrand  pour  rassurer  ses 
esprits  et,  plus  tard,  lui  faciliter  le  retour,  dans 
le  cours  de  l'été  de  1805.  Elle  eut  bien  à  Rot- 
terdam quelques  difficultés,  dont  elle  se  plaint 
amèrement;  mais  le  préfet  d'Anvers,  M.  d'IIer- 
bouville,  fut  charmant,  et  détruisit  quelques- 
unes  de  ses  préventions  contre  l'administra- 
tion de  «  l'usurpateur  ». 

L'Empereur  savait  parfaitement  à  quoi  s'en 
tenir  sur  ce  voyage  d'Angleterre ,  quand  il 
disait  d'un  ton  sec  à  M.  de  Ségur,  qui  le  rap- 
portait à  sa  femme  :  «  Madame  Le  Brun  est 
allée  voir  ses  amis.  »  Mais  l'artiste  était  trop 
mince  personnage  pour  qu'il  daignât  lui  tenir 
rigueur.  Peu  de  jours  après  ce  propos,  il 
envoyait  chez  elle  Denon  commander  de  sa 
part  un  portrait  en  pied  de  sa  sœur  Caroline, 
femme  du  prince  Murât.  «  Je  ne  crus  pas 
devoir  refuser,  écrit  Madame  Le  Brun,  (pioique 
ce  portrait  ne  me  fût  payé  que  dix-liuit  cents 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  221 

francs,  c'est-à-dire  moins  de  la  moitié  de  ce 
que  je  prenais  habituellement  pour  les  por- 
traits de  même  grandeur .  Cette  somme  fut 
d'autant  plus  modique  que,  pour  me  satisfaire 
dans  la  composition  du  tableau,  je  peignis  à 
côté  de  Madame  Murât,  sa  petite -fille,  qui 
était  fort  jolie.   » 

«c  Au  reste,  ajoute-t-elle,  il  me  serait  im- 
possible de  décrire  toutes  les  contrariétés,  tous 
les  tourments  qu'il  me  fallut  endurer  pendant 
que  je  faisais  ce  portrait.  »  Séances  manquées, 
coiffure  plusieurs  fois  changée,  robes  rempla- 
cées, expliquent  peut-être  que  le  tableau  ne 
soit  pas  un  chef-d'œuvre .  Mais  les  caprices 
continuels  de  cette  «  Madame  Murât  »  et  sur- 
tout son  inexactitude  irritaient  l'artiste,  lui 
donnaient  de  l'humeur,  au  point  qu'un  jour,  en 
présence  de  Denon,  elle  aurait  dit  assez  haut 
pour  être  entendue  du  modèle  :  «  J'ai  peint  de 
véritables  princesses,  qui  ne  m'ont  jamais 
tourmentée  et  ne  m'ont  jamais  fait  attendre  !  » 
C'était  un  de  ces  mots  courageux  dont  ou 
aimait  à  se  vanter  dans  les  salons  amis. 

Il  ne  restait  plus  à  Madame  Le  Brun,  pour 
se  prendre  tout  à  fait  au  sérieux  dans  son 
petit    rôle    d'opposition,   que   d'aller   à  Coppot 


222  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

visiter   Madame    de   Staël  ;    elle   n'y    manqua 
point,  lorsqu'elle  fut  voyager  en  Suisse. 

Après  avoir  vu  beaucoup  de  montagnes,  de 
lacs,  de  glaciers  et  de  cascades,   après   avoir 
fait  pèlerinage  aux  souvenirs  de   Rousseau  et 
dessiné  au  pastel  une  quantité  de  sites  renom- 
més.   Madame  Vigée-Le   Brun    sut   goûter  le 
séjour  de  Coppet,  où  se  concentrait   une   vie 
intellectuelle   si   raffinée.    Elle   y   fut   en  belle 
compagnie,   s'il  est  vrai  qu'elle  y  trouva  éta- 
blis,   en   ce   mois   de   septer^bre    1808,    outre 
Schlegel,   «  la  bien  jolie  Madame  Récamier  » 
et  le  comte  de  Sabran,  et  qu'elle  y  vit  arriver 
Benjamin  Constant  et  le  prince  Auguste.  Elle 
demeura  sous  le  charme  de   la  châtelaine,   de 
qui   elle   venait    de  lire    Corinne^    récemment 
parue,  et  elle  esquissa  son  portrait,  une  lyre  à 
la  main  et  en  costume  antique ,    semblable  à 
l'héroïne  du  livre  :    ce   J'ai  passé  quatre  jours, 
écrivait-elle  à  sa  fille,  chez  la  dame  dont  nous 
avons  lu  le  dernier  ouvrage  avec  tant  de  plai- 
sir. Je  suis  encore  chez  elle  jusqu'à  demain. 
J'ai  fait  son  portrait  d'une  manière  qui,  je  crois, 
te  plaira.    Sa  tète  est   pleine  d'àme,   d'expres- 
sion ;  ce  sera  pour  nous  Corinne!  Tu  verras,  je 
l'apporte  avec  moi  pour  le  finir  à  Paris;   mais 
j'ai    ])ris    sur   elle-même   l'atlitude,    pour   que 


MADAME   DE   STAËL,  EN  CORINNE 

1808 

fMusée  d'Art  et  d'Histoire,  à  Genève) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  223 

l'ensemble  la  réalise  davantage.  »  Pendant  la 
pose,  afin  de  soutenir  l'expression,  elle  priait 
Madame  de  Staël  de  lui  réciter  des  vers  de 
tragédie.  «  Récitez  encore,  disait-elle  quand 
la  tirade  était  finie.  —  Mais  vous  ne  m'écoutez 
pas.  —  Allez  toujours  !  »  Et  Racine  succédait 
à  Corneille,  et  aussi  Voltaire,  dont  on  jouait  le 
soir,  au  château,  la  S  émir  amis .  De  telles 
séances  expliquent  assez  pourquoi  ce  portrait 
célèbre  manque  de  naturel  et  de  vérité.  Ma- 
dame de  Staël  le  reçut  l'année  suivante  et 
envoya  mille  écus  avec  ce  billet  :  «  J'ai  enfin 
reçu  votre  magnifique  tableau.  Madame,  et, 
sans  penser  à  mon  portrait,  j'ai  admiré  votre 
ouvrage.  Il  y  a  là  tout  votre  talent,  et  je  vou- 
drais bien  que  le  mien  pût  être  encouragé  par 
votre  exemple  ;  mais  j'ai  peur  qu'il  ne  soit  plus 
que  dans  les  yeux  que  vous  m'avez  donnés.  » 
Corinne  écrivait  alors  De  l'Allemagne,  tandis 
(jue  la  carrière  du  peintre  s'achevait. 

Cette  toile  est  peut-être  la  dernière  qui 
doive  compter  dans  son  œuvre  ;  colles  ([ui  sui- 
vront, portraits  acceptés  j)ar  l'amitié  ou  de- 
mandés par  la  complaisance,  marf|ucront  de 
plus  en  plus  à  tous  les  yeux  la  ilécadonce  de 
l'artiste.  Son  talcuL  ne  survit  guère  à  la  beauté 
des  femmes  (ju'il  a  célébrées  ;  il  est  gâté  par  la 


224  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

pratique  du  pastel  et  détourné  de  ses  voies  par 
des  prétentions  de  paysagiste  ;  une  médiocre 
santé  oblige,  d'ailleurs,  Madame  Le  Brun  au 
repos  que  sa  vie  de  labeur  a  bien  mérité,  tan- 
dis que  la  génération  nouvelle,  qui  la  respecte 
un  peu  comme  une  aïeule,  se  détache  de  ses 
agréments  surannés  pour  un  art  plus  sincère 
et  plus  viril. 

En  1810,  Madame  Vigée-Le  Brun  acheta, 
pour  passer  les  étés ,  une  maison  à  Louve- 
ciennes,  sur  ce  coteau  délicieux,  où  l'attiraient 
tant  de  souvenirs  du  temps  qui  lui  était  cher. 
La  bonne  Madame  du  Barry  ne  se  promenait 
plus  dans  ces  jardins  enchanteurs,  où  elles 
avaient  goûté  ensemble  des  heures  si  pai- 
sibles ;  le  joli  pavillon  resté  debout  évoquait 
seul  les  élégances  d'autrefois,  tandis  que  les 
statues  enlevées  des  socles,  les  bronzes  arra- 
chés des  cheminées  et  des  serrures,  rappe- 
laient, en  ce  beau  lieu  dévasté,  le  brutal  pas- 
sage de  In  Révolution.  Marly ,  tout  auprès, 
montrait  une  ruine  plus  complète  encore.  L'ar- 
tiste retrouvait,  du  moins,  avec  le  charme 
d'un  horizon  familier,  le  voisinage  d'anciennes 
amitiés,  surtout  Madame  Pourrat  et  sa  fdle,  la 
comtesse   Ilocquart,    «  de  ces  femmes    distin- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  225 

guées  avec  lesquelles  on  aimerait  passer  sa 
vie  ».  Madame  Hocquart  jouait  la  comédie  à 
ravir,  faisait  venir  Paris  à  Louveciennes,  et 
l'artiste,  toujours  sociable,  malgré  ses  nou- 
veaux goûts  rustiques,  en  bénéficiait  avec  recon- 
naissance. 

Il  y  eut  une  grande  émotion  dans  ce  pai- 
sible pays,  au  moment  de  l'arrivée  des  Alliés. 
La  nuit  du  31  mars  1814,  les  Prussiens  enva- 
hirent la  petite  maison  de  Madame  Vigée- 
Le  Brun,  alors  qu'elle  venait  de  se  mettre  au 
lit,  et  la  dévalisèrent  jusque  dans  sa  chambre  à 
coucher.  Elle  se  crut  morte,  et  maudit  Bona- 
parte une  fois  de  plus.  Les  journées  et  les  nuits 
suivantes  furent  moins  agitées  ;  elle  s'était 
réunie  à  quelques  voisines,  dans  une  maison 
au-dessus  de  la  machine  de  Marly  ;  elles  enten- 
daient, tout  auprès,  le  canon  et  la  fusillade,  et 
les  habitants  ne  leur  apportaient  que  des  nou- 
velles de  pillage  :  «  Ces  tristes  récits,  qu'ac- 
compagnait le  bruit  sinistre  de  la  machine, 
nous  étaient  faits  dans  le  magnifique  jardin  de 
Madame  du  Barry,  près  du  temple  de  l'Amour 
entouré  de  ileurs  et  par  le  plus  beau  temps  du 
monde.   » 

On  eut  eniln  les  bonnes  nouvelles,  et   Ma- 
dame  Le  Brun    vola   à    Paris    pour   revoir   ses 


226  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

princes.  Elle  assista  à  l'entrée  du  cher  comte 
d'Artois,  unit  sa  voix  aux  acclamations  de  la 
foule  :  <(  Il  m'est  impossible  de  décrire  les 
douces  sensations  que  ce  jour  me  fît  éprouver  ; 
je  versai  des  larmes  de  joie,  de  bonheur,  » 
Puis  ce  fut  un  autre  enchantement,  l'entrée 
solennelle  de  Louis  XVIII.  Elle  le  vit  passer 
sur  le  quai  des  Orfèvres,  assis  dans  sa  calèche 
à  côté  de  Madame  la  duchesse  d'Angoulême, 
de  qui  elle  interpréta  les  sentiments  :  «  Son 
sourire  était  doux  mais  triste...,  car  elle  suivait 
le  chemin  que  sa  mère  avait  suivi  en  allant  à 
l'échafaud,  et  elle  le  savait.  »  Le  dimanche 
suivant.  Madame  Le  Brun  fut  aux  Tuileries  et 
se  mêla,  dans  la  galerie,  aux  curieux  qui  se 
pressaient  pour  voir  le  Roi  aller  à  la  messe.  Sa 
Majesté  la  reconnut,  vint  à  elle,  lui  prit  les 
mains  et  laissa  la  bonne  royaliste  dans  le  ravis- 
sement de  ces  paroles  du  retour  qu'elle  atten- 
dait depuis  si  longtemps. 

Une  vie  est  accomplie  quand  elle  voit  se 
réaliser,  dans  un  triomphe  qu'on  s'imagine 
durable,  d'aussi  ardentes  espérances.  Après 
l'aigre  surprise  des  Gent-Jours,  après  l'ivresse 
nouvelle  du  retour  de  Gand,  Madame  Vigée-Le 
Brun   peut    se   croire  revenue  ;ui   vieux  temps. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  227 

Ses  nobles  modèles  ou  leurs  enfants  ont  repris 
leur  place  à  la  Cour;  les  princes  recommencent 
à  lui  sourire  ;  elle  va  être  rappelée  au  Château 
pour  un  portrait  encore,  celui  de  la  duchesse 
de  Berry.  Elle  a  reconstitué  son  salon  et  il  y 
vient,  comme  autrefois,  des  hommes  de  lettres 
et  des  artistes.  La  princesse  Natalie  Rourakine, 
qu'elle  a  la  joie  de  revoir,  note  sur  son  journal 
la  physionomie  de  quelques-unes  des  soirées 
de  sa  vieille  amie.  Celle  du  18  novembre  1816 
est  donnée  en  son  honneur  :  «  Le  petit  concert 
n'a  pas  réussi,  mais  cependant  Lafont  et  sa 
femme  ont  chanté,  et  Mademoiselle  Démar  a 
joué  de  la  harpe.  Il  y  avait  beaucoup  de  monde, 
entre  autres  le  vieux  comte  de  Vaudreuil, 
l'homme  le  plus  aimable  de  Paris  autrefois, 
maintenant  très  vieux  et  très  sourd,  mais  cher- 
chant toujours  en  société  à  payer  de  sa  per- 
sonne. J'y  ai  rencontré  deux  littérateurs  inté- 
ressants, MM.  Aimé  Martin  et  BrilTaut,  puis  le 
fameux  peintre  Robert  Lefèvre,  qui  m'a  enga- 
gée à  aller  voir  son  atelier.  »  Elle  y  trouve, 
d'autres  fois,  de  très  anciens  amis  de  l'artiste, 
le  marquis  de  Cubières,  la  marquise  de  Bouf- 
flcrs  et  M.  de  Sabran,  son  fils.  Madame  Thé- 
lusson.  Madame  Benoist,  réunis  aux  relations 
nouvelles,    Madame    de   Bawr,  les    dames  de 


228  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Bellegarde  et  le  comte  de   Forbin,   qui   peint 
si  agréablement  les  éruptions  du  Vésuve. 

Il  y  a  des  dîners  où  l'on  convie  Désaugiers  : 
«  Ce  dernier  nous  a  chanté  des  chansons  de 
lui  délicieuses ,  pendant  que  nous  étions  à 
table,  les  unes  plus  jolies  que  les  autres  :  nous 
en  répétions  tous  les  refrains  ;  c'était  gai, 
aimable,  et  tout  le  monde  se  plaisait  à  dire  que 
c'était  un  petit  dîner  parisien  d'autrefois.  » 
Madame  Le  Brun  accompagne  son  amie  au 
spectacle,  la  mène  au  Musée  et  dans  les  ate- 
liers, conduit  chez  elle  ses  amis.  Briffaut,  le 
fabuliste,  semble  le  plus  intime,  l'inséparable 
compagnon  ;  elle  prône  son  agréable  caractère, 
ses  jolis  contes  qu'il  récite  si  bien.  C'est  pour 
lui  qu'elle  fait  au  pastel,  en  1818,  son  dernier 
portrait ,  qui  la  montre ,  les  yeux  très  vifs 
encore,  avec  un  turban  blanc  et  une  robe  jaune. 
Tout  l'intéresse  de  la  vie  de  son  temps,  surtout 
les  choses  du  théâtre  :  on  voit  qu'elle  a  gardé 
son  activité  d'autrefois  et  cette  amabilité  de 
fond  qui  la  fît  partout  aimer  :  «  Je  rencontre 
toujours  chez  elle,  écrit  la  princesse ,  quel- 
qu'un ou  quelque  chose  qui  me  plaît.  Je  n'ai, 
de  ma  vie,  vu  une  femme  plus  aimable  dans 
l'étendue  du  terme...  Mais  elle  l'est  surtout  en 
voulant   faire  paraître  les  autres,  en  s'oubliant 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  229 

elle-même  ;  puis  la  grande  sûreté  de  son  com- 
merce la  rend  vraiment  précieuse.   » 

Avec  de  telles  qualités  et  un  art  si  délicat 
de  vieillir,  Madame  Vigée-Le  Brun  ne  manquera 
jamais  d'entourage  ni  d'amitiés.  Si  elle  perd 
sa  fille  en  1819,  son  frère  en  1820,  elle  retrouve 
une  famille  en  ses  deux  nièces,  Madame  de 
Rivière  et  Madame  Tripier-Le  Franc,  née  Le 
Brun,  son  élève  en  peinture.  Ces  deux  dames 
multiplient  leurs  soins  autour  de  sa  vieillesse, 
sans  qu'elle  se  doute  de  la  sourde  rivalité  qui 
les  divise  et  qui  éclatera  en  procès  après  sa 
mort.  Heureuse  de  partager  son  cœur  entre 
«  des  êtres  chéris  »,  qui  lui  font  «  retrouver 
tous  les  sentiments  d'une  mère  »,  elle  se  plaît 
à  les  voir  faire  ensemble  les  honneurs  de  sa 
maison.  Elle  continue  le  dessin  et  le  pastel; 
elle  peint  même  pour  l'église  du  village  de 
Louveciennes,  où  elle  passe  huit  mois  de 
l'année,  un  tableau  de  Sainte-Geneviève.  Elle 
écrit,  presque  septuagénaire  :  «  La  j^einture 
est  toujours  pour  moi  une  passion  (|iii  n'aura 
de  fin  qu'avec  ma  vie.  »  Mais  peindre  n'est  plus 
pour  elle  qu'une  distraction,  comme  de  racon- 
ter ses  souvenirs. 

Elle  a   commencé  à  les  écrire,   sur  les  ins- 
tances de  ses  amis,  et  d'abord    sous   la  forme 


230  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

de  lettres  à  la  princesse  Kourakine;  on  l'y  a 
aidée  en  prenant  des  notes  dans  ses  conversa- 
tions ou  sous  sa  dictée;  le  moment  venu,  des 
hommes  de  lettres  de  son  entourage  en  ont 
tiré  trois  volumes,  qu'on  a  portés  chez  le 
libraire  Fournier  et  qui  ont  plu  par  les  anec- 
dotes, les  portraits,  les  détails  authentiques 
sur  l'ancienne  société  de  Paris  et  des  cours 
étrangères.  Le  public,  qui  oubliait  la  vieille 
artiste,  lui  a  su  gré  de  le  faire  profiter  du 
plaisir  que  donne  à  son  cercle  familier  la  cau- 
serie toujours  intéressante  d'une  femme  qui  a 
traversé  des  mondes  si  divers  et  qui  a  su  les 
voir.  C'est  le  dernier  succès  de  Madame  Vigée- 
Le  Brun,  qui  s'éteint  à  Paris,  rue  Saint-Lazare, 
le  29  mai  1842,  à  l'âge  de  quatre-vingt-sept 
ans.  Elle  est  enterrée,  suivant  la  volonté  expri- 
mée par  son  testament,  dans  le  cimetière  de 
Louveciennes,  et  sur  sa  tombe  sont  sculptés 
une  palette  et  des  pinceaux. 

Jusqu'à  la  fin,  la  vieille  artiste  garda  la 
grande  fierté  de  sa  vie,  celle  d'avoir  été  le 
peintre  de  la  Reine.  La  frivole  et  séduisante 
princesse  qui  avait  jadis  posé  devant  elle  ne 
ressemblait  guère  à  la  souveraine  héroïque, 
dont   la  légende  s'établissait  à  l'époque  de  la 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  231 

Restauration  et  qu'on  voulait  parer,  à  tous  les 
moments  de  sa  vie,  des  mêmes  perfections 
morales.  Mais  aux  yeux  de  Madame  Le  Brun, 
comme  de  la  plupart  de  ses  contemporains, 
n'apparaissait  plus  que  la  figure  de  la  «  Reine- 
Martyre  ».  Elle  travailla,  pour  sa  part,  à  rendre 
plus  pur  et  plus  glorieux  l'éclat  de  cette 
auréole;  elle  rêva  de  s'associer  étroitement  à 
ce  culte  nouveau,  qu'une  partie  des  royalistes 
français  semblaient  occupés  à  établir.  Le  ta- 
bleau d'histoire,  qu'elle  avait  projeté  en  Russie 
sur  la  famille  royale  au  Temple,  se  transforma 
en  une  composition  allégorique,  qui  fut  la  der- 
nière de  ses  grandes  œuvres.  Elle  la  désigna 
sous  le  titre  à^ Apothéose  de  la  Reine,  et  Ton 
y  voit  Marie- Antoinette,  vêtue  de  la  longue 
robe  des  bienheureux,  monter  vers  le  ciel,  où 
l'accueillent  deux  anges,  rappelant  les  deux 
enfants  qu'elle  a  perdus,  et  un  Louis  XVI,  dont 
le  buste  émergeant  des  nuages  est  rendu  plus 
bizarre  par  les  petites  ailes  placées  à  son  dos. 
Madame  Vigée-Le  Brun  envoya  cette  peinture 
à  Madame  de  Chateaubriand,  pour  la  maison 
charitable  qu'elle  fondait,  sous  le  patronage  de 
Sainte  Thérèse,  en  faveur  des  prêtres  infirmes, 
et  qui  s'est  perpétuée  jusqu'à  nos  jours  dans 
l'ancienne  rue  d'Enfer.   (Quelque   persuadé  que 


232  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

l'on  fût  alors  de  la  sainteté  des  personnes 
représentées,  on  hésita  à  mettre  ce  tableau  à 
l'intérieur  de  la  chapelle  et  il  resta  dans  le 
vestibule.  Ni  la  couleur,  ni  le  dessin  ne  rap- 
pellent les  anciens  ouvrages  de  l'artiste ,  et 
ce  n'est  qu'un  froid  témoignage,  dans  le  lan- 
gage du  temps,  de  cette  reconnaissance  pas- 
sionnée qu'elle  gardait  à  ses   souverains. 

Le  moindre  de  ses  portraits  nous  touche 
davantage.  Elle-même  n'avait  pu  revoir  sans 
être  émue,  «  sous  le  règne  de  Bonaparte  »  ,  le 
grand  tableau  de  Marie -Antoinette  avec  ses 
enfants,  que  la  Révolution  n'avait  pas  détruit. 
La  somme  promise  pour  cette  toile  par  M.  d'An- 
giviller  ne  lui  avait  jamais  été  versée  et,  à  son 
retour  en  France,  elle  trouva  inscrite  au  Grand- 
Livre  la  rente  de  595  francs  qui  en  représentait 
le  montant.  L'Empire  paya  régulièrement  cette 
dette  de  la  Monarchie.  Le  tableau  était  déposé, 
sans  cadre  et  retourné  vers  le  mur,  dans  une 
salle  basse  du  Château  de  Versailles,  où  l'on 
avait  reçu  l'ordre  de  ne  le  point  montrer. 
()uaud  Madame  Vigée-Le  Brun  y  vint,  un  gar- 
dien lui  avoua  (ju'il  lo  laissait  voir  à  beaucoup 
de  monde  et  en  tirait  de  grands  profits.  Les 
âmes  sensil>les  et  fidèles  aimaient  chercher 
avec    quelque    mystère,   au  lieu    où   on  l'avait 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  233 

peinte,  l'image  de  l'auguste  victime.  Aujour- 
d'hui, c'est  encore  à  Versailles  que  les  portraits 
de  Marie- Antoinette  par  son  peintre  préféré 
paraissent  le  mieux  placés  pour  nous  émou- 
voir ;  c'est  là  qu'ils  assurent  à  Madame  Le 
Brun,  pour  des  raisons  étrangères  à  l'art,  une 
célébrité  égale  à  celle  des  grands  artistes. 


SOURCES 


Il  ne  conviendrait  pas  de  charger  ce  récit  d'une  lourde 
bibliographie  ;  il  faut  cependant  en  indiquer  les  sources 
principales,  et  tout  d'abord  les  inédites.  L'extrême  obli- 
geance de  M.  Jacques  Doucet  m'a  permis  de  disposer  de 
dossiers  considérables,  provenant  des  Tripier- Le  Franc, 
neveux  par  alliance  de  Madame  Vigée-Le  Brun,  qui 
I  contiennent   tous    les    actes    de  famille,    des    correspon- 

dances, des  carnets,  des  notes  biographiques  et  un  lot  de 
1  pièces  intéressant  les  affaires  de  Le  Brun.  Le  rapport  de 

!:  M.  d'Ana^iviller  et  la  lettre  à  Madame  du  Barrv,  donnée 

j;  en  fac-similé  dans  la  grande  édition  de  ce  livre,  se  trouvent 

aux  Archives  nationales  ;  la  lettre  écrite  de  Coppet  est 
entre  mes  mains.  Un  recueil  de  la  collection  Deloynes  au 
Cabinet  des  Estampes  nous  a  gardé  beaucoup  de  petits 
vers  sur  les  Salons;  je  cite  d'autres  poésies  d'après  l'Al- 
manach  des  Muses,  diverses  brochures  parues  à  l'occasion 
des  expositions,  les  critiques  des  Mémoires  secrets,  et  bien 
entendu  le  Précis  historique  de  la  vie  de  la  citoyenne  Le 
Brun,  peintre,  publié  par  son  mari  en  l'an  II.  Plusieurs 
volumes    des    Nouvelles  Arcltives   de   l'Art  Français   et  la 


236  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

Correspondance  de  M.  d'Angiviller,  éditée  par  M.  Furcy- 
Raynaud,  contiennent  des  documents  relatifs  à  notre  sujet, 
ainsi  que  l'étude  du  baron  R.  Portails  sur  Adélaïde  Labille- 
Guiard.  Pour  l'énaigration  et  les  voyages  de  notre  artiste, 
ses  souvenirs  peuvent  être  contrôlés  par  beaucoup  de 
témoignages  (Ligne,  Vaudreuil,  comtesse  de  Boigne, com- 
tesse Golovine,  etc.);  on  consultera,  sur  les  démarches 
faites  pour  son  retour,  les  documents  édités  au  t.  IV 
des  Nouvelles  Archives,  et  surtout  ceux  que  fait  connaître 
M.  Tuetey,  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  de 
l'Art  Français  de  1911. 

En  réimprimant  en  1910,  dans  une  édition  populaire,  le 
texte  du  premier  volume  des  Souvenirs  paru  en  1835  (les 
deux  autres  sont  de  1837),  j'ai  rappelé  avec  quelle  prudence 
il  faut  les  lire.  On  n'y  doit  chercher  que  l'image  générale 
d'un  temps,  tel  que  le  voyait  une  artiste  qui  avait  trente- 
quatre  ans  en  1789  et  quatre-vingts  ans  lorsqu  elle  raconta 
sa  jeunesse.  Pour  la  critique  de  ces  mémoires,  on  se 
servira  du  court  récit  biographique  (imprimé  en  1903,  à 
Moscou,  par  le  prince  Théodore  Kourakine,  à  la  suite  des 
Souvenirs  de  la  princesse  Natal ie  Kourakine,  où  sont  tant 
de  mentions  de  Madame  Le  Brun  et  de  ses  amis  sous  la 
Restauration);  on  lira  aussi  avec  fruit  l'article  d'Auguste 
Molinier,  dans  l'Art  de  1905,  qui  donne  les  premières  pages 
d'une  rédaction  originale  des  Souvenirs.  Il  y  a,  dans  les 
dossiers  Le  Brun,  d'autres  fragments  pris  sous  la  dictée 
ou  notés  le  jour  même  d'une  conversation,  probablement 
par  le  littérateur  chargé  d'écrire  l'ouvrage.  On  va  les 
trouver  ici,  et  la  comparaison  des  textes  permettra  aux 
curieux  de  se  rendre  compte  de  la  manière  dont  ces  fameux 
mémoires  ont  été  rédigés. 


SOUVENIRS 

RECUEILLIS    DANS   LES   CONVERSATIONS 
DE  MADAME  VIGÉE-LE  BRUN 


A  l'âge  de  quinze  ans,  elle  eut  la  visite  de  Madame 
Geoffrin.  Elle  portait  un  grand  bonnet  de  dentelles,  une 
coiffe  noire  nouée  sous  le  menton,  une  robe  de  soie  gris 
foncé;  elle  avait  au  moins  soixante  ans,  et  lui  dit  avec 
bienveillance  qu'ayant  oui  parler  de  son  talent  et  de  sa 
personne,  elle  avait  désiré  la  voir. 

Elle  eut  aussi  la  visite  du  fameux  comte  Orlolf,  l'un  des 
assassins  de  Pierre  111.  C'était  un  homme  grand  comme 
son  crime.  L'énorme  diamant  qu'il  portait  à  son  doigt  le  lui 
fit  remarquer.  Elle  vit  aussi  SchouvalotT,  l'amant  d'Elisa- 
beth de  Russie.  C'était  un  homme  d'une  politesse  exquise 
et  d'un  ton  parfait. 

Elle  fit  à  cette  époque,  à  Paris,  son  portrait. 

Une  de  ses  plus  anciennes  amies,  Madame  de  Verdun, 
la  mena  dîner  chez  le  baron  d'IIolbacli  ;  il  y  avait  chez  lui 
une  réunion  de  philosophes  qu'elle  ne  comprit  pas. 


238  MADAME    VIGEE-LE     BRUN 

C'est  aussi  à  celte  dame  qu'elle  dut  la  connaissance  de 
Mademoiselle  Quinault,  qui  avait  été  tragédienne  et  qui, 
quoique  très  âgée,  était  encore  pleine  despritet  de  gaieté. 
Elle  raconta  qu'allant  un  matin  chez  Voltaire  avec  lequel 
elle  était  liée,  il  lui  parla  d'une  tragédie  qu'on  devait  jouer 
prochainement  et  lui  dit  :  «  Lekaindoit  mettre  une  écharpe 
comme  cela  »,  et  en  faisant  ce  geste  il  prit  sa  chemise  et 
lui  montra,  sans  y  penser.  Voltaire  décrépit. 

Madame  Le  Brun  alla  avec  son  beau-père  et  sa  belle- 
mère  voir  le  feu  d'artifice  de  la  place  Louis  XVI,  lequel 
feu  causa  tant  de  malheurs,  et  grâce  au  hasard  qui  leur  fit 
prendre  les  Tuileries,  au  lieu  de  suivre  la  rue  Royale 
qu'ils  avaient  pris  en  venant,  ils  ne  se  trouvèrent  point  au 
nombre  des  victimes. 

Le  comte  Dubarry,  le  Roué,  et  le  marquis  de  Choiseul 
se  firent  peindre,  autant  pour  voir  l'artiste  et  conquêter 
son  cœur  que  pour  avoir  leurs  portraits.  Ils  firent  bien  des 
yeux  doux;  mais  Madame  Le  Brun  et  sa  mère  n'en  firent 
qu'en  rire  sans  les  écouter. 

En  1776,  la  Reine  lui  commanda  son  portrait  en  pied 
pour  l'empereur  Joseph,  son  frère.  C'est  le  premier  portrait 
qu'elle  fit  de  la  Reine.  Elle  lui  en  commanda  un  second 
pour  Catherine  II.  Ce  premier  j)ortrait  fut  fait  avec  un 
panier  comme  on  en  portait  alors  à  la  cour. 

Elle  fit  plus  lard  les  portraits  de  Monsieur  et  celui  de 
Madame  la  duchesse  de  Chartres.  Quelque  temps  après 
elle  peignit  Madame  du  Barry  à  Luciennes. 

Son  beau-père  se  retira  du  commerce  et  alla  demeurer 
rue  de  Cléry,  à  l'hôtel  de  Lubert,  que  venait  d'acheter 
M.  Le  Brun.  Bientôt  elle  fut  admise  à  voir  les  nombreux 
et  superbes  tableaux  dont  son  logement  était  rempli,  et  il 
lui  pri'ta  des  tal)lcaux  du  plus  grand  prix  et  de  la  plus 
grande  beauté,  ce  qui  lui  servait  beaucoup. 

Au  bout  de  six  mois,  il  la  demanda  en  mariage.  Elle  fut 


LA  MARQUISE  DE  JAUCOURT 

(Collection  de  M.  Slillmann) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  239 

d'abord  loin  de  vouloir  l'épouser,  quoiqu'il  fût  doué  d'une 
figure  agréable  et  bien  fait.  Sa  mère  le  croyant  riche,  lui 
conseilla  d'accepter  ce  parti  avantageux  et,  si  elle  consentit 
à  cet  hymen,  ce  fut  pour  se  soustraire  à  la  mauvaise 
humeur  et  aux  instances  de  son  beau-père.  Sa  mauvaise 
humeur  avait  augmenté  depuis  qu'il  n'avait  rien  de  plus 
à  faire. 

En  allant  à  l'église,  elle  ne  savait  si  elle  devait  dire  oui 
ou  non.  Elle  a  dit  oui  pour  éprouver  d'autres  tourments. 

Portrait  de  M.  Le  Brun,  très  vif,  doux,  bon,  obligeant; 
mais  étant  passionné  pour  les  femmes  de  mauvaise  vie  et 
pour  le  jeu,  ces  deux  fléaux  lui  firent  perdre  sa  fortune, 
ainsi  que  celle  qu'elle  avait  acquise. 

A  son  retour  de  Russie,  elle  ne  trouva  que  des  dettes 
énormes  à  payer,  ce  qui  lui  fit  maintenir  sa  séparation  avec 
lui.  Comme  elle  avait  été  comprise  dans  l'émigration, 
M.  Le  Brun  se  sépara  d'elle  pour  conserver  son  avoir. 

Madame  Le  Brun  était  déjà  entourée  par  les  artistes  les 
plus  célèbres  d'alors.  Ménageot,  qui  demeurait  dans  la 
même  maison  et  qui  voyait  presque  tous  les  jours  Madame 
Le  Brun,  lui  donna  d'utiles  conseils  en  peinture.  Le  charme 
de  son  esprit  et  de  sa  conversation  électrisait.  C'était 
peut-être,  me  dit  Madame  Le  Brun,  l'homme  de  sa  société 
qui  avait  le  plus  de  grâce  et  qui  était  le  meilleur  de  tous. 

On  prétendit  alors  qu'il  retouchait  ses  tableaux;  mais 
la  calomnie  fut  bientôt  obligée  de  se  taire  en  voyant  leur 
manière  toute  différente  de  poindre  au  premier  Salon. 

A  cette  exposition,  elle  mit  le  portrait  de  la  Reine  vêtue 
d'une  robe  de  mousseline  blanche  que  les  plaisants  appe- 
lèrent une  chemise. 

Quelques  jours  après,  Madame  Le  Brun  se  trouva  au 
Vaudeville  et  vil  une  pièce  intitulée,  croit-elle,  la  Réunion 
des  Aria.  La  Peinture  y  figurai!  poignant  lo  portrait  de  la 
Reine.  On  aperçut  Madame  Lo  Brun  ot.  malgré  sa  modestie. 


240  MADAMK    VIGEE-LE    BRUN 

elle  fut  obligée,  ayant  été  reconnue,  de  recevoir  une  ova- 
tion que  le  parterre  lui  offrit. 

Madame  Le  Brun  donna  jusqu'à  trois  séances  par  jour, 
et  elle  travailla  tant  pour  satisfaire  la  cupidité  de  son  mari, 
qu'elle  en  tomba  malade.  Elle  eut  des  maux  d'estomac 
violents,  on  lui  conseilla  de  dormir  après  dîner,  ce  qu'elle 
fit  depuis  jusqu'à  sa  mort. 

Madame  Le  Brun  ne  sut  jamais  ce  que  c'était  que  de 
s'occuper  du  ménage  ou  de  sa  fortune.  Un  jour,  Madame 
la  comtesse  de  Guiche  vint  pour  se  faire  peindre  et  lui 
dit  :  a  Mais,  Madame,  je  ne  puis  vous  donner  que  mille 
écus.  »  Madame  Le  Brun  lui  répondit  sans  y  penser  et  tout 
en  peignant  :  «  Monsieur  Le  Brun  ne  veut  pas  que  je  fasse 
un  portrait  à  moins  de  cent  louis.  »  La  comtesse  se  mit  à 
rire  et  Madame  Le  Brun  reconnut  bientôt  son  erreur. 

Après  deux  années  de  mariage,  Madame  Le  Brun 
accoucha.  Peu  après  cet  accouchement,  M.  Le  Brun  mena 
Madame  Le  Brun  en  Flandre.  Elle  fut  à  la  Haye,  où  elle  vit 
plusieurs  belles  collections  de  tableaux,  et  s'étant  promenée 
un  jour  dans  les  bois  avec  son  mari,  ils  rencontrèrent  le 
prince  et  la  princesse  d'Orange,  qui  tous  deux  avaient  l'air 
très  commun. 

Elle  alla  à  Bruxelles  et  assista  à  la  vente  des  tableaux 
du  prince  Charles.  Elle  y  vit  des  dames  de  la  cour  qui 
allèrent  au  devant  d'elle  et  lui  firent  mille  compliments. 

C  est  là  oii  elle  vit  pour  la  première  fois  le  prince  de 
Ligne.  Il  les  engagea  à  aller  voir  des  tableaux  qu'il  avait; 
il  leur  fit  voir  Bebeil,  où  se  trouvait  un  belvédère  qui 
dominait  tous  les  environs.  Le  prince  de  Ligne  aimait  tant 
nos  spectacles  de  l*aris ,  qu  il  partait  de  Bruxelles  et 
arrivait  pour  se  trouver  à  l'heure  des  représentations  et 
retournait  aussitôt  à  Bruxelles.  Elle  alla,  en  ISO.'S,  \ 
Londres.  A  son  retour  d«;  Londres,  elle  revint  })ar  Rotter- 
dam, ou  elle  fut  obligée  de  rester  quinze  jours  par  ordre 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  241 

du  frère  de  Madame  Buonaparte,  qui  y  était  préfet,  et 
ensuite  passa  par  Bruxelles.  En  quittant  Bruxelles,  elle  alla 
en  Northoland;  elle  y  admira  des  tableaux  de  Rubens  qui 
étaient  aussi  beaux  que  ceux  de  notre  musée.  Elle  vit  les 
églises  d'Amsterdam  et  elle  alla  dans  la  ville  de  Sardam, 
renommée  par  Pierre  le  Grand  et  par  des  maisons,  m'a- 
t-elle  assuré,  qui  avaient  deux  portes,  l'une  pour  la  nais- 
sance et  l'autre  pour  la  mort. 

Elle  revint  à  Amsterdam,  où  elle  admira  à  1  hôtel  de  ville 
le  superbe  tableau  des  bourgmestres  assemblés  fait  par 
Wanoll.  Ce  n'est  pas  de  la  peinture,  c'est  la  nature  en 
repos. 

A  Anvers,  elle  vit  chez  un  particulier,  le  portrait  d'une 
des  femmes  de  Rubens.  On  nommait  ce  portrait  «  le  Cha- 
peau de  paille  ».  Elle  imita  ce  tableau  et  fit  sur  les  lieux  son 
portrait  au  chapeau  de  paille. 

Joseph  Vernet  la  proposa  à  l'Académie  royale  de  pein- 
ture. M.  Pierre  s'y  opposa,  ne  voulant  pas  recevoir  de 
femmes.  Tous  les  amateurs  associés  furent  pour  Madame 
Le  Brun,  et  on  fit  ce  couplet  contre  M.  Pierre,  qui  ne 
voyait  que  le  maniement  de  la  brosse  dans  la  peinture  : 

Au  Salon  ton  art  vainqueur 

Devrait  l'trc  en  lumière: 
Pour  te  ravir  cet   honneur, 
Lise,  il  faut  avoir  le  cœur 

De  Pierre,  de  Pierre,  tlo  Pierre. 

Soirées  rue  de  Cléry.  —  Après  son  mariage  et  pendant 
la  Révolution,  Madame  Le  Brun  logeait  encore  rue  de 
Cléry.  M.  Le  Brun  avait  envahi  tous  les  appartements  par 
les  tableaux  et  ne  laissait  à  sa  femme  qu'un  atelier  et  une 
chambre  à  coucher  qui  formait  aussi  salon. 

C'est  pourtant  dans  cette  pièce  simplement  ornée,  que 

M.  de  Champcenetz  (dont  la   belle-mère  était   jalouse  de 

Madame  Le  Brun)   qualifiait  d'appartements   aux   lambris 

tr. 


242  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

dorés,  que  Madame  Le  Brun  recevait  tout  ce  que  Paris 
avait  de  plus  grand. 

M.  de  Champcenetz  assurait  même,  me  raconta  Madame 
Le  Brun,  qu'elle  allumait  son  feu  avec  des  billets  de  banque 
et  qu'elle  brûlait  du  bois  d'aloës. 

On  venait  en  foule,  autant  pour  la  connaître  que  pour 
entendre  l'excellente  musique  qui  se  faisait  chez  elle;  car 
elle  y  rassemblait  les  meilleurs  musiciens. 

Le  comte  de  Vaudreuil,  grand  amateur  de  musique,  le 
baron  et  la  baronne  de  Talleyrand,  Joseph  Vernet,  le 
vicomte  de  Ségur,  le  marquis  de  Gubières  ne  manquaient 
pas  ces  soirées. 

Des  maréchaux  de  France,  entre  autres  le  maréchal  de 
Noailles.  Il  arriva  quelques  fois  que,  les  chaises  manquant, 
ne  voulant  pas  déranger  Rubens  ouVanDyckquise  trouvait 
dessus,  tous  ces  grands  personnages  s'asseyaient  par  terre. 

Comme  compositeurs  étaient  Grétry,  Sacchini,  Martini, 
qui   chantaient    leurs    opéras    avant    de    les   représenter. 

Pour  le  chant  c'étaient  Garât,  Azevedo,  Richer.  Made- 
moiselle Todi  chantait  le  bouffe  et  le  sérieux  dans  la  perfec- 
tion. Madame  Rivière,  belle-sœur  de  Madame  Le  Brun, 
accompagnait  à  livre  ouvert  sur  le  piano. 

Musique  instrumentale:  Viotti,  célèbre  violon,  grâce, 
expression  et  force.  Jarnevvik,  Mcstrino,  le  prince  Henri 
de  Prusse,  grand  amateur.  Le  beau  Marin  pour  la  harpe. 
Piano  :  Hulraandel ,  Cramer.  Pour  la  basse,  Janson  et 
Duport. 

Le  marquis  de  Montesquiou  et  le  maréchal  de  Ségur 
assistaient  à  ces  soirées,  ainsi  que  le  chevalier  de  Boufflcrs, 
le  comte  d'Angiviller,  le  comte  d'Antrague,  le  prince  de 
Ligne  et  le  comte  de  Grammont,  à  présent  duc.  Les  peintres 
Robert  Hubert,  Brongniart,  architecte  de  la  Bourse, 
Ménagcot,  l'abbé  Delille,  Lebrun-Pindarc. 

Dans  les  premiers  temps  de  son  mariage,  elle   fit  con- 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  243 

naissance  avec  M.  Watelet,  grand  amateur  des  arts,  bon, 
liant  et  doux.  Elle  passa  quelques  jours  à  sa  campagne 
de  Moulin-Joli,  lieu  charmant,  pittoresque,  etc.  Avant  la 
Révolution,  ce  lieu  fut  acheté  par  un  commerçant  nommé 
Gaudran,  qui  lui  fit  faire  quelques  mauvais  changements. 
Toutefois  il  l'invita  à  aller  passer  quelques  jours  avec  sa 
famille  à  Moulin- Joli.  Elle  y  fut  et  se  trouva  de  compagnie 
avec  Robert  Hubert,  dont  elle  fît  sur  ce  lieu  même  le  por- 
trait, beau  portrait,  etc..  et  Lebrun-Pindare,  qui  y  fit  son 
Exegi  monument um. 

On  répandit  le  bruit  que  Moulin-Joli  était  à  elle  et  que 
c'était  M.  de  Galonné  qui  lui  avait  donné  ;  c'est  faux. 

Madame  la  Maréchale  de  Boufflers,  qui  fit  ce  couplet: 

Il  ne  faut  pas   toujours  parler, 
Citer, 
Dater, 
Mais  écouter. 
11  faut  saToir  trancher  l'emploi 
Du  moi  {bis). 
Voici  pourquoi  : 
Il  est  tyrannique, 
Trop  académique, 
L'ennui  {bis) 
Marche  avec  lui. 
Je  me  conduis  toujours  ainsi 
Ici, 
Aussi 
J'ai  réussi. 

1789.  —  L'orage  de  la  Révolution  s'avançait  de  plus  en 
plus  sur  le  beau  pays  de  France,  et  Madame  Le  Brun  en 
était  déjà  si  affectée  que  sa  santé  en  souffrait  déjà. 
M.  Brongniart,  l'architecte,  et  sa  femme,  qui  étaient  de 
ses  meilleurs  amis,  la  trouvèrent  si  changée  et  d'une  santé 
si  débile,  qu'ils  ne  voulurent  pas  qu'elle  restât  au  centre  de 
Paris  pendant  celte  effervescence  populaire.  Ils  l'em- 
menèrent  chez  eux  passer  quelques  jours  et  elle  accepta 
avec  d'autant  plus  d'empressement  que  l'on  avait  marqué 


244  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

sa  maison  de  la  rue  du  Gros-Chenet,  qu'elle  habitait  seule- 
ment depuis  trois  mois. 

Brongniari  demeurait  aux  Invalides  même.  Tous  les 
soins  lui  étaient  prodigués;  mais  quel  remède  est  efficace 
quand  l'esprit  n'est  point  tranquille  lui-même,  qu'il  est 
affecté  ! 

C'est  dans  cette  maison  hospitalière  qu'elle  eut  le  bon- 
heur de  connaître  M.  de  Sombreuil,  qui,  après  avoir  fait 
creuser  un  souterrain  pour  y  cacher  les  armes  qu'il  avait  en 
dépôt,  fut  trahi  sans  doute  par  les  ouvriers  mêmes  qu'il 
avait  employés.  On  sait  quel  fût  le  sort  de  cet  honnête 
homme  et  les  épreuves  cruelles  auxquelles  futmis  l'héroïsme 
de  sa  fille. 

Peu  après,  n'étant  bien  nulle  part,  pas  même  chez 
Brongniart,  Madame  Le  Brun  retourna  dans  sa  maison  de 
la  rue  du  Gros-Chenet.  Elle  y  resta  peu  de  temps  et  se 
réfugia  dans  la  maison  de  M.  de  Rivière,  chargé  d'affaires 
de  la  cour  de  Saxe,  espérant  ainsi  trouver  un  asile  sûr  chez 
un  ministre  étranger.  Mais,  si  le  domicile  de  ce  diplomate  ne 
fut  pas  violé,  de  son  domicile  on  voyait  et  on  entendait  les 
cris  et  le  feu  mis  à  des  barricades  peu  éloignées  de  la  maison . 

Enfin,  elle  résolut  de  quitter  la  France;  depuis  long- 
temps elle  désirait  aller  à  Rome,  mais  tous  les  portraits 
qu'elle  était  en  train  de  faire  l'en  empêchaient.  Enfin, 
comme  l'horreur  marchait  à  pas  de  géant  et  que  les  libelles 
et  les  menaces  ne  l'épargnaient  pas  plus  que  tant  d'autres, 
elle  triompha  de  sa  conscience  d'artiste,  qui  la  retenait  à 
Paris,  et  fit  les  préparatifs  de  son  départ. 

Sa  voiture  était  chargée  et  les  adieux  étaient  presque 
faits,  lorstju'clle  vit  entrer  dans  son  salon  dos  hommes 
armés,  la  moitié  ivres,  et  mal  vêtus  ;  ils  lui  enjoignirent  de 
ne  pas  partir  et  de  rester  chez  elle.  Elle  était  dans  une 
anxidlé  cruelle,  lorsque  deux  individus  d'un  air  distingué 
et  d'un  langage   choisi,  quoique    mal  habillés,  lui  dirent  à 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  245 

demi-voix  :  «  Soyez  tranquille,  nous  sommes  vos  voisins, 
nous  ne  voulons  aucun  mal;  nous  voulons  vous  donner,  au 
contraire,  unbon  avis;  feignez  de  rester,  faites  décharger 
votre  voiture  et  prenez  incognito  la  diligence.  »  Ce  qui  fut 
dit  fut  fait.  Elle  retint  trois  places, pour  la  gouvernante  de 
sa  fille,  pour  sa  fille  et  pour  elle.  Mais  elle  ne  put  partir 
que  qjuinze  jours  après.  Ce  fut  le  5  octobre  à  minuit,  le 
jour  même  où  Louis  XVI  et  la  Reine  furent  amenés  de 
Versailles  à  Paris. 

M.  Le  Brun,  Robert  Hubert  et  Vigée  la  conduisirent  à 
la  diligence  qu'ils  suivirent  jusqu'à  la  barrière  du  Trône. 
Ce  fut  en  passant  le  Pont-de-Beauvoisin  qu'elle  commença 
à  respirer.  Pour  la  première  fois,  elle  était  heureuse  de 
n'être  plus  dans  son  pays,  qui  n'était  plus  pour  elle  la 
patrie.  Toutefois  elle  se  reprocha  cette  espèce  de  joie  en 
quittant  la  France. 

Elle  n'avait  point  encore  vu  de  hautes  montagnes  ; 
l'aspect  de  celles  de  la  Savoie  lui  en  imposèrent,  etc. 
Le  passage  du  chemin  des  Echelles  la  ravit,  etc. 

David.  —  Madame  Le  Brun  lui  reprocha  un  jour  de  ne 
plus  venir  à  ses  soirées.  Il  allégua  qu'il  n'aimait  pas  être 
trouvé  avec  des  domestiques  de  condition,  faisant  allusion 
aux  nobles  qui  sont  presque  tous  courtisans,  et  il  n'y 
retourna  pas.  Cependant  il  loua  sans  cesse  le  talent  de 
Madame  Le  Brun  et  le  portrait  de  Paesiello  fait  à  Naples. 
Ayant  été  mis  à  l'exposition  à  côté  d'un  portrait  par 
David,  celui-ci  dit  à  un  de  ses  élèves  :  «  En  vérité,  on 
croirait  mon  tableau  fait  par  une  femme  et  celui  de  Paesiello 
par  un  homme.  » 

Ayant  vu ,  dans  les  tableaux  de  Raphaël  et  du 
Dorainiquin,  des  draperies  et  des  coiffures  qui  légère- 
ment s'entrelaçaient  autour  des  bras  et  du  corps,  comme 
nos  écharpes  et  turbans,  elle  donna  presque  toujours  l'at- 
titude et  l'expression  qui  convenaient  à  leur  visage. 


246  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

La  première  personne  qu'elle  ail  peinte  sans  poudre 
fut  Madame  de  Graniont-Caderousse,  très  jolie  femme 
aux  cheveux  d'ébène.  Elle  allait  ensuite  au  spectacle  sans 
poudre  et  donna  ainsi  le  ton  aux  autres  femmes.  La  Reine 
s'opposa  toujours  à  se  faire  peindre  autrement  qu'en 
poudre;  elle  craignait  d'être  en  but  à  la  satire  en  se  faisant 
ainsi  remarquer. 

A  différentes  époques,  elle  fit  le  portrait  de  la  Reine. 
Elle  la  recevait  avec  sa  bonté  et  sa  grâce  ordinaire.  Un 
jour  elle  manqua  un  rendez-vous  que  lui  avait  donné  la 
Reine  pour  une  séance,  parce  que  Madame  Le  Brun  avait 
été  indisposée  ;  le  lendemain  elle  y  alla  pour  s'excuser  de 
sa  nonvenue.  Elle  se  présenta  à  l'huissier  de  la  chambre, 
M.  Gampan,  et  lui  demanda  à  parler  à  la  Reine.  Celui-ci, 
arrogant  comme  tous  les  gens  en  place,  la  reçut  avec  un  air 
froid  et  presque  colérique  et  lui  dit  :  «  C'était  hier, 
Madame,  que  la  Reine  vous  attendait  ;  elle  va  promener 
aujourd  hui  ;  vous  avez  dû  voir  sa  voilure  qui  lallend,  et 
certes  elle  ne  s'amusera  pas  à  vous  donner  séance.  » 

Madame  Le  Brun  insista,  disant  quelle  voulait  seule- 
ment prendre  les  ordres  de  la  Reine  et  qu'elle  se  retirait 
aussitôt.  Tout  émue  et  pensant,  avec  étonnement  toute- 
fois, que  Sa  Majesté  s'était  fâchée  contre  elle,  par  la  mau- 
vaise humeur  qu'elle  endurait  par  ricochet  de  la  part  de 
M.  Gampan,  elle  fut  admise.  Mais  quelle  fut  sa  surprise, 
quand  elle  entendit  la  Reine  lui  dire  qu'elle  ne  voulait 
point  qu'elle  eût  fait  une  course  inulileujenl  ;  elle  décom- 
manda sa  calèche  pour  lui  donner  séance. 

La  dernière  séance  qu'elle  eut  de  la  Rrine  fut  à 
Trianon,  pour  son  grand  tableau  où  elle  est  représentée 
avec  ses  enfants.  Elle  termina  ce  tableau  pour  le  Salon  de 
1787.  Ce  tableau  fut  généralomenl  admiré.  Le  Roi  le  vou- 
laiil  voir ,  le  lit  exposer  dans  la  grande  galerie  de  Ver- 
Haillcs    cl    il    en    manifesta    son    conlcnlemciil    au   comle 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  247 

d'Angiviller,  qui  proposa  au  Roi  d'accorder  à  Madame 
Le  Brun  le  grand  cordon  noir.  Mais  celle-ci,  ayant  appris 
la  proposition  du  comte,  alla  le  trouver  et  le  supplia  de  ne 
point  reparler  au  Roi  de  cette  distinction,  car  ses  ennemis 
s'en  seraient  encore  servi  pour  la  calomnier.  M.  d'Angi- 
viller n'en  parla  plus  et,  comme  de  tout  temps,  à  ce  qu'il 
paraît,  il  a  fallu  demander  une  distinction  pour  l'obtenir, 
Madame  Le  Brun  n'en  obtint  pas. 

Elle  fit  le  portrait  du  jeune  prince  Henri  Lubomirski, 
qui  lui  fut  payé  12,000  francs.  Il  était  représenté  en  Amour 
de  la  Gloire  et  tenait  à  la  main  une  branche  de  laurier  ;  il  est 
à  genoux  devant  un  laurier. 

En  1787,  elle  joua  la  comédie,  à  Gennevilliers,  chez 
M.  de  Vaudreuil,  avec  Dugazon,  Garât,  Cailleau,  M.  de 
Rivière  et  sa  sœur.  Madame  Vigée,  dans  Rose  et  Colas 
(Garât,  Colas  et  ^Lidame  Le  Brun,  Rose)  et  dans /«  Colonie 
(Garât,  l'Abbé  et  Madame  Le  Brun,  Marine).  Elle  joua 
devant  le  comte  d'Artois  et  la  cour  avec  grand  succès. 

La  dernière  comédie  que  l'on  joua  fut  le  Mariage  de 
Figaro.  Beaumarchais  sut  triompher  de  ]\L  de  Vaudreuil 
pour  faire  jouer  sa  pièce  devant  le  Roi  et  la  Cour.  11  faisait 
très  chaud  dans  la  salle,  Beaumarchais  cassa  les  carreaux, 
ce  qui  fit  dire  spirituellement  à  Madame  Le  Brun  qu'il  osa 
devant  la  Cour  casser  deux  fois  les  vitres. 

Ayant  fait  le  portrait  de  AL  de  Galonné,  la  calomnie 
redoubla  encore  ;  on  fit  mille  histoires  absurdes  sur  le  paie- 
ment de  ce  portrait.  On  disait  qu'il  avait  envoyé  des  bon- 
bons entourés  de  billets  de  banque;  on  disait  même  qu'il 
avait  ruiné  le  Trésor  pour  faire  ce  paiement  ;  elle  aurait 
donc  été  bien  riche  I  Le  vrai  est  qu  il  lui  envoya  une  boîte 
valant  peut-être  cinq  A  six  cents  francs,  avec  4,000  francs 
dedans. 

Ce  prix  n'a  rien  d'étonnant,  quand  on  saura  que 
Madame  Le    Brun   venait  de    recevoir  de  M.  de  Beaiijon, 


248  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

quelle  avait  peint  de  mèrae  grandeur,  la  somme  de  10,000 
francs. 

Le  portrait  à  mi-jambes  de  M.  de  Galonné  a  fait  dire  à 
Mademoiselle  Sophie  Arnould  :  «  Madame  Le  Brun  lui  a 
coupé  les  jambes,  afin  qu'il  reste  en  place»,  et  la  calom- 
nie :  «  Afin  qu'il  lui  reste  fidèle.  »  (Madame  de  Serre  lui 
emprunta  sa  voiture  et  ses  chevaux  et  alla  passer  la  nuit 
avec,  chez  M.  de  Galonné,  etc.) 

Madame  Dubarry.  —  Trois  ans  avant  la  Révolution, 
Madame  Le  Brun  alla  peindre  à  Luciennes  Madame  Du- 
barry. Elle  pouvait  alors  avoir  quarante-cinq  ans.  Son 
visage  était  charmant,  ses  traits  réguliers,  gracieux,  son 
regard,  celui  d'une  coquette  expérimentée;  son  teint  com- 
mençait à  se  couperoser  ;  des  cheveux  cendrés  et  bouclés  ; 
bel  embonpoint,  gorge  un  peu  forte,  grande  sans  l'être 
trop,  parlant  avec  grâce  et  esprit. 

Elle  fit  son  premier  portrait  où  elle  est  représentée  en 
chapeau  de  paille,  en  peignoir  de  baptiste,  qu'elle  portait 
été  comme  hiver. 

Tout  était  recherché  dans  cette  maison  ;  orfèvrerie 
aux  serrures,  marbres,  plantes  rares,  etc.. 

Madame  Le  Brun  retourna  pour  la  peindre  encore  au 
milieu  de  septembre  1789.  On  entendait  souvent  le  canon 
gronder.  Elle  eut  peur,  revint  à  Paris,  après  avoir  parfait 
seulement  la  tôte  et  tracé  sa  taille  et  ses  bras,  et  n'y 
retourna  pas.  On  sait  le  sort  de  Madame  Dubarry. 

Le  deuxième  portrait  de  Madame  Dubarry  est  où  elle 
est  représentée  en  satin  blanc,  le  bras  appuyé  sur  un 
piédestal.  Le  comte  de  Narbonne  avait  le  troisiènic  j)orlraii  ; 
il  l'a  ofT^rt  à  Madame  Le  Brun. 


MARIE  D'AGUESSEAU,  COMTESSE   DE  SEGUR 

1785 

(Collection  de  M.  le  comte  Louis  de  Ségur) 


LISTE  DES  ŒUVRES 

DE 

MADAME  VIGËE-LE  BRUN 

AYANT  FIGURÉ  DE  SON  VIVANT 
AUX  EXPOSITIONS 


ACADEMIE  DE  SAINT-LUC 

1774 

M.  DUMESNIL,  recteur. 

LA  PEINTURE,  LA  POÉSIE  ET  LA  MUSIQUE. 

M.  ***  JOUANT  DE  LA  LYRE. 

M.  LE  COMTE  DANS  SON  CABINET. 

M.  FOURNIER,  conseiller  de  l'Académie  de  Saint-Luc. 


SALON  DE  LA  CORRESPONDANCE 

1781 

JEUNE  FEMME,  à  mi-corps,  respirant  une  rose  (pastel). 
COMTE  DE  COSSÉ. 


250  MADAME    VIGKE-LE    BRUN 

1782 

PORTRAIT  DE  L'ARTISTE,  par  elle-même 

1783 

DUC  DE  BRISSAC,  gouverneur  de  Paris,  en  habit  de 

cérémonie  (pastel ). 
BUSTE  DE  DIANE. 


SALON  DE  L'ACADEMIE   ROYALE 

1783 

PORTRAIT  DE  LA  REINE. 

PORTRAIT  DE  MONSIEUR  (ovale). 

PORTRAJT  DE  MADAME  (ovale). 

JUNON  VENANT  EMPRUNTER  LA  CEINTURE  DE 

VÉNUS. 
VÉNUS  LIANT  LES  AILES  DE  L'AMOUR  (pastel). 
LA  PAIX  RAMENANT  L'ABONDANCE. 
PORTRAIT  DE   MADAME   LA   MARQUISE   DE    LA 

GUICHE. 
PORTRAIT  DE  MADAME  GRANT. 
PORTRAIT  DE  MADAME  ***. 
PORTRAIT  DE  MADAME  VIGÉE-LE  BRUN,  PEINT 

PAR  ELLE-MÊME. 
PORTRAIT  DE  MADEMOISELLE  VIGÉE-LE  BRUN, 

FILLE  DE  L'ARTISTE  (ovale  en  partie). 
PLUSIEURS  PORTRAITS  SOUS  LE  MÊME  N». 

1785 

MONSEIGNEUR  LE  DAUPHIN  ET  MADAME,  FILLE 
DU  ROI,  TENANT  UN  NID  DOISEAUX  DANS 
UN  JARDL\. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  251 

BACCHANTE  ASSISE  ,  DE  GRANDEUR  NATU- 
RELLE, VUE  JUSQU'AUX  GENOUX. 

MONSIEUR  DE  GALONNE,  MINISTRE  D'ÉTAT. 

MADAME  LA  COMTESSE  DE  SÉGUR. 

MADAME  LA  BARONNE  DE  CRUSSOL. 

MADAME  LA  COxMTESSE  DE  CLERMONT-TON- 
NERRE. 

MADAME  LA  COMTESSE  DE  GRAMONT-CADE- 
ROUSSE. 

MADAME   LA  COMTESSE   DE  GHATENOIS  (ovale). 

M.  GRÉTRY  (ovale). 

PLUSIEURS  PORTRAITS  SOUS  LE  MÊME  N^ 

1787 

LA  REINE  TENANT  Mon  LE  DUC  DE  NORMANDIE 
SUR  SES  GENOUX,  ACCOMPAGNÉE  DE  Mgr  LE 
DAUPHIN  ET  DE  MADAME,  FILLE  DU  ROI. 

MADAME  LA  MARQUISE  DE  PEZAY  ET  MADAME 
LA  MARQUISE  DE  ROUGÉ,  AVEC  SES  DEUX 
ENFANTS. 

MADAME  LA  COMTESSE  DE  BÉON. 

M.  LE  BARON  D'ESPAGNAC,  LE  FILS. 

MADEMOISELLE  DE  LA  BRIGUE. 

MADAME  DE  LAGRANGE. 

MADAME  DUGAZON,  PENSIONNAIRE  DU  ROI. 
DANS  LE  ROLE  DE  NINA,  AU  MOMENT  OU 
ELLE  CROIT  ENTENDRE  GERMEUIL. 

MADAME  RAYMOND,  PENSIONNAIRE  DU  ROI 
(ovale). 

M.  CAILLEAU,  EN  CHASSEUR. 


252  MADAME    YIGEE-LE    BRUN 

MADAME    VIGÉE-LE    BRUN,    TENANT    SA    FILLE 

DANS  SES  BRAS. 
MADEMOISELLE   VIGÉE-LE    BRUN,   TENANT    UN 

MIROIR. 
PLUSIEURS    PORTRAITS    ET   ÉTUDES    SOUS   LE 

MÊME  No. 

1789 

S.A.R.  MADAME  LA  DUCHESSE  D'ORLÉANS. 

LE  JEUNE  PRINCE  LUBOMIRSKI  REPRÉSENTANT 

L'AMOUR,     TENANT     UNE     COURONNE     DE 

MYRTE  ET  DE  LAURIER. 
MAHOMET    DERVISCH-KAM,    PREMIER    AMBAS- 
SADEUR DE  TYPPO-SULTAN. 
MAHOMET  USMAN-KAM,  SECOND  AMBASSADEUR 

DE  TYPPO-SULTAN. 
L'ÉPOUSE    DE  M.  ROUSSEAU,  ARCHITECTE   DU 

ROI,  AVEC  SA  FILLE. 
M.  ROBERT,  PEINTRE  DU  ROI,  CONSEILLER  DE 

L'ACADÉMIE. 
MADEMOISELLE      BRONGNIART,      FILLE     DE 

M.  BRONGNIART.  ARCHITECTE  DU  ROI. 
MONSEIGNEUR  LE  DAUPHIN. 
PLUSIEURS  TABLEAUX  SOUS  LE  MÊME  N" 

1791 

UNE  JEUNE  DAME  ESPAGNOLE. 
POirrHAIT  DE  FEMME  SUR  UN  SOPHA. 
PORTRAIT  DE  PAESIELLO. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  253 

SALON  DE    1798 

PORTRAIT  DE  MADEMOISELLE  VIGÉE-LE  BRUN, 

SA  FILLE. 
UNE  SIBYLLE. 

SALON    DE    1824 

S.  A.  R.  MADAME  LA  DUCHESSE  DE  BERRI. 
MADAME  LA  DUCHESSE  DE  GUIGHE. 
COMTE  TOLSTOÏ. 

MADAME  DAVIDOFF,  NÉE  DE  GRAMONT. 
GÉNÉRAL  COMTE  DE  COETLOSQUET. 
MADAME  LAFOND. 


LISTE  DES  ŒUVRES  DE 

MADAME  VIGÉE-LE  BRUN 

AYANT  FIGURÉ 
DANS  LES  EXPOSITIONS  PARTICULIÈRES 


1860 

EXPOSITION 

AU  PROFIT  DE   LA  CAISSE   DE   SECOURS 

DES  ARTISTES 

BOULEVARD     DES    ITALIENS 

MADAME  VIGÉE-LE  BRUN  A  L'AGE  DE  VINGT 
ANS.  —  Debout,  en  robe  de  mousseline  blanche,  avec 
une  écharpe  en  ceinture  et  un  nœud  cerise  au  corsage. 
Mantelet  et  chapeau  noir  à  plumes. 

(Collection  de  M .  J .  Reisel) 

LA  HEINE  MARIE-ANTOINETTE.  —  Robe  de  velours 
et  fourrures,  décolletée,  poudrôe,  toque  rouge  à 
plumes  blanches. 

(Collection  <le  M.  Tripicr-I.e  Franc) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  255 

PONIATOWSKI,  ROI  DE  POLOGNE.  —  En  habit  vio- 
let, drapé  dans  un  manteau  de  velours  rouge  doublé 
d'hermine.  Large  cordon  de  moire  bleue  en  sautoir. 
(Collection  de   M.   Tripier-Le  Franc) 

MADAME  VIGÉE-LE  BRUN  DANS  SA  JEUNESSE. 

En  buste,  vêtue  d'une  robe  légère,  ses  cheveux  s'é- 

chappantd'un  chapeau  de  paille  orné  de  fleurs.  (Dessin 

ovale.) 

(Collection  de  M.  L.  Godard) 


1874 
EXPOSITION  DES  ALSACIENS-LORRAINS 

PALAIS-BOURBON 

LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  Diencourt) 

COMTESSE  DE   MONTESQUIOU-FEZENSAC,  GOU- 
VERNANTE  DU  ROI  DE  ROME. 

(Collection  de  Madame  la  vicomtesse  de   Cessac) 

COMTE  DE  VAUDREUIL. 

(Collection  de  Madame  la  vicomtesse  de  Clermont-Tonnerre) 

LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE  (médaillon). 

(Collection  de  M.  U  comte  de  Clermont-Tonnerre) 

VICOMTESSE  DE  VIRIKU. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  Ganay) 


256  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

MADAME    VIGÉE-LE    BRUN    (Ancienne   collection    J. 
Eeiset). 

(Collection  de  M.  le  comte  H.  Greffulhe) 

MARQUISE  DE  LA  GUICHE. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  La.  Guiche) 

COMTE  DE  LA  BLACHE. 

{Collection  de  M.  le  comte  d'Haussonville) 

COMTESSE  D'ANDLAU. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  MunJ 

MADEMOISELLE  B'  (BÉLIER?^  (daté  1185), 

(Collection  de  M,  Rothan) 

MARQUIS  DE  SÉGUR,  MARÉCHAL  DE  FRANGE. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  Ségurj 

S.  A.  R.  MONSEIGNEUR  LE  DUC  DE  BERRI, 
ENFANT. 

(Collection  de  M.  Rondeau) 

LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE  (esquisse). 

(Collection  de  Madame  Fldry-Hirard) 

JEUNE  FEMME. 

(Collection  de  M.  Barre  j 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  257 

1878 
EXPOSITION  DES  PORTRAITS  NATIONAUX 

PALAIS    DU    TROCADÉRO 

MADAME  ELISABETH  DE  FRANGE. 

(Collection  de  M,  le  marquis  du  Blaisel) 

MADAME  ROYALE. 

(Collectioa  de  M.  Jean-Baptiste  Chazaud) 

MARQUISE  DE  LA  GUICHE. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  La  Guiche) 

COMTESSE  D'ANDLAU. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  Mun) 

VICOMTESSE  DE  VIRIEU. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  Ganay) 

COMTE  DE  LA  BLACIIE. 

(Collection  de  M.  le  comte  d'IIaussonoille) 

MADAME  GRASSINI. 

(Musée  de  Rouen) 

MADAME  GRASSINI. 

(Musée  Calvet,   à  Avignon) 


1883-1884 
EXPOSITION  DE  L'ART  AU  XVHP  SIÈCLE 

GALKIUE    G.     PETIT 

DUCHESSE  DE  POLIGNAC. 

(Collection  de  M.  le  duc  de  Polignac} 


i: 


258  MADAME    VIGEE-LE  BRUN 

VICOMTESSE  DE  VIRIEU. 

(Collection  de  M.  le  marquis  de  Ganay) 

LE  BAILLI  DE  CRUSSOL. 

(Collection,  de  Madame  la  duchesse  d'Uzès) 


1888 

EXPOSITION    DE  L'ART   FRANÇAIS 
SOUS  LOUIS  XIV  ET  LOUIS  XV 

AU    PROFIT    DE    l'h  O  S  P  I  T  A.LI  TÉ    DE    KUIT 

MADAME  DOAZAN. 

(Collection  de  M.  le  baron  de  Bully) 

DUC  LITTA,  grand  maître  de  l'ordre  de  Malte  (provient 
de  la  famille  Samoîlojf). 

(Collection  de  S.  A.  J.  la  princesse  Mathilde) 

LE  BAILLI  DE  CRUSSOL. 

(Collection  de  Madame  la  duchesse  d'Uzès) 

LE  TSAR  ALEXANDRE  I"  (peint  en  1800). 

(Collection  de  M.  Moreau-Chaslon) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  259 

1891 

EXPOSITION   DES    ARTS  AU   DÉBUT 
DU  SIÈCLE 

PALAIS    DU    CHAMP-DE-MARS 

MADEMOISELLE  BRONGNIART 

(Collection  de  M .  le  baron  J.  Pichon) 

MADAME  VIGÉE-LE  BRUN,  par  elle-même  (pastel). 
(Collection  de  M.  Péan  de  Saint-Gilles) 


1894 

EXPOSITION  DE  MARIE -ANTOINETTE 
ET  SON  TEMPS 

GALERIE     SEDELMEYER 

MADAME  ELISABETH.  —  En  bergère  :  chapeau  de 
paille,  corsage  vert  lacé,  jupe  rouge,  tenant  une  gerbe 
de  fleurs  (Î782). 

(Collection  de  M .   le  comte  des  Cars) 

LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE.  —  A  mi-corps, 
tournée  à  droite,  la  tôle  de  face,  velue  d'un  grand 
peignoir  blanc.  [Indiqué  à  tort  comme  étant  celui  du 
Salon  de  1783.] 

(Collection  de  Madame  la  comtesse  de  Diron) 

COMTESSE  DE  PHOVENCE.  —  Robe  blanche  plissée, 
ceinture  de  soie  bloue  (o^'cile). 

(Collection  de  M.  le  comte  A.  de  La  Roche foucatdd) 


260  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

DUCHESSE  DE  GUICHE.  —  De  face,  en  buste,  les 
cheveux  tombant  attachés  par  un  ruban  bleu.  Robe 
rouge  à  l'antique. 

(Collection  de  M.  le  duc  de  Grainont) 

COMTESSE  DU  BARRY.  —  Robe  blanche,  collerette 
de  dentelles  et  rubans  bleu  et  ciel.  Chapeau  de  paille 
à  plume. 

(Collection  de  M.  le  duc  de  Rohan) 

MONSIEUR  DE  CALONNE.  —  En  buste,  de  face.  Habit 
de  satin  noir,  avec  les  ordres  (ovale). 
(Collection  de  M.  J.  Doucet) 

LE  BAILLI  DE  CRUSSOL. 

(Collection  de  Madame  la  duchesse  d'Uzès) 

MADAME  DE  GOURBILLON.  —  De  face,  en  bonnet 
(Turin,  1192). 

(Collection  de  M.  Giacomelli) 

PORTRAIT  DE  FEMME.  —  De  face,  coifTce  d'un  grand 
chapeau  à  la  paysanne  (ovale). 

(Collection  de  M.  J.  Doucet) 

LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE. 

(Collection  de  Madame   la  comtesse  G.  de  Clermonl-Tonnerre) 

LE  ROI  LOUIS  XVI. 

(Collection  de  Madame  la  comtesse  G.  de  Clermont-Tonnerre) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  261 

DUCHESSE  DE  POLIGNAC— De  face,  à  mi-corps, 
dans  un  jardin.  Robe  blanche,  mantelet  de  dentelle 
noire  sur  le  bras.  Chapeau  de  paille.  (1182.) 

(Collection  de  Madame  la  duchesse  de  Polignac) 

PORTRAIT  DE  FEMME.  —  De  face,  les  cheveux  frisés, 
vêtue  d'un  grand  peignoir  blanc  et  coiffée  d'un  large 
chapeau  orné  de  rubans  bleus. 

(Collection  de  M.  Mannheim) 


1897 

EXPOSITION  DE   PORTRAITS  DE  FEMMES 
ET  D'ENFANTS 

ÉCOLE    DES    BEAUX-ARTS 

FEMME  PEIGNANT. 

(Collection  de  M.  Gérome) 

MARQUISE  DE  LA  GUICIIE. 

(Collection  de  Madame  la  marquise  de  La  Guiche) 

BUSTE  D'ENFANT. 

(Collection  de  Madame  Edouard  André) 

STANISLAS  D'ANDLAU. 

(Collection  de  Madame  la  comtesse  de  Chanaleilles) 

MADEMOISELLE  DUTIIÉ. 

(Collection   de  M.  Bardac) 

MADAME  VESTIUS. 

(Collection  de  M.  C/t.  Sedelmeyer) 


262  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

PRINCESSE  DE  TALLEYRAND. 

(Collection  de  M.   Vernhette) 


1900 

EXPOSITION  RÉTROSPECTIVE  DE  LA  VILLE 

DE  PARIS 

PAVILLON    DE    LA.    VILLE    DE    PARIS 
A    l'exposition    UNIVERSELLE 

MADAME  DE  LA  BRICHE. 

(Collection  de  Madame  la  duchesse  de  Noailles) 

LA  REINE  MARIE-ANTOINETTE. 

(Collection  de  Madame  la  comtesse  de  Biron) 


1905 

EXPOSITION  ARTISTIQUE  ET  HISTORIQUE 
DE  PORTRAITS  RUSSES 

SAINT-PÉTERSBOURG.    PALAIS   DE    LA    TAURIDE 

SECTION  VIGÉE-LE  BRUN 

LA  GRANDE-DUCHESSE  ELISABETH  ALEXÉEWNA 

(pastel). 

(Palais  de  Gatchina) 

COMTE  IVANOWITCII  TCHERNYCHEFF. 

(Comte  Uippolyte-Ivanowitch    Tchernycheff-Klouglikoff) 

LA  GRANDE-DUCHESSE  ELISABETH  ALEXÉEWNA. 

(Sii^né.) 

(Grand   Palais,    Ttar/ioié-Selo) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  263 

ANNA  GRIGORIEWNA  KOZITZKY,  PRINCESSE 
BELOSSELSKY-BELOZERSKY.  (Signé.) 

(Comte  Anatole  Vladimirowitch  Orloff-Bavydoff) 

PRINCESSE  GATHERINE-FEODOROWNA  DOLGO- 
ROUKY,  NÉE  PRINCESSE  BARIATINSKY.  (Si- 
gné.) 

(Comte  Anatole-Vladimirowitch  Orloff-Bavydoff) 

COMTESSE  CATHERINE  SERGUÉEWNA  SAMOI- 
LOFF,  NÉE  PRINCESSE  TROUBETZKOI,  AVEC 
SON  FILS  ET  SA  FILLE.  (Signé.  —  Gravé.) 

(Comte  Alexis- Alexandrowitch  Bobrînshy ) 

ALEXANDRE-ALEXANDROWITCH  BIBIKOFF. 

(Ivan-Apollonowitch  Bibikoff) 

PRINCESSE  MARIE-VASSILIEWNA  KOTCHOUBEY 
NÉE  VASSILTCHIKOFF. 

(Marie- Alexandrowna  Vassiltchihoff) 

PRINCE  IVAN-IVANOWITCH  BARIATINSKY.  (Signé.) 

(Prince  Alcxandre-Vladimiruwitch  Bariattnsky} 

DARIA-MIKIIAILOWNA  OPOTCIIININE,  NÉE  PRIN- 
CESSE KOUTOUZOFF.  (Signé.  —  Saint-Péters- 
bourg, 180  î.) 

( Nicolas-Niholaewitch  Totitchhoff) 

CATIIERINE-VLADIMIROWNA  APIIAXINE,  NÉE 
PRINCESSE  GOLITZYNE.  (Signé.  —  1796.) 

(Alexantlrine-Mikhaïlowna  Apraxine) 


264  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

L'IMPÉRATRICE  MARIE-FÉODOROWNA,  en  pied. 

(Palais  d'Hiver) 

CATIIERINE-VASSILEWNA  LITTA,  NÉE  ENGEL- 
HARDT,  EN  PREMIÈRES  NOCES  COMTESSE 
SKAVRONSKY. 

(Prince  Félix-Felixowitch  Youssoupoff) 

PRINCESSE  ALEXANDRINE-PETROWNA  GOLIT- 
ZYNE,  NÉE  PROTASSOFF,  ET  SON  NEVEU 
PRINCE  VASSILTCHIKOFF.  (Signé.) 

(Prince  Ivan-Ilarianowitch  Vassiltchikoff') 

PRINCE  ALEXANDRE-BORISSOWITCH  KOURA- 
KINE.   (Signé.  —  Grai'é.) 

(Prince  Théodore- Alexéewitch  Kourakinej 

PRINCE  THÉODORR-GRAVILOWITCH  GOLOVKINE. 

(Signé.  —  Saint-Pétersbourg,   1797.) 

(Université  de  Kieff) 

COMTE  IVAN-PETROWITCII   SOLTYKOFF. 

(Signé.  —  1801.) 

(  Varvara-Uyinitchna  Miatleff") 

PRINCE  IVAN-IVANOWITCII  BARIATINSKY. 

(Prince  Alexandre-Vladimirowitch  Bariatinshy) 

PRINCESSE  ANNA-ALEXANDROWNA  GOIJTZYNE, 
NÉE  PRINCESSE  GHOUZINSlvY,  EN  PRE- 
MIERES NOCES  MADAME  DE  \A'\Z\ SE.  (Signé.) 

(Elisabeth- A /exéetvna    I^'arychhine) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  265 

COMTE  PAUL  ANDRÉEWITGH  SCHOUVALOFF. 

(Comtesse  Élisabeth-Vladimirowna  Chouwaloff) 

COMTESSE  ANNA-SERGUÉEWNA  STROGANOFF, 
NÉE  PRINCESSE  TROUBETZKOI.  (Signé.) 

(Marie-Pavlowna  Rodzianko) 

L'IMPÉRATRICE  ÉLISABETH-ALEXÉEWNA,  en  pied. 

(Ermitage  Impérial,  Galerie  Romanoff) 

COMTESSE  IRÈNE-IVANOWNA  VORONTZOFF,  NÉE 
ISMAILOFF.  (Signé.  —  1191.) 

(Comte  Ilarion-Ivanowitch  Vorontzoff-Dachhoff) 

PRINCESSE  CATHERINE-NIKOLAEWNA  MENCHl- 
KOFF,  NÉE  PRINCESSE  GOLITZYNE,  AVEC 
SON  FILS.  (Signé.) 

{Prince  Nicolas-Nikolaewitch  Gagarine) 

PRINCESSE  CATIIERINE-ILYIXICIINA  GOLÉNIT- 
CHEFF-KOUTOUZOFF,  NÉE  BIBIKOFF. 

(Nicolas-Nikolaewitch  Toutchkoffj 

PRINCESSE  EUDOXIE-IVANOWNA  GOLITZYNE, 
NÉE  ISMAILOFF.  (Signé) 

(Maria-Pavlowna  Rodzianko) 

MADEMOISELLE  LE  BRUN,  FILLE  DE  LARTISTl.. 

( Capiioline-Sémenowna  Klotchkoff) 

MADAME  VIGÉE-LE  BRUN  PAR  ELLE-MÊME. 

(Salle  du   Conseil  de  l'Académie  impériale  des  Peatix-.Arts  ' 


266  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

PRINCESSE  TATIANA-VASSILIEWNA  YOUSSOU- 
POFF,  NÉE  ENGELHARDT,  EN  PREMIÈRES 
NOCES  PRINCESSE  POTEMKINE.  (Signé.) 

(Prince  Félix-Félixowitch  Youssoupoff) 

LES  GRANDES-DUCIIESSES  HÉLÈNE  ET  ALEXAN- 
DRA  PAVLOWNA.  (Signé.  —  1796.  —  Gravé  1199.) 
(Palais  de  Gatchinaj 


1908 
EXPOSITION  RÉTROSPECTIVE  FÉMININE 

PARIS.    LYCEUM-FRA.NCE 

LE  BAILLI  DE  CRUSSOL. 

(Collection  de  M.   le  duc  d'Uzès) 

LA  DUCHESSE  DE  POLIGNAC. 

(Collection  de  M.  le  duc  de  Polignac) 

LE  COMTE  DE  VAUDREUIL. 

(Collection  de  M.  G.  Sortais) 

MADAME  DE  ClîATE^iAY  (ovale). 

(Collection  (le  M .    Ferai) 

MARIE-ANTOINETTE    ENTOURÉE    DE     SES    EN- 
FANTS. 

(Collection  de  Madame  la  baronne  James  de  Rothschild) 

PORTRAIT  PRÉSUMÉ  DU  TSAR  ALEXANDRE  I" 

(pastel). 

(Collection  de  M.  G.  Camentron) 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN  267 

JEUNE  FILLE  EN  TRAIN  DE  PEINDRE. 

(Collection  de  M.  J.-S.  Murray) 

MADAME  DU  BARRY. 

(Collection  de  M.  le  duc  de  Rohan) 

CAROLINE  DE  MURAT,  MARQUISE  DE  PEZAY. 

(Collection  de  Madame  Ch.  Fauqueux) 


1909 

EXPOSITION    DE   CENT   PORTRAITS 
DE  FEMMES 

PARIS.    JARDIN     DES    TUILERIES 

LA  DUCHESSE  DE  POLIGNAG. 

(Collection  de  M.   le  duc  de  Polignac) 

MADAME  DU  BARRY. 

(Collection  de  M.  le  duc  de  Rohan) 

MADAME  DUGAZON. 

(Collection  de  Madame  la  comtesse  E.  de  Pourtalès) 

LADY  HAMILTON,  EN  SIBYLLE. 

(Collection  de  Madame  la  comtesse  E.  de  Pourtalès) 

MADAME  VIGÉE-LE  BRUN. 

(Collection  de  M.  le  comte  //.   Greffulhe) 


TABLE  DES  NOMS 


ADHEMAR,  87. 

AFFRY,  62. 

AGUESSEAU,  20. 

ALBRIZZI,  177. 

ALEXANDRA  (Grande-Du- 
chesse), 198,  200,  266. 

ALEXANDRE  1",  199,  207,  258, 
266. 

ANDLAU,  256,  257,  261. 

ANGIVILLER,  63,  64,  67,  115, 
122,  127,  128,  144,  170,  173, 
232,  242,  247. 

ANSPACn,  217. 

ANTRAGUE,  77,  242. 

APRAXINE,  197,  263. 

ARENBKRG,  29,  54. 

AR.VI AILLÉ,  40,  138. 

ARNAUD,  30,  35, 

ARXOULD,  2'i8. 

ARTOIS,  69,  85,  159,  183,  188, 
216,  247. 

AUGUIER,  147. 

AUGUSTE  DE  PRUSSE,  222. 

AZEVEDO,  25,  80,  242. 


BACHELIER,  61. 
BARBENTANE,  40. 
BARIATINSKY,    199,     204,    263, 

264. 
BARRAS,  209. 
BARTHÉLÉMY,  131. 
BAUDELAIRE,  20. 
BAWR,  227. 

BEAUJON,  87,  105,  247. 
BEAU.MARCIIAIS,  86,  247. 
BEAUMONT,  39. 
BEAUVAU,  138. 
BÉLIER,  256. 
BELLEGARDE.  215,  228. 
BÉLOSSELSKY-BELOZERSKY , 

197,   263. 
BENOIST,  129,  227. 
BÉON,  124. 
BERKELEY,  29. 
BERNLS,  158,   173. 
BERRY,  166.  227,  253,  256. 
BERTllOLLET,  '.6. 
BERVIC.  'JIO. 
BESENVAL,  62,  87. 


270 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN 


BEURNONYILLE.  208. 
BIBIKOFF,  263,  265. 
BOCQUET,  17,  24,  27,  36. 
BOIGNE,  82. 
BOISSÉSON,  169, 
BONAPARTE,  214,  241. 
BONNEUIL,  21,  132,  133,  213. 
BOROVIKOYSKY,  196,  200. 
BORROMÉE,  181. 
BOUCHER,  55,  69. 
BOUFFLERS,  78,  79,    191,  227, 

242,  243. 
BOUTIN,  78,  88,  133. 
BOUTOURLINE,  206. 
BRETEUIL,  121,  138. 
BRIARD,  18. 

BRIE,  23,  35. 
RRIFFAUT,  227,  228. 
BRIONNE,  29,  186. 
BRISSAC,  41,  137,  141,  146,  169, 

250. 
BRISTOL,  162,  175. 
BROGLIE,  172. 
BRONGNIART,  41,   78,  88,   149, 

166,  210,   213,   242,   243,    252, 

259. 
BRUIS'OY,  138,  169. 
BUCKINGHAM,  217. 
CAILHAYA,  210. 
GAILLEAU,  85,  125,  247,  251. 
GALONNE,  51,  99-105,  108,  189, 

243,  247,  251,  260. 
GAMELFOHD,  162. 
CAMPAN,  120,  147,  246. 
GAPET,  93. 
GAR.MONTELLE,  22. 
CARREAU,  28. 
CASANOVA.  191. 
CATIIKRINE  II,    1K8,    193,   197, 

238. 
GAZES,  35. 
CHABOT,  62. 


CHALGRIN,  18,     39,    132,    143, 

210. 
GHAMFORT,  78,  173. 
CHAMPCENETZ,  108,   241,  242. 
CHARTRES,  40. 
CHATEAUBRIAND,  231. 
CHATENAY,  9.5,  266. 
CHAUDET,  132. 
CH AULNES,  51. 
GHÉNIER.  210. 
CHOISEUL,  20,  23,  29,  238. 
CHOISEUL-GOUFFIER,  194. 
GHTCHOUKINE,  196. 
CLERMONT  -  TONNERRE  ,    94, 

251. 
CLÉRY,  202. 
CLIFFORD,  160. 
GOBENTZL,  194. 
GOETLOSQUET,  253. 
COIGNY,  89,  160,  188,  215. 
COLIN  D'HARLEVILLE,  210. 
CONDÉ,  203. 
CONSTANT,  222. 
CONTI,  46,  107. 
COSSÉ,  28,  41,  249. 
CRAMER,  81,  2'i2. 
CRAON,  29. 
G  ROY,  51. 
CRUSSOL.  93,  96,  154,  251,  258, 

260,  266. 
CUBIÈRES,    78,    132-134,  227, 

2'i2. 
GUNTER,  210. 
GZARTORYSKA,  187. 
D  ALEMBFRT,  31. 
DA.MAS,  72. 
UAYESNE,  16. 
DAVICH  KHAN.  l;î6,  252. 
DAVID,   42,    127-130,   142,    143, 

172,  209,  210.  214,  245. 
DAYIDOFF,  253. 
DE  BRÉA,  102. 


MADAME    VIGEE-LE    BRUN 


271 


DE  GERANDO,  41. 

DEJOUX,  209. 

DELILLE,  78,  88,  173,  242. 

DÉMAR,  227. 

DEMS,  157,  163. 

DEMS  (MX»),  28. 

DENON,  176,  220,  221. 

DÉSAUGIERS,  228. 

DEUX-PONTS,  28. 

DIETRICHSTEIN,  186. 

DOAZAN,  258. 

DOLGOROUKY,  194,  195,  210, 
214,  263. 

DOYEN,  16,  201,  204. 

DROUAIS,  44,  83,   137. 

DU  BARRY,  21,  23,  103,  136-141, 
146,  149,  166,  224,  238,  248, 
260,  267. 

DUCHOSAL,  129. 

DUCIS,  210, 

DUGREUX,  44. 

DUGAZON,   85,   125,    247,     251, 

267. 
DUMESNIL,  27,  249. 
DUPLESSIS,  44,  45,  93. 
DUPORT,  81,  242. 
DUÏHÉ,  261. 
DUVIVIER,  210. 
EISEN,  27. 
ELISABETH  (Impératrice),  193, 

198,  206,  207,  262,  265. 
ENGELHARDT,  196,  264,  266. 
ESPAGNAG,  125. 
ESPINCIIAL,  213. 
ESZTERIIAZY,  186,  192. 
FAHRE,  156. 

FERDINAND  DE  PRUSSE,   207. 
FILLEUL,  17,  36. 
FISIIER.  184. 
FITZ-MERBERT,  216. 
FITZ-.IAMES,  159. 
FLAHAUT,  93. 


FLAVIGNY,  154. 

FLEURY,   159,  160,  165. 

FONTAINE,  210. 

FONTANA,  75. 

FOURCROY,  210. 

FOURNIER,  27,  249. 

FRAGONARD,  209. 

FRANÇOIS  DENEUFCHATEAU, 
210. 

FRIES,  186. 

GAILLARD  DE    BEAUMANOIR, 
20. 

GALLES  (Princh  de),  216,   219. 

GARAT,  25,  80,  85,  242,  247. 

GASPARINY,  9. 

GAUDRAN,  108,  243. 

GEOFFRIN,  237. 

GÉRARD,  214. 

GERBIER,  21. 

GER.MAIN,  157. 
GINGUENÉ,  78,  133,  147,  173. 
GIRODET,  156,  209,  214. 
GIROUX,  30,  35. 
GLUCK,  133. 
GOIS.  209. 

GOLÉNITCIIEFF,  265. 
GOLITZVNE,  194,   196,  197,  263, 

264. 
GOLOVINE,  236. 
GOLOVKINE,  264. 
GORSAS,  101. 
GOSSEC,  210. 
GOURIîILLON,  178,  260. 
GOUTHIKRE,  137. 
GRAMMONT,  77,  242, 
GKA.MONT-CADEROUSSB,   93, 

9'i,  96,  97,  246. 
CRANT,  29,  53,  250. 
GRASSINI.  217,  219,  257. 
GRETllY.4,  21,  80,  98,  121,  2'.2. 

251. 
GREUZE,  19,  20,  55.  209,  213. 


272 


MADAME    VIGEE-LE   BRUN 


GRIMOD,  87. 

GROLLIER,  79,  213. 

GROS,  42,  214. 

GROUZINSKY,  264. 

GUÉRIN,  205,  214. 

GUI.\RD,  66. 

GUICHE,  183,  240,  253,  260. 

H.\LL,  49. 

HALLE,  17. 

HAMILTON,  55, 164, 165, 217, 267. 

HART,  164,  165,  168. 

HARVELAY,  51. 

HAUGWITZ,  186. 

HÉLÈNE    (Grandk -Duchesse), 

198,  200,  266. 
HENRI   DE   PRUSSE,    81,    103, 

191,  242. 
HERBOUVILLE,  220. 
HERTFORD,  217. 
HESSE,  72. 
HOCQUART,  224. 
HOLBACH,  237. 
H0UD0N,41,  209. 
HULMANDEL,  81,  242. 
HUNOLSTEIN,  40. 
ISABEY,  209. 
ISMAILOFF,  265. 
JANSON,  81,  242. 
JOSEPH  II,  43,  189,  238. 
JULIEN,  209. 
KAUFMANN,  159,  162. 
KAUNITZ,  185. 
KEPELL,  218. 
KINSKA,  186. 
KOCHARSKI,  45. 
KOTCHOUUEY,  196,  263. 
KOURAKINE,    8.    75,   195,    204, 

20C,  227,  236,  264. 
K0i:T0rZ0FF,  197,   263,  265. 
KOZIIZKI,  263. 

LABILLE-GUIARD,  10,    27,   60, 
61,  '.Il -93,  124,  172. 


LA  BLACHE,  20,  256,  257. 

LABORDE,  28,  51,  158. 

LA  BRICHE,  125,  251,  262. 

LACÉPÈDE,  210. 

LAFOND,  253. 

LAFONT,  227. 

LAGR.\NGE,  125,  251. 

LAGRENÉE,  209. 

LA  GUICHE,   36,    70,   113,  187, 

250,  256,  257,  261. 
LAMARGK,  210. 
LAMBALLE,  51,  52. 
LAMBESC,  162. 
LAMOIGNON,  29. 
LAMPI,  196,  204. 
LANGERON,  185. 
LA  REYNIÈRE,  87,  131. 
LARUETTE,  85. 
LA  TOUR,  14,  20. 

LAUZUN,  29,  160. 
LA  VIEUVILLE,  20. 
LAWREINCE,  140. 

LE  BRUN,  30,  32-36,  54,65,  104, 
154,  205,  212,  238,  239. 

LEBRUN-PINDARE,  78,  86,  88, 
89,  107,  109,  132,  148,  242. 

LE  COMTE,  27,  249. 

LECOMTE,  90. 

LECOUTEULXDU  MOLEY,  51, 
79. 

LE  FÈVRE,  19,  25. 

LEGOUVÉ,  210. 

LEKAIN,  20,  238. 

LEMOYNE,  20,  21. 

LENOH.MAND,  41,  143. 

LE  PELETIER,  89. 

LEROUX  DE  LA  VILLE,  129. 

LESPIGNIÈRE,  154. 

LETIIIFRE,  156. 

LÉVIS,   18. 

LICIITENSTEIN,  186. 

LIGNE,  54,  56,  77,  188, 189,  240. 


MADAME    VIGEE-LE   BRUN 


273 


LITTA,  16^,  258,  264. 

LITZYNE,  264. 

LORRAINE,  29,  186. 

LOUIS  XVI,  63, 122,  134, 23 1 ,  260. 

LOUIS  XVIII,  192,  226.  V.  Pro- 
vence. 

LUBERT,  35,  238. 

LUBOMIRSKI,  145,  187, 197,  247, 
252. 

MADAME  ADÉLAÏDE,  124,  174. 

MADAME  CLOTILDE,  178. 

MADAME  ELISABETH,  5,  51, 
124,  257,  259. 

MADAME  ROYALE,  117,  119, 
202,  250,  251. 

MADAME  VICTOIRE,  124,  174. 

MALETESTE,  46. 

MALMESBURY,  160. 

MARATTA,  161. 

MARIE-ANTOINETTE,  26,  40, 
42-45,  56,  62,  114-123,  171, 
174,  176,  202,  231,  254,  255, 
256,  259,  260,  266. 

MARIE-CAROLINE  DE  BOUR- 
BON, 169,  170,  171. 

MARIE-CIIRISTINE  DE  BOUR- 
BON, 170. 

MARIE-FEODOROWNA,  200. 

MARIE-LOUISE  DE  BOURBON, 
170. 

MARIE -THÉRÈSE  (Impéra- 
trice), 43,  170. 

MARIN,  81,  242. 

MARINI,  177. 

MARTIN,  7,  8,  131,  227. 

MARTINI,  80,  210,  242. 

MAYERN-FABER,  186. 

MAZARIN,  46. 

MÉIIUL,  210. 

MÉNAGROT,  59,  60,  78,  \'i9, 
155,  157,  162,  170,  172,  213, 
239,  242. 


MENCHIKOFF,  197,  265. 
MENGS,  191. 
MESSAIN,  14. 
MESTRINO.  242. 
MILLIN,  210. 
MNISZEK,  203. 
MOLÉ-RAYMOND,  125,  251. 
MONACO,  159,  165. 
MONGE,  41. 
MONGEROULT,  81. 
MONTBARREY,  29. 
MONTESQUIOU,  46,  47,  77,  242, 

255. 
MONTESSON,  45,  46. 
MONTMORIN,  29. 
MONTPENSIER,  218, 
MONTVILLE,  28,  138. 
MORGHEN,  163. 
MURAT,  220. 
NARBONNE,  248. 
NASSAU,  28,  30. 
NATTIER,  3,  112. 
NIGRIS,  205. 
NOAILLES,  77,  242. 
NORMANDIE,  117,  251. 
OPOTCHININE,  263. 
ORLÉANS,    45,    145,    172,    218, 

252. 
ORLOFF,  237. 
OSMOND,  174. 
PAESIELLO,  172,  245,  252. 
PAGELLE,  20. 
PA.)OU.  fil,  66,  74,  137.  209. 
PAPILLON  DE  LA  FERTE,  40. 
PARCEVAL.  216. 
PARMENTIER,  210. 
PAUNY,  210. 
PAHOY,  126,  132. 
PASTORET.  143. 
PAUL  I",   199,  200. 
PELLI,  175. 
PENTHIÈVRE,  25. 

18 


274 


MADAME    VIGÉE-LE    BRUN 


PERCIER,  210. 
PERREGAUX,  144,  220. 
PETIT-THOUARS,  21. 
PEYRE,  210. 

PEZAY,  79,  124,  251,  267. 
PIDANSAT  DE  MAYROBERT,  91. 
PIERRE,  62,  241. 
PITT,  162. 
POINSINET,  16. 
POLASTRON,  68,  159,  217. 
POLIGNAG,5,51,58,  83,147,159, 

182,  183,  187, 257,261,266,  267. 
POMMYER,  62. 
PONIATOWSKI,  203,  255. 
PORPOR.\ÏI,  154,  178. 
PORTALIS,  220. 
POTEMKINE,  163,  194,  266. 
POTOGKI,  29,  162,  187. 
POURRAT,  51,  224. 
PRASLIN,  18. 
PROTASSOFF,  264. 
PROVENCE,   39,    51,    70,    178, 

259. 
PRUD'HON,  209. 
PUYSÉGUR,  113. 
QUINAULT,  238. 
RANDON  DE  BOISSET,  18. 
RASOMOVSKI,  188. 
RAYMOND,  210. 
RÉCAMIER,  222. 
REGNAULT  DE    SAINT-JEAN- 

D'ANGÉLY,  21,  212. 
REGNAULT,  209. 
RÉ.MY,  32. 
REYNOLDS,  218. 
RICHER,  80,  242, 
RIVIÈRE,  79,  133,  149,179,  180, 

l'.K),  206,  210,  244,  247. 
RIVIKItE  (.M>«  DE),  203. 
ROBERT,   4,   78,    88,    109,   145, 

147,  150,    161,   166,    167,    209, 

213,  242,  243,  245,  252. 


ROBESPIERRE,  172. 
ROGER,  44. 
ROUAN,  29 

ROHAN-CHABOT,  141. 
ROHAN-ROCHEFORT,  28,  29. 
ROISSY,  21. 
ROLAND,  162. 
RO.MBECK,  1S2,  185. 
ROSALBA,  79,  107,  177,  190. 
ROSEMOND,  93. 
ROSLIN,  44,  61,  93. 
ROUGÉ,  79,  124,  251. 
ROUSSEAU,  145,  252. 
RULHIÈRES,  29. 
SABRAN,  79,  143,  191,  222,  227. 
SACGUINI,  80,  242. 
SAINTE-JAMES,  88. 
SAINT-NON,  62. 
SAINT-PRIEST,  40. 
SALENTIN,  81. 
SAMOILOFF,  197,  263. 
SAPIEHA,  187. 
SCHLEGEL,  222. 
SCHOUYALOFF,  28,  237,  265. 
SÉGUR,  77-79,  87,95,  147,  212, 

242,  251. 
SERRE,  103,  104. 
SILVA,  162. 

SKAVRONSKY,  163,  168,  264. 
SMITH,  184. 
SOLTIKOFF,  206,  264. 
SOMBREUIL,  2i4. 
SOUZA,  138. 
STAËL,  222,  223. 
STROGANOFF,  185, 193, 197,204, 

2(i6,  205. 
SUVÉE,  209. 
SUZANNE,  20,  25. 
TALARU,  94. 
TALLEYRAND,  29,  77,  164.  170, 

220,  2'r2,  262. 
TALLIEN,  20,S. 


MADAME    VIGÉE-LE    BRUN 


275 


I 


TALMA,  28. 

TGHERNYCHEFF,  205,262. 

TEOTOCHI,  177. 

THÉLUSSON,  227. 

THILORIER,  22,  41. 

THUN,  185. 

TIPOO  SAÏB,  135,  252. 

TODI,  80,  242. 

TOLSTOÏ,  253. 

TRIPIER-LE  FRANC,  7,  235. 

TROUBETZKOÏ,   197,  265. 

VALLAYER-COSTER,  61,  92. 

VAN  SPAENDONCK,  209. 

VASSILTCHIKOFF,  197,  263, 
264. 

VAUDREUIL,  68,  69,  76,  77,  83- 
88,  133,  147,  159,  188,  216, 
218,  227,  242,  247,  255,  266. 

VERDUN,  22,  48,  79,  213,  237. 

VERGENNES,  43. 


VERNET,  4,    18,    20,    78,    209, 

241,  242. 
VESTIER,  93. 
VESTRIS,  219,  261. 
VIEN,  61,  137,  209. 
VIGÉE  (Etienne),  15, 79, 131, 245. 
VIGÉE  (Louis),  13,  15. 
VINCENT,  60,209. 
VIOTTI,  81,  217,  242. 
VIRIEU,  46,  255,  257,  258. 
VOIRIOT,  61. 

VOLTAIRE,  28,  49,  223,  238. 
VORONTZOFF,  265. 
WATELET,  90,  108,  243. 
WERTMULLER,  45. 
WILCZEK,  181. 
WOLSELEY,  162. 
YOUSSOUPOFF,  196,  266. 
ZAMOYSKA,  187. 
ZOUBOFF,  197,  198. 


L 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


PAOBS 


La  Reine  Marie-Antoinette  (Musée  de  Versailles)  .  ,     Frontispice 

Madame  Vigée-Le  Brun  (Académie  impériale  de  Saint-Péters- 
bourg), en  regard   de 22 

Jeanne-Julie-Louise   Le  Brun,  fille  de  l'artiste  (Musée  de 

Bologne),  en  regard  de 30 

La  Reine  Marie-Antoinette  (à  M.  le  baron  Edouard  de  Roth- 
schild), en  regard  de 42 

Madame    Grant,    plus    tard    Princesse  de    Talleyrand    (à 

M.  Jacques  Doucet),  en  regard  de 46 

Marie-Thkrèse-Louise    de   Satoie-Carignan,    Princesse    de 

Lamballe,  en  regard  de 50 

Yolande-Gabrielle-Martine    de    Polastron,    Duchesse    de 

PoLiGNAC  (à  M.  le  duc  de  Polignac),  en  regard  de 5() 

La  Reine  Marie-Antoinette  «  en  gaulle  »  (Galerie  du  palais 

grand-ducal,  à  Darmstadt),   en  regard  de /O 

Le  Comte    de  Vaudreuil  (autrefois   à  Madame    la   vicomtesse 

de  Clermont-Tonnerre),  en  regard  de ~^ 

La  Baronne  de  Grubsol  (Musée  de   Toulouse),  en  regard  de.       '••- 

Marie-Gabrielle    de     Sinéty,    Duchesse    de     Caderousse- 

Gramont  (à  M.  le  marquis  de  Sinéty),  en  regard  do.    .    .    .        '.»«> 

Charles-Alexandre    de    Galonné    (à    M.  Jacques  Doucet),  en 

regard  de 1'''' 

Marie-Jeanne    de    Clermont-Montoison  ,    Marqoisb    de    la 

GuiciiE  (à  M.  le  marquis  de  la  Guichel,  en  regard  dn.    .    .      112 

Madame  Rotale  et  son  ihèke,  le  Daupuin  (Musée  de  Ver- 
sailles), en  regard  de 1''** 

Madame  Ducazon,   dans   le   rolk   de  n  Nina  »   (à   Madame  la 

comtesse  E.  de  Pourtalès),  en   regard  de 12(1 

La    Comtesse   du  Barry    (à  M.    le    baron  Fould-Springer),  on 

regard  de ''«0 


278  MADAME    VIGEE-LE    BRUN 

PA0B9 

Louisk-Marie-Adélaïdk  dk    Bourbon-Penthièvre,    Duchesse 

d'Orléans  (Musée  de  Versailles),  en  regard  de 146 

Madame   Rousseau   et   sa   fille    (à    M.    Georges   Heine),    en 

regard  de 150 

La  Comtesse  Potocka  (à  M.   le   comte  Charles  Lanckoroiiskij, 

en  regard  de 162 

La  Comtesse  Catherine- VassiliewnaSkavronsky  ^à  Madame 

la  princesse  Z.  Youssoupoff),  en  regard  de 168 

Geneviève-Adélaïde  Hklvétius,  Comtesse  d'Andlau  ^à  M.  le 

comte  Albert  de  Munj,  en  regard  de 180 

Lady    Hamilton,     en    Sibylle   (à  Madame  la   comtesse  E.   de 

Pourtalès),  en  regard  de 186 

La  Grande-Duchesse  Élisabeth-Alexéewna  (Musée  de  Mont- 
pellier), en  regard  de 198 

La  Princesse  Anna- Alexandrowna  Golitzine    (à    Madame 

Elisabeth  Alexéewna  Narychhine),  en  regard  de 204 

La  Princesse  Catherine-Feodorovna  Dolgorouki  (au  prince 

P.  Dolgorouki),  en  regard  de 214 

Madame  de  Staël,  en  Corinne  (Musée  d'Art   et  d'Histoire,   à 

Genève),  en  regard  de 222 

La  Marquise  de  Jaucourt  (à  M.  Stillmamn),  en  regard  de.  .  238 
Marie  d'Aguesseau,  Comtesse  de  Ségur  (à  M.  le  comte  Louis 

de  Ségur),  en  regard  de 248 


TABLE  DES  MATIÈRES 


PAOES 

Madame  Vigée-Le  Brun 1 

I.  —  1755-1782 13 

II.  —  1783-1786 59 

III.  —  1787-1789 111 

IV.  —  1790-1801 153 

V.  —  1802-1842 211 

Sources 235 

Souvenirs  recueillis  dans  les  conversations  de 

Madame  Vigée-Le  Brun 237 

Œuvres  de  Madame  Vigée-Le  Brun  ayant  figuré 

de  son  vivant  aux  expositions 249 

Œuvres  de  Madame  Vigée-Le  Brun  ayant  figuré 

DANS    des    expositions   PARTICULIÈRES 254 

Table  des  noms 269 

Table  des  illustrations 277 


.^ 


Imprimerie  Manzi,  Joyant  &  C'*.  —  Paris 


C\ 


I 


.< 


Imprimerie  Manzi,  Joyant  &  C".  —  Paris 


o 


I 


Il 


iV/D 

563 
M6 


Ifolhac,    Pierre    de, 
1859-1936 

Madame   Vigee-Le    Brun, 
peintre    de   Marie- 
Antoinette. 

Goupil,    Manzi, 
Joyant,    suce.       (1912) 


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