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PIERRE DE NOLHAC
MADAME
VIGÉE LE BRUIS
PEINTRE DE MARIE-AISTOirsETTE
PARIS
GOUPIL & G'*, ÉniTEIHS-lMPHlMEURS
MANZF, .lOYANT tSc C'S kditeuus-imi'himeuhs, successkuhs
24, BOULEVARD DES CAPUCINES
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MADAME
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VIGEE-LE BRUN
DU MEME AUTEUR
GRANDES EDITIONS ILLUSTREES
LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA.
LOUIS XV ET MADAME DE POMPADOUR.
LA DAUPHINE MARIE-ANTOINETTE.
LA REINE MARIE-ANTOINETTE.
LES FEMMES DE v VERSAILLES.
NATTIER, PEINTRE DE LA COUR DE LOUIS XV
BOUCHER, PREMIER PEINTRE DU ROI.
.].-n. FRAGONARD.
MADAME VIGÉE-LE BRUN.
HUHERT ROBERT.
LES .lARDINS DE VERSAILLES.
HISTOIRE DU CHATEAU DE VERSAILLES.
LA REINE MARIE-ANTOINETTE
f.UiDce Je Vei Si-iiilfs )
PIERRE DE NOLHAC
MADAME
VIGÉE LE BRUN
PEINTRE DE MARIE-ANTOINETTE
PARIS
GOUPIL & C'", ÉDITEURS-IMPRIMEURS
MANZI, JOYANT & G'", RDiTBuns-iMriiiMBuns, successrurs
24, BOULEVARD DES CAPUCINES
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MADAME
VIGÉE-LE BRUN
LES femmes régnaient alors ; la Révolu-
tion les a détrônées. » Le mot est de
Madame Vigée-Le Brun, une de celles
dont l'empire fut le plus incontesté et le plus
doux. Elle l'exerça dans le monde, qui ne
lui refusa aucun succès, et dans les arts, où
la complaisance de la postérité lui a laissé
le sceptre fleuri que ses contemporains lui
décernèrent.
Elle n'appartient pas à la lignée des grands
peintres, cette jolie Parisienne qui fut au ser-
vice des reines frivoles, des beautés de cour
ou de comédie ; mais elle a son rang parmi les
maîtres du portrait, car elle porte un exact
témoignage sur son époque. L'artiste fut
appréciée par les académies nombreuses qui
2 MADAME VIGEE-LE BRUN
lui (îrenl place , point seulement par galan-
terie; et la femme est connue par ses mé-
moires, par les souvenirs de ses amis, par les
images qu'elle a laissées d'elle.
Elle avait l'âme bienveillante , aisément
émue, faite pour nous rendre la sensibilité d'un
temps, où le mot et la chose tinrent tant de
place. Le sentiment passe et s'envole, et à
peine si la tristesse dure plus que la joie ; un
peu de mélancolie s'égare sur les visages, mais
seulement ce qu'il faut pour plaire davantage
et pour que le sourire ait plus de prix.
Le joli seul inspire Madame Vigée-Le Brun.
Elle veut qu'on soit jolie et excelle à y pour-
voir. Sa peinture est élégante, fragile, futile,
enveloppée de grâce et d'abandon. Son pinceau
se plaît aux robes de velours, aux flottantes
dentelles , que relève le soulier de satin ; il
préfère parfois les rusti(jues ajustements des
bergères de Florian, qui jettent une simple
écharpe sur le corsage de soie fine.
On aime cette femme d'être si bien l'inter-
prète d'une société galante et insouciante, qui
se joue à elle-même une comédie au tragicpie
dénouement. On hii sait gré de révéler le
secret criiii siècle cpii fait de l'amour un ('aj)rice,
dans un décor où l'existence semble légère, et
MADAME VIGEE-LE BRUN 3
aussi le bonheur. Elle attire parce qu'elle est
femme, toute académicienne qu'elle soit, avec
ses charmes et ses défauts , qui sont des
charmes encore. Son talent est sans effort,
sans prétention. Elle est naturelle en sa vérité
puérile ; mais toute sa psychologie est dans ce
cœur doucement sensible : il s'émeut de l'ap-
parente beauté, sans rien voir au delà. Ses
personnages n'ont rien à lui dire, elle n'a rien
à leur prêter. C'est par là que son œuvre
rejoint celle de Nattier et semble de la même
qualité morale.
La reine Marie-Antoinette, en la prenant
pour son peintre favori, a deviné que le pin-
ceau serait assez souple, assez ingénument
flatteur pour rendre la fierté de sa jeunesse, la
splendeur de ses cheveux, l'éclat de son teint,
et pour atténuer tout le reste. L'esprit frivole
et délicieux de la Reine passait tout entier
dans l'étude de ses toilettes, dans l'édifice de
sa coiffure, dans la fleur qu'elle tenait à la
main. Gomme elle a bien compris son royal
modèle, cette Vigée-I^e Brun, qui avait, elle
aussi, le désir vif et continu de plaire !
De tant de portraits féminins, si tendre-
ment caressés, les meilleurs peut-être sont
ceux qui représentent l'artiste elle-même, gen-
4 MADAME VIGEE-LE BRUN
liment souriante, un peu tlétachée, le regard
perdu. Sa bouche a la fraîcheur de sa grâce,
et ses cheveux bouclés s'échappent du mou-
choir noué ou du turban, encadrant le visage
mutin. Elle était mère, cependant, et mère
aimante, mettant au-dessus de son art cette
maternité dont elle savait le prix. C'est le
secret de l'atmosphère intime qui réchauffe
parfois ses compositions. Dans le tableau du
Louvre où, demi-nue et si jolie, elle serre sur
son cœur la fdlette aux grands yeux, son regard
luit de la joie qui l'enivre. Le sentiment, cette
fois, est profond et fort. Cette expression de
l'amour maternel nous prend les premiers
regards ; nous ne voyons qu'ensuite le beau
modelé du bras, la main finement dessinée,
l'épaule blanche, le riche ton des étoffes et
du nœud rouge qui retient les cheveux.
Presque autant que l'amour maternel, l'ami-
tié, son amitié pour (pielques hommes, éleva
(juelquefois Madame Vigée-Le Brun au-dessus
du niveau ordinaire de son talent. Ce sont de
vraies images intellectuelles que celles de
Vernct, de Grétry, d'iliibort Hol)ert. Cepen-
dant, 1 aimable amie du comte de \ aiidreuil a
couvert trop de toiles pour (ju'on y puisse
chercher beaucoup de chefs - d\rti\rc . Elle-
MADAME VIGEE-LE BRUN 5
même en a fait le compte : six cent soixante-
deux portraits, sans parler des tableaux com-
posés et des paysages ! Une bonne partie a été
peinte en émigration ; des portraits lui furent
demandés par toute l'Europe, alors qu'elle
promenait ses pinceaux à Turin, à Rome, à
Naples, à Vienne, à Pétersbourg, à Berlin, à
Dresde et à Londres. Son plus long séjour fut
en Russie, où elle travailla six ans, chaque
jour, du matin au soir, réservant seulement le
dimanche pour recevoir les visites et les com-
pliments de ses modèles du lendemain. Nous
en avons les listes authentiques, où les majes-
tés souveraines et les beautés illustres ne
manquent point. Mais c'est la femme française
que Madame Vigée-Le Brun sut rendre le
mieux, et c'est elle seule qui fait durable son
aimable gloire.
Elle a compris merveilleusement les femmes
de sa génération et les a représentées comme
elles rêvaient d'être admirées. Le portrait de
la duchesse de Polignac, chantant la romance
au clavecin, est aussi significatif à ce point de
vue que celui de Madame Elisabeth de France
en bergère de Trianon. C'est la même forme
de sensibilité qui s'y révèle, et toutes les
œuvres de l'artiste, celles que gardent encore
6 MADAME VIGEE-LE BRUN
les familles comme celles que montrent les
musées, servent à nous faire connaître Tàme
féminine de ce temps.
Nous y retrouvons nos aïeules en chapeau
de paille, au fichu savamment négligé, celles
qui cueillent des fleurs champêtres ou celles
qui étreignent maternellement leurs enfants
blondes, les mêmes qui supporteront vaillam-
ment les misères de l'exil ou monteront d'un
pas ferme à l'échafaud. Et nous aimons ces
beautés lointaines, en leurs jours de bonheur
sans nuage, dans l'enivrement de leur jeunesse
et de leur royauté paisible ; nous partageons
l'ardeur à la fois badine et respectueuse, tendre
et quelquefois fidèle, qu'elles surent trouver
chez leurs adorateurs.
Cette carrière si brillante et si rare, mêlée
aux événements les plus intéressants , aux
sociétés les plus diverses, nous est connue
jusqu'à présent par un livre presque célèbre, les
Souvenirs de Madame Vige'e-Le Brun, publiés
pour la première fois en 1835, l'artiste ayant
(juatre-vingts ans. L'ouvrage est un des plus
fréqnennnent cités sur réj)0(juc où elle a vécu,
et il nous a conservé une foule d'anecdotes, de
MADAME VIGEE-LE BRUN 7
portraits et de détails de mœurs qu'on ne ren-
contre point ailleurs. Reconnu par Madame
Vigée-Le Brun comme son œuvre, on ne sau-
rait admettre cependant qu'elle l'ait rédigé.
Des morceaux originaux, des lettres authen-
tiques qu'on a d'elle et dont quelques-unes
figurent dans notre livre, sont fort loin d'offrir
l'agrément littéraire des mémoires imprimés ;
il est donc certain que le texte des Soiwenirs
a été sinon entièrement composé, au moins
préparé pour l'impression par un ou plusieurs
lettrés professionnels.
Celle qui avait été l'artiste jolie et la femme
à la mode du temps de Louis XVI, était deve-
nue, sous la Restauration et le règne de Louis-
Philippe, une vieille dame toujours gracieuse,
encore entourée, qui donnait à souper, pei-
gnait des paysages romantiques et racontait
volontiers ses souvenirs. Ses amis étaient plus
empressés à recueillir les anecdotes que les
paysages, et les notaient souvent par écrit.
Nous avons des fragments manuscrits anté-
rieurs aux Souvenirs et relatifs à des faits qui
y ont été, plus tard, mis en œuvre. Déjà, le
neveu par alliance de Madame Vigée-Le Brun,
Justin Tripier-Le Franc, et l'un des familiers
de son salon, Aimé Martin, avaient lire parti
8 MADAME VIGÉE-LE BRUN
tous deux de ses conversations , dans les
courtes notices qu'ils avaient publiées sur elle.
En 1829. sa chère princesse Natalie Rourakine
avait obtenu d'elle un récit biographique d'un
caractère un peu spécial, qui lui fut envoyé en
Russie. On sollicita bientôt la septuagénaire de
faire ou de laisser faire un ouvrage complet
du récit de sa vie.
La mode était aux mémoires ; à défaut de
manuscrits originaux, toute une équipe de lit-
térateurs se chargeait de fournir la librairie
française de compositions plus ou moins vrai-
semblables, qui alimentaient la curiosité des
contemporains sur la fin de l'ancien régime et
l'époque singulière qui l'avait suivie. Survi-
vante d'un temps qui apparaissait déjà loin-
tain, l'esprit nettement meublé de renseigne-
ments précis, Madame Vigée-Le Brun était
toute désignée pour prêter son nom à une
opération fructueuse et relativement véridique.
Elle s'y décida, moins par amour-propre que
par désir de se défendre devant la postérité
de pénibles légendes qui avaient pesé long-
temps sur sa réputation. Elle écrivait à Aimé
Martin en lui parlant de ses chagrins et des
calomnies qui avaient assombri sa vie, en appa-
ronco si lioiircnsc; elle lui annonçait, on même
MADAME VIGÉE-LE BRUN 9
temps, l'envoi des premiers cahiers où elle
essayait de se raconter : a Enfin, mon bien
bon, j'ai commencé ce que vous m'aviez recom-
mandé depuis plusieurs années. Vous savez
combien j'avais d'aversion pour faire ce que
vous appelez mes Mémoires, car il faut bien,
malgré tous les événements dont j'ai été spec-
tatrice, que je parle de moi. Ce moi est si
ennuyeux pour les autres que, vrai, sous ce
rapport, j'y avais renoncé; mais, M. de Gaspa-
riny, qui comme vous m'a pressée de les
écrire, m'y détermine en me disant : « Eh
« bien, Madame, si vous ne les faites pas vous-
« même, on les fera après vous, et Dieu sait
« ce qu'on y écrira! » J'ai compris cette rai-
son, ayant été souvent si méconnue, si calom-
niée, que je me suis décidée, depuis six mois,
à noter à mesure ce dont je me rappelle dans
tous les temps, dans tous les lieux. Vous n'y
verrez ni style, ni phrase, ni période. Je trace
seulement les faits avec simplicité et vérité,
comme on écrit une lettre à son amie. » Cette
première rédaction , dont on peut juger par
quelques pages conservées, était, en effet,
assez informe; style, phrase et période y furent
ajoutés avec abondance, parfois aux dépens de
la vérité.
10 MADAME VIGEE-LE BRUN
Les inexactitudes de détail , les fausses
dates, les confusions qu'on peut relever à
chaque instant dans les Souvenirs, n'enlèvent
rien à l'intérêt de ce livre charmant et la cou-
leur générale en reste juste. Quelques-unes
des erreurs, d'ailleurs, sont imputables à
Madame Vigée-Le Brun elle-même. L'âge
qu'elle avait, lorsqu'elle consulta sa mémoire,
excuse quelques défaillances, et l'on n'est point
fâché, d'autre part, de rencontrer çà et là une
preuve nouvelle d'authenticité dans la façon
dont un esprit féminin défigure la réalité. Les
préventions d'une amitié trop ardente ou celles
d'un ressentiment inapaisé troublent égale-
ment le jugement de la bonne dame. Elle omet
volontiers ce qui peut lui être désagréable ;
ainsi ne nomme-t-elle pas une seule fois
Madame Labille - Guiard , qui est entrée en
môme temps qu'elle à l'Académie et dont la
rivalité grandissante lui a été pénible pendant
tant d'années. Deux ou trois allusions perfides
ne suffisent j)as à renseigner sur cette artiste
qu'elle voudrait faire oublier et à (pii l'avenir,
plus équitable, ménage une juste revanche.
C'est sur la période la plus intéressante
de sa vie (jue Madame Vigée-Le Brun a fait
paraître le moins de pages. Nous savons par le
MADAME VIGEE-LE BRUN 11
menu l'histoire de ses pérégrinations à tra-
vers l'Europe, et il suffit presque, pour satis-
faire le lecteur, de préciser la chronologie
quelque peu flottante de ses notes de voyage.
Notre curiosité est plus exigeante pour l'époque
qui précède la Révolution et fut le plus beau
moment de sa production de peintre. Si nom-
breux qu'ils paraissent, les détails donnés sur
ce temps nous semblent, à juste titre, incom-
plets. C'est là surtout que les rectifications
de noms, de dates et de jugements sont néces-
saires ; c'est là que les témoignages contem-
porains, les correspondances administratives
ou privées, les critiques des expositions, les
papiers de famille, permettent d'esquisser, dans
la marge de l'autobiographie complaisante, une
biographie nouvelle et plus vraie.
(1755-178-2)
Elisabeth-Louise Vigée est née à Pans,
rue Coq-Héron, le 16 avril 1755. Comme
plusieurs des bons peintres du siècle,
elle sort d'une famille d'artistes; son père,
Louis Vigée, est un portraitiste qui appartient
à l'Académie de Saint-Luc, aux salons de
laquelle il exposa ses ouvrages ; il est connu
par des pastels honorables, de ceux qui font
cortège de fort loin aux chefs-d'œuvre de La
Tour et de Perroneau. Le sentiment filial a
dicté le jugement des Souvenir.s (dont nous
citons de préférence le texte original) : « Mon
père était rempli de talent et d'esprit. Une
gaieté si vraie qu'elle se communiquait aisé-
ment. Il peignait avec une facilité extrême le
portrait au pastel ; j'en ai vu de lui dignes
I
14 MADAME VIGEE-LE BRUN
du fameux La Tour. Avant son mariage, il pei-
gnit à rhuile dans le genre de Watteau ; j'en
ai un chez moi, plein de finesse et d'une char-
mante couleur. »
Vigée était un homme bon, aimant son art,
spirituel et gai à la façon française d'autre-
fois, qui savait amuser ses modèles en contant
l'anecdote et lutiner les grisettes du quartier
sans cesser d'adorer sa femme. Celle-ci, Jeanne
Messain, sortait d'une famille paysanne des
environs de Neufchàteau ; elle était belle, et
c'est à ce sang de Lorraine que sa fille dut la
grâce des traits et la fraîcheur délicate du
teint.
L'enfance d'Elisabeth, racontée par elle
dans ses papiers inédits, est celle de toutes les
petites Parisiennes de sa classe. En nourrice
dans la banlieue, puis en sevrage chez des cul-
tivateurs d'Epernon, elle revient à cinq ans
chez ses parents, pour être mise aussitôt au
couvent. C'est une sévère maison pour une
petite fille au cœur tendre, que cette Trinité
de la rue de Charonne, au faubourg Saint-
Antoine; elle y développe à l'excès une sensi-
bilité qui la fait crier au dortoir, quand s'éteint
la lampe, fuir à l'approche du curé dont l'habit
noir l'eirraie. Sa joie est de crayonner les jours
MADAME VIGEE-LE BRUN 15
de vacances, comme elle le voit faire à son
père : elle barbouille sur les murs, sur les livres
et les cahiers de ses compagnes. C'est une
vocation qui se révèle. « J'avais alors sept ans
et demi, raconte-t-elle ; mon père avait chez
lui des élèves qui dessinaient à la lampe des
têtes d'après nature. Un soir, je voulus aussi
m'y établir; ces jeunes messieurs se moquèrent
de moi, prirent les meilleures places. Je me
mis derrière eux et dessinai une tête à barbe,
modèle de ce temps-là. Quand je la montrai à
mon père, il en fut si content qu'il me dit :
« Tu es née peintre, mon enfant, ou il n'en
« sera jamais. »
L'enfant est d'une santé si frêle que les
parents se décident à la reprendre à onze ans,
après sa première communion. Elle trouve à
la maison un frère plus jeune qu'elle de trois
ans et demi, garçon vif et bouillant, qui sera
l'aimable poète Etienne Vigée : « Il était l'en-
fant gâté de ma mère, étant joli comme un
ange, moi laide, ce qui déplaisait à ma mère,
mais j'en étais dédommagée par mon père,
qui me gâtait. » Les soupers sans-façon du
bon Vigée étaient fameux parmi les artistes.
Les enfants quittaient la table avant le des-
sert, et de leurs lits entendaient les rires
i
16 MADAME VIGEE-LE BRUN
déchaînés et les chansons. Davesne, un con-
frère de rAcadémie de Saint-Luc, et Poinsinet,
l'auteur dramatique, récitaient de la poésie
légère ; Doyen, qui passait alors pour un grand
peintre et qui avait au moins de grandes idées
sur la peinture, les développait volontiers et
avec chaleur. Il les semait dans l'esprit d'Eli-
sabeth, qui l'écoutait en l'admirant, ses beaux
yeux brillant dans son maigre visage. Ses pre-
mières impressions s'effacent dans la grande
douleur que lui cause la mort de son père, en
mai 1768; c'est Doyen, le meilleur ami du
défunt, qui devient le premier conseiller de
l'adolescente ; l'arrachant à son chagrin, il lui
remet les crayons à la main et l'engage à abor-
der le pastel et l'huile. « Doyen, dit-elle, vou-
lait me persuader que mes dessins étaient
dignes de lui ; il m'en achetait ou en faisait
le semblant Je n'avais pas besoin d'être
encouragée, car je n'avais pas d'autre bonheur
que de pouvoir me perfectionner. Mon plus
grand plaisir était d'aller voir des tableaux, et
lorsque j'entendais parler de peinture, le cœur
me battait. » Ces dispositions étaient pré-
cieuses à cultiver : après toute une vie de
labeur, le bon Vigée ne laissait à partager,
entre sa femme et ses enfants, qu'un héritage
MADAME VIGEE-LE BRUN 17
de 35,339 livres, et la jeune lîlle avait à assurer
seule l'indépendance de sa vie.
Elle a rencontré une amie, à peine son
aînée, qui a les mêmes goûts, la même éduca-
tion, et va travailler avec elle. C'est Rosalie
Bocquet, fille d'un peintre éventailliste, qui
tient boutique au quartier Saint-Denis, lui-
même fils d'un peintre du Roi, et frère d'An-
dré Bocquet, dessinateur des Menus. Par sa
mère, fille de Noël Halle, Mademoiselle Boc-
quet (plus tard Madame Filleul) descend d'une
autre lignée d'artistes. Elle n'a pas seulement
le charme d'une hérédité affinée, elle a encore
celui d'une beauté accomplie ; mais Elisabeth
ne nous laisse pas ignorer qu'elle-même est
tout à fait transformée, et qu'à quatorze ans
elle est devenue assez jolie fille pour trouver
des soupirants. « .J'étais si forte, dit-elle, et
si formée, qu'on me donnait seize ans. C'est
alors qu'on commença à vouloir me séduire ;
mais j'étais tellement occupée de l'étude de
mon art que je ne pouvais penser à autre
chose. » Tout au plus remarquait-elle, en se
promenant avec sa mère, le dimanche, aux
Tuileries, que les compliments n'allaient pas
seulement à celle-ci. Rosalie Bocquet et Elisa-
beth Vigée dessinent ensemble d'après l'an-
i
18 MADAME VIGEE-LE BRUN
tique, chez Briard, de l'Académie royale, qui
a son atelier au Louvre et donne volontiers des
leçons aux jeunes personnes. Elles sont sui-
vies de leur bonne, portant le petit dîner dans
un panier, et il leur arrive d'acheter « des mor-
ceaux de bœuf à la mode » au portier du
Louvre.
Briard n'est qu'un maître sans talent ;
mais, un jour, les écolières font la connais-
sance d'un autre habitant du palais, Joseph
Vernet, dont les conseils ont plus d'autorité.
Elles se lient avec la petite Emilie, sa fille,
qui épousera plus tard l'architecte Chalgrin.
Vernet prend en amitié ces jeunes filles si
laborieuses , si désireuses de réussir . Il leur
recommande d'étudier surtout la nature, mais
aussi les grands maîtres italiens et flamands.
La mère d'Elisabeth la mène au Luxembourg,
dans la galerie des Rubens, puis dans ces col-
lections libéralement ouvertes aux artistes par
le duc d'Orléans, au Palais-Royal, et par le
duc de Praslin, le marquis de Lévis, le rece-
veur général des Finances Randon de Boisset.
Ses premières impressions d'art sont à noter :
« Dès (jue j'entrais dans une de ces riches
galeries, on pouvait exactement me comparer
à l'abeille, tant j'y récoltais de connaissances
MADAME VIGEE-LE BRUN 19
et de souvenirs utiles à mon art, tout en m'eni-
vrant de jouissances dans la contemplation des
grands maîtres. En outre, pour me fortifier, je
copiais quelques tableaux de flubens, quelques
têtes de Rembrandt, de Van Dyck, et quelques
têtes de jeunes filles de Greuze, parce que ces
dernières m'expliquaient fortement les semi-
tons qui se trouvent dans les carnations déli-
cates; Van Dyck les explique aussi, mais plus
finement. Je dois à ce travail l'étude si impor-
tante de la dégradation des lumières sur les
parties saillantes d'une tête, dégradation que
j'ai tant admirée dans les têtes de Raphaël,
qui réunissent, il est vrai, toutes les perfec-
tions. »
Madame Vigée s'est remariée ; elle est de-
venue Madame Le Fèvre ; le riche joaillier qui
l'a épousée a pris la jeune artiste dans sa mai-
son, située rue Saint-IIonoré, au coin de la
place du Palais-Royal. C'est un vilain beau-
père, qu'elle déclare avare et jaloux, et qui
s'approprie tout ce qu'elle commence à ga-
gner. Elle a fait, comme il est d'usage, ses
tableaux de début en prenant les modèles
dans sa propre famille : sa mère au pastel en
sultane, son frère en écolier, M. Le Fèvre « en
20 MADAME VIGEE-LE BRUN
bonnet de nuit et en robe de chambre » ; son
chef-d'œuvre d'alors, peint à quinze ans et
demi, est un portrait ovale de sa mère ; le joli
visage est presque de face et les épaules sont
recouvertes d'une pelisse de satin blanc bro-
dée d'une fourrure de cygne. Parmi les voisins
ou connaissances , Elisabeth représente une
aimable Madame Suzanne, dont le mari est
sculpteur de l'Académie de Saint-Luc; les
époux Baudelaire et leurs filles ; Mademoiselle
Pagelle, marchande de modes de la Dauphine,
et son commis. Puis viennent les premières
commandes de gens de qualité : elle peint
Madame d'Aguesseau et son chien, la comtesse
de La Vieuville, le marquis de Choiseul, le
comte de La Blache, maréchal de camp, qui
vient d'hériter de Pâris-Duverney, et la com-
tesse, née Gaillard de Beaumanoir. Ces por-
traits sont d'un dessin sage, assez vivants,
sans qu'aucune personnalité d'artiste s'y re-
connaisse; on y sent surtout qu'elle a reçu les
conseils de Greuze, (jui sont venus compléter
ceux de Vernet.
On l'invite beaucouj) à dîner, pour sa jolie
ton m II 10 et sa grâce. Chez le sculpteur Le-
moyne, où se réunit une société distinguée, elle
voit les célébrités du tenq)s, La Tour. Lekain,
MADAME YIGEE-LE BRUN 21
Grétry, Tavocat Gerbier ; et la gaieté des repas
s'achève dans ces chansons du dessert, sup-
plice des jeunes demoiselles, dont son talent
la dispense. C'est dans ces réunions qu'elle va
créer sa clientèle, et elle commence à tenir, à
partir de 1773, la liste annuelle des com-
mandes, où souvent les noms sont étrangement
défigurés, mais où se trouvent des indications
précises sur son activité et les différents
mondes qu'elle fréquente.
Elle débute, cette année- là, par M. de
Roissy et sa femme, fille de Gerbier, Made-
moiselle du Petit - Thouars et le comte du
Barry. Ce dernier, grand ami des arts et
connaisseur en toutes sortes de beautés, n'est
autre que le fameux « Roué » ; il pourrait déjà
l'introduire à la Cour, par les cabinets de la
favorite, sa belle-sœur ; mais le peintre de
Marie-Antoinette y entrera plus tard par une
meilleure porte. De jolies femmes s'adressent
à elle ; leurs louanges, le succès qu'obtient
leur image, vont contribuer à diriger de pré-
férence la jeune iillc vers les portraits fémi-
nins. Elle a entendu chanter, chez Lemoyne,
l'adorable Madame de Bonneuil, qui ne saura
point vieillir et qu'elle retrouvera, sous le
Consulat, belle-mère de Regnault de Saint-
22 MADAME VIGKE-LE BRUN
Jean-d'Angély, et toujours avec sa « fraî-
cheur de rose » ; sa sœur, Madame Thilorier,
est la femme de l'avocat au Parlement, et
l'artiste aura plusieurs fois l'occasion de les
peindre l'une et l'autre. Elle se lie surtout
avec Madame de Verdun, femme du fermier
général, qui possède le château de Colombes.
« Madame de Verdun, écrira-t-elle sous la
Restauration, peut être citée pour son esprit
à la fois si fin et si naturel ; la bonté, la gaieté
de son caractère la faisaient rechercher géné-
ralement, et je puis regarder comme un bon-
heur de ma vie qu'elle ait été la première et
qu'elle soit encore ma meilleure amie. »
Reçue à Colombes, Elisabeth Vigée y voyait
une autre société « composée d'artistes, de
gens de lettres et d'hommes spirituels », parmi
lesquels Carmontellc, intime du maître de la
maison, l'auteur de ces aimables « proverbes »
qu'on jouait de tous côtés sur les scènes parti-
culières. La jeune fille était partout remarquée
pour sa beauté épanouie, ce cpii ne laissait pas
de la gêner dans l'exercico de sa profession :
a Plusieurs amateurs de ma fîi^ure, raconte-
t-elle, me faisaient peindre la leur, dans l'es-
poir (1(* parvenir à me jjlairc... ; dès que je
m'aj)ercevais (pi'ils voulaient me faire des
MADAME VIGEE-LE BRUN 23
yeux tendres, je les peignais à regards perdus^
ce qui s'oppose à ce que l'on regarde le peintre.
Alors, au moindre mouvement que faisait leur
prunelle de mon côté, je leur disais : J'en suis
aux yeux; cela les contrariait un peu, comme
vous pouvez croire, et ma mère, qui ne me
quittait pas et que j'avais mise dans ma confi-
dence, riait tout bas. » Les souvenirs impri-
més ne nomment que le marquis de Choiseul
parmi ces galants ; les manuscrits ajoutent
Jean du Barry et insistent sur un comte de
Brie, qui vint se faire peindre en 1774 : « Il
devint amoureux forcené de moi ; il ne pou-
vait me parler; ma mère ne me quittant pas
aux séances, il me suivait partout et, ne pou-
vant avoir la facilité de me parler, il laissa un
jour, sur la commode de ma mère, des titres
de rente, je me rappelle encore, 19,000 francs.
Ma mère, sitôt qu'il fut parti, vit ces papiers
et, furieuse, lorsqu'il revint le lendemain, elle
les lui rendit avec indignation et lui défendit
sa porte ; mais toujours il me suivait par-
tout. » On verra que M. de Brie essaya de se
venger du dédain de cette jeune vertu, au mo-
ment de son mariage.
« A cette époque, réellement, la beauté
était une illustration » ; Mademoiselle Vigée
24 MADAME VIGKE-LE BRUN
faisait sensation avec Mademoiselle Bocquet,
quand elles paraissaient sur le boulevard du
Temple, où, le jeudi, la société élégante se
promenait en voiture ; les jeunes gens à cheval
caracolaient autour d'elles, et les petits maî-
tres, dans les allées, les lorgnaient au passage.
Elles fréquentaient, aux Champs-Elysées, les
grands concerts d'orchestre du Golisée , où,
sur le vaste perron de la salle, le duc de
Chartres et ses amis dévisageaient les femmes
et les moquaient. Elles allaient, aux soirs
d'été, voir tirer les feux d'artifice au W auxhall ;
mais leur meilleur plaisir était la jolie prome-
nade du Palais-Royal, avec cette large allée
abritée d'arbres énormes, où les jeunes filles
venaient le dimanche, après la grand'messe,
montrer leurs claires toilettes de printemps. Le
Palais-Royal n'était pas encore envahi par la
mauvaise compagnie, qui se confinait dans les
quinconces; on s'y promenait sans inconvé-
nient, même le soir, après les représentations
de l'Opéra, dont la salle était voisine, et qui
finissaient à huit heures et demie. Ces soirées,
qui ne se prolongeaient pas trop tard, ces mu-
si(pies au clair de lune, où des artistes et des
amateurs jouaient de la iiarj)e et ilu violon, où
l'on entendait en plein air les virtuoses du
MADAME VIGEE-LE BRUN 25
chant, Garât et Azevedo, toute cette élégance
paisible de la vie de Paris où le luxe impur ne
s'étalait point, ont laissé dans l'esprit d'Elisa-
beth Visrée un délicieux souA'enir.
Au retour de telles promenades, il était
pénible d'aller dormir dans un recoin sans air,
au pied du lit maternel, en ce logis d'un beau-
père tyrannique et grognon. Elle ne connais-
sait la campagne, dont elle devait tant jouir
plus tard, que par le pitoyable Chaillot, où
M. Le Fèvre avait loué une bicoque; on y allait,
du samedi au lundi, voir pousser les haricots
et les capucines, et, toute la journée du di-
manche, les garçons de boutique, réunis dans
le voisinage, tiraient bruyamment des coups
de fusil sur les oiseaux. Mais des amis bien-
veillants , le ménage Suzanne , ouvrirent à
l'imagination d'Elisabeth le trésor des belles
résidences royales et princières des environs
de Paris. Elle vit, grâce à eux, Sceaux avec
son double parc, celui de Le Nôtre et celui de
la nature, que le duc de Penthièvre livrait
libéralement au public ; Chantilly , avec ses
lacs et SCS rivières, et la somptuosité de la
résidence des Coudé ; Marly, avec ses cas-
cades, ses marbres et ses salles de verdure.
Un matin, à Marly, elle rencontra Marie-An-
l
26 MADAME VIGKE-LE BRUN
toinette se promenant avec plusieurs dames
en robe blanche, toutes, « si jeunes, si jolies,
dit-elle, qu'elles me firent Teffet d'une appari-
tion ; j'étais avec ma mère et je m'éloignais,
quand la Reine eut la bonté de m 'arrêter,
m'engageant à continuer ma promenade par-
tout où il me plairait ». C'était la première
fois que l'artiste voyait celle qui devait être
son plus cher modèle et de qui elle a toujours
parlé avec une affectueuse émotion.
Un incident pénible troubla un instant sa
jeune carrière. Le système des corporations
étendait ses abus jusque dans les arts, où il
fallait être, ainsi qu'en tout autre travail,
apprenti ou maître. Comme Mademoiselle
Vigée travaillait sans titre , on se présenta
chez elle pour saisir son atelier. Elle oOrit
alors de se faire recevoir maître- peintre à
l'Académie de Saint-Luc, et ses démarches l'y
firent agréer j)ar lettres du 25 octobre 1774.
Elle exposa, à cet ellet, quelques œuvres à
l'hôtel .bibacli, rue Saint-Mcrri, où cette mo-
deste confrérie réunissait les travaux de ses
membres. Plus d'un véritable artiste s'était
révélé dans ces exj)ositions secondaires, moins
solennelles (pie celles de l'Académie royale.
MADAME VIGEE-LE BRUN 27
et la dernière eut lieu au mois d'août 1774.
Mademoiselle Bocquet y présentait le portrait
d'Eisen, adjoint au recteur de l'Académie de
Saint-Luc. Une femme d'un mérite plus grand,
Madame Guiard, née Adélaïde Labille des Ver-
tus, s'y produisit en même temps qu'Elisabeth
Vigée. Ce fut pour toutes deux la première
manifestation publique de leur talent, et de-
puis elles devaient toujours rivaliser, tant dans
le monde qu'à l'Académie royale. Voici l'énu-
mération des portraits que le livret de Saint-
Luc attribue à la fille de Vigée, et dont aucun
nom ne se retrouve dans la liste qu'elle a
dressée de ses œuvres :
Le portrait de M. Dumesnil, recteur. (Ce tableau a été
donné par 1 auteur pour sa réception à l'Académie.) —
La Peinture, la Poésie et la Musique, sous des figures
de femmes qui les caractérisent. (Ces trois tableaux sont
peints à l'huile et portent 2 pieds 6 pouces de haut sur
2 pieds de large.) — Le portrait de M. ***. Il est repré-
senté jouant de la lyre, (Ce tableau est peint à l'huile.)
— Celui de M. Le Comte. Il est vu dans son cabinet
avec un globe et des livres. — Le portrait de M. Eour-
nier, conseiller de l'Académie de Saint-Luc. — Le por-
trait de Mademoiselle de***, en buste. (Tableau au pastel,
de forme ovale.) — Plusieurs portraits et tètes d'études
sous le même numéro.
L'artiste fut mise à la mode par le succès
qu'obtinrent ces portraits auprès d'un public
28 MADAME VIGEE-LE BllUN
curieux de jeunes talents, qui aimait à les
découvrir aux expositions de Saint-Luc. Dès
Tannée suivante, ses commandes augmentent
en nombre et surtout en qualité. Quelques
nobles étrangers s'adressent à elle ; tel le
comte SchouvalofT, autrefois l'amant de l'impé-
ratrice Elisabeth de Russie, que recomman-
dent aux Parisiens l'amitié de Voltaire et la
fondation de l'Académie des Arts de Saint-
Pétersbourg; il joint (( une politesse bienveil-
lantc à un ton pariait». Elisabeth peint encore
le j)rince de Nassau, un des grands batailleurs
de l'époque, qui a commencé sa vie en accom-
pagnant Bougainville autour du monde, le
comte de Deux-Ponts, puis, en 1775, Madame
de Laborde, Mademoiselle de Gossé, M. de
Montville, homme aimable et fort répandu, et
Madame de Montville; la spirituelle Madame
Denis, nièce de Voltaire; Mademoiselle Julie
Carreau, qui réunit chez elle des gens de lettres
et des personnes de qualité, et qui plus tard
épousera Talma. Tout ce monde est agréable
au peintre et sert sa renommée; puis une
heureuse rencontre l'introduit chez la prin-
cesse de Hohan-liochcfort, née Orléans-Rothe-
bii, femme u très spirituelle, mais tête légère »,
dont 11- niih'eu, ({u'olle nous décrit, initie de
MADAME VIGEE-LE BRUN 29
plus près la jeune fille aux nobles manières :
a Le fond de sa société se composait de la
belle comtesse de Brionne et de sa fille, la
princesse de Lorraine, du duc de Choiseul, du
cardinal de Rohan, de M. de Rulhières, l'au-
teur des Disputes ; mais le plus aimable de tous
les convives était sans contredit le duc de
Lauzun; on n'a jamais eu autant d'esprit et de
gaieté... Nous n'étions jamais plus de dix ou
douze à table. C'était à qui serait le plus
aimable et le plus spirituel. J'écoutais seule-
ment, comme vous pouvez croire, et, quoique
trop jeune pour apprécier entièrement le
charme de cette conversation, elle me dégoû-
tait de beaucoup d'autres. »
Mademoiselle Vigée peignit une partie de
la famille du prince de Rohan-Rochefort, son
fils le prince Jules, Mademoiselle de Rochefort;
et, bientôt après, les noms les plus relevés se
pressent sur ses listes. C'est la princesse de
Craon, le prince et la princesse de Montbarrey,
Mesdames de Lamoignon et de Montmorin ;
des étrangères, comme la duchesse d'Arenberg,
une comtesse Potocka, une Milady Berkeley,
et aussi la belle Madame Grant, un jour prin-
cesse de Talleyrand et que l'artiste peindra à
trois époques de sa vie. Les critiques déjà
30 MADAME VIGEE-LE BRUN
remarquent son talent; on trouve dans VAlma-
nac/i sur les Peintres le premier jugement
publié sur elle : « Mademoiselle Vigée a pris
la route d'une artiste qui veut se faire une
grande réputation. Remplie du désir d'exceller,
elle écoute avec douceur et ses émules et ses
maîtres dans l'art de rendre le portrait avec
vérité. Déjà ceux qui sortent de son atelier se
ressentent de ses heureuses impressions; ils
sont composés avec goût; le sentiment y brille,
les habillements y sont bien faits et sa cou-
leur est vigoureuse. » Ces lignes élogieuses
sont signées du nom de Le Brun.
La renommée de l'artiste s'étend de jour
en jour; elle ne néglige rien pour l'entretenir,
ni la parure de sa personne, ni les attentions
délicates pour ses modèles, ni les fréquenta-
tions profitables. Elle a des amis parmi les
abbés lettrés qui sont les conseillers du beau
monde : l'abbé Giroux, (jui lui amène le prince
de Nassau, l'abbé Arnaud, le fameux gluckiste,
qui la prône auprès de ses confrères de l'Aca-
démie française. Elle s'acquiert la protection
de celte puissante mmp.ignie, en bii faisant
liommage de deux portraits mancpianl à sa
collection, ceux de La Bruyère et du cardinal
MADAME VIGEE-LE BRUN 31
de Fleury, peints par elle d'après des gravures.
Elle les a offerts par une lettre charmante,
dont lecture a été donnée dans la séance du
9 août 1775 : « L'Académie, lit-on au registre
des procès-verbaux, a chargé M. le Secrétaire
de lui écrire pour la remercier, et en même
temps a donné d'une voix unanime à Made-
moiselle Vigée ses entrées à toutes les séances
publiques. » Elle conserva toujours la lettre
que D'Alembert, secrétaire perpétuel, écrivit
au nom de l'Académie : « Ces deux portraits,
disait-il, en lui retraçant deux hommes dont le
nom lui est cher, lui rappelleront sans cesse.
Mademoiselle, le souvenir de tout ce qu'elle
vous doit et qu'elle est flattée de vous devoir:
ils seront de plus, à ses yeux, un monument
durable de vos talents, qui lui étaient déjà
connus par la voix publique, et qui sont encore
relevés en vous par l'esprit, par les grâces et
par la plus aimable modestie. » Outre le bruit
fait autour de ce don, l'artiste y gagna liioii-
neur d'une visite de ce petit homme sec, froid
et parfaitement poli qu'était D'Alembert : « Il
resta longtemps, écrit-elle, et parcourut mon
atelier en me disant mille choses flatteuses.
Je n'ai jamais oublié ([u'il venait de sortir,
quand une grande dame, qui s'était trouvée là.
32 MADAME VIGEE-LE BRUN
me demanda si j'avais fait d'après nature ces
portraits de La Bruyère et de Fleury, dont on
venait de parler : — « Je suis un peu trop
jeune pour cela, répondis- je sans pouvoir
m'empècher de rire, mais fort contente pour
la pauvre dame que racadémicicn fût parti. »
La gracieuse personne d'Elisabeth Vigée,
devenue si importante, ne tarde pas à être
recherchée en mariage. Toute à son art et à
ses jeunes ambitions, elle ne pense guère à
changer de vie, et la seule raison qui l'y déci-
derait serait de quitter une maison qui lui est
devenue insupportable. Elle n'est point armée,
d'ailleurs, pour se défendre contre l'offre d'une
union fâcheuse, surtout quand elle se présente
sous des formes qui peuvent séduire une âme
d'artiste. Son beau-père est venu habiter rue
de Cléry, dans l'hôtel Lubert, où demeure le
fils de Pierre Le Brun, jadis fameux marchand
de curiosités de la rue Saint-IIonoré ; le jeune
homme a continué le commerce des tableaux
et dirige comme expert, avec Pierre Rémy, les
ventes importantes. Il n dans son appartement
de précieux morceaux de toutes les écoles ;
Elisabeth, ravie d'un tel voisinage, frécjuente
les tableaux et le marchand ; elle est reconnais-
MADAME VIGEE-LE BRUN 33
santé qu'on lui prête chez elle les plus belles
toiles pour les étudier ou les copier. Le Brun,
qui n'est point sot et qui est lui-même peintre
de portraits médiocres, a deviné l'avenir bril-
lant et lucratif réservé au talent de la jeune
fille ; bien fait de sa personne, obligeant, enjô-
leur , il l'entoure de flatteries et de préve-
nances. Il a écrit d'elle les premiers éloges
que sa jeunesse ait eu à savourer sur le papier
imprimé. Après six mois de voisinage et de
cour discrète, il se déclare. On le croit plus
riche qu'il ne l'est, la splendeur de son logis,
qui n'est qu'un magasin, faisant illusion à la
mère autant qu'à la fille ; elles ignorent à quel
point il est joueur et coureur de tripots. Le
portrait de Le Brun peint par lui-même, qui
est de l'époque tardive où il organisa le Muséum
national, révèle fort bien le personnage. Vêtu
d'un habit bleu barbeau et coiffé d'un feutre
noir, il feuillette d'une main la collection d'es-
tampes de maîtres qu'il a publiée, et tient de
l'autre la j)alettc qui n'eût pas suffi à illustrer
son nom; un camée brille à son doigt, un autre
est planté dans sa cravate blanche; c'est un
homme important et qui veut qu'on le sache;
mais le regard faux et libertin, dans le visage
usé, montre avec trop d'évidence qu'Elisa-
I
34 MADAME VIGEE-LE BRUN
beth n'a pas fixé sa vie dans une union sans
nuage.
La demande agréée, le mariage fut célébré
dans l'intimité, avec la dispense de deux bans,
en l'église Saint-Eustache, le 11 janvier 1776.
Jean -Baptiste -Pierre Le Brun, bourgeois de
Paris, est porté sur l'acte comme âgé de près
de vingt -huit ans; Elisabeth- Louise Vigée ,
comme âgée de vingt ans et demi. Les
deux mères sont présentes, et les témoins de
l'épouse, outre son beau-père, sont maître
Jean-Antoine Desfont, notaire au Châtelet, et
maître Pierre Delépine, acolyte du diocèse de
Paris. Le mariage est tenu quelque temps
secret; Le Brun, ayant dû épouser la fille d'un
Hollandais « avec lequel il faisait un grand
commerce en tableaux », n'a point voulu le
déclarer, paraît-il, avant la fin de ses afi'aires.
Cet arrangement ne va pas sans inconvénients,
car beaucoup de gens, croyant simplement à
un projet, viennent trouver la jeune femme
pour tâcher de l'en détourner; son ami Aubert,
joaillier de la Couronne, l'assure « qu'elle ferait
mieux de s'attacher une pierre au cou et de
se jeter dans la rivière plutôt que d'épouser
Le Brun ». La jeune duchesse d'Arcnbcrg,
Madame de Canillac et Madame de Souza,
MADAME VIGEE-LE BRUN 35
ambassadrice de Portugal, lui portent aussi
leurs conseils tardifs. La pauvre enfant pleure
après ces visites ; mais elle se console d'illu-
sions et croit d'autant plus aisément à l'exagé-
ration de la médisance que les calomnies ne
l'épargnent pas elle-même. Le mari a dû inter-
venir, un mois après leur mariage, auprès du
commissaire de son quartier, pour la défendre
contre les assiduités insultantes de l'infatigable
comte de Brie. Il le dénonce comme auteur de
propos outrageants pour l'honneur de sa femme
et de deux lettres anonymes, « dans lesquelles
il fait passer ladite Vigée pour une fille pros-
tituée à tout venant », notamment « au sieur
abbé Giroux, au sieur abbé Arnaud et au sieur
Gazes ». Tels sont les premiers amants qu'on
prête à Madame Vigée-Le Brun, liste menson-
gère que la méchanceté allongera au cours de
sa vie.''
Les époux entraient en ménage avec une
petite fortune et des revenus suffisamment
assurés pour leur permettre de payer, par
échéances, l'hôtel qu'ils habitaient et que le
chevalier de Lubert et sa sœur cédaient pour
200,000 livres. Les apports de Le Brun étaient
évalués à 85,272 livres en tableaux, 9,%0 livres
en meubles, 12,59^ livres versées pour le pre-
36 MADAME VIGEE-LE BRUN
mier paiement de Thôtel Lubert, et 6,320 livres
de créances contre 29,390 livres de dettes ;
Mademoiselle Vigée apportait en dot 15,242
livres, dont 7,793 représentent sa part de Théri-
tage paternel et 7,449 son « épargne de pein-
ture », ses meubles, linges et bijoux. Ce
dernier chiffre peut sembler mince, car c'est
plus de 16,000 livres qu'a mis de côté, « dans
son art de peinture », Rosalie Bocquet, lors-
qu'elle épouse, l'année suivante, M. Filleul,
concierge du château de la Muette. Au reste,
dans le mariage Le Brun, les avantages pécu-
niaires sont, malgré les apparences, au béné-
fice du mari. Désormais, celui-ci administrera
les revenus du talent de sa jeune femme de la
façon la plus égoïste, tout au profit de ses
propres intérêts. Elle-même ignore la valeur
de l'argent ; c'est Le Brun qui fixe le prix de
ses tableaux et en touche le montant. On cite
sa réponse à Madame de La Guiclie lui olfrant
mille écus pour son portrait : « Non, je ne puis
le faire à moins de cent louis; y a-t-il cent
louis dans mille écus ? »
Une re(juête au prévôt de Paris, dont le
brouillon s'est égaré dans les ])apicrs de Le
Brun, révèle que la vie du ménage, en ses pre-
mières années, fut parfois bien difficile. Le
JEANNE-JULIE-LOUISE LE BRUN
FILLE DE l'artiste
1792
(Musée de Bologne)
\
MADAME VIGEE-LE BRUN 37
mari avait dû accepter un jour l'idée d'une
séparation de biens. La « suppliante », rap-
pelant les conditions de son contrat, « espérait
qu'avec une pareille dot, le talent qu'elle avait
dans l'art de la peinture, son travail, celui de
son mari et le commerce qu'il pourrait faire,
elle pourrait vivre tranquillement à l'abri de
la gêne et de la détresse; mais elle s'est cruel-
lement trompée. Son mari, par de fausses spé-
culations, a fait des pertes très considérables.
de sorte qu'il a été obligé de faire beaucoup de
dettes et se trouve actuellement poursuivi par
ses créanciers. La suppliante se trouve en ce
moment exposée à être réduite à la dernière
misère ; elle ne voit d'autre moyen pour empê-
cher la dissipation totale de sa fortune que
d'intenter l'action qui lui est ouverte par la loi,
qui est sa séparation de biens, et c'est pour
y parvenir qu'elle a été conseillée d'avoir
recours à votre autorité. » Cette démarche
n'eut pas de suite, et la séparation des époux
ne fut prononcée qu'au temps du divorce révo-
lutionnaire.
Les affaires du marchand se rétablirent peu
à peu, surtout par l'heureuse administration
des gains de sa jeune femme. Il fît construire
alors, dans la cour de son hùtel, cette fameuse
38 MADAME VIGEE-LE BRUN
salle de vente qui aida au développement de
son commerce et fut assez spacieuse pour
servir d'église pendant la Révolution. Dans la
notice qu'il écrivit alors sur « la citoyenne Le
Brun », il rendit un hommage ému et recon-
naissant à sa supériorité, mais sans hésiter le
moins du monde à s'attribuer une part dans
ses succès : « Le sort qui me la destinait pour
femme lui réservait les moyens de cultiver un
art auquel je m'étais voué moi-même et où...
je pouvais faire passer sous ses yeux tout ce
que les grandes Ecoles des maîtres les plus
célèbres offrent de plus beau et de plus pré-
cieux dans tous les genres... Nous travaillâmes
donc à l'envi l'un de l'autre, et ce que j'avais
prévu arriva; c'est qu'entretenue sans cesse
dans son amour pour la peinture par l'aspect
des beaux tableaux qui remplissaient mes
magasins, placée dans un rapport continuel
avec les chefs-d'œuvre des Rubens, des Rem-
brandt, des Guide et des Albane, la citoyenne
Le Brun atteignit ce degré de perfection qui lui
a fait assigner, depuis plusieurs années, une
des premières j)laccs parmi les grands peintres
de notre Ecole. »
Dès l'année de son mariage, Madame Le
MADAME VIGEE-LE BRUN 39
Brun fut admise à travailler pour la Cour. Sa
première commande lui fut sans doute procu-
rée par Ghalgrin, intendant des Bâtiments de
Monsieur, comte de Provence. Le 30 novem-
bre 1776, le frère du Roi ordonnançait une
somme de 2,320 livres pour le paiement de
son portrait original et de plusieurs copies. Il
y avait en tout douze toiles semblables, ce qui
ne met pas chacune d'elles à un haut prix;
l'opération était cependant fructueuse, l'artiste,
pour peindre son original n'ayant eu nullement
la peine d'aller à Versailles; elle ne fit sans
doute qu'un simple arrangement d'un autre
portrait. Il en fut de môme pour celui de la
Reine, qui est mentionné parmi des présents
royaux : « Fourni par la dame Le Brun, peintre,
un portrait de la Reine, accordé par Sa Majesté
à M. Elie de Beaumont à l'occasion de la fête
des bonnes gens établie dans sa terre de
Canon; du prix de 480 livres. » Ces détails
n'ont d'autre intérêt que de montrer par
quels modestes travaux Madame Le Brun
commence à se faire connaître à la Cour.
On trouve, l'année suivante, au compte des
dépenses imprévues : « Mémoire de deux por-
traits de la Reine, ovales, en buste et en habit
de cour, ordonnes par M. de la Ferté, inten-
40 MADAME VIGEE-LE BRUN
dant, contrôleur général des Menus-Plaisirs du
Roi, exécutés par Madame Le Brun dans le
courant de l'année 1777. » Ces tableaux, évi-
demment peu importants , étaient estimés
240 livres pièce; un autre fut commandé « avec
les mains », et l'artiste, qui n'était pas encore
payée en 1779, écrivait en ces termes à Papil-
lon de la Ferté :
Monsieur,
Voilà près de deux ans écoulés depuis que j'ai fait
quatre portraits de la Reine ; dans cet espace de temps,
j'ai été payée de deux; il en reste deux autres, l'un de
240 livres, l'autre de 480 livres. Vous me rendriez le plus
ffrand service, si vous vouliez bien me donner une ordon-
nance extraordinaire pour que je touche celte bagatelle. Ce
service serait on ne peut plus agréable à mon mari, dans
un moment où on lui manque un payement considérable ;
faites-moi la grâce d'écouter la requête que jai l'honneur
de vous représenter, ma reconnaissance sera entière. Je
suis, etc.
Le BnuN.
Ce 3 juillet 1779.
Les années qui suivent amènent devant les
pinceaux de la jeune femme la duchesse de
Chartres, (]iii l'honore déjà d'une particulière
hienvcilhince, la comtesse d'Ilunolstein, née
Harbantanc, la présidente de Becdelièvre,
M. de Sainl-Priost, ami)assadeur à Constanti-
noplc, le marcjuis d'Armaillé cl le duc de
MADAME VIGEE-LE BRUN 41
Gossé. Ce dernier, qui est le fils du vieux maré-
chal de Brissac et portera bientôt le titre de
duc de Brissac, passe pour un des meilleurs
amateurs du temps; il a réuni, en son hôtel de
la rue de Grenelle, une précieuse collection de
livres, de curiosités et de peintures de maîtres,
que Madame Vigée-Le Brun a souvent parcou-
rue. C'est pour M. de Gossé qu'elle a fait cette
« copie d'un portrait de Madame du Barry »
que l'amant empressé, au premier temps de sa
liaison, tient à posséder parmi ses trésors.
M. de Gossé a pris en amitié la jeune artiste,
et lui achète divers tableaux, une « tète pen-
chée », une « femme en lévite », plusieurs
tètes d'étude; il lui commande aussi son por-
trait, en attendant de l'introduire à Louve-
ciennes chez Madame du Barry. Le duc est
une excellente caution dans la société d'alors;
c'est l'homme qualifié pour conseiller les
femmes dans le choix d'un portraitiste, et
Madame Le Brun lui doit assurément beau-
coup.
Parmi la bourgeoisie, elle peint Madame
Lenormand, Madame de Gérando, Madame
Monge, Madame Thilorier et les enfants de
l'architecte Brongniart, de (jui lloudon modèle
les bustes. Par un goùl fréquent chez les
i
42 MADAME VIGEE-LE BRUN
artistes femmes, elle aime à peindre Tenfance,
et fait le portrait du jeune Gros, âgé de sept
ans, fils du miniaturiste leur voisin, qui vient
jouer souvent dans son atelier. Elle ne se con-
tente pas de « bourrer » l'aimable garçon « de
dragées et de poires tapées » ; elle lui met le
crayon dans les doigts, le fait travailler, encou-
rage sa vocation précoce. Celui-ci s'étonne de
voir sur ses tableaux a toujours que des mes-
sieurs et des dames, et jamais des chevaux » ;
et, comme elle avoue ne savoir pas les faire,
l'enfant saisit un papier et dessine un cheval
le plus exactement du monde. Le petit écolier
devait entrer, cinq ans plus tard, dans Tatelier
de David et faire un singulier honneur à ces
premières leçons de Madame Le Brun, que
Gros, devenu un illustre peintre, se rappellera
toujours avec affection.
En 1779, advint à Madame Vigée-Le Brun
la plus heureuse aventure de sa vie, celle qui,
en achevant de la mettre à la mode, devait
assurer auprès de la postérité sa popularité
la plus durable. l'^Ilc fut api)clée à Versailles
par la reine Marie-Antoinette pour faire d'elle,
après tant de copies, un premier portrait
d'après nature. « C'est alors que je fis le })or-
LA REINE MARIE-ANTOINETTE
1783
(Collection de M. le baron Edouard de Rothschild)
i
MADAME VIGEE-LE BRUN 43
trait qui la représente avec un grand panier,
vêtue d'une robe de satin et tenant une rose
à la main. Ce portrait était destiné à son frère
Joseph II, et la Reine m'en ordonna deux
copies. » Il est aisé de désigner ce tableau :
c'est le grand portrait en pied, dont l'original
est à Vienne, encastré dans une boiserie des
appartements de la Hofburg et que mention-
nent, sans le nom de l'auteur, les correspon-
dances diplomatiques. Il ne fut pas à l'origine
destiné à Joseph II, mais à l'Impératrice elle-
même, désireuse ardemment de posséder les
traits de sa fille, partie de Vienne tout enfant
et dont chacun lui vantait la transformation
en belle jeune femme. Marie-Thérèse, dès
qu'elle eut la toile, écrivait à Marie-Antoinette:
« Votre grand portrait fait mes délices. Ligne
a trouvé de la ressemblance, mais il me suffit
qu'il représente votre figure, de laquelle je
suis bien contente. » Madame Le Brun indique
plusieurs copies de sa main; deux furent com-
mandées par la Reine , l'une pour garder
dans ses appartements, l'autre pour envoyer
à l'impératrice de Russie ; deux encore furent
faites pour M. et Madame de Vcrgennes. Il
reste deux de ces répliques dans les collections
de l'État français, dont aucune n'a le collier
44 MADAME VIGEE-LE BRUN
de perles qui figure sur l'original de Vienne.
On sait qu'il s'établit plus tard, et du vivant
même de l'artiste, une confusion assez étrange:
le tableau fut gravé par Roger, sous la Restau-
ration, avec le nom du peintre Roslin ; et, bien
que cette gravure ait eu une grande diffusion,
on ne voit pas que le véritable auteur ait
réclamé contre l'erreur commise au profit de
son confrère suédois.
Plusieurs maîtres notoires avaient déjà
reproduit les traits de la brillante souve-
raine. Ducreux avaient peint l'Archiduchesse;
Drouais et Duplessis, la Dauphine; Madame
Le Brun sera le peintre de la Reine. Parmi
tant d'oeuvres de tous les arts, qui font de
l'iconographie de Marie-Antoinette une des
plus riches et des plus variées qui soient, ses
tableaux charmants restent seuls vraiment
populaires. Elle a représenté la Reine dans
toutes les attitudes, dans tous les costumes;
elle a été, pendant la dernière période de la
vie à Versailles, son peintre favori, on pour-
rait tlirc officiel, si le mot n'était bien grave
pour un talent comme le sien; elle a multiplié
les originaux et les copies , les toiles qui
restaient la propriété du Hui, et celles (|ui,
ofTertes eu souvenir aux familiers, aux ambas-
MADAME VIGEE-LE BRUN 45
sadeurs, aux cours étrangères, allaient répan-
dre à travers le monde l'image de cette belle
reine de France.
Nul de ces ouvrages, il faut bien le dire, n'a
de valeur absolue en tant que portrait. La flat-
terie des artistes a ce privilège de tromper,
outre leurs modèles, la postérité. C'est ailleurs
qu'il faut chercher la véritable physionomie
et les traits exacts de la Reine, sous les pin-
ceaux plus fidèles deDuplessis, deWertmiiller,
de Kocharski. Madame Le Brun a mis trop de
soin à atténuer les détails fâcheux , les yeux
ronds et gros, la lèvre autrichienne; elle a su,
du moins, dégager le charme particulier d'une
beauté qui fut à la fois incomplète et souve-
raine, la fierté du regard, l'élégance du port,
la fraîcheur éclatante du teint; elle a donné le
portrait idéal de Marie-Antoinette, en la pei-
gnant telle que celle-ci voulait être peinte
et telle que le sentiment public voulait la
voir.
Tandis qu'elle travaillait pour la Reine, plu-
sieurs portraits de cour lui étaient commandés.
Appelée au Raincy, chez le vieux duc d Or-
léans, elle le peignait ainsi que Madame de
Montesson, cette femme d'esprit et de sens
46 MADAME VIGEE-LE BRUN
devenue l'épouse morganatique du prince : a A
l'exception du plaisir que je pris à voir de
grandes parties de chasses, écrira-t-elle, je
m'ennuyais passablement au Raincy ; mes
séances finies, je n'avais de société qui me fût
agréable que celle de Madame Berthollet, fort
aimable femme qui jouait fort bien de la
harpe... A propos de ce voyage, je ne puis me
rappeler sans rire une particularité qui, dans
le temps, scandalisa beaucoup. Pendant que
Madame de Montesson me donnait séance, la
vieille princesse de Conti vint un jour lui faire
une visite, et cette princesse, en me parlant,
m'appela toujours « Mademoiselle ». J'étais
alors sur le point d'accoucher de mon premier
enfant, ce qui rendait la chose tout à fait
étrange. Il est vrai que jadis toutes les grandes
dames en agissaient ainsi avec leurs infé-
rieures; mais cette morgue de la Cour avait
fini avec Louis XV. »
Elle peint à ce moment la grosse duchesse
de Mazarin, la vicomtesse de Virieu, née Male-
teste, dame d'honneur de Madame Sophie,
puis le marquis de Montes(juiou , écuyer de
Monsieur, la mar(|uise de Montcscjuiou et leur
douce belle-fille de quinze ans, (jui lui fournit
l'occasion de composer un de ses plus sédui-
MADAME GRANT
PLUS TARD PRINCESSE DE TALLEYRANU
1783
(Collection de M. Jacques Doncet)
MADAME VIGEE-LE BRUN 47
sants portraits de bergère. L'artiste semble
adoptée par cette famille d'honnêtes gens, qui
la fait venir souvent à Maupertuis, où elle
jouit, dans le décor d'une noble demeure, de
la grande hospitalité seigneuriale d'autrefois :
a M. de Montesquiou tenait là véritablement
l'état d'un grand seigneur. Gomme il était
écuyer de Monsieur, il lui était facile de mettre
à nos ordres chevaux, calèches et voitures de
toute espèce. Les repas étaient splendides ; le
château était assez vaste pour contenir habi-
tuellement trente ou quarante maîtres, tous
bien logés, parfaitement soignés; et cette
nombreuse société se renouvelait sans cesse.
La mère et la femme de M. de Montesquiou
avaient pour moi mille bontés. Sa belle-fille
(qui depuis a été gouvernante du fils de
Napoléon), mariée seulement en 1780, était
douce, naturelle, très aimable. Quant à lui,
je l'avais vu souvent à Paris, et il m'avait tou-
jours semblé fort spirituel, mais sec et fron-
deur; à Maupertuis, il était doux, a (Table ; en
un mot, ce n'était plus le même homme.
Quand par hasard nous nous trouvions en
petit nombre, il nous faisait le soir des lec-
tures et s'en acquittait à merveille. C'est à
Maupertuis, étant grosse et souffrante, que
48 MADAME VIGEE-LE BRUN
j'ai fait son portrait, dont je n'ai jamais été
satisfaite. »
La jeune femme est toute à son travail, à
sa joie de produire sans relâche des œuvres
admirées. Dans les rares loisirs que lui laissent
ses impatients modèles, elle prépare un grand
tableau mythologique, Vénus liant les ailes de
l'Amour; et l'on s'est à peine aperçu, tant elle
a de courage et d'entrain, qu'elle est aux der-
niers temps de sa grossesse. Le jour même
où l'enfant va naître, en février 1780, elle ne
quitte point l'atelier : « Je travaillais à ma
Vénus, dit-elle, dans les intervalles que me
laissaient les douleurs. » Au reste, son impré-
voyance a été grande et, sans la bonne Madame
de Verdun, qui est venue par hasard dans la
matinée, le nouveau-né eût manqué de tout,
et la mère des soins les plus nécessaires.
« Vous voilà bien ! disait son amie; vous êtes
un vrai garçon; je vous avertis, moi, que vous
accoucherez ce soir. — Non, non, je ne veux
pas aujourd'hui; j'ai demain séance! » L'en-
fant, qui interrompt aussi peu que possible
les travaux du peintre, est une fille, .Icanne-
Julie-Luuisc ; la mcre l'aimera tl'une tendresse
passionnée, qui lui causera, au cours de sa vie,
SCS plus vives joies et ses plus cruels chagrins.
MADAME VIGEE-LE BRUN 49
Elle ambitionne alors les honneurs et les
avantages que procure l'Académie royale de
peinture et de sculpture, dont l'entrée n'est
point refusée aux femmes. Pour mériter d'y
être admise et montrer qu'elle est capable
d'aborder les grands sujets, elle s'est attachée
à traiter, à côté du portrait, les scènes allé-
goriques. Son tableau, la Paix ramenant
l'Abondance, est daté de 1780. Elle a pris
pour modèles les deux charmantes filles de
son ami Hall. C'est rendre une politesse à
l'artiste suédois, car Hall a fait d'elle une
miniature, que nous n'avons plus et qu'elle
dit extrêmement ressemblante. Il l'achevait
en 1778, au moment de la venue de Voltaire,
à qui il eut occasion de la montrer ; Madame
Le Brun rappelle avec complaisance que « le
célèbre vieillard, après l'avoir regardée long-
temps, la baisa à plusieurs reprises; j'avoue
que je fus très flattée d'avoir reçu une pareille
faveur, et que je sus fort bon gré à Hall d'être
venu me l'affirmer. »
Quand la grande composition de Madame
Vigée-Le Brun sera exposée, les critiques
ignoreront que l'Abondance, k cette femme
superbe à la Uubens », n'est autre (jue la
belle Lucie Hall, et la Paix sa sœur Adèle. Le
I
50 MADAME VIGEE-LE BRUN
modèle de la première, disent-ils, « a été tiré
sans doute de tout ce que les campagnes pré-
sentent de plus sain et de plus robuste...
On admire des formes larges, les contours
moelleux, l'attitude pittoresque de l'Abon-
dance savamment posée, tandis que la Paix,
lille du Ciel, est dessinée d'un trait plus pré-
cis. Elle porte, répandue sur sa figure, cette
douceur, ce calme, ce repos des habitants de
l'Olympe; son vêtement, uni et sévère, con-
traste à merveille avec le brillant des étoffes
que laisse négligemment flotter sa compagne,
tout à fait terrestre. Celle-ci est plus élégam-
ment coiffée; mille fleurs ceignent sa tête,
tandis que l'autre n'est couronnée que de
feuilles d'olivier. De ces diverses oppositions,
il résulte une harmonie dans le tableau, qui
cause au sj)ectateur ce ravissement dont le
principe, ignoré du vulgaire, est bientôt saisi
par le connaisseur. » L'œuvre tant prônée est
aujourd luii au Louvre; on y goûte encore la
grâce des symboles et les oppositions heu-
reuses de coloris (pii témoignent de la sûre
maîtrise de l'artiste.
Ses préoccupations de grande composition
ne rempêchcnt point de répondre aux nom-
breuses ilemandes de portraits qui lui arrivent
MADAME VIGEE-LE BRUN 51
de tous côtés. On commence à s'inscrire chez
elle et à attendre son tour. Elle se réserve,
autant qu'elle le peut, pour les personnages
les plus illustres. Les années 1781 et 178*2 lui
amènent la princesse de Lamballe, la duchesse
de Polignac, la duchesse de Chaulnes, la prin-
cesse de Croy, et parmi les beautés de Paris,
Madame d'Harvelay, femme du garde du Tré-
sor royal, qui épousera M. de Galonné, Made-
moiselle de Laborde, fille du banquier de la
Cour, et Madame Le Couteulx du Molay, fdle
de la belle Madame Fourrât, qu'adore André
Chénier.
Elle travaille aussi pour la famille royale.
En 1781, elle peint Monsieur, comte de Pro-
vence, cette fois d'après nature, ce qui lui
donne l'occasion de goûter l'esprit du prince
et d'entendre les plates chansons qu'il a la
manie de chanter de sa voix fausse. « Com-
ment trouvez-vous que je chante. Madame
Le Brun ? » lui dit-il un jour. — Comme un
prince. Monseigneur. » Elle a un mot précis,
dans ses Souvenirs, sur chacun de ses modèles.
Elle dit de Madame Elisabeth : « Les traits de
cette dernière n'étaient point réguliers, mais
son visage exprimait la plus douce bienveil-
lance et sa grande fraîcheur était remarquable;
52 MADAME VIGEE-LE BRUN
en tout, elle avait le charme d'une jolie ber-
gère. » Voici pour Madame de Lamballe :
« Sans être jolie , elle paraissait l'être à
quelque distance; elle avait de petits traits,
un teint éblouissant de fraîcheur, de superbes
cheveux blonds et beaucoup d'élégance dans
toute sa personne. » C'est en bergère, en effet,
que nous avons la sœur de Louis XVI, tandis
que Madame de Lamballe est représentée en
habit de cour, avec une immense coiffure
enguirlandée de fleurs haut perchées, faite
pour mettre en valeur une splendide chevelure,
et qui sied fort mal cependant au visage menu
de la princesse.
Les grandes dames n'aiment guère à être
conseillées ; mais Madame Le Brun est assez
heureuse pour trouver déjà quelques élégantes
qui se soumettent à son goût : « Comme
j'avais horreur du costume que les femmes
portaient alors, raconte-t-elle, je faisais tous
mes efforts pour le rendre un peu plus pitto-
resque, et j'étais ravie, quand j'obtenais la
confiance de mes modèles, de pouvoir les
draper à ma fantaisie. On ne ])ortait point
encore de châles ; mais je disposais de larges
écharpes, légèrement entrelacées autour du
corps et sur les bras, avec lesquelles je tâchais
MADAME VIGEE-LE BRUN 53
d'imiter le beau style des draperies de Raphaël
et du Dominiquin... Je tâchais, autant qu'il
m'était possible, de donner aux femmes que
je peignais l'attitude et l'expression de leur
physionomie; celles qui n'avaient pas de phy-
sionomie (on en voit), je les peignais rêveuses
et nonchalamment appuyées... » Un portrait
de Madame Grant, les yeux au ciel et tenant
à la main un morceau de chant, illustre à point
cette dernière observation, qui montre combien
Madame Le Brun sait d'instinct son métier de
peintre de femmes.
D'ordinaire, elle enlève la tête en trois ou
quatre séances d'une heure et demie seule-
ment, pour ne pas énerver le modèle; elle le
distrait, le fait reposer, parle de ce qui l'inté-
resse : (( Tout cela est de l'expérience avec
les femmes, écrira-t-ellc un jour; il faut les
flatter, leur dire qu'elles sont belles, qu'elles
ont le teint frais, etc., etc. Cela les met en
belle humeur et les fait tenir avec plus de
plaisir... Il faut aussi leur dire qu'elles posent
à merveille; elles se trouvent engagées par là
à se bien tenir. » Elle les prie instamment
« de ne point amener de sociétés, car toutes
veulent donner leur avis et font tout gâter ».
Elle ne trouve pas d'inconvénient à u consulter
54 MADAME VIGÉE-LE BRUN
les artistes et les gens de goût » ; mais elle
conseille à ses confrères de ne pas s'inquiéter
des critiques : « Ne vous rebutez pas, si quel-
ques personnes ne trouvent aucune ressem-
blance à vos portraits; il y a un grand nombre
de gens qui ne savent point voir. »
En 1782, la vie laborieuse de l'artiste fut
interrompue par un voyage qui devait ajouter
singulièrement au trésor de sa technique. On
vendait à Bruxelles la grande collection de
tableaux du prince Charles, et Le Brun, qui
traitait avec la Flandre et la Hollande, en pro-
fita pour aller avec sa femme voir l'exposition.
Elle fut reçue à Bruxelles par la duchesse
d'Arcnberg, qu'elle avait beaucoup vue à
Paris, et y rencontra le prince de Ligne,
qu'elle devait retrouver tant de fois à Ver-
sailles et dans l'émigration. Le prince n'avait
pas seulement la réputation d'esprit et d'ama-
bilité que toutes les cours d'Europe avaient
contribué à lui donner; il passait aussi pour
grand connaisseur d'art et montra aux époux
Le Brun sa galerie, riche surtout en portraits
de Hubens et de Van Dyck. Il les reçut ensuite
dans son habitation de Bêlai I, au milieu des
jardins cclcbres (juil venait do créer : « Mais
MADAME VIGEE-LE BRUN 55
ce qui effaçait tout dans ce beau lieu, c'était
l'accueil d'un maître de maison qui, pour la
grâce de son esprit et de ses manières, n'a
jamais eu son pareil. » Les éloges de Madame
Le Brun s'adressent au connaisseur qui ne lui
ménageait pas les compliments. Il l'admira
sincèrement, si l'on en croit cette page où
l'écrivain princier, après avoir sacrifié avec
mépris toute la peinture française du siècle,
de Boucher à Greuze, fait une exception pour
son amie : « C'est l'étude de la carnation des
Italiens et du coloris des Flamands qui rend,
à mon avis, même Madame Le Brun supérieure
à son pays, par la magie et la hardiesse des
couleurs qu'elle emploie dans ses draperies,
où elle ose tout sans que cela jure, et en y
mettant, au contraire, une harmonie singu-
lière : l'humide des yeux, le transparent de la
peau, cachant bien les petits défauts qu'on lui
reproche quelquefois, tantôt pour une Vénus
un peu trop jeune peut-être, tantôt pour un
paysage, dans le fond assez insignifiant, tantôt
pour une proportion un peu manquée. Le peu
de ressemblance, dont on l'accuse une fois sur
douze, est même une injustice. Qu'on voie
son Hamilton-Sibyllc, et (ju\)n tombe à ses
genoux ! Que le portrait de la Reine, tout en
I
56 MADAME VIGEE-LE BRUN
blanc, était beau ! qu'il y avait d'art à en
exprimer si bien toutes les nuances, depuis les
souliers, les bas, les vêtements et la chemise,
jusqu'au teint éclatant de cette belle prin-
cesse ! » La Sibylle n'existait pas à l'époque
du séjour à Bruxelles ; mais « la Reine en
blanc » avait eu le temps do devenir célèbre
en Europe, et le prince de Ligne, qui admirait
à Vienne le portrait, et le modèle à Versailles,
ressentait déjà pour le peintre de Marie-
Antoinette les sentiments qu'il professera toute
sa vie.
Les voyageurs se rendirent en Hollande. Ils
visitèrent plusieurs villes, où Madame Vigée-
Le Brun observa les mœurs du pays , et
Amsterdam , qui lui montra beaucoup de
peinture. Elle parle avec admiration, non
point de Rembrandt, mais de Van der Helst,
dont une « Assemblée », qu'elle vit à l'hôtel
de ville, lui laissa une forte impression ; et
au retour, ce fut à Anvers, dans les galeries
et les églises, qu'elle s'instruisit le plus. Elle
trouva chez un particulier « le fameux chaj)eau
de paille » vendu plu?; Lard, ccrivait-cllc. \un\v
une somme considérable : « Cet admirable
tableau représente une des femmes de Rubens;
son grand eflel réside dans les deux difTé-
YOLANDE-GABRIELLE-MARTINE DE POLASTRON
DUCHESSE DE POLIGNAG
1782
(Collection de M. le duc de Polignac)
Photographie A. Joguet
MADAME VIGEE-LE BRUN 57
rentes lumières que donnent le simple jour et
la lueur du soleil; ainsi les clairs sont au
soleil, et ce qu'il me faut appeler les ombres,
faute d'un autre mot, est le jour... Ce tableau
me ravit et m'inspira au point que je fis mon
portrait à Bruxelles en cherchant le même
effet. »
Le portrait dont parle Tartiste, et qu'elle
exposa, dès son retour, au petit Salon de la
Correspondance, est celui où elle tient sa
palette à la main, ayant sur la tète un chapeau
de paille qu'ornent une plume et des fleurs
des champs. Il y a le génie d'un grand peintre
dans l'œuvre du maître d'Anvers; mais que
d'habileté et d'aisance dans cette œuvre où la
jeune Française s'adapte à la manière de
Rubens, tout en demeurant elle-même ! Elle
s'est amusée au jeu du clair-obscur, et joli-
ment le chapeau projette sur le haut du visage
une ombre pâle; progressant avec intensité
jusqu'à la poitrine menue, la lumière plus bas
éclate sur les mains longues et blanches, et
c'est comme une symj)honie de clartés. Certes
Madame Vigée-Le Brun s'est rappelé la sou-
plesse enfantine d'Hélène Fourment cl s'est
trouvée à travers elle; mais la langueur lla-
mande a fait place ici à l'enjouement parisien.
58 MADAME VIGEE-LE BRUN
Le recrard et le sourire de cette femme sont
de chez nous, comme le chapeau et la plume
envolée.
Dans le même esprit , l'artiste peignait
alors la duchesse de Polignac, cette brune
délicate aux grands yeux bleus, qui gardait
à trente-trois ans une beauté toute juvénile.
Elle est accoudée, une rose à la main. Le cha-
peau de bergère, rejeté en arrière sur les che-
veux bouclés et tombants, voile à peine de son
ombre le front d'enfant, et les yeux fleurissent
à la lumière comme les bleuets du chapeau.
Bleue aussi est la ceinture qui retient la robe
blanche éblouissante , sous l'écharpe noire
négligemment jetée ; et cette simplicité raf-
finée du vêtement s'accorde avec le caractère
de la grande dame, avec ce charme tendre et
nonchalant par lequel elle avait conquis un
cœur de reine. Le peintre qui savait évoquer de
telles grâces, et nous les rend sensibles encore,
avait dès lors la pleine possession de son
talent.
II
(1783-1786)
IL était temps que Madame Vigée-Le Brun
reçût la consécration officielle et se fît
admettre à l'Académie royale de peinture.
Ses succès répétés, l'augmentation de sa noble
clientèle, l'importance qu'elle prenait dans le
monde des arts commençaient à déchaîner
contre elle l'envie de ses confrères. Ne pou-
vant nier la valeur de ses œuvres, on affectait
de dire qu'elle était aidée par la main plus
experte d'un peintre connu, qui habitait préci-
sément la maison des époux Le Brun. L'ai-
mable Ménageot les fré(picntait, en effet, et
on le comptait parmi les admirateurs de la
jeune femme; elle peignait môme ce bel homme
en gilet jaune à fleurs et en habit gorge de
pigeon. Mais leur prétendue collaboration
60 MADAME VIGEE-LE BRUN
n'existait que dans l'imagination des nouvel-
listes, qui attribuaient avec autant de légèreté
les tableaux de Madame Labille-Guiard à son
bon ami, le peintre Vincent; encore Vincent
était-il le maître direct d'Adélaïde Labille et
devait-il, sur le tard, l'épouser. Ménageot,
peintre froid, mais d'expérience, qui traitait
avec une conscience paisible les sujets d'his-
toire, donnait à l'occasion à sa jeune voisine
des conseils dont elle se montra reconnais-
sante; de là à retoucher ses œuvres, il y a
loin. Le public put, d'ailleurs, s'en assurer
plus tard, le jour où les peintures des deux
artistes furent rapprochées sur les murs du
Salon, et les mauvaises langues durent enfin
reconnaître qu'il n'y avait entre leurs œuvres
nulle ressemblance de technique ni d'expres-
sion.
Les médisances, même les moins vraisem-
blables, sont aisément accueillies, quand elles
dénigrent un talent trop fêté, que favorise la
fortune. L'anecdote diminuant l'artiste à la
mode était répandue [)ar des rivaux et peut-
être par une rivale, que toute une cabale ten-
tait de lui opposer. C'est celle-ci surtout que
vise une j)lirase aiguë des Soui'rfu'rs • « Quel-
ques femmes m'en voulaient de n'être j)as
MADAME VIGEE-LE BRUN 61
aussi laides qu'elles ; mais plusieurs ne me
pardonnaient pas d'avoir la vogue et de faire
payer mes tableaux plus cher que les leurs. »
Le talent ici n'est pas mis en cause ; il eût été
difficile de le nier chez cette jeune Labille-
Guiard, qui débuta précisément avec notre
peintre à l'Académie de Saint -Luc et qui
avouait, en même temps qu'elle, l'ambition de
la grande Académie. Elle y trouvait, pour
la soutenir, tout un groupe d'artistes amis,
qu'elle avait eu l'ingénieuse idée de faire poser
devant elle ; ses portraits de Vien, de Pajou,
de Bachelier, de Voiriot , de Gois, d'autres
encore, lui valaient autant de voix assurées.
Elle avait d'ailleurs une science solide, un
coloris excellent, un don privilégié de rendre
les ressemblances, et Madame Vigée-Lc Brun,
qui ne peint pas mieux qu'elle, ne lui est
guère supérieure que par la grâce des arran-
gements et par un sens plus délicat de la
beauté.
Une même difficulté semblait écarter les
deux artistes. Il y avait déjà d'autres femmes à
l'Académie : Madame Vien, peintre en minia-
ture et de nature morte ; Madame Vallayer-
Coster , peintre de fleurs; Madame Uoslin,
peintre de portraits au pastel ; mais la com-
62 MADAME YIGEE-LE BRUN
pagnie craignait d'être envahie par les talents
féminins et désirait limiter le nombre des
places qui pourraient être réservées aux « aca-
démiciennes ». La prochaine place vacante reve-
nait, dans l'opinion des confrères, à Madame
Labillc-Guiard, et encore eût-on voulu la faire
attendre. Le premier peintre du Roi, M. Pierre,
était le plus acharné contre le beau sexe et
mettait l'influence de sa haute situation au ser-
vice des détracteurs de Madame Vigée-Le
Brun. C'est lui qui rappelait avec le plus d'in-
sistance la profession de son mari et invoquait
contre elle l'article des statuts interdisant le
commerce des tableaux aux membres de l'Aca-
démie. Cette opposition aurait pu être déci-
sive, malgré qu'il y eût, dans la classe des
amateurs associés à l'Académie de peinture,
un parti dévoué à l'artiste de la Cour. L'abbé
de Saint-Non, l'abbé Pommyer, le duc de
Chabot, le comte d'AlIry, le baron de Besenval
faisaient valoir les titres du j)ortraitiste de
leurs belles amies. Mais il fallut, pour l'impo-
ser, une intervention plus haute, celle de la
Reine elle-même.
Marie-Antoinette, conlldcnlc du désir de son
peintre, en souhaitait depuis longtemps la réali-
sation ; clic eu avait parlé à plusieurs reprises
MADAME VIGEE-LE BRUN 63
au comte d'Angiviller ; celui-ci lui avait tou-
iours objecté le règlement de l'Académie et
l'interdiction faite aux artistes qui la compo-
saient de se livrer au commerce des tableaux ;
les membres de la compagnie étaient, du reste,
intraitables sur ce point. La Reine ayant in-
sisté à nouveau, comme en témoignent les
pièces qu'on va lire, M. d'Angiviller se décida
à demander au Roi une dispense formelle en
faveur de la femme du marchand Le Brun.
Voici l'ingénieux mémoire qu'il présenta à
Louis XVI, le 14 mai 1783, pour violer les
règlements de l'Académie, tout en y rendant
hommage :
Dans les statuts donnés par Louis XIV à l'Acadéniie
de peinture, il est défendu à tout artiste de faire le com-
merce des tableaux, soit directement, soit indirectement.
Ce règlement a été confirmé par Votre Majesté de la ma-
nière la plus authentique; il est de la plus grande impor-
tance de maintenir une loi qui contribue à la gloire des
arts et, ce qui est bien plus important, les soutient dans
un pays où ils sont si utiles et si nécessaires pour le com-
merce avec l'étranger.
La dame Le Brun, femme d'un marchand de tableaux,
a un très grand talent et serait sûrement depuis long-
temps à l'Académie sans le commerce que fait son mari.
On dit, et je le crois, qu'elle ne se mêle pas du commerce;
mais, en France, une femme n'a point d'autre état que
celui de son mari. La Reine honore la dame Le Brun de
ses bontés et cette femme en est digne, non seulement par
64 MADAME VIGKE-LE BRUN
ses talents, mais encore par sa conduite. Sa Majesté m'a
fait l'honneur de nie demander sil n'y avait pas moyen,
sans détruire la loi et en lui laissant toute sa force, de faire
admettre Madame Le Brun dans cette compagnie, qu'il est
intéressant de soutenir dans toute l'exactitude et la rigueur
des statuts, surtout depuis que Votre Majesté a accordé la
liberté aux Arts. J'ai eu l'honneur de Lui répondre que la
protection dont Elle honorait Madame Le Brun tombait
sur un sujet assez distingué pour qu'une exception en sa
faveur devint plutôt une confirmation qu'une infraction à
la loi, si elle était motivée sur cette respectable protection
et que Votre Majesté voulût l'autoriser par un acte formel.
Je supplie, en conséquence, Votre Majesté de vouloir
bien me donner ses ordres, et je La supplie de vouloir
bien borner à quatre le nombre des femmes qui pourront
à l'avenir être admises dans 1 Académie. Ce nombre est
suffisant pour honorer le talent, les femmes ne pouvant
jamais être utiles au progrès des Arts, la décence de leur
sexe les empêchant de pouvoir jamais étudier d'après
nature et dans l'école publique établie et fondée par Votre
Majesté.
Le Roi consentit et imposa des volontés
qui furent aussitôt communiquées à Pierre,
directeur de TAcadémie, par son chef, M. d'An-
giviller. Elles étaient votées le 31 mai, à la
séance d'élection, et le procès- verbal consi-
gnait ainsi les preuves de Tintervention di-
recte de Marie-Antoinette dans les allaires de
la compagnie :
En ouvrant la séance, le secrétaire a fait lecture d une
lettre en date du 30 mai 1783, écrite de Versailles à
MADAME VIGEE-LE BRUN 65
M, Pierre, directeur, par M. le comte dAngiviller, direc-
teur et ordonnateur général des Bâtiments du Roi, par
laquelle il annonce que la Reine, daignant honorer la
demoiselle Louise-Elisabeth Vigée, de Paris, peintre,
femme du sieur Le Brun, marchand de tableaux, de la
protection la plus particulière et que la Reine elle-même
lui ayant à plusieurs fois et dernièrement encore, donné
de nouvelles preuves de l'intérêt qu'Elle voulait bien
prendre à cette artiste, lui, le comte d'Angiviller, se fai-
sant un devoir et une loi de se conformer au désir de la
Reine, et de conserver en même temps les statuts de
l'Académie dans toute leur force, il avait, en conséquence,
mis sous les yeux du Roi l'article des nouveaux statuts qui
interdit de la manière la plus précise à tout membre de
l'Académie le commerce des tableaux et témoigné le désir
que la Reine en avait montré que le Roi donnât une dis-
pense en faveur de Madame Le Brun..
li'Académie , exécutant avec un profond respect les
ordres de son souverain, a reçu la demoiselle Vigée, femme
du sieur Le Brun, académicienne sur la réputation de ses
talents, en invitant la dame Le Brun à faire apporter de
ses ouvrages à la prochaine assemblée, L'Académie a, de
plus, délibéré qu'il sera fait... une lettre de remerciement
à M. d'Angiviller d'avoir conservé les droits de l'Académie
et la force de ses statuts, et d'avoir ûxé irrévocablement
le nombre des académiciennes à quatre. Il sera aussi
témoigné par ladite lettre à M. le Directeur général que la
compagnie ne doute pas que la dame Le Brun, déjà reçue
académicienne, ne justifie, en apportant de ses ouvrages,
et sa renommée et la [)rolection auguste dont elle est
honorée.
Toutes ces irrégularités commises et enre-
gistrées, la délibération continua suivant les
(3G MADAME VIGEE-LE BRUN
formes ordinaires. Roslin, au même moment,
présentait à la compagnie « la demoiselle Adé-
laïde Labille des Vertus, née à Paris, femme
de M. Guiard, peintre de portraits, qui a fait
apporter de ses ouvrages » ; les voix étaient
prises, la présentation agréée et le portrait de
M. Pajou accepté pour un des morceaux de
réception de l'artiste. Madame Vigée-Le Brun
donna, de son côté, à la séance suivante, la
Paix qui ramène l'Abondance . Elle ne devait
pas tarder à justifier, par le lustre qu'elle allait
jeter sur les expositions de l'Académie, l'ex-
ception unique faite en sa faveur et l'éclatant
appui que lui avait donné iMarie-Antoinette pour
forcer la main à ses nouveaux confrères. Et déjà
ses admirateurs célébraient galamment sa facile
victoire ; un poète du Journal de Paris l'en
félicitait au nom de tous les amateurs français :
Le beau titre qui vous honore
Depuis longtemps vous était dû ;
Vous n'osiez y prétendre encore
Que de nous vous l'aviez reçu.
L'événement nous justifie,
Le vœu général est rempli,
Et le front de la Modestie
A nos regards s'est embelli
De la couronne du Génie !
Madame Labillc-Guiard et Madame V'igée-
MADAME VIGEE-LE BRUN 67
Le Brun se retrouvèrent, quelques mois plus
tard, devant le public du Salon. La première
montrait de fort beaux pastels; la seconde,
toute une série d' œuvres importantes. On
essaya vainement de nuire à leur succès par
quelques couplets venimeux, qui coururent
Paris en gravure et où Madame Guiard sur-
tout se trouva insultée comme artiste et comme
épouse . Son amie, la comtesse d'Angiviller,
employa son crédit pour faire supprimer « ce
libelle affreux ». Madame Vigée-Le Brun, en
quelques vers plus plats, était moins mal-
traitée :
Si votre équipage est brillant,
Ne vous gonflez pas trop, la belle !
Votre orgueil est impertinent
Et votre couleur infidèle.
Elle pouvait, en effet, s'enorgueillir, car
elle obtenait, d'un public sans parti pris, un
succès comme il s'en était rarement vu ; les
nouvellistes disaient : « Le sceptre d'Apollon
semble tomber en quenouille, et c'est une
femme qui emporte la palme ! » La foule des
curieux la découvrait et son nom, du jour au
lendemain, devenait célèbre. D'ordinaire, à
cbaque exposition du Louvre, un jeune talent
se révélait et se faisait adopter par la mode;
68 MADAME VIGKE-LE BRUN
on en parlait « dans les soupers, dans les
cercles et jusque dans les ateliers » : c'était
elle, cette année-là , qui accaparait l'enthou-
siasme : « Lorsque quelqu'un annonce qu'il
arrive du Salon , on lui demande d'abord :
« Avez-vous vu Madame Le Brun ? Que pen-
« sez-vous de Madame Le Brun ? » En même
temps, on lui suggère sa réponse : « N'est-il
pas vrai que c'est une femme étonnante que
Madame Le Brun ? » On rappelait sa récente
élection, croyant qu'elle avait été « reçue aca-
démicienne d'emblée, suivant le privilège de
son sexe et dans une des quatre places qui lui
sont uniquement et spécialement afTectées ».
On disait sa réputation puissamment servie
par les charmes de sa personne : « C'est une
jeune et jolie femme, pleine d'esprit et de
grâces, voyant la meilleure compagnie de Paris
et de Versailles, donnant des soupers fins aux
artistes, aux auteurs, aux gens de qualité; sa
maison est l'asile où les Polignac , les Vau-
dreuil, les Polastron, les courtisans les ])lus
accrédités et les plus délicats viennent cher-
cher une retraite contre les ennuis tlo hi ('-our
et rencontrent le plaisir qui les fuit ailleurs... »
Et, bien que ces détails des nouvellistes ne
fussent pas d'une parfaite exactitude, ils ser-
MADAME VIGEE-LE BRUN 69
valent à augmenter la considération de l'artiste
et à répandre sa jeune renommée.
Son choix de tableaux pour l'exposition
comprenait trois compositions « d'histoire »
et des portraits. A côté de son morceau de
réception, la Paix qui ramène l'Abondance^
elle reprenait à Boucher deux sujets inspirés
par la légende de Vénus : Jiinon venant em-
prunter la ceinture de Vénus, d'après un pas-
sage d'Homère, et Ve'nus liant les ailes de
V Amour. Ce dernier était un pastel appartenant
à M. de Vaudreuil. La déesse remplissait son
rôle maternel avec une noble gravité, et l'en-
fant divin, privé de ses mouvements, avait
« dans la circonstance quelque chose de bou-
deur et de maussade ». Dans l'autre tableau,
au contraire, il s'égayait, jouant avec la cein-
ture de sa mère déjà livrée à la souveraine de
l'Olympe. La brune Junon paraissait plus belle
que Vénus, ce qui pouvait passer pour un hom-
mage rendu à la vertu ; et sa nudité ollrait
tant d'appas que M. le comte d'Artois n'hésita
point à payer quinze mille livres le tableau
destiné à honorer les grâces conjugales.
Parmi les portraits de Madame \'igée-Le
Brun , les plus importants étaient le sien,
qu'avait inspiré Rubans, et celui de la mar-
70 MADAME VIGEE-LE BRUN
quise de La Guiche, en jardinière. Trois autres
appartenaient à la Famille royale, ceux de la
Heine, de Monsieur et de Madame. La com-
tesse de Provence avait la tête nue ; la Reine
portait un chapeau de paille ; la première était
en buste, la seconde, vue jusqu'à mi-corps.
Mais l'une et l'autre étaient habillées en
« gaulle », c'est-à-dire en robe blanche serrée
à la taille, suivant une mode du moment; on
les prétendit « en chemise » , ce qui donna
lieu à des récriminations de tout genre : « Bien
des gens, écrit un critique, ont trouvé déplacé
qu'on offrît en public ces augustes person-
nages sous un vêtement réservé pour l'inté-
rieur de leur palais ; il est à présumer que
l'auteur y a été autorisé et n'aurait pas pris
d'elle-même une pareille liberté. Quoi qu'il en
soit, Sa Majesté est très bien ; Elle a cet air
leste et délibéré, cette aisance qu'Elle pré-
fère à la gêne de la représentation et qui,
chez Elle, ne fait point tort à la noblesse de
son rôle. Quelques critiques Lui trouvent le
cou trop élancé ; ce serait une petite faute de
dessin ; du reste, beaucoup de fraîcheur dans
hi figure, d'élégance dans le maintien, de na-
turel dans Tattitude font aimer ce j)ortrait ; il
intéresse même ceux qui, au premier coup
LA REINE MARIE-ANTOINETÏE
Portrait do la Reine « en guullc » exposé au Salon de 1783
I Galerie du Palais i^rantl-ducal, à Daimsladt)
MADAME VIGEE-LE BRUN 71
d'œil, n'y reconnaîtraient pas la Reine. » Le
Roi sut-il quelque chose des propos tenus sur
r « indécence » de cette image ? Marie-An-
toinette en fut-elle offensée ? Tant d'attaques
alors dirigées contre elle la trouvaient extrê-
mement sensible, et sans doute, après peu de
jours d'exposition, vint de sa part l'ordre de
retirer le tableau du Salon.
C'est peut-être cependant le plus joli por-
trait de la Reine, celui qui rend le mieux, dans
cette blanche simplicité, toute la séduction
personnelle de la jeune souveraine. Elle est
auprès d'une corbeille de fleurs placée sur une
table et fait un bouquet. Nul falbala, pas de
bijoux; une robe de mousseline, une « gaulle »
à peine décolletée et froncée aux manches,
avec une ceinture de tulle jaune. Cette toilette
enfantine prête à Marie-Antoinette une grâce
juvénile et cet air dégagé et naturel que goû-
tait tant son intimité. Son port de tête a gardé
la majesté qui la faisait reconnaître entre
toutes ses dames ; sur les cheveux en boucles
le chapeau de paille, à plumes et ruban bleus,
cache le front trop haut, laissant dans la
lumière le visage aux traits adoucis comme
toujours [)ar l'artiste. Le célèbre portrait « ù
la rose », où le visage et l'altitude sont les
72 MADAME VIGEE-LE BRUN
mêmes , n'est qu'une variante de celui-ci , et
le « grand habit » qu'y porte la Reine semble
avoir été peint par concession au préjugé
public, pour conserver une composition char-
mante, en retirant aux malveillants toute occa-
sion de raillerie. La Reine se promène dans
un jardin, et un rosier remplace la corbeille
de fleurs ; mais c'est le même bouquet, avec
une grosse rose, que les mains merveilleuses
s'amusent à nouer d'un ruban.
C'est l'année où Marie -Antoinette a de-
mandé le plus grand nombre de fois son
image au peintre favori. Elle en avait besoin
pour beaucoup d'amis; c'est ainsi que les deux
répliques presque identiques que nous avons
du portrait « en gauUe » étaient destinées,
l'une à la princesse Louise de Hesse, à Darm-
stadt, l'autre au comte Charles de Damas. Mais
celui qu'elle a donné le plus souvent, contem-
porain du double j)ortrait a. à la rose » , est
tout différent : elle y est vue à mi -corps,
assise devant une table et tenant un livre posé
sur un coussin. La tête ressemble beaucoup
à celle des compositions précédentes; mais
le bonnet est retenu par des torsades de perles
et, sous la collerette de dentelle, un niagni-
fHjue corsage de velours rouge relève ses
MADAME VIGKE-LE BRUN 73
basques élégantes sur une robe de velours
jaune. C'est le portrait de « la Reine en robe
de velours », que l'artiste mentionne parmi
ses œuvres de 1783 et qu'elle aurait repro-
duit jusqu'à huit fois; comme elle dit avoir,
au même temps, exécuté trois copies de « la
Reine avec un chapeau » et deux autres
tableaux de a la Reine en grand habit », on
voit quelle place a tenue alors dans ses tra-
vaux sa chère souveraine.
La faveur si fidèle de Marie -Antoinette
entourait la jeune académicienne d'un pres-
tige que ses rivales ne devaient jamais con-
naître. Elle était admise à peindre les Enfants
de France d'abord séparément, puis réunis ;
c'était un honneur désiré de tous les peintres,
qu'elle était seule à obtenir. Même l'incident
du Salon avait servi ses intérêts, en faisant les
gens discourir à son sujet; et, si les envieux
qu'elle excitait insinuaient encore qu'elle ne
finissait pas elle-même ses tableaux, et « qu'un
artiste amoureux d'elle lui prêtait son secours »,
les personnes sans parti pris continuaient à
l'applaudir, en déclarant : « C'est à elle, en
se soutenant par de nouveaux chefs-tl'œuvre,
en se surpassant elle-même, s'il est possible,
à justifier sa réputation et à démentir ces
74 MADAME VIGEE-LE BRUN
indignes propos. » C'est ce que répétait en
vers un poète du temps, dont le madrigal ven-
deur courait en manuscrit :
o
Être femme aimable et jolie
Vous semble un partage trop doux ;
Vous voulez, je crois, contre vous.
Par vos succès armer l'envie.
Mais vous sied-il, en vérité.
De négliger le soin de plaire.
Pour partager avec Homère
Une triste immortalité ?
Grâce à votre célébrité,
L'Amour de vous ne parle guère,
Et votre nom est plus cité
Sur le Parnasse qu'à Cythère!...
Cette production abondante, ce travail
acharné n'étaient point sans surmener outre
mesure le faible tempérament de la jeune
femme. Elle donnait jusqu'à trois séances le
même jour, et celles de l'après-midi la fati-
guaient extrêmement, lui délabraient l'esto-
mac; elle en venait à ne plus digérer et « mai-
grissait à faire peur ». Le joli buste de Pajou,
aux cheveux é[)ars, montre ses traits délicats
et passionnés comme ravagés par un mal mys-
térieux. 11 y a chez elle, à toute heure, une
dépense excessive de force nerveuse; tous ses
sens vibrent à l'extrême : « J'entends trop,
MADAME VIGEE-LE BRUN 75
dira-t-elle à l'anatomiste Fontana, je vois trop,
je sens tout d'une lieue. » Sa vue, d'ailleurs
excellente, ne peut supporter l'éclat des jours
faux, les reflets du soleil sur des murs blancs,
la lumière trop vive des lampes « à quin-
quets » ; un odorat, fin à l'excès, la fait souffrir
de toutes les odeurs. Le bruit particulière-
ment la torture; c'est le grand désagrément
de sa vie ; elle en a parlé souvent, et on la
verra adresser à la princesse Kourakine un
gros cahier énonçant les bruits qu'elle a eu à
subir au cours de son existence, tout le fracas
des rues de Paris, tout l'imprévu de sa vie
de voyage aux insomnies provoquées, aux
réveils brusques, dont le souvenir la poursuit.
Elle note assez curieusement ces dispositions,
qui ont les inconvénients d'une infirmité véri-
table : « Ce qui m'a constamment tourmentée,
ce sont les bruits divers qui m'ont poursuivie
partout; j'en ai distingué de ronds, de pointus ;
je pourrais même les tracer par des lignes; les
anguleux surtout m'ont cruellement attaqué
les nerfs. »
Avec une telle nature physique et une vie
si laborieuse, il n'est pas étonnant ([ue ses
forces déclinent assez vite. Son activité se
ralentit; au cours de I78'i, au moment où le
76 MADAME VIGEE-LE BRUN
succès lui attire des commandes toujours plus
nombreuses, elle ne peint que cjuatre portraits,
outre le tableau des Enfants de France qu'elle
oublie de mentionner dans sa liste. En re-
vanche, elle répète jusqu'à six fois, par un
labeur purement matériel , celui d'un des
hommes qu'elle aime le mieux, M. de Vau-
dreuil. La délicate affection du comte com-
mence dès lors à entourer de soins et de pré-
venances cette fragile amie, qui survivra, d'ail-
leurs, à tous ceux qui s'inquiètent alors pour
sa santé. Sur le désir de M. de Vaudrcuil et
de quelques intimes, elle a reçu le médecin,
qui lui a ordonné de supprimer le travail
des après-dîner. Elle doit consentir, chaque
jour, le repas fini, à une sieste réparatrice;
c'est ce qu'elle appelle « son calme », et
cette habitude lui devient si salutaire (pfelle
la gardera toute sa vie.
La maladie impose à Madame Vigée-Le
Brun une privation dont une jolie femme à la
mode se console malaisément : elle ne peut
plus tliiicr CM ville. Mais le dîner de nos pères,
qui a lieu dans l'après-midi, est remplacé sou-
vent par le souper dans les sociétés où les
plaisirs de l'esprit l'emportent sur ceux de la
MADAME VIGEE-LE BRUN 77
table ; et c'est bientôt un usage établi parmi
les artistes et les gens de goût que de venir
souper autour de l'aimable peintre. Son appar-
tement de la rue de Cléry, en dépit des Rubens
et des Van Dyck qui décorent les murs, n'est
ni très vaste, ni très luxueux; on se réunit
dans la chambre à coucher, qui sert de salon
et dont la tenture est d'un papier semblable à
la toile de Jouy des rideaux du lit. Mais la
bonne grâce de l'accueil, la simplicité joyeuse
des convives, les délassements toujours bien
choisis, attirent à ces modestes soirées ce qu'il
y a de plus distingué à Paris et plus d'un habitué
de Versailles. Peut-être les grands seigneurs et
les maréchaux de France n'y sont-ils pas aussi
assidus que Madame Vigée-Le Brun croira se le
rappeler ; elle citera un jour le maréchal de
Noailles, le maréchal de Ségur, le marquis de
Montesquiou, le prince de Ligne, le comte d'An-
traigues, le comte de Grammont, le baron et la
baronne de Talleyrand ; mais ce sont là des
amateurs de musique qui paraîtront chez elle
seulement lorsqu'elle organisera des concerts.
De tout temps elle a cet ami fidèle, M. de
Vaudreuil, qui va partout dans Paris s'appro-
visionner d'anecdotes j)iquantes. qu'il apporte
le lendemain au cercle de la Heine. Le cheva-
78 MADAME VIGEE-LE BRUN
lier de Boufflers colporte chez l'artiste ses
petits vers et le vicomte de Ségur y improvise
ses mots d'esprit. Le marquis de Cubicres,
l'agronome, s'y trouve avec Boutin, le finan-
cier. Ils y rencontrent commodément les ar-
tistes, Robert, Vernet, Ménageot, Brongniart,
et surtout les gens de lettres : l'abbé Delille,
distrait et charmant , qui conte comme per-
sonne et dit ses vers à ravir ; l'autre grand
poète du temps, Ecouchard Lebrun, qui s'est
lui-même surnommé Lebrun - Pindare, et qui
récite avec feu des odes admirées ; Chamfort ,
que M. de Vaudreuil loge chez lui et qui
jette trop souvent dans la conversation l'àcreté
d'un propos cynique; l'érudit Ginguené, que
Pindare a imposé, et dont la nature sèche et
sans gaieté déplaît à Madame Vigée-Le Brun ;
enfin, son frère, dont elle est fière pour sa
prestance et sa jolie figure, et qu'elle a fort
poussé dans le monde. Vigée a donné au public
quelques actes de comédie, et Vaudreuil Ta
fait nommer secrétaire du cabinet de Madame;
c'est un limeur frivole de l'école de Dorât,
mais liseur expert, causeur brillant, qui n'ac-
cable point les gens de ses œuvres j)oéti(jues
et sait faire valoir celles des autres.
La présence de femmes séduisantes et fines
LE COMTE DE VAUDREUIL
1784
{Ancienne collection de Madame la l'icomlesse de Clcrinonl-Tunnci le)
MADAME VIGEE-LE BRUN 79
met en verve tous ces gens d'esprit. Les
quatre meilleures amies de la maîtresse de
maison sont Madame de Verdun, Madame Le
Gouteulx du Moley, la marquise de GroUier et
la marquise de Sabran, que lie à M. de Bouf-
flers une affection qui finira par le mariage.
On y voit aussi la comtesse de Ségur, la mar-
quise de Rougé, Madame de Pezay et la fille
du chargé d'affaires de Saxe, M. de Rivière,
qui vient d'épouser Vigée et d'introduire dans
la famille une alliance des plus honorables.
Madame Vigée a les yeux noirs très vifs, le
nez retroussé, la bouche mutine, et sa belle-
sœur a pris plaisir à la peindre. Chacune de
ces dames a son cercle d'adorateurs et son
poète pour la célébrer; mais nulle n'est jalouse
de voir la première couronne toujours décernée
à l'artiste, et toutes applaudissent sans réserve
la fameuse Epitre à ma sœur, que leur lit Vigée
avant de l'envoyer à VAlmanacli des Muses :
Femme aimable, peintre cliarmant,
Toi chez qui la nature allie
Aux dons heureux du sentiment
Les dons si rares du génie,
Toi pour (pii semhie reverdir
Cette palme l()ngtemj)s flétrie.
Que Rose-Alba seule a cueillie
Va que le garde l'avenir...
Pour réciter des vers et jouer des charades
80 MADAME VIGEE-LE BRUN
en action, cette agréable société se réunissait
vers neuf heures; à dix, on passait dans la
salle à manger, a Mon souper, raconte Madame
Vigée-Le Brun, était des plus simples; il se
composait toujours d'une volaille, d'un pois-
son, d'un plat de légume et d'une salade, en
sorte que, si je me laissais entraîner à retenir
quelques visites, îl n'y avait réellement plus
de quoi manger pour tout le monde ; mais peu
importait, on était gai, on était aimable, les
heures passaient comme des minutes et, vers
minuit, chacun se retirait. »
Bientôt, à la poésie s'ajouta la musique,
et l'artiste assure qu'elle donna, dans son
modeste salon, les meilleurs concerts de Paris.
On peut croire qu'elle n'exagère point ; sa
liaison intime avec Grétry retenait sans cesse
chez elle le spirituel musicien, qui prenait
plaisir à lui offrir la primeur de ses morceaux
d'opéras. Sacchiniet Martini faisaient de même,
et les interprètes qu'ils lui amenaient se trou-
vaient aussi les plus fameux. Ses chanteurs
habituels étaient Garai, Azevedo, Uicher et
Madame Todi. Dans les duos de la grande
cantatrice italienne, Madame Vigée-Le Brun
risquait parfois sa voix agréable, mais sans
étude, sa voix « aux sons argentés », disait
MADAME VIGÉE-LE BRUN 81
le galant Grétry. Sa jolie belle -sœur, qui
chantait aussi , accompagnait sur le piano à
livre ouvert. Pour la musique instrumentale,
on entendait le violoniste Viotti, dont le jeu
était un modèle de force et d'expression ;
Salentin, qui jouait du hautbois; Hulmandel
et Cramer, du piano-forte; Janson et Duport,
de la basse; le beau Marin, de la harpe. On
eut un jour la surprise d'admirer au piano la
virtuosité de la jeune Madame de Mongeroult;
mais le musicien qu'on était le plus fier de
recevoir était, sans nul doute, le prince Henri
de Prusse. Le frère du grand Frédéric, qui
vivait alors à Paris pour jouir du plaisir de
la société et des arts, arrivait en haussant sa
petite taille et parcourait l'assistance de ses
yeux qui louchaient fortement ; ce défaut dis-
paraissait dans une certaine douceur du regard,
comme son lourd accent tudesque dans l'obli-
geance de ses paroles. Il amenait avec lui son
premier violon, qui ne le quittait pas dans ses
voyages, et il s'asseyait sans façon devant le
pupitre pour jouer sa partie de quatuor, avec
cette ardeur enflammée pour la musique qui
lui tenait lieu de talent. Tels étaient les exé-
cutants des concerts de Madame Vigée-Le
Brun, où peu à peu la meilleure société se
82 MADAME VIGEE-LE BRUN
donnait rendez-vous et où, les chaises man-
quant dans la pièce étroite, on voyait parfois
de grands personnages s'asseoir par terre pour
écouter.
L'artiste n'est point trop grisée par ces
succès mondains, qui achèvent de consacrer
sa vogue. Elle a une conscience sereine de ses
mérites, qui la met à l'aise partout; traitée en
amie par les grandes dames qui se font peindre
par elle, cette familiarité de rapports, qu'elle
retrouvera plus tard dans les diverses sociétés
de l'Europe, lui semble déjà toute naturelle.
Elle n'est pas dénuée de prétention; mais son
cœur excellent fait excuser des façons de petite
maîtresse, que les hommages masculins ont
développées. Sa préciosité agacera Madame de
Boigne qui, tout enfant, la verra à Rome et
nous la montre, avec sa malveillance et sa pré-
cision ordinaires, « très bonne personne »,
« toujours assez sotte » , et possédant « à
l'excès toutes les petites minauderies aux-
quelles son double titre d'artiste et de jolie
femme lui donnait droit ». Sauf le grief de
sottise, les traits sont justes. L'artiste a, par-
dessus tout, le guiit de plaire, et assurément ce
qu'elle apprécie le plus, au cours de sa vie, ce
MADAME VIGEE-LE BRUN 83
sont les louanges que certains hommes de
cour s'empressent de mettre à ses pieds ; c'est
qu'elles s'adressent moins au peintre qu'à la
femme, et que Madame Vigée-Le Brun est
infiniment coquette, et beaucoup plus vaine de
ses grâces que de son talent.
Quelle tendre complaisance l'émeut, chaque
fois qu'elle parle de M. de Vaudreuil ! Certes,
le comte est très fidèlement attaché, et du fond
du cœur, à la douce duchesse de Polignac, et,
s'il fréquente assidûment rue de Gléry, c'est
seulement pour le plaisir qu'il trouve à se
réunir en toute liberté à des gens d'esprit,
comme le prince charmant de leur cénacle.
Mais il sait l'art de parler aux femmes, et il
enchante les bourgeoises de Paris par l'habile
et discrète façon dont il transpose pour elles
la phrase enjôleuse de Versailles. L'artiste est
sensible à sa chaude manière de prôner l'amitié
et de soutenir ses amis, et à tant de belles
qualités morales qu'elle célèbre à plusieurs
reprises ; elle l'est surtout aux façons du grand
seigneur et aux galanteries délicates qu'il lui a
prodiguées. Ses pinceaux ont hésité pour le
peindre ; le visage de son modèle semble trop
efieminé, et Drouais en avait vu autrement la
grâce virile; le morceau n'a jnis autant d'ac-
84 MADAME VIGEE-LE BRUN
cent que les souvenirs écrits , aussi précis
qu'enthousiastes : « Né dans un rang élevé, le
comte de Vaudreuil devait encore plus à la
nature qu'à la fortune, quoique celle-ci l'eût
comblé de tous ses dons... Il était grand, bien
fait, son maintien avait une noblesse et une
élégance remarquables; son regard était doux
et fm , sa physionomie extrêmement mobile
comme ses idées, et son sourire obligeant
prévenait pour lui au premier abord. Le comte
de Vaudreuil avait beaucoup d'esprit; mais on
était tenté de croire qu'il n'ouvrait la bouche
que pour faire valoir le vôtre, tant il vous
écoutait d'une manière aimable et gracieuse ;
soit que la conversation fût sérieuse ou plai-
sante, il en savait prendre tous les tons, toutes
les nuances, car il avait autant d'instruction
que de gaieté... » En vérité, la toile de 1784
nous rend peu de chose de cet homme de cour
accompli, qui ne se révéla médiocre qu'en
politique.
M. de Vaudreuil possédait à Gennevilliers
une élégante maison au milieu d'un beau do-
maine de ( liasse , acheté pour recevoir son
grand ami, le comte d'Artois. Il avait fait amé-
nager une jolie salle de comédie, ce qui com-
plétait souvent les installations d'un temps où
MADAME VIGEE-LE BRUN 85
le spectacle de salon faisait fureur. Aux acteurs
professionnels se mêlaient les amateurs , et
Madame Vigée-Le Brun, sa belle-sœur et son
frère, y jouèrent plus d'une fois l'opéra-co-
mique avec Madame Dugazon, Garât et deux
comédiens fameux retirés du théâtre, Gailleau
et Laruette. Dans Rose et Colas, on confia à
l'artiste le rôle de Rose, à Garât, celui de
Colas. « M. le comte d'Artois et sa société
assistaient à nos spectacles. J'avoue que tout
ce beau monde me donna la peur au point que,
la première fois qu'ils y vinrent, sans que j'en
fusse prévenue, je ne voulus plus jouer ; la
crainte de désobliger les amis qui jouaient
avec moi me décida seule à entrer en scène ;
aussi M. le comte d'Artois, avec sa grâce ordi-
naire, vint-il entre les deux pièces nous encou-
rager par tous les compliments imaginables. »
Le dernier spectacle de Gennevilliers fut
donné par la Comédie-Française et ce fut une
nouveauté, le Mariage de Figaro. Pour s'y
résoudre, M. de Vaudrcuil avait-il été, comme
le croit Madame Le Brun, harcelé par l'auteur,
que grisait le souvenir du Barbier de Scville
joué par la Reine à Trianon ? Le mécène ne
trouvait-il pas loul à fait picpiant, comme
d'autres grands seigneurs d'alors, d'a|)plaudir
86 MADAME VIGKE-LE BRUN
hardiment cette guerre déclarée avec tant d'es-
prit à leurs privilèges? Les Souvenirs notent
qu'on s'étonna, dans l'assistance, de ce dia-
logue impertinent, de ces couplets tous diri-
gés contre la Cour, dont une grande partie
était présentée la représentation. Beaumarchais
semblait ivre de joie ; « il courait de tous
côtés, comme un homme hors de lui-même ;
et comme on se plaignait de la chaleur, il
ne donna pas le temps d'ouvrir les fenêtres
et cassa tous les carreaux avec sa canne, ce
qui fit dire, après la pièce, qu'il avait dou-
blement cassé les vitres ».
On allait à Gennevilliers pour passer quel-
ques jours, et c'est là que Madame Vigée-Le
Brun exerçait le mieux cette royauté féminine
qui lui procura des moments si doux. Le châ-
telain, qui veillait au plaisir de ses hôtes,
inventait pour eux des surprises nouvelles ;
aussi M. de Vaudreuil était-il à leurs yeux un
magicien que célébrait Lebrun-Pindare, dans
un assez joli poème, L'Enchanteur et la Fe'e,
inspiré, disait-il, d'un a vieux grimoire » :
Aimer tuus les arls fut sa gloire,
Se faire aimer, tout son bonheur ;
Tout en lui n était (ju'âme et tout parlait au cii-ur.
...Le ciel pour comble de laveur
MADAME VIGEE-LE BRUN 87
Lui donna pour amie une charmante Fée,
Bien digne de mon Enchanteur.
Elle avait tout : esprit, talent, grâce, candeur;
Magique déité de qui la main savante
Peignait l'âme et rendait une toile vivante.
Il n'est plus, direz-vous, de ces prodiges-là,
La Fée et l'Enchanteur ont passé l'onde noire.
— Non, mes amis; Vaudreuil et Le Brun que voilà
Ont changé mon conte en histoire.
A Gennevilliers, Madame Vigée-Le Brun
voyait le monde de la Cour ; elle le voyait
aussi chez Madame de la Reynière, dans le
magnifique hôtel que le bonhomme Grimod
avait fait bâtir aux Champs-Elysées, et où
fréquentaient assidûment les hommes de la
société de la Reine, le comte d'Adhémar, le
baron de Besenval et Vaudreuil ; les femmes
venaient aux grandes soirées, célèbres pour
leur bonne musique, et Madame Le Brun se
rappelait avec plaisir y avoir noué son amitié
avec la comtesse de Ségur.
D'autres maisons de la finance, moins
noblement fréquentées, mais non moins agréa-
bles, étaient ouvertes à l'artiste. L'excellent
Beaujon, dont elle faisait le portrait pour l'hô-
pital fondé par lui, ne donnait point de fêtes;
impotent et cloué sur son fauteuil à roulettes,
il ne pouvait qu'engager ses amis à jouir des
trésors d'art entassés par ses soins à lElyséc-
88 MADAME VIGEE-LE BRUN
Bourbon. M. de Sainte-James offrait de somp-
tueux dîners dans sa belle a folie » de Neuilly ;
Madame Vigée-Le Brun s'y montra quelque-
fois. Elle allait surtout chez Boutin, assez lié
avec elle pour paraître à ses concerts, et qui
recevait ses nombreux amis avec une princière
munificence. Le jeudi, la jeune femme sacri-
fiait sa sieste journalière pour monter à Tivoli,
dont le vaste parc et les ombrages touffus se
développaient sur les premières pentes de
Montmartre. C'était un peu loin de ce Paris,
qui finissait aux boulevards ; mais elle n'aurait
pu manquer au dîner hebdomadaire que Bou-
tin arrangeait pour elle; elle y rencontrait tous
ses intimes, son frère, Delille, Lebrun le
poète, Robert le peintre avec sa femme, Bron-
gniart et, aussi souvent que le permettaient
ses devoirs de courtisan, M. de Vaudreuil ; au
plus, douze personnes à table, que réjouis-
saient l'air de la campagne et Tabandon de
l'amitié. Plus tard, pendant la Révolution, les
dîners du jeudi continuèrent chez Boutin ; on
y porta régulièrement la santé des absents,
Vaudreuil et Madame Le Brun, juscpi'aii jour
où Tivoli fut confisqué j)ar la nation et l'ai-
mable auiphilryun envoyé à l'échafaud.
La même société se retrouvait, l'été, à
MADAME VIGEE-LE BRUN 89
Mortefontaine, qu'habitait le prévôt des mar-
chands Le Peletier, le plus décousu des
hommes, à qui le cordon bleu, obtenu par
charge, avait quelque peu tourné la tête.
Madame Vigée-Le Brun riait de sa figure
comique, de son teint blême qu'il couvrait de
rouge à l'usage des dames, de sa « perruque
fiscale », au toupet en pain de sucre, accom-
pagnée de boucles poudrées tombant sur les
épaules ; le chevalier de Goigny se moquait de
ses ridicules et narrait ses prétentions aux
bonnes fortunes de la Cour. Cette riche maison
était fort mal tenue, et le meilleur plaisir des
invités était la promenade dans les parcs
immenses de Mortefontaine et d'Ermenonville,
et les parties de bateau sur le lac.
Les rossignols de Mortefontaine devinrent
fameux par un petit poème de Lebrun, qui
nous donne le ton de cette aimable société :
Sur ces bords enchanteurs, doux asiles du sage,
Le Brun, je vous cherchais, je volais sur vos pas;
J'interrogeais l'écho qui ne répondait pas,
Quand mille rossignols, dans leur tendre ramage,
Dirent : « Nous l'avons vue errer sur ce rivage
Et l'embellir par ses appas.
D'un seul de ses regards, dans ce petit bocage,
Mille Amours sont nés à la fois ;
Et nous, sous le mémo feuillage,
Nous étions déjà nés des accents de sa voix. »
90 MADAME VIGEE-LE BRUN
Au Moulin-Joli, le site était encore plus
beau et les hôtes charmants. La grande île,
couverte de bosquets et de vergers, qu'un bras
de la Seine séparait en deux parties jointes
par un pont pittoresque, représentait aux ima-
ginations du temps un véritable « Elysée ».
c( Qui que vous soyez, écrivait le prince de
Ligne, si vous n'êtes pas des cœurs endurcis,
asseyez -vous entre les bras d'un saule au
Moulin-Joli, sur les bords de la rivière. Lisez,
voyez et pleurez; ce ne sera pas de tristesse,
mais d'une sensibilité délicieuse. Le tableau
de votre âme viendra s'offrir à vous... Méditez
avec le sage, soupirez avec l'amant et bénissez
Watelet. » On rêvait avec délice sous le ber-
ceau des grands saules pleureurs ; on goûtait
la richesse de ton des feuillages et le jeu des
reflets dans les eaux ; la causerie était exquise
avec le maître du lieu, d'une intelligence si
avertie, si bon connaisseur des choses d'art,
dont le caractère très riant ne souffrait cepen-
dant autour de lui qu'une société peu nom-
breuse et choisie. Le Moulin -Joli faisait un
cadre parfait aux grâces finissantes de cette
amie de trente ans, Marguerite Lccomlo, (jue
les poètes avaient célébrée, dont les artistes
avaient ro|)io(lnif les traits s|iiiituels et ^pie
MADAME VIGEE-LE BRUN 91
plusieurs académies d'Italie avaient galam-
ment reçue, comme graveur, sur la demande
de Watelet, au cours de leurs longs voyages
d'amateurs et d'amoureux. La conversation de
tels amis était pour Madame Vigée-Le Brun infi-
niment profitable, enrichie de tant d'expérience,
ornée de tant de souvenirs, auxquels l'excel-
lent Hubert Robert aimait ajouter les siens.
C'étaient les heureux moments de la vie
de l'artiste, ceux qui la reposaient de son
labeur et la récompensaient de ses efforts.
Mais ses succès n'allaient pas sans lutte et,
à chaque nouveau Salon, elle devait livrer,
devant l'opinion toujours changeante, une ba-
taille nouvelle. Celui de 1785 ne fut pas aussi
triomphal pour elle que le précédent et les amis
de Madame Labille-Guiard eurent leur revanche.
Les rigoristes, d'autre part, s'inquiétaient de ce
que l'exemple de ces femmes de talent fût
trop imité par « beaucoup de demoiselles dont
on prônait dans les feuilles |)ubliques les heu-
reuses dispositions », car, disait-on, a un tel
art était pernicieux j)(>iir les personnes du
sexe... et les entraînait presque toujours dans
le libertinage ». Pidansat de Mayrobert deman-
dait grâce pour « nos Minerves dames » :
92 MADAME VIGEE-LE BRUN
« Il est des parties, écrivait-il, auxquelles les
femmes semblent plus appelées que les hommes,
et, dans les arts comme dans les lettres, tout
ce qui tient aux grâces et à l'enjouement est,
par essence, de leur domaine. Depuis plusieurs
expositions, leurs ouvrages brillent au Salon
entre ceux du second ordre. Elles disputent la
palme aux hommes ; elles l'emportent et s'en
glorifient tour à tour. Je vous ai parlé dans
le temps et à plusieurs reprises des succès de
Mademoiselle Vallayer, devenue Madame Cos-
ter ; je me suis enthousiasmé en 1783, sur les
chefs-d'œuvre brillants et vigoureux de Madame
Le Brun. C'est aujourd'hui Madame Guiard,
dès lors la serrant de près, qui triomphe et
fait entourer ses productions avec ces cris de
surprise et de ravissement involontaires qui ne
s'arrachent que par un mérite réel et éclatant. »
Le parallèle était nettement établi dans une
page fort instructive du Journal général de
France, où l'éloge des rivales semble réparti
avec équité : « Peu de peintres sont faits pour
attirer la foule des admirateurs comme Madame
Le Brun. Notre admiration pour elle n'est
pourtant ])as exclusive et nous ne prenons pas
le ton de ces enthousiastes qui crient dans le
Salon, dans les jardins ])ubli(s, dans les cafés :
LA BARONNE DE CRUSSOL
1785
(Musée de Toulouse)
MADAME VIGEE-LE BRUN 93
« Madame Le Brun a écrasé Roslin ; elle vaut
« mille fois mieux que Duplessis , Vestier
« n'en approche pas; elle triomphe de Madame
« Guiard! » Chaque peintre distingué a son mé-
rite qui ne détruit pas celui de l'autre. Richesse
et brillant dans les couleurs, grâce et nou-
veauté dans les attitudes, goût exquis pour les
ajustements, telles sont les parties qui carac-
térisent les rares talents de Madame Le Brun.
Gela n'empêche pas que Madame Guiard ne
mérite de grands éloges par la résolution de
ses effets, par la fermeté et la facilité de son
exécution. Son talent répond à la forme d'une
Diane, celui de Madame Le Brun tient à la
forme d'une Vénus. Madame Guiard s'est peinte
en pied, ayant derrière elle deux élèves; cet
ouvrage a le plus grand succès et le mieux
mérité. Le portrait de M. le Contrôleur, ceux
de Madame de Crussol et de Madame de
Gramont-Caderousse, par Madame Le Brun, ont
reçu les plus justes applaudissements. Ainsi
ces deux dames sont deux célèbres rivales, qui
ont des droits égaux à l'admiration publique. »
Madame Guiard exposait, outre la grande
toile qui la représente avec Mesdemoiselles
Capet et Rosemond, ses élèves, un portrait
aristocratique, celui de la comtesse de Flaliaut;
94 MADAME VIGEE-LE BRUN
la belle-sœur de M. d'Angiviller, dont le nom
manquait modestement au livret, était auprès
du berceau de son petit enfant ; elle paraissait
« chaste comme Pénélope, et toute l'habitude
du corps annonçait la vertu conjugale dans
toute sa modestie la plus parfaite ». Les
modèles de Madame Vigée-Le Brun n'annon-
çaient rien de semblable; ses cinq beautés de
cour avaient tenu à être nommées, et leurs
attitudes, leurs mines ou la fantaisie de leur
toilette témoignaient surtout du désir qu'elles
avaient d'être remarquées comme les plus
brillantes et les plus jolies.
C'était d'ailleurs, pour l'artiste, une expo-
sition avantageuse, et dont la coquetterie de
ses modèles servait le succès. Nous avons
encore ce groupe charmant, qui résume les
élégances du moment et laisse entrevoir ces
âmes légères. Gomme elle est fière dans sa
nonchalance , cette comtesse de Clermont-
Tonnerre, plus tard marquise de Talaru, qui
a voulu être peinte en sultane ! Vêtue d'une
étoile jaune, coifTée d'un turban retenu par des
perles, ses doigts jouent avec un (il de |)crlcs
et clic porte au cou un collier d'or. La brune
duchesse de Gaderousse-Gramont est la plus
jolie des vendangeuses et presse dans ses
MADAME VIGEE-LE BRUN 95
mains les lourds raisins de sa corbeille. Le
chapeau , sans plume ni ruban , est rejeté
en arrière en un gracieux mouvement d'en-
volée, et auréole la tète mutine et frisée.
L'étroit corsage noir descend en pointe sur
le jupon rouge que soutiennent de larges
paniers ; des nœuds agrémentent l'épaule, et
l'écharpe enveloppante se noue sur la poi-
trine : c'est un mélange inattendu d'élégance
et de rusticité, qui n'a pas encore été vu. La
comtesse de Ségur est peinte au temps où le
départ de son jeune époux pour l'ambassade
de Russie la rend plus intéressante encore ;
elle montre, sous le grand chapeau à plumes,
un franc visage encadré de boucles légères,
où les dents éclatantes paraissent dans un
sourire spirituel. La veste de velours dessine
la taille, qu'amincit l'ampleur du jupon aux
plis cassants; les longues mains pâles se
croisent sur la table où des fleurs sont jetées ;
le fichu de linon, négligemment noué, cache
à j)cine l'opulente poitrine que la lumière vient
caresser.
Coquette et ingénue à la fois, la comtesse
de Chatcnay fait penser aux femmes de Greuze;
vue de dos, elle tourne vers le spectateur la
plus jolie tète blonde; uu ruban retient sur le
96 MADAME VIGEE-LE BRUN
haut du front les longs cheveux qui retombent,
soyeux comme ceux d'une enfant, sur le fichu
blanc des épaules. Toute une âme puérile et
câline est dans ces grands yeux et dans cette
ligne des lèvres où se joue quelque mystère.
Voici enfin la baronne de Crussol, moins jeune,
semble-t-il, mais avec le même regard enjô-
leur, la même bouche dédaigneuse et mièvre.
Elle est en chapeau garni de rubans et laisse,
suivant la mode du jour, ses cheveux se
dérouler librement sur le corsage de soie; elle
chante assise, un cahier de musique dans les
mains; sûre de son charme et de sa beauté,
elle ne paraît point davantage ignorer ce que
sa voix ajoute à tant de grâces.
Le plus remarqué de ces portraits était
celui de la piquante vendangeuse, qui inaugu-
rait une mode nouvelle : « Je ne pouvais souf-
frir la poudre, écrit Madame Vigée-Le Brun ;
j'obtins de la belle duchesse de Gramont-
Caderousse qu'elle n'en mettrait pas pour
se faire peindre ; ses cheveux étaient d un noir
d'ébène ; je les séparai sur le front, arrangés
en boucles irrégulières. Après ma séance, qui
finissait à l'heure du dîner, la duchesse ne
dérangeait rien à sa coifiurc et allait ainsi au
spectacle. Une aussi jolie femme devait donner
MARIE-GABRIELLE DE SINETY
DUCHESSE DE C ADEROUSSE-GRAMONT
1785
(Collection de M. le marquis de Sinéty)
MADAME VIGEE-LE BRUN 97
le ton ; cette mode prit doucement, puis devint
enfin générale. » Une tradition de famille veut
que la duchesse de Gaderousse ait été appelée
à Trianon par la Reine, qui souhaitait lui voir
porter, dans le cadre champêtre de ses jardins,
le costume dont Madame Le Brun l'avait
habillée. La petite littérature du temps s'em-
parait de cette fantaisie et l'on trouve , dans
les recueils manuscrits , des vers qu'on peut
recueillir comme un document sur l'histoire
des modes féminines :
SUR LE PORTRAIT
DE MADAME DE GADEROUSSE
PEINTE EN VENDANGEUSE
PAU MADAME VIGÉE-LE BRUN
Quelle est cette bergère au teint si délicat,
A l'œil fripon, à la bouche mutine ?
Un corset noir peint sa taille enfantine
Et son jupon de pourpre en relève l'éclat.
Elle sourit et craint qu'on la devine ;
Des champs elle revient, mais tout innocemment
Porte un panier chargé des fruits de la vendange.
C'est vous, jeune Gramont; sous ce déguisement
Vous n'avez pas perdu les traits d'un ange.
Paraissez à la Cour, souveraine des cœurs,
Et nos beaux dieux soudain, par un prodige étrange,
Vont prendre la houlette et le chapeau de (leurs,
Et croiront ne pas perdre au change.
Parmi tant de critiques, celle de Figaro au
Salon de peinture indique hieu l'engouement
98 MADAME VIGEE-LE BRUN
mondain dont bénéficiait l'artiste. Ecoutons
Chérubin parler : « Figaro ! regarde ce por-
trait : quelle fraîcheur dans les chairs ! quel
goût dans l'ajustement ! quel moelleux dans
l'attitude ! que de vérité dans ce satin ! cri-
tique, si tu l'oses... Il ne faut que des yeux
pour voir que ce tableau est charmant ; et ce
portrait en bergère, comme le mouchoir est
chiffonné avec grâce! regarde ces formes
— Figaro, à la comtesse : Madame, voilà un
éloge bien fort ; remarquez qu'il n'est point
exagéré, quoique fait sans réflexion. — L\
Comtesse : Le sentiment ne trompe jamais ; il
en dirait bien davantage, s'il savait que ces
tableaux viennent d'une femme. — Chérubin,
avec chaleur : D'une femme ! d'une femme ! Je
juge qu'elle est jolie, qu'elle est aimable,
qu'elle se peint dans tous ses ouvrages. —
Figaro (à part) : Le j)otit sorcier! il ne se
trompe pas d'un mot. » Et voilà de la critique
d'art au ton du xviii" siècle.
A ces excellents morceaux de peinture, à la
véridi(jue et fine image de Grétry , qui les
accompagnait, la censure ne pouvait mordre.
Elle se rattrapait sur une Bacchante et lui
reprochail d'être exécutée avec mollesse, de
montrer des chairs exsangues et des genoux
MADAME VIGEE-LE BRUN 99
mal dessinés : « Dès qu'une femme de goût
s'échappe dans le pays de l'histoire, écrivait
Le Frondeur au Salon, on s'aperçoit que la
carte lui manque. » Pour les portraits, la ma-
lignité des critiques ne s'en prenait qu'aux
brillants modèles et profitait de la présence
d'une autre toile, représentant M. de Galonné,
pour faire expier par de piquantes épigrammes
le plaisir qu'avaient ces dames à montrer leur
image par le peintre à la mode : « L'une est
en sultane, boudant de n'avoir pas été choisie
par son maître pour cette nuit-là ; l'autre en
jardinière qui, sous ce déguisement simple et
attrayant, cherche les aventures ; celle-là mi-
naude, celle-ci agace ; la dernière séduit par
les charmes de sa voix. Du sein de toutes ces
beautés s'élève M. le Contrôleur général et,
comme il n'est point ennemi du sexe, les
bonnes gens croient le voir au milieu de son
sérail. Ce portrait historié est bien plus sa-
vant... Il est riche de composition, vrai dans
ses détails ; les étoffes en sont précieuses ; les
ombres, les reflets ménagés avec soin ; il est
monté sur le haut ton de couleur qui lui con-
vient. La ressemblance du personnage est telle
que chacun le nomme au premier coup d'œil ;
c'est son air ouvert, son œil plein de feu, sa
100 MADAME VIGEE-LE BRUN
figure spirituelle, riante et affable ; c'est
l'homme en un mot, c'est M. de Galonné exac-
tement : mais ce n'est pas le Contrôleur géné-
ral, il a l'air plus distrait qu'occupé ; une lettre
du Roi, un mémoire déployé à côté de lui, sont
excellents pour faire briller le talent de l'ar-
tiste, mais ne sont que des enseignes et ne
désignent nullement ce ministre enchanteur
qui sait avec tant d'art attirer au fisc public,
non seulement l'argent de la nation, mais celui
des étrangers, pour le reverser ensuite avec
tant de profusion et de munificence. » Ainsi les
pinceaux de Madame Vigée-Le Brun servaient-
ils à la popularité du spirituel ministre, qui
si allègrement conduisait le Trésor à la ban-
queroute. La plume du frère le célébrait à son
tour dans VAlmanach des Muses, où il sut tou-
jours flagorner les gens en place :
POUR LE PORTRAIT DE M. DE CALONiNE
...Galonné, de nos Arts sois donc aussi le père !
Les bras tendus vers toi, vois-les se rassembler;
Vois k leur groupe heureux les Muses se mêler ;
Ils l'offrent leurs clforts, seconde leur envie,
De l'émulation naît souvent le génie ;
S'ils revivent en toi, par eux tu revivras.
Colbert, enseveli dans la nuit du trépas,
Sans eux n'eût point reçu le légitime hommage
Que chaque jour encor on rend à son image.
Ce portrait d'apparat, où Madame Le Brun
MADAME VIGEE-LE BRUN 101
avait esssayé de se mesurer avec Roslin et les
Vanloo, et n'apparaissait pas inférieure à ces
maîtres, allait lui causer bien vite les chagrins
les plus cuisants. L'envie, cette fois, l'attaquait
sur le point sensible de Thonneur féminin, car
on répandait le bruit qu'elle était la maîtresse
du « ministre enchanteur », si généreux des
deniers de l'Etat au bénéfice de ses amis. Dès
l'ouverture du Salon, les Promenades de Cri f es
l'imprimaient assez grossièrement à propos
du tableau : « C'est ici que Madame Le Brun
a touché le plus en maître ; c'est ici où il y
a le plus de difficultés vaincues et il le faut
avouer, c'est dans cette occasion qu'elle
s'est rendue le plus entièrement maîtresse de
son sujet. » On comprend l'irritation de l'ar-
tiste devant l'insinuation : « Un nommé Gor-
sas, dira-t-elle, que je n'ai jamais vu ni connu,
vomissait des horreurs contre moi. » Ces
« horreurs » devaient tenir une place cruelle
dans sa vie ; bien des heures furent pour elle
empoisonnées par cette histoire, qui l'a pour-
suivie partout, l'a signalée à la haine révolu-
tionnaire , a refroidi à son égard certaines
bienveillances et parait avoir été révélée plus
tard à sa fille pour la détacher d'elle. Les allu-
sions nombreuses et vagues à la calomnie,
102 MADAME VIGEE-LE BRUN
qui émaillent ses souvenirs, se rapportent aux
racontars sur M. de Galonné bien plus qu'aux
premières attaques contre son talent, dont ses
triomphes d'artiste l'avaient largement vengée.
Il serait indiscret de mettre en doute sa défense
sur cet épisode capital de sa vie ; il vaut mieux
la présenter telle qu'elle la donne elle-même,
en précisant des détails que son plaidoyer
laisse dans l'ombre.
Le grand portrait du Contrôleur général
assis en habit de satin noir à sa table de tra-
vail, et dont la tête a été répétée par l'ar-
tiste, fut gravé en 1787 par De Bréa,qui ajouta
aux papiers le titre du rapport au Roi sur l'As-
semblée des Notables. Madame Vigée-Le Brun
l'avait exécuté en 1785 dans son atelier et non,
comme il semblerait, à l'hôtel des Finances;
si le ministre, en effet, est allé assez longtemps
rue de Cléry, c'est que le nombre de ses
occupations ne lui a pas permis de donner des
séances régulièrement suivies ; la tête ache-
vée, l'artiste a terminé son travail de mémoire
a au point, dit -elle, de ne pas faire les
mains d'après lui, quoi(jue j'eusse l'habitude
de les faire toujours d'après mes modèles ».
Elle n'aurait pu peindre le cabinet ihi mi-
nistre, ni son bureau familier, puisqu'elle n'alla
MADAME VIGEE-LE BRUN 103
qu'une fois chez lui et sans ses pinceaux : « Il
donnait une grande soirée au prince de Prusse
et, ce prince venant habituellement chez moi,
il avait jugé convenable de m'inviter. » Au
reste, comment avoir le moindre goût pour
M. de Galonné? Il était peu séduisant et por-
tait perruque : « Une perruque ! Jugez comme,
avec mon amour du pittoresque , j'aurais pu
m'accoutumer à une perruque ! Je les ai tou-
jours eues en horreur, au point de refuser un
riche mariage parce que le prétendant por-
tait perruque, et je ne peignais qu'à regret les
hommes coiffés ainsi.» Tels sont les arguments
un peu singuliers que trouvait une femme de ce
siècle pour défendre sa vertu suspectée.
Une aventure, qui lui fut attribuée à tort, a
été, d'après Madame Vigée-Le Brun, l'origine
de la venimeuse légende. On peut la raconter
sous les noms véritables, qu'elle dévoilait à ses
familiers à l'époque où l'héroïne vivait encore
dans une vieillesse respectée. En 1784, le fameux
« Roué », Jean du Barry, avait amené à Paris
sa seconde femme, épousée à Toulouse et (|ui
était née Rabaudy de Montoussin ; il avait pris
une maison dans la capitale, menait assez grand
train, sous le nom de comte de Serre, et les
chroniques du temps disent que M. de Galonné
104 MADAME VIGEE-LE BRUN
était fort épris de la jolie comtesse. Madame
Vigée-Le Brun faisait le portrait de Madame
de Serre. Un jour, en prenant séance, celle-ci
la pria de lui prêter pour le soir sa voiture et
son cocher, afin d'aller au spectacle. Ce ser-
vice ne pouvait se refuser ; mais le lendemain
matin, quand Madame Vigée-Le Brun demanda
ses chevaux, ni cocher, ni voiture n'avaient
encore reparu. On envoya chez Madame de
Serre, qui n'était point rentrée, et l'on apprit
qu'elle avait passé la nuit à l'hôtel des Finances.
Le cocher, interrogé par les gens de l'hôtel,
par d'autres peut-être, avait dit avec simpli-
cité qu'il appartenait à Madame Le Brun , et
tout le monde avait pu croire que c'était elle
que la voiture avait amenée. La coupable ne
reparut pas chez son peintre , qui l'accusa
toujours d'avoir voulu sauver sa réputation
aux dépens de celle d'autrui. « Elle m'a fait
bien du mal », s'écriait l'artiste, ne doutant
pas que toutes les calomnies ne fussent nées
de cette perfidie a digne de l'Enfer ».
Pierre Le Brun rebâtissait à neuf , en ce
moment même, la maison (j[u'il possédait rue
du Gros-Chenet, et l'on raconta que Calonne
en sijpj)orlait tous les frais. N'avait-il pas payé
son portrait, comme l'imprimait Gorsas, en
CHARLES-ALEXANDRE DE GALONNE
CONTROLEUR GÉNÉRAL DES FINANCES
1785
(Collection de M. Jacques Doucet)
MADAMK VIGKE-LE BRUN 105
pastilles enveloppées de billets de la Caisse
d'Escompte ou, selon d'autres, en or empilé
dans un pâté ? Le Brun oppose des faits précis
en faveur de sa femme : « Galonné lui envoya
3,600 livres en billets de la Caisse d'Escompte,
dans une tabatière qui pouvait valoir 1,200 li-
vres ; plusieurs personnes présentes à l'ouver-
ture du paquet peuvent l'attester. » Atteinte
par une de ces accusations vagues et terribles
qui, non plus qu'établies, ne peuvent être
réfutées. Madame Vigée-Le Brun se défendait
encore, à ce sujet, sur ses vieux jours, et par-
lait de quatre mille francs dans une boîte esti-
mée vingt louis; elle ajoutait : « On fut même
étonné de la modicité de cette somme; car...
M. de Beaujon, que je venais de peindre de
même grandeur, m'avait envoyé buit mille
francs, sans qu'on s'avisât de trouver le prix
trop énorme. » Pendant la Révolution, alors
qu'elle fut considérée comme émigrée, les
pampblétaires exploitèrent contre le mari la
légende de la « maîtresse de Calonne », deve-
nue conspiratrice à l'étranger. Le Brun ne se
vantait plus alors d'avoir formé à lui seul
toute la galerie de tableaux de M. de Calonne;
il était obligé de publier, en l'an 11, un a pré-
cis historique » sur la vie do sa femme, afin de
106 MADAME VIGEE-LE BRUN
réfuter point par point leurs calomniateurs et
établir les sources de leur fortune. Nous y
trouvons d'autres détails sur les gains de l'ar-
tiste : « Avec un talent comme le sien, avec
un revenu aussi considérable que celui qu'il
lui procurait , puisqu'un buste seul lui était
payé 600 livres, qu'elle peignait avec une faci-
lité étonnante, et qu'elle gagnait, année com-
mune, 24 ou 30,000 livres ; avec les bénéfices
que je faisais moi-même dans un commerce
très actif et très étendu ; avec un état de mai-
son tel que nous n'avons jamais eu plus de
quatre personnes à notre service, dont un seul
domestique pour nous deux ; après vingt an-
nées de travail enfin, est-il si difficile de croire
que nous ayons pu trouver dans nos écono-
mies une somme suffisante pour payer le prix
de nos maisons, et en faire bâtir une, dont
les constructions ne sont point totalement
acquittées?... Qu'on ne parle donc plus des
richesses de la citoyenne Le Brun ! qu'ils
cessent donc ces bruits infâmes semés contre
elle, sur sa prétendue liaison avec un mi-
nistre, qu'elle avait vu quelquefois avant qu'il
entrât en place et qu'elle n'a plus revu, du
moment où son portrait a été fini ! que l'envieux
rougisse et que le calomniateur se taise ! »
MADAME VIGEE-LE BRUN 107
Bien avant cette prose conjugale, et dès le
temps de ce fameux Salon de 1785, les muses
de l'amitié avaient offert à la victime du
a souffle empoisonné de l'envie » leurs témoi-
gnages consolateurs. Les manuscrits reportent
à cette époque une page émue de Vigée remer-
ciant un ce généreux chevalier » d'avoir « raf-
fermi le laurier de « la Rosalba de notre âge ».
Il répondait à cette petite pièce de « M. Le-
brun, secrétaire des commandements de Mon-
seigneur le prince de Conti » :
VERS A MADAME LE BRUN
SUR LES CRITIQUES PARUES A l'oCCASION DU SALON
DE 1785
Chère Le Brun, la gloire a ses orages;
L'Envie est là qui guette le talent;
Tout ce qui plaît, tout mérite excellent
Doit de ce monstre essuyer les outrages.
Qui mieux que toi les mérita jamais ?
Un pinceau mâle anime tes portraits;
Non, tu n'es plus femme que l'on renomme;
L'Envie est juste, et ses cris obstinés,
Et ses serpents contre toi déchaînés,
Mieux que nos voix te déclarent grand homme !
Malgré les délicates attentions des amis de
l'artiste, en dépit des soins multipliés que pre-
nait son entourage pour lui éviter de trop
nombreuses blessures, la calomnie continuait
108 MADAME VIGEE-LE BRUN
son œuvre. Elle se produisait sous bien des
formes et finissait par associer dans tous les
esprits le nom de Madame Le Brun à celui de
Galonné. Cette peste de Champcenetz, dans ses
couplets de V Assemblrc des notables, faisait
chanter au Contrôleur général :
J'ai dissipé les trésors de la France !
D'Artois, Le Brun et d'autres sont contents...
On va jusqu'à faire figurer, parmi les libé-
ralités du ministre, le don du Moulin-Joli, le
délicieux domaine qui vient d'être vendu après
la mort de Watelet. Cette invention trouve
créance, désespère la pauvre Le Brun et néces-
site un démenti public, qu'insèrent les auteurs
du Journal de Paris ^ le 20 août 1786 :
« Permettez-moi, Messieurs, de me servir de la voix
de votre journal pour détromper les personnes qui veulent
absolument que ce soit moi qui ai acheté le Mouliii-Joli.
Plusieurs gazettes étrangères l'ont imprimé ot, d'après
leur assertion, tout le monde me fait compliment sur
cette acquisition. Veuillez donc bien, Messieurs, publier
que je ne suis point propriétaire du Moulin-Joli et que
c'est à un négociant connu qu'il appartient depuis près
d'un mois.
« J ai l'honneur d'être, etc. »
L'acquéreur du Moulin-Joli est un M. Gau-
dran, qui n'entend rien au pittoresque et gâte
en remaniements « l'Elysée « des artistes. Il y
MADAME VIGEE-LE BRUN 109
convie du moins, avec bonne grâce, les anciens
familiers du lieu; Lebrun-Pindare trouve encore,
en s'y promenant, les rimes de ses odes orgueil-
leuses; Madame Vigée-Le Brun y revient, en
1788, pour passer tout un mois avec sa fille;
elle y fait alors un de ses meilleurs portraits,
celui de son grand ami Hubert Robert dans
le négligé du travail, tenant à la main sa
palette et peignant sans doute une fois de plus
le pont de bateaux, d'un si joli reflet, et les
peupliers des bords de la Seine.
III
(1787-1789)
LES peintures de Madame Vigée-Le Brun
nous permettent de suivre, avec les
variations de la mode, les progrès de
certains sentiments et de certaines attitudes
morales chez les femmes de son temps. Le
retour à la nature, que Jean-Jacques Rousseau
et ses lectrices ont tant prôné, s'est attesté
dans le portrait dès l'époque où débutait l'ar-
tiste. On rechercha alors les arrangements les
plus simples, en abandonnant le grand habit,
le costume de cour ou d'apparat, qu'il était ordi-
naire de peindre sous le règne de Louis XV.
Au temps de Louis XVI, le goût de la simi)li-
cité s'exagère au point de donner naissance à
une complication nouvelle; et la convention
qui s'impose est à peine moins artificielle que
112 MADAME VIGEE-LE BRUN
celle de Nattier, jugé pourtant si suranné.
Comme aux jours des llébés et des Dianes
chasseresses, les femmes tiennent à être repré-
sentées sous l'imprévu du travesti ; il leur faut
toujours le piquant de la fiction, et ce n'est
plus à la mythologie, mais à la vie rustique,
qu'elles le demandent.
Toutes les idées du moment se dirigent
dans le même sens. Il ne suffit plus aux nobles
demeures de s'entourer du jardin à l'anglaise,
tracé en méandres savants et que l'on croit
plus rapproché de la nature que le jardin
rectiligne de nos pères. En ces parcs déjà
transformés, on doit mettre maintenant des
fabriques tout à fait champêtres et, s'il se
peut, un décor de village au crépi à demi
ruiné; on y introduit la maison de chaume et
le moulin, qui mire dans l'étang son mur
couvert de mousse. De même, pour l'image
féminine, le chapeau de paille ou le mouchoir
noué sur les cheveux, la grande écharpe de
linon uni, no marquent pas suffisamment que
l'idéal de la vie des champs s'est entièrement
emparé des âmes; il devient indispensable
d'adopter de véritables déguisements, qui mé-
tamorphosent sur la toile la grande dame en
villageoise.
MADAME VIGÉE-LE BRUN 113
Telle est la révélation que nous fait, par le
seul classement de ses œuvres, le peintre des
femmes. Des portraits comme ceux de la
duchesse de Polignac, puis de la duchesse de
Caderousse, ont indiqué l'évolution qui s'ac-
complit; les suivants montrent où elle vient
aboutir. Voici ce qu'a demandé la comtesse de
Puységur pour apparaître à jamais en laitière.
Elle a voulu les bras nus, la poitrine largement
découverte sous un corsage de laine rouge
sans nul ornement; la jupe de laine brune la
plus rude; les deux mains, fort belles au reste,
croisées sur la cruche de grès posée au bord
de la margelle d'un puits. Point de rouge assu-
rément, et le teint frais de la femme des
champs; rien ne révélerait donc, sous le cha-
peau de paille dénué de ruban et de fleurs,
que cette belle paysanne a sa place à la Cour,
sans le doigt de poudre qui reste sur les
cheveux et qu'on n'a pas voulu sacrifier. Cette
laitière a été peinte en 1786; une autre le
fut deux ans plus tard ; c'est la jeune mar-
quise de La Guiche, qui tient des bleuets d'une
main, de l'autre sa cruche, et dont la seule
élégance est une écharpe de soie jetée sur le
rustique corsage. Entre les deux dates, le
Hameau de la Reine s'est achevé, embelli.
114 MADAME VIGEE-LE BRUN
prêté aux plus inattendues fantaisies; il est
devenu l'amusement de la femme de France
qui suit le plus ardemment, le plus aveuglé-
ment, les indications de la mode; et pour se
promener parmi les vaches de sa prairie, pour
les traire elle-même avec l'aide de sa fer-
mière, pour battre son beurre et le découper
sur les tablettes de marbre, Marie-Antoinette
a porté plus d'une fois ces vêtements, qui évo-
quent le joli rêve des laiteries de Rambouillet
et de Trianon.
Il n'y a pas de portrait peint représentant
Marie-Antoinette en travesti de laitière, ana-
logue au profil dessiné, gravé par Ruotte, qui
se rapporte à ce moment de sa vie. Mais qu'elle
ait souhaité une telle image, on n'en peut dou-
ter; un jour qu'elle était à Trianon, coiffée en
cornette de paysanne, pour une répétition de
Rose et Colas à laquelle assistait Madame Le
Brun , elle lui demanda de la peindre en ce
costume. Il est dommage que l'artiste n'ait
pas parlé de cet épisode et qu'on ait égaré le
croquis fait ce jour-là, selon l'ami qui nous le
raconte. Au reste, la Reine n'a pas eu le temps
de satisfaire son caprice, car cette mode
extrême a été fort courte. On aimerait à croire
que, devenue plus sage et comprenant mieux
MADAME VIGEE-LE BRUN 115
les exigences de son rang, elle se soit privée
de l'amusante satisfaction que d'autres s'accor-
daient autour d'elle. Le portrait « en gaulle »,
dont la simplicité affectée avait fait murmurer
le public du Salon, pouvait la mettre en garde
contre une fantaisie piquante chez une beauté
de cour, puérile et déplacée chez la Reine.
En tout cas, les derniers portraits qu'elle
demande à Madame Vigée-Le Brun sont ceux
où le caractère royal est le mieux marqué, où
l'on trouve, à défaut d'une ressemblance que
le modèle n'exige point, la majesté de la sou-
veraine unie aux grâces de la femme.
Le plus célèbre de tous, celui qui parut
au Salon de 1787, y ajoutait la glorification
d'une maternité, de laquelle Marie-Antoinette
était fière et dont elle commençait à com-
prendre tous les devoirs. On peut remarquer
qu'elle décida cette commande dès l'époque
du Salon de 1785; le comte d'Angiviller, qui
reçut l'ordre de s'en occuper, écrivait à l'ar-
tiste, le 12 septembre : « La Reine m'ayant,
Madame, fait part de l'intention où elle était
de se faire peindre en grand, avec ses trois
enfants, je lui ai proposé de vous charger de
cet ouvrage, ce qu'elle a agréé... C'est avec
116 MADAME VIGEE-LE BRUN
un vrai plaisir que je vous fais part des inten-
tions de Sa Majesté à cet égard... Je suis bien
flatté d'avoir à vous annoncer cette marque
de distinction particulière que la Reine fait
de vos talents. » Jusqu'alors, tous les portraits
de la Reine avaient été ordonnés directement
par elle à Madame Vigée-Le Brun; celui-
ci fut commandé, suivant les formes ordi-
naires, par les Bâtiments du Roi. Le premier
peintre Pierre fut chargé de demander une
esquisse très poussée, que la Reine voulait
avoir: puis l'artiste se mit au travail, « de
manière à n'avoir plus besoin, pour le termi-
ner, que des études des têtes ». Les arrange-
ments et la date de la commande expliquent
une particularité de ce tableau sur laquelle
on a souvent discuté, la présence d'un berceau
vide, assez maladroitement placé dans une
composition où tous les autres morceaux sont
harmonieux et nécessaires. L'esquisse fut faite
pendant la dernière grossesse de la Reine, et
le tableau commencé devait montrer dans ses
langes la princesse Sophie- Hélène-Béatrice,
née à Versailles le 9 juillet 1786. Cette petite
« Madame Sophie », do qui l'histoire n'a guère
parlé, mourut le 49 juin de l'année suivante,
et la place resta vide dans le berceau qu'on ne
MADAME VIGEE-LE BRUN 117
pouvait plus supprimer et dont le Dauphin
soulève d'un geste assez inutile le léger
rideau.
On admit volontiers, quand ce tableau fut
exposé en août 1787, que cette couchette
énigmatique fût celle du petit duc de Norman-
die, assis sur les genoux de sa mère, auprès de
Madame Royale debout, qui la caresse; mais
on adressait à toute la composition un repro-
che dont l'expression ne laisse pas d'être
intéressante : « Cette composition est simple,
facile, bien groupée; mais il en résulte une
critique très juste et qui n'échappe à aucun
observateur un peu réfléchissant, c'est que les
airs de tète ne répondent en rien à la situa-
tion : la Reine, soucieuse, distraite, semble
plutôt éprouver de l'affliction que la joie
expansive d'une mère qui se complaît au
milieu de ses enfants. L'air sérieux de la fille
fait supposer que déjà, dans un âge suscep-
tible de participer aux chagrins de sa mère,
elle cherche à la consoler par sa tendresse
affectueuse. Le duc de Normandie, loin d'avoir
l'expression d'un enfant en pareille position,
qu'exprime Virgile [)ar ce vers si ingénu :
« Incipe, paive puer, risu cognoscere matrem ! »
ne montre aucune gaieté; on le juge triste.
118 MADAME VIGEE-LE BRUN
sinon par réflexion, au moins par sympathie.
Enfin, le geste du Dauphin est un hors-d'œuvre
qui l'isole de cette scène intéressante. » Cette
gravité dans l'expression de la Reine, on l'at-
tribue volontiers aux chagrins que lui appor-
tait le déclin du règne , surtout après TafTaire
du Collier, alors que se déchaînait contre
elle une opinion savamment excitée ; à vrai
dire, il y a plutôt dans le visage une placi-
dité insignifiante, qui tient à l'insuffisance de
la pose accordée à l'artiste. Il est sûr que
ce portrait de Marie -Antoinette est un des
moins ressemblants. Les critiques le repro-
chaient à leur façon à Madame Vigée-Le Brun,
lorsqu'ils regrettaient qu'elle eût donné à la
Reine « un éclat, une fraîcheur, une pureté,
que ne peuvent conserver les chairs d'une
femme de trente ans ; sa carnation éclipse
celle de Madame, un peu dans l'ombre il est
vrai, celle du Dauphin supposé éloigné, mais
celle même du duc de Normandie, personnage
saillant avec elle et qui ne devrait être qu'un
assemblage de lis et de roses. »
Dans cette œuvre où elle avait cherché
surtout la noble ordonnance, la magnificence
du décor et la richesse des colorations, Madame
Vigce-Le Rrun ne s'était pas beaucoup préoc-
MADAME ROYALE ET SON FRERE, LE DAUPHLN
1784
(Musce de Versailles)
MADAME VIGEE-LE BRUN 119
cupée de la ressemblance de ses modèles.
Madame Royale et son frère aîné avaient été
traités de même, quand elle avait peint, en
1784, d'après deux études séparées, l'agréable
groupe assis dans un bocage, où la princesse
et son frère tiennent dans leurs mains un nid
de fauvettes. De la Reine, qui se prêtait tou-
jours avec complaisance à son travail, elle
avait obtenu une pose nouvelle ; elle a dit
expressément que la dernière séance qu'elle
eut de Marie-Antoinette lui fut accordée à
Trianon , en vue de ce grand tableau. Elle
donne quelques détails sur ces séances, demeu-
rées parmi ses plus doux souvenirs, et nous
tenons d'elle plusieurs anecdotes sur la Reine
qui ne sont pas sans valeur pour la mieux
connaître. Marie-Antoinette ne lui cachait pas
les amertumes de sa vie; comme l'artiste avait
l'occasion de remarquer son air de tête impo-
sant, elle répliquait vivement, songeant à tant
de méchants mots dits sur elle : « Si je n'étais
pas reine, on dirait que j'ai l'air insolent, n'est-il
pas vrai ? » Sa grâce d'accueil était parfaite,
comme pour tous ceux qu'elle aimait, et
Madame Vigée-Le Brun cite d'elle des traits
de bonté vraie, celui-ci par exemple, dont nous
donnons le premier récit écrit sous la dictée
120 MADAME VIGEE-LE BRUN
de l'artiste, un peu moins dramatise que celui
qui a été tant reproduit : « Un jour, elle man-
qua au rendez-vous que lui avait donné la
Reine pour une séance, parce qu'elle avait été
indisposée. Le lendemain, elle y alla pour
s'excuser de sa non venue; elle se présenta à
l'huissier de la chambre, M. Campan, et lui
demanda à parler à la Reine. Celui-ci, arro-
gant comme tous les gens en place, la reçut
avec un air froid et presque colérique, et lui
dit : « C'était hier, Madame, que la Reine vous
« attendait ; elle va promener aujourd'hui ;
« vous avez dû voir sa voiture qui l'attend, et
« certes, elle ne s'amusera pas à vous donner
« séance. » Madame Le Brun insista, disant
qu'elle voulait seulement prendre les ordres
de la Reine et qu'elle se retirerait aussitôt.
Toute émue et pensant, avec étonnement toute-
fois, que Sa Majesté s'était fâchée contre elle,
par la mauvaise humeur qu'elle endurait par
ricochet de la part de M. Campan, elle fut
admise. Mais quelle fut sa surprise, quand elle
entendit la Reine lui dire qu'elle ne voulait
point qu'elle eût fait ainsi une course inutile-
ment. Elle décommanda sa calèche pour lui
donner séance. » D'autres détails sont venus
s'ajouter à cette petite scène : l'empressement
MADAME VIGEE-LE BRUN 121
ému de Madame Le Brun, la boîte de couleurs
renversée, la Reine ramassant elle-même les
brosses sur le parquet, pour éviter une fatigue
à la jeune femme, alors dans une grossesse
avancée. L'anecdote brodée ainsi, et qui soude
ensemble des souvenirs distincts, n'a d'ailleurs
rien d'invraisemblable ; c'est une jolie trans-
position du geste de Charles-Quint ramassant
les pinceaux du Titien. ^
L'étiquette ne gênait guère la Reine ni
l'artiste, malgré l'habit paré que celle-ci était
obligée de porter pour ses séances. M. de Bre-
teuil y parut un jour et déchira cruellement dans
sa conversation toutes les femmes de la Cour.
Marie-Antoinette se laissait aller à l'écouter ;
elle était sûre de la discrétion du témoin, et,
près de lui, se sentait toujours en confiance.
Le sentiment maternel, très fort chez toutes
les deux, et surtout une réelle communauté de
goûts, contribuaient à diminuer les distances ;
quand Marie -Antoinette, dans les repos de
Madame Le Brun, chantait avec elle les duos
de Grétry, leur musicien préféré, il n'y avait
plus, dans le cabinet royal, que deux femmes,
aimant les mêmes choses, capables d'échanger
une sympathie sincère et qui auraient pu être
deux amies.
122 MADxVME VIGEE-LE BRUN
Le succès de la toile où la Reine est
entourée de ses enfants fut considérable à la
Cour. Après le Salon , on Texposa dans la
grande galerie de Versailles; M. d'Angiviller
présenta l'auteur à Louis XVI, qui causa avec
elle devant le tableau et lui dit : « Je ne me
connais pas en peinture, mais vous me la faites
aimer. » Il déclara peu après l'intention, qu'il
ne réalisa point, de commander son propre
portrait à l'artiste qui avait satisfait son cœur
de père. Un récit manuscrit, écrit sous la dic-
tée de Madame Le Brun, assure qu'il ne tint
qu'à elle d'obtenir, outre les dix-huit mille
livres des Bâtiments, une récompense plus
haute pour son œuvre : « Le Roi en manifesta
son contentement au comte d'Angiviller, qui
lui proposa d'accorder à Madame Le Brun le
grand cordon noir; mais celle-ci, ayant appris
la proposition du comte, alla le trouver et le
supplia de ne point reparler au Roi de cette dis-
tinction, car ses ennemis s'en seraient encore
servis pour la calomnier. M. d'Angiviller n'en
})arla plus, et comme de tous temps, à ce qu'il
paraît, il a fallu demander une distinction pour
l'obtenir. Madame Le Brun n'en obtint pas. »
La faveur de ses souverains était d'un prix
immense aux yeux de l'artiste. Elle savait
MADAME VIGEE-LE BRUN 123
comment conserver et accroître celle de la
Reine. Dans son dernier portrait fait du vivant
du modèle, celui qui est daté de 1788, elle se
montrait avant tout préoccupée de conserver
leur agrément juvénile à des traits qui durcis-
saient trop visiblement, et elle y réussissait
une fois encore. De ce portrait existent deux
exemplaires, que différencie seulement la pré-
sence d'un collier de quatre rangs de perles
dans celui que garde Versailles. Marie-Antoi-
nette, tenant un livre à ses armes, est assise
dans un grand fauteuil Louis XV, devant une
table qui supporte la couronne et un des vases
de cristal remplis de fleurs dont elle aimait à
orner ses appartements. L'architecture du fond
n'est pas moins majestueuse que dans le
tableau où sont les enfants ; la robe de soie
blanche, bordée de fourrure, s'étale en plis
magnifiques sous le manteau de velours bleu ;
l'aigrette de plumes domine avec grâce le
grand turban de soie blanche sur les cheveux
abondants; mais quelle confiance peut inspirer
le peintre de ce visage, dont les lignes sont
trop pures, dont le menton révèle à peine
l'embonpoint venant avec l'âge, et qui dillcrc
si complètement de tous les autres portraits
de la Reine à la même époque ?
124 MADAME VIGEE-LE BRUN
Madame Vigée-Le Brun avait vu reparaître
à ses côtés, au Salon de i787, son éternelle
rivale, Madame Labille-Guiard. Auprès du por-
trait de la Reine, on admirait un tableau
presque aussi important, qui représentait
Madame Adélaïde dans ses appartements, en
grand manteau de velours rouge; Madame
Guiard y joignait un vigoureux portrait de
Madame Elisabeth et une tête d'étude au
pastel, faite en vue du portrait de Madame
Victoire. De tels morceaux, d'une exécution
moins souple dans les chairs que ceux de
Madame Le Brun, mais supérieurs dans les
accessoires et les étoffes, permettaient à bien
des connaisseurs d'afficher leur préférence
pour l'artiste que les tantes du Roi avaient
adoptée et à qui un brevet royal venait de
conférer le titre de « peintre de Mesdames ».
Le peintre de Marie-Antoinette était persua-
dée que Madame Guiard a essayait, par tous
les moyens imaginables, de la noircir dans
l'esprit de ces princesses ». Elle se défendait
du moins, devant le j)ublic, par une exposi-
tion d'une richesse extraordinaire : un grand
tableau de famille, la marquise de Pezay et la
mar(juisc de Rougé avec ses enfants; d'autres
portraits : la comtesse de Béon, le jeune baron
MADAME VIGEE-LE BRUN 125
d'Espagnac, Madame de La Briche, Madame de
Lagrange; plusieurs « portraits et études sous
le même numéro », puis trois morceaux qui
formaient un ensemble amusant et nouveau
dans son œuvre.
Il s'agissait de portraits d'acteurs, dont
l'artiste avait pris les modèles parmi les habi-
tués de sa maison. Le chanteur Gailleau, retiré
depuis longtemps de la Comédie-Italienne,
était peint en costume de chasse, fusil en
main, gibecière au côté ; un critique repro-
chait à ce comédien sur le retour de a déployer
avec grâce les trente-deux perles dont sa
bouche est ornée ». Madame Molé-Raymond,
pensionnaire du Roi à la Comédie-Française,
portait un costume de bourgeoise; les cheveux
flottants sous un grand chapeau bleu, les mains
dans l'énorme manchon du moment ; on la
trouvait hardie et provocante comme une pro-
meneuse du Palais -Royal ; mais son rire de
bonne humeur désarmait les censeurs tentés
de crier au mauvais goût. Enfin , l'actrice à
la mode, la sensible Dugazon, était rej>ré-
sentée dans son rôle du jour, Nina ou la Folle
par amour, au moment pathétique où, faisant
un bouquet sur un banc de jardin, elle croit
brusquement entendre la voix de Germeuil,
126 MADAME VIGEE-LE BRUN
son amant. Le sujet, alors si populaire, eût
assuré le succès du tableau ; mais l'exécu-
tion était d'une qualité rare et valait le sen-
timent exprimé : « Jamais, racontera Madame
Le Brun, on n'a pu nous rendre Nina, Nina
tout à la fois si décente et si passionnée, et
si malheureuse , si touchante que son aspect
seul faisait fondre en larmes les spectateurs...
J'étais trop enthousiaste de Madame Dugazon
pour ne pas l'engager souvent à venir souper
chez moi ; nous remarquions que, si elle venait
de jouer Nina, elle conservait encore ses yeux
un peu hagards, en un mot qu'elle restait
Nina toute la soirée. »
A ce même Salon de 1787, Madame Vigée-
Le Brun présentait encore le portrait de sa
fille de profd, tenant un miroir où l'image
se reflétait de face ; cette jolie étude enfan-
tine avait été gravée à l'eau-forte et au lavis
par son ami le comte de Paroy , qui l'expo-
sait dans une salle voisine, ainsi qu'un por-
trait de Madame Le Brun au lavis. Les
amateurs de l'artiste pouvaient, d'ailleurs,
satisfaire en ce sens toute leur curiosité, car
elle s'était peinte pour eux daiis le fameux
tableau où clic tient sa fille en robe blanche
sur ses genoux, ayant elle-même un châle
MADAME VIGEE-LE BRUN 127
violet, un jupon de salin jaune et une large
écharpe de mousseline blanche roulée dans
les cheveux. Le charme incontestable de
l'œuvre et aussi ce qui s'y mêle de précio-
sité irritante se trouvent assez bien marqués
dans une critique du temps : « La joie brille
en ses yeux ; elle triomphe de porter un si
précieux fardeau et rend à son enfant tous
les sourires qu'elle en reçoit. Une mignar-
dise que réprouvent également et les artistes,
et les amateurs, et les gens de goût, dont il
n'y a point d'exemple chez les anciens, c'est
qu'en riant elle montre les dents. Cette affec-
tation est surtout déplacée dans une mère;
elle ne compassé point de la sorte ses mou-
vements... » Plus délicat et plus simple sera
l'autre groupe de la mère et de l'enfant, exé-
cuté pour M. d'Angiviller, où Madame Vigée-
Le Brun, en robe blanche, ceinte d'une écharpe
rouge, a les cheveux retenus par une bande-
lette. C'est répanouissemcnt complet, mais
sûrement idéalisé, de cette beauté reconnue
des contemporains, qui devait être faite sur-
tout de grâce vivante, d'expression cares-
sante et mobile. Les traits sont beaucoup
moins purs dans le portrait de David, ébauché
vraisemblablement à cette époque ; le cou est
128 MADAME YIGEE-LE BRUN
fort, le visage large, la bouche spirituelle,
mais grande. Il y a loin de cette image à celle
que traça d'elle-même l'artiste délicieusement
coquette. Son pinceau enjoliva tant de ses
contemporaines qu'on lui pardonne volontiers
cette supercherie, qui fit sa bouche si menue,
ses yeux si grands, dans un ovale délicate-
ment arrondi.
Madame Vigée-Le Brun, avant la Révolu-
tion, était avec David en relations des plus cor-
diales. Il venait chez elle et, lorsqu'elle a cru
devoir flétrir, sur ses vieux jours, la carrière
jacobine du peintre, elle n'a point insisté sur
l'intimité à laquelle est dû son portrait; elle
a même passé sous silence quelques services
reçus de l'obligeance de son grand confrère.
C'est ainsi que, dans l'été de 1787, lorsque
Madame Le Brun fit reconstruire son atelier,
il prit quelque temps, au Louvre, les élèves
qu'elle avait chez elle et encourut de ce chef
un blâme de M. d'Angiviller. Accusé de violer
le règlement, qui interdisait le mélange des
deux sexes dans l'éducation des artistes, il
répondit au directeur général : « J'ai en dépôt
chez moi trois demoiselles, élèves de Madame
Le Brun, qui doit les reprendre lorsque son
bâtiment sera fini ; elles sont absolument éloi-
MADAME VIGEE-LE BRUN 129
gnées de l'atelier de mes élèves, avec lequel
elles n'ont aucune communication . . . Leurs
mœurs sont irréprochables; elles appartiennent
à des parents dont la réputation est établie de
la manière la plus honorable, et c'est à cette
seule considération que je me suis attaché
pour rendre un service passager, gratuit et
tendant à maintenir d'heureuses dispositions. »
Les jeunes filles n'en furent pas moins expul-
sées du Louvre, mais nous apprenons, par la
correspondance échangée à propos de cet inci-
dent, que Madame Vigée-Le Brun, imitant
Madame Labille-Guiard, avait alors plusieurs
élèves ; celles dont s'était chargé David étaient
Mademoiselle Duchosal et les filles de M. Le
Uoux de la Ville, dont l'aînée devint Madame
Benoist, l'Emilie des Lettres de Dumoustier
et l'un des peintres de la cour impériale.
Il y a, dans le tableau de David, achevé et
signé seulement en l'an XI, quelques détails
de costume probablement contemporains du
fameux « souper grec », qui est une des anec-
dotes les plus célèbres de la vie parisienne de
l'époque. Au retour de ses voyages, Madame
Vigée-Lc Brun porte, dans son atelier, une
robe blanche serrée par une ceinture jaune
et haute soutenant les seins, vêtement devenu
130 MADAME VIGEE-LE BRUN
alors d'usage courant; elle est chaussée de san-
dales « à l'esclavage », et une grande écharpe
jaune posée sur la chaise d'acajou est brodée
d'un dessin à palmettes. Mais elle inaugura
peut-être ce costume, la gracieuse hôtesse de
la rue de Cléry, le jour où, par une fantaisie
d'artiste conforme aux goûts de toute sa
société, elle improvisa ces divertissements à
l'antique qui intriguèrent la Ville et la Cour,
et dont finit par s'occuper l'Europe entière.
L'épisode dut contribuer pour une bonne part
à l'avènement des modes nouvelles. N'oublions
pas, en effet, que le groupe d'écrivains, d'ar-
tistes, d'homme de naissance ou de finance
qui se réunissaient autour de Madame Le Brun,
donnait le ton sur bien des points. Le rôle
revenait aux particuliers, puisque la Cour ne
le remplissait plus ; il leur appartenait, au len-
demain des grands succès de David au Salon,
de diriger à son tour la mode dans les voies
où les arts s'étaient engagés avec assurance;
il fallait lui indiquer le parti qu'elle pouvait
tirer, pour son incessant renouvellement, de
cette antiquité familière, révélée du côté latin
par les fouilles triIcM'culanum, et qui revivait,
pour le monde grec, dans le Voyage du jeune
AnacJiarsis.
MADAME VIGEE-LE BRUN 131
Après trente années de préparation, le livre
de l'abbé Barthélémy paraissait en 1787, et
bénéficiait d'un engouement sans exemple
pour un ouvrage d'érudition. Ce n'est pas
seulement que l'abbé fût un savant aimable,
qui avait appris chez Madame de Choiseul et
Madame de la Reynière l'art d'intéresser à la
science les gens du monde ; c'est aussi que
l'antiquité hantait toutes les cervelles et que
les femmes elles-mêmes, ayant épuisé les fan-
freluches du siècle, y pressentaient, pour leur
luxe et leur parure, des ressources inconnues.
Le livre de Barthélémy vint précisément ins-
pirer la soirée grecque de Madame Le Brun,
qui en a fait mettre dans ses Souvenirs un
long et complaisant récit. Une narration plus
courte et plus ancienne, due à Aimé Martin,
suffira à rappeler quels détails essentiels se
présentaient à la mémoire de l'artiste, quand
elle contait cette histoire :
« Les Voyages du jeune Anacharsis venaient
de paraître ; Madame Le Brun en faisait la
lecture avec son frère Vigée, lorsque la des-
cription d'un repas fit naître à ce dernier
l'envie de goûter des sauces grecques. Cette
idée plaît à Madame Le Brun et met en mou-
vement sa vive imagination. Plusieurs amis
132 MADAME VIGEE-LE BRUN
devaient justement souper le soir avec elle.
Son cuisinier était habile ; elle l'appelle, lui
décrit, lui ordonne les sauces et se charge
elle-même de décorer la salle du festin. Un
grand paravent est disposé pour servir de fond
au tableau ; on dresse une table d'acajou ; les
chaises sont drapées à la manière des lits
antiques ; le comte de Paroy, qui habite le
même hôtel , envoie un long manteau de
pourpre et les plus beaux vases étrusques de
son riche cabinet; M. de Cubières fait appor-
ter sa lyre d'or, dont il jouait avec une rare
perfection. Tout s'arrange, tout prend un air
de fête. Au milieu de ces préparatifs, arrive
le poète Lebrun; il se croit à Athènes; vite,
l'enchanteresse l'environne des plis du man-
teau de pourpre, le décoiffe et pose une cou-
ronne de fleurs sur ses cheveux épars. Sous
ce costume, c'était Pindare, Homère, Anacréon.
Plusieurs beautés célèbres. Mesdames de Bon-
neuil, Vigée, Chalgrin, fille de Vernet, arrivent
successivement ; les coiffer à la grecque, les
revêtir de tuniques, les transformer en Athé-
niennes, tout cela ne fut qu'un jeu pour
Madame Le Brun... Les mêmes ajustements
(]ui embellissaient ses compositions embel-
lirent pour cette fois ses convives. Chaudet,
MADAME VIGEE-LE BRUN 133
Ginguené, Yigée, M. de Rivière, couverts de
riches draperies, prirent place au festin. Les
dames, qui toutes étaient musiciennes, qui
toutes avaient des voix charmantes. Madame
Le Brun avec elles, chantaient en chœur : Le
Dieu de Paphos et de Cnide ; sa lyre d'or en
main, M. de Cubières accompagnait cet air
divin de Gluck ; Pindare - Lebrun , le front
couronné de fleurs, récitait les odes d'Ana-
créon et présidait cette poétique assemblée.
Des raisins de Corinthe, des figues, des olives,
une volaille et deux anguilles avec des sauces
grecques, des gâteaux de miel, quelques entre-
mets légers, couvraient la table. Deux jeunes
esclaves vêtues de longues tuniques, Mademoi-
selle de Bonneuil et Mademoiselle Le Brun,
circulaient autour des convives et leur ver-
saient des vins de Chypre dans des coupes
d'Herculanum.
« Deux personnes en retard, M. le comte
de Vaudreuil et M. Boutin, arrivent au milieu
de la fête ; on leur ouvre les deux battants,
ils restent immobiles de surprise. Chacun alors
se leva à son tour, pour jouir de l'ensemble du
tableau. Les poètes se récriaient sur l'heu-
reuse disposition du banquet ; les gens de
cour sur la grâce des costumes, tous sur la
134 MADAME VIGEE-LE BRUN
beauté des jeunes Grecques. Mais les artistes
remarquaient que la couleur sombre des vases
antiques et de la table d'acajou faisait ressortir
en lumière tous les personnages, ce qui don-
nait en même temps de l'inspiration aux figures
et de l'éclat aux tableaux.
« Dès le lendemain, le bruit de cette fête
charmante se répandit dans tout Paris. Madame
Le Brun fut priée de la renouveler ; elle s'y
refusa, ne voulant pas changer en une froide
comédie un moment d'inspiration. Pour se
venger, on dit au Roi que le souper avait
coûté vingt mille francs ; le Roi en parla avec
humeur au marquis de Cubières, qui n'eut pas
de peine à le détromper. Mais l'envie et la
renommée ne renoncent pas si facilement à
leurs exagérations ; ce souper devait faire le
tour de l'Europe ; partout, dans ses voyages^
Madame Le Brun en entendit raconter des
merveilles ; à Rome, il avait coûté trente mille
francs; à Vienne, cinquante mille; à Saint-
Pétersbourg, soixante mille; à Londres, quatre-
vingt mille : « En vérité, me disait un jour
a Madame Le Brun, si j'étais allée jusqu'en
a Chine, je crois qu'on ne m'en aurait pas
« tenue quitte pour un million ! »
De cet épisode, qu'il nous plaît de juger
MADAME VIGEE-LE BRUN 135
significatif pour l'histoire des mœurs, l'artiste
gardait surtout un souvenir d'amertume, qui
se rattachait péniblement pour elle aux pré-
tendues libéralités de M. de Galonné. Au reste,
l'antiquité, retrouvée une fois de plus par les
artistes, ne devait pas laisser de grandes traces
dans l'œuvre même de Madame Vigée-Le Brun;
son départ de France, qui allait survenir
presque aussitôt, l'éloigna du milieu où les
tendances nouvelles n'auraient pas manqué de
l'influencer. Elle s'y fût prêtée sans doute, car
aucun peintre ne laissa plus volontiers inspirer
par la mode, et ses derniers portraits faits
à Paris témoignent abondamment de sa sou-
plesse.
Ce fut une pure fantaisie d'artiste de prendre
pour modèles ces beaux Hindous cuivrés que le
sultan du Maïssour , Tipoo Saïb, envoya au
roi Louis XVI, en 1787, afin de lui deman-
der son alliance contre les Anglais. Madame
Vigée-Lc Brun les vit à l'Opéra, les trouva si
pittoresques qu'elle les voulut peindre, et,
comme l'interprète l'assura qu'ils ne con-
sentiraient à poser que sur la demande de
Sa Majesté elle-même, elle put obtenir cette
faveur de la Cour. Elle a raconté com-
ment elle fut reçue à l'hôtel qu'habitaient les
136 MADAME VIGEE-LE BRUN
« ambassadeurs indiens » ; ils lui jetèrent, à
l'entrée, de Teau de rose sur les mains et
posèrent ensuite avec complaisance. Le plus
âgé, de qui la tête était superbe, fut représenté
assis avec son fds près de lui. Un autre, de
très haute taille et portant aussi la barbe
blanche, se nommait Davicli Khan; elle le fit
en pied, tenant son long ])oignard recourbé, vêtu
d'une robe de mousseline blanche serrée à la
taille par une ceinture rayée, et d'une veste
parsemée de fleurs brodées. Ces tableaux,
exposés en 1789, rappelèrent alors au public
l'immense curiosité qu'avaient excitée, au
cours de leur séjour à Paris, ces magnifiques
personnages. Ils s'étaient plu aux courtes
séances pendant lesquelles l'artiste avait rapi-
dement brossé leur image, et ils l'avaient
invitée, avec son amie, la jolie Bonneuil, à un
étrange repas étalé sur le parquet, où elles
devaient se tenir presque couchées autour des
plats servis avec les doigts par leurs hôtes. Le
meilleur souvenir qu'elle garda d'eux fut cette
pièce de mousseline à larges fleurs brodées
d'or et de couleurs , que Madame du Barry
détacha pour elle des présents qu'ils lui avaient
portés; sous le Consulat, elle en improvisa,
un soir, une merveilleuse robe de bal.
MADAME VIGEE-LE BRUN 137
Le duc de Brissac, pour qui Madame Vigée-
Le Brun travailla si souvent, l'avait introduite
à Louveciennes, dans l'admirable résidence de
sa maîtresse. Elle y fut appelée pour séjourner
en 1786, et fit son premier portrait d'après
nature de cette beauté mûrissante, mais encore
savoureuse. Madame du Barry vivait dans ce
petit château que Louis XV lui avait donné et
auquel, au temps de sa faveur, elle avait
ajouté le joli pavillon dominant les bords de
la Seine. Le jardin, le château, le pavillon
regorgeaient d'œuvres d'art ; sous l'apparte-
ment qu'occupait le peintre, a se trouvait une
galerie fort peu soignée, dans laquelle étaient
placés sans ordre des bustes, des vases, des
colonnes, des marbres les plus rares et une
quantité d'autres objets précieux; en sorte
qu'on aurait pu se croire chez la maîtresse de
plusieurs souverains, qui tous l'auraient enri-
chie de leurs dons ». Drouais, Fragonard, Vien,
Pajou, AUegrain avaient orné les salons, que
décoraient les bronzes fameux de Gouthière.
Au milieu de ces richesses. Madame du Barry
restait simple dans sa toilette et dans sa façon
de vivre ; les amis qu'elle recevait, et dont
plusieurs appartenaient à hi Cour, célébraient
à l'envi la grâce de l'accueil et le charme du
138 MADAME VIGEE-LE BRUN
séjour. Madame Vigée-Le Brun, qui habita le
château à plusieurs reprises, parle de la com-
tesse avec reconnaissance; elle a laissé, sur
ses conversations et ses amitiés, des témoi-
gnages qui concordent parfaitement avec tant
d'autres, tous favorables à l'ancienne maîtresse
de Louis XV. Ses deux amies les plus intimes
étaient la marquise de Brunoy et la belle
Madame de Souza, née Canillac, femme de Don
Vincente de Souza- Coutinho , ambassadeur
de Portugal. M. de Brissac toujours présent
mettait pourtant la plus grande réserve exté-
rieure dans ses rapports avec la dame du logis.
Plusieurs hommes considérables venaient la
visiter : le marquis d'Armaillé, le prince de
Beauvau, et le baron de Breteuil, ministre de
la Maison du Roi, qui avait à Saint-Cloud son
habitation d'été. M. de Montville, dont l'ar-
tiste avait fait autrefois le portrait, habitait
aussi dans le voisinage et fréquentait la châ-
telaine ; il venait les prendre jiour les conduire
à son domaine célèbre, « le Désert », situé sur
la lisière de la forêt de Marly. C'était une habi-
tation construite « à la chinoise », au milieu
d'un jardin anglais rempli de bâtiments curieux
et bizarres, devenu un but de promenade ])our
les amateurs et dont la Reine vint s'inspirer
MADAME VIGEE-LE BRUN 139
durant ses travaux au Petit-Trianon. Riche,
aimable, élégant, ami des arts, et cependant
« le mortel le plus ennuyé de France », M. de
Montville est un des contemporains qui auraient
mérité de Madame Vigée-Le Brun plus qu'une
simple mention dans ses souvenirs.
Elle trouvait, semble-t-il, quelque solitude
dans ce charmant Louveciennes. Habituée au
mouvement de la vie de Paris, aux relations
nombreuses, aux châteaux de financiers, tou-
jours bruyants de l'arrivée ou du départ
d'hôtes nouveaux, elle s'étonnait que Madame
du Barry pût vivre dans un isolement, qu'elle
exagère probablement par les comparaisons
venues à son esprit . L'occupation princi-
pale de la comtesse consistait à visiter les
pauvres des environs et à leur porter ses
secours elle-même; elle menait l'artiste dans
ses charitables promenades, et le soir, au coin
du feu, repassait devant elle ses souvenirs.
Sobre de détails sur Louis XV et sa cour, elle
parlait toujours a avec le plus grand respect
pour l'un et le plus grand ménagement pour
l'autre. Tous les jours, après diner, nous
allions prendre le café dans ce pavillon si
renommé pour le goût et la richesse de ses
ornements. » Par cette fréquentation intime,
140 MADAME VIGEE-LE BRUN
Madame Vigée-Le Brun se pénétrait de l'âme
de son modèle. Le premier de ses portraits
reproduisit, par une fantaisie de la comtesse,
la disposition d'une miniature de Lawreince,
faite vingt ans plus tôt, au temps de sa rayon-
nante jeunesse. Elle est en buste, le peignoir
serré à la taille par un ruban mauve, avec un
chapeau de paille orné de fleurs et d'une plume
grise. Madame du Barry, sûre de son splen-
dide automne, a voulu le comparer à la
fraîcheur de son printemps. De beaux cheveux
se déroulent autour du cou nu; le sourire est
exquis et plein de promesse ; c'est, dit l'artiste,
« celui d'une coquette, car ses yeux allongés
n'étaient jamais entièrement ouverts ». Madame
Vigée-Le Brun renseigne exactement sur une
femme qui inspirait encore des sentiments
passionnés : « Elle était grande, sans l'être trop;
elle avait de l'embonpoint; la gorge un peu
forte, mais fort belle; son visage était encore
charmant, ses traits réguliers et gracieux; ses
cheveux étaient cendrés et bouclés comme ceux
d'un enfant, son teint seulement commençait
à se gâter. » Elle ne mettait pas de rouge
cependant, et c'est une fâcheuse restauration
qui en barbouilla le second portrait par Madame
Le Brun, que l'auteur revit avec chagrin dans
LA COMTESSE DU BARRY
Détail du tableau dont la tète a été peinte en 1789
(Collection de M. le baron Fould-Springer)
MADAME VIGEE-LE BRUN 141
cet état, après la Révolution. Le modèle, vêtu
de satin blanc, y tient une couronne et s'ap-
puie sur un piédestal. Ce deuxième portrait
était destiné, comme le premier, à M. de Bris-
sac. Après la mort tragique de celui-ci, le
« chapeau de paille » passa aux mains du duc
de Rohan- Chabot, qui écrivait à la comtesse :
« Celui que je garde est si agréable, si ressem-
blant et si piquant, que j'en suis extrêmement
content et transporté du bonheur de le possé-
der... ))
Le troisième portrait de Madame du Barry
fut commencé seulement au mois de septembre
1789; interrompu par le départ de l'artiste,
elle ne l'acheva que beaucoup plus tard, après
son retour d'émigration. La tète était d'une
« ressemblance ravissante » : « Il est parlant,
et d'un agrément infini, » disait encore M. de
Rohan-Chabot. Et certes, à le retrouver dans
une collection française, même à voir la copie
de la Bibliotlièque de Versailles, on comprend
la séduction exercée par cette ienime sur ses
contemporains. Très belle encore en ses qua-
rante-six ans, l'ancienne favorite, assise au
pied d'un arbre de son domaine, rêve, les
yeux mi-clos, dans une attitude abandonnée.
Elle tient un léger bouquet fait d'un lis et d'une
142 MADAME VIGEE-LE BRUN
rose. Echappées du voile blanc qui la cou-
ronne, les boucles entourent voluptueusement
le paisible visage. L'extrême simplicité du
portrait raconte une époque, mais aussi un
caractère, ce que le peintre a rarement
essayé ; le sourire y revêt toute la science
des tendresses et la mélancolie de les avoir
vécues.
Il faut marquer, au reste, dans l'œuvre du
portraitiste, une évolution nouvelle. Aux années
qui précèdent immédiatement la Révolution,
l'influence de David devient prépondérante, et
David lui-même, par ses nobles portraits
presque sévères, traduit des âmes déjà chan-
gées. Les déguisements champêtres disparais-
sent de l'œuvre de Madame Vigée-Lc Brun; on
ne les lui demande plus, et on n'exige pas
encore les arrangements à l'antique, qui vont
bientôt envahir la mode. Elle exécute alors
des tableaux sérieux et graves, qui semblent
refléter le sérieux des esprits et la gravité des
événements. Les accessoires n'encombrent
plus ou ne servent (ju'à mieux évoquer le
lieu, à mieux définir le personnage; l'attitude
apprêtée pour la pose disparait et le corps
prend son pli naturel sous le vêtement de
MADAME VIGEE-LE BRUN 143
tous les jours. C'est ainsi que David va conce-
voir ses images célèbres de Madame Chalgrin,
de Madame de Pastoret et quelques autres ; et
déjà Madame Vigée-Le Brun peint Madame du
Barry au jardin, Madame de Sabran, Madame
Lenormand. Ces deux derniers portraits, qu'on
peut choisir parmi ceux que lui doit cette
courte période, sont d'une liberté piquante, et
tout à fait voisins de composition : la grande
dame croise ses bras sur un coussin, la bour-
geoise s'y accoude en tenant une brochure;
mais elles ont, l'une et l'autre, la tête encadrée
de leurs boucles descendant sur le fichu et
sont vêtues d'une mousseline qu'une ceinture
serre à la taille. Elles offrent, malgré la diver-
sité des traits, la même expression spirituelle,
le même agrément sans prétention, qui ont fait
dans tous les temps le véritable attrait de la
femme française. Cette fois encore. Madame
Vigée-Le Brun, inspirée par son siècle, conseil-
lée par ses propres modèles, fait presque à
nos yeux œuvre d'historien.
Elle ne s'assujettissait, d'ailleurs, à aucune
manière et se montrait artiste de race, en
appropriant au caractère de chacune de ses
contemporaines des ressources infiniment va-
riées de composition. En même temps qu'elle
144 MADAME YIGEE-LE BRUN
se peignait si simplement, les bras nus, avec
sa fille, pour M. d'Angiviller, elle saisissait
Madame Perregaux, la femme du banquier,
dans un de ces mouvements vifs qui rappellent
ses portraits de théâtre. Penchée au bord d'une
galerie d'où elle écarte un rideau, la jeune
femme en collerette, sous un grand chapeau
à plumes, est fixée dans une attitude imprévue;
elle semble prêter l'oreille, et ses yeux mali-
cieux répondent déjà à des paroles lointaines.
L'œuvre plaisait particulièrement à son auteur,
qui en demandait le prêt, par ce joli billet,
pour la faire figurer au Salon :
Madame Le Brun envoie savoir des nouvelles de
Madame Perregaux, et elle la prie de vouloir bien avoir
la bonté de lui envoyer son portrait ou de donner des
ordres dans le cas où elle l'enverrait chercher, Madame
Le Brun ayant reçu l'avertissement que tous les artistes
de l'Académie aient à envoyer leurs tableaux pour avoir
la grandeur de chacun, afin de pourvoir à l'ordre des
places au plus tôt. Comme le portrait de Madame Perre-
gaux est le plus charmant de tous à cause de sa ressem-
blance, Madame Le Bnin le met h la tète de sa collection,
et prie le bien aimable original de ne point l'oublier et de
recevoir l'assurance de ses tendres sentiments.
Ce Salon de 1781) s'ouvre au milieu du
trouble des esprits, thins le mois (jui suit la
destruction de la Bastille. Les toiles qu'y réu-
MADAME VIGEE-LE BRUN 145
nit Madame Vigée-Le Brun sont des genres les
plus divers. A côté de pittoresques études,
comme les envoyés Indiens, et de cette belle
page de réalité qu'est le portrait d'Hubert
Robert, voici le jeune prince Lubomirski en
Amour de la Gloire, tenant une couronne de
myrte et de laurier, allégorie élégante qu'une
illustre famille (lattée a payée douze mille
francs; à côté d'un portrait du Dauphin, qui est,
à cette date, le futur Louis XVII, voici un déli-
cieux buste de la fille de l'ami Brong-niart, une
brunette en marmotte, et la belle Madame Rous-
seau, femme d'un autre architecte du Roi,
peinte en 1787, portant une enfant dans ses
bras, encore avec la coiffe et le corsage des
paysannes, que les grandes dames ont aban-
donnés. L'artiste présente enfin, en indiquant
des préoccupations nouvelles, le fameux por-
trait de la duchesse d'Orléans. Nul ne trouve
indiscret qu'on révèle au public le caractère
sentimental d'une princesse et qu'on fasse part
à tous des secrets chagrins de sa destinée.
C'est que la mélancolie est à la mode et qu'il
est intéressant de verser des pleurs. La du-
chesse nonchalamment assise, porto une robe
de mousseline rayée sous un léger vêtement
de satin blanc. Accoudée sur un coussin de
10
146 MADAME VIGEE-LE BRUN
velours rouge, elle appuie la tête sur la main,
et du turban de gaze s'échappent de longues
boucles blondes. Ses yeux sont tristes, et le
médaillon attaché à la ceinture semble peint
pour l'expliquer : une femme éplorée, les che-
veux épars, est au pied d'un saule ; un chien
la regarde, emblème de la fidélité; sur une
urne se lit le mot Amitié. Cette composition
émeut les âmes sensibles, et intéresse tout le
monde par la curiosité qui s'attache à la femme
du prince adversaire de la Cour, prêt à recevoir
le nom d' « Egalité ». La duchesse d'Orléans
est respectée de tous les partis; le duc de
Brissac écrit de sa terre d'Anjou à Madame du
Barry, à propos de l'exposition : « Je pense
qu'il y a eu fort peu de portraits, surtout de
Madame Le Brun, qui a exposé celui de Madame
la duchesse d'Orléans ; elle est faite pour être
généralement estimée et aimée, et peut paraître
en public en quelque temps que ce soit. »
L'artiste, depuis longtemj)s attaquée de
tous côtés, n'était pas aussi sympathique que
la princesse; l'opinion lui en voulait de la
faveur constante dont elle avait joui auprès de
la Heine, et elle partageait rimpojiularité de
tout un groupe de ses modèles, les familiers
de Marie-Antoinette, dénoncés par les bro-
LA DUCHESSE D ORLEANS
LOUISE-MAIME-ADKI.AÏDE DE nOllRnON-I'ENTHIKYHE
1789
(Musée (le Versailles)
MADAME VIGEE-LE BRUN 147
chures, honnis dans les clubs, et qui commen-
çaient à émigrer. Déjà la famille de Polignac,
Madame de Polastron, M. de Vaudreuil, étaient
partis pour la Suisse, afin d'y attendre le réta-
blissement de l'ordre; beaucoup de gens de
cour se disposaient à les imiter. Paris était
dans une effervescence dangereuse ; Madame
Vigée-Le Brun, tentée, elle aussi, de quitter
une ville aussi troublée, l'aurait fait sans les
portraits promis qui la retenaient. Plus tard,
elle raconta souvent les émotions qu'elle avait
éprouvées en ce commencement de la Révolu-
tion. Dès 1788, se rendant avec Robert à
Romainville, chez le maréchal de Scgur, elle
avait remarqué que les paysans ne les saluaient
plus; quelques-uns même les menaçaient du
bâton. Dans l'été de 1789, étant à Marly, chez
Madame Auguier, sœur de Madame Campan et
comme elle attachée au service de la Reine,
l'artiste voyait avec stupeur la maréchaussée
fraterniser avec les pires malandrins du pays.
Les salons n'étaient pas moins inquiétants. Un
soir, chez elle, Ginguené avait osé lire une ode
à M. Necker, où il proclamait « qu'on ne pou-
vait régénérer la France sans répandre du
sang » ; M. de Vaudreuil et le peintre s'étaient
regardés sans rien dire, devinant en un ins-
148 MADAME VIGEE-LE BRUN
tant cette âme haineuse qui en révélait tant
d'autres. L'amer mépris de Lebrun -Pindare
pour une société dont il avait vécu, éclatait en
paroles violentes. Dînant à Malmaison, Madame
Vigée-Le Brun rencontrait l'abbé Sieyès a et
plusieurs ardents amateurs de la Révolution »,
et elle écoutait avec effroi leurs prédictions ;
le maître du logis, ce hurlait contre les nobles »,
et l'abbé lui-même annonçait qu'on irait trop
loin.
Parmi ses anecdotes sur 1789, l'artiste en
narre quelques-unes qui ont leur prix : « Je
me rappelle parfaitement qu'un soir où j'avais
réuni du monde chez moi pour un concert, la
plus grande partie des personnes qui m'arri-
vaient entraient avec l'air consterné ; elles
avaient été le matin à la promenade de Long-
champ ; la populace, rassemblée à la barrière
de l'Etoile, avait injurié de la façon la plus
effrayante les gens qui passaient en voiture;
des misérables montaient sur les marchepieds
en criant : a L'année prochaine, vous serez
« derrière vos carrosses et c'est nous qui
« serons dedans », ainsi que mille autres pro-
pos plus infâmes encore. Ces récits, comme vous
pouvez croire, attristèrent beaucoup ma soi-
rée. » Elle pensait être personnellement en
MADAME VIGEE-LE BRUN 149
danger. Installée, cette année même, dans la
maison de la rue du Gros-Chenet, celle qu'on
disait payée par les libéralités de Galonné,
elle la croyait spécialement marquée pour le
pillage. On jetait du soufre dans ses caves ;
les gens de la rue la menaçaient du poing
quand elle paraissait à sa fenêtre. Gomme sa
santé s'altérait parmi tant d'émotions et d'ima-
ginations fiévreuses, Brongniart et sa femme,
qui avaient leur logement à l'Hôtel des Inva-
lides, lui offrirent pendant plusieurs jours
l'hospitalité; puis elle séjourna rue de la
Ghaussée-d'Antin, chez M. de Rivière, père
de sa belle-sœur Vigée. Elle pouvait se croire
en sûreté dans la maison d'un ministre
étranger; mais le spectacle de la rue, les
manifestations bruyantes de la populace, les
conversations toujours agitées qui l'entou-
raient, continuaient à l'énerver; elle ne travail-
lait presque plus. On lui conseilla de s'absenter
et d'aller en Italie, ce qu'elle projetait depuis
que son ami Ménagcot était devenu directeur
de l'Académie de France à Home. Elle avait
compté passer le mois de septembre à Louvo-
ciennes, où elle commençait le dernier portrait
de Madame du Barry; mais, obligée de faire
une course à Paris, elle y trouva la situation
150 MADAME VIGEE-LE BRUN
si alarmante, qu'elle se décida au voyage,
renvoyant à son retour l'achèvement des por-
traits entrepris.
Le départ n'était point aisé ; on surveillait
les sorties de la capitale; sa voiture chargée
ayant excité les soupçons du voisinage, des
gardes nationales en armes envahirent son
salon pour lui signifier qu'elle eût à renoncer
à ses préparatifs. Elle dut s'accommoder de la
diligence, ce qui amena un retard de quinze
jours, car toutes les personnes qui émigraient,
ayant les mêmes raisons de prudence, envahis-
saient les voitures publiques. Les trois places
pour elle, sa fille et sa gouvernante, se trou-
vaient retenues au 6 octobre, le soir même
de la tragique journée où le Roi et la Reine
étaient conduits à Paris par l'émeute. A minuit,
brisée de peur et de fatigue, elle fut traînée
au bureau des messageries par son frère, son
mari et le fidèle Robert, qui suivirent à la
portière les voyageuses à travers le terrible
faubourg Saint-Antoine, jusqu'à la barrière du
Trône. Le trajet de Paris à Lyon fut sinistre ;
la j>auvre femme craignait toujours d'être
reconnue sous son déguisement d'ouvrière mal
velue, malgré le lichu (luellc faisait tomber
sur ses yeux. Auprès d'elle, un individu mal
MADAME VIGEE-LE BRUN 151
odorant ne parlait que de mettre les gens à la
lanterne ; un jacobin forcené pérorait dans la
voiture et dans les auberges ; il circulait par-
tout de terribles nouvelles de la capitale, qui
la disaient à feu, et le Roi et la Reine massa-
crés. L'enfant n'était pas moins effrayée que
la mère. A Lyon, continuant de se cacher, elles
passèrent trois jours dans la maison d'un négo-
ciant, qui les recommanda comme des parentes
à un voiturier du pays pour les mener jusqu'à
la frontière.
Madame Le Brun ne respira librement que
lorsqu'elle eut franchi le Pont-de-Beauvoisin ;
mais la beauté des Alpes de Savoie, l'inattendu
des spectacles de montagne, du chemin des
Echelles, du Mont-Cenis, lui apportèrent très
vite une distraction bienfaisante et, lorsqu'elle
arriva à Turin, les inquiétudes et les incom-
modités du voyage étaient effacées de son
souvenir par le pittoresque nouveau que ses
regards de peintre venaient de découvrir.
Jamais auparavant clic n'avait pu prévoir que
son art s'intéresserait à autre chose qu'à la
la figure humaine; par une illusion assez fré-
quente, la nature alpestre lui fit croire qu'elle
était capable de rendre l'émotion qu'elle en
tirait. Elle s'y essaiera désormais; on la verra
152 MADAME VIGEE-LE BRUN
partout, et surtout en Suisse, composer,
presque toujours au pastel, d'innombrables
paysages de rochers, de lacs et de cascades,
d'un arrangement enfantin, d'une exécution
maladroite, qui diminueraient ses titres d'ar-
tiste si l'on voulait y attacher quelque impor-
tance. Personne, il est vrai, ne s'en soucie, et
l'on note seulement pour mémoire que l'Ecole
française a dû la vocation d'un médiocre
peintre de montagne aux troubles révolution-
naires, qui arrachèrent un grand portraitiste
à ses modèles de Paris.
IV
(1790-1801)
LE séjour de Madame Vigée-Le Brun en
Italie inaugure cette existence errante
qu'elle va mener si longtemps et où elle
va perdre par degrés, tout en s'assurant beau-
coup d'argent et de renommée, le talent déli-
cieusement original que la France de Louis XVI
a vu grandir. L'Italie, tout d'abord, ne la
dépayse pas entièrement. Elle y rencontre,
dans les arts, les écoles qu'elle a étudiées par
les collections et au milieu desquelles elle a
vécu, puisque les magasins de son mari étaient
remplis de leurs œuvres ; dans la société, elle
retrouve une partie de ses amis, que l'émigra-
tion jette peu à peu au delà des Alpes, des
compatriotes établis depuis longtemps et des
étrangers à qui la vie de Paris est familière.
154 MADAME VIGEE-LE BRUN
Ses travaux bénéficient de circonstances aussi
favorables, et presque tous les portraits qu'elle
peint à cette époque demeurent dans sa meil-
leure manière.
Elle dut, dès la première heure, se mettre
au travail. M. Le Brun, fidèle à ses habitudes,
n'avait point donné d'argent, et cent louis,
qu'elle avait reçus du bailli de Crussol pour
son portrait, au moment du départ, furent son
seul viatique pour la longue route. L'isolement,
du moins, ne lui pesa point, car, en chaque ville,
elle rencontra des gens de sa connaissance,
fiers de recevoir l'illustre peintre et de lui faire
les honneurs du pays. A Turin, elle logea chez
Porporati, le graveur excellent, qu'elle avait
beaucoup vu à Paris en 1787, et qui avait fait
des démarches pour graver le grand tableau
de la Reine avec ses enfants ; à son retour,
elle peignit le portrait de la fille de l'artiste
piémontais, que le burin de celui-ci a inter-
prété. A Parme, elle était accueillie par le
comte de Flavigny, ministre de I^ouis XVI à
la cour de l'Infant, et par sa femme, qui la
présentait à la sœur de Marie-Antoinette. Un
de leurs amis, le vicomte de Lcspignière, qui
se rendait à Home, se chargea d'y accompa-
gner les voyageuses; elles purent ainsi, en
MADAME VIGEE-LE BRUN 155
toute sécurité, traverser les montagnes, et leur
voiturin fut suivi constamment par celui de ce
gentilhomme, qui se prêta aux arrêts de l'ar-
tiste. Elle voulait voir, dans les grandes villes
seulement, les monuments et les œuvres d'art
consacrés . Elle n'eût pas omis un des palais
de Bologne où figuraient des peintures de la
fameuse école alors en honneur dans l'ensei-
gnement universel de l'art ; à Florence, elle
prit de vives jouissances aux galeries Médicis
et Pitti et les analysa avec intelligence, mais
sans daigner remarquer une seule œuvre anté-
rieure à Raphaël. Partout, ses confrères lui ren-
daient hommage: à peine arrivée à Bologne, elle
recevait le directeur de l'Académie des Beaux-
Arts, lui apportant ses lettres de réception ; le
jour où elle visita, à Florence, la galerie des
portraits de grands peintres peints par eux-
mêmes, on lui laissa entendre qu'elle y pour-
rait envoyer le sien ; et la proposition lui sem-
bla si flatteuse qu'elle se mit au travail dès
son arrivée à Rome.
A Rome, ce sont d'abord les artistes fran-
çais qui lui font un accueil enthousiaste. L'ami
Ménageot, qui administre depuis doux ans le
palais Mancini , reçoit à la descente de voi-
ture la mère et la fille, leur donne l'hospitalité
156 MADAME VIGEE-LE BRUN
dans un petit appartement du palais, avance
l'argent nécessaire à leurs premiers besoins.
Le jour même de l'arrivée, il mène l'impa-
tiente voyageuse à Saint-Pierre et au Jugement
dernier; le lendemain, au musée du Vatican,
puis au Colisée. Les jeunes pensionnaires du
Roi, dont plusieurs ont dîné chez elle à Paris,
viennent en corps lui présenter leurs hom-
mages. Parmi eux sont Girodet, Fabre et Le-
thière; ils lui offrent la palette de leur cama-
rade Drouais, mort prématurément et qui fut
un des mieux doués parmi les élèves peintres ;
ils demandent en échange quelques-uns des
pinceaux dont elle s'est servie. Elle ne reste
pas longtemps à l'Académie ; le train des voi-
turins, qui ont leur remise dans une rue laté-
rale, les chants et la musette dos Calabrais
devant une Madone éprouvent ses oreilles trop
délicates ; elle est chassée successivement de
la place d'Espagne et de trois autres domiciles
par les bruits divers qui la poursuivent, et le
souvenir de cette odyssée et de ces souffrances,
qu'elle retrouvera dans presque toutes les
villes, tient autant de place dans ses récits
que ses observations un peu banales devant
les antiques renommés ou les peintures de
Raphaël.
MADAME VIGEE-LE BRUN 157
Madame Vigée-Le Brun visite Rome avec
enchantement. Accompagnée d'abord de Ména-
geot et du peintre Denis, aucun palais, aucune
villa n'échappe à sa curiosité ; initiée par
eux aux itinéraires que consacrent l'admiration
des siècles et la routine des ciceroni, elle
cherche bientôt l'agrément des promenades
solitaires. « On ne se lasse point de revoir ce
Colisée, ce Capitole, ce Panthéon, cette place
Saint-Pierre , avec sa colonnade, sa superbe
pyramide, ses belles fontaines, que le soleil
éclaire d'une manière si magnifique, que sou-
vent l'arc-en-ciel se joue sur celle qui est à
droite en entrant. » Elle connaît les points de
vue fameux, les aspects les plus goûtés au
clair de lune, les villas dont s'entretiennent
les étrangers. Elle a, du reste, comme il con-
vient, choisi son coin préféré, sur les hauteurs
du Monte-Mario, où elle va dîner avec les
œufs frais de Vosteria et le poulet froid qu'ap-
porte son fidèle Germain, en vue de la belle
ligne lointaine des Apennins. Partout elle se
livre à des émotions d'artiste, rêve, crayonne,
ne s'ennuie jamais. Les journées passées à
Frascati, à Tivoli, à la villa Atlriana, sont
parmi les mieux remplies de sa vie. a Tous
les artistes ont dû sentir, comme moi, qu'il
158 MADAME VIGEE-LE BRUN
est impossible de marcher autour de Rome sans
éprouver le besoin de se servir de ses crayons;
je n'ai jamais pu faire un petit voyage, pas
même une promenade, sans rapporter quel-
ques croquis; toute place m'était bonne pour
me poser, tout papier me convenait pour faire
mon dessin. » Il lui arrive de prendre un
coucher de soleil de la terrasse de la Trinité-
des-Monts, au dos d'une lettre de change de
M . de Laborde.
« Il n'existe pas une ville au monde, observe-
t-elle, dans laquelle on puisse passer le temps
aussi délicieusement qu'à Rome, y fût-on privé
de toutes les ressources qu'offre la bonne
société. » Mais notre Parisienne est trop
sociable pour négliger ces ressources, dont
Rome abonde en tous les temps et que lui
offrent naturellement, outre les Français établis
dans la ville, tous ceux que les troubles du
royaume viennent d'y jeter. Parmi les premiers,
le plus illustre est le cardinal de Bernis, qui
achève péniblement auprès de Pie VI la mission
diplomatique et religieuse (]ue Louis XV lui a
confiée; son accueil reste toujours magnifique,
sa maison aussi grandement hos])italière, aussi
rechercliée des étrangers et des Romains.
Madame Le Brun raconte le beau dîner diplo-
MADAME VIGEE-LE BRUN 159
matique, donné en son honneur, où elle a vu
le cardinal manger ses deux petits plats de
légumes, assis entre elle et Angelica Kaufmann.
L'ancien ami de Madame de Pompadour
rend agréable le séjour de Rome à tous ces
nobles voyageurs qui deviennent des émigrés,
et parmi lesquels l'artiste retrouve son cher
Vaudreuil, Madame de Polastron, qui n'a pas
rejoint encore le comte d'Artois, tous les
Polignac, le duc et la duchesse de Flcury, le
duc et la duchesse de Fitz-James, et cette
pauvre princesse de Monaco, qui aura le dange-
reux courage de retourner en France pendant
la Terreur. L'artiste prétend avoir évité de
fréquenter la famille de Polignac, par pru-
dence, « en considération des parents et des
amis qu'elle avait en France ». Des lettres de
Vaudreuil la contredisent sur ce point, tout en
rendant de nouveaux hommages aux charmes
de sa société ; il dit au comte d'Artois son
regret de quitter Rome à la suite de ses amis :
« Les arts y charmaient mes ennuis ; ma ten-
dresse pour le cardinal, sa bonté pour moi
m'attachaient à cette ville, et mon bon ange y
avait amené Madame Le Brun que j'aime ten-
drement. »
L'amitié la plus intime réunit alors Madame
160 MADAME VIGEE-LE BRUN
Vigée-Le Brun à la duchesse de Fleury,
cette Aimée de Coigny que son mari avait cru
prudent d'emmener en Italie, pour soustraire
sa jeunesse moins aux dangers de l'émeute
révolutionnaire qu'aux séductions déjà victo-
rieuses de M. de Lauzun. L'artiste aima son
imagination ardente, sa curiosité de l'art, sa
passion pour les paysages ; « je trouvais en elle
une compagne telle que je l'avais souvent
désirée ». Et, comme elle ne peut passer sous
silence les scandales trop connus d'une vie
orageuse, elle en excuse au moins les débuts :
(( Songeant combien elle était jeune, combien
elle était belle, je tremblais pour le repos de
sa vie ; je la voyais souvent écrire au duc de
Lauzun... et je craignais pour elle cette liaison,
quoique je puisse penser qu'elle était fort inno-
cente. » Madame Le Brun était-elle vraiment
assez naïve pour croire à cette innocence ?
Madame de Fleury, en tout cas, pouvait
s'amuser à égarer une bonne âme, ([ui ne
s'aperçut même point des assiduités de lord
Malmesbury, très vite rival de l'absent, et se
contenta de prendre en la compagnie i\c la
jeune duchesse un très vif plaisir de sympathie.
l']llcs se rencontraient le soir chez lady Clifibrd,
rendez-vous de la société anglaise, ou a la
MADAME VIGEE-LE BRUN 161
conversazione du prince Camille de Rohan,
ambassadeur de Malte, chez qui les étrangers
venaient, suivant l'usage romain, raconter ce
qu'ils avaient vu dans la journée et se ren-
seigner sur les promenades du lendemain. Le
peintre et la grande dame couraient la cam-
pagne ensemble, allaient à la découverte dans
les villas inhabitées, s'intéressaient aux fouilles
et aux trouvailles des paysans . Elles fini-
rent par s'installer quelque temps à Genzano ,
dans une espèce de palais ayant appartenu
à Carlo Maratta, au bord du charmant lac de
Némi. Elles goûtèrent extrêmement le pitto-
resque du pays ; on avait loué des ânes, dont un
pour la petite Le Brun, et ce furent chaque jour
des excursions dans les monts Albains, au bois
de Lariccia, le long de la « galerie » d'Albano ;
c'étaient des lieux qu'Hubert Robert avait
recommandés à son amie, et qui furent toujours
motifs de peintres. Madame Vigée-Le Brun y
fit beaucoup de paysages, à l'huile et au pastel;
mais l'on peut regretter qu'elle n'ait préféré
reproduire les traits de la jeune compagne, au
a visage enchanteur », au « regard brûlant »,
avec qui elle faisait si « bon ménage » dans la
grande maison de Genzano.
Tous ses portraits romains sont des por-
162 MADAME VIGEE-LE BRUN
traits d'étrangers. Il y avait à Rome une clien-
tèle toute prête, que la bonne Kaufmann ne
suffisait point à satisfaire ; la Française nou-
velle venue dut à sa renommée quelques belles
commandes. Elle peignit lord Bristol , une
jeune Portugaise nommée Madame Silva, Ma-
demoiselle Roland, maîtresse et bientôt femme
de lord Wolseley, probablement l'élégante en
robe de satin rayé , qui joue de la harpe,
debout auprès d'une table où est posé un vase
étrusque ; miss Pitt, fille de lord Camelford,
une beauté de seize ans, qui devint une Hébé
sur les nuages, tenant la coupe d'usage, où
l'aigle vient boire. L'aigle fut peint d'après
nature ; le cardinal de Bernis, qui en possédait
un, l'envoya chez l'artiste, qui eut grand'peur
de son bec et grand'peine, comme on peut le
croire, à le faire tenir en paix. Le plus pitto-
resque de ces portraits de Rome fut relui d'une
Polonaise, la comtesse Potocka , née Cetner,
qui avait été princesse de Lambesc par un
mariage précédent ; elle fut placée de face, les
mains croisées, aj^puyée sur un rocher surplom-
bant un ravin où tombent des cascades. Il y
a évidemment, dans cette disposition a pitto-
resque » à l'excès, un souvenir de la promenade
faite par l'artiste, avec ses confrères Ménageot
LA COMTESSE POTOGKA, NÉE GETNER
1790
(Collection de M. le comte Charles Lanchoromhij
MADAME VIGEE-LE BRUN 163
et Denis, aux classiques cascatelles de Tivoli.
Au mois d'avril, la Semaine sainte étant
passée. Madame Vigée-Le Brun suivit l'exemple
des étrangers et se proposa d'aller séjourner
quelque temps à Naples. Elle s'y rendit par la
route de Terracine et prit son logis à Chiaia, à
l'hôtel du Maroc, dans un de ces beaux sites
de la « Marine », que décrivent si abondam-
ment les Souvenirs. Fêtée, dès son arrivée,
par le monde diplomatique, elle eut tout aussi-
tôt des portraits à faire, dont le premier fut
celui de la comtesse Catherine Vassilievna Ska-
vronsky, femme de l'ambassadeur de Russie;
c'était une nièce de Potemkine, « jolie comme
un ange » et d'une grâce alanguie et pares-
seuse ; son bonheur était « de vivre étendue
sur un canapé, enveloppée d'une grande pelisse
noire et sans corset » ; et elle était si indiffé-
rente, même à sa beauté, qu'on ne lui voyait
jamais porter les magnifiques diamants de son
écrin et qu'elle ne faisait plus ouvrir les caisses
de Paris, remplies des plus belles parures de
Mademoiselle Berlin, que sa belle-mère com-
mandait pour elle. Cette belle-mère, qui l'ado-
rait autant que son mari, fit graver par G. Mor-
ghen, l'année suivante, la toile de Madame Le
164 MADAME VIGEE-LE BRUN
Brun, qui la représente sur son divan regar-
dant amoureusement un médaillon conjugal.
L'artiste fit trois fois la délicieuse image de la
jeune femme, qui devait, après la mort de
l'ambassadeur, épouser le bailli Litta, expres-
sément relevé pour elle des vœux de Malte par
le Saint-Père. Le séjour de Madame Le Brun
à Naples dut beaucoup d'agrément à cette hos-
pitalière famille et aussi à l'accueil du baron
de Talleyrand, ambassadeur de France, et du
chevalier Ilamilton, ambassadeur d'Angleterre.
Le fils du premier lui fit faire la visite de
Capri ; le second, la tournée d'Ischia et de
Procida, qui dura cinq jours. L'Anglais avait
dans sa felouque, avec les musiciens, une
Mrs. Ilart, qui était sa maîtresse et dont il
allait faire, peu de temps après, la célèbre lad)'
Ilamilton.
On sait quelle beauté prestigieuse avait
cette femme et la singulière aptitude de son
visage à se prêter à toutes les expressions.
Priée par le chevalier Ilamilton, séduite par le
charme étrange qu'offrait un tel modèle et
qu'un si grand nombre d'artistes ont cherché
à rendre, Madame Vigée-Le Brun la peignit
trois fois. Elle en fit d'abord une Ariane, ainsi
qu'elle l'écrivait à Madame du Barry. « une
MADAME VIGEE-LE BRUN 165
Ariane gaie » , qui fut sans doute transfor-
mée en « Bacchante au bord de la mer », puis
une Sibylle, enfin une Bacchante dansant avec
un tambour de basque. Elle savait beaucoup
d'anecdotes sur la célèbre aventurière, qui,
paraît-il, manquait d'élégance et s'habillait
« très mal » hors de ses poses . Le portrait
en Sibylle fut fait à Caserte, où elle habitait
alors, et le peintre y amena un jour la du-
chesse de Fleury et la princesse Joseph de
Monaco, qui assistèrent à la séance. Elle avait
coilTé Mrs. Hart d'un châle tourné autour de la
tête en forme de turban, dont un bout retom-
bait et faisait draperie. Cette coiffure l'embel-
lissait tellement et l'expression prise par le
modèle était si particulière que ces dames,
invitées à dîner par le chevalier Hamilton, ne
reconnurent point tout d'abord la jeune femme
quand, ayant repris sa toilette ordinaire, elle
vint les retrouver au salon. La Sibylle, dont
le peintre n'exécuta alors qu'un buste, fut répé-
tée à Rome, en 1792, en une grande toile, avec
son attitude inspirée, le beau corps drapé de
rouge franc, le front serré d'un turban vert
pâle. Ce portrait fameux fut un de ceux aux-
quels Madame Le Brun attacha le plus de
prix ; elle le garda et le transporta avec elle
166 MADAME VIGEE-LE BRUN
pendant ses voyages, le déroulant, à chaque
arrêt, pour en faire juger les connaisseurs. Elle
ne consentit à s'en défaire que fort tard, pour
la duchesse de Berry.
Madame Vigée-Le Brun se plut extrême-
ment à Naples ; elle monta plusieurs fois au
Vésuve, assista aux fêtes populaires, visita les
ruines classiques, poussant jusqu'aux temples
de Paestum, faisant de l'archéologie à l'occa-
sion, comme tout le monde en fait en ce bien-
heureux pays. De nombreuses pages des Sou-
venirs sont consacrées à ce séjour et comptent
parmi les mieux venues. On peut y comparer
une des lettres qu'elle écrivit alors, où se
retrouvent plusieurs des impressions dévelop-
pées abondamment, et d'un tout autre style,
par le rédacteur de l'ouvrage. D'autres lettres
reprises et insérées au milieu des récits, une
à Hubert Robert sur Rome, une à Brongniart
sur le Vésuve, ont subi tout un remaniement
littéraire ; celle que Madame du Barry reçut
de son amie, dans l'été de 1790, est authen-
tique ;
Madame la Comtesse,
Voilà des siècles que je di^sire me rappeler à votre
souvenir et à vos bontés. Ce n'est point oubli, je vous
MADAME VIGEE-LE BRUN 167
assure; mais j'ai si peu de moments à moi, M. Robert a
dû vous informer combien je m'occupais de vous, Madame
la Comtesse, et l'ai prié souvent de me donner de vos
nouvelles; j'espère qu'il aura eu l'honneur de vous le dire.
Je suis actuellement à Naples, qui est un séjour délicieux;
la nature s'est plu à embellir ce beau climat; le ciel y est
pur; la vue de la mer, qui encadre la ville, qui surmonte
la terrible (sic) en amphithéâtre, font tout ensemble un
coup d'œil pittoresque et charmant. Je vais m'y promener
souvent, et c'est un grand plaisir de suivre le coteau de
Pausilipe qui, de même en amphithéâtre, nous montre des
maisons de campagne de distance en distance. J'y ai fait
aussi mes courses d'antiquités, en parcourant les lieux
qu'a si bien décrits Virgile. Ces tristes restes de monu-
ments détruits ne sont plus que des vestiges informes, et
cependant on les voit avec un respect, un sentiment que
l'on ne peut décrire. Ce qui m'a le plus enchantée est la
vue du promontoire de Misène, Procita, Iscya. Du haut
du lac Averne, on découvre ces trois îles se détachant
dans l'étendue de la vaste mer. C'est une vue vraiment
poétique ; le jour le plus pur éclaire ces masses dune ma-
nière aérienne, le calme qui y règne, tout cela produit un
effet magique ; l'on croit rêver en regardant. Je suis allée
aussi à Paestum ; ce voyage est très fatigant, mais j'avoue
qu'on ne tient pas au désir de voir des monuments de
3 ou 4,000 ans si près de soi, la distance n'étant que de
25 lieues. C'est là où l'on voit trois temples, dont un, celui
de Junon, bien conservé; sa forme extérieure est presque
en son entier; il est d'ailleurs noble et imposant comme
tout ce qu'ont fait les Anciens. Nous ne sommes en com-
paraison que des pygmées. Ce n'est pas qu'il ne reste
aussi des choses qui ont leur échelle très petite, car la
ville de Pompéia est d'une proportion de petitesse in-
croyable. Le temple qu'on y voit, celui d'isis, est très
168 MADAME VIGEE-LE BRUN
petit, les maisons aussi ; mais il faut croire que c'était
un faubourg ou bien quelque chose comme cela.
Mais, pour en revenir à Naples et à ce qui l'entoure,
j'avoue qu'il faut voir ce pays comme une lanterne ma-
gique délicieuse ; mais y fixer ses jours, il faut être accou-
tumé à l'idée et à la terreur qu'inspirent ces volcans. Ce
mont Vésuve fait peur, et surtout, comme l'on n'en peut
douter, tous ces lieux d'alentour sont toujours en atten-
dant ou éruptions ou tremblements de terre, ou même la
peste qui existe à deux ou trois lieues pendant la grande
chaleur. Les lacs où l'on met rouir le lin produit (sic) aux
habitants des campagnes un air infecté, qui leur donne la
fièvre et la mort. Voilà le revers de la médaille. Sans tous
ces petits inconvénients, tout le monde habiterait ce déli-
cieux climat. Je comptais n'y rester que six semaines ;
mais j'y ai tant de tableaux à faire que j'y suis pour six
mois ; cela retarde mon doux projet de Luciennes, celui
de terminer votre portrait au mois d'octobre. Mais que je
reviendrai avec plaisir ! Car là tout est beau, tout est bien,
point de revers de médaille.
Je peins ici Madame de Skavronski, l'anibassadrico de
Russie, qui est fraîche, jolie et excellentissime personne.
Je devais commencer par vous instruire que j'ai aussi les
enfants de la Reine : les deux aînés sont déjà fort avancés.
Le Roi et la Reine, à qui j'ai eu l'honneur d'être présentée
avec le tableau que j'ai fait à Rome, m'ont reçue avec une
bonté et une grâce parfaites. En tout, je n'ai qu'à me
louer de l'indulgence que l'on m'a accordée à Rome et à
Naples, et même dans les villes où je n'ai fait que passer.
L'on m'a reçue de toutes les Académies ; cela ne fait
que m'encourager à mériter de si flatteuses distinctions.
Je peins aussi une très belle femme, Madame Hart, qui
est amie du ministre d'Angleterre ; j'en fais un grand
tableau d'Ariane gaie, sa figure prêtant à ce choix. Mais je
LA COMTESSE CATHERINE-VASSILIEWNA
SKAVRONSKY
PLUS TARD MAHIÉE AU nAILLI LITTA
1700
fColleclion de Madame la princesse Z. i'oustoupoff'i
MADAME VIGÉE-LE BRUN 169
crains bien, Madame la Comtesse, d'abuser de votre com-
plaisance en vous faisant tous ces détails ; cette lettre est
déjà trop longue ; j'ai compté sur l'intérêt que vous avez
eu la bonté de me témoigner ; pardonnez-moi donc de
causer aussi longtemps avec vous. Soyez assurée par là
même que je ne vous oublie pas et que ce sera pour moi
un grand bonheur d'être au moment où je pourrai vous en
dire encore davantage. Malgré toutes les jouissances que
les arts me procurent dans ce voyage, je retournerai avec
un grand plaisir pour revoir tout ce qui m'attache à ma
patrie ; c'est le mot, n'est-ce pas ? Avant d'y revenir, je
veux revoir encore ma chère Rome, que j'idolâtre par tout
ce qu'elle renferme de divin. Ah ! c'est là où je voudrais
vivre avec mes parents et amis.
Mais enfin, je veux en finir, car si je décrivais Rome,
je ne quitterais pas la plume de sitôt, et ce qui m'occupe
en ce moment, c'est la prière que je vous fais. Madame la
Comtesse, de 'me donner de vos nouvelles, et si votre
santé est aussi bonne que je 1 ai laissée. Parlez-moi aussi
de M. le duc de Brissac ; se souvient-il de moi ? Si vous
voyez Madame l'ambassadrice de Portugal , Madame la
comtesse de Brunoy, rappelez-moi, je vous prie, à leur
souvenir en les assurant de mes hommages respectueux.
C'est avec les mêmes sentiments que j'ai l'honneur d'être,
Madame la Comtesse,
Votre très humble et très obéissante servante,
Le Brun.
Je vous prie aussi de ne pas m'oublier auprès de M. il
Madame de Boisséson; comment se portent-ils et ce qui
leur appartient ? — La Reine est accouchée hier d'un
prince, ce qui cause une joie générale à Naples.
La reine Marie -Caroline fut enchantée de
170 MADAME VIGEE-LE BRUN
voir dans ses états l'artiste qui était le peintre
attitré de sa sœur, la reine de France. Elle eut
aussitôt l'idée d'utiliser sa présence pour avoir
de jolis portraits de ses deux filles, dont elle
négociait le mariage. Un matin, Madame Le
Brun vit entrer chez elle le baron de Talley-
rand, chargé de lui faire part du désir royal.
L'artiste se mit sans délai au travail et, toute
flattée qu'elle fût, ne trouva pas près de ses mo-
dèles princiers le même agrément qu'avec les
autres. La fille aînée de la Reine, la princesse
Marie-Thérèse, était fiancée à l'empereur Fran-
çois II ; la cadette, Marie-Louise, laide et gri-
macière, allait épouser le grand-duc de Tos-
cane. Il fallut ensuite peindre Marie-Christine,
plus tard reine de Sardaigne, et le prince royal.
Mais Marie-Caroline, satisfaite de l'artiste, avec
qui librement elle pouvait parler de sa haine
contre la révolution de France , tenait elle-
même à avoir son image de cette main habile
à flatter les reines. Un voyage à Vienne avec le
Roi en empêcha rimmédiatc exécution. Madame
Le Brun en profita pour revenir à Rome, en
mars i7*Jl, passer la Semaine sainte et revoir
ses amis. Ménageot écrivait à M. d'Angivillcr :
a Madame Le Brun, qui a eu les plus grands
succès à Naples, compte venir incessamment
MADAME VIGEE-LE BRUN 171
passer six semaines à Rome, pour se refaire du
travail et de l'air de Naples, qui avaient altéré
sa santé ; elle retournera à Naples en même
temps que le Roi et la Reine, dont elle doit
faire les portraits. »
Les six semaines de repos si nécessaire se
réduisirent à quelques jours ; à peine arrivée,
l'artiste dut repartir pour Naples, où Leurs
Majestés napolitaines venaient de rentrer, et
elle peignit alors le tableau où Marie-Caroline
rappelle si curieusement Marie-Antoinette dans
le dernier portrait fait à Versailles. L'attitude
est en partie la même ; la coiffure, le fichu, le
collier ressemblent à ceux que porte la reine
de France; le livre sur les genoux est placé
identiquement; seul le bras gauche, accoudé
sur un coussin, fait reposer la tête sur la main
d'une façon assez maladroite. Mais la grande
différence est dans l'interprétation du visage ;
en peignant Marie - Antoinette, Madame Le
Brun se souvenait de tant d'études faites d'un
jeune visage et en conservait naturellement la
grâce sous ses pinceaux ; mise en présence
de Marie -Caroline quadragénaire, et voyant
pour la première fois ces traits usés avant
l'âge, ravagés par les passions et les ambitions
de tant d'années, il lui fut impossible de leur
172 MADAME VIGKE-LE BRUN
rendre une fraîcheur qu'ils n'eurent d'ailleurs
jamais. C'est donc presque une vieille femme
dure et sans bonté que nous fait entrevoir
l'artiste, malgré l'effort trop visible d'une flat-
terie impuissante.
Elle se trouve plus à l'aise avec l'excellent
Paesiello, le musicien de la Cour, qu'elle repré-
sente dans le feu de la composition du Te
Deum chanté à l'occasion de l'heureux voyage
des souverains. Ses yeux se lèvent vers le ciel,
sa bouche s'entr'ouvre, tandis que ses doigts
courent sur le clavier. L'œuvre, justement
célèbre, est plus près de la vérité que tant
d'effigies conventionnelles dont Madame Vigée-
Le Brun va être désormais prodigue. Au Salon
du Louvre où elle l'envoie, roulé avec une
toile de Ménageot, le Paesiello fait sensation ;
il y mérite l'éloge de David et soutient la répu-
tation de l'auteur. Mais c'est le moment du
triomphe incontesté de Madame Labille-Guiard,
désormais débarrassée de l'illustre rivale et
toute vouée aux célébrités nouvelles. Une quan-
tité de ses pastels représentent les hommes
du jour : Robespierre, les frères Lameth, Bar-
nave, Victor de Broglie, M. d'Orléans, d'autres
Constituants encore ; ces modèles, Madame Le
Brun rougirait de les peindre, elle qui est atta-
MADAME VIGEE-LE BRUN 173
chée si fidèlement aux idées de ses princes.
Elle reçoit, à cette époque, de pénibles nou-
velles de France. Ce n'est plus M. dWngiviller
qui a présidé à l'ouverture du Salon, le dernier
que fera l'Académie royale ; le directeur géné-
ral des Bâtiments, dénoncé, menacé comme
tant d'autres serviteurs du Roi, a dû quitter
son poste et fuir en Allemagne. Tous les liens
de société sont détruits ; Madame Le Brun
apprend avec indignation que plusieurs de ses
anciens familiers, tels que Chamfort et Gin-
guené, servent bruyamment la Révolution, et
Delille lui écrit : « La politique a tout perdu ;
on ne cause plus à Paris ! »
A Rome même, où elle revient après avoir
travaillé pour la reine de Naples, elle trouve
déjà bien changé le milieu qu'elle a connu
l'année précédente. Le cardinal de Bernis a dû
remettre au Pape ses lettres de rappel ; la
France n'est plus représentée auprès du Saint-
Siège ; les Français sont mal vus dans la ville,
car beaucoup professent des idées révolution-
naires ; les artistes surtout, (pii sont nom-
breux, les affichent volontiers, et il n'est pas
jusqu'aux jeunes pensionnaires du Roi <|iii no
causent les plus grands soucis à leur honnête
174 MADAME VIGEE-LE BRUN
directeur. L'arrestation de la famille royale à
Varennes est une nouvelle réjouissante pour
ces « jacobins » ; elle consterne Madame Le
Brun et ses amis. Sa dernière joie, pendant ce
séjour, est de faire le portrait de Mesdames
Adélaïde et Victoire, qui viennent d'arriver à
Rome, heureuses de trouver à leur disposition
l'artiste qu'elles n'avaient jamais fait appeler à
Versailles. C'est qu'alors on boudait volontiers
Marie-Antoinette, on critiquait ses goûts autant
que sa conduite ; dans le malheur survenu,
devant la menace des événements, on la plaint,
on la soutient même, on approuve sa politique.
Madame Adélaïde va louer sa fermeté et son
courage, et Madame Victoire, après le Dix-
Août, ira jusqu'à la nommer « notre malheu-
reuse et héroïque reine ». Tels sont à présent
les sentiments de la petite cour de Mesdames,
où se trouve parmi les fidèles la comtesse
d'Osmond, dont la fdle a pour camarade de
jeu celle de Madame Le Brun, Celle-ci est natu-
rellement très goûtée dans le cercle des vieilles
princesses, que les patriotes de Rome appellent
déjà « les demoiselles Capet » et que la Révo-
lution viendra chasser bientôt de l'abri qu'elles
ont cru trouver à l'ombre du Vatican.
Madame Vigée-Le Brun quitte Rome bien
MADAME VIGEE-LE BRUN 175
avant les événements tragiques qui précipite-
ront les représailles; mais elle a pu savoir que
le gouvernement pontifical prenait déjà des
mesures sévères contre ses compatriotes, en
expulsant des États romains de nombreux
artistes imprudents dans leurs propos. Elle a
conservé la date de son départ, le 14 avril 1792,
et le souvenir de ses regrets. Elle a décrit la
noble vallée du Tibre, les cascades de Terni
qu'elle dessina, l'aspect de Spolète et de
Pérouse, les peintures de Raphaël rencontrées
sur le chemin, telle que la Madone de Foligno,
encore à sa place primitive. Elle a dit le plai-
sir qu'elle avait eu à donner aux chefs-d'œuvre
de Florence plus de temps qu'à son premier
passage. Elle y trouvait installé dans la galerie
des portraits d'artistes celui qu'elle avait
envoyé de Rome, le 26 août précédent, avec
une belle lettre au grand-duc de Toscane. Le
chevalier Pelli, directeur de la galerie grand-
ducale, rappelait dans son rap})ort le succès
qu'avait eu à Rome et à Naples la réplique
qu'elle en avait faite })Our lord Bristol, et il
ajoutait : Qucsto ritratto rapp resent a la Brun
sedente in atto di coniinc la r quello délia
regina Maria Antonictta, e de più che mezza
figura, in habito nero, dipinto alla Van Dyck
176 MADAME VIGEE-LE BRUN
con una franchezza et con una inlelligenza
singolare, onde pare uscilo dal penello di un
iiomo di sommo inerito, piii che da quello di
una femina. On sait que Vivant Denon, gra-
vant à l'eau-lorte cette œuvre fameuse, rem-
plaçait par la tête de Raphaël celle de Marie-
Antoinette, qui est indiquée sur l'original et
que Madame Le Brun avait tenu à y mettre
pour rappeler au souvenir de tous son titre de
peintre de la Reine ; mais le prudent graveur
ne trahissait pas tout à fait sa compatriote,
car elle avait copié, précisément à Florence,
le portrait de Raphaël par lui-môme qui ne
quitta jamais son atelier.
Elle rencontra Denon à Venise, où elle se
rendit, non sans avoir visité Sienne, Parme et
Mantoue. L'ancien diplomate n'était plus qu'un
artiste, parcourant à nouveau pour son seul
plaisir cette Italie qu'il avait appris à aimer au
service du Roi. Sa présence rendit infiniment
agréable à Madame Le Brun le séjour au mi-
lieu des dernières élégances de la déclinante
Sérénissime. Il se fit son cicérone, la condui-
sit, le lendemain de son arrivée, à la cérémo-
nie du mariage du Doge avec la mer, lui
montra les églises où les peintres vénitiens
n'avaient pas de plus fervent commentateur
MADAME VIGEE-LE BRUN 177
que lui. Elle s'enthousiasma pour les fresques
du Tintoret et aussi pour les pastels de la
Rosalba. Elle ne fut pas moins ravie par la
belle amie de son guide, cette signora Isabella
Marini, d'origine grecque et née Teotochi, qui
épousa plus tard le comte Albrizzi, et qui était,
à cette date, la beauté célèbre et représenta-
tive dont Venise ne peut se passer. Comme
elle y joignait beaucoup d'esprit, son salon
devenait le rendez-vous de l'Europe. Madame
Le Brun prit plaisir à peindre sa tête char-
mante, les sombres cheveux retenus par une
bandelette blanche retombant en boucles sur
les épaules demi-nues, beauté presque roman-
tique de la « sage », de la « divine » Isabella,
que va servir Foscolo.
Madame Vigée-Le Brun ({uitte Venise pour
rentrer en France. Elle s'arrête à Padoue, où
elle remarque pour la première fois des pein-
tures antérieures à celles (ju'cllo aclniiie avec
son temps, les fresques « très bien compo-
sées » de Giotto, qu'elle croit avoir vues à la
basilique de Saint-Antoine, et celles d'un cer-
tain Montigni, (jui n'est autre (pie Mantegna,
« dont les figures, dit-elle, el tous leurs acces-
soires sont de la plus grande finesse ». Elle
visite Vicence et passe une semaine à Vérone,
178 MADAME VIGEE-LE BRUN
en la compagnie de nobles clames italiennes
« fort spirituelles ». A Turin, elle voit la reine
de Sardaigne, la bonne Madame Clotilde de
France, pour laquelle elle a des lettres de
Mesdames, mais qui refuse de se faire peindre;
« le gros Madame » a renoncé au monde,
coupé ses cheveux et fini par devenir mécon-
naissable de maigreur. Madame, comtesse de
Provence, après un fâcheux séjour à Coblentz,
a trouvé asile dans son cher Piémont ; elle
reçoit affablement son peintre d'autrefois, lui
donne pour compagne de promenade sa fidèle
lectrice, cette Madame de Gourbillon qui a orga-
nisé la fuite de Paris et dont Madame Vigée-
Le Brun fait le portrait. Elles gémissent
ensemble sur le malheur des temps, et ca-
ressent cependant, comme tous les émigrés
d'alors, res})oir d'un prompt rétablissement de
l'ordre et du châtiment légitime des rebelles.
Porporati ayant offert à l'artiste d'habiter, pen-
dant les chaleurs d'août, une ferme qu'il a en
pleine campagne, aux environs de Turin, elle y
prend, avec sa fille, tout le plaisir n dos lieux
enchanteurs et solitaires » , quand les nou-
velles de France viennent l'arracher à ses rêves
de retour : « La charrette (jiii aj)|)ortait les
lettres étant arrivée un soir, le voilurier m'en
MADAME VIGEE-LE BRUN 179
remit une de mon ami M. de Rivière, frère de
ma belle-sœur, qui m'apprenait les affreux évé-
nements du Dix-Août et me donnait des détails
épouvantables. J'en fus bouleversée ; ce beau
ciel, cette belle campagne, se couvrirent à mes
yeux d'un voile funèbre. Je me reprochai
l'extrême quiétude, les douces jouissances que
je venais de goûter; dans l'angoisse que
j'éprouvais, d'ailleurs, la solitude me devenait
insupportable, et je pris le parti de retourner
aussitôt à Turin. En entrant dans la ville, que
vois -je, mon Dieu ? Les rues encombrées
d'hommes, de femmes de tout âge, qui se sau-
vaient des villes de France et venaient à
Turin chercher un asile . Ils arrivaient par
milliers, et le spectacle était déchirant. La
plupart d'entre eux n'emportait ni paquets,
ni argent, ni même de pain, car le temps leur
avait manqué pour songer à autre chose qu'à
sauver leur vie... Madame fît porter de nom-
breux secours ; nous parcourûmes la ville,
accompagnées de son écuyer, cherchant des
logements et des vivres pour les malheureux,
sans pouvoir en trouver autant qu'il fallait. »
Pendant ces tristes jours, les mauvaises nou-
velles se multiplient; M. de Rivière arrive lui-
même, ayant fait un voyage difficile, ayant vu
180 MADAME VIGEE-LE BRUN
mille horreurs le long de la route et le mas-
sacre des prêtres au Pont-de-Beauvoisin, rassu-
rant cependant l'artiste sur la vie de ses pa-
rents et de ses amis.
Il ne peut plus être question de rentrer à
Paris. Au reste, Madame Le Brun est sur la
liste des émigrés et sous le coup des lois qui
les frappent. C'est en vain que son mari a
tenté de lui faire appliquer l'exception stipulée
en faveur des artistes absents de France pour
leurs travaux. Une pétition à la Convention,
présentée le 10 frimaire an II, n'a pas reçu de
réponse. Le Brun, rallié prudemment aux idées
nouvelles, défend sa femme devant l'opinion
par un plaidoyer mis en brochure qui ne suffira
pas à détruire la légende de « la maîtresse de
Calonne ». Il faut que l'artiste se résigne à
l'exil.
Elle loue d'abord, avec M. de Rivière, une
vigne sur le coteau de Moncalieri ; le calme
champêtre et le caractère paisible des habitants
la reposent de ses émotions et lui font re-
prendre les pinceaux. Puis elle se décide à
gagner Milan , où de nombreuses curiosités
l'attirenl. l'Jle y est reçue avec honneur, se
plaît aux o-aleries, aux concerts, aux ])rome-
nadcs en voiture : « En tout, dit -elle déjà,
MADAME VIGEE-LE BRUN 181
Milan me faisait bien souvent penser à Paris,
tant par son luxe que par sa population . »
Elle admire les environs, « si ravissants que je
ne cessais d'en faire des croquis », et, lors-
qu'elle va au lac Majeur, elle reçoit du prince
Borromée la permission d'habiter la délicieuse
Isola Bella. Le comte Wilczek, ambassadeur
d'Autriche, qui l'a prise en affection, lui con-
seille alors d'aller à Vienne, où il se porte
garant de l'excellent accueil qu'elle recevra,
s'offrant à la recommander partout ; la France
lui restant fermée, elle s'y décide, et trouve à
point d'obligeants Polonais , pour faire la route
de compapagnie. La belle traversée des mon-
tagnes du Tyrol et de Styrie lui offre une suite
d'enchantements; puis elle s'installe à Vienne,
avec ses nouveaux amis, commençant à com-
prendre, après avoir eu jusqu'alors les yeux
tournés vers Paris, qu'une vie toute nouvelle,
la vie de l'artiste expatriée s'ouvre devant
elle.
Elle vécut les deux tragi([ues années 1793
et 1794 dans la capitale où retentirent le plus
directement les premiers événements révo-
lutionnaires. Quelques émigrés de marque s'y
étaient fixés, et le monde de la Cour suivait
182 MADAME VIGEE-LE BRUN
avec un intérêt ému les péripéties du drame
où était engagée la vie de la sœur de l'Em-
pereur. Vienne apprit avec stupeur la mort de
Louis XVI, et les nouvelles, dès lors, se succé-
dèrent si terribles, que l'entourage de Madame
Le Brun , afin de ménager une sensibilité
devenue maladive, s'entendit pour ne pas les
laisser parvenir jusqu'à elle . Elle ne sut le
procès et l'exécution de sa chère souveraine
que par un mot de son frère, qui ne lui manda
aucun détail : « Je n'appris rien par les jour-
naux, car je n'en lisais plus, depuis le jour
qu'ayant ouvert une gazette chez Madame de
Rombeck, j'y trouvai le nom de neuf per-
sonnes de ma connaissance qu'on avait guil-
lotinées ; on prenait même un grand soin,
dans ma société, de me cacher tous les papiers
nouvelles. »
L'horrible événement fit, tout auprès d'elle,
une victime : la duchesse de Polignac, toujours
très délicate et dont la santé s'était fort altérée
depuis la Révolution, ne put survivre à la mort
de Marie-Antoinette. Fille s'était retirée avec les
siens dans un village aiii)rès de Schœnbrùnn,et
Madame Vigée-Le Brun, (jui vint se fixer quelque
temps dans le voisinage, la voyait dépérir de
jour on jour. Les lettres de VaudrcMiil laconlont
MADAME VIGEE-LE BRUN 183
avec émotion la fin prématurée de cette femme
si aimée et longtemps si heureuse, qui expirait,
usée par la souffrance, le 5 décembre 1793 :
« Elle est morte victime de son chagrin, de
son attachement, de sa reconnaissance, nous
cachant ses peines pour ne pas augmenter les
nôtres. . . Peu de moments avant la fin, ses mains
se sont jointes pour prier; puis elle les a rap-
prochées serrées contre son cœur, et c'est
ainsi que son dernier souffle , doux et pur
comme son âme , s'est évaporé. Son visage
céleste, avant et après la mort, a conservé sa
beauté et son calme inaltérable... Quelle année
funeste ! Roi, Reine, amie, j'ai tout perdu. »
Le duc de Polignac, la duchesse de Guiche, la
comtesse Diane, entouraient le lit de mort de
la pauvre duchesse; Madame Vigée-Le Brun
partageait le désespoir de toute cette famille
à laquelle tant de liens l'unissaient. Elle traçait
pour eux une fois encore, et de mémoire, les
traits vieillis et douloureux de celle qu'elle
avait peinte autrefois, dans tout l'éclat de sa
suave beauté ; une gravure en était aussitôt
exécutée, et le comte d'Artois s'associait déli-
catement à cette commémoration, en écrivant
à Vaudreuil : « J'ai appris (|uc Madame Le
Brun avait fait un poitiMit de celle que nous
184 MADAME VIGKE-LE BRUN
pleurerons toujours, et que le comte Jules le
ferait graver. Fais-moi un plaisir auquel j'atta-
che beaucoup de prix : je veux que tu arranges
avec Madame Le Brun que ce soit moi qui paie
son ouvrage, et je veux être chargé également
des frais de la gravure. Ce sera une véritable
consolation pour moi, et mes amis ne me la
refuseront pas. » La gravure de Fisher, tirée à
Vienne en 1794, probablement pour les seuls
amis, fut reproduite à Londres par J. Smith,
afin de satisfaire aux demandes des émigrés et
de tant d'àmes sensibles en Europe, que tou-
chait profondément le souvenir de la Reine
et de ses amitiés.
La société viennoise, qui avait reçu avec
empressement le peintre de Marie-Antoinette,
ne lui permettait pas de s'absorber dans le
chagrin qui aurait été nuisible à sa santé et à
son travail. Elle était de tous les concerts, de
toutes les fêtes, de tous les bals; et Dieu sait
si l'on valsait ardemment à Vienne, et si l'on
jouait avec entrain la comédie» de salon en
cette année 1793 ! Elle vit nn grand l);il ;i la
Cour, et y retrouva, fort enlaidie déjà, la jeune
impératrice ([u'elle avait peinte à Naples, et
(pji avait perdu sa ressemblance avec sa mère
cl avec « notre chère reine de France ». On
MADAME VIGEE-LE BRUN 185
l'avait d'abord invitée chez la comtesse de
Thun, ce qui suffît pour l'introduire dans
la plus haute société. Elle fréquenta surtout,
par la suite, la maison du baron et de la
baronne Stroganoff, où elle rencontra un fort
brillant compatriote, le comte de Langeron,
qui devait gagner plus tard quelque gloire
militaire contre son pays et bornait alors ses
ambitions à plaire aux Viennoises et à tenir
les premiers rôles dans leurs comédies. On la
trouvait encore chez la comtesse de Pries,
veuve du banquier, et chez la comtesse de
Rombeck , sœur du comte Cobcntzl, qui avait
fait de son salon le centre des quêtes et des
loteries charitables de la ville.
L'artiste avait été recommandée au vieux
Kaunitz, toujours curieux des choses françaises,
qui l'appela aussitôt « ma bonne amie y> et
l'invita plusieurs fois à ses dîners, où son
goût, son jugement, sa verve, toujours vive
malgré son grand âge, émerveillaient les con-
vives. Le prince exposa l' Ilamilton - Sibvlle
dans son palais, pendant (piinze jours, et en
fit les honneurs à la C(Mir et au ptd)lir. Parmi
tant de nobles demeures ouvertes à Madann^
Vigée-Le Brun, il en était une presque fran-
çaise: « Une personne, (lit-(>llc. quojo retrouvai
186 MADAME VIGEE-LE BRUN
avec bonheur à Vienne fut Madame la comtesse
de Brionne, princesse de Lorraine; elle avait
été parfaite pour moi dès ma plus grande jeu-
nesse, et je repris la douce habitude d'aller
souvent souper chez elle, où je rencontrais
fréquemment ce vaillant prince de Nassau, si
terrible dans un combat, si doux et si modeste
dans un salon. »
Toutes les jolies femmes qui voulaient
connaître l'artiste, toutes les désœuvrées qui
venaient par mode admirer la fameuse Sibylle,
souhaitaient avoir leur portrait; elle s'arran-
geait pour l'accorder seulement à celles dont
le visage l'inspirait. C'est ainsi qu'elle fit la
très belle comtesse Rinska, née comtesse de
Dietrichstein, la baronne de Mayern-Faber,
la comtesse PâllTy, une princesse Eszterhazy
rêvant au bord de la mer, assise sur des
rochers, la comtesse Sophie Ilaugwitz en
Muse, avec un manteau rouge, et la jeune
princesse de Lichtenstein, de qui l'expression
douce et céleste donna l'idée de la représenter
en Iris s'élançant dans les airs. Mademoiselle
de Frics n'était j)as jolie, mais excellente musi-
cienne, ce qui lui valut d'être peinte en Saplio,
clianl.'int et s\icc()mj)agnant de la lyre.
tt Luc siKicté fort agréable, écrit Madame
LADY HAMILTON, EN SIBYLLE
1792
(Collection de Madame la comteifse E. de Pourtalès)
MADAME VIGEE-LE BRUN 187
Le Brun, était celle des Polonaises; presque
toutes sont aimables et jolies, et j'ai peint
quelques-unes des plus belles. » Elle les trou-
vait réunies le plus souvent chez deux grandes
dames , la princesse Czartoryska , mère du
prince Adam , et la princesse Lubomirska ,
qu'elle avait connue à Paris et qui était la
tante du prince Henri , peint par elle en Amour
de la Gloire ; elle le représentait de nouveau à
Vienne, en Amphion jouant de la lyre, avec
trois naïades qui Técoutent et qui seraient,
suivant une tradition. Mesdames de Polignac
et de Guiche et la jeune « Brunette » Le Brun.
Elle peignait encore la comtesse Séverin Po-
tocka, la princesse Sapieha et la comtesse
Zamoyska dansant avec un chàle une de ces
élégantes et tranquilles danses polonaises, qui
conviennent à merveille aux beautés de ce
pays, « car on a tout le temps d'admirer leur
taille et leur visage ». Les relations de Madame
Vigée-Le Brun avec les Polonais, les portraits
assez nombreux qu'elle a faits d'eux, ont laissé
croire qu'elle avait séjourné elle-même à Var-
sovie, et les historiens de l'art national l'ins-
crivent parmi les peintres étrangers cpii se sont
arrêtés en Pologne pour y travailler, l^lle ne
devait cependant traverser la capitale de l'an-
188 MADAME VIGEE-LE BRUN
cien royaume ni à l'aller ni au retour de son
voyage en Russie.
Madame Le Brun avait retrouvé à Vienne
un des plus anciens amis, et des plus précieux,
qu'elle eût dans la haute société européenne.
C'était le prince de Ligne, avec qui ne taris-
saient point les causeries sur les choses de
France et sur les souvenirs de la malheureuse
Marie-Antoinette. Le prince aimait aussi ra-
conter ce voyage en Grimée avec la grande
Catherine, qu'il avait mis en si jolies lettres
pour la marquise de Coigny. Faisant part à
l'artiste de son admiration pour l'Impératrice,
il l'engageait à aller se présenter à elle, lui
promettant de grands avantages à travailler
en Russie. Le comte Rasomovsky, ambassa-
deur de Catherine à Vienne, dont elle avait
peint la femme, et quelques Russes de passage
lui donnaient les mêmes assurances. Dès le
début de Tannée ITO-i, elle était décidée à se
rendre à Saint-Pétersbourg. Le comte d'Artois,
solliciLé j)ar M. de Vaudreuil, lui envoyait un
passeport, (jui devait en même temps lui servir
de certificat : « Je réjionds, écrivait-il, qu'elle
sera bien reçue cL (|ur je suis cliarnié (|ij'elle
fasse ce voyage. » Une autre lettre du prince
MADAME VIGEE-LE BRUN 189
au protecteur de Tartiste montre qu'il avait dû
repousser une demande plus indiscrète : ce Je
suis au désespoir, mon ami, de ne pouvoir
pas donner à Madame Le Brun une lettre pour
l'Impératrice; mais tu en sentiras facilement
l'impossibilité, quand je te dirai que je n'en ai
donné qu'au seul Galonné, et à aucun autre.
D'ailleurs, sois bien sûr que ce que j'ai fait
est plus que suffisant, et que la réception sera
aussi aimable que lucrative. » Ce n'était point
de l'eau bénite de cour, car il écrivait quelques
jours après : « J'ai su par des lettres de Russie
que Madame Le Brun y serait reçue à merveille
et qu'elle y était attendue avec impatience;
je m'empresse de te le dire. »
Les voies ainsi préparées, Madame Vigée-
Le Brun tarda plus d'un an à se mettre en
route. Les charmes de Vienne, la société tou-
jours chère de M. do Vaudreuil, les portraits
de femmes sans cesse demandes, repoussèrent
longtemps son départ. Au dernier moment ,
elle céda encore à la tentation d'iiabiter le site
le plus beau des environs de Vienne, l'ancien
couvent de Kahlcnberg, qui domine la plaine
du Danube. Joseph II en avait fait présent au
prince de Ligne, qui devait plus lard le répa-
rer el y donner de grandes fêtes à la société
190 MADAME VIGEE-LE BRUN
viennoise. Le prince proposa à l'artiste d'ho-
norer sa montagne par la présence du génie;
il écrivit à cette occasion des vers, qui sont
assurément parmi ses plus mauvais et Madame
Le Brun n'a pas manqué de nous les conserver.
Flattée de l'invitation, curieuse d'un séjour
aussi singulier, elle fut s'enfermer pendant
trois semaines dans les immenses bâtiments
de Kahlenberg, avec sa fille, la gouvernante
et M. de Rivière. Celui-ci s'était attaché à
ses pas, l'avait suivie à Vienne et passait
son temps à faire des miniatures de ses por-
traits. En descendant du couvent, où l'avaient
ravie l'immensité des horizons et la splendeur
des clairs de lune, elle fit ses adieux à Vienne,
le 19 avril 1795, pour se rendre en Russie.
Les étapes de ce long voyage lui laissèrent
des souvenirs de tout genre , où ses études
d'art tiennent une place. A Dresde s'arrètant
quelques jours, elle fréquenta assidûment la
galerie fameuse et resta a en adoration » devant
la Madone de Saint-Sixte. La salle réservée
aux œuvres de Rosalba lui fait dire qu'elles
sont « d'une vérité enchanteresse ». a L'élec-
teur, raconte-t-elle, me fit prier d'exposer dans
cette belle galerie ma Sibylle, qui voyageait
avec moi, et pendant une semaine toute la
MADAME VIGEE-LE BRUN 191
Cour y vint voir mon tableau. Je m'y rendis
moi-même le premier jour, afin de témoigner
à l'électeur combien j'étais vivement touchée et
reconnaissante de cette haute faveur. » Elle ne
quitta point Dresde sans rendre visite à Mengs,
comme elle avait fait à Vienne pour Casanova.
Dans la capitale de la Prusse, elle ne passa que
cinq jours et n'eut aucun artiste à visiter.
Elle énumère les curiosités des palais royaux
de Berlin, de Potsdam, de Charlottenbourg,
ne trouvant à citer, parmi les tableaux, qu'une
Assomption de Charles Le Brun, « qui, sous
les traits d'un des apôtres, donne les traits de
l'illustre peintre ». Elle découvrit un vrai coin
de France, à Reinsberg, résidence du prince
Henri. La comtesse de Sabran, son fils et le
chevalier de Boufflers y étaient établis, et le
spirituel portrait de la comtesse, celui qu'avait
gravé Berger, « tiré du cabinet de S. A. R.
Mgr le prince Henri de Prusse », se montrait
en bonne place dans les collections. Le che-
valier s'était fait cultivateur sur des terres
données par le prince, mais sans abdiquer son
r(Me de grand seigneur et d'homme i\Q lettres.
« On menait dans ce beau lieu, raconte Madame
Le Brun, la vie la plus douce et la phis agréa-
ble. Il y avait une troupe de comédiens fran-
192 MADAME VIGEE-LE BRUN
çais, qui appartenait au prince. On a donné
pendant mon séjour quelques comédies assez
bien jouées, ainsi que plusieurs concerts, car
le maître avait conser\é toute sa passion pour
la musique. » Il fallut s'arracher à ces agré-
ments, qui contrastaient si fort avec les souf-
frances de tant de familles françaises errant à
travers l'Allemagne. Pour faire la pénible route
de Kœnigsberg et de Riga, Madame Le Brun
eut la surprise de trouver une quantité do
comestibles et de vins, « de quoi nourrir un
régiment prussien )), que l'excellent prince,
par une dernière attention pour son amie, avait
fait placer dans les coffres de la voiture.
L'artiste est enthousiasmée par le premier
aspect de Saint-Pétersbourg, où elle arrive le
25 juillet, et son admiration pour la magnifi-
cence des monuments, des palais, des quais et
des perspectives ne se démentira pas un seul
instant pendant son long séjour. Elle est man-
dée à Tsarkoïé-Sélo, où la conduit le comte
Eszterhazy, « ambassadeur de France », selon
le titre accordé à l'envoyé de Louis XVIIL
Elle nous conte le mécontentement de « l'am-
bassadrice », en la voyant paraître en toilette
de mousseline pour raudioncc impériale, l'ex-
MADAME VIGEE-LE BRUN 193
trême embarras qu'elle en éprouve, l'accueil
affable de cette grande Catherine, dont le nom
seul l'intimidait et qui sait la mettre parfaite-
ment à l'aise, la visite de ces splendides jardins
bordés par la mer, où lui apparaît, en tunique
blanche, arrosant des œillets, la délicieuse
princesse Elisabeth, femme d'Alexandre, enfin
les tracasseries de cour qui, dès le premier
jour, s'agitent autour de la nouvelle venue
et l'empêchent d'occuper l'appartement au
palais, que l'Impératrice lui avait destiné. Cette
contrariété légère s'efface dans le plaisir
qu'elle éprouve à recevoir aussitôt l'admirable
accueil que réserve, à qui sait lui plaire, l'hos-
pitalière société russe : « Je ne saurais dire,
écrit-elle, avec quel empressement, avec quelle
bienveillance affectueuse un étranger se voit
rechercher dans ce pays, surtout s'il possède
([uelque talent. Mes lettres de recommandation
me devinrent tout à fait inutiles ; non seule-
ment je fus aussitôt invitée à passer ma vie
dans les meilleures et plus agréables maisons,
mais je retrouvai à Saint-Pétersbourg plusieurs
anciennes connaissances, et même d'anciens
amis. » De ces amis d'autrefois, le plus pré-
cieux fut le comte Stroganoff, qui le premier
fêta l'artiste et déploya pour elle les mngni-
194 MADAME VIGEE-LE BRUN
licences du luxe moscovite. Les dîners sur les
terrasses , au bord de la Neva , les soirées
enchantées par la musique et la promenade en
barque, les feux d'artifice tirés sur le grand
fleuve, Madame Vigée-Le Brun a narré tout
cela, avec la vivacité des souvenirs heureux;
et, aussi la vie de l'hiver, les spectacles, les
concerts, les bals, les thés et les soupers, où
tout lui plaisait des usages russes, en même
temps qu'elle retrouvait a toute l'urbanité,
toute la grâce d'un cercle français ». Elle
approuvait le mot de la princesse Dolgorouky :
« Il semble que le bon goût ait sauté à pieds
joints de Paris à Saint - Pétcrsbourg . » Le
salon de cette princesse rivalisait avec celui
de la princesse Michel Golitzyne, moins belle
qu'elle, mais plus jolie et fantasque à l'excès.
Le comte de Ghoiseul-Gouffier, fort épris
de celle-ci, supportait tout de son humeur
bizarre, aux caprices incessants. La princesse
Dolgorouky, que Potemkine avait adorée, mon-
trait des façons plus paisibles et recevait les
soins du comte Gobentzl , ambassadeur de
l'empereur François II. Madame Le Brun fut
invitée chez elle, à Alexandrovsky, dès l'été
de son arrivée, et c'est là qu'elle organisa pour
la j)rc'niicrc fois ces tableaux vivants, qui firent
MADAME VIGEE-LE BRUN 195
fureur Fhiver suivant à Saint-Pétersbourg.
Elle aima ensuite, plus que toute autre, la
maison de la princesse, de qui elle admirait
et appréciait fort vivement le caractère et la
beauté : « Ses traits avaient tout le caractère
grec, mêlé de quelque chose de juif, surtout
de profil; ses longs cheveux châtain foncé,
relevés négligemment , tombaient sur ses
épaules ; sa taille était admirable et toute sa
personne avait à la fois de la noblesse et de la
grâce sans aucune affectation. » Nous pouvons
juger de ces charmes par le portrait , où
Madame Le Brun accorda à cette noble amie
la faveur de la représenter dans l'attitude de
sa Sibylle. L'œuvre achevée, la jirincesse lui
envoya une fort belle voiture et un bracelet,
formé d'une tresse de cheveux, sur laquelle
des lettres en diamants faisaient lire : « Ornez
celle qui orne son siècle. » L'inséparable de la
princesse Dolgorouky était la princesse Natalie
Kourakine, la bonté, la douceur même, qu'il était
« tout à fait impossible de voir sans ainuM- ».
C'est elle qui garda, en Russie, la grande
affection de Madame Vigéc-Le Brun ; celle-ci
sera heureuse de la recevoir phis lard à Paris
et lui dédiera la première partie des Soinrnirs,
où le pays de la |)rincesse tient tant de place.
196 MADAME VIGEE-LE BRUN
Elle est prodigue d'anecdotes, presque tou-
jours bienveillantes, sur cette société de Saint-
Pétersbourg, qui se dispute sa présence aima-
ble et couvre ses tableaux de billets de banque.
Ses portraits illustrent parfaitement son récit ;
ils sont presque aussi nécessaires, à qui veut
connaître le monde russe aux dernières années
du siècle, que ceux de Lampi, de Ghtchoukine,
de Borovikovsky, qui le peignent en même
temps qu'elle. Elle ne leur est assurément pas
inférieure comme peintre, e+ pour la disposi-
tion des costumes, l'interprétation de certaines
grâces de langueur orientale, elle ne craint
point leur rivalité. Elle est comme toujours,
heureusement servie par l'instinct de son sexe
et son expérience des charmes féminins, et il
lui arrive parfois de traduire avec justesse le
caractère même des races. Ce sont bien les
types divers delà beauté slave, qu'elle a su
rendre, et quelques-uns avec des traits sensuels
très particuliers. Telles, entre beaucoup
d'autres, la princesse Anna Alexandrowna
Golitzyne, qui rêve nonchalamment appuyée
sur un coussin, la princesse Tatiana Vassi-
lievna YoussoupolF, née i'^ngelhardt , qui noue
auprès d'un autel rustique une couronne de
fleurs, la princesse Mario Kotchoubev. née Vas-
MADAME VIGÉE-LE BRUN 197
siltchikoff, occupée à dessiner, la comtesse
Anna Stroganoff, née princesse Troubetzkoi,
arrangeant des fleurs dans un vase, la jeune
princesse Anna Bélosselsky-Belozersky, Cathe-
rine Vladimirowna Apraxine, Vera Petrowna
Vassiltchikoff, la princesse Koutousoff, femme
du célèbre feld- maréchal, et surtout cette
belle comtesse Marie Feodorowna Zouboff, née
Lubomirska, qu'un délicieux arrangement mon-
tre couchée sur un grand divan et pressant
sur sa poitrine une colombe. Quelques groupe-
ments maternels, où l'on savait qu'elle excel-
lait, furent demandés à l'artiste ; la princesse
Alexandra Petrovna Golitzyne a dans les bras
un adorable enfant ; la princesse Catherine
Nikolaewna Menchikoiî au piano semble inter-
rompre son jeu pour prendre le sien sur ses
genoux ; enfin une grande toile représente la
comtesse Catherine Samoïloff, née princesse
Troubetzkoi, entre sa fille et son fils, à l'entrée
d'un beau parc verdoyant et rempli des Heurs
de l'été. Plusieurs de ces portraits, qui sont
parmi les plus importants de iMadame \ igée-
Le Brun, manquent à ses listes ou s'y trouvent
avec des noms méconnaissables.
La famille impériale la fit travailler souvent.
On s'étonne que l'impératrice Catherine, si
198 MADAME VIGEE-LE BRUN
généreuse de son image aux artistes de son
temps, n'ait pas autorisé Madame Le Brun
à la peindre. Elle fut mécontente, suivant la
tradition de Saint-Pétersbourg, du premier
tableau qu'elle lui avait commandé; c'était le
double portrait de ses petites-filles, la grande-
duchesse Alexandra Pavlowna et sa sœur
Hélène. Les deux adolescentes enlacées, tenant
et regardant le portrait de l'Impératrice, furent
d'abord peintes en tuniques à la grecque, que
le favori Platon Zouboff crut devoir faire sup-
primer ; la toilette à manches longues qui cou-
vrit les bras nus déjà exécutés gâta le groupe,
au dire de l'artiste. La vérité est que Catherine
ne trouva point de ressemblance : « Elle a fait
des niaises de mes jolies petites-fdles », disait-
elle. Madame Le Brun, qui raconte les choses
à sa manière, prétend qu'elle avait obtenu de
peindre l'Impératrice, mais par malheur, quel-
ques jours seulement avant sa mort. Elle se
dédommagea par le portrait de la grande-
duchesse Elisabeth Alexéewna, qu'elle repré-
senta en pied, couronnée de roses et disposant
des fleurs dans une corbeille. Elle la fit encore
avec un châle violet, accoudée sur un coussin,
et ce dernier tableau, dont on a des répliques,
était destiné à la mère de la princesse, la mar-
MADAME VIGEE-LE BRUN 199
grave de Bade, à Carlsruhe. Elle peignit aussi la
grande-duchesse Anna Feodorowna, née prin-
cesse de Cobourg-Gotha, femme du grand-duc
Constantin Pavlovitch, et le grand -duc lui-
même.
Ces travaux et sa renommée valaient à
Madame Le Brun ses entrées à la Cour; elle a
décrit des galas chez l'Impératrice, et le bal le
plus magnifique à ses yeux fut celui dont elle
eut le très vif plaisir de faire le tour au bras
du jeune prince Bariatinsky : « L'Impératrice,
très parée, était assise dans le fond de la salle,
entourée des premiers personnages de la Cour;
près d'elle se tenaient la grande -duchesse
Marie, Paul, Alexandre, qui étaient superbes,
et Constantin, tous debout. Une balustrade
ouverte les séparait de la galerie où l'on dan-
sait... Il me serait impossible de dire quelle
quantité de jolies femmes je vis alors passer
devant moi ; mais je ne puis m'cmpêchcr de
dire qu'au milieu de toutes ces beautés, les
princesses de la famille impériale remportaient
encore. Toutes les quatre étaient habillées
à la grecque, avec des tunicpics (]u'at tachaient
sur leurs épaules des agrafes en gros diamants.
Je m'étais mêlée de la toilette de la grande-
duchesse Elisabeth, en sorte que son costume
200 MADAME VIGEE-LE BRUN
était le phis correct; cependant les deux filles
de Paul, Hélène et Alexandrine, avaient sur la
tête des voiles de gaze bleue clairsemée d'ar-
gent, qui donnaient à leur visage je ne sais
quoi de céleste. La magnificence de tout ce
qui entourait l'Impératrice, la richesse de la
salle, le grand nombre de belles personnes,
cette profusion de diamants, l'éclat de mille
bougies , faisaient véritablement de ce bal
quelque chose de magique. » A ces splendeurs
l'artiste ne pouvait comparer celles des bals
de Versailles, qu'elle n'avait point eu l'occasion
de voir.
La paisible grandeur de la Russie, qu'admira
Madame Le Brun aux derniers moments du
règne de Catherine, fut altérée durant son
séjour par la mort de l'Impératrice et le règne
tyrannique de Paul I", que devait terminer
l'assassinat. Elle était assurée d'une entière
faveur auprès de l'impératrice Marie Feodo-
rowna, qu'elle avait vue pour la première fois
à Paris quand les grands-ducs héritiers y étaient
venus sous le nom de comte et comtesse du
Nord. L'empereur Paul, qui avait voulu de la
main de Borovikovsky son portrait en grand
apparat , où les insignes de l'autocratie se
mêlent à ceux de la grande-maîtrise de Malte,
MADAME VIGEE-LE BRUN 201
avait commandé, en 1799, à l'artiste française
une somptueuse image officielle de Timpératrice
Marie. Elle est en grand panier, une couronne
de diamants sur la tête; un rideau soulevé
laisse apparaître la colonnade d'un palais impé-
rial ; des plans se déroulent sur un tabouret.
L'Empereur assista souvent aux séances de
pose, avec ses deux fils aînés, et Madame Le
Brun put observer de près « ses yeux plus
qu'animés » et « une sorte d'élégance » dont
il ne manquait point, malgré son nez camard
et sa « fort grande bouche garnie de dents très
longues », qui « le faisaient ressembler à une
tête de mort ». L'étrange souverain, qui terro-
risait sa noblesse, aimait les arts et les artistes.
Il fut très bienveillant pour Madame Le Brun
et il se montrait tel encore pour un vieux
peintre français, que celle-ci avait eu la joie
inattendue de trouver à Saint-Pétersbourg;
c'était Doyen, le meilleur ami de son père, le
conseiller de ses premiers essais de peinture,
installé en Russie, où Catherine l'avait appelé
afin d'exécuter d'importantes commandes pour
les palais impériaux.
La bonne impératrice Marie, toujours d'em-
bonpoint un peu fort et i\c visage très noble
sous ses superbes cheveux blonds, ne gardait
202 MADAME VIGEE-LE BRUN
de son séjour en France que des souvenirs
agréables ; le sort de cette famille royale, qui
l'avait si bien reçue, lui inspirait une grande
commisération. Elle dut s'intéresser à un pro-
jet que Madame Le Brun formait alors. Pour-
suivie par la pensée des malheurs de Louis XVI
et de Marie-Antoinette, elle voulait faire a un
tableau qui les représentât dans un de ces
moments touchants et solennels qui avaient
dû précéder leur mort ». Pour avoir le dé-
tail véridique des scènes, des costumes et du
décor, elle écrivit à Cléry, dernier valet de
chambre du Roi, réfugié à Vienne; ce qu'il lui
raconta l'émut à tel point, qu'elle reconnut
impossible, dit-elle, « d'entreprendre un
ouvrage pour lequel chaque coup de pinceau
m'aurait fait fondre en larmes ». Elle se borna,
un peu plus tard, à envoyer à Madame Royale,
à Mittau, par l'entremise du comte de Cessé,
un portrait de Marie-Antoinette fait de mémoire,
dont la princesse, dans sa lettre de remercie-
ment, parut sincèrement touchée. Madame Le
Brun avait chez elle, à ce moment, un des plus
importants portraits de sa malheureuse souve-
raine; à l'occasion sans doute d'un envoi de toiles
de maîtres (jiic son jmari lui adressait pour les
exj)oser en Russie, elle faisait venir de France
MADAME VIGEE-LE BRUN 203
son grand tableau, le dernier peint, où la Reine
est en velours bleu. Les grands-ducs et toute
la Cour vinrent le voir, le dimanche matin,
jour où elle ouvrait son atelier; elle y convia
aussi les Français, alors nombreux dans la ville;
le prince de Condé « ne prononça pas une
parole; il fondit en larmes ».
L'émigration française se réunissait volon-
tiers autour de Stanislas-Auguste, roi détrôné
de Pologne, qui vivait à Saint-Pétersbourg,
honoré et mélancolique. L'artiste manquait
rarement ses petits soupers, où n'étaient pas
moins fidèles l'ambassadeur d'Angleterre et le
marquis de Rivière, le grand ami du comte
d'Artois, qui prenait plaisir à la causerie
royale, pleine d'une sincère bonté et animée
d'une foule d'anecdotes. Madame Le Brun dit,
à propos de la passion sincère de Poniatowski
pour les arts : « Rien ne me touchait autant
que de l'entendre me répéter souvent qu'il
aurait été heureux que j'eusse été à Varsovie
l()is([u'il était encore roi. » Klle fit de lui deux
bons portraits, l'un qu'elle emj)orta en F'rance,
l'autre costumé « à la Henri W », avec un cha-
peau à plumes, qui lui fut demandé par hi
comtesse Mniszek, nièce du roi. Elle n'ajou-
tait d'ailleurs à son œuvre féminine (pic bien
204 MADAME VIGEE-LE BRUN
peu de portraits d'hommes, ceux, par exemple,
du prince Bariatinsky, du magnifique Alexandre
Rourakine et de son frère, le prince Alexis,
époux de sa chère amie, la princesse Natalie.
Les maris des femmes qu'elle peignait s'adres-
saient de préférence à Lampi ou aux peintres
russes. Ceux-ci voulurent témoigner à l'aimable
Française l'estime qu'ils avaient pour elle.
L'Académie de Saint-Pétersbourg, dont Doyen
était l'un des officiers, décida de la recevoir
parmi ses membres ; elle a raconté la cérémonie
fort solennelle de la réception, qui eut lieu le
16 juin 1800 et que présidait un autre de ses
amis, le comte Stroganoff. Elle peignit alors
pour l'Académie un portrait qui la représente au
travail, sa palette à la main, qu'elle disait plus
tard à ses familiers le meilleur qu'elle eût fait
d'elle-même.
Un grand chagrin gâte les souvenirs de son
séjour en Russie. Il ébranla sa santé, (|ui avait
résisté jusqu'alors à des excès de travail. Sa fille
était devenue une personne accomplie, dit-elle,
pour les grâces, l'intelligence et Finstruction;
elle avait eu partout les meilleurs maîtres, savait
l'anglais et l'allemand, chantait l'italien à mer-
veille, s'accompagnait sur le piano et la guitare et
possédait d'heureuses dispositions pour la pein-
MADAME VIGEE-LE BRUN 20i
ture, qui donnaient à l'artiste le doux espoir
de revivre en elle. Mais la gouvernante amenée
de France exerçait sur l'enfant une influence
qui finissait par la détacher de sa mère. A dix-
sept ans , l'amour s'en mêla ; elle s'éprit d'un
M. Nigris, secrétaire du comte Tchernycheff,
et toute la société de Saint-Pétersbourg s'in-
téressa, sans discrétion, au bonheur de a Bru-
nette ». Madame Le Brun avait rêvé un autre
gendre, le peintre Guérin, de qui la jeune
renommée arrivait jusqu'à elle; il y eut long-
temps des malentendus, des aigreurs. Enfin,
le consentement de M. Le Brun étant arrivé
de Paris, le mariage eut lieu; la mère donna
pour dot tout Ce qu'elle avait gagné à Saint-
Pétersbourg, et presque aussitôt, sentant dé-
truit chez l'enfant le sentiment dont elle avait
fait le charme de sa vie, ne retrouvant plus
le même plaisir à aimer une fille qu'elle jugeait
ingrate, elle saisit l'occasion de se dépayser et
fut vivre quelque temps à Moscou.
Elle passa cinq mois dans la vieille capitale
de l'empire, honorée et choyée comme elle
l'avait été à Saint-Pétersbourg. Elle y eut à faire
aussitôt une foule de portraits et i)artagea
son temps entre le tiavail et les distractions
mondaines offertes de toute part. La comtesse
206 MADAME VIGEE-LE BRUN
Stroganoff et la maréchale SoltikofT rivalisèrent
d'amabilité pour elle; elle observa d'autres
aspects de la somptuosité russe chez le prince
Alexandre Kourakine et le comte Boutourline;
mais sa santé s'altérait de plus en plus. Elle
revint à Saint-Pétersbourg au lendemain de la
mort tragique de l'empereur Paul; elle vit l'al-
légresse qui suivit l'avènement d'Alexandre;
elle eut le temps de faire du nouvel empereur
r
et de l'impératrice Elisabeth des études au
pastel, qui devaient lui servir pour des tableaux
à l'huile; mais elle sollicita bien vite de Leurs
Majestés une permission, donnée à contre-
cœur, de quitter leurs états. Elle se trouvait
à bout de forces et ne pouvait se rétablir qu'en
changeant de climat. Elle repartit de Saint-
Pétersbourg, le cœur plein de reconnaissance,
et non sans regretter tant d'amitiés chères
qu'elle y avait nouées et qu'elle s'imaginait
pouvoir y retrouver un jour.
La route fut dure et difficile pour une
malade. Elle sou 11 rit de la chaleur, de la mau-
vaise nourriture, de la fâcheuse organisation
des relais, des maladresses du a bon j)ère
Rivière », et aussi de la déconvenue de ne plus
trouver à Millau la famille royale de France,
MADAME VIGEE-LE BRUN 207
qu'elle espérait y rencontrer. Son « supplice »
s'atténua à Rœnigsberg ; elle se reposa à Ber-
lin, où elle arriva vers la fin de juillet 1801,
et elle se sentit tout à fait rassérénée dès
qu'une autre Majesté, la reine Louise, l'eût
conviée à faire son portrait . Il fallut aller
s'établir à Potsdam, où séjournait la reine de
Prusse. Madame Le Brun lui trouva ce visage
« céleste » qu'elle attribuait aisément aux per-
sonnes augustes, et s'émut devant cette beauté
d'une éblouissante fraîcheur, que rendaient
plus éclatante encore le grand deuil et une
couronne d'épis de jais : « Plus je voyais, dit-
elle, cette charmante reine, plus j'étais sen-
sible au bonheur de l'approcher. Elle parut
désirer voir les études que j'avais faites d'après
l'empereur Alexandre et l'impératrice Elisa-
beth; je m'empressai de les lui porter, ainsi que
mon tableau de la Sibylle que je fis remettre
sur châssis. » La reine Louise eut pour elle
mille prévenances, jusqu'à détacher de ses beaux
bras, pour les mettre aux siens, des bracelets
« dans le genre antique », dont l'artiste lui
faisait compliment. Il en résulta deux études
au pastel et quelques autres de la famille du
prince Ferdinand, que Madame Le Brun devait
copier à l'huile des son retour à Paris.
208 MADAME VIGEE-LE BRUN
Elle songeait sérieusement à revenir dans
son pays et dut voir, à ce sujet, le général
Beurnonville. ambassadeur de France à Berlin;
elle avait aperçu déjà, en Russie, et avec une
horreur qu'elle ne dissimule point, les cocardes
tricolores; mais c'était sa première visite à un
représentant du régime nouveau. Elle eut la
surprise de trouver un « citoyen » fort bien
élevé, qui l'engagea « de la manière la plus
flatteuse » à regagner une patrie où l'ordre
et la paix étaient complètement rétablis. Les
obstacles venant d'être levés, elle ne deman-
dait qu'à se laisser convaincre.
Sous les divers gouvernements révolution-
naires, Le Brun avait multiplié les démarches
pour obtenir que sa femme fût rayée de la liste
des émigrés. Mais la notoriété publique signalait
sans cesse les relations et les « menées » de la
citoyenne Le Brun, et les autorités du Direc-
toire refusaient encore d'entendre les voix qui
s'élevaient pour elle. En vain. Madame Tallicn
elle-même, en brumaire an VII, a-t-elle écrit
de sa main au ministre de la Police en faveur
d'une femme inorfonsive, « dont le talent fait
l'admiration de l'Europe » et semble assuré-
ment manquer aux élégances nouvelles. En
vain, le 8 thermidor suivant, Barras a-t-il reçu
MADAME VIGEE-LE BRUN 209
une députation de douze artistes réputés, lui
apportant une pétition solennelle, signée de
deux cent cinquante -cinq noms. On y lit de
Madame Le Brun l'éloge le plus touchant et la
défense la plus habile : « Artiste, son but en
voyageant fut d'étudier et de produire. Elle l'a
rempli. Comment resterait-elle confondue dans
la masse errante et coupable des émigrés ?
Mais au juste intérêt que ses talents inspirent,
au vif désir que nous éprouvons de la revoir
au milieu de nous, se joint l'inquiétude que
nous donne l'état alarmant de sa santé. Qu'elle
ne soit point perdue pour son pays, citoyens
Directeurs, que la France qui l'a vue naître
recueille et ses derniers travaux et ses derniers
soupirs ! C'est à la grande Nation qu'il appartient
de protéger ses grands talents. Nous réclamons
votre justice, citoyens Directeurs, et nous rede-
mandons la citoyenne Le Brun au nom des
lois, au nom de l'honneur national et en votre
nom. « Trois pages de signatures réunissent
l'élite des arts, des lettres et des sciences. Ce
sont les peintres David , Fragonard , Greuze,
Girodct, Isabey, Lagrcnée, Prud'hon, Regnault,
Robert, Van Spaendonck, Suvée, Carie Vernet,
Vien, Vincent; les sculpteurs Dejoux, Gois,
Houdon , Julien, Pajou ; les architectes Rron-
14
210 MADAME VIGEE-LE BRUN
gniart, Chalgrin, Fontaine, Percier, Peyre,
Raymond; les graveurs Bervic, Duvivier; les
musiciens Gossec, Méhul, Martini; les littéra-
teurs Cailhava, Chénier, Colin d'IIarleville,
Ducis, François de Neufcliâteau, Legouvé, Mil-
lin, Parny; les savants Cuvier, Fourcroy, Lacé-
pède, Lamarck, Parmentier. . . Tant d'efforts
seraient inutiles, si le tout-puissant David, ne
se décidait à s'acquitter enfin, par de pres-
santes démarches personnelles, du devoir de
l'amitié. La radiation devient définitive, par un
arrêté des Consuls du 5 juin 1800, et Madame
Le Brun reçoit à Berlin les pièces qui lui per-
mettent de rentrer en France.
Tout l'invitait à en profiter ; les lettres de
ses amis se faisaient pressantes. Elle voulut
revenir en passant par Dresde, où elle retrouva
la princesse Dolgorouky ; et elle s'arrêta aussi
à Brunswick, dans la famille de M. de Rivière.
Elle revit enfin avec émotion cette pairie,
a théâtre de tant de crimes si atroces », où
clic pleurait tant de personnes chères. Le mari
nota sur ses carnets le jour mémorable du
retour : « Du 6 octobre 1789, qu'elle est partie,
au 18 janvier 1802, font douze années, trois
mois cL douze jours qu'elle est absente. »
V
(1802-1842)
LA rentrée de Madame Vigce-Le Brun fut,
dans le Paris du Consulat, un petit
événement. Les artistes s'en réjouirent,
le monde en parla, et les gazettes l'annoncè-
rent : « Madame Le Brun, disait le Journal de
Paris, est de retour depuis la fin du mois de
nivôse, après une absence de neuf ou dix ans.
Elle a retrouvé sa charmante maison, rue du
Gros-Chenet, dans l'état où elle l'avait laissée.
Son mari avait eu l'attention de conserver le
même ordre dans l'arrangement des meubles,
des tableaux, des gravures; ses chevalets, ses
palettes, ses pinceaux, tout était à la même
place. Cette intéressante artiste peut ainsi con-
tinuer, si elle veut, l'esquisse qu'elle avait
commencée il y a dix ans. »
212 MADAME VIGEE-LE BRUN
Ce mari si attentif avait pris, au cours de
1794, la précaution de divorcer; l'acte qu'il
obtint résultait de la séparation de fait entre
les époux, ce par l'abandon du domicile com-
mun depuis plus de six mois sans nouvelles ».
Ce fut une mesure de prudence, sans consé-
quence pour les rapports d'affection et qui
donna désormais à Madame Le Brun la libre
disposition de ses biens. M. Le Brun tout à ses
affaires, à ses voyages, à son commerce qui
prenait une extension extraordinaire, ne devait
plus jouer de rôle dans la vie de sa femme,
jusqu'à l'année 1813, date de sa mort.
Madame Le Brun se retrouvait dans une
ville où tout était changé, et où les mœurs
différaient beaucoup plus de celles de l'ancien
régime que ne s'en éloignait la vie mondaine
des capitales qu'elle avait habitées. Elle s'y
accommoda assez vite, entourée, fêtée comme
elle le fut, ne s'étonnant pas du mouvement
qui emportait la génération nouvelle, mais seu-
lement de voir si vieillis les hommes et les
femmes de la sienne.
Dès le surlendemain de son retour, elle fut
au bal chez Madame Rognault de Saint-Jean
d'Angély ; peu après, à une soirée de musique
chez Madame de Ségur. Elle vit une société
MADAME VIGEE-LE BRUN 213
distinguée, brillante, et beaucoup de jeunes
femmes, qui ne lui semblèrent pas moins belles
que celles d'autrefois. D'autres émigrés, récem-
ment rentrés, n'acceptaient pas sans amertume
de trouver leurs places prises et partout des
figures inconnues : « Vous devez être furieuse-
ment désorienté, disait Madame Le Brun au
comte d'Espinchal; vous ne connaissez plus
personne dans les loges de l'Opéra et de la
Comédie. » Pour elle au contraire, ce chapitre
de ses Souvenirs, malgré quelques confusions
de mémoire et la couleur royaliste de tout
l'ouvrage, donne bien le sentiment qu'elle sut
prendre sa part de cet heureux moment de la
vie française.
L'amitié lui procurait encore de douces
oies. Madame de Bonneuil était restée aussi
olie. Madame de Verdun, la marquise de Grol-
ier, aussi bonnes, les Brongniart aussi dévoués.
Ses vieux confrères Hubert Robert, Greuze,
Ménageot, se montraient charmés de la revoir.
C'était de bien petites gens après tant de fré-
quentations illustres ; mais la vanité, qui hii
troublait souvent l'imagination, n'altérait rien
de son excellent cœur. Elle s'intéressait aux
progrès des Arts , à ce Muséum du Louvre
rempli de merveilles, au succès des jeunes
214 MADAME VIGEE-LE BRUN
talents, comme Guérin, Girodet et Gérard. Son
petit ami Gros lui avait donné de grandes espé-
rances ; elle n'en fut pas moins étonnée « de
retrouver l'enfant homme de génie et chef
d'école ». Gros, si attachant par sa franchise et
l'originalité de son caractère, entra vite dans
son intimité. Elle ne voulut pas la renouer avec
David : les idées de ce jacobin, et les actes
qu'on lui reprochait pendant la tourmente, la
dispensèrent de toute reconnaissance.
Bientôt elle reprend ses soupers d'artistes,
elle donne un bal, elle fait dresser chez elle
un théâtre pour jouer la comédie : « Je m'em-
pressais, dit-elle, par ces réunions, de rendre
aux Russes et aux Allemands qui se trou-
vaient à Paris quelques-uns des plaisirs qu'ils
m'avaient procurés dans leur pays avec tant de
grâce et tant de bienveillance. Je passais ma vie
avec eux. Je voyais surtout, presque tous les
jours, la princesse Dolgorouky, qui avait été si
parfaite pour moi à Saint-Pétersbourg; le
séjour de Paris lui plaisait assez, et elle était
parvenue promptemcnt à se former une société
des plus aimables gens de nos salons. » La prin-
cesse fut présentée à Bonaparte. Je hii demandai
comment elle avait trouvé la cour du Premier
Consul : « Ce n'est [)as une cour, me réj)on-
LA PRINCESSE GATHERINE-FEODUllUWWA
DOLGOROLIKV
NÉE PRINCESSE BAHIATINSKY
(Au prince P. Dolgoroukyj
MADAME VIGEE-LE BRUN 215
dit-elle, c'est une puissance. » Madame Le
Brun évite d'entrer en contact avec cette
puissance. Elle prétend avoir des avances de
Madame Bonaparte, qui vient la voir dès son
retour et lui rappelle les bals où elles se sont
rencontrées avant la Révolution ; Lucien visite
son atelier et lui dit les choses les plus flat-
teuses sur la Sibylle , qui fait maintenant la
curiosité de Paris. Fidèle à ses princes et au
souvenir de Marie-Antoinette, l'artiste s'accou-
tume mal à l'idée du pouvoir nouveau ; des
idées noires bientôt la poursuivent ; tout le
passé révolutionnaire hante son esprit ; elle est
prise d'une tristesse que ne suffit pas à guérir
un séjour dans les bois de Meudon, près de la
maison qu'habite, avec les dames de Belle-
garde, la chère compagne de ses promenades
dans la campagne romaine. Aimée de Coigny.
L'artiste s'imagine qu'elle guérira à Londres
et, comme c'est la seule des grandes capitales
qu'elle n'ait point vue, un peu de curiosité y
aidant, elle passe le détroit avec sa gloire et
ses pinceaux.
A Londres, elle se remet à travailler et se
trouve si bien f[ue, étant venue pour trois mois,
elle demeure près de trois ans . La haute
216 MADAME VIGEE-LE BRUN
société anglaise lui a fait l'accueil auquel elle
est habituée ; mais elle a goûté plus encore la
présence des compatriotes qu'elle préfère et
dont elle partage tous les sentiments. Il n'y
a personne à Paris, à ce moment, avec qui elle
puisse causer comme avec M. de Vaudreuil;
le comte est bien changé et vient de se marier,
mais il garde au service de son prince son inal-
térable dévouement. C'est dans un tel milieu
que Madame Le Brun se sent à l'aise, sous le
charme attristé d'une communauté de souve-
nirs : « Je retrouvai en Angleterre, dit-elle,
une foule d'émigrés français, que j'invitai bien-
tôt à mes soirées. J'eus le bonheur aussi de
rencontrer M. le comte d'Artois ; je me trouvai
avec lui chez lady Parceval, qui recevait beau-
coup d'émigrés. Il avait pris de l'embonpoint
et me parut vraiment très beau. Peu de temps
après, il me fit l'honneur de venir voir mon
atelier ; j'étais dehors, et je ne revins qu'au
moment où il sortait de chez moi ; mais il eut
la bonté de rentrer pour me faire compliment
(hi portrait du prince de Galles, dont il parut
fort satisfait. » Ce |)ortrait était destiné par
M. le prince à Mrs. Fitz - Herbert. L'artiste
associait son travail à des amours plus mélan-
coliques, lorsqu'elle jieignait, pour le comte
MADAME VIGEE-LE BRUN 217
d'Artois lui-même, Madame de Polastron déjà
flétrie par le mal qui devait l'emporter.
Elle recevait beaucoup et donnait d'ex-
cellente musique dans son appartement de
Madox Street; son vieil ami Viotti s'y faisait
entendre à côté de la Grassini, qui obtenait au
théâtre ses premiers succès. Elle retrouvait
en Angleterre nombre d'anciennes connais-
sances. Un jour, lady Hamilton, qui venait de
perdre son époux et chez qui elle s'était fait
inscrire, vint étaler chez elle d'immenses voiles
noirs et une douleur théâtrale : « Je trouvai,
dit-elle, cette Andromaque énorme, car elle
avait horriblement engraissé » ; elle apprit en
même temps que le feu mari avait vendu
avantageusement les portraits de Naples, même
celui que l'artiste lui avait gracieusement
donné. La vie de Londres l'intéressa ; elle fut
aux raouts de lady Hertford et de la duchesse
de Devonshire. L'été, elle visita les châteaux
historiques, fit à Bath la saison d'usage et
apprécia quelques séjours de campagne dans
plusieurs belles résidences : à Knowles, chez
la duchesse de Dorsct, dont elle avait peint la
fille; à Stowe, chez la marquise de Bucking-
ham ; à Benheim, chez la fameuse margrave
d'Anspach, qui lui demandait son projire por-
218 MADAME VIGEE-LE BRUN
trait et celui d'un fils qu'elle avait de son
mari anglais, M. Repell. Elle passa quelques
jours à Twickenham , auprès de la jeune
comtesse de Vaudrcuil et y exécuta les pas-
tels de ses deux fils. Le comte la mena faire
une visite au duc d'Orléans, qui voisinait
volontiers, à cette date, avec les amis du
comte d'Artois ; le duc de Montpensier vint
même plusieurs fois prendre l'artiste pour
l'emmener dessiner avec lui les paysages boisés
des environs.
Il n'y avait pas alors de musée public à
Londres. Madame Vigée-Le Brun put étudier
les portraits de l'Ecole anglaise dans les
galeries particulières et aussi chez les peintres;
elle visita avec curiosité ses confrères, dont
plusieurs la virent arriver sans plaisir et cher-
chèrent même à déprécier sa peinture. Elle
parle surtout de Reynolds, dont le jugement
favorable sur ses propres œuvres paraît l'avoir
beaucoup flattée ; mais elle ne dit pas expressé-
ment avoir rencontré le grand artiste. Elle
n'était plus assez jeune pour profiler de ces
voisinages magnifiques. Ses habitudes d'art et
sa manière étaient depuis longtemps fixées;
on ne voit pas que ses tableaux faits en Angle-
terre aient plus d'accent que les précédents.
MADAME VIGEE-LE BRUN 219
Quelques-uns n'y sont pas inférieurs, surtout
des portraits de femmes de théâtre, comme
Madame Grassini, représentée dans le rôle de
Zaïre, c'est-à-dire en costume oriental, avec
une tunique rouge sans manches, recouvrant
une robe de gaze rose parsemée de fleurs roses
et serrée par une ceinture aux agrafes d'or, ou
encore Madame Vestris, enveloppée d'un man-
teau bleu, un collier de corail au cou, les
cheveux flottant au vent, et dont l'étrange
beauté apparaît sous un ciel d'orage, dans une
interprétation déjà romantique.
Lorsque survint la rupture de la Paix
d'Amiens, les sujets français arrivés depuis
moins d'une année furent obligés de quitter
l'Angleterre. Madame Vigée-Le Brun, aux
yeux des Anglais, était trop bonne sujette de
Louis XVIII pour ne pas avoir droit à de parti-
culières faveurs. Aussi le prince de Galles lui
apporta-t-il lui-même un sauf-conduit royal,
accordant toute protection et toutes facilités
de voyage.
Du côté des autorités françaises, les choses
n'étaient pas aussi simples : elle avait un
passeport périmé et craignait d'èlre forcée de
rester en Ano:leterre au moment même où sa
fille, lassée de la Russie, revenait c>n France;
220 MADAME VIGEE-LE BRUN
elle voulait cependant pouvoir demeurer à son
gré, pour terminer les portraits commencés et
en toucher le prix. Des dispositions maladives
aggravaient ses inquiétudes. Il fallut le dévoue-
ment de M. Perregaux, son banquier, qu'elle
accablait de lettres éperdues, et la bonne grâce
de Portails et de Talleyrand pour rassurer ses
esprits et, plus tard, lui faciliter le retour, dans
le cours de l'été de 1805. Elle eut bien à Rot-
terdam quelques difficultés, dont elle se plaint
amèrement; mais le préfet d'Anvers, M. d'IIer-
bouville, fut charmant, et détruisit quelques-
unes de ses préventions contre l'administra-
tion de « l'usurpateur ».
L'Empereur savait parfaitement à quoi s'en
tenir sur ce voyage d'Angleterre , quand il
disait d'un ton sec à M. de Ségur, qui le rap-
portait à sa femme : « Madame Le Brun est
allée voir ses amis. » Mais l'artiste était trop
mince personnage pour qu'il daignât lui tenir
rigueur. Peu de jours après ce propos, il
envoyait chez elle Denon commander de sa
part un portrait en pied de sa sœur Caroline,
femme du prince Murât. « Je ne crus pas
devoir refuser, écrit Madame Le Brun, (pioique
ce portrait ne me fût payé que dix-liuit cents
MADAME VIGEE-LE BRUN 221
francs, c'est-à-dire moins de la moitié de ce
que je prenais habituellement pour les por-
traits de même grandeur . Cette somme fut
d'autant plus modique que, pour me satisfaire
dans la composition du tableau, je peignis à
côté de Madame Murât, sa petite -fille, qui
était fort jolie. »
«c Au reste, ajoute-t-elle, il me serait im-
possible de décrire toutes les contrariétés, tous
les tourments qu'il me fallut endurer pendant
que je faisais ce portrait. » Séances manquées,
coiffure plusieurs fois changée, robes rempla-
cées, expliquent peut-être que le tableau ne
soit pas un chef-d'œuvre . Mais les caprices
continuels de cette « Madame Murât » et sur-
tout son inexactitude irritaient l'artiste, lui
donnaient de l'humeur, au point qu'un jour, en
présence de Denon, elle aurait dit assez haut
pour être entendue du modèle : « J'ai peint de
véritables princesses, qui ne m'ont jamais
tourmentée et ne m'ont jamais fait attendre ! »
C'était un de ces mots courageux dont ou
aimait à se vanter dans les salons amis.
Il ne restait plus à Madame Le Brun, pour
se prendre tout à fait au sérieux dans son
petit rôle d'opposition, que d'aller à Coppot
222 MADAME VIGEE-LE BRUN
visiter Madame de Staël ; elle n'y manqua
point, lorsqu'elle fut voyager en Suisse.
Après avoir vu beaucoup de montagnes, de
lacs, de glaciers et de cascades, après avoir
fait pèlerinage aux souvenirs de Rousseau et
dessiné au pastel une quantité de sites renom-
més. Madame Vigée-Le Brun sut goûter le
séjour de Coppet, où se concentrait une vie
intellectuelle si raffinée. Elle y fut en belle
compagnie, s'il est vrai qu'elle y trouva éta-
blis, en ce mois de septer^bre 1808, outre
Schlegel, « la bien jolie Madame Récamier »
et le comte de Sabran, et qu'elle y vit arriver
Benjamin Constant et le prince Auguste. Elle
demeura sous le charme de la châtelaine, de
qui elle venait de lire Corinne^ récemment
parue, et elle esquissa son portrait, une lyre à
la main et en costume antique , semblable à
l'héroïne du livre : ce J'ai passé quatre jours,
écrivait-elle à sa fille, chez la dame dont nous
avons lu le dernier ouvrage avec tant de plai-
sir. Je suis encore chez elle jusqu'à demain.
J'ai fait son portrait d'une manière qui, je crois,
te plaira. Sa tète est pleine d'àme, d'expres-
sion ; ce sera pour nous Corinne! Tu verras, je
l'apporte avec moi pour le finir à Paris; mais
j'ai ])ris sur elle-même l'atlitude, pour que
MADAME DE STAËL, EN CORINNE
1808
fMusée d'Art et d'Histoire, à Genève)
MADAME VIGEE-LE BRUN 223
l'ensemble la réalise davantage. » Pendant la
pose, afin de soutenir l'expression, elle priait
Madame de Staël de lui réciter des vers de
tragédie. « Récitez encore, disait-elle quand
la tirade était finie. — Mais vous ne m'écoutez
pas. — Allez toujours ! » Et Racine succédait
à Corneille, et aussi Voltaire, dont on jouait le
soir, au château, la S émir amis . De telles
séances expliquent assez pourquoi ce portrait
célèbre manque de naturel et de vérité. Ma-
dame de Staël le reçut l'année suivante et
envoya mille écus avec ce billet : « J'ai enfin
reçu votre magnifique tableau. Madame, et,
sans penser à mon portrait, j'ai admiré votre
ouvrage. Il y a là tout votre talent, et je vou-
drais bien que le mien pût être encouragé par
votre exemple ; mais j'ai peur qu'il ne soit plus
que dans les yeux que vous m'avez donnés. »
Corinne écrivait alors De l'Allemagne, tandis
(jue la carrière du peintre s'achevait.
Cette toile est peut-être la dernière qui
doive compter dans son œuvre ; colles ([ui sui-
vront, portraits acceptés j)ar l'amitié ou de-
mandés par la complaisance, marf|ucront de
plus en plus à tous les yeux la ilécadonce de
l'artiste. Son talcuL ne survit guère à la beauté
des femmes (ju'il a célébrées ; il est gâté par la
224 MADAME VIGEE-LE BRUN
pratique du pastel et détourné de ses voies par
des prétentions de paysagiste ; une médiocre
santé oblige, d'ailleurs, Madame Le Brun au
repos que sa vie de labeur a bien mérité, tan-
dis que la génération nouvelle, qui la respecte
un peu comme une aïeule, se détache de ses
agréments surannés pour un art plus sincère
et plus viril.
En 1810, Madame Vigée-Le Brun acheta,
pour passer les étés , une maison à Louve-
ciennes, sur ce coteau délicieux, où l'attiraient
tant de souvenirs du temps qui lui était cher.
La bonne Madame du Barry ne se promenait
plus dans ces jardins enchanteurs, où elles
avaient goûté ensemble des heures si pai-
sibles ; le joli pavillon resté debout évoquait
seul les élégances d'autrefois, tandis que les
statues enlevées des socles, les bronzes arra-
chés des cheminées et des serrures, rappe-
laient, en ce beau lieu dévasté, le brutal pas-
sage de In Révolution. Marly , tout auprès,
montrait une ruine plus complète encore. L'ar-
tiste retrouvait, du moins, avec le charme
d'un horizon familier, le voisinage d'anciennes
amitiés, surtout Madame Pourrat et sa fdle, la
comtesse Ilocquart, « de ces femmes distin-
MADAME VIGEE-LE BRUN 225
guées avec lesquelles on aimerait passer sa
vie ». Madame Hocquart jouait la comédie à
ravir, faisait venir Paris à Louveciennes, et
l'artiste, toujours sociable, malgré ses nou-
veaux goûts rustiques, en bénéficiait avec recon-
naissance.
Il y eut une grande émotion dans ce pai-
sible pays, au moment de l'arrivée des Alliés.
La nuit du 31 mars 1814, les Prussiens enva-
hirent la petite maison de Madame Vigée-
Le Brun, alors qu'elle venait de se mettre au
lit, et la dévalisèrent jusque dans sa chambre à
coucher. Elle se crut morte, et maudit Bona-
parte une fois de plus. Les journées et les nuits
suivantes furent moins agitées ; elle s'était
réunie à quelques voisines, dans une maison
au-dessus de la machine de Marly ; elles enten-
daient, tout auprès, le canon et la fusillade, et
les habitants ne leur apportaient que des nou-
velles de pillage : « Ces tristes récits, qu'ac-
compagnait le bruit sinistre de la machine,
nous étaient faits dans le magnifique jardin de
Madame du Barry, près du temple de l'Amour
entouré de ileurs et par le plus beau temps du
monde. »
On eut eniln les bonnes nouvelles, et Ma-
dame Le Brun vola à Paris pour revoir ses
226 MADAME VIGEE-LE BRUN
princes. Elle assista à l'entrée du cher comte
d'Artois, unit sa voix aux acclamations de la
foule : <( Il m'est impossible de décrire les
douces sensations que ce jour me fît éprouver ;
je versai des larmes de joie, de bonheur, »
Puis ce fut un autre enchantement, l'entrée
solennelle de Louis XVIII. Elle le vit passer
sur le quai des Orfèvres, assis dans sa calèche
à côté de Madame la duchesse d'Angoulême,
de qui elle interpréta les sentiments : « Son
sourire était doux mais triste..., car elle suivait
le chemin que sa mère avait suivi en allant à
l'échafaud, et elle le savait. » Le dimanche
suivant. Madame Le Brun fut aux Tuileries et
se mêla, dans la galerie, aux curieux qui se
pressaient pour voir le Roi aller à la messe. Sa
Majesté la reconnut, vint à elle, lui prit les
mains et laissa la bonne royaliste dans le ravis-
sement de ces paroles du retour qu'elle atten-
dait depuis si longtemps.
Une vie est accomplie quand elle voit se
réaliser, dans un triomphe qu'on s'imagine
durable, d'aussi ardentes espérances. Après
l'aigre surprise des Gent-Jours, après l'ivresse
nouvelle du retour de Gand, Madame Vigée-Le
Brun peut se croire revenue ;ui vieux temps.
MADAME VIGEE-LE BRUN 227
Ses nobles modèles ou leurs enfants ont repris
leur place à la Cour; les princes recommencent
à lui sourire ; elle va être rappelée au Château
pour un portrait encore, celui de la duchesse
de Berry. Elle a reconstitué son salon et il y
vient, comme autrefois, des hommes de lettres
et des artistes. La princesse Natalie Rourakine,
qu'elle a la joie de revoir, note sur son journal
la physionomie de quelques-unes des soirées
de sa vieille amie. Celle du 18 novembre 1816
est donnée en son honneur : « Le petit concert
n'a pas réussi, mais cependant Lafont et sa
femme ont chanté, et Mademoiselle Démar a
joué de la harpe. Il y avait beaucoup de monde,
entre autres le vieux comte de Vaudreuil,
l'homme le plus aimable de Paris autrefois,
maintenant très vieux et très sourd, mais cher-
chant toujours en société à payer de sa per-
sonne. J'y ai rencontré deux littérateurs inté-
ressants, MM. Aimé Martin et BrilTaut, puis le
fameux peintre Robert Lefèvre, qui m'a enga-
gée à aller voir son atelier. » Elle y trouve,
d'autres fois, de très anciens amis de l'artiste,
le marquis de Cubières, la marquise de Bouf-
flcrs et M. de Sabran, son fils. Madame Thé-
lusson. Madame Benoist, réunis aux relations
nouvelles, Madame de Bawr, les dames de
228 MADAME VIGEE-LE BRUN
Bellegarde et le comte de Forbin, qui peint
si agréablement les éruptions du Vésuve.
Il y a des dîners où l'on convie Désaugiers :
« Ce dernier nous a chanté des chansons de
lui délicieuses , pendant que nous étions à
table, les unes plus jolies que les autres : nous
en répétions tous les refrains ; c'était gai,
aimable, et tout le monde se plaisait à dire que
c'était un petit dîner parisien d'autrefois. »
Madame Le Brun accompagne son amie au
spectacle, la mène au Musée et dans les ate-
liers, conduit chez elle ses amis. Briffaut, le
fabuliste, semble le plus intime, l'inséparable
compagnon ; elle prône son agréable caractère,
ses jolis contes qu'il récite si bien. C'est pour
lui qu'elle fait au pastel, en 1818, son dernier
portrait , qui la montre , les yeux très vifs
encore, avec un turban blanc et une robe jaune.
Tout l'intéresse de la vie de son temps, surtout
les choses du théâtre : on voit qu'elle a gardé
son activité d'autrefois et cette amabilité de
fond qui la fît partout aimer : « Je rencontre
toujours chez elle, écrit la princesse , quel-
qu'un ou quelque chose qui me plaît. Je n'ai,
de ma vie, vu une femme plus aimable dans
l'étendue du terme... Mais elle l'est surtout en
voulant faire paraître les autres, en s'oubliant
MADAME VIGEE-LE BRUN 229
elle-même ; puis la grande sûreté de son com-
merce la rend vraiment précieuse. »
Avec de telles qualités et un art si délicat
de vieillir, Madame Vigée-Le Brun ne manquera
jamais d'entourage ni d'amitiés. Si elle perd
sa fille en 1819, son frère en 1820, elle retrouve
une famille en ses deux nièces, Madame de
Rivière et Madame Tripier-Le Franc, née Le
Brun, son élève en peinture. Ces deux dames
multiplient leurs soins autour de sa vieillesse,
sans qu'elle se doute de la sourde rivalité qui
les divise et qui éclatera en procès après sa
mort. Heureuse de partager son cœur entre
« des êtres chéris », qui lui font « retrouver
tous les sentiments d'une mère », elle se plaît
à les voir faire ensemble les honneurs de sa
maison. Elle continue le dessin et le pastel;
elle peint même pour l'église du village de
Louveciennes, où elle passe huit mois de
l'année, un tableau de Sainte-Geneviève. Elle
écrit, presque septuagénaire : « La j^einture
est toujours pour moi une passion (|iii n'aura
de fin qu'avec ma vie. » Mais peindre n'est plus
pour elle qu'une distraction, comme de racon-
ter ses souvenirs.
Elle a commencé à les écrire, sur les ins-
tances de ses amis, et d'abord sous la forme
230 MADAME VIGEE-LE BRUN
de lettres à la princesse Kourakine; on l'y a
aidée en prenant des notes dans ses conversa-
tions ou sous sa dictée; le moment venu, des
hommes de lettres de son entourage en ont
tiré trois volumes, qu'on a portés chez le
libraire Fournier et qui ont plu par les anec-
dotes, les portraits, les détails authentiques
sur l'ancienne société de Paris et des cours
étrangères. Le public, qui oubliait la vieille
artiste, lui a su gré de le faire profiter du
plaisir que donne à son cercle familier la cau-
serie toujours intéressante d'une femme qui a
traversé des mondes si divers et qui a su les
voir. C'est le dernier succès de Madame Vigée-
Le Brun, qui s'éteint à Paris, rue Saint-Lazare,
le 29 mai 1842, à l'âge de quatre-vingt-sept
ans. Elle est enterrée, suivant la volonté expri-
mée par son testament, dans le cimetière de
Louveciennes, et sur sa tombe sont sculptés
une palette et des pinceaux.
Jusqu'à la fin, la vieille artiste garda la
grande fierté de sa vie, celle d'avoir été le
peintre de la Reine. La frivole et séduisante
princesse qui avait jadis posé devant elle ne
ressemblait guère à la souveraine héroïque,
dont la légende s'établissait à l'époque de la
MADAME VIGEE-LE BRUN 231
Restauration et qu'on voulait parer, à tous les
moments de sa vie, des mêmes perfections
morales. Mais aux yeux de Madame Le Brun,
comme de la plupart de ses contemporains,
n'apparaissait plus que la figure de la « Reine-
Martyre ». Elle travailla, pour sa part, à rendre
plus pur et plus glorieux l'éclat de cette
auréole; elle rêva de s'associer étroitement à
ce culte nouveau, qu'une partie des royalistes
français semblaient occupés à établir. Le ta-
bleau d'histoire, qu'elle avait projeté en Russie
sur la famille royale au Temple, se transforma
en une composition allégorique, qui fut la der-
nière de ses grandes œuvres. Elle la désigna
sous le titre à^ Apothéose de la Reine, et Ton
y voit Marie- Antoinette, vêtue de la longue
robe des bienheureux, monter vers le ciel, où
l'accueillent deux anges, rappelant les deux
enfants qu'elle a perdus, et un Louis XVI, dont
le buste émergeant des nuages est rendu plus
bizarre par les petites ailes placées à son dos.
Madame Vigée-Le Brun envoya cette peinture
à Madame de Chateaubriand, pour la maison
charitable qu'elle fondait, sous le patronage de
Sainte Thérèse, en faveur des prêtres infirmes,
et qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours dans
l'ancienne rue d'Enfer. (Quelque persuadé que
232 MADAME VIGEE-LE BRUN
l'on fût alors de la sainteté des personnes
représentées, on hésita à mettre ce tableau à
l'intérieur de la chapelle et il resta dans le
vestibule. Ni la couleur, ni le dessin ne rap-
pellent les anciens ouvrages de l'artiste , et
ce n'est qu'un froid témoignage, dans le lan-
gage du temps, de cette reconnaissance pas-
sionnée qu'elle gardait à ses souverains.
Le moindre de ses portraits nous touche
davantage. Elle-même n'avait pu revoir sans
être émue, « sous le règne de Bonaparte » , le
grand tableau de Marie -Antoinette avec ses
enfants, que la Révolution n'avait pas détruit.
La somme promise pour cette toile par M. d'An-
giviller ne lui avait jamais été versée et, à son
retour en France, elle trouva inscrite au Grand-
Livre la rente de 595 francs qui en représentait
le montant. L'Empire paya régulièrement cette
dette de la Monarchie. Le tableau était déposé,
sans cadre et retourné vers le mur, dans une
salle basse du Château de Versailles, où l'on
avait reçu l'ordre de ne le point montrer.
()uaud Madame Vigée-Le Brun y vint, un gar-
dien lui avoua (ju'il lo laissait voir à beaucoup
de monde et en tirait de grands profits. Les
âmes sensil>les et fidèles aimaient chercher
avec quelque mystère, au lieu où on l'avait
MADAME VIGEE-LE BRUN 233
peinte, l'image de l'auguste victime. Aujour-
d'hui, c'est encore à Versailles que les portraits
de Marie- Antoinette par son peintre préféré
paraissent le mieux placés pour nous émou-
voir ; c'est là qu'ils assurent à Madame Le
Brun, pour des raisons étrangères à l'art, une
célébrité égale à celle des grands artistes.
SOURCES
Il ne conviendrait pas de charger ce récit d'une lourde
bibliographie ; il faut cependant en indiquer les sources
principales, et tout d'abord les inédites. L'extrême obli-
geance de M. Jacques Doucet m'a permis de disposer de
dossiers considérables, provenant des Tripier- Le Franc,
neveux par alliance de Madame Vigée-Le Brun, qui
I contiennent tous les actes de famille, des correspon-
dances, des carnets, des notes biographiques et un lot de
1 pièces intéressant les affaires de Le Brun. Le rapport de
!: M. d'Ana^iviller et la lettre à Madame du Barrv, donnée
j; en fac-similé dans la grande édition de ce livre, se trouvent
aux Archives nationales ; la lettre écrite de Coppet est
entre mes mains. Un recueil de la collection Deloynes au
Cabinet des Estampes nous a gardé beaucoup de petits
vers sur les Salons; je cite d'autres poésies d'après l'Al-
manach des Muses, diverses brochures parues à l'occasion
des expositions, les critiques des Mémoires secrets, et bien
entendu le Précis historique de la vie de la citoyenne Le
Brun, peintre, publié par son mari en l'an II. Plusieurs
volumes des Nouvelles Arcltives de l'Art Français et la
236 MADAME VIGEE-LE BRUN
Correspondance de M. d'Angiviller, éditée par M. Furcy-
Raynaud, contiennent des documents relatifs à notre sujet,
ainsi que l'étude du baron R. Portails sur Adélaïde Labille-
Guiard. Pour l'énaigration et les voyages de notre artiste,
ses souvenirs peuvent être contrôlés par beaucoup de
témoignages (Ligne, Vaudreuil, comtesse de Boigne, com-
tesse Golovine, etc.); on consultera, sur les démarches
faites pour son retour, les documents édités au t. IV
des Nouvelles Archives, et surtout ceux que fait connaître
M. Tuetey, dans le Bulletin de la Société de l'histoire de
l'Art Français de 1911.
En réimprimant en 1910, dans une édition populaire, le
texte du premier volume des Souvenirs paru en 1835 (les
deux autres sont de 1837), j'ai rappelé avec quelle prudence
il faut les lire. On n'y doit chercher que l'image générale
d'un temps, tel que le voyait une artiste qui avait trente-
quatre ans en 1789 et quatre-vingts ans lorsqu elle raconta
sa jeunesse. Pour la critique de ces mémoires, on se
servira du court récit biographique (imprimé en 1903, à
Moscou, par le prince Théodore Kourakine, à la suite des
Souvenirs de la princesse Natal ie Kourakine, où sont tant
de mentions de Madame Le Brun et de ses amis sous la
Restauration); on lira aussi avec fruit l'article d'Auguste
Molinier, dans l'Art de 1905, qui donne les premières pages
d'une rédaction originale des Souvenirs. Il y a, dans les
dossiers Le Brun, d'autres fragments pris sous la dictée
ou notés le jour même d'une conversation, probablement
par le littérateur chargé d'écrire l'ouvrage. On va les
trouver ici, et la comparaison des textes permettra aux
curieux de se rendre compte de la manière dont ces fameux
mémoires ont été rédigés.
SOUVENIRS
RECUEILLIS DANS LES CONVERSATIONS
DE MADAME VIGÉE-LE BRUN
A l'âge de quinze ans, elle eut la visite de Madame
Geoffrin. Elle portait un grand bonnet de dentelles, une
coiffe noire nouée sous le menton, une robe de soie gris
foncé; elle avait au moins soixante ans, et lui dit avec
bienveillance qu'ayant oui parler de son talent et de sa
personne, elle avait désiré la voir.
Elle eut aussi la visite du fameux comte Orlolf, l'un des
assassins de Pierre 111. C'était un homme grand comme
son crime. L'énorme diamant qu'il portait à son doigt le lui
fit remarquer. Elle vit aussi SchouvalotT, l'amant d'Elisa-
beth de Russie. C'était un homme d'une politesse exquise
et d'un ton parfait.
Elle fit à cette époque, à Paris, son portrait.
Une de ses plus anciennes amies, Madame de Verdun,
la mena dîner chez le baron d'IIolbacli ; il y avait chez lui
une réunion de philosophes qu'elle ne comprit pas.
238 MADAME VIGEE-LE BRUN
C'est aussi à celte dame qu'elle dut la connaissance de
Mademoiselle Quinault, qui avait été tragédienne et qui,
quoique très âgée, était encore pleine despritet de gaieté.
Elle raconta qu'allant un matin chez Voltaire avec lequel
elle était liée, il lui parla d'une tragédie qu'on devait jouer
prochainement et lui dit : « Lekaindoit mettre une écharpe
comme cela », et en faisant ce geste il prit sa chemise et
lui montra, sans y penser. Voltaire décrépit.
Madame Le Brun alla avec son beau-père et sa belle-
mère voir le feu d'artifice de la place Louis XVI, lequel
feu causa tant de malheurs, et grâce au hasard qui leur fit
prendre les Tuileries, au lieu de suivre la rue Royale
qu'ils avaient pris en venant, ils ne se trouvèrent point au
nombre des victimes.
Le comte Dubarry, le Roué, et le marquis de Choiseul
se firent peindre, autant pour voir l'artiste et conquêter
son cœur que pour avoir leurs portraits. Ils firent bien des
yeux doux; mais Madame Le Brun et sa mère n'en firent
qu'en rire sans les écouter.
En 1776, la Reine lui commanda son portrait en pied
pour l'empereur Joseph, son frère. C'est le premier portrait
qu'elle fit de la Reine. Elle lui en commanda un second
pour Catherine II. Ce premier j)ortrait fut fait avec un
panier comme on en portait alors à la cour.
Elle fit plus lard les portraits de Monsieur et celui de
Madame la duchesse de Chartres. Quelque temps après
elle peignit Madame du Barry à Luciennes.
Son beau-père se retira du commerce et alla demeurer
rue de Cléry, à l'hôtel de Lubert, que venait d'acheter
M. Le Brun. Bientôt elle fut admise à voir les nombreux
et superbes tableaux dont son logement était rempli, et il
lui pri'ta des tal)lcaux du plus grand prix et de la plus
grande beauté, ce qui lui servait beaucoup.
Au bout de six mois, il la demanda en mariage. Elle fut
LA MARQUISE DE JAUCOURT
(Collection de M. Slillmann)
MADAME VIGEE-LE BRUN 239
d'abord loin de vouloir l'épouser, quoiqu'il fût doué d'une
figure agréable et bien fait. Sa mère le croyant riche, lui
conseilla d'accepter ce parti avantageux et, si elle consentit
à cet hymen, ce fut pour se soustraire à la mauvaise
humeur et aux instances de son beau-père. Sa mauvaise
humeur avait augmenté depuis qu'il n'avait rien de plus
à faire.
En allant à l'église, elle ne savait si elle devait dire oui
ou non. Elle a dit oui pour éprouver d'autres tourments.
Portrait de M. Le Brun, très vif, doux, bon, obligeant;
mais étant passionné pour les femmes de mauvaise vie et
pour le jeu, ces deux fléaux lui firent perdre sa fortune,
ainsi que celle qu'elle avait acquise.
A son retour de Russie, elle ne trouva que des dettes
énormes à payer, ce qui lui fit maintenir sa séparation avec
lui. Comme elle avait été comprise dans l'émigration,
M. Le Brun se sépara d'elle pour conserver son avoir.
Madame Le Brun était déjà entourée par les artistes les
plus célèbres d'alors. Ménageot, qui demeurait dans la
même maison et qui voyait presque tous les jours Madame
Le Brun, lui donna d'utiles conseils en peinture. Le charme
de son esprit et de sa conversation électrisait. C'était
peut-être, me dit Madame Le Brun, l'homme de sa société
qui avait le plus de grâce et qui était le meilleur de tous.
On prétendit alors qu'il retouchait ses tableaux; mais
la calomnie fut bientôt obligée de se taire en voyant leur
manière toute différente de poindre au premier Salon.
A cette exposition, elle mit le portrait de la Reine vêtue
d'une robe de mousseline blanche que les plaisants appe-
lèrent une chemise.
Quelques jours après, Madame Le Brun se trouva au
Vaudeville et vil une pièce intitulée, croit-elle, la Réunion
des Aria. La Peinture y figurai! poignant lo portrait de la
Reine. On aperçut Madame Lo Brun ot. malgré sa modestie.
240 MADAMK VIGEE-LE BRUN
elle fut obligée, ayant été reconnue, de recevoir une ova-
tion que le parterre lui offrit.
Madame Le Brun donna jusqu'à trois séances par jour,
et elle travailla tant pour satisfaire la cupidité de son mari,
qu'elle en tomba malade. Elle eut des maux d'estomac
violents, on lui conseilla de dormir après dîner, ce qu'elle
fit depuis jusqu'à sa mort.
Madame Le Brun ne sut jamais ce que c'était que de
s'occuper du ménage ou de sa fortune. Un jour, Madame
la comtesse de Guiche vint pour se faire peindre et lui
dit : a Mais, Madame, je ne puis vous donner que mille
écus. » Madame Le Brun lui répondit sans y penser et tout
en peignant : « Monsieur Le Brun ne veut pas que je fasse
un portrait à moins de cent louis. » La comtesse se mit à
rire et Madame Le Brun reconnut bientôt son erreur.
Après deux années de mariage, Madame Le Brun
accoucha. Peu après cet accouchement, M. Le Brun mena
Madame Le Brun en Flandre. Elle fut à la Haye, où elle vit
plusieurs belles collections de tableaux, et s'étant promenée
un jour dans les bois avec son mari, ils rencontrèrent le
prince et la princesse d'Orange, qui tous deux avaient l'air
très commun.
Elle alla à Bruxelles et assista à la vente des tableaux
du prince Charles. Elle y vit des dames de la cour qui
allèrent au devant d'elle et lui firent mille compliments.
C est là oii elle vit pour la première fois le prince de
Ligne. Il les engagea à aller voir des tableaux qu'il avait;
il leur fit voir Bebeil, où se trouvait un belvédère qui
dominait tous les environs. Le prince de Ligne aimait tant
nos spectacles de l*aris , qu il partait de Bruxelles et
arrivait pour se trouver à l'heure des représentations et
retournait aussitôt à Bruxelles. Elle alla, en ISO.'S, \
Londres. A son retour d«; Londres, elle revint })ar Rotter-
dam, ou elle fut obligée de rester quinze jours par ordre
MADAME VIGEE-LE BRUN 241
du frère de Madame Buonaparte, qui y était préfet, et
ensuite passa par Bruxelles. En quittant Bruxelles, elle alla
en Northoland; elle y admira des tableaux de Rubens qui
étaient aussi beaux que ceux de notre musée. Elle vit les
églises d'Amsterdam et elle alla dans la ville de Sardam,
renommée par Pierre le Grand et par des maisons, m'a-
t-elle assuré, qui avaient deux portes, l'une pour la nais-
sance et l'autre pour la mort.
Elle revint à Amsterdam, où elle admira à 1 hôtel de ville
le superbe tableau des bourgmestres assemblés fait par
Wanoll. Ce n'est pas de la peinture, c'est la nature en
repos.
A Anvers, elle vit chez un particulier, le portrait d'une
des femmes de Rubens. On nommait ce portrait « le Cha-
peau de paille ». Elle imita ce tableau et fit sur les lieux son
portrait au chapeau de paille.
Joseph Vernet la proposa à l'Académie royale de pein-
ture. M. Pierre s'y opposa, ne voulant pas recevoir de
femmes. Tous les amateurs associés furent pour Madame
Le Brun, et on fit ce couplet contre M. Pierre, qui ne
voyait que le maniement de la brosse dans la peinture :
Au Salon ton art vainqueur
Devrait l'trc en lumière:
Pour te ravir cet honneur,
Lise, il faut avoir le cœur
De Pierre, de Pierre, tlo Pierre.
Soirées rue de Cléry. — Après son mariage et pendant
la Révolution, Madame Le Brun logeait encore rue de
Cléry. M. Le Brun avait envahi tous les appartements par
les tableaux et ne laissait à sa femme qu'un atelier et une
chambre à coucher qui formait aussi salon.
C'est pourtant dans cette pièce simplement ornée, que
M. de Champcenetz (dont la belle-mère était jalouse de
Madame Le Brun) qualifiait d'appartements aux lambris
tr.
242 MADAME VIGEE-LE BRUN
dorés, que Madame Le Brun recevait tout ce que Paris
avait de plus grand.
M. de Champcenetz assurait même, me raconta Madame
Le Brun, qu'elle allumait son feu avec des billets de banque
et qu'elle brûlait du bois d'aloës.
On venait en foule, autant pour la connaître que pour
entendre l'excellente musique qui se faisait chez elle; car
elle y rassemblait les meilleurs musiciens.
Le comte de Vaudreuil, grand amateur de musique, le
baron et la baronne de Talleyrand, Joseph Vernet, le
vicomte de Ségur, le marquis de Gubières ne manquaient
pas ces soirées.
Des maréchaux de France, entre autres le maréchal de
Noailles. Il arriva quelques fois que, les chaises manquant,
ne voulant pas déranger Rubens ouVanDyckquise trouvait
dessus, tous ces grands personnages s'asseyaient par terre.
Comme compositeurs étaient Grétry, Sacchini, Martini,
qui chantaient leurs opéras avant de les représenter.
Pour le chant c'étaient Garât, Azevedo, Richer. Made-
moiselle Todi chantait le bouffe et le sérieux dans la perfec-
tion. Madame Rivière, belle-sœur de Madame Le Brun,
accompagnait à livre ouvert sur le piano.
Musique instrumentale: Viotti, célèbre violon, grâce,
expression et force. Jarnevvik, Mcstrino, le prince Henri
de Prusse, grand amateur. Le beau Marin pour la harpe.
Piano : Hulraandel , Cramer. Pour la basse, Janson et
Duport.
Le marquis de Montesquiou et le maréchal de Ségur
assistaient à ces soirées, ainsi que le chevalier de Boufflcrs,
le comte d'Angiviller, le comte d'Antrague, le prince de
Ligne et le comte de Grammont, à présent duc. Les peintres
Robert Hubert, Brongniart, architecte de la Bourse,
Ménagcot, l'abbé Delille, Lebrun-Pindarc.
Dans les premiers temps de son mariage, elle fit con-
MADAME VIGEE-LE BRUN 243
naissance avec M. Watelet, grand amateur des arts, bon,
liant et doux. Elle passa quelques jours à sa campagne
de Moulin-Joli, lieu charmant, pittoresque, etc. Avant la
Révolution, ce lieu fut acheté par un commerçant nommé
Gaudran, qui lui fit faire quelques mauvais changements.
Toutefois il l'invita à aller passer quelques jours avec sa
famille à Moulin- Joli. Elle y fut et se trouva de compagnie
avec Robert Hubert, dont elle fît sur ce lieu même le por-
trait, beau portrait, etc.. et Lebrun-Pindare, qui y fit son
Exegi monument um.
On répandit le bruit que Moulin-Joli était à elle et que
c'était M. de Galonné qui lui avait donné ; c'est faux.
Madame la Maréchale de Boufflers, qui fit ce couplet:
Il ne faut pas toujours parler,
Citer,
Dater,
Mais écouter.
11 faut saToir trancher l'emploi
Du moi {bis).
Voici pourquoi :
Il est tyrannique,
Trop académique,
L'ennui {bis)
Marche avec lui.
Je me conduis toujours ainsi
Ici,
Aussi
J'ai réussi.
1789. — L'orage de la Révolution s'avançait de plus en
plus sur le beau pays de France, et Madame Le Brun en
était déjà si affectée que sa santé en souffrait déjà.
M. Brongniart, l'architecte, et sa femme, qui étaient de
ses meilleurs amis, la trouvèrent si changée et d'une santé
si débile, qu'ils ne voulurent pas qu'elle restât au centre de
Paris pendant celte effervescence populaire. Ils l'em-
menèrent chez eux passer quelques jours et elle accepta
avec d'autant plus d'empressement que l'on avait marqué
244 MADAME VIGEE-LE BRUN
sa maison de la rue du Gros-Chenet, qu'elle habitait seule-
ment depuis trois mois.
Brongniari demeurait aux Invalides même. Tous les
soins lui étaient prodigués; mais quel remède est efficace
quand l'esprit n'est point tranquille lui-même, qu'il est
affecté !
C'est dans cette maison hospitalière qu'elle eut le bon-
heur de connaître M. de Sombreuil, qui, après avoir fait
creuser un souterrain pour y cacher les armes qu'il avait en
dépôt, fut trahi sans doute par les ouvriers mêmes qu'il
avait employés. On sait quel fût le sort de cet honnête
homme et les épreuves cruelles auxquelles futmis l'héroïsme
de sa fille.
Peu après, n'étant bien nulle part, pas même chez
Brongniart, Madame Le Brun retourna dans sa maison de
la rue du Gros-Chenet. Elle y resta peu de temps et se
réfugia dans la maison de M. de Rivière, chargé d'affaires
de la cour de Saxe, espérant ainsi trouver un asile sûr chez
un ministre étranger. Mais, si le domicile de ce diplomate ne
fut pas violé, de son domicile on voyait et on entendait les
cris et le feu mis à des barricades peu éloignées de la maison .
Enfin, elle résolut de quitter la France; depuis long-
temps elle désirait aller à Rome, mais tous les portraits
qu'elle était en train de faire l'en empêchaient. Enfin,
comme l'horreur marchait à pas de géant et que les libelles
et les menaces ne l'épargnaient pas plus que tant d'autres,
elle triompha de sa conscience d'artiste, qui la retenait à
Paris, et fit les préparatifs de son départ.
Sa voiture était chargée et les adieux étaient presque
faits, lorstju'clle vit entrer dans son salon dos hommes
armés, la moitié ivres, et mal vêtus ; ils lui enjoignirent de
ne pas partir et de rester chez elle. Elle était dans une
anxidlé cruelle, lorsque deux individus d'un air distingué
et d'un langage choisi, quoique mal habillés, lui dirent à
MADAME VIGEE-LE BRUN 245
demi-voix : « Soyez tranquille, nous sommes vos voisins,
nous ne voulons aucun mal; nous voulons vous donner, au
contraire, unbon avis; feignez de rester, faites décharger
votre voiture et prenez incognito la diligence. » Ce qui fut
dit fut fait. Elle retint trois places, pour la gouvernante de
sa fille, pour sa fille et pour elle. Mais elle ne put partir
que qjuinze jours après. Ce fut le 5 octobre à minuit, le
jour même où Louis XVI et la Reine furent amenés de
Versailles à Paris.
M. Le Brun, Robert Hubert et Vigée la conduisirent à
la diligence qu'ils suivirent jusqu'à la barrière du Trône.
Ce fut en passant le Pont-de-Beauvoisin qu'elle commença
à respirer. Pour la première fois, elle était heureuse de
n'être plus dans son pays, qui n'était plus pour elle la
patrie. Toutefois elle se reprocha cette espèce de joie en
quittant la France.
Elle n'avait point encore vu de hautes montagnes ;
l'aspect de celles de la Savoie lui en imposèrent, etc.
Le passage du chemin des Echelles la ravit, etc.
David. — Madame Le Brun lui reprocha un jour de ne
plus venir à ses soirées. Il allégua qu'il n'aimait pas être
trouvé avec des domestiques de condition, faisant allusion
aux nobles qui sont presque tous courtisans, et il n'y
retourna pas. Cependant il loua sans cesse le talent de
Madame Le Brun et le portrait de Paesiello fait à Naples.
Ayant été mis à l'exposition à côté d'un portrait par
David, celui-ci dit à un de ses élèves : « En vérité, on
croirait mon tableau fait par une femme et celui de Paesiello
par un homme. »
Ayant vu , dans les tableaux de Raphaël et du
Dorainiquin, des draperies et des coiffures qui légère-
ment s'entrelaçaient autour des bras et du corps, comme
nos écharpes et turbans, elle donna presque toujours l'at-
titude et l'expression qui convenaient à leur visage.
246 MADAME VIGEE-LE BRUN
La première personne qu'elle ail peinte sans poudre
fut Madame de Graniont-Caderousse, très jolie femme
aux cheveux d'ébène. Elle allait ensuite au spectacle sans
poudre et donna ainsi le ton aux autres femmes. La Reine
s'opposa toujours à se faire peindre autrement qu'en
poudre; elle craignait d'être en but à la satire en se faisant
ainsi remarquer.
A différentes époques, elle fit le portrait de la Reine.
Elle la recevait avec sa bonté et sa grâce ordinaire. Un
jour elle manqua un rendez-vous que lui avait donné la
Reine pour une séance, parce que Madame Le Brun avait
été indisposée ; le lendemain elle y alla pour s'excuser de
sa nonvenue. Elle se présenta à l'huissier de la chambre,
M. Gampan, et lui demanda à parler à la Reine. Celui-ci,
arrogant comme tous les gens en place, la reçut avec un air
froid et presque colérique et lui dit : « C'était hier,
Madame, que la Reine vous attendait ; elle va promener
aujourd hui ; vous avez dû voir sa voilure qui lallend, et
certes elle ne s'amusera pas à vous donner séance. »
Madame Le Brun insista, disant quelle voulait seule-
ment prendre les ordres de la Reine et qu'elle se retirait
aussitôt. Tout émue et pensant, avec étonnement toute-
fois, que Sa Majesté s'était fâchée contre elle, par la mau-
vaise humeur qu'elle endurait par ricochet de la part de
M. Gampan, elle fut admise. Mais quelle fut sa surprise,
quand elle entendit la Reine lui dire qu'elle ne voulait
point qu'elle eût fait une course inulileujenl ; elle décom-
manda sa calèche pour lui donner séance.
La dernière séance qu'elle eut de la Rrine fut à
Trianon, pour son grand tableau où elle est représentée
avec ses enfants. Elle termina ce tableau pour le Salon de
1787. Ce tableau fut généralomenl admiré. Le Roi le vou-
laiil voir , le lit exposer dans la grande galerie de Ver-
Haillcs cl il en manifesta son conlcnlemciil au comle
MADAME VIGEE-LE BRUN 247
d'Angiviller, qui proposa au Roi d'accorder à Madame
Le Brun le grand cordon noir. Mais celle-ci, ayant appris
la proposition du comte, alla le trouver et le supplia de ne
point reparler au Roi de cette distinction, car ses ennemis
s'en seraient encore servi pour la calomnier. M. d'Angi-
viller n'en parla plus et, comme de tout temps, à ce qu'il
paraît, il a fallu demander une distinction pour l'obtenir,
Madame Le Brun n'en obtint pas.
Elle fit le portrait du jeune prince Henri Lubomirski,
qui lui fut payé 12,000 francs. Il était représenté en Amour
de la Gloire et tenait à la main une branche de laurier ; il est
à genoux devant un laurier.
En 1787, elle joua la comédie, à Gennevilliers, chez
M. de Vaudreuil, avec Dugazon, Garât, Cailleau, M. de
Rivière et sa sœur. Madame Vigée, dans Rose et Colas
(Garât, Colas et ^Lidame Le Brun, Rose) et dans /« Colonie
(Garât, l'Abbé et Madame Le Brun, Marine). Elle joua
devant le comte d'Artois et la cour avec grand succès.
La dernière comédie que l'on joua fut le Mariage de
Figaro. Beaumarchais sut triompher de ]\L de Vaudreuil
pour faire jouer sa pièce devant le Roi et la Cour. 11 faisait
très chaud dans la salle, Beaumarchais cassa les carreaux,
ce qui fit dire spirituellement à Madame Le Brun qu'il osa
devant la Cour casser deux fois les vitres.
Ayant fait le portrait de AL de Galonné, la calomnie
redoubla encore ; on fit mille histoires absurdes sur le paie-
ment de ce portrait. On disait qu'il avait envoyé des bon-
bons entourés de billets de banque; on disait même qu'il
avait ruiné le Trésor pour faire ce paiement ; elle aurait
donc été bien riche I Le vrai est qu il lui envoya une boîte
valant peut-être cinq A six cents francs, avec 4,000 francs
dedans.
Ce prix n'a rien d'étonnant, quand on saura que
Madame Le Brun venait de recevoir de M. de Beaiijon,
248 MADAME VIGEE-LE BRUN
quelle avait peint de mèrae grandeur, la somme de 10,000
francs.
Le portrait à mi-jambes de M. de Galonné a fait dire à
Mademoiselle Sophie Arnould : « Madame Le Brun lui a
coupé les jambes, afin qu'il reste en place», et la calom-
nie : « Afin qu'il lui reste fidèle. » (Madame de Serre lui
emprunta sa voiture et ses chevaux et alla passer la nuit
avec, chez M. de Galonné, etc.)
Madame Dubarry. — Trois ans avant la Révolution,
Madame Le Brun alla peindre à Luciennes Madame Du-
barry. Elle pouvait alors avoir quarante-cinq ans. Son
visage était charmant, ses traits réguliers, gracieux, son
regard, celui d'une coquette expérimentée; son teint com-
mençait à se couperoser ; des cheveux cendrés et bouclés ;
bel embonpoint, gorge un peu forte, grande sans l'être
trop, parlant avec grâce et esprit.
Elle fit son premier portrait où elle est représentée en
chapeau de paille, en peignoir de baptiste, qu'elle portait
été comme hiver.
Tout était recherché dans cette maison ; orfèvrerie
aux serrures, marbres, plantes rares, etc..
Madame Le Brun retourna pour la peindre encore au
milieu de septembre 1789. On entendait souvent le canon
gronder. Elle eut peur, revint à Paris, après avoir parfait
seulement la tôte et tracé sa taille et ses bras, et n'y
retourna pas. On sait le sort de Madame Dubarry.
Le deuxième portrait de Madame Dubarry est où elle
est représentée en satin blanc, le bras appuyé sur un
piédestal. Le comte de Narbonne avait le troisiènic j)orlraii ;
il l'a ofT^rt à Madame Le Brun.
MARIE D'AGUESSEAU, COMTESSE DE SEGUR
1785
(Collection de M. le comte Louis de Ségur)
LISTE DES ŒUVRES
DE
MADAME VIGËE-LE BRUN
AYANT FIGURÉ DE SON VIVANT
AUX EXPOSITIONS
ACADEMIE DE SAINT-LUC
1774
M. DUMESNIL, recteur.
LA PEINTURE, LA POÉSIE ET LA MUSIQUE.
M. *** JOUANT DE LA LYRE.
M. LE COMTE DANS SON CABINET.
M. FOURNIER, conseiller de l'Académie de Saint-Luc.
SALON DE LA CORRESPONDANCE
1781
JEUNE FEMME, à mi-corps, respirant une rose (pastel).
COMTE DE COSSÉ.
250 MADAME VIGKE-LE BRUN
1782
PORTRAIT DE L'ARTISTE, par elle-même
1783
DUC DE BRISSAC, gouverneur de Paris, en habit de
cérémonie (pastel ).
BUSTE DE DIANE.
SALON DE L'ACADEMIE ROYALE
1783
PORTRAIT DE LA REINE.
PORTRAIT DE MONSIEUR (ovale).
PORTRAJT DE MADAME (ovale).
JUNON VENANT EMPRUNTER LA CEINTURE DE
VÉNUS.
VÉNUS LIANT LES AILES DE L'AMOUR (pastel).
LA PAIX RAMENANT L'ABONDANCE.
PORTRAIT DE MADAME LA MARQUISE DE LA
GUICHE.
PORTRAIT DE MADAME GRANT.
PORTRAIT DE MADAME ***.
PORTRAIT DE MADAME VIGÉE-LE BRUN, PEINT
PAR ELLE-MÊME.
PORTRAIT DE MADEMOISELLE VIGÉE-LE BRUN,
FILLE DE L'ARTISTE (ovale en partie).
PLUSIEURS PORTRAITS SOUS LE MÊME N».
1785
MONSEIGNEUR LE DAUPHIN ET MADAME, FILLE
DU ROI, TENANT UN NID DOISEAUX DANS
UN JARDL\.
MADAME VIGEE-LE BRUN 251
BACCHANTE ASSISE , DE GRANDEUR NATU-
RELLE, VUE JUSQU'AUX GENOUX.
MONSIEUR DE GALONNE, MINISTRE D'ÉTAT.
MADAME LA COMTESSE DE SÉGUR.
MADAME LA BARONNE DE CRUSSOL.
MADAME LA COxMTESSE DE CLERMONT-TON-
NERRE.
MADAME LA COMTESSE DE GRAMONT-CADE-
ROUSSE.
MADAME LA COMTESSE DE GHATENOIS (ovale).
M. GRÉTRY (ovale).
PLUSIEURS PORTRAITS SOUS LE MÊME N^
1787
LA REINE TENANT Mon LE DUC DE NORMANDIE
SUR SES GENOUX, ACCOMPAGNÉE DE Mgr LE
DAUPHIN ET DE MADAME, FILLE DU ROI.
MADAME LA MARQUISE DE PEZAY ET MADAME
LA MARQUISE DE ROUGÉ, AVEC SES DEUX
ENFANTS.
MADAME LA COMTESSE DE BÉON.
M. LE BARON D'ESPAGNAC, LE FILS.
MADEMOISELLE DE LA BRIGUE.
MADAME DE LAGRANGE.
MADAME DUGAZON, PENSIONNAIRE DU ROI.
DANS LE ROLE DE NINA, AU MOMENT OU
ELLE CROIT ENTENDRE GERMEUIL.
MADAME RAYMOND, PENSIONNAIRE DU ROI
(ovale).
M. CAILLEAU, EN CHASSEUR.
252 MADAME YIGEE-LE BRUN
MADAME VIGÉE-LE BRUN, TENANT SA FILLE
DANS SES BRAS.
MADEMOISELLE VIGÉE-LE BRUN, TENANT UN
MIROIR.
PLUSIEURS PORTRAITS ET ÉTUDES SOUS LE
MÊME No.
1789
S.A.R. MADAME LA DUCHESSE D'ORLÉANS.
LE JEUNE PRINCE LUBOMIRSKI REPRÉSENTANT
L'AMOUR, TENANT UNE COURONNE DE
MYRTE ET DE LAURIER.
MAHOMET DERVISCH-KAM, PREMIER AMBAS-
SADEUR DE TYPPO-SULTAN.
MAHOMET USMAN-KAM, SECOND AMBASSADEUR
DE TYPPO-SULTAN.
L'ÉPOUSE DE M. ROUSSEAU, ARCHITECTE DU
ROI, AVEC SA FILLE.
M. ROBERT, PEINTRE DU ROI, CONSEILLER DE
L'ACADÉMIE.
MADEMOISELLE BRONGNIART, FILLE DE
M. BRONGNIART. ARCHITECTE DU ROI.
MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.
PLUSIEURS TABLEAUX SOUS LE MÊME N"
1791
UNE JEUNE DAME ESPAGNOLE.
POirrHAIT DE FEMME SUR UN SOPHA.
PORTRAIT DE PAESIELLO.
MADAME VIGEE-LE BRUN 253
SALON DE 1798
PORTRAIT DE MADEMOISELLE VIGÉE-LE BRUN,
SA FILLE.
UNE SIBYLLE.
SALON DE 1824
S. A. R. MADAME LA DUCHESSE DE BERRI.
MADAME LA DUCHESSE DE GUIGHE.
COMTE TOLSTOÏ.
MADAME DAVIDOFF, NÉE DE GRAMONT.
GÉNÉRAL COMTE DE COETLOSQUET.
MADAME LAFOND.
LISTE DES ŒUVRES DE
MADAME VIGÉE-LE BRUN
AYANT FIGURÉ
DANS LES EXPOSITIONS PARTICULIÈRES
1860
EXPOSITION
AU PROFIT DE LA CAISSE DE SECOURS
DES ARTISTES
BOULEVARD DES ITALIENS
MADAME VIGÉE-LE BRUN A L'AGE DE VINGT
ANS. — Debout, en robe de mousseline blanche, avec
une écharpe en ceinture et un nœud cerise au corsage.
Mantelet et chapeau noir à plumes.
(Collection de M . J . Reisel)
LA HEINE MARIE-ANTOINETTE. — Robe de velours
et fourrures, décolletée, poudrôe, toque rouge à
plumes blanches.
(Collection <le M. Tripicr-I.e Franc)
MADAME VIGEE-LE BRUN 255
PONIATOWSKI, ROI DE POLOGNE. — En habit vio-
let, drapé dans un manteau de velours rouge doublé
d'hermine. Large cordon de moire bleue en sautoir.
(Collection de M. Tripier-Le Franc)
MADAME VIGÉE-LE BRUN DANS SA JEUNESSE.
En buste, vêtue d'une robe légère, ses cheveux s'é-
chappantd'un chapeau de paille orné de fleurs. (Dessin
ovale.)
(Collection de M. L. Godard)
1874
EXPOSITION DES ALSACIENS-LORRAINS
PALAIS-BOURBON
LA REINE MARIE-ANTOINETTE.
(Collection de M. le marquis de Diencourt)
COMTESSE DE MONTESQUIOU-FEZENSAC, GOU-
VERNANTE DU ROI DE ROME.
(Collection de Madame la vicomtesse de Cessac)
COMTE DE VAUDREUIL.
(Collection de Madame la vicomtesse de Clermont-Tonnerre)
LA REINE MARIE-ANTOINETTE (médaillon).
(Collection de M. U comte de Clermont-Tonnerre)
VICOMTESSE DE VIRIKU.
(Collection de M. le marquis de Ganay)
256 MADAME VIGEE-LE BRUN
MADAME VIGÉE-LE BRUN (Ancienne collection J.
Eeiset).
(Collection de M. le comte H. Greffulhe)
MARQUISE DE LA GUICHE.
(Collection de M. le marquis de La. Guiche)
COMTE DE LA BLACHE.
{Collection de M. le comte d'Haussonville)
COMTESSE D'ANDLAU.
(Collection de M. le marquis de MunJ
MADEMOISELLE B' (BÉLIER?^ (daté 1185),
(Collection de M, Rothan)
MARQUIS DE SÉGUR, MARÉCHAL DE FRANGE.
(Collection de M. le marquis de Ségurj
S. A. R. MONSEIGNEUR LE DUC DE BERRI,
ENFANT.
(Collection de M. Rondeau)
LA REINE MARIE-ANTOINETTE (esquisse).
(Collection de Madame Fldry-Hirard)
JEUNE FEMME.
(Collection de M. Barre j
MADAME VIGEE-LE BRUN 257
1878
EXPOSITION DES PORTRAITS NATIONAUX
PALAIS DU TROCADÉRO
MADAME ELISABETH DE FRANGE.
(Collection de M, le marquis du Blaisel)
MADAME ROYALE.
(Collectioa de M. Jean-Baptiste Chazaud)
MARQUISE DE LA GUICHE.
(Collection de M. le marquis de La Guiche)
COMTESSE D'ANDLAU.
(Collection de M. le marquis de Mun)
VICOMTESSE DE VIRIEU.
(Collection de M. le marquis de Ganay)
COMTE DE LA BLACIIE.
(Collection de M. le comte d'IIaussonoille)
MADAME GRASSINI.
(Musée de Rouen)
MADAME GRASSINI.
(Musée Calvet, à Avignon)
1883-1884
EXPOSITION DE L'ART AU XVHP SIÈCLE
GALKIUE G. PETIT
DUCHESSE DE POLIGNAC.
(Collection de M. le duc de Polignac}
i:
258 MADAME VIGEE-LE BRUN
VICOMTESSE DE VIRIEU.
(Collection de M. le marquis de Ganay)
LE BAILLI DE CRUSSOL.
(Collection, de Madame la duchesse d'Uzès)
1888
EXPOSITION DE L'ART FRANÇAIS
SOUS LOUIS XIV ET LOUIS XV
AU PROFIT DE l'h O S P I T A.LI TÉ DE KUIT
MADAME DOAZAN.
(Collection de M. le baron de Bully)
DUC LITTA, grand maître de l'ordre de Malte (provient
de la famille Samoîlojf).
(Collection de S. A. J. la princesse Mathilde)
LE BAILLI DE CRUSSOL.
(Collection de Madame la duchesse d'Uzès)
LE TSAR ALEXANDRE I" (peint en 1800).
(Collection de M. Moreau-Chaslon)
MADAME VIGEE-LE BRUN 259
1891
EXPOSITION DES ARTS AU DÉBUT
DU SIÈCLE
PALAIS DU CHAMP-DE-MARS
MADEMOISELLE BRONGNIART
(Collection de M . le baron J. Pichon)
MADAME VIGÉE-LE BRUN, par elle-même (pastel).
(Collection de M. Péan de Saint-Gilles)
1894
EXPOSITION DE MARIE -ANTOINETTE
ET SON TEMPS
GALERIE SEDELMEYER
MADAME ELISABETH. — En bergère : chapeau de
paille, corsage vert lacé, jupe rouge, tenant une gerbe
de fleurs (Î782).
(Collection de M . le comte des Cars)
LA REINE MARIE-ANTOINETTE. — A mi-corps,
tournée à droite, la tôle de face, velue d'un grand
peignoir blanc. [Indiqué à tort comme étant celui du
Salon de 1783.]
(Collection de Madame la comtesse de Diron)
COMTESSE DE PHOVENCE. — Robe blanche plissée,
ceinture de soie bloue (o^'cile).
(Collection de M. le comte A. de La Roche foucatdd)
260 MADAME VIGEE-LE BRUN
DUCHESSE DE GUICHE. — De face, en buste, les
cheveux tombant attachés par un ruban bleu. Robe
rouge à l'antique.
(Collection de M. le duc de Grainont)
COMTESSE DU BARRY. — Robe blanche, collerette
de dentelles et rubans bleu et ciel. Chapeau de paille
à plume.
(Collection de M. le duc de Rohan)
MONSIEUR DE CALONNE. — En buste, de face. Habit
de satin noir, avec les ordres (ovale).
(Collection de M. J. Doucet)
LE BAILLI DE CRUSSOL.
(Collection de Madame la duchesse d'Uzès)
MADAME DE GOURBILLON. — De face, en bonnet
(Turin, 1192).
(Collection de M. Giacomelli)
PORTRAIT DE FEMME. — De face, coifTce d'un grand
chapeau à la paysanne (ovale).
(Collection de M. J. Doucet)
LA REINE MARIE-ANTOINETTE.
(Collection de Madame la comtesse G. de Clermonl-Tonnerre)
LE ROI LOUIS XVI.
(Collection de Madame la comtesse G. de Clermont-Tonnerre)
MADAME VIGEE-LE BRUN 261
DUCHESSE DE POLIGNAC— De face, à mi-corps,
dans un jardin. Robe blanche, mantelet de dentelle
noire sur le bras. Chapeau de paille. (1182.)
(Collection de Madame la duchesse de Polignac)
PORTRAIT DE FEMME. — De face, les cheveux frisés,
vêtue d'un grand peignoir blanc et coiffée d'un large
chapeau orné de rubans bleus.
(Collection de M. Mannheim)
1897
EXPOSITION DE PORTRAITS DE FEMMES
ET D'ENFANTS
ÉCOLE DES BEAUX-ARTS
FEMME PEIGNANT.
(Collection de M. Gérome)
MARQUISE DE LA GUICIIE.
(Collection de Madame la marquise de La Guiche)
BUSTE D'ENFANT.
(Collection de Madame Edouard André)
STANISLAS D'ANDLAU.
(Collection de Madame la comtesse de Chanaleilles)
MADEMOISELLE DUTIIÉ.
(Collection de M. Bardac)
MADAME VESTIUS.
(Collection de M. C/t. Sedelmeyer)
262 MADAME VIGEE-LE BRUN
PRINCESSE DE TALLEYRAND.
(Collection de M. Vernhette)
1900
EXPOSITION RÉTROSPECTIVE DE LA VILLE
DE PARIS
PAVILLON DE LA. VILLE DE PARIS
A l'exposition UNIVERSELLE
MADAME DE LA BRICHE.
(Collection de Madame la duchesse de Noailles)
LA REINE MARIE-ANTOINETTE.
(Collection de Madame la comtesse de Biron)
1905
EXPOSITION ARTISTIQUE ET HISTORIQUE
DE PORTRAITS RUSSES
SAINT-PÉTERSBOURG. PALAIS DE LA TAURIDE
SECTION VIGÉE-LE BRUN
LA GRANDE-DUCHESSE ELISABETH ALEXÉEWNA
(pastel).
(Palais de Gatchina)
COMTE IVANOWITCII TCHERNYCHEFF.
(Comte Uippolyte-Ivanowitch Tchernycheff-Klouglikoff)
LA GRANDE-DUCHESSE ELISABETH ALEXÉEWNA.
(Sii^né.)
(Grand Palais, Ttar/ioié-Selo)
MADAME VIGEE-LE BRUN 263
ANNA GRIGORIEWNA KOZITZKY, PRINCESSE
BELOSSELSKY-BELOZERSKY. (Signé.)
(Comte Anatole Vladimirowitch Orloff-Bavydoff)
PRINCESSE GATHERINE-FEODOROWNA DOLGO-
ROUKY, NÉE PRINCESSE BARIATINSKY. (Si-
gné.)
(Comte Anatole-Vladimirowitch Orloff-Bavydoff)
COMTESSE CATHERINE SERGUÉEWNA SAMOI-
LOFF, NÉE PRINCESSE TROUBETZKOI, AVEC
SON FILS ET SA FILLE. (Signé. — Gravé.)
(Comte Alexis- Alexandrowitch Bobrînshy )
ALEXANDRE-ALEXANDROWITCH BIBIKOFF.
(Ivan-Apollonowitch Bibikoff)
PRINCESSE MARIE-VASSILIEWNA KOTCHOUBEY
NÉE VASSILTCHIKOFF.
(Marie- Alexandrowna Vassiltchihoff)
PRINCE IVAN-IVANOWITCH BARIATINSKY. (Signé.)
(Prince Alcxandre-Vladimiruwitch Bariattnsky}
DARIA-MIKIIAILOWNA OPOTCIIININE, NÉE PRIN-
CESSE KOUTOUZOFF. (Signé. — Saint-Péters-
bourg, 180 î.)
( Nicolas-Niholaewitch Totitchhoff)
CATIIERINE-VLADIMIROWNA APIIAXINE, NÉE
PRINCESSE GOLITZYNE. (Signé. — 1796.)
(Alexantlrine-Mikhaïlowna Apraxine)
264 MADAME VIGEE-LE BRUN
L'IMPÉRATRICE MARIE-FÉODOROWNA, en pied.
(Palais d'Hiver)
CATIIERINE-VASSILEWNA LITTA, NÉE ENGEL-
HARDT, EN PREMIÈRES NOCES COMTESSE
SKAVRONSKY.
(Prince Félix-Felixowitch Youssoupoff)
PRINCESSE ALEXANDRINE-PETROWNA GOLIT-
ZYNE, NÉE PROTASSOFF, ET SON NEVEU
PRINCE VASSILTCHIKOFF. (Signé.)
(Prince Ivan-Ilarianowitch Vassiltchikoff')
PRINCE ALEXANDRE-BORISSOWITCH KOURA-
KINE. (Signé. — Grai'é.)
(Prince Théodore- Alexéewitch Kourakinej
PRINCE THÉODORR-GRAVILOWITCH GOLOVKINE.
(Signé. — Saint-Pétersbourg, 1797.)
(Université de Kieff)
COMTE IVAN-PETROWITCII SOLTYKOFF.
(Signé. — 1801.)
( Varvara-Uyinitchna Miatleff")
PRINCE IVAN-IVANOWITCII BARIATINSKY.
(Prince Alexandre-Vladimirowitch Bariatinshy)
PRINCESSE ANNA-ALEXANDROWNA GOIJTZYNE,
NÉE PRINCESSE GHOUZINSlvY, EN PRE-
MIERES NOCES MADAME DE \A'\Z\ SE. (Signé.)
(Elisabeth- A /exéetvna I^'arychhine)
MADAME VIGEE-LE BRUN 265
COMTE PAUL ANDRÉEWITGH SCHOUVALOFF.
(Comtesse Élisabeth-Vladimirowna Chouwaloff)
COMTESSE ANNA-SERGUÉEWNA STROGANOFF,
NÉE PRINCESSE TROUBETZKOI. (Signé.)
(Marie-Pavlowna Rodzianko)
L'IMPÉRATRICE ÉLISABETH-ALEXÉEWNA, en pied.
(Ermitage Impérial, Galerie Romanoff)
COMTESSE IRÈNE-IVANOWNA VORONTZOFF, NÉE
ISMAILOFF. (Signé. — 1191.)
(Comte Ilarion-Ivanowitch Vorontzoff-Dachhoff)
PRINCESSE CATHERINE-NIKOLAEWNA MENCHl-
KOFF, NÉE PRINCESSE GOLITZYNE, AVEC
SON FILS. (Signé.)
{Prince Nicolas-Nikolaewitch Gagarine)
PRINCESSE CATIIERINE-ILYIXICIINA GOLÉNIT-
CHEFF-KOUTOUZOFF, NÉE BIBIKOFF.
(Nicolas-Nikolaewitch Toutchkoffj
PRINCESSE EUDOXIE-IVANOWNA GOLITZYNE,
NÉE ISMAILOFF. (Signé)
(Maria-Pavlowna Rodzianko)
MADEMOISELLE LE BRUN, FILLE DE LARTISTl..
( Capiioline-Sémenowna Klotchkoff)
MADAME VIGÉE-LE BRUN PAR ELLE-MÊME.
(Salle du Conseil de l'Académie impériale des Peatix-.Arts '
266 MADAME VIGEE-LE BRUN
PRINCESSE TATIANA-VASSILIEWNA YOUSSOU-
POFF, NÉE ENGELHARDT, EN PREMIÈRES
NOCES PRINCESSE POTEMKINE. (Signé.)
(Prince Félix-Félixowitch Youssoupoff)
LES GRANDES-DUCIIESSES HÉLÈNE ET ALEXAN-
DRA PAVLOWNA. (Signé. — 1796. — Gravé 1199.)
(Palais de Gatchinaj
1908
EXPOSITION RÉTROSPECTIVE FÉMININE
PARIS. LYCEUM-FRA.NCE
LE BAILLI DE CRUSSOL.
(Collection de M. le duc d'Uzès)
LA DUCHESSE DE POLIGNAC.
(Collection de M. le duc de Polignac)
LE COMTE DE VAUDREUIL.
(Collection de M. G. Sortais)
MADAME DE ClîATE^iAY (ovale).
(Collection (le M . Ferai)
MARIE-ANTOINETTE ENTOURÉE DE SES EN-
FANTS.
(Collection de Madame la baronne James de Rothschild)
PORTRAIT PRÉSUMÉ DU TSAR ALEXANDRE I"
(pastel).
(Collection de M. G. Camentron)
MADAME VIGEE-LE BRUN 267
JEUNE FILLE EN TRAIN DE PEINDRE.
(Collection de M. J.-S. Murray)
MADAME DU BARRY.
(Collection de M. le duc de Rohan)
CAROLINE DE MURAT, MARQUISE DE PEZAY.
(Collection de Madame Ch. Fauqueux)
1909
EXPOSITION DE CENT PORTRAITS
DE FEMMES
PARIS. JARDIN DES TUILERIES
LA DUCHESSE DE POLIGNAG.
(Collection de M. le duc de Polignac)
MADAME DU BARRY.
(Collection de M. le duc de Rohan)
MADAME DUGAZON.
(Collection de Madame la comtesse E. de Pourtalès)
LADY HAMILTON, EN SIBYLLE.
(Collection de Madame la comtesse E. de Pourtalès)
MADAME VIGÉE-LE BRUN.
(Collection de M. le comte //. Greffulhe)
TABLE DES NOMS
ADHEMAR, 87.
AFFRY, 62.
AGUESSEAU, 20.
ALBRIZZI, 177.
ALEXANDRA (Grande-Du-
chesse), 198, 200, 266.
ALEXANDRE 1", 199, 207, 258,
266.
ANDLAU, 256, 257, 261.
ANGIVILLER, 63, 64, 67, 115,
122, 127, 128, 144, 170, 173,
232, 242, 247.
ANSPACn, 217.
ANTRAGUE, 77, 242.
APRAXINE, 197, 263.
ARENBKRG, 29, 54.
AR.VI AILLÉ, 40, 138.
ARNAUD, 30, 35,
ARXOULD, 2'i8.
ARTOIS, 69, 85, 159, 183, 188,
216, 247.
AUGUIER, 147.
AUGUSTE DE PRUSSE, 222.
AZEVEDO, 25, 80, 242.
BACHELIER, 61.
BARBENTANE, 40.
BARIATINSKY, 199, 204, 263,
264.
BARRAS, 209.
BARTHÉLÉMY, 131.
BAUDELAIRE, 20.
BAWR, 227.
BEAUJON, 87, 105, 247.
BEAU.MARCIIAIS, 86, 247.
BEAUMONT, 39.
BEAUVAU, 138.
BÉLIER, 256.
BELLEGARDE. 215, 228.
BÉLOSSELSKY-BELOZERSKY ,
197, 263.
BENOIST, 129, 227.
BÉON, 124.
BERKELEY, 29.
BERNLS, 158, 173.
BERRY, 166. 227, 253, 256.
BERTllOLLET, '.6.
BERVIC. 'JIO.
BESENVAL, 62, 87.
270
MADAME VIGEE-LE BRUN
BEURNONYILLE. 208.
BIBIKOFF, 263, 265.
BOCQUET, 17, 24, 27, 36.
BOIGNE, 82.
BOISSÉSON, 169,
BONAPARTE, 214, 241.
BONNEUIL, 21, 132, 133, 213.
BOROVIKOYSKY, 196, 200.
BORROMÉE, 181.
BOUCHER, 55, 69.
BOUFFLERS, 78, 79, 191, 227,
242, 243.
BOUTIN, 78, 88, 133.
BOUTOURLINE, 206.
BRETEUIL, 121, 138.
BRIARD, 18.
BRIE, 23, 35.
RRIFFAUT, 227, 228.
BRIONNE, 29, 186.
BRISSAC, 41, 137, 141, 146, 169,
250.
BRISTOL, 162, 175.
BROGLIE, 172.
BRONGNIART, 41, 78, 88, 149,
166, 210, 213, 242, 243, 252,
259.
BRUIS'OY, 138, 169.
BUCKINGHAM, 217.
CAILHAYA, 210.
GAILLEAU, 85, 125, 247, 251.
GALONNE, 51, 99-105, 108, 189,
243, 247, 251, 260.
GAMELFOHD, 162.
CAMPAN, 120, 147, 246.
GAPET, 93.
GAR.MONTELLE, 22.
CARREAU, 28.
CASANOVA. 191.
CATIIKRINE II, 1K8, 193, 197,
238.
GAZES, 35.
CHABOT, 62.
CHALGRIN, 18, 39, 132, 143,
210.
GHAMFORT, 78, 173.
CHAMPCENETZ, 108, 241, 242.
CHARTRES, 40.
CHATEAUBRIAND, 231.
CHATENAY, 9.5, 266.
CHAUDET, 132.
CH AULNES, 51.
GHÉNIER. 210.
CHOISEUL, 20, 23, 29, 238.
CHOISEUL-GOUFFIER, 194.
GHTCHOUKINE, 196.
CLERMONT - TONNERRE , 94,
251.
CLÉRY, 202.
CLIFFORD, 160.
GOBENTZL, 194.
GOETLOSQUET, 253.
COIGNY, 89, 160, 188, 215.
COLIN D'HARLEVILLE, 210.
CONDÉ, 203.
CONSTANT, 222.
CONTI, 46, 107.
COSSÉ, 28, 41, 249.
CRAMER, 81, 2'i2.
CRAON, 29.
G ROY, 51.
CRUSSOL. 93, 96, 154, 251, 258,
260, 266.
CUBIÈRES, 78, 132-134, 227,
2'i2.
GUNTER, 210.
GZARTORYSKA, 187.
D ALEMBFRT, 31.
DA.MAS, 72.
UAYESNE, 16.
DAVICH KHAN. l;î6, 252.
DAVID, 42, 127-130, 142, 143,
172, 209, 210. 214, 245.
DAYIDOFF, 253.
DE BRÉA, 102.
MADAME VIGEE-LE BRUN
271
DE GERANDO, 41.
DEJOUX, 209.
DELILLE, 78, 88, 173, 242.
DÉMAR, 227.
DEMS, 157, 163.
DEMS (MX»), 28.
DENON, 176, 220, 221.
DÉSAUGIERS, 228.
DEUX-PONTS, 28.
DIETRICHSTEIN, 186.
DOAZAN, 258.
DOLGOROUKY, 194, 195, 210,
214, 263.
DOYEN, 16, 201, 204.
DROUAIS, 44, 83, 137.
DU BARRY, 21, 23, 103, 136-141,
146, 149, 166, 224, 238, 248,
260, 267.
DUCHOSAL, 129.
DUCIS, 210,
DUGREUX, 44.
DUGAZON, 85, 125, 247, 251,
267.
DUMESNIL, 27, 249.
DUPLESSIS, 44, 45, 93.
DUPORT, 81, 242.
DUÏHÉ, 261.
DUVIVIER, 210.
EISEN, 27.
ELISABETH (Impératrice), 193,
198, 206, 207, 262, 265.
ENGELHARDT, 196, 264, 266.
ESPAGNAG, 125.
ESPINCIIAL, 213.
ESZTERIIAZY, 186, 192.
FAHRE, 156.
FERDINAND DE PRUSSE, 207.
FILLEUL, 17, 36.
FISIIER. 184.
FITZ-MERBERT, 216.
FITZ-.IAMES, 159.
FLAHAUT, 93.
FLAVIGNY, 154.
FLEURY, 159, 160, 165.
FONTAINE, 210.
FONTANA, 75.
FOURCROY, 210.
FOURNIER, 27, 249.
FRAGONARD, 209.
FRANÇOIS DENEUFCHATEAU,
210.
FRIES, 186.
GAILLARD DE BEAUMANOIR,
20.
GALLES (Princh de), 216, 219.
GARAT, 25, 80, 85, 242, 247.
GASPARINY, 9.
GAUDRAN, 108, 243.
GEOFFRIN, 237.
GÉRARD, 214.
GERBIER, 21.
GER.MAIN, 157.
GINGUENÉ, 78, 133, 147, 173.
GIRODET, 156, 209, 214.
GIROUX, 30, 35.
GLUCK, 133.
GOIS. 209.
GOLÉNITCIIEFF, 265.
GOLITZVNE, 194, 196, 197, 263,
264.
GOLOVINE, 236.
GOLOVKINE, 264.
GORSAS, 101.
GOSSEC, 210.
GOURIîILLON, 178, 260.
GOUTHIKRE, 137.
GRAMMONT, 77, 242,
GKA.MONT-CADEROUSSB, 93,
9'i, 96, 97, 246.
CRANT, 29, 53, 250.
GRASSINI. 217, 219, 257.
GRETllY.4, 21, 80, 98, 121, 2'.2.
251.
GREUZE, 19, 20, 55. 209, 213.
272
MADAME VIGEE-LE BRUN
GRIMOD, 87.
GROLLIER, 79, 213.
GROS, 42, 214.
GROUZINSKY, 264.
GUÉRIN, 205, 214.
GUI.\RD, 66.
GUICHE, 183, 240, 253, 260.
H.\LL, 49.
HALLE, 17.
HAMILTON, 55, 164, 165, 217, 267.
HART, 164, 165, 168.
HARVELAY, 51.
HAUGWITZ, 186.
HÉLÈNE (Grandk -Duchesse),
198, 200, 266.
HENRI DE PRUSSE, 81, 103,
191, 242.
HERBOUVILLE, 220.
HERTFORD, 217.
HESSE, 72.
HOCQUART, 224.
HOLBACH, 237.
H0UD0N,41, 209.
HULMANDEL, 81, 242.
HUNOLSTEIN, 40.
ISABEY, 209.
ISMAILOFF, 265.
JANSON, 81, 242.
JOSEPH II, 43, 189, 238.
JULIEN, 209.
KAUFMANN, 159, 162.
KAUNITZ, 185.
KEPELL, 218.
KINSKA, 186.
KOCHARSKI, 45.
KOTCHOUUEY, 196, 263.
KOURAKINE, 8. 75, 195, 204,
20C, 227, 236, 264.
K0i:T0rZ0FF, 197, 263, 265.
KOZIIZKI, 263.
LABILLE-GUIARD, 10, 27, 60,
61, '.Il -93, 124, 172.
LA BLACHE, 20, 256, 257.
LABORDE, 28, 51, 158.
LA BRICHE, 125, 251, 262.
LACÉPÈDE, 210.
LAFOND, 253.
LAFONT, 227.
LAGR.\NGE, 125, 251.
LAGRENÉE, 209.
LA GUICHE, 36, 70, 113, 187,
250, 256, 257, 261.
LAMARGK, 210.
LAMBALLE, 51, 52.
LAMBESC, 162.
LAMOIGNON, 29.
LAMPI, 196, 204.
LANGERON, 185.
LA REYNIÈRE, 87, 131.
LARUETTE, 85.
LA TOUR, 14, 20.
LAUZUN, 29, 160.
LA VIEUVILLE, 20.
LAWREINCE, 140.
LE BRUN, 30, 32-36, 54,65, 104,
154, 205, 212, 238, 239.
LEBRUN-PINDARE, 78, 86, 88,
89, 107, 109, 132, 148, 242.
LE COMTE, 27, 249.
LECOMTE, 90.
LECOUTEULXDU MOLEY, 51,
79.
LE FÈVRE, 19, 25.
LEGOUVÉ, 210.
LEKAIN, 20, 238.
LEMOYNE, 20, 21.
LENOH.MAND, 41, 143.
LE PELETIER, 89.
LEROUX DE LA VILLE, 129.
LESPIGNIÈRE, 154.
LETIIIFRE, 156.
LÉVIS, 18.
LICIITENSTEIN, 186.
LIGNE, 54, 56, 77, 188, 189, 240.
MADAME VIGEE-LE BRUN
273
LITTA, 16^, 258, 264.
LITZYNE, 264.
LORRAINE, 29, 186.
LOUIS XVI, 63, 122, 134, 23 1 , 260.
LOUIS XVIII, 192, 226. V. Pro-
vence.
LUBERT, 35, 238.
LUBOMIRSKI, 145, 187, 197, 247,
252.
MADAME ADÉLAÏDE, 124, 174.
MADAME CLOTILDE, 178.
MADAME ELISABETH, 5, 51,
124, 257, 259.
MADAME ROYALE, 117, 119,
202, 250, 251.
MADAME VICTOIRE, 124, 174.
MALETESTE, 46.
MALMESBURY, 160.
MARATTA, 161.
MARIE-ANTOINETTE, 26, 40,
42-45, 56, 62, 114-123, 171,
174, 176, 202, 231, 254, 255,
256, 259, 260, 266.
MARIE-CAROLINE DE BOUR-
BON, 169, 170, 171.
MARIE-CIIRISTINE DE BOUR-
BON, 170.
MARIE-FEODOROWNA, 200.
MARIE-LOUISE DE BOURBON,
170.
MARIE -THÉRÈSE (Impéra-
trice), 43, 170.
MARIN, 81, 242.
MARINI, 177.
MARTIN, 7, 8, 131, 227.
MARTINI, 80, 210, 242.
MAYERN-FABER, 186.
MAZARIN, 46.
MÉIIUL, 210.
MÉNAGROT, 59, 60, 78, \'i9,
155, 157, 162, 170, 172, 213,
239, 242.
MENCHIKOFF, 197, 265.
MENGS, 191.
MESSAIN, 14.
MESTRINO. 242.
MILLIN, 210.
MNISZEK, 203.
MOLÉ-RAYMOND, 125, 251.
MONACO, 159, 165.
MONGE, 41.
MONGEROULT, 81.
MONTBARREY, 29.
MONTESQUIOU, 46, 47, 77, 242,
255.
MONTESSON, 45, 46.
MONTMORIN, 29.
MONTPENSIER, 218,
MONTVILLE, 28, 138.
MORGHEN, 163.
MURAT, 220.
NARBONNE, 248.
NASSAU, 28, 30.
NATTIER, 3, 112.
NIGRIS, 205.
NOAILLES, 77, 242.
NORMANDIE, 117, 251.
OPOTCHININE, 263.
ORLÉANS, 45, 145, 172, 218,
252.
ORLOFF, 237.
OSMOND, 174.
PAESIELLO, 172, 245, 252.
PAGELLE, 20.
PA.)OU. fil, 66, 74, 137. 209.
PAPILLON DE LA FERTE, 40.
PARCEVAL. 216.
PARMENTIER, 210.
PAUNY, 210.
PAHOY, 126, 132.
PASTORET. 143.
PAUL I", 199, 200.
PELLI, 175.
PENTHIÈVRE, 25.
18
274
MADAME VIGÉE-LE BRUN
PERCIER, 210.
PERREGAUX, 144, 220.
PETIT-THOUARS, 21.
PEYRE, 210.
PEZAY, 79, 124, 251, 267.
PIDANSAT DE MAYROBERT, 91.
PIERRE, 62, 241.
PITT, 162.
POINSINET, 16.
POLASTRON, 68, 159, 217.
POLIGNAG,5,51,58, 83,147,159,
182, 183, 187, 257,261,266, 267.
POMMYER, 62.
PONIATOWSKI, 203, 255.
PORPOR.\ÏI, 154, 178.
PORTALIS, 220.
POTEMKINE, 163, 194, 266.
POTOGKI, 29, 162, 187.
POURRAT, 51, 224.
PRASLIN, 18.
PROTASSOFF, 264.
PROVENCE, 39, 51, 70, 178,
259.
PRUD'HON, 209.
PUYSÉGUR, 113.
QUINAULT, 238.
RANDON DE BOISSET, 18.
RASOMOVSKI, 188.
RAYMOND, 210.
RÉCAMIER, 222.
REGNAULT DE SAINT-JEAN-
D'ANGÉLY, 21, 212.
REGNAULT, 209.
RÉ.MY, 32.
REYNOLDS, 218.
RICHER, 80, 242,
RIVIÈRE, 79, 133, 149,179, 180,
l'.K), 206, 210, 244, 247.
RIVIKItE (.M>« DE), 203.
ROBERT, 4, 78, 88, 109, 145,
147, 150, 161, 166, 167, 209,
213, 242, 243, 245, 252.
ROBESPIERRE, 172.
ROGER, 44.
ROUAN, 29
ROHAN-CHABOT, 141.
ROHAN-ROCHEFORT, 28, 29.
ROISSY, 21.
ROLAND, 162.
RO.MBECK, 1S2, 185.
ROSALBA, 79, 107, 177, 190.
ROSEMOND, 93.
ROSLIN, 44, 61, 93.
ROUGÉ, 79, 124, 251.
ROUSSEAU, 145, 252.
RULHIÈRES, 29.
SABRAN, 79, 143, 191, 222, 227.
SACGUINI, 80, 242.
SAINTE-JAMES, 88.
SAINT-NON, 62.
SAINT-PRIEST, 40.
SALENTIN, 81.
SAMOILOFF, 197, 263.
SAPIEHA, 187.
SCHLEGEL, 222.
SCHOUYALOFF, 28, 237, 265.
SÉGUR, 77-79, 87,95, 147, 212,
242, 251.
SERRE, 103, 104.
SILVA, 162.
SKAVRONSKY, 163, 168, 264.
SMITH, 184.
SOLTIKOFF, 206, 264.
SOMBREUIL, 2i4.
SOUZA, 138.
STAËL, 222, 223.
STROGANOFF, 185, 193, 197,204,
2(i6, 205.
SUVÉE, 209.
SUZANNE, 20, 25.
TALARU, 94.
TALLEYRAND, 29, 77, 164. 170,
220, 2'r2, 262.
TALLIEN, 20,S.
MADAME VIGÉE-LE BRUN
275
I
TALMA, 28.
TGHERNYCHEFF, 205,262.
TEOTOCHI, 177.
THÉLUSSON, 227.
THILORIER, 22, 41.
THUN, 185.
TIPOO SAÏB, 135, 252.
TODI, 80, 242.
TOLSTOÏ, 253.
TRIPIER-LE FRANC, 7, 235.
TROUBETZKOÏ, 197, 265.
VALLAYER-COSTER, 61, 92.
VAN SPAENDONCK, 209.
VASSILTCHIKOFF, 197, 263,
264.
VAUDREUIL, 68, 69, 76, 77, 83-
88, 133, 147, 159, 188, 216,
218, 227, 242, 247, 255, 266.
VERDUN, 22, 48, 79, 213, 237.
VERGENNES, 43.
VERNET, 4, 18, 20, 78, 209,
241, 242.
VESTIER, 93.
VESTRIS, 219, 261.
VIEN, 61, 137, 209.
VIGÉE (Etienne), 15, 79, 131, 245.
VIGÉE (Louis), 13, 15.
VINCENT, 60,209.
VIOTTI, 81, 217, 242.
VIRIEU, 46, 255, 257, 258.
VOIRIOT, 61.
VOLTAIRE, 28, 49, 223, 238.
VORONTZOFF, 265.
WATELET, 90, 108, 243.
WERTMULLER, 45.
WILCZEK, 181.
WOLSELEY, 162.
YOUSSOUPOFF, 196, 266.
ZAMOYSKA, 187.
ZOUBOFF, 197, 198.
L
TABLE DES ILLUSTRATIONS
PAOBS
La Reine Marie-Antoinette (Musée de Versailles) . , Frontispice
Madame Vigée-Le Brun (Académie impériale de Saint-Péters-
bourg), en regard de 22
Jeanne-Julie-Louise Le Brun, fille de l'artiste (Musée de
Bologne), en regard de 30
La Reine Marie-Antoinette (à M. le baron Edouard de Roth-
schild), en regard de 42
Madame Grant, plus tard Princesse de Talleyrand (à
M. Jacques Doucet), en regard de 46
Marie-Thkrèse-Louise de Satoie-Carignan, Princesse de
Lamballe, en regard de 50
Yolande-Gabrielle-Martine de Polastron, Duchesse de
PoLiGNAC (à M. le duc de Polignac), en regard de 5()
La Reine Marie-Antoinette « en gaulle » (Galerie du palais
grand-ducal, à Darmstadt), en regard de /O
Le Comte de Vaudreuil (autrefois à Madame la vicomtesse
de Clermont-Tonnerre), en regard de ~^
La Baronne de Grubsol (Musée de Toulouse), en regard de. '••-
Marie-Gabrielle de Sinéty, Duchesse de Caderousse-
Gramont (à M. le marquis de Sinéty), en regard do. . . . '.»«>
Charles-Alexandre de Galonné (à M. Jacques Doucet), en
regard de 1''''
Marie-Jeanne de Clermont-Montoison , Marqoisb de la
GuiciiE (à M. le marquis de la Guichel, en regard dn. . . 112
Madame Rotale et son ihèke, le Daupuin (Musée de Ver-
sailles), en regard de 1''**
Madame Ducazon, dans le rolk de n Nina » (à Madame la
comtesse E. de Pourtalès), en regard de 12(1
La Comtesse du Barry (à M. le baron Fould-Springer), on
regard de ''«0
278 MADAME VIGEE-LE BRUN
PA0B9
Louisk-Marie-Adélaïdk dk Bourbon-Penthièvre, Duchesse
d'Orléans (Musée de Versailles), en regard de 146
Madame Rousseau et sa fille (à M. Georges Heine), en
regard de 150
La Comtesse Potocka (à M. le comte Charles Lanckoroiiskij,
en regard de 162
La Comtesse Catherine- VassiliewnaSkavronsky ^à Madame
la princesse Z. Youssoupoff), en regard de 168
Geneviève-Adélaïde Hklvétius, Comtesse d'Andlau ^à M. le
comte Albert de Munj, en regard de 180
Lady Hamilton, en Sibylle (à Madame la comtesse E. de
Pourtalès), en regard de 186
La Grande-Duchesse Élisabeth-Alexéewna (Musée de Mont-
pellier), en regard de 198
La Princesse Anna- Alexandrowna Golitzine (à Madame
Elisabeth Alexéewna Narychhine), en regard de 204
La Princesse Catherine-Feodorovna Dolgorouki (au prince
P. Dolgorouki), en regard de 214
Madame de Staël, en Corinne (Musée d'Art et d'Histoire, à
Genève), en regard de 222
La Marquise de Jaucourt (à M. Stillmamn), en regard de. . 238
Marie d'Aguesseau, Comtesse de Ségur (à M. le comte Louis
de Ségur), en regard de 248
TABLE DES MATIÈRES
PAOES
Madame Vigée-Le Brun 1
I. — 1755-1782 13
II. — 1783-1786 59
III. — 1787-1789 111
IV. — 1790-1801 153
V. — 1802-1842 211
Sources 235
Souvenirs recueillis dans les conversations de
Madame Vigée-Le Brun 237
Œuvres de Madame Vigée-Le Brun ayant figuré
de son vivant aux expositions 249
Œuvres de Madame Vigée-Le Brun ayant figuré
DANS des expositions PARTICULIÈRES 254
Table des noms 269
Table des illustrations 277
.^
Imprimerie Manzi, Joyant & C'*. — Paris
C\
I
.<
Imprimerie Manzi, Joyant & C". — Paris
o
I
Il
iV/D
563
M6
Ifolhac, Pierre de,
1859-1936
Madame Vigee-Le Brun,
peintre de Marie-
Antoinette.
Goupil, Manzi,
Joyant, suce. (1912)
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