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Full text of "Magyars et Roumains devant l'histoire"

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EXr^UBRI  S 


/ 


MAGYARS  ET  ROUMAINS 


DEVANT 


L'HISTOIRE 


L'auteur  et  les  éditeurs  déclarent  réserver  leurs  droits  de  reproduction  et  de 
traduction  en  France  et  dans  tous  les  pays  étrangers,  y  compris  la  Suède  et  la 
Norvège. 

Cet  ouvrage  a  été  déposé  au  ministère  de  l'intérieur  [section  de  la  librairie)  en 
décembre  1899. 


PABIS.     TYPnriRAPUIE    DE     E.     PLO^,    KOURRIT    KT    C",    8,     RKE    CAUASCIERE.     227. 


A.   DE  BERTHA 


MAGYARS  ET  ROUMAINS 


DEVANT 


L'HISTOIRE 


PARIS 

LIBRAIRIE      PLON 

E.   PLON,    iNOURRIT    et  G-,    IMPRIMEURS-ÉDITEURS 

10,     RUE     GARANCIÈRE 

1899 

Tous  droits   réseï  ves 


/ 


/' 


V.. 


'FVOFTO^il, 


AYANT-PUOPOS 


Depui.s  la  visite  que  François-Joseph  /",  le  vénéré  et  adoré  sou- 
verain austro-hongrois,  a  Caite  en  Roumanie  après  l'achève- 
ment (les  travaux  exécutés  aux  Portes-de-Fer,  et  que  CarolV^, 
roi  de  Roumanie,  accompagné  de  la  reine  É/isabeih,  lui  a  ren- 
due Tannée  suivante  à  Budapest,  la  soi-disant  question  des 
Roumains  de  la  Hongrie  est  entrée  dans  une  phase  nouvelle. 

Ou,  pour  parler  plus  explicitement  :  au  lendemain  de  l'ac- 
cueil chaleureux  et  enthousiaste  avec  lequel  la  Roumanie  a 
reçu  le  roi  de  Hongrie  et  cette  dernière  le  roi  de  Roumanie, 
quoiqu'on  sache  pertinemment  qu  ils  sont  tous  deux  complè- 
tement solidaires  des  sentiments  les  plus  intimes  de  leurs 
peuples,  —  déjà  bien  amoindrie  par  la  défaite  des  chefs  de 
la»  Ligue  roumaine  »  au  congrès  interparlementaire  de 
Bruxelles,  en  1895,  alors  qu'ils  auraient  voulu  y  faire  repous- 
ser l'invitation  de  la  ville  de  Budapest  à  l'occasion  des  fêtes 
millénaires  de  la  Hongrie,  —  cette  question,  péniblement 
soulevée  par  quelques  meneurs  intéressés,  se  meurt,  cette 
question,  artificiellement  entretenue  dans  l'opinion  publique 
européenne,  est  morte  ! 

Car,  quelles  que  soient  les  spécieuses  distinctions  à  l'aide 
desquelles  on  veuille  séparer  la  double  qualité  d'empereur 
d'Autriche  et  de  roi  de  Hongrie  chez  le  chef  de  l'État  austro- 
hongrois,  il  ne  reste  pas  moins, le  gardien  jaloux  de  l'intégrité 
de  la  monarchie  tout  entière,  qu'il  saura  défendre  aussi  bien 


II  AVANT-PROPOS 

contre  les  tendances  ouvertement  ap,res?ives  des  ultras  de  la 
Roumanie  que  contre  les  a{;issements  plus  on  moins  irréden- 
tistes de  certains  Roumains  de  la  Hon(jrle.  Le  but  qu'ils  visent 
de  deux  côtés  différents,  est  racqnlsition  d'un  tiers  de  la 
Hongrie  limitrophe  de  la  Roumanie  ;  seulement,  tandis  que  les 
premiers  sont  pour  son  annexion  sans  phrase  à  leur  pays,  les 
seconds  le  veulent  d'abord  roumanlser  de  fond  en  cond)le, 
afin  qu'au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  lon(^-,  il  tombe  tout 
nalurellement,  comme  un  fruit  mûr,  dans  les  mains  delà  pré- 
tendue mère  patrie  roumaine.  lUit,  qui,  aux  yeux  d'un  soldat 
aussi  accomph  que  François-Joseph,  est  daiitanl  plus  condam- 
nable qu'il  apprécie  mieux  que  quiconque  l'importance  straté- 
fjique  de  ce  territoire  convoité  et  notamment  de  la  Transyl- 
vanie, d'où  ses  princes  indépendants,  encoura;;és  par  la  diplo- 
matie d'un  Richelieu,  pouvaient  si  aisément  paralyser  les 
forces  les  plus  précieuses  des  rois  de  Honjjrie,  déjà  à  l'époque 
de  la  jjuerre  de  Trente- Ans.  Tolérer  seulement  ces  aspirations 
directement  ou  indirectement  séparatistes  des  Roumains  serait 
donc,  pour  le  souverain  austro-honjjrois,  un  vrai  suicide  moral 
d'abord,  politique  et  militaire  ensuite,  entraînant  à  bref  délai 
l'émiettement  succesif  et  définitif  de  la  monarchie  tout 
entière;  il  faudrait  donc  (pie  les  Roumains  aient  ju{^é  la  situa- 
tion actuelle  tout  à  fait  à  la  légère  pour  voir  autre  chose  dans 
ce  rapprochement  amical  des  deux  pays  que  la  consécration 
officielle  du  statu  quo,  impliquant  le  respect  absolu  de  l'État 
hongrois  et  d&  sa  constitution. 

Mais  si,  parlant  de  là,  on  doit  penser  sur  les  bords  de  la 
Dind^ovitza  qu'il  est  dès  aujourd'hui  complètement  oiseux  de 
se  |)laindre  de  la  prétendue  oppression  des  Roumains  de  la 
Hongrie  —  ce  dont  la  «  ligue  »  susdite  convient  elle-même 
enfin,  puisqu'elle  interdit  publiquement  à  ses  membres  toute 
j)articipation  à  l'agitation  s  y  rapportant,  —  il  est,  au  contraire, 
du  plus  haut  intérêt  pour  les  Hongrois  de  vider  cette  question  à 
fond  une  fois  pour  toutes,  afin  qu'elle  ne  puisse  plus  être  jamais 
remise  sur  le  tapis.  Car  il  ne  leur  suffit  pas  que  ce  soit  unique- 
ment 1  opportunisme  de  ses  propagateurs  qui  les  réduise  au  si- 
lence. Il  faut  que  ceux-ci  aient  la  conviction  d'avoir  en  face 


AVAISÏ-PROPOS  "' 

d'enx  une  Hongrie  armée  de  pied  en  cap,  prête  à  repousser  les 
attaques  aussi  bien  sur  les  champs  de  bataille  que  sur  le  terram 
des  discussions  scientifiques. 

En  vue  de  ces  dernières,  plusieurs  savants  hongrois  très  émi- 
nents—  tels  que  Paul  Hnnfalri,  Fauteur  d'une  «  Histoire  des 
Roumains  >-   et  d'un  traité  sur  la  langue  roumaine,  PaiilKirùIyi 
dont  on  possède  un  volume  latin  :  a  Dacia  provincia  Augusti»  , 
le  D^  Grcgov-e  Moldovàu,  appartenant  lui-même  à  la  nationalité 
roumaine,    directeur   de    la    «    Revue   magyaro-roumaine,   » 
M     Ladislas  Rélhy  avec  son  livre  sur  les  origines  de  la  race 
et  de  la  langue  roumaine,  etc.,  —  ont  depuis  plus  d'un  quart 
de  siècle  recueilli  les  arguments  les  plus  irréfutables  pour  rec- 
tifier les  erreurs  plus  ou  moins  involontaires  des  historiens 
roumains    Sinkai,    Petru    Maîor,    Laurian,    Hasdeu,    Hunnu- 

saki,  etc. 

Quoique     très    consciencieusement     faits,     leurs    travaux 
avaient  trop  le  caractère  spéculatif  pour  éclairer  la  religion  et 
pour  asseoir  le  jugement  du  lecteur  cl  ranger  au  sujet  de  cette 
polémique  des  écrivains  hongrois  et  roumains.  C'est  l'ouvrage 
considérable  de  M.  le  D^  Benoit  Jancsô  :    a  L'histoire  et  l  état 
actuel  des  tendances  nationalistes  roumaines  «  ,  h  peine  paru, 
qui   est   réellement   appelé  à  remphr  avec  le  plus  de  succès 
roffice  de  vulgarisateur  auprès  du  public  français  sur  cette 
matière,    car    l'érudition   profonde,    la    sagacité  politique  et 
philosophique  s'y  marient  aux  réflexions  prises  sur  le  vif  au 
milieu  du  peuple  roumain  et  puisées  dans  la  connaissance  la 
plus  parfaite  de  sa  langue  et  de  sa  littérature.  La  théorie  de 
l'origine  et  de  la  continuité  daciques,  les  migrations  du  peuple 
roumain,  son  établissement  sur  le  territoire  où  il  vit  à  présent, 
les  principaux  événements  de  son  histoire  politique,  militaire 
et  religieuse,   M.  le  D'  Jancsô  les  raconte,  depuis  l'empereur 
Trajan'jusqu'à  l'année  1854,  non  seulement  avec  des  docu- 
ments en  main,  mais  la  plupart  du  temps  en  confrontant  les 
versions  contradictoires  pour  pouvoir  en  tirer  des  conclusions 
impartiales  à  ciel  ouvert. 

La  simple  traduction  de  cette  œuvre,  qui  fait  autant  d  hon- 
neur à  son  auteur  qu'à  la  littérature  hongroise,  est  malheu- 


IV  AVA^'T-PROPOS 

reusement  impraticable  à  cause  du  développement  que  M.  le 
D'  Jancsô  a  cté  obligé  de  lui  donner  par  suite  de  la  reproduc- 
tion intégrale  des  citations  ainsi  qu'à  cause  de  l'ano^le  sous 
lequel  elle  est  présentée  et  qui  suppose  une  foule  de  notions, 
aussi  familières  aux  Hongrois  que  peu  compréhensibles  en 
dehors  de  leur  pays. 

Pour  faire  apprécier  quand  même  sa  haute  valeur  et  son 
importance,  il  faut  donc  se  contenter  de  n'en  donner  qu'une 
analyse  synthétique  consciencieuse,  composée  expressément 
à  l'usage  des  Français,  désireux  d'approfondir  celte  question 
qui,  semblable  au  fameux  serpent  de  mer,  réapparaît  périodi- 
quement dans  les  colonnes  des  journaux  et  des  revues,  en  exas- 
pérant tout  le  monde  par  son  obscurité.  Elle  en  resterait  enve- 
loppée, malgré  les  explications  les  plus  instructives  et  les  plus 
concluantes  de  M.  Jancsô,  si  l'on  n'insistait  pas  sur  le  point  le 
plus  saillant  de  ce  procès  entre  Magyars  et  Roumains,  point 
qui  en  détermine  le  caractère  féroce  tout  en  le  rendant  curieux 
au  possible  pour  quiconque  s'occupe  de  la  philosophie  de  l'his- 
toire, point  où  se  trouvent  rassemblées  toutes  les  idées  qui 
remuent  actuellement  les  masses.  Car  l'animosité  que  le  Rou- 
main ressent  contre  le  Magyar  n'est  pas  seulement  politique, 
—  si  elle  n'était  que  de  cette  nature,  elle  serait  intermittente  et 
on  pourrait  l'apaiser  facilement  au  moyen  de  transactions,  — 
elle  est  malheureusement  doublée  de  la  haine  que  les  membres 
d'une  caste  longtemps  humiliée,  les  fidèles  d'une  église  jadis 
négligée  pouvaient  éprouver  à  l'égard  des  favorisés, des  préférés 
d'une  constitution.  De  là  cet  acharnement  à  se  ruer  non  seu- 
lement sur  1  Etat  et  le  gouvernement  hongrois,  mais  sur  la 
race  magyare  tout  entière  elle-même,  de  la  dépeindre  avec 
les  couleurs  les  plus  odieuses,  de  lui  refuser  le  droit  à  l'exis- 
tence, en  un  mot  toute  vertu,  toute  qualité  ou  capacité! 

Personne  ne  se  doute  en  France  de  cette  inimitié,  comme 
on  y  ignore  aussi  généralement  les  bons  rapports  que  les  parti- 
sans d'un  empire  autrichien  centraliste  —  réactionnaire  ou 
libéral  —  entretinrent  de  tout  temps  avec  les  Roumains  de  la 
Hongrie  et  de  la  Transylvanie  pour  combattre  encommun  l'in- 
dépendance hongroise.  Entente  que  M. /f7//c^o  démontre  claire- 


AVANT-PROPOS  v 

ment  dans  le  corps  de  son  ouvrage,  sans  y  appuyer  cependant 
plus  que  de  raison,  puisqu'on  Hongrie  on  est  suffisamment 
édifié  à  cet  égard  et  dont  il  faudra,  au  contraire,  soigneuse- 
ment indiquer  toute  l'influence  et  tous  les  effets  dans  les  pages 
suivantes,  destinées  à  faire  cesser  l'équivoque  au  dehors  sur  le 
bien  fondé  des  revendications  injustifiables  des  Roumains  et 
des  droits  incontestables  de  la  Hongrie. 

Si  dans  l'accomplissement  de  cette  tâche  il  n'est  pas  pos- 
sible d'éviter  la  relation  et  la  constatation  d'une  foule  de  faits 
peu  flatteurs  pour  l'amour-propre  des  Roumains  et,  par  contre, 
très  avantageux  pour  la  bonne  renommée  du  peuple  magyar, 
on  doit  se  rappeler  quel'agression  vient  de  la  part  des  premiers 
et  qu'il  y  a  là,  en  réalité,  pour  le  dernier,  un  cas  de  légitime 
défense.  D'ailleurs,  il  serait  fort  discourtois  si, du  côté  hongrois, 
on  ne  ménageait  pas  une  nation  dont  le  gouvernement  ne 
s'est  jamais  rendu  coupable  d'infraction  aux  lois  des  conve- 
nances internationales.  Pour  la  Hongrie  du  Millénaire,  se  mon- 
trer conciliante  ne  peut  nullement  être  interprété  comme  un 
indice  de  faiblesse;  que  ce  dernier  tournoi  des  arguments 
historiques,  des  documents  ethniques  et  géographiques,  des 
citations  étymologiques  se  passe  donc  selon  les  règles  de  la 
plus  exquise  chevalerie,  afin  qu'en  sortant  des  lices  il  soit  aisé 
aux  deux  adversaires,  magyar  et  roumain,  de  se  tendre  la  main 
loyalement  et  sans  arrière-pensée,  au  profit  de  la  paix  du 
monde,  du  progrès  de  leur  pays  et  de  la  civilisation  en  gé- 
néral ! 

Paris  le  2  septciiiln'c  I  Sl)9. 


LIVRE  PREMIER 

CONTROVERSES    THÉORIQUES 


CHAPITRE  PREMIER 

RAISONS  ET  NATURE  DES  REVENDICATIONS  ROUMAINES. 

Les  revendications  roumaines  au  sujet  de  la  possession  de  la 
Transylvanie  et  des  dix  ou  douze  départements  limitrophes  de 
la  Hongrie,  ont  une  raison  d'être  d'apparence  très  sérieuse. 
Elles  se  basent  sur  la  configuration  géographique  des  contrées, 
qui,  si  on  ajoute  encore  la  Roumanie,  forment  un  État  complet 
avec  le  haut  plateau  transylvanien  pour  centre.  C'est  de  là  que 
descendent  les  rivières  qui  les  arrosent  :  le  Szamos'àw  Nord,  le 
M«!ro5  à  l'Ouest  etrO//(Aluta)auSud;  c'est  autour  des  Carpathes 
orientales,  qui  le  ceignent  comme  des  fortifications  naturelles, 
que  les  départements  hongrois  en  question,  la  Valachie  et  la 
il/o/c/rtf/e  anciennes,  s'étendent  jusqu'à  la  Tisza  (ou  Tibissus), 
au  Danube  et  au  Pruth,  en  lui  servant  pour  ainsi  dire  de  zone 
militaire,  qu'une  armée,  sortant  de  la  Transylvanie  ^av  les  cols 
de  Vulkan,  d'Oitoz  et  de  Voeroes-Torony,  ou  le  long  des  cours 
d'eau  susdits,  peut  aisément  défendre  toujours. 

Réunir  ces  pays  en  un  seul,  soit  par  voie  de  conquête,  soit 
par  leur  fédération,  semble  donc  être  une  nécessité  que  les 
Romains  ont  reconnue  comme  telle  au  premier  siècle  de  notre 
ère  et  les  princes  indépendants  de  la  Transylvanie  au  dix-sep- 
tième. Delà  la  campagne  de  l'empereur  Trajan contre  Decébal, 
roi  des  Daces,  visant  la  prise  de  sa  capitale  Sarmizégét/iuse,  clef 

1 


2  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

(lu  haut  plateau  précité;  de  là  les  guerres  de  Gabriel  Bethlen 
et  de  Georges  Râkôczy  If,  ayant  pour  but  l'arrondissement  du 
centre  par  1  adjonction  de  la  zone. 

Or  il  se  trouve  que  ce  territoire,  d'une  superficie  d'environ 
deux  cent  cinquante  mille  kilomètres  carrés  est  habité  par 
une  population  dans  la(|uelle  l'élément  roumain,  parlant  la 
même  langue  et  appartenant  en  majorité  à  la  religion  ortho- 
doxe, entre  pour  les  huit-onzièmes  avec  5,038,000  âmes 
en  Roumanie,  avec  1, 277, 0(H)  âmes  contre  972,000  Magyars 
et  Saxons  en  Transylvanie,  avec  1,300,000  âmes  contre 
2,770,000  Magyars,  Serbes  et  Slaves  dans  les  départements 
hongrois.  (Il  y  a  encore  208,000  Roinnains  dans  la  province 
autrichienne  la  Bukowine,  mais,  par  un  illogisme  étrange,  la 
mère  patrie  ne  les  réclame  jamais,  ni  les  sujets  roumains  de  la 
Russie  ou  de  la  Serbie). 

Il  eut  été  extraordinaire  si, séduits  par  la  rencontre  de  leur 
prépondérance  numérique  avec  cette  situation  géographique, 
les  Roinnains  ne  fussent  pas  arrivés  à  la  conviction  qu'une  coïn- 
cidence pareille  ne  pouvait  être  que  providentielle,  et  qu'ils 
devaient  se  considérer  en  réalité  comme  le  peuple  élu  de  cette 
terre  promise,  si  riche  en  produits  de  lagriculture  et  des 
mines,  si  propice  à  lélevage,  en  un  mot  si  désirable.  Convic- 
tion à  laquelle  les  théories  récentes  sur  les  droits  des  natio- 
nalités ont  donné  un  corps  tangible  en  opposition  aux  droits 
historiques  consacrés  par  les  constitutions  et  les  traités  inter- 
nationaux; conviction  dont  la  légitimité  s'accroissait  à  mesure 
que  la  race  roumaine  avait  fait  des  progrès,  matériellement  et 
intellectuellement,  pouvant  aspirer  avec  de  plus  en  plus  de  cer- 
titude à  lliégémonie  parmi  les  peuples  successivement  délivrés 
de  la  domination  turque  et  rendus  à  la  civilisation. 

Mais  si,  grâce  à  ces  donn('es  avantageuses  de  la  géographie 
et  de  l'ethnologie  ainsi  qu'à  leur  perfectibilité  indiscutable,  il 
était  permis  aux  Roumains  d'entrevoir  le  mirage  d'une  Rou- 
manie grande  et  puissante,  jouant  le  rôle  de  corypbée  à  la  tête 
des  états  de  la  péninsule  balkanique,  devant  la  réalisation  de 
leur  rêve  il  se  dressait  aussi  un  obstacle  insurmontable,  quoique 
d'apparence   longtemps  chétive  et  d'essence  abstraite.  C'était 


LIVRE    PREMIER  3 

la  Hongrie  jadis  baignée  par  la  Baltique,  C Adriatique  et  la 
mer  Noire,  plus  tard  servant  de  champ  de  bataille  a  la  Chré- 
tienté et  à  rislarn  aux  prises,  vouée  pendant  deux  cents  ans  à 
toutes  les  horreurs  des  guerres  étrangères  et  intestines,  et  enfin 
se  relevant  de  ses  cendres  électrisée  par  le  souffle  de  la  Révo- 
lution française,  avide  de  liberté  et  de  progrès,  brûlant  de  pren- 
dre part  aux  plus  nobles  travaux  de  l'humanité.  G  était  l'esprit 
magyar,  inébranlablement  fidèle  aux  traditions  nationales  et 
cependant  prompt  à  s'enthou^siasraer  pour  les  idées  qui  agitaient 
l'Occident  auquel  le  catholicisme,  la  Renaissance,  la  Réforme 
l'ont  tour  à  tour  attaché  par  des  liens  indissolubles.  Non  seu- 
lement un  État  déjà  constitué  à  1  époque  où  les  noms  de  la  Mol- 
davie et  de  la  Valachie  n'existaient  pas  encore,  mais  aussi  une 
organisation  sociale  complète,  dans  laquelle  on  rencontrait  les 
castes  essentielles  d'une  nation  viable  :  aristocratie,  clergé, 
noblesse  de  robe  et  d'épée,  population  citadine  et  rurale,  avec 
une  monarchie  héréditaire  ou  élective  à  la  tète  ;  castes  ayant  des 
devoirs  différents  et  nettement  circonscrits  à  remplir  envers 
le  pays,  selon  les  dispositions  d'une  constitution  presque  aussi 
ancienne  que  celle  de  l'Angleterre  :  tandis  que  les  Roumains,  à 
peine  sortis  de  la  barbarie,  ne  connaissaient  qu'un  vayvode 
autocrate,  entouré  de  ses  officiers  et  de  ses  fonctionnaires, 
prêts  à  exécuter  ses  moindres  caprices  et  le  plus  souvent  vic- 
times eux-mêmes  de  ses  penchants  sanguinaires,  et  ne  comp- 
taient dans  leurs  rangs  que  des  popes  ou  descaloyers  dépourvus 
de  toute  instruction  et  des  pâtres  à  moitié  nomades,  réfrac- 
taires  à  toute  civilisation. 

D'un  côté  la  Hongrie,  possédant  depuis  mille  ans  les  cinq 
onzièmes  des  contrées  précitées  avec  la  race  magyare  comme 
classe  dirigeante  et  ayant  résisté  maintes  fois  au  danger  de  sa 
disparition  au  milieu  des  orages  qui  l'assaillirent  de  toutes 
parts,  et  de  l'autre  les  Roumains  ayante  leur  actif  de  composer 
la  majorité  parmi  les  habitants,  d'appartenir  à  laméme  religion 
et  de  parler  la  même  langue  ;  ici  des  Ouralo-Altaïens  vivant  de 
la  vie  du  monde  occidental  etdevenantpar  là,  en  quelque  sorte, 
son  représentant  en  Orient,  et  là  un  peuple  balcanique  élevé 
dans  l'atmosphère   de   Byzance  et  n'ayant  eu  sous  ses  yeux 


4  MAGYARS    ET    110U.MAI>'S    DEVAIST    L'HISTOIRE 

comme  exemple  à  suivre,  que  la  conduite  des  pachas  turcs  ;  les 
uns  sont  des  heati  possideiUes  venus,  il  est  vrai,  de  la  mer  Cas- 
pienne et  cependant  reconnus  comme  tels  par  tous  les  traites 
internationaux  conclus  depuis  leur  apparition  en  Europe,  et 
ayant  déjà  fourni  la  preuve  de  leur  sajjesse  politique,  de  leur 
courage  militaire  et  de  leur  valeur  intellectuelle,  et  les  autres 
une  puissance,  une  conception  ethnique  toutes  nouvelles,  ne 
pouvant  que  promettre  et  ne  pouvant  tenir  leurs  promesses 
que  parle  bouleversement  général  du  siaiii  rjuo. 

Voilà  le  théâtre  de  1  action,  voilà  les  acteurs  en  présence.  Et 
si  Ton  combine  le  premier  avec  les  seconds,  on  trouve  facile- 
ment le  drame  inévitable  parce  qu  humain  :  la  lutte  entre  la 
Hoiupie  et  les  Roinnains  myiini  débuté  par  une  guerre  de  castes 
qui  se  transforme  plus  tard  en  guerre  de  race,  pour  tourner 
finalement  en  guerre  de  suprématie.  Trois  aspects  les  plus 
féroces  de  Tinimitié  internationale. 

(i  ...  Ce  ne  fut  d'abordque  le  droit  à  la  vie  que  les  Roumains 
demandèrent,  dit  1  historien  roumain  A.  D.  Xenopol  dans  son 
ouvrage   Teoria  lui  Roesle7\  —  car  ils  n'avaient  pas  encore  la 
conscience  de  leur  nationalité.  Aujourdhui  ils  ne  se  contentent 
plus  de  l'existence  phvsique  et  aspirent  à  la  vie  morale  et  intel- 
lectuelle aussi,  sans  la(|uelle  nn  peuple  n'est  qu  un  vil  troupeau. 
Si  nous  les  avons  vus  combattre  dans  le  passé  avec  acharnement 
pour  leur  existence  matérielle  seulement,  est-ce  qu'ils  resteront 
inactifs  quand  il  s'agira  de  défendre  les  biens  d'un  ordre  plus 
élevé,  qui  nous  sont  donnés  afin  que  nous  puissions  mieux  jouir 
de   la  vie  terrestre?  ...  Maintenant  c  est  1  autonomie  de   leur 
paysqueles  Roumains  veulent  obtenir  (des  Magyars;  à  l  aide  de 
laquelle,  si  elle  ne  tardait  pas,  ils  pourraient  conquérir  l'hégé- 
iiionie  'dans  les  déparlements  mentionnés  de  la  Hongrie  et  en 
Transylvanie',  car  ils  v  sont  les  plus  nombreux.  C'est  par  des 
mesures  draconiennes  que  les  Magyars  répondent  à  leurs  in- 
jonctions, avant  le  projet  de  magyariser  tout  le  pays.  La  situa- 
tion est  pour  le  moment  des  plus  tendues  ;  une  seule  étincelle 
suffirait  pour  que  le  brandon  s'enflamme...  La  haine  mortelle 
que  les  Magyars  éprouvent  à  l'égard  des  Roumains  ne  peut 
finir  qu'avec  l'extermination  de  1  une  de  ces  deux  races.  - 


LIVRE    PREMIER  5 

Et  il  ne  faut  pas  croire  que  cette  guerre  d'extermination, 
prétendue  inévitable,  entre  les  deux  peuples  soit  le  produit  de 
la  fantaisie  et  du  fanatisme  national  de  Xenopol  uniquement. 
Cette  pensée  a  été  trop  profondément  gravée  dans  la  convic- 
tion de  la  majorité  des  Roumains.  Les  intérêts  des  Roumains 
ont  toujours  été  contraires  h  ceux  des  Magvars  —  s  érie 
Jean  Siavici  dans  son  étude  sur  les  Magvars  [Sludia  a  supra 
inagharilor.  Convorhiri literare).  C'est  à  cause  de  cela  qu  il  n'y  a 
jamais  eu  une  alliance  durable  entre  les  deux  peuples;  cepen- 
dant la  guerre  n'a  pas  été  continuelle  non  plus.  A  la  fin  du 
xviii*"  siècle,  il  survient  cependant  un  changement  notable.  Les 
Roumains  deviennent  nombreux,  leur  conscience  nationale 
se  réveille,  ainsi  que  le  sentiment  de  leur  parenté  avec  les 
frères  qui  vivent  de  lautre  côté  des  Carpathes.  Leur  intelli- 
gence commence  à  se  développer;  en  raison  de  quoi,  ils  devien- 
nent, à  l'égard  des  Magvars  de  la  Hongrie,  une  force  mena- 
çante. En  1848  ils  ont  le  premier  choc  non  plus  avec  la  noblesse 
magyare,  mais  avec  le  peuple  magyay  lui-même.  Depuis  ce 
moment-là  la  lutte  continue  sans  pitié.  Leurs  intérêts  les  plus 
simples  sont  tellement  opposés  les  uns  aux  autres  qu'un  com- 
promis entre  eux  est  inimaginable.  Il  est  donc  certain  que  les 
Roumains  et  les  Magvars  de  la  Hongrie  ne  vivront  jamais  en 
bonne  intelligence.  Cest  t union  nationale  qui  constitue  r idéal 
des  Roumains.  Les  Magyars  ont  le  leur  aussi  :  c'est  une  Hongrie 
grande  et  puissante.  Mais  les  deux  ne  peuvent  pas  subsister 
ensemble  :  les  Carpathes  ne  sauraient  appartenir  à  la  fois  aux 
Roumains  et  aux  Magvars.  Les  Roumains  ne  désirent  quune 
chose  :  V écroulement  de  la  Hongrie,  afin  d'en  retirer  leur  part. 
Or  les  Magyars  acceptent  tout,  excepté  cela.  Si  les  Roumains 
ne  deviennent  pas  assez  forts  jusqu'à  la  culbute  des  Magyars 
pour  accepter  la  lutte  contre  le  germanisme,  alors  la  dispari- 
tion de  ces  derniers  entraînera  celle  des  Roumains  également. 
Si,  au  contraire,  il  leur  réussit  de  ne  plus  faire  qu'une  âme,  de 
se  fortifier  intellectuellement,  de  se  rendre  paissants  par  la 
richesse  jusqu'à  cette  chute  probable  des  Magyars,  alors  cet 
événement  les  conduira  au  seuil  d'une  ère  nouvelle  de  prospé- 
rité et  de  grandeur,  car  en  dehors  des  Magyars  il  n'y  a  pas  de 


6  MAGYARS    ET    ROUMAl.NS    DEVAINT    L'HISTOIRE 

peuple  en    Orient  qui  puisse  disputer  la  primauté  aux  Rou- 
mains -  . 

Et  comme  par  ce  chapelet  d'aveux  dépouillés  d'artifice, 
conçu  dans  le  silence  des  bibliothèques  et  publié  en  pleine 
paix,  l'historien  roumain  ne  se  sent  pas  encore  assez  soulagé, 
pour  porter  le  coup  mortel  aux  Magyars  devant  l'aréopage  de 
l'opinion  publique  libérale  de  l'Europe,  Slaviciy  ajoute  l'accu- 
sation en  règle  suivante  : 

«  La  noblesse  magyare  n'a  jamais  eu  une  autre  signification 
pour  les  peuple?  qui  habitent  le  bassin  du  Danube  que  celle 
que  les  Turcs  ont  dans  les  Balkans  ou  les  Tartares  dans  la 
partie  méridionale  de  la  grande  steppe  sarmate.  C'est  en 
étrangers  et  sans  s'assimiler  à  nous  que  la  noblesse  magyare 
vit  parmi  nous;  nos  idées  n'existent  pas  pour  elle  et  elle  ne 
sent  pas  avec  nous;  elle  n'aime  pas  non  plus  ni  le  droit  ni  la 
justice,  comme  nous  les  aimons;  elle  ne  veut  rien  savoir  de 
l'amour  du  ])rochain  et  elle  ne  se  trouve  nullement  en  commu- 
nion avec  l'Humanité.  Les  nobles  magyars  étaient  de  tout 
temps  condamnés  à  vivre  comme  les  princes  de  Transylvanie 
h  Szeben  en  festoyant,  en  buvant,  en  se  promenant  et  en  chas- 
sant, en  usant  du  jus  priuiœ  /lociis,  qu'ils  ont  créé  eux-mêmes, 
ou  maintenant  ne  pouvant  plus  en  profiter,  en  gaspillant  leur 
fortune,  gagnée  au  prix  de  la  sueur  des  autres,  dans  des  aven- 
tures galantes,  aux  jeux  de  hasard.  ^i 

«  Ils  n'ont  jamais  cultivé  ou  patronné  ni  les  arts,  ni  les 
sciences,  et  ils  n'ont  su  créer  en  Transylvanie,  après  une  domi- 
nation inhumainement  spoliatrice  de  plusieurs  siècles,  aucun 
monument  ayant  une  valeur  artistique  :  ni  un  château,  ni  un 
palais,  ni  une  église,  ni  une  collection  artistique,  ni  quelque 
chose  de  rapprochant.  Il  n'y  a  que  trois  églises  monumentales 
en  Transylvanie,  et  c'est  la  bourgeoisie  allemande  qui  les  a 
élevées  toutes  trois;  il  n'y  existe  qu'une  seule  collection  de 
peintures,  et  c'est  encore  un  Allemand,  le  baron  Bruckenthal, 
qui  l'a  fondée.  Quant  à  la  noblesse  magyare,  elle  n'a  fait  que 
manger  et  boire!  C  est  à  cause  de  cela  que  les  peuples  habitant 
les  territoires  des  Caipathes  ou  le  bassin  du  Danube  ont  été 
privés  de  la  civilisation  occidentale  jusqu'à  la  paix  de  Karlovitz, 


LIVRE   PREMIER  T 

et  à  ce  moment  encore  ce  n'est  pas  par  l'entremise  des  Magyars 
plus  proches  de  l'Occident  qu'ils  y  ont  été  initiés,  mais  par  les 
peuples  cultivés  de  l'Occident  eux-mêmes,  par  les  Allemands 
d'abord  et  ensuite  par  les  Français.  " 

«  Les  formes  de  la  vie  occidentale  civilisée  ainsi  que  la  reli- 
gion chrétienne  n'ont  été  acceptées  par  les  Magyars  que  pour 
pouvoir  mieux  se  soutenir  dans  leur  situation.  Mais  leurs  con- 
victions n'avaient  pas  plus  de  force  que  leur  foi,  aussi  sont-ils 
restés  étrangers  à  nos  luttes  intellectuelles,  comme  ils  n'ont 
pas  pris  part  à  nos  mouvements  religieux  —  mais  ils  en  ont 
tiré  profit.  Et  c'est  précisément  la  raison  à  cause  de  laquelle 
les  nobles  magyars  sont  toujours  victorieusement  sortis  de  la 
lutte,  car  le  combat  n'a  pas  eu  lieu  avec  des  armes  égales  : 
tandis  que  les  peuples  du  bassin  du  Danube  perdaient  le  meil- 
leur de  leur  sang  en  défendant  les  plus  grands  principes  com- 
muns à  tous,  la  noblesse  magyare  ne  se  battait  jamais  et  dans 
aucune  circonstance  que  pour  ses  propres  intérêts.  C'est  seule- 
ment aujourd'hui,  à  la  fin  du  siècle,  après  la  plus  fructueuse 
propagation  des  principes  démocratiques  engendr^'s  par  la 
Révolution  française,  quand  les  mouvements  révolutionnaires 
tiennent  le  monde  européen  continuellement  en  éveil,  que 
la  noblesse  magyare  se  met  en  communication  avec  les  élé- 
ments révolutionnaires  de  l'Europe,  sentant  qu'il  lui  serait 
impossible  de  conserver  ses  privilèges  dans  une  lutte  ouverte 
et  désirant  qu'on  la  considère  comme  la  plus  dévouée  et  désin- 
téressée alliée  des  principes  démocratiques.  » 

«  Quoique  la  chose  puisse  paraître  incroyable,  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que,  comme  au  commencement  du  xif  siècle, 
c'étaient  les  nobles  magyars,  ces  chrétiens  de  la  pire  espèce, 
qui  se  ruaient  sur  la  Transylvanie  pour  y  répandre  le  catholi- 
cisme, —  de  nos  jours  ce  sont  encore  eux,  les  plus  réaction- 
naires parmi  les  nobles  de  l'Europe  tout  entière  qui  puissent 
s'emparer  du  pouvoir  en  Hongrie,  sous  prétexte  qu'ils  ont  la 
mission  d'y  propager  l'esprit  démocratique.  Ces  gens-là  savent 
si  biendissimuler  que  du  temps  de  la  révolution  de  1848  et  49, 
l'Europe  démocratique  n'a  pas  hésité  à  croire  que  ce  n'étaient 
pas  eux,  mais  leurs  anciens  serfs  qui  combattaient  pour  le 


8  MAGYAUS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

maintien  des  institutions  féodales.  Et  cette  croyance  est  deve- 
nue après  la  révolution  une  vraie  conviction  grâce  aux  péré- 
grinations des  émigrés  hongrois  à  travers  le  monde,  qui  ne 
cessaient  pus  de  se  plaindre  et  de  se  vanter  aussi  de  tout  ce 
qu'ils  eussent  accompli  sans  Tintervention  de  la  tyrannique 
Russie.  " 

«  Ce  fut  ainsi  que  la  noblesse  magyare  réussit  à  faire  de  sa 
cause  personnelle  une  cause  nationale  et  à  lancer  dans  la  cir- 
culation ridée  de  transformer  l'état  hongrois  polyglotte  en  un 
état  national  magyar.  Sous  prétexte  de  travailler  à  la  réalisa- 
tion de  cette  grande  idée  nationale,  la  noblesse  raagvare  ne 
craint  pas  de  dénaturer  les  institutions,  de  violenter  les  con- 
sciences, de  violer  les  lois,  de  dissiper  la  fortune  péniblement 
ramassée  des  autres  et  d'exposer  ainsi  à  des  dangers  graves 
la  paix  intérieure  de  toute  la  monarchie.  Il  lui  eût  été  cepen- 
dant difficile  de  continuer  ce  travail  de  destruction  si  la  monar- 
chie austro-hongroise  ne  se  fut  pas  trouvée  dans  des  situations 
très  embarrassées  après  les  événements  de  187  0  et  surtout  de 
1876  à  1878.  Aujourd'hui  encore,  comme  de  tout  temps,  ce 
n'est  qu'en  exploitant  les  dangers  qui  menacent  le  pavs  que 
les  Magyars  parviennent  à  se  maintenir.  La  magvarisation  des 
peuples  qui  habitent  le  bassin  du  Danube  et  qui  ont  déjà  tant 
de  fois  donné  la  preuve  indiscutable  de  leur  fermeté,  est  une 
telle  absurdité  que  les  chauvins  magyars  eux-mêmes  la  consi- 
dèrent comme  un  moyen  utile  seulement  pour  tenir  toujours 
en  haleine  le  peuple  magyar.  Et  cette  idée,  ce  sont  encore 
moins  les  hommes  d'Etat  de  l'Autriche  qui  peuvent  la  prendre 
au  sérieux.  Il  serait  donc  ridicule  de  croire  qu'ils  ne  laissent 
les  mains  libres  aux  Magvars  qu'à  cause  de  la  Triple  Alliance 
qui  en  a  besoin  et  dont  c'est  l'intérêt  (|ue  la  Hongrie  soit  un 
état  homogène,  ayant  le  caractère  national  magyar.  » 

«  Non  !  Les  Magyars  ne  peuvent  se  maintenir  quen  mena- 
çant l'Autriche,  la  dynastie  et  la  Triple  Alliance  et  en  exploi- 
tant à  leur  avantage —  comme  c'est  leur  coutume  de  le  faire 
—  la  situation  précaire  où  se  trouve  actuellement  le  monde  en 
Europe.  Nous,  les  autres  nations  européennes,  nous  versons 
notre  sang  et  nous  usons  toutes  nos  forces  pour  obtenir  la 


LIVRE    PREMIER  9 

meilleure  manière  de  vivre  en  bonne  harmonie  les  unes  avec 
les  autres.  Et  pendant  ce  temps  ces  Asiatiques-là  restent  à 
l'affût,  comme  ils  y  sont  restés  toujours,  prêts  à  dévaliser  ceux 
qui  sont  tombés  morts  pendant  la  lutte!  ^ 

Il  a  fallu  plusieurs  couches  de  ressentiments  superposées 
et  mûries  par  le  temps  —  ceux  que  peuvent  avoir  les  serviteurs 
et  les  élèves  contre  leurs  maîtres  ou  les  commençants  contre 
les  plus  avancés  —  pour  produire  la  haine  profonde  que  ces 
lignes  exhalent  et  qui  a  même  sa  répercussion  dans  la  poésie 
littéraire  ou  populaire  roumaine.  Alexandri  la  fait  sentir  dans 
sa  fameuse  pièce  :  «  La  sentinelle  roumaine  »  ,  qu'il  fait  placer 
par  sa  mère,  l'antique  Borne,  sur  le  bord  du  Danube  ou  sur  le 
sommet  des  Carpathes  afin  qu  elle  dirige  ses  veux  d'aigle  vers 
l'Orient.  Tout  à  coup  il  arrive  un  aigle  pour  l'engager  à  se 
sauver,  car  voici  l'inondation. ..  voici  les  Goths,  les  Huns^  les 
Gepides,  les  Lonrjohards,  les  Avares,  les  Bulgares.  Et  la  senti- 
nelle roumaine  ne  se  sauve  pas;  elle  reste  comme  un  rocher 
au  milieu  des  flots...  Le  Roumain  ne  périra  jamais  [romànu'n 
vecî  tiu  père)  et  le  Goth,  le  Hun,  le  G?pide,  l'Alain^  le  Longohard, 
V Avare,  le  Bulgare  s'enfuient  et  leur  ombre  s'évanouit  dans 
le  néant!  Allégorie  dont  le  sens  caché  se  dévoile  dans  la  bou- 
che du  jeune  Tschoban  de  la  chanson  populaire  quand  il 
s'écrie  :  Hé!  Magjar,  hé!  que  cherches-tu  dans  mon  pays? 
Mon  pays,  c'est  la  Roumanie.  Que  diable!  va-t  en  d'ici!  car  si 
tu  ne  sors  pas  de  plein  gré,  je  te  mettrai  à  la  porte  (l). 

Exiger  que  les  Roumains  donnent  la  raison  réelle  de  leur 
haine  contre  les  Magyars.,  c'est-à-dire  qu  ils  avouent  ouverte- 
ment leur  désir  de  s'emparer  de  la  Transylvanie  avec  les 
départements  limitrophes  de  la  Hongrie.,  serait  excessif.  D  ail- 
leurs le  même  Jean  Slavicine  dit-il  pas  que  «  la  sincérité  n'est 

(1)  Mai  UnnjUré  mai... 

Ce  cauti  In  tara  inea? 
Tara  iiiea'i  roinàna  tara 
Dute  dracului  afarà 
Ca  eu  Ijine  de  n'oi  vrea 
En  eu  sila  te  voiîi  da  ! 

Chanson  tirée  du  volume  de  G.  Tkodoresco,  intitulé  :  Noua  mica,  poésie  com- 
prinzend  celé  mai  noui  romantc  si  cântece  populare,  Bucuresci,  1842. 


10  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVAM    L'JJISTOIRE 

pas  une  vertu  aux  yeux  des  Roumains;  leur  langue  n"a  pas  de 
mot  pour  1  exprimer  et  ils  ne  la  considèrent  nullement 
comme  obligatoire.  "  (1)  Aussi,  en  face  des  droits  historiques 
patents  et  de  la  force  militaire  respectable  de  la  Hongrie, 
indissolublement  liée  à  V Autriche  par  la  maison  souveraine  des 
Habsbourg:,  recourent-ils  à  un  stratagème  scientifique  des 
plus  curieux  et  unique  dans  son  genre  pour  donner  le  change 
et  pour  faire  scuihlant  d'être  Tagneau  de  la  fable  que  le  loup 
magyar  poursuit  et  malmène  sur  son  propre  pré.  Car  ils  pré- 
tendent, avec  le  plus  imperturbable  sang-froid,  que  le  territoire 
compris  entre  entre  la  7V.ssa,  le  Danube  et  le  Prut/i  avec  le  haut 
plateau  transylvanien  pour  centre  étant  le  territoire  de  l'an- 
cienne Dnvie,  que  les  Ronmins  en  avant  romanisé  les  habi- 
tants, que  ces  habitants  romanisés  y  étant  restés  à  travers  le 
moyen  âge  jusqu'à  nos  jours,  ils  sont  les  rejetons  directs  du 
peuple  romain,  comme  leur  nom  et  leur  langue  l'indiquent 
préremptoirement. 

Contre  une  prétention  nobiliaire  pareille  il  n'y  a  rien  à  dire 
(sinon  que  noblesse  oblige  et  que  porter  un  nom  trop  illustre 
est  quelquefois  un  lourd  fardeau),  tant  qu'elle  ne  quitte  pas  le 
domaine  de  la  spéculation  généalogique.  Malheureusement, 
pour  donner  le  coup  de  grâce  aux  Magyars,  les  Roumains  con- 
cluent de  la  légitimité  de  leur  descendance  à  leur  droit  au 
patrimoine,  et  considèrent  comme  étant  le  leur  tout  ce  qui 
appartenait  jadis  aux  Romains.  Or  la  part  la  plus  importante 
et  la  plus  belle  en  ayant  été  incorporée  h  la  Hongrie  lors  de 
la  conquête  du  pays  par  les  Magyars,  ils  la  revendiquent  avec 
l'aigreur  de  l'héritier  qui  croit  être  (rustre  du  plus  beau  lot 
d'une  succession. 

C'est  donc  de  deux  côtés  opposés  que  les  Roumains  dirigent 
leurs  attaques  contre  les  Magj  ars  :  comme  Daco-Ruumains 
—  issus  des  colons  romains  de  la  Dacie  —  au  nom  des  droits 
historicpies,  car  (jui  prior  lempore,  potior  jure;  et  comme 
enfants  du  siècle  au  nom  des  droits  des  nationalités  en  vertu 
desquels  se  sont  formés  l'empire  d'Allemagne  et  le  royaume 

(1)  Dic  Rumanen  in  Vnqarii  und  Siibenbûrgen,  p.  145. 


LIVRE    PREMIER  11 

cF Italie.  Aussi,  pour  y  répondre  efficacement,  sera-t-on  obligé 
de  remonter  dans  l'histoire  jusqu'aux  événements  auxquels 
font  allusion  les  historiens  roumains,  d'y  chercher  avec  eux 
les  origines  de  la  race  et  de  la  langue  roumaines,  ainsi  que  d'en 
suivre  le  développement  à  travers  les  siècles.  Aussi,  arrivé  à 
l'époque  où  il  y  a  déjà  des  documents  authentiques  pour  con- 
stater leur  existence,  faudra-t-il  clairement  et  minutieusement 
indiquer  les  rapports  politiques,  religieux,  militaires,  sociaux  et 
économiques  entre  les  peuples  magyars  et  roumains;  car  ils 
expliqueront  ceux  qui  peuvent  paraître  anormaux,  contraires 
aux  idées  modernes  et  désobligeamment  imputés  à  la  malveil- 
lance seule  des  Magyars  dans  le  présent. 

Afin  de  résumer  d'avance  les  résultats  de  ce  travail  rétro- 
spectif forcément  quelque  peu  fastidieux,  mais  que  la  réhabili- 
tation de  riionneur  outragé  des  Magyars  rend  indispensable, 
qu'il  soit  encore  permis  de  citer  ici  les  passages  suivants  de  la 
septième  lettre  adressée  à  G/nca  par  Rosetti,  le  fondateur  de 
l'indépendance  roumaine,  cités  par  le  docteur  Grégoire  J/o/c/o- 
vàn  : 

«  Les  Magyars!  les  Magyars!  Dis,  si  en  prononçant  leur 
nom  tu  n'as  pas  envie  de  te  couvrir  la  tête  de  cendres!  de 
prendre  un  pistolet,  de  commencer  par  Éliade,  et  de  finir  par 
toi-même!  Honte,  mille  fois  honte!  Mais  que  dis-je!  malédic- 
tion sur  ceux,  et  je  suis  aussi  dans  le  nombre,  par  qui  la  gloire 
roumaine  fut  perdue,  une  longue  série  de  souffrances  suscitée, 
et  le  plus  honteux  des  esclavages  renouvelé!  Ah!  si  nous 
avions  été  un  véritable  gouvernement  roumain  :  la  gloire  de 
délivrer  le  monde  de  la  servitude  n'eût  pas  appartenu  aux 
Magyars,  mais  à  nous,  Roumains  !  » 

Paroles  d'autant  plus  mémorables  que,  tout  en  dédomma- 
geant les  Magyars  des  avanies  dont  ils  sont  abreuvés  par  les 
Roumains,  elles  prouvent  que  parmi  ceux-ci  les  plus  illustres 
sont  assez  impartiaux  pour  avouer  la  vérité,  fût-elle  avanta- 
geuse à  leurs  adversaires.  Et  qu'est-ce  que  l'impartialité,  sinon 
un  acheminement  vers  le  jugement  équitable  lui-même,  condi- 
tion sine  qua  non  de  toute  entente  future,  but  unique  de  l'ou- 
vrage actuel. 


CHAPITRE  II 

l'oHIGINE    DACIQUi:. 

Après  la  mort  de  Nerva  (an  98  de  notre  ère  ,  ayant  été  élu 
empereur  à  Colonia  (Cologne)  —  Trajan  se  dirigea  incontinent 
vers  la  Dacie  pour  châtier  Décelai  et  s'emparer  de  Sarmizégé- 
thuse,  la  capitale  de  son  rovaume. 

Conclure  de  cet  empressement  à  Tiinportance  de  l'expédition 
serait  une  erreur.  Certes  les  Daces,  que  les  mains  de  fer  de 
Barihisia  avaient  su  réunir  un  moment  sous  le  même  sceptre, 
étaient  des  voisins  terribles  pour  la  Mésie  dès  le  règne  de  Tibère 
et  (brçaient  déjà  Vespasicn  à  prendre  des  mesures  énergiques  à 
leur  égard;  mais  les  incursions  qu'ils  entreprirent  périodique- 
ment sur  la  rive  droite  du  Danube  ne  pouvaient  menacer  que 
les  colonies  riveraines  :  Bonona  (Widdin),  Darticuin,  Ad  Aquas 
(Vidovatz)  ou  entraver  le  halage  des  bateaux  romains  sur 
la  rive  gauche,  seule  praticable  h  plusieurs  endroits.  Car  ils 
n'étaient  pas  très  nombreux,  leur  pays  étant  presque  entière- 
ment couvert  de  forêts  immenses  d'où  Tauroch  lui-même  ne 
disparut  qu'il  y  a  trois  siècles  et  les  riches  plaines  de  la  Basse- 
Hongrie  n'étant  pas  encore  cultivées  alors  à  cause  des  marais  qui 
s'y  étendaient  ininterrompus  le  long  du  Tibissus  et  y  servaient 
de  fossés  naturels  aux  contreforts  occidentaux  des  Carpathes 
de  la  Dacie. 

Vax  réalité,  il  s'agissait  là  pour  Trajan  plutôt  de  faire  une 
action  d'éclat,  que  rehaussaient  les  travaux  gigantesques  exé- 
cutés en  amont  des  Portes  de  Fer  et  le  pont  par  lequel  il  les 
franchit,  dont  les  vestiges  étonnent  encore  aujourd'hui  le  spec- 
tateur. C'était  toucher  le  cœur  romain  là  où  il  se  laissait  le 
plus  facilement  prendre  :  aussi  lui  décerna-t-on  le  surnom  de 
«  Dacique  »  et  consacra-t-on  à  cette  campagne  une  partie  des 
bas-reliefs  de  la  colonne  de  Trajan,  quoique  la  victoire  ne  fût 


MAGY'AUS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE  13 

pas  très  [jlorieuse,  vu  la  disproportion  de  puissance  des  deux 
belligérants  et  que  la  nouvelle  province  n'eût  qu'une  valeur 
économique,  en  raison  de  ses  mines. 

En  tout  cas,  les  récits  au  sujet  de  cette  conquête  étant  assez 
sobres,  les  passages  des  historiens  romains  qui  s'y  rapportent, 
sont  excessivement  précieux.  Or  voilà  ce  qu'on  lit  chez  Eutrope 
(YIIl.  3)  :  «  Trajanus,  victa  Dacia  ex  toto  orbe  Romano  infi- 
nitas  eo  copias  transtulerat  ad  agros  et  urbes  colendas.  Dacia 
enim  diuturno  bello  Decebali  viris  fuerat  exhausta.  » 

Eh  bien,  ces  phrases  prétentieuses,  écrites  au  quatrième 
siècle  en  pleine  décadence,  ne  sont  pas  moins  devenues  des 
brandons  de  discordes  entre  Magyars  et  Roianains  en  donnant 
naissance  à  la  théorie  de  l  origine  dacique  de  ces  derniers.  Elle  a 
été  lormulée  en  premier  lieu  par  G.  G.  Sinkai,  religieux  h 
Balàzsfalva  (Transylvanie),  de  l'ordre  de  Saint  Basile,  et  publiée 
dans  sa  «  Chronique  roumaine  "  .  (1) 

«  Lempire  des  Romains,  dit-il  à  la  dixième  page  de  cet 
ouvrage,  serait  tombé  en  décadence  rapide  si  Trajan,  le  plus 
vaillant  et  le  plus  puissant  des  empereurs,  n'eût  pas  conquis 
la  Dacie,  —  excité,  d'après  Samuel  Koleséri,  (2)  autant  par  la 
résistance  des  Daces  que  par  la  richesse  du  pays.  Aussitôt  le 
pont  achevé,  cet  empereur  franchit  le  Danube,  défit  et  écrasa 
les  Daces  à  un  tel  point  qu'il  ne  restait  personne  d'entre  eux 
pour  travailler  la  terre  ou  pour  habiter  les  villes.  Aussi  dans 
la  même  année,  ainsi  que  dans  les  deux  années  suivantes, 
fit-il  venir  en  Dacie  une  grande  multitude  de  colons  soit  de 
tout  l'empire,  soit  particulièrement  de  Rome  et  de  1  Italie, 
comme  il  appert  clairement  des  inscriptions  des  monuments 
funèbres  que  l'on  retrouve  encore  de  nos  jours,  surtout  en 
Transylvanie.  Ces  inscriptions  nous  apprennent  que  les  colons 
transportés  en  Dacie  ne  se  composaient  pas  uniquement  de 
gens  appartenant  au  bas  peuple,  mais  que  1  on  trouvait  parmi 
eux  quelques  (amilles  très  distinguées  aussi.  » 

Et  ayant  établi  ainsi  l'extermination  complète  des  Daces  et 
leur  remplacement  par  des  colons  transportés  particulièrement 

(i)   Clironica  Românilor. 

i^2j  Awaiia  Romano-dacica,  cli.  ],  note  5. 


14  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

de  «  Rome  et  de  l'Italie,  «  il  continue  —  pages  46  et  47  du 
même  ouvrage  : 

«  Dans  le  courant  de  Tannée  pendant  laquelle  l'empereur 
Aurélien   (de  270  h   275)  entreprit  son  expédition  contre   les 
Perses,  il  retira  de  la  Dacie  ses  légions  ainsi  tju  une  partie  des 
colons  et  les  fit  passer  sur  la  rive  droite  du  Danube.  Il  serait 
puéril  de  nier  ce  fait;  mais  puéril  serait  également  d'admettre 
que  les  colons  fussent  tous  partis  pour  la  Nouvelle-Dacie;  car 
on  peut  hardiment  supposer  qu  ils  devaient  être  en  grande  par- 
tie des  cultivateurs,  et  ceux-ci  n'abandonnent  pas  facilement 
leurs  propriétés,  surtout  après  un  laps  de  temps  aussi  long  que 
celui  qui  s'est  écoulé  entre  les  règnes  de  Trajan  et  d' Aurélien. 
D'ailleurs,  comme  il  est  clairement  démontré  que  pendant  les 
années  suivantes  la  rive  gauche  du  Danube  appartenait  encore 
aux   Romains  jusqu'à   l'arrivée   des    Bulgares,    —  il  devient 
indubitable  que,  sous  Aurélien,  la  Dacie  n'a  pas  été  entièrement 
évacuée  par  les  colons.   Donc  les  Roumains  habitant  la  rive 
gauche  du  Danube  descendent  des  colons  romains  restés  dans 
l'ancienne  Dacie,  tandis  que  les  colons  ayant  traversé  le  Danube 
et  s  étant  fixés  dans  la  Nouvelle-Dacie,  ainsi  que  les  Roumains 
émigrés  en  Thrace  sous  Constantin  le  Grand,  doivent  être  con- 
sidérés comme  les  aïeux  des  Roumains  de  la  rive  droite  du 
Danube  et  que  l'on  appelle  des  "  Vlahos  »  ,  ou  mieux  dit,  des 
«  Kolzo  ou  Kuzo-VIahos  »   ou  encore  des  "  Tzintzars.  >'   Quant 
aux  Roumains  de  la  rive  gauche,  on  les  a  d'abord  désignés  sous 
le  nom  de   «  Romains,  "    ensuite  sous  celui    «  d'Abotrites,  n 
plus  tard,  sous  celui  de  «  Cunians,  «    de   «  Patzinakites,  »  et 
enfin   sous    ceux  de    «    Muntyans,    i'     de    '<   Moldaves,   »     de 
u   Margitéans,   »     de    ^'   Mokanys,    »    de    «   Fratutzs.   v    Mais 
qu'ils  aient  porté  ou  qu'ils  portent  tel  ou  tel  nom,  leurs  ori- 
gines et  leurs  ascendances  sont  identiques,  c'est-k-dire  qu'ils 
sont    tous    des    Roinains    pur    sang,    comme    c'est    surabon- 
damment confirmé  par  leur  caractère  et  leurs  vertus!  » 

Quoique  entièrement  terminée,  la  chronique  de  Sînkaîna 
pas  pu  paraître  imprimée  pour  des  raisons  que  l'on  indiquera 
plus  loin.  Pierre  Maior  s' esi  cependant  complètement  indentifié 
avec  ses  tendances  et  il  les  a  mises  en  pleine  lumière  dans  son 


LIVRE    PREMIER  15 

livre  intitulé  :  Historia  pentru  inceputul  Romaniloru  in  Dacia, 
paru  en  1812.  De  cette  manière,  il  est  devenu,  grâce  à  Si nkai, 
le  Moïse  de  Thistoriographie  roumaine.  C'est  à  la  suite  de  l'ap- 
parition de  son  livre  que  s  est  enracinée  chez  les  savants  rou- 
mains la  crovance  dans  la  complète  disparition  de  l'élément 
dace  après  la  conquête  romaine,  dans  l'envahissement  de  la 
Dacie  par  les  colons  romains. 

Admettre  cette  théorie  sans  restriction  comme  Gi'.  G.  loci- 
lesco,  l'archéologue  très  renommé  1  adniet(l),  c  est  supposer  la 
possibilité  de  la  disparition  complète  des  Z>acei  soit  par  l'exter- 
mination, soit  par  1  éloignement,  et  de  l'introduction  dans  la 
Dacie  ainsi  dépeuplée  d'une  nombreuse  colonie  entièrement 
romaine  ou  très  romanisée. 

Et  quelle  eut  été  la  raison  de  l'extermination  et  de  1  éloi- 
gnement? (Voulant  en  faire  (de  la  Dacie)  —  écrit  Tocilesco  — 
le  poste  le  plus  septentrional  du  romanisme  dans  le  Nord  bar- 
bare, Trajan  ne  pouvait  se  fier  assez  aux  Daces  pour  les  y 
laisser^  ni  y  amener  des  étrangers.  « 

Quoique  bien  ingénieuse,  cette  explication  n'est  pas  suffi- 
sante car,  si  elle  est  très  plausible  à  l'égard  des  intentions  de 
l'empereur,  elle  n'éclaircit  rien  au  sujet  de  l'exécution  maté- 
rielle. Faire  passer  au  fil  de  l'épée  la  population  d'une  ville 
assiégée  au  moment  de  l'assaut,  est  chose  imaginable;  par 
contre,  supprimer  la  totalité  des  habitants  d'un  pays  exigerait 
un  effort  extraordinaire  dont  les  historiens  eussent  fait  certai- 
nement mention,  tandis  que  dans  le  texte  d'Eutrope  il  n'est 
question  que  d'une  Dacie  -l'iribus  exhausta  :  dépourvue 
d  hommes  valides.  Donc  les  femmes  et  les  enfants  y  sont 
restés  épargnés,  assurant  d'une  part  la  perpétuation  de  la  race 
dace  et  de  l'autre  la  formation  d'une  nouvelle,  issue  de  l'union 
des  vainqueurs  et  des  vaincus. 

Cette  hypothèse,  les  noms  propres  que  Ion  rencontre  dans 
les  inscriptions  des  pierres  tumulaires,  la  changent  en  certi- 
tude. Car  si  à  Vàrhely,  dans  le  département  de  Hunyad,  sur 
l'emplacement  d'Ulpia  Trajana  de  la  Sarmizégéthuse  latinisée 

(i)  Gr.  g.  TociLEàCO,  Istoria  Roniâna,  p.  20-21.  Bucuresci,    1887. 


Ifi  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

par  remi)crcur  Adrien,  —  on  trouve  déjà  des  Bovipal  et  des 
Amlena,  la  population  romaine  y  a  dû  être  prépondérante, 
cependant,  à  cause  des  branches  diverses  de  Tadministration 
civile  et  nillilairc  qui  y  étaient  centralisées  et  à  cause  du  «con- 
cilium  trium  Daciarum  ^  l»rovincia  Apulensis,  Mahensis  et 
Porollissensis)  qui  y  a  sié^jé;  —  dans  les  autres  parties  du 
juivs  les  noms  daces  se  ])résenlentà  foison,  kins'i  kCAlao-lllosva 
actuelle,  Snla  Mucalri,  vétéran  de  l'Ala  Frontiniana,  consacre 
ime  pierre  votive  à  Apollon  et  son  exemple  est  suivi  par  Aelino 
MncaporelMucapins,  cavaliers  de  la  même  cohorte.  A  Optatiana 
il  V  a  un  autre  Mucapor ;  yandonis,  Andrada,  Bilnvantio  meurent 
à  Potaïssa  en  jjardant  leur  nationalité.    (1) 

On  sent  dans  tous  ces  noms  un  penchant  à  les  latiniser; 
néanmoins  la  harhaiie  dace  s'y  fait  jour  ostensiblement.  Ils 
prouvent  une  fois  de  plus  en  faveur  de  la  grande  loi  de  la  lutte 
pour  la  vie  des  nations,  qui  veut  que  l'aristocratie  d'un  peuple 
vaincu,  pour  sauver  une  partie  de  son  influence  et  de  ses  pri- 
vilèges, se  mette  à  pactiser  avec  le  nouvel  ordre  de  choses,  se 
dénationalise  et  s'assimile  au  conquérant  étranger.  Les  survi- 
vants de  la  noblesse  dace  et  de  la  caste  des  «  tarabostei  pileati  » 
voulant  prendre  part  au  gouvernement  autonome  dont  la  nou- 
velle province  a  été  gratifiée  par  la  sagesse  politique  de  Trajan, 
devaient  se  conformer  sans  retard  à  la  loi  claudienne,  exigeant 
la  connaissance  du  latin  et  l'adoption  des  mœurs  romaines  de 
(|uicon(jue  désirait  entrer  dans  le  service  de  l'Etat. 

Mais  la  grande  masse  du  bas  peuple  est  restée  dace,  gardant 
sa  langue  et  sa  religion  que  l'aristocratie  romanisée  n'a  pas 
conq)letement  abandonnées  non  plus.  A  Germizara,  il  y  a  un 
autel  élevé  par  Sulai'i ii  la  divinité  dace  Aciiinus.  Et  le  gouver- 
nement impérial  est  prêt  à  tenir  compte  de  ce  fait,  surtout  au 
^'ord-Ouest,  où  Iîcsci(/inn  étant  une  colonie  dace  pure,  il  lui 
accorde  le  nom  de  h'cits  Annrioruni,  d'après  le  nom  d'une  des 
lrd)us  daces.  Voici  (juel(|ues  autres  villes  ou  villages  ayant  des 
noms  daces  :  Aizizi,  Deuzai'a,  Napoca,  Acidava,  Porolissian, 
chel-lieu  d'une  des  trois  provinces  créées  par  Antonin  le  Pieux. 

A,  KinALYi  Pal,  Dacia,  proi'incia  Aiiyn.<:ti.  2  vol.  Nagy-Becskerek. 


LIVRE    PREMIER  17 

En  150  après  J.-C,  Ptolemaeos  cile  15  villes  de  la  Dacie  qui 
ont  la  terminaison  dace  :  dava. 

On  peut  signaler  aussi  la  présence  de  l'élément  dace  dans 
les  rangs  de  Tarmée  romaine.  Higiniis  Gromaticus  réserve  h 
sept  cents  Daces  un  emplacement  spécial  dans  son  camp,  éta- 
bli pour  recevoir  trois  légions  —  et  cela  du  temps  de  Trajan 
même  quand  les  souvenirs  des  hostilités  récentes  devaient  être 
encore  très  vifs  des  deux  côtés.  Ce  sont  des  légionnaires  daces 
—  "I.  Aelia  Dacorum  "  et  «  I.  Dacorum  »  —  qui  occupent 
les  camps  dans  les  limes  de  la  Grande-Bretagne.  Ils  ont  conservé 
pour  enseigne  le  dragon  volant,  qui  était  celui  de  la  nation 
dace,  ainsi  que  le  sabre  recourbé,  à  côté  de  l'épée  droite  des 
légionnaires. 

En  parlant  d'Antonin  le  Pieux,  Capilolinus  rappelle  parmi  les 
peuples,  que  ce  successeur  de  l'empereur  Adrien  a  terrassés, 
les  Daces  (1).  Mais  il  s'agit  là  probablement  des  Daces  non 
asservis,  qui  campaient  en  dehors  et  au  Nord  de  la  province 
romaine  et  dont  le  proconsul  Sabinianus  ramène  12,000  dans 
«  notre  Dacie  >»  ,  comme  dit  Dion  Cassius.  Au  surplus,  on  ren- 
contre sur  tout  le  territoire  de  l'empire  des  inscriptions  avec 
des  noms  daces,  parmi  lesquels  il  y  a  des  Décéhal  nombreux  et 
auxquels  il  est  ajouté  la  mention  :   «i  natione  Dacus  (2)  »  . 

Tout  en  paraissant  abonder  dans  le  sens  des  défenseurs  de 
l'origine  dacique  Mommsen  s'exprime  ainsi  à  cet  égard  : 
«  L'empereur  entra  de  nouveau  dans  la  capitale  ennemie,  et 
Décéhal,  après  avoir  lutté  contre  l'adversité  jusqu'au  dernier 
moment,  et  étant  convaincu  que  tout  était  perdu,  s'y  suicida 
(107).  Alors  la  guerre  se  continua  non  plus  pour  la  liberté, 
mais  pour  l'existence  du  peuple.  On  chassa  la  population  au- 
tochtone de  toutes  les  contrées  avantageuses  et  on  y  fit  venir 
pour  l'exploitation  des  mines,  en  partie  des  montagnes  de  la 
Dalmatie,  mais  surtout  de  l'Asie  Mineure,  une  population 
n'appartenant  à  aucune  nationalité  déterminée.  Dans  certaines 
parties  de  la  province,  lapopulationautochtone  s'est  cependant 

(1)  Et  Mauros  ad  pacem  postulandaui  coejit,  et  Germanos  et  Dacos  et  multas 
ffente<!  et  Judœos  rebellantes  coiUudit  per  prœsides  et  Icgatos. 

(2)  ROESLER,  Romànisclie  Studien,  p.  45. 


18  MAGYARS    ET    ROUMAI>iS   DEVANT    L'HISTOIRE 

conservée,  sa  langue  est  devenue  même  la  langue  dominante. 
Ces  Daces,  ainsi  que  les  tribus  daces  des  contrées  avoisinantes 
donnaient  même  plus  tard,  surtout  sous  Co/»mo(/t'  eiM<iximien, 
beaucoup  de  fil  à  retordre  à  leurs  vainqueurs.  (1)  >' 

La  coexistence  d'une  population  dace  et  des  colons  romains 
étant  di'montrée  et  partant  de  là  l'origine  purement  romaine 
des  liounu/iiis  étantdevenueinadmissible,  lesplus  chauvins  des 
historiens  roumains  se  consolent  avec  la  théorie  de  la  romani- 
sation  totale  de  la  première  par  les  derniers.  «  Les  cent  soixante 
sept  ans,  pendant  lesquels  a  duré  la  domination  romaine  en 
Dacie  —  dit  Tocilesco  —  ont  largement  suffi  pour  y  faire  naître 
une  nationalité  nouvelle...  la  race  roumaine.  "  Xenopol,  — 
bien  qu'il  ne  soit  pas  de  l'avis  de  Sinkdi  relativement  à  la  dis- 
parition des  Daces,  à  cause  de  quoi  il  s'attira  des  anathèmes  en 
règle  de  la  part  deDensusiafio  —  n'affirme  pas  moins  «  que  la 
population  dace  s'est  romanisée  soit  par  les  liens  du  mariage, 
soit  en  latinisant  ses  noms  propres  ou  en  acceptant  la  langue 
et  l'écriture  latines.  Le  Roumain  actuel  est  donc  le  produit  du 
mélange  du  sang  dace  et  romain,  mélange  dans  lequel,  cepen- 
dant, l'élément  romain  prédomine.  C'est  plutôt  relativement 
au  physique  que  les  Daces  ont  contribué  à  la  formation  de 
la  race  roumaine.  La  manière  de  penser,  le  sentiment,  la 
langue  accusent  la  provenance  romaine.  ■•■>  (2)  «Mais il  y  a  encore 
bien  d'autres  choses  dont  le  Roumain  hérite  du  Dace;  tels  sont 
la  coiffure,  les  vêtements,  la  manière  de  construire;  même  le 
type  du  visage,  qui  rappellent  à  s'y  tromper  les  figures  daces 
(le  la  Colonne  de  Trajan.  (3)    ' 

[*our  IJasdcu  —  l'auteur  de  l'article  :  Sirat  si  substrat  (Ge- 
nealogia  p()|)orelor  Balcanice)  ( i)  "  c  était  la  civililisation  latine 
seule  qui  pouvait  s'étendre  entre  le  Halkan  et  le  Danube  sans 
entraves  au-dessus  de  la  couche  thrace,  se  métamorphosant 
ainsi  dans  la  nationalité  roumaine  de  la  rive  droite  du  Danube, 
parallèlement  à  la  nationalité  roumaine  de  la  rive  gauche  du 

(1)  Tu.  MoMMSEN,  lioinischc  Ijcschichte,  vol,  5  p.  203. 

(2)  A.  D.  Xknopol,  Istoria  Bumânilor,  p.  22-23.  Jassy. 

(3)  —  —  Tevria  lui  Boesler,  p.  40. 

(4)  Revistd  iiitoi'a.  1892,  n"  1  et  2. 


1 


LIVRE   PREMIER  19 

Danube  et  des  Carpathes,  formée  un  peu  plus  tard  par  ces  deux 
éléments  constitutifs  :  le  Romain  et  la  branche  dace  des 
Tliraces.  « 

Accepter  la  fusion  des  Romains  et  des  Daces  sans  vouloir 
faire  passer  certains  faits  sous  silence,  mais  à  la  condition 
qu'elle  profiterait  exclusivement  au  romanisme,  c'est  tomber 
dans  Terreur  de  Sinkai  et  de  Maior  avec  une  teinte  de  science 
et  de  discernement.  Car,  pour  que  la  romanisation  de  la  Dacie 
puisse  devenir  un  lait  accompli  dans  l'espace  de  cent  soixante 
sept  ans,  il  eût  fallu  qu'elle  constituât  aux  yeux  des  Romains 
une  nécessité  politique  et  stratégique  absolue.  Or  la  situation 
de  la  Dacie  dans  le  cadre  de  l'empire  romain  n'était  pas  de 
nature  à  imposer  au  gouvernement  central  l'obligation  de 
recourir  aux  mesures  extraordinaire  qu  une  romanisation  si  ra- 
pide eût  exigées.  «  La  conquête  delà  Dacie  n'a  pas  été  aussi 
profitable  à  la  défense  des  frontières  dans  le  bassin  du  Danube 
qu'on  pouvait  s'y  attendre  — écrit  Momnisen  dans  son  ouvrage 
cité  (page  205;.  Un  déplacement  réel  de  la  ligne  défensive  n'en 
est  pas  résulté.  Aussi  la  nouvelle  province  n'était-elle  admi- 
nistrée que  comme  une  position  excentrique,  n'étant  en  con- 
tact avec  le  territoire  romain  proprement  dit  qu'au  Sud  par  le 
Danube  et  dont  les  trois  côtés  s'enfonçaient  complètement 
dans  les  pays  barbares.  » 

Une  fois  admis  qu  il  n'y  avait  aucune  raison  pour  effectuer 
le  colonisation  de  la  Dacie  dans  des  conditions  extraordinaires, 
c'est  l'examen  de  la  situation  générale  de  l'empire  au  moment 
de  cette  colonisation,  ainsi  que  des  mesures  administratives 
prises  en  vue  de  la  colonisation  qui  s'impose  à  la  réflexion. 

"  L'histoire  de  l'empire  romain  nous  apprend  clairement, 
écrit  M.  Jancso,  qu'à  l'époque  de  la  conquête  de  la  Dacie 
par  Trajan  la  force  vitale  de  la  race  romaine  se  trouvait  déjà 
en  pleine  décadence;  Rome  était  déjà  moralement,  intellec- 
tuellement et  matériellement  anémiée.  On  voyait  s'abaisser  la 
valeur  intrinsèque  delà  race  à  vue  d'œil;  on  constatait  la  stéri- 
lité croissante  des  familles,  la  disparition  graduelle  du  carac- 
tère romain  pur.  La  faculté  d'assimilation  et  d'absorption  du 
peuple  romain  était  complètement  affaiblie  par  l'introduction 


20  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

incessante  des  éléments  étrangers.  Il  ne  pouvait  plus  être 
question  de  coloniser  avec  l'excédent  de  la  population  de 
l'Italie.  Aussi  est-ce  Trajan,  le  vainqueur  de  la  Dacie  lui- 
même  qui  interdit  le  recrutement  des  colons  en  Italie...  Les 
quelques  Hénéventains,  Carsulais  et  lîoniains  qui  s'étaientfîxés 
en  Dacie,  n'y  étaient  pas  amenés  par  force,  mais  par  l'appâtdu 
{jain  commercial  et  industriel  ou  de  l'avancement  dans  la  car- 
rière militaire.  " 

(juoiquc  partisan  de  1  orijjine  dacicjue  des  liotiniai/ts^  le  doc- 
teur Jules  Jttnq  cite  lui-même  le  passage  suivant  :  «  (Marcus 
Antonius  l'iiilosophus)  Hispaniis  exliaustis  Italica  allectione 
contra  Trajani  prxcepia  verecunde  consuluit.  »  Un  démenti 
plus  catégori(}ue  naurait  pas  pu  être  donné,  même  avec  j)rémé- 
ditation,  à  Sinkai  et  à  .}f(iioi-  relativement  à  1  origine  des  colons 
de  la  Dacie. 

D  après  le  texte  déjà  mentionné  de  Monnisen,  ces  colons 
venaient  surtout  de  YAsie-Mineuj'e.  «  Nous  trouvons  parmi 
eux,  dit  encore  Jn)ig  '2),  des  Bitliyniens,  des  Cariens,  des  Gala- 
téens  et  des  Syriens  dans  le  sens  le  plus  élargi  du  mot.  Ils  ont 
enqîorté  de  leur  ancienne  patrie  leur  religion  orientale  et  le 
culte  de  leurs  dieux  nationaux  dans  la  province  nouvellement 
colonisée.  C'est  là  qu'a  débuté  le  culte  de  Mithras  et  d'Isis, 
propagé  j)ar  les  Grecs  et  les  Orientaux,  et  c'est  de  là  que  s'est 
répandu  plus  tard  dans  tout  l'empire  comme  une  spécialité  de 
la  pro\ince,  (pie  l'on  ne  rencontrait  nulle  part  ailleurs.  " 

Leur  ville  principale  est  ISapoca  où  réside  leur  chef,  le 
spin'arche  Germanicus.  A  Micia  il  est  question  dans  les  inscrip- 
tions d  un  Aelius  Perqaniianus,  à  Apnluni  d  une  Isidora  domd 
Asi'œ;  dans  cette  ville  les  Lydcs  sont  nombreux.  Deux  adorateurs 
du  dieu-serpent  Glicon  sont  originaires  de  la  Paphlagonie.  Les 
Gaiaies  considèrent  leur  séjour  à  iSapoca  comme  temporaire.  Ils 
s'intitulent:  Galaiœ  consistenses.  Par  contre,  ils  fondent  des  as- 
sociations {collegia)  à  Micia  et  à  Gemiizara  pour  défendre  leurs 
intérêts,    leur    religion.    On    rencontre    à  Sarniizégélhuse   des 


(1;  D' Jlles  Jvno,  Die  romatiixchcn  Lundscliuften,  p.  382. 

(2)        —        —        Boiiur  Hiicl  Jioniancit  in  dcn  Doiuinlandein,  p.  89-90. 


LIVRE   PUEMIEU  21 

Taviens.  Le  contingent  de  \s.Cohors  I.  Creiulonnn ,  en  garnison 
à  Apulinu,  vient  également  de  VAsie  Mineure. 

Les  Syriens,  ces  Sémites  à  moitié  hellénisés,  contribuent 
en  fractions  importantes  à  la  population  civile  et  militaire  de 
la  Dacie  nouvellement  colonisée.  A  l'endroit  où  se  trouve 
actuellement  Héviz,  ils  sont  tellement  nombreux  qu'ils  ont 
un  cimetière  à  part.  A  Sarmizégélhuse,  plusieurs  d'entre  eux  se 
réunissent  pour  élever  un  autel  à  Mitliras ;  un  second  y  est 
consacré  au  «  Jupiter  dolique  "  par  les  commerçants  syriens 
de  l'endroit,  orgueilleux  de  leur  nationalité.  Pour  le  service 
des  places  fortes  on  emploie  de  préférence  les  Commagènes 
plus  robustes,  et  à  côté  des  Ituréens,  ces  archers  célèbres,  on 
constate  la  présence  de  quelques  lares  Israélites  aussi  :  celle 
de  Cittius  Jiovai,  de  M.  Chrestus. 

Les  Palmyriens  ne  manquent  pas  non  plus  à  l'appel.  Sur  le 
territoire  du  Karanschcs  actuel  campe  un  numerus  Palniyrae- 
norinn,  dont  l'officier  —  optio  —  est  Garas,  fils  de  Jiddei.  La 
même  inscription  parle  à' Aeliiis  Hahibis,  qui  se  donne  le  titre 
de  u  pontifex  ».  Il  y  a  des  Palmyriens  dans  les  garnisons  de 
Porolissnm  et  de  Potaïssa  où  à  leurs  noms  se  mêlent  ceux 
appartenant  à  des  Palmyriens  civils  aussi,  qui  étaient  très  pro- 
bablement des  ouvriers. 

En  fait  de  légionnaires  et  de  colons  recrutés  en  Europe,  il 
faut  d'abord  mentionner  les  Hispano-Ibériens.  Originaire  de 
ces  pavs,  Trajan  employait  pour  la  guerre  de  guérillas  princi- 
palement ses  compatriotes.  Il  y  en  avait  qui  combattaient  à 
pied  comme  il  y  en  avait  dans  les  rangs  des  cavaliers  formant 
la  garnison  de  Largina,  surveillant  les  chemins  qui  condui- 
saient au  cœur  de  la  province,  gardant  le  «  castrum  "  de  Mi- 
cia. 

Les  Balaves  et'les  Ubiens  représentaient  la  Germanie,  les  sol- 
dats de  la  XIII  Gemina  la  Pannonie  et  ceux  de  la  V  Macedonica 
la  Mésie.  C'est  au  camp  de  V Also-Kosaly  actuel  que  Trajan  place 
la  Cohors  I.  Britannica  miliaria  civiorum  et  c'est  le  22  mars 
129  que  V emipereur  Adrien  renvoie  dans  leurs  foyers  ses  vété- 
rans gaulois  dont  les  descendants  fournissent  les  hommes  de 
la  «  cohors  dacica  »  .  Plus  tard  leur  cavalerie  se  trouve  incor- 


22  MAGVAU.S    ET    HUDMAFISS    DEVANT    L'HISTOIRE 

porée  dans  une  même  «  <iln  »  (corps)  d'abord  avec  les  Panno- 
niens  et  ensuite  avec  les  recrues  venant  du  Bosphore.  La  «  ca- 
nuba  "  cVApuliim  nomme  Fabius  Ibliomarns  décurion  :  il  est 
orifjinaire  de  la  Gallia  Belgicn . 

Le  rôle  que  les  J'/uaces  jouent  en  Dacie,  n'est  pas  à  dédai- 
gner non  plus.  Il  y  en  a  qui  séjournent  à  Optaniia  et  une  de 
leurs  tribus  (celle  des  Besses)  est  spécialement  mentionnée 
dans  la  «  lionesla  missio  »  à  laquelle  l'empereur  Adrien  appose 
sa  signature  à  la  date  j)lus  haut  citée. 

Et  afin  (pie  la  réduction  en  raccourci  de  la  composition 
etlmo(jrapliique  de  1  empire  tout  entier  soit  complète,  la  \exil- 
lalio  Mauritanoruni  Caesarensium,  dont  le  quartier  général 
était  à  Tibiscuni,  rappelait  V Afrique  comme  1  un  des  'i  duum- 
vir  »  de  Sarinizégei/tuse,  nommé  P.  Aelius  Theimes,  citoyen 
romain  arabe,  —  d'après  le  comte  Gcza  Kuun ,  le  distingué 
archéologue  transylvanien,  —  originaire  de  la  tribu  arabe  des 
Teiin,  qui,  ne  voulant  pas  renier  sa  nationalité,  ne  craignit 
pas  de  donner  à  une  de  ses  filles  le  nom  de  Znbidol. 

Vax  face  de  celte  j)opulation  si  bizarrement  composée  et  si 
bariolée,  les  Illyriens  seuls  peuvent  compter  comme  apparte- 
nant à  1  élément  romain  véritable.  On  les  a  fait  venir  expressé- 
ment de  la  Dalmatie  pour  1  exploitation  des  mines.  Aussitôt 
après  la  conquête,  écrit  Jung.,  Trajan  s'occupa  de  la  colonisa- 
tion (les  Piruies  pour  les  installer  dans  les  «  Montagnes  à 
minerais  »  Erczhegység).  Leurs  noms  reviennent  assez  fré- 
quemment sur  les  tablettes  en  cire.  A  cause  d  eux,  Alburnus 
maior,  l'endroit  le  plus  riche  en  mines  d'or,  s'appellera  tout 
bonnement  licus  Piruslarum.  Mais  les  Dalniaies  ne  sont  pas 
rares  ailleurs  non  plus;  il  suffit  de  faire  allusion  aux  deux 
indi\  idus  venant  dAequm,  (jui  reposent  à  Apulum  en  compa- 
gnie d  un  autre  «  Dalmalus  princeps  adsignalus  ex  mnnicipio 
S  piano.  ') 

Après  avoir  passé  en  revue  de  cette  manière  toute  la  popu- 
lation civile  et  militaire  queladministration  impériale  romaine 
a  introduite  en  Dacie,  admettre  qu'elle  eût  pu  romaniser  pour 
toujours  une  province  à  peine  soumise  et  si  éloignée  du  centre 
de  l'empire,  dans  le  court  espace  de   IG7  ans,  serait  de  Tillo- 


LIVRE   PREMIER  23 

gisme  pur.  Que  la  couche  supérieure  des  colons,  devenue  avec 
le  temps  la  classe  dirigeante  dans  les  municipes,  que  le  corps 
des  officiers  aient  eu  le  latin  pour  langue  maternelle  ou  qu'ils 
aient  été  au  moins  des  citoyens  romains  latinisés,  on  se  l'ima- 
gine aisément.  Mais  il  est  très  probable  aussi  que  la  grande 
masse  de  ce  personnel  recruté  dans  tout  l'univers  ne  consi- 
dérait le  latin  que  comme  une  langue  officielle  dont  elle  ne 
se  servait  que  dans  l'intimité.  Ceux  qui  étaient  originaires 
de  VAsie  Mineure  et  comme  on  a  pu  le  voir  plus  haut,  ils  for- 
maient la  majorité,  employaient  volontiers  le  grec  même  dans 
la  vie  publique,  puisque  1  on  trouve  plusieurs  inscriptions 
ainsi  qu'une  tablette  de  cire  rédigées  dans  cet  idiome. 

Du  reste,  le  romanisme  de  la  Dacie  ne  pouvait  ressembler 
en  rien  au  romanisme  des  autres  provinces  de  l'empire.  «  Dans 
la  haute  Italie,  dans  les  Gaules,  en  Ibérie  et  en  Pannonie,  etc., 
il  était  le  produit  de  la  dénaturalisation  complète  des  peuples 
déjà  assez  développés,  —  produit  qu  engendrait  d'une  part 
l'usage  d  une  langue  nouvelle  et  d'une  nouvelle  manière  de 
penser  et,  de  l'autre,  la  fusion  des  immigrés  avec  les  races  au- 
tochtones des  Ibèresetdes  Celtes.  En  Dacie,  autantqu'on  peut 
en  juger  approximativement,  dans  ce  pays  n'ayant  qu'une 
population  très  clairsemée  et  très  hostile  aux  immigrés,  on 
ne  pouvait  créer  qu'une  province  d'un  caractère  purement 
colonial,  où  le  romanisme  était  impuissant  à  prendre  racine, 
parce  qu  il  lui  manquait  le  terrain  propice  que  lui  offraient 
dans  les  contrées  citées  les  peuples  intellectuellement  con- 
quis» (1). 

Il  faut  se  rappeler  encore  que  la  Dacie  n'a  jamais  été  entiè- 
rement colonisée,  même  avec  cet  amalgame  extraordinaire 
des  colons  dont  on  vient  de  fournir  la  description  ethnique. 
La  vie  romaine  ne  florissait  que  dans  la  partie  orientale  du 
département  de  Teniez,  dans  celui  de  Krassô  —  Szorény, 
situé  en  Hongrie,  dans  le  Sud-Ouest  et  dans  le  centre  de  la 
Transylvanie  et  enfin  dans  la  Petite- Valachie  actuelle.  Et  là  elle 
se  concentrait  dans  Ulpia  Trajana  ainsi  que  dans  les  villes  mi- 

(1)  RoESLER,  Romànische  Sludien,  p.    45 


2V  MAGYARS    ET    IlOUMAINS    DEVAIT    L'HISTOIRE 

nière»  de?  alcnlours.  Dans  le  reste  de  la  Daci'e,  elle  s'affai- 
blissait j;radiiellemeiit  pour  se  réduire  finalement  aux  seuls 
postes  militaires.  Jmî  dehors  de  ceux-ci  on  n'y  rencontre  aucune 
trace  de  la  civilisation  ou  de  l'administration  romaines. 

Et  combien  aurait-il  fallu  pouvoir  travailler  systématique- 
ment sans  interru[)tion  et  d  après  un  plan  bien  conçu,  pour 
faire  i\c  toutes  ces  races  une  seule  nationalité  qui  fût  suscep- 
tible de  supi)orter  les  orages  d'une  longue  suite  de  siècles, 
tout  en  étant  très  éloignée  de  Romcl  Or,  dès  le  règne  du  suc- 
cesseur immédiat  de  Trajan^  on  est  inquiété  en  Dacie  par  les 
précurseurs  de  la  migration  des  peuj)les  :  les  Jazyges  et  les 
Blwxolaties  se  révoltent  dans  le  voisinage  de  la  nouxelle  pro- 
vince. Ce  fut  alors  qn'J'/r/e//  Ht  démolir  le  pont  de  Trajan,  car, 
î,e\on  Dion  Cassins^  il  craijjnait  «que  les  Barbares  n'eussent  rai- 
son des  troupes  auxquelles  était  confiée  la  gaide  du  pont  et 
qu'ils  n'y  trouvassent  un  passage  facile  pour  envahir  la  Mé- 
sic  "  Voilà  comment  la  politique  agressive  de  Ti-ajan'èe  clmn^e 
chez  Adrien  en  politique  défensive  sous  la  pression  des  cir- 
constances! 

En  1G7,  du  temps  de  Marc-Aurèle,  ce  fut  le  tour  des  Marco- 
nians,  des  Qiiades ,  et  des  Jasyges  encore  de  traverser  le 
Danube  et  de  dévaster  les  provinces  limitrophes  et  consé- 
queniment  la  Ihicie.  La  commotion  (|ue  cette  attaque  a  exer- 
cée sur  cette  province  nouvellement  colonisée  a  dû  être  con- 
sidérable, car  des  pièces  d'argent  enfouies  à  Tihôd,  —  dont 
la  j)lus  récente  date  de  1(57.  —  des  mines  comblées  à  Yeies- 
pdtak  et  renfermant  des  tablettes  de  cire  écrites  dans  les 
années  i;H  à  107,  prouvent  à  lenvi  les  inquiétudes  de  la 
po|)ulation  de  la  Dacie  à  cette  épo(pie. 

Dans  l'espoir  d'y  obtenir  des  terrains  et  une  haute  pave,  la 
tribu  vandale  des  Astingucs,  conduite  par  R/iaos  et  li/iapios,  avait 
grand  désir  de  s'allier  aux /l'o/;/*?//?^.  Mais,  son  vœu  ne  s'accom- 
plissant  pas,  elle  laisse  en  172  les  femmes  et  les  enfants  en 
otages  chez  le  gouverneur  Clemcns  et  s'empare  du  territoire 
des  Costoboies,  tout  en  causant  des  dégâts  sérieux  en  Dacie 
également.  Alors  un  autre  corps  des  Germains,  les  Dacringues 
ou  les  Lacringues,  craignant  que   Clemens    ne   les    livre  aux 


LIVRE   PREMIER  25 

Astingues  les  attaquent  et  les  anéantissent  à  tel  point  qu  ils 
deviennent  impuissants  à  nuire  dorénavant  aux  Romains  et 
se  fixent  même  (juelque  temps  après  sur  les  rives  des  Kôros. 

Seplime-Sévère  renforce  les  garnisons  de  ]a  Dacie  avec  la  lé- 
gion T'  Macédonien.  Son  fils  Caracalla  est  en  guerre  avec  les 
Daces  non  asservis  et,  quand  ceux-ci  deviennent  ses  alliés,  il  en 
obtient  des  otages,  qui,  d  après  Dion  Cassius^  furent  renvoyés 
par  son  compétiteur  Macrin,  car,  tout  en  ayant  déjà  suffisam- 
ment ravagé  la  Dacie,  ils  ne  parlaient  de  rien  moins  que  de  sa 
complète  destruction. 

Au  bout  de  quelque  temps,  ce  sont  le  Carpes,  consanguins 
de»  Daces,  qui  se  mettent  à  dévaster  la  Dacie.  En  les  fuyant, 
la  mère  de  l'empereur  Maxiniin  se  réfugie  en  Pannonie  (1). 
Cet  empereur  se  battra  avec  les  Daces  plus  tard  aussi,  d'où 
son  surnom  Dacicus  ]\la.iinnis,  tandis  que  Dàce,  ayant  fait 
repeupler  Apulinn  et  lortifier  toute  la  province,  s'appellera 
Restitiitor  Daciariim.  Et  on  ne  peut  restaurer  que  ce  qui  a  été 
détruit  ! 

En  258,  quand  les  Goths  envahissent  V Asie  Mineure ,  ils  tra- 
versent la  Dacie  sans  être  inquiétés,  d'où  il  résulterait  qu'à 
ce  moment  cette  province  n'avait  plus  de  gouverneur  romain. 
La  frappe  des  monnaies  daces  commencée  sous  Philippe  l'Arabe 
(244-249) cesse  en  257.  Les  dernières  inscriptions  de  la  Dacie 
datent  de  l'époque  de  Gallien  (260-268).  C'est  alors  que  rivali- 
sent pour  le  pouvoir  les  30  tyrans,  dont  l'un,  C.  Publias  Regu- 
lianus  prétend  être  le  descendant  de  Décébal.  Après  la  mort  de 
Claude  victime  de  la  peste  pendant  sa  campagne  contre  les  (^o^Aa-, 
les  légions  proclament  Aurélien  empereur  (270).  Mais  il  a  h 
peine  le  temps  de  s'installer  sur  le  trône,  et  déjà,  encouragées 
par  la  mort  de  son  prédécesseur,  des  hordes  nouvelles  de 
Goihs  et  de  Vandales  traversent  le  Danube  en  plusieurs  endroits. 
Aurélien  les  défait  mais  après  sa  victoire  il  est  obligé  de  se 
montrer  pacifique  à  cause  des  Germains,  prêts  à  envahir  \  Italie. 
Sa  défense  exige  toutes  les  forces  disponibles  de  l'empire.  Ne 
pouvant  pas  le  protéger  dans  toute  la  longueur  du  Danube, 

(1)  Lactantius,  De  niorlibus  persecutorum. 


26  MAGYARS    ET    IIOUMAIMS    DEVANT    L'HISTOIRE 

J'emperenr  abandonna  sa  partie  inférieure,  c'est-à-dire  la 
Dacie,  d'où  les  légions  X/lf  Gemina  et  V.  Macedonica  avaient 
été  déjà  retirées  et  conduites  en  Macédoine  dès  260  .  «  Voyant 
que  riilvrie  était  dévastéeet  la  Mësie  ruinée  —  dit  Vopisque  — 
Aurélien  prit  le  parti  d'abandonner  la  province  constituée  par 
Trajan  au  delà  du  Daiud)e  et  il  en  retira  l'armée  ainsi  (jue  les 
liabitants  civils,  car  il  crut  que  la  conserver  serait  impossible. 
11  lit  transporter  toute  cette  population  dans  le  centre  de 
la  Mcsie,  qu'il  appela  sa  Dacie  et  par  là  il  lit  une  séparation 
entre  les  deux  Mésies  r  1).  Passajje  qu'Au/ro/^e  reproduit  pres- 
que mot  à  mot  dans  son  précis  de  l'histoire  romaine  dédié  à 
l'empereur  Valens  ['1). 

Dans  les  annales  de  Rome,  l'épisode  dacique ,  en  somme 
d  une  importance  très  secondaire,  se  termine  par  cet  exode. 
Aussi  les  grands  historiens,  selon  le  vieil  adage  :  de  mini- 
mis  non  curât  praetor,  s'en  occupent-ils  peu  et  s'empressent-ils, 
animés  par  le  grand  souffle  de  la  Renaissance  ,  d'accepter, 
sans  l'approfondir,  sans  l'examiner  de  près,  la  théorie  de  Sin- 
hai.  Car,  tout  en  donnant  une  origine  illustre  au  peuple  rou- 
main, elle  augmente  le  nombre  des  nations  qui  appartiennent 
à  la  race  latine,  elle  exalte  la  grandeur  romaine,  elle  élargit 
l'orbite  de  l'influence  que  la  ville  aux  sept  collines  a  exercée 
sur  le  monde  à  la  veille  même  de  sa  déchéance  politique  défi- 
nitive. 

(1)  Flavius  VoPiscfS,  .39.  Cum  vustutnui  fllyricum  «c  Mucsiuiii  deperdilam 
l'ideret,  provinciam  Tratisdanuvianaui,  a  Traiano  ronstitutaiti,  sublato  exercitu 
piovincialibus  relit/tiit,  desperans  eam  relinevi  ponse,  abdiiclosqite  ex  ea  populos 
in  Mccsia  coUocavit,  appollavitque  siiain  Daciain,  fjiio  nunc  diias  Moesias  divi- 
dil. 

(2j  EttrOPIus,  IX,  15.  Provinciam  Daciain,  i/uani  Traianus  ultra  Danubium 
fccerat,  intennisit,  vaslato  oinni  Ulyrico  et  Moesia,  desperans  eam  posse  reli- 
neri;  abdiiclosffue  Jîomanos  ex  urbibus  et  anris  Daciœ,  in  média  Moesia  colloravit 
et  est  in  dextra  Danubio  in  mare  Jluenti,  quam  ante  fuerit  in  leva. 


CHAPITRE  III 

LA    CONTINUITi:;    DACIQUE 

Les  textes  qui  se  rapportent  à  l'évacuation  de  la  Dacie  par 
les  Romains  ne  sont  pas  moins  rares  que  ceux  relatifs  à  sa  con- 
quête. Il  ne  faut  pas  être  étonné  conséquemment  si  les  lignes 
plus  haut  mentionnées  de  Vopisqiie  ne  manquent  pas  de  com- 
mentateurs. C'est  Toppeliinus  né  en  Transylvanie,  à  Medgyes  — 
qui  attire  principalement  l'attention  parmi  ceux-ci,  à  cause  de 
son  livre   publié  à   Lyon   en  1G(J7   sous  le  titre   :    Origines  et 
occasus  Tmnssylvanorum.  Car  il  ne  s'y  efforce  pas  seulement 
de  prouver  que  les  Roumains  de  la  Transylvanie  descendent 
directement  des  colons  de   Trajan,  mais  il  ajoute  encore  que 
c'est  spécialement  à  eux,  c'est-à-dire  aux  habitants  romanisés 
de  la  province  (\\\  Aiirélien  a  abandonné  la  Dacie.  Pour  arriver 
à  cette  conclusion,  il  se  base  sur  l'expression  :    «  Aurelianus 
proviiiciain  suhlato  exercitu  provincialibus  religuit./»    Sa  manière 
de  voir  est  complètement  partagée  par  à'Anville,  l'auteur  d'un 
article  publié  en  1771   sous  le  titre   :   États  formés  en  Europe 
après  la  chute  de  l empire  romain  en  Occident,  d'où  Gibbon  tire 
ses  renseignements.    «  Une  population  nombreuse  est  restée 
néanmoins  longtemps  dans  l'ancienne  Dacie,  dit-il,  car   elle 
considérait  l'émigration  comme  plus  pénible  que  la  domination 
des   Goths.  Et  en  agissant  ainsi,  ces  Romains  dégénérés  ren- 
daient un  grand  service  à  l'empire  auquel  ils  avaient  tourné  le 
dos,  car  ils  ont  propagé  les  notions  élémentaires  de  l'agricul- 
ture, les  métiers  utiles  ainsi  que  les  mœurs  de  la  vie  civilisée 
parmi  les  Rarbares  qui  les  avaient  conquis.  Il  s'est  formé  peu 
à  peu  un  contact  commercial,  intellectuel  entre  les  deux  rives 
du  Danube.  Aussi  la  Dacie  devenue  indépendante  figurait-elle 
comme  le  boulevard  le  plus  propice  à  la  défense  de  l'empire 
contre  les  mcursions  des  Rarbares  du  Nord  (I). 

(1'  GiBBOiS  :   The  history  of  the  Décline  and  Fall  of  the  Roman  Empire  Chap- 
ter  IX,  vol.  IL 


28  MACYAI'.S    ET    ROUMAINS    DEVANT    I.'ll  I  ST<  )  I  RE 

Après  la  théorie  de  \  origine  daciqiie  voilà  son  corollaire  : 
celle  (le  la  continuité  daci(jiic  !  Après  avoir  accordé  aux  Rou- 
inains  des  ancêtres  romains,  les  voici  maîtres  de  la  Dacie  aban- 
donnée! 

Or  le  véritable  sens  de  la  citation  de  Toppeltimis  ne  s'ex- 
pli(pie  (]ue  par  la  proposition  principale  relative  qui  la  com- 
iilète  :  alKhictos  nue  ex  ea  po]ji(los  in  Moesiam  collocavit.  Il  est 
clair  qvie  le>  mots  :  populns  et  piovincia/ibus  indiquent  un  con- 
traste très  sensible  entre  les  (Vactions  d'oriciiie  différente  des 
l)al)itants.  Populos  désigne  les  Ixowains  ou  tous  ceux  qui  figu- 
raient comme  tels,  tandis  (juc  provincialibus  comprend  les 
populations  qui  sont  originaires  de  la  province  elle-même. 
Donc  il  s'impose  ici  un  choix  :  ou  il  faut  admettre  que  les  liou- 
tnains  sont  descendants  des  Romains,  et  alors  la  continuité 
dacique  est  une  fiction,  les  Romains  avant  évacué  la  Dacie,  ou 
il  faut  oplei-  pour  la  continuité  dacique,  et  alors  se  résigner  à 
n'avoir  pour  ancêtres  que  des  provinciaux,  c  est-à-dire  des 
Daces. 

D'ailleurs  Eut?  ope  substitue  au  moi  populos  celui  de  Ronianos, 
pressentant  les  controverses  et  voulant  les  éviter,  en  quelque 
sorte  par  une  expression  plus  précise.  Vaines  précautions! 
Les  historiens  lou mains  ne  se  laissent  pas  démonter  si  facile- 
ment et  n  en  affirment  j)as  moins  soit  que  les  Daco-P»omains 
vivaient  sous  les  Barbares,  dans  leurs  villages  et  au  milieu  de 
leurs  champs  aussi  paisiblement  qu'auparavant  et  en  consti- 
tuant la  base  la  plus  solide  de  Tordre  social,  en  civilisant 
même  leurs  vainqueurs  goths,  liuns,  gépides,  bulgares  et 
magvars,  —  c  est  l'avis  (}c  Maio>-,  de  Laurian  et  de  l'Allemand 
Jung,  —  soit  qu'ils  se  sont  réfugiés  dans  les  montagnes  et  dans 
les  forêts  et  qu'ils  v  ont  vécu  jusqu'au  moment  où.  les  temps  de- 
venant meilleurs,  il  leur  a  été  possible  de  regagner  les  vallées 
et  les  plaines  abandonnées,  comme  se  l'imagine  Xcnopol. 

Et  cela  anrait  été  dans  ces  conditions  en  tout  cas  rustiques 
ou  demi-sauvages  qu'une  population,  n'avant  reçu,  dans  les 
IG7  ans  de  domination  romaine  que  la  teinte  du  romanisme 
selon  Jung  lui-même,  eut  pu  résister  à  neuf  siècles  de  vicissi- 
tudes, depuis  Auréiien  jusqu  à  la  première  aj)parition  docu- 


LIVRE   PREMIER  29 

mentée  des  Roumanis  en  Hongrie  !  Le  romanisme  incompa- 
rablement plus  intense  et  pkis  ancien  de  la  Pannonie,  de  la 
Norique  et  de  la  Bretagne,  n'exigeait  pas  tant  de  temps  pour 
disparaître  sans  laisser  la  moindre  trace. 

«  La  circonstance  —  dit  néanmoins  Tamm  l)  —  que  les 
Roumains  du  Nord  habitent  le  même  endroit  où  s'est  formée 
une  population  romanisée  du  temps  de  Trajan,  parle  d  une 
façon  tellement  décisive  et  convaincante  en  faveur  de  sa  con- 
tinuité et  de  sa  parenté  directe,  que  nous  le  pouvons  considérer 
comme  une  preuve  irréfutable  et  déterminante.  » 

Cependant  cette  coïncidence  de  la  situation  géographique 
de  la  Dacie  et  des  territoires  aujourd'hui  habités  par  les  Rou- 
mains —  quoique  surprenante  évidemment  —  ne  peut  profiter 
en  rien  à  la  théorie  de  la  continuité  dacique.  Car  il  est  indis- 
cutable qu'en  Transylvanie  les  noms  géographiques  sont  d'ori- 
gine slave  ou  magyare,  surtout  si  Ton  considère  ceux  qui  se 
rapportent  à  des  montagnes,  à  des  fleuves,  à  des  villes  ou 
villages  en  évidence  et  dont  on  peut  supposer  qu'ils  ont  été 
donnés  très  anciennement.  Roesler  à\i  que  dans  les  documents 
transylvaniens  datant  du  douzième  siècle  les  noms  de  com- 
munes, de  vallées,  de  montagnes  et  de  ruisseaux  ne  manquent 
pas.  Si  les  Roumains  eussent  été  les  habitants  du  pays  déjà 
depuis  plusieurs  siècles,  on  trouverait  parmi  ces  noms  quel- 
ques-uns ayant  l'origine  roumaine. 

On  ne  rencontre  des  noms  roumains  géographiques  en 
Transylvanie  que  dans  les  contrées  habitées  par  les  Roumains. 
Oui,  mais  ailleurs  on  les  a  magyarisés,  prétendent  les  défen- 
seurs de  la  continuité  dacique  —  sans  excepter  l'allemand 
Jung,  les  Hongrois  étant  toujours  partisans  de  la  magyarisation 
à  outrance.  Si  cela  est  vrai,  il  est  curieux  que  cette  manie  de 
magvariser  ne  se  soit  manifestée  qu'au  sujet  des  noms  géogra- 
phiques roumains  et  non  pas  en  même  temps  au  sujet  des 
slaves  aussi  qui  se  rencontrent  cependant  très  fréquemment 
dans  les  contrées  les  plus  magyares  de  la  Transylvanie. 

Hasdeu,   Onciul  et,  en   général   ,1a  plus  grande  partie  des 

fi)  Traugott  Tamm,   Ucher  den  Ur.ipruiif/  der  Ruinunen,  p.  39 


30  MAGYAIIS    ET    U  0  U  M  A  I  N  S    DEVANT    L'HISTOIRE 

auteurs  roumains  sont  d'avis  que  c'était  dans  les  départements 
d\Uso-Fehér,  de  Hiinyad  et  dans  la  Peiite-Valachie  où  la  vie 
romaine  battait  son  plein  depuis  7Va/V///  juscpi'à  Aurélien;  c'est 
donc  là  qu'il  faudrait  chercher  le  berceau  du  roumanisme, 
c'est  donc  là  qu'on  devrait  rencontrer  le  plus  {jrand  nombre 
de  noms  ^ëo(jraphi(pies  d'origine  romaine.  Et  les  noms  géogra- 
phiques d'origine  slave  y  sont  dans  la  même  proportion  pré- 
pondérante que  dans  le  restant  de  la  Hongrie,  Gyulafe/tér- 
vnr  devrait  s'appeler  en  romrïQ.'n\  Alba-JuUa,  car  c'est  la  traduc- 
tion latine  du  mothongrois,  et  lesRoumainsrappellentZ?e/y;W. 
VarhelY  le  célèbre  Vlfna  'Irajuna,  se  dit  aujourd'hui  en  rou- 
main, Gredisiye.  Par  contre,  dans  le  comitat  de  Hnnyad,  où  les 
Roumains  habitent  aujourd'hui  en  masses  compactes,  on  trouve 
nond)re  de  villages  ayant  le  nom  slave  :  Briznih,  Tùnnva, 
Tirnovitza,  Sztregonya,  Branykska,  etc.  démontrant  à  l'évi- 
dence que  la  po])ulation  autochtone  du  comitat  a  dû  être  slave 
avant  l'arrivée  des  Magyars. 

Pour  expliquer  cette  anomalie  Hasdeu  (1)  fait  plus  d'une 
tentative.  Il  prétend  "  que  l'influence  des  Slaves  sur  la  langue 
roumaine  est  surtout  d'essence  civilisatrice.  Elle  a  commencé 
après  le  neuvième  siècle  avec  le  cyrillisme;  elle  s'est  fait  sentir 
dans  la  langue  du  peuple  et  dans  les  dénominations  géographi- 
ques; car  elle  a  été  soutenue  par  l'usage  officiel,  la  liturgie  et 
la  mode  pendant  huit  cents  ans,  c'est-à-dire  jusqu'en  1700.  " 
Or  la  langue  slave  n'a  jamais  été  ni  officielle,  ni  liturgique,  ni 
à  la  mode  en  Hongrie  et  cependant  il  n'y  a  pas  d'arrondissement 
dans  le  royaume  où  l'on  ne  puisse  rencontrer  des  noms  géo- 
graphiques slaves  facilement.  D'autre  part,  la  langue  latine  était 
officielle,  liturgique  et  jusqu'à  un  certain  point  même  usuelle, 
et  cependant  il  n'y  a  pas  un  seul  nom  géographique  dori- 
pine  latine  dans  le  pays.  Double  analogie  qui  démontre  qu'il 
ne  s'agit  pas  dans  les  noms  géographiques  d'influences  ou  de 
pression,  mais  de  traditions  remontant  aux  habitants  autoch- 
tones de  la  Hongrie  qui  ne  pouvaient  être  que  des  Slaves. 
Pour  fournir  une  preuve  irréfutable  en  faveur  de  la  conti- 

(1)  Hasdeu,  Isloiia  oitiau  I,  p.  305. 


LIVRE    PREMIER  31 

nuité  dacique.  Piéride  Maior  s'étend  longuement  sur  les  relations 
des  Huns  et  des  Roumains.  D'après  son  dire,  elles  étaient  des 
plus  amicales.  C'est  en  Dacie,  et,  partant  de  là,  c'est  au  milieu 
des  Roumains  que  sont  nés  Attila  et  ses  hommes.  Aussi  parlaient- 
ils  presque  tous  la  langue  ausonienne,  —  c'est-à-dire  la  langue 
roumaine  actuelle,  car  en  Dacie  la  majorité  de  la  population  se 
composait  de  Roumains,  et  les  Huns  ne  représentaient  que  la 
minorité  dominante,  il  fallait  que  ces  derniers  se  servissent, à 
côté  de  leur  propre  langue,  de  la  langue  ausonienne,  ainsi  que 
cela  se  passe  encore  aujourd'hui  en  Transylvanie,  où  la  mino- 
rité magyare  presque  tout  entière  parle  le  roumain.  Pour  se 
convaincre  de  la  véracité  de  cette  assertion,  on  n'a  qu'à  consul- 
ter le  rapport  diplomatique  du  rhéteur  Priscus  datant  de  448, 
dans  lequel  il  semble  spécialement  souligner  que  la  langue 
ausonienne  était  assez  familière  aux  Huns.  Et  comme  Priscus 
ne  manque  pas  de  faire  une  différence  entre  le  latin  et  la 
langue  ausonienne,  il  est  clair  comme  le  jour  que  celle-ci  ne 
pouvait  être  autre  chose  que  la  langue  de  la  population  de  la 
Dacie,  c'est-à-dire  le  roumain  actuel. 

En  consultant  le  récit  de  P}-iscus  lui-même,  on  n'y  trouve 
naturellement  pas  un  seul  mot  de  tout  ce  dont  le  «  Moïse  de 
l'historiographie  roumaine  "  parle  avec  tant  d'assurance.  Voilà 
ce  que  raconte  l'ambassadeur  byzantin  :  «  Ces  populations  de 
Barbares  variés  n'aiment  parler  que  leur  langue,  soit  le  hun, 
soit  le  goth,  ou  encore  la  langue  ausonienne  s'ils  s'adressent 
aux  Romaïons.  »  Ce  fut  dans  cette  langue  que  Pmc<<6  parla  avec 
le  Scythe,  son  voisin  de  table,  au  banquet  qu'^//?7a  donna  en 
l'honneur  de  l'ambassade.  Le  bouffon  Zerkon  mêle  également 
des  mots  goths  et  ausoniens  à  sa  conversation  pour  égayer  les 
convives.  Mais  comme  dans  son  rapport  Pmc«5  ne  fait  jamais 
mention  de  la  langue  latine,  on  peut  en  conclure  que  son 
silence  témoigne  en  faveur  de  l'indentité  du  latin  et  de  l'au- 
sonien,  contrairement  aux  assertions  de  Pierre  Maior.  Quanta 
ces  Romaïons,  c'étaient  d'après  le  roumain  Onciul  (1)  lui- 
même,  —  des  Romains  véritables,  quoique  sujets  byzantins, 

(1)  Convorhlri  literare,  XIX,  1885. 


32  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

qui  venaient  de  Vimperiam;  on  les  a  toujours  distingués  des 
Hellènes  proprement  dits  ainsi  que  de  leurs  colons  établis  sur 
les  bords  de  la  mer  en  Illyrie  et  en  Thrace. 

Il  est  encore  à  remar(juer  que  Priscns  traverse  pendant  son 
vova.jje  justement  les  contrées  où  les  auteurs  roumains  placent 
le  berceau  du  rounianisme,  c'est-à-dire  le  Pxinntei  les  territoires 
voisins,  et  cependant  son  attention  ne  s'y  trouve  éveillée  par 
aucun  vestige  de  la  domination  romaine  et  il  ne  mentionne 
jamais  d'y  avoir  parlé  le  roumain,  malgré  que  la  langue  auso- 
nienne  lui  soil  (aiiiilière. 

En  ce  qui  concerne  les  secrétaires  latins  àAtiila,  dont  parle 
Pi'iscus,  ce  n'étaient  pas  des  individus  venant  de  la  Dacie ;  le 

"  Fléau  de  Dieu  "  les  faisait  venir  de  Vimpcriiiw^  par  l'en- 
tre mi  se  d' Aélius. 

On  apprend  également  de  ce  rapport  i^n  Onégésius,  l'un  des 
confidents  iVAitila^  se  fit  bâtir  des  bains  magnifiques  et  confor- 
tables, pour  la  construction  desquels  il  dut  faire  venir  les  pier- 
res et  les  bois  de  Pamionic,  et  son  architecte  lui-même  était 
un  Sii-iiiieii.  Si  les  Ilounidins  de  la  Dacie  eussent  été  réellement 
les  dépositaires  de  la  civilisation  romaine,  on  n'aurait  pas  été 
forcé  d'en  cliercher  un  au  loin,  à  Sùniiii/n  ! 

Pour  prou\er,  j)ar  des  arguments  d'un  autre  ordre,  la  pré- 
sence des  Roiiina/iis  en  Dacie  après  1  exode  de  la  population 
romaine,  Sinkai  c'xie  un  j)assage  de  l'evitillien  i),  ou  celui-ci 
annonce  enthousiasmé  la  j)ropagation  du  christianisme  même 

«  parmi  les  Sarmates,  les  l)aces,les  Germains  et  les  Scythes»'  , 
Ce  résultat  ne  pouvait  être  obtenu  que  j)ar  les  nombreux  chré- 
tiens qui  se  trouvaient  dans  les  rangs  des  légionnaires  envoyés 
en  Dacie  par  les  différents  empereurs  et  qui,  fidèles  à  leur  foi, 
convertirent  au  christianisme  beaiicouj)  de  Goihs  dans  un  court 
espace  de  temps.  Aussi  voit-on  déjà,  parmi  les  trois  cent  huit 
membres  du  concile  de  iVàr'e,  un  évé(|ue  goth,  nommé  Tliéo- 
])liile,  dont  le  siège  épiscopal  ne  pouvait  être,  daprès  SinLai, 
(jue  (j/ula/chérvar.  Selon  Pierre  Maior,  il  ne  fait  pas  de  doute 
que  les  lio/imains  de  la  Dacie  ne  soient  chrétiens  dès  la  domi- 

.1     //  lil/ij  ailrcrsu^  Juila'O:, 


LIVRE    PREMIER  33 

nation  barbare.  André  Siaguna  (1)  ajoute  que  :  «  Notre  église 
consacre  un  jour  de  fête  au  souvenir  du  martvr  Nicétus,  mort 
pour  la  foi  en  Dacie.  Or  Nicétus  était  le  successeur  de  Tévéque 
Théophile.  »  Il  est  intéressant  desavoir  que,  d'après //a^^/ew  (2), 
ce  fut  Sahas  et  non  pas  Nicétus  qui  fut  martyrisé  par  le  roi 
goth  At/iafuin'c,  et  que,  d'après  Pap-Sz/'/àgyi,  le  métropolite 
roumain  présent  au  concile  de  Nieée  s'appelait  Protorjène  et 
non  pas  Théophile  (3).  "  Il  appert  de  tout  ceci,  poursuit  >S/a^u/irt 
que  le  christianisme  des  Roumains  remonte  même  jusqu'au 
temps  des  apôtres  !  » 

Le  docteur  en  théologie  Alexandre  Grama  (4)  présume  que  le 
christianisme  a  été  importé  en  Dacie  par  les  Romains  àës,\e  dé- 
but de  leur  domination,  parce  que  dans  les  mots  techniques  re- 
ligieux et  liturgiques  roumains,  ceux  se  rapportant  à  l'essence 
même  du  christianisme,  dont  on  avait  besoin  pour  expliquer 
les  principes  fondamentaux  de  la  nouvelle  religion,  sont  pour 
la  plupart  d'origine  latine:  crestini  de  Chrestus ,  criice  de 
crux,  serbatoria  et  sei-ha  du  verbe  latin  observa,  etc.  Ceux,  au 
contraire,  qu'on  n'employait  qu'à  propos  des  cérémonies  du 
culte  proprement  dit,  proviennent  sans  exception  du  slave  et 
du  grec.  Si  donc  les  mots  delà  première  catégorie  dérivent  du 
latin,  c'est  que  le  christianisme  a  été  une  importation  romaine, 
tandis  que  ceux  appartenant  à  la  seconde  indiquent  l'origine 
slave  et  grecque  du  rituel  actuel  de  l'église  roumaine.  Avis 
que  Xeno/inl  partage  aussi.  «  Le  christianisme  des  Roumains 
date  de  l'occupation  romaine.  Le  fait  est  confirmé  à  l'évidence 
par  la  grande  masse  des  mots  latins  que  la  langue  roumaine 
emploie  pour  exprimer  les  idées  chrétiennes  :  cresiin,  chris- 
tianus ;  pagan,  paqanus ;  bise?'ica,  basilica;  botez,  baplisma;  du- 
mine  zeii,  dominas  deus.  Or  cresiin  vient  du  slave  Krestin,  ser- 
batoria de  salvare,  basilica  et  baptisma  sont  des  mots  emprun- 
tés au  grec  par  les-  Roumains. 


(1)  Istoria  bisericei  ortodoce  resàritanà  universala.  Sihiui  i860,  t.  II,  p.  42. 

(2)  IIasdeu,  Ziua  Filma.  —  Gotii  si   Gepizii  in  Dacia.  Bucuresci,  1877,  p.  8. 

(3)  Pap-Szilagyi,  Enchiridion  juris  canonici  ecclesiœ  orientalis. 

(4)  Grama,  Istoria  Baserice  romaiiesci  imite  eu  Roina.  Blasiu,  1884,  p.  11  et 
assim. 


34  MAGYARS    ET    ROUMAlî^S    DEVAIS!    L'HISTOIRE 

u  Quoiqu'il  soit  absolument  sûr,  —  écrit  encore  Xénopol,  — 
ciiie  les  Roumains  fussent  déjà  chrétiens  avant  l'arrivée  des 
Buloareset  avant  leur  transmigration  en  Mésie,  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  (ju'ils  ont  accepté  le  rituel  slave  de  ces  derniers  et 
qu'ils  l'ont  gardé  pendant  huit  cents  ans.  '  Fait  curieux  en  lui- 
même  puisque,  d'après  lesdéfenseurs  de  la  continuité  dacique 
c'étaient  les  lloumnùis  qui  représentaient  en  Dacie,  sous  la 
domination  barbare,  la  civilisation  latine,  qu'ils  étaient  par  là 
les  civihsateurs  des  autres  peuples.  Donc  ils  savent  lire  et 
écrire  et  cependant  ils  subissent  l'influence  d'un  peuple  moins 
avancé,  ils  trocjuent  leur  langue  dans  le  culte  contre  le  bul- 
gare et  ils  abandonnent  même  Fécriture  latine  pour  adopter 
les  caractères  cyrilliques  ! 

C'est  peut-être  pour  donner  le  change  au  sujet  de  cette  der- 
nière absurdité  que  déjà  Ditnitri  Caniemir  soutient  dans  son 
ce  Dcsoi/ifio  Molddviœ  »  (jue  les  Roianains  écrivaient  d'abord 
avec  des  caractères  latins;  mais  quand  à  la  suite  du  concile  de 
Florence,  les  dissensions  se  sont  aggravées  entre  orthodoxes 
et  catholiques,  il  s'est  formé  en  Moldavie  une  réaction  formi- 
dable contre  le  catholicisme,  de  sorte  que  le  vayvode  Alessan- 
dro  Cel  Buii  y  a  fait  détruire  tout  livre  écrit  en  latin  et  y  a 
interdit  de  se  servir  dorénavant  des  caractères  anciens,  c'est-à- 
dire  latins .  Malheureusement  pour  Caniemir,  le  vayvode  en 
question  était  mort  avant  le  concile  de  Florence  et,  par  consé- 
quent il  lui  a  été  impossible  d'ordonner  un  pareil  vandalisme. 
Selon  Lauriano  (I),  ce  fut  un  caloyer  nommé  Téoctisi  qui  pro- 
voqua la  réaction  contre  le  catholicisme  et  par  là  indirecte- 
ment la  suppression  des  caractères  latins! 

Il  y  a,  du  reste  des  défenseurs  de  la  continuité  dacique  qui 
connaissent  une  langue  roumaine  formée  en  Dacie  dès  l'arrivée 
des  Roniaimi.  Voilà  ce  que  Densusiano  (2)  affirme  à  cet  égard  : 
u  C'est  sur  une  tablette  de  cire  trouvée  en  Dacie  que  nous  est 
parvenu  le  plus  ancien  document  de  la  langue  roumaine,  car 
il  date  de  l'an  HiO  de  notre  ère.  11  y  est  écrit  en  lettres  grecques  : 
Alexandrei  Antipatri  secodo  auctor  segnai.  Le  scribe  était  un 

(1)  Lauriano,  Jsloria  romainloru,  p.  291. 

(2)  Densusi.vno.  Istoria  limhci  si  literaturei  romane.  Jassy,  1894,  |).  52. 


LIVRE   PREMIER  35 

Grec  et  ne  connaissant  pas  la  lange  latine  cultivée,  il  a  écrit 
comme  le  peuple  parlait.  C'est  ainsi  qu'il  a  écrit  Segnai  et 
secodo  au  lieu  de  secnndus.  Nous  rencontrons  sur  une  autre 
tablette  de  cire,  datant  de  l'an  167,  les  mois  suivants  :  Rema- 
sissc,  en  latin.  «Remansissen  et  dans  le  roumain  actuel  «  rema- 
sese  "  ;  ahuerat,  ahere,  abiiunnu,  pour  le  latin  «  habuerat. 
habereethabiturum.  «  Cipario,  le  célèbre  philologue  de  Balàzs- 
falva  était  aussi  d'avis  que  ces  textes  représentaient  «  le  bour- 
geonnement de  la  langue  roumaine  en  Dacie  »  . 

Ces  assertions  tombent  d'elles-mêmes  devant  le  jugement 
plein  de  bon  sens  de  Jon.  Bogdau,  le  savant  professeur  de 
l'Université  de  Bucarest.  «  Jusqu'au  iif  siècle  la  langue  la- 
tine reste  partout  la  même,  déclare-t-il.  Les  inscriptions, 
recueillies  aux  endroits  les  plus  éloignes  les  uns  des  autres,  le 
prouvent  suffisamment.  C'est  donc  en  vain  que  l'on  s'efforce 
de  rencontrer  des  formules  roumaines  dans  les  inscriptions 
daciques.  Ce  n'est  qu'au  x'  siècle  que  le  roumain  commence  à 
avoir  une  individualité  linguistique  distincte.  "  Lambrior —  le 
si  remarquable,  mais  hélas!  si  prématurément  disparu  philo- 
logue roumain,  n'admet  pas  non  plus  que  le  roumain  puisse  se 
développer  isolé  des  autres  langues  romaines. 

En  fait  de  documents  écrits  il  y  en  a  plusieurs  qui  pourraient 
témoi,(ïner  en  faveur  de  la  continuité  dacique,  si  leur  authenti- 
cité était  à  l'abri  de  tout  soupçon  légitime.  Mais  aucun  d'eux 
n'a  une  provenance  facilement  explicable,  sans  même  parler  de 
celui  qui,  se  rapportant  à  la  commune  de  Rezsinar  et  muni  de 
la  date  de  1  488,  se  trouve  être  écrit  d'après  la  marque  G.  B.  K. 
sur  du  papier  fabriqué  à  Rezsinar  en  17  42  dans  la  papeterie  de 
la  comtesse  Kat  Bethlen  (en  hongrois  Grof  Bethlen  Kata).  La 
Chronique  de  Hurul  ne  mérite  pas  d'être  prise  au  sérieux  non 
plus.  Au  moment  de  son  apparition  en  1856  non  seulement 
Saulesco,  son  confectionneur  probable,  la  taxe  de  découverte 
précieuse,  mais  //e7/V/«r/e  aussi,  ainsi  que  Melchisédec  le  savant  re- 
nommé et  l'historien  ecclésiastique.  Au  début,  personne  n'au- 
rait voulu  douter  de  son  authenticité,  malgré  l'attitude  réser- 
vée de  Kogalniceano,  de  Negruzzi.  Enfin  ce  dernier  se  décida 
à  une  attaque  ouverte,  qu'il  fit  paraître  dans  ses   «  Convorbiri 


36  MAOYAUS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

litorare  ■  (jui  a  été  suivi  pur  une  autre  dans  la  «  Revista  ro- 
Muuui"  tVOdchrsro.  Mais  ce  fut  Tocilesco  qui  porta  les  coups 
les  plusmeurlricrs  à  la  réputation  de  cette  chronique  dans  sa 
revue  intitulée  :  ''  lievista  penlru  isloria,  archeologia  si  filolo- 
qia.  „  Hasdeuhx  déclare  apocryphe  aussi.  />a»«^?7or  s'appuie 
sur  des  raisons  linj^uistiques  pour  nier  son  authenticité  en  dé- 
nionlranl  qu'elle  rourmillc  d'imitations  mal  faites  de  vieux 
ian'-^ajje.  Basile  Urcclnn{\)  n'osa  pas  la  défendre  mais  ne  se  per- 
met pas  non  plus  de  se  prononcer  franchement  sur  sa  valeur. 
Chose  curieuse!  malgré  les  anachronismes  manifestes  que 
rcnlorme  cette  chronique,  son  autorité  reste  incontestable  aux 
veux  des  auteurs  roumains  de  la  Hongrie. 

La  Chronique  de  Forjaros  à  laquelle  fait  allusion  à  la  fin  du 
Mil' siècle  Consianiin  Ca/;i7rt«/// (Filipesculù)  est  probablement 
celle  qui  se  trouve  dans  la  collection  de  Joseph  Kentény.  Cette 
chronique  raconte  que  la  forteresse  de  Fogaras  avait  été  bâtie 
par  l'empereur  Auguste  et  prise  et  détruite  par  Trajan;  mais 
qu'elle  a  été  ensuite  rebâtie  par  l'empereur  Claude  qui  lui  a 
octroyé  le  nom  do  Caesurgis  Dociœ  ! 

En  raison  de  l'importance  que  Bariiiu,  le  meilleur  historien 
roumain  de  la  Transylvanie,  a  donnée  aux  «lettres  patentes  de 
Besztcrczc  "  dans  son  «  Mémoire  ■'  rédigé  au  nom  des  Rou- 
mains réunis  en  conférence  à  Nagy-Szehen  dans  l'année  1881, 
il  est  inqjossible  de  ne  pas  s'en  occuper  particulièrement.  Elles 
ont  une  teinte  d'authenticité  et  ne  contiennent  ni  anachronis- 
mes ni  énonciations  tirées  par  les  cheveux  ou  fabriquées  pour 
les  besoins  de  la  cause.  Voilà  comment  M.  Jancso  raconte 
leur  découverte. 

l'n  1808  on  fil  transporter  les  archives  de  Z»ei'r/e/c:;e,  ville 
delà  Transylvanie  habitée  par  \e?>  Saxons,  dans  un  nouveau 
local.  Pendant  le  déménagement,  un  employé  de  la  mairie 
remit  à  l'archiviste  un  j)li  disant  qu'il  l'avait  trouvé  sous  l'une 
des  armoires  et  (ju  il  portait  l'inscription  en  allemand  :  "  Let- 
tres diverses  concernant  les  territoires  des  communes.  "  Dans 
ce  pli  il  y  avait  un  document  daté  de  1557  et  se  rapportant 

(1)  Urlcmia,  Si'liilc  lie  isfoiid  titeralurei  romane,  |).  55. 


LIVRE  pr.E:snER  sr 

au  bornage  effectué  la  même  année  par  les  échevins  de  Besz- 
tei'cze,  pour  aplanir  les  difficultés  que  les  communes  de  Szent- 
Peler  et  de  ISevdorf  avaient  eues  ensemble  au  sujet  de  leurs 
limites. 

A  cette  occasion,  les  témoins  saxons  de  iA'e»(/o?/ affirmaient 
qu'il  leur  avait  été  enlevé,  en  1498,  une  partie  de  la  forêt  en 
litige  par  les  habitants  roumains  de  Szent-Fêler.  Ceux-ci  répon- 
dirent que  c'était  vrai,  mais  qu'ils  avaient  envoyé  déjà  des 
hommes  à  Besziercze  pour  y  chercher,  dans  les  archives  de  la 
ville,  des  lettres  patentes  à  l'aide  desquelles  ils  pouvaient  jus- 
tifier leurs  droits.  Cette  proposition  fut  acceptée  par  tout  le 
monde  et  en  attendant  on  commença  le  bornage.  Quand  on 
1  eut  terminé,  les  hommes  envoyés  à  Besziercze  revinrent  avec 
le  vieux  document,  c'est-à-dire  avec  des  lettres  patentes  déli- 
vrées en  1 36()  par  le  comte  de  Besziercze  sur  l'ordre  du  roi  Louis 
en  faveur  de  la  commune  de  Szeni-Péter,  dans  lesquelles  on 
pouvait  lire  le  passage  suivant  :  «  Les  Roumains  de  Szent-Pèter 
sont  lésés  parce  que  les  propriétés  qu'ils  possèdent,  eux  et 
leurs  aïeux,  depuis  plus  de  mille  ans,  et  qu'ils  ont  plusieurs  fois 
rachetées  même  au  prix  de  leur  sang,  leur  ont  été  arrachées... 
Après  de  longues  délibérations  se  rapportant  à  ce  procès,  ils 
ont  jugé  juste  et  équitable  que,  comme  les  limites  datent  de 
r éj)oque  de  l'invasion  des  Huns  et  se  trouvent  fixées  pour  V éternité 
par  les  chefs  de  ceux-ci,  la  forêt  soit  restituée  au  village  rou- 
mains auquel  elle  appartenait  de  tout  temps  et  au  su  de  tout 
le  monde.  "  • 

Le  document  écrit  sur  parchemin  étant  lu,  il  est  devenu 
manifeste  pour  les  gens  de  JSeudorf  que  les  Roumains  étaient 
dans  leur  droit.  Aussi  les  personnages  officiels  de  Besziercze 
firent-ils  copier  ces  vieilles  lettres  patentes  dans  un  document 
nouveau  expliquant  toute  la  procédure  employée  en  1557. 
C'est  ainsi  que  les  lettres  patentes  datant  de  1366,  et  si  impor- 
tantes pour  les  Roumains,  ont  été  conservées  dans  un  docu- 
ment plus  récent,  c'est-à-dire  copiées.  Du  document  de  1557 
on  a  fait  faire  quatre  exemplaires;  l'un  de  ceux-ci  a  été  placé 
dans  les  archives  de  Besziercze  et  c'est  probablement  celui 
trouvé  en  1808. 


38  MAOYARS    ET    IlOUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

L'examen  iiiinutieux  que  Charles  ScJmller  a  fait  subir  à  ce 
document  en  a  {grandement  démontré  la  fausseté  (l).  D'abord 
on  possède  l'index  daté  de  1(30:2  des  archives  de  Besztei-cze, 
et  le  document  n'y  est  nullement  mentionné.  Il  est  curieux 
aussi  (jne  1  employé  nommé  Istiate,  qui  a  fait  la  soi-disant 
découverte,  soit  justement  un  Jioumain.  Il  faut  remarquer 
ensuite  que  1  écriture  du  document  ne  correspond  pas  à  l'écri- 
ture usitée  au  wT  siècle,  mais  qu'elle  est  la  copie  de  celle 
d'un  document  bien  antérieur.  D'après  son  importance,  il  fau- 
drait que  quatre  écritures  différentes  y  figurent;  or  il  est  écrit 
cntièrenient  de  la  même  main.  Les  signatures  de  Séraphin  et 
de  llt'iniicli^  qu  ils  ont  apposées  au  bas  du  document  en  leur 
qualité  de  fonctionnaires  de  la  ville  de  Bes zterczc ,  se  trouvent 
sur  plusieurs  autres  documents  authentiques  conservés  dans 
les  archives  de  la  ville  et  ne  ressemblent  en  rien  à  celles  du 
document  en  question.  Il  est  également  inadmissible  que  les 
Saxons,  d  ordinaire  si  jaloux  de  leurs  droits,  puissent  per- 
mettre cette  fois  l'expression  :  Teutones  advena;  au  lieu  de 
Teutones  hospites.  Et,  au  surplus,  il  est  absurde,  au  point  de 
vue  de  la  rédaction,  qu'un  document  hongrois  du  moven  âge 
en  appelle  aux  H  ans. 

Il  faut  ranger  dans  la  catégorie  de  ces  documents  falsifiés 
les  chansons  populaires  roumaines  aussi,  (\\\  Athanase  Maria- 
nesco  a  publiées  à  Pesth  en  I85*J  sous  le  titre  de  Collinde  et 
parmi  lesquelles  il  y  a  par  exemple  un  Jocnl  (danse^,  auquel 
dans  son  enthousiasme  l'auteur  ne  craint  pas  d'ajouter  cette 
réflexion  :  «  Voilà  Ihistoire  romaine  dans  les  Collinde  du 
|)euple  roumain!  »  G.  Deni.  Theodoresco ,  l'un  des  meilleurs 
jolldorisies  roumains,  les  qualifie  d'apocryphes  dans  son  étude 
consacrée  aux  Collinde  roumaines  et  publiée  à  Bucarest  en  1879, 
car  elles  n  ont  pas  été  recueillies  sur  les  lèvres  du  peuple  dou 
elles  ne  sont  jamais  sorties  n'y  étant  nullement  à  leur  place  {±). 

Cette  leçon  n'a  pas  suffi  à  M.  Marianesco.  Pour  donner  des 
pendants  roumains  à  V Iliade,  au  Niehelungen  Lied  ou  au  Kale- 

(1)  Arihiv  fiir  siehciilnlrtj.  Laudes  Kuiu/e.  jNouvclIe  série,  vol  I,  p.  30  et 
passim . 

(2    JS^utiiiue  despre  coliiulele  roinâne.  Bucuresci,  1879. 


LIVRE    PREMIER  39 

vain,  il  s'est  mis  à  rassembler  les  différentes  variantes  des  bal- 
lades traitant  les  faits  et  gestes  de  Novak  et  Gruja  et  il  en  a 
confectionné  une  épopée  d'abord  en  vingt-trois  et  plus  tard 
en  vingt-quatre  chants  qu'il  a  présentée  à  l'Académie  de  Buca- 
rest en  1884^  sous  le  titre  ••  Le  cycle  des  légendes  de  Marc.  Ce 
fut  k  Alexandri,  le  plus  grand  poète  roumain  et  le  connaisseur 
le  plus  érudit  de  la  poésie  populaire  roumaine  que  l'Académie 
l'a  remise  pour  être  examinée.  Son  rapport  se  résume  dans  la 
déclaration  verbale,  que  l'épopée  de  Marianesco  est  une  créa- 
tion cérébrale  de  fantaisie  (1).  Grégoire  Moldovân{'2)  ne  con- 
damne pas  moins  sévèrement  les  élucubrations  poétiques  du 
malheureux  collectionneur  :  a  La  partie  qui  se  rapporte  à  la 
naissance  de  Novak  n'est  que  de  la  falsification  pure.  Elle 
n'existe  pas  dans  la  poésie  populaire  roumaine.  "  De  son  côté, 
voilà  ce  que  dit  le  jeune  et  savant  philologue  Saineano  : 
a  Comme  le  Serbe  Verkovics  sent  l'influence  d'Orphée  dans  les 
chansons  bulgares,  ainsi  découvre  le  collectionneur  transyl- 
vanien (Marianesco)  les  vierges  sabines  dans  les  Collinde  et 
annonce  plus  tard  la  présence  des  divinités  antiques  dans  les 
contes  populaires  roumains,  qu'il  a  publiés  en  1859  (3).  « 

«  Les  savants  roumains  faisaient  des  efforts  incommensura- 
bles—  dit  Roesler{â)  —  pour  reconnaître  les  grandes  figures  de 
l'histoire  romaine  dans  les  poésies  et  les  contes  de  leur  race. 
Ils  découvrent  Trajan  sous  tous  les  déguisements,  si  même  la 
chanson  ne  parle  que  d'Argirus.  Aurélien  a  beau  se  cacher,  on 
le  retrouve  toujours,  fùt-il  travesti  en  Lériu,  Leroni  ou  Reriu. 
On  démasque  Marins  etSfllaRvec  une  égale  facilité.  Et  a  force 
d'exercer  la  perspicacité,  comme  il  devient  aisé  d'établir  des 
rapprochements  entre  Diana  et  les  «  doïne  "  !  Ces  derniers  sont 
des  chants,  prétendent-ils,  composés  en  l'honneur  de  Diane, 
quoique  le  mot  soit  très  répandu  en  litliuanien  et  que  les 
Lithuaniens  ne  connaissent  nullement  Diane.  D'ailleurs  Dimi- 
tri  Cantemir  était  déjà  d'avis  qu'il  fallait  chercher  en  «  doïna  » 

(1)  Aiial.  Acacl,  t.  VII,  section  I,  p.  13,  15,  146,  155. 

(2)  Magyar-iomàn  szemle,  1895,  numéro  d'avril,  p.  119-120. 

(3)  Istoria  filoloqiei  rumane.  Bucaresci.  1892,  p.  340-341. 
[Uf)  Rumunische  Studien,  p.  284. 


40  MAGYARS    ET    ROUMAI^^S    DEVANT    I/IIISTOIRE 

le  nom  dace  de  Mars  ou  de  Bellone!  L'explication  de  la  lé- 
gende de  "  Doccliie  »  est  encore  plus  réussie.  Couverte  de  neuf 
pelisses,  Docchie  s'en  va  avec  son  troupeau  le  l"mars  dans  les 
montagnes.  Elle  ôte  tous  les  jours  une  pelisse,  qui  une  fois 
ôtée  se  congèle  immédiatement.  Le  neuvième  jour,  elle  est 
gelée  elle-même,  comme  les  pelisses  ôtées,  car  il  lait  une  tem- 
pête de  neige  et  de  pluie  glaciale.  C'est  au  bout  de  ces  neuf 
jours  que  commence  seulement  le  printemps;  aussi  le  peuple 
les  appellc-t-il  les  «jours  de  Docchie  ».  D'après  Asachi  (1), 
celle-ci  représente  la  Dacie  elle-même  dans  son  attachement 
profond  à  ses  enfants.  Tandis  que  quiconque  connaît  la  reli- 
gion grecque,  sait  pertmemment  que  le  1"  mars  a  été  consacré 
par  riïlglise  grecque  à  Eudoxie  ou  Eudocchia.  Donc  cette  Doc- 
chie ne  ])eut  être  que  l'Eudoxia  de  la  martyrologie  grecque. 
Quant  au  mot  lui-même,  il  s'explique  comme  n'importe  quel 
autre  ayant  acquis  sa  forme  actuelle  par  la  supj)ression  de 
sa  première  syllabe  non  accentuée.  « 

(1^^  Nouvelles  hislorùjues  de  la  Moldo-Bouvianie.  1859,  p.  38. 


CHAPITRE  IV 

LA  PÉMNSULK  BALKANIQUE  KST  LE  BERCEAU  DU  PEUPLE  ROUMAIN. 

l^a  langue  qu'un  peuple  parle,  remplit  à  l'égard  de  son  his- 
toire en  quelque  sorte  l'office  de  ces  instruments  enregistreurs 
dont  on  munit  les  ballons-sondes  lancés  dans  l'espace.  Elle 
indique  l'endroit  et  l'époque  où  il  s'est  formé,  les  voisins  qu'il 
a  eus,  les  influences  politiques  et  religieuses  qu'il  a  subies.  De 
là  l'étroite  union  de  la  linguistique  et  de  l'historiographie 
modernes  pour  résoudre  les  problèmes  ethniques  qui  sont 
restés  jusqu'ici  sans  solution,  faute  de  documents  authen- 
tiques. 

En  ayant  écarté  la  théorie  de  l'origine  et  de  la  continuité 
daciques,  la  présence  des  Roumains  dans  les  pays  qu'ils  occupent 
aujourd'hui  serait  inexplicable  aussi.  Ils  s'y  seraient  introduits 
sans  éveiller  l'attention,  d'une  manière  subreptice,  en  plein 
moyen  âge,  dans  un  temps  où  le  droit  ne  résidait  que  dans  la 
force  - —  si  les  recherches  philologiques  d'un  Thnnmann  (l), 
d'un  Gaston  Paris  (2),  d'un  Hunfalvy  (3),  d'un  Onciiil  (-4)  et 
surtout  le  récent  travail  du  D'  Rëthy  (5)  n'eussent  pas  dissipé 
les  ténèbres  qui  couvraient,  opaques  et  épaisses,  le  berceau  du 
peuple  roumain.  Grâce  à  leurs  efforts,  il  ne  peut  plus  y  avoir 
de  doute  à  son  sujet;  ils  sont  arrivés  à  en  déterminer  l'empla- 
cement et  l'établissement  à  une  centaines  de  kdomètres  et 
d'années  près. 

Selon  leurs  conclusions,  il  faut  d'abord  constater,  comme 
constatent  Roesler  et  le  professeur  Jon.  Nadejde  également,  que 

(1)  J.  Thunmainn,  Untersuchungen  ûber  die  Geschichte  (1er  œstlichen  europàis- 
clien  Vulker.  Leipzici  1774. 

(2)  Gaston  Paris,  Bomania,  vol.  II,  p.  3. 

(3)  Paul  Hunfalvy,  A  rumun  nyelv.  Budapest,  1878. 

(4)  Convorbiré  literare,  XIX,  1885. 

(5)  D"^  LadiSlas  Réthy,  A  romanismus  Illyricumban.  Budapest,  1896. 


42  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVAM    L'HISTOIRE 

la  laii(}ue  roumaine  n'est  qu'une  seule  et  unique  langue  mal- 
gré ses  trois  dialectes  :  le  macédo-roumain,  —  celui  que  l'on 
parle  dans  la  Vieille-Serbie,  et  l'istrien,  car  la  différence  qu'ils 
ont  entre  eux  n'est  pas  plus  considérable  que  celle  qui  existe 
entre  les  divers  dialectes  de  l'italien;  —  unité  qui  suppose 
qu  elle  a  été  créée  par  une  seule  race  et  sur  un  même  terri- 
toire. Et  celui-ci  devait  être  en  contact  direct  avec  Vltalie 
puisque  la  construction  phonétique  et  les  traits  les  plus  sail- 
lants du  caractère  de  la  langue  roumaine  rappellent  non  pas 
le  «  sermo  rusticus  »  latin,  comme  l'affirme  le  ^  Tentamen 
criticum  ^  de  Trcbonien  Laiirian  ou  le  "  Grand  Dictionnaire  « 
et  le  "  Glossaire  »  de  1  Académie  de  Bucarest,  mais  l'italien  du 
VIT  siècle  (juand  le  c  est  devenu  déjà  tch  devant  \e  et  1  /  et 
le  ;  et  le  g  sont  devenus  ge  et  dge.  (Pierre  Maior  soutenait 
dans  son  «  Lexicon  »  qu'il  fallait  considérer  la  langue  rou- 
maine comme  la  mère  du  latin!)  D'ailleurs,  il  va  des  dialectes 
italiens  —  celui  que  l'on  parle  en  Sardaigne  et  que  l'on 
aj)})elle  logiidoro  ainsi  que  le  dialecte  ombro-macératais  — 
dans  lesquels  on  retrouve  certaines  particularités  du  roumain  : 
le  changement  du  (ju  et  du  gr  en  p  et  b,  par  exemple  aq  :  ua 
npa ;  qualtro,  palrn ;  lingiia,  liiiiba;  le  changement  de  /  en  r 
(même  dans  l'article). 

Si,  d'autre  part,  on  tient  compte  du  nom  roumain  qui  est 
évidemment  la  forme  corrompue  du  romano  italien  c'est-à- 
dire  :  habitant  de  l'ancien  Itomanic/  — de  la /?o///a^/(«7  actuelle, 
—  où  la  population  est  rhotacisante  même  aujourd  hui,  on 
d(Mt  convenir  qu'en  cherchant  parmi  les  pâtres  des  Apennins 
les  plus  proches  consanguins  des  Roumains,  on  est  sur  la 
bonne  voie  aussi  bien  à  cause  de  la  ressemblance  du  nom  et 
du  langage  qu'à  cause  de  la  conformité  du  goût  chez  les  uns 
et  les  autres  pour  la  vie  pastorale  et  presque  nomade. 

La  propagation  dans  l'Est  de  V Europe  d'une  population  ve- 
nant de  Vhalie  ne  pouvait  avoir  lieu  naturellement  qu'au 
moyen  d'essai mements.  Pour  des  raisons  locales,  et  il  ne 
devait  pas  en  manquer  du  temps  de  l'invasion  des  Goths  et  des 
Lnngobards,  OU  poussés  parle  besoin  de  déplacement,  les  habi- 
tants de  \  Exarchat  se  mirent  en  marche  dans  la  direction  de 


LIVRE   PREMIER  43 

Nord-Est,  vers  le  Frioid,  pays  des  berger  fourlans  auxquels  il 
empruntaient  certains  mots  aussi,  et  de  là  ils  redescendirent  en 
côtoyant  rdine  et  Ariuilée  dans  V  «  Hinterland  »  de  Vlllyriciuti, 
où  les  riches  vallées  de  la  Dvina,  de  la  ?iarente  et  du  Vardar 
déjà  plus  oriental,  offraient  à  leurs  troupeaux  des  pâturages 
incomparables. 

Mais  on  aurait  tort  de  prétendre  qu'en  se  fixant  dans  ces 
parages,  les  émigrés  de  la  Romagne  ne  pensaient  qu'au  bien- 
être  de  leur  bétail.  Ils  y  allaient  aussi  de  préférence  parce 
que  dans  VIllyricum  colonisé  par  les  Romains  déjà  avant  Jésus- 
Christ,  et  dont  les  habitants  albanais  parlaient  une  langue 
saturée  de  latin,  ils  se  croyaient  moins  expatriés  probablement. 
C'est  à  l'intimité  plus  ou  moins  longue  dans  laquelle  ils  y  ont 
vécu  avec  la  population  illyrienne,  partagée  en  Conveniiis  Salo- 
nitanus  et  Narouitanits,  qu'ils  sont  redevables  de  quelques  parti- 
cularités de  leur  langue,  telles  que  :  placer  l'article  à  la  fin  des 
substantifs,  former  la  comparaison  par  le  mot  «  mai  "  ,  expri- 
mer les  nombres  de  onze  à  dix-neul  à  l'aide  de  la  syllabe 
<i  spre  '  ,  etc.  Il  esta  remarquer  aussi  que  plusieurs  expres- 
sions du  vieux  latin  se  sont  introduites  dans  le  roumain  par  le 
canal  de  l'albanais,  en  ayant  gardé  au  passage  le  caractère  de 
ce  dernier.  D'ailleurs  le  fait  rapporté  par  Théophanès  (Chrono- 
graphia,  39  i)  à  propos  de  l'expédition  des  généraux  impériaux 
Kommentiolos  et  Martinu?,  contre  les  Avares  prouve  à  l'évi- 
dence combien  étaient  latinisées  toutes  ces  régions  à  la  fin  du 
sixième  siècle.  On  voulait  surprendre  les  barbares  envahis- 
seurs entre  Calvonnind  et  Lividurgo  ;  mais  il  y  eut  une  panique 
dans  les  rangs  de  l'armée  impériale  par  suite  de  l'exclamation 
d'un  soldat,  proférée  dans  la  langue  du  pays  (rraTpwa  cçwvv^)  et 
s'adressant  à  un  conducteur  de  mulets  indigène.  Or  il  s  agissait 
d'avertir  ce  dernier  que  sa  bête  perdait  son  chargement,  et 
l'avertissement  consistait  dans  cette  phrase  :  Toma,  torna 
fratre.,  retourne-toi,  mon  frère!  En  l'entendant  les  soldats 
crurent  à  quelque  trahison  et  s'enfuirent  incontinent. 

Le  souvenir  de  l'origine  romanaise  du  peuple  roumain  a  été 
conservé  dans  le  nom  roumougne,  qui  désÏQïiait  en  Roumanie, 
jusqu'à  l'abolition  récente  du  servage,  les  serfs  roumains.  Sur 


44  MA(;VAr.S    ET    liOlMAllNS    DEVA>iT    I/IlISTOIllE 

la  péninsule  balkanique  on  appela  cependant  les  nouveaux 
venu?  des  Vlac/is.  des  ]'alaf/jies,  des  Blc/.yoi,  noms  dérivant  de 
l'allemand  ]]alscli,  employé  par  les  Gennnins  toutes  les  fois 
(|u  il  s  agissait  d'une  race  latine  ou  latinisée,  —  noms  devenus 
chez  les  Bytantins  plus  tard  svnonyme  de  pasteurs,  en  opposi- 
tion aux  citadins  ou  villajjeois  {jrecs  et  slaves. 

Ces  derniers  étaient  des  envahisseurs  ou  des  immigrants 
pacifiques  dans  la  Darie  aurélienne,  \a Dardante  et\a Macédoine 
dès  la  fin  du  cinquième  siècle,  soit  qu'ils  vinssent  poussés  par 
les  Ooi/is  et  les  Huns  ou  se  jorgnant  à  leurs  armées,  soit  appe- 
lés par  les  einjicreurs  romains  eux-mêmes,  afin  d'v  augmenter 
la  population  décimée  par  les  Barbares.  Jiricek  (I)  affirme 
que  Tempereur  Justin  I"  (518  à  527)  était  d'origine  slave  ainsi 
que  son  jU'tif  fils  Justinien  I"  (527  à  565),  car  il  est  né  en  Macé- 
doine et  d  s  est  marié  avec  une  esclave  nommée  Ljub/.ini^ 
signifiant  en  sla\  e  "  amante  »  .  La  mère  de  Justinien  s'appelait 
Viljenica  et  son  père  Jotof,  et  ses  compatriotes  slaves  lui  ont 
donné  le  surnom  de  Oujnavdu  parce  qu'en  A'ieux  slave  la  «jus- 
litia  »  latine  s'exprime  par  le  mot  «  pravda  »  . 

Mais  les  Slaves  n'envahissaient  pas  seulement  comme  les 
ouragans  dévastateurs  des  Got/is  et  des  Huns  ;  ils  savaient  aussi 
se  fixer  à  demeure.  A  la  fin  du  septième  siècle,  ils  sont  déjà  bien 
attachés  au  sol  de  la  péninsule  balkanique.  Ils  ])ossèdent  la 
Bubjaric  actuelle  jusqu'au  Hémus  ainsi  que  la  Serbie  et  la 
\ieille-SerJ>ie  presque  jusqu'au  Pinde  et  il  s'établit  entre  eux  et 
les  p()j)ulations  romanisées  des  rapports  continuelset  profonds 
au  détriment  linguistique  de  ces  dernières. 

u  La  langue  roumaine,  écrit  Diez  (2),  n'avait  pas  encore  eu 
en  quelque  sorte  conscience  d'elle-même  quand  elle  eut  à  subir 
l'induence  étrangère.  Rien  ne  prouve  mieux  h  quel  point 
elle  manquait  de  force  assimilatrice  que  la  servilité  avec 
laquelle  elle  a  copié  à  la  lettre  les  mots  étrangers  et  la  facilité 
avec  laquelle  les  sonorités  et  même  les  combinaisons  phonéti- 
ques slaves  ont  pu  s'adapter  à  son  cadre.  » 

Sous    l'empereur   Héradins  (610    à   611),   arrivent   dans  le 

(1)  JiiuCKK,    GesrhiclUc  ilcr  Buhjnicn,  p.  78  et  79. 

;2)  DiKZ,   Vergleicticnde  Grannnatik  der  rom.  Spranhen,  p.  141. 


LIVRE   PREMIER  45 

bassin  de  la  Save  et  sur  les  bords  de  VAdriatiiiue  les  Croates  et 
leurs  voisins  les  Serbes,  de  leurs  patries  situées  derrière  les 
Carpathes,  pour  protéger  la  Dabnatie  contre  les  incursions  des 
Avares.  Ce  fut  à  la  même  époque  que  le  chef  bulgare  Kubrat  ou 
Kavrai  secoua  le  joug  de  ces  derniers  et  conclut  une  alliance 
avec  Byzance.  Mais  déjà  son  fils  Asparuch  ovxlspericli ,  établi  dans 
le  triangle  formé  par  la  iSiester,  la  Mer  Noire  et  le  Danube, 
n'était  plus  d'humeur  à  conserver  les  mêmes  sentiments  paci- 
fiques. Ayant  été  attaqué  infructueusement  en  G79  par  l'empe- 
reur Constaniin  Pogonate,  il  traversa  à  sa  suite  le  Danube  et 
il  fonda  sur  l'emplacement  de  la  Bulgarie  actuelle  même,  l'Em- 
pire bulgare  niésiijue. 

Les  tribus  slaves  qui  y  étaient  déjà  antérieurement  installées, 
montrèient  beaucoup  d'empressement  pour  échanger  le  joug 
grec  contre  le  joug  bulgare.  Comptant  dans  leurs  rangs  beau- 
coup de  chrétiens  et  même  des  prêtres  chrétiens,  les  Bulgares 
purent  facilement  connaître  le  christianisme  ou  plutôt  1  aimer 
au  point  de  s'y  convertir  bientôt,  sous  le  règne  de  leur  souve- 
rain Boris  [^o'I  à  888).  Il  reçut  dans  le  baptême  le  nom  de 
Michel  et  se  mit  immédiatement  en  rapport  avec  le  pape  Nico- 
las pour  lui  soumettre  106  propositions  devant  servir  à  régler 
la  conduite  des  Bulgares  chrétiens.  A  ce  moment,  l'élément 
bulgare  dominateur  n  était  pas  encore  slavisé;  sa  slavisation 
ne  se  fit  pas  cependant  longtemps  attendre  puisque  les  disci- 
ples de  Méthode,  chassés  par  Svaloplouk,  reçurent  un  accueil 
très  amical  en  Bulgarie,  où  ils  trouvèrent  pour  la  littérature 
slave  naissante  un  terrain  très  propice  aussi.  Par  leurs  soins, 
la  langue  de  la  liturgie  devint  slave,  et  comme  les  Bulgares 
connaissaient  mieux  le  slave  que  le  grec,  à  cause  de  leurs  con- 
tacts continuels  avec  les  Slaves,  cette  langue  slave  de  la  liturgie 
put  se  répandre  non  seulement  sans  entraves,  mais  considéra- 
blement contribuer  aussi  à  ce  que  1  élément  bulgare  conqué- 
rant peu  nombreux,  soit  complètement  absorbé  par  la  majorité 
slave  conquise. 

Divisé  par  le  tsar  Pierre  en  deux  parties,  l'orientale  et 
l'occidentale,  l'empire  bulgare  s'écroula  en  peu  de  temps  par 
suite  des  incursions  .des  Petschénègues  et  des  Magyars.  Ce  fut 


46  MAGYARS    ET    liOU.MAIINS    DEVAMT    L'HISTOIRE 

en  072  que  la  Bulgarie  orientale  tomba  au  pouvoir  de  l'empe- 
reur prec  7':iinisc/iès;  quanta  la  Bulgarie  occidentale,  elle  fut 
conquise  en  1018  par  l'empereur  Ijcisile  II,  surnommé  le 
«  Tueur  de  Bulgares  "  (BouXyapôzTovo;). 

Après  la  mort  de  Tzimischès,  quatre  frères  bulgares  préparent 
un  soulèvement  parmi  leurs  compatriotes  contre  Basile  II, 
Mais  1  un  d'eux  —  David —  est  tué,  comme  le  raconte  l'auteur 
byzantin  Kedrénos,  entre  Casloiia  et  Prespa,  à  lendroit  appelé 
les  beaux  chênes,  par  (pielques  Vlachs  errants.  C'est  à  cette 
occasion  que  1  on  rencontre  la  première  fois  leur  nom  chez 
les  écrivains  grecs.  Cependant  Basile  11  les  surveille  de  près 
dès  1020  en  réorgarnisant  l'église  bulgare  et  en  confirmant  ses 
droits.  Car  il  place  tout  les  Vlachs  de  la  B a Igai-ie  sous,  la  juridic- 
tion de  rarchevét|ue  (VOchrida  et  leur  enjoint  de  lui  payer 
dorénavant  leurs  dimes  régulièrement.  Sa  charte  fut  comfirmée 
en  1272  par  1  empereur  Ji/c/îe/ /^a/eo/o^/ze 

Grâce  aux  écrits  de  Kchaaniénos  (1),  on  sait  qu  il  y  avait  à 
moment-là  des  (7^/c/ti  jusque  dans  les  montages  du  Pindeei,  ce 
(pii  plus  est,  même  en  llellade.  Polémarque  grec  chargé  de 
combattre  les  Vlachs,  Kékaaménos  écrivit  son  ouvrage  en  1071. 
Il  faut  en  retenir  les  passages  suivants  :  ^'  Le  fleuve  Plérès  (2) 
j)asse  au  milieu  d'une  large  vallée  habitée  par  les  Vlachs, 
qu'il  sépare  en  deux  factions.  —  Leur  race  est  corrompue  et 
impie  ;  elle  n'est  fidèle  ni  à  Dieu ,  ni  à  l'empereur,  ni  à  ses 
propres  alliés.  Elle  est  menteuse  et  fourbe,  étant  prête  à  jurer 
ses  grands  dieux  pour  n  importe  quelle  chose  à  ses  amis  et 
parents,  saufà  les  trahir  (juand  même.  Les  Vlachs  sont  des  Daces 
et  des  Besses.  Jadis  ils  vivaient  dans  des  villes  fortifiées  le  long 
du  Danube  et  de  la  Save  ,  là  où  habitent  actuellement  les 
Serbes.  Feignant  d  être  attachés  aux  empereurs,  ils  se  sont 
transportés  sur  la  terre  des  Romaïos  qu'ils  ont  dévastée  jus- 
qu'à ce  que  ces  derniers  se  lâchent  et  les  fassent  se  sau- 
ver. Alors  ils  se  retirèrent  dans  l'Épire,  la  Macédoine  et  surtout 
dans  l'IIellade.  Les  Vlachs  sont   couards,  pusillanimes,  mais 

^ij  Le   rapport  île   RÉkacménus  a  élé   puljlié  par  le   professeur    Vasiljevsky  en 
1881. 

(2)  Rivière  descendant  du  Pinde.  Aujourd'hui  elle  s'appelle  Dleurès, 


LIVRE   PREMIER  47 

aussi  à  cause  de  leur  lâcheté,  impudents.  C'est  pourquoi  je 
vous  conseille  de  ne  vous  fier  jamais  à  eux  !  « 

Nikéias  Chômâtes  raconte,  de  son  côté,  que  pour  payer  les 
dépenses  des  fêtes  données  lors  du  mariage  de  l'empereur 
grec  Isaac  avec  Marguerite,  la  fille  du  roi  de  Hongrie  Bêla  III, 
on  fit  lever  de  nouveaux  impôts  à  cause  desquels  les  Barbares, 
qui  habitaient  le  Hémiis  et  que  l'on  appelait  d'abord  des  Mésiens 
et  que  l'on  désigne  maintenant  sous  le  nom  de  Vlachs,  se  soulevè- 
rent et  recoururent  aux  armes.  Et  la  tradition  que  les  Vlachs 
étaient  des  descendants  des  Mésiens  antiques  fut  acceptée  par 
les  Turcs  aussi,  puisque  les  sultans  accordèrent  plus  d'une  fois 
le  titre  de  vayvode  de  la  nation  mésique  aux  chefs  des  Roumains. 
Kinnamos  les  appelle  cependant  des  colons  italiques. 

jSikétas  Chotiiatès  parle  de  la  Grande,  de  la  Haute  et  de 
Petite- Valachie ;  Anna  Komnéna  mentionne,  dans  l'armée  de 
son  père,  l'empereur  Alexis,  «  des  individus  appartenant  à 
cette  race  nomade,  que  l'on  appelle  vulgairement  Vlacques.  » 
Étant  composée  de  bergers,  habitués  à  vivre  en  plein  air,  elle 
a  dû  fournir  incontestablement  de  bons  soldats. 

Les  chroniques  des  cloîtres  du  Mont-Athos  signalent  la  pré- 
sence des  TYrtfAi  sur  le  territoire  de  la  célèbre  presqu'île  sacrée; 
leurs  femmes  et  filles,  habillées  en  homme,  y  jettent  le  trouble, 
aussi  le  patriarche  constantinopolitain  Nicolas  interdit  tout 
commerce  entre  caloyers  et  Vlachs  que  l'empereur  Alexis  fait 
transporter  dans  le  Péloponêse  en  1097. 

Le  voyageur  Benjamiii  de  Tudèle  rapporte  que  "  c'est  à 
Zeitun  que  commence  la  Valachie,  dont  les  habitants  demeu- 
rent sur  les  montagnes.  On  les  appelle  des  Valachs  et  ils  cou- 
rent comme  des  chèvres.  » 

«  Les  Roumains  étaient  un  peuple  adonné  à  l'élevage  du 
bétail,  écrit  Mihlosich  (1),  et  vivaient  tantôt  dans  les  demeures 
fixes  qu  ils  appelaient  des  Katun,  comme  on  les  appelle  en- 
core aujourd'hui,  tantôt  en  se  transportant  avec  tous  leurs 
chevaux,  moutons  et  chèvres  d'un  glacier  ou  d'une  prairie  à 
l'autre.  Il  faut  souligner  ce  trait  dans  le  caractère  du  peuple 

(1)  Die  Wandeiungen  der  Bumanen,  p.  4 


48  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

roumain  particulièrement,  car  il  explique  son  expansibilité  et 
son  importance  au  point  de  vue  de  l'histoire  des  contrées  com- 
prises entre  l'Adriatique  et  la  mer  Noire  et  des  pays  avoisi- 
nants.  L'éleva(}c  eut  pour  corollaire  chez  les  Roumains  la  fabri- 
cation de  IVomage  et  le  transport  des  marchandises.  A  un 
moment,  l'importance  du  fromage  roumain  était  si  considérable 
chez  les  habitants  de  Uaguse  qu'ils  l'acceptaient  dans  les  paye- 
ments en  {juise  de  monnaie.  Ce  furent  les  municipalités  qui 
fixèrent  le  prix  du  "  caseus  vlachescus  "  ou  «  vlachiscus  »  . 
D'autre  part,  enleur  qualité  de  propriétaires  de  bétes  de  somme, 
les  Vlachs  s'occupaient  de  transport  aussi  ;  ils  fournirent  à 
Ra.cfuse  du  plomb,  et  de  là  ils  transportèrent  toutes  sortes  de 
marchandises,  entre  autres  du  sel,  dans  les  villes  du  littoral, 
provoquant  ainsi  un  mouvement  commercial  très  important 
pour  le  développement  du  pays.  » 

On  lit  des  choses  surprenantes  sur  le  compte  des  Ylaclis 
dans  les  Moinnncnia  serbes,  édités  par  le  même  Mildosich.  Ils 
parlent  des  familles  vlacques  offertes  en  cadeau  aux  monastères 
parles  souverains  de  la  Serbie,  de  certaines  dispositions  prises 
par  le  tsar  B/ichan  contre  les  Vlachs  prévaricateurs;  quant  aux 
habitants  de  llaf/use,  ils  défendant  aux  Vlnc/is  de  laisser  partre 
leurs  troupeaux  sur  le  territoire  de  leur  ville.  Ce  même  Dnchau 
interdit  aux  serfs  serbes  de  se  marier  avec  des  femmes  rou- 
maines, de  crainte  quelles  ne  les  rendent  nomades  aussi. 

En  1085,  il  est  même  question  d'un  Vlacli  de  qualité  (i/.xpt'';- 
Tf,z  x(hv  (3/.a;(wv)  nommé  Ditdilos,  qui  avertit  l'empereur  grec  de 
l'incursion  des  Cumims,  pendant  ([u'il  séjourna  à  Anchiale. 
Ouatre-ving-dix  ans  plus  tard,  ce  sont  deux  frères  vlachs  des 
montagnes  du  Hennis,  Assan  et  Pierre,  qui  se  mettent  à  la  tête 
des  niéconlenls  bulgares  et  vlachs  pour  les  délivrer  du  joug 
bvzantin.  Le  premier,  ayant  été  souflleté  iiConsiiniiinople  par 
le  sébastocrator  Jean,  retourne  chez  lui  et  pour  entrahier  ses 
compatriotes,  recourt  à  une  supercherie  religieuse,  grâce  à 
lacpielle  il  réussit  à  se  faire  accepter  comme  empereur,  la  tête 
ceinte  d'une  couronne  et  les  pieds  chaussés  de  bottes  rouges! 
Hattu  par  l'empereur  Isaac  Angelos  lui-même,  il  se  sauva  avec 
son  frère  chez  les  Cnmans  en  traversant  le  Danube, 


LIVRE    PREMIER  49 

L'armée  grecque  ayant  évacué  leur  pays,  tous  deux  y 
reviennent  avec  des  troupes  auxiliaires  accordées  par  les 
Cumans  et  ils  réunissent  de  nouveau  sous  la  même  domination 
les  Mésiens  et  les  Bulgares.  Pendant  la  longue  lutte  qu'ils  sou- 
tinrent contre  l'empire  d'Orient  et  au  milieu  de  laquelle  Assnn 
rend  indépendant  l'archevêque  de  Tmovo  du  patriarche  de 
Constantùiople,  arrive  la  croisade  conduite  par  l'empereur  Fré- 
déric sur  la  péninsule  balkanique.  La  croisade  a  été  fidèlement 
décrite  par  Ansberius  (l).  Il  raconte  toutes  les  difficultés  inté- 
rieures et  extérieures  de  l'empire  grec  et  confirme  ce  qui  a  été 
dit  par  Nikéias  Chonialés  au  sujet  àAssan  ei  Pierre,  seulement 
il  met  en  avant  ce  dernier  sous  le  nom  de  Kalopeter  (le  beau 
Pierre)  et  il  change  le  premier  en  Crassianus,  et  il  les  dépeint 
tous  deux  comme  les  tyrans  de  leurs  sujets  vlachs  dans  la 
Bidqarie  et  le  long  du  Danube.  Il  dit  aussi  que  Kalopeter  a  con- 
clu une  alliance  avec  les  princes  croates  et  serbes  contre  l'em- 
pereur de  Constantinople,  et  qu'il  a  offert  à  Frédéric  une  armée 
de  secours  de  40,000  Cumans  et  Vlachs  pour  marcher  contre  la 
capitale  de  l'empire.  Mais  Frédéric  ne  pense  qu'à  s'embarquer 
le  plus  tôt  possible. 

L'année  suivante  —  en  1 190  —  les  Cumans  et  Vlachs  alliés 
remportent  une  victoire  sur  les  Grecs  ;  d'autre  part  l'empereur 
Isaac  détruit  l'armée  des  Serbes  sur  les  bords  de  la  Morava  en 
119  4.  Alors  il  veut  s  allier  à  Bêla  III,  roi  àe  Hongrie,  mais 
entre  temps  il  est  dépouillé  de  la  couronne  par  Alexis  III. 

Préférant  la  paix  à  la  guerre,  celui-ci  entre  en  négociations 
avec  Assan  et  Pierre.  Mais  ceux-ci  étant  assassinés  successive- 
ment, ce  n'est  que  leur  frère  cadet  Kalojan  (Joannitzius  ou  le 
beau  Jean)  qui  conclut  la  paix  avec  l'empereur  en  120  4,  année 
où  les  Latins  s'emparent  de  Constantinople.  Alors,  redoutant  le 
partage  de  son  empire  entre  ces  derniers  et  les  Hongrois ,  leurs 
alliés,  Kalojan  s'adresse  au  pape  Innocent  III  et  lui  promet  de 
faire  triompher  l'union  religieuse  dans  son  empire,  s'il  lui 
envoie  une  couronne  et  s'il  élève  l'archevêque  de    Tmovo  au 

(1)  Historia  de  expeditione  Fridcrici  imperatoris,  édita  a  (fuodum  Austriensi 
clerico,  (fui  eidein  interfuit,  nomine  Ansbertus.  Fontes  reruni  Austriacarum. 
Scriptores.  Vol.  V.  Vienne.  1863. 

4 


50  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIUE 

rang  à.e  patriarche .  Ce  fut  le  cardinal  Léo  à  qui  le  pape  confia 
la  mission  de  lui  porter  la  couronne.  Mais  craignant  que  la 
dignité  royale  offerte  à  Kalojan  ne  fit  tort  à  sa  propre  auto- 
rité, le  roi  de  Hongrie  ne  permit  pas  au  cardinal  d'accomplir 
sa  mission  et  le  fit  arrêter  sur  le  territoire  hongrois.  Léo  ne 
recouvra  la  liberté  que  sur  la  promesse  formelle  du  pape  que  la 
couronne  royale  offerte  à  Kalojan  n'impliquait  aucun  amoin- 
drissement de  Fautorité  de  la  royauté  hongroise. 

Entre  temps,  les  Grecs  s'étant  révoltés  contre  les  Latins,  sou- 
tenu par  ses  alliés  et  ses  parents  les  Cumans,  puisque  sa  femme 
appartenait  à  cette  race,  K<tloj<(n  accourut  au  secours  des  pre- 
miers et  ne  tarda  pas  à  attaquer  Baudoin.  La  bataille  eut  lieu 
le  15  avril  1205  et  se  termina  avec  le  triomphe  complet  du 
oheî  canian  Koizas.  L'empereur  Baudoin  y  fut  fait  prisonnier  et 
\cs  iiinians  s'avancèrent  jusqu'aux  portes  de  Consiaiitinople  en 
dévastant  le  pays.  Ils  n'épargnèrent  pas  Kalojan  lui-même  et 
le  tuèrent  pendant  qu'il  assiégeait  Thessalonique.  Son  fils  Assan 
se  réfugie  alors  chez  les  Russes  et  c  est  Boril,  le  fils  de  sa  sœur, 
qui  s'empare  du  trône  resté  vacant,  mais  pour  peu  de  temps 
seulement,  car  J.N.vrt/<  revient  aidé  par  les /?//66ei  et  assiège  Trnoi'o 
où  s'est  enfermé  Boril.  En  voulant  s'évader,  celui-ci  tomba 
dans  les  mains  de  son  oncle,  qui  lui  fit  crever  les  yeux,  et  lui 
ayant  succédé  sur  le  trône,  Assan  II  se  maria  avec  une  fille 
A' André  II,  roi  de  Hongrie. 

Ce  fut  sous  son  règne  que  I  empire  bulgare-roumain  attei- 
gnit à  son  apogé.  A  la  fin  du  xiii'' siècle,  les  C//?»^/Ly  concjuièrent 
la  suprématie  :  Georges  Terterij  fonde  une  dynastie  à  Trnovo 
tandis  qu'à  Viddin  le  pouvoir  tombe  dans  les  mains  des  Sisma- 
nides.  Une  fraction  du  pays,  baignée  par  la  mer  Noire,  échoit 
à  Eltiniir,  chef  cumnn,  qui  la  gouverne  presque  en  souverain 
indépendant.  Mais  aucun  de  ces  États  ne  peut  résister  au  Turc 
victorieux;  il  achève  leur  asservissement  en  1398. 

Tous  ces  faits  prouvent  à  l'envi  que  le  berceau  du  peuple 
roumain  ne  doit  être  placé  ailleurs  que  sur  la  péninsule  balka- 
ni(pie  non  seulement  parce  que  des  documents  authentiques 
et  contemporains  y  constatent  la  présence  de  cette  race,  mais 
parce  que  l'élément  slave,  dont  sa  langue   et  ses  institutions 


LIVRE    PREMIER  51 

politiques,  sociales  et  religieuses  sont  saturées,  rappellent  le 
slavisme  balkanique,  notamment  le  génie  albanais  et  le  génie 
bulgare.  L'un  présidait  à  sa  naissance,  l'autre  à  ses  années  d'ap- 
prentissage ;  c'est  sous  leur  tutelle  que  les  Roumains  ont  quitté 
l'existence  nomade  et  sont  devenus  aptes  à  fonder  un  État. 
S'il  n'a  pu  être  érigé  sur  la  rive  droite  du  Danube,  c'est 
qu'il  n'y  a  eu  là  aucun  voisin  assez  puissant  et  assez  bien 
établi  pour  le  protéger  ou  le  guider  à  l'époque  de  sa  formation 
et  pendant  son  développement.  Pour  en  trouver  un,  il  fallait 
franchir  le  Danube  ei  y  ayant  encore  éprouvé  des  déboires  avec 
les  Cumans,  se  mettre  enfin  sous  l'égide  de  la  Hongrie  déjà 
considérée  comme  un  des  plus  fermes  soutiens  de  la  Chré- 
tienté et  appelée  h  compléter  l'éducation  des  Roumains,  en 
éveillant  chez  eux  la  conscience  nationale,  en  répandant  parmi 
eux  les  bienfaits  de  la  civilisation. 

En  examinant  de  près  ces  événements,  on  arrive  à  la  conclu- 
sion aussi  que  s'il  y  a  des  Cumans  et  des  Russes,  des  Serbes  et 
des  Croates  dans  les  rangs  des  protecteurs  ou  des  alliés  des 
Roumains^  aucun  État  roumain  organisé  n'y  figure.  Jusqu'à  la 
première  moitié  du  xiv'  siècle,  les  Roumains  ne  constituent 
qu'un  élément  ethnique  —  incontestablement  très  vivace  dans 
cette  étrange  cohue  de  races  qui  tourbillonne  sur  les  terri- 
toires compris  entre  le  Danube  et  les  Balkans.  Avoir  pu  en 
retirer  leur  individualité  nationale  intacte,  est  un  mérite  con- 
sidérable aux  yeux  de  tout  historien  et  doit  largement  com- 
penser la  perte  de  la  vaine  gloriole  dacique  dans  l'esprit  de 
chaque  Roumain  sérieux. 


CHAPITRE  V 

Li:S    ROIMAINS    SE    RÉPANDENT    SUR    LA    RIVE  GAUCHE    DU    DANUBE. 

11  faut  incontestablement  un  réel  effort  d'i machination  à  la 
fin  du  xi\'  siècle,  ou  en  Europe  il  n'y  a  presque  plus  de  ter- 
ritoire qui  ne  soit  cadastré  et  cultivé,  ni  d'habitant  qui  n'ait 
son  état  civil,  pour  se  reporter  à  la  triste  époque  de  la  déca- 
dence de  l'empire  romain,  pendant  laquelle  Aurélien  aban- 
donna la  Dacie  et  les  contrées  avoisinantes  sur  la  rive  gauche 
du  Danube  aux  Barbares,  et  à  laquelle  s'ajoute,  en  guise  de 
suite,  à  l'avenant,  la  plus  sombre  moitié  du  moyen  âge,  em- 
ployée par  le  gros  du  peuple  roumain  à  peine  sorti  de  sa 
chrysalide  pour  entreprendre  sa  transmigration  de  la  péninsule 
balkanique  dans  sa  demeure  actuelle  :  la  Romuanie^  la  Bessa- 
rabie, la  21-ansylvanie  et  les  départements  limitrophes  de  la 
Hongrie.  Effort  sérieux  et  indispensable  cependant,  car  com- 
ment comprendre  autrement  l'infdtration  secrète  mais  cons- 
fante,  l'expansion  rapide  mais  insensible,  d'une  race  aussi 
Juimble  au  point  de  vue  de  ses  origines  qu'à  celui  de  ses  occu- 
pations? 

11  faut  se  rappeler  que  c'étaient  des  forêts  vierges,  des 
marais  immenses  qui  couvraient  alors  la  plus  grande  partie  des 
j)avs  en  question;  quant  à  celles  qui  étaient  habitables,  elles 
furent  occupées  successivement  par  divers  peuples  barbares 
et  semi-barbares,  qui  v  apparurent  ou  en  disparurent  comme 
des  nuages  chargés  d'orages  dont  le  passage  ne  laisse  aucune 
trace  sur  le  Firmament,  mais  qui,  par  terre,  engendrent  la 
ruine,  la  dévastation  ou  la  mort.  l"]t,  d  autre  part,  on  doit  tenir 
compte  de  1  humeur  vagabonde  du  peuple  roumain  aussi,  qui 
1  ayant  fait  rayonner  sur  toute  la  péninsule  balkanique,  ne 
tarda  pas  à  le  pousser  au  delà  du  Danube,  yi?,c[\\k  une  distance 
de  :250  à  300  kilomètres  au  nord  du  fleuve  et  aux  instigations 


T.IVRE    PREMIER  53 

de  laquelle  il  céda  d'autant  plus  aise'ment  qu'il  sentait  appro- 
cher le  péril  turc  à  pas  de  géant  du  côté  du  Sud-Est,  et  dont  il 
était  content  de  pouvoir  se  garantir  par  une  barrière  naturelle, 
infranchissable  au  moins  pendant  l'hiver  et  la  saison  des 
hautes  eaux. 

Voici  maintenant  quelques  indications  tirées  des  documents 
authentiques  et  pouvant  servir  de  points  de  repère  au  milieu 
de  l'obscurité  qui  règne  dans  l'histoire  de  ces  régions  et  enve- 
loppe les  débuts  de  la  nation  roumaine.  Avec  leur  aide,  on 
complète  le  tableau  tout  à  l'heure  ébauché  par  l'imagination, 
et  l'on  obtient  des  conclusions  que  les  événements  ultérieurs, 
déjà  plus  faciles  à  vérifier,  corroborent  grandement. 

D'abord  on  apprend  de  Menandre,  du  contemporain  de 
l'empereur  grec  Maurice,  assassiné  en  G02,  —  que  Bajan,  le 
Khagan  des  Avares,  s'adressa  à  ce  dernier  pour  lui  demander 
la  permission  de  traverser  le  Danube  à  Singidunum  et  à  Sir- 
im'um,  afin  de  punir  les  Slaves  révoltés  qui  habitaient  le  terri- 
toire de  la  Roumanie  actuelle,  en  les  attaquant  de  cette  ma- 
nière du  côté  de  la  Dohrudja.  Cet  incident,  quiaeulieû  en  581, 
prouve  à  l'envi  que  c'étaient  des  Slaves  qui  vivaient  à  cette 
époque  sur  la  rive  gauche  du  Danube  et  que  la  Transylvanie 
se  trouvait  dans  une  telle  condition  d'inaccessibilité  que  les 
Avares  eux-mêmes  ne  tenaient  pas  à  s'y  frayer  un  chemin, 
quelque  direct  qu'il  fût,  pour  aller  de  laPannonieen  Roumanie. 
Quatre-vingt-dix-huit  ans  plus  tard  a  eu  lieu  la  fondation 
par  Asparuch  du  premier  empire  bulgare.  Selon  Pic  (1),  il  y  a 
plusieurs  raisons  pour  supposer  que  cet  empire  s'étendait  sur 
les  deux  rives  du  Danube.  Les  auteurs  byzantins  ne  distin- 
guent-ils pas  toujours  très  clairement  la  Bulgarie  d'au  delà  du 
Danube  (r/etS'ev  toû  "larpou)  de  la  Bulgarie  d'en-deçii  du  Danube 
(evTo;  Toû  "lorpou)?  N'y  a-t-il  pas  eu  des  contestations  en  827 
entre  les  Francs  et  les  Bulqares  au  sujet  de  certaines  exactions 
que  ces  derniers  avaient  commises  au  détriment  des  Slaves, 
qui  n'auraient  pas  pu  avoir  lieu,  s'ils  n'eussent  pas  possédé  la 
rive  gauche  du  Danubel  N'existe-t-il  pas  une  lettre  de  l'empe- 

(i)  Abstammung  der  Rumanen,  Leipzig.  1880. 


54  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

leur  Anwlphe^  datée  de  892  et  adressée  à  Wladimir,  roi  des  Bul- 
gares, dans  laquelle  il  leprie  de  ne  pas  permettre  l'exportation 
du  sel  en  Moravie?  Or,  on  ne  peut  y  exporter  du  sel  que  de  la 
Transylvanie  et  du  département  de  Mannaros ;  donc  les  Bul- 
gares devaient  être  les  maîtres  de  ces  deux  endroits. 

En  tout  cas,  Asparuch  venait  de  1  Onglos,  contrée  qui  se 
trouvait  à  lest  de  la  Moldaj'ie,  et  ne  renonça  jamais  à  cette 
possession.  Son  frère,  le  quatrième  fils  de  Kubrat,  se  fixa  en 
Pannonie  (I),  et  fit  même  transmigrer  les  Slaves  du  Danube 
aux  pieds  des  Carpathes.  C'est  la  victoire  de  Charlemagne  sur 
les  Avares  qui  a  été  la  cause  de  la  domination  des  Bulgares  de 
ce  C()té-là.  En  S()5  le  khan  des  Bulgares,  nommé  Kroum,  sou- 
mit ceux  parmi  les  Ai'ares  qui  avaient  survécu  à  la  destruction 
de  leur  race  par  les  Francs,  tandis  qu  en  813  il  prit  Adria- 
nople;  il  est  conséquemment  plus  que  probable  qu'il  régnait 
sur  tous  les  pays  appartenant  aux  Bulgares. 

vSi  l'on  combine  cette  extension  de  l'empire  bulgare  sur  les 
deux  rives  du  Danube  avec  1  intimité  dans  laquelle  vivaient 
les  Bulgares  et  les  Vlachs,  on  se  range  forcément  à  1  avis  d'£«- 
gel  qui  assigne  à  la  transmigration  de  ces  derniers  sur  la  rive 
gauche  du  Danube  l'époque  du  premier  empire  bulgare.  Et, 
après  la  chute  de  celui-ci,  le  nombre  des  IVr/eA^  avant  traversé 
le  Danube  ne  devait  qu'augmenter,  car  on  ne  découvre  aucun 
empêchement  pour  éloigner  leurs  troupeaux  des  grasses  prai- 
ries, qui  les  y  attendent. 

Mais  les  apparitions  sporadiques  des  Vlachs  ne  s'y  consta- 
tent pas  toujours  sans  difficultés.  Dans  un  poème  latin  com- 
posé en  155(>  par  le  '^sixon  Scheseus,  on  lit  par  exemple  :  «Sur 
le  bord  de  V Oli  rempli  de  poissons, il  y  a  une  forteresse  que 
ses  habitanst  appellent  Fogaras  depuis  des  temps  immémoriaux. 
Elle  est  entourée  de  fossés  et  de  murs  formidables.  Des  7//- 
halles  agriculteurs  demeurent  tout  autour,  gouvernés  par  les 
lois  et  de  règles  imposées  par  la  forteresse.  »  Charles  Eder,  le 
commentateur  de  ce  poème  (2),  affirme  que  le  nom  de  7/7- 

(J)  Enof.l,  Gcscliic/itc  des  Altcn  l'annoniens  inid  de-  Bulyarcn.  aile;  1797. 
p.  265,  et  passiin. 

(2)  EnEB,  Svriptores  rerum   Transylvanicarum.  Scheseus.  Euinœ  Pannoniae. 


LIVRE   PREMIER  55 

halles  ne  peut  signifier  que  des  Bulgay^es.  c'est-à-dire  des  Rou- 
mai'ns,  puis  que  les  Roumains  de  Brasso  s'appellent  des  Bul- 
gares et  leur  quartier  :  le  «  Bolgarszék  »  —  le  siège  des 
Bulgares.  ÇAxez  Aitilios,  cité  par  Tomaschek  (1),  il  est  fait  men- 
tion d'une  alliance  contractée  en  107  4  contre  les  Grecs  entre 
les  Scythes  et  les  Mixobarbares^  habitants  du  Nord  du  Danube. 
Il  y  a  aussi  des  Saiiromates  et  des  Daces  qui  guerroient  en  1059 
et  en  1087  contre  le  même  empire.  Or  le  mot  mixoharhare 
désigne  à  la  fois  les  Bulgares  et  les  Vlac/is,  tandis  que  sauro- 
maie  et  dace  signifient  :  sarmate  et  valch. 

La  chronique  de  Hypatios  datant  de  1150  parle  d'une  con- 
trée Bolochovo,  située  près  du  Haut-Bug  dont  les  habitants 
s'appellent  des  Bolochovtzes ,  Ce  sont  assurément  des  Roumains, 
car  la  ville  de  Bolochov  en  Galicic  ne  figure  dans  les  documents 
hitins  que  sous  le  nom  de  «  Villa  Vlachorum  »   (2). 

Il  V  a  cependant  des  auteurs  byzantins  chez  qui  on  rencon- 
tre la  dénomination  de  Vlac/i  en  toutes  lettres  aussi.  C'est  ainsi 
que  Ki}inamos,  l'historiographe  de  l'empereur  Manuel  dans  sa 
guerre  contre  le  roi  de  Hongrie  Etienne  III,  raconte  que  Léon, 
surnommé  le  Vatatzès,  reçut  l'ordre  de  n'attaquer  les  Magyars 
que  du  côté  où  ils  n'avaient  jamais  été  attaqués  jusque-là, 
c'est-à-dire  du  côté  de  la  mer  Noire.  Et  on  lui  confie  une  armée 
dans  les  rangs  de  laquelle  il  y  avait  un  grand  nombre  de 
Vlachs. 

«  A  la  fin  de  l'année  1 16  4,  il  se  passe  un  événement,  écrit 
Tomaschek,  dans  lequel  il  échoit  un  rôle  important  aux  Rou- 
mains. Et  ces  Roumains  ne  pouvaient  habiter  que  la  Moldavie 
et  la  Bessarabie.  Cette  preuve  n'a  été  enregistrée  jusqu'ici 
par  personne;  elle  a  échappé  à  Roesler  lui-même.  Voilà  ce 
que  jNikétas  Choniatès  (3)  nous  raconte  à  un  endroit.  ;<  Le 
sébastokrator  Andronikos  Komnénos  fut  nommé  chef  de 
l'éparchie  de  Nisch  et  de  Branitsévo  par  l'empereur  Manuel. 
Mais,  à  peine  installé,  on  le  soupçonne  d'aspirer  au  trône  et  de 

(1)  Zuv  Kunde  der  Hamus-Halbinsel.  I,  49.  Atlaliota.  Historia  Corpus  scrip. 
his.  byz.  Bonn.T?,  1853,  p.  504. 

(2)  Miklosich-Kaluzniackv,  Die  Wandenaiçen  der  Rumànen. 

(3)  De  Manuele  imperatore,  IV,  2,  p.  169-172. 


56  MAGYARS   ET    ROUMAINS   DEVANT    L'HISTOIRE 

rechercher  ramitié  du  roi  de  Hongrie  pour  en  faire  son  allié. 
Étant  mis  en  accusation  à  ce  sujet,  il  essaye  de  se  débarrasser 
du  jeune  empereur.  Or  ses  desseins  furent  découverts  et  on  le 
fit  étroitement  surveiller  au  palais  impérial  à  Constantinople. 
Il  tente  deux  évasions,  et  la  seconde  lui  réussit  effectivement. 
Il  comptait  s'enfuir  à  Halits  dans  la  petite  Russie;  c'était  Ja- 
roslaw  Wladimirovich  qui  v  régnait,  par  qui  il  avait  été  jadis 
très  hospitalièrement  reçu  et  qui  lui  avait  fait  cadeau  de  plu- 
sieurs propriétés.  Arrivé  à  Ankhilas  —  les  manuscrits  plus 
récents  mettent  Ankhelo,  correspondant  à  TAhlcjolov  de  nos 
jours,  — il  tourna  vers  le  Nord  et  il  réussit  à  s'approcher  ina- 
perçu des  frontières  de  Halits.  Mais  là,  les  Ylachs  qui  étaient 
alors  en  bonne  intelligence  avec  Bvzance  et  qui  avaient  appris 
son  évasion,  l'arrêtèrent  et  le  ramenèrent  h  l'empereur  grec. 
Pendant  le  trajet,  ayant  trompé  ses  surveillants,  il  parvint 
cependant  à  s'évader  et  il  arriva  finalement  sain  et  sauf  à 
Halits.  V 

Ce  récit,  tout  en  fournissant  un  témoignage  irrécusable  en 
faveur  de  la  présence  de  l'élément  roumain  sur  la  rive  gauche 
du  Danube,  prise  au  sens  le  plus  large  du  mot,  n'en  contient 
pas  moins  des  indications  précieuses  au  sujet  de  la  situation 
où  il  s'y  trouvait.  Malgré  les  liens  religieux  et  les  affinités  en 
résultant  qui  l'attachent  à  Byzancr,  les  Gi-ccs  ne  les  consi- 
dèrent que  comme  un  facteur  ethnique.  S'il  avait  eu  la 
moindre  importance  politique  et  sociale,  ils  en  eiissent  parlé 
avec  plus  de  complaisance  qu'ils  ont  parlé  des  Patzinahites  et 
des  Ciimans,  leurs  ennemis,  qui  les  ont  préoccupés  pendant 
plusieurs  siècles  et  qu'ils  font  figurer  en  individualités  natio- 
nales sur  l'échiquier  de  la  diplomatie  et  sur  les  champs  de 
bataille. 

A  vrai  dire,  la  courte  histoire  des  premiers  n'est,  en  quelque 
sorte,  que  Tappendice  de  celles  àes^Matjydvs,  avec  laquelle  elle 
se  confond  {graduellement.  <•  On  doit  savoir,  —  écrit  1  empe- 
reur Conshniiiii  Porj)liyro(iénète  (T,  - —  que  les  Patzinakites 
habitèrent  dès  l'origine  dans  les  parages  des  fleuves  de  l'Atel 

(1)  De  administiaudo  impcrio,  cli.  37  et  38. 


LIVRE    PREMIER  57 

et  du  Gleich,  ayant  pour  voisins  les  Mazars  et  le  peuple  qu'on 
appelle  des  Uzes.  Or  il  y  a  cinquante  ans  ils  ont  été  attaqués 
par  lesdits  Uzes,  alliés  des  Ivhazars.  Étant  chassés  de  leur  patrie, 
ce  furent  les  Uzes  qui  s'en  emparèrent  et  ce  sont  eux  qui 
l'habitent  encore.  Dès  lors,  les  Patzinakites  s'en  allèrent  en 
vagabondant  et  en  cherchant  nue  nouvelle  patrie  pour  s'y 
fixer.  Ils  arrivèrent  ainsi  au  pays,  qui  leur  appartient  encore 
aujourd'hui,  et  y  trouvant  les  Tourcs  (les  Magyars)  comme 
habitants,  ils  les  en  chassèrent  et  s'y  installèrent  après  en 
maîtres,  comme  je  le  disais,  il  y  a  cinquante  ans.  Ceux  des 
Patzinakites,  que  l'on  nomme  des  Kangars,  entreprirent  une 
guerre  contre  les  Khazars,  mais  ils  furent  battus  et  forcés 
d'abandonner  leur  pays.  Poussés  par  la  nécessité,  ils  s'empa- 
rèrent du  territoire  des  Tourcs.  De  là  une  guerre  aussi  entre 
les  Tourcs  et  ceux  des  Patzinakites  que  l'on  nomme  des  Kan- 
gars,  dans  laquelle  l'armée  des  Tourcs  est  battue  et  se  sépare 
en  deux.  En  partie  ils  s'en  vont  en  Orient  dans  la  direction  de 
la  Perse;  —  ils  s'y  fixent  et  on  les  appelle  encore  aujourd'hui 
des  Sabartoyasphaloï,  ancien  nom  des  Tourcs;  —  en  partie  il 
s'en  vont  vers  l'Occident  sous  la  conduite  de  leur  premier 
vayvode  et  chef  Lébédias  et  se  fixent  dans  les  endroits  que 
l'on  appelle  Atelkoezu.  Ce  sont  les  Patzinakites  qui  y  habitent 
aujourd  hui.  " 

«  Les  Magyars  demeuraient  en  Atelkoezu  —  ajoute  M.  Jancsô 
—  quand  l'empereur  Léon  leur  demanda  de  le  secourir  contre 
le  tsar  bulgare  Siméon.  Alors  les  Magyars  traversent  le  Danube 
sous  la  conduite  du  fils  d  Arpâd  et  remportent  une  victoire  sur 
les  Bulgares  et  s  en  retournent  en  Atelkoezu,  chargés  de  butin. 
Pendant  ce  temps-là  la  paix  est  conclue  entre  les  Grecs  et 
Siméon,  qui,  pour  se  venger  des  Magyars,  leur  suscite  l'inimitié 
des  Patzinakites.  Ceux-ci,  profitant  de  l'absence  momentanée 
du  gros  des  forces  magyares,  s'attaquent  à  leurs  campements 
et  les  détruisent.  Découragés  par  la  vue  de  la  destruction  de 
tous  leurs  biens,  les  Magyars  s'en  vont  à  la  recherche  d'une 
nouvelle  patrie.  Alors  ce  sont  les  Patzinakites  qui  deviennent 
les  possesseurs  de  leur  territoire,  l'Atelkoezu.  D'après  Cons- 
tantin, l'emplacement  occupé  par  les  Patzinakites  où  demeu- 


58  MAGVAllS    ET    ROUMAI>"S    DEVAPsT    L'HISTOIRE 

raient  précédemment  les  Tourcs,  porte  un  nom  dérivant  des 
fleuves  qui  s'y  trouvent.  Ce  sont  la  Baruch,  le  Koubon,  le 
Troublous,  le  Broutos,  Booûtoç)  et  le  Serethos.  "  Quels  peuvent 
être  les  trois  premiers,  on  ne  saurait  le  deviner,  mais  nul 
doute  que  les  deux  derniers  ne  soient  le  Pruth  et  la  Sercth 
actuels.  Comme  le  mot  Atclkoezii  veut  dire  en  hongrois  oiire 
i'dii.v,  il  est  probable  qu'il  désignait  le  territoire  compris  entre 
le  JS'ieslei-  et  la  Sercih. 

C'est  par  le  col  de  Vcrcczkr,  situé  dans  les  Cdrixiihcs  oriruinlcs 
que  les  Mik/juis  entrent  dans  leur  nouvelle  patrie,  la  Hongrie 
actuelle  (vers  890).  Constantin  en  indique  les  frontières  avec 
assez  d'exactitude,  a  Les  habitations  des  Tourcs  commencent 
au  pont  de  Trajan,  là  où  se  trouve  la  tour  de  Constantin  le 
Grand  acluellement  les  Portes-de-Fer).  De  là  à  Irois  journées 
de  marche  se  trouve  Belgrade,  à  l'embouchure  de  la  Save 
dans  le  Danul)e.  De  cet  endroit  jusqu'à  Sirmium  il  v  a  deux 
journées  de  marche.  Il  y  a  aussi  des  Tourcs  qui  habitent  entre 
la  Save  et  le  Danube.  Ensuite  on  arrive  dans  la  Grande-Moravie 
où  régnait  jadis  Sphendoplok  Svatoplouc).  Les  Tourcs  ont  mis 
maintenant  ce  pays  en  état  de  destruction  complète...  Dans 
les  parages  situés  au  delà  du  Danube,  ce  sont  les  fleuves  res- 
pectifs qui  prêtent  leurs  noms  aux  campements  des  Tourcs. 
La  première  rivière  est  le  Témès,  la  seconde  le  Toutes  ?),  la 
troisième  le  Maros,  la  quatrième  le  Krisos,  la  cinquième  le 
Tibissus  les  noms  de  Témès  et  de  Maros  existent  encore 
actuellement,  celui  du  Krisos  et  du  Tibissus  s'exprime  en 
hongrois  par  Koeroes  et  Tisza).  Les  Tourcs  ont  pour  voisins  à 
l'Orient,  là  où  le  Danube  forme  la  séparation,  une  partie  des 
Bulgares;  au  ^'ord  les  Patzinakites,  à  l'Occident  les  Francs, 
au  Sud  les  Croates.  » 

Venant  du  coté  de  la  Russie,  pour  propager  la  religion  chré- 
tienne sdùit  Bruno  {\)  parcourut  le  pays  des  Pui-inakitrs  du 
temps  de  s(nnt-Eticnu<\  premier  roi  de  Honr/rie.  Il  y  apprit  que 
les  Miigyars-Noirs  s'étaient  déjà  convertis.  Il  ne  se  dirigea  donc 

(1'  Ce  fut  Ilelferdin{;  (|ui  puMia  le  premier  en  1856  les  relations  de  saint 
Bruno.  Miklosich  ne  les  fit  paraître  dans  le  tome  II,  de  la  Slavisclie  Bihliothek 
qu'en  1858. 


LIVRE   PREMIER  59 

plus  vers  eux  comme  c'était  d'abord  son  intention,  mais  il 
s'en  alla  chez  les  Finisses  (Prussiens)  païens  pour  leur  prêcher 
l'Évangile.  On  sait  qu'il  faut  comprendre  la  Transylvaine  sous 
la  dénomination  de  Hon(jrie- Noire  et  les  Magyars  de  Transyl- 
vanie sous  celle  de  Magyars-Noirs ,  car  en  Orient  la  signification 
du  noir  est  équivalente  à  petit,  et  du  blanc  à  grand,  quand  il 
s'agit  de  pays. 

Ce  furent  les  Patzinakites  qui  combattirent  les  Magyars  avec 
le  plus  d'acharnement  du  côté  de  l'Orient  et  c'était  probable- 
ment à  cause  de  cela  que  la  terre  des  Magyars  noirs  n'avait, 
jusqu'à  l'avènement  de  saint  Etienne^  que  des  liens  bien  relâchés 
avec  la  mère  patrie.  Un  des  miracles  que  relatent  la  petite  et 
la  grande  légende,  ainsi  que  l'évéque  /far/^r/^sur  le  compte  du 
saint  roi,  se  rapporte  aussi  à  une  invasion  de  la  Transylvanie 
par  ces  voisins  terribles.  Étant  à  la  chasse,  le  fondateur  aposto- 
lique de  la  Hongrie  eut  un  rêve  dans  lequel  un  ange  lui  apprit 
l'incursion  des  Patzinakites.  Il  fait  immédiatement  savoir  cette 
nouvelle  par  un  envoyé  au  tribun  préposé  à  la  Transylvanie 
afin  qu'il  rassemble  les  hommes  valides  et  qu  il  délivre  une 
ville,  c'était,  il  paraît,  Gyulafehérvar  déjà  complètement  blo- 
quée par  les  envahisseurs.  D'après  les  légendes,  ayant  entendu 
parler  des  vertus  de  saitit  Etienne,  grand  nombre  de  Paizina- 
liites  accoururent  dans  son  royaume  avec  tous  leurs  biens,  pour 
devenir  ses  sujets,  et  pour  s'amalgamer  avec  la  race  ma- 
gyare. 

Mais  le  reste  de  ce  peuple  ouralo-altaique  ne  menaça  pas 
moins  la  paix  de  la  Hongrie  jusqu  en  lOGO.  Ensuite,  ce  sont  les 
Cunians  qui  ont  continué  les  incursions,  car  ils  avaient  soumis 
les  Patzinakites.  Comme  ils  appartenaient  à  la  même  race  et 
comme  ils  parlaient  à  peu  près  la  même  langue,  la  fusion  entre 
les  vainqueurs  et  les  vaincus  ne  tarda  pas  de  s'effectuer.  Aussi 
les  Magyars  prirent-ils  les  premières  incursions  des  Cnmans 
pour  celles  des  Patzinakites.  A  ce  moment-là,  le  premier  empire 
bulgaie  n'existant  plus,  les  C amans  ^nveni  facilement  envahir 
le  territoire  de  la  Roamanie  actuelle  et  en  faire  leur  propriété. 
L'empire  grec  n'était  plus  assez  fort  pour  les  en  empêcher.  Il 
lui  aurait  suffi  qu  ils  ne  traversassent  pas  le  Danube,  —  vœu 


00  ma(;yars  et  uoumai>;s  devaî^t  l'iikstoiue 
(lui  cependant  ne  put  s'accomplir  car  les  C^yz/rt/^^  le  franchirent 
à  plusieurs  reprises  :  en  1078  et  en  1087  (I),  incursions  dont 
quelques  documents  russes  font  aussi  mention,  seulement  ils  ne 
l'attribuent  pas  à  des  Cummis  mais  à  des  Polovtzcs  —  en  1095 
pour  répondre  à  l'invitation  du  prétendant  Léon,  qui  voulut 
se  faire  passer  pour  le  fils  de  Tempereur  Diogènc,  et  en  111  i 
finalement,  car  cette  fois-là  ce  furent  les  G7-ecs  qui  rempor- 
tèrent la  victoire. 

On  a  vu  plus  haut  quel  rôle  ont  joué  les  Cimiaus  dans  la 
fondation  de  Tcmpire  (ÏAssan.  Il  est  facile  d'en  conclure  qu'il 
a  du  s'ctahlir  une  union  bien  intime  entre  Cumans,  Bulrjares  et 
Vlachs  (\e.\i\  rive  droite  du  Danube,  à  la  suite  de  cette  coopé- 
ration. Ce  fut  cette  intimité  qui  rendit  possible  l'accroissement 
lent  mais  continuel  du  nombre  des  Vlaclis  sur  la  rive  gauche 
du  Danube.  Il  est  non  moins  intéressant  de  savoir  aussi  que 
du  temps  de  Bêla  IV,  roi  de  Honcjiic,  alors  que  des  dominicains 
hongrois  s'en  vont  enMoldavie  pour  y  fonder  un  évéchécuman, 
SCS  ouailles  y  sont  des  Sicnles,  des  Vlnr/is  et  des  ('amans. 

La  défaite  que  ces  derniers  essuient  en  \llï,  près  de  Kalka 
contre  les  Tariarcs,  met  fin  à  leur  domination.  A  la  suite  de 
cet  événement,  le  même  Bcla  IV&e  fait  intituler  :  «RexCuma- 
nia;  "  et  comme  tel  il  donne  au  grand  maître  des  Johanniies 
le  Szorenyscg  —  la  Pctite-Valachic  actuelle  —  et  la  Cumanie 
située  au  delà  de  VOli  —  la  Grande- Valachw  d'aujourd'hui. 
Cependant  c'est  encore  le  cuman  Kui/ien,  roi  des  Camans,  qui 
conduit  en  Ilon;;rie  le  restant  de  sa  race  et  les  Jasyges  congé- 
nères sous  le  règne  du  roi  Ladislas,  surnommé  le  Canian  pré- 
cisément à  cause  de  la  protection  qu'il  leur  accordait.  Leurs 
descendants  forment  encore  présentement  un  départemet 
hongrois,  qui  porte  leur  nom  et  que  les  Hongrois  considèrent 
néanmoins  comme  un  des  foyers  du  magyarisme.  Du  reste,  on 
retrouve  le  souvenir  de  leur  séjour  en  Roamanic  dans  les  noms 
de  beaucoup  de  villes  et  de  villages  également  :  il  y  a  des  Ao- 
nianka,  des  Komanesti,  des  Koman  dans  plusieurs  districts, 
ainsi  que  des    Valca  Jastiluj  et  Jassy  lui-même  y  fait  allusion 

(1)  ScYHTXÈs,  E.xcerpla  c.x  breviario  historico  ap.  Cedronis,  II,7V1. 


LIVRE   PREMIER  61 

dont  les  environs  s'appellent  dans   les  documents  roumains 
jusqu'à  l'époque  des  Fanariotes  «  Cinuiul  Jasilor.  » 

Si,  dans  quelques  chroniques  russes  et  notamment  dans  celle 
de  Kiew,  il  est  plusieurs  fois  question  de  la  ville  de  Berlad, 
située  en  dehors  du  territoire  russe,  et  de  son  souverain  Ivanko 
Rosiislaviiz,  de  qui  un  compétiteur  au  trône  russe  reçoit  une 
armée  auxiliaire  de  6,000  hommes  et  avec  qui  il  s'avance 
jusqu'au  Niesier,  et  il  prend  la  ville  d' Olési'e;  si  dans  cette  même 
chronique  on  parle  en  1156  de  certains  pccheurs  ruihènes  de 
Galatz  aussi,  d'où  l'on  conclut  à  l'existence  d'une  principauté 
indépendante  englohant  cette  ville  et  ses  environs,  ces  données 
ne  militent  qu'en  faveur  de  la  supposition  qu'il  pouvait  y 
avoir,  dans  ces  contrées,  en  dehors  des  Paizinakiies  et  des  Cu- 
mans,  d'autres  peuples  ayant  une  existence  indépendante  et 
jouant  un  rôle  politique.  Voilà  tout  ce  qu'on  peut  constater  à 
l'aide  des  documents  et  des  auteurs  contemporains  au  sujet  de 
tous  ces  peuples  ayant  occupé  le  territoire  de  la  Roumanie 
actuelle.  Partant  de  leur  situation  effacée  dans  ce  pays,  on 
devrait  supposer  logiquement  qu'ils  en  occupaient  une  sem- 
blable en  Hongrie  aussi,  comme  ils  en  occupaient  réellement. 
Or,  grâce  à  l'étourderie  d'un  chroniqueur  magyar  et  précisé- 
ment à  l'occasion  du  récit  de  la  conquête  de  la  Hongrie  par  les 
Magyars,  il  v  a  un  texte  qui  prête  aux  interprétations  les  plus 
hasardeuses  et  que  Sinkaï  a  habilement  exploité  pour  s'en  ser- 
vir comme  d'un  argument  irréfutable  en  faveur  des  droits  des 
Roumains  de  la  Hongrie,  tandis  qu'en  réalité  son  auteur  n'a  dû 
penser  en  l'écrivant  qu'à  la  glorification  de  la  bravoure  de  ses 
aïeux.  Son  imagination  leur  y  crée  des  ennemis  fictifs  afin  que 
leur  mérite  de  les  vaincre  puisse  paraître  plus  grand.  Si  sa 
supercherie  tourne  à  Tencontre  de  ses  désirs  et  au  lieu  de  pro- 
fiter à  sa  race,  lui  suscite  des  difficultés,  c'est  une  nouvelle 
preuve  pour  démontrer  aux  historiens,  fussent-ils  roumains, 
que  la  fraude  même  la  plus  pieuse  est  une  faute,  qui  doit  rece- 
voir sa  punition  tôt  ou  tard  et  dont  les  conséquences  aussi  fâ- 
cheuses qu'imprévues  ne  peuvent  être  rachetées  que  par  la  sin- 
cérité et  la  véracité  les  plus  complètes,  comme  on  essayera  de 
le  faire  dans  les  pages  suivantes. 


CHAPITRE  VI 

Y   A-T-IL  EU    DES  ROUMAINS    EN    HONGRIE    A  l'ÉPOQUE   DE    LA    CONQUÊTE 
DU   1>AYS   PAR    LES  MAGYARS? 

Il  n'y  a  des  données  historiques  réellement  documentées  se 
rapportant  à  la  conquête  de  la  Honrjn'i'  par  les  Mdgyars,  que 
celles  qui  concernent  leurs  faits  et  gestes  dans  la  partie  occi- 
dentale du  territoire  ayant  formé  la  fj7-an</e-ilfo?-ai;?e  et  apparte- 
nant à  l'époque  aux  deux  frères  ennemis  Mojmar  II  et  Svaio- 
p/oiic  II.  Car  comme  ces  souverains  moraves,  tantôt  en  bonne 
intelligence  tantôt  en  hostilité  avec  les  Allemands  déjà  chré- 
tiens, ainsi  que  leurs  sujets  faisaient  partie  du  diocèse  de 
l'évéque  de  Passait,  —  suffragant  de  l'archevêque  de  Salz- 
hourg,  —  sans  parler  de  l^clat  qu'a  pu  jeter  sur  le  pays  la 
présence  de  Cyrille,  le  célèbre  "  apôtre  des  Slaves  »  et  de  son 
frère  Méthode,  —  les  événements  qui  s'y  sont  passés,  se  trou- 
vent fidèlement  consignés  soit  dans  Ihistoire  de  l'Église,  soit 
dans  les  annales  de  V Allemagne.  On  sait  donc  pertinemment 
que  la  Grande-Moravie  a  été  plusieurs  fois  attaquée  par  les 
Magyars  et  que  l'on  peut  indiquer  comme  date  de  son  anéan- 
tissement Tannée  907,  dans  le  courant  de  laquelle  a  eu  lieu 
la  bataille  de  Pozsony  perdue  par  Louis,  dit  VEnfant,  roi  de 
Germanie,  l'allié  des  dits  souverains  moraves. 

Les  relations  des  sources  étrangères  au  sujet  de  la  conquête 
sont  grandement  confirmées  par  les  récits  des  trois  chroni- 
queurs hongrois  :  AVc«î'(128!2),  le  moine  il/arc  (1358),  et  Thu- 
roczy  (1464).  Ils  ne  citent  parmi  les  habitants  contemporains 
que  les  Moraves  ayant  montré  de  l'énergie  dans  leur  résistance 
aux  envahisseurs.  Quant  au  quatrième,  connu  sous  le  nom  de 
V Anonyme  qui  s'intitule  P.  dictas  Magistcr  ac  quondatn  honœ 
memoriœ  gloriosissimi  Belœ  régis  Hungariœ  Notarius,  il  n'en 
fait  nullement  mention  et  il  raconte  au  contraire,  une  foule  de 


LIVRE   PREMIER  63 

choses  qui  ne  sont  mentionnées  ni  dans  les  autres  chroniques 
hongroises  ni  dans  aucune  relation  étrangère.  Voilà  ses  passa- 
des les  plus  importants  selon  la  version  de  SinkaT,  d'où  l'irré- 
dentisme roumain  tire  son  deuxième  chef  d'accusation  contre 
les  Magyars. 

«  Avant  obtenu  de  Zalan,  souverain  des  Bulgares,  le  ter- 
ritoire qui  s'étend  jusqu'au  fleuve  de  Sajo,  Arpad  n'hésita  pas 
beaucoup,  mais  il  envoya  des  ambassadeurs  à  Ménmarot  aussi, 
chargés  de  cadeaux  semblables  h  ceux  envoyés  à  Zalan,  et  il  lui 
demanda  la  cession  du  territoire  entre  le  fleuve  Szamos,  les 
montagnes  de  Meszes  et  le  Nyirsèg.  Mais  Ménmarot  ne  fut  pas 
enclin  à  satisfaire  la  demande  d'Arpâd.  Ce  dernier  envoie 
donc  contre  lui  une  armée  et  lui  prend  de  force  ce  qu'il  n'a 
pas  voulu  lui  céder  de  plein  gré.  Les  chefs  magyars,  parmi 
lesquels  se  trouvait  Tuhutum,  indiquent  la  frontière  par  une 
borne  au  pied  du  Meszes.  » 

"  Pendant  qu'ils  séjournent  à  cet  endroit,  ils  se  préoccupent 
tous,  mais  Tuhutum  plus  particulièrement  que  les  autres  :  com- 
ment on  pourrait  s'emparer  de  la  -Transylvanie,  de  manière  à 
ce  qu'elle  reste  toujours  dans  leur  pouvoir?  Tuhutum  envoya 
donc   Ogmand,    le    fils  d'Opaforkos,    pour  explorer  le  pays. 
Celui-ci  part,  explore  et  devient  tout  enthousiasmé  de  ce  qu'il 
voit.  En  retournant  chez  Tuhutum,  il  dénigre  les  Roumains  et 
ne  tarit  pas  sur  les  beautés  de  la  Transylvanie  en  déclarant 
que  :   "  ses  habitants  sont  les  plus  misérables  gens  du  monde 
«  tout  entier,  car  ils  sont  desVlachset  des  Slaves,  qui  en  dehors 
«  de  la  flèche  et  de  l'arc  n'ont  aucune  autre  arme.  Leur  chef 
u  Gélou  n'est  point  brave  et  il  n'a  pas  même  dans  son  entourage 
«  de  bons  guerriers.  Il  ne  pourra  donc  pas  résister  aux  Magyars, 
«  car  il  a  déjà  assez  souffert  des  Gumans  et  des  Patzinakites.  » 
«  Étant  informé  de  tout  ceci,  Tuhutum  fait  aussitôt  prier 
Arpàd  de  lui  permettre  de  traverser  les  montagnes  du  Meszes 
et  de  se  mesurer  avec  le  prince  des  Roumains.  Après  en  avoir 
obtenu  la  permission,  il  se  met  en  route  avec  ses  guerriers,  et 
laissant  ses  frères  d'armes  (les  autres  chefs  magyars)  au  pied 
du  Meszes,  il  traverse  les  forêts  dans  la  direction  de  l'Est  pour 
attaquer  Gélou,   le  prince  des  Blacques  (Vlachs).   Or  ayant 


46  MAGYAI'.S    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

appris  ranivée  de  Tuhutum,  celui-ci  rassemble  ses  guerriers 
et  s'avance  au-devant  de  lui  afin  d'empêcher  son  passage  à 
travers  le  Meszes.  Mais  Tuhutum  l'avait  déjà  traversé  et  il 
arriva  quelque  temps  après  sur  les  bords  delà  rivière  d'Almas. 
Ce  fut  là  que  les  deux  armées  se  rencontrèrent.  » 

«  Le  prince  Gélou  se  berça  alors  de  l'espoir  que  ses  archers 
pourraient  arrêter  son  adversaire.  Mais  Tuhutum  avait  déjà 
son  armée  partagée.  Il  en  envoya  la  moitié  en  amont  de  la 
rivière  afin  qu  elle  la  traverse  inaperçue  et  qu'elle  puisse  atta- 
(juer  à  revers  les  guerriers  de  Gèlou.  Or,  la  chose  se  fit  juste- 
ment comme  cela.  Et  comme  la  traversée  peut  facilement 
s'exécuter,  les  deux  moitiés  de  l'armée  magyare  arrivèrent  en 
même  temps  sur  le  chanq)  de  bataille.  Elle  se  battirent  toutes 
deux  avec  courage  et  elles  remportèrent  une  victoire  complète 
sur  l'armée  de  Gélou,  en  lui  faisant  subir  des  pertes  énormes 
soit  en  morts  et  soit  surtout  en  prisonniers.  Ce  que  voyant,  le 
prince  Gélou  afin  de  sauver  sa  vie,  ne  chercha  plus  son  salut 
(pie  dans  la  fuite.  Mais  avant  d'arriver  à  son  château  fort  situé 
au  bord  du  Szamos,  il  est  rejoint  par  les  hommes  de  Tuhutum 
qui  l'avaient  poursuivi,  et  il  est  tué  sur  le  bord  du  Kapus. 
Après  avoir  appris  la  mort  de  leur  souverain,  les  habitants  du 
pays  tendirent  volontiers  leur  droite  pour  faire  la  paix  et  ils 
offrirent  à  Tuhutum,  au  père  de  Horka,  la  succession  de 
Gélou.  Ayant  scellé  leur  fidélité  par  un  serment  (en  magyar 
Eshù)  ils  appelèrent  l'endroit  où  cet  acte  eut  lieu,  EsktUô. 
Depuis  ce  jour,  Tuhutum  ainsi  que  ses  descendants  possédè- 
rent la  Transylvanie  en  paix  et  dans  le  bonheur,  mais  seule- 
ment jusqu'à  1  avènement  de  saint  Etienne.  » 

«  Nous  apprenons  donc  de  ce  passage  de  1  Anonvme,  ajoute 
Snikaî,  que  ce  ne  fut  pas  les  armes  à  la  main  que  les  Magyars 
soumirent  les  Roumains.  ÇHuiigari  vi  aniinrtim  Transylvaniani 
non  ncciiparnni.)  Il  y  eut  soumission  volontaire  de  la  part 
de  ces  derniers  et  union  entre  les  deux  peuples  sur  le  pied  de 
1  égalité  qui  dura  jusqu  au  moment  où  les  Roumains  furent 
dépouillés  de  leurs  droits  par  les  Approbata,  la  charte  réglant 
la  constitution  politique  de  la  Transylvanie.  » 

C'est  d'après  Y  Anonyme  que  Pierre  Maior  fait  l'historique  de 


LIVRE    PUEMIEU  65 

la  conquête  du  territoire  de  la  Hongrie  au^^si.  En  citant  son 
récit,  il  assure  que  certains  passages  y  démontrent  clairement 
conibien  le  chroniqueur  a  été  enclin  à  glorifier  les  Magyars. 
Il  est  cependant  indiscutable,  selon  lui,  que  d'avoir  élu  Tuhu- 
lum  pour  leur  souverain,  ne  changeait  rien  à  la  situation  des 
Roumains  de  la  Transylvanie  En  somme,  ils  ne  firent  qu'élire 
'J\ifu(/iini  pour  remplacer  son  prédécesseur  décédé;  et  s'ils 
étaient  auparavant  les  sujets  de  <)élon,  ils  le  furent  alors  de 
Tu/iiiiuni  seulement  et  non  pas  en  même  temps  (ÏArpàd  et  des 
Maf/vars  également.  Gela  n'est  arrivé  qu'au  moment  où  Gynla 
le  Jeune  a  été  vaincu  par  saint  Etienne.  Ce  lut  à  la  suite  de 
cette  défaite  que  les  Roumains  perdirent  leur  domination  en 
Transylvanie,  sans  perdre  toutefois  simultanément  leurs  droits 
politiques. 

On  peut  se  poser  ici  avec  raison  la  question  suivante,  pour- 
suit il-/«ror  .•  les  guerriers  magyars  sont-ils  ressortis  de  la  Tran- 
sylvanie pour  rejoindre  ir/x';^  ou  sont-ils  restés  au  service  de 
Tuhutum,  déjà  prince  des  Roumains?  Comme  ces  guerriers  ne 
lui  ont  pas  prêté  serment,  ils  sont  probablement  retournés  chez 
Àrpâd^  à  qui  ils  étaient  liés  par  un  serment  de  fidélité.  D'ail- 
leurs, si  un  chef  n'est  pas  abandonné  par  ses  troupes,  Ano. 
nyme  le  souligne  particulièrement.  Il  ne  faut  pas  oublier  non 
plus  qu'après  une  conquête,  les  chefs  magyars  avaient  l'habi- 
tude de  distribuer  des  propriétés  aux  plus  braves.  Or  le  chro- 
niqueur ne  fait  pas  ici  mention  que  Tuhutum  eût  fait  alors  des 
donations  pareilles.  Donc  aucun  Magyar  \\es,i  resté  avec  lui  en 
Transylanie  ;  il  n'en  est  venu  qu'au  moment  où  èaint  Etienne 
a  soumis  Gyula  et  encore  il  n'y  en  est  venu  qu'un  petit  nom- 
bre isolément  et  non  pas  en  masses  compactes  comme  les 
Saxons  et  les  Sicules.  La  manière  dont  les  Magyars  vivent 
aujourd'hui  éparpillés  parmi  les  Roumains  le  prouve  surabon- 
damment. 

VAnonyme  rapporte  aussi  qu'après  avoir  vaincu  les  Slaves, 
Szabolcs  en  fit  des  serfs  et  il  n'en  dit  pas  autant  des  Roumains. 
On  doit  donc  conclure  qu'ils  ont  gardé  leur  indépendance  en 
Transylvanie  jusqu'au  xi'  siècle.  Et  quelle  était  la  raison  à 
cause  de  laquelle  ils  élurent  Tuhutum  pour  souverain?  Il  savait 


60  MAGYARS    ET    R  0  T  M  A  I  N  S    DEVANT    LIlISTOlllE 

le  roumain,  avant  vécu  un  certain  temps  au  millieu  des  Paizi^ 
nakites  et  des  C/nnans,  qui  n'étaient  que  des  Bouniains  non  sou- 
mis. Des  vieux  auteurs  ^recs  l'attestent  et,  au  reste,  ne  leur 
élait-il  pas  aisé  de  chanj^er  le  nom  Iloiuan  ou  Rouman  en 
KouKin  ou  Koiiniaii?  Cette  j)etite  falsification  graphique  leur  a 
été  imposée  par  la  nécessité  de  se  distinjjuer  des  Honimun^;  car, 
ne  voulant  pas  renoncer  à  l'idée  que  leur  empereur  ne  soit  en 
même  temps  l'empereur  de  l'empire  occidental,  ils  se 
donnaient  aussi  le  nom  de  lîoiiiaiiis  !  Les  Grecs  eurent  sous  ce 
rapport  des  imitateurs  chez  divers  peuples.  A  la  fin,  ce  nom 
nouveau  devenait  tellement  à  la  mode  que,  s'entendant 
appeler  par  tout  le  monde  des  Cuniaus  ou  des  Conians,  les 
Rouniaïiis  l'adoptèrent  eux-mêmes. 

Mais  le  territoire  de  la  lloiu/rie  actuelle  ne  renfermait  pas 
seulement  la  principauté  roumaine  indépendante  de  Crélou  ; 
plusieurs  autres  s'y  trouvaient  également.  «  Par  malheur,  écrit 
Hilarioii  PapiN  (l),  ayant  vécu  entre  eux  en  hostilité  sous 
la  domination  des  harbares  aussi,  et  complètement  oublieux 
de  l'unité  nationale,  les  Roumains  s'organisèrent  après  la  dis- 
parition de  leurs  op[)resseurs  sans  penser  un  instant  a  leur 
union.  Ils  vivaient  sous  des  chefs  respectifs,  non  seulement 
indépendants  de  toute  influence  étrangère,  mais  aussi  en  ne 
se  souciant  guère  des  liens  qui  d  ordinaire  resserrent  ensemble 
tous  les  enfants  d  une  même  race.  »  Ce  fut  la  raison  à  cause  de 
laquelle  après  la  domination  des  Aiuires,  les  principautés  delà 
Basse-DacieAdi  Roninanie  actuelle)  tombèrent  bientcU  sous  celle 
d'autres  barbares.  Par  contre,  il  y  avait  des  principautés  indé- 
pendantes dans  la  Haute- Ihnie^  la  Tninsylvanie  actuelle,  dans 
Bihiir  et  dans  le  Banal,  formant  actuellement  les  départements 
limitrophes  delà  IJougrie.  Notamment  en  Transylvanie  comme 
il  a  été  dit  plus  haut,  celle  de  Gélou  (exactement  de  Jult'u),  dans 
Bihar  celle  de  Ménmarot  (exactement  de  Mariai  ou  de  Minor 
Marias)  et  dans  le  Banal  celle  de  Gladiu  (exactement  de  Clau- 
diu).  Ce  sont  les  historiens  magyars  qui,  seuls,  ont  consigné 
l'histoire  des  Boamains  de  cette  époque, car  ces  derniers  pré- 

(i)  Istoria  lomdiiilor  din  Dacia  siipcriorc,  I,  p.  8. 


LIVRE   PREMIER  67 

feraient  déjà  alors,  comme  dit  judicieusement  Cantemù.,  ï  exé- 
cution des  grandes  et  louables  œuvres  à  leur  description  ! 

Ce  fut  ainsi  que  le  brave  Ménniarot ,  le  souverain  du  terri- 
toire situé  entre  les  trois  fleuves  :  le  Tihissus,  le  Maros  et  le 
Szdinos,  fit  la  réponse  suivante  aux  ambassadeurs  dWrpàd  c\u\ 
le  sommaient  de  remettre  sa  principauté  à  leur  maître  comme 
à  un  descendant  cV Attila,  à  qui  elle  appartenait  jadis.  «  Dites  à 
votre  prince  Arpâd,  au  chef  des  Magyars,  que  nous  ne  lui  devons 
autre  chose  que  ce  que  doit  un  ami  à  son  ami,  de  ce  qu'il  a 
besoin  en  sa  qualité  d'hote.  Quant  à  la  terre,  qu'il  désire 
obtenir  de  notre  bonne  volonté,  elle  ne  lui  appartiendra  pas 
de  notre  vivant.  Aussi  étions-nous  très  peiné  de  voir  que  le 
prince  Zalan  lui  ait  cédé  un  territoire  aussi  considérable  soit 
de  bon  gré,  à  ce  qu'il  dit,  soit  par  crainte,  ce  dont  il  ne  veut 
pas  convenir.  Nous  n  avons  pas  envie  de  lui  céder  un  seul 
pouce  de  notre  territoire  ni  par  crainte  ni  par  bonté,  quoiqu'il 
prétende  y  avoir  droit.  Ses  paroles  ne  nous  intimident  pas, 
même  s'il  prétend  descendre  d'Attila,  le  fléau  de  Dieu,  car  ce 
fat  par  violence  que  celui-ci  arracha  à  mes  aïeux  cette  terre 
qui  m'appartient  de  nouveau  grâce  à  la  bonté  de  l'empereur 
constantinopolitain,  et  que  je  ne  laisserai  plus  jamais  sortir  de 
mes  mains!  "  Ayant  parlé  ainsi,  il  accorda  aux  ambassadeurs 
la  permission  de  se  retirer. 

Très  courroucé  par  la  réponse  hautaine  du  souverain  des 
Roumains,  Arpàd  envoya  contre  lui  incontinent  l  élite  de  ses 
guerriers.  Ménmarot  les  reçut  à  la  tète  de  son  armée.  Ce  pre- 
mier choc  ne  procura  pas  aux  Magyars  des  avantages  bien 
sensibles.  Ménmarot  se  replia  derrière  la  rivière  de  Koeroes  et 
parvint  à  s'y  maintenir  victorieusement.  Mais  il  ne  déposa  les 
armes  que  quand,  ayant  conquis  le  restant  du  pays,  Arpâd 
l'attaqua  une  seconde  fois.  En  réalité,  ce  n'est  pas  par  les  armes 
que  les  Magyars  l'ont  soumis,  mais  en  lui  proposant  une 
alUance  à  laquelle  le  mariage  de  2o/^a/i,  fils  d'Arpâd,  avec' 
une  fille  de  Ménmarot,  a  donné  la  consécration  la  plus  écla- 
tante. Ménmarot  mourut  deux  ans  après  cet  événement  et 
comme  il  ne  laissa  pas  de  fils,  ce  fut  son  gendre  Zoitan  qui 
hérita  de  sa  principauté   roumaine  de  Bihar.   Ce  n'est  donc 


68  MAGYARS    ET    l'.OUMAIINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

pas  la  conquête  <jui  en  a  l'ail    une    possession  nia.jjyare,   mais 
le  maria^^e. 

C'est  (le  la  même  manière  qu  a  eu  lieu  la  soumission  de 
(j^«/ fClau(liu).  prince  roumain  de  Tdniês.  Il  sut  garder  Tindé- 
pendance  aussi  bien  pour  lui-même  que  pour  ses  successeurs, 
de  façon  que  cette  contrée  pouvait  également  jouir  d'une  auto- 
nomie conij)lète  sous  ses  souverains  nationaux.  Il  advint  cepen- 
dant que  son  petit-fils  Ohtumu  (exactement  O/Jtinmis)  avant 
conscieuce  de  sa  puissance  croissante  et  s  étant  rap|)elé  de 
1  ancienne  splendeur  de  sa  principauté,  ainsi  que  se  fiant  à  la 
bravovnc  de  ses  lumibreux  nol)les  et  guerriers,  ne  voulut  plus 
obéir  à  sain/  Etienne.  De  là  la  furieuse  attaque  de  ce  dernier 
(pii  ne  put  remporter  la  victoire  daus  une  bataille  sanglante 
on  OnUnnus  périt,  que  grâce  à  la  trahison  de  son  gendre  Cinadn 
(Csanad).  L  indépendance  de  la  Transylvanie  ne  disparut  pas 
d'une  autre  manière.  Gynla,  le  petit-fils  de  Tuhutnni,  embrasse 
la  religion  de  ses  sujets  roumains,  c'est-à-dire  la  religion 
grecque-orientale,  dès  9i8.  Sa  fille  Charlotte  se  marie  avec 
Géza,  père  de  saint  Etienne.  Donc  c'est  d'après  le  rite  grec- 
oriental  (\ne  saint  rÀienne  est  baptisé.  Pour  être  roi,  il  devint 
plus  tard  calliolique  et  comme  Gynla  le  Jenne  ne  voulut  pas 
abandonner  sa  religion  grecque-orientale,  il  l'attaqua  à  la  tête 
de  ses  armées  et  lui  ayant  ravi  sa  couronne,  il  réunit  la  Tran- 
sylvanie à  la  Hongrie.  Mais  les  Ron mains  restèrent  grecs- 
orientaux  même  après  la  défaite  de  Gynla  et  ne  se  converti- 
rent point  au  catholicisme. 

A  vrai  dire,  V Anonyme  ne  parle  en  fait  de  princes  roumains 
ayant  régné  sur  le  territoire  de  la  Hongrie  actuelle,  que  de 
Gélon  le  Transyh'diiien .  Or  celui-ci  ne  règne  pas  non  plus  sur 
une  population  roumaine  pure,  mais  sur  des  Hoitmains  et  des 
Slaves  mélangés.  Que  Ménmarot  et  Glad  aient  été  des  princes 
roumains,  V.inonyjne  lui-même  l'ignore.  Selon  lui,  ce  furenl 
des  «  peuplades  soi-disanl  Khazares  »  (pii  vi\  aient  sous  sou 
sceptre,  donc  ce  ne  fut  pas  un  prince  roumain  proprement  dit, 
mais  un  prince  kliazare.  Pour  en  faire  un  prince  roumain, 
Pierre  MaTor  dit  que  les  Khazares  ou  exactement  les  Khozares 
formaient  une  partie  de  ces  colons  romains  que  les  empereurs 


LIVRE   PREMIER  69 

romains   avaient  fait  venir  en  Daa'c  de  la  ville  de  Coto  en 
Calahre  ! 

En  ce  qui  concerne  Glad,  le  seigneur  de  Ténirs,  1  Anonyme 
ne  fait  sur  son  compte  que  la  réflexion  suivante  :  u  Le  terri- 
toire qui  s'étend  du  fleuve  du  Maros  jusqu'au  chàteau-fort 
d'Orsova,  lut  conquis  par  le  chef  nommé  Glad  qui  v  arriva  du 
chàteau-fort  de  Yidin  en  compagnie  des  Cumans.  '■•>  Cette 
supposition  est  plus  fondée  que  celle  qui  se  rapporte  au  rou- 
manisme  deMénmarot;  car,  d'après  son  récit,  il  advint  que  les 
Magyars  ayant  attaqué  Glad,  celui-ci  leur  livra  une  bataille 
derrière  le  Témès  à  la  tête  »  d'une  nombreuse  troupe  de  fan- 
tassins et  de  cavaliers  et  avec  le  concours  des  Cumans,  des 
Bulgares  et  des  Roumains,  .^  —  bataille  qu  il  perdit  d'ailleurs 
complètement.  Pour  faire  de  Glad  un  prince  roumain,  lire 
quelque  part  qu'il  ait  été  aidé  par  des  Roumains  dans  son 
entreprise  contre  les  Magyars,  a  largement  suffi  aux  historiens 
daco-roumains. 

«  Le  secrétaire  anoyme  du  roi  Bêla  est  le  seul  chroniqueur 
du  moyen  âge,  dit  Roester  (I),  — chez  qui  les  Roumains  jouent 
un  rôle  satisfaisant  pour  les  exigences  des  historiens  roumains; 
le  seul  chroniqueur  qui  les  trouve  installés  au  ix*"  siècle  dans 
les  parages  de  l'ancienne  Dacie  et  leur  territoire  actuel;  et  le 
seul  aussi  qui  ne  les  considère  pas  seulement  comme  un  élé- 
ment nomade  de  pâtres  errants,  mais  comme  un  peuple  vivant 
sous  le  sceptre  de  ses  propres  princes,  dans  un  état  constitué.  » 
Si.  pour  étudier  une  personnalité  aussi  importante  au  point 
de  vue  des  revendications  roumaines,  on  examine  de  près  sa 
chronique  finissant  avec  le  règne  de  Bé/a  I'\  voici  les  conclu- 
sions auxquelles  doit  s'arrêter  tout  esprit  impartial. 

Laissant  de  côte  l'auteur  lui-même  caché  derrière  1  anony- 
mat, il  s'agit  d'abord  de  déterminer  de  quel  Bêla  il  a  été  le 
secrétaire  —  ou,  comme  il  s'appelle,  le  notaire.  Aujourd  hui 
on  penche  de  plus  en  plus  vers  la  supposition  qu'il  vivait  à 
l'époque  du  quatrième  roi  de  ce  nom,  dans  la  seconde  moitié 
du  xijf  siècle,  car  il  mentionne  lexistence  de  la  principauté 

(1)  RoESLEii,  Rumànische  Studien,  p.  149. 


ro  MAGYAllS    ET    ROUMAINS    DEVAIST    L'HISTOIRE 

de  Susdale\  il  s'emporte  contre  la  curie  romaine  pour  défendre 
les  droits  héréditaires  de  la  maison  (ÏArpâd  en  face  des  com- 
pétiteurs au  trône  de  la  Hotu/n'e  de  la  maison  d'Anjou.  Mais 
l'argument  le  plus  décisif  est  le  sui\ant  :  ÏAnotiynie  emprunte 
certains  passages  au  livre  de  contes  de  Gui  de  Columpna  inti- 
tulé :  »  La  guerre  de  Troie  "  ,  ouvrage  qui  n'a  été  terminé 
qu'en  1272. 

Écrite  presque  quatre  cents  ans  après  la  conquête  de  \aIJon- 
f/r/'c  par  les  Magyars,  cette  chronique  est  un  curieux  spécimen 
de  l'historiographie  comme  on  la  comprenait  aux  environs  de 
la  Renaissance.  Si,  d  une  part,  elle  contient  beaucoup  de  don- 
nées précieuses  au  sujet  de  1  histoire  des  Magyars,  d'autre 
part,  il  est  impossible  de  la  considérer  comme  une  source 
sérieuse  au  point  de  vue  de  la  conquête  du  pays  non  seule- 
ment à  cause  de  la  difficulté  que  I  on  a  et  de  la  circonspection 
(|ui  est  nécessaire  pour  laire  un  choix  parmi  ses  assertions, 
mais  suitout  j)aice  qu'il  transporte  les  événements  de  son  épo- 
(\ue  à  celle  qu  il  décrit.  Il  a  beau  affirmer  qu  il  n'écoute  pas 
les  Iiégédoes  les  trouvères),  ni  les  bavardages  du  peuple,  en 
réalité  il  ne  travaille  que  sur  les  données  fournies  par  les  tra- 
ditions. En  sa  qualité  de  savantasse,  il  les  regarde  de  toute  sa 
hauteur,  et  il  se  croirait  perdu  s  il  les  répétait  dans  leursinqjli- 
cité.  Aussi  les  présente-t-il  affublées  d  oripeaux,  enjolivées  de 
contes  et  de  quolibets.  Par  rapport  à  son  époque,  c'est  un  lettré  ; 
il  connaii  Réf/ino,  Saint-Jérôme,  le  Cycle  d'Alexandre  le  Grand, 
l'ouvrage  de  l'évêque  de  Séville  Isidore,  intitulé  :  Eiymologia, 
à  rexcm])le  duquel  il  confectionne  ses  calembours  et  ses  ana- 
lyses grammaticales. 

vSon  plus  grand  tort  est  cependant  d  avoir  des  idées  précon- 
çues; il  veut  faire  paraître  le  peuple  magyar  comme  le  plus 
brave  et  le  meilleur,  digne  de  dominer  sur  toutes  les  autres 
nations.  S  il  se  sert  de  la  chronique  de  Régine,  il  en  retranche 
la  première  partie  prudemment,  parce  que  la  Hongrie  v  est 
dépeinte  comme  un  pays  inhabité  et  désert,  dont  la  conquête 
n'aurait  ])as  exigé  de  grands  efforts.  Le  secrétaire  chauvin  se 
croit  donc  obligé  de  la  lemplir  d'une  foule  de  princes  et  de 
principautés,  qui  historiquement  n'ont  jamais  existé,  mais  sur 


LIVRE    PREMIER  71 

qui  faire  triompher  ses  Magyars  est  pour  lui  une  satisfaction 
patriotique  incommensurable! 

V Anoy^yme  est  en  contradiction  aussi  avec  tout  ce  que  l'on 
peut  lire  dans  les  autres  sources  relativement  à  la  manière  de 
combattre  de^  Magyars  au  temps  de  la  conquête  du  pavs.  Tandis 
que  llégino  affirme,  conformément  à  la  vérité,  que  c'était  au 
moyen  d'une  pluie  de  flèches  qu'ils  anéantissaient  leurs  enne- 
mis, —  lui  prétend  qu'ils  se  servaient  principalement  de  sabres. 
Aussi  refuse-t-il  de  voir  dans  les  Slaves  et  les  Vlachs  des  adver- 
saires redoutables  parce  qu'ils  n'ont  pas  d'autres  armes  que 
les  flèches,  or  les  Magyars  de  la  conquête  n'en  avaient  pas 
d'autres  non  plus,  et  il  a  jugé  étourdiment  selon  la  tactique 
militaire  de  son  temps. 

Il  fait  de  même  a\  ec  les  conditions  ethniques  de  la  Hongrie 
à  la  fin  du  ix*"  siècle,  en  y  laissant  jouer  un  rôle  important 
aux  Cunians  et  aux  Bulgare?,.  Or,  quant  aux  premiers,  il  avait 
été  dit  plus  haut  qu'ils  ne  parurent  sur  le  théâtre  du  monde 
qu'après  1060.  Seulement,  comme  dès  lors  ils  ont  donné  beau- 
coup de  fil  à  retordre  aux  Magyars  jusqu'au  règne  de  Bêla  IV, 
pour  \  Anonytne  quoi  de  plus  naturel  que  d'en  découvrir  aussi 
du  temps  de  la  conquête  parmi  les  alliés  de  Glad.  qui  accou- 
rent à  son  secours  du  côté  du  Bas-Danube?  Et  comme  la  situa- 
tion et  les  conditions  ethniques  d'alors  de  la  péninsule  balcani- 
que  étaient  déjà  bien  connues  à  cause  des  guerres  que  les 
Magyars  avaient  eues  avec  les  empereurs  grecs,  quoi  de  plus 
naturel  de  sa  part  que  de  placer  des  Bulgares  dans  les  parties 
orientales  du  pays  et  dans  le  bassin  du  Tihissus,  et  des  Vlachs 
et  des  Slaves  en  Transylvanie!  Car  du  temps  de  Bêla  IV ^  en 
Transylvanie,  il  y  avait  encore  des  Slaves  mais  déjà  des  Rou- 
mains aussi., On  n'a  qu'à  se  rappeler  que  du  document  datant 
de  1231,  dans  lequel  il  s'agit  du  droit  de  propriété  de  la  terre 
de  Boje,  elle  n'est  rendue  à  Thrulh  par  Gallus,  le  fils  de  Wulh, 
qu  à  cause  des  aïeux  de  Thrulh  qui  l'avaient  possédée  de  mé- 
moire d'homme  «et  a  temporibus jam,  quibus  ipsa  terra  Blac- 
corum  terra  Bulgarorum  extitisse  fertur  »  .  Si  l'on  parle  déjà 
en  1231  d'un  Roumain  habitant  une  propriété  roumaine, 
comme  de  quelqu'un  dont  les  aïeux  v  ont  demeuré  de  mémoire 


72  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DKVAN'T    L'HISTOIRE 

(riioinme.  on  peut  supposer  qu'elle  peut  l)ien  sifjnifier  l'espace 
de  temps  de  cent  ans  et  qu'il  y  ait  deux  cenls  ans  d'écoulés 
depuis  la  première  arrivée  des  Rovnuiins  en  Transylvonie  jus- 
qu'à Anonymus.  Aussi  n'eut-il  aucune  hésitation  d'en  conclure 
que  les  Boumains  ne  fussent  les  habitants  autochtones  de  la 
Trrinsyh'ani'e,  vaincus  j)ar  Tiihutuni,  en  compagnie  de  Slaves 
Y  avant  vécu  également  de  mémoire  d'homme.  Voilà  la  valeur 
que  peut  avoir  son  récit  au  sujet  de  Géloti  et  de  l'existence 
d  un  état  roumain  en  Trcuisylvanie  et  rien  d'autre,  comme  il 
appert  des  faits  suivants,  encore  plus  clairement,  s'il  est  pos- 
sible. 

On  lit  dans  les  auteurs  bvzantins  Scy/iizrs  (1057)  et 
Kedrénos  (1 1 'M))  (jue  ce  furent  deux  grands  seigneurs  magyars  : 
Bolosud('S  et  Gylas,  qui  se  firent  baptiser  tout  d'abord  à  Con- 
siantino/jle  et  que  le  dernier  amena  même  avec  lui  en  Hongrie 
un  moine  appelé  flieioi/iens  que  le  patriarche  Théojihilahiiis 
consacra  évéque  de  Hongrie.  C'est  donc  (rylas  qui  apporte  la 
première  semence  du  christianisme  parmi  ses  compatriotes. 
Or  les  Roumains  étaient  déjà  certainement  chrétiens  à  ce 
moment-là,  chrétiens  orthodoxes;  comment  se  fait-il  que  s'ils 
vivaient  en  Traitsyli'anic,  (îyias  ne  les  aperçoit  pas  et  que, 
devenu  chrétien,  il  ne  s'occupe  pas  d'eux,  ses  coreligionnaires 
qui  se  trouvent  parmi  ses  administrés? 

C'est  avec  le  zèle  d'un  apôtre  que  suint  Bruno  parcourut  le 
pavs  des  Paizinal.iies.  Il  poussa  une  pointe  jusque  dans  la 
3fo/(Iai'ie  et  la  Bessarabie  et  c'est  là  qu'il  apprit  que  les 
paroles  de  Dieu  avaient  déjà  fait  des  prosélytes  même  dans  la 
Hongrie  Noire.  Mais  il  ne  souffle  pas  mot  des  chrétiens  rou- 
mains et  cependant,  d'après  les  savants  roumains,  il  devait  y  en 
avoir  une  grande  quantité  dans  les  contrées  qu'il  a  parcou- 
rues. 

0/ituui  fait  venir  de  ]\'i(I(h'n  des  moines  bulgares  dans  le 
monastère  (|u  il  a  fait  bâtir  dans  le  voisinage  du  Maros. 
D'autre  part,  on  sait,  d'après  l'histoire  et  la  légende,  qu'il  a  mis 
1  end)argo  sur  le  sel  venant  de  Transylvanie  pour  le  compte  du 
roi  de  Hongrie.  La  Transylvanie  ne  lui  est  donc  pas  inconnue 
et  dans   le  Banal  il    v  avait,  comme   les  historiens  roumains 


LIVRE    PREMIER  73 

l'affirment,  un  souverain  roumain;  et  cependant  il  i.onore 
l'existence  des  Roumains  chrétiens  de  la  'rravsylvanic  et  du 
Banat,  et  pour  avoir  des  prêtres  chrétiens  il  est  oblifjé  de 
s'adresser  aux  pays  étrangers.  Nonobstant  les  Eoiimains  des 
environs  du  Maros,  comment  se  fait-il  que  saini  Grrard  ne  se 
peine  plus  tard  qu'avec  des  disciples  ma^jyars,  au  lieu  de 
fraterniser  avec  les  premiers  en  sa  qualité  d'Italien? 

Au  temps  de  l'incursion  des  Monfjols  1:213),  Rogérius  s'en- 
fuit de  JSagy-Vdvad  dans  le  département  cCArnd  et  de  là  en 
J'ransylvanie.  Il  erre  dans  les  champs  pendant  des  semaines 
entières  ayant  mille  aventures.  Il  les  raconte  minutieusement 
en  s'étendant  sur  le  caractère  ethnique  des  gens  qu'il  a  ren- 
contrés. Eh  bien!  il  parle  tour  à  tour  des  Allemands,  des 
Magyars  et  des  Cumans  mais  il  n'aperçoit  pas  un  seul  Roumain 
et  cependant  en  sa  qualité  d'Italien  qui  n'aime  ni  les  Allemands, 
ni  les  Magyars,  il  n'aurait  certes  pas  oublié  d'en  faire  mention 
dans  la  jiréface  de  son  «  Carmen  miserabile  -  dédié  à  un 
évéqiie  italien,  s'il  en  eût  vu  quelque  part. 

Au  contraire,  la  circonstance  que  Bakna  et7>»a,fils  du  chef 
Gyula,  conspirent  en  Transylvanie  d^m  l'intérêt  de  la  religion 
nationale  des  Magyars  —  ils  étaient  guèbres  —  démontre  clai- 
rement qu'il  V  avait  là,  dès  le  lendemain  de  la  conquête,  une 
population  magyare  extrêmement  attachée  aux  traditions  de 
sa  race  qui  formait,  dans  le  premier  demi-siècle  de  la  conver- 
sion au  christianisme  des  Magyars,  un  vrai  fover  de  résistance 
pour  le  paganisme. 

Ouoique  remontant  sinon  au  déluge,  mais  au  moiiis  aux 
temps  les  plus  obscurs  du  moven  âge,  ces  récapitulations  his- 
toriques ne  pouvaient  pas  être  évitées.  Elles  réduisent  à  leur 
juste  valeur  les  prétentions  des  Routnains  a  se  poser  en  repré- 
sentants de  la  civilisation  romaine  dans  l'Est  âeVEurof^e  et  en 
victimes  d'une  spoliation  brutale  de  la  part  du  peuple  magyar. 
Vu  son  tempérament  sensible  et  son  libéralisme  invétéré,  rien 
ne  pouvait  mieux  affecter  celui-ci  qu'un  reproche  pareil. 
Car,  tout  en  étant  convaincu  de  son  bon  droit  acquis  au  prix 
du  sang  versé  par  ses  aïeux  et  à  une  époque  où  1  on  n'en 
reconnaissait  pas  d'autre  que  celui  du  plus  fort,  il  lui  aurait 


74  MAGYAliS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'IIISTOIUE 

été  très  pénible  de  penser  (jue  le  royaume  de  Hongrie  con- 
tînt seulement  une  parcelle  de  terrain  qu'un  voisin  ami 
pourrait  revendi(juer  avec  la  moindre  lueur  de  raison. 

Non,  {jrâce  à  Dieu,  en  prenant  possession  de  la  Hongrie^  les 
Magyars  n'ont  pu  ni  léser  les  intérêts  des  Roumains,  ni  les 
priver  de  leur  indépendance  puisqu'il  n'y  en  avait  pas  dans  le 
pays  à  ré|)0(|nc  de  la  conquête  conmie  il  n'v  en  avait  (|ue  très 
|)eu  en  [général  —  et  aucun  appartenant  à  la  population  d  un 
état  roumain  constitué,  —  sur  toute  la  rive  pauclie  du 
Danabe.  Concernant  la  prétendue  origine  dacique  des  Rou- 
mains, qu'il  soit  permis  d'ajouter  aux  arguments  déjà  exposés 
plus  liant  les  réflexions  suivantes,  tirées  d'une  conférence  de 
Michel  Cogo/niccano,  du  célèbre  professeur  de  Y Acadt-mia  Mihai- 
leana  de  Jassy  lui-même  : 

«  Je  ne  veux  pas  faire  un  mystère  de  l'origine  latine  de  nos 
lois,  de  nos  mœurs,  de  notre  langue  et  de  notre  race,  car  elle 
est  depuis  longtemps  reconnue  par  l'Iiistoire,  mais  je  tiens  à 
vous  répéter  que  je  n'ai  aucune  envie  de  présenter  comme  les 
nôtres  les  actions  des  Romains.  Et  je  m'efforcerai,  au  contraire, 
de  vous  faire  observer  que  si  vous  voulez  être  leurs  descen- 
dants, vous  assumez  aussi  l'obligation  d'accomplir  quelque 
cbose  de  comparable  aux  liants  faits  de  ce  peuple  providen- 
tiel. (I)>. 

Prononcées  il  y  a  une  cinquantaine  d'années,  ces  paroles 
sont  aujourd'bui  d'autant  plus  de  saison  qu'avec  le  progrès 
des  idées  démocratiques  le  mérite  individuel  devient  l'unique 
source  de  toute  considération  de  fortune  ou  de  réussite.  D'ail- 
leurs à  1  égard  de  l'ancienneté  de  leur  race  et  de  leur  langue 
les  Magyars  n'ont  aucune  comparaison  à  redouter,  les  savantes 
recherches  d'un  linguiste  tel  que  M.  Jules  Oppert,  membre  de 
1  Institut,  ayant  démontié  leur  parenté  avec  les  Chaldéens  pri- 
mitifs et  sumériens  et  les  Mèdes.  Elle  a  été  pressentie  par  plu- 
sieurs historiens  hongrois  au  commencement  de  ce  siècle  — 
notamment  par  lùicnnc  de  Horvath  —  et  les  extravagantes 
spéculations  généalogiques  et  étymologiques  de  Pierre  Maîor 

(1)  Cuvent  iutroductio  lu  cii/sul  dr  Istoria  nationuta,  rostit  in  24  novottbrie  1848 
/»/  Aradcmia  Milidilcana.  Jassv- 


LIVRE    PREMIER  75 

ne  doivent  être  envisagées  que  comme  des  imitations  gros- 
sières, exécutées  dans  leur  manière.  Seulement,  tandis  que  les 
savants  hongrois  n'obéissaient  qu'à  leur  curiosité  scientifique 
en  fouillant  les  couches  les  plus  profondes  de  leur  histoire 
nationale,  St'nkaî  et  Maio?^  visaient  un  but  politique  tout  maté- 
riel et,  qui  pire  est,  semaient  les  germes  de  la  discorde  entre 
deux  peuples  voisins,  faits  pour  s'entendre  et  pour  marcher 
ensemble,  pour  combattre  en  Orient  l'ignorance  et  la  réac- 
tion ! 


LIVRE    DEUXIÈME 

RELAÏIOAS  E^TRE  MAGYARS  ET  ROUMAINS 
JUSQU'A  LA  FIi\  DU  XVIP  SIÈCLE 


CHAPITRE  PREMIER. 

sous  LES    ROIS    DK    LA    MAISON    d'aRPAD 

Si  1  on  écoutait  les  historiens  roumains  au  sujet  des  relations 
de  leurs  ancêtres  avec  les  Magyars  au  onzième  et  au  douzième 
siècle,  il  faudrait  arriver  à  la  conviction  qu'elles  étaient  abso- 
lument nulles,  vu  fjue,  d  après  leur  dire,  il  n'y  avait  pas  de 
Magyars  en  Transylvanie  avant  1291. 

«  Le  territoire  de  la  Transylvanie  fut  très  dépeuplé  par  suite 
de  longues  et  sanglantes  guerres  avec  les  Cumans  ;  c'est  pour- 
quoi il  ne  figure  dans  les  document  jamais  autrement  que  : 
«  terra  vastea  et  inhabitata  —  dit  Joan  Slavici  (1).  Pour  le 
repeupler,  les  rois  de  Hongrie  v  amènent  des  colons  de  diverses 
nationalités.  Les  premiers  sont  fournis  par  les  Patzinakites, 
que  l'on  place  au  long  des  montagnes  (1122  à  1125).  Après 
ceux-ci  arrive  un  groupe  considérable  de  Cumans  qui  se  fixe 
dans  la  vallée  du  Tibissus  (Tisza),  sur  la  rive  droite  du  fleuve. 
C'est  enfin  le  roi  Geiza  II  (1141  à  1161)  qui  commence  à  faire 
venir  des  colons  de  l'Allemagne.  Leur  immigration  dure  sans 
interruption  pendant  cent  ans...  En  Transylvanie  on  les 
appelle  des  Hospites  et  plus  tard  des  Saxons.  On  les  installe 
le  long  de  la  route  que  les  Cumans  ont  l'habitude  de  suivre. 

(1)  Jo\N  Slavici,  Ardealul.  Studiu  isloric.  Bucuresci,  1893. 


78  MAGYAIIS    ET    l\OUMAI>'S    DEVANT    L'HISTOIRE 

En  1:2  I  1 ,  le  roi  André  II  fait  don  du  Bartzasàgà  TOrdre  teuto- 
nique.  S  ils  sont  éloignés  par  André  II,  les  Saxons  ne  restent 
pas  moins  sur  leurs  territoires  mêmes  après  l'incursion  des 
Mongols.  » 

»  Les  Sicules  —  selon  toute  probabilité  une  branche  déta- 
chée au  ix'""  siècle  du  tronc  magyar  —  campaient  jusqu  à 
l'incursion  des  Mongols  dans  les  environs  des  sources  du  Maros 
et  de  rOlt;  ils  ne  s'établissent  dans  la  vallée  du  Maros  qu'après 
cette  incursion  néfaste.  Ce  fut  au  même  moment  —  en  1279 
—  que  Ladislas  le  Guman  fit  don  aux  Cumans  — arrivés  du 
temps  de  Bêla  IV  —  des  terrains  dépendant  des  places  fortes 
de  la  couronne  et  situés  entre  le  Tisza,  le  Koeroes  et  le  Maros, 
ainsi  que  des  propriétés  ayant  appartenu  à  des  nobles  ou  à  des 
hommes  liges  et  qui,  depuis  l'incursion  des  Mongols,  n'avaient 
plus  de  possesseurs.  " 

«  Et  ici  nous  avons  le  droit  de  demander  maintenant 
({uelle  a  été  la  nationalité  des  individus,  qui  habitaient  sur  ces 
porpriétés  offertes  en  cadeaux  aux  Saxons,  aux  Sicules  et  aux 
Cumans.  C  étaient  les  descendant  des  Romains  comme  les 
Basques  le  sont  dans  les  Pyrénées  ;  ils  vivaient  retirés  aux 
sources  des  tleuves,  dans  les  vallées  perdues,  sur  les  sommets 
des  glaciers  et  partout,  en  un  mot,  où  c'est  en  masse  compacte 
que  demeurent  aujourd'hui  les  Roumanis.  » 

"  Il  n'y  a  pas  encore  des  Magyars  en  Transvlvanie  à  ce  mo- 
ment. En  1:2 4(),  trois  ans  après  le  départ  des  Mongols,  Bêla  IV 
exempte  chaque  Magvar  de  la  juridiction  du  vayvode  s'il  s'éta- 
Idit  sur  les  propriétés  de  l'évèché  de  Gyulafehérvàr,  car  ce 
diocèse  était  tellement  dégarni  de  population  qu'il  v  en  avait 
à  peine  au  siège  même  de  1  évêque.  Nous  pouvons  deman- 
der maintenant  qui  étaient  ces  hommes  tombés  dans  les  com- 
bats et  à  quelle  nationalité  appartenaient  les  colons  qui  leur 
ont  succédé.  Dans  son  édit  sus  mentionné,  le  roi  nomme 
encore  les  endroits  suivants  :  dans  le  département  de  Doboka, 
les  communes  de  Herina  et  de  Byolocol;  dans  celui  de  Kolozs 
celle  de  Golou  (Gyalu),  et  dans  celui  de  Szolnok,  celles  de 
Tasnàd  et  de  Zilah.  La  population  des  département  dont  parle 
Bêla  IV,  est  aujourd'hui  roumaine,  tandis  que  celle  des  endroits 


LIVRE   DEUXIEME  79 

cités  est  magyare.  Il  faut  en  conclure  que  l'ancienne  popula- 
tion ne  pouvait  pas  être  la  population  magyare  des  villes,  mais 
la  population  roumaine  des  vallées  inconnues  !  » 

.(  Nous  ne  savons  pas  quelle  a  été  la  situation  ethnique  de 
la  Transylvanie  en  1002,  au  moment  où  on  a  déposé  le  vayvode 
Gyula.   Il  est  cependant  indubitable  qu'il    n'y  avait  pas   de 
Saxons  avant  1 1-43  et  que  les  Sicules  ne  quittèrent  les  voisinages 
des   sources    de  l'Oit   et  du    Maros    qu'après  l'incursion    des 
Mongols  et  que  l'on  ne  trouve  pas  de  Magyars  en  Transylvanie 
avant  1201.  Ce  fut  dans  le  courant  de  cette  année  qu'André  III, 
le   dernier  rejeton  des  Arpàd,   convoqua  une  diète  à  Gyula - 
fehérvàr,  mais  il  n'y  fit  venir  que  les  nobles  sicules,  saxons 
et   roumains  (nos   universis  nobilibus   Saxonibus ,   Siculis   et 
Olachis  in  partibus  Transsylvanis  apud  Albam-Juliam  pro  retor- 
matione  status  eorumdem  congregationem  cum  iisdem  fecis- 
semus).  Donc  ne  pas  u  in  Transsylvania»  ,  mais  seulement  «in 
partibus  Transsylvanis  »  ,  dit  le  roi  André  III.  Les  Sicules  de- 
puis qu'ils  sont  pour   la  première  fois  apparus  dans  l'histoire, 
n  ontjamais  été  soumis  au  vayvode,  mais  seulement  à  l'Ispàn 
des  Sicules  qui  était  tout  autant  un  vassal  du  roi  que  le  vay- 
vode. Les  Saxons  ne  dépendent  pas  non  plus  de  ce  dernier, 
mais  du  Cornes  des  Saxons,  également  un  vassal  du  roi.  Et  les 
Roumains  avaient  aussi  leur  Ban,  un  vassal  du  roi  également, 
demeurant  à  Fogaras,  en  face  du  col  de  Yoeroestorony.   Les 
Roumains  installés  en  colons  militaires  sur  les  terres  dépen- 
dant des  places  fortes  de  la  couronne  étaient  au  même  titre  des 
exempti  (des  privilégiés)  que  l'étaient  ceux  établis  sur  les  pro- 
priétés de  l'évéque,   qui  ne  dépendaient  que  de  leurs  chefs, 
appelés  des  Kénez.  On  apprend  des  documents  se  rapportant 
aux  privilèges,  que  la  juridiction  des  vayvodes  transylvaniens 
ne  s'étendait  que  sur  le  bassin  occidental  du  Maros  et  au  delà 
de  la  ligne  occidentale   seulement  sur   les    départements  de 
Szolnok,  Kraszna,  Bihar  et  Zarànd.  Dans  la  vallée  du  Sebes- 
Koeroes,  il  y  avait  un  vayvode  aussi  ayant  pour  siège  Belé- 
nyes.  Un  autre  se  trouvait  dans  la  vallée  du  Fehér-Koeroes 
ayant  pour  siège  Hodos.  Au  delà  du  Maros,  vers  le  Midi,  il  y 
avait  des  Kéneziats  aussi,  notamment  à  Lippa,   à  Facset,   à 


80  MAGYARS    ET    IIOUMAINS    DEVA.NT    L'IllSTOIUE 

LiiMos  et  à  Karan-Sebes.  Toutes  ces  contrées  réunies  consti- 
tiiaieiit  les  •  partes  Transsylvaniae ,  »  ou  le  roi  de  Hon^jrie 
a\ait  une  loule  de  vassaux  et  dont  la  noblesse  tenait  ses  diètes 
à  Gvnlafeliérvàr,  tandis  que  ce  lut  à  Alba-Re.jjia  (Székes-F'ehè- 
rvàrj  (jue  les  nobles  magyars  se  rendirent  pour  prendre  part 
à  la  diète  de  Hongrie.  Les  nobles  qui  s'assemblaient  à  Gyula- 
leliérvàr  n'étaient  donc  pas  des  Magyars.  » 

...  Il  Bien  qu  il  eût  accepté  sous  beaucoup  de  rapports  les 
institutions  des  peuples  de  r(3cciden(,  données  pai'  Cbarle- 
magne,  saint  Etienne  s  est  vu  forcé  de  compter  avec  les  usa- 
ges de  ses  peuples  et  surtout  avec  ceux  des  Magyars.  C'est  à 
cause  de  cela  que  nous  le  voyons  constituer  l'armée  du  royaume 
de  deux  éléments.  Les  Magyars  l'orment  une  armée  nationale 
comme  auparavant;  mais  le  roi  ne  peut  s'en  servir  que  con- 
ditionnellement.  Les  nobles  magyars,  qui  la  composaient, 
n'étaient  tenus  d'aller  en  guerre  en  dehors  des  fontières  du 
pays  que  si  la  chose  leur  convenait  et  s'ils  étaient  payés  par  le 
roi.  A  côté  de  cette  armée,  il  y  en  avait  aussi  une  autre  égale- 
ment royale,  mais  formée  de  mercenaires  et  de  colons  privi- 
légiés, tels  que  les  Saxons,  les  Allemands  du  Szepesség  (Zipsen) , 
les  Patzinakites  et  les  Cumans,  ainsi  que  tous  ceux  qui  reçurent 
des  donations  royales  en  échange  desquelles  ils  furent  obligés 
de  rendre  des  service  équivalents  dans  l  armée  royale.  A  tous 
points,  leurs  ressemblants  étaient  ces  colons  militaires  aussi, 
que  l'on  appelait  des  "  dvornik  "  ou  des  serfs  royaux,  établis 
autour  des  places  fortes  de  la  couronne,  qui  se  trouvaient  sur  le 
chemin  des  Cumans  et  des  Tartares.  Us  étaient  tous,  par  rap- 
port aux  nobles  magyars,  des  hommes  libres,  cependant  ils 
ne  possédaient  pas  la  noblesse  hongroise  et  conséqueramentils 
n  allaient  pas  aux  diètes  que  les  rois  tenaient  en  Hongrie, 
ordinairement  à  Szèkes-Fehérvàr  (Alba-Kegia).  » 

'  L'indépendance  des  Saxons  de  la  Transylvanie  par  rap- 
port aux  nobles  magyars  est  incontestable.  Les  Sicules,  les 
dvornik  établis  autour  des  places  fortes  et  les  serfs  du  roi  jouis- 
saient d'une  indépendance  analogue.  Comment  pourrait-on 
prouver  dans  ces  condition  là,  que  les  Roumains,  soumis  à  la 
juridiction  duvayvode  fussent  les  seuls  qui  soient  libres,  quand 


LIVRE   DEUXIÈME  81 

André  III  déclare  péremptoirement  qu'il  a  l'intention  de  tenir 
une  diète  à  Gyulafehérvâr  avec  les  nobles  saxons,  sicules  et 
roumains?  C'était  sur  le  principe  des  nationalités  que  repo- 
sait alors  l'orjjanisations  politique  de  la  Transylvanie.  Aucun 
Sicule  ne  se  trouvait  sous  la  juridiction  du  vavvode  et  aucun 
Roumain  sous  celle  de  l'Ispan  des  Sicules.  > 

!.  Il  appert  des  documents  qu'en  Transylvanie  il  y  avait  déjà 
en  1291  trois  nationalités  séparément  constituées  et  avant  les 
mêmes  droits  :  la  sicule,  la  saxonne  et  la  roumaine.  S  il  v  avait 
à  ce  moment  des  nobles  magyars  y  résidant,  ils  n'appartenaient 
pas  aux  Etats  du  pays.  La  «  Bulle  d'Or  »  nous  explique  claire- 
ment que  les  ^  fôispân  »  (préfets)  ne  peuvent  avoir  aucunejuri- 
diction  ni  sur  les  nobles  ni  sur  leurs  propriétés.  Aussi  ceux  des 
nobles  magyars  qui  avaient  des  propriétés  en  Transylvanie  ne 
dépendaient-ils  de  la  juridiction  ni  du  vayvode  ni  de  l'ispân 
des  Sicules  et  ils  ne  furent  pas  jugés  d'après  les  lois  transylva- 
niennes mais  d  après  celles  de  la  Hongrie.  En  un  mot,  ils 
étaient  considérés  dans  les  a  parties  transylvaniennes  »  comme 
des  étrangers. 

«  C'est  cette  situation  de  la  noblesse  magyare  qui  engendra 
en  Transylvanie  tous  les  malbeurs  pendant  ces  six  derniers 
siècles.  L'Etat  ne  peut  être  constitué  par  les  rois  de  Hongrie 
dans  leur  lutte  contre  la  noblesse  magyare  qu'à  l'aide  des 
autres  nationalités.  Les  Roumains  étant  décimés  par  les 
guerres  contre  les  Cumans  au  xif  siècle,  les  rois  de  Hongrie  se 
crurent  obligés  d'établir  des  colons  de  toutes  nations  dans  les 
contrées  déva^tées,  car  la  noblesse  magyare  ne  se  battait  que 
pour  abaisser  le  pouvoir  royal  et  pour  s  emparer  des  biens 
d'autrui.  Tandis  que  les  peuples  de  l'Europe  occidentale 
s  épuisent  dans  les  croisades,  les  Magyars  qui  n'y  prennent 
pas  part,  ne  pensent  qu'à  la  conquête  de  la  Croatie,  de  l'Es- 
clavonie  et  de  la  Dalmatie.  Et  quand,  au  commencement  du 
xm'  siècle,  André  II  s'en  va  enfin  en  Terre  Sainte,  son  insuccès 
est  immédiatement  exploité  par  la  noblesse  magyare  pour  lui 
extorquer  la  »  Bulle  d  Or  »  . 

«  Ce  fut  à  ce  moment  que  Bêla  IV  s'adressa  au  pape  pour 
obtenir  ses  bons  offices  auprès  de  cette  même  noblesse  magyare 

6 


82  MAGYARS    ET    llOUMAI>iS    DEVA>;ï    L'HISTOIRE 

afin  (lucllc  cesse  de  lui  imposer  la  vente  ininterrompue  des 
propriétés  relevant  des  j)Iaces  fortes  de  la  couronne.  Le  pa^)e 
ne  refuse  nullement  ce  rôle  de  médiateur.  Malheureusement  le 
résultat  est  que  Bêla  IV  se  croit  obli^'é  de  promettre  au  pape 
par  serment,  avant  son  couronnement,  l'extermination  des 
hérétiques.  Et,  en  1200,  Boniface  VIII  ne  craint  plus  déjà 
d'exiger  du  roi  de  Hongrie  ouvertement  qu  il  introduise  dans 
ses  États  1  Inquisition  ettju'il  y  poursuive  les  schismatiques  avec 
la  plus  grande  rigueur  en  les  frappant  des  punitions  les  plus 
dures  dans  tous  les  pays  de  la  couronne  de  saint  Etienne.  Or 
qui  étaient  ces  schismatiques?  Les  Roumains  de  confession 
grecque  orientale  ! 

.'  C'est  ainsi  que  commence  à  l'égard  de  ces  derniers  cette 
persécution  religieuse  sans  merci,  dont  la  noblesse  magyare  se 
sert  dans  les  parties  transylvaniennes  pour  s'emparer  des  biens 
des  nobles  roumains  schismatiques.  Après  les  incursions  des 
Ciimans  et  des  Mongols,  les  nobles  magyars  apparaissent  en 
Transylvanie  comme  ces  hyènes  des  cham[)s  de  bataille  qui 
dépouillent  les  morts  et  les  Ijlessés,  car  ils  enlèvent  les  biens 
et  les  droits  de  ceux  dont  les  parents  se  firent  tuer  pour  la 
patrie. 

»  Au  commencement  du  xiv*^  siècle,  au  moment  où  Charles- 
Robert  monte  sur  le  trône  de  la  Hongrie,  il  y  a  déjà  deux 
espèces  de  nobles  en  Transylvanie  :  les  nobles  sicules,  saxons 
et  roumains  transylvaniens  et  les  nobles  magyars  de  la  Hongrie. 
Ces  derniers  n'occupent  aucune  place  dans  l'administration 
j)olitique  de  la  Transylvanie;  ils  ne  dépendent  ni  du  vavvode 
ni  des  ispans  des  Sicules  et  des  Saxons.  Chez  eux,  en  Hongrie, 
ils  possédaient  dans  leurs  domaines  le  droit  de  juridiction, 
tandis  qu'en  Transylvanie  ils  n'avaient  que  des  propriétés  dans 
lesquelles  le  vavvode  ou  le  roi  lui-même  exerçaient  directe- 
ment la  juridiction. 

i.  En  12S2,  Ladislas  le  Cuman  concède  à  l'cvéque  de  Tran- 
sylvanie 1  exercice  du  droit  de  juridiction  dans  ses  propriétés. 
Alors  les  nobles  magyars  font  aussi  tous  leurs  efforts  pour  l'ob- 
tenir h  leur  tour.  En  1^42,  le  vayvode  transylvanien  nommé 
Thomas   réunit  à  Torda   une    assemblée  composée  de  nobles 


LIVRE   DEUXIEME  83 

magyars  (universitas  nobilium  partis  Transylvaniae).  Cette  as- 
semblée n'a  rien  de  commun  avec  les  diètes  que  le  roi  con- 
voque d'ordinaire  à  Gyulafehérvâr.  C'est  l'assemblée  parti- 
culière de  la  noblesse  magyare  étrangère  ayant  pour  but  le 
règlement  de  la  situation  de  cette  dernière  en  Transylvanie.  Ce 
fut  à  cette  assemblée  que  l'on  accorda  aux  nobles  également  le 
droit  de  juridiction  sur  leurs  serfs  et  que,  par  contre,  ils  admi- 
rent celui  du  vayvode  à  l'égard  des  leurs.  Voilà  comment 
renoncent  les  nobles  magyars  en  Transylvanie  à  leur  privilège 
accordé  par  la  «  Bulle  d'Or  u  de  ne  pas  dépendre  de  la  juri- 
diction des  fôispim  (préfets),  afin  d'obtenir  en  écbange  la 
faculté  d'exercer  le  droit  de  juridiction  sur  leurs  serfs.  C'est 
aussi  depuis  cette  assemblée  que  la  situation  de  la  noblesse 
magyare  se  trouve  définie  dans  l'organisation  politique  de  la 
Transylvanie  et  que  commence  l'exploitation  plus  cruelle  que 
jamais  des  Roumains.  ^^ 

Il  faudrait  que  le  peuple  roumain  soit  composé  uniquement 
de  saints  pour  résister  à  des  excitations  semblables,  habile- 
ment revêtues  d'une  brillante  teinte  scientifique.  Mais  qui- 
conque connaît  les  traits  principaux  de  l'histoire  de  la  Hongrie 
et  de  la  Tramylvanie  ou  possède  quelques  notions  au  sujet 
des  institutions  politiques,  judiciaires  et  sociales  de  l'Etat  hon- 
grois, conviendra  aisément  que  toute  cette  explication  histo- 
rique, n'est  qu'un  amas  de  faits  inexactement  racontés  auxquels 
s'ajoute  l'altération  de  certaines  phrases  des  documents  les 
plus  clairement  écrits;  ainsi  que  la  fausse  interprétation  de 
l'esprit  et  du  fonctionnement  des  institutions  hongroises 
anciennes. 

D'abord  Léon  le  Sage  et  Constantin  Porphyrogénète  affirment 
unanimement,  dans  leurs  relations  consacrées  à  la  description 
de  la  vie  des  anciens  Magyars,  que  les  affaires  de  cette  nation 
se  règlent  par  tribus  et  familles.  Non  seulement  c'est  ainsi 
qu  il  s'assemblent  pour  aller  à  la  guerre,  mais  c'est  ainsi  aussi 
qu'ils  ont  partagé  le  territoire  du  pays  conquis.  C'était  le  sou- 
verain, toujours  issu  de  la  famille  à' Arixid,  qui  commandait 
aux  vayvodes.  Dans  l'exercice  de  ses  fonctions,  il  avait  deux 
dignitaires  pour  aides  :  \eGylas  ou,  à  la  hongroise,  le  Gyida  et 


8V  .MA(;YAUS    F.T    IîOUMAINS    devant    T, 'HISTOIRE 

le  K<irhasz.  Celui-ci  était  le  ju(;e  suprême  du  pays,  tandis  que  le 
premier  représentait  très  probablement  le  pouvoir  royal  dans 
les  affaires  militaires,  comme  une  espèce  de  généralissime. 
Chose  curieuse  !  les  deux  plus  anciens  chefs  magyars  connus  en 
Transylvanie  s'appellent  des  Gyula.  Il  est  plus  <pie  probable 
que  ce  nom  n'était  pas  leur  nom  propre,  mais  se  rapportait  à 
leur  dignilé.  On  peut  donc  aisément  supposer  que  la  Transyl- 
vanie est  échue  comme  part  à  un  chef  de  tril)u,  titulaire  de 
cette  dignité.  Or  un  tel  chef  de  tribu  ne  devait  pas  vivre  séparé 
de  la  sienne,  il  est  donc  hors  de  doute  qu'autour  du  Gyula  de 
la  Transylvanie  il  y  en  avait  une  aussi  à  laquelle  appartenaient 
les  défenseurs,  déjà  mentionnés  plus  haut,  de  la  religion 
nationale. 

En  temps  de  paix,  les  tribus  de  Magyars  étaient  gouvernées 
par  leurs  chefs  respectifs  avec  un  pouvoir  autonome.  Aussi  les 
Gyula  envoyés  dans  une  région  géographiquement  éloignée  du 
centre  du  pouvoir,  devaient-ils  y  gérer  les  affaires  avec  une 
indépendance  que  saint  Etienne  dut  refréner  les  armes  à  la 
main,  tant  elle  devenait  menaçante  pour  l'unité  de  l'Etat. 
Voilà  pourquoi  la  Transylvanie  paraît  être  plus  indépendante 
dès  le  commencement  de  la  conquête  du  pays  parles  jl/a^j-r/r^. 

Depuis  la  mort  du  fondateur  apostolique  de  la  royauté  en 
flnngrie  (  I0ri8)  jusqu'au  règne  de  saint  Ladislas  (1077)  c'est 
un  brouillard  assez  épais  qui  couvre  l'histoire  de  la  Transyl- 
vanie. On  ne  sait  pas  grand'chose  sur  son  compte;  tout  au  plus 
peut-on  présumer  <[ue  sa  possession  était  peu  sûre  pour  le 
jeune  royaume  hongrois  à  cause  des  incursions  des  Patzina- 
kiies.  V.Wv  p;uaissait  être  un  pays-tanq>on  entre  les  territoires 
de  ces  derniers  et  la  Hongrie  proprement  dite. 

Le  roi  André I"  (1046  à  1060)  ayant  offert  à  son  frère  cadet 
Jjéla  de  revenir  de  la  Pologne  afin  de  partager  avec  lui  le  gou- 
vernement et  de  lui  laisser  la  couronne  après  sa  mort,  on 
divise  le  royaume  en  trois  parts.  Le  roi  en  garde  deux  par 
devers  lui  et  il  donne  la  troisième  à  Delà  (1).  Cette  troisième 

(1)  D'iviscrunt  j-ef/num  in  très  partes;  (luarum  duœ  in.  proprictalem  règne 
suce  majestatis  manserunl  ;  terlia  vero  pars  in  proprietatem  ducis  est  eollata. 
TuuROCZY  Chronica,  pars,  II,  cli.  '«-2. 


LIVRE    DEUXIEME  85 

part  se  composait  de  la  Transylvanie  actuelle  et  des  régions 
qui  se  trouvent  sur  la  rive  gauche  du  Tisza  (le  Tibissus).  Son 
pouvoir  était  tellement  considérable  sur  ces  territoires  qu'il  y 
exerça  les  droits  souverains  comme  ses  monnaies  frappées 
avec  le  titre  de  prince  en  exergue  le  prouvent  d'une  manière 
concluante. 

Devenu  roi  après  la  mort  de  Bêla  (1063),  Salomon  permit 
aux  fils  de  son  prédécesseur  de  garder  la  Ti-ansylvanie.  C'est 
de  cette  façon-là  que  le  partage  du  royaume  a  eu  lieu,  c'est-à- 
dire  la  donation  de  la  Transylvanie  aux  princes  royaux,  source 
de  tant  de  luttes  et  de  malheurs!  Quand  cette  province  n'ap- 
partenait pas  aux  princes  royaux,  c'était  le  vayvode  qui  y 
représentait  le  pouvoir  royal.  Telles  sont  les  raisons  à  cause 
des(|uelles  il  pouvait  sembler  aux  yeux  peu  exercés  que  la 
Transylvanie  était  un  pays  indépendant  sous  le  règne  des 
rois  de  la  maison  d'Arpâd. 

Les  incursions  de  plus  en  plus  fréquentés  des  Patzinakites 
attirent  forcément  l'attention  des  Magyars  sur  les  «  parties  tran- 
sylvaniennes »  .  Les  efforts  politiques  et  militaires  de  saint 
Ladislas  visaient  particuHèrement  la  défense  du  christianisme 
hongrois  contre  ses  ennemis  de  l'inlérieur  et  de  l'extérieur.  Or 
parmi  ceux  de  l'extérieur  c'étaient  les  Patzinakites  et  les 
Cnnians  qu'il  fallait  redouter  le  plus.  Leur  anéantissement 
complet  est  devenu  une  nécessité  afin  que  l'ennemi  intérieur, 
le  paganisme,  puisse  être  détruit  également  dans  les  contrées 
orientales  du  jeune  royaume. 

Saint  Ladislas  commence  déjà  du  temps  de  Salomon,  en  sa 
qualité  de  chef  de  l'armée,  une  série  de  campagnes  contre  les 
Cumans.  Il  la  continue  comme  roi  et  les  écrase  en  plusieurs 
batailles  glorieuses.  Mais  il  comprend  cependant  qu'il  ne  pour- 
rait user  des  fruits  de  ses  victoires  que  s'il  donne  à  la  Tratisyl- 
vanie,  surtout  dans  sa  partie  orientale,  une  organisation 
militaire  assez  forte  pour  repousser  toute  seule  les  futures 
attaques  possibles  de  ces  voisins  dangereux,  installés  sur  le 
territoire  de  la  Roumanie  actuelle.  Il  fait  donc  rassembler  cette 
partie  des  habitants  magyars  de  la  Transylvanie,  qui  vivait  à 
lEst  de  Gyulafehérvàr  comme  son  nom  l'indique  :  siège  du 


8(i  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVAINT    L'HISTOIRE 

Gyula  magyar,  dans  les  vallées  du  Maros  et  des  deux  Kûkûlloe, 
et  il  rétablit  dans  les  départements  à'Udvarhely  et  de  Hàrom- 
szc'k  et  dans  le  Csi/i.  Il  est  probable,  —  car  plusieurs  particula- 
rités linguistiques  l'attestent,  —  qu'il  a  augmenté  le  nombre 
des  Sicules  du  Ihiromszék  avec  des  colons  transportés  de  la  rive 
droite  du  Vnnube  (1  ancienne  Pannonie).  Les  noms  de  plusieurs 
communes  de  ce  même  département  de  Hiiromszek  aux  allures 
slaves,  situées  au  pied  des  montagnes,  semblent  indiquer  qu'il 
y  avait  là,  même  à  ce  moment,  une  population  slave  clair- 
semée. La  population  magyare  se  fixa  comme  d  babitude  sur 
les  plaines  qui  bordent  les  rivières,  ce  dont  il  est  Facile  de  se 
convaincre,  car  les  noms  des  villages  avant  l'adjectif  5am;  (en 
magyar  :  Szent)  pour  qualificatif,  sont  presque  exclusivement 
dans  tes  parages.  La  population  magyare  à'Udvarhely  doit  être 
considérée  comme  le  noyau  de  la  colonisation  sicule.  C'est  à 
cause  de  cela  que  ce  département  figure  dés  le  commencement 
comme  un  siège-mère,  et  c'est  cette  circonstance  qui  explique 
que  «  l'antique  constitution,  le  droit  civil  et  public  des  Sicules, 
dit  Charles  Szabé,  l'bistorien  transylvanien,  se  trouvent  être  le 
reflet  d'une  époque,  où  la  nation  magyare  vivait  encore  sous 
ce  gouvernement  patriarcal,  qu'elle  a  eu  avant  sa  conversion 
au  christianisme.  " 

En  dehors  de  ce  foyer  sicule,  les  Magyars  en  avaient  un 
autre  encore  au  nord-ouest  de  la  Transylvanie  dans  le  bassin  du 
Szanios  dès  l'époque  de  la  conquête  de  la  Hoar/rie.  Car  d  après  le 
récit  de  V Anonyme  lui-même,  c  est  de  ce  côté  que  Tulniinni  a 
envahi  la  prétendue  principauté  de  Mcnmarol.  D'autre  part, 
c'est  par  la  Transylvanie  que  Kézai,  le  moine  Marc  et  Thuroczy 
font  arriver  les  Magyars  en  Hongrie.  Or,  pour  atteindre  dans 
cette  direction  les  plaines  arrosées  par  le  Tibissus  le  plus  direc- 
tement, on  doit  suivre  le  cours  du  Szanws,  comme  l'a  suivi  du 
reste  trois  cent  cinquante  ans  plus  tard  une  fraction  de  l'armée 
des  Mongols  sous  la  conduite  de  Kadan  aussi,  tandis  que  Batou- 
Khan  est  passé  par  le  col  de  Terecr/ie, chemin  qu  avait  pris 
Arpàd  avec  le  gros  du  peuple  magyar. 

Ce  furent  des  Saxons  que  les  rois  de  la  maison  à' Arpàd 
établirent  sur  les  territoires  inhabités.  Ils  y  immigrèrent  en  trois 


LIVRE    DEUXIEME  8T 

fournées  :  la  première  était  la  colonie  de  Besziercze,  qui  date 
probablement  de  l'époque  qui  précède  lavènement  de  Géza  II; 
la  seconde  celle  de  la  contrée  de  Szehen,  c'est-à-dire  la  véri- 
table colonie  saxonne  du  temps  du  roi  Géza  11^  et  la  troisième 
celle  du  Barczasàg ,  installée  par  V Ordre  teutonique.  La  fusion 
des  Saxons  transylvaniens  en  un  seul  peuple  s'effectue  cent 
ans  après  le  commencement  de  la  colonisation  sur  la  base  du 
diplôme  Audreanum,  se  rapportant  aux  Saxons  de  la  seule  con- 
trée de  Szehen.  L'entrée  de  ceux  de  Besztercze  et  du  Barczasàg 
dans  l'union  des  Saxo7is  n'a  lieu  que  bien  plus  tard. 

Ainsi  se  formèrent  les  territoires  des  Magyars,  des  Sicules  et 
des  Saxons,  dans  les  parties  transylvaniennes,  chacun  avec 
une  autonomie  séparée,  sans  qu'ils  aient  ensemble  la  moindre 
organisation  commune  à  tous.  C'était  du  roi  qu'ils  dépen- 
daient directement  et  n'étaient  soumis  au  vay vode  de  la  Tian- 
sylvanie  qu'au  point  de  vue  militaire;  il  lui  était  interdit 
d  exercer  la  moindre  juridiction  politique  ou  civile  sur  aucun 
d'eux,  excepté  s'il  était  en  même  temps  ispàn  des  Sicules  aussi, 
alors  il  en  exerçait,  mais  dans  cette  qualité  particulière  et  sur 
ces  derniers  seulement. 

Rien  ne  prouve  mieux  l'existence  des  liens  intimes  qui  atta- 
chaient la  Transylvanie  à  la  Hongrie  que  la  présence  aux  diètes 
honpToises  non  seulement  des  seuls  nobles  magyars  fixés  en 
Transylvanie.,  mais  des  représentants  des  Sicules  et  des  Saxons 
aussi.  Le  comte  Joseph  Kemény  et  Charles  Schuller  ont  démon- 
tré, appuyés  sur  des  documents,  que  les.Sa.ro/j5avaientquatre 
représentants  à  la  diète  de  Hongrie  et  que  la  noblesse  sicule  y 
était  convoquée  au  même  titre  que  la  noblesse  magyare  (1). 
Dans  les  diètes  de  la  Transylvanie,  où  présidaient  tantôt  le  roi 
et  tantôt  le  vayvode,  on  a  pu,  il  est  vrai,  décréter  des  statuts, 
mais  ces  statuts  ne  pouvaient  pas  être  en  contradiction  avec 
ceux  décrétés  dans  la  mère-patrie.  (2)  La  convocation  de  ces 
diètes  spéciales  ne  devait  avoir  lieu  que  dans  le  cas  où  il 
s'agissait  soit   de   la   défense    de    la    Transylvanie   contre   un 

il)  Arpadia,  Tôrt.zsebkbnyv.  Rédigé  par  Kovasôczy,  vol.  III, p.  82.  Schuller  K.  , 
Umrùse  und  Kritisclie  Studien,  1894,  p.  33  à  38. 
(2)  Werboczy  Dec?-.  Trip.  P.  III 


88  MAGYARS    ET    l'.OUMAI^'S    DEVANT    L'HISTOIRE 

ennemi  extérieur,  soit  de  la  création  de  lois  locales  ou  intimes 
ou  enfin  des  subsides  en  hommes  et  en  argent  à  accorder  au 
roi.  En  dehors  décela,  il  y  a  def^  assemblées  tenues  séparément 
par  chaque  nation  pour  s'occuper  des  affaires  la  concernant. 
Celles  des  Magyais  ont  lieu  à  Tovda,  celles  des  Sicules  à  Udvar- 
Iiely  et  celles  des  Saxons  à  Szehen.  C'est  ainsi  que  se  forme 
peu  à  peu  ce  droit  pul)lic  spécial  de  la  Transyhanie,  qui  est 
CCI  tes  diliVrent  de  celui  de  la  Hongrie  au  sujet  de  tout  ce  qui 
touche  au  };ouvernement  local  mais  qui  n'est  pas  en  contradic- 
tion avec  lui  non  plus.  En  lout  cas,  il  est  impossible  d'en  tirer 
la  conchision  que  la  noblesse  magyare  ait  été  trailée  en  étran- 
gère dans  la  Transylvanie.  Et  cela  d'autant  moins  que,  du 
temps  des  Arpiids,  il  v  avait  des  nobles  non  seulement  parmi  les 
MagYa)s,  mais  aussi  parmi  les  Saxons.  Le  di])\6n^e  Andî-eanuju 
fait  mention  de  certains  prœdia;  Schloezer  affirme  qu'ils  com- 
posaient les  domaines  de  quelques  Saxons  grands  proprié- 
taires, à  <|ui  il  était  permis  d  avoir  des  serfs.  D'après  Beni- 
gni  [l),  c'étaient  des  propriétaires  nobles  saxons,  car,  comme 
le  prouve  le  décret  d  André  III  datant  de  1:291,  il  y  avait  jadis 
des  nobles  parmi  les  Saxons  :  «  Saxones  transsylvani  Pradia 
tenentes  et  more  nobilium  se  gerentes.  » 

Il  reste  à  savoir  maintenant  dans  quelle  situation  on  ren- 
contre, au  contraire,  les  Roanwins  en  Transjlva  nie  à  Y  époque 
où  les  conditions  politiques  et  ethniques  revêtent  des  formes 
plus  accusées. 

Dans  un  document  de  l'an  1223,  André  II  reprend  à  1  ar- 
chiprètre  de  Szehen  le  Kis-Disznôd  actuel,  en  lui  donnant  en 
échange  la  terre  de  Pnoduil, .  Quant  à  Kis-Disznôd^  il  le  donne 
à  un  ecclésiastique  nommé  Gocelin ,  qui  le  cède  à  son  tour  au 
monastère  de  l'Ordre  de  Ciieaux,  sis  à  Kercz.  C'est  pour  accor- 
der son  consentement  au  sujet  de  cette  cession  que  le  roi 
signe  ce  document;  mais  il  confirme  en  même  temps  une 
donation  qu'il  avait  faite  lui-même  audit  monastère  de  Kercz 
en  en  ayant  d'abord  éloigné  les  Roumains  iquam  prius  eisdem 
contuleramus  exemptam  de  IJlacchis  . 

(1)  IIiMALVY,  Az  olnhoh  liirtencte,  vol.  I,  p,  328. 


LIVRE    DEUXIÈME  89 

Dans  le  diplôme  Andreanum  datant  de  1221  on  lit  au 
IX*^  paragraphe  «  qu'il  donne  aux  Saxons,  en  dehors  des  choses 
susnommées  la  forêt  des  Blaccs  et  des  Patzinakites  avec  ses 
eaux,  afin  qu'ils  en  usent  avec  ceux-ci,  c'est-à-dire  avec  les 
Blaccs  et  les  Patzinakites  et  que,  jouissant  de  là  susdite  liberté, 
ils  ne  soient  tenus  à  aucune  servitude  à  cet  égard  «  .  Il  faut 
mentionner  troisièmement  le  document  déjà  cité  dans  lequel 
on  parle  de  la  terre  de  Boje  proche  voisine  de  Szomhathely 
comme  d'une  terre  depuis  longtemps  habitée  par  les  Uou- 
tnains.  C'est  de  cette  manière-là  que  l'on  constate  la  présence 
de  ces  derniers  dans  le  département  de  Fogaras. 

La  principale  vocation  des  Dominicains  magyars  était  la 
propagation  du  christianisme  parmi  les  nations  païennes  de 
l'Orient  appartenant  à  la  même  race  que  la  leur.  Les  prédica- 
tions du  Père  Paul  Mafjyar  et  de  ses  quelques  compagnons 
religieux  obtenaient  un  tel  succès  parmi  les  Cumans  que  non 
seulement  un  de  leurs  princes  nommé  Memhrok  ou  Boris  s'est 
fait  baptiser,  mais  il  a  même  envoyé  son  fils  avec  douze  Cu- 
mans de  haut  rang  près  de  l'archevêque  à'Esztergom  (Strigonie) 
afin  de  lui  demander  de  venir  en  Transylvanie  pour  y  pro- 
céder au  baptême  des  Cumans.  L'archevêque  Robert,  cédant  à 
ses  sollicitations,  y  alla  incontinent  et  après  y  avoir  baptisé 
15,000  Cumans  à  la  fois,  il  y  fonda  un  évéché  cuman.  Il  parait 
que  ce  titre  «  d'évêché  cuman  »  ne  plaisait  pas  beaucoup  aux 
Sicules,  qui  habitaient  avec  les  Cumans,  si  l'on  prête  croyance 
à  la  lettre  de  l'évêque  Théodoric  adressée  aux  Sicules  :  «  Il 
peut  y  avoir  dans  l'église  à  côté  des  agneaux  des  loups;  pour- 
quoi les  Sicules  ne  pourraient-ils  pas  rester  ensemble  avec  les 
Cumans  et  les  Vlachs?  » 

Le  roi  Bêla  /T' signe  en  1263  un  décret  dans  lequel  il  résume 
tous  les  droits  de  l'archevêque  à'Esziergom.  On  y  lit  entre  autres 
le  passage  suivant  :  «  Il  (c'est-à-dire  l'archevêque)  prend  égale- 
ment le  dixième  des  moutons  et  des  bœufs,  que  le  roi  fait  pré- 
lever chez  les  Vlachs  et  les  Sicules.  "  Cet  impôt  de  bétail  payé 
au  roi  par  les  Roumains  est  indiqué  dans  le  même  document 
sous  le  nom  de  «  quinquagesima  »  vulgairement  «  cinquan- 
tième »  ,  représentant  une  tête  de  bétail  par  chaque  troupeau 


90  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

composé  de  cinquante  bétes.  Cette  clef  de  leur  impôt  est  tout 
à  fait  semblable  à  celle  que  les  Vlachs  ont  eue  en  Serbie  ainsi 
que  dans  toute  la  péninsule  balcanique  d'après  les  «  Monu- 
menta  »  serbes  publiés  par  Miklosicli. 

Il  se  fait  devant  le  cbapître  de  Nagy-Vàrad  une  réconcilia- 
tion dune  part  entre  Ivan,  le  vayvode  de  Buletiiis,  et  ses 
parents  :  Boch  et  Balk,  et,  d  autre  part,  entre  JMcolas,  le  fils  de 
Kend  et  ses  parents  :  Jeatv,  Henning,  Biaise,  Lasdislas,  Tulamér 
et  Siosyan  de  Zalatna-hànya,  après  avoir  été  des  ennemis  à 
cause  de  l'assassinat  de  Bihach  et  de  Bonian.  Cette  commune 
de  Bidenus  n'est  autre  que  le  Belènyes  actuel,  situé  dans  le 
département  actuel  de  Bihar.  Se  basant  sur  ce  document,  les 
liistoriens  roumains  constatent  à  Belènyes  l'existence  d'une 
vayvodie  roumaine  autonome  sous  les  Arpàds.  D'après  leurs 
noms,  les  gens  de  Zalaina,  dont  se  compose  l'un  des  deux, 
partis  dans  le  procès,  sont  probablement  àes  Allemands  ;  qwOini 
à  savoir  si  la  nationalité  du  parti  adverse,  —  du  vavvode /fan 
et  de  ses  parents  Boch  et  Balli  —  est  roumaine  ou  slave,  le 
document  ne  l'explique  pas.  Mais,  en  admettant  qu'ils  soient 
des  Boujnains,  cela  ne  prouverait  que  leur  présence  à  cet 
endroit  et  à  une  époque  ou  on  ne  pourrait  y  rien  trouver 
d'extraordinaire  d'après  ce  qui  a  été  dit  plus  haut.  Seulement, 
il  est  certain  que  le  pouvoir  autonome  de  ce  vayvode  ne 
pouvait  pas  être  bien  considérable,  puisque,  pour  faire  un 
procès  ou  une  réconciliation,  il  s'adresse,  comme  un  simple 
mortel,  au  chapitre  de  JSagy-Vnrad. 

Pour  terminer,  qu'il  soit  permis  de  citer  le  document  à  xin- 
drélll,  datant  de  1:293  où  on  lit  le  passage  suivant  :  «  Poussé 
par  les  nécessités  que  le  pouvoir  Nous  impose,  Nous  avons  dé- 
cidé avec  le  consentement  de  Nos  barons,  que  tout  Valaque, 
quelle  que  soit  la  propriété  où  il  se  trouve,  retourne  sur  Nos 
propriétés  et  s'il  ne  veut  pas  y  retourner  volontairement  qu'il 
puisse  y  être  ramené  de  force.  Mais  comme  Notre  oncle,  le  feu 
roi  Ladislas  a  permis  au  chapitre  de  Gyulafehérvâr  d'établir 
60  familles  valaques  sur  ses  propriétés  de  Fyled  et  d'Énusd  et 
comme  ces  Valaques  ne  devaient  paver  aucun  impôt  royal  tel 
que    quinquagesima   ou    dime    —  respectant   et   approuvant 


LIVRE    DEUXIÈME  91 

cette  donation  du  roi  Ladislas,  Nous  la  confirmons  de  Notre 
part  aussi  et  Nous  enjoignons  à  Nos  receveurs  de  ne  percevoir 
ni  {juinquagesima,  ni  dîme  ni  autre  gabelle  de  ces  Valaques 
du  chapitre,  au  nombre  de  60  familles.  » 

Donc  les  Roumains  de  la  Transylvanie  étaient  à  ce  moment- 
là  des  serfs  au  service  du  roi.  Ayant  commencé  à  se  répandre 
sur  les  propriétés  des  particuliers,  le  roi  se  considérait  comme 
étant  lésé  dans  ses  intérêts  par  leurs  migrations  et  il  les  a  forcés 
à  réintégrer  ses  domaines.  Il  y  a  de  là  aux  assertions  orgueil- 
leuses des  historiens  roumains  bien  loin;  devant  l'évidence,  il 
leur  faut  renoncer  au  prétendu  chef  national,  désigné  d'ailleurs 
parle  nom  slave  de  Ban,  à  la  participation  des  Roumains  aux 
diètes  de  Gyulafehérvàr,  et  surtout  à  l'interprétation  fantaisiste 
avec  laquelle  on  a  rendu  dans  la  traduction  la  fameuse  phrase  : 
«  Cum  universis  nobilibus,  Saxonibus,  Siculis  et  Blachis  pro 
reformatione  status  eorundem  congregationem  cum  iis  fecisse- 
mus.  »  Sinkaï  l'interprète  de  cette  manière  :  «  Nous  avons 
tenu  une  assemblée  avec  tous  les  nobles,  les  Saxons,  lesSicules 
et  les  Roumains  pour  la  réorganisation  de  leur  situation»  pen- 
dant que  Slavici,  comme  s'il  ne  connaissait  pas  le  latin,  ne 
craint  pas  de  l'exprimer  ainsi  :  «  avec  tous  les  nobles  saxons, 
sicules  et  roumains.  " 

On  se  cramponne  également  aux  paroles  :  u  pro  reformatione 
status  eorundem  »  ,  pour  démontrer  que  l'assemblée  de  Gyula- 
fehérvàr  était  une  assemblée  législative.  Or  la  teneur  du  docu- 
ment se  rapportant  à  la  restitution  des  biens  de  maitre  Ugrin, 
explique  clairement  qu'il  s'agit  là  simplement  d'une  assemblée 
devant  être  consacrée  au  règlement  des  affaires  litigieuses,  que 
l'on  a  l'habitude  de  tenir  de  temps  en  temps  sous  la  présidence 
du  roi,  du  palatin  ou  de  son  représentant,  et  que  les  Roumains 
n'y  figurent  que  comme  témoins  I 


CHAPITRE  II 

LA  l()>il»AllON    IJH  LA  VALACHli:  ET  DL  LA  MOLDAVIE 

En  121  1  le  roi  Audrc-  //donne à  V Ordre  teiitonique  le  JJarcza- 
sàg  (le  pays  de  Brasso).  Pendant  son  expédition  en  Te7-re 
Sainte,  la  //o//yr/e  devient  la  ])roie  de  Tanarcliie  que  ledit  ordre 
exploite  probablement  aussi  pour  agrandir  ses  propriétés. 
Confisquées  d'abord  par  le  roi,  elles  sont  rendues  en  1222,  con- 
sidérablement augmentées,  c'est-à-dire  comprenant  le  terri- 
toire entier,  depuis  jSyén  jusqu'à  la  Frontière  des  Brotnil,,  au 
^'rand  maître  de  l'Ordre,  llermann  de  Saha.  Et  pour  complé- 
ter la  donation,  le  roi  permit  aux  cbevaliers  de  bâtir  des  places 
fortes  en  pierres  contre  les  Cunians  et  de  faire  venir  pour  leurs 
besoins  du  sel  sur  six  bateaux  à  la  lois,  par  le  Maros  et  VOlt, 
et  de  passer  à  travers  les  terres  des  Sic/des  et  des  VUiclis,  eux  et 
leurs  hommes,  sans  payer  aucune  redevance.  Cette  lettre  de 
donation  a  été  confirmée  par  le  pape  Honoré  dans  le  courant 
de  la  même  année,  avec  cette  variante  toutefois  que  l'expres- 
sion :  ((  ad  terminos  Protnikorum  "  se  trouve  remplacée  par 
celle-ci  :  -  ad  terminos  Blaccorum  v  ,  ainsi  que  la  phrase  : 
"  cum  transierint  pei'  terram  Siculorum  aut  per  terram  Blacco- 
rum »  ])ar  la  suivante  :  «  cum  par  Siculorum  terram  tran- 
sierint aut  Vlachorum.  » 

Sans  s'arrêter  à  la  particularité  que  dans  ce  document  les 
mots  hrotnili  et  vlarh  figurent  comme  des  équivalents,  il  s'agit 
de  savoir  maintenant,  où  doit-on  chercher  cette  «  terra 
Blaccorum  v.  .  Le  document  dit  que  le  territoire  concédé 
s'étend  dej)uis  les  prairies  de  Nycn  jusqu'à  la  frontière  des 
Ihoinik  ou  des  \  lac/is.  Elle  doit  être  située  dans  les  parages  de 
la  rivière  de  la  Jiodza.  Et  le  document  ajoute  en  terminant  que 
le  territoire  concédé  s'étend,  d'autre  part,  de  la  source  de  la 
/>Wsa  jusqu'au  Danube.  Il  faut  donc  penser  qu'il  s'allongeait  à 
travers  le  col  de  7'o/c5v^/r  jusqu'à  la  rivière  de  la  Dimbovitza  et 
de    là    à    travers   l'emplacement   du  Bucarest  actuel  jusqu'au 


LIVRE   DEUXIÈME  93 

Danube  (l).  Il  appert  de  tout  ceci  que  le  territoire  des  Blaccs 
occupait  une  partie  de  la  Roumanie  d'aujourd'hui .  Relativement 
à  ses  habitants  voilà  les  renseignements  contenus  dans  le  docu- 
ment déjà  cité  de  Bêla  /F  (2)  :  il  y  avait  des  Vlachs  d'une  part 
sous  des  Kénez  ainsi  que  sous  un  vayvode  de  la  Petite- Va/achie 
et,  d'autre  part,  sous  un  autre  vayvode  dans  la  Cumanie  située 
au  delà  de  \  Oh.  Ces  Vlachs  ne  devaient  pas  être  schismatiques, 
car  les  Johannites  étant  obligés  de  combattre  les  païens  et  les 
schismatiques  conformément  aux  statuts  de  leur  ordre,  en  cas 
d  attaque  ne  se  seraient  certes  pas  contraints  à  défendre  des 
r/ar//,'>  schismatiques.  Donc  ce  sont  des  organisations  romaines 
modestes  groupées  autour  des  Kénez  —  des  maires  ayant  un 
pouvoir  assez  étendu  — qui  remplacent  l'organisation  cumane. 
Celle-ci  s'effondra  sous  les  coups  des  Mongols  et  à  mesure 
qu'elle  disparut,  des  chefs  roumains  se  mirent  à  la  tête  d'une 
population  dont  ils  conduisaient  déjà  les  affaires  en  leur  qua- 
lité de  Kénez  par  suite  de  l'organisation  politique  importée  de 
Bulgarie.  C'est  ainsi  que  le  roumanisme  apparaît  bien  accru 
en  nombre,  politiquement  et  socialement  affermi  après  l'incur- 
sion des  Tartares  et  l'anéantissement  du  gouvernement  des 
Cumans  dans  la  vaste  plaine  s'étendant  entre  le  Danube  et  les 
Carpathes . 

Les  troubles  survenus  en  Hongrie  après  la  mort  de  Bêla  IV 
et  l'amoindrissement  croissant  du  pouvoir  royal  relâchèrent  de 
plus  en  plus  les  liens  qui  rattachaient  la  Cumanie  au  royaume 
hongrois.  Depuis  le  départ  des  chevaliers  Johanniies,  avant 
quitté  les  territoires  à  eux  concédés,  il  n'v  avait  plus  personne 
pour  les  faire  sentir  dans  ces  contrées  aux  vayvodes  et  aux  Kénez. 
Lythen,  probablement  le  plus  puissant  d'entre  eux,  vovaitavec 
plaisir  cet  affaissement  du  pouvoir  royal  et,  ayant  refusé  l'obéis- 
sance au  roi  personnellement,  il  est  parvenu  à  persuader  à  ses 
parents  qu  ils  devaient  considérer  les  terres  où  ils  habitaient 
comme  leurs  propriétés  et  ne  plus  payer  de  ce  chef  des  re- 
devances au  roi.  D'un  document  signé  en  1282  par  Ladislas 
le  Cuman  on  apprend  que  Lythen  étant  tué  et  son  père  Barbât 

1^1)  Hnnfaloy  :  Az  ol;'thok  torténete,  vol.  I,  |>.  328. 
(2)  Tbeimer,   Mohhih    n'a   Hiit.  IIuiij..  vol.   I,  p.    108 


94  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

pris,  Tordre  paraissait  être  teniporairement  rétabli  dans  la 
Valachie.  Il  est  à  remarquer  qu'à  cette  occasion  Ladislos  le  Cii- 
man  ne  donne  plus  au  pays  le  non»  de  Cumanie,  mais  il  l'ap- 
pelle  :   «  aliqua  })ars  de  regno  nostro  ultra  Alpes  existens.  " 

Ces  velléités  de  révolte  ont  du  prendre  des  dimensions  plus 
considérables  après  rextinction  de  la  maison  (\'Arpàd  (1301), 
pendant  les  règnes  tristes  et  éphémères  de  Venceslas  et  d'Oi/ion 
de  1301  à  1310;;  mais,  comme  on  ne  possède  pas  de  documents 
authentiques  à  ce  sujet,  II  faut  reculer  jusqu'en  1324  pour 
trouver  des  indications  histori(|ues  inattaquables  se  rappor- 
tant aux  événements  (pii  se  sont  accomplis  entre  temps  dans 
la  partie  transalpine  du  royaume  hongrois.  C'est  dans  le  cou- 
rant de  cette  année  que  Charles-Robert  de  la  maison  d'Anjou 
confirme  les  droits  de  Martin,  lispân  de  Szilâgy,  relativement 
à  sa  propriété  do  Davar  pour  cause  de  services  rendus  au  roi 
à  la  reprise  de  la  forteresse  de  Mihald  et  pendant  les  missions 
qu  il  a  remplies  comme  ambassadeur  auprès  de  Bassarah^  le 
vavvode  du  roi  en  Valachie.  L  auteur  grec  Kantakuzénos  af- 
firme, d'autre  part,  que  c'est  de  Bassarab,  du  vayvode  de  VUgro- 
Jalachie,  que  le  tsar  bulgare  Michel  reçoit  des  secours  en 
hommes  contre  l'empereur  de  Consianiinople  vers  132  4.  Il  y  a 
aussi  une  lettre  que  le  pape  écrit  dans  la  même  année  à  Bas- 
sarab :   "  Dilecto  filii  nobili  viro  Woyvadœ  Transalpino.  -î 

Ouoique  fortuitement  conservés,  ces  trois  documents  carac- 
térisent d'une  façon  complète  et  frappante  la  posture  particu- 
lière dans  Iaf|uellese  trouve  à  cemomentle  vayvode />rt.s,^Y/?77^. 
Il  est  encore  dépendant  du  roi  de  Hongrie,  mais,  à  l'égard  de 
l'étranger,  il  agit  déjà  en  maître  absolu.  Cette  situation  ne 
pouvait  être  que  transitoire  pour  préparer  la  création  d'un 
état  autonome,  puisque,  par  suite  de  leurs  dissensions,  les 
Magyars  n'étaient  plus  capables  de  conserver  leur  autorité 
dans  un  pays  qui  paraissait  former  partie  intégrante  de  la  Hon- 
grie des  derniers  Arpâd.  Pour  l'en  détacher,  la  moindre 
secousse  devait  suffire.  Provoquée  par  les  Magyars  eux-mêmes, 
elle  ne  tarda  pas  à  produire  son  effet  désastreux. 

La  Chrouigue  de  \  ienne  raconte  qu'en  1330,  quoique  le 
vayvode  Bassarab  eût  ponctuellement  rempli  tous  ses  devoirs 


LIVRE    DEUXIEME  95 

envers  le  roi,  celui-ci,  sur  l'instigation  de  Thomas,  vayvode 
de  la  Transylvanie  et  d  un  certain  Dionis,  fils  de  Nicolas  qui 
lui  avaient  demandé  de  chasser  le  vayvode  Bassarah  et  de 
donner  ses  possessions  à  Tun  d'eux,  s'en  alla  sur  le  territoire 
du  dit  vayvode  vlach,  à  la  tête  d'une  armée,  à  travers  le  Szo- 
rénység.  Il  s'y  empara  de  la  Aille  de  Szore'ny  qu'il  donna  avec 
tout  le  banat  de  Szorény  a  ce  Dionis  susmentionné. 

Le  vayvode  Bassai-ah  ou  Bazaràd ,  comme  le  nomme  la 
Chronique  en  question,  fit  dire  alors  au  roi  qu'il  était  prêt 
à  rembourser  ses  dépenses  de  guerre  jusqu'à  concurrence 
de  7,000  marcs  et  laisser  dans  sa  possession  la  ville  de  Szorény 
et  qu'il  voulait  s'acquitter  ponctuellement  chaque  année  de 
tous  les  impôts  dus  à  sa  couronne  et  même  lui  donner  un  de 
ses  fils  en  otage,  s'il  se  montrait  bienveillant  à  son  égard. 
Mais  le  roi  Charles-Bohert,  au  lieu  d'accepter  les  propositions, 
comme  plusieurs  le  lui  conseillèrent,  fit  aux  envoyés  du  vayvode 
la  réponse  suivante  :  "  Dites  à  Bazaràd  qu'il  est  le  pâtre  de 
mes  moutons  et  que  je  le  ferai  sortir  de  sa  cachette,  traîné  par 
la  barbe  »,  —  et  il  s'enfonça  de  plus  en  plus  dans  les  forêts  et 
les  glaciers.  Ce  fut  là  qu  il  traita  de  la  paix  avec  le  vayvode 
qui  lui  promit  non  seulement  l'obéissance,  mais  aussi  la  sécu- 
rité pour  son  retour.  Mais  quand  le  roi  arriva  à  un  endroit 
entouré  de  montagnes,  où  des  haies  interceptaient  la  route, 
il  vit  assaillir  son  armée  par  les  Boumains  qui  en  détruisirent 
la  plus  grande  partie.  Il  ne  se  sauva  lui-même  qu'avec  la  plus 
p^rande  difficulté.  Telle  est  la  première  apparition  de  la  vayvo- 
die  de  Valachie  sur  la  scène  de  l'histoire. 

C'est  une  obscurité  épaisse  et  impénétrable  qui  entoure 
l'origine  de  la  personnalité  et  de  la  puissance  de  Bassarah. 
Dans  un  document  du  roi  Charles-Robert,  daté  de  1332,  il  est 
désigné  comme  fils  de  Tokomery,  que  quelques-uns  confon- 
dent avec  le  fameux  Badu  Negru. 

"  Le  premier  souverain  de  la  Roumanie  ayant  régné  sur  le 
territoire  qui  s'étend  entre  le  Danube,  la  Pathna  et  les  Car- 
pathes,  —  dit  M.  Popesco  (1),  — fut  Tugomér  Bassarah,  connu 

(1)  N.  D.  Popesco,  Istoria  unei  dina<itli  [Bau^rabi)  Calendaru  pentru  toti. 
1892,  p.  18  et  19. 


9()  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

SOUS  le  nom  luidn  iXrr/rii.  H  vint  d'au  delà  des  montagnes  de 
Fogaras  et  il  s'établit  avec  sa  cour  et  son  armée  d'abord  à 
Càmpolung  et  ensuite  à  Gurtea  de  Arges.  Ce  ne  fut  pas  un 
pays  désert  que  ce  souverain  trouva  ici;  il  contenait  plusieurs 
petites  provinces,  à  la  tète  desquelles  il  y  avait,  au  delà  de 
l  Oit,  des  «  bàn  »  et  en  deçà  des  «  vayvodes  »  .  Les  principales 
d'entre  elles  furent  les  banats  de  Severin,  de  Streliaïa  et  de 
Krajova  et  les  vayvodies  de  Lotor  et  de  Lino.  Indépendantes 
les  unes  des  autres,  elles  ne  se  réunissaient  pour  former  une 
seule  armée  que  quand  elles  avaient  à  condjattre  l'étranger 
envahisseur.  Mais  comme  ces  unions  momentanées  étaient  rien 
moins  que  suffisantes  pour  les  défendre  avec  succès  contre  les 
attaques  venant  du  dehors,  elles  se  sont  adressées  à  7 ngonier- 
Bd-ssurah,  le  seigneur  d'Ondàs  et  de  Fogaras,  le  plus  puissant 
parmi  ses  semblables,  pour  le  prier  de  traverser  les  glaciers 
el  de  devenir  leur  souverain  en  les  réunissant.  » 

«  Cédant  aux  sollicitations,  Tiigoinér  traversa  les  glaciers 
et  devint  le  seigneur  non  plus  d'Omlàs  et  de  Fogaras  seule- 
ment, mais  de  toutes  les  terres  de  la  Yalachie  jusqu'à  Tembou- 
chure  du  Danube.  Alors  les  anciens  vayvodes  et  bans  ne 
furent  que  ses  lieutenants  dans  les  terres  qui  leur  apparte- 
naient jadis.  Ce  fut  Bassarah  qui  organisa  l'Etat  roumain.  Sur 
un  point  il  a  dû  cependant  céder  à  la  volonté  de  ses  vayvodes 
et  kénez  :  il  a  fallu  qu  il  consentît  à  ce  (jue  la  succession  au 
trône  fût  élective  dans  la  famille  des  Bassarab.  On  n'a  pas 
stipulé  conséquemment  que  les  rênes  du  gouvernement  pas- 
seraient de  la  main  du  père  dans  celle  du  Fds  ;  on  a  même 
admis  que  les  Hls  illégitimes  du  vayvode  eux-mêmes  ne 
pourraient  être  exclus  de  la  succession.  Cette  particularité  du 
pacte  a  servi  de  prétexte  à  provoquer  des  luttes  incessantes. 
Les  compétiteurs  au  trône  se  présentèrent  l'un  après  l'autre. 
11  se  trouvait  même  plus  d'un  boiard  ambitieux  qui,  en  se  pré- 
sentant comme  lils  illégitime  d'un  vayvode  décédé,  ne  craignait 
pas  de  briguer  le  trône  au  prix  du  déshonneur  de  sa  mère.  Les 
conq)étiteurs  s'adressèrent  très  souvent  d'ailleurs  pour  aide 
et  protection  aux  voisins,  toujours  empressés  à  leur  accorder 
des  subsides,  car  ces  luttes  fratricides  n'étaient  pas  faites  pour 


LIVllE    DEUXIEME  97 

fortifier  les  Roumains.  C'étaient  surtout  les  Majjyars  qui 
aimaient  à  s'immiscer  dansées  luttes  pour  le  Irone,  ayant  tou- 
jours nourri  le  désir,  dans  leur  for  intérieur,  de  subjuguer  les 
Roumains.  Et  pour  arriver  à  cette  fin,  aucun  moyen  ne  leur 
paraissait  être  aussi  favorable  que  l'affaiblissement  par  les 
luttes  intestines.  Ce  fut  la  raison  pour  laquelle  ils  donnè- 
rent asile  dans  leur  pays  à  tous  les  prétendants  roumains, 
ainsi  que  des  subsides  en  hommes  et  en  argent  si  le  besoin 
s'en  faisait  sentir.  Aussi  appelait-on  le  chemin  qui  conduit  de 
la  Valachie  en  Hongiie  à  travers  la  vallée  de  la  Prahova  '<  le 
chemin  des  princes  »  druniul  domni  sorilor).  D'après  la  «  Cro- 
nica  Anonyma  ",  Constantin  Capitanul,  Fotina  et  d'autres 
anciens  auteurs,  Radu  Negru  étant  mort,  ce  fut  son  frère  Mi 
chel,  déjà  bàn  de  Krajova  que  les  boïards  élurent  pour  souve- 
rain et,  après  la  mort  de  celui-ci,  son  plus  jeune  frère  Dan,  — 
probablement  parce  que  les  fils  de  Radu  Negru  étaient  trop 
jeunes  encore.  Après  la  mort  de  Dan,  ce  fut  effectivement 
Alexandre  Bassarab,  le  fils  de  Radu  jNegru,  qui  monta  sur  le 
trône,  celui  par  qui  le  roi  de  Hongrie,  Charles-Robert,  fut 
battu  dans  les  cols  de  Vulcan,  dans  le  district  de  Gorj.  « 

Parmi  les  historiens  roumains  modernes  il  n'y  a  que  M.  Xetio- 
pol  pour  prendre  au  sérieux  cet  exode  de  Radu  Negrii.  Son 
argumentation  se  résume  dans  les  assertions  suivantes  : 
Depuis  la  fondation  de  la  domination  magyare  en  Trans)  Ivd- 
m'e,  les  Roumains  y  furent  toujours  exposés  à  la  persécution 
de  l'église  catholique  qu'elle  n'avaitjamais  interrompue  contre 
l'Église  orthodoxe.  Les  rois  de  Hongrie  furent  plusieurs  fois 
invités  par  les  papes  à  convertir  les  "  soi-disant  chrétiens  » 
de  leur  royaume  à  la  vraie  religion.  C'est  en  nombre  croissant 
que  les  Roumains  s'efforçaient  de  se  retirer  devant  la  persécu- 
tion dans  les  principautés  de  Fogaras  elde  Marmaros,  à  moitié 
indépendantes.  Mais  la  propagande  catholique  ne  les  laissa 
pas  tranquilles,  même  dans  ces  retraites,  et  comme,  par  suite 
de  l'immigration  incessante,  la  population  de  ces  principautés 
s'était  considérablement  augmentée ,  une  partie  du  peuple 
roumain  [)rit  la  résolution  de  traverser  les  montagnes  et  de 
s'établir  dans  les  vallées  qui  conduisent  à  la  mer  Noire  et  d'y 

7 


98  MAGYAI'.S  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
commencer  une  existence  dans  laquelle  elle  espérait  être  pré- 
servée de  toute  persécution  jusque-là  endurée.  La  première 
émi(>ration  des  Roiwunns  part  de  Foganis.  C'est  à  la  tête  d'une 
colonie  roumaine  puissante  composée  de  familles  aisées,  de 
la  noblesse  roumaine  et  naturellement  de  leurs  serviteurs,  que 
Radii  Ncf/J'ii  a  traversé  les  monta.jjnes.  Voilà  conmient  cette 
émi.<^ration  transylvanienne  a  augmenté  le  nombre  des  boiards 
déjà  établis.  Le  peuple  roumain  liabitant  le  versant  Sud  des 
Carpathes  s'est  aisément  soumis  aux  immigrants  et  s'est  vite 
IransFormé  en  classe  inférieure  de  la  société,  tandis  que  ce 
sont  les  immi.orants  de  Foganis  qui  sont  devenus  les  représen- 
tants des  classes  dirigeantes.  Et  comme  le  peuple  roumain, 
qui  v  habitait  déjà  antérieurement,  s'était  appelé  «  roumain  »  , 
en  tombant  en  état  de  servitude,  cette  dénomination  lui  resta 
et  devint  synonyme  de  serf,  tandis  que  ce  ("ut  le  nom  de 
(c  nninteiii  ^^  que  les  émigrés  dominateurs  adoptèrent.  De  là  le 
nom  de  «  Munienia  "  pour  désigner  le  pays.  Il  y  a  encore  un 
autre  nom,  le  a  Tara  romaueasca  »  ,  donné  par  le  peuple  rou- 
main autochtone.  Le  troisième  nom,  celui  de  «  Valachie  »  , 
n'était  employé  que  par  les  étrangers. 

11  serait  coupable  de  ne  pas  remarquer  que  ces  contes  enfan- 
tins, arrangés  pour  rendre  \Qi,^Magyars  et  la  religion  catho- 
lique plus  odieux,  ne  sont  pas  acceptés  comme  vérités  his- 
toriques par  la  plupart  des  historiens  roumains  modernes. 
Hurniuzaki  [\)  n'en  souPlle  pas  mot  et  ne  veut  voir  dans  Radu 
Negru  qu'un  Kénez  semblable  au  \ay\ode  Lythen^  révolté  sous 
Ladislas  leCinnan ,  mais  un  Kénez  plus  heureux  dans  ses 
entreprises.  Pour  Hasdeu  2),  Radu  Negru  est  un  personnage 
labuleux,  car  il  croit  que  Terreur  des  chroniqueurs  provient 
de  ce  qu'ils  l'ont  confondu  avec  le  (ils  ai  Alexandre  Bassarab, 
avec  Radu  Negru  Rassurai)  qui  régnait  de  1372  à  1382,  —  en 
imputant  les  actes  de  Tun  à  l'autre.  D'après  Tocilesco  (3),  le 
liadu  Negru   des  chroniqueurs   est   une  figure  des    traditions 

(1)  llrRMUZAKi,  Finginente  zitr  Gescliiclile  der  Rumànen.  vol.   1,  p.   1^0. 

(2)  IIasdel',  Istoria  crilica  a  romaiiilor,  p.  120  et  121. 

(3)  Gi\.  G.  Tocii.ESCO,  htoriii  romana  pentiu  scolele  piiniaie  de  ambe-sexe 
Bucuresti,  1887,  p.  137. 


LIVRE   DEUXIÈME  99 

anciennes,  vivant  encore  dans  la  bouche  des  paysans  des  dis- 
tricts de  Miiscelet  d'Aigés  et  qui,  au  fond,  n'est  personne  autre 
que  Tiifjoniér  Bassarah,  le  père  à' Alexandre  Bassarab. 

Quelle  que  soit  sa  personnalité,  il  n'est  pas  moins  certain 
que  la  terre  de  Fogaras  ne  pouvait  pas  lui  appartenir,  car  dans 
le  document  déjà  mentionné  à  André  III  et  daté  de  1291,  le 
roi  la  fait  rendre  à  maître  Ugrin  comme  une  propriété  qu'il 
avait  déjà  possédée.  D'autre  part,  Nicolas  et  Jean^  fds  de  Kon- 
rad  ou  Korrad  du  commandant  du  château  fort  de  Talmâcs, 
font  un  accord  avec  Pierre  et  Simon,  les  fils  de  Michel,  com- 
mandant du  château  fort  de  Solymos,  pour  décider  que  s'ils 
mouraient  sans  héritiers  mâles,  la  moitié  de  leurs  propriétés 
de  T(dmàcs,  Fekeleviz,  Oinlâs,  Alamor,  Zeulès,  Bolkach,  etc. 
reviendrait  à  leur  beau-frère  Pierre.  Et  cet  accord,  Charles-Ro- 
bert \e  sanctionne  en  1319.  Il  est  donc  évident  que  Foqams 
et  Omlàs  ne  pouvaient  pas  appartenir  à  Radu  jSegru  en  1290 
et  qu'il  ne  pouvait  pas  en  sortir  non  plus  accompagné  d'une 
grande  foule  de  nobles  et  de  serviteurs  pour  émigrer  en  Vala- 
chie,  et  encore  moins  y  fonder  Campolunqu  et  en  faire  le  siège 
de  son  gouvernement,  car  des  documents  authentiques  prou- 
vent que  ce  sont  les  Saxons  qui  ont  fondé  cette  ville,  et  que 
son  nom  roumain  n'est  que  la  traduction  de  son  nom  allemand 
de  «  Langenfeld  15    Longchamp). 

En  tout  cas  il  est  probable  que  ce  fut  ce  Tngomér  Bassarab 
qui  fonda  une  dynastie  en  Valachie  et  que  ce  fut  son  fils  Alexan- 
dre qui  créa  l'Etat  roumain  par  sa  victoire  remportée  sur  l'ar- 
mée de  Charles-Robert.  Les  Roumains,  auparavant  pasteurs,  à 
moitié  nomades,  deviennent  alors  une  nation  véritable,  et  leur 
pays  composé,  comme  une  mosaïque,  de  plusieurs  Kénézies 
plus  ou  moins  grandes,  se  transforme,  après  la  disparition  des 
Cuinans,  en  un  état  indépendant,  il  n'y  a  d  histoire  roumaine 
que  depuis  cette  époque. 

Quoiqu'il  y  ait  une  quantité  de  documents  transylvaniens 
et  hongrois  du  xn*"  et  du  xvi^  siècle,  se  rapportant  à  divers 
membres  de  la  famille  Bassarab  —  Kénez,  commandants  de 
districts  et  propriétaires  —  il  ne  faut  pas  chercher  son  origine 
en  Hongrie.    «Une  partie  de  la  Bassarabie  ainsi  que  du  district 


JOO  MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    I/FUSTOIRE 

de  Covurlui —  écrit  M.  Adrinn  Casoltenno  (1)  se  trouvait  sous 
la  domiiiatiou  de  chefs  cuinans  et  dépendait  tantôt  de  la  lion- 
nrir,  tantôt  des  souverains  de  la  Valachie...  Il  n'est  pas  impos- 
sible que  les  liaanraha  de  la  Valachie  descendent  directement 
de  ces  chefs  cumans;  car  il  v  a  un  grand  nombre  de  familles 
roumaines  dont  Torijjine  est  soit  cumane,  soit  tartare.  » 
Voilà  sur  ce  sujet  le  raisonnement  de  M.  Jancsô  : 
Dans  un  document  daté  du  21  octobre  1350  le  roi  de  Ilon- 
nrie  Louis  f  ''  ordonne  au  chapitre  de  Transylvanie  d'installer 
un  nommé  «  Ejjidius,  filins  Johannis  de  Bezermen-Zanchal  »  , 
qui  lui  a  rendu  pendant  quatre  ans  des  services  si^jnalés,  dans 
une  propriété  sise  à  Bczemicn-Zanchal  (département  de  Kïs- 
Iviikidlo).  D'autre  part,  le  2  l  janvier  I3(j  I ,  le  vayvode  de  Tran- 
sylvanie, Dionis  ordonne  également  au  chapitre  de  Transylvanie 
d'installer  «  Egidius,  filius  Bazarab  de  Zanchal  »  dans  la  pro- 
priété de  Zolian.  Il  ne  peut  v  avoir  le  moindre  doute  sur  l'iden- 
tité de  cet  «  Ivjidius  Bazarab  de  Zanchal  »  avec  l'individu  sus- 
''it  et  nommé  aEgidius,  filius  Johannis  de  Bezermen-Zanchal  "  . 
On  voit  donc  que  les  mots  Bezermen  et  Basarab  sont  des  syno- 
nymes. Or  le  mot  Bezermen  est  l'équivalent  du  mot  musulman^ 
car  dans  la  langue  tartare  de  Kazâr  on  le  prononce  :  huzumian 
et  dans  le  tsdmqatai  :  nuizurnian.  C'est  par  le  canal  de.v  Tartares 
qu'il  s'est  acclimaté  parmi  les  Russes  méridionaux  ,  qui  ne 
l'emploient  encore  aujourd'hui  que  sous  cette  forme.  Les  Ma- 
gyars donnaient  le  nom  de  Boeszoernicny  aux  Isnitieliies  de 
religion  mahométane  à  qui  il  échut  plus  d'un  rôle  important 
dans  l'histoire  hongroise  et  dont  il  est  question  dans  les  lois 
de  Colonian,  de  Ladislas  /"',  ainsi  que  dans  la  "  Bulle  d'Or  »  et 
dans^lcs  décrets  émanants  des  diètes  tenues  par  André  Ilf.  Il 
est  intéressant  de  savoir  qu'il  y  a  une  tête  de  nègre  dans  les 
armes  de  plusieurs  familles  de  la  noblesse  magyare  ayant  une 
origine  ismaélite  (boeszoermény),  tandis  que  dans  celles  de  la 
Valachie  il  y  en  a  trois. 

En  prenant   pour  point    de    départ   cet   écusson    à  tête  rie 
nègre,  on  peut  affirmer  que  les  fondateurs  de  la  dynastie  rou- 

(1)  AoniAN  Casolteano  :  Basarabia.  Rucurcsci,  1895,  p.  7. 


LIVRE    DEUXIÈME  101 

inaine  de  la  Valachic  étaient  dans  1  origine  des  Cunitins  de  re- 
ligion mahométane.  Car  c'est  un  fait  positif  que  les  Ciimans, 
avant  vécu  sur  le  territoire  de  la  Roinnanie  actuelle  avant  Tin- 
cursion  des  Tartares,  appartenaient  au  mahométisme  d'une 
certaine  espèce,  très  répandu  parmi  les  Cinnans  ei  les Patztna- 
kites.  Les  premiers  des  Bassarah  ne  pouvaient  donc  être  qu'un 
chef  cuman  ayant  organisé  sa  kénésie  d'après  les  traditions 
bulgares  et  les  institutions  de  1  Etat  cuman.  Ses  principaux 
dignitaires  étaient  des  Cumans  et  des  Bulgares.  C'étaient  eux 
qui  formaient  l'aristocratie  du  nouvel  État  en  s'appelant  en 
langue  bulgaro-slave  des  holjares  ou  boyards,  pendant  que  la 
masse  du  peuple,  au-dessus  de  laquelle  ils  représentaient  le 
pouvoir,  était  roumaine  aussi  bien  sous  le  rapport  de  sa  langue 
que  sous  le  rapport  de  sa  nationalité.  C'est  à  cause  de  cela  que 
les  membres  de  la  caste  privilégiée  du  nouvel  Etat  ne  s'appel- 
lent que  des  boyards  sans  épithète.  car  le  mot  roî/»»am  devient 
une  expressionpour  désigner  la  grande  masse  du  peuple  étant  en 
état  de  servitude.  INaturellement,  d'après  l'historiographie  daco- 
roumainç.,  le  mot  boyard  n'est  pas  seulement  d'origine  ro- 
maine, mais  encore exprime-t-il  une  conception  romaine  aussi. 
Ce  fut  dans  des  chars  traînés  par  des  bœufs  que  les  principaux 
des  anciens  Romains  partirent  pour  la  guerre;  de  là  l'expres- 
sion :  "  bovis  herus,  '  c  est-h-dire  :  >*  chevalier  "  et  le  mot 
actuel  de  «  boyard  "  n'est  que  le  dérivé,  formé  par  contrac- 
tion, des  deux  susdits  mots! 

Du  reste,  c'est  encore  l'influence  cumano-mahométane  qui 
se  fait  sentir  chez  les  Bassarab  et  leurs  Boyards  quand,  dans  la 
famille  des  premiers,  les  droits  de  succession  ne  se  transmettent 
pas  de  père  en  fils,  mais  reviennent  d  un  membre  à  lautre  par 
suite  d'élections  circonscrites,  comme  cela  se  pratiquait  chez  les 
Magyars  encore  païens,  —  et  quand,  en  général,  on  les  voit 
vivre  tous  dans  une  polygamie  déguisée  que  les  témoignages 
des  auteurs  constatent  à  l'envi.  Voilà  ce  que  dit  Verancsics  : 
«  Les  fils  légitimes  et  illégitimes  peuvent  indifféremment  se 
succéder  au  trône,  car,  en  dehors  de  la  femme  légitime,  ils  se 
marient  avec  plusieurs  autres  aussi.  Mais  même  la  légitime, 
quoique  ayant    déjà    des    enfants,    peut   être   facilement  ren- 


102         MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

voyée,  si  on  lui  donne  une  lettre  de  divorce  et  une  petite 
somme  d'ar^jent.  Les  nobles  et  les  roturiers  ont  à  cet  égard 
les  mêmes  habitudes;  chez  les  derniers  il  y  a  même  plus  de 
licence  à  cet  é};ard  "  .  Reichersdorfer  (1)  affirme  (jue  «  chacun 
des  Roumains  a  ordinairement  deux  ou  trois  femmes;  les 
nobles  et  les  principaux  ont  droit  à  plus  encore;  quant  au 
A^ayvode,  il  en  a  autant  qu'il  en  veut.  »  De  son  coté,  Forgàch 
raconte  dans  son  <t  Commentarius  "  que  d'après  les  usages  il 
est  permis  au  vayvode  découcher  avec  nimporte  quelle  fdle  de 
])ovard,  qui  lui  convient.  Les  enfants  issus  de  ces  unions  sont 
mar(jués  au  fer  rouge  afin  que  Fou  puisse  reconnaître  leur 
haute  origine. 

Voilà  maintenant  Thistoire  de  la  fondation  de  la  princi- 
pauté de  Moldavie  racontée  par  M.  A.  D.  Xénopol  (2). 

«  C'est  de  Marmaros  en  Hongrie)  —  principauté  servant  de 
refuge  aux  Roumains  qui  fuyaient  la  domination  magyare, 
—  que  commença  à  descendre  sur  les  plaines  spacieuses  et 
plus  fertiles  de  la  Moldavie  le  peuple  roumain  dès  la  fin  du 
xiir  siècle.  L'un  des  vayvodes  de  cette  principauté,  qui  étaient 
presque  tous  des  Roumains,  le  nommé  Dragos,  transmigra  en 
Moldavie  sans  se  séparer  complètement  de  la  couronne  hon- 
groise, comme  1  avait  fait  Radu  Negru.  Le  fils  de  ce  Dragos 
était  le  vayvode  Szâsz  (mot  qui  veut  dire  en  hongrois  «  saxon  d  ) 
dont  le  fils  s'appelait  Ralk  ;  il  régnait  dans  la  nouvelle  princi- 
pauté juste  au  moment  où  un  nouvel  exode  venant  de  Marma- 
ros, fut  la  cause  que  la  Moldavie  devint  un  état  indépendant, 
s'étant  séparé  du  royaume  de  Hongrie.  Ce  nouvel  exode  eut 
lieu  en  i;}i!>  sous  la  conduite  du  vavvode  Bogdan  qui,  s'étant 
révolté  contre  le  roi,  ne  cessa  pas  d'exciter  les  Roumains  qui 
le  suivirent  aussi  nombreux  que  possible.  Or  le  vayvode  Gyula 
n'étant  pas  enclin  à  obéir  aux  injonctions  de  Bogdan,  eut  ses 
biens  dévastés  j)ar  ce  dernier,  qui  transmigra  alors  en  Moldavie 
suivi  d'une  foule  considérable.  Là  il  battit  d'abord  Bàlk  resté 
fidèle  au  roi   de   Hongrie,  ensuite   le   roi    Louis  le  Grand  lui- 

(1)    REiCHEnSDOi\FKii,    Moldva    leiri'i.m,   1550.   Voyez  :   Szamota  Istvan  :    liégi 
utaznsoli  Marjyarorsz/u/on  ('.i  a  Balkàn  fclszigeten,  p.  280  Gipassim. 
(2j  A     D.  XknoPoi.,  Istoria  ronianitor  pentrii  qlmnasii  si  liecee,  p.  GO. 


LIVRE    DEUXIEME  103 

même.  Ne  pouvant  obtenir  aucun  résultat  favorable,  celui-ci 
ramena  avec  lui  Bâlk  en  Hongrie  et,  pour  le  dédommager  de  ses 
pertes  subies  en  Moldavie,  il  lui  donna  les  propriétés  de  Bogdan 
sises  en  Marmaros.   > 

«  De  cette  façon,  s'étant  rendue  indépendante  de  la  domina- 
lion  magvare,  la  Moldavie  se  trouva  être  le  refuge  de  tous  ceux 
mécontents  de  cette  même  domination.  11  est  bien  entendu 
que  les  premiers  et  les  derniers  émigrants  appartenaient,  à 
peu  d'exception  près,  à  la  caste  des  boyards;  c'est  donc  à  la 
suite  de  ces  castes  que  la  noblesse  dominante  s'est  accrue  en 
Moldavie  comme  en  Yalacbie.  Mais  les  boyards  émigrants  n'y 
avant  pas  opprimé  la  population  du  pays,  qui  les  a  probable- 
ment aidés  dans  leurs  entreprises  contre  ceux  du  parti  ma- 
gyar, nous  n'y  constatons  pas  non  plus  que  la  désignation  de 
u  roumain»  y  fût  synonyme  de  serviteur  ou  de  serf.  Du  reste,  ce 
n  étaient  pas  les  Roumains  qui  fournissaient  ici  les  serfs,  mais 
les  Slaves  encore  non  roumanisés.  Ils  se  sont  plus  tard  complè- 
tement roumanisés  sous  l'influence  de  lélément  roumain 
toujours  croissant.   " 

«  Nous  ne  savons  rien  autre  concernant  le  règne  de  Bogdan 
d'ailleurs  assez  long  (1349-1360)  que  ce  fut  à  ce  moment  que 
1  État  indépendant  de  la  Moldavie  se  fonda.  Il  a  eu  pour  succes- 
seur son  fils  Latzko,  qui  reçoit  en  137:2  une  lettre  de  félicita- 
tion  du  pape  au  sujet  de  sa  conversion  au  catholicisme. 
Or  cette  conversion  n'était  que  simulée  afin  d'éloigner  les 
Magyars  de  son  pays,  qui  v  avaient  fait  des  incursions  an- 
nuelles, quoique  malheureuses,  dn  temps  de  son  père.  Latzko 
mourut  donc  dans  la  religion  orthodoxe  et  il  hit  enterré 
selon  ses  rites  dans  l'église  de  Radaulz.  N'ayant  laissé  qu'une 
fille,  pour  avoir  un  souverain  de  souche  princière,  les  Moldaves 
s'adressèrent  à  Jurga  Coriatovits,  le  Lithuanien,  pour  lui  de- 
mander de  succéder  à  Latzko.  Mais  comme  ils  ne  ressentaient 
aucun  respect  pour  le  souverain  étranger,  ils  l'empoisonnèrent 
et  ils  élurent  pour  leur  souverain  Petru  Musat,  un  rejeton  des 
Bassaraba.  Ce  fut  ainsi  que  monta  sur  le  trône  de  la  Moldavie 
la  dynastie  Musat,  issue  du  sang  des  Bassaraba.  » 

En   face    de   ces    assertions    si   compromettantes   pour   les 


104         MAGYARS    ET    ROUMAIAS    DEVANT    L'HISTOIRE 

Magyars,  il  est  utile  diiKliquer  deux  circonstances,  qui  en 
atténuent  la  portée. 

Le  voisinage  des  Tariaics  a  dû  rendre,  après  leur  dernière 
incursion  en  Moldavie,  la  fondation  des  Kénézies,  même  les 
moindres,  bien  problématique  et  s'il  pouvait  s'en  fonder  une 
(|uand  même,  son  caractère  cuman  devait  y  être  plus  prononcé 
que  dans  celles  de  la  Valachic.  Un  tel  caractère  cunuin  avait  la 
pri ncipauté de /i^.s.s)' aussi,  comme  6»/:;e;- (I)rensei.j;ne.  D'après 
lui,  il  V  avait  eu  Moldavie  \ui  district  cuman  mémeaii  \vi'  siècle 
et  une  cbar^je  de  capitaine  cumnn  à  la  cour  moldave.  D'ail- 
leurs, les  r/////<7//.v  s'entendaient  mieux  avec  les  7'oy7r/ye.9  que  les 
peuples  d'une  autre  race.  Tout  le  monde  sait  que  ce  fut  André 
Laczhfi,  vayvode  de  Transylvanie,  qui  détruisit  les  Tartares 
quand  ils  envabissaient  la //o»^r/e  sous  la  conduite  â  At/ilanios. 
Le  doyen  Jean  de  Kii/.idlo,  en  racontant  l'excnle  de  Dofjdan,  af- 
firme  que  la  3/oA/rn'/t' était,  avant  qu'il  n'ait  lieu,  complètement 
déjjarnie  d'babitants  et  que,  tout  en  dépendant  de  la  couronne 
de  Hongrie,  elle  représentait  un  vrai  désert  à  cause  de  la  proxi- 
mité des  Tariares.  Donc  l'exode  des  lloamains  s'explique  par 
l'attrait  d'un  pays  propre  à  contenter  leur  humeur  vajjabonde. 

D'autre  part,  on  lit  dans  un  document  du  roi  Loais  I" ,  daté 
de  13  43,  que />oyf/a??,  auparavant  vayvode  de  il/ar?/mro5,  ayant 
soulevé  un  conflit  l' hiver  précédent  contre  Jean,  fils  de  Dionis 
Kelcsey,  s'était  traîtreusement  sauvé  du  pavs.  Conséquemment, 
le  vayvode  Bogdan  commit  des  violences  et,  de  peur  qu  il  ne 
soit  puni  à  cause  d'elles,  il  s'enfuit  non  pas  en  13  49,  conime 
M.  Xenojfjo!  \e  prétend,  mais  en  1342.  C'est  encore  un  docu- 
ment du  roi  Loais,  daté  de  1  319  et  signé  à  Ilesze/rcze,  (pii  atteste 
que  Gyula,  le  fils  de  Dragos,  se  plaint  d'un  ])arent,  allié  à  son 
oncle  Etienne  et  au  vayvode  Bogdan,  de  l'avoircbassé  avec  son 
fils  de  leurs  propriétés,  que  son  grand-père  homonyme  a  reçues 
du  roi  Charles,  après  les  avoir  fait  incendier.  Il  prie  donc  le  roi 
de  le  faire  réinstaller  dans  ses  biens.  Ce  furent  le  vayvode  des 
Roumains  Jean  Jgejx  et  Aieolas  que  le  roi  envoya  pour  procéder  à 


(1)  Slilzeji,    Gescllicittc  des  transalpinischen   Daciens,  vol.   II,  j).  81;  voi,  III, 
p.  251. 


LIVRE    DEUXIEME  105 

l'enquête  à  ce  sujet,  et  ils  firent  réellement  un  rapport  dans  le 
courant  de  celte  même  année.  Un  document  daté  de  1355  re- 
late que  Dragos,  le  fils  du  Gyiila,  dont  parle  le  document  pré- 
cédent, reçoit  du  roi  plusieurs  villages  roumains  en  donation, 
caril  voulait  ramener  à  lafidélité  envers  le  ro'iles  Rounidins  qui 
s'étaient  enfuis  en  Moldavie  avec  Bogdan  et  Etienne.  Le  même 
roi  Louis  I"  donne,  en  13G5,  la  propriété  de  Kuhiiy<(  avec 
d'autres  parcelles  de  propriétés  à  Balh  le  Moldave,  fils  de  Szâsz 
et  vayvode  de  Mai-maros,  ainsi  qu'à  son  frère,  propriétés  qui 
appartenaient  jadis  à  Bogdan  le  Félon.  Il  les  donne,  car  BalL 
lui  resta  fidèle  même  en  Moldavie  et  y  fut  blessé  à  cause  de 
lui  et  revint  en  Hongrie  en  suivant  le  roi. 

Il  appert  de  tout  ceci,  que  Bogdan  n'était  pas  le  vayvode 
de  tous  les  Roumains  de  Marmaros  et  que  son  pouvoir  ne  s'éten- 
dait pas  sur  toute  la  Moldavie.  Son  exode  n'est  pas  un  fait  isolé 
non  plus,  car  des  désertions  pareilles  s'accomplirent  plus  tard 
et  dans  les  autres  parties  du  royaume  également.  C'est  ainsi 
que  se  sauvent  en  Moldavie,  delà  contrée  de  Hàtszeg,  les  kénez 
Koszia  et  Stancsul  et  le  pope  Voikul  avec  la  moitié  des  habitants 
roumains  du  pays  "  pour  s'v  joindre  aux  ennemis  de  la  cou- 
ronne. »  On  voit  encore  que  non  seulement  les  kénez  rou- 
mains habitant  le  territoire  de  Marmaros  étaient  des  sujets  du 
roi  de  Hongrie,  mais  ceux  de  la  I\Joldavie  se  considéraient 
comme  tels  aussi. 

Une  donation  de  roi  Louis  (1303^  faite  à  Ladislas  ispiin  rou- 
main et  fils  de  Musad  d' Aimas,  range  les  Musath  au  même  titre 
parmi  les  kénez  roumains  connus  en  Hongrie  que  les  Dassaraba . 
La  crête  des  Carpathcs  qui  se  trouve  entre  la  commune  de 
Gelencze  et  la  Moldavie  s'appelle  Musath,  comme  il  y  a  en  Mol- 
davie la  rivière  et  la  ville  de  Tatros,  tandis  que  1  on  connaît  le 
nom  d'un  chef  patzinakite  nommé  Tatrus. 


CHAPITRE   111 

LA    l'IiKTliNDI  i:  OHGAMSATION  MILlTAilii;  (Kl'OCA  MILITAUAi  L)i:s    IlOlMAlNS 

Résolus  à  |)()ursiii\  re  le  développement  de  la  lliéorie  de 
l'origine  dacique  h  travers  1  histoire  tout  entière  de  leur  race, 
les  historiens  roumains  ne  craignent  pas  de  découvrir  les  traces 
de  l'orpanisation  militaire  romaine  dans  les  institutions  poli- 
tiques médiévales  du  peuple  roumains.  Avec  AVroA/.s  Densu- 
sidiio  I  I)  à  la  tête,  ils  voient  dans  les  Hoinnains  tant  sur  hi  rive 
droite  (jue  sur  la  rive  gauche  du  Dainihe  un  véritable  peuple 
Irgiontiaire.  A  les  entendre,  sa  vie  pubHque  se  manifeste  dans 
des  entreprises  militaires  s'étendant,  d'un  côté,  jusqu'en  Sicile 
et  en  Brandehoiog  et,  d'un  autre,  jusqu'en  Bosnie  et  jusqu  en 
Crimée,  sans  parler  de  la  place  glorieuse  qu'il  occupe  dans 
l'armée  de  l'empire  d'Orient  d'après  le  dire  des  auteurs  byzan- 
tins eux-mêmes.  Et  cette  prédilection  pour  le  militarisme  est 
commune  à  tout  l'élément  roumain,  quels  que  soient  l'endroit 
qu'il  habite  et  le  gouvernement  sous  lequel  il  vit. 

De  )à  cette  analogie  dans  les  conditions  sociales  de  tout  le 
roumanisme.  Les  contrées  roumaines  ont  pour  chel  en  deçà 
et  au  delà  des  Carpalhes  un  va  y  rode  ou  hàii  ou  capitaine  investi 
de  droits  administratil's  et  jusqu'à  un  certain  point  judiciaires 
aussi.  Quant  au  jteuple,  il  est  divisé  en  trois  castes  :  en  boyards, 
c'est-à-dire  en  soldats  de  rang  élevé;  en  Venez,  c  est-à-dire  en 
capitaines  de  districts  et  eiipaysans,  à  qui  incombait  la  défense 
des  villes  et,  au  besoin,  le  service  en  rase  campagne. 

Au  commencement,  on  divisa  les  vavvodies  situées  soit  au- 
delà  de  Vol/,  soit  en  Hongrie  ou  en  Transylvanie,  en  plusieurs 
/.é/K'zies  ou  districts.  C'est  ainsi  que  l'on  recontra  les  kénézies 
de  Joii,  de  Farkas  et  de  Lirtio)  dans  \e  Sz<irén)  .  celle  de  Petrii 
à  Mc/iadia  et  celles  de  Jon.  de  Sandrin  et  de  Stefan  encore,  qui 

(1)  >«ic.  L)::Nsrji\NO,  licrolnliuiiea  lui  J/oin,  188'i-.  Chaj).  iutituli'  :  noiitani 
in  epoca  rnilitnra. 


LIVRE   DEUXIÈME  107 

contenaient  desterritoires  considérables,  dans  les  départements 
de  Bereg  et  de  Mariuaros.  La  dignité  kénézienne  se  transmettait 
de  père  en  fils  et  le  pouvoir  judiciaire  du  kénez  n'était  pas 
toujours  identique.  S'il  représentait  dans  son  district  le  pou- 
voir judiciaire  et  administratif,  il  en  était  cependant  a\anttout 
le  chef  militaire.  Il  y  avait  en  Hongrie  et  en  Tniiisylvanie 
même  au  xiV  et  au  xV  siècle  un  grand  nombre  de  kénézies. 

Les  hoydrds  formaient  une  classe  dans  la  société  roumaine 
dont  1  origine  se  perd  dans  l'antiquité  la  plus  éloignée  de  1  his- 
toire roumaine.  Elle  n'était  pas  le  produit  de  la  féodalité,  car 
chez  les  Routnains  il  n"v  avait  pas  une  noblesse  au  sens  féodal. 
Les  bovards  étaient  dans  lancien  temps  de  vrais  .soldats  légion- 
iKilrcs,  les  meilleurs  de  la  caste  militaire  chez  qui  le  militarisme 
était  une  tradition  et  non  pas  la  conséquence  du  vasselage, 
puisque  leurs  propriétés  ne  se  transmettaient  pas  non  plus 
selon  les  coutumes  féodales.  Les  boyards  figuraient  en  Hongrie 
et  en  Transylvdiiie  jusqu  au  xv*'  siècle  sous  le  nom  de  noblesse 
roumaine  (nobiles  valachi,  nobiles  ut  dicitur  Valachorum),  et 
formaient  une  classe  sociale  et  politique  bien  distincte  de  la 
noblesse  magyare  nobiles  hungari)  et  ils  les  surpassaient  à 
cause  de  la  nature  de  leur  origine,  de  leur  histoire  et  de  leur 
privilèges. 

La  plus  nombreuse  caste  était  celle  des  paysans  roumains, 
appelés  des  gens  de  milice,  àe  forteresse  (castrenses,  populi  cas- 
trenses,  milites  castri).  Groupés  sur  des  territoires  roumains, 
partagés  en  plusieurs  vayvodies  et  kénézies ,  ils  vivaient  en 
hommes  libres ,  sans  être  astreints  aux  travaux  des  serfs.  Ils 
héritaient  leurs  propriétés  de  mâle  en  mâle  et  ils  pouvaient  les 
léguer  ou  vendre  à  qui  bon  leur  semblait  s'ils  manquaient  d'héri- 
tier direct.  Ils  n'avaient  qu'un  seul  devoir  à  remplir  :  faire  le 
service  des  forteresses,  en  bâtir  de  nouvelles,  les  défendre,  et 
surveiller  les  frontières  ainsi  que  prendre  les  armes  en  cas  de 
guerre. 

Les  Roumains  possédaient  dans  ce  temps-là,  aussi  bien  en 
Hongrie  qu'en  Transylvanie,  des  territoires  nationaux  ayant  des 
institutions  spéciales  et  dont  l'administration  leur  était  confiée. 
Telle  était  la  Terre  de  Fogaras  (terra  Blaccorum),  dans  le  midi 


lOS  MAGYAllS    ET    n()n:SIAINS    DEVANT    L'IllSToinE 

de  la  Trauslyvnnie,  par  exemple  ainsi  que  le  limuii  de  Sznrcny 
partagé  en  huit  territoires  nationaux,  appelés  «  districtus  vola- 
liicalcs  •-;  ,  formant  des  provinces  nationales  dans  le  royaume  de 
Hongrie  et  ayant  pour  chet"  un  ban  ou  unvayvode.  On  rencontre 
des  districts  roumains  semblables  au  nord  du  lianai  dans  les 
départements  à' Arad,  de  Zarànd,  de  Biluir,  de  Bereg,  et  de 
Marmaros,  et  les  documents  du  moyen  âge  en  parlent  sous  le 
nom  de  vawodies  ou  kénézies  roumaines. 

\\\\  dehors  des  institutions  vavvodales  et  kénéziales  et  à  coté 
des  castes  sociales  roumaines,  distinctes  des  castes  sociales 
magyares,  il  y  échoit  un  rôle  considérable  au  droit  roumain 
usuel  {lus  volahie,  antiqua  ius  districtuum  volabicalium)  d'après 
lequel,  les  crimes  capitaux  exceptés  fexceptis  publicis  hirto  et 
latrocio  etcriminalibus  causisjle  Roumain  ne  doit  pas  être  jujjé 
par  un  autre  que  son  vayvode.  On  y  trouve  des  tribunaux  rou- 
mains, composés  de  kénez,  de  nobles  et  de  paysans  roumains, 
on  V  constate  l'institution  d'un  jury  élu  et  même  un  droit  poli- 
tique et  civil  spécial.  Les  propriétés  se  donnent  aux  nobles  sous 
des  conditions  toutes  différentes  dans  les  districts  roumains  que 
dans  les  départements  magyars.  On  trouve  ensuite  des  pro- 
priétés kénéziales  avec  droit  de  justice  civile,  des  propriétés 
roturières  dont  la  possession  impose  au  propriétaire  le  service 
militaire,  dans  l'accomplissement  duquel  il  doit  se  conformer 
à  certaines  coutumes  nationales.  Il  est  régi  par  des  lois  spéciales 
en  fait  d'impositions  et  de  redevances  aussi.  Après  avoir  exposé 
ces  prémisses  on  peut  affirmer  «  que  la  population  roumaine 
de  la  Hongrie  et  de  la  Transylvanie  nous  apparaît  dans  le  xiii'  et 
même  dans  le  xiv'  siècle  au  moins  dans  sa  première  moitié, 
comme  un  peuple  militaire  libreavec  un  territoire  national  sé- 
paré, avec  des  castes  sociales  et  des  institutions  politicpies  spé- 
ciales, en  un  mot,  comme  une  nation  politique  indépendante 
et  complètement  détachée  des  nations  magyares,  sicules  et 
saxonnes. '< 

Voilà  la  justification  historique  des  exigences  actuelles  du 
parti  national  roumain  visant  l'autonomie  nationale,  territoriale 
et  ayant  pour  corollaire  une  administration  et  une  juridiction 
roumaines  et  spéciales.  Et  voilà  maitenant  la  réalité  prosaïque 


LIVllE   DEUXIEME  109 

au  sujet  de  cette  "  époque  militaire  "  (epocamilitara)  reflétant 
la  vie  des  anciens  légionnaires  romains. 

D'abord  le  mot  «  vayvode  »  ou  en  roumain  «  voda  d  n'est 
nullement  d'origine  romaine  et  n  exprime  nullement  une  idée 
romaine  quelconque,  car  il  est  bulgaro-slave  absolument.  D'ail- 
leurs les  vayvodes  roumains  n'étaient  pas  les  seuls  dans  le 
royaume  de  saint  Etienne.  Le  roi  Sigismond  donne  le  18  avril 
lil7  au  vayvode  des  Tsiganes  nommé  Ladislns  une  lettre  de 
franchise,  qui  y  reçoit  des  franchises  et  des  privilèges  ressem- 
blant en  tous  points  h  ceux  concédés  aux  vayvodes  roumains  et 
1  autorisant  à  juger  en  toute  liberté  dans  les  litiges  qui  pour- 
raient se  produire  entre  Tsiganes  (si  inter  ipsos  aliqua  zizania 
seu  perturbatio  eveneritex  parte  quorumque...  iudicandi  et  li- 
berandi  habeat  facultatem  .  Il  y  a  encore  sous  le  prince  Georges 
Ràkôrzy  /"  (1630  à  1648)  un  vayvode  tsigane,  mais  les  »  Ap- 
probata  Constit.  Regni  Trans.  pars  III  tit.  LIX^  "  interdisent 
déjà  pour  l'avenir  la  nomination  de  tels  vayvodes  tsiganes  «sub 
pœna  violation is  coustitutionum  regni  "  .  Les  Tsiganes  pour- 
raient donc  prouver  que  ce  furent  les  «  Approbata  "  et  les 
et  Compilata  »  qui  les  privèrent  de  leurs  chefs  nationaux,  de 
leur  administration  et  juridiction,  tandis  qu'il  y  avait  déjà 
lonp^temps  que  les  vayvodies  roumaines  n'existaient  plus  quand 
on  fit  rédiger  le  »  Codex  "  du  la  principauté  de  Transylvanie 
sur  l'ordre  du  prince  Georges  Ràkoczy  T\ 

Trois  documents,  émanant  de  la  reine  Élis(d)eth  et  signés  à 
Litpperiszasz-,  à  Bade  et  datés  1364,  1370  et  1378,  fournissent 
des  données  très  intéressantes  au  sujet  de  la  situation  politique 
siembrouillée  des  Roumains.  On  en  tire  la  conviction  que  chez 
les  Roumains,  ce  ne  furent  pas  les  vayvodes  qui  occupèrent  le 
plus  haut  degré  parmi  les  membres  de  l'autorité  mais  les  ispàn 
—  les  commandants  —  des  châteaux  forts  royaux  qui  sont, 
quelle  que  soit  leur  origine,  des  nobles  et  des  représentants  du 
roi,  c'est-à-dire  qu'ils  font  partie  de  la  nation  hongroise  poli- 
tique. Quant  aux  vayvodes,  ils  forment  un  lien  intermédiaire 
entre  les  dits  ispân  et  les  Roumains  Ce  sont  eux  qui  surveillent 
si  les  Roumains  paient  leurs  redevances  au  roi  et  àl'ispân  exac- 
tement; ce  sont  eux   qui  jugent  dans   les   procès  moindres, 


110         MA(;VA1\S    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

tandis  que  les  plus  importants  vont  devant  Visfxiu.  Dans  les  cas 
appartenant  au  ressort  des  tribunaux  criminels,  c'est  à  la  juri- 
diction de  la  magistrature  ordinaire  que  les  lxonin<iins  doivent 
s'adresser  aussi. 

On  sait  des  sources  anciennes  grecques  et  slaves  que  c'était 
le  l.diini  colonie,  ferme)  qui  formait  le  noyau  des  institutions 
politiques  et  sociales  des  llnmiiains  avec  un  l,(')irz  à  la  tête  de 
chacun;  donc  le  nombre  des  nns  correspondait  au  nombre  des 
autres.  Kiuiel  (l)  raconte  en  parlant  des  événements  de  12G.S 
que  :  «  pour  repeupler  la  Hongrie  on  établit  des  «  scultéties  » 
c'est-à-dire  on  tit  don  d  un  morceau  de  (erre  inculte  ou  de  forêt 
à  un  colon  un  peu  aisé  sous  la  condition  qu'il  en  ferait  ime  colo- 
nie et  qu'il  s'en  chargeât  ainsi  que  ses  successeurs  pour  y 
rendre  justice.  S'il  s'agit  des  Roumains  ou  des  Rousniak  ces 
scultéties  s'appellent  des  kénézies.  C'est  l'origine  du  droit  ké- 
nezial.  "  Il  est  donné  tantôt,  comme  payement  pour  l'abattage 
d  une  foret  épaisse,  tantôt  pour  que  l'on  y  installe  des  colonies 
nouvelles  ou  qu'on  la  repeuple.  Si  ses  possesseurs  ne  sont 
astreints  à  aucune  servitude  ni  impôt,  ils  payeront,  en  signe  de 
reconnaissance,  une  certaine  somme  d'argent.  Le  nommé  Dobre 
reçoit  en  I  ;50  'i  du  roi  Siifisinoiid  la  forêt  de  Lcsiiek,  sous  la  con- 
dition que  lai  et  ses  successeurs  obéiraient  au  commandant  de 
Déi'd  et  qu  ils  exécuteraient  les  payements  et  les  travaux  habi- 
tuels comme  les  autres  kénez  qui  dépendent  du  même  châ- 
teau. Ces  propriétés  pouvaient  être  données  aussi  bien  par  le 
roi  et  le  vayvode  de  Transybuniic  que  par  lefô-ispàn  (le  préfet 
du  département)  respectif;  sa  donation  suffisait  pour  accorder 
les  franchises  kénéziales. 

D  ailleurs,  l'importance  des  kénézies  est  assez  relative;  dans 
un  document  de  1378,  il  est  question  de  deux  qui  ne  sont  com- 
posées que  de  cinq  foyers  chacune  et  d'une  autre  qui  n'en  a  (jue 
quatre  seulement,  tandis  que  les  droits  judiciaires  qui  v  sont 
attachés  se  rapportent  uniquement  aux  procès  moindres, 
insignifiants. 

Mais  c  est  avec  une  prédilection  marquée  que  les  officiers 

(i)  Engki.,  Geschichte  des  ungarischen  Beiclis,  p.  359. 


MVKE   DEUXIÈME  111 

du  roi  établissent  leskénez  et  leurs  hommes  sur  les  propriétés 
dépendant  des  châteaux  royaux,  car  leurs  obligations  à  remplir 
ne  se  bornent  plus  à  l'abattage  des  forêts,  comme  on  peut  s'en 
convaincre  dun  rescrit  du  roi  Sif/isnio/id  daté  de  11:27  et 
adressé  au  vice-vayvode  de  Transylvanie.  «  La  personne  des 
Roumains  nestpas  séparable  du  château,  elles  terres  de  labour 
dont  ils  ont  la  jouissance  ne  le  sont  pas  non  plus,  quoiqu'ils 
les  cultivent  à  leur  profit  :  Ce  n'est  pas  seulement  au  payement 
des  redevances  convenues  que  les  Roumains  sont  astreints, 
mais  selon  les  bonnes  habitudes  anciennes  ,  aux  travaux  ma- 
nuels, au  creusement  des  fossés  en  vue  de  la  conservation  du 
château  et  au  sciage  du  bois,  au  transport  des  vivres  égale- 
ment. » 

Le  roi  Venceslas  ordonne  en  1301,  sur  la  demande  à'Urs,  le 
kénez  des  gens  d'OlahJalu  (signifiant  en  magyar:  village  des 
Roumains) ,  que  les  habitants  de  cet  endroit  ne  soient  tenus, 
dans  Tavenir,  comme  dans  le  passé,  qu'au  transport  du  bois 
et  des  poutres  au  château  royal  à'Udvarhelj  et  au  service  pé- 
destre autour  dudit  château,  ni  assujettis  au  payement  d'au- 
cune dîme,  la  meule  fournie  à  l'église  à' Udvarhely  exceptée. 
Qu'ils  soient  affranchis  de  toute  répartition  d'impôts  :  «  more 
Siculorum  inter  quos  vivunt  »  ,  mais  qu'ils  payent  à  leurs 
kénez  ce  dont  ils  leur  sont  redevables  (1).  Voilà  à  quoi  se  ré- 
duisent, dans  la  réalité,  l'art  et  la  science  de  la  construction 
des  forteresses  chez  les  Roumains,  —  art  et  science  dont  les 
historiens  roumains  aiment  tant  à  se  vante  r  ! 

Là  où  les  kénézies  plus  ou  moins  grandes  sont  en  nombre 
considérable  comme,  par  exemple,  dans  les  départements  de 
Bereg,  de  Mannaros  et  de  Hiinyad  ,  les  kénez  élisent  un 
vayvode,  et  alors  ce  ne  sont  pas  eux  qui  restent  en  contact  di- 
rect avec  le  commandant  du  château,  mais  les  vayvodes  et  qui 
surveillent  si  chaque  kénézie  s'acquitte  ponctuellement  de 
ses  redevances,  si  chaque  kénez  perçoit  exactement  les  re- 
venus dus  au  roi  et  au  commandant.  Il  est  à  remarquer  que  la 
charge  de  vayvode  roumain  revient  quelquefois  à  des  Magyars 

(1)  Székely  oklevéltâr,  vol,  I,  p.  29  et  passim. 


112         MAGYAliS    ET    HOUMAINS    DEVAM    L'II  1  STO  I  15  E 

(le  pur  San;;  comme  c'est  le  cas  à  Szâtnoly  Kcszi  en  I  405  quand 
Jean  Corviii  la  confère  successivement  à  deux  frères  Szd/.ely, 
nia<Tvars  et  catholiques    I  . 

Comme  les  kénézies,  les  vavvodies  ne  ressemblent  j)as  les 
unes  aux  autres.  Il  va  des  endroits  où  elles  se  rapprochent  de 
rimportauce  d'une  préfecture,  tandis  qu'ailleurs  elles  ressem- 
blent i»  la  condition  des  régisseurs.  D'après  un  document  daté 
de  1  ilT),  Lddishfs,  le  bàu  (h*  Macso,  a  six  vayvodes  sur  sa  pro- 
priété de  Zarand  (2). 

('c  sont  en  partie  les  rois  qui  donnent  un  certain  nombre 
de  lioiiinains  en  cadeau  à  des  particuliers  tels  que  chapitres  ou 
évêques,  ou  ce  sont  en  partie  eux-mêmes  qui  s'enfuient  povu 
se  placer  chez  les  particuliers,  trouvant  plus  agréable  d'y  vivre 
(lue  sur  les  propriétés  royales.  Il  s'en  forme  de  cette  manière 
en  peu  de  temps  deux  catégories  :  ceux  qui  se  trouvent  surles 
propriétés  royales  ou  dépendent  des  châteaux  royaux  sous 
l'autorité  directe  des  vayvodes  ou  des  kénez,  et  ceux  que  1  on 
appelle  des  Roinnains  vulgaires,  ordinaires. 

Le  nombre  des  Houmains.  dépendant  des  particuliers,  s'ac- 
croit  par  d'autres  moyens  aussi.  Les  vayvodes  et  les  kénez 
anoblis  parle  roi  deviennent  des  seigneurs  et  leurs  propriétés 
qu'ils  avaient  par  droit  kénézial,  des  propriétés  seigneuriales. 
Naturellement,  la  position  des  Houmains  qui  y  habitaient  subit 
un  changement  également.  Ils  se  transforment  de  serviteurs 
royaux  en  serfs  seigneuriaux.  De  là  un  grand  nombre  de  con- 
testations au  sujet  des  kénézies  transformées  en  propriétés 
nobiliaires,  comme  il  appert  de  plusieurs  documents  voir  l'at- 
testation du  chapitre  de  Transylvanie,  délivrée  en   1  i08  ,  etc). 

Il  y  a  encore  une  autre  raison  qui  sera  cause  que  le  kénez 
anobli  se  détachera  du  sein  du  roumanisme.  Le  roi  Louis  I" 
ordonne  —  ordonnance  que  Siqisuwud  renouvelle —  que  pour 
être  kénez  il  faut  que  l'on  soit  catholique.  Or  le  Kénez  anobli 
et  converti  au  catholicisme  devient  complètement  magyar,  et 
c'est  à  cause  de  cela  que  l'on  peut  citer  toute  une  série  de 

l)  M.\iiKi  Sandou,  AniditKujye  es  l'ilros  tortciiete,  vol,  J  p.  502. 
(2    I)''  .Solyom-I'kketk,    Adalok  a  i<olt  zardndmef/jei  reszck  lôtténclrlic~.  Hit 
)ija<h)ict/yci  Tbrl.  es  lic(f .  Tûrsasâg  evkônyue,  p.  22. 


LIVRE   DEUXIEME  113 

familles  aristocratiques  et  nobles  magyares  qui  descendent  des 
Ivénez.  Les  auteurs  daco-roumains  voient  dans  ce  fait  une  ten- 
dance  préméditée  de   magyarisation  de  la   part  des  rois  de 
Ilotu/rie.  Ils  veulent  faire  croire  qu'il  y  avait  de  fait  une  noblesse 
roumaine  aussi  datant  des  temps  antérieurs,  dont  les  membres 
étaient   poussés  soit  par  intérêt,   soit  sous  la  pression   de   la 
société  et  de  l'État,  au  reniement  de  leur  nationalité.  Et  cette 
noblesse  roumaine,  par  qui  aurait-elle  été  conférée?  Certes  pas 
par  les  rois  de  Hongrie,  car  il  leur  eût  été  impossible  de  con- 
lérer  une  autre  noblesse  que  la  hongroise,  comme  il  eût  été  im- 
possible aux  rois  de  France  de  créer  des  nobles  anglais  ou  es- 
pagnols. Il  est  vrai  que  l  on  rencontre  souvent  dans  les  docu- 
ments l'expression  :    "  nobilis  valachus  >» ,  mais   son  sens  est 
purement  ethnique.  L'unité  et  le  caractère  hongrois  de  la  no- 
blesse sont  tellement  accusés  en  Hongrie,  que  dans  la  Croatie, 
administrativement  autonome,  on  ne  pouvait  recevoir  que  la 
noblesse  hongroise.  Chaque  noble  hongrois  était  membre  de 
la  sainte   couronne  hongroise   (sacrse  coronaî   membrum) .   Et 
comme   il    n'y   eut  jamais   de   sainte   couronne   roumaine   ou 
autre  en  Hongrie,  il  est  évident  qu'il  ne  pouvait  y  avoir,  dans 
le  sens  politique  du  mot,  une  autre  noblesse  que  la  hongroise 
non  plus.  Et  comme  les  rois  ne  se  montrent  nullement  avares 
dans  la  distribution  des  titres  de  noblesse,  il  y  a  de  plus  en 
plus  de  vayvodes  et  de  kénez  qui  deviennent  des  nobles  hon- 
grois. Il  en  résulte  une  diminution  dans  le  nombie  des  kéuez;  il 
arrive  même  que  l'influence  et  les  traces  de  la  colojiisation 
roumaine  étant  disparues  par  la  force  évolutionnelle  des  cir- 
constances, le  système  des  kénezies  se  décompose  également 
et  le  kénez  qui  n'a  pas  pu  devenir  noble,  devient  serf  comme 
tout  Roumain  vulgaire,    résultat  du   développement  social  et 
non  pas  d'un  acte  législatif  ou  gouvernemental. 

Si  le  nombre  des  vayvodes  et  des  kénez  diminue,  les  immi- 
grations des  Roumains  ordinaires  augmentent  continuelleuient 
mais  ceux-ci  ne  deviennent  ni  magyars,  ni  catholiques.  D'après 
la  conception  hongroise  ancienne,  constitutionnelle  et  judiri- 
que,  c'était  uniquement  la  noblesse  qui  formait  la  hungariai 
natio.  Ses  membres,  quelle  que  fut  la  race  à  laquelle  ils  apparte- 

8 


114  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
liaient,  étaient  des  Magyars  par  le  sentiment  et  la  manière  de 
penser  et  possédaient  des  privilèges  et  des  franchises  dont  ne 
pouvait  se  vanter  la  noblesse  d'aucune  autre  nation.  En  ce  qui 
concernait  la  nationalité  de  la  misera  plebs,  personne  ne  s'en 
inquiétait  et  Ton  préférait  même  les  serfs  d'origine  étrangère 
aux  serfs  magyars  insubordonnés  et  aussi  aristocratiques  que 
les  seigneurs  eux-mêmes.  A  Tinstigation  de  Rome,  la  royauté 
et  le  clergé  essayèrent  tour  à  tour  de  faire  de  la  propagande 
religieuse  parmi  les  RoiDnaùis,  mais  ils  crurent  qu'il  suffisait 
de  convertir  les  vayvodes  et  les  kénez,  sans  se  soucier  du  bas 

peuple. 

Il  a  été  dit  plus  haut  que  les  Roumains  vivaient  sur  les  pro- 
i)riétés  royales  et  surtout  sur  des  territoires  inhabités  et  le  plus 
souvent  couverts  de  forêts,  où  leur  principale  occupation  était 
de  faire  paître  leur  bétail  et  d'abattre  les  arbres,  et  où  ils 
payaient  la  u  quinquagesima  "  à  laquelle  s'ajoutaient  quelques 
redevances  insignifiantes  en  espèces.  Peu  à  peu,  l'élevage  du 
bétail  devenant  impossible  sur  les  terrains  de  forêts  abattues, 
ils  se  virent  forcés  par  la  nécessité,  sous  l'influence  des  contrées 
vorsines  magyares  et  des  conditions  d'existence  changées,  de 
renoncer  à  la  vie  de  pasteur  et  de  cultiver  les  terres  défrichées, 
pétant  pas  frappées  de  dîme  quand  elles  étaient  encore  cou- 
vertes de  forêts,  ces  terres  n'en  payaient  pas  non  plus  après 
leur  transformation.  Donc  le  Roumain,  pâtre  devenu  laboureur, 
ne  payait  pas  de  dîme,  tandis  que  le  Sicule,  le  Saxon  ou  le 
Magyar,  étant  agriculteurs  dès  le  commencement,  en  payaient 
sans  exception.  Seulement,  les  terres  qu'ils  habitaient  et  pour 
lesquelles  ils  pavaient  la  dîme,  s'appelaient  des  k  terres  clné- 
tiennes  «  (terra'  Christianorum)  en  opposition  à  celles  cul- 
tivées par  les  lUiumains  et  qui  n'étaient  pas  astreintes  à  fournir 
la  dîme.  Naturellement  si  un  Roumain  s'est  établi  sur  une  terre 
chrétienne,  il  Ta  payée  comme  les  autres,  car  elle  était  inhé- 
rente à  la  propriété.  Ne  payaient  pas  de  dîme  mais  seule- 
inaent  la  »  (jiiinquagesima  "  les  Roumains  eux-mêmes  vivant 
.s*ir  les  propriétés  des  évêques  et  des  chapitres.  Elle  n'y 
es-t (transformée  en  dîme  que  plus  tard  et  comme  un  document 
An  rm   Siyismond  daté  de   11398  le  prouve,  avec  le  consente- 


LIVRE   DEUXIEME  115 

ment  spécial  royal,  l'évéque  étant  obligé  de  fournir  un  groupe 
de  guerriers  (banderium)  et  le  chapitre  d'y  contribuer  pécu- 
niairement. 

On  lit  chez  Antoine  Verancsics^  d'après  Kovachich  :  «  Trois 
nations  vivent  en  Transylvanie  :  la  sicule ,  la  magyare  et  la 
saxonne.  Il  faut  que  j'y  ajoute  les  Roumains,  qui  sont  aussi 
nombreux  certainement  que  l'une  des  trois  nations  mention- 
nées. Mais  ils  n'ont  ni  franchises,  ni  noblesse,  ni  propriétés, 
excepté  ceux  de  quelques  districts  de  Hatszeg,  qui,  ayant 
montré  beaucoup  de  courage  dans  les  guerres  contre  les  Turcs 
du  temps  de  Jean  Hunyadi,  furent  anoblis  depuis.  Les  autres 
Roumains  ordinaires  sont  les  serfs  des  Magvars,  n'ayant  pas 
de  territoires  spéciaux  mais  vivant  dispersés  dans  tout  le 
pays,  quelques-uns  dans  les  plaines,  la  plupart  dans  les  mon- 
tagnes et  les  forêts  où  ils  végètent  péniblement  dans  la  compa- 
gnie de  leurs  bêles.  ^^ 

Il  y  a  cependant  dans  le  pays  des  contrées  dans  lesquelles, 
comme  le  remarque  Verancsics,  les  Roumains  ont  noblesse, 
propriétés  et  franchises,  où  l'on  pourrait  plutôt  parler  de 
territoires  roumains  mais  naturellement  non  pas  dans  le  sens 
dans  lequel  les  historiens  daco-roumains  le  font. 

Après  la  prise  de  Consianlinople  par  Mahomet  II  en  1  453,  la 
fièvre  des  armements  s'empare  de  toute  Y  Europe.  Les  États  de 
la  Hongrie  tiennent  une  diète  à  Bude  dans  laquelle  ils  décident 
la  levée  de  toutes  les  forces  vives  de  la  nation,  même  celles 
des  districts  jaziges,  cumans,  roumains  et  tartares,  qui  doivent 
fournir  autant  d'hommes  armés  d'après  chaque  centaine  de 
foyers  qu'en  fournit  la  noblesse  des  départements  possédant 
des  serfs  (1). 

On  constate  dans  les  documents  les  noms  de  huit  districts 
roumains.  Un  rescrit  royal  daté  de  1  457  explique  que  le  roi 
Ladislas  V  a  reçu  à   Vienne  une   députation  déléguée  par  les 


(1)  Corpus  Juris  Hlwg.  1454.  9.  «  Item  omties  liberx  Civitates,  tant  nostiœ 
régules  etreginales,  r/itain  dominorum  despoti  et  comitis  Ciliœ  et  alioruin  Maqna- 
tum,  necnon  totiiin  regnum  nostruin  Slavoniœ,  de  quibus  lucruin  camerœ  sol- 
vere  uon  consuevissent,  malo  prœmisso  connumerari  debeant.  Et  similiter  Phi- 
lisfœi,  Cumani,    Vulachi  et  Tartari  coniinmerati  debeant  exeiciluare. 


IIG        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
nobles,  les  kénez  et  les  Rouinaws  ordinaires  des  districts  de 
Liigos,  Sebes,  Mihàld,  Halnios,  Krassôfô,  Borzafô,  Komjâth,  et 
flyéd,  afin  qu'elle  l'implore  de  confirmer  les  franchises  et  les 
droits,  que  les  rois  avaient  accordés  aux  lioimia/us  et  à  leurs 
kénez.  Or,  comme  ces  districts  surveillent  au  Ihtnuhe  les  incur- 
siens  des  Tmrs,  le  roi,  j)our  les  exciter  à  une  plus  {ifrande  vigi- 
lance encore,  n'hésite  pas  à  contenter  leur  désir.  Ces  districts 
étaient  situés  dans  les  déparlements  actuels  de  Krassô-Szorenj , 
de  Té)ii('s  et  de  Uunyail,  ainsi  que  dans  la  contrée  de  Ilàtszeg, 
sans  exception  dans  des  parages,  par  où  le  Turc  avait  l'habi- 
tude de  faire  irruption.  Au  milieu  de  chaque  district  roumain 
il  Y  a  un  château  fort  royal  et  on  y  en  rencontre  un  plus  grand 
nondn-e  que  dans  les  parties  plus  centrales  du  pays.  Contraiuts 
par  la  nécessité,  les  commandants  y  étaient  obligés  d'enq)loyer 
les  Roumains,  qui  demeuraient  sur  les  territoires  dépendant 
de  ces  mêmes  châteaux,  pour   le  service  militaire  aussi.    Et 
comme,  à  cette  époque,  porter  des  armes  était  une  chose  qui 
procurait  des  avantages  et  inspirait  du  respect,  les  vayvodes  et 
les  kénez  étaient  toujours  prêts  à  s'en  acquitter.  Pour  pouvon- 
disposer,    en   cas  de  besoiu,    immédiatement  du   plus    grand 
nombre  de  soldats  possible,  on  étend  ce  service  sur  les  kénez 
aussi  qui  ne  demeurent  pas  sur  les  territoires  dépendant  des 
châteaux   royaux,    mais  qui  se  trouvent  sur  les   terres  défri- 
chées, appelées  des   "  terres  roumaines  »  .  C'est  ainsi  que  se 
développe  autour  de  chaque  château  un  district  roumain,  que 
le  roi  Lddislas  V  réunit  sur  le  territoire  du  département  actuel 
de  Kritsso-Szoreiif  dans  une   unité  administrative.    Donc  les 
districts  roumains  ne  sont  les  résidus  ni  d'une  institution  quel- 
conque de  l'antique  lloiur^   ni    d'une   organisation  roumaine 
militaire,  ni  d'un  droit  politique  antérieurement  appliqué.  Ils 
sont    simplement    les    produits    de    circonstances    exception- 
nelles. 

Dans  ces  districts  transformés  dans  une  entité  administra- 
tive, les  Roumains  nobles  et  kénez  appartiennent  à  la  juridic- 
tion des  commandants  des  châteaux  forts,  —  homme  de  con- 
fiance du  roi  sinon  toujours  un  Mdfjyur,  mais  au  moin  un  Rou- 
main  devenu  Ma//]  ar  par  suite  de  son  anoblissement  —  et  les 


LIVllE     DEUXIÈME  117 

liOintiiiiiis  ordinaires  à  celhi  des  nobles  roiirnair)s.  Si  dans  un 
docnnienl  daté  de  l  487  on  trouve  l'expression  :  «  selon  les 
lois  antiques  et  approuvées  des  districts  ronmiiins  «  (juxta 
antiquam  et  approbatam  leyern  districtuum  valacbaliumj,  per- 
sonne ne  doit  s'en  étonner,  car  il  a  été  écrit  ;i  une  époque 
dans  laquelle,  en  ce  qui  concerne  Tadininistration  et  la  juridic- 
tion, il  y  avait  autant  de  coutumes  que  de  maisons,  comme  dit 
le  proverbe  magyar,  non  seulement  en  Hongrie  mais  dans 
toute  rEiirnpe  en  général. 

Que  les  Rouniains  soldats,  kénez  ou  nobles  soient  complète- 
teujent  magyarisés,  les  arcliives  de  Karansebes^  dont  celles  des 
huit  districts  roumains  réunis,  le  démontrent  à  l'envi,  car  si 
elles  renferment  des  documents  écrits  en  magyar  et  en  latin 
presque  en  nombre  égal,  il  n'y  en  a  aucun  rédigé  en  roumain. 
11  est  conséquemment  plus  que  probable  que  ces  nobles  rou- 
mains, ne  sachant  pas  le  latin,  se  soient  servi  du  magvar  dans 
leurs  délibérations,  puisque,  d'après  Aeneas  Sylviits,  le  futur 
pape  Pie  11^  on  ne  rencontre  parmi  les  Roumains  militaires 
qu'un  très  petit  nombre  ignorant  la  langue  magyare  (hunga- 
ricœ  lingucc  nescius  )  (1). 

Voilà  la  peinture  exacte  des  vayvodies  et  des  kénesies  en 
Hongrie,  d'après  les  documents  et  les  laits  historiques  et  voilà 
maintenant  ce  qui  se  passe  à  cet  égard  en  Valachie  et  en  Mol- 
davie. 

Le  titre  de  vayvode  de  la  première  s'appelle  en  latin  :  a  Dei 
gratia  Transalpinse  Dominus  et  terrarum  de  Omlas  et  de 
Fogaras  Dux,  »  tandis  qu'en  langue  slave  on  l'exprime  ainsi  : 
Gospodin  vsei  zemli  Ugrovlachiskoi  »  ,  et  en  grec  :  «jSoîSôoo; 
T^y.nri^Oiyyr^nokoi-^ixq  "  c'est-à-dire,  d'après  Ha'ideu.  et  laplupait 
des  historiens  roumains  :  «  Dominus  Hungarite  et  \  alachiie.  > 
Et  comme  ce  double  titre  aurait  pu  justement  exciter  la  jalou- 
sie des  rois  de  Hongrie,  disent-ils,  alin  d'éviter  les  contesta- 
tions, les  vayvodes  n'employaient  dans  leurs  lettres  écrites 
aux  Magyars  que  le  mot  neutre  de  «  Transalpina  "  pendant 
que,  dans  leurs  autres  lettres,  ils  mettaient  «Ungro-Valachia.« 

(1)  Fraknoi  V'ilmos,  Mâtyâs  kirâly.  Budapest,   1890.   P.  6. 


118         MAGYARS    ET    ROUMAIINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

D'après  Hnsden,  c'est  au  moment  où,  ayant  battu  les  Magyars 
sous  la  conduite  de  I.éon  Vafa/zes,  les  Rouniains  ont  fait  une 
irruption  en  Iransylvanie,  qu'ils  ont  occupé  les  princi|)autés 
de  Fogorns  et  Ovilàs.  Donc  avec  la  licence  poétique  du  :  «  pars 
pro  toto  »  ils  pouvaient  s'appeler  avec  raison  :  u  Dominus 
Hungari;e  et  Valachise.  »  Il  a  été  démontré  cependant  par 
M.  G.  Pami[\]  combien  cette  assertion  était  erronée  et  que 
les  vayvodes  roumains  ne  possédaient  les  principautés  en  ques- 
tion que  par  droit  de  donation  accordée  par  les  rois  de  Hongrie 
et  point  sans  interruption  non  plus,  car  si  les  rois  n'étaient 
pas  contents  des  services  et  de  la  fidélité  des  vayvodes  rou- 
mains, ils  en  faisaient  don  à  d'autres  comme  on  a  pu  s'en 
convaincre  par  le  document  cité  à  propos  de  Texode  de  lladu 
Negrii. 

Le  nom  à'Ungro-  Valachie  a  été  donné  par  les  (h-rcs  et  signifie 
en  réalité  :  Valachie  hongroise,  afin  de  la  distinguer  de  leur 
Petite  et  Grande  Valachie  et  pour  exprimer  également  sa  dépen- 
dance de  la  Hongrie. 

Le  fait  que  les  vayvodes  de  Valachie  étaient  quelquefois, 
par  suite  de  donations  royales,  les  possesseurs  de  la  terre  de 
Fogaras.,  rend  la  situation  des  Honmains  qui  y  habitent  quel- 
que peu  différente  de  celle  qu'avaient  leurs  frères  demeurant 
dans  les  autres  parties  du  royaume.  iMcolas  Olàh  raconte  dans 
sa  «  Hungaria  >'  (X,  lib.  I)  que  ce  château  de  Fogaras  est 
comme  une  petite  j)rincipauté  et  que  le  maître  du  château  y  est 
vénéré  par  ses  sujets  les  boyards,  car  les  vovvodes  et  les  kéne/ 
y  portaient  ce  nom,  comme  s'il  était  un  souverain.  La  boérie 
n'est  pas  une  noblesse  hongroise,  elle  n'est  donnée  que  parles 
vayvodes  roumains.  Comment?  le  fait  suivant  l'explique. 

Paul  Toniori,  le  commandant  de  Fogaras,  fait  savoir  à  tous 
ceux  que  cela  regarde  que  le  il  août  1511  Raduly,  Vochan  et 
Basile,  fils  de  feu  Komsa,  et  un  autre  Raduly,  fils  de  Stoycza, 
ainsi  que  Stanislas  Karabal,  fils  du  feu  Alexandre  Viszii,  s'étant 
présentés  devant  lui,  l'ont  informé  que  leur  ancêtre  Koszta  avait 
reçu  jadis  en  donation  de  Mircse,   vayvode  de  Valachie  et  ban 

(1)  (i.  I'am',  htorid  critic.t  a  roitiânilor.  Convor/>iri  literarc  Anul.  VII. 
h"  11. 


LIVRE   DEUXIÈME  119 

de  Szorény,  la  charge  de  boyard  dans  A/so  et  Felsà-  Viszi,  ainsi 
que  dans  Also-Arpa,  avec  tous  les  bénéfices  y  attenants  et  avec 
les  douze  tentes  de  Tsiganes  en  dépendant.  Et  qu'ils  jouirent 
effectivement  de  cette  boérie  jusqu'au  jour  indiqué,  mais  que 
leur  lettre  de  donation  leur  fut  ravie  par  les  Turcs  lors  d'une 
de  leurs  incursions  faites  du  temps  du  vavvode  Pierre  Gerès  de 
Vinrjard.  Par  égard  à  leur  dévouement,  Tomori  les  confirme 
dans  leurs  boéries,  dans  la  possession  de  leurs  propriétés  et 
de  leurs  Tsiganes,  grâce  au  pouvoir  dont  il  est  investi  par  le 
seigneur  Jean  de  Bornemisza . 

Il  appert  de  ce  document  que  les  vawodes  de  Valachie,  pen- 
dant le  temps  qu'ils  eurent  le  château  de  Fogaras  dans  leur 
possession,  distribuèrent  des  boéries,  reconnues  ou  au  besoin 
confirmées  valables  par  les  rois  de  Hongrie  ou  parleurs  repré- 
sentants même,  à  un  moment  où  ce  château  n'était  pas  la  pos- 
session des  vayvodes  ;  pouvoir  distribuer  des  boéries  sur  le 
territoire  de  l'Etat  hongrois  dans  une  propriété  conférée  par 
donation  royale  n'était  pas  un  fait  unique  ;  Théodore  Koriatovic 
et  ses  successeurs  agirent  ainsi  à  Munkacs. 

Que  ces  boyards  ne  différaient  en  rien  des  kénez  installés 
sur  les  autres  propriétés  dépendant  des  châteaux  royaux,  les 
règlements  que  le  commandant  Tomori  édicta  en  1508  avec 
le  consentement  de  tous  les  bovards  et  kénez.  et  qui  furent 
ratifiés  dans  la  même  année  par  le  possesseur  du  château  Jean 
de  Bornemisza,  le  démontrent  clairement.  Il  v  est  dit,  au  cin- 
quième paragraphe,  que  si  jusque-là  les  héritiers  d'un  boyard 
trépassé  étaient  obligés  de  donner  au  commandant  un  cheval 
sellé  avec  une  lance,  même  s'il  n'avait  pas  de  cheval,  dans  ce 
cas-là  dorénavant  ils  ne  paveront  en  tout  que  trois  florins.  Les 
dispositions  du  sixième  paragraphe  se  rapportent  au  partage 
de  la  fortune  mobilière  et  immobilière  d'un  boyard  mort  sans 
héritier  et  n'ayant  eu  qu'une  fille.  Elles  accordent  toutes  une 
part  considérable  au  seigneur  du  château.  Et  si  quelqu'un  vou- 
lait faire  hériter  sa  ou  ses  filles  de  ses  immeubles  aussi,  puisque, 
d'après  les  lois  des  Roumains ^  la  propriété  foncière  ne  regar- 
dait pas  le  sexe  féminin  (quia  in  lege  Valachorum  hœreditates 
sexum  femineum   non  concernant)  —  il  fallait  qu'il   obtînt 


120  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
du  seif^ncur  et  des  jurés  un  document  légalisé  par  leurs 
sceaux  (1).  On  voit  que  le  principe  exprimé  dans  un  document 
de  Sifjiswoiif/  cité  plus  haut:  «  car  la  persojines  des  Roumains 
n'est  pas  séparable  du  château  ainsi  que  les  terres  de  labour  dont 
ils  ont  la  jouissance  ne  le  sont  pas  non  plus,  quoiqu'ils  les 
cultivent  à  leur  profit  i  -^  a  été  sévèrement  conservé,  aussi 
bien  à  l'éjjard  des  propriétés  boériales  de  la  terre  de  Fogaras 
qu  à  régaid  des  propriétés  kénéziales. 

Après  avoir  conslalé  que  les  vayvodcs  de  Mohlav/c  possé- 
daient également  des  terres  en  Transyliuniic  par  suite  de  do- 
nations royales,  notamment  les  châteaux  de  Csicsô  et  de  Kû- 
liulloe,  il  faut  finalement  indiquer  la  vraie  raison  qui  a  fait 
agir  les  rois  de  Hotujric  en  les  concédant.  La  décision  prise 
par  le  roi  Maihias  en  1167  l'apprend  clairement,  car  elle  dit 
que  1  on  ne  tievra  plus  donner  à  personne  ni  Fogaras,  ni  Radna^ 
ni  Omlâs  ni  les  terres  qui  en  dépendent,  afin  que  la  couronne 
puisse  à  tout  moment  les  céder  aux  vayvodes  de  Valachie  ou 
de  Moldavie  ^'\\<.  étaient  forcés  d'abandonner  leurs  troues  sou- 
verains et  qu'ils  puissent  v  organiser  leur  letour.  D'autre  part, 
Eiitjcl  publie  un  traité  du  \i\\yode  Jî/idu/,  tiaité  conclu  en  1507 
avec  les  Saxons  de  Trdnsyhunn'c,  dont  voici  les  j)assages  les 
plus  saillants  :  «  Moi  lùidii/,  le  vayvode  des  parties  de  la  Vala- 
chie,  reconnais  (pie  nos  ancêtres  ont  toujours  été  fidèles  à  la 
sainte  couronne,  aux  rois  de  Hongrie  et  qu'ils  se  sont  toujours 
dévoués  dans  leur  service,  et  que  notre  pays  est  un  membre 
du  royaume  de  Hongrie  iquod  etiam  regnum  nostrum  existât 
de  membro  regni  Hungari;e).  Si  donc  un  jour  j'étais  obligé  de 
me  réfugier  dans  le  royaume  de  notre  roi  (ad  regnum  Screnis- 
simi  Domini  nostri  régis)  que  la  ville  de  Szebeu  et  les  sept 
sièges  saxons  nous  reçoivent  avec  notre  famille,  ainsi  que  nos 
boyards  avec  leur  familles  et  qu'ils  nous  accordent  le  séjour 
et  la  permission  d'aller  et  venir.  (2)  ii  En  1372  le  vayvode 
LaJ/io  ou  Lad/s /lis  appelle  le  roi  de  Honqric  son  maître  naturel 

(1)  .4  wai/ya)-  tôiiu'iiyliatôsàf/o/ijocfszahûlYniiiali  </yiijtc»truye,  vol.  I.  Az  cr- 
délyi  tôrveiiyluitosagok  jorjszabùlyai.  Oiszcijyujtutlck  dr.  Kolozxvûry  Sâiulur  es 
dr.  Cvâii  Kclemeii.  Hudapcst,  1885,  p.  169  et  passim. 

(2;  Esr.EL.  Geschirliir  der  Moldai,  und  Walachei.  Halle,  1804,  p.  187. 


LIVRE    DEUXIÈME  121 

ainsi  qu  en  1431  du  temps  de  Sigismond  le  vayvode  Vlad  aussi 
quoiqu'il  se  fasse  donner  dans  les  documents  le  titre  de  :  «  Va- 
lachiœ  Transalpin.^  Dominus  et  terrarum  de  Omlasche  et  de 
Fogaras  dux.  » 

En  tenant  compte  de  tout  ceci,  prétendre  que  c'est  par 
droit  de  conquête  ou  d'héritage  légué  par  l'antique  Rome  que 
les  vayvodes  roumains  ont  possédé  quelque  chose  en  Hongrie 
ne  peut  être  taxé  que  d'entêtement  ou  d'aveuglement.  D  ail- 
leurs M.  G.  Paint,  le  distingué  historien  roumain,  se  demande 
lui-même,  avec  beaucoup  de  bon  sens,  s'il  est  possible  de  pen- 
ser que  les  rois  de  Hongrie^  beaucoup  plus  puissants  que  les 
vavvodes  roumains,  eussent  consenti  tranquillement  à  l'occu- 
pation de  leurs  châteaux  forts  par  ces  derniers? 


CHAPITRE  IV 


LKS   HUNYADI. 


A  quel  point  les  kénez  roumains,  jadis  de  religion  grecque 
orientale,  devenaient  des  catholiques  ardents  et  des  patriotes 
magyars  dévoués,  l'histoire  de  l'illustre  famille  des  Hunyadi  le 
démontre  de  la  manière  la  plus  éclatante.  Aussi  ne  pas  lui 
consacrer  un  chapitre  spécial  serait  une  omission  repréhen- 
sible  non  seulement  en  ce  qui  concerne  le  respect  et  la  véné- 
ration que  l'on  doit  à  sa  mémoire,  mais  en  même  temps  rela- 
ti\  ement  à  la  vérité  historique  également,  à  laquelle  elle 
fournit  une  j)reuve  des  plus  convaincantes  en  faveur  de  la 
cause  des  Mafjyars  si  injustement  attaqués. 

Bhnjiii  raconte  dans  son  ouvrage  :  »  Rerum  Hungaricum 
décades  libris  LXV  comprehenspe,  ab  origine  gentis  ad  annum 
1495  »  ,  que  l'empereur  Frédéric  III  ne  voulait  pas  prendre  au 
sérieux  l'élection  de  Mat/tias  Corvin  au  trône  de  Hongrie,  car 
il  pensait  que  les  puissants,  riches  et  orgueilleux  seigneurs 
ne  voudraient  pas  y  tolérer  longtemps  la  présence  d'un  jeune 
homme  étranger,  né  d'un  père  roumain  (adolescentem  pere- 
grina  gente,  natum  e  pâtre  valacho).  Rempli  de  reconnaissance 
envers  son  glorieux  protecteur,  Bon  fin  était  très  ennuyé  par 
cette  appréciation  ;  aussi  se  donna-t-il  la  tâche  de  faire  con- 
naître 1  antique  origine  de  la  famille  du  roi  Mathias  et  de 
prouver  ainsi  que  le  fds  de  Hunyadi  ne  devait  craindre  personne 
sous  ce  rapport  et  qu'il  surpassait,  au  contraire,  tout  le  monde 
par  la  noblesse  de  sa  race. 

Jean  Hunyadi  élanl  d'origine  roumaine,  la  vieille  aristocratie 
magyare  le  considérait  comme  un  parvenu;  car  s'il  occupait 
les  places  les  plus  élevées  civiles  et  militaires  dans  le  gouver- 
nement, ses  débuts  n'en  étaient  pas  moins  obscurs.  Or  d'après 
Bonfin,  le  corbeau  qui  se  trouve  dans  les  armes  des  Uunyadi 
servait  de  preuve  irréfutable  pour  indiquer  qu'ils  descendaient 


LIVRE   DEUXIEME  J23 

(les  Corvin.  Et  ceux-ci  appartenaient  à  la  souche  aristocratique 
des  Valcrius  volusiens,  léinoins  de  la  fondation  de  Rome  et,  qui 
plus  est,  témoins  issus  d'une  famille  alors  antique  puisque  ses 
aïeux  étaient  au  nombre  de  ces  Lacédéuwniens  que  les  Héra- 
dides  ont  conduits  en  Iialie.  Il  en  résulte  que  le  roi  Maihias 
était  donc  comme  membre  de  la  famille  des  Corvin,  par 
I  intermédiaire  des  Hérdclides  et  conséquemment  d'Hercule, 
un  rejeton  de  Jupiter  lui-inéme  ! 

Ce  fut  au  moment  de  Tinvasion  des  Gaulois  que  la  famille 
des  Valerius  reçut  le  nom  de  Corvin,  à  cause  d'un  corbeau 
qui  s'était  posé,  pour  présager  la  victoire,  sur  le  casque  de 
Marins  Valerius,  pendant  qu'il  se  battait  contre  un  chef  gaulois. 
Car  l'apparition  du  corbeau  était  considérée  par  les  Romains 
comme  un  bon  présage,  et  Aurjuste  avait  du  plaisir  h  entendre 
son  croassement.  «  Qui  ne  connaîtrait  d'ailleurs  Gorvinus 
Messala,  le  prolecteur  du  poète  Horace,  qui  introduisit  le  pre- 
mier le  nom  de  Corvin  en  Pannonie?  —  s'écrie  Bonfin  !  Ce  fut 
ce  Corvinus  Messala  Valerius  qui  fit  la  conquête  de  la  Pan- 
nonie ;  ce  fut  de  là  que  transigèrent  ses  descendants  en  Tran- 
sylvanie, et  la  noble  race  lesta  ignorée  pendant  des  siècles 
jusqu'à  sa  réapparition  dans  le  village  de  Hunyad.  »  Des  explica- 
tions aussi  merveilleuses  ne  sont  pas  rares  chez  Bonfin  au  sujet  de 
l'origine  de  quelques  familles  oligarchiques  magyares  non  plus. 
Ne  s'avise-t-il  pas  d  affirmer  avec  un  sang-froid  impertur- 
bable que  les  Baihori  descendent  de  Bai/is,  roi  de  Pannonie? 

Animés  par  le  même  zèle,  les  continuateurs  daco-roumains 
de  Stnkaî  et  de  Pierre  Maïor  transformèrent  tout  Magyar 
célèbre  jusqu'à  François  Deàk  (l),  n'exceptant  pas  même 
Betlhen  et  Bocsliai,  en  autant  de  Roumains.  Mais  cette  douce 
manie  ne  peut  pas  empêcher  les  historiens  sérieux  de  con- 
venir de  l'exactitude  de  certaines  assertions. 

L'origine  roumaine  de  la  famille  Hun]  adi  n'est  que  difficile- 
ment admise,  même  par  les  auteurs  magyars  et  allemands 
plus  récents  et  plus  objectifs,  et  cependant  c'est  un  fait  patent. 

(1)  Pendant  l'été  de  1847  l'opposition  libérale  hongroise  se  réunissait  sous  la 
présidence  du  comte  Louis  Batthyâny  et  de  François  De.ik,  alias  Pescario,  pro- 
priétaire macédo-roumain,  etc.  L.  Baritio,  fstoria  Trayisilvaniei,  vol,  II,  p.  18. 


124  MAT.  VA  15  S  KT  ItOHMAlINS  DEVANT  L'IllSTOIUE 
Le  D'  Lddislds  lii-ilty  n'admet  (]iie  1  existence  de  quelques 
liens  rattaclKint  les  /I/myadi  im  peuple  roumain,  mais  il  ajoute 
(lue.  relativement  à  son  origine,  la  famille  était  plutôt  slave 
uiéridionale  que  roumaine  (P.  C'est  le  nom  Vdu/,  ou  \'(ij/i  que 
l'on  écrit  aussi  17/.,  pré(end-il,  (jui  le  prouve,  car  c  est  un 
nom  seri)e  très  répandu  et  qui  sijjnilie  "  lou|)  ^  .  Il  dit  encore 
(lu  il  V  a  (les  passa{»es  même  dans  les  documents  de  Maihitis 
("orviii  (\m  militeraient  en  laveur  de  sa  théorie.  «  A  Reffihus 
vero  Bul{;ari:c  attavis  nostris»  ...  écrit  Mai/n'as  en  nommant  ses 
parents.  De  ces  documents  il  appert,  selon  M.  le  D'  Ih-thy,  que 
les  ancêtres  des  //i///)7/^// étaient  des  vayvodes  dans  l'amalgame 
de  peuples  qui  avait  immigré  du  côté  des  lialkdns  et  qu'ils 
étaient  les  parents  des  familles  souveraines  slaves  et  alba- 
naises i:2). 

M.  Jaucso  ne  s'égare  pas  dans  les  liypotlièses,  mais  sen 
tient  strictement  aux  documents  authentiques.  Or  il  y  a 
une  lettre  de  donation  dans  laquelle  le  roi  Sigisinond  accorde, 
le  18  octobre  1409,  à  son  garde  de  corps  Va}/,,  HIs  de  Scrhan, 
la  propriété  de  Himytidvâr,  sise  dans  le  département  de  Fejcr 
(Transylvanie).  Ce  }'tij/,  avait  trois  hls  :  Jean,  Vjnk  et  Judii.  Il 
est  curieux  qu'en  réalité  il  y  avait  deux  frères  qui  s'appelaient 
Jeati,  pui8(|ue  le  document  désigne  l'un  Joamiès,  celui  qui  fut 
|)lus  tard  le  grand  HunyadI  ei  l'autre,  à  la  manière  roumaine, 
Juoii.  Il  est  probable  que  le  premier  était  catholique  et  que  le 
second  appartenait  à  la  religion  grecque  orientale,  carde  telles 
fluctuations  religieuses  n'étaient  pas  rares  chez  les  kénez  rou- 
mains. En  tout  cas,  on  sait  que  Joannàs  suivait  sa  leligioii 
avec  une  telle  ferveur  qu'il  délaissa  souvent  son  lit  pendant 
la  nuit  pour  aller  à  l'église  où  il  demeura  jusqu'à  l'aurore  à 
.;>en()ux  eu  priant  avec  la  plus  sincère  dévotion  devant  la  Sainte 
Face. 

Juoii  figure  sous  le  nom  de  Jo/ian  dans  un  document  daté  de 
1419,  ce  qui  prouverait  qu'il  est  devenu  entre  temps  catho- 
lique aussi.  Voilà  comment  on  appelle  Jean  dan>  un  document 

i)  D'  RÉTiiY    Lasxlo,   Az  olâh  nyelv  es  nemzel  megalakulâsa,  p.  144  et  145. 
(2j  Kkiiciiemcu,    De  rei/nis   Dalmaliœ,    Croatiœ,  Slavoniœ,   not.  prœlim.  Za- 
</rab,  p.  280  à  282. 


LIVRE   DEUXIEME  125 

daté  de  1434  et  signé  à  Bâle  :  «  Egregius  Johannes  dictus  Olâh, 
filius  condam  Vajk  de  Hunyad,  aulae  nostrîc  miles.  "  Donc  le 
fils  de  Vf/jk  était  déjà  à  ce  moment  eçiregius,  c  est-à-dire  noble. 
Le  roi  Albert  nomme  Jean  et  son  frère  bàns  de  Szorcn\\,  et 
alors  tous  les  deux  sont  déjà  magnifici.  En  1440,  ils  reçoivent 
quatre  villages  dans  le  département  de //«//)f/^/  et  dans  la  lettre 
de  donation  on  les  appelle  '^  uterque  Johannes  de  Hunyad  ;» 
C'est  donc  à  ce  moment  que  leur  nom  de  famille  Olah  est 
changé  en  Hnnyadi.  Mais  qu'il  soit  Olàh  ou  Himyddi.  Jean  est 
tellement  magyar  que,  ne  sachant  {)as  le  latin,  quand  il  prête 
serment  comme  gouverneur  de  la  Hongrie,  il  le  prononce  en 
magyar  contrairement  aux  usages. 

En  1548,  l'Empereur  roi  Ferdinantl  /"écrit  une  lettre  à 
^l'icolas  Olàh,  qui  était  alors  évéque  de  Zâgràb  et  chancelier 
roval.  Dans  cette  lettre  on  lit,  entre  autres,  le  passage  suivant  : 
«  Les  Ylaches,  tes  consanguins,  tirent  au  su  de  tout  le  monde 
leur  origine  de  Rome,  jadis  maîtresse  du  monde,  à  cause  de 
quoi  ils  s'appellent  aussi  des  Roumains.  Beaucoup  de  grands 
capitaines  sont  issus  de  ta  race,  ainsi  Jean  Hunyadi,  le  père 
de  Mathias  Corvin,  qui  appartiennent  tous  deux  à  tes  ancêtres 
les  plus  directs.  5)  Nicolas  Olàh  était  donc  un  proche  parent  des 
HanYadi. 

D'autre  part,  voilà  comment  ce  même  Nicolas  Olàh  raconte 
sa  généalogie  dans  son  «  Hungaria  »   (l): 

u  Deux  familles  rivalisèrent  en  Valachie  depuis  nos  ancêtres 
jusqu'à  nos  jours  pour  la  vayvodie  :  les  Dan  et  les  Drakul. 
Au  temps  de  Jean  Hunyadi  ce  fut  le  vayvode  Drack  i  Dragula) 
qui  s'empara  du  pouvoir  soit  en  faisant  tuer,  soit  en  exilant  les 
Dan.  Deux  fds  naquirent  à  Manzilla  d'Ardgyes  de  sa  femme 
Marina  :  Stancsul  et  Stojan.  Stancsul  avait  également  deux  fils  : 
Dan  et  Pierre;  quant  à  Stojan  ou  Stéphane,  il  nous  engendra 
moi  Nicolas,  Mathieu,  Ursule  et  Ilona  (Hélène).  S'étant  emparé 
du  pouvoir  vayvodial  Drak  fit  décapiter  mon  oncle  Stancsul. 
Mon  père  Etienne  étant  encore  garçon  alors,  s'enfuit  heureuse- 


(1)  Irodaloin  tnrténeti  kuzleinèiiyek.  Première  année.  Fasi;.  I,  p.  SÔ.Hcnfalvv 
Olûli  Miklos  csalûdi  viszoïijui  èî  "  Uiuif/(iiia-;a.  " 


126        MAGYARS    ET    KOUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
ment  chez  le  roi  Mathias  qui  eut  plusieurs  fois  rintention  de 
le  ramener  dans  son  pays  »  . 

Après  la  mort  du  vayvode  Mircse ,  c'est  son  fils  naturel 
Mircse  II,  autrement  dit  Michel,  qui  monte  sur  le  trône  vayvo- 
dial  de  la  Valaclue  en  1119.  Mais  son  cousin  germain  Dan  ne 
lui  permet  pas  de  Toccuper  longtemps.  Ce  Dan  II  est  chassé  à 
son  tour  par  liadu  II l  que  les  Turcs  soutiennent.  Dan  se  sauve 
chez  les  Honc/rois  et,  avec  leur  aide,  il  reconquiert  son  trône 
vayvodial,  mais  il  ne  règne  pas  longtemps  cette  fois-ci  non 
|)lus,  car,  s'étant  insurgés  contre  lui,  les  boyards  le  tuent  et  ils 
mettent  à  sa  place  Vlad  II,  le  Drakul.  C'est  alors  que  Jean  Hu- 
nyadi  se  croit  obligé  de  s'en  mêler  aussi  :  il  chasse,  à  son 
tour,  le  protégé  du  sultan  et  il  le  remplace  par  Dan  III ,  le  fils 
de  Dan  II.  Ce  sont  encore  les  Turcs  qui  font  chasser  celui-ci 
et  qui  lui  substituent  la  seconde  fois  Vlad II,  dans  le  pouvoir  de 
(lui  Hunyadi  tombera  après  la  fatale  journée  de  Varna.  Ayant 
recouvert  sa  liberté,  ce  dernier  expulse  Vlad  encore  une  fois 
pour  remettre  sur  le  trône  Dan  III  derechef.  Après  la  mort 
de  celui-ci,  c'est  son  fils  Vlad  III  qui  lui  succède,  que  le  fils 
du  Drakul,  le  célèbre  vayvode  l'iad  IV  surnommé  le  Tzépès, 
remplace  en  1456. 

Voilà  l'historique  des  luttes  des  Danesti  et  des  Draculesii. 
On  y  voit  toujours  intervenir  les  Hongrois,  et  notamment  les 
Ilunyadi,  dans  lintérêt  des  premiers.  Les  historiens  roumains 
prétendent  tous,  unanimement,  que  Serban,  le  père  de  Vajk  et 
grand  père  de  Jean  Ilunyadi  —  descendait  des  Danesti ei  qu  il 
s'était  sauvé  en  Hongrie  en  fuyant  les  persécutions  du  vayvode 
Mircea.  M.  Jancsô  n'a  pas  trouvé  jusqu'ici  une  démonstration 
plus  probante  de  cette  prétendue  parenté  chez  les  auteurs  rou- 
mains, mais  il  croit  qu'il  a  dû  y  avoir  quelque  chose  de  vrai 
dans  tout  ceci,  puiscpie  c'est  avec  le  fils  du  vayvode  roumain 
que  Vajk  marie  une  de  ses  filles,  créant  ainsi  des  liens  nou- 
veaux pour  resserrer  plus  étroitement  la  parenté  entre  les  siens 
et  les  vayvodes  roumains  (1).  Il  n'est  pas  impossible  que 
dans  la  rapide  élévation  d'une   position  honorable  au  rang 

(1)  Gb.  TtLEKi  JozStK,  Hunyadiak  kora,  t.  II,  p.  63. 


LIVRE  DEUXIÈME  127 

suprême  dont  la  famille  des  Hunyadi  pouvait  se  féliciter,  il 
ne  soit  pas  entré  pour  une  part,  à  côté  du  mérite  extraordi- 
naire de  ses  membres,  cette  origine  relevée  aussi.  Rechercher 
à  quel  degré  de  parenté  se  trouvaient  les  Hunyadi  avec  la 
branche  danestienne  des  Bassarnh  ne  peut  pas  entrer  dans  le 
cadre  de  ce  travail.  Mais  en  admettant  Thypothèse,  on  a  l'ex- 
plication de  quel  droit  les  documents  de  Jedu  de  Huny<id  et 
de  son  fils,  le  roi  Mathias,  cités  par  KaprinoY  {\),  parlent  des 
Mdvanovits ,  «  souverains  de  V Albanie  et  de  la  Thessalie  »  , 
comme  de  leurs  parents  bien-aimés. 

Au  demeurant,  l'origine  de  ses  enfants  importe  peu  à  la //on- 
grie,  pourvu  qu'ils  lui  montrent  un  attachement  filial  inébran- 
lable. Tant  mieux  si  le  génie  roumain  lui  donne  un  grand 
capitaine  tel  que  Hunyadi ei]e  génie  serbe  un  grand  poète  tel 
que  Petœfi .  Le  principal  est  qu'ils  veuillent  être  citoyens  de  la 
patrie  hongroise  et  qu'ils  s'en  glorifient  en  partageant  ses  joies 
et  ses  peines,  en  se  rendant  solidaires  de  sa  bonne  et  mauvaise 
fortune.  La  grandeur  d'une  race  réside  précisément  dans  son 
expansibilité  qui,  à  l'intérieur,  ne  peut  se  manifester  qu'au 
moyen  de  l'absorption  des  éléments  étrangers.  Et  que  cette 
absorption  n'est  nullement  artificielle  ou  forcée  en  Hongrie, 
les  Hunyadi  et  les  Petœfi  le  démontrent  par  leur  ardent  patrio- 
tisme hongrois,  qui  les  identifie  aux  Magyars  pur  sang  au  mi- 
lieu de  qui  ils  vivent  et  meurent  pour  la  civilisation  et  la  li- 
berté ! 

(1)  Kaprinay,  Istoria  diploniatica,  II,  p.  559  à  569. 


CHAPITRE  V 

LA  HLVOLTE  DKS  l'AYSANS  ET  l'lNION  UES  TiiOiS  NATIONS. 

Si  les  dissensions  intestines  qui  avaient  affaibli  la  Hongrie 
pendant  les  règnes  des  derniers  Arpâd  et  les  luttes  fratricides 
des  Mdqyars  précédant  l'avènement  au  trône  de  Charles-Robert , 
ont  rendu  possible  la  sécession  des  «  partes  Transalpinie  »  et 
là  formation  d'un  État  indépendant  sur  leur  territoire,  elles 
ne  causaient  pas  moins  de  désastres  à  l'intérieur  où,  par  suite 
de  l'intervention  de  la  Curie  ro)naiiie  et  du  Saini-Enipire,  et 
de  la  résistance  de  Csàk  et  du  vayvode  Ladislas,  l'anarchie  a 
pu  prendre  des  proportions  tout  à  fait  inquiétantes  pour  rave-» 
nir  du  rovaume.  (Juant  à  la  situation  de  la  Trunsylvanie, 
spécialement,  elle  a  été  des  plus  déplorables  dès  la  mort  de 
Béld  IV.  C'est  à  Vévêquc  de  Tnnisylvaiiie  et  aux  Saxons  que 
revient  le  triste  honneur  de  l'avoir  créée  et  entretenue. 

Le  non-pavement  de  la  dîme  fut  le  point  de  départ  des  mé^ 
sintelligences.  L'évéque  tenait  à  la  percevoir  chez  les  Saxons 
aussi.  Ceux-ci  prétendirent  ne  devoir  la  payer  qu'à  leurs  pro- 
pres prêtres  élus.  Ces  dissensions  s'envenimèrent  tellement 
que  l'évéque  —  d'accord  avec  ses  chanoines  —  n'hésita  pas  à 
faire  exécuter  le  maire  de  Vizakna.  Jean.,  le  fils  de  celui-ci, 
ayant  excité  les  Saxons  contre  l'évéque,  l'attaque  à  la  tête 
d'une  forte  bande  de  Saxons  à  Gyulafehérvàr  (127  7).  S'étant 
rendu  maître  de  la  cathédrale  et  l'ayant  incendiée  avec  les 
autres  églises  de  la  ville,  il  fit  périr  deux  mille  personnes  parmi 
lesquelles  quatre  chanoines  et  une  foule  de  prêtres,  qui  s  y 
étaient  réfugiés.  Les  Saxons  s  emparèrent  du  trésor  et  des 
objets  précieux  des  églises  et  ils  souillèrent  les  reliques;  la 
bibliothèque  et  les  archives  de  la  cathédrale  furent  détruites 
et  ses  lettres  de  privilèges  anéanties. 

Plusieurs  indices  prouvent  qu'/b/f/?e///  avait  le  plus  vif  désir 
de  rétablir  l'ordre  en  Transylva/iie,  mais  la  révolte  du  vayvode 


LIVRE    DEUXIÈME  129 

Hohtnd  a  considérablement  augmenté  les  complications.  Le 
roi  n'a  pu  la  réprimer  qu'au  prix  des  plus  grands  efforts. 
Après  sa  mort,  c'est  dans  les  mains  du  vayvode  Lddislas  que 
tombe  la  Transylvanie.  On  connaît  la  conduite  de  celui-ci 
envers  le  roi  Otlmn  1305-1308)  qu  il  a  fait  enfermer  dans  le 
cbàteau  de  Bidvànyos  et  qu'il  a  dépouillé  de  la  couronne  de 
saint  Etienne  quand  il  est  allé  chez  lui  pour  lui  demander  sa 
fdle  en  mariage.  Des  mécontents  se  trouvent  parmi  les  Saxons 
aussi  —  tel  Conrad,  le  seigneur  de  J'almàcs,  qui  ne  dépose  les 
armes  devant  le  roi  que  contraint  et  forcé. 

Ce  sont  encore  des  Saxons  qui  se  révoltent  contre  Charles- 
llobert  sous  la  conduite  de  llenning  de  Szeni-Péier.  Les  troupes 
du  vayvode  de  Transylvanie  étant  insuffisantes  pour  les  vain- 
cre, le  roi  envoie  des  Ciimans  pour  les  combattre.  Mais  leur 
dernier  foyer  de  résistance,  le  château  fort  de  Fekete-Halom, 
ne  passe  de  la  main  du  Saxon  Salomon  de  Brassa  dans  celles 
des  partisans  du  roi  qu'en  1331. 

Alors  il  Y  ^  des  difficultés  à  cause  de  la  nomination  de  l'évè- 
(jue.  Le  pape  ne  veut  pas  reconnaître  les  élus  du  chapitre.  Le 
vayvode  Thomas  est  aussi  continuellement  en  guerre  avec 
l'évéque  André  II.,  qui,  quoique  très  capable,  aimait  prodigieu- 
sement les  violences.  H  y  a,  d'une  part,  destruction  des  pro- 
priétés épiscopales  et,  de  l'autre,  excommunication  du  vayvode 
et  du  vice-vayvode. 

Pour  compléter  le  tableau  de  l'état  anarchique  de  la  2'ran- 
sylvanie,  il  faut  ajouter  quelques  incursions  de  Tartares.,  une 
nouvelle  révolte  des  Saxons,  provoquée  par  la  transformation 
des  revenus  du  Trésor  en  impôt  foncier.  »  C'est  pourquoi  le 
roi  part  en  personne  —  écrit  Jean  de  Kukiillo,  l'historiographe 
royal  —  avec  une  grande  armée,  avec  ses  barons,  ses  soldats, 
ses  nobles  et  les  patriotes  pour  soumettre  les  arrogants  et  pour 
revenir  victorieux.  » 

11  est  hors  de  doute,  car  les  mesures  prises  le  prouvent 
aussi,  que  le  but  principal  de  la  visite  du  roi  Louis  était 
d'apaiser  «  les  querelles,  dissensions  et  divergences  d'opinioji^ 
juridiques  ))  soulevées  par  l'évéque  transylvanien  entre  les 
Magyars  (nobles),  les  Sicules  et  les  Saxons  et  de  rétablir  la  paix.' 

9 


131»      ma(;yaks  et  roumains  devant  L'HISTOIRE 

Ce  fut  aussi  une  occasion  pour  le  vayvodc  de  Valuc/iie,  Alexandre 

Bassarab,  d'olfrir  ses  hommages  au  roi  et  de  lui  jurer  fidélité. 

En  1:^45,  l'annéequi  suitcevoyage  de  Louiscn  Transylvanie, 
ce  sont  les  Tnrtares  qui  dévastent  le  pays  à  l'Est  et  au  Sud-Est, 
et  ils  recommencent  cette  attaque  en  1352,  sur  l'instigation  de 
Kejioui,  le  Lithuanien.  Mais  J/u/rt-  Laczkfi,  justement  revenu  de 
Aavles,  va  au-devant  deux  à  la  tête  des  Sicule.s,  les  vainc  et  cap- 
ture même  leur  chef  Atldamos  qu'il  envoie  au  roi  à  Viségrad. 
Toutes  ces  incursions  sont  des  calamités  publiques  pour  la 
Transylvanie. 

Entre  temps,  ce  fut  \'/aj/,(>,  c'est  à  dire  Vladislas,  fils  et  suc- 
cesseur d'Alexandre  Bassarah  (|ui  monta  sur  le  trône  de  la  Va- 
lacliic.  Il  était  beau-frère  de  Straginiir,  roi  de  Bulgarie  qu'il  a 
dabord  soutenu  contre  le  roi  Louis,  espérant  de  se  rendre  com- 
plètement indépendant  du  roi  de  Hongrie.  Mais  comme  celui- 
ci  s'apprêtait  à  attaquer  Siragimir  avec  une  grande  armée 
(en  Satii)  TA/yV.  >  en  eut  tellement  peur  qu'il  se  soumit,  même 
avant  le  commencement  de  la  campagne. 

Ayant  terminé  la  guerre  de  Ilufgarie,  Louis  se  vit  obligé  de 
retourner  en  Transylvanie,  dont  il  s'était  énormément  occupé 
dès  13  4  4,  car  sous  l'aspect  du  Turc  envahisseur  des  r>all,/ins,  il 
se  présenta  un  l)eaucoup  plus  dangereux  ennemi  pour  l'empire 
des  Maffyars  que  ne  furent  les  Tariares.  C'est  donc  la  nécessité 
de  fortifier  les  frontières  orientales  de  la  Hongrie  qui  a  exigé  que 
Louis  tournât  son  attention  vers  la  Transylvanie.  Les  nobles  y 
sont  investis  en  13()5  du  droit  cpie  la  noblesse  de  la  Hongrie 
possédait  déjà  depuis  135!,  de  pouvoir  exercer  la  juridiction 
sur  leurs  serfs  et  domestiques  en  toutes  choses,  les  vols  publics, 
le  brigandage  et  les  crimes  exceptés.  Il  ordonne  en  même  temps 
aux  èvèques,  aux  barons  et  aux  fonctionnaires  royaux,  ainsi 
qu'aux  municipalités  des  villes  et  des  communes  libres  de  s'abs- 
tenir dorénavant,  s'il  s'agissait  de  citer  en  justice  ou  déjuger  les 
serfs  des  nobles,  sinon  en  ce  qui  concerne  les  exceptions  sus- 
dites. C'est  seidement  en  cas  où  les  nobles  ne  voudraient  pas 
rendre  la  justice,  que  les  plaignants  doivent  s'adresserauxtribu- 
nauxroyauxordinaires,etencore,  non  pas  directement  contre  les 
&erfs,  mais  contrcles  nobles  quileurrefusentde  rendrela  justice. 


LIVRE    DEUXIÈME  i31 

Dans  son  second  voyage  en  Transylvim  iC  nxecVédit  de  13G(), 
Louis  ne  fait  que  régler  la  procédure  criminelle.  Est-ce  que  si 
la  situation  jusqu'à  un  certain  point  anarchique  du  pavs  n'eût 
pas  provoqué  le  renversement  de  l'ordre  public,  il  \  aurait 
eu  besoin  de  recourir  à  des  dispositions  tellement  sévères 
qu'elles  rappellent  celles  des  cours  martiales,  comme  le  roi 
Louis  y  recourt  dans  cette  ordonnance? 

Dans  les  phrases  servant  d'introduction,  il  v  déclare,  avant 
tout,  que  les  malfaiteurs,  et  surtout,  les  malfaiteurs  roumains 
n'ayant  ni  situation,  ni  usages  organisés  (corumque  statum 
simul  et  usum  inordinatum),  causent  journellement  un  mal 
considérable  en  Truiisyliuinic.  Donc  il  laisse  entière  liberté  à 
la  noblesse  pour  exterminer  ces  malfaiteurs  et  surtout  les  mal- 
faiteurs roumains.  Elle  pourra  faire  exécuter  quiconque  est 
brigand,  voleur  ou  autrement  criminel  au  su  de  tout  le  monde, 
même  s'il  n'est  pas  pris  en  flagrant  délit,  mais  si  cinquante  per- 
sonnes l'accusent  seulement.  Naturellement  cinquante  nobles 
s'il  est  noble,  et  cinquante  pavsans  s'il  est  paysan.  Celui  que 
l'on  prend  en  flagrant  délit  peut  être  tué  par  l'offensé  lui- 
même  Si  au  moins  sept  d  entre  ses  égaux  déposent  contre 
lui.  Et  comme  pour  punir  un  noble  malfaiteur  il  faut  le  témoi- 
gnage de  cinquante  nobles,  que  le  kénez  confirmé  par  une 
lettre  royale  compte  autant  qu  un  noble;  tandis  qu'un  kénez 
non  confirmé  ne  compte  que  pour  un  quart  d'homme,  les 
paysans  ou  les  liouDtuiiis  ne  comptent  comme  témoins  qu'un 
huitième  d'homme.  Si  l'on  accusait  un  Iloinintin  vulgaire,  tout 
le  monde  pourrait  déposer  contre  lui.  Tout  le  monde  peut 
prendre  ou  détenir  un  paysan  ou  un  Roumain  condamné  par 
le  vayvode,  par  le  vice-vayvode  ou  par  les  tribunaux  des  "  is- 
pan  »  pourvus  de  juridiction.  (1) 

Il  est  incontestable  que  la  manière  dont  cet  édit  spécifié 
les  Rouinui/is  malfaiteurs  et  les  désigne  spécialement  à  la  sévé- 
rité des  autorités  a  un  caractère  d'hostilité  avérée.  Mais  il  ne 
faut  pas  oublier  que  pour  que  l'on  formule  une  énonciation 
aussi  draconienne  que  le  ■-  delendam  esse  e  stirpe  totam  Vala- 

(i)  FkjÉr,  Codex  diploinaticus.  IX,  p.  532  et  pcissiiu. 


132  M\r.  YAl".  S  ET  T.  (>  H  M  A  1  N  S  DKVAM  L'HISTOIRE 
chorum  nroneniciii  "  de  redit  de  Louis  le  Crand,  les  llomntiins 
ont  perpétré  mille  méfaits  patents  depuis  leur  arrivée  en  Tr<ni- 
s\li'(iu{e  sans  parler  de  la  réputation  universellement  détestable 
nu  ils  avaient  chez-  les  Grecs  et  dans  la  péninsule  balkanique. 
A  cet  épard,  c'est  le  traité  que  les  Roumains  et  les  Saxons  ha- 
bitant les  environs  de  Szchen  ont  conclu  entre  eux,  sur  la  pro- 
position de  Tévèque  Goblin,  (jui  jette  le  plus  de  lumière  sur 
les  relations  dans  les(|uclles  vivaient  ensemble  la  population 
ancienne  de  la  Transylvanie,  attachée  à  ses  loyers,  vouée  à 
Faoriculture,  et  les  Roumains  nouvellement  immigrés,  à  moitié 
nomades,  ne  tirant  leurs  ressources  que  de  leur  bétail.  On 
découvre  dans  ce  document  les  traits  principaux  de  la  lutte 
permanente  de  l'élément  a^jriculteur  et  pasteur.  Les  Rounniins 
se  promènent  avec  leurs  troupeaux  sans  autorisation  sur  la 
terre  des  Su.vou  — ("aisant  beaucoup  de  dégâts  et  en  ne  respec- 
tant pas  la  pi<),)riété  individuelle,  —  ces  derniers  de  leur 
côté,  ne  se  gênent  pas  non  plus  d'user  de  représailles  envers 
ceux  qui  les  ont  lésés.  Après  une  guerre  de  guérillas  entre  les 
populations  des  deux  races,  une  réconciliation  a  lieu  que 
l'évèque  Gobliu  formule  à  Nagy-Disznod  en  1;}H2,  dans  un 
traité  de  paix,  dtmt  voici  le  contenu  : 

«  Ni  Vladimir,  ni  les  Roumains  des  environs  du  château  de 
Szeben  n'exigent  de  dommages-intérêts  pour  le  passé,  comme 
les  Saxons  pardonnent  aussi  tout  les  assassinats,  vols,  incendies, 
déprédations  commis  par  les  Yalachs.  Mais  que  dorénavant  ils 
ne  fassent  plus  paitre  sur  les  terres  des  Saxons  sans  la  permission 
de  ceux-ci,  ni  ne  cachent  les  malfaiteurs,  car  on  brûlera  aussi 
bien  le  receleur  ou  celui  qui  cache  que  le  malfaiteur  lui-même. 
L'assassin  et  l'incendiaire  sont  brûlés  s'il  y  a  deux  témoins 
pour  déposer  contre  eux;  et  l'on  brûle  même  celui  qui  menace 
d  incendier,  silestémoinssontau  nombre  de  sept.  Les  Roumains 
s'engagent  à  ne  pas  avoir  sur  eux  des  arcs  et  à  ne  s'exercer  au 
tir  à  l'arc  que  dans  le  cas  de  nécessité  extrême.  (I)   » 

Pour  expliquer  les  dispositions  postérieures  des, 4/Yy;<>/>^//^/  et 
des  Conipilaia  de  la  législature  transylvanienne  défendant  aux 

(DFejkr,  Codex  (li))loinativHS   XI,  p.  132. 


LIVRE    DEUXIÈME  I33 

Rouniaiiisâe  porter  les  armes,  les  historiens  roumains  prétendent 
que  cette  prohibition  n'est  imposée  que  pour  rendre  impossible 
le  soulèvement  des  Rouinains  contre  la  domination  magyare  et 
en  faveur  de  leur  ancienne  liberté.  Le  document  cité  prouve, 
au  contraire,  à  lui  seul,  que  ce  n'est  pns  des  mains  des  héros 
d'une  cause  nationale  et  libérale  que  les  ordonnances  ma.oyares 
enlèvent  les  armes,  mais  seulement  de  celles  qui  menacent  la 
sécurité  publique  et  détériorent  la  propriété  d'autrui. 

Les  règlements  de  police  des  Saxons  conHrmés  parleroj  Ma- 
thiqs  en  1464,  visent  des  délits  semblables.  «  Si  des  Roumains 
nobles  ou  propriétaires  d'un  autre  ordre  et  surtout  les  habitants 
des  districts  de  Fogaras  et  Omlas,  permettaient  à  leurs  troupeaux 
de  moutons,  de  porcs  ou  d  une  autre  espèce,  de  s'en  aller  sur 
des  terres  des  Saxons  et  d'y  faire  des  dégâts  dans  les  semailles, 
les  prés  ou  les  forêts  :  qu'il  soit  accordé  de  pouvoir  retenir 
comme  dommages-intérêts  d'un  troupeau  de  moutons,  la  pre- 
mière fois  deux  moutons  ou  mères,  la  deuxième  fois  quatre, 
et  la  troisième  fois  douze...  Si  c'était  dans  la  nuit  ou  en  temps 
de  pluie  que  les  dégâts  ont  été  commis  dans  les  semailles  par 
de  tels  hommes  ou  Roumains,  on  pourra  retenir  douze  moutons 
ou  porcs  et  l'on  pourra  encore  tuer  un  mouton  ou  porc  aussi  sur 
place,  afin  qu'une  fois  le  sang  versé,  prouvant  les  dégâts,  on  ne 
puisse  pas  les  nier.   Que  les  habitants  des  sept  et  deux  sièges 
(saxons)  ne  se  permettent  pas,  sous  peine  d'un  marc  d'argent 
d'amende,  de  faire  d'un  Roumain  un  soldat  du  guet  et  lui  payer 
un  salaire...  Si  on  a  volé  à  quelqu'un  un  cheval  ou  un  autre 
bétail  et  en  suivant  ses  traces  on  est  arrivé  sur  les  limites  d'une 
commune  saxonne,  magyare  ou  chrétienne  d'une  autre  espèce, 
les  gens  doivent   consentir  aux  recherches  faites  dans  leurs 
maisons  ou  partout  ailleurs,  et  même  jurer  que  l'animal  cherché 
ne  se  trouve  pas  chez  eux.  Mais  si  les  traces  conduisaient  aux 
limites  d'une  commune  habitée  par  des  Roumains,  que  ceux-ci 
soient  obligés  de  rendre  l'animal  cherché.  Et  s'ils  ne  le  rendent 
pas  et  si  celui  qui  a  eu  le  dommage,  prêtait  serinent  en  com- 
pagnie de  sept  personnes  :  que  les  Roumains  soient  obligés  de 
payer  le  prix  de  l'animal  volé.  "  (1) 

(1)  Gr.  Teleki  Jozsef,  Hunyadiak  kora,  XI  p.  540  et  542. 


j:U        MAGYARS    ET    IIODMAJNS    DEVANT    L'HISTOIRE 

Malgré  son  origine  roumaine,  le  roi  Mathias  se  croit  obligé 
de  sipner  les  deux  docunnents  suivants.  Dans  le  premier, 
daté  de  1486,  il  ordonne  au  Aayvode  de  la  Transylvanie  et  à 
Tispân  des  Skulcs,  sur  les  plaintes  communes  des  nobles  et  des 
Saxons  que,  Timpudencc  des  Roumains  s'étant  tellement  ac- 
crue, qu'ils  n'attaquent  plus  seulement  les  autres  habitants  à 
main  armée,  mais  les  nobles  eux-mêmes  aussi,  — ils  prennent 
avec  eux  des  Sicules  armés  et  qu'ils  châtient  sévèrement  ces 
malfaiteurs  ;  car,  quoique  les  lioiunains  ne  soient  pas  nés 
i)Our  être  libres,  ils  se  procurent  de  la  liberté  au  moyen 
de  violences  et  de  méfaits  à  l'encontre  des  ordonnances  du 
pays  (1).  En  1  487,  il  donne  un  ordre  direct  afin  que  le  village 
bâti  par  les  Roumains  sur  le  territoire  de  la  commune  de 
Szerdahely  contre  la  volonté  d'icelle,  soit  brûlé  et  rasé  de  fond 
en  comble,  car  il  ne  voudrait  pas  que  les  Roumains  puissent 
y  prendre  racine  au  détriment  des  colons  royaux. 

Vladislas  II  se  voit  forcé,  en  1  408  et  en  1503,  d'imposer  au 

vayvode  de  la  Transylvanie  et  au  commandant  de  Fogaras  la 

[)ublication  d  une  ordonnance  royale  dans  laquelle  il  dit  qu  il 

faut  faire  arrêter  et  exécuter  tout  Roumain  qui,  pour  se  venger 

d'une  condamnation  méritée,  se  met  à  incendier  ou  à  extor- 

(juer  de  l'argent.  Les  nobles  d'Alpesiês  commencent  en  150  4 

un  procès  devant  le  tribunal  de  Szâszvàros  contre  les  Uounudns 

de  Perkasz,  pour  avoir  jeté  dans  le  Maros  et  y  avoir  noyé  leur 

parent  Albert.  En  1515,  François   Vàrdai,  évêque  de  Tra/isjl- 

if/inie,  re([uiert  l'aide   du  conseil  municipal  de  Nagy-Szeben^ 

afin  qu'il  défende  le  curé  Als<'>-Kenyér  contre  les  Roumains,  car 

il    n'y  a  plus  beaucoup  de  chrétiens  dans  sa  paroisse,   aussi 

les  Routnains  de  Szâszvàros  occupent-ils  peu  à   peu  tous   les 

terrains  chrétiens  et  ruinent-ils  la  paroisse  à'Also-Kenyér  (2). 

Il  faut  encore  ajouter  que  les  vayvodes  moldaves  et  valaques 

organisaient  de  nombreuses  incursions  en  Transylvanie  après 

la   prise  de  j)Ossession  des  Balkans  par   les   Turcs.  Et  en  les 

fuyant,  la  multitude  roumaine  ne  fait  qu'aggraver  la  confusion 

et  le  désordre.  Deux  lettres  émanant  du  comte  des  Sicules  four- 

(1)  Gn.   Kemé>y  Jozskf,   Tudomànyos  (jyùjleincny,  1830,  vol,  III,  p.  104. 

(2)  HuNFALVY  Pal,  Azolùliok  tuitenete,  vol.  II  p.  203  et  204. 


LIVUE   DEUXIEME  135 

nissent,  à  cet  égard,  des  indications  précieuses.  Dans  la  })re- 
mière,  il  exhorte  le  maire  et  le  conseil  municipal  de  Brassa  à 
ne  pas  se  laisser  entortiller  par  les  Routtiains  mécréants^  car  les 
Turcs  sont  déjà  en  train  de  se  rassembler  en  Vahichic.  Et  dans 
la  seconde  il  envoie  ses  remerciements  aux  habitants  de  Bras- 
sé pour  les  services  rendus  jusqu'alors,  et  il  leur  demande  de 
garder  avec  soin  les  frontières  et  les  glaciers  et  d'exterminer 
les  Roumains  parjures  de  Fogaras,  en  n'accordant  la  vie  sauve 
qu'aux  femmes  et  aux  enfants  prisonniers.  De  son  côté,  le  roi 
Vladislas  II  écrit  en  1  495  au  «  Magnifico  Vlad  voyvodae  fiiio 
quondam  Drakulya,  fideli  nobis  dilecto  "  de  sortir  du  pays 
après  plusieurs  sommations  à  lui  adressées,  car  il  a  causé  déjà 
beaucoup  de  dégâts  et  désagréments  aux  Saxons.  Et,  à  ce  pro- 
pos, il  lui  fait  savoir  qu'il  a  donné  à  ces  derniers  plein  pouvoir, 
afin  qu'ils  puissent  se  défendre  comme  il  leur  est  possible,  contre 
lui  et  les  siens.  (1) 

Signaler  toutes  ces  particularités  des  relations  magyaro- 
roumaines  était  absolument  nécessaire  pour  la  compréhension 
de  la  grave  accusation  que  les  historiens  roumains  portent 
contre  les  Magyars  à  cause  de  VUnion  des  trois  nations  (Unio 
trium  nationum)  créée  en  1437  et  ayant  servi  de  base  à  la 
Constitution  de  la  Transylvanie  devenue  principauté  indépen- 
dante (1542  à  1691).  Car,  si  on  ne  savait  pas  que  les  Magyars 
avaient  tant  de  raisons  pour  en  vouloir  aux  Roumains,  on  ne 
comprendrait  pas  pourquoi  ceux-ci  affirment,  avec  tant  de 
fracas,  que  l'union  a  été  uniquement  dirigée  contre  eux,  puis- 
que les  termes  des  documents  qui  s'y  rapportent,  font  à  peine 
mention  des  Roumains  et  exposent  les  griefs  non  pas  de  deux 
races  en  présence,  mais  de  deux  castes  seulement.  Pour  moti- 
ver leur  propre  haine,  les  Roumains  en  imputent  aux  Magyars 
des  quantités  incommensurables  ! 

En  réalité,  Y  Union  des  trois  nations  n'était  provoquée  que 
par  une  révolte  des  paysans,  en  majorité  magyars  incontesta- 
blement, —  et  la  révolte  avait  un  caractère  tout  à  fait  magyar, 
ayant  eu  pour  point  de  départ  les  transformations,  que  les 

1)  Engel,  Gesc/iic/ite  dcr  Walacliei,  p.    183. 


J3G         MAGVAl'.S    ET    liOUMAI.N.S    DICVAM    L'IIISTOIUE 

inlliieiices  occidentales  on   lait  subir  aux  institutions    de   la 

lioiUjVU' . 

Chez  les  Magyars,  conquérants  du  pays,  il  régnait  d'abord 
un  certain  collectivisme  en  ce  qui  concerne  la  propriété  fon- 
cière, non  pas  relativement  à  toute  la  nation,  mais  à  l'égard 
d'une  tribu  ou  d'une  famille,  car  la  principale  occupation  des 
nomades  est  l'élevage  du  bétail  et,  pratiqué  selon  leur  mé- 
thode, il  exige  des  terrains  d'une  étendue  considérable.  Même 
aujourd'hui,  à  l'âge  d'or  de  la  propriété  individuelle,  il  y  a  en 
lloïKjric  des  pacages  communs  dans  presque  toutes  les  com- 
munes. Donc  du  temps  des  princes  (de  8!Mj  à  l'an  I  OOO)  il  n  v 
a  pas  de  propriétés  privée^,  mais  seulement  des  propriétés 
de  tribus  et  de  familles.  Un  des  principaux  buts  des  réformes 
de  s(tiiii  Éiieune  est  de  rendre  les  Magyars  agriculteurs,  et  la 
j)remière  condition  de  l'agriculture  étant  la  propriété  indivi- 
duelle, sa  première  préoccupation  est  de  transformer  la  pro- 
priété territoriale  collective  en  individuelle,  à  la  suite  de 
laquelle  transformation  le  propriétaire  disposera  dorénavant 
de  la  part  à  lui  échue  en  toute  liberté.  G  est  l'origine  des  nobles 
propriétaires  que  l'on  ne  pouvait  dépouiller  de  leur  propriété 
terrienne  qu  en  cas  de  haute  trahison. 

Le  roi  était  cependant  le  principal  propriétaire  du  pays, 
la  part  la  plus  considérable  du  territoire  du  royaume  ayant  échu 
à  la  famille  d'Arpàd  au  moment  de  la  conquête.  Les  propriétés 
royales  sont  encore  agrandies  par  saint  Etienne,  qui  v  ajoute 
tous  les  terrains  n'appartenant  à  personne  ou  inoccupés, 
comme  il  y  en  avait  énormément  le  long  des  frontières  du 
pays.  Elles  furent  administrées  par  lui-même,  après  avoir  été 
divisées  en  domaines  royaux  dont  il  confia  la  gestion  à  des 
fonctioimaires  rovaux,  installés  dans  autant  de  châteaux  forts 
et  à  cause  de  cela  appelés  des  vàrispân  (commandants  de  châ- 
teau). L'origine  du  système  plus  récent  des  coniiiais  (départe- 
ments) doit  être  cherchée  dans  cette  institution.  Les  serfs  et 
les  colons  des  châteaux  dépendaient  directement  de  la  juridic- 
tion des  vàrispân.  Les  premiers  (libertini  minoris  libertatis) 
cultivaient  les  terres  avoisinant  les  châteaux  et  ils  remettaient 
au  trésor  royal  une  partie  du  produit  des  terres  par  eux  culti- 


LIVRE   DEUXIÈME  137 

vées  :  les  seconds  (libertini  majoris  libertatis)  étaient  tenus  à 
faire  le  service  militaire,  en  retour  de  quoi  ils  avaient  une 
partie  des  produits  des  terres  des  châteaux.  La  position  des 
lloumaiiis  établis  sur  les  propriétés  dépendant  des  châteaux 
royaux,  était  d'abord  analogue  à  celle  des  serfs  des  châteaux 
et  c'est  plus  tard  seulement  qu'ils  se  sont  élevés  dans  le  rang 
des  colons  des  châteaux  après  l'organisation  des  dislricts  rou- 
mains dont  il  a  été  question  plus  haut.  Ces  colons  étaient  des 
hommes  libres,  sans  être  nobles,  excepté  s'ils  étaient  anoblis  par 
le  roi  en  raison  d'actions  d'éclat.  Mais,  dans  ce  cas,  ils  n'appar- 
tenaient plus  à  la  catégorie  des  colons  des  châteaux.  Ceux-ci 
pouvaient  librement  circuler  tandis  que  les  serfs  dans  le  cas 
seulement  où  ils  obtenaient  l'autorisation  de  leurs  seigneurs. 
Du  temps  de  saint  Etienne  il  y  avait  encore  des  esclaves  aussi, 
mais  il  a  interdit  la  possession  d'esclaves  chrétiens. 

A  mesure  que  la  Jlonfjne  devenait  un  État  agricole  et  que 
les  revenus  tirés  des  propriétés  terriennes  prenaient  de  l'im- 
portance pour  la  noblesse,  les  efforts  de  cette  dernière  à 
pouvoir  compter  sur  des  ouvriers  dont  on  dispose  impuné- 
ment, tout  à  fait  à  sa  guise,  se  faisaient  de  plus  en  plus  sentir; 
l'intérêt  individuel  du  paysan  consistait,  au  contraire,  dans  la 
possibilité  de  se  déplacer  librement  et  d  aller  là  ou  on  le  payait 
le  mieux.  Il  est  bien  naturel  que  deux  intérêts  si  diamétrale- 
ment opposés  aient  fait  naître  avec  le  temps  des  collisions  fré- 
quentes, qu'ils  soient  devenus  la  cause  de  maintes  révoltes. 

Après  avoir  limité  la  libre  circulation  des  colons,  Louis  le 
Grand  fait  accroître  les  charges  des  serfs  aussi  (1351),  en  leur 
mposant  la  redevance  du  neuvième  au  profit  du  seigneur.  Elle 
ne  fut  introduite  en  Transylvanie  que  plus  tard,  mais  au  con- 
traire l'évêque  Gallus  y  obtint,  tout  de  suite  après  l'incursion 
des  Tartares,  que  ses  serfs  soient  soustraits  à  la  juridiction  du 
vayvode  et  placés  sous  sa  compétence  au  point  de  vue  juri- 
dique aussi.  Cette  juridiction  seigneuriale,  d'abord  privilège  de 
quelques  grands  personnages  seulement,  devient  plus  tard 
l'apanage  de  toute  la  noblesse,  pour  être,  avec  le  temps,  la 
source  de  nombreux  abus  et  la  principale  cause  de  la  situation 
malheureuse  des  paysans.  Les  serfs  n'ont  droit  qu'à  des  récla- 


13S  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
mations  faites  au  roi  et  celui-ci  est  toujours  très  loin.  Aussi  le 
vavvode  Éiicnnc  Bàilwry  n'était-il  pas  seul  à  dire  :  "  Que  celui 
qui  me  dénonce,  ait  deux  têtes,  afin  qu'ayant  perdu  l'une  à 
cause  de  sa  dénonciation,  il  puisse  s'en  mettre  une  seconde.  » 
Il  ne  faut  pas  imputer  cette  a^jgravation  de  la  situation  des 
serfs  à  ré^joisme  et  à  la  rapacité  de  la  noblesse.  Pour  produire 
ce  résultat  déplorable,  il  y  avait  une  raison  politique  et  écono- 
mique très  sérieuse. 

Au  moment  ou  les  rois  de  la  maison  à' Anjou  arrivent  au 
trône  en  /louffiic,  le  système  des  cbàteaux  royaux,  qui  y  con- 
stituait la  force  défensive  principale,  était  déjà  presque  com- 
plètement usé.  Les  domaines  de  la  couronne  étaient  tellement 
dilapidés  depuis  le  règne  d'AndreU,  tantparsuite  de  donations 
inconsidérées  que  par  suite  d'extorsions  et  d'autres  abus,  que 
leurs  revenus  ne  suffisaient  plus  pour  couvrir  les  déj)enses  de 
l'État.  En  même  temps,  il  y  avait  d'autres  recettes  du  Trésor 
dont  les  sources  se  sont  amoindries,  sinon  complètement  taries 
aussi.  <>r  une  des  principales  préoccupations  des  rois  angevins 
a  été  de  faire  de  la  llotif/rie  une  grande  puissance  euro- 
péenne :  rôle  coûteux  qui  exige  des  sacrifices  immenses  de  la 
part  des  peuples.  C'est  à  cause  de  lui  que  l'on  a  été  obligé  de 
réorganiser  le  système  défensif  et  contributif  du  pays;  c'est  à 
cause  de  cela  que  Charlcs-llobert  introduit  l'organisation  ban- 
dériale,  qui  impose  aux  prélats  et  aux  grands  seigneurs  d'aug- 
menter le  contingent  des  troupes  royales  avec  des  hommes 
armés,  levés  en  proportion  directe  du  nombre  des  foyers  des 
colons  leur  appartenant.  Ce  système  entraînait  beaucoup  de 
représentations,  luxe  et  faste,  choses  qui  coûtent  énormé- 
ment. 

Sa  base  reposait  sur  la  propriété  terrienne.  Si  on  aliénait 
celle-ci,  la  bantlérie  cessait  aussi.  De  là  la  modification  appor- 
tée en  i;î51  au  quatrième  paragraphe  de  la  «  Bulle  d'Or  » 
à'Andrc  11,  interdisant  aux  nobles  dorénavant  de  librement 
disposer  de  leur  propriété.  La  propriété  personnelle  libre 
devenait  ainsi  une  propriété  de  famille  inaliénable,  disposition 

(1)   Maiiki  Sandoii,  Dozsa  Gyo>(jy.  Budapest,  1893,  p.  68 


LIVRE   DEUXIEME  139 

législative  appelée  «  avicitas  »  ou  <  droit  (ivissmn  »  ,  car  la 
propriété  devait  être  nécessairement  transmise  des  aïeux  aux 
descendants.  Dans  cette  loi,  on  voit  exprimée  en  forme  d'in- 
stitution la  conception  féodale  que  la  source  unique  du  droit 
de  la  propriété  réside  dans  la  couronne.  Donc  celui  qui  ne 
pouvait  pas  faire  remonter  son  droit  de  propriété  à  la  cou- 
ronne, ne  pouvait  se  mettre  sous  sa  juridiction  non  plus,  mais 
sous  celle  seulement  de  qui  il  l'a  tenue.  Et  comme  le  serf  rece- 
vait sa  propriété  de  son  seigneur,  il  devait  se  soumettre  à  sa 
juridiction  aussi  bien  en  Hongrie  qu'en  Transylvanie^  qu'il  soit 
Magyar  ou  qu'il  soit  Roamain. 

Des  raisons  politiques  et  économiques  coercitives,  découlant 
de  la  situation,  ont  provoqué  ce  changement  si  radical.  La 
propriété  et  ses  charges  étaient  pour  toujours  attachées  à  la 
famille  du  noble  et  la  nature  de  cette  liaison  intime  entre  la 
propriété  et  ses  charges  a  rendu  inévitable  l'enchaînement  à 
la  glèbe  du  serf,  la  bandérie  ne  pouvant  pas  être  fournie  sans 
cela  dans  les  conditions  voulues.  C'est  à  la  suite  du  droit  avis- 
sain  que  la  société  hongroise  est  devenue  exclusivement  nobi- 
liaire, et  la  noblesse  elle-même  la  caste  dominante.  Le  roi  ne 
représente  plus  seul  la  souveraineté,  car  chaque  noble  y  parti- 
cipe. La  noblesse  pourvue  de  privilèges  forme  la  nation,  et  le 
peuple,  écrasé  par  les  charges,  n'est  que  la  "  misera  plebs  con- 
tribuens  in  mera  et  perpétua  rusticitate  !  » 

Et  ce  n'est  pas  seulement  le  système  bandérial  qui  contrai- 
gnait le  seigneur  à  confisquer  la  liberté  de  son  serf,  mais  aussi 
la  manière  de  percevoir  les  impôts.  Car  si  Chartes  Robert  re- 
nonce en  1323  au  profit  fiscal  résultant  de  la  retraite  annuelle 
delà  monnaie,  il  exige,  en  échange,  le  payement  d'un  impôt 
foncier  de  IS  deniers  par  foyer  de  serf.  Cet  impôt  est  payé  en 
réalité  par  le  serf,  mais  le  seigneur  répond  de  son  acquitte- 
ment, chose  impossible  si  le  serl'  était  libre  de  s'en  aller  à  sa 
volonté. 

Il  faut  remarquer  que  le  pouvoir  central  politique,  représenté 
par  la  royauté,  défendait  aussi  longtemps  que  possible  les  in- 
térêts des  serfs  et  des  colons.  Dans  l'article  33  des  décrets  de 
la  Diète  de  Pesth,  tenue  en  1298,  il  est  interdit  aux  nobles  de 


140  MAGYARS  ET  l'.OU.MAINS  DEVANT  L" HISTOIRE 
faire  de  quelqu'un  un  ser(  ;  Tarlicle  "0  contirme  péremptoi- 
rement le  droit  de  libre  circulation  des  colons  après  l'acquit- 
tement intép"ral  de  ce  cju'ils  doivent.  Charles  llohcrt  s'occupe 
de  l'application  et  de  la  préservation  de  ce  droit  que  le  roi 
Sigismoiid  reconnaît  aussi  en  1  iOÔ. 

Toutes  ces  reconnaissances  et  confirmations  ne  prouvent 
naturellement,  il  i'aut  l'avouer,  que  les  abus  du  clergé  et  de 
la  noblesse,  commis  au  détriment  des  serFs  et  colons.  Quand, 
en  I  i3~.  du  temps  de  Gcovfjes  Lépes,  cvêqucde  Transylvatiie^ 
ils  deviennent  insupportables,  ils  provoquent  la  ré\olte  des 
pavsans  magyars  à  qui  se  joint  un  gros  de  Ilouinains  aussi,  dont 
la  présence  permet  aux  bistoriens  roumains  de  soutenir  qu'il 
s'apit  là  d  un  soulèvement  d(;  revendications  en  faveur  des 
droits  historiques  de  la  race  roumaine!  Or  voici  ce  que  contien- 
nent, à  cet  égard-là,  les  documents  conservés. 

Le  traité  conclu  le  G  juillet  \AM  entre  les  paysans  révoltés 
et  les  nobles  devant  le  chapitre  Kolozs-inoiiosior  indique  dans 
ses  causes  les  précédents  de  la  révolte  aussi.  Il  est  incontes- 
tablement un  des  documents  les  plus  intéressants  de  l'histoire 
liongroise. 

<i  Salut  au  nom  du  Seigneur  à  tous  les  chrétiens  vivant 
actuellement  ou  ne  prenant  connaissance  de  ce  qui  suit  que 
dans  l'avenir,  de  la  part  du  conventicule  de  l'abbaye  dédiée  à 
la  Bienheureuse  Sainte  Vierge  !  » 

(c  Nous  voulons  porter  à  la  connaissance  de  tous,  qu'étant 
choisis  pour  le  règlement  de  l'affaire  ci-dessous  d'une  part  par 
les  nobles  Ladislas,  fds  de  Benoît  Parnasi,  un  autre  Ladislas, 
le  fils  de  Grégoire  Szamosfalvi,  délégués  des  nobles;  d'autre 
part  par  les  hommes  circonspects  tels  que  Ladislas  Birô 
(u  Bir()  «  signifie  en  magyar  »  maire  "j  Vincent  I^)ir6,  — 
Judex,  —  et  Ladislas  Bana,  serfs  de  Jean  Bani  de  Marôth,  fils 
du  célèbre  Ladislas  demeurant  à  Alparét  et  par  Antoine,  serf 
du  brave  Désiré  Losonczi,  demeurant  à  Magyar-Bagât;  non 
moins  par  le  porte-drapeau  de  toutes  les  populations  magyares 
et  roumaines  de  cette  principauté  de  la  Hongrie  (vexillifer  Uni- 
versitatis  regnico  larum  et  Valachorum  hujus  principatus  Hun- 
gari)  devant  nous  en  personne  comparus;  ils  se  sont  exprimés 


I.IVUE    DEUXIÈME  141 

et  ont   fait  les  aveux,  qui  suivent,  de  vive  voix  et  d'une  ma- 
nière concordante.  ' 

«  Les  Magyars  et  les  Roumains  demeurant  en  Transvivanie 
sur  les  propriétés  de  quiconque  d'une  part:  parce  que  le  R.  P.  en 
Christ  Monseigneur  Georges  Lépes  ne  voulant  pas  recueillir  la 
dîme  à  lui  due  de  la  part  des  habitants  Ma^'vars  en  dinars  de 
monnaie  courante  n'ayant  pas  beaucoup  de  valeur,  l'a  laissée 
s'accumuler  presque  trois  ans  et  aurait  voulu  l'extorquer  main- 
tenant en  argent  fin  et  pesant;  et  ensuite  en  les  frappant  pu- 
bliquement et  indignement  à  cause  du  non-pavement  des 
dîmes  —  il  les  a  injustement  mis  en  interdit,  pendant  la  durée 
duquel  les  susnommés  ont  dû  enterrer  en  dehors  de  l'éplise 
et  du  cimetière  leurs  parents,  sœurs,  fils  et  filles  ainsi  que  leurs 
autres  parents  morts  sans  être  nourris  du  Saint  Sacrement  et 
des  autres  sacrements  de  l'Église,  avec  le  c(pur  ulcéré  et  la 
douleur  la  plus  amère;"  ensuite  leurs  sœurs  et  filles  avant  été 
mariées  a  Fencontre  des  règles  et  des  us  de  l'Église  romaine 
et  catholique  de  la  manière  la  moins  usitée  dans  l'Église; 
d  autre  |)art,  parce  qu'ils  étaient  traités  par  leurs  seigneurs 
comme  des  esclaves  achetés,  car  s'ils  voulaient  s'éloif>ner  de  la 
propriété  de  quelqu'un  pour  aller  ailleurs,  pour  v  habiter,  ils 
en  étaient  empêchés  même  au  prix  de  leur  bien  et  de  leur  avoir  ; 
en  raison  et  par  suite  de  quoi  pour  la  réacquisition  des  fran- 
chises anciennes,  données  et  accordées  à  tous  les  habitants  de 
cette  patrie  hongroise  par  les  saints  rois,  s'étant  réunis!  sur  la 
montagne  de  Râbolna  dans  les  environs  d'Alparét  avec  l'inten- 
tion bien  arrêtée  entre  eux  et  s'étant  sérieusement  consultés  au 
sujet  de  leurs  affaires,  ils  firent  demander  par  leurs  manda- 
taires le  plus  humblement  possible  à  leurs  seigneurs  quils  leurs 
maintinssent  lesdites  franchises  des  saints  rois.  » 

«Leurs  seigneurs  se  bouchèrent  les  oreilles;  ils  n'écoutè- 
rent pas  leur  demande  et  ayant  été  pris  par  Ladislas  Csâky, 
vayvode  de  la  Transylvanie,  leurs  mandataires  furent  décapi- 
tés et  coupés  eu  morceaux;  ensuite  il  les  attaqua  avec  les 
troupes  de  vice-vayvode  et  des  deux  ispan  sicules,  et  dans  la 
bataille  il  tomba  une  grande  quantité  d'hommes  de  part  et 
d'autre,  y 


142       MAGYAl'.S    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOinE 

«  EnHn  avertis  par  une  inspiration  bienveillante  de  Dieu 
puissant,  qnel(|ues  nobles  qui  craijjnent  Dieu,  et  des  hommes 
éclairés  par  la  {;r;u'e  du  Saint-Esprit,  venant  de  la  part  des 
mêmes  nobles  et  habitants  du  pays  et  qui  s'étaient  entremis 
ï)our  faire  la  paix  entre  les  deux  partis  après  l'adoucissement 
de  leurs  cœurs,  arrivèrent  à  la  conclusion  de  la  paix  et  de 
l'entente  complètes;  mettant  de  côté  tout  ce  qui  fut  fait  contre 
les  uns  et  les  autres,  ils  j)rircnt  à  l'unanimité  les  résolutions  et 
les  décisions  suivantes  (pTils  doivent  exécuter  scru[)uleuse- 
ment,  sous  peine  de  devenir  parjures,  en  déclarant  hautement 
qu'ils  ne  veulent  nullement  nuire  par  ces  décisions  ni  à  Dieu 
et  à  sa  Sainte  Iv'lise,  ni  à  la  sainte  couronne,  nia  leur  seijineur 
naturel,  Sa  Majesté  le  roi  de  Hongrie  Sigismond,  ni  aux  droits 
de  la  couroiuie;  mais  seulement  ils  veulent  reconquérir  de 
nouveau,  tout  en  gardant  leur  fidélité  envers  le  souverain,  les 
fianchises  jadis  concédées  par  les  saints  rois  et  maintenant 
considérablement  diminuées  et  complètement  abolies  par  l'in- 
troduction d'une  foule  dabus;  cependant  ils  ne  voulurent 
jamais  et  ne  voudront  dans  l'avenir  non  plus  résister,  causer 
du  mal  ou  nuire  au  seigneur  du  royaume,  aux  nobles  et  aux 
personnes  distinguées  et  revêtues  de  quelque  dignité  de 
l'Église.  » 

...  «  Au  moment  où  l'on  recueille  la  dime  épiscopale,  ni  les 
membres  de  la  famille  de  lévéque  ni  ceux  du  parti  des  nobles 
ne  doivent  dimer;  mais  prendre  la  neuvième  soit  à  son  propre 
serf,  soit  à  des  agriculteurs  ou  viticulteurs  étrangers,  ne  doit 
être  permis  à  aucun  ma;;nat,  noble  ou  à  aucun  autre  jiroprié- 
taire  non  plus.   » 

«  Et  comme  le  dépouillement  violent  et  l'oppression  des  haln- 
tants  du  pays  proviennent  de  ce  que  ceux  qui  désirentdéménager 
pour  habiter  ailleurs  ne  i)euvent  pas  s'éloigner,  même  après 
avoir  été  dépouillés,  il  a  été  décidé  que  les  hommes  qui  sont  en 
liberté  après  avoir  payé  leurs  dîmes  et  leurs  dettes,  puissent  s  en 
aller  partout  ou  ils  veulent,  librement  et  sans  être  molestés.  » 
a  Or  si  quelqu'un  des  nobles  voulait  empêcher  ou  dé- 
pouiller de  ses  biens  un  serf  étant  dans  ces  conditions  et  dési- 
reux de  déménager  ailleurs,  qu'il  soit  condamné  à  payer  trois 


LIVRE   DEUXIÈME  143 

marcs...  Ils  ordonnent  et  considèrent  comme  étant  un  règle- 
ment rigoureusement  à  maintenir  que  dorénavant,  tous  les  ans 
sans  interruption,  deux  envoyés  intelligents  et  dignes  de  con- 
fiance par  chaque  ferme,  domaine  ou  commune  se  rencontrent 
avec  les  capitaines  (nobles)  susmentionnés  ou  au  moins  avec 
quelques-uns  d'eux,  nommés  spécialement  pour  cette  occasion, 
sur  la  montagne  susdite  de  Bâbolna  et  que  là  ces  vieillards 
soient  interrogés  et  questionnés  par  ces  mêmes  capitaines  ou 
par  l'un  d'eux  s'ils  ont  conservé  leurs  franchises  ou  non"?  Et 
s'ils  trouvaient  que  quelques-uns  des  nobles  avaient  enfreint 
le  règlement  précédent  et  ses  clauses  en  partie  ou  en  totalité, 
ou  qu'ils  avaient  agi  à  l'encontre  de  ces  dispositions,  qu'ils 
soient  considérés  comme  parjures  et  que  les  autres  nobles  s'ab- 
stiennent de  sa  défense  et  qu'ils  s'en  méfient.  » 

»...  La  dîme  des  porcs  et  des  abeilles  ou  toute  redevance 
de  cette  espèce,  comme  cela  était  exigé  dans  un  certain  temps 
surtout  des  gens  dépendant  des  châteaux,  tant  Magyars  que 
Roumains,  ainsi  que  la  redevance  communément  appelée 
u  l'ako  »  ,  la  demi-Ceuillette,  ne  doivent  plus  être  payées  aux 
seigneurs  par  personne.  « 

«...  Ils  ordonnent  également  que  si  l'un  des  nobles,  par  une 
raison  quelconque,  faisait  tuer,  martyriser  ou  blesser  un  des 
serfs  mentionnés,  qu'il  soit  son  propre  serf  ou  celui  d'un  autre 
et  si  l'on  peut  prouver  le  fait  par  deux  témoins,  le  noble  dé- 
claré soit  parjure  et  que  les  autres  nobles  s'abstiennent  de  sa 
défense.  " 

«...  Celui  qui  ne  remplirait  pas  les  obligations  précitées, 
soit  seigneur,  sois  serf,  doit  être  considéré  comme  parjure  et 
que  tout  le  monde  s'abstienne  et  se  désintéresse  de  sa  dé- 
fense !  »   (1) 

Si  les  dispositions  du  traité  de  paix  de  Kolozs-iuonostor  eus- 
sent été  exécutées,  elles  auraient  renversé  de  fond  en  comble 
l'ordre  social  de  la  Transyli'am'e  d' alors  et,  en  les  acceptant,  la 
noblesse  n'a  cédé  que  par  contrainte,  car  elle  ne  pouvait  pas 
penser  sérieusement  à  leur  application,  incompatible  avec  le 

(1)  Gr.  Tkleki  Jozsef  :  Huiiyaliak  kora,  vol.  X,  document  n"  i. 


144        MAGYARS    ET    UOUMAINS    DEVA>T    I.'HISÏOIRE 

système  bandcrial.  Aussi  les  nobles  si;;nalaii-es  du  document 
avaient-ils  la  conviction  (jue,  ne  pouvant  attendre  aucun  secours 
du  roi  constamment  occupé  au  dehors,  il  fallait  s'adresser  aux 
Sicii/es  elauxSdxo/is  j)ourla  dépense  de  leursintéréts  communs. 
Ils  les  convoquèrent  donc  à  une  assemblée  à  Kùpolutt  pour  le 
IG  septembre  \  AM ,  où  l'union  des  trois  nations  ("ut  proclamée 
et  consi'^née  en  écrit  |)ar  lloln/id  Lcpes,  le  vice-vawode  de 
Transylvanie  dans  les  termes  suivants  (1^  : 

.i  Roland  Lèj)es  de  Yàraskesz,  vice-vayvode  de  la  Transylva 
nie,  reconnaît  <|ue  lui  et  les  ispân  des  Sicules  :  les  seigneurs 
magnifiques  Michel  vTaks  de  Kusalv  et  Henri  Tamâsi  s'étant 
entendus  avec  les  nobles,  avec  les  Saxons  des  sept  et  deux  siè- 
f^es  saxons,  avec  les  Saxons  de  Bcsztercze  et  avec  les  Sicules, 
ont  fondé  une  union  fraternelle  sous  l'inlluence  de  quelques 
graves  raisons.  Avant  prêté  serment  au  roi,  ils  promettent 
mutiiellemeiit  qu  ils  vont  se  défendre  entre  eux  avec  réciprocité 
conlre  toiil  ennemi  bouleversant  le  pays,  laquelle  défense  ils 
considèrent  même  comme  un  tlevoir  à  remplir  les  uns  envers 
les  aiiues.  ^lais  ils  ne  s  aideront  pas  entre  eux  contre  le  roi;  au 
contraire,  si  lun  d  eux  commettait  un  crime  envers  lui,  ils  ne 
le  défendraient  pas  autrement  qu  agenouillés,  en  implorant 
son  pardon  auj)rès  du  roi.  ■' 

«  Ils  ont  décitlé  encore  que  si  Ton  prétait  secours  pendant 
Tété,  on  camperait  dans  les  champs  où  ceux  du  camp  payeront 
les  vivres  et  les  autres  choses  nécessaires  apportées  des  villages 
voisins  au  j)ri\  du  marché.  Celui  qui  exigera  un  prix  supérieur, 
devra  être  sévèrement  puni  par  son  ju{;e  respectif.  Par  contre, 
ceux  du  camp  doivent  aussi  très  exactement  paver  dans  chaque 
cas  particulier.  Si  1  on  entrait  en  campagne  en  hiver,  alors  on 
logeraitdanslesvilles  ou  les  villages,  mais  toujours  d'une  manière 
(jue  ni  le  logeur  ni  le  logé  iraient  à  supporter  aucun  dommage. 
Si  quelqu'un  en  causait  cependant,  (|ue  le  maire  ou  le  chef  s'en 
enquière  et  (pi'il  en  fasse  justice  soit  par  la  peine  capitale, 
soit  d  uneautre  manière,  par  des  punitions  en  rapport  avec  le 
méfait.  » 

(Ij  FejÉp,  Codex  itiploinalicus,  X,  VII.  p.  912. 


LIVl'.E   DEUXIEME  143 

«  Ils  ordonnent  encore  que  chaque  partie,  si  les  deux 
antres  la  demandaient  de  venir  à  leur  aide,  se  mette  en  route 
au  bout  de  deux  jours  et  reconnaisse  pour  son  devoir  de  faire 
trois  milles  par  jour.  Et  que  celui  qui  ne  se  conforme  pas  à 
cette  prescription,  soit  puni  de  mort.  Ils  ordonnent  également 
que  tous  les  procès  engagés  entre  eux  et  l  é\  éque  ou  le  cha- 
pitre de  Transylvanie  par  envie  ou  par  sentiments  hostiles, 
soient  à  cette  occasion  arrêtés,  ainsi  que  toutes  les  affaires 
causant  des  mésintelligences  entre  les  trois  nations  soient  sus- 
pendues aussi  et  ne  soient  continuées  ni  renouvelées  non 
plus.  " 

a  Que  celui  qui  ne  tient  pas  compte  de  tout  ceci,  soit  con- 
sidéré comme  parjure  et  que  celui  qui  provoque  des  discus- 
sions parmi  les  parties  contractantes  soit  puni  sévèrement 
aussi.  S'il  v  avait  entre  elles  matière  à  procès,  qu'elles  la  sou- 
mettent à  leur  juge  légal,  obligé  déjuger  quand  même.  " 

Les  paysans,  qui  n'avaient  pas  déposé  leuis  armes  et 
n'étaient  pas  letournés  dans  leurs  foyers,  même  après  le  traité 
de  Kolozs-Dionostor,  ayant  eu  vent  de  l'union,  se  considérèrent 
comme  étant  dupés  et  se  mirentà  recommencer  leurs  atrocités. 
La  révolte  a  même  gagné  en  dehors  de  la  Transylvanie  le 
Nyirség  et  le  Szamoskoz  aussi.  Alors  le  vayvode  Ladislas 
Csàky,  ayant  rassemblé  les  nobles  en  toute  hâte,  défit  les 
révoltés  sur  les  bords  du  Szamos.  Les  paysans  du  JSyirség  et  du 
Szamoskoz  furent  également  battus  par  les  nobles  de  ces  con- 
trées-. Mais  la  victoire  n'ayant  pas  été  décisive,  on  fit  un  nou- 
vel arrangement  à  Apàti  \e  6  octobre  1437  devant  le  chapitre 
de  Kolozs-monosior.  Ce  traité  est  signé  au  nom  des  paysans  par 
les  capitaines  Antoine  Nagy  de  Buda,  Thomas  Nagy  de  Szék, 
Michel  ei  Galliis  Olkh  de  Vilàgos-Berek,  maître  Jean  de  Kolozs- 
vâr,  etc,  les  mandataires  des  paysans  et,  comme  leurs  noms  à 
tous  sont  magyars,  —  il  est  vrai  qu'en  magyar  Olàh  signifie 
Roumain,  —  il  n'y  a  aucun  indice  pour  supposer  qu'on  puisse 
découvrir  parmi  ces  capitaines  un  seul  Rou7nain. 

En  comparant  la  teneur  du  traité  àWjiàii  à  celui  de  Kolozs- 
nionosior,  il  appert  clairement  que  ce  furent  à  ce  moment  les 
nobles  qui  représentèrent  le  parti  le  plus  fort.  Les  paysans  ont 

10 


14G  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
beau  se  donner  le  titre  d'ordre^  leur  ton  est  plus  modeste  et  le 
pouvoir  judiciaire  des  nobles  y  est  rétabli  aussi.  «  Si  quelqu'un 
parmi  les  paysans  ou  les  serfs,  sans  avoir  la  permission  et 
u'aYi^nt  pas  payé  le  terrngium  ou  toutes  autres  dettes,  s'est  illé- 
galement déplacé  pendant  ces  derniers  troubles,  qu'un  tel 
paysan  puisse  être  ramené,  selon  les  vieilles  habitudes  du 
pays,  même  en  employant  la  force,  par  le  noble  dont  il  a 
quitté  la  propriété,  mais  cependant  de  telle  manière  (|ue  ce 
paysan  que  l'on  ramène  de  force  reste  quinze  jours  à  l'endroit 
qu'il  doit  quitter  et  ne  puisse  rentrer  chez  son  ancien  maître 
sans  a\oir  acquitté  toutes  ses  dettes.  Si  un  serf  voulait  se  trans- 
porter ailleurs  et  qu'il  ait  obtenu  à  cet  égard  la  permission  du 
seipucur,  ayant  payé  le  terragiuvi  et  ses  autres  dettes,  qu'il 
puisse  déménager  librement  et  sans  contestation.  » 

...  «  Chaque  seigneur  peut  exercer  la  justice  sur  sa  propri- 
été, selon  les  anciennes  coutumes,  et  s  ilcondamue  son  serf  et 
s'il  lui  inflige  une  amende  qu'il  ait  le  droit  d'exécuter  le  juge- 
ment ou  de  faire  rentrer  l'amende  infligée.  Et  si  un  serf  ne 
veut  pas  se  contenter  du  jugement  de  son  seigneur,  alors  qu'il 
puisse  aller,  selon  l'habitude,  dans  un  autre  village  ou  dans  une 
antre  commune  pour  y  faire  juger  sa  cause  en  appel.  Quel  que 
soit  le  jugement  que  l'on  y  rende,  il  faut  que  le  seigneur  s'y 
résigne  aussi  bien  que  le  serf.  » 

Pour  régler  définitivement  les  rapports  entre  seigneurs  et 
paysans,  on  envoya  une  délégation  chez  le  roi  S/gisnwnd,  mais 
celui-ci  mourut  dans  I  intervalle  à  Ziinïni,  en  revenant  de  Pia- 
guc.  Le  litige  n'étant  pas  terminé,  le  retour  des  troubles  de- 
vint une  question  de  temps.  Les  paysans  n'étaient  pas  satis- 
faits des  résultats  obtenus,  tandis  (jue  la  noblesse,  se  sentant 
la  plus  forte  depuis  la  fondation  de  lunion,  ne  cherchait  en 
quelque  sorte  qu'une  occasion  pour  en  venir  aux  mains,  pour 
faire  cesser  une  situation  intoléralde.  Pendant  cette  troisième 
collisiou,  les  |)aysans  ont  dû  avoir  la  petite  bourgeoisie  des 
villes  pour  alliée,  car  les  villes  de  Kolozsiu'ir ,  de  Tordu  et 
(.V Eiiyed^e.  trouvaientdansleurpouvoir.  Ils  furentd'abord  battus 
par  les  nobles  à  Kolozs-mouoslor  le  8  janvier  !  438,  alors  ils  se 
sauvèrent  à  Kolozsvàr  et  à  Ein  éd.  Après  la  prise  de  cette  ville, 


LIVRE   DEUXIEME  147 

les  nobles  assiégèrent  la  première  aussi  et,  recourant  aux  sti- 
pulation de  l'union,  ils  enjoignirent  aux  Saxons  de  venir  pour 
les  aider. 

Les  troupes,  renforcées  par  les  alliés  saxons,  prirent  Kolozsvàr 
quelque  temps  après,  mettant  fin  à  la  révolte  des  paysans  avec 
des  atrocités  alors  généralement  employées.  Les  trois  nations 
tinrent  finalement  une  assemblée  à  7^oy(/a  le  2  février  1438, 
où  elles  renouvelèrent  leur  traité  d  union  dans  un  document 
daté  du  6  lévrier  suivant  et  ainsi  conçu  :  "  Nous,  Roland  Lépes, 
vice-vayvode  de  Transylvanie,  jious  déclarons  afin  que  1  on  s  en 
souvienne  toujours,  que  les  seigneurs,  les  nobles  et  les  sièges 
des  Saxons  et  des  Sicules  convoqués  dernièrement  à  Ivâpolna 
se  sont  réunis  pour  déliiîérer  entre  autres  sur  la  manière  dont 
ils  pourraient  se  garantir  par  Tassistance  mutuelle  contre  la 
révolte  féroce  des  pavsans  et  les  incursions  éventuelles  des 
Turcs.  A  cette  fin  ils  ont  fondé  en  notre  présence  une  union 
en  promettant  de  s'entr  aider  fraternellement  et  ils  ont  juré 
que  si  les  Turcs  faisaient  des  incursions,  ils  se  considéreraient 
comme  obligés  d'accourir  pour  se  déléndre  mutuellement.  Et 
que  les  Saxons  viennent  spécialement  en  aide  aux  nobles  pour 
écraser  leurs  ennemis,  les  pavsans  révoltés  (1).  " 

Et  de  quelle  nationalité  étaient  ces  paysans  révoltés.''  De 
nationalité  magyare  en  majorité  incontestablement,  puisque 
la  contrée  où  la  révolte  a  eu  lieu  renfermait  en  Transylixtnie 
justement  le  plus  de  Mdgydvs,  en  dehors  de  la  terre  des  Sicules  ; 
puisque  ce  sont  toujours  les  paysans  magyars  que  les  documents 
citent  d'abord  et  de  qui  l'évêque  voulait  percevoir  la  dime  en 
monnaie  nouvelle  et  à  qui  il  refusait  les  secours  de  la  reli- 
gion catholique  dont  les  lîouninins  de  religion  grecque  orien- 
tale n'avaient  nullement  besoin.  Le  porte-drapeau  des  révol- 
tés, Paul  Vajdalu'iz,  est  un  Magyar  et  si  les  historiens  roumains 
transtorment  Antoine  Nagy  (  «  nagv  »  signifie  en  magyar 
«  grand  »  )  en  «  Antoniu  Magnu  »  ,  c'est  d'autant  plus  arbitraire 
que  l'auteur  du  document  l'avant  désigné  en  latin  «  Magnus  »  , 
en  roumain  il  aurait  fallu  le  nommer  «  Mare  "  . 

(i)  Eotn,  Supplex  lib.   Valadioriun.  Tyi-naviœ,  1791,  p.  24  et  25. 


i-fS     :macyahs  et  roumains  devant  l'histoire 

Mais  si  le  rôle  ((lie  les  Rouindins  ont  joué  dans  la  révolte  des 
paysans  n'était  que  secondaire,  ils  y  figuraient  cependant  pour 
une  large  part  aussi.  Dans  une  société  basée  sur  l'inaltérabilité 
d<;  la  propriété  attachée  à  la  famille,  un  peuple  composé  de 
pasteurs  ne  pouvait  pas  trouver  sa  place  dévolue  sans  grandes 
secousses.  Les  individus,  sortis  de  ses  rangs  par  sélection, 
s'amalgamèrent  à  la  nation  magyare  en  leur  qualité  de  kénez 
anoblis  ou  devenus  nobles;  quant  au  reste,  on  s'efforça  de  le 
fi.xer  (léHnitivement  et  de  le  rendre  inoffensif.  Et  comme  la 
{;rande  masse  desRonniaùis  se  composait  de  paysans  et  ne  possé- 
dait aucune  caste  sociale  élevée  en  dehors  des  kénez,  l'Etat  hon- 
grois ne  pouvait  la  conquérir  pour  la  civilisation  qu'en  lui 
imposant  le  servage  et  par  là,  indirectement,  l'agriculture. 
Quand  les  lois  des  époques  ultérieures  admettent  donc  que  les 
nobles  puissent  faire  des  serfs,  et  même  de  vive  force,  de  tous 
les  lloiiinaiiis  vagabonds,  sans  tenir  compte  de  l'endroit  où  ils 
les  ont  pris,  ce  n'est  pas  leur  asservissement  qn  elles  visent, 
mais  ])lutôt  leur  civilisation.  Il  n'y  a  chez  eux,  à  ce  moment,  ni 
conscience,  ni  communion  d'idées  nationales,  ni  souvenir  his- 
torique; les  groupes  divers  vivent  selon  leurs  intérêts  de  famille 
ou  selon  les  intérêts  de  leurs  communes,  quelquefois  même 
en  cherchant  à  se  nuire  mutuellement.  Origine  romaine,  lati- 
nité, aspirations  politiques,  nationales  ou  visant  la  fondation 
d'un  état  sont  des  choses  qui  n'ont  jamais  liante  l'esprit  d'une 
population  inculte;  elles  ont  été  inventées  de  toutes  pièces  par 
luic  historiograpliie  dépourvue  de  contrôle  critique,  qui  pour 
juger  les  événements  d'un  passé  lointain,  n  hésite  pas  de  s'in- 
spirer d'une  série  d  idées  modernes  aussi  déplacées  au  milieu 
du  moyen  âge,  (|ue  seraient  les  inventions  les  plus  récentes  : 
phonographes,  voitures  automobiles,  cinématographes  et 
autres  ! 


CHAPITRE  yi 

LES    TURCS,    MAiTRKS    DE    LA    PÉXINSULL'  BALKANIQUE,  S 'IMMISCENT 
DANS    LES    AFFAIRES    DES    DEUX    VAYVODIES. 

On  connaît  généralement  la  prodigieuse  rapidité  avec  laquelle 
se  développe  la  puissance  des  Tui-cs. 

C  est  au  milieu  du  xiii"  siècle  qu'ils  commencent  h  jouer  un 
rôle  important  en  J^/e  Mineure,  sous,  Ertofjrul,  et  son  fils  Osm<ni 
devient  déjà  un  adversaire  dangereux  pour  l'empire  byzantin. 
Orkhan  occupe  Brousse  en  1326  et,  trente  ans  après,  il  est 
maître  non  seulement  de  la  Bitliyuie  et  de  la  Paphlugonie,  mais 
de  la  Chersonèse  thrace  et  des  côtes  voisines  à  1  Est  et  à  1  Ouest 
aussi.  Son  aîné  Soliman  traverse  VHellespont  pour  s'emparer 
de  Gallipo/i  en  Europe  où  le  sultan  Amuraih  I"  se  fixe  avant  la 
prise  à'Andriiwple,  seconde  capitale  de  l'empire  grec.  De  là, 
il  fit  attaquer  par  son  grand  vizir  Laltisahin  la  Bulgarie  incon- 
tinent et  en  détacha  la  partie  méridionale  d'autant  plus  aisé- 
ment que  Jean  Sisnum  et  Strugimir,  les  deux  fils  d'Alexandre, 
s'y  combattirent  pour  la  succession,  tandis  que  le  despote  Do- 
hrotics  en  sépara  la  partie  orientale,  contrée  que  l'on  appelle 
encore  aujourd'hui  la  Dobrudja. 

Jean  Sisnian  étant  devenu  le  vassal  du  sultan,  et  l'empereur 
grec  Jean  Paléologue  s'avouant  incapable  de  résister  efficace- 
ment aux  étreintes  de  la  force  militaire  des  Turcs,  rattacher  les 
états  l)alkaniques  à  la  Hongrie  s'imposait  comme  un  devoir 
impérieux  à  Louis  le  Grand.  Sa  puissance  aurait  largement  suffi 
au  refoulemnet  des  Turcs  en  Asie,  si  les  souverains  de  la  pénin- 
sule l'eussent  soutenue  et  si  elle  ne  fut  pas  paralysée  par  l'atti- 
tude équivoque  des  hommes  d'État  byzantins.  Mais  pour  les 
orthodoxes,  il  représentait  avant  tout  le  catholicisme,  et  c  était 
assez  pour  le  faire  haïr  et  permettre  à  son  égard  toutes  les  dupli- 
cités. Ce  fut  donc  sans  avantages  que  le  roi  de  Hongrie  com- 
battit les  Tzircs  depuis  136(). 


150        MAC.VARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

La  posture  des  vay\  odes  roumains  ne  pouvait  être  autre  que 
celle  des  souverains  de  la  péninsule  balkanique.  Lujli  s'allie  au 
tsar  de  Truovo,  vassal  du  sultan,  et  ne  se  soumet  de  nouveau  à 
Z-ot//.v  qu'après  avoir  été  battu  par  l'armée  lion^'roise  conduite  par 
ISicolds  (riint  ;  alors  il  promet  de  ne  plus  créer  des  difficultés  aux 
chrétiens  occidentaux  et  même  de  se  convertir  au  catholicisme. 
En  échange,  il  reçoit  en  fief  le  château  de  Focjaras  et  le  territoire 
en  dépendant  alin  qu'il  le  repeuple  avec  des  colons  roumains  (1). 

On  attribue  ces  progrès  irrésistibles  des  Turcs  à  la  supério- 
rité de  leur  organisation  et  instruction  militaires.  Parce  qu'ils 
avaient  leur  excellente  infanterie,  les  Jd/iissaires,  et  une  cava- 
lerie régulière  bien  montée,  précédées  et  suivies  d'une  immense 
loule  de  gens  armées,  qui  servait  à  cacher,  comme  un  nuage, 
le  noyau  principal  des  troupes,  on  veut  expliquer  par  la  tac- 
tique et  la  stratégie  toutes  leurs  victoires.  Et  certes  c'étaient 
matériellement  des  moyens  très  efficaces,  aussi  le  roi  Mathius 
les  adopta-t-il  et  les  imita-t-il  en  créant  ses  "  légions  noires  »  , 
mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  les  Turcs  trouvaient  des  alliés 
précieux  dans  rabaissement  moral  et  la  misère  indicible  des 
peuples  de  la  péninsule  balkanique.  "  Les  Turcs  sont  très  bien- 
veillants pour  les  paysans,  écrit  le  roi  de  Bosnie^  Etienne  Tnmu- 
sevics  en  \i(\^  au  pape,  et  ils  leurs  promettent  la  liberté.  Et  les 
seigneurs  abandonnés  par  leurs  paysans,  ne  peuvent  pas  se 
maintenir  dans  leurs  châteaux.  "  On  se  rappelle  ce  janis- 
saire que  le  sultan  Amuruih  à  fait  exécuter  parce  qu'il  s  était 
approprié  un  pot  de  lait  appartenant  à  une  paysanne  serbe. 
De  tels  et  de  semblables  exenqiles  entretenaient  la  croyance 
que  les  Turcs  ne  venaient  pas  pour  aggra^  er  la  situation  des 

(t)  Voilà  à  ce  sujet  nn  pasj^a{;c  de  la  lettre  de  Jean  Bethlen  adressée  au  prince 
Apafy  le  28  janvier  1673...  «  Mais  il  faudrait  envoyer  à  la  Sublime-Porte  (au  Capi- 
tiha)  les  informations  suivantes  :  Les  vayvodcs  de  la  Valachie  ne  tenaient  pas  des 
rois  de  llonjjrie  depuis  lonjjtemps  en  fief  la  terre  de  Fojjaras  seulement,  mais  le 
château  de  Kiikidiii  avec  plusieurs  villages  ,  ainsi  que  le  château  de  Szeszorma 
près  du  Szamos,  également  avec  beaucoup  de  villages.  Car  v  'étaient  les  rois  de 
Hongrie  fpu  possédaient  la  Valachie  —  il  leur  était  donc  permis  de  donner  des 
biens  en  Transylvanie  à  leurs  serviteurs,  biens  qui  ne  devenaient  pas  pour  cela  des 
territoires  valachs.  D'ailleurs,  Monseigneur  le  vayvode  actuel  n'est  en  aucune  parenté 
avec  les  vayvodcs  à  qui  on  avait  donné  ces  propriétés  en  récompense  de  leur  Hdèle 
service.  Voyez    :    Tin-uk-majyarkoii  euilehck.    Okmânvtâr.  vol.  VII,  p.  158. 


LIVRE    DEUXIÈME  151 

malheureux  par  des  charges  nouvelles  mais,  au  contraire,  pour 
les  délivrer  des  extorsions  des  seigneurs  et  du  clergé. 

"  La  conquête  des  Turcs  porte  à  plusieurs  égards  le  cachet 
d'une  grande  révolution  sociale  et  politique  »  ,  ditM.  Tsedomil 
Mijdtovics  dans  son  travail  publié  dans  la  revue  :  ()/(icb/iiii. 
Aussi  les  paysans  montrent-ils  peu  d'empressement  pour  dé- 
fendre leurs  seigneurs  et  considèrent- ils  les  envahisseurs 
comme  des  libérateurs,  et  non  sans  raison  puisque,  si  l'on 
compare  le  système  des  impositions  et  du  servage  employé 
par  les  Turcs  avec  celui  qui  était  en  usage  dans  les  États  balka- 
niques avant  leur  arrivée,  on  conviendra  qu'il  renfermait  des 
allégements  très  sensibles. 

Àmur<tili  occupe  la  ville  serbe  de  jSisch  dès  1375  et  le  lende- 
main de  son  assassinat  par  Milan  Obilics^  c'est-à-dire  le  27  juin 
1389,  son  fils  Bajazet  défait  l'armée  coalisée  des  Set-bes,  des 
Buhjares,  des  Albanais,  des  Bosniaques  et  des  Boinnains  des 
deux  vayvodies  à  Koèsovo-Polje  (au  champ  des  Merles)  en  s'as- 
surant  ainsi  la  possession  de  toute  la  péninsule  balkanique. 

Le  nouveau  sultan  envoie,  après  cette  bataille  des  colonnes 
volantes  dans  toutes  les  directions.  L'une  d'elles  fait  une  pointe 
jusqu'en  Valachie.  Mais  ce  n'est  pas  le  premier  contact  cepen- 
dant que  les  Roumains  ont  avec  les  2\ircs.  Ils  ont  été  déjà 
mêlés  aux  affaires  de  la  Valachie,  quand  Z>^//i,  le  fils  du  vayvode 
Radu,  mort  en  1386,  avait  imploré  leur  secours  contre  son 
frère  Mircéa.  Celui-ci  fut  effectivement  chassé,  mais  Dan 
ayant  été  assassiné,  Mircéa  lui  succéda  légitimement. 

Après  avoir  repoussé  l'incursion  turque  à  travers  le  Danube, 
Mirera  se  met  à  dévaster  en  Bulgarie  le  territoire  des  Turcs. 
Mais  Bajazet  lui  inflige  un  tel  désastre  qu'il  ne  peut  se  sauver 
lui-même  qu'avec  peine;  alors  ils  devient  le  tributaire  du 
vainqueur  de  Kossovo  (1391).  Ce  qui  ne  l'empêche  pas  de 
renouveler  ses  anciens  rapports  de  vassal  à  suzerain  à  l'égard 
du  roi  de  Hongrie,  Sigisniond  (1395),  pour  le  trahir  aussitôt, 
de  crainte  que  les  Turcs  ne  se  vengent  (bataille  de  Méhédintz). 

Sigisniond,  s'occupant  de  l'organisation  d'une  grande  coali- 
tion européenne  contre  les  'Turcs,  à  laquelle  s  associe  l'empe- 
reur grec  Manuel  II  SLUi&ï,  ne  se  donne  pas  la  peine  de  châtier 


152        MACYARS    KT    ROUMAINS    DKVAM    I/IIISTOIUE 

Mircéd  et  lui  permet  même  de  joindre  un  continssent  roumain 
à  rarmee  chrétienne  forte  de  80,000  .lL/y>7n-.s,  hninçois,  Bour- 
aitignons,  Espagnols  et  Alleinatids .  Pour  son  jfrand  malheur! 
Car,  {jràce  à  Tardeur  inconsidérée  des  chevaliers  l'rançais  et 
à  la  détection  de  M/rct-a,  la  victoire  resta  encore  à  Bajazei 
(Nicopolis,  le  28  septembre  1;}H8  . 

Après  la  triste  hn  de  celui-ci,  Mircéa  se  mêla  aux  luttes 
que  les  compétitions  de  Musti  et  de  Mahomet  au  trône  turc  sus- 
citèrent, en  soutenant  le  premier.  Musa  avant  été  tué  par 
Mahomet,  Mircca  conclut  un  traité  avec  le  vainqueur  (141 1), 
traité  qui  forma  la  base  de  la  situation  dépendante  de  la  Va- 
lachie  à  l'éfjard  de  la  linquie  pendant  plusieurs  siècles.  Le 
sultan  consentit  à  sauvej^jarder  |)resque  toute  l'indépendance 
politique  de  la  Valarhie,  ne  stipulant  pour  lui  que  le  tribut 
annuel  de  ;>,000  gros  ou  de  JJOO  écus  en  argent,  payables  par 
les  vayvodes  de  la  Valacliie. 

(Jiiant  à  la  Moldavie,  son  entrée  dans  I  orbite  de  la  puissance 
des  Turcs  eut  lieu  plus  tard.  Le  protégé  de  Mircéa,  Alexandrn 
cel  Ban  rè^^ne  trente-deux  ans  et  pendant  ce  long  espace  de 
temps,  son  pavs  fait  des  progrès  réels  dans  la  voie  de  la  civili- 
sation. Il  permet  ri  m  migration  des  7/i/.sA/VeA  magyars  et  saxons. 
C'est  même  dans  la  ville  moldave  de  Tairos  qu'a  lieu  la  pre- 
mière traduction  en  magvar  de  la  Bible.  Des  villages  sicules  et 
saxons  entiers  se  transportent  alors  en  Moldavie  ainsi  que 
3,000  familles  arméniennes  chassées  de  VAsie  Mineure  par  les 
Turcs.  Alexandru  reçoit  les  Tsiganes  et  les  Tartares  aussi, 
comprenant  le  prix  d'une  population  nombreuse  pour  ses  Etats. 

Sa  mort  est  suivie  de  vingt-quatre  ans  de  luttes  sanglantes 
entre  ses  (ils  et  leurs  descendances,  hittes  avant  des  alternatives 
plus  imprévues  encore  que  celles  des  Danesti  et  des  Drahu- 
lesii  en  Valachie  et  au  milieu  desquelles  les  forces  militaires  et 
la  considération  àeAiiMoldavie  se  trouvent  tellement  diminuées 
que  le  vayvode  Pierre  se  voit  obligé  en  1 156  de  promettre  un 
tribut  annuel  de  2,000  ducats  à  Mahomet  //,  ahn  de  pouvoir 
rester  sur  le  Irone. 

Au  commencement  du  xv"  siècle,  les  Turcs  atteignent  déjà 
la  ligne  du  Danube  et  s'ils  ne  peuvent  pas  la  franchir  encore,  la 


LIVRE    DEUXIEME  153 

Hongrie  et  VEarope  ne  le  doivent  qu'à  Jean  Hunyadi,  qui 
arrête  à  deux  reprises  différentes  leurs  pointes  hardies  poussées 
en  Trans)  /ranie  (à  Szeben  et  aux  Portes-de-fer).  Alors  il  se  dé- 
cide à  les  attacjuer  sur  leur  propre  territoire  et  ayant  remporté 
six  victoires  et  pris  les  villes  de  ISisch  et  de  Sofia,  il  s'avance 
jusqu'aux  Balkans.  Le  résultat  de  cette  campagne  a  été  le  traité 
de  paix  de  liii,  que  le  roi  Vladislas  et  Hunyadi,  sur  l'instiga- 
tion de  la  Curie  romaine.,  n'ont  pas  hésité  de  violer.  La  cam- 
pagne victorieusement  commencée  se  termina  par  la  défaite  de 
Varna,  où  périt  avec  la  moitié  de  son  armée  le  roi  parjure. 

Après  la  bataille  perdue,  VLad,  le  vayvode  de  la  Valachie,  fit 
arrêter  Hunyadi,  qui  cherchait  rentrer  dans  son  pays,  le  consi- 
dérant comme  un  ennemi  de  sa  famille,  et  il  ne  le  relâcha  que 
sur  les  menaces  les  plus  énergiques  de  la  Hongrie.  Sortant  de 
captivité,  Hunyadi  àé'tx^.  Vlad,  malgré  les  secours  des  Turcs  et, 
l'ayant  pris,  il  le  fit  exécuter  en  le  remplaçant  sur  le  trône 
vayvodal  par  Dan,  de  la  famille  des  Danesti. 

La  diète,  qui  eut  lieu  eu  IAA6  à  llàlios,  confia  le  gouverne- 
ment de  le  Hongrie  à  Hunyadi.  Comme  gouverneur  il  n'avait 
qu'une  préoccupation  :  réparer  par  une  nouvelle  campagne  la 
brèche  faite  à  la  réputation  des  armes  hongroises.  L'occasion 
paraissait  être  très  propice,  car  Amurath  II  était  occupé  en 
Albanie  et  Dan  se  joignit  à  Hunyadi  avec  8,000  îloumains.  Mais 
Bran/iovics,  le  despote  de  Serbie,  avertit  le  sultan  secrètement 
des  desseins  de  Hunyadi,  Amurath  se  porte  alors  en  toute  hàle 
au  devant  du  gouverneur  de  la  Homjrie.  Leur  rencontre  eut 
lieu  sur  le  fameux  »  Champ  de  Merles  »  (Ivossovo)^et  les  Rou- 
mains s'étant  rendus  sans  coup  férir,  elle  tourna  de  nouveau  à 
l'avantage  des  Turcs. 

Les  batailles  de  Kossovo  et  de  Varna  purent  convaincre  la 
Hongrie  qu'elle  n'avait  rien  à  attendre  des  coalitions  euro- 
péennes et  rassurer  les  Tin-cç  sur  leur  sérieux.  Aussi  Mahomet  II 
prit-il,  deux  ans  après  son  avènement  au  trône  (le  :29  mai  1  453) 
la  capitale  de  l'empire  byzantin,  en  le  taisant  disparaître  ainsi. 
Il  devint  par  là  le  maître  de  la  péninsule  balkanique  jusqu'à 
la  frontière  de  la  Hongrie,  dans  le  pouvoir  de  laquelle  il  ne 
restait  plus  sur  la  rive  droite  du  Danube,  que  la  puissante  forte 


15V  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  I/HISTOIRE 
resse  de  Belgrade  avec  une  partie  de  la  Serbie.  Pour  pouvoir 
attaquer  efficacement  la  llongrie,  il  fallait  que  les  Turcs  la 
prissent  d'abord.  Trois  ans  après  la  j)rise  de  Considiii/nople, 
Mahowei  II  vint  déjà  pour  l'assiéger.  Soutenu  par  les  croisés 
ôc  Jetni  Cdpisiniii,  Ilunytidi  mit  en  déroute  l'armée  immense 
du  sultan  et  mourut  quelque  temps  après  aZiniony.  S'il  n'a 
pas  réussi  à  refouler  la  puissance  turque  derrière  les  BalLms, 
il  l'a  empêchée,  au  moins  pendant  un  demi-siècle,  de  franchir 
le  Danube. 

Son  Hls  Mal/lias,  moulé  sur  le  trône  de  la  Hongrie  en  1  458, 
ne  suivit  pas  l'exemple  de  son  père  et  ne  pensa  pas  à  des  cam- 
pagnes offensives.  Il  eu  donne  la  raison  dans  une  lettre  adressée 
au  pape  au  sujet  de  ses  reproches  faits  à  cet  égard.  «  On  ne 
peut  pas  espérer  des  choses  considérables  en  n'employant  que 
des  moyens  insuffisants.  Avec  des  secours  minimes  il  est 
impossible  de  conduire  une  armée  à  travers  les  Balkans  et  le 
Rodope  jusqu'à  la  mer  Noire  et  si  j'entreprenais  un  ouvrage 
au-dessus  de  mes  forces,  je  mériterais  le  blâme;  car  ce  ne 
serait  pas  moi  seul  qui  pâtirais  de  l'insuccès,  mais  toute  la 
chrétienté  aussi.  Ma  manière  d'agir  est  en  proportion  avec  les 
moyens  d'action  dont  je  peux  disposer.  » 

Le  roi  Maihùts  savait  pertinemment  que  ce  ne  furent  pas  seu- 
lement l'indolence  de  V Europe,  l'attitude  suspecte  des  peuples 
balkaniques,  mais  surtout  la  défectuosité  de  l'organisation  poli- 
tique et  militaire  de  la  Hongrie  qui  causèrent  les  insuccès  des 
campagncb  offensives  de  son  père.  Il  visait  donc  avant  tout  la 
création  d'une  armée  permanente.  Mais  il  fallait  pour  cela 
beaucoup  d'argent  et  des  gens  spéciaux  tels  que  les  soldats  de 
Ziska.  «  Ce  n'est  pas  autant  par  bigoterie  contre  les  Hussites 
que  Mathias  s'est  emparé  des  provinces  adjacentes  à  la  Bohème 
dit  le  grand  historien  magyar  François  Salanton.  Il  les  convoite 
plutôt  par  calcul  pour  avoir  une  source  de  recrutement  inta- 
rissable au  profit  de  l'infanterie,  élément  indispensable  de  son 
armée.  Si  l'on  ne  s'est  pas  rendu  compte  de  cela  justju'ici  c'est 
que  la  Bohème  possédait  d'autres  avantages  aussi  dans  ses 
mines  et  dans  ses  villes  opulentes...  En  Hongrie  les  villes 
industrielles,  ces  cnrichisseuses  par  excellence  du  trésor  royal, 


LIVRE   DEUXIÈME  155 

n'étaient  ni  nombreuses,  ni  grandes,  etil  y  en  avaitméme  bien 
peu  que  l'on  pouvait  taxer  de  relativement  riches.  Par  l'acqui- 
sition de  l'Autriche,  de  la  Moravie,  de  la  Silésie,  Mathias  élar- 
gissait considérablement  les  bases  de  ses  impositions...  En 
Hongrie,  il  les  augmenta  considérablement  aussi,  en  déchar- 
pfeant  la  noblesse  à  tout  instant  de  ses  devoirs  concernant  la 
défense  nationale.  Il  y  établit  des  contributions  régulières 
comme  il  y  en  avait  en  France.  » 

Le  principe  dominant  de  la  politique  de  Mathias  se  peut 
donc  exprimer  ainsi  :  la  //o^/yr/e  seule  est  insuffisante  pour  dé- 
truire la  puissance  des  Turcs  aussi  bien  au  point  de  vue  finan- 
cier qu'au  point  de  vue  militaire.  Mais  elle  sera  forte  si  elle 
se  transforme  en  un  grand  empire  réunissant  sous  la  même 
couronne  l'archiduché  d'Auiiiche,  la  Moravie,  la  Silésie  et  la 
Bohème.  L'empire  de  Mathias  devait  donc  s'étendre  à  peu  près 
sur  le  même  territoire  et  avoir  à  peu  près  la  même  situation  po- 
litique de  grande  puissance  sur  laquelle  s'étend  et  que  possède 
aujourd'hui  la  monarchie  austro-hongroise.  C'est  donc  Mathias 
qui  devine  le  premier  la  nécessité  politique  imposant  à  la 
Hongrie  de  s'unir  à  V Autriche,  si  elle  désire  jouer  le  rôle  d'un 
facteur  important  dans  la  politique  générale.  C'est  cette  con- 
ception politique  reconnue  utile  et  viable  qui  amène  sur  le  trône 
de  la  Hongrie  la  famille  des  Habsbourg  dans  la  personne  de 
Ferdinand  ["  conire  la  royauté  nationale  de  Jean  de  Szà/)o/ya, 
naturellement  sans  être  expliquée  et  appliquée  selon  les  inten- 
tions de  Mathias. 

Croire  qu'il  n'avait  jamais  pris  l'offensive  contrôles  Turcs  et 
ne  montrait  pas  assez  de  zèle  et  d'énergie  à  leur  égard,  serait 
une  grave  erreur.  Sans  entreprendre  une  de  ces  grandes  cam- 
pagnes qu'avait  entreprises  son  pcre  pour  les  expulser  de  1  Eu- 
rope,  Mathias  passa  à  l'offensive  chaque  fois  que  la  défense  etfi- 
cace  en  fit  sentir  la  nécessité  absolue.  Il  se  contenta  de  les  te- 
nir éloignés  du  Danube.  Et  la  même  circonspection  caractérise 
sa  politique  au  sujet  des  vayvodies  valaques  également. 

Ayant  été  trahi  par  le  vayvode  Da)i,  sa  créature,  dans  la 
bataille  de  Kossovo,  Jean  Hanyadile  fit  descendre  du  trône  et, 
au  lieu  de  lui  donner  pour  successeur  son  fils  homonyme,   il 


156       MA(;VARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'IIISTOIllE 

éleva  à  la  uignité  vavvodale  un  autre  membre  de  la  famille 
des  Danesii  sous  le  nom  de  V/ad  III,  dont  le  dévouement  lui 
inspira  tant  de  confiance  qii  en  partant  pour  délivrer  Bel- 
gyadc,  il  lui  confia  même  la  défen-e  de  la  Transylvanie.  Mais  à 
peine  le  grand  protecteur  des  DancsH  ferma-l-il  les  yeux  que 
déjà  le  fils  de  Vlad  1/  des  Drahulcsii  (de  celui  par  qui  Unnyadi 
a  été  fait  prisonnier  après  la  bataille  de  Varna]  Vlad  /!' sur- 
nommé le  Tzcpt's  (l  empaleur)  se  jette  sur  la  ValarlnC  avec 
Taide  morale  et  matérielle  des  Tares,  y  fait  prisonnier  le 
vavvode  Vlad  Ilï,  le  l'ait  décapiter  avec  le  jeune  Dan,  le  fils 
du  traître  de  Kossoro,  pour  s'attribuer  finalement  à  lui-même 
la  dignité  vavvodale. 

Ce  Vlad  IV,  ouïe  vayvode  r.V(//^t'.s,  est  le  type  des  anciens 
vavvodes  roumains.  Son  père  Vlad  II ,  pour  fuir  le  courroux  de 
Hanyadi,  se  sauve  chez  les  Turcs  et  y  fait  élever  son  fils  dans 
l'atmosphère  de  1  armée  turque,  où  le  futur  vayvode  sert 
pendant  quatorze  ans.  Toutes  les  cruautés  et  toutes  les  féro- 
cités dont  il  a  pu  y  être  le  témoin,  s  étaient  accumulées  dans 
son  âme  monstrueuse  pour  leur  donner  libie  cours  aussitôt  ar- 
rivé au  pouvoir.  «  C  est  l'homme  le  plus  cruel  qui  ait  jamais 
existé  en  lîoumauie,  —  (WiToeilesio.  Si  nous  n'admettons  (jue  la 
moitié  de  ce  que  l'on  en  dit,  c  est  déjà  assez  pour  nous  faire 
frémir  au  sujet  de  ses  méfaits  abominables,  de  son  sang-froid  et 
de  la  soif  sanguinaire  avec  laquelle  il  fit  exécuter,  brûler  et 
rolir  les  gens...  Il  punissait  le  vol  le  plus  insignifiant  avec  leni- 
palement:  de  ce  chef  il  fit  exécuter  en  peu  de  temps  6,000  per- 
sonnes; aussi  la  sécurité  publique  devenait-elle  dans  le  pfiyj^, 
en  bref  délai,  tellement  complète,  que  le  plus  riche  voyageur 
j)ouvait  impunément  laisser  ses  malles  au  milieu  de  la  route, 
car  personne  n'eût  osé  v  toucher...  On  dit  qu'un  autre  jour 
il  fit  prendre  environ  iOO  enfants  magyars  et  saxons  que  leurs 
parents  avaient  amenés  dans  le  pavsafin  qu'après  avoir  appris 
le  roumain,  ils  pussent  les  y  aider  dans  le  commerce.  Les 
ayant  fait  enfermer  dans  un  hangar,  il  y  fit  mettre  le  feu  et,  de 
cette  manière,  ils  v  périrent  tous. ..  A  une  occasion  il  fit  clouer 
le  fez  des    envoyés   du  sultan  à  leurs  crânes  parce  qu  ils  ne 

(l)  TociLESCO,  Istoriii  rotiiâna,  p.  48  et  passim. 


LIVRE    DEUXIÈME  157 

voulaient  pas  les  ôter  dans  sa  présence  quoiqu'ils  aient  atfirmé 
que  chez  eux  c'était  une  coutume  nationale.  ^ 

Ne  pouvant  pas  tolérer  les  méfaits  du  vayvode  plus  long- 
temps, les  Turcs  envoient  contre  lui  Honiza  pacha  à  qui  ils  ad- 
joignent un  interprète  grec,  nommé  Kataboliitos,  en  lui  ordon- 
nant de  s'emparer  de  Tzépès  même  au  mo/en  de  quelque 
puet-apens  et  de  le  ramener  à  Coitataniinople.  Le  guet-apens 
ne  réussit  pas  et  Vlad  fit  prendre  ILtntza  pacha  et  Katabolinos 
avec  tous  leurs  hommes.  Ensuite  il  franchit  le  Danube,  il  hattit 
les  Turcs  qui  y  campaient  et  il  fit  25,000  prisonniers  qu'il 
fit  tous  empaler  en  rangs  serrés.  Ayant  appris  cette  monstruo- 
sité, le  sultan  se  mit  personnellement  à  la  tête  de  son  armée. 
Le  vayvode  se  défendit  héroïquement  mais,  comme  il  fut  battu 
et  abandonné  par  ses  partisans,  il  s'enfuit  en  l'ransylvnnic  pour 
demander  aide  et  protection  au  roi  Maihias.  Mais  à  peine 
met-il  le  pied  sur  le  territoire  hongrois,  qu'il  pense  déjà  à  la 
trahison  en  envoyant  au  sultan  la  lettre  suivante  de  Rezsiunr  : 
a  Grand  souverain  des  Osmanli,  moi  Jon,  vayvode  des  Rou- 
mains et  ton  esclave,  je  Te  demande  pardon  pour  tout  ce  que 
j'ai  fait  contre  Toi  et  contre  Ton  empire.  Que  Ta  grâce  ait  pitié 
de  moi,  et  qu'elle  me  permette  de  t'envoyer  des  ambassadeurs. 
Si  Ta  Majesté  le  désire  je  peux  déposer  dans  Tes  mains  toute 
la  Transylvanie  que  je  connais  parfaitement  et  si  elle  T  appar- 
tient alors  Tu  peux  facilement  conquérir  toute  la  Hongrie.  » 
Cette  lettre  tomba  dans  les  mains  de  Maihias;  il  fit  arrêter  et 
enfermer  le  vayvode  à  Budc 

Iludu,  le  successeur  deTzepés,  se  soumit  également  au  roi  de 
Hoiu/rie,  mais  il  ne  resta  pas  longtemps  sur  le  trône,  ayant  été 
chassé  par  Siefun  cel  mare,  le  vayvode  de  la  Mold<tvie,  qui  pen- 
sait à  s'emparer  du  trône  de  la  Valachie  également.  Pour  l'en 
empêcher,  le  roi  Maihias  rendit  la  liberté  à  Tz-e/tès,  dont  le  se- 
cond règne  fut  absolument  exempt  de  toute  cruauté. 

On  pourrait  écrire  des  volumes  entiers  sur  les  cruautés 
inhumaines  dont  les  vayvodes  roumains  tels  que  Milinéa  cel  Heu 
(Mihnéa-le-Méchant),  Alexandru  Lapusiie/iu,  Jonu  Voda  cel  cuni- 
jdit  (le  vayvode  Jean  le  Terrible)  se  sont  rendus  coupables.  Il  est 
vrai  que  c'étaient  des  hommes  qui,  pour  monter  au  trône,  s'ap- 


15S  MAGYAl'.S  ET  IIODMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
puvèrent  sur  la  protection  des  Turcs  et  dont  la  jeunesse  s'était 
écoulée  au  milieu  de  la  fraction  la  moins  recomraandable  de 
l'armée  turque,  recrutée  parmi  les  éléments  roumains  les  plus 
révolutionnaires  des  peuples  balkaniques.  La  férocité  turque, 
mêlée  à  la  rouerie  byzantine,  créa  chez  les  vayvodes  cet  état 
d'âme,  auquel  il  fut  lait  allusion  plus  haut. 

Mais  si  tels  étaient  les  titulaires  des  trônes  vayvodaux,  si 
l'extermination  était  j)our  eux  un  moyen  de  gouvernement, 
on  peut  s'imaginer  quelle  devait  être  la  situation  de  la  société 
ctde  la  nation  roumaines.  Le  contre-coup  et  l'impression  mo- 
rale qu'un  gouvernement  se  servant  de  moyens  semblables 
devait  faire  naître  chez  un  peuple  condamné  à  l'endurer,  ne 
peuvent  être  un  mystère  pour  quiconque  réfléchit. 

La  barbarie  des  \'avvodes,  avec  laquelle  ils  ont  sévi  contre 
les  brigands  et  les  voleurs  prouve,  d'autre  part,  d'une  manière  j 
irrécusable,  que  ces  crimes  étaient  alors  très  répandus  dans  ' 
les  vayvodies  roumaines.  Et  c'était  tout  naturel  que  ce  lut 
ainsi;  car  h  la  victime  de  la  tyrannie  vay^vodale  ou  seigneuriale 
il  ne  restait  pas  autre  chose  à  faire  (pie,  sortant  de  la  société 
humaine,  se  retirer  au  fin  fond  inculte  des  bois  j)our  y  atten- 
dre 1  occasion  propice  à  la  vengeance,  avec  la  colère  inextin- 
guible d'un  individu  exilé  du  cercle  de  ses  semblables.  C'est 
cet  état  de  choses  qui  a  créé  dans  les  vavvodies  ces  existences 
des  -  Havdouks  "  dont  plus  d'un  chapitre  romantique  et  hor- 
rible a  dû  se  dérouler  précisément  dans  les  forêts  vierges  qui 
couvraient  les  versants  méridionaux  des  Carixithcs^  —  état  de 
choses  ayant  également  une  influence  décisive  sur  les  condi- 
tions morales  des  Rou mains  en  général,  dont  se  ressentaient 
tous  les  groupes  qui,  par  suite  des  fluctuations  des  peuples, 
provoquées  par  les  guerres  turques,  arrivaient  toujours  plus 
nombreux  du  Sud-Est  en  Hongrie. 

Aussi  est-ce  avec  un  réel  contentement  que  1  on  s'arrête  à  la 
figure  de  Stéfnn  cel Mare  J^Étienne  le  Grand),  vavvode  moldave, 
le  petit-fils  (.VAlcvinidni  cc/.Bnn,  dont  le  père,  nommé  Bodgan, 
a  été  tué  par  Pierre  Aron.,  son  compétiteur  au  trône.  C  est  avec 
l'aide  de  7'zépès,  que  Siéfan  cel  Mare  a  chassé  à  son  tour  ce 
Pierre  Aron.  Croyant  que  Mathias  était  disposé  h  lui  rendre  sa 


LIVRE   DEUXIEME  159 

dignité  vayvodale,  celui-ci  se  sauve  en  Tninsylvanie.  Sa  pré- 
sence y  attire  alors  Stefan  qui,  à  la  tète  de  son  armée,  dévaste 
d'abord  sous  ce  prétexte  le  pays  des  Siailes,  et  s'allie  ensuite  aux 
mécontents  transylvaniens,  révoltés  contre  Mathids  à  cause  de 
ses  réformes  fiscales  (1467).  Mathias  y  arrive  incontinent  avec 
des  forces  considérables,  et  les  révoltés  lui  font  leur  soumission. 
Ayant  puni  plusieurs  Saxons,  il  passa  en  Moldavie  pour  châ- 
tier le  vayvode  Stefan  aussi.  Mais  son  armée,  insuffisamment 
gardée,  est  surprise  près  de  la  commune  de  Baïa,  et,  gravement 
blessé  lui-même,  le  roi  est  obligé  de  retourner  en  Transylvanie. 
Et  comme  les  affaires  de  la  Bohême  absorbèrent  toute  son 
attention  et  toutes  ses  forces,  il  conclut  la  paix  avec  le  vayvode 
Stefan  en  lui  allouant  en  fief  le  château  de  Kiikilllo. 

La  guerre  que  le  vayvode  Stefan  fit  à  Radu,  vayvode  de  la 
Valachie,  qui  devait  son  trône  aux  Turcs,  le  mit  aux  prises 
avec  ces  derniers  aussi.  Pour  avoir  des  secours,  il  s'adressa 
à  Mathias  qui  lui  envoya  Biaise,  le  vayvode  de  la  Transylvanie, 
et  l'ispaii  des  Sica/es.  Grâce  à  ces  renforts  Siéfan  gagne  plusieurs 
batailles  contre  les  Turcs  et,  par  reconnaissance,  il  se  sou- 
met de  nouveau  à  Mathias  par  un  traité  daté  du  15  août  1  475, 
dont  la  teneur  jette  une  vive  lumière  sur  les  rapports  qui  exis- 
taient «  de  jure  »  entre  la  Hongrie  et  les  vayvodies  roumaines. 
a  Puisque  le  vayvode  Stefan  reconnaissait  pour  son  maître 
naturel  le  roi  Mathias  et  lui  promettait,  ainsi  qu'à  la  sainte 
couronne,  sa  fidélité  due,  le  roi  se  montrait  enclin  à  le  repren- 
dre sous  sa  protection  avec  ses  boyards  et  toute  la  Moldavie. 
Stefan  promet  de  faire  tout  ce  que  les  vayvodes  précédents 
avaient  l'habitude  et  le  devoir  de  faire  dans  l'intérêt  de  la 
couronne  hongroise.  Mathias  en  pardonnant  ne  veut  plus  se 
souvenir  de  ce  que  les  Moldaves  ont  entrepris  contre  son 
royaume.  Ensuite  il  promet  qu'il  ne  souffrira  en  Hongrie  la 
présence  de  quiconque  est  l'ennemi  de  Stefan  et  qu'il  lui  vien- 
dra encore  moins  en  aide.  C'est  d'après  les  privilèges  concédés 
par  les  rois  de  Hongrie  à  Alexandre  et  Mircéa  que  Mathias 
confirme  aussi  bien  le  vayvode  moldave  Stefan  que  le  vayvode 
valaque  Ylad  dans  les  territoires  qui  se  trouvent  entre  les  deux 
vayvodies.    Gomme   c'est   personnellement  et  avec   tout  son 


IGO  MAGYAUS  ET  ROUMAINS  DEVANT  I,I!ISTOIRE 
pays  que  Sléfan  prend  loMif^alioii  de  secourir  le  roi,  non  seu- 
lement contre  les  païens  mais  aussi  contre  ses  ennemis  en 
jf'énéral,  ce  dernier  secourra  le  vayvode  Stefan  également  en 
])ersonne  quand  le  besoin  s'en  fera  sentir,  à  moins  que  des 
affaires  plus  considérables  du  |>ays  ne  l'en  empêchent  —  mais 
en  ce  cas  il  lui  enverra  le  plus  de  secours  possible.  8  il  adve- 
nait que  Stefan  et  ses  boyards  soient  forcés  de  se  retirer  dans 
les  possessions  du  roi,  ils  y  trouveront  une  hospitalité  com- 
plète. Ils  auront  également  la  faculté  de  retourner  chez  eux  et 
le  roi  facilitera  même  leur  retour  selon  ses  moyens  '>    (1). 

En  ayant  fait  la  paix  avec  Bajtizct  11  (I48;i),  le  roi  Maihias 
sendilait  abandonner  Siefati  et  la  Moldavie  à  leur  propre  sort. 
Le  vayvode  se  plaça  alors  sous  le  patronage  de  Ca-simir,  roi 
de  Poloqne.  Mais  cette  alliance  polonaise  ne  dura  pas  long- 
temps et  finit  même  par  une  collision  entre  les  alliés,  —  colli- 
sion qui  tourna  à  l'avantage  de  Stefan,  grâce  au  concours  de 
llarlhéleini  Diâfjfi,  vavvoile  de  Trausylixtitic ,  accouru  à  son 
secours  avec  12,000  hommes,  de  la  part  du  roi  de  Ho'ugric. 

Le  vayvode  Sicfan^  à  (pii  les  historiens  roumains  donnent 
avec  raison  le  surnom  de  «(jrand»  (cel  mare),  mourut  en  1504. 
D  après  le  chroniqueur  loumaiu  Grégoiie  Lrcchie . [600  à  IG40) 
il  exprima  ses  dernières  volontés  devant  les  vladica  (les  évè- 
ques, ,  ses  conseillers  et  les  boyards  les  plus  importants  en 
recommandant  à  son  fils  Bogdan  "  de  ne  s'appuyer  ni  sur  les 
Hongrois,  qui  sont  déjà  mangés  par  le  Turc,  ni  sur  les  Polo- 
nais, qui  sont  inconstants,  ni  sur  les  Allemands,  qui  ne  s'en- 
tendent pas  entre  eux,  mais  (ju'il  s'efforce  d  être  dans  les  meil- 
leurs termes  avec  les  Tares  qui  sont  les  plus  Ibrts  et  les  plus 
constants  et  de  cette  manière  il  pourra  sauvegarder  la  liberté 
politique  et  religieuse  du  pays.  Et  si  les  Turcs  mettaient  des 
coiulitions  qui  entrahieraient  la  perte  de  sa  religion  et  de  sa 
liberté,  il  \audra  mieux  (jue  tout  le  monde  périsse  "  .  D  après 
le  rapport  envové  par  le  médecin  Leonardo  de  Massari  à  la 
«  sig noria  »  de  ICnisc,  il  y  a  eu  des  discussions  entre  les 
boyards  avant  la  mort  de  Stefan  au  sujet  de  son  successeur  : 
sera-ce  Bo(/dan,  le  Ijorgne,  son  fils  légitime,  ou  son  fils  natu- 

1     llr>FALVY  I»Ai.,  Az  olûliok  iorteiiele,  vol,  11,  p.   150-151. 


LIVRE    DEUXIÈME  161 

rel  Pierre  Baras?  Ayant  eu  vent  de  ces  discussions,  Siefti/i  se 
fit  porter,  quoique  malade,  à  Tendroit  ou  elles  eurent  lieu. 
Ayant  fait  exécuter  les  discuteurs  les  plus  bruyants,  il  dit  aux 
survivants  :  «  Maintenant  choisissez  votre  maître  librement, 
car  je  ne  pourrai  plus  vous  défendre.  »  Et  Stéfau  passa  le 
même  jour  de  vie  à  trépas! 

Ce  fut  donc  avec  une  cruauté  digne  d'un  vayvode  roumain 
que  termina  son  existence  Stéfau  cet  Mare  aussi,  quoiqu'il  ait 
été  la  personnalité  la  plus  remarquable  parmi  toutes  celles 
ayant  jamais  occupé  le  trône  vayvodal  dans  les  deux  princi- 
pautés roumaines. 

Il  faut  noter  encore  que  sa  femme  Eudoxie  étant  la  fille  du 
prince  russe  de  Kiev,  il  lut  le  premier  parmi  les  vayvodes,  qui 
entra  en  relations  suivies  avec  les  Russes  l).  C'est  par  cette 
union  qu'il  espérait  se  faire  un  allié  du  susdit  prince  soit 
contre  les  Polonais,  soit  contre  les  Tares,  et  plus  dun  de  ses 
successeurs  —  suivant  son  exemple  —  voulut  rendre  ces  rela- 
tions commencées  plus  stables  et  plus  effectives.  "  Le  sultan 
a  peur  du  Russe,  écrit  soixante  douze  ans  plus  tard  Giacomo  Lo- 
renzo  au  Conseil  de  Venise  —  car  ce  grand-duc  appartient  à  la 
religion  grecque  orientale  et  les  peuples  moldaves,  bulgares, 
moréens  et  grecs  lui  sont  très  attachés  à  cause  de  cela.  Ils  sont 
grecs  orientaux  également  et  toujours  prêts  à  recourir  aux 
armes  pour  se  délivrer  du  joug  de  l'esclavage  turc.  » 

Que  les  vayvodes  roumains  et  les  peuples  de  la  péninsule 
balkanique  se  soient  tournés  vers  les  Russes,  cela  n'a  été  que 
la  conséquence  naturelle  des  conjonctures  historiques.  Avec 
la  chute  de  Constantiunple  ce  n'est  pas  seulement  le  caractère 
éminemment  grec  de  l'Eglise  orthodoxe  qui  se  change  et 
devient  slave  moscovite,  mais  son  centre  hiérarchique  et  spi- 
rituel se  transporte  aussi  à  Kiev  et  à  Moscou,  où  jettent  l'an- 
cre de  leur  espoir  les  peuples  orthodoxes  des  Balkans,  ne  pou- 
vant plus  compter  sur  l'appui  de  personne,  après  l'écroulement 
tragique  de  l'empire  byzantin! 

(1)  P.  D.  PETnovici,  Inciputul  politicei  rusesci  in  principatele  runiane.  1889. 


11 


CHAPITRE  VII 

LA    CATASTROPIIi:    DK    MOllACS    KT    l'kI!ECTION     DK    I.A    TUANSYLVAME 
EN  PUINGIl'ArTÉ  INDÉPENDANT!;. 

Imputer  la  décadence  rapide  de  la  Hongrie  après  la  mort  du 
roi  Mdiliids,  survenue  le  (>  avril  1490,  à  la  seule  insuffisance 
morale  ou  intellectuelle  de  ses  successeurs  Vludislns  II  et 
Louis  II ^  ou  même  à  la  corruption  des  classes  dirigeantes  du 
royaume,  aux  rivalités  des  grandes  familles,  serait  le  résultat 
d'un  jugement  bien  superficiel.  Si  ces  circonstances  y  contri- 
buèrent de  beaucoup,  le  mal  avait  une  raison  d'être  plus 
éthique  et  conséquemmenl  plus  grave  aussi.  Il  s'agissait 
de  tirer  un  enseignement  du  règne  glorieux  de  Mathids  pour 
en  faire  profiter  le  pays  dans  l'avenir  et,  tandis  que  les  uns  ne 
voyaient  que  ses  succès  obtenus,  qu'ils  mettaient  sur  le  compte 
de  l'origine  hongroise  du  grand  roi,  les  autres  se  préoccupaient 
de  préférence  de  l'exécution  de  son  plan  politique  à  peine 
ébauché,  c'est-à-dire  de  la  réunion  de  la  Hongrie,  de  l'archi- 
duché  à' Autriche ,  de  la  Bohême,  de  la  Silésie  et  de  la  Moravie, 
sinon  sous  un  souverain  hongrois,  mais  au  moins  sous  le 
sceptre  de  quelqu'un  attaché  par  les  liens  du  sang  à  la  nation 
et  au  sol  hongrois.  Or  la  lutte  de  ces  deux  opinions  diamétra- 
lement opposées  ne  pouvait  que  paralyser  l'organisme  vital 
de  la  Hongrie,  car,  également  soutenables,  elles  n'avaient  cepen- 
dant pour  défenseurs  que  des  médiocrités  qui,  au  lieu  d'élever 
le  litige  à  la  hauteur  d'un  choc  de  principes  toujours  fructueux, 
le  ramenaient,  au  contraire,  au  piteux  niveau  des  querelles  per- 
sonnelles, des  antagonismes  intéressés.  Car,  en  se  généralisant, 
ils  ne  [)ouvaient  aboutir  qu'à  la  décomposition  du  peuple  entier. 

Par  une  cruelle  ironie  du  sort,  ce  sont  presque  tous  ceux, 
devant  leurs  dignités  à  Muthias,  qui,  partisans  de  sa  politique 
transcendante,  combattent  avec  le  plus  d'acharnement  la  can- 
didature au  trône  de  son  fils  naturel,  Jean  Corvin.  Bàthori,  et 


LIVRE   DEUXIÈME  163 

ses  caudataires  ne  soutiennent  Vladislas  II  que  pour  pouvoir 
disposer  des  forces  militaires  de  la  Bohême.  Enhardis  par 
l'adhésion  de  Kiuizsi\  le  vainqueur  de  Kenyérmezo,  ils  vont 
plus  loin  encore  dans  cet  ordre  d'idées  quand  ils  concluent  avec 
Maximilien,  le  prétendant  autrichien,  en  1491,  à  Pozsony,  un 
traité  dans  lequel  ils  déclarent  que  Vladislas  II  étant  mort  et 
sa  descendance  mâle  éteinte,  les  États  de  la  Hongrie  reconnaî- 
tront Maximilien  ou  sa  descendance  mâle  pour  rois  de  Hongrie. 
La  ratification  de  ce  traité  fut  refusée  par  la  diète  de  Bude, 
réunie  au  commencement  de  l'année  1492;  la  majorité  des 
États  y  affirma  même  qu'elle  préférait  la  mort  à  la  servitude 
allemande.  Il  y  a  eu  néanmoins  soixante-dix-sept  seigneurs  et 
prélats  ne  craignant  pas  d  apposer  leur  signature  au  bas  de  ce 
document  :  succès  relatif,  pour  le  moment,  grandement  satis- 
faisant pour  Maximilien. 

Ce  fut  Etienne  de  Szàpolya  qui  se  plaça  à  la  tête  de  ceux 
étant  d'avis  que  la  couronne  de  saint  Etienne  et  l'État  hongrois 
ne  peuvent  reconquérir  leur  ancien  prestige  et  leur  puissance 
d'autrefois  que  sous  des  rois  nationaux,  seuls  aptes  à  compren- 
dre les  aspirations  et  les  préoccupations  de  la  nation.  Devenu 
de  simple  noble  sous  le  règne  du  roi  Mathias  un  des  plus  puis- 
sants et  des  plus  riches  aristocrates  de  la  Hongrie,  s'étant 
marié  avec  une  princesse  de  Tessin,  il  représenta  la  réaction 
nationale  avec  la  plus  grande  autorité. 

L'histoire  de  la  famille  de  Szàpolya  ressemble  beaucoup  à 
celle  de  la  maison  des  Ilauyadi.  Etienne  de  Szàpolya  devient 
aussi  subitement  une  des  personnalités  les  plus  en  vue  que 
Jean  Hun  yadi,  sans  avoir  cependant  le  grand  talent  et  les  grands 
mérites  du  dernier.  Si  Mai/iias,  le  fils  de  ce  Hunyadi,  a  pu  être 
élu  roi  de  Hongrie,  pourquoi  le  fils  de  Szàpolya  ne  pourrait-il 
pas  l'être  aussi?  Cette  similitude  de  situation  rendait  cette 
idée  très  populaire  dans  l'opinion  de  la  petite  noblesse,  dési- 
reuse de  fournir  à  la  Hongrie  un  nouveau  grand  souverain. 

Etienne  de  Szàpolya  n'obéissait  donc  qu'à  la  secrète  pensée 
de  préparer  le  chemin  du  trône  à  son  fils,  quand  il  se  mit  à 
augmenter  la  confusion  générale  et  la  misère  publique.  Après 
sa  mort,  sa  veuve  sut  encore  plus  adroitement  combiner  le  plan 


164  MAGYARS  ET  ROlMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
commencé,  de  manière  qu'à  quatorze  ans  Jean  de  Szàpolya 
était  déjà  le  caiulidat  et  le  chef  du  parti  national.  Possesseurs 
de  soixante-douze  châteaux:  forts,  seul  vayvode  de  la  Tninsyl- 
vdin'e,  conséquemment  le  commadant  en  chef  de  Tarmée  la  plus 
considérable  du  pays,  à  vinjjt-quatre  ans,  il  brigua  la  main 
(ÏAniifi,  la  fdlc  de  Vladislas.  Mais  celui-ci  ne  tenait  pas  beau- 
coup à  ce  mariage,  sachant  qu'avec  Szàpolya  j)Our  gendre,  le 
lils  qui  pourrait  lui  naître,  ne  monterait  jamais  sur  le  trône. 
'EX  Mfixiniilieii,  déjà  empereur,  ne  le  voulait  pas  non  plus,  car 
pour  assurer  à  son  petit-HIs  FerdiiKtnd  la  couronne  hongroise, 
il  avait  l'intention  de  le  marier  avec  Anna.  Jean  de  Sznpol]  a, 
comprenant  que  ses  projets  allaient  avorter,  se  plaça  alors 
ouvertement  à  la  tète  de  l'opposition.  Celle-ci,  en  majorité 
dans  la  diète  de  Ra/ios  en  1505,  y  fait  adopter  la  résolution 
suivante  :  "  Puisque  la  raison  principale  du  délabrement  hor- 
rible du  pays  et  de  son  dépérissement  pitoyable  réside  dans 
le  pouvernement  des  rois  étrangers,  qui  ne  veulent  assimiler 
les  vertus  et  les  coutumes  de  la  nation  :  pour  le  cas  où  Vladislas 
mourrait  sans  enfants  mâles,  on  n'élira  plus  jamais  un  roi 
étranger,  et  que  celui  (pii  soutient  la  cause  d'un  prétendant 
étranger  soit  déclaré  traître  à  la  patrie!  » 

Cette  énergie  du  parti  national  rendit  Vladislas  et  les  fidèles 
de  la  dvnastie  étrangère  encore  plus  favorables  à  la  maison  des 
Habsbourg.  Ils  répondirent  à  la  résolution  diétale  de  1505  en 
renouvelant  secrètement  le  traité  de  1491  et  en  faisant  pro- 
mettre à  Vladislas  que,  s'il  allait  lui  naître  un  fils,  il  le  marie- 
rait avec  Maria,  la  sœur  de  Charles- Quint  et  de  Ferdinand.  Et 
il  naquit  à  Vladislas  effectivement  un  fils  1508  qu'il  fiança, 
après  l'avoir  fait  couronner  comme  roi  de  Hongrie,  à  cotte 
même  Maria.,  en  déclarant  que  si  la  famille  d'un  des  contrac- 
tants s'éteignait,  ce  serait  celle  du  survivant  qui  hériterait  de 
tous  les  États  des  signataires. 

Cette  division  de  l  aristocratie  et  de  la  noblesse  n'était  rien 
moins  que  salutaire  pour  le  bien-être  de  la  Ilonqrie.  La  lai- 
blesse  et  l'indolence  proverbiales  du  roi,  ne  sachant  pas  sauve- 
garder les  intérêts  du  trésor  public,  l'appauvrissement  général 
prit  des  proportions  effroyables,  que  l'application  de  certaines 


LIVRE    DEUXIÈME  165 

mesures  fiscales  a  rendues  encore  plus  tristes.  Aussi  la  croisade 
préchée  selon  les  vœux  de  Léon  X,  par  le  cardinal  Thomas 
Iiaf,ocs,  archevêque  cVEszterfjani,  trouva-t-elie  beaucoup  d'écho 
dans  une  population  découragée,  prête  à  recourir  aux  moyens 
extrêmes  pour  sortir  d'une  situation  qui,  à  la  longue,  devenait 
insupportable.  De  là  la  facilité  avec  laquelle  la  masse  popu- 
laire rassemblée  pour  combattre  les  infidèles  (1514)  se  laissait 
détourner  du  but  proposé  par  Torgueilleux  prélat  pour  se 
jeter  sur  la  noblesse  sous  la  conduite  de  son  chef  officiel, 
Gorges  Dôzsa,  le  Sicu/e. 

M.  A.  V.  Urechia,  le  président  de  la  a  Ligue  roumaine  » 
est  l'auteur  d'un  travail  intitulé  :  Revolutionea  lui  Doja  (la 
révolte  de  Dozsa),  dans  lequel  il  développe  une  théorie,  tirée 
des  données  fournies  par  sa  fantaisie  sur  le  caractère  roumain 
de  cette  «  Jacquerie  »  ,  assurant  qu'elle  n'était,  en  somme, 
qu'une  révolte  des  paysans  roumains  ayant  déjà  pour  point 
de  départ  les  questions  de  nationalités  et  que  les  lois  draco- 
niennes de  1514  concernant  les  serfs,  n'étaient  dictées  aux 
législateurs  hongrois  que  par  la  haine  de  la  noblesse  hongroise 
contre  les  Roianaius.  Or  il  n'y  a  que  le  trente-sixième  paragra- 
phe de  la  loi  de  1514  et  un  document  de  I5l()  (jui  prouvent, 
que  quel<|ues  individus,  —  dits  des  nobles  roumains  —  du 
département  Mamiaros  v  prirent  part.  Mais  rien  n'indique 
qu'ils  y  ont  pris  part  parce  qu'ils  étaient  des  Boionains,  tandis 
qu'on  doit  supposer  qu'ils  avaient  les  mêmes  raisons  pour  se 
révolter  que  beaucoup  de  nobles  magyars  de  classe  moyenne 
des  départements  de  Beieg/i,de  Szai/nnâr  et  de  Bi/iai-,  tels  que 
Thomas  Gencsf,  les  Domahidy,  les  Pogâny,  les  Lôityai,  les 
J/iimy,  etc.  donl  les  familles  ont  donné  beaucoup  de  serviteurs 
dévoués  à  la  patrie  hongroise  et  à  qui  il  serait  difficile  d'attri- 
buer des  tendances  roumaines.  D'ailleurs,  on  sait  que  ce  sont 
les  sermons  enflammés  du  Vère  Laurent^  originaire  de  Czegléd, 
—  centre  de  la  contrée  la  plus  foncièrement  magyare  de  la 
Hongrie  —  qui  ont  attiré  le  plus  de  monde  dans  le  camp  âeDàzsa 
où,  au  milieu  des  croisés  catholiques  du  cardinal  i?aAoci,  les 
lioiitnains  de  religion  grecque  orientale  ne  se  seraient  certai- 
nement pas  sentis  bien  h  l'aise. 


166       MAGYARS    ET    ROUMAI^S    DEVANT    LHISTOIRE 

Ce  fut  à  la  bataille  de  Téniesv/ir  ([ue  Jean  deSzàpolya  terrassa 
la  révolte  des  paysans  et  sauva  ainsi  la  noblesse  d'un  danfjer 
en  face  du(juel  le  pouvoir  royal  s'était  montré  impuissant;  la 
popularité  et  l'inHuence  du  cruel  vainqueur  devinrent  alors 
considérables  aux  yeux  de  la  noblesse.  Tout  le  monde  était 
convaincu  que  ce  serait  encore  lui  seul  qui  pourrait  effica- 
cement défendre  le  pays  contre  les  Turcs  toujours  plus  entre- 
prenants et  plus  menaçants.  Toujours  est-il  qu'en  attendant  il 
réussit  à  soutenir  le  prestige  de  la  Hongrie  en  face  des  vayvo- 
dies  roumaines,  où  il  intervient  à  plusieurs  reprises  avec 
succès  dans  l'intérêt  de  la  politique  bonjjroise. 

Ce  fut  le  vayvode  Bogdan  de  1501  à  1517),  qui  monta  sur 
le  trône  de  la  Moldavie  après  la  mort  de  Stefan  cel  Mare  et,  ne 
se  contentant  pas  seulement  de  reconnaître  la  suzeraineté  du 
roi  V/adislas,  il  lutta  en  1511,  activement  aidé  par  les  troupes 
hongroises,  avec  beaucoup  de  succès  contre  les  hordes  tartares 
du  sultan.  Mais  la  supériorité  numérique  des  Turcs  a  eu  finale- 
ment, quand  même,  raison  de  son  armée,  et  il  s'est  vu  obligé  de 
se  soumettre  au  grand  seigneur  dans  le  courant  de  l'année.  A 
la  suite  du  traité  conclu  à  ce  moment  ,il  a\  ait  à  envoyer  à  Cons- 
tanfinople  annuellement  un  tribut  de  4,000  ducats,  de  iO  che- 
vauxetde  2i  faucons  et,  en  cas  de  guerre,  encore  4,000hommes 
de  plus,  afin  qu  ils  préparent  les  routes  pour  l'armée  turque  en 
marche.  Après  Bo(/dan,  ce  fut  son  fils  Stefan  cel  ti/ier  (^ui  lui 
succéda  sur  le  trône  vayvodal;  il  régna  jusqu  en   1527. 

La  vie  exemplaire  que  le  vayvode  Tzépès  mena  pendant 
son  second  règne  en  Valachie,  lui  valut  le  surnom  de  "Caluga- 
rul  "  (le  caloyer).  Devenu  vayvode,  son  fils  aîné  Radu  reconnut 
le  roi  Vladislas  pour  son  maître  et  déclara  par  écrit  (1507)  que 
la  Valachie  faisait  partie  de  la  Hongrie.  En  1508,  il  alla  à  Bude 
où  le  roi  lui  fit  don  de  son  domaine  à'Algyogy,  Après  sa  mort, 
ce  fut  son  plus  jeune  frère  Dantsul  (jui  se  trouvait  justement  à 
ce  moment  en  Transyliumie,  chez  le  vayvode  Szàpolya  et 
que  la  Cour  de  Budc  voulut  faire  monter  sur  le  trône  vayvodal. 
Mais  déjà  Michnéa  cel  rea  (Michnéa  le  Méchant),  le  second  fils 
du  Tzépès,  y  était  installé  par  les  Turcs,  qui  lui  préférèrent  peu 
de  temps  après  le  troisième  fils  nommé  Vladutzé;  alors  Michnéa 


LIVRE   DEUXIEME  167 

se  sauve  en  Transylvanie  où  il  est  assassiné  par  trois  boyards, 
ses  ennemis  personnels,  à  Szeben  (le  12  mars  1510).  Les  vio- 
lateurs de  paix  furent  taillés  en  morceaux  par  la  population  et 
le  roi  promit  aide  et  protection  à  la  veuve  et  au  fils  de  la  victime. 

L'année  suivante,  Jean  de  Sz-ù^jolya  reçut  Tordre  du  roi  de 
ramener  ce  fils  sur  le  trône  de  son  père.  Mais  comme  les 
boyards  de  la  Valdchie  n'en  voulaient  pas  et  comme  V/adutzé 
était  prêt  à  se  soumettre,  le  roi  de  Hongrie  ne  s'opposa  plus  à 
son  élévation  à  la  dignité  vayvodale.  Alors  ce  sont  ses  parent* 
de  la  branche  Peioulesti  de  la  famille  de  Basaraba  qui  1  atta- 
quent, et,  soutenus  par  une  armée  de  Mahomet  pacha,  le  font 
prisonnier  et  le  font  exécuter  pour  le  remplacer  par  Xéa(/oi,  le 
fils  de  Laïot  Basaraba.  Celui-ci,  tout  en  augmentant  son  tribut 
annuel,  payé  au  sultan,  se  soumit  au  roi  de  Hongrie  ausû.  Son 
règne  dura  de  1  5  I  2  à  1521  et  se  passa  dans  la  paix  la  plus  pro- 
fonde, car  il  sacrifiait  tout  son  temps  et  tout  son  argent  à  la 
construction  des  églises  et  des  monastères.  C'est  de  son  règne 
que  date  la  construction  de  la  célèbre  cathédrale  d\irgcs  (Cur- 
tea  de  Arges). 

TV^V/^/o/laissa  pour  successeur  T/iéodosié,  un  fils  âgé  de  sept 
ans,  en  lui  donnant  pour  tuteur  le  bàn  Préda.  Mais  les  boyards 
lui  préférèrent  Radu,  le  ci-devant  caloyer.  Alors,  Mehemed  bey, 
un  renégat  issu  de  la  famille  de  Basaraba,  accourut  au  secours 
du  jeune  Théodosié  ci  ayant  fait  périr  Iladu,  il  demanda  la  Vu- 
lachie  au  sultan  non  pas  pour  son  protégé,  mais  pour  lui-même. 
Mais  les  boyards  élurent  déjà  à  la  hâte  Radu  de  la  Afumaii  pour 
empêcher  la  nomination  du  renégat. 

Ce  fut  avec  des  chances  diverses  que  ce  nouveau  vayvode  et 
Mehenicd  bey  se  firent  la  guerre.  A  la  fin,  les  7'<<rci  parviennent 
à  infliger  une  défaite  complète  à  l'armée  de  Radu  près  d'.4/- 
gésel  et  le  forcent  à  se  sauver  en  Transylvanie.  Victorieux,  Me- 
hemed  se  mit  à  la  transformation  de  la  Valachie  en  pachalik 
turc,  mais  l'ayant  terminée,  il  commit  l'imprudence  de  retra- 
verser le  Danube  ^oViT  retourner  à  Nicopolis,  son  quartier  géné- 
ral. Averti  par  les  partisans  de  Radu.,  Jean  de  Szàpolya  le  ra- 
mène alors  et  lui  remet  de  nouveau  la  couronne  vayvodale.  Le 
retour  en  Transylvanie  de  Szàpolya  redonne  du  courage  à  Me- 


168  MAGYARS  ET  llOl  MAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
hemed;  il  revient  de  nouveau  en  Valachie  et  il  fait  reprendre  à 
liadu  le  chemin  de  la  Transylvanie.  Sur  le  conseil  de  ses  par- 
tisans, ce  dernier  entreprend  même  un  voyage  à  Consiantino- 
plc,  car  il  espère  pouvoir  apaiser  le  courroux  du  sullan.  Mais 
celui-ci  le  fait  arrêter  et  emprisonner  pour  le  ramener  plus 
tard  sur  le  trône  vayvodal  quand  son  successeur  Vlad  est  dé- 
fait à  l'iyqoi'ist  par  le  hàn  révolté  de  Krajova,  le  Jiaibo  de 
Peroiilesti  Pour  Jean  de  Szàpo/ya,  c'est  une  occasion  de  retour- 
ner en  Valachie  où  liadu  delà  Afnmaii,  se  soumet  à  lui,  comme 
an  représentant  du  roi  de  Hongrie  (15:24). 

Telle  fut  la  situation  des  vayvodies  roumaines  pendant  Tépo- 
que  qui  précède  la  catastrophe  de  Moltâcs.  Leur  sort  est  d'être 
éternellement  ballottées,  étant  placées  entre  la  Hongrie  et  les 
Turcs.  Ceux-ci  sont  plus  éloignés  de  \i\  Moldavie,  mais  là,  ce  lu- 
rent les  Polonais  (pii  augmentèrent  la  confusion.  Aussi  la  partie 
transylvanienne  de  l'État  hongrois  est-elle  un  véritable  asile 
des  vayvodes  roumains  et  de  la  population  roumaine  des  vayvo- 
dies d'où  elle  afflue  incessamment  soit  de  son  propre  mouve- 
ment, soit  sollicitée,  comme  par  exemple  à  Szàszi'àros,  par  le 
maire  lui-même  dans  l'intérêt  des  redevances  royales  en  dimi- 
nution, les  contribuables  taisant  de  plus  en  plus  défaut  à  cause 
des  incursions  des  l'urcs.  Et  après  l'avènement  au  trône  de 
Soliman  II  (1520),  ces  incursions  deviennent  de  plus  en  plus 
fréquentes  et  considérables. 

Pour  les  arrêter  et  les  venger,  il  aurait  fallu  en  llonrjric  un 
gouvernement  fort  et  respecté,  et  Louis  H,  le  fils  et  le  successeur 
de  Vladislas,  issu  de  son  second  mariajje  avec  Anne  de  Caudale, 
|)arente  du  roi  tle  France  Louis  XII,  n'était  qu  un  adolescent 
—  né  en  I5()(),  — au  nom  de  ([ui  gouvernaient  depuis  la 
mort  de  son  père  (15J(>)  ses  trois  tuteurs  :  le  cardinal  Puikocs, 
Jean  de  Dorneniisza  et  le  margrave  Georges  de  Brandebourg .  Or 
la  petite  noblesse  les  accusa  de  prévarication  et  réclama  leur 
éloignement  du  j)ouvoir  avec  tant  de  violence  à  la  diète  de 
1518,  tout  en  exigeant  en  même  temps  la  nomination  de  Szii- 
polya  à  la  dignité  de  gouverneur,  qu'il  fallait  lui  céder,  au 
moins  en  ce  qui  concerna  les  tuteurs,  et  acquiescer  à  sa  nou- 
velle réunion  à  Tolna  et  à  Dites. 


LIVRE   DEUXIEME  169 

On  y  vota,  sous  rinfliience  du  génie  oratoire  du  grand  ju- 
riste Etienne  Verboczy  àei\o'\i  patriotiques  etavantageuses  pour 
les  finances  du  pavs  et  pour  la  défense  nationale  ;  mais  ni  les 
lois,  ni  le  comité  exécutif  composé  de  quatre  prélats,  de  quatre 
seigneurs  bannerets  et  de  seize  nobles,  ne  purent  enrayer  le 
progrès  des  maux,  car  personne  ne  voulait  tenir  compte  des  lois, 
si  elles  froissaient  les  intérêts  particuliers.  Il  ne  fallut  pas  long- 
temps au  parti  de  la  cour  pour  venir  à  bout  du  comité  exécutif  et 
quand,  après  la  mort  du  palatin  Pcré)iyi,  ce  fut  Etienne  Bà- 
thory,  un  ancien  enuemi  àe  Sz-ùpoly-fi,  qui  lui  succéda  dans  la 
première  charge  du  royaume,  la  cause  de  la  noblesse  mécon- 
tente était  de  nouveau  compromise. 

Grâce  à  ces  luttes  intestines,  nul  ne  songeait  aux  Tares  et  à 
leur  jeune  sultan,  avide  de  j;loire  et  confiant  dans  la  force  mi- 
litaire de  son  formidable  empire.  Et  cependant  il  ne  voulait  ac- 
cepter les  propositions  de  paix  des  ambassadeurs  hongrois  que 
s'ils  consentaient  au  payement  d'un  tribut  annuel.  Pour  ré- 
pondre à  cet  outrage,  la  cour  de  Bade  ne  trouva  rien  de  mieux 
que  de  faire  enfermer  les  envoyés  turcs  chargés  de  renouveler 
les  exigences  de  leur  maître  (1521).  Celui-ci  les  appuya  en  fai- 
sant attaquer  Jaïcza  et  en  dirigeant  une  armée  conive  Szabàes  et 
contre  BeUp-ade  à  la  défense  desquelles  villes  personne  n'avait 
pensé  au  milieu  de  l'anarchie  générale,  et  pendant  que  le  roi 
et  sa  fiancée  étaient  aux  noces  du  palatin  Szabàcs,  défendu  jus- 
qu'à la  dernière  goutte  de  leur  sang  par  cinq  cents  hommes, 
sous  la  conduite  de  Simon  Logody  et  André  de  Torma,  tomba 
le  7  juillet,  Ziniony  dans  les  premiers  jours  d  août  et  Bchjrade^ 
que  les  Magyars  appelaient  Nandor-Fchérvàr,  le  20  du  même 
mois,  sa  garnison,  réduite  à  soixante-douze  hommes,  s'étant 
rendue  à  discrétion. 

La  perte  de  cette  forteresse,  clef  de  la  Hongrie  du  côté  du 
sud,  la  livra  aux  Tares.  On  comprit  qu  il  s'agissait  dorénavant 
de  l'existence  même  du  pays,  et  on  recourut  à  des  expédients 
fiscaux  et  militaires  qui,  bien  exécutés,  promettaient  le  salut, 
mais  dont  on  ne  put  tirer  aucun  profit  à  cause  de  l'incurie  et 
de  la  mauvaise  foi  d  une  administration  corrompue  par  le  né- 
potisme et  avilie  par  sa  rapacité. 


170    .MA(;V.\US    Kl     r.UL'MAINS    DEVANT    L'HISTOIHE 

Louis  II  eut  beau  se  faire  proclamer  majeur  n'ayant  pas 
encore  seize  ans  révolus,  et  se  marier  avec  l'archiduchesse -l/^///V/, 
sœur  de  Ferdin(/tid,  mari  de  sa  sœur  Anne,  les  dissensions  du 
palatin  et  du  vavvode  de  Trdnsylvanie  ei  de  leurs  partis  respec- 
tifs rendaient  tous  les  efforts  tentés  en  vue  de  l'amélioration 
de  l'état  des  choses  illusoire.  En  1525,  on  nomme  à  la  diète  de 
ILtivitn  Vcrboczy  palatin  à  la  place  de  Biithovy,  pour  rendre  la 
même  charge  à  ce  dernier  un  an  après,  en  mettant  le  premier 
en  accusation.  Et  à  force  de  se  tirailler,  les  deux  partis  oublient 
le  but  principal  de  leur  réunion  et  se  séparent  sans  avoir 
voté  les  subsides  demandés  par  le  roi  pour  les  besoins  de  la 
{{lierre  en  vue  de  laquelle  on  a  cependant  proclamé  que  n  rustici 
universi  |)er  singula  parati  esse  debent  "  (les  paysans  doivent 
être  prêts  tous  en  personne)  et  Ton  a  approuvé  les  règlements 
militaires  proj)Osés  par  l'assemblée  à'Enyeden  Transylvanie.  Car 
Jean  de  Szàj)()l](t  v  en  convoqua  une  pour  le  commencement 
tl  avril,  —  la  diète  de  Ràkos  a  eu  lieu  à  la  saint-Geor^jes,  — 
et  les  nobles  et  les  Saxons  y  prirent  part.  D'après  ces  règle- 
ments il  fut  décidé  que  tout  ecclésiastique  ou  laïque  valide  se 
rende  personnellement  au  camp.  Parmi  les  laïques  il  n'y  a 
(jue  ceux  nécessaires  pour  la  défense  du  foyer  qui  y  resteront; 
parmi  les  ecclésiastiques  il  ne  restera  pour  tous  les  deux  vil- 
lages qu'un  prêtre.  En  apprenant  le  départ  du  sultan  àWndti- 
nojde,  Szàjxtlya  tint  une  assemblée  avec  chacune  des  trois 
nations.  On  v  fixa  la  durée  de  la  campagne  à  cjuatre  mois  et 
l'on  imposa  à  tout  le  monde  1  obligation  de  se  pourvoir  du 
nécessaire  pour  le  même  laps  de  temps.  On  devait  se  rassem- 
l>ler  à  Kolozsràr  en  dix  jours  à  partir  de  la  date  de  la  lettre  et 
la  chose  se  passa  réellement  ainsi.  10, 000  hommes  répondi- 
rent à  l'appel  de  Szàpn/ya  comme  des  documents  authentiques, 
des  lois  promulguées  le  démontrent.  (1) 

A  la  cour,  ce  furent  les  principaux  du  parti  hostile  au  vav- 
vode de  Transylvanie  qui  eurent  la  confiance  du  roi.  Ils  tinrent 
conseil  aussi  et  ils  v  invitèrent  de  Szàpnlya,  mais  pour  en  faire 
un  général  en  chef,  personne  n'y  pensa;  or  il  aurait  certaine- 

(i)  L.  WiKDiscu,  Mae/uzin,  t.  IV,  p.  190,  et  Kemknv,  Arpàdia 


LIVRE   DEUXIEME  171 

ment  accepté  ce  poste  et  alors  ses  40.000  hommes  n'auraient 
pas  manqué  le  jour  de  la  bataille  de  Mohacs.  Au  lieu  de  cela, 
on  ne  fait  que  le  fatiguer  par  des  ordres  contradictoires. 
D'abord  on  lui  dit  de  venir  à  Bade,  ensuite  on  lui  ordonne  de 
faire  une  irruption  en  Vatachie  pour  se  rendre  aux  vayvodies  de 
Valacliie  et  de  Moldavie  et  pour  inquiéter  l'aile  droite  de  l'ar- 
mée turque.  Enfin  au  dernier  moment,  après  le  départ  du  roi, 
on  le  rappelle  à  Bude,  car  il  eût  été  impossible  de  faire  cause 
commune  avec  le  vayvode  de  Valachie  puisque,  pour  prouver 
sa  fidélité,  celui-ci  avait  son  fils  comme  otage  dans  le  camp  du 
Sultan. 

Au  moment  de  son  départ  Sz-àpolya  fit  prier  le  roi  par  ses 
envoyés  de  ne  pas  quitter  Biidcdi\n\\i  qu'il  n'y  arrive  avec  toute 
son  armée.  Mais  on  n'écouta  pas  son  conseil,  parce  qu'on  crai- 
gnit que  si  c'était  l'épée  de  Szàjjolya  qui  sauvait  le  pays  du  dan- 
ger turc,  les  traités  de  Vladislas  et  de  Maximilien  ne  devinssent 
caducs  et  que  ce  ne  soit  pas  Ferdinand  qui  monte  sur  le  trône 
de  la  HoiKjrie  après  la  mort  de  Louis  II ^  mais  Jeun  de  S-^âpolya 
ou  éventuellement  son  fils.  Les  principales  personnalités  de  la 
cour  veulent  donc  seules  avoir  le  mérite  de  sauver  la  patrie; 
aussi  forcent-elles  l'évéque  de  Fées,  Paul  Tomori  d'accepter  la 
bataille  avec  25.000  hommes  contre  les  100,000  hommes  et 
les  300  canons  de  Soliman.  Il  y  avait  cependant  des  aristocrates 
qui  n'étaient  pas  du  même  avis.  C'est  un  Perényi  qui  a  dit  au 
roi  à  l'issue  du  conseil  de  guerre  :  ^  Sire!  dites  au  Père  Paul 
d'écrire  à  Rome  que  le  Pape  inscrive  ce  jour  d'aujourd'hui 
dans  le  calendrier  comme  jour  consacré  à  la  mémoire  de 
25.000  martyrs  hongrois!  "  Parmi  les  22.000  qui  sont  effec- 
tivement tombés  sur  le  champ  de  bataille  de  Mo/iàcs,  il  n'y 
avait  pas  seulement  le  roi  et  la  fleur  de  la  noblesse  hongroise, 
mais  aussi  Georges,  le  frère  cadet  de  Szapolya. 

On  peut  se  convaincre  de  ce  qui  précède  que  toute  cette 
effroyable  tragédie  n'a  pas  eu  pour  acteur  un  seul  Roumain 
et  que  les  historiens  roumains  ont  tort  de  prétendre  qu'elle 
avait  pour  cause  l'aversion  ressentie  par  les  Routnains  contre 
leurs  oppresseurs  magyars.  La  vérité  est  que  la  noblesse  ma- 
gyare considérait  létat  militaire  comme  un  privilège  qu'elle 


17  2       MAGVMIS    KT    ROUMAINS    DEVANT    1/lllSTOIUE 

uavuiL  nulle  cMivie  de  partajjer  avec  les  j)aysans  soit  maj^yars, 
soit  roumains.  Il  n'y  avait  que  les  habitants  des  districts  militaires 
les  Sicidcs,  les  Ciinums  et  les  liommes  d  armes  entretenus  par 
le  roi  qui  prenaient  part  à  la  guerre.  L'armée  de  Jean  Hunyadi 
est  composée  en  majorité  de  Siculcs,  aussi  le  folkslore  roumain 
lui  (lonne-t-il  le  nom  de  Jcini  le  Sicii/c  souvent  et  jamais  celui 
de  Jraii  le  llotniuiiit.  Pour  le  comte  Xicolas  Ziinyi,  le  grand  poète 
patriote  magyar  du  wiT  siècle,  le  recrutement  des  soldats  ne 
doit  se  faire  parmi  les  paysans  <jue  s'il  n'y  a  plus  de  nobles 
valides. 

La  bataille  de  Mofiàcs  ne  dura  (]ue  quelques  heures.  Mais  le 
roi  Louis  II,  mourut  à  moitié  éciasé  par  son  cheval  bardé  de 
Ter,  et  à  moitié  end)ouri)é  dans  le  lit  marécageux  de  la  Csélé 
ruisseau  aux  bords  argileux  et  glissants  dont  les  eaux  s'étaient 
considérablement  gonllées  par  suite  d'une  fatale  série  de  plu- 
sieurs journées  de  pluies.  Le  roi  de  Iloitgric  ne  laissait  aucun 
enfant;  d'après  le  traité  renouvelé  de  Po-sony,  les  États  de  la 
couronne  de  saint  Etienne  revenaient  à  la  maison  des  Ilahs- 
hoKig.  Mais  comme  ce  traité  n'avait  pas  été  pron)ulgué  consti- 
tutionnellement,  la  veuve  du  roi  et  le  palatin  Bàihory  se  réso- 
lurent à  convoquer  à  Pozsony  une  diète  en  vue  de  l'élection 
royale.  Ferdinand  s'y  fit  représenter  comme  prétendant,  mais 
il  acquiesça  quand  même  à  son  élection  motivée  par  la  puis- 
sance de  son  frère  Charles-Quint,  seul  souverain  capable  d'ar- 
rêter les  progrès  des  Turcs  (le  !"  d(''cendjre  1526). 

D'autre  part  les  partisans  de  Jeun  de  Szàpdiyti  se  rassemblè- 
rent à  Sze/,es-l-\'/i!'-rvàr  et,  quoique  peu  nondjreux,  ils  le  procla- 
mèrent roi  de  l/ongiie  et  le  couronnèrent  incontinent  (le 
I  I  novembre  15:2()j.  Dans  ces  conditions,  une  collision  armée 
devint  inévitable.  Le  sort  des  armes  lavorisa  Ferdinand,  cou- 
ronné à  son  tour  dans  cette  même  ville  de  Székes-Fe'iérvàr  par 
le  même  évéque  de  N\iira  le  3  no\cnd)re  15:27.  Aussi  les  en- 
voyés de  Jean  étaient-ils  déjà  en  route  pour  Constantinople 
pour  implorer  la  protection  du  sultan,  qui  le  rétablit  sur  son 
trône  avec  :200.()0()  hommes  dans  l'année  1529  et  ayant 
occupé  la  capitale  hongroise,  la  lui  recéda  en  protecteur  ma- 
gnanime. Les  luttes  des  deux  rois  ne  cessèrent  qu'en  1538, 


LIVRE    DEUXIÈME  173 

quand  ils  conclurent  secrètement  la  paix  de  Nagy-Varàd  en 
l'aisant  le  partage  de  la  Hongrie  :  la  partie  occidentale  et  sep- 
tentrionale échut  à  Ferdi/iand  avec  Pozsony  comme  capitale  et 
la  partie  méridionale  et  orientale  à  Jean  avec  Bude  comme 
capitale.  Mais  le  dernier  meurt  en  I5i0,  laissant  un  fils,  Jean- 
Sigismond  de  son  mariage  tardif  avec  Isabelle,  la  fille  du  roi 
de  Pologne.  La  guerre  éclate  alors  de  nouveau,  Isabelle,  son 
fils  et  son  conseiller  génial,  le  moine  Georges  Maitinuzzi  &  en- 
ferment à  Bude  qu'une  armée  de  Ferdinand  vient  assiéger. 
Mais  déjà  Solininn  II  accourt  à  Taide  du  fils  de  son  protégé, 
défait  l'armée  des  assiégeants  pour  s'emparer  de  Bude  à  son 
propre  profit  (29  août  1541)  sous  prétexte  de  la  soustraire  à  la 
convoitise  du  parti  hostile  à  Jean-Sigismond  (I). 

L'occupation  de  Bude  parles  Turcs  a  eu  pour  la  partie  orien- 
tale de  la  Hongrie  appartenant  de  fait  au  fils  de  Jean  de  Szà- 
polja,  une  importance  capitale.  Dépourvue  de  centre,  elle 
était  obligée  de  s'en  créer  un  conforme  aux  intérêts  vitaux 
d'un  territoire  et  d'une  population  considérables.  Et  ce  centre 
ne  pouvait  se  trouver  que  dans  une  contrée  stratégiquement 
avantageuse  tant  au  point  de  vue  de  la  défense  qu'à  celui  de 
l'attaque.  Or,  sous  ce  rapport,  la  Transylvanie  est  un  des  pavs 
les  plus  favorablement  partagés  du  monde,  comme  il  a  été  déjà 
dit  au  commencement  de  ce  travail.  Si  donc  la  diète  transyl- 
vanienne de  15  42  élit  Mariinuzzi  pour  gouverneur  du  pays  et 
pour  lieutenant  à' Isabelle  et  de  son  fils,  si  elle  confirme  l'union 
des  trois  nations  de  1437,  si  elle  adjoint  un  conseil  composé  de 
21  membres  (7  de  chaque  nation)  au  gouverneur  en  le  plaçant 
à  la  tête  de  la  défense  nationale,  ce  ne  sont  pas  tant  des  actes 
exécutés  en  vue  d'une  séparation  de  la  Ilonqrie,  que  des  mesures 
dictées  plutôt  par  l'instinct  de  la  conservation  et  inspirées  par 
le  patriotisme  magyar  le  plus  pur.  Car  servant  de  champ  de 
bataille  à  la  chrétienté  et  à  l'islamisme  aux  prises,  la  Hongrie 
seule  n'eût  jamais  pu  faire  survivre  le  génie  magyar  aux  désas- 
tres qui  avaient  fondu  sur  elle,  malgré  le  dévouement  et  l'ab- 
négation de  ses  fils.  L'établissement  d'un  État  indépendant, 

(1)  J.  Pauler  :  A  Habsbwg-hdzboli  kirâlyoh  kora.  Az  osztràk-magjar  monar- 
cliia  irâsben  es  képben.  Marjyarorszàg,  vol.  I,   p.  145  et  passim. 


174  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
avant  le  caractère  magyar  nettement  accusé,  offrait  au  con- 
traire un  asile  tutélaire  à  la  langue,  aux  traditions  et  aux  cou- 
tumes des  Magyars.  Programme  peut-être  inconsciemment 
conçu  par  la  plupart  de  ses  auteurs,  mais  non  moins  religieu- 
sement exécuté  par  les  princes  régnants  en  Transyliumie 
depuis  155G,  quand  son  indépendance  est  devenue  un  fait  ac- 
compli, sous  Jenn-Sigisnio/id,  après  l'assassinat  du  frèj-e  Georges 
et  la  courte  vayvodie  de  Dobô,  le  héros  du  siège  d'Eger,  jus- 
qu'à la  principauté  à'Ahafi  mort  à  Vienne,  interné  et  recevant 
une  pension  de  Léopold  /",  empereur  du  Saint-Enipire  et  roi 
de  Hongrie^  surnommé  «  le  Grand  » . 

Devant  ces  efforts  tangibles  des  patriotes  magyars,  les  his- 
toriens roumains  ne  craignent  pas  de  parler  de  ceux  que  le 
vayvode  d'origine  roumaine  Etienne  de  Mnjlât/i  avait  tentés 
pour  fonder  un  Etat  roumain,  ou  pour  mieux  dire,  pour  rétablir 
la  Ddco-lioHinnnie.  Or,  d'après  l'historien  hongrois  M.  Alexandre 
Szilàgyi ,  "  Majlâth  n'appartenait  pas  à  ces  étrangers  qui  se 
trouvaient  nombreux  dans  l'entourage  de  Jean  (de  Szâpolva)  et 
(jui  aimaient  sincèrement  leur  nouvelle  patrie.  Son  amliition 
égalait  la  vilenie  de  son  caractère  et,  tout  en  avant  des  capacités 
brillantes,  il  ne  poursuivait  que  des  desseins  antipatriotiques. 
11  était  plus  méchant  que  ces  burgraves,  fléaux  de  tous  leurs 
pays,  car  il  visait  ouvertement,  sans  conditions,  à  la  séparation 
de  la  Transylvanie  et  de  la  Hongrie  en  voulant  placer  la  pre- 
mière sous  le  protectorat  turc  comme  une  vavvodie  tributaire, 
semblable  à  celle  de  la  Moldavie  et  de  la  Valachie  (1).  »  Il  con- 
voqua une  diète  immédiatement  après  la  mort  de  Jean,  mais 
il  se  prononça  en  faveur  de  Ferdinand  et,  n'ayant  pas  obtenu 
de  celui-ci  tout  ce  qu  il  désirait,  il  se  rapprocha  derechef  d'/.ya- 
he//e.  Vaine  tentative,  car  il  fut  abandonné  de  tous  et,  quand 
le  sultan  le  fit  attaquer  par  Pierre  lîarès,  le  vayvode  moldave, 
])ersonne  ne  voulut  lui  prêter  le  moindre  secours.  Il  se  ren- 
ferma alors  dans  Fogaras  d'où  Pierre  Rares  réussit  à  le  faire 
sortir  sous  un  prétexte  fallacieux.  En  s'emparant  de  lui,  il 
l'envoya  à  Constantinople  pour  l'y  faire  mourir  au  cachot. 

(1)  S/iLVCYi  SandOR,  EiJélyorszâg  turlcncte.  l'estli,  IS()6,  p.  260. 


LIVRE   DEUXIEME  175 

Voilà  le  portrait  que  trace  de  Pierre  Rares  l'historien  roumain 
Hilaire  Papiit  dans  son  mémoire  adresse  au  prince  Coiiza  : 
«  Quand  il  entrait  en  Transylvanie  —  et  il  y  est  entré  à  peu 
près  dix  fois  —  il  s'était  d'abord  réconcilié  avec  les  Polonais 
afin  de  se  garantir  contre  les  Tartares,  et  ensuite  il  faisait  son 
entrée  en  laissant  croire  qu'il  soutenait  tantôt  les  Turcs  contre 
les  Magyars,  tantôt  les  Magyars  contre  les  Allemands  ou,  en 
sens  contraire,  qu'il  venait  en  aide  aux  Allemands  contre  les 
Magvars  ou  les  Turcs,  mais  toujours  au  profit  des  Roumains, 
et  toujours  il  retournait  victorieux,  en  ayant  battu  un  à  un  et 
successivement  les  ennemis  héréditaires  des  Roumains.  » 

(c  Si  ces  deux  grands  hommes  avaient  vécu  en  bonne  intelli- 
gence —  c'est-à-dire  Majlâth  et  Rares  —  ils  auraient  pu  facile- 
ment changer  la  face  des  choses  dans  les  provinces  daciennes 
et  établir  entre  elles  une  liaison  amicale,  afin  de  pouvoir  forcer 
les  étrangers  —  c'est-à-dire  les  Magyars  —  au  respect  envers 
ces  principautés.  Mais  Majlâth  et  Pierre  ne  pouvaient  pas  se 
supporter  (1).  i' 

C'est  donc  à  cause  de  l'inimitié  de  ces  deux  grands  hommes 
que  le  rétablissement  de  la  Daco-Roumanie  n'a  pas  eu  lieu  tout 
de  suite  après  la  catastrophe  de  Mohàcsl  II  faut  espérer  que  le 
peuple  roumain  est  au  fond  très  content  de  ne  pas  devoir 
l'accomplissement  de  ses  rêves  à  des  individus  pareils  et  h  une 
occasion  semblable. 

(1)  Documente  istorice  despre  starea  politica  si  ieratica  a  romaniloru  dm 
Transilvania,  Vieniia  J850.  p.  77  à  78. 


CHAPITRE  VIII 

LA   l'IiOTKSTANTISMK  RT  LE  ROIMAXISMK  AI     wT'  SILCLK. 

L'instinct  politique  de  Pierre  Tiares  était  assez  subtil  pour 
deviner  aisément  les  avantajjes  que  les  vayvodes  roumains 
pouvaient  tirer  du  dédoublement  de  la  royauté  honjjroise.  En 
1535,  il  traite  avec  Feidinaix/  ^)av  Tentremise  de  son  envoyé 
lieichersdorfer  et  en  1536  il  envoie  son  confident,  nommé 
Maihiiis,  à  ?îagy-Vàrad  pour  obtenir  la  rémission  de  ses  infidé- 
lités de  Jean  de  Szâpolya  qu'il  avait  intitulé  dans  un  document 
daté  du  :2Î)  septembre  1529  «  son  plus  gracieux  maître  d  .  Mais 
il  s'aperçoit  que  le  ressentiment  du  sultan  est  plus  profond. 
Pour  fuir  son  courroux,  Ilarès  se  sauve  en  Transylvanie  ei  se 
réfugie  dans  le  château  de  Csicsô.  Son  extradition  étant  exigée 
par  le  sultan,  Jeati  l'envoie  comme  ambassadeur  à  Consian- 
iinople ,  en  le  recommandant  à  la  magnanimité  du  grand- 
seigneur.  Celui-ci  le  fait  interner  dans  sa  capitale,  tout  eu  lui 
allouant  un  riche  apanage.  D'ailleurs,  après  les  règnes  éphé- 
mères cVÉtienne  Lacusta  et  d'Alexandre  Kornéa,  il  renvoie /»'arè.v 
sur  le  trône  vayvodal  où  ce  dernier  ne  termine  son  existence 
peu  honorable  qu'en  15  46. 

Sur  ses  successeurs  immédiats  voilà  ce  que  l'on  lit  dans  un 
ouArage  scolaire  roumain  :  «  Après  la  mort  de  Pierre  Rares, 
c'est  son  fils  Élie  que  les  boyards  élisent  pour  vayvode.  Il 
règne  de  jusqu'en  1551,  mais,  comme  il  aime  mieux  s'amuser 
et  faire  assassiner  que  gouverner,  il  cède  son  trône  bénévole- 
ment à  son  frère  et  à  sa  mère,  et  il  s'en  va  à  Conslantinople  pour 
V  embrasser  la  religion  mahométane.  Ce  sont  les  excès  qui 
remplissent  le  règne  d' Etienne  Rares  aussi  (1551-1552)  qui  ne 
perpètre  pas  moins  une  foule  de  méfaits  :  il  fait  couper  à  l'un 
le  nez,  les  oreilles,  la  langue,  les  mains,  à  l'autre  il  fait  crever 
les  yeux  ou  il  fait  verser  du  plomb  dans  la  bouche  ;  une  fois  il 
était  même  décidé  de  faire  mourir  tout  son  divan.  Ne  pouvant 


LIVRE    DEUXIEME  177 

supporter  plus  longtemps  ses  cruautées  inhumaines,  un  jour 
ses  boyards  s'entendent  avec  ceux  exiles  en  Pologne  et  ils 
l'assassinent  sur  les  bords  du  Prutfi,  dans  le  voisinage  du 
«  Pont  de  Czuczora  "  . 

et  Alors  environ  300  d'entre  les  boyards  s'en  vont  en  Polo- 
gne pour  ramener  Petréa  Lapusneanu  afin  d'en  faire  un  vay  vode. 
Un  autre  parti,  à  la  tête  duquel  étaient  le  procureur  moldave 
Sturdza  et  Ibetmau  Movila,  circonvenus  par  Hélena,  veuve 
de  Pierre  Rares,  élit  Joldéa,  le  fiancé  de  Ruxanda,  fille  de 
l'ierre  Rares.  Les  boyards  précités  envoyèrent  contie  eux, 
sous  la  conduite  de  Moczok,  une  armée  composée  de  troupes 
polonaises  auxiliaires  et  de  boyards.  Ce  Fut  au  village  de  Sipot 
qu'ils  enveloppèrent  Sturdza,  Movila  et  Joldéa.  Ceux-ci  se 
défendent  bravement  mais  inutilement,  car,  ayant  mis  le  feu 
au  village,  Moczok  les  prend.  Joldéaeut  le  nez  coupé  sur  l'ordre 
de  Lapusneanu  et  on  l'enferma  dans  un  couvent.  Lapusneanu 
accorde  son  pardon  aux  deux  autres  boyards.  De  cette  manière, 
le  règne  de  Joldéa  ne  dura  que  trois  jours.  En  montant  sur  le 
trône,  Petréa  Lapusneanu  s'appela  Alexandre  (1552-156  l).  Il 
est  entré  en  Transylvanie  afin  de  pouvoir  seconder  les  Turcs 
dans  la  reprise  de  Temesvâr  et  de  rendre  à  Isabelle  et  à  son 
fils  Jean-Sigismond  la  possession  de  la  Hongrie.  Mais  il  lut 
chassé  lui-même  de  son  trône  par  un  Grec,  nommé  Jacob 
Héraclide  !  » 

Avant  de  raconter  la  curieuse  vayvodie  de  cet  aventurier 
extraordinaire,  il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  qu'il  a  été  puis- 
samment aidé  dans  son  etitreprise  par  l'idée  dominante  de 
l'époque  :  leprolestantisme. 

Ce  sont  des  marchands  saxons  àeNagy-Szeben  qui  apportent 
avec  eux  les  écrits  de  Luther  en  Translf  vante  (1521).  Et  en 
même  temps  arrivent  deux  ex-moines  allemands  de  Silesie 
pour  y  expliquer  les  écrits  subrepticement  introduits.  Or  le 
sol  y  était  admirablement  préparé  à  la  réception  de  tout  ce 
qui  pouvait  combattre  le  clergé  catholique,  car  le  doyen  de 
Naqj-Sz.eben  ne  dépendait  pas  de  l'évéque  de  Transyh'anie, 
mais  directement  de  l'archevêque  d'Esztergo/n;  il  y  avait  donc 
des  contestations  continuelles  au  sujet  de  la  dîme. 

12 


178        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

Celui  qui  avait  le  plus  à  souffrir  de  ces  tiraillements,  était  le 
maire  de  Safjy-Szehen  et  en  même  temps  Vi.spân  des  Saxons, 
Marc  Peniflinyer.  Aussi  devint-il  un  des  premiers  adhérents  de 
la  nouvelle  doctrine.  Il  ne  put  cependant  pas  empêcher  que 
Ton  hrûlât  les  écrits  de  Luther  sur  une  place  de  la  ville,  sur 
Tordre  de  la  diète,  en  1523.  Deux  ans  après,  on  promulgue  la 
fameuse  loi  :  "  (|ue  les  Luihcnens  soient  tous  extirpés  du 
royaume  et  qu'ils  soient  pris  et  hrùlés  partout  où  on  les 
trouve,  non  seulement  par  les  gens  d'église,  mais  par  les 
séculiers  aussi  "  (1).  Mais  à  iSdgy-Szehcn  nul  n'ose  l'exécuter, 
et  quand  le  roi  Jean  la  rappelle  au  conseil  municipal  un  an 
après  la  catastrophe  de  Mohùcs,  celui-ci  ne  craint  pas  d'or- 
donner l'éloignement  immédiat  de  tous  ceux  qui  ne  veulent 
pas  se  conformer  aux  Évangiles,  sous  peine  de  mort  (le  18  fé- 
vrier 1529). 

A  Nagy-Szcht'ii  on  ouvre  une  école  pour  enseigner  les  doc- 
trines de  Luther^  et  Dnisso  limiter  étahlit  une  typographie 
pour  les  imprimer,  de  manière  qu'en  15  44  l'assemblée  plé- 
nière  des  Saxons  pouvait  déjà  ouvertement  imposer  la  religion 
luthérienne  à  toute  la  nation  saxonne.  En  15  45,  on  décide,  à 
l'assemblée  de  Med^/yes,  1  élection  d'un  évêque  protestant  (sur- 
intendant]. Mais  l'investiture  de  cet  évéque  n'eut  lieu  qu'après 
l'assassinat  du  Frthe  Georges^  —  cardinal  Martinuzzi  —  qui  fit 
deux  fois  citer  Hanter  soit  devant  la  diète  de  Kolozsvàr  (en 
15  43,)  soit  devant  la  reine  Isabelle  à  Gyulafehérvùr  où  peu  s'en 
fallut  que  son  remplaçant,  Mathias  Glatz,  n'ait  le  sort  de  Jean 
llass. 

Les  doctrines  nouvelles  remportèrent  des  succès  considé- 
rables parmi  les  Maf/yars  aussi.  En  1538,  il  y  a  une  discussion 
théologique  en  présence  du  roi  Jean,  à  Seges inir  enive  maître 
Etienne  Szàntai  et  quelques  prêtres  amenés  \àe  Nagy-Vârad. 
Le  chanoine  Martin  Kàlmàncsehi  ^  fonctionnait  comme  arbitre 
et  quoique  Martinuzzi  ait  conclu  à  1  exécution  de  Szàntai  et 
que  le  roi  l'ait  exilé,  Kàlmùnesehi  se  sentit  ("branlé  dans  sa  foi 

\\.)  1525.  Articul.  IV,  {5  V.  Lutlieraiii  etiatn  omiws  île  legno  cxlirpentur.  Et 
ubi(jue  reperti  fucritit,  non  soliim  per  ecclesiasticas,  verinn  etiain  per  sœciilares 
peisonas  libère  capiantnr  et  comburantur. 


LIVRE    DEUXIÈME  179 

catholique  et  devint  un  des  plus  fervents  apôtres  de  la  nou- 
velle doctrine.  Seulement,  ce  sont  les  explications  de  Calvin 
que  les  Magyars  acceptent  de  préférence  tant  en  Hongrie 
qu'en  Transylvanie.  De  là  une  polémique  très  violente  qui 
semble  tourner  d'abord  à  l'avantage  àes  Luthériens,  mais  qui 
finit  après  la  conversion  au  calvinisme  de  quelques  Luthériens 
renommés,  tels  que  Gaspard  Heltai  et  François  David^  avec  le 
triomphe  définitif  de  renseignement  du  réformateur  genevois. 
En  1557,  la  diète  de  Torda  permet  que  "  chacun  puisse 
suivre  sans  contrainte  l'ancienne  ou  la  nouvelle  religion  »  . 
G  est  l'année  suivante  que  la  reine  Isabelle  confirma  l'élection 
de  l'évéque  luthérien  Mathias  Hébler,  tandis  que  le  calvinisme 
n  est  accepté  officiellement  que  par  la  diète  de  1564. 

Il  y  avait,  à  ce  moment,  entre  les  chefs  des  protestants  calvi- 
nistes et  luthériens  hongrois  et  les  rétormateurs  allemands  un 
commerce  de  lettres  très  suivi.  On  s'adressait  à  ces  derniers 
pour  avoir  leurs  conseils  et  leurs  encouragements  et  on  leur 
communiquait  en  même  temps  tout  ce  qui  pouvait  favoriser  la 
religion  nouvelle.  G  est  ainsi  que  les  disciples  de  Luther,  dès 
qu'ils  se  sentent  plus  forts,  s'occupent  des  Roumains  aussi. 
"  Il  y  a  ici  un  peuple  écrit  Àdalhert  Wurndoch  de  Besztercze  en 
15  46  à  Jean  Hess  (1),  qui  ne  diffère  pas  de  nous  seulement 
par  ses  coutumes  et  sa  langue,  mais  aussi  par  sa  religion.  Nous 
rappelons  le  peuple  vlach.  Quoique  croyant  en  Jésus-Ghrist, 
il  n'a  jamais  été  soumis  au  joug  de  Rome.  Son  culte  est  tout  à 
fait  dissemblable  du  nôtre.  Ghez  ce  peuple  on  baptise  par 
immersions  dans  une  rivière,  on  se  sert  à  la  Sainte  Table  de 
pain  dans  lequel  il  y  a  du  levain,  et  de  vin.  Ils  ne  lisent  ni 
lÉvangile  ni  les  lettres  de  Paul  dans  leur  propre  langue,  mais 
dans  une  langue  étrangère  que  nous  appelons  "  die  Ratzische 
Sprach  »  (la  langue  serbe).  Elle  est  incompréhensible  pour  le 
peuple  sans  les  commentaires  du  clergé.  Parmi  les  nôtres,  il  y 
en  a  plusieurs  qui  possèdent  la  langue  de  ce  peuple.  Le  caté- 
chisme est  traduit  dans  cette  langue  vlacque  et  il  a  été  imprimé 
ici  à  Szeben  (ville,  qui  est  notre  capitale,   à  nous  Saxons  tran- 

(1)  H.  WiTTSTOCK,  Bcitrdge  ziir  Reformations-geschichte  des  Nôsner-Gaues. 
Wien,  1858,  p.  59. 


180       MAGYAllS    ET    IIOUMAINS    DEVAÎNT    L  HISTOIRE 
sylvaniens)  avec  des  caractères  soi-disant  serbes,  qui  ressemblent 
quelque  peu  aux  caractères  grecs.  Plusieurs  l'acceptent  parmi 
les  popes  comme  un  livre  sacré,   mais  plusieurs  le  rejettent 
couqjlétcnient!  » 

«  Comme  il  v  a  beaucoup  de  Grecs  à  Brassô,  écrit  Gcorr/cs 
lldiK-r  'I  ),  —  le  très-docte  Wagner  édite  le  catéchisme  en  grec 
en  l5ii,  fait  que  les  universités  allemandes  accueillent  avec 
une  crrande  joie.  H  n'y  a  que  les  Vlachs  (jui  ne  profitent  pas  de 
la  lumière;  leurs  popes  très  ignorants,  qui  peuvent  à  peine  lire 
leurs  chants  ordinaires,  repoussent  et  dédaignent  le  nouveau 
culte.  " 

D  autre  part,  voilà  les  lignes  que  Ton  peut  lire  dans  les 
écrits  du  pasteur  de  Bnisso  nommé  Marc  Fuc/is  :  «  Ce  l'ut  dans 
la  même  année  (^I55{>),  le  li  mars,  que  conjointement  avec 
les  conseillers  municipaux,  Jean  Benkner  réforma  l'Église  des 
Vlachs,  en  leur  enjoignant  d'apprendre  le  catéchisme  (re- 
formavit  ecclesiam  Valachorum  et  pnecepta  catccheseos  illis 
discenda  proposuit)  (2).  >' 

Traduire  le  catéchisme  luthérien  en  grec  et  en  roumain  et 
vouloir  réformer  une  église  valaque  sont  trois  faits  se  rappor- 
tant aux  tendances  évangélisatrices  des  protestants,  mais 
avec  trois  nuances  différentes. 

En  sa  qualité  d'helléniste  achevé  et  croyant  trouver  un  allié 
puissant  nouveau  contre  le  catholicisme,  Mélanchioii  cares- 
sait avec  amour  l'idée  d  un  rapprochement  avec  1  Eglise 
grecque-orientale  dont  certains  dogmes  se  ressemblent  au  point 
de  vue  luthérien.  II  savait  aussi  quel  rôle  prépondérant  échoit 
dans  cette  église  à  Thellénisme  en  fait  de  hiérarchie.  Si  donc 
lï'r;^/*^?;- s'impose  le  travail  de  traduire  en  grec  le  catéchisme, 
il  le  fait  pour  exécuter  le  désir  de  son  maître  et  pour  faci- 
litei-  ce  rapprochement,  il  n'est  pas  resté  purement  littéraire. 
Par  l'entremise  (ÏÉiienne  Gerlach,  d'un  des  secrétaires  de 
David    IJngiKid,    l'ambassadeur  de  Maximilieu  II  à  Constnnti- 

{Vj  Hisloria  ecdcslurum  Tniiisylvaiiicarunt .  Aucloie  GeorcU)  IIaner.  Franco- 
foili  1794,  p.  205. 

(2)  Joseph  Trautsch,  Scluiftneller  Lcxikoit,  oder  biixjraphisch-litenuische 
Denkmaler  (1er  Sieheiihiirc/ijr  Dcutschen.  Kronstadt,  1868,  vol.  I,{j  .   103. 


LIVRE   DEUXIÈME  181 

nople,  le  disciple  préféré  de  Mélo  ne /i  (on ,  Martin  Crusins  (Craiiss) 
envoya  une  lettre  au  patriarche  Jérémie  en  y  joignant  celle  du 
chancelier  de  l'université  de  Ttibingne,  Jacques  André.  Il 
n'eut  de  réponse  que  deux  ans  après,  exprimant  très-cour- 
toisement les  remerciements  du  patriarche  pour  l'attention  des 
théologiens  allemands  ainsi  que  son  espoir  de  les  voir  revenir  à 
l'enseignement  du  Christ  et  à  l'Église  véritable,  à  l'Église 
orthodoxe.  Alors  Criisiits  et  GerUich  lui  font  parvenir  la  con- 
fession d'Augsbourg  »  et  ils  écrivent  :  «  Il  est  possible  que  le 
Père  Céleste  nous  unit  dans  le  Sauveur  et  que  les  villes  de 
Constantin  et  de  l^nbitigiie  se  réunissent  dans  l'amour  chré- 
tien. 1)  Nouvelle  réponse  polie  du  patriarche  mais  insistant 
déjà  sur  la  sagesse  de  ses  correspondants  «  qui  ne  placeront 
nen  avant  la  vérité,  c'est-à-dire  avant  Jésus-Christ  "  .  Après 
un  échaufje  de  deux  lettres,  les  théologiens  de  Tubingne  en- 
tament, en  1580,  la  critique  même  de  l'orthodoxie  en  atta- 
quant son  dogme  au  sujet  de  l'invocation  des  Saints.  C'était 
plus  que  ne  pouvait  supporter  le  patriarche;  il  leur  répondit 
donc  que  saitit  Paul  étant  d'avis  d'abandonner  l'hérétique  déjà 
deux  fois  vainement  redressé,  il  n'accuse  réception  de  leur 
lettre  que  pour  les  prier  de  ne  plus  écrire  sur  des  sujets 
dogmatiques.  La  dernière  lettre  des  théologiens  n'eut  aucune 
réponse. 

"  Invelatura  crestineascà  »  était  le  titre  du  catéchisme 
luthérien  traduit  en  roumain.  On  n'en  possède  aujourd'hui 
aucun  exemplaire  quoique  son  existence  soit  dûment  constatée 
non  seulement  par  Wurm/oc/i,  mais  par  le  livre  de  comptes  du 
conseil  municipal  de  Nngy-Szeben  de  15  44,  dans  lequel  il  est 
ditque  :  "  Ex  voluntate  dominorum  dati  sunt  M.  Philippo  Pic- 
tori  pro  impressione  catechismi  Valachl  bibale,  2  £1.  » 

Ce  catéchisme  est  le  premier  produit  de  la  littérature  rou- 
maine. C'est  donc  le  protestantisme  transylvanien  qui  a  réveillé 
le  premier  la  conscience  nationale  des  Roumains  en  introdui- 
sant leur  langue  par  plusieurs  livres  —  traduction  d'un  «  Ho- 
miliaire,  »  du  «  Pentateuque»  —  dans  le  monde  religieux,  où 
jusque-là  c'était  le  bulgare  et  dans  les  hautes  sphères  de  la 
hiérarchie  c'était  le  grec,  qui  régnaient.  Et  si  l'on  admet  que 


182        MA(;VA11S    ET    UOUMAIÎNS    DEVANT    L'HISTOIRE 

ce  zèle  déployé  ne  visait  pas  le  réveil  du  roumanisme,  on  doit 
convenir  qu'il  n'était  pas  inspiré  par  le  désir  de  le  mafjyariser 
non  plus.  Les  préoccupations  des  premiers  protestants  étaient 
trop  transcendantes  pour  rpi'ils  pensent  à  autre  chose  qu'à  la 
propagande  de  leur  religion.  S'ils  emploient  la  langue  de 
chaque  peuple  qu'ils  veulent  catéchiser,  c'est  pour  lui  rendre 
la  lecture  de  la  Bible  et  surtout  des  Evangiles  plus  accessible. 

Au  début,  ils  restaient  naturellement  sur  le  terrain  de  la 
seule  persuasion,  n'étant  pas  sûrs  de  leur  lendemain  eux- 
mêmes.  Mais  ayant  été  officiellement  reconnus,  ils  parlaient 
aussitôt  un  lauj^age  moins  humble  :  à  la  diète  de  Szeben,  tenue 
en  I  56(>,  on  prend  déjà  la  résolution  :  «  que  la  prédication  des 
Evangiles  ne  soit  empêchée  au  milieu  d'aucune  nation;  il  faut 
même  que  les  idolâtries  et  les  blasphèmes  en  soient  bannis 
et  y  cessent.  Il  a  donc  été  décidé  de  nouveau,  que  les  idolâtries 
soient  abolies  dans  toutes  les  nations  de  cet  empire  et  que  les 
paroles  de  Dieu  y  puissent  être  librement  prêchées  et  surtout 
parmi  les  Valaques ,  dont  les  pasteurs,  étant  aveugles  eux- 
mêmes,  ne  conduisent  que  des  aveugles,  et  entraînent  ainsi 
;»  leur  suite  des  communes  entières  dans  le  précipice.  A  ceux, 
qui  ne  veulent  pas  ouvrir  les  yeux  à  la  vérité,  Sa  Majesté 
ordonne  de  discuter  au  sujet  de  la  Bible  avec  l'évêque  Georges, 
le  surintendant  et  de  se  prêter  â  la  compréhension  de  la  vé- 
rité. Ceux  qui  ne  voudraient  pas  céder  à  la  vérité  comprise, 
qu'ils  soient  évéques  valaques,  ou  popes  ou  caloyers,  doivent 
être  éloignés,  et  que  tous  n'écoutent  que  Georges,  l'évêque  élu 
et  les  ecclésiastiques  qu'il  a  choisis.  Et  que  ceux  par  .qui  ces 
•  derniers  seraient  tourmentés,  soient  punis  par  une  |)eine  ré- 
servée à  l'hérésie.  » 

La  diète  de  !  577  vote  une  décision  sous  le  coup  de  préoccu- 
pations semblables.  «  Gomme  il  y  a  des  Valaques  nombreux 
éclairés  par  la  sagesse  de  Dieu  pour  abandonner  l'Église  grec- 
que et  pour  lire  les  paroles  de  Dieu  dans  leur  propre  langue, 
et  comme  leur  évèque  est  mort,  nous  avons  décidé  qu'ils  éli- 
sent, eux  aussi,  unhommesage  et  craignant  Dieu,  afin  que 
la  ])rédication  des  paroles  du  Seigneur  ne  soit  pas  interrompue 
mais,  au  contraire,   de  plus  en  plus  répandue.  »    Le  synode 


LIVRE   DEUXIEME  183 

des  Calvinistes  tenu  à  Debreczen  en  Houfjfrie  décide,  de  son  côté, 
que  les  Vainques  calvinistes  doivent  procéder  à  l'élection  de 
doyens,  et  qu'il  faut  veiller  à  la  conversion  réelle  des  popes, 
qui  n'embrassent  très  souvent  la  religion  réformée  que  pour 
se  libérer  du  servage  (1). 

Ces  avis  comminatoires  au  sujet  de  l'élection  d'un  évéque 
et  des  doyens  roumains  indiquent  clairement  que,  dans  l'esprit 
delà  législation  séculière  et  ecclésiastique,  il  ne  s'agissait  nul- 
lement de  magyarisation,  mais  de  la  propagande  efficace  du 
protestantisme.  C'était  l'idée  dominante  de  l'époque  aussi  bien 
cliez  les  Magyars  que  chez  les  Roumains  qui  ne  reculaient 
devant  aucune  violence  pour  faire  des  prosélytes  en  faveur 
de  l'orthodoxie. 

Voilà,  à  cet  égard,  un  fait  raconté  par  le  témoin  oculaire 
Minas  Toc/iali,  dont  les  écrits  se  trouvent  dans  la  bibliothèque 
de  l'église  grecque-catholique  de  Szamos-Ujvâr  depuis  le  règne 
d'Ahafi.  «  C'est  Etienne  qui  règne  comme  vayvode  des  Rou- 
mains en  1551.  Des  Arméniens  nombreux  et  distingués  habi- 
tent sa  principauté  et  ils  sont  tous  bons  chrétiens.  Mais  il  leur 
arrive  tout  à  coup  un  grand  malheur.  Le  dimanche  matin 
(16  août  1551),  leur  église,  consacrée  sous  l'invocation  de  la 
bienheureuse  sainte  Vierge,  reçoit  la  visite  du  vayvode  Etienne, 
qui  y  pénètre  à  cheval.  Il  prit  l'ostensoir  et  le  jeta  par  terre, 
où  des  pieds  sacrilèges  le  piétinèrent.  On  emporta  les  tableaux 
de  l'église,  celui  du  maître-autel  notamment,  les  croix  et  les 
vases  sacrés.  Après  les  avoir  liés,  on  mit  les  prêtres  et  les 
moines  au  cachot.  Le  lendemain,  tout  fut  emporté  de  l'église 
de  Szucsava  :  ensuite  on  la  détruisit  à  l'aide  de  canons  ame- 
nés de  la  forteresse.  Chacun  se  sauva,  comme  il  put  :  dans  les 
caves,  dans  les  forêts.  On  transporta  la  cloche  et  les  tableaux 
dans  l'église  roumaine  de  Szucsava.  " 

«  ...On  fit  couper  les  cheveux  de  1  évéque  et  on  lui  fit  raser 
la  barbe  et  on  le  fit  habiller  dans  des  vêtements  portés  par 
les  popes  orthodoxes...  Il  fit  rassembler  (le  vayvode)  les  voitb, 
les  arméniens  et  il  les  fit  rebaptiser  en  disant  :   «  Je  ne  veux 

(1)  HuNFALVY  Pal,  Az  ohîhok  torténete.  Vol.  II,  p.  333 


184  MAGYAHS  ET  ROUMAINS  DEVAINT  L  HISTOIRE 
pas  qu  il  y  ait  des  Arniéiiieiis  dans  ma  principauté;  que  cha- 
cun vive  selon  le  rite  (jrec.  »  ...  Les  Arméniens  de  Botosàn 
promirent  au  vavvode  tous  les  objets  précieux  de  leur  églsie 
s'il  voulait  l'épargner,  mais  en  vain,  car  elle  fut  détruite 
aussi...  En  voyant  tout  ceci,  de  nombreux  Arméniens  quittè- 
rent le  pays.  « 

Ce  lut  donc  au  milieu  d'une  société  bouleversée  par  les 
troubles  leligieux  que  Jacob  lléraclide  monta  sur  le  trône  de 
la  Moldavie,  il  naquit  en  1510  sur  1  île  de  Crête  d'un  père 
marin,  et  de  son  vrai  nom  il  s  appelait  Jean  Bazilih.  Dès  son 
adolescence,  il  entra  dans  le  service  d'un  riche  Grec  nommé 
Jacob  qui  avait  la  prétention  de  descendre  de  la  famille  des 
Hérarlides  et  qui  s'intitulait  «  Despote  des  îles  de  Samos  et 
de  Paros.  "  Il  prit  en  affection  le  jeune  Bazillk  à  cause  de  son 
esprit  très  ouvert  et  lui  fit  donner  une  éducation  soignée  par 
les  meilleurs  maîtres  latinistes  et  hellénistes. 

Comme  chef  d'une  troupe  de  mercenaires  grecs,  Jacob  lléra- 
clide entra  au  service  de  Charles-Quint  et  se  distingua  particu- 
lièrement en  Péloponèse.  Il  passa  ensuite  en  Espagne  en  emme- 
nant avec  lui  son  jeune  protégé.  Là  il  mourut  en  adoptant 
Bazi/ik  et  en  le  faisant  son  héritier.  Alors  celui-ci  prend  le 
nom  de  Jacob  lléraclide  et  se  donne  pour  le  fils  du  délunt.  Son 
successeur  à  la  tète  de  ses  Albanais  et  Grecs,  il  sait  si  bien 
gagner  les  bonnes  grâces  de  l'empereur  qu  il  en  obtient  tous 
les  privilèges  de  son  père  adoptil,  avec  lo  droit  —  en  sa  qua- 
lité de  despote,  —  d  avoir  un  poète  de  cour  et  un  secrétaire! 
En  15()(>  on  le  voit  s'installer  avec  son  ami  Diassorénos,  sei- 
gneur de  \a  Doride ,  à  Wiiti'inbcjy/,  ou  il  tient  une  véritable 
petite  cour  et  avant  lié  amitié  avec  Mclanc/iion,  il  se  convertit 
au  protestantisme.  De  W'ii/cndn'rf/  il  passe  en  Pologne  avec 
une  lettre  de  recommandation  très  chaude  de  1  électeur  de 
Brandebourg  pour  le  chancelier  lithuanien  Badzivil,  chef  des 
protestants  polonais.  Ici  il  exhibe  l'arbre  généalogique  de 
son  père  adoptif,  légalisé  par  Charlcs-Quini ,à  où  il  appert  que 
la  femme  de  Pierre  Rares,  Hélène  lléraclide,  était  une  parente 
de  son  père  et  que  lui-même  en  est  le  fils,  consé(|uemment 
qu'il  est  frère  de  lioxanda,  de  la  femme  du  vavvode  Lupus- 


I.IYIIE   DEUXIÈME  185 

neanu.  Donc,  en  réalité,  c'est  à  lui  que  revient  le  trône    de  la 
Moldavie! 

Aidé  par  Rndzivil,  il  y  fit  sa  première  apparition  en  1557 
mais,  quoique  ayant  capté  quelques  boyards  et  ayant  promis 
la  délivrance  du  pays  du  joug  turc,  il  ne  s'y  crut  pas  en  sûreté. 
Pour  un  moment,  il  se  fixa  à  Brassé,  pendant  le  temps  néces- 
saire à  l'impression  de  sa  généalogie,  ensuite  il  se  dirigea  vers 
V Autriche  où  i!  fit  la  connaissance  de  l'archiduc  Maximilien, 
fils  de  Ferdinand.  Mais  comme  il  ne  pouvait  en  obtenir  beau- 
coup, il  reprit  le  chemin  de  la  Pologne.  En  route,  il  s'arrêta 
chez  Laszky,  le  gouverneur  polonais  des  treize  villes  du  Szepes- 
ség,  qu'il  sut  gagner  à  sa  cause  et  par  l'entremise  duquel  il  se 
lia  avec  les  capitaines  Roussel  et  Szekely,  l'un  Français,  l'autre 
Hongrois,  dont  il  fit  ses  généraux. 

Il  organise  là  deux  expéditions.  Pour  la  seconde,  il  dispose 
de  beaucoup  d'argent  donné  par  Laszky  et  par  Ferdinand  et  il 
se  procure  la  permission  de  recruter  des  soldats  en  Hongrie. 
Pour  endoimir  la  vigilance  du  vayvode  Lapusnéanu  non  seule- 
ment il  simule  d'être  gravement  malade,  mais  aussi  d'être  bel 
et  bien  enterré  à  Késmark. 

Alors  Szcliely  se  jette  inopinément  sur  la  Moldavie  et  comme 
Moczok,  le  général  de  Lapusnéanu  ne  demande  que  trahir  son 
maître,  les  évêques  et  les  boyards  n'hésitent  plus  à  recon- 
naître Héraclide  pour  leur  vayvode  sous  le  nom  de  Jean.  On  le 
reconnaît  pour  telet  peu  de  tempe  après  à  Co/?.s^//<z///o;7/e  aussi, 
malgré  la  présence  et  les  intrigues  du  h\^^^\û{ Lapusnéanu. 

]Mais  les  Moldaves  ne  tardèrent  pas  longtemps  à  s'inquiéter 
au  sujet  de  la  vraie  religion  de  leur  vayvode  Jean.  S'il  a  juré 
obéissance  au  patriarche  de  Consiantinople,  il  ne  peut  pas 
cacher  complètement  ses  vrais  sentiments  à  l'égard  du  protes- 
tantisme. Il  fonda  une  école  à  Coinàr,  endroit  à  moitié  ma- 
gyar et  à  moitié  saxon,  à  la  tête  de  laquelle  il  plaça  comme 
directeur  le  renommé  protestant  Sommer,  Le  gendre  de  Mé- 
lanc/iton,  Gaspar  Pencer,  ainsi  que  Joacliim  Rheticus,  le  savant 
cracovien,  y  professèrent  les  humanités. 

11  eut  aussi  le  tort  de  mettre  un  terme  aux  excès  polyga- 
miques  de  ses  sujets.  S'attribuant  la  faculté  déjuger  en  dernier 


186        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
ressort  dans  les  procès  de  divorce,  il  sévissait  avec  une  sévé- 
rité extrême  contre  tous  les  coupables  de  bigamie.  Sommer, 
son  biographe,  prétend  qu'il  en  a  fait    exécuter  six  en  une 
heure. 

D'une  part,  ayant  éveillé  les  soupçons  du  clergé  orthodoxe  et, 
de  1  autre,  s'étant  attiré  la  haine  des  libertins,  il  combla  la  me- 
sure de  ses  fautes  aux  yeux  de  ses  boyards  par  so  n  mariage 
avec  la  fille  du  geôlier  protestant  de  Cracov/e,  nommé  Zbo- 
rovs/iv-  Livrer  au  sultan  Schreiber,  le  colporteur  des  imprimés 
des  protestants,  ne  pouvait  plus  changer  l'opinion  publique  en 
sa  faveur.  Aussi,  dès  qu'on  s'aperçut  qu'il  avait  congédié  ses 
généraux  Széhely  et  Rousse/,  on  conspira  d'abord  contre  ses 
partisans  —  on  empoisonna  l'évéquc  Lmsinsky  —  ensuite 
contre  Jc<(ii  lui-même. 

Il  se  répand  en  Mo/davic  tout  à  coup  le  bruit  d  une  invasion 
des  Jdvtares.  Alors  le  vayvode  envoie  incontinent  à  la  frontière 
ses  trois  cents  cavaliers  magyars,  encadrés  de  plusieurs  milliers 
de  Moldaves,  mais  ils  ne  trouvent  nulle  part  trace  des  enva- 
hisseurs. Campés  ensemble,  les  Magjars  sont  massacrés 
pendant  la  nuit  par  les  conspirateurs.  Le  lendemain,  ils  en- 
trèrent à  SziirsdVd,  où  résidait  Jean,  pour  y  attaquer  le  château 
vayvodal  et  pour  y  exterminer  tout  le  monde.  Ils  égor- 
gèrent la  veuve  de  Luzsinsky;  ensuite,  ayant  fait  périr  les  mar- 
chands étrangers  dans  la  ville,  ils  se  rendirent  kCotnâroix  ils 
détruisirent  l'école.  Les  élèves  furent  dispersés,  les  professeurs 
et  les  prêtres  assassinés.  Le  directeur  Sommer  ne  se  sauva 
qu'avec  grande  peine. 

Les  auteurs  roumains  ne  parlent  de  cette  école  que  dédai-- 
gneusement.  «  L'école  fondée  à  Cotnârpar  le  despote-vayvode 
en  I5G2,  dit  A.  Densusinno  (l),  dont  on  a  tant  parlé  chez  nous, 
était  une  école  étrangère  ayant  une  destination  religieuse.  Le 
despote  la  plaça  à  Cotnâr  parce  qu'il  y  avait  là  une  population 
étrangère  considérable  composée  de  Magyars  et  de  Saxons 
catholiques.  " 

C'est   avec    l'aide    de    la    I/oiii/ric  que   le    vayvode  Jean  est 

(I)  hloria   tiinbel  si  lileruturci  romane.  Editiiineu  a  doua.  .lasi.    IS94-,  p.   l-î3 
et  134. 


LIVRE   DEUXIÈME  18^7 

monté  sur  le  trône  delà  Moldavie,  c'est  dans  un  endroit  habité 
par  des  Magyars  et  des  Saxons  qu'il  a  fondé  la  première  école 
sur  le  territoire  moldave,  donc  c'est  sous  l'égide  magyare  qu'il 
a  allumé  le  flambeau  de  la  civilisation  occidentale  en  pays 
roumain.  On  l'a  éteint  par  ressentiment  religieux,  préférant 
l'obscurantisme  slave  à  la  lumière  des  idées  occidentales,  dont 
la  propagation  en  Orient  était  de  tout  temps  un  devoir  sacré 
pour  la  Hongrie.  Des  actes  semblables  à  la  destruction  des 
écoles  de  Cotnàr  font  que  les  Roumains  restent  étrangers  à  la 
commotion  intellectuelle  produite  par  la  Réforme.  Or  c'est  la 
participation  aux  mouvements  intellectuels  engendrant  le 
progrès  de  V Humanité  qui  rattachent  les  moindres  aux  grandes 
nations,  et  non  pas  l'origine  commune  ou  la  parenté.  La  race 
magyare  a  incontestablement  une  origine  asiatique,  mais  elle 
est  attachée  par  tout  son  passé  millénaire  à  rOccident,  car  il  n'y 
a  pas  d'appel  intellectuel,  moral  ou  esthétique  adressé  kV  Europe 
qui  n'ait  trouvé  dans  son  sein  un  écho  des  plus  sympathiques. 

Dix-huit  ans  après  la  mort  du  despote-vayvode,  c'est  un 
autre  aventurier  qui  monte  sur  le  trône  de  la  Moldavie.  Janco 
Sasu  ou  Joan  Lutéranal  se  fait  passer  pour  un  fils  naturel  de 
Pierre  Rares,  mais  en  réalité  il  e&t  Saxon,  comme  son  nom  l'in- 
dique. «  Le  vayvode  Janco  commit  beaucoup  de  méfaits  pen- 
dant son  règne,  dit  Miron  Gostin,  de  qui  tout  le  pavs  se  détourna 
avec  dégoût,  car  il  n'aima  pas  la  vraie  religion.  »  En  effet  on 
sait  pertinemment  que  le  compétiteur  du  vayvode P/er;e  Schio- 
poul  avait  aussi  des  velléités  de  propagande  en  faveur  du 
protestantisme  et  peut-être  eussent-elles  été  couronnées  de 
succès  s'il  ne  s'était  pas  rendu  odieux  à  cause  de  sa  vie  dissipée 
et  de  ses  extorsions,  et  si  le  roi  de  Pologne,  Etienne  Bàihory.^ 
ne  l'avait  pas  chassé  de  la  vayvodie  au  bout  de  trois  ans. 

Ce  furent,  au  contraire,  les  Turcs  qui  chassèrent P/er?e6'cAîo- 
poitl  après  que,  pour  la  quatrième  fois,  il  eût  pris  possession  du 
trône  moldave.  Alors  commença  sa  mise  à  l'enchère  à  Constanti- 
nople.  Mihnéa  offre  30,000  ducats,  un  autre  500,000  écus, 
un  Juif  nommé  Manole  600,000.  Mais  Âron  l'emporta  car  il 
promit  un  million,  dont  il  a  payé  la  moitié  au  comptant, 
l'ayant   emprunté  à  des  riches  marchands  grecs,  turcs  et  juifs. 


188         M  AGVAlîS    ET    IK  »  T  M  A  IIS  S    DEVANT    L'IlISTOlllE 

u  Voilà  comment  lut  mis  à  renchère  le  pays  de  Stefan 
cel  mare!  —  s'écrie  1  auteur  d'un  livre  scolaire  1).  D'ailleurs 
on  considéra  toutes  les  deux  vayvodies  comme  propriétés  ap- 
partenant aux  esclaves  du  sultan,  puisqu'il  héritait  de  leur 
fortune.  On  ne  savait  jamais  quel  était  le  tribut  payé  par  l'État, 
car  il  saujjmeulait  tous  les  ans...  Les  vayvodes  n'étaient  que 
des  espèces  do  mercenaires,  qui  n'étaient  au  trône  que  pour 
encaisser  le  tribut,  mercenaiics  (|ui  se  précipitaient  du  trône 
mutuellement  pour  mieux  satisfaire  la  soif  d'or  des  Turcs,  à 
qui  il  fallait  paver  au  moins  200, 000  ducats  à  chaque  avène- 
ment au  trône.  » 

"  I"]t  la  Moldavie  devenait  un  désert  par  suite  des  incursions 
dévastatrices  des  Tartares,  des  Turcs  et  des  Cosaques,  et  à  cause 
des  famines  et  des  ravages  des  pestes  fréquentes.  La  misère  y 
était  si  grande  que  quand  le  roi  de  Pologne,  Etienne  IJâlhory,  la 
traversa  en  lôTCî,  le  vayvode  Pierre  Schiopoul  ne  pouvait  lui 
envoyer  que  du  pain  bis  vendu  très  cher.  En  écrivant  au  grand 
vizir  deux  ans  plus  tard,  ce  même  roi  raconte  que  la  situation 
de  la  Moldavie  était  devenue  tellement  précaire  que  des  vo- 
leurs ordinaires  y  montent  au  trône  vayvodal.  " 

Et  ce  qui  se  passe  en  Vidachic  à  cette  ('poque  n'est  guère  plus 
édifiant.  Dans  les  soixante-quatre  ans  qui  s'écoulent  de  la  mort 
de  Ihidn  de  ht  Ajumati  jusqu  à  l'avènement  du  célèbi'e  Mic/n-l 
le  Bi'diw  [de  J520  à  1503),  dix-neuf  a  ayvodes  y  occupent  suc- 
cessivemeut  le  trône.  ])nrmi  lesquels  deux  seulement  ne  meu- 
rent pas  de  mort  violente,  luidu  Cdluqantl  régna  douze  ans 
(ir>;i4à  ir»i()),  mais  étant  tombeau  pouvoii*  des  7'//rc.s,  il  termina 
ses  jours  dans  un  couvent  de  la  Palcsiinr.  Son  successeur  J/Z/rc^^ 
Cwbdinil  [lôAd  à  1552),  fds  de  Bodii  do  la  Afumati,  était  ber- 
ger dans  les  Bolkaiis  avant  de  devenir  vayvode.  Il  finit  égale- 
ment en  captivité  à  Conslantitwple.  Pclrasco  le  remplaça  avec 
avantage,  mais  il  mouiut  enq^oisonné  (1557),  laissant  trois  fils 
dont  l'aîné  i'ul  J'iene  Cerctd  (1583  à  158G),  homme  religieux, 
mais  pusillanime  que  les  vicissitudes  de  la  politique  conduisi- 
rent à  Venise  où  il  usa,  mais  en  vain,  même  de  la  médiation  du 

(1)  T0CII.KSC0,  Istoiia  româiid.  n,  lit. 


LiVRE   DEUXIEME  189 

roi  de  France  auprès  du  sultan  pour  ressaisir  le  pouvoir. 
Mihnéa  donna  700,000  piastres  pour  le  trône  vayvodal  (1585  à 
15t)0  ,  mais  il  ne  put  le  conserver,  car  Stéphan  Sui-dul  l'achète 
pour  500,000  ducats  (1590  à  1592).  Alors  Mihnca  devient 
mahométanet  promet  au  sultan  la  conversion  au  mahométiûme 
de  tous  ses  compatriotes,  mais  il  tombe  comme  bey  à  la 
bataille  de  Tirgovisic  en  disputant  le  pouvoir  au  héros  roumain 
Michcl-Viitûizitl,  dont  le  souvenir  est  pieusement  gravé  dans  la 
mémoire  du  peuple  roumain  et  dont  on  peut  admirer  la  statue 
équestre  sur  une  des  plus  belles  places  de  Bucarest  ! 

C'est  à  la  même  époque  — exactement  en  1557  —  que  Ton 
rencontre  en  Transylvanie  les  premiers  indices  d'une  organi- 
sation hiérarchique  de  l'Eglise  grecque  orientale,  car  ce  fut 
dans  cette  année  que  la  reine  Isabelle  confirma  l'évèché  de 
l'igunien  —  du  prieur  —  du  couvent  de  Felso-Diod.  Jusque-là 
il  est  impossible  d'y  constater,  à  1  aide  de  documents  authen- 
tiques, l'existence  du  haut  clergé  orthodoxe,  ou,  selon  l'expres- 
sion de  Bariiio  :  «  il  nous  est  impossible  de  savoir  si  le  clergé 
roumain  grec-oriental  jouait  un  rôle  quelconque  en  Transyl- 
vanie avant  la  Réforme.  " 

En  ce  qui  concerne  les  Roumains  de  la  Homjrie,  il  y  a  quelques 
documents  du  xiv^  et  du  xv'  siècle  qui  se  rapportent  au  règle- 
ment de  la  situation  de  leur  clergé  Une  lettre  à  Antoine,  pa- 
triarche de  Consianiino(jle,  datée  de  1391  et  citée  dans  un  res- 
crit  de  Vladislas  II  (1  494i,  nomme  Paconie  à  la  fois  if/umen  du 
couvent  de  Saint-Michel,  fondé  par  le  vay  vode  Balitza  et  par  son 
père,  maître /^/v/^Oi, — etera/vy^edetous  les  fidèles  dépendant  du 
couvent  et  de  ceux  habitant  en  Szilâgy,  à  Erdôd,  dans  Ugocsa, 
dans  Ungbereg,  à  Csicsô,  à  Bàlvànyos  et  à  Biszira .  «  Après  la  mort 
de  Pacome,  Balitza  et  Dragos  auront  le  droit  —  d'accord  avec 
les  moines  —  d  élire  un  nouvel  iguinen,  qu'ils  vénéreront  égale- 
ment comme  un  igumen  du  patriarche.  "  Donc  c  est  Y igumenat 
que  prend  pour  point  de  départ  de  son  développement  la  hié- 
rarchie orthodoxe  aussi  bien  en  Hongrie  qu'en    Transylvanie. 

En  1  479,  le  roi  Maihias  exempte  le  clergé  roumain  de  Mar- 
niaros  du  payement  de  tout  impôt  sur  la  demande  du  métropo- 
lite de  Belgrade,  nommé  Jovanychik.  Et  comme  on  appelle  en 


190  MAGYARS  ET  IlOCMAliNS  DEVANT  L'HISTOIRE 
roumain  Gynlafclicrvàr  pareillemenl.  Belgrade,  les  historiens 
ecclésiastiques  roumains  n'hésitent  pas  à  revendiquerce  métro- 
polite pour  leur  compte,  feijrnant  d'ijjnorerla  tournure  serbe  du 
nom  Jovanychili  et  supposant  que  le  fils  du  glorieux  vainqueur 
(le  Belgrade  en  Serbie,  se  fût  servi  du  même  nom,  connu  des 
Roiiniains  seuls,  pour  désigner  une  autre  ville. 

Et  limportancc  de  I  église  roumaine  n  est  pas  beaucoup  plus 
considérable  en  Transybumie  même,  à  la  fin  du  xvf  siècle, 
puisque  le  traité  conclu  le  25  mai  1595  enive  Sigismond  Bàiltory 
et  le  vayvode  Michel,  où  cependant  celui-ci  reconnaît  pour 
maître  le  souverain  de  la  Transylvanie,  contient  le  passage  sui- 
vant :  "  Son  Altesse  Sérénissime  —  c'est-à-dire  Sigisntond  — 
maintiendra  tous  les  ordres  ecclésiastiques  et  monastiques  ainsi 
que  ceux  des  caloyers  dans  leurs  anciens  us  et  coutumes,  rites, 
cérémonies  et  privilèges,  ils  pourront  aussi  librement  toucher 
tous  leurs  revenus.  Car  toutes  leséglises  valaques  sises  dans  les 
possessions  de  Son  Altesse  seront  sous  la  juridiction  et  à  la 
disposition  de  l'archevêque  de  Tirgoviste  (qui  se  trouve  en 
Valachie),  toutefois  en  tenant  compte  du  droit  ecclésiastique 
et  des  règlements  de  ce  royaume  (la  Transvlvanie)  et  elles  pour- 
ront encaisser  leurs  revenus  usuels  et  ordinaires  (1).  " 

Il  appert  de  ce  document  que  l'église  roumaine  de  la  Tran- 
sylvanie dépendait  du  métropolite  de  la  Valachie  ou,  comme  il 
s  appelait  officiellement:  de  VUngro-\  alachie.  En  énumérant 
les  droits  et  les  devoirs  de  celui-ci,  le  »  Pravila  biscrecésca  " 
indujue  clairement  que  c'est  à  lui  aussi  de  consacrer  les  évêques 
de  Transylvanie.  Et  de  quelle  époque  date  la  fondation  du  siège 
de  ce  métropolite?  Du  temps  du  vayvode  Alexandre  Basarah,  car 
c'est  en  1350  que  le  patriarche  et  le  svnode  lui  envoient,  sur 
sa  demande,  Hyacinthe,  le  métropolite  de  Vitzinès,  afin  qu'il  ait 
aussi  un  véritable  pasteur.  Ce  métropolite  dépend  directement 
du  patriarche  qui  prévient  le  vayvode  qu'il  faudra  s'adresser 
de  nouveau  à  lui  ou  à  ses  successeurs,  si  l'on  veut  avoir  un 
autre  métropolite  après  la  mort  de  Hyacinthe. 

En  Moldavie,  les  fidèles  de  religion  grecque-orientale  appar- 

(1)  Pn\Y,  Dissertativnes  historico-criticœ.  Vienna  17/4,  p.  140  et  141 


LIVRE    DEUXIEME  191 

tenaient  à  révêclié  de  Halics,  dépendant  du  métropolite  russe 
de  Kiev.  Prenant  en  considération  Taccroissement  considérable 
delà  population  de  la  vayvodie,  celui-ci  nomme,  en  1  395,  deux 
évéques  pour  la  Moldavie,  doiitTun  appelé  yo^é-^;// est  ori^jinaire 
du  pays.  Mais  le  patriarche  de  Constantinople  '^uge ces  nomina- 
tions comme  attentatoires  à  ses  droits.  Il  excommunie  donc  les 
nouveaux  évéques  et  il  envoie  dans  leurs  diocèses  le  protopope 
Pierre  pour  y  pourvoir  aux  fonctions  épiscopales,  la  consécra- 
tion des  prêtres  exceptée.  D'autre  part  un  évéque  serbe,  nommé 
Jérémie,  y  apparaît  aussi.  Alors  Alexandre,  le  nouveau  vayvode 
moldave,  s'adresse  directement  au  patriarche  (1  401)  et  lui  de- 
mande la  confirmation  dudit  Joseph,  son  parent,  —  demande 
à  laquelle  le  patriarche  obtempère  d'autant  plus  aisément, 
qu'entre  temps  Jéréinie  est  devenu  archevêque  de  Trnovo,  lais- 
sant la  population  sans  pasteur.  Ce  sont  deux  membres  du  haut 
clergé  qui,  envovés  par  le  patriarche  à  cet  effet,  consacrent 
Joseph  et  donnent  à  la  vavvodie  moldave  une  organisation  reli- 
gieuse complétée. 

Eu  face  de  ces  faits  avérés,  dont  les  moindres  circonstances 
sont,  comme  on  le  voit,  fidèlement  racontées  par  les  documents 
authentiques,  l'historiographie  ecclésiastique  roumaine  ne  sait 
donner  aucune  preuve  convaincante  en  faveur  de  l'existence, 
antérieure  au  xv^  siècle,  de  l'Église  roumaine  en  Transylvaine. 
Elle  dépendait  du  métropolite  de  la  Valachie,  dont  la  création 
ne  date  que  de  1359;  donc  à  ce  moment  elle  devait  se  trouver 
dans  un  état  encore  bien  embryonnaire^  pour  dépendre  d'un 
métropolite  aussi  récent  et  étranger.  Mais  si  l'église  roumaine 
de  la  Transylvanie  ne  remonte  pas  à  l'époque  de  la  conquête  ro- 
maine, que  deviennent  l'origine  et  la  continuité  daciques?  Ce 
sont  elles  qu'essaient  de  sauver  les  ^SmAai',  les  Claino  eiles  Popea 
quand  ils  créent  avec  plus  de  fantaisie  que  de  bonne  foi  plu- 
sieurs séries  de  métropolites  transylvaniens.  Le  célèbre  traduc- 
teur de  la  Bible  en  langue  gothique,  Ulphilas  y  figure  avec  ses 
successeurs  Sevinas  et  Ulinas,  malgré  qu'ils  soient  ou  fonda- 
teurs de  la  litérature  allemande,  ou  conseillers  des  rois  Goths. 
Comme  il  y  a  deux  évéques  venant  des  àe\x\Dacies  qui  assistent 
au  quatrième  concile  œcuménique  (451)  et  comme  un  autre, 


192       MAGYAUS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
nommé  Paul,  ayant poiirdiocèse les  mômes  pays,  est présentaii 
cinquième,   ils  en   font   tranquillement  des  métropolites  rou- 
mains sans  s'inquiéter  de  leur  nationalité  ou  de  celle  de  leurs 

fidèles. 

Si  du  I/i(iroi/i('iis,  (pie  Bolosiides  et  Gjlds  ont  amené  avec  eux 
de  Coii.sintiiitioole  an  \"  siècle  ils  font  aussi  un  évéque,  ce  n'est 
qu'un  demi-mal,  car  il  pouvait  l'être  très  facilement.  Mais 
iVi\\)Vcs  Saniiirl('lni)io{[)  "le  roi  Etienne  permit  aux  Roumains 
d  élite  un  autre  évéfpie  [)()in'  remplacer  llyérothéus.  Ce  fut  1  ar- 
chevêque d'Arj'ès  qui  consacra  cet  évéque  nouvellement  élu.  " 
Or  ce  qui  précède  dit  assez  clairement  qu'il  n'y  avait  pas  alors 
d'archevêché  à  Argi's^  et  C/ai'no  et  assez  prudent  pour  ne  pas 
donner  le  nom  de  cet  évéque  nouveau.  Depuis  1348  jusqu'à 
l()2()  il  y  a  déjà  une  suite  ininterrom[)ue  de  métropolites  tran- 
sylvaniens, si  l'on  croit  à  ce  même  r/^/?/<o  qui  les  énumère  avec 
un  imj)erturl)ahle  sanj;-IVoid  et  dont  les  indications  sont  très 
sérieusement  corri.j],ées  et  redressées  par  Popea  et  Cijxtno. 

"  Où  était  le  siège  de  cette  métropolie,  écrit  ce  même  i*o/;ea, 
nous  ne  pou\  ons  pas  le  savoir  pertinemment  laute  de  documents 
historiques.  Mais  si  nous  considérons  Ihisloire  et  les  preuves 
que  nous  avons  avancées  dans  ce  livre,  nous  pouvons  affirmer 
avec  cerlitiide  que  le  siège  de  cette  métropolie  était  depuis 
llyérothèusjusqu'à  sa  suppression  Gyulafeliérvàr —  On  ne  peut 
pas  parler  avec  autant  de  certitude  des  temps  (|ui  précèdent 
llyérothéus  car  on  ne  possède  aucune  donnée  positive  de  ces 
époques  et  on  ne  peut  que  se  fier  aux  réilexions.  Mais  précisé- 
ment en  se  basant  surces  réflexions  approfondies,  nous  pouvons 
certifier  (pie  le  siège  de  la  métropolie  transylvanieiine  était 
G\ulafehérvâr  dans  les  époques  antérieures  à  llyérothéus.  » 
Oenre  de  conclusion  qui  a  été  si  bien  exprimé  pour  tous  les 
siècles  et  pour  Ions  les  endroits  dans  la  célèbre  phrase  que 
Molière  luct  dans  la  bouche  de  Sr/ditait-llc  :  u  Voilà  justement 
ce  qui  fait  que  votre  fille  est  muetle.  » 

Pour  ne  pas  croire  à  rinq)ortance  de  l'église  roumaine  dans 
la  Transf/i'iniie  de  cette  époque,  il  suffit  d'ailleurs  de  se  rap- 

(1^  N,  l'oPKV,    Vcchid  nictropolKt  orthodoxa  loiiiaïui  a    iramlyvanici.  Sabliiiu. 

1870. 


LIVRE   DEUXIÈME  193 

peler  les  conditions  brillantes  où  se  trouvaient  alors  les  églises 
nationales  des  deux  vayvodies  roumaines.  «  Gomme  en  Italie, 
dit  M.  Jon  Bogdan,  le  savant  professeur  de  l'Université  de  Buca- 
rest, où  c'étaient  les  Grecs  fuyant  devant  les  Turcs  qui  provo- 
quaient la  renaissance,  le  renouveau  des  études  classiques  et 
des  arts  antiques,  ainsi  jetaient  chez  nous  les  Bulgares,  réfugiés 
et  fixés  dans  les  cours  vayvodales  et  dans  les  couvents,  la  base 
de  cette  littérature  roumano-bulgare,  par  laquelle  nous  étions 
dominés  depuis  le  xiV  jusqu  au  xvii''  siècle.  Les  couvents  de 
la  Yalachie  et  de  la  Moldavie  ne  conservaient  pas  seulement  ce 
qui  avait  été  créé  antérieurement  par  les  Bulgares,  puisque 
c'est  dans  nos  manuscrits  que  subsistent  les  chroniques  bul- 
gares, mais  ils  ont  fait  faire  des  progrès  aussi  à  la  littérature 
et  à  1  art  bulgares  en  même  temps.  Ce  sont  les  Roumains  qui 
ont  perfectionné  l'écriture  cyrillique  également  ;  car  on 
trouve  dans  nos  couvents  des  manuscrits  plus  beaux  que  ceux 
venant  de  la  Bulgarie,  qui  ne  peuvent  pas  leur  être  comparés. 
Ce  sont  les  Roumains  encore  qui  ont  perfectionné  la  miniature 
et  la  peinture  des  »  ikon  '  ,  l'architecture  religieuse  et  l'art 
décoratif.  >> 

De  ce  renouveau  scientifique,  de  cette  renaissance  artistique 
on  ne  rencontre  aucune  trace  en  Transylvanie^  parce  que  le 
roumanisme  n'y  était  pas  assez  avancé  pour  fournir  un  terrain 
avantageux  au  développement.  Là  les  Roumains  se  montrent, 
au  contraire,  tellement  inférieurs  aux  trois  autres  nations,  que 
celles-ci  les  tiennent  en  tutelle.  Mais  elles  sont  loin  d'être  ma- 
râtres, comme  le  prouvent  plusieurs  dispositions  législatives  des 
"  Approbatee  Constitutiones  regni  Transylvanie  »  .  On  lit  no- 
tamment à  la  Pars  I ,  titulus  VIII,  articulas  I  : 

tt  Quoique  la  nation  roumaine  ne  soit  pas  comptée  parmi  les 
États  de  ce  pays  et  que  sa  religion  ne  figure  pas  parmi  les  reli- 
gions reçues  (1),  — propter  regni  emolumentum,  — jusqu'à  ce 
qu'on  la  tolère,  voilà  à  quoi  doit  se  conformer  sou  clergé. 
Qu'il  demande  du  souverain  un  évéque,  librement  élu  j)ar  les 
prêtres  roumains  et  qu'ils  trouvent  apte  pour  la  fonction;  il 

(1)  Les  religions  reçues  étaient  :  la  religion  catholique,  calviniste,  luthérienne, 
et  unitarienne  (socinienne  . 

J3 


194       MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
sera  confirmé  par  le  souverain  s'il  le  juge  convenable  au  point 
de  vue  des  conditions  exigibles,  en  ce  qui  concerne  la  fidélité 
envers  le  souverain,  le  bien  du  pays  et  les  autres  choses  néces- 
saires. » 

D'autre  part  voilà  la  décision  prise  par  la  diète  de  1591  et 
inscrite  au  huitième  article  du  titre  premier  de  la  première 
j)artie  de  ces  «  Approbatu'  »    : 

«  Il  a  été  décidé  que  personne  ne  se  permettra  de  ramener 
à  sa  religion  soit  par  violence,  soit  par  menace  de  punition,  ni 
les  communes  ni  les  serfs  ou  leurs  familles  qui  sont  sous  ses 
ordres.  11  ne  faut  pas  non  plus  que  le  seigneur,  étant  d'une 
autre  religion,  s'empare  de  l'église  de  la  commune  ou  de  la 
ville,  ni  qu'il  leur  impose  des  prêtres  d'une  autre  religion,  ni 
qu'il  fasse  célébrer  par  le  prêtre  de  sa  religion  des  services 
divins  à  certaines  occasions  sub  owna  de  deux  cents  florins  «  . 


CHAPITRE  IX 


LE    VAYVODE    MICHKL    LE    liRAVE. 


Si  la  carrière  brillante  et  mouvementée  du  héros  légendaire 
des  Roumains  est  assez  extraordinaire  pour  attirer  l'attention 
de  quiconque  s'intéresse  à  l'histoire,  elle  est  particulièrement 
précieuse  au  point  de  vue  du  but  de  l'ouvrage  présent,  des- 
tiné à  révéler  le  vrai  caractère  des  relations  magyaro-rou- 
maines.  Car,  quoique  type  du  Roumain  pur,  certainement  du 
Roumain  du  passé  seulement,  — Michel  le  Brave  appartient  aux 
annales  de  la  Hongrie  aussi,  tant  à  cause  de  ses  actes  les  plus 
importants,  concernant  presque  exclusivement  les  affaires  de 
la  Transylvanie,  qu'à  cause  de  son  entourage  et  de  son  armée, 
où  l'élément  magyar  était  prépondérant  et  dont  il  subissait 
l'influence  salutaire  avec  profit  dans  les  jours  les  plus  glorieux 
de  son  existence,  en  somme  assez  courte.  D'un  courage  frisant 
la  témérité,  d'une  intelligence  supérieure  comprenant  à  la  fois 
les  secrets  de  l'art  de  la  guerre  et  des  combinaisons  diploma- 
tiques, ayant  même  de  la  sensibilité,  indice  sûr  d'un  cœur  géné- 
reux, c'était  un  personnage  complexe  dont  la  vie  n'était 
éclairée  par  aucune  idée  élevée  patriotique,  rehgieuse  ou 
humanitaire,  et  qui  n'agissait  conséquemment  que  dans  l'inté- 
rêt de  son  ambition.  Or  n'ayant  qu'elle  pour  guide,  il  ne  pou- 
vait atteindre  qu'une  célébrité  éphémère  sans  laisser  une  œuvre 
durable  et  devait,  au  contraire,  mécontenter  successivement 
tout  le  monde  sans  se  créer  des  partisans  fidèles,  ayant  les 
mêmes  enthousiasmes,  inspirés  par  le  dévouement  à  une  même 
cause  sacrée.  Aussi  sa  chute  était-elle  inévitable,  chute  dépour- 
vue de  grandeur,  indigne  d'un  homme  de  guerre,  dans  laquelle 
on  retrouve  une  fois  de  plus  la  main  redoutée  de  la  justice 
immanente,  boiteuse  mais  infatigable,  au  coup  dœil  juste, 
quoique  ayant  les  yeux  bandés.  Criminel  par  ce  qu'il  a  fait  et 
plus  criminel  encore  en  ce  qu'il  a  voulu  entreprendre,  Michel 


|'.)0        MA(;VAi;S    VA     l'.ÔUMAlNS    DEVANT    L'HISTOIRE 

n'a  pour  excuse  que  sa  fin  prématurée  Tempêchant  de  se  mon- 
der meilleur  dans  ses  vieux  jours  et  de  prendre  une  attitude 
nette  après  d'incessantes  tergiversations.  Tel  quil  est,  ce 
uest  pas  un  grand  liomme  roumain,  mais  une  individualité 
peu  patriote  et  peu  liuuiaine,  ayant  eudetrès  grandes  qualités 
militaires  et  politiques,  (juil  n'a  employées  qu'au  service  de 
ses  projets  personnels,  restés  problématiques  parce  qu'ina- 
chevés. 

Michel  était  le  troisième  fils  du  vayvode  Petrasco,  mais  il  a 
dû  être  un  enfant  naturel,  car,  d'après  son  biographe  Szanios- 
hozi,  sa  mère  vendait  de  l'eau-de-vie.  Il  s'occupa  d'abord  de 
commerce  lui-même  aussi,  mais  avec  peu  de  succès.  Il  en  eut 
plus  comme  épouseur  quand  il  obtint  la  main  de  Stanca ,  la 
nièce  de  Domhromir  Creiz/i/csco,  le  bàn  de  CraTova.  Par  sa 
jeune  femme  intelligente,  Michel  conquit  à  la  fois  fortune  et 
honneurs,  car  elle  avait  un  oncle  maternel,  Jane  Caniacotino, 
très  riche  et  très  influent,  qui,  devenant  bàn  de  CraTova  après 
la  mort  de  Creizulesco,  ne  tarda  pas  à  donner  au  mari  de  sa 
nièce  la  direction  du  district  de  Mehedincz,  en  lui  permettant, 
à  son  tour,  de  révéler  ses  facultés  multiples.  Aussi  le  vayvode 
Mihnéa  le  nomma-t-il  successivement  conseiller  «  stolnik  »  et 
«  grand  aga  "  ,en  le  plaçant  à  la  tète  de  toute  son  armée.  En 
151)0,  Joue  CanUicozino  est  envoyé  à  Constantinople  pour  y  uti- 
liser ses  grandes  relations  en  faveur  des  affaires  de  la  vayvo- 
die;  alors  Michel  lui  succède  dans  sa  charge  de  bàn  de  CraTova 
et  devient  aiusi  le  premier  dignitaire  de  son  pays. 

Les  quelques  années  qu'il  passa  dans  cette  situation  lui  per- 
mirent d'acquérir  de  la  popularité  et  de  l'influence  que  sa 
qualité  de  fds  de  vayvode  augmenta  considérablement.  De  là 
la  jalousie  du  nouveau  vayvode  Alessandro  Bogdan  qui  n'hésite 
pas  à  embaucher  des  spadassins  à  son  intention.  Ayant  eu 
vent  de  ce  plan  homicide,  Michel  prit  clandestinement  le  che- 
min de  Constantinople,  mais  il  fut  arrêté  par  les  hommes  du 
vavvode  qui  le  conduisirent  ii  Bucarest.  Là  il  est  condamné  à 
mort.  Mais  quand  on  le  mène  au  supplice,  "  il  arrive  que  le 
bourreau  tsigane  se  trouve  être  fortement  pris  de  boisson. 
Cependant  on  le  pousse  sur  l'échafaud  pour  couper  le  cou  au 


LIVHE   DEUXIÈME  197 

condamné.  Quand  le  tsigane  voit  qu  il  s'agit  de  Michel,  il  prend 
peur  et  comme  il  est  en  même  temps  ivre  aussi,  il  tait  tomber 
le  glaive,  s'enfuit  et  court  en  tout  sens.  Voyant  qu'il  n'y  avait 
personne  pour  procéder  à  la  décapitation  de  Michel,  les  boyards 
assiégèrent  incontinent  Alessandro  pour  lui  demander  sa  grâce 
Ce  fut  ainsi  que  Dieu  le  sauva  (  l)  "  . 

Ayant  recouvré  sa  liberté,  Michel  retourna  à  Cinïova,  mais 
ne  s'y  sentant  pas  en  sûreté,  il  se  réfugia  bientôt  en  Transyl- 
vanie avec  toute  sa  famille,  pour  se  mettre  sous  la  puissante 
protection  des  Bàthory.  Depuis  la  disparition  prématurée  de 
Jean-Sigismond,  mort  en  1571,  ayant  embrassé  la  religion  soci- 
nienne,  ceux-ci  prirent  dans  le  pays  l'ascendant  d'une  maison 
régnante.  A  vrai  dire,  ils  profitèrent  de  l'éclat  de  leur  nom  très 
honoré  par  suite  de  la  vavvodie  d'Etienne  Bàihory  "  le  boi- 
teux ))  ,  sous  Vladislas  II,  du  rival  d'Etienne  de  Szâpolya  et  du 
futur  palatin  de  Louis  II.  vSon  homonyme,  successeur  de  Jean- 
Sigismond,  ne  resta  vayvode  que  quatre  ans  qu'il  employa  au 
relèvement  de  la  Transylvanie,  car  il  fut  élu  roi  de  Pologne 
en  1575,  —  nouveau  lustre  pour  rehausser  encore  le  prestige 
de  la  famille  tout  entière.  De  là,  la  vayvodie  successive  de  son 
frère  aine  Christophe  et  du  fds  de  celui-ci,  nommé  Sigisînond, 
qui  prit  en  1593,  le  premier,  le  titre  de  -  prince  de  Transyl- 
vanie, de  Yalachie,  de  Moldavie,  et  du  Saint  Empire  i^  ,  titre 
qui  indique  clairement  le  but  de  la  politique  des  Bathory  visant 
la  création  d'un  nouveau  royaume  hongrois,  composé  des 
débris,  stratégiquement  insépa)-(ii>les,  de  l'ancien.  «  Ce  fut  donc 
l'ambition  inconsidérée  de  Bâthory,  dit  Balcesco,  qui  ouvrit  les 
yeux  des  Roumains,  en  leur  rappelant  que  le  royaume  de 
Dacie  est  leur  antique  patrimoine.  Ce  furent  donc  les  Magyars 
eux-mêmes  qui  éveillèrent  la  croyance  dans  un  royaume  de 
Dacie  futur  dont  ds  sont  maintenant  hantés  comme  par  un 
spectre  semant  l'effroi  '  .  Aveu  naif  qui  implique  à  la  fois 
l'absence  d'initiative  des  llouniains,  obligés  de  chercher  leurs 
idées  nationales  soi-disant  les  plus  importantes  chez  leurs  soi- 
disant  ennemis,  et  la  supériorité  du  coup  d  œil  militaire  des 

(J)  SZAMOSKOZI,  t.   IV,  p.  93. 


198  MAGYARS  HT  ROU\lAI?vS  DEVANT  L'HISTOIRE 
Magyars,  dëcouviaiit,  dès  le  xvi''  siècle,  le  lien  stratégique  (|ui 
réunit  la  Valachie  et  \aMold<ivie  à  la  Tninsylvanie.  Le  titre  tar- 
divement accepté  de  »  prince  de  Transylvanie  "  est  en  même 
temps  une  preuve  nouvelle  contre  les  tendances  séparatistes. 
La  Tr<nisylv<niic  faisait  tellement  partie  intégrante  de  la  Hon- 
grie qu'il  fallut  un  certain  temps,  même  à  ceux  à  qui  cela 
profitait,  pour  les  habituer  à  Tidée  de  son  indépendance. 

Au  point  de  vue  de  la  politique  étrangère,  les  Bâihory  étaient, 
en  fervents  catholiques,  naturellement  portés  vers  l'alliance 
autrichienne.  L'élève  des  Jc'stn'ics,  le  jeune  Sigisjnond,  n'avait 
guère  envie  de  frayer  avec  les  Turcs.  Du  reste,  la  puissance  de 
ceux-ci  ne  semblait-elle  pas  aller  en  diminuant,  tandis  que 
la  richesse  et  les  forces  de  la  Tnaisrlrainc  s'augmentaient  visi- 
blement? On  parlait  aussi  partout  d'une  grande  coalition  que  l'on 
devait  former  des  États  chrétiens  de  V Europe  pour  rejeter  les 
Turcs  en  Asie.  Et  à  Vienne  on  attachait  d'autant  plus  de  prix  à 
la  coopération  de  la  Transylvanie  qu'elle  assurait  d'avance 
l'éloignement  du  champ  des  opérations  militaires  dans  l'Orient 
lointain. 

La  seule  chose  qui  faisait  tache  dans  ce  tableau  assez  riant 
de  la  situation  de  la  Transylvanie  était  l'hostilité  constante  des 
Sicales  contre  les  Bâilau-y,  dégénérant  plusieurs  fois  en  muti- 
neries sanglantes,  réprimées  avec  sévérité.  Les  descendants 
directs  des  II  ans  ne  voulaient  pas  admettre  que  l'on  pût  leur 
imposer  des  contributions.  Classés  en  trois  ordres  :  en  princi- 
paux (primores),  en  le/es  de  cheval,  c'est-à-dire  cavaliers  (pri- 
mipili)  et  enfan/assins  (pedites,  pixidarii),  ils  se  considéraient 
tous  nobles  quoiqu'en  réalité  ils  ne  fussent  que  des  hommes 
libres,  exemptés  d'impôts  et  des  redevances  fournies  par  les 
serfs.  Le  droit  d'héritage  se  transmettait  chez  eux  sur  les  fdles 
uniques  aussi  qu'ils  appelaient  des  filles-garçons,  et  ils  avaient 
le  droit  de  monter  d'un  ordre  inférieur  dans  un  ordre  supé- 
rieur s'ils  |)ou^  aient  s'acquitter  des  charges  que  cet  ordre  supé- 
rieur exigeait.  L'appauvrissement  des  principaux  ou  des 
chevaliers  entraînait,  au  contraire,  leur  dégradation  dans  un 
ordre  inférieur.  Leur  organisation  primitive  et  originale,  leur 
caractère  opiniâtre,  rude,  leur  façon  de  penser  pleine  de  tours 


LIVRE    DEUXIEME  1-99 

inattendus  les  rendaient  particulièrement  insupportables  aux 
Bât/tory  raffinés,  imbus  des  idées  de  la  Renaissance,  ayant  pour 
modèles  les  Médicis  et  visant,  par  conséquent,  à  l'absolutisme 
plus  ou  moins  déguisé.  Ce  fut  cependant  Jean-Sigisinond  de 
Sz('i/)olj(i  qui  dépouilla  les  Sicules  de  leurs  franchises  (1562); 
les  Bâihoiy  ne  firent  que  les  leurrer  de  promesses  non  remplies, 
ce  qui  les  irrita  beaucoup  plus  peut-être  que  les  répressions 
cruelles  dont  ils  furent  les  victimes  soit  pour  avoir  pris  parti 
contre  Yladislas  //soit  pour  avoir  combattu  sous  Gaspard  Békes 
l'élection  d' Etienne  Bàthory,  après  la  mort  du  dernier  des  Szâ- 
polya. 

Cet  État  indépendant  de  la  Tiansylvam'e  n'était  toléré  par 
les  Habsbourg  qu'à  titre  provisoire;  car,  étant  les  possesseurs 
delà  couronne  de  saint  Etienne,  ils  se  considéraient  comme  les 
maîtres  légitimes  de  cette  ancienne  province  hongroise  :  autre 
preuve  en  faveur  de  la  légalité  de  son  union  présente  avec  la 
mère  patrie,  dont  la  réoccupation  leur  revenait  toujours  de 
droit.  Quant  à  la  Sab/ime-Porie,  elle  jouait  à  l'égard  de  la  Tran- 
sylvanie le  rôle  d'une  protectrice  plus  ou  moins  désintéressée, 
se  contentant  du  résultat  négatif  de  l'avoir  détachée  delà  Hon- 
grie et  ayant  l'espoir  de  la  maintenir  à  jamais  dans  l'orbite  de 
sa  politique  anti-autrichienne. 

Pour  indiquer  finalement  le  caractère  général  de  l'action 
et  des  acteurs  du  drame  que  l'on  voit  dérouler  devant  soi  en 
étudiant  la  biographie  de  Michel  le  Brave,  on  doit  se  rappeler 
que  le  théâtre  en  est  aux  confins  de  l'Orient  où  les  calculs 
savants  de  la  diplomatie  machiavélique  occidentale  et  les  roue- 
ries les  plus  audacieuses  des  peuples  à  moitié  sauvages  se 
combattent  dans  toute  leur  horrible  nudité.  Il  faut  donc  beau- 
coup d'indulgence  en  face  des  forfaits  monstrueux  auxquels 
on  assiste,  mais  qui,  restant  stériles  et  étant  presque  aussitôt 
punis,  n'offusquent  le  bon  sens  que  pour  peu  de  temps  et 
démontrent  la  vanité  de  toute  grandeur  dont  la  base  n'est  pas 
la  supériorité  morale  et  intellectuelle,  la  droiture  des  principes 
et  la  fidélité  à  la  foi  jurée. 

Au  moment  de  la  fuite  en  Transylvanie  de  Michel,  c'est-à- 
dire  en   1592,  Sigisniond  Bàihory  était  déjà  décidé  à  rompre 


203        MAGVAllS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOlllE 

avec  les  Turcs.  Et  il  voyait  même  un  auxiliaire  tout  incliqué  î 
contre  eux  dans  le  réfugié  roumain  brave  et  intelligent,  impé- 
tueux et  habile.  Usant  du  grand  crédit  qu'il  avait  alors  à  Cons- 
fnnti/ioplc  ,  il  écrivit  à  Sùian-Pficha,  ainsi  qu'à  Edouard  Bario- 
nus,  ambassadeur  d\iiig/<'!frir,  de  tout  tenter  en  faveur  de  la 
candidature  de  Miche/  au  trône  vayvodal  de  la  Valachic.  Muni 
de  ces  recommandations  précieuses,  Michel  partit  à  Constanti- 
7iople,  où  l'oncle  maternel  de  sa  femme,  Jane  ('aniaruzino,  le 
put  puissamment  aider  aussi.  Grâce  au  concours  de  trois 
hommes  tels  que  ce  dernier,  le  pacha  et  l'ambassadeur  susdit, 
le  sultan  destitua  Alexandre  Bogdan  et  le  remplaça  par  Michel, 
en  lui  donnant  une  escorte  de  deux  mille  janissaires  et 
spahis. 

"  En  acceptent  la  vayvodie  du  grand  seigneur,  dit  Szanws- 
kozy,  Michel  lui  promit  70,000  écus  d'annuité;  mais  ce  n'était 
qu'une  promesse  et  rien  de  plus.  Il  promit  aussi  à  Constan- 
tinoj)le  aux  pachas  d'acquitter  toutes  les  dettes  arriérées 
de  ses  prédécesseurs  :  chose  tellement  impossible  que  pour 
l'accomplir  il  aurait  fallu  qu'il  vendit  toute  la  population  de 
la  Valachie.  »  Il  n'y  avait  donc  de  salut  pour  Michel  q\ie  dans 
un  rapprochement  avec  Sigisinond  Buthory  et  les  puissances 
occidentales  et  dans  l'expulsion  de  ses  créanciers  turcs  de  la 
Valachie,  où  ils  étaient  venus  pour  v  faire  rentrer  leur  argent,  au 
besoin  mana  militari. 

Il  exécuta  son  plan  au  moven  d'un  coup  d'Etat  particulier. 
Dans  la  deuxième  année  de  son  règne  1501),  il  assembla  ses 
créanciers  turcs  sous  prétexte  de  les  paver,  -i  II  les  conduisit 
dans  une  maison  en  bois  et,  après  les  v  avoir  enfermés,  il  la  fit 
incendier  et  détruire  à  l'aide  des  obus  de  ses  canons.  »  C'était 
le  signal  de  l'extermination  detous  les  7'/n''.<  résidant  en  Vala- 
chie \  c'était  une  déclaration  de  guerre  lancée  à  \a  Sab/ime-Pcn-te 
et  la  coidirmation  de  I  alliance  avec  la  Iransylvanie.  »  Sigismond 
et  Michel  écrivent  au  vavvode  Aron  afin  qu'il  se  sépare  des 
Turcs  également...  Ils  lui  envoient  tant  de  lettres  de  menaces 
qu'il  fait  exterminer  tous  les  Turcs  dans  son  pays,  la  Moldavie,  à 
son  tour,  (  I  )  « 

^1^  S/.AMOSKOZY,  vol.  IV,  p    95  et  passiin. 


LIVRE    DEUXIKME  201 

Pour  agir  aussi  hardiment,  il  fallait  que  Michel  fût  bien  con- 
vaincu de  rexcellence  de  ses  forces  militaires.  Voilà,  à  cet 
égard,  les  appréciations  des  auteurs  contemporains  :  «  Dans 
l'armée  de  ce  vayvode,  il  y  a  en  dehors  des  Yalaques,  dont  la 
bravoure  a  été  reconnue  par  les  Turcs  depuis  le  temps  de  leur 
célèbre  chef  Dracula,  beaucoup  de  Hongrois  et  de  Transyl- 
vaniens, ensuite  quelques  Arnautes.  Grecs,  Bulgares  et  Serbes. 
Il  a  peu  de  gens  pourvus  de  fusil,  mais,  à  délautde  cettearme, 
les  Transylvaniens  et  surtout  les  Hongrois  se  battent  plus  vo- 
lontiers à  cheval  ayant  des  sabres  et  des  lances,  et  déployant 
énormément  de  courage  en  face  de  l'ennemi.  (1)  d 

Or  ces  Hongrois  et  ces  Transylvanii^ns  étaient  des  Magyars 
et  des  Sicules  non  pas  pour  grossir  le  nombre  des  simples 
soldats,  mais  pour  former  l'état-major  proprement  dit  de  l\li- 
chel,  pour  donner  des  chefs  à  ses  troupes  roumaines  elles- 
mêmes,  telles  que  ses  gardes  du  corps  appelés  des  beslia  à  la 
tête  desquels  il  plaça  Petnehàzy ,  ou  ses  artilleurs  qu  il  con- 
fia à  Albert  Kiiàly. 

Ayant  ainsi  complètement  réorganisé  son  armée,  Michel  dé- 
buta par  une  campagne  offensive.  Il  prit  Giourgévo  et  Flok  à 
l'embouchure  de  la  Jalonmitza  et  les  ayant  fait  raser  il  traversa 
\e  Danube  à  Hirsovo  le  l"  janvier  1595  et  il  réussit  à  battre  les 
Turcs  qui  y  hivernaient.  «  Le  brave  et  excellent  Albert  Kiraly 
promena  son  armée,  écrit  Balcesco,  à  ce  moment-là  avec  une 
rapidité  inouïe,  en  faisant  tout  détruire  par  le  feu  et  le  fer,  à 
travers  toute  la  Bulgarie.  Ayant  occupé  Sistovo,  Csernavoda, 
Rasgrade,  Babadag,  Oblusitza  il  avança  jusqu'à  la  mer  Noire  à 
l'embouchure  du  Danube  et  même  jusqu'à  Varna.  Ensuite 
il  traversa  les  montagnes  et  il  pénétra  au-delà  d'Andrinople 
presque  jusqu'à  Constantinople  après  avoir  dispersé  une  foule 
de  détachements  turcs  ou  tartares.  Puis  Kiraly  retourna  chez 
Michel  avec  son  armée,  n'ayant  jamais  été  battu  et  chargé  de 
butin  considérable.  » 

Et  la  supériorité  des  hommes  de  guerre  magyars  ne  s'est  pas 
manifestée  dans  les  qualités  militaires  seulement  pendant  cette 
campagne  d'hiver  si  célèbre.  Ils  ont  démontré  qu'à  côté  des 

(1)  LoRENzo  SoRANzo,  L'ottomuiio,  p.   147. 


202        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'U  ISTO I IIE 

Jiou mains  à  peine  dégrossis,  ils  étaient  les  représentants  des  sen- 
timents chevaleresques  des  peuples  civilisés.  Au  siège  de  Brada 
notamment,  ils  ont  sauvé  l'honneur  des  armes  chrétiennes.  Car 
ne  pouvant  plus  résister,  les  Turcs  avaient  consenti  enfin  à 
rendre  la  ville  le  30  mars  15;>5).  Mais  "  étant  natif  de  Brada, 
le  bon  Mihalcsa  ne  voulait  accepter  la  reddition  que  sous  la 
condition  que  les  Turcs  sortiraient  sans  emporter  leur  fortune 
mobilière.  Sur  les  instances  des  capitaines  hongrois,  il  accepta 
cependant  finalement  les  termes  de  la  capitulation  et  il  jura  même 
de  les  respecter.  Et  de  fait, les  Turcs  rendirent  la  ville  le  1 0  avril  et 
commencèrent  incontinent  à  l'évacuer.  Ils  placèrent  leurs  biens 
et  leurs  trésors  sur  des  bateaux.  Alors  les  nôtres,  lesRounuiins 
vovant  tout  l'argent  que  les  assiégés  avaient  et  même  de  1  or 
fondu,  et  aveuglés  par  la  passion  du  pillage,  par  laquelle  plu- 
sieurs d'entre  eux  étaient  dominés  au  grand  détriment  de  la 
subordination,  devinrent  parjures  et  se  jetèrent  sur  les  pauvres 
Turcs  en  dépouillant  les  principaux  et  en  en  tuant  même  quel- 
ques-uns. Témoin  de  cette  violation  de  la  convention,  le  tscba- 
ousse  Kara  s'écrie  :  «  Menteurs!  Quelle  est  votre  religion  pour 
vous  permettre  une  chose  pareille?  »  Albert  Kirâly  et  plu- 
sieurs officiers  de  ses  troupes  c'est-à-dire  des  troupes  hongroises, 
tirent  alors  leurs  sabres  afin  de  retenir  les  chrétiens  du  pillage 
des  Turcs  et  ils  en  tuent  même  les  plus  récalcitrants.  ^  Tel  est  le 
récit  de  fialcesco,  l'ennemi  acharné  des  Magyars,  au  sujet  de  cet 
incident  si  suggestif  pour  caractériser  les  deux  nations. 

Après  la  campagne  de  Bulgarie,  le  25  mai  suivant,  Michel  con- 
clut un  traité  avec  Sigismond  Binhory  dans  lequel  il  reconnaît 
ce  dernier  pour  son  maître  et  roi  et  il  lui  prête  le  serment  de 
vasselage.  Dorénavant  ce  sera  Sigisniond,  c'est-à-dire  le  prince 
sérénissime  de  Tiansylvanic,  qui  confirmera  le  vayvode  de  la 
Valachie  son  lieutenant  et  les  membres  de  son  conseil,  composé 
de  12  boyards.  Le  vavvode  ne  pourra  accorder  des  privi- 
lèges qu'au  nom  du  prince  qui  jugera  en  appel  les  procès 
entraînant  la  condamnation  capitale.  La  Valachie  enverra 
des  députés  aux  diètes  de  la  Transylranie.  C'est  là  que  l'on  vo- 
tera les  impôts,  dont  le  vayvode  devra  reiulre  compte  publi- 
quement. C'est  le  prince  qui  fixe  les  appointements  du  vayvode. 


LIVRE    DEUXIÈME  203 

Le  vayvode  n'emploiera  plus  clans  son  titre  l'expression  :  «  Dei 
gratia  "  ,  et  il  n'apposera  aux  documents  que  son  sceau  de  fa- 
mille, le  sceau  vayvodal  ne  pouvant  être  appose  que  par  le 
prince.  Les  employés  d'administration  dépendront  du  prince, 
et  non  pas  du  vayvode.  Le  vayvode  ne  pourra  pas  envoyer  des 
ambassades  à  l'étranger  à  l'insu  du  prince.  Par  contre,  celui-ci 
s'engage,  en  échange  de  toutes  ces  stipulations,  à  la  défense 
complète  de  Michel  et  de  son  pays. 

Balcesco  eut  beau  prétendre  que  ce  traité  était  l'œuvre  des 
boyards  et  des  caloyers  désireux  d'humilier  Michel  après  avoir 
vainement  essayé  son  éloignement  et  que  ce  fut  sa  situation 
malheureuse  qui  le  força  à  y  souscrire.  La  vérité  est  qu'il  le 
signa  le  lendemain  d'une  campagne  victorieuse  et,  s'il  était 
sous  le  coup  de  la  crainte  d'un  retour  offensif  des  Jures, 
il  ne  pouvait  en  arguer  l'imprévu,  puisque  ce  fut  lui  qui  com- 
mença les  hostilités  par  le  massacre  et  l'invasion.  II  faut  croire, 
au  contraire,  qu'il  l'accepta  de  plein  gré  soit  qu'il  ait  eu  l'in- 
tention d'en  remplir  les  clauses,  soit  en  ayant  même  une  ar- 
rière-pensée de  trahison.  Dans  le  premier  cas,  il  considérait 
les  avantages  que  l'amitié  et  la  protection  d'un  peuple  civi- 
lisé, instruit  et  courageux  pouvaient  lui  procurer;  les  preuves 
en  étaient  toutes  récentes.  Dans  le  second  il  ne  devait  pas  lui 
répugner  de  resserrer  les  liens  entre  le  pays  qu'il  possédait  et  la 
Transylvanie  qu'il  convoitait;  car  le  nouveau  traité  l'a  rendu 
en  quelque  sorte  sujet  hongrois,  conséquemment  éligible  pour 
toutes  les  fonctions  hongroises,  la  principauté  transylvanienne 
y  comprise.  Du  reste,  comme  c'était  avec  une  sollicitude  très 
tendre  qu'il  aimait  sa  famille,  il  se  peut  aussi  qu'il  ait  vu  dans 
ce  traité  une  garantie  pour  Favènement  régulier  au  trône 
vayvodal  de  ses  enfants  et  descendants. 

La  réédition  des  Vêpres  siciliennes  au  détriment  de  la  popu- 
lation turque  de  la  Valachie,  l'incursion  réussie  en  Bulgarie  des 
troupes  de  Michel  et  sa  soumission  complète  à  Sigismond  de- 
vaient forcément  déterminer  une  explosion  de  colère  chez  le 
sultan.  Aussi  envoyci-t-il  Sinane  pacha  avec  100,000  hommes 
dès  le  milieu  de  l'année  1595,  pour  attaquer  et  châtier  les  si- 
gnataires du  traité,  si  nuisible  à  ses  intérêts. 


20V       MAGYARS    ET    UOUMAl>iS    DEVAM    L'IllSTOIllE 

Avant  appris  lajjpioche  des  forces  turques,  Sigis»i(>n(I  ne 
tarda  pas  à  mettre  son  armée  sur  le  pied  de  guerre.  Il 
obtint  de  Tempereur  liodolphe  II  quinze  cents  hommes,  des 
munitions  et  des  subsides  en  argent.  En  Transylvanie  il  or- 
donna la  levée  générale,  et  il  fit  porter  à  travers  le  pays  des 
Sicules  un  glaive  ensanglanté  pour  indiquer  symboliquement, 
selon  la  coutume  des  Magyars,  que  la  patrie  était  en  danger. 
En  même  temps,  il  fit  tous  ses  efforts  en  vue  de  la  possession 
de  la  Moldavie.  Sachant  que  le  vayvode  Aron  n'était  pas 
enclin  également  à  imiter  l'exemple  de  Michel,  il  envoya  nu 
corps  d'armée  sous  la  conduite  de  (laspard  Komis  pour  le  des- 
tituer et  pour  le  remplacer  par  son  chef  militaire  Rezvane.  Il 
avait  d'autant  plus  de  raison  pour  se  fier  à  ce  dernier,  qu  il 
avait  fait  sa  belle  carrière  sous  Etienne  Bàihory  en  Pologne, 
malgré  son  origine  des  plus  humbles,  — il  était  le  fils  d'un  1  si- 
qane.  Voilà  donc  la  Transylvanie,  la  Valaehie  et  la  Moldavie 
réunies  sous  le  sceptre  de  Sigisnwnd,  formant  une  Dacie  hon- 
groise, centre  dune  coalition  européenne  contre  les  Turcs. 

En  dehors  des  Ilouniains,  Sigisnwnd  jeta  son  dévolu  sur  les 
Serbes  aussi.  Ceux  qui  habitaient  entre  le  Tcniès  et  le  Maros, 
excités  par  ses  promesses,  coururent  aux  armes  et  le  recon- 
nurent pour  leur  despote.  Mais  s'étant  heurté  contre  la  mau- 
vaise volonté  de  ses  conseillers,  Sigisniond  ne  put  leur  envoyer 
qu'un  drapeau!  N'était-ce  pas  déjà  un  indice  du  manque 
d'équilibre  de  son  esprit  qui  a  rendu  son  règne  si  particuliè- 
rement néfaste  pour  la  Transylvanie  et  la  cause  hongroise? 
Après  avoir  pris  Becskerek  et  battu  quatre  fois  le  pacha  de 
Témesvâr,  les  Serbes  succombèrent  dans  une  cinquième  bataille 
et  furent  presque  entièrement  exterminés. 

"  Pendant  ce  temps-là  Sinane  pacha  avança  victorieux.  Il 
battit  Michel  qui  fut  mal  soutenu  par  les  troupes  auxiliaires 
d'All)ert  Kiràly.  Il  s'empara  de  Bucarest,  de  Tergoviste  et  de 
Brada  et  il  s  approcha  de  la  Transylvanie.  » 

Ces  quelques  lignes  d'un  historien  hongrois  j)assent  en  quel- 
que sorte  sous  silence  la  bataille  de  Calugaren,  parce  qu'elle  a 
eu  une  issue  défavorable  pour  Michel,  tandis  que  les  auteurs 
roumains  la  mettent  haidiment  en  parallèle  avec  Marathon  et 


LIVRE    DEUXIEME  205 

assurent  qu  elle  démontre  combien  les  Roumains  possédaient 
tous  les  secrets  de  1  art  de  la  guerre  à  un  moment  où  «  dans  le 
reste  de  l'Europe,  il  se  trouvait  encore  dans  ses  langes!  >'  Or 
même  d'après  la  description  de  Balcesco,  la  part  du  lion  des 
succès  obtenus  y  revientouàxJ/^e?iA'/?â/j,  le  capitaine  magyar, 
ou  aux  troupes  hongroises  placées  sous  les  ordres  de  Cocéa. 
Quant  à  Michel  lui-même,  sa  conduite  était  au-dessus  de  tout 
éloge.  «  Ayant  pris  ses  dispositions,  il  pensa  que  les  circon- 
stances exigeaient  absolument  l'accomplissement  d  un  acte  hé- 
roïque tant  pour  l'intimidation  des  Turcs  que  pour  l'encoura- 
gement des  siens.  Il  décida  donc  de  n'acheter  la  victoire, 
comme  d'ailleurs  il  avait  toujours  Ihabitude  de  l'acheter, 
qu'en  exposant  sa  vie.  Ayant  levé  les  yeux  vers  le  ciel  et  ayant 
imploré  le  Dieu  des  batailles,  il  arrache  la  hache  de  la  main 
d  un  de  ses  soldats  et  se  jette  sur  une  colonne  ennemie.  Ceux 
qui  résistent  sont  vivement  abattus  et  il  arrive  jusqu'à  Carai- 
mau  pacha  à  qui  il  tranche  la  tète  d'un  seul  coup...  Aussi  ne 
savons-nous  ce  qu'il  faut  plus  admirer  chez  cet  homme  :  son 
génie  stratégique  ou  sa  bravoure  militaire  personnelle?.  » 

En  tout  cas,  ni  l'un  ni  l'autre  n'empêchèrent  les  progrès  de 
Sinane  pacha.  Pour  les  arrêter,  et  après  avoir  promis  aux  Siciiles 
rassemblés  à  Fekete-Halom  le  rétablissement  de  leurs  anciennes 
franchises  en  échange  de  leur  concours  armé,  Sigismond  des- 
cendit en  Valachie  à  travers  le  col  de  Torcsvâr.  Il  y  recueillit 
les  troupes  débandées  de  3//cAe/ et  avec  ses  60,000  hommes, 
il  attaqua  sans  tarder  les  Turcs  de  qui  il  reprit  Tergovisie  et 
Bucarest  en  quelques  jours.  Sinane  s'enfuit  en  désordre  vers 
Giourgévo  où  il  fut  rejoint  par  Sigismond  qui  le  surprit  et 
l'anéantit  pendant  le  passage  de  son  armée  à  travers  le /)rt/N<Z^e. 
Au  bout  de  trois  jours  de  siège  la  ville  de  Giourgévo  tomba  elle- 
même  dans  les  mains  de  Sigismond.  Alors  il  retourne  en  Tran- 
sylvanie couvert  de  gloire  comme  le  héros  victorieux  de  la 
chrétienté.  Il  est  au  sommet  de  sa  gloire  et  il  vole  à  Prague, 
à  la  cour  impériale,  dont  il  obtient  des  promesses  favorables 
au  sujet  de  sa  participation  matérielle  et  morale  dans  une  pro- 
chaine campagne  entreprise  en  commun  contre  les  Turcs.  Elle 
eut  heu  l'année  suivante,  en  1596,  d'abord  entre  un  des  meil- 


206  MAGYARS  ET  ROUMAI>S  lŒVAlNT  L'HISTOIRE 
leurs  capitaines  de  SifjistiKutd,  nommé  Georges  Boj-bél)  ,  et  le 
pacha  de  Temesvûr,  ensuite  ù  l'automne  entre  les  alliés  :  1  ar- 
chiduc Maximilien  et  Sigismond  d'un  côté  et  le  sultan  Maho- 
met III  de  lautre.  Les  deux  armées  se  rencontrèrent  à  Mezo- 
Kercszies.  La  victoire  sourit  d'abord  aux  chrétiens  pour  revenir 
finalement  aux  Inrcs,  et  Sigismoiu/ s'en  retourna  découragé  et 
désespéréen  Iraiisj-liuinie,  laissant  les  cadavres  de  20,000  Alle- 
niands  et  Hongrois  sur  le  champ  de  bataille! 

Alors  commence  son  attitude  extraordinaire  de  capricieux 
malade  qui  ne  sait  pas  ce  qu'il  veut  et  dont  l'entêtement  aug- 
mente avec  son  irrésolution.  Avant  appris  à  ses  dépens  la  va- 
nité des  grandeurs  humaines,  il  veut  renoncer  au  pouvoir;  il 
cède  donc  sa  principauté  à  Rodolphe,  qui  lui  donne  en  échange 
ceWe  à'Oppeln.  Mais  à  peine  y  passe-t-il  trois  mois  en  1508 
qu'il  est  déjà  de  retour  en  Tninsjli'anie  où  il  se  raccommode 
avec  sa  femme  Marie-Chrisiierna  et  où  il  réoccupe  son  trône 
avec  le  consentement  des  Etats. 

On  était  encore  à  Prague  à  se  demander  ce  qu  il  fallait  faire 
avec  l'incompréhensible  Sigismond,  quand  ses  mandataires  : 
l'évêque  Nàprùgyi ei  le  futur  prince  Etienne  /iociAv/iv paraissent 
et  déclarent  que  leur  maître  est  prêt  à  reprendre  les  négocia- 
tions movennant  la  cession  de  deux  principautés  silésiennes  et 
le  payement  d'une  rente  annuelle  de  100,000  florins.  L'empe- 
reur ne  crut  pas  devoir  repousser  ces  propositions,  mais  les 
ambassadeurs  n'étaient  pas  encore  rentrés  en  Transylvanie  que 
déjà  il  v  avait  un  changement  nouveau  :  Sigismond,  au  lieu 
d'abdiquer  en  faveur  de  l'archiduc  ilia.i ///////<?/(,  se  fit  remplacer 
sur  le  trône  transvlvanien  par  son  cousin,  le  cardinal  André 
Bâthory,  1  évêque  d'Erméland(l). 

En  face  de  ces  actes  de  la  folie  raisonnante  indiscutable, 
auxquels  lu  Transylvanie  a  eu  bien  tort  d'acquiescer  avec  une 
docilité  servile,  l'attitude  de  Michel  était  des  plus  correctes, 
au  moins  en  apparence.  Il  paraissait  ne  s'occuper  que  des 
affaires  de  la  Vidachie  et  d'une  nouvelle  incursion  en  i5u/7^7?7'e, 
qu'il  a  menée  à   bonne  fin   également,  tandis  qu  en  réalité  il 

(1)  l'.levé   par  son  oncle  en   I'olo{;iic,   sou  diocèse   ne  se  trouvait  pas  dans  les 
j)ays  lionjjrois. 


LIVRE    DEUXIEME  207 

travaillait  dans  l'ombre  à  l'exécution  du  plan  de  Sigismoiifl, 
c'est-à-dire  à  la  réunion  de  la  Transylvanie,  de  la  Valac/iie  et  de 
la  Moldavie  sous  son  sceptre  et  au  profit  de  sa  famille.  Son  idée 
n'était  donc  ni  originale,  ni  nationale,  celle  de  Sigismond  non 
plus  du  reste,  mais  purement  anti turque  et  dynastique  :  mo- 
biles qui  ont  guidé  les  hommes  d'État  autrichiens  de  tout  temps 
dont  il  a  conquis  conséquemment  la  sympathie  de  suite. 
Spectateurs  étonnés  des  tergiversations  de  Sigismond,  ils  com- 
prirent qu'il  ne  pouvait  que  faire  du  tort  aussi  bien  aux  peu- 
ples, qu'il  gouvernait  qu'à  la  cause  de  la  chrétienté,  ils  por- 
tèrent donc  les  regards  sur  Michel  chez  qui  il  était  impossible 
de  nier  les  réelles  qualités  de  gouvernant  et  dégénérai  dont  il 
avait  déjà  donné  plusieurs  preuves.  De  là  l'entente  cordiale  entre 
Plaque  ei  Bucarest,  transformée  à  l'occasion  du  premier  départ 
de  Sigismond,  en  rapprochement  intime.  Michel  se  soumet  à 
Uodolj>/ie,  roi  de  Hongrie  et  lui  prête,  en  cette  qualité,  serment 
de  vasselage  moyennant  quoi  il  recevra  annuellement  des  sub- 
sides en  hommes  et  argent  pour  fournir  dix  mille  combattants 
où  et  quand  le  roi  le  voudra.  Après  le  retour  de  Sigismond, 
cette  soumission  devient  caduque  naturellement.  Le  vayvode 
renouvelle  ses  hommages  à  Sigismond  et  semble  même  faire 
des  démarches  en  sa  faveur  auprès  de  Rodolphe.  En  les  accueil- 
lant avec  bienveillance,  celui-ci  confie  alors  la  surveillance  de 
Sigismond  à  Michel,  afin  que  les  intérêts  du  roi  ne  soient  pas 
lésés.  C'était  le  lui  livrer  moralement  et  le  trône  de  la  Tran- 
sylvanie avec. 

Ni  Sigismond,  ni  André  Bàlhory  ne  crurent  à  ces  menées 
secrètes.  Le  dernier  reçut  le  serment  de  vasselage  de  Michel 
le  26  juin  1599  avec  confiance  et  ne  le  considérait  que 
comme  un  ami  dévoué,  un  protégé  reconnaissant  de  sa  famille. 
D'ailleurs,  n'a-t-il  pas  affirmé  devant  les  envoyés  du  cardinal, 
devant  le  valeureux  Gaspard  Komis,  devant  Pancrace  Sennyey 
que  son  manger  soit  la  chair,  sa  boisson  le  sang  de  son  fils  s'il 
trahissait  les  Transylvaniensl  André  resta  donc  sourd  à  tous 
les  avertissements  et  permit  même  à  Michel  de  recruter  des 
Sicules  en  vue  d'une  nouvelle  campagne  bulgare. 

Or  l'occupation  de  la  Transjlvaiiie  par  Michel  et  au  profit  de 


208  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
lUnlolphc  était  déjà  arrêtée  malgré  les  supplications  de  Stcmca , 
la  femme  du  vayvode  qui  ne  Tenvisageait  qu'au  point  de  vue 
de  la  reconnaissance  (jue  son  mari  et  elle  devaient  aux  Bàihory. 
Mais  Michel  ne  Técouta  pas,  ni  son  logofette  Théodosc  non  plus, 
et  il  fit  concentrer  son  armée  à  Plocsii.  Le  noyau  en  était  formé 
|)ar  les  troupes  magyares  et  sicules  sous  la  conduite  des  capi- 
taines de  mêmes  nationalités  à  qui  il  dépeignit  le  cardinal 
comme  un  traître  envers  le  roi  et  la  religion,  prêta  pactiser 
avec  les  Turcs.  Calomnies  qui  trouvaient  d'autant  plus  de 
croyance  chez  les  Sicules  que  Sigisinoiid  s'était  conduit  en  par- 
jure, n'ayant  pas  rendu  les  franchises  promises  h  Fekcte-Ualoni 
avant  la  campagne  de  1595.  Outre  cela,  on  fabriqua  sur  Tordre 
de  Michel  un  faux  document,  attribué  à  Rodolphe,  avec  sa 
signature  et  son  sceau  babilement  contrefaits,  dans  lequel  le 
roi  s'engagea  à  la  restitution  des  franchises  des  Sicules  en  cas 
où  ils  se  rangeraient  sous  les  drapeaux  du  vayvode,  document 
que  l'on  montra  mystérieusement  aux  plus  influents,  afin  qu'ils 
colportassent  son  contenu  comme  un  grand  et  précieux  secret 
parmi  les  leurs. 

D'autre  part,  il  est  certain  aussi  que  Michel  n'a  pas  négligé 
les  avantages  qu'il  pouvait  tirer  du  concours  de  ses  compa- 
triotes habitant  la  Transylvunie.  Par  les  caloyers  voyageurs  il 
était  au  courant  de  tout  ce  qui  s'y  passait,  de  même  qu'il  s'est 
servi  de  leur  intermédiaire  pour  préparer  les  serfs  roumains  à 
sa  venue  non  pas  h  cause  de  leur  nationalité,  mais  à  cause  du 
ressentiment  qu'ils  nourrissaient  à  l'égard  de  leurs  maîtres, 
en  majorité  des  Magyars.  Peut-être  espérait-il  qu'ils  allaient 
grossir  les  rangs  de  son  armée  et  faciliter  ainsi  sa  tâche  de 
compétiteur  au  trône  de  la  Transylvanie. 

Après  avoir  pris  ainsi  ses  dispositions,  il  s'est  mis  en  marche 
avec  ses  troupes  le  I  7  octobre  1 59λ  pour  rentrer  en  Transylvanie 
à  ti avers  le  col  de  Bodza.  Sûr  du  concours  des  Sicules.,  il  se 
dirigea  alors  par  Fogaras  dans  la  direction  de  Szeben  et  il  s  ar- 
rêta devant  le  col  de  Voeroesiorony  pour  attendre  l'arrivée  du 
bàn  Mihalcsa  et  des  Sicules. 

On  n'a  appris  l'attaque  innalendue  de  Michel  à  Gyulafehérvàr 
à  la  cour  du  cardinal  André  que  quand  l'envahisseur  campait 


I.IVIIE    DEUXIEME  209 

déjà  sur  le  territoire  transylvanien.  Le  prince  confie  sans  re- 
tard le  gouvernement  à  deux  régents  et  se    met  lui-même  en 
campagne  pour  activer  les  préparalils.   Mais  c'était  inutile,  il 
manquait  aux  troupes  le  temps  matériel  pour  se  rassembler  au- 
tour d\iiuh-J.  Aussi  setroiivait-ilà  la  télé  d'une  armée  tout  à  fait 
insignifiante,  il  n'avait  que  ÎM)l)0  hommes  contre  les  25.000  de 
Michel  le  jour  de  la  lutte  suprême.  Elle  eut  lieu  à  Szeni-Erzsé- 
bet,à  deux  lieues  de  distance  de  *S;;e^e?i,  le  28  octobre  1599.  La 
facilité  avec  laquelle  Gaspard  de  Komis,  le  chef  de  l'armée  à' An- 
dré, se  laissa  prendre  au  début  de  la  bataille  et  la  mollesse  avec 
laquelle  ses  soldats  se  battirent  en  général,  font  involontaire- 
ment éveiller  l'idée  de  leur  trahison.  En  tout  cas,  elle  ne  fit  que 
simplifier  la  défaite  certaine.  André  s'enfuit  avec  une  centaine 
d'hom?iie3  d'escorte  à  travers  le  Csikszék,  pays  des  Sicules,  vers 
la  Moldavie.  Mais  déjà  Michel  avait  mis  sa  tête  à  prix;  les  Sicules, 
remplis   de   haine   contre  les  Bâihory,   le   poursuivirent  avec 
acharnement.  On  le  rejoignit  dans  le  glacier  appelé  Pâsztor- 
hukli  et  son  escorte  étant  détruite  jusqu'au  dernier  homme,  un 
nommé  Thomas  ou  Biaise   Oerdoeg  l'abattit  lui-même  avec  un 
coup  de  hache.  Crime  qui  n'attira  pas   seulement  les  foudres 
pontificales  sur  les  habitants  de  Csik-Szeni-Domokos — ,  le  pape 
Clément  YIIl  les  excomunia   pour  avoir  porté  la  main  sur  un 
prince  de  l'Eglise.  —  mais  dont  le  triste  souvenir  hanta  long- 
temps l'imagination    populaire.   Elle  prétendait  que  l'endroit 
désipué   par  une  croix  ou  l'assassinat  avait  eu  lieu,  resta  pen- 
dant cent  ans  désert  et  que  la  nuit  précédant  l'anniversaire  de 
la  mort  A'André.,  il  poussait  toujours  une  branche  verte  au  pied 
de  la  croix  de  chêne  et  que  le  matin  il  sortait  des  gouttes  de 
sang  de  la  terre.  Aussi  y   allait-on  en  procession  le  jour  de  la 
Toussaint  pendant  bien  des  années! 

Oerdoeg  porta  la  tête  coupée  (ï André  personnellement  à 
Michel,  mais  il  n'eut  aucune  récompense,  car  la  femme  du 
vayvode  fut  très  attristée  à  sa  vue.  "  Je  pense,  disait  à  son 
mari  Stanca  en  pleurant,  que  ce  qui  lui  est  arrivé,  peut  t'arriver 
ou  à  notre  filsPetrasco  aussi  !  «  L'ayant  fait  coudre  au  tronc  du 
corps,  Michel  fit  poser  sur  la  tête  du  cardinal  sa  barrette  et 
permit  qu'on  l'exposât  dans  la  petite  église  catholique  de  Gyula- 

14 


210  MAGYARS  ET  ROUMAIINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
felu-rvt'tr  où  eut  lien  I  enterrement  en  (grande  pompe.  Michel 
suivit  le  cercueil  un  c'xqvqq  à  la  main,  entouré  de  toute  la  no- 
blesse, et  le  cercueil  en  argent  était  celui-là  même  c\\x  André 
destinait  au  corps  de  son  frère  et  à  la  décoration  duquel  il 
travaillait  avec  recueillement  au  moment  où  sa  perte  était 
déjà  décidée. 

L'impression  déprimante  que  cette  cérémonie  l'uncbre  a 
provoquée  au  début  du  règne  de  Michel  ne  lut  pas  favorable- 
ment modifiée  par  les  nouvelles  qui  arrivaient  des  contrées  où 
les  Rouinains  habitaient  en  majorité.  Excités  par  la  victoire 
d'un  vayvode  valaque,  ils  croyaient  qu'ils  avaient  maintenant 
le  droit  de  se  mettre  à  la  place  des  nobles  hongrois  ;  ils  se  sou- 
levèrent donc  en  tuant  leurs  maîtres  et  en  incendiant  leurs 
propriétés.  De  là  cette  mélancolie  avec  laquelle  les  états  prê- 
tèrent serment  à  Michel,  à  la  diète  convoquée  pour  le  20  no- 
vembre 1591>.  "Il  plutà  Dieu,  de  qui  dépendent  tous  les  empires 
et  toutes  les  principautés,  dit  le  diplôme  inaugural,  de  nous 
donner  pour  chef  le  vayvode  INIichel.  "  Par  contre  ce  fut  aussi 
avec  une  certaine  gène  que  Michel  promit,  en  sa  qualité  de 
gouverneur  transylvanien  de  Sa  Majesté  impériale  et  royale, 
de  se  conduire  conformément  aux  anciens  droits  du  pays. 

La  difficulté  gisait  dans  la  circonstance  qu'il  se  sentait  mal 
à  son  aise  au  milieu  de  l'aristocratie  hongroise,  beaucoup 
plus  civilisée  que  son  entourage  roumain,  et  qu'il  ne  pouvait 
pas  cependant  s'en  passer,  parce  qu'elle  représentait  1  élément 
politiquement  le  plus  doué  dupays.  llest  d'ailleurs  très  curieux 
à  constater  que  s'il  n'a  pas  pensé  à  donner  des  droits  politiques 
aux  RoiinKiiiis  de  la  Transylvanie,  ceux-ci  ne  lui  en  ont  jamais 
réclamé  Jion  plus.  Ils  ne  voulaient  exploiter  sa  présence  sur 
le  trône  de  la  Transylvanie  que  pour  améliorer  leur  sort  matériel 
par  une  révolution  sociale,  sans  s  occuper  de  leur  nationalité 
sur  laquelle  Michel  se  montrait  très  indifférent  aussi. 

Si  la  manière  énergique  dont  il  se  servit  pour  réprimer  cette 
révolution  des  paysans  roumains  lui  valut  une  certaine  sym- 
pathie chez  les  Magyars  et  les  Saxons,  les  impôts    nouveaux 

(1)  SzADEcZKY  Lajos  :  Eidélj  es  Miluily  vajda  tôrleiiete,  p.  94  à   100. 


LIVr.E    DEUXIEME  211 

qu'il  introduisit  dans  le  pays  pour  pouvoir  payer  ses  troupes 
mercenaires,  le  rendirent  très  impopulaire.  On  lui  en  voulut 
également  du  retard  qu'il  apporta  dans  l'exécution  de  sa  pro- 
messe, de  rendre  la  Transylvanie  à  Rodolphe.  Pour  son  malheur, 
il  eut  même  l'imprudence  de  déclarer  que  si  on  continuait  à 
le  tracasser  par  trop  violemment  à  ce  sujet,  il  mettrait  sa  main 
dans  celle  du  sultan  qui  la  lui  avait  déjà  offerte  en  1598,  en 
lui  pardonnant  toute  ses  entreprises  dirigées  contre  les  Turcs 
et  la  Ta}r/iiie.  C'en  était  assez  pour  que  plusieurs  songeassent  au 
rappel  de  Sigismond  Bàthory.  Alors  M/c/ie/ devint  soupçonneux 
forçant  à  s'enfuir  les  plus  compromis,  contre  les  familles  de 
qui  il  crut  avoir  le  droit  de  sévir  ensuite.  De  là  le  rapide  dé- 
veloppement du  parti  de  Sigismond,  fantasque,  mais  cultivé, 
despotique,  mais  bien  élevé. 

Ayant  fait  ordonner  jadis  l'extermination  en  masse  de  tous 
les  Turcs  qui  se  trouvaient  en  Valac/u'e,  on  prête  à  Michel  k  cette 
époque  le  dessein  d'avoir  voulu  faire  massacrer  également  toute 
la  noblesse  magyare.  On  prétend  même  que  ce  fut  l'archevêque 
bulgare  Déniéirius  qui  l'en  détourna  en  lui  faisant  voir  l'évan- 
gile et  le  menaçant  du  courroux  de  Dieu.  Mais  ce  ne  sont  que 
des  on-dit  propagés  pour  le  perdre  dans  l'opinion  publique, 
pour  entraîner  les  hésitants  qui  ne  pensaient  pas  sans  effroi  au 
retour  de  Bàthory. 

Sans  le  noircir  à  ce  point,  on  peut  hardiment  affirmer 
que  Michel  et  ses  boyards  se  trouvaient  tellement  à  leur  aise 
en  Tratisyb'anie  qu'ils  eussent  désiré  l'avoir  à  eux  seuls  et 
surtout  ne  pas  la  rendre  aux  commissaires  de  Rodolphe,  comme 
ils  le  leur  ont  franchement  déclaré  :  «  La  Transylvanie  est  un 
beau  pays,  plus  le  vayvode  et  les  boyards  l'habitent,  plus  ils 
l'aiment.  •>■)  Pour  ne  pas  les  laisser  s'y  fortifier,  Georges  Basia, 
le  commissaire  en  chef,  prit  alors  la  résolution  de  brusquer  le 
dénouement.  Ayant  rassemblé  les  mécontents,  qui  devenaient 
assez  nombreux  pour  donner  à  son  armée  la  supériorité  numé- 
rique, il  fit  son  apparition  à  l'improviste.  Mal  préparé  à  l'at- 
taque, trahi  par  ses  meilleurs  soldats,  les  Sicules,  Michel  lui 
barra  bravement  le  chemin  à  Miriszlô  (le  18  septembre  IGOO) 
mais  il  perdit  la  bataille. 


212       MAGYARS    ET    UOUMAINS    DEVANT    I, 'HISTOIRE 

Il  s'enfuitalorsen  Valachie  oii  il  disposait  encore  d'une  armée 
assez  considérable,  mais  à  peine  arrivé,  il  apprit  que  les  Polo- 
nais étaient  en  train  de  ramener  en  Moldavie  le  même  Jérémie 
(lu'ils  en  avaient  chassé  auparavant.  Use  précipiteà  sa  rencontre 
mais  les  Polonais  lui  infligent  une  défaite  à  Téléjcaii.  Alors, 
pressé  par  les  Turcs  qui  avaient  envahi  entre  temps  la  Valachie, 
répudié  par  son  peuple,  il  ne  lui  resta  qu'un  parti  à  prendre  : 
il  se  réfugia  courageusement  comme  prince  détrôné,  chez  Ro- 
dolphe aPrat/ae. 

Là  il  reçut  un  très  bon  accueil  car  on  avait  de  nouveau  besoin 
de  ses  services,  puisque  la  diète  de  Kolozsvar,  convoquée  pour 
le  21  janvier  1601  fut  assez  aveugle  pour  réélire  Siçjisinond 
j5rt/Ao?)  une  troisième  fois.  L'ayant  raccommodé  avec -C^/a/^',  on 
cnvova  le  vavvode  en  //oz/yr/e  afin  que,  réunis,  ils  se  rendissent 
définitivement  maitres  de  la  Transylvanie  au  profit  des  Hahs- 
bourt/.  Sii/isniond  les  attendait  de  pied  ferme  ,mais  son  énergie 
n'eut  pas  le  succès  qu'il  méritait.  11  fut  battu  à  Natjy-Goroszlo 
le  3  août  IGOl ,  parles  nouveaux  alliés  derechef  possesseurs  de 
ïdiTransylvanie. 

Ce  fut  en  Moldavie,  dans  le  couvent  de  Séanicz  que  Si(/isnio/id 
Bàthory  se  relira  après  la  bataille  perdue.  Il  avait  l'intention 
d'y  faire  venir  la  famille  de  Michel  tombé  en  son  pouvoir.  En 
étant  informé,  le  vayvode  lui  dépêcha  un  de  ses  fidèles  avec 
une  lettre  dans  laquelle  il  Timplorait  d'épargner  sa  femme 
et  son  fils,  car  il  serait  heureux  de  lui  faire  ravoir  la  Transyl- 
vanie en  lui  fournissant  des  moyens  et  des  subsides  pour  en 
faire  partir  les  Allemands.  Il  écrivit  en  même  temps  au  pacha 
à'Eçjer  en  lui  demandant  de  lui  envoyer  à  Lippa  quelqu'un  de 
bien  sûr,  car  il  avait  des  choses  à  lui  raconter  qu'il  apprendrait 
certainement  avec  plaisir.  Ces  deux  lettres  furent  interceptées 
et  on  les  reniità  Basia.  Compromettantes  en  elles-mêmes,  elles 
confirmèrent  l'authenticité  de  celle,  plus  grave  encore,  que 
Sif/ismond  Bàthory  lui  fit  transmettre  avant  la  bataille  de  Go- 
roszlo  et  à  laquelle  il  ne  voulut  pas  croire.  Datée  de  Prague, 
elle  était  adressée  au  grand  vizir  Ibrahim.  Michel  lui  demande 
la  restitution  de  ses  possessions  et  promet  sa  soumission  com- 
plète au  sultan.  «Car,  dit-il,  j'ai  eu  l'occasion  de  connaître  et 


LIVRE   DEUXIEME  213 

d'étudier  le  gouvernement,  les  chefs  militaires  et  les  forte- 
resses de  l'empereur  allemand  et  de  ses  cousins.  Que  Votre 
Grandeur  en  soit  certaine  :  ils  n'ont  ni  pouvoir,  ni  forces.  Ce 
sont  des  gens  pitoyables  et  misérables ,  des  Saxons  inhumains 
qui  sont  incapables  de  protéger  leur  pays;  comment  voulez- 
vous  qu  ils  puissent  protéger  les  miens?  Je  pourrai  m'emparer 
de  leurs  forteresses  et  de  leur  pays  d'un  seul  coup.  C'est 
pourquoi  j'implore  Dieu  de  me  délivrer  d'eux!  Si  je  pouvais 
ravoir  la  Transylvanie  avec  les  deux  vayvodies,  la  Valachie  et 
la  Moldavie  je  les  mettrais  sous  la  protection  du  Sultan  puis- 
sant, dont  la  gloire  rayonne  au-dessus  du  monde  entier!  (I)» 

Le  doute  n  était  plus  possible;  Michel  trahissait.  Avant  de 
recourir  aux  moyens  extrêmes,  Basta  lui  proposa  cependant 
de  retourner  en  Valdchie  et  d'y  régner  en  paix.  Mais  le  vay- 
vode  ne  voulut  rien  entendre  de  pareil.  ><  J'ai  même  un  traité 
avec  l'empereur,  disait-il,  aux  sujet  de  ce  pays-ci,  parce  qu'il 
m'appartenait  auparavant.  Et  comme  l'empereur  m'a 
rendu  la  Transylvanie  par  l'entremise  de  Bartholomé  Pecz  et 
^lichel  Szëkely,  je  m'en  tiens  toujours  à  ce  traité.  »  Les  dispo- 
sitions qu'il  prit  n'étaient  pas  plus  rassurantes.  Ses  troupes 
valaques,  serbes  et  cosaques  entrèrent  à  Gyulafehérvàr  pour 
y  prendre  immédiatement  possession  de  l'habitation  princière 
C'était  plus  que  l'ombrage  de  Basia  n'en  pouvait  supporter.  Il 
envoya  donc  dans  le  camp  de  KeresztesmezôXe  19  août,  seize 
jours  après  leur  victoire  commune,  le  capitaine  Mallon  Bcauri 
avec  deux  cents  de  ses  hommes.  Ils  pénétrèrent  sous  un  pré- 
texte quelconque  dans  la  tente  de  J7/cAe/et  l'assassinèrent  après 
une  faible  résistance  en  plein  jour,  au  milieu  de  ses  troupes! 

Justice  sommaire  contre  laquelle  le  sentiment  moral  affiné 
du  xix"^  siècle  se  révolte  incontestablement,  mais  justice  ven- 
geresse des  trahisons  et  des  ingratitudes  passées  aussi,  et  justice 
préventive  pour  celles  également  que  le  vayvode  n'aurait  pas 
manqué  de  commettre  plus  tard,  en  ayant  pris  par  trop  le 
goût  et  l'habitude. 

Événement  tragique  mais  dépourvu  de  grandeur,  comme  en 

(1)  Szâdeczki  Lajo.'i,  Erdély  es  Mihâly  vajda  Torténete,  p.  241 


214  MA(;YA  r.S  ET  UOrMAINvS  TtKVAÏNT  L' Il  I  STOI IIE 
est  dépourvu  Michel  lui-même  à  qui  le  plus  ardent  chauvi- 
nisme ne  peut  attribuer  que  le  surnom  de  <'  brave  y.  dans  le 
sens  le  plus  matériel  du  mot.  Événement  dont  Fodieux  n'atteint 
nullement  la  réputation  des  Magyars,  puisqu'il  a  été  perpétré 
par  Basi((,  par  Tun  des  plus  grands  ennemis  de  leur  race  ;  évé- 
nement épisodique  n'ayant  eu  aucune  influence  sur  aucune 
question  importante  de  la  politique  internationale. 

Les  historiens  roumains  reprochent  à  Michel  de  n'avoir  rien 
tait  pour  l'idée  nationale.  Reproche  ridicule  non  seulement 
parce  qu'il  suppose  un  anachronisme  :  l'existence  d'une  idée 
du  xi\'  à  la  fin  du  wi'  siècle,  mais  parce  qu'il  ferait  croire 
qu'il  y  avait  une  nation  roumaine  déjà  au  temps  du  célèbre 
vayvodc.  Or,  d  après  ce  qui  précède  ,  on  se  rend  très  bien 
compte  que  c'était  impossible  qu'il  y  en  eût  une.  L'organi- 
sation politique,  telle  quelle,  du  peuple  roumain  ne  datait 
<jue  de  deux  cent  quarante  ans;  au  point  de  vue  religieux,  il 
était  bulgare;  quant  à  sa  littérature,  son  instruction,  ses 
traditions,  elles  étaient  nulles.  Dans  ces  conditions-là,  il  n'y  a 
que  des  instincts  nationaux  dont  le  développement  ne  forme 
que  plus  tard  la  conscience  nationale,  sentiment  encore  tout  à 
l'ait  défensif,  pour  aboutir  finalement  au  génie  national  qui 
est  seul  appelé  à  rayonner  dans  des  conquêtes  durables,  soit 
matérielles,  soit  intellectuelles. 

Peut-on  admettre  que  le  rusé  vayvode  Michel  le  Biave  ait 
pu  en  faire  de  signalées  à  la  tète  de  ses  boyards  incultes  et  de 
ses  troupes  indisciplinées?  La  malice  ajouterait  même  qu'il  a 
accompli  des  hauts  faits  non  pas  «  parce  que  »  mais  «  quoique  » 
Roumain  —  bien  entendu  —  de  l'époque! 


CHAPITRE  X 

GRANDFXR,    DÉCADENCE    ET    DISPARITION    DE    LA    TRANSYLVANIE 
COMME    ÉTAT    INDÉPENDANT. 

<i  MisericordiaDei,  quod  non  consumpti  sumus  "  ,  s'écrie  un 
chroniqueur  anonyme  de  Szeben  au  commencement  du  xvii" 
siècle.  Et  certes  non  sans  raison;  car,  après  les  campagnes  de 
Michel  et  de  Basta  on  rencontrait ,  autour  et  dans  Gyiila- 
fi'hérvâr  même  assez  de  ruines  déjà  pour  arracher  au  pacha  de 
Téinosvâr ,  venu  à  Toccasion  de  la  seconde  réapparition  de 
Sigismoiid  Bâiliory ,  l'exclamation  suivante  :  "  Et  ce  ne  sont 
pas  les  Turcs  qui  ont  lait  cela  mais  vos  propres  coreligion- 
naires !  M  Or  ce  n'était  alors  que  le  commencement  des  mi- 
sères ! 

D'abord  il  fallait  que  la  Transylvanie  éprouvât  une  nouvelle 
et  cruelle  déception  encore  du  côté  de  Sigisnwnd  Bàthory. 
Après  avoir  refoulé  BasUi  grâce  au  concours  dévoué  des  Etats, 
après  avoir  renoué  des  relations  intimes  avec  la  Sublime  Porte 
et  en  avoir  reçu  des  subsides  en  argent,  celui-ci  travaillait  sous 
main  à  la  reddition  de  la  principauté  aux  commissaires  royaux. 
Par  suite  de  cette  attitude  équivoque,  il  s'aliéna  ses  plus  fidèles 
partisans.  Moïse  de  Székely  se  jette  avec  quelques  patriotes 
déterminés  sur  Basta,  mais,  ayant  perdu  la  bataille  de  2\ivis, 
il  est  obligé  de  se  sauver  en  compagnie  de  Gabriel  Betiden 
d'Iktâr  chez  le  pacha  de  Témesvàr.  Sigismond  se  rallia  alors 
ouvertement  à  Bas/a  et,  ayant  enjoint  aux  Etals  et  aux  admi- 
nistrations de  se  soumettre  à  ce  dernier,  il  quitta  définiti- 
vement la  Transylvanie,  au  milieu  de  la  malédiction  générale 
(le  26  juillet  1602.) 

Mais  malgré  cette  tournure  inopinément  favorable  que  les 
événements  prirent,  Basta  ne  se  sentit  pas  complètement  ras- 
suré au  milieu  de  la  |)opulation  magyare  et  saxonne  hostile  de 
la  principauté.  Se  rappelant  des  avantages  que  son  alliance 


216        MAGYARS    ET    HOTIMAINS    DEVAIST    L'HISTOIRE 

avec  Michel  le  Brave  lui  avait  procurés,  il  se  mit  résolument  du 
narli  (le  lladn  Scrhan  (jue  les  partisans  de  sa  victime  avaient 
élevé  à  ce  moment  sur  le  trône  de  la  ]  (i/ac/n'e  contre  Simeoti 
Movi/d ,  le  protégé  des  Turcs.  Et  la  suite  des  événements 
démontra  bien  vite  rexcellence  de  cette  intelligente  manœuvre. 

Ce  ne  fut  j)as  seulement  un  asile  sur  que  Moïse  de  Székely 
trouva  chez  le  pacha  de  Témesvùr.  Il  y  obtint  du  sultan  un 
>i  athnamé,  »  1  investissant  comme  prince  de  la  Trtms}  /lui/i/r^ 
et  des  troupes  auxiliaires  qui  lui  permirent  d'entrer  en  campa- 
{;ne  dès  le  débutdu  printemps  de  1003,  ayant  pour  jjénéral  en 
chef  Gabriel  lieililen.  Grâce  au  réel  génie  militaire  de  celui-ci 
Basta  ne  put  résister  que  pendant  très  peu  de  temps.  Étant 
chassé  de  la  principauté,  le  commissaire  de  Rodolphe  s'adressa 
à  Bddii  Serlxin,  en  lui  recommandant  de  soulever  les  Sicides 
et  d'en  finir  avec  Szétiely  après  avoir  pris  pour  base  de  ses 
opérations  les  villes  saxonnes,  restées  fidèles  à  l'empereur  : 
recommandation  à  laquelle  le  vavvode  roumain  ne  se  conforma 
certainement  pas  sans  penser  aux  succès  de  son  prédécesseur. 
Gomme  lui,  il  fit  mine  de  se  soumettre  au  nouveau  prince. 
Pour  le  tromper  sur  ses  vraies  intentions,  il  signa  même  un 
document,  et  en  fit  signer  un  autre  par  ses  bovards,  dans 
lesquels  on  accepta  les  bons  offices  de  .Sr''/,cV)  auprès  du  sultan 
en  vue  de  sa  réconciliation  avec  Radd  Sa-han  et  la  vayvodie. 
Pendant  ce  temps-là  les  émissaires  roumains  se  répandirent 
nombreux  parmi  les  Sicules  pour  les  exciter  à  la  rébellion.  Ils 
y  eurent  d  autant  plus  de  succès  que  depuis  la  diète  de  Lécz- 
falvd  convoquée  pour  le  13  octobre  lOOO,  après  la  défaite  de 
Michel  le  Brave  à  Miriszlt'i,  il  v  avait  entre  les  Sicides  et  les 
HounKiins  une  communauté  de  ressentiments  contre  les  Ma- 
'D  ors  et  les  Saxons  qui  les  avaient  punis  alors  avec  une  sévé- 
rité égale  à  cause  de  leur  attachement  à  Michel  le  Brave. 

Il  Puisque  nos  ruines  et  malheurs  nous  proviennent  des  deux 
vayvodies  valaques  —  dit  un  décret  de  ladite  diète  —  nous 
ordonnons  que  dorénavant  personne  ne  se  permette  plus  de 
piendre  service  sans  la  permission  du  prince  et  du  pays  dans 
les  deux  vayvodies  valaques,  sous  peine  de  décapitation,  et 
de   confiscation    de  ses  biens   et    de    perte  de  son   honneur. 


LIVRE    DEUXIEME  217 

Qu'aucun  pope  valaque  ne  puisse  entrer  en  Transylvanie  venant 
des  vayvodies  non  plus.  Les  caloyers  doivent  être  absolument 
proscrits  de  toute  la  principauté.  Si  on  découvre  qu'il  en  est 
venu  ou  qu  il  y  en  a  «  contra  edictum  regni  »  qu'il  soit  pris 
et  qu  il  soit  dépouillé.  Que  le  Roumain  ainsi  que  le  Sicule  ne 
portent  plus  d'armes ,  les  bergers  exceptés  habitants  des  glaciers , 
mais  que  le  Magyar  et  le  Saxon  en  portent.  " 

La  duplicité  et  les  menées  de  Radii  Seihidi  étant  dévoilées, 
de  Szc/ie/j-  eut  l'imprudence  de  diviser  son  armée  pour  pou- 
voir combattre  à  la  (ois  les  Sicule^  révoltés  et  se  défendre  contre 
le  vayvode  valaque.  Mais  sans  succès!  Sa  valeur  personnelle 
et  celle  de  ses  troupes  ne  pouvaient  compenser  la  supériorité 
numérique  de  ses  adversaires.  Ses  meilleurs  lieutenants  suc- 
combèrent dans  le  Barczasàg;  quant  à  lui  il  mourut  héroïque- 
ment à  la  bataille  de  Brassé  en  s'écriant  :  «  Que  je  périsse 
aussi  avec  la  patrie!  »  Son  cadavre  fut  décapité  et  Radu  Scrbaii 
le  fit  jeter  aux  chiens  de  Brassé  où  finalement  un  habitant  de 
la  ville  l'enterra  cependant  à  la  tombée  de  la  nuit.  Après  avoir 
fait  lever  des  contributions  de  guerre,  après  avoir  dévasté  le 
territoire  de  ses  alliés  les  Sicules  eux-mêmes,  Radu  Serbaii  s'en 
retourna  en  Valachie,  n'ayant  nulle  envie  de  recommencer  les 
fautes  politiques  de  Michel. 

La  misère  atteignit  h  ce  moment  de  telles  proportions  que, 
ne  possédant  plus  ni  chevaux  ni  bêtes  de  somme,  les  paysans 
s'attelèrent  eux-mêmes  à  la  charrue  ou  aux  voitures  à  deux 
roues  que  1  on  désigna  dorénavant  du  sobriquet  de  "  voiture 
de  Basta  "  .  On  mourut  de  faim,  on  se  livra  à  l'anthropophagie, 
le  blé  étant  devenu  une  denrée  d'un  prix  inabordable.  "  Où 
poLivais-je  aller,  écrit  François  de  Mikô  en  1603,  puisqu'il  n'y 
avait  pas  un  seul  habitant  entre  Karân-Sebes  et  Szâszvâros  !  » 

Devant  ces  résultats  funestes  du  gouvernement  de  Basta,  — 
produit  composé  de  la  réaction  austro-espagnole  et  de  la  bar- 
barie roumaine,  —  le  parti  des  mécontents  s'accrut  journelle- 
ment. Mais  pour  le  pousser  à  l'action,  il  fallait  un  événement, 
tel  que  la  reprise  de  la  cathédrale  de  Sainte-Elisabeth  de  Kassa 
en  Hongrie,  que  les  impériaux  ont  de  vive  force  enlevée  aux 
protestants  le  6  janvier  1604     Ce  fut  le  signal  de  la  persécu- 


218  MAGYARS  ET  UOUMAINS  DEVANT  L'IIISTOIUE 
tion  des  protestants  dans  la  Iiaitlc-fIo)if/rir.  On  dénonça  ce  fait 
immédiatement  à  la  diète  de  Pnzsoiiy;  mais  au  lieu  de  Tarrêter, 
l'vxlolphe  l'aggrava  par  l'article  22,  dans  lequel  il  admonesta 
les  plaignants  «  qui  ne  voulaient  ni  se  nommer  ni  indiquer  de 
(nielle  religion  ils  étaient  "  ,  et  il  renouvela  toutes  les  lois  créées 
en  vue  de  la  défense  du  catholicisme  et  de  l'oppression  du 
protestantisme  (le  1"  mai  KJOi). 

Annoncée  ouvertement  pendant  la  diète,  la  révolte  éclata 
l'automne  suivant.  Ce  fut  Èiienne  Bocskay,  l'oncle  maternel 
de  Sif/ismond  lUtilioi),  qui  en  devint  le  chef  malgré  son  atta- 
chement antérieur  à  la  j)olilique  austrophile  de  son  neveu,  à 
cause  de  la(iuclle  il  fut  même  déclare  traître  à  la  patrie  par  la 
diète  de  Lérzfaliut .  Il  exécuta  cette  volte-face  non  seulement 
comme  protestant  jaloux  de  sa  religion,  mais  ayant  acquis  la 
conviction  aussi,  que  pour  conserver  l'indépendance  de  la 
Tninsyliutnie  et  par  là  le  refuge  du  génie  magyar,  il  ne  fallait 
pas  s'abandonner  à  la  seule  magnanimité  des  hommes  d'État 
autrichiens. 

Menacé  par  la  réoccupation  du  B<(it<it  transylvanien  au  pro- 
fit de  BocsIidY  et  la  soumission  des  départements  de  l'Est  de 
la  f/oiir/rir  au  chef  de  la  révolte  victorieuse,  B'isfa  se  vit  d'au- 
tant plus  forcé  d'évacuer  la  Ttdxsylvanw  que  Hadu  Snlxin 
neut  aucun  scrupule  pour  conclure  un  traité  d'alliance  offen- 
sive et  défensive  avec  le  nouvel  et  inopiné  antagoniste  de 
l'influence  autrichienne.  Élu  prince  de  Tninsylvaiiic  le  21  fé- 
vrier 1  605  ,  celui-ci  promit  sa  protection  à  la  Viilarlue  en  échange 
du  serment  du  vasselage  prêté  par  Piad//. 

L'assemblée  de  Szerencs  vota  le  titre  de  roi  de  Iloiup'ic  à 
Bocsixiy  (le  20  avril  l()Or>)  et  le  sultan  le  confirma  plus  tard 
é;;alement.  Mais  ayant  été  couronné  sur  le  VxiihosXe  10  novem- 
bre suivant  par  le  grand  vizir,  /)Vn,v/w/)  retira  vivement  l'insigne 
de  la  souveraineté,  cadeau  du  sultan,  «  car,  disait-il,  en  Hon- 
grie il  était  interdit  de  porter  la  couronne,  tant  (pie  vit  le  roi 
légalement  couronné,  n 

Qu'un  court  règne  comme  celui  de  Bocskuy  puisse  complè- 
tement rétablir  l'ancienne  situation  internationale  de  la  Tnm- 
Ar/t'<?'»V',  personne  ne  1  eut  cru  du  temps  de  Basia.,  cependant 


LIVRE    DEUXIEME  219 

le  traité  de  Vienne  (conclu  le  2iî  juin  1606)  et  celui  de  Zsiiva- 
toiok  (datant  du  1 1  novembre  1606)  le  démontrent  clairement. 
Dans  le  premier  on  reconnaît  l'élection  de  Bocskay  comme  prince 
de  Transylvanie  et  on  lui  donne  encore  trois  départements  de  la 
Hongrie;  dans  le  second,  Rodolphe  et  le  sultan  confirment  ces 
stipulations  en  lui  donnant  une  importance  internationale. 

Bocskay  mourut  le  29  décembre  suivant  à  Kassa  en  ayant 
déclaré  dans  son  testament  que  :  «Tant  que  la  couronne  hon- 
groise se  trouve  là-haut  (c  est-à-dire  à  Vienne)  dans  les  mains 
d'une  nation  plus  forte  que  la  nôtre,  il  sera  toujours  utile  et 
nécessaire  de  conserver  un  prince  magyar  en  Transvlvanie.  » 
On  commettrait  une  injustice  flagrante,  si  on  n'ajoutait  pas  ici 
que  les  succès  de  Bocskay  étaient  singulièrement  facilités  par 
l'affection  sincère  que  larchiduc  et  futur  empereur  et  roi  Ma- 
thias  a  toujours  portée  aux  Hongrois.  S'étant  placé  à  la  tête 
des  mécontents  hongrois,  autrichiens  et  moraves,  ce  dernier 
força  Rodolphe  à  renoncer  à  V An i riche  et  à  la  Hongrie  et  se  fit 
couronner  roi  de  Hongrie  le  1!)  novembre  1608  à  Pozsony.  La 
diète  convoquée  à  cette  occasion  édicta  une  foule  de  lois  libé- 
rales, reconnaissant  les  anciens  droits  de  la  nation  magyare, 
organisant  les  deux  chambres  de  la  législature  et  permettant 
à  toutes  les  religions  reçues  l'exercice  entièrement  libre  de 
leur  culte.  Il  est  vrai  que  ce  fut  l'époque  où  le  protestantisme 
arriva  à  son  apogéeenZ/o/^f^/veetoù,  dans  la  grande  noblesse,  on 
ne  compta  plus  que  quelques  familles  catholiques.  On  confia 
même  le  charge  de  palatin  successivement  à  deux  protestants. 

Après  la  mort  de  Bocska)',  le  choix  des  états  de  la  Transyl- 
vanie tomba  sur  Sigismond  Ràkocz)-,  sans  tenir  compte  de  son 
âge  avancé  et  de  son  caractère  pacifique  et  paisible.  Aussi  sa 
prompte  abdication  ne  surprit-elle  personne.  Elle  eut  pour 
suite  l'élection  de  Gabriel  Râihor)-,  jeune  homme  despotique, 
sanguinaire  et  libertin,  mais  ayant  été  élevé  dans  les  traditions 
de  sa  famille.  De  là  la  hâte  avec  laquelle  il  s'occupe  immédia- 
tement après  son  avènement  des  vayvodies  roumaines.  Ses 
envoyés  n'y  vont  pas  inutilement  et  rapportent  des  traités 
favorables  aux  intérêts  de  la  Transylvanie  :  Radu  Serban  devient 
le  vassal  de  Bàthory  et  le  vayvode  de  Moldavie  consent  à  lui 


220  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
payer  8,000  florins  de  tribut  annuel.  Malheureusement  Bâiliory 
n'est  pas  fait  pour  continuer  ce  beau  commencement.  Sa 
tyrannie  lui  aliène  tout  le  monde;  soupçonneux,  il  accuse  les 
deux  vayvodes  et  surtout  Ihidii  Scrlxin  de  trahison.  Pour  le 
châtier  il  passe  en  1()  I  I  en  Va/ac/tir  ci  ayant  pris  Tergox'isie '\\ 
envahit  tout  le  pays.  Alors  il  envoie  à  ('onstniiiiiioplc  une  am- 
bassade avec  la  mission  de  lui  faire  donner  la  Valac/u'e  par  k 
sultan  sous  le  prétexte  que  André  li('i//iory  étant  tué  par  Michel 
et  Moïse  de  .Vrt'/K'/)  par  Hddu  Serbati,  il  veut  les  venger  par  Toc- 
cupation  du  pavs  pour  son  propre  compte.  Mais  il  n'était 
nullement  de  l'intérêt  des  T/n-cs  que  la  Transylvanie  et  la  Va- 
lacliie  se  trouvassent  réunies  sous  un  même  gouvernement. 
r>aili(n-y  se  vit  donc  obligé  de  s'en  retourner  chez  lui  en  lais- 
sant quelques  garnisons  hongroises  en  vue  de  la  protection  de 
lladii  Mivhné  que  la  faveur  des  Turcs  avait  placé  sur  le  trône 
vayvodal. 

En  fuvant  devant  Ilàilior]  ,  Radu  Serban  se  rendit  d'abord 
eu  Moldavie  et,  de  là,  à  travers  la  ]'olo(/ne.  à  Vienne  auprès  de 
Mailiias.  Après  le  retour  de  Baihory  en  'Transylvanie,  il  s'em- 
pressa de  reconquérir  sa  vayvodie,  à  l'aide  de  mercenaires 
polonais  et  moldaves,  en  chassant  les  faibles  troupes  hon- 
groises. De  nouveau  maître  du  gouvernement,  il  forma  une 
coalition  avec  Mathias  et  les  mécontents  transylvaniens, 
magyars  et  saxons,  pour  combattre  Bàilnn-y.  Le  début  de  cette 
guerre  n'était  nullement  avantageux  pour  les  armes  transyl- 
vaniennes. Grâce  à  la  trahison  d'un  des  chefs  de  Bâiliory, 
acheté  par  les  Saxons,  liadu  Serban  put  remporter  une  victoire 
à  /irassà,  mais  elle  fut  infructueuse,  car  Ihid/i  Michné  étant 
réapparu  en  Valachie  et  ayant  pris  Ter//oviste  à  la  tête  d'un  gros 
de  Tares  et  de  Tar tares,  il  fallut  que  Radu  Serban  reprit  le 
chemin  de  Vienne.  Là  Mailnas  étant  précisément  à  la  veille  de 
déclarer  la  guerre  h  Bàihory ,  on  le  reçut  mieux  encore  que  la 
j)rcmière  fois  et  on  le  fit  repartir  pour  la  Transylvanie  en 
conq)agiiie  de  Sit/isjiiond  de  Forqàcli,  général  en  chef  des 
troupes  royales.  Mais  leur  campagne  se  termina  par  un  désastre  ; 
ils  s'enfuirent  en  Moldavie,  ayant  perdu  la  plus  grande  partie 
de  leurs  hommes  et  la  totalité  de  leurs  canons  et  munitions. 


LIVRE    DEUXIEME  221 

Malheureusement  pour  Bàihnry,  il  eut  l'air,  à  ce  moinent-là, 
de  vouloir  renouveler  la  politique  équivoque  de  son  détesté 
prédécesseur  et  parent  Sigismond.  Il  entra  en  pourparlers 
secrets  avec  la  cour  de  Vietine.  C'était  assez  pour  éveiller  la  mé- 
fiance des  anciens  exilés;  ils  chargèrent  Gabriel  Bei/ileit  d'en 
prévenir  le  pacha  de  Témesvàr .  Or,  cette  missive  fut  interceptée 
et  le  prince  en  prit  connaissance.  Pour  éviter  son  courroux, 
Bei/ilc'ii  fut  obligé  de  se  sauver.  Il  alla  incontinent  à  Andii/iople, 
où  séjournait  alors  le  sultan,  et  il  y  obtint,  en  dehors  de  la 
promesse  de  sa  candidature  au  trône  de  Transylvanie,  des  sub- 
sides en  hommes  et  en  argent.  Pour  multiplier  les  chances  de 
son  succès,  la  Sublime-Porte  enjoignit  même  aux  vayvodes  de 
Moldavie  et  de  Valac/tie,  à  Etienne  Tonisa  et  à  Radii  Michné,  de 
combiner  leurs  attaques  avec  celles  de  Skender  pacha,  général 
en  chef  de  Tarmée  mise  à  la  disposition  de  Beihlen  et  composée 
de  25,000  combattants.  A  lapproche  de  ce  danger  formidable 
Bàthory  ne  se  trouva  plus  en  sécurité  au  milieu  de  ses  sujets 
transylvaniens.  Il  s'enferma  dans  la  ville  hongroise  de  Nftyy- 
Vàrad  sans  pouvoir  éviter  son  sort  :  deux  gentilshommes  hon- 
grois exaltés  l'y  assassinèrent  pour  débarrasser  rimmanité  d'un 
monstre  pareil. 

Sa  disparition  subite  facilita  singulièrement  le  début  du 
règne  de  Beihlen  ,  l'élu  de  la  diète  de  Kolozsi'ar.  En  cédant  aux 
Turcs  la  forteresse  de  Li/ipa  il  put  aussi  aisément  déjouer  les 
plans  de  Georges  Drugeth  deHomonna,  son  concurrent  suscité  par 
la  cour  de  Vienne.  Quant  à  Radu  Serhan,  sa  dernière  tentative 
dans  laquelle  il  eut  pour  auxiliaires  les  Polonais,  ne  fut  pas 
couronnée  de  plus  de  succès  que  les  précédentes.  11  mourut 
à  Vieiine  en  1620,  comme  pensionnaire  de  la  cour  impériale. 

Les  conditions  où  se  trouvaient  la  Transylvanie  et  son  sou- 
verain génial  en  1618,  au  commencement  de  la  guerre  de 
trente  ans,  étaient  donc  excessivement  heureuses.  Comme  dit 
M.  Jules  Pauler  en  parlant  de  Beililen  :  a  la  race  magyare  n'a 
pas  produit  un  prince  depuis  Mathias  Corvin  qui  fut  plus  apte 
pour  le  gouvernement  que  cet  homme  de  trente-six  ans.  Son 
esprit  pénétrant  comprenait  parfaitement  tout  ce  qui  était  né- 
cessaire pour  la  sécurité  et  pour  le  développement  matériel  et 


222        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

intellectuel  de  la  petite  'rransylvauie.  En  sa  qualité  de  partisan 
de  Sipismond  Bâtliory,  d'ennemi  de  Basta  et  ensuite  de  Gabriel 
Bâtliory,  il  eut  souvent  Toccasion  de  séjourner  en  Turquie;  il 
s'v  était  déjà  aperçu  de  la  décomposition  de  ce  grand  empire. 
Aussi  était-il  de  ceux  qui  ne  croyaient  plus  impossible  que  les 
Turcs  pussent  être  chassés  de  la  Hongrie  par  la  chrétienté 
réunie,  que  le  J)ays  pût  être  délivré,  et  il  s'était  réservé  dans 
celle  œuvre  immense  sinon  le  premier  mais  assurément  le  rôle 
le  plus  important.  Mais  les  événements  ne  prirent  pas  une 
tournure  i'avorable  à  la  réalisation  de  ce  projet!  »  Gomme  ('or- 
vin,  il  était  obligé  de  se  mêler  aux  luttes  des  Occidentaux  pen- 
dant que  ses  rêves  ne  visaient  que  la  transformation  de  l'Orient  ! 

Le  caractère  que  la  guerre  de  Trente  ans  eut  en  Hongrie, 
fut  plus  politique  que  religieux.  Les  catholiques  et  les  protes- 
tants hongrois  n'ont  jamais  aimé  la  propagande  à  coups  d'estoc 
et  de  taille.  Le  cardinal  prince-piimat  Pierre  Pdznu'iny  de  Pa- 
nasz  et  le  palatin  comte  Mcolas  Ester/i/ity,  le  fondateur  de  cette 
illustre  famille  de  la  //ont/ rie,  préféraient  la  persuasion  à  la  vio- 
lence. Le  premier  avec  ses  ouvia.<;es  polémiques  —  servant 
encore  aujourd'hui  de  modèle  aux  prosateurs  magvars  —  et 
avec  son  éloquence  véhémente,  le  second  par  son  infatigable 
zèle  de  faire  des  prosélytes,  ont  plus  ramené  de  protestants 
dans  le  giron  de  l'Eglise  catholique  que  n'en  eussent  ramené 
les  lois  les  plus  draconiennes  ou  les  dragonnades  les  plus  san- 
(jlanles.  Et  l'on  ne  peut  pas  affirmer  non  plus  que  ce  fussent 
labsolutisme  et  le  constitutionnalisme  qui  étaient  aux  prises; 
car  on  tenait  au  régime  parlementaire  dans  les  deux  camps 
opposés  avec  une  égale  conviction  et  Beihlen  n'était  |)as  moins 
autoritaire  que  le  gouvernement  inq)érial.  On  peut  dire  plutôt 
(pie  la  Hongrie  ressemblait  à  un  oi'ganisme  en  état  morliide  s'ef- 
forçant  d'éliminer  les  éléments  étrangers  qui  l'encombraient, 
mais  n'ayant  pas  encore  assez  d'énergie  vitale  pour  les  séparer 
d'abord  et  pour  les  expulser  ensuite  l'un  après  l'autre.  L'épo- 
<|ue  de  la  convalescence  ne  devait  venir  (jue  plus  tard. 

Ayant  appris  la  révolte  des  Tschègues  et  la  pointe  poussée 
vers  I  ienne  par  Maihias  Thurn,  Beihlen  se  décida  à  une  prompte 
action.  Il  comprit  que  le  sort  du  protestantisme  hongrois  dé- 


LIVRE    DEUXIÈME  223 

pendait  de  celui  des  Etats  autrichiens  et  qu'il  était  en  corréla- 
tion avec  l'indépendance  de  la  Traiisyli'dnie.  Quant  il  vit  qu'à  la 
diète  de  Pozsony  on  n'était  pas  enclin  à  réparer  les  préjudices 
causés  aux  protestants  et  que  la  cour  de  Vienne  hésitait  toujours 
à  renvoyer  de  la  Bohème  les  troupes  hongroises  commandées 
par  Boucquoi,  il  tira  son  épée  après  avoir  publié  un  acte  d'ac- 
cusation, rédigé  par  Alvùiczy,  contre  le  gouvernement  impérial 
et  après  avoir  appelé  la  Hontpie  aux  armes  pour  la  défense  de 
sa  constitution  et  de  la  liberté  religieuse. 

Ses  premiers  succès  fui'ent  éclatants  :  toute  la  Haute-Hongrie 
depuis  AV/^Av/ jusqu  à  Pozsony  le  reçut  à  bras  ouverts.  A  la  diète 
de  Beszierc-zebànyd,  on  lui  offrit  même  la  couronne  de  saint 
Etienne  le  25  août  l(>lJr,  en  la  retirant  à  Fetdintind  II,  jugé 
par  trop  catholique.  Sans  se  faire  couronner,  Beihlen  accepta  le 
titre  de  roi  de  Hongrie,  mais  comme  il  se  sentait  menacé  du 
côté  de  la  Pologne  par  son  rival  constant  Georges  de  Homonna, 
il  souscrivit  à  l'armistice  proposé  qui  lui  assura  la  possession  de 
la  Hongrie  orientale  jusqu'aux  montagnes  delà  Faim.  Il  devint 
ainsi  un  des  chef  dirigeants  de  la  grande  lutte  internationale. 
On  voit  figurer  son  nom  parmi  ceux  à  qui  devait  revenir  la  cou- 
ronne de  la  Bohême,  mais  ce  fut  le  prince  Frédéric  de  Pfalz 
qu'on  y  élut  pour  le  plus  grand  bonheur  de  Ferdinand,  car  il 
est  très  probable  que  l'issue  de  la  bataille  de  la  Montagne-Blanche 
eût  été  tout  autre  avec  Beihlen  comme  chef  des  alliés  qu'elle 
ne  fut  avec  les  princes  d'Anhalt  et  de  Hohenlohe. 

Ne  pouvant  plus  compter  sur  les  Tschèques,  Beihlen  consentit 
à  la  conclusion  d'une  paix  avantageuse.  Elle  fut  signée  à 
Nikolsboarq  en  1621. 

D'après  ces  stipulations,  il  fallait  que  Beihlen  rendît  la  cou- 
ronne de  Saint-Etienne  ainsi  que  les  forteresses  conquises  et 
qu'il  renonçât  au  titre  de  roi  de  Hongrie,  à  condition  que  Fer- 
dinand lui  cédât  à  son  tour  sept  départements  de  la  Hongrie 
septentrionale  et  lui  conférât  le  titre  de  prince  du  Saint-Empire 
avec  promesse  s  formelles  de  respecter  la  constitution  hongroise 
et  de  réparer  les  griefs  de  la  nation. 

Cette  paix  ne  dura  que  deux  ans,  car,  poussé  ^arV Angleterre, 
la  France  et  la  Hollande,  liguées  contre  l'omnipotence  de  la 


224       MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'inSTOIlîK 

maison  de  Habsbourg ,  Beihlen  recommença  la  guerre  dès  1623 
sous  prétexte  de  l'inexécution  du  traité  de  JSiliolsbnurg.  Elle 
aboutit  à  la  paix  de  Vienne  en  162i,  où  on  conlirma  de  nou- 
veau les  clauses  du  traité  précédent.  On  doit  attribuer  cette 
stérilité  de  la  deuxième  canipa{jne  aux  défaites  subies  par  les 
protestants  en  Allemagne  h  la  suite  desquelles  la  situation  de 
Ferdinnud  s'était  sensiblement  améliorée. 

Arrivé  à  cette  pbase  de  sa  carrière,  Beililcn  faillit  imprimera 
Torienlation  de  sa  politique  une  direction  très  imprévue.  Tour- 
nant le  dos  à  Talliance  turque,  il  se  rapprocba  de  Ferdinand. 
Considérant  le  déclin  visible  de  l'empire  ottoman,  pourquoi  ne 
se  réuniraient-ils  pas  pour  le  combattre?  Il  dirigerait  les  opé- 
i-ations  de  leur  année  et  comme  fjage  de  leur  accord  Fer<liniind 
lui  donnerait  la  main  de  sa  tille.  Car  quoique  protestant  fervent 
—  il  a  lu  viiipt-six  fois  la  Bible  —  il  était  patriote  comme 
Henri  IV. 

Entre  temps,  de  (grands  efforts  furent  tentés  par  les  puis- 
sances protestantes.  La  demande  en  mariage  du  prince  de 
Galles  n'ayant  pas  été  favorablement  accueillie  à  Madrid,  le  roi 
Jac(jnes  d' Aiigleierre  ne  fit  aucun  mystère  de  ses  intentions  lios- 
tiles  h  l'égard  des  Habsbourg.  Il  cliargea  donc  Roe,  son  ambas- 
sadeur accrédité  à  Consiantinnple  .^  de  s'entendre  avec  le  grand 
vizir  pour  entraîner  lieililen  dans  une  coalition  contre  Ferdi- 
nand. Elle  serait  formée  de  V Angleterre .,  de  la  France ,  de  la 
Unllande,  de  la  Tur(iaiee\.  de  Venise.  Ils  demandèrent  ensemble 
au  prince  de  Transyhutnie  de  se  prononcer  francbement  s  il 
voulait  se  ranger  du  coté  de  1  empereur  et  des  callioliques  ou 
du  côté  du  -ultan  et  des  protestants?  u  Votre  adbèsion,  disaient- 
ils,  augmentera  les  forces  de  l'union  et  on  acceptera  le  concours 
de  Votre  Altesse  Sérénissime  sans  condition.  On  ne  veut  pas 
vous  (aire  faire  la  guerre,  on  ne  veut  que  vous  indiquer  les 
vrais  moyens  pour  vous  garantir  efficacement.  Plusieurs  bruits 
circulent  au  sujet  des  intentions  de  Votre  Altesse  Sérénissime  : 
entre  autres,  on  prétend  qu'elle  veut  se  convertir  au  catlioli- 
cisme  et  qu'elle  veut  former,  sous  la  protection  du  pape  et  de 
l'empereur,  un  royaume  indépendant  composé  de  la  Transyl- 
vanie, de  la  Moldalvie  et  de  la  Valachie.  » 


LIVRE   DEUXIÈME  225 

11  n'était  pas  dans  Tintérét  des  IhdshnuKi  de  favoriser  la 
création  d'un  état  semblable.  Arrondi  par  l'adjonction  possible 
de  la  Pologne ,  il  pouvait  devenir  un  rival  dangereux  en  Orient. 
La  main  de  l'archiducbesse  fut  conséquemment  refusée,  et 
Beihlrn  envoya  ses  négociateurs  sans  tarder  de  Vienne  à  Berlin 
pour  y  chercher  femme  et  alliance.  Ils  y  obtinrent  les  deux;  la 
princesse  Cniherine  de  Brandebourg  devint  princesse  de  Tmn- 
syleanie  et  on  y  promit  à  Beihlen  des  sidisides  en  argent.  A  la 
suite  de  cette  alliance,  ses  armées  exécutèrent  une  attaque  si- 
multanée avec  celle  de  Mansfeld.  A  I7e////^'on  cria  à  la  trahison, 
à  la  perfidie.  Emporté  par  son  ressentiment,  Ferdinand ]^vèien- 
dait  que  «  BetJden  n'était  ni  noble,  ni  Magyar,  mais  seule- 
ment Va  laque  !  " 

Après  la  défaite  de  Mansfeld,  au  pont  de  Dessau,  Wallensiein 
et  Beihlen  se  trouvèrent  face  à  face  dans  les  environs  du  Vàg. 
Mais  affaiblis  pour  des  causes  diverses,  ils  n'osèrent  pas  hasar- 
der une  bataille  décisive.  Gnàce  aux  conseils  de  Nicolas  Esterliàzy 
on  renouvela  la  paix  de  Nikolsbourg  à  Pozsony  (1629)  pour  se 
refaire  en  vue  des  complications  nouvelles  et  inévitables.  Cette 
fois,  ce  (ai  Gasiai'e  Adolphe,  le  héros  suédois,  le  beau-frère  de  sa 
femme,  qui  préoccupa  Beihlen  principalement.  Il  en  fit  son 
allié  pour  coml)attre  la  Pologne  toujours  hostile,  en  compagnie 
des  Turcs  et  du  tsar  moscovite.  Mais  il  mourut  au  milieu  de 
ces  préparatifs  de  guerre,  le  15  novembre  1629,  en  recomman- 
dant à  son  entourage  l'élection  de  sa  femme. 

Catherine  ne  resta  que  quelques  mois  sur  le  trône  qu'elle 
abandonna  à  cause  du  départ  de  son  favori  Êiienne  Csàky 
de  Keresziszegh.  Ce  fut  alors  Georges  Ràhkzy  I"  que  les  états 
élurent  pour  souverain.  Fils  du  prince  Sigismond  déjà  cité, 
frère  d'armes  de  Beihlen,  Ràkàczy  était  un  homme  intelligent, 
très  ordonné,  porté  vers  les  idées  conservatrices  et  dont  la  pré- 
occupation dominante  se  rapportait  à  l'accroissement  de  sa 
fortune  et  à  la  consolidation  de  sa  famille  sur  le  trône  de  la 
Transylvanie. 

Contrairement  à  la  politique  de  son  illustre  prédécesseur,  la 
sienne,  très  circonspecte  et  très  timorée,  le  tint  très  longtemps 
éloigné  de  la  guerre  de  Trente  ans.  Il  ne  s'y  mêla  qu'en  1644, 

15 


226  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
après  avoir  reçu  de  la  Suède  des  garanties  formelles  au  sujet  de 
sa  situation  en  cas  d'insuccès.  La  campagne  qu'il  fit  en  Hongrie 
avant  son  ennemi  personnel,  le  comte  Nicolas  Ester/iàzy,  pour 
adversaire,  se  passa  plutôt  en  subtiles  négociations  qu'en  com- 
bats sanglants,  car  son  énergie  était  considérablement  para- 
lysée par  l'attitude  in(juiétante  de  la  Stiblime-Porie  qui  ne 
voyait  j)as  d'un  bon  o'il  raffermissement  et  le  développement 
de  sa  puissance.  De  là  l'empressement  avec  lequel  il  saisit  la 
première  occasion  favorable,  les  avantages  remportés  en  Mo- 
ravie par  Torsfensoii  sur  les  armées  de  Ferdinand  III,  pour  l'aire 
la  paix.  Elle  fut  signée  le  10  décembre  1645  à  Litiz.  Ses  sti- 
pulations profitaient  au.v  protestants  et  à  Uâh'ivzy,  sans  for- 
tifier la  Traiis)  Iranie  elle-même,  faute  politique  considérable 
dont  les  conséquences  ne  se  firent  pas  longtemps  attendre. 

On  a  pu  constater  plus  haut  l'influence  que  les  vayvodes 
roumains  exerçaient  sur  le  sort  de  la  Transylvanie  ?i\\  commen- 
cement du  XVII"  siècle.  Elle  cessa  à  mesure  que  ce  furent  de 
vrais  hommes  d'État  f{ui  v  occupèrent  le  trône.  Du  temps  de 
Georges  liàk'kzy  1",  on  y  était  de  nouveau  dans  les  condi- 
tions normales.  Aussi  les  boyards,  mécontents  des  exactions 
du  vayvode  Léon,  se  réfugièrent-ils  de  la  Valachie  tout  naturel- 
lement auprès  de  lui.  Et  avec  raison,  car  il  ne  leur  accorda  pas 
seulement  l'hospitalité,  mais,  ayant  refusé  de  céder  aux  nom- 
breuses réclamations  de  Léon,  il  mit  leur  chef  Mathiea  Basaraha 
à  la  tète  d'une  armée  auxiliaire,  à  l'aide  de  laquelle  celui-ci 
ne  tarda  pas  à  conquérir  le  trône  de  son  persécuteur.  Ayant 
reçu  l'investiture  du  sultan  ,  Mathieu  régna,  exposé  aux  ca- 
prices des  grands  vizirs,  mais  gardant  jusqu  à  sa  mort  une 
fidélité  inébranlable  envers  les  Ràkdczy. 

Elle  était  d'autant  plus  méritoire  qu'à  la  suite  de  certaines 
menées  de  Vasilié  Lajju,  vavvode  de  la  Moldavie,  désireux  de 
remplacer  Mathieu  en  Valachie  et  de  céder  sa  propre  vayvodie 
à  son  fils  aîné  Jon,  Ràkoczy  reçut  de  Constaniiuople  Tordre  de 
soutenir  1  entreprise  du  compétiteur  de  son  ami,  tout  en 
sachant  que  le  premier  lui  en  voulait  aussi .  Mais  grâce  au 
concours  de  plusieurs  circonstances  imprévues,  Ràckôzy 
ne  fut  pas  obligé  de   faire  couler  le   sang  des  lioamains.  Son 


LIVRE   DEUXIP:ME  227 

général  Jecni  de  Keincny  réussit  à  réconcilier,  au  moins  pour 
quelque  temps,  les  deux  vayvodes  ennemis  et  h  leur  imposer 
un  tribut  annuel  au  profit  de  Rnliôc~y.  Mais  J^upu  ne  voulut 
pas  renoncer  à  ses  idées  de  conquête  depuis  longtemps  cares- 
sées. Il  recommença  ses  intrigues  auprès  des  Turcs,  en  af- 
firmant que  c'était  pour  les  combattre  que  Mnihieu  cultivait 
Tamitié  du  prince  de  Transyluanie.  Alors  il  fut  sévèrement  dé- 
fendu à  ce  dernier  de  protéger  son  vassal  aux  abois.  Ràkoczy, 
ne  voulant  pas  complètement  l'abandonner,  lui  envoya  néan- 
moins subrepticement  un  corps  de  cavaliers  à  l'aide  duquel  il 
lui  fut  aisé  d'infliger  une  défaite  à  Lnpii  (le  3  décembre  l()3î)). 
il  V  eut  ensuite  de  nouvelles  négociations  qui  aboutirent  enfin 
à  une  paix  définitive,  confirmée  par  la  Suhlime-Porie.  En  de- 
liors  du  tribut  annuel  de  2,500  ducats,  les  vayvodes  lui  four- 
nirent des  troupes  auxiliaires  dont  Ràkôczy  n'eut  qu'à  se  louer 
pendant  sa  campagne  de  1644. 

Au  fond,  le  but  secret  de  ses  visées  n  était  ni  en  Hongrie  ni 
en  Orient.  Il  n'apparaît  ouvertement  que  vers  la  fin  de  sa  vie, 
quand  le  trône  de  la  Po/ofjnc  devient  vacant.  Hanté  par  le  sou- 
venir de  la  gloire  d'Etienne  Bniho))  ,  il  y  prépara  sa  candidature 
de  longue  date  par  l'accueil  qu'il  fit  au  prince  de  Radziwil,  chef 
des  dissidents  polonais,  dans  son  château  de  Munkâcs.  Pour  ne 
pas  exciter  la  jalousie  de  la  cour  de  F/V'/î/?^' et  du  sultan,  il  se  se- 
rait contenté  de  ne  placer  la  couronne  de  Pologne  que  sur  la 
tête  de  son  second  fils  Sigisniond,  en  laissant  la  Transylvanie  à 
son  aîné,  Georges  //qui  lui  succéda  en  1648.  Mais  la  combi- 
naison échoua  par  suite  de  l'aversion  que  Sigisniond  éprouva 
pour  Irène,  la  seconde  fille  de  Vasilié  Liij)ii  avec  laquelle  il  au- 
rait dû  se  marier,  pour  obtenir  non-seulement  le  concours  de 
son  futur  beau-père,  mais  aussi  celui  du  prince  de  Radziwil 
autre  gendre  du  vayvode  de  Moldavie  ainsi  que  son  fidèle  allié 
le  hetman  des  ('oAY/Y«''S ,  Bogdan  Chmelniizky.  Le  puritanisme 
rigide  du  jeune  Râk'kzy  ne  put  s'accommoder  de  l'aspect 
oriental  de  la  belle  Roumaine,  élevée  comme  otage  àConstanti- 
nople  qu'il  ne  connaissait  du  reste  que  d'après  son  portrait,  don 
de  Lapa.  Il  y  eut  cependant  une  demande  en  mariage  formelle 
à  laquelle  le  vavvode  moldave  répondit  par  un  refus  d'autant 


228       MAGYAllS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
plus  caté[;ori(|nc  qu'il  pensait  déjà  à  d'autres  liens  matrimo- 
niaux, les  Cosaques  elles  Polonais  s'étant  entre  temps  réconci- 
liés. Mais  dans  sa  réponse  ol'liclelle  il  prétexta  Topposilion  du 
clergé  orthodoxe. 

Les  consé(|uences  également  désastreuses  pour  les  deux  pays 
de  ce  mariage  manqué  ne  se  firent  pas  longtemps  attendre. 
Lapa  avant  marié  sa  lillc  à  Tiiuas  ('/iDic/niiz/.y,  {\h  et  succes- 
seur de  Jio(/(Ian,  se  trouva  bientôt  en  hostilité  ouverte  avec 
Gconifs  Tl ,  car  dans  le  différend  qui  éclata  en  K),")^  entre  la 
Pohn/iir  et  les  Cosaqars,  celui-ci  prit  fait  et  cause  pour  le  roi 
de  Po/of/n(',Jraii-C<isini/r,  afin  de  se  rendre  populaire  aux  yeux 
du  peuple,  dont  il  voulait  briguer  plus  tard  le  suffrage  comme 
roi.  L'issue  de  cette  guerre  fut  longtemps  incertaine.  D'abord, 
I  armée  transvlvanienne  eut  le  dessus  sous  la  conduite  de  Jr(/ii 
de  A>»/Y'/n.  Avant  chassé  Lujxi  du  trône  moldave,  il  y  installa, 
d'accord  avec  Mai/ucu,  le  vayvode  de  Va/ar/iie,  le  grand  loge- 
fette  G/irorgi/za.  Mais  déjà  Lapa  revenait  acconqnigné  de  77- 
i)iiis,i\  la  tête  d'vuie  nombreuse  armée  cosaque  devant  laqueller/c 
Kcnicny  se  vit  forcé  de  battre  en  retratie.  A  ce  moment  entre 
en  ligne  Mnihicit  à  son  tour;  il  rejoint  le  chef  magyar  et, 
réunis,  ils  gagnent  la  bataille  de  Finia.  Du  côté  du  Nord,  ce 
sont  les  Polonais,  conduits  par  Lahoinirsl,y\  du  côté  de  l'Ouest, 
ce  sont  les  Sirulcs  de  Pcihy  qui  pénètrent  eu  Moldalvie.  La  ba- 
taille décisive  eut  lieu  à  Sirra,  d'où  Lapa  s'enfuit  en  Ukraine 
tandis  que  Timus  se  réfugiait  à  Soucsava  entouré  de  la  famille 
vayvodale.  Cette  forteresse  ne  se  rendit  qu'à  l'automne,  après 
l'arrivée  de  Jean  de  Kenu'ny  et  de  son  artillerie  de  siège.  Quant 
à  Lupn,  les  Tartares,  ses  hôtes,  s'en  débarrassèi'ent  en  l'en- 
vovant  sous  bonne  escorte  et  chargé  de  fers,  à  Cnnsianiinoplc 

Dans  l'année  1(35  4  mourut  Mathieu,  le  fidèle  allié  de  la 
famille  liàfidcz)-.  Il  eut  pour  successeur  Constantin  Serhan  Basa- 
raha.  Au  commencement  de  son  règne  il  eut  à  combattre  la 
révolte  des  seimen ,  de  ses  troupes  mercenaires,  pour  la  répres- 
sion de  laquelle  il  demanda  l'assistance  du  prince  de  Transyl- 
vanie. Ilàlioczy  parut  on  personne  à  la  tète  de  son  armée  et, 
grâce  à  son  sang-froid  et  à  son  énergie,  il  gagna  la  bataille  de 
Plojesii  (le  iGjuin  IG55).  Kn  réalité,  il  eût  mieux  valu  qu'il  ne 


LIVRE    DEUXIEME  229 

remportât  pas  cette  victoire,  car  elle  le  confirma  dans  sa  dé- 
termination d  entreprendre  l'exécution  de  la  chimère  râko- 
czienne,  la  conquête  de  la  Pologne. 

Ayant  fait  élire  son  fils  â,[jé  de  sept  ans  prince  de  Trausyd- 
('^//<?'f  sous  le  nom  de  François  /"(le  18  février  1653),  biais 
par  lequel  il  espérait  apaiser  les  susceptibilités  de  ses  voisins 
redoutables,  l'empereur  Lcojiold  et  le  sultan,  —  confiant  dans 
la  fidélité  des  deux  vayvodes  roumains,  il  s'entendit  avec  le  roi 
de  Snèdc,  ('/utflc's-Gastave,  au  sujet  du  partage  des  pays  polonais 
et  il  obtint  même  des  Cosa<iiies  la  promesse  de  leur  concours. 

Ce  fut  le  18  janvier  1657  que  1  armée  transylvanienne,  accrue 
des  contingents  des  deux  vayvodies  roumaines  et  comptant 
plus  de  40,000  hommes,  se  mit  en  marche  sous  la  conduite  per- 
sonnelle de  (k'oi-f/en  II,  ayant  pour  chef  de  son  état-major  Jeaii 
de  Kenieiiy.  Au  versant  septentrional  des  Cfirptit/ies,  elle  fut  re- 
jointe par  les  Cosdijties ;  tandis  que  la  réunion  avec  les  Suédois 
n'eut  lieu  que  sous  les  murs  de  C'/v/coc/e  même,  le  :28  mars  sui- 
vant. 

Jamais  on  n'a  vu  mieux  préparer  une  campagne  et  tourner 
un  début  aussi  heureux  en  désastre  irrémédiable. 

Conformément  à  sa  politique  déjà  séculaire,  la  SubUme-Porie 
n'admettait  le  développement  excessif  d'aucun  des  Etats  qui 
vivaient  dans  l'orbite  de  sa  puissance.  Elle  intima  donc  l'ordre 
à  Ràkôczy  de  cesser  la  guerre  et  de  retourner  en  Transyl  vanie 
incontinent,  et  comme  il  n  obéit  pas,  elle  le  fit  attaquer 
par  le  khan  des  Tar/ares.  D'autre  part,  1  empereur  Lcopold  I" 
réussit  à  susciter  des  difficultés  aux  Suédois  du  côté  du  I)an&- 
luarli  et  mit  16,000  hommes  à  la  disposition  de  Luboniirsky 
pour  ravager  les  possessions  hongroises  de  lu'tliôczy ,  service 
immense  que  Jean  Sobicsky  tint  à  rendre  vingt-six  ans  plus 
tard  en  délivrant  l/Vv/ne  assiégée  par  Kuru-Mousiufa  ! 

Ayant  chargé  Jeun  dt>  Kenuhn  du  commandement  de  son 
armée  disloquée,  Ràkôczy,  pour  sauver  sa  vie,  dut  précipitam- 
ment rentrer  en  Transylvanie,  où  on  procéda  sans  tarder  à  son 
remplacement  sur  l'injonction  du  sultan  (le  1"  novembre 
1657).  Mais  l'élu  des  états,  François  Ilhédey,  ne  se  considéra 
que  comme  intérimaire  et  remit  ses  pouvoirs  de  nouveau  à 


230  MAGYARS  ET  IIOUMAINS  DEVAÎsT  L'HISTOIKE 
Ràkôczy  aussitôt  que  celui-ci  se  crut  redeveuu  populaire.  Mais 
voulant  s'emparer  de  la  Transylvanie  pour  en  faire  la  base  de 
leurs  opérations  futures,  les  Tnrcs  n'entendirent  pas  de  cette 
oreille-là.  Le  {jrand  vizir  Knprali  Mohaniei  y  vint  en  personne 
pour  chasser  Ràkoczy  et  pour  le  remplacer  par  Acluite  Barcsay 
sous  des  conditions  tellement  onéreuses  qu'on  pouvait  d'avance 
présumer  que  le  pays  ne  serait  pas  en  état  de  les  remplir. 
C'était  une  raison  pour  liàlwczy  de  reparaître  encore.  Mais  ne 
recevant  des  renforts  de  personne,  il  ne  put  opposer  à  la 
bataille  de  Fanes  que  des  forces  insuffisantes  à  Scïdi-Ani/iai 
pacha,  dont  l'armée  complète  ne  fit  qu'une  bouchée  de  ses 
troupes  peu  nombreuses  (le  22  mai  16(30  .  Georges  II  y  fut 
mortellement  blessé  et  mourut  quinzejours  après  à  iYa^l-lVy/rtr/, 
dont  les  Turcs  s  emparèrent  peu  de  temps  après. 

Pour  contrebalancer  l'effet  moral  et  matériel  de  ce  [jrave 
échec,  la  cour  de  Vienne  prit  la  candidature  au  trône  de  Tran- 
sylvanie de  Jean  de  Kemény  sous  sa  protection.  Celui-ci  défit  son 
compétiteur  Barcsay  dans  plusieurs  rencontres;  finalement  il 
s'en  empara  et  le  fit  exécuter  avec  plusieurs  de  ses  partisans. 
Férocité  iimtile,  car  déjà  les  Turcs  envoyaient  une  nouvelle 
armée  en  Transylvanie  sous  les  ordres  de  Kouichouh  pacha. 
Ce  fut  Montecnccoli  et  son  armée  que  1  on  désigna  à  Vienne 
pour  l'escorte  de  Jean  de  Kemény.  Mais  le  général  «  aux  pieds 
d'écrevisse  •  ,  comme  ses  contemporains  l'appelèrent,  ne  le 
conduisit  qu'à  la  frontière  de  la  Traiisylvanie.  L'ayant  franchie 
<le  Kemény  et  Koiitsctiouli  se  mesurèrent  à  iXagy-Szoelloes  où  le 
premier  fut  vaincu  et  tué  (le  2;i  janvier  1662).  C'était  en 
même  temps  la  consécration  de  l'élection  de  Michel  Apn/i; 
elle  eut  lieu  le  li  septembre  de  la  précédente  année,  ainsi 
(jue  le  commencement  du  déclin  de  la  Transylvanie  comme  état 
indépendant. 

Les  deux  vayvodes  roumains,  alliés  de  Georges  Ràkkzy  II, 
ne  furent  pas  plus  épargnés  par  le  sultan.  Il  les  destitua  tous 
deux  et  il  mit  sur  le  trône  de  la  Moldavie  Glieorghe  Ghica  et 
sur  celui  de  la   Valacliie  Mihnéa  liadu. 

Il  faut  considérercetterecrudescenceapparente  de  l'influence 
turque  comnie  les  dernières  flammes  d'une  lampe  qui  s'éteint; 


LIVRE   DEUXIÈME  231 

car  dans  la  guerre  qui  éclata  Tannée  suivante  entre  Léopold  P' 
et  les  2'ujc.s,  ces  derniers  essuyèrent  à  Saint-Goiihard  {\e  {"  août 
I()<)4)  le  premier  échec  sérieux,  précurseur  de  tant  d'autres, 
sur  le  territoire  hongrois,  où  ils  avaient  cueiUi  jadis  de  si 
beaux  lauriers.  La  paix  de  Vasvàr  —  conclue  dix  jours  après, 
semblait  les  lavoriser  cependant  encore,  puisqu'elle  se  basait 
sur  le  statu  (juo.  Mais  cette  longanimité  de  Léopold  s'explique 
aisément  j)ar  Torage  qui  l'avait  menacé  du  côté  de  la  France 
et  auquel  il  fallait  l'aire  face  avant  tout. 

Cette  inthience  de  la  politique  française  sur  les  affaires  de 
la  Hongrie  ne  fit  que  croître   depuis  qu'on   s'y    aperçut   que 
les  hommes  d'État  impériaux  ne  s'en  occupaient  qu'avec  une 
certaine  indifférence.  Des  magnats  patriotes,  tels  que  le  palatin 
Nicolas  Wesselénji,  le  poète-héros  Nicolas,  comte  Zrinyi;   son 
frère  Pierre,  le  suprême  juge  (judex  curiae)  François  Nàdasdy 
trouvaient  que  la  situation  du  pays  devenait  intolérable  à  cause 
des  courants  antimagyars  qui  caractérisaient  les  résolutions 
de  la  cour  de    Vienne.  Après  la  mort  de  l'auteur  de  la    «  Zri- 
nyiade  »  ,  tué  par  un  sanglier  à  la  chasse  (le  18  novembre  1664) 
et  après  la  mort  de   Wcsselényi,  Pierre  Zrinyi  devenu  bàn  de 
Croatie,  organisa  une  vraie  conspiration ,  englobant  son  beau- 
frère  Pierre  Frangepan  et  son  gendre  François  Râkôczy  P',  l'ex- 
priuce  de  Transyixutnie ,  qui  s'était  converti  au  catholicisme, 
et  vivait  maintenant  retiré  dans  ses  terres  dans  la  Haute-Hon- 
grie. Le  mouvement  n'aboutit  pas  parce  qu'il  n'avait  pas  de 
but  déterminé,  les  conspirateurs  étant  tous  très  dévoués  aux 
Habsbourr/  et  ne  voulant  viser  que  le  gouvernement  impérial. 
Ils  furent  cependant  condamnés  et  exécutés  soit  à  Vienne  —  Nà- 
dasdy,  —  soit  à    Wiener-Neustadt ,  —  Zrinyi  et  Fraur/epan   — 
(le  30  avril  1671).  Râkôczy  eut  la  vie  sauve  grâce  aux  efforts  des 
Jésuites  et  de  sa  mère,  la  fervente  catholique  Sophie  Bàthory, 
dernière  descendante  de  cette  famille,  également  douée  des 
plus  grandes  vertus  et  des  plus  grands  vices. 

Enhardi  par  l'effet  profond  produit  par  ces  exécutions,  le 
gouvernement  impérial  composé  de  féodaux  réactionnaires, 
tels  que  les  Montecuccoli,  les  Lohkoivitz  et  les  Hocher,  entra 
résolument   dans  la  voie  des    illégalités  de  l'absolutisme.    Il 


232        MAGYAIIS    ]:ï    UOUMAINS    DEVANT    L'HISÏOIRE 

prolongea  le  séjour  des  «arnisons  allemandes  dans  les  places 
lortes  de  la  Hongrie;  jiour   les  entretenir,  il  leva  des  impôts 
nouveaux,    tandis  qu'il    substitua    au  [)alatin    un  gouverneur 
autrichien,  assisté  d'un  conseil  mi-parti  honjjrois,  mi-parti  alle- 
mand (IG73).  Et  ces  mesures  anticonstitutionnelles  lurent  ren- 
dues  plus  odieuses  encore    par   les    persécutions   religieuses 
recommencées  :  on  expulsa  les  |>rotestants  de  leurs  églises,  on 
envoya  leurs  pasteurs  aux  galères,  dans  les  prisons,  en  exil. 
Les  mécontents  y  rijK)stèrent  par  une  prise  d'armes  dès  lG7îi, 
et  une  espèce  de  guerre  de  guérillas  dura  jusqu'en  1678  entre 
\c^  J.dbfnil:^  sobriquet  des  impéiiaux,  et  les  Kouroaiz  comme 
s  appelaient  les  révoltés  en  souvenir  des  cntciaii ,  (prononcez  à 
l'italienne  :  crouddii)  de  (îcair/es  Ihksa .  Soutenus  par  des  sub- 
sides venus  de  la  Jr<nislyvanie  et  de  la   France,  les  Hongrois 
se  battirent  vaillamment  et  leur  soulèvement  prit  des  propor- 
tions tout  à  fait  menaçantes,  quand  Kmérie  Thoeltoelyi  (les  his- 
toriens français  écrivent  Tél,<jly)  se  mit  à  la  lèle  de  leurs  trou- 
pes. Issu  d  une  très  riche  lamille  luthérienne  assez  illustre,  — 
un  de  ses  aïeux,  Geort/es  de  Tlmrzo,  étaitpalatin  de  IGOO  à  101(>, 
fils  d'un  proscrit  impliqué  dans  la  conspiration  de   Wesseiényi 
et  qui  mourut  eu  défendant,  contre  les  impériaux,  la  forteresse 
(ÏArvd,  —  le  jeune  et  génial  général  n'avait  alors  que  vingt  et 
un  ans,  mais  enflammé  par  l'amour  (ju'il  ressentait  pour  la 
bell(!   Ilonn    Zrinyi^   fille  et  nièce   de  Pierre  Zrinyi  et  de  Fran- 
çois Fi-tuu/epiin  décapités,   et  veuve  depuis    l()7(>  de  François 
Ihilioczy  -/'',  il  fit  de  tels  prodiges,  que  Leopold  se  \\i  forcé  de 
convoquer  une  diète  à  .S'o/;/o// en  1(58!   «pour  la  restitution  de  la 
libeité  du  pays  "  .  Il  révoqua  le  gouverneur  allemand  et  nomma 
Paul  Fster/iàzj  ,  le  fils  de  Nico/as  et  le  beau-Irère  de  1  infortuné 
yàdasdf,  palatin  de  la  Honr/iie,  charge  qu  il  remplit  pendant 
plus   d  un  quart  de  siècle  et  (pii  ne  l'empêcha  pas  d'être  im 
compositeur  de  musique  religieuse  très  sérieux. 

(î'est  à  ce  moment  que  les  Turcs  tentent  leur  dernier  effort 
contre  la  chrétienté.  Le  grand  vizir  Kara-Mousiafa  assiège  en 
1683  Vienne  avec  :200,()00  hommes,  parmi  lesquels  figure  le 
contingent  de  Tlnielioelyi.  Mais  déjà  l'éclat  du  Croissant  pâlit 
et,  repoussés  par  les  héroïques  défenseurs  bourjjeois  de  Vienne, 


LIVRE   DEUXIÈME  233 

battus  ])ar  le  roi  de  Pologne  Jean  Sobieski,  les  Turcs  perdent 
successivement  toutes  les  places  fortes  de  la  Hongrie  :  Eszler- 
r/oni  le  21  octobre  1683,  Érsek-Ujvàr  le  II)  août  1085. 

Alors  dans  l'espoir  de  faciliter  la  conclusion  de  la  paix, 
Thoekoclyi  iut  arrêté  par  le  pacha  de  Téniesvàr  sur  l'ordre  du 
prand  vizir  Ibrahim  te  Saian.  Cette  trahison  inutile  chassa  tous 
les  mécontents  dans  le  camp  des  impériaux.  On  les  voit  com- 
battre sous  les  ordres  de  Charles  de  Lorraine  au  premier  rang 
à  la  reprise  de  Bade  (le  '2  septembre  1G8()  où  la  résistance  hé- 
roïque d\ibdarrah)nan  pacha  clôt  glorieusement  l'époque  fu- 
neste de  l'occupation  turque  de  la  Hongrie. 

Il  n'y  eut  qu  Ilona  Zrinyi^  devenue  la  femme  de  Thoekoelj  i 
en  168:2,  qui  n'abandonna  pas  la  cause  des  mécontents.  S'étant 
enfermée  dans  la  place  forte  de  Mankâcs^  elle  y  subit  un  siège 
de  trois  ans  et  ne  se  rendit  au  général  impérial  Caraffa  que 
faute  de  vivres  et  de  munitions  (le  1  4  janvier  1688). 

Mais  déjà  la  diète  de  Pozsony ,  pendant  la  durée  de  laquelle 
eut  lieu  le  couronnement  de  Josejih  P\  fils  de  Léopold  I"  par 
l'archevêque  Georges  Széchenji  [\e  9  décembre  1687),  avait 
promulgué  la  loi  concédant  à  la  maison  des  Habsbourg  le  droit 
de  régner  en  Hongrie  par  droit  héréditaire,  en  souvenir  des 
services  qu'elle  a  rendus  en  «ayant  chassé  les  Turcs  du  cœur 
du  pays  >'  .  La  noblesse  magyare  y  renonça  également  à  cette 
fameuse  clause  de  la  bulle-d'Or  qui  lui  permit  de  résister  les 
armes  à  la  main  a  toutes  les  tentatives  illégales  du  gouver- 
nement. 

Quant  à  la  Transyb'anie^  elle  n'assista  pas  en  spectatrice  inac- 
tive à  tous  ces  grands  événements.  Redevable  au  sultan  de 
son  élection ,  Apafi  se  vit  obligé  de  prendre  part  aux  expé- 
ditions des  armées  turques.  Cette  humiliation  devint  d'autant 
plus  insupportable  pour  la  partie  la  plus  éclairée  de  la  popula- 
tion que  l'on  sentait  parfaitement  la  rapidité  avec  laquelle  la 
puissance  ottomane  s'approchait  de  son  déchn.  Ce  fut  Me  A  eZ 
l'eleki  de  Szék ,  le  génial  chancelier  à' Apafi  qui  servit  de  clef 
pour  ouvrir  à  Léopold  la  Transylvanie.  Semblable  au  Frère 
Georges^  il  soutenait  d'abord  les  éléments  anti-autrichiens  de  la 
Hongrie  et  se  comportait  à  l'égard  de   Thoekoelyi  comme  un 


234       MAr.YAI'.  S    KT    ROUMAINS    DEVAM    L'HISTOIIIE 

protecteur  enthousiaste;  mais  depuis  168:2  il  travaillait  en  fer- 
vent apôtre  de  la  léconciliation  avec  les  Nfibslfo/nf/ ,  de  la  sou- 
mission à  la  royauté  hongroise.  Il  eut  h  combattre  un  parti 
composé  de  mécontents  qui  avait  Paul  Ih-IjU  pour  chel,  mais 
dont  les  intentions  étaient  trop  complexes  pour  réussir,  ayant 
exilé  les  j)rincipaux  des  conjurés,  Tcleki  pressa  lièvreuscment 
TachèN  ement  de  son  j)lan  patrioti(pie  :  délivrer  la  Trans)  Ivdiiie 
du  patrona(;e  turc  et  la  rattachera  la  couronne  honjjroise,  tout 
en  sauvegardant  le  troue  cVA/xiJ'i  et  les  franchises  du  protes- 
tantisme (le  l!l  nuii  l()88). 

Après  la  mort  d'ApaJi  (1690),  son  fds  Michel  II  se  put  con- 
sidérer encore  comme  prince  indépendant;  mais,  ayant  fait 
un  sot  mariage,  on  Tohligea  à  abdicpjer  (HJHij .  Entre  temps, 
les  /'lires  filent  une  dernière  incursion  pour  conquérir  la  7'/7/y/- 
syleanie  en  faveur  de  Thoekoelyi  à  qui  le  sultan  la  donna  en 
guise  de  dommages-intérêts  après  son  emprisonnement  malen- 
contreux. Ayant  franchi  le  col  de  Toicsvin-  par  des  sentiers  dont 
on  ne  s'était  jauuiis  servi  avant  lui,  son  armée  composée  de 
Turcs,  de  Turin res  et  de  Koiiroii/:^  surprit  celle  de  Michel Tele- 
lii,  à  laquelle  venaient  se  joindre  les  troupes  de  général  impé- 
rial i/e/'-sAr.  La  bataille  de  Zernyesi  {\e  21  août  1000)  eut  une 
issue  fatale  pour  les  Triiiisylviinieiis  :  Telehi  mourut  transpercé 
de  coups  de  lance  et  lleisler  fut  pris  vivant.  Elle  ouvritlepavs 
à  Thoetioelyi,  que  la  diète  provoquée  à  Keresz/é/n-Szii/ei,  près 
Szehen,  élut  prince  indépendant  le  22  septembre  suivant.  Mais 
eu  octobre  il  lut  obligé  de  se  retirer  en  Viilachie  et  son  aven- 
ture ne  lui  profita  qu  au  point  de  vue  sentimental.  En  échange 
de  ses  prisonniers  importants  ou  lui  rendit  sa  femme  avec 
laquelle  il  se  rencontra  après  sept  ans  de  séparation  forcée 
à  Uj-Paliiiif,(i  le  13  mai  l()f)2.  Depuis  ils  vécurent  exilés  dans 
la  plus  étroite  union  pour  s'éteindre  en  Asie  Mineure  h  Ismiil, 
l'ancienne  Nicoiueilie,  à  un  endroit  appelé  »  l*rairie  de  fleurs  " 
oii  Ilona  Zrinyi  mourut  en  1703  et  Thoekoelyi  en  1705.  La 
première  repose  dans  la  petite  chapelle  des  Jésuites  h  G<il(itii\ 
le  testament  du  second  demande  "  à  être  ramené  en  Hongrie, 
dans  l'église  d'une  ville  luthériennee  et  à  y  être  désigné  par 
un  drapeau  et  une  {'pitaphe.  » 


LIVRE   DEUXIÈME  235 

La  guerre  de  délivrance  contre  les  Turca  n'en  continua  pas 
moins  en  Hongrie.  Après  les  victoires  du  duc  de  Lorraine  à 
Mo/iàcs  (le  1 2  août  1 687)  et  du  prince  Eugène  de  Savoie  à  Zenta 
(le  1  1  septembre  1697),  après  la  reprise  successive  de  toutes  les 
places  fortes  hongroises,  le  sultan  Moustafa  ne  put  qiie  de- 
mander la  paix.  Elle  fut  conclue  à  Xrtr/6cra(Karlovitz)  le  25  jan- 
vier 1699  en  restituant  au  roi  de  Hongrie  toute  la  Honcjrie  et 
la  Transylvanie^  une  petite  partie  du  Banal  et  du  Szerémség 
exceptée. 

De  fait,  ce  fut  Léopold qui  régna  en  Transylvanie  depuis  la  si- 
gnature du  diplôme  qui  porte  son  nom  et  qui  règle  la  nouvelle 
constitution  du  pays,  c'est-à-dire  depuis  le  4  décembre   1691. 


CHAPITRE  XI 

LK    l'HOTKSrANTJSMK    KT    Li:    ROriIAMSMK    Al      \\\f    SIKC.LK. 

Il  c?t  incontestable  ((ue  les  victoires  de  Michel  le  Brave  et  de 
lladu  Serban  remportées  sur  André  et  Gabriel  liâihory,  sur 
Moïse  de  Székely,  ne  pouvaient  avoir  lieu  sans  éveiller  à  un  cer- 
tain defjré  la  conscience  et  les  aspirations  nationales  chez  les 
lioiundins  de  la  Transylvanie  en  général  et  surtout  chez  son 
cler^jé  en  particulier.  On  ne  doit  pas  oublier  non  plus  que 
c'est  encoie  de  répo<|ue  de  Michel  le  llrare  que  1  on  possède  en 
Valachie  elle-même  les  premiers  documents  rédigés  en  rou- 
main. Il  en  existe  un  datant  de  1583  ou  1585  et  provenant  de 
Théodoru,  logofette  de  Vhidesc.  C'est  en  roumain  (jue  le  vayvode 
Michel  en  couHrme  un  autre  dont  le  texte  est  en  slavon.  Mais 
le  premier  document  original  et  entièrement  roumain  provient 
de  Sinieon  Movila  et  date  de  MîO  I .  Il  en  tait  écrire  (juatre  autres 
en  I()04  i  I).  Résultats  qu'il  faut  attribuer  incontestablement  à 
l  influence  des  tentatives  littéraires  roumaines  dont  le  protestan- 
tisme a  pris  l'initiative  au  milieu  du  xvr  siècle  en  Transylvanie. 

Si  ce  mouvement  littéraire  national  ne  se  propage  pas  aussi 
rapidement  qu  alors  les  protestants,  et  ])lus  tard  les  historiens 
roumains  l'eussent  désiré,  —  il  ne  faut  s'en  prendre  (pi'aux 
conditions  déplorables  dans  lesquelles  vivait  le  clergé  rou- 
main aussi  bien  dans  les  deux  vayvodies  qu  en  Transylvanie. 
Dans  son  u  Histoire  des  bulgares  "  .  Jireeel,  ai'lirme  (jue  ^  ni 
l'état  militaire  ni  le  sacerdoce  n  ont  aiïrauchi  le  serl';  s  il  a  été 
consacré  prèlre,  il  est  resté  la  propriété  de  son  maître  en  cas 
où  celui-ci  a  bien  voulu  se  charger  de  son  entretien.  Il  n'y 
avait  que  lélévalion  à  la  dignité  d'évéque  qui  impli<[uait  l'al- 
iranchissement  complet.  Nous  rencontrons  en  Bulgarie  sur  les 
terres  des  monastères  de  Virpins,  d  Orechavo  et  de  Ryl  plu- 
sieurs popes  en  état  de  servage  (2)  )■  . 

(1)  ÎIasdev,  Ciiviiilc  (lin  IxHraiii^  I,    p.   104  ;i  l.'ÎT. 

(2)  JinECKK,  Cesciticlilc  (1er  Buhjaieii,  p.  402  et  403. 


LIVRE    DEUXIÈME  237 

Dans  la  Pologne  méridionale,  la  Galicie  actuelle,  on  rencon- 
tre (les  colonies  roumaines  en  grand  nombre  dès  le  xii"  siècle. 
Eh  bien!  les  documents  qui  s'y  rapportent,  ne  dépeignent  pas 
autrement  hi  situation  des  popes  non  plus.  Dans  un  acte  de 
vente  ratifié  par  le  roi  Sigisinnnd  en  1532,  il  est  dit  qu'il  est 
permis  aux  Roumains  d  avoir  une  svnagogue  et  un  pope  dans 
la  commune  de  Sirwiazek,  si  ce  dernier  veut  régulièrement 
paver  son  cens  au  roi,  comme  les  autres  popes  le  font.  On 
sait  aussi  que  ces  popes  roumains  appelés  vidgairement  des 
hniiko  payaient  au  seigneur  une  redevance  annuelle  de  quatre 
florins  ainsi  qu'une  peau  de  martre.  Ilunfalvy  a  donc  grande- 
ment raison  de  supposer  que  :  «  la  servitude  et  la  rusticité  des 
popes  sont  des  spécialités  importées  de  la  Bulgarie  dans  les 
pays  de  la  rive  gauche  du  Danul^e  (1)  "  .  Il  faut  donc  avouer 
que  Gabriel  Bâihory  en  ordonnant  dès  1609  que  les  popes  puis- 
sent librement  circuler  contre  la  volonté  elle-même  de  leurs 
seigneurs,  toutefois  avec  la  permission  du  vladique  (évêquei 
de  Gyalafehéri'àr ;  que  Gabriel  Beihlen  en  affranchissant  le 
clergé  roumain  de  For/aras  du  payement  de  toute  espèce  de 
dime  (le  18  septembre  102  4),  se  laissent  inspirer  par  des  senti- 
ments humanitaires  qui  leur  font,  et  dans  leur  personne  à 
toute  la  race  magyare,  le  plus  grand  honneur.  Or  le  clergé 
orthodoxe  de  la  Transylvanie  dans  quelles  conditions  se  trou- 
vait-il alors?  Voilà  le  règlement  que  l'ëvéque  Dosi/eùi,  en  fonc- 
tion de  1625  à  1627,  lui  impose  : 

"  Le  pope  qui  ne  veille  pas  suffisamment  sur  sa  pureté  dans 
1  accomplissement  de  son  ministère  sacerdotal  et  qui  s'enivre, 
vole  ou  assassine  paiera  8  florins  à  son  évêque.  Si  le  pope  ne 
connaît  pas  les  psaumes,  il  paiera  2  4  florins;  il  en  paiera 
autant  s'il  ne  connaît  pas  la  messe  et  les  vêpres.  Le  pope,  qui 
ne  tient  pas  proprement  et  convenablement  son  église  paiera 
12  florins.  Le  pope  qui,  étant  ivre  les  jours  de  léte  ou  les 
dimanches,  est  incapable  de  célébrer  les  services  divins, 
paiera  24  florins  "  . 

Habitué  à  ne  considérer  les  affaires  que  d'un  point  de  vue 
très  élevé,  Gabriel  Beihlen  croyait  qu'en  face  d'un  état  de  choses 

(1)  HuNFALVY  Pal,  .4:  olâkok  tôrlenete,  vol.  II,  p.  319. 


238  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
aussi  lamentable,  le  patriarche  de  Const<niiinoj>L'  n'hésiterait 
pas  à  consentir  à  lintrodiiction  de  certaines  réformes  sinon 
dans  les  dojjmes  mêmes  de  l'Éjjlise  orthodoxe,  mais  au  moins 
dans  sa  liturgie  et  dans  son  enseignement  religieux.  Les  lettres 
qu'il  a  écrites  à  ce  sujet-là,  ne  sont  pas  connues,  mais  on  pos- 
sède la  réponse  datée  du  1  septembre  Ui29  du  célèbre  patriar- 
che Cyrille  l.iiliaris.  Elle  est  digne  d'être  reproduite  en  entier 
parce  nu  elle  laisse  deviner  les  intentions  de  Bethlen  et  en 
même  temps  elle  fournit  un  admirable  échantillon  de  la  dia- 
lectique prccqne  et  de  l'esprit  byzantin  pris  dans  le  meilleur 
sens  du  mot.  Voici  sa  traduction  littérale  : 


u  Prince  Sérénissime  ! 

a  II  a  fallu  que  nous  apprenions  avec  beaucoup  de  tristesse 
de  Vos  dernières  nombreuses  lettres  et  de  la  bouche  de  Votre 
envoyé  Tétat  d'ignorance  et  le  manque  d'instruction,  état  qui 
est  très  nuisible  et  très  compromettant  pour  le  gouvernement 
de  Votre  Altesse,  des  prêtres  valaques  soumis  à  Votre  pou- 
voir. Il  est  déjà  tellement  invétéré  qu'ils  ne  savent  plus 
lire  et  encore  moins  comprendre  et  enseigner  le  Saint-Évan- 
gile à  cause  de  quoi,  comme  Votre  Altesse  le  remarque  avec 
tant  de  justesse,  on  peut  sincèrement  regretter  la  déviation 
journellement  plus  accentuée  des  mœurs  et  de  la  foi  chré- 
tiennes. 

«  Ayant  appris  tout  ceci,  c'est  une  douleur  profonde  qui 
pèse  sur  mon  âme  et  sur  ma  plume  et  si  avec  nos  coreligion- 
naires, nous  n'étions  pas  empêchés  par  le  mal  général  ici  sur  la 
terre  des  infidèles  au  Christ,  nous  nous  hâterions  certainement 
d'accourir  là  où  l'enseignement  des  doctrines  du  Christ  et  la 
purification  des  mœurs  sont  redevenus  si  nécessaires.  Mais 
noussommes  retenus  ici  étant  exposés  à  des  suspicions  conti- 
nuelles à  cause  de  la  religion  du  Christ  que  nous  professons,  et 
nous  ne  disposons  non  plus  d'apôtres,  auxquels  on  pourrait 
confier  la  correction  de  tels  abus  et  de  telles  faiblesses.  Nous 
sommes   donc  d'autant  plus    consolés    de   savoir  que  Votre 


LIVRE   DEUXIÈME  239 

Altesse  à  qui  Dieu  a  confié  la  protection  de  tant  et  de  si  grands 
peuples,  ait  promis  à  cette  pauvre  nation  et  à  ses  prêtres  sa 
bienveillance  complète  et  sa  sollicitude  entière. 

«  Mais  comme  la  proposition,  que  Votre  Altesse  a  désignée 
pour  prix  de  sa  bienveillance,  ou  celle  qu'elle  nous  a  confiée 
dans  ses  lettres  les  plus  secrètement  écrites,  sont  d'une  telle 
espèce  que  nous  ne  puissions  pas  les  clairement  comprendre 
ou  si  elles  étaient  même  plus  clairement  exposées,  nous  ne 
devions  pas  les  clairement  comprendre  en  notre  qualité  de 
Patriarcbe,  Votre  Altesse  conviendra  aisément  qu'il  nous  est 
absolument  interdit  de  prêter  ouvertement  notre  concours  h 
l'accomplissement  de  telles  choses.  " 

"  Nous  comprenons  aussi  que  la  proposition  de  Votre  Altesse 
pourrait  s'attendre  à  une  solution  plus  aisée  si  Gemmadius, 
1  évêque  de  ces  contrées,  recevait  de  notre  part  le  moindre  en- 
couragement et  que  l'on  puisse  obtenir  facilement  de  ce  nom- 
mé Gemmadius  d'abord  le  silence  et  ensuite  l'action,  si  nous 
nous  taisions  et  si  nous  fermions  les  yeux.  Mais  les  secrets 
eux-mêmes  ont  aussi  quelquefois  leur  fatalité.  » 

u  Nous  comprenons  aussi  que  le  puissant  empereur  des 
Turcs  ne  mettra  aucun  obstacle  à  l'exécution  du  plan  de  Votre 
Altesse,  puisqu'il  se  contente  de  la  fidélité  de  ses  peuples  con- 
quis, fussent-ils  d'une  religion  qui  ne  soit  pas  celle  de  Maho- 
met. Mais  que  ce  consentement  des  Turcs  puisse  persuader  au 
peuple  valaque  d'embrasser  la  seule  religion  à  l'exclusion  de 
toutes  les  autres,  que  Votre  Altesse  confesse  avec  tant  de  piété 
(car  il  est  bien  clair  pour  nous  que  c'est  le  désir  de  Votre 
Altesse),  nous  en  doutons  fort;  car  cela  ne  pourrait  se  faire 
sans  porter  préjudice  aux  autres  religions  qui  jouissent  des 
mêmes  privilèges  sous  le  sceptre  de  Votre  Altesse  et  sans  bou- 
leverser les  âmes,  ou  sans  les  exaspérer.  Pour  la  réalisation 
heureuse  et  pacifique  de  ce  projet,  il  faudrait  en  outre  tout 
d'abord  déchirer  les  liens  de  cette  parenté  et  de  cette  sympathie 
qui  existe  secrètement  et  conséquemment,  d'autant  plus  étroi- 
tement, entre  les  Valaques  du  gouvernement  transylvanien  et 
les  habitants  de  la  Valachie  et  de  la  Moldavie.  Les  vayvodes 
des  pays  susdits  n'y  consentiront  certes  jamais,  et  illui  suscite- 


2V0       MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVAÎST    I/IIISTOIRE 
ront  des  tliFficiiltés  sinon  les  armes  à  la  main,  mais  au  moins 
au  moyen  d'agitations  secrètes.  " 

«  Nous  ne  nions  pas  (jue  la  religion  que  Votre  Altesse  et  la 
plus  grande  partie  de  ses  sujets  confessent,  ne  soit  bien  chré- 
tienne et  nullement  payenne,  mais  elle  diffère  néanmoins  très 
cousidérahlemcnl  de  la  religion  que  confesse  léglise  d'Orient 
et  dont  nous  sommes  sur  cette  terre  le  grand  prêtre,  comme 
diffère  celle  confessée  à  Rome,  laquelle,  comme  Votre  Altesse 
le  croit  avec  raison,  est  remplie  d'erreurs.  Votre  Altesse  affirme 
encore  que  les  caloyers  et  les  popes  de  la  terre  valaque  qui  se 
trouvent  sous  le  gouvernement  de  Votre  Altesse  n'ont  aucune 
religion  et  (pi'il  serait  conséquemment  préférable  qu'ils  aient 
une  religion  même  erronée  selon  les  doctrines  de  notre  église. 
Qui  nierait  que  ce  ne  soit  pas  autant  que  de  n'avoir  aucune 
religion?  » 

«  Si  ce  pauvre  peuple,  dépourvu  de  toute  instruction,  em- 
brassait la  religion  de  Votre  Altesse,  soit  par  ignorance,  soit 
par  suite  de  violences,  ce  dont  ]e  ne  crois  pas  qu'on  puisse 
user  dans  les  possessions  de  Votre  Altesse,  nous  ne  pourrions 
])as  nous  v  opposer  à  cause  du  grand  éloignement  et  de  notre 
faiblesse,  d'ailleurs  il  ne  nous  siérait  pas  de  recourir  à  d'autres 
armes  que  la  parole;  nuiis  prêter  nos  mains  ouvertement  ou 
secrètement  à  une  pareille  abjuration  serait,  à  nos  yeux,  un 
crime  dont  nous  n'aurions  la  rémission  au  prix  d'aucune 
souffrance  que  l'on  peut  endurer  sur  cette  terre.  » 

«  Je  suis  également  de  l'avis  de  Votre  Altesse  quand  elle 
fait  renonciation  que  les  pavs  vraiment  heureux  sont  ceux  où 
il  n'y  a  pas  la  moindre  différence  au  sujet  de  la  religion  entre 
les  habitants,  et  que  c'est  d'y  atteindre  qui  doit  servir  de  loi  et 
de  raison  politique  aux  souverains,  mais  ce  n'est  qu  un  simple 
argument,  bien  entendu  en  faveur  de  la  politi(|ue  des  princes, 
et  cela  ne  peut  jamais  être  un  commandement  de  l  Église. 
Car  il  ne  nous  est  pas  permis  de  sacrifier  notre  foi  ni  contre 
les  biens  de  la  terre,  fussent-ils  les  plus  considérables,  ni  pour 
des  raisons  politiques;  car  le  salut  de  l'âme  est  préférable  au 
bien-être  terrestre.  » 

«  Nous   ne  mettons  pas  en   doute  non  plus  l'assertion  de 


LIVRE   DEUXIÈME  241 

Votre  Altesse,  elle  nous  semble  même  très  clairement  démon- 
tré, que  le  puissant  rois  des  Suèdes,  l'électeur  de  Brande- 
bouro  et  beaucoup  de  souverains  de  l'Allemagne  n'ont  pas  pu 
s'empécber  d'applaudir  à  ces  e'Torts  de  Votre  Altesse  ;  mais  il 
peut  advenir  qu'une  chose  qui  plaît  beaucoup  aux  uns  et  qui 
est  même  peut-être  très  profitable  à  plusieurs,  puisse  être  de 
telle  nature  qu'elle  soit  nuisible  à  d'autres.  » 

«  Ce  qu'il  faut  entreprendre  et  ce  qu'il  faut  abandonner 
dans  cette  occurrence  des  points  de  vue  et  des  opinions  aussi 
divergents,  la  sagesse  de  Votre  Altesse  saura  le  mieux  dis- 
cerner. Quant  à  nons,  nous  révolter  contre  la  Providence  nous 
paraît  impossible,  car  il  ne  nous  est  pas  permis  de  combattre 
avec  des  armes  terrestres.  Mais  nous  implorerons  Dieu  de  misé- 
ricordieusement  communiquer  à  ce  pauvre  peuple  son  Saint- 
Esj)rit  dans  lequel  réside  la  justice  et  la  sagesse  tout  entière  et 
de  protéger  l'existence  de  Votre  Altesse  contre  tous  les  maux  "  . 

«  De  Votre  Altesse  Sérénissime  le  tout  dévoué 

«  Cyrille  (  I  ) .  » 

Ce  patriarche  a  joué  un  rôle  très  considérable  dans  les  négo- 
ciations qui  ont  eu  lieu  depuis  Crusius  entre  les  protestants 
allemands  et  l'église  d'Orient.  Contrebalancées  par  celles  des 
catholiques  qni  ne  négligeaient  rien  non  plus  pour  faire  arriver 
au  |)atriarcat  les  évêques  dont  la  sympathie  lenr  était  assurée, 
il  y  eut  autour  de  l'élection  de  chaque  nouveau  patriarche 
des  luttes  qui  ne  profitaient  qu'à  l'entourage  du  sultan  dont  la 
nomination  dépendait  en  dernier  ressort  et  que  l'on  n'obtenait 
conséquemment  qu'à  force  de  libéralités.  Elles  étaient  four/iies 
pour  le  compte  des  patriarches  philocatholiques  par  la  France 
et  Venise,  et  pour  les  philoprotestants  par  VAngleierre  et  la 
Hollande.  Après  la  mort  de  Meleiie  Pigas  ce  fut  Cyrille  Lukaris 
qui  devint  patriarche  cïAlexandrie,  ayant  pour  compétiteur 
de  la  part  du  parti  catholique  Gerasim  S/mrialioi,  grâce  aux 
fonds  recueillis  pour  ce  but  en  Saxe.  En  1622,  il  fut  nommé 
à    Consiantinople    pour  son    malheur,    car    la   fureur    de    ses 

(i)  Lettre  publiée  dans  les  Enlélyi  Orszcujjyûlési  cmlékek. 

16 


2V2  MACYARS  KT  UOUMAINS  DKVA^T  L'HISTOIRE 
ciiiiomis  ne  s'apaisa  qu'après  l'avoir  plusieurs  fois  forcé  de 
se  retirer  et  finalement  perdu,  en  lui  imputant  la  rédaction 
d'un  catéchisme  entaclié  de  prosélytisme  protestant.  Sous  le 
sultan  rbvuliin,  qui  régna  de  1()4(»  à  Kîiî»,  son  adversaire 
Cyrille  Cou  tari  parvint  à  le  faire  jeter  en  prison  et  exécuter. 

Avec  l'avènement  de  Georges  lUliàczy  I"  les  efforts  pour  pro- 
paffer  le  protestantisme  parmi  les  populations  roumaines  de 
la  Traitsylviniie  prennent  un  caractère  plus  accusé.  L'attitude 
effacée  de  l'évoque  Gonuidias,  en  fonction  de  l()28  à  16  40,  à 
qui  la  lettre  du  patriarche  fait  allusion,  les  favorise  à  tel  point 
que  le  clergé  roumain  se  montre  tout  prêt  à  se  soumettre  au 
surintendant  calviniste  et  à  accepter  certaines  innovations,  im- 
pré<mées  de  l'esprit  du  calvinisme.  Mais  on  aurait  absolument 
tort  de  croire  que  ces  tendances  à  catéchiser  les  Romnains  eût 
pour  mobile  et  but  leur  magyarisation.  Les  lettres  éminemment 
confidentielles,  (jue  le  conseiller  intime  de  Georges  I",  Éiienne 
Kdiotui  de  Gelej  lui  a  écrites  après  la  mort  de  Geniiadius  au 
sujet  de  l'élection  d'un  nouveau  «  vladica  »  ,  évéque  roumain, 
le  démontrent  à  Tenvi. 

On  lit  dans  celle  datée  du  1  septembre  16  40  :  «  Hier  est 
mort  vers  quatre  heure,  après  de  longues  souffrances,  l'évèque 
roumain...  Il  y  en  aura  plusieurs  qui,  désireux  de  remplir 
celte  fonction,  iront  se  présenter  incontinent  chez  Votre  Al- 
tesse. Il  faudrait  la  donner  à  queUpiun  qui  sût  quelque  chose. 
On  ne  peut  pas  confier  l'âme  de  tant  de  monde  à  un  homme 
i'niorant,  car  les  Yalaques  sont  des  hommes,  quoique  vivant 
dans  l'erreur.  Et  il  incombe  à  Votre  Altesse,  comme  à  un 
prince  chrétien,  de  veiller  sur  leurs  âmes  selon  vos  devoirs  et 
votre  conscience  autant  qu'il  est  possible  et  autant  qu'on  peut 
faire  accepter  la  raison  à  des  individus  endurcis  dans  la  bêtise. 
Le  sieur  Gsernatoni  ([ui  est  déjà  allé  en  Valachie  en  connaît 
un,  avant  à  peu  près  le  rang  d'un  abbé  et  sachant  le  grec.  Après 
avoir  appris  la  mort  de  celui-ci,  il  viendra  dans  quatre  ou  cinq 
jours.  Puis(pi  il  aspire  à  sa  succession,  s  il  était  tel  qu'on  le  dit, 
il  faudrait  peut-être  le  prendre  de  préférance  à  un  homme 
habitué  aux  superstitions  roumaines.  Car  moi,  je  n'en  connais 
parmi  eux  en  Transylvanie  aucun  et  il  serait  même  peut-être 


LIVRE   DEUXIÈME  243 

préférable  pour  Votre  Grâce  de  prendre  un  Grec,  la  religion 
grecque  n'étant  pas  aussi  corrompue  t|ue  la  roumaine,  qui  ne 
consiste  qu'en  superstitions  pures!  Il  faudrait  que  nous  puis- 
sions d'abord  l'examiner  en  ce  qui  concerne  les  principes  de 
la  religion,  et  si  nous  le  trouvions  digne  et  apte,  on  pourrait  lui 
confier  l'évéché  sous  certaines  conditions,  comme  nous  l'avons 
(^it  avec  son  prédécesseur,  quoiqu'il  fût  pitoyable  aussi,  puis- 
qu'il n'en  a  rempli  que  quelques-unes.  Quand  Votre  Grâce  en 
aura  trouvé  un  qui  soit  acceptable,  il  faudra  que  Votre  Altesse 
le  présente  et  l'installe  solennellement,  après  avoir  fait  réunir 
les  popes  valaqnes  de  tonte  part.  On  leur  lirait  alors  les  condi- 
tions et  on  leur  communiquerait  un  ordre  concernant  ce  dont 
ils  ont  été  instruits.  Celui  qui  ne  s'y  prêterait  pas,  on  en  ferait 
un  paysan,  car  j'avoue  à  Votre  Grâce  que  je  crains  que  ce  ne 
soit  à  nous  que  Dieu  s'en  prenne  si  nous  nous  mettons  à 
négliger  ces  malheureux  fourvoyés.  Ce  que  Votre  Altesse  ob- 
tiendra d'eux,  sera  autant  de  gagné;  s'ils  se  butent  au  con- 
traire et  quon  ne  parvienne  pas  à  les  vaincre.  Votre  Altesse 
aura  son  âme  complètement  déchargée  devant  Dieu,  tandis 
qu'eux  ils  seront  tout  à  fait  perdus.  Quant  à  la  succession  (de 
l'évéque),  il  faudrait  l'employer  à  l'impression  de  quelques 
petiits  livres  utiles,  écrits  en  roumain  »  (I). 

Ayant  vu  et  examiné  son  protégé,  nommé  MUovitius,  voici 
ce  qu'il  dit  h  son  sujet  le  24  septembre  suivant  :  a  Afin  que 
Votre  Altesse  puisse  connaître  les  questions  qui  me  sont  venues 
à  l  esprit  et  que  je  lui  ai  soumises  ainsi  que  la  manière  dont  il 
les  a  envisagées,  je  les  envoie  à  Votre  Altesse.  Je  n'ai  pas  pu 
trouver  quelqu'un,  car  on  n'en  rencontre  pas,  qui  serait  prêt 
à  changer  sa  religion  u  in  fundamentalibus  »  .  Celui-ci  ne 
peut  pas  s'y  engager  non  plus  parce  qu'il  serait  excommunié 
par  le  patriarche  qui  ne  permettrait  pas  sa  consécration 
comme  vladica,  et  les  Roumains  ne  laccepteraient  pas;  qui 
sait  même  ce  qui  lui  adviendrait  s'il  se  hasardait  parmi  eux, 
donc  il  ne  pourrait  nullement  officier.  Il  me  semble.  Altesse, 
que  si  nous  parvenions  à  faire  abandonner  par  ces  communes 

(1)  OtvOS  Agoston,  Geleji  Katona  Istvân.  Uj  Magyar  Muzeum,  1859,  vol.  1, 
p. 203. 


244  M  A  (;  Y  A  US  1:T  roumains  devant  I/inSTOIRE 
aveuMes  toutes  ces  superstitions,  ce  serait  assez  pour  le  mo- 
ment. Avant  été  mieux  éclairés  par  Dieu  avec  le  temps,  nous 
pourrions  arriver  à  quelque  chose  de  plus  favorable  ;  surtout 
si,  allant  à  Tccole,  leurs  enfants  profitaient  de  quelques  bribes 
(le  latin.  Car  leur  faire  tout  abandonner  à  la  fois  est  très  diffi- 
cile ou  même  impossible,  comme  c'est  démontré  par  l'histoire 
de  la  conversion  des  autres  nations.  » 

J)e  Gr/ej  joi.fjnit  à  cette  lettre  les  instructions  dont  il  avait 
imposé  l'exécution  an  futur  évêque  en  vue  d'obtenir  sa  nomi- 
nation du  souverain.  Voici  les  plus  saillantes  pour  caracté- 
riser les  intentions  du  gouvernement  transylvanien  :  T  Que  l'é- 
véque  fonde  ici  auprès  de  lui,  ou  ii  Fendroit  qu'il  juge  le  plus 
convenable,  une  l)onne  école  roumaine;  il  y  fera  entretenir  deux 
ou  trois  maîtres  sachant  le  latin,  le  grec  et  le  roumain  et  aptes 
à  bien  ensei(;ner  le  latin  et  la  religion  chrétienne.  2"  Qu'il  ait 
à  sa  disposition  une  inq)rimerie  et  des  imprimeurs,  afin  qu  il 
puisse  faire  imjjrimer  tous  les  livres  nécessaires  à  son  église  et 
à  son  école.  îi"  Qu'il  fasse  cesser  le  bavardage  en  langue  étran- 
gère de  ses  popes  et  qu'il  les  oblige  à  ne  faire  le  service  divin 
(levant  cha(|ue  commune  (pie  dans  sa  langue  propre,  c'est-à- 
dire  enroumain.  4°  Qu'il  fasse  prêcher  en  roumain  deux  fois  les 
dimanches  et  une  fois  les  mercredis  et  les  vendredis.  G"  Qu'il 
fasse  copier,  imprimer  nos  clmnils  traduits  en  roumain  et  qu'il 
les  fasse  chanter  chaque  jour  avant  et  après  les  prières  et  les 
sermons.  7"  Qu'il  fasse  enseigner  aux  .<;arç'ons  et  aux  fillettes 
pendant  des  leçons  spéciales  le  catéchisme  qui  est  maintenant 
traduit  en  roumain  aussi. 

Certes  c'est  de  la  propagande  calviniste  que  d'introduire  ainsi 
dans  l'Église  orthodoxe  les  mélodies  religieuses  de  Gudintcl  et 
un  catéchisme  inspiré  par  le  souffle  de  la  réforme.  Mais  c'est 
de  la  propagande  conforme  à  l'esprit  du  temps  ou  elle  a  eu 
lieu,  voué  aux  guerres  de  religions,  c'est  de  la  propagande  pa- 
cifique et  exempte  de  toute  tendance  de  magyarisation.  Em- 
porté par  son  /ele  calviniste,  de  Gelcj  ne  pense  même  pas  à 
sauvegarder  le  droit  de  l'État  en  exigeant  l'enseignement  de 
la  langue  magvare.  11  est  \  rai  qu'alors  les  Roiiintiiiis  ne  comp- 
taient pour  rien  au  point  de  \  uc  politi({ue.   D'ailleurs,  la  près- 


T-IVUE   DEUXIEME  245 

sioii  gouvernementale  était  tellement  faible  qu'au  lieu  du  pro- 
tégé du  conseiller  intime  de  Râkôczy,  ce  fut  celui  de  Matihieu, 
du  vayvode  de  la  Vdlarliie^  nommé  Ilic  Jorcsn-,  qui  obtint 
Tévécbé. 

Voici  ce  que  dit  à  son  sujet  l'évéque  Mclcliisedec  :  (l) 
u  Les  orthodoxes  transylvaniens  crurent  qu'étant  sous  la 
protection  des  vayvodes  et  des  métropolites  de  Valachie  et  de 
Moldavie  et  étant  soutenu  par  eux  auprès  du  prince  de  Tran- 
sylvanie, cet  évéque  pourrait  plus  facilement  défendre  leur 
religion  et  résister  à  la  propagande  calviniste.  Mais  ils  se  sont 
trompés,  car  étant  allé  en  Transvlvanie  en  1()42  et  avant 
résisté  aux  évéques  pravoslavniques  de  Ràkôczy,  c'est-à-dire 
aux  surintendants  calvinistes,  aux  propagateurs  du  calvinisme 
parmi  les  Roumains,  Oreste  s'est  attiré  leur  courroux.  Le  sur- 
intendant Georges  Csulay,  l'ayant  horriblement  calomnié  au- 
près de  Râkoczy,  parvint  à  le  faire  piuiir.  La  punition  consista 
dans  la  conKscation  de  ses  biens  et  dans  son  emprisonnement. 
On  jeta  dans  les  prisons  plusieurs  autres  popes  et  chrétiens, 
parce  qu'ils  étaient  les  partisans  et  les  défenseurs  d'Oreste. 
La  punition  infligée,  la  même  dont  on  frappe  ordinaire- 
ment les  traîtres  polili(|ues,  nous  fait  croire  que  le  surin- 
tendant calviniste  malveillant  fit  d'Oreste  un  traître  politique. 
Le  malheureux  honmie  resta  neuf  mois  dans  la  prison  calvi- 
niste et  il  y  souffrit  le  martyre  pour  sa  foi  orthodoxe  sans  se 
plaindre  nidlement.  Il  est  bien  naturel,  que  le  clergé  d'Oreste 
a  tout  fait  pour  apaiser  Rakôczy  et  pour  le  convaincre  qu'il 
n'était  que  la  victime  des  calomnies  de  Csulay.  On  peut  sup- 
poser aussi  l'intervention  diplomatique  des  vayvodes  valaques 
et  moldaves,  car  finalement  il  lui  fut  permis  par  Rakôczy  de 
payer  une  amende  de  1,000  florins  et  de  pouvoir  présenter 
vingt-quatre  garants  jusqu'au  payement  de  cette  somme.  » 

Toute  autre  est  l'explication  que  donne  sur  cet  événement 
le  document  par  lequel  Ràhoczy  confirme  en  10  42  la  nomina- 
tion de  son  successeur,  l'évéque  Etienne  Simonovitsch .  «  Néan- 
moins  on  a  trouvé  que  cet  llié  Joresté,  sans  considérer  sa 

(1)  Melcuisédec,  Biserica  orthodoxa  in  lupth  eu  protestaiitismulu.  P.  63  et  (J4. 


246  M  AG  Y  A  lis  ET  ROUMAINS  DEVAM  L'HISTOIRE 
position  ecclésiastique  dans  laquelle,  en  sa  (jualité  d'évêque 
des  éfjlises  de  rite  {^rec,  serbe  et  roumain,  il  aurait  dû  briller 
au-dessus  du  clergé  mis  sous  sa  juridiction  et  lui  servir  de 
torcbe  lumineuse,  par  de  bons  exem|)les,  par  la  sainteté  de  sa 
vie  pure  et  par  sa  conduite  honnête  et  modeste,  s'étant  en- 
taché par  sa  mauvaise  conduite  et  ses  crimes,  a  ifjnominieu- 
sement  sali  et  terni  la  dijjnité  épiscopale  et  ([u  il  est  devenu 
la  cause,  par  suite  de  sa  vie  extraordinairement  immorale, 
de  diverses  plaintes  élevées  contre  lui  par  son  cler(jé  et  se  rap- 
portant à  sa  laçon  d  être  hautaine  et  à  son  irréligiosité.  D'où 
il  est  résulté  que  les  doyens  et  les  popes  de  l'église  roumaine 
de  rite  grec  et  serbe,  réunis  en  synode  général,  se  sont  occu- 
pés de  son  alïaire  en  due  forme  et  1  ayant  trouvé  coupable  de 
tous  les  crimes,  sacrilèges  et  péchés,  ils  l'ont  jugé  unanime- 
ment à  être  destitué  de  sa  dignité  d'évêque  et  afin  de  ne  pou- 
voir j)his  souiller  son  sacerdoce  qu'il  en  soit  également  dé- 
pouillé et  qu'il  soit  traduit  an  tribunal  séculier.  » 

l'entre  ces  deux  jugements  diamétralement  opposés,  on 
doit  chercher  la  vérité,  liâkôczj  eut  tort  de  vouloir  faire  de 
la  propagande  calviniste  et|  intempestive,  et  l'ancien  hiéro- 
monaque  du  couvent  du  Puina  de  s'en  tenir  aux  résolutions 
ultra-réactioniuiires  des  conciles  de  Kiev  et  de  Jassy.  Dans  le 
dernier,  convoqué  par  le  métropolite  V<ii  hiani  et  auquel  Pierre 
Mo(//ii/a,  métropolite  de  Kiev,  assista  également,  on  chargea 
Méléiié  Sirig  de  faire  un  anti-catéchisme  pour  contrebalancer 
l'influence  de  celui  de  lia  1,6c::)  .  Le  livre,  auquel  Idrladin  lui- 
même  écrivit  une  préface,  parut  à  Juss)  ,  imprimé  par  les  typo- 
graphes de  la  Cour.  Il  provoqua  de  la  part  des  calvinistes  une 
réponse  spéciale  et  la  réédition  du  catéchisme  râkôczyen  (l(j5(>) 
On  imprima  ces  livres  à  Gynlafelicrvâr,  où  Rakôrzy  installa  la 
typographie  projetée  par  licihlcn.  Une  Cazauid  et  la  traduction 
en  roumain  du  Nouveau  Testament  surveillée  par  Sinioiioviisch 
y  ont  été  successivement  publiées,  en  IG41  et  IG48.  Dans  le 
document  confirmant  l'élection  de  Save  Bran/iovics,  signé  le 
28  décembre  1()5G,  on  lit  d'autre  part  qu'il  est  autorisé  de 
('  toucher  ses  revenus  légaux  afin  qu  il  puisse  faire  les  frais  des 
livres  composés  en  langue  nationale  et  soutenir  les  écoles.  » 


LIVRE   DEUXIEME  247 

Les  instructions  que  Siinonoviisch  reçut  de  Ràlwczy,  avaient 
un  caractère  plus  calviniste  encore  que  celles  données  par  de 
GeL'j.  On  devait  procéder  au  baptême,  à  la  communion  presque 
selon  le  rite  calviniste.  Quant  à  l'enterrement,  il  devait  avoir 
lieu  11  verbalement,  selon  la  coutume  des  chrétiens  et  on  n'y 
emploiera  le  chant  que  là  où  Ton  en  sentira  le  besoin; 
mais  on  n'y  tolérera  aucune  des  superstitions  empruntées  aux 
vieilles  femmes  »  .  C'était  déjà  un  empiétement  formidable  du 
calvinisme  sur  TÉglise  orthodoxe,  et  cependant  l'évêque  calvi- 
niste Tofsus  ne  voulut  pas  s'en  contenter.  Il  extorqua  LlA/)afi 
en  16G0  un  document  dans  lequel  on  ajoute  aux  instructions 
données  à  Sinioiiovitsc/i  quatre  paragraphes  nouveaux.  1"  Qu'on 
érige  partout  où  c'est  possible,  des  écoles  pour  les  Rm/wains  et 
particulièrement  dans  le  monastère  de  Gyulafehérvàr ,  dans 
le  département  de  Hiinyad,  en  Marmaros,  et  à  Kovâr.  2"  Qu'on 
rétablisse  l'imprimerie  roumaine  de  Gyulafehérvàr.  3°  Qu'on 
destitue  les  popes  qui  ne  savent  lire  les  livres  de  messe  qu'en 
serbe,  mais  sans  les  comprendre  et  qu'on  les  remplace  par  des 
individus  sachant  parler  et  écrire  en  roumain.  ïVQue  l'évêque 
roumain  ne  dépende  pas  seulement  de  l'évêque  calviniste  en 
ce  qui  concerne  l'emploi  et  dans  la  punition  des  popes  et  des 
doyens,  dans  l'inspection  des  églises  et  dans  la  solution  des 
questions  théologiques  épineuses,  mais  aussi  dans  la  convoca- 
tion et  la  direction  des  synodes.  Ayant  clos  le  synode,  l'évêque 
roumain  ira  avec  quelques-uns  de  ses  membres  au  consistoire 
des  calvinistes  magyars,  afin  que  celui-ci  puisse  reviser  les  déci- 
sions du  synode  roumain  et  afin  qu'il  ait  ainsi  l'occasion  de 
mieux  apprendre  les  enseignements  de  la  vraie  religion. 

Quelle  que  fût  l'influence  de  7'o/e>/.v  auprès  du  débonnaire 
Apafi,  elle  n'a  pas  pu  empêcher  la  publication  de  l'ordonnance 
suivante  que  l'évêque  roumain  et  son  frère  Geor<jes  Bra/iLovtcs 
ont  obtenu  du  prince  en  1()75.  a  Brankovics,  l'évêque  de  tous 
les  Roumains,  de  tous  les  Serbes  et  de  tous  les  Grecs  de  notre 
royaume,  s'est  souvent  plaint  avec  ses  doyens  et  ses  popes  des 
tentatives  que  quelques-uns  font  pour  abolir  leurs  anciennes 
franchises,  leur  culte  et  leurs  coutumes  liturgiques.  Nous  n'a- 
vons   donné  jusqu'ici  à    personne    le  droit   de  les    molester 


2V8  MAGYARS  ET  11  (>  T  M  A  I  îs' S  DEVANT  I/ll  1  STO  I  I'.  E 
dans  leurs  privilc^jes  ;iccordés  par  nos  prédécesseurs  glorieuse- 
ment régnants,  ^ous  ordonnons  ])ar  la  j)résente  à  tous  ceux 
que  cela  rejyarde  quon  ne  se  pernielte  plus  dorénavant  de  re- 
tirer de  la  juridiction  de  Tévêque  roun)ain  Téglise  orientale,  ni 
ses  dovens  ni  ses  popes.  Un  synode  tenu  après  la  publication  de 
rordoniKiiicc  citée  prescrit  cependant  de  nouveau  que  Ton 
prêche  I;i  parole  de  Dieu  dans  les  églises  des  Roumains  et 
partout  ou  Ion  en  sent  le  besoin,  seulement  en  roumain. 
Quant  aux  livres  qui  sont  imprimés  en  roumain,  qu'on  les 
lise  et  qu  ou  les  enseigne  dans  les  églises  où  c'est  nécessaire 
pour  les  clnétiens  (1  .  " 

Or  c  est  en  IG14  (^ue  Vasilir  Lupn  érige  seulement  la  pre- 
mière école  et  la  première  imprimerie  de  la  Moldavie  dans  la 
Monasterid  Trci  Eyarcliilor .  »  L'influence  grecque  était  telle- 
ment prépondérante  dans  la  cour  de  Vasilié  Lupn  que  ses 
filles  n'apprirent  à  lire  et  à  écrire  (ju'en  grec  ;  elle  changea  aussi 
le  caractère  slave  de  l'école  des  «  Trei  Erarchilor  »  en  grec. 
Quand  le  logofette  Stefan  Gheorghicza  —  l'adversaire  de 
Vasilié  Lupu  —  eut  réussi  à  s'emparer  du  pouvoir,  il  s'inté- 
ressa à  l'école  des  «  Trei  Erarchilor  »  ,  mais  il  n'aimait  pas 
les  Grecs,  —  probablement  parce  ([uils  étaient  à  Constanti- 
nople  pour  Vasilié  Lupu.  Stefan  (dieorghicza  pencha  donc 
du  côté  des  tendances  slaves  et,  ayant  renvoyé  de  l'école  de 
Vasilié  Lupu  les  Grecs,  il  fit  revenir  les  professeurs  (|u'ou  avait 
amenés,  à  l'origine,  de  Kiev  »  (2). 

Donc  pendant  que  dans  les  vayvodies  roumauics  on  est 
poiH-  l'éducation  grecque  ou  slave,  ce  n'est  qu'en  Traiisj  liuinie 
(\ue  l'on  cultive  la  langue  roumaine,  sous  les  auspices  et  sur 
Tordre  des  princes  magvars,  ce  dont  convient  G.  liantm  lui- 
même  eu  déclarant  que  :  i-  nous  —  c'est-à-dire  les  lionnidùis 
—  devons  convenir,  pour  être  justes,  que  l'on  doit  attribuer 
la  naissance  de  la  littérature  daco-roumaine  à  la  pression 
exercée  par  le  j)rotestantisme  occidental.  Quoique  la  Réfor- 
mation ait  soutiré  à  la  nation  roumaine  quelques  centaines 
de  mille  âmes  et  les  ait  annexées  aux  Magyars,  les  ayant  con- 

(l'j  Nicoi.AU  l'oPKA,    Vecllia  incliopolia  ortodoaa  roiiia)ia,  p.  82. 
(2)  V.  A.   ITnKciMA,  Istoria  scolelor,  I,  p.  9. 


LIVRE    DEUXIÈME  249 

solides  ainsi  d'une  façon  inattendue,  elle  a  en  même  temps 
ouvert  les  veux  de  la  nation  roumaine,  alin  qu'elle  s'aperçût 
qu  elle  j)Ouvait  écrire  et  s'instruire  dans  sa  propre  langue 
et  qu'elle  n'avait  plus  besoin  de  la  langue  slave,  dans  les  1ers 
de  laquelle  elle  vivait  depuis  des  siècles  dans  une  complète 
obscurité.  (1)  » 

Il  ne  huit  pas  oublier  non  plus  que,  s'il  y  a  le  cas  regrettable 
de  Save  /Irdii/.ovics  dont  le  long  et  heureux  èvéché  se  termine 
par  un  dénoùment  ressemblant  de  point  en  point  à  celui 
avec  lequel  s'est  terminée  la  carrière  ^/'///V  Joresie,  les  condi- 
tions d'existence  du  clergé  orthodoxe  se  sont  tellement  amé- 
liorées en  Tniiisylvdnii'  que  tout  le  monde  voulait  en  être. 
Adulte  Barcsai  remet  aux  popes  roumains  le  payement  de  la 
dhne  et  de  la  neuvième  sur  la  prière  de  ce  même  vladica 
Branhovics  dès  1659.  Apafi  va  plus  loin  encore  en  10G3  :  il 
les  affranchit  de  la  dime  dont  ils  étaient  redevables  en  raison 
de  leurs  vignobles,  qu'il  anoblit  :  -^  Yineas  nobilitandas  duxi- 
mus,  prout  eas  Nobilitamus  pnesentium  per  vigorem.  »  Il  en 
est  résulté  que  les  serfs  s'imposaient  les  plus  lourds  sacrifices 
pour  obtenir  de  l'évêque  leur  consécration.  Aussi  la  diète 
de  1628  défend-elle  à  ce  dernier  «  de  faires  des  popes  pour 
prix  d'argent  de  n'importe  quel  serf  roumain  ignorant.  »  Car 
il  s'était  formé  de  cette  manière  un  véritable  prolétariat  sacer- 
dotal qui  ne  pouvait  végéter  qu'en  dépouillant  le  peuple  sous 
divers  prétextes  religieux.  La  résolution  du  département  de 
Miununos  datant  de  1691  s'explique  conséquemment  tout 
naturellement.  «  Puisque  nous  voyons  dans  les  villages  de 
quel  préjudice  est  l'accroissement  du  nombre  des  popes  pour 
les  habitants  pauvres,  nous  avons  décidé,  à  l'unanimité  et  d'un 
commun  accord,  et  pour  l'éternité,  qu'on  ne  puisse  plus  doré- 
navant jamais  admettre  plusieurs  popes  dans  le  même  vdlage. 
Que  l'on  n'en  admette  que  ceux  que  les  villages  recevront  et 
en  réalité  deux  seulement,  car  un  village  en  a  assez  de  deux,  et 
il  faut  que  ce  soit  eux  seuls,  ceux  acceptés  par  le  village,  qui 
y  remplissent  les  fonctions  sacerdotales.  Qu'on  admoneste  le 


(1)  G.  B.\r,iTiu,  Catltecismulu  caluenesc,  p, 


84. 


250        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
vladica  dans  ce  sens-là,  et  qu'il  se  conforme  à  cette  résolu- 
tion. >' 

Et  ces  popes  improvisés  ne  pouvaient  avoir  naturellement 
aucune  qualité  qu'exige  leur  sacerdoce.  Si  on  ne  les  prenait 
pas  au  sérieux,  ils  étaient  tout  prêts  à  devenir  calvinistes 
comme  il  appert  d  une  résolution  du  consistoire  calviniste  de 
Dcbi'cczc/i,  datée  du  9  juin  l()30.  u  Que  ceux  qui  se  montrent 
dignes,  soient  admis  au  sein  de  1  Eglise;  mais  que  ceux  qui, 
sous  le  prétexte  de  la  religion,  ne  cherchent  que  la  liberté, 
soient  traduits  devant  le  tribunal  séculier.  »  Ils  joignirent  à 
leur  ignorance  beaucoup  d  impudence  aussi,  puisqu'ils  abu- 
sèrent tellement  de  la  tolérance  des  religions  reçues,  que  si, 
pour  se  marier,  quelqu  un  appartenant  à  l'une  de  celles-ci  se 
convertissait  h  la  religion  orthodoxe,  ils  le  traitaient  comme 
un  païen  et  ils  le  rebaptisaient  en  le  plongeant  dans  l'eau  jus- 
qu'à mi-corps.  Quant  aux  Iloiinunns  devenus  calvinistes,  ils 
les  persécutèrent.  "  L'évéque  grec,  dit  une  pétition  adressée 
à  Apafi  en  1680,  nous  fait  des  misères  derechef...  Il  con- 
sacre près  de  Kolozsvar  une  église  grecque  où  il  n'y  en  avait 
pas  et  à  l'insu  de  Votre  Altesse  et  du  pays.  Nous  implorons 
Votre  Altesse  comme  notre  protecteur,  puisque  nous  avons 
commencé  la  typographie  et  nous  voulons  ériger  une  école 
sur  l'ordre  de  Votre  Altesse,  en  aspirant  ainsi  au  bien  de 
toutes  nos  forces;  que  Votre  Altesse  nous  prenne  sous  ses  ailes 
protectrices  afin  que  la  nation  étrangère  ne  puisse  pas  nous 
tourmenter,  (pi  elle  s'en  tienne  aux  délibérations,  cpi  elle  ne 
soit  parmi  nous  ni  lèpre  ni  ivraie.  Il  faut  que  la  réformation 
puisse  grandir  parmi  nous,  et  qu  à  cause  d  elle  Dieu  bénisse 
Votre  Altesse,  (l)  » 

«  Il  y  a  une  chose  qui  doit  l)lesser  lliistorien  roumain) 
quand  il  s'occupe  de  l'histoire  de  la  lléformation,  dit  Bari- 
tiii  (2),  c  est  que  l'histoire  ne  présente  le  nom  d'un  seul  pope, 
caloyer  ou  évêque  grec  oriental  de  15GG  à  1070,  qui  eût  coura- 
geusement ou  même  au  prix  de  sa  vie  défendu  les  dogmes  de 

(1)   Thalloczy   1.\jo.s,   .1:   o/a'/i    refoimalio  tortrnctchez.    Torleiicliiii  târ.  1878, 
p.  707  et  708. 

^2)  G.  Baiuth  ,  Pattialcsc  dm  hlorin   TrcDisilvanici,  I,  [).   150. 


LIVRE   DEUXIÈME  251 

sa  religion  ni,  par  contre,  d'un  seul  autre  non  plus  (|ui  eut  cou- 
rageusement et  ouvertement  embrassé  la  nouvelle  religion, 
comme  quelques-uns  l'avaient  fait  en  Occident...  Et  ces  mil- 
liers de  caloyers  de  Téglise  grecque  orientale,  qui  aiment  tant 
se  comporter  et  se  considérer  comme  les  fervents  défenseurs 
de  Torthodoxie,  que  laisaient-ils  alors?  On  sait  que  les  monas- 
tères grecs  possédaient  à  ce  moment  j)resque  la  sixième 
partie  du  territoire  de  la  Roumanie.  Et  les  tliéologues,  les 
juristes  du  droit  canonique,  les  défenseurs  de  la  foi  de  ces 
monastères  où  étaient-ils?  Les  séminaires  théologiques,  les 
écoles  qui  y  préparent,  où  se  trouvaient-ils  dans  ces  monas- 
tères? " 

Comme  son  clergé,  le  peuple  roumain  n'était  pas  non  plus 
à  la  hauteur  de  son  époque.  Les  vayvodes  et  les  kénez 
des  districts  roumains  formés  pendant  les  xiv''  et  xv"  siècles 
pour  la  défense  de  la  Hongrie  dans  les  départements  actuels 
de  Kr((.ssu,  de  Szoréii)-  et  de  Tcniè.s,  disparurent  complètement 
soit  en  s'assimilant  à  la  noblesse  magyare,  soit  en  succombant 
dans  les  guerres  incessantes.  La  masse  du  peuple  retombe 
dans  la  servitude  commune,  perdant  la  tradition  de  ses  impôts 
—  de  la  quinquagésima  —  et  des  terres  vlaques  et  payant  la 
dime  comme  les  serfs  en  général.  Elle  est  toujours  flottante, 
vagabonde,  portée  à  la  rapine  et  inquiétante.  Et  cependant 
c'est  encore  en  Ti<iiisylva/iie  où  elle  se  trouve  le  mieux,  ou 
elle  se  réfugie  de  préférence.  La  diète  de  1(>23  a  beau  décréter 
que,  «  pour  refréner  les  penchants  de  rapine  chez  les  Roumains, 
il  faut  leur  interdire  de  monter  à  cheval,  de  porter  des  armes,  » 
ils  se  sentent  plus  en  sûreté  au  milieu  des  Magyars  que  dans 
les  vayvodies,  où  on  les  fait  traquer  par  des  chiens  et  où  ils 
périssent  par  milliers  dans  les  forêts  et  sur  les  glaciers,  comme 
l'affirme  la  pétition  des  boyards  de  la  Moldavie,  adressée  à 
Fiàkorzy  au  temps  de  Lapu. 

En  terminant  cette  rapide  esquisse  de  la  première  période 
des  relations  entre  Magyars  et  Ro/iinaiiis,  compatriotes  ou  voi- 
sins, on  ne  peut  que  les  regretter  à  cause  de  la  cordialité  qui 
les  a  caractérisées.  S'ils  eurent  quelques  difficultés  à  régler 
entre  eux,  les  armes  à  la  main,  ils  vivaient  ordinairement  en 


252  MAGYAl'.S  ICI  ROUMAINS  DEVANI  I/HISTOIUE 
bonne  intelligence  et  la  Uitelle  (jue  la  l/niH/nC  et  la  'l'idnsyl- 
vaiiic  ont  exercée  sur  les  vayvodies  roumaines  et  sur  leurs 
propres  liabltants  de  race  roumaine,  s'expli(|ue  aisément  par 
leur  ancienneté  et  leur  civilisation  relatives  en  lace  d'un  Etat 
et  d'un  j)cuple  en  lormation.  Dans  ce  cas-là,  ne  pas  abuser  de 
sa  supériorité  et  la  mettre  même  au  service  du  plus  faible,  est 
une  réelle  et  rare  vertu.  Les  Magyars  l'eurent  et  les  Itoiuiniins 
leur  en  furent  plus  d  une  fois  reconnaissants.  Pour  qu'une 
situation  aussi  normale  et  aussi  satisfaisante,  au  lieu  de  s  amé- 
liorer avec  le  temps  et  les  pro;;rès  des  deux  peuples,  devienne 
tendue  et  pénible,  il  fallait  1  intervention  d'un  élément  étran- 
gler et  nouveau  dont  l'intérêt  était  de  faire  disparaître  cette 
harmonie  naissante  et  de  la  remplacer  par  l'hostilité  la  plus 
profonde  à  son  seul  proht.  Si  les  Ixoiitiniiiis  n  hésitèrent  pas  à 
se  prêter  complaisamment  à  l  exécution  de  ses  desseins  téné- 
breux, (jue  les  Mii(j)(ns  n'oublient  pas  leur  inexpérience  juvé- 
nile! Fla^jornés,  flattés,  excités,  ils  succombèrent  à  la  tenta- 
tion; la  responsabilité  pour  leurs  errements,  pour  leur  lèse- 
patrie,  lèse-humanité,  lèse-liberté  retondjc  sur  ceux  qui  les  ont 
sciemment  trompés,  en  trompant  leurs  souverains  aussi  et 
en  menant  la  monarchie  austro-houproise  tout  entière  à  deux 
doijjts  de  sa  perte. 


LIVRE  TROISIÈME 

LES  ROUMAINS  AU  SERVICE  DE  LA  RÉACTION 


CHAPITRE  PREMIER 

LK    DIPLOME    DE    LÉOPOLD    l". 

En  principe,  le  retour  de  la  Tninsylixiuie  au  sein  de  l'État 
hongrois  ne  pouvait  et  ne  devait  soulever  aucune  difficulté. 
Devenue  indépendante  par  suite  de  la  domination  turque  en 
Hongrie,  cette  principauté  de  circonstance  n'avait  qu'à  repren- 
dre sa  place  antérieure  parmi  les  parties  intégrantes  des  posses- 
sions de  la  couronne  de  saint  Etienne.  Mais  à  cause  des  clian- 
gements  radicaux  survenus  dans  la  situation  générale  de  la 
Hongrie,  cette  réunion,  d'apparence  si  simple,  devenait  en  réa- 
lité très  embrouillée  et  surtout  très  dangereuse.  A  la  cour  de 
Vienne,  maintenant  celle  du  roi  de  Hongrie,  et  non  plus  d'un 
roi  élu  mais  d'un  roi  héréditaire,  la  haine  de  la  constitution 
hongroise  mettait  tout  le  monde  d'accord.  Les  absolutistes  de 
l'école  de  Philippe  II,  les  centralistes  de  l'école  de  Richelieu 
et  de  Louis  XIV,  étaient  également  dépités  de  ne  pouvoir 
introduire  leurs  théories  dans  les  institutions  d'un  peuple  dont 
ils  ne  connaissaient  ni  les  origines,  ni  la  langue  et  qu'ils  consi- 
déraient non  pas  comme  délivré  mais  comme  conquis.  Ils  pen- 
saient que  le  parlementarisme  rudimentaire  des  Hongrois  ne  pou- 
vait aboutir  qu'à  la  révolution  ,  comme  en  Angleterre  avec  son  voi 
récemment  décapité,  ou  à  la  décomposition,  comme  en  Polo- 
gne dont  ils  escomptaient  déjà  le  partage  prochain,  tandis  que 


254  MACYAl'.S  KT  I'.  0  LI  M  A  1  N  S  DEVAÎNT  L'HISTOIRE 
YEs/xK/iw  et  la  France,  ou  Ics  délectiiosités  de  la  monarchie 
absolutiste  n'étaient  pas  encore  très  visibles  alors,  leur  Fournis- 
saient le  modèle  de  la  stabilité  et  de  l'unité  gouvernementales 
protégeant  les  arts  et  la  littérature,  développant  l'industrie, 
l'agriculture  et  le  commerce,  maintenant  des  armées  de  terre 
et  de  mer  formidables.  Aussi  dans  leur  ardeur  de  combaltre 
le  protestantisme  entrait-il  autant  de  conviction  religieuse  (jue 
de  politique  inconsidérément  empruntée  aux  Etats  pris  pour 
exemple  et  servilement  imités.  Il  aurait  donc  fallu,  selon  leurs 
vœux,  que  la  fton(/i/c  devint  tout  à  fait  catlioli(pie  et  tout  a  fait 
maniable  comme  l'étaient  déjà  les  pays  héréditaires  de  la  mai- 
son des  Ildlisboint/,  la  S/yr/'r,  le  Tyro/,  les  aichiduchés  d'J//- 
iriclw,  etc.,  (jue  dépouillée,  de  ses  droits  historiques,  elle  obéît 
aveuglément  comme  ces  derniers  aux  ordres  d'un  pouvoir 
central  indiscuté.  De  là  la  véhémente  hostilité  des  hommes 
d'Etat  autrichiens  contre  la  réunion  de  la  Tfaiisj  /ranie  à  la 
Hoiu/r/e  (jii'elle  aurait  rendue  plus  forte;  de  là  leurs  effoi'ts 
pour  s'emparer  à  leur  profit  de  la  première,  stratégiquementsi 
précieuse,  dominant  à  la  fois  les  abords  de  la  monarchie  à 
lEst,  et  les  départements  hongrois  limitrophes,  toujours  les 
plus  sujets  aux  soulèvements,  pour  en  faire  une  simple  pro- 
vince autrichienne. 

En  face  de  ce  point  de  xue  réactionnaire,  celui  des  Miu/yar.s, 
jaloux  de  leurs  libertés  politiques  et  religieuses,  était  très 
nmlaisé  à  sauvegarder.  S'ils  se  sentaient  extrêmement  séduits 
par  la  perspective  de  se  trouver  réunis  de  nouveau  sous  le 
sceptre  d'un  même  souverain,  ils  avaient  encore  la  recomman- 
dation de  riocs/.di  trop  fraîchement  gravée  dans  l'esprit  et  ils 
partageaient  plus  ou  moins  tous  l'opinion  (|ue  Xicolas  Bcildcn. 
le  philosophe  historien  comtemporain,  a  avec  tant  de  vigueur 
émise  dans  l'introduction  de  son  livre  intitulé  :  ''  La  colombe 
de  Noé '' ,  contenant  un  projet  de  constitution  nouvelle  pour 
la  TrfUisylvdinc. 

«  Il  est  certain  que  les  gens  réfléchis  ont  de  tout  temps  con- 
sidéré la  domination  des  Turcs  en  Transylvanie  et  celle  des 
Allemands  en  Hongrie  comme  la  raison  la  plus  secrète  et  la 
})lus  importante  pour  l'existence  des  deux  pays,  comme  leur 


LIVRE   TROISIEME  255 

plus  grand  bonheur,  comme  la  base  de  leurs  libertés  à  1  exté- 
rieur et  à  l'intérieur,  comme  d'ailleurs  cela  se  trouvait  démon- 
tré, à  l'instar  d'une  loi  irréfragable  ,  par  la  chose  elle-même  et 
par  l'usage  remontant  dans  les  deux  pays  à  cent  cinquante  ans 
en  arrière.  Comme  il  est  certain  aussi  que  dans  les  travaux, 
dans  la  bouche,  et  dans  le  cœur  des  trois  célèbres  et  magnifi- 
ques Hongrois;  dans  ceux  de  Gabriel  Bethlen  ,  le  grand  prince 
delà  Transylvanie,  dans  ceux  de  Pierre  Pâzmâny,  le  grand  car- 
dinal de  la  Hongrie  et  dans  ceux  de  Nicolas  Esterluizy,  le  grand 
palatin  de   la  Hongrie ,  il  a  été  clairement  exposé  que  cette 
séparation  de  la  nation  magyare  ressemblait  à  une  tour  bâtie 
par  Dieu  lui-même  au  milieu  de  ces  deux  empires,  afin  qu'elle 
les  conservât  tous  deux,  malgré  leurs  luttes  incessantes,  ainsi 
que    les    libertés    de    la    nation   hongroise    dont  elle  ne   sut 
jamais  profiter  sous  ses  propres  rois.  C'est  donc  un  bien  tant 
pour  la  chrétienté  que  pour  l'islamisme  et  plus  spécialement 
pour   la  Moldavie  et  la  Valachie  ainsi  que  pour  la  Pologne, 
mais  avant  tout   pour  la   nation  magyare  elle-même  que  la 
Hongrie  et  la  Transylvanie  ne  puissent  être  ensemble  sous  la 
domination  ni  des  Turcs,  ni  des  Allemands,  ni  des  Magyars. 
Sous  celle  de  ces  derniers,  non,  parce  qu'ils  donneraient  beau- 
coup à  faire  à  toutes  les  deux  et  ils  se  perdraient;  sous  celle 
des  deux  empires,  non,  parce  qu'elles  courraient  toujours  le 
danger  d'être  perdues  aussitôt  qu'elles  appartiendraient  exclu 
sivement  à  l'un  des  deux.  » 

Telles  étaient  les  méfiances  toujours  éveillées  et  réciproques 
à  faire  cesser,  les  opinions  contradictoires  et  enracinées  h 
réfuter  pour  quiconque  croyait  à  l'accord  complet  possible 
entre  les  intérêts  de  la  maison  des  Habsbourg  et  des  Magyars, 
désirait  sincèrement  leur  consolidation  respective  et  tendait 
résolument  à  sa  réalisation.  Michel  Tc/cf,/,  après  avoir  un  mo- 
ment soutenu  Énieric  T/iœkœlji,  se  voua  à  l'accomplissement 
de  cette  tâche  d'autant  plus  volontiers  qu  il  se  rendait  parfaite- 
ment compte  de  la  décadence  accélérée  du  pouvoir  des  Tares 
et  qu'il  se  sentait  assez  fort  pour  défendre  les  droits  de  la  na- 
tion magyare  contre  toutes  les  entreprises  de  la  cour  de  T  iemie. 
Cependant  il  faut  avouer  que  les  négociations  ne  commen- 


256  MAGYAr.S  ET  ROUMAINS  DEVA^^T  I/HISTOIRE 
ocrent  pas  sous  des  auspices  très  heureux.  Ce  fut  un  jésuite 
(1  ori.oine  IVançaise,  le  VcreAn/ùh  Dunod,  qui  les  entama  dans 
Tcntrevue  qu'il  eut  avec  Tolcln  dans  son  château  de  Kcnscsora. 
11  s'agissait  de  conclure  une  convention  militaire  contre  les 
Tinrs  enlrc  Lropold  et  Apafi  et  de  faire  accepter  par  les  États 
de  la  Tnnisylvdiiic  deux  traités  :  l'un  concernant  la  situation 
future  de  la  juincipanté  après  son  union  avec  la  Ifonr/ric, 
l'autre  se  ra|)p()rlant  à  utic  Sainte  Alliance  dont  ferait  partie  la 
7'nnis)  /va/lie  en  compajjnie  de  VAllenKKjnc ,  de  Denise  et  de  la 
PoUy/nr.  Entre  temi)s,  Dunod  fit  également  des  ouvertures  à 
Scrhan  Caniarn-Jno,  vavvode  de  la  Vtilar/i/r,  pour  le  persuader 
de  ?e  soumettre  à  rempereur,  moyennant  (pioi  il  ohticndrait 
sa  protection  avec  la  ])romesse  de  lui  donner  le  Danahc  pour 
frontière  méridionale  à  la  conclusion  de  la  paix  qu'on  devait 
faire  prochainement  avec  le  sultan. 

7'c!r/,i  présenta  les  traités  du  Huiiod  aux  États  de  la  Transyl' 
viinie  quel(|ues  jours  après  l'arrestation  de  Thocl.oclyi  par  le 
pacha  de  iSdyy-Vàrad  (octohre  ICHô),  moment  on  ne  peut  plus 
propice,  puisque  cet  événement  démontrait  plus  éloquemment 
que  tous  les  raisonnements  possibles,  l'odieux  du  despotisme 
turc.  Mais  les  traités  ne  furent  pas  moins  repoussés  par  la 
diète  de  h'o'/an/s  comme  attentatoires  aux  droits  de  la  Transyl- 
vanie, malgré  la  fameuse  phrase  de  Dannd  :  '<■  Sa  Majesté  vous 
protégera,  que  Vous  le  vouliez  ou  non.  >  (Nolentes,  volentes 
nrotegit  vos  Sua  Majestas.  Cependant  lidée  de>  négociations 
v  lut  admise  et  on  envova  à  Vienne  Eiicnnc  llidler  et  trois 
autres  délégués  pour   les  y  poursuivre. 

La  protection  promise  par  Dunod  ne  se  fit  pas  longtemps 
attendre.  Les  abords  du  pays  furent  successivement  occupés 
parles  généraux  impériaux  \'ctera/ii  el  Cttraffa,  instruments 
aveugles  du  plus  inexorable  absolutisme  en  llonr/rie.  Quant  a 
Sc/ierffenhri//,  il  entra  en  7'rans)  /vtinie  dausle  com-ant  du  mois 
de  mai  IGHG  «à  la  tète  de  15,000  orateurs  armés  »  ,  comme 
le  raconte  mélancoliquement  y/cofas  lirilden .  Une  escorte 
militaire  aussi  considérable  n  eût  pas  maiu|ué  de  donner  du 
poids  au  projet  de  traité  élaboré  à  Vienne  par  la  mission  Jlaller 
et  les  commissaires  de   L-opold  :   le  chancelier  SiraLmann,   le 


LIVRE   T 110  LSili. ME  257 

margrave  àa  Bade  et  Dielrichsicin  \  mais,  quoique  plus  avanta- 
geux que  le  précédent,  il  n'obtint  pas  plus  de  succès.  Car  d'une 
part  une  armée  de  iO,0()0  hommes  fut  offerte  à  Apafi  par 
la  Sublinic'-Porie,  et,  d'autre  part,  l'ambassadeur  de  Pologne,  en 
même  temps  agent  secret  de  Louis  XIV —  sut  si  fortement 
peser  sur  l'opinion  publique  transylvanienne  que  l'on  y  de- 
vint de  plus  en  plus  exigeant.  «  Postérité  crois-le  bien, 
écrit  encore  le  même  Beihlen,  ce  fut  un  vent  soufflant  de  Paris 
et  passant  à  travers  la  trompette  du  roi  Jean  de  Pologne,  qui 
emporta  ton  traité  !  " 

Après  la  reprise  de  Bude,  la  cour  de  Vienne  confia  à  Charles 
de   Lorraine  l'occupation  militaire  de   la    Transylvanie.  Pour 
régler  temporairement  la  situation  de  ce  pays,  celui-ci  conclut 
avec  la  commission  de  la  diète  à  Balùz-sfalva  une  convention 
(le  27  octobre  1687),  plus  désastreuse  pour  les  libertés  de  la 
principauté  que  le  traité  proposé  par  Dnnod.  Elle  ne  fut  cepen- 
dant jamais  sanctionnée  par  Léopold,  dont  l'entourage  tenait 
avant  tout  à  une  déclaration  de  fidélité  des  états.   7\delii  et  Ca- 
raffa  en  arrêtèrent  les  termes  à  Nafjy-Szchen  et  elle  se  résume 
dans  le  passage  suivant  :    «  La  Transylvanie  fait  retour  à  la 
Hongrie  dont  elle  n'a  été  séparée  que  par  le  sort  envieux  et 
par  les  audaces  ambitieuses  de  quelques-uns.  Elle  accepte  la 
protection  de  Léopold  et  de  ses  successeurs  les  rois  de  Hon- 
grie et  librement,  par  ferveur  chrétienne,  elle  renonce  à  la  pro- 
tection de  la  Turquie.  Elle  n'aura  plus  aucune  relation  avec 
la  Sublime-Porte,  ne  lui  enverra  plus  ni  impôts,  ni  cadeaux  et 
ne    communiquera    plus   avec    aucun    ennemi   de   la  maison 
régnante.  Dans  les  forteresses  encore  non  occupées  de  Huszt, 
Koevar,  Gôrgény  et  Brasso,  on  laissera   entrer  les  garnisons 
allemandes.  D'ailleurs,  les  états  implorent  Sa  Majesté  de  con- 
firmer leurs  droits ,  franchises  et  libertés  religieuses.»  Étant 
acceptée  par  les  états  siégeant  à  Fogaras ,  celte  déclaration 
obtint  aussi  l'adhésion  dWpafi  qui  alors  ne  tarda  plus  à  prêteur 
le  serment  de  fidélité.  Grâce  aux  efforts  de  Nicolas  Betlhen,, 
on  élabora  en  même  temps  le  projet  d'un  diplôme  que  l'on 
remit  à  Caraffa  pour  être  soumis  à  Léopold.  Sa  réponse  en  ajour- 
nait la  sanction  après  la  fin  de  la  guerre,  tout  en  admettant  1 

17 


258  MAGYiil!  S  ET  IIOIJMAIAS  DKVANT  L'HISTOIRE 
inincipo  de  la  liherlé  religieuse  et  de  la  suspension  des  exac- 
tions militaire-  commises  par  les  impériaux.  A  la  cour  de 
\'ieniie,  on  eutpréleré  accepter  les  conclusions  d.ib.soloii.  l'an- 
cien partisan  de  Thorhoelyi.  maintenant  le  bras  droit  de  Ca- 
rttffn  :  «  Puiscjue  c'est  la  Transylvanie,  cette  ennemie  mortelle  do 
la  maison  régnante,  dont  les  princes  les  plus  renommés  lurent 
précisément  ceux  qui  combattirent  avec  le  plus  d'acharnement 
la  maison  régnante  qui  est  la  cause  de  tous  les  malheurs  de 
la  llon"rie,  il  Faut  que  son  indépendance  soit  supprimée, 
et  ayant  doiuié  à  Apdfl  dos  conqjensations,  il  laut  qu'elle 
devienne  inio  province  de  l'empire  avec  un  gouverneur  à  sa 
tête,  afin  que  ce  boulevard  de  la  monarchie  ])uisse  enfin  se 
reposer  »  (I. 

Les  i»ourparlor.-  trainorent  ainsi  sans  arriver  ii  aucun  résultat 
jusqu'à  la  mori  dApn/i.  Alors  les  états  étaient  presfjue  résolu-> 
à  prêter  le  .-orment  de  fidélité  au  jeune  A/xifi  déjà  antérieu- 
rement élu,  mais  7V/e/.7  et  le  général  impérial  lleissler  les  en 
empêchèrent.  On  envoya  cependant  JSicolus  Beililen  à  Vienne 
pour  faire  ratiher  l  élection  d  Apafr  IL  Alors  survient  1  irrup- 
tion de  T/ioef,oelfi,  la  perte  de  la  bataille  de  Zernyes/,  la  mort 
de  Teleki  i^e  21  août  IG90).  L'élection  du  protégé  des  Turcs 
qui  eut  lieu  le  mois  suivant,  rendit  les  hommes  d'Etat  autri- 
chiens plus  s(»uj)les.  JSicoIds  Jicthleii  ne  laissa  pas  échapper  cette 
bonne  disposition  et  alla  à  17,'////^' pour  v  presser  la  publication 
dudiplônjc.  Il  la  demanda,  abstraction  faite  de  la  confirmation 
(VApaji  et  parvint  à  l'obtenir  avec  l'aide  des  ambassadeurs 
prussiens  et  anglais,  de  iXiroltis  ])<nil,cliii(niii  et  de  Pnijei.  J'entre 
lenq)s,  la  situation  de  77/oe/.or7)/ devint  intenable,  et  il  se  vit 
force'' d'abandonner  le  territoire  delà  Trans]  Ivniiic 

Ce  fut  à  la  diète  de  Fot/nnis,  convoquée  pour  le  10  jun- 
vier  l()91,  (jue  Ik'tlilen  présenta  le  diplôme,  qu'on  le  discuta  et 
qu'on  l'accepta  finalement.  Dans  sa  préface,  il  est  fait  tout 
d'abord  mention  de  la  minorité  d'Apa/i  II.  Aussi  remit-on  son 
avènement  an  trône  à  l'époque  de  sa  majorité,  car  dans  un  temps 
oïl  la  tranquillité  du   j)avs  était  à  la  merci  des  entreprises  de  Tlmc- 

Y)  hp  Rebut  '/eitis  A.  Caraffaci.  Liber  IV,  p.  321  à  320. 


LIVRK   TROISIEME  259 

hoi'lyi,  il  eut  été  aussi  dan^jereux  pour  les  intérêts  de  la  Tran- 
sylvanie que  pour  le  bien  de  la  patrie  de  lui  confier  immédia- 
tement les  rênes  de  l'État.  Jusque-là  le  roi  Lropold  {garantit  avec 
sa  parole  et  sa  loi  jurée  les  stipulations  suivantes  : 

1"  Il  n'y  aura  pas  de  changements  dans  les  lois  concernant 
les  églises  et  les  écoles  des  religions  reçues,  ni  dans  celles 
avant  rapport  à  l'introduction  d'ecclésiastiques  qui  n'existent 
pas  actuellement  en  Transyhanie.  Il  est  permis  aux  catholiques 
de  bâtir  de  nouvelles  églises  et  de  restaurer  à  Fehérvâr  l'égHse 
détruite  de  Christophe  Bâthory.  Ils  jouiront,  dans  un  endroit  où 
ils  sont  en  majorité,  des  mêmes  droits  dont  jouissent  les 
fidèles  des  autres  religions  reçues  dans  un  cas  pareil,  y  com- 
pris la  faculté  de  bâtir  des  églises.  L'opposition  des  autorités 
civiles  ou  ecclésiasti([ues  restera,  sous  ce  rapport,  toujours 
inefficace. 

2"  Toutes  les  lettres  de  franchises  et  de  donations  des  anciens 
rois  et  des   princes  nationaux  ainsi  que  les  titres,  les  emplois, 
les  dignités,  les  dîmes  ou  tous   les  revenus  d'une   autre  nature 
qui  ont  été  donnés  à  des   corporations   séculières  ou  ecclésias- 
tiques, seront  rigoureusement  maintenus  et  utilement  confir- 
més de  manière  à  ce  que  personne  ne  puisse  être  molesté,  même 
au  moyen  de  procès,  ni  par  les  princes,  ni  par  des  person- 
nages civils  ou  ecclésiastiques,  pour  ravoir  ce  qui  est  dans  sa  pos- 
session, même  si  cela  eûtappartenu  jadis  à  l'Église  catholique. 
W  On  devra   maintenir   les  décisions  des    "   Constitutiones 
Approbatie  et  Compilata>  »  ,  des  décrets  des  anciens  rois,    du 
a  Tripartitum  Verboeczyanum  i;  (du  Code  hongrois  ,  du  décret 
du  roi  André,  les  paragraphes  abolis  par  la  diète  de  Pozsony 
exceptés,  des  lois  des  autorités  locales,  des  lois  spéciales  delà 
nation  saxonne.   Mais  comme  les  catholiques  se  voient    lésés 
par  les  premier  et    deuxième  points    et   comme    les   Saxons 
demandent  plus  de  garantie  pour  la  sauvegarde  de  leurs  fran- 
chises et  de  l'application  d'icelles,   l'empereur  propose,    pour 
la  tranquillisation  de  ces  craintes  de  lui  soumettre  des  conven- 
tions spéciales   qu'il   sanctionnerait,   ou,  si  cela  ne  pouvait  se 
faire,  il  se  réserve  le  droit  d'arranger  ces  affaire?  avec  équité, 
après  avoir  pris  lavis  de  ses  conseillers  transylvaniens. 


2(10         MAGYARS    ET    ROUMAINS    KKVANT    I/IIISTOIRH 

V  II  est  ordonné  do  conserver  les  us  et  coutumes  jusqu'ici 
cniplovés  du  {jouverncment,  du  conseil  secret  de  la  diète,  ou 
concernant  l'organisation  et  la  liberté  du  vote,  le  pouvoir  de  la 
table  royale  (la  cour  d'appel),  des  magistrats,  des  atabla  birô» 
(les  conseillers  généraux)  et  des  cours  de  justice  inférieures  et 
la  manière  dont  on  rend  la  justice;  tout  en  maintenant  la 
liberté  de  s'adresser  directement  au  roi  au  sujet  de  toute 
affaire  importante.  La  gestion  des  revenus  du  Trésor  devra  se 
faire  de  manière  qu  à  la  suite  des  renseignements  donnés  par 
les  États,  personne  ne  soit  obéré  par  les  n  commissiones  came- 
raies.  " 

5°  On  ne  pourra  confier  les  emplois  publics  qu'à  des  sujets 
map^yars,  sicules  ou  saxons  de  toutes  religions  reçues,  en  réser- 
vant à  l'empereur  le  droit  de  faire  des  propositions  avec  le  con- 
sentement des  États  pour  accorder  l'indigénat  à  des  personnes 
méritantes. 

G"  Les  propriétés  qui  retournent  au  fisc  par  suite  d  extinction 
de  famille  ou  de  crime  de  lese-majesté,  1  empereur  les  don- 
nera à  des  sujets  magyars,  sicules  et  saxons.  Celles  occupées 
par  suite  des  guerres  retourneront  à  leurs  propriétaires  an- 
ciens. On  confiera  le  contrôle  des  droits  de  compétiteurs  dans 
ces  cas  à  une  cour  de  justice  ou  au  général  en  chef. 

Le  restant  des  dix-huit  paragraphes  se  rapporte  à  1  organisa- 
tion administrative  et  judiciaire  du  pays.  Dans  le  dixième,  on 
parle  de  «  sanction  royale»  ;  dans  le  douzième,  de  »  revenus 
loyaux  "  et,  dans  le  dix-huitième,  de  »  cour  royale»  .  On  voit 
doncque  les  hommes  d'État  autrichiens  visaient  dès  ce  moment 
une  confusion  à  faire  naître  entre  les  attributs  a  impériaux  et 
royaux»  ,  afin  qu'avec  le  temps  ils  pussent  impunément  transfor- 
mer la  Trmisylva)ne  en  province  impériale  en  la  détachant  de  la 
/lonf/rie.  Or  les  lois  j)romulguées  à  la  diète  de  Pozsoin  envi- 
sajjent  la  question  tout  autrement.  «  Puisqu'il  a  plu  à  la  bien- 
veillance divine  de  restituer  au  droit  légitime  de  nos  succes- 
seurs ,  les  rois  de  Hongrie  ,  la  Transylvanie  ,  ce  plus  antique 
membre  du  royaume  de  Hongrie  que  les  injures  du  temps  en 
ont  jadis  séparé,  etc.  (Postquam  divino  mutui  placuit  Transyl- 
vaniam,  antiquissimum  Hungariie  regni  membrum  ,  olim  per 


LIVUK   TROISIÈME  26t 

injuriam  temporum  ab  eodem  aviilsuni  nostrorum  successoruiu 
HungaricC  regiim  legitimo  iinperio  restituere,)  D'autre  part, 
le  paragraphe  six  de  la  loi  promulguée  par  la  diète  trausylva-i 
nienne  de  1791  contient  le  passage  suivant  :  «  Aussi  bien  Sa 
Majesté  Sacrée,  que  ses  successeurs  suivants  de  la  maison  au- 
guste autrichienne  ne  posséderont  la  Transylvanie  qu'en  rois 
légitimes  de  Hongrie,  comme  appartenantà  la  couronne  sacrée 
du  royaume  de  Hongrie,  avec  le  même  droit  de  règne  et  de 
succession  qu'en  Hongrie.  "  (Tam  Sua  Majestas  Sacratissima, 
quam  secuturi  eiusdem  ex  augustissima  domo  austriaca  succe- 
sores  qua  legitimi  reges  Hungari»,  Transylvaniam  tanquam 
ad  sacram  regni  Hungaria^  coronam  pertinentem,  eodem  cum 
Hungaria  imperii  et  successionisjure  tenebunt.) 

D'après  le  troisième  paragraphe  du  diplôme,  on  confia  aux 
états  le  règlement  des  plaintes  des  catholiques  et  des  Saxons. 
Il  leur  a  effectivement  réussi  de  régler  celles  des  Saxons  dans 
le  document  appelé  :  «  Nationalis  accorda  »  .  N'ayant  pas  pu 
aboutir  à  une  transaction  relativement  aux  griefs  des  catho- 
liques, on  s'en  remit  au  jugement  de  Léopold  selon  les  disposi- 
tions de  ce  même  troisième  paragraphe  par  qui  ils  furent 
réglés  dansun  autre  document.  Le  <  Diploma  Leopoldianum  u  se 
compose  donc,  en  réalité,  de  trois  pièces  :  du  diplôme  principal, 
delà  «Nationalis  accorda»  et  du  diplôme  concernant  les  catho- 
liques. On  y  ajouta  encore  en  1693  la  u  ResolutioAlvincziana)'  , 
ainsi  dénominée  à  cause  de  Pierre  Alvinczy  qui  l'avait  négociée  ; 
elle  se  rapporte  à  la  création  d'une  (^  Chancellerie  transylva- 
nienne "  à  Vienne,  indépendante  de  celle  fonctionnant  pour  le 
compte  de  la  Hongrie.  Ces  a  Chancelleries  »  ne  devaient  servir  en 
principe  qu'à  l'expédition  des  documents  émanant  du  cabinet 
du  roi  et  de  la  transmission  de  ceux  venant  de  la  Hongrie  ou 
de  la  Transylvanie  à  ce  même  cabinet.  Mais  plus  tard  leurs  titu- 
laires devinrent  de  vrais  ministres  sans  portefeuille,  dans  les 
mains  de  qui  se  concentraient  tous  les  pouvoirs  des  deux  pays 
respectifs  auxquels  les  ministres  autrichiens,  absolutistes  ou 
centralistes,  confiaient  le  soin  de  faire  prévaloir  leurs  théories 
en  Hongrie  et  en  Transylvanie. 

Fruit  des  transactions   diplomatiques,  car  le  simple   retour 


■2()2        MA<;YAI'>S    KT    IlOUMAIiVS    DKVANT    L'II  I  STO  I  I".  K 

de  la  Trt(ii.<)/r<i/i/r  daii>  le  cadre  de  la  constitution  hongroise 
ne  pouvait  se  faire  à  cause  des  privilèfjes  des  trois  nations  et 
des  quatre  reliffions  reçues;  le  "  Diploma  Leopoldianum^)  était 
fatalement  condamné  d'avance  aux  interprétations  diverses. 
D'abord  on  supprima  le  prince  en  prétextant  son  sot  maria^je 
et  en  l'internanl  à  Vienne:  ensuite  on  plaça  en  Tnaisyliumie 
des  jfrénéraux  qui  apprirent  aux  Etats  à  a  s'accoutumer  aux  tam- 
bours et  à  ne  boire  que  le  mors  à  la  bouche  »  ,  selon  l'expression 
énergique  des  mémoires  de  Midicl  Cscrei  de  JSiuiytijia.  Après 
la  paix  de  Ktu/i'xzo  (Carlovitz),  on  envoya  en  Tr<nis)  Iranie  une 
commission  pour  inspecter  les  caisses  du  Trésor.  Son  président, 
le  baron  autrichien  Seean,  élabora  un  règlement  pour  fixer  le 
quantum  annuel  à  faire  pour  la  Ti-ansyliuniie ,  contre  les  stipu- 
lations formelles  du  douzième  paragraphe  du  diplôme  de 
jj-opold.  On  érigea,  à  la  même  époque,  les  catholicjues  en  État, 
encore  h  Tencontre  de  ce  qui  avait  été  décidé.  Peu  de  temps 
après,  on  vit  arriver  un  évéque  catholique  "  in  partibus  j^  qui 
reçut  comme  donation  le  domaine  à\\lvin(z.  Aussi  fut-il 
nrié  par  le  '  gubernium  »  de  vouloir  bien  se  retirer  du  pays, 
parce  que  sa  présence  était  illégale.  Mais  l'évéque  ne  céda  pas 
il  cette  injonction,  et  fit  même  venir  des  .fesuiie-s  pour  l'ensei 
{fnement  et  la  prédication. 

Mais  quelles  que  soient  les  entorses  données  par  la  cour  de 
Vie/me  h  l'esprit  qui  a  insjiiré  le  diplôme  célèbre,  elles  restent 
bien  loin  derrière  les  roueries  de  1  interprétation  des  histo- 
riens roumains.  M.  Enr/ènc  lirote  affirme  (1)  que  "  la  Transyl- 
vanie, la  troisième  province,  au  point  de  vue  de  sa  grandeur,  de 
la  monarchie  des  Habsbourg,  n  a  jamais  été  un  pays  dépendant 
d'un  autre  royaume,  et  elle  a  gardé  son  indépendance  même  au 
temps  où  il  existait  entre  elle  et  la  Hongrie  un  lien  fédératif. 
Quand  elle  fui  placée  sous  le  sceptre  des  Habsbourg  (le  i  dé- 
cembre IHDl)  ou,  comme  les  Etats  transylvaniens  s'exprimè- 
rent :  quand  Sa  Majesté  l'empereur  Léopold  I"  daigna  l'accepter 
sous  la  protection  de  la  domination  autrichienne  —  son  indé- 
pendance ne  resta  pas  moins  intacte.  L'empereur  d'Autriche, 

(1.)  EuGKN  BnoïK.  Die  riDnaiiist  lie  Ftacje  in  Siel>riil)iii(/cti  uiul  ViKjmn.  IJcrliii 
1895,  p.  11. 


LIVRE   TROISIÈME  263 

(déjà?)  et  le  roi  de  Hongiie,  en  même  temps,  grand-duc  de 
Transylvanie,  y  régnèrent  selon  sa  constitution  et  selon  ses  lois 
spéciales,  faites  et  promulguées  par  ses  diètes  spéciales.  Cette 
indépendance  et  cette  constitution  de  la  Transylvanie  ont  été 
reconnues  valables  et  sanctionnées  par  tous  les  souverains  issus 
de  la  maison  des  Habsbourg  depuis  Léopold  I"  au  moyen  de  di- 
plômes et  de  rescrit.s  impériaux.  La  Pragmatique  Sanction, 
réglant  la  situation  des  pays  béréditaires  et  de  l'empire  sous  la 
maison  régnante  des  Habsbourg  et  Tordre  de  succession  dans 
cette  dernière,  fut  séparément  conclue  avec  la  Transylvanie 
aux  diètes  transvlvaniennes  de  17:22  et  de  17  44-,  comme  avec 
un  État  indépendant  des  autres,  et  comme  un  traité  bilatéral 
concernant  à  part  le  grand-duc  et  le  pavs.  « 

D'un  autre  côté,  on  lit  dans  le  soi-disant  "  programme  natio- 
nal des  Roumains  de  la  Transylvanie  '  ,  élaboré  en  179]  à  AV/yj - 
Szeben,  le  passage  suivant  :  a  La  souveraineté  indépendante  de 
la  Transylvanie  étant  échangée  au  moven  de  la  convention  de 
1691  nommée  :  <  diploma  Leopoldiamuni  »  contre  le  droit  héré- 
ditaire la  maison  des  Habsbourg,  la  faculté  de  correspondre 
directement  avec  les  autres  États  était  perdue  pour  celui-ci, 
mais  non  pas  son  autonomie  intérieure;  elle  fut,  au  contraire, 
garantie  non  seulement  par  ce  :  "pactum  conventum»  ,  mais  par 
d'autres  lois  fondamentales  aussi,  ainsi  que  par  les  serments 
solennels,  prêtés  par  les  empereurs  de  la  maison  des  Habsbourg 
à  1  occasion  de  leur  couronnement  et  au  moment  du  renouvel- 
lement de  leurs  diplômes  inauguraux...  L'empereur  indique 
clairement  dans  le  troisième  paragraphe  de  ce  dit  diplôme  : 
Conslilulioncs  in  viqore  inviolahili  permanstiras  dccldrtintns .  » 

Il  faut  que  la  haine  du  Mdqydr  soit  bien  enracinée  chez  les 
Roumains  pour  qu'ils  puissent  ainsi  chanter  les  louanges  d'un 
document,  qui  en  les  ignorant  complètement,  devrait  les  gêner 
plutôt  et  surtout  les  rendre  plus  modestes.  Quantités  négligea- 
bles il  y  a  deux  cents  ans,  aujourd'hui  ils  voudraient  imposer 
leur  loi,  ne  leur  en  déplaise,  tout  simplement  en  raison  des 
services  qu'ils  ont  rendus  non  pas  à  la  civilisation,  à  la  liberté 
ou  au  progrès,  mais  comme  on  va  le  voir,  à  la  réaction  la  plus 
sotte  et   la  plus  odieuse,   qu'ils  ont  secourue  sciemment  ou 


2(1 '♦         M  AG  VA  lis    MT    HOUMAINS    DKVAINT    L'II  I  STO  I  li  K 

inconsciemment  avec  un  zèle  cligne  d'une  meilleure  cause.  Il 
faut  espérer  que,  re\enus  ;'i  des  sentiments  meilleurs  et  surtout 
à  nue  |)lusjusteaj)|)ré(ialion  de  leurs  vrais  intérêts,  ils  en  dépen- 
seront tout  autant  pour  l'aire  prévaloir  les  droits  de  la  société 
moderne,  à  la  conquête  desquels  travaille  la  Jf<>nf/rie  depuis 
1848.  Son  encourageant  appui  leur  est  assuré  sans  arrière- 
|)ensée,  non  pas  par  des  stipulations  faites  pour  être  dé- 
jouées, mais  en  souvenir  des  luttes  supportées  ensemble,  par 
les  Maqjnrs  et  les  llointi/n'us ,  contre  la  barbarie  turque  ou  en 
vue  de  celles  qu'on  aura  encore  à  supporter  tant  qu'il  restera 
des  progrès  moraux  et  matériels  à  accomplir. 


CHAPITRE  II 

l'union  Rr.LIGlF.rSF.  DES  ROUMAINS. 


Ce  fut  en  quelques  mots  que  l'on  Ht  allusion  plus  haut  à  la 
triste  fin  de  l'évêque  [jrec  oriental  S<ivr  Bran/wvics.  Elle  a  été 
causée  par  ses  efforts  tentés   en  vue  de  la  réintroduction  de 
la  langue  slave  dans  réj>lise  roumaine,  que  la  majorité  de  son 
clergé,  déjà  gagnée  aux  tendances  nationales  roumaines,  ne 
voulait   nullement   seconder.    (Son   frère   cadet    (:leorges   rê- 
vait la  carrière  de  l'aventurier  Jacques  Héraclide  sous  le  titre 
de  Despote  de  toutes  les  provinces  illyro-thraques  et  ortho- 
doxes  de    l'Orient,  de    prince   de    la  Haute    et   Basse-Mésie, 
de  seigneur  de  Szerém  ei  de  Jenoe,  de  prince  du  Saint-Empire, 
et  de  comte  hongrois;  mais  il  fut  arrêté  par  le  margrave  Louis 
de  Bade,  général  impérial,  et  interné  à  Nagy-Szeben,  le  7  no- 
vembre  1689.)  Un  synode  composé,  sous  la  présidence  d'un 
secrétaire  général  de  préfecture,   de  î>8  ecclésiastiques,  tant 
calvinistes  que  grecs  orientaux,  le  condamna  du  chef  de  «mal- 
versations commises  au  détriment  des  deniers  de  son  diocèse 
et  des  fonds  recueillis  en  Russie  et  au  profit  des  églises  rou- 
maines détruites  par  les    incursions   turco-tartares.  "    Relâché 
de  sa  prison  par  Apafi  qui  ne  voulait  pas  que  son  nom  put 
servir  de  prétexte  à  révolte  dans  la  bouche  de  ses  ennemis  du 
parti  de  Beldi,  il  mourut  deux  ans  après. 

Son  sucesseur  Joseph  Budai,  confirmé  par  Apafi  le  28  dé- 
cembre 1680  dans  les  mêmes  conditions  que  l'évêque  Simono-^ 
vitsch,  n'occupa  son  siège  épiscopal  que  deux  ans.  Après  sa 
mort,  ce  fut  Joasaf  (\\x\  l'obtint.  Ils  avaient  été  consacrés  tous 
deux  par  Théodose,  le  métropolite  de  Bucarest.  Joasaf  mourut 
en  1686.  Save  Vesiinnan  ne  fut  évêque  qu'un  an,  tandis  que 
Varlaam  le  fut  pendant  trois  (de  1687  à  16î)0).  Pendant  la  va- 
cance d'une  année  et  demie  qui  précéda  l'élection  de  Théoplalc 
dont  la  consécration  par  le  métropolite  de  Bucarest,  l'introni- 


2(i(i  MAGYARS  ET  lîOUMAINS  T>EVANT  I.'ll  1  S  TOIRE 
salion  par  le  Mouvenicur  transylvanien  (JroKjcslMuiffy  ainsi 
<|ue  la  prestation  de  serment  dans  les  mains  de  Tévêque  calvi- 
niste se  passèrent  selon  les  formalités  adoptées  sous  les  princes 
indépendants,  —  Lropo/d  /"  adressa  le  23  août  l<)f)2  kPoiit 
Esirr/u'izy,  palatin  de  la  f/o/u/rir,  un  rescrit  ordonnant  que  tout 
prêtre  de  l'éj'jlise  jorecque  orientale,  enclin  à  accepter  l'union 
avec  rK<ylise  catholique,  jouisse  dorénavant  des  immunités  du 
<lerpé  catholique.  Or  l'union  consistait  dans  l'acceptation  de 
ces  quatre  articles  :  t'  Les  fidèles  de  l'église  grecque  orientale 
reconnaissent  le  pape  pour  le  chef  visible  de  toutes  les  églises 
de  l'univers.  2-  Us  accèdent  au  dogme  démontrant  que  le  Saint- 
Ksprit  procède  à  la  fois  du  Père  et  du  Fils  filioque).  3"  Que  le 
l)ain  azvme  suffit  pour  la  communion,  i"  Ils  admettent  l'exi- 
stence du  purgatoire  Par  contre,  l'église  grecque  orientale 
reste  intacte  et  elle  garde  le  calendrier  Julien. 

Quoique  n'étant  pas  valable  pour  la  Transyliuinie,  ce  rescrit  y 
fut  considéré  par  les  catholiques  comme  un  signal  encourageant 
le  prosélytisme.  Les  Jésuites  introduits  par  l'évêque  catholi- 
(jue  '  in  partibus  ■'  s'y  mirent  en  relation  avec  Théophile  et  lui 
persuadèrent  que.  sil  acceptait  l'union,  elle  servirait  aussi 
bien  au  clergé  roumain  qu'à  toute  sa  race,  tant  au  point  de  vue 
matériel  qu'au  point  de  vue  de  sa  situation  sociale. 

Les  pourparlers  au  sujet  de  l'union  durèrent  quatre  ans  entre 
'l'hro/ih/lc.  les  Jésuites  et  les  ministres  autrichiens,  naturelle- 
ment kl'insu  du  "gubernium  »  .  -  Avec  Bànffy  comme  gouver- 
neur, avecBethlen  comme  chance\'\ei\piilvis  ci.  ambra  samas!y> 
s'écrie  Nicolas  Jinhlcii .  u  Quand,  en  I  ()J)7 ,  nous  étions  tous  trois  à 
Vienne,  continue-t-ilplus  loin,  le  ministre  Ivinsky  nous  présenta 
à  une  conférence  tout  d  un  coup  le  mémoire  des  états  catholi- 
(pu^s.  Cette  union  y  figura  comme  premier  point.  Nous  deux  avec 
le  gouverneur,  nous  nous  récriâmes,  en  affirmant  de  n'en  avoir 
rien  entendu  parler  en  Transylvanie.  Elle  doit  être  dirigée 
contre  les  trois  autres  religions,  et  surtout  contre  les  calvi- 
nistes. Or  nous  le  sommes  ;  nous  ne  pouvons  donc  rien  dire 
de  la  proposition.  Alois  Kinsky  de  lépondre  :  »  Ne  parle/ 
pas  comme  calvinistes,  mais  comme  conseillers  du  roi  »  (  Non 
loquantur  ut  reformati,   sed  tanquam  consiliarii    régis.)  Nous 


LIVIIE   T  H  01  SI  KM  E  267 

protestâmes  de  notre  mieux,  nous  présentâmes  même  un  mé- 
moire à  ce  sujet  à  l'empereur,  dont  nous  avons  la  copie,  mais 
on  le  jeta  au  panier.  « 

Pour  expliquer  ces  efforts  de  prosélytisme  de  la  cour  de 
Vienne,  les  historiens  roumains  indiquent  avec  beaucoup  d'iia- 
l)ileté  son  désir  de  combattre  le  libéralisme  hongrois.  «  Cette 
maison  des  Hasbourg  n'est  pas  une  dynastie  tombée  des  nues, 
écrit  J.  Sl<(vici  [l),  mais  une  dynastie  ayant  combattu  pendant 
des  siècles  pour  l'organisation  de  l'Europe  centrale.  Elle  avait 
sa  politique  séculaire  et  elle  disposait  d  un  mécanisme  admi- 
nistratif complet  pour  la  réalisation  de  son  but.  C'était  une 
dynastie  aux  yeux  de  laquelle  l'armée  ne  servait  que  de  bouclier, 
tandis  que  ses  conquêtes  se  firent  à  l'aide  de  la  foule  des  em- 
ployés administratifs.  11  était  tout  naturel  que  cette  dynastie 
s  étant  battue  pendant  deux  siècles  avec  les  Magyars,  se  trou- 
vait toute  heureuse  de  rencontrer  dans  les  pays  nouvellement 
conquis  et  derrière  les  Magyars  un  peuple  étranger,  hostile 
aux  Magyars.  La  cour  de  Vienne  ne  tarda  pas  à  concevoir  des 
plans  au  sujet  de  l'unification  des  éléments  roumains  éparpillés 
dans  les  provinces  orientales  ainsi  qu'à  ce  qui  pouvait  concer- 
ner leurs  progrès,  afin  qu'avec  le  temps  on  puisseleur  confier  le 
rétablissement  de  l'équilibre  social  •'  .  Propositions  au  plus  haut 
degré  condamnables  au  point  de  vue  du  respect  dû  à  la  dynastie 
habsbourgeoise,  puisqu'elles  la  représentent,  comme  1  ennemie 
du  peuple  magyar,  ainsi  qu'au  point  de  vue  du  roumanisme  à 
qui  elles  attribuent  une  animosité  contre  le  même  peuple  ma- 
gyar, sans  pouvoir  en  donner  le  motif.  Quant  à  l'expression  du 
"  pays  nouvellement  conquis  »  ,  elle  suppose  l'ignorance  la  plus 
grossière,  car  la  royauté  des  Habsboinr/  en  Honijrie,  y  compris 
la  Transyliuniie,  se  base  sur  des  traités  de  famille  sanctionnés 
parles  diètes  hongroises  et  non  pas  sur  le  droit  de  conquête. 

En  tout  cas,  si  les  conseillers  de  Léopold  V  n  étaient  pas  dés 
amis  pour  la  Hongrie^  ils  n'étaient  pas  ceux  des  Roinnaiiis  non 
plus,  puisque  dans  les  instructions  que  l'internonce  de  1  em- 
pereur a  reçues  à  CousUnttinojde  après  la  ])aix  de  Karlorza^  il 

(1)  Slavu:i  :  Andreiu  Ijaron  de  Siaguiia,  p.  2(5. 


2()S  MAGYAUS  ET  ROUMAI>'S  DEVANT  L'HISTOIRE 
lui  est  expressément  recommande  de  se  méfier  de  ces  derniers, 
car  ils  sont  orthodoxes  et  conséqnemnient  prêts  à  servir  les 
intérêts  de  la  Russie.  On  pourrait  conclure  même  de  cette 
légère  indication,  que  le  vrai  mobile  des  efforts  tentés  en  vue 
de  l'union  est  simplement  la  crainte  de  Tinfluence  russe,  dès 
ce  moment-là  sérieusement  inquiétante  pour  la  sphère  d'action 
de  la  politique  impériale. 

Ce  fut  le  Jésuite  Pa/il  Baranyi,  —  il  s'était  introduit  su- 
brepticement en  Trinisylvam'e  du  temps  dApafi  —  à  qui  Ion 
confia  la  mission  de  faire  cesser  les  hésitations  de  T/uJop/nle. 
Il  lui  j)ersuada  la  convocation  dun  synode  restreint,  formé  de 
douze  dovens,  qui  eut  lieu  au  mois  de  février  1()97.  Il  fut  pré- 
sidé, au  lieu  du  "Surintendant"  calviniste,  par  le  fougueux 
Jésuite  lui-même  et  ouvert  par  un  discours  de  Tliroplnle  qui 
ne  sut  pas  assez  s'apitoyer  sur  le  malheureux  sort  des  lioinnains 
sous  la  domination  des  princes  indépendants  magyars.  Ce 
discours  très  bien  fait  a  été  conservé,  et  comme  l'évêque  rou- 
main ne  brillait  pas  par  l'esprit,  il  est  plus  que  probable  qu'il 
est  l'œuvre  du  Jésuite  hongrois  qui  pour  attaquer  les  calvi- 
nistes, n'a  pas  craint  de  forger  des  armes  dangereuses  contre 
sa  propre  nation  à  l'usage  de  ses  ennemis. 

Après  cette  élucubration  oratoire,  on  résolut  l'acceptation 
des  quatre  articles  plus  haut  cités  en  y  ajoutant  plusieurs 
clauses  relativement  à  la  situation  particulière  des  Roumains  en 
Transyh'nnir.  L'union  leur  accordera  l'accès  des  emplois  pu- 
blics, leur  permettra  de  fréquenter  les  écoles  des  catholiques,  de 
jouir  des  fondations  catholiques.  L'évêque  des  RoiDuaius  ob- 
tiendra des  allocations  suffisantes  pour  vivre  honorablement. 
Ayant  voté  toutes  ces  résolutions ,  le  synode  en  fit  un 
mémorandum  que  l'évêque  signa  d'abord  tout  seul,  mais 
comme  sa  signature  ne  satisfit  pas  la  cour  de  Vienne.,  les 
doyens  le  signèrent  plus  tard  personnellement  tous  aussi.  Pour 
les  historiens  ecclésiastiques  roumains,  ce  document  n'existe 
pas.  «Ce  décret  n  est  qu  un  faux,  dit  Manegutiu  (I)  ou,  pour  lui 


(1)  Manegutiii   :  l'icunirea  ruiiKinilor  diii  Transilvania  si   Unjjaria.  Sihin,  1893, 
p.  81. 


I.lVliE    rnolSIKME  269 

donnerle  nom  qu  il  mérite,  un  simple  mensonge  des  Jésuites  !  » 
La  convocation  de  ce  synode,  les  résolutions  prises  ne  res- 
tèrent pas  longtemps  secrètes.  Pour  Tliéodose^  le  métropolite 
de  Bucarest^  la  destitution  de  Théophile  était  déjà  une  chose  ar- 
rêtée, (juand  révéque  mourut  subitement,  selon  les  auteurs 
roumains,  empoisonné.  Supposition  pure ,  qu  aucun  fait  ne 
justifie.  D'ailleurs  la  disparition  de  Théophile  ne  fut  d'aucune 
utilité  pour  les  calvinistes.  N'ayant  aucun  candidat  sérieux  sous 
la  main,  ils  se  virent  obligés  de  se  rabattre  sur  le  jeune  Ailui- 
iKise  de  CstKjod,  le  fds  d  un  pope  de  LniholiKi,  d  origine  noble 
qui,  d'après  Nicolas  Beihleii,  en  sa  qualité  de  jouvenceau,  était 
encore  étudiant  à  Feliérvàr  pour  y  apprendre  la  grammaire. 
Beihlcii  affirme  également  que  c  étaient  des  ducats  empruntés 
qui  lui  avaient  gagné  les  bonnes  grâces  de  Constaniiii  Braucovan 
vayvode  de  la  Valachie,  et  du  métropolite  Théodose,  tandis  que 
lagent  roumain  Di/tdar  prétend  que  ce  furent  les  états  calvi- 
nistes qui  dépensèrent  500  ducats  pour  acheter  le  consentement 
vayvodal  et  archiépiscopal.  Mais  qu  importe!  la  simonie  n'en 
était  pas  moins  patente  et  reconnue  comme  telle  par  tout  le 
monde.  Elle  inaugure  significativement  1  évéclié  cVAihanase,  si 
important  au  point  de  vue  de  ses  effets. 

Ayant  fait  le  voyage  de  Bucarest  pour  v  être  consacré,  le 
jeune  candidat  y  rencontra  beaucoup  de  méfiance  à  son  égard. 
L'acte  de  la  consécration  v  fut  accompli  par  Dosiiei  patriarche 
de  Jérusalem^  quis  v  trouvapar  hasard.  Outre  le  serment  usité, 
il  en  imposa  à  Aihaiiasc  spécialement  un  autre,  au  sujet  de 
l'exécution  de  certaines  recommandations  qu'il  croyait  indis- 
pensables dans  la  situation  critique  de  l'église  grecque  orientale 
de  la  Transylvanie.  Parmi  ces  recommandations  il  faut  citer 
la  troisième  qui  était  ainsi  conçue  :  "  Votre  Sainteté  ne  fera 
exécuter  l'ochtainlu,  c'est-à  dire  le  service  divin,  ainsi  que  les 
chants  du  rite  du  dimanche  et  des  jours  de  fêtes  qu'en  langue 
slovène  et  non  pas  en  langue  roumaine.  "  La  quatrième  se  rap- 
porte à  la  lecture  de  1  Évangile;  elle  pourra  être  faite  soit  en 
roumain,  soit  en  slovène.  Dans  la  vingtième,  on  lui  conseille 
de  tenir  des  synodes  annuels.  Les  affaires  qu'on  ne  pourra 
pas  y  régler,  seront  envoyées   d'abord   chez   le    métropolite 


270         MACYAI'.S    ET    P.  O  U  M  A  I  N  S    DEVANT    T/IIISTOHIE 

àeV  UiujrD-Vdliicliie.  el  s'il  n  en  obtient  pas  un  résullat  satis- 
faisant, rlic/  le  patriarche  de  Cnnstaniinople.  C  étaient  des 
|)récautions  prises  à  la  lois  contre  le  prosélytisme  des  calvinistes 
et  contre  l'union  a\ec  les  catholiques.  Quant  au  vavvode 
Coiisiaiiiin  Ihancovan ,  il  condda  At/itiiiasi'  de  cadeauv  de  grand 
prix  et  il  lui  promit  le  versement  annuel  d'une  subvention 
de  6,000  gros  car  il  considérait  son  évéché  comme  un  bateau 
naviguant  au  milieu  des  Ilots  des  hérésies.  (  I  i 

Il  appert  de  tout  ceci  (^uA/hainisc  a  dû  complètement  ras- 
surer son  entourage  bucarestois  sur  la  pureté  deses  intentions. 
Mais  à  peine  rentré  en  Tninsylvanie,  en  lui  communiqua  un 
rescrit  de  Léofiold^  adressé  au  "  gubernium  ■•■'  ,  dans  lequel  il 
est  dit  que  «  les  prêtres  de  religion  grec({ue  orientale,  qui 
acceptent  1  union  avec  les  catholiques  et  reconnaissent  la  su- 
prématie du  pape,  jouiront  des  mêmes  immunités  que  les 
prêtres  catholiques;  s  ils  s'unissent  à  une  autre  religion  reçue, 
ils  auront  les  imnumités,  dont  jouissent  les  ecclésiastiques  de 
cette  religion;  et  s  ils  restent  dans  l'état  actuel,  ils  en  suppor- 
teront toutes  les  charges»  (2).  D'autre  i)art,  le  Jésuite  /iani/ni, 
((ui  ne  le  quittait  pas  plus  que  son  ombre  depuis  son  retour 
de  liiinnesi,  lui  assura  qu  il  ne  serait  confirmé  qu  au  cas  où  il 
suivrait  l'exemple  de  ThropliiU- ,  en  travaillant  à  l'union.  Aihu- 
iidsc  convoqua  donc  un  synode  pour  le  mois  d  octobre  î(>98. 
Les  trente-huit  dovens  qui  y  lurent  présents,  se  prononcèrent 
pour  l'union  et  signèrent  une  déclaration  en  roumain  dont  voici 
le  contenu  : 

«  Considérant  l'instabilité  de  ce  bas  monde  et  l'immortalité 
ainsi  que  l'immuabilité  des  âmes  auxquelles  il  faut  songer  avant 
tout,  nous  nous  unissons  de  plein  gré  à  l'Eglise  catholique,  et 
nous  déclarons  par  cet  écrit  que  nous  sommes  membres  de 
cette  même  Eglise  catholique  et  que  nous  voulons  jouir  des 
mêmes  innnunités,  dont  jouissent  les  membres  et  les  prêtres 
de  cette  Église,  comme  cela  nous  a  été  assuré  j)ar  le  décret 
gracieux  de  Sa  Majesté  l'empereur  et  notre  roi  couronné,  la- 
quelle grâce  nous  ne  voulons  pas  refuser  étant  de  fidèles  sujets 

(1)  CiPARiu,  Archivul  peittiu  istarui  sijilologia,  p.  453  à  45.'). 

(2)  NiLLES,  Symbolœ  nd  illuslramlani,  vol.  I,  p.  195. 


LIVUK    TUOISIKMK  271 

de  Sa  Majesté.  Nous  présentons  le  présent  document  à  Sa  Ma- 
jesté et  aux  états  de  Transylvanie  après  l'avoir  confirmé  par 
nos  signatures.  ^• 

On  sait  que,  vu  le  caractère  catholique  de  la  lloïK/rie,  on  n'y 
employa  que  le  latin  comme  langue  officielle.  Il  fallait  donc 
(|ue  ce  document  roumain  fut  d  abord  traduit  en  latin  avant 
d'être  présenté  à  Vieuiu'  et  à  la  diète  de  Traiisylvanii^  Ai/itniasc 
en  confia  la  traduction  à  rinraii)  i  et  celui-ci  ne  se  fit  aucun 
scrupule  d  en  modifier  la  teneur.  Au  surplus  il  ajouta  à  lu 
phrase  :  »  Nous  sommes  les  membres  de  cette  Église  catho- 
lique 15  ,  la  proposition  suivante  :  ^  En  acceptant,  en  croyant 
et  en  confessant  ce  qu'elle  accepte  croit  et  confesse  et  surtout 
les  quatre  article>  qui  paraissaient  nous  en  séparer  jusqu'ici  et 
auxquels  il  a  été  fait  allusion  dans  le  diplôme  et  dans  le  décret 
de  Sa  Majesté  Sacrée  n  . 

Ce  fut  Allia  II'!  Si'  lui-même  qui  activa  à  Vv-nne  la  marche  des 
négociations  en  s'adressant  tantôt  à  I.i-opohl  Kollonirs.  depuis 
l()i)r)  prince-primat  de  la  Hoiu/n'c,  mais  ennemi  juré  de  la 
race  magyare,  tantôt  au  nonce  de  Viciinc,  tantôt  au  ministre 
Kiiisky.  Il  avait  à  combattre  non  seulement  l'opposition  des 
calvinistes  mais  celle  de  Tévéque  catholique  de  la  Transylvanie, 
qui  ne  voulait  pas  admettre  à  côté  de  lui  un  autre  évéque, 
fut-il  grec  uni.  prétextant  que  les  conciles  du  La  Iran,  ne 
permettaient  pas  la  présence  de  deux  évéques  dans  la  même 
éparchie.  D'ailleurs  les  Hoiniia/ns  traduisirent  le  mot  slave  de 
«  vladica  »  par  «  métropolite  »  ;  on  pouvait  donc  craindre 
qu'à  la  première  occasion  il  n  y  eut  des  discussions  de  préséan- 
ces, de  prérogatives,  de  juridictions  entre  l'évêque  catholique 
et  le  futur  métropolite. 

Du  reste,  tant  que  la  possession  de  la  Transylvanie  n'a  pas 
obtenu  une  sanction  internationale ,  agir  ouvertement  était  assez 
difficile  pour  la  cour  de  Vienne.  D  autant  plus  que  les  vayvodies 
roumaines  se  montraient  très  hostiles  à  l'égard  de  ces  tenta- 
tives unionistes.  C'est  à  cause  de  cela  qu'il  leur  a  réussi  défaire 
admettre  dans  le  traité  de  paix  àeRarlôcza  (Karlovitz)  un  arti- 
cle défendant  la  propagande  catholique  spr  les  territoires  des 
vayvodies.  Mais  une  fois  le  traité  signé,  on  précipita  le  dénoue- 


■272  MA(;VAr.S  HT  R(^UMAI^"S  DEVANT  I/IIISTOIRE 
ment.  Dès  le  10  février  l()Oî>,il  parut  un  rescritde  Léopold  t" 
contresJHfné  par  le  cardinal-primat  Kollonics,  dans  lequel  non 
seulement  les  promesses  antérieures  relatives  à  la  position  du 
cler.fTé  uni  se  trouvent  de  nouveau  confirmées,  mais  il  est 
ordonné  aux  autorités  et  »  surtout  aux  généraux  et  aux  offi- 
ciers ;>  ,  bien  entendu  »  impériaux  "  ,  de  protéger  et  de  défen- 
dre tous  les  liointunns  avant  accepté  1  union  contre  toute  atta- 
(lue  visant  leurs  franchises  acquises  par  1  union,  quel  que  soit 
le  prétexte  invocjué. 

Il  est  curieux  de  constaterquesi,  chez  les ^io;//;/)'/ ///.s,  on  visait 
principalement  les  avantages  sociaux  et  pécuniaires,  les  mem- 
bres des  trois  nations  reçues  ne  considéraient  non  plus  l'union 
(ui'au  point  de  \ue  des  effets  qu'elle  pouvait  produire  politique- 
ment et  financièrement.  Aussi  les  Etats  catholiques  adressèrent- 
ils  eux-mêmes  un  document  i\  A/funuisr,  dans  lequel  ils  ne  s'occu- 
pent en  quelque  sorte  (pie  de  la  situation  des  popes,  et  s'ils  font 
mention  de  la  valeiu'  ujoraleet  religieuse  de  l  union,  c'est  dans 
une  lorfue  très  vague  cl  peu  inquiétante. 

D'autre  j)arl,  voilà  la  léponse  du  u  gubernium  >» ,  datée  du 
li  juillet  !(>;»!»,  au  sujet  de  la  question  que  Léopold  I"  lui  fit 
adresser  concernant  la  transmigration  croissante  des  serfs 
roumains  en  //ouf/r/i'  et  même  en  'riiiijiiie.  a  Us  ont  peur  du 
catholicisme  et  c  est  un  tort  de  vouloir  en  faire  des  catholiques; 
car  la  nation  roumaine  n  a  pas  de  religion,  elle  n  a  plutôt  que 
des  superstitions  et  elle  est  encline  à  tous  les  méfaits,  aussi  sa 
conversion  ne  sera-t-ellc  d  aucun  profit  pour  le  catholi- 
cisme (ly  "  . 

Mais  déjà  le  rescrit  de  Léopold  avait  été  communiqué  h  un 
synode  convoqué  par  Ailuinase  et  on  y  avait  résolu  son  dépari 
pour  Vienne.  Il  n'eut  lieu  ({uc  l  année  suivante,  après  le  grand 
synode,  tenu  le  A  septembre  1700,  pour  lequel  on  adressa  des 
invitations  à  tout  le  clergé  roumain  de  la  Trans)  Ivnnic  :  à 
ôH  doyens  et  à  1,563  popes.  Et  pour  démontrerque  ce  n'était 
pas  seulement  le  clergé  cpii  éprouvait  le  besoin  de  lunion,  on 
convoqua  en  j)lus  trois  individus  par  chaque  commune  rou- 

(1}  Documente  /jiivitoïc  la  hloriu  Romàniloi ,  culcse  de  Kiitlosiu  lluitnuzaki, 
vol.  V,  p.  536  à  538. 


LIVRK   niOISIKME  273 

maine.  Ce  concile  de  Gyubtfehérvàr  fut  donc  la  première  réu- 
nion officiellement  reconnue,  où  Ion  vit  figurer  les  Roumains 
en  qualité  de  nation.  Il  faut  le  regarder  aussi  comme  le  proto- 
type des  «  meetings  "  roumains  ultérieurs;  on  peut  donc  affir- 
mer que  ce  lurent  les  Jésuites  hongrois  qui  donnèrent  l'idée 
initiale  des  démonstrations  anti-magyares  et  anti-constitution- 
nelles des  Rounidiiis  dans  les  époques  suivantes. 

On  V  revisa  les  décisions  du  svnode  précédent  et  —  en  les 
refondant  sous  les  auspices  de  Bfnanji  encore  —  on  les  accepta 
enjoignant  à  Ailicmasc  de  ne  plus  retarder  son  voyage,  pour 
les  frais  duquel  on  y  fit  des  souscriptions.  Il  eut  lieu  quelques 
semaines  après.  A  peine  arrivé  à  Vienne  en  compagnie  du 
jésuite  Neui-duter,  d  un  ecclésiastique  et  d  un  laïque  grecs 
unis,  Athanase  eut  une  sorte  d'examen  à  subir  devant  une  com- 
mission présidée  par  le  cardinal  Kollonics.  Ayant  exposé  ses 
désirs  concernant  sa  nomination,  la  restitution  d'une  somme 
de  36,000  florins  avancés  par  le  clergé  roumain  pendant  la 
dernière  guerre  turque,  l'exemption  dudit  clergé  de  la  dîme,  etc. 
Athanase  dut  se  défendre  contre  les  accusations  d'un  certain 
nombre  de  ses  popes,  qui  lui  reprochaient  sa  vie  immorale  et  ses 
simonies,  et  du  jésuite  Ka/>v,  (jui  ne  voulait  pas  croire  à  la 
sincérité  de  sa  conversion.  Ce  lut  à  Baranyi  qu'incomba  la 
tâche  de  la  défense  à' Athanase  dont  il  s'acquitta  probablement 
à  merveille,  —  les  procès-verbaux  n'existent  pas  tout  entiers 
—  puisque  la  commission  accorda  le  siège  épiscopal  à  Atha- 
nase sans  difficultés.  Kollonics  y  fit  en  même  temps  la  déclara- 
tion que  ni  l'empereur  ni  le  pape  ne  voudraient  toucher  aux 
droits  de  l'église  grecque  orientale  et  que  l'élection  des  évéques 
resterait  conservée  aux  synodes  des  Roumains,  seulement  ils 
présenteront  à  l'empereur  trois  candidats  à  la  fois,  parmi  les- 
quels il  pourra  choisir  le  plus  convenable.  Par  contre,  ce  sera 
selon  la  formule  du  concile  de  Dente ,  que  les  évéques  grecs 
unis  prêteront  serment.  Athanase  le  prêta  le  2  4  mars  1701  à 
Kollonics  qui  lui  adjoignit  pour  théologien  consultant  le  jésuite 
Neurauter  afin  qu  il  ne  puisse  plus  retomber  dans  les  erreurs 
du  schisme  et  afin  qu'on  puisse  avec  le  temps  «  éliminer  de 
l'église  roumaine  les  abus ,  les  coutumes   contraires   au   bon 

18 


274        MAGYARS    El     UOUMAIISS    DEVANT    L'HISTOIRE 

sens  et  à  la  reli{]ion  chrétienne  d'après  le  point  de  vue  de 
rÉ«ylise  catholique  >  .  Le  nouvel  évéque  obtint  le  titre  de  «  con- 
seiller royal  ^  et  on  lui  fit  cadeau  d'une  chaîne  d'or  ornée  du 
portrait  de  L<'0/)o/d  f"%  mais  comme  l'adhésion  pontificale  se 
laissa  attendre,  on  ne  put  l'installer  solennellement  dans  son 
siège  épiscopal  de  Gyul<ifeli<'rv(ir  que  le  25  juin  1701  .  Malgré 
l'éclat  de  cette  fête  de  l'intronisation,  il  y  eut  des  Roumains 
qui  ne  dissimulèrent  pas  leur  mécontentement  même  au  seuil 
de  Téglise  de  la  Sainte-Trinité  où  se  passa  la  cérémonie. 

Un  nouveau  svnode  fut  convoqué  par  At/ianase  quelques 
jours  après  son  installation.  On  y  lut  le  second  diplôme  de 
Léonold  se  rapportant  à  l'union  et  une  lettre  de  Kollonics. 
«  Peu  les  ont  compris  parmi  les  popes,  puisqu'ils  ne  savaient 
pas  le  latin,  écrit  .Sï///iv/rdans  sa  «  Chronique  »  et  ils  croyaient 
que  l'empereur  les  avait  anoblis  tous  sans  qu'ils  le  sachent.  " 
Ceux  des  popes  qui  ne  pouvaient  assister  à  ce  synode  en  tin- 
rent un  second  au  mois  de  novembre  suivant  avec  le  même 
ordre  du  jour.  Après  avoir  exprimé  leur  adhésion  à  l'union,  on 
Y  vota,  comme  dans  le  premier,  une  adresse  de  remerciements 
à  Léof/old,  au  pape  et  à  Kollonics,  et  avec  raison,  car  à  l'aide 
de  l'union,  les  Houmains  entrèrent  par  une  voie  détournée  dans 
la  constitution  pour  y  grossir  le  nombre  des  états  catholiques. 
Leur  clergé  obtint  des  franchises  nobiliaires,  il  ne  paya  plus 
ni  dîmes,  ni  péages,  et  leurs  paysans  ne  furent  plus  considérés 
comme  des  étrangers  mais  comme  les  fils  réels  de  la  patrie! 

Seulement  il  fallait  que  l'évéque  acceptât  un  «  causarum 
auditor  generalis  >>  dans  la  personne  d'un  théologien  connais- 
sant le  droit  canonique,  et  qu'il  ne  put  plus  correspondre 
officiellement  avec  les  vayvodes  roumains,  ni  avec  les  patriar- 
ches ni  avec  les  calvinistes.  Ses  lettres  concernant  ses  affaires 
privées,  mais  adressées  à  quelqu'un  appartenant  à  l'une  de 
ces  trois  catégories,  seront  dorénavant  contrôlées  par  le  théo- 
logien. Les  livres  (pi'il  voudra  publier  subiront  le  même  con- 
trôle. Il  renoncera  à  l'union  avec  l'église  calviniste.  Il  permet- 
tra que  ses  doyens  et  ses  popes  puissent  aller  en  appel,  contre 
ses  décisions,  chez  le  prince-primat  de  Ilonf/r/e.  H  érigera  des 
écoles  pour  les  Hounidins  dans  tout  son  diocèse. 


LIVRE   TROISIÈME  275 

Le  ressentiment  que  l'union  provoqua  dans  l'église  grecque 
orientale  lut  immense.  Le  patriarche  Kalinil,  et  le  métropolite 
Thcodose  ne  tardèrent  pas  à  lancer  leurs  excommunications 
contre  Ai/m/iase,  contre  qui  les  liommdus  laïques  rédigèrent 
aussi  une  protestation.  Pour  se  justifier  et  pour  donner  du 
courage  à  ses  fidèles,  At/ut/Kise  convoqua  un  second  synode 
pour  le  8  juin  l  70:î.  On  y  passa  à  Tordre  du  jour  sur  les  excom- 
munications et  on  les  envoya  à  Kollo/u'cs,  qui  y  répondit  en  re- 
prochant à  T/icodose  de  prendre  le  titre  de  »  métropolite  de 
la  Transylvanie  »  et  en  refusant  à  knliiiif,  de  reconnaître  sa 
qualité  de  patriarche. 

Ce  fut  à  ce  même  svnode  que  Ion  décida  la  fondation  d'une 
école  roumaine  à  Gyiildfehérvàr  en  y  employantles  :i(j,000  flo- 
rins que  l'État  devait  restituer  au  clergé  roumain.  On  y  prit 
la  résolution  aussi  de  créer  cinq  bourses  en  faveur  des  étu- 
diants roumains  les  plus  remarquables  qu  on  enverrait  soit  à 
l'université  hongroise  de  ^<^gy  Szoïnbot,  soit  h  \  icnne  ou  à 
liotne  pour  y  terminer  leur  éducation. 

Arrivée  à  cette  phase  de  son  développement,  l'union  eut 
vme  nouvelle  et  dangereuse  épreuve  à  traverser.  Au  commen- 
cement de  l'année  I70;i,  la  Hongrie  et  la  Trdusylvdiiie  entrè- 
rent dans  lère  des  guerres  civiles,  appelées  les  guerres  des 
Kuriicz,  qui  dura  jusqu'en  171 1.  Elles  eurent  pour  prétexte 
les  exactions  des  armées  impériales  et  les  agressions  incessantes 
directes  ou  détournées  de  Kollom'cs  et  des  hommes  d'Etat  autri- 
chiens contre  la  constitution  hongroise.  Il  est  cependant  plus 
que  probable  qu'elles  n'eussent  pas  pris  une  extension  et  une 
intensité  si  grandes  sans  les  encouragements  de  Lo/u's  XfV qui, 
pour  susciter  des  ennemis  à  la  maison  des  Uabsbowf/  avec 
laquelle  il  était  en  guerre  alors  au  sujet  de  la  succession  d'Es- 
p(i(//te,  ne  perdit  de  vue  aucun  des  éléments  politiques  suscep- 
tibles d'augmenter  les  embarras  de  i.ro/iolfl  I".  Or,  un  de  ces 
éléments  était  tout  indiqué  en  Hntnjrie  dans  la  personne  de 
François  Ut'i/wrzv,  fils  de  François  Ràkoczy  t\  prince  de  Transyl- 
vanie qui,  avant  été  élu  du  vivant  de  son  père  Georges  II,  n'a 
pas  régné,  et  d'Ilona  Zrinyi,  Théroïque  défenseur  de  Munkâcs 
et  femme  en  secondes  noces  d'Èmeric  Thoekoelyi.  Quoique  élevé 


270  MAGYAllS  KT  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
en  Bolithnr  chez  les  Jésuites  et  ayant  pour  femme  une  princesse 
allemande,  le  jeune  F/y///ço/.s  n'ignorait  certainement  pas  la  triste 
fin  de  son  grand-père  ]*ierre  Zrinyi  et  de  son  grand-oncle  Fr<tu- 
(icintn  et  il  est  même  plus  que  probable  qu'il  était  en  correspon- 
dance suivie  avec  les  exilés  à'hmid,  sa  mère  et  son  beau-père. 
Quoi  donc  de  surprenant  si,  plein  de  jeunesse,  de  noble  ambition 
et  de  rcssentimenis  refoulés,  il  écouta  avec  des  oreilles  complai- 
santes les  propositions  séditieuses  des  agents  français!  Trahi 
par  Tun  d'eux  ou  avant  eu  des  lettres  interceptées,  il  fut  arrêté 
le  IH  avril  1701  et  on  le  conduisit  à  Wiener-iSeusiddi,  dans  la 
cellule  où  avait  été  enfermé  son  grand-père;  mais,  plus  heu- 
reux, il  put  s'en  évader  le  7  novembre  suivant  et  se  réfugier  en 
Po/oi/nc.  Quand  quinze  mois  plus  tard  les  populations  de  la 
Ihnde-Tiszd,  de  StoUnâr,  de  Szabolcs  et  de  Befcr/,  écrasées  par 
les  impôts  et  désespérées,  recoururent  à  la  voie  des  armes,  il 
entra  en  Ilonqric.  accompagné  par  son  fidèle  ami  et  dévoué  ser- 
viteur le  comielSicolds  Bcicsényi  et  il  y  fit  déployer  le  drapeau 
des  Uiilwczy,  le  drapeau  des  libertés  civiles  et  religieuses,  des 
aspirations  du  génie  magyar.  Aussi  se  vit-il  bientôt  entouré  par 
les  Audràssy,  les  For(jnc/i,  les  Kôrolyi  et,  à  la  fin  de  l'année,  se 
put-il  considérer  comme  maître  de  toute  laHonr/n'e.  Se  préva- 
lant de  ses  grands-parents  maternels,  il  s'adressa  même  aux 
Crodics,  mais  ceux-ci  restèrent  fidèles  à  Leopold,  ainsi  que  les 
villes  de  Pozso/d  ,  de  iJude,  de  Soprou  et  de  Nar/y-Szebeii. 

Ce  fut  à  l'assemblée  de  Szccsé/i  que  les  Kurucz  s'organisèrent 
(le  I(>  septembre  1705).  Plusieurs  prélats,  magnats  et  délégués 
des  villes  libres  et  des  départements  y  fondèrent  une  «  fédéra- 
tion »  sur  le  modèle  polonais  et  élurent  un  conseil  d'État  en 
donnant  à  lui/.ôczy  lui-même  le  titre  de  «  souverain  des  Etats 
et  des  ordres  hongrois  confédérés  pour  la  liberté  de  la 
])atrie  "  .  Celui-ci  concentra  d'abord  tous  ses  efforts  sur  la 
réconciliation  de  ses  fidèles  catholiques  et  calvinistes  ainsi  que 
sur  l'organisation  de  son  armée,  dont  l'effectif,  grâce  aux  bons 
officiers  fournis  j)ar  la  France,  s'éleva  plus  d'une  fois  à  cent 
niille  hommes.  Elle  contenait  un  grand  nombre  de  Roumains, 
pniiiii  losrniel>  il  fan!  cilor  les  capitaines  F>i<i'Jiij  et  Csurulya 
7— -  It!  prcmior  l'ait  a  r>'>ios-Jrii<>  la  capture  de  tout  un  escadron 


LIVRE   TROISIEME  277 

d  Impériaux,  y  compris  les  officiers,  tandis  que  le  second  ne 
se  distingua  que  par  les  ennuis  que  ses  hommes  indisciplinés 
causèrent  aux  généraux  des  Ktn-ticz  eux-mêmes.  Les  chroniques 
du  temps  ne  parlent  pas  avec  moins  d'éloges  du  lieutenant 
roumain  BasileBalla  et  de  son  porte-drapeau  Pierre  ?<(/>/>.,  tous 
originaires  du  département  de  Sz((t/rniâr  en  Honf/rie,  où  les 
Jésuites  avaient  le  plus  violemment  prêché  l'union  religieuse, 
dès  le  début,  parmi  la  population  roumaine  et  russe,  c'est-à-dire 
ruthène.  Ce  qui  prouverait  que  ce  furent  les  mesures  coerci- 
tives  prises  en  vue  de  l'union  qui  les  poussaient  dans  les  rangs 
des  mécontents. 

Leopold  T' mourut  \e  o  mai  1705.  Il  avait  désiré  la  paix 
comme  la  désirait  son  jeune  fils  Joseph  I".  Dabord  ils  eurent 
pour  médiateur  Tarchevéque  Paul  Szécheiiyi;  ensuite  leurs 
alliés  les  .^nr/Az/Â  et  les  Hollandais  qui,  pour  combattre  l'influence 
de  Louis  XI  \\  ne  négligèrent  rien  en  vue  de  lapaisemenlde  leurs 
coreligionnaires  hongrois ,  en  majorité  dans  les  camps  des 
Kurncz.  Après  avoir  fait  élire R((f>''>czy,  prince  de  Transylvanie, 
ceux-ci  augmentèrent,  au  contraire,  leurs  prétentions.  A  l'as- 
semblée d'Oiiod,  ils  firent  même  la  déclaration,  -  qu'ils  ne  re- 
connaissaient pas  Joseph  pour  leur  roi  et  qu'ils  considéraient  le 
trône  vacant  jusqu'à  l'élection  de  la  diète  prochaine  »  (14  juin 
1707  ,  déclaration  contre  laquelle  le  in^ïnce  Paul  Esterhâzr, 
comme  palatin  de  la  Hoiu/rie,  ne  tarda  pas  à  protester  au  nom 
des  départements,  des  villes  libres,  des  prélats  et  des  magnats 
restés  attachés  à  la  maison  des  Habsbourg/  (26  août  1707). 

Après  l'élection  de  Piàhkzy  comme  prince  de  Transylvanie, 
sous  le  nom  de  François  II,  les  Roumains  de  ce  pays  ne 
manquèrent  pas  d'accourir  sous  ses  drapeaux.  Ce  tut  le 
département  de  Ilunyad  qui  en  fournit  le  contingent  le  plus 
fort;  or  ce  fut  là  précisément  que  les  efforts  unionistes 
d\it/ianase  rencontrèrent  la  plus  grande  résistance.  Il  s'y 
forma  de  vrais  guérillas  sous  la  conduite  d'un  Gligor  Piniye 
ou  d'un  Balika  qui,  avec  leurs  collègues  Buliur  Kimpian  et 
Basile  lekete,  originaires  de  Marosszék,  ne  menaçaient  pas 
moins  la  sécurité  publique  que  les  Impériaux.  Il  existe  une 
foule  de  mélodies  populaires  h  moitié  magyares  et  à  .moitié 


i78         M\(;VAI!S    II     liOUMAINS    DEVAIT    L'HISTOIRE 

roumaines  qui  témoignent  encore  en  laveur  de  la  camaraderie 
infime  dans  laquelle  vivaient  alors  les  Kurucz  magyars  et 
lonniains  en  luttant  pour  la  défense  de  leurs  libertés  et  reli- 
gions (l). 

La  peste  de  I  TOÎ)  et  les  revers  de  /.o/i/s  AYI' eurent  une 
inliuence  1res  dt'primante  sur  la  cause  de  ll(i/.>')(Z)  .  En  !7Î0,  il 
était  déjii  complètement  refoulé  dans  le  Nord-Est  de  la  IJon- 
(/n'r  où  toute  sa  résistance  ne  s  appuyait  plus  que  sur  lu  seule 
ville  de  Kcssu.  défendue  })ar  le  baron  Ihniicl  Estcrhi'izj  ,  de  la 
brandie  csesznekienne  de  cette  illustre  famille.  Pour  tenter 
linipossible.  Hk/.'xz)  partit  au  commencement  de  1711  en 
l*i)lof//u',  car  il  espérait  que  de  là  il  lui  serait  plus  facile  de 
mener  h  l)onne  (in  les  négociations  entamées  avec  Pierre  le 
Craiid.  Mais  déjà  on  était  las  de  la  guerre  de  part  et  d'autre 
et  la  paix  s'imposa  tout  naturellement  aussi  bien  au  comte  Jea)! 
Pàlffy,  plénipotentiaire  de  Joscjih  qu'à  A/ck/ikIic  Kàro/j  i,  le 
représentant  de  l'utl.'kzy.  Elle  fut  signée  à  Szdiinàr  le  2î)  avril 
1711,  malgré  la  défense  de  ce  dernier,  sous  le  règne  de 
Charles  (III  en  Hongrie,  VI  en  Allemagne  ,  frère  cadet  de 
Joseph  I",  mort  douze  jours  auparavant.  Après  avoir  passé  quel- 
que temps  à  la  cour  de  Louis  XII  où  ce  furent  ses  généraux 
(|ui  organisèrent  les  premiers  régiments  des  houssards  français, 
de  là  leur  nom  de  «  Houssaids  de  Bercsénvi  ;-  ,  etc.,  Jiàlxôczy  se 
retira  en  I  nrtjiiic  où  il  vécut  à /îor/o.y/o  jusqu'au  8  avril  1735, 
n'ayantpourconsolationquesa  religiosité.  Ses  cendres  reposent 
à  côté  de  celles  de  son  infortunée  mère  dans  l'église  de  Caldia . 

Pendant  sa  princqjauté  en  /'jtiiis\  /rtmic,  les  llointiains  hos- 
tiles à  l'union  se  groupèrent  autour  du  pope  Jeun  Cirm,  l'ad- 
versaire iVAihanase,  que  les  magnats  calvinistes  avaient  entre- 
tenu presque  clandestinement  dans  le  département  de  Iluuyail. 
Ayant  déclaré  1  évéquc  unioniste  renégat  et  l'avant  expulsé  de 

(I)  La  faincusc  Maic/ic  de  Rakor-.y,  |)0[)ulariséc  en  France  par  la  transciiplioii 
<le  llextor  Berlioz  dans  la  Danmalioii  de  Faust,  quoique  tiaturée  de  réminis(-ences 
roninaincs,  ne  date  jias  de  cette  époque.  Elle  a  été  composée  par  un  chef  d'or- 
citestrc  militaire  autrichien  en  1809.  Il  y  juxtaposa  des  motifs  hongrois  anciens 
cl,  comme  ils  sont  pleins  d'élans  nohles  et  j;énéreux,  on  donna  à  la  marche  son 
litic  après  coup  avec  d'autant  plus  de  raison,  que  Râki'.czv  aimait  heaucoup  la 
iiiusiriuc. 


LIVUE   TUOISIKME  279 

son  diocèse,  la  majorité  du  clergé  orthodoxe  confia  l'évéché 
à  ce  même  Circa.  AiIkiiuisc,  retiré  à  iV^"/_)  Szehcii,  et  ses  par- 
tisans le  considérèrent  cependant  comme  un  usurpateur 
que  la  délaite  de  Ràh'xzy  abattrait  à  son  tour.  Or  ('imi  eut  le 
verbe  encore  plus  haut  après  la  conclusion  de  la  paix  de  Szni- 
ntnr.  Il  convoqua,  à  l'automne  de  1711,  un  svnode  {jénéral 
dans  lequel  la  majorité  vota  une  protestation  contre  lunion, 
qu'on  fit  signer  par  Ai/kiikisc  lui-même.  On  doit  attribuer  cette 
recrudescence  du  courage  des  orthodoxes  à  1  influence  qu'ont 
exercée  sur  les  populations  de  la  péninsule  balkanique  la  puis- 
sance grandissante  de  la  Russie  et  les  démêlés  de  Pierre /c  Grand 
avec  la  Turquie.  D'autre  part,  la  cour  de  Vieuue  se  vit  obligée 
de  ménager  les  susceptibilités  des  Serbes  orthodoxes,  qui  lui 
avaient  rendu  des  services  signalés  pendant  ses  guerres  avec 
Ràhôczy. 

Une  fois  les  membres  du  synode  dispersés,  Athanuse  invoqua 
pour  sa  justification  la  violence  subie  et  rétracta  hautement  le 
contenu  de  la  déclaration  (le  18  novembre  17  1  Ij.  Mais  déjà  sa 
santé  déclinait  et  il  mourut  de  la  fièvre  typhoïde  après  un  long 
dépérissement  le  19  août  1713. 

Entre  temps,  avec  1  avènement  au  trône  de  Charles  III  on 
entra  dans  une  époque  nouvelle.  Les  états  de  la  Transylvanie, 
convo(jués  à  la  diète  de  Medgyes,  pour  le  4  novembre  1712,  lui 
prêtèrent  serment  en  sa  qualité  de  roi  de  f/ont/rie  et  de  souve- 
rain de  la  Transylvanie.  Il  nomma  gouverneur  le  comte  Sigis- 
mond  Komis,  un  catholique  tandis  que  1  évèché  catholique  de- 
venu vacant  échut  à  Georges  Mârionffy .  Il  y  eut  une  nouvelle 
diète  i\  Naf/y-Szeben  en  17  14  ou  Ion  prit  des  résolutions  très 
sévères  à  l'égard  des  serfs  à  qui  le  port  d'armes  fut  derechef  dé- 
fendu. Quant  à  la  cour  d'appel,  complètement  désorganisée 
par  la  suite  des  guerres  de  Ràhôczy,  elle  eut  aussi  à  subir  une 
transformation  au  point  de  vue  des  religions  reçues.  Cinq 
de  ses  conseillers  devaient  être  catholiques,  4  calvinistes  et 
3  unitariens.  On  décida  également  qu'on  allait  fortifier  Gyulo- 
fehérvàr  et  l'église  et  le  monastère  des  Roumains,  bâtis  par 
Michel  le  Brave  en  1600,  tombèrent  dans  le  tracé  des  fortifi- 
cations. On  les  fit  donc  exproprier  moyennant  finances  et  on 


280  MAGYAlîS  ET  ROUMAINS  λEVA?5T  I/ll  ISTO 1  IIE 
leur  assigna  un  nouvel  emplacement  dans  la  ville  basse. 
Autant  de  mesures  humiliantes,  vexatoires,  qui  peuvent 
être  considérées  comme  les  représailles  de  la  cour  de  Viome 
à  cause  de  la  participation  des  lioumaùis  dans  la  guerre  pré- 
cédente. 

Cependant  l'organisation  de  l'union  n'en  fut  pas  moins  pour- 
suivie avec  ardeur.  Après  la  mort  dM///r///^/.v^',  quelques  doyens 
grecs  unis,  assemblés  en  synode  électoral,  offrirent  l'évéché  au 
théologien  consultant  du  défunt,  nu  iésmie Frxiiçois  Sziniyogh, 
homme  de  grande  valeur,  et  connaissant  parfaitement  le  rou- 
main. C'était  pour  aflirmer  la  sincérité  de  leur  adhésion  à 
l'union,  disent  les  auteurs  roumains,  mais  plus  probablement 
parce  qu  ils  n'avaient  personne  de  plus  capable  sous  la  main. 
Invoquant  les  statuts  de  son  ordre,  Sziniyof//i  n'accepta  pas 
cependant  le  siège  épiscopal.  Mais  dans  une  lettre  adressée  au 
prince-primat,  il  avoue  qu  ayant  eu  à  faire  avec  les  Houmains 
pendant  1 3  ans,  il  les  connait  suffisamment  et  qu'il  en  a  assez.  (I) 

Alors  le  choix  des  doyens  électeurs  se  porta  sur  le  secré- 
taire du  défunt  évéque,  sur  Venceslas  Frantz,  un  Silt^sioi  que  le 
prince-primat  ne  voulut  pas  agréer.  A  cette  occasion,  il  recom- 
manda la  nomination  d'un  second  théologien  avec  le  titre  de 
«  defensor  et  director  cleri  unitorum  »  ,  charge  que  l'on  confia 
au  recteur  des  Jésuites  de  Ndr/y-Szehcn,  à  un  nommé  Bai-dia, 
homme  savantissime ,  ami  du  vayvode  de  la  Valacliic,  îSico- 
laë  Mditrocordnio,  mort  en  17  1G;  il  fut  remplacé  par  le  Jésuite 
hongrois  Georges  liégai. 

Pour  hâter  la  nomination  de  l'évéque,  le  gouverneur  et  les 
curateurs  de  l'Église  grecque  unie,  Etienne  Ràcz  et  Micliel  Puy 
écrivirent tourà  tour  auprince-primat.  Voici  commentées  der- 
niersmotivèrentlanécessitéduneprompte solution  :  a  Ce  peuple 
valaque  est  rude,  très  rustique  et  énormément  sale,  et  il  est 
entouré  du  schisme  des  autres  peuples  voisins  de  la  iMoldavie, 
de  la  Transylvanie  ou  de  la  Valachie  et  non  moins  de  ceux  de 
la  Turquie.  "  (2)  Ils  recommandèrent  en  même  temps  Jean  Pa~ 
talii  à  qui  (liarles  IJI  accorda  finalement  l'évéché  (  déc.  1715) 

(1)  NiLLES,  Symbolœ  ad  illuslrandam,  p.  39Ô. 
(2) /iù/.,  p.  403  à  416. 


LIVRE   TROISIÈME  281 

en  lui  allouant  une  nouvelle  fondation  de  3,000  florins  de 
rentes  et  en  recommandant  au  primat  d'obtenir  du  pape  la  re- 
mise des  droits  ordinairement  perçus  au  moment  de  la  nomi- 
nation, vu  la  modicité  des  revenus  delévêché. 

Élève  des  Jésuites,  Paiaki  acheva  ses  études  en  partie  à 
Vienne  au  Pazmanéum  et  en  partie  h  Rome,  profitant  un  des  pre- 
miers d'une  des  cinq  bourses  créées  en  1702  au  profit  des 
étudiants  roumains  grecs-unis.  Envoyé  dans  une  paroisse  de 
Foqaras,  il  v  dépensa  une  ardeur  infatigable  pour  faire  de  la 
propagande  en  faveur  de  l'union.  Il  en  fit  avec  d'autant  plus 
de  zèle  que,  comme  il  avait  écrit  au  prince-primat,  il  était  prêt 
à  verser  tout  son  sang  et  toute  sa  sueur,  jour  et  nuit,  pour  sa 
chère  nation  valaque  tant  aimée  (l).  Cependant  le  consente- 
ment pontifical  se  faisait  toujours  attendre.  Il  était  retardé 
soit  par  les  protestations  de  l'évéque  catholique  Mâr/onf/y,  soit 
par  les  scrupules  du  Saini-Siège  indécis  à  admettre  le  droit  du 
roi  de  Hongrie  au  sujet  de  la  fondation  d'un  nouvel  évêché. 
Voilà  pourquoi  les  bulles  pontificales  destinées  à  la  sanctionner 
ne  furent  signées  par  Clément  XI  qu'au  3  février  1721.  Leur 
expédition  subit  un  nouveau  retard  à  cause  de  la  mort  de  ce 
dernier  et  n'eut  lieu  que  le  8  mai  suivant  après  l'avènement 
au  siège  pontifical  d'Innocent  XIII. 

A  peine  intronisé,  Païahi  se  voua  spécialement  à  la  reconsti- 
tution de  son  clergé  dont  le  recrutement  n'avait  pas  pu  être  fait 
très  réguUèrement  pendant  la  longue  vacance  épiscopale.  Il  y 
avait  à  peu  près  400  prêtres  venus  des  vayvodies  ou  consacrés 
par /ea»  Circa  auxquels  il  fit  adopter  l'union.  Il  dirigea  sa  solli- 
citude sur  l'éducation  de  la  jeunesse  roumaine  en  l'envoyant 
dans  les  17  écoles  catholiques  de  la  Transylvanie  tenues  en 
grande  partie  par  les  Jésuites.  Paiaki  mourut  en  1727  inopiné- 
ment, à  la  force  de  l'âge. 

Sur  les  instances  du  «  gubernium  ",  appelé  depuis  1715 
"  Excelsum  regium  gubernium  »  ,  Charles  III  fit  convoquer  un 
synode  électoral  dès  le  mois  d'avril  1728,  mais  il  ne  put  avoir 
lieu,  pour  plusieurs  raisons,  qu'au  15  novembre  de  cette  même 

(1)  NiLLES,  Symbolœ  ad  illustrandam,  p.  -V06  à  408  ;  Pro  salute  charœ  meœ 
nationis  Yalachicœ  sanguinem  sudoremque  die  noctuque  fundere. 


282  MAGYAIIS  ET  ROUMAINS  DEVAINT  L'HISTOIRE 
année.  Présidé  par  le  Jésuite  Adam  Fitlcr  qu'entre-temps  on 
avait  nommé  >  Director  cleri  «  et  à  qui  on  avait  confié  pendant 
la  vacance  radministration  de  l'évêché,  ce  synode  ne  fut  com- 
posé que  de  l  i  memlues  du  clergé  uni,  de  l'avocat  de  lévéché 
et  d'un  secrétaire.  Trois  Jésuites  y  assistèrent  et  y  jouèrent  un 
rôle  très  actif.  Il  dura  quatre  jours  et  ses  décisions  résumées  en 
2  !  propositions  se  rapportaient  principalement  à  la  disci- 
pline du  clergé.  On  fixa  le  montant  des  amendes  que  devraient 
ijaver  les  popes  deux  fois  mariés,  buveurs,  blasphémateurs  ou 
malfaiteurs.  On  y  rédigea  une  pétition  au  roi  demandant  la 
permission  de  pouvoir  fonder  un  séminaire  que  l'on  élèverait 
pour  sa  plus  grande  sécurité  à  Vienne.  Finalement  on  proposa 
les  trois  candidats  pour  lévéché  et  on  mit  sur  la  liste  en  pre- 
mière place  Jean  Klein  OU  en  roumain  Mien  à  ce  moment  sé- 
minariste de  troisième  année  dans  l'école  des  Jésuites  à  iSagy- 
Szomhat.  C'était  un  jeune  homme  excessivement  intelligent  et 
travailleur,  élevé  dès  son  enfance  par  les  Jésuites  à  Nofjy-Szeben. 
(nàce  à  leur  influence,  sa  candidature  ne  fut  pas  trouvée  ridi- 
cule à  la  cour  de  Vienne  où  l'on  s'empressa  de  lui  donner  le 
siège  épiscopal  de  Foy^/rr/.v  sans  qu'il  soit  consacré  prêtre.  En 
attendant  le  consentement  pontifical,  on  l'envoya  dans  le  mo- 
nastère basilite  de  Munkiics  où  il  obtint  le  prêtrise  après  un  très 
sévère  noviciat. 

C'était  déjà  beaucoup  de  chance  pour  un  jeune  homme.  A 
Itoine,  il  en  eut  plus  encore,  car  il  y  eut  pour  protecteur  le  car- 
dinal Cienfne(/os  qui,  ayant  connu  le  défunt  l^iUihi  à  Vienne.^ 
s'intéressait  particulièrement  à  cette  œuvre  de  l'union,  qu'il 
patronna  toujours  très  chaleureusement  au  Vatican.  La  nomi- 
nation fut  donc  assez  rapidement  confirmée  (septembre  1730) 
de  façon  que  l'évéque  grec-uni  de  Munl.âes,  Ghennudins  lUzanczi 
put  présider  à  la  cérémonie  de  la  consécration  le  7  no- 
vembre suivant.  L'intronisation  de  Klein  n'eut  cependant  lieu 
que  deux  ans  plus  tard  pour  des  raisons  inconnues.  Ce  fut 
pendant  cette  époque  que  f/z/'-r  quitta  la  Transylininie  et  fut 
remplacé  par  le  jésuite  Knieric  Goei-e/éi  connu  à  cause  de  son 
prosélytisme  incontinent;  son  arrivée  ne  fit  qu'accroître  1  an- 
tipathie avec  laquelle    les  calvinistes  accueillirent  le  juvénile 


LIVRE   TROISIKMi:  283 

évéque,  destiné  à  semer  la  discorde  entre  Ma//)  ars  et  fioiniifiins 
au  moyen  de  lunion  ! 

Parmi  les  pays  nombreux  où  régnait  la  maison  des  Habs- 
boiircj  à  la  fin  du  xyii""  siècle,  il  n  y  avait  que  la  l'r<nisylvauie 
qui  eut  le  protestantisme  pour  religion  dominante.  L  idée  de 
faire  cesser  cet  état  de  choses,  qu'elle  considérait  comme  une 
anomalie,  s'imposait  donc  tout  naturellement  à  la  cour  de 
Vieillie.  Aussi  se  voua-t-elle  avec  un  zèle  infatigable,  aidée  par 
les  Jésuites,  à  1  œuvre  de  l'union  des  Roumaùis.  destinés  par 
leur  nombre  à  rétablir  l'équilibre  au  profit  du  catholicisme. 
Mais  à  côté  de  cet  effet  ardemment  désiré  et  incomplètement 
obtenu,  cette  union  en  eut  d  autres  qui  créèrent  à  ses  auteurs 
des  complications  vraiment  sérieuses,  et  qui  leur  parurent 
d'autant  plus  pénibles  que  ce  fut  justement  Klein,  leur  Ben- 
jamin, devenu  f nnorent  \ors  de  son  ordination,  qui  les  leur 
suscita  en  grande  partie. 

D'abord  il  déplova  sa  juvénile  activité  pour  transformer 
cette  question  religieuse  en  question  politique  visant  l'éman- 
cipation politique  et  sociale  de  ses  frères  les  Rninnaiiis.  Certes, 
c'était  accomplir  un  devoir  sacré,  et  nul  ne  lui  en  eût  voulu  s'il 
avait  apporté  dans  son  accomplissement  plus  de  tact  et  de 
discrétion.  Mais,  au  lieu  de  vouloir  gagner  la  bienveillance  des 
trois  nations  au  désavantage  desquelles  cette  émancipation 
devait  s'effectuer,  il  les  traita  dédaigneusement  en  s'adressant, 
dans  ses  pétitions  innombrables,  directement  à  Sa  Majesté  et 
en  jouant  ainsi  le  rôle  sinon  d'un  délateur,  du  moms  d'un  accu- 
sateur secret. 

Il  faut  avouer,  à  vrai  dire,  que  les  hommes  d'État  autrichiens 
de  cette  époque,  et  malheureusement  des  époques  suivantes 
aussi,  ne  décourageaient  pas  beaucoup  celle  manière  d'agir 
dès  qu'il  s'ajjissait  de  faire  pièce  au  constitutionnalisme  hon- 
grois. Le  général  T'a///.s  n'employa  pas  de  moyens  moins  con- 
damnables pour  faire  accepter  en  haut  lieu  ses  propositions^ 
anticonstitutionnelles.  Si  pour  servir  la  cause  de  la  réaction" 
celui-ci  n'a  pas  craint  de  faire  table  rase  des  droits  les  plus 
incontestables  de  la  Transylvanie,  comment  en  vouloir  à  Kleiw 
(|ui,  pour  alléger  les  charges   de  sa  race,   ne  manqua  aucune 


28V        MAGVAH8    l'/l     ROUMAINS    DEVAM     L'IIISTUIHE 
occasion  d  éltner  la  voix  en  sa  faveur  et,  faute  créclucation 
première,  poussa  l'audace  jusqu  à  l'arrogance. 

Parle  rescrlt  que  ('hurles  ///adressa  à  la  diète  transylva- 
nienne de  I  7;i2,  on  apprend  les  récrimination.v  et  les  exigences 
de  Kl<>i)i.  Elles  se  rapportent  soit  à  la  prétendue  persécution 
qu'auraient  endurée  les  popes  malgré  le  diplôme  octroyé  par 
Uopold  r,  soit  à  la  situation  du  peuple  roumain  tout  entier, 
en  faveur  duquel  il  demandait  Tindigénat,  c'est-à-dire  la  con- 
cesssion  de  ne  plus  le  traiter  en  étranger.  Pour  juger  la  légi- 
timité de  ces  réclamations,  la  diète  nomma  une  commission 
selon  le  vœu  et  d'après  les  indications  de  Sa  Majesté.  Or, 
quoique  composée  d'une  façon  très  avantageuse  à  l'esprit  de 
l'union,  du  général  Val/is,  des  évèques  catholiques  et  grecs- 
unis,  d'un  conseiller  aulique  et  des  membres  catholiques  du 
"  gubernium  -  ,  cette  commission  ne  conclut  à  rien,  c'est-à- 
dire  elle  se  prononça  pour  le  maintien  du  sta/u  (/un. 

Klein  usa  alors  d'une  autre  tactique.  Connaissant  la  mésin- 
telligence qui  régnait  parmi  les  trois  nations,  —  les  Magyars  et 
les  S/ciilrs  trouvaient  <|ue  les  Saxons  avaient  pris  trop  d'im- 
portance (le|)uis  la  promulgation  du  ^  Diploma  Leopoldia- 
num,  •'  —  il  lit  une  pétition  contre  ces  derniers  au  sujet  de  la 
dîme  à  payer  par  les  lloamains  sur  le  territoire  des  Saxons,  et 
il  la  porta  lui-même  à  Vienne  dans  un  de  ses  nombreux 
voyages.  Dansune  autre  pétition,  il  réclama  que,  dans  les  com- 
munes du  Kiralyfold,  propriété  commune  des  Roa mains  et  des 
Sax(His,  on  assigne  la  «  portion  canonique  »  aux  popes  grecs- 
unis  aussi  c'est-à-dire  une  pièce  de  terre  de  la  grandeur  de 
dix  à  quinze  hectares,  liéclamation  au  point  de  vue  moderne 
assez  équitable  mais  qu'il  a  eu  le  tort  d'accompagner  par  l'ex- 
posé de  motifs  suivant  :  "  Nous  autres  lloumains,  nous  sommes 
les  habitants  autochtones  du  "  Kirâlyfôld  "  depuis  Trajan,  avant 
que  la  nation  saxonne  ne  soit  venue  en  Transylvanie.  Nous 
y  possédons  des  domaines  et  des  village  entiers  jusqu'à  nos 
jours,  quoique  nous  sovons  opprimés  par  les  plus  puissants 
avec  mille  misères  et  tyrannies.  ;'  Voilà  l'origine  de  la  théorie 
de  «  qui  prior  temporie,  potior  iure  )i  .  formulée  par  un  évéque 
dès  1735  ! 


MYllE   TROISIEME  285 

Sans  tenir  compte  de  ces  incartades,  la  cour  de  l'ienne  ne 
retira  cependant  pas  tout  de  suite  sa  bienveillance  au  fougueux 
apôtre  du  daco-roumanisme.  Il  obtint  même  la  qualité  de 
>i  regaliste  »  ,en  étant  invité  par  le  roi  à  prendre  part  à  la  diète 
de  1734  comme  son  collègue  Tévêque  catholique.  En  1  730,  on 
accorda  la  noblesse  à  ses  frères  Opre  et  Michel.  Seulement,  son 
invitation  souleva  la  protestation  des  États  et  la  publication  des 
lettres  patentes  conférant  la  noblesse  h  ses  deux  frères,  pro- 
voqua un  tel  mécontentement,  —  on  disait  tout  haut  qu'ils  ne 
les  avaient  obtenues  qu  à  cause  de  leur  conversion,  — qu'on  n  en 
prit  acte  que  Tannée  suivante  et  sous  certaines  conditions  seu- 
lement. Quant  h  ses  tentatives  ayant  pour  but  l'amélioration 
de  la  position  du  clergé  roumain,  elles  échouèrent,  parce  que 
les  États  prétendirent  que  ce  dernier  n'était  pas  digne  de  leur 
protection,  étant  très  immoral  et  très  porté  à  exploiter  ses 
fidèles.  Mais  Klein  ne  voulut  pas  s'avouer  vaincu.  A  la  diète 
de  1737,  au  moment  où  l'on  discuta  la  répartition  d'un  im- 
pôt extraordinaire,  destiné  à  couvrir  les  frais  de  la  guerre,  il  es* 
sava  de  démontrer  que  d'après  le  diplôme  de  l'union,  il  fallait 
considérer  le  clergé  uni  comme  anobli,  exempté  de  toutes 
charges  et  contributions.  Et  pour  son  malheur  il  fut  soutenu 
par  le  baron  Sorgei-,  Févéque  catholique  avec  l'argumentation 
anticonstitutionnelle  que  Klein  ne  pouvait  pas  accepter  l'aug- 
mentation des  charges  de  son  clergé  sans  le  consentement  du 
pape.  Alors  les  protestants  et  les  Saxons  se  crurent  en  droit  de 
ne  plus  user  de  ménagements  envers  le  turbulent  évêque  et 
nommèrent  une  commission  à  qui  il  incombait  de  recueillir 
des  données  authentiques  et  contrôlées  au  sujet  des  réclama- 
tions et  du  clergé  de  Klein.  Effrayée  du  résultat  de  ses  investi- 
gations, la  commission  ne  fit  publier  son  rapport  que  pendant 
la  diète  de  1738  comme  une  réponse  aux  dénonciations  que 
Klein  avait  adressées  à  Vienne  entre  temps  contre  les  États. 

Dans  ce  rapport,  il  est  démontré  que  l'union  n'existe  pas 
réellement.  En  ce  qui  concerne  la  modicité  des  revenus  du 
clergé  de  Klein,  on  lui  pose  la  question  :  Comment  se  fait-il 
cependant,  que  son  nombre  s'accroît  journellement?  Or  la 
majorité  de  ce  clergé  est  ignorant  et  indigne  de  porter  la  sou- 


28(i         MAC  VA  US    Kl     UOU.MAINS    DEVANT    I/HIST(JIRE 

lanc.  lié  II  ont  lait  aucunes  études  et  le  nombre  de  ceux  qui  ont 
passé  des  examens  devant  l'évèque  et  le  théologien  est  infime. 
Il  suffit  qu'on  ait  une  barbe  bien  fournie  et  lonf^ne  pour  être 
trouvé  apte  au  sacerdoce.  Leurs  mœurs  sont  déplorables.  A 
S(><>  Pdhil,,  près  de  Tordu .^  on  a  trouvé  dans  la  sacristie  inie 
vache  volée.  Ils  sont  adultères,  contrebandiers,  laux-mon- 
naveurs,  et  placent  les  commandements  de  leur  «  pravillan 
au-dessus  des  lois  ré{;issant  l'Etat.  Si  l'évèque  invo(]uc  le  témoi- 
(mage  àWInnlnun,  il  ne  faut  pas  oublier  qu'il  a  vécu  il  v  a 
3072  ans  et  que  maintenant  on  ne  se  conlorme  plus  à  1  Ancien 
Testament  mais  au  Nouveau.  Il  a  tort  aussi  d'en  appeler  aux 
décrets  de  suint  lùicnnc,  car  de  son  temps  il  n'y  avait  pas  de 
iioitmiiitis  en  7'in/is]  /rtiti/c.  Et  les  lois  qu'on  v  a  faites  du  temps 
de  son  indépendance,  ne  leur  accordent  pas  les  mêmes  droits 
(ju'aux  autres  nations. 

Devant  une  argumentation  aussi  écrasante,  Klein  se  vit  forcé 
de  cesser  ses  provocations.  Aussi  dans  sa  requête  du  2  février 
se  servit-il  d'un  ton  tout  à  fait  conciliant.  Alors  les  États 
élaborèrent  un  règlement  pour  mettre  de  l'ordre  dans  la  situa- 
tion jusque-là  va{;uement  définie  du  clergé  uni.  Elle  est  devenue 
semblable  à  celle  des  pasteurs  protestants  sicules.  Il  est  cepen- 
dant très  curieux  de  constater  que  les  sommes  à  payer  au 
prêtre  v  sont  fixées  pour  chaque  cérémonie  probablement  à 
cause  des  abus  qui  se  sont  produits  à  cet  égard-là  et  dont  les 
Hointifiins  n  avaient  jamais  cessé  de  se  plaindre.  Comme  dans 
toutes  les  occasions,  les  États  imposèrent  à  l'évèque,  en  même 
temps,  rétablissement  de  plusieurs  écoles,  confiées  à  tles  théo- 
logiens en  nombre  suffisant.  Oue  le  prêtre  ne  vive  que  ])our 
son  sacerdoce  et  qu  il  n'ait  pas  d'autres  occupations.  Oue  l'on 
ne  procède  pas  à  1  ordination  d'un  serf  sans  le  consentement 
du  seigneur  et  sans  le  payement  des  taxes,  fùt-il  le  fils  d'un 
pope.  Ce  dernier  sera  imposable  s'il  possède  des  (erres  de 
labeur.  Au  point  de  vue  religieux,  il  appartiendra  à  la  juridic- 
tion de  1  évéque,  tandis  qu'au  criminel  et  au  civil  il  sera  jugé 
par  les  juges  laïques. 

Au  lieu  de  se  contenter  de  ce  projet,  améliorant  incontesta- 
blement la  situation  du  clergé  uni  et  susceptible  certainement 


LIVRE  TROISIEME  287 

de  perfectionnements  ultérieurs,  Klein  en  attaqua  presque 
toutes  les  dispositions  en  tâchant  de  brouiller  les  Saxons  et  les 
Magyars;  mais  ses  prétentions  furent  repoussées  par  les  États 
catholiques  eux-mêmes.  Elles  arrêtèrent  aussi  l'application  du 
règlement  élaboré,  perpétuant  ainsi  la  situation  précaire  du 
clergé  uni  au  profit  duquel  il  avait  été  préparé. 


CHAPITRE  III 


I,  IMON     i;i'  L  OItTHODOXIE 


Le  syiiotle  con\  oqiié  par  Klein  en  I7;{!>  eut  une  imporlance 
particulière  à  cause  Je  son  attitude  hostile  à  l'égard  dujésuite 
ihéologien.  Il  élabore  un  règlement  pour  sa  gouverne,  cir- 
conscrivant les  limites  de  son  activité,  indiquant  ses  devoirs 
en\ers  le  clergé  uni  et  interdisant  toute  dénonciation  sur  le 
compte  de  ce  dernier.  Il  est  plus  que  probable  que  cela  n'a  été 
qn  une  manière  de  se  venger  du  Jésuite  7rlr//o.s/ à  qui  l'on  repro- 
chait la  divuljjation  de  l'état  piteux  du  clergé  roumain,  re- 
cueillie par  la  commission  de  la  dicte  de  MM.  Mais  en  tout 
cas  Klein  s'est  attiré  par  là  le  ressentiment  de  ses  anciens  pro- 
tecteurs les  Jésuites,  malgré  l'attitude  effacée  qu'il  s'est  donnée 
pour  avoir  l'air  de  n  être  nullement  responsable  de  ce  qui  se 
passait.  Aussi  voit-on  pâlir  son  étoile  dès  ce  moment.  Le  suc- 
cesseur de  Jiinosi,  que  les  Jésuites  lui  sacrifièrent  pour  mieux 
cacher  leur  dépit  —  nommé  Joseph  Balogh  —  ne  tarda  pas  à 
l'accuser  de  tendances  condamnables,  favorisant  la  propagation 
des  livres  orthodoxes,  protégeant  les  popes  ordonnés  par  l'évê- 
quc  orthodoxe,  ne  combattant  pas  assez  énergiquement  les 
allacpies  dirigées  contre  l'union,  et  exigeant  au  nom  du  peuple 
et  du  clergé  roumains  des  concessions  et  des  pii\ilèges  aux- 
quels, contents  de  leur  situation,  ils  ne  pensaient  guère. 

Cette  accusation  se  perdit  dans  le  bruit  des  événements  que 
souleva  l'avènement  au  trône  de  Mario-Thérèse  (17  40).  Sachant 
combien  elle  était  port('e  <à  seconder  la  propagation  de  la  foi 
catliolique  Klein  se  rendit  à  1 7e////t' incontinent  pour  v  présenter 
à  lajeune  souveraine  une  nouvelle  supplique.  En  dehors  de  ses 
demandes  antérieures  se  rapportant  à  l'assimilation  de  son  clergé 
avec  le  clergé  cath<)li(|ue  au  point  de  vue  des  privilèges,  elle  en 
contint  d'autres  (jui  visaient  aussi  l'amélioration  de  la  situa- 
tion des  laïques  roumains  unis.  7i7e///  les  voudrait  voir  employés 


LIVRE   TROISIEME  289 

partout  non  pas  parce  qu'ils  sont  des  nobles  hongrois,  mais 
parce  qu'ils  sont  des  Rduih/u'us.  Il  Faudrait  qu'on  en  plaçât  à  la 
cour  d'appel  —  le  préfet  du  département  de  Ilnuyad,  les  capi- 
taines de  F(>(/(ir(is,  de  Kœi'dri'idè/ic  ne  pourraient  être  que  des 
Roumains,  —  l'évèque  devrait  faire  partie  du  '<  gubernium  »  . 
Sur  sa  recommandation,  on  devrait  même  nommer  six  k  réga- 
listes  »  tant  ecclésiastiques  que  laK|ues  auxquels  on  adjoindrait 
le  théologien.  Klem  appuya  finalement  sur  la  nécessité  de 
publier  un  nouveau  diplôme  contenant  les  privilèges  antérieu- 
rement accordés  et  suspendanttoutes  les  dispositions  législatives 
prises  au  détriment  des  Roumains  unis.  Qu'il  soit  interdit  aux 
seigneurs  d'accabler  de  charges  les  serfs  roumains,  qu'ils  soient 
émancipés  sur  le  territoire  du  Kiràlyfolde  où  il  n'y  a  jamais  eu 
que  des  hommes  libres. 

Il  est  impossible  de  ne  pas  s'attendrir  en  voyant  le  dévoue- 
ment infatigable  pour  sa  race  de  cet  évéque-tribun.  Entraînés 
par  son  exemple,  les  membres  de  son  clergé  se  mirent  à  péti- 
tionner de  leur  côté.  Malheureusement  le  ton  servile  du  docu- 
ment ainsi  que  l'idiome  allemand  dans  lequel  il  fut  rédigé,  le 
rendirent  peu  sympathique  et  suspect  aux  hommes  d'État 
hongrois  les  mieux  disposés  en  leur  faveur.  D'ailleurs  Klein  le 
fit  suivre  d'une  nouvelle  supplique  dans  laquelle  il  affirma 
que  la  situation  de  ses  coreligionnaires  était  pire  que  celle  des 
Israélites  :  on  défend  ceux-ci  à  cause  des  avantages  que  l'on  en 
tire,  tandis  que  Ton  abandonne  les  Roumains  à  leur  sort  par 
haine  de  race.  Quant  aux  faveurs  dont  il  a  été  comblé,  elles 
lui  sont  personnelles,  —  grâce  à  l'audace  de  la  chancellerie 
transylvanienne  —  au  lieu  de  revenir  à  l'évèque  roumain  en 
général  :  manœuvre  qui  indique  clairement  que  l'on  veut 
mettre  ses  sucesseurs  sous  la  juridiction  des  évoques  catho- 
liques. Si  on  ne  nomme  pas  une  commission  pour  corriger 
cette  faute  de  la  chancellerie,  lui  et  son  peuple  protesteront 
devant  le  Dieu  vivant. 

A  la  diète  convoquée  par  Marie-Thérèse  à  Szeben  pour  le 
28  janvier  17-4i,  on  devait  discuter  un  projet  de  loi  renfermant 
sept  articles.  Les  deux  derniers  concernaient  les  religions  reçue* 
et  visaient  la  suppression  de  toute  disposition  législative  défa- 

19 


290  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
vorable  au  catlioliclsme  et  au  clergé  catholique.  Et  comme 
Téf^lise  grecque  unie  fait  partie  de  FÉglise  catholique,  ils  exi- 
rveaient  que  l'on  abrogeât  toutes  les  lois  antérieures  nuisibles  à 
l'union.  C'était  sanctionner  sa  réception  et  founiirainsi  à  A'A'/V/ 
la  possibilité  de  faire  entrer  dans  la  constitution  la  nation  rou- 
maine tout  entière.  Aussi  dans  leur  adresse,  des  Etats  répon- 
dirent-ils qii  il  était  impossible  d'admettre  la  réception  du  peu- 
ple roumain  dans  la  forme  projetée,  car  par  suite  de  sa  nature 
très  mobile  et  très  impressionnable,  il  parcourt  en  vagabondant 
non  seulement  le  territoire  transylvanien,  mais  la  Moldavie  et 
la  Valnchie,  où  ceux  ayant  accepté  l'union ,  la  renient  incon- 
tinent. Son  admission  dans  la  forme  indiquée  ferait  donc 
tort  aux  trois  nations  reconnues,  comme  elle  ferait  tort  aux 
liouniai/is  nobles  eux-mêmes.  Klein  ne  pouvait  pas  laisser  passer 
cette  occasion  sans  faire  entendre  sa  voix.  Mais  les  États 
reçurent  sa  protestation  avec  un  tel  toile  qu  il  n'osa  plus  la 
maintenir.  Elle  le  fut  par  son  clergé  qui  n'imputa  pas  sa  rétrac- 
tation à  sa  peur,  mais  à  la  nécessité  de  céder  à  la  force  bru- 
talc. 

Klein  se  rapprocha  alors  de  quelques  memlircs  des  états  catho- 
liques pour  rédiger  en  commun  une  supplique  contre  les  pro- 
testants. Il  y  était  dit  que  les  privilèges  des  trois  nations  da- 
taient d'une  époque  où  elles  appartenaient  à  l'Église  catholique 
et  qu'elle?  les  gardaient  cependant  quoique  étant  maintenant 
a-cathohques.  Tandis  que  les  Fwianains  exclus  jadis  de  tout  droit 
politicjue  avant  accepté  l'union,  y  devraient  participer  plutôt 
que  les  calvinistes  et  les  unitariens,  car  ils  n'avaient  jamais  qué- 
mandé l'aide  d'aucun  souverain  étranger  ou  du  patriarche  de 
Constaniinople,  en  opposition  avec  les  derniers,  toujours  prêts  à 
s'adressera  YAnr/letene  età  la  Hollande.  Les  pétitionnaires  de- 
mandaient donc  de  ne  pas  accepter  la  rédaction  des  articles  6 
et  7  telle  que  les  États  lavaient  proposée.  Elle  le  fut  cependant 
finalement  malgré  toutes  ces  protestations.  On  admit  la  récep- 
tion de  1  église  unie  comme  appartenant  à  l'Église  catholique, 
mais  on  déclara  que  les  prêtres  ou  les  nobles  roumains  seraient 
rangés  parmi  celle  des  trois  nations  sur  le  territoire  de  laquelle 
ils  s'étaient  fixés  et  que  le  peuple  roumain  ne  serait  pas  considéré 


LIYllE   TRUISIEME  291 

comme  quatrième  nation  «  afin  que  le  système  de  cette  princi- 
pauté ne  soit  pas  bouleversé.  » 

In  échec  semblable  ne  pouvait  s'expliquer  que  par  l'antipa- 
thie que  Klein  avait  fait  naître  chez  tous  ceux  avec  qui  il  était 
en  contact.  A  la  diète,  il  s'est  rendu  odieux  et  ridicule,  car  il 
parlait  latin  —  à  cette  époque  on  y  parlait  généralement  en 
hongrois  —  et  un  latin  tellement  défectueux  que  les  États  ne 
pouvaient  jamais  garder  leur  sérieux  en  entendant  ses  solé- 
cismes(l).  Quanta  la  cour  de  Vienne,  elle  fut  tellement  en- 
nuyée par  ces  incessantes  lamentations  et  ses  apparitions  fré- 
quentes dans  la  ville  impériale,  qu'elle  finit  par  accueillir  les 
insinuations  défavorables  et  toujours  plus  pressantes  des  Jésuites 
qui  ne  lui  pardonnaient  pas  sa  révolte  dissimulée  contre  leur  au- 
torité. De  là  saVlisgràce,  d'abord  discrètement  formulée  dans 
l'avertissement  de  ne  plus  quitter  son  diocèse  sans  la  permis- 
sion du  «  gubernium  »  ,  ensuite  clairement  indiquée,  quand  il 
n'est  plus  reçu  par  Marie-Thérèse,  lorsqu'il  va  la  dernière  fois  à 
Vienne  pour  se  justifier  et  pour  réfuter  les  accusations  de  ses 
ennemis.  Et,  chose  curieuse  !  à  ce  moment-là  son  courage  l'aban- 
donne —  ne  doit-on  pas  en  conclure  au  manque  de  sincérité 
de  son  caractère?  —  et  sur  le  simple  bruit  qu'on  veut  l'arrêter 
et  linterner  à  Graiz  (Styrie) ,  il  s'enfuit  à  Rome  pour  y  dispa- 
raître quelques  années  plus  tard ,  s.ans  plus  s'occuper  ni  de 
l'union  ni  de  ses  frères  les  Roumains,  ni  du  daco-roumanisme 
dont  il  était  l'inventeur. 

Mais  si  ses  succès  moraux  sont  nuls,  il  faut  avouer  que  ses 
mérites  d'administrateur  sont  au-dessus  de  tout  éloge.  Soutenu 
par  les  conseils  de  son  avocat  Pierre  Dobra  il  réussit  à  changer 
les  domaines,  donnés  par  Charles  III  à  l'évéque  grec-uni  en 
1718,  contre  le  domaine  de  Balazsfalva,  ayant  appartenu  aux 
Apafi  et  rapportant  deux  fois  autant  (6,000  florins)  que  ne  rap- 
portaient les  deux  autres.  D'ailleurs,  cène  fut  pas  uniquement 
l'avantage  matériel  qui  séduisit  Klein  dans  cette  opération.  Il 
lui  semblait  qu'il  serait  plus   aisé  de  fonder  là  un  siège  épis- 

(1)  JoH,  IlocHSMANN,  Studieii  zui  Geschichte  Siebenbûrçjens  ans  dem  18'"  Jahr- 
hunderte.  Arcliive  des  Vereines  fur  siebenbûrgische  Landeskunde ,  \o\.  XVI. 
Hermannstadt.  1881,  p.  107  et  108. 


292  MACJYARS  ET  lîOUMAINS  DEVA^JT  L'HISTOIRE 
copal  solidement  assis  qu'en  Fogaras  où  la  majorité  des  habi- 
tants était  protestante.  Aussitôt  en  possession  du  domaine,  il 
sonffea  à  la  création  d'une  ville  n'ayant  pour  habitants  que  des 
n()i/)nnins.  En  1739  il  obtint  pour  la  nouvelle  commune  ledroit  ' 
d'avoirun  marché  hebdomadaire.  En  cequi  concernaitrentre- 
tien  du  séminaire  qu'il  voulait  y  établir  la  moitié  des  revenus 
du  domaine  y  devait  être  employée,  tandis  que  pour  la  con- 
struction du  bâtiment  lui-même  et  d'un  monastère  basilite,  un 
synode  imposa  au  clergé  roumain  le  payement  en  cinq  annuités 
d'une  somme  de  25,000  florins.  Comme  «  conditio  sine  qua 
non  »  on  stipula  que  les  moines  basilites  y  vivraient  absolu- 
ment selon  le  rite  et  les  règlements  monacaux  grecs. 

Aux  raisons  qui  ont  provoqué  la  disgrâce  de  Klein  à  Vienne, 
il  faut  ajouter  le  découragement  auquel  se  sont  livrés  les  amis 
non-roumains  de  l'union  devant  le  spectacle  désolant  qu'offrait 
l'attitude  équivoque  de  la  grande  masse  de  la  population 
orthodoxe.  La  moindre  excitation  suffisait  pour  la  détacher  de 
l'éi'Tlise  unie  et  la  ramener  à  la  religion  de  ses  pères.  Ce  fut 
de  la  Honqrie^  on  on  avait  accordé  des  libertés,  des  droits  et 
des  privilèges  à  l'église  orthodoxe  dès  1723,  que  partit  le 
mouvement  anti-unioniste  de  1  728.  Il  commença  par  le  voyage 
d'inspection  que  Sacaheni  Joannovics,  l'évéque  serbe  d'Aïad, 
entreprit  dans  le  département  de  Biluir  avec  la  permission  de 
la  cour  de  Vienne  et  sous  la  protection  de  l'armée  impériale  : 
concession  que  les  hommes  d'Etat  autrichiens  surent  lui  faire 
acorder  pour  obtenir  son  concours  et  celui  des  Serbes  en  gé- 
ivéral,  dans  leurs  entreprises  possibles  contre  le  constitutionna- 
lisme  hongrois.  Cette  visite  épiscopale  produisit  un  effet  fou- 
drovant  sur  les  paysans  roumains  à  peine  familiarisés  avec 
l'idée  de   l'union.    178   fut  le  nombre   des  popes   revenus  à 

l'orthodoxie  dans  ce  seul  département  inspecté  par  l'évéque. 
Or  les  protestations  du  préfet-évéque  catholique,  comte  Csàhy, 
n'éclatèrent  que  quand  elles  n'avaient  plus  aucune  portée, 
Joannovics  ayant  été  nommé  entre  temps  patriarche  de  Knr- 
lôcza .    Celte  élévation   ne   fit    qu  augmenter    son  ardeur  pour 

réconquérir  à  l'orthodoxie  les  âmes  comme  il  affirmait,  séduites 

"  par  les  seuls  avantages  matériels  de  l  union  »  . 


LIVRE   TROISIEME  293 

En  Traitsj  Ivd/iie  ce  fut  un  calover  nommé  Visarion  à  qui 
Joaniwvïcs  confia  la  lâche  de  reconquérir  les  fidèles  égarés. 
D  une  intelligeance  supérieure,  d'une  conduite  irréprochable, 
sobre  jusqu  à  l'ascétisme,  Visariou  imposa  surtout  par  son 
désintéressement  :  au  lieu  d'accepter  des  cadeaux,  ce  fut  au 
contraire  lui  qui  distribua  des  aumônes  aux  pauvres.  Sa  pré- 
dication n'avait  rien  de  révolutionnaire  non  plus;  il  se  con- 
tenta d  admonester  ses  auditeurs  et  de  leur  exposer  les  grands 
malheurs  qu'ils  s'étaient  attirés  en  ayant  abandonné  leur  reli- 
gion (1).  Pour  couper  court  à  lexcitation  que  sa  présence  fit 
naître  dans  tout  le  Midi  de  la  Transylvanie,  le  «  gubernium  » 
le  mit  en  état  d'arrestation.  On  le  conduisit  à  iVa^j-.S'-<:'^e//, 
où  il  subit  un  interrogatoire  judiciaire  et  où  il  reçut  dans  sa 
prison  la  visite  de  1  évoque  Klein.  Et  comme  ses  réponses 
furent  très  prudentes  et  comme  sa  conversation  ne  donna 
prise  à  la  moindre  observation,  on  le  fit  partir  quelque  temps 
après  à  GYiil<if''liervin-  et  de  là  à  Vienne,  où  il  fut  relâché  et 
d'où  plus  tard  l'ambassadeur  de  Russie  l'emmena  avec  lui  dans 
son  pays. 

Pour  combattre  cette  renaissance  de  l'orthodoxie,  il  aurait 
fallu  que  l'église  grecque  unie  se  levât  comme  un  seul  homme. 
Or  la  disparition  de  Klein  y  suscita  des  difficultés  nouvelles. 
Sans  trancher  la  question;  s'il  fallait  considérer  son  absence 
comme  temporaire  ou  comme  définitive,  ce  furent  son  vicaire 
général  Pierre  Aron  et  le  jésuite  Balogli  à  qui  on  imposa  le 
gouvernement  du  diocèse.  Pour  les  aider  dans  l'accomplisse- 
ment de  leur  tâche,  on  fit  paraître  rescrits  sur  rescrits.  Ils  prê- 
chaient la  liberté  religieuse  tout  en  interdisant,  sous  peine  de 
punitions  sévères,  le  retour  à  l'église  grecque  orientale  et  ne 
semblaient  pas  en  tenir  compte,  quoique  la  majorité  des  Rou- 
mains lui  fût  restée  fidèle.  On  y  attribua  l'origine  de  tous  les 
maux  à  la  présence  de  ses  popes  venus  de  la  Moldavie  ou  de 
la  Valachie  ainsi  qu'au  clergé  indigène  consacré  au  dehors.  Et 
afin  que  les  prescriptions  de  ces  rescrits  soient  consciencieuse- 
ment exécutées,  Marie-Thérèse  nomma  en    17  46  les    «  Protec- 

(1)  Goiute  DoMiN'iQUE  Teleki  ;  A  Két  kaluger.  Budapest!  Szeinle,  dix-septième 
année,  p.  58. 


29.V        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
teurs  (le  Tunion  »    au  nombre  de  qui  elle  fit  entrer  les  plus 
hauts  employés  catholiques  du    u  (|ubernium   »   :  le  trésorier 
B.    Bonieinisza,  le   chancelier   B.    Poiu/n'icz,   le  juge  suprême 
Ddvid  Heiiler  et  le  fisc  Pierre  Dobra. 

Ce  lut  au  même  moment  que  Kleix  crut  nécessaire  de  repa- 
raître en  envoyant  de  Hoiik-  une  excomnumication  en  règle 
contre  le  jésuite  Bdbxjli  le  10  septembre  17  i()) .  Et  comme 
son  vicaire  Pierre  Aron  ne  voulut  pas  convoquer  le  synode  dans 
lequel  il  aurait  fallu  qu'il  publiât  l'excommunication ,  Klein 
l'excommunia  à  son  tour  et  le  remplaça  au  vicariat  par  le 
doven  yicolas  Balomiri.  Ne  se  sentant  pas  en  sûreté  à  Dalàzs- 
foli'd,  Aroii  se  retira  à  Xagj  -Szebeu  en  cédant  sa  place  au 
A  icaire  nouveau. 

Cette  situation  bizarre  dura  jusqu'à  l'arrivée  à'Olsavszky,  l'é- 
véqne  imi  de  Mttii/x'ics,  à  qui  la  reine  confia  Tannée  suivante  la 
convocation  d  un  synode  à  Szebeii  pour  replacer  Aron  dans  le 
vicariat.  Alors  Balomiri,  se  basant  sur  une  lettre  de  Klein,  réu- 
nit un  svnode  contradictoire  pour  décider  s'il  fallait  considérer 
1  évêque  absent  comme  démissionnaire  ou  non?  C'était  plus 
qu'on  ne  pouvait  permettre  à  l'audace  du  clergé  uni.  Aussi 
Balomiri  reçut  une  invitation  de  se  rendre  à  Vienne  pour  se 
justifier.  Au  lieu  d  y  répondre,  le  vicaire  de  Klein  s'enfuit  par 
la  \  (ildcliie  à  Moscou  où  S  étaient  rendus  de  leur  côté  plusieurs 
doyens  orthodoxes  de  Brassa  pour  y  chercher  aide  et  protec- 
tion contre  les  persécutions  des  catholiques. 

Leurs  démarches  ne  restèrent  pas  infructueuses  car  l'impé- 
ratrice Elisabetli  ne  tarda  pas  à  faire  adresser  une  note  à  son 
ambassadeur  de  Vienne  en  leur  faveur  (1750).  Après  avoir 
rapidement  dépeint  la  situation  des  orthodoxes  en  Transyl- 
l'dnie,  naturellement  selon  les  indications  de  Btilomiri,  cette 
note  recommanda  d'abord  la  protection  et  la  défense  des  inté- 
rêts orthodoxes.  Dans  le  cas  où  cela  ne  serait  pas  possible, 
>'  pour  des  raisons  que  je  ne  puis  pas  consigner  »  dit  l'impéra- 
trice —  que  l'andjassadeur  rédige  un  mémoire  pour  attirer 
l'attention  de  M(rrie-Thérèse  sur  le  peuple  roumain,  martvr  de 
sa  foi.  il  en  fut  transmis  un  effectivement  quelque  temps  après, 
et  l'impératrice-reine  le  soumit  au  conseil  secret.  Celui-ci  ne 


LIVRE   TUOISIKME  295 

semble  pas  en  avoir  été  très  impressionné  puisqu'il  se  contente 
de  demander  au  «  gubernium  »  une  liste  des  méfaits  commis 
parles  orthodoxes,  destinée  à  être  transmise  à  l'ambassadeur 
russe,  et  de  conseiller  la  capture  sinon  de  Balomiri  lui-même, 
au  moins  de  la  correspondance  qu'il  doit  entretenir  avec  les 
mécontents  transyhaniens. 

Sans  pouvoir  affirmer  si  le  «  gubernium»  avait  cédé  ou  non 
à  cette  injonction  du  conseil  secret,  il  n'est  pas  moins  vrai 
qu'il  y  a  un  rescrit  de  Marie-Thérèse  daté  du  27  juillet  1752, 
dans  lequel  elle  recommande  de  ne  traiter  les  orthodoxes 
qu'avec  beaucoup  de  ménagements  non  seulement  à  cause 
des  services  qu'ils  ont  rendus  au  trône  et  au  pays,  mais  aussi 
à  cause  de  son  alliée  1  impératrice  hlisaheili.  Car  elle  ne  vou- 
drait pas  que  les  persécutions  dirigées  contre  l'église  grecque 
orientale,  puissent  relâcher  les  liens  de  cette  alliance  (1). 
Telle  est  l'histoire  de  la  première  intervention  russe  en  Hon- 
(jric^  excitant  les  aspirations  de  l'orthodoxie  d'une  part  etéveil- 
lant  la  méfiance  des  Hongrois  de  lautre,  qui  s'en  sentaient 
d'autant  plus  incommodés  qu'il  avaient  à  lutter  continuelle- 
ment contre  celle  des  éléments  non-hongrois  de  la  cour  de 
Vienne. 

Ce  fut  l'année  précédente  seulement,  c  est-à-dire  en  1751 
que  Klein  se  décida  à  renoncer  à  l'épiscopat.  Le  synode  élec- 
toral qui  eut  lieu  le  3  novembre  delà  même  année,  lui  donna 
pour  successeur  son  vicaire,  Pierre  Aron.  C'était  un  homme 
d'une  vie  exemplaire,  un  véritable  ascète,  à  qui  les  Ronniains 
doivent  une  reconnaissance  éternelle.  Envoyé  à  Home  pour  y 
terminer  ses  études  théologiques,  il  y  apprit  à  apprécier  la 
valeur  du  savoir.  Aussi  voua-t-il  non  seulement  toute  son 
intelligence  et  tout  son  bon  vouloir  à  l'éducation  et  à  l'instruc- 
tion du  peuple  roumain,  mais  ses  économies  personnelles 
également  avec  lesquelles  il  acheta  le  domaine  de  Kui,  ayant 
appartenu  aux  Apafi ,  et  que  Marie- Thérèse  avait  vendu 
d'abord  à  la  famille  Beihlen.  Aron  en  confia  l'administration 
aux  moines  basilites  installés  k  Balàzsfahui  dès  17  47.  Ce  furent 

(1)  Bauitiu,  Istolia  Transilvaniel,  vol.  I,  p.  341  a  344  et  732-733. 


29fi  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVAINT  L'HISTOIRE 
ces  mêmes  moines  basilites  qui  fournirent  aux  écoles  créées 
en  175/1  dans  ce  même  endroit  les  premiers  professeurs,  tels 
nue  Gréqoire  Mdîoni,  hjndcc  Durahont,  et  plus  tard  Sinkai  et 
Pierre  Maïor.  Ces  écoles  furent,  dès  le  commencement,  très  fré- 
quentées non  seulement  à  cause  de  l'ingéniosité  de  leur  orga- 
nisation —  il  V  avait  des  classes  élémentaires,  trois  classes 
de  Ivcées  et  un  s(''minaire  —  mais  aussi  à  cause  des  secours 
en  nature  dont  purent  v  profiter  les  étudiants  grâce  à  la  muni- 
ficence dMro//.  Le  nombre  restreint  des  moines  ne  permettant 
pas  de  rem|)lir  les  cadres  du  corps  enseignant,  ils  n'étaient 
que  onze;  plus  tard,  sous  Joseph  II,  on  y  admit  comme  profes- 
seurs les  membres  du  clergé  séculier.  En  1760  l'éclairé  évéque 
V  fil  aussi  installer  une  imprimerie  roumaine  pour  l'impression 
des  livres  scolaires,  complétant  ainsi  l'outillage  pédagogique 
à  l'aide  duquel  put  s'élever  ensuite  tout  l'édifice  de  la  science 
roumaine,  aujourd'hui  si  respectable.  Il  est  à  remarquer  que 
dans  le  programme  élaboré  pour  ces  écoles  par  l'évêque  Gabriel 
Aroii ,  maître  absolu  de  ces  établissements  —  l'étude  de  la 
langue  magvare  est  aussi  obligatoire  que  celle  du  latin.  Tou- 
tefois l'enseignement  V  eut  lieu  en  roumain. 

On  ne  peut  malheureusement  pas  être  aussi  élogieux  au 
sujet  de  l'activité  épiscopale  àe  Pierre  Aron  en  ce  qui  concerne 
ses  rapports  avec  les  orthodoxes.  Il  est  vrai  que  ceux-ci  de- 
venaient beaucoup  plus  exigeants  depuis  l'intervention  de 
l'impératrice  Elisabeth  de  Russie.  Le  patriarche  serbe  de  I\ar- 
/orra  n  avait  pas  hésité  à  exciter  les  Pioainains  de  la  Transylvanie 
dès  1751  pour  demander  la  nomination  d'un  évéque  ortho- 
doxe serbe,  car  il  avait  promis  d'emplover  toute  son  influence 
auprès  de  .l/^//7V'-7y/''?Y'*7' pour  que  leur  vœu  soit  exaucé.  Encou- 
ragé par  l'exemple  de  son  supérieur,  l'évêque  serbe  à\Aràd, 
Synèse  Zsivanovics,  entreprit  aussi  une  campagne  très  ardente 
en  faveur  de  l'orthodoxie  en  consacrant  plusieurs  popes  grecs 
orientaux,  notainmeïit  à  Varad-Velencze  en  1753.  En  promet- 
tant au  peuple  que,  redevenu  orthodoxe,  il  ne  paverait  plus  de 
dîmes,  60  prêtres  unis  retonrnèrent  à  la  religion  de  leurs  pères 
tandis  que  23  se  virent  obligés  de  quitter  leurs  paroisses. 
En  1755  ce  fut  encore  le  j)atriarche  de  Karbkza  qui  revint  à 


LIVRE    TROISIEME  297 

la  charge  pour  demander  à  la  reine  la  permission  d'élendre 
sa  juridiction  patriarcale  sur  la  Transylvanie.  L'agitateur 
Gabriel  Drongô  ne  se  contenta  pas  dénonciations  théoriques; 
il  poussa  les  Roumains  à  des  voies  de  fait  provoquant  l'expul- 
sion de  leurs  paroisses  de  plusieurs  prêtres  unis.  Arrêté  sur  la 
proposition  de  Tévêque  catholique,  Drongo  eut  pour  libéra- 
teurs les  haydouli  calvinistes  de  Szalonta  qui  considéraient  son 
incarcération  comme  une  atteinte  portée  à  la  liberté  religieuse, 
pour  laquelle  tout  bon  Magyar  verse  toujours  volontiers  le 
plus  pur  de  son  sang.  Exaspérés  par  les  allées  et  venues  des 
caloyers  du  couvent  de  Szecsor ,  les  grecs  unis  le  détruisirent 
aussi,  provoquant  ainsi  les  représailles  des  orthodoxes  groupés 
autour  de  Jean  Molnàr  (JuonTunsu),  pope  d'-Eoe/,  qui,  en  se 
basant  sur  une  prétendue  encyclique  du  patriarche  de  Kar- 
lôcza,  se  permit  de  convoquer  un  synode  h  Szelistye  en  1758. 
Il  y  assura  que  le  patriarche  susdit  serait  enclin  à  intercéder 
pour  eux  auprès  de  la  reine  en  sa  qualité  de  (;  Koponistos  »  — 
de  coreligionnaire,  afin  qu'ils  puissent  avoir  un  évêque  grec 
oriental  en  Transylvanie. 

Aron  crut  que  c'était  plus  qu'il  n'en  devait  supporter  patiem- 
ment. Quittant  ses  écoles  et  ses  étudiants,  il  fit  en  1759  un 
voyage  de  visite  pastorale  dans  son  diocèse,  pendant  lequel  il 
ne  craignit  pas  de  mal  parler  des  prêtres  unis  prêts  à  s'enten- 
dre soit  avec  les  calvinistes,  soit  avec  les  orthodoxes.  (Il  y  avait 
des  églises  servant  à  la  fois  aux  cultes  calviniste  et  grec  uni.) 
Ses  intempérances  de  langage  suscitèrent  beaucoup  de  diffi- 
cultés, à  cause  desquelles  il  reçut  des  admonestations  de  3/a/7e- 
Thérèse  elle-même  et  préparèrent  le  terrain  pour  l'apparition 
d'un  nouvel  agitateur,  le  caloyer  Sophronius,  originaire  de  la 
commune  de  Csora  dans  le  département  de  Fejér. 

C'était  en  fait  de  caractère,  de  tempérament  et  d'éduca- 
tion, l'antipode  de  son  prédécesseur  Visarion,  mais  son  fana- 
tisme communicatif  suppléa  à  tous  ses  défauts.  Ayant  prêché 
partout  contre  l'union,  l'administration  du  département  de 
Hunyad  le  fit  arrêter.  Alors  Juon  Tansu  souleva  ses  fidèles  et 
le  peuple  assiégea  en  foule  le  château  àw  fô-ispan  (préfet)  pour 
obtenir  la  mise  en  liberté  de  son  orateur  admiré.  Pour  sauver 


29S        MAGYARS    KT    lUJUMAKNS    DEVANT    I/HISTOIIJE 

sa  vie,  le  fonetioniiaire  pusillanime  s'empressa  de  relâcher  son 
|)risonnier  et  de  conseiller  aux  Uomnaius  l'envoi  d'une  pétition 
au  "  guberniuni  »  ,  afin  qu'il  lit  cesser  leur  situation  intolé- 
rahle  résultant  de  la  fiction  que  les  liouDiaixs  apj)artenaient 
déjà  tous  à  1  Éjjlise  unie.  Encouragés  par  ce  succès,  ceux-ci 
s'adressèrent  peu  de  temps  après  au  conseil  général  de  Jluny/icl 
pour  lui  demander  la  permission  de  reprendre  leurs  églises 
injustement  confisquées  en  faveur  des  grecs  unis.  Entre  temps 
il  y  eut  à  ce  sujet  des  collisions  sanglantes  entre  ces  derniers 
et  les  orthodoxes  excités  par  Sopliionius  et  Jiion  J'unsn.  Aussi 
se  décida-t-on  à  VieiDic  à  intervenir  éncrgiquement  en  s'em- 
])arant  de  ces  deux  personnalités  turbulentes  :  Jkou  fut  conduit 
en  Atdrichc  après  les  troubles  qui  eurent  lieu  a  Lzdi-Szcni-Péier  ' 
et  qui  coûtèrent  la  vie  à  un  noble  orthodoxe;  tjuant  à  Soj>hrn- 
iiitis,  il  sut  se  tirer  d  affaire  très  adroitement  en  f'eigiuint  de 
jouer  le  rôle  de  médiateur  en  plusieurs  occasions  entre  l'auto- 
rité et  les  mécontents.  Pour  son  malheur,  on  apprit  qu  il  avait  I 
accepté  quch(ues  ducats  du  général  en  chef;  c  était  assez  pour 
le  rendre  suspect  aux  yeux  de  ses  coreligionnaires.  Cependant 
il  parvint  encore  à  rassembler  un  svnode  populeux  à  Za/d/ini 
où  1  on  se  décida  de  s'adresser  une  seconde  fois  à  la  bonté  de 
Mnrie-l'héiL'se  pour  en  obtenir  la  reddition  de  certaines  églises 
occupées  par  les  grecs  unis  et  la  permission  d'en  bâtir  des 
nouvelles.  Après  avoir  reconquis  ainsi  la  confiance  de  ses 
anciens  admirateurs,  Sopluonins  disparut  complètement  en 
abandonnant  son  rôle  de  défenseur  de  l'orthodoxie  à  des 
individualités  plus  autorisées. 

Pour  complaire  à  la  Russie,  à  l'alliée  fidèle  des  plus  tristes 
jours  de  la  guerre  de  8ept-ans,  la  cour  de  Vienne  était, 
depuis  l'affaire  de  Ba/oiniri,  sérieusement  résolue  à  donner 
satisfaction  aux  réclamations  justifiées  des  orthodoxes.  On 
nomma  d'abord  une  commission  pour  examiner  si  elles  méri- 
taient considération.  Le  rapjiort  de  celte  commission  ne  fut 
envoyé  à  Vicn/ie  quen  ITàG.  Le  général  commandant  y  joignit 
un  mémoire  qui  jette  une  lumière  très  suggestive  sur  l'esprit  qui 
animait  alors  l'entourage  de  la  reine.  Étant  Français,  de  Ville 
rédigea  son  travail  en  français;  donc  pour  porter  remède  aux 


LIVRE   TROISIEME  299 

affaires  de  la  Hongrie  on  consulta  des  étrangers  qui  ne  pouvaient 
les  connaître  que  très  superficiellement  et  qui  en  référaient 
à  des  Auin'chicns,  ennemis  jurés  de  la  constitution  hongroise! 
De  là  l'anlipathie  de  de  Ville  contre  les  catholiques  hongrois. 
a  Le  clergé  latin,  écrivait-il  textuellement,  mû  par  un  vil  et  sor- 
dide intérêt,  se  sert  de  tous  les  moyens  les  moins  licites  pour 
l'aire  passer  tout  le  peuple  (roumain)  pour  uni  (1).  -n  II  accusa 
Tadministration  départementale  de  négligence,  elle  était  hon- 
groise, et  il  recommanda  Fabolition  de  la  dîme  et  l'extension 
de  la  juridiction  de  Tévéque  serbe  à' Aidd  sur  tous  Roumains 
orthodoxes,  faute  de  quoi  ils  suivraient  l'exemple  des  Serbes 
émigrés  en  Ri/ssie  quelques  années  auparavant  (1751).  Or 
c'étaient  précisément  eux  qui  formaient  la  digue  la  plus  sûre 
contre  les  mouvements  révolutionnaires  possibles  (sous-en- 
lendu  :  fomentés  évidemment  par  les  Magyars.) 

Finalement  on  mit  cette  question  de  l'église  orthodoxe  sur 
le  tapis  dans  le  conseil  privé  de  la  reine.  Ce  fut  l'opinion 
du  chancelier  impérial,  du  comte  Ka/niitz-Rittberg,  qui  y  pré- 
valut. Il  la  résuma  dans  im  rapport  qu'il  fit  sur  le  désir  formel 
de  la  souveraine  et  dans  lequel  on  remarque  les  passages  sui- 
vants :  «  Les  orthodoxes  montant  au  nombre  de  plusieurs  mil- 
lions qui  vivent  sous  le  sceptre  de  Votre  Majesté,  doivent  être 
considérés  selon  mon  humble  opinion,  comme  un  vrai  trésor 
et  joyau  de  la  maison  régnante.  On  pourrait  en  tirer  plus  de 
profit  qu'on  n'en  a  tiré  jusqu'ici,  s'ils  étaient  mieux  protégés 
tant  au  point  de  vue  moral  que  matériel  contre  toute  oppres- 
sion et  injustice  (sous-entendu  :  commise  par  les  Magyars)  et  s'ils 
étaient  gouvernés  en  général  comme  doit  être  gouvernée  une 
pareille  nation,  rude  et  belliqueuse,  c'est-à-dire  selon  les  règles 
de  la  prudence.  «  Aussi  conseilla-t-il  la  nomination  d'un  évêque 
spécial  pour  les  Roumains  de  la  Transylvanie,  indépendant  du 
patriarche  serbe  de  Karlorza,  mais  n'ayant  pas  le  pouvoir  d'un 
métropolite  non  plus.  Il  crut  également  que  le  mieux  serait 
d'emplover  la  force,  car  il  craignait  les  Roumains  à  cause  de 
leur  versatiHté,  qui  ne  ferait  que  s'accentuer  par  la  noraina- 

(i)  BuKYiTAi  ViNCZE,  Bilianncg )e  oldhjai,  p.  60. 


300  MAGVAllS  El  llOUMAINS  DKVA>T  L'HISTOIRE 
lion  dudit  évoque  orthodoxe  spécial.  On  enverrait  en  même 
temps  une  commission  à  Nagy-Szrhen,  chargée  de  juger  les 
cas  douteux  sur  place  en  déléguant  trois  de  ses  membres,  dont 
Tun  serait  toujours  l'évéque  spécial.  De  cette  façon,  la  reine 
gagnerait  du  temps  pour  rétablir  la  paix  à  l'intérieur  et  à 
l'extérieur,  et  les  JtniniKi/in;  s'abstiendraient  de  tout  excès,  car 
ils  auraient,  d'une  part,  peur  de  la  force  armée  et,  de  l'autre, 
ils  seraient  contents  de  voir  un  évéque  ortbodoxe  (1  .  Ces  pro- 
positions obtinrent  pleinement  l'approbation  de  la  reine. 

Pour  les  mettre  en])ratique,  il  parut  d'abord  un  rescrit  royal 
\e  2\  mars  I  7G(),  dans  lequel  on  imputa  toutes  les  ftiutes  au 
a  .«'ubernium  ^  .  La  traduction  et  la  publication  en  roumain  de 
tous  les  documents  se  rapportant  au  libre  exercice  des  reli- 
gions v  furent  énergiquement  ordonnées.  Mais  son  importance 
consistait  principalement  dans  la  promesse  d'envoyer  en  Tran- 
sj/i'uiiic  un  évéque  orthodoxe  si  toutefois  les  non-unis  s'abs- 
tenaient dorénavant  de  tout  excès,  fit  afin  qu'ils  ne  pussent 
pas  en  commettre  beaucoup,  ce  fut  le  général  Biicow  qui  se 
mita  la  tête  de  la  commission  de  Naf/y-Szcbcn,  ayant  pour  bras 
droit  Denis  N'ira f,(>i'ics,  l'évéque  orthodoxe  de  Biidc,  à  qui  la 
reine  avait  confié  l'administration  provisoire  de  l'église  grecque 
orientale  transylvanienne.  Si  la  présence  de  ce  dernier  a  large- 
ment suffi  pour  apaiser  l'agitation  des  orthodoxes,  heureux 
de  pouvoir  l'approcher  dans  une  assemblée  générale  du  clergé 
orthodoxe  et  des  délégués  communaux  roumains,  tenue  le 
2G  avril  1761,  elle  ne  fit  j)as  moins  beaucoup  de  tort  à  l'union 
en  éveillant  chez  un  peuple  très  impressionnable  les  sou- 
venirs de  son  culte  traditionnel.  De  là  la  défaite  essuyée  par 
l'évéque  uni  Pierre  Aro/i  quand  il  officia  le  même  jour  que 
A'rtra/.orics,  le  6  juillet  1701,  à  Gyidafehérvàr.  Il  eut  à  peine 
de  monde  dans  son  église,  tandis  que  les  ouailles  de  l'autre 
remplirent  tout  un  grand  jardin  pour  écouter  religieusement 
ses  conseils  pacifiques  concernant  particulièrement  la  rétroces- 
sion de  leurs  églises  aux  unis. 

C'était  une  sous-commission  nommée  par  Bucow  qui  devait 

(i)  IIinMrzAKl,  Fragmente  zur  Cescliiclite  der  Rumaneit,  vol.  II,  p.  161  à  164. 


LIVRE   TROISIEME  301 

s'occuper  de  cette  besogne  peu  lecommandable.  Car  pour 
se  conformer  aux  instructions  de  leur  chef,  les  membres  de 
cette  commission  montraient  beaucoup  de  partialité  en  faveur 
des  unis,  à  qui  ils  firent  rendre  toute  église  leur  ayant  appar- 
tenu autre  fois.  En  ce  qui  concernait  les  monastères,  voici 
les  paroles  des  instructions  de  Bucow  «  Monasteria  ubique  com- 
burantur  lignea,  lapidea  destructantur  "  (1).  Quanta  la  con- 
statation si  un  Roumain  était  uni  ou  non-uni,  elle  se  faisait  le 
plus  souvent  au  cabaret  où  les  discussions  se  transformèrent 
aisément  en  pugilats.  Craignant  de  perdre  leurs  places,  les 
popes  n'aimaient  pas  à  avouer  de  leur  côté  s'ils  étaient  pour 
ou  contre  l'union. 

Si  à  la  suite  de  cette  intervention  assez  intempestive  du  bras 
séculier  il  n'y  eut  pas  des  troubles  plus  considérables,  on  doit 
l'attribuer  uniquement  à  la  nomination  de  Denis  Novakovics 
comme  administrateur  de  l'évêché  orthodoxe  (fin  d'août  1761). 
C'était  tacitement  reconnaître  la  nécessité  d'en  créer  un  au 
plus  bref  délai;  c'était  réaliser  le  rêve  le  plus  cher  de  l'ortho- 
doxie. Il  en  est  résulté  parmi  les  Ronmains  un  apaisement 
qui  a  permis  à  Bucow  de  prendre  certaines  mesures  pour  le 
règlement  des  questions  financières  auxquelles  a  donné  nais- 
sance la  coexistence  des  Roumains  unis  et  des  non-unis  dans 
les  mêmes  paroisses.  Le  général  commandant  leur  ordonna  en 
outre  de  vivre  en  bonne  harmonie  en  accordant  toutefois 
quelques  faveurs  aux  premiers.  Car  s'il  admettait  la  possibilité 
d'entrer  dans  l'union,  il  défendait,  sous  peine  d'incarcération, 
le  retour  à  l'orthodoxie. 

Ayant  pris  possession  de  ses  nouvelles  fonctions  Nova/.oin'cs 
eut  d'autre  difficultés  à  surmonter.  Le  patriarche  de  Karlôcza 
souleva  la  question  de  savoir  si  l'on  pouvait  lui  permettre  d'ad- 
ministrer deux  évéchés  à  la  fois  (celui  de  Bude  et  celui  de  Tran- 
sylvanie)? Selon  son  opinion  c'était  absolument  contraire  au 
droit  canonique.  Ce  fut  Bajthai,  l'évéque  catholique  transylva- 
nien, quiprit  sa  défense  en  n'attribuant  la  démarche  du  patriar- 
che qu'à  sa  rapacité.  Car  il  aurait  mille  ducats  à  toucher  en  guise 

(1)  iE\niON  PcscARiu,  Documente  pentiu  limba  si  istvria,  t.  I,  p.  233.  Sibiiu. 
1889. 


:}02  -M  A  (;V  Ali  s  ET  liOUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
(.le  taxe  d'investiture  si  Nova/iorics  optait  [)OUi'  la  Traitsylvanic. 
D'autre  part,  le  nouvel  évêque  sentait  très  bien  que  l'on  com- 
ptait à  Vienne  sur  ses  complaisances  au  sujet  de  la  j)ropa{;ande 
unioniste.  Il  ne  s'y  prêta  pas,  mais  pour  prouver  son  zèle  il 
ramassa  parmi  ses  fidèles  une  somme  de  100,000  florins  qu'il 
mit  à  la  disposition  de  la  reine,  et  il  envoya  à  ses  doyens  une 
lettre  pastorale,  dans  laquelle  il  les  exhorta  à  ne  s'occu])er 
nullement  des  alïaires  des  {jrecs  unis  et  à  se  montrer  dijjnes 
de  la  grâce  souveraine  à  laquelle  ils  doivent  le  libre  exercice 
de  leur  culte.  Mais  il  ne  parvint  à  satisfaire  ni  la  cour  ni 
ses  ouailles;  aussi  avait-il  l'intention  de  se  retirer  dans  un 
monastère,  quand  il  lut  happé  par  la  mort  en  1  7  70. 

Jl  eut  pour  successeur  dans  les  deux  évècliés  Sop/ironins 
Chirilovùs  au  temps  où  l'influence  des  idées  libérales  de 
7o.s(yy/?  y/ se  faisait  déjà  grandement  sentir.  En  177i,  il  parut  un 
rescrit  roval  (|ui  recommandait  nu  «  gubernium  )>  de  ne  plus 
faire  fustiger  les  unis  retournés  à  l'orthodoxie,  mais  de  leur 
faire  donner  de  l'instruction  religieuse  pendant  six  semaines. 
Cependant  ce  ne  fut  pas  encore  C/iitilovirs  <pii  put  rendre 
autonome  l'évêché  de  Tnuisylrnnie  confié  à  sa  direction.  Il  ne 
le  devint  que  sous  le  règne  de  Joseph  II  en  1783,  quand,  après 
la  mort  de  ce  j)asteur  orthodoxe,  on  lui  fit  succéder  Gédéon 
JSi/iitics,  l'archimandrite  de  Sis/orniz,  qui  ne  fut  plus  soumis 
à  la  juridiction  du  patriarche  de  Knrlôcza  qu  au  point  de  vue 
des  affaires  religieuses  et  dogmatiques. 

Pendant  ce  temps-là  se  passèrent  quelques  événements  mé- 
nu)raljles  dans  le  sein  de  l'église  unie.  Après  la  mort  de 
Pierre  Aron,  survenue  en  1764,  la  reine  accorda  l'évêché  de 
l}(i/àzsf(ili'(i  à  Ailtdndse  liedni/,,  sur  la  proposition  d  un  synode 
tenu  au  siège  épiscopal.  Ancien  basilite,  vivant  à  la  manière  des 
ascètes,  lli-dnil.  conquit  la  confiance  absolue  à  Aron,  qui  le 
plaça  à  la  télé  du  séminaire.  Mais  il  avait  des  ennemis 
acharnés  dans  les  rangs  de  ses  confrères  les  basililes,  qui  ne 
craignirent  pas  de  s'adresser  au  pape  C/cment  XIII  lui-même 
pour  empéchei'  sa  nomination.  Le  comte  llndil,,  gouverneur 
de  la  'Jr(ins)  Irnn/e  et  g('néral  commandant  des  troupes  impé- 
riales y  cantonnées,  trouva  leur  démarche  excessivement  cou- 


1,1  VUE   TROISIEME  303 

pable.  Il  en  fit  enfermer  plusieurs,  entre  autres  GrégorreMaîont 
que  l'on  conduisit  à  Munhacs ,  tandis  que  les  autres  furent 
relâchés  sur  l'intervention  de  RediiiL,  mais  en  même  temps 
placés  comme  subalternes  dans  des  monastères  dépendants  de 
sa  juridiction,  où  les  règlements  les  plus  sévères  furent  intro- 
duits et  où  il  enjoignit  aux  caloyers  d'apprendre  un  métier 
quelconque.  Lorsqu'il  pétitionna  à  Vienne,  afin  d'obtenir 
la  portion  canonique  pour  ses  prêtres,  on  lui  accorda  un  petit 
secours  de  10,000  florins  et  deux  places  au  Pazmanéum  pour 
ses  séminaristes.  Tout  en  faisant  beaucoup  de  zèle  en  faveur 
de  la  propagande  de  l'union,  il  veilla  jalousement  au  maintien 
de  la  liturgie  grecque. 

Quoiqu'ayant  été  interné  à  cause  de  lui,  ce  fut  cependant 
Grégoire  Maïorii  qui  lui  succéda  sur  le  siège  épiscopal  eu 
1  772,  après  avoir  reçu  sa  grâce  sur  la  proposition  àe  Joseph  II. 
Pendant  son  épiscopat  survint  la  suppression  de  l'ordre 
des  Jésuites,  délivrant  ainsi  l'église  unie  de  ses  conseillers 
gênants,  succès  dont  Maïoru  ne  put  pas  longtemps  jouir,  car 
ayant  eu  des  difficultés  à  son  tour  avec  les  moines  basilites,  il 
eut  un  procès  qu'il  perdit  et  à  cause  duquel  il  se  vit  forcé  de 
demander  sa  retraite.  Il  ne  mourut  <|u'en  1785,  trois  ans 
après  l'intronisation  de  son  successeur  Jean  Bohu. 

Tels  furent  les  résultats  des  efforts  tentés  pendant  quatre- 
vingt-dix  ans  par  les  hommes  d'État  autrichiens  en  vue  de 
l'unification  de  la  monarchie  sur  la  base  du  catholicisme  et 
telle  était  l'attitude  des  Ronnud/is  en  face  de  leurs  tentatives. 
Si  les  premiers  n'atteignirent  pas  tout  ce  qu'ils  attendaient  de 
l'union,  si  à  la  suite  de  son  introduction  les  seconds  se  virent 
séparés  en  deux  fractions  difficilement  resoudables,  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  qu'il  se  forma  là  un  courant  extra-constitu- 
tionnel derrière  les  Miujyars  entre  Vienne  et  les  églises  unies 
et  non-unies,  qui  ne  cessa  plus  de  les  menacer  depuis  et  dont 
on  devait  fatalement  se  servir  tôt  ou  tard,  quand  il  s'agit  de 
les  combattre  en  leur  qualité  de  gardiens  fidèles  du  consti- 
tutionnalisme. 


CHAPITRE  IV 

I.KS    ROUMAINS    I)K    l' ÉPOQUE    AU    1>01NT    DK    VUE 
l'OLITlOUE,     SOCIAL    ET    DI;M0(;RA1'HIQUE. 

Si  depuis  roctroi  du  «  Diplonia  Leopoldianuni  ^  jusqu'à  la 
nomiuatiou  de  Tevéque  orthodoxe  transylvauien,  c'est-à-dire 
depuis  l()î)l  jusqu'à  l7H:i,  toute  la  vitalité  du  roumanisme 
n'a  pas  été  absorbée  par  les  luttes  qu'il  soutenait  soit  pour  faire 
accepter  son  union  avec  le  catholicisme,  afin  d'obtenir  des 
avantages  politiques,  soit  pour  défendre  l'orthodoxie,  ce  fut 
une  véritable  faveur  de  la  Providence.  En  effet,  sa  situation 
poHtique  et  sociale  ne  contenait  à  cette  époque  aucun  élément 
pouvant  lui  être  propice.  L'éclipsé  subite  du  croissant  en 
Hongrie,  l'écroulement  d'une  Transylrtaiie  indépendante,  le 
développement  inattendu  de  l'empire  moscovite  semblent 
avoir  fait  sur  Tàme  roumaine  —  alors  en  quelque  sorte  encore 
renfermée  dans  sa  chrysalide  —  l'effet  d'un  stupéfiant,  sous 
l'influence  duquel  elle  ne  savait  plus  s'orienter  et  se  sentait 
condamnée  à  l'inaction. 

A  la  mort  de  Lcopnld  P\  le  vayvode  de  Valocliic,  Consianiiu 
Brancoi'dii,  prit  ouvertement  parti  pour  les  Russes.  Il  jura  éga- 
lement d'envover  à  Pi<'rre  le  Gniiid,  alors  en  guerre  avec  la 
Turquie^  un  corps  d'armée  formé  de  30,000  hommes.  Quant 
à  Denié/ri/fs  ('(tnieniir,  le  vayvode  moldave,  il  s'allia  également 
an  fondateur  de  la  Russie  actuelle.  Aussi,  après  l'issue  de  la 
guerre,  désastreuse  pour  les  armes  du  tsar,  disparut-il,  caché 
dans  les  rangs  de  l'armée  russe  en  retraite.  Il  fut  remplacé  sur 
le  trône  vayvodal  y^w  Nicohië Maurocordai.  Un  sort  plus  terrible 
a  été  réservé  à  Rnuicoeun.  Emmené  à  Consiaïuiuople  par 
les  Turcs,  il  y  fut  exécuté  avec  sa  femme,  ses  enfants  et  ses 
gendres.  Ee  sultan  lui  donna  pour  successeur,  en  Valachie^ 
Éiienite  Citnidcuzino,  qui  n'eut  pas  une  fin  plus  heureuse.  Seu- 
lement ce  fut  cette  fois-ci  son  père  (jui  partagea  le  dernier 


LIVRE   TROISIEME  305 

supplice  avec  le  vayvode  accusé  de  trahison  au  profit  des 
Russes  et  des  Auirichieiis  (1716).  Alors  Maurocordat  obtint  la 
vayvodie  en  Valachie,  tandis  que  la  Moldavie  échut  à  Michel 
Rakovitza. 

Avec  eux  commence  le  rèjOfne  de  Fanarioies .  si  funeste  pour 
les  deux  pays,  où  il  a  duré  plus  d'un  siècle.  Le  nom  des  vay- 
vodes  en  faisant  partie  ne  vient  pas  d'une  famille;  il  désigne 
les  gens  qui  demeuraient  à  Constantinople  dans  le  quartier  du 
Fana?-,  où  se  trouvait  concentré  le  monde  grec,  tant  religieux 
que  laïque,  composé  de  marchands,  de  banquiers  et  d'hommes 
d'affaires.  Dès  le  milieu  du  xvii'  siècle,  le  gouvernement  turc 
s'y  apprivisionna  de  drogmans,  car  la  finesse  de  1  esprit  grec 
était  particulièrement  apte  à  remplir  les  devoirs  de  l'in- 
terprète; ce  fut  Nicussis  Panaiotachc  qui  occupa  le  premier 
officiellement  le  poste  de  drogman  en  chef.  Lui  ayant  suc- 
cédé après  sa  mort,  Alexandre  Maurocordat  se  distingua  telle- 
ment dans  cet  emploi,  spécialement  pendant  les  pourparlers 
qui  précédèrent  la  conclusion  du  traité  de  paix  de  Karlocza 
(Karlovitz),  que  la  Subliine-Porie  se  crut  obligée  de  lui  donner 
une  récompense  importante  en  accordant  à  son  fils  Nicolaè 
successivement  les  trônes  des  deux  vayvodies  comme  il  a  été 
dit  plus  haut.  Avec  le  temps,  ces  drogmans  formèrent  une 
véritable  caste,  celle  des  Fanariotes. 

«  Naturellement,  —  dit  M.  Jancsà,  —  ces  fanariotes  ont 
réussi  à  atteindre  au  nec  plus  ultra  de  leurs  désirs,  c  est-à-dire 
à  obtenir  l'un  des  deux  sièges  vayvodaux  roumains.  Leur  pre- 
mière et  unique  préoccupation  consista  dans  l'accaparement 
le  plus  prompt  possible  d'une  grosse  somme  d'argent  afin  de 
pouvoir  paver  à  Constantinople  les  trois  ou  quatre  millions, 
pour  lesquels  ils  y  avaient  acheté  les  vayvodies.  Après  s'être 
acquittés  de  leurs  dettes,  ils  n'avaient  qu'un  but  :  constituer  un 
trésor  encore  plus  considérable  afin  qu'en  cas  de  déchéance  ils 
pussent  disposer  du  plus  d'argent  possible  pour  le  rachat  du 
trône  vayvodal.  Les  Turcs  n'admirent  à  l'honneur  de  ce  chassé- 
croisé  d'abord  que  quelques  familles  fanariotes,  telles  que  les 
Maurocordat  et  les  Ghica,  mais  ils  permirent  aussi  à  la  famille 
moldave  Rakovitza  d'y  prendre  part  dès  le  début  bien  que, 

20 


306  MAGYAllS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
devenu  vavvode  de  Moldavie,  Michel  Rakovitza  se  fût  rendu 
suspect  à  leurs  yeux  à  cause  de  ses  sentiments  philorusses. 
Avant  vu  par  la  suite  qu'occuper  les  trônes  vayvodaux  était  le 
désir  suprême  de  beaucoup  de  familles  fanariotes,  les  pachas 
constantinopolitains  élargirent  le  cercle  du  concours  à  l'infini, 
pensant  que  plus  il  y  a  d'acquéreurs  pour  un  objet  convoité, 
plus  on  peut  en  augmenter  le  prix.  Ce  fut  ainsi  qu'ils  ouvrirent 
la  lice  aux  familles  Garagéa,  Ypsilanti,  Moruzzi,  Sutzu,  Moro- 
pjieni,  Hangerli,  Calimach.  Arrivées  sur  le  trône,  celles-ci  dé- 
ployèrent une  véritable  virtuosité  dans  l'invention  d'impôts 
nouveaux  à  côté  des  anciens  maintenus.  11  fallait  que  le  pauvre 
paysan  roumain  pavât  la  dîme,  ]a  fjostiiia,  \ad<'.seiina,  Voierit,  le 
vacarit,  le  piisacaru ,  le  udclrarit,  le  vinariciu,  le  progouarit, 
\cfuinarii  et  qu'il  les  payât  non  seulement  une  fois  par  an,  mais 
le  plus  souvent  deux  fois,  car  le  gabelou  n'avait  pas  l'habitude 
de  lui  délivrer  une  quittance.  » 

Si  un  malheureux  paysan  n'était  pas  en  mesure  de  s'acquitter 
envers  les  gens  du  fisc,  ils  le  malmenaient  et  le  battaient  pour 
en  extorquer  de  l'argent.  "  On  enferma  les  hommes  et  les 
femmes  dans  des  mannes  de  mais,  raconte  un  témoin  oculaire (1) 
et  on  alluma  à  côté  de  ces  mannes  des  feux  sur  lesquels 
on  jeta  du  poivre  rouge  afin  de  les  enfumer  ainsi  sans  leur 
donner  ni  à  boire  ni  à  manger.  Ensuite  on  attacha  leurs 
mains  derrière  leur  dos  et  on  les  frappa  avec  des  cravaches, 
jus(|u'àce  qu'ils  s'affaissent  ou  on  les  plaça  nu-pieds  sur  la  neige 
glacée  et  on  les  y  maintint  des  heures  entières,  pour  les  forcer 
à  donner  leurs  derniers  liards.  •>•> 

Et  pour  comble  de  malheur  «  chaque  vayvode  amène 
avec  lui  un  grand  nombre  de  Grecs,  à  qui  il  accorde  les  places 
les  mieux  rétribuées.  Il  y  en  a  beaucoup  qui  contractent  de 
riches  mariages  par  l  entiemise  du  vayvode  et  deviennent 
ainsi  de  grands  propriétaires.  En  un  mot  la  Yalachie  et  la 
Moldavie  doivent  être  considérées  comme  le  Pérou  des 
Grecs  "  (2). 

(1)  Dtiuitrie  liclcsiarhul  i.  Papin  Ilarinnu  Tcsauru  de  Moiniinenter,  vol.  II, 
p.  193. 

(2)  R.\u;Si;viCii,  Oiservazzioni  slorichc,  natuvale  e  politichc  ttttorno  lu  Valacliia 
e  la  Moldavia.  Napoli.  1788,  p.  164. 


LIVRE    TROISIEME  307 

Les  exactions  que  commirent  ces  employés  de  passage,  car 
ils  s'en  allaient  avec  les  vayvodes  qui  les  avaientamenés,  étaient 
naturellement  inénarrables.  On  les  appelle  les  «  ciocoi  d  et 
pour  les  fuir,  les  paysans  s'expatriaient  en  masse  ou  s'adon- 
naient au  brigandage.  «  Il  faudrait  une  longue  série  d'années 
pour  rendre  à  la  Valachie  son  ancien  lustre,  écrit  fi^/wer  (1), 
et  pour  reconstruire  tant  de  villes  jadis  florissantes  et  pour 
repeupler  tant  de  grands  villages  et  fermes ,  contre  les  ruines  des 
quels  on  bute  à  chaque  instant  (1).  " 

On  émigra  des  vayvodies  en  trois  directions  :  de  la  Moldavie 
pour  se  fixer  en  Russie  le  long  du  JSiesler,  de  la  Valachie  pour 
se  fixer  dans  les  contrées  les  plus  rapprochées  de  la  Serbie  et  de 
la  Bulgarie,  et  principalement  en  Transylvanie  et  en  Hongrie 
sur  le  territoire  que  1  on  connaît  sous  le  nom  de  <•  l'enclave 
du  Tèmès  '  . 

Cette  prédilection  de  l'émigration  pour  la  Hongrie  avait  une 
raison  particulière.  Elle  était  motivée  par  le  bonheur  dont  les 
Roumains  de  la  Petite-Valachie  \omve,ni  pendant  vingt  ans  sous 
la  domination  autrichienne,  c'est-à-dire  depuis  la  paixdePa*- 
sorvàtz  (1718)  jusqu'au  traité  de  Belgrade  (1738),  dont  les 
stipulations  déplorables  remirent  cette  province  sous  la  do- 
mination turque.  Ayant  profité  de  la  tranquillité  que  l'adminis- 
tration autrichienne  avait  su  procurer  aux  Roumains  durant  ce 
laps  de  temps,  ils  se  dirigèrent  de  préférence  vers  le  pays  où 
régnaient  les  Habsbourg.  Là,  ils  furent  d'abord  très  bien  ac- 
cueillis car,  dans  les  provinces  récemment  reconquises  sur  les 
Turcs ^  il  n'y  avait  presque  plus  de  population.  Plusrtard,  en 
1738,  l'hospitalité  s'est  changée  en  hostilité  quand  on  vit  que 
les  Roumains  faisaient  cause  commune  avec  les  Turcs  pour 
dévaster  ensemble  la  Hongrie  méridionale .  Voici  à  ce  sujet 
l'opinion  du  comte  Perlas,  exposée  dans  un  mémorandum, 
qu'il  adressa  à  Marie-Thérèse  en  1767. 

a  Le  transfèrement  des  Roumains  est  indispensable  pour  la 
réussite  de  la  colonisation  allemande  ;  les  colons  allemands 
tremblent  à   l'idée  seulement  d'être  installés  sur  les  «  prae- 

(1)  Bauer,  Mémoires  historiques  et  géographiques  sur  la  Valachie,  annexés  à 
l'histoire  île  Carra,  p.  232. 


308  MAGYAllS  El  UOUMAIiNS  DEVANT  L'HISTOIRE 
(lia  ')  situés  au  milieu  des  Roumains  et  ils  en  ont  horreur. 
Car  nous  firaes  dans  la  dernière  jjuerre  contre  les  Turcs 
(de  1737  à  1738)  la  remarque  que  la  population  allemande 
avait  plus  souffert  des  Roumains  révoltés  et  de  leurs  bandes 
que  des  ennemis  turcs  eux-mémee.  Il  y  avait  bien  peu  de  com- 
nmnes  allemandes  ayant  vu  des  Turcs  vivants  dans  le  courant 
de  la  fHierre,  tandis  (piil  y  a  beatuoup  de  communes  alle- 
mandes saccajjées  et  brûlées  par  les  Roumains,  comme  il  y  a 
aussi  beaucoup  d'Allemands  ayant  été  tués  ou  capturés  par 
eux  et  vendus  finalement  aux  Turcs.  Et  agir  ainsi  leur  était 
d'autant  plus  facile  (pie  la  plupart  des  villages  allemands  se 
trouvent  être  éparpillés  parmi  les  communes  roumaines  et 
que,  par  conséquent,  il  leur  était  impossible  d'aller  se  secourir 
mutuellement,  (^e  même  danger  ne  menacerait-il  pas  encore 
les  colonies  allemandes  en  cas  d'une  nouvelle  invas.on  des 
Turcs  si  on  les  laissait  de  nouveau  au  milieu  des  Roumains?... 
Je  me  permets  d  attirer  également,  la  ])lus  gracieuse  attention 
de  Votre  Majesté  sur  la  considération  s'il  n  est  pas  plus  avan- 
tageux pour  la  sécurité  des  forteresses  d'Arad  et  de  Temes- 
var  en  cas  de  guerre  de  n'avoir  entre  elles  qu'un  territoire 
habité  par  des  sujets  fidèles  et  non  par  des  gens  pour  qui  il  est 
absolument  indifférent  qu  ils  appartiennent  aux  chrétiens  ou  ] 
aux  Turcs  et  (pii  ne  font  que  retourner  leurs  manteaux  selon 
les  besoins  des  circonstances  diverses?  " 

Dans  le  rapport  que  Joseph  II  présenta  à  Marie-Thérèse  en 
]7()8  après  avoir  terminé  son  voyage  dans  le  lUinat,  le  souve- 
rain libre-penseur  ne  juge  pas  beaucoup  plus  favorablement 
ses  futurs  sujets.  «  Les  Serbes  et  les  Roumains  obéissent  aveu- 
glément à  leurs  prêtres;  cependant  il  y  a  entre  eux  la  diffé- 
rence que  cette  obéissance  n'est  chez  les  Roumains  qu'une 
obéissance  servile  engendrée  par  leur  Ignorance  et  leur  bêtise 
indescrij)libles,  tandis  que  c'est  la  ferveur  religieuse  qui  ins- 
pire les  Serbes,  (pioicjn'ils  soient  suffisamment  ignorants  aussi. 
Le  clergé  séculier,  que  l'on  recrute  parmi  les  paysans  incultes 
et  qui  ne  sait  pas  même  lire  généralement,  est  incapable  d'ex- 
pliquer l'Evangile  ou  de  disserter  sur  les  livres  saints.  Il  n'est 
pas  possible  qu'un  clergé  semblable  puisse  être  le  propagateur 


LIVRE   TlîOISIKME  309 

de  réclucation   et  de  l'instruction  du  peuple.   D'ailleurs,  les 
écoles  primaires,  1  instruction  de  la  jeunesse  sont  des  choses 
inconnues  aussi  bien  chez  les  Serbes  que  chez  les  Roumains. 
On  n'en  trouve  pas  un  sur  mille  qui  sache  écrire  et  lire  sa 
langue  maternelle.  C'est  par  leur  pope  que  les  communes  font 
rédiger  leurs  suppliques  ou  leurs  réclamations  et,  étant  obli- 
gées de  se  fier  à  eux,  elles  ne  sont  pas  même  convaincues  que 
le  document,  confectionné  par  leurs  popes,   exprime  réelle- 
ment leur  pensée.  L'enseignement  religieux  et  la  prédication 
sont   des   choses   inconnues    chez   eux.    Les  efforts    de   leurs 
évêques  même  ne  tendent  qu'à  extorquer  le  plus  d'argent  pos- 
sible afin  de  pouvoir  le  dilapider  en  jouissances  frivoles.  On 
abuse   beaucoup   aussi   de   l'excommunication  (afurisatio)  et 
l'empereur  a  dû  se  convaincre  que  la  plupart  du  temps  l'ex- 
communication n'est  prononcée  qu'en  vue  du  chantage  "  (I). 
Il  faut  avouer  cependant  que,  malgré  le  peu  de  sympathie 
que  les  7?oi/«i(7///5  inspirèrent  à  leurs  concitoyens  s,oit  en  Hongrie, 
soit  en  Tronsylvanie,  ils  ne  se  montrèrent  jamais  particulière- 
sévères  à  leur  égard.  Pour  avoir  pris  part  aux  guerres  de  Ràkôczy 
on  remit  en  servitude  tous  les  serfs  ayant  recouvert  leur  liberté 
pendant  l'insurrection  (diète  de  1714).    On  interdit  en  même 
temps  aux  paysans  de  porter  des  armes .  Or  ces  rigueurs  frappent 
aussi  bien  les  Roumains  que  les  Magyars,  car  la  loi  ne  fait  ici 
aucune  distinction  entre  ces  deux  nations.  Elle  est  également 
semblable  pour  les  deux,  quand  elle  impose  quatrejournées  de 
corvée  par  semaine  à  tout  serf,  de  même  qu'en  1742  et  1747 
on  réduit  le  nombre  de  ces  corvées  à  deux  jours  par  semaine 
sans  indiquer  la  nationalité  de  ceux  qui  y  sont  astreints.  N'est- 
ce  pas  à  la  généralité  des  serfs  que  s'adresse  la  dénomination 
de    «     trésor  vivant    »    (  errarium    vivum  )   dont   se    servent 
lesétatsdela  Transylvanie  pendantcette  même  diète  de  1747. 
Et  comme  toutes  ces  lois  n'étaient  pas  très  explicites  sous  beau- 
coup de  rapports,  le  rescrit  de  Marie-Thérèse  datant  de  1769, 
dans  lequel  elle  indique  longuement  tous  les  devoirs  des  sei- 
gneurs envers  leurs   serfs   et  vice-versa,    et  où   elle  règle  le 

(1)  SzENTKLARAY,  Szâi  èv  Dél-Mac/yarorszâj  tôrténetéhôl,  p.  207  et  208. 


310        MAGYARS    ET    ROUMAIINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

pouvoir  correctionnel  des  premiers  tout  en  énumérant  les 
moyens  que  les  seconds  peuvent  employer  pour  leur  défense, 
soulagea  notablement  tous  les  serfs,  sans  distinction  de  race  ou 
de  religion. 

(De  la  circonstance  que  ces  dispositions  bienveillantes  n'é- 
manent pas  de  la  diète  transylvanienne,  les  historiens  antima- 
gyars ne  manquent  pas  de  tirerune  conclusion  qui,  en  apparence, 
serait  une  preuve  évidente  pour  démontrer  la  roumainophobie 
et  l'inhumanité  des  Magyars.  Ils  prétendent  que  Marie-Thérèse 
ne  recourut  à  la  publication  de  ce  rescrit  que  parce  que  les 
états  de  Transylvanie  eux-mêmes  ne  voulaient  pas  se  conformer 
à  sesinlentions.  Or  il  n'y  a  pas  eu  de  dièteenTransylvanie  depuis 
1701  jusqu'à  sa  mort,  survenue  en  1780;  les  affaires  impor- 
tantes ne  pouvaient  donc  être  réglées  qu'au  moven  de  rescrits. 
Quant  aux  dispositions  hostiles  ou  favorables  des  diètes  qui 
n'ont  pas  eu  lieu,  il  est  oiseux  de  les  discuter.) 

heslioirinai'ns,  comme  tels,  n'eurent  des  difficultés  qne  quand, 
à  peine  installés  sur  un  territoire,  ils  y  empiétèrent  peu  à  peu 
sur  les  droits  des  propriétaires  véritables.  Ce  qui  arriva  prin- 
cipalement siu*  les  territoires  des  Saxons  :  témoins  le  procès 
célèbre  de  lu-sinar,  entamé  contre  les  habitants  roumains  de 
ce  village  par  les  habitants  saxons  de  la  ville  de  Szeben.  Là  il 
s'agissait  de  décider  si  les  colons  roumains  établis  dans  une 
forêt  de  pins  de  la  ville  pour  y  recueillir  la  résine,  avaient 
raison  de  former  une  commune  ayant  ses  droits  particuliers. 
Le  procès  dura  de  1735  jusqu'en  1785,  année  où  Joseph  11^  mû 
par  ses  sentiments  humanitaires,  prit  résolument  parti  contre 
les  j)rétentions  légales  mais  surannées  des  StcbciK/is  et  concéda 
(les  droits  communaux  à  Résiiuir  en  lui  assignant  au  surplus  la 
propriété  d'une  certaine  quantité  de  terrains  appartenant  à 
la  ville  de  Szrben,  condamnée  à  les  lui  céder. 

L'issue  du  différend  entre  Rouiuaitis  et  Saxons  tourna,  au 
contraire  au  lragi(|ue  à  propos  de  la  commune  de  Szelisije, 
située  sur  ce  domaine  de  Talniacs  que  le  vayvode  de  Valaclne 
avait  jadis  j)ossédé  en  fief  jusqu'au  désastre  de  Mohàcs  et  dont 
on  (il  ensuite  un  quasi-siège  roumain,  mais  sous  la  direction  de 
sept  magistrats  saxons.  Avec  le  temps,  il  se  trouva  parmi  ceux- 


LIVRE   TROISIEME  311 

ci  quelques-uns  qui,  se  basant  sur  la  donation  qu'avait  faite 
de  ce  domaine  Bcl<(  /l'en  1233  à  Vispan  saxon  Konrad,  n'hé- 
sitèrent pas  à  considérer  les  Romnavis  qui  y  habitaient  comme 
leurs  serfs.  De  là  un  procès  interminable  qui  finit  par  s'enve- 
nimer quand  un  Saxo»,  le  baron  Sintnirl  Bruckenihal.  devint 
gouverneur  de  la  Transylvanie  (177  4);  se  sentant  plus  forts, 
les  Saxons  organisèrent  alors  une  véritable  descente  dans  le 
village  de  Szclisiye,  où  ils  ne  purent  faire  prévaloir  leur  ma- 
nière de  voir  qu'à  l'aide  d'un  bataillon  de  soldats.  Ayant  em- 
ployé l'argument  suprême,  une  décharge  générale,  ceux-ci  tuè- 
rent aux  Roumains  vingt  hommes  et  en  blessèrent  une  grande 
quantité.  Mais  ce  coup  de  force  ne  procura  aux  vainqueurs 
qu'une  victoire  éphémère  car,  grâce  à  l'intervention  de  Jo- 
seph II, les  Roatnains  obtinrent  gain  de  cause  comme  à.  Résinai- . 
Le  procès  civil  se  prolongea  au  sujet  de  cette  affaire  jus- 
qu'en 1868. 

Le  roumanisme  encourut  des  reproches  plus  légitimes  en 
se  permettant  des  indélicatesses  à  l'égard  du  gouvernement 
qui,  désireux  de  fonder  des  colonies  roumaines  dans  les  environs 
de  Teniesvàr,  leur  fournit  des  terrains  et  les  pourvut  même  de 
petites  sommes  d'argent  nécessaires  à  leur  premier  établisse- 
ment. Elles  ne  voulurent  pas  se  prêter  à  la  culture  des  terrains 
concédés  et  disparurent  en  grande  partie  aussitôt  qu'on  leur 
en  fit  la  remarque,  en  emportant  naturellement  les  fonds 
avancés,  comme  c'est  longuement  relaté  dans  un  rapport  de 
la  commission  de  colonisation  présidée  par  le  comte  Schlick  et 
daté  du  8  mars  1768  (1). 

En  face  de  ce  caractère  à  la  fois  remuant  et  instable,  obstiné 
et  farouche  des  Rountains,  on  aurait  eu  tort  de  penser  à  leur 
simple  introduction  dans  l'enceinte  administrative  et  constitu- 
tionnelle de  la  Ilonr/rie,  d'autant  plus  que  les  contrées  où  ils  er- 
raient, se  trouvaient  tellement  dépeuplées  et  dévastées  pendant 
la  longue  et  désastreuse  domination  des  Tares,  qu'en  dehors 
de  leurs  noms  conservés  par  l'histoire,  rien  ne  semblait  plus 
les  rattachera  la  mère-patrie.  Étant  d'ailleurs  surles  limitesdu 
monde  civilisé  d'alors, elles  étaient  destinées  à  amortir  les  chocs 

(Ij  SzENTKLARAY  Jexo,  Az  olaliok  kôlloztetése  Dél-Magyarorszhgon,  p.  20et_21. 


3L2        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

que  pouvait  vouloir  lui  porter  l'islamisme  épuisé  et  h  arrêter 
les  fléaux  des  maladies  conla(;icuses  importées  de  l'Asie.  Par- 
tant de  là,  l'idée  devait  forcément  venir  à  iout  esprit 
réfléchi  que  si  le  peuple  roumain,  à  moitié  nomade,  ne  devait 
entrer  dans  le  chemin  du  progrès  que  sous  la  férule  d'un  ré- 
gime d'une  sévérité  implacable,  son  essai  ne  pouvaitavoirlieu 
que  dans  ces  parages  précisément  où  la  proximité  d'un  ennemi 
s('culaire,  l'humeur  voyageuse  de  la  |)opulation,  imposent  tout 
naturellement  une  organisation  uniquement  basée  sur  la  dis- 
cipline militaire.  Si  on  ajoute  à  ces  considérations,  d'un  ordre 
spéculatif,  le  désir  de  la  cour  de  Vietme  d'avoir  toujours  sous 
la  main  des  trouj)Cs  pour  combattre  à  l'occasion  le  parlementa- 
risme hongrois,  il  n'est  j)as  difficile  de  comprendre  comment 
on  est  arrivé  à  1  idée  de  la  création  des  Confins  niiliiaires.  Ils 
formèrent  une  ceinture  de  fer  depuis  lMr/r/.'///Vyr</e  jusqu'à  Or- 
sovti  et  fournissaient  une  douzaine  de  régiments  d'infanterie. 
Administrés  militairement,  ces  Confins  dépendaient  dn  ministre 
de  la  guerre  impérial  et  ne  furent  supprimés  qu'en  1871, 
quand  on  les  fit  rentrer  dans  les  cadres  des  départements  hon- 
grois limitrophes. 

La  vitalité  du  système  ayant  été  démontrée  par  les  essais  faits 
en  Hongrie  depuis  I  7  i3,  Mitric-Thérèse  se  décida  à  son  introduc- 
tion en  Transylvanie  où  les  pérégrinations  des  ïioumains  pri- 
rent de  jour  en  jour  plus  d'extension  soit  par  suite  des  exac- 
tions des  vayvodes  fanariotes  et  alors  des  vayvodies  roumaines 
en  l^'ansylranir,  soit  par  suite  de  la  propagation  intempestive 
de  l'union,  et  alors  de  la  Transylvanie  dans  les  vayvodies.  La 
nouvelle  concernant  la  création  des  Confins  les  a  cependant 
tellement  réjoais  qu'ils  eussent  été  tous  désireux  d'en  faire 
partie.  Naturellement,  on  n'a  pu  y  admettre  que  ceux  habitant 
au  Sud  entre  les  cols  du  Vulcati  et  de  Bodza  et  à  l'Est  entre  le 
col  de  Tolgyes  et  les  glaciers  de  Mannaros.  Au  milieu  s'éten- 
dent l(;s  pays  des  Sicules  :  le  Csi/c  ei\e  IIàroinszéh\  on  les  érigea 
en  Confins  aussi. 

Mais  pour  réaliser  les  intentions  de  Marie-Thérèse,  il  fallut 
aplanir  |)lus  d'une  difficulté.  Il  y  en  avait  qui  étaient  provoquées 
par  la  situation  délicate  dans  laquelle  se  trouvaient  les  Rou- 


LIVRE   TROISIÈME  3i:i 

mains  serfs  à  l'égard  de  leurs  seigneurs  les  Saxon?,;  tel  était  le 
cas,  par  exemple,  dans  la  vallée  de  Radua,  où  ce  fut  la  ville  de 
Bestercze  cpii  exerça  les  droits  seigneuriaux.  La  commission 
d'enquête  les  reconnut  valables;  mais  on  proposa  aux  quatre 
mille  Roumains,  qui  y  demeuraient,  d'accepter  l'union  et  de  se 
faire  soldats.  Si.  pour  le  gouvernement,  la  création  des  Confins 
militaires  n'était  qu'une  manière  détournée  de  propager  le 
catholicisme,  pour  les  Roumains,  en  être  équivalait  à  la  libé- 
ration de  la  servitude,  en  opposition  avec  les  Sicules,  déjà  libres 
auparavant.  Seulement  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  prosély- 
tisme religieux  ne  visait  pas  uniquement  le  salut  des  âmes  : 
il  importait  beaucoup  au  point  de  vue  de  la  politique  que  ceux 
à  qui  on  confiait  la  garde  des  frontières  du  côté  des  vayvodies, 
soient  d'une  autre  religion  que  leurs  frères  de  race  d'au  delà 
des  Carpaihes,  contre   qui  ils  avaient  à  défendre  la  Transyl- 


vanie. 


C'est  à  l'ignorance  de&  Roumains  qu'il  faut  au  contraire  attri- 
buer la  collision  sanglante  qui  a  eu  lieu  dans  la  commune  de 
Salva  a  propos  de  la  prestation  du  serment  militaire.  Le  géné- 
ral de  Sis/ïovir/i,  accompagné  de  l'évéque  uni  Piej-re  Aron,  s'y 
rendit  le    10  mai   1763.   Ayant   entendu  lire   la    formule  du 
serment,  où  il  est  question  de   servir  l'empereur  et  le  pays 
K  par  terre  et  mer  »  ,  les  Roumains  ne  voulurent  pas  la  répéter, 
car  le  mot    «   par  mer  »    y  était  introduit,  prétendaient-ils, 
subrepticement;  or  ils  n'avaient  nulle  envie  d'aller  sur  l'eau. 
Siskovich  et  Aron  avaient  beau  expliquer  la  chose,  ils  restèrent 
inflexibles    et,    ayant    jeté   leurs   fusils,    ils   devinrent  même 
menaçants.  N'ayant  pas  sous  la  main  des  forces  suffisantes,  le 
général  et  l'évéque  durent  se  retirer  sans  avoir  pu  éclairer  la 
foule  affolée.  Ils  purent  cependant  se  convaincre  que  c'était  un 
certain  paysan  nommé  Todoranu,  qui  excitait  ses  camarades 
à  la  mutinerie.  Il  fut  arrêté,  sommairement  jugé   et  exécuté 
avec  vingt  de  ses  compagnons  quelques  jours  après,  quand  le 
général,  entouré  de  plusieurs  bataillons  de  soldats,  ne  craignit 
plus  de  recommencer  la  cérémonie  si  stupidement  interrompue. 
Pour  contrebalancer  la  mauvaise  impression  que  de  tels  évé- 
nements pouvaient  avoir  produite  sur  les /îo?/»Jrt«//6-,  on  feignit  de 


314  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
prendre  au  sérieux  leurs  prétentions  daco-roumaines  et  de  les 
traiter  pompeusement  en  descendants  des  légionnaires  de 
Tnijan.  On  fit  inscrire  sur  le  drapeau  du  deuxième  régiment 
roumain  la  devise  suivante  :  "  Virtus  romana  rediviva,  »  que 
<les  officiers,  venus  des  provinces  italiennes  de  Tempire,  ne 
manquaient  pas  d'explicpier  à  leurs  hommes  dans  le  sens  le 
plus  flatteur  pour  leur  vanité. 

Que  ce  soit  à  cause  de  cela  ou  que  ce  soit  Teffet  d'une 
discipline  sévère,  le  développement,  et  les  progrès  du  rouma- 
nisme  dans  les  (\nijiiis  miliKtires  surprirent  vraiment  tout  le 
monde.  On  leur  fit  donner  de  l'instruction  dans  les  écoles, 
dites  «  normales  »  qui  comprenaient  quatre  classes  élémentaires 
et  que  l'on  installait  dans  tous  les  sièges  des  régiments  et 
des  bataillons.  De  là  est  sortie  cette  phalange  de  sous-olficiers 
qui  donnaient  tant  de  solidité  aux  cadres  des  régiments  Gren- 
zer  (les  Confins).  Et  la  sollicitude  de  l'administration  militaire 
ne  s'arrêta  pas  là.  Elle  s'étendit  sur  l'agriculture,  l'élevage 
et  l'horticulture,  en  y  initiant  peu  à  peu  les  Ivnntniins  qui  en 
profitèrent  avec  une  louable  rapidité. 

Malheureusement,  ce  tableau  séduisant  a  une  ombre  terrible. 
«  Dans  chaque  régiment  roumain  de  la  Transylvanie  et,  si  je 
ne  me  tronq)e  pas,  de  la  Hongrie  aussi,  ce  fut  la  langue  alle- 
mande qu'on  introduisit  —  dit  le  baron  ISicolas  ]\  csscL-nyi  il 
va  soixante  ans  (l).  Si  l'on  eût  agi  ainsi  à  l'égard  du  magyar, 
on  le  parlerait  déjà  dans  la  plupart,  ce  qui  constituerait  un 
grand  rapprochement  entre  les  deux  nations  !  De  cette  façon, 
au  contraire,  ils  ne  sont  pas  devenus  Allemands,  et  ne  le 
deviendront  jamais,  mais,  grâce  à  l'esprit  dans  lequel  on  les 
avait  élevés,  ils  ont  ajouté  à  la  haine  que  les  Roumains  nour- 
rissent contre  nous  (Magyars),  la  haine  que  nourrissent  les 
Allemands  !  n  Réflexions  des  plus  judicieuses  que  l'on  peut 
taxer  de  prophétie  aussi,  car  ce  sont  les  pavs  des  anciens 
Confins  niiliidircs  qui  fournissent  encore  aujourd'hui  les  plus 
fougueux  apôtres  de  la  «  Ligue  »  et  du  mouvement  magyaro- 
phobe  en  général. 

\\.^  B.  ^VESSELL^YI  MiRi.os,  Szôzat  a  magyar  es  xzlùv  neimetiség  ûgyeben. 
p.  89. 


LIVRE   TKOISIKME  315 

Pour  compléter  les  traits  caractéristiques  appelés  à  fidèle- 
ment rendre  le  portrait  du  roumanisme  au  xviii'^  siècle,  il  faut 
aussi  consulter  les  résultats  des  recensements  qui  eurent  lieu 
alors  en  Transylvanie  à  différentes  reprises. 

Du  temps  de  Charles  //(vers  1730),  le  nombre  des  familles 
imposées  —  c  est-à-dire  des  serfs  —  montait  à  135,000  (en 
comptant  cinq  membres  par  familles  en  moyenne^.  Il  faut  en 
défalquer  50,000  qui  n'étaient  pas  roumaines.  Si  on  ajoute  à 
ces  256,000  âmes  au  moins  50,000  autres  non  imposées,  des 
nobles  et  des  Sicules  libres —  on  obtient  les  données  statistiques 
suivantes  —  bien  entendu  approximativement  : 

Magyars 190,000  liahitants. 

Saxons 110,000         — 

Jiouinains 425,000 

Total 725,000  habitants. 

Au  recensement  de  17G  1-1705  on  trouva  d'après  Benkô  : 

Magyars 271,000  liaLitantï^. 

Saxons 120,680  — 

Roumains 547,243  — 

Total 938,923  habitants. 

C'est-à-dire  l'accroissement  pour  les  Magyars  était  de  42  ^j 
pour  100.  pour  les  Saxons  de  9  ^  pour  100  et  pour  les  fio?;- 
inains  de  52  ^  pour  100.  Et  ce  taux  immense  est  constant 
chez  les  derniers  presque  jusqu'à  la  disparition  des  vayvodes 
fanariotes,  pour  tomber  de  1837  à  1857  jusqu'à  8  s  pour  100 
et  pour  descendre  enfin  en  1870  au-dessous  de  zéro,  ce  qui 
prouverait  que  ce  ne  fut  pas  autant  l'excédent  des  naissances 
qui  produisit  laccroisseraent,  mais  bien  plutôt  l'immigration 
incessante  provoquée  par  les  misères  que  les  Hoamains  endu- 
raient sous  les  Maarocordai  et  consorts.  On  sait,  par  exemple 
pertinemment  qu'au  moment  de  l'avènement  de  ce  célèbre 
pressureur  il  y  avait  en  Valachie  147,000  familles  imposées, 
et  qu'à  la  fin  de  son  règne  on  n'y  en  comptait  plus  que  35,000, 
—  ce  qui  équivaut  à  l'émigration  de  500,000  âmes.  Un  exode 
de  pareille  importance  eut  lieu  en  Moldavie  aussi  pendant 
que  Maarocordai  v  occupait  le  trône. 

Mais  quelle  qu'ait  été  la  nature  de  Taccroissement  de  leur 


316  MAGYARS  KT  ROUMAINS  DEVAr^T  L'HISTOIRE 
population  roumaine,  la  Ilonf/n'eel  la  Transylvanie  ne  devaient 
que  s'en  féliciter,  dans  Tespoir  quavec  le  temps  elle  devien- 
drait aussi  complètement  hongroise  que  le  sont  devenus  cer- 
tains de  SCS  enfants.  Si  ce  temps  n'est  pas  encore  venu,  comme 
on  le  verra,  ce  n'est  pas  la  faute  de  TÉtat  hongrois,  qui  étend 
les  bienfaits  de  ses  libertés  généreusement  sur  tous  les  sujets 
de  la  couronne  de  saint  Etienne.  Qu'ils  lui  montrent  de  l'attache- 
ment, et  il  les  récompensera  avec  un  paternel  empressement 
et  selon  leur  mérite;  qu'ils  le  frappent  avec  des  mains  parri- 
cides, et  alors  il  saura  sauvegarder  sa  dignité,  son  unité,  son 
intégrité,  avant  conscience  de  ses  devoirs  envers  lui-même  et 
envers  le  rôle  qu'il  est  appelé  à  jouer  dans  l'histoire. 


CHAPITRE  V 

Les  troubles  de  1784. 

Après  les  attaques  plus  ou  moins  dissimulées,  que  la  réac- 
tion avait  dirigées  pendant  deux  siècles  sur  le  terrain  religieux 
et  politique  contre  le  constitutionnalisme  hongrois,  celui-ci  en 
eut  une  nouvelle  et  bien  autrement  sérieuse  à  soutenir  quand 
avec  Joscpli  II,  le  fils  génial  àe Marie-Thérèse,  ce  fut  le  rationa- 
lisme des  philosophes  encyclopédistes  qui  s'installa  sur  le 
trône  impérial  et  royal.  Car  si  la  sagesse  et  le  patriotisme  des 
hommes  d'État  magyars  surent  toujours  paralyser  l'hostilité 
incessante  de  la  cour  de  Vienne,  tant  que  le  souverain  lui-même 
resta  impartial  au  milieu  des  antagonistes,  également  con- 
vaincus de  l'excellence  des  principes  gouvernementaux  qu'ils 
préconisaient,  la  défaite  des  premiers  devenait  certaine  dès 
que  Joseph  II  se  déclara  partisan  déterminé  d'une  monarchie 
centraliste,  organisée  sur  le  modèle  français,  mais  au  profit  du 
germanisme. 

A  vrai  dire,  son  empire  d'utopiste  ne  ressemblait  guère  à 
l'idée  que  les  réactionnaires  s'étaient  faite  de  la  monarchie 
depuis  la  réunion  de  la  Ho/u/rie  et  des  États  héréditaires  sous 
le  sceptre  d'un  même  rejeton  de  la  famille  des  Habsbourg.  Ils 
l'auraient  voulu  franchement  catholique  et  absolutiste,  afin 
que  la  volonté  souveraine,  inspirée  par  leurs  conseils,  pût 
Y  être  uniformément  exécutée.  Or,  tout  en  visant  le  pouvoir 
autocratique,  —  ses  intentions  humanitaires,  réformatrices  et 
émancipatrices  n'auraient  jamais  pu  s'accorder  avec  les  len- 
teurs et  les  hésitations  inévitables  du  régime  représentatif,  — 
Joseph  //était  trop  imbu  des  idées  qui  devaient  engendrerplus 
tard  la  Révolution  française,  pour  devenir  l'allié  d'une  cama- 
rilla  aristocratique,  cléricale  et  rétrograde.  Il  rêvait  un  état 
transformé,  régénéré,  marchant  à  la  tête  de  la  civilisation  et 
du  progrès,  et,  pour  la  réalisation  de  cet  état  rêvé,  il  employait 


318  MAGYAKS  Eï  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIUE 
des  moyens  tellement  révolutionnaires  que  l'on  devrait  le  faire 
Hpurer  sans  conteste  parmi  ceux  qui  ont  contribué  directement 
ou  indirectement  à  la  chute  de  Louis  XVI  dont  les  adversaires 
de  la  première  heure  le  considéraient  certainement  comme  un 
exemple  à  suivre,  comme  un  précurseur  inconscient,  mais  non 
moins  réel. 

Il  faut  remarquer  cependant  que  le  caractère  révolution- 
naire des  procédés  de  Jos<']>h  II  se  manifestait  plutôt  en //o/j^r/e 
Quant  aux  pays  héréditaires,  la  source  de  la  souveraineté  y 
résidant  dans  la  personne  seule  de  celui  qui  réjjnait,  il  n'avait 
aucun  compte  à  rendre  à  ses  sujets.  L'avènement  au  trôned'un 
prince  éclairé,  prêt  à  ne  vouloir  juger  les  hommes  que  selon 
leurs  mérites,  sans  égard  pour  les  prérogatives  nobiliaires,  ne 
devait  donc  signifier  autre  chose  que  le  commencement  d'une  ère 
nouvelle,  à  tous  les  points  de  vue  propice  aux  populations,  qui 
ne  pouvaient  d'ailleurs  qu  en  prendre  acte  avec  joie  et  recon- 
naissance, comme  elles  n'auraient  pu  que  silencieusement 
souffrir  si  ce  fût  le  moyen  âge  avec  tous  ses  ténèbres  que  Jo^vy^A 
eût  voulu  faire  renaître.  De  là  l'enthousiasme  que  soulève 
encore  aujourd  hui  le  souvenir  de  son  règne  au  sein  de  la 
bourgeoisie  autrichienne  pour  laquelle  sa  figure  est  devenue 
légendaire  dès  sa  mort.  (On  rencontre  la  gravure  qui  le  repré- 
sente labourant  derrière  la  charrue,  dans  tous  les  villages  des 
pays  héréditaires.) 

En  I/oïK/ric,  il  se  trouva  au  contraire  en  face  d'une  constitu- 
tion vermoulue  et  ne  répondant  nullement  aux  besoins  de 
l'époque  ,  mais  enracinée  dans  le  cœur  de  la  nation  et  à 
laquelle  la  noblesse  était  d'autant  plus  attachée  qu'elle  assurait 
en  dehors  de  ses  privilèges,  l'existence  elle-même  de  la  race 
magyare.  L'organisation  administrative,  confiée  à  des  fonc- 
tionnaires élus  par  cha(|ue  département(comitat),  l'état  pitoya- 
ble de  la  justice  civile  et  criminelle,  le  caractère  exclusivement 
confessionnel  des  établissements  scolaires  de  tout  rang,  l'hégé- 
monie (le  la  relijjion  catholique,  y  ont  créé  une  situation  regret- 
table, faite  pour  provoquer  la  plus  vive  répulsion  chez  une 
nature  d'élite  comme  celle  de  Joseph  II,  qui  ne  pouvait  voir 
dans   les  traditions    nationales    des   Mnrjyars   qu'un   héritage 


LIVRE   TROISIEME  319 

légué  par  les  temps  barbares,  dont  il  fallait  se  défaire  le  plus 
promptemeut  possible. 

Par  suite  de  sa  franchise  et  de  sa  droiture,  ses  dispositions 
délavorables  ne  tardèrent  pas  à  se  faire  jour.  Contrairement  à 
sa  constitution  et  ne  voulant  pas  prêter  serment  en  faveur  de 
la  conservation,  il  se  dispensa  de  se  faire  couronner  et  ne  vou- 
lant considérer  la  couronne  de  saint  Etienne  que  comme 
une  curiosité,  il  la  fit  transporter  à  Vienne  dans  le  trésor 
impérial.  Sans  s  assurer  le  concours  des  diètes,  qu'il  ne  con- 
voqua pas,  il  décréta  la  division  en  dix  districts  du  territoire 
de  la  Hongrie;  en  Transylvanie  il  en  créa  trois,  1  introduction 
de  la  langue  allemande  dans  l'administration  et  dans  la  jus- 
tice, illégalités  qu'il  racheta  par  la  publication  de  son  décret 
sur  la  tolérance  religieuse  (daté  du  25  octobre  1781)  grâce 
auquel  il  conquit  l'amour  de  ses  sujets  protestants.  Par  ses 
lettres  patentes  du  22  août  1785,  il  soulagea  les  misères  des 
serfs  alors  également  exploités  par  le  Trésor  et  les  seigneurs  en 
leur  accordant  le  droit  de  déplacement  et  la  libre  disposition 
en  fait  de  biens  mobiliers  :  "car  c'est  le  bien  public  et  le  droit 
naturel  qui  lexigent  "  . 

On  devinera  aisément  l'effet  que  cette  attitude  anticonsti- 
tutionnelle de  Joseph  II  a  dû  exercer  sur  l'imagination  des 
Roumains,  déjà  si  excitéspar  les  agaceries  significatives  et  citées 
plus  haut  de  la  cour  de  Vienne.  Dans  leur  ignorance  ils 
crovaient  que  les  actes  du  jdiilosophe  impérial  n'avaient  pour 
mobile  que  sa  haine  contre  la  noblesse  magyare,  objet  de  la 
leur  également,  et  que  cette  communauté  de  sentiments  leur 
procurerait  tôt  ou  tard  la  réalisation  de  leurs  rêves,  ou  plus 
exactement  l'assouvissement  de  leurs  appétits,  croyance  que 
certains  événements  se  déroulant  devant  leurs  yeux,  rendaient 
tout-à-fait  admissible. 

Parmi  ceux-ci  il  faut  citer  d'abord  les  deux  voyages  entrepris 
par  l'empereur  en  Transylvanie  soit  étant  seulement  héritier 
présomptif  (en  1773),  soit  comme  souverain  (en  1783). 
C'était  à  ce  moment  un  Saxon,  \eharon  Samuel  Bruckenthal,  qui 
y  occupait  le  siège  de  gouverneur.  Grand  protecteur  de  ses 
compatriotes,  il  introduisit  en   leur  faveur  des  modifications 


320  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTùlRE 
sensibles  dans  la  répartition  des  impôts  au  détriment  des  serfs 
roumains.  Elles  rendirent  la  situation  de  ceux-ci  h  peu  près 
intolérable  :  résultat  qu'il  imputait,  au  contraire,  dans  ses  rap- 
ports adressés  à  Joseph  II,  à  la  rapacité  de  la  noblesse  magyare. 
Corroborant  ses  opinions  préconçues,  ils  l'indisposèrent  com- 
plètement à  IC^jard  cotte  dernière. 

«  Sa  Majesté  ne  tenait  aucun  compte  ni  des  magnats  ni  des 
nobles  hongrois,  écrit  Michel  Ileidendorf,  le  15  committarius 
ma^istratualis  "  des  Saxons  dans  son  autobiographie (1)  tandis 
qu'elle  paraissait  avoir  la  plus  favorable  opinion  de  la  nation 
saxonne.  (Jnant  à  la  manière  d  agir  infiniment  gracieuse  du 
monar(|ue  envers  le  bas  peuple  (c'est-à-dire  les  Roumains), 
elle  la  littéralement  ébloui.  Sa  Majesté  reçut  1Î),000  requê- 
tes. »  A  propos  du  second  vovage  de  l'empereur,  voilà  ce  qu'on 
lit  dans  le  même  ouvrage  : 

Il  Les  pétitionnaires  de  toutes  classes,  de  tous  âgeset  de  toutes 
nations,  mais  principalement  des  Roumains,  se  plaçaient  en 
foule  à  la  porte  de  la  résidence  de  Sa  Majesté  en  apportant  des 
milliers  de  requêtes.  On  les  fit  entrer  chez  Sa  Majesté  sans 
difficulté.  Elle  n'avait  pour  garde  qu'un  soldat  du  régiment 
de  Gvnlai,  à  qui  l'on  avait  recommandé  de  ne  refuser  1  entrée 
à  personne.  De  cette  manière,  il  était  loisible  atout  le  monde, 
même  aux  paysans  de  la  plus  basse  extraction,  de  pénétrer 
dans  la  maison  jusqu'à  l'escalier  qui  conduisait  à  l'anticham- 
bre de  l'appartement  de  l'empereur.  Sa  Majesté  sortait  souvent 
dans  l'antichambre,  il  était  donc  très  facile  pour  chacun  d'obte- 
nir une  audience.  Les  affaires  moins  importantes  furent  orale- 
ment réglées;  ceux  qui  en  avaient  long  à  raconter.  Sa  Majesté 
les  fit  passer  dans  sa  chambre,  afin  qu'elle  puisse  les  écouter 
toutàson  aise.  L'escalier  étaitcomplètement  rempli  de  paysans; 
ils  plaçaient  leurs  requêtes  sur  la  marche  du  haut  et  l'empereur 
en  sortant  de  (juart  d'heure  en  quart  d'heure,  les  ramassait 
personnellement  sans  parler  aux  pétitionnaires  »  . 

En  quittant  le  pays  (le  G  juin)  voilà  quels  furent  les  adieux  de 

(1)  D'  Rudolf  Thkil,  Michael  Conrad  von  Ileidendorf.  Eine  Sclbstbio(jraphie. 
Archive,  des  Vereines  fur  siebotbûrgische  Landcs/aindc.  Neue  Folye,  vol.  XVI, 
fasc.  II,  p.  -VjO. 


LIVRE   TROISIÈME  321 

Joseph  II  adressés  aux  membres  du  «pubernium»  ,  aux  trésor- 
riers  et  aux  autorités  militaires  ;  i  Adieu  Messieurs.  Rempbs- 
sez  vos  devoirs  cousciensieusement  et  cessez  toute  espèce  de 
chicanes.  "  D'ailleurs,  la  situation  de  la  Transylvanie  l'avait 
tellement  déf;oùté  qu'il  fit  publier  à  Nagy-Szeben  même  un 
document  décrétant  la  suppression  du  servage,  attendu  qu'en 
Transylvanie  on  se  servait  encore  des  abus  anciens,  diri- 
gés contre  la  liberté  individuelle.  xVussi  permit-il  dorénavant 
à  quiconque  de  se  marier,  d'entrer  en  apprentissage  ou  de 
s'embaucher  selon  son  désir  et  sans  payer  la  moindre  taxe.  Or 
ce  ne  lut  pas  en  HoiKjrie  ni  en  Transylvanie  qu'on  pouvait  inter- 
dire aux  serfs  le  mariage  ou  le  choix  du  métier,  mais  dans  les 
pays  héréditaires.  11  était  donc  très  aisé  pour  la  chancellerie 
transylvanienne  de  relever  ces  erreurs  dans  ses  réponses  datées 
du  18  juin  et  du  2(3  juillet  en  remarquant  respectueusement 
qu'il  est  impossible  de  comparer  la  situation  des  serfs  autri- 
chiens à  celle  beaucoup  plus  douce  des  serfs  transylvaniens. 
Cette  réfutation  spirituelle  et  conforme  à  la  vérité  mit  l'empe- 
reur tellement  en  fureur  qu  il  y  fit  répandre  par  une  semonce 
violente,  en  recommandant  d'accepter  ses  principes  et  de  ne  pas 
considérer  ses  ordres  commesdes  accusations  contre  lesquelles 
on  se  rebiffe  de  toute  sa  force  ahn  de  pouvoir  embellir  toute 
chose  (I). 

Entre  temps,  Joseph  II  fit  procéder  au  dénombrement  de  la 
population  de  toute  la  monarchie.  C'était  une  mesure  adminis- 
trative très  simple  mais  ayant  un  caractère  égalitaire,  qui  pou- 
vait d'aulant  moins  plaire  à  la  noblesse  qu'il  semblait  faire  sup- 
poser l'intention  de  l'imposer  et  de  la  contraindre  avec  le 
temps  à  la  conscription.  En  Transylvanie,  les  paysans  roumains 
l'expliquaient  du  moins  ainsi  et  ils  le  considéraient  comme  une 
faveur  spéciale  de  l'empereur,  pléludant  par  là  à  la  suppres- 
sion totale  de  la  noblesse.  Et  comme  ils  estimaient  que  le  pre- 
mier était  leur  puissant  et  dévoué  protecteur  et  la  seconde 
leur  acharnée  persécutrice  séculaire,  ils  espéraient  qu'il  allait 
éclater  entre  eux  au  plus  bref  délai  un  conflit  dans   lequel 

(1)    Mmczvn     Hrnuik,    Magyavorszâg     tuitéiiele    II    J6zs<f  korâban,     1888, 
vol.  III,  p.  21. 

21 


322        MAGYAKS    ET    ROUMAINS    DEVAINT    L'HISTOIRE 

ils  se  proniettaicnl  tout  naturellement  de  prendre  parti  pour 
Joseph  II. 

Leur  erreur  ne  pouvait  que  s'au^^menter  par  la  publication 
du  décret  impérial  du  M  janvier  1784  ordonnant,  en  ffuise 
d'essai,  1  incorporation  facultative  dans  les  Confins  tuiUioirrs 
des  communes  limitrophes,  dont  on  confierait  le  dénombre- 
ment supplémentaire  cette  lois  à  l'administration  militaire. 
Porté  à  la  connaissance  de  la  population  à  Gj  nhife/icrràr,  le 
±2  mai  suivant,  il  émut  les  HniiDialns  au  plus  haut  degré.  Ce 
lurent  les  habitants  du  viHage  de  llciciic  qui  se  firent  inscrire 
d'abord  ;  leur  exemple  entraîna  en  quatre  semaines  ceux  de  qua- 
tre-vingt-et-u?ie  communes  voisines.  Pendant  le  travail  qu'un 
tel  emj)res8ement  imposa  à  l'administration,  on  eut  recours  au 
dévouement  i\es  popes  auxquels  on  envoya  des  feuilles  pour 
les  renq)lir.  Ce  simple  fait  leur  donnait  une  telle  importance 
à  leurs  propres  yeux  qu'ils  y  voyaient  un  encouragement 
à  l'excitation  de  leurs  ouailles.  Ils  les  exhortaient  à  se  faire 
inscrire  en  leur  promettant  non  seulement  l'abolition  du  ser- 
vage, mais  la  possession  des  terrains  que  les  seigneurs  leur 
avaient  confiés  ;  et  ces  exhortations  ne  manquaient  j)as  de 
porter  leurs  fruits  :  après  s'être  fait  inscrire,  les  Ronnidins 
s'efforçaient  de  se  soustraire  à  la  corvée  et  ne  se  gênaient  pas 
pour  proférer  des  menaces  de  mort  à  l'adresse  des  seigneurs. 
"  Après  la  Saint-Michel,  on  nous  distribuera  des  armes,  disait 
le  nommé  .///o//  Luptis^  paysan  de  .S':(^//i(//»^/.v,  et  alors  nous  ne  tra- 
vaillerons plus  un  seul  jour,  mais  nous  trancherons  la  tète  aux 
Magyars  comme  si  c'étaient  des  carottes!  » 

Par  suite  de  cette  effervescence,  il  y  eut  des  excès  regrettaoles 
en  plusieurs  endroits.  On  tua  le  noble  Natidra  i\  Klcpoiiva  ;  on 
assassina  le  sous-préfet  (szolga  bini  Ilcnza  dans  son  lit,  pen- 
dant qu  il  faisait  sa  tournée  officielle.  Ayant  traversé  la  fron- 
tière hongroise,  le  mouvement  s'étendit  dans  le  département 
hongrois  d'J/v/»^/ également.  De  nombreuses  bandes  de  paysans 
roumains  s'y  formaient  pour  piller  et  rapiner  et  l'une  d'elles 
eut  même  l'audace  d'enlever  le  vice-préfet  Forray  de  son  châ- 
teau de  Sohnrsin  (le  27  juillet  1784)  et  de  le  conduire  dans  les 
montagnes  d  où  il  ne  put  revenir  qu'après  avoir  signé  un  do- 


LIVRE   TROISIÈME  323 

cument  promettant  à  ses  ravisseurs  la  rémission  complète  de 
leurs  délits  ou  crimes  antérieurs.  D'ailleurs,  le  brigandage  prit 
à  ce-moment  lu  de  telles  proportions  dans  le  département  voi- 
sin de  Zarànd  aussi,  qu'on  lut  obligé  de  s'en  plaindre  en  haut 
lieu.  L'empereur,  quoique  d'ordinaire  peu  tendre  pour  les 
municipes  départementaux  se  montra  cette  fois  à  tel  point 
ému  parleurs  rapports  qu'il  fit  mettre  à  prix  la  tête  des  bandits, 
qu'ils  soient  capturés  vivants  ou  morts. 

Étant  prévenu  par  les  préfets  de  cette  fermentation  de  la 
population  roumaine,  le  ^  gubernium  »  n'hésita  pas  longtemps 
à  en  faire  des  remontrances  au  baron  Preiss,  le  gouverneur 
militaire  d'alors,  en  lui  faisant  remarquer  particulièrement 
qu'il  n'avait  pas  été  averti  par  l'autorité  militaire  du  dénom- 
brement effectué.  Quoique  se  confondant  en  excuses,  le  soldat 
courtisan,  très  bien  renseigné  au  sujet  des  sentiments  hostiles 
de  Joseph  II  à  l'égard  de  la  constitution  et  de  l'administration 
hongroises  ,  ne  continua  pas  moins  d'entretenir  dans  le  corps 
des  officiers  une  aversion  peu  déguisée  pour  les  institutions 
du  pays  en  général  et  surtout  pour  leur  soutien  principal,  la 
noblesse  hongroise.  D'ailleurs,  ne  faisant  pas  de  mystère  de  l'ini- 
mitié dans  hiquôlle  il  vivait  avec  le  baron  Brackenihal,  les  fau- 
teurs de  désordre  purent  facilement  croire  que,  vu  toutes  ces 
conjonctures,  les  temps  étaient  accomplis  et  qu'à  ce  moment 
tenter  l'aventure  d'un  soulèvement  n'était  pas  une  absurdité.; 
Voici  les  circonstances  et  les  personnages  qui  contribuèrent 
particulièrement  à  sa  préparation. 

Sur  le  territoire  du  domaine  de  Zalaihna  appartenant  au 
Trésor,  ce  fut  wwq  taxe  fixe  mais  minime  qui  constitua  l'unique; 
charge  de  la  population  exclusivement  roumaine  depuis  la 
répression  de  la  révolte  de  Râkôcz)  .  Elle  a  été  presque  triplée 
en  1775  et  subit  trois  ans  plus  tard  une  augmentation  indirecte 
considérable  par  l'introduction  d'un  droit  perçu  sur  la  vente 
du  vin  i  dolgosia  .  De  là  la  plainte  des  habitants  de  plusieurs  vil- 
lages adressée  au  n  gubernium  « ,  et  procès  intenté  par  l'admi- 
nistration domaniale  contre  les  plaignants  devant  le  tribunal 
seigneurial  qui  les  condamna  assez  sévèrement  pour  leur  atti- 
tude  inconvenante  et  leur  pérégrination  jugée  inutile  à  iVr/y)- 


32V        .MAGYAHS    ET    ROUMAINS    DEVAÎNT    T/HISTOlllE 

Szchru.  Aloi!?  ils  en  appelèrent  à  la  ciiancellerie  de  Vùnme  en 
lui  envoyant  deux  pétitions  en  I779ct  I7H0,  contenant  rénu- 
mération de  leurs  yriefs  contre  l'administration  du  domaine. 
Si  1  on  sait  que  ce  furent  ISicolas  Urs,  alias  I/oxiel  Jtum  K/os/,ii, 
qui  portèrent  ces  suppliques  dans  la  capitale  impériale,  on  ne 
connaît  pas  les  raisons  cpii  les  désignèrent  à  la  confiance  de 
leurs  niandalairos.  Kn  ton!  cas,  ces  missions  les  mirent  en  évi- 
dence et  les  rendirent  [)0[)ulnires  parmi  les  liomiKiiiis,  malgré 
le  peu  de  succès  de  leurs  voyages  réitérés. 

Kn  17S2,  il  se  produisit  un  nouvel  incident  qui  envenima 
les  relations  déjà  très  tendues  entre  les  administrateurs  du 
domaine  royal  et  les  paysans  roumains.  L'année  précédente, 
on  avait  alfermé  l'impôt  sur  la  vente  des  boissons  à  deux  Arnic- 
///cy/.y  nommés  Iiosii)('i/>  et  Painihùii  qui,  pour  rentrer  dans  le 
prix  du  fermage,  ne  reculèrent  devant  aucun  moyen  de  coer- 
cition contre  les  fraudeurs  et  les  contrebandiers.  Ils  perçu- 
rent des  droits  même  pour  le  vin  envoyé  en  cadeau  aux  popes 
pour  la  sainte  communion. 

Le  ressentiment  que  les/»o//y/*^////.s  pratiquants  éprouvèrent  au 
sujet  de  cet  acte  considéré  comme  sacrilège,  n'attendait  qu'une 
occasion  poui'  éclater  au  grand  jour  en  voies  de  fait.  Elle  se 
présenta  au  marclié  de  Toixiiifalra  où  lesdits  Aniién/eiis  confis- 
quèrent tout  le  vin  débité  cbez  l'iialjitant  conformément  à  un 
antique  et  traditionnel  privilège  du  pays.  Exaspérés  par  tant  de 
rapacité  et  convaincus  de  leur  bon  droit,  les  gens  de  la  contrée 
s'insurgent  et  défoncent  les  fûts  de  vin  amenés  par  les  fermiers 
(pu  n'ont  (|U('  le  temps  de  se  iéfugier  chez  l'administrateur  en 
clief. 

De  tels  événements  méritaient  à  eux-seuls  l'intervention  de 
la  justice;  le  refus  de  payer  le  fermage  et  la  fuite  des  Aîihl'- 
iiicns  les  aggravèrent  encore  considérablement  aux  yeux  de 
celle-ci.  Aussi  frappa-t-elle  les  coupables  avec  sévérité  par  l'or- 
gane du  tribimal  seigneurial  de  ZalaihiKi  siégeant  pendant  le 
printemps  de  1783  et  attirant  le  courroux  des  Rounuiins  sur 
ses  membres  recrutés  parmi  les  nobles  hongrois  du  voisinage, 
(pioi(|ue  les  faits  se  soient  passés  sur  un  domaine  royal  et  que 
les  fermiers  aient  été  des  étrangers.  Dans    le  jugement,  il  est 


MVr.E   TROISIÈME  325 

plusieurs  fois   question  du    «  Famosus   seductor  »    Hora  ainsi 
que  de  ses  parents  les  deux  Nicolrt,  contumaces. 

Le  premier  était  déjà  de  nouveau  à  Vininc  en  compagnie 
de  Klosha  pour  porter  de  la  part  de  leurs  anciens  mandants 
une  nouvelle  requête  remplie  d'accusations  contre  les  admi- 
nistrateurs de  Zdldiliiiii .  Elle  fut  discutée  le  7  juin,  en 
conseil  secret  à  la  suite  duquel  l'empereur  enjoignit  au 
(;  gubernium  ■  de  suspendre  l'exécution  du  jugement  rendu 
jusqu'à  l'arrivée  de  ses  décisions  ultérieures  et  de  ne  pas  in- 
quiéter les  porteurs  de  la  requête. 

Ces  manifestations  des  sentiments  élevés  de  Josoj)li  //accru- 
rent singulièrement  le  prestige  de  Ilara .  Four  arracher  des  con- 
cessions nouvelles  à  l'empereur,  il  retourna  à  Vienne  une 
quatrième  lois  en  décembre  1783.  Mais  il  n'a  été  reçu  en  au- 
dience que  le  l*^""  avril  suivant,  car  Joseph  avait  passé  l'hiver  à 
Rome. 

«  A  la  fin  de  l'audience,  écrit  le  comte  Dominique  Teteki 
aîné  (l),  après  avoir  énuméré  ses  griefs  contre  les  fermiers 
arméniens,  Hora  supplia  l'empereur  de  délivrer  les  Roumains 
de  la  donnnation  des  Magyars  et  de  la  servitude,  en  ajoutant 
que  s'il  tardait  d'accomplir  cet  acte  de  clémence,  il  se  pourrait 
que  les  premiers  se  soulèvent  et  se  rendent  libres  eux-mêmes 
au  prix  d'une  calamité  publique.  Ayant  reçu  de  Joseph  en 
réponse  les  mots  terribles  «  Faites  cela  i5  (Thut  Ihr  das)  Hora 
se  jeta  à  ses  pieds  en  signe  de  reconnaissance.  Uibiczei  raconte 
cet  événement  d'ime  importance  capitale  dans  sa  lettre  citée 
plus  bas  en  ajoutant  (|u'il  le  tenait  de  Solder,  juge  militaire  au 
régiment  de  Charles  prince  de  Toscane,  qui  était  également  à 
l'audience  impériale  et  qui  mourut  à  Zalathna  étant  son  ami. 
Beaucoup  de  personnes  crurent  à  la  véracité  de  ce  récit.  » 

D'autre  part  voilà  la  déposition  d'un  pavsan  du  département 
de  Hunyad,  faite  plus  tard  devant  les  commissaires  royaux. 

«  L'empereur  Joseph  s  étant  plaint  une  fois  à  Hora  de  la 
désobéissance  prolongée  de  la  noblesse  hongroise,  celui-ci  lui 
aurait    répondu  que  si    l'empereur  lui  confiait  les  paysans,  il 

(1)  A  Hora-tâniadâs  torténete.  l'est.   1865,  p.  8. 


326        MAGYARS    ET    IIOUMAIÎSS    DEVAiNT    T/HISTOIBE 
rendrait  les  nobles  hongrois  obéissants,  ou  les  exterminerait. 
Alors  l'empereur  lui  fit  cadeau  d'une  croix  en  or.  » 

Il  serait  outrageant  pour  la  mémoire  du  philosophe  impé- 
rial de  vouloir  réfuter  Tinanité  et  l'invraisemblance  de  ces 
racontars.  H  faudrait  être  un  Nth-on  pour  parler  et  agir  ainsi. 
En  réalité,  il  a  dû  se  passer  là  un  de  ces  malentendus  qui  en- 
sanglantèrent plus  d'une  fois  les  pages  de  l'histoire.  Mii  par  sa 
philanthropie  et  par  sa  magnanimité,  Joseph  II  écouta  certes 
avec  bienveillance  les  |)laintes  d'un  malheureux  et  inculte 
linioudiii  dont  le  parler  allemand  ne  pouvait  être  ni  clair  ni 
compréhensible;  mais  de  là  à  un  encouragement  pareil  il  y  a 
un  monde,  impossible  à  franchir  à  une  àme  avide  de  progrès 
et  de  lumière.  Quant  au  don  d'un  bijou  et  surtout  d'une  croix, 
il  ne  rime  ni  avec  le  cérémonial  en  usage  à  la  cour  impériale 
ni  avec  les  habitudes  personnelles  de  ^o.svyy//.  Ce  sont  des  inven- 
tions de  //oi-(i  ayant  eu  vent  de  l'anlmoslté  théorique  de  l'empe- 
reur contre  les  institutions  hongroises  médiévales,  et  enivré  du 
bonheur  d'un  entretien  avec  l'empereur,  qui  lui  donnait  une 
valeur  incommensurable  aux  yeux  de  ses  compatriotes  rou- 
mains et  qu'il  pouvait  raconter  selon  les  besoins  de  sa  cause, 
approprié  aux  sentiments  et  à  l'intelligence  de  ses  interlocu- 
teurs. 

L'audience  en  question  eut  cependant  un  résultat  important 
et  irrécusable  :  /loin  reçut  le  l:i  avril  un  rescrit  de  la  chancelle- 
rie, adressé  nu  "  gubernium  »  ,  dans  lequel  celui-ci  est  exhorté 
d'attendre  les  résolutions  de  Sa  Majesté,  de  défendre  les  péti- 
tionnaires contre  l'adrainistratlon  domaniale  et  départemen- 
tale. Ayant  été  chargé  d'une  commission  aussi  honorable,  Jlora 
rentra  dans  les  communes  de  ses  mandants  en  triomphateur. 
Ce  fut  cependant  KIoslai  qui  porta  le  pli  à  Szehcnchex  le  gouver- 
neur. Celui-ci  les  renvoya  dans  leurs  foyers  ainsi  que  le  préfet 
du  département  cVA/so-Fr/n'i\  S'étant  adressés  finalement  au 
gouverneur  militaire,  ce  fut  la  même  réponse  qu  ils  obtinrent 
de  lui  aussi,  car  le  rescrit  ne  contenait  rien  de  déterminé. 

Devant  cette  indifférence  inattendue  des  autorités  Ilora  se 
résolut  à  l'actloM.  D'abord  11  parcourutles  villages  en  compagnie 
de  ses  amis  l\/os/,a  et  Krijan  ;  ensuite  il  fit  convoquer  par  le  pre- 

\ 


LIVIÎE   TROïSIKME  32T 

mier  une  réunion  à  Mrszta/ion  pour  le  31  octobre.  Là  il  ne 
parut  pas  sous  prétexte  de  maladie  et  ce  fut  Krijan  qui  y 
montra  à  la  foule  sa  croix  et  la  lettre  impériale.  Elle  contenait 
selon  le  dire  de  Krijan  un  ordre  de  Fempereur,  conformément 
à  quel  ordre  il  fallait  aller  incontinent  à  Gytdajehérvàr  pour 
y  être  armé  et  enrôlé  dans  les  régiments  fournis  par  les  Confins 
niiliittires.  Les  Boumains,  au  nombre  d'environ  six  cents  hom- 
mes, se  mirent  immédiatement  en  marche  et,  ayant  été  bénis 
parle  pope  de  Meszinhon^  se  dirigèrent  non  pas  à  /if/v/^/,  endroit 
habité  par  des  Magyars  et  par  où  menait  le  chemin  direct, 
mais  vers  Knietj-,  un  village  roumain.  Là  ils  rencontrèrent  deux 
juges  de  paix  accompagnés  de  deux  pandours  (gendarmes)  char- 
gés de  l'arrestation  de  Ki/Jan  par  le  sous-préfet  prévenu  du  mou- 
vement des  paysans.  N'ayant  pas  pu  s  emparer  promptement 
du  chef  de  ces  derniers  les  quatre  représentants  de  l'autorité 
périrent  misérablement  sous  les  coups  de  massues  et  de  piques 
desémeutiers  fl"  novembre  1784). 

.1  posteriori  il  faut  considérer  ce  quadruple  meurtre  comme 
Un  bienfait  de  la  Providence,  car  en  précipitant  les  événements 
il  fit  avorter  une  Saint-Barthélémy  des  Magyars,  fixée  pour  le 
:24  mai  suivant  par  les  acolytes  de  fJorn.  Après  l'incident  san- 
glant de  Knrrty  au  contraire  la  temporisation  devenait  pour 
eux  impossible  :  il  fallait  qu'ils  parcourent  d'un  bout  à  l'autre 
le  dangereux  chemin  de  la  révolte.  Krijan  l'indiqua  sur  le  lieu 
du  meurtre  lui-même  en  rassemblant  ses  hommes  autour  de  la 
croix  en  bois  qui  se  trouvait  devant  l'église,  et  en  déclarant 
que,  vu  les  agissements  des  nobles,  qui  ne  veulent  pas  per- 
mettre leur  enrôlement  volontaire  dans  l'armée,  il  faut  tout 
simplement  les  exterminer.  D'ailleurs  ils  n'avaient  rien  à 
craindre,  car  Hoia  reçut  personnellement  un  ordre  de  l'empe- 
reur lui  confiant  l'extermination  des  nobles  et  la  confiscation 
de  leurs  biens. 

La  jactjuerie  commença  dès  le  lendemain  à  Kiisiyor  où  l'on 
fit  périr  17  nobles  en  mettant  leurs  habitations  au  pillage.  Les 
femmes  et  les  enfants  furent  épargnés  mais  le  pope  les  rebap- 
tisa selon  le  rite  orthodoxe.  Quant  à  la  demoiselle  Apollonie  de 
Pakot,  on  la  donna  pour  femme  à  un  jeune  serf.  Ces  atrocités 


328  MAGYARS  KT  ROUMAINS  DEVAINT  T. 'HISTOIRE 
recommencèrent  à  Brad,  à  Mi/u'/t'ny  et  à  Bilnczc,  avec  cette 
variante  que  les  Houviaijis  y  firent  décapiter  j)lusieurs  per- 
sonnnes  par  un  Tsùjant'.  Au  couvent  de  Korôslx'niyti,  ils  souil- 
lèrent léjjlise  catholique  et  dans  son  voisinage  un  temple  pro- 
testant. A  Liinkoi  on  dévasta  le  château  du  comte  G)  niai 
après  avoir  tué  le  réjjisseur. 

Le  i  no\embre  ce  lui  le  tour  du  département  de  llint\(i(l 
de  recevoir  la  visite  sinistre  de  la  troupe  de  Krijan.  Elle  y  tua 
i;i:i  personnes  et  détruisit  :232  propriétés  appartenant  à  la 
noblesse.  Les  meurtres  y  furent  moins  nombreux  parce  qu'on 
veut  déjà  le  lem|)s  de  se  sauver  soit  à  \'ii/(/ti-//itin  <uj^  soit  à 
Déi'd.  C'était  dési{;ner  ces  deux  villes  à  la  fureur  des  émeutiers. 
Ils  se  présentèrent  devant  la  dernière  dès  le  (J  novembre,  mais 
ils  ne  l'attaquèrent  que  le  jour  suivant. 

Trois  (-ents  soldats  en  grande  |)artie  de  nationalité  roumaine, 
(■on)j)osaient  alors  la  garnison  du  tort  de  V>/'/7/  sous  le  comman- 
dement d  un  lieutenant  allemand,  nomme'"  Pfciffcy.  Pour 
repousser  la  colonne  d  attaque,  formée  de  800  hommes,  celui- 
ci  envoya  soixante  dix  lantassins  et  1\  hussards  auxquels  se 
joignirent  vingt  deux  cavaliers  nobles.  Les  liomntmis,  mal 
armés  et  indiscq)linés  ne  pment  pas  résister  au  choc  de 
<;ette  poignée  de  braves  :  ils  se  débandèrent  en  laissant 
''2  morts  et  44  prisonniers.  Le  lieutenant  colonel  Kar/j  en  fit 
il  de  son  côt(''  quand  il  surprit  les  pillard?  du  château  de 
lii'iKzciKz,  appartenant  au  baron  Orhim.  Sur  la  totalité  de  ces 
85  j)risonniers  conduits  devant  le  tribunal  du  département  de 
llunydd  on  en  condamna  à  mort  5(>  qui  turent  immédiatement 
exécutés,  en  se  basant  sur  les  disj)Ositions  d'un  rescrit  impé- 
rial, daté  du  I G  septembre  précédent,  dans  lequel  Joscp/i 
ordonne  la  condamnation  et  l'exécution  immédiate  d  un 
certain  Salis,  accusé  de  i"aii"e  de  la  propagande  en  faveur  de 
rémi;;ration  des  lioinntiins    1). 

//o?v/  ne  se  mit  à  la  tête  des  émeutiers  personnellement  que 

1)  il  s';^)|)(>liiil  en  rr:illt('  Cfi ristian  llcrtoij,  mais  il  .-^'était  ^ilfiiblé  du  nom  de 
Salis  (le  Salffld.  iMusicnrs  Ronin.iins  aftirmaient  l'avoir  vu  souvent  en  conipa- 
jjnic  de  Hora  près  de  qui  il  paraissait  jouer  le  rôle  d'un  conseiller  et  dont  tout  à 
coup  on  n'entendit  plus  parler.  Mais  l'instruction  n'a  fourni  aucun  indice  pour 
étal)lir  une  connexion  entre  lui  et  les  affaires  de  Ilora  ou  la  révolte  des   paysans. 


T.IVUE   TROISIEME  329 

le  4  novembre  à  Blaz-si'iiy,  en  leur  faisant  jurer  qu'ils  lui  obéi- 
raient fidèlement,  selon  l'ordre  de  1  empereur,  et  qu'ils  exter- 
mineraient les  M(((/y(irs,  s'ils  se  refusaient  de  se  convertir  à  la 
religion  orthodoxe.  Jl  annonça  également,  que  tout  Hottniain 
réfractaire  à  ses  ordres  serait  empalé.  D'ailleurs  il  n'v  avait 
aucun  dangei"  à  courir,  car  ayant  reçu  de  l'empereur  une  croix 
en  or,  Iloid  n'avait  qu'à  la  montrer  pour  désarmer  et  arrêter 
les  troupes  impériales. 

Fomentée  par  des  discours  semblables,  l'insurrection  s'éten- 
dit dans  les  départements  (ÏAlso-Fehér  et  à  Arad.  Les  excès 
qu'elle  y  commit  étaient  semblables  à  ceux  dont  elle  s  était 
rendue  coupable  en  Zarand  et  llmiyad  :  incendier,  saccager, 
|)iller  les  propriétés,  assassiner  et  violenter  les  personnes. 
«  Hungarico  sanguine  natus  crimen  erat»  ,  s'écrie  Châties  Eder 
dans  son  poëme  latin! 

En  apprenant  la  nouvelle  de  ces  événements  terrifiants  le 
"  gubernium  »  et  le  gouverneur  se  laissèrent  aller  i\  un  décou- 
ragenient  indescriptible.  «  Je  suis  perdu  de  tonte  façon,  disait 
continuellement  le  baron  Pieiss,  car  si  je  me  comporte  avec 
sévérité  à  l'égard  des  paysans,  remj)ereur  me  reprochera  de 
n'avoir  pas  ménagé  la  vie  de  ses  sujets,  et  si  je  n'agis  pas,  j  ag- 
grave la  situation  et  ce  sera  encore  moi  que  l'on  rendra  respon- 
sable de  cette  aggravation  !  '^  Paroles  profondes  qui  expliquent 
complètement  l'attitude  suspecte  de  la  force  armée  en  face  de 
I  insurrection.  Le  corps  des  officiers  connaissait  pertinemment 
la  manière  de  voir  de  l'empereur  au  sujet  des  institutions  de 
la  Ilongiic;  il  crovait  donc  que  rester  neutre  dans  un  conflit 
provoqué  par  la  soi-disant  oppression  barbare  de  la  noblesse 
hongroise  ne  j)ouvait  que  le  faire  bien  venir  aux  yeux  du  sou- 
verain philosophe.  Du  reste,  il  était  informé  de  l'existence  d'un 
ordre  formel  du  conseil  de  guerre  aulique  suprême  interdisant 
au  gouverneur  militaire  de  prêter  main-forte  au  «gubernium" 
sans  la  permission  expresse  dudit  conseil.  Or  elle  ne  pouvait 
être  obtenue  de  Vienne  qu'au  bout  de  18  à  iiO  jours,  vu  les  dis- 
tances et  l'insuffisance  des  moyens  de  communication.  Il  fallait 
conséquemment  louvoyer,  gagner  du  temps,  ne  pas  se  compro- 
mettre ni  devant  l'empereur  ni  devant  l'opinion  publique  pen- 


330         MAGYAHS    Kl     IIOUMAIISS    DEVANT    I.HISTOIUK 

dant  toute  cette  période  :  difficulté  que  la  mésintelligence, 
dans  laquelle  vivaient  le  Baron  linickcni/Kil  elle  baron  Preiss, 
proches  voisins  et  ne  communiquant  ensemble  que  par  écrit, 
devait  considérablement  accroître  encore. 

Pour  apaiser  le  mouvement  par  des  moyens  pacifiques,  le 
«  gubernium  "  nonnna  le  frère  cadet  dn  gouverneur,  Midid de 
Brucheittlial,  commissaire  dn  gouvernement,  en  lui  donnant 
des  instructions  très  conciliantes  dans  lesquelles  les  instiga- 
teurs du  mouvement  étaient  seuls  abandonnés  à  la  rigueur  de 
la  loi.  Sa  tàclic  principale  consistai!  dans  la  divulgation  de 
cette  vérité,  à  lacjuelle  les  Hoiomiiiis  ne  voulaient  croire  à 
aucun  j>rix  et  dont  ils  ein|)écbaient  même  le  plus  sou\cnt  la 
publication,  que  l'empereur  fût  hostile  au  mouvement  insurrec- 
tionnel. F.n  luéme  temps  on  invita  l'évéque  orthodoxe  (ji'-drtm 
J\f/,///( s  à  accej)ter  une  mission  semblable,  pensant  (ju'il  pèse- 
rait plus  efficacement  sur  le  clergé  grec  oriental,  fortemenl 
compromis  dans  le  mouvement,  qu'un  laïque  n'appartenant 
pas  à  la  religion  des  lloumains.  L'exemple  de  Ni/,i/ics  entraîna 
ses  collègues  d'J/v/r/  et  de  Versccz,  ainsi  que  l'évéque  uni  de 
l'Kilàzsfdhui ^  Jean  /loh. 

De>  dispositions  palliatives  furent  prises  par  le  «  guber- 
nium 1)  au  sujet  des  llo/ainiùis  prisonniers  également,  afin  (|ue 
leur  exécution  en  masse,  telle  qu'on  l'a  comprise  à  Drra.  ne 
puisse  se  reproduire  une  autre  fois.  Par  une  ordonnance  datée 
dn  15  novendjre,  le  gouverneur  enjoignit  aux  autiuités  de 
faire  trois  catégories  ])armi  les  gens  pris  les  armes  à  la  main 
ou  en  fingrant  délit  de  pillage  ou  de  vol  :  la  première  com- 
prendra les  agitateurs  tant  agressifs  que  ceux  se  tenant  sur  la 
défensive  que  l'on  mettra  en  prison;  la  seconde  réunissant  les 
individus  qui  s'étaient  laissés  entraîner  à  mal  faire  par  les  dis- 
coui's  des  précédents,  c|ue  Ion  punira  avec  des  correc- 
tions corporelles;  la  troisième  enfin  formée  par  les  ivrognes 
et  les  naïfs  (jue  l'on  renverra  simplement  chez  eux  en  leur 
recommandant  de  rester  trancjuilles  et  soumis  à  leurs  sei- 
gneurs. 

La  conduite  des  chefs  militaires,  tels  que  du  lieutenant- 
colonel  Schuliz  et  du  lieutenant  Prohsi,   placés   à    la  tète    de 


LIVRE    TROISIEME  331 

petits  détachements  et  parcourant  le  pays  pour  quérir  des 
nouvelles,  était  aussi  pacifique  mais  en  même  temps  plus 
diplomatique.  Grâce  aux  véritables  négociations  qu'ils  enta- 
mèrent avec  les  insurgés,  notamment  à  Tihor,  ils  réus- 
sirent à  obtenir  une  espèce  de  trêve  de  dix  jours  permettant 
d'attendre  les  ordres  de  1  empereur  et  l'arrivée  des  renforts. 
C'était  également  la  seule  manière  pour  se  rendre  compte  du 
but  que  les  Ihmmains  s'étaient  proposés  en  s'insurgeant.  Ils 
voulaient  tout  simplement  l'abolition  du  servage,  leur  enrôle- 
ment dans  l'armée  avec  la  clause  toutefois  que  l'on  éloigne  les 
seigneurs  magyars  et  que  l'on  supprime  l'administration  dépar- 
tementale hongroise  en  remplaçant  les  uns  par  des  seigneurs 
allemands  et  l'autre  par  une  administration  allemande. 

Dans  ces  négociations  Hdvu  figure  comme  chef  incontesté 
que  les  lioiimdins  ne  veulent  pas  laisser  arrêter  et  dont  ils  par- 
lent comme  de  leur  «  capitaine  "  .  Il  y  déploie  beaucoup  de 
ruse  —  car  il  essaie  d'établir  une  distinction  entre  l'autorité 
impériale  et  constitutionnelle,  comme  entre  les  seigneurs 
allemands  et  magyars,  pour  se  faire  bien  venir  auprès  des 
officiers  de  nationalité  allemande.  Mais  il  se  montre  lâche  et 
dupe  de  ses  propres  artifices,  car  il  croit  qu'à  cause  de  sa 
haine  contre  la  noblesse  magyare,  on  lui  pardonnera  ses  crimes 
de  droit  commun. 

Cette  dernière  ne  se  laissa  pas  démonter  cependant  par  le 
danger  croissant  et  les  hésitations  du  «  gubernium  »  et  de 
l'armée.  Elle  se  prépara  courageusement  à  la  défense  de  son 
existence  et  de  son  avoir  en  se  groupant  autour  des  siens  ayant 
appartenu  h  l'armée  impériale.  Bien  organisée  et  bien  équipée, 
elle  pouvait  accepter  aisément  la  lutte  avec  les  masses  indis- 
ciplinées et  mal  armées  des  troupes  de  llnm.  Ce  mouvement 
de  la  noblesse  se  répandit  du  département  de  ILinj ad  dans 
presque  tous  les  autres  départements  de  la  Tiutiisylvanie  et 
même  dans  plusieurs  de  la  Hongrie.  C'était  certes  principa- 
lement pour  se  défendre  contre  les  Roumains  révoltés,  mais 
c'était  en  même  temps  une  manière  indirecte  de  faire  face 
en  rangs  serrés  au  germanisme  et  à  l'absolutisme  envahis- 
sants. 


3:32         .MAC,  Y  AT.  s    Kl     ROUMAINS    DEVAINT    Î/IIISTOIHE 

Ce  fui  le  12  noveinl)re  que  J()scj)}i  //eut  les  premières  nou- 
A'elles  concernnut  le  soulèvement  tle  Hovn  et  de  Klosl.a,  par 
l'entremise  du  chaïu^elier  comte  Ksiciliàzy .  Sous  le  coup  de  la 
première  émotion  et  indignation  ses  ordres  sont  sulïisamment 
draconiens.  «  La  révolte  aussi  exaspérante  que  triste  et  dan- 
.'jereuse  des  pavsans  roumains,  ainsi  que  les  atrocités  et  les 
pillaf;es  qu'ils  ont  commis,  exigent  une  répression  sérieuse 
et  prompte.  L'attenlion  d'une  administiation  bien  or^janisée 
doit  se  dirijjer  principalement  sur  la  conservation  de  la  sécu- 
rité publique  tant  à  Téfjard  de  la  vie  des  sujets  qu'à  l'égard  de 
leur  lortune.  Comme  elle  a  ét('' ignominieusement  outragée. .. 
et  comme  la  piocédure  maitiale  fait  dans  ces  cas-là  le  plus 
d'impression,  on  doil  adjoindre  aux  troupes  des  membres  de 
l'adminislialion  départementale,  afin  qu  ils  puissent  pacifier 
les  révoltés  en  les  exhortant  au  repentir  dans  leur  propre  lan- 
gue et  afin  qu'il  soit  ])ossible  de  former  un  tribunal  pour  juger 
sommairement  les  récalcitrants  et  au  besoin  les  condamner 
en  les  faisant  exécuter  immédiatement  sur  les  lieux  par  des 
bourreaux  qui  se  trouvent  sous  la  main.  H  est  bien  entendu 
que  ce  sont  des  moyens  dont  il  ne  faut  user  qu  avec  circons- 
pection et  à  l'égard  des  malfaiteurs  les  plus  avérc's.  > 

Outre  ces  instructions  adressées  au  baron  Bnic/.cnt/itiL  l'em- 
j)ereur  envoya  des  oidres  au  baron  Prc/ss  en  l'engageant  à 
prendre  des  dispositions  très  énergiques  en  vue  de  la  répres- 
sion de  l'insurrection.  «  Puisque  dans  ces  cas-là,  écrit-il  —  ce 
sont  les  canons  qui  font  le  plus  d'effet,  vous  enverrez,  par  le 
garde  du  corps  porteur  de  ces  lignes,  un  ordre  à  Oyulafcliér- 
\ar,  afin  que  1  on  mette  à  votre  disposition  à  Szebcn  plusieurs 
canons  de  trois  avec  les  artilleurs  et  les  munitions  nécessaires 
que  vous  dirigerez  sans  retard  et  à  l'aide  d'attelages  suffisants, 
la  où  il  y  a  (\c>  troupes  pour  y  être  adjoints  à  la  cavalerie  ou 
a  1  inlàntene.  n  II  enjoignit  en  même  temps  au  baron  Schacl,- 
iiiiii,  gouverneur  militaire  de  la  Ho/uji/c,  d'envoyer  en  7raii- 
syhuinic  sous  les  ordres  de  deux  généraux  deux  régiments 
d'infanterie  et  deux  de  cavalerie  afin  que  l'on  puisse  prendre 
les  insurgés  entre  deux  feux. 

Ayant  appris    I  attitude    indécise  et  apathique  du  gouver- 


LIVHE   TROISIK-MK  333 

neur  militaire  el  son  refus  d'entrer  en  communication  avec 
le  baron  Jhuclicnilial,  Josopli  II  le  força  à  prendre  sa  retraite. 
Le  «  gubermiiim  "  ne  trouva  pas  de  grâce  devant  l'empereur 
non  plus.  Au  sujet  d'une  circulaire  du  gouverneur,  datant 
du  8  novembre,  dans  laquelle  il  est  interdit  aux  fonction- 
naires en  mission  de  pressurer  les  administrés,  le  philosophe 
couronné  ne  manque  pas  de  s'écrier  :  "  Hien  ne  pourra  mieux 
convaincre  les  obtus  de  la  mauvaise  constitution  de  la  Ilon- 
jrie  et  de  la  vétusté  des  institutions  départementales  que  ce 
qui  se  passe  maintenant.  " 

La  nouvelle  du  jugement  et  des  exécutions  sommaires  de 
Ih'va  mit  Joseph  II  dans  une  fureur  d'autant  plus  indicible 
qu  elle  lui  parvint  en  même  temps  que  l'annonce  de  l'organi- 
sation militaire  de  la  noblesse  magyare.  La  première  le  froissa 
comme  philanthrope  :  '^  Comme  des  faits  analogues  —  écrit-il 
le  22  novembre  au  chancelier  f'^/erA/cr.)  — ne  font  qu'augmen- 
ter l'exaspération  des  gens  et  comme  il  faut  juger  les  actes  du 
peuple  au  point  de  vue  de  ses  ressentiments,  on  ne  peut  le 
ramener  sur  le  chemin  du  bien  qu'en  le  convainquant  de  sa 
culpabilité  et  en  lui  démontrant  ses  torts.  Pour  atteindre  ce 
but,  la  clémence  et  la  mise  en  liberté  valent  mieux  que  la  con- 
damnation la  plus  rigoureuse.  On  doit  faire  comprendre  aux 
nobles,  quelle  que  soit  la  férocité  de  l'attaque  qu'ils  ont  subie 
de  la  part  des  paysans  révoltés,  qu'une  manière  d'agir  conci- 
liante est  préférable,  car  sans  elle  ils  ne  pourront  jamais  se 
sentir  en  sécurité  et  s'exposeront  au  contraire  à  des  dangers 
encore  plus  graves.  « 

En  face  de  l'allure  belliqueuse  des  nobles  Joscpli  //se  sentit 
un  peu  intimidé.  Il  se  souvint  probablement  du  soulèvement 
de  Hnhàczy  et  il  jugea  sa  réédition  complètement  inutile.  Aussi 
en  maintenant  toutes  ses  accusations  contre  les  seigneurs  et 
les  fonctionnaires  départementaux,  s'occupa-t-il  très  sérieuse- 
ment de  la  prompte  répression  de  la  révolte  de  Ilom,  pour 
la  capture  duquel  il  lit  promettre  une  récompense  de  300  du- 
cats. Finalement  il  nomma  le  comte  Janl.ovich  commissaire 
royal  en  lui  adjoignant  le  général  Papilln,  très  versé  dans  la 
langue  roumaine,  pour  rechercher  les  causes  de  l'insurrection 


334        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVAIT    L'HISTOIRE 

et   pour  l'apaiser   soit   par    des    mesures   pacifiques  soit  par 

l'énergie. 

Toutes  ces  dispositions  de  l'empereur  étaient  de  nature  h 
désa[)pointer  lloni,  qui,  ne  comprenant  pas  les  théories  philan- 
thropiques du  souverain,  le  considérait  certainement  de  bonne 
foi  comme  son  allié  dans  sa  cainpa;;ne  entreprise  contre  les 
nobles  magyars.  Aux  veux  des  iiomiKiins  incultes  et  naïfs  être 
reçu  par  un  monarque  aussi  puissant,  avoir  un  document 
sortant  de  la  chancellerie  (l)  lui  donnait  une  auréole  que  la 
tolérance  des  officiers  impériaux  au  commencement  de  l'in- 
surrection ne  fit  que  rehausser.  On  crut  au  camp  des  llmi- 
jiKiins  que  les  troupes  impériales  qui  se  moni raient  hostiles, 
n'étaient  composées  que  des  nobles  déguisés  et  que  les  vraies 
respecteraient  toujours  les  exterminateurs  de  la  noblesse.  De 
là  la  supposition  de  la  royauté  liiture  de  //o/v/,  de  là  l'ardeur 
nouvelle  avec  laquelle  on  se  remit  à  la  besogne  destructive 
après  l'expiration  de  la  trêve  conclue  à  Tihor. 

H  y  eut  j)lnsieurs  sommations  envoyées  par  llora  dans  les 
communes  roumaines  pour  les  forcer  à  courir  aux  armes.  Il 
leur  fit  indiquer  par  Krijau  comme  lieux  de  rassemblement 
pour  le  ±±  novembre  Aù/yoç/y  et  pour  le  28  du  même  mois 
Mih(-lén)\,  car  il  visait  l'attaque  de  Dèva  et  (ï Abrudlx'niyd  ; 
ensuite  ce  serait  le  tour  de  Gàld  et  cVEnyerl.  On  peut  estimer 
à  l(l,0(K)  le  nombre  des  /»o///»r////.v qui  répondirent  à  son  appel. 

Pour  les  combattre  les  troupes  impériales  ne  se  mirent  en 
en  marche  que  le  27  novembre.  Elles  s'avancèrent  en  plusieurs 
détachements  de  forces  inégales  —  en  tout  2,(H)()  hommes 
et  une  douzaine  de  canons  —  comptant  sur  l'inexpérience  et 
le  peu  de  cohésion  des  insurgés.  Après  plusieurs  rencontres 
insignifiantes,  dans  lune  le  commandant  Dn/ciin'iifjo  perdit  un 


I  Voici  \o  coiitonu  de  ccl  é(  rit  relrouv»-  plus  tard  dans  la  poche  de  Ilora  : 
674.  Di.ywiiiliii-  suh  liodicrno  ad  t/iibrinium,' et  cum  fjuerelœ  supplicantitini 
)tuiic  recte  siih  Inc.udt;  versenlur,  ad  seeuturam  iisque  earum  dccisionem  ipsos, 
ipsorumcjue  depntalos,  contra  omnes  indebitas  perxecutiones  maimteneant.  Sup- 
plicantium  pioinde  erit,  cntn  ipsoruni  prwseutia  iiiltil  seu  ad  acctdeiationem, 
aeu  ad  favorein  negolii  sui  conducere  pos.iit,  setnct  domitm  conferre  et  ibidem 
cvcntnm  illius  proximc  aecutum  pacate  operiri.  Ex  Coii'ilio  Cancelliiriœ  Jietjiœ 
Huiiij.   Traiinicœ  Aulicœ.  Vicnri;c  V'i-tia  upviil.   1784.  FraïKMScns  Ilorvath. 


LIVRE   TROISIEME  335 

officier  et  huit  soldats  —  il  y  eut  une  collision  plus  sérieuse 
à  Blazseny  entre  le  lieutenant-colonel  Ki'dy  et  Nicolas  Bibavcz 
l'un  des  capitaines  de  Hora.  Elle  se  termina  naturellement 
par  la  défaite  des  floa mains,  qui  y  perdirent  84  morts,  beau- 
coup de  blessés  et  quinze  prisonniers.  Mais  le  gros  des  insurgés 
campait  entre  Abrudbânya  et  To/j('iiifali>a.  Le  lieutenant-colo- 
nel Schaliz  l'attaqua  avec  750  hommes  le  l  l  décembre.  Les 
lioiiinains  se  dispersèrent  aussitôt  les  premiers  coups  de  canon 
tirés.  Schaliz  entra  alors  à  Toijànfaliui  où  il  passa  la  nuit,  ayant 
invité  les  autres  détachements  à  venir  le  joindre.  Réunies 
en  un  seul  corps  les  troupes  se  dirigèrent  sur  Alback  pour  s'y 
emparer  de  Hova  ou  au  moins  de  sa  maison.  Pendant  ces 
marches  on  fit  parler  les  canons  et  leur  grondement  suffit  à 
mettre  en  fuite  ceux  des  insurgés  qui  étaient  restés  sourds  aux 
exhortations  de  l'évéque  Mkiiics,  chargé  d'annoncer  l'amnistie 
plénière  à  quiconque  déposerait  les  armes  et  s'en  retournerait 
dans  ses  foyers. 

Cette  promenade  militaire  et  cette  canonade  à  blanc  ter- 
mina d'autant  plus  aisément  la  révolte  que  llora  prêchait  main- 
tenant l'apaisement  aus^i.  En  quittant  ses  hommes  il  dit  qu'il 
avait  l'intention  d'aller  à  Vienne  pour  y  obtenir  encore  quel- 
que chose  de  l'empereur.  Or,  sur  l'ordre  de  7o.ye/^//  //,  les  auto- 
rités avaient  déjà  son  signalement  ainsi  que  celui  de  Kloska  et 
on  leur  donna  la  chasse  dans  toute  la  contrée.  Le  lieutenant- 
colonel  Kr(ty  apprit  finalement  qu'ils  s'étaient  cachés  dans  la 
grande  forêt  de  Szlioracsei.  Sur  le  conseil  d'un  garde  forestier 
allemand,  nommé  Melczer,  il  y  fit  embaucher  sept  Gornyik, 
gardes-chasse  roumains,  qui  découvrirent  effectivement  les 
traces  des  fugitifs  dans  la  neige  au  bout  de  deux  jours  de 
recherches  (le  ±1  décembre).  S'étant  emparé  d'abord  de  leur 
confident  Krisziea,  ils  surprirent  Hora  et  Khska  assis  auprès 
d'un  feu  flambant.  Ils  s'en  approchèrent  en  feignant  de  n'être 
que  des  chasseurs  inoffensifs  et  ne  s'emparèrent  d'eux  que 
quand  ils  étaient  déjà  complètement  rassurés.  Pendant 
leur  courte  lutte  Hora  eut  le  temps  de  sortir  quelques  feuilles 
de  papiers  de  sa  poche  et  de  les  jeter  au  feu  où  les  Gornjik 
les  laissèrent  tranquillement  se  consumer.  Ayant  garotté  leurs 


;3;}(i         MACYAI'.S    ET    ROUMAINS    DEVANT    1/ II  I  STO 111  E 

f)risonnieis,  ils  les  transportèrent  dans  une  liutte  où  il  les 
gardèrent  jusqu'à  l'arrivée  des  soldats  que  l'on  avait  postés 
autour  de  la  forêt.  Armés  de  fusils  et  de  lances,  les  deux 
chefs  de  1  insurrection  n'avaient  en  lenr  possession  que  (5  llo- 
rins.  ils  furent  conduits  le  r' janvier  ÎTiS.")  à  (h  iilnfcln'irnr 
où  on  les  enferma  séparément  dans  des  cachots  misérables. 
Ce  qui  n'empêcha  pas  de  faire  courir  le  bruit  parmi  les  lion- 
iiKiiiis  soit  qu'ils  étaient  en  liberté  soit  qu'on  les  traitait  avec 
beaucoup  d'égards. 

Pour  détronq)er  définitivement  la  crédulité  du  peuple,  le 
comte  J(uil,nri(li  orjjanisa  deux  manifestations,  qui  étaient 
certes  tiès  impressionnantes  mais  qui  laissaient  beaucoup  :i 
désirer  aussi  sous  le  rapport  du  bon  {joùt.  D'abord  pour  dis- 
tribuer solennellement  les  300  ducats  promis  par  l'empereur 
à  celui  ou  à  ceux  avant  livré  lloni  et  Kloslui  aux  autorités,  il 
Ht  venir  à  /(dniJuia  pour  le  5  février  tout  le  «  gubernium  »  et 
ce  hit  le  baron  liruckciiilnil  lui-même  qui  les  remit  aux  sept 
ijoniyik  (rArdiiyiis  avec  un  cérémonial  théâtral.  Ensuite  il 
ordonna  l'exhibition  des  deux  célèbres  fauteurs  de  désordres 
sur  les  lieux  de  leurs  exploits   pendant  quinze  jours  du  5  au 

10  lévrier.  Evidemment  c'étaient  des  moyens  qiù  devaient 
frapper  l'imagination  du  peuple,  mais  c'était  en  même  temps 
la  glorification  de  la  trahison,  une  coupable  satisfaction  don- 
née à  la  cuiiosilé  la  plus  malsaine. 

Entre  temps  ou  put  mettre  la  main  sur  Krijan  aussi.  Il  fut 
arrêté  à  Mix/os  en  suivant  les  indications  du  pope  de  Kcii/enyc.s 
et  on  l'enferma  également  à  Gytt/a/c/trri'âf  (le  1"  février  . 
"  Je  reçus  votre  lettre  avec  une  joie  très  vive,  écrivit  Josi-jtli  U 
a  Jmiliovirli  le  7  février.  Je  suis  particulièrement  content  de 
la  capture  de  Krijan,  le  troisième  capitaine.  [Maintenant  je  suis 
très  curieux  de  savoir  ce  que  l'on  apprendra  des  aveux  de  ces 
malfaiteurs.  >• 

Légalement  il  aurait  fallu  que  ce  fût  le  tribunal  du  dépar- 
tement c/'-l/.vo-Fr//y'V  qui  jugeât  les  prisonniers.  Mais  .A///Ao/'/<7/ 
repoussa  toutes  les  représentations  que  le  préfet  fii,à  cetép^ard. 

11  interdit  la  présence  à  l'audience  de  Michrl  Bmckenthal,  du 
commissaire  du   «  gubernium  »   lui-même,   et  il  déclara  que 


LIVUE   TllOISlKME  3:}7 

s'il  tombait  malade,  ce  serait  le  jjéiiéral  P(ij)'dlii  qui  le  rempla- 
cerait; selon  le  désir  de  l'empereur,  au  tribunal  appelé  à  jnger 
llora  etses  complices.  Celle  excbision  de  l'élément  administratif 
régulier  avait  deux  laisons  très  valables  :  la  philanthropie  de 
Joseph  Une  voulait  pas  admettre  que  la  noblesse  magyare,  si 
cruellement  éprouvée,  puisse  ètrejuge  et  partie  dans  une  cause 
où  les  passions  les  plus  terribles  |ouaient  les  rôles  principaux; 
il  craignait  'également  (p>e  les  dépositions  ne  contiennent  des 
rés'élations  compromettantes  pour  la  Hiissir  que  le  monde  ortho- 
doxe considérait  depuis  la  paix  de  Kuicimk-Kanardji,  conclue  en 
I  77  4,  comme  la  protectrice  o'ficielle  des  Chrétiens  en  Orient  et 
avec  laquelle  lacourde  l7e»/<enevoulaitsebrouilleràaiicnn  prix. 
Ce  fut  le  l()  janvier  que  commença  le  jirocès  de  Jlura  et  de 
ses  deux  capitaines,  mais  on   ne  rendit  le  jugement    que   le 
:2G  lévrier,  car  il  sévissait  une  véritable  épidémie  dans  l'en- 
tourage de  Ja/ikovich,   tombé    gravement  malade    lui-même. 
On  fit  subir  h  Honi  et  à  Kloska  six  interrogatoires  et  on  adressa 
au  premier  l  I  8  et  au  second  13  i  questions  en  les  faisant  con- 
fronter avec  les  témoins.  Ils  nièrent  obstinément  tout,  même 
les  faits  patents  et  ne  convinrent  c[iie  des   démarches  faites 
auprès  de  l'empereur  en  faveur  des  Uo/onaiiis  emprisonnés  à 
cause  des  troubles  de  Toixinjalva.  <Juant  à  Krijan,   il  avoua 
tout  avec  une  certaine  crànerie  et  il   déclara  que  le  soulève- 
ment n'avait  pour  cause  quo  l'oppression   insupportable   des 
serfs.  On  ne  l'interrogea  que  deux  fois  et  en  ne  lui  f>osant  que 
M  questions,  car  il  fut  trouvé  pendu  dans  son  cachot  le  t3  fé- 
vrier,   la  veille   de    sa   confrontration   avec   Hora    et    Kioskn. 
D'après  les  rapports  officiels  il  s'était  suicidé,  mais  l'opinion 
publique  eut  toujours   la  tendance  à  croire  qu'on  l'avait  sup- 
primé  afin   qu'il   ne   puisse    faire  des   révélations  sur  la   pré- 
tendue connirence  de  Joseph  //avec  les  insurgés.    Or  ce  que 
l'on  peut  repiocher  à  l'empereur  à  juste  titre,  est  une  laute 
indémontrable  quoique  très  réelle.  Il  voulut  trans[)orler  ses 
rêves  humanitaires  dans  un  mdieu  ou  les  hommes  n'y  étaient 
préparés  ni  par  l'instruction  ni  par  l'éducation,  où  ses  spécu- 
lations philosophiques  ne  pouvaient  être  que  mal  comprises. 
De  ce  côté-là  il  lui  revient  incontestablement  une  part  de  res- 

22 


3:38         MAGYAUS    KT    HOUMAIlN.S    DEVANT    L'IIISTOIUE 
ponsabilité  dans   les  atrocités  commises  par  les  insurjjés  rou- 
mains, si  sa  bonne  Foi  ne  peut  pas  être  mise  en  doute;  on  doit 
supposer  aussi  (jue  Hoiui  et  Kloska   furent  les   victimes   con- 
vaincues de  ses  coquetteries  phi lan tropiques. 

Mais  leurs  méfaits  n'en  subsistèrent  pas  moins  et  ils  durent 
les  expier.  Condamnés  au  supplice  de  la  roue  et  à  être  écar- 
telés,  ils  furent  exécutés  le  :Î8  février  à  Gyulafcln-nutr;  d'abord 
lilosl.a  :  il  reçut  20  coups,  et  ensuite  Hoia  que  l'on  fit  mourir 
au  neuvième  coup,  circonstance  que  l'on  veut  expliquer  par 
le  désir  de  faire  hâter  la  mort  d'un  complice  qui  pourrait 
parler  et  révéler  des  secrets. 

Bien  que  les  revendications  des  insurgés  n'aient  cessé  de  se 
rapporter  à  des  questions  d'ordre  économique,  l'historiogra- 
phie roumaine  en  fait  des  martyrs  du  roumanisme.  D'après 
Densiisifino  (I)  «  on  ne  doit  s'étonner  de  rien  dans  tout  cela. 
Les  idées  daco-roumaines  c'est-à-diie  les  idées  du  droit  histo- 
rique s'étaient  répandues  en  Transylvanie  déjà  du  temps  d'In- 
nocent Klein,  et  la  tendance  à  partager  les  propriétés  des 
nobles  y  fut  ramenée  d'une  manière  tangible  à  cette  appré- 
ciation historique  que  la  Transylvanie  était  un  pays  roumain. 
On  exigeait  déjà  à  ce  temps-là  la  reconnaissance  des  Roumains 
transylvaniens  comme  quatrième  nation  politique  en  se  basant 
sur  le  droit  historique.  Entre  les  deux  individualités  natio- 
nales du  wiii*  siècle,  IvleinetHora,  il  n'y  a  qu'une  différence  : 
le  premier  n'essaie  de  faire  prévaloir  ce  droit  que  par  des 
moyens  politiques,  par  les  requêtes,  les  rescrits  et  les  articles 
de  loi,  tandis  que  Hora  s'appuie  sur  le  droit  naturel.  » 

C'est  dans  le  même  esprit  que  Gliiizd  Popj)^  l'ancien  profes- 
seur du  lycée  de  Brasso,  traite  la  question  dans  sa  tragédie  en 
5  actes  intitulée  :  H<ni<i.  C'est  un  pamphlet  dialogué  contre 
les  Afdt/ytirs,  ne  manquant  pas  d'une  certaine  imagination. 
L'auteur  le  termine  par  la  glorification  de  Iloia  et  deKloska. 
"  Vous  tond)ez,  saints  martyrs  de  la  race  roumaine!  s'écrie  le 
pope  Kosz/dii,  mais  l'idée  triomphera!  " 

Il  reste  à  savoir  si  elle  peut  triompher  en  suivant  des  che- 
mins pareils  ! 

(1^  Revolutiunea  lui  Hora,  p.  467. 


CHAPITRE  VI 

cami'A(;nes  POLiTiguES  et  littéraires  nu  roumanisme  intellectuel. 

Si,  comme  on  a  pu  le  voir  plus  haut,  avoir  mal  interprété 
les  intentions  humanitaires  àe  Joseph  II  était  la  véritable  cause 
des  troubles  de  1784  servant  de  modèles  fâcheux  aux  mouve- 
ments ultérieurs  des  Homnains  :  les  théories  insoutenables 
du  daco-roumanisme  découlent  également  d  une  erreur  ini- 
tiale commise  à  la  même  époque  par  leurs  savants,  voués  à 
la  création  d'une  historiographie  nationale.  Sans  vouloir  con- 
clure de  là  à  un  défaut  organique  de  la  race  tout  entière,  il  est 
évident  qu'une  récidive  semblable  ne  doit  être  passée  sous  si- 
lence ;  car  il  en  ressort  clairement  qu'il  faut  toujours  tenir 
compte,  dans  l'intellect  roumain,  d  une  certaine  absence  de 
contrôle  sérieux. 

Il  est  vrai  que  dans  ce  cas  les  Mugyars  partageaient  Terreur 
en  question  de  bonne  foi  aussi.  De  part  et  d'autre,  on  traitait 
le  récit  à' Anonyme  concernant  la  conquête  de  la  Hongrie  par 
Âi-pàd  en  évangile  auquel  ne  pas  croire  serait  un  péché  mor- 
tel. Or  selon  ce  chroniqueur  Gelou,  le  prince  de  la  Transytiumie 
d'alors,  était  Itnch  ou  lionmain  comme  il  a  été  dit  dans  un 
chapitre  précédent  (I),  donc  la  continuité  dacique  ne  suppor- 
tait ancun  doute  ainsi  que  la  souveraineté  indépendante  de 
Tiiliiitinn,  il  l'élévation  au  trône  duquel  les  lionninins  pré- 
tendaient avoir  contribué  dans  une  large  proportion.  C  était 
un  arsenal  inépuisable  mis  à  la  portée  de  leurs  revendications 
politiques,  sociales  et  religieuses  dont  leurs  chefs  spirituels  et 
leurs  savants  se  servaient  incontinent  avec  une  égale  ardeur. 
Elle  pouvait  être  expliquée  par  le  souvenir  des  agissements 
à' Innocent  Klein,  mais  elle  était  surtout  une  imitation  indénia- 
ble de  l'exemple  donné  par  la  noblesse  hongroise  après  la 
mort  de  Joseph  II  (1790).  Gomme  on  le  sait,  celui-ci  rétracta  à 

(1)  Voir  le  cliapitre  VI  du  Livre  V. 


^VO         MAGYAl'.S    ET    ROUMAINS    DEVA:ST    L'HISTOIRE 

rapproche  do  ^^a  fin  toutes  les  mesures  arbitraires  au  moyen 
(les(|uelles  il  avait  ré^jné  à  rencontre  des  dispositions  les  plus 
explicites  de  la  constitution  hon(jroise  et  du  "  di|doma  Leo- 
poldianum  "  .  r/em|)cr(Mir  abandonna  par  un  cliaufjement  de 
Iront  extraordinaire  et  d'un  seul  coup  ses  idées  les  plus  chères 
aussi  bien  au  sujet  de  raffranchissement  des  serfs  qu'au  sujet 
de  la  germanisation  de  la  monarchie  (le  i  février  1790).  En 
\  ertn  de  ce  rescrit,  la  situation  à  l'intérieur  de  la  Ifonqricel  de 
la  '/'iiinsyli'anic  redevint  normale  et  l'on  put  considérer  les 
actes  de  son  règne  comme  non  avenus.  Son  frère  et  successeur 
L'-nj)old  11^  quoique  très  libc'ral  aussi,  ne  se  crut  pas  autorisé  à 
locommcncer  les  expériences  bien  intentionnées,  mais  géné- 
ralement n)al  exécutées  du  philosophe  impéiial.  Dans  son  di- 
plôme publié  à  l'occasion  de  son  couronnement  comme  roi  de 
UoïKjvic,  il  déclara  solennellement  qu'il  voulait  rétablir  l'ancien 
ordre  de  choses,  dès  le  l"  mai  suivant.  Quant  à  la  diète  de  la 
l'idiisyhxtnic,  elle  fut  convoquée  après  plusieurs  ajournements 
pour  le  21  décembre  !  7î)()  à  Ko/Dtsiu'ir.  Alors  les  Mdrjyars  à 
moilié  gagnés  au  germanisme,  à  cause  de  la  civilisation  et  des 
progrès  qu'il  avait  représentés  sous  Joseph  II ,  s'en  détachèrent 
avec  une  promptitude  surprenante  pour  reprendre  leur  cons- 
tituti(Mi  et  leur  administrai  ion  départementale,  leur  langue  ma- 
ternelle et  leurs  coulumes.  Accès  de  patriotisme  devant  alxxitir 
trente  ans  plus  tard  à  la  Renaissance  hongroise,  mais  alors  su- 
bitement arrêté  par  les  effets  formidables  produits  par  l'orage 
et  les  foudres  de  la  révolution  française;  explosion  de  joie  des 
pii\ilégiés  au  sujet  de  l'autorité,  des  positions  et  delintluence 
recouvertes,  contrastant  singulièrement  avec  le  dé[)it  de  ceux 
retombés  parle  «  statu  quo  anle  "  dans  leur  infériorité  primi- 
tive, comme  les  lio/inidins. 

Telles  furent  les  dispositions  des  esprits  en  Trattsyliunue  au 
moment  de  l'ouverture  de  la  diète  de  Kolozsvàr.  Elle  présen- 
tait la  même  phvsionomie  (jue  celle  de  I7G2,  sa  plus  proche 
devancière,  c'esL-à-dire  elle  ne  contenait  que  les  magnats  et 
les  députés  appartenant  aux  trois  nations  et  aux  quatre  reli- 
gions reconnues;  mais  ses  tendances  portaient  les  empreintes 
libérales  de  l'époque  joséphinienne  quand   même   et  par  cela 


M  VUE   TUOISIKME  S4l 

même  que  le  comte  Georges  Bànffy,  le  nouveuii  {gouverneur 
de  la  J'rtnisyli'anic,  était  un  ancien  franc-maçon  de  la  lojjc 
Saint-André  de  N(if/y-Szebeii.  Sans  aller  aussi  loin  que  Martin 
Iloc/iméisier,  son  ex-collègue  et  l'auteur  d'un  Alnuiiuicli  ouver- 
tement hostile  aux  prérogatives  nobiliaires,  /^à^//"/V prêcha  tou- 
jours la  conciliation  et  rendit  par  là  des  services  considéra- 
bles à  la  tranquillité  publique  si  souvent  menacée  par  les  riva- 
lités des  trois  nations. 

En  face  de  cette  assemblée  conservatrice  à  outrance,  quoi- 
que très  impressionnée  par  les  événements  de  Paris,  les  Hou- 
yy/^////.v.  assez  suspectés  depuis  le  soulèvement  de  Hora,  ne  pou- 
vaient recourir  au  sujet  de  l'amélioration  de  leur  position  qu'à 
la  bienveillance  du  souverain.  Leur  »  Supplex  libellus  Vala- 
chorum  ^  rédigé  par  le  conseiller  aulique  magyar  Mehes 
et  présenté  par  l'évêque  uni  Jean  Bohh  et  l'évèque  grec- 
oriental  Genisim  Adainoinc/i ,  prit  donc  d'abord  le  chemin 
du  cabinet  impérial  pour  en  être  ensuite  renvoyé  à  la  diète 
(le  18  mai  1791).  Ce  sera  à  elle  que  la  prise  en  considé- 
ration de  la  requête  et  le  remède  à  trouver  contre  les  abus 
signalés  incomberont  selon  les  vœux  de  Lëovold.  Le  jour  où  on 
lut  à  la  diète  le  <■'■  Supplex  ^i  ou  pour  mieux  dire  pendant  la  lec- 
ture même  de  ce  document  mémorable,  le  tocsin  annonça  un 
incendie  et  les  législateurs  se  précipitèrent  vers  les  fenêtres 
pour  voir  sa  direction  et  son  intensité.  «  Restez  donc  tran- 
quilles, s'écria  le  baron  iMcolas  Wesselcnyi,  l'incendie  est 
assez  considérable  ici,  à  l'intérieur.  Pourvu  que  nous  puissions 
l'éteindre!  »  Et  en  effet,  au  point  de  vue  de  la  stricte  légalité, 
le  document  formait  un  acte  révolutionnaire  visant  le  renver- 
sement de  l'ordre  établi. 

Au  commencement,  on  y  implore  le  souverain  au  nom  de  la 
nation  roumaine  tout  entière  afin  qu'ellepuisseravoir  ses  droits 
antiques  qui  appartiennent  à  tous  les  sujetset  qu'elle  avait  per- 
dus dans  le  courant  des  siècles  passés  non  pas  sous  une  pres- 
sion quelconque,  mais  seulement  par  suite  des  vicissitudes  du 
temps,  comme  il  va  être  raconté  (ut  sibi  reddantur  pristina 
jura  quœ  omnibus  civibus  essenlialiter  adha^rent,  quibusque 
sœculo  superiore  nulla  auctoritate  sed  iniqua  dumtaxat  tem- 


342  MAGYARS  ET  ROUMAIINS  DEVANT  L'HISTOIUK 
poruiu  illorum  sorte  ut  mox  expoiielur,  expoliata  fuit).  Ce  fut 
ainsi,  dit /îoe^/e/- à  propos  de  cette  supplicjue,  que  les  droits  de 
l'homme  se  virent  forcés,  après  avoir  soulevé  beaucoup  d'en- 
thousiasme sur  les  bords  de  la  Seine,  de  s'envelopper  d'un 
manteau  historique  au  bord  de  1  Aluta!  » 

Le  «Supplex  »  expose  ensuite  l'histoire  du  daco-roumanisme 
depuis  la  conquête  de  la  Dacic  par  Tr(ij<tn  jusqu'aux  temps  les 
plus  récents,  en  y  mêlant  l'histoire  ecclésiastique  orthodoxe 
aussi,  pour  allirmer  que  ce  sont  les  Houmdins  qui  représentent 
l'élément  autochtone  en  'J'nmsyli'cune.  Cette  assertion  n'est 
soutenue  par  aucune  autre  preuve  que  le  vingt-septième  cha- 
pitre à' Anonyme.  Quant  à  l'ouvrage  de  Samuel  Timon,  intitulé 
(c  Imago  anti<jua' Hungaria'  »  ,  le  «  Supplex  »  le  cite  en  laveur 
de  la  reli{;ion  grecque-orientale,  première  à  faire  des  prosé- 
lytes en  7'inns)  Ii'd/iie,  grâce  à  l'ajjostolat  de  Hyrroi/icc.  Il  pré- 
tend que  pendant  le  règne  de  sa  in/  Etienne,  si  favorable  à  la 
propagande  du  catholicisme,  il  n'y  a  que  les  Jionmains  qui 
soient  restés  fidèles  à  l'orthodoxie  sans  indiquer  naturellement 
la  moindre  source  scientifique.  C'est  seulement  au  W  siècle 
qu  il  peut  invoquer  une  donnée  authentique  et  olHcielle 
en  !  437  à  l'occasion  du  pacte  de  Ko/ozsnionos/or  on  parle  d'un 
«  Paulus  magnus  de  Vajdahaza,  vexilifer  universitatis  reguico- 
larum  Hungarorum  etValacliorum  in  partibus  Transylvanicis  >'  . 
Dans  ce  pacte,  l'universalité  des  habitants  magyars  et  roumains 
fait  allusion  à  une  disposition  de  sain/  Etienne  dans  laquelle  il 
s'agit  de  leurs  droits  et  privilèges,  démontrant  ainsi  clairement 
qu'ils  étaient  les  mêmes  pour  les  deux  nations.  Si  I  année  sui- 
vante, en  H;i8,  les  M(if/fn)s,  les  Sienlcs  et  les  Saxons  font 
I  union,  elle  n'est  pas  au  détriment  des  llomnains,  puisque 
c'est  de  leurs  rangs  que  sortent  alors  les  Hnnjadi,  les  (ietzi  el 
les  Jisiliii .  \i\\  un  mot  le  sort  des  Roumains  ne  devient  intoléra- 
ble qu  au  xvu'  siècle.  A  cette  époque  on  voit  se  glisser  dans  la 
loi  plusieurs  articles  qui  sont  très  défavorables  pour  le  rouma- 
nisme.  Comme  on  n'en  rencontre  pas  de  semblables  dans  la 
période  précédente  de  15i()  à  IG53,  il  faut  croire  qu'il  y  a  là 
un  uialeutcudu  et  que  les  réflexions  désobligeantes  ne  doi- 
vent être  inq)utées  qu'il  l'inadvertance  et  à  la  distraction  des 


LIVRE   TROISIEME  343 

rédacteurs.  Quoique  ces  réflexions  et  ces  adjonctions  n'aient 
aucune  base  légale,  ni  force  de  loi,  elles  firent  naître  la  convic- 
tion que  la  race  et  la  religion  des  lionniains  ne  pouvaient  être 
que  tolérées  dans  ce  grand-duché.  Or,  la  désignation  nadmissa» 
ne  convient  nullement  à  la  nation  roumai'ne,  la  plus  ancienne 
parmi  toutes  celles  qui  habitent  la  Transybumie  et  auxquelles 
on  pourrait  l'appliquer  avec  plus  de  raison. 

Aussi  les  lioiniinins  supplient-ils  humblement  Sa  Majesté  de 
vouloir  bien  ordonner  1°  que  l'on  supprime  en  parlant  d'elle 
les  expressions  froissantes  :  a  seulement  tolérée,  admise,  non 
reçue  »  ;  2°  que  la  nation  roumaine  puisse  reprendre  parmi 
les  États  la  place  à  laquelle  elle  a  droit  selon  le  pacte  de  Kolozs- 
wnnosior  daté  de  14.37  ;  3°  qu'il  n'y  ait  plus  de  différence  entre 
le  clergé  grec  uni  ou  non-uni,  la  noblesse,  la  bourgeoisie,  les 
agriculteurs  roumains  et  les  prêtres,  les  nobles,  les  bourgeois  et 
les  paysans  d'une  autre  religion  ou  d'une  autre  race;  V  qu'aux 
élections  administratives  et  législatives  ainsi  que  pour  les  no- 
minations aux  emplois  de  la  Chancellerie  il  soit  tenu  compte 
de  la  nation  roumaine  en  proportion  de  son  importance; 
5"  que  l'on  donne  aux  départements  arrondissements  et  com- 
munes habités  exclusivement  par  les  Romnains,  des  noms  rou- 
mains, et  que  l'on  se  serve  du  nom  actuel  des  fleuves  ou  des 
montagnes  dans  les  endroits  où  les  habitants  appartiennent 
à  plusieurs  nations. 

Ayant  démontré  par  des  données  statistiques  que  la  popula- 
tion de  la  Traiisyliunu'e  se  composait  en  majorité  de  Roumains, 
au  nombre  d'un  million  en  chiffres  ronds  le  «Supplex«  termine 
eh  demandant  la  permission  de  convoquer  une  conférence  na- 
tionale roumaine  afin  que  celle-ci  puisse  adresser  ses  instances 
à  la  Diète  où  soit  par  ignorance,  soit  par  haine  de  race  ou  de 
religion  on  pourrait  retarder  ou  même  empêcher  la  solution 
de  cette  question. 

Chose  curieuse!  le  '^  Supplex  »  fut  en  partie  séance  tenante 
démenti  par  l'un  des  signataires,  l'évêque  uni  Bobb,  qui  ayant 
été  interrogé  par  les  membres  de  la  Diète  sur  l'origine  du  do- 
cument ne  l'approuva  qu'au  point  de  vue  de  ses  tendances 
égalitaires  et  en  désavoua  le  style  et    le  raisonnement.  Selon 


3V4         MAGYAT.S    ET    l'.OUMAlNS    nEVANT    L'IITSTOIIIE 

le^  nsa[;os  p:iiI(Mnciitaires  d'alors  on  le  fit  envoyer  »  ad  dicla- 
tnrarn  i'  ,  c'est-à-dire  on  le  fit  copier  par  les  secrétaires  réunis  \ 
des  députés  sous  la  dictée  du  plus  â;;é  d'entre  eux.  Ensuite  ou 
le  coniiniiiiiqua  à  une  commission  dont  le  ra|)port,  soumis  à 
la  Diète  le  5  août,  servit  de  réponse  aussi  à  la  missive  royale, 
après  a\()ir  été  modifiée  conformément  aux  remarques  des 
.SV/ro/.'.s,  jnlouxde  leurs  privilégies. 

Ce  rapport  résumait  le  contenu  du  u  Supplex  •  en  quatre 
questions  :  comment  [)()uriait-on  accorder  des  droits  civiques  et 
des  fraïu^hises  aux  ])Ostulants,  permettre  le  libre  excercice  de 
leur  relijjion,  venir  en  aide  a  leur  clergé  de  deux  religions, 
lépandre  et  accroître  l'instruction  parmi  les  Ttoiimains'!  On  v  op- 
posa le  relus  le  plus  catégorique  au  nom  des  pérogatives  des 
trois  nations,  en  ajoutant  toutefois  que  rinstruclion  insuffisante 
des  ItoiniKiins  n'est  imputable  qu'à  1  ignorance  de  leur  clergé 
au  sujet  duquel  on  ferait  des  propositions  à  la  Diète  [)rochaine. 
Pour  ne  pas  avoir  lair  d'être  inflexibles  les  États  concédèrent 
cependant  un  article.  "  De  libero  Religionis  graeci  ritus  Disu- 
nitorum  exercitio  "  dans  lecjuel  on  déclare  que  les  lioitiiuiins 
non-unis  dépendent  de  leur  propre  évéque,  nommé  par  Sa  Ma- 
jesté: et  que  leur  religion  ne  les  met  pas  en  état  d'infériorité 
en  face  des  autres  habitants  du  pavs  au  sujet  des  charges  publi- 
ques ou  de  toute  autre  ol)ligation. 

Au  courant  de  cette  même  année,  Li'opohl  II  reçut  une  sup- 
])liquc  de  plusieurs  officiers  du  premier  et  du  second  régiment 
roumains  des  Cou  fins  niiliidiiws  dans  laquelle  on  demandait 
sans  ambages  la  reconnaissance  de  la  nation  roumaine 
comme  quatrième  nation.  Si  elle  n'obtint  ])as  plus  de 
succès  ({lie  le  u  Supplex  "  ,  ses  auteurs  n'eurent  pas  au  moins 
à  subir  des  punitions  commeen  subirent  les  officiers  hongrois, 
ayant  demandé  l'introduction  de  la  langue  magyare  dans  le 
commandement  des  ré;;iments  hongrois  :  preuve  irrécusable 
de  la  prédilection  delacourde  Vienne  \Hmv\ef,  B()mn(tiiis(\ne\\e 
ne  cessa  de  ménager  au  détriment  des  Magyars  en  vue  dune 
lutte  suprême  contre  le  constitutionnalisme. 

Heureusement  j)our  les  premiers  et  ce  dernier  il  y  avait  une 
raison  psychologique  qui  rendait  toute  alliance  sérieuse  impos- 


LIVRE   TROISIEME  3V5 

sible  enlie  la  réaction  autrichienne  et  la  grande  majorité  des 
Daco-romnaïus.  Si  la  haine  les  ra])|)rocliait,  ils  ne  pouvaient 
jamais  être  complètement  d'accord  à  cause  de  leurs  tendances 
religieuses  opposées,  non  seulement  sur  le  terrain  des  (juestions 
théologiques  et  canoniques,  mais  aussi  en  fait  de  spéculations 
intellecluelles  en  général,  mises  à  l'ordre  du  jour  à  cette 
époque. 

La  principale  se  raj)|)ortait  à  l'origine  romaine  des  Roanuiins 
et  à  la  culture  de  leur  langue  naturellement,  sur  les  indications 
d\inoin  nii>  et  par  suite  de  l'impulsion  que  l'empereur ./o.9c/>»/i  // 
avait  donnée  au  développement  de  l'instruction  publique. 
L'honneur  des  succès  obtenus  à  cet  égard,  surtout  importants 
au  point  de  vue  de  leur  influence  politique  etsocialesur  lerou- 
manisme,  revient  à  trois  personnalités,  originaires  de  Transyl- 
l'tinie,  ayant  vécu  et  étant  mortes  en  Hongiic 

Samuel  Klein  (né  à  Szâd  en  1745),  en  se  vouant  corps  et  âme 
à  la  cause  roumaine,  ne  fit  que  continuer  l'œuvre  de  son  oncle 
Iimoceiu.  Devenu  caloyer  basilite  à  Bnlàzsjaliut  en  17G2,  il  ob- 
tint, en  ]  766,  l'une  des  deux  places  de  boursier  mises  à  la  dis- 
position de  l'évéque  uni  par  Maric-Thérêsc  au  a  Pazmanéum  » 
de  Vienne.  Ilv  resta  six  ans  pour  étudier  lathéologie  et  la  philo- 
sophie. Installé  comme  professeur  de  mathématiques  et  d'éthi- 
que à  B<(l('tzsfalva ,  ils'y  lia  d'amitié  avec  lejeune.SV//A:<'//f  17  73). 
En  1779  ils  se  retrouvèrent  à  Vienne  dans  le  séminaire  de 
Ste  Barbe,  où  Klein  occupa  la  place  de  surveillant  des  études. 
Un  an  plus  tard,  on  voit  déjà  leur  noms  réunis  sur  le  titre  de 
la  première  grammaire  roumaine  (!).  Car  les  méditations  du 
professeur  furent  singulièrement  corroborées  par  tout  ce  que 
put  apprendre  le  jeune  théologien  pendant  son  séjour  à  Ronte 
où  il  crut  vivre  cinq  ans  durant  dans  l'antique  domaine  de  ses 
aïeux.  De  là  l'intérêt  particulier  de  cette  grammaire  forcément 
primitive,  mais  exposant  dans  sa  "  Préface  »  ,  sortie  de  la 
plume    de   Sinlai,  les  soi-disant  principes  fondamentaux  du 

(1)  Elementa  linguœ  ducoromanœ  sine  vatacliicœ,  couiposila  ab  Sam.  Klein 
de  Szikl  ord.  S,  Rasilii  M.  in  collejiio  graeci  rituo  catliolicoruin  Vindobonensi  ad 
S.  Barba ruiii  Epheineiio ;  locupletata  vero,  et  in  hune  ordinein  redacta  à  Georgio 
Gabriellî  Sinkai,  ejusdem  ordinis.  AA.  LL.  Phil,  et  SS.  Th.  1).  Vindobonse  typis 
.)os.  iNob.  de  Kurtzbiick.  MDCGLXXX. 


346  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
daco-roumanisme,  et  recommandant  Fintroduction  des  carac- 
tères latins  dans  le  roumain  à  la  place  de  ceux  de  St.  Cyrille. 
Pour  démontrer  l'utilité  de  son  innovation,  Klrin  puUlia  ensuite 
deux  livres  de  prières  dans  les  mêmes  conditions.  C  était  le 
meilleur  moven  d'ouvrir  le  chemin  au  daco-roumanisme  litté- 
raire, aussi  voit-on  apparaître  coup  sur  coup  toute  une  série 
de  (jrammaircs  roumaines  de  Vdcarrsro,  de  Dc/raito,  de  Moliiàr^ 
(le  Korosi,  de  7V'/H/yrr/,  et  surtout  de  /V^?re  .lA//or.  Plus  jeune 
nue  Siii/,rn\  celui-ci  tut  cependant  son  condisciple  à  lu>nir  à  la 
«  Propaganda  de  fidc  d'où  ils  revinrent  en-^emble,  également 
enthousiasmés  pour  la  cause  nationale. 

En  faisant  un  parallèle  tout  indiqué  parmi  les  trois  cory- 
phées de  la  nouvelle  science,  on  s'aperçoit  de  suite  qu'ils  ont 
peu  d'analogie.  Ce  qui  les  fait  se  ressembler  c'est  d'appartenir 
à  l'ordre  de  St.  Basile  qu'ils  quittent  de  commun  accord 
en  1784.  S'ils  se  défroquent  ainsi,  la  raison  en  est  identique 
aussi  :  quoique  convaincus  de  l'origine  latine  des  ItomiKiitis, 
ils  trouvent  que  l'orthodoxie  est  plus  favorable  pour  conserver 
le  génie  de  leur  race  que  le  catholicisme,  malgré  son  caractère 
romain  si  accusé.  Contradiction  étrange  qu'une  longue  chaîne 
de  déductions  sophistiques  pourrait  seule  expliquer  puisque 
c'est  l'esprit  bvzantin  saturé  d'hellénisme  qui  prévaut  dans 
1  église  grecque  (U'ientale,  en  v  introduisant  une  loule  d'élé- 
ments asiatiques  et  en  la  rendant  ainsi  à  jamais  incompatible 
avec  la  manière  de  penser  et  de  sentir  des  Occidentaux. 

L'orthodoxie  nationaliste  de  Klein,  de  Siii/.ai  et  de  Maior 
était  d  ailleurs  si  peu  réfléchie  qu'ils  reprochaient  à  Tévéque 
uni  .ledii  Jlobh  la  suppression  du  ^<  sobo  mare  "  ,  du  grand 
svnode  d'origine  calviniste  et  seulement  en  usage  depuis  le 
XYIi""  siècle,  comme  une  hérésie.  De  là  son  hostilité  et  son 
indifférence  à  l'égard  de  leurs  personnes  et  de  leurs  travaux 
malgré  son  attachement  sincère  au  roumanisuïe.  Il  confia 
cependant  au  premier  la  traduction  nouvelle  de  la  Sainte-liihle 
en  roumain  I7{)2),  en  lui  promettant  comme  honoraires,  la 
moitié  des  exemplaires  im|)rimés.  On  sait  d'une  lettre  de 
Klein,  datée  de  !  7î)(>  (I    que  cette  promesse  ne  fut  pas  remplie 

^1)  CiPARir.  AiiliirpenlriijUolofjia  si    hisloiia  lomâna,  |).  700. 


LIVRE   TROISIEME  34T 

et  que  Bohh  ne  lui  accorda  pas  la  permission  de  faire  imprimer 
son  histoire  ecclésiastique  (Istoriabisericésca)  non  plus,  dédiée 
au  patriarche  serbe,  et  conséquemment  non-uni,  de  Karlôcza, 
et  devenue  parangon  pour  toutes  les  histoires  ecclésiastiques 
roumaines  ultérieures;  on  comprendra  donc  aisément  avec 
quelle  satisfaction  l'auteur  éconduit  dut  recevoir  sa  nomination 
de  «  censor  "  pour  les  livres  roumains,  attaché  au  conseil  gou- 
vernemental royal  de  Pmde,  place  créée  à  la  diète  de  1  790-îM  . 
dont  il  fut  le  premier  titulaire.  "  Un  savant  roumain,  patriote 
et  travailleur,  (ïii  Ailumase  Mai-itmesco  [l],  ne  pouvait  rêver 
pour  lui-même  un  emploi  plus  beau,  car  il  avait  sous  la  main 
1  imprimerie  et  la  bibliothèque  de  l'Université,  afin  de  pouvoir 
se  perfectionner  et  agir  dans  l'intérêt  de  la  littérature  rou- 
maine. Le  bureau  du  «  censor  "  de  Bude  devenait  un  centre 
pour  les  jeunes  gens  roumains,  venus  pour  faire  leurs  études 
à  l'Université  de  Pesth  ;  c'était  un  vrai  foyer  du  réveil  national 
et  de  l'historiographie.  » 

Par  un  rescrit  du  !2;î  juin  1805,  l'Empereur  et  roi  François  I" 
permit  à  l'Université  l'achat  d'une  imprimerie  illyro-roumaine 
en  lui  concédant  aussi  le  droit  d'éditer  des  livres  pieux  dans 
ces  deux  langues.  Alors  Klein  obtint  la  place  de  correcteur 
roumain  dans  l'établissement  nouvellement  installé  et  le  pre- 
mier produit  qui  en  sortira,  sera  justement  la  seconde  édition 
de  sa  grammaire  corrigée  et  amplifiée  par  .S'//?/.ï^/(1805)  .  L'ac- 
cueil que  cet  ouvrage  reçoit  lui  donne  l'idée  de  le  compléter 
par  l'adjonction  d'un  dictionnaire  en  langue  roumaine, 
latine,  magyare  et  allemande.  En  même  temps,  il  travaille 
fiévreusement  à  l'histoire  des  vayvodes  valaques  et  moldaves, 
déjà  le  fil  de  son  existence  se  trouve  entre  les  branches  du  mais 
ciseau  fatal  et  il  meurt  en  1806  dans  les  bras  de  son  collabo- 
rateur et  ami. 

A  côté  du  travailleur  paisible,  mais  infatigable,  celui-ci  repré, 
senta  la  fantaisie  et  l'esprit  d'aventure.  Au  moment  où  il  aban- 
donna le  couvent,  il  était  déjà  depuis  deux  ans  directeur  des 
écoles  roumaines  primaires  en  Transylvanie,  et  leur  nombre 
s'éleva  à  300  pendant  son  directorat.   Une  activité  de  douze 

(i)   Vielia  si  upeiete  lui  Petru  Maioiii.  Bucuresci,  1883. 


348  MAGYAIIS  KT  HOUMAINS  DEVANT  1/ H  I  STO  1  1!  K 
ans  aussi  fructueuse  aurait  dû  lui  assurer  liouueurs  et  peusioii, 
mais  eu  ITJKi  il  fil  une  ch'uoucialiou  auouyuie  à  Jean  liohh  (|ui 
lui  valut  sa  disfjrâce.  L'évoque  Taceusa  eu  effet  devaut  le  «  jju- 
bernium  "  tout  autaut  que  les  deux  doyens  qu'il  avait  dénon- 
cés. Avant  appiis  la  nouvelle  de  celte  accusation  dans  le  cou- 
vent des  calovtMs,  au  milieu  d'une  conversation  arrosée  (le  vin, 
.SV»/i7// s'écria  :  «  Si  ré\éque  me  traite  comme  cela  :  e(]o  etiam 
vero  dux  et  aulor  rebellionis  atque  conjuratorum.  •>■>  Ce  fut 
maintenant  le  tour  (\qà  Hasilites  de  rapporter  ses  j)ar()les  à 
l'évéque  (pii  le  fit  citer,  étant  noble,  devant  une  commission 
rojjatoire  d(''j)artementale.  N'ayant  pu  relever  contre  lui  rien  de 
grave,  Sinl.ni  fut  remis  en  liberté,  mais  on  lui  retira  néanmoins 
sa  place  de  directeur. 

Sinhai  n'était  pas  lioinme  à  supporter  tranquillement  un 
outrage  pareil.  Ses  démarches  faites  à  Virnnc  restèrent  cepen- 
dant sans  résultat,  car  on  y  était  encore  sous  l'impression  de  la 
(tonjuiation  de  Mnr/inoric/i,  condamné  et  décapité  à  /Inde, 
et  l'on  n'y  voulut  même  pas  écouter  ses  explications.  Ce  fut 
donc  avec  bonheur  qu'il  accepta  l'invitation  d  i  comte  Daniel 
HViss  dr  Cz.('fj(\  magnat  magyar,  qui  lui  confia  l'éducation  de 
ses  trois  fils,  ne  regardant  ni  sa  nationalité  ni  sa  religion, 
mais  seulement  ses  mérites  de  savant  et  de  pédagogue. 

Six  années  de  bonheur  s'écoulèrent  vite  j)our  Sinluii  au  sein 
de  cette  famille  aristocratique  où  tout  en  remplissant  conscien- 
sieusement  ses  devoirs  de  précepteur  il  contimia  ses  études 
historiques  sans  inteiruplion.  L'éducation  des  cnl'ants  une 
lois  terminée,  on  retrouve  Sinhai  en  1803  d'abord  à  ^<i<jy- 
\arad,  chez  l'évéque  uni  Darahon/Ii,  chez  ipii  il  trailnit  pour 
l'historien  allemand  En<j<'l  la  chronique  de  Cos/in  Miron,  et 
ensuite  à  Pcsili,  où  Klein,  déjà  maladif,  lui  abandonne  sa  |)iace 
de  correcteur.  Cette  occupation  modeste  le  mit  à  1  abri  du 
besoin  et  lui  permit  de  fréquenter  les  historiens  hongrois 
Kovasicli  et  Kaiona  en  compagnie  de  Klein.  Aussi  poursui vit-il 
ses  travaux  a\  ec  plus  d'ardeur  que  jamais  en  continuant  sa 
correspondance  avec  EikjcI  et  avec  le  géographe-graveur  Li/fsl,j- 
à  qui  il  donna  des  indications  très-utiles  au  sujet  de  l'ortho- 
graphe des    noms   roumains.   Mais   la  mort  lui  ravit  son  ami 


T.  IV  RE   TROISIEME  3V9 

Klein  et  au  lieu  de  lui  donner  la  place  de  «  censor  »  qu'il 
remplit  avec  zèle  pendant  deux  ans  par  intérim,  le  con- 
seil gouvernemental  la  donna  à  Pierre  Maior  sur  la  proj)o- 
sition  de  l'éxêque  inii  Vulcan.  C'était  lui  retirer  son  pain  (juo- 
tidien  ;  il  se  vit  donc  forcé  de  quitter  Pc.sih  où  il  avait  [xihlié 
un  almanach  roumain  pendant  les  années  1807  et  1808 
avec  les  premiers  chapitre  de  son  ^  Istoria  Romànilor.  "  Pour 
finir  son  ouvrage  .SYn/y// retourna  alors  chez  ses  anciens  élèves 
les  comtes  Wass  qui  le  reçurent  à  bras  ouverts  et  l'aidèrent 
même  dans  la  copie  et  l'édition  de  sa  »  chronique  »  .  De  là 
cette  exclamation  dans  cet  ouvrage  à  propos  de  l'année  !51()  : 
«  Je  produis  ici  un  document  ap|)artenant  à  la  famille  iroA.y, 
afin  que  je  puisse  démontrer  que  si  je  n'avais  pas  été  soutenu 
par  cette  lamille  il  m'eût  été  impossible  de  terminer  avec 
l'aide  de  mes  Roumains  la  «  Chronique  "  que  j'eusse  brûlée,  car 
ils  m'ont  fait  beaucoup  de  mal  au  lieu  de  me  porter  secours.  « 
Ayant  terminé  sa  "  Chronique  »  Sin/iai  voulut  en  faire  faire 
deux  éditions  :  l'une  en  roumain  à  l'usage  du  grand  public  et 
une  autre  en  latin  pour  les  savants.  A  cet  effet  il  la  soumit  à 
la  censure.  En  Hongrie  le  "  censor  "  ne  fit  aucune  objection 
contre  l'édition  latine  tandis  qu'en  Transylvanie  l'ouvrage  ren- 
contra un  critique  impitoyable  dans  la  personne  de  Marionffy 
plus  tard  évéque  de  Transylvanie,  qui  en  interdit  la  publication. 
Voici  quelles  sont  ses  raisons  consignées  dans  ses  uReflexiones 
in  Chronicon  Dni  Georgii  Sinkai  »  ,  conservées  en  manuscrit  : 
«  Le  titre  "  Ghronica  Valachorum  "  est  inexact,  car,  on 
ne  parle  presque  pas  des  Roumains,  quelques  conjectures  ex- 
ceptées, dans  la  première  partie  de  l'ouvrage.  Il  vaudrait  mieux 
lui  donner  le  titre  suivant  :  «Chronicon  Imperatorum  Roma- 
norum  tam  occidentalium,  quam  orientalium,  qui  in  Dacia 
aut  pro  Dacia  bellum  gesserunt.  "  Et  c'est  encore  superflu  car 
dans  ce  genre  il  y  a  un  grand  nombre  d'ouvrages  mieux  faits 
et  celui-ci  ne  commence  qu'avec  Domitien  qui  n'a  jamais  vu 
la  Dacie...  Dans  le  second  volume  Sinkai  veut  démontrer  que 
ce  n'est  pas  les  armes  à  la  main  que  Tuhutum  a  conquis  le 
pays,  et  conséquemment  que  les  Magyars  et  les  Saxons  ne  sont 
dans  la  Transylvanie  que  des  usurpateurs  d'un  État  en  réalité 


350  MAGYARS  ET  llOU.MAKNS  DEN  A>iT  L'HISTOIRE 
roumain.  Aussi  les  Roumains  se  trouvent-ils  avec  eux  en  hos- 
tilité permanente,  n'ayant  besoin  que  d'un  chef  vengeur  plus 
heureux  que  n'avait  été  Hora  !  Gonnnençons  à  exciter  le  peu- 
ple, disent  les  savants  roumains,  afin  qu'il  continue  avec  l'as- 
sassinat, l'incendie  et  le  pillage!  »  La  phrase  fameuse  que 
plusieurs  historiens  roumains  attribuent  à  cette  occasion  à 
Mdiionffy  :  «  Opus  igné  et  autor  patibulo  dignus  »  ne  se 
trouve  nulle  part  dans  son  rapport  selon  les  assertions  de 
Deiistisidiu)  lui-même.    1) 

Cet  échec  n'empêcha  nullement  la  propagation  de  la  célé- 
brité de  Siiihdi.  Quand  il  fit  à  ce  même  voyage  sa  dernière 
visite  au  couvent  des  caloyers  à  Balàzsfahui,  il  y  fut  entouré 
delà  vénérationdes  séminaristes,  qui  necessèrentde  le  regarder 
et  se  dirent  tout  émus  entre  eux  pendant  le  repas  du  soir  : 
«  C'est  Sinkai  !  Quel  homme  !  »  Ces  jeunes  gens  le  rencontrèrent 
le  lendemain  assis  devant  une  auberge,  ayant  à  ses  pieds  un 
sac  rempli  de  ses  manuscrits.  On  lui  demanda  la  raison  de 
porter  une  charge  aussi  lourde  !  11  répondit  :  "  C'est  mon  enfant, 
à  cause  duquel  je  vais  être  glorifié  après  ma  mort.  S'il  n'est 
pas  une  honte  de  l'avoir  engendré,  pourquoi  en  serait-il  une 
de  le  porter  sur  mes  épaules?  »   (2) 

De  lîalàzsfaliMi  il  se  diriga  à  NiKjy-Vàrdd  où  pendant  son 
séjour  chez  l'évêque  uni  l'u/cdn  il  acheva  une  copie  de  sa  a  Chro- 
nique î)  pour  lui  en  faire  cadeau.  Ensuite  il  retourna  à  Szinyér- 
vdi-dlja  dans  la  famille  hospitalière  de  ses  anciens  élèves,  pour 
ne  plus  en  sortir  jamais.  Il  y  mourut  en  181(5  à  63  ans,  et 
tellement  abandonné  par  les  llouiuains  (|u'ils  n'apprirent  la 
date  et  l'endroit  de  sa  mort  que  50  ans  plus  tard  ! 

Ses  manuscrits  ainsi  que  ceux  de  Klein  furent  pieusement 
recueillis  par  l'évêque  susdit  et  se  trouvent  encore  aujourd  hui 
dans  la  bibliothèque  de  l'évêché  uni.  En  1861  et  1864  il  y  eut 
des  propositions  faites  à  leur  sujet  par  le  ministère  de  l'Instru- 
tion  publique  roumaine,  mais  elles  n'aboutirent  à  aucun  ré- 
sultat car  on  s'aperçut  qu'il  faudrait  les  remanier  aussi  bien 

(1)  liaport  dctpre  inisiune  i  tncn  in  Ungaria  si  Transilvania, 

(2)  Lettres  de  (ravra  servant  de  préface  à  la  Clironi^/ne  de  Sinkai,  édition  de 
1844.  Bude. 


LIVRE   TROISIEME  331 

au  point  de  vue  du  style  qu'au  point  de  vue  de  leur  contenu. 
D'ailleurs  l'évêque  voulut  volontiers  se  ciiarger  de  leur  publi- 
cation moyennant  une  subvention  de  70,000  francs  payés  par 
l'État  roumain  et  la  permission  de  bâtir  une  cbapelle  grecque 
unie  à  Biiaivest.  Ces  conditions  parurent  inacceptables  et  les 
pourparlers  en  restèrent  là. 

C'est  avec  la  disparition  de  KLciii  et  de  Sinkai  que  l'on  voit 
se  lever  l'étoile  de  Pierre  M<iio7-,  devenu  curé  h  Szàsz-Régen  auprès, 
sa  sortie  du  couvent  de  Balàz/sd/iui.  Il  était  un  de  ces  hommes 
heureux  qui  font  rentrer  la  récolte  semée  et  coupée  par  les 
autres,  et  à  qui  on  attribue  cependant  tout  le  mérite  des  résul- 
tats obtenus! 

Ayant  succédé  à  Klein  comme  ^  censor  »  et  comme  correc- 
teur sur  la  proposition  de  l'évêque  Viilcan,  il  se  place  à  la  tête 
du  mouvement  littéraire  du  roumanisnie.  Pour  commencer  sa 
campagne  il  publie  de  !  809  à  1811  trois  collections  de  sermons 
ordinaires  et  funèbres  (Propovedanie)  qu'il  a  dû  écrire  et  pro- 
noncer étant  curé.  Après  avoir  présenté  au  public  le  fruit  de 
ses  efforts  oratoires,  qui  est  maintenant  très  peu  apprécié,  on 
le  voit  paraître  en  1812  comme  historien  avec  son  «  Histoire 
de  l'origine  des  Roumains  en  Dacie  »  (Istoria  pentru  inceputulù 
Românilorû  in  Dacia),  volume  de  347  pages.  Selon  Tiie  Maio- 
resco  c'est  tout  simplement  un  plagiat,  un  abrégé  de  la  «  Chro- 
nique »  de  Si/i/i(ii.  On  peut  la  considérer  aussi  comme  une 
paraphrase  documentée  du  «  Supplex  libellus  »  .  Mais  qu'im- 
porte! "  C'est  Petru  Maior  qui  a  feit  le  plus,  dit  Michel  Kocjal- 
iiiceann  dans  la  préface  de  son  "  Histoire  de  la  Moldavie»  pour 
éveiller  l'esprit  national  parmi  ses  compatriotes  roumains,  et 
Ton  aurait  tort  de  ne  pas  convenir  de  l'effet  considérable  et 
profond  produit  par  cet  ouvrage  dans  lequel  l'imagination  prend 
des  allures  scientifiques.  » 

(;:ie  fut  le  slave  Ko/iiioi-  qui  se  donna  la  peine  de  le  critiquer 
en  premier  lieu  (dans  la  <<  Literatur  Zeitung  "  paraissant  à 
Vienne).  Il  déclara  que  les  assertions  de  Muior  étaient  en  con- 
tradiction llagrante  avec  les  données  de  l'histoire  des  Slaves.  En- 
suite parut  à  Halle  une  brochure  anonyme  sous  le  titre  «  Erweis 
dass  die  Walachen  nicht  rœmischer  Abkunftsind»  (Preuve  que 


302        MAGYARS    KT    ROUMAINS    DEVANT    LJIISTOIRE 

les  Uouniains  ne  sont  pas  d'origine  romaine).  M<iior  riposta 
|>ersonnellcuient  à  A^y^/V»^//-,  provoquant  ainsi  une  vraie  polémi- 
cpje  qui  dura  de  181  3  à  !  8  I  G.  Quaiilà  la  critique  de  Ilallc,  parue 
en  I8:i;}  après  la  mort  dcMaior.  ce  fut  BozsiiiLn  (jui  se  chargea 
d  \  réj)ondi'c  en  î  827. 

Imi  dehors  des  livres  susdits,  Ma/orne  j)ublia  plus  rien,  quoi- 
qu  ileùt  travaillé  jusqu  à  sa  mort,  survenue  le  Kî  février  1827, 
au  (lictionnaiie  commencé  pai-  k/c/ii  ainsi  (|u'à  une  histoiie 
ccclésiasli(|ue.  il  esl  reste  de  lui  en  manuscrit  une  grammaire 
roumaine  écrile  é;|alement  en  latin,  à  laquelle  il  aurait  \  oulu 
ajouter  son  étude  inliluléc  :  "  Orthographia  tiaco-romana  sive 
\alachica  "  .  Le  dialo(;ue  sur  l'origine  de  la  langue  roumaine 
[)aiut  eu  1825,  a  la  tète  du  "  Lexicon  de  Bude  »  ,  de  l'une  des 
(l'iivrcs  caj)i(ales  de  «  l'Ecole  de  lialàzslalva.  » 

Au  moment  où  Maiof  vivait  à  Pcsi/i,  la  future  capitale  de  la 
lloïK/ric  renfermait  une  colonie  de  commerçants  macèdo-rou- 
mains  très  considérable.  «  Ce  fut  cette  ville  (jui  servit  longtemps 
de  pointde  contact  entre  les  Principautés  danubiennes  et  l'Oc- 
cident, dit  LiKjo-idiio  avec  raison.  Lestrafjédies  (V Alcxandic  lict- 
(Untdii  :  il  Mortea  lui  Abel  "  et  «  Tragedia  lui  Orest  »  y  furent 
imprimées  conjointement  aux  ouvrages  de  Mou/an  et  de  Hai/ia- 
rA'/.'  Pour  soutenir  une  école  greC(jue-orientale  nouvellement 
fontlée,on  V  créa  en  1815  une  «Union  des  femmes  roumaines^  , 
parmi  les  londatiices  de  hupielle  on  rencontre  le  nom  de  plu- 
sieurs dames  honj^roises. 

Si  1  on  considère  le  séjour  des  coryphées  du  loumanisme 
en  IloïKjric  et  le  caractère  des  historiens  hongrois  de  l'époque 
tels  (\\\  Eiicnne  tforvuili  et  Fi(tiiç(>/s  OiroliDcsi^  uni(pieinent 
préoccupés  de  pénétrer  le  mystère  de  l'origine  de  la  race  ma- 
gyare, il  lautavouer  qu'attribuer  la  genèse  de  la  «Chronique» 
de  .S'////.Y// ou  de  a  l'Istoiia  »  de  Ma/or  ii  linHuence  allemande 
d'un  tirhic  on  d'un  Arndi^  comme  le  fait  M.  rraliia,  est  de  la 
malveillance  pure.  En  ^axi  iWiUcnKignc,  Klein,  Sinluti  ei  Maior 
ne  connaissaient  que  l'iciinc  sous  le  règnede  JA///e-77/eVèA7'et  au 
commencement  du  régne  de  Joseph  II,  et  c'était  une  ville,  par 
excellence  cosmopolite  de  la  monarchie  des  Udhshotirg.  Un 
milieu  pareil  ne  pouvait  engendrer  aucun  sentiment  patrioti- 


LIV  IIE   ÏUOISIE.ME  3ô3 

que  aux  rares  Roumains  qui  s'y  trouvaient.  C'est  donc  plutôt 
Pierre  Missir  qui  dit  la  vérité  en  affirmant  que  le  chauvinisme 
entêté  des  Honnidiiis  de  la  Transyliuinie  s'explique  surtout  par 
l'exemple  donné  parles  Mat/jars. 

En  tout  cas  il  v  eut  un  apaisement  notable  dans  les  relations 
entre  les  deux  races  pendant  le  premier  tiers  du  XIX^  siècle, 
{jràce  au  contact  intellectuel  de  leurs  savants  et  au  désappoin- 
tement profond  que  la  conduite  inexplicable  de  l'administration 
et  de  l'armée  impériales  dans  les  troubles  de  1784  leur  avait 
causé.  Elles  comprirent  enfin  qu'elles  ne  devaient  pas  chercher 
leur  salut  en  dehors  de  leur  union  étroite. 

Après  la  mort  de  l'évèque  orthodoxe  Adamovich  (ITOG),  son 
sié^e  épiscopal  resta  pendant  quatorze  ans  innoccupé.  On  doit 
imputer  la  longueur  de  cette  vacance  à  l'espoir  secret  que  la 
cour  de  Vienne  nourrissait  au  sujet  de  l'extension  recroissante 
probable  de  l'union  au  sein  d'un  troupeau  dépourvu  de  son 
pasteur.  Il  y  eut  effectivement  des  velléités  de  rapprochement 
entre  les  Roumains  unis  et  orthodoxes,  mais  elles  tendaient 
surtout,  sans  doute  sous  l'influence  de  «  l'école  balazsi'alvienne  » 
à  leur  union  sociale  et  politique.  Car,  à  peine  apprit-on 
qu'à  l'assemblée  de  Gyulafehérvàr  convoquée  en  1798  en  vue 
de  la  réunion  des  deux  clergés,  Jain  Bobb,  Tévéque  uni,  vou- 
lait figurer  comme  évéque  de  tous  les  Roumains,  que  les 
orthodoxes  se  refusèrent  de  s'v  rendre  et  faisaient  ainsi  échouer 
toute  l'entreprise. 

Contrariée  dans  ses  desseins,  la  cour  de  Vienne  ne  se  décida  à 
nommer  un  évéque  orthodoxe,  sur  les  propositions  d'une  as- 
semblée électorale,  qu'en  1810.  Son  choix  tomba  sur  Vasile 
Moga  le  second  candidat,  car  il  était  Roumain  et  elle  espérait 
que  comme  tel,  il  serait  à  sa  dévotion.  Or  en  réalité  c'était 
un  bon  patriote  qui  ne  visait  que  la  tranquillité  du  pays  et  le 
rétablissement  de  la  bonne  harmonie  entre  ses  habitants. 

Aussitôt  après  sa  nomination,  Moga  partit  pour  Vienne  afin 
d'y  obtenir  quelques  avantages  pour  le  clergé  orthodoxe.  Ce  fut 
un  désappointement  pour  le  parti  réactionnaire,  qu'il  lui  fit 
payer  non  seulement  par  un  refus  catégorique  mais  par  des 
instructions  caractéristiques,  utiles  à  connaître  pour  la  coni- 

23 


354  MAGYARS  KT  ROUMAINS  DEVAÎ4T  L'HISTOIRE 
préhension  de  certains  côtés  de  la  question  magyaro-roumaine. 
a  C'est  le  niveau  intellectuel  du  clergé  qui  élève  celui  du 
peuple,  y  lit-on  au  dix-huitième  paragraphe  ;  on  a  donc  ordonné 
dès  le  principe  que  Ton  enseignerait  aux  séminaristes  les 
devoirs  de  Thomme  envers  Dieu,  ses  supérieurs  et  Thumanité. 
Ils  devaient  savoir  lire  et  écrire,  connaître  le  catéchisme  et 
les  quatre  règles  de  1  arithmétique.  On  devait  exiger  d'eux  qu  ils 
aient  passé  non  seulement  par  les  classes  élémentaires,  mais 
aussi  par  les  classes  de  grammaire  et  qu'ils  sachent  la  langue 
niagvare,  si  utile.  Ce  sera  le  devoir  de  l'évêque  de  veiller  sur 
tout  ceci  '-  . 

Ainsi  on  reconnaît  d'une  part  l'ignorance  crasse  des  popes, 
et  de  1  autre  on  leur  impose  la  connaissance  du  magyar,  le 
considérant  prohablement  comme  indispensable  pour  leur 
dèveiop|)ement  intellectuel  ultérieur. 

L  évè([ue  Mor/a  Ht  énormément  pour  l'éducation  de  son 
clergé.  Il  érigea  un  séminaire  à  iW/z/v-^rt^/^t'// et  envoya  plusieurs 
jeunes  séminaristes  à  l'étranger  pour  y  compléter  leurs  études. 
Et  comme  le  «  gubernium  "  paraissait  être  tout  disposé  à 
lui  venir  en  aide  sous  ce  rapport  en  suivant  l'exemple  donné 
par  la  Diète  hongroise,  il  s'établit  pour  un  certain  temps  une 
telle  intimité  entre  les  Mdgydis  et  les  Roiinun'ns  de  la  Transyl- 
vimic^  cpie  Mofja  prescrivit  a  son  clergé  de  consacrer  à  sniui 
Kiii'it  c,  fondateur  de  la  f/oiu/rir,  une  iéte  annuelle,  le  même 
jour  que  les  catholiques  (ISil;  et  que  non  seulement  il  corres- 
pondit a\  t'C  le  <i  gubernium  ■  mais  il  fit  tous  ses  etforts  afin 
que  les  procès-verbaux  des  synodes  fussent  rédigés  aussi  en  ma- 
gyar. Quand  lévéque  uni  Jran  Bobb  meurt  en  I  8;i(),c'estun  ser- 
mon en  magvar  que  le  vicaire  général  Lemcnyï  prononce  à  son 
enterrement. Nommé  évéqueà  son  tour,  Lciik-h y i àownekX  é\è- 
ché  un  caractère  absolument  magvar;  ses  séminaristes  s'habi- 
tuent tellement  au  magvar,  qu'ils  le  préfèrent  au  roumain.  Il  y  a 
même  des  velléités  d'introduire  dans  la  liturgie  grecque  unie  le 
magyar  (I8il  d'après  la  traduction  d'un  prêtre  uni  de  la 
l'ri-fc  (les  Sien/es,  que  Tévéque  soutient  mais  cette  tentative  ne 
peut  pas  aboutir  par  suite  de  la  résistance  inattendue  du  prince- 
primat  de  HoïKjric,  interrogé  à  ce  sujet  par  le  «  gubernium  » . 


LIVllE   TROISIEME  355 

Cette  extension  de  la  langue  magyare  se  fît  dans  des  con- 
ditions si  naturelles  que  la  littérature  roumaine  n'en  pâtit  nulle- 
ment, puisque  à  l'Lcole  balâzsfalvienne,  où  le  nombre  des 
élèves  atteignit  trois  cent,  on  put  improviser  un  petit  théâtre 
dans  lequel  les  élèves  et  les  séminaristes  jouèrent  pendant  les 
vacances  de  Noëlderannée  183:i  la  première  pièce  de  théâtre 
roumaine.  La  «  Gazeta  de  Trasilvania  •)  parut  en  1838  avec 
un  supplément  littéraire,  suivie  en  18  47  d'un  journal  plus 
sérieux,  intitulé  :  «  Organulu  Luminaei  ^  sur  les  plans  conçus 
par  l'évèque  Leniénji  lui-même. 

Pendant  ce  temps-là  on  peut  également  constater  dans  les 
principautés  danubiennes  quelques  symptômes  d'un  dévelop- 
pement, lent  mais  sur,  du  progrès  intellectuel  et  national.  Les 
difficultés  que  le  roumanisme  dut  y  vaincre  étaient  d'une 
nature  très  spéciale.  Les  vayvodes  fanariotes  y  avaient  introduit 
la  lanpue  grecque  dans  des  conditions  tout  à  lait  dangereuses 
pour  le  roumain.  Grégoire  Ghicn  érigea  en  1 748  kJassy  une  école, 
qu'il  fit  appeler  pompeusement  <>  vayvodale,  »  où  les  deux  pre- 
miers professeurs  enseignèrent  le  grec  ancien  et  moderne,  un 
troisième  la  langue  slave  ancienne,  et  un  quatrième  seulement 
le  roumain.  Il  est  vrai  que  dans  les  trois  écoles  «  épiscopales  » 
dont  il  imposa  la  création  aux  trois  évèques  du  pays,  on  n'ap- 
prenait que  le  slave  et  le  roumain,  mais  aussi  défectueusement 
que  possible  (I). 

C'est  de  la  Transyliumie  que  vient,  encore  la  réaction  en 
faveur  du  roumanisme  contre  cet  état  de  choses  déplorable. 
Si,  en  Moldavie,  l'instigateur  de  cette  réaction,  Georges  Asaki, 
n'est  pas  transylvanien  et  s'il  fait  ses  études  d'ingénieur  à 
Leiiiberf/,  capitale  de  la  Galicie,  et  ensuite  en  Allemagne,  quand 
en  1820,  sous  la  protection  du  métropolite  Venjainin,  il  veut 
donner  de  l'importance  â  son  école  ouverte  en  18!  3,  il  va  en 
Transylvanie  pour  y  recruter  les  quatre  professeurs  dont  il  a 
besoin  pour  les  sciences  abstraites  :  esthétique,  théolo- 
gie etc., 

Geon/es  Làzâr,  son  imitateur  à  Bucarest,  naquit  au  contraire 

Ail.  DBNSUhiANO,  Istoria  liinbei  si  literatuiji  rointite.  Jassy,  1894,  p.   146  et 
147. 


356  MAGYAUS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
à  l'elok  dans  le  département  de  Stchen,  et  fut  Tun  des  quatre 
jeunes  théologiens  envoyés  à  Vienne  par  Moga  pour  parachever 
leurs  études.  Ayant  fait  son  droit  à  Kolozsvâr^  au  centre  ma- 
xryar  de  la  T'irinsylvanie ,  il  ne  devint  séminariste  qu'à  Tàge 
où  les  autres  se  font  déjà  consacrer  prêtre.  Avec  son  esprit 
ouvert  à  tout,  il  sut  s'appropier  pendant  son  séjour  à  Vienne 
assez  de  notions  de  géométrie  pratique  pour  se  mettre  à  même 
de  remplir  Toffice  d'un  géomètre.  Grâce  à  cette  aptitude,  il  put 
hardiment  secouer  le  joug  hiérarchique,  quand  il  échoua  dans 
sa  tentative  de  devenir  évéque  de  rite  grec-oriental  à  Versecz 
en  Jlonr/n'e  et  reçut,  à  cause  d'un  sermon  agressif,  des  semon- 
ces très  sérieuses  de  Moga.  Blessé  dans  son  amour-propre  de 
prêtre,  il  quitta  .S're/^e//.  et  s  installa  à  Bucarest  pour  y  faire  valoir 
son  savoir  (I8l(j).  Ce  ne  fut  pas  de  ses  connaissances  trans- 
cendantes qu'il  tira  parti.  Il  trouva  plus  aisément  à  s'occuper 
comme  géomètre,  car  on  était  en  train  de  faire  faire  à  cette 
épo(|ue  ime  espèce  de  cadastre  pour  toute  la  Valachie.  Ne  pou- 
vant suffire  à  toutes  les  demandes,  Làzàr  eut  alors  l'idée  de 
fonder  une  école  roumaine  de  géomètres  sur  le  modèle  de 
celle  créée  à  Jassy  par  Asahi.  Dans  cette  école,  installée 
dans  le  couvent  de  Sainte-Saïui,  il  eut  pour  auditeurs,  non  seu- 
lement les  élèves  de  l'école  grecque,  mais  des  commerçants, 
des  employés,  voire  même  des  professeurs  qu'il  sut  y  attirer  par 
l'originalité  de  son  enseignement,  entrecoupé  de  digressions 
historiques  et  littéraires  exaltant  le  roumanisme  et  rapportant 
les  résultats  ohtenus  à  cet  égard  en  Transybumie.  Sa  parole 
imagée,  persuasive  et  abondante  convainquit  bientôt  tout  le 
monde  de  la  possibilité  d'enseigner  en  roumain  toutes  les 
sciences.  Aussi  Poieca  et  Poenaro, deux  professeurs  à  1  école 
grecque,  se  mirent-ils  immédiatement  à  l'imiter.  Par  suite  d'é- 
vénements dont  il  sera  question  plus  loin,  L^i-//-;- dut  quitter  Bu- 
carest  en  1821  et  abandonner  son  reuvre,  si  brillamment  com- 
mencée. Il  rentra  alors  en  Transj  liuinie  à  Felek  même,  où  il 
mourut  à  quarante  trois  ans,  en  1823(1). 

(i:  On  lit  sur  sun  iiiuiiuincnt  funéraire  le  disti(|ue  ruuuiain^suivant  composé 
par  son  élève  le  comte  Rosetti,  donateur  du  monument  :  Comme  Jésus  ressuscita 
Lazare  de  sa  mort,  toi  (L'zâr)  tu  éveillas  la  Roumanie  de  sa  létharfjie! 


LIVRE   TROISIEME  357 

Mais  il  est  probable  que  des  moyens  aussi  anodins  n'eussent 
pas  suffi  à  éliminer  1  influence  grecque  du  roumanisme. 
Grecque  fut  la  langue  de  la  liturgie  orthodoxe  ainsi  que  de  la 
société  roumaine  en  général,  et  les  aïeux  de  plus  d'un  cham- 
pion actuel  de  la  cause  roumaine  se  fussent  sentis  terri- 
blement humiliés  si  on  les  eiit  appelés  à  cette  époque  des 
Roumains.  Il  fallait  le  soulèvement  de  T/ieodore  Vladimh-esco 
pour  obtenir  un  résultat  réellement  favorable  au  roumanisme 
quoique  son  importance  n'ait  été  ni  prévue,  ni  directe. 

En  effet,  si  après  le  règne  de  Caragéa,  d'ailleurs  auteur 
du  code  roumain  (Gondica  luiCaragea),  mais  dont  la  soif  d  ar- 
gent ne  connut  pas  de  bornes  et  se  manifesta  surtout  dans  la 
création  de  plus  de  quatre  mille  boéries  nouvelles,  achetées 
toutes  pour  des  sommes  diverses  ;  si  après  la  mort  subite  d'^4/eiv///- 
dre  Sulzu,  son  successeur  et  imitateur  en  extorsion,  survenue  en 
1821,  Vladiiniresco  se  met  a  la  tête  de  la  population  des  dis- 
tricts de  Gorj  et  de  Mehedincz,  il  n'a  qu'un  but  :  anéantir  les 
boérs,  d'après  ses  propres  proclamations,  «  car  les  maîtres  du 
pays,  les  boérs  roumains  et  grecs  nous  ont  tellement  dépouillés 
et  ravagés,  que  nous  ne  possédons  plus  rien  en  dehors  de  nos 
âmes!  «  Et  en  réalité,  ses  hommes  ne  firent  que  piller  et  sac- 
cagers  les  boérs  sans  se  soucier  de  leur  nationalité.  Ce  n'est 
qu'en  s'emparant  de  Bucarest  que  le  nouveau  Hora  se  rappela 
de  la  suzeraineté  de  la  Sublinie-Porie  et  voulut  s'en  affranchir. 

Tel  qu  il  était,  ce  soulèvement  arrivait  juste  à  point  pour  la 
Héiaira,  cette  fameuse  société  des  Philheliènes,  fondée  par 
Michel  Skufoo  à  Odessa  en  vue  de  la  réalisation  du  testament  de 
Pierre  le  Grand,  c'est-à-dire  de  la  reprise  de  Constantinople  sur 
les  Turcs  au  profit  de  la  Puissie.  wSon  chef  d'alors  Alexandre 
} psilauti,  fils  d'un  ancien  vay\ode  de  la  Valac/n'e,  n'y  voyait 
quune  bonne  occasion  pour  recommencer  la  guerre  contre  la 
Turquie.  S'étant  entouré  d'une  loule  d'émigrés  chrétiens  ban- 
nis par  le  sultan,  il  traversa  le  Prutli  et  s'avança  sans  coup  férir 
jusqu'à  Bucarest,  car  on  croyait  qu'il  était  envoyé  par  la  Russie 
et  personne  n'osait  lui  barrer  le  chemin.  Entre  temps  Vladimi- 
resco,  transformé  en  libérateur  national,  se  trouva  presque 
complètement  abandonné  par  ses  hommes,  uniquement  préoc- 


358  MAGYAllS  ET  llOUMAI^sS  DEVAINT  L'III.STOIRE 
ciipés  de  briganda^jc.  Il  se  retira  donc  àJ^itcsii,  pour  y  attendre 
quelle  tournure  prendraient  les  événements,  car  sortis  de  leur 
indolence,  les  Tmrs  arrivaient  déjà  en  nombre  delà  Bulgarie, 
ïpsilditii,  menacé  des  deux  côtés,  se  retira  alors  à  Tirgoviat  et 
ne  sachant  pas  exactement  sil  pouvait  se  tier  à  l'iddim/rcsco, 
décida  sa  perte.  A  cet  effet,  il  Tattira  dans  un  guet-apcns  et  le 
fit  prendre  et  conduire  par  ses  Arnoides  à  Trigavisi  où  on 
lexécuta  deux  jours  après. 

Si,  après  ce  meurtre,  )'/)sila/iii  peut  renforcer  son  armée 
avec  les  partisans  de  Vladimiresco,  il  ne  devient  pas  encore 
assez  fort  pour  se  mesurer  avec  les  Tans.  Mais  la  bataille  est 
cependant  inévitable;  elle  a  lieu  à  Hragasan  et  se  termine  par 
la  défaite  d'  Ypsilanii,  qui  se  réfugie  à  Brassi)  en  Transylvanie. 
Ce  furent  encore  les  Turcs  qui  eurent  le  dessus  en  Moldavie 
contre  les  troupes  de  la  Iléiaïra  dans  trois  rencontres  san- 
glantes. Sans  épargner  précisément  les  Roumains,  ils  tournè- 
rent alors  leur  courroux  contre  les  Grecs,  et  les  considérant 
tous  comme  autant  de  suppôts  de  la  société  philhellcne  qui 
leur  suscitait  partout  des  difficultés,  ils  les  exterminèrent  et  les 
chassèrent  du  pays  en  mettant  fin  du  même  coup  à  la  domina- 
tion grecque  dans  les  vayvodies  et  en  rendant  les  trônes  vayvo- 
daux  à  des  Roumains,  comme  c  était  l'usage  avant  1711.  On 
nomma  pour  sept  ans  Jean  Siurdza  vayvode  de  la  Moldavie  et 
Grégoire  Ghira  vayvode  de  la  Idlac/i/c. 

Le  roumanisme  gagna  beaucoup  de  terrain,  pendant  le 
séjour  en  Transylvanie  des  boérs  en  fuite,  car  on  fraternisa 
ferme  entre  lloama/ns  de  laJransylvanie  et  des  vavvodies.  Les 
derniers  se  montrèrent  très  larges  envers  les  églises  ortho- 
doxes du  pavs.  Le  prince  Itrancovan  donna  à  lui  seul  deux 
villages  de  la  \  (dachie  à  l'église  de  Brasso, 

Parallèlement  aux  intrigues  politiques  qui  se  nouèrent  à  ce 
moment  parmi  les  réfugiés  compromis  sur  l'instigation  du 
consul  russe  /'///z  contre  le  vavvode  G/iica,  des  préoccupations 
littéraires  s'emparèrent  de  la  jeunesse  expatriée  et  condamnée 
à  l'oisiveté.  Ils  choisirent  dans  leurs  rangs  Geortjes  Golesco  et 
firliade  Radulesco  et  les  chargèrent  de  la  rédaction  d'un  pro- 
gramme secret  visant  la  création  de  plusieurs  écoles,    d'un 


LIVRE   TUOISIÈME  359 

journal  et  triin  théâtre  roumains,  de  ia  traduction  en  roumain 
des  chefs-d'œuvre  des  littératures  étrangères  et  de  la  fondation 
d'une  société  littéraire.  Et  effectivement,  à  peine  retournés  à 
Bucarest,  en  182G,  après  avoir  fait  la  paix  avec  le  vayvode 
Ghi'ca,  ils  constituèrent  la  société  en  question,  éditèrent  une 
grammaire  roumaine  de  Radidesco  à  ISagy-Szebeji,  firent  fer- 
mer toutes  les  écoles  grecques  et  rouvrirent  l'école  de  Lùzàr. 
Excité  par  cet  exemple,iS/i/?v/rrt  ne  voulut  pas  se  laisser  distancer 
et  fonda  en  Moldavie  "  l'École  Vasilienne.  « 

Telle  est  la  reproduction  exacte  de  l'état  du  roumanisme 
intellectuel  sortant  de  ses  langes  :  à  cause  de  ses  affinités  des- 
tiné à  s'entendre  avec  le  magyarisme  et  le  libéralisme,  mais 
condamné  à  subir  encore  une  nouvelle  déception,  en  servant 
de  champion  aussi  aveugle  qu'exalté  à  l'autocratie  moscovite. 


CHAPITRE  VII 


i.A   lUiNAissANci;   i)i:  LA   iio.N(;i;ii; 


Ce  ne  lut  (jii  un  coui't  repos  de  vin^jt-neuf  ans  (jue  la //o/^yy/e 
s  accorda  au  sortir  de  ses  luttes  séculaires  avec  les   Turcs,  au 
lendemain  de   la  conclusion  du  traité  de  paix  de   Szaihniài . 
L  avèneuient  au  troue  de  ManC-Thcrè.se  (17  40    la  trouva  déjà 
assez  réconfortée  pour  pouvoir  tirer  son  épée  en  faveur  de  son 
roi  menacé   et  pendant  la  «  Guerre  de  sept  ans  "  elle  fournit 
aux  armées  impériales  des  hommes  et  des  subsides  sans  inter- 
ruption et  avec  régularité.   Preuve  irrécusable  de  sa  vitalité 
physique  extraordinaire,  mais  qui  toute  seule  n'eût  pas  suffit 
à  conserver  1  existence  nationale  de  la  race  magyare.  Il  fallait 
que  son  génie  se  manifestât  non  seulement  sur  le  terrain  des 
questions  sociales  et   de  l'économie  politique  mais  aussi  sur 
celui  de  la  littérature  et  des  sciences.  Car  fertile  au  possible 
dans  ses  plaines,  d'une  richesse  minérale  variée  et  inépuisa- 
bles au  sein  de  ses  montagnes,  le  pays  retardait  d'au  moins 
deux  siècles  sur  le  restant  du  monde  civilisé  par   suite  de  la 
rareté  de  sa  population  et  de  l'absence  de  toute  industrie  dis- 
parue en   partie    ou  totalement    pendant    la   domination  des 
Tans.  Si   son  antique  constitution  était  toujours  en  vigueur, 
elle  ne  pouvait  pas  servir  le  progrès,  tant  à  cause  de  son  carac- 
tère essentiellement  nobiliaire  et  de  son  fonctionnement  lent 
et  compliqué  qu'à  cause  de  la  manière  dont  la  cour  de   Vienne 
comprenait  son  application.  Les  Diètes  n'eurent  que  le  temps 
de  voter  le  nombre  de  recrues  exigé  par  le  gouvernement  avec 
les  londs  nécessaires  pour  leur  entretien,  et  elles  avaient  déjà 
leurs  ordres  du  jour  épuisés.  Vers  la  fin  du  règne  de  Marie- 
lliérèse  et  sous  Joseph  II  on  ne  les  convoqua  même  pas.  Aussi 
celle  de   ITîX),  réunie  à  l'occasion  du  couronnement  de  Léo- 
pold  II  eut-elle  une  altitude  tellementhostile  —  l'un  des  moins 
grands  départements  ne  voulut  pas  admettre  le  couronnement 


LIVUE    IROISIÉME  361 

(Ugocsa  non  coronat),  —  que  le  nouveau  roi  consentit  à  )a 
sanction  du  fameux  article  X  de  ia  loi  de  17!)1  qui  reconnaît 
à  la  Hongrie  le  droit  d'être  indépendamment  gouvernée  et  non 
pas  avec  les  pays  héréditaires.  Malheureusement  ce  succès 
platonique  n'eut  pas  de  lendemain.  Les  complications  interna- 
tionales suscitées  par  la  France  républicaine  et  impériale 
fournissaient  un  prétexte  plausible  pour  Tajournement  de 
toute  rénovation.  D'ailleurs  les  Hongrois  croyaient  que  ce 
serait  exploiter  les  malheurs  de  la  dynastie  que  d'insister  pour 
la  réalisation  de  ses  promesses  dans  des  moments  aussi  criti- 
ques. Se  sentant  soutenu  par  les  forces  réunies  de  la  «  Sainte 
Alliance  »  ,  François  P  ,  le  beau-père  de  ]\ap')/(.'on,  suspendit 
même  le  retour  triennal  de  la  législation  et  ne  convoqua  pas 
de  Diètes  depuis  1811  jusqu'en  1825,  —  en  Ti'ansyii'iniie  jus- 
qu'en 183i,  —  se  contentant  de  gouverner  à  laide  de  rescrits 
et  d'ordonnances  parfaitement  illégaux. 

Comme  dans  les  plus  tristes  époques  de  l'occupation  turque 
la  Hongrie  libérale  et  intellectuelle  se  réfugie  alors  dans  les 
«  conseils  départementaux  ».  Ils  étaient  formés  de  la  généra- 
lité de  la  noblesse  de  chaque  département,  mais  avec  le  droit 
de  se  compléter  par  l'admission  des  nobles  marquants  des 
autres  départements  (les  "  Tâblabirôk  iî),  et  leur  importance 
politique  consistait  dans  leur  double  fonction  de  recevoir  et 
de  discuter  les  communications  du  gouvernement  et  d'élire 
les  députés  pour  la  diète,  deux  par  département,  qui  n'étaient 
en  réalité  que  leurs  délégués  avec  un  mandat  impératif,  obli- 
gés de  consulter  leurs  mandants  au  sujet  de  chaque  question 
surgissant  dans  le  courant  de  la  session  législative.  Rouages 
politiques  assurément  très  pesants  et  peu  faits  pour  hâter 
l'expédition  prompte  des  affaires,  les  conseils  départementaux 
étaient  cependant  autant  de  fovers  de  libéralisme  et  de  patrio- 
tisme, servant  d'école  pour  les  orateurs  et  pour  les  hommes 
politiques  et  de  champ  de  manœuvre  pour  les  partis.  Avec 
leur  droit  de  se  communiquer  leurs  résolutions,  ils  agissaient 
directement  sur  l'opinion  publique,  et  l'administration  dépar- 
tementale entièrement  élective;  — le  préfet  (fô-ispàn)  excepté, 
—  leur  appartenait  aussi,  car  ce  fut  leur  influence  qui  se  fit 


3(i2         MA(;VAKS    ET    ROUMAINS    DKVA^iT    L'HISTOIRE 

l)révaloir  à  cliaque  renouvellement  triennal  du  personnel 
administratif  (tisztujitcis)  (I).  Naturellement  ils  représentaient 
des  tendances  différentes  selon  la  nationalité,  le  degré  de  Tins- 
truction  et  le  tempérament  de  leurs  membres  :  les  conseils 
départementaux  des  contrées  habitées  par  les  Magyars  étaient 
par  exemple  les  plus  avancés,  et  il  arrivait  même  que  leurs 
jnajorités  s'étant  déplacées  pendant  la  durée  d'une  diète,  ils 
révoquaient  les  députés  lidèles  à  leurs  mandats  primitifs. 

Bref,  si  Ton  pouvait  considérer  les  Diètes  comme  les  pôles 
positifs  des  courants  de  l'opinion  publique  en  HoiKjrie  et  en 
'fransylvanic,  les  Conseils  départementaux  en  étaient  les  pôles 
négatifs,  incapables  d'agir,  mais  admirablement  faits  pourrésis- 
ter  et  pour  fatiguer  ])ar  leur  résistance  autant  de  fois  répétée 
(|u'il  V  avait  de  départements  dans  les  deux  pays,  les  hommes 
d  État,  même  de  la  trempe  d'un  Meiicrin'c/i,  et  pour  faire  jaillir 
de  leur  contact  avec  les  Diètes  les  étincelles  les  plus  éblouis- 
santes du  libéralisme  vrai,  tolérant  et  patient,  générateur  d'une 
justice  incorruptible,  multiplicateur  des  énergies  nationales, 
précurseur  de  tous  les  progrès,  inspirateur  de  toutes  les  créa- 
tions artistiques  ou  littéraires  les  plus  élevées! 

Du  moins  tel  était  le  libéralisme  hongrois  au  lendemain  de 
la  Révolution  française,  après  avoir  été  enivré  par  la  quintes- 
sence des  idées  généreuses  et  humanitaires  qui  ont  agité  celle-ci 
dans  la  nuit  du  quatre  août,  à  la  létede  la  Fédération,  et  après 
avoir  entendu  la  parole  fatidique  de  Napoléon,  rappelant  aux 
Magyars  leurs  antiques  vertus,  leur  ancienne  grandeur.  Si  à 
cet  appel  glorieux,  tombé  de  telles  lèvres,  ils  restèrent  sourds, 
gardant  leur  fidélité  a  leur  souverain  en  détresse,  ils  n'eu 
ressentirent  pas  moins  im  contre-coup  formidable,  exaltant 
leur  orgueil,  excitant  leur  ambition.  Le  pétrisseur  de  V Europe 
moderne  les  ayant  trouvés  dignes  de  prendre  part  à  l'exécu- 
tion de  son  œuvre,  ils  se  mirent  incontinent  au  travail,  sûrs 
de  la  réussite  et  confiants  dans  1  avenir. 

Leurs  moyens  d'action  étaient  cejiendant  bien  insuffisants, 
hélas!  Pour  la  cour  de  l'ie/inc,  la  J/oïK/r/c  n  était  (pi'un  coin  de 

(1)  Système  adiiiiiiistratif  eni'Orc  actucllcineiit  en  \  l|]iieiir.  incoinpaliljlc  avec  la 
responsabilité  ministérielle  et  consé(|ueinment  condamné  à  disparaitre. 


LIVRE   TIIOISIKME  363 

VAsie  égaré  en  Europe,  ne  méritant  pas  sa  sollicitude  tant 
qu'elle  resterait  aux  mains  d'un  peuple  à  moitié  barbare,  inca- 
pable de  comprendre  les  bienfaits  d'un  absolutisme  pangerma- 
nisant,  les  beautés  de  la  pédanterie  bureaucratique.  Protectrice 
indirectement  intéressée  de  l'industrie  et  du  commerce  des 
pays  héréditaires,  elle  ne  se  souciait  nullement  de  soustraire 
à  leur  tutelle  une  population  légalement  protégée  par  sa 
constitution  contre  les  manœeuvres  financières  des  ministres 
impériaux.  Quant  à  la  généralité  de  l'aristocratie  hongroise, 
quoiqu  au  fond  très  patriote,  elle  subissait  inconsciemment  son 
influence  antinationale,  comme  toute  aristocratie  subit  celle 
de  la  cour  de  son  souverain,  et  se  désintéressait  peu  à  peu  de 
tout  ce  qui  concernait  la  HoiKjrie  et  les  afi'aires  publiques  bon» 
groises,  en  oubliant  sa  langue  maternelle  et  en  devenant,  dans 
la  capitale  impériale,  sa  résidence  préférée,  de  plus  en  plus 
allemande. 

La  classe  moyenne,  composée  de  propriétaires  terriens,  cor- 
respondant à  la  fjenlry  anglaise,  vivait  dans  une  médiocrité 
dorée  sans  aucune  préoccupation  supérieure,  ayant  pour  devise 
la  phrase  fameuse  :  «  Extra  Hungariam  non  est  vita  »  .  Gomme 
elle  tenait  aux  avantages  de  ses  privilèges,  elle  était  très  consti- 
tutionnelle, mais  par  cela  même  très  conservatrice  aussi, 
ayant  la  conviction  que  les  innovations  les  plus  utiles  n'étaient 
que  des  pièges  pour  la  faire  travailler  ou  limposer,  tandis 
qu'elle  ne  devait  servir  la  patrie  que  l'épée  à  la  main  ou  comme 
législateur,  voire  comme  magistrat  et  avocat. 

Heureusement,  l'instruction  publique  étant  tout  à  fait 
confessionnelle,  il  y  avait  à  cet  égard  grande  rivalité  entre  les 
catholiques  et  les  protestants  au  profit  du  savoir.  Les  proles- 
seurs,  soit  qu'ils  aient  appartenu  à  des  ordres  religieux  ensei- 
gnants,  tels  que  Bénédictins  ou  Piaristes  soit  qu'il  aient  été 
boursiers  aux  universités  allemandes  ou  hollandaises  protes- 
tantes, n'ignoraient  aucun  progrès  scientifique  ou  social  accom- 
pli en  Occident  et  brûlaient  du  désir  de  les  voir  appliquer  en 
Hongrie,  désir  partagé  également  par  les  officiers  en  activité, 
ou  ayant  servi  dans  les  armées  impériales  et  connaissant  con- 
séquemment  V Italie,  VAllein(u/iie  et  le  Midi  et  l'Est  de  la  France. 


364-        MACYAIIS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIUE 

La  l)ourgeoisie  proprement  dite  ne  comptait  [)as  en  Hongrie 
ni  politi(|ueraent  —  n'ayant  en  tont  (pi'nne  seule  \o\\  collective 
à  la  diète  et  étant  exclue  des  conseils  départementaux  —  ni 
au  point  de  vue  national  ;  car  elle  se  composait  pour  les  neuf 
dixièmes  au  moins  d  AlIciiKinds  depuis  plus  ou  moins  longtemps 
immigrés  qui  formaient  un  monde  à  part  dans  TÉtat  et  gar- 
daient religieusement  leurs  coutumes  et  mœurs  étrangères,  avec 
cette  nuance  toutefois  que,  {jràce  à  leurs  franchises  primitive- 
ment accordées,  ainsi  qu'a  la  richesse  du  sol  et  à  la  douceur 
du  climat,  ils  étaient  devenus  des  colons  sans  esprit  de  retour 
et  très  attachés  au  pays  au  service  duquel  ils  mettaient  avec 
empressement  toutes  les  conquêtes  de  la  civilisation  allemande. 
Et  tout  en  has  de  Téchelle  sociale,  courbé  sous  le  poids  de 
la  servitude,  ignorant  mais  ayant  1  instinct  de  la  privation  de 
ses  droits  naturels,  le  peuple  végétait  pour  payer  ses  dîmes  et 
ses  neuvièmes,  pour  s'acquitter  de  ses  corvées,  pour  verser  son 
sang  dans  les  rangs  de  l'armée  impériale.  Aussi  n'avait-il  qu'une 
aspiration  :  son  affranchissement,  et  une  seule  a\ersion  :  le 
seigneur,  quel  qu'il  fût,  de^  enant  ainsi  la  proie  des  co(juet- 
teries  humanitaires  de  la  cour  de  l'iennc,  désireuse  de  l'avoir 
pour  allié  contre  la  noblesse  et  le  constitutionnalisme  hon- 
grois. 

Donc  le  salut  de  ce  dernier  et  de  son  principal  facteur  en 
//(>/i//rir  :  du  magyarisme,  ne  pouvait  provenir  dans  ces  condi- 
tions que  de  1  initiati\  e  individuelle  —  ressource  aussi  aléatoire 
pour  les  nations  qu  un  gros  lot  ou  un  héritige  inattendu  l'est 
pour  un  particulier,  mais  dont  la  Providence  dispose  toujours 
en  faveur  de  ses  élus  ahn  (jue  les  évolutions  de  l'Humanité 
puissent  s  accomplir  selon  ses  secrets  et  mvstérieux  desseins. 
Dans  la  Jlmu/rie  de  cette  époque,  les  individualités  provi- 
dentielles sortaient  de  toutes  les  classes  de  la  population  et 
en  tel  nond)re ,  qu'elles  ont  créé  ensemble  la  JlciK/issauce 
ho/if/roise  :  incontestablement  une  des  plus  belles  et  des  plus 
consolantes  pages  de  Ihistoire.  Et  chose  curieuse  !  Elles  parais- 
saient dans  un  ordre  tellement  logique  quelles  semblaient 
avoir  partagé  leur  tâche  d'après  un  plan  nuirement  réfléchi. 
•    D'abord,  il  fallait  établir  la  langue  magyare  sur  des  bases 


I.IvnK   TUOISIKMK  3G5 

solides,  conformes  an  génie  ouralo-altaïen  ;  car  il  est  impos- 
sible qu'une  nation  puisse  occuper  une  place  honorable  dans 
les  conseil  des  peuples  sans  avoir  à  sa  disposition  une  lan^fi^ne 
cultivée.  C'est  grâce  an  travaux:  linguistiques  de  .\i((il(is  flciuii 
avançant  sur  les  brisées  de  D/iffoin'cs,  que  les  Maf/yins  ont  la 
leur  dans  la  condition  voulue. 

Ayant  à  leur  disposition  un  outil  perfectionné,  les  poètes 
magyars  prennent  alors  leur  luth  pour  imiter  les  Français  avec 
Barothy ,  Besseuycy  et  le  baron  Orczy ,  les  Allemands  avec 
Kdzinczy  et  Csokonai,  ou  enfin  les  auteurs  grecs  et  latins  avec 
Berzsc/iyi.  A  côté  d  eux,  il  se  forme  aussi  une  poésie  d'un  carac- 
tère plus  national,  se  rattachant  aux  traditions  laissées  par 
le  comte  Nicolas  Zrinyi,  le  chantre  de  «  La  chute  de  Sziget  '<  , 
par  le  lyrique  Valeiinn  de  Balassa  et  par  Gyôtifjyôsi,  l'auteur 
de  '  La  Vénus  de  Murâny  ^  .  De  là  le  succès  énorme  des 
«  Contes  "  (VA/exandre'i  Kisfaliidy  et  des  pièces  de  théâtre  de 
son  Irère  Cluirles.  La  note  philosophico-patriotique  c  est  François 
Kolcscy,  l'auteur  de  rHvmne  hongrois,  qui  l'apporte,  préludant 
ainsi  h  Michel  ro?m/»^/?7j  (1800-1856),  au  plus  grand  des  poètes 
magvars.  dont  la  poésie  intitulée  «  Szôzat  »  (Paroles  graves) 
devient  le  'i  Credo  "  politique  de  la  Honçpie  renaissanie. 

Au  point  de  vue  social,  l'action  commença  par  une  pétition 
adressée  à  la  Diète  de  1792  par  Rêvai  au  sujet  de  la  création 
d'une  "  Société  des  Savants  hongrois  "  c'est-à-dire  d  une  Aca- 
démie hongroise.  Si  elle  ne  fut  pas  prise  en  considération  à 
ce  moment,  à  la  suite  des  complications  suscitées  par  les 
événements  deP(nis,  elle  n'en  provoqua  pas  moins  un  mouve- 
ment dans  l'opinion  publique,  préparant  l'établissement  ulté- 
rieur d'une  institution  scientifique  nationale  et  encourageant 
puissamment  l'initiative  privée  pour  tenter  des  efforts  nom- 
breux en  vue  du  relèvement  du  niveau  intellectuel  du  pays.  Le 
comte  Georr/es  Festeiich  institua  à  Keszthely  le  «  Georgicon  "  , 
réunissant  dans  les  fêtes  annuelles  les  gloires  de  la  littérature 
et  de  l'agriculture  ;  le  comte  François  Széchenyi  offrit  au  pays 
ses  collections  précieuses  pour  jeter  les  bases  d'un  ^  Musée 
national  »  —  de  celui  que  l'on  visite  encore  actuellement  à 
Budapest.  Pendant  les  guerres  napoléoniennes,  on  s'occupa  de 


366        M  AG  VA  lis    ET    KOUMAIISS    DEVANT    1/ HISTOIRE 

la  fondation  dune  école  militaire  magyare  pour  la  jeunesse 
noble  de  la  llonijric.  L  idée  en  étant  acceptée  avec  enthou- 
siasme par  la  dièie,  les  souscriptions  affluèrent  abondamment 
soit  pour  lédilïce  lui-même,  soit  en  guise  de  fondations  de 
bourses.  Mais  quoique  mise  sous  le  patronage  de  l'impératrice 
reine  Louise,  d  où  son  nom  de  "  Ludoviceum  "  —  cette  école 
ne  fonctionne  (jue  depuis  une  trentaine  d'années  ])our  former 
des  officiers  au  profit  de  l'armée  des   «  Honvéds  "  . 

Ce  commencement  de  réveil  plein  de  promesses  subit  cepen- 
dant une  brusque  interruption  encore  quand  après  lécroule- 
ment  de  la  jjrandeur  phénoménale  de  Napoléon,  la  réaction 
s'installa  en  maîtresse  dans  tous  les  États  de  VEuropt-.  L'exis- 
tence de  la  constitution  hongroise  étant  de  nouveau  en  dan- 
ger, au  lieu  de  se  permettre  le  luxe  de  quelques  progrès  les 
plus  indispensables,  la  nation  se  remit  avec  ardeur  à  la  défense 
de  ce  legs  sacré  six  fois  séculaire,  comprenant  que  susceptible 
de  rajeunissement  légal,  elle  était  la  source  intarissable  de 
ses  forces  les  plus  vives,  le  vrai  pivot  de  ses  évolutions  futures. 

Ce  fut  la  galanterie  maritale  de  François  qui  vint  alors  au 
secours  de  la  cause  hongroise.  Voulant  faire  couronner  sa  troi- 
sième femme  comme  reine  de  Ilonr/ric,  il  se  décida,  en  !  8:^5,  à 
la  convocation  d'une  Diète,  acte  d'autant  plus  méritoire  qu'il 
était  à  prévoir  que  les  députés  arriveraient  intraitables  au 
sujet  des  impots  illégalements  levés  depuis  le  !''  novembre 
1822.  Le  gouvernement  crut  d'abord  que  ce  n'était  (|u'une 
question  de  forme  et  que  la  Diète  ne  tenait  à  la  remise  des 
impôts  échus  qu'à  cause  de  leur  inconstitutionnalité  ;  aussi  y 
consentit-t-il  enfin,  après  des  tiraillements  interminables. 

Au  fond,  il  s  agissait  d'une  chose  beaucoup  plus  inqjortante. 
Profitant  de  l'enseignement  que  l'on  pouvait  tirer  des  succès 
de  la  Révolution  française,  invincible  à  cause  de  l'extension 
des  droits  politiques  sur  tous  les  citoyens  devenus  libres  et 
égaux,  conséquemment  avides  aussi  de  la  gloire  et  de  la  prospé- 
rité de  leur  pays,les  hommes  politiques  magyars  commençaient 
à  se  préoccuper  de  la  situation  du  peuple  et  de  la  possibdité 
de  son  admission  «dans  les  retranchements  de  la  constitution"  . 
D'ain-ès^  P<(id  de  Ndf/y,   le    député   de    Sopron    (Oedenburg),  il 


LIVRE   TROISIÈME  367 

fallait  ajouter  aux  fameuses  paroles  de  l'Évangile.  «  Donnez  à 
César,  ce  qui  appartient  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  appartient 
à  Dieu,  une  troisième  variante  aussi  :  et  au  peuple  ce  qui  ap- 
partient au  peuple  !  " 

Pour  alléger  les  fardeaux  qui  l'accablaient,  on  devait  amélio- 
rer sa  situation  directement  ou  faire  dégrever  ses  redevances 
payées  à  l'Etat  en  y  faisant  participer  les  nobles.  On  com- 
mença par  ce  dernier  moyen  et  on  imposa  les  nobles  qui  vi- 
vaient sur  des  terrains  corvéables.  Comme  il  v  en  avait  très 
peu  et  comme  la  loi  ne  devait  pas  s'appliquer  à  la  génération 
d'alors,  c'était  une  mesure  très  platonique,  mais  qui  ouvrit 
cependant  le  chemin  avec  le  temps  à  beaucoup  d'autres  ré- 
formes. 

D'ailleurs,  le  principal  intérêt  de  la  diète  de  1825,  le  jeune 
comte  Etienne  Szechenyi  {\'\)\\-\^Q{))  fils  du  fondateur  du  '^Mu- 
sée National  »  ,  l'absorba  complètement  par  son  offre  aussi  tou- 
chante que  sublime  de  consacrer  ses  revenus  d'une  année  — 
150,000  francs  —  à  la  fondation  d'une  «  Académie  des  scien- 
ces magyare  y  (1).  Exemple  de  patriotisme  prodigieux,  qui 
entraîna  séance  tenante  —  l'offre  avait  été  faite  dans  une  As- 
semblée mixte  de  la  Chambre  des  Magnats  et  de  la  Chambre 
des  députés  —  les  comtes  Georges  Kàiolyi  et  Georges  Andrùssy 
ainsi  que  le  baron  Abraham  Vay  à  souscrire  des  sommes  très 
importantes  aussi  :  entrée  en  scène  saisissante  du  «  plus  grand 
des  Magvars  »  ,  en  qui  la  nation  reconnaît  dès  cet  instant  le 
régénateurdu  pays  et  dont  le  génie  d'écrivain,  d'économiste  et 
d'organisateur  sera  dorénavant  complètement  au  service  de 
la  chose  publique ,  avec  la  seule  ambition  toutefois  d  a- 
voir  la  part  du  lion  dans  le  travail,  le  dévouement  et  le 
sacrifice! 

D'abord,  pour  faire  revenir  l'aristocratie  magyare  à  Pestli 
il  y  fonde  une  société  de  courses  avec  un  Jockey-Club  comme 
corollaire.  Ce  dernier  devient  le  modèle  de  tous  les  cercles 
qu'il  organise  dans  les  principales  villes  du  royaume. 

Encouragé  par  ie  succès  que  ses  premières  créations  obtien- 

1}  Et  vous,  que  ferez-vous  pendant  ce  temps-là?  deinantla-t-on.  —  Mes  amis 
me  soutiendront,  fui  la  réponse  du  généreux  donateur. 


:5(iS        MAGYAl'.S    ET    IIOUMAINS    DEVAiST    L'HISTOIRE 

lient.  Szrc/iem  i  conçoit  alors  le  vaste  plan  de  la  réorganisation 
économi(|ue  et  sociale  entièrede  la  ftonf/ric,  et  il  le  publie  dans 
trois  brochures  parues  en  quatre  ans,  où  il  fustige  avec  une 
mordante  ironie  les  travers  de  la  noblesse  et  la  rend  principale- 
ment responsable  de  l'état  déplorable  du  pavs,  mais  où  il 
expose  aussi  le  programme  delaclivité  nationale  pour  un  demi- 
siècle,  visant  la  transformation  radicale  de  Tordre  des  choses. 
Ces  ouvrages  n  effarouchent  point  la  censure,  car  les  protesta- 
tions de  fidélité  de  leur  auteur  à  la  dynastie  des  ILibsbourg  y 
sont  nombreuses,  et  il  ne  sépare  jamais  la  grandeur  et  la  gloire 
de  son  pavs  de  celles  de  ses  rois.  Mais  tout  en  respectant  les 
traditions,  il  a  les  veux  toujours  fixés  sur  l'avenii'.  Selon  lui,  ce 
n'est  plus  au  passe,  mais  au  futur  qu'il  faut  parler  maintenant 
d'une  Iloiif/rie  grande  et  florissante. 

Entre  temps  Szrrhenyi  se  mit  à  étudier  la  régularisation 
du  réseau  des  voies  fluviales  hongroises  non  seulement  au 
point  de  vue  de  la  navigation  mais  aussi  à  celui  de  leurs  endi- 
guements,  afin  de  réduire  au  minimum  les  terrains  sujets  à  être 
régulièremerit  envahis  [)ar  les  inondations  annuelles  et  qui  sont 
forcément  très  étendus  dans  les  plaines  de  la  Bass/'-Hoiu/n'e. 
Pour  déjouer  la  malice  de  la  Nature  qui  a  fermé  le  Ihinube 
par  une  longue  série  d'écueils  dangereux  aboutissant  nnx  Portes 
'A'  frr  et  empêché  par  là  l'accès  direct  de  lOrient  au 
commerce  hongrois,  il  construisit  en  face  des  vestiges  du  che- 
min de  Trojdii,  une  route  carrossable,  longeant  les  bords  du 
fleuve  et  à  plus  d'un  endroit  taillée  dans  le  roc,  car  à  son  épo- 
<jue  on  ne  pouvait  même  pas  rêver  aux  travaux  gigantesques 
exécutés  tout  dernièrement  à  ces  endroits  par  les  soins  du 
gouvernement  hongrois. 

D'autre  part,  il  comprit  combien  importait  dans  un  pavs 
aussi  agricole  que  la  Hoiifjne  le  développement  d'une  agricul- 
ture rationnelle.  Pour  le  faciliter,  il  fonda  donc  une  première 
société  d'agriculture  hon{;roise  chargée  de  la  propa.;|ation  de 
toutes  les  nouveautés  concernant  la  production  la  plus  avanta- 
geuse, l'élevage  le  mieux  conditionné  et  la  vente  la  plus  lucra- 
tive des  mêmes  produits.  S'apercevant  des  qualités  extraordi- 
naires  de  la  farine   hongroise,    il  forma  même  des   sociétés 


LIVRE   TROISIEME  369 

pour  établir  des  moulins  à  vapeur,  dont  la  mouture  défie  en- 
core actuellement  toute  comparaison. 

L'idée  de  relier  la  ville  de  Bade  et  de  Pesili  au  moyen  dnn 
pont  fixé  inrleDanube^  avait,  d'après  Széchenyi,  une  portée  plus 
qu  utilitaire.  C'était  l'acheminement  vers  la  réunion  complète 
de  ces  deuv  villes  en  une  seule  capitale,  siège  du  gouverne- 
ment et  des  Diètes  futures,  centre  intellectuel,  commercial  et 
industriel  de  la  Hoiu/rie  telle  qu  il  1  imaginait.  De  là  aussi  ses 
plans  d'embellissements,  ses  appels  incessants  adressés  aux 
Magnats  de  venir  y  demeurer  dans  de  somptueux  palais! 

Son  activité  devint  forcément  communicative .  Michel  de 
Fôldvâry,  sous-préfet  du  département  de  Pesih,  bâtit  avec  des 
sommes  recueillies  par  souscription  le  premier  théâtre  magyar 
permanent  à  Pesi/i  (1837);  André  de  Fày,  le  dramaturge  et 
romancier,  y  crée  la  première  Caisse  d'épargne;  à  côté  de 
l'Académie  des  Sciences  magyare  s'organise  la  société  littéraire 
de  «  Ivisfaludy  "  ,  pour  résister  à  l'envahissement  de  l'industrie 
étrangère,  le  comte  Casintii-  Baithyàny  crée  la  Société  protec- 
trice de  l'industrie  nationale  »  ,  un  grand  nombre  de  poètes  et 
d'écrivains  magyars  de  grand  talent  surgissent  :  les  lyriques 
Arany,  Baj'za,  Czuczor,  G  ara  y  ;  les  prosateurs  7oAi7ta,  Eoivôs, 
Telehi,  Jokai,  Toldi;  les  auteurs  dramatiques  Kaiona,  Szigligeli 
Gaàl.  Et  le  chimiste  Jedlik,  le  linguiste  voyageur  Csoma  de 
Korôs  se  font  une  réputation  européenne  ainsi  que  le  pianiste 
François  Liszt,  le  paysagiste  Marko,  tandis  que  le  compositeur 
de  musique  Erkel ,  le  sculpteur  Ferenczy,  les  acteurs  Lend- 
vai,  Egressy,  Megyeri  rendent  glorieusement  témoignage  de 
l'existence  d'un  art  national  magyar. 

11  était  impossible  que  l'influence  d'un  mouvement  intellec- 
tuel et  économiste  semblable  restât  sans  avoir  son  contre-coup 
dans  la  politique  générale  du  pays.  En  faisant  entrevoir  la  pos- 
sibilité du  relèvement  prompt  et  brillant  de  la  Hongvie,  ce  ne 
fut  pas  seulement  une  confiance  réconfortante  que  Széchenyi 
inspira  aux  patriotes,  mais  il  démontra  involontairement  la 
vétusté  des  institutions  hongroises  et,  du  même  coup,  la  néces- 
sité de  les  réformer  dans  le  sens  le  plus  avantageux  pour 
le  progrès,  c'est-à-dire  dans  le  sens  libéral.    '>  Involontaire- 

24 


370  MAGYARS  ET  110UMA1>"S  DEVAÎsT  L'HISTOIRE 
ment»  ;  non  pas  qu'il  fût  réactionnaire,  mais  parce  qu'il  s'était 
proposé  la  réalisation  de  vastes  projets;  la  construction  d'un 
réseau  complet  de  chemins  de  fer,  l'installation  de  toute  espèce 
d'usines,  et  crai{{nait  maintenant  qu'elle  ne  fût  retardée  à 
l'infini  par  l'antagonisme  croissant  de  la  cour  de  Vienne  et  de 
l'opposition,  antagonisme  qui  ne  pouvait  se  terminer  que  par 
une  collision  sanglante,  désastreuse  ou  même  fatale  pour  les 
avantages  si  péniblement  obtenus,  et  pour  la  Ilongrie  en  géné- 
ral. Aussi  son  attitude  fut-elle  toujours  conciliante,  visant 
avant  tout  , sinon  1  apaisement,  du  moins  l'ajournement  des 
conflits,  également  hostile  aux  menées  des  réactionaires  et 
aux  exagérations,  aux  impatiences  des  libéraux;  aussi  ses  an- 
goisses patriotiques  grandissent-elles  à  mesure  qu'il  prévoit  la 
catastrophe  finale  inévitable,  à  mesure  qu'il  se  rend  mieux 
compte  de  son  impuissance  à  la  détourner  de  son  pays. 

Dès  1832,  en  effet,  les  Diètes  ne  se  contentent  plus  de 
reprocher  au  gouvernement  ses  illégalités  avec  plus  ou  moins 
d  aigreur  et  en  citant  gravement  les  articles  de  la  constitution; 
électrisé  par  la  Révolution  de  juillet  et  parles  événements  de 
la  Pologne,  le  parti  libéral  entreprend  le  rajeunissement  des 
institutions  du  pays,  avec  Tarrière-pensée  visible  de  les  trans- 
former complètement.  Or,  si  elles  produisaient  l'effet  d'une 
tète  de  Méduse  sur  la  cour  de  Vienne,  dans  leur  forme  mé- 
diévale surannée,  que  ne  devait-elle  pas  essayer  contre  les 
réformes  que  l'on  voulut  y  introduire,  surtout  quand  elles 
concernaient  l'allégement  des  charges  du  peuple,  aux  yeux 
duquel  elle  désirait  jouer  toujours  seule  le  rôle  de  protectrice, 
en  opposition  au  seigneur  oppresseur?  Alors  c'est  le  parti 
conservateur  qu  elle  pousse  en  avant,  et  avec  son  aide,  elle 
combat  désespérément  les  huit  articles  du  projet  de  loi  que  la 
Diète  de  1832-183G  mit  à  l'ordre  du  jour  au  sujet  des  amé- 
liorations à  apporter  dans  la  condition  des  serfs.  Si  Fran- 
çois Deâk,  le  jeune  et  déjà  très  vénéré  député  de  Znln,  les 
soutient  au  nom  tles  sentiments  les  plus  élevés  de  l'homme, 
en  compagnie  d'un  Gdhriel  Klanzid,  d'un  Edmond  Beothy,  — 
la  majorité  de  la  noblesse  ne  leur  fait  pas  d'opposition  parce 
qu'elle  devine  déjà,  ayant  étudié  les  écrits  de  Széchenyi,  que 


LIVllE   TROISIEME  371 

les  forces  vives  de  la  nation  résident  dans  les  conches  pro- 
fondes des  masses  populaires  et  que  raffranchissement  de 
celles-ci  serait  autant  un  intérêt  patriotique  que  le  sien  pro- 
pre. Telle  est  la  raison  dètre  de  l'abandon  de  sa  politique 
rétrograde  antérieure  et  aussi  de  l'avidité  avec  laquelle  elle 
veut  mettre  à  exécution  le  programme  széchenyien  concernant 
sa  participation  aux  charges  publiques,  —  d'abord  aux  frais 
des  Diètes,  ensuite  au  payement  du  péage  sur  le  pont  fixe  à 
bâtir  entre  Dnde  et  Pcsih,  tandis  que  le  député  Éiieivie  de  Beze- 
rédj  affranchit  déjà  de  lui-même  ses  serfs  et  impose  ses  proprié- 
tés bénévolement.  Ce  programme,  elle  le  fait  sien  également 
au  sujet  de  l'adoption  de  la  langue  magyare  comme  langue 
d'État  au  lieu  et  place  du  latin,  au  sujet  du  transfert  de  la 
Diète  de  Pozsony  à  J\'sth,  au  sujet  de  l'extension  des  pouvoirs 
du  conseil  gouvernemental  hongrois  et  par-dessus  tout  au 
sujet  des  droits  à  accorder  à  tous  les  Hongrois,  habitants  de  la 
Hongrie  devenus  égaux  devant  la  loi  ! 

Il  fallait  étendre  seulement  un  peu  chacune  de  ces  réformes 
pour  obtenir  la  constitution  de  1848  avec  son  ministère  hon- 
grois responsable  et  indépendant,  avec  son  système  parlemen- 
taire complet.  C'était  incontestablement  la  conviction  de  Szé- 
chenyi  et,  vu  les  succès  obtenus,  il  avait  grandement  le  droit 
de  croire  qu'il  parviendrait  à  réaliser  son  idéal  constitution- 
nellement,  sans  secousses.  Mais  c  était  fermer  les  yeux  à  l'évi- 
dence car,  nouvelle  Penclofje  de  malheur  et  de  perfidie,  la 
camarilla  tissait  incessamment  ses  néfastes  filets  pour  étouffer 
traîtreusement  la  brillante  et  divine  Liberté,  au  sortir  même 
de  sa  chrysalide  ;  la  «  jeune  Hongrie  » ,  avant  pour  chef  poli- 
tique Louis  Kossui/i,  pour  poète  Alexandre  Petô/î,  pour  adhé- 
rents toute  la  jeunesse,  attendait  frémissante  et  grondeuse 
l'heure  de  la  délivrance.  Or  «  par  suite  d'une  poussée  bru- 
tale —  écrit  «le  plus  grand  des  Magyars  »  —  on  ht  succéder 
à  l'aurore...  la  brume  du  soir.  -  Lettre  de  Széchenyi  du 
1"  janvier  18G0  à  Alexandre  de  Bertha  père). 


CHAPITRE  VIII 

LA    l'OLlTJOI  !•:    l)i:    LA    RÉACTION. 

Personne  ne  comprit  mieux  la  valeur  de  la  constitution 
lionjjroise  que  le  prince  de  Mettemich,  le  fameux  chancelier  au- 
trichien. Lui,  l'auteur  de  tant  de  traités  d'alliances  éphémères, 
le  signataire  de  tant  de  combinaisons  diplomatiques  louches, 
l'oracle  vieillissant  du  «  Congrès  de  Vienne  »  se  rendait  par- 
faitement compte  de  la  somme  de  sagesse  profonde,  de  moralité 
et  de  vitalité  politiques  qu'elle  contenait,  étant  le  produit  de 
1  union  de  la  légitimité  avec  la  liberté,  de  la  légalité  la  plus 
intransigeante  avec  les  aspirations  nationales  les  plus  élevées, 
défiant  les  injures  du  temps ,  entretenant  le  patriotisme  le 
plus  pur  et  portant  dans  ses  flancs  un  monde  nouveau.  C'é- 
tait tout  à  fait  la  contre-partie  de  son  œuvre  condamnée  d'a- 
vance à  disparaître,  de  ses  expédients  mesquins,  de  ses  com- 
plots ténébreux.  Jaloux  de  ses  perfections  et  conscient  de  sa 
propre  impuissance,  il  lui  voua  une  haine  implacable,  non 
seulement  comme  champion  de  la  réaction  mais  aussi  comme 
politic^ien  infatué  de  lui-même  et  blessé  dans  son  amour- 
j)ropre  par  la  résistance  vigoureuse  et  inattendue  de  la  Hon- 
qrie. 

De  lii  son  plan  de  campagne  politique  longtemps  et  savam- 
ment étudié  dans  lecjuel  il  fait  converger  sur  cette  dernière, 
en  dehors  des  forces  intellectuelles  et  économiques  des  pays 
héréditaires,  celles  dont  il  peut  disposer  à  l'étranger  grâce  à 
son  prestige  personnel  ;  de  là  ses  actes  arbitraires  froidement 
et  cruellement  exécutés,  par  lesquels  il  espère  exaspérer  les 
Mar/yars  pour  leur  faire  commettre  des  illégalités  à  leur  tour. 
Quanta  lui,  il  use  de  tous  les  moyens  que  n'interdit  pasfor- 
nicllement  la  constitution  et  qu'il  se  plaît  à  inventer  avec  la 
satisfaction  d'un  artiste,  sous  prétexte  de  servir  les  idées  mo- 
narchiques,  de   maintenir  l'écpiilibre    européen  :    son   arme 


LIVRE   TROISIEME  373 

principale,  ce  sera  une  innovation  scientifique  du  moment  qui 
la  lui  mettra  en  main ,  car  justement  c'est  alors  que  l'on 
proclama  dans  la  médecine  rinCaillibilité  de  la  théorie  des 
«  similia  similibus  >' .  Eh  bien!  Mcttcrnich,  pour  combattre 
la  «  renaissance  de  la  Hongrie  »  ,  inventera  la  «  renaissance 
de  l'illyrisme  »  ,  la  (  renaissance  des  Slovaques  »  ,  la  <'  renais- 
sance daco-roumaine  "  ,  et  la  «  renaissance  des  Saxons  »  ! 

Pour  comprendre  les  deux  premières,  ne  concernant  spécia- 
lement que  la  Hongrie,  il  laut  savoir  d'abord  que  «  1  illyrisme  " 
et  le  "  slovaquisme  "  ne  sont  que  les  subdivisions  du  "  pan- 
slavisme »  ,  —  mot  ainsi  défini  par  Herkel  dans  sa  grammaire 
slave  parue  à  Bade  en  1826  :  »  Unio  in  litteratura  inter  omnes 
Slavos,  sive  verus  Panslavismus.  »  Pour  la  rendre  saisissante, 
Louis  Gàj,  le  chef  de  l'illyrisme,  dépeint  cette  union  par  la 
comparaison  suivante  :  «  Dans  une  moitié  de  l'Europe  on  voit 
s'étendre  un  géant  d'une  grandeur  démesurée.  Sa  tête  se 
repose  dans  le  milieu  de  l'Illyrie,  sa  poitrine  se  trouve  en  Hon- 
grie, son  cœur  bat  sous  les  chaînes  escarpées  de  la  Tatra,  ses 
reins  s'appuient  sur  les  plaines  de  la  Pologne,  son  ventre  et 
ses  cuisses  sont  formés  par  la  Russie  incommensurable,  et  ses 
jambes  se  prolongent  à  travers  les  steppes  glaciales  et  cou- 
vertes de  neige  jusqu'aux  murailles  de  la  Chine.  Or  pour  ali- 
menter ce  corps  gigantesque  il  n'y  a  qu'un  seul  fluide  vital  : 
la  nationalité  slave  (1).  !» 

C'est  une  autre  corde  que  Jean  Kollar,  le  poète  slovaque, 
fait  vibrer  dans  les  lignes  suivantes  (2)  :  "  La  continuation  de 
la  vie  de  l'humanité  échoit  donc  aux  Slaves  !  Ce  seront  eux 
qui  seront  les  intermédiaires  entre  le  monde  du  passé  et  de 
l'avenir,  entre  l'Orient  et  le  Midi;  c'est  à  eux  qu'il  incombe  de 
rajeunir  les  éléments  vieillissants  de  la  civilisation  :  problème 
vraiment  beau,  honorable  et  élevé  dont  la  résolution  mérite 
incontestablement  les  efforts  les  plus  nobles,  i^ 

Alors  que,  au  commencement  du  siècle,  ni  à  Saini-Péiers- 
hotirg,  ni   à  Prar/ue,  on  ne   pensait  au  panslavisme,   le  lycée 

(1)  Danica,  supplément  littéraire  de  la  Gazette  (VIllyrie,  année  1835. 
(21  J.  KoLLAR,    Ubev  die  literarische  Weiliseheitlgkeit  zwischen  den  veiscltie- 
denen  Stànimen  und  Mundarten  der  slavischen  Nationen.  Leipsij»  1827,  p.  63. 


374        MAGYARS    ET    HOUMAI>\S    DEVANT    L'HISTOIRE 

luthérien  de  Pozso/iy  (Presbourg  était  déjà  la  véritable  pépi- 
nière des  écrivains  panslavistes  —  Kollar,  Scluiffarik,  P((//,<>- 
rics,  Beitedicli,  Dobrovsky  naquirent  en  Ilotif/ric.  —  Ce  fait  ne 
devait  pas  être  uniquement  imputé  au  hasard,  hes  Magyars  — 
et  conséquemmcnt  la  Hoin/ric,  —  jouent  un  rôle  considérable 
dans  l'exislence  de  la  race  slave,  eiFrançois  enPalatzky  en  indi- 
que clairement  1  importance  au  premier  chapitre  de  la  troi- 
sième partie  de  son  «  Histoire  de  la  nation  tchèque.  » 

c(  L'invasion  et  rétablissement  définitif  des  Magyars  (dans 
leur  patrie  actuelle)  est  un  des  événements  les  plus  importants 
de  l'histoire  universelle.  Le  monde  slave  n'a  jamais  reçu  un 
coup  plus  fatal,  pendant  son  existence  de  plusieurs  milliers 
d  années.  Il  s'étendait  au  ix"  siècle  après  Jésus-Christ  depuis 
les  frontières  du  Holstein  jusqu'au  Péloponèse.  Ce  fut  alors 
que  se  forma,  juste  au  milieu  du  vaste  territoire  qu'il  habitait, 
sous  Rostislav  et  Svatopluk  un  tronc,  sur  les  pousses  vigou- 
reuses duquel  auraient  dû  s'épanouir  un  jour  les  plus  belles 
floraisons  de  la  civilisation  à  la  fois  chrétienne  et  nationale. 
Mais  le?  Magyars,  pénétrant  au  cœur  de  cet  État  en  forma- 
tion, l'anéantirent,  anéantissant  ainsi  tous  les  espoirs  des 
Slaves.  » 

Le  fover  de  l'îllyrisme  était  Zngrab,  la  ville  principale  delà 
Croa/ic  Son  programme  politique  consistait  dans  la  création 
d'une  Grande  Cmaiie,  comprenant  tous  les  habitants  slaves 
catholiques  de  la  monarchie  —  les  S/nrrnes  de  la  S/yric,  de  la 
Carniolc  et  les  Dalinaiins  — •  ainsi  que  ceux  de  certaines  [)ro- 
vinces  de  la  Ttir/jaic,  comme  de  la  Jiosnie  et  de  V Uerzcgovinc. 
C'était  à  peu  près  faire  revivre  V Illyricam  de  l'empire  romain, 
d  où  le  nom  pompeux  du  mouvement.  Vu  l'autonomie  relative 
que  la  constitution  hongroise  accordait  à  la  Croaiic  (l  ,  celle-ci 

(1)  Tenant  (.iiinple  ilc  son  iiidi-pendancc  antérieure  et  prenant  en  considération 
son  caractère  de  contrée  frontière,  on  accorda  à  l'ancienne  Croatie  une  existence 
politique  particulière  en  lui  conservant  sa  division  administrative  en  jupanies, 
sous  le  gouvernement  d'un  hanus,  et  en  permettant  aux  Etats  croates  de  former 
une  Diète  spéciale.  Mais  ils  envoyèrent  é{>alement  des  représentants  à  la  Diète 
liiingroisc,  en  partie  dans  la  forme  employée  par  les  comltats  lion'Jrois  pour  y 
envoyer  les  leurs.  La  représentation  de  la  Croatie  prit  cependant  plus  tard  l'as- 
pect d'niie  délé^jalion  de  sa  Diète  :  elle  était  composée,  à  la  Cliaiidue  des  Etats  de 


LIVRE   TUOISIEME  375 

fournissait  l'appoint  le  plus  considérable  à  Tarmée  nationaliste 
que  Meiieniic/i  recruta  contre  la  Hongrie  constitutionelle  en 
fermant  les  yeux  sur  ce  que  les  utopies  de  l'illvrisme  pouvaient 
contenir  de  principes  dangereux  pour  la  sécurité  et  la  tranquil- 
lité delà  monarchie,  et  en  excitant  sa  jalousie  devant  les  succès 
grandissants  du  magyarisme, 

Cantonnés  dans  quinze  départements  septentrionaux  de  la 
lloïKirie,  les  Slov(i(/ues  n'ont  jamais  joué  un  rôle  politique  dans 
l'histoire  du  pays.  En  effet  leurs  dévastations  et  brigandages, 
au  milieu  du  xv°  siècle,  —  quand  sur  l'invitation  de  la  reine 
Elisabeth ,  veuve  du  roi  Albert  ce  fut  le  hnssite  tchèque  Jean  Giskra 
qui  se  mit  à  leur  tète  avec  les  siens  (14-40),  —  avaient  plutôt  le 
caractère  religieux  ou  même  social,  ayant  pour  prétexte  la  pro- 
pagation de  la  foi  nouvelle,  profondément  teintée  de  com- 
munisme. Par  suite  de  cette  invasion  de  l'élément  tchèque 
relativement  plus  civilisé  que  les  Slovaques^  ceux-ci  perdirent 
pour  plusievirs  siècles  leur  indépendance  intellectuelle  et  ne  se 
servirent  plus  dans  la  liturgie  de  l'église  luthérienne  slovaque 
que  de  la  langue  tchèque,  quoique  la  leur  fût  bien  distincte  de 
celle-ci.  Probablement  encouragés  par  les  travaux  de  Samuel 
Klein  et  de  Sinkai,  en  1 790  Antoine  Bernolak  (1762-18 1 3)  essaya 
la  séparation  scientifique  des  deux  langues  — tentative  que  Jean 
Kollar  acheva  parla  création  d'une  langue  littéraire  slovaque. 
Telles  sont  les  racines  aussi  ténues  que  peu  profondes  du  slova- 
quisuîe  dont  Metternich  fit  son  allié,  en  soutenant  plus  ou  moins 
directement  les  efforts  philologiques  de  Louis  Stur  et  de  Milos- 
lav  Hurban,  et  en  leur  promettant  leur  suprématie  dans  les 
contrées  qu'ils  habitent,  pour  pouvoir  les  lancer,  au  moment 
propice,  contre  les  Maqy<irs  du  côté  du  Nord. 

Sur  la  piste  de  la  «  renaissance  du  Pangermanisme  "  on  se 
retrouve  en  Transylvanie.  Introduit  dans  la  monarchie  subrep- 

la  Diète  hongroise,  de  trois  députés,  des  représentants  des  chapitres  et  du  district 
privilégié  de  Tiiropolya.  Quant  au  banus  et  aux  magnats  ayant  leur  propriétés  en 
Croatie,  ils  siégeaient  à  la  Chambre  des  Magnats  et  cet  état  de  choses  à  duré 
jusqu'en  1848...  Verboczi  déclare  que  les  Etats  de  Croatie  n'ont  pas  le  droit  de 
prendre  des  résolutions  contraires  à  celles  prises  parla  Diète  hongroise.  {La  Con- 
stitution hongroise  d'après  le  D'  Samuel  Rado  par  A.  de  Bertha.  Paris  1898, 
p.  115  et  116.) 


376        MAGYAl'.S    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

ticemcnt  par  Muric-Tliérèsc  et  ouvertement  ^mi'  Joseph  11^  il  la 
considérait  tout  entière  comme  sa  luture  proie,  et  il  faut 
avouer  que  ses  revers  politiques  étaient  en  effet  lar.jjement 
compensés  par  les  succès  qu  il  remportait  socialement.  Car 
grâce  aux  Gœilie,  Schiller,  Kôrnei-  et  à  la  littérature,  à  la  presse 
et  aux  théâtres  allemands,  grâce  à  la  proximité  de  Vienne  et  à 
la  nécessité  d'y  aller  pour  la  solution  de  certaines  affaires  im- 
portantes, dépendant  de  la  décision  directe  du  souverain,  la 
bonne  société  hongroise  se  germanisait  d'autant  plus  aisément 
que  les  administrations  de  la  poste,  des  mines,  l'intendance 
militaire  et  à  plus  forte  raison  l'armée  impériale  ne  se  servait 
que  de  1  allemand,  et  que  le  commerce  et  lindustrie  se  trou- 
vaient exclusivement  dans  les  mains  de  la  bourgeoisie  citadine 
c'est-à-dire  allemande.  Quant  à  son  quartier  général,  le  pan- 
germanisme l'installa  dans  ÏUniversile  nalioiude  des  Saxons, 
comprenant  leurs  sept  sièges  et  deux  districts,  qui  attendaient 
déjà  avec  impatience  1  absorption  de  la  Hoiu/i'ie  barbare  par  la 
Glande  Allemagne,  ainsi  que  larrivée  de  leurs  frères  teutons  le 
long  du  JJannhe,  promu  «  fleuve  allemand  >'  ,  pour  civiliser 
1  Orient,  pour  bâtir  une  série  de  villes  allemandes  autour  de  la 
Mer  Noire!  Changer  ces  fanfaronnades  d'orphéonistes  en  hos- 
tilité réelle  contre  les  Magyars  ne  pouvait  pas  beaucoup  coûter 
à  un  Mei/ernich  ayant  des  individualités  aussi  remarquables  à  sa 
disposition  que  le  corps  enseignant  de  la  nouvelle  Faculté  de 
droit  de  Szeben,  créée  en  1844  pour  terminer  l'éducation  des 
jeunes  Saxons  dans  l'esprit  du  pangermanisme,  auquel  les 
Henri  Schniidi  et  les  Benigni  osèrent  donner  l'épithète  de 
«  constitutionnel  »  ,  quand  il  s'agissait  de  combattre  les  Magyars 
au  sujet  de  la  reconnaissance  de  la  langue  magyare  comme 
langue  d'État. 

Dans  un  chapitre  précédent  on  a  pu  constater  une  détente 
très  sensible  dans  les  sentiments  de  l'élément  roumain  à 
1  égard  des  Magyars.  Cette  bonne  harmonie  naissante  n'a  pas 
échappé  à  la  perspicacité  de  Meitemich.  et  comme  il  lui  était 
impossible  d'y  mettre  bon  ordre  directement,  en  sa  qualité  de 
chancelier  de  l'empire  à  cause  du  discrédit  ou  était  tombé  l'im- 
périalisme aux  yeux  des  Roumains  depuis  la  répression  de  la 


LIVRE   TROISIEME  377 

révolte  de  Hora,  qui  les  avait  complètement  déroutés,  —  il 
entreprit  leur  captation  indirecte  à  l'aide  de  la  Jinssie  ortho- 
doxe, sa  fidèle  alliée.  C'était  chose  d'autant  plus  facile  à  obte- 
nir que,  par  suite  du  traité  de  paix  tVAndn'iiople  couronnant 
glorieusement  la  campagne  fameuse  de  Diebiisch  Sahalkatislà, 
la  Russie  détenait  justement  les  vayvodies  roumaines  comme 
gage  jusqu'au  paiement  complet  de  l'indemnité  de  guerre 
montant  à  10,000,000  de  ducats.  Il  y  eut  donc  dans  le  plus 
proche  voisinage  de  la  Tirmsylvanie  une  armée  d  occupation 
russe  sous  le  commandement  du  comte  Kisseleff,  chargé  en 
même  temps  de  l'administration  civile  du  pays  —  naturelle- 
ment confiée  à  des  fonctionnaires  russes.  Le  prestige  que  le 
nom  russe  s'était  acquis  de  cette  façon  ne  fit  qu'accroître  par 
suite  de  la  publication  de  «  Regulament  organic  "  ,  allégeant 
sensiblement  la  situation  des  serfs  roumains  des  vayvodies. 
Ceux  de  la  Trans)  Ivame  en  eurent  connaissance  par  l'organe 
des  popes  qui  ne  savaient  pas  assez  vanter  la  grandeur  et  la 
puissance  de  la  Sainte  Russie.  Or  elle  allait  la  main  dans  la 
main  avec  YAuiriche  de  Meiieiiiic/i,  persécutrice  de  la  consti- 
tution hongroise  et  du  génie  magyar;  il  fallait  donc  s'approcher 
de  la  première  et  s'éloigner  encore  de  ces  derniers.  Telle  fut 
la  véritable  cause  du  mouvement  anti-magyar  que  1  on  voit 
se  dessiner,  dès  1831,  au  sein  de  la  population  roumaine,  à 
moitié  réconciliée,  de  la  Transyivanie.  Si  à  l'école  de  Batàzs- 
falva,  devenue  avec  le  temps  un  lycée  complet,  on  peut  enre- 
gistrer plusieurs  cas  d'insurbordination  à  la  suite  desquels 
l'évêque  Leményi  est  contraint  de  recourir  aux  bons  offices  du 
«  gubernium;  i?  si  un  Simon  Barnuiin,  après  y  avoir  été  pro- 
fesseur et  après  en  avoir  été  chassé  pour  cause  de  rébellion 
avec  quatre  de  ses  collègues,  s'en  va  à  Szeben  pour  faire  son 
droit  à  la  nouvelle  faculté  des  Saxons,  malgré  les  dissensions 
de  ceuxrci  avec  les  Roanmins,  exposées  à  la  Diète  de  18-41  dans 
la  requête  des  deux  évéques  roumains,  —  ce  ne  sont  que  les 
indices  symptomatiques  de  la  grande  hostilité  latente  d'une 
nationalité  que  l'on  excite  et  hypnotise  par  des  griefs  imagi- 
naires et  des  promesses  fallacieuses.  D'ailleurs  on  voit  inoculer 
le  virus  de  la  haine  anti-constitutionnelle  aux  Serbes  ortho- 


378        MAGVAllS    ET    UOUMAI>;S    DEVANT    I/llISTOIllE 

doxes  CjO^alement,  désireux  de  devenir  les  maîtres  dun  terri- 
toire qu'on  ne  leur  avait  alloué  que  provisoirement,  à  l'époque 
de  leur  arrivée  en  /loni/ric 

Mc'itcrnitli  n'eut  pas  considéré  ce  cercle  d'animosité, 
savamment  formé  autour  des  Mat/yais,  comme  entier,  si  les 
pars  héréditaires  v  eussent  manqué.  Il  les  y  fit  détester  soit  eu 
les  faisant  passer  pour  insociables,  indignes  des  richesses 
de  la  Iloiu/ric,  soit  au  contraire  à  cause  de  leurs  velléités  de 
vouloir  s'émanciper  de  la  tutelle  économique  et  industrielle 
de  \' Aiiin'rlir.  Pour  les  hautes  sphères  il  en  fit  des  gens 
prêts  à  se  révoltera  propos  de  rien,  —  telle  était  la  valeur  des 
dispositions  constitutionelles  dans  sa  pensée,  —  pour  la  classe 
des  intellectuels  il  les  dépeignit  comme  impropres  à  tout  j)er- 
fectionnement,  et  devant  le  peuple,  il  les  rendit  ridicules; 
tache  d'autant  plus  aisée,  qu'il  n'y  avait  pas  à  Auirichioi  pour 
se  donner  la  peine  d'étudier  la  langue,  et  encore  moins  la 
littérature  ou  l'histoire  magyare.  Pour  mettre  l'armée  impé- 
riale au  diapason  voulu,  il  n'avait  pas  de  grands  efforts  à  faire. 
A  la  suite  de  l'émigration  française,  et  des  bouleversements 
napoléoniens,  composé  en  majeure  partie  de  l'aristocratie  et 
delà  noblesse  internationale,  que  l'on  accueilliten  Aiioic/ie avec 
la  plus  large  hospitalité,  le  corps  des  officiers  était  très  imbu 
des  souvenirs  de  Cohloiiz  et  de  réaction,  et  avait  à  se  venger 
des  idées  libérales  aussi  bien  par  esprit  de  caste  qu'individuel- 
lement. Parmi  ses  meml)res  indigènes  les  Maf/yais  se  trou- 
vaient en  minorité  insignifiante,  car  pour  entrer  dans  le  ser- 
vice militaire  il  fallait  posséder  l'allemand  et  supporter  les 
passe-droits  par  lesquels,  en  s'entr'aidant  avec  une  partialité 
bien  compréhensible,  les  camarades  slaves  très  nombreux 
arrivaient  aux  grades  supérieurs.  Même  anomalie  dans  la  liste 
des  diplomates  où  Ion  rencontrait  à  peine  quelques  noms 
magyars,  et  ceux  qui  y  figuraient  appartenaient  aux  (pielques 
grandes  familles  que  l'adroite  politique  de  Mnie-Tliérèse 
avait  su  attirer,  fixer  et  germaniser  à  Vienne.  Et  afin  qu'à 
l'étranger  les  Magyars  restassent  inconnus  aussi  et  que  leur 
cause  ne  put  éveiller  de  la  sympathie  nulle  part,  par  un  système 
de  passeports   tracassier,    Meiier/iich   rendit  les   vovages  très 


LIVRE   TROISIEME  379 

compliqués  aussi  bien  pour  les  Magyars  voulant  sortir  de  la 
Hongrie  que  pour  les  étrangers  désireux  d'y  entrer  et  d'y 
séjourner. 

A  côté  de  ces  mesures  de  précaution,  Metiernich  ne  négligea 
pas  d'en  prendre  de  plus  énergiques.  En  1831,  il  prescrivit 
pour  la  Transylvanie  une  levée  de  :2,000  hommes,  malgré  l'op- 
position de  la  chancellerie  transylvanienne  et  du  ;-  guber- 
nium  «  .  Ce  procédé  absolument  anti-constitutionnel,  souleva 
un  toile  général  et  les  départements  refusèrent  non  seulement 
l'obéissance,  mais  réclamèrent  encore  la  convocation  de  la 
Diète  dans  le  plus  bref  délai  pour  mettre  fin  à  un  "  guber- 
nium  »  et  à  une  administration  où  il  n'y  avait  presque  plus 
un  seul  membre  légalement  élu.  Sur  la  proposition  du  général 
^Massics  banus  de  Croatie^  envoyé  en  Transylvanie  convtne  com- 
missaire royal  extraordinaire,  —  on  se  décida  alors  à  la  con- 
vocation demandée.  L'ouverture  de  la  Diète  eut  lieu  le 
26  mai  183i  sous  la  présidence  de  l'archiduc  Ferdinand  d'Esté 
sans  apporter  toutefois  l'apaisement  espéré,  l'opposition  ayant 
la  majorité  et  le  gouvernement  voulant  rester  inflexible.  Aussi 
se  crut-on  obligé  de  clore  la  législature  et  de  suspendre  la 
constitution  dès  le  6  février  1835.  Et  le  mois  suivant  la  ii  table 
rovale  transylvanienne  «  n'hésita  plus  à  condamner  le  baron 
Nicolas  ]Vesselén)  i  —  l'agitateur  géant  —  à  cause  de  «  ses 
agissements  troublant  la  tranquillité  publique.  »  Il  le  fut 
deux  mois  après  en  Hongrie  également,  à  cause  d  un  discours 
prononcé  dans  le  Conseil  départemental  de  Szathmâr. 

Ce  «  patriote  errant  »  —  les  conservateurs  le  baptisèrent 
ironiquement  ainsi  —  se  conduisit  d'abord  en  fervent  admira- 
teur du  comte  Széchenyi  et  n'omit  aucune  occasion  pour  le 
seconder  avec  dévouement  dans  ses  premières  entreprises. 
Malheureusement,  leurs  tempéraments  n'étaient  pas  faits  pour 
s'accorder,  car  si  Széchenyi  représeutait  l'activité  dévo- 
rante, ses  manières  d'agir  étaient  néanmoins  toujours  celles 
d'un  II  gentleman  »  accompli  qui  ne  cherche  que  les  moyens 
persuasifs  pour,  arriver  à  ses  fins,  tandis  que  Wesselényi  éiB\i 
incapable  de  maîtriser  la  fougue  de  sa  puissante  organisation, 
et  il  aurait  voulu  faire  ployer  ses  adversaires  comme  il  faisait 


380        MAGYARS    ET    li  OC  M  A  IN  S    DEVANT    L'HISTOIRE 

ployer  les  pièces  de  monnaie.  Chez  le  premier,  le  désir  de 
réaliser  ses  plans  dominait  tous  les  autres  sentiments  et  le 
rendait  en  quelque  sorte  »  opportuniste  »  ,  pendant  que  le 
second  voyant  ^  rou^e  »  aussitôt  qu'il  se  trouvait  en  lace  de 
quelques  nouvelles  perfidies  de  Meiternich,  était  un  véritable 
Achille  magyar. 

Ses  efforts  portaient  sur  deux  points  :  affranchir  les  serfs 
('  afin  que  ceux  qui  ne  font  qu  habiter,  deviennent  la  nation  "  , 
et  réunir  \i\Transylvame  à  la  Hongrie^  c'est  à  dire  rétablir  la 
situation  telle  qu'elle  avait  été  avant  la  bataille  de  Moh/ics.  Ce 
n'était  en  somme  que  vouloir  accélérer  deux  mouvements  déjà 
commencés  antérieurement,  car  les  réformes  concernant  les 
rapports  entre  seigneurs  et  serfs  ne  pouvaient  aboutir  qu'à 
l'affranchissement.  Quant  à  VU  mon,  elle  devait  en  être  le  cor- 
rollairc,  vu  le  trouble  qu'elle  apporterait  dans  l'équilibre  des 
nationalités  de  la  Ti-ansy/t'anie  par  l'admission  aux  droits 
politiques  des  lioiinuiitis,  les  plus  nombreux,  mais  les  moins 
civilisés  et  conséquemment  les  plus  accessibles  aux  avances 
réactionnaires  de  la  cour  de  Vientie.  Ce  lut  à  la  Diète  de  1741 
convoquée  à  Pozsony  pour  le  couronnement  de  Marie-T/ié?-èse 
que  1  on  mit  1  union  la  première  fois  sur  le  tapis.  Mais  le  gou- 
vernement la  considéra  comme  une  chose  injuste  (1),  aussi  n'en 
fit-on  nulle  mention  dans  les  articles  des  lois.  Joseph  II  y  tra- 
vailla involontairement  en  réunissant  les  chancelleries  hon- 
groises et  transylvaniennes.  Après  sa  mort,  elle  reparait  sur 
l'ordre  du  jour  de  la  Diète  de  Koloz.sràr  en  1  791,  justement  au 
sujet  du  maintien  de  cette  chancellerie  réunie.  On  y  charge 
uae  commission  de  préparer  un  projet  de  loi  en  sa  faveur 
et  on  en  discute  les  paragraphes  dans  plusieurs  séances;  fina- 
lement, on  vote  1  ensemble  mais  en  vain,  car  à  Vienne  la 
séparation  des  chancelleries  est  devenue  entre  temps  un  fait 
accom[)li.  En  tous  cas,  cette  imion  n'aurait  eu  aucun  avantage 
pour  personne  tant  elle  était  mesquinement  conçue,  dans  l'es- 
prit étroit  des  pires  traditions  de  la  féodalité. 

Exaspéré  par  l'insuccès  de  ses  campa^jnes  oratoires  et  épis- 

(1      AnSKTii,    Maria-Theresias    dstc    Recjierunysjdhre.    Wieii.    1863,     t.    I, 
p.  315. 


LIVRE    TROISIEME  381 

tolaires,  Wesselétiji  devint  de  plus  en  plus  intransigeant  et  se 
crut  forcé  de  rompre  avec  Széchenyi,  qu'il  jugea  trop  tiède, 
donnant  ainsi  une  allure  plus  accélérée  aux  proj;rès  du  mouve- 
ment réformiste.  C'était  attirer  à  plaisir  le  courroux  du  pou- 
voir. On  le  fit  arrêter  et  condamner  à  trois  ans  de  prison, 
malgré  le  dévouement  extraordinaire  qu'il  avait  montré  dans 
le  sauvetage  des  victimes  de  linondation  de  Pcst/i  en  1838. 
Être  privé  d'air  et  d'exercices  corporels  est  nuisible  pour  toute 
organisation  humaine  ordinaire;  pour  le  colosse  Wesselényi  cé~ 
tait  la  mort  à  courte  échéance  :  il  perdit  tout  d'abord  la  vue, 
et  mourut  effectivement  pendant  la  révolution,  à  la  force  de 
1  âge.  L'emprisonnement  fut  aussi  fatal  au  jeune  Alexandre 
Lovfissj-,  dont  le  crime  consistait  dans  le  fait  d'avoir  donné 
asile  à  un  réfugié  polonais  et  d'avoir  signé  dans  un  album 
privé  :  républicain.  Nature  délicate  et  impressionnable,  Lovassy 
ne  put  impunément  supporter  la  solitude  et  le  silence  de  la 
casemate  d'une  forteresse  autrichienne  et  en  sortit  dément. 

Les  trois  ans  que  Louis  Kossuth  passa  à  la  prison  militaire 
de  Bade,  lui  servirent  au  contraire,  non  seulement  de  piédestal 
pour  le  désigner  à  l'adoration  de  la  jeunesse  magyare,  mais 
aussi  pour  acquérir  la  connaissance  du  français  et  de  l'anglais 
et  pour  élargir  en  général  son  horizon  intellectuel  par  des  lec- 
tures nombreuses  et  bien  choisies.  Quoique  appartenant  à 
une  très  bonne  et  ancienne  famille  du  département  de  Zeinplén, 
célèbre  à  cause  de  la  facilité  d'élocution  de  ses  enfants,  il  fut 
obligé  de  gagner  sa  vie  avec  son  diplôme  d  avocat  aussitôt  ses 
études  terminées.  Il  assista  à  la  Diète  de  1832-35  comme  repré- 
sentant d'un  magnat  absent  (absentium  ablegatus)  et  y  eut 
l'heureuse  idée  de  rédiger  pour  les  départements  un  bulletin  au- 
tographié  contenant  les  résumés  des  séances.  Après  la  Hn  de  la 
Diète,  l'immense  succès  moral  de  cette  entreprise  le  décida  à 
en  tenter  une  semblable  sur  les  séances  des  ti  conseils  dépar- 
tementaux »  .  C'était  provoquer  les  foudres  du  prince  de 
Metternich,  car  ce  fut  surtout  le  système  de  l'administration 
départementale  de  la  Hongrie  qui  l'irrita  le  plus,  en  morcelant 
l'action  centrale  du  pouvoir  et  en  faisant  échouer  ainsi  ses 
plans  les  plus  savamment  combinés. 


382        MA(;V\11S    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

Ayant  purgé  sa  condamnation,  Kossuih  devint  du  coup  le 
champion  du  mouvement  de  Topposition,  qu'il  servit  d'ailleurs 
admirablement  avec  sa  plume  vive  et  incisive,  avec  son  talent 
oratoire  d'un  éclat  et  d'une  véhémence  incomparables.  Un  tel 
auxiliaire  ne  pouvait  nullement  convenir  à  Szcclienyi,  qui  ne 
vovait  le  salut  de  la  JIotKjric  que  dans  sa  transformation  paci- 
fique; aussi  l'attaqua-t-il  avec  une  telle  aigreur  qu'il  eut  l'hu- 
mibation  d'être  désobligeamment  jugé  j)ar  l'opinion  publique. 
C'était  {jrandir  encore  le  prestige  de  Kossuih,  lui  ouvrir  la  car- 
rière d  liomme  d'État,  le  placer  dans  une  situation  où  le  patrio- 
tisme, le  bon  vouloir,  le  génie  d'éloquence  sont  insuffisants  pour 
remplacer  l'expérience,  le  sang- froid,  l'habileté.  Mais  arrêter 
les  événements  était  déjà  chose  impossible,  et  aux  élections 
pour  la  Diète  de  18-47,  le  département  dePesi/i  confia  un  de  ses 
mandats  au  célèbre  chef  du  parti  libéral,  ayant  dans  son  pro- 
gramme les  réformes  les  plus  étendues  avec  la  devise  :  "  Indé- 
pendance de  la  Hongrie.  » 

Quoique  dans  l'esprit  de  son  auteur  cette  «  indépendance  " 
ne  signifiât  que  la  répudiation  de  l'influence  autrichienne  sans 
viser  les  rapports  constitutionnels  de  la  dynastie  et  de  la 
monarchie  avec  la  Houf/ric^  clairement  désignés  dans  la  Prag- 
matique Sanction,  pour  la  cour  de  Vienne  et  pour  Metiernich 
elle  devenait  une  source  des  plus  graves  préoccupations  surtout 
depuis  que  l'on  s'était  aperçu  que  l  affranchissement  des  serfs 
j)ar  voie  constitutionnelle  ne  pouvait  tourner  iju'à  l  avantage 
de  la  cause  des  Magyars,  ses  promoteurs.  Alors,  par  un  brusque 
changement  de  front,  on  vit  le  gouvernement  se  rallier  au  parti 
conservateur,  s'identifiant  au  maintien  des  privilèges  nobiliaires 
et  combattant  les  réformes  par  crainte  de  la  révolution.  Avouer 
plus  franchement  que  les  reprochesadressées  jadis  à  la  Hongrie 
sur  son  état  arriéré  n'étaient  pas  sincères  et  n'avaient  d'autre 
but  que  de  la  déconsidérer,  eut  été  impossible.  Mais  au  point  où 
on  en  était  en  ce  moment,  il  importait  peu  d'être  deviné;  il 
fallait  avant  tout  être  victorieux  car,  moralement  et  tacitement, 
la  guerre  était  déclarée  entre  la  réaction  féodale  et  le  cons- 
titutionnalisme  magyar. 

Pour  surcroit  de  complication,  Y dLYiA\\à\ic  Joseph,  le  palatin 


LIVRE   TROISIÈME  383 

très  aimé  et  très  populaire  de  la  Iloiu/rie,  meurt  en  février  1 847, 
laissant  ainsi  la  vice-royauté  en  vacance.  C'est  non  seulement 
la  disparition  du  médiateur  bien  intentionné  entre  les  deux 
adversaires  prêts  à  en  venir  aux  mains,  mais  aussi  Tentrée  en 
scène  d'un  nouveau  personnage  qui,  par  sa  présence  seule, 
aggrave  involontairement  les  difficultés.  Quoique  résolue 
dès  18  42,  la  nomination  de  l'archiduc  Eiicnne  succédant  dans 
le  palatinat  à  son  père,  effraya  singulièrement  les  politiciens 
de  la  cour.  ÉlcA^é  à  Bade,  parmi  les  Ma(/yars,  comblé  de  fa- 
veurs par  l'empereur-roi  Ferdinand,  le  chevaleresque  pre- 
mier dignitaire  de  la  Hongrie  les  faisait  songer  à  la  récente 
supplantation  de  la  branche  aînée  par  la  branche  cadette  chez 
les  Bourbons,  malgré  les  hésitations  de  l'archiduc  de  quitter 
son  poste  de  gouverneur  en  Bohc/ne  et  malgré  sa  conduite  irré- 
prochable. N'avait-on  pas  un  souverain  faible?  ne  manquait-on 
pas  d  héritier  direct?  ne  pouvait-on  pas  redouter  que  la  trans- 
mission des  pouvoirs  du  vivant  ou  après  le  décès  de  Ferdinand 
à  son  neveu  l  archiduc  François-Joseph,  ne  se  fît  dans  des 
conditions  fâcheuses  en  face  d'un  autre  membre  adoré,  éner- 
gique, ambitieux  peut-être,  de  la  famille  régnante?  Personni- 
fiée dans  le  jeune  palatin,  la  Hongrie  eut  un  aspect  particuliè- 
rement inquiétant.  Avec  sa  constitution  rajeunie,  avec  les 
preuves  de  sa  perfectibilité,  avec  ses  forces  nouvelles  sous  son 
chef  nouveau,  elle  devenait  un  argument  irréfutable  contre  les 
réactionnaires  affirmant  l'incomptabilité  de  l'ordre  et  de  la 
liberté,  contre  la  bureaucratie  impériale  aux  yeux  de  laquelle 
le  développement  libre  de  la  Hongrie  prenait  les  proportions 
d  une  ironie  humiliante,  et  contre  tous  ceux  enfin  qui,  mus  par 
des  raisons  égoïstes,  ne  désiraient  nullement  la  prospérité 
d'un  pays  qu'ils  ne  connaissaient  et  conséquemment  ne  pou- 
vaient pas  aimer. 

Le  firmament  politique  du  continent  présageait  partout 
des  orages  formidables.  Mise  en  mouvement  par  la  géné- 
reuse initiative  de  Pie  IX,  V Italie  s'apprêtait  à  une  lutte 
suprême  sous  la  conduite  de  Charles- Albert,  et  dans  la  Lombar- 
<//eetdansla  IV/icV/e,  alors  provinces  autrichiennes,  les  comités 
révolutionnaires  bien  organisés  n^attendaient  plus  qu'un  signal 


384  MAGYARS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
pour  se  soulever  contre  le  «tedesco  "  abhorré.  En  Finance,  sous 
prétexte  d'admettre  aux  élections  les  suffra^jes  des  capacités, 
les  impérialistes,  les  républicains  et  les  légitimistes  sapaient 
plus  ou  moins  ouvertement  le  trône  de  Louis-Philippe  tandis 
qu'en  A/lennu/ne  on  préludait  tliéoriquement,  et  en  escomptant 
Técroulement  de  la  Confédération,  au  rétablissement  de  l'em- 
pire. 

L'atmosphère   intellectuelle    était  saturée   d'électricité,    la 
conscience  des  peuples   remplie   de   matières   inflammables 
Pour  amener  par  la  décharge  de  la  foudre  une  conflagration 
générale  il  ne  fallait  qu  un  léger  accident  :  Paiis,  le  fournit, 
formidable,  avec  la  Révolution  de  février! 


CHAPITRE  IX 

LA    DERNIÈRE    DIÈTE    HONGROISE    ET    LA    PRESUÈRE    ASSEMBLÉE 
DES  ROUMAINS 

Prévoir  d'après  ce  qui  précède,  d'une  part  la  transformation 
graduelle  mais  complète  de  la  Hongrie  médiévale  en  Hongrie 
moderne,  et  de  l'autre  la  résistance  opiniâtre  et  constante  de 
la  cour  de  Vienne,  était  chose  aisée  pour  tout  penseur.  En  , 
tenant  compte  de  l'esprit  d'opposition  qui  présidait  aux  élec- 
tions à  la  Diète  convoquée  pour  le  7  novembre  1847,  on  pou- 
vait même  hardiment  assurer  que  la  marche  des  événements 
serait,  cette  fois,  accélérée,  houis  Kossuth  paraissait  être  d'au- 
tant plus  maître  de  la  situation  à  Pozsony  (Presbourg)  que 
François  Deàk^  retenu  au  lit  par  une  grave  maladie,  n'était  pas 
présent  au  début  de  la  session  pour  atténuer  les  excès  de  sa 
fougueuse  éloquence.  A  vrai  dire  il  y  avait  lieu  à  s'aban- 
donner aux  plus  douces  espérances  :  n'entendit-on  pas  pronon- 
cer des  discours  entiers  en  hongrois  par  l'héritier  présomptif 
du  trône,  l'archiduc  François-Joseph,  lors  de  l'installation  de 
l'archiduc  Éiienne  comme  préfet  du  département  de  Pesth^ 
ainsi  que  quelques  phrases  affectueuses  par  l'empereur-roi 
Ferdinand  lui-même,  à  l'occasion  de  l'ouverture  de  la  Diète. 
Avec  sa  majorité  compacte,  réconforté  par  l'appui  du  comte 
Etienne  Széchenyi,  le  parti  libéral  s'engagea  résolument  dans 
la  voie  des  réformes  :  pendant  la  discussion  de  la  réponse  au 
discours  du  trône  de  la  Chambre  basse,  il  souleva  successive- 
ment la  question  de  la  création  d'un  ministère  responsable,  de 
l'abolition  du  servage  et  de  l'avicité,  de  la  liberté  de  la  presse 
pour  la  désigner  au  gouvernement  comme  les  «  desiderata  » 
les  plus  impérieux  de  la  nation.  Le  projet  de  loi  concernant 
Tindigénat,  d'après  lequel  on  ne  devait  l'accorder  qu'aux  per- 
sonnes connaissant  le  hongrois,  provoqua  au  contraire  de  la 
part  des  députés  croates  —  reconnus  tels  de  fait  et  non  pas  de 

25 


;38(>  MAGYARS  Eï  HOtJMAINS  DEVA>T  L'HISTOIRE 
(li-oit  —  (les  contestations  (jui  décelaient  une  animosité  de  mau- 
vais au"ure  chez  eux,  tandis  que  le  chancelier  hongrois,  le 
comte  Grorcjas  Apponvi,  quoique  rempli  des  meilleurs  inten- 
tions mais  inféodé  à  la  politique  de  Mettcmich,  voyant  les 
attaques  dirigées  contre  son  administration,  n'attendait  son 
saint,  avec  les  conservateurs,  que  de  la  dissolution  de  la  Diète. 
Telle  était  la  situation  politique  à  Pozsoiiy  à  la  fin  du  mois 
de  février  de  l'année  bissextile  18  48,  quand  la  nouvelle  de 
la  Révolution  éclatée  à  Paris  y  arriva. 

Le  terrain  qu'elle  y  trouva  était  plus  proprice  à  la  fécon- 
dation que  partout  ailleurs,  car  les  esprits  y  étaient  déjà  suf- 
fisamment montés  et  la  Diète  lui  servait  de  porte-voix  tout 
iiitliqué  dans  son  leader  incomparable  :  Kossuth.  Celui-ci 
ne  tarda  pas  longtemps  à  exposer  le  programme  du  parti 
libéral.  Dans  son  fameux  discours  du  3  mars,  il  énuméra 
les  réformes  qu  il  jugeait  indispensables  au  bonheur  de  la 
Hongrie  :  la  représentation  nationale,  la  transformation  radi- 
cale de  la  défense  nationale,  l'administration  publiquement 
contrôlée  des  deniers  de  l'Etat,  le  règlement  de  1  accord  des 
inléréts  communs  avec  les  pays  héréditaires,  la  création  dun 
ministère  hongrois  uniquement  responsable  au  futur  parle- 
ment hoirgrois.  I^t.  afin  que  l'harmornie  puisse  être  absolue 
entie  tous  les  peuples  de  la  monarchie,  il  exprima  l'espoir 
que  le  souvciain  accordât  aussi  une  constitution  aux  pays 
héréditaires.  Ces  propositions  lurent  acceptées  à  l'unanimité 
par  la  chambre  basse.  On  y  ajouta  celles  de  Stent-Kirâ/ji, 
visant  I  abolition  du  servage  et  le  paiement  d'une  indemnité 
aux  seigneurs,  1  union  de  la  llongiie  et  de  la  Tr(nis]li>(i/iie  et 
la  translation  du  siège  de  la  législature  devenue  annuelle  à 
J*esi/i.  Sur  rin\itation  du  palatin,  la  (.'.hambre  haute  adhéra 
pai'  acclamation  à  l'adresse  contenant  toutes  ces  propositions, 
et  il  lut  décidé  quune  députation  la  porterait  à  Vienne. 
Elle  y  partit  le  15  mars  et  trouva  la  capitale  impériale  en 
pleine  crise  révolutionnaire.  Enflammée  par  le  discours  de 
kosan/fi  du  :}  mars,  discours  que  Ion  avait  affiché  traduit  en 
allemand  dans  TAula  de  l'Université,  la  population  viennoise 
renversa  sans  coup  férir  le  gouvernement  de  Mcttcmic/i,  en- 


LlVllE   TROISIÈME  387 

traînant  la  chute  du  chancelier  hongrois  comte  Apponyi^  et 
réclama  énergiquement  l'octroi  d'une  constitution.  Ferdinand 
le  lui  promit  après  la  convocation  des  Diètes  provinciales 
dans  son  manifeste  du  I  4  mars;  en  attendant,  il  permit  l'orga- 
nisation de  la  garde  nationale. 

Quoiqu'ils  eussent  beaucoup  de  sympathie  pour  le  mouve- 
ment insurrectionnel,  les  //^r>»y/v)/.v  gardèrent  une  attitude  irré- 
prochable. Aussi  se  montrait-on  en  haut  lieu  prêt  à  accéder  à 
leurs  désirs,  mais  on  craignait  d'avoir  l'air  d'être  intimidé 
par  les  agitations  de  la  rue.  Kossu/h  se  chargea  du  rétablisse- 
ment de  la  tranquillité,  et  les  chefs  de  l'insurrection  le  lui  pro- 
mirent. C'était  certes  un  grand  succès,  mais  c'était  aussi  un 
trop  grand  succès.  Voir  protéger  le  trône  séculaire  des  Habs- 
bourg, à  Vienne  même,  par  un  simple  député  hongrois,  portait 
un  coup  terrible  à  l'amour-propre  autrichien.  L'humiliation 
ressentie  par  la  cour  à  cause  de  cette  intervention  intempestive 
l'avait  mal  disposée  depuis  ce  moment  contre  tout  ce  qui  concer- 
nait la  Hongrie.  Elle  était  du  reste  complètement  désorientée, 
non  seulement  par  suite  de  la  disparition  subite  de  Metternich 
son  oracle  incontesté  depuis  plus  de  trente  ans,  mais  aussi 
par  suite  de  la  tournure  menaçante  que  prenaient  les  affaires 
à  la  fois  en  Allemagne  et  en  Italie.  Si  elle  était  assez  sûre  de  la 
fidélité  des  Hongrois,  elle  pouvait  craindre  qu'un  tel  accrois- 
sement de  leur  influence  ne  nuisît  à  la  sienne  moralement  et 
même  matériellement.  Pour  la  contrebalancer  elle  chercha  dès 
lors  des  points  d'appui  dans  les  nationalités  non  pas  pour  en 
faire  des  alliés  proprement  dits,  elle  en  faisait  trop  peu  de  cas, 
mais  pour  démontrer  au  monde  que,  malgré  sa  fameuse  cons- 
titution, la  Hongrie  avait  ses  Chouans  aussi.  C'était  une  de  ces 
alliances  que  les  grands  seigneurs  contractent  avec  les  plé- 
béiens, dans  lesquelles  le  profit  de  ces  derniers  consiste  unique- 
ment dans  l'honneur  de  pouvoir  fréquenter  les  premiers  et 
dont,  une  fois  les  difficultés  passées,  ceux-ci  ne  veulent  plus 
généralement  se  souvenir 

Ce  fut  le  17  mars  que  parut  le  rescrit  royal  investissant  le 
palatin  des  droits  royaux  les  plus  étendus,  l'autorisant  à  pré- 
senter les  membres  du  futur  ministère  hongrois  et  lui  enjoi- 


388         MAGYARS    HT    IIOITMAINS    DKVA^T    I/HISTOIRE 

onant  de  présenter  des  projets  de  loi  au  sujet  des  réformes  les 
plu>  pressantes  à  introduire  en  Hongne.  En  vertu  de  ce  rescrit, 
le  palatin  nomma  ce  jour-là  même  le  comte  Louis  Baiihyàny, 
le  chef  de  l'opposition  à  la  Chambre  haute,  président  du  mi- 
nistère hongrois  dont  le  premier  soin  fut  d'envoyer  une  circu- 
laire aux  préfets  et  aux  municipalités  pour  leur  recommander 
de  ne  pas  se  laisser  troubler  dans  l'accomplissement  des  grands 
devoirs  qu'ils  avaient  à  remplir  par  les  mouvements  popu- 
laires probables.  Ces  instructions  ministérielles  visaient  prin- 
cipalement la  ville  de  Pcsih  où,  le  15  mars,  la  jeunesse  univer- 
sitaire, avant  pour  chefs  le  ^oèie  Peiœfi  et  le  romancier  Matii-iis 
Jokai,  s'était  montrée  assez  inquiétante  par  la  proclamation 
prématurée  de  la  liberté  de  la  presse  et  par  l'élargissement  de 
la  prison  d  un  condammé  plutôt  socialiste  que  politique. 
Comme  dans  cette  journée  mémorable  aucune  goutte  de  sang 
n'avait  coulé  malgré  la  jeunesse  des  chefs,  les  Ilotu/ritis  en 
ont  fait  une  sorte  de  fête  nationale  annuelle,  svmbolisant  le 
caractère  élevé  et  pacifique  de  leur  soi-disant  révolution. 

La  Diète  consacra  le  peu  de  jours  qu  il  lui  restait  à  vivre  — 
devant  faire  place  à  un  parlement  ouvert  aux  représentants 
du  peuple  tout  entier  — à  la  conception  des  articles  de  la  cons- 
titution nouvelle.  Ils  sont  au  nombre  de  trente  et  un,  avec 
une  introduction  en  fête  et  donnent  entière  satisfaction  au 
libéralisme  de  l'épocpie  ou  rendent  tout  perfectionnement  ul- 
térieur possible.  En  ce  (jiii  concerne  les  questions  pouvant 
intéresser  les  Rfutniaiiis,  il  faut  citer  l'article  V,  accordant  le 
droit  de  vote  pour  les  élections  législatives  à  tout  sujet  hon- 
grois âgé  de  20  ans,  possesseur  d'un  certain  avoir,  ou  exerçant 
une  profession  libérale,  ou  exploitant  une  industrie,  quelcon- 
que, ou  étant  commerçant  patenté.  Dans  l'article  Yll  c'est 
l'union  de  la  Ilo/u/rie  et  de  la  Ti^ansylvanie  qui  est  proclamée, 
toutefois  avec  le  consentement  supposé  de  la  diète  de  Kolozs- 
vàr.  L'abolition  de  la  dîme,  de  la  corvée  et  des  redevances 
pécuniaires  figure  dans  l'article  IX,  tandis  que  l'article  X 
supprime  les  tribunaux  seigneuriaux,  et  l'article  XX  reconnaît 
l'égalité  et  la  réciprocité  conq)lètes  des  religions  reçues.  Dans 
-ce   dernier,  il  se   trouve  même  spécialement  une  injonction 


LIVRE   TUOISIEME  389 

adressée  au  {jouvernemeat  pour  convoquer  dans  le  plus  bref 
délai  une  assemblée  des  Grecs  non-unis,  destinée  à  s'occuper 
de  la  réorganisation  de  leur  église. 

Malheureusement,  les  affaires  communes  aux  deux  partie» 
de  la  monarchie  n'y  sont  mentionnées  nulle  part;  on  n'y  fait 
allusion  à  la  Pragmatique  Sanction  que  dans  l'introduction, 
car  leurs  auteurs,  le  comte  Batihyàny  et  Kossuth,  étaient  trop 
pressés  et  trop  préocupés  de  la  transformation  intérieure  de  la 
Hongrie  pour  pouvoir  penser  encore  à  ses  relations  avec  les 
pays  héréditaires.  La  camarilla  découvrit  dans  celte  omission 
une  arrière-pensée  coupable  et  défiante  ;  elle  prit  rapidement 
ses  précautions.  Parmi  les  nationalités  choyées  par  Métier nich 
pour  contre-balancer  l'influence  hongroise,  la  mieux  préparée 
et  la  mieux  placée  était  incontestablement  la  Croatie.  Afin 
qu'elle  put  plus  aisément  servir  les  dessins  de  la  réaction 
on  lui  donna  un  bàn  tout-à-fait  dévoué  à  Vienne,  et  ne  ca- 
chant nullement  ses  sentiments  antimagyars,  dans  la  personne 
du  colonel  baron  Joseph  Jel/n tchitch, ^oiùssant  d'une  popularité 
énorme  chez  ses  compatriotes  à  cause  de  la  vogue  de  ses 
chansons,  il  obtint  le  grade  de  général  de  brigade  et  le  titre 
de  conseiller  intime  en  quelques  jours,  et  Ferdinand  lui  ac- 
corda sa  nouvelle  dignité  à  la  veille  de  la  nomination  du  mi- 
nistère hongrois,  le  7  avril,  se  dispensant  ainsi  d'un  contre- 
seing du  comte  Batthyâny  qui  l'eût  certainement  refusé.  Mais 
cet  acte  inquiétant  passa  presque  inaperçu  au  miHeu  de  la 
joie  générale  avec  laquelle  la  Hongrie  salua  les  nouvelles  qui 
lui  apprirent  successivement  la  sanction  royale  accordée  à  la 
constitution  rajeunie  le  1 1  avril,  la  convocation  de  la  Diète 
transylvanienne  pour  la  proclamation  de  ÏUnion  avec  la  Hon- 
grie, le  12  avril  et  l'entrée  en  fonction  du  ministère  hongrois, 
le  16  avril.  D'autre  part,  ce  fut  le  25  avril  que  Ferdinand  signa 
la  constitution  octroyée  aux  pays  héréditaires,  cédant  ainsi 
en  quelque  sorte  sur  ce  point  aussi  aux  instances  de  la  Diète 
hongroise. 

La  première  impression  que  les  nationalités  diverses  éprou- 
vèrent en  apprenant  ces  victoires  du  libéralisme  magyar,  (ut 
une  joie  sans  mélange.  Les  avantages  obtenus  les  concernaient 


390  MAGYAllS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
])rinci[)aleinent  puisque  c'était  relativement  dans  leurs  rangs 
que  l'on  comptait  le  plus  de  roturiers  et  de  non-privilégiés, 
destinés  à  bénéficier  des  bienfaits  de  la  nouvelle  constitution. 
On  vit  notamment  la  jeunesse  roumaine  faire  cause  commune 
avec  la  jeunesse  magyare  à  Mmos-  \  âsàr/ifly  le  25  mars  où,  après 
avoir  pris  connaissance  des  événements  de  Vieutte  et  de  Pcsili^ 
elles  se  réunirent  pour  rédiger  et  signer  en  commun  une  péti- 
tion à  FcrdliKiiid  V  en  faveur  de  la  proclamation  immédiate  de 
1  union  entre  la  IhnKjric  et  la  Transylvanie.  Le  28  mars,  il  v 
eut  une  réunion  à  Ko/oz.svàf  dans  laquelle  les  intellectuels 
lonmains  adoptèrent  la  proposition  suivante  qu  ils  soumirent 
ensuite  à  plusieurs  assemblées  populaires  roumaines  enthou- 
siasmées :  ils  exigent  qu'ils  soient  rétablis  par  la  noble  nation 
magvare  transvlvanienne  dans  des  municipes  spéciaux  rou- 
mains, soumis  au  pouvoir  de  la  sainte  couronne  hongroise, 
et  que,  dans  ces  municipes,  ils  puissent  emplover  le  roumain. 
Ils  reconnaissent  cependant  que  dans  la  monarchie  hongroise 
la  langue  de  l'État  ne  puisse  être  que  le  hongrois.  Ils  l'accep- 
tent également  dans  la  justice  et  dans  l'administration  afin  que 
leur  unité  puisse  être  maintenue.  Pour  éviter  des  confusions, 
on  emploiera  dans  la  haute  adminisiration  des  traducteurs  rou- 
mains. Que  la  langue  officielle  de  leurs  évéques  et  l'enseigne- 
ment dans  leurs  écoles  soient  roumains.  Que  quiconque  désire 
entrer  dans  {administration  apprenne  le  hongrois,  mais,  le 
sachant,  qu  il  y  soit  admis  sans  difficultés.  Il  faut  que  1  égalité 
de  la  reli;;ion  orthodoxe  avec  les  autres  religions  soit  proclamée. 
Pour  le  reste,  ils  adhèrent  aux  desiderata  de  la  noble  nation 
magyare  transylvanienne  avec  le  plus  grand  empressement  et 
s'ils  voient  que  leurs  réclamations  présentes  sont  bien  accueil- 
lies par  elle  ils  ne  repousseront  pas  l'idée  de  l'union,  voulant 
ainsi  collaborer  avec  la  noble  nation  hongroise  au  bonheur  et 
au  développement  de  la  patrie  en  bons  citoyens.  Par  contre, 
les  assemblées  populaires  des  roumains  tenues  le  25  et  le 
2S  mars  dans  les  villes  saxonnes  telles  que  Urassô  amenèrent 
presque  des  collisions  sanglantes  enive  S(txons  et  Roumains.  (1) 

(1)  G.  Baiuiiu,  Jstoria  Iraitxylvaiiici.  vol.  II.  p    88 


LIVRE   TllOISIÈME  391 

Si  c'était  déjà  une  singulière  manière  d'accueillir  les  nou- 
velles libératrices,  à  BalàzsfoLva  on  les  reçut  encore  plus  mal. 
Dès  le  25  mars,  on  y  tenait  des  conciliabules  interminables 
pour  arriver  à  la  conclusion  que  les  Roinudins  ne  devaient 
plus  «  demander  »  mais,  se  fiant  à  la  force  de  leurs  bras,  tout 
simplement  «  exiger  );  .  Il  y  avait  même  des  exaltés  qui  ne  se 
contentaient  pas  de  l'exigence,  mais  qui  prétendaient  qu'il  fal- 
lait tout  bonnement  reprendre  ce  qui  appartenait  aux  lioit- 
mains,  en  suivant  l'exemple  de  Hora  (1).  Finalement,  après 
l'arrivée  des  jeunes  Rouniaiiis  venant  de  Mnros-Vùsà7'liely\, 
parmi  lesquels  Ahr(ih(tm  Janco,  Ilariduo  I\ipin,  Mikas,  on  ac- 
cepta la  proposition  de  convoquer  une  assemblée  populaire  gé- 
nérale des  Rotiiiitiins  pour  la  Saint-Thomas  et  on  convint  qu'elle 
aurait  lieu  à  Balàzsjalva.  Ce  îniAron  Piimnal  qui  se  chargea  de 
la  rédaction  de  la  lettre  de  convocation  que  les  élèves  copiè- 
rent séance  tenante  à  plusieurs  centaines  d'exemplaires  pour 
les  distribuer  dans  tout  le  pays  pendant  les  vacances  de 
Pâques.  Elle  était  assez  amphigourique  et  obscure  :  d'un  côté 
elle  recommandait  aux  Roumains  de  prouver  par  des  actes  que 
les  autres  nationalités  leur  étaient  chère,  mais  de  l'autre  l'au- 
teur y  parlait  de  «  l'empereur  »  et  ne  disait  mot  des  décisions 
mémorables  prises  par  la  Diète  hongroise.  En  terminant,  il  ex- 
hortait les  Roinnaiiis  à  se  réunir  afin  qu'ils  pussent  se  concer- 
ter au  sujet  d'une  requête  que  cette  assemblée  adressa  aux 
«  pères  conscrits  i?  en  faveur  de  leur  émancipation. 

Un  écrit  aussi  énigmatique  ne  pouvait  que  produire  des 
effets  diamétralement  opposés  :  la  jeunesse  roumaine  de 
Nagy-Vârad  (Hongrie)  y  répondit  le  9  avril  par  une  circulaire 
engageant  ses  frères  de  race  à  se  fier  à  la  magnanimité  de  la 
nation  hongroise  et  à  travailler  pour  l'union,  tandis  que  l'on 
vit  se  répandre  en  même  temps  une  proclamation  non  signée, 
mais  émanant  indubitablement  de  Bamuiiu,  dans  laquelle  ou 
prononce  l'anathème  contre  tout  Roumain  enclin  à  favoriser 
l'union  avant  que  la  nation  roumaine  ne  soit  reconnue  comme 
quatrième  nation  par  la  diète  de  Transyb'anie. 

(i)  Memorii  ilin  1848-49  de  Vasilie  Moldovan  fost  prefed  al  legiunei  III, 
in  1848-49.  Brassoov  1895,  p.  5  et  suivantes. 


392         MAGYARS    ET    IlOUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

Deux  raisons  contribuèrent  puissanient  à  rendre  aux  Rou- 
lîKiin.s  transylvaniens  cette  dernière  manière  de  voir  haineuse 
jdIus  sympathique  que  l'accord  avec  les  Magyars.  Dans  leur 
ij^norance  profonde,  ils  étaient  tout  à  fait  incapables  de  com- 
prendre quelque  chose  au  succès  parlementaire  du  libéralisme 
maoyar;  aussi  ne  vovaient-ils  dans  les  solennités  avec  les- 
quelles on  su})prima  le  servage  dans  les  départements  limitro- 
phes de  la  Hongrie  et  dont  les  bruits  leur  revenaient,  que  la 
défaite  des  sei}jneurs  qu'ils  croyaient  déjà  livrés  à  leurs  res- 
sentiments. Or,  prolonger  cette  ignorance  et  entretenir  cette 
erreur  no  pouvait  qu  accroître  l'influence  des  meneurs,  encou- 
ragés à  a;;ir  plus  haidiment  dans  le  courant  impétueux  du 
libéralisme  qui  prenait  sa  source  au  milieu  de  la  Diète  hon- 
groise et  envahissait  tout  le  pays. 

D'ailleurs,  il  y  avait  en  Transylvanie  àes  émissaires  venantde 
la  Valachic  où,  d'après  les  rapports  de  7'iiiioni,  le  consul  autri- 
chien, on  organisait  des  comités  pour  propager  l'idée  de  la 
création  d  une  Daco-roiunanie  destinée  à  rassembler  sous  un 
sceptre  tous  les  pays  habités  par  les  Roumains  et  conséqiiem- 
ment  aussi  la  Transylvanie.  Le  mémoire,  rédigé  en  ce  sens-lii 
à  Craîova^  offrait  au  prince  Bihesco  le  trône  de  ce  rovaume 
projeté.  Prévenu  parles  avertissements  de  7V/no///,  le  comman- 
dant militaire  en  Transylvanie  prit  toutes  les  mesures  pour 
empêcher  à  la  frontière  l'entrée  des  agitateurs  et  prévint  le 
gouverneui'  de  faire  surveiller  leurs  agissements  de  son  côté 
par  les  autorités  civiles.  Précautions  d'autant  plus  superflues 
qu'effrayés  par  le  dévelopj)ement  futur  iné\  itahle  du  magya- 
risme,  les  Saxons  pul)liaient  une  quantité  de  brochures  alle- 
mandes pour  prêcher  en  faveur  de  la  création  d'un  pavs  sem- 
blable. Leurs  projets  ne  différaient  des  tendances  roumaines 
que  relativement  à  la  situation  politique  que  cette  Daco-rou- 
niaiiie  de  leur  rêve  devait  occuj)er  :  les  Saxons  la  désiraient 
incorporée  dans  la  monarchie  des  Hasbourg^  tandis  que  les 
jeunes  boérs  la  comprenaient  indépendante,  gouvernée  par 
une  dynastie  nationale.  Des  nuances  pareilles  échappent  à  un 
peuple  aussi  arriéré  que  le  peuple  roumain  d'alors.  Il  ne  com- 
prenait qu'une  chose  :  que  son  inimitié  contre  ses  seigneurs 


LIVRE   TUOLSIEME  393 

magyars  était  partagée  par  son  antagoniste  ordinaire,  la  bour- 
geoisie saxonne  elle-même,  à  la  magnanimité  de  laquelle  il 
de\'ait  son  affranchissement  sur  le  territoire  saxon  depuis  le 
3  avril.  Du  reste,  l'union  ne  plaisait  pas  aux  conservateurs 
magyars  non  plus  et  soit  par  indolence,  soit  par  crainte  de 
l'avenir,  la  noblesse  magyare  transylvanienne  ne  montrait  pas 
assez  d'empressement  dans  l'application  des  reformes  théori- 
quement sanctionnées  par  la  constitution  nouvelle. 

Les  effets  de  toutes  ces  excitations  convergentes  sur  le 
roumanisme  ne  se  tirent  pas  longtemps  attendre.  Dès  le 
15  avril,  il  y  eut  un  véritable  soulèvement  à  Voelisoek  où  le 
représentant  de  I  autorité  fut  tellement  maltraité  par  les  habi- 
tants roumains  du  village,  qu'il  en  mourut  le  lendemain.  Cet 
exemple  encouragea  les  serfs  de  même  nationalité  des  dépar- 
tements de  Doboka ,  du  ILiiit  et  du  Bas-Fchéy ,  à  ne  plus 
obéir,  ni  aux  seigneurs,  ni  à  l'administration  départementale. 
Le  <i  gubernium  »  recourut  alors  dans  ces  contrées  à  la 
proclamation  de  la  loi  martiale,  symbolisée  par  l'érection 
d'un  p^ibet  dans  les  communes  où  on  la  proclamait  :  coutume 
fâcheuse  léguée  par  le  moyen  âge,  qui  mettait  dans  une  singu- 
lière lumière  le  libéralisme  magyar  quoiqu'elle  fût  amplement 
motivée  par  les  excès  commis,  nombreux  et  graves,  ainsi  que 
par  l'attitude  menaçante  des  nationalités  éparpillées  dans 
les  autres  pays  de  la  couronne  de  Saint-Étienne.  Jellaichitch, 
installé  à  Zagvab  contre  la  volonté  du  ministère  hongrois, 
décréta,  le  25  avril,  l'indépendance  administrative  et  financière 
de  la  Croatie  à  l'égard  de  Va  Hongrie  ;  eX.  les.S'er^o  de  \a  Hongrie 
désireux  de  créer  une  vayvodie  ssrbe  dans  les  contrées  situées 
sur  la  rive  gauche  du  Danube,  en  face  de  la  Serbie,  la  prépa- 
rèrent le  24  avril  à  Nagj-  Kikinda  par  des  troubles  sanglants, 
en  attendant  l'assemblée  populaire  convoquée  par  Puijaichiich, 
leur  patriarche,  pour  le  15  mai,  à  Karlikza. 

Yu  cet  état  de  choses,  le  "  gubernium  »  ne  voulait  pas 
entendre  parler  de  la  réunion  projetée  des  Roumains.  Il 
enjoignit  donc  à  leurs  deux  évêques  de  l'empêcher,  en  les  pré- 
venant en  même  temps,  que  de  son  côté  il  s'était  adressé  au 
commandant  en  chef  militaire  pour  avoir  sous  sa   main   des 


30 V  MAGYAHS  ht  I'.OUMAINS  DKVANT  L'HISTOIRE 
forces  suffisantes  au  maintien  de  roidre  dans  le  cas  où  la 
réunion  aurait  quand  même  lieu.  Leményi  se  montra  prêt  à 
a<«ir  selon  les  intentions  du  {jouvernement;  il  remarqua  cepen- 
dant qu'il  crovait  indispensable  la  convocation  des  Hauntains 
notables  afin  (lu'il  pussent  se  concerter  au  sujet  d  une  requête, 
destinée  à  exposer  devant  la  Diète  les  vœux  du  roumanisme. 
Avant  trouvé  juste  Tobservation  de  l'évêque  grec  uni,  le  "  gu- 
bernium  »  lui  permit  la  convocation  demandée,  ainsi  qu'à  l'évê- 
que {"^rec  non-uni  Sidz/uiui,  en  exprimant  le  désir  toutefois  (pie 
ces  réunions  fussent  séparément  tenues.  Tout  en  interdisant 
la  réunion  annoncée  pour  la  Saint-Thomas,  Leményi  convo- 
qua donc  ses  fidèles  pour  le  15  mai  à  Bahnsfalra  où  il  sié- 
geait, et  dans  l'absence  de  Siat/mid,  le  consistoire  orthodoxe 
de  Szcbcn  à  cette  date  également,  mais  sans  indiquer  l'endroit 
de  la  réunion  :  oubli  volontaire  ou  involontaire  qui  laissa  le 
champ  libre  à  toutes  les  interprétations.  Les  Rouinains  com- 
j)rirent  cependant  qu'ils  devaient  se  rendre  tous  au  seul 
endroit  indiqué.  Car  les  meneurs  leur  avaient  clairement  expli- 
qué qu'il  fallait  faire  croire  au  monde  qu'ils  ne  devaient  pas 
leur  liberté  à  la  Diète  hongroise,  mais  à  eux-mêmes  ou  tout 
au  moins  à  l'empereur  d  Au/ riche. 

Dans  ces  conditions,  on  peut  considérer  la  réunion  de  la 
Saint-Thomas  comme  une  répétition  générale  seulement.  Le 
clergé  brillait  par  son  absence  et  la  foule  ne  se  composait  que 
des  paysans  venus  des  environs.  Les  orateurs  se  tenaient  sous 
le  porche  de  l'église,  et  tout  en  faisant  allusion  aux  souffrances 
que  les  Ilomnains,  les  plus  anciens  babitants  du  })ays,  en- 
duraient de|niis  de  longs  siècles,  ils  engageaient  leurs  audi- 
teurs à  la  patience  et  leur  recommandaient  de  rentrer  chez 
eux.  Ce  fut  Simon  rKirnuiin  qui  eut  le  plus  de  succès;  on 
détela  les  chevaux  de  sa  voiture  et  on  le  porta  triomphalement 
de  l'auberge  juscpi'à  la  susdite  tribune  improvisée.  Leményi 
prononça  aussi  (piclqucs  paroles  pacificatrices,  mais,  d'après  le 
rapport  du  sous-préfet,  f fi/aire  Papiii  le  tourna  en  ridicule. 
Finalement,  ou  se  dispersa  en  se  donnant  rendcz-\ous  pour  le 
15  mai.  Le  soir,  la  ville  fut  illuminée. 

On  peut  admirer  dans  cette  réunion  la  manière  habile  avec 


LIVRE    TROISIE.MK  395 

laquelle  la  part  qui  revenait  aux  Magyars  dans  la  conquête 
des  libertés  politiques,  fut  escamotée.  On  la  passa  sous  silence 
en  présence  des  représentants  magyars  de  l'autorité,  en  se 
promettant  de  faire  mieux  à  la  prochaine  occasion.  Et  l'on  se 
tint  d'autant  plus  facilement  parole  qu'entre  temps  les  Saxons 
de  Szeben  se  déclarèrent  ouvertement  contre  l'union  en  affi- 
chant bruyamment  leur  attachement  à  l'empire  à'Auiriclie  et 
au  caractère  impérial  du  souverain  de  la  Hongiie.  Celle  atti- 
tude ne  déplaisait  nullement  à  une  fraction  importante  du 
corps  d'officiers  de  l'armée  impériale  à  laquelle  la  future  trans- 
formation de  celle-ci  en  armée  hongroise  répugnait.  D'autre 
part,  on  adressa  des  invitations  aux  célébrités  du  roumanisme 
résidant  tant  en  Hongrie  que  dans  la  \  alachie  et  la  Moldavie, 
afin  que  l'Assemblée  ait  l'aspect  d'une  démonstration  natio- 
nale imposante  autant  par  le  nombre  des  assistants  que  par 
leur  qualité  et  provenance.  Le  "  gubernium  »  y  envoya 
comme  commissaires  le  comte  BànfJ'y  et  un  conseiller  du 
gouvernement,  tandis  que  le  commandant  en  chef  s'y  fit 
représenter  par  le  général  Sclnirter  à  la  tête  d'une  petite 
division  formée  de  soldats  de  toutes  armes  et  de  deux  canons. 
On  a  évalué  la  foule  accourue  dès  le  13  mai  à  30  ou  40,000 
personnes,  parmi  lesquelles  beaucoup  d'ecclésiastiques  et  de 
femmes.  On  s'assembla  d'abord  devant  l'église  décorée  de 
drapeaux  autrichiens,  tricolores,  —  sensément  roumains  — 
composés  de  bleu,  rouge  et  blanc,  tandis  que  la  Hongrie  ou  la 
Transylvanie  n'étaient  représentées  par  aucun  emblème.  Ce 
fut  l'hymne  autrichien  que  le  peuple  y  chanta  avec  des  paroles 
roumaines  en  l'honneur  du  général  Schurier  et  en  terminant 
les  travaux  de  l'Assemblée.  Siaguna  pria  en  outre  ce  même 
général  de  vouloir  bien  transmettre  les  hommages  des  Rou- 
mains à  l'empereur,  et  à  la  dynastie  à  laquelle  ils  doivent  tout 
ce  qu'ils  possèdent. 

A  cause  de  la  chaleur  et  de  l'exiguïté  de  la  place,  les  assistants 
se  transportèrent  sur  un  pré  appelé  '<  le  pré  grec  »  ,  où,  après 
l'élection  comme  présidents  de  Leniényi  et  de  Siaguna,  Simon- 
Bar  na  tin  prononça  un  discours  plein  de  fiel  dans  lequel  il 
repoussa  fièrement  la  liberté  offerte  par  les  Magyars  au  prix 


3<)G  MAGYAl'.S  ET  liOL'MAINS  DEVA?JT  LTIISTOIUE 
de  leur  hégémonie  et  de  ruiiité  de  l'état  magyar.  A  quoi  sert 
la  liberté  de  la  presse,  si  l'on  peut  poursuivre  et  condamner 
les  écrivains  roumains,  défenseurs  de  leur  nationalité?  Quel 
est  l'avantage  de  posséder  un  ministère,  même  composé  de 
Roiinmius,  s'il  ne  s'occupe  des  intérêts  du  roumanisme?  Pour- 
rait-on espérer  le  développement  du  génie  roumain  dans  une 
Hongrie  où  les  Magyars  ne  veulent  reconnaître  qu  une  nation? 
Que  signifie  l'égalité  devant  la  loi,  si  on  ne  peut  s'adresser  au 
tribunaux  (pi'cn  hongrois?  Quant  à  l'abolition  du  servage, 
elle  est  imposée  par  la  force  des  choses  avec  ou  sans  l'union. 
"  Nous  ne  nous  assevons  pas  à  la  table  de  la  liberté  magyare, 
s'écria-t-il  enfin,  car  les  mets  y  sont  empoisonnés!  d  En  guise 
de  conclusion  il  proposa  donc  l'adoption  des  quatre  résolu- 
tions suivantes  :  1°  On  baptisera  le  champ  où  a  eu  lieu  cette 
première  assemblée  roumaine  «  le  champ  de  la  liberté  "  (Câm- 
pul  libertatei).  2°  La  nation  roumaine  déclare  vouloir  rester 
fidèle  à  S.  M.  l'empereur  d'Autriche,  roi  de  Hongrie,  grand 
duc  de  Transyh'anie  et  à  l'auguste  maison  autrichienne.  3°  La 
nation  roumaine  se  proclame,  en  se  basant  sur  les  libertés 
politiques,  nation  indépendante  et  faisant  partie  intégrante  de 
la  Transylvanie.  4°  La  nation  roumaine  prête  le  serment  sui- 
vant à  l'empereur,  à  la  patrie  et  à  la  cause  roumaine  :  «  Moi, 
N.  N.  je  jure  sur  le  Dieu  vivant  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit, 
que  je  resterai  fidèle  à  l'empereur  d'Autriche,  au  grand  duc  de 
Transylvanie  Ferdinand  I"  et  à  l'auguste  maison  autrichienne. 
Je  serai  l'ami  de  ses  amis,  l'ennemi  de  ses  ennemis;  qu'en 
ma  qualité  de  Roumain,  je  maintiendrai  la  nation  roumaine 
toujours  sur  le  chemin  du  droit  et  de  la  justice  et  que  je  la 
protégerai  de  toutes  mes  forces  contre  toute  attaque  et  oppres- 
sion et  que  je  ne  ferai  jamais  rien  contre  les  intérêts  et  les 
droits  du  roumanisme,  mais  que  je  resterai  toujours  attaché 
à  notre  langue  et  religion  roumaines.  Conformément  à  ce  prin- 
cipe, je  respecte  toutes  les  nationalités  de  la  Transvlvanie  et 
j'espère  que  j'en  aurai  le  même  respect  en  retour.  Je  ne  ferai 
rien  pour  opprimer  les  autres,  mais  je  ne  souffrirai  de  personne 
d'être  opprimé.  Je  veux  contribuer  selon  mes  forces  à  l'abo- 
lition du  servage,  à  l'affranchissement  de  l'industrie  et  du  com- 


LIVRE    TROISIEME  397 

ineice,  à  la  défense  du  droit,  au  progrès  de  l'humanité,  de  la 
nation  roumaine  et  de  notre  patrie.  Que  Dieu  me  protège  et 
accorde  à  mon  âme  le  salut  éternel!  Amen  !  «  Les  résolutions 
furent  adoptées  h  l'unanimité,  et  on  prêta  le  serment  demandé 
les  mains  levées  vers  le  ciel. 

Ce  fut  le  deuxième  jour  que  Lauriano  présenta  les  seize  ar- 
ticles devant  servir  à  résumer  le  programme  politique  de  la 
nation  roumaine.  Elle  y  exige,  partant  du  principe  de  la  fra- 
ternité et  de  la  liberté,  son  indépendance  en  matière  politique; 
qu'elle  puisse  figurer  à  la  Diète  comme  nation  reconnue  et 
en  proportion  de  son  importance  numérique;  qu'elle  puisse 
avoir  ses  représentants  dans  l'administration,  la  magistrature 
et  l'armée  et  que  la  législature  et  l'administration  emploient  sa 
langue  dans  la  même  proportion.  Elle  exige  en  même  temps 
qu  elle  puisse  tenir  une  assemblée  nationale  tous  les  ans.  En 
fait  de  religion,  rassemblée  exige  que  l'église  roumaine  soit 
indépendante  et  qu'elle  soit  mise  sur  le  même  rang  que  les 
autres  églises.  Elle  demande  le  rétablissement  du  métropolite 
et  la  convocation  annuelle  d'un  synode.  Elle  demande  l'aboli- 
tion du  servage,  de  la  dime  et  de  la  corvée.  La  nation  rou- 
maine désire  la  liberté  industrielle  et  commerciale,  la  liberté 
de  la  presse,  la  liberté  individuelle,  l'introduction  delà  ver- 
balité  et  de  la  publicité  dans  la  justice,  la  nomination  d'une 
commission  composée  des  délégués  de  toutes  les  nations  de  la 
Transylvanie  pour  s'occuper  des  questions  litigieuses  relative - 
mentauxbienscommunaux,  lepaiementpar  l'État  de  son  clergé, 
la  création  d'écoles  roumaines  de  tous  rangs  au  frais  de  l'Etat, 
mais  tout  en  conservant  pour  elle-même  le  droit  de  choisir  les 
professeurs.  La  nation  roumaine  exige  la  convocation  d'une 
Diète  composée  de  représentants  de  toutes  les  nations  de  la 
Transylvanie  i^onr  éXahoTQY  une  nouvelle  constitution  pour  ce 
pays,  et  elle  demande  que  les  autres  nations  transylvaniennes 
ne  s'occupent  de  l'union  qu'après  l'avoir  consultée;  car  dans 
le  cas  contraire,  elle  serait  obligée  de  s'opposer  solennelle- 
ment à  sa  proclamation. 

Ces   articles    furent    unanimement    adoptés   et   on    décida 
d'envoyer   le  tout   d'une  part  à  Ferdinand  et  de    l'autre  à  la 


398  MAGYARS  El  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
Diète  convoquée  pour  le  25)  mai.  Après  l'élection  des  deuxdépu- 
tations  chargées  de  transmettre  les  requêtes,  la  première  ayant 
Siaguna  pour  président  et  la  seconde  Leinényi,  on  forma  un 
Comité  pernitinent,  composé  de  vingt-cinq  membres  et  devant 
siéper  à  Szehen  sous  la  présidence  de  Siaguna  et  avec  Simon 
Barunliu  pour  vice-président  afin  que  par  ses  soins  les  réponses 
du  souverain  et  de  la  Diète  puissent  être  recueillies  et  une  nou- 
velle assemblée  convoquée. 

Si  l'ostentation  avec  laquelle  les  Roumains  ont  souligné  et 
spécifié  leurs  demandes  au  sujet  des  différentes  libertés,  indi- 
quait clairement  le  désir  de  ne  vouloir  rien  devoir  aux 
Magyars  et  de  pouvoir  faire  croire  à  la  foule  ignorante  que 
l'amélioration  projetée  de  son  sort  n'était  pas  le  résultat  de  la 
sollicitude  de  la  constitution  hongroise,  mais  de  la  leur,  la 
formation  de  ce  comité  dont  la  direction  devait,  par  l'absence 
de  Siaguna  fatalement  échoir  au  magyarophobe  Barnuiiu  était 
absolument  une  déclaration  de  guerre  à  l'adresse  du  gouverne- 
ment hongrois.  Installé  au  milieu  des  Saxons  a  Szehen  où  Ton 
ne  ressentait  pas  beaucoup  d  affection  pour  l'union,  il  se  sen- 
tait en  sécurité  pour  travailler  à  l'organisation  du  soulèvement 
des  RounKfins . 


CHAPITRE  X 

LA    DERRIÈRE    DIÈTE    TRANSYLVANIENNE    ET    LA    SECONDE  ASSEMBLÉE 
DES    ROUMAINS. 

Dans  la  pensée  des  députés  magyars  et  sicules,  la  Diète  de 
Kolozsvàr,  convoquée  pour  le  29  mai  1848,  n'était  qu'une  for- 
malité :  accepter  et  proclamer  officiellement  l'union  avec  la 
Hongrie,  selon  les  dispositions  de  l'article  VII  de  la  nouvelle 
constitution.  Aussi,  après  le  discours  hongrois  du  général  baron 
Purhner.  commandant  en  chef  en  Transylvanie  et,  dans  l'espèce, 
commissaire  royal  chargé  de  l'ouverture  de  la  Diète,  on  procéda 
immédiatement  à  la  disscusion  de  la  troisième  proposition 
royale,  c'est-à-dire  de  celle  concernant  l'union.  Le  baron  Denis 
Kemény  y  prit  part  le  premier  en  donnant  lecture  du  projet  de 
loi  que  les  Magyars  avaient  préparé  à  ce  sujet.  Gomme  Roii^^ 
nuiin,  Alexandre  Boheczel,  le  député  de  la  ville  de  Hâtszeg,  ne 
voulut  le  voter  que  sous  la  condition  que  l'on  fît  de  la  nation 
roumaine  la  quatrième  nation  reconnue  du  pays.  De  son  côté, 
le  député  sicule  à.' Illyefalva,  Daniel  Gàl,  ne  promit  son  adhé- 
sion qu'au  prix  de  la  transformation  en  gardes  nationaux  des 
Sicules  des  Confins  militaires .  Mors,  un  autre  Roumain,  le  député 
de  Vajda-Hunyad,  Constantin  Prt/;/^//'/,  réunit  les  deux  amende- 
ments et  déclara  qu'il  fallait  avant  tout  reconnaître  les  Rou- 
rnains  comme  quatrième  nation  et  transformer  aussi  les  deux 
régiments  roumains  des  Confins  en  gardes  nationaux.  Le 
baron  Wesselenyi  n'eut  pas  beaucoup  de  peine  à  démontrer 
que  la  nouvelle  constitution  hongroise  établissant  l'égalité 
devant  la  loi  de  tous  les  sujets  hongrois,  il  serait  superflu 
dentrer  dans  ces  détails  car,  par  l'acceptation  de  l'union,  cette 
constitution  entrerait  en  vigueur  en  Transylvanie  également, 
abolissant  tous  les  vestiges  de  la  législation  médiévale.  Après 
cette  explication  les  deux  députés  de  nationalité  roumaine  qui 
parlaient  au  nom  de  la  nation  roumaine  et  le  député  sicule  se 


.'♦00        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
considérèrent  comme  rassurés  et  ne  virent  plus  d'obstacles  à 
voter  Tunion. 

Parmi  les  quinze  députés  saxons,  un  seul  consentit  à  se  rallier 
à  Topinion  des  Mag)  <irs  et  des  Sicitles.  Ceux  de  Brassa  et  de 
Szàsz-Seheii  posèrent  des  conditions  dont  le  rejet  les  eût  forcés 
h  protester  contre  l'union.  Sous  l'impression  d'un  superbe  dis- 
cours de  Chiirlcs  Szàsz,  dans  lequel  il  leur  reprocha  de  vouloir 
arracher  à  la  Hongrie  un  territoire  qu'elle  leur  avait  donné  et 
de  vouloii"  employer  contre  elle  les  richesses  qu'ils  y  avaient 
acquises,  ils  tinrent  à  l'issue  de  la  séance  uneréunion  nocturne 
où  ils  décidèrent  cependant  l'acceptation  du  projet  de  loi 
avec  une  majorité  de  cinq  voix.  Mais  ce  revirement  ne  devait 
pas  être  attribué  à  Teffet  de  l'éloquence  seule  :  ayant  appris  de 
laide  de  camp  du  baron  Pttdiner,  à  son  retour  de  Vienne,  les 
sentiments  bienveillants  de  Ferdinand  à  l'égard  de  la  nouvelle 
constitution  hongroise  et  ayant  reçu  des  avis  de  V Allemagne 
dans  lesquelles  on  leur  recommandait  de  s'unir  aux  Magyars 
dansTintérêt  du  libéralisme,  ils  croyaient  plus  prudent  de  se 
montrer  conciliants.  De  là  leur  attitude  dans  la  séance  du 
30  mai.  Après  avoir  prononcé  quelques  paroles  patriotiques, 
Wesselényi  y  posa  la  question  de  savoir  si  l'on  accepterait  ou  non 
l'union  dans  l'esprit  de  l'article  YII  de  la  constitution  hongroise. 
Et  comme  l'enthousiasme  avec  lequel  les  Magyars  et  les  Sicules 
répondirent  affirmativement  pouvait  ressembler  à  un  moyen 
d'intimidation,  le  baron  Denis  Kemény  pria  l'assistance  de 
laisser  la  parole  à  ceux  aussi  qui  pouvaient  ne  pas  être  du 
même  avis.  Au  milieu  d'un  silence  religieux,  ému  jusqu'aux 
larmes  par  cette  magnanimité  chevaleresque,  Élie  Roih,  le 
député  de  Brasso,  prit  alors  sur  lui  de  déclarer  au  nom  de  ses 
collègues  saxons  l'adhésion  de  sa  nation  à  l'union,  espérant 
qu'elle  ne  serait  pas  en  contradiction  avec  la  Pragmatique  Sanc- 
tion et  que  l'on  prendrait  en  considération  les  revendications 
légitimes  de  leurs  commettants. 

La  députation  roumaine,  ayant  pour  président  l'évéque  uni 
Leménji  et  envoyée  par  l'assemblée  de  Balàzsfalua  pour  pré- 
senter à  la  Diète  les  fameux  seize  articles  plus  haut  énumérés, 
assista  à  la  séance  dans  les  rangs  du  public.  Après  l'adoption 


LIVRE   TROISIEME  40 1 

à  l'unanimité  de  l'union,  la  jeunesse  magfyare  prit  Lemënyi  ci 
le  député  saxon  Schmidi  sur  ses  épaules.  L'é\  éqiie  hénit  alors 
l'union  et  saisit  l'occasion  pour  affirmer  que  si  Tunion  avait 
des  opposants,  ceux-ci  ne  représentaient  que  leurs  personnes 
et  nullement  la  nation  roumaine.  Pendant  qu'il  parlait,  on  lui 
présenta  un  drapeau  tricolore  hongrois  quelconque  qu'il  saisit 
et  qu'il  souleva.  Or  il  y  avait  sur  ce  drapeau  une  inscription  : 
«L'union  ou  la  mort,  »  c'est-à-dire  la  devise  de  la  jeunesse 
magyare,  qu'elle  avait  adoptée  pour  exprimer  son  attachement 
profond  au  projet  de  loi  en  discussion.  L'historien  roumain  v 
voit,  avec  une  malveillance  indéniable,  sinon  une  menace,  au 
moins  une  tentative  d'humiliation  à  l'adresse  de  sa  nation. 

La  séance  fut  reprise  dans  l'après-midi  même  de  cette 
journée  historique  et  on  y  élut  une  commission  composée 
de  vingt-cinq  membres  dont  quatre  Saxons  et  trois  Rountains  : 
Leményi,  Siagiina  et  Boheczel.  Elle  eut  pour  mission  d'établir 
le  texte  définitif  de  la  loi.  En  voici  la  disposition  principal»;  : 
"  Considérant  la  chaleureuse  sympathie  avec  laquelle  la 
Transylvanie  a  reçu  l'article  VII  de  la  loi  de  1848,  créée  parla 
législature  hongroise;  considérant  qu'elle  a  fait  complètement 
sienne  l'union  de  la  Hongrie  avec  la  Transylvanie,  tout  en 
maintenant  avec  la  monarchie  ses  liens,  qu'avait  noués  la 
Pragmatique  sanction,  intacts  et  dans  leur  sens  le  plus  larp^e  : 
il  en  résulte  que  comme  en  Hongrie —  la  sœur-patrie  —  on  a 
déjà  proclamé  et  mis  en  pratique  l'égalité  devant  la  loi  de  tous 
les  sujets,  on  en  reconnaît  le  principe  immuable  et  éternel  ici, 
et  de  la  même  façon  aussi  pour  tous  les  habitants  de  la  patrie 
sans  distinction  de  race,  de  langue  ou  de  religion,  eton  déclare 
toutes  les  lois  existantes,  qui  sont  avec  elle  en  contradiction, 
dès  à  présent  abrogées.  " 

Suivent  quatre  paragraphes  :  le  premier  corrige  une  erreur 
arithmétique  de  la  loi  hongroise  et  élève  le  nombre  des  députés- 
transylvaniens  pour  le  parlement  de  Pesth  de  09  à  73;  le 
deuxième  se  rapporte  à  la  nomination  de  la  commission 
chargée  de  régler  les  détails  de  l'union;  le  troisième  concerne 
les  mesures  transitoires  à  prendre  et  le  quatrième  l'adminis- 


tration et  la  magistrature. 


26 


402        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    LHISTOIRE 

Pour  faire  sanctionner  cette  loi  par  Ferdinand,  on  l'envoya 
à  hispriick  où  la  cour  s'était  retirée  après  les  nouveaux  troubles 
qui  avaient  ensanglanté  Vienne  au  milieu  du  mois  de  mai.  A 
peine  remise  au  souverain  parles  envoyés,  la  loi  fut  sanctionnée 
le  !  1  juin  par  une  clause  signée  de  la  main  de  Ferdinand  qui 
la  reconnut  obligatoire  aussi  bien  pour  lui-même  que  pour  ses 
successeurs.  A  Kolozsvâr,  elle  fut  promulguée  dans  la  Diète 
le  10  juin,  mais  l'exemplaire  original  de  la  loi  destiné  à  être 
conservé,  ne  porta  jamais  la  signature  royale,  ni  le  contre-seing 
du  chancelier  parce  qu'on  ne  l'expédia  à  cet  effet  au  minis- 
tère de  l'Intérieur  hongrois  que  le  27  juillet,  et  la  formalité 
requise  par  la  constitution  ne  put  être  remplie  plus  tard  à 
cause  des  événements. 

Ce  fut  le  20  juin  que  la  diète  transylvanienne  s'occupa  du 
«  Mémoire  »  des  Saxons  et  de  la  requête  de  l'assemblée  rou- 
maine de  Balàzsfalvn.  On  renvoya  le  premier  h  la  commission 
de  l'union  chaleureusement  recommandé,  quant  h  la  seconde 
on  fit  à  son  sujet  la  résolution  suivante  :  a  Les  États  compren- 
nent qu'il  est  de  leur  devoir  de  donner  les  gages  d'un  amour 
fraternel  à  leurs  concitoyens  roumains  avec  qui  ils  ont  partagé 
leur  bon  et  mauvais  sort  pendant  des  siècles  et  dont  les  droits 
et  les  devoirs  sont  aujourd'hui  égaux  aux  leurs:  —  mais  ils  trou- 
vent que  les  lois  hongroises  de  1848,  entrées  en  vigueur  en 
Transvlvanie  aussi  depuis  la  proclamation  de  1  union,  font 
grandement  disparaître  les  raisons  de  leurs  peines  et  de  leurs 
réclamations  légitimes  et  remplissent  pleinement  leurs  équi- 
tables demandes.  En  ce  qui  concerne  le  règlement  juste  et 
pratique  des  affaires  encore  en  suspens,  comme  elles  intéres- 
sent les  Roumains  vivant  en  dehors  de  la  Transylvanie  ainsi 
qu'en  général  les  autres  habitants  de  la  patrie  aussi  et  comme 
elles  forment  l'objet  des  discussions  du  parlement  composé 
des  représentants  de  toute  la  population  de  la  patrie,  il  serait 
déplacé  de  s'en  occuper  maintenant  dans  le  courant  de  cette 
législature  spéciale.  " 

La  réponse  verbale  du  I  !  juin)  et  la  réponse  écrite  du 
18  juin)  données  par  Ferdinand  à  la  députation  roumaine  pré- 
sentant la  requête  de  rassendjh-e  de   Balazsfalva  et  conduite 


LIVRE   TROISIÈME  403 

par  Siagiina,  exprimaient  le  même  sentiment  bienveillant 
mais  constitutionnel.  «  J'attends  de  vous,  dit  le  souverain  en 
terminant,  qu'attachés  fidèlement  à  ma  couronne  hongroise, 
vous  évitiez  tout  ce  qui  pourrait  amener  des  complications; 
car  vous  ne  pouvez  jouir  en  sécurité  des  libertés  que  je  vous 
ai  accordées,  qu'en  restant  en  bonne  harmonie  avec  vos  con- 
citoyens. " 

Pour  contre-balancer  l'effet  salutaire  d'une  déclaration 
royale  pareille  et  de  l'attitude  bienveillante  de  la  Diète  de  Ko- 
lotsi'àr,  les  membres  du  Comité  national  roumain  de  Szeben 
n'avaient  qu'à  passer  sous  silence  tout  ce  qui  pouvait  être 
favorable  à  la  cause  hongroise  et  raconter  de  prétendues  atro- 
cités sur  le  compte  des  Maçiyars  et  des  Sicules  dans  les  jour- 
naux roumains  et  saxons  qu'ils  avaient  entièrement  à  leur 
disposition  et  qu'ils  distribuaient  au  besoin  dans  un  milieu 
où  toute  prose  imprimée  est  considérée,  à  cause  de  sa  rareté, 
comme  parole  d'Évangile.  Ce  fut  ainsi  qu'il  leur  réussit  de 
foire  accroire  à  leurs  naïfs  lecteurs  que  loin  d'être  pour  l'abo- 
lition du  servage,  les  Mat/yars  en  faisaient  un  piège  pour  y  faire 
tomber  les  paysans  roumains  qu  ils  voulaient  exterminer. 
N'eurent-ils  pas  l'aplomb  d'en  appeler  au  monde  civilisé  tout 
entier  au  sujet  des  femmes  violées  de  Koslard  et  du  massacre 
de  la  population  ^(\\ûh\e  àe  hiliàlczfalva  (le  2  juin)?  Or  d'après 
la  déposition  elle-même  de  40  habitants  roumains  de  ces  deux 
communes,  les  autorités  ne  s'y  rendirent  à  la  tête  de  deux 
bataillons  de  gardes  nationaux  sicules  qu'à  cause  d'une  muti- 
nerie qui  éclata  par  suite  de  l'impatience  des  pavsans  at- 
tendant leur  libération.  Cette  mutinerie  cessa  à  Koslard  d  elle- 
même  et  sans  qu'il  fût  tombé  une  seule  larme  des  yeux  d'une 
seule  Roumaine,  tandis  qu'à  Mihàlczfaiva  ce  furent  les  paysans 
roumains  qui  tirèrent  les  premiers,  après  avoir  barré  la  route 
de  leur  masse  compacte  toute  une  journée  pour  empêcher 
l'entrée  du  préfet  dans  la  commune.  D'ailleurs  les  investiga- 
tions de  la  justice  découvrirent  que  la  veille  de  l'échauffourée, 
Mihàlczfaiva  avait  reçut  la  visite  du  professeur  Aion  Puninal^ 
membre  du  comité  national.  On  transforma  les  incidents  d'un 
marché  d'Abrudbânja   également  en  atrocités,  quoiqu'ils  fus- 


-VOV        MAGYAU8    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

sent  simplement  des  faits  qui  se  reproduisent  cliaque  l'ois 
(|ue  la  police  intervient  dans  une  rixe.  Mais  ici  ce  furent  des 
gardes  nationaux  hongrois  qui  intervinrent  pour  séparer  les 
combattants  roumains;  ils  ne  pouvaient  donc  commettre  que 
des  iniquités  !  De  fait,  on  dut  y  arrêter  plus  tard  un  ecclésias- 
tique roumain,  parce  qu'il  excitait  ses  ouailles  contre  les  Ma- 
(jydrs.  Mais  son  incarcération  ne  servait  qu'à  fournir  un  thème 
de  plus  pour  les  éternelles  variations  fantaisistes  que  les  publi- 
cistes  roumains  brodaient  sur  la  barbarie  magyare.  On  dépei- 
gnit avec  des  détails  horribles  le  martyre  d'une  fille  roumaine 
et  d'un  père  de  famille  roumain,  tués  à  Szent-Kiràly  sans 
rime  ni  raison,  et  l'on  dénonça  les  gardes  nationaux  magyars 
comme  désireux  de  se  jeter  sur  Balinsfalva  pour  y  mettre  à 
sac  l'évéché  roumain  et  pour  y  détruire  les  locaux  des  écoles 
roumaines. 

11  faut  rapporter  h  l'honneur  du  consistoire  de  l'église  grec- 
que orientale  que  non  seulement  il  se  tenait  éloigné  de  tous 
ces  agissements  mais  qu'il  s'en  plaignit  même  au  gou\er- 
neur  dans  une  lettre  datée  du  7  juin.  Il  y  exprima  la  crainte 
que  ces  fauteurs  de  désordre,  déjà  coryphées  à  l'assemblée  de 
BaUizsfdlrd  ne  réussissent  à  soulever  le  peuple  ignorant. 
«  Tout  le  monde  connaît  leur  nom,  car  étant  membres  du 
*  Comité  national  "  ,  ils  parlent  contre  l'union  au  nom  du  rou- 
manisme  tout  entier  et  excitent  et  poussent  le  peuple  roumain 
contre  le  peuple  hongrois.  »  Et  les  membres  du  consistoire  ne 
se  cachaient  pas  de  cette  opinion  ;  ils  l'exprimèrent  en  face  des 
jeunes  agitateurs  eux-mêmes,  comme  le  prouve  la  scène  de 
pugilat  rapportée  par  iJaiùii/,  qui  se  passa  à  Szebe/i  dans  un 
conciliabule  du  comité  entre  un  de  ses  membres  âgé,  modéré, 
et  Ahralidni  Janco  (1). 

Si  l'on  tient  compte  de  la  nature  apathique  des  lio/aïui/ns, 
leur  pacification  à  l'aide  d'éléments  aussi  assagis  et  patrio- 
tiques pouvait  être  encore  facilement  entreprise  à  ce  moment, 
d'autant  plus  que  le  «  gubernium  "  ne  tarda  pas  à  dissoudre 
le  Comité  et  à  déférer  en  justice  ses  membres  les  plus  remuants. 

(1)  RAiiiriu,  Istoria  TransUvanici,  vol.  II,  p.  164. 


LIVRE   TROISIÈME  4()5 

Malheureusement  les  Saxons,  et  derrière  eux  la  réaction,  fai- 
saient tous  leurs  efforts  pour  empêcher  la  réconciliation  entre 
Magyars  etRonniaiiis.  D'après  certains  historiens  ma{jyars,  il  y 
aurait  eu  de  véritables  traités  verbaux  au  sujet  de  la  coopéra- 
tion effective  des  Roumains  et  des  Saxons  contre  l'union,  — 
traités  de  peu  d'importance  tant  que  le  ministère  honjjrois 
put  disposer  de  l'armée  impériale,  mais  traités  calamiteux  au 
service  des  ennemis  de  la  cause  hongroise.  Et,  hélas!  la 
camarilla  entraîna  la  dynastie  de  plus  en  plus  dans  les  rangs 
de  ces  derniers  dès  cette  époque. 

Comme  au  mouvement  libéral  du  mois  de  mars,  ce  fut 
Paris  qui  donna  l'impulsion  à  cette  volte-face  funeste.  Vain- 
queur des  insurgés  de  juin,  le  gouvernement  de  la  République 
française  se  vit  forcé  de  retourner  en  arrière,  après  avoir 
perdu  pied  dans  le  courant  tourbillonnant  d'une  politique 
sentimentale  et  fantaisiste  :  reculade  significative,  qui  remonta 
le  courage  de  la  réaction  sur  tout  le  continent.  D'autre  part, 
les  troubles  survenus  dans  les  Principautés  danubiennes  y  ame- 
nèrent les  armées  de  l'empereur  de  Russie,  Nicolas  I",  à  peu 
près  à  la  même  date,  tandis  qu'en  Italie  le  maréchal  autrichien 
Radetzky  infligeait  une  sérieuse  défaite  au  roi  de  Sardiigne, 
Charles- Albert,  à  Custozza,  quelques  semaines  plus  tard. 
C'étaient  autant  d'atouts  dans  les  mains  de  la  cour  de  Vienne, 
devenue  de  plus  en  plus  méfiante  par  suite  des  écarts  de  lan- 
gage de  certains  orateurs  du  parlement  hongrois,  réuni  à 
Pesth  et  ouvert  par  l'archiduc  palatin  Etienne,  le  5  juillet.  Car 
pour  ne  parler  que  de  Louis  Kossuih,  si  le  11  juillet  il  obtient 
du  patriotisme  des  415  députés  hongrois  la  création  d'une 
armée  de  200,000  hommes  et  l'autorisation  de  contracter  un 
emprunt  de  42,000  florins  —  sa  phrase  célèbre  :  "  Je  me 
prosterne  devant  la  grandeur  de  la  nation,  ->  a  été  prononcée  ce 
jour-là,  —  le  20  juillet  suivant,  à  propos  de  l'envoi  possible 
des  recrues  hongroises  en  Italie,  il  donne  une  telle  interpré- 
tation à  la  Pragmatique  Sanction,  que  le  ministre  président, 
et  les  ministres  de  la  Justice  et  de  l'Instruction  publique  se 
voient  obhgés  à  le  désavouer.  Confier  une  mission  diploma- 
tique auprès  du  parlement  allemand  de  Francfort  (le  19  juillet) 


VO(i  MAGYAl'.S  ET  ROUMAINS  DKVAiNT  L'HISTOIRE 
à  1  historien  Lddislas  Szalay  avait  aussi  1  air  d'un  acte  sépa- 
ratiste puisque  c'était  se  passer  de  la  diplomatie  impériale  et 
s'adresser  à  un  corps  politique  plein  d'exigences  à  l'égard  de 
la  monarchie  et  conséqucmment  mal  noté  en  haut  lieu.  11  y 
eut  même  des  députés  qui  ne  craignirent  pas  de  déclarer  ouver- 
tement que  si  les  troupes  impériales  n'arrivaient  pas  à  se  rendre 
maîtresses  des  Serhes  révoltés,  c'est  qu'elles  étaient  de  con- 
nivence avec  ceux-ci,  conformément  h  certains  ordres  secrets 
venus  du  ministère  de  la  guerre  viennois  (le  \[)  août).  Paroles 
irréfléchies  d'autant  plus  giaves  que  pendant  ce  tenq)s-là  Jc/Ia- 
tchiuh  promettait  à  la  cour  50,000  soldats  croates  pour  la 
défense  des  provinces  italiennes. 

Entre  ces  deux  interprétations  diamétralement  opposées  de 
la  Pragmatique  Sanction,  les  hommes  d'Etat  autrichiens  n'hési- 
tèrent pas  un  seul  instant.  Ce  fut  le  ministre  Dnhllioff  c^m  con- 
signa leur  manière  de  voir  dans  un  mémoire  où  il  conclut  à 
la  nécessité  de  reviser  la  constitution  hongroise  nouvelle  dans 
l'esprit  de  la  Pragmatique  Sanction,  d'assurer  l'intégrité  de  la 
monarchie  et  de  rétahlir  l'unité  de  son  gouvernement. 

Présenté  par  son  auteur,  d'ahord  au  parlement  autrichien, 
ce  mémoire  fournit  une  base  théorique  excellente  h  la  cama- 
rilla  pour  rétrograder  sur  le  terrain  parcouru  depuis  le  mois 
de  mars,  (iràce  à  lui^  Ferdinand  put  rendre  par  son  rescrit  du 
-4  septembre  à  Jellatchiirli  toutes  ses  dignités  retirées  entre 
temps,  en  le  complimentant  sur  sa  fidélité  à  la  dynastie  et  à 
l'unité  de  la  monarchie.  Ce  rescrit  ne  fut  contresigné  par 
aucim  ministre  hongrois  et  entraîna  la  démission  du  prince 
Ester/iâzy,  ministre  "  a  latere  »  ,  inaugurant  ainsi  les  hostilités 
entre  le  souverain  et  le  parlement  hongrois.  La  folie  du  comte 
Etienne  Szrchenji  se  déclara  le  lendemain,  pour  diminuer 
encore  les  dernières  chances  d'une  transaction  pacifique. 

Désireux  de  connaître  les  véritables  intentions  de  la  cour, 
le  parlement  de  Pesth  envoya  alors  une  délégation  à  Vienne, 
sous  la  présidence  du  président  de  la  Chambre  basse,  Denis  de 
Piizni/md)  .  Dans  son  allocution  adressée  à  Ferdinand.,  l'azniàndy 
1  adjura  de  venir  au  milieu  de  ses  Hon(/7ois  fidèles,  car  sa  pré- 
sence seule  suffirait  pour  désarmer  les  Serbes  révoltés  et  déli- 


LIVRE    rr.OISIKME  407 

vrer  la  Croatie  de  la  dictature  militaire  qui  1  empêchait  de 
s'expliquer  librement  et  de  s  entendre  équitablement  avec  la 
Hongrie.  Mettant  en  avant  la  faiblesse  de  sa  santé,  Ferdinand 
déclina  affectueusement  l'invitation  et  ne  donna  aucune 
réponse  satisfaisante,  relativement  à  l'arrangement  des  ques- 
tions pendantes. 

L'insuccès  de  cette  démarche  suprême  rendit  la  situation 
du  ministère  hongrois  tronqué  insoutenable.  Il  remit  sa  démis- 
sion, le  10  septembre,  au  palatin,  qui  l'accepta  et  le  chargea  de 
1  expédition  des  affaires  jusqu  à  la  nomination  d  un  nouveau 
ministère.  Kossnth  ne  voulut  pas  admettre  cet  atermoiement 
et  invoqua  le  texte  d'une  loi  de  Mathias  Corvin  permettant  au 
palatin  d'exercer  le  pouvoir  du  roi  en  cas  de  maladie.  Pour 
lidiihyàny  tout  semblait  préférable  au  manque  de  gouverne- 
ment; il  proposa  donc  de  confier  le  pouvoir  à  Kossuih  seul. 
C'était  aux  yeux  du  palatin  un  vote  de  défiance  à  son  adresse, 
entraînant  la  Chambre  sur  le  terrain  de  la  révolution.  Et 
effectivement,  ordonner  la  levée  et  1  émission  d'un  papier 
monnaie  sans  avoir  obtenu  la  sanction  rovale,  étaient  des 
actes  que  la  nécessité  pouvait  seule  expliquer  :  ayant  passé  la 
Drave,  JeUaicInich  se  trouvait  déjà  sur  le  sol  hongrois  sous  les 
couleurs  autrichiennes  et  le  général  comte  Adam  Tele/dne  vou- 
lait pas  le  combattre,  le  considérant  toujours  comme  un  frère 
d'armes.  Sur.  la  proposition  de  Kossnih.,  on  pria  alors  le  palatin 
de  se  mettre  à  la  tête  des  troupes  restées  fidèles  à  la  constitu- 
tion. L'archiduc  Éiienne  y  consentit,  mais  Jellatchitch  n  ayant 
pas  accepté  un  rendez-vous  d'explication  sur  le  lac  Bain  ton, 
à  bord  d'un  bateau  à  vapeur,  il  retourna  subitement  à  Pesth 
pour  annoncer  au  comte  Batthyàny,  derechef  chargé  de  la 
formation  d'un  ministère,  quon  1  attendait  à  Vienne.  L'archi- 
duc s'y  rendit  le  23  septembre,  pour  ne  plus  revoir  la  Hongrie 
et  mourir  en  disgrâce  à  Schaumhourg  (Nassau)  en  18G7. 

Le  manifeste  de  Ferdinand,  daté  du  25  septembre,  annonça 
la  nomination  d'un  gouverneur  civil  —  du  comte  Georges  Màj- 
lâth  —  et  d'un  général  en  chef  —  du  comte  François  Lamherg. 
Yu  le  patriotisme  notoire  de  ces  deux  personnages,  Baiihiiiny 
ne  se  laissa  pas  arrêter  par  l'inconstitutionnalité  du  document, 


408        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
et  se  rendit  à  Székes-Fehérvàr   Albe-Royale)  pour  s'v  aboucher 
avec  Jellatcliitch  (le  27  septembre).  Malheureusement  le  comte 
Ldinbog  arriva  à  BiifJe  en  même  temps,  et  comme  son  arrivée 
coïncidait  avec  1  interception  des  missives  du  ministre  de  la 
guerre  autrichien  adressées  à  Jellaicltitch  donnant   un  carac- 
tère suspect  à  son  apparition,  la  populace  de  Pcsih  le  massacra 
le  jour  suivant.  Condamné  à  mort  pour  crime  de  lèse-patrie 
par  un  conseil  de  .j>uerre  dans  File  de  Csepel,  le  comte  Eugène 
Zichy  y  (ut  pendu  le  10  octobre  sur  l'ordre  d'Aii/ua-  Gorgey, 
le  futur  général  en  chef  des  armées  hongroises,  alors  comman- 
dant. Événements  regrettables  qui  permirent  à  la  camarilla  de 
faire  prévaloir  ses  sentiments  hostiles  à  l'égard  de  la  Hongrie 
auprès  de  Ferdinand  avec  d'autant  plus   d'autorité  nue  l'on 
escomptait  à    Vienne  la  victoire  de  Jellatchich;   or  celui-ci  fut 
sérieusement  battu  à  Pàkozd  le  :2!)  septeml)re  par  le  pénéral 
Jean  Mnga,  roumain  d'origine,  remontant  ainsi  le  courage  du 
gouvernement.  Aussi,  le  rescrit  royal  du  30  octo])re  contresi"né 
par  le  ministre  président  improvisé  baron  Adam   Hècsey,   un 
soudard   ridicule,  rescrit  ordonnant  la  dissolution   du  parle- 
ment,  déclarant  ses   dernières  résolutions  illégales   et   insti- 
tuant Jellatchiteh  comme    «  alter  ego  »    du  roi  tant  en  IlGuarie 
qn  en  Transylvanie  et  mettant  Louis  Kossutli  en  quelque  sorte 
hors  la  loi,  —  fut-il  reçu  avec  résignation,  sans  surprise,  et, 
au  heu  d'inspirer  de  l'effroi  et  du  découragement,  excita-t-il  le 
désir  même  chez  un  Deùk  de  défendre  la  constitution  jusqu'à 
la  dernière  extrémité.  En  suspendant  les  séances,  les  députés 
retournèrent  dans  leurs  circonscriptions  pour  préparer  la  résis- 
tance ,   en   laissant   à   ]*esth   un    comité    parlementaire  de   31 
membres,  pour  seconder  les  efforts  du  comité  de  la  «  Défense 
nationale  "  ,  présidé  par  Kossuth. 

Malgré  l'agitation  que  devait  produire  sur  l'esprit  des 
dé|)atés  Tintermiuable  suite  d'événements  aussi  graves,  le 
fonctionnement  régulier  du  parlement  ne  fut  pas  un  seul  ins- 
tant interrompu.  Parmi  les  commissions  de  la  Chambre  basse 
il  y  en  avait  une,  composée  de  trente  membres  et  présidée  par 
le  comte  Joseph  Trieki  dite  »  de  l'union  »  ,  à  laquelle  échut 
le  devoir  de  soccuper  particulièrement  de  la  situation  des 


LIVRE   TROISIÈME  409 

Roumains  clans  l'avenir  (l).  Elle  tint  sa  première  séance  le 
16  juillet.  La  pétition  de  Balàzsfalva  y  fut  présentée  le  7  août. 
Le  8  on  y  conclut  à  cet  égard  à  une  fin  de  non-recevoir, 
la  nouvelle  constitution  hongroise  fournissant  une  hase  suffi- 
sante au  développement  de  chaque  nationalité.  »Sïfl^//>/a déclara 
alors  qu'il  présenterait  bientôt  une  motion  particulière  à  ce 
sujet.  Elle  ne  fut  présentée  que  le  31  août,  quoiqu'elle  ne 
contint  aucun  nouvel  argument  en  faveur  du  roumanisme  ou 
contre  l'union  qu'elle  visait  principalement.  Du  1"  septembre 
au  23,  que  la  commission  travailla  à  la  confection  de  la  loi 
sur  «  les  droits  civils  de  la  nation  roumaine  garantis  dans 
l'esprit  de  l'égalité  »  ,  —  loi  qui  devait  figurer  comme  arti- 
cle XXI.  Elle  comprenait  cinq  chapities,  consacrés  à  la  natio- 
nalité et  à  la  langue  roumaines  (7  paragraphes),  à  l'adminis- 
tration et  à  la  justice  (5  paragraphes),  à  l'instruction  publique 
(trois  paragraphes)  à  la  religion  (un  paragraphe  subdivisé  en 
sept  alinéas)  et  aux  élections  des  députés  (un  seul  paragraphe). 
Pour  caractériser  l'équité  du  projet  de  loi,  qu'il  suffise  de  citer 
le  texte  de  ce  dernier  —  seizième  —  paragraphe.  «  On  doit 
faire  participer  les  Roumains  à  tous  les  droits  et  faveurs  que 
possèdent  les  autres  nationalités  ou  que  la  législature  va 
encore  leur  concéder  "  .  A  la  séance  du  23  septembre  de  la 
commission  de  l'union,  lu  majorité  appartenait  aux  Roumains  ; 
ils  étaient  au  nombre  de  huit  :  x\lexandre  Boheczel,  Siaguna, 
Leményi,  membres  de  la  commission,  —  Cijjariu,  Vs.\i\Dunca, 
Joseph  Jghian,  Jean  Boàn,  et  Démétrius  Moldovan,  auteurs 
d'un  projet  de  loi  qu'ils  avaient  soumis  au  ministre  prési- 
dent le  19  septembre,  et  convoqués  par  le  sous-secrétaire  d'Etat 
baron  De7iis  Kemény  «  pour  prendre  part  à  la  discussion  sur 
les  pétitions  des  Roumains  avec  voix  consultative.  »  Les 
membres  roumains  de  la  commission  soutenaient  les  proposi- 
tions de  Balàzsfalva,  mais  la  commission  ne  les  adopta  pas, 
estimant  qu'elles  étaient  antérieures  à  la  proclamation  de 
l'union,  qui  les  avait  fait  en  partie  disparaître.  On  ne  dis- 
cuta donc  que  le  projet  proposé  au  ministre  président,  que  la 

(i)  Marki    Saador,  Az    erdélyi  unio-bizottsdg.  Budapesti   Szeiiilc  (201)  p.  321 
à  358. 


410        MAGYARS    ET    l'.OUMAINS    DEVANT    L'HISTOIllE 
commission  —  les  membres  roumains  y  compris  —  adopta  le 
lendemain  en  seconde  lecture,  avec  quelques  modifications. 

Mais  il  (ut  question  de  la  situation  des  liomintins  dans  les 
séances  publiques  des  deux  Cbambres  éfjalement.  Le  baron 
Wesselrnvi  en  parla  à  la  Chambre  haute  le  2\  août  en  lui  sou- 
mettant la  proposition  suivante  : 

«  La  Chambre  haute  déclare  —  et  elle  prie  amicalement  la 
Chambre  basse  aussi  de  le  déclarer,  —  (pie  le  parlement  hon- 
grois entretient  des  sentiments  fraternels  à  l'égard  des  natio- 
nalités qui  habitent  le  pays  et  notamment  à  l'égard  des  Rou- 
mains, (pi  il  partage  avec  eux  de  bon  cœur  tous  les  droits, 
qu'il  veut  attacher  leur  sort  et  leurs  intérêts  aux  siens  par  la 
liberté  constitutionnelle  et  par  légalité  devant  la  loi  et  l'accom- 
plissement des  devoirs,  et  qu'il  les  considère  comme  étant 
sous  la  protection  de  la  constitution.  Et  pour  que  cette  décla- 
ration j)uisse  prendre  corps,  il  invite  le  ministère  à  lui  sou- 
mettre le  projet  de  loi  ainsi  conçu  :  que  les  concitoyens  de 
religion  grecque  unie  ou  non-unie  puissent  librement  régler  les 
affaires  de  leur  église  ;  qu'ils  puissent  rédiger  les  écrits  s'y 
rapportant  en  hongrois  et  en  roumain  ;  qu'ils  puissent  employer 
la  langue  roumaine  dans  leurs  écoles  primaires,  eu  y  enseignant 
toutefois  le  hongrois  aussi;  qu'il  rédigent  les  actes  officiels  dans 
les  communes  roumaines  en  hongrois  et  en  roumain  et  que 
tous  les  documents  privés  roumains  soient  recevables  par 
les  administrations  s'ils  sont  écrits  avec  des  caractères  ro- 
mains ))  . 

Par  suite  de  la  tournure  de  jour  en  jour  plus  inquiétante 
que  prirent  alors  les  événements,  le  parlement  ne  put  s'occu- 
per des  nationalités  qu'en  juillet  1 8  49  . 

Il  faut  ajouter  cependant  qu'indirectement  elles  étaient  en 
cause  ([uand  on  discuta  le  projet  de  loi  sur  l'instruction  pri- 
maire présenté  le  4  août  par  le  baron  Eotvos,  ministre  de  l'Ins- 
truction publicpie.  En  voici  les  principales  dispositions  : 

^  i .  C'est  un  devoir  pour  l'État  que  tout  le  monde  reçoive 
de  l'instruction. 

§  2.  L'État  fera  tout  son  possible  pour  installer  des  écoles 
dans  toutes  les  communes  et  tous  les  hameaux  populeux. 


LIVRE    TROISIEME  411 

§  10.  La  langue  de  l'enseignement  sera  celle  de  la  majorité 
de  la  population. 

§  11.  Aux  endroits  où,  conformément  au  §'  10,  la  langue  de 
l'enseignement  ne  serait  pas  le  hongrois,  on  enseignera  le 
hongrois  à  part. 

^'  12.  Ce  seront  les  membres  du  clergé  des  diverses  religions 
qui  donneront  directement  l'enseignement  religieux  aux  en lants. 

§  16.  La  surveillance  des  écoles  incombe  aux  comités,  nom- 
més à  ce  but  par  les  communes,  comme  il  leur  incombera 
aussi  de  choisir  les  instituteurs  parmi  ceux  avant  obtenu  les 
brevets  nécessaires  pour  devenir  des  instituteurs. 

Relativement  aux  paragraphes  10  et  11  la  commission  de 
l'enseignemet  proposa  deux  amendements  ainsi  conçus  : 

§  !0.  L'enseignement  de  la  langue  hongroise  sera  partout 
obligatoire. 

§11.  Les  élèves  qui  ne  comprennent  pas  le  hongrois  rece- 
vront l'enseignement  primaire  dans  leur  langue  maternelle. 

Ce  fut  la  rédaction  de  la  commission  que  la  Chambre  adopta 
après  une  longue  et  très-intéressante  discussion.  Les  députés 
roumains  Sigismond  Pap  et  Dragos  y  prirent  part,  sans  se 
montrer  hostiles  à  l'esprit  du  projet  de  loi.  D'ailleurs  les 
Roumains,  originaires  de  Hongrie,  — tels  que  l'avocat  Emma- 
nuel Gozsdu  ou  Eiithyme  Murgn,  —  ne  furent  jamais  intran- 
sigeants et  implorèrent  même  à  l'occassion  la  protection  du 
ministère  hongrois  contre  les  empiétements  de  Ivijdichiic/i,  le 
patriarche  serbe  de  luirlocza. 

On  doit  mentionner  finalement  les  travaux  de  la  commis- 
sion de  l'union  qui  se  rapportaient  à  l'abolition  du  servage  en 
Transylvanie,  intéressant  particulièrement  les  Roianains  dont 
se  composait  la  majorité  des  serfs  transylvaniens.  A  cet  égard, 
elle  dut  soccuper  surtout  des  omissions  de  l'article  iv  de  la  loi 
créée  par  la  dernière  diète  de  Transylvanie.  Ne  précisant  pas 
certains  détails  concernant  la  nature  des  propriétés ,  elle  fit  naître 
à  ce  sujet  des  contestations  entre  les  anciens  seigneurs  et  leurs 
serfs  émancipés,  contestations  qui  amenèrent  des  collisions 
sanglantes  même  là  où  la  population  des  communes  était 
magyare   ou   saxonne.    Aussi   le   député   roumain   Sigismond 


VI2         MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

/'n/^  j)ressa-t-il  la  Chainl)re  honjjroise  le  13  septembre  de  dis- 
culer  avant  tout  leproiet  de  loi  sur  le  règlement  de  cette  ques- 
tion, car  «la  conspiration  — dit-il,  dont  le  but  est  notre  anéan- 
tissement, ne  cesse  d'opérer  sa  séduction  sur  le  peuple  avec  ses 
leurres  de  toutes  espèces  »  [D. 

La  pétition  du  second  régiment  des  Ilonniains  des  Confins 
militaires  eut  également  les  bonneurs  d'une  discussion  à  cette 
commission  déjà  citée.  Les  réclamations  des  pétitionnaires  y 
étaient  presque  les  mêmes  que  celles  de  rassemblée  de  linHizs- 
fnlvd  seidement  le  ton  en  était  un  peu  moins  hostile  et  indi- 
quait la  possibilité  d'une  transaction.  La  commission  y  répon- 
dit en  déclarant  :  1"  que  les  anciennes  conditions  de  la  posses- 
sion terrienne  ne  seront  pas  maintenues  chez  eux  non  plus  ; 
:2°  (piils  nommeront  des  députés  pour  la  législature  future  et 
3"  (|uc  la  langue  du  commandement  sera  la  même  chez  eux 
<pie  dans  l'armée  hongroise.  Pour  le  reste,  elle  transmettra  la 
pétition  au  ministère. 

Au  point  de  vue  administratif,  les  dispositions  prises  à 
l'égard  de  la  Ti-nns  vira  nie  par  le  gouvernement  hongrois  étaient 
nombreuses.  Le  17  juin  l'archiduc-palatin  procéda  à  la  dissolu- 
tion de  la  chancellerie  transvlvanienne  de  Vienne  et  le  lende- 
main on  émancipa  les  serfs  avec  solennité.  Ensuite  on  nomma 
le  baron  Nicolas  IV/i  ,  un  des  collaborateurs  de  Széchenyi  dans 
ses  œuvres  régénératrices,  commissaire  royal  pour  la  Tran- 
sylvanie afin  qu'il  y  présidât  à  la  transformation  politique  du 
pays  exigée  par  1  introduction  de  la  constitution  hongroise. 

Un  de  ses  premiers  actes  fut  de  faire  partir  le  ["bataillon 
du  second  régiment  roumain  de  Confins  contre  les  Serbes 
révoltés.  i\Trti  de  Naszod,  ou  les  membres  du  comité  national 
roumain  dissous  de  Szehen  l'avaient  sans  cesse  excité  contre  le 
nouvel  ortlre  des  chose*,  ce  régiment  ne  voulut  ni  accepter  les 
drapeaux  hongrois,  ni  prêter  serment  à  la  nouvelle  constitu- 
tion, refus  qu'il  recommença  obstinément  plusieurs  fois  encore 
pendant  son  odyssée  à  travers  la  Hongrie  d'où  il  ne  retourna 
dans  ses  foyers  (pien  août   !.Siî>. 

(1;  Pap  Dénks,  a  pesti  matiyar  nemzctgyûlés,  1848-ia/i,  vol.  II,  p.  213. 


LIVRE   TROISIÈME  415 

Soit  à  cause  de  leur  particijDation  dans  l'excitation  de  ce 
régiment,  soit  à  cause  de  leur  connivence  avec  les  cercles 
saxons  les  plus  antimagyars  et  de  leurs  agissements  incessants, 
les  anciens  membres  du  comité  national  roumain  ne  purent 
longtemps  échapper  à  la  vigilance  du  commissaire  royal. 
Il  les  fit  arrêter  le  18  août  à  Szeben,  ou  il  vivaient  sous  la  pro- 
tection et  aux  crochets  des  autorités  saxonnes ,  par  le  comte 
Béldi,  préfet  du  département  de  Doboka.  Et  comme  parmi 
les  détenus  il  y  avait  un  Tréhonien  Lauriano  qui  était  sujet 
valaque,  quoique  né  en  Transylvanie,  le  gouvernement  révolu- 
tionnaire roumain  intervint  en  faveur  de  sa  mise  en  liberté. 
Voici  l'explication  donnée  par  le  commissariat  roval  :  «  Quels 
que  soient  les  efforts  tentés  par  le  pays  pour  faire  participer 
le  peuple  roumain  aux  concessions  justifées  par  les  idées  de 
l'époque  ainsi  que  pour  le  mettre  sur  le  même  rang  que 
les  autres  habitants  du  pays,  ces  concessions  ne  furent  pas 
acceptées  partout  avec  le  sentiment  qui  les  avait  inspirées. 
Au  contraire  le  peuple,  circonvenu  et  aveuglé  par  des  me- 
neurs malveillants,  se  laissa  entraîner  à  une  Ibule  d'actes 
qui  sont  aussi  dangereux  pour  le  pays  que  pour  lui-même... 
Or  c  est  de  semblables  méfaits  que  ledit  Lauriano  est  accusé 
et  à  cause  desquels  il  a  été  arrêté  et  sa  correspondance  con- 
fisquée »  (1). 

Au  moment  ou  le  baron  Vay  prit  cette  attitude  énergique, 
la  cour  de  Vienne  était  déjà  décidée  à  barrer  le  chemin  au  li- 
béralisme magvar.  Elle  dut  même  donner  avis  de  cette  décision 
à  ses  subordonnés  les  plus  sûrs,  car  le  baron  Puchner  ne  mit 
pas  tout  le  zèle  désirable  pour  surveiller  les  prisonniers  en 
question  qui  lui  lurent  confiés.  Délivrés  par  son  aide-de- 
camps,  le  général  P/ej-sinann,  sous  un  futile  prétexte,  ils  se 
réfugièrent  à  Orlàt,  en  pleins  Confins  militaires  roumains ,  où  ils 
se  sentirent  tellement  protégés  qu'ils  poussèrent  leur  entourage 
à  la  convocation  d'une  assemblée  populaire  roumaine,  en  en 
demandant  la  permission  à  1  autorité  militaire.  Elle  la  leur 
accorda  pour  le  10    septembre.    La    permettre   était  déjà  un 

(1)  Jakab  Elek,  Szabadsâg  harczunk  torténeté/iez,  p.  345  et  346. 


414         MAGYAJ'.S    KT    ROUMAINS    DEVAIST    L'HISTOIRE 

contre-coii[)  de  la  volte-face  plus  haut  sigualée  de  la  cour  de 
Vienne,  mais  sa  si^juilication  .s'accentuait  davantajje  encore  par 
les  événements  qui  l'avaient  précédée  en  Transylvanie. 

D'abord  le  refus  des  Saxons  de  procéder  à  la  levée  des  re- 
crues onlonnée  sur  la  proposition  de  kossuth.  Szeben  excusa  sa 
désobéissance  le  (>  septembre  par  l'absence  de  la  sanction 
rovale  dans  la  loi  votée  par  le  parlement  honjjrois;  exemple 
que  Brassa  suivit  immédiatement.  Le  lendemain,  le  lieutenant- 
colonel  Liban,  du  second  régiment  roumain,  présida  une  réu- 
nion de  ses  officiers  à  Naszod,  ou  l'on  décida  de  ne  plus  obéir 
au  ministère  hongrois,  traître  à  la  monarchie.  En  même  temps, 
Urhan  annonça  au  commandant  en  chef  qu'il  pourrait  facile- 
ment lever  10, (MM)  hommes,  si  on  lui  j)rocurait  les  armes  né- 
cessaires. 

La  réunion  àOrlat  ne  put  ajouter  aucun  trait  hostile  à  ces 
(h'clarations  de  guerre  formelles.  Son  inportance  consistait 
dans  la  présence  du  commandant  Hiebel,  de  l'armée  impériale, 
autorisé  par  le  baron  Puchner  à  y  assister.  Encouragés  par  des 
succès  semblables,  les  meneurs  improvisèrent  une  seconde 
assemblée  des  lloamains  à  Ba/àzsfa/ra  pour  le  l(>  septembre, 
oii  la  foule  ne  devait  se  pr(îsenter  qu'armée  afin  (jue  1  impres- 
.sion  produite  fut  plus  terrifiante. 

Le  i;}  septembre  il  se  passa  malheureusement  un  fait,  qui 
ne  fit  qu'augmenter  l'effervescence  des  Roumains.  A  Lona  on 
était  obligé  de  recourir  à  l'intervention  delà  force  publique  pour 
briser  la  résistance  de  l  autorité  communale  et  des  habitants 
ameutés  (jui  ne  voulaient  pas  se  soumettre  au  recensement  en 
vue  de  la  levée  des  recrues.  Après  avoir  épuisé  toutes  les  ten- 
tatives de  conciliation  pendant  plusieurs  heures,  on  était  obligé 
de  faire  tirer  sur  la  foule  menaçante  et  insubordonnée,  il  y  eut 
treize  morts  et  un  grand  noml)re  de  blessés  parmi  les  paysans 
qui  comptaient  évidemment  sur  l'impunité,  caries  soldats 
réquisitionnés  appartenaient  à  l'armée  impériale. 

Aussi  vit-on  arriver  à  lla/âzsfalva.  le  jour  indi(jué  plus  de 
2,000  lloamains,  munis  de  faux,  de  fourches  et  de  lances, 
au\(jucls  s  atljoignireut  quelques  jours  plus  tard  les  G, 000 
Molzes  —  habitant  les  glaciers  —  deJaneoeicVAxente.  Accouru 


LIVRE    TROISIÈME  415 

pour  dissoudre  cette  assemblée  illégalement  convoquée,  le 
baron  Vay  se  sentit  impuissant  en  l'ace  d'un  déploiement  de 
forces  pareilles,  les  troupes  envoyées  par  le  commandant 
en  chef  n'étant  ni  assez  nombreuses  ni  assez  sures.  Alors, 
se  déclarant  rassuré  par  la  promesse  des  chefs  de  n'entre- 
prendre rien  de  criminel,  il  repartit  à  Kolozsiu'ir.  C'était 
enhardir  les  plus  turbulents  et  céder  la  place  aux  /linmiiit, 
Lattriano  et  Papiii,  qui  venaient  de  Szebeii  escortés  par  un 
lieutenant  et  ses  hommes  du  premier  régiment  roumain  pour 
faire  adopter  leur  programme  préparé  d'avance  (le  25  sep- 
tembre) . 

Avant  tout,  ils  se  déclarèrent  contre  la  constitution  hon- 
groise et  pour  celle  octroyée  à  VAiiinche  le  Ih  avril,  que 
l'on  introduirait  également  en  Transylvanie.  Et  comme  les 
officiers  du  détachement  militaire  chargés  du  maintien  de 
Tordre  étaient  justement  des  Roumains  aussi,  et  qu'ils  prirent 
part  bénévolement  aux  délibérations,  on  s'occupa  ensuite  de 
lorganisation  des  forces  roumaines  du  pays.  Elles  devaient 
comprendre  quinze  légions  conduites  par  des  prefeki^  rempla- 
cés à  l'occasionpar  des  sub-prefeki.  On  préposerait  les  tribuns 
ou  les  }'ice  tribuns  aux  bataillons;  ils  se  composeraient  de  dix 
centuries,  ayant  chacune  cent  hommes,  et  commandées  par 
des  centurions.  En  enrôlant  tous  les  Ilouniuins  valides  de  dix- 
sept  à  cinquante  ans  on  obtiendra  de  cette  façon  180,000 
hommes,  auxquels  il  faudrait  ajouter  encore  à  peu  près  1,000 
cavaliers  par  légion,  en  tout  195,000  hommes. 

Deux  déclarations  devaient  expliquer  à  la  Transylvanie  les 
décisions  prises  par  cette  deuxième  assemblée  de  Balàzsfalva  : 
dans  la  première  portant  la  signature  :  Populus  romanus,  on 
s'en  tint  aux  généralités,  tandis  que  dans  la  seconde  signée 
par  l'Assemblée  de  Balàzsfalva,  on  annonça  la  formation  de 
1  armée  nationale  roumaine,  conformément  à  la  permission 
reçue  de  Ferdinand,  ainsi  que  la  reconstitution  du  «  Comité 
national  roumain  »  ,  mais  n'ayant  cette  fois-ci  que  six  mem- 
bres. 

Le  2-4  septembre,  on  vit  paraître  inopinément  le  général 
Schurter,   que  les  Roumains  connaissaient  de})uis   la  première 


416  MAGYARS  KT  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
assemblée  et  qui  avait  apparemment  une  mission  officieuse. 
Ayant  acquis  la  conviction  que  les  Roumains  étaient  d'ac- 
cord, il  leur  proposa  denvoyer  à  Szehen  une  délégation 
composée  de  vin^jt-deux  membres  pour  remettre  au  baron 
Puchner  le  procès-verbal  de  l'assemblée  traduit  en  allemand  (1  ) . 
11  devait  être  présenté  à  Ferdinand  sous  forme  de  pétition  et 
contenait  les  conclusions  suivantes. 

r  Lassembléene  reconnaît  cà  aucun  prix  l'union  de  la  Tran- 
sylvanie  avec  la  Hongrie  contre  laquelle  les  Roumains  ont  déjà 
préalablement  protesté  et  dans  la  discussion  de  laquelle  ils 
n'ont  pas  pris  part  à  la  Diète. 

2"  Elle  ne  reconnaît  pas  non  plus  le  ministère  hongrois,  car 
il  n'a  été  imposé  qu'à  la  suite  de  l'union. 

;r  FJIe  déclare  qu'elle  ne  veut  dépendre  que  de  Sa  Majesté 
l'Empereur  directement  et  du  ministère  impérial  et  qu'elle  ne 
veut  recevoir  les  ordres  de  Sa  Majesté  Impériale  que  par  l'en- 
tremise du  commandant  en  chef  des  forces  militaires. 

i  '  Elle  demande  à  Sa  Majesté  Impériale  qu'Elle  lui  accorde 
la  convocation  d'une  assemblée  nationale  et  populaire  générale 
afin  d'y  pouvoir  discuter  les  intérêts  du  peuple  roumain;  elle 
lui  demande  également  de  ratifier  la  nomination  des  membres 
«  du  Comité  national  roumain  r  ,  élus  par  l'assemblée  précé- 
dente et  poursuivis  de  la  manière  la  plus  inhumaine  par  le  mi- 
nistère hongrois. 

5»  Elle  demande  la  convocation,  le  plus  promptement  possi- 
ble, (1  une  Diète  transylvanienne  dont  les  membres  seraient  les 
élus  (les  trois  nations  en  proportion  du  nombre  de  la  popula- 
tion des  trois  nations  et  à  laquelle  il  incomberait  de  décider 
du  sort  futur  du  pays. 

G"  Elle  désire  participer  aux  bienfaits  de  la  constitution 
impériale  autrichienne  et  demande  qu'elle  soit  introduite  en 
J'ransjiriinie. 

1"  Elle  demande  un  gouvernement  provisoire  pour  la  Tran- 
sylvanie. Pour  former  ce  gouvernement  on  prendrait  ses  mem- 
bres dans  les  trois  nations  ma;;yares,  saxonnes  et  roumaines  en 

(1'  BaritiH  :  Istoria  tianMlvnnioi.  Vul.  II,  p.  216. 


LIV1\K    THOISIKMli  M~ 

proportion  du  nombre  de  leur  population.  On  confierait  le 
pouvoir  à  ce  jfouvernenient  jusqu'à  la  lorniation  d'un  «ouver- 
nement  provincial  définitif. 

Après  le  départ  des  chefs,  le  28  septembre,  la  grande  masse 
des  assistants  resta  à  Batàzsfalvd ,  au  nombre  de  1 5  à 
20,000  hommes  sous  le  commandement  d'Axenie,  pour  y  lor- 
merle  dépôt  de  l'armée  nationale  roumaine.  Quanta  la  déléga- 
tion chargée  solennellement  de  transmettre  au  baron  Ptichner 
la  pétition  votée  par  la  deuxième  assemblée  de  Balàzsfalva, 
elle  fut  reçue  le  2  octobre.  Ce  lut  déjà  un  acte  anticonstitution- 
nel manifeste,  qu'aggrava  encore  considérablement  la  réponse 
bienveillante  du  commandant  en  chef  des  troupes  impériales 
ainsi  que  les  appointements  fixes  mensuels  qu'il  accorda  aux 
membres  du  «  Comité  national  roumain  "  .  L'alliance  long- 
temps préparée  de  la  réaction  et  du  roumanisme  devenait  de 
cette  manière  un  fait  accompli  enfin,  inspirée  parla  camarilla 
de  Vienne  et  les  souvenirs  sinistres  du  soulèvement  de 
Horci . 

Leurs  députés  s'étant  retirés  du  parlement  hongrois  le 
19  septembre,  les  Saxons  refusèrent  aussi  l'obéissance  au  mi- 
nistère hongrois  dix  jours  après,  pour  demander  h  Vienjie,  le 
2  octobre  suivant,  leur  incorporation  dans  l'empire  cVAuinche, 
sous  la  forme  d'un  margraviat. 


CHAPITRE  XI 


LA    OIKP.Ri;    CIVILE. 


Sans  vouloir  résoiulie  la  (|uestioii  :  s'il  convenait  d'appeler 
la  guerre  soutenue  par  la  Hongrie  en  18  48  et  49  contre  VAuiri- 
che  et  la  finssie  une  guerre  «  d'indépendance  v,  ou  "  de  révo- 
lution »,  ou  encore  une  «  guerre  constitutionnelle  »,  ce  qui 
serait  probablement  la  dénomination  la  plus  rationnelle,  il 
est  iiicontestable  que  pour  caractériser  les  événements  qui  se 
sont  passés  à  cette  même  époque  en  Transylvanie,  on  ne  peut 
employer  que  la  triste  expression  de  «  guerre  civile  )-  .  Ils  en 
avaient  toute  la  férocité  et  tout  le  décousu,  conduisant  le  pavs 
comme  dans  le  temps  de  Basta]  à  deux  doigts  de  sa  perte  et 
préparant  ainsi  tout  naturellement  le  triomphe  de  l'absolu- 
tisme. 

En  guise  de  réponses  aux  provocations  de  la  seconde  assem- 
blée de  Halàzsfalva  et  pour  enrayer  le  mouvement  croissant 
du  roumanisme  révolutionnaire,  le  commissariat  royal  prit  les 
mesures  les  plus  énergiques.  Dans  les  premiers  jours  d'octobre 
il  ordonna  l'arrestation  des  tribuns  fraîchement  nommés,  Bater- 
ntii,  Sinionis  et  Vasilié  Pop,  et  les  ayant  fait  passer  devant  une 
cour  martiale,  il  les  fit  pendre  pour  crime  de  rébellion  contre 
le  gouvernement  établi,  en  se  basant  soit  sur  leurs  propres 
aveux,  soit  sur  les  témoignages  de  leurs  correspondances, 
trouvées  chez  eux.  Alors,  voulant  remonter  le  courage  de  ses 
nouveaux  alliés  et  contrebalancer  les  effets  d'une  assemblée 
populaire  que  les  Sicnles  devaient  tenir  le  15  octobre  à  Aqyag- 
fali>a,\e  baron  /^/cA«er  publia,  le  10  octobre,  une  proclamation 
dans  lacpielle  il  enjoignit  aux  troupes  impériales  régulières,  et 
au  besoin  au  peuple  roumain  armé,  le  désarmement  de  la 
garde  nationale  magyare.  C'était  lâcher  les  brides  à  toutes  les 
furies  de  la  guerre  civile.  Aussi  les  Roumains,  après  avoir  sac- 
cagé plusieurs  demeures  seigneuriales  et  tué  plusieurs  proprié- 


LIVRE   TROISIÈME  419 

taires  magyars,  accomplirent-ils  dès  le  14  octobre  un  méfait 
épouvantable  à  Kis-Enyed  en  y  massacrant  les  liabitants 
magyars  de  la  localité,  au  nombre  de  141. 

Sous  le  coup  de  ces  nouvelles  cruelles  et  après  avoir  juré 
fidélité  au  roi  de  Hongrie  et  à  la  constitution  hongroise,  les  ^Sï- 
cules  réunis  à  Arjyagfalva  se  décident  à  une  action  militaire  en 
faveur  des  Magyars.  Leur  bravoure  les  conduit  à  Szàsz-Régen^ 
mais  leiu's  victoires  sur  le  prefeki  Miluïs  et  le  colonel  Urban 
restent  stériles,  car  finalement  battus  par  le  général  impérial 
Gédéon.,  ils  sont  obligés  de  regagner  leurs  foyers  le  4  novem- 
bre. 

Entre  temps,  chaque  jour  apporte  son  contingent  d'événe- 
ments nouveaux.  Le  10  octobre  liossuih  adresse  une  procla- 
mation emphatique  aux  Valaques  pour  les  rappeler  à  l'obéis- 
sance; le  14,  le  baron  PucA/ie;- annonces  aux  troupe  impériales 
qu'elles  ne  doivent  plus  recevoir  d'ordres  que  de  lui  seul;  le 
17,  on  distribue  parmi  les  [ioumains  un  règlement  pour  le  ser- 
vice militaire  en  temps  de  guerre,  dans  lequel  on  admet,  à 
l'occasion,  la  nécessité  de  massacrer  les  blessés  et  d  incendier 
les  villages;  le  18,  c'est  encore  Puchner  qui  prend  la  parole 
pour  communiquer  aux  populations  les  nouvelles  concernant 
l'abdication  du  palatin,  la  démission  du  ministère  hongrois, 
lusurpation  d  un  soi-disant  comité  de  «défense  nationale»  pré- 
sidé par  KossulIi  et  pour  en  tirer  la  conclusion  qu  il  représente 
dorénavant  seul  l'autorité  légale  en  Transylvanie^  le  ld,Siaguna 
se  déclare  pour  l'empereur  tandis  que  Leniényi  défend,  le  2 1 ,  la 
manière  de  voir  du  baron  Vay  qui  ne  veut  plus  traiter  le  baron 
Puchner  que  comme  traître;  le  24,  on  installe  à  Szeben  un 
«  comité  de  pacification  »  ,  composé  de  deux  membres  saxons, 
de  deux  lioumains  et  de  deux  officiers. 

Mais  les  prefeki  roumains  n'entendaient  pas  rester  long- 
temps inactifs.  Ce  fut  Baicano  qui  se  chargea  du  désarmement 
du  département  de  Zarànd.  Le  22  octobre,  il  fit  envahir  par 
Costan  Macra  la  ville  de  liorôsbànya.  Ayant  rassuré  la  popula- 
tion par  ses  protestations  pacifiques,  il  engagea  les  proprié- 
taires des  villages  voisins,  réfugiés  dans  la  ville,  à  s'en  retour- 
ner chez  eux,  tout  tranquillement.  La  famille  Brady.,  composée 


V20  MAGYARS  KT  UOUMAINS  DEVAM  LllISTOir.E 
d'une  vin{]taine  de  personnes,  se  laisse  persuader  et  part,  ayant 
pris  avec  elle,  par  mesure  de  précaution,  le  pope  de  Kordslxi- 
nya.  A  peine  sortie  de  la  ville,  la  caravane  est  assaillie  par  une 
soixantaine  de  llouinaùis  (|ui  l'entrainent  dans  la  commune  de 
V('ika  où  le  lendemain  il  y  a  dix-neuf  cadavres  y  compris  celui 
du  pope,  brûle  vif,  qui  gisent  sans  être  ensevelis  sur  le  sot 
jjlacé. 

Le  même  jour,  :25  octobre,  eut  lieu  le  massacre  de  Pn-zaLd, 
où  s'était  réfugiée  la  population  magyare,  fuyant  de  Zalaihnn 
devant  les  hommes  du  prefeki  Dobra.  D'après  les  recherches 
d'un  employé  autrichien,  nommé  JSahlik,  faites  en  1851,  à 
une  époque  très  peu  tendre  pour  les  Magyars,  le  nombre  des 
victimes  v  atteignit  le  chiffre  de  ()40,  j)armi  lescpicls  I  10  ap- 
partenant à  la  bonne  société.  Leurs  cadavres  servirent  pendant 
longtemps  de  pâture  aux  fauves  des  alentours.  Grâce  aux 
efforts  de  Jean  Ursii,  du  pope  de  Meiesd,  on  parvint  à  épargner 
la  vie  II  130  blessés.  Quant  à  la  ville  de  Zalailnid  elle  fut  pil- 
lée, incendiée  et  détruite  par  les  massacreurs. 

Si  Axeiiie  ne  fit  pas  subir  le  même  soit  à  ce  moment  a  la 
ville  de  Magy-Enjed,  malgré  les  menaces  de  son  vice-pn'fekt 
Prodano,  le  mérite  en  revient  au  capitaine  Baumgarien,  de 
1  armée  impériale,  grâce  auquel  le  camp  roumain  de  Muzina 
fut  défait.  Malheureusement  le  lendemain,  lA  octobre,  il 
dut  abandonner  les  rangs  des  Magyars  et  se  retirer  à  (ryala- 
feliérvàr  pour  les  combattre!  Les  succès  du  baron  Jean  Bànfjy 
et  du  comte  Grégoire  fieihleit  n'aboutirent  pas  au  but  visé  non 
plus,  c'est  à  dire  à  la  déli\rance  des  prisonniers  magyars, 
détenus  par  les  liouina/iis  dans  leur  camp  de  Krakko.  Pour 
venger  leurs  pertes,  ceux-ci  massacrèrent  sans  merci  tous  les 
Magyars  qui  se  trouvaient  en  leur  pouvoir    1). 

G  est  au  contraire  avec  joie  que  1  on  peut  raconter  la  con- 
tluite  exemplaire  du  prcfcki  Micolas  Solomon  dans  le  départe- 
ment de  Huiijad.  Le  désarmement  des  Magyars  s'y  effectua 
sans  qu  une  seule  goutte  de  sang  fût  versée. 

Pour  paralyser  l'impression  que  les  déclarations  magyaro- 

(li  SziLAGVi  FaiikaS,  Nai/j-Eiiyed  pitsztulâsa  1849-6e«,  p.  11  à  13. 


LIVRE   TIIOISIKME  421 

pliiles  de  Leményi  pouvaient  produire  sur  Topinion  publique, 
le    i^  Comité    national  roumain  »    puldia  le    1"   novembre   un 
manifeste  qui  est  le  document  incontestablemetit  le  plus  sup^- 
gesliCde  cette  époque  et  à  cet  égard.   Il  est  signé  par  le  prési- 
dent lidruiiiiii  et  le  secrétaire   l'xin'iin,   et  il   dél)ute  par  cette 
j)hrase  stupéfiante  :    -  Frères,  vous  avez   appris  certainement 
que  c'est  le  commandant  en  chef  qui  s'est  chargé  du  gouver- 
nement de  la  Transylvanie  au  nom  de  l'empereur  et  dans  le 
sens  du  manifeste  impérial  du  3  octobre  pour  délivrer  le  pays 
des  assassinats,  des  pillages  et  de  tous  les  forfaits  inouïs  que  les 
délégués  et  les  agents  de  Kossuth  y  commettent  à  la  face  de 
l'univers  pour  la  honte  de  la  nation  magyare!  »   Partant  de  là, 
ce  document  démontre  que  les  Magyars  ne  veulent  traiter  les 
Iioaiiiaiii.s  en  frères  que  pour  les  rendre  parjures  à  l'égard  de 
l'empereur,  que  l'union  ne  concerne  en  rien  ces  derniers  car 
elle  n'a  été  votée  que  par  des  députés  menacés  de  mort,  que 
le  baron  J'aj  ment  quand  il  affirme  que  ce  sontles  Ma  g]  ar  s  qui 
ont  émancipé  les   Jiovniain.s  et  que  ce  sont  ces  derniers  qui 
ont  commencé  les  assassinats.  «  Frères  roumains!  ne  vous  fiez 
pas  aux  mensonges  de  Kossuth,  de  Vay  et  de  Leményi!  Ne 
croyez  pas  que   Jellatchitch  ou  d'autres  généraux  impériaux 
soient  battus.  Non,   ceux-ci  sont  partout  victorieux.  Ayez   foi 
dans  vos  droits  et  dans  la  grâce  de  Dieu,  du  père  des  peuples, 
et  soyez  convaincus  que  l'année  1848  est  la  dernière  année 
de  la  tyrannie  magyare  et  la  première  de  la  résurrection  des 
peuples  »  (1)! 

.Iprès  la  défaite  des  forces  sicules  il  ne  resta  plus  en  Tran- 
sjlvaiiie  de  troupes  hongroises  de  quelque  importance  qu'à 
Kolozsvàr  et  dans  ses  exWwom.  Nagy-Euyed {om\yA\e  8  novem- 
bre au  pouvoir  du  colonel  impérial  Losenau,  et  Deés  le  10  en 
celui  du  général  ]\ aidetiei\,  qui  détacha  Urban  pour  occuper 
Szanios-Ujvàr.  Le  13  les  lioamains  bridèrent  Felviniz  et  s'em- 
parèrent de  Tarda.  La  position  devenait  insoutenable  pour 
les  Magyars;  ils  se  retirèrent  à  Csacsa,  abandonnant  Kolosvàr 
aux  Aatrivlneiis  qui  y  entrèrent   le    1 7   novembre.    D'ailleurs 

il)     Memorialul    Archiepiscopului    Aiidreiu    baron    de    Sac/uiia ,    p.    203,    et 
passim. 


422        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

la  cour  (le  Vimne  on  plus  exactement  (VOlmutz,  où  elle  s'était 
retirée  pendant  le  siè.<>e  de  la  capitale  impériale,  se  crut  assez 
forte  pour  rétablir  ])ar  un  simple  rescrit  de  Ferdiiuind  le 
<i  gnbernium  »  à  peine  supprimé  et  pour  nommer  gouverneur 
le  comte  Émnic  Mil,')  (14  novembre).  On  procéda  alors  à  l'ins- 
tallation d'une  adminisi ration  mi-partie  autrichienne,  mi- 
partie  roumaine  dans  les  départements  de  Zan'ind,  de  ///tm  ad, 
(\\\bo-l'fli<'r  et  de  Felso-Feli(h\  ainsi  que  dans  Fogaras.  A 
vrai  dire,  cette  coopération  des  RoKinains  ei  àe?>  Austro-Saxons 
n'était  pas  toujours  (rès  amicale,  car  si  le  »  comité  de  pacifica- 
tion 5)  .  où  l'élément  allemand  se  trouvait  en  majorité,  ne  se 
{jénait  pas  pour  envoyer  des  canons  à  liésinar  ei  à  Filiskàr 
ou  pour  faire  arracher  les  toits  des  maisons  à  Poplak  et  à 
Steh's/ye  afin  de  stimuler  l'ardeur  militaire  des  Fwuniains, 
ceux-ci  se  donnèrent  la  satisfaction  de  s'emparer  des  moulins 
des  premiers,  sis  à  Szâszsehes,  ou  d'attaquer  et  de  piller  la 
paroi-^se  de  Denzdorf.  Mais  rien  ne  peint  mieux  la  situation 
respective  des  alliés  que  le  rescrit  du  commandant  en  chef 
adressé  au  a  Comité  national  roumain  «  le  2:2  novembre,  dans 
lequel,  tout  en  lui  concédant  le  droit  d'organiser  la  milice,  il 
lui  défend  d'en  disposer,  sous  n'importe  quel  prétexte. 

Dans  le  courant  de  ce  même  mois  de  novembre  eut  lieu  la 
déposition  de  l'évéque  Lcnn-nyi  et  son  remplacement  par  le 
chanoine  Krajni/,,  sur  les  ordres  du  baron  Parlmer,  ainsi  que  le 
désarmement  des  Siniles  des  sièges  à'Fdtuirhcly  et  de  Csik  par 
le  capitaine  de  dragons  Hryd/e  et  par  Diosc/mer.  Haromszék 
ne  se  prêta  pas  à  cette  triste  comédie,  malgré  les  insinuations 
de  certains  personnages  sicules  influents.  Elle  prit  au  contraire 
la  résolution,  dans  son  assemblée  populaire  du  23  novem- 
bre, de  se  transformer  en  un  vaste  arsenal  pour  fondre  des 
canons,  pour  fabriquer  de  la  poudre  et  des  capsules,  pour 
sacrifier  à  la  patrie  la  vie  de  tous  ses  hommes  valides.  Sur 
80,000  habitants  12,000  s'enrôlèrent  du  coup  sous  les  dra- 
peaux tricolores,  et  parmi  eux  cinquante-quatre  membres 
de  la  seule  famille  Jancsô,  à  laquelle  appartient  M.  le 
D'  Benoît  Janrsô.  Le  29  novembre,  les  4,000  hommes  de 
Ifeydte    furent    repoussés    à  Arapatalui  ou  se   firent,    pour   la 


LIVRE   TROISIEME  423 

première  fois,  entendre  les  canons  sicules  d\t(iron  Gàbor,  pour 
la  fonte  desquels  il  avait  employé  successivement  toutes  les 
cloches  de  la  contrée,  c'est-à-dire  en  tout  trois  cent  treize.  Au 
bout  de  quinze  jours  il  n'y  avait  plus  un  seul  étranger  sur  le  sol 
de  ce  siège  sicule  héroïque,  et,  pour  le  tenir  en  échec,  Puclincr  se 
vit  forcé  de  le  faire  investir  par  toutes  ses  troupes  disponibles. 

Le  principal  événement  du  mois  de  décembre  1848  fut 
l'abdication  de  Ferdinand  et  la  renonciation  au  trône  de  son 
frère,  l'archiduc  Friiiiçois-C/nii'ies,  an  profit  de  son  fils  Fin/içois- 
Josep/i.  Ces  deux  actes  furent  passés  à  Olniûiz,  le  2  décembre, 
et  dans  des  conditions  telles  que  le  parlement  hongrois  dut 
les  considérer  comme  non-avenus.  La  constitution  hongroise 
n'admet  en  effet  de  changements  semblables  qu  avec  l'assen- 
timent du  parlement  et,  dans  le  cas  présent,  on  ne  l'avait 
même  pas  consulté.  Aussi  protesta-t-il  énergiquement  contre 
la  u  révolution  de  palais  qui  eut  lieu  à  Olmûiz  "  quoique  en  évi- 
tant toute  allusion  personnelle,  dès  le  7  décembre.  Depuis  ce 
jour-là  les  soldats  ne  prêtaient  plus  serment  que  sur  la  constitu- 
tion. Et,  si  le  jeune  empereur  nomme  le  prince  Windàc/i-Gideiz 
le  15  décembre  son  «  alter  ego  »  pour  la  Hongrie  avec  les  pou- 
voirs les  plus  étendus  et  à  la  tête  d'une  armée  de  56,000  hom- 
mes, Kos.siti/t  confie  le  16  décembre  le  commandement  mili- 
taire suprême  en  Transylvanie  au  général  polonais  Joseph  Beni, 
au  héros  iV Osirolenka,  en  lui  adjoignant  comme  gouverneur 
civil  d'abord  Edmond  Bei>ihy  et,  après  la  maladie  de  celui-ci, 
Ladislas  Csànyi.  En  face  de  chefs  semblables  et  de  leurs  trou- 
pes fraîches  et  enthousiasmées,  les  forces  impériales  de  la 
Tansyhuinie  ne  pouvaient  s'y  maintenir  dans  une  posture  bril- 
lante, même  en  s'appuyant  sur  la  milice  roumaiue,  car  il  leur 
était  impossible  de  tirer  des  subsides  de  VAutrivIie^  dont  elles 
étaient  séparées  par  la  Hongrie  tout  entière.  Elles  abandon- 
nèrent donc,  après  plusieurs  défaites,  Kolozsvàr,  le  2;i  dé- 
cembre, pour  y  laisser  entrer  Beni  à  son  tour  le  jour  de 
Noël.  Pendant  la  retraite  de  ses  troupes,  le  général  autrichien 
W/irdener  mourut  le  lendemain  à  Tarda,  et  Urban  fut  refoulé 
jusqu'en  Boakovine,  hors  des  frontières  de  la  Transylvanie. 

Or,  le  0  décembre,  le  baron  Pucliner   avait  convoqué  les 


424        MAGYAllS    KT    IIOÏJMAINS    DEVAIT    L'HISTOIRE 

IxoittiKiiiis  pour  le  28  décembre  en  assemblée  nationale;  seule- 
ment, comme  il  ne  voulait  pas  donner  à  celle-ci  trop  d'impor- 
tance, il  partagea  la  convocation  en  deux,  en  réunissant  les 
Jioiiindi/is  unis  à  lialiizsfdliui  et  les  RomiKiins  orthodoxes  à 
Sagy-Stcbcii.  Les  premiers  ne  purent  se  rendre  à  cette  invita- 
tion à  cause  des  événements  de  la  {guerre,  mais  la  réunion  des 
seconds  se  passa  complètement  selon  le  programme  tracé  et 
sous  la  présidence  de  SiagiDui,  ;;a;;né  d'avance  à  la  cause 
autrichienne.  On  salua  d  abord  l'avènement  au  trône  du  nou- 
vel empereur  par  un  triple  "  hoiirrah.  »  Ensuite,  on  ordonna  à 
Ldiiriduo  de  rendre  compte  des  faits  et  gestes  du  '<  Comité  na- 
tional roumain  "  .  Finalement,  on  discuta  pendant  quatre 
heures  la  rédaction  d'une  résolution  composée  de  treize  para- 
graphes, dans  lesquels  il  est  question  a  la  fois  de  choses  politi- 
ques et  économiques,  des  "  desiderata  »  les  j)lus  divers  et 
même  de  l'élection  d'un  chef  national  roumain,  dont  les  pou- 
voirs seraient  ultérieurement  confirmés  par  S.  ^J.  Après  avoir 
ainsi  sacrifié  sur  l'autel  du  daco-roumanisme,  1  assend)Iée  s'oc- 
cupa des  rapports  déplorables  entre  Hodinains  et  Sdxons,  en 
imputant  à  ceux-ci  toutes  les  causes  de  leurs  mésintelligences, 
lielativement  aux  bruits  que  les  Magyars  faisaient  courir  au 
sujet  des  atrocités  commises  par  les  Jionmaias,  on  les  déclaia 
tout  sinq)lement  mensongers. 

Cependant,  le  lendemain  de  ce  jour  au  moins  *'  trois  fois 
heureux  »  .  ne  tint  pas  tout  ce  que  pouvait  en  attendre  l'as- 
semblée. On  apprit  en  effet  dès  le  matin  l'entrée  en  action 
de  /ieîn  ainsi  (pie  ses  rapides  progrès,  il  fallait  donc  organiser 
sans  relard  la  résistance  des  prefe/a.  C'était  déjà  chose  pénible, 
mais  combien  ne  devait-elle  pas  être  dépassée  en  odieux 
par  linjonction  du  commandant  en  chef,  adressée  au  «  Co- 
mité n;ilional  roumain  »  le  ;U  décembre!  Il  s'agissait  à  cette 
tiate,  an  sein  d'une  reunion  composée  des  membres  du  "  Co- 
mité national  roumain  '•  ,  du  "Comité  de  pacification»,  de 
quelques  Saxons  et  de  quelques  officiers  impériaux  (l),  que 
les  Roamains  et  les  Saxons  priassent  le  général  Liidrrs,  com- 
mandant en    chef  i\e^   armées    d'occupation  russes  dans    les 

1     ilMuiK,  Jslolid    Tniitsili'unict,  vol.  H,  p.  400  et />«.«//». 


LIVRE   TROISIEME  425 

l^rùic/'/xiiitcs  (Idiiuhicimcs  d'envoyer  en  Transyliuinie  des  trou- 
pes auxiliaires.  Tout  en  faisant  préparer  toutes  les  choses 
nécessaires  pour  les  bien  recevoir,  le  baron  Pudincr  aurait 
1  air  de  s'opposer  énergiquement  à  leur  apparition  afin  que 
la  réputation  de  l'armée  impériale  pût  sortir  honorablement 
de  cette  épreuve.  Cette  proposition  ne  fut  bien  accueillie 
ni  par  les  Roumains,  ni  par  les  iSaxons.  "  Si  la  maison  d'Au- 
triche n'est  pas  en  mesure  de  garder  la  Transylvanie,  s'écria 
le  baron  Frunçois  Hek/iensicin,  elle  ne  mérite  pas  d'y  régner!  » 
Pour  Sidgtinii  la  question  se  posait  ainsi  :  si  on  laisse  le 
pavs  au  pouvoir  des  rebelles,  sur  1,200,000  Roumains  il 
wen  restera  que  200,000  et  sur  200,000  Saxons  que  20,000. 
u  Voyant  l'opposition,  dit-il  en  terminant,  que  vous  faites  à 
Son  Excellence  le  commandant  en  chef,  je  renonce  à  mon 
siège  épiscopal.  »  Impressionnés  par  ce  mouvement  oratoire, 
les  assistants  consentirent  à  entrer  en  négociations  avec  le 
commandant  en  chef,  si  toutefois  il  ne  donne  pas  suitait 
à  son  projet  de  protestation.  Ayant  obtenu  par  ses  délégués 
toutes  les  satisfactions  désirables  à  cet  égard,  la  réunion  se 
prononça  pour  l'envoi,  près  du  général  russe  Luders,  d'une 
mission  chargée  de  lui  expliquer  la  situation  et  de  l'inviter 
à  une  intervention.  Les  Roumains  ne  voulaient  à  aucun  prix 
que  cette  invitation  se  fît  au  nom  de  la  nation  roumaine, 
car  ils  craignaient  qu  avant  demandé  des  secours  à  la  Russie, 
celle-ci  ne  s'autorisât  à  garder  en  échange  les  Priucijxiuirs  da- 
nubiennes auxquelles  ils  tenaient  tant,  en  vue  de  la  création 
de  \euv  Daco-Roirnianie  rêvée.  Mais  leur  opposition  resta  sté- 
rile :  dans  la  missive  portée  par  Sia;/una,  un  commerçant 
roumain  de  Brasso  et  deux  Saxons  au  quartier  général  de 
lAiders,  les  pétitionnaires  sont  les  nations  roumaines  et  saxon- 
nes représentées  par  Baniuiiu,  Ci/xiriu  et  Balasies<<>  d'une  part 
et  de  l'autre  par  A.  Zay,  Joseph  Renigni  et  Joseph  Wàchier.  La 
réponse  de  Lûdeis  était  évasive,  cependant  il  promit  de 
recommander  favorablement  la  pétition  à  l'empereur  Nico- 
las 1".  Mais  l'acquiescement  ne  pouvait  arriver  avant  dix-huit 
jours,  vu  l'éloignement  de  la  capitale  russe  et  l'insuffisance 
des  movens  de  communication. 


42G        MAGVAr.S    KT    ROUMAIISS    DEVANT    LIllSTOIRE 

Cependant,  les  événements  marchaient  avec  une  rapidité 
vcrti{]ineuse  sur  les  champs  de  hataille.  />V'///,  après  avoir 
proclamé  l'amnistie  pour  tous  ceux  qui  étaient  susceptibles  de 
revenir  à  des  sentiments  meilleurs  à  l'égard  de  la  cause  hon- 
groise, remonta  promptement  le  courage  des  Siciilrs,  déjà 
enclins  à  déposer  les  armes,  conformément  à  la  convention 
d\irrip(i/(i/i,  devant  le  général  autrichien  (M'dum. 

Ces  (juelques  semaines,  consacrées  de  part  et  d'autre  à  la 
préparation  d  une  campagne  définitive,  lurcut  particulière- 
ment propices  à  l'action  de  la  milice  roumaine.  La  contrée 
située  entre  S-cben.  Mcfifjyes,  7V>/yA/  et  Dcra,  complètement 
dégarnie  de  troupes  régulièies,  devint  sa  proie,  et  elle  put 
tranquillement  s  y  abandonner  à  ses  instincts  les  plus 
barbares.  Dès  le  5  janvier,  on  vit  tomber  le  ricc-prefehi  Popo- 
l'iicli  sur  la  ville  saxonne  de  Sz/istràros ,  renlermant  un  grand 
nombre  des  propriétaires  magyars  réfugiés.  Prenant  cette  cir- 
constance pour  un  bon  prétexte,  les  lio/niKiins  exigèrent  de 
la  ville  le  payement  d'une  contribution  de  guerre  considérable, 
garanti  par  la  présence  de  douze  otages.  Ce  fut  grâce  à  la 
prompte  intervention  du  commandant  en  chef  que  1  on  ])ut 
arrêter  les  exactions  du  zélé  administrateur  «  sui  generis  ^-  , 
révoqué  et  condamné  par  le  baron  Pue/mer,  au  rembourse- 
ment des  sommes  déjà  versées. 

Tout  autre  fut  le  sort  de  N(i<i)-E)tyc(l,  où  se  trouvait  le 
collège  bàli  et  doté  j)ar  (rdhricl  lieilden,  avec  sa  belle  biblio- 
thèque et  sa  population  d'étudiants.  J.tr///(?  et  les  J/o/:r'.s- rédui- 
sirent entièrement  en  cendres  cette  ville  ouverte,  le  8  janvier. 
Pendant  lincendie,  les  liait  mains  ne  purent  empêcher  les  pil- 
lards d'achever  l'œuvre  de  la  destruction.  Si  en  fait  d'assassi- 
nats on  |)eut  moins  aisément  démontrer  la  culpabilité  de  la 
milice  rowmaine,  il  est  incontestable  que  les  habitants  ont 
énoiménient  souffert  des  suites  de  l'incendie,  car  il  les  a  con- 
damnés à  la  dispersion  au  cœur  de  l'hiver,  et  conséquemment 
à  être  exposés  aux  intempéries  des  journées  de  janvier.  Il  y 
a  eu  du  reste  parmi  les  populations  roumaines  des  environs 
à'Eiiyed  une  partie  notable,  qui  n'est  pas  restée  insensible 
devant  les  maux  des  fuyards.   Ouant  au  capitaine  Suini  du 


L1VI\E   TROISIEME  427 

régiment  roumain  des  (\)iijîns  niiliidivcs,  il  ne  savait  pas  assez 
énergiquement  exprimer  son  indignation  au  sujet  de  la  con- 
duite d  .t.ie//^'et  de  ses  lieutenants,  les  popes  Czirlca  et  Hnknr. 
Parmi  les  tentatives  faites  pour  ramener  les  survivants  magvars 
à  Toida,  il  faut  signaler  1  expédition  du  capitaine  hongrois  Pe- 
reczi.  Il  arriva  à  Enyed  le  J6  janvier  avec  un  détachement 
d'environ  six  cents  hommes  et  ayant  recueilli  six  ou  sept  cents 
sinistrés,  il  les  ramena  dès  le  lendemain  à  Torda.  En  route, 
Axente  fit  un  essai  pour  lui  barrer  le  chemin  à  Felvincz,  mais 
les  incendiaires  ne  purent  pas  résister  à  Tattaque  des  troupes 
hongroises  et  le  convoi  des  réfugiés  atteignit  sain  et  sauf  le 
camp  des  Magyars. 

Pour  dédommager  sa  milice  avide  de  sang  et  de  pillage  de 
1  échec  subi,  Axente  la  dirigea,  le  18  janvier,  sur  Nagy-Lak 
et  Hàri  où  ils  assassinèrent  108  personnes  désarmées.  A  Boros- 
Benedck  on  conduisit  les  Magyars  au  supplice  au  moment 
même  où  le  pope  F?///X  procédait  à  la  bénédiction  des  eaux. 
Les  Magyars  se  jetèrent  à  ses  pieds  pour  implorer  sa  protection, 
mais  il  ne  les  écouta  pas,  ne  voulant  pas  interrompre  la  céré- 
monie religieuse.  Le  nombre  des  victimes  atteignait  1-43 
d'après  le  rapport  d'une  commission  mixte  autrichienne  et 
roumaine  envoyée  au  mois  de  février  pour  faire  enterrer  les 
cadavres.  En  apprenant  ces  horribles  méfaits,  \e  hsivow  Puchner 
se  crut  obligé  de  récuser  toute  solidarité  avec  le  «  Comité  na- 
tional roumain  »  et  lui  fit  ordonner  d'employer  toutes  ses 
forces  pour  empêcher  le  retour  d'atrocités  semblables,  «  qui 
ne  pourraient  présenter  toute  la  nationalité  que  sous  un  aspect 
des  plus  défavorables  y>  (l). 

Beni  arriva  le  13  janvier  à  Maros-Vàsàrhely  pour  y  remonter 
le  moral  des  Sic  aies  et  pour  y  préparer  son  attaque  contre 
Szeben.  Ce  fut  à  cette  époque  qu'il  fit  occuper  Balàzsfalva  par 
le  colonel  Czecz,  qui  en  chassa  le  fameux  camp  roumain  par 
quelques  coups  de  canon  et  eut  beaucoup  de  mal  pour  empê- 
cher les  Magyars  indignés  de  ne  pas  se  permettre  quelques 
actes    de    représailles    dans    la    métropole   du    roumanisme 

1)  SziL.4GYi  Farkas,  Alsô-fehcrmegye,  1848-V9  ben.  Appendire,  p.  447. 


.V2S         MAGYARS    ET    l'.OUMAUNS    DKVANI     1/ Il  I  STO  I  T.  E 

19  janvier  .  Le  baron  l'nclnier  ne  vonlut  pas  assister  les  bras 
croisés  à  la  réorganisai  ion  des  Corées  magyares,  et  livra  bataille 
il  Bem  près  de  (îcilfalra.  L'avantage  resta  aux  Mat/jars. 
Alors  Bein  s'avança  dans  les  environs  de  Szeben  jusqu'à  Szrl/'n- 
(Icl.  où  il  i)rit  une  forte  position.  Puc/mcr  l'y  attaqua  le  2  4  jan- 
vier, mais  sans  j)ouvoirrcn  déloger.  Cependant,  après  l'incen- 
die de  la  commune,  Bcin  se  vit  Forcé  de  se  retirer  à  Vizalnui. 
l'iic/iiirr,  se  voyant  perdu,  s'adressa  à  son  tour  au  général 
russe  Liiders  pour  lui  demander  des  secours.  Et  comme  dans 
la  réponse  de  l'empereur  Nicolas  I",  arrivée  entre  temps,  il 
était  justement  spécifié  (jne  les  secours  ne  pouvaient  être 
accordés  tnic  sur  la  demande  du  commandant  en  chef  autri- 
chien, Liiders  envoya  immédiatement  le  général  Enr/cl/iardt 
avec  (j,0()0  hommes  à  Szeben  et  le  généraKS'Av/r/a/^y/  avec  i,()()0 
à  l'œrœs-ioroiiy  !  l"  et  2  février).  C'était  plus  qu'il  ne  fallait 
à  Piic/iner  pour  reprendre  l'offensive  avec  succès.  Il  infligea 
dès  le  i  février  une  défaite  sérieuse  à  l'izaLiui,  à  son  célèbre 
adversaire.  Ce  fut  alors  vers  Déra  que  Bew  se  retira,  car  les 
renforts  promis  par  le  gouvernement  bongrois  ne  pouvaient 
arriver  que  de  ce  coté,  le  long  du  Maros.  Son  lieutenant,  le 
baion  Far/ifis  Kentény,  y  eut  à  soutenir  une  attacjue  nocturne  de 
la  part  de  la  milice  roumaine  conduite  par  le  pféfe/,t  Solomon, 
attaque  que  les  Magvars  repoussèrent  victorieusement  (G  fé- 
vrier). Quant  à  Bem  lui-même,  il  gagna  la  bataille  de  J^is/ii 
(9  février!,  avant  pu  être  secouru  à  temps  par  le  détachement 
du  commandant  /Irabovsz/,)-  (4,500  hommes  et  12  canons). 
Au  lieu  d'accepter  la  bataille  offerte  par  Puchnerix  Sztisz-Sebes, 
Be/n  se  dirigea  alors  vers  les  sièges  des  Sien  les,  car  ils  avaient 
été  défaits  par  Frban  dans  plusieurs  rencontres.  Les  Magyars 
entrèrent  le  2(5  février  à  Besziercze,  et  Liban  se  retira  incon- 
tinent en  BouLorine. 

Avant  de  reparaître  sous  Szeben,  Bem  eut  une  sanglante  jour- 
née à  supporter  à  Medgyes  (3  mars),  où  le  général  autrichien 
Kalliany  lui  fit  subir  des  pertes  sérieuses  (400  hommes  mis 
hors  de  c()ud)al).  Mais  ses  niannmvres  savantes  avaient  si  bien 
déjoué  les  calculs  stratc'-gicjues  de  ses  adversaires,  qu'il  se 
trouva  inopinément   le    11    mars    à  la   porte    de   Szeben.   Là, 


i.iviU':  T  ROI  su:  ME  .  V29 

les  Autrichiens  et  les  liiisses  ratteiidaient  dans  une  position  for- 
tifiée. Mais  rien  ne  put  arrêter  l'attaque  impétueuse  des 
Magyars  qui,  après  les  avoir  chassés  de  leurs  positions,  s'empa- 
rèrent séance  tenante  de  cette  capitale  de  la  réaction,  de  ce 
quartier  général  de  la  contre-révolution  roumaine  et  saxonne, 
où  850  blessés,  21  canons  et  une  immense  quantité  de  muni- 
tions, d'armes  et  de  provisions  tombèrent  en  leur  pouvoir. 
Le  20  mars  /j/v/^vieut  leméme  sort  ;  là,  ce  furent  les  J?///7cA?e/w 
qui  couvrirent  la  retraite  des  Russes;  mais  le  26  mars  il  n'en 
restait  plus  un  seul  sur  le  sol  de  la  Tiansylvanie,  les  parnisons 
des  forteresses  de  Gyulafeh-Jrvar  et  de  DJva  exceptées.  Les 
Roumains  ne  jouèrent  dans  ces  combats  qu'un  rôle  tout-à-fait 
secondaire;  d  après  les  avis  des  historiens  autrichiens  eux- 
mêmes,  —  tel  que  l'auteur  du  "  Der  Révolutions  KrieginSieben- 
bûrgen  in  den  Jabren  !8  48  und  1849  "  —  ils  exercèrent  plus 
d'une  fois  une  influence  néfaste  sur  les  troupes  impériales  , 
car  la  panique  s'étant  emparée  d'eux  aux  premiers  coups  de 
canon,  ils  entraînèrent  avec  eux  les  éléments  les  moins  solides 
de  l'armée  impériale.  Le  "  Comité  national  roumain  «  eut 
toutes  les  peines  du  monde  à  mettre  en  sûreté  ses  papiers 
et  ses  correspondances;  un  de  ses  membres  —  Balasiseco 
—  ne  put  se  sauver  à  travers  les  lignes  hongroises  qu'en 
poussant  des  «  vivat  '  répétés  en  l'honneur  de  Kossuih.  Janco 
et  Axcnte  se  retirèrent  dans  la  contrée  montagneuse  de  VEicz- 
hegység  où,  sur  un  territoire  de  500  kilomètres  carrés,  ils 
avaient  leurs  milices  sous  la  main  en  attendant  les  événe- 
ments. 

Dans  le  pays  ainsi  purgé  de  l'ennemi,  Csànyi  poursuivit  sans 
relâche  la  réorganisation  de  ladministration  civile  et  le  réta- 
blissement des  conditions  normales  de  la  vie  sociale.  Il  lui 
fallut  beaucoup  d'énergie  pour  empêcher  les  représailles  des 
Magyars  dont  les  blessures  étaient  trop  récentes  encore  pour 
qu'ils  ne  cédassent  pas,  à  l'occasion,  aux  insinuations  de  la 
vengeance  et  ne  commissent  des  actes  répréhensibles,  tels  que 
l'exécution  improvisée  de  I  7  Roumains  à  Baiiz.  Il  fit  donc  sévè- 
rement punir  le  sous-officier  Balos  pour  sa  conduite  à  Mezô-Or 
et  n'admit  nullement  que  l'on  put  faire  son  procès  à  quelqu'un 


430        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

sans  recourir  aux  tribunaux  réguliers.  En  fait  de  tribunaux,  le 
parlement  hongrois  siégeant  à  Debrec-en  en  avait  installé  de 
tout  à  fait  spéciaux,  «  les  tribunaux  de  sang  "  ,  pour  juger 
niartialenienl  les  délits  de  ch'oit  commun,  dont  le  nombre 
devait  falalemont  s'augmenter  pendant  une  époque  aussi  trou- 
blée. Un  projet  de  loi  se  rapportant  au  fonctionnement  de 
ces  tribunaux  fut  présenté  par  lUililidsdr  Halasz  le  8  février 
18i0  à  la  Chambre  des  représentants,  qui  le  vota  le  13  fé- 
vrier. Ses  tendances  étaient  aussi  humanitaires  que  possible. 
D\il)ord,  ces  tril)unaux  se  composaient  de  deux  juges  civils 
et  de  deux  juges  militaires,  avec  un  président,  soit  civil,  soit 
militaire.  L'accusé  recevait  d'office  son  défenseur  s'il  n'en 
choisissait  pas  un  en  six  heures  de  temps  ou  ne  voulait  pas  se 
défendre  lui-même,  et  on  ne  devait  exiger  de  lui  ni  un  aven, 
ni  une  autre  déclaration.  Les  témoins,  et  d'abord  ceux  de  l'ac- 
cusé, ne  pouvaient  déposer  (|u'en  sa  présence  et  ils  étaient 
obli{;és  de  répondre  aux  questions  soit  de  l'accusé,  soit  de  son 
défenseur  ainsi  qu'à  celles  des  juges  et  de  l'accusateur  public. 
L'accusé  et  I  accusateur  public  pouvaient  également  faire  sus- 
pendre la  procédure  pendant  douze  heures  afin  qu'ils  pussent 
présenter  des  témoins  supplémentaires  ou  recueillir  un  sup- 
plénjent  d'informations.  Après  la  déposition  des  témoins,  la 
parole  re\  enait  à  l'accusateur  public  pour  exposer  son  accusa- 
tion, à  latpielle  répondait  ensuite  le  défenseur.  Les  juges  se 
retiraient  alors  dans  une  pièce  attenant  au  tribunal  pour  déli- 
bérer et  la  condamnation  ou  la  mise  en  liberté  de  l'accusé  ne 
pouvaient  être  prononcées  qu'à  l'unanimité.  En  cas  contraire, 
on  devait  renvoyer  l'accusé  devant  les  tribunaux  ordinaires. 
S  il  v  avait  condamnation  ,  elle  impliquait  la  mort  du  con- 
damné trois  heures  après  le  prononcé  du  jugement,  en  présence 
d'un  des  juges  et  au  moyen  d'un  peloton  d'exécution.  Il  devait 
y  avoir  des  tribunaux  pareils  dans  tous  les  départements  de 
la  Hongrie,  mais  le  ministre  de  la  justice  Vukovics  en  réduisit 
le  nond)re  à  dix  au  commencement  du  mois  de  mai  1849, 
pour  n'en  (jardcr  finalement  qu'un  seul  à  Budapest  (20  juin). 
Gomme  d'après  lUiritin  le  nombre  des  Hoiimdins  condamnés 

\.'j  BAiinir,  Istoiiii  IruiisUraniei,  sol.   II,  p.  1(-88,  et  suivantes. 


T.IVRE   TUOISIÈME  431 

à  mort  par  ces  tribunaux  et  exécutés  atteindrait  le  chiffre 
extraordinaire  de  6,000,  il  ne  sera  pas  inutile  de  citer  les 
totaux  relevés  sur  les  livres  d'écrou  des  prisons  (I).  Dans  le 
département  àWUofchèr,  où  les  Roumains  avaient  commis  le 
plus  d'excès,  il  y  a  eu  105  accusés.  Sur  ce  nombre  les  con- 
damnations à  mort  montaient  à  35,  parmi  lesquelles  trois 
frappant  des  Mi'jyars.  Dans  le  département  de  Dobokn-Belsô- 
Szohiok  il  y  eut  418  emprisonnements,  mais  le  nombre  des 
condamnations  à  mort  n'y  dépassa  pas  six.  En  admettant  que 
les  autres  départements  habités  par  les  Roumains  aient  fourni 
le  double, la  somme  totale  excédera  à  peine  une  centaine,  lais- 
sant encore  une  marge  énorme  pour  obtenir  le  chiflïe  indiqué 
par  Bariiiu. 

Mais  la  marcbe  des  événements  qui  vont  suivre  serait 
incompréhensible  si  on  ne  mentionnait  pas  très  spécialement 
l'apparition  de  la  constitution  octroyée  par  François-Joseph  à 
la  monarchie  le  4  mars  1849.  OEuvre  du  prince  Schwarzeu- 
herg,  le  tout-puissant  conseiller  du  jeune  empereur,  qui, 
d'après  les  bulletins  de  ]Vindisch-G?'aetz,  se  considérait  déjà 
absolument  comme  le  maître  indiscuté  de  la  Hongrie  soumise, 
cette  charte  n'est  qu  un  long  réquisitoire  —  elle  se  compose  de 
1 28  paragraphes  —  contre  la  constitution  hongroise.  L'intégrité 
territoriale  de  l'État  hongrois,  ses  droits  historiques,  ses  tra- 
ditions populaires  y  sont  anéantis  d'un  trait  de  plume;  il  y 
est  relégué  au  niveau  d'une  simple  province  conquise.  Et, 
ironie  amère  !  la  publication  de  ce  malencontreux  document 
coïncidait  justement  avec  les  revers  de  l'armée  impériale.  De 
là  cette  indignation  de  la  Hongrie  victorieuse,  qui  prit  fatale- 
ment la  forme  d'un  acte  révolutionnaire  :  la  proclamation  à 
Debreczen  de  l  indépendance  du  pays  et  de  la  déchéance  de  la 
maison  des  Habsbourg  par  le  parlement  (14  avril.)  Cet  acte, 
que  François  Deàk  ne  craignait  pas  d'appeler  regrettable,  per- 
mit à  la  Russie  d'intervenir  sous  prétexte  de  défendre  l'équi- 
libre européen  et  de  garantir  la  tranquillité  de  ses  propres 
provinces.   Elle  n'agissait  donc  pas  seulement  dans  son   pro- 

y^i)  SziLAGYi  l'.vuK.vs,  Alsofelit'i-Viuinegye  J  848-49-/><;;j. 


432        MAGYAUS    ET    ROUMAINS    Jtl'.VAîNT    L'IIISTOIIIE 
nie  intérêt,  mais  dans  celui  de  la  paix  générale  en  cédant  aux 
instances  du  gouN  ernenicnt  autrichien,  (jui  avait  imploré  son 
secours. 

Les  deux  mois  qui  précédèrent  l'apparition  elïective  des 
armées  russes  en  //o/zy/ve,  constituent  l'époque  la  plus  glo- 
rieuse de  la  "ueri'e  de  1819  pour  les  Magyars.  Victorieux  en 
bataille  rangée  à  jSagy-Sarlo  (  lî)  avi'il),  ayant  débloqué  l\o- 
luàroni  (:2(!  aviilj  et  ayant  pris  lUidc  d'assaut  21  mai),  ils 
pouvaient  considérer  la  .{juerre  comme  terminée  et  attendre 
en  sécurité  les  [)ropositions  de  VAatric/ie,  ainsi  que  l'espéraif 
de  bonne  loi  le  parti  "  de  la  paix  >-    du  j)arlement  hongrois. 

Sous  1  iniluence  de  ce  court  laps  de  temps  heureux,  auquel 
l'historien  Alcxaiir/rc  Mai/,i  donne  avec  raison  le  nom  de 
«  Printemps  sacré  »  ,  il  y  eut  un  mouvement  de  rapprochement 
entre  Ma(/j  ais  et  Hoamains,  qui,  malgré  son  avortement,  indi- 
que bien  que  l'entente  de  ces  deux  peuples,  tant  désirée  par 
leurs  amis  sincères,  n'est  pas  une  utopie  et  peut  facilement  se 
réaliser,  s'ils  y  mettent  tous  deux  un  peu  de  bonne  volonté. 

Ce  fut  à  vrai  dire  Bein  qui  aplanit  principalement  le  chemin 
pour  arriver  à  ce  résultat  si  désirable.  IjC  lendemain  de  la 
prise  de  Szehoi  il  proclama  une  amnistie  générale,  et  le  2 1  mars 
lit  à  la  population  de  la  J^ransylvanie  un  appel  que  résume 
la  phrase  suivante  :  u  Magyars,  Saxons  et  Roumains!  tendez- 
vous  la  main  IVaternellement  ;  chasse/,  de  vos  cœurs  toute 
haine  de  race  et  vous  serez  tous  heureux!  »  Tombées  des  lèvres 
du  vaincpieur,  de  telles  paroles  ne  manquent  jamais  leur 
effet.  Aussi  a|)prit-on  sans  surprise  (|uc  le  mouvement  olfen- 
sif  commencé  le  2  avril  par  le  commandant  magyar  Csutak 
contre  Axentc  et  Jauco,  établis  dans  VÉrezchegység,  s'arrêtait 
subitement,  malgré  la  défaite  du  prefekt  Baleano  On  comprit 
(pie  le  moment  était  on  ne  peut  plus  propice  pour  entamer 
des  négociations  en  vue  de  la  paix.  D'abord,  les  magyars  \e- 
nant  à'Abradbàuya,  à'Albàk  affirmaient  que  Janco  vivait  en 
parfaite  harmonie  avec  les  habitants  magyars  de  la  contrée. 
Ayant  accumulé  ses  provisions  de  vivres  et  de  nmnitions  et 
même  ses  trésors  à  7'o/janfalva,  il  s'y  faisait  traiter  en  vérita- 
ble   «  Roi  des  glaciers  »   à  qui  Ferdùunid  avait  transmis  ses 


LIVRE   TUOISIÈME  433 

pouvoirs.  En  tout  cas  il  fut  le  seul  libéral  parmi  les  Roumains 
auti-magyars;  il  accueillit  donc  avec  empressement  les  avis 
qu'il  reçut  par  l'entremise  de  Balcesco,  du  i<  Comité  révolu- 
tionnaire »  des  Principautés  danubiennes  Tcngap^eant  à  s'allier 
aux  Magyars  pour  combattre  dans  l'intérêt  des  peuples  oppri- 
més. En  dehors  du  journal  roumain  de  Ccsa>-  Bolliac,  fondé 
à  Szeben,  le  grand  patriote  roumain  Rose  ni  ainsi  que  Borléa, 
travaillaient  aussi  avec  ardeur  à  cette  réconciliation.  D'autre 
part,  pressé  par  les  députés  roumains  fidèles  à  la  constitution 
tels  que  ir/rtr/et  Dragos,  Kossuih  se  montra  également  enclin  à 
faire  faire  des  démarches  en  vue  de  l'apaisement.  Ayant 
chargé  Jean  Dragos  d'ouvrir  des  pourparlers  avec  les  chefs  des 
Roumains,  celui-ci  partit  de  Debreczen  dès  le  17  avrd-  trois 
jours  après  il  se  trouvait  à  Bràd  pour  demander  à  Janco  et  à 
Buteano  un  rendez-vous.  Quant  à  Axenie  il  ne  voulut  se  mêler 
de  rien  car,  selon  son  opinion,  les  Magyars  ne  devaient  traiter 
qu'avec  le  «  Comité  national  roumain  "  ou  avec  le  gouverne- 
ment impérial. 

Ce  fut  à  Mihàlyfalva  que  Dragos  rencontra  Janco  et  les  pre- 
fekt  Dobra,  Buteano,  I  ladutin  et  Boei-  (le  25  avril).  La  tâche  de 
1  envoyé  du  gouvernement  hongrois  y  était  énormément  faci- 
litée par  les  glorieuses  nouvelles  qu'il  pouvait  communiquer  à 
ses  interlocuteurs;  les  victoires  de  Hatvan,  de  Bicske,  d'Isaszeg 
et  de  Vàcz,  gagnées  sur  l'armée  impériale  contrainte  à  se  reti- 
r'^r  de  la  capitale  hongroise  d'abord  et  ensuite  probablement 
de  tonte  la  Hongrie.  Eblouis  par  de  semblables  succès,  les  chefs 
roiuïiains  ne  firent  aucune  difficulté  pour  signer  la  paix,  seu- 
lement ils  demandèrent  un  armistice  préalable  leur  permet- 
tant de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  éviter  toute 
complication  ultérieure.  Dragos  ne  pouvant  pas  le  leur  accor- 
der s  en  retourua  incontinent  à  Debreczen  pour  y  obtenir  des 
pouvoirs  assez  étendus  pour  mener  les  négociations  à  bonne 
fin.  Kossutfi  résuma  en  18  paragraphes  les  conditions  de  la 
Hongrie.  Elles  étaient  tellement  équitables  que,  Dragos  les 
ayant  présenlées  le  5  mai  à  Abrudbànya  aux  chefs  roumains,  ils 
les  acceptèrent  toutes  sans  difficulté,  et,  en  signe  de  soumission, 
Jaiico  fit  arborer  le  drapeau  hongrois  (le  7  mai). 

28 


434        M.UJYAKS    Eï    KOUMAI^-S    DEVANT    L'HISTOIRE 

Ici  s'impose  le  récit  crun  événement  dont  il  est  presque  im- 
possible de  démêler  les  causes.  Au  moment  même  où  Dragos 
réussissait  à  obtenir  des  résultats  aussi  avantageux,  se  répandit 
à  Ahnidbànya  le  bruit  de  l'approclie  d'un  détachement  hon- 
grois composé  de  1,500  hommes  et  appuyé  de  quatre  canons. 
Il  arrivait  du  coté  de  Bràd  et  il  avait  pour  chef  hméric  Hat- 
rani,  le  remplaçant  du  commandant  Csnlah.  Or  ce  Hatvani 
était  tout  simplement  un  "  mamelouk  »  de  Kossuth  (à  Dehre- 
czen  on  les  appelait  des  «flamants  5  à  cause  de  la  plume  rouge 
qu'ils  portaient  à  leur  chapeau)  à  qui  malheureuiement  on 
avait  donné  pleins-pouvoirs  pour  le  règlement  des  affaires  rou- 
maines, afin  qu'il  puisse  être  grassement  rétribué.  N'étant  pas 
prévenu  de  l'arrivée  de  ce  favori  du  «  gouverneur  »  ,  titre 
conféré  à  Kossuth  par  le  parlement  après  la  proclamation  de 
la  déchéance  de  la  maison  des  Habsbourg,  Dragos  se  porta  à 
sa  rencontre  en  compagnie  du  maire  à' Abrudbànya,  espérant 
(ju'ils  l'arrêteraient  en  lui  faisant  connaître  la  situation  chan- 
gée et  les  résultats  obtenus.  Mais  Haivani  ne  voulut  rien 
écouter  et  désireux  de  cueillir  des  lauriers  faciles,  il  entra 
quand  même  à  Abrudbànya.  Il  y  fit  immédiatement  arrêter 
les  prefekt  Dobru,  Buleano  et  Vira  no,  en  exigeant  en  outre 
mais  vainement  que  les  Roumains  lui  livrassent  leurs  armes. 

Janco  considéra  ces  faits  et  gestes  comme  une  trahison. 
S'étant  retiré  immédiatement  d'Abrudbànja,  il  demanda  des 
secours  aux  prefecht  Axente  et  Biilint  ainsi  qu'au  lieutenant 
Munzùth ,  qui  ne  les  lui  marchandèrent  pas.  Alors  il  prit 
l'offensive  et  ayant  incendié  le  matin  du  9  mai  Verespatak,  il 
attaqua  le  même  soir  Abrudbànya.  Hatrani  se  retira  à  /Irad 
avec  une  partie  de  la  population  magyare  le  lendemain  matin; 
ceux  qui  restèrent  se  réfugièrent  en  majorité  dans  les  églises 
orthodoxes,  où  ils  eurent  la  vie  sauve.  Leurs  maisons  furent 
cependant  incendiées  et  pillées  et  les  Magyars  qui  s'y  étaient 
cachés  périrent  tous.  Dragos,  déclaré  parjure  et  traître,  tomba 
sous  les  coups  de  pique  de  la  milice  roumaine.  Voulant  réparer 
le  mal  qu'il  avait  causé,  Hatvani repr'itle chemin  à  Abrudbànya 
le  15  mai  et  il  s'en  empara  effectivement  le  lendemain.  Mais 
ne  pouvant  pas  songer  à  s'y  maintenir  au   milieu  d  une  con- 


LIVRE   TROISIÈME  435 

trëe  remplie  d'ennemis,  il  en  repartit  le  lî)  mai  emmenant 
avec  lui  environ  2,000  habitants  mafjyars  et  allemands.  Ceux- 
ci,  y  comprisles  femmes,  les  enfants  et  les  malades  marchèrent 
pèle-méle  avec  les  soldats.  Aussi  n'était-ce  pour  les  Roumains 
qu'un  jeu  d'anéantir  ce  troupeau  d'individus  au  pied  du  pic  de 
Viil/icin,  haut  de  126  4  mètres.  Ce  fut  laque  l'on  villes  soldats  de 
la  légion  viennoise  s'entretuer  pour  ne  pas  tomber  vivants  dans 
les  mains  des  Roumains.  Il  n'y  eut  que  la  moitié  d'une  compa- 
gnie de  hussards  et  quatre-vingt-quatre  hommes  de  la  milice 
sicule  qui  purent  se  frayer  un  chemina  travers  les  lignes  àe?,  Rou- 
mains. Mais  Ilatvani  put  se  sauver  aussi.  Pour  se  venger,  il  fit 
fusiller  le  prefeckt  Buicano  le  23  mai  tandis  que  Dobra  dispa- 
rut pendant  l'attaque  dirigée  par  Janco  contre  Ahrndhànya, 
L'activité  néfaste  de  Hatvani  ne  se  prolongea  pas  plus  long- 
temps :  le  gouvernement  hongrois  le  destitua  (juelques  jours 
après. 

Enhardis  par  ce  succès,  les  Roumains  ne  se  contentèrent 
plus  de  porter  la  terreur  dans  la  contrée  des  mines  :  ils  inquié- 
tèrent à  la  fin  de  mai  l'armée  hongroise  elle-même  investissant 
Gyulafehérvàr.  Là,  ils  furent  repoussés,  provoquant  ainsi  le 
retour  offensif  des  Magyars.  Mais  le  baron  Farkas  Kemény  ne 
put  se  maintenir  longtemps  dans  les  ruines  réoccupées  à' Abrad- 
bùnya  et  crut  plus  prudent  de  rallier  les  troupes  d'investisse- 
ment. Exaspéré  par  cette  résistance  héroïque  des  Roumains, 
Bem  conçut  alors  le  plan  d'une  attaque  convergente  contre  leur 
position  avantageusement  fortifiée  par  la  nature.  Farkas  Ke- 
mény, les  commandants  Szép  Volgyi  et  Paul  Vasvâri,  un  des 
jeunes  gens  ayant  proclamé  à  Pesth  la  liberté  de  la  presse  et 
dont  l'éloquence  lui  procura  le  surnom  de  "  Kossuth  le  jeune  » 
devaient  pénétrer  de  trois  côtés  à  la  fois  dans  VErcz-hegység. 
Conformément  aux  ordres  de  Bem,  Vasvàri  se  porta  avec 
600  hommes  contre  le  Marisel  en  pleine  révolution  où  il 
devait  rencontrer  les  troupes  de  Szépvolgyi.  L'ayant  vainement 
attendu  pendant  deux  jours,  il  voulait  regagner  sa  base  d'opé- 
ration; mais  déjà  averti  de  l'exiguïté  de  ses  forces,  Nicolas 
Crocliesio,  un  des  tribuns  de  Janco  lui  barra  le  chemina  Fonta- 
nele  et  le  tailla  en  pièces  avec  les  trois  quarts  de  ses  hommes. 


43G        MAGYARS    ET    r.OL. MAINS    DEVAIT    I.MllSTOIUE 

Cette  catastrophe  ne  doit  être  imputée  à  personne.  Après 
avoir  commande-  un  mouvement  en  avant  à  ces  trois  chefs, 
Bon  se  vit  obli.;;é  de  les  rappeler  et,  par  une  fatalité,  Vasvàri 
ne  reçut  pas  de  contre-ordre!  La  raison  de  ce  rappel  fut  la 
nécessité  de  rassend)Ier  toutes  les  forces  hon^jroises,  car 
i\e<.  armées  russes  étaient  entrées  en  Transylvanie  depuis  le 
I  S  juin  !  Le  jjénéral  Liiders  v  Ht  irruption  avec  :Î<S,G30  hommes 
et  r)G  canons  à  Brasstl  et  le  général  (hoihenhjelm  à  Beszlercze 
avec  10,501  hommes  et  '^1  canons.  II  furent  rejoints  par  les 
Autrichiens  disposant  de  15,000  hommes  et  de  45  canons, 
sous  les  ordres  du  général  de  division  comte  Clani-Gallas,  venus 
soit  de  la  lioukovine,  soit  des  Principautés  danubiennes.  Les 
forces  dont  Bem  pouvait  disposer  ne  dépassèrent  pas  au  con- 
traire 24,000  combattants  appuyés  par  G  i  canons. 

I^a  présence  des  envahisseurs  étrangers  produisit  un  dou- 
ble résultat.  Militairement^  elle  changea  la  situation  complète- 
ment au  désavantage  des  Magyars  :  malgré  la  défense  héroïque 
de  Ferdinand  Szabo,  d' Alexandre  Kis,  mortellement  frappé  et 
de  Szidlovszki,  qui  en  sa  qualité  de  Polonais  ne  voulut  pas  se 
rendre  aux  Russes  et  se  fit  sauter  la  cervelle,  Brassa  tomba 
le  21  juin  au  ])ouvoir  des  alliés;  Bem  perdit  la  bataille  de 
Wallcudorf  le  28  juin  et  le  général  russe  Hasford  se  rendit 
maître  du  pays  des  Sicules  dès  le  25  juin  et  détruisit  leur 
fonderie  de  canons,  leurs  moulins  à  poudre,  leurs  fabriques  de 
capsules.  Politiquement,  ses  effets  étaient  au  contraire  très 
favorables,  puisqu'ils  produisirent  en  face  du  danger  commun 
du  panslavisme  un  rapprochement  entre  les  Magyars  et  les 
llouniains. 

Pour  le  rendre  le  plus  prompt  et  le  plus  efficace  possible,  on 
s  y  prit  de  deux  manières  :  B<dcesco,  l'envoyé  de  l'émigration 
roumaine,  entama  des  négociations  avec  le  gouvernement 
hongrois  à  Debreczen  dès  le  milieu  du  mois  de  mai,  tandis  que 
son  collègue  Balaceana  essaya  de  faire  comprendre  aux  Rou- 
mains de  la  Transylvanie  sous  les  armes  le  tort  cju  ils  faisaient 
aussi  bien  à  la  cause  de  la  liberté  en  générale  qu'à  la  leur  pro- 
pre en  combattant  les  Magyars  en  compagnie  de  V Autriche  et 
de    la    Russie   absolutistes.    Kossuih    agréa  les    ouvertures    de 


LIVRE    TlîOISIÈMK  ',37 

Balcesco  avec  empressement  et  |)iit  crantant  plus  aisément  pro- 
mettre Télaboration  d'un  projet  de  loi  à  ce  sujet  que  les  vic- 
toires remportées  par  les  Magyars  semblaient  enfin   rendre  au 
parlement  le  loisir  nécessaire  pour  s'occuper  de  la  réor^janisa- 
tion  intérieure  du  pays.  Malheureusement  léclaircie  ne  dura 
pas  longtemps,  et  après  avoir  joui  quelques  semaines  de  ses 
triomphes  à  Budapest,  le  gouvernement  se  trouva  de  nouveau 
dans  la  nécessité  de  Taban  donner  et  de  se  réfugier  vers  le  Tisza. 
Cette  lois  ce  fut  h  Szeged  (Szegedin;  qu'il  s'installa  avec  les 
débris  de  la  Chambre  des  députés,  qui  y  tint  quelques  séances 
encore.  Dans  celle  du  :21  juillet,  le  ministre  président  Barilid- 
letui  de  S-eniere  présenta  lui-même  le  projet  de  loi  sur  les  natio- 
nalités. Les  dispositions  qni  s'y  rapportent  aux  Roumains  sont 
les  suivantes  :  on  n'emploiera  plus  le  nom  de  )'ala(jue  en  vou- 
lant   désigner  les  RouDiaius;    si   la  langue    de    la    législature 
était  le  magyar,  il  serait  permis  aux  départements  où  les  Jioii- 
mains  sont  en    majorité  de  se  servir  du  roumain  dans  l'admi- 
nistration et  dans  les  écoles  ainsi  que  devant  les  tribunaux,  une 
fois  la  procédure  orale  introduite;  il  serait  loisible  aux  Rou- 
mains de  pétitionner  dans  leur  langue  maternelle  ;  ils  pourraient 
librement  administrer  leurs  églises  et  leurs  écoles;  au  minis- 
tère des  cultes  il  y  aurait  une  section  spéciale  avec  des  emplovés 
roumains  spéciaux,  pour  les  affaires  de  l'église  orthodoxe  ;  on 
traiterait  leurs  églises  et  leurs  écoles  de  la  même  manière  que 
celles  des  autres  religions  ;  on  installerait  à  l'Université  de  Pesth 
une  faculté  théologique  orthodoxe;  on  pourrait  réunir  des  sv- 
nodes  avec  l'assentiment  du  gouvernement;  dans  les  communes 
roumaines  ce   seraient  des  Roumains  qui  commanderaient  la 
garde  nationale  ;  dans  les  administrations  gouvernementales  on 
admettrait  les  Roumains  au  même  titre  que  les  Magyars;  les 
révoltés  roumains  en  déposant  leurs  armes  seraient  amnistiés, 
à  condition  de  prêter  serment  à  l'indépendance  hongroise. 

Voté  dans  les  derniers  jours  de  juillet,  ce  projet  de  loi 
sombra  avec  beaucoup  d'autres  quelques  semaines  aj)rès  dans 
le  terrible  naufrage  de  la  cause  hongroise,  tout  en  démontrant 
la  bonne  volonté  des  hommes  d'État  magyars.  Les  pourpalers 
engagés  entre  Kossuih  et  Janco^  sur  les  instances  de  Balaceano 


438  MACYAIIS  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOir.E 
le  jour  même  du  combat  de  Fiintmiele,  n'aboutirent  à  aucun 
résultat  pratique  non  plus.  Si  Kossiith  si{]ne  un  traité  le  1  i juil- 
let relativement  à  la  création  d'une  légion  roumaine,  formée 
par  les  émigrés  moldo-valaques  et  destinée  à  lutter  en  Hongrie 
contre  l'absolutisme  et  le  panslavisme,  après  avoir  juré  fidé- 
lité à  la  fois  à  l;i  Honqrie  et  la  lUninianie,  le  temps  fait  défaut 
pour  mettre  à  exécution  ce  projet,  beau  et  précieux  gage  de  la 
fraternité  magyaro-roumaine. 

Quoique  platonique,  ce  rnpprocbement  exerça  uneinfluence 
morale  des  plus  beureuses  dans  le  camp  des  Mafjyars^  profon- 
dément troublés  par  l'arrivée  inattendue  des  Russes.  Bem  y 
découvrit  les  indices  d'une  révolution  dans  l'empire  des  tsars, 
le  soulèvement  des  Principautés  danubiennes,  comme  il  le  dit 
dans  sa  proclamation  du  5  juillet,  parue  à  Besztercze .  Aussi  se 
sentit-t-il  peu  amoindri  par  l'écbec  que  Lïulers  lui  y  infligea 
cinq  jours  plus  tard.  Sans  en  être  ému  plus  que  de  raison,  il 
courut  au  secours  des  Sicules,  et  après  y  avoir  cliàtié  ceux  dont 
l'entbousiasme  s'était  refroidi,  il  y  réunit  une  petite  armée 
de  15,000  bommes  et  40  canons,  à  la  tête  desquels  non  seule- 
ment il  rétablit  l'équilibre  entre  les  belligéi-ants,  mais  il  put 
encore  reprendre  l'offensive.  Afin  qu'elle  impressionnât  mieux 
les  alliés,  Hem  l'exécuta  sur  leur  base  d'opération  en  entrant 
en  Moldavie  a\  ec  trois  mille  bommes  par  le  col  d'Oïtoz.  Il  y  fut 
précédé  par  (\'sar  Iloliac,  l'émigré  roumain,  à  qui  Koss u t/i  iwaii 
confié  la  mission  de  prévenir  Onier-pacha,  général  en  cbef  de 
l'armée  d Occupation  turque  en  Valacltie,  de  cette  incursion 
])robable  des  Magyars.  On  ne  demanda  au  représentant  de 
l'autorité  tie  la  Sublime-Porie  que  sa  neutralité  bienveillante 
qu  il  ne  pouvait  pas  accorder  sans  faire  naitredes  complications 
internationales.  P>e7n  n'apprit  sa  réponse  négative  qu'étant 
déjà  sur  le  sol  moldave,  ou  il  remporta  un  petit  avantage  près 
à'Onestie  sur  le  général  russe  Oustrougoff  dès  le  lendemain  de 
son  entrée  (le  :2;i  juillet).  Mais  comme  ses  deux  proclamations, 
in\  ilant  les  Houmains  à  un  soulèvement  contre  les  Pusses,  ne 
produisirent  aucun  effet  et  comme  son  absence  de  la  Tran- 
sjlranic  ne  pouvait  qu'y  aggraver  la  situation,  il  y  retourna  au 
bout  de  trois  jours.  Y  ayant  rejoint  le  :2.S  juillet  le  petit  corps 


I.IVIJE    TROISIÈME  439 

du  commandant  D(niiast/,in  à  Szent-Gyorgy,  il  se  jeta  inconti- 
nant  sur  le  général  Luders  établi  avec  16,000  hommes  et 
24  canons  à  Segesvnr.  L'attaque  impétueuse  des  Mnrjyars  au 
nombre  de  trois  mille  y  surprit  d'autant  plus  les  Russes,  qu'au 
début  de  l'action  un  coup  de  canon,  pointé  par  Bon  lui  même 
tua  net  un  de  leurs  généraux.  Mais  sétant  aperçu  de  l'insigni- 
fiance des  forces  magyares,  Liidcrs  les  fit  envelopper  par  ses 
cosaques  par  qui  elles  furent  presque  complètement  détruites. 
C'est  à  cette  bataille  que  l'on  perd  les  traces  du  Tyrtce  de  la 
HoiKjrie^  du  poète  Alexandre  Peiœfi.  Attaché  à  la  personne  si 
extraordinaire  de  Bem,  comme  officier  d'ordonnance,  il  le 
suivait  partout,  étant  un  de  ses  plus  fanatiques  admirateurs. 
Son  corps  a  dû  se  trouver  parmi  ceux  de  ces  1,030  Magyars 
que  l'on  a  enterrés  près  du  champ  de  bataille  le  lendemain 
(l-'aoùt). 

Les  tentatives  que  les  émigrés  moldo-valaques  entreprirent 
en  vue  de  la  réconciliation  des  Magyars  et  des  Roumains  ne 
rencontrèrent  pas  chez  ces  derniers  partout  le  même  accueil. 
La  haine  d  Axente  ne  désarma  pas.  Pour  faire  lever  le  siège  de 
Gyula-Fehérvàr ,  il  exécuta  une  nouvelle  attaque  contre  les  as- 
siégeants magyars  de  cette  forteresse  (le  25  juillet).  Elle  fut  re- 
poussée comme  les  trois  antérieures  en  terminant,  il  faut 
l'espérer,  à  jamais,  la  série  des  collisions  à  main  armée  entre 
les  deux  nations.  De  son  côté  Barnutiu  se  fit  linterprète  des 
Russes  en  recommandant  à  ses  frères  de  se  grouper  autour  des 
drapeaux  des  deux  empires  (20  juillet).  Aussi  y  eut-il  des 
discussions  très-violentes  entre  les  chefs  du  mouvement  rou- 
main dans  leur  conciliabule  de  Zalaihna.  Fidèle  à  son  libéra- 
lisme, Janco  s'y  déclara  contre  les  Russes  et  prêt  à  se  battre 
pour  les  Magyars,  bien  que  ses  hommes  aient  incendié  le 
31  juillet  Toroczkô,  tandis  que  pour  Axente  l'ennemi  hérédi- 
taire resta  toujours  le  Magyar] 

En  réalité,  ennemi  déjà  peu  redoutable  alors,  hélas!  Les  ba- 
tailles perdues  de  Szëreg,  et  de  Temesvar  et  de  Debreczen,  les 
deux  premières  contre  leiAuin'r/nens  et  la  dernière  contre  les 
Russes,  l'acculèrent  dans  les  murs  de  la  patriotique  ville  d\irad 
où  s'étaient  entassées  successivement,  dans  les  premiers  jours 


/fVO  MAGYAl'.S  ET  1U1UMA1NS  DEVAIST  T/HISTOIRE 
d'août,  les  épaves  du  parlement,  du  {gouvernement,  de  l'admi- 
nistration et  de  l'armëe  de  la  Honçirie.  Le  "  gouverneur,  n 
accompagné  des  ministres  Vtikovic.s,  Hoivàih  et  Csànyi  y 
ariiva  le  ])remier  et  la  Chambre  des  députés  y  tint  des  séances 
depuis  le  i  jusqu'au  \  1  août.  Arthur  Gorf/ef  y  entra  le  1)  à  la 
tète  du  prcmi(,'r  corps  d'armée,  que  deux  autres  suivirent  le 
lendemnin.  Menacé  par  les  Jin.sses  du  .j]énéral  Hiidiger  du  côté 
du  NoitI  c\  ]tar  les  Autrichiens  du  baron  Iloyuan  du  côté  du 
Sud,  le  poïiverncment  juj^ea  la  situation  ])erduc.  Kossnt/i 
résigna  donc  tous  les  pouvoirs  civils  et  militaires  dans  les  mains 
de  (',Qr(jei{\  !  août).  Celui-ci,  })our  airéler  toute  elfusion  inutile 
de  sang,  ne  s'en  servit  que  pour  entrer  en  pourparlers  avec  le 
quartier  généial  russe  au  sujet  de  la  capitulation  de  l'armée 
hongroise.  Elle  eut  lieu  le  13  août  à  ViliKjos,  livrant  TivwRusses 
<!  i  draj)caux,  3:2,3  !i  soldats,  parmi  lesquels  11  généraux,  et 
I  ii  canons.  Kossuth  s'était  déjà  enfui  lavant-veille  vers  Or,so/'r/ 
d'où  après  v  avoir  enterr(;  la  couronne  hongroise  dans  un  en- 
droit ('carté,  il  entra  en  Turquie  pour  commencer  son  exil  in- 
volonlaire  et  volontaire  de  15  ans. 

La  capitulation  de  Mlâgos  entraîna  avec  elle  naturellement 
la  cessation  graduelle  de  toutes  les  lésislances  ultérieures  des 
forces  hongroises.  En  rransylvanic  c'est  Alexandre  Cal  (pii 
se  rend  avec  ses  4,000  hommes  (25  août)  au  général  russe 
(irr)tt'n/ijeiiii.  En  Hongrie,  la  l'cddition  des  places  fortes  de 
Munliàcs  et  de  Prteri'ârad  se  suit  dans  le  court  espace  de  quel- 
(pies  jouis,  (lu  2()  août  au  7  septembre.  Et  malgrélesbrillantes 
sorties  du  général  Klnp/xi,  l'imprenable  forteresse  de  Konuiroui 
ne  peut  à  la  fin  dans  son  isolement  que  capituler.  Ayant  obtenu 
pour  la  garnison  les  conditions  les  plus  honorables,  son 
héroïque  défenseur  l'évacué  le  5  octobre!  Conclusion  conso- 
lante d'une  lutte  formidabl.e  d'où  la  Hoix/rie  sortit  glorieuse  et 
admirée,  quoique  couverte  de  plaies  béantes,  et  elle  put 
croire  à  un  meilleur  avenir,  au  triomphe  final  de  sa  juste  et 
nol)lc  cause  ! 


CHAPITRE  XII 

VAK   viCTis  —   i:t   vicToniiii  s! 

«La  Hongrie  gît  nii  pied  de  Votre  Majesté  »,  écrivit  avec 
emphase  le  prince  V((s<likicvitscli  à  l'empereur  ISicolas  après  la 
capitulation  de  Vi/iigos,  «  et  elle  est  h  la  merci  de  notre  ven- 
geance » ,  ajouta  à  la  cantonade  la  camarilla  de  Vienne,  les 
dents  serrées  et  les  yeux  injectés  de  sang.  Car  s'il  était  déjà 
assez  humiliant  pour  elle  d'implorer  le  secours  delà  Russie  et 
d'avouer  ainsi  son  impuissance  en  face  d'une  -  poignée  de  fac- 
tieux, égarés  par  Kossui/i  »,  comme  elle  aimait  à  appeler  les 
défenseurs  de  la  constitution  hongroise,  le  fait  que  le  général- 
dictatenr  Arthur  Gorgei  avait  préféré  se  rendre  aux  Russes 
qui  n'étaient  h  vrai  dire  que  les  rabatteurs  des  armées  au- 
trichiennes et  non  pas  à  celles-ci,  ses  vrais  vainqueurs,  la  mit 
complètement  hors  d'elle.  Et  cette  acte,  inspiré  plutôt  par  le 
dépit  et  le  désespoir  que  par  un  calcul  politique  quelconque, 
eut  d'ailleurs  un  autre  résultat  imprévu  et  important  encore  : 
il  relâcha  les  liens  de  l'étroite  et  vieille  amitié  des  deux  empires 
du  Nord  en  apparence  à  cause  des  officiers  hongrois  s'étant 
rendus  aux  Russes,  que  ceux-ci  livrèrent  aux  Auiiic/iienssou^  la 
condition  de  les  épargner  et  qui  furent  quand  même  exécutés, 
mais  en  réalité  à  cause  de  la  conviction  acquise  par  Nicolas 
pendant  celte  campagne  que  le  chemin  de  Consianiiiwjde  me- 
nait à  travers  la  Hongrie  et  qu'il  commettait  donc  une  faute  po- 
litique irréparable  en  ne  la  gardant  pas,  en  remplissant  scru- 
puleusement sa  parole  solennelle  d'être  toujours  le  protecteur 
des  enfants  de  l'empereur  F/anço/^  1",  du  beau-père  de  Napo- 
léon. Or  cette  crise  psychologique  qui  fait  le  plus  grand  hon- 
neur à  l'autocrate  russe,  n'échappa  pas  h  la  sagacité  des 
hommes  d'État  autrichiens;  ayant  mesuré  le  danger  que  la 
monarchie  avait  couru,  ils  en  voulurent  au  tsar  comme  s'il 
était  devenu  parjure  et  se  promirent  dès  lors  de  s'affranchir 


442        MAGYAKS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

de  sa  tutelle.  Voilà  la  raison  initiale  de  l'attitude  de  V Autriche 
pendant  la  guerre  d'Orient  :  si  en  ne  soutenant  pas  la  Russie, 
elle  devait  étonner  le  monde  par  son  injjratitude,  au  fond 
c'était  encore  un  sacrifice  puisque  ses  intérêts  eussent  été 
mieux  servis  par  une  alliance  ouverte  avec  la  France  et  V A)i- 
gleicrre,  empêchant  la  Sardnigue  de  se  mettre  en  avant  et  ren- 
dant ainsi  impossibles  les  complications  survenues  en  Italie 
quelques  années  plus  tard. 

Quant  à  la  ra(je  antimagyare  des  hommes  d'État  autri- 
chiens de  l'acahit  du  voluptueux  prince  Félix  Srlnuarzeuherg. 
cYAlexandre  Bach,  le  "  ministre  des  barricades  >■  ,  fraîchement 
converti  à  la  réaction,  elle  ne  trouvait  pas  malheureusement  de 
contrc-|)oids  suffisant  dans  la  modération  du  souverain,  trop 
jeune  encorf^  pour  avoir  une  politique  personnelle.  De  là  les 
pleins  pouvoirs  donnés  au  baron  Hayuau  dont  les  victoires  rem- 
portées à  Szôreg  et  à  Tewesxu'ir  méritaient  incontesta])lement 
des  récompenses  de  la  part  de  la  cour,  mais  à  qui  on  ne  pou- 
vait confier  le  gouvernement  civil  et  militaire  de  la  Hongrie 
qu'avec  le  désir  qu'il  y  renouvelât  les  cruautés  commises  par 
lui  en  Italie  cruautés  qui  lui  avaient  va'u  le  surnom  de  «riiyène 
de  Brescia  "  .  Et  cet  espoir  ne  fut  pas  déçu,  hélas!  Il  fit  pro- 
noncer 500  condamnations  à  mort  politiques  par  les  cours  mar- 
tiales et  le  nombre  des  exécutés  atteignit  114,  parmi  lesquels 
treize  généraux,  le  ministre-président  comte  Louis  Baiihyàny, 
le  baron  Pcrényi  nn  vieillard  de  soixante-douze  ans,  le  baron 
Jeszenàk.  Les  casemates  des  forteresses  autrichiennes  de  Jo- 
sephslaclt  et  de  Kucfstein  se  remplirent  de  notabilités  con- 
damnées à  la  réclusion  perpétuelle,  tandis  (jue  l'on  imposait 
de  lortes  amendes  aux  comtes  Kitrolyi  et  que  l'on  confisquait 
les  biens  des  réfugiés  n'ayant  pu  être  pendus  qu'en  effigie. 

Au  miheu  de  cette  avalanche  de  condamnations,  frappant 
les  meilleures  familles  et  les  individualités  les  plus  mar- 
quantes on  n'oidjlia  pas  le  pays.  R(>duit  au  rang  de  simple 
province  de  l'empire  d'Autriche,  il  vit  sa  constitution  sup- 
primée, et  eut  encore  à  supporter  des  mutilations  considéra- 
bles et  humiliantes  relativement  à  son  intégrité  territoriale.  On 
lui  enleva  Fiume  pour  Tannexer  à  la  Croatie,  devenue  l'égale  de 


LIVRE   TROISIEME  443 

la  Hongrie  provincialisée.  Elle  dut  renoncer  à  ses  départements 
méridionaux  dont  on  forma  à  l'Ouest  la  Vayvodie  serbe  et  à 
l'Est  le  Banat.  La  Transylvanie  redevint  une  province  séparée, 
avec    Nagy-Szehen   comme    centre    de   ladministration   civile 
et  militaire.  On  y  remplaça  les  anciens  départements  (comi- 
tats)   par   cinq    districts    répartis    de  manière   que   l'élément 
magyar  y  restât  toujours  en  minorité.  On  répéta  cette  même  tac- 
tique dans  la  Hongrie  proprement  dite,  où,  tout  en  mainte- 
nant le  cadre  départemental,  on  établit  également  cini]  districts 
naturellement  beaucoup  plus  considérables,  mais  néanmoins 
destinés  à  produire  un  résultat  analogue.  Dans  les  cinq  centres 
administratifs  des  cinq  districts  hongrois,  on  installa  autant  de 
cours  d'appel,  tandis  que  la  cour  de  cassation  siégeait  à  Vienne 
pour    nettement    indiquer    la    dépendance    judiciaire   de   la 
Hongrie  de  la  justice  de  l'empire.  Cette  dernière  ne  laissait 
d'ailleurs  rien  à  désirer,  grâce  à  sa  récente  réorganisation  judi- 
cieuse   et    bien    comprise ,    due    aux    lumières    du    ministre 
de  ScJunerling.    L'administration  civile  autrichienne  était  in- 
contestablement en  progrès  sur  l'ancienne  administration  no- 
biliaire et  élective  hongroise.  Si  malgré  ses  avantages  et  son 
caractère  démocratique   on  l'avait  en  horreur  dans  toute  la 
Hongrie,  il  faut  l'imputer  à  l'origine  étrangère  de  ses  représen- 
tants, recrutés  dans  les  pays  héréditaires  et  notamment  en  Bo- 
liême;  on  leur  donna  le   sobriquet  de    «  hussards   de  Bach  " 
parce  qu'ils  étaient  nommés  par  ce  ministre,  ainsi  qu'à  la  langue 
allemande  dont  ils  se  servaient  officiellement  aussi  bien  que 
dans  la  vie  privée  pour  contribuer  de  leur  mieux  à  la  réalisa- 
tion de  l'idée  maîtresse  de  Bach  :  la  germanisation  de  X-a  Hongrie. 
L'introduction  du  corps  des  gendarmes  y  visait  indirectement, 
car  ceux-ci  tenaient  d'autant  plus  en  suspicion  tout  Magyar  fi- 
dèle h  sa  langue,  aux  mœurs  et  traditions  de  sa  race,  qu'il  leur 
était   dû   une   certaine    récompense  pour  chaque  arrestation 
suivie  de  condamnation  etquils  savaient  être  agréables  à  leurs 
supérieurs  en  inculpant  le  plus  de  Magyars  possibles  (1) .  A  côté 
d'eux  la  police,  tant  publique  que  secrète,  put  cueillir  maints 

;l)  Beksife's  (G)  :  I  Ferencz-Jozsef  es  kora.  Pajje  440  et  441. 


V'fV         MAC,  Y  AT.  s    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'Il  IST(  )  1 15  E 

lauriers,  soit  au  luoven  de  la  délatiou  et  (Fun  »  cabinet 
noir  )•  l)ieu  or{;auisé  en  \  ue  de  la  violation  des  correspon- 
dances, soit  en  arrêtant  ou  tout  au  moins  en  contrariant  l'essor 
de  la  vie  intellectuelle  de  la  HotKjn'e.  On  suspendit  le  Conctiou- 
nement  publique  de  l'Académie  des  sciences  hongroise  ainsi 
que  de  la  société  littéiaire  Kisfahidy  et  on  ne  laissa  paraître 
que  quelques  journaux  hongrois  soumis  à  la  censure  la  j)lus  ri- 
goureuse et  (pi  une  simple  ordoiuiancc  de  police  pouvait  à  cha- 
que instant  supprimer.  La  plus  simple  allusion  poétique,  le 
simple  titre  d'un  morceau  de  musique  suffisaient  pour  attirer 
les  l'oudres  de  la  police  sur  la  tête  de  leurs  auteurs,  générale- 
ment cachés  sous  des  pseudonymes. 

Les  cnq)iétements  de  l'aljsolutisme  autrichien  ne  respectè- 
rent })as  da\antage  le  domaine  de  la  religion.  Aussitôt  installé  à 
Ihide,  le  baron  Haynau  chassa  trois  évéques  de  leurs  sièges  épis- 
copaux.  Le  ])rince-priniat  Ihtm,  nommé  par  le  ministère  hon- 
grois, se  vit  loicé  de  donner  sa  démission  peu  de  temj)s  aj)rés. 
Mais  ces  intimidations  ne  changèrent  nullement  les  sentiments 
patriotiques  du  clergé  catholique.    Le  nouveau  prince-primat 
Sczitovszliy  ne  voulut  pas  consentir  à  renoncer  à  la  situation 
indépendante  de  l'église  catholique  en  Hntiqrie  et  refusa  net 
de   reconnaître   un    chef  dans   l'archevêque  de    Vienne.  Cette 
résistance  ne  cessa  pas,  même  avec  la  proclamation  du  Concor- 
dat, en   1855,   quoiqu'il  garantît  une  situation  inespérément 
lavorable  à  l'Eglise.  Pour  en  tirer  par  la  suite  quelques  béné- 
fices   le    ministre    des    Cultes    et   de    l'Instruction    publique, 
comte  Léo   Thini,  l'interjuéta  de  nuniière  à  ne  voir  dans  les 
membres  du  clergé  catholi(pie  que  des  agents  de  la  réaction  et 
de  la  germanisation,  prêts  à  prêcher  la  soumission  la  plus  abso- 
lue au  pouvoir  établi,  à  extirper  du  cœur  de  la  jeunesse  hon- 
groise toutes  les  fibres  la  rattachant  aux  traditions  nationales. 
Calcul  heureusement  erroné,  comme  celui  concernant  l'asser- 
vissement des  églises  calvinistes  et  luthériennes,  dont  l'auto- 
nomie, garantie  par  la  constitution  hongroise,  devait  souve- 
rainement déplaire  à  des  hommes  de  gouvernement  hvpnotisés 
par  l'idée  de   la    centralisation  à  outrance    de    toute  la    mo- 
narchie. 


LIVRE  TROISIÈME  445 

Égalant  celles  de  sa  situation  politique,  les  misères  maté- 
rielles de  la  Honfjrie  atteignirent  aussi  des  proportions  inquié- 
tantes. Aux  pertes  subies  par  le  pays  en  hommes  (32,000  Hon- 
grois, 1,000  Croates,  6,000  Serbes  et  6,000  Roumains  en- 
viron), aux  propriétés  bombardées,  incendiées,  saccagées, 
s'ajoutait  la  crise  financière  provoquée  par  la  confiscation  du 
papier-monnaie  émis  par  Kossuih.  D'autre  part,  on  introduisit 
en  Ilonyrie  Timpôt  foncier  dès  le  4  mars  1850,  en  basant  son 
assiette  sur  un  cadastre  fantaisiste,  dans  lequel  il  s'agissait 
moins  de  déterminer  la  valeur  du  sol  que  les  opinions  politi- 
ques des  propriétaires.  Aussi  les  départements  magyars  furent- 
ils  frappés  de  charges  énormes,  pendant  que  Ton  en  exempt» 
le  plus  possible  les  contrées  habitées  par  les  nationalités. 
L'introduction  de  cet  impôt  parut  d'autant  plus  ruineux  aux 
propriétaires  terriens,  à  la  a  gentrv  "  hongroise,  formant  la 
classe  moyenne,  conséquemment  la  plus  importante,  qu'elle 
suivait  de  près  l'abolition  du  servage,  la  forçant  à  recourir  à 
l'emploi  de  main-d'œuvre  payée  en  espèces,  tandis  qu'elle- 
même  ne  pouvait  toucher  l'indemnité  due  par  l'État  en 
raison  de  l'abolition  qu'à  des  intervalles  très  espacés  et  par 
fractions  insignifiantes,  qui  en  diminuaient  presque  enlière- 
ment  l'efficacité.  En  Transylvanie,  on  ne  décréta  les  indem- 
nités pour  les  redevances  qu'en  1858  et  leurs  intérêts  ne 
devaient  courir  que  de  cette  date.  C'était  diminuer  leur  valeur 
de  50  pour  100  (l);  c'était  viser  les  propriétaires  magvars 
ostensiblement. 

La  constitution  impériale  du  i  mars  184!)  proclamant 
l'égalité  devant  la  loi  de  tout  sujet  de  l'empire,  il  fallait  que 
la  masse  du  peuple  ne  fut  pas  épargnée  non  plus  par  le 
fisc.  Les  impôts  indirects  étaient  inconnus  dans  la  Hongrie 
d  avant  1848;  leur  naturalisation  graduelle,  expliquée  dans  des 
ordonnances  allemandes  que  personne  ne  lisait,  et  conséquem- 
ment à  cause  desquelles  on  s'exposait  à  mille  vexations  de  la 
part  de  la  gendarmerie,  provoqua  un  mécontentement  général 
allant  quelques  fois  jusqu  aux  voies  île  fait.  Or  les  ressources^ 

(1)  Bkksics    G;,  I.  Fircncz-Joz'cJ  es  Lor.i,  ().  VVO  tt  Vil . 


!tW        MAGVAIIS    KT    HUU.MAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

ainsi  obtenues  n'avaient  même  pas  Tavantage  de  solder  les 
dépenses  disproportionnellement  accrues  de  l'empire;  il  y  eut 
des  déficits  de  50  pour  100  dans  ses  budgets,  imposant  la  né- 
cessité d'aliéner  les  meilleures  lignes  de  chemin  de  fer,  de 
contracter  emprunts  sur  emprunts  soit  à  l'étranger,  soit  à 
l'intérieur,  mais  là  sous  forme  d'emprunt  forcé. 

Pour  sup])orter  les  rigueurs  de  ces  mesures  financières 
administratives  généralement  employées,  les  Magyars  pui- 
saient leurs  forces  dans  la  conviction  qu'elles  étaient  des 
représailles  dont  la  grandeur  sous-entendait  la  leur  propre, 
conviction  qui  leur  donna  une  secrète  confiance  dans  l'ave- 
nir, même  au  milieu  de  leur  plus  cruelle  détresse.  Mais 
tout  auhc  était  for{'('ment  l'état  d'âme  des  nationalités  avant 
figuré  dans  la  guerre  constitutionnelle  comme  alliées  de  la 
réaction  :  elles  espéraient  des  récompenses  consistant  en  pri- 
vilèges et  faveurs,  pour  prix  de  leur  hostilité  à  la  cause  du 
constilutionnalisme.  Or,  la  désinvolture  avec  laquelle  les 
hommes  d'État  autrichiens  traitaient  les  Russes  eux-mêmes, 
à  qui  V Autriche  devait  indiscutablement  son  salut,  indiquait 
assez  qu'à  cet  égard  elles  n'auraient  que  des  déceptions. 

Si  celles  des  Roumains  paraissent  être  les  plus  grandes,  vu 
I  ardeur  ([u'ils  avaient  mis  à  exterminer  \esMagj  ars  et  les  pertes 
qu'ils  avaient  éprouvées,  il  ne  faut  pas  en  rendre  responsable 
la  seule  ingratitude  de  la  cour.  Elles  s'expliquent  bien  mieux 
par  les  conditions  sociales  particulières  ou  se  trouva  alors  la 
race  roumaine  dans  la  monarchie  des  FIabsb'>urg  .  Les  traditions 
et  les  mœurs  y  assignaient  dans  la  vie  publique  un  rôle  si 
considérable  à  l'aristocratie  de  naissance,  détentrice  princi- 
pale du  pouvoir,  que  la  cause  des  Roumains  complètement 
dépourvus  de  représentants  dans  la  haute  société,  n'y  compta 
aucun  partisan  influent.  L'évèque  Siaguna  avait  beau  pousser 
de  llucaresL  ii  Olmiitz  a  travers  la  Moldavie,  la  Boulcovine  et  la 
(muIicic,  et  y  écrire  pétitions  et  mémorandums  soit  à  l'empereur, 
soit  au  ministère,  tant  au  nom  du  peuple  roumain  seul  qu'au 
nom  de  toutes  les  races  non-magyares,  demandant  la  création 
d'un  ministère  roumain  au  sein  du  cabinet  autrichien  ainsi 
que  l'adoption  par  l'empereur  du  titre  de    «  grand   duc  des 


LIVRE   TROISIEME  447 

Roumains  »  ,  se  plaignant  de  certaines  dispositions  de  la  consti- 
tution impériale  du  4  mars,  telles  que  les  concessions  faites 
aux  Saxons  et  aux  Serbes,  qu'il  considérait  comme  attenta- 
toires aux  droits  des  Roumains,  son  activité  dévorante,  ses 
audiences  chez  Tempereur  et  chez  les  ministres,  n'abouti- 
rent qu'à  une  réponse  évasive  du  ministre  Bach  lui  conseillant 
de  s'en  remettre  aux  bonnes  dispositions  du  gouvernement  à 
l'égard  des  Roumains  (18  juillet  18  49).  Rien  d'ailleurs  ne 
caractérise  mieux  l'indifférence  témoignée  par  l'aristocratie 
autrichienne  à  l'endroit  de  ces  derniers  que  la  proclamation 
du  général  comte  Clam-Gallas  publiée  après  la  réoccupation 
de  Brassa  par  les  Autrichiens  et  adressée  aux  Saxons  comme  au 
seul  peuple  de  la  Transylvanie  resté  fidèle  à  l'empereur,  il 
est  vrai  qu'à  la  suite  de  cette  omission,  Schwarzenherg  ne  lui 
confia  pas  le  gouvernement  militaire  du  pays;  mais  le  général 
de  Wohlgemuth,  qui  l'obtint,  ne  se  montra  pas  beaucoup  plus 
aimable  envers  les  Roumains  quand  il  leur  recommanda,  dès  le 
II  août,  de  remettre  leurs  armes  à  l'autorité,  recommandation 
qui  prit  un  caractère  tout  à  fait  comminatoire  le  2  septembre 
suivant,  sous  la  forme  d'une  véritable  ordonnance.  Comme 
on  rencontra  chez  Axenie  quelques  velléités  de  résistance, 
car  il  parlait  de  l'organisation  d'un  grand  camp  roumain,  de 
Wohlgemuth  le  fit  arrêter,  et  le  2i  novembre  on  le  condamna 
à  deux  mois  de  prison.  D  autre  part  on  suspendit  la  publica- 
tion du  journal  roumain  i  Gazetta  Transylvaniei  ^  ,  on  mit  les 
chefs  du  mouvement  roumain  sous  la  surveillance  de  la  police 
et  Siaguna  reçut,  le  29  octobre  du  commandant  militaire  une 
lettre,  dans  laquelle  celui-ci  lui  reproche  très  vivement  l'atti- 
tude équivoque  de  son  clergé,  trop  préoccupé  de  la  marche 
des  affaires  politiques.  C'était  une  indication  suffisante  pour 
l'évéque  ambitieux,  prêt  à  tout  sacrifier  à  ses  propres  intérêts. 
Aussi  abandonna-t-il  promptement  le  terrain  compromettant 
des  revendications  où  ce  fut  Basile  Erdélyi,  l'évéque  grec  uni 
de  Nagy-Varad,  qui  le  remplaça  en  signant  une  nouvelle  péti- 
tion des  Roumains  (janvier  1850),  réclamant  la  création  d'un 
territoire  roumain  avec  un  chef  national.  A  peine  arrivé  au 
ministère  à  Vienne,  elle  fut  suivie  d'une  autre,  le  G  mars  suivant, 


4V8  MAGVAllS  Kl  UOUMAINS  UEVAlNT  l.'ilISTOIUE 
et  une  dÔMulation  composée  des  plus  importants  représentants 
(lu  rouu);uiismc  la  transmit  à  l'empereur  lui  môme.  Ce  factum 
était  à  vrai  dire  plutôt  un  amas  de  récriminations  et  de  dé- 
nonciations contre  la  tyrannie  des  employés  de  Tadminis- 
( ration  impériale,  parmi  lesquels  il  y  avait  des  Magyars,  et 
contre  Tarro^jance  des  Saxons,  il  est  à  remar(|uer  ici  avec  le 
docteur  Jancso  ([ue  ces  pétitions  roumaines  se  rapportent  aux 
demandes  les  plus  diverses  et  renlerment  en  même  temps 
des  plaintes  à  p!0[)os  de  toutes  choses.  Elles  semblentsortirde 
la  plume  d'un  homme  possédé  de  la  manie  des  persécutions 
et  décèlent,  en  tout  cas,  avec  la  naïveté  de  Tesprit  roumain, 
ses  hésitations  au  sujet  de  la  justesse  de  ses  réclamations. 

Ce  l'ut  peiulant  cette  audience  impériale  que  l'on  présenta 
Jancso  au  jeune  souverain  et  ensuite  à  Schwarzenherg.  Mais  le 
i  roi  des  {jlaciers  '  ne  voulut  pas  se  contenter  d'une  présenta- 
tion sommaire  pareille  et  en  demanda  une  autre  toute  privée. 
Au  lieu  de  I Ohlenir,  la  police  lui  sijjniHa  de  quitter  Vienne  dans 
les  vinjjt-quatre  heures,  une  manière  d'a^jir  aussi  hostile  n'était 
j)as  laite  pour  contenter  ses  aspirations  natiorudes  et  ne  contri- 
bua pas  peu  à  troubler  sa  raison,  il  se  vit  joué  «  par  les  Alle- 
mands" ,aux(piels  il  ne  voulut  du  reste  jamais  croire,  et  \\  com- 
prit que  toute  la  triste  besojjne  plus  ou  moins  avouable  des 
Roumains  n'aurait  même  pas  l'excuse  de  la  réussite.  Son  état 
nudadil'  ne  lit  fpie s  accroître  avec  le  temps  et  lui  suggéra  l'idée 
l)arot|U('  dinviler  chez  lui  l'empereui-,  lors  de  son  voyage  à 
travers  la  Hongrie  et  la  'Dansjlvanie  en  1852.  ^naturellement 
il  ne  parvint  même  pas  à  laborder  et  se  rendit  com[)lètement 
rulicule  aux  yeux  de  tous  ceux  qu  il  avait  assemblés  dans  sa 
m;iison  de  Fetsoc-l  idra,  pour  rehausser  l'éclat  de  la  réception, 
notamment  les  popes  dans  leurs  ornements.  D'ailleurs,  il 
('tait  très-malheureux  à  cause  des  remontrances  conùnuelles 
de  son  peie,  qui  ne  comprenait  pas  il  lit  la  sourde  oreille 
quand  des  j)laces  lucratives  lui  étaient  oitertes  |)ar  le  gou- 
vernement. Mù  par  les  sentiments  patriotiques,  libéraux  et 
humanitaiies  les  plus  nobles,  il  était  très  vivement  impres- 
sionne''par  le  désaccord  dans  le(juel  ses  lèves  se  trouvaient  avec 
••-es  actes.    Mais    U;  calice  des    amertumes   contenait    d  autres 


LIVllE    TllOISlKMK  47^9 

poisons  encore  :  sous  prétexte  qu'il  excilail  les  Motzes  contre 
l'introduction  du  cadastre,  on  le  (il  emprisonner,  mettre  aux 
fers  à  Gynlcifeliërvàr  et  transporter  à  }^agy-Szeben.  Là,  il  ("ut 
mis  en  liberté  et  on  voulut  même  le  dédomma.'jer  des  mauvais 
traitements  qu'il  avait  subis  par  une  iorte  somme  d'argent 
(1,250  francs).  Mais  fl  n'accepta  rien  et  il  suivit  au  contraire 
docilement,  quoique  déjà  en  proie  à  la  folie,  son  père,  qui  le 
ramena  dans  son  pays,  où  il  vécut  lonotemps  encore  en  recou- 
rant à  la  charité  publique.  De  préférence,  il  s'adressa  aux 
Magyars,  qui  1  aidaient  de  bon  cœur,  car  ils  savaient  per- 
tinemment que  plus  d  un  des  leurs  lui  devaient  la  vie  et  que 
si  ses  hommes  commirent  des  atrocités,  c'était  toujours  à  son 
insu  et  contre  son  gré. 

Depuis    la  déposition  de  l'évêque  grec-uni  Leményi  par  le 
baron  Pnchner,   le  siège  épiscopal  de  Balàzsfalva  resta   inoc- 
cupé. De  ])'o/d/je)nuih\m  intimal'ordre  de  donner  sa  démission 
formelle  en  mars  1850.  Sa  prompte  obéissance  ne  le  préser- 
va pas    des    foudres  de   la   réaction   :    pour   le  punir  de   son 
attachement  à    la   constitution  hongroise,   on  l'enferma  dans 
le  couvent  des  Fianciscains  de  Vienne,  où  il  mourut  en  18G1. 
Quant  à  l'évéché  de  Balàzsfalva,  un  synode  convoqué  en  1850, 
pour  l'élection  du  nouveau  titulaire,  en  disposa  en  faveur  de 
Sierca-Siulullu  que    l'empereur  agréa   incontinent.    C'était  le 
triomphe  complet  des  ultras,  car  le  daco-roumanisme  du  nouvel 
évéque  était  tellement  outré  qu'il  déplaisaità  Siag  unaXm-vaèxaa . 
Au  commencement  de  l'année   1851,   il  v  eut  un  change- 
ment dans  le  gouvernement  militaire  de  la  Transylvanie.  Le 
général  prince  Charles  Scluvarzenberg ,  y  remplaça  de  Wohlge- 
nuidi.  Attiré  par  ses  sympathies  [)ersonnelles  vers  la  société  de 
l'aristocratie  magvare,  le  nouveau  commandant  en  chef  ne  se 
montra  cependant  pas  aussi  hostile  aux /io<</nam.9  que  son  prédé- 
cesseur. Ce  furent  alors  surtout  les  6'a.ron5  qui  firent  une  guerre 
acharnée  au  roumanisme.   Fiers  de  leur  origine  germanique 
à  cause  de  lacjuelle  ils  devinrent  les  alliés  naturels  de  l'absolu- 
tisme allemand,  ils  se  conduisaient  en  protecteurs  pinson  moins 
Inenveillantsà  l'égard  des  Rouniaùfs  et  trouvaient  mille  raisons 
plus  ou  moins  admissibles  pour  les  dépouiller  h  leur  propre 

29 


^50  MAGVAF.S  ET  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
profil  des  places  que  ceux-ci  avaient  obtenues  dans  l'adminis- 
tration. Aussi  était-ce  simplement  du  voyage  entrepris  par 
le  jeune  empereur  en  1852  à  travers  la  Hongrie  et  la  Transyl- 
vanie que  les  ouailles  de  Siuliuiu  et  de  Siaguna  attendaient  la 
réalisation  de  leurs  espérances.  Mais  ils  devaient  éprouver  une 
déception  encore,  car  les  bruits  que  Bdch  faisait  courir  avant 
l'arrivée  du  souverain,  et  d'après  lesquels  ont  eut  été  à  la  veille 
de  «rands  événements,  cessèrent  brusquement  aussitôt  le 
voyage  terminé.  En  réalité,  ce  n'était  donc  qu'une  manœuvre 
du  ministre  peu  scrupuleux  pour  obtenir  les  acclamations  des 
populations  et  pour  démontrer  ainsi  h  François-Joseph  par  ial- 
légresse  générale  l'excellence  de  son  gouvernement.  En  guise 
de  consolation,  les  Roumains  se  payèrent  alors  plus  que  jamais 
des  théories  daco-roumaines,  qui  n'eurent  qu'un  résultat  pra- 
tif[uc  :  l'introduction  définitive  des  caractères  latins  dans 
l'écriture  et  la  typographie  roumaine. 

Il  devenait  ainsi  de  plus  en  plus  clair  que  le  système  abso- 
lutiste et  germanisateur  infligé  aux  Magyars  rebelles  comme  un 
châtiment,  ne  ménageait  en  rien  les  nationalités  et,  par  surcroît, 
les  humiliait  encore,  puisqu'il  démontrait  avec  la  dernière  évi- 
dence combien  on  appréciait  peu  à  Vienne  le  concours  qu'elles 
avaient  prêté  pendant  la  guerre  constitutionnelle.  De  là  ce  re- 
froidissement de  leurs  rapports  avec  le  gouvernement  impé- 
rial et  leur  rapprochement  inconscient  des  Magyars  qui,  étant 
malheureux,  n'excitaient  plus  maintenant  autant  leur  jalousie 
séculaire. 

Mais  ce  n'était  pas  la  seule  satisfaction  que  les  retours  de  la 
justice  immanente  réservaient  à  la  Hongrie  vaincue.  Les  con- 
servateurs magyars  qui,  par  tradition  et  conviction,  étaient 
restés  inébranlablement  attachés  à  la  cause  de  la  maison  des 
Habsbourg  pendant  le  conflit,  croyant  qu'il  ne  s'agissait  là  que 
de  la  répression  d'une  révolte  et  qu'on  allait  rétablir  la  consti- 
tution suspendue  immédiatement  après  la  cessation  des  hosti- 
lités, se  sentaient  douloureusement  atteints  par  les  procédés 
des  absolutistes  pangermanistes  et  mettaient  tout  en  oeuvre 
pour  prouver  l'imprescriptibilité  des  droits  de  la  Hongrie.  Par 
leur  intervention  personnelle,  comme  celle  des  comtes  Georges 


LIVRE   TROISIÈME  451 

Apj)oiiji,  Emile  Desseivffy  -^  par  leurs  écrits,  comme  le  livre  de 
Paul  de  Sonissich  (1),  ils  entretenaient  à  la  cour  et  dans  le 
monde  politique  autrichien  un  courant,  sinon  de  sympathie, 
au  moins  d'intérêt  pour  la  llouyrie  qui,  servant  de  [)rotes- 
tation  contre  le  fait  accompli  et  démontrant  la  viabilité  de 
cette  dernière,  lui  était  doublement  utile.  L'action  exercée  à 
l'extérieur  par  les  émigrés  hongrois  avait  une  portée  morale 
semblable.  Les  discours  prononcés  par  Kossuth  en  Angleiene 
et  en  Amériqite,  dépeignant  la  grandeur  passée  et  la  misère 
actuelle  de  son  pays,  faisant  connaître  au  monde  le  libéralisme 
des  Mogyars  et  leurs  facultés  d'assimilation,  soulevaient  l'en- 
thousiasme de  l'Occident  que  ses  lieutenant  :  les  comtes 
Ladislas  Teleki,  Jules  Andràssy,  le  colonel  Kiss  de  Neniesltér, 
François  de  Pulszlij-  entretenaient  savamment  dans  la  haute 
société  et  dont  les  échos  parvenaient  ensuite  jusqu'au  pul^lic, 
grâce  à  l'activité  des  publicistes  Szurvady,  Edouard  Ilom, 
Jean  J^udwifjh,  Iràuyi. 

La  coopération  incessante  de  tant  de  patriotisme,  jaillissant 
de  source?  si  opposées,  était  déjà  un  gage  sérieux  de  l'amélio- 
riation  probable  et  proche  de  la  situation  de  la  Hongrie.  Elle 
devint  une  certitude  le  jour  \^\.  avril  1854)  où  François- 
Joseph  conduisit  à  l'autel  la  princesse  Elisabeth  de  Bavière. 
C'était  installer  sur  le  trône,  sous  l'égide  de  la  beauté  et 
des  charmes,  l'ange  tutélaire  des  Magyars,  vers  qui  la  jeune 
impératrice  se  sentait  attirée  en  souvenir  de  sa  sainte  patronne, 
la  personnification  idéale  de  la  charité  chrétienne,  issue  de  la 
famille  des  Arpad.  Son  affection  ne  se  manifesta  d'abord  que 
dans  le  nombre  toujours  grossissant  des  amnistiés  hongrois  dont 
elle  devenait  l'avocat  infatigable  auprès  de  l'empereur,  d'ail- 
leurs très  bienveillant  par  lui-même.  Le  voyage  que  le  cou- 
ple impérial  entreprit  à  travers  la  Hongrie  en  1857,  ne  lit 
qu'augmenter  cette  bonne  disposition.  L'impératrice  se  mit 
alors  à  apprendre  le  hongrois  et  son  professeur,  le  publiciste 
D'  Max  Falh,  lui  Ht  connaître  non  seulement  la  langue,  mais 
la  littérature  et  la  politique  magyares,  en  se  faisant  écrire,  par 
le  baron  Joseph  Eoii'os,  le  romancier  et  ancien  ministre,  des  let- 

(1)  Paul  von  So.vissich,  Dus  légitime  Hecht  L'injunis  uiid  seines  Kvniijs,  1850. 


452  MAGVAll.S  KT  ROUMAINS  DEVANT  L'HISTOIRE 
très  qu'il  communiqua  à  son  aufifustc  clèvc,  lui  dévoilant  ainsi, 
sons  prétexte  crexeicices  de  style,  la  situation,  les  aspirations 
véritables  de  la  noiiqvie.  Ayant  étudié  h  l'aide  de  ce  moyen  dé- 
tourné les  qualités  principales  de  l'âme  et  du  {jénie  magyars, 
elle  prépara  leur  triomphe  final  en  saisissant  toute  les  occasions 
j)Oui-  les  mettre  en  lumière  favorable  auprès  de  l'empereur. 

Mais  avant  (pu*  justice  lût  rendue  aux  revendications  légales 
et  légitimes  de  la  Hongrie  outragée,  il  fallait  (jue  le  svstème 
absolutiste  et  [)angermaniste  disparût  sous  les  ruines  d'un 
effondrement  ignominieux.  A  l'intérieur,  ce  fut  la  situation 
financière  de  la  monarchie  (jui  le  prépara.  Le  système  de  Bach 
(■tait  aussi  coûteux  cpie  stérile  au  [)oint  de  vue  économique, 
l'onr  équilibrer  le  budget,  relativement  insignifiant,  mais  dans 
lequel  les  recettes  ne  couvraient  que  la  moitié  des  dépenses, 
ou  vendit  à  vil  prix  tout  ce  qui  pouvait  se  vendre,  pour  aboutir 
finalement  à  un  emprunt  forcé  d'un  milliard  deux  cent  cin- 
(juante  uiillions  de  francs  qui  lut  à  peine  souscrit,  malgré  la 
pression  la  plus  cynicjue  de  1  administration  et  dont  on  n'em- 
plova  qu'une  infime  partie  seulement  d'une  façon  utile.  Pour 
éblouir  les  ])opulations  mécontentes  on  fit  de  la  politique 
internationale  pompeuse,  (pii  eut  certes  quelques  victoires  à 
enregistrer,  —  telle  que  l'humiliation  de  la  Prusse  dans  la 
conférence!  (ÏOinii'uz  (mai  1851)  —  mais  dont  les  maladresses 
finiicnt  par  ameuter  contre  V Àitiriche  toutes  les  puissances  et 
lui  susciter  les  plus  graves  difficultés. 

Celle  ([ue  fit  naître  la  guerre  d'Orient  entre  Nicolas  I"  et  le 
sultan  Abdiil-.]fe(ljid,  fut  la  plus  inextricable.  En  raison  de  sa 
reconnaissance,  de  ses  traditions  et  de  ses  tendances  politi- 
ques, VAniriclw  ne  pouvait  être  que  l'alliée  de  Xoillussie,  d'autant 
plus  (|u'elle  avait  un  compte  personnel  à  régler  avec  la  Turrjuie 
au  sujet  de  la  protection  cpie  celle-ci  avait  accordée  jadis  aux 
réfugiés  hongrois.  Mais,  d'autre  part,  le  cabinet  de  Vienne  siwixA 
aussi  pertinemment  qu'en  jouant  le  jeu  de  la  diplomatie  russe 
il  se  livrait  pieds  et  poings  liés  au  panslavisme  orthodoxe 
aucpiel  étaient  inféodés  en  ce  temps-là  les  lîouniains  ainsi  que  les 
Serbes.  Donc,  l'intervention  autrichienne  en  faveur  de  la /î?<s.s/e 
eut  ('lé  une  faute  politi(jue  aussi  irréparable  que  l'avait  été  l'in- 


LIVRE   TROISIEME  453 

lervention  russe  en  Hongrie.  Mais  comme  Fiançois-Josep/i  n'avait 
contracté  aucun  engagement  individuel  envers  le  tsar,  il  lui 
était  permis  de  ne  prendre  souci  que  des  intérêts  de  la  monar- 
chie. Il  fit  même  plus  :  il  envoya  une  armée  d'occupation 
dans  les  Principautés  danubiennes,  empêchant  ainsi  1  envahis- 
sement de  la  Russie  du  côté  sud-ouest  et  lui  donnant  la 
possihilité  de  concentrer  tous  ses  efforts  sur  la  défense  de  SV- 
hastopol,  — occupation  qui  coûta  une  somme  de  iOO  millions 
de  francs  et  à  cause  de  laquelle  VJiiiric/ie  s'aliéna  les  bonnes 
dispositions  de  VAns^Je/en-e,  tandis  que  la  Sardaigne  put  tran- 
quillement préparer  l'unité  italienne  sous  la  protection  de  la 
France.  Mais  ce  ne  fut  qu'une  demi-mesure  qui  ne  satisfit  per- 
sonne; aussi  le  comte  Buo/,  ministre  des  Affaires  étrangères 
de  VAauiche  et  son  représentant  au  congrès  de  Paris  en  1856, 
s'y  trouva-t-il  complètement  isolé.  Sans  pouvoir  rien  obtenir 
pour  son  gouvernement,  il  y  figura  comme  un  comparse  dont 
l'insignifiance  encouragea  singulièrement  les  ennemis  plus  ou 
moins  déclarés  de  la  monarchie  habsbourgeoise. 

L'occupation  des  Principan/cs  danubiennes  se  prolongea  jus- 
qu'au mois  de  mars  1857.  Les  liommes  d  État  autrichiens  en 
profitèrent  pour  mettre  tout  en  mouvement  contre  l'union  de 
la  Valachie  et  de  la  Moldavie  sous  le  sceptre  d'un  seul  souverain. 
Attitude  que  la  perspective  d'une  Pioumanie  forte,  unie  et  heu- 
reuse..exerçant  une  attraction  irrésistible  sur  \eiIlounuiins  de  la 
monarchie,  a  dû  leur  inspirer  justement  à  la  suite  des  décla- 
mations des  daco-roumains  dont  les  rêves  semblaient  se  réali- 
ser ainsi,  grâce  à  la  politique  nationaliste  de  Napoléon  III.  Elle 
visait  à  ce  moment  la  réunion  des  deux  principautés  sous  un 
même  prince,  dans  l'espèce  sous  le  prince  6^o?<rrt,  réunionqueles 
patriotes  roumains  considéraient  avec  raison  comme  un  ache- 
minement vers  1  indépendance  de  leur  pays.  Prévoyant  ce  ré- 
sultat, la  Tnrqnie  fit  tout  son  possible  pour  empêcher  cette 
double  élection,  mais  elle  eut  lieu  quand  même  en  janvier 
1857.  Les  discussions  aigres-douces  que  cet  événement  souleva 
entre  ÏAutric/ie  et  la  France  prirent  peu  à  peu  un  tel  caractère 
d'acuité  qu'on  en  pouvait  hardiment  conclure  à  la  collision  im- 
minente de  ces  deux  États.  Elle  ne  se  produisit  pas  cependant 


454        MAGYAI'.S    ET    IIODMAINS    DKVA:NT    L'IllSTOlUE 

à  cause  de  la  question  roumaine,  mais  à  cause  des  empiétements 
constants  de  la  cour  de  Vienne  dans  les  affaires  italiennes  aux- 
quelles Napoléon  ne  s'intéressa  plus  théoriquement  seulement 
depuis  qu'il  avait  lintcntion  de  devenir  l'allié  de  la  famille  de 
Savoie. 

A  l'époque  de  la  ;]ûerre  (V fia/ic,  il  y  avait  déjà  dix  ans  que 
durait,  dans  la  monarchie  ^\e&  llabsbonrg,  1  absolutisme  centra- 
liste et  pangermaniste.  Ses  prétendus  triomphes  remportés  à 
1  intérieur,  que  le  fraîchement  haronisé  Bach  avait  si  pompeu- 
sement commentés  dans  sa  brochure  fameuse  :  u  Un  regard 
en  arrière,  JliieU)/i</,,  »  attirant  ainsi  la  réponse  foudroyante 
du  comte  Ltienne  SzécJienyi,  —  devaient  avoir  un  brillant  con- 
tre-coup à  1  extérieur,  en  garantissant  pour  toujours  aux  prin- 
cipes conservateurs,  représentés  par  VAairiche  concordataire 
et  réactionnaire,  leur  prépondérance  définitive  dans  Y  Europe 
loul  entière.  Or,  au  lieu  de  pouvoir  se  targuer  de  résultats 
pareils,  par  suite  des  défaites  de  Magenta  et  de  Solférino  les 
hommes  d'États  autrichiens  se  virent  obligés  d  avouer  non 
seulement  leur  incapacité  mais  aussi  leur  corruption,  soit  en 
remettant  leur  démission  dans  les  mains  de  l'empereur  comme 
llach,  Kenipen,  soit  en  se  suicidant  comme  le  ministre  des 
finances,  le  baron  iJrar/i. 

D'autre  paît,  les  succès  purement  moraux  de  1  émigration 
hongroise,  la  désinvolture  avec  laquelle  la  question  hongroise 
fut  traitée  lors  de  la  conclusion  de  la  paix  de  Villa franca  démon- 
trèrent clairement  à  la  Hongrie  qu'elle  n'avait  rien  à  attendre 
de  l'étranger,  qu'elle  ne  devait  chercher  son  salut  que  dans 
sa  réconciliation  sincère  avec  François-Joseph^  à  qui  revenait 
la  couronne  de  Saint  Etienne  même  d'après  la  constitution 
hongroise. 

Ce  fut  donc  en  apparence  la  nécessité  qui  fit  éclater  la  secrète 
sympathie  que  le  souverain  et  la  nation  avaient  de  tout  temps 
ressentie  l'un  pour  l'autre,  dont  on  avait  traîtreusement  inter- 
rompu le  courant,  et  qui,  en  unissant  le  trône  et  les  chau- 
nnères,  rend  la  Hongrie  d'aujourd'hui  si  glorieuse,  prospère 
et  florissante  ! 


CHAPITRE  XIII 

LE    COMPROMIS 

Peu  de  grandes  figures  de  l'histoire  ont  Tintérèt  psycholo- 
gique que  François-Joseph  1"  offre  au  penseur.  Au  début  de  son 
règne,  le  prince  de  JlohenzoUem,  alors  ministre  président- 
prussien,  le  juge  comme  un  souverain  voué  corps  et  àme  à 
l'absolutisme  (]),  tandis  qu'aujourd'hui  ses  sujets  lui  donnent  le 
surnom  de  u  Constitutionnel  »  :  évolution  extraordinaire  que 
sa  logique  rend  plus  extraordinaire  encore.  Car  ce  n'est  pas  de 
l'opportunisme  qui  transforme  ses  opinions  pour  mieux  servir 
ses  desseins  :  chez  lui,  Tinfluence  d'une  conviction  profonde 
est  manifeste  et  il  épuise  obstinément  les  arguments  en  faveur 
d'un  principe  adopté.  Si  à  son  avènement  au  trône  on  grave 
dans  son  esprit  les  préceptes  de  l'absolutisme  et  de  la  centra- 
lisation pangermaniste,  il  s'eji  inspire  pendant  dix  ans  et  il 
consacre  à  leur  mise  en  œuvre  toute  son  activité  et  toute  son 
énergie.  S'étant  convaincu  de  l'inanité  des  théories  absolutistes, 
il  se  décide  alors  pour  le  système  constitutionnel,  sans  aban- 
donner encore  ses  tendances  à  la  centralisation  allemande. 
Bailleurs  il  ne  connaît  les  affaires  hongroises  que  d  après  les 
interprétations  de  ses  familiers  les  conservateurs  magvars,  pour 
qui  les  lois  de  I8i8  sont  entachées  de  radicalisme  et  qui  consi- 
dèrent la  Hongrie^  affranchie  de  la  tutelle  autrichienne,  comme 
la  proie  certaine  des  nationalités  hostiles. 

Leurré  par  les  centralistes  libéraux  qui  avait  à  leur  tète 
l'excellent  juriste  Sc/inier/i/if/,  et  qui  lui  promettent  à  bref  délai 
l'unification  de  la  monarchie  s'il  y  introduit  le  parlementa- 
risme, induit  en  erreur  par  ses  conseillers  réactionnaires  de  la 
Hongrie  sur  les  véritables  dispositions  de  leurs  compatriotes, 
ni  serviles  ni  révolutionnaires,  mais  prêts  à  tout  sacrifier  pour 

(1)  Beksics  g.,  Els(j  Ferencz-Jôzsef  es  kora.  Riulapest,  1898,  p.  514. 


VôO         MAOYAIIS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 
leur  constiUilion,    F/(tii(ois-J<KSf/)/i    croyait   avoir   tout   fait  eu 
iHij)rovisant  uu  constituliouualisme  oclroyé.  Sesrescrits,  datés 
du  5   uiars  et  du    KJ  juillet    I8()0,  élar^^issant  la  sphère  d'ac- 
tiou  du  «  Rciclisrath  ■    (conseil  de  Teuipire),   son  diplôme  du 
20   octobre    ISGO   lai-sant   prévoir   la   convocation    des   Diètes 
provinciale?,  ])arnii  lesquels  celles  delà  llongric.  de  la  Traiisyl- 
vam'e  et  de  la  Ciontie  aussi,   étaient    eifectivenient  des  con- 
cessions   considérables   à  l'égard  des    pays  héréditaires   dans 
lesquels  ce  lui  à  la  volonté  du  souverain    que  remontèrent  les 
droits  politi(pies.  Tout  autre  était   le  cas  dans  les  pavs  de  la 
couronne  de  Saint  Etienne  oii,  en  dehors  des  lois  votées  par  les 
Diètes    et    sanctionnées  par  le   roi   couronné,  on   n'en    recon- 
naissaitaucune.  Là  I  arbitraire,  fùt-ille  mieux  intentionnéetle 
plus  libéral,  ne  pouvait  jamaiscompter  sur  un  bon  accueil. 

Du  reste,  il  y  souillait  depuis  Tissue  désastreuse  de  la  guerre 
(I  liiilic  un  \ent  de  mécontentement  qui  n'avait  rien   de  ras- 
surant  pour   le   gouvernement.  Il  s'éleva  à   1  occasion   de   la 
promulgation  d'une  loi,  réglant  l'autonomie   des  protestants 
(I" septembre  1859).  Comme  elle  s'attaquait  à  leurs  droits  ga- 
rantis par   la   constihilion    hongroise,    le    pays   tout  entier,  v 
compris  le  cleigé  catholique,  prit  fait  et  cause  pour  eux.  Mais 
ce  turent  les  notes  des   gouvernements  anglais,  prussien    et 
hollandais   (jui,    en  invoquant    les   stipulations  des  traités  de 
l.niiz   et   (le  U  c.si/)/ni//i\  impressionnèrent  le   plus  l'empereur. 
Le  ministre  des  Cultes  et  de  l'Instruction  publicjue  se  vit  obligé 
de  donner  sa  démission,  et  l'ordonnance  fut  retirée.  Il  y  eut 
aussi  des  fétcs  commémoratives  dans  toute  la  IIoiu/i-ic  à  l'oc- 
casion du  centenaire  de  la  naissance  de  Vi-ancois   Kazi/irt)-,  à 
qui  l'on  doit  le  développement  définitif  tle  la  littérature  et  de 
la  langue  hongroise,  fêles  cpii   réunirent  en  un   seul  faisceau 
toutes    les    forces   vives    du    pavs.  Cette    union  de  toutes  les 
classes  de  la  nation  ne  fit  que  s'accroître  devant  le  cercueil  de 
Szcc/ieiiji,  du  u  plus  grand  des  Magyars.  ^^  Redoutant  une  nou- 
velle révolution,   il  se  suicida  le  S  avril  18()0.  Sa  mort  fut  un 
deud  jjiol'oud  pour  toute  la  IhiiK/ric,  deuil  auquel  les  éléments 
les  plus  cultivés  du  roumanisme  prirent  aussi  pieusement  part. 
Ces  mouvements  significatifs  de  l'opinion  publi(|ue  avaient 


LIVRE   TROISIEME  457 

dautant  plus  de  gravité  que  la  réussite  de  l'expéditiou  de 
Garibdldi  en  Sicile  encourageait  singulièrement  les  exaltés. 
Soutenus  par  une  fraction  des  émigrés,  ils  organisaient  un 
soulèvement  en  comptant  sur  les  secours  militaires  et  finan- 
ciers du  gouvernement  de  Virior-Emm<tnuel.  Heureusement 
pour  la  cause  hongroise,  qui  y  eût  plus  perdu  que  gagné, 
leurs  efforts  restèrent  infructueux,  faute  de  trouver  une  base 
d'opération  dans  les  pays  limitrophes  de  la  Hongrie.  Les  ten- 
tatives faites  en  Valachie  à  cet  égard  échouèrent  à  cause  de 
l'inimitié  du  prince  Couza,  qui,  considérant  la  Transylvanie 
comme  une  ])rovince  future  de  la  future  lloiimanic  (I),  ne  te- 
nait nullement  aux  succès  des  armes  magyares.  Il  fit  au  contraire 
tout  son  possible  pour  troubler  la  bonne  harmonie  naissante 
entre  les  Maf/)aj-s  et  les  Roinnains. 

L  effet  que  le  diplôme  d  octobre  produisit  à  Pesih  fut  dé- 
plorable. Kncore  obsédée  par  le  souvenir  des  machinations  de 
la  camnrilla,  l  opinion  publique  hongroise  s  en  méfiait  comme 
d'un  piège,  et  sans  vouloir  tenir  compte  de  l  intention  qui  l'in- 
spirait, elle  ne  mesurait  que  la  distance  qui  restait  à  parcourir 
pour  arriver  à  la  restitution  conq^lète  de  la  constitution.  Et 
cependant,  exiger  un  semblable  changement,  aussi  brusque  et 
aussi  radical,  ne  pouvait  être  qu'une  aberration,  car  si  François- 
Jo.st'p/i  eût  pu  l'accomplir  personnellement,  les  créatures  de 
l'absolutisme,  encore  toutes  vigoureuses  et  placées  au  premier 
rang,  et  qu  il  ne  pouvait  renvoyer  en  bloc  décemment  puis- 
qu'elles n'avaient  d  autre  crime  à  se  reprocher  que  de  l'avoir 
trop  bien  servi,  ne  se  fussent  jamais  prêtées  h  la  réconciliation 
à  ce  moment-là.  Il  fallait  que  la  transition  s'effectuât  d'une  ma- 
nière plus  nuancée,  que  l'irréconciabilité  s'émoussàt  des  deux 
cotés,  que  le  besoin  de  l'entente  se  fit  plus  violemment  sen- 
tir, aussi  bien  dans  le  camp  des  Autrichiens  que  dans  celui  des 
M(irf]ars  ! 

En  tout  cas,  voir  reparaître  des  noms  magyars  sympa- 
thiques dans  les  plus  hautes  fonctions  pouvait  passer  pour  une 
satisfaction  :   on  confia  la    chancellerie  hongroise  rétablie  au 

(J     ITiiMOSsv  Luos,    Tizenhet  e'v  Erdély  toiténetebof,  vol.  I,  j).  221). 


.'«58         MAGVAIÎS    ET    r.OUMAI^S    DEVANT    J/IIISTOIRE 

baron  Xirohis  V<n  ,  à  l'ancien  commissaire  royal  en  Tidiisy/van/c 
dn  ministère  Baiihyàny^  et  on  plaça  à  la  tête  des  affaires 
transylvaniennes  le  comte  Miko  et  le  baron  Kenicny.  Quant  à 
la  di|;nité  de  «  judex  curia»  »  —  de  président  de  la  cour  de 
cassation  avant  des  attributions  ministérielles,  —  elleécbutau 
au  comte  Gco/f/es  Apponyi  dont  il  fut  question  en  sa  qualité 
de  chancelier  hongrois.  On  peut  enre(>istrer  à  côté  de  ces 
concessions  illusoires  —  puisque  d'après  la  constitution  de  1 8  48 
il  ne  devait  plus  exister  ni  chancelier,  ni  un  antre  chef  judi- 
ciaire (|ue  le  ministre  de  la  Justice,  —  la  réintégration  de  la 
V(i)  vodii-  serbe  et  du  Banni  à  la  Hongrie,  ainsi  que  le  rétablis- 
senientde  ladministration  départementale  autonome  dans  tous 
les  pays  de  la  couronne  de  Saint  Etienne.  Il  résulta  de  cette 
dernière  disposition  l'exode  général  des  «  hussards  de  Bacb  !> 
et  le  boycottage  moral  de  tous  les  Ilonqi-ois  avant  servi 
labsolutisme.  L;a  réinstallation  de  l'administration  élective 
fournit  à  chaque  déj)artement  l'occasion  d'exprimer  sa  ré- 
probation au  sujet  des  actes  dn  gouvernement  autrichien 
et  son  espoir  concernant  l'avenir  du  pavs,  sans  indiquer  bien 
clairement  si  sous  cet  ><  avenir  "  on  sous-entendait  tout  sim- 
plement une  évolution  légale  ou  s'il  signifiait  une  véritable 
révolution.  Attitude  expectante  que  les  événements  de  1818 
pouvaient  pleinement  justifier,  mais  que  les  centralistes  alle- 
mands expliquaient  naturellement  au  désavantage  de  la  Hon- 
grie et  dans  laquelle  ils  découvraient  un  nouvel  argument  en 
faveur  de  l'application  la  plus  prompte  possible  de  leurs  prin- 
cipes. 

En  attendant,  il  s'agissait  de  savoir  quelles  seraient  les  lois 
électorales  que  l'on  emploierait  dans  les  élections  pour  les 
Diètes  projetées?  On  convoqua  donc  en  Hongrie  et  en  Tran- 
syhxniie  sous  la  présidence  du  prince-primat  tVEsztergom 
Strigoniej  et  du  cliancelier  transylvanien  provisoire,  des  confé- 
rences consultatives  composées  des  notabilités  politiques  des 
deux  pays.  La  première  eut  lieu  le  H»  décembre  1860  et  ses 
5:2  membres  votèrent  i)res(prà  l'unanimité  en  faveur  de  l'appli- 
cation de  loi  électorale  de  1818.  C'était  un  résultat  prévu  et 
cependant  François  Deùl,  n'accepta  pas  l'invitation  du  cardinal 


LIVllE   TROISIEME  .'<.59 

Sczùoi'szky,cRr  il  avait  toujours  défendu  pendant  l'absolutisme 
rinij3resci  iptlbilitë  des  droits  de  la  Hongrie  et  il  considérait  con- 
séqueninient  qu'on  commettait  une  illégalité  rien  qu'en  posant 
une  question  dont  la  solution  se  trouve  dans  la  constilulion 
de  1848  au  su  de  tout  le  monde.  Comprenant  la  valeur  d'un 
caractère  antique  semblable,  François  Joseph  exprima  le  désir 
de  le  connaître.  Dcâ/ise  rendit  sans  retard  à  son  invitation.  Ce 
fut  leur  première  rencontre,  pendant  laquelle  ils  écliangèrent 
leurs  idées  sur  la  situation  sans  pouvoir  se  convaincre,  mais 
d'où  ils  ne  remportèrent  que  les  meilleures  impressions. 

Les  controverses  que  souleva  la  question,  quelle  sera  la  ville 
où  se  tiendra  la  conférence  transvlvanienne?  indiquèrent 
clairement  l'hostilité  qui  allait  y  régner  entre  les  23  membres 
magvars,  les  buit  Saxons  et  les  huit  Roumains.  Ces  deux 
nationalités  tenaient  pour  Nagy-Szeben,  pour  la  capitale  créée 
par  l'absolutisme,  mais  elles  avaient  organisé  préalablement 
des  conventicules  anti-magyars  et  anti-unionistes  —  celui  des 
Roumains  n'eut  lieu  qu'avec  l'autorisation  verbale  du  ministre 
autrichien  Schmerling  et  se  termina  par  les  pétitions  habi- 
tuelles, adressées  a  l'empereur  à\hitriche\  Quant  aux  Mar/yai-s 
et  aux  Sicules,  ils  ne  voulaient  entendre  parler  ni  de  confé- 
rences, ni  de  Diète  puisque  la  Transyh'anie  n'existait  plus 
constitutionnellement  depuis  la  proclamation  de  l'union. 
Cependant,  par  déférence  pour  le  souverain,  ils  étaient  prêts  à 
se  réunir  à  Kolozsvàr,  où  résidaient  jadis  leurs  princes  indé- 
pendants et  se  rassemblaient  leurs  Diètes.  Alors  Kemcny  pour 
ne  froisser  personne,  proposa  Gynlafehérvàr  et  la  conférence 
v  eut  lieu  réellement  le  1 1  et  12  février  186  I . 

Cet  fut  l'évéque  catholique  de  Transylvanie,  Louis  Haynald, 
qui  y  prit  la  parole  le  premier  en  déclarant  que  les  lois  sanc- 
tionnées de  18-48  n'étant  pas  constitutionellement  abrogées, 
on  ne  devrait  demander  au  souverain  que  leur  simple  applica- 
tion. Siuliiiiu,  l'évéque  grec  uni,  se  leva  ensuite  pour  exposer, 
dans  un  discours  prononcé  en  roumain,  le  projet  de  loi  électo- 
rale comprenant  six  paragraphes,  qu'avait  préparé  la  révmion 
des  Roumains  et  qui  était  très  avantageux  pour  les  électeurs  de 
cette  nationalité.  Celui  des  Saxons,  présenté  finalement  en  aile- 


V6()         MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVAINT    I/IIISTOIUE 

iii.'ind  j)ni'  Conrad  Srlmiidi,  contenait  des  (•oml)inaisons  visant 
la  suj)rématie  électorale  de  l'élément  citadin  auquel  ses  com- 
mettants fournissaient  le  contingent  le  plus  considérable.  Au 
point  de  vue  de  l'union,  ils  se  montraient  réservés  tous  deux 
en  mettant  pour  j)rix  de  leur  adhésion  certaines  conditions 
inaccej)ables  pour  les  Magyais.  Mais  la  victoire  resta  quand 
même  à  ceux-ci,  car  la  proposition  de  lldynald,  formulée  par 
le  comte  Dnin/nitiin-  Tclcl.i,  obtint  27  voix  sur  38  votants.  Ce 
résultai  ne  fut  pas  salué  avec  enthousiasme  par  les  Magynrs 
et  les  .S'/V^/e^  seuls  ;  les  habitants  roumains  et  saxons  de  la  ville 
de  Sc{/esi'ùr  snrent  très  heureusement  e-\[)rimer  leur  joie  sur 
cet  évi'iu'inenl  |)résa,oeant  le  rétablissement  de  l'union. 

Or,  pour  Srinnerliur/  et  ses  adeptes,  l'attachement  à  la  consti- 
tution de  1  8  i8  ne  signifiait  qu'une  cliose  :  la  réapparition  dans 
l'esprit  magyar  des  idées  révolutionnaires.  Ils  redoublèrent 
donc  leurs  instances  j)our  obtenir  de  lempereur  la  consécration 
définitivede  leursystème.  Elle  leur  fut  accordée  dans  les  lettres 
patentes  du  2(>  février  18()1,  contresignées  par  les  ministres 
autrichiens  seuls,  —  car  les  conservateurs  hongrois  les  consi- 
d(''raient  eux-nicmes  comme  trop  centralistes.  Elles  contenaient 
une  véritable  constitution  jiarlementaire  :  le  «  Reichsrath  »  se 
composait  d'une  Chambre  des  seigneurs  et  d'une  Chambre  des 
députés,  élus  au  nombre  de  3  43,  directement  par  les  Diètes 
provinciales.  Les  j)ays  de  la  couronne  de  Saint  Etienne,  deve- 
nus provinces  autrichiennes,  reçurent  !  20  sièges  :  Xql  Hongrie 
85,  la  Traiisrlranie  2(),  la  Croatie  9,  et  du  sein  de  leurs  Diètes 
on  transpoita  le  centre  de  gravité  de  l'activité  législative  au 
«  Reichsrath  ^  auquel  il  incomba  de  voter  les  impôts  et  le  con- 
tingent militaire,  la  lé}^;islation  concernant  la  monnaie,  le  cré- 
dit, la  douane  et  le  commerce,  comme  aussi  la  surveillance  et 
la  direction  qu'exige  la  circulation  du  papier-monnaie  (i). 

C'est  le  2  avril  qu'eut  lieu  1  ouverture  de  la  session  du  parle- 
ment hongrois,  et  le  discours  d'inauguration  y  fut  prononcé 
par  le  comte  (leorges  Apponyi.  Le  sentiment  de  la  légalité  iné- 
branlable et  d('veloppé  jusqu'à  lintransigeance,  ainsi  que  l'atta- 

[i;  A.  DE   lÎEnTiiA,  La   consdlutioii   hon(jroise,  (l'apr('S  le  D'.    S.    Raiio,    l'aris 
1898,  p.  82  ot  pas-siin. 


LIVHE   TROISIÈME  461 

cheinent  à  la  constiliitiou  nationale  qui  se  révolta  inpétueiix 
contre  la  constitution  octroyée  du  mois  de  février,  s'y  révélèrent 
dès  le  début.  Sous  le  coup  de  leur  influence,  on  y  était  d'avis  de 
ne  pouvoir  répondre  au  discours  dti  troue  par  une  «  Adresse  "  , 
puisque  le  roi  ayant  laissé  écouler  le  délai  de  six  mois  pour  se 
faiie  couronner  selon  les  dispositions  de  la  constitution,  n  était 
qu  un  roi  de  fait  et  non  pas  de  droit,  à  qui  le  parlement  n'avait 
aucune  obligation  d'envoyer  une  Adresse.  Et  cela  d'autant 
moins,  que  la  renonciation  au  trône  de  herdviandY  et  de  son  vé- 
ritable héritier  présomptif,  V archiduc  Frattçois-C/iarle.s ,  n'avant 
pas  eu  lieu  avec  le  consentement  du  parlement  et  selon  les  for- 
malités requises  par  la  loi,  ne  pouvait  être  acceptée  par  la 
Hoiif/ric.  Donc  on  ne  devait  faire  connaître  les  vœux  de  la  nation 
qu'au  moyen  d'une  «  Résolution  »  .  Cette  manière  de  voir  avait 
une  majorité  de  quatorze  voix  dans  la  Chambre  des  députés, 
mais  par  suite  du  suicide  tragique  de  son  chef,  le  comte 
Ladislas  Tclehi  et  grâce  au  patriotisme  éclairé  du  centre  gauche, 
on  réussit  à  en  obtenir  une  des  trois  voix  nécessaires  à  la  pro- 
position de  François  Dcàk,  tendant  à  envover  une  "  Adresse  »  . 
Le  diplôme  d'octobre  et  les  lettres  patentes  de  février  v  furent 
rejetés.  En  se  basant  sur  le  principe  de  la  continuité  du  droit, 
Deàli  remonta  jusqu'aux  lois  de  18  48.  «  Abandonner  ce  point 
de  vue  serait  un  crime  —  s'écria  le  chef  dorénavant  incontesté 
du  parlement  hongrois  —  car  il  est  toujours  possible  de  recou- 
vrer les  droits  dont  le  pays  devait  être  spolié  par  l'absolutisme, 
tandis  que  les  sacrifier  volontairement,  c'est  y  renoncer  pour 
toute  l'éternité  '^  . 

Ce  langage  respectueusement  ferme  n  était  pas  fait  pour 
déplaire  à  l'empereur,  qui  en  comprit  la  justesse,  mais  il  ne 
souriait  pas  à  Schnierlùu/,  qui  ne  voulut  voir  dans  la  constitu- 
tion hongroise  que  les  côtés  semblant  viser  le  démembrement 
de  la  monarchie  et  l'effondrement  de  sa  situation  de  grande 
puissance.  Au  surplus,  déclarait  le  rescrit  adressé  au  parle- 
ment, le  souverain  ne  se  sentait  pas  engagé  personnellement 
par  les  lois  de  1818. 

La  réplique  de  Deàk,  votée  à  l'unamimié,  fut  écrasante  avec 
sa  logique,  sa  dialectique  et  son  argumentation  irréfutables. 


46^  MAGYAr.S  ET  T.  U  U  M  A  I  N  S  DEVAM  LHISIOIUE 
Il  contesta  que  la  constitution  de  I  8  48  signifiât  le  relàchemenl 
de  liinion  entre  les  deux  parties  de  la  monarchie.  «  Plus  elle 
accordait  d'indépendance  à  la  Hongrie,  plus  elle  devenait  puis- 
sante î)  ,  affirma  '^  le  sage  de  la  patrie  v  .  On  serait  prêt,  bien 
au  delà  de  la  part  duc,  à  contribuer  aux  charges  de  la  dette 
publique  et  à  traiter  avec  les  pays  héréditaires  pour  régler  les 
affaires  communes,  mais,  bien  entendu,  seulement  comme 
État  indépendant  et  sur  le  pied  de  la  parité.  Pour  toute  réponse, 
Sc/iinerliiif/  ordonna  la  dissolution  du  parlement.  Et  on  vit 
alors  la  lloïKji-ie,  placée  devant  l'alternative  d'envoyer  des 
représentants  au  ><  Reichsrath  d  ou  d'endurer  encore  Tabso- 
lutisme,  préférer  ce  dernier  au  cadeau  redoutable  d'une  con- 
stitution octroyée  ! 

Les  deux  Adresses  de  Deâk  et  les  principaux  orateurs  des 
deux  Chambre  hongroises  ne  manquèrent  pas  de  protester 
contre  l'absence  des  députés  transylvaniens  et  croates.  C'était 
exalter  les  sentiments  unionistes  de  l'élément  magyar  et  sicule 
de  la  Transylvanie  ;  aussi  ne  vota-t-il  dans  les  élections,  pour 
1  administration  et  conseils  départementaux  que  pour  les  par- 
tisans de  l'union.  Par  contre,  les  nationalités  saisirent  d'au- 
tant plus  toutes  les  occasions  de  faire  des  démonstrations  en 
faveur  de  l'autonomie  de  la  Transylvanie  qu'elles  se  consi- 
déraient comme  encouragée  par  le  rescrit  impérial  adressé  au 
parlement  hongrois,  et  affirmant  hautement  que  les  intérêts 
des  nationalités  étaient  lésés  dans  plusieurs  paragaphes  des 
lois  de  1848.  Agaceries  du  gouvernement  centraliste,  destinées 
à  tenir  en  haleine  les  populations  non-magvares  afin  de  pou- 
\oir  exercer  une  pression  sur  les  Mat/)(/r.s  avec  leur  aide;  aga- 
ceries qui  relativement  aux  Roumains  devaient  mal  tourner  en 
développant  dans  leur  sein  l'irrédentisme,  comme  les  articles 
parus  dans  le  journal  bruxellois  «  Le  Nord  »  et  envoyés  de 
Xaf/)-Szebcn,\e  démontrèrent  (septembre  1 86 1  ).  Il  faut  avouer 
cependant  que  les  souvenirs  des  atrocités  commises  en  18  49 
ne  permirent  niaugouvernement  autrichien,  ni  aux  corvphées 
du  roumanisme  de  recommencer  les  agitations  précédentes. 
De  là  l'insuccès  de  l'assemblée  convoquée  par  A.ientc  à  Balazs- 
l'alva  (I  à  mai). 


LIVRE   TliUlSlÉME  463 

Entre  temps  l'aj,  Kewiiny  et  Miko  ayant  donné  leur  démis- 
sion, Sclimet'linij  organisa  ce  gouvernement  «  sui  generis  »  qu  on 
appela  par  euphémisme  le  <c  provisoire  »  mais  qui  n'était  en 
somme  qu'un  absolutisme  déguisé.  On  les  remplaça  par  le 
comte  Antoine  For/jâch,  le  comte  Maurice  Pàlffv  et  le  comte 
Crenneville comme  chancelier  hongrois,  gouverneur  delà  f/oii- 
f/rie  et  chef  du  «  gubernium  >'  transylvanien.  Le  semblant  de 
constitutionnalisme  que  le  diplôme  d'octobre  avait  inauguré 
fut  arbitrairement  suspendu. 

Schmerling  ne  s'occupa  plus  alors  que  de  la  composition 
d'une  Diète  transylvanienne,  prête  à  envover  ses  députés 
au  «  Reichsrath  -  .  Et  afin  que  les  séductions  de  celui-ci  fus- 
sent plus  irrésistibles,  il  fit  compléter  par  l'empereur  les  dis- 
positions constitutionnelles  des  lettres  patentes  de  février  par 
l  octroi  de  la  responsabilité  ministérielle.  Mais  des  conces- 
sions pareilles  n'étaient  pas  nécessaires  pour  entraîner  la 
majorité  future  d'une  assemblée  —  d'après  la  constitution  hon- 
groise—  illégale.  Les  Roumains  et  les  Saxons  ne  pouvaient  que 
gagner  dans  ce  conflit  du  centralisme  et  du  constitutionna- 
lisme; ils  tenaient  donc  à  l'envenimer  et,  quelle  que  fût  l'issue 
de  la  tentative  schmerlingienne,  c'était  déjà  au  moins  un 
profit  momentané  pour  eux.  Malheureusement  les  meneurs 
roumains  ne  se  contentaient  pas  de  lemploi  des  moyens  mo- 
raux :  l'année  1862  était  en  Ticaisylvanie  l'année  des  incen- 
dies. Ils  prenaient  de  telles  proportions  qu'on  recourut  à 
l'installation  des  cours  martiales  et  que  les  Saxons  se  virent 
eux-mêmes  obligés  de  donner  des  leçons  à  cet  égard  aux  Rou- 
mains. 

Ceux-ci  reçurent  cependant  des  étrennes  assez  considéra- 
bles dans  la  reconnaissance  officielle  et  internationale  d'une 
Roumanie  indépendante.  Cette  reconnaissance,  à  laquelle  on 
applaudissait  en  Hongrie  de  bon  cœur,  impressionna  tellement 
Kossuih  qu'il  n'hésita  pas  à  apposer  sa  signature  au  projet  que 
Canini  lui  avait  présenté  et  qui  se  rapportait  à  la  création 
d'une  Confédération  danubienne  républicaine,  projet  attaquant 
à  la  fois  l'intégrité  géographique  et  l'indépendance  politique 
de  la  Hongrie.  Cet  acte  inconsidéré  de  l'ancien   «  gouverneur  « 


464         MAGYAUS    El'    R  (>  U  M  A  KN  S    DKVANT    LIIISTOIRE 
iiorta  un  coiiu  lalul  à  su  répiilation  eL  prépara  iiulireclemeiit 
le  chemin    ilu    compromis  entre   ÏAutn'c/ic  et  la    llonqrie   en 
démontrant  rinadmissibilité  de  toute  cond)inaison  illégale  et 
inconstitutionnelle. 

Telle  était  du  reste  aussi  celle  qne  Sc/iinril/ttrj  avait  conçue 
pour  l'aire  entrer  la  Transylvanie  dans  le  «  Heichsratli  d  . 
S'il  en  avait  retardé  jusque  là  1  exécution,  ne  pouvant  pas 
abaisser  le  cens  suttisamment  pour  atteindre  aux  couches  les 
i)Ius  basses  mais  nombreuses  du  corps  électoral  roumain,  finale- 
ment il  avait  pris  la  résolution,  encourajjé  par  le  nouveau  chan- 
celier transylvanien,  comte  Aâda.sdy,  ce  Magyar  dénaturé,  de 
faire  élaborer  une  organisation  des  circonscriptions  électorales 
telle  qu'elle  bit  une  impossibilité  pour  Télément  magyar  et 
sicule  d'obtenir  la  majorité.  Au  lieu  d'avoir  ûû  députés,  les 
Saxons  en  eurent  i4,  et  dans  les  contrées  ou  les  Roumains 
étaient  en  majorité,  on  augmenta  leur  nombre  d'une  ving- 
taine. Parmi  les  :}S  ;(  régalistes  »  invités  par  la  couronne,  il 
n'y  avait  qu  une  dizaine  àe  Magyars,  de  sorte  que  la  majorité 
roumano-saxonne  montait  à  (57  voix  sur  163  votants.  Quel- 
ques élections  étaient  particulièrement  émouvantes,  comme 
celle  du  département  àWLso-Fehér  ou  le  candidat  magyar 
réussit  à  vaincre  le  célèbre  Axenie,  malgré  les  excitations 
religieuses  du  clergé  orthodoxe,  d'ailleurs  partout  très  mili- 
tant. 

Ce  fut  pour  le  l'"'  juillet  1863  et  à  JSagy-Szehen  que  le  res- 
crit  impérial  convoqua  la  Diète  n  afin  que  les  mesures  prises, 
concernant  les  droits  politiques  de  la  monarchie,  reçoi- 
vent leur  application  »  selon  la  volonté  déjà  manifestée  du 
souverain.  Dans  la  réunion  des  députés  magyars,  précédant 
lonverture  officielle  de  la  Diète,  on  se  décida  à  l'unanimité 
pour  l'abstention  et  pour  lenvoi  de  deux  déclarations  adres- 
sées à  la  Diète  et  ;i  François-Joseph.  Cette  attitude  àe&  Magyars 
ne  fit  aiuMuie  impression  sur  la  Diète;  conformément  à  la  pro- 
position du  député  saxon  Haiiniche)-,  on  en  prit  simplement 
acte  dans  le  [)rocès-\  crbal.  La  déclaration  (pie  le  comte  Mi/m 
et  le  baron  Kcmcny  présentèrent  à  l'empereur,  comme  délé- 
gués dès  abstentionistes,  était  très  \  olumineuse  et  très  énergi- 


LIVRE   TROISIÈME  465 

que,  car  ses  auteurs,  le  comte  Michel  de  Miko  et  Charles  de 
Zeyii  s'inspirèrent  des  adresses  de  Deàk.  Selon  le  désir  de 
l'empereur,  les  délégués  la  remirent  au  chancelier  Nàdasdy, 
qui  n'en  tint  naturellement  aucun  compte. 

Ce  lurent  deux  projets  de  lois  dont  on  saisit  d'abord  la  Diète 
tronquée  :  l'un  se  rapportait  à  la  «  légalisation  de  la  nation 
roumaine  et  de  ses  religions  y  ,  et  l'autre  à  l'égalité  devant  la 
loi  des  trois  langues  :  magyare,  allemande  et  roumaine  »  . 
Cependant  il  fallait  avant  tout  rédiger  l'Adresse,  qui  n'était 
naturellement  d'un  bout  à  l'autre  qu'une  paraphrase  élogieuse 
du  discours  du  trône.  Les  tendances  anticonstitutionnelles 
s'v  manifestaient  si  fortement  que  le  député  saxon  François 
Ih-enneid/erg  se  vit  obligé  de  déposer  son  mandat.  Quant  à  la 
discussion  des  deux  projets  de  loi,  elle  se  noya  dans  un  flux 
de  mots  interminable  dans  lequel  ce  furent  les  sorties  dirigées 
confie  la  nation  et  la  langue  hongroise  qui  firent  l'officîe  du 
sel.  Le  premier  fournit  une  nouvelle  occasion  pour  démontrer 
l'antipathie  des  Sdxons  contre  \e&  Rouiudins,  mais  dans  le  vote 
du  7  septembre,  ce  furent  cependant  ces  derniers  qui  l'empor- 
tèrent. Le  30  septembre,  le  second  projet  étant  voté  aussi,  on 
procéda  solennellement  à  1  inarticulation  du  diplôme  d'octo- 
bre et  des  lettres  patentes  de  février.  C'était  le  «  jour  de 
gloire  »  des  Saxons.  Ils  déclarèrent  par  la  bouche  de  Rannichcr 
que  «  la  Transylvanie  ne  trouve  son  bonheur,  son  bien-être 
et  son  avenir  que  dans  la  grandeur  et  la  puissance  de  l'Au- 
triche. »  D  après  Siagana  <  le  pays  ne  pourra  être  heureux 
que  par  l'application  des  principes  que  ces  deux  documents 
renferment.  »  Il  proposa  en  même  temps  que  1  on  votât  à 
l'unanimité  le  projet;  ce  que  l'on  fit  effectivement,  car  ceux 
parmi  les  Roamains,  avec  Baritiu  à  leur  tête,  qui  ne  considé- 
raient la  situation  présente  de  la  Transylvanie  que  comme  un 
acheminement  à  sa  réunion  à  la  Roamanie,  sachant  ce  qui 
allait'  arriver,  ne  parurent  pas  à  la  séance. 

L'élection  des  députés  pour  le  «  Reichsrath  »  n'eut  lieu 
que  le  10  octobre  parce  que  Nàdasdy  avait  le  ferme  espoir  de 
vaincre  dans  les  élections  supplémentaires  que  l'on  prescrivit 
pour  la  seconde  fois  dans  les  circonscriptions  représentées  par 

30 


466  MAGYARS  ET  l'.UUMAINS  DEVA^sT  L'HISTOIRE 
des  députés  qui  ne  voulaient  pas  siéger.  Or  on  les  réélut  la 
deuxième  fois  et  la  Diète  ne  put  envoyer  à  Vienne  que  des  tiou- 
nuiins  et  des  Saxons.  Ils  y  furent  reçus  à  bras  ouverts  et  avec 
d'autant  plus  d'ostentation  que  les  Tihèques  venaient  de  se 
retirer  du  "  Reichsrath.  '  Mais  la  lune  de  miel  ne  dura  pas 
longtemps  :  les  Ronmai/is,  inspirés  par  hariiiu,  ne  voulaient 
pas  voter  les  dépenses  incombant  à  V Antricltc  en  sa  qualité  de 
membre  de  la  Confédération  gcrnuuiiijKi-,  car  la  Transylvanie 
était  un  pavs  de  la  couronne  de  Saint  Etienne  qui  n'avait 
rien  à  faire  avec  la  dite  confédération.  C'était  assez  pour 
désillusionner  les  centralistes;  s'ils  avaient  tant  fêtés  les  Tran- 
sylrnnie/is  au  début,  parce  qu'ils  les  regardaient  comme  les 
précurseurs  des  Maf/yars.,  ceux-ci  restant  immobiles,  ils  décla- 
raient maintenant  dans  leurs  journaux  que  par  l'apparition 
des  députés  transylvaniens,  les  forces  vitales  du  «  Reichsratli  iî 
n'étaient  nullement  augmentées.  Compliment  désobligeant 
auquel  le  principal  organe  des  Iviamains  le  «  Telegraful 
roman  »  répondit  aigrement  aussi...  <c  Les  députés  roumains 
nous  reviennent  du  «  Reichsrath  >  en  rapportant  ce  qu'ils  y 
ont  emporté  :  l'espoir!  >> 

Avant  l'ouverture  de  la  nouvelle  session  de  la  Diète  transyl- 
vanienne, Nàdasdy  courut  de  nouveau  la  chance  des  élections. 
Cette  quatrième  épreuve  ne  lui  réussit  pas  plus  que  la  cin- 
quième quelques  mois  plus  tard  (10  août  l8Gi).  Il  eut 
beau  faire  éloigner  llaynald,  l'évêque  de  Transjlranie,  menacer 
les  Magyars  du  remaniement  radical  des  circonscriptions 
électorales  :  ils  refusèrent  avec  persévérance  d'accepter  leurs 
mandats  pour  une  Diète  illégalement  convoquée. 

Schnicrlinq  et  Nàdasdy  ne  se  sentaient  pas  désarçonnés  par 
tant  d  échecs;  ils  auraient  continué  la  partie  engagée  avec  la 
Hotif/ric  indéfiniment,  comme  des  joueurs  entêtés,  sans  penser 
au  salut,  au  bonheur  de  la  monarchie.  François-Joseph.,  en 
chef  de  la  famille  glorieuse  des  ILd/slnnog,  en  souverain  sou- 
cieux de  l'avenir  de  ses  peuples,  lui,  ne  pensait  au  contraire 
qu'à  cela.  Aussi,  voyant  que  les  expérimentations  des  centra- 
listes ne  faisaient  qu  aggraver  la  situation  financièrement  et 
politiquement  si  précaire  de  son  empire,  pressentant  les  ora- 


LIVRE   TROISIÈME  467 

{^es  qui  allaient  fondre  sur  lui  du  côté  de  la  Prusse  et  de  17/^/- 
lie,  prit-il  personnellement  en  main  la  tlirection  des  affaires 
et  prépara-t-il  au-dessus  de  la  tête  du  comte  lleniKnui  Zic/iy, 
le  nouveau  chancelier  hongrois,  la  réconciliation  avec  les  Ma- 
(jyirs.  Ce  qui  ne  Tempécha  pas  d'écouter  les  justes  réclama- 
tions des  UoiDiKiius  au  sujet  de  la  nomination,  en  Transyliuinic^ 
d'un  métropolite  roumain  indépendant  du  patriarche  serbe  de 
Kar/ocza,  et  d'accorder  cette  dignité  à  Si(i(/ii/ia,  devenu  baron, 
dont  l'activité  dévorante,  dans  l'intérêt  plus  ou  moins  bien 
compris  de  ses  ouailles,  méritait  assurément  une  récompense. 

Ce  fut  par  l'entremise  des  conservateurs  magyars  que  l'em- 
pereur commença  ses  négociations  avec  François  Deàk.  Il  lui 
fit  comprendre  qu'il  serait  heureux  de  savoir  de  quelle  manière 
il  comprenait  la  réconciliation  entre  le  souverain  et  la  nation, 
sans  nuire  à  la  situation  que  la  monarchie  occupait  dans  le  con- 
cert européen  comme  grande  puissance?  Pour  répondre  à  ce 
désir,  Deàk  affirma  dans  son  fameux  article  de  Pâques 
(16  avril  18G5)  que  les  Magyars  étaient  toujours  prêts  à  mettre 
d'accord  par  des  moyens  légaux  leurs  lois  avec  ce  que  pouvait 
exiger  l'assurance  de  l'existence  de  la  monarchie,  et  n'empê- 
cheraient jamais  le  libre  et  constitutionnel  développement  des 
pays  héréditaires. 

Encouragé  par  ces  promesses,  François-Joseph  se  rendit  à 
Pesih  sous  prétexte  de  visiter  une  exposition  agricole.  En  arri- 
vant, il  répondit  publiquement  au  prince-primat  qu'il  avait 
l'intention  de  se  faire  couronner  roi  de  Hongrie.  C'était  d'au- 
tant plus  une  condamnation  indirecte  du  système  de  Sclnner- 
ling  qu'il  prononça  ces  parolcb  sans  s  être  consulté  avec  son 
ministre  omnipotent.  Celui-ci  d'ailleurs,  battu  déjà  au  «  Rei- 
clîsrath  »  ,  se  vit  finalement  forcé  de  donner  sa  démission 
avec  ses  fidèles  Achates  :  Ziehy  et  Nàdasdy.  Alors,  pour  pou- 
voir entamer  les  négociations  avec  la  Hongrie,  on  suspendit 
la  constitution  de  centralistes  (septembre  1865)  et  on  convo- 
qua la  Diète  hongroise  pour  le  10  décembre  et  celle  de  la 
Transylvanie  pour  le  20  novembre  afin  qu'elle  puisse  vider 
à  temps  la  question  de  l'union  de  nouveau  remise  sur  le  tapis. 

En  réalité,  une  Diète  semblable  n'avait  plus  aucune  raison 


V68        MAGYAUS    ET    IIOU.MAINS    DEVANT    1/ II I  ST(  »  I  IIE 

d'être,  et  les  Mut/yars  la  condainnaient  unanimement;  mais  ils 
comprenaient  aussi  que,  pouvant  compter  hardiment  sur  une 
majorité  unioniste,  car  les  élections  devaient  avoir  lieu  d'après 
les  lois  de  18 '18,  il  était  prélérable  de  démontrer  un  fois  de 
plus  que,  sur  le  lorrain  de  la  discussion  lé{;ale,  ils  étaient  sûrs 
de  la  victoire.  l*ar  contre,  les  Uotimains  et  les  SaxoJis  ne  reve- 
naient pas  de  leur  stupélaction.  En  mettant  toute  leur  con- 
fiance en  Scliinerling,  ils  auraient  donc  bâti  sur  le  sable  de 
l'Évangile?  Cette  entente  de  la  couronne  et  de  la  llonqrie  se 
pouvait  donc  réaliser  en  détiuisant  d  un  seul  cou[)  tous 
leurs  espoirs?  Us  auraient  beau  pétitionner  à  Vienne^  tenir 
conlerences  sur  conférences  à  lUdà-sfalva  et  à  NagySzehcn  : 
les  élections  favorables  à  la  cause  hongroise,  la  diète  siégeant 
à  Kolozsvàr,  la  nouvelle  proclamation  de  l'union  par  une  majo- 
rité de  107  voix  sur  225  votants  ((>  décembre  18G5)  n'en 
eut  pas  moins  lieu!  Mais  ladresse  de  la  Diète,  qu'elle  vota 
le  18  décembre  et  qui  sortait  de  la  plume  du  député  magyar 
François  Ocsixiy,  ne  fut  pas  envoyée  seule  à  l'empereur  : 
on  y  joignit  les  pétitions  des  lionmains  et  des  Saxons,  rédi- 
gées j)ar  le  l)aron  Siaguna  et  Rannic/ier.  Elles  plaidaient 
contre  lunion  parceque  les  Roinnains  ne  voulaient  pas  ad- 
mettre une  autre  loi  électorale  que  celle  adoptée  en  18G3  par 
la  diète  de  Nagy-Sz-cben,  et  parce  que  les  Saxons  ne  se  sou- 
ciaient pas  d  abandonner  pour  le  bien  public  leurs  jnivilèges 
datant  du  moyen  âge.  Or  la  Diète  en  question  était  illégale- 
ment convoquée  par  Schniei/ing  et  les  privilèges  ne  pouvaient 
plus  subsister  après  1848.  De  là  le  rescrit  communiqué  à 
la  Diète  le  10  janvier  I8(i()  la  suspendant  et  invitant  le 
"  gubernium  »  a  procéder  aux  élections  pour  le  parlement 
hongrois.  On  les  fit  faire  dans  le  courant  du  mois  de  mars, 
mais  l'entrée  solennelle  des  élus  dans  le  parlement  hongrois 
ne  s'effectua  que  le  li  avril,  au  milieu  de  l'enthousiasme 
général.  Et  comme  on  y  avait  réservé  plusieurs  places  de  vice- 
président  et  de  secrétaires  j)0ur  les  députés  transylvaniens, 
sur  la  proposition  de  François  Deiili,  leur  arrivée  ne  fut  pas 
seulement  au  point  de  vue  politique  et  moral  un  complé- 
ment définitif  du  parlement  hongrois,  mais  aussi  au  point  de 


T,IVIIE   TR()ISII<:ME  469 

vue  de  son  bureau.  Depuis  ce  temps-là  on  y  voit  toujours 
figurer  aussi  quelques  députés  transylvaniens. 

La  tournure  inattendue  que  jjrirent  ainsi  les  choses  ne 
manqua  pas  de  provoquer  un  certain  trouble  dans  les  rangs 
des  anti-unionistes  roumains  et  saxons.  Le  gros  des  lioamaùis 
accueillit  sans  arrière-pensée  les  avances  conciliatrices  des 
Magyars  et  vota  avec  plaisir  en  plusieurs  endroits  pour  leurs 
candidats.  Le  baron  Sùtginra  lui-même  penchait  vers  cette 
manière  de  voir.  Mais  les  intransigeants,  qui  ne  voulaient 
rien  savoir  du  parlement  hongrois,  trouvaient  un  chef  puissant 
également  dans  la  personne  de  l'évéque  Siu/n/in  dont  Tin- 
fluence  grandissait  de  plus  en  plus.  Parmi  les  Saxons,  ce  fut 
Bdniches,  le  représentant  de  Brasso,  qui  soutint  la  politique  de 
conciliation  en  face  de  Rannir/icr,  qui  ne  pouvait  pas  renoncer 
à  ses  rêves  de  centralisation  pangermaniste. 

D'ailleurs,  qu'ils  fussent  des  antagonistes  plus  ou  moins 
modérés  de  la  Ilom/rii'  constitutionnelle  ou  qu'ils  désirassent 
se  rapprocher  des  Magyars,  les  députés  nationalistes  se  trou- 
vaient tout-à-fait  désorientés  dans  la  Chand^re  hongroise  où  ils 
n'exerçaient  plus  aucune  influence  et  où  il  s'agissait  de  ter- 
miner à  l'amiable  et  sous  les  yeux  du  monde  tout  entier,  un 
procès  historique  ayant  duré  déjà  plus  de  trois  siècles. 

«  Beata  Ungheria!  •>■>  — Hongrie  heureuse! — l'impérissable 
exclamation  de  Dante  ne  pouvait  jamais  mieux  lui  convenir 
qu'it  ce  moment.  Elle  avait  pour  avocat  une  de  ces  individua- 
lités providentielles  qui,  sentant  la  responsabilité  que  leurs  qua- 
lités exceptionnelles  leur  imposent,  ne  se  trouvent  jamais  assez 
parfaites,  assez  impartiales,  assez  désintéressées.  Et,  chose  plus 
rare  encore,  ayant  reconnu  les  vertus  de  François  Deàk  de 
son  vivant,  la  Hon<]ri<-  lui  confia  son  sort  sans  hésitation  et 
sans  condition.  Spectacle  unique  dans  l'Histoire  :  François- 
Joseph,  à  la  force  de  l'âge,  abreuvé  d'amertumes,  désillusionné 
sur  le  caractère  et  les  capacités  des  hommes,  eut  l'inspiration 
d'avoir  une  foi  illimitée  dans  cet  Aristide,  ce  Caton  hongrois, 
malgré  les  méfiances  traditionnelles  de  son  entourage,  malgré 
les  changements  énormes  qu'exigeait  la  réconciliation  com- 
plète avec  la  Hongriel 


470        MAGYARS    ET    ROUMAINS    DEVANT    L'HISTOIRE 

Voilà  l'éthique  du  compromis  austro-hongrois,  qui  lui  donne 
une  valeur  morale  si  extraordinaire.  Dans  sa  création, il  n'entrait 
que  ce  qu'il  y  a  de  plus  noble  dans  le  cœur  humain  :  justice, 
amour  et  confiance.  Il  fallait  donc  qu'il  se  réalisât  qnand  même, 
démontrant  ainsi  sa  nécessité  dans  le  présent  etdans  l'avenir,  di- 
rectement pourlebonheurdelamonarchieetindirectementpour 
celui  de  VEuiope,  conséquemment  pour  le  monde  tout  entier. 

La  difficulté  principale  résidait  dans  la  définition,  or(janisa- 
tion  et  expédition  des  affaires  communes  aux  deux  pays  — 
y Aiiin'clic  et  la  Jfo)i//i/('  —  traitées  dorénavant  sur  le  pied  de 
la  parité  la  pins  complète.  Deà/>  y  rangeait  la  défense  de  I3 
monarchie  c'est-à-dire  la  diplomatie  et  l'armée  régulière  avec  la 
marine,  ainsi  que  le  ministère  des  Finances  communes,  chargé 
de  régler  les  dépenses  de  ces  administrations.  Et  il  proposa, 
afin  que  la  parité  des  deux  pays  fnt  toujours  manifeste  et  que 
le  parlementarisme  n'y  perdit  rien  de  son  intégrité,  la  création 
d'une  assemblée  de  délégués  des  parlement, de  Vienne  ei  de  Pesi/i, 
composée  de  60  membres  autrichiens  et  de  (50  membres  hon- 
.<;rois,  envoyés  parles  deux  chambres  de  chaque  parlement  dans 
la  proportion  de  I  à  2  et  discutant  séparément  —  les  AainC/iie/is 
en  allemand  et  les  HoiKjioisen  magyar —  mais  votant  ensemble. 

On  confia  l'élaboration  d'un  projet  de  loi  s\  rapportant  à 
une  commission  formée  de  (57  membres  des  deux  chambres 
hongroises  qui  élut  à  son  tour  une  sous-commission  composée 
de  15  membres  pour  en  arrêter  le  texte.  Celui-ci  ne  fut  ter- 
miné que  le  ilo  juin;  or,  le  lendemain,  on  était  obligé  de 
proroger  la  Diète  à  cause  de  la  guerre  auslro-italo-prussienne 
et  conformément  au  désir  de  Deiil,  qui,  pressentant  les  revers 
de  l'armée  impériale,  ne  voulait  pas  que  les  négociations 
pussent  être  interrompues  par  des  manifestations  désobli- 
geantes pour  l'empereur.  Grâce  à  son  influence,  l'organisation 
d'un  corps  franc  hongrois,  sous  les  auspices  du  général  Klap/.a, 
n'eut  pas  non  plus  le  succès  qu'une  partie  des  émigrés  en  atten- 
dait. C'étaient  des  nuances  qui  n'échappaient  pas  à  François 
Joseph;  aussi  ses  sympathies  s'accrurent-elles  à  tel  point  pour 
le  et  sage  de  la  patrie  »  ,  qu'au  milieu  du  danger  que  courut  sa 
famille  et  son  empire  après  la  bataille  de  Sadoiva,  il  s'adressa 


LIVRE   TROISIÈME  471 

à  lui  pour  avoir  un  peu  de  consolation.  Leur  entrevue  secrète 
eut  lieu  le  19  juillet,  et  il  fut  décidé  que  l'empereur  nommerait 
un  ministère  responsable  hongrois  afin  qu'il  put  se  faire  cou- 
ronner roi  de  Ilongn'c,  selon  les  dispositions  de  la  constitution 
de  18  48,  et  quei^t'âA  ferait  accepterpar  le  parlement  hongrois 
le  compromis  avec  V Autriche! 

Pour  tenir  leur  parole,  ils  durent  vaincre  plus  d'une  diffi^ 
culte.  A  Vienne,  les  hommes  d'État  autrichiens  ne  voulurent  pas 
se  prêter  à  l'exécution  d'un  plan  qu'ils  jugèrent  dangereux 
pour  la  sécurité  de  l'empire,  opinion  qu'une  partie  des  conser- 
vateurs hongrois  partagea  du  reste;  à  Pesi/i,  il  fallait  cal- 
mer les  ardeurs  des  partisans  de  Kossuili,  qui  était  encore  très 
influent  alors  et  dont  une  lettre  adressée  à  Deàk  manqua 
presque  de  compromettre  toute  la  réconciliation  au  dernier 
moment.  Mais  déjà,  pour  conclure  les  négociations,  François- 
Joseph  s'adressa  à  l'ancien  ministre  saxon,  au  baron  de  BeasL 
et  Deak  au  comte  Jules  Andrussy,  au  pendu  en  effigie,  au 
diplomate  génial,  et  avec  leur  aide  ils  purent  heureusement 
résoudre  toutes  les  questions  de  détails  et  vaincre  les  obstacles 
les  plus  gênants.  Le  17  février  18()T,  l'empereur  signa  la  nomi- 
nation du  deuxième  ministère  hongrois  ai\ec\e  covaie  Andrùssy 
comme  président  du  conseil,  et  après  avoir  notifié  l'abdication 
de  Ferdinand  V  et  la  renonciation  au  trône  de  l'archiduc 
François-Charles  au  parlement  hongrois,  il  se  fit  couronner 
roi  de  Hongrie  le  8  juin  1867. 

Ce  n'est  pas  par  amour  du  faste  que  les  Honr/rois  tiennent  à 
ce  grand  acte  de  la  vie  constitutionnelle,  qui  ne  peut  s'accom- 
plir qu  en  suivant  strictement  les  règles  prescrites  par  la  tradi- 
tion. Ils  trouvent  dans  son  cérémonial  une  garantie  pour  le 
maintien  de  leurs  droits,  puisqu'il  impose  au  souverain  la 
prestation,  à  la  face  de  Dieu  et  du  peuple,  du  serment  par 
lequel  il  promet  de  régner  conformément  à  la  constitu- 
tion. D'ailleurs  il  ne  suffit  pas  d'avoir  des  droits  légitimes  : 
c'est  être  ceint  de  la  couronne  de  saint  Etienne  dont  dépendent 
les  pays  hongrois,  qui  donne  la  véritable  investiture  au  roi.  La 
reine  v  participe  aussi  en  recevant  le  joyau  historique  un  ins- 
tant sur  l'épaule  droite.   Parmi  les  autres  particularités  dignes 


472  MAGYARS  ET  ROUMAIINS  DEVANT  I/II 1  STU  I  1'.  E 
de  remarque  dans  la  cérémonie  on  doit  remarquer  :  1"  que  ce 
sont  le  prince-primat  et  le  palatin,  maintenant  remplacé 
par  le  ministre  président  qui  couronnent;  2"  que  le  roi  ne 
quitte  la  couronne  qu'après  avoir  porté  à  cheval,  sur  un  tertre, 
avec  son  épée,  cniatre  coups  dans  la  direction  des  quatre  points 
cardinaux,  symbolisant  la  défense  du  pays;  :{°  que  pour  la 
formation  de  ce  tertre  on  apj)orte  une  certaine  quantité  de 
terre  de  chaque  département;  4"  qu'en  y  conduisant  le  roi, 
tout  le  cortèjje  se  tient  à  cheval.  Après  le  sacre  auquel  le 
couple  royal  ne  peut  procéder  qu'après  avoir  jeûné  pendant 
trois  jours,  les  nouveaux  souverains  dînent  en  public,  servis 
par  les  titulaires  des  charges  de  la  cour  eux-mêmes! 

Mais  si  le  jour  du  couronnement  de  François-Joseph  le  monde 
avait  les  yeux  fixés  sur  la  capitale  de  la  Hongrie,  ce  n'était  pas 
seulement  pour  admirer  ce  curieux,  ce  touchant  et  ce  grandiose 
spectacle.  Les  montures  magnifiques  des  seigneurs  bannerets 
avaient  beau  piaffer,  les  costumes  étincelanls  des  magnats 
éblouir,  les  cris  de  joie  du  peuple,  les  salves  des  canons,  les 
sonneries  des  cloches  assourdir  :  ce  qui  émouvait,  c'était  la 
j)ensée  que  l'on  assistait  à  la  réconciliation  sincère  d'un  souve- 
rain et  d'une  nation  également  bien  intentionnés,  mais  n'ayant 
pu  se  comprendre  tout  d  abord,  (|ue  l'on  applaudissait  au 
dénouement  d'un  drame  commencé  dix-neuf  ans  auparavant 
par  l'avènement  au  trône  de  François-Joseph  dans  une  froide 
matinée  d'hiver,  au  fond  de  la  sombre  forteresse  d'O/niiHz  et 
finissant  au  seuil  de  l'été,  au  milieu  d'une  foule  ivre  de  bon- 
heur, sur  les  bords  poétiques  du  Dannhe  majestueux,  par  son 
couronnement  comme  roi  apostolique  de  Ilonr/rie! 

i<  Trente-deux  ans  sont  déjà  passés  depuis  que  celle-ci  a 
recouvert  ses  droits  séculaires,  depuis  que  l'œuvre  de  Dc'ak 
subsiste,  et  V Aairirhe-llongrie  est  aujourd'hui  plus  puissante, 
plus  estimée  et  plus  respectée  que  jamais.  Le  compromis  était 
donc  une  chose  juste,  utile  et  moralement  belle.  Gloire  à  tous 
ceux  qui  y  ont  contribué!  Trois  fois  gloire  à  François-Joseph 
qui  l'a  consommé,  avec  la  simplicité  d'un  homme  loyal  et  la 
dignité  d'un  grand  roi  »  (1)  ! 

(\)  A.  DK  Heivtiia,  Fraiirois-Joscpli  \" .  1888.  p.   13V, 


ÉPILOGUE 


L  éclatante  victoire,  comme  on  put  s'en  convaincre,  si  chère- 
ment payée  et  certes  si  méritée  de  la  cause  hongroise,  apporta 
des  changements  radicaux  dans  la  situation  de  la  monarchie 
des  Habsbourg  tant  à  l'extérieur  qu'à  l'intérieur,  aussi  bien  au 
point  de  vue  de  sa  physionomie  qu'au  point  de  vue  de  son 
essence.  Ce  furent  le  roi  et  la  reine  qui  en  donnèrent  le  signal 
en  abandonnant  aux  u  honvéd  "  invalides  de  1848-1849  les 
cinquante  mille  ducats  que  le  parlement  leur  avait  offerts 
en  guise  de  don  de  joyeux  avènement,  et  en  reconnaissant 
ainsi  tacitement  la  légitimité  de  la  résistance  d'alors  de  la 
Hongiit'.  Conformément  aux  dispositions  d  un  rescrit  de  Fran- 
çois-Joseph,  on  notifia  aux  puissances  étrangères  que  pour 
caractériser  le  dualisme  sanctionné,  la  dénomination  à'Auiri- 
che  tout  court  cesserait  afin  d  être  remplacée  par  celle  à'Autn- 
clie-Hongrie.  On  abolit  également  le  titre  de  "  ministre  de  la 
guerre  de  l'empire  "  pour  lui  substituer  celui  de  "  ministre 
commun  de  la  guerre  »  .  Après  le  départ  du  comte  de  Beiisi  on 
fit  disparaître  pour  toujours  la  dignité  de  «  chancelier  de 
l'empire  "  ,  la  monarchie  ne  pouvant  plus  être  désignée 
comme  formant  un  seul  État.  Dans  cet  ordre  d'idées  on  intro- 
duisit plus  tard  la  conjonction  6'/ entre  les  adjectifs  c;  impérial  » 
et  «  royal  »  chaque  fois  qu'il  s'agissait  de  la  famille  régnante 
ou  de  quelque  chose  se  rapportant  aux  deux  pavs;  tel  que  : 
ministère  de  la  maison  a  impériale  et  rovale  »  ambassades,  con- 
sulats, armée.  (La  désignation  «  impérial-royal  est  cependant 
maintenue  pour  les  affaires  concernant  l'Autriche  seule,  parce 
qu'elle  est  un  empire  renfermant  des  royaumes). 

L'introduction  du  service  militaire  obligatoire  permit  d'atté- 
nuer l'acuité  de  la  question  irritante  du  drapeau.  On  décida 


474  ÉPILOGUE 

que  l'armée  et  la  marine  communes  garderaient  le  jaune  et 
noir  (\iii  Habsbourg  et  que  les  armées  territoriales  autrichiennes 
et  hongroises,  celles-là  appelées  des  «  Landw  ehr  "  et  celles-ci 
des  «  Honvéd  »  ,  se  réuniraient  au  contraire  autour  de  leurs 
couleurs  respectives.  Quant  à  la  langue  de  1  administration  et 
de  la  justice,  on  la  décréta  allemande  en  Autriche  et  magyare 
en  Hongrie,  car  admettre  qu'un  État  puisse  offrir  à  chacune 
des  races  installées  sur  son  territoire  le  développement  entier 
de  son  individualité,  est  chose  impossible.  Tout  au  plus  s'il 
peut  abandonner  à  lactivité  sociale,  à  l'influence  du  fover  et 
de  lécole,  l'éducation  et  l'instruction .  L'application  d  une 
langue  usuelle  doit  être  tolérée  encore  devant  la  justice. 
Mais  si  la  faculté  de  recourir  à  cette  dernière  ou  de  briguer 
les  emplois  ne  doit  avoir  aucun  rapport  avec  l'origine  et  la 
nationalité  des  requérants  et  des  compétiteurs,  exiger  de  ceux- 
ci  la  connaissance  de  la  langue  de  l'État  ne  suppose  de  la 
tyrannie  chez  aucun  gouvernement. 

La  Croniic  fait  exception  h  cet  égard  :  vu  son  autono- 
mie provinciale  reconnue  et  de  tout  temps  respectée  par  la 
Hongrie,  elle  se  sert  de  la  langue  croate  dans  tout  ce  qui  con- 
cerne son  existence  nationale,  tandis  qu'au  point  de  vue  inter- 
national elle  se  fond  complètement  dans  la  Hongrie. 

En  face  de  l'équité  magnanime  et  de  la  constitutionnalité 
scrupuleuse  du  souverain,  on  vit  rapidement  se  transformer 
lopinion  publique  magyare.  De  frondeuse,  elle  devint  courtoise 
pour  arriver  à  la  sympathie  réelle.  D  ailleurs,  l'impératrice- 
reine  Eliscibcth  savait  si  affectueusement  seconder  les  efforts 
conciliateurs  de  l'empereur-roi  !  Elle  voulait  que  son  dernier 
enfant  vit  le  jour  sur  le  sol  hongrois,  et  que  la  nouveau-née 
archiduchesse  Marie-Valérie  devint  une  vraie  Mftr/yarc.  Et 
quand  il  s'agissait  de  choisir  un  précepteur  à  Tarchidnc  liodol- 
p/ie,  à  l'héritier  piésomptif,  les  parents  royaux  ne  craignirent 
pas  de  s'adressera  l'évèque  /fyacinihe  lionay  quoiqu'il  eût  pris 
part  h  la  révolution.  Pour  le  cœur  endolori  de  la //on^/r/e  ce 
furent  autant  de  gouttes  de  baume  vivifiant  qui  la  rendi- 
rent de  plus  en  plus  conhante,  (pii  l'attirèrent  de  plus  en  plus 
violemment  vers  François-Josep/i,  devenu   par  son  libéralisme 


ÉPILOGUE  475 

éclairé,  par  son  attachement  à  la  constitution,  par  son  affection 
pour  le  génie  hongrois,  le  second  fondateur  de  la  Hongrie.  De 
là  aujourd'hui  cette  union  indissoluble,  étroite  entre  le  trône 
et  le  peuple  hongrois,  cimentée  par  l'estime  mutuelle,  ali- 
mentée par  les  plus  précieuses  effusions,  réchauffée  par  les 
sentiments  les  plus  nobles  et  les  plus  délicats. 

Quoique  ayant  le  plus  sacrifié  pour  arriver  à  ce  résultat 
magnifique,  les  Magyars  n'ont  jamais  eu  l'intention  d'en  béné- 
ficier en  égoïstes.  Afin  que  toutes  les  nationalités  en  aient  leur 
part,  ils  ont  créé  l'article  XLIV  de  la  loi  de  18G8.  Il  comprend 
27  paragraphes,  et  dans  son  introduction,  sortie  de  la 
plume  de  Dcâk,  il  contient  la  déclaration  suivante  ;  >  Au 
point  de  vue  politique,  tous  les  sujets  hongrois  ne  forment 
qu'une  seule  nation  :  la  nation  hongroise  une  et  indivisible,  à 
laquelle  appartiennent  tous  les  citoyens  de  la  Hongrie,  de  quelle 
nationalité  qu'ils  soient.  ->  Après  avoir  fait  tomber  ainsi  béné- 
volement toutes  les  barrières  entre  les  diverses  nationalités 
de  \si  Hongrie  en  les  assimilant  à  celle  qui  est  la  plus  forte,  la 
mieux  outillée  matériellement  et  intellectuellement,  à  tous  les 
points  de  vue  la  plus  autorisée  pour  s'attribuer  la  prédo- 
minance dans  le  pays,  la  loi  prescrit  que  si  le  magyar  est  la 
langue  de  l'État,  les  affaires  d'une  commune  peuvent  se  fan-e 
dans  la  langue  de  ses  habitants,  les  procès-verbaux  des  con- 
seils généraux  des  départements  peuvent  être  rédigés,  outre 
le  magyar,  dans  un  autre  idiome  aussi.  Ce  sera  leur  langue 
maternelle  que  les  parties  adverses  emploieront  en  s'adressant 
aux  tribunaux,  prêts  à  mettre  la  plus  grande  complaisance 
possible  à  cet  égard  dans  leurs  rapports  avec  les  populations  et 
à  tenir  volontiers  compte  de  leurs  besoins.  Il  n'y  a  que  l'avocat 
diplômé  de  qui  on  exige  absolument  l'emploi  de  la  langue  de 
l'État.  D'autre  part,  l'instruction  publique  se  trouvera  de  fait 
dans  les  mains  des  communes,  suivant  les  confessions  respec- 
tives dont  elles  sont  les  protectrices,  et  on  leur  abandonnera  le 
choix  de  la  langue  de  leurs  écoles.  Aussi  43  pour  100  des 
écoles  primaires  ne  sont-elles  pas  hongroises,  le  nombre  des 
écoles  purementroumainess'élevanten  L890à3,281),  fréquen- 
tées par   244,5-40  écoliers   sur  750,000   enfants  soumis   à  la 


476  ÉPILOGUE 

loi  scolaire  (T.  Depuis  1879,  renseignement  du  magyar  y  est 
obligatoire  :  on  doit  lui  consacrer  au  minimum  trois  heures  [)ar 
semaine.  (2) 

Eh  bien!  toutes  ces  avances  faites  aux  luitionalités  et  parti- 
rulièrement  au  roumanismc,  ne  les  désarmèrent  point.  Avec 
une  aberration  jjrandissantc,  elles  gardèrent  leur  attitude  hos- 
tile à  1  égaid  de  TËtat  hongrois,  tandis  qu'il  avançait  imper- 
turbable dans  la  voie  du  progrès,  du  développement  intellec- 
tuel ,  matériel  et  ])oliti(|ue.  Pour  comble  de  malheur,  les 
Roumains  proclamèrent  la  j)assivité,  l'inaction  même  le  7  mars 
I8(!!l,  malgré  l'opposition  d'une  iTaction  très  importante  de 
leurs  hommes  politiques  tels  que  Josrph  Hosszn,  Sfumiel  Pontts, 
Crisicd,  Dar(/().s.Cei  acte,  qui  les  empêcha  de  reparaître  depuis 
au  parlement  hongrois,  et  qui  n'avait  même  pas  le  mérite  d'être 
original  puisqu'il  imitait  l'attitude  des  M(iii)(irs  à  l'égard  du 
u  Reischsrath  -  ,  ne  pouvait  être  inspire''  que  par  une  supposi- 
tion outrageante  ou  par  un  jugement  faux.  Il  fallait  (jue  ses 
promoteurs  crussent  que  le  compromis  ne  serait  qu'une  feinte, 
le  serment  prêté  par  Finnçois-Joscpli  se  rapportant  à  sa  fidélité 
à  la  constitution  qu'une  comédie,  ou  que  leur  détermination 
changerait  complètement  l'état  des  choses  en  Hongrie.  Or  il 
n'y  pv^s  une  seule  promesse  que  le  roi  apostolique  actuel  n'ait 
scrupuleusement  remplie,  il  n'y  a  pas  de  tentative  du  gouver- 
uomcnt  hongrois  (jui  n'ait  été  couronnée  de  succès  :  l'équi- 
libre budgétaire  est  rétabli,  les  réformes  les  plus  importantes, 
politiques,  administratives  ou  judiciaires  sont  exécutées  ou  en 
voie  d'exécution.  Il  en  résulte  que  l'on  doit  considérer  la 
situation  brillante  de  la  Hoiifjiic  créée  par  là  sagesse  des  Szlài'j, 
des  7'isz((,  des  Sznjx'try,  des  HcAer/c,  et  des  Bcinffy  et  que 
M.  Colonuni  (le  .S'rr7/est  en  train  de  considérablement  augmen- 
ter encore,  uni(picment  comme  l'œuvre  des  Magyars.,  à  cause 
de  laquelle  le  monde  civilisé  tout  entier  ne  leur  marchande 
plus  ses  applaudissements  les  plus  chaleureux,  et  que  la  bou- 
derie injustifiée  des  Roumains  tourne,    en   proportion   de   sa 

l)  (i.  Heksics,   f.((  (jucstio)t  ronmoiuc,   l'aris  1896,  p.  121. 

2    A.  DE  Beutiia.  La   ConstiCulioii    lioitgroise,  d'.iprès  le    D".  S.   IJado.   l'aris, 
1898,  p.  139. 


EPILOGUE  477 

durée, contre  eux  de  plus  en  plus,  à  leur  propre  confusion. 
Mais  déjà  ils  ont  trouvé  un  motif  plausible  pour  se  donner 
contenance  dans  une  position  aussi  fausse  :  ils  se  plaignent  de 
l'injustice  et  de  la  tyrannie  des  Mac/yars  soit  en  pétitionnant 
contreeux  près  de  renipereurd'Autricbeà  Vionie,  soitenadres- 
sant  des  "  Mémorandums  "  à  l'opinion  publique  européenne 
pour  provoquer  un  mouvement  de  compassion  en  leur  faveur. 
Démarcbes  évidemment  permises  et  en  principe  bien  combi- 
nées, puisque  comme  dit  La  Fontaine  : 

...  C'est  rtre  innocent  (|ue  d'être  malheureux  ! 

Seulement  il  est  loisible  aussi  de  poser  la  question  :  leur 
malbeur  est-il  réel?  En  tout  cas  la  manière  dont  ils  se  plaignent, 
ne  le  ferait  pas  croire,  car  en  voulant  se  passer  de  l'entremise 
du  ministère  liongrois  pour  présenter  leur  supplique  non  pas 
au  roi  de  Hongrie,  qui  est  leur  souverain,  mais  à  l'empereur 
(VAiiirivIie,  (|ui  n'a  rien  à  faire  avec  eux  et  non  pas  dans  la  capi- 
tale de  la  Uonijrie,  qui  est  la  leur,  mais  dans  la  capitale  autri- 
chienne, où  ils  n'ont  rien  à  chercher;  en  voulant  se  servir 
de  laide  des  Roumains  de  la  Roumanie,  qui,  quoique  leurs  con- 
sanguins, ne  sont  pas  moins  desimpies  voisins  pour  la  Hon(jrie, 
ils  font  preuve  d'une  indépendance  de  cœur  et  d'esprit  qui 
n'est  pas  ordinairement  l'indice  d'uu  peuple  accablé  par  les 
iniquités. 

Et  en  effet  les  Roumaine  de  la  Transylvanie  ne  le  sont  que 
dans  l'imagination  de  (juelques  ultras.  C'est  sous  un  aspect 
tout  différent  que  la  réalité  les  fait  paraître  devant  les  veux 
de  l'observateur  aussi  bien  au  point  de  vue  intellectuel  et 
moral,  qu  au  point  de  vue  de  leur  situation  matérielle. 

«  H  est  incontestable,  écrit  le  journal  roumain  magyaro- 
j)hobe  il  Tribuna  "  de  Sagy-Szcben,  dans  un  numéro  (5U)  de 
l'année  189  4,  que  ce  sont  les  Grecs  orientaux  de  la  Hongrie- 
Transylvanie  qui  se  trouvent  au  plus  haut  degré  de  la  civi- 
lisation parmi  les  chrétiens  du  rite  grec-oriental.  Qu'ils  soient 
unis  ou  non-unis,  ils  ont  une  excellente  organisation  religieuse 
et  ils  disposent  d'un  clergé  très-savant.  Ce  sont  eux  qui  ont 
reformé  toute  léglise  grecque  orientale  !  " 


478  ÉPILOGUE 

A  côté  de  la  reli{]ion,  linstruction  et  1  éducation  s'y  trouvent 
dans  un  état  très  florissant  en  comparaison  de  celles  données 
en  Roimiaiiie.  D'après  le  recensement  de  I  8iH)  chez  les  Rou- 
mains de  la  Hongrie,  les  lettrés  fournissent  1  i,04  pour  100  en 
face  des  53,;i4  pour  100  du  reste  de  la  population,  tandis 
fiu  en  lioumanie  le  pour  cent  descend  à  cet  égard  à  12, G  re- 
censement de  180ij.  .^  De  1867  à  1888,  dit  le  D^  Mnldo- 
vân  (1),  le  nombre  des  écoles  primaires  roumaines  s'est  accru 
de  1 ,200.  et  on  enseigne  en  roumain,  malgré  la  soi-disant  hos- 
tilité du  gouvernement  hongrois.  Avant  I8()7,  le  nombre  des 
instituteurs  diplômés  roumains  était  très  restreint,  tandis 
(lu  aujourd'hui,  à  peu  d'exceptions  près,  nos  instituteurs  ont 
tous  leur  brevet.  Ce  n'est  donc  pas  seulement  par  le  nombre 
que  nos  écoles  actuelles  témoignent  en  faveur  du  relèvement 
de  l'instruction  chez  les  Roumains,  mais  aussi  par  les  condi- 
tions de  leur  enseignement,  de  leur  installation,  de  leur  salu- 
brité. Dans  le  pays,  on  rencontre  partout  des  associations  de 
professeurs,  des  sociétés  littéraires,  des  crèches,  des  orphéons 
roumains  que  nul  n'arrête  dans  leur  développement  et  qui 
certes  sont  très  utiles  à  la  civilisation  roumaine.  " 

«  Vos  écoles,  continue  le  savant  professeur  de  l'Université 
de  Kolozsvâr  en  s'adressant  à  ses  consanguins  de  la  Roumanie, 
se  débattent  encore  contre  les  misères  du  début.  Ici,  en  Tran- 
sylvanie, nous  commençons  déjà  à  nous  appauvrir,  tant  nous 
sommes  forcés  à  vous  fournir  des  professeurs  pour  vos  écoles, 
^ous  ne  pouvons  pas  former  assez  d'instituteurs  pour  vous 
satisfaire.  Chez  vous,  renseignement  se  trouve,  à  commencer 
par  les  écoles  primaires  jusqu  à  l'Université,  dans  les  mains  de 
jeunes  gens  élevés  aux  mamelles  de  la  science  magyare,  et 
cependant  vous  ne  vous  plaignez  pas  !  " 

«  11  est  inexact  qu'il  soit  interdit  aux  jeunes  gens  roumains 
'^de  la  Hongrie)  défaire  leurs  études  à  l'étranger.  Quelques-uns 
y  sont  envoyés  par  le  gouvernement  hongrois  lui-même,  qui 
leur  donne  des  bourses  pour  subvenir  aux  frais  de  leur  séjour 
à  l'étranger.  Babès  était  un  des  ceux-là  :    il  est  aujourd'hui 

I  i    IjC  D'  GmicoiiiK  MoLDOVAN,  Rcjwnse  au  Mémoire  de  la  jeunesse  roumaine. 
Koloszvar.  1895,  p.  49^,  cl  pas.ùm. 


ÉPILOGUE  479 

chez  vous  et  il  est  rornement  de  l'Université  de  Bucarest.  « 

«  Notre  "  Société  de  Propagande  «  (Asotiaciunea  Transil- 
vana)  date  de  18G1  déjà,  et  combien  grand  est  le  nombre  des 
Magyars  inscrits  dans  la  liste  des  membres  de  cette  société. 
C'est  seulement  en  1885  que  les  Magyars  ont  commencé  à  or- 
ganiser leur  u  Société  de  Propagande  »  . 

«  Maintenant  il  s'agit  de  savoir  qui  a  créé  les  fondations 
scolaires  de  Naszod?  Ce  fut  le  gouvernement  hongrois  lui- 
même,  qui  céda  une  véritable  fortune  de  plusieurs  millions 
en  faveur  d  œuvres  se  rapportant  à  l'instruction  des  Rou- 
mains. » 

«  Nous  n'obtenons  pas  d'emplois!  Or  il  est  à  remarquer  que 
nous  sommes  des  passivistes,  qui  ne  considérons  pas  le  gou- 
vernement hongrois  comme  sérieux;  nous  lui  faisons  opposi- 
tion et  nous  ne  voulons  pas  lui  obéir.  Comment  pouvons-nous 
exiger  des  emplois  d'un  gouvernement  à  l'égard  duquel  nous 
sommes  en  opposition  constante?  Nous  n'obtenons  pas  d'em- 
plois !  Mais  montrez-moi  un  seul  Roumain  ayant  fait  ses  études 
qui  n'ait  pas  d'emploi  ;  présentez-en  un  qui,  ayant  ses  certificats 
d'aptitudes,  n'ait  pas  été  placé  dans  des  emplois  auxquels  il 
avait  droit!  Le  fait  est  que  nous,  Roumains  de  la  Hongrie, 
nous  ne  produisons  pas  assez  d'hommes  pour  la  Roumanie. 
Elle  guette  nos  enfants  dès  leur  berceau;  elle  nous  enlève  la 
crème  de  notre  jeunesse  et,  si  elle  ne  veut  pas  suivre  son  invi- 
tation, elle  lui  garantit  par  des  lois  spéciales  de  riches  dota- 
tions. Voilà  la  raison  de  notre  appauvrissement  intellectuel; 
c'est  ainsi  qu'il  nous  manque  une  génération  de  braves  em- 
ployés, c'est  ainsi  que  nous  n'avons  pas  pu  créer  une  caste 
viable  de  fonctionnaires  départementaux.  >) 

«  Nous  avons  la  liberté  de  la  presse.  Le  nombre  de  nos 
journaux  roumains  s'est  considérablement  accru;  malheureu- 
sement le  nombre  de  ceux  aussi  qui  ne  savent  qu'abuser  des 
bienfaits  de  la  presse.  Et  cependant  les  procès  de  presse,  jugés 
par  nos  jurys,  sont  suffisamment  rares,  et  encore  plus  de  50 
pour  100  des  accusés  est-ilacquitté.  Il  n'y  a  eu  que  13  écrivains 
roumains  de  condamnés  dans  l'espace  de  vingt-quatre  ans!  Et 
même  parmi  ces  13  il  y  en  a  qui  ne  furent  condamnés  que  sur 


480  EPILOGUE 

la   requête    daccusateurs  privés  pour  calomnies    ou    injures 

graves  !  » 

Si  on  passe  eu  revue  maintenant  les  conditions  physiques 
et  matérielles  dans  lesquelles  les  Roinnams  vivent  en  Uoiujvic^ 
la  stastisque  fournit  les  données  suivantes  :  «  Pendant  la  période 
de  IS8()  à  l<S!)(),  1  accroissement  des  différentes  races  dans 
reusendjlc  de  l'État  hongrois  s'est  élevé  à  15,22  pour  100 
pour  la  race  magyare  (à  I4,S5  pour  100  dans  la  Hongrie  pro- 
preuKMit  dite),  à  7,77  pour  100  pour  la  race  roumaine  et  à 
2,45  j)our  la  race  slovaque.  Au  cours  de  la  même  période, 
la  population  totale  accusait  un  accroissement  moyen  de  10,01 
pour  100,  que  celle  de  la  race  magyare  dépasse  de  plus  de 
■\  pour  100  et  à  laquelle  celle  de  la  race  roumaine  est  infé- 
rieure de  3  pour  100.  » 

Il  Et  cependant  la  mortalité  est  moins  forte  dans  les  contrées 
habitées  par  les  Roumains  que  dans  celles  qu'habitent  les  Ma- 
gvars;  certains  départements  roumains  se  trouvent  même 
sous  ce  rapport  dans  une  situation  très  favorable.  Mais  en 
sounne,  la  race  roumaine  est  la  race  du  royaume  de  la  Hongrie 
dont  Taccroissement  est  le  plus  lent.  Cette  lenteur  d'accroisse- 
ment ne  se  rencontre  pas  uniquement  chez  les  Roumains  de 
la  Hongrie  et  de  la  Transylvanie.  Il  en  est  ainsi  en  lîoumanie 
où  elle  est  plus  considérable  encore.  D'après  M.  Levasseur, 
rémineut  savant  français,  sur  vingt-neuf  Etats  européens,  la 
Hongrie  occupe  pour  les  naissances  la  quatrième  place.  Or, 
la  moyenne  générale  du  pays  est  sensiblement  affaiblie  par  la 
race  roumaine.  La  Roumanie  n'occupe  au  contraire  que  le 
vingt-sixième  rang,  c'est-à-dire  qu'elle  vient  après  la  Erance 
elle-même  (I).  "  Il  est  à  remarquer  encore  que  la  population 
roumaine  est  à  tel  point  campagnarde  qu'elle  n'est  pas  en 
majorité  uu'nie  dans  les  villes  qui  se  trouvent  dans  les  con- 
trées essentiellement  roumaines. 

Depuis  le  rétablissement  de  la  constitution  hongroise  on 
constate  chez  les  Roumains  un  progrès  sensible  sur  le  terrain 
économique.    Ils    ne    possédaient  pas   moins    de  quarante    et 

(l;  Gi-STAVK  Beksics,  La  ijucsli  II  ruitinaiiie,  Paris  189."),  p.  237  et  pusùni. 


ÉPILOGUE  481 

un  établissements  financiers  en  189i,  dont  le  capital  social 
dépassait  quatre  millions  de  francs  et  le  capital  de  réserve 
1,200,000  francs.  La  gestion  en  était  excellente,  car  ces  établis- 
sements payèrent  dans  la  même  année  une  moyenne  de  18 
pour  100  de  dividendes,  tandis  que  les  dépôts  y  représentaient 
25  millions. 

Si  en  fait  de  grande  industrie  le  roumanisme  se  montre 
absolument  stérile, puisque  surles907  entrepreneurs  industriels 
de  la  Hnnririe,  employant  plus  de  20  ouvriers,  il  n'y  avait  pas 
un  seul  Roumain  (1890)  —  dans  le  domaine  de  la  petite  indus- 
trie ses  progrès  sont  incontestables,  notamment  dans  les 
départements  de  Szehcn  et  de  Brassa  où  il  entre  déjà  pour 
une  part  assez  respectable  dans  la  population  des  villes. 

La  proportion  dans  laquelle  les  propriétés  foncières  de 
grande  et  de  moyenne  dimension,  appartenant  à  des  Boit  mains, 
se  trouvent  relativement  à  la  totalité  des  propriétés  de  cette 
catégorie,  est  insignifiante  aussi  :  ()9,;i35  «  hold  »  cadastraux 
en  Transylvanie  et  82,043  dans  la  Hongrie  proprement  dite, 
c'est-à-dire  h  peine  0,G  pour  100  sur  vingt-sept  millions  de 
«  hold  »  le  «  liold»  ,  en  allemand  ^  Joch  '^  ,  valant  un  peu  plus 
qu'un  demi  hectare).  Mais  les  établissements  financiers  spé- 
ciaux des  Jioamains  s'occupent  activement  de  l'amélioration 
du  sort  des  paysans  roumains  et  leur  facilitent  de  leur  mieux 
les  moyens  d'acquérir  par  parcelles  les  propriétés  que  la 
noblesse  magyare  est  incapable  de  conserver. 

Tenant  compte  de  tout  ceci,  il  est  incontestable  que  le  cens 
électoral,  quelque  faible  qu  il  soit,  ne  favorise  pas  encore  les 
Roumains  pour  le  moment.  Comme  il  est  cependant  moins 
élevé  en  Transylvanie  où  ils  ont  la  majorité  numérique,  et 
comme  les  circonscriptions  électorales  y  sont  plus  petites 
qu  en  Ilonf/ric,  —  une  sur  30,000  babitants  contre  une  sur 
38,000  habitants,  —  ce  désavantage  devient  finalement  assez 
insignifiant.  D'ailleurs  la  ITmgrie  ne  pourrait  que  se  féliciter 
de  l'accroissement  du  nombre  des  électeurs  roumains,  car  il 
correspondrait  à  l'accroissement  des  forces  intellectuelles  ou 
de  la  richesse  matérielle  du  pavs. 


31 


p82  ÉPILOGUE 


...Or  force  et  ricliesse,  bonheur  et  prospérité,  gloire  et 
crrandeur,  v  a-t-il  un  seul  Hongrois  pour  ne  pas  les  souhaiter 
(le  tout  cœur  à  sa  patrie,  pour  ne  pas  savoir  que,  sans  l'union 
la  j)lus  étroite,  sans  raccord  le  plus  complet  de  ses  enfants 
elle  ne  les  possédera  jamais?  Et  cette  entente  si  désirable,  tant 
pour  les  Mitg)ars  que  pour  les  Iloiinutins,  peut-elle  avoir  une 
autre  base  que  la  conviction  de  n'être  humiliante  pour  per- 
sonne, de  ne  léser  les  intérêts  ni  des  uns,  ni  des  autres? 

Grâce  au  règne  glorieux  de  Françoia-Joseph,  à  la  politique 
libérale  et  équitable  d'une  suite  d'hommes  d'Etat  gouvernant 
dans  l'esprit  de  François  Dc/i/,  ainsi  qu  au  bon  sens  et  aux  sen- 
timents élevés  de  ses  j)opulations ,  la  Hongrie  moderne,  la 
/foiK/i-ie  du  Mdlénaire,  de  plus  en  plus  respectée  et  de  plus  en 
plus  respectable,  peut  hardiment  prononcer  des  paroles  de 
paix.  Soutenue  par  l'affection  de  son  souverain  et  de  la  maison 
régnante  tout  entière;  appuyée  sur  sa  demi-sœur  chérie  et  son 
alliée  naturelle,  ÏAn/ric/ie  puissante;  sûre  de  Ihéroïsme  et 
du  dévouement  de  la  nation  hongroise,  rajeunie  par  les 
épreuves,  elle  se  montre  conciliante  et  avenante  parce  qu'elle 
préfère  la  sympathie  à  la  crainte  dans  ses  relations  internatio- 
nales, dans  ses  rapports  as  ec  ses  voisins. 

Quant  aux  diverses  nationalités,  elle  leur  tend  ses  bras  ma- 
ternels avec  le  même  amour  qu'à  leurs  frères  magyars. 

Douce  et  généreuse,  juste  mais  indulgente,  elle  oublie,  par- 
domie  et  espère.  Si,  égarés  par  quelques  inconscients,  jusqu'ici 
les  lioumains  n'ont  écouté  le  plus  souvent  que  les  conseils 
d'une  rudesse  primitive  ou  des  instincts  intempérés  :  ayant 
élargi  1  hori/.on  de  leur  savoir,  affiné  leurs  sentiments,  élimi- 
né de  leur  esprit  les  idées  fausses  subrepticement  inculquées, 
dorénavant  ils  sabandonueront  à  leurs  penchants  les  meilleurs, 
(pie  leurs  nombreux  grands  hommes  ont  suivis  pour  se  confier 
tilialcMueul  à  la  //ongric,  leur  hôtesse  accueillante  pendant  les 
plus  tristes  époques  de  leur  histoire,  leur  tutrice  toujours  ])leine 
de  sollicitude  au  début  de  leur  développement  intellectuel. 


ÉPILOGUE  483 

leur  libératrice  en  1H48,  la  protectrice  Je  leur  nouveau  royaume 
au  cougrès  de  Berlin  en  1878,  par  la  bouche  du  comte 
Jules  Andrt'fss]  . 

Hôtesse,  tutrice,  libératrice  et  protectrice  tour  à  tour,  la 
llo)i(j)ie  n'exi{]e  aucune  reconnaissance,  car  après  avoir  savouré 
le  bonheur  réconiortant  de  faire  son  devoir,  elle  se  trouve 
déjà  largement  récompensée.  Avec  la  conviction  d'être  inatta- 
quable sur  le  terrain  du  droit,  les  yeux  fixés  sur  les  problèmes 
politiques  et  sociaux  les  plus  graves,  dont  l'avenir  prochain 
doit  donner  la  solution,  elle  monte  d'un  pas  ferme,  à  la  suite 
du  groupe  auguste  des  grandes  nations  et  par  les  chemins 
ardus  mais  sacrés  du  Bien,  du  Vrai  et  du  Beau,  vers  les  som- 
mets radieux,  où  dans  sa  miséricorde  infinie  Dieu  attire  secrè- 
tement l'Humanité,  cette  éternelle  assoiffée  d'idéal  ! 


FIN 


ERRATA 


Pa{>e  7,  li{;jie  32,  au  lieu  de  sont,  lire  soienl. 

Page  55,  lifjne  10,  au  lieu  de  Valch^  lire  Vlach. 

Pajje  78,  li{>ne  23,  au  lieu  de  Houmanis,  lire  lioninains. 

Pfijjt'  93,  lijjue  11,  au  lieu  de  romaines,  lire  rornnaines. 

l'ajjc  Hî).  lij;nes  14  et  22,  au  lieu  de  BassM-ali,  ['ivc  Bassarah. 

I*a;;e  175,  li{>nes  14  et  15,  lire  aisément. 

Pajje  176,  lijjiie  22,  lire  de  1546. 

Paj;e  178,  li,';iie  17,  lii'c  à  Brasso. 

Pa.;;(^  [84,  lijpie  27,  au  lieu  de  1566,  lire  1556. 

Pajje  193,  lijjne  28,  au  lieu  de  Transylvanie,  lii'e    Transylvaniœ. 

Pajje  234,  lifjne  24,  au  lieu  de /^royo^/wee,  lire  convoquée. 

Pajfe  286,  ligne  33,  au  lieu  de  laheiir.,  lire  labour. 

Page  319,  ligne  5,  au  lieu  de  la,  lire  sa. 

Pa{>(;  319,  lijfue  6,  au  lieu  de  sa,  lire  la. 

Pa{>e  347,  ligne  ^9,  lin;  mais  déjà  le  fil... 

l'âge  374,  ligne  H,  lire  François  Palatzky. 

I^ajje  405,  ligne  30,  au  lieu  de  42.000,  l'ire  42,000,000. 

Page  425,  ligne  17,  lire  il  ne  donnait  pas  suite. 

Pajfe  44iS.  ligne  14,  au  lieu  de  Jancso.,  lire  Janen. 

Pa;;('  448,  ligne  31,  au  lieu  à'il  fit.,  lire  (/a' il  fit. 


TABLE   DES  MATIÈRES 


Avant-propos. 


LIVRE  PREMIER 

CONTROVERSES   THÉORIQUES 

Chapitre      I.   —   Raisons  et  nature  des  revendications  roumaines 1 

—         II.   —   L'origine    dacique ^Ç 

III.    —   La    continuité    dacique 

_       IV     —   La  péninsule   Imlkanique   est  le  berceau  du  peuple  rou- 

^  .  ...       41 

main 

_  '  Y.  —  Les  Roumains  se  répandent  sur  la  rive  gauche  du  Da- 
nidje _ 11 

_  VI.  —  Y  a-t-il  eu  des  Roumains  en  Hongrie  à  l'époque  de  la 
conquête  du  pays  par  les  Magyars  ? 


LIVRE  DEUXIÈME 

UEL.\T10NS    ENTRE    MAGYARS    ET    ROUMAINS    .lUSQU    A    LA 
FIN    DU    XVir    SIÈCLE 

Cluq.ilrc  1.    -   Sous  les  rois  de  la  maison  d'Arpàd,  .  ....  ■■  ■_ 'J 

_  II     —   La  fondation  de  la  Valachie  et  de  la  Moldavie •        «- 

_  111.   -    La    prétendue    organisation    miUuirc  (Epoca  mihtara' 

des  Roumains  ^^ 

_  IV,  —  Les  Hunyadi .  T^ 

_  V     —   La  révolte  des  paysans  et  l'union  des  trois  nations.  ...      i-a 

_  VI.   —  Les  Turcs,  maîtres  de  la  péninsule  balkanique,  s'immiscent 

dans  les  affaires  des  deux  vayvodies 1-*» 

_         VII,   —  La   catastrophe  de  Mohàcs  et  l'érection  de  la  Transyl- 
vanie en  principauté  indépendante 


Cliapilrc   VIII.   —  Le  proteslantisine  et  le  roniiiaiiisme   an  wf  siècle..  176 

—  IX.    —   Le  vayvode  Micliel  le  Brave 195 

—  X.    —   Graiulcur,  décadence  et  disparition   de   la  Transylvanie 

comme    état   indépendant 215 

—  XI   —   Le  protestantisme  et  le   roumanisiuc  au  xvii'  siècle   .  2-i(i 


LIVRE  TROISIKME 

Ll.  s    liOl   M.VI.NS    W     .S|;i!\i(.[:     1)1,    ]..\    P.  i;.\CT10N 

chapitre          I.   -       Le   diplùnie  de  Léopold   I" 253 

—  11.   —  L'union  relip,ieuse  des  Roumains 265 

—  ni.   —  L'union    et   l'orthodoxie 288 

—  IV.    —   Les   Roumains  de  rép0(jue   au  point  de  vue  polili(pic, 

social  et  démographique l]0't 

—  V.   —  Les  trouilles  de  iTS'i. ;}17 

—  ^  L  —   Cam[)agnes    politiques     cl    littéraires    du    roumanisme 

intellectuel 3:59 

—  N  II.     —   La  renaissance  de   la   Hongrie 360 

—  \  III.   —   La  politique  de  la  réaction 372 

—  IX.   —   La  dernière  diète  hongroise  et   la    première    assemhlée 

des  Roumains 385 

—  X.   —   La  dernière  diète  transylvanienne  et  la  seconde  assem- 

hlée  des   Roumains 399 

—  XL   —    La  guerre  civile 418 

—  XI 1.   —    \  K-  ricli;  —  cl  victoribus 4V1 

—  XIII.    —    Le  c()iii]ir()mis 455 


El'ILOOl'K 


ttô 


PARIS 

TYPOGRAPHIE    nE    K.     PLON,     NOTTRniT    ET    C' 

liiic   Garaucièrc,    8 


w>.^,^  I  .     uun      J.  Ci   lOVO 


DB  Bertha,   S^ndor  de 

925  Ma.gya.rs  et  Roumains  devant 

B4  1 ' histoire 


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