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MAHOMET
ET LE CORAN
A LA MÊME LlBPiAlRlE
I,K BoL'ODiiA ET SA RELIGION', par îl. Barthélemt Saint-IFilaire. Nouvelli
L'ililion au^'mentée d'uno noio sur le Nirvana. 1 vol. in-8. 7 fr.
Le uêue. 1 vol. in- 12. ô fr. hO c.
EN PflEPARATION :
Le Ykda, ou les Écritures sacrées du rraluninisme, p,»r M. Dabthélem'
Saint-Hii.mre. 1 vol.
Philosophie et Religion des peuples de i,'.\sie centrale, an temps \n\-
sent, par le couite de Gouineau. 1 vol.
La science en Orient. La Cliine, le Bralimanisme, Auliiiuitcs de if
Perse, le Boudiliiisine, fie., par .1. .1. Ampère. 1 vol.
PïTHVGORE, .-a vie et sa doctrine. 1 vol.
ZdROASTRE, etc. 1 vol.
iMUi-. — iMP. SIMON n»ro\- et couiv, nuR n'FriFrnTii, I.
M A H 0 I\I E T
LE CORAN
rr.ECErtE d ine inthomction sur les devoirs mutuels m. i.v philosophie
ET DE LA RELICIOX
J. BARTHELEMY SAINT-HILA IRE
U E il I'. I'. E DE L ' I N = T I T C T
(ACAriÉUIE DES sCIEXCES U ORALES ET TOI. ITIijDEs)
DECXIEBiC EDITION
PARIS
LIBRAIRIE ACADÉMIOOE
DIDIER ET C'S LIBUAIRES-ÉDITEIRS
Î5, QUAI ItBl .\ ICUbTINS, 3»
180,-)
Tons droil»; r/servw».
\\, I ^
lui
PRÉFACE
DES DE\OmS MlTl'ELS DE LA PHILOSOPHIE
ET DE LA RELIGION
Je me suis appliqué, en étudiant Mahomet, à
exercer envers lui une stricte justice. J"ai signalé
ses graves défauts à côté de toutes ses vertus, et
ses faiblesses à côté de son génie ; je n'ai rien dis-
simulé, ni du mal, ni du bien; et, après avoir ba-
lancé lun et l'autre, j'ai cru devoir porter un
jugement favorable sur le prophète de l'Arabie.
Selon moi, l'impartiale histoire ne peut plus avoir
une autre opinion; désormais, Mahomet lui
apparaîtra comme un des hommes les plus extraor-
dinaires et les plus grands qui se soient mon-
trés sur la terre. Sa physiunouîic est très-loin
a
ri l'UEFACE.
d'être d'une irréprochable pureté; mais, malgré
les taches qui la déparent, elle n'en reste pas moins
une des plus belles et des plus remarquables. Pour
bien apprécier Mahomet, nous devons faire taire
nos préjugés religieux ou nationaux, et ne voir dans
son œuvre que ce qu'il y a mis, indépendamment
des conséquences que cette œuvre a portées, et qui
peuvent plus ou moins nous blesser encore au-
jourd'hui.
Qu'on veuille bien peser avec attention les consi-
dérations suivantes.
Il existe maintenant plus de cent millions de
mahométans. Ils sont répandus depuis le Maroc en
Afrique, jusqu'au pied de l'Himalaya dans le nord
de l'Inde, et depuis le fond de l'Yémen, jusqu'aux
bords du Danube au centre de l'Europe. Ils forment
encore plusieurs empires puissants, parmi lesquels
on compte la Turquie et la Perse; et si d'autres,
comme celui du Grand-Mongol, ont disparu, c'est
l'édifice politique qui seul est tombé, tandis que
l'édifice religieux est demeuré debout et solide.
Dans des pays si vastes et si distants les uns des
autres, sous des climats aussi divers, la foi musul-
mane n'a rien perdu de son ardeur. Après douze
siècles et demi depuis lllégire, elle est aussi vive
et presque aussi fanati(jue qu'aux j)remiers jours.
Le foyer n'est pas j)iès de s'éteindre, malgré ce
PREFACE. VIT
qu'en nugureiildes observateurs peu judicieux; il
brûle loujours, et il brûlera bien longtemps encore,
comme laltesleul les formidables explosions qui
se sont produites sous nos yeux : linsurreclion mi-
litaire de l'Inde anglaise en 1857, ou l'insurrection
récente de notre Algérie.
L'Europe chrétienne est avec toutes ces popula-
tions mabométanes dans des rapports intermittents
de paix ou de guerre ; mais, en général, ce sont
les relations pacifiques qui tendent à prendre le
dessus. A mesure que nous connaissons mieux ces
peuples, nous sommes disposés davantage à ne plus
les mépriser, comme nous le faisions jadis. Ils ont
les plus réelles qualités de courage et de persévé-
rance. Inébranlables dans la croyance de leurs
pères, ils sont bien moins portés que nous à se
convertir. Leurs mœurs sont, il est vrai, de beau-
coup inférieures aux nôtres ; mais cette corruption
est une vieille plaie, qui, de tout temps, a rongé
1 Asie et l'Afrique. Ce n'est point le Mahométisme
qui l'a faite, et il a même tenté de la guérir. Notre
industrie, nos sciences, nos arts pénétreront peu à
peu parmi ces nations, qui commencent à en goûter
les bienfaits, et qui y sont peu rebelles naturelle-
menl, piiisqu'à quelques égards elles nous ont de-
vancés de plusieurs siècles dans cette voie. Mais si,
par leur contact avec nous, elles font des progrès
VIII PREFACE.
matériels, religieusement nous ne gagnons rien sur
elles; et les prédications héroïques de nos mission-
naires, si fécondes ailleurs, échoueront toujours
devant le Mahométisme, qu'ils ne peuvent enta-
mer. De leur propre aveu, ils ne trouvent pas,
dans leur apostolat universel, un obstacle plus
invincible que celui-là.
Ce grand fait doit nous éclairer, et nous pou-
vons en conclure sans hésitation que Mahomet a
compris parfaitement quelle doctrine religieuse
convenait à ces races. Par inspiration, comme je le
crois, ou par calcul, comme on l'a dit trop souveni,
il a si bien su leur mesurer leur foi qu'elles y sont
restées attachées inviolablemenl, à travers les plu>
terribles vicissitudes. Selon toute probabilité, le
temps ne détruira pas plus la foi musulmane qu'il
n'a détruit la foi juive, stalionnaire, mais immuable.
Le Mahométisme ne fait pas de prosélytes nou-
veaux; mais il ne perd aucun de ceux qu'il a con-
quis, et les musulmans continuent de vénérer Ma-
homet, bien plus que les Israélites ne vénèrent
mainlcnaiil Moïse.
A moins de supprimer dédaigneusement près d'un
dixième de rhumanité.il faut donc faire une large
place à la relij^ion musulmane dans l'état présent
du monde ; et, (piellt^s que soient les passions aveu-
gles de la foule, la polititjuc au moins devrait nous
PREFACE. TX
apprendre à être plus bienveillants en ce qui con-
cerne le iMahométisme.
Que si, remonlant à son origine cl à ses dogmes, .
nous nous demandons ce qu'il est en lui-même,
nous n'aurons guère qu'à le louer. Qu'est-ce, en
effet, que la révolution religieuse accomplie par
Mahomet, vers le milieu du septième siècle de notre
ère? Dans son caractère le plus général, c'est la
destruction de Tidolàtrie. A de grossières croyances,
descendant à un stupidc fétichisme, dont le culte
de la Pierre noire, à la Caaba, est encore le témoi-
gnage et le reste innocent, Mahomet a substitué,
après vingt ans de luttes, la foi à un Dieu unique,
clément et miséricordieux, créateur des cieux et de
la terre, père de Thomme, sur lequel il veille et
qu'il comble de biens, rémunérateur et vengeur
dans une autre vie, où il nous attend pour nous
récompenser ou nous punir selon nos mérites,
lout-[)uissant, éternel, infini, présent partout,
voyant nos actions les plus secrètes, et présidant
à la destinée entière de ses créatures, qu'il n'a-r
bandonne point un seul instant, ni dans ce monde-
ci ni dans l'autre. L'Islam est la soumission la
plus humble et la plus confiante à sa volonté
sainte. 11 n'y a pas plus à se révolter contre elle
qu'à désespérer de la fléchir; et le cœur du vrai
musulman est aussi tranquille (|ue pur, devant
X PliEFACE
l'auteur de son existence, son soutien indéfectible
et son équitable juge. Le seul culte que le musul-
man doive au Dieu unique, c'est la prière répétée
plusieurs fois par jour; et, à certaines époques de
l'année, des mortifications, qui ramènent plus par-
ticulièrement la pensée du fidèle à Celui qui l'a créé,
qui le fait vivre, et qui le retrouvera éternellement
après la mort.
Tel est l'Islam dans son essence et sa simplicité ;
telle est la vraie et saine doctrine que Mahomet est
venu prêcher au monde arabe, et par laquelle il l'a
persuadé et amélioré. S'il est un homme à qui la
raison et l'histoire doivent des éloges sous ce point de
vue restreint, c'est celui-là. A l'exception du Chri-
stianisme, appuyé sur la Bible et l'Evangile, avec
toutes leurs merveilleuses conséquences, il n'y a pas
d'autre religion au monde que l'on puisse équita-
blement comparer à l'Islam, et qui mérite, même
de très-loin, d'être mise en parallèle avec lui.
Sans doute, Mahomet n'a rien d'original, et
nous connaissons toutes les sources où il s'est
inspiré, en les comprenant d'ailleurs assez mal.
Mais, à cet égard, qui a été plus modeste et
plus loyal que lui-même? Il ne s'est jamais donné
pour un novateur; il n'a jamais prétendu avoir
rien inventé. Il ne vient pas rt'véler un culte
inconnu. Loin de là : c'est la foi d'Abraham ,
PREFACE. XI
celle de Jacob, de Moïse, de David, de Jésus même,
qu'il doil reproduire et compléter; il n'apporle
point aux hommes des enseignements inouïs; il
vient leur répéter seulement ceux qu'ils ont cent
fois entendus, mais qu'ils ont oubliés. A la manière
dont il parle des prophètes antérieurs, à l'eslime,
à la tendresse même qu'il ressent pour eux, on
voit bien qu'il ne se croit pas leur égal, encore
bien moins leur supérieur; il ne fait que les conti-
nuer; il met le sceau à leur doctrine, en la redi-
sant après eux. S'il renverse TiJolàlrie, c'est pour
faire revivre, sous ses ruines et ses pratiques sacri-
lèges, la vraie religion que,'j3ar la suite des temps,
les hommes avaient méconnue. Il la réveille dans
leurs cœurs, où elle a laissé encore des étincelles
sous des cendres séculaires. Aussi, en présence des
saintes figures du passé qu'il évoque à son aide,
il se sent bien insuffisant et bien petit. Les pro-
phètes qui l'ont précédé avaient le don des mi-
racles; Dieu le lui a refusé. Ce don accordé à
d'autres, quoique souvent inutile contre l'ingrafi-
tude et l'endurcissement des hommes, ne lui est
plus nécessaire; il ne prétend parler qu'à la raison.
Cette puissance surhumaine, dont quelques pro-
phètes ont été divinement investis, ne les a ni pro-
lég(;s, ni fait réussir. Les peuples, tout en voyant des
prodiges, sont demeurés in.sensibles et se sont dé-
XII PRKF.VCK.
tournés, pleins de défiance, des npôlres qui les in-
struisaient; souvent même ils les ont immolés à leur
fureur. Le seul miracle de Mahomet, c'est le Coran,
qu'il récite au nom de Dieu, et qui transporte
d'enthousiasme et convertit tous ceux qui ont pu
l'entendre. On croit à l'Éternel et à la vie future
dès qu'on a écouté le prophète.
En face de cette doctrine courageusement prê-
chée, et convertissant en quelques années des mul-
titudes de peuples, à quoi bon s'inquiéter de savoir
d'où elle vient, ni même ce qu'elle a produit?
Quelle qu'en soit la source, quel qu'en ait été le
succès, il n'importe;- cette croyance est en soi
digne du plus grand et du plus légitime respect.
La gloire de celui qui l'a propagée n'est pas
moindre, parce qu'il n'a fait que l'emprunter au
Judaïsme et à la religion chrétienne. Depuis de
longs siècles, le Mosaïsme s'était efforcé vainement
d'éclairer l'Arabie ; le Christianisme n'avait pas été
plus heureux. L'idolâtrie subsistait, toujours vivante
et hideuse, favorisant les moeurs les plus cruelles
et les plus dépravées. C'est Mahomet seul (jui la
vaincue et pour jamais extirpée, service immense
qui lui conquiert à bon droit la vénération éter-
nelle, si ce n'est le culte, des peuples musulmans.
A défaut du Christianisme, ({uils n'ont pu com-
prendre, rislam les a tirés des ténèbres où, sans lui
PREFACE.
peut-être, ils seraient encon; plongés. En honorant
Mahomet comme ils Thonorenl, ils ne lui rendront
jamais tout le bien qu'il leur a fait; leur recon-
naissance restera toujours au-dessous de ce qu'ils
lui doivent. D'autres, plus aimés de Dieu, peuvent
avoir une foi plus pure et plus sainte. Celle-là,
dans sa grandeur un peu nue et même un peu
sèche, est la seule que le peuple arabe pût recevoir
et conserver. 11 lui a dû tout ce (ju'il a été sur le
théâtre de l'univers; et le patriotisme est venu se
Joindre à la religion pour faire de Mahomet, aux
yeux de ces races ennoblies par lui, un mortel im-
comparahle; pour elles, c'est l'Envoyé de Dieu,
c'est le Prophète du Tout-Puissant.
On ne peut pas le placer aussi haut, quand on a
le bonheur d'être chrétien ; mais il y aurait au-
jourd'hui une bien aveugle intolérance à nier son
génie, et l'histoire ne doil point ressentir une
animosité qui n'est plus de notre temps.
Il est vrai qu'auprès du fondateur de religion il y
a en outre le fondateur d'empire. J'en conviens : la
gloire de l'un n'est plus du tout celle de l'autre, et
nous entrons ici dans une sphère fort abaissée.
C'est ce double rôle qu'on n'a pas en général bien
démêlé, et qui a longtemps défiguré l'action reli-
gieuse de Mahomet. La polilique a des exigences
qu'on ne sent pas assez (juand on n'a pas soi-
i,v PREFACE.
même mis la main aux affaires. Tandis que la re-
forme religieuse peut se maintenir dans la pure
région des idées, la politique doit nécessairement
descendre plus bas. Si elle est bien inspirée, elle
peut s'abstenir du mensonge, de la fraude et de la
violence; elle peut, à plus forte raison, se défendre
du crime, bien qu'elle s'y perde trop souvent. Mais
elle doit toujours user de la force, sans laquelle
elle ne serait pas ; et la force, même bien employée,
est toujours loin de cette douce et calme in-
fluence de la persuasion, la seule arme à laquelle
la religion doive recourir.
Est ce ])ar ambition que Maliomet s'est fait cbef
d'empire? Est-ce un calcul égoïste qui Ta poussé
au rôle de général d'armée, après celui de propbcle,
qui a tiré le glaive à Tappui du Coran, et uni la
guerre à la prédication ? Je ne le pense pas ; et en
regardant à la vie du prophète, je me persuade que
de lui-même il n'avait jamais songé à combattre.
Jusqu'à cinquante ans passés, il n'avait pas montré
la moindre tendance belliqueuse; il n'y eut que
les j)rovocations incessantes de ses ennemis pour
le réduire à cette extrémité, qui n'était ni dans son
caractère ni dans ses habitudes. Il supportait les
injures avec une patience exemplaire; et il n est
pas une seule rencontre où il ait pensé qu'on }»ût
\ uppobiT une anUi' résistance. Sa douceur égahiil
PREFACE. XV
sa sincérité ; ce n'est que quand il fut poussé
à bout, qu'il se résigna à user des moyens dont
tout le monde usait autour de lui. Au milieu de
ces races turbulentes et toujours en armes, de ci s
conflits sans cesse renouvelés et toujours sanglants,
de ces luttes toujours homicides, c'était un phé-
nomène surprenant, qui ne pouvait durer, que
celle humeur si pacifique, qui supportait même
les coups après les insultes, ne comptant que sur
« le charme de la parole w pour adoucir la rage
des assaillants.
Il fallut donc que Mahomet fût menacé directe-
ment dans sa personne et qu'une tentative d'as-
sassinat eût été faite contre lui, pour qu'il pourvût
à sa sûreté. xMais il ne pensa même pas encore à des
représailles. A Médine, où il s'était réfugié, il lut
d'abord aussi paisible qu'il l'avait été à la Mecque.
Il est probable qu'il ne serait jamais sorti de celte
réserve, dont tous les prophètes ses devanciers lui
avaient offert le modèle, s'il n'avait tenu qu'à lui.
Mais sollicité par les émigrés qui l'avaienl suivi, et
par cette population toute dévouée de Yalhrib, qui
s'était donnée à l'Envoyé de Dieu depuis plus de
deux ans, il ne pouvait résister davantage. 11 n'eût
pas été le digne chef des Mohadjirs et des Ansâr,
s'il ne s'était pas mis à leur lêle, et s'il n'eût jias
intrépidement donné de sa personne, comme il le
XTi PRÉFACE.
fît au combat de Ohod, où il fut vaincu et courut
risque de la vie. Mais cette nouvelle carrière n'était
pas celle qu'il eût jamais rêvée ; il n'était pas natu-
rellement guerrier ; il n'avait point cherché à le de-
venir, même quand il suivait tout jeune ses oncles
à la guerre, encore bien moins quand il gardait les
troupeaux, ou qu'il errait solitaire sur le mont Hira,
et que, dans une de ses hallucinations extatiques,
il voyait l'ange Gabriel venir déposer le Coran sur
son cœur.
On n'a point remarqué suffisamment cette circon-
stance dans la carrière de Mahomet. Oui, personnel-
h.'ment il s'est cru prophète ; il a cru de toute l'impé-
luosilé de son àme à sa mission, et il a eu raison de se
prendre parmi ces peuples barbares pour un instru-
ment de Dieu. Mais ce n'est pas sa volonté propre,
ce n'est pas la convoitise de son ambition qui en a
fait un général et un conquérant. Des événements
extérieurs plus forts que lui et qu'il ne pouvait
j)révoir, l'ont précipité, 11 s'est trouvé sans le sa-
voir, sans le vouloir, le plusgrautl homme de guerre
de son pays, le polilitiue le plus habile, et il a
fondé un empire prest|ue malgré lui. C'est que
tout était prêt dans le monde arabe, auquel il s'a-
dressail, pour la révolution politique, aussi bien
que pour la résurrection morale. Toutes ces peu-
plades jusque là divisées étaient disposées à se
PRÉFACE. xvti
réunir, sans qu'elles-mêmes en eussent plus de
pressentiment que le prophète. La croyance re-
ligieuse devint le germe et le centre de cette fusion,
ébauchée déjà par Cossayy, qui allait constituer
un peuple à la place de hordes errantes. Le peuple,
l'empire, la religion naquirent du même coup.
Ce fut Mahomet qui frappa ce coup glorieux, sans
se douter jusqu'à quel point son action allait s'éten-
dre. 11 ne voulait que proclamer une religion ; il se
trouva qu'il organisait à la fois une nation et un
puissant état. Le Coran, qui révèle toute la pensée
morale de Mahomet, ne porte pas trace, pour ain.<i
dire, d'une pensée politique. Il combat avec fureur
lidolàtrie qu'il abhorre; il ne paraît pas un seul
instant soupçonner que les croyants vont tout à
l'heure former un peuple redoutable. Ce sont là
des secrets que les yeux humains ne discernent
point, tout sagaces qu'ils peuvent être Mahomet
est fort grand ; mais son regard n'a pas plongé
jusque-là , et il faut l'imagination d'un poëte tel
que Voltaire pour lui prêter, à mille ans de distance,
des desseins qu'il n'a jamais conçus.
C'est là ce qui explique la conduite de Mahomet
dans les dix dernières années de sa vie. Il est
contraint de faire la guerre ; mais il la fait à contre-
cœur, quoiqu'il la fasse quelquefois avec toute l'é-
nergie de sa nation, en même temps qu'avec une
xviii PRtFACE.
habileté supérieure. Ce n'est pas son élément ni son
goût. De là, cette clémence dont il a donné de si
fréquents exemples, et qui, non moins que sa mis-
■ sion divine, a dû surprendre ses contemporains fa-
rouches. Il est clair qu'il répugne à répandre le
sang, bien qu'il cède quelquefois, lui aussi, à la soif
homicide dont tout son entourage est altéré; il
tempère tant qu'il le peut ces frénésies, qu'il ré-
prouve et qu'il voudrait éteindre. Il est magnanime
et désintéressé, là où d'autres ne songent qu'au
pillage et à la vengeance. Il pardonne les injures
dont il a été abreuvé ; il tend une main bienveillante
et protectrice à des ennemis qui ont voulu le tuer. Il
leur donne la vie au lieu du mal qu'il a reçu d'eux ;
parfois il les comble de richesses, pour lesquelles
il n'a lui-même que du dédain. Il reste admirable-
ment simple dans sa personne et dans toutes ses
habitudes, même quand il estle maître de l'Arabie.
Le triomphe ne l'enivre pas; et s'il n'eût.pas suc-
combé à la seule passion qu'il n'a pas su vaincre en
lui, il serait resté moralement aussi pur qu'il a été
sincère, généreux et sage.
Que serait-il advenu si Mahomet n'eût pas joint
la politique et la guerre à la religion, et qu'il se fût
contenté, comme d'autres prophètes, de |)rècher
sans combattre? il est embarrassant de le dire; et
l'on jKMii juucr (|ne celle (|iit^sli(>n esl assez inililïé-
I-nEFAr.F.. XIX
rente. En fait, Mahometa propagé l'Islam les armes à
la main ; c'est par la force qu'il lui a élargi la route,
après l'avoir introduit par la discussion la plus inof-
fensive, soit en secret soit en public. D'autres reli-
gions, comme celle du Christ ou celle du Bouddha,
n'ont pas eu leur berceau ensanglanté, et elles ont
pu, du moins à leur origine, se passer de cet affreux
baptême, sans lequel le Mahométisme n'a pas pu
vivre. Le peuple arabe est avant tout guerrier ; il ne
peut même faire le commerce, qui l'enrichit, qu'en
le protégeant par les armes. Il est sans cesse mili-
tant. Les individus, dans leur isolement, se combat-
lent, comme les tribus entre elles ; ils n'ont d'autre
garantie que leur courage personnel. Chez un tel
peuple, avec de telles nécessités et de telles cou-
tumes, il n'est pas possible que des masses po-
pulaires se réunissent dans un intérêt commun,
sans en appeler aussitôt à la violence. Les passions
religieuses doivent surtout les y pousser, parce
qu'elles sont les plus actives et les plus profondes
de toutes. Parler de paix à ces foules désordonnées,
c'était vouloir ne pas être entendu ; et le chef qui
devait les diriger, en les éclairant, ne pouvait être
qu'un guerrier comme elles. Le Christianisme nais-
sant ne rencontra pas en Judée des conditions
aussi rudes. Le Bouddha s'adressait à des popula-
tions pacihques jusqu'à rin<ilie. La foi bouddhique
XX IM'.EFACE.
et la foi chrétienne ont pu se développer et fleurir
par la paix. L'Islam n'a pu échapper à l'exigence
atroce de la guerre. Il a subi cette frénésie des com-
bats. Mais ce n'est pas lui qui l'avait créée. Elle
régnait sans limite chez ces races, longtemps avant
Mahomet ; il la restreignit, sans pouvoir la détruire,
(juelque puissante qu'on suppose son action, elle
ne pouvait aller jusque-Là ; et ce n'est jamais un
homme qui peut inculquer aux peuples les instincts
permanents el irrésistibles ; ils ne les reçoivent que
de la nature. Seulement, avant le prophète, les
Arabes, désunis comme ils l'étaient, ne pouvaient
rien que se déchiier entre eux; une fois réunis par
la religion, ils ont répandu sur l'univers l'incendie
(|ui les dévorait. Sans l'Islam, ils n'étaient pas les
conquérants du monde; mais sans la guerre, l'Islam
lui-même n'était pas.
Ainsi, nous n'avons point trop de reproches à
faire à Mahomet; il faut absoudre en lui le prophète
sous l'homme d'Etat elle politique. Ou son œuvre
religieuse avorlait, ou elle n'était possible que par
les voies qu'il a employées. Tout impures qu'elles
sont, il vaut encore mieux (juil ne s'en soit pas
abstenu.
Mais on doit l'avouer : ce mélange de la politique
et (le la religion a beaucoup nui au personnage de
M.ihonicl. Il n a |)lus cette auréole de sainteté dont
rnEi-AOE. XM
quelques autres figures brillent au dessus de la
sienne: celle de Moïse, qui a été également chef et
législateur d'un peuple, oucelle du Bouddha, d'une
incomparable douceur, qui ne se dément point
un seul instant, incurablement trisle, mais sereine,
môme en face du néant. J'écarte celle du Christ,
qu'il nous est si difficile de juger, parce que nous
en sommes éblouis, rayonnant d'un éclat surhumain
que nos regards ne peuvent soutenir, idéal bien
digne de ce monde grec et romain, qui ne l'a pas
conçu, mais qui seul l'a compris et propagé.
Mahomet n'est pas certainement de cet ordre;
et s'il s'agissait d'assigner des rangs, il serait au
dernier et au moindre. 11 a encore toutes les
passions de la terre, bien qu'il parle au nom du
ciel, La plupart du temps, ces passions sont élevées
et très-nobles ; mais elles sont toujours trop mon-
daines,et l'on ne commande guère aux hommes, sur
ces hauteurs sacrées, qu'en cessant à peu près com-
plètement d'être homme soi-même. Mahomet l'est
beaucoup trop pour un fondateur de religion. C'est
h; malheur de sa situation et de son temps. Plus
haut, il fût sans doute resté inaccessible.il est placé
exactement à ce niveau abaissé et moyen où ses
compatriotes pouvaient l'entendre et le suivre. Mais
pour nous, si sa doctrine est irréprochable, sa vie
ne l'est pas; et tout en étant bienveillants et justes
XXII PREFACE.
envers lui, nous ne pouvons pas cependant le voir
autrement que les mains teintes de sang et dans le
cortège impudique de ses femmes. La politique peut
bien ne pas s'émouvoir de ce singulier specta-
cle ; en général, ses héros ne sont pas même aussi
scrupuleux que celui là. Mais la religion est plus
exigeante, et les âmes ne se donnent point, quand
elles sont un peu délicates, à qui n'a pas su dompter
en soi de tels besoins, qui ne sont après tout que
des souillures. Voilà comment l'Islam n'a séduit
que des races inférieures, et comment il est devenu
l'horreur du (.Christianisme, bien qu'il en fût sorti
et qu'il eût tout fait pour l'imitera
C'est que tout n'est pas également beau sur cette
scène si diverse du monde. Les sociétés, les races,
les gouvernements, les croyances, varient avec les
latitudes et les temps. Le Christianisme lui-même,
tout prodigieux qu'il est, paraissant quelques siècles
phis tôt, n'aurait pas pu se développer, et selon toute
apparence le germe en eût péri étouffé, bien qu'il
contînt le salut dn genre humain. Que dis-je ?
Même à l'époque où il a paru, dans les conditions
• Dante est Tcxpression naïve de cette répugnance et de ce mépris
des peuples chrétiens pour llslam, quand il inflige à Maliomct et à
son cousin Ali un supplice si atroce et si bizarre (£«/ipr, cliantXXVllI,
slanci'S 1 1 et suiviinlosK « pour avoir répandu le scandale cl le
schisme sur la Icrre. »
PREFACE. Kiii
OÙ il s'est montré pour sanclifier le monde, c'en était
fail de lui s'il s'était dirigé vers l'Orient au lieu de
marcher vers l'Occident. Saint Paul, arrêté sur le
chemin de Damas et changeant sa route, est le
symbole frappant de l'heureuse fortune du Chris-
tianisme. Transporté à Athènes, et surtout à Rome,
le Christianisme respira l'atmosphère qu'il devait
purifier, mais qui devait aussi le nourrir. Se confi-
nant dans lAsie Mineure, et cherchant à s'étendre
vers la Mésopotamie ou la Perse, quel eût été son
destin? L'exemple de l'Arabie nous l'apprend. Il
n'eût trouvé dans ces déserts que des races abruties,
(jui l'eussent repoussé, parce qu'elles n'en étaient
pas dignes; et le Christianisme languissant se serait
contenté de faire nombre parmi tant d'autres sectes,
dont il n'aurait guère dépassé l'impuissance et
l'obscurité. Au contraire, une fois dans l'empire
romain, au centre de la civilisation grecque, il a pu,
grâce à Dieu, produire tous les fruits qu'il contenait
dans son inépuisable sein, et dont les races su-
périeures se satisferont peut-être éternellement.
Sans doute, Rome et la Grèce régénérées ont dû im-
mensément à la foi chrétienne; mais la foi chré-
tienne, que ii'a-t-elle pas dû, elle aussi, à celle
Grèce et à cette Rome qu'elle conveilissait !
C'est là un des enseignements les plus certains
que peut nous fournir l'histoire du Mahométisme.
xxiT PRÉFACE.
Au fond, In pensée religieuse est la même; el le
proplièle arabe avait assez raison de dire aux juifs
et aux chrétiens : « Mon Dieu est le vôtre. » Mais
ce qui était différent, c'étaient les peuples, c'étaient
les races, c'étaient les mœurs. Mahomet, tout sincère
(|u'il était, ne pouvait se l'avouer, parce qu'il ne le
sentait pas lui-même. Il croyait ne reproduire que
la doctrine des prophètes anciens; c'était vrai,
quoique peut-être un peu moins qu'il ne le suppo-
sait et qu'il ne l'eût voulu. Mais l'auditoire était
autre, et ce simple changement a suffi. Ici le Chris-
tianisme, là rislam; d'une part la civilisation avec
toutes ses lumières, ses forces, ses progrès; et
d'autre part, une demi-barbarie, qui, après avoir
franchi d'un premier élan certaines limites, s'est
arrêtée court et demeure immobile, jusqu'à ce
qu'une main étrangère vienne lui rendre le mou-
vement et la vie.
Ceci ne rabaisse pas le Mahomélisme, mais le
place à son rang. 11 vient immédiatement après le
Christianisme, et les races musulmanes forment,
par leur position sur la terre, aussi bien que par
leur foi, comme un intermédiaire entre l'Europe
chrétienne el les populations asiatiques. Les mu-
sulmans sont moins éclairés que nous; mais, tout
compris, ce son! les plus éclairés des Orientaux,
lisent moins d'originalité que plusieurs autres de
PREFACE.
ces peuples, ceux de l'Inde par exemple; et tout ce
qu'ils possèdent, ils l'ont reçu du dehors par les
Juifs, les Chrétiens et les Grecs; mais dans cette
situation moyenne de croyances , d'arts et de
sciences, ils ont fait preuve d'une aptitude que les
autres races orientales n'ont jamais eue au même
degré. Leur apparition dans l'histoire est, il est
vrai, bien plus récente, de même que l'est aussi
leur origine ; mais tirant assez peu de chose de leur
fonds, ils ont été du moins des héritiers intelligenis.
C'est une gloire que tous les peuples n'ont pas su
se donner. Que ce soit là le mérite réel des Arabes,
et leur titre durable à l'estime et à la reconnais-
sance du monde.
Mais je m'aperçois, un peu tard peut-èlrc, que
je parle bien sérieusement du Mahométisme et des
religions en général. Aujourd'hui il y a sur ce grave
sujet des opinions bien différentes de celle-là. On re-
garde les religions, y compris la religion chrétienne,
comme les bégayements du genre humain. Elles
ont pu naître, et même être utiles, quand l'huma-
nité était dans son enfance; elles l'ont nourrie et
bercée, quand elle essayait avec peine ses pas chan-
celants ; elles l'ont guidée, quand elle ne voyait pas
clair encore. Mais une fois parvenue à sa majo-
rité, l'humanité rejcite des onseianements qui ne
peuvent plus léclain r, comme l'enfant devenu
PREFACE.
adulte repousse des vètemeiUs qui ne peuvent plus
le couvrir. A ce mélange obscur d'imagination et
de poésie, de symboles et de demi-raison, qui
forme en proportions inégales tout système reli-
gieux, l'esprit humain substitue la pure lumière
de la science, qu'il a rendue infaillible. La religion
est un état transitoire qu'il a définitivement tra-
versé; il marche à des destinées nouvelles ; et soit
qu'il garde encore quelque gratitude envers les
croyances qui ont abrité son berceau, «oit qu'il
rompe violemment avec elles, quand elles veulent
appesantir sur lui et continuer leur joug suranné,
désormais il n'en a plus besoin ; il est émancipé. Il
s'avance dans sa virilité et son indépendance, débar-
rassé de langes qui ne sont plus bons que pour
rignorance ou l'hypocrisie.
Sur quelle métaphysique repose cette condam*
nation des religions, depuis les plus infimes jus-
qu'aux plus savantes? La voici.
Toutes les religions ont en général le tort de
croire à quel({ue chose en dehors de ce monde ; elles
rêvent pour Ihomme une autre existence après
celle-ci, et elles lui forgent des espérances chimé-
ri(jiies. Le dieu qu'elles se figurent, et qu'elles pré-
sentent à l'adoration des crédules humains, n'existe
jioinl. Dieu se confond avec le monde; Dieu n'est que
le (Irand-Tout ; il est la substance et la vie de chacun
l'UEFACE. XX vu
des phénomènes que nous observons, et même de
chacun de nous. L homme n'est pas Dieu ; mais il
est une partie du divin. Le monde est éternel et in-
fini ; il est l'Être universel, formé de tous les êtres
particuliers que perçoivent nos sens, ou que notre
intelligence peut concevoir. Avec toutes ses contra-
dictions et ses laideurs, il est le dieu réel, si ce n'est
le seul dieu. Quant à cet être parfait, auquel as-
pirent si vainement toutes les religions et parfois
môme les philosophies, il n'est qu'une simple idée
enfantée par la raison de l'homme, et ne durant
pas plus que nous. L'homme périt sans retour,
après la courte existence qu'il mène ici-bas, l'ayant
reçue il ne sait de qui, la perdant sans savoir pour-
quoi, n'étant sorti du néant que pour y être re-
plongé presque aussitôt, ne devant compte qu'à
lui seul de ses actes et de ses pensées, de ses vertus
et de ses crimes. L'ensemble de l'univers n'a point
eu de commencement; il n'aura pas davantage de
lin. Même à dire vrai, l'univers-Dieu n'est pas; il
devient sans cesse, et cet objet de la science, dont
l'homme est si lier en son orgueil, silest perpétuel,
est perpétuellement insaissisable et mobile.
Hegardéesdu point de vue de celte métaphysique,
les religions doivent produire un bien ])auvre effet ;
tout au plus semldent-elles des œuvres puériles et
passagères, quand elles ne semblent pas des œuvres
xxviii PREFACE
de fourberie et des machinations de despotisme.
Les religions, il est vrai, peuvent se consoler de
ce jugement hautain; car pêle-mêle avec elle^ et
sans plus de considération, on précipite dans le
même abîme tous les systèmes philosophiques an-
térieurs à cette science nouvelle, un peu trop dédai-
gneuse, qui s'intitule la Critique et dont le nom
serait plutôt le Scepticisme. Englobées avec toutes
les métaphysiques du passé dans cette condam-
nation commune et sommaire, les religions doi-
vent en prendre leur parti. Elles sont aguerries
contre de tels anathèmes, qui ne leur ont pas beau-
coup nui jusqu'à cette heure, quand ils n'ont pas
été plus mérités ni [)lus raisonnables. Elles peuvent
se dire aussi, dans leur stabilité séculaire, que
ce présent, si altier pour elles, deviendra bientôt
lui-même du passé; et qu'à son tour il sera, sans
plus de pitié, dénoncé à l'oubli, si ce n'est à la
haine du genre humain. La Critique est un peu
comme Saturne; elle se repaît de ses enfants. Le
scepticisme n'a bien accompli toute son œuvre que
quand il s'est dévoré lui-même, essayant de dou-
ter de son propre doute. C'est le cercle fatal qu'il
doit parcourir tout entier. Après avoir tout détruit,
il ne lui reste qu'à se détruire lui-même;. Il joue
avec ses propres aflirmalions, comme il a joué avec
toutes les autres, se trompant jusqu'au bout sur son
PREFACE. xsix
impuissance, qu'il a prise, chemin faisant, pour de
la force.
Ces théories sur les religions sont aussi fausses
que dangereuses; et la raison, en voyant les prin-
cipes sur lesquels on prétend les appuyer, pour-
rait les trouver sacrilèges, fout aussi hien que l'or-
thodoxie catholique.
On doit remarquer d'abord que ces théories
ne sont pas absolument neuves, ni par conséquent
aussi audacieuses qu'on se le figure complai-
samment. Elles simaginenl qu'elles continuent la
philosophie allemande, dont les nuages ont aveuglé
hien des yeux et tourné bien des têtes j armi nous.
Mais cette prétention à la nouveauté n'est pas plus
fondée que le reste. Ces doctrines ne viennent ni
d Ilégel, ni de la Critique kantienne. Elles peuvent
faire remonter leur généalogie un peu plus haut.
Elles sortent en droite ligne du St/stètne de la na-
iKre^ qui paraissait anonyme et à l'étranger, voilà
justement cent ans. Sauf le langage et l'érudition,
ce sont absolument les mêmes idées; il n'y a de
mfidifié que la forme et le style. D Holbach a ex-
posé en termes prolixes et moins bons, quoique
plus populaires et moins abstraits, tout ce qu'on
nous répète aujourd'hui sur l'origine et l'inanité
des religions, sur Dieu dont il nie l'existence, ne
reconnaissant que la réalité du monde, auquel il a
0
Mt PRÉFACE.
adresse aussi des hymnes, admirant avec fana-
tisme et délire la nature en sa puissance et dans
son ordre merveilleux, la divinisant comme le font,
nos Critiques contemporains, et ne laissant pas
davantage d'espérance ou de liberté à l'âme de
l'homme, qui doit périr. Ce n'est donc pas quelque
chose de très-neuf qu'on nous apporte; c'est la
doctrine de dHolbach qu'on nous représente, sans
peut-être y penser, un peu changée de couleur mais
identique au fond. Au lieu de condamner ainsi
tout le passé, il eût donc fiillu en excepter au moins
le collaborateur de Diderot. Puisqu'on recueillait
son héritage, il était assez convenable de ne pas
le proscrire, même en compagnie de Descartes et
de Platon, C'est une inadvertance, dont il aurait le
droit de se plaindre comme d'une ingratitude.
Du reste, peu importe qu'une théorie soit ré-
cente ou ancienne ; tout ce qu'on lui demande, c'est
d'être vraie. Or, celle-ci est de tous points insoute,
nable ; elle est en opposition complète avec les faits
les plus manifestes et les moins controversés.
En réalité, les religions n'existent pas unique-
ment au berceau et au début de l'humanité. On
voit des religions qui périssent et d'autres qui
naissent à leur place, leur succédant parce qu'elles
sont meilleures. Mais on ne voit pas un seul joui-,
un seul instant, la religion manquer à l'esprit bu-
rTŒFACE. XXXI
main, si £0 n'est peut-être dans quelques peuplades
imperceptibles et dégradées, qui n'ont eu ni le temps
ni la force d'organiser un culte, et qui, sous la
pression des besoins les plus continuels elles plus
urgents, n'ont jamais pu se procurer un moment
de loisir pour recueillir leurs idées. Ce ne sont pas
apparemment ces écbanlillons informes de l'espèce
bumaine qu'on pré fendrait nous citer en preuves
et pour modèles. Mais le re^le des peuples, ou plulôl
l'humanité tout entière, depuis quatre ou cinq mille
ans que nous la connaissons, n'a jamais manqué de
religion .
Si, laissant le passé, on regarde à l'étal de choses
qui se déroule actuellement sous nos yeux, voit-on
que la religion soit aujourd'hui moins répandue et
moins florissante? Pour ne prendre que les races
auxquelles nous appartenons nous-mêmes, il est
bien vrai que le Paganisme a péri ; mais la religion
dans son ensemble y a-t-elle perdu (juoiquece soit?
A-t-elle rétrogradé, ou s'est-elle étendue, non pas en
profondeur ou en beauté morale, c'est trop évident;
mais en simple surface? Le spectacle religieux
qu'offre aujourd'hui l'Europe, avec le Nouveau
Monde, qu'elle a converti, et le monde asiatique
et africain, qu'elle transforme pas à pas, est-il
moins beau ou plus étroit que celui qu'offrait,
il y a dix-neuf siècles, l'empire romain, domi-
xxTii PRÉFACE.
nalcur de Tunivers et déclinanl vers sa ruine?
Je ne me dissimule point tout ce qu'on peut dire
de vrai, ni toutes les justes criliques qu'on peut
élever contre telle religion en particulier, contre
telle église, contre tel dogme. Mais qu'est-ce que
cela, en présence du fait que je signale, immense,
unanime, tout vivant à l'heure présente, très-divers
sans doute, mais partout décisif, depuis la libre et
religieuse Angleterre jusqu'à l'Inde, qu'elle gou-
verne, et à la Chine, que nous arracherons à sa
perle? Sous une forme ou sous une autre, la re-
ligion ne règne-t-elle pas sur la face entière de
notre globe? Ne faudrait-il pas fermer volontaire-
ment les yeux à la lumière, pour se soustraire à
cetle évidence, qui éclate de toutes parts? On ne
peut pas trouver que tous ces cultes se valent, que
tous ces dogmes Soient également raisonnables et
uliles; ce serait un blasphème contre plusieurs de
ces religions , et notamment contre la religion
chrétienne, à laquelle ses ennemis même les plus
aveugles lie font pas cette injure. Mais je dis que,
malgré tous les progrès de la civilisation et des
sciences, la religion, loin de perdre la moindre
pari de terrain, en occupe aujourd'hui plus que
jamais; et elle n'a pas plus reculé dans les cœurs
qu'elle n'a reculé parmi lesj)euples.
Il e>l donc radicîilenient faux en fait que l'iiu-
PREFACE. XXXIII
manitô ait repoussé les hochels supposés de son
enfance, ni qu'elle veuille actuellement renoncera
la reli<nun. En Asie, les populations hindoues, mu-
sulmanes, bouddhistes ou autres, sont aussi tenaces
et aussi convaincues qu'elles l'ont jamais été; et pour
prendre un exemple qui nous soit plus familier et
plus intime, la France où nous vivons esl-ol le moins
religieuse qu'elle ne l'était au siècle dernier? Sans
doute, la religion parmi nous pourrait encore exer-
cer sur les âmes bien plus d'empire, et les toucher
plus intimement; mais les âmes ne sont pas prêles
à la quitter, même pour les révélations de la Cri-
tique. Loin de s'affaiblir, la croyance religieuse
fait tous les jours des pas heureux et constants. A
en juger par bien des symptômes, il n'y aurait pas
même beaucoup à la provoquer encore pour que
peut-êtreelle éclatât tout à coup, par une de ces ma-
lufestations soudaines etirrésistibles qui sont si ha-
bituelles à la furie française, dans les luttes de reli-
gion comme dans les autres.
Qu'adviendra-t-il un jour des religions? Doi-
vent-elles s'éclipser pour faire place à ce qu'on
appelle un peu fastueusement la Science? C'est là
une prophétie que quelques philosophes n'hésitent
pas à hasarder. Moi non plus je n'hésite pas, bien
qu'en un sens absolumenl opposé: j'affirme que la
ifïiigion ne dispai'aîlra jamais de la terre; et j'ai
xxxiv PREFACE
pour gage de mon inébranlable cerlilude le passé
loiU entier du genre humain, dont je ne fais pas si
bon marché; j'en ai pour gage la nature même de
l'esprit de l'homme, qui se passerait plutôt encore
de philosophie que de religion; car il y a eu des
temps où la philosophie n'existait pas, et il n'y en a
pas un seul d'oii la religion ait été absente.
Qu'est-ce en effet que la religion?
Pour un inslant, écartons le culte qui n'est en
quelque sorte qu'un objet d'ordre social, et dont
les diversités ne doivent pas nous cacber le fonds
commun qu'elles enveloppent. Les bizarreries
même les plus inintelligibles, et par fois les plus
choquantes, ne peuvent pas nous tromper. Toutes
les religions, sans en excepter aucune, ne sont
qu'une explication plus ou moins heureuse, plus
ou moins profonde, de cette grande énigme qui sol-
licite sans cesse notre inlelligence : Qu'est-ce que
le monde? Qu'est-ce que rhomme?D'où viennent-
ils? Qui les a faits? Qui les gouverne? Quel en est
le but? Comment ont-ils commencé? Comment
doivent-ils finir? Qu'est-ce que la vie et la mort?
Quelle est la loi qui doit régir la raison humaine dans
notre court jiassagc ici-bas? Quelavenir nous attend
par delà cette vie, dont la durée éphémère ajoute
encore à sa beauté et à son imporlanciî? ^ a-t-il
quel(|ue chose après celte existence d'un jour?
riîÈFACE. xxw
Et dans quel rapport sommes-nous avec réternilo,
dont la pensée seule nous accable, mais à laquelle
nous appartenons, et qui peut aussi nous appar-
tenir? Ce sont là des questions d'un si pressant in-
térêt, d'un intérêt tellement général, qu'il n'y apas
une seule nation, un seul peuple, une seule peu-
plade qui ne les ait résolues. Solutions bonnes ou
mauvaises, raisonnables ou absurdes, durables ou
transitoires, qu'importe? Il n'est pas une société
qui ait pu s'en passer jamais. On peut ajouter qu'il
n'y en aura jamais qui puisse s'en désintéresser.
Si'lon les temps, les lieux, les circonstances de race,
de climat, d'histoire antérieure et mille autres ac-
cidents, dont nous n'avons ni le secret ni la dispo-
sition, les interprétations d'un seul et unique pro-
blème changent à l'infini. De là ces bigarrures
religieuses, dont on peut se railler par inattention
ou légèreté, mais auxquelles l'humanité, en quel-
ques lieux qu'on l'observe , à quelque degré de
civilisation qu'ellesoil arrivée, tient passionnément,
comme à son trésor le plus cher, à son bien le
plus précieux. La religion, la croyance nationale
est plus essentielle aux peuples que la patrie
même. Le Juif, le Guèbre et tant d'autres ont perdu
la Judée ou la Perse ; il leur suffit d'avoir emporté
leur dieu, qu'ils gardent inviolable et toujours pré-
sent, sur la lerre étrangère et dans l'exil éternel.
PREFACE.
C'est là aussi ce qui explique la fureur impla-
cable des guerres religieuses, sans la justifier, soit
entre des peuples différents, ^oit dans le sein d'un
même peuple où la foi se divise. La politique a
bienmoinsd'acharnement, toute sanguinairequ'elle
est. Cela se conçoit sans peine. Les peuples ont
une conscience, comme les individus; pour y
obéir, ils sont toujours prêts aux sacrifices les plus
héroïques. La passion des conquêtes, le soin même
de la défense matérielle ne leur inspirent pas tou-
jours ces dévouements extraordinaires où il s'agit de
tout immoler pour sauver son àme; les nations ne
les marchandent jamais à leur religion; de même
que l'homme vertueux sait périr pour le devoir,
quand la voix intérieure lui demande une existence
dont le devoir fait le seul prix.
Le scepticisme, cetle maladie ou cette faiblesse de
quelques esprits trop amoureux d'eux-mêmes, peut
])laisanter plus ou moins agréablement de cette su-
perstition des peuples et de cetle duperie qui cal-
cule si peu. Mais l'humanité n'entend pas raillerie
sur ces sentiments-là, et elle se dévoue toujours avec
une énergie indomptable au Dieu qu'elle adore, (jU(*
ce Dieu soit une idole ou le vrai Dieu. Quanta moi,
en j)résence de ces prodigieux mouvements de la
conscience humaine dans les nations, en présence
de ces Ilots Iraii.jiiillt's ou soulevés d'une foi et
PRÉFACE. xxxvii
d'une piété même peu intelligentes, je me sens pé-
nétré de vénération et de sympathie ; et tout ce que
je demande, c'est de pouvoir mettre au service des
croyances que me donne ma raison autant de cou-
rage, d'enthousiasme, d'abnégation et de constance.
11 faudrait plaindre ceux qui restent froids ou
qui même sont ironiques devant ces nobles spec-
tacles. Leur vanité les sert bien mal de se
mettre ainsi hors la loi du genre humain; leur
science est bien courte de comprendre si peu ces
grandes inspirations, ces orages et ces luttes. Ce
n'est pas là faire acte de raison et de philosophie ;
c*est simplement faire acte d'indifférence, on pour-
rait presque dire, d'inhumanité.
Mais comment l'âme du philosophe peut-elle s'é-
mouvoir ainsi en faveur des religions vulgaires?
La raison et la foi, la philosophie et la religion ne
sont-elles pas nécessairement des ennemies? Ne
l'ont-elles pas toujours été, ne le seront elles pas
toujours? Je déclare que je n'en crois rien; et quand
j'essaye de me rendre compte de ce que sont la
religion et la philosophie, je suis bien plus poité
ta les réunir qu'à les diviser. Je n'ignore pas tout ce
qui les a séparées et tout ce qui les sépare encore,
quoique la distance tende sans cesse à se rappro-
cher. Je sais que la philosophie a eu ses martyrs,
frappés au nom de la religion, qnehinefnis même
PREFACE.
par les mains de ses ministres, et qu'elle est lou-
joiirs suspecte à l'autorité religieuse. Je sais qu'en
sens contraire la foi est trop souvent décriée par la
libre pensée. Mais ces dissentiments, quoique fré-
quents, semblent peu justillables ; ce sont les pas-
sions humaines qui surtout sont enjeu, avec leurs
aveuglements et leur égoïsme habituels.
Au fond, la religion et la philosophie ont le
même but. La philosophie a-t-elle d'autres pro-
blèmes à résoudre que ceux dont la religion s'oc-
cupe? Se pose-t-elle, peut-elle même se poser d'au-
tres questions? Contempler le monde et l'homme et
se les expliquer, que peut-on faire de plus? Une seuh^
chose : c'est de prendre une autre route pour .sa-
tisfaire un même besoin ; les méthodes et les con-
clusions varient ; mais l'objet est identique. La
différence la plus grave et la plus apparente, c'est
que d'une part ce sont les peuples qui résolvent
les questions, et que d'autre part ce sont des indi-
vidus. De là, des divergences de plus d'un genre,
inévitables, quelquefois funestes, mais qui n'oient
rien à l'identité fondamentale. Il faut déplorer les vic-
times, quand il y en a, et détester la cruauté de ceux
(|iii les font , de quelque côté qu'elles tombent.
Le philosoplie détourne ses regards attristés de ces
fails lanu niables et trop conmiuns; el s'il doit par
iiasard èLre atteint personnellement, il se résigne
PRI-IACt; vxxlx
sans trop de rcgrel à mourir, avec Socrale, pour
la cause de la vérité. Mais nous qui, dans des temps
meilleurs, n'avons rien à craindre, il semble qu'il
nous doit être bien plus aisé de resler équitables,
précisément parce que notre sécurité n'a point à
s'alarmer. Tâchons donc de voir, sans rancune
et sans colère, ce que sont les religions et les phi-
losophies, dans leurs rapports et dans leurs dis-
semblances.
Les origines des religions sont en général ense-
velies dans des ténèbres. Même de nos jours, la
science désespère de jamais dissiper cette obscurité,
qui s'épaissit avec le temps, et que toute notre pé-
nétration ne pourra jamais percer. Il y a bien quel-
(pies exceptions. Le Mahométisme en est une.
Nous savons précisément l'heure où il est né, com-
ment il s'est formé, et comment il est devenu la
conscience de tout un peuple, bientôt imité par une
foule d'autres. Mais cet exemple ne tire pas h con-
séquence ; l'Islam est peut-être la seule religion
dont le berceau soit si clair, non pas seulement
parce qu'il est le plus voisin de nous, mais en ou-
tre parce qu'il s'est trouvé dans des conditions
toutes spéciales. Les débuts du Christianisme, né
six siècles à peine auparavant, sont restés histori-
quement obscurs; l'Evangile lui-même, dans ses
([ualre témoin^r ne uou< \>i\v\c guère (|uc de la
XL l'RtFACE.
naissance cl de la mort du divin fondateur de la
foi nouvelle ; il nous laisse ignorer presque tout le
reste de sa trop courte carrière ; et les tentatives
qu'on a faites souvent pour la reconstruire ont
été vaines, quand elles n'étaient pas impies.
Les origines du Bouddhisme, assez nettes à quel-
ques égards, sont, à d'autres, tellement confu-
ses, qu'on ne sait même pas la date exacte oiî le
Bouddha est né et celle où il est mort ; Ihistoire
n'est pas fixée sur ce point essentiel. Quant à la re-
ligion hrahmanique ou au Paganisme grec et ro-
main, il n'y a pas d'érudition, quelque sagace
qu'on la suppose, qui puisse se flatter de nous dire
comment ces deux croyances, semblables sur tant
de points, ont pu naître, ni même comment elles
se sont développées. Le culte des dieux, tel qu'il
est dans les Védas ou dans Homère, est pour nous
une indéchiffrable énigme ; il répond à un étal de
la conscience humaine que l'imagination la plus
puissante ne peut ressusciter.
Pourquoi l'histoire des religions est-elle si dou-
teuse et si incomplète à leur début? C'est qu'elles
sont l'œuvre collective de peuples entiers. Même
quand elles se personnifient dans un homme, Moïse,
Bouddha, Mahomet, ces grandes individualités ne
sont (pie ri'X[»ression et le ri'flet de tout ce qui les
entoure el les bou tient ; leur voix serait méconnue
PRÉFACE. SLi
et mourrait étouffée, si tous les échos ri'étaient pas
prêts à la répéter. L'exemple unique de Mahomet
nous fait deviner en partie ce que d'autres ont pu
être, aussi écoutés, aussi utiles que lui , dans
les temps où ils ont parlé. Mais encore une fois
il serait impossible d'appliquer à toutes les reli-
gions la mesure de l'Islam.
Rien au contraire de plus clair, de moins incer-
tain que la naissance d'une philosophie. On sait,
pour la plupart des philosophes, quelle a été leur
vie, et quelle a été leur doctrine. Ceux qu'on ignore
•ne peuvent compter parmi les plus importants et
les plus instruits. Quand ces souvenirs sont abolis
ou mutilés, ce sont de purs accidents, comme pour
tant d'autres ; le hasard ou la négligence de la tradi-
tion en est la seule cause. Mais il n'y a rien dans les
philosophies qui se dérobe essenliellement à notre
connaissance. Elles sont individuelles ; on sait tou-
jours à qui on les doit, et qui en est responsable.
Elles sont relativement récentes, et avoisinent par
conséquent l'époque où les peuples sont capables
d'écrire l'histoire de leurs actions et celle de leurs
pensées. Quand l'origine de la philosophie est
obscure chez un peuple, c'est que ce peuple a laissé
aussi tous ses aulies développements dans l'om-
bre ; tel est le cas de l'Inde, où cette nuit ([ui cou-
vre tout ne sera jamais dissipée, aussi ('paisse
l'I'.ElACIi,
|)Our la poésie et la politique que pour la religion
et Ja philosophie.
Bien plus, les œuvres des philosophes, quand on
a pu les conserver, sont des monuments plus au-
thentiques que tous les autres. On sait mieux la
pensée de Platon ou d'Aristote qu'on ne sait les
campagnes d'Alexandre ou celles d'Ânnibal. Ce
n'est pas que les religions n'aient aussi leurs li- •
vres ; mais comme ce sont des peuples qui les ont
écrits, ces livres, tout sacrés qu'ils doivent être, ne
peuvent avoir ni l'ordre ni la clarté des œuvres in-
dividuelles. Parfois ce ne sont que des amas confus
comme les hymnes des Védas, les Soûtras bouddhi-
ques, ou même les ouvrages si disparates de la Bi-
ble..Parfois même il n'y a que des traditions et pas
de livres, comme dans le Paganisme ancien. Ces
dernières religions n'en sont pas moins vivantes
dans l'àme des nations ; seulement, il est plus
difficile de les comprendre, puisqu'on ne peut pas
remonter à leur source, et interroger les documents
primitifs doù elles ont découlé.
Mais il faut que le philosophe se le' dise : ce
n'est certainement pas une œuvre antisociale qu'il
essaye; mais c'est une œuvre qui est en dehors
du courant de la société où il se trouve et où Dieu
l'a placé. Le peuple accepte, et il fait bien, la foi
traditionnelle de îjCs pères, qu'il entoure d'un juste
l'UEFACE. xLiii
respect, souvent superstitieux et peu éclairé, sou-
vent même très-intolérant. Quant au philosophe, il
ne s'enquierl pas de la tradition, ou du moins il ne
s'y soumet qu'à hon escient. C'est à sa raison qu'il
s'adresse; c'est la raison qui est son inflexible règle.
Tandis que le vulgaire suit le torrent, qui d'ail-
leurs peut le conduire assez sûrement, le philo-
sophe s'abstrait, autant qu'il le peut, de tout ce qui
l'environne et de tout ce qui l'a précédé. 11 s'inter-
roge lui-même; il interroge la nature, dans laquelle
il est plongé; et quand il a suffisamment médité,
il se donne par ses propres forces, à ses risques
et périls, l'explication de la grande énigme. Cette
explication vaut alors mieux pour lui, et pour ceux
à qui il la communique, que l'explication popu-
laire. Il l'a puisée à la vraie source; il l'a entourée
de la vraie lumière, celle de l'intelligence, sans
laquelle la tradition même n'aurait aucun sens et
ne subsisterait point.
Voilà l'œuvre du philosophe, simple, mais supé-
rieure ; légitime, mais pouvant être dangereuse
pour lui ; bienfaisante à la longue pour la société,
qui parfois la punit, parce qu'elle croit avoir à s'en
défendre ; sacrée elle aussi, mais à un autre lilre
que l'œuvre religieuse ; admirable et sans prix
entre les mains d'un Socrate ou d'un Platon, d'un
Aristote ou d'un Descartes, mais douteuse et sus-
PREFACE.
pecte, quand elle devient l'instrument des passions,
au lieu d'être un pur instrument de vérité ; en un
mot, le sommet de la raison de l'homme, impar-
iaile encore, sans doute comme tout ce qui est
humain, mais son honneur, son privilège et son
salut.
Tels sont le rapport et la dissemblance générale
de la religion et de la philosophie ; telle est la cause
de leurs querelles, malgré l'identité de leur objet.
Socialement, la religion doit occuper la première
place. La philosophie qui prétendrait la sup-
planter sur le théâtre du monde serait toujours
impuissante, quand même, pour prévaloir dans
cette compétition impossible, elle userait de moyens
violents, qui pourraient la déshonorer. La religion
a toujours pour elle l'adhésion des masses popu-
laires. Elle a de plus l'antériorité des temps, qui la
rend profondément vénérable, comme tout ce qui
a duré au sein de la mobilité incessante des choses
humaines. La philosophie, au contraire, ne vient
(ju'enderniei'lieu, comme la réflexion jcjuclquelois,
(l'ès-lard ; même dans certaines races, elle ne nait
jamais. Plus jeune que la religion, d'où elle sort
ordinairement, elle est beaucoup moins écoulée,
parce qu'elle est bien moins accessible. Les nations
se reconnaissent elles-mêmes dans les croyances
([u'elles ont laites ; elles ne se retrouvent pas dans
l'IUTATE. xi.v
des systèmes, qui ne sont que des élaborations soli-
taires, ne répondant souvent à rien de leur passé,
rien de leurs traditions, rien de leurs préjugés, rien
de leurs ignorances involontaires et fatales. Les re-
ligions satisfont toujours à une nécessité sociale et
commune, placées d'ailleurs plus ou moins haut
dans le jugement de la raison, qui plus tard les
étudie et les classe; pour les peuples qui les
ont créées et qui les gardent, elles sont la vérité
même, telle qu'ils peuvent la concevoir au point de
lumières où ils sont arrivés. La philosophie, préci-
sément parce ({u'elle est tout individuelle, peut
enfanter des chefs-d'œuvre. Mais elle jieut produire
aussi des doctrines inacceptables, à la fois pour l'é-
poque où elles surgissent, et pour la postérité. Le
système de Spinosa a indigné le dix-septième siècle,
et il n'est guère mieux reçu par le nôtre. L'auteur
seul s'y est complu, suivi de quelques rares adeptes.
Voilà encore pourquoi la religion a partout un
culte, et comment la philosophie n'en doit pas
avoir. Il faut organiser régulièrement les mani-
festations extérieures de la croyance, qyand ce
sont des multitudes qui la partagent et qui se réu-
nissent dans un acte public et solennel. Le |)hilo-
sophe au contraire n'a point à sortir de sa pensée
individuelle ; tout au plus forme-t-il une école,
destinée à vivre souveni moins que lui, et qui
PREFACE.
péril toujours au bout de quelque lemps, tandis
que les religions vivent des milliers d'années sans
vieillir et sans déchoir. La pensée de Platon est im-
mortelle; mais où est aujourd'hui l'Académie? La
pensée d'Aristole ne Test pas moins ; mais où est
le Lycée ? Le Paganisme a duré vingt siècles, tout
faux qu'il était; le Christianisme, qui a déjà sub-
sisté presque autant, sans même compter le passé
qu'il emprunte à la Bible, peut se flatter désormais
de vivre aussi longtemps que le genre humain.
Après la portion de vérité que les religions ren-
ferment, c'est le culte (|ui les maintient, par le
respect qu'il leur assure et par les services incom-
parables qu'elles rendent. Mais imagine-ton un
philosophe se faisant à lui seul un culte particu-
lier et personnel, en vertu des principes de son
système? Y aurait-il assez de risées pour celte en-
treprise extravagante? Et celui qui la tenterai t ne
semblerait-il pas renoncer, par cela même, à la
raison, qui n'est pas le monopole de la philosophie,
mais qui est son vrai titre? Pouvons-nous songer,
sans sourire et sans dédain, aux naïvetés de nos
ihéophilanlhropes, ou à cette théurgie avortée qui
a fait scandale dans notre temps? Sans culte,
la philosophie doit se résigner à n'avoir aucune in-
fluence directe sur la foule. Elle se contente de
quelques intelligences, qu'elle dirige dans les che-
l'FîEFVCt. xLvii
mins sévères de la science et de la pure raison, et
qu'elle recrute dans tous les rangs, sans initiation et
sans sacerdoce, depuis les esclaves jusqu'aux em-
pereurs, satisfaite de semer des germes que l'avenir
récoltera.
Ajoutez que le culte est indispensable à la foule,
tandis que le philosophe peut s'en passer, sans
d'ailleurs le blâmer ni le fuir. Livrée à tous les
travaux matériels qui font subsister la société, la
foule n'a pas le temps de penser chaque jour au
dieu de sa croyance. Ce qu'il lui faut chaque jour,
c'est de gagner sa vie à la sueur de son front;
noble condition à laquelle l'homme est soumis,
dont il doit se glorifier et non se plaindre. Mais
celte condition courbe ses regards vers la terre, bien
plutôt qu'elle ne les élève vers le ciel. L'idée reli-
gieuse peut donc sans cesse s'effacer dans les âmes,
non par impiété ni même par oubli, mais par une
nécessité de tous les instants, toujours renaissante
et toujours inexorable. Pour compenser ce mal et
le vaincre, il faut qu'à certains jours, h certaines
époques, le culte vienne avertir les hommes et
les ramener des rudes occupations de la vie à
des pensées plus hautes et non moins utiles. Il
entretient une ardeur qui pourrait s'éteindre ou
.se ralentir; il ranime, par le contact, le feu qui
couve dans tous les cœurs; il établit un lien de
M.viii [ilKKACF..
plus entre les citoyens réunis ; et en même temps
qu'il les provoque à monter à Dieu, il resserre tous
les nœuds de la communauté sociale.
Pour le philosophe, il n'a guère besoin qu'on
le rappelle à des pensées qui jamais ne lui man-
quent. Mais pour cela il ne repousse pas des ma-
nifestations qu'il comprend et quil approuve ;
il les accepte dans la mesure où il peut le faire
sans compromettre sa franchise ni montrer une
hypocrisie indigne de lui. Les pompes extérieures
d'un grtànd culte peuvent même l'émouvoir plus
vivement que le reste des hommes. Dès lors,
par sympathie pour ses semblables et aussi par
estime pour d'admirables doctrines, pourquoi ne
prendrait-il point part à la prière commune? 11
y sentira toujours, dans quelque religion que
le sort le jette, sous les formules les plus variées,
une partie de ses propres aspirations. C'est une
occasion de plus pour lui, et même une occasion
plus touchante, de penser à Dieu. Mais il n'a point
à réparer dans son cœur un oubli qu'il ne commet
pas, une négligence qui ne peut être la sienne. Par
la nature propre de ses labeurs et de ses médi-
tations assidues, c'est comme un culte perpétuel
qu'il porte en lui-même. L'expression du dehors
n'y ajoute rien peut-être; mais comme elle ne peut
rien non plus m retrancher, le philosophe, ([tiand
PREFACE. xi.ix
il entre dans le temple, d'acenrd avec la foule, y
retrouve le dieu qui ne le quitte pas et qui vil
dans le fond de son intelligence.
Ainsi donc, la philosophie ne s'astreint pas ri-
goureusennent au culte public, quelque respectable
qu'il soit ; et elle doit s'abstenir d'un culte privé,
qui ne serait qu'une puérilité, s'il n'était pas un
sacrilège. Tout au contraire, le culte régulier est
nécessaire et bienfaisant pour les peuples qu'il
soutient, qu'il éclaire et qu'il fortifie.
Ce sont là des dissemblances entre la religion et
la philosophie; mais il est des points par lesquels
elles se rapprochent. Issues l'une et l'autre de l'es-
prit humain, pour connaître et servir Dieu, ayant
en dernière analyse le même objet, ne serait-il j)as
bien étonnant qu'elles n'eussent que des différences?
Voici un rapport sous lequel elles sont identiques.
C'est que l'une et l'autre également sont très-
diverses, ici selon -les peuples, et là selon les
esprits. L'histoire nous atteste qu'un grand nombre
de religions ont régné dans le j assé, avec plus ou
moins d'éclat, plus ou moins d'influence, gros-
sières ou raffinées, morales ou corrompues, suivant
les temps et les lieux, se modelant sur les nations
qui les produisent, et portant l'ineffaçable cachet
des mœurs, des traditions et des croyances viil -
gaires. Il n'en a pas été autrement des philosophii's-,
PP.EFACE.
les systèmes se sont multipliés, non moins nom-
breux et non moins opposés. En cherchant à les
considérer dans leur ensemble, l'histoire, si jus-
tement aimée de notre âge, a pu les réduire,
comme il serait facile aussi de réduire la quantité
des religions, en les rangeant sous quelques classes
générales. Mais, en réalité, les systèmes ont surgi
tout autant de fois qu'il s'est trouvé des individus
capables de les concevoir. Qu'on parcoure leur suc-
cession, et l'on verra qu'ils nont pas fait défaut à
l'esprit humain, fécond pour ces enfantements iso-
lés, tout aussi bien que pour les enfantements com-
muns. Ce spectacle du passé se renouvelle sans re-
lâche et pose devant nous, pour nous apprendre
qu'à cet égard rien n'est changé, et que les reli-
gions sont toujours aussi différentes entre elles que
le peuvent être les philosophies. La religion chré-
tienne, par les vérités sublimes qu'elle proclame,
par les nations puissantes qui la professent, par la
civilisation qui la répand, peut être destinée à l'em-
pire du monde entier, et je lui souhaite cet utile et
glorieux avenir; mais, à l'heure qu'il est, elle lient
peut-rtre sur le globe moins de place que d'autres
croyances, qui ne paraissent pas disposées à se re-
tirer devant elle. Il y a tout au moins encore quatre
ou cinq grandes religions sur la terre. Quant aux
plii'osophies, nous n'avons qu'à regaider autour
PREFACE. Li
de nous pour être convaincus qu'elles ne manquent
pas plus qu'autrefois, si d'ailleurs elles ont moins
de retenlissement et peut-être moins d'aclion.
Notons bien celte ressemblance de la philosopbie
et de la religion. On l'a méconnue très-souvent ; et,
pour démontrer la prétendue impuissance des phi-
losophes, on leur a mille fois reproché leurs dis-
sensions et leurs controverses. Les religions n'en
ont pas moins. Ce n'est pas là un triomphe pour la
philosophie. Elle pourrait aisément retrouver dans
autrui la faiblesse qu'on lui impute ; mais elle n'en
fait rien, et elle reconnaît pour lout le monde la
profonde sagesse de ce mot : « Tmdidit mundiim
disputationibuH corum . » On peut concevoir et même
approuver l'intenlion qu'a eue la grande Eglise
catholique de maintenir Tunité de la foi et de défen-
dre lorthodoxie, bien que les moyens employés par
ses chefs n'aient pas toujours répondu à l'esprit de
son fondateur. Ce pouvait être là une œuvre très-
louable et une politique digne des traditions de
l'empire romain. Mais je ne puis mempêcher de
voir que ces efforts, tout convenables qu'ils pou-
vaient être, ont été inutiles, ainsi que tant d'autres.
Le Protestantisme a échappé avec ses sectes innom-
brables au giron commun; l'Eglise grecque n'a
jamais voulu y rentrer; il n'est pas très-sûr que
l'Eglise d'Orient y soit renfermée tout entière. Le
ratFACE.
Christianisme a donc aujourd'hui encore plusieurs
branches; et, en regardant bien dans le sein même
du Catholicisme, on pourrait y trouver plus d'une
infraction à 1" unité.
Ainsi, telle religion en particulier peut se vanter
d'être plus unie que la philosophie; mais la reli-
gion, prise dans sa généralité, ne peut élever un
instant une telle prétention. Elle se diversifie
comme la philosophie et par les mêmes motifs.
L'esprit humain ne s'est pas plus contenté d'un seul
dogme que d'un seul système. 11 n'est pas présu-
mable qu'il eût mieux valu qu'il en fût autrement.
Acceptons donc la réalité telle qu'elle est; et,
puisque Dieu l'a permise, ne songeons pas à chan-
ger les lois de rintollio^ence humaine. Que les n li-
gions se divisent, que les philosophies se divisent
comme elles, puisque telle est leur loi. Plus uni-
formes, elles seraient sans doute moins fécondes.
De là, il ressort aussi une grande leçon : c'est que
la philosophie, pas plus que la religion, ne peut
présenter la vérité d'une manière absolue et défini-
tive. Si un système ou un dogme la démontrait com-
plètement, il n'y aurait eu qu'un système et un seul
dogme, auxquels les individus et les nations se se-
raient soumis, par la force même de l'évidence et
l'attrait souverain de la vérité. Mais, puisqu'il n'en
est pas ain^i, il faut (|uc la religion et la philoso^
PREFACE. LUI
pîiie aient, à l'égard l'une de l'autre, une tolérance
réciproque. Attachées toutes les deux à la démon-
stration si laborieuse du vrai, qu'elles le cherchent
chacune de leur côté; qu'elles se persuadent cha-
cune càpart l'avoir trouvé; mais qu'elles ne préten-
dent pas se l'imposer mutuellement. Les reli-
gions, acceptées parles peuples qu'elles gouvernent,
n'ont à craindre quoi que ce soit de quelques phi-
losophes, qui se séparent obscurément des croyances
populaires. D'un autre côté, il semble que les phi-
losophes n'ont point davantage à attaquer la reli-
gion ; et, ne fût-ce que par respect pour des conci-
toyens, ils n'ont le plus souvent qu'à se taire sur
la foi nationale, sans l'insulter, sans la critiquer
même, quand ils ne la suivent pas. La paix n'est
donc pas impossible, et elle a souvent régné.
Chez bien des peuples, le conflit n'a jamais eu lieu .
Dans l'Inde, ce pays de dévotion religieuse poussée
jusqu'à la frénésie, la religion n"a jamais inquiété
la philosophie, née dans son sein. Ce|iendant, le
dépôt de la foi était confié à une caste, dominatrice
de toutes les autres, et placée à une distance qu'au-
cune société n'a manjuée aussi énorme et aussi
peu franchissable. Les brahmanes, néanmoins, s'ils
ont soutenu entre eux de vives discussions, s'ils ont
formé des écoles rivales et ennemies, n'ont jamais
gêné les pbilosoplif^Si ïls leur nul laissé plcino
Liv PRÉFACE.
carrière; el la philosophie en a usé sans scrupule.
Kapila a pu nier l'efficacité du Yéda pour sauver
l'homme; il a pu nier l'existence même de Dieu.
Kanada,non moins audacieux et non moins aveugle,
a soutenu le système des atomes. Ni Kanada, ni Ka-
pila, ni tant d'autres, ne furent jamais persécutés,
bien que leurs opinions fussent en contradiclion fla-
grante avec toutes les opinions reçues. Bien plus,
le Bouddhisme, sorti peut-être du système athée de
Kapila, et détruisant par ses principes, non-seule-
ment l'édifice religieux, mais aussi l'édifice social,
a été libre de propager ses doctrines nihilistes et
d'enseigner l'égalité de tous les hommes devant le
Nirvana. 11 a promené douze cents ans de suite ses
prédications hérétiques dans la presqu'île indienne,
sans que ses antagonistes recourussent à la violence
contre lui. Quand il fut chassé de llnde, et qu'il
émigra vers le nord et vers l'est, c'est par des
causes qui nous sont peu connues, mais où certai-
nement lintolérai. ce n'entra pour rien, puisqu'on
l'avait souffert durant tant de siècles, puissant,
honoré, actif, et enlrainant à sa suite des provinces
entières. A l'imitation des brahmanes, le Boud-
dhisme non |)his n*a jamais été persécuteur. C'est
peut-être par esprit de justice; mais ses dogmes
mêmes lui faisaient une nécessité de la douceur qu'il
a tonjour'^ moniri'e; quand on )»lace son osjinirdans
PREFACE. Lv
le néant, il n'est pas en effet de doctrine extrême
et dissidente dont on ait le droit d'être choqué.
Le conflit éclata pour la première fois dans la
Grèce, où il aurait dû naître moins que partout ail-
leurs, puisque la Grèce n'avait point de livres sacrés
et que le sacerdoce n'y formait pas une corporation
très-puissante. Le monde retentit toujours du bruit
de la catastrophe, et l'on dirait que c'est hier que
Socrate a bu la ciguë, tant la sympathie est encore
vive, tant la douleur est encore poignante. Il n'est
pas prouvé, à mon sens, que le maître de Platon fût
aussi coupable qu'on l'a dit'; pour Tabsoudre,
même comme citoyen, il n'y a qu'à se rappeler la
faible majorité qui le condamna, et dont il fui lui-
même étonné. Quoi qu'il en puisse être, ce procès,
qu'Athènes repentante a bientôt maudit, montre
sous le vrai jour les rapports de la philosophie et
de la religion. Tout est net dans la Grèce, et avec elle
on n'hésite jamais, quoiqu'on puisse ignorer en-
core de ses mœurs bien des choses qu'on désirerait
en savoir. 11 est défendu au citoyen de penser, en
religion, autrement que l'État; ou, du moins, s'il
ne partage pas la foi nationale, il lui est interdit de
la troubler par l'expression publique de ses dissen-
timents. C'est ce que signilie la condamnation pro-
• Voir I argument de M. Viclur Cuusin, eu tèlc de lApoloyic de
Socralc.
i.vi l'HF.rACK
noncée par l'Aréopage. Mais c'était une application
excessive d'un principe vrai. Le génie grec, qui a su
éviter l'excès en tout, ne commit pas longtemps ce-
lui-là. Le disciple de Socrate put répéter bientôt les
doctrines de son maître sans aucun péril ; et la phi-
losophie absoute continua ses travaux, on sait
avec quelle vérité et quel avantage pour l'esprit
humain, sansavoirà répondre devant le magistrat,
si ce n'est dans des cas tout exceptionnels, où l'on
ne peut découvrir une véritable persécution.
On n'en voit guère davantage dans les dix pre-
miers siècles du Christianisme. Alors il est désolé
par les hérésies ; mais les conciles les apaisent ou les
étouffent pour conserver intacte l'unité de la foi,
(jui ne court plus de sérieux dangers depuis la
grande assemblée de Nicée. La foi règne sans contes-
tation, et avec d'immenses bienfaits, au milieu des
désordres de l'invasion qu'elle tempère, et de la
féodalité qu'elle essaye de régler. La lutte ne renaît
qu'au temps d'Abélard, dans le douzième siècle.
Mais ce n'est pas encore la philosophie pure; c'est
une sorte de théologie bâtarde, (jui veut rester or-
thodoxe tout en aspirant à être indépendante. Le
temps de la libre pensée n'est pas venu. Ce sont les
plus illustres théologiens de l'Eglise, ce sont des
Saints qui seuls sont philosophes : les Albi-rt, los
■^.lini Thomas el leurs disciples; Par la nécessité des
IMU-IACR.
temps, la philosophie est la servante, ancillay de
la théologie. La Somme de saint Thomas n'est
jiresque qu'un mélange du Christianisme orthodoxe
et des formes péripatéticiennes. Ce rôle de la phi-
losophie nous paraît bien humble aujourd'hui;
nous le regarderions, depuis Descartes et le dix-
septième siècle, comme une abdication. Notre ilerté
est légitime. Mais ce rôle, tout subordonné qu'il
était, fut à ce moment très-utile, et même très-
digne. La philosophie organisa, dans le treizième
siècle, l'enseignement régulier du dogme avec tous
ses détails, de même que dans l'origine, aux troi-
sième, quatrième et cinquième siècles, c'était elle
qui fournissait à la foi naissante les armes d'une
polémique victorieuse. L'Eglise ne se montra pas
très-reconnaissante du service qu'on lui rendait; et
la philosophie elle-même n'eut pas la moindre confu-
sion de sa docilité. Alors la philosophie ne songeait
pas à revendiquer ses droits; car elle était satis-
faite, comme le monde entier; la foi chrétienne
inondait les esprits de sa lumière, embrasait les
cœurs de ses feux, et il ne se trouva pas une intelli-
gence assez audacieuse pour rompre ce concert
unanime d'adoration et d'enthousiasme. Des héré-
sies douteuses et timides furent violemment ])ro-
scrites; et ce n'était pas aux siècles, qui s'enllam-
maienlde la sublime et stérile passion desCioisades,
Lviir- IM'.KKACE.
(le produire la philosophie; elle eût alors semhlé
un crime, et personne ne l'aurait acceptée. Les
tentatives de Roger Bacon et ses malheurs le prou-
vent assez, plus de cent ans encore après ceux
d'Abélard.
C'est vers la fin du quinzième siècle que com-
mence à se montrer plus nettement l'esprit d'indé-
pendance, (jui, secondé par l'imprimerie et par
l'élude de l'antiquité, éclate à la fois dans la Ré-
forme et dans un essaim de systèmes individuels.
xMais, par suite de ces désordres et de cette fièvre
des intelligences, que de faux pas et que de vic-
times! C'est notre Descartes, au milieu du dix-
septième siècle, qui inaugure de nouveau la vraie
philosophie, celle qu'avait connue la Grèce dans
ses meilleurs temps. Mais il a cette incomparable
su])ériorité d'une méthode qui a pleine certitude
d'elle-même, et qui a d('couverl enfin le seul et
inébranlable fondement de la vérité. On admire
beaucoup Descartes; on ne l'admirera jamais trop;
dans l'histoire de la philosophie, il ne peut pas y
avoir de figure plus grande, ni de maître plus
autorisé. Ce qui doit peut-être nous frapper plus
particulièrement en lui, c'est que, aussi indépen-
dant qu'on puisse l'être, il ne se sépara point de
la foi de son temps. Par un secret que le nôtre ne
saurait plus avoir, il unit dans une sage mesure
PP.EFACE iix
In philosophie et la religion. Libre penseur, il ne
cessa pas d'être croyant, comme ses disciples Féne-
lon, Bossuet et Leibniz. Plus tard, le divorce de-
vait se faire avec une sorte de scandale. A cette
époque, il n'éclata pas, jjarce qu'il n'eût été que
nuisible. Mais Descartes, en dtîpit de son courage
et de sa parfaite sincérité, dut par prudence se
condamnera l'exil. Dans sa patrie, qui allait ap-
plaudir à la révocation de l'édit de Nantes, il n'eût
pas été à l'abri; la liberté de son esprit y au-
rait été entravée. C'est à la France, sans doute, que
le monde doit Descartes; mais, sans l'asile ^e la
Hollande, il est douteux que Descartes eût été
tout ce qu'il pouvait être.
Depuis le temps de Descartes, grâce au dix-
huitième siècle, et surtout h la Révolution française,
la situation de la philosophie est désormais indé-
pendante et sûre. Nous jouissons à cette heure
d'une absolue liberté, que rien ne menace, si ce
n'est ses fautes et ses [)ropres erreurs. Après un
long circuit, nous voilà revenus en quelque sorte au
point de départ. Chez noi.s, la philosophie a la puis-
sance, la sécurité même dont elle a usé longtemps
en Grèce et dans l'Inde , avec les lumières que
trente siècles de plus lui ont acquises. Le conflit,
longtemps soulevé, n'existe plus; ou, du moins, il
n'a plus rien de redoutable. Mais les devoirs réci-
i.x l'I'.KFACi:.
proqiies subsistont loujours ; et, de |tart et d'au-
tre, on ne pourrait y manquer qu'en se faisant à
soi-même le plus grand dommage, ainsi qu'à la
société.
Par leur nature propre, la religion et la philoso-
])hie ont une vie très-différente, quoique ayant un
même objet. La religion ne peut vivre que d'auto-
rité; la philosophie ne vit que de liberté. Ce n'est pas
despotisme ou ignorance de la part de l'une , pas
plus que ce n'est révolte ou dépravation de la part
de l'autre. Pour peu qu'on veuille y arrêter un
instant son attention impartiale, on verra d'où vient
cette différence, source de tant de récriminations
également peu équitables des deux côtés.
H n'est pas possible à un peuple de remettre tous
les jouis sa foi en question; car ce serait remettre
en question son existence, dont la foi, quelle qu'elle
puisse être, est le plus essentiel élément. Sans
croyance religieuse, qui la constitue et qui la di-
rige, une nation n'est pas ; elle flotte à tous les
hasards. Le scepticisme, déjà si difficile et si dan-
gereux pour les inilividus, est impraticable pour
ces vastes agglomérations, qui n'ont jamais pu l'ac-
cepter, et qui, à leur grand honneur, ne l'accepte-
ront jamais. Une fois que la croyance nationale est
fixée, soit dans des traditions, soit dans des livres
Miiloul, il est tout simple qu'elle ne varie |dus. On
PREFACE. Lxi
l'approfondit, on la développe socialement; on en
moditie les formes avec le temps, qui altère tout,
même les religions. Mais ces modifications sont
superficielles et bien lentes. Quand on veut les
brusquer, les déchirements sont affreux. La Réforme
a coûté à l'Europe près d'un siècle et demi de
guerres acharnées. La foi n'en subsiste pas moins;
et, par exemple, le Christianisme, partagé en deux
camps ennemis, loin de perdre de sa ferveur, en a
peut-être alors gagné. Mais ces crises et ces se-
cousses doivent être fort rares dans l'existence des
nations; si elles se répétaieni un peu souvent, ce
n'est pas la religion seule qui y périrait; ce serait
le peuple lui-même.
11 y a donc pour la religion un besoin constant
de recourir à l'autorité. Quelque distincte qu'elle
soit de l'Etat, elle agit toujours un peu comme bii.
Ce sont également des masses qu'elle gouverne;
il lui faut aussi une règle, et un ordre perma-
nent et à peu près invariable. De là, une néces-
saire tendance à l'immobilité. Le symbole déposé
dans le livre saint, ou celui qu'on en a tiré, est im-
muable. Le culte qui en sort peut varier; le dogme
ne le peut pas, à la fois parce qu'il est sacré et parce
qu'il est de nécessité sociale. On prescrit au citoyen
de s y conformer, sous peine d'attenter à l'ordre et
d'encouiirles peinesque provoque toujours une telle
Lxii PREFACE.
infractioD. Le citoyen peut n'êlre pas croyant; car
raulorité, malgré ses précautions les plus étroites,
ne saurait atteindre jusqu'aux consciences; mais il
faut qu'il soit respectueux tout au moins, s'il veut
échappera la répression. L'autorité règne en reli-
gion, même quand la religion, comme en Grèct',
ne parle point au nom de Dieu ; elle règne à plus
forte raison quand le livre du dogme national est,
selon les croyances reçues, la parole divine elle-
même révélée à quelques hommes privilégiés,
Voyants, Prophètes ou Apôtres.
La philosophie est dans une condition toute diffé-
rente. Comme, en son domaine sans limite, la raison
de l'homme ne s'adresse qu'à elle-même, elle est
absolument dégagée de tout pouvoir extérieur el
étranger'. N'obéir qu'à soi, c'est ce qu'on appelle
la liberté; et voilà comment la liberté est l'essence
même de la philosophie, ainsi qu'elle est Tessence
de l'intelligence humaine. Xe se fiant qu'à sa rai-
son, l'homme, tout en sentant sa faiblesse, ne peut
pas reconnaître une autorité plus haute ni plut,
compétente. Même quand il veut abdiquer celle-là,
pour rn adopter une autre qu'il croit meilleure,
' « 11 n'est poinl dans Tordre que rinlolligeiue soil sujette ou
esclave de quoi que ce soit ; cesl elle qui est faite pour toinniaiider
à tout, loisquelle est appuyée sur la Térité et entièrement libre.
conuiie elle doit Pèlre de sa nature. » Platon, livre IX des Lois,
traduction de M. Victor Cousin, p. 195.
IMlElACE. L.viii
c'esl encore celle-là qui le guide ; elle ne l'aban-
donne même pas quand il y renonce; car, quoi
qu'on fasse, c'est toujours une obéissance raison-
nable qu'on demande à Tiiomme : Ob^equium ratio-
nabile. Faisant ainsi acte de souveraineté tout en
se soumettant, la raison est pleinement et émi-
nemment souveraine quand elle agit sous sa seule
responsabilité, usant des forces dont elle est douée,
n'empruntant rien à ce qui n'est pas elle, ris-
quant des chutes, que la religion même n'évite pas,
mais marchant dans les voies qui sont exclusive-
ment les siennes.
La liberté est certainement un grand péril. Qui
pourrait le nier? La philosophie lésait mieux que
personne, précisément parce que tout son labeur se
fonde sur l'étude de l'homme. Mais elle sait aussi
que sans la liberté l'homme n'est plus; il ne reste
en lui que la brute; el, puisque la bonté et la
toute-puissance de Dieu nous ont accordé ce don
merveilleux et presque surnaturel, la philosophie
s'en sert, en s'efforyant de n'en point mésuser. Elle
s'en sert avec tous les dangers que la liberté com-
jiorlc; mais elle se dit, comme le patriote de l'an-
lifjuité : « Malo pericidosam libertatem. » Les dan-
gers qu'elle redoute ne sont pas ceux dont la
menace le dehors, les seuls que le monde songe à
fuir. Les siens se réduisent à l'erreur, qui est lé-
TREFACE.
cueil intime de rintelligence et sa perte. La philo-
so[)hie fait tout ce qui dépend d'elle pour la con-
jurer, échouant souvent , réussissant quelquefois,
dans les bornes de l'insuftisance humaine, les re-
gards fixés sur ce type éternel de la vérité, qu'il
nous est permis d'entrevoir, et qu'elle poursuit,
sans y atteindre pleinement comme elle le veut.
La liberté, qu'on le sache bien, n'est pas plus
nécessairement la licence que l'aulorité n'est né-
cessairement la tyrannie. Seulement, l'ordre qu'ob-
tient et impose l'autorité peut n'être que factice;
celui qu'assure la liberté est le vrai, parce qu'il est
seul sjtontané et volontaire. Le sage est encore su-
périeur au saint.
Le philosophe, ainsi compris, paraît donc bien
faible. Il se met en dehors de la société, qui fré-
quemment le comprend mal ; il se met en dehors de
la religion, (jui s'en défie et même le persécute^
Mais voici où est sa force et sa grandeur, que rien
ne déj)asse : il fait son œuvre tout individuelle sous
l'inspiration même de Dieu, comme la religion
lait aussi la sienne, sans que rien en ce monde
puisse l'en détourner. A ses accusateurs, et même
à ses bourreaux, il peut toujours tenir le langage
que tenait Socrate, il y a vingt-deux siècles : « Athé-
«niens, je vous honore et je vous aime; mais j'o-
(( béirai plutôt au dieu qu'à vous; tant que je respi-
l'IiEIAllE.
« rerai et que j'aurai un peu de force, je ne cesserai
«de m'appliquer à la philosophie et de vous donner
«des avertissements et des conseils. Faites ce que
« demande Anytus ou ne le faites pas ; absolvez-moi
«ou ne m'absolvez pas; je ne ferai jamais autre
«chose, quand je devrais mourir mille fois^ » Ap-
puyé sur un tel secours, le philosophe se sent invin-
cible; et comme pour lui la vie n'a de valeur qu'à
cette condition, il se résigne à la perdre, quand
l'intolérance l'emporte et que la société aveuglée
demande une viclime de plus.
C'est cependant à la raison et au libre exercice
de la pensée que la société, quelquefois si ingrate et
si injuste, est redevable de tous ses progrès. La re-
ligion l'éclairé et lui fournit des lumières spéciales
que rien ne peut remplacer; mais la religion, fidèle
au dogme, ne ferait peut-être point avancer la so-
ciété d'un seul pas ; et tous les pas que l'humanité fait
si péniblement, c'est à la raison qu'elle les doit, c'est-
à-dire à rin!eliig(mce ne s'adressant qu'à son propre
fonds, dans les lois, dans l'industrie, dans les arts,
et même dans ces matières supérieures, dont la re-
ligion veut assez souvent, quoique bien en vain, se
faire un domaine exclusif. Les sociétés obéissent
toujours à ce double courant. Les meilleures sont
' Wr.vV.ipologic do SoL-rale, dans les œuvres de i'iatuii, Irudiic-
lion de M. V. Cousin, t. 1, [>. 93 cl &i.
d
Lxvi PREKACE
celles qui savent y céder dans la juste mesure ; elles
unissent alors la stabilité au mouvement, et l'ordre
au progrès. La religion s'efforce de maintenir
inviolé le trésor de la foi et y rattache, autant
qu'elle le peut, tous les développements sociaux; la
raison, à côté d'elle, trace son chemin assez long-
temps caché. Puis, il se trouve qu'un jour le sage
Athénien enseigne le dieu unique et sa providence,
tandis que le culte national ne connaît encore
que Jupiter et Vénus. Le sage succombe; mais sa
pensée ne meurt pas avec lui ; recueillie et propa-
gée dans l'école, elle conquiert les âmes les plus
éclairées du Paganisme, jusqu'à ce que le Christia-
nisme apparaisse et rallie le monde préparé de
longue main à l'entendre et à l'aimer. S'il n'a pas
été donné au Platonisme de savoir à quel avenir
il contribuait, il suffit d'interroger les Pères de
l'Eglise pour savoir combien il y a contribué.
La philosophie peut donc être méconnue par le
temps oij elle se produit; mais ses efïorts ne sont
jamais stériles ; la vérité une fois découverle n'est
jamais inféconde. C'est là ce qui fait que la phi-
losophie ne se décourage point, même dans les plus
mauvais jours, et qu'elle poursuit son œuvre, mal-
gré les railleries d'Aristophane et les sentences
de l'Aréopage, bien assurée que la postérité ne les
ratifiera pas.
i'i!Ki\ri;. lAvii
D'ailleurs, ce rôle, si grand et si périlleux, ne doit
pas enorg-ueillir la philosophie. S'il sied bien à
quelqu'un d'être modeste, c'est sans contredit au
philosophe. Les religions doivent se croire infail-
libles, et c'est à cette condition qu'elles portent
tous leurs fruits. La philosophie sait trop ce que
coûte la découverte de la vérité pour se flatter d'une
telle illusion. Elle a bien, elle aussi, des principes
.qui ne trompent pas et qui sont éternels. Mais elle
voit à chaque instant, par son propre exemple,
combien la raison de l'homme est incomplète, si ce
n'est impuissante. Qu'est-ce que le savoir humain,
tout réel et précieux qu'il est, et quelques trésors
qu'il amasse de siècle en siècle, en présence de
cette vérité infinie qu'il n'épuisera jamais? Qu'est-ce
que l'homme en face et sous la main de Dieu?
Qu'est-ce que son intelligence devant celte intelli-
gence qui a fait et qui gouverne les mondes? L'or-
gueil peut convenir à l'homme, si jamais il lui
convient, quand il regarde ce qu'il a conquis par
tant de labeurs accumulés. Mais de (|uelle humilité
ne doit-il pas être écrasé, quand il regarde les abîmes
insondables de tout ce qu'il ignore et doit ignorer
invinciblement ! Le philosophe peut signaler, quand
le devoir l'exige, les faiblesses et les lacunes d'au-
trui ; mais avec quelle réserve! il le sent quand il
tourne les yeux sur lui-même et qu'il voit sa propre
Lxviii l'I'.EiïACF..
mosiire oncoro si politc, toute supérieure qu'elle est
à (ouïes les autres. Ce que Socrnte sait encore le
mieux, c'est qu'il ne sait rien.
De là, enlre la religion et la philosophie, une
nouvelle différence, et, parfois aussi, de nouveaux
dissentiments. La philosophie, qui a pu se définir
très-bien elle-même en se donnant pour le simple
désir de savoir, subit les nécessités de la science;
elle ne procède que par analyse et observation. On
ne peut connaîlre les faits qu'en les observant, et il
faut les décomposer pour les comprendre. Uan^
leur totalité, les faits échappent aux prises de notre
esprit trop débile; il doit les réduire à sa taille,
afin de pouvoir les saisir plus sûrement. Il y a
quatre ou cinij mille ans que l'intelligence humaine
travaille et amasse les matériaux d'un monument
qu'elle con^-truil toujours, sans pouvoir l'achever,
el (|u'elle n'achèvera jamais, parce que l'édifices'ac-
croît dans la proportion même des travaux qui
le fondcMit. La religion n'a aucun besoin, ni de
l'observalioii, ni de l'analyse ; elle les redoute
même quelquefois, quand elle se trouve en contra-
diction avec la science et qu'elle se sent sur le point
d'être convaincue d'erreur, La science, quand elle
est irrespectueuse, signale hautement ces dissi-
dences et s'en fait malignement une gloire peu
sensée. La religion, de son côté, s'alarme de ces
l'UHKACE. Lxix
flécouverfes, ot elle les proscrit quand elle le peut.
Égale faiblesse des deux paris. La science n'a qu'à
se rappeler sa propre histoire pour être indulgente
aux erreurs de la religion. La religion, pour être
insensible, même à des critiques légitimes, pourrait
se dire que son objet n'est pas d'étudier la nature,
et que, venue au berceau des sociétés ou pour des
nécessités particulières, elle n'est pas leniie de sa-
voir ce qu'on n'a su que longtemps après elle, et
souvent grâce à ses leçons, «pii, pendant bien des
siècles, ont paru suffisantes. Les analyses que se
[>ermet la religion ne peuvent toucher que le dogme ;
et c'est ce qu'on appelle la théologie, réservée,
comme la philosophie, à un petit nombre, aux
clercs, si ce n'est à l'école, très-souvent dange-
reuse, mais indispensable. En dehors du dogme,
la religion n'a rien à étudier, et voilà comment
elle ignore la nature, dont la patiente et délicate
analyse ne la regarde pas. Elle condamne Galilée à
rétracter ses démonstrations sur le mouvement de
la terre, de même que, vingt siècles auparavant,
elle condamnait Ânaxagore pour avoir avancé quel-
ques propositions d'astronomie.
C'est là sans doute un grave inconvénient; mais
cet inconvénient est b dancé par un avantage. La re-
ligion est, en général, (Tune très-grande simplicitc;.
Son langage est fort clair, précisément parce qu'il
l'IŒFACE.
s'adresse à la foule; plus compliqué, il ne serait pas
entendu. Imaginez l'Evangile écrit dans le style de
Platon ; à l'instant même, il renonce à parler aux
multitudes. En sanskrit, rien n'est plus trivial que
les ouvrages canoniques du Bouddhisme. Il faut
être vulgaire d'expression, si ce n'est de pensée,
pour que le vulgaire vous écoule. Mais ici, moins
que partout ailleurs, la forme n'emporte le fond. Il
s'agit d'idées qui doivent sauver les hommes; les
âmes palpitent et sont dans l'attente. Il suffit de
les toucher; le moyen le plus direct est le meilleur.
La rhétorique des mots serait bien misérable; l'é-
loquence irrésistible ne vient que des sentiments
qu'on éprouve et qu'on transmet, des doctrines
qu'on proclaifie. Là où dans un enthousiasme in-
culte l'apôtre convertit son auditoire subjugué, l'o-
rateur n'aurait recueilli que des applaudissements
et n'aurait peut-être pas même persuadé. La reli-
7ion gagne en force et en influence tout ce qu'elle
perd en raffinement et en habileté de langage;
l'âme humaine est si grande elle-même, que ce
serait la méconnaître que d'essayer de la séduire
par ces pièges. Le langage de la religion est souvent
majestueux; il n'est jamais étudié, même quand
elle paile par la bouche des poëteè, David chez les
Juifs, les Hisliis dans les Yédas, ou encore Mahomet
chez les Ai'abcs.
i'i',i;r.\ci;.
L;i philosophie, au contraire, peut employer
toutes les ressources du style. Ces parures ne lui
sont pas interdites; quelquefois même elles sont
un devoir, quand elles sont nécessaires pour le
triomphe plus sûr du vrai. Platon, Aristole, Bacon,
Descartes ont été de très-grands écrivains. Qui a
jamais songé à leur en faire un grief? Dans ces
graves matières, la limite est celle même que le
sujet indique et exige. Il peut y avoir abus, quand
les esprits ne sont pas très-justes, et qu'on se préoc-
cupe d'un succès littéraire plusque de la vérité. Mais
le goût le plus sévère autorise ici quelques sobres
ornements, dont le livre saint n'a jamais besoin.
La philosophie les supporte, en y mettant beaucoup
de réserve. C'est toujours à une élite qu'elle s'a-
dresse et qu'elle doit plaire. Platon lui-môme n"a
jamais eu beaucoup de lecteurs ; Descarles, quelque
clair qu'il soit, ne peut guère en avoir davantage.
La philosophie a beau faire; elle reste une aristo-
cratie, non par sa propre nature, mais par la
force des choses. Tout ce qu'on peut lui recom-
mander, c'est de toujours suivre ces beaux exem-
ples et de ne pas se perdre dans ces abstractions
creuses et ces logomachies obscures et barbares,
qui risquent de la livrer au ridicule, et (jui lui
ôtenl tout accès aupiès des masses, souvent même
dans les écoles.
i.\xii l'HKKACK
De cette (lifférenco radicnle flans Ips procédé';,
et de ces deux principes si di.^tincls d'antorilé et de
liberté, il résulte (}ue la philosophie et la religion
ne doivent jamais empiéter l'une sur l'autre. Ce
n'est pas seulement parce qu'il y va de leur repos
mutuel ; c'est en outre qu'il y va de la justice. La
religion est naturellement portée à exiger l'obéis-
sance; et c'est l'essence de l'autorité de vouloir
s'étendre à tout ; mais elle rencontre dans la
conscience individuelle un obstacle insurmon-
table, et les supplices matériels, dont elle a usé
bien <à tort contre l'hérésie, échouent contre les
âmes, s'ils torturent et anéantissent les corps. Ces!,
une cruaulé aussi inutile qu'odieuse, aujourd'hui
impossible ; mais elle a sévi dans des temps qui
ne sont pas encore très-éloignés de nous. La reli-
gion, loin d'y rien gagner, y perdait infiniment ;
elle remplaçait par la terreur la vénération et la
tendresse qu'elle doit inspirer. Le martyre de Jean
IIuss et de Jéiôme de Prague n"a pas peu contribué
à la légitime révolte de la Réforme.
De son côté, la i)hilosophie n'est guère plus sage,
si elle est moins cruelle, en prétendant substituer
ses doctrines el >a domination à celledela religion.
La liberté, sur huiuelle elle se fonde, et (jui est sa
base indeslrnctiblc, ne permet rien de pareil. De
quel droit l'individu i iiposeroit-il sa pensée à un
IM\ÉFACE. I.XXIH
indiviflii qui jouit de la liberté comme lui, si,
d'ailleurs, il est inférieur sous d'autres rappnris?
Invoquera-t-on la supériorité des lumières? Cette
supériorité peut être très-réelle; mais elle ne con-
fère pas le pouvoir qu'on en veut faire sortir. Le
philosophe doit avoir toujours la faculté d'exprimer
ses opinions, (juand il le fait dans les formes con-
venables ; mais il ne peut jamais nourrir la préten-
tion de les faire prévaloir autrement que par la
persuasion. S'il a recours à la puissance publique
ou à l'autorité, sous quelque déguisement que ce
soit, il cesse d'être philosophe; c'est un tout autre
rôle qu'il assume. La philosophie devient alors ou
la religion ou l'Etat. Elle a tout à perdre à cette
transformation, qui ne dure qu'un moment, comme
tout ce qui est violent et contre nature. Elle risque
de devenir persécutrice à son tour, et je demande
quelle figure elle fait au milieu des bouleverse-
ments sociaux. L'histoire, malheureusement, pour-
rait nous répondre, sans remonter bien haut, et je
ne vois pas (|u'il y ait rien au monde de plus
monstrueux que la philosophie réclamant l'appui
du bras séculier. Ces appels ont peu réussi <à la re-
ligion ; mais ils ne lui sont pas essentiellement anti-
pathiques; elle se nuit, mais elle ne se contredit
pas, en se les permettant. Au contraire, la philoso-
phie abdique ({uaud elle usurpe; elle se ruine par
ixxiv PREFACE
ce prétendu triomphe; car ce n'est point à elle
d'appliquer jamais pratiquement la vérité; elle n'a
quà la découvrir, ce qui est à la fois plus grand
et plus sûrement utile.
On pourrait pousser encore plus loin cette com-
paraison de la religion et de la philosophie. Mais il
faut se borner, et ce qui a été dit suffit pour qu'on
voie leurs relations principales. Au fond, elles se
ressemblent bien plus encore qu'elles ne diffèroni;
elles sont nées, sous l'œil de Dieu, d'une mère
commune, rinlelli^ence humaine; et c'est bien
à elles qu'on peut appliquer ces vers du poêle :
F.icies non ... uiia
Nec iliversa tameii, qnalein decet esse sororuin.
On les a fort bien appelées a Deux sœurs immor-
telles, » et l'on peut croire que ceu.x qui censurent
cette très-juste expression d'une pensée profonde,
ne l'ont pas suffisamment pesée. Elle ne jieut pa-
raître fausse que quand on rêve pour la société des
destinées impossibles, et qu'animé de passions dont
le dix-neuvième siècle semblait devoir être guéri,
on prétend toujours immoler la religion à la philoso-
phie; contre-partie de cet autre fanatisme qui, dans
rintérèt de la société, veut immoler la philosophie
à la religion. A t|uoi sert de parler au nom de la
ritÉFACE. Lxxv
raison, pour èlre si peu équitable? au nom de l'ex-
périence et de l'histoire, pour méconnaître des faits
d'une si frappante évidence?
Aux yeux de quelques-uns, j'aurai l'air de désa-
vouer l'esprit de notre temps, en pensant comme je
le fais sur les rapports fraternels de la philosophie
et de la religion, de la raison et de la foi. Je re-
gretterais celle méprise ; mais il faut se passer d'a-
voir l'approbation de tout le monde. Je me con-
tenterai de me trouver d'accord avec deux hommes
du passé, qu'on peut suivre sans crainte de s'égarer
sur leurs pas. Â de très-grands intervalles de temps,
dans des situations fort différentes, chez des peu-
ples fort dissemblables, Socrate et Descaries sont
des modèles que nous pouvons consulter. Il n'y a
pas d'esprits plus indépendants, ni plus respec-
tueux envers la religion de leur pays.
Socrate est accusé par Mélitus de ne pas croire
aux dieux de la République, de mettre à leur place
des démons, et de répandre des doctrines extrava-
gantes parmi la jeunesse, qu'il corrompt. C'était
une calomnie homicide ; elle prévalut. Mais Socrate
la réfute péremptoirement en démontrant que non-
seulement elle est fausse, mais que de plus elle se
détruit elle-même. Comment, en effet, peut-on
croire aux démons sans croire aux dieux, dont ils
étaient les enfants, selon le Paganisme? Mais la vie
Lxxvi PRÉFACE.
loul entière de Socrate réfiilait bien mieux encore
ses accusateurs. A quel devoir religieux avait-il
manqué? A quelle cérémonie sainte, ordonnée par
les mœurs de sa patrie, n'avait-il point assisté?
Quel sacrifice solennel avait-il négligé de faire? 11
est si docile aux lois de la République qu'il ne veut
môme pas les violer pour sauver sa vie, comme
Criton le lui propose dans sa prison, d'où il peut
sortir. Quelle parole impie lui a-t-on jamais en-
tendu prononcer? Quels discours a-t-il jamais tenus
contre les croyances nationales? En essayant de les
épurer, les a-t-il jamais insultées? Loin de là, il les
a toujours si bien acceptées qu'il partage même les
o])inions populaires, et qu'il a une pleine con-
fiance aux mythes d'où elles sont sorties. Fidèle à
celte conduite patriotique, qu il a tenue durant
toute sa vie, sa dernière parole, quand le poison
va l'étouffer, est pour rappeler à ses amis une of-
frande qu'il doit à Esculap'e. C'est une dette reli-
gieuse (ju'il ac(iuitte en expirant.
Il nous est sans doute Irès-malaisé de démêler
toute la pensée de Socrate sur les erreurs cl les im-
puretés du culte païen, au milieu duquel il vivait.
Mais cette pensée, peut-être obscure pour lui-même,
il est certain qu'il ne l'a jamais exprimée en termes
blessants. 11 a même défendu la majesté des dieux
contre les basses images qu'en traçait la poésie; il
PREFACE.
a rehausse autant qu'il l'a pu l'idée que lliomme
doit se faire de leur bonté, de leur pouvoir, de leur
providence. Lorsque Platon porte des lois contre le
sacrilège, tant au nom de son maître qu'au sien
propre, il est d'une sévérité excessive ; l'impiété
révolte si vivement Socrate qu'il a contre elle des
accents de colère que sa bienveillance inaltérable
n'a point trouvés contre les autres crimes. C'est celui-
là qui lui est le plus odieux, et il n'y a que Mélitus
pour supposer qu'il ait pu le commettre. Tout ce que
fait Socrate, c'est de maintenir son droit de phi-
losophe, en le conciliant avec tous ses devoirs do
citoyen. Ce qui lui coûte la vie, ce n'est pas une in-
fraction cà la loi politique et religieuse; c'est l'ini-
mitié presque générale qu'ont excitée dans une so-
ciété relâchée ses vertus et surtout ses trop justes
critiques,
A deux mille ans de distance, l'exemple de
Descartes est encore plus clair ; moins éloigné
de nous, il peut encore mieux nous instruire. Des-
cartes a poussé plus avant que personne la libre re-
cherche de la vérité, et il est interdit désormais à
l'indépendance la plus ombrageuse et la plus en-
treprenante d'albr au delà. La raison se prenant
pour la source et la mesure de toute connaissance,
c'est le terme extrême de la philosophie, qui me
peut pas être plus avancée ni plus solide. C'est
LxiviH PREFACE.
son droit et sa force eu même temps que son danger.
Y a-t il dans tout Descartes un seul mot irréligieux?
Y a-t-il même une seule tendance douteuse? J'ai
dit plus haut qu'il était demeuré plein de foi, tout
en étant le plus libre des penseurs. Mais en même
temps, est-ce que ses convictions religieuses ont
rien enlevé à la vigueur, à l'étendue, à la liberté
absolue de ses pensées? N'a-t-il pas démontré
l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme et tant
d'autres principes, sans rien demander qu'à l'obser-
vation et à la psychologie? S'il n'a pas voulu soutenir
ouvertement les théories de Galilée sur le mouve-
ment de la terre, ce fut un acte de prudence per-
sonnelle; ce n'était point un scrupule d'orthodoxie ;
car il était persuadé que « c'était abuser de l'Ecri-
w ture sainte que d'en vouloir tirer la connaissance
«des vérités qui n'appartiennent qu'aux sciences
« humaines ^ »
Doutera-t-on des lumières et de la sincérité de
Descartes? Croit-on un tel homme capable de se
mentir à lui-même ou de mentir aux autres? La
philosophie n'est donc pas plus pour lui que pour
Socrate incompatible avec la religion, dans la-
quelle ils vivent et qu'ils professent, avec un égal
respect et un égal patriotisme.
* Descaitcs, édition de M. Victor Coubiii, t. Vlll, p. b'I.
PREFACE. Lx-m
Veut-on la contre-épreuve de ceci ? Qu'on s'a-
dresse à un évêque, et particulièrement à Bossuet ?
A-t-il cru que la philosophie fût inconciliable avec
la religion ? Et dans cet admirable livre « De la
connaissance de Dieu et de soi-même, » le plus beau
peut-être de tous ceux qu'il a composés, peut-on
sentir autre chose que la main du philosophe ? Le
chrétien, le catholique, le prêtre y paraît-il un
instant ? Or quel sujet plus grand, plus vaste, plus
décisif que celui qu'il y traite ? Connaître soi-même
et Dieu, n'est-ce pas l'essentiel ? Et quoique l'évêque
de Meaux n'eût pas voulu s'en tenir là exclusivement,
il attachait du moins une bien haute importance à
ce résumé de la raison, où n'enlie n'en de l'or-
thodoxie ni du dogme. Ce n'est pas faire tort à
Bossuet que de l'associer à Descartes et à Socrate ; et
il se trouve que j'ai pour le sentiment que je sou-
tiens plus d'autorité:^ que je n'en comptais d'abord.
11 serait même bien facile, si on le voulait, d'en ajou-
ter à celles-là une foule d'autres.
Mais j'ai hâte de quitter ces généralités, qui peu-
vent toujours paraître un peu trop vagues et par
suite peu utiles. 11 faut les appliquer au temps où
nous sommes, avec la réserve convenable, et les vé-
rifier par la pratique. La question est toujours la
même; mais la solution est aujourd'hui plus aisée
(ju'elle ne la jamais été, grâce à la beauté de la
Lxxx PREFACE.
religion que la philosophie a devant elle, grâce aux
progrès de la tolérance et à la douceur de nos
mœurs. Notre époque connaît mieux qu'aucune
aulre ne l'a pu antérieurement, l'histoire du passé ;
nous avons sur nos prédécesseurs cet avantage
de pouvoir profiter des leçons qu'ils ne compre-
naient pas aussi bien que nous. Il semble donc
que juger des rapporis actuels de la religion et
de la philosophie soit chose assez simple. Cepen-
dant c'est toujours une tâche délicate. Mais pour-
quoi ne pas l'aborder, s'il peut y avoir quelque bien
à le faire avec modération et loyauté ? A n'en-
tendre que certaines récriminations, on pourrait
croire que la concorde est impossible. Je ne le
pense pas ; et quand ma voix se perdrait, sans être
écoulée de part ni d'autre, je ne puis avoir à me
repentir de l'avoir élevée. Je laisserai d'ailleurs de
côté tous les débats mesquins, et je neveux m"ar-
rèter qu'aux traits les plus saillants.
Ce qu'il faut montrer, c'est qu'aujourd'hui la
philosophie a peut-être plus de devoirs envers la
jeligion qu'elle n'en a jamais eu. On doit le sou-
tenir non pas uni(|uement dans l'intérêt social,
mais bien plus encore dans l'intérêt de la vérité
et de la raison. Dans les deux camps, il y a des
esprits excessifs (]ui ne veulent entendre à aucun
accommodement. Ceux-ci proscrivent la raison ;
l'REFACE.
et l'on ne voii plus dès lors comment même ils
peuvent s'adresser aux hommes. Ceux-là, presque
aussi aveugles, proscrivent la foi, sans reconnaître
tout ce qu'elle a de vrai, indépendamment de tout ce
qu'elle a de pratique et de nécessaire. C'est une faute
égale. Mais ce qui peut la rendre moins nuisible,
c'est qu'en réalité la société n'en est pas troublée.
La religion et la philosophie vivent l'une et l'autre
sous la main de l'État, chargé de maintenir l'ordre
entre tous les cultes; et malgré quelques faiblesses
et quelques partialités, TEtat se montre assez équi-
table. La paix sociale subsiste, si la discorde est
dans les écrits. C'est donc pour le moment un débat
de pure théorie. Mais la discussion n'en a gi;ère
moins d'importance ; car la théorie ne tarde pas à
descendre dans les faits chez tous les peuples, et
parmi eux il en est même de si impatients qu'ils
s'élancent à la pratique sans une réflexion suffi-
sante, sauf à payer tant de j)récipitation de leur
repos et de leur bonneur.
Je ne veux rappeler que des fails inconlestabh s,
qui pui-ssent être, ce semble, acceptés par les deux
])ar[is, quelijue passionnés qu'ils soient.
On interrogera vainement l'histoire entière de
l'esprit humain; on n'y trouvera rien d'égal à l'é-
difice religieux qu'a élevé le Christianisme, et
qui constitue encore son état présent, garantie
ixxTii PREFACE.
d'un avenir donl mil ne peut assigner la fin. Issu
de la prédication, dans un coin obscur du monde
asiatique, ilconijuiert l'empire romain en moins de
trois siècles, et il s'assied sur le trône avec Con-
stantin. Il s'étend sur l'Europe barbare et boulever-
sée ; il y règne sans partage ; et aujourd'hui, après
dix-huit cents ans, les peuples qui le professent
sont et resteront les plus savants, les plus laborieux,
les plus moraux et les plus libres que l'histoire ait
jamais vus. Selon toute apparence, ils soumettront
à leur foi commune le monde entier, qu'ils étrei-
gnent de toutes parts, et qui ne peut pas plus ré-
sister à leur force qu'à leurs lumières.
Voilà, dans Thisloire du Christianisme, le premier
fait qui me frappe ; et je me sens porté tout d'abord à
tenir le plus grand compte d'une doctrine religieuse
qui a produit de si nobles résultats. En admettant
même que tous ces résultats excellents ne lui ap-
partiennent pas, et qu'on doive les rapporter aux
peuples mêmes qui les ont obtenus, ces peuples si
supérieurs ne peuvent pas avoir adopté une religion
qui ne répondrait point à leur intelligence, à leurs
aptitudes et à leur raison, attestées par tant de pro-
grès et tant de merveilles. Ils ne semblent pas prêts
à déserter leur foi ; et parmi les intelligences
f|ui ont pu prétendre à se faire écouter d'eux, il
n'en est pas une seule dont les yeux aient été assez
Pl'.F.FACE.
poreanls déjà pour discerner quelque dogme meil-
leur et plus humain, destiné à remplacer celui-là.
Soit donc qu'on se rappelle l'histoire du Christia-
nisme, soit qu'on regarde à son état actuel, soit
qu'on pense à son avenir, il n'y a rien de plus su-
blime, de plus solide, ni de plus fécond dans toutes
les religions, soit passées, soit présentes.
Je ne lui fais pas un mérite particulier de ses
martyrs. Sans doute ils sont admirables, et l'Eglise
n'a été que juste en les plaçant au nombre des Saints,
afin d'apprendre à tous les hommes comment on
meurt pour ses convictions. Mais toutes les reli-
gions ont eu leurs victimes. Si celles-là sont dignes
pour nous de plus de sympathie et de louange, elles
n'en sont pas les seules dignes. Il s'en est toujours
rencontré d'aussi dévouées, pour soutenir des re-
ligions beaucoup moins bonnes. Mais à côté des
marlyrs et de leur courage, je vois l'œuvre intel-
lectuelle des Apôtres, des Pères de l'Église, des
Conciles et des Papes, avec leur succession, leur
hiérarchie libérale et forte , leur gouvernement
habile, leur prudence habituelle, leur esprit de
persévérance, l'unité de leur tradition ; et je me
demande où Irouver, dans l'univers et dans les re-
ligions, un système qui puisse être mis au rang de
celui-là pour l'étendue, la profondeur et la vérité.
Sur Dieu, sur l'âme, sur le monde, sur les sociétés.
ixxxiv PP.rFACF.
sur les mœurs, quels problèmes nouveaux ! Ouel
éclaircissement des anciens problèmes élargis! Que
de solutions vraies et nliles, que de travaux infati-
gables et bienfaisants, sans parler de tant d'insti-
tutions de toute espèce, qui ont fait pénétrer dans la
réalité les inspirations les plus élevées et les plus
charitables de la théorie ! Quelle science, quelles
études solitaires et publiques, dans les écoles ou
dans les cellules! Que de monuments laissés à la
postérité pour lui transmettre l'Iiéiilage antique,
ou pour commencer le nouvel amas de nos tré-
sors! Au milieu des labeurs de l'orthodoxie et de
la foi, que de philosophie et que de libres investi-
gations! Parmi les Pères et les Docteurs, que de
philosophes! S'ils n'eussent point été nos maîtres,
en serions-nous aujourd'hui à ce point de mora-
lité et de lumières où nous sommes parvenus? Le
monde moderne, si fier, et à juste titre, de tout ce
qu'il est, n'est-il pas sorti presque entièrement du
Christianisme? N'a-t-il pas été nourri, élevé, sou-
tenu par lui? Que deviendrait-il, tout fort qu'il
se croit, si la foi clirétienne venait à lui manquer
tout à coup? Qui couiblerait ce vide et cet anéan-
tissement ?
Ce n'est pas que je me cache les ombres de ce
table^iu lesplendissnnl ; je sais aussi bien que
personne tout ce qu'on peut reprocher, si ce n'est
1
PREFACE. ixxxv
au Clirislianismo lui-même, du moins à plusieurs
de ceux qui l'ont représenté. L'Église a commis des
fautes; mais qui n'en commet point parmi les
hommes ? Elle a dû gémir souvent elle-même des
chefs indignes qui l'ont compromise ou flétrie. Elle
a eu ses ambitions désordonnées, ses préjugés, ses
faiblesses, ses corruptions, ses cruautés même ; elle
a été oppressive, après avoir été longtemps la mère
et le refuge des opprimés. La puissance l'u pervertie
à certaines époques, sans que les revers l'aient tou-
jours suffisamment instruite. Qui peut nier tout
cela? Mais je demande si tout cela, quelque réel et
quelque déplorable que ce soit, peut un instant
compenser et surtout abolir notre gratitude et notre
admiration.il faut juger le Christianisme, comme
la raison veut qu'on juge toutes choses, en le pre-
nant par ses bons côtés ^ Il n'est pas plus respon-
sable des crimes commis en son nom que la liberté
n'est responsable de tous ceux qu'on a commis pour
elle, en croyant la servir, tout en la faisant abliorrer
de sociétés qui ne peuvent s'en passer.
Une critique plus fondée, ou du moins plus spé-
cieuse, c'est que le Christianisme a reproduit dans
ses formes, et dans une bonne partie de ses idées,
le monde antique qu'il remplaçait. J'en conviens
* CVst lo fondeinenl de l'optimisme.
i.ïixvi PRÉFACE.
bien volontiers; ninis c'est, à mon sens, un service de
plus et le sujet d'un nouvel éloge. Si le Christianisme
n'avait pas emprunté, avec le langage de la Grèce
et de Rome, toutes leurs habitudes scientifiques,
littéraires, administratives et politiques, il n'aurait
pas été entendu, et il eût fait mille fois moins de
bien. En arrivant dans le monde grec et romain,
il y trouva une civilisation déjà fort avancée, et il
eut le bon esprit de s'en servir. Il en conserva
tout ce qu'il put dans le catalysme de l'invasion.
C'est à laide de ces débris recueillis par lui que,
sous son égide, nous avons fait toute notre éducation,
ou plutôt que nous avons renoué la chaîne des temps
si tristement interrompue. Il n'y eut jamais chez
les hommes un pareil naufrage ; mais il n'y eut ja-
mais non plus une telle rénovation. Ce n'est pas à
nous, qui pouvions périr dans la tempête, de nous
plaindre de la main qui nous a sauvés. Cette main
n'a pas toujours élé également douce et salutaire ;
mais ce sont là de ces services et de ces souvenirs
que rien n'efface ni ne doit faire oublier. Le Chris-
tianisme est grec et romain; voilà sa puissance dans
les voies mondaines. Resté oriental, il n'eût pas
existé pourjious, et notre Occident ne l'aurait ni
suivi, ni même connu. Mais malgré des emprunls
manifestes et indispensables, il est encore assez
original pour avoir renouvelé de fond en comble le
PRÉFACE. Lxxxvii
monde antique, qu'il continuait tout en le chan-
geant. Ce ne doit pas être un titre de défaveur
auprès des philosophes.
Ce n'en est pas un non plus que de plonger par
le Judaïsme et parla Bible aux racines mêmes de
Ihumanité. Quelque opinion que l'on ait sur la
composition des livres de lAncien Testament, per-
sonne ne peut nier qu'ils ne doivent figurer parmi
les plus anciens monuments de l'histoire des
hommes. En les comparant à tous ceux qui le
leur disputent de vénérable vieillesse, il n'en est
pas (jui les vaillent, et de beaucoup, sous le rapport
de la vraisemblance, de l'ordre, de la continuité et
de la beauté. En ne les considérant que philosophi-
quement, combien ne sont-ils pas au-dessus des
Kings de la Chine, des Védas de l'Inde, des Soûtras
du Bouddhisme, ou du Coran de l'Islam? En est-
il qui, sur lorigine des choses, donnent des so-
lutions plus raisonnables, en même temps que plus
majestueuses? On dirait que le peuple d'Israël a
stipulé pour le genre humain, et par fois même
pour la philosophie. Â l'avantage d'être romain
et grec, le Christianisme a donc réuni l'avan-
tage d'être hébreu. Il a hérité ainsi de tout ce
qu'il y eut de meilleur dans les races asiatiques
et dans les races européennes. Est-ce là ce qui
pourrait le diminuer? En se rattachant à tout
ixxxviii piii;rAri:.
ce que l'esprit humain a conçu He plus grand et
de plus vrai, s'est-il ôlé des droits à son estime et
à sa reconnaissance? Pris en lui-même, n'est-il
pas au-dessus de tout ce qui le soutient et l'a pré-
cédé? Ne mérite-t-il pas de s'appuyer tout ensem-
ble sur la religion mosaï(jue et sur l'Hellénisme?
Ne les dépasse-l-il pas encore infiniment l'un et
l'autre ?
Je ne voudrais pas porter une main indiscrète
sur les matières interdites aux profanes, et je ne
toucherais pas aux mystères, si des exemples fameu
n'v autorisaient. Des Pères de l'Eglise n'ont pas
craint d'y plonger leurs regards et leur réflexion,
tout incompréhensibles qu'on les déclarait. Saint
Augustin n'a pas été le seul à faire un ouvrage De
Trinitate. On peut ne pas se prononcer sur l'or-
thodoxie des explicalions proposées , puisque ce
soin ne concerne que l'Eglise. Mais on ne peut re-
fuser de reconnaître, dans ces explications et dans
ces recherches, une profondeur de métaphysique
que la philosophie n'a jamais dépassée, et qu'elle a
égalée à peine dans ses représentants les plus il-
lastres. Sur l'essence de Dieu, sur l'action de sa
providence, mêlée au libre arbitre de ses créa-
tures, sur létat originel de l'homme, sur la créa-
tion, sur l'éternité, etc., la philosophie fera ton-
jours bien de consulter le Christianisme, comme
l'IiKlACE. Lxxxix
elle consulterait un des siens; elle y trouvera, non
des solutions toutes faites, puisqu'elle n'en doit re-
cevoir de personne, mais des lumières qu'elle cher-
cherait vainement dans d'aulns religions, et dans
la plupart de ses propres systèmes.
En passant à la partie tout extérieure du Chris-
tianisme, on n'y découvre pas moins de puissance
ni de nouveauté. Humainement parlant, le Christ de
Nazareth et de Bethléem naît dans la condition la
plus ohscure et la plus pauvre. On le fait bien des-
cendre de la famille de David; mais c'est dans une
étable qu'on le place aux premiers jours de sa vie. Il
eslfds dun simple artisan ; il n'est point le fils dun
roi comme le Bouddha; il n'est même pas de la tribu
dominatricecommeMahonjet.il passe son existence,
qu'il soutient du travail de ses mains, dans une con-
dition misérable, souvent sans avoir de lieu où re-
poser sa tête, et il meurt par le plus ignominieux
et le plus atroce des supplices, pour avoir prêché
des doctrines jugées hérétiques et séditieuses. Pour
les sociétés modernes, qui marchent toutes h la
démocratie, d'un pas plus ou moins rapide, est-il
un idéal plus acceptable et plus saisissant? La phi-
losophie, qui ne sépare point l'égalité de la liberté,
croit-elle qu'il puisse y avoir, pour soutenir les
hommes dans leurs communes misères, un modèle
plus encourageant et plus simple? Ouelle leligion
xc PREFACE.
a jamais rien offert de plus pratique ni de plus
haut h l'adoration dn genre humain '?
En présence d'une telle religion, ce n'est pas seu-
lement du respect que doit éprouver le cœur du
philosophe. Le respect pour le culte national est
l'obligation étroite de tous les citoyens, qui doivent
se conformer les uns envers les autres aux conve-
nances, sans lesquelles la socirté ne serait pas assez
calme. Il est un devoir général à l'égard de la
religion, quelle qu'elle soit; même en la suppo-
sant aussi mauvaise qu'on le voudra, on n'a jamais
le droit de faire rien qui puisse la blesser aux yeux
dii magistrat. Cependant le respect, tout obligatoire
qu'il est socialement, peut n'être qu'extérieur
cl de pure forme ; il peut s'allier avec le dédain
intérieur et la répugnance secrète. C'est une sage
contrainte à laquelle on se soumet, bien que la
conscience proteste.
Mais lorsque dans une religion on a le bonheur
de retrouver tant de vérités connues d'ailleurs, lant
de conformités avec la raison la plus sévère et la
plus délicate, on ne doit pas simplement un froid
respect; on doit quelque chose de plus, et un .sen-
timent plus doux, c'est-à-dire ce demi-acquiesce-
' 11 laiit lire dans Vollaire quelques pages admirables sur le
Christ, Diitionnaire philosophique, arliile Religion, § H, \). 102
et suiv.,Kdilion Deurliot.
PREFACE.
ment, et cette autre forme du respect qui s'appelle
l'admiration. Quand l'admiration est sincère et pro-
fonde, elle implique nécessairement le respect, qui
ne l'implique pas toujours. C'est là ce qu'on doit au
Christianisme, à défaut de la foi. Une philosophie
qui le mépriserait, ne serait-elle pas bien près de
se mépriser elle-même? Parmi les religions les plus
grossières, il n'en est pas une qui impartialement
étudiée ne présente au philosophe quelque chose
d'estimable, suffisant pour racheter bien des er-
reurs et des superstitions. Dans la religion chré-
tienne, le bien ne l'emporte-t-il pas en une telle
proportion que le mal disparaît presque compléle-
nient?Et faire prédominer le blâme, ne serait-ce
pas le jugement de cœurs bien prévenus?
Dans la disposition actuelle des esprits, on no
peut pas être sûr que la religion accepte un tel hom-
mage et qu'elle s'en contente. Tout ce qu'on peut
affirmer, c'est qu'il lui est dû légitimement; quand
on ne le lui rend pas, on n'est ni assez impartial
ni assez clairvoyant. Pour condamner le Christia-
nisme, il faut ne pas le comprendre.
On excuse les emportements des philosophes
dans le siècle dernier. Il est trop difficile de se
contenir quand on est révolté par les supplices des
Labarre et des Calas. L'indignation de Voltaire n'est
que troj) justifiée, si d'ailleurs la guerre, telle qu'il
ir.ii PREFACE.
la faisait, n'est pas tout à fait digne de son génie.
Alors il était interdit aux iibies penseurs de faire
entendre leurs griefs trop fondés, et l'humanitése
soulevait en vain avec la raison. La loi ne souffrait
pas qu'on parlât ouvertement; c'était à des subter-
fuges qu'il fallait recourir, pour produire les opi-
nions les plus modérées et les plus utiles. Les écri-
vains couraient risque de leur repos, de leur liberté,
de leur vie, s'ils poussaient un soupir, s'ils se per-
mettaient une critique ou même un conseil. Une
(elle oppression amena une résistance tout aussi
peu mesurée; il aurait fallu une sagesse sur-
humaine pour ne pas franchir toutes les bornes, et
ne pas se défendre aussi violemment qu'on était
attaqué. Le péril même donnait quelque noblesse à
la lutte. Aussi quoique la philosophie de ce temps
employât trop snuvent des armes reprochables, on
devait désirer sa victoire, parce qu'elle avait la
bonne cause, et que les abus qu elle combattait
étaient devenus intolérables, comme tous ceux qui
allaient provoipier la grande révolution sociale, dont
celte polémi(pie furieuse était l'avant-coureur.
Aujourd'hui que la philosophie peut tout dire,
sans courir le moindre danger, ainsi que les autres
sciences désormais émancipées, elle n'a qu'à user de
son droit avec la modération qui doit être sa règle
constante. Ses excès, quand elle on commet, peu-
IT.ErACK. xnii
vent sembler comme les restes et les dernières
ti-accs (le son ancien esclavage. La colère ne sied
pas à la liberté, ni à la justice dont elle se pique. Si
la religion n'est pas toujours assez équitable envers
la philosophie, c'est un motifde plus pour ne pas l'i-
miter. La jihilosophie a subi d'autres épreuves; et
celle-là doit lui sembler bien légère, auprès des
tragiques aventures dont l'histoire a gardé le sou-
venir. Dussent-elles se représenter, il faudrait savoir
les braver encore. Mais dé notre temps, ce n'est pas
le martyre qu'on a beaucoup à redouter; on se
donnerait peut-être bien de la peine sans être sûr
de l'obtenir.
Il faut ajouter que le grand mouvement philo-
sophique de notre siècle a été la restauration du
spiritualisme, inaugurée par M. Royer-Collard et
poursuivie pendant un demi-siècle par le plus il-
lustre de ses disciples et de nos maîtres. D'autres
tendances se sont manifestées, il est vrai , de ma-
nière h faire craindre quelquefois une résurrection
du matérialisme vaincu. Mais il est bien tard pour
que ces tentatives puissent prévaloir ; le caractère
général de notre siècle devant l'histoire est hxé
par la doctrine qu'il a professée depuis plus de
soixante ans, et qu'il professera sans doute jusqu'à
sa fin. Notre siècle est soustrait à l'athéisme. Si
celte fimesle théorie espère le triom|)he, elle doit
PREFACF.
rnjourner au siècle procliain, à qui l'on ne peut
souhaiter cette déplorable conversion.
En renouvelant les doctrines spiritualisles, ce
n'est pas un service calculé et réfléchi que la phi-
losophie a rendu à la religion ; elle y a été amenée
par la pente même des choses, et par une réaction
spontanée qui s'est passée tout entière dans son
soin. La relinfion en a certainement tiré im vrai
profit, indirect mais considérable. Elle n'a peut-
rtre pas bien apprécié elle-même tout le secours
qu'elle recevait; il n'en a pas été moins réel, et
la postérit(' saura le reconnaître, si les contem-
porains ne semblent pas s'en apercevoir. C'était
serapprochei' que de travailler, même séparément,
à une cause semblable. Le Christianisme est avant
tout et éminemment une doctrine spiritualisle. A
son origine, il avait tendu la main au Platonisme,
étudié et admiré par tous les Pères des premiers
siècles. De nos jours, un phénomène analogue s'est
répét(', bien que sur une moindre échelle; la
philosophie redevenant spiritualiste, sous les aus-
pices de Platon et de Descartes, a fait des pas vers
la religion, sans rien perdre de son indépendance
et de son al>solue liberté. On s'est trouvé plus voisin
qu'on ne croyait, et les anciennes défiances sont
tombées, tout au moins d'un côté. Il se peut que la
religion garde les siennes ; mais la philosophie spi-
PREFACE.
ritualiste n'a plus ce pn^'ugé ni ceKe injustice. A
la clarté de sa propre histoire, elle se juge mieux
elle-même et elle juge mieux les autres. A plus forte
raison, peut-elle dire du Christianisme ce qu'un
scolastique disait d'Aristote : a Je ne m'écarte
« de lui qu'avec crainte et vénération. »
Voilà bien des motifs sérieux pour que la philoso-
phie spiritualiste, en restant ce qu'elle est, ne se
montre jamais hostile au Christianisme. D'abord ce
sont des motifs généraux qui doivent la toucher par-
tout; ce sont ensuite des motifs particuliers à notre
temps et à notre pays. Il en est un plus spécial que
tous les autres, que je me permettrai de rappeler.
Certainement on ne l'a pas oublié; mais il est bon
d'en renouveler le souvenir, quelque douloureux
qu'il soit. Dans les convulsions auxquelles la France
a été livrée durant la Révolution, il s'est produit
des scandales religieux dontaucune nation, je crois,
ne s'est jamais souillée ; les profanations ont été
sans bornes ; les ministres du culte ont été les pre-
mières victimes de la rage populaire, et c'est par un
égorgement de prêtres qu'ont commencé les mas-
sacres, dont l'horreur restera ineffaçable. Ce n'est
pas la philoso|)hie du dix-huitième siècle, ainsi que
la souvent répété l'esprit de parti, qui doit être
responsable de ces persécutions et de ces crimes.
Pour moi, je réponds que le cœur de Voltaire se
xrvi rP.KFACE.
serait révolté contre de telles abominations aussi
énergiqnement que contre toutes les iniquités de
son temps. Je laisse aussi à d'autres le courage de
supposer que d Holbach et Diderot seraient de-
meurés insensibles, ou se seraient réjouis devant
ces affreux spectacles. Mais on peut afllrmer que,
chez nous plus que chez aucune autre nation,
la philosophie a des devoirs étroits; on peut af-
tirnier qu'elle doit entendre cette leçon, qui a
été donnée à la fin du dernier siècle. La philoso-
phie avait usé de son droit ; mais plus dune fois
elle l'avait outre-passé ; et voilà comment ses excès
avaient été traduits par la foule. A la critique suc-
cédait 1 échafaud ; la hache remplaçait les argu-
ments et les sarcasmes.
Selon toute apparence, notre temps n'est pas des-
tiné à subir de nouveau ces effroyables épreuves;
le retour de telles choses à cent ans de distance
n'est pas à prévoir. Pourtant notre malheureux
pays a vu tant tle résurrections, que celle-là de plus
peut ne pas sembler absolument impossible. Il ne
fauilrait pas que la philosophie dut un jour paraître
y avoir contribué même de très-loin. Elle peut être
persécutée, et c'est parfois sa gloire; mais elle se
doit à elle-même de ne jamais faire de victimes,
en provoquant la vengeance des passions dé-
chaînées. I,a véiilé n'a rien à faire dans ces fureurs
PREFACE. xcvii
aveugles, el le philosophe doit se garder d'en être
le eoniplice, à quelque degré que ce soi(.
Ainsi à tant d'autres causes de modération, se
joini celle-là, qui ne devrait pas être une des moins
j)uissanles.
Le plus grand obstacle à ce que ces conseils soient
généralement écoulés, c'est la prétention toujours
entretenue de substiluer un jour la philosophie à la
religion. Quelques esprits plus ardents que sages
continuent à caresser cette chimère; bien qu'elle
ne soit pas très-nouvelle, elle semble, depuis le der-
nier siècle, n'avoir rien perdu de son attrait pour
certaines imaginations. Ces réformateurs, amou-
reux de leur utopie, se figurent que rien n'est plus
réalisable; el dans l'affaiblissement de la religion,
qu'ils signalent de très-bonne foi, ils trouvent
le signe incontestable de la rénovation qu'ils ap-
pellent. On peut croire à leurs bonnes intentions;
on ne peut pas également louer leur prudence;
el je voudrais, s'il est possible, dissiper une illu-
sion aussi vaine et aussi fâcheuse.
Si d'abord on veut se rendre compte de la ma-
nière dont se forme le philosophe, on verra surgir
tout à coup une difficulté insurmontable. Que l'on
interroge encore nos maîtres de la Grèce et du
dix-septième siècle, et qu'on leur demande à quel
prix ils ont philosophe'". Ce sont des études de toute
xcvii PRÉFACE.
une vie, constamment soutenues , au milieu de
toutes les traverses. Socrate se borne à s'observer
lui-même et à écouter la voix intérieure qui parle
en lui. 11 s'entretient avec ses concitoyens, pour les
exhorter à suivre son exemple; et il poursuit cette
rude prédication pendant de longues années, jusqu'à
ce qu'une sentence inique vienne lui ôter la parole
en le condamnant à mort. Descartes, plus tran
quille grâce à un exil volontaire, est encore plus
assidu à ses travaux. 11 fuit la société de ses sem-
blables, pour se livrer avec plus de suite et de liberté
à ses méditations et à ses recherches. Il scrute la
nature et le monde dans toutes leurs parties, comme
il a scruté l'âme et la pensée. Tous deux, quelque
éloignés qu'ils soient par les époques où ils vivent et
par les idées qui les animent, ont du moins ceci de
commun, qu'ils n'ont pas cessé un seul jour de
gravir laborieusement la voie qu'ils s'étaient tracée.
C'est à la fois le devoir qu'ils se donnent, et la pente
irrésistible de leur génie.
Ce sont de grands modèles ; ce ne sont pas
des exceptions. Tout j)hilosophe en est là, quel
que soit d'ailleurs le succès de ses efforts; et quand
on voit ce que sont les questions qu'il s'agit de ré-
soudre, on conçoit qu'il y faille une existence en-
tière. C'est la })Ius belle et la plus haute occupation
de rintelligeiicc; c'en est aussi la plus ardue;
PRÉFACE. tcit
et le philosophe n'a pas perdu son temps, qui peut
en n ourant se rendre ce témoignage d'avoir éclairci
quelques-uns des points sur lesquels il a tant ré-
tléchi.
Ajoutez que de nos jours une conditioa nouvelle
est venue pour le libre penseur s'ajouter à toutes
celles-là. 11 n'est plus permis d'ignorer l'histoire
de la science que l'on cultive. Le philosophe ne
satisferait pas suffisamment à l'amour de la sagesse
s'il ne savait pas, au moins dans une certaine me-
sure, ce qu'on a dit avant lui sur les sujets qui l'oc-
cupent. Dans les systèmes antérieurs, l'histoire a
toujours tenu quelque place, souvent sans que ces
systèmes en eussent conscience. On la retrouve plus
ou moins marquée dans Socrate, dans Platon, dans
Aristote,dans Descartes lui-même. Mais maintenant
il est interdit aux plus originaux, comme aux moins
indépendants, d'ignorer la tradition. On lui doit
toujours beaucoup, quelque inventif que l'on soit.
Croire ne dater que de soi-même, c'est pis qu'une
vanité : c'est une erreur. Notre temps ne la tolère
plus, et le jihilosophe doit être au moins quelque
peu érudit.
Voilà donc les méditations et les labeurs dont
tous les hommes devraient être capables, pour que,
s'inslruisant par leurs lumières individuelles, ils
pussent se passer de colles de la religion; car c'est
c l'HEl'ACE.
là ce qui constitue essentiellement le philosophe.
On ne l'est ivellement que si l'on puise sa croyance
en soi même, et que si on la fonde sur sa propre
raison convenablement interrogée. Sérieusement,
peut-on demander rien de pareil à l'humanité? Et
ne risque-l-on pas de paraître soi-même dupe d'une
ironie , quand on se laisse aller à discuter de
semblables propositions? Sans doute l'accès de la
philosophie n'est fermé à personne; mais si tout
le monde était tenu de devenir philosophe par lant
d'études nécessaires, comiment, en attendant, vi-
vraient les sociétés? Qui pourvoirait à leurs be-
soins? Oui accomplirait ces gros et matériels ou-
vrages qui leur sont indispensables? Ainsi, la
philosophie, destinée à éclairer les peuples, com-
mencerait par les détruire.
Ce n'est donc pas là ce qu'on peut vouloir ; et
voici probablement la solution moyenne à laquelle
on limite ces vastes espérances. Non, tous les
hommes n'ont pas à devenir philosophes ; il suffira
que quelques-uns d'entre eux le soient, et ceux-là,
réputés les plus sages, seront chargés d'instruire les
autres. I>a philosophie substituera ses enseigne-
ments à ceu\ de la religion ; et à la place du Caté-
chisme de Meaux, rédigé par Bossuet d'après la
tradition orthodoxe, on donnera au peuple le Caté-
chisme universel de Saint-Lambert et de Volney.
PREFACE.
Praliquement, il ne peiil pas y avoir d'aiiln^ iiia-
uière d'arriver à réaliser le vœu qu'on affiche, et de
réuénérer par la philosophie les croyances de
l'humanité.
Mais une première et irréfutahle objection, c'est
que ce n'est plus là de la philosophie ; c'est une en-
treprise politique. II faut bien se dire alors qu'on
abandonne le domaine de la science pour celui
d'une application aussi nouvelle que périlleuse.
Il ne s'est jamais rien vu de ce genre chez aucun
peuple, dans aucun temps ; et l'on a déj.à contre soi
tous les hasards de l'innovation, v^i la philosophie
est bien ce que j'ai dit plus haut, je demande de
quel droit, désertant la liberté, elle viendrait, au
nom du pouvoir et de l'Etat, imposer ses doctrines.
(Juelquc vraies quelles fussent, c'est à l'autorité
qu'elles auraient recours pour prévaloir; dès lors,
c'est une simple concurrence qu'elles engagent
contre les souvenirs et les débris du passé religieux,
et contre les théories contraires. Du moment qu'il
s'agit d'instruire une nation, il faut dans l'ensei-
gnement une uniformité et une régularité sans
lesquelles il ne serait pas même possible. Il devra
donc être exclusif, et ce sera une orthodoxie laïque
substituée à une orthodoxie cléricale. On ne voit
pas ce qu'on gagnerait au change. L'enseignement
religieux, en faisant remonter la morale jusqu'à
ctt PRÉFACE.
Dieu, ne fait que la rapporter à sa véritable source
et lui donner une sanction plus forte.
Il est probable que, dans cette tentative scabreuse,
la prétendue philosophie qui s'en chargerait, se
réduirait à l'enseignement de la morale tirée tout
entière de l'homme, et supprimerait du même coup
toute notion de Dieu et de la Providence. Mais cette
philosophie, si sûre d'elle-même, ne se doute pas des
répugnances et des révoltes qui l'attendraient delà
part des peuples. L'athéisme peut jusqu'à un certain
point séduire quelques penseurs isolés, chez qui
cette mutilation de la conscience n'est pas impos-
sible ; il indigne et il soulève les niasses, parce
qu'elles ont la conscience humaine dans toute sa
plénitude et sa spontanéité. Ne souhaitons pas
à ces philosophes de voir jamais se réaliser leurs
vœux étranges; car alors nous verrions aussi les
tempêtes qu'exciteraient leurs expériences. La Con-
vention elle-même, tout en célébrant la fête de la
Raison, a dû proclamer l'existence de l'Elrc su-
prême et l'immortalité de l'àme. Alors, pour-
quoi répudier le culte national? La philosophie
se flallera-t-elle de donner à la multitude une idée
de Dieu plus grande et plus vraie que ne le fait le
Christianisme ?
Je voudrais écarter, et, s'il se pouvait, anéantir
de lugubres souvenirs; ce n'est pas moi qui les
Pr.EFAflE. cm
r.inimo; on les évoque en voulnnt rendre à la
philosophie un rôle si déplacé, el en rêvant pour
elle des triomphes si humiliants. Naguère elie a
])ii se laisser égarer par quelques-uns de ses plus
faibles disciples ; alors toute la nation semblait avoir
rejioussé la foi de ses pères, et des écrivains peu
sensés pouvaient s'imaginer servir la raison et l'hu-
manilé en essayant de combler, tant bien que mal,
cette désastreuse lacune. Mieux inspirés et plus mo-
destes peut-être, ils eussent attendu un retour iné-
vitable ; el en quelques années, ils auraient pu voir
le peuple revenir à l'antique croyance, restaurée
par un homme de génie, qui n'était alors que l'ex-
pression la plus haute et l'instrument de la pen-
sée commune. S'il y avait à la lin du dernier siè-
cle une excuse, au moins apparente, pour cette
erreur, aujourd'hui il n'y en aurait plus. Les faits
ont prononcé; la tentative a échoué; pensera la
renouveler, c'est mettre en même temps contre soi
la raison et l'histoire.
Il faut donc renoncer pour la philosophie à ces
rêves ambitieux, subversifs de la société.
Platon a bien dit que les peuples ne seraient
heureux que quand les philosophes les gouverne-
raient \ sans se dissimuler dailleurs aucun des
' Plaloii, La fU'inihliijUC. liv. VI, p. /jO cl sniv., cl liv. VII, p. 7(3
ff siiiv., Iradiiclion de M. Victor Cousin.
civ PliEFACE.
embarras que la philosophie rencontrerait à se
mêler des affaires publiques. Il avait raison; car
ses philosophes, tels qu'il les forme, sont les plus
éclairés, les plus habiles et les meilleurs des hom-
mes. Les nalions auraient tout à gagner, si elles
avaient de tels chefs, plus imaginaires que réels.
Mais Platon, en croyant que la philosophie est supé-
rieure à tout le reste, n'a jamais pensé qu'il pût la
substituer à la religion de sa patrie. C eût été pour
lui lin dessein sacrilège, et le concevoir ne lui aurait
pas semblé d'un assez bon citoyen. Un philosojihe
stoïque s'est trouvé un jour sur le trône, doué des
plus admirables vertus, simple comme le dernier
de ses sujets, énergiquement appliqué aux grands
devoirs dont il était chargé et dont il était digne ;
c'est Marc-Âurèle, maître de l'empire romain, ou
plutôt maître du monde, et disposant d'un pouvoir
absolu. Est-ce que Marc-Aurèle a songé un seul
instant à détruire la religion en faveur de la philo-
sophie? Et cependant, quelle réfoime n'appelait
pas à cette époque le Paganisme expirant? Ses vices
n'auraient-ils pas justifié celte tentative désespérée?
N'aurait-elle pas semblé avoir bien des chances de
réussir entre des mains si vigoureuses et si pures?
Marc-Âurèle n'eut pas plus ce projet que Julien ne
l'eut à son tour, quand il essaya si vainement de l'e-
lever l(\s ault^ls païens. C'était raiilicpie religion,
PREFACE. cv
ce n'étail pas la philosophie, i\no Jiilion voulait
faire prédominer. Prohablement, ni PhUon, ni
Marc-Aurèle, ni Julien n'étaient assez dévoués à la
philosophie pour lui assurer la gloire et le bien-
fait d'une telle transformation.
Les temps sont-ils changés ? et le nôtre est-il plus
favorable à cet essai? Il ne semble pas. Malgré
des prédictions sinistres, mais bien peu fondées, le
(christianisme n'est pas près de sa ruine. Je doute
qu'à aucune époque il ait pénétré plus profondé-
ment dans les cœurs. L'Europe n'a plus la dévotion
qui faisait les Croisades, et la précipitait héroïque-
ment et si aveuglément <à la délivrance des Saints
Lieux ; mais les mœurs se sont améliorées et s'amé-
liorent chaque jour par l'intluence chrétienne, que
secondent de plus en plus les progrès mêmes delà
raison publique. Le Christianisme serait affaibli et
corrompu, comme l'était la religion païenne sous le
Bas-Empire, (jue la philosophie ne le remplacerait
pas; dans 1 état de vigueur et de prospérité où
il est encore chez toutes les nations qui le j)rol"essent,
aller proposer de l'abolir, c'est une aberration que
les peuples ne se donneront pas même la peine tl(>
repousser, parce qu'elle n'airivcra pasjuscju'cà eux.
Toutefois, la philosophie ferait bien de prendn;
garde à de si lourds faux pas; ils compromettent
et diminuent sa considération et son influence. A la
cvi PREFACE.
fin du dix-huitième siècle, iûint n'a pas laissé que
de la faire assez peu respecler.il voulait comballre
le scepticisme, et il l'a fortifié ; il voulait relever la
métaphysique du décri profond où, selon lui, elle
était tombée; il l'y a enfoncée encore davantage par
les formes rebutantes dont il Ta revêtue. Ses suc-
cesseurs ont exagéré ses défauts ; et tout en ayant
une puissance d'esprit très-rare , ils ont abouti
à des systèmes monstrueux par les conséquen-
ces, comme par le langage. Croit-on qu ils aient
rendu grand service à la philosophie? C'est déjà
bien assez de ne pas savoir être intelligible,
non pas seulement au vulgaire des esprits éclairés,
mais aux adeptes les plus fervents ; on ne prèle
par là qu'à la moquerie et au dédain. Mais aller
jusqu'à prétendre détruire la religion nationale,
c'est rendre la philosophie trop justement suspecte à
tout ce qu'il y a de sensé et de patriotique dans la
nation. Je sais bien que, de notre temps, à côté de
l'école allemande il y en a d'autres, l'école écos-
saise et l'école spiritualiste en France. Mais l'école
allemande a fait beaucoup de bruit et beaucoup de
mal ; et comme il semble qu'elle veuille revivre
parmi nous, dans tout ce qu'elle a de plus faux, il
est utile de la signaler une fois de plus, afin qu'on
n attribue! pas à la philosophie elle-même les torts
de quelques philosophes.
l'P.EFAr.F.. cvii
Sans doute, il est de l'essence de la philosophie
de dire tout ce qu'elle pense, et celui-là n'est pas
assez philosophe qui cache une partie de sa pensée.
Mais il faut tacher avant tout d'être dans le vrai,
et il est peu probable qu'on ait trouvé la vérilé,
quand on heurte si fortement la plupart des
grands systèmes antérieurs, les données les plus
sûres du sens commun, et les instincts les plus ma-
nifestes de la foule. Cette simple réflexion devrait
arrêter les novateurs. Mais qui peut éclairer les-
prit de système? Les revers les plus éclatants ne
lui dessilleraient même pas les yeux. On a toujours
mille excuses pour s'expliquer ses défaites ; le
seul moyen de se les épargner ou de les mettre à
profit, ce serait de se complaire un peu moins à
ses propres idées ; ce serait de douter un peu plus de
soi-même, en regardant aux leçons de l'histoire
et à la situation des choses. Qui peut se rendre
à des conseils si peu flatteurs?
A mon avis, la conduite de la philosophie spi-
rilualiste est toute tracée ; elle doit concourir avec
la religion, qu'elle n'attaque pas, au bien so-
cial, qui est le but de toutes les deux. Entre elles,
il y a tant de points communs, qu'en dépit
des dissentiments la lutte semble à peine possi-
ble. Ceci est surtout vrai de notre philosophie;
quant aux doctrines athées et matérialistes, je
cviii PREFACE.
no vois pas bien en quoi elles ont à s'occuper du
dogme , si ce n'est dans ce que le dogme peut
avoir de philosophique. La distinction des vérités
naturelles et des vérités surnaturelles est à l'usao-e
de la théologie, à qui il convient de la laisser; la
philosophie ne la connaît pas. Mais attaquer le
dogme, pour le ruiner dans l'esprit de la foule et
fonder en place son propre système, ce pourrait
être la satisfaction passagère de quelques amours-
propres; ce n'est ni l'intérêt de la société, ni celui
de la justice, ni celui de la philosophie vraie. 11
doit être permis à l'érudition et à l'histoire de
scruter librement les origines du dogme chrétien,
comme toutes les autres; et je ne crois pas que le
(Ihristianisme ait beaucoup à craindre des plus au-
dacieuses exégèses. Mais ce n'est plus là le domaine
de la philosophie ; ce ne sont plus là les problèmes
qu'elle agile et qui lui appartiennent. Elle a tou-
jours bien assez à faire avec ceux qu'elle poursuit
sans cesse, sans pouvoir toutefois les résoudre défini-
tivement. Y appliquer perpétuellement de nouvelles
recherches, c'est son lot, bien assez grand, bien
assez difficile, bien assez long. En supposant même
que d'autres n'aient pas autant de c'arlés qu'elle
sur ces graves sujets, c'est on accomplissant son
nnuvre spéciale qu'elle pourrait les aider à monter
un peu plus haut. Au fond, comme la philosoj)hie
PREFACE. cix
entend ne pas sortir de sa sphère, elle ne peut pas
davanlage demandera la religion d'abandonner la
sienne; mais elles peuvent marcher parallèlemenl,
servant l'une et l'autre la société à leur manière,
tout en ne se confondant jamais.
Aussi n'est-ce point un traité d'alliance que la
philosophie propose à la religion. Le philosophe,
par son caiaclère propre, par la nature de ses tra-
vaux, par la liberté dont il use seul dans toute sa
plénitude, ne relève de personne ici-bas. Par le
même motif, personne ne relève de lui; s'il a le
bonheur de découvrii' la vérité mieux qu'un autre,
ce n'est pas à son système, cest au joug de la vé-
rité «qu'il convie ses semblables par son exemple,
bien plus encore que par ses leçons. Alliée à la re-
ligion, même par des nœuds assez larges, la philo-
sophie se dénature, et il n'est jamais bon pour elle
de donner au monde le triste spectacle que lui ont
donné les derniers Alexandrins. Pourtantsi la foi et
la raison ne peuvent jamais s'identifier, leur action
peut être simultanée, pour le bien de toutes deux,
et surtout pour le plus grand bien des [leuples.
Pendant des siècles, la foi a prétendu dominer la
raison ; elle n'y est pas parvenue, et l'état présent
des choses humaines, chez la plupart des peuples
chrétiens, atteste assez qim le temps de ces ambi-
tions perlurlialrice> e>t jiassi'. La raison ne peut
ex PKÉFACi:.
vouloir essayer à son tour d'élouffer la foi : car ce
ne serait ni plus juste, ni plus praticable.
En dehors dii rôle que je viens de conseiller à
la philosophie, je ne vois pour elle que mécomptes
et dangers. Elle connaît dès longtemps ces abîmes,
et voilà plus de deux mille ans que Platon les si-
gnalait. Les couleurs dont il se servait dès lors
pour peindre les faux amants de la philosophie,
sont si vives que je n'oserais les reproduire. Ce-
pendant que de gens, de nos jours, feraient bien
de relire le sixième livre de La République'^ ! On
ne peut pas espérer qu'ils soient convertis par ces
admirables exhortations; mais du moins ils ver-
raient que leur façon adultère de traiter la philo-
sophie n'est pas une nouveauté, et que du temps
de Socrate elle était déjà réprouvée par les plus
sages. Aujourd'hui ces égarements n'obtiendront
pas plus d'accueil de la raison publique; mais
ils peuvent encore nuire à la société et à la philo-
sophie. Malheureusement , la gloire d'Eroslrale
tente toujours certains esprits ; car dans tous les
temps il y a un temple d'Ephèse à brûler. Dans
le nôtre, c'est la destruction du Christianisme qui
provoque les audaces incendiaires.
Le défendre n'appartient pas plus au spiritua-
' Voir/-« liquihlitiiic (\c l'Inlon, liv. VI, y. 2t) cl -27, tiMilucliuiulc
î\l. Victor Cousin,
PRÉFACE. eu
lisnie qu'il ne lui appartienl de se joindre à ceux
qui ralla(iuent avec tant d'aveuglement et de pas-
sion. Le Christianisme est assez fort pour se pas-
ser d'un secours étranger. La philosophie spiri-
tualiste, quand elle descend sur ce terrain limi-
trophe du sien, y doit être, comme partout ailleurs,
le champion de la jusîice. Ne pas proclamer hau-
tement toutes les conformités qu'elle a avec la doc-
trine chrétienne, ce serait manquer de courage et
de sincérité. Son indépendance n'est nullement at-
teinte par là; car, tout en parlant avec moins
d'autorité et d'utilité que le Christianisme, elle
avait sur bien des points parlé longtemps avant lui.
entrant dans des voies presque identiques quelques
siècles avant qu'il ne se révélât au monde. Ce n'est
donc pas aujourd'hui la philosophie qui est chré-
tienne ; c'est bien plutôt, pourrait-on dire, le Chris-
tianisme qui est philosophique. De là sa force, seâ
bienfaits et sa durée.
Mais je m'empresse de clore ces trop longues
considérations, et non d'abandonner ces questions
brûlantes. Si j'ai réussi selon mon désir, voici en
résumé les quelques points que je voulais mettre
en lumière :
r La philosophie et la religion ont un objet
identique; elles ne diffèrent que par les procédés
qu'elles suivent, l'une cultivée par des esprits né-
cxii PREFACE.
cessaiiemenl isolés, l'aiUre acccplée cl soutenue
par des peuples entiers. La philosophie est comme
une religion individuelle; la religion est la philo-
sophie des nations.
2° La religion est le règne de l'autorité; la phi-
losophie est le champ sans limites de la liberté,
l'autorité et la liberté n'étant pas moins indispen-
sables l'une que Tautre au bien de la société. De
là,rimmobilité dogmatique de l'une, et la mobilité
perpétuellement progressive de l'autre.
5° La philosophie et la religion sont sœurs; et
c'est un projet dangereux de prétendre substituer
l'une à l'autre. La raison et la foi doivent coexister
sans conflit, si ceux qui les représentent savent
être suffisamment justes et tolérants.
4° Enfin la j)hilosophie spiritualiste, en face du
Christianisme, doit avoir pour lui plus que le res-
pect qu'on doit, dans tout pays et en tout temps,
à toute religion. Elle doit ressentir pour la doctrine
chrétienne la plus profonde et la plus sincère ad-
miration. Elle n'a point à défendre le Christia-
nisme; mais ce serait se renier elle-même que
de se joindre à ses ennemis.
Me voilà parvenu au terme de la course que je
complais fournir. L'aurai-je parcourue au gré de
ceux qui me liront? Je n'ose m'en flatter; il
me sufiira démériter peut-être quelques suffrages,
l'IŒKACE. cxiu
avec la conscience de n'avoir cherché que la vérité,
toujours si difficile à trouver, plus difficile encore à
faire accueillir. Je me suis efforcé de tenir la route
moyenne, que jai crue la seule vraie; j'ai, autant
que je l'ai pu, évité les deux écueils. Je ne suis ni
un apologiste, ni un détracteur. Les passions des
deux partis m'ont paru également à fuir; si j'ai
incliné d'un côté, c'est que j'y ai vu plus de réelle
philosophie que du côté opposé. L'athéisme ré-
volte ma raison , sous quelque forme qu'il se
cache et se déguise. Je le crois un mal pres-
que aussi redoutable que l'intolérance. Je ne
serais donc pas trop étonné d'avoir les deux
partis contre ma théorie. Mais j'aurai accom-
pli un devoir, et Ton n'est jamais tenu à davan-
tage. J'ai parlé du Christianisme et du Mahomé-
tisme comme je crois que la justice veut qu'on en
parle.
25 janvier 18G5.
MAHOMET
AVERTISSEMENT
Le fond de celle étude, plus philosophique qu'historique, sur
Miiliorael se compose des articles que j'ai insérés dans le Journal
des Savants en lî>65 et 18(34, pour rendre compte des ouvrajios de
MM. A. Sprenger, William Muir et Caussin de l'erceval. J'ai revu
et développé ces articles sur bien des points, et j'y ai ajouté le
sommaire de l'histoire du Prophète d'après le Sirat-er-Raçoiil,
les Extraits du Coran, et la Préface. Mon but a été de présenter
le Mahoméîisme sous un jour vrai, en montrant quelle est sa
place dans l'histoire des religions, et quelle est encore de nos
jours son importance politique.
Pendant l'impression de cet ouvrage, M. leD' A. Sprenger a ter-
miné le sien, par un troisième et dernier volume, qui va jusqu'à
la mort du Projjhéte. Si j'avais pu recevoir ce volume à tem} s,
j'en aurais tiré beaucoup d'indications nouvelles en ce qui con-
cerne les sources de l'histoire de Mahomet.
SOMMAIRE
LUISTOIIU' Di: MAHOMET
D ' A l' Il £ S
LE SlRVÏ-ER-lîAÇOUL
OL" VIE DU PROnitTE
PAR IBN-ISIIAC ET IBN-IIISIIAM
UiNS LE SECONP SIÈCLE DE l'UÉCI: B
GÉNÉALOGIE DE MAIIuMET
Les auteurs arabes font descendre Mahomet d"Is-
m.'iël, fils d'Abraham et d'Agar. Entre Mahomet et
Ismaël, ils comptent trente générations, dont vingt et
une de Midiomct à Adnan, et neuf d'Adnan à Ismaël.
Selon leurs calculs, Ismaël fonda la Caaba, l'édifice
Carré, de la Mecque, 2795 ans avant l'Hégire, ou 2 1 7 !
avant Jésus-Christ.
Les cinq derniers ancêtres de Mahomet sont : Abd-
AUah, son père; Abd-el-Mouttalib, son grand-père ;
lïachim, père d'Abdel-Moutlalib; Abd-Ménaf, père de
2 SOMM.UJŒ
Ilachim, et Cos-^ayy, pùi'c d'Ahl-Ménaf. Cossayy mou-
lut vers l'année iSO de notre ère, 90 ans environ
avant la naissance du prophète.
A.\ .'>70 .\Pr.KS J. C. NAISSANCE Î)E MAHOMET.
Mahomet naît à la Mecque, le 12 du mois de Ra-
bia-1-awal, dans Tannée de l'Éléphant, c'est-à-dire le
lundi 27 aoiU 570.
Son père, Abd-Allah, était mort deux mois aupara-
vant. Sa mère Amina, d'une noble l'amille coraychile
cl descendant aussi de Cossayy, ne peut le nourrir.
L'enfant est confié à une nourrice, Ilalima, de la tribu
des Bènou-Saad, fils de Becr. Cette femme l'emmène
et le nourrit dan^ le désort.
AN 57-2.
Ikilinia, la nourrice, rapporte l'enfant à sa mère, à
cause de quelques accidents de santé qu'il avait éprou-
vés, quoiqu'il fût d'ailleurs très-fort. Amina reste
seule chargée de son éducation.
AN bTd.
.Mort d'Amina, à .Vbva, à son retour de Médiue, où
elle avait mené son lils i)oui' le présenter à ses oncles.
.Mahomet est recueilli par .\bd-cl-Mouttalih, sou grand-
père.
A.\ .mS.
Mort d Abd-el-Moutlalib, dans la huitième année
HE I.IIISTOIIIE J)E MAllUMET.
après celle de l'Élépliaiit. iMahomet esl recueilli par
son oncle Abou-Talib.
AN 585.
Mahomet, âgé de treize ans, accompagne son oncle
Abou-Talib en Syrie, où l'appelaient des intérêts de
commerce. Prédiction du moine de Bosro.
AN o8i.
Dans une des batailles delà guerre de Fidjàr, à l'af-
faire de Nakla, entre les Coraychites et les Ilavàziri,
Mabomet, âgé de 14 ans, est à côté de ses oncles, et
il leur ramasse les llècbes tombées dans le combat.
Ibn-Isbàc prétend que l'Envoyé de Dieu avait vingt
ans quand éclata la guerre de Fidjàr ; mais l'autre
version parait avoir pour elle le témoignage même de
Mahomet.
AN 086 A .iOl.
Mahomet reste auprès de son oncle Abou-Talib, et
garde les troupeaux; sa réputation naissante; il est
surnommé El- A min, « l'homme sûr et iidéle. »
AN 591.
Envoyé en Syrie par Kliadidja pour vendre les
marchandisi'S d'une caravane, Mabomet s'acquitte
avec succès de cette mission de confiance.
AN o95.
Khadidja, charmée de la vertu et de la beauté de
4 SOMMAIRE
son jeune cousin, lui propose de l'épouser, bien qu'elle
ait quinze ans de plus que lui. Elle est la plus distin-
guée des femmes corayehites; elle fait de très-grandes
affaires de commerce, et ses mœurs sont aussi pures
que celles de Mahomet. Elle descendait d'Abd-Ménaf,
quatrième ancclre du prophète; elle était fille de
Kliouveiled, autre descendant de Cossayy. Mahomet
est membre de l'association des Foudhoûl pour le
maintien de la paix publique.
AN 59."1 ET ANNÉES SUIVANTES.
Heureuse union de Khadidja et de Mahomet; ils
ont sept enfants, dont trois fils, morts avant la voca-
tion du prophète, et quatre filles, qui furent toutes
musulmanes.
AN C05.
Mahomet pose la Pierre noire de la Caaba, qu'on re-
construit, et il apaise les discussions des Corayehites.
AN 60G ET ANNÉES SUIVANTES.
Naissance de Falime, la dernière fille du prophète.
Mahomet se charge de l'éducation d'Ali, un des fils de ■
son oncle Abou-Talib, et il adopte Zeïd, fils de llàri-
Iha, jeune esclave qui lui est donné par Khadidja.
AN 610.
Vocalion de Mahomet; ses premières visions en ■
rêve. L'ange Gabriel, au dire des historiens musul-
DE [.lIlSTOinE DE MAHOMET. r»
mans, lui apparaît pour la première fois en songe,
pendant une de ses retraites pieuses sur le moni llira,
où il était allé faire pénitence avec sa famille. Maho-
met raconte cette apparition à Khadidja, qui n'en est
pas moins troublée que lui. Elle se rassure en con-
sultant Varaka.
Commencement de la révélalion du Coran, d'après
les historiens arabes, un vendredi, 17 du mois de
Ramadhàn.
Conversion de Khadidja à 1 Islamisme. (Cessation
passagère des révélations de Tange Gabriel.
Ali, âgé de dix ans, est le premier musulman; Zeid,
iils de Hàritha, se convertit le second. Abou-Becr se
convertit ensuite avec plusieurs de ses amis, au nom-
bre de huit.
Prédications secrètes de Mahomet.
AN Glô.
Prédication publique de l'Islamisme. Railleries et
insultes dont l'Envoyé de Dieu est l'objet de la part des
Idolâtres. Les Coraychites portent leurs plaintes à
Abou-Talib contre son neveu qui veut détruire le
culte national. Abou-Talib, sans se convertir, prend
la défense de Mahomet.
A\ Oit.
Lutledes Coraychites contre Mahomel et ses adhé-
rents ; leurs menaces et leurs offres pour empêcher le
développement de lasecle nouvelle ; les conversions ne
G SOMMAIRE
s'en niultiplienl pns moinfi chaque jour. Persécnlion
conirc les musulîrîcnns.
AN filu F.T ANNÉES SllVAMES.
Première émigralion des musulmans persécutés en
Abyssinie ; ils sont au nombre de qualre-\ingt-trois
hommes et femmes, sans compter les enfants. Les Co-
raychites les poursuivent jusqu'en Abyssinie. Belle
conduite du Nedjâclii.
Conversion d'Omar, fils d'Alkhaltàb, après l'émi-
gration d' Abyssinie. Conjuration des Coraychites con-
tre les descendajits d Hachim et d'Almoutlalib, pour
ne contracter aucun mariage avec eux et ne faire
même aucun commerce. Insultes nouvelles à Mahomet
et à ses adhéients; Abou-Becr pense un instant à
s'exiler ; longanimité et courage de l'Envoyé de Dieu ;
progrès des conversions.
AN 010.
Mort de Khadidja et d'Abou-Talib; douleur profonde
de Mahomet. Privé de l'appui de son oncle, il espère
trouver quelque secours parmi les habitants de ïaïf,
non loin de la Mecque; il se rend dans celte ville,
mais il est bientôt contraint de la quitter. Il rentre à
la Mecque.
AN 0-20.
Mahomet épouse Saouda et se llanccà Ayésha, fdle
d'Abou-Becr ; il continue ses prédications, mais moins
iiE I. iiisron;!-: de maiiomet. 7
ouvciloment. Ses premiers rapports avec les liahi-
lanlsde Vallirib, depuis Médine, venus en pèlerinage
à la Mecque. Enthousiasme des six Khazradjs qu'il a
convertis; à leur retour à Yathrib, ils parlent à leurs
concitoyens de l'Envoyé de Dieu : débuts de l'Islamisme
à Yathrib.
AN 021.
Nouvelle rencontre de Mahomet et de douze liabi-
tants de Yalhrib, à l'époque du pèlerinage.
Premier serment sur la colline d'Acaba, prêté par
les douze musulmans de Yathrib à Mahomet. Moussab,
fils d'Omeir, est envoyé avec eux à Yalhrib pour leur
lire le Coran et îes instruire dans la nouvelle religion.
.4bou-0umama institue le premier la prière du ven-
dredi à Yathrib ; progrès constants de l'Islam dans
cette ville.
AN iii-l.
A la lin de mars de cette année, Moussab revient en
pèlerinage à la Mecque, avec de nombreux habitants
de Valhrib disposés à reconnaître l'Envovè de Dieu.
Second serment sur la colline d'Acaba, prêté par
soixante-quinze personnes des deux principales tribus
de Yathrib, Ans et Khazradjs, veis la i\n de mars,
trois jours après la fête du pèlerinage. Le second ser-
ment est appelé le grand serment, ou le Serment des
hommes ; on y jure de défendie le prophète par la
force des armes, tandis que dans le premier, appelé le
8 SOMMAIRE
Serment des femmes, on ne s'ôlait engagé qu'à pralU
qiier le nouveau culte.
Mahomet choisit parmi les gens de Yathiih douze
délégués chargés de propager Tlslam, Nakib, neuf
des Khazradjs, et trois des Aus. Mahomet assimile Ir.ï-
même ses délégués aux apôtres du Christ. Les musul-
mans de la Mecque émigrent à Yalhrib, entre autres
Omar. Ali et Abou-Becr restent seuls avec Mahomet.
Fureur des Coraychites ; ils décident en conseil d'as-
sassiner Mahomet.
AN r,2-2, HÉGIRE.
Mahomet, en danger de vie, quille la ville de la
Mecque et s'enfuit à Yalhrib, qui prit dès lors le nom
de Médine; il est accompagné dans sa fuite (Ilidjra,
Hégire) par Abou-Becr. Ils restent trois jours cachés
dans une caverne du mont Thaur, non loin de la
Mecque; ils y échappent ù ceux qui les poursuivent.
Arrivée de Mahomet à Coba, sur le territoire de
Yalhrib, le lundi, douzième jour du mois de Rabia-
I-awal, 28 juin 6'22 ; il y reste trois jours. Il entre à
Yalhrib, le vendredi matin IG de Rabia-1-awal, '2 juil-
let 022.
C'est l'ère de l'IIégire. Mais on la fit commencer
avec l'année même où le prophète s'était enfui,
lorsque, dix-sept ans plus tard, cette ère fut définiti-
vement instituée par le calife Omar.
Construction de la première mosquée à Médine;
Mahomet v travaille de ses mains.
DE F/HISTOIRE DE MAHOMET. fl
AN 023, IIEUXIKME ANNÉE DE I.'llKGlP.E.
Premier sermon de Maliomet dans la mosquée; fra-
ternité des Ansâr (auxiliaires) et des Mohàdjir (émi-
grés) ; alliance avec les Juifs ; institution de l'appel à
la prière par le moueddliiii (ou muezzin); de la Kibla,
ou direction vers la Mecque pour prier; du jeûne pen-
dant le mois de Ramadliàn, etc. Premières hostilités
de Maliomet contre les Mekkois.
Il épouse Ayésha, à laquelle il s'était (lancé trois
ans plus tôt.
AN 02».
Combat de Bedr dans le mois de janvier; les mu-
sulmans, au nombre de trois cent quatorze, y sont
vainqueurs des Coraychites.
Mahomet épouse Hafsa, tille d'Omar, et Ze'inab, lille
de Khozayma, dont le mari avait été tué à la journée
de Bedr.
Succès partiels des musulmans.
AN (.•2:i.
Combat de Oliod en janvier; Mahomet est blessé;
les musulmans sont défaits par la faute des archers,
(jui désobéissant aux ordres de Mahomet. Férocité de
llind et des femmes coraychites.
Expéditions diverses ; inimitié des Juifs.
AN 0-20.
Coalition de diverses tribus avec les Mekkois contre
1.
10 SOMMAIRE
les musulmans. Mahomet fait entourer Médine d'un
fossé.
AN 027.
Siège de Médine par les coalisés; défection des juifs
Corayzha, qui se joignent à eux; levée du siège, au
conrimencement de février.
Mahomet chàiie les juifs Corayzha, après qu'ils ont
été condamnés par Sad.
Mahomet épouse Zeïnah, fille de Djalish, femme de
Zeïd, fils de liât iiha, son fils adoplif ; il épouse un peu
plus lard Djoiiveiriya, la juive.
Expéditions diverses de Mahomet et de ses lieute-
nants.
AN G2S. .
Mahomet forme le projet d'aller en pèlerinage à la
Caaba ; il ne s'avance que jusqu'à Hodeihiya, et il se
retire par suite d'un traité de paix avec les Coray-
chites, conclu pour dix ans.
Ambassades envoyées par Mahom.et au roi de Perse,
au roi d'Abyssinie, au gouverneur d'Egypte.
Expédition contre les juifs de Kliaybar; Mahomet
empoisonné par une femme de cette tribu; il en ré-
chappe à grand'peine.
Mahomet épouse Safiya.
Ambassade à l'empereur Ilèraclius et aux émirs
arabes de Syrie. lielour des émigrés d'Abyssinie à
Médine.
DE I.'inSTOIRE DE MAHOMET. H
AN C29.
Mahomet accomplit le pèlerinage de la Mecque,
selon les conventions de l'année précédente avec les
Coraychites ; il ne resle que trois jours à la Mecque.
II épouse Maymouna.
Conversions importantes parmi les Coraychites, à la
suite du pèlerinage de l'Envoyé de Dieu : Olhman, fils
de Talha ; Amr, fils d'El-as; cl Khàlid, fils de Yàlid.
Bataille de Mouta contre les lieutenants de l'empe-
reur Iléraclius ; les musulmans y sont vaincus.
AN 030.
Les Coraychites ayant violé le traité de paix conclu à
llodcyhiya, en attaquant quelques tribus musulmanes,
Mahomet s'avance contre la Mecque à la tête de dix
mille hommes. II y entie le M janvier. Clémence de
Mahomet; destruction des idoles de la Caaba ; les ha-
bitants de la Mecque prêtent serment à l'Envoyé de
Dieu.
Khàlid, par l'ordre de Mahomet, va détruire l'idole
Ouzza à Nakla.
Expédition contre les Ilavàzin ; victoire de Mahome*
à Ilonayn ; siège de la ville forte de Taïf, où s'étaient
retirés les vaincus. Mahomet fait grâce aux prison-
niers, au nombre de six mille. Il défend de jamais
tuer les femmes.
Retour de Mahomet à Médine, dans les derniers
jours de mars,
l'2 SOMMAIRE
Naissance d'Ibrahim, fils de Mahomet et de Maria,
la Copie, son esclave.
Dépulations de diverses tribus, qui se soumettent ;
soumission d'une grande partie des princes de l'Ara-
bie, Mahra, Oman, etc.
AN 051, l'année des DÉPUT axions.
Missions diverses données par Mabomet à ses lieute-
nants ; progrès décisifs de l'Islamisme; pèlerinage
d'Abou-Becr à la Mecque.
AN rû-2.
Pèlerinage d'adieu ; Mahomet se rend à la Mecque
suivi de près cent mille pèlerins; arrivée à la Mecque
le ô mars; dernier sermon de Mahomet; sacrifices
solennels.
Mahomet retourne à Médine; commencement de sa
maladie.
il envoie ses lieutenants dans toutes les parties de
l'Arabie.
Apparition de trois faux propbètes.
Préparatifs pour une nouvelle expédition en Syrie.
Mahomet avait déjà pris part on personne à vingt-sept
campagnes. Il avait ordonné trente-huit expéditions
ou missions ; rexpédilion d'Ousama en Palestine fut
la dernière.
La maladie de Mahomet s'aggrave pendant les mois
d'avril et de mai.
DE L'HISTOIRE DE MAHOMET. . 1j
Morl de Mahomet, enlre les brns d'Ayésha, le
8 juin 652.
Abou-Beer choisi pour son successeur.
Mahomet est enterré nu lieu même où il était nioii ;
il n'avait pas tout à fait soixante-deux ans '.
* Poiu" compléler celle biograpliie aLrégée de Maliomel, il faut
voir ce qu'il dit de lui-même dans le Coran. On y trouvera d assez
nombreux passages de ce genre. Je les ai rassemblés pour la plupart
dans les Extraits que je donne plus loin. .Mais Mahomet parle surtout
des dilficullés de sa mission, de son but, de ses communications avrc
l'ange fiabriel, etc. ; il parle très-peu. en général, des autres incidents
(le sa vie, et il ne les rappelle guère que par des allusions qui ne sont
pas to\ijours très-précises, et qui peuvent servir plutôt à exercer la
sagacité des c immen'.ateurs quà llxer les doutes de l'iiistoire.
i
M A H 0 M E T
SON CAP.ACTÈIIE ET SA l'.ELiGION
CHAPITRE PREMIER
AUTHENTICITÉ DE L'HISTOIRE DE MAHOMET
Renouvellement de Ihistoire de Mahomet. — Jean Gagnier ; travaux
contemporains: MM. Gustave AVeil, Caussin de Perceval, William
Muir, A. Sprenger; caiaclère particulier de leurs travaux. — Cer-
titude historique des origines du mahométisme ; sources musul-
manes : le Coran, édition dAhou-Becr et édition dcûnitive d'Olli-
mân ; rédaction de Zi'ïd, fils de Tliâbit; collections do la Sonna cl
des Sliyites, d'après les Hàditlis ou récits des compagnons du pro-
phète et de leurs successeurs; biographes mahomélans des trois
premiers siècles de l'Hégire : ILn-Ishàc, Ihn-Uisiiâm, Wàckidi et
son secrétaire, Tabari. — Haute valeiu- de ces biographies ; analyse
du Sirat-er-raçoiil ou Vie du prop]:ète. par Ibn-lsliàc cl Ibn-
Hishâm.
Avant de raconter quelques-uns des fails princi-
paux de la vie de Mahomet, et de juger son caractère
et sa religion, je veux exposer sur quelles bases solides
toute cette histoire repose. S'il pouvait subsister le
moindre doute concernant l'authenlicilé des docu-
ments d'où elle est tirée, ce ne serpil guère la peine
16 MAHOMET, CHAPITRE I.
de l'ôludier, et, pour ma part, je me serais abstenu d'y
porteries yeux. Mais aujourd'hui que tout est clair,
ou peu s'en faut, dans la biographie du prophète, elle
peut (Mre l'objet d'un utile examen. .Je parlerai donc
en premier lieu de quelques ouvrages publiés en Eu-
rope depuis vingt-cinq ou trente ans, et ensuite des
sources musulmanes auxquelles ils ont été puisés par
de doctes auteurs, familiers avec la langue arabe. Ce
sera le sûr moyen de démontrer l'irrécusable authen-
ticité de l'histoire de Mahomet.
On peut dire que de nos jours cette histoire, mal
connue jusqu'à présent, a été complètement renouve-
lée; elle a été la matière des plus vastes et des plus
heureux travaux; et nous pouvons nous flatter de la
connaître maintenant presque aussi bien qu'on peut
le désirer. Le progrès général des sciences historiques,
dont notre siècle est justement si fier, nous a rendus
très-difficiles; mais il faudrait l'être outre mesure
pour ne pas se montrer satisfait délivres aussi savants
et aussi bien composés que ceux de MM. G. Weil,
Caussin de Perceval, William Muir et A. Sprenger.
Tous ces érudits ont remonté directement aux docu-
ments originaux; ils possèdent tous une science pro-
fonde, une méthode irréprochable et une critique
éclairée. Parmi les grands personnages de l'humanité,
il y en a peu qui, de notre temps, aient eu la fortune
d'être aussi bien étudiés que le fondateur de l'Isla-
misme; et si sa physionomie a été étrangement défi-
gurée par l'ignorance, les passions et les préjugés des
AlTHENTlblTl': DE I/niSTOIP.E DE MAHOMET. IV
siècles précédents, le nôtre du moins pourra com-
mencer à la voir dans toute sa vérité, qui ne dimi-
nuera rien à sa grandeur et à sa gloire légitime.
C'est la France qui à eu le mérite, voilà plus de
cent trente ans, de commencer cette réhabilitation;
ou du moins c'est un Français, naturalisé plus tard
en Angleterre, Jean Gagnier, qui songea le premier à
demander une Vie de Mahomet au témoignage des
monuments authentiques \ Depuis lors, cet essai a
été bien dépassé; mais môme aujourd'hui il n'est pas
sans valeur. M. G. Weil, un des successeurs les plus
instruits de Gagnier, n'a pas manqué de lui rendre
cette justice, en reprenant la môme voie que lui'.
' L'exislcncc de cet orientaliste assez célèbre n été fort aventureuse.
Élève au collège de Navarre vers 1691), il avait montré une grande
aptitude pour l'étude de l'arabe et de l'iiébreu. Il était devenu cha-
noine de Sainte- Geneviève^ quand tout à coup il quitta les ordres, se
maria, et alla cliercher un asile en Angleterre, où il embrassa la re-
ligion réformée. Fougueux prolestant, il attaqua avec une sorte de
fureur lÉglise caliiolique; et. en même temps, professeur d'arabe à
l'université d'Oxford, il publia de nombreux ouvrages de polémique et
d'érudition orientale. Le principal fut une édilion avec tradudiou
latine d'.41)0ulféda. C'est de cet auteur qu'il a tiré en grande partie
son ouvrage sur Mahomet, intitulé : Jm vie (le Mahomet, traduite et
compilée de l'Alcoran, des traditions aiit/ientiqiies de la Sonna et des
meilleurs auteurs arabes, Am-tcrdam, Hô'i, 2 vol. iu-12. Jean Gagnier
mouiut \ers l'îTO. Douze ans après la mort de Gagnier ^178'2), pa-
raissait la traduction du Coran par Savary, avec une vie de Mahomet,
tirée des principaux auteurs orientaux. C'était en tout un travail fort
eslimable, qui permettait déjà de bien juger Mahomet. Savary mourut
jeune, à l'âge de trente-huit ans. Sa traduction a été publiée de nou-
veau en 18-i'2, par les soins du savant .M. Garcin de Tassy, avec VExpo-
sitioii de la foi musulmane.
- M. G. Weil, Mohammed der Propliel, e'c, préface, p. vn-vm. Il es
probable que Voltaire a pris de l'ouvrage de J. Gagnier tout ce qu'il a
IN MMluMET. (.ilAI'ITI'.L I
M. G. Woilpublinit son livre en iSiô, el il en em-
prunlail lous les matériaux soit au Coran, soit à des
jiianusciils, jusque-h'i trop peu consultés, d'hislorieiis
arabes'. L'auteur y avait consacré de longues niniées
et de patientes rccliorche^: mais les sources aux-
quelles il pouvait s'adresser, quoique foi t bonnes,
n'étaient ni assez nombreuses ni surtout assez an-
ciennes. L'ouvrage, très-bien composé, n'en méritait
pas moins d'estime, et il était déjà digne du temps
où il paraissait. Mais il fut bientôt effacé par celui de
M. (laussin de Perceval, qui parut quatre ans après,
et qui marqua une ère nouvelle dans ces éludes-. Je
viens trop tard pour faire l'éloge d'un travail que tout
le monde a loué. L'abondance et la nouveauté des dé-
tails, l'exactilude, la piécision sur une foule de faits
peu ou mal compris, la lumière portée sur les temps
?i liion dit (le Haliomcl ilans V Essai sur les mœurs, cliapiires m el vu;
c'osl connue une compensation de sa tragédie si fausse et si déclania-
l.iire. A 1 époque où il la composo, il jugeait fort mal le proplièie
arabe, comme on peut le voir dans une de ses loltres à Fiédéric. 1740.
Pins lard, quand il eut étudié les choses de ]ilus pris, il apprécia
Mahomet tout aulrenient; el il s'attira même d;' vives critiques pour
l'avoir trop admiré; voir la Lettre cirile el honnête. 1760, édition
IJeucho'. tome XL. p. 170.
' l/otivragc de M. Gustave Weil est intitulé: Mahamel le prophète,
sa vie et sa doctrine, tiré de sources nianuscrilcs et du Coran. Slutt-
g-nrt, IS45, in-8. xxxvin-4C0. en alliinand. Il se compose de neuf
clia;'ilres. el il est lermiiié par de longs extraits d'auteurs araLcs, et
spécialcmeni d Ibrahim llalébi, qui vivait au seizième siècle.
- A. r. Caussin de Perceval, Essai sur fliistoire des .\rabes. avant
rislamisme. pendant l'époque de^Iuhomot, el jiis|u'à la réduction de
toutes les tribus sous la loi musulmane, Paris, 3 vol. in-8, 1847-1848.
L'auteur a dressé de très-curieux tableaux généalogiques sur les pre-
mières dynasties arabes.
AlTilENlIClTÉ HE I.lllSTnlI'.K DE MAHOMET. 1'.'
qui ont prccctié l'Islamisme en Arabie, la clarlé du
ircil, le choix judicieux des aulorilés, loul se réu-
nissait pour donner aux découvertes de M. Caussin de
Perceval une importance qui ne fera que s'accroitro.
Seulement il se bornait peut-être un peu trop pru-
demment au rôle d'ériîdit, laissant à d'autres la tâche
de faire sortir de ses investigations des conséquences
et des jugements qui sont plus spécialement le devoir
do l'historien. Dans sa réserve, il se contcnlait de ra-
conter les événements, sans prétendre en déduire lui-
même aucune conclusion. Mais, si M. G. Weil avait
donné quelques pages à la période antérieure à l'Is-
lam, M. Caussin de Perceval y donnait un volume
presque entier, et c'est là une des parties les plus
neuves et les plus fécondes de son ouvrage. Désormais
aucun historien du prophète arabe ne pourra n.anquer
de prendre le même soin, et il est évident que Maho-
met serait mal apprécié si on l'isolait et du milieu
dans lequel il a paru, et des temps qui ont précédé sa
prédication et préparé son triomphe.
Quant aux deux ouvrages tout récents de MM. \V.
Muir et A. Sprenger, ils ont l'un et l'autre l'avantage
d'avoir été composés au sein de pays musulmans, en
vue et presque sous les yeux des fidèles, quoiqu'ils
aient été publiés en Europe. M. W. Muir avait d'abord
fait paraître le sien, sous une forme un peu différente,
dans la Revue de Calcutta^ Il est inspiré par l'esprit
' M. \V. Muir rappelle clans sa préface C|u il a rnlropris sis ic-
clicrclies à l'instigation du Rêv C. G. Pfander. H. I'. qui scsl signalé
■20 MAlInMET. CIIVPITRE I.
dt^ prosélytisme ; l'auteur a voulu aider les efforts de
la propagande chrétienne en écrivant une vie du pro-
phète, qui, s'en tenant aux documents qu'acceptent
ses sectateurs eux-mêmes, pût être lue, si ce n'est tout
à fait approuvée par eux. Son intention avait été
d'abord d'écrire en hindoustani , afin d'être plus
généralement compris des mahométans hindous ;
mais il aura trouvé sans doute que l'anglais est assez
répandu parmi les docteurs musulmans, pour qu'on
puisse fout aussi bien leur parler en cette langue sur
un sujet si délicat. Quoique M. W. Muir, employé du
service civil au Bengale, ne soit pas lui-même un
missionnaire, son œuvre s'est peut-être un peu res-
sentie de ses préoccupations religieuses; elle n'est
pas d'un caractère exclusivement scientifique, comme
celle du docteur A. Sprenger, qui de son côté pèche
aussi peut-être par un peu trop de bienveillance
j)Our le mahométisme, si ce n'est pour Mahomet lui-
même.
. Nous sommes d'ailleurs très loin de vouloir en faire
un objet de critique au docteur A. Sprenger, et nous
admirons trop vivement son savoir et son dévouement
pour blâmer même l'excès du sentiment qui a provo-
qué des labeurs aussi constants, aussi efficaces et aussi
distingués que les siens. M. Sprenger pense que l'on
nj)plique depuis longtemps trop d'attention à l'anti-
quité classique, et qu'on n'en a pas suflisamment pour
comme apologiste dans les dernières onirovcrscs avec les docteurs
maliomélans.
1
ÂITIIEMICITÉ DE L'HISTOIRE DE MAHOMET. 21
l'Orient. On peut être d' accord avec lui sur ce dernier
point, sans partager son avis sur l'autre. Mais quoi
qu'il en soit de l'exagération ou de la justesse de celle
opinion, M. le docteur A. Sprenger en a fait le but de
sa vie. Dès sa première jeunesse', il a pris la résolu-
tion de se livrer pour toujours aux études orientales;
il a cru de son devoir de visiter le pays de ses prédi-
lections et d'y séjourner longuement, à la fois pour
contribuer à y introduire la civilisation européenne
dans ce qu'elle a de meilleur, et pour en rapporter à
l'Europe une connaissance plus complète de l'Orient
et de sa littérature. Il faut bien entendre qu'il ne s'a-
git ici que de l'Orient musulman, lequel n'est après
tout qu'une faible partie du véritable Orient. Mais peu
importe; le mahOmétisme est bien assez vaste déjà
pour que l'existence la plus laborieuse et la plus éner-
gique puisse y trouver un fructueux emploi. M. le
docteur A. Sprenger est donc resté pendant les douze
plus belles années de sa vie dans les contrées musul-
manes de l'Inde supérieure ; et pour bien coimaître ce
qu'il était venu chercbcr de si loin, il s'est placé dans
les conditions les plus favorables que pût souhaiter un
Européen, pour introduire la science occidentale dans
l'esprit des Asiatiques. Il a duigé lui-même des écoles
maliométanes qu'il avait fondées; il en a soutenu
d'autres qu'on avait fondées sous son patronage et
d'après son exemple. Puis, pour se mettre avec les in-
' A. Sprenger, Vie et doclriiie de Mahomet, t. I, iirùlaLC, l'Oges v
et sui\ .
•22 MAHuMKÏ. CllAl'lTI'.E I.
digènes ('ans un rapport encore plus immédiat et plus
actuel, il a créé des journaux à leur usage; il a été
le premier en 1845 à publier à Dehli une feuille illus-
trée dans le genre du Peunij MagazineK Cette tenta-
tive, qui avait parfaitement réussi, a été fort imitée ;
et quand le docteur A. Sprenger a quitté l'Inde, onze
ans après, on comptait déjà plus d'une douzaine de
leuillos semblables à la sienne, et qui réussissaient
tout aussi bien.
En même lemps, le docteur A. Sprenger faisait exé-
cuter sous sa surveillance de nondircuses traductions
d'ouvrages anglais en hindoustani ; et ayant affaire à
des esprits fort dociles et fort intelligents, il avait le
pkisir de voir ses élèves indigènes bientôt en état de
se passer de tout secours européen, et de continuer
seuls les travaux entrepris d'abord avec la coopération
de leur maître-.
An milieu de ces soins donnés à l'Asie, M. A. Spren-
ger n'oubliait pas l'Europe ; car c'eût été manquer la
moilié de son projet: et à son retour, il nous rappor-
' Le liire de ce journal écrit en liiiitionslaui était Kiràii ahàdaijn.
c'csl-à-dire la conjonction des deux planéles du bonlieui-, Jupiter et
Vénus. Sous ce titre, qui peut nous parai're prétentieux, mais qui est
tout à l'ail sclo:i les habitudes du pays, Jupiter et Vénus représentent
l'Occident et l'Orient; il répondait ainsi Irès-exaclement aux inlen-
i 'r.s cour.is:euses et bicnvi'iliantes qui avaient amené le docteur
A. Si'renger en Asie.
- M. A. Sprenger. Bas Lc/n'ii iiud die Lchre di's Moliammad. inx--
Wuo. page VII, en noie, domie les litres de plusieurs ouvrages arabes
qu'il a fait publier ou traduire. Sir llemi EUiot a reconnu que la
1 reniièro i !éc de la belle collection des Historiens de l'Inde était due
M. ledocleiu' A. Sprenger.
AlTIlLMICiTt; DI". LIMMUll'.E liL .MAllO.MF.T. t>5
[lui une cnornie collection de manuscrits et de livres
orientaux, que la Bibliothèque de Berlin s'emprcssail
d'acquérir, et dont le catalogue imprimé en anglais
forme à lui seul tout un volume ^ Mais ce n'était pas
assez encore pour M. A. Sprenger ; et des immenses
niiitériaux qu'il avait amassés, il a voulu tirer un ou-
viage qui lui fût propre et qui résumât tous ses tra-
vaux. Le choix pour lui ne pouvait être douteux.
Comme il avait pu découvrir sur les origines du maho-
mélisme les documents les plus précieux et les plus
certains, ce fut là le sujet qu'il préféra à tous les ;;u-
tres. Aussi dès 1851 il faisait paraître à Allahahad la
première partie d'une Vie de Mahomet en anglais; et
après douze autres années d'investigations persévé-
rantes et plus complètes, c est encore une Vie de
Miihomet qu'il offre actuellement au public allemand,
ou plutôt au public européen.
Nous voudrions bien que cet ouvrage fût achevé
comme l'est celui de M. W. Muii', avec lequel nous
eussions aimé à le comparer ; mais malheureusement
les deux volumes qu'a publiés M. A. Sprenger ne vont
encore que jusqu'à la fuite à Médine, ou à l'IIégirc.
Xous regrettons aussi qu'une autre circonslancc nous
prive, du nioirrs momentanément, d'informations du
plus haut inlérèl: je veux parler de la critique des
documents (jue M. A. Sprenger a consultés, et de ceux
' Dibliol'ieca orient tiUs Sprengeriaua ; le catalogueai)arii àGiesscn
rii l8ri7.Le roi (juilliuimc IV, dans sa iminilicence, a fait don de ccUe
collection à la î'.ililiaUiù'iue royale de Berlin.
24 MAHOMET. CUAI'lTl'.E I.
qu'il a eu la gloire de se procurer le premier. Mais
CCS matériaux sont si riches, que M. A. Sprenger se
propose d'eu taire un ouviage à part, qui ne paraîtra
qu'après la biographie du prophète. Il compte y re-
tracer le tableau de l'histoire littéraire de l'Islam
dans les deux premiers siècles de l'Hégire. D'une telle
main et avec une telle expérience des choses musul-
manes, ce sera certainement un livre magistral; mais
il nous faut l'attendre sans doute plusieurs années
encore ; et provisoirement, nous devons nous con-
tenler des citations que l'auteur a nécessairement
introduites dans l'ouvrage qui est en cours de publi-
cation.
Pour donner une idée des découvertes de M. A.
Sprengcr, il suftit d'en citer une seule. Il a retrouvé
dans les bibliothèques musulmanes un diclionnaiie
biographique des compagnons du prophète, où sont
mentionnés jusqu'à huit mille des contemporains de
Mahomet. Ce dictionnaire, appelé k'ùba, n'a été ré-
digé que vers la lin du quinzième siècle, il est vrai ;
mais l'auteur, qui se nommait Ibn-llidjr, a pu s'ap-
puyer sur une l'oule de biographes antérieurs d'une
autorité incontestable ; et parmi les huit mille per-
sonnes dont il parle avec de longs dèlails, il n'y en a
pas dix qui soient apocryphes. Ce dictionnaire ne
forme pas moins de quatre forts volumes in-folio. Le
docteur Sprenger en avait commencé la publication à
Calculla, et déjà le j)remier volume presque entier
avait paru, quand un ordre de la Cour des directeurs
AITUËNÏICITE DE L'IllSTOir.E DE MAHOMET. 25
est venu suspendre l'impression'. M. W. Muir déplore
avec raison cette fâcheuse décision, dont on ne nous
dit pas les motifs. .M. A. Sprenger s'est résigné, sans
se plaindre, à ne pas continuer cette belle entreprise,
que, sans doute, personne ne sera tenté de reprendre
après lui. Mais, tout inachevée qu'elle est, elle suftit
à nous montrer tout le zèle de M. le docteur Sprenger,
et les succès qu'il a obtenus, en dépit des obstacles
qu'il a rencontrés.
En parlant ici de Mahomet, surtout d'après les
quatre ouvrages que je viens d'indiquer, il n'y a guère
que deux points auxquels je voudrais m'arrèler:
d'abord la nature et l'authenlicité des sources ; et, en
second lieu, le caractère du prophète, tel qu'il doit
apparaître à une critique impartiale.
A quelque point de vue qu'on se place pour juger
Mahomet, tout le monde doit accorder que c'est une
des plus grandes figures de l'humanité. Il a fondé,
quels que soient d'ailleurs les moyens employés par
lui, une religion qui compte aujourd'hui plus de
cent millions d'adliérents, qui est répandue sur trois
' M. A. Sprenger, Das Ixben, etc., [iréfacc, iiagexii, cl tome I, piigcs
0 cl siiiv. Dans la Liograiiliic de Maliomet, l'auteur parle avec une
telle modestie de ses découvertes, et avec tant de concision, qu'on a
qucliiue peine à en comprendre loule l'importance. M. M". Muir a pu
L'Ire moins réservé, cl il n'a pas-épargne à son heureux concurrent
les éloges les plus sincères et les plus mérités, tout en coniiiallant
quelquefois ses opinions; voir le tome I de l'ouvrage de M. W. Muir»
page civ de l'inlroduction. C'est à M. VV. Muir que j'emprunte le fait
relaiif à la Cour des direcicurs, t\ non à M. A. Sprenger, (jui l'j passé
sous silence.
2
20 MAIIOJJET. CHAI'ITUE I.
continenls, cl qui, malgré de sinistres prédictions,
n'est pas sur le point de périr, après douze cents ans •'
d'existence. Cette religion, qui est fort loin sans
doute de favoriser la civilisation autant que le chris-
tianisme, n'y est pas cependant aussi opposée qu'on
l'a cru. ^'ous sommes en rapports perpétuels et né-
cessaires avec les peuples musulmans; nous les sou-
tenons dans leurs défaillances; ils acceptent les con-
seils et même la domination bienfaisante- des chré-
tiens; et, somme toute, aujourd'hui que les fureurs
religieuses se sont un peu calmées, on n'a pas trop
à se plaindre de ces relations réciproques, et on les
étend chaciue jour, par cela seul (jnelles continuent.
Cette religion parait en outre convenir admirablement
aux populations qui la professent et (|ui n'en peuvent
subir aucune autre. On voit bon nombre de chrétiens
se faire mahométans, par des motifs qui ne sont peut-
être pas toujdurs trés-honorables; on n'a presque
jamais vu de mahométans se convertir à la foi chré-
tienne, el M. A. Sprenger a pu dire avec toute justice
que « les musulmans se distinguaient entre toutes
les autres conuuunautés religieuses par la fermeté
et la précision de leurs croyances, et que parmi eux
l'incrédulité était aussi rare (ju'êlait fréquente la
sincérité profonde de la foi, attestée par le dévoue-
ment et par le sacritice'. » Le fanatisme en est une
preuve redoutable, mais péremptoire.
• M. A. Siucngcr, Das [,i>ben und die Lfliic flfs Moli/inmiad. t. I,
[irélaco, \K\'^e i. (^c téiiioi{ïnaf;e est Irès-iinportaiil d • la pari d'un
AUTHENTICITÉ DE L IIISTOIRE HE MAllOMLT. '2'
C'est là déjà matière à une juste curiosité; mais ce
qui l'augmente encore, c'est que la religion musul-
mane, la dernière en date des grandes religions, est
un fait purement historique. On peut conslaler de la
manière la plus certaine comment elle est née, et
comment elle s'est formée peu à peu d'aboixi dans le
cœur même de Mahomet, et ensuite par l'enthou-
siasme de ses premiers disciples. C'est en quelque
sorte réclusion d'une religion prise sur le fait. Celte
remarque, qui a été faite déjà bien souvent', est pro-
fondément vraie, et l'on ne saurait, à certains égards,
y attacher trop d'importance, puisque c'est là un
événement unique dans les annales humaines. Le ber-
ceau de toutes les autres religions est couvert de ténè-
bres, que les efforts les plus sincères et les plus saga-
ces de l'érudition n'ont pu dissiper, et qui resteront
à jamais impénétrables. Pour le mahomélisme, au
contraire, rien n"est caché ; il s'est produit et s'est
développé au grand jour ; et, sauf les incertitudes iné-
vitables des traditions, dans des pays si éloignés de
nous et pour des mœurs si différentes des nôtres,
on sait à bien peu près tout ce qu'il est possible de sa-
voir; le mahométisme n'a ni mystère, ni surnaturel.
Il ne veut mémo se couvrir d'aucun voile, et ce
n'est pas sa faute s'il reste encore des obscurités;
homme aussi consciencieux, et qui a vécu si longtemps avec des mu-
sulmans dans les circonstances que nous savons.
' M. Ernest Renan, Eludes d'ivst ire relif/ieiise. 5" t'dition, pages
2'20 et 230.
28 MAIKiMKT. CHAPITRE I.
car il a été sur son origine aussi franc qu'il l'a pu.
Mais il faudrait prendre garde à ne pas tirer de ce
fiut isolé et inllnimenl curieux des conséquences trop
générales et qui pourraient bien être fausses. Parce
que le mahométisme est né d'une certaine façon, il
n'est pas. à dire que toutes les religions, sans en
excepter aucune, sont nées do la même manière.
Cette hypothèse est spécieuse sans aucun doute, mais
elle n'est pas absolument vraie. Il y a des religions
qui n'ont point eu de fondateurs individuels. Le
brahmanisme, par exemple, a été l'œuvre d'une
race entière; c'est une succession de poètes qui l'ont
formée, dans une longue suite- de générations et par
une inspiration commune, qui a duré plusieurs siècles
sans interruption. Le brahmanisme n'a été ni moins
duiable, ni moins fort ; c'est une des religions les
plus vieilles et les plus vénérables de l'humanité ; c'est
aussi par centaines de millions que se comptent ses
fidèles, et cependant le brahmanisme ne rapporte sa
naissance, aussi obscure que toutes les autres, le ma-
hométisme excepté, ni à un sage, ni à un héros. II
nous apparaît comme le produit collectif de la con-
science de toute une nation. A côté du brahmanisme,
on pourrait citer encore d'autres exemples tels que
l'hellénisme, qui ne seraient guère moins rebelles à
l;i tliroiie qu'on veut établir.
H est donc plus sûr et plus conforme aux lois de la
critique historique d'étudier chacun de ces grands
phénoinèries en eux-mêmes. Le temps des généralisa-
AUTHENTICITE DE L'HISTOIRE DE MAHOMET. 2<J
lions n'est pas venu, et il faudra bien des travaux
encore de piiilologie et d'histoire, avant qu'on puisse
se prononcer, avec quelque prudence, sur l'ensemble
de ces événements extraordinaires qui décident, à
certaines époques, des destinées religieuses du genre
humain. C'est dans ces limites restreintes que je vou-
drais considérer quelques instants le mahométisme;
je me borne à ce que je puis en apprendre sûrement,
et je me tiens pour satisfait si je puis voir assez claire-
ment comment Mahomet est devenu un prophète,
puiscjne c'est là le nom qu'on lui donne.
Le monument le plus grave à la fois et le plus au-
thentique de la religion musulmane, c'est le Coran ;
il est l'œuvre personnelle de Mahomet, et jamais le
moindre doute n'a pu s'élever à cet égards Les di-
verses parties du Coran sont dans un désordre qui
frappe à première vue tous ceux qui le lisent; et dans
chacune de ces parties séparées, les Sourates ou cha-
pitres, les pensées ne sont guère moins confuses ni
moins irrégulières. C'est une sorte de chaos dans
lequel on sent une fermentation puissante, et d'où il
se dégage, après rétlexion, quelques-unes des grandes
idées dont l'auteur était animé. L'enthousiasme même
qui le dévore ne perd presque rien de sa llamme au
travers des traductions. Une lecture du Coran suivie
et continue est à peu près impossible-, et cependant
' Voir plus loin les Extraits du Cornn,sur les principaux sujets quM
traite.
- M. A. Sprengcr, Das J.ebeu und die l.efire des Moliammad. t. i,
2.
30 MAHOMET, CHAPITRE I.
l'impression qu'il laisse est profonde, quoique très-
troublée. Des lecteurs chrétiens n'ont pas beaucoup à
y apprendre, je l'avoue , mais s'ils sont impartiaux,
ils doivent convenir que d'autres esprits que les
nôtres peuvent y trouver un solide et fécond aliment.
On a soutenu, d'ailleurs avec pleine raison', que ce
désordre môme du Coran est la preuve la plus irré-
fragable de son authenlicité. Ce sont bien là les réci-
tations de Mahomet, car le mot de Coran ne veut dire
que récitation; ce sont bien là les explosions d'un
génie fougueux, peu maître de lui-même, quoique
capable de calcul. Le Coran, tel qu'il a été formé, dès
le premier temps de l'Islam, après la mort du fonda-
teur, ne porte pas même la trace d'un arrangement
chronologique. Il est clair que, quelle que soit la m.ain
qui a réuni ces morceaux, elle les a laissés tels qu'ils
étaient, pêle-mêle, et sans même essayer, ce qui eût
été une supercherie aussi utile qu'innocente, d'y in-
préfacc, page xvm, rappori un mol de M. Bmisen, qui lui a avoué
qu'il avait essayé plusieurs lois de lire le Coran d'un bout à l'au-
tre, et qu'il n'avait jamais pu y parvenir. Il n'y avait qu'un arabi-
sant, disait M. Bunsen, ipii pût accomplir une lâcbe aussi rude.
M. A. Sprenger a dû intercaler les deux l-iers au moins du Cor;m
traduit dans sa biographie du prophète; il croit l'avoir rendu par
li'i beaucoup plus intelligible, en lui donnant un certain ordre selon
les événements qui composent la vie de .Mahomet el auipiel le Co-
ran fait successivement allusion. Dans les Extraits que je donne plus
loin, j'ai suivi l'ordre des sujets et non ,celui des événements, ([ui
ne sont d'ordinaire iudi(|uésque d'une manière Irès-douteuse dans le
Coran.
* .M. Ernest Uenan, El i. des d' histoire religieuse, page '2'29; et M. W.
Muir, JJfe of Mahomet, t. 1, piélace, page xxvn.
AUTHENTICITÉ DE L'IlISTOinE HE MAHOMET. ^»1
troduire une certaine coordination, tout en conser-
vant scrupuleusement le texte.
Ce cachet évident d'originalité toute personnelle est
d'ailleurs une très-heureuse circonstance ; car les
historiens arabes, précis sur tant d'autres points, n'ont
pas pu l'être autant sur la manière dont les récita-
lions de Mahomet ont été tout d'abord recueillies et
conservées. Il paraît bien que le prophète ne les écri-
vait pas lui-même, soit que réellement il ne sût pas
écrire, soit qu'il voulût leur conférer plus de solennité
en laissant à d'autres ce soin matériel'. Elles furent
cerlainement éciiles de son vivant et sous ses veux,
comme semblent le prouver une foule de passages
du Coran lui-même, et parfois gardées simplement
dans la mémoire de quelques fervents disciples. Mais
quand il mourut, elles ne formaient point encore un
recueil qui eût rien de définitif ni d'officiel. Un an
s'était à peine écoulé depuis la mort du prophète, que
la nécessité d'un tel recueil se fit sentir. Dans la ba-
taille d'Acrabà, appelée aussi de Yémàma, où fut
' Il est conslaté que l'écriture t'iait en usage, soit à la Mecque, soit
à MéUiiie, assez lonf^temps avant Malioniel; il ne lest pas moins que.
clans les dernières années de «a vie, il avait aulotir de lui de noni-
hreux secrétaires pour les besoins de sa diplomatie et de sa politique.
Voir M. Caussin de Pcrceval, Essai sur l histoire des Arabes, tome I,
pages 291 et su.v. Il n'est donc pas impossible ([ue les Récitations de
Mîliomet aient été transcrites aussitôt après qu'elles avaient été pro-
noncées; mais il n'est pas moins certain que les Arabes, comme bien
d'autres peuples, faisaient un très-large emploi de la mémoire, et
qu'ils conservaient ainsi d'âge en âge une foule de s Rivcnirs que les
peuples civilisés ne conservent que par l'écriture.
ù2 MAHOMET. CHAI'ITRE I.
vaincu le plus redoutable des trois rivaux qui s'étaient
élevés contre lui, près de six cents des compagnons de
Mahomet (Ashàb) avaient été tués; du nombre, se Irou-
vaienl plusieurs de ceux qu'on nommait les Lecteurs
et les Porteurs du Coran, qu'ils savaient par cœur,
soit pour l'avoir entendu de la bouche du prophète,
soit pour l'avoir expressément appris. Omar craignit
avec raison que le Coran ne fût bientôt détruit, si l'on
ne se hâtait de le fixer à jamais; et il détermina le
calife Abou-Becr, le successeur de Maiiomet, à en faire
faire une édition authentique. Ce soin sacré fut condé
à Zeïd, fils de Thàbit, qui hésita d'abord à s'en charger,
et qui s'en acquitta avec l'aide des lecteurs (Courra)
et des compagnons survivants. Zeïd , doué d'une
grande intelligence, avait été choisi par le prophète
pour tenir, en langue hébraïque, sa correspondance
avec les juifs. L'ordie où il laissa les Sourates du Co-
ran est celui même où depuis lors elles sont restées.
L'exemplaire compilé par lui passa des mains d'Abou-
Becr à celles d'Omar, qui le remit à la garde de sa
tille Ilafsa, une des veuves de Mahomet.
Cependant cette première édition ne put empêcher
quelques variantes de transcription et de prononcia-
tion de s'introduire dans les copies qui en furent
faites; et vingt ans plus tard environ, l'an 5") de
l'hégire, le calife Olhinàn dut en demander à Zeïd
une édition nouvelle, qui cette fois fut rédigée dans
le dialecte le plus pur de la Mecque. Trois des Co-
raychites les plus instruits avaient été adjoints à
AITIIENTICITE DE I. IIISTOKIE HE M\lli)MRT ô."
Zeid '. Des copies de celte édition désormais immuable
furent envoyées aux villes principales de l'empire; et
tous les anciens exemplaires durent être brûlés par
ordre du calife, tandis que lexemplaire original re-
tournait à la garde d'Hafsa.
« La récension d'Othmàn, dit M. Willam Muir, est
arrivée de main en main jusqu'à nous sans altéra-
lion ; on l'a si scrupuleusement conservée qu'il n'y a
pas de variantes importantes, et l'on pourrait même
dire aucune variante, dans les copies innombrables
du Coran, qui circulent dans les vastes domaines de
l'Islam. Des factions acharnées, sorties du meurtre
même d'Othmàn, moins d'un quart de siècle après la
mort de Mahomet, n'ont cessé depuis lors de boule-
verser l'empire musulman. Toutefois il n'y a jamais
eu qu'un seul Coran pour toutes ces factions impla-
cables; et cet usage unanime de la même écriture ac-
ceptée par elles toutes jusqu'à nos jours est une des
preuves irrécusables de la sincérité du texte que nous
possédons et qui remonte jusqu'à l'infortuné calife-. »
' Zeïil, fils de Tliàbit, était de Médine, dont le dialecte n"était pas
tout à fait aussi pur que celui de la Mecque, et celait dans ce dernier
dialecte que le proiiliète s'élail cxpi'imé.
- M. G. Weil, Mohammed (1er l'rophel. etc., page 552, n'est pas tout à
fait aussi alfirrnalif ; il (ait quelques nservcs; mais il ne croit pas que
le Coran ait pu subir des cliangemenis considérables, parce qu'à l'é-
poque où il a été recueilli beaucoup de musulmans en avaient encore
le souvenir très-présent. M. \. Sprenfrer n'a pas directement traité
cette question dans les deux volumes qu'il a donnés; mais la complète
aullienticité du Coran ne .«emble pas le moins du inonde douteuse
pour lui, Das l^ben und die Uhre des Moliammad, t. II, pages 451 et
suivaiites.
34 MAHOMET, ClIAPITIiE I.
C'est l'avis de tous les juges compétents ; et M. de
Ilammer a eu le droit de dire: « Nous pouvons croire
que le Coran est la parole de Mahomet, tout aussi
sûrement que les mahométans le croient la parole de
Dieu. » M. William Muir a pu ajouter presque aussi
justement: « Le Coran est la base principale de la
biographie de Mahomet »; et l'on peut s'en convaincre
par l'usage étendu et intéressant qu'en a fait M. le
docteur A. Sprenger, pour celle qu'il a entreprise.
Il faut d'ailleurs dans celte restitution délicate ap-
porter autant de circonspection que de sagacité et de
science.
Après le Coran vient la tradition, qui remonte natu-
rellement jusqu'aux premiers compagnons de Maho-
met ; mais ici le terrain est beaucoup moins sur, et
l'on ne saurait mettre trop de prudence à s'y avan-
cer. La tradition est partout incertaine, quoiqu'elle
puisse d'ailleurs avoir plus ou moins de probabilité ;
elle est particulièrement suspecte chez un peuple
peu lettré, et d'une imagination ardente, comme les
Arabes de ces temps. Aussi M. W. Muir s'est-il mis
en garde autant qu'il l'a pu contre les surprises, et
il a essayé de tracer par l'examen le plus minutieux
les règles qu'il faut suivre pour employer ces maté-
riaux dangereux quoique indispensables \ Les com-
' M. ^V. Muir, Tlw l.ifc of Mahomet, t. I. introduction, pages
xxviii à Lxxxvii. L'auteur a luarqiié uvoc soin rintluence quo la succes-
sion des diverses' dynasties rivales a pu exercer sur les traditions; les
Ommiades, les Abassidcs, etc., n'ont point eu le nirnie iwint de vue
1
AUTHENTICITE DE L llI^TulIU; DE MAHOMET 55
pagnons du prophète avaient beaucoup à raconter
sur l'apôtre qui les avait convertis à sa foi, qui les
avait menés longtemps au combat, et qu'ils avaient
connu dans les moindres détails de sa vie. La généra-
tion qui les avait immédiatement suivis, les succes-
seurs {Tâbiùn) comme on les appelait, pouvait aussi
avoir recueilli par eux une foule de renseignements
d'une grande importance. Les Ashàb et les Tàbiùn ont
dû remplir tout le premier siècle de l'Hégire ; mais
en cent ans et dans les circonstances où se trouvait
alors l'Islam, la tradition fait bien du chemin.
L'extension même du maliomètisme, conquérant
l'Arabie entière et les pays voisins, donna tout à coup
à la tradition un caractère pratique qu'on n'avait pas
d'abord soupçonné. Le Coran, qui devait être à lui
seul et exclusivement la loi religieuse, la loi civile et
la loi politique de l'Islam, ne pouvait plus satisfaire
aux besoins nouveaux, quelque désir qu'on eût de ne
point s'en écarter. Ces bornes étaient trop étroites, et,
sous peine d'y étouffer, il fallut bien les élargir. On
recueillit donc avidement, et comme un supplément
au Coran, toutes les paroles, toutes les décisions, tous
les actes de Mahomet iHàditiis), pour les appliquer,
comme autant de décisions sans appel, à tous les cas
douteux qui se présentaient. « La tradition reçut ainsi
pour comprendre et continuer Mahomet. En appréciant une traditiorl,
1 faut cnnsidérer siutout deux choses^ la période de lu vie du prophète
à laquelle elle se rapporte, et le sujet quelle traite. Mais c'est dans
louvragc même de M. W. Muir qu il faut suivre toute celte analyse,
aussi rigoureuse qu'utile.
50 MAHOMET, CHArilKt: I.
force de loi, et elle partagea en quelque sorte l'auto-
rité de l'inspiration'. » On se mit à rechercher tous
les souvenirs de ce genre avec une incroyable ardeur ;
et dès la fin du premier siècle, celte occupation était
devenue pour une foule de gens comme une profession
sainte, celle de collecteurs. Les plus instruits et les
plus actifs parmi les fidèles allaient de ville en ville,
de tribu en tribu, faire cette moisson méritoire, au-
près des compagnons, des successeurs et de leurs
descendants. Puis ils mettaient en écrit tous les récits
plus ou moins exacts qu'ils avaient provoqués de ces
témoins voridiques.
Comme le remarque M. W. Muir, c'était là un tra-
vail qui touchait de trop près à l'inlérèt public, pour
qu'on pût l'abandonner absolument au zèle des indi-
vidus ; et dès la fin du premier siècle de l'Hégire,
Omar 11, qui mourut en 720, donna des ordres précis
pour que cette œuvre, à la fois religieuse et politique,
fût exécutée avec toute la régularité nécessaire. La
compilation ne fut achevée, par suite des troubles de
cette orageuse époque, que sous la dynastie des Abas-
sides, et un;' bonne partie fut en état de paraître sous
le règne du fameux Al-Mamoun (780-855). 11 y eut
alors six collections principales-, qui ont servi et qui
* M. VVilliom Muir, Tlie Life of Miiliomel , t. I, inlroiluclioii'
page XXXI.
- M. le docteur Spreiigcr, dansga Viede Muhonict, en angiiiis, p. 08, a
donné les noms des auteurs des iix collections, avec la date de leur mort.
En dehors de ces six collections oflicielles, il y en a une autre cpii est un
pe.i plus ancienne et dont l'autem", selon M. W. Muir, Iniàm Màlik
ALlllENTlClTE DE LIUSÏOHŒ DE MVllUMET. Û7
servent encore de texte aux écoles tliéologiqucs de
rislam pour justifier les différences qui les divisent.
Ce sont les collections des Sunnites. Quant à celles des
Sliyites, au nombre de quatre, elles ne furent termi-
nées qu'un peu plus léu'd, et elles n'ont jamais joui
que d'une autorité inférieure. Ces monuments, qui
doivent prendre place à la suite du Coran, sont étudiés
encore de nos jours dans toutes les parties du monde
mahométan, et ils y sont extrêmement populaires. lis
captivent et ils amusent les lecteurs plus que les bio-
graphies du prophète, qui ont été postérieurement
composées.
Un mérite plus réel qu'elles doivent posséder à nos
veux, c'est qu'elles portent la marque irrécusable de
la plus sincère honnêteté. Chaque tradition, isolée et
formant par elle-même un tout distinct, est rattachée
par une liste de témoins non interrompue à quelqu'un
des compagnons de Mahomet. Si parfois les déposi-
tions se contredisent, elles n'en sont pas moins rap-
portées côte à côte avec la plus parfaite bonne foi. Il y
en a même quelques-unes qui sont peu favorables au
al Mïialla, vivait de 95 à 179 de Fllégire (717-801 do notre ère).
Cette collection, bien qu'elle n'entre i)as dans le canon orlliodoxc, n'en
jouit i)as moins dune grande estime; et bien des commentateurs la
regardent comme ayant fourni aux autres une bonne partie de leurs
matériaux. Elle a été publiée à Delili en 1849. Ces collections sont
toutes, à ce ipiil parait, le résumé d'une enquèle beaucoup plus vaste.
Les Iradiiions relatives au prophète s'élevaient au n jnbrc de cinq à
six cent mille; mais elles étaient si extravagantes, qu'il fallut les éli-
miner pour la plupart, et l'exégèse musulmane n'en a gardé que
(juatre ou cinci mille; ce qui est encore bien considérable.
58 MAHOMET, CHAPITRE 1.
prophète, et dont, à ce titre, la véracité ne peut être
suspecte. C'est au lecteur inahométan de faire son
choix au milieu de tous ces témoignages, et même de
ces écueils , c'est à nous aussi de faire le nôtre dans la
Sunna, et de n'admettre que ce qui porte l'empreinte
de la vraisemblance, et que ce qui s'accorde avec le
Coran, la mesure permanente et indubilable de tout le
reste.
Le Coran et la tradition, conservée comme je viens
de le dire, sont les véritables éléments de la biogra-
phie de Mahomet V 11 parait que dés la fin du pre-
mier siècle, quelques dévols songèrent à l'écrire. On
nomme Ourva, qui mourut en 94, et son disciple Az-
Zouhri, qui mourut en 124, à l'âge de soixante-douze
ans, sous la dynastie des Ommiades. Il ne reste rien
de leurs ouvrages ; mais Zouliri est souvent cité par
les auteurs subséquents, ainsi que plusieurs autres
biographes : Musa, tils d'Okba, et Abou-Màshar, du
début du second siècle ; Abou-lshàc, à la tin de ce
même siècle, et enlin Madaini, au commencement du
troisième. Mais à défaut de ces auteurs, qui n'ont pas
été épargnés par le temps, il y en a plusieurs autres
dont les ouvrages sont parvenus jusqu'à nous.
Le plus ancien est Moluunmad-ibn-Ishàc, qui mou-
rut en Tan 151 de l'hégire (777) de notre ère). Il écri-
vait par conséquent sous les Abassides ; c'est pour
Al-Mansoùr, le second prince de cette dynastie, qu'il
• M. \V. Muir, I.ifi' of Mahoiiicl . I I. iiltroiluclioii. p. i.xxxix, a niar-
i|iié les diflérciices do la Iradilioii et de la liioyrapliic.
AUTIIENUCITE HE L'IIISTUIHE de MAHOMET Ô9
composa son ouvrage. 11 a élé conservé dans celui
d'Ibn-Hisliàm ; mais en outre son autorité est fré-
quemment invoquée par ses successeurs, et il passe
pour un des auteurs les plus sûrs que l'on puisse
toujours consulter'.
Le second biographe du prophète est Abd-el-malik-
Ibn-IIishàm, qui mourut l'an 215 de l'hégire (855 de
notre ère). On a son ouvrage tout entier, qui est inti-
tulé simplement : Biographie du prophète (Sirat-er-
raçoul-), et dont je donnerai plus loin Tanalyse.
Mais ce n'est pas le seul qu'il eût composé, et il avait
fait les plus savantes recherches sur la généalogie des
rois Himyarites, antérieurs de plusieurs siècles à l'Is-
lam, et de très-utiles commentaires sur les passages
obscurs des anciens poètes. Il a pris pour base de son
* M. \ViUiani Muir, fJfe of Malwmet, t. I, introdiiclion, p \ci el sui-
vantes, défend ILii-Isliàc contre les critiques assez graves de M. A.
Sprenger, qui nest pas inuins sévère à l'égard d'ibn-llisliàm. J'a-
voue qu'en présence du livre d Ibn-llisliàni je ne comprends jias les
critiques de M. A. Sprenger. Sans doute, le biographe nnisulman n'est
pas ii'réprochable; mais les <iualités de son livre sont en résumé si
réelles et si grandes, qu'il n'y a guère de place que pour l'éloge et
l'admiration. 11 n'y a pas un document arabe supérieur au Sirat-er-
raçoiil; voir M. Th. Noldeke, Geschichte des Koràns, Gœttingue, 18(30,
in-8, prélace, p. xiv.
- Il parait que les copies du Siratcr-raçoitl sont assez rares dans
l'Inde; mais M. William Muir en a vu deux exemplaires, l'un à Dehli,
et l'autre dans lu biLliotliè(pie de la Société asiatique, à Calcutta.
M. A. Sprenger en a ra|)[)orlé un exemplaire àlierlin. lien a élé lait
un abrégé à Damas, vers le commencement du quatorzième siècle,
l'an 707 de l'Hégire, et le succès de cet aljrégé n'a peut-être pas peu
contribué à faire disparaître l'original. Los musulmans, d'ailleurs,
préfèrent en général les biographies modeiiies, (lui sont pleines de
détails mythologiques, et ils trouvent les anciennes trop sévères.
40 MAHOMET, CHAPITRE I.
travail sur Mahomet celui d'Ibn-Ishàc, qu'il reproduit
presque en entier, et le sien même est devenu l'objet
de commentaires célèbres. Il ne parait pas d'ailleurs
qu'Ibn-Ishàm mérite une contiance absolue, et il s'est
attaché, à ce qu'il semble, à supprimer tous les détails
qui pouvaient être peu favorables au prophète, comme
d'ailleurs il a soin de le dire lui-même. Ce qui doit
surtout le recommander aux yeux des Européens,
c'est que son livre est presque aussi régulier que les
nôtres, et qu'il procède avec une méthode que ne
désavoueraient pas nos meilleurs biographes. Ibn-
Uishàm était né au vieux (]airc, et il y mourut ; mais
sa famille était de Bassora.
Son contemporain Vàckidi, quoique né à MédineS
écrivit et vécut à la cour des Abassides, auprès des-
quels il fut dans une faveur constante, surtout du-
rant le règne d'Al-Màmoun. C'était un personnage
assez considérable, puisqu'il était càdi du quailier
oriental de Bagdad. Il avait amassé une bibliothèque
qui, renfermée dans six cents caisses, formait, à sa
mort, la charge de cent vingt chameaux. Il avait écrit
un Irôs-grand nombre de livres ; mais le seul qui soit
veuu jusqu'à nous, sous sa forme originale, est V His-
toire (les (jnerres du prophète {AI MiKjhdzi)^ comme
• Vàckidi est mort on l'jii -Ml tic riloj,nro, sans doiUc à Daydiid,
c'esl-à-dirc six années avant Ibn-llisliàni ; il aurait dû par consé-
qucnl être placé avant lui; mais je l'ai laissé après, coiniuo le fait
M. >Villinin Miiir, parce ipu.' le secrélairc de Vàckidi n'est niorl cpieii
'250 de l'Héyiro, et ipic c'est sur; ont à cause de son secrétaire (pie
Vàckidi est connu.
AUTHENTICITÉ DE L'HISTOIRE DE MAHOMET. 41
celui d'Ibn-lshâc. Une copie en a été récemment dé-
couverte en Syrie, et elle a (''lé imprimée dans la
Bibliotheca Indien de Calcutta \ Mais ce qui a rendu
\àckidi particulièrement célèbre, c'est son secrétaire,
Ibn-Saad, connu plus ordinairement sous le nom de
KCilib al Yûckïdi ou secrétaire de Vâckidi. Ce secré-
taire, homme aussi intelligent que fidèle, avait hérité
des papiers de son patron, et il en tira un excellent
ouvrage en quinze volumes, sur la biographie et les
compagnons du prophète, sur leurs descendants et
sur l'histoire des califes, jusqu'à son propre temps.
Il y ajouta aussi beaucoup de documents nouveaux
qu'il avait réunis personnellement à Bedr. Le premier
volume, qui contient la biographie de Mahomet, avec
des détails sur tous ceux des compagnons qui étaient
présents à la bataille de Bedr, a été retrouvé par
M. le docteur A. Sprenger, à Cawnpore. C'est une
découverte inestimable qui suffirait seule à illustrer
le nom de celui qui l'a faite. M. William Muir s'ac-
corde avec M. le docteur Sprenger pour attacher
la plus haute importance à l'ouvrage du Kûûh al
Vâckidi, bien qu'il n'y trouve guère moins de crédu-
lité que dans les autres historiens arabes. Cette bio-
graphie du prophète est composée presque entière-
ment de traditions détachées, qui ont élé arrangées
en chapitres, selon le sujet et selon une sévère chro-
nologie. La cliaine des témoignages est donnée pour
* Ce n'est qu'une partie de l'ouvrage de Vâckidi, pul)liée à Cnlcutl3,
1R55-185fi, par M. Alfred de Kremer.
42 MAHOMET, CHAPITRE I.
chaque tradition séparùc; et quand ils sont contradic-
toires, l'auteur se prononce parfois sur leur valeur
relative.
Le quatrième des anciens biographes du prophète
est Tabari (Aboû-Djafar-ibn-Djarir-al-Tabari). Né en
224 de l'hégire, à Amoul, dans le Tabarestan, et
mort à [Bagdad, en 510 (846-952), il avait été un des
imans les plus éclairés et les plus respectés de son
temps. Tabari, qu'on a surnommé quelquefois le
Tite-Live des Arabes, avait composé des annales uni-
verselles, où se trouvent à leur ordre la vie de Maho-
met et le récit des conquêtes de l'Islam. Ce qu'on
en connaissait sur ce dernier point et ce qu'on en
avait publié jusqu'à ces derniers temps, ne commen-
çait qu'à la mort du prophète'. Le reste de ce qui
touche Mahomet était regardé comme perdu, quand
le docteur A. Spreuger, envoyé à Lucknow pour y
inspecter les bibhothèques indigènes, découvrit, parmi
de vieux manuscrits abandonnés, toute la partie de
l'ouvrage de Tabari, qui s'étend de la naissance du
* L'ouvi-ape entier de Tabari, composé de vingt parties, à ce que
l'on croit, est intitulé : Annales des rois et des envoyés de Dieu. Les
7y, 4" et 5"^ parties sont consacrées presque entièrement à Maliomet.
M. J. G. L. Koset>arten n'a donné l'extrait de la h" partie que pour
les guerres qui suivirent la mort du propliète (Grypliiswaldire, iu-4,
arahct't latin, ISril-lS')")). M. LouisDubeux a traduit le début de l'ou-
vrage de Tabari, d'après la version persane, pour le Comité oriental de
lonilres (Paris, 18"»0, in-i, 280 pages). Ce fragment va de lacréation du
monde à l'bisloire ào Job et de Joseph. 11 comprend aussi les vingt-
buil rameuses questions posées par bs Juifs à Maliomet sur la Genèse
et sur .Vdam. 11 n'y a donc Jus(iu';'i |)résent qu'une faible portion des
Annales de Tabari quj nous soit connue.
.\rTHE>'nr.[TÉ de l'iiistoire de maiiomet. r.
prophète au siège de Mèdine, cinq ans avant sa mort.
C'est le quatrième volume' de Tabaii, extrait en ma-
jeure partie des ouvrages d'Ibn-Isliàc et de Vâckidi.
Mais, outre l'autorité nouvelle qu'il confère à ces
biographes en les répétant, Tabari donne aussi des
informations qu'on chercherait vainement ailleurs.
Cependant il ne tant les employer qu'avec précaution,
parce que Tabari est un partisan prononcé d'Ali, et
qu'il n'est pas toujours impartial envers les Ommyades
et pour tout ce qui les concerne.
Ainsi le Coran, les six collections sunnites et les
quatre biographies que je viens de nommer, telles
sont les sources principales de l'histoire du maho-
métisme à ses débuts. Il y en a aussi quelques autres
moins importantes, qu-e je passe sous silence pour ne
pas allonger ces détails outre mesure ^ MM. W. Muir,
A. Sprenger et Noldeke, déclarent que toutes les au-
tûi'ités qui dépassent la dynastie des Abassides n'ont
presque aucun poids à côté de celles-là ; et une saine
critique doit nécessairement approuver cette opinion '".
1 II manque encore la partie du récit qui doit s'étendre du siège
do Médine A la mort de Mahomet. Il est probable que ces morceaux
existent toujours, et que quelque rival heureux de M. A. Sprenger par-
viendra à les retrouver dans 1 Inde.
- Voir M. Noldclic. Histoire du Coran, préface, pages wii et sui-
vantes.
^ Il est clair que ceci ne peut pas s'appliquer aux ouvrages posté-
rieurs, quand ils citent des auteurs anciens. Mus'i \c Dictionnaire bio-
f/rajihiqiie des Compagnons, i)^rl]in Ilid.jr, n'en est pas n.oins précieux,
«juoifpi'il ait été fait huit cent cinquante ans apiès l'Hégire, (|uand il
donne des extraits des premiers biographes, Ibn Ocba, Abou Ma
shar, etc.
44 MAHOMET, CHAPITRE I.
Après les Abassides (750-1258), il n"y a pins rien à
recueillir des Iradilions primitives, et tout ce qu'on
peut faire, c'est d'en iuventer de nouvelles, qui sont
trop souvent aussi extravagantes qu'elles sont fausses.
Mais, grâce aux autorités des premiers temps, on peut
atteindre , avec une sûreté satisfaisante, à la vérité
historique. Si l'on ne sait pas encore de Mahomet
tout ce que notre curiosité voudrait en apprendre,
tout ce que l*'on en sait est assez authentique pour'
qu'on puisse s'y fier presque sans aucune chance
d'erreur.
Je veux analyser, du moins en partie, une de ces
biographies musulmanes, afin qu'on sache précisé-
ment ce qu'elles valent. Je choisis naturellement
celle d'ïbn-Hishàm. Elle est la plus célèbre et la plus
complète de toutes ; elle est la plus ancienne aussi de
celles qui sont parvenues jusqu'à nous. De plus, elle
a gardé la presque totalité du texte d'ibn-Ishàc; et par
là, en une seule œuvre, elle nous en prés(!nle deux,
précieuses par leur date et par leur exactitude. M*. Gus-
tave "Weil, quia déjà si bien méiilé de l'iiistoire du
mahométisme, vient d'en publier une traduction en
allemand \ et c'est d'après cette traduction que je
* L'ouvra^'ede M. G. Wuil, en allemand, forme deux vulnmcs in-12,
rie 7)90 et 564 pages, Stuttgart, ISOi, Das U^ben Mohammed's nach
Mohammed- Ibn-lsliàc , bearbeitet von Abd-el-Malik-lbn-Ilis/iâm. Le
premier compreLd de la naissance de Mahomet à la bataille contre 4es
Dénou-Sonleima ; le second, depuis l'expédition de Sawik jusquà la
mort de Maliomcl. L'ouvrage est dédié à M. le professeur J. Sta^lielin.
(jui en a fait gém-reusement les frais. M. VVuslenli'ld avait donné aa-
térieiireinent le texte arabe du Siral-er-raçoul.
AUTHENTICITÉ DE L HISTOIRE DE MAHOMET. 45
vais résumer la composilion du Sirat-er-raçoul, ou Yio
du Prophète.
Ibn-Hishàm, qui se doune à lui-même le titre de
grammairien , déclare d'abord comment il compte
traiter l'ouvrage de son prédécesseur, il le connaît
par le récit de Ziyad-Ibn-Abd-AUah Albakkaïdj, qui
l'avait entendu directement d'Ibn-Ishàc lui-même.
Avec l'aide de ce livre, il se propose de raconter la
généalogie et la vie entière du prophète en remontant
à Ismaël, iils d'Abraham. Mais il ne s'arrêtera, parmi
les descendants d'Ismaël , qu'à ceux dont est sorti
Mahomet, et il se bornera ensuite à ce qui regarde
uniquement la vie de l'Envoyé de Dieu. « Aussi, dit-il,
je laisserai de côté dans le livre d'Ibn-Isliàc , toute
digression qui ne se rapporte pas à Mahomet, tout
récit dont on ne peut retrouver l'origine dans le Coran,
et qui n'a aucune relation à l'Kcriturc, soit pour la
prouver, soit pour l'éclaircir. Jéliminerai en ouli'e
les vers cités par Ibn-lshàc, ton les les fois que ces
vers ne sont pas reconnus par les autres écrivains
versés dans la littérature poétique. Enfin, je repous-
serai toutes les choses qui peuvent être odieuses à
raconter, ou nuire à la réputation do quelqu'un, ou
même dont la certitude n'a pas été confirmée par
Albakkaïdj ; mais je conserverai absolument tout le
reste, en le contrôlant par l'ensemble de la tradition
et par la connaissance que je pourrai avoir person-
nellement de certains faits. »
Fidèle à ces règles de critique, Ibn-Hishàm déroule
46 MAHO.MET, CHAPITRE I.
la descendance d'Ismaël, d'après Ibn-Ishàc, appuyé de
Ziyad-Ibn-Abd-Allah Albakkaïdj. Il interrompt la liste
des douze fils d'Ismaël, pour rectifier le nom de l'un
d'eux que, selon lui, Ibn-lshâc ne donne pas très-
correctement. Chaque fois qu'il fait une rectification
ou une addition, il se contente de cette formule :
« Ihn-IIisliàm dit » ; et il reprend ensuite, selon son
habitude : « Ibn-Ishàc dit ». Les deux livres se déve-
loppent donc cùte à cô!e, en s'enchevêtrant l'un dans
l'autre, et cet entrelacement ne cesse qu'avec la fin
de tous deux. La généalogie, dans tous ses détails et
comprenant deux parties, ne remplit pas moins de
cent pages avant d'arriver à la naissance du prophète,
filsd'Amina. Ibn-Ishàc et Ibn-Ilishàm b'arrèfent assez
longuement à l'éducation de Mahomet et h son mariage
avec Khadidja, et la troisième partie de l'ouvrage va
jusqu'à ses premières visions prophétiques. La qua-
trième s'étend de la conversation que Mahomet eut en
rêve avec l'ange Gabriel, jusqu'à la première émigra-
tion en Abyssinie. Cette partie comprend la conversion
de Khadidja, celle d'Ali, le premier croyant parmi
les hommes, celle de Zeïd, fils de Hàrilha, le second
croyant, celle d'Abou-Becr et de ses aiuis. La conver-
sion du fameux Omar, rapportée dans la cinquième
partie, ne vint qu'un peu plus tard. Le Sirat-er-raçoul
en donne deux versions, l'une d'après les gens de
Médine, et l'autre d'après les gens de la Mecque. La
sixième partie commence par le voyage nocturne de
Mahomet à Jérusalem, la mort de Khadidja, la con-
AUTHENTICITÉ DE L'HISTOIRE DE MAHOMET. 47
version des six Khazradjs de Yathrib, les deux réu-
nions sur la Colline, les serments reçus par Mahomet,
la fuite à Médine, où l'avaient précédé ses plus
fermes adhérents, etc., etc.
Tous ces témoignages sur les commencemenis de
l'Islam sont d'autant plus sûrs qu'Ibn-Ishâc, mort au
milieu du second siècle de l'Hégire, n'a le plus sou-
vent entre lui et le prophète que deux ou trois té-
moins, qu'il désigne toujours nominativement. C'est
ainsi qu'en racontant la vocation de Mahomet il s'appuie
sur ce que lui a dit Az-Zoulu'i, lequel tenait le fait
d'Ourva, fils d'Azzarbeïr, lequel le tenait d'Ayésha, la
femme que Mahomet a le plus aimée après Khadidja,
et qui, toute jeune encore, reçut son dernier soupir.
Quand Ibn-Isliâc parle de l'Hégire ou de la fuite à Mé-
dine, c'est encore d'après les mêmes autorjtés. Ayéslia,
la mère des croyants, avait raconté le départ de son
mari avec Abou-Becr à Ourva, fils d'Azzoubeïr, lequel
l'avait redit à un autre homme digne de foi, lequel
l'avait redit à Ibn-lshàc lui-môme. De cette manière,
la tradition remonle toujours jusqu'au prophète en
personne, et comme le trajet est assez court, il y a
peu de risque qu'elle s'égare. Pour les derniers mo-
ments de Mahomet, c'est encore Ayésha qui dépose;
elle a rapporté tous les détails à Oubeid-Allah, lequel
les a transmis à Zouhri, qui ;i sdu tour les a transmis
à Iakoub, fils d'Olbé ; et c'est de Iakoub que les tient
Ibn-lshàc, dont le récit est confirmé par Ibn-Hishàin.
Les deux auteurs poursuivent ainsi leur carrière en
iS MAHOMET, CHAPITRE I.
ne négligeant aucun épisode de la vie du prophète,
indiquant avec la plus pieuse exactitude la source
d'où ils rempruntent, et le reproduisant avec toutes
les variantes, quand il y en a dans les Hàdiths. C'est
comme un réseau à mailles serrées, et il est bien
diflicile que la vérité leur échappe. Tout dévols qu'ils
sont, ils ne sont pas trés-crédules, et le Sirat-cr-raçoul,
en restant très-près de la légende, n'a presque pas de
faits invraisemblables ou impossibles. Ibn-Ishàc et
Ibn-Ilishàm sont enthousiastes; mais ils ne sont pas
aveugles, et l'histoire la plus raisonnable peut se
contenter en général de leurs récils, où tout est
d'ailleurs parfaitemejil classé, régulier, simple et
clair.
Ce qui y ajoute encore un très-grand prix, c'est que
la narration est à chaque instant relevée par des cita-
lions poétiques qui jettent le plus grand jour sur les
événements et sur les mœurs des Arabes à celle
époque. Ibn-Ishâm, très-scrupuleux en sa qualité de
grammairien, n'a cru pouvoir admettre les citations
qu'après un examen critique; on peut s'en fier à lui.
C'est tout à la fois et l'histoire du prophète et l'histoire
de la poésie arabe de son temps.
Je ne pousserai pas plus loin Tapalyse duSiral-er-
raçoul. On peut voir maintenant ce qu'il est, et les
deux écrivains frères, à qui on le doit, prendront
rang désormais parmi les autorités les plus hautes de
riiistoire de Mahomet.
CHAPITRE II
L'ARABIE AVANT LE M A H 0 M E T I SM E
Sincérité Irés-louable des traditions musulmanes; leur exactitude gé-
nérale; elles n'ont rien caclié de ce qui a iirécédé et préparé Ma-
homet. — État des tribus arabes avant le maliométisme ; elles
prétendaient toutes remonter à Abi'aham ; vie nomade et g'uerres
perpétuelles; commerce par caravanes; stations importantes dans
quelques villes; la Mecque et Yathril). plus lard Médine; quelques
grands marchés; foires annuelles; culture de la poésie; ks Moalla-
càt; les quatre mois de trêve. Religion de ces tribus, idolâtrie et
fétichisme; vaines tentatives du mosaïsme et du christianisme; rap-
ports de l'Yémen avec la cour de Constantinople et r.\byssinie; dé-
faite du Nedjàchi devant la Mecque; sainteté et antiquité de la
Caaha. Règne de Cossayy; son pouvoir; il bâtit la Mecque; ses suc-
cesscure, ancêtres de Mahomet. — Mouvement religieux des es-
prits; précurseurs de Mahomet; Ilanyfes attachés à la foi d'.\bra-
ham : Varaka, Othmàn, fils d'AUiduveyretli, Ouheïdallah, et surtout
Zeïd fils d'Amr; poésies d'Ommayya très-populaires et à demi ma-
hométanes.
J'avoue que je suis très-frappé de celle sollicitude
et de cette sincérité de l'Islamisme. On ne peut pas se
livrer à des efforts plus sérieux ni plus constants pour
arriver à la vérité et pour la transmettre aux autres.
Sans doute, à côté de ces doctunenls aiithcnliqucs, il
s'est formé une légende qui est devenue avec le pro-
riO MAHOMET, CHAPITRE II,
grès des lemps bien déraisonnable, surtout entre les
mains des Persans et des Turcs ; mais l'histoire a son
ample part dans les traditions que les premiers califes
se sont attachés à recueillir ; et ces traditions offrent
toute l'exactitude qu'on peut exiger de cette époque
et de ces pays. Chez une nation où il n'y avait ni admi-
nistration, ni presque de gouvernement organisé, on
ne pouvait procéder autrement qu'on ne l'a fait; à
défaut d'archives et de papiers dÉtat, que ces peuples
n'ont jamais employés et n'emploient pas encore, on a
interrogé des témoins dignes de foi, et l'on a consigné
scrupuleusement leurs dépositions, qui ont bientôt
acquis un caractère officiel et orthodoxe. Une enquête
de ce genre, si elle avait eu lieu dans une civilisation
telle que la nôtre, aurait été accomplie probablement
avec plus de précision et de régularité ; mais il est
douteux qu'elle l'eût été avec autant de candeur ; et
nos historiographes, quand nous en avons eu, nont
p;is brillé par niie véracité irréprochable. Au con-
traire, on peut se fier aux musulmans des premiers
siècles de l'Hégire ; et si parfois ils ont été égarés par
leur enthousiasme, jamais du moins ils n'ont calculé
le mensonge. Ce n'est pas une des moindres singula-
rités de l'Islam d'avoir porté une si vive lumière sur
ses origines ; et c'est un avantage qui restera son pri-
vilège, parmi les peuples qui tiennent une place sur la
scène de l'histoire'. Somme toute, il n'y a pas de na-
* Voltaire fîiil une reiiianiue analogue on coniinen(,'aiil l'iiistoire de
Mahomet dans VEssai sur les nnciirs, cliap. vi.
L'ARABIE AVANT LE MAIIOMETISME. 51
tion au monde qui ait moins perdu de celle partie de
son passé qu'elle voulait conserver; et la nôtre par
exemple, malgré de très-légitimes prétentions, con-
naît beaucoup moins bien Charlemagne que les mu-
sulmans ne connaissent Mahomet, venu près de deux
siècles avant lui.
Cependant tout grand qu'est Mahomet, il n'a point
échappé à la loi commune. Seul parmi les chefs des
hommes, il a fondé tout à la fois une religion, un
peuple et un empire. Mais il a trouvé des matériaux
tout préparés pour son œuvre : deux grandes crovances
antérieures, auxquelles il a fait les plus larges em-
prunts, des populations idolâtres cherchant un dogme
nouveau qui leur fût approprié, et des tronçons épars
d'une nation qui ne demandait pas mieux que de
se réunir sous un chef vénéré et puissant, pour ter-
miner une anarchie séculaire et dévastatrice. Ce n'est
rien ùter au génie de Mahomet que de montrer com-
ment son succès a été possible. Bien d'autres ont
échoué là où il a réussi; et sa part individuelle reste
immense, quelle que soit celle des circonstances où il
a paru et sans lesquelles il serait inexplicable.
Il est d'ailleurs inutile de remonter très-haut dans
l'histoire du peuple arabe, ou pour mieux dire de
ces tribus innombrables, aussi obscures que divisées,
qui parcouraient et peuplaient la presqu'île arabique,
depuis l'Yémen, l'Hadramaut et le Mahra, au sud,
jusqu'au golfe Persique et à la Syrie, au nord ; et de-
puis l'Oman et le Bahrayn, à l'est, jusqu'au Hidjàz, à
52 MAHOMET, CHAPITRE II.
l'ouest^ en passant par le Nedjd, ou pays haut, qui oc-
cupe loul le centre'. Ces tribus se vantaient en géné-
ral de descendre d'Abraham ; et leur langue, par ses
rapports avec Tiiébreu, attestait que le peuple arabe et
le peuple juif avaient un même berceau. C'était donc
du nord que la population était arrivée dans la pres-
qu'île ; mais il parait bien qu'avant celle invasion le
midi de l'Arjbie avait ses habitants indigènes, qui se
distinguèrent longtemps de leurs voisins et des con-
quérants-.
Ton les ces peuplades étaient perpétuellement en
guerre les unes avec les autres. Dans une contrée
brûlante et déserte, la vie était excessivement pénible ;
et l'on s'arrachait mutuellement par le pillage le peu
de richesse que procurait un liavail accablant et pré-
caire. L'élève des troupeaux était la ressource ordi-
naire de ces races nomades. Les plus industrieuses et
les plus assises s'adonnaient au commerce, et de
grandes caravanes partaient chaque année du sud,
pour aller au nord eu Syrie et en Mésopotamie échan-
ger et rapporter des marchandises précieuses et rares.
Mais il fallait toujours avoir les armes à la main pour
* JI. Caussin de Perceval a consacré ses deux premiers volumes
presque tout entiers à l'histoire trés-confusc de ces tribus depuis les
temps les plus reculés jusqu'à Maiion^tt. G e^t une suite non inter-
rompue de combats, de pillafrcs, de vengeances, d'étabiis^inients et
de ruines de principautés. C'est un tableau fort curieux, qui fait bien
comprendre la vie de ces nomades à demi sauvages. Voir aussi le
I" volume de M. W. Muir, p. cvi à cci.xxi.
* 11 est à remarquer que le nom d'Arabes, Ariùa, est celui des plus
anciens habitants de la contrée.
I.'AP.ADIE AYAM LE MAHOMETISME. r>5
défendre ces sociétés ambulantes de marchands, qui
étaient en même temps des guerriers. Ces caravanes
étaient forcées de ne point traverser le centre, qui res-
tait à peu près inaccessible ; elles s'éloignaient peu
des bords de la mer, en contournant la presqu'île,
soit par l'est, soit surtout par l'ouest. Les principales
suivaient le Hidjàz sur les côtes de la mer Rouge,
et elles y avaient quelques stations importantes, où
elles pouvaient trouver de l'eau et renouveler leurs
provisions'.
Ces stations devinrent naturellement des villes où
les populations se fixèrent un peu davantage; mais
ces villes furent toujours trùs-peu nombreuses, et
c'est à peine si l'on en compte cinq ou six vraiment
illustres dans le cours des temps : Mareb ou Saba,
dans l'Yémen; Guerra, sur le golfe Persique et sur la
route de l'est; Pétra, au nord-ouest, avec son port
d'Akaba sur la mer Rouge, puissante et très-riche
entre les mains des Nabatéens, au début de l'ère
chrétienne, grâce à la protection de Rome ; Ilira,
fondée deux siècles plus tard sur les bords de l'Eu-
phrate, non loin de la moderne Koufa, et qui fut le
siège d'un empire arabe assez étendu jusqu'à la con-
' Hidjàz en aralie signifie barrière, et l'on désigne par là les cliaînes
de montagnes qui s'étendent de la Palestine à rextréinilé sud de la
presqu'île et à l'Yémen. Elles courent parallèlement à la mer Rouge.
Le Hidjàz est ainsi une longue bande de près de cin([ cents lieues et
d'une largeur variable. Il est probable que les caravanes y étaient
plus protégées conire les vents d'est qu'elles n'auraient pu l'être sur
les hauts plateaux du Nedjd.
j4 MVFfOMET, CHAPITRE II
quête SOUS Mahomet; et par-dessus toutes les autres,
la Mecque et Yathrib, depuis Médiiie, auxquelles
étaient promises de si grandes destinées, et qui se
trouvaient placées dans une heureuse situation, à mi-
chemin à peu près de rVéïnen et de la Syrie'. A part
ces villes, qui ne purent jamais être très-peuplées ni
très-tranquilles, le reste de la contrée était sans cesse
livré au désordre, par suite des déplacements néces-
saires de toutes ces tribus, de leurs dissensions et de
leurs luttes implacables.
Cependant au milieu même de ces troubles perma-
nents, il y avait entre elles quelques liens qui pou-
vaient amener un meilleur avenir. Ainsi elles avaient
établi des marchés annuels où l'on se rendait de toutes
les parties de l'Arabie, celui d'Ocàzh entre autres ,
oasis entre Taïf et Nakla, non loin de la Mecque. Ce
marché se tenait le premier jour du septième mois de
Tannée. A ces réunions, les tribus ennemies vidaient
souvent leurs différends par arbitres ; elles échan-
geaient leurs prisonniers de guerre; elles réglaient
une foule d'affaires communes, pour lesquelles on
n'avait pas d'autres occasions aussi commodes. Sur-
tout, on y faisait assaut de poésie ; car ces peuplades,
toutes barbares qu'elles étaient, aimaient les vers
presque aussi ardemment que les combats. Dans les
intervalles de loisir que laissaient toujours les trans-
' I.;i Mociinc et MiHlino font inirtio ilii Hidjàz. La Mecque est plus
spéciiik'uieut, avr-c Ojcildali, dans \o Tiliàma. ou conlriV chaude et ma-
ritime.
F.AIÎAPIR AV\M FF. MAIIOMÉTISME. ",
actions, chaque tribu produisait son poëte le plus
habile ; le concours était jugé par l'assistance en-
tière, et le vainqueur, outre la gloire qu'il acquérait
pour lui et pour les siens, voyait souvent sa pièce
de vers, sa cacida, transcrite en lettre- d'or, atta-
chée aux murs sacrés de la Caaba de la Mecque.
Ces poèmes, sanctionnés par le libre assentiment
des auditeurs, devenaient célèbres sous le nom de
Poèmes dorés ou Poèmes suspendus iMoudhahabàt ou
Moàllacâtj ^
Mais la poésie malheureusement peut s'accorder
très-bien avec des mœurs grossières et féroces ; elle
ne les adoucit qu'à la longue ; quelquefois même elle
ne peut rien sur elles, et la délicatesse de l'esprit
qu'elle suppose n'exclut pas les habitudes les plus
sanguinaires et les plus odieuses. 11 y en a mille
exemples à côté de celui que nous présentent les
Arabes de ces époques reculées.
Du reste, comme pour se rendre à ces marches
annuels et en revenir avec une suffisante sécurité
il fallait un certain temps, et qu'ils étaient toujours
précédés ou suivis de quelque pèlerinage à des lieux
saints, la nécessité avait imposé une trêve à la fureur
* M. Caussin de l'erceval a donné la traduction de plusieurs de ces
Moàllacàt, dans son second volume : celle d'Imroulcays. fils de Hodjr,
p. Zii'i; celle de Tarafa, p. 552; celle do llàrith, lilsde llilllzé, p. 566;
celle d'Amr, (ils de Colthoum. p. .584; celle d'.\ntara, p. 521; celle de
Zohayr, fils d'Ahou-Solmi , p. 550. etc. Tous ces poètes sont un peu
antérieurs à Maiiomet ou ses contemporains. Ils ne chantent guère
que l'amour ou les batailles, leurs plaisirs ou leurs exploits.
56 MAHOMET, CHAPITRE II.
des combats ; il y avait quatre mois dans l'année où
il était interdit de se servir des armes et d'inquiéter
les caravanes et les voyageurs. On ne peut pas croire
que tout indispensable qu'était cet usage, il n'ait
jamais été violé; mais combattre durant les mois ré-
servés était toujours un sacrilège, que l'on regardait
généralement avec horreur, et qui provoquait les plus
terribles expiations '.
Quant à la religion de ces peuplades, elle était
aussi ardente que toutes leurs autres passions ; mais
elle était, comme il est facile de le supposer, bien
peu éclairée. Jadis elle avait été celle môme d'A-
braham, c'est-à-dire l'adoration d'un Dieu unique,
aux volontés duquel l'homme devait être profondé-
ment soumis ; mais ensuite ces pures notions que
l'Islam devait réveiller s'étaient éteintes, ou du moins
Irès-affaiblies, et une aveugle idolâtrie les avait rem-
placées presque toutes. Celte idolâtrie élait descendue
même au plus absurde fétichisme; et, outre les divi-
nités particulières de chaque tribu, représentées le
plus souvent par des statues, les adorations s'adres-
' Ainsi pou d'année- après la naissance de Mahomet, les Coraycliitos
et les Benoii-llawâzin en vinient aux mains pendant le mois Innaire
de Dhonlcada, oi'i se tenait la foire d'Ocâzh. Le souvenir de celle lulte
impie a été consacré sous le nom de guerres de Fidjàr, eu guerres
sacrilèges. Elle avait commencé par des défis individuels et des rixe.s
durant le marché. Aussi, pour prévenir- le retour de ces scènes dé-
plorables, on convint que chacun serait tenu de déposer ses armes
avant de prendre part à la foire, et elles étaient confiées pour ce temps
à f|iieli|ui' porsomia;,'e considéralile; voir M. Caussin de l'ercoval, t. I,
]). 'J'.IC. et siiiv.
I
L'ARABIE AVANT LE MAIIOMETISME. o7
soient aux objels les plus vulgaires de la nature; et,
par exemple, à des pierres. Cependant les antiques
relations entre les Juifs et les Arabes avaient toujours
continué, et le judaïsme avait fait bon nombre de
prosélytes ; il avait poussé ses colonies laborieuses
et avides dans les parties septentrionales de la pres-
qu'île, et elles étaient parvenues jusqu'à Médine et à
la Mecque, sans se mêler à la population indigène.
Dans le troisième siècle de notre ère, un des plus
illustres tobbas ou rois de l'Yémen avait converti ses
sujets à la foi juive.
A côté du judaïsme, le christianisme avait fait plus
de conquêtes, sans étendre non plus son action très-
loin. Il avait pénétré en Arabie par le nord et aussi
par le sud. Dès le second siècle, saint Barthélémy et
saint Pantènus, parti d'Alexandrie, avaient, disait-
on, prêché le christianisme dans l'Yèmen. Ce qui est
plus certain, c'est qu'en 345 l'empereur Constance II
y envoyait une ambassade pour s'assurer de l'alliance
des princes himyarites contre la Perse. Dans cette
ambassade se trouvaient un évèque el des moines
qui obtinrent, malgré l'opposition des Juifs, la permis-
sion de bâtir trois églises, l'une à Zhafàr, capitale du
lobba, l'autre à Adcn, entrepôt, dès celte époque, du
commerce des Indes, et une dernière dans une ville
sur le golfe Persique. Cette mission avait eu surtout
pour résultat d'établir des relations suivies entre Con-
slanlinople et les chrétiens de l'Yémen. Ai;ssi lorsque
la ville chrétienne de Nadjrân lut saccagée el détruite.
58 MAHOMET, CIIAI'ITIIK 11
en 523, par le féroce Dhou-Novàs, fervent adepte du
judaïsme', les victimes adressèrent leurs plaintes à
l'empereur Justin I", Sur sa prière, le nédjàchi ou
roi d'Abyssinie, nommé Caleb, se chargea de punir les
forfaits de Diiou-Novàs. L'Yémen fut conquis par les
Abyssins, et converti au christianisme vers l'an 550.
Saint Grégentius, qu'y avait envoyé le patriarche
d'Alexandrie, donna à cette contrée un code, em-
prunté en grande partie aux lois romaines ^ Mais
l'empire himyarite, un instant détruit, se releva
contre l'étranger par l'appui de la Perse ; et, sous les
vice-rois qu'elle maintint dans l'Yémen, les religions
païenne, juive et chrétienne purent jouir dune tolé-
rance égale, jusqu'à ce qu'elles vinssent toutes les
trois disparaître dans l'Islamisme'', un siècle environ
après la conquête abyssinienne.
Ainsi, ni le judaïsme ni le christianisme n'avaient
pu faire des progrès bien étendus ni bien durables
dans la presqu'île. Tantôt accueillis, tantôt repoussés,
* M. Caussin de Perceval. Essai sur i histoire des Arabes, t. I.
p. 121 et suiv.
- Lambecius, dans ses Commentaires sur la Bibliothèque inipciialc
de Vieniio, l. V, p. 151. nous apprend que ioriiiinal de ce code, (viit
en ^Tec, se trouvait dans la riclie collection dont il taisait le cala-
logue. Voir M. Caussin de l'erceval. Essai sur l histoire des Araires.
t. I, p. 1 i5. C'était un immense bienfait que ce code app irli!' aux
Arabes de l'Yémen, par un évêque chrétien; mais le peuple auquel il
s'adressait n'était pas mûr pour eu proûter
^ M. Caussin de Perceval, ibid, p. 159. Il faut lire tout ce qui con-
cerne les rois de l'Yémen, descendants d'Ismorl, et le christianisme
à Nadjràn, dans le Sirat-er-raçoiil, d'Ibn-Isliàc et Ibn-Hislu\m, tra-
duction de M. G. Weil, t. I, p. 8 et 14.
1
L'ARABIE AVAM LE .MAHOMETISME. 59
ils n'avaient pas jeté de racines profondes et solides.
De longs siècles d'efforts inutiles attestaient non pas
précisément leur impuissance, mais l'incapacité des
races qu'ils essayaient de convertir à des dogmes et à
des mœurs qui n'étaient pas faits pour elles. Au fond,
l'idolâtrie était resté la religion dominante ; et, par la
diversité capricieuse à laquelle elle se prêtait, elle
convenait beaucoup mieux à l'indépendance turbu-
lente et à la division infinie des tribus, qui la prati-
quaient avec le plus violent tanatisme. Aussi quand un
(les vice-rois abyssins de l'Yémen, Abraha-el-Acliram,
lit construire, en concurrence contre la Mecque, une
magnifique église à Sana, et prétendit y attirer les
hommages des Arabes, aux dépens de la Caaba,
le soulèvement fut général. En vain Abralia-el-
Achram conduisit une armée sous les murs de la
Mecque, l'année même de la naissance de Mahomel,
l'année de l'Éléphant (570 après J.-C) '. Sa défaite
ne fit que donner à Tidolàtrie plus de force et de
cohésion.
Parmi tous les lieux saints qu'avaient consacrés les
respects superstitieux des peuples et los intérêts du
commerce, la Mecque tenait la première place ; et
comme les caravanes les plus imporlantes devaient
nécessairement y passer cl s'y arrêter, elle avait
' Voir Sirat-er-raçoul. tradiictioii allemande de M. G \\e\l. i. I,
p.ôi et 102. Lunni'e de l Éléphant, c'of.i ainsi qu'on niipeilu raiinéc où
naquit le propliL-le, à cause de rélAplianl sur liquel était monté Abralia,
et nui sans doute étonna beaucnup les habitants de la Mecque, e». les
terrifia.
00 MAHOMET, ClIM'iTI'.E H.
acquis un renom qui s'était propagé dans l'Arabie
entière '. On en faisait remonter l'origine vénérable
jusqu'à Abraham lui-même; et la fameuse source de
Zemzcm était celle que l'ange Gabriel avait fait jaillir
du sol, lorsque le jeune Ismaël, perdu dans le désert,
allait y périr de soif avec sa pauvre mère. Comblée
par les Djorhomites, elle fut creusée de nouveau par
Abd-el-.Mouttalib, grand-père de Mahomet. La Caaba
avait été construite par Abraham, de ses propres
mains, quand il était venu revoir son fils exilé ; et la
Pierre noire, incrustée dans un des angles du temple,
pour marquer le point où doivent commencer les
tournées des pèlerins (Tavâf), avait été apportée des
cieux par l'ange Gabriel. D'abord elle était d'une
blancheur éblouissante ; mais l'attouchement des pé-
cheurs l'avait bientôt noircie. Non loin de cette pierre
miraculeuse, on montrait, et l'on montre encore au-
jourd'hui, un fragment de roche sur lequel montait
Abraham {Macûm Ibrahim), avec son fils Ismaël, pour
travailler plus à l'aise. Abraham avait donné à la
Caaba , le Carré, d'assez petites dimensions : neuf
coudées de haut, sur trente-deux de long et vingt-
deux de large. Elle n'avait pas de porte qui la fermât,
• Diodore de Sicile est le premier historien de l'aiitiquité, im demi-
siècle avant l'ère clirélienne. qui parle des temples vénérés par les
Arabes, et d'un, entre antres, qui passait pour le plus saint de tous
dans l'Arabie entière, 1. III, cl», xi.iv, p. 157, liir. 53, édition Firniin
Didot. Mais les renseignements donnés par Diodore de Sicile ne sont
pas assez clairs pour qu'on puisse aflirmer qu'ils se rapportent au
temple de la Caaba. Il parle aussi d'un autre temple moins célèbre,
m^me livre, ch. xi.ni, § 4.
L'ARABIE AVANT LE MAIIOMÉTISME. 61
et elle était au niveau du sol, au lieu d'être élevée
au-dessus, comme elle l'est actuellement '. Détruite
par l'irruption d'un torrent, vers le milieu du second
siècle de notre ère, elle avait été reconstruite par la
tribu des Djorhom, qui dominaient alors la Mecque.
Cinquante ans plus tard environ, elle avait été pieu-
sement visitée par un tobba de l'Yémen, Abou-Carib,
vers 206 de l'ère cbrétienne, qui lui avait fJît une
couverture d'étoffes précieuses, et y avait posé une
porte avec une serrure, pour mettre en sûreté les
dons précieux qu'accumulait sans cesse la générosité
des pèlerins.
La garde d'un temple si vénéré élait une des fonc-
tions les plus recherchées, et les tribus s'en dispu-
taient l'honneur. Aux Djorhomites avaient succédé les
Chozàa, auxquels on devait d'avoir retrouvé la Pierre
noire , soustraite par leurs adversaires et cachée
quelque temps. Puis, après deux siècles et demi de
possession, les Khozàa avaient été supplantés par les
Coraychites, tribu qui s'était enrichie successivement
par le commerce, et qui eut le bonheur d'avoir un
' M. \V. Jluir a donné plusieurs plans pour représenter la villr de
la Mecfiue et ses environs t. I, p. 5,. i:i Caaba, avec toutes les con-
slruclions qui l'entourent, et la Pierre noire t. Il, p. 18 , de gran-
deur naturelle. Cette pien'e, dont les Lords sont assez lisses et cou-
verts dune l'iscripticn, parait être un assembla^'e de plusieurs autres ;
elle est actuellement placée à langle oriental de la Caaba et à cinq
pieds au-dessus du sol. M. William Muir n'a pas pu prendre lui-même
les dessins qu'il donne; ils .>;ont empruntés aux voyages do Burck-
liardt, d'Ali Boy efc de Burlon, et 1 on peut se fier à leur exactitude.
On peut d ailleurs les comparer à ceux de Mcbulir et de d'Obsson.
4
62 MAHOMET, CHAPITRE II.
chef des plus enlrepienanls et des plus habiles dans
la personne de Cossayy, fils de Kilab, le qualrième
aïeul de Mahomet. La foitune extraordinaire de Cos-
sayy prépara certainement les voies à celle du pro-
phète; et même, indépendamment de cette circon-
stance, la carrière de Cossayy mérite la plus grande
attention, et elle est faite pour exciter beaucoup d'in-
térêt '*
Issu d'une tribu obscure des Odzrah en Arabie-
Pétrée, il entra en rapport avec les Khozàa, et obtint
bientôt la confiance de Holayl, leur chef, qui lui donna
la main de sa fille. Mais les tribus des Kinàna, enne-
mis des Khozàa, gagnant tous les jours de l'ascendant,
il se fit leur confédéré-; et, avec leur aide, après une
lutle sanglante, il devint maître reconnu des clefs de la
Caaba et de la ville de la Mecque, qui lui obéit plus de
quarante ans. Quand on parle de la Mecque à cette
époque, le milieu du cinquième siècle de notre ère, il
faut bien savoir qu'il n'y avait point encore en ce lieu
de ville proprement dite : « La vénération des Arabes
pour la Caaba et pour le sol même qui l'environnait
' On ne sait pas au juste la date tle lu naissance ni de la mort de
Cossayy; il mourut vers i80, dans une e\trènie vieillesse, et il cou'
quit le pouvoir vers 440; voir le Sirat-er-raçoid de M. G. Weil, t. 1,
p. 57, et M. Caussin de Terceval, Ensai sur i histoire (Ids Aralh's, ',. l,
p. 2ô5 à 251.
- Un se confédérait avec un liomme d'une tribu diflérente, quand
on jie trouvait pas dans lu sienne tous les avanlayes qu'on désirait.
On aiquérail ainsi tous les droits et on contractait tous les devoirs
de la Irihu dans laquelle on entrait; voir M. A. *^preng:er, l.ife of
Moliainmad, p. 17.
L'ARABIE AVANT I.E MAIIOMETISME. 6^.
était si grande, dit M. Caussin de Perceval', qu'ils n'a-
vaient pas osé jusqu'alors prendre de demeures fixes
ni construire de maisons dans le voisinage de ce sanc-
tuaire. On passait la journée à la Mecque, c'est-à-dire
dans la circonscription du terrain particulièrement
sacré ; mais le soir on s'éloignait par respect. » Cette
enceinte si respectée, le Haram, comprenait toute la
vallée de la Mecque, dont la circonférence est d'une
quinzaine de lieues. Chaque tribu avait dans le Haram,
qui était devenu un véritable asile, ses idoles particu-
lières ; et les Kinâna avaient pu placer la leur, Ilobal,
non loin de la Caaba, au-dessus d'un puits, où elle
recevait presque autant d'hommages que la Pierre
noire elle-même. Aussi Hobal fut-il placé plus lard
par Cossayy dans l'intérieur et dans le trésor de la
Caaba. Al-Làt et Al-Ouzza, si souvent mentionnées dans
le Coran, étaient les idoles des Thagyf de Taïf; d'au-
tres étaient placées sur les collines sacrées de Safa et
de Marvah, comprises dans la ville, et où jadis Agar
avait cherché vainement de l'eau pour étancher la soif
de son fils mourant. C'était donc, comme le dit très-
bien M. A. Sprenger, une religion fédérative ' ; et
nous verrons qu'au temps de Mahomet les idoles
accumulées autour de la Caaba montaient à près de
quatre cents.
Cossayy, investi de la charge du Haram, après de
' Siral-er-raçonl, de M. G. Vieil t. I, p. fll, et M. Caussin de Por-
ccval, Essai sur l'Iiistoire des Arabes, t. I, p. 27>G.
- M. A, Sprenger, Life of Mohammad, p. (>, Allaliabad, 18jI, in-8».
04 MAHOMET, CHAPITRE IT.
longs combats, voulut en assurer tous les privilèges à
lui et à ses successeurs, en s'y fixant par une rési-
dence perpétuelle. Il résolut donc de bâtir une ville
dans le Ilaram ; et comme les Coraychites, craignant
de se souiller d'un sacrilège, bésitaient à abattre les
arbres dont la vallée était couverte, il y porta le pre-
mier la hache pour donner l'exemple, et la ville fut
bientôt bâtie. Il est probable que la Caaba fut aussi
reconstruite ; du moins il paraît certain qu'elle fut
alors pour la première fois couverte dune toiture en
bois. Des quartiers divers furent assignés aux nom-
breuses familles des Coraychites. Cossayy se fit élever
tout près de la Caaba un palais, où une salle avait été
réservée pour les réunions du conseil de la tribu
(Dàr-el-Nadwah) ; mais au lieu de faire un domaine
pubhc de cet Hôtel du conseil, il en resta prudem-
ment le propriétaire, afin de pouvoir en disposer à
son gré pour les convocations. Tout Coraychite ou
confédéré âgé de quarante ans avait droit d'entrée
au conseil. On n'y décidait rien à la majorité des
suffrages, car on n'y votait pas. C'était au plus sage
ou au plus éloquent de faire prévaloir son avis et
d'y amener ses antagonistes par la persuasion, seul
moyen , sans parler de la force, que ces barbares
eussent imaginé pour résoudre les questions d'intérêt
commun.
A ces attributions de gardien de la Caaba et de pré-
sident du conseil de la confédération , Cossayy en
joignit d'autres non moins importantes. C'était lui
1
L'ARABIE AVANT LE MAHOMETISME. 05
qui dans le DAr-el-Nadwah remettait officiellement le
drapeau confédéré (le Livai au chef coraychile chargé
de l'expédition qui avait été décidée ; c'était lui qui
répartissait les fonds de secours (Rifàda) que les Co-
raychites d'après son avis consentaient chaque année
en faveur des pèlerins pauvres -. c'était lui qui devait
distribuer l'eau entre les habitants de la ville et en
pourvoir les innombrables visiteurs qui accomplis-
saient le pèlerinage (Sicàya) ; qui devait diriger leurs
tournées et les cérémonies solennelles à Mina (Ayàni-
Mina), etc. '. Mailre ainsi du pouvoir civil et religieux,
Cossayy jouissait en outre d'un droit qui s'étendait
bien au delà de la Mecque, et qui lui conférait une
sorte de suprématie sur la meilleure partie de l'Ara-
bie : c'était le droit de désigner les mois sacrés ; car
le calendrier des Arabes, ayant été d'abord exclusive-
ment lunaire, avait présenté bientôt de grandes diffé-
rences avec les saisons régulières de l'année -. Le soin
* Sur ces institutions de Cossayy, voir le Sirat-er-raçotil, de M. (;.
Weil, t. I, p. 65, et M. Caussin de Perceval, Essai sur l'histoire des
Arabes, t. 1, p. 255-251; M. A. Sprenger, Life of Mohaiumad. p. 17
et suivantes; M. W. Muir, 1, cciii; M. G. Weil, p. 4. 11 paraît d'après
le Sirat-er-raçoul que Cossayy était poète. Ibn-Ishâc cite plusiiiirs
(le ses vers, entre autres les suivants : « Je suis le fils des forts, des
puissants Bénou Iloueidj; mon séjour est à la Mecque. J'y suis devenu
grand, (l dans la vallée, Maad le sail ; et je trouve mon bonljcur sur
la colline Marva. Je n'aurais jamais été victorieux si 1rs enfants df
Kcidscr et de Nébit ne s'étaient point couverts de gloire. Bizab fut
mon conléJéré; avec lui, je suis le maître et ne redoute aucune iiisulie,
aussi longtemps que je vivrai. » Ibn-Isliàc cite encore plusieurs dis-
cours de Cossayy. empreints de la même fierté. .
- Voir le Mémoire sur le calendrier arabe avant llslamismc, par
M. Malimoud Elfendi, osironome égyptien.
4.
66 MAHOMET, CHAPITRE II.
de rélablir la concordance était un point essentiel, et
il pouvait, dans certains cas, décider des affaires les
plus graves de la nation. En effet, il ne devait pas
être indifférent que la trêve annuelle commençât à
telle éjDoque plutôt qu'à telle autre, ni que le pèleri-
nage eût lieu après ou avant les récoltes. Le moment,
bien ou mal choisi, pouvait tout sauver ou tout com-
promettre. Cossayy disposait donc de la paix et de la
guerre dans la mesure de ce droit.
Sa longue administration, ou plutôt son règne, ne
parait pas avoir été jamais troublé ; il dirigea sans lival
la confédération pendant près d'un demi-siècle, et,
parvenu à une grande vieillesse, il transmit par une
abdication régulière le pouvoir à son iîls aîné,
Abdeddar. Mais à la mort de ce dernier, les Coray-
chites se partagèrent en plusieurs factions, et se divi-
sèrent les dignités que Cossayy avait jadis réunies sur
sa tête. Hàchim , ai rière-grand-père de Mahomet ,
exerça quelque temps les fonctions du Rifàda et du
Sicùya, avec une générosité restée proverbiale \ ('le fut
lui aussi qui institua définitivement la double caravane
annuelle, l'une d'hiver en Yémon, l'autre d'été on
' Le nom mêiiic tl'llàcliim lui lut donné comme lcmoij;na{:e de sa
miinificcnce. Il signilic donneur de pain, donneur de miettes; et il
rappelle la générosité et la richesse de celni qui, pendant une fa-
mine, avait nourri presque tous ks liahitants de la Mcaïue. Antérieu-
rement le nom d'Ilàchim était Anu". Pour que l'on pût aisément
puiser de l'eau à Zemzom, il avait fait faire des réservoirs en cuir,
qui passèrent à cette époque pour des merveilles de l'art. Mais Abd-
el-Mouttalib les remplaça par des auges et des réservoirs en pierre.
L'ARABIE AVANT LE MAHOMÉTISME. 67
Syrie. Abd-el-Mouttalib, grand-père du prophète, ne fut
guère moins magnifique, et il sut si bien restaurer et
aménager la source de Zemzem qu'elle ne servit plus
qu'à la boisson des Coraychites, et que les autres puits
de la cité purent être exclusivement consacrés à des
usages domestiques. Abdallah, fils d'Abd-el-Mouttalib
et père de Mahomet, mourut trop jeune pour jouir
d'aucune des dignités qui depuis quatre générations
étaient héréditaires dans sa famille; et voilà comment
Mahomet, issu d'ancêtres illustres et puissants, n'eut
qu'un patrimoine très-étroit, et fut élevé successive-
ment chez son grand-père et chez ses oncles, qui étaient
au nombre de dix ou douze.
Ces détails, tout succincts qu'ils sont, montrent
quels éléments trouva Mahomet quand il entreprit
d'organiser le peuple arabe et de l'unir en un corps de
nation. En voici d'autres qui attestent que sa réforme
religieuse a\ait été précédée par quelques tentatives
moins heureuses que la sienne, mais assez semblables,
et indiquant le besoin généralement senti d'une ré-
novation morale.
Depuis Abraham, il s'était toujours trouvé parmi
les peuplades arabes quelques adorateurs du Dieu
unique, et le Coran en cite plusieurs comme les de-
vanciers et les exemples du Prophète. C'est Houd ,
chez les Adiles ; c'est Saleh, chez les Thamoudites ;
c'est Choaïb, chez les Madianites, qui, sans parler des
patriarches bibliques, ont prêché la vraie foi et n'ont
pas été écoutés de ceux auxquels ils adressaient leurs
68 MAHOMET, CHAPITRE II.
sages conseils *. Ces grandes notions, oubliées par les
peuples, s'étaient conservées pour quelques adeptes;
et au temps même de Mahomet, ces gens éclairés mais
peu nombreux s'appelaient des Hanyfes ^ Ils étaient
restés fidèles à la foi d'Abraham, et ils prétendaient
même avoir conservé les volumes (Çohof) et les rôles
quil avait reçus des mains de Dieu. Le Coran cite
très-souvent ces rôles et ces volumes d'Abraham ,
qui existaient encore du temps du calife Hàroûn al
Piascliid, et qui furent alors traduits du chaldéen en
arabe, par un auteur qu'a retrouvé M. A. Sprenger ^.
Il y a môme des commentateurs qui ont cru recon-
naître dans le texte du Coran des traductions partielles
des çohof, et l'on ne peut nier que la sourate lui, par
' Il y a une sourale. la onzième, qui porte le nom de Houd. et qui
est en grande partie consacrée à son histoire et à celle des autres en-
voyés de Dieu, méconnus et persécutés comme lu'. Dans la sourale xr,
vei-set5'2, Houd parait venir assfz peu de temps après Noé. et Userait
ainsi antérieur à Abraham lui-même; mais il n'y a pas ii tenir compte
de la clironologie du Coran. Dans la sourate vu, verset 05, Houd vient
encore après Noé. Pour Saleli, voir la sourate vu, verset "il, et la sou-
rate XI, vei-î-et 64; pour Clioaib, sourate vu, verset 8"i, et sourate xi,
verset 8.'). A ces trois envoyés de Dieu que Mahomet semble vénérer
profondément, succède Moïse, plus firand qu'aucun deux, et dont le
Coran parle avec autant de respect que la Bible elle-même. Voir plus
loin les Extraits du Coran, chapitre des Prophètes.
* M. A. Sprenfrer. Vas I.eOen nnd die Uhre des Mohammad, t. I.
p. 4.") et suiv., s'est occupé des hanyfes plus que personne avant lui.
Il ne faut pas confondre les hanyfcs avec les hanyfiles. secte venue
beaucoup plus tard.
* M. A. Sprenger, Das l^hen und die l.ehre des Mohammad, t. I.
p. 40. Cet auteur se nommait Ahmad. fils d'Abdallaii, fils de Salàm.
M. A. Sprenger a découvert lui-mèmiim fi-agment de ces prélenius
rôles dAbraliam, et ce fragment figure sous le n" 4iG de la llihlii*-
Ihfca orieiilali!< Spreiiijrriana: voir 31. A. Sprenger, ibid. ji M.
L'ARABIE AVANT LE 5IAH0METISME. 60
exemple (versets 57 à 55), ne semble bien en faire
une sorte d'analyse. C'est au fond la doctrine que
prêcha plus tard le prophète ; et ce rapprochement est
digne de l'attention la plus curieuse \
Comme le mot d'iianyfe se reproduit au moins jus-
qu'à douze fois dans le Coran, et que Mahomet lui-
même se décerne ce titre, non sans quelque orgueil,
M. Sprenger s'est efforcé savamment d'en pénétrer le
véritable sens; et ses recherches ont abouti à confondre
à peu près cornplétement l'idée d'hanyfe avec celle de
musulman. L'hanyfe est l'homme pieux qui ne croit
qu'au Dieu unique, et qui est soumis avec la plus
parfaite abnégation à sa volonté suprême. L'Islam
n'est pas autre chose ; c'est une absolue soumission à
la volonté divine. Abraham, quand il se dispose à im.-
moler son fds, Isaac quand il se soumet sans mur-
mure au sacrifice, sont l'un et l'autre des hanyfes,
des musulmans ; ils sont des disciples de l'Islam
(Coran, sourate xxxvu, verset 105). Aussi M. A. Spren-
ger a-t-il pu dire que l'Islam avait été prêché avant
Mahomet en Arabie -, et Mahomet a-t-il [lu déclarer
♦ M. A. Sprenger, if>i(i, p. (iO, a traduit cette partie de la sou-
rale u:i; il a traduit aussi la snurate lxxxvii (versets 1 à 5 et 14 à 19)
où les commentateurs croient retrouver des fragments des çohof.
Toutes ces rcclierches sur les hanyfes sont absolument neuves, et
M. A Sprenger a le mérite dcn avoir senti le premier toute l'impoi--
tnnce. Il a pu dire avec quelque raison que jusqu'à lui l'existence
des lianyfes avait été com[plélement ignorée. //»«/, p. 45. Mais M. Caussin
de Perceval, t. I, p. 7125, avait déjà touché ce sujet avant M. A.
Sprenger.
- M. A. Sprenger, I) .<< irhen, cic. t. I, p. 71 ol 7i. Il rcui;u(pio
70 MAHOMET, CFIAPITRF IT.
en propres termes qu'il y avait eu l)ien des musul-
mans avant lui '. Ce qui est certain, c'est que de
son temps il y avait à la Mecque des hanyfes qui
pressentaient comme lui la nécessité d'une religion
nouvelle, qui la cherchaient avec grande ardeur,
et qui, ne la trouvant pas au gré de leurs désirs
impatients, inclinaient par une pente assez naturelle
soit à la religion juive, soit à la religion chrétienne;
car l'une et l'autre se rattachaient à l'antique foi
d'Abraham.
Ibn-Ishâc- rapporte une anecdote qui fait bien voir
où en étaient les aspirations des hanyfes et leur répu-
gnance pour l'idolâtrie de leurs grossiers compa-
gnons. « Les Coraychites, dit-il, s'étaient un jour
réunis autour d'une de leurs idoles^. C'était une
de celles qu'ils honoraient par le sacrifice des vic-
times; c'était près d'elle qu'ils s'assemblaient pour
que parmi les contemporains de Mahomet on pourrait en nommer au
moins une douzaine qui avaient renoncé à l'idolâtrie, et qui comp-
taient parmi les hanyfes. M. A. Sprenger donne sur les principaux
d'enlrc eux quelques notices pleines d'intérêt.
' Coran, sourate xxvni, verset 55. On pourrait trouver dans le Coran
beaucoup d'autres passages analogues, où Mahomet se présente pour
un continuateur bien plutô'. que pour un novateur. Il vient restaurer
la foi de Noé, d'Abraham, de Moïse, de Jésus même; il ne vient ni
les contredire, ni les reinplicer ; il leur succède. Voir plus loin les
Extraits du Coran, cliai)iire des Proplictes.
- Voir \c 6irat-er-raçoul de M. G. Weil, t. I, p. 107 et suiv.
^ M. Caussin de Perceval, Essai sur l'Iiistoire des Arabes,, t. I,
p. 321, suppose que celte idole est Al-Ouzza; M. .\. Sprenger croit que
c'est plutôt l'idole Bowàua, qui joue encore un rôle dans la vie de
Zeid, fils d'Amr. Ce détail n'a pas d'importance. L'anecdote n'est pas
rapportée par M. Caussin de Perceval tout à fait dans les mêmes
termes; j'ai suivi la version de M. A% Spreng'er. ,
L'ARABIE AVANT LE MAHOMÉTISMÊ. H
célébrer leurs cérémonies religieuses, el (ju'ils avaient
riiabilude de converser entre eux. Cette réunion
avait lieu tous les ans à jour fi.ve, et c'était une
grande fête. Cependant une fois quatre personnes se
tinrent à l'écart, et sous le sceau du secret elles se
communiquèrent les pensées intimes qui les agi.
talent. Ces hommes étaient Varaka, lils de Naufal, fils
d'Asad, neveu de la première femme du prophète
(Khadîdja) ; Othmân, fils d'Alhouveyreth, son cousin;
Oubeïdallah, cousin germain de Mahomet : et enfin
Zeid, fils d'Amr. Ils se dirent donc entre eux : « Nos
« concitoyens sont dans Terreur, et ils pervertissent
« la vraie religion de leur père Abraham. Pouvons-
« nous comme eux tourner autour d'une pierre qui
« n'enlend ni ne voit rien, et qui ne peut faire ni
« aucun bien, ni aucun mal? Cherchons une foi meil-
« leure que celle-lù. » Ils abandonnèrent donc leur
patrie et ils voyagèrent dans les pays étrangers pour
y trouver la religion des hanyfes, la religion véritable
d'Abraham ^ »
Ces quaire personnages, d'un esprit si indépendant
et si élevé, ont été en rapports suivis avec Mahomet,
' Il parait Ijien ([ue ccUe anecdolc a cié recueillie d'abord par
Ibii-Isliàc, et qu'elle a été répélLe d'après lui. Les dcclriucs de ces
liunjfes sont tout ù fait analogues à celles du Coran, et les expres-
sions mômes qu'on leur i)rêted3ns leurs critiques contre l'idolâtrie se
retrouvent souvent dans la Louche de Mahomet. On pourrait citer
une foule de sourates où l'impuissance des idoles est signalée dans
les mêmes lermes.
72 MAHOMET, CHAPITRE H.
et l'on ne peut douter qu'ils n'aient exercé une réelle
influence sur lui. Ce qu'il y a de très-remarquable,
c'est que la plupart d'entre eux se firent chrétiens,
après quelques hésitations. Yaraka fut le premier à se ■
convertir, et il se rendit même assez fameux par la
connaissance étendue qu'il acquit des saintes Ecritures. ■
Oubeïdallah conserva plus longtemps des doutes : et 1
quand il entendit Mahomet prêcher sa doctrine nou-
velle, il se rangea parmi ses disciples; il fut un de
ceux qui, menacés d'une persécution plus rigouieuse,
se réfugièrent en Abyssinie'. Mais là il abandonna
l'Islam pour embrasser le christianisme, dans le sein
duquel il mourut. Mahomet crut devoir épouser sa
veuve Oumm Habyba, fille du puissant Aboii Sofyàn.
Othmàn, lils d'Alhouveyreth, fut conduit par ses
voyages à la cour des empereurs de Conslantinople;
un l'y traita avec une grande distinction, et il ne
tarda pas à s'y faire chrétien, mêlant d'ailleurs à ses
' M. A. Spreiii^or a consacré un curieux appendice de son deuxième
volume, pages 41 cl suiv., à la fuite des premiers disciples en Abys-
ainic. Il y eut deux émijiratious : la première composée de douze
hommes et de quatre teunnes; la seconde, de quatre-vingt-trois
lionmies et de dix-liuit lemmes. sur lesquelles onze élaienl Coraychites.
Les auteurs, du reste, \arient sur ces nombres sans que les différences
soient très-considérables. Il parait bien quOubeïdallah faisait partie
de la seconde émigration. Dans lu liste des émigrés, dressée par M. A.
Si)renger, t. II, p. 102 et Kiô, Oubeïdallah est le sixième, et il est
compris parmi les confédérés des Onimyades, et son nom y est suivi
de celui de sa femme. Cette liste est intéressante en ce quelle montre
qu'à cette époque déjà Mahomet avait conquis une foule de disciples
fervents dans les familles les plus illustres cl les plus puissimtcs Aussi
le souvenir de la fuite en Abyssiiiie lieut-il une grande place parmi
les traditions les plus chères à la piété musulmane.
L'ARABIE AVANT I.E MAHOMÉTISME. 75
croyances religieuses des projets politiques et une ar-
dente ambition ^
Zeïd, lils d'Amr, est un personnage qui est plus in-
téressant encore qu'aucun de ceux qui précèdent, et
dont le prophète a pu emprunter davantage. Il resta
toute sa vie un pur hanyfe, et tout en ressentant la
plus profonde vénération pour le judaïsme et pour le
christianisme, il ne se donna ni îi l'un ni à l'autre.
11 s'était fait comme une religion personnelle, et il
n'offrait ses adorations qu'au Dieu d'Abraham. Il blâ-
mait énergiquement les erreurs de lidolâtrie contem-
poraine, ne sacrifiant jamais aux idoles, et ilchercluiit
à corriger la barbarie des mœurs au milieu desquelles
il vivait ; il s'élevait surtout avec force contre l'affreuse
coutume, fort répandue de son temps, d'enterrer les
filles toutes vivantes, coutume que Mahomet seul put
déraciner. Souvent on le voyait, le dos appuyé sur la
Caaba, adresser ses conseils et ses reproches à ses com-
patriotes ; et il disait à haute voix : « Oui, j'en jure par
celui qui tient mon existence entre ses mains, je suis
le seul parmi vous tous qui suit la religion d'Abra-
ham. » Puis il ajoutait: «0 Allah, si je savais quelle est
la forme d'adoration qui te plaît le mieux, je la prati-
querais: mais je ne la connais pas-. » Entraîné par
♦ M. A. Sprcnj,'cr, Daslj'l'cii, <^lc.. t. I, p. 80.
- Celle tradition venait d'une fille d'.Mjcn-lîccr. Asnia , lafiuelic
l'avait transmise à son Gis Ouna, lequel l'avait transmise a son fils
llishàm. de qui la tenait Ibn-Isliàc; \oir le Sirat-er-raçotil de M. G.
Moil, t. I. p. 108.
5
74 MAHOMET, CHAPITRE II.
son enthousiasme, Zeïd, filsdWmr, avait entrepris des
voyages, comme ses trois amis ; et il revenait de Syrie
à la Mecque pour y entendre le prophète annoncer la
pure religion d'Abraham et des patriarches, quand il
l'ut tué, dit-on, sur la frontière du Ilidjaz par une
troupe de Bédouins'. Selon d'autres témoignages, il
rentra di.ns sa patrie, y vécut encore de longues an-
nées, et se relira sur la fin de sa vie dans un des ermi-
tages du mont Hirà, près de la Mecque.
Ce qui distingue surtout Zeïd, fils dWmr, c'est
qu'il èlait poète à la façon dont le fut plus tard Maho-
met. Il reste de lui des vers, conservés par Ibn-Ishàc
et Ibn-Hishâm, qui ne dépureraient pas le Coi:an, si ce
n'est pour l'expression, du moins pour la pensée.
Zeïd y célèbre dans les termes les plus précis le Dieu
unique, le miséricordieux, qui pardonne les péchés,
qui soutient les bons et châtie les méchants. Il attaque
le culte des idoles auxquelles il a renoncé ; il ne croit
plus ni à Làt, ni à Ouzza, ni à ses deux filles ; ces slu-
pides divinités n'ont eu ses hommages qu'au temps
où il n'avait pas encore de raison. Ces superstitions
honteuses ont disparu de son esprit, comme dispa-
' M Caiissiu de Perceval. l. 1, p. 3'2ti, .-e Halte avec toulc justice
dav.ir le premier signalé rimporlance de Zeïd, filsdAmr: a Pcr-
soiiii;ij;e iiiléres.-aiil, dit-il, qui lut on quelque sorte le précurseur de
MahoMiel. et dout l'exisleiioe, dif-ue dallent ou à ce litre, était restée
jusqu'ici presipie ignorée des i-avauls européens. » M. A. Spreiiger,
t. I, p, 82, a complété ces renseigiiemenis en traduisant dos poésies
de Ztïd, d'apris le Siral-er-ruçoid; \oir M. G. Weil, t. I, ji. IDO et
suiv.
L'AIiADlE AV.ViNT LE MAHOMÉTISME. 75
laissent les rêves de la nuit ou les illusions des té-
nèbres. Mais l'homme qui a fait une faute peut se re-
lever un jour, comme l'arbuste tlétri peut reverdir
quand la pluie vient à le ranimer. Zoïd ne veut plus
connaître désormais que le Dieu créateur de la terre
et des cieux, son seul refuge et son seul appui, le
Dieu dont il veut être à jamais le serviteur et le fidèle
esclave, prêt à faire tout ce qu'il lui ordonnera ; car c'est
la piété et non la puissance qui assure à l'homme,
pauvre et faible créature qu'il est, la vie et la félicité
éternelles'.
Zeïd, fils d'Amr, passe pour avoir été le maître de
ses trois amis, Othmân, Oubeydallah etVaraka. Le fa-
meux Omar était son neveu ; et il est probable qu'il ne
fut pas sans action sur lui, bien que la sauvage éner-
gie d'Omar ne se soit adoucie que devant la parole du
prophète. Du reste, si l'on s'en rapporte à la tradition,
Mahomet lui-même s'est toujours montré plein de
respect et presque de reconnaissance pour Zeïd, fils
d'Amr. Un jour, pressé par Omar de prier pour Tàme
de Zeïd, le prophète répondit : « Je prierai pour lui ;
* Je ne peux ici qu' analyser tiès-bi-ièvcineiit les poésies de Zeïd,
lils d'Amr; mais ce résumé, tout abrégé qu'il est nécessairement, en
fait bien voir le caractère. On peut les lire tout au long dans l'ou-
vrage allemand de M. A. Sprenger, t. I, p. 8"> et suiv., et comparer
sa traduction à celle de M. G. VVeil. Le génie de Zeïd a beaucoup
moins d'énergie et d'éclat que celui do Maliomet; mais au fond ce
sont absolument les mêmes idées : c'est le culte do Dieu unique, tel
qu'il s'est révélé aux prophètes antérieurs. Seulemenl Zeïd, lils d'Amr,
ne se croit i)as l'Envoyé de ce Dieu, et il no pai le qu'en son propre
nom.
76 MAHOMET, CHAPITRE II.
mais au jour de la résurrection, Zeïd formera à lui
seul toute une église ^ » Une autre fois le prophète
dit qu'il avait vu Varaka sur le bord d'un des fleuves
du Paradis, où il jouissait d'un bonheur inaltérable,
parce qu'il avait coutume de dire durant sa vie : « Ma
religion est la religion de Zeïd ; et mon Dieu est le
Dieu de Zeïd-. » Ainsi Mahomet sentait bien toute la
valeur des doctrines religieuses que Zeïd professait, et
M. A. Sprenger n'a peut-être rien exagéré en disant
que tout ce que nous savons de Zeïd, fils d'Amr, se
retrouve dans le Coran ^.
Parmi les hanyfes contemporains de Mahomet, on
cite encore Ommayya, fils de Aby-s-Çalt, né à Tàïf, à
deux journées de marche au sud de ia Mecque. Om-
mayya était le plus distingué des poêles de son temps,
et il semble que ce talent était héréditaire dans sa la-
mille ; car son père s'était illustré aussi en ce genre.
Il reste quelques vers d'Ommayya cités par divers au-
* M. A. Spit'iiyef. Das Leben, etc.. t. I. p. sri. M. A. Spreng:er n'in-
di(iue pas de (pii vient celle précieuse tradition. Elle a été con-
servée par Ihn-Ishàe dans le !sirat-er-raçonl; voir la traduction de
M. G. Weil, t. I, p. lOi).
- Ce second Hàditli est tiré de l'Içàba, ce dictionnaire biographique
des compagnons du Pro|)lièle, que M. A. Sprenger a si heureusement
découvert; voir plus haut. p. 24.
5 Ce serait certaiiienienl une étude fort difficile, et il serait assez
périlleux de faire ces distinctions dans le Coran. M. A. Sprenger eût
(Hé plus propre que personne à cette recherche délicate. Il a partagé
le prix proposé par l'Académie des inscriptions et belles-lettres sur ia
lonqiosition du Coran; mais je ne sais si dans son mémoire il a
traité ce point spécial des rapports de Zeïil. lils d'Amr, avec Ma-
iionii't.
L'ARABIE AVANT LE MAHOMETISME. 77
leurs ^; mais ils ne suffisent pas pour bien faire ap-
précier ni ses doctrines ni son génie. Persuadé,
comme tout le monde Tétait en Arabie à cette époque,
qu'il paraîtrait bientôt un prophète, il se crut quelque
temps destiné à ce rùle glorieux, et lorsque Mahomet
1 M. A. Sprenger, Bas Leben iind die l£hre des Mohammad. t. I,
p. lllt à 119. a consacré un appendice à Ommayya. fils d'Abyl-s-Çalt,
f-t il a donné d'après les auteurs arabes à peu près tout ce qui reste
de lui. Le fragment le plus long et le plus remarquable peut-être est
une élégie où Ommayya rappelle à un de ses lils les soins qu'il a
pris de lui durant son enfance, et semble lui reprocher son ingrati-
tude .Le sentiment de cette pièce est vraie, et l'expression en est très-
toucbante. Il est probable que dans l'original le style doit être digne
de la réputation du pcëte. La tradition a conservé aussi quelques dé-
tails assez curieux sur la mort d'Onunayya et sur les dernières pa-
roles qu'il avait prononcées. Voir l'appendice qui vient d'être cité. On
trouve encore dans \e Sirat-er-raçoul, traduciion de M. G. Weil. t. I,
p. 5. un très-bel hymne à Dieu, que Ibn-Ishâc attribue à Zeid. fils
d'Amr, et que Ibn-Hishàui attribue à Ommayya, au moins en grande
partie. Si c'est Ibn-llisbàin qui a raison, les doctrines d'Ommayya au-
raient été tout à fait semblables à celles de Zeid. Voici cet hymne :
« Je ne cesse tant que je vis d'adresser à Dieu louange, honneur et
parole reconnaissante, à Dieu le Roi des rois, qui n'a au-dessus de
lui ni maître ni dieu qui en approche. 0 homme! pense à la mort;
tu ne peux rien cacher à Dieu ; garde-loi de mettre à côté d'Allah
d'autre dieu que lui; le chemin de la vérité est maintenant bien
clair. Sois doublement béni; ils placent leur espoir dans les Djinns, et
toi, Allah, notre maître, tu es mon espoir. Je mets mon bonheur en
loi, Allah, comme mou Seigneur; car je ne vois pas de dieu en dehors
de toi. im autre dieu à qui je puisse croire. C'est loi qui par bonté et
par mi.-iéricorde envoyais un messager à Moïse pour qu'avec Aaron ils
appelassent ensemble à Dieu le Pharaon infidèle. Qu'ils lui demandent
s'il aurait pu étendre la terre et la faire tenir telle qu'elle est sans
appui, et si c'est lui qui a élevé le ciel sans colonne?; il serait aloi'S un
bien bon architecte; si c'est lui qui a rendu brillante la moitié des
cieux, pour que la lumière servît de guide durant la nuit. On il dise donc
à qui on doit le soleil l- matin, pour «[ue la terre à qui il appartient soit
éclairée. Qu il dise qui fait pousser la semence diins \o sol, qui fait
78 MAHOMET, CHAPITRE II.
annonça publiquement sa mission, Ommayya ne man-
qua pas de le combattre, bien moins encore comme
un imposteur que comme un rival. 11 dirigea contre
lui quelques satires Irès-mordantes qui le blessèrent
vivement. Par représailles, le propbète proscrivit les
poésies d'Ommayya; mais elles étaient si populaires
et si répandues, que malgré celte proscription solen-
nelle, la tradition les conserva longtemps encore après
la mort de Mabomet. D'ailleurs Mabomet lui-même,
malgré sa juste colère, était sous le charme; on l'en-
tendit plus d'une fois réciter des vers d'Ommnyya
avec admiration ; et il disait souvent : « Le langage
d'Ommayya est admirable ; mais c'est son cœur qui
est mauvais. C'est un croyant dans ses poésies ; c'est
un infidèle dans le fond de son àme. » Ce ne fut d'ail-
leurs qu'après le combat de Bedr que Ommayya se
brouilla définitivement avec le prophète; car il avait
fiiit une élégie en l'honneur des guerriers morts dans
celte fameuse journée \
pousser les piaules en Umi sens et leur lait porter de nouveau la
semence à leur sommet. Il y a là des signes pour ceux qui jiensent
Dans ta bonté, tu as sauvé Jonas après qu'il eut passé des nuits dans
le ventre d'un poisson. Si je loue ton nom, Seigneur, je te demande
au.ssi de me pardonner mes péchés. Maître des esclaves, accorde-moi
ta prracc et tes dons. Bénis ma maison et mes enfants. »
' D'après quelques commentateurs arabes, il y aurait dans le Coran
tout un lonp- pa.ssagequi s'appliquerait àOmuiayya, bien qu'il n'y soit
pas nommé; c'est dans la sourate vn, versets 17i à 18(i. Il est pos-
sible fine celte liypolbèse se fonde sur quelque tradition certaine;
mais l'allusion est bien obscure, et il est à craindre qu'ici, comme
il est arrivé souvent ailleurs, les comiuontateurs n'aient substitué
leur propre pensée à celle de l'auteur ori^iinal. Voici le verset 17i :
J/ARAHIE AVANT LE MAIIOMETISME. 79
Tel élail le milieu moral, oivil, politique et reli-
gieux dans lequel allait paraître Mahomet ; tels élaient
ses précurseurs et ses contemporains, ses rivaux et
ses futurs disciples; en un mot, les éléments qu'il
avait à coordonner et dont il devait se servir, pour les
inspirations de son génie ou pour les desseins de son
ambition. Ces éléments étaient nombreux et les germes
tout prêts à éclore. Il ne fallait qu'une main puissante
pour les féconder. Les Hanyfes pouvaient se croire
les fils et les successeurs d'Abraham ; mais leurs doc-
trines étaient encore moins juives que chrétiennes.
Ils subissaient, sans le savoir, l'intluence de ce grand
mouvement, qui ne pouvait se passer si près d'eux sans
les toucher. C'était aux patriarches de la Bible que les
Hanyfes rapportaient leur foi ; et en cela ils ne se
trompaient pas; mais sans la rénovation des croyances
judaïques par le christianisme, la foi d'Abraham mé-
connue et oubliée depuis tant de siècles n'aurait pu
renaître. Les Hanyfes sont des demi-chrétiens, comme
Mahomet le sera lui-même en recueillant et en
agrandissant leur hérilage, aussi sincère et aussi
« Récite-leur (aux Juifs) l'histoire de celui auquel nous avons fait
voir un signe, et qui s'en détourna pour suivre Satan, et qui fut ainsi
parmi les égarés. » Verset 175 : a Or si nous l'avions voulu, nous
l'aurions élevé par ce miracle; mais il demeura allaché à la terre, et
suivit se^ passions. Il ressembla au cliicn i|ui aboie quand tu lui don-
nes la chasse, et qui aboie encore quand tu t'éloignes de lui, etc. »
11 n'est pas impossible, sans doute, que ces criliiiues acerbes s'adres-
sent à Ommayya; mais ce n'es! pas démontré. Du reste je dois dire
que M. A. Sprougor, si bon juge en ces matières, accepte sans hésiter
la tradition des commentateurs.
80 MAHOMET, CHAPITRE II.
ignorant que ses précurseurs. Le Coran peut l'attester
dans une foule de passages, où il exprime pour le
Clirist, fils de Marie, le plus profond respect et la plus
vive admiration*.
* Voir plus loin les Extraits du Coran, chapitre des Prophètes.
CHAPITRE II
CARACTERE DE MAHOWET
Quelques détails île la vie de Mahomet ; il n'a jamais connu son père
AM-AUah ; orphelin de sa mère à six ans ; recueilli par son grand-
père eV son oncle; sa jeunesse chaste ; ses médilalions pendant qu'il
garde les troupeaux; associé à la ligue des Foudlioùl; El-amîn ; son
mariage avec Khadidja ; son portrait à vingt-cinq ans ; son bonheur
domestique; pose de la Pierre noire; considération dont Mahomet
est dès loi's entouré. — Sa vocation et ses premières visions ; son
trouble extrême ; il est rassuré par Khadidja et YaraUa ; visions
nouvelles ; l'ange Gabriel en rêve ; le Fitreh ; réalité de l'inspiration
de Mahomet; premières conversions; prédications secrètes; fuite
des premiers musulmans en Abyssinie ; luttes de Mahomet contre les
Coraychites durant dix ans; conversion des gens de Yathrib ; ser-
ments d'Acaba. — Hégire ou fuite de Mahomet à Médine ; il a alors
cinquante-deux ans. — Organisation de la religion nouvelle à Mé-
dine; bataille de Bedr ; victoire des musulmans sur les Coryachitcs
idolâtres ; ardeur sanguinaire de Mahomet, excusée par les mnjurs
de son temps ; les femmes de la Mecque à la bataille d'Oliod ; clé-
mence naturelle de Mahomet ; traits nombi'eux de magnanimité et
de miséricorde ; sa rentrée à la Mecque en 050 ; sa douceur égale à
son habileté ; autorité morale qu'il exerce sur les siens ; son allocu-
tion aux Ansàr de Médine; destruction des idoles à laCaaba; pèle-
rinage d'adieu; son dernier sermon aux musulmans sur le mont
Arafat ; sa maladie ; sa mort, outre les bras d'Ayésha.
Je ne prétends pas faire ici une ])iographie de Malio-
inet, même fort abrégée; ce serait un soin assez inu-
82 MAHOMET. CHAPITRE III.
tile, après celui que j'ai pris au début de cet ouvrage.
D'ailleurs la vie du prophète est trop connue pour
qu'il y ait à en rappeler de nouveau les détails ; et, si
Ton désire les retrouver tout au long, c'est à ses ré-
cents historiens qu'il faudrait recourir. Mais je veux
m'arrèterau caractère de ce grand homme, et l'étu-
dier suffisamment pour bien comprendre, par ce qu'il
a été réellement, l'influence extraordinaire qu'il a
exercée sur ses contemporains et sur la postérité. Je
voudrais prouver, etje crois n'y avoir pas trop de
peine, que Mahomet a été le plus intelligent, le plus
religieux, le plus clément des Arabes de son temps,
et qu'il n'a dû son empire qu'à sa supériorité ; je vou-
drais prouver que la religion nouvelle, prêchée par
lui, a été un immense bienfait pour les races qui l'ont
adoptée, et que cette religion, tout inférieure qu'elle
est au christianisme, mérite beaucoup plus d'estime
qu'on ne lui en accorde généralement.
Seulement il ne faut jamais isoler Mahomet du mi-
lieu dans lequel il a paru; et l'on doit se souvenir tou-
jours qu'jl s'agit de l'Arabie au septième siècle de
notre ère, et non plus de ce monde gréco-romain, qui
est sans doute un incomparable modèle, mais qui ne
peut pas être cependant le type exclusif de l'huma-
nité. Rien n'égale le monde chrétien; mais on peu!
encore être très -grand, tout en restant fort au-dessous
(le lui, par une imitation louable quoique incom-
plète.
L'enfance de Mahomet paraît avoir été très-malheu-
CARACTERE DE MAHOMET. S."
reuse ; il ne connut jamais son père Abdallah, mort
deux mois environ avant sa naissance. Sa mère Amina
ne put l'allaiter elle-même que quelques jours, et elle
dut le confier à une nourrice, Halimah, des Bénou-
Saad, qui consentit à s'en charger, non sans difficullé,
parce qu'il était orphelin, et qui l'emmena dans le dé-
sert, assez loin de lu Mecque. Mais à peine était-il sevré,
vers l'âge de deux ans, que cette femme inquiète de
certains accidents dans la santé de Tenfant^, d'ailleurs
très-fort, dut le rapporter à sa mère. Amina reprit
son fds avec la plus vive tendresse, et elle le soigna à
l'aide d'une esclave noire Oumm-Ayman, pour qui Ma-
homet conserva toujours un vif attachement. Il avait
six ans environ quand il perdit sa mère, morte an re-
tour d'un voyage à Vathrih, où elle était allée présen-
ter son fils à une partie de sa famille. L'enfant fut re-
cueilli par son grand-père Abd-el-Moultalih, qui lui
montrait une affection toute particulière, et qui se
plaisait souvent à lui prédire de hautes destinées.
Mais cette protection même devait bientôt, comme les
1 D'un nccidentassez mal constaté qui était arrivé àl'enlant, on a con-
clu que Mahomet a\ait eu dès lurs une attaque d'éjiilepàie, prélude de
deux ou trois autres qu'il parait avoir éprouvées beaucoup plus tard dans
son âge mûr. Là-dessus la légende malii métane a Làti la fable des
deux anges qui auraient ouvert le ventre de l'entant, et auraient purifié
son co'ur en lui enlevant la tache noire, signe du péché originel. Pour
jusiilior cette invention absurde, les commentateurs musulmans al-
légoient la sourate xciv, verset 1, qui commence ainsi : « N'avons-nous
pas ouvert Ion cœur, et ôlé le fardeau de tes épaules? » Ceci montre
une fois de plus comment se forment les légendes populaires. Voir le
récit d'IIalimali, la nourrice dan< le Siral-er-raçoid. traduction de
M.;G. Weil, t. I, p. 77.
84 MAHOMET, CIlAriTRE III.
autres, manquera l'orphelin; Ahd-el-Mouttalib mou-
rait trois ans plus tard» : et Mahomet âgé de huit ans
était remis à la garde de ses oncles, et spécialement
à celle d'Abou-Tàlib, qui jouissait d'une grande con-
sidération, comme chef du Kifàda ou administration
des secours à donner aux pèlerins.
Ainsi la vie de Mahomet commença par de rudes
épreuves, qu'augmentait encore la pauvreté. A la
mort de sa mère, il ne reçut pour tout héritage que
sa fidèle esclave, un troupeau de moutons et cinq cha-
meaux ; et tout en appartenant à une famille illustre
et puissante, il passa sa jeunesse, après son enfance,
dans un état voisin de la misère. De là, sans doute,
ces habitudes de simplicité et de tempérance désinté-
ressée, qu'il observa toujours rigoureusement et qui
lui concilièrent le respect de tous. On sait peu de traits
de celte époque de sa vie. Il aœompagnait ses oncles
dans leurs voyages et dans leurs expéditions guer-
rières -. Il y prenait part sans grande activité, avec
beaucoup plus de docilité que d'ardeur, sachant se
* Abd-el-Moultalib avait six filles, qui toutes tirent une pièce de
vers sur la mort de leur père. Le Sirat-er-raçoul cite ces divei'scs la-
mentations; traduction de il. G. VVeil, t. I, p. 81 ot suiv.
* Il paraît que dans xme de ces expéditions faites à l'occasion des
guerres de Fidjàr ou guerres sacrilèges, le jevme Mahomet ramassait
jes flèches de fcs oncles, pendant le combat de Nakla, et les leur re-
mettait. Ceci se comprend s'il n'avait alors que quatorze ans, comme
le croit M. Caussin de Pcrceval, Essai sur l'histoire des Arabes, t. I.
p. 507 ; mais ce serait la preuve d'un courage bien peu ardent s'il
avait en effet vingt ans, comme le soutient M AV. Miiir, d'après les
auteiu-s arabes les plus autorisés, The Life of Mahomet, l.ll, p. C, et
le Siral-er-raçoul, traduction de M. G. Weil, t. I, p. 89, Aussi M. Muir
CARACTERE DE MAHOMET. 85
faire aimer de tout le monde et inspirant le plus vif
intérêt aux hommes distingués avec qui il se trouvait
en rapport'. A vingt ans, il gardait encore les trou-
peaux, fonction presque humiliante pour les hommes,
et qu'on laissait habituellement aux jeunes filles des
tribus. Mahomet se plaisait à rappeler plus tard que
Moïse et David, tous deux prophètes, avaient été des
bergers comme lui ; et.il est probable que ces occu-
pations nonchalantes convenaient à l'esprit méditatif
et rêveur du jeune homme. Elles ne faisaient d'ail-
leurs qu'ajouter à la solidité de son caractère, qui était
d'une maturité précoce, et qui donnait déjà tant de
confiance à tous ses compagnons qu'ils lui décernaient
le surnom d'El-Amîn, « l'homme sûr, l'homme fidèle. »
Loin des trop faciles plaisirs de la ville, ses mœurs
restèrent irréprochables, et sa jeunesse se passa dans
une chasteté qui parait avoir été absolue, bien qu'elle
ne fût pas sans combats ^
croit-il pouvoir dire que «le courage physique et l'audace martiale
sont des vertus qui ne distinguèrent jamais le prophète, à aucune des
périodes de sa vie ».
* Témoin la prédiction du moine de Bosra, sans parler de celle
de son grand-père Abd-el-MouUaliL; voir M. Caussin de Perceval,
Essai, etc., t. I, p. 520.
^ On [.eut lire dans M. W. Muir, Tlie Life of Mahomet, t. II, p. li, le
récit de deux courses nocturnes que fit le jeune homme pour aller à
la Mecque satisfaire les passions de son âge. Arrêté les deux lois
par ([uelque cause imprévue, il sut se domiiter et ne succomba plus
à la tentation. Cette tradition, qu'on fait remonter à Mahomet lui-même,
est rapportée par Tabari, et elle na rien que de très-vraisemblable.
C'est une gi-ande domination de soi-même; mais elle se conçoit dans
une nature délicate et réiléchie comme celle de Mahomet. 11 faut
ajouter que physiologiquement cette chasielé des premiers temps
86 MAHOMET, CHAPITRE III.
La preuve de l'estime qu'on lui accordait, c'est que
pauvre, solitaire et jeune comme il l'était, on ne l'en
convoquait pas moins aux actes les plus importants de
sa tribu. Afin de prévenir les désordres qui avaient
amené les guerres longues et sanglantes de Fidjâr,
quelques-unes des principales familles coraychites
s'étaient unies et engagées par serment à protéger les
faibles et à leur faire rendre justice. Celait une ligue
des honnêtes gens contre les perturbateurs de la paix
publique, et elle avait d'autant plus d'utilité qu'elle
suppléait à l'absence de tribunaux réguliei's, qui
fussent assez forts pour faire respecter leurs déci-
sions. Mahomet fut appelé à faire partie de cette so-
ciété, qui subsista longtemps même après sa mort, et
il se fit toujours gloire d'y avoir concouru. Il s'en van-
tait dans les dernières années de sa vie, et il se croyait
même alors étroitement lié par le serment des Foud-
hoûl ', qu'il avait prêté bien des années auparavant, en
compagnie des enfants de ilàchim, des enfants de
Zolira et des enfants de Taym. 1! disait à Ayésha, la
plus chère de ses femmes, «qu'il était prêt à répon-
dre immédiatement à l'appel que lui ferait l'homme
le plus obscur au nom de ce serment, et qu'il ne vou-
s'accoidc bien avec les besoins persistants de l'âge avancé et même de
la vieillesse.
' La Fédération des Foiidlioûl ou Hilf-el-Foiidlioùl avait été ainsi
appelée en souvenir d'une ancienne association formée, sous les Djo-
iliom, par quatre persoiniat;es de ce nom, et qui avait eu le même
objet. La seconde association parait avoir eu plus do durée et plus
defluacité que la première. Voir le Siitil-er-raçoid, tiaduction de
M.G.\Veil.t. I. p.C5.
CARACTERE DE MAHOMET. 87
drait pas pour les plus beaux chameaux de l'Arabie
manquer à la foi qu'il avait jurée, il n'y avait pas
moins de trente ans^ » Mahomet n'était pas encore
marié, quand il enlra dans cette ligue honorable, où il
n'apportait évidemment que le concours de ses qua-
lités éminentes'.
Ce sont également ces qualités qui décidèrent de
son mariage avec Khadidja, sa cousine, riche veuve
qui avait repoussé les plus grands partis, et qui, beau-
coup plus âgée que Mahomet, de quinze ans au moins,
jeta les yeux sur son jeune parent^. 11 avait conquis
sa confiance par la probité intelligente qu'il avait dé-
ployée dans la conduite d'une de ses caravanes. 11 n'est
pas impossible non plus que la personne même de Ma-
* Par ce serment, les associés juraient devant une divinité venge-
resse qu'ils prendraient la défense des opprimés, et qu'ils poursui-
vraient la punition des coupables, tant qu'il y aurait une goutte d'eau
dans l'Océan. Les historiens arabes citent plusieurs faits qui attestent
que ce n'était pas un serment vain; et quand un acte criminel avait
été commis, il sulïisait de la menace de l'association pour que le grief
fût redressé autant qu'il pouvait l'être.
- M. Caussin de Perceval, Essai, etc., I, 354, lui donne vingt-cinq
ans à cette époque ; il n'est pas encore marié, mais c'est peu de temps
avant son mariage. Jl. \V. .Muir, au contraire, croit pouvoir affirmer,
d'après le secrétaire de Wâckidi Kâtib el Wâckicii] que Mahomet
n'avait alors que vingt ans; The Life of Mahomet, t. 11, p. 10. Cette
différence de cinq ans ne laisse pas que d'avoir quehpie importance
pour démontrer la maturité précoce de Mahomet.
^ Khadidja était une Coraychite comme Mahomet, et elle descen-
dait au même degré que lui du fameux Cossayy. Elle avait été mariée
deux fois et elle avait eu deux fils et une fille. On ne sait pas au
juste quelle différence d'âge il y avait entre elle et son troisième
mari; mais elle avait au moins quarante ans, quand il en avait vingt-
cinq.
88 MAHOMET, CHAPITRE III.
homet ait séduit Khadîdja. La tradition ne nous dit pas
précisément ce qu'il était à vingt-cinq ans, au moment
de son premier mariage; mais, d'après ce qu'elle nous
apprend de son extérieur dans un âge plus avancé, on
peut conjecturer ce qu'il devait être dans la fleur de
sa jeunesse.
D'une (aille un peu au-dessus de la moyenne, il était
fortement constitué; sa poitrine et ses épaules étaient
larges ; ses mains et ses pieds remarquablement so-
lides, comme toute sa charpente osseuse ; les jointures
très -fines; les membres charnus sans être lourds;
son cou était long, blanc et très-élégant ; sa tête était
fort grosse; le front était développé et toujours se-
rein; le nez était fort et légèrement aquilin, avec le
bout un peu relevé ; la bouche était large, avec des
dents très-blanches, saines et éloignées ; ses sourcils
minces étaient séparés par une veine qui se gonflait
dans les moments d'émotion ; ses yeux noirs et bril-
lants étaient ombragés par de longs cils ; sa cheve-
lure, épaisse et noire comme jais, tombait en boucles
derrière ses oreilles et jusque sur ses épaules ; sa
barbe et ses moustaches étaient abondantes. Comme
il arrive assez souvent chez les hommes très-vigou-
reux, il se tenait mal et il était voûté ; sa démarche,
quoique rapide et légère, avait, à l'apparence, quel-
que chose de pesant, et l'on eût dit qu'il descendait
toujours une pente'. D'ailleurs toute sa contenance,
* LeSiral-er-raçoiil, traduction de M. G. Wcil, I. F, p. 198, donne
quelques détails sur la personne de Mahomet.
CARACTERE DE MAHOMET. 89
pleine de force, respirait la douceur et la bien-
veillance, bien qu'il regardât rarement en face les
gens à qui il parlait. Sa physionomie générale était
Irés-reposée et très-tranquille; son teint, ni pâle ni
coloré ; sa peau, très-unie, quoique hâlée. En un mot,
l'ensemble de sa personne, sans être précisément
beau, avait beaucoup de charme, et l'on se sentait at-
tiré vers lui'.
Le moral ne démentait pas l'apparence physique;
c'étaient les mêmes qualités de puissance et de calme,
de bonté et de droiture, de désintéressement et de
gravité douce. 11 parlait peu et il écoutait plus volon-
tiers ses interlocuteurs. Cependant si l'occasion y prê-
tait, il ne se refusait point à l'enjouement ni à la plai-
santerie. Même quand il fut arrivé au faîte du pouvoir,
il ne se permettait pas de brusquer l'entretien avec
qui que ce fût, ni de montrer aucun empressement à
le finir. Comme le disent ses historiens, il ne retirait
jamais le premier sa main de la main qu'un ami lui
avait tendue. Ce n'est pas que sa nature ne fût très-
passionnée; mais il avait une grande domination sur
' Il paraît que Mahomet avait dans le dos une Inupe assez dévelop-
pée, qui était entourée et recouverte de poils. C'est un accident assez
fréquent, et qui n'a rien que de très-naturel; mais les dévots mu-
sulmans y ont attaché une importance tout à fait extraordinaire.
Pour eux, c'était là le signe manifeste de la prophétie et de la mis-
sion que Dieu avait confiée à son envoyé. Lorsque Mahomet, encore
enfant, accompagna son oncle à Bosra, un moine de celte ville, nommé
Bahira. prétendit reconnaître entre ses deux épaules le signe et le
sceau de la prophétie ; voir \n Siral-cr-raçntil , traduction de M. G. ^^eii.
1. 1, p. 87, et M- Caussin de Perccvol, tissai, etc., t. I. p, Mt)
90 MAHOMET, CHAPITRE III.
lui-même, et il ne souffrait pas que ses sentiments in-
térieurs s'exprimassent avec une spontanéité irréflé-
chie, que plus tard sa raison aurait pu blâmer. Grâce
à cet empire qu'il exerçait sur toutes ses actions, il
fut, durant sa vie tout entière, de la plus rare so-
briété. Quoique très-simple dans ses vêtements, il soi-
gnait extrêmement sa persomie; il était d'une propreté
recherchée, et la moindre odeur mauvaise lui était
insupportable. Habitué à se servir seul, jusqu'aux
derniers moments de son existence, même pour les
besoins les plus vulgaires, les aliments, les habits, la
chaussure, il avait conservé dans tous ces détails mes-
quins autant de délicatesse que d'indépendance.
Comme il n'avait à réclamer l'aide de personne, il
était toujours prêt à obliger autrui avec une facilité
surprenante, et une générosité qui ne s'est pas un seul
jour démentie. Un de ses serviteurs, qui était resté
dix-huit ans avec lui, affirmait qu'il n'avait jamais été
grondé par son maître, et qu'il en avait reçu des ser-
vices au moins aussi souvent qu'il lui avait donné les
siens K II était d'une force de corps extraordinaire ; et,
sans rechercher précisément la fatigue et les périls, il
ne les craignait ni ne les fuyait sous aucune forme.
Tel était l'homme qu'épousait Khadidja; et* Ion
comprend que, même beaucoup plus âgée que lui,
elle faisait un choix très-raisonnable. Ce qui le prouve,
c'est que l'union ne fut pas un instant troublée, et
* M. (Jublave Weil, Moliammeil dcr Prophct, p. 343.
CARACTÈRE DE MAHOJIET. 91
que Mahomet, qui devait plus lard provoquer tant de
jalousies légitimes de la part de ses nombreuses fouî-
mes, n'en donna pas le moindre motif pendant plus
de vingt ans à celle qu'il avait épousée en premières
noces, et qui, par la différence de leur âge, aurait pu
être aisément sa mère. Il eut de Khadidja sept en-
fants : trois fils qui moururent tous en bas âge, et
quatre filles, dont la dernière et la plus célèbre fut
Fâtima, la femme d'Ali. Devenu riche par son mariage,
le jeune Mahomet ne changea rien à ses manières fru-
gales, et il ne profita de sa nouvelle aisance que pour
faire du bien autour de lui. Son oncle Abou-Tâlib, qui
avait soigné son enfance, était tombé dans la gène.
Mahomet, plein de reconnaissance, se chargea pour
Taider de l'éducation de son dernier fils Ali, à qui il
donna plus tard Fâtima. Ce fut aussi vers le même
temps qu'il adopta pour fils un jeune esclave chré-
tien, Zeïd, fils de Hàritha, dans lequel il avait remar-
qué d'heureuses dispositions. Ces doux enfants aimaient
passionnément leur bienfaiteur ', et, le consolant des
fils qu'il avait perdus, ils ne cessèrent de lui pro-
diguer les témoignages du plus absolu dévouement.
Dans ce long intervalle de bonheur et de paix do-
* On connaît le fanatique atlacliement du jeune Ali pour son oncle;
quant à Zeïd, lilsdeHàritlia, enlevé de trùs-bonnc heure du sein de sa
famille par que^iues guerriers d'une tribu ennemie, il fut retrouvé
)ilus tard par 5ou père, qui l'aimait tendrement, et qui n'avait cessé
de le chercher. Maliomet le laissa libre de choisir et de retourner
avec son père, s'il le préférait. Zeïd n'Iiésita point, et il voulut rester
avec le bienfaiteur qui l'avait alfranclii et traité si généreusement.
Mahomet l'adopta alors pour fils.
02 MAHOMET, CHAPITRE 111.
mestique, on ne cite guère qu'une seule circonstance
où Mahomet joue quelque rùle, et où il se trouve signalé
à l'attention de ses compatriotes. Il avait trente-cinq
ans environ, et, depuis dix ans, il était marié à Kha-
dîdja, lorsque les Coraychites résolurent de rebâtir la
Caaba, qui avait besoin des plus urgentes réparations
et qui menaçait ruine. Elle n'avait guère que la hau-
teur d'un homme, et l'on voulait tout à la fois l'ex-
hausser et la recouvrir. Ce fut une affaire très-délicate
de régler l'ordre des travaux, parce que chacune des
familles les plus puissantes voulaient pieusement y
prendre sa part. On avait apaisé, non sans peine, tous
les différends ; mais ils se réveillèrent avec la plus ex-
trême violence, quand les constructions furent assez
avancées et qu'il s'agit d'y donner une place à la
fameuse Pierre noire. C'était à qui revendiquerait ce
droit, qui ne pouvait être divisé; et, comme les amours-
propres ne voulaient pas céder, les travaux avaient été
interrompus; de toutes parts, on avait couru aux
armes. Toutefois, avant d en venir aux mains, on tint
une dernière conférence ; et, sur la proposition du
doyen d'âge, on s'accorda pour s'en rapporter à l'arbi-
trage de la première personne qui entrerait dans la
stalle où la délibération se passait. Le hasard voulut
que celte personne fût Mahomet. Dès qu'on le vit en-
trer par la porte des Béni-Sheyba, chacun s'écria :
«( El Amîn, cl Amin, l'homme sûr, l'homme fidèle! »
et l'on attendit son jugement. Mahomet ne Irompa
point l'allente dont il était l'objet, et il trancha la
CARACTÈRE DE MAHOMET. 95
querelle avec une présence d'esprit et une impartia-
lité étonnantes. Il étendit son manteau à terre, mit la
Pierre noire dessus, et pria quatre des principaux
chefs des factions ennemies de prendre les coins du
manteau pour élever simultanément la pierre ' à la
hauteur qu'elle devait occuper, quatre ou cinq pieds
au-dessus du sol. Il la prit alors lui-même, et il la
posa de ses propres mains. L'assistance fut pleine-
ment satisfaite, grâce à cette ingénieuse conciliation ;
et la paix, menacée depuis quelques jours, fut à l'in-
stant rétablie. Ce service rendu au public, et ce suc-
cès, si facilement obtenu, ne laissèrent pas que d'ac-
croître encore l'estime dont jouissait Mahomet.
Cependant il approchait de la crise qui devait décider
du reste de sa vie, et en faire un fondateur de reli-
gion ; il avait à cette époque près de quarante-deux
ans. Jusqu'alors il avait accepté le culte national; et
sans se signaler par une piété particulière envers les
idoles, il n'avait jamais témoigné la moindre répu-
gnance à les adorer, comme chacun le faisait autour
de lui. 11 est à présumer cependant que des doutes sé-
rieux s'étaient élevés dès longtemps dans son esprit,
soit qu'ils lui vinssent spontanément, soit qu'ils lui
fussent inspirés par les llanyfes qu'il connaissait, par
Varaca, le cousin de Khadidja, sa femme, soit même
' La Pierre noire, d'après le témoignage des voyapeurs qni l'ont
vue, n'a pas plus de six ponces de liaul sur hnil ponces de long; c'est
très-probablement nii simple morceau de basalte, on peut-être un
aérolitlie. Voir M. NV. Muir, The Life of Mahomet, t. II. p. Ô5, citant
Aii-Bey, Burckliardt et Burton.
94 MAHOMET. CHAPITIŒ III.
aussi par Zcïd, fils de Hâritha, qui iTavait pas cessé
d'être chrétien en devenant le fils adoptif de Mahomet.
Il se plaisait à se promener seul dans les environs de
la Mecque, livré aux pensées qui peut-être l'occu-
paient déjà lorsque jadis il gardait les troupeaux, et
il se disait certainement que l'idolâtrie n'était pas la
religion d'Abraham, et qu'on pouvait y substituer un
culte plus raisonnable et plus pur. Chaque année, il
se retirait, comme les personnages les plus dévots de
la Mecque, sur le mont Hira, pendant les mois sacrés
de la trêve ; et là, dans une grotte étroite, qui avait
servi à bien d'autres ermites avant lui, il s'abandon-
nait à ses rétlexions, peut-être même à ses extases,
dans le silence le plus absolu et dans la tranquillité la
plus profonde, sous un climat brûlant, au milieu d'une
nature aride et desséchée par un soleil inaltérable. Il
ne sortait de la solitude que pour aller de temps à
autre chercher dans sa maison les aliments indispen-
sables, et il se hâtait de revenir à ses chères médi-
tations.
On doit concevoir quelles excitations ce régime de
vie devait causer à une organisation telle que la
sienne, et les dispositions d'esprit où il devait être
quand il rentrait prés de sa femme et de sa famille. Il
parait bien qu'il eut dès lors ces inspirations ardentes
d'où plus tard il tira le Coran. Ce n'étaient pas celles
d'un poêle, car il se défendit toujours de l'être à
l'exemple de plusieurs de ses contemporains ; mais
c'étaient les elfusioiis d'une âme embrasée des senti-
CARACTÈRE DE MAHOMET. Oo
ments qui l'agifaient et bouleversée par ses tempêtes
intérieures. D'ailleurs les objets de ces méditations
étaient les plus grands que l'esprit de l'homme puisse
se proposer: Dieu, l'immortalité de l'àme, les châ-
timents et les récompenses de la vie éternelle.
Il semble bien constaté que c'est précisément dans
un rêve que Mahomet crut avoir la première révéla-
tion de sa mission future ^ L'ange Gabriel lui apparut
durant son sommeil, tenant et lui donnant un livre
qu'il lui enjoignait de lire. Mahomet résista trois fois à
cet ordre, et ce ne fut que pour éviter les violences de
l'ange qu'il consentit enfin à lire ce qui lui était pré-
senté. A son réveil, il sentit qu'un livre avait été écrit
dans son cœur ; c'est l'expression dont il se servait
lui-même, si l'on en croit la tradition, pour rappeler
celte apparition merveilleuse. 11 en tut profondément
troublé ; et après avoir raconté à Khadîdja le rêve
qu'il venait d'avoir, il retourna sur le mont Hira,
livré au désespoir et à l'égarement. Il se croyait pos-
sédé des esprits malins, et il allait peut-être s'ôter la
' Sur ce point si important, les historiens arabes sont généralement
d'accord; c'est en rêve que d'abord Mahomet crut avoir vu l'ange Ga-
briel, lui apportant un rouleau couvert d'écriture et lui ordonnant
de le lire. On peut consulter à co sujet \e Siral-er-raçoul, traduction
de M. G. Weil. t. I. p. 117», et l'appendice du quatrième cli.ipitre dans
1 ouvrage de M. A. Sprenger, Vas l.eberi, etc., t I, p.ôôO et suivantes.
Le témoignage vient surtout d'Ayésha. qui devait avoir entendu ré-
péter mille l'ois cette curieuse circonstance. Mahomet lui-inénu' paraît
l'avoir racontée aussi de cette façon. Ibn-Isbâc tenait le récit d'Az-
zouhri, lequel le tenait d'Ourva, et Ourva le tenait d'Ayésha elle-
même, si 1 on en croit Ibn-lshàc cité parTabari. Voir M. A. Sprenger,
ibid., p. JÔ7.
% MAHOMET, CHAPITRE III.
vie en se précipitant du haut d'un rocher, pour se dé-
livrer du mal affreux qu'il redoutait, quand une voix
descendue du ciel et qu'il prit pour celle de l'ange lui
dit : « 0 Mahomet, tu es l'Envoyé de Dieu, et je suis
l'ange Gabriel. » Puis, levant les yeux, il vit l'ange
sous une forme humaine, et il put le suivre quelque
temps du regard jusqu'à ce qu'il le perdit de vue à
l'horizon. Cependant Khadidja, effrayée de sa longue
absence, après l'agitation où elle l'avait laissé, avait
envoyé des gens à sa recherche. On le découvrit bien-
tôt ; et, rentré près de sa femme, il lui fit part de sa
vision nouvelle, avec une émotion qu'il ne pouvait cal-
mer. Khadidja le rassura de son mieux ; et comme
elle ne pouvait mettre en doute la parfaite sincérité de
son mari, qu'elle connaissait depuis de si longues an-
nées : « Dieu est mon appui, dit-elle; il ne permettra
point que tu aies le malheur d'être un poêle auquel
personne ne doit avoir confiance, ni un possédé des
Djinns. Tu dis toujours la vérité; lu ne manques jamais
à ta parole ; nos parents le savent aussi bien que moi.
Celui qui lient la vie de Khadidja entre ses mains
m'est témoin que tu seras le prophète de celte nation.
Rassure-loi, et bannis le trouble de tes esprits ', »
Cependant Khadidja, tout en soutenant son mari,
n'était pas aussi rassurée qu'elle voulait bien le pa-
' Pour ne pas èlic étonne de ce langnge monotliêisle de Kliadidjo,
il foui se rappeler au milieu de ([uelies doclrines religieuses elle
vivait. C'était la doctrine des Hanyfes, (|u'elle connaissait par son
cousin Vavaku et par bien d'autres.
CARACTÈRE DE MAHOMET. 07
raitre ; et à peine avait-elle reçu cette ei'tVayanle con-
fidence, qu'elle se rendit auprès de son cousin Yaraka
pour lui en faire part et consulter sa sagesse et ses
lumières. Yaraka, déjà fort âgé, s'était converti au
christianisme ; il avait lu la Bible, et il voyait assidû-
ment des juifs et des chrétiens. Il ne parut pas fort
étonné du récit que sa cousine lui faisait. Cependant
il lui répondit : « Si ce que lu viens de me dire est
vrai, ton mari est visité par le grand Nàmoùs ', qui jadis
a visité'Moïse ; il sera le prophète de ce peuple. An-
nonce-le-lui, et qu'il se tranquillise. » A quelque
temps de là, Yaraka, rencontrant prés de la Caaba
Mahomet, qui était revenu de sa retraite de Ilira, se fit
de nouveau raconter la vision par lui ; Yaraka lui ré-
péta ce qu'il avait dit à sa femme, mais il ajouta : « On
te traitera dimposteur; on te persécutera; on te
cliassera ; ou te combattra violemment. Que ne puis-je
vivre jusqu'à cette heure pour l'assister dans cet'e
lutte! » En se séparant de Mahomet, il l'embrassa sur
le front ; et ce fut pour l'âme du nouveau prophète
un grand apaisement et une douce consolation'.
' On croit que yàmoils n'csl pas autre cliose que la con-uplioii arabe
du mot grec Sodios, la Loi ; voir M. Vf. Muir, t. II, p. 84.
^ Il faut bien se rappeler que tous ces détails viennent, selon la
Iradition. de Maiioniet lui-mùmc. Ceci ne veut pas dire, sans doute,
(pi'ils soient tous de la plus parfaite e."c ictitude; mais ils portent du
moins un cachet d évidente sincérité ; et l'on peut croire que c'est bien
ainsi que Maliomet expliquait sa mission à lui-même et aux autres.
Voir le Sirat-er-raçoul. traduction de M. G. Weil, t. I, p. ii4, et
M. Sprenger, Das Lchen, c[c., 1. 1, p. 335, 53() et 337. Il faut lire aussi
les Extraits du Coran, que je donne plus loin, chapitre de Mahomet.
(3
08 .MAHOMET, CIIAl'ITRE III.
Le sentiment qu'exprimait Yaraka devait être vingt
ans plus tard celui de l'Arabie tout entière ; mais alors
ce n'était pas même bien fermement celui de Maho-
met, et il avait encore de rudes combats à livrer
contre lui-même, et contre tout ce qui l'entourait,
avant que sa mission ne fût enfin avérée à ses propres
yeux, et surtout auprès des peuples idolâtres auxquels
il allait s'adresser.
Ainsi un rêve et une hallucination, voilà l'occasion,
je ne dis pas la cause, de la religion nouvelle. C'est
dans l'âme de Mahomet que cette religion avait ses ra-
cines et ses fondements ; c'est dans les dispositions du
peuple arabe qu'elle trouva son triomphe ; mais Maho-
met ne se crut l'Envoyé de Dieu que quand un songe
l'en eut averti, et que la parole d un ange, vu et en-
tendu par lui, fut venue lui imposer et lui confirmer
sa redoutable mission. Toute sa vie, Mahomet eut une
confiance absolue dans les rêves ; et lorsque, quinze
ans après, maître de Médine et déjà presque vain-
queur de tous ses ennemis, il voulut làire en 627 le
pèlerinage de la Mecque qu'il avait dû interrompre de-
puis sa fuite à Yathrib, c'est encore un songe qui lui
avait inspiré ce projet '. 11 ne put pas le réaliser comme
il le voulait; mais le rêve qu'il avait eu n'en était pas
• Voir M.Cous;dn de l'orcnvnl. Essai sur l'histoire des Arabes, etc.,
r. III, p. 175, cl M. G. VVeil, Mohammed der Prophet. p. 173. C'est le
laineux voyage à Hodayhiya. Malionicl prcl'éra traiter avec les Coray-
cliiles plutôt que {l'employer la violence; mais les niu.sulnians et Omar
surtout lui reprochèrent de n'avoir pas obéi complètement à l'avis de
son rêve.
I
CARACTERE DE MAHOMET. 99
moins un ordre pour lui ; et s'il n'y avait pas obéi, il
se serait regardé comme coupable de résistance à une
inspiration divine. Telle était sa superstition à cet
égard qu'il disait souvent que « le rêve était la révéla-
tion du prophète'. »
Quant à l'hallucination, on peut d'autant moins la
révoquer en doute qu'elle ne se renouvela pas de
longtemps, et que Mahomet en fut lui-même épou-
vanté. Encore hésitant sur sa mission, il désirait, pour
y croire, une nouvelle apparition de l'ange; mais elle
se fit attendre pendant plus de deux ans, selon quel-
ques témoignages, pendant six mois selon d'autres.
C'est ce que les auteurs musulmans ont appelé l'Inter-
valle ou le Fifr^/t; et pendant tout ce temps, l'esprit de
Mahomet paraît avoir été livré aux perplexités les plus
douloureuses et aux craintes les plus vives. Ce n'était
pas moins que la folie qu'il redoutait; et sous l'obses-
sion constante des idées qui l'assiégeaient, il lui sem-
blait qu'il allait perdre la raison. Autour de lui, si ce
n'est parmi ses proches, on avait en général cette opi-
nion ; et l'on prenait les désordres de son intelligence
en pitié quand on ne les prenait pas en colère.
On a voulu expliquer ce singulier état de Mahomet
par des causes purement physiologiques et morbides.
►On a parlé d'attaques d'épilepsie, auxquelles il aurait
été sujet dès son enfance ; et M. A. Sprenger, qui est
médecin en même temps que philologue, a consacré
* M. G. Weil, p. 44, on nolp, citant Ibn-Isliàc.
KXt MAHOMET, CHAPITRE HT,
un chapitre presque entier à l'hystérisme deMahomet^
J'avoue que des considérations de ce genre me tou-
chent ici fort peu, et que l'hystérisme ou l'épilepsie
de Mahomet ne me semble rendre compte de rien.
Evidemment il y avait autre chose en lui ; car tous les
hystériques ne sont pas des prophètes, et c'est préci-
sément cette autre chose, c'est-à-dire son état moral,
qu'il importe de connaître. A mon sens, on com-
prend bien mieux Mahomet en se reportant aux idées
dontil était possédé, à l'eifet prodigieux qu'elles produi-
saient en lui, à l'ascétisme auquel il se condamnait
pendant des mois entiers, en un mot à l'ensemble des
circonstances dont j'ai parlé un peu plus haut. Dans
cette ardente et longue exaltation, il s'est pénétré de
la grandeur des croyances qu'il apportait au monde ;
il s'est pris sincèrement pour l'Envoyé de Dieu, en
comparant la pureté de sa foi à la grossièreté de l'ido-
lâtrie quil voulait détruire. Comme il le répète vingt
fois dans le Coran, il n"a été ni un imposteur ni un
égaré. Transporté d'entliousiasme, il a pris pour la
voix même de Dieu la voix qu'il entendait en lui, et il
s'est cru prophète comme l'avaient été jadis tous ces
* C'est le iroisièine chaiiitro du premier volume, Das l^ben und die
lehre dex Mohammad. p. 5(î7 et suiv. M. le docteur A. Sprenger y a
Iraité scicntili(|uement de l'hystérisme; mais il a considéré cette ma-
ladie dune manière un lieu trop générale, sans appliquer diroctenienl
toutes ces théories à Mahomet. C'est justement dans les annexes à ce
chapitre, p. '2<J9, qu'il a réuni tous les textes originaux qui se rappor-
tent ù ces défaillances et ii ces syncopes du prophète. On ne voit pas
en les consultant que ce fût une maladie \Taiment caractérisée, et ce
ont des accident phiiôi qiiune allection clifonique.
CARACTÈRE DE MAHOMET. 101
personnages que la Bible lui offrait pour précurseurs
et pour modèles ; eux aussi avaient communiqué avec
Dieu'.
Je ne voudrais pas établir une comparaison forcée'"'
entre Socrate et Mahomet, et il y a entre eux toute la
différence du moncîe grec au monde arabe. Mais So-
crate aussi avait des espèces d'hallucinations; Socrate
se croyait aussi, à ce qu'il semble, une mission
divine. Ce n'était pas un ange qui la lui avait imposée,
mais c'était l'oracle de Delphes; et plutôt que de re-
noncer à cette mission, Socrate eût préféré sans hési-
tation sacrifier sa vie. Devant ses juges, il ne voulut
pas la conserver à ce prix. Il y a loin, je l'avoue, de la
sérénité du sage grec et de sa gracieuse ironie, aux
fougueuses inspirations et aux élans désordonnés du
prophète arabe; il y a loin des dialogues de Platon au
Coran ; mais, au fond, il subsiste, de Socrate à Maho-
met, ce point de ressemblance; et, s'il n'est pas pos-
sible de nier la sincérité du premier, il n'est guère
possible de nier la sincérité du second.
* Voir plus loin les ExU'aits du Coran, cliapilres de Mahomet ol des
Prophètes.
- On peut voir dans M. W. Muir, TIte lAfe of Mahomet, t. 11, p. !)()
ctsuiv., un long parallèle entre Malioniet et Jésus-Christ, fait au point
de vue de la fui la plus sincère. Quant à M. A. Sprenger, cpii croit que
Mahomet était hystérique, c'est de Svédenhorg qu'il le rapproche ;
voir Das l.eben iitid die Ulire des Mohammad, t. I, p. 275 et suiv. :
mais la cjmparaison n'est pas juste. Svédenborg n'est qu'un illuminé,
qui n'a rien fondé et qui n'a laissé que le souvenir ojjscur et presque
ignoré des bizarreries de son imagination. Il n'y a rien là (jui res-
semble à une religion.
6.
■1(12 MAHOMET, CHAPITRE TH.
Dans l'étal actuel du monde religieux où nous
sommes, nous comprenons peu ces anxiétés et ces
bouleversements des âmes en quête de nouvelles
croyances. Parce que nous ne sentons plus ces tem-
pêtes, nous nous les représentons mal dans les autres
temps, où nous ne vivons que par l'histoire. Mais
quand elles s'élèvent dans ces grands cœurs et dans
ces puissants génies, l'aspect éclatant de la vérité
qu'ils aperçoivent les éblouit et les transporte hors
de toutes les voies ordinaires de l'humanité. Ce con-
tact de l'infini qu'ils ont un instant entrevu les trans-
figure ; ils ne se croient plus et on ne les croit plus
des hommes comme les autres. De fait, il n'y a point
là d'erreur, ni surtout d'imposture ; ces chefs des
humains diffèrent du vulgaire, ainsi que dans une
armée le général diffère des soldats qui le suivent et
lui obéissent. Quand on admet Taction de la Provi-
dence sur les affaires humaines, on ne peut se refuser
à la retrouver aussi dans ces intelligences domina-
trices, qui apparaissent de loin à loin, pour éclairer
et conduire le reste des hommes.
Tnc des préoccupations les plus évidentes de Maho-
met dans le Coran, c'est de mettre sa véracité à l'abri
de tout soupçon ; El-Amîn serait honteux el désolé
qu'on le prît pour un menteur : « J'en jure par l'étoile
quand elle se couche, s'écrie-t-il dans la sourate lui';
votre compalriote n'est point égaré ; il n'a point été
séduit; il ne parle pas sous l'empire de ses passions
aveugles. I.e Coran est une révélation qui lui a été
CARACTÈRE DE MAHOMET. 405
faite ; c'est le Terrible, c'est le Vigoureux (l"ange Ga-
briel), qui l'a instruit. Il planait, se maintenant en
équilibre, dans la sphère la plus haute; puis il
s'abaissa et resta suspendu dans les airs. 11 était à la
distance de deux arcs ou plus près encore; et il révéla
au serviteur de Dieu ce qu'il avait à lui révéler. Le
cœur de Mahomet ne ment pas; il l'a vu. Élèverez-
vous des doutes sur ce qu'il a vu? Il a vu la plus
grande merveille de son Seigneur'. » Le Coran est
plein d'accents de celle énergie et surtout de cette
sincérité. Il ne faut pas plus douter de Mahomet, quand
il affirme avoir vu l'ange Gabriel, que nous ne doute-
rions de Socrate affirmant avoir entendu une voix qui
lui défendait de franchir le seuil de la maison où il
allait entrer. Nous pouvons bien ne pas croire à la
réalité du phénomène en lui-même ; mais on peut
très-bien admettre la réalité de la vision, pour ces
âmes non point égarées mais frappées.
Rien d'ailleurs n'était plus simple que la foi nou-
velle : Croire à un Dieu unique, créateur du ciel et de
la terre, plein de miséricorde et de bonté, auteur de
toutes les merveilles que la nature offre à nos yeux ;
' Coran, sourale i.iii'', versets 1°' et suiv. Ailleurs, sourate lxxxi",
vei'sets17 et suiv. «J'en jure par la nuit quand elle survient, par
l'aurore quand elle s'épanouit : le Coran est la parole de l'envoyé il-
lustre (l'ange Gabriel), puissant auprès du maître du trône, ferme,
obéi et fidèle; votre compatriote n'est pas un possédé; il l'a vu distinc-
tement au sommet du ciel... Le Coran est un avertissement pour l'u-
nivers; » trailuclion de M. Kasimirski. Voir plus loin les Extraits du
Coran, chapitre de Maliomct et des Prophètes.
10{ MAHOMET, CHAPITRE III.
croire à une autre vie où les bons seront récompensés
et les méchants seront punis ; prier Dieu matin et soir
après s'être purifié par des ablutions ; pratiquer toutes
les vertus et surtout l'aumône; enfin reconnaître Ma-
homet pour l'Envoyé de Dieu et lui obéir à ce titre,
tel était le dogme qui allait régénérer l'Arabie et ren-
verser l'idolâtrie à laquelle elle était livrée.
M. A. Sprenger et M. W. Muir ' ont remarqué avec
raison qu'une des plus fortes preuves de la sincérité
de Mahomet, c'est que les premières conversions ont
toutes été faites parni ceux avec qui il vivait, Khadidja,
Ali-, Zeïd, fils de Hâritha, Varaka, Abou-becr, son
ami le plus intime et le plus cher et qui devait être
son successeur. La conversion d'Abou-becr fut de la
plus haute importance et en décida bien d'autres au-
tour de lui. Un peu plus jeune que Mahomet, et d'une
branche différente des Coraychites, il était fort riche
par suite d'heureuses entreprises dans le commerce.
Aussi doux et aussi calme que .son ami, il s'était rendu
populaire par son affabilité et sa bienfaisance. D'un
corps petit et assez frêle et d'une beauté remarquable,
qui l'avait fait surnonnner Alik, il était capable des
' M. A Sprenger, Tlie Life of Mohammad, p. 111; et M. W. Muir,
The Life of Mahomet, t. II, p. 97. C'est M. VV. Muir et M. A. Sprenger
(lu'il faut surtout consulter pour ces premiers développements de l'Is-
lam; ils ont l'un et l'autre reciicrclié curieusement les noms des dis-
ciples que Mahomet put gayuer au début de sa mission. Il est fort
curieux de suivre ces progrès pas à pas.
* Ali n'avait pas alors plus de di.\ ans, et il eût éti' facile de le
tromper. Quant à Zoïd, il en avait plus de trente. Voir lo Siiat-er-
raçuul, traduction de M. G. Weil, t. I, p. ll'.>.
CARACTERE DE MAIIOMT. 105
résolulions les plus fermes; et la conversion d'un tel
personnage aimé et considéré de tout le monde pesait
du plus grand poids. 11 proclamait hautement sa con-
viction, et bon nombre de ses amis suivirent son
exemple, entre autres Othmàn, fils d'Affan, marchand
comme Abou-becr, et qui devait être le quatrième
calife.
En trois ans de prédication secrète, mais constante,
la secte nouvelle, qui était encore cachée, comptait à
peu près une cinquantaine d'adhérents, tous gagnés
un à un et de proche en proche, «quelques-uns d'une
haute position sociale, et d'autres moins considérables
parmi les femmes et les esclaves. Elle se nommait
elle-même VIslam ou l'absolue soumission à la volonté
de Dieu ; les croyants s'appelaient les musulmans ou
les gens soumis à cette volonté sainte et toute-puis-
sante; ils qualifiaient leurs adversaires du nom de
hâfirSy ou gens qui rejettent le message divin, et de
musrhikw, ou gens qui donnent des compagnons à la
Divinité au lieu de croire au Dieu unique *.
Cependant, les persécutions s'éveillèrent à mesure
que l'Islam étendit ses conquêtes et devint public ; et
elles prirent une assez vive intensité, lorsque Mahomet
alla s'établir dans la maison d'Arcam -, presque en face
* M. W. Mail", T lie Life of Maliomel, l. H, p. 147. Ces désignations
en sens contraires snntdaii^ la nature même des choses; car c'est une
nécessité de se dis^tinguer; et le même (nil se reproduit à Toripine de
loutes les religions.
- La maison d'Arcam lient une grande place dans les traditions mu-
sulmanes; c'est prespir' in:nme re|le d'Anatliapindjka (Jans les (rfl-
106 AIAHOMET, CHAPITRE III.
de la Caaba, sur le penchant de la colline Safà, c'est-
à-dire dans un des lieux les plus fréquentés de la
ville, où tous les pèlerins devaient nécessairement
passer pour l'accomplissement des cérémonies solen-
nelles. Moins de deux ans après, la persécution était
assez violente pour que les plus fidèles musulmans
dussent émigrer deux fois en Abyssinie et y chercher
un refuge; c'était vers lan 615. C"est qu'en effet les
Coraychites, gardiens de la Caaba et du culte national,
ne pouvaient supporter plus longtemps les réproba-
tions publiques dont ce culte était l'objet, et les dan-
gers qui le menaçaient, si la secte de Mahomet pouvait
l'insulter et le ruiner impunément. Les plus influents
d'entre eux allèrent donè trouver Abou-Tàlib, pour le
sommer d'imposer silence à son neveu et de faire
cesser les audacieuses attaques qu'il se permettait
contre les idoles les plus révérées. Par point d'hon-
neur, Abou-Tàlib, qui ne partageait pas les idées nova-
trices de Mahomet, résolut de le défendre parce qu'il
était de sa famille ; et tous les descendants de Hachim
et d'Abd-el-Moultalib s'y engagèrent avec lui, excepté
Abou-Lahab. C'était chez les Arabes un devoir strict
de protéger ceux auxquels on était allié ; et c'est là ce
qui fit que les Coraychites n'osèrent de longtemps
user de violence sur la personne du prophète. S'ils
ilitioDs bouddliiiiiies. Arcain avait été un des iiremiei's convertis, et il
fallait qu'il eût quelque mérite tout particulier pour que le prophète
consentit à loger chez lui; M. W. Muir, The Life of Mahomet, t. Il,
p. 110 el 117 ; M. A Sprenyer, Das Leben iind die Le h re des Moliam-
via(l,l. II. |.. 81.
CAIiACTKME DE MAHOMET. 107
l'avaient tué dès cette époque, ce n'était pas moins
qu'une guerre civile qu'ils auraient provoquée'.
Pour bien connaître la posilion de Mahomet parmi
ses compatriotes, il est curieux d'entendre les re-
proches que lui adressaient ses adversaires: « Le fils
de ton frère, disaient-ils à Abou-Tàlib, déverse le
blâme sur notre religion. Il nous accuse de folie; il
accuse nos ancêtres d'erreur et dimpiélé. Kmpèche-le
de nous outrager; ou, du moins, reste neutre entre
nous et lui; nous aurons bientôt châtié son audace. »
Et comme les Coraychites ne pouvaient pas réussir à
force ouverte, ils résolurent de décrier Mahomet au-
près du peuple et des pèlerins, et de le réduire à
l'impuissance par la calomnie. Mais cela même n'était
pas facile: « Dirons-nous de lui que c'est un devin?
— Non ; il n'en a ni le Ion emphatique ni le langage
rimé. — Dirons-nous que c'esl un fou? — 11 n'en a
pas l'apparence. — Ouc c'est un poëte inspiré du dé-
mon?— 11 ne s'exprime pas en vers. — L'appelle-
rons-nous un magicien? — Mais il ne fai( point de
choses surnaturelles; il ne pratique aucune opération
' C'est suilouldans la biographie anglaise de Maliomcl. par M. A.
Spreiiger, qu'il faut étudier ces mœurs des Arabes (p. 20 et suiv.].
M. A. Spreiiger est revenu aussi sur ce sujel dans son ouvmge alle-
mand (t. Il, p. 70 et suiv.). Dans une pièce devers, qui est dans le
Sirat-er-raçoiil, traduction de M. G. Weii, t. I, p. 126, 127, 129, et
«jue cite en partie M. Caus«in de Perceval (l. I, p. 567], Abou-Tàlib
prend vivement la défent^c de son neveu, et il dit aux Coraychites:
<t Vous mentez, j'en jure par le saint lemple, si vous dilcs que noua
laisserons verser le sang de Mahomet sons avoir combaliu avec l'arc
et la lance. »
108 MHOMET, CliÂPITIiE III.
de magie. Son art ne consiste que dans sa parole habile
et insinuante'. » Il est très-\rai que Mahomet dut
ses succès bien plus à la persuasion qu'à la violence.
11 ne recourut jamais aux armes que quand il y fut
contraint par ses ennemis, et qu'il ne put pas em-
ployer de moyens plus doux.
Les éloges de ses parlisans ne sont pas moins dé-
monstratifs que les outrages de ses adversaires; et,
lorsque le Nédjàclii ou roi d'Abyssinie demande aux
exilés quelques détails sur la religion nouvelle^,
Djàfar, cousin-germain de Mahomet et fils d'Abou-
Tàlib, lui répond avec une noble ingénuité: « Nous
étions plongés dans les ténèbres de l'ignorance ; nous
adorions des idoles. Livrés à toutes nos passions, nous
ne connaissions de loi que celle du plus fort, quand
Dieu a suscité parmi nous un homme de notre race,
illustre par sa naissance, depuis longtemps estimé
pour ses vertus. Cet apôtre nous a appelés à professer
l'iinilé do Dieu, à rejeter les superstitions de nos pères,
' Voir pitis loin le- Exliuits du Ciu-aii, clui]iitie de Maliomct ; M. Caiis-
siii do Pcrceval, Essai sur l'Iiisfoire des Arabes, elc, t. I, p. 566,
M. A. Spivngor. Dff; hcbcn uml die Lehre des Mohaminad . t. II.
p. 76.
- Ce personnage du Nédjiklii ou roi d'.Mivssinic tient la conduite la
plus généreuse. Non-soulcnient il accueille les exilés musulmans, et
il les reçoit avec bonté; mais, de plus, il refuse leur extradition, que
les Coraychiles, poursuivant leur venjjeance. sont|venus lui demander.
I,es courtisans du Ncdjàclii sont d'avis qu'on acquiesce à cette cle-
MKindc ; il leur résiste; il ne craint même pas de braver une émeute
populaire. 11 sexpose courageusement de sa personne pour proléger
celle de ses 1 loi es, et il est tout près de quitter le diristianisiuo pour
I Islam. Voir M. Caussin de l'erceval, t. I, p. 500 et suiv.
CARACTÈI'.K m: MAHU.MET. 109
à mépriser les divinités de pierre et de bois. Il nous
a ordonné de fuir le vice, d'être sincères dans nos
discours, tldèles à nos engagements, affectueux et
bienfaisants envers nos parents et nos voisins. Il nous
a défendu d'attaquer l'honneur des femmes, de dé-
pouiller les orphelins. Il nous a recommandé la prière,
l'aumône et le jeûne. Nous avons cru à sa mission ;
nous avons accepté les dogmes et la morale qu'il nous
apportait de la part de Dieu ^ » Le Nédjàchi était pro-
fondément ému en entendant ces belles doctrines de la
bouche des disciples. Mais quelle ne devait pas être
l'émotion de ceux qui les entendaient de la bouche
même de Mahomet! C'est une page du Coran qui con-
vertit Omar, dont le fanatisme pour l'idolâtrie n'était
pas moins violent qu'il ne le fut ensuite pour l'Islam ^ :
c'étaient les prédications éloquentes du prophète qui
touchaient les cœurs et lui gagnaient chaque jour des
appuis, dans les rangs même de ses plus cruels ennemis.
Quant à lui, il supportait les reproches, les insultes
et les anathèmes avec une inaltérable douceur; c'était
par la patience et la longanimité qu'il comptait changer
la lutte en victoire. Il a dit bien des fois dans le Coran
* Voir M. Caussin do i'crceval, Essai su ri histoire des .\rohes, etc.,
t. I, p. Ô90 et suiv.; M. A. Sprcngcr, Das Leben tiiid die Lelire, etc.,
1.11, p. 149 et suiv.
- La cnnvfTsion dOiiiar, (ils d'Alkliatlab, est iino de celles qui
furent les plus caracléristiijues; voir le Sirat-er-raçoiil , traduction
de M. G. AVeil, t. I, p. 1G7. MM. Caussiu de l'erccvid cl A. Spienger
''ont racontée tout au long, Essai sur l'Iiisloire des Arabes, cic t. I,
p. 5! 0, el Das Icben "Und die Ultre, etc., t. Il, p. 85.
7
110 MAHUMET. CIIAI'ITIIL UI.
qu'il n'était chargé que de la prédication'. 11 résistgil,
en même temps, avec non moins de grandeur d'âme,
aux offres par lesquelles on essayait de le séduire ; il
demeurait également insensible aux menaces et aux
promesses, continuant l'apostolat qu'il s'était donné
avec une indomptable persévérance, mais non sans
beaucoup souffrir.
il y avait dix ans environ qu'il soutenait ces péni-
bles combats, et il était arrivé à l'âge de cinquante
ans, quand il fit les deux pertes qui pouvaient lui être
les plus sensibles et les plus fatales : celle de Khadidja,
qui, la première, avait cru en lui et l'avait toujours
fortifié dans ses défaillances, et celle de son oncle
Abou-Tàlib, qui avait jadis soigné son enfance, avait
fait sa fortune, et qui, sans adhérer à la religion de
son neveu, n'avait cessé de le défendre contre les Co-
raychites idolâtres, et de lui assurer la protection
toute-puissante du chef de la maison d'Ilachim. Privé
de ce secours, et désormais peu en sûreté à la Mecque,
Mahomet essaya de propager sa doctrine dans les villes
du voisinage ; mais une tentative qu'il ht à Taïf échoua
complètement, et le prophète pensa y laisser la vie
sous les sévices d'auditeurs malveillants-. Toutefois il
ne se découragea point; mais, rentré à la Mecque,
grâce à la protection de Moutim, fils d'Adi, il dut
' Voir plus loin les Extraits du (Joran. cliapitrpi de Mahomet.
- \'o'iv U' Sirat-i'i'-raçoul, Irailuction de M G. Weil. t. Il, p. "iOS,
et M. A. Sprenger, Dus Leheii uiiU die 1. dire, eic, l. Il, paf^e M(i;
M. Caussiii de l'erceval, Essai sur l'histoire des Arabes, etc., l. I,
page 406.
CArtACTtlU. DK MAHOMET. 111
metlre dans ses prédications un peu plus de réserve
et de prudence. Il s'adressa de préférence aux étran- .
gers qui venaient dans la ville, et il se ménagea des
intelligences avec les marchands de Yathrib, rivaux
de ceux de la Mecque. Les conversions étaient plus
faciles parmi eux, parce qu'elles exposaient les néo-
phytes à moins de dangers; et bientôt Yathrib eut
aussi ses musulmans, peu nombreux, mais très-fidè-
les. Ils ne furent d'abord que six.
Ce fut cette accession des étrangers, fort habilement
calculée, qui sauva l'Islam. A la Mecque, en face des
Coraychites intéressés à maintenir l'idolâtrie, il aurait
pu périr. A Yathrib, où il y avait beaucoup de juifs, il
put se développer dans l'ombre, et le prosélytisme s'y
répandit rapidement. Dans une première entrevue
seciète que Mahomet eut sur la colline d'Acaba avec
douze hommes de Yathrib, de la tribu des Aus et de
celle des Khazradjs, il leur fit prêter à l'Islam un ser-
ment qui est célèbre dans le monde musulman et qui
mérite un durable souvenir dans l'histoire. N'adorer
qu'un seul Dieu, ne point voler, ne point tuer ses en-
lants, ne conmiettre ni adultère ni fornication, s'abs-
tenir de propos calomnieux, el étie dociles à tout ce
que le propiièle leur commanderait de jusle, voilà à
quoi s'engageaient les nouveaux niusulmaus'. Dans
' Siral-er-raçoul. traduction de M. G. AVoil, I. I, p. '21.5 M. Caussiii
de l'erceval. Exsai .sur l'histoire des Arabes, etc., t. H, p. 2 et 7;
.M. A. Sprciif^cr, Das [.eheii nnd die I.ehre, de. l. II, p.. 523. Ces deux
spimenls d Aciil)a inontrcnl tié^-claiicinciit laclion t!e Malioiiiet sur
les gens auxquels il s'adresse. H veut leur laire abjurer lidolâtrie,
112 MAIIOMtT. CllAl'IlIiE lll.
une seconde ou" une Iroisième conférence, plus noin-
l)ieuse que celle ci, et qui se tint encore sur l'Acaba
l'année suivante, en 622, le même serment fut renou-
velé par soixante- treize hommes et deux femmes;
mais, comme la personne du prophète était de plus
en plus menacée à la Mecque, on jura de le défen-
dre par les armes, s'il le fallait ; et Abbas, oncle
de Mahomet, qui avait remplacé pour lui Abou-
Tàlib, sans être non plus musulman, confia son
neveu au courage et à la fidélité des hommes de
Vtilhrib. 11 fut donc convenu que, si le prophète ne
se trouvait plus en sûreté dans sa patrie, ses nou-
veaux disciples lui offraient, au milieu d'eux, un
inviolable asile.
Pour plus de précaution, Mahomet nomme douze
Nàkibs, ou délégués': trois parmi les Aus et neuf
parmi les Khazradjs, pour préparer toutes les tribus
de Yalhrib et y répandre la religion nouvelle, en fai-
Ics ga^'Hcr à une foi nieilleiire el coniyt r des mœurs barbares. A
tlislaiice, on peut se rire peut-être de ces engagements naïfs; mais,
en se reportant à l'épo(iue de Mahomet el aux coutumes atroces ou
slujiides [larnii lesiinelKs il vit, c'est une entreprise admirable qu'il
tente. Ces préceptes, d'ailleurs, sont ceux du Dêcalogue.
* 11 parait bien que Mahomet prétendit imiter Jésus-Christ eu se
donnant douze apôtres. C^est l'opinion de M. Caussin de Perceval,
Essai sur l'histoire des Arabes, etc., t. III, p. 8, et de M. .\. Sprenger,
bas Leben und die J^hre. etc.; t. II, p. 552. îii l'un ni l'autre ne
citent l'autorité .sur la(iuelle s'appuie cette tradition. Dans le Coran,
sourate v, verset 1."), il est dit : « Nous suscitâmes, du milieu des en-
fants d'Israël, douze chefs, et Dieu dit : .le serai avec vous. » Lescom-
menlalonrs ont \ou\a voir dans ce passage une allusion à l'insiitulion
des douze Nàkibs.
r,\R\(;TKr,F de MAHOMET 11".
snnl connaître les engagements solennels pris sur la
colline d'Acaha. En outre, il envoie à Yathrib des mis-
sionnaires ^ ; et, quand tout est disposé, il y fait émi-
grer, par petites troupes, tous les musulmans de la
Mecque, afin de les soustraire au danger, qui devenait
de jour en jour plus imminent. Il reste seul dans la
ville, comme pour couvrir la retraite, avec Ahou Becr
et Ali, et il ne se retire le dernier que quand sa vie
est menacée directement par les Coraychiles et qu'il
doit se soustraire à l'exécution de leurs complots ho-
micides. Mahomet quitte alors la Mecque pour s'enfuir
à Yathrib, qui prendra désormais le nom de Ville du
prophète {Medinet-en-nabi). C'est l'Hégire, comme l'on
sait, ou l'ère musulmane, vers le milieu de l'an-
née 622 ^
Mahomet est alors âgé de cinquante deux ans, et il
lui reste à peine dix années pour accomplir toutes les
grandes choses qui ont immortalisé son nom. Cette
première partie de sa carrière est certainement la
plus difficile et la plus féconde , car c'est elle qui a
préparé les germes de tout ce qui a suivi. C'est aussi
la plus pure ; et tous les récents historiens de Maho-
' Entre antres, Mossàb, fils d'Oinayr, <|ui paraît avoir joué alors un
rôle trés-uiilo ot très-courageux. Voir M. Cauîsin de Perce val, Essfii
sur l'histoire des Arahca, etc., l. 111, p. 5 et suiv.
- 11 y a, entre les auteurs, de ^rravi s di>cussi()ns sur l'(''po([uc \n\--
cise de rHéf,Mre, et sur le jour où Malioniot arriva à Médine après de
lon;,'S détours. D'après le Sirat-er-raçoiil, Iradurlion do M. G. Weil,
t. 1, p. '2i8, il y arriva un lundi, le l'2 du mois de Rabia-l-awal. On
sent f(n'il n'y a point à entrer ici dans ces recherches.
Ili MAIIOMF.T. CHAIMTI'.K III.
niel se sont accordés à reconnailre qu'elle osl sans
iache. M. W. Muir se complaît à l'avouer iiautemenl ;
mais cette indulgence est bien vile compensée par une
excessive rigueur. M. W. Muir voudrait, pour l'hon-
neur deMahomel, quileût terminé sa vie avec la fuite
à Médine'. Il ne voit, plus tard, dans toutes ses ac-
tions, qu'ambition, rapine, cruauté, débauche, et
comme l'inspiration de Satan. 11 me semble que cette
sévérité est une injustice presque complète ; et, pour
moi, je ne trouve pas que Mahomet soit changé quand
il joint au prophète le politique et le fondateur d'État.
Il n'y a de modifié en lui que la silualion. L'homme
est demeuré le même; et, sans nier les actes qu'on
doit désormais lui reprocher, on peut dire qu'il a cédé
aux nécessités de la politique bien plus encore qu'à
ses passions; qu'il a été aussi clément qu'il lui était
permis de l'être ; et que, malgré les circonstances
toutes nouvelles où il était placé, il a conservé la meil-
leure partie des vertus que nous avons jusqu'ici ad-
mirées en lui, cl qui étaient trop réelles pour qu'il
put si facilement s'en dépouiller. Mais ce n'est plus
unif|n('mcnt le prophète que nous avons à considérer,
c'est l'homme de guerre au milieu d un peuple féroce, J
quoique intelligent, dont il ne partage pas les fureurs,
mais dont il doit plus d'une lois assouvir les ven-
geances, tout en les déplorant.
Les premières mesures que prit Maliomel, après
» M. w. Muir, The J.ifc of Malioiiul, l. Il, p. 'Jj.
CAP.ACTÈni: ItK MAH.iMF.T 11.1
<on arrivée à Médinc, furent pleines de sagesse et
d'habileté. Il s'occupa d'abord d'organiser le culte,
qui, jusqu'alors, avait été nécessairement fort irré-
gulier, et qui ne consistait guère que dans ses prédi-
cations, ses conseils et ses prières personnelles, aux-
quelles il associait les fidèles, selon les occasions et
les besoins du moment. Il bâtit une mosquée sur le
terrain vague où s'était arrêtée sa chamelle, la fa-
meuse Kosva, en entrant dans la ville, devant l'habi-
tation des Benou-Malik, fils dAnnaddjar, et il tint à
paver ce terrain, quoiqu'on voulût lui en faire pré-
sent'. Il fixa les heures de la prière, répétée cinq fois
par jour ; le vendredi fut adopté pour le jour saint de
la semaine; la Mecque fut indiquée au lieu de Jérusa-
lem, comme le point vers lequel les fidèles devaient
se tourner en priant iKibUi) -; et le service quotidieu
fut annoncé par la voix d'un crienr public tÉdhân,
Moueddhiu). Le mois de rhamadàn fut consacré au
jeûne, et la dîme iZerâl) fut instituée, afin que tout
' Cette mosquée était excessiveinenl simple, telle que Mahomet la fit
construire, et elle répondait parfaitement à l'humlile fortune de l'is-
lamisme. Elle avait cent coudées de Ion? sur chaque côlé de son carré.
Les murs n'étaient de pieirc que jusqu'à la hauteur de cimi coudées ;
le reste était en hricjue. Les colonnes étaient des troncs i!e palmiers,
et le toit était formé de feuilles et de branclia;.;cs Plus lard, cotte .
mosquée, qui avait vu naître et grandir l'Islam, fut Irès-emhellie.
Comme elle renferme le tombeau du prophète, elle est presipie aussi
sainte que celle de la Mec(iue, et elle oifre de plus une lonle de pieux
souvenirs.
* Mahomet .«e tournait d'abord vers Jérusalem; puis il changea
cette direction quand il commença à se brouiller avec les juifs. Voir
le Sirat-er-raçoiil. traduction de M. G. Weil, t. I, p. 515.
110 MVlIOMFr, ClfAPITHF. 111.
bon musulman conlribiiàl aux dépenses <lu gouver-
nement qui venait de se fonder'.
Un soin non moins urgent et d'une nature plus dé-
licate, ce fut de concilier les rivalités des musulmans
entre eux. Ils formaient deux partis bien distincts et
fort jaloux l'un de l'autre. C'étaient, d'une part, les
musulmans venus de la Mecque, soit qu'ils eussent
précédé, soit qu'ils eussent suivi la fuite du prophète
à Médine ; ceux-là s'appelaient les émigrés [Mohiuljir,
Mouhadjenu). D'autre part, c'étaient les musulmans
de Médine, les Ans et les Khazradjs, qui avaient prêté
le serment d'Acaba, et qui avaient préparc un asile à
Mahomet; ils se nommaient les auxiliaires {Ansdr).
Comme l'enthousiasme excité parle prophète, parnri
ses adhérents, était extrême, l'empressement à le se-
conder et à le servir pouvait donner lieu aux dissen-
sions les plus redoutables. Maliomet les prévint en
établissant une association de fraternité entre les prin-
cipaux Ansàr et les principaux Mohadjir-. 11 y en eut
un grand nombre qui se choisirent chacun un frère
adoptif; et ce titre n'était pas vain, car il assurait
riiéritage entier du frère qu'on s'était donné, à l'ex-
clusion de la famille. Cette association ne devait pas,
par sa nature, durer longtemps; mais, dans les pre-
miers jouis, elle fut très-utile pour prévenir bien des
* Co soni là les principales instiliitions de l'Islam. Quant à In cir-
concision, elle ('Init dés lonp-lcinps pratiquée parmi les .Xralies; et on
no poul la regarder conune nin^nliiiano. Voir M. \V. Miiir. T/if I.ifr
of Mnliomel. t. M. p. U'>.
-' Vnji- 11- Sh(il-ir-raçoiil, U-adnclinn de M. (i. Weil, t, i, p. '25".
CAI'.ACTÈHE I)K 31AIIUMET. 117
contentions entre tous ces guerriers violents et fana-
tiques. Mahomet lui-même prit Ali pour son frère,
parmi les Moliadjir ; mais, afin tle'ne pas blesser les
Ansùr, il accepta parmi eux le simple titre de nâkib
ou délégué, en remplacement d'un des douze premiers-
nâkibs qui était mort.
A côté des musulmans, il y avait une autre corpo-
ration qui tenait une grande place à Médine, et avec
laquelle il fallait aussi compter: celaient les juifs.
Mahomet se montra fort bienveillant à leur égard; et
il conclut avec eux un traité qui leur conférait presTjue
les mômes droits qu'aux musulmans. Mais cet accoid
ne pouvait être que passager; et les juifs, qui atten-
daient toujours leur messie universel et qui l'attendent
encore, ne pouvaient pas être des alliés trés-tidéles.
L'inimitié implacable ne tarda pas à éclater. Mais, au
début, il importait de la conjurer, et Mahomet y
réussit'.
Tous ces commencements étaient d'une profonde
politique; mais en ce qui concernait l'intérieur de sa
propre famille, Mahomet fut moins prudent, et il
commit alois une faute qui eut les conséquences les
plus graves, non pas seulement poui- lui, mais pom-
' Slrat-er-raçoul, traduction de M. G. AVcil. t. I, ji. 2.")1, '200 et siiiv.
La plupart des actes de cruauté qu'on peut citer dans la vie de Malio-
mel ont éti- dirijîés coYitre des juifs. L alliance avait, sans doute, été
sincère quand elle avait été conclue, et Maliomel y avait le plus ^rand
intérêt; mais il était impossiltl • quelle durât, et les ressemblances
même de 1 Islam cl du judaïsme étaient un n.olif de plus pour (juils
se séparassent violemment.
7.
118 MAHOMET, CllAI'ITRt; III.
les destinées de l'islamisme. Après la mort de Klia-
didja, il avait épouçé Sauda, veuve d'un des émigrés
de l'Abyssinie : et, pendant quatre ans environ, Sauda
avait été, comme Kliadidja, sa femme unique. Mais,
vers la fin de la première année de IHégire, Mahomet
prit une seconde femme dans la personne d'Ayésha',
la fille d'Abou-Becr, qui n'avait que dix ans, et pour
laquelle il ressentit toujours une affection et une con-
fiance inaltérables. Il était alors âgé de cinquanle-
trojs ans passés. A ces deux premières fennnes, il en
joignit successivement plusieurs autres, qu'il épousa
pour la plupart beaucoup plus par calcul que par
amour-. Mais ce changement de mœurs est trop im-
portant pour qu'on puisse n'en dire que quelques
mois, et j'y reviendrai plus tard, quand j'essayerai
d'apprécier l'œuvre entière de Mahomet.
Vn autre trait fort caractéristique à la fois de
l'homme et de son temps, c'est le choix que Mahomet
dut faire de trois poètes de Médine, chargés officielle-
ment de le défendre contre les satires des poètes mec-
quois. Ce n'était pa5 probablement que lamour-pro-
pre du prophète fût plus excitable qu'il ne convenait ;
mais, chi'Z une nation spirituelle et vive, ces attaques
avaient un retentissement analogue à celui que les
' Ayésha avait été fiancée à Maliomot iii-os((ue anssilùt après la mort
do Kliadidja. et ce fui à cette occasion que son père prit le nom
d Abou-Becr, le père de la vierfje.
* Quand Mahomet mourut, il laissa neuf veuves, dont aucune ne se
remaria, el il «épousa en lout douze ou treize femmes, dans les années
ijui $ écoulèrent enUe la mort de Kliadidja et la sienne.
CARACTÈRE DE MAHOMET. 119
journaux peuvent avoir de nos jours, et elles étaient
fort dangereuses. Elle? paraissent du moins avoir irrité
beaucoup Mahomet; et ce fut sous le coup de la
colère qu'elles lui causèrent souvent, qu'il se laissa
emporter à des actes cruels dont sa mémoire es! en-
tachée '.
Cependant le contlit ne pou\nit tarder à sengager
entre les Coraychites idolâtres, à la Mecque, et les
musulmans de Médine, dont le nombre s'accroissait
chaque jour. I.a première rencontre un peu sérieuse
eut lieu à Bedr, oasis située entre les deux villes. La
bataille de Bedr est restée fameuse dans les annales
de rislnm, paice qu'elle fut la première victoire
(624). Mais les forces engagées des deux côtés n'é-
taient presque rien. Les musulmans, sous les ordres
de Mahomet, n'étaient que trois ceni quatorze, dont
quatre-vingt-trois Mohadjir et le reste d'Ansàr. Ils
n'avaient en tout que soixante-dix chameaux et trois
chevaux -. Les Coraychites étaient au nombre d'un mil-
* Mahomet nest pas le seul grand homme qui ait eu cette suscep-
tibilité, ou plutôt celte faiblesse. On connaît celle d Alexandi'e; et, de
nosjoui-s, nous avons vu celle de Napoléon I''. il semble que plus on
s'élève, plus ces blessiu-es sont vivement senties. Lorsque Mahomet
était obscurci annonçait sa mission à quelques adeptes en secret, il
supportait tous les outrages dont on le poursuivait avec une admirable
patience. Une fois lout-i uissanl, il eut quelquefois des ressenlin;ents
terribles. L'ne loi dis Douze Tables, au rapport de Cicéron dans la
Hépublique. portail la peine de mort contre lauieur de vers ditlama-
litires où était aiteiiit l'homieur d'un citoyen: voir la (Aléde bien, de
saint Augustin, livre 11, ch. ix, p. 85, traduction Saisset.
* Les tiaditions musulmanes ont con.servé les noms de ces trois
chevaux, tant on attachait d imporlance aux moindres détails dç ce
I'20 MAHOMET. CHAPITRE III.
lier; et le dixième tout au plus était à <lieval. Quelle
que fût la disproportion des deux troupes," le fana-
tisme des musulmans l'emporta, et ils se signalèrent
par des actes d'héroïsme prodigieux. Quant à Maho-
met, il ne prit aucune part personnelle au combat, et
il se tint presque tout le temps en prière, dans une
cabane que ses soldats avaient voulu absolument lui
construire, pour le mettre à l'abri du danger des
ilèches. Ce n'est pas que le courage lui manquai ' ; el,
l'année suivante, il déploya la plus rare inliépidilé à
la bataille dOhod,oii il reçut plusieurs blessures et
où il fut défait". Mais les musulmans attachaient tant
d'intérêt à la conservation du prophète, qu'ils ne lui
permirent pas d'exposer sa personne. C'est une preuve
frappante de l'empire extraordinaire que Mahomet
exerçait sur les siens; et, pour que, dans cette cir-
constance décisive, il se soit abstenu de donner i'exem-
prcmiors temps de 1 islamisme. Voir le Sirat-er-riiçout, de M. G. Wt^il.
t. I, p. j'iô. Iliii-Isliâc donne à plus forte raison ks noms de tons les
mnsnlmans qui romlmUirent à Dedr [ihid.. p. SO'i et sniv.), cl de
cen\ qui y succombèrent [ibid., p. 01)9).
' Il piUMJt que Mahomet eut un instant de défaillance dans la ca-
liane mr-me où il s"étail retii'é avec Abou-Becr. Voir \c Siral-cr-raçoiil,
traduction de M. G. Weil, t. I, p. "/27 et "d, el M. Caussin de i'er-
r.eval, Essai sur l'hisloire des Arabes, etc., t. 111, p. 70. Il est pro-
liable que ce l'ut un accès du mal nervou.x auquel Mahomet était sujet
quelquefois, car on ne peut croire que ce fut un sentiment de peur.
- La bal aille de Bedr est du mois de janvier U24; celle d'Ohod eut
lieu au commencement de G25. Les Coraychites, au nombre de trois
mille, étaient, comme à Bedr, ipiatre fois aussi forts que les musul-
mans. La bataille d Ohod fut pei'due par suite de la désobéissance d'un
corps d'arcbers, (|iii abandonnèrent le jioste q k^ Maliomet leur avait
assigné.
CARACTERE DE MAHOMET. 1->I
pie à ses soldats, il fallail qu'il fût déjà bien sur de
leur dévouement et de leur inébranlable résolution.
Après la victoire, Mahomet se montra singulière-
ment animé contre ses adversaires. Lorsqu'on lui ap-
porta la tète d'Aboudjabl, un des principaux Coray-
cliites, il se prosterna à terre et rendit grâces à Dieu
de l'avoir délivré d'un si cruel ennemi. Les cadavres
des vaincus avaient été jetés dans un puits; il s'en
approcha; et, appelant par leurs noms presque tous
ceux qui y avaient été précipités: « Indignes compa-
triotes d'un prophète ! s'écria-t-il ; vous m'avez traité
d'imposteur ; vous m'avez chassé de ma patrie. Dieu
a-t-il accompli les menaces qu'il vous avait faites par
ma bouche? Pour moi, j'ai vu se réaliser les pro-
messes que j'avais reçues de lui. » Puis, quelques-
luis de ses compagnons s'étonnant qu'il s'adressât
ainsi à des morts: « Sachez, leur dit-il, qu'ils m'en-
tendent aussi bien que vous, s'ils ne peuvent me ré-
pondre, »
Sa vengeance ne se borna pas à ces démonstrations ;
et, parmi les plus illustres prisonniers, il fit mettre à
mort deux de ses ennemis personnels, qui, jadis, l'a-
vaient le plus persécuté à la Mecque: Nadhr, que, sur
son ordre, Ali décapita d'un coup de sabre, et Ocba,
qui fut tué par Acim, (ils de Thàbit'. Au prix de ces
' Voir le Sirat-er-raçoul, traduction de M. G. VVeil, t. I. p. ôôO et 5i'2;
M. Caussin de Perceval, Essai sur l'Iiisloirc des Arabes, etc., t. lU,
p. 70; et M. W. Muir, The Life of Mahomet, t. III, p. Ho et siiiv.
M. VV. Muir lilâine sévèrcUiCnt Malioine", tout en reconnaissant qu'il
sauva le reste des prisonniers.
122 MAHOMET, CHAPITRE TH.
deux exéculions, qui ponvnient i-tro moins inléressées,
Mahomet put sauver les autres prisonniers qu'Omar
voulnittous immoler, landis qu'Abou-Becr inclinnit à
la clémence. Mais l'exemple du prophète entraîna d'au-
ti'es meurtres, qui furent approuvés, si ce n'est com-
mandés par lui : 1 un, sur une femme poëte nommée
Assmf, qui, dans Médine même, et après !a victoire
de lîedr, poursuivait encore le vainqueur de ses sa-
tires; l'autre, sur un vieux Juif nommé Abou-Afak,
qui avait fait aussi des vers injurieux contre Maho-
met'.
Si nous nous plaçons au point de vue de nos mœurs,
des actes aussi cruels et aussi peu généreux nous
semblent inexcusables; mais, pour être juste, il faut
se reporter au temps et aux races au milieu desquels
vivait Mahomet. Après la bataille d'Ohod, les femmes
coraychites, qui avaient figuré dans le combat, se li-
vrèrent, sur les cadavres des nuisuliiians tombés dans
cette funeste joiunée, à d'affreuses atrocités; elles se
faisaient des colliers et des bracelets de pieds avec des
nez et des oreilles cou])ées ; et une des plus illustres
d'entre elles, llind, fille d'Olba et femme d'Abou-So-
fyàn, le chef des Coraychites, ouvrit de ses mains le
ventre d'Hamza, oncle de Mahomet, en arracha lecœui'
» M. \V. Muir. llie l.ife of Mnliomet. I. III, p. ITiI; et M. VVeil,
Mohonmied (1er Proplul, ji. M". On peut l'iicmo citer, dans la vie de
Mahomet, nn ou deux autres traiU^ de vengeance crueUe; et. qucl-
(jues années pins tard, quand il rentra à la Mecipie. il lit exécuter
une femme, danseuse de jirole.ssion. qui avait récite contre lui ilerj
jefs f.iits par gpn maître.
CARACTÈRE DE MAHOMET. 125
et le décliiia de ses dents'. Quand les femmes en sont
à ce point de baibaiie, que doivent faire les guerriers !
11 faut reconnaître, à la louange de î\laliomel, qu'il
tempéra ces fureurs autant qu'il le put. En voyant le
corps défiguré d'Hamza, il avait fait \œii de le venger
et de mutiler trente Coraychiles de la même manière ;
mais il rétracta bientôt cette menace échappée à sa dou-
leur el à son indignation, et il défendit aux croyants
de jamais mutiler les cadavres de leurs ennemis. Il
leur défendit aussi de jamais tuer les femmes, les en-
fants el les serviteurs.
Tous ses historiens s'accordent à constater qu'il était
naturellement plein de douceur; MM. Weil, Caussin
de Perceval, Sprenger et Muir, sont unanimes sur ce
point, sans dissimuler d'ailleurs aucune de ses fautes.
En effet, on pourrait alléguer en sa faveur une foule
d'actes de clémence qui attestent bien quel était le
penchant véritable de son âme. Après la bataille de
lU'dr, il demanda, j)our toute rançon, aux prisonnieis
qui savaient lire et écrire, de donner des leçons clia-
cun à dix jeunes gens de Médine; et ce fui à cette
école (juc s'instruisit le jeune Zeïd, fils de Thàbit, qui
fut plus tard en étal déln! le premiei' éditeur du Co-
ran*. Les niu:>ulniaus viclurieux venaient de rentrer à
' Voir le Sirat-er raçûvl. Irndiu timi do M. G. Wcil, '. II, p. '2'29 el
250; M. Cus(ave Weil, Moltuiuiiud (1er Prophet, \). l'29; M. Caussin do
l'erccval, issoi utr l' histoire îles Arabes, l. III, ji. 107; et M. VV. Muir,
The Life of Mahomet . t. III, p. 17(1.
'^ 51. CaiJ«siii de Perceval, Essai sur ihisioire des Arabes, elc,
I m, p. 74. M. \V Muir reniat(|uc avec rai^^o^ (t. 111. )>. 127. {|ue
1-24 MAHOMLT, CHAPITRE III.
Médino, quand on découvrit dans la ville un émissaire
dos Cornychites, qui s'élail chargé d'assassiner le pro-
phète. Mahomet le fit venir en sa présence, lui re-
procha son ahominable dessein, et lui fit grâce de la
vie pour prix d'un aveu. Omayr, filsde Vahb, louché
de cette générosité qu'il n'espérait pas, se convertit
sur-le-champ à l'islamisme'. Le même sentiment
porta Mahomet à épargner la femme juive qui, durant
l'expédition de Khaybar (628), avait tenté de l'empoi-
sonner dans un rôti de mouton -. Dans ces deux cas,
le châtiment des coupables éhiit j)ermis; mais il était
plus magnanime de ne pas l'intliger. C'est encore
ainsi que Mahomet fit grâce à llàlib, fils d'Abou-Ral-
laâ, qui avait révélé aux Mecquois le secret d'une ex-
pédition méditée contre eux. C'était cependant un
crime de haute trahison. Mais Hâtib avait laissé à la
Mecque sa femme et ses enfants pour suivre le pro-
phète, et il voulait leur faire des protecteurs en ren-
dant service à ceux qui les gardaient en otage". Celle
raison alléguée par Hàtib et le repentir qu'il témoigna
louchèrent Mahomet.
Il se laissa fléchir également pour un autre traître
ceUe anei'dole prouve comliiou I;i Mocquo otaiL [iliis éclairép qiif
Mi'ilinc. Cependant il y avait à Médiiie beaucoup de Juifs, qui étaient,
en pénéral, plus instruits que les Arabes.
' M. Caussin dol'erceval. Essai sur l'hisloin' des Arabes, etc., t. H,
p. 95.
- M. (iustavc Weil, Moliammed der Propliel, p. 187, et M. Caiissin
de Porcoval, Essai sur fliistoirc des Arahes, t. III. p. 200.
'• M. Gustave Wcii, Moliammed der Proplwl, p. '21(t; M. Caussin de
Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes, t. III, p. 'i'I'i.
CAnACTEiiE ni: mahomet. 125
encore plus coupable ; c"éUiit un de ses anciens secré-
taires, Abdallah-ibn-Sa'd \ qui avait abusé de la con-
fiance qu'on avait en lui pour falsifier les récitations
du prophète et en altérer le sens. Ce sacrilège avait
été découvert, et Abdallah s'était enfui à la Mecque,
où il avait abjuré pour retourner à son ancienne ido-
lâtiic. Quand les nfiusulmans rentrèrent à la Mecque,
Abdallah se mit sous la protection d'Othmàn , fils
d'Affàn, son frère de lait, et il vint demander sa grâce.
Mahomet ne céda qu'avec peine aux instances réitérées
d'Othmàn ; mais enfin il pardonna et tendit la main
au misérable, que les musulmans indignés auraient
massacré si le prophète eût manifesté le moindre
signe. Mais Mahomet aurait cru commettre une per-
fidie en exprimant sa volonté d'une manière détour-
née ; et bien qu'au fond il désirât peut-êlre la mort de
l'apostat, il n'aurait prononcé la sentence qu'ouverte-
ment, s'il avait cru nécessaire de sévir.
Pour d'autres fautes qui lui étaient plus sensibles
qu'aucune de celles-là, et qui le blessaient encore plus
profondément, il fit preuve de la même indulgence.
Dans l'aventure célèbre où l'honneur de la belle
Avésha fui soupçonné, un poète nommé Hassan, fils
de Thàbil, se signala par l'amertume et la persistance
de ses i alomnies. Rudement châtié par celui qu'il ac-
' Il se nommnit aussi Ibn-abi-Sàrah, et il est |irol)able que celte
double (Ic-'igiiatiori vouait do snu aposlasie ou de sa conversion. Voir
M. Caus>in de Perccval. Essai sur l'histoire des Arabes, l. 111, p. ^ôtî,
et M. W. Muir, The Life of Mahomet, i. IV. p. 17.1.
1-20 MAHOMET. r.UAPITr.E 111.
cusait de relations criminelles avec l'épouse dn pro=
phète, il vint implorer sa grâce auprès de Mahomet.
Le scandale avait été si grave, que le prophète avait
dû en faire l'objet d'une de ses révélations ^ et con-
descendre jusqu'à justifier publiquement sa femme
bien-aimèe. L'irritation du mari offensé était natu-
relle. Mahomet la fit taire; et Hassan, réconcilié avec
colle qu'il avait calomniée, reçut non-seulement la
vie, mais des présents pour réparer les affronts qu'il
avait soufferts dans sa personne.
Peu de temps après le combat de Bedr, Mahomet
avait voulu faire venir ses filles auprès de lui, de la
Mecque à Médine. Une d'elles, Zaïnab. avait été fort
maltraitée par Habbàr , chargé des préparatifs de
l'évasion. Il l'avait poussée méchamment avec le talon
de sa lance, et Zaïnab, alors enceinte, était tombée du
haut de son chameau; il s'en était suivi un avorte-
ment et une longue maladie, à laquelle la victime de
cette brutalité venait de succomber, quand Mahomet
soumit la Mecque. Habbàr s'était soustrait à toutes les
recherches ; mais, après deux mois, il osa se présenter
au prophète, pour témoigner de son sincère repentir
et se ranger à l'Islam. Mahomet, qui pleurait encore sa
fille, excusa ce meurtre en faveur de la conversion *.
* Voir le passage fameux du Coran où il est fait allusion à toute
celle aventure, (lu'Ayéslia raconta pUe-inèmc plus lard, souralc xxiv.
vcr.«ets 11 et suiv. Voir M. Canssin de Pcrceval, Essai sur l' histoire des
Arabes, t. III, p. 170.
* M. Ciuslave NVeil, Mohammed der Vrophet, p. 2'22, et M. Canssin île
Peicc\al, Kssai sur l'histoire des Aral>es. t. III, p. 257.
CAIIACTKI'.K liE MMIOMKT. 127
/
Ainsi, dans ces deux occasions, il avait su imposer
silence aux liop justes griels de l'époux et du père.
Je pour^ai^ accumuler encore beaucoup d'antres
exemples de cette grandeur d'âme qui pardonne les
plus mortelles injures; mais pour juger pleinement
Mahomet, il faut voir quelle fut sa conduite quand il
rentra victorieux à la Mecque, après dix ans de persé-
cutions et d'outrages et presque autant d'années
d'exil '.
C'était en 650. Il était maître alors de la meilleure
partie de l'Arabie; un grand nombre de tribus lui
étaient soumises ; il avait envoyé ses ambassades au
roi d'Abyssinie, au gouverneur de l'Egypte, au gou-
verneur de la Syrie, à l'empereur Héraclius lui-même ;
et déjà il se sentait de force à se mesurer avec l'em-
pire romain, et à lui arracher bien des lambeaux. Les
Mecquois, ayant rompu une trêve conclue peu de
temps auparavant à Ilodeibiya, Mahomet maicha contre
eux à la lète d'une aimée; de dix mille hommes. La
ville, consternée, ne pensa pas même à se défendre,
tant les précautions de Mahomet avaient été bien
prises. Les musulmans, jadis persécutés et proscrits,
ne respiraient que la \engtance, et l'on peut se figu-
rer de quelle fureur devaient être saisis tous ces
• li élait rentré une première fois rif'jà à la Mecque, mais seule-
ment à l'étal c!e pèlerin, en 029; il n'y élait rcsié que trois jours pour
accomplir ses dévotions, et il avait dû en repartir le quatrième, avec
tous ses compagnon.*, qui avaient déposé leurs armes avant d'entrer
dans le llaram. Voir le Sirat-ir-raçoiil, traduction de M. G. Weil, I. II.
p. 179.
128 MUIOMF.T, CIIAriTf'.E lîl.
guerriers à demi barl)ares, et habitués à verser le
sang pour les moindres querelles. Apaiser ces ran-
cunes farouches et empêcher des massacres dès long-
temps médités, c'était chose presque impossible; et il
fallait toute l'autorité du prophète et toute son adresse
pour réussir à atténuer le mal, si ce n'est à le prévenir
entièrement.
D'abord il destitua un de ses généraux, qui avait
exprimé des projets de vengeance impitoyable, et il
prescrivit aux autres d'éviter tout combat dans l'inté-
rieur de la Mecque ; elle était regardée comme un
asile sacré, que personne, si ce n'est le prophète, et
encore pour un temps très-limité, ne pouvait avoir le
droit de violer '. 11 défendit à qui que ce fût de verser
le sang, et il se réserva le soin de prononcer les con-
damnations capitales qu'il ne pouvait refuser à de
légitimes ressentiments. Il y eut dix-sept personnes
qu'on dévoua au sabre des soldats, mais qui presque
toutes purent échapper, redevables de leur salut à
l'intervention patente ou secrète de Mahomet -. Pour
garantir la masse de la population, il la convoqua
tout entière sur la colline Safa, et il lui fit prêter ser-
ment d'obéissance. Il était lui-même sur un siège
élevé ; Omar, assis au-dessous de lui, donnait la main
' Voir lo Coran, soiiralo m, verset 51.
- Le Sirat-er-raçaul, Iraduction de M. G. Weil. t. II, p. lori, ra-
conte tout au lonp les préparatifs de Mahomet pour cette expédilion
décisive. Voir aussi M. W. Muir, Tlw Life of Mahomet, t. IV, p. lôO,
qui croit pouvoir ;iftirmor (|iril n'y eut i\\\c (piatro ]iersonnes mises
à mort .
CAIiACTÈHE DE MAIIOMFJ. 129
en signe de prolection ' à tous ceux qui vcnaicul jurer,
et, grâce à cette démonstration solennelle, la sécurilé
fut bientôt rétablie. Tous les Mecquois, bommes et
femmes, étant devenus musulmans, étaient à l'abri
des violences dont ils avaient été menacés; et, afin
que tous les cœurs fussent rassurés, Mabomet paya
lui-même le prix du sang pour un meurtre qui avait
été commis malgré ses ordres ".
Je doute qu'il ail jamais été donné à personne, dans
l'ivresse du triompbe et dans l'apaisement d'une
guerre civile, de mieux faire que Mabomet. Pour arriver
à dompter les passions féroces dont il était entouré,
il avait eu d'abord à réprimer les siennes. 11 n'était
pas un musulman qui eût à se souvenir d'autant d'in-
sultes que lui; et, du moment que Mabomet avait
oublié les siennes, il n'était pas un de ses compa-
gnons qui pût être plus vindicatif que lui.
11 poussa même la clémence plus loin, et il eut
pour les vaincus, selon leur position, des mots gra-
cieux et consolants, qui adoucissaient l'bumilialion de
la défaite. Abou-Becr lui amena son vieux père, aveugle
et âgé de quatre-vingt-sept ans, qui jusqu'alors était
demeuré idolâtre : « Pourquoi faire sortir ce véné-
rable cheik de sa demeure'.' dit Mabomet; je serais
allé l'y visitei' ; » et, posant affectueusement les mains
' )l. Caui-sin do l'ci'ccval. Essai aur l'histoire îles Arabes, Idiiio III,
p. 23 j et suiv.
- Sirat-er-raçoul, traduclion do M. G. ^Voil, I. II, p. -205; M. C:iu?sin
de l'erceval, Essai sur iitisloire des Arabes, I. III, p. 234.
130 MAIlOMtT. CII.U'III'.E 111.
sur la poili'ine du vieillard, il reçut sa prol'essiou de
foi. Quand le fils d'Aboudjlial. Icrima, parut devant
lui, conduit par sa femme, qui avait obtenu sa grâce,
Mahomet recommanda à son entourage de s'abstenir
de toute parole amère . « Voici, dit-il, Tcrima qui vient
embrasser l'islamisme. Que nul d'entre vous ne tienne
jamais devant lui aucun propos injurieux à la mémoire
de sou père. Insulter les morts, c'est blesser les
vivants. » Puis, se levant , il alla à la rencontre
d'Icrima et le reçut affectueusement. Un autre Coray-
chiteilluslre, Safvvân, ayant demandé deux mois pour
se convertir à l'Islam, Mahomet lui en accorda le dou-
ble, afin de lui rendre la soumission moins pénible.
Il est bien rare de trouver tant de modération dans
la victoire après de si longues luttes, et ce respect des
vaincus n'est pas habituel aux victorieux, môme au
sein de la civilisation la plus avancée. Ces verlus ne
se démentirent guère chez Mahomet; et, s'il parut
quelquefois v manquer, on peut croire sans trop d'in-
dulgence qu'il cédait aux nécessités de la situation
plulùt qu'à de vulgaires et mauvais sentiments.
La clémence était le ressort principal de sa poli-
tique, et il y eut recours, chaque fois qu'il le put, pour
achever la soumission des tribus qu'il avait dû com-
battre. Il exigeait la même mansuétude de ses lieute-
nants, et il blâma énergiquement les cruautés inutiles
que quelques-uns d'entre eux avaient commises '. La
• C'est ainsi que M;ihi>niet n-prouva rexéciilion que Kliâlid, lils de
Waliii. avait lailo sur li ti-ilm des njadliinia-Ibii-.\inir. massacrée
CARACTEra-: de maiiu.mlt. i.'.i
guerre tut toujours l'aile avec cet enthousiasme et cette
frénésie qui rendirent bientôt le monde aral)e si re-
doutable à tous ses voisins; mais elle fut du moins
adoucie dans ses rigueurs , et l'exterminalion des
vaincus cessa d'être de droit commun ', C'était un
grand progrès, et l'on ne peut nier que Mahomet n'y
ait contribué de toutes ses forces, sans pouvoir d'ail-
leurs y réussir toujours.
Il voulut même , entreprise encore moins aisée ,
apprendre à ses soldats le désintéressement, dont il
leur donnait personnellement un si admirable et si
constant exemple. Le but essentiel des premières
expéditions était religieux: mais les avantages maté-
riels de la victoire se tirent bientôt sentir, et le pillage
lucratif des idolâtres aida beaucoup au désir pieux
de les convertir. Le butin excitait au moins autant
presf|ue tout entière. Voir M. Caussin de Perceval, Essai sur Ihistoire
des Arabes, t. III, p. 2i5. Comme exemple de la politique de Malio-
met, on peut citer la manière dont il traita la grande tribu de Ila-
vâzin, qui lui avait énergiquemenl résisié, et qui un instant avait
balancé la fortune; voir M. Gustave Weil, Mahomet der Propliet, page
257; M. William Muir, The Life of Mahomet, I. IV, p. 148.
• Ce ne fut guère ([u'à l'égard des Juif^ que Mahomet se départit de
sa clémence habituelle. Il leur fit grâce quelquclois, comme aux Cay-
nocâ par exemple; mais dan.s d'autres circonstances il se montra im-
placable. La tribu des Corayzha, qui avait t'ait défection pendant le
siège de Médinc, fut châtiée d une manière allreuse. Sept cents pri-
sonniers conduits à Médine y lurent égorgés. Mahomet ne doima point
personnellement cet ordre barbare. La question avait été soumise par
les Coray/.lia eux-mêmes à Sàd, (ils dcMoàdh, chef de la tribu d'Ans. Il
déc-da contre eux, et l'horrible sentence lut exécutée sans ([ue le pro-
phète intervint; voir le Sirat-rr-raçoiil, traduction de M. G. VVeil.
I. 11. p. 107; M. GuïtaveWeil, p. WJ, et M. Caussin de Perceval, t. III,
p. 144.
1.V2 MAHOMhT, CHAPITRE 111,
d'ardeur que le prosélytisme. 11 y avait là un Irès-
grand danger pour la croyance nouvelle, et Maho-
met courait risque, en voulant faire des musulmans,
de ne faire qu'une nation de pillards. Il comprit
le péril, et il s'attacha à le conjurer, d'abord en se
montrant lui-même au-des:sus de ces basses convoi-
tises, et aussi en les refrénant par ses conseils doci-
lement écoutés.
Voici une occasion dans laquelle il donna à ses par-
tisans une leçon mémorable. Les Ilavàzin , grande
peuplade limitrophe de la Mecque, venaient d'être
vaincus, après une très-rude campagne entremêlée de
revers. Mahomet était parvenu à soustraire les captifs,
qui n'étaient pas moins de six mille, à la fureur des
soldats ; l'humanité était salislaite ; mais le partage du
butin avait suscité bien des mécontentements, quoi-
qu'on eut suivi la loi faite dans le Coran après la ba-
taille de Bedr '. Les Ansàr se plaignaient hautement
que les Mecquois récemment convertis eussent été
lavorisés à leurs dépens. Les Mecquois n'étaient pas
' Il y a dans le Coran une sourate presque i nlière. la vui", consa-
crée à ce sujet spécial, cl elle est intitulée le Butin El-Anfàl]. Malu-
niel avait pensé d'abord à attribuer tout le butin à Dieu et à lui, et à
le répartir selon les vues de sa puliliiiue; après le combat de Bedr,
il l'avait distribué par portions égales entre tous ses soldats; mais
en>uite il ne préleva que le cinquième pour Dieu, son prophète et sa
famille, les orphelins et les pauvres. Cetie préoccupation de îlalio-
niet, si notoirement désintéressé pour lui-même, montre bien de (picUe
iinporlanco (-lait la répartition du butin. A l'eniliousiasme relig:ieux
se joi^'nail un amour ellVéné du lucre, aiguisé par la mi.>;ère habi-
luellr de ces mallieureuses penpbtlcs.
e.AHAC.TKlSK m: MAI10MI.T. 133
moins irrités, trouvant leurs parts insullisanles; et
la révolte était allée si loin que le prophète avait
été menacé dans sa personne, et que son man-
teau lui avait été arraché par les séditieux amas-
sés autour de lui. 11 apaisa les uns par quelques
promesses; mais quant aux Ansàr, il tint à s'expli-
quer plus particulièremeul avec eux. Il les fil donc
convoquer par Saïd-Ibn-Obàda, qui avait osé se porter
l'organe de leurs plaintes ; et, quand ils furent tous
réunis :
« Hommes de Médine, leur dit-il , je connais vos
discours et vous êtes mécontents des dons quej'ai faits
aux Coraychites; vous prétendez que je vous ai ou-
bliés. Mais répondez-moi : ne suis-je pas venu à vous
pendant que vous étiez plongés dans l'erreur? Dieu ne
vous a-t-il pas remis dans le droit chemin? N éliez-
vous pas alors dans le besoin? Ne vous a-t-il pas enri-
chis? N'étiez-vous pas livrés à la discorde entre vous?
N'a-t-il pas rempli vos cœurs d'amour et d'union? »
Mahomet s'arrêta pour attendre une réponse, et les
Ansàr lui dirent : « Oui, c'est là la vérité : c'est à Dieu
et à son prophète que nous devons la concorde cl la
fortune dont nous jouissons.» « C'est bien, reprit Maho-
met ; mais vous auriez pu me répondre aussi, avec une
sincérité que j'aurais dû moi-même reconnaître : « Tu
«es venu à Médine proscrit comme un imposteur, et
«nous avons porté témoignage delà véracité; lu es
«venu comme im fugitif dépouillé de tout, el nous
« l'avons accueilli; comme un baimi, el nous l'avons
8
154 • MAHOMET, CHAPITRE III.
«donné un asile; comme un pauvre, et nous t'avons
« soulagé. » Mais vous ne pensez pas à me répondre
ainsi ; et cependant vous ne pouvez supporter ti'anquil-
lement que je donne à ces hommes des récompenses
mondaines, par lesquelles je dois gagner leurs cœuis,
au lieu que les vôtres sont fermes dans la toi ! N'êtes-
vous donc pas contents, tandis que d'autres ramènent
chez eux des moutons et des chameaux, de ramener
parmi vous le prophète du Seigneur? Oui, par celui
(jui tient entre ses mains l'âme de Mahomet, je resterai
toujours au milieu devons. Le monde entier suivrait
une route, et les hommes de Médineen suivraient une
autre, c'est la route des hommes de Médine que je
choisirais. Que Dieu les comble de ses bienfaits, eux
et leurs fils, et les enfants de leurs enfants '. » A ces
accents du prophète, tous les yeux furent mouillés de
larmes, connneles siens; et les Ansàr s'écrièrent d'une
voix unanime : « Prophète de Dieu , nous sommes
contents de noire loi '-. »
C'est par ces hautes et sincères émotions que Maho-
met dominait surtout les âmes, et qu'il les menait à
Dieu en les arrachant à toutes les viles passions. Son
entrée à la Mecque avait eu un caractère exclusivement
religieux; et quoique la ville eût été prise sans condi-
' Voir M, Giislavo Wci', Mohamtiu'd rier Propliel. p. -il ; M. Caus-
siii de l'crccval, Essiti t.iir l'Iiisloiri' des Arabes, I. III, p. tiOÔ; M. W.
Sluir, TheL'fe of MahomvL I. IV, p. 155.
- Selon les commontateurï;, la sourate ix, vei-sels 0)0-02. fait allu-
sion à cet événcnienl. Mais l'allusion est précise dans la sourate i.ix,
verset 9.
CAP.ArjKIU: 1»E MAIIO.MKT. l.".
lions ', personne n'avait songé que le pillage pût être
le prix de la victoire. Le premier soin du prophète avait
été de se rendre à la Caaba, qui était toujours aussi
respectée des musulmans que des idolâtres ; il en
avait fait sept fois le tour, monté sur sa chamelle, et
il avait touché la Pierre noire de son bâton recourbé
[Milidjan). Puis entrant dans le sancluaire, dont il
s'était fait remettre la clef, il y avait successivement
détruit de ses propres mains tous les signes et les sym-
boles de l'idolâtrie, une colombe de bois suspendue
au plafond, des figures peintes sur les murailles et
entre autres celle d'Abraham. Sortant ensuite de
la Caaba;, il avait recommencé à en faire le tour,
levant son bâton devant chacune des trois cent
soixante idoles des tribus, qui, scellées avec du
plomb, en couronnaient le faite. Il les avait con-
damnées en disant : « La vérité est venue; que le
mensonge disparaisse -. » Et à peine avait-il proféré
ces mots, que l'idole était renversée et mise en pièces
par ceux qui le suivaient. En même temps, il avait fait
ordonner, par les crieurs publics, à tous les habitants
* Afin d'épargner le sung et (renipèclier les conséciuencos d'un as-
.'^aiil, Mahomet avait ménagé un arrangement secret avec Abou-Sofyân,
le chef des Coraycliites, qui était venu s'entendre avec lui quelques
jours auparavant. C'était Abbâs, l'oncle de Mahomet, qui s'était lait
l'intermédiaire de la négociation. Elle fait le plus grand honneur aux
deux partis; et Abou-Solyàn ne fut pas un traître. Voir les détails
donnés par M. ^Villiam Muir, The life of Mahomet, t. IV, p. 117, et
surtout la note de la page 120.
' Voir le Coran, soui'ate xvii, verset 8.1, et le Siral-er-riiçoul, tra-
duction do M. G. Weil, t. II. ]. KHI et 270.
1"ii MMIOMRr, f.II\l'ITI:F. m.
de la ville, qu'ils eussent à détruire toutes les idoles
qu'ils avaient dans leurs maisons; et en quelques
heures ridolàtrie avait disparu de la Mecque, dont
l'initiative devait être bientôt suivie par toutes les
tribus arabes '.
Les Ansâr avaient pu voir de leurs propres yeux ce
grand spectacle ; ils avaient assisté à cette prodi-
gieuse révolution ; et s'ils avaient pu croire à l'Envoyé
de Dieu quand ils prêtaient jadis en secret le serment
d'Acaba, leur foi devait être maintenant moins dou-
teuse et plus eftlcace que jamais. Les grandes pro-
messes que Mahomet leur avait faites étaient accom-
plies au delà même de toute espérance ; sa parole ne
les avait jamais trompés; sa sagesse et sa générosité
n'avaient jamais été en défaut. Ils pouvaient donc bien
s'en lier à lui, quand il demandait à ses plus anciens
et plus fidèles compagnons de i.e pas s'attacher aux
biens périssables de ce monde, et de songer plutôt
aux récompenses éternelles. Mais combien il est peu
d'hommes à qui il a été donné d'exercer sur leurs
semblables cet absolu et bienfaisant empire !
Quant à Mahomet, nous lui retrouvons ici au mi-
lieu de son triomphe, et à la fin de sa carrière, toutes
les qualités qu'avait montrées sa jeunesse. C'est tou-
jours le même homme, quoi qu'on en ait dit, unique-
ment dévoué à la grande idée qu'il a poursuivie durant
* Il nvnit fnil aussi rétablir les bornos-limilos de IViicoinle sacri'O.
le llaram. ]iour faire bien comprendre qu'en délriiisanl l'idolàlrie
il ne voulait rien ôter à la sainlelé séculaire de la Mecque.
CAliACTKKE DE M.\i;OM.J'. |."7
toute sa vie, et la servant par tous les moyens dont il
dispose, avec la plus entière sincérité et avec un succès
miraculeux. La situation seule est changée : ce sont
des tribus, ce sont des villes populeuses, ce sont des
nations qu'il convertit, au lieu de Khadidja, du jeune
Ali, de Zeïd et du vieux Varaka. Le propitète ne s'est
pas un instant démenti; mais le Dieu qu'il annonrail
à sa famille, au lieu de n'être reconnu qu'à sou
humble foyer, Test désormais d'ans l'Arabie, qui
l'adore, et qui va tenter de l'imposer au reste du
monde.
Pour achever cette esquisse du caractère de Maiio-
mel, il faut encore le considérer dans les derniers
lemps de son exislenco et aux approches de la mort.
A ces extrémités, tous les voiles tombent, et l'impos-
ture se trahit en cet instant suprême, si c'est elle, en
effet, qui jusqu'alors a trompé la crédulité du vul-
gaire. Mais Mahomet, loin de diminuer, grandit en-
core quand il va quitter celte vie et comparaître devant
Dieu, dont il s'est fait l'apôtre.
Dans les deux années qui avaient suivi la destruc-
tion des idoles et la proclamation du nouveau culte,
Mahomet avait conquis, on par lui-même ou par ses
lieutenants, presque tonte la presqu'île. Le Mahra,
l'Oman, le Nadj, l'iladramaut, l'Yémen avaient em-
brassé l'islamisme par violence ou par conviction. Les
chrétiens mêmes de Nadjrân avaient abjuré '. Il n(; res-
' Il talhiit que les tcnips fiibsenl venus, et que ia révolution n li-
f.,ieuse lut bien mûre pour que les couquêles de l'islaniisme l'uss^nt si
S.
158 MAHOMET, CHAPITRE III.
lait plus qu'à donner à toutes ces tribus un centre
d'action religieuse et nationale. La Mecque était indi-
quée pour leur capitale, par la vénération sans bornes
dont elle était entourée, et par les traditions pieuses
qui remontaient jusqu'à Abraliam lui-même. Maho-
met ne pouvait penser à la dépouiller de ce privilège ;
mais pour qu'elle pût dignement recevoir i'islam, il
ne fallait pas seulement qu'elle fût purifiée de l'idolâ-
trie, il fallait encore que le pèlerinage annuel dont
elle était le théâtre depuis vingt siècles changeât de
caractère et de signification. Pas un seul idolâtre,
venu de quelque partie que ce fût de l'Arabie, ne de-
vait désormais pouvoir s'y présenter. Mahomet résolut
de se rendre de sa personne à la cité sainte. Mais il
avait à préparer cette transformation définitive, et ce
n'était pas d'un seul coup qu'il pouvait l'accomplir.
11 ne voulut pas faire lui-même le pèlerinage, tant
(ju'il risquait de rencontrer des idolâtres autour de la
(laaba, ou dans l'enceinte du territoire sacré. Il envoya
donc Abou-Becr à sa place (651), à la tète de trois
cents pèlerins de Médine, avec le litre de chef du pèle-
rinage {Émir cl-H(idj)y et Aii lut chargé de lire solen-
nellement au peu pie le passage de la neuviètne sourate ' ,
faciles ot si liipidcs. Presque nulle pail la destruction des idoles ne
trouva de résislaiice ; l'ancien culte ne suffisait jjIiis aux besoins de
ces peuples, et l'on eût dit que de toutes p.»rts la voix du proidièle
était attendue. Les influences juives et chrétiennes, dés lonytenips
éprouvées, n'ont pas été sans doute étrangères à ce résultat.
• Cette sourate, compo.sée de 130 versets, et qui n'est peut-être
que la continuation de la \ni°, est une des plus importantes de tgut
CAUACTÈHE DE MAHOMET. 13i)
qui accordait aux païens quatre mois pour se soumettre,
et qui déclarait que, passé ce temps, le prophète était
libre [Barâat] de tout engagement envers eux ; il leur
était interdit de jamais prendre part au pèlerinage, de
même qu'ils étaient éternellement exclus du paradis.
L'idolâtrie étant ainsi proscrite de l'Arabie, et l'Islam
devant devenir la loi de l'univers, Mahomet put se
rendre à la Mecque. Moins de deux mois avant sa
muri, dans le mois de Dsou-l-Kaada, il y fit le pèleri-
nage d'adieu', si célèbre; et si vénéré dans les annales
musulmanes'. Les cérémonies qu'accomplit alors le
proplièle sont restées le type inviolable de celles que
doivent accomplir tous les pèlerins. Il y apporta d'ail-
leurs lui-même une rigueur à laquelle ses femmes
durent se soumettre ainsi qu'Ali '\
le Coran. La déclaration do gnerre à l'idolâtrie y est faite dans les
termes les plus terribles. H y a dans cette sourate beaucoup do dés-
ordre coninie dans toutes les autres; mais le ton ^^énéral a quelque
chose do vraiment effrayant, surtout (jiKind on sonje aux consé-
((uencos qu'en a tirées le fanatisme inaliométan. Au verset 5. il est dit :
,< Les mois sacrés expirés, tuez les idolâtres parlout où vous les trou-
verez. On ne doit les laisser en paix que quand ils se sont con-
vertis. » Voir le Sirat-er-raçoul, traduction de M. G. Wcil. t. II,
p. rn.
* Depuis sa fuile de la Mecque, Maliomet avait visité deux fois les
lieux saints; mais c'était le petit pèlerinage (Omra, EI-Haddj-el-
Asghar), qui peut se faire à toutes les époques de Tannée; le grand
pèlerinage se fait au dixième jour du douzième mois, et Mahomet na-
vait pas pu le faire depuis dix ans.
- La sourale xxn'' du Coran est consacrée tout entière au pèlerinage
de la Mecque, et c'est son titre. Voir aussi le Sirat-er-raçoiil, iradiu-
tion de M. C. Weil, I. H, p. ">li et suiv.
^ Ses femmes n'ayant pas apporté de victimes ne purent parlici{ier
jiu grand pèlerinage, et elles durent rester à l'état ù'ililùl: ce qui iig
l'fO MAHOMET. CÎ'AIMTIŒ III.
Il n'est pas nécessaire de décrire ici le détail de ces
cérémonies, malgré la juste importance qu'y attachent
les musulmans ; mais je remarque la prière par la-
quelle Mahomet et tous ceux qui le suivaient, au nom-
bre de quatre-vingt-dix mille ou cent mille, se con-
stituèrent à l'état de pénitents iilirâni^} avant d'entrer
ù la Mecque : « Me voici de\ant toi, ù mon Dieu; à toi
appartiennent la louange, la grâce et la puissance.
Tu n'as pas d'associé'. » Entré à la Mecque, il lit les
sept tournées obligatoires autour de la Caaba, après
avoir baisé la Pierre noire ; il récita une prière sur le
Macàm-lbrahîm, et parcourut sept fois l'espace com-
pris entre la colline de Safa et celle de Marva [Scii).
Ce lut l'emploi du premier jour. Les six jours suivants,
il sacrifia, suivant les rites, les victimes qu'il avait
amenées avec lui et qui le mettaient en état d'ihràm.
Puis sans quitter sa chamelle, sur laquelle il était
monté, il adressa, du haut d'une plate-forme de l'Ara-
fâl, un long discours au peuple assemblé pour l'en-
tendre. Il s'arrêtait après chaque phrase, et ses paroles
étaient répétées à la foule par un de ses compagnons,
Piabîa, à la voix retentissante. La tradition a conservé
lonr pormcttnil que la simplo visilo, llmra. Ali, (|tii rovonail d'mio
expédition, lut favorisé par li< propliéto, qui coni^eiitil à partager ses
\iclinnes avec lui.
* Ces distinctions d'iliràiii ot ù'ililâ! sont encore scrupuleuseiuenl
oliservées de nos joui^s; mais les simples visiteurs sont toujours beau-
coup plus nondneux que les pèlerins in'oprement dits. Voir M. Caussin
de Perceval. Eftsai sur l'histoire des Arabes, l. III, p. 209 ctsuiv.
* .le reproduis la traduction de M. Caussin de Perceval, t. III, p. '2flO;
celle de M. W. Muir en diflère un peu. t. IV, p. 23C.
r.Ai;\(:Ti:[!K de mmiumpt. lii
une partie de ce discours', dont j'extrais les passages
suivants, en hiissant de côté ceux qui se rapportent à
des intérèls moins directement religieux, comme le
règlement des dettes, la réforme du calendrier, les de-
voirs réciproques des époux, etc.
« 0 peuples, écoutez mes paroles; car je ne sais si,
une autre année, je pourrai me retrouver encore avec
vous dans ce lieu. Soyez humains et justes entre vous.
Que la vie et la propriété de chacun soient inviolables
et sacrées pour les autres; que celui qui a reçu un
dépôt le rende fidèlement à qui le lui a remis. Vous
paraîtrez devant votre Seigneur, et il vous demandera
compte de vos actions. Traitez bien les femmes ; elles
sont vos aides, et elles ne peuvent rien par elles
seules ; vous les avez prises comme un bien que Dieu
vous a confié, et vous avez pris possession d'elles par
des paroles divines. 0 peuples, écoutez mes paroles et
fixez-les dans vos esprits. Je vous ai tout révélé ; je
vous laisse une loi qui vous jtréservera à jamais de
l'erreur, si vous y restez fermement attachés, une loi
claire et positive, le livre de Dieu et l'exemple de son
• O discours a i';[ii consorvc dans l'ouvrage d'ihn-lsliàc et d'Il)n-
Isliâm. qui pn-lendeiU le donner Ici qu'il a élé prononce. Voir le Si-
ral-er-raçouU traduction de M. G. Weil, t. II, p. ôiti et suivantes, el
M. William Muir, The Ijfe ofMalwmet, l. IV, p. "r>l. Il est répété au-si
par le secrétaire de Wàckidi, avec quelques vaiiantes sans impor-
tance. La reproduction (jue je transcris est en jrrande partie celle de
M. Caussiu de l'erceval. t. 111, p. ^01. La tradition n'est pas d'ac-
cord sur le lieu précis où se tenait Mahomet pour parler au peuple;
lo« uns le placent dans la valléede Mina, les autres sur le mont .Vraffil;
' (■ dn nier avis est cdtii d'lliivl-;lirim.
142 MAHOMET. Cll.Vl'lTRE III.
prophète. 0 peuples, écoulez mes paroles et fixez-les
dans vos esprits. Sachez que tout musulman est le
frère de l'autre, que fous les musulmans sont frères
entre eux, que vous êtes lous égaux entre vous, et
que vous n'êtes qu'une famille de frères. Gardez-
vous de l'injustice ; personne ne la doit commettre au
détriment de son frère: elle entraînerait votre perte
éternelle... ' w
Puis Rabia, s'adressant à la fouh^ par l'ordre du pro-
phète : « 0 peuples, répondez, l'Envoyé de Dieu vous
interroge : Savez-vous dans quel mois vous êtes? dans
quel lieu? dans quel jour? »
La foule ayant répondu : « Nous sommes dans le
mois sacré; nous sommes dans l'enceinte sacrée; c'est
aujourd'hui la fête du saint pèlerinage, » Mahomet
ajouta : « Dis-leur, Rabia, que Dieu leur ordonne,
jusqu'au jour où il les rappellera à lui, de tenir le
sang et le bien de leurs frères pour aussi sacrés que ce
mois, ce territoire et ce jour. » A la fin de son dis-
cours, Mahomet, faisant un retour sur lui-même, s'é-
cria : « 0 Dieu, ai-je rempli mon message et terminé
ma mission-? » La foule (jui l'entourait répondit;
' .rai iiiêh' ici la traduclion do M. G. Wcii, celle do M. Caiissin do
Perceval et celle de M. AV. Muir. Les dilféreiices sont d'ailleurs à
peu prè.s insigiiillantes. La pensée et le caractère du .<eriuou no sont
pas cliangés. Voir aussi la première Irailiutioii ilo M. ('iiistavo Wcil.
Mohammed dcr propliel. p. .'Il et sniv.
- Je ne sais pourtiuiû M. AViiliani Muir suspecte la vérité de cette
grande scène. Il est hion dilticilc, sans <ioiite, de iléniontrer que ce
n'est pas la tradition superstitieuse cpii l'a inventée; mais il n'est pas
plus aisé do démontrer que ce n'est là (pi'iuie fiction. Logiquement,
CAP.ACTLRI-: DE MAHOMET. 143
comme si elle païkiit ;iu nom de Dieu lui-même :
« Oui, tu l'as accomplie; » et Mahomet s'écria de
nouveau : « 0 Dieu, daigne recevoir ce témoignage. »
Alors il congédia rassemblée, et Ahou-Becr versait
des larmes en pensant que, si la mission du pro[)hète
élaii terminée, sa mort devait étie prochaine.
En se letirant, Mahomet, faligué, entra dans la
maison d'un marchand de nahidz, c'est-à-dire d'eau
de dattes préparée pour les [)élerins ' ; et, comme
pour montrer (ju'il n'avait rien perdu de sa simplicité,
il voulnl boire dans le gobelet commun. Son cousin,
lils d'Abbàs, lui représenta ({u'il valait mieux se
rendre à la maison de son père, où l'on aura il à lui
offrir une eau et un vase plus purs; mais Mahomet
insista, et il but dans le gobelet où se désaltérait la
foule.
Tel fut Mahomet dans cctle solennité, la dernière où
il ait figuré, et une des plus extraordinaires dont puisse
se glorifier l'histoire des hommes. Je le trouve encore
on doii croiro f|iic Mahomet a lait une allocution de ce genre, dont
les ternies exacls iniporleiU fort jieu. Son voyage à la Mecque ne
pouvait pas avoir un autre objet <iue de fixer les cérémonies du pè-
lerinage en les adaptant au nouveau culte, et il élait impossible (|ue
le prophèle ne parlât pas de sa mission. Voir M. NViliiam Muir, t. IV,
(). 'ii'2. Ibn-lsliàc cite au moins trois témoins de celle dernière pré-
dication de Mahomet sur lAralàt; voir le Sirat-er-roroiil, traduction
de M. G. m-il, t. II, p. Ô07.
* Il n'y a pas aujourd Inii de dévot pèlerin qui n'imiie le prophète
dans celte action insignifiante, et qui ne boive aussi du nabidz. Le
pèlerinage !»erait moins complet et moins efficace si l'on négligeait
cetie sainte précaution. Voir M. NVilliani Muir, Tlie Life of'Maliomet,
'.. IV, p. 245.
lu MAiiuMtr, ciiviir;!:; m.
plus grand, s'il est possible, dans son agonie contre
une mort préinatuiée el presque violente.
Depuis qu'il avait élé empoisonné à Khaybar*, sa
santé, jusque-là si robuste, ne s'élait jamais complè-
tement remise, et h dérangement devint visible à lous
les veux quelques jours après sa rentrée à Médine. 11
y préparait upe nouvelle expédition en Syrie, pour
venger contre les Romains la défaite de Moùta, quand
il ressentit les premières atteintes du mal auquel il
devait succomber. Une miil qu'il était dans la maison
d'Ayésha, il se releva dévoré par la lièvre; et, suivi
d'un serviteur"-, il alla dans le principal cimetière de
Médine (Hékia-el-Gliaïkad). Là, il resta longlempsdans
une méditation profonde, et il se mit ensuite à prier
à haute voix pour les musulmans inhumés en ce lieu :
« Habitants de ces tombeaux, dit-il, soyez bénis; vous
et moi nous avons obtenu l'accomplissement des pro-
messes que le Seigneur nous avait faites. Vous êtes
sauvés, et votre partage vaut mieux que le partage de
ceux qui vous ont survécu. Si vous saviez ce que la
bonté deDieu vous épargne! Les épreuves vont se suc-
céder comme se succèdent les parties d'une sombi-e
' CV'luit, ù ce qu'il itarait. la conviction personnelle do Mahomet:
elle pouvait être assez fondée; mais il suflit de se rappeler les fati-
gues qu'il avait supportées dans les dernières années, pour com-
j)rcndre que ses forces pouvaient être épuisées, sans oublier les effets
proliables de son liarem. Voir plus liant, p. 124.
'Le Siral-er raçoiil a conservé le tém ignage el le nom de ce
serviteur, alfranclii de Maliomel; il se nommait Abou-Moveihaba. Voir
1.1 traduc ion de M. C. Vieil t. Il, ii. ôil.
CARACTERE DE MAHOMET. 145
nuit toujours de plus en plus sombres. Seigneur, ac-
corde ton pardon à ceux qui sont enterrés ici. » Puis,
s'adressant à son serviteur, il lui dit : « 0 Ajjou-Mo-
veihaba, le choix m'a été laissé entre la possession des
trésors de la terre avec la vie ici-bas, et le paradis
avec la vue du Seigneur; et, j'ai préféré le paradis. » 11
revint ensuite à sa maison, fort souffrant et se plai-
gnant vivement de douleurs de tète.
Les jours suivants, le mal ne cessant pas, il fit as-
sembler ses femmes chez Maymouna, où il se trouvait
alors, et il leur demanda leur agrément pour demeu-
rer désormais chez une d'entre elles. Il choisit Ayésha,
dont les soins lui étaient les plus doux, et il se fit con-
duire chez elle par deux hommes de sa famille. Il
pouvait cependant encore se rendre à la mosquée
pour diriger les prières publiques, et il fit un jour un
assez long discours au peuple pour justifier le choix
d'Ouçâma, commandant, quoique fort jeune, l'expédi-
tion de Syrie ^ Il eut aussi quelques paroles pleines
de tendresse pour Abou-Becr, son futur successeur; il
pria pour les morts deOhod; et, se rappelant l'asile
que Médine lui avait assuré onze ans auparavant, il
ajouta :
« 0 vous qui êtes venus ici de la Mecque el des
autres parties de l'Arabie, écoulez-moi. Votre nombre
s'accroît tous les jours, et vous remplissez de plus en
* Ouçàma était fils de Zeïd, 1 affranchi de Mahomet et le coiniia-
gnon de presque toute sa vie. In I était mort à la bataille de Moiiia
rois ans auparavant.
146 MAHOMET. CIIAPirnE III.
plus la ville. Mais le nombre des hommes de Médine ne
peut jamais s'accroître, et ils resteront éternellement
ce qu'ils étaient quand ils m'ont accueilli et qu'ils
m'ont donné un refuge. Ils me sont particulièrement
chers; car ils ont été ma famille, et ils m'ont rendu
une patrie. Honorez qui les honore, et défendez-les
toujours contre leurs ennemis ^ » C'était une digne
récompense pour les fidèles Ansâr.
Puis, s'adressant à Tassistance entière : « Musul-
mans, dit-il, si j'ai frappé quelqu'un d'entre vous, me
voici ; qu'il me frappe à son tour. Si je l'ai blessé dans
son honneur, qu'il me rende à cette heure injure
pour injure. Si j'ai enlevé à quelqu'un ce qui lui ap-
partenait, qu'il reprenne son bien sur tout ce que je
possède; et qu'il ne craigne pas d'irriter ainsi ma
haine, car la haine n'a jamais été dans mon cœur-. »
Chacun gardant le silence, Mahomet répéta ce qu'il
venait de dire; et comme un homme de la foule lui
réclama une légère somme d'argent jadis prêtée,
Mahomet la lui fit restituer aussitôt, en ajoutant : « Il
vaut mieux avoir à rougir dans ce monde-ci que dans
l'aulre. »
Il parut encore une ou deux fois dans la mosquée
' Voir M. Gustave Weil, Mohammed der piophct, p. 526 et suiv.;
M. William Muir, The Life of Mahomet, t. IV, p. 262 et suiv.; et
M. Caussin de Perceval, Essai sur V histoire des Arabes, t. III, p. 518
et suiv.
- Dans des vers qui ont élt' conservés, Yaralca disait de Mahomet :
8 IMein d'indulgence et de pardon, il ne rend jamais le mal quon
lui fait; il réprime sa colère et son ressentiment, quand on l'in-
sulte. » Voir Maçoudi, livre I, p. 1 iô do la traduction.
CARACTÈRE DE MAHOMET. li?
pour assister aux prières, qui étaient conduites d'api'ès
ses ordres par Abou-Becr, et il se montra iieureux de
la dévotion des musulmans rassemblés pour les eu-
tendre^ Mais ses forces s'épuisaient de plus en plus ;
il avait de fréquentes défaillances ; et, quand il reve-
nait à lui, on l'entendait répéter : « Mon Dieu, fortifie-
moi contre le trouble de l'âme à l'approche de la
mort. » Dans un instant de délire, il avait voulu écrire
un nouveau livre qui devait préserver les musulmans
de toute erreur, comme si le Coran n'avait pas été
écrit. Enfin, après une dernière visite à la mosquée,
le malin, il eut un évanouissement plus long que les
autres. En recouvrant ses sens, il vit Ayésha, qui lui
frottait les mains en récitant des prières, comme il
avait l'habitude de le faire lui-même en soignant les
malades à l'extrémité. « Cesse tes soins, lui dit-il, et
retire tes mains ; tu ne peux plus rien pour moi ; »
puis, la tête appuyée sur les genoux de la jeune femme,
il expira en prononçant ces mots entrecoupés : « Que
le Seigneur me pardonne; qu'il me rejoigne îf mes
compagnons d'en haut... Éternité dans le paradis...
' C'était une manière de désigner Abou-Becr pour son successeur;
et ce ne fut pas sans peine que Mahomet maintint ce clioix. Ayésiia
voulait que ce fût Omar qui remplaçât le prophète à la mosquée;
Omar put en eflet remplir une fois cet office; mais Mahomet l'entendit
de ses appartements, et il fit cesser les prières jusqu'à l'arrivée
d'Abou-Becr. Une autre fois, il avait indiqué aussi clairement sa vo-
lonté, en venant s'asseoir de sa personne auprès de la chaire où \bou-
Becr prêchait ce jour-là, à sa place, et d'après son invitation expresse.
Voir le Sirat-er-raçoul, traduction de M. G. Weil, t. Il, p. 542 et
M. W. Muir, t. IV, p. 2G5.
148 MAHOMET, CHAPITRE III.
Pardon... Oui... avec le compagnon d'en haut. » Il dé-
signait ainsi l'ange Gabriel. Mahomet était alors âgé
de soixante-deux ans, et il mourait le lundi 8 juin 652*
Il pouvait se dire, en quittant la vie, que son œuvre
était faite, et que ses deux grands successeurs, Abou-
Becr et Omar, n'avaient qu'à continuer la religion et
l'empire fondés par leur maître et leur ami.
CHAPITRE IV
SINCÉRITÉ DE MAHOMET
Jugement des contemiiorains. amis et ennemis, sur Maliomct; Abou-
Sofyàn; les députés à Tezdidjerd, roi de Terse; jugement de Malio-
raet lui-même sur le Coran, ei ses récitations; état étrange de Ma-
liomet pendant l'inspiration; les sourates terrifiques; Mahomet s'est.
toujours défendu de faire des miracles, sans nier ceux des autres
prophètes; éclipse de soleil, le jour de la mort de son fils; fables
extravagantes inventées par la superstition. — Mahomet a eu sur-
tout une autorité morale, et il ne s'est l'as disiingué par son cou-
rage; ses talents de général; il n'a pas eu de maître religieux; il
n'était pas aussi ignorant qu'on l'a dit; sa passion tardive pour les
femmes; sa fidélité à Khadicija pendant vingt-cinq ans; ses treize
épouses ; ses neuf veuves, Mères des fidèles.
J'ai dit que je croyais à la parfaite sincérité de Ma-
homet, et je ne vois rien, dans toute cette carrière que
je \iens de parcourir, qui puisse faire un instant soup-
çonner la bonne foi du prophèle'. Comment serait-il
possible qu'il ne se lût pas trahi un seul jour, si en
effet il s'était menti à lui-même et aux autres en se
* C'est aussi l'avis très-prononcé de M. Théodore Niildeke, llii.--
torien du Corani voir son ouvrage Geschichte des Qoràus, p. 2 et
suivantes.
ir.O MAHOMET. CHAPITRE lY.
donnant pour l'Envoyé de Dieu? J'ai cherché à expli-
quer cette mission, qu'il ne tenait que de sa conscience
et de l'idée qu'il se faisait du culte que l'homme doit
à son créateur. Notez bien que c'est à quarante-cinq
ans qu'il commença ses prédications. Jusque-là, il ne
s'était distingué de ses compatriotes que par les vertus
les plus réelles ; et il est trop évident qu'en se faisant
l'envoyé de Dieu, il ne voulait pas dire autre chose, si
ce n'est que Dieu lui inspirait le dogme qu'il venait
prêcher et révéler au monde. Peut-être même que
dans sa modestie Mahomet n'allait pas tout à fait aussi
loin; il croyait simplement qu'il venait rétabhr l'an-
cien culte qu'Abraham avait professé, et qu'il ne fai-
sait que continuer les enseignements de Moïse, de
David, de Jésus même et de tant d'autres prophètes
suscités avant lui.
On peut voir clairement le sens réel qu'il faut attri-
buer à cette mission de Mahomet, en interrogeant,
comme je l'ai déjà fait plus haut, les témoignages de
ses ennemis et ceux de ses partisans. Voici à cet égard
deux faits qui me semblent très-décisifs.
L'empereur lléraclius revenait de sa glorieuse expé-
dition de Perse (628), et il se trouvait en Syrie quand
il fut rejoint par l'envoyé de Mahomet, qui lui appor-
tait la lettre où le prophète arabe le conviait à em-
brasser l'islamisme. Plus surpris qu'inité, et ne vou-
lant pas sans doute se créer des embarras inutiles,
l'empereur de Byzance s'était montré bienveillant et
avait fait une réponse gracieuse quoique insignifiante.
SINCÉRITÉ DE MAHOMET. 151
Mais pour savoir un peu plus précisément ce que pou-
vait être celte étrange communication et l'état de
l'Arabie, limitrophe de son empire, il fit venir auprès
de lui quelques marchands arabes qui avaient conduit
une caravane jusqu'à Gaza. Parmi eux se trouvait
Abou-Sofyân, qui était encore à ce moment un des
adversaires les plus acharnés de Mahomet, et qui ne
devait se convertir que trois ans plus tard à l'isla-
misme. Héraclius lui fit poser quelques questions par
son interprète, et voici le dialogue que la tradition a
conservé: « A quelle famille appartient Mahomet? —
— A une famille distinguée, répondit Abou-Sofyàn.
— Y a-t-il jamais eu personne parmi vous qui ait tenu
le langage qu'il tient? — Jamais. — Avant qu'il se
donnât pour un prophète, passait-il pour un menteur?
— Non. — Y a-t-il ou avant lui quelqu'un de sa famille
qui fût roi? — Non. — A quelle classe appartiennent
ses sectateurs, à la haute classe ou au vulgaire ? — Au
vulgaire. — Leur nombre diminue-t-il ou s'accroîl-il?
— Il s'accroît sans cesse. — Ses adhérents le renient-
ils quelquefois? — Pas un ne l'a renié. — Est-il fidèle
à sa parole quand il l'a donnée? — Nous sommes
actuellement en paix avec lui ; mais nous ne savons
pas comment il observera les traités. — Avez-vous
déjà fait la guerre avec lui? — Oui. — Qui a été vain-
queur ? — Tantôt lui, tantôt nous. — Quelles sont les
doctrines qu'il recommande? — Il nous ordonne d'ab-
jurer les croyances de nos pères, de n'adorer qu'un
seul Dieu, de faire l'aumône, d'observer fidèlement
152 MAHOMET, CHAPITRE lY.
notre parole, et de nous abstenir de plaisirs cou-
pables ^ »
A côlé de cet aveu d'un ennemi, il faut placer l'en-
thousiasme non moins démonstratif des partisans de
Mahomet.
Le prophète était mort depuis quatre ans, et Omar,
successeur d'Abou-Becr, était en guerre avec le roi de
Perse. Quatorze musulmans se donnèrent la tâche
d'aller convertir Yezdidjerd, et d'empêcher par là le
contlit qui se préparait ^ Ce prince, qui n'avait pas
encore éprouvé la force des armes musulmanes, reçut
ces députés improvisés avec beaucoup de hauteur, et
il leur fit sentir l'infériorité de l'Arabie, osant en-
trer en lutte contre Tempire des Perses : « Ce que tu
as dit de notre pauvreté, de nos divisions, de notre
barbarie, répondirent les députés, était juste naguère.
Nous étions si misérables que l'on voyait parmi nous
des gens apaiser leur faim en dévorant des insectes et
des serpents; d'autres faisaient mourir leurs filles,
pour n'avoir pas à partager leurs aliments avec elles.
Plongés dans les ténèbres de la superstition et de
l'idolâtrie, sans lois et sans frein, toujours ennemis
* Voir M. Gustave 'NVeil, Mohammed der prophet, p. 201. Il pense
que, si celte tradition n'est pas vraie, elle est du moins bien inventée.
II n'y a pas de motif pour la suspecter. Toute cette morale est bien
ceUe du Coran, empruntée d'ailleurs au mosaïsme et au christia-
nisme.
* On sait que cette guerre, commencée en C30, se termina bientôt
par la mort de Yezdidjerd, dont les armées avaient été vaintues dans
trois ou quatre grandes batailles, et par la ruine de l'empire persan.
Les musulmans y firent un immense butin.
SINCÉRITÉ DE MAHOMET. 153
les uns des aiilres, nous n'étions occupés qu'à nous
piller et à nous détruire mutuellement. Voilà bien ce
que nous avons été. Mais nous sommes maintenant un
peuple nouveau. Dieu a suscité au milieu de nous un
homme, le plus distingué des Arabes par la noblesse
de sa naissance, par ses vertus, par son génie, et il l'a
choisi pour être son envoyé et son prophète. Par l'or-
gane de cet homme. Dieu nous a dit : « Je suis le Dieu
unique, éternel, créateur de l'univers. Ma bonté vous
envoie un guide pour vous diriger. La voie qu'il vous
montre vous sauvera des peines que je réserve dans
une autre vie à l'impie et au criminel, et elle vous
conduira près de moi dans le séjour de la félicité. » La
persuasion s'est insinuée peu à peu dans nos cœurs ;
nous avons cru à la mission du prophète ; nous avons
reconnu que ses paroles étaient les paroles de Dieu,
ses ordres, les ordres de Dieu, et que la religion qu'il
nous annonçait est la seule vraie religion. Il a éclairé
nos esprits, il a éteint nos haines, il nous a réunis eu
une société de frères sous des lois dictées par la
sagesse divine. Puis, il nous a ordonné d'achever son
œuvre en étendant partout l'empire de l'islamisme,
en traitant fraternellement les nations qui voudront
se convertir, en imposant le tribut à celles qui vou-
dront conserver leur religion, en exterminant celles
qui ne voudront ni embrasser l'islamisme, ni payer
le tribut \ »
' J'emprunte ceUe longue citation à l'ouvrage de M. Caussin de
Perceval (t. III, p. 478;, qui a poussé ses recherches jusqu'à la réu-
9.
154 MAHOMET, CHAPITRE IV.
Voilà comment les contemporains de Mahomet com-
prenaient qu'il était l'Envoyé de Dieu, et \oilà aussi
comment l'équilable postérité doit l'entendre. Dans
un monde où rien ne peut se faire qu'avec la volonté
divine, les individus et les peuples ne se trompent
guère à ces merveilleux phénomènes qui changent
l'àme des hommes ; seulement ceux-ci doivent justifier
ces grandes révolutions morales par leurs œuvres; et
les autres, par leur foi.
Un point plus douteux et non moins intéressant
pour décider cette question de sincérité, c'est de savoir
ce que Mahomet lui-même pensait du Coran et de ses
récitalions. Après lui, la légende n'a pas hésité à
supposer que les feuilles du Coran^écrites dans le ciel
étaient apportées toutes faites à l'apôtre. Je crois que
c'est aujourd'hui un article de foi irréfutable parmi
les dévots musulmans. Mais je ne vois pas que Ma-
homet ait autorisé jamais cette légende, d'ailleurs
fort naturelle à la dévotion et à l'ignorance. Si l'on
interroge à cet égard le Coran, on trouvera, j'en con-
viens, que son langage n'a rien de précis, et les méta-
phores dont il se sert peuvent s'interpréter dans un
sens ambigu. Ainsi plusieurs fois, Mahomet, qui parle
comme tous les prophètes au nom de Dieu ou au
sien indifféremment, fait diie à Dieu : « Nous avons
Il ion de toutes les tribus arabes sous la loi musulmane (640); les au-
tres historiens de Maliomel se sont arrêtés à sa mort. Ce langage des
députés musnlmans est à peu près celui de Djafar au Nédjàelii d'.Vbys-
sinie; voir plus haut, page 108.
SINCÉRITÉ DE MAHOMET. 155
fait descendre le Coran du ciel en langue arabe »
(sourate XII, verset 2). Ailleurs, il répète à peu près
cette expression et il dit : « Le Coran est descendu
réellement du ciel » (sourate xvii, verset 106). Mais
dans bien d'autres passages, il semble faire assez
peu de cas de cette origine céleste du Coran, et il
laisse cette fable aux infidèles. Dans la sourate iv^,
verset 152, il maudit ceux qui ne croient point à
Dieu et à ses apôtres, et il s'écrie : « Les hommes
des écritures (c'est-à-dire les juifs, et plus tard les
chrétiens) « te demanderont de faire descendre un
livre du ciel; ils avaient demandé à Moïse quelque
chose de plus, et ils lui disaient : « Fais-nous voir
Dieu face à face. » Mais une tempête terrible fondit
sur eux, en punition de leur méchanceté. » La sou-
rate vi^, verset 7, fait aussi bon marché de ces exi-
gences des infidèles, auxquelles Dieu et son prophète
n'ont pas à céder: « Quand même nous ferions des-
cendre du ciel le livre écrit tout entier sur un rou-
leau, quand même les infidèles le toucheraient de
leurs mains, ils diraient encore : « C'est de la magie
pure. »
Quelques versets de la sourate xxvi" peuvent ré-
soudre ces contradictions apparentes et indiquer la
vraie pensée de Mahomet, cachée sous des métaphores
équivoques : « Ton Seigneur est puissant et miséri-
cordieux, et le Coran est une révélalion du maître de
l'univers. L'esprit fidèle (l'ange Gabriel) l'a apporté
d'en haut, et il l'a déposé sur ton cœur, ô Mahomet,
156 MAHOMLT, CHAPITRE IV.
pour que lu fusses un apôtre*. » Le Coran ne serait
donc qu'une révélation, et en d'autres termes une
inspiration de Dieu; il n'est pas présenté sous un
autre jour dans une foule de passages, et tout en res-
tant l'œuvre indirecte de Dieu, qui permet à son pro-
phète de l'annoncer aux hommes, il n'en est pas
moins l'œuvre personnelle de l'apôlre, qui le récite
quand l'esprit d'en haut vient l'éclairer.
Ce qui peut confirmer cette interprétation favorable
à la véracité de Mahomet, c'est qu'à ses yeux le Penta-
teuque de Moïse et l'Évangile de Jésus ^ sont descen-
dus du ciel tout aussi bien que le Coran. C'est là une
assertion à laquelle il revient souvent, et qui n'a rien
d'embarrassant pour lui. 11 n'en serait pas de même
* Voir la sourate xxvi, \ersets 191, 192, 195 et 19 i. On pourrait
citer plusieurs autres passages tout à lait analogues.
2 Voir le Coran, sourate ni, verset 2 : « Il a l'ait descendre d'en haut
le Pentateuque et l'Evangile, pour servir de direction aux hommes.
Il a fail descendre la Distinction » (Al-Forkan, c'est un de^ noms du Co-
ran, et la sourate xxv porte ce titre). Dans la sourate iir, verset î'S, il
est encore dit que le Pentateuque et l'Évangile ont été envoyés d'en
haut. Ce qu'il y a d'assez singulier, c'est que Mahomet parle dé l'Évan-
gile en paraissant le croire l'œuvre de Jésus, comme il parle du Pen-
tateuque, œuvre de Moïse. Ceci me semble fortifier encore l'opinion
que j'émels ici ; car Mahomet ne pouvait ignorer que les chrétiens
eux-mêmes ne font pas de l'Evangile l'œuvre personnelle du Christ ;
ils n'en font qu'un livre sacré inspiré par Jésus à ses apôtres, comme
le Coran était inspiré à Mahomet. 11 y a dans le Coran, sourate xxi,
verset 105, un passage textuel de la lîible : « Nous avons écrit dans
les psaumes que les justes auront l'héritage do la terre. » Psaume
XXXVII, verset 29. Il est bien possible que Mahomet eût retenu ce court
verset après l'avoir entendu citer de vive voix par quelipie Juif. C'est
le seul passage de ce genre dans tout le Coran; voir plus loin les
Extraits iJu Coran, chapitre des Prophètes, et voir aussi M. Niildeke,
Histoire du Coran, p. 0
SINCÉRITÉ DE MAHOMET. 157
si le Pentateuque et l'Évangile chrétien eussent été
dictés réellement par Dieu, et s'il fallait admettre que
c'est au sens matériel qu'ils sont l'un et l'autre venus
du ciel. Comme la parole de Dieu ainsi comprise de-
vrait être à jamais immuable, il ne serait pas pos-
sible de supposer plusieurs rédactions successives qui
pourraient se contredire, ou qui devraient tout au
moins se compléter. Au contraire, avec l'intermédiaire
des prophètes, qui ne sont qu'inspirés, la parole de
Dieu peut varier selon les individus, selon les peuples
et selon les temps. C'est là, on peut dire, le système
de Mahomet sur les prophètes, dont il parle sans cesse
avec sympathie et admiration, ses prédécesseurs, mé-
connus et persécutés ainsi que lui.
Il n'y a donc pas beaucoup à s'arrêter aux expres-
sions et aux images dont Mahomet se sert en parlant
du Coran ; il n'en est pas une seule qui ne puisse
être expliquée symboliquement ; et c'est, à mon avis,
les forcer étrangement que de les prendre dans une
signification matérielle. « Le Coran est descendu du
ciel sur le cœur de Mahomet, » ne veut pas dire autre
chose, si ce n'est que le prophète était pénétré de l'es-
prit divin quand il composait et récitait les sourates.
Tous les témoignages s'accordent, en remontant à
ceux d'Ayésha, sa femme, et de Zeïd, fils de Thàbil,
le premier éditeur du Coran', pour constater que,
* Voir M. Gustave AVeil, Mohammed der Propfiet, p. 4i, noie 48 ;
M. \Villiain Muir, The Life of Mahomet, t. Il, p. 87; et surtout M. A.
Sprenger, qui, en sa qualité de médecin, s'est étendu plus que per-
158 MAHOMET, CHAPITRE IV.
dans les moments où Mahomet était inspiré, il tom-
bait en un état extraordinaire et très-effrayant. La
sueur coulait alors de son front, même pendant les
saisons les moms chaudes de l'année; ses yeux deve-
naient rouges de sang ; il poussait des gémissements,
et la crise se terminait le plus souvent par une syn-
cope, qui durait plus ou moins de temps; il n'aimait
pas qu'on le vit en ce désordre, et ses amis les plus
familiers n'osaient en ce moment lever les regards
vers lui. Sans reconnaître dans ces émotions singu-
lières des attaques d'épilepsie, comme on l'a bien des
fois prétendu, on peut croire que les récitations du
Coran, étaient toujours accompagnées pour Mahomet
d'un trouble profond. Persuadé de sa mission divine,
comme il l'était, il avait pu arriver assez vite à penser
que Dieu même parlait par sa bouche. La grandeur et
l'importance des idées qui l'agitaient répondaient à la
sainteté de cet office; et même lorsque, plus tard, les
sourates s'abaissèrent quelquefois à n'être que des
apologies personnelles dans des querelles misérables
déménage, l'habitude était prise; et Mahomet pou-
vait ne pas déchoir à ses propres yeux, même quand
il cherchait dans le Coran à calmer les jalousies de ses
femmes et à faire taire les mauvais propos dont il
était l'objet.
Il paraît bien certain, d'après la tradition, que l'in-
sonne sur ces accidents, en apparence morbides, de la conslitiUion de
Maliomel. Voir Dos heben und die Lettre des Moliaiiinidd. t. I. p. 207
et suiv.
SINCERITE DE MAHOMET. 159
spiralion était irrégulière et instantanée chez le pro-
phète, et qu'il ne pouvait pas prévoir le moment où il
en serait saisi. Parfois il eu fut pris pendant qu'il
était monté à chameau; parfois au milieu de la foule,
aussi bien que dans l'intérieur solitaire de sa maison.
Il sentait lui-même que ces secousses réitérées le fati-
guaient beaucoup; et dans une occasion, que la tradi-
»tion a recueiUie, il exprima ce qu'il en pensait sous
une forme qui n'a rien que de très-naturel. Abou-
Becr et Omar étaient assis un jour dans la mosquée, à
Médine, quand Mahomet y entra par une des portes
qui donnaient dans les maisons de ses femmes. Il avait
la main sur sa barbe, qu'il soulevait en la caressant.
A cette époque elle grisonnait déjà sensiblement.
Abou-Becr, faisant cette remarque, lui dit : « 0 toi,
pour qui je serais prêt à sacrifier mon père et ma
mère, que ta barbe et tes cheveux blanchissent ! —
Tu dis vrai, répondit Mahomet à son ami tout ému;
mais c'est iïoud et ses sœurs qui m'ont fait blanchir
si vite, — Et quelles sont ses sœurs, demanda Abou-
Becr? — C'est l'Inévitable et la Frappante, » répli-
qua le prophète '. Il indiquait ainsi trois sourates,
celles qui sont classées la xi% la lvi* et la ci*" dans le
Coran. On les appelle les sourates tcrrihques, en com-
pagnie de cinq autres, qui ont reçu le même nom^.
» Voir M. W. Muir, The Life of Mahomet, t. II, p. 88.
* Les cinq autres sourales, outre la xi", la lm et la ci', sont la xxi«,
la Lxix", la Lxxvii", la Lxxvni" et la lxxxi' ; elles sont intitulées : les Pro-
pliètcs, le Jour inévitable, les Envoyés, la (Irande nouvelle et le Soleil
160 MAHOMET, CHAPITRE IV.
Il est probable que la composition de celles-là avait
été plus pénible, et que Mahomet avait souffert davan-
tage en les produisant.
Je ne voudrais pas étendre par trop cette tradi-
tion, et il n'est guère probable que Tinspiralion ait
toujours été aussi douloureuse; mais le désordre
même du Coran donne, il faut en convenir, une
grande vraisemblance à ces détails, qu'a pieusement^
conservés la dévotion musulmane. Je ne parle même
pas du désordre général du livre, qui est de toule
évidence; mais le trouble est encore plus apparent,
s'il est possible, dans le contenu même de chaque
sourate. 11 n'y en a pas une où le sujet se suive d'une
manière un peu continue et un per régulière ; les ma-
tières les plus disparates y sont traitées pêle-mêle, et
à côté des rares articles de loi civile qui disposent sur
les héritages, sur les femmes et sur les orphelins, par
exemple, viennent se placer des imprécations sans lui
contre les juifs, les hypocrites, les infidèles, des
louanges à Moïse, à Jésus, fils de Marie, et la justifica-
tion du prophète, etc.'. Toutes les sourates offrent
la même bigarrure, qui montre bien la disposition
d'âme de Mahomet. Les éditeurs n'ont pu rien y mo-
difier, et s'ils avaient essayé d'y mettre un peu plus
ployé; voir M. \V. Miiir, TIte Life of Mahomet, t. II, p. 88. Ces sourates
ne semblent pas avoir rien de parliculier ; mais pour Lien juger de ce
qui les avait rendues si pénibles, il faudrait connaître une foule de
circonstances que la tradition n'a pu conserver.
» On peut citer entre antres la iv« sourate, où l'on trouvera la sin-
gulière confusion que nous signalons.
SINCÉRITÉ DE MAHOMET. 161
d'ordre, c'est le Coran tout entier qui eût été à refaire .
Il fallait laisser les sourates telles qu'elles étaient,
sous peine de les détruire, et d'ailleurs cette confusion
même est sans doute trop conforme au génie arabe et
au génie oriental pour que personne pensât même à
la corriger.
Ce qui doit porter encore à croire que Mahomet n'a
rien voulu voir de surnaturel dans ses inspirations,
c'est que dans le cours entier du Coran, et l'on peut
dire presque à chaque page, il se défend de faire des
miracles. Les idolâtres, les infidèles, les sceptiques, les
hypocrites lui demandaient sans cesse de justifier sa
mission par ce témoignage irréfutable ; sans cesse il
s'y refuse, et il repousse avec colère et indignation
ces pièges, où il pouvait facilement tomber. Dans la
sourate lu" , où il parle en excellents termes d'Anne,
mère de Marie, et de la vierge Marie, mère de Jésus*,
il montre combien le don des miracles lui serait inu-
tile pour persuader les hommes, puisque des pro-
phètes doués par le ciel de cette puissance n'en ont
pas moins péri sous la main des incrédules et des mé-
chants : « A ceux qui disent : Dieu nous a déclaré que
nous ne serons tenus de croire à un prophète que
lorsque ce prophète présentera une offrande que le
feu du ciel consumera aussitôt, réponds : Il vous est
venu avant moi des prophètes qui ont fait des miracles,
et même celui dont vous parlez. Pourquoi donc les
* Coran, sourate iir% versets 179 et suiv. ; traduction de M. Kasi-
roirski.
162 .MAHOMET, CHAPITRE IV.
avez- VOUS tués? Diles-le si vous êtes véridiques. S'ils
te traitent d'imposteur, ù Mohammed, les apôtres en-
voyés avant toi ont été traités de même, bien qu'ils
eussent opéré des miracles et apporté le livre des
Psaumes et le livre de l'Évangile, qui éclaire. » Ail-
leurs ', il dit plus expressément encore : « Ils disent :
Si au moins des miracles lui étaient accordés de la
part de son Seigneur, nous croirions. Réponds-leur :
Les miracles sont au pouvoir de Dieu, et moi je ne
suis qu'un envoyé chargé d'avertir ouvertement les
hommes. » Dans un autre passage. Dieu, prenant la
parole, dit à Mahomet : « Rien ne nous aurait em-
pêché de t'envoyer avec le pouvoir des miracles. »
Et si Dieu ne l'a pas fait, il en donne la raison :
« c'est que les peuples d'autrefois avaient déjà traité
de mensonges les miracles qu'avaient faits les pro-
pliètes antérieurs^, v Enfin, pour ne pas prolonger
ces citations presque inutiles, tant elles sont pé-
remptoires, en voici une dernière, tirée de la sou-
rate xxi" : « Les méchants se disent en secret : Mo-
hammed est-il donc autre chose qu'un homme comme
nous? Le Coran n'est qu'un amas de rêves ; c'est
lui qui Ta inventé; c'est un poëte; qu'il nous fasse
voir un miracle comme en faisaient les envoyés d'au-
trefois''. »
' Coran, sourate xxix', verset 49; voir aussi sourate x', verset 21.
- Coran, sourate xvii', verset 61.
^ Coran, sourate xxr', \ersets 5 et suiv. Il serait l;icile daccumuler
autant de jiassaycs qu"on voudrait en ce sens. C'est là une des idées
SINCÉRITÉ DE MAHOMET. 10."
A ces citations du Coran, on peut joindre un fait
plus décisif encore et qui atteste bien la véracité de
Mahomet. Dans une occasion où l'imposture était pro-
voquée par tout le monde, et où elle était aussi facile
que profitable, il la repoussa avec une hauteur dédai-
gneuse. Son fils Ibrahim venait de mourir, âgé d'en-
viron deux ans, au mois de mars 650. Cet enfant
devait lui être doublement cher, d'abord parce qu'il
était le seul enfant mâle qu'il eût, et ensuite parce
qu'il était né de Maria, la Copte, dont l'intrusion
parmi ses femmes avait causé les orages les plus fâ-
cheux et un scandale déshonorant. Le jour même où
cet enfant mourut, il y avait une éclipse de soleil.
Autour de Mahomet, on ne manqua pas de dire que
l'astre s'éclipsait à cause de la mort d'Ibrahim; mais
le prophète coupa court à ces rumeurs flatteuses, qui
circulaient déjà dans le peuple^: « Le soleil et la lune
ne s'éclipsent, dit-il, ni pour la mort ni pour la nais-
sance de qui que ce soit. Ce sont des merveilles divines,
par lesquelles Dieu manifeste sa puissance afin qu'on
le craigne. Quand vous voyez une éclipse, mettez-
qui reviennent le plus souvent à l'esprit de Mahomet. Voir plus loin
les Exiraits du Coran, chapitre de Mahomet.
* Voir M W, Muir, The Life of Mahomet, t. IV, p. IGo. La douleur
de Mahomet paraît avoir été excessive, ainsi que celle de Maria et de sa
sœur Shirin, ciiargée du soin de l'enfant. Les historiens arabes don-
nent les plus touchants détails, qui prouvent la profonde sensibilité de
Mahomet et son amour passionné des enfants. Il y a dans sa vie plu-
sieurs traits tout à fait analogues à celui qui a fait tant d'honneur à la
mémoire de Henri IV. M. Mahmoud Efïendi, astronome, et un des
élèves les plus distingués do la mission égyptienne à l'aris, a calculé
164 MAHOMET. CHAPITRE IV.
VOUS en prière, et restez-y jusqu'à ce qu'elle soil
passée. » Pourtant, qu'y aurait-il eu de plus simple
pour Mahomet, qui était au comble de sa fortune et qui
régnait dès lors sur l'Arabie, que de prendre ce phé-
nomène pour un signe de la sollicitude divine envers
lui ; et, en le supposant un imposteur, que de profiter
si aisément de la crédulité populaire, appuyée sur le
sentiment d'une légitime reconnaissance? 11 ne suc-
comba point à celte vulgaire tentation, et l'histoire
impartiale doit lui rendre cette justice'.
En présence de tels faits, il faut se mettre en garde
contre ces fables dont on entoure quelquefois la mé-
moire du prophète, et par lesquelles la superstition
musulmane a cru relever sa gloire. Mahomet n'est
pour rien dans les récits merveilleux de son voyage à
Jérusalem en une seule nuit, des dix mille anges qui
combattaient à Bedr pour les Ansàr et les Mohadjir,
des armées invisibles qui soutenaient les fidèles mu-
sulmans dans toutes les rencontres, etc. Ce sont quel-
ques expressions obscures ou métaphoriques du Co-
ran- qui ont donné naissance à ces contes absurdes;
ils n'ont obtenu créance que beaucoup plus tard, et il
cette éclipse de GôO, dans son excellent Mémoire sur le calendrier
arabe avant l'islamisme, etc. Paris, im|n"imcrie imiiériale, 1858, in-8.
A la page 5 et suiv., M. Mahmoud a rapporté avec le texte arabe piu-
sievirs Ladillis sur la mort d'Iljraiiim.
• M. AV. Muir, par exemple, l'a fait en très-hons termes, The Life
of Mahomet, t. IV, p. 16G.
* Voir le Coran, pour le voyage nocturne à Jérusalem, sourate xvn",
verset 1 ; pour les dix mille anges à Bedr, sourate vni% verset 9; pour
les armées invisibles, sourate xHin", verset 9. Dans tous ces passages
SINCERITE DE MAHOMET. 165
serait inique de les faire remonter à Mahomet, quand
il a toujours résisté personnellement à cette pente
irrésistible de l'esprit arabe.
Il est même bon d'ajouter que, tout en se défendant
lui-môme de faire des miracles, il n'a cessé de croire
fermement à ceux de Moïse et même à ceux de Jésus-
Christ. Il se complaît à les raconter longuement, loin
de les nier ; et celui de la baguette changée en ser-
pent est exposé trois ou quatre fois au moins dans le
Coran. Ce n'est donc pas les miracles en eux-mêmes
que Mahomet repousse ; c'est uniquement une telle
faculté surnaturelle appliquée à lui-même. Il a bien
assez d'avoir vu l'ange Gabriel dans un de ses songes
et dans un moment d'exaltation excessive. La mission
qu'il s'est donnée lui suffit, et elle est assez belle et
assez utile pour le persuader lui-même, ainsi qu'elle
persuade tous ceux qui l'approchent. Il est difficile de
savoir comment Tesprit railleur et sceptique des Co-
raychites aurait pris les miracles que Mahomet eût
essayé de faire ; mais puisqu'il a protesté lui-même
constamment contre une telle intention, il est bien
inutile d'élever cette conjecture, et il vaut mieux s'en
tenir au Coran qu'à des hypothèses. L'empire qu'exer-
çait Mahomet était tout moral, et il n'y a pas dans
toute sa vie un seul fait qui autorise à l'accuser de
charlatanisme. Ses compagnons l'adoraient avec le
fanatisme d'un dévouement et d'une admiration sans
il n'y a rien de plus que des métaphores; voir M. William Muir,
t. II, p. 222.
166 MAHOMET. CHAPITRE IV.
bornes; mais quand, sur le corps de Mahomet qui
venait d'expirer, Omar, au désespoir, voulut prétendre
que le prophète ne pouvait mourir, Abou-Becr n'eut
pas de peine à calmer la foule, un instant égarée, et
à rétablir la triste réalité. Il n'y avait pas plus de mi-
racles pour la mort de Mahomet qu'il n'y en avait eu
durant sa vie\
Une remarque qu'on peut aisément faire en lisant
l'histoire du prophète, c'est que, dans une nation aussi
belliqueuse que celle qu'il conduisait, ce ne fut pas
par son courage qu'il acquit son influence. On aurait
dû croire que c'était surtout par la bravoure person-
nelle dans les combats que le chef des Arabes se serait
signalé. Il n'en fut rien, et bien que des historiens
musulmans aient appelé quelquefois Mahomet le pro-
phète du sabre % le Coran a beaucoup plus fait pour
sa domination que sa vaillance. Il ne montra jamais
sans doute la moindre faiblesse dans la lutte et sur le
champ de bataille ; mais la douceur naturelle de son
caractère le rendait peu belliqueux, et son tempéra-
ment était si nerveux, qu'il avait toujours quelque
* Voirie Sirat^er-raçoul, traduction de M. G. Weil, t. II, p. 548 et
suiv.; M. Gustave AVeil, Mohammed der Prophet, p. 225; M. Caussin
de Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes, t. IIl, p. 532; et M. W.
Muir, The lAfe of Mahomet, t. IV, p. 285. 1,'altercation d'Omar et
d'Abou-Becr olfre des détails très-curieux et même Irès-toucliants,
que je n'ai pu rapporter ici, mais qui méritent delre connus. Il sullit
à Abou-Becr de citer à Omar quelques vers du Coran pour le con-
vaincre et le ramener; Sirat-er-raçoiil, traduction de M. G. ^Veil,
t. II, p. 549.
* Voir l'article de M. Reinaud sur Mahomet, p. 01
SINCEIUTE DE MAHOMET. !67
peine à rester dans les ténèbres\ Pendant la meilleure
partie de sa carrière, il n'eut pas roccasion de mettre
les armes à la main, et il avait cinquante ans passés
quand il devint chef d'armée. Mais un talent qu'il
semble avoir possédé au plus haut degré, c'est celui
du général. Les détails qui pourraient nous éclairer
sur sa capacité militaire sont rares; mais, autant
qu'on en peut juger d'après quelques indications, Ma-
homet paraît avoir été beaucoup plus halnle qu'aucun
de ses concurrents dans Fart de la stratégie. La vigi-
lance infatigable pour les préparatifs, le coup d'œil
pendant l'action, la conception générale d'un plan de
campagne, la persévérance et le secret ne lui ont ja-
mais fait défaut, et ces qualités éminentes ont pro-
bablement beaucoup contribué à son succès. Ses bio-
graphes n'étaient guère en état de les apprécier, et
voilà sans doute pourquoi ils ne nous en ont rien dit.
Mais nous pouvons suppléer à cette rélicence; et en
voyant que Mahomet éprouva si peu de revers, on est
en droit de supposer qu'il avait en lui toutes les res-
sources qui les préviennent et qui domptent la for-
tune.
Il n'a pas eu de maître qui lui ait enseigné la tac-
tique, et ses triomphes militaires n'ont été que l'effet
de son génie. Je crois, à plus forte raison, qu'on peut
en dire autant de ses croyances religieuses; elles
n'ont rien de bien original, et elles étaient répandues
' M. ^^. Muir, Tlie Life of Maliomet, t. III, p. 01.
16S MAHOMET, CHAPITRE IV.
et connues avant lui. Mais c'est Mahomet seul qui a
su les faire prévaloir à jamais parmi les tribus arabes,
et s'il n'a pas la gloire de l'invention, il a du moins
celle d'un prosélytisme invincible non moins que bien-
faisant. Les Hanyfes l'avaient devancé, et il ne s'est
pas fait faute d'emprunter beaucoup au judaïsme et
au christianisme, qu'il comprenait à sa manière. Mais
les Ilanyfes étaient restés obscurs et inféconds. Le ju-
daïsme et le christianisme avaient avorté dans ces
contrées, malgré leur vérité et leur grandeur. Maho-
met seul a réussi, grâce à ses puissantes facultés, qui
n'étaient qu'à lui. Aussi peut-on trouver assez inutiles
les peines que se sont données bien des historiens
pour découvrir quels avaient été les maîtres religieux
de Mahomet. Sans doute il est assez curieux de con-
naître ses relations avec les Abrahamites, avec les
juifs et les chrétiens, soit de la Mecque, soit de Mé-
dine. Mais tout cela n'explique rien, et ce ne sont pas
des enseignements de cette espèce qui décident du
destin des grands hommes. 11 n'y a pas d'école pour
les héros, pour les conquérants, ni surtout pour les
fondateurs de religion. C'est le ciel qui les fait, et ce
sont les circonstances qui les développent^
' M. le docteur A. Sprcriger a consacré de longues et Irès-savantcs
recherches à ces questions. Dans le second volume do son ouvrage,
Dus Lebeii uiid die Lehre des Moliammad, plusieurs chapitres traitent de
rinfluence chrétienne sur Mahomet, et spécialement du maître que
peut avoir eu le prophète. Dans un appendice fort curieux, au trei-
zième chapitre, l'auteur a réuni tous les témoignages des auteurs ori-
ginaux qui peuvent jeter quelque jour sur ce point délicat. Quel était
SINCÉRITÉ DE MAHOMET. 169
Par des motils analogues, je crois qu'on a atlaché
beaucoup trop d'importance à la prétendue ignorance
de Mahomet. Qu'importe, en effet, qu'il ait su ou qu'il
n'ait pas su lire et écrire? En est-il moins grand? En
a-t-il moins détruit l'idolâlrie dans le monde arabe?
En a-t-il moins été l'organisateur et le chef d'un peu-
ple entier, le prophète d'une religion nouvelle? Les
historiens les plus autorisés, M. A. Sprenger, par
exemple', penchent à supposer que Mahomet n'était
pas aussi peu instruit qu'on l'a cru, d'après certains
passages du Coran mal interprétés. Il y a un bon
nombre d'autres passages qui prouvent tout le con-
traire; et dans la vie même du prophète, une multi-
tude de détails ne se comprennent bien qu'en admet-
tant qu'il possédait ces premiers éléments de toute
culture intellectuelle. Mahomet paraissait en bien sen-
tir lui-même toute l'utilité, puisqu'il imposait cet
enseignement pour rançon aux prisonniers de Bedr,
ce maille? (pielle était sa patrie el son nom? Il parait (ju'il se nom-
mait Abralia, renégat chrétien, qui, après s'être converti à l'Islam,
lut au nombre des émigrés d'Abyssinie. La tradition n'est pas d'ail-
leurs si bien établie qu'elle ne varie beaucoup d'un auteur à l'autre;
cl ce prétendu maître est appelé aussi Bahyrâ et Sergius, par les
bisloriens chrétiens de cette époque ; t. II, p. 180, 349 el suiv.
' M. A. Sprenger, Das Leben imd die Lelire des Mohammad. t. Il,
p. 398, a fait de cette question l'objet d'une annexe spéciale. M. Caus-
sin de Perceval, Essai sur l'histoire des Arabes, t. I, p. 555, la laisse
dans le doute. Il est probable cependant que Khadidja n'eût pas
chargé des intérêts de sa caravane un homme qui n'aurait pas su tenir
des comptes, et Mahomet avait vingt-quatre ans environ quand la
riche veuve le prit pour son agent. On a supposé que Mahomet n'avait
appris à lire et à écrire que dans un âge assez avancé. Voir M. NOl-
deke, Histoire du Coran, p. 10 et suiv.
10
170 MAHOMET, CHAPITRE IV.
et qu'il avait autour de lui des secrétaires attitrés.
Dans son agonie, il demandait à ceux qui assistaient
à ses derniers moments de l'encre et une plume pour
écrire un nouveau Coran, et ceci prouve qu'il était en
état de se servir de ces instruments délicats. Mais, en-
core une fois, ce sont là des questions tout à fait se-
condaires, et rignorance de Mahomet, loin de le di-
minuer à nos yeux, devrait au contraire nous le faire
admirer encore davantage.
J'en arrive à la faute la plus grave qu'ait commise
le prophète, je veux parler de sa polygamie. Ce dés-
ordre fatal et presque inexplicable a jeté une ombre
et comme une tache indélébile sur toute sa mémoire;
et il ne nous apparaît qu'avec cette souillure, qui
abaisse son caractère et déshonore ses mœurs. On la
retrouve dans la vie de plus d'un patriarche biblique,
sans qu'elle y produise ce déplorable effet. C'est que
le temps et les personnages sont changés. Ce qu'on
tolère à l'origine des âges paraît inexcusable six siè-
cles après l'ère chrétienne, surtout quand on prétend
appeler les peuples à une religion meilleure, et qu'on
doit apparemment purifier les mœurs en même temps
qu'on éclaire les esprits ^
Mahomet avait cinquante ans quand il perdit Kha-
dîdja. Il en avait vécu avec elle. vingt-cinq dans l'u-
nion la plus fidèle et la plus heureuse, d'où étaient
' Longtemps après l'âge des patriarclies, Salomon avait ou les
mœurs que l'on sait; et quoiqu'il eût donné ce i'alal exemple, son
renom de sagesse en avait peu souffert.
SINŒP.ITÉ DE MAHOMET. 171
.sortis d'assez nombreux enfants. Veuf depuis un mois
à peine, il avait épousé Saouda, veuve de Sakràn, un
des émigrés d'Abyssinie (620); et presque en même
temps il s'était fiancé à Ayéslia, la fdle d'Abou-Becr,
qui avait alors sept ans et qu'il n'épousa que trois an-
nées plus tard (6"25). Cet engagement, contracté sans
doute par calcul politique et afin de se rapprocher
davantage encore d'Abou-Becr, fut fatal, et il devint
l'origine de tous les excès qui suivirent. Pendant près
de quatre ans, après la mort de Khadidja, Mahomet
s'était contenté d'une femme unique, et Saouda non
plus n'avait point eu de rivale. Mais, une fois marié à
la jeune et charmante Ayésha, il s'abandonna sans
mesure à ses passions, et en moins de cinq années il
épousa huit femmes, sans compter deux concubines.
C'est d'abord Hafsa, lille d'Omar et veuve d'un guerrier
fameux. Hafsa, d'un caractère altier et bien connue
pour son intraitable humeur, n'avait pu se remarier;
et Othmàn entre autres avait refusé sa main. Par une
condescendance assez singulière et pour satisfaire
Omar, le prophète prit Hafsa pour femme, et il donna
sa fdle Oumm Colthoum à Othmân. Ceci se passait
en 62 i, c'est-à-dire deux ans environ après l'Hégire.
Dans le cours de 626, Mahomet épousait jusqu'à
quatre femmes : Zeynab (Zénobie), fdle de Khozeima,
appelée pour sa charité la mère des pauvres, veuve
de son cousin Obeida, tué à Bedr; Oumm Salma,
veuve d'un des émigrés d'Abyssinie, qui, en mourant
après Ohod, lui avait laissé quatre enfants en bas
172 MAHOMET, CHAPITRE lY.
âge; Zeynab, fille de Djasli; et Djouveyria, fille du
chef des Béni-Moustalik, dont la tribu venail d'èlre
subjuguée. Captive du prophète, la belle Djouveyria
avait su le toucher ; et, grâce à elle, la plupart des
prisonniers avaient été épargnés.
Mais le mariage de Zeynab, fille de Djash, avait été
l'orcasion d'un grand scandale. Elle était la femme de
ce Zeïd dont Mahomet avait fait son fils adoptif, de
telle sorte que le prophète, donnant un coupable
exemple, épousait sa belle-fille. Zeïd, par un dévoue-
ment aveugle, avait répudié sa femme, dont il n'avait
point à se plaindre, et l'avait ainsi rendue libre. Le
monde musulman était affligé profondément et indi-
gné de cette union contraire à tous les usages. Maho-
met la légitima par un verset du Coran', et désormais
les fidèles purent piendre pour femmes les femmes
répudiées de leurs enfants adoptifs. Zeïd fut récom-
pensé de sa complaisance par la mention expresse de
son nom dans le livre sacré* ; mais à dater de ce mo-
ment, il perdit son titre de fils de Mahomet, et il ne
' Coran, sourate xxxiii'", verset Ô7. M. \V. Muir, The Life ofMiiho-
met, t. III, p. 250, hlàme ici très-vivemont Maliomet, pour lecjuii il
est dailleurs fort impartial et même bienveillant, et il va jusqu'à dire
que cette sanction sacrée donnée à une passion brutale est « une
cfCronterie impie. » Cette expression sévère n'est que juste; seule-
mont il est peu probable que Mahomet eût la pleine conscience de ce
qu'il faisait, et qu'il sentît sa faute comme nous pouvons la sentir
nous-mêmes.
- Voir le Coran, sourate xxxni", verset 57 : « Lorsque Zeïd prit un
parti el résolut de répudier sa femme, nous l'unimes à toi par le
mariage, afin que ce no soit pas un crime pour les croyants d épouser
les femmes de leurs fds adoptifs après la répudiation. » Zeïd est avec
SINCÉRITÉ DE MAHOMET 173
fut plus que le fils de Hârilha, comme le voulaij: sa
naissance.
L'année suivante, le prophète joignait aux sept fem-
mes qu'il avait déjà la belle Rihàna, comme concu-
bine. Rihàna, delà tribu des Juifs Corayzha, si cruel-
lement massacrés, était restée fidèle à la religion de
ses pères; et c'était là un obstacle infranchissable à
devenir une épouse légitime. Safia, autre Juive, veuve
de Kinàma, chef de Khaybar, fut moins scrupuleuse,
et après son abjuration elle devint la huitième femme
de Mahomet. En 628, il en épousait encore une nou-
velle dans la personne d'Habiba, veuve d'un des émi-
grés d'Abyssinie, qui n'avait pas moins de quarante
ans, et à laquelle il s'était fiancé par procuration aus-
sitôt qu'elle avait eu perdu son premier mari. A la
même époque, il prenait comme concubine Maria,
l'esclave copte ^, qui devait lui donner le seul fils et le
seul enfant qu'il eût eu depuis Khndidja. Enfin la
dernière femme de Mahomet fut Maimouna, qu'il
épousa pendant le petit pèlerinage à la Mecque, trois
ans environ avant sa mort. Yeuve de deux maris,
Maimouna était âgée de cinquante et un ans, et il est
probable que l'objet principal de Mahomet, en con-
tractant cette union, ce fut de hâter la conversion et
de s'assurer le dévouement du neveu de Maimouna,
Atjoii-liihab le seul des contemporains de Mahomet nommé dans le
Coran, sourate cxi, verset 1.
* De l'avis unanime de tous les conmientaleurs, il e.'-l fait allusion
aux querelles intérieures que susciia la jalousie des femmes du pro-
phète contre Maria !a Copte, Coran, sourate ixvi, versets 1 et suiv.
10
174 MAHOMET, CHAPITRE IV.
le fameux Klialid, fils de Yalid, surnommé l'Épée de
Dieu, qui devait être par son courage et son habileté
un des appuis les plus fermes de l'Islam naissant'.
Il est évident pour plusieurs de ces unions que ce
fut la politique qui les dicta ou les imposa. Tels sont
les choix d'Ayésha"-, fille d'Abou-Becr, et d'Hafsa, fille
d'Omar; ce n'était qu'un lien nouveau entre le pro-
phète et ses deux plus illustres adhérents, destinés à
être ses deux premiers successeurs. Tels furent aussi
les choix de Saouda, de Zeynab, fille de Khozeima,
d'Oumm Salma, d'Oumm Habiba, et même de Mai-
mouna, toutes veuves de musulmans morts en exil ou
tués au combat. Mais il n'y a plus de calcul, et il n'y
a que de la débauche dans toutes ces autres alliances
qui se multiplient à quelques mois d'intervalle, et
qui ne s'expliquent que par de brutales convoitises.
* Voir le Sirat-er-raçoul, traduction de M. G. Wcil, t II, p. 341.
Mahomet avait recommandé à ses sectateurs de ne pas épouser ses
l'emnies après sa mort, Coran, sourate xxxiii, verset 55. Aucun mu-
sulman n'cnl"rcij,Miit cette recommandation, qu'on regardait comme
sacrée. Les neuf veuves de Mahomet entourées de respect furent pen-
sionnées par l'État, auquel tous les biens du proplicte avaient fait re-
tour, et elles furent appelées les Mères des fidèles, afin de mieux con-
sacrer leur veuvage.
- Lorsqu'Ayésha devint la femme de Mahomet, elle n'avait que dix
ans. Pour ne pas sentir une sorte d'horreur do celle union, il faut
se rappeler la différence profonde qu'établit le climat dans l'âge de la
nubilité ; mais même en faisant aux influences extérieures la part
aussi large qu'on le voudra, il reste toujours quelque chose de bien
extraordinaire dans un tel mariafie. D'après Ibn-lshâc, Mahomet avail
épousé en tout treize femmes; Sirat-er-raçoul, traduction de M. G.
Weil t. H, p. 541 et suiv. L'auleur donne de très-longs détails sur
chacune de ces fenmies du prophète.
SINCERITE DE MAHOMET 17o
Sans doute Mahomet, donnant une maison séparée à
chacune de ses femmes et ne les tenant pas réunies
dans le même harem, voulait, dans plus d'un cas,
acquitter envers elles une dette de reconnaissance
et leur assurer une situation indépendante après de
longs malheurs ; mais cette excuse, qui est vraie pour
quelques-unes de ses épouses, ne l'est pas pour les
autres, et il ne les prit ordinairement que pour assou-
vir des passions qu'il lui eût été, ce semble, assez
facile de surmonter à cette époque de la vie.
Pendant trente années de suite, il était resté dans la
monogamie; et autant qu'on peut en juger par bien
des traits de sa vie, il goûtait vivement les charmes
de la famille, et il adorait ses enfants et ses petits-en-
fants. Il avait une tendresse profonde pour toutes ses
filles, et il avait su être un excellent père en même
temps qu'un fidèle époux, à un âge où les violences
des sens sont le plus à redouter. Comment, après tant
de réserve et de sagesse, le prophète est-il tombé dans
les abîmes du vice? On pourrait croire que c'est la
prospérité qui Ta enivré et qui l'a jeté dans ces excès,
où se sont dégradés aussi tant d'autres hommes par-
venus au faîte de la puissance ainsi que lui. Mais cette
hypothèse même a bien peu de fondement, quand on
le voit, au milieu de ses triomphes et jusqu'au deinier
jour, conserver toutes les autres vertus de sa jeunesse :
la tempérance, la simplicité et le plus absolu désinté-
ressement, avec une activité prodigieuse, qui ne se
dément pas un seul jour, et qui suftit tout ensemble à
176 MAHOMET, CHAPITRE IV.
la religion, à la politique, à la diplomatie et à la
guerre. En défendant aux autres croyants' d'avoir plus
de quatre femmes légitimes, il s'accorda le privilège
d'en avoir jusqu'à neuf, sans compter les esclaves-.
L'exemple et le précepte étaient également fâcheux, et
c'est la polygamie qui a surtout perdu l'islamisme.
Mais pour être juste, il faut se hâter de dire que ce
n'est pas Mahomet qui l'a fondée. Tl la trouvait établie
de temps immémorial chez les peuples qu'il conver-
tissait, et elle est malheureusement la condition do
l'Asie presque tout entière. Il n'y a donc pas à la lui
reprocher comme si c'était lui qui l'eût introduite, et
qui eût apporté au monde cette dépravation cl ce
fléau. Mais il eût été digne de sa grande mission de
combattre un si redoutable désordre et d'essayer de
le détruire. L'idolâtrie qu'il a renversée n'était pas
plus fatale ; et il eût été encore plus beau de réformer
les mœurs que de réformer les croyances. L'idée de
Dieu qu'il apportait au monde arabe n'y a pas produit
ses conséquences les plus heureuses, puisque la reli-
' Coran, sonrate iv, verset 5. Dans ce passage, le prophète conseille
même aux lidèles de n'avoir qu'une seule femme ; mais il glisse sur
ce dernier précepte, qui n'a pas prévalu.
-Dans le Coran, sourate x.\xni, verset i'J, le prophète semble rece-
voir de Dieu la permission d'avoir autant de femmes ([u'il voudra ;
mais dans le verset 5'2, il dit : a II ne t'est pas permis de prendre
dorénavant d'autres lemmcs , ni de les échanger conti-e d'autres,
quand même leur beauté te ciiarinerait, à l'excepiion des esclaves que
tu peux acquérir. » Mahomet avait alors neuf femmes, à ce que
croient les commentateurs, parce (|ue Zeynah, fille de Kliozeima, était
morte, et que Mahomet ne l'avait pas remplacée.
SLNCÉHITÉ DE MAHOMET. 177
gion nouvelle n'y a pas créé entre les hommes ces
liens sacrés qui fondent la famille et par suite les so-
ciétés. Je ne dis pas que Mahomet eût réussi dans
cette noble entreprise; et quand on voit les coutumes
eftroyables qu'il a dû réfréner, on peut douter que le
peuple arabe eût entendu de meilleurs conseils sur un
sujet si délicat. Mais c'aurait été une gloire incompa-
rable de les donner, au risque même de les voir mé-
connus. Seulement il est probable que Mahomet, mal-
gré sa propre expérience si longue et si douce, n'avait
pas compris les bienfaits de la monogamie. 11 avait
obéi à son instinct, qui l'avait d'abord excellemment
conduit; il y obéit ensuite non moins aveuglément,
quand cet instinct perverti le précipita dans le mal '.
M, William Muir le remarque avec raison, la po-
lygamie est une des divergences essentielles entre
l'Islam et le christianisme, que sous ce rapport Ma-
homet aurait pu imiter comme il l'a fait sous tant
d'autres. La critique est vraie, mais il ne faut pas
l'exagérer. L'Arabie n'était pas l'empire romain, et la
doctrine chrétienne, après le judaïsme, avait fait de
vains efforts pour pénétrer chez les tribus de la pénin-
sule. Le christianisme a fondé la monogamie chez des
peuples tout préparés à la recevoir, parce qu'ils l'a-
vaient presque toujours pratiquée. J'avoue, du reste,
* La passion de Maliomet pour les femmes paraissait excessive mène
à ses compagnons, et le secrétaire de AVâckidi rapporte ce mot d'li)n-
Abbàs : « Le plus grand des inu.sidmans était aussi le plus passionné
de tous pour les femmes. » Voir M. AVilliani Muir. The lAfe of Mahc-
niet, t. IV, p. 510.
178 MAHOMET, CHAPITRE IV. !
que c'est une grave lacune dans l'intelligence de
Mahomet, et une rançon qu'il a payée à la faiblesse
humaine. Mais encore une fois, il faut se rappeler
qu'il était un Arabe, et non un Juif ou un Grec, et qu'il
y a bien des idées et des sentiments qui n'étaient pas
faits pour lui ; c'est le secret de la Providence.
CHAPITRE V
LE CORAN
Désordre dans la composition du Coran; efforts vainement tentés pour
classifier régulièrement les cent quatorze sourates; travaux récents
de MM. G. ^Veil, W. Muir et Nôldeke ; deux grandes divisions : sou-
rates de la Mecque, sourates de Médine; difficultés que présentent
ces divisions, toutes larges qu'elles sont ; style du Coran. — Doc-
trines principales du Coran : l'unité de Dieu, créateur, tout-puis-
sant et miséricordieux ; la vie future; paradis de Mahomet; respect
du Coran pour les prophètes antérieurs, Moïse et David; senti-
ments de Mahomet à l'égard de Jésus-Clirist ; sa vénération extraor-
dinaire; tolérance du Coran ; insuffisance du Coran considéré comme
code de législation; quelques-unes de ses réformes les plus bien-
faisantes; il adoucit les mœurs, et il relève la condition des femmes ;
le Coran n'est pas fataliste; absence de toute métaphysique dans
le Coran.
Ce ne serait pas assez connaître 3Iahomet que de
négliger de l'étudier aussi dans le Coran. Son livre est
un bien autre témoignage que tous ceux de la tradi-
tion; car c'est là le principal instrument de son action
sur le monde. Sans le Coran, le prophète aurait pu
jouer encore un grand rôle; mais son empire, aussi
fragile que celui de Cossayy, son précurseur politique,
serait mort avec lui ; et il ne serait resté de son pas-
180 MAHOMET, ClIAriTRE Y.
sDge sur la terre qu'un souvenir fugitif comme celui
de tant cVaiitres, n'eût été celte influence durable que
peuvent seuls conférer des monuments écrits. Le
Coran a été pour les nations musulmanes Tunique
source de toute leur vie religieuse, morale, civile et
politique. Il est encore aujourd'hui le seul lien social
qui leur donne quelque consistance. C'est par le
Coran que l'œuvre de Mahomet a vécu jusqu'à nous, et
qu'elle pourra vivre encore durant tout le temps que
lui accorderont les desseins de la Providence. Dans le
Coran, nous pourrons retrouver le prophète tel que
nous venons de le voir avec toutes les grandeurs et
toutes les lacunes de son génie, très-supérieur aux
peuples qu'il tâche d'éclairer, mais forcé de leur faire
à son insu des concessions qui l'abaissent lui-même,
et sans lesquelles il n'aurait été ni compris ni suivi de
ceux qu'il voulait convertir et qu'il a tant améliorés.
Je devrai nécessairement laisser de côté la plupart
des questions que soulève la composition du Coran ' ;
elles appartiennent plus directement à la philologie et
à Ihisloirc. Mettre un peu d'ordre dans les sourates et
dans les versets, c'est une entreprise bien délicate,
même pour les plus habiles; et c'est une tache que
• LAcadémic des inscriptions et belles-leltres a mis spécialement
ccUe question au concours en 1857. Un seul des trois mémoires cou-
ronnés, celui de M. Noldeke, a été publié. Quand on connaîtra ceux
des deux autres concurrents, MM. Amari et A. Sprengcr, il n'est pas à
douter que ce dilficile proLlènie ne soit très-largement élucidé, si ce
n'est tout il fait résolu. C'est l'opinion de M. Piciiiaud ('ans sa Police
sur Mahomet, p. 78.
LE CORAN. 181
Irès-peu de gens peuvent essayer avec quelque chance
de succès. On sait que, après la mort du proplièle, les
principaux musulmans, Omar en tète, pensèrent à
recueillir ses récitations et à en faire un corps d'écri-
tures, qui pût servir de guide à la religion nouvelle. Un
des secrétaires de Mahomet s'acquitta de ce soin, qui
lui fut officiellement imposé ; et sa compilation,
perfectionnée dans une seconde édition vingt ans plus
tard, est le texte même qui est parvenu jusqu'à nous.
Il ne peut pas s'élever le moindre doute sérieux sur
l'authenticité, ainsi que je l'ai dit'; mais néanmoins
que d'obscurités! que d'impénéirables ténèbres ! Et
si l'esprit arabe a pu se satisfaire de ce chaos, moitié
par piété, moitié par ignorance, comment l'esprit
moderne se résignerait-il à s'en contenler?
La lumière qu'on pouvait y porter n''était que celle
de l'histoire; et comme désormais on connaît suffi-
samment toute la vie de Mahomet, il était permis de
tenter, d'après les événements qui la composent, une
coordination chronologique dans les sourates. Il est
évident, eu effet, que le langage de Mahomet a dû va-
rier selon les temps et selon les situations où il s'est
trouvé. Quand il en était encore à ses méditations so-
litaires et à ses anxiétés sur le mont llira ; quand il
commençait à enseigner quelques disciples cachés et
fidèles; même quand il discutait avec les Coraychiles
incrédules et moqueurs, réunis autour de la Caaba, en-
' Voir plus liaui, i'. "lO.
11
18-2 MAllUMtr. CllAl'irnE V.
core idolâtre, il ne pouvait parler comme plus tard
lorsqu'il avait été vainqueur dans cent combats, quand
l'Arabie lui était en partie soumise, quand il envoyait
des ambassadeurs aux Etats voisins pour les sommer
d'embrasser l'Islam, et qu'il était reconnu pour l'En-
voyé de Dieu par tous ceux qui avaient d'abord nié sa
mission. 11 ne pouvait prêcher à Médine au milieu des
Mohadjirs et des Ansàr, comme il avait jadis prêché se-
crètement à la Mecque ; et lorsqu'il rentra victorieux
dans la ville sainte, après dix ans d'exil, ses paroles
devaient avoir aussi, avec bien plus d'autorité, un tout
autre caractère. Ne serait-il pas possible, avec ce fil
conducteur donné par l'histoire, de rétablir la succes-
sion régulière des sourates, et de leur faire ainsi re-
fléter ou plutôt révéler les phases diverses par les-
quelles a dû passer l'âme du prophète, parlant au nom
du Dieu qui l'inspirait, soutenant ses compagnons,
fondant son culte et son gouvernement, organisant une
société nouvelle, maudissant les idolâtres et les infi-
dèles, et poursuivant ses ennemis? C'est là ce que se
sont demandé des esprits curieux et savants, et ils ont
dhorché une réponse à ces problèmes.
Déjà M. Gustave Weir avait donné une classification
des sourates, et il les avait rangées dans un ordre qui
s'appuyait sur de profondes études et sur une con-
' M. Gustave Wcil. Mohammed (1er Proplicl, p. 3G4 el suiv, Au l mps
où M. G. Weil essaya cette classilicalion, le sujet était très-neuf parmi
les philologues européens; il avait été aljordé dès longtemps par les
biographes arabes, mais avec trop peu de critique, comme on peut le
croire. Voir M. >rildel<o, Histoire du Coran, p. iG.
LE CORAN. 183
naissance très-étendue et très-précise du sujet. Après
lui, M. "William Muir, aidé de secours encore plus puis-
sants, a recommencé ce travail épineux'. Mais pour
se convaincre des difficultés presque insurmontables
qu'il présente, on n'a qu'à comparer les deux listes.
Elles n'ont aucun rapport entre elles. La première
sourate, pour M. G. Weil, suivant en cela les auteurs
musulmans -, est celle qui dans le Coran se trouve la
xcvi^; pour M. W. Muir, c'est la clIl^ La seconde de
M. AVeil, est la lxxiv* du Coran ; la seconde de M. W.
Muir, est la c^ Les divergences continuent ainsi jus-
qu'à la fin de la liste. Bien plus, M. G. Weil recon-
naît quatre-vingt-trois sourates de la Mecq\ie et trente
et une de Médine; M. W. Muir n'en reconnaît guère
qu'une vingtaine de Médine; et il croit que le reste a
été composé à la Mecque. Quand des juges aussi com-
pétents sont si peu d'accord, on doit présumer que le
problème est à peu près insoluble, du moins dans
l'état actuel des choses; et il est prudent d'attendre
de nouvelles lumières.
' M. \Villiam Muir, The Life of Mahomet, t. II. p. 318 et suiv.. et
t. 111, p. 311.
' Il serait aisé de pousser plus loin la comparaison, et jo ne sais
s'il y aurait une seule concordance dans les deux listes. Ce qui m'é-
tonne le plus, c'est que le nombre des sourates; soit de la Mecque,
soit de Médine, puisse être si diflérent de part et d'autre. Chaque
Sourate porte en tûle, et après le titre, une de ces deux indications :
« Donné à la Meique; Donné à Médine, » avec le nombre des versets.
Il semble dés lors qu il n'y a plus d erreur possible; mais je ne trouve
point, sur l'origine de ces indications, de renseignements particu-
liers. Voir V Histoire dif Coran de M. Cii. >'oldeke, p. 53 et suiv.
184 MAllO.MEl, ClIAl'lTllE V.
Il est évident qu'il faudrait d'abord établir solido-
meiil, s'il se peut, la distinction dos sourates de la
Mecque et des sourates de Médine. A la Mecque, Maho-
met est au début de sa carrière ; il cherche à con-
vaincre les incrédules; il combat ses adversaires ; il an-
nonce sa mission, et il expose le dogme nouveau de
manière à persuader les plus rebelles. Mais alors il
ne peut songer à les contraindre, car il n'a pas la
force à sa disposition ; il est abreuvé d'outrages chaque
fois qu'il parait en public et qu'il veut expliquer la foi
nouvelle. Après dix ans de luttes d''abord secrètes, puis
ouvertes et toujours pénibles, il est obligé de fuir
pour mettre sa personne à l'abri et pour défendre la
vie de ses adhérents. C'est là une situation toute dif-
férente de celle qu'il occupe plus tard ; et naturelle-
ment l'empreinte doit s'en retrouver plus ou moins
profonde dans les sourates que cette époque troublée
et humiliante a vues naître.
A Médine, au contraire, Mahomet est au milieu de
musulmans fidèles et enthousiastes. Avec leur aide
toute-puissante, il peut organiser la religion qu'il a
conçue et qui doit sauver l'Arabie. Les obstacles qu'il
rencontre encore aulour de lui ne sont rien, et il est
sûr de les écarter. Bientôt il est victorieux sur le
champ de balaille de l>cdr ; et, malgré quelque^ re-
vers passagers, son ascendant grandit tous les jours;
l'idulàlrie perd pied à pied son terrain, et le jour ap-
proche où elle sera délruile de fond en comble dans
son sancluairc de la Caaba. L'existence de Mahomet à
LE COHAN. IS'>
Médine est une suite de Iriomplies de plus en plus
éclatants; à la Mecque, c'était un péril incessant, au-
quel il fallut enfin se soustraire par la fuite.
Il y a donc entre les sourates de la Mecque et celles
de Médine toute la distance de la faiblesse à la puis-
sance et de la défaite à la victoire.
Une autre différence non moins profonde, c'est qu'à
la Mecque Mahomet est plus jeune et que les ardeurs
de son génie ont dû être d'autant plus vives qu'elles
étaient plus récentes. C'est à la Mecque qu'il ressent
les premières atteintes de l'inspiration prophétique;
et les élans de son âme doivent se reproduire dans les
sourates qui jaillissent alors, presqu'à son insu, de ses
longues et brûlantes méditations. Plus tard, tout en-
flammé qu'il peut être encore, il est du moins plus ré-
fléchi ; il a conscience de ce qu'il éprouve ; et s'il
communique toujours avec Fange Gabriel, il n'est
plus épouvanté de ces rapports surnaturels, comme le
jour où l'esprit céleste lui apparut pour la première
fois. Les soins de la politique se mêlent aux préoccu-
pations religieuses ; il est sûr désormais de sa mission
personnelle ; mais c'est le courage et la foi de ses
compagnons qu'il faut soutenir, leurs dissensions
qu'il finit régler, leurs. entreprises qu'il faut conduire.
Mahomet, dans cette situation, n'a pas trop de toute la
maturité de sa raison ; et s'il reste toujours inspiré,
c'est comme un législateur et un général peuvent
l'être.
Ainsi, différence d'âge, différence de position, voilà,
180 MAHOMET, CHAPITRE V.
co semb'.e, des caraclères lji;'n Iranchés pour discer-
ner les deux espèces de sourates et les modifications
de style. Mais essayer une classification d'après ces
données fragiles, toutes réelles qu'elles sont, c'est là
recueil ; et l'on ne voit pas que jusqu'à présent per-
sonne, même parmi les plus érudits, ait pu le surmon-
ter. Ce qui rend presque impossible un classement ré-
gulier, c'est que dans une seule et même sourate tel
verset semble être de Médine, tandis que le verset im-
médiatement voisin semble être de la Mecque. Fau-
dra-t-il donc disloquer les sourates? Et quelle main
serait assez délicate, assez sayante, ou même assez
téméraire, pour tenter le démembrement? Arrivât-on
à le jusliiier d'une manière assez plausible, ce ne se-
rait toujours qu'une conjecture plus ou moins heu-
reuse. Un nouvel arrangement fait par un autre de-
viendrait un nouvel ordre, qui ne paraîtrait pas moins
acceptable, et l'œuvre primitive disparaîtrait pour de-
venir celle d'une érudition toujours hypothétique,
quelque intelligente qu'elle serait.
On peut donc penser, pour de justes raisons, que le
mieux est encore de laisser le Coran tel qu'il nous a
été transmis, avec son désordre par trop notoire, mais
aussi avec son ardeur sainte et la vénération inviolable
qui l'entoure. Ce qu'il y a de certain, parmi bien des
traditions confuses, c'est que Mahomet, surpris par la
mort, n'eut pas le temps de réunir lui-même les frag-
ments épars de ses prédications. Ce soin, remis à un
de ses secrétaires, Zeïd, fds de Thâbil, fut accompli
I
LE CORAN. 187
pieusement. Mais ce n'était pas précisément une rédac-
tion officielle qu'on lit à ce moment. Ce furent Abou-
Becr et Omar qui sentirent pour eux-mêmes le besoin
d'un tel recueil ; et celui de Zeid fut si bien leur pro-
priété personnelle, que des mains d'Omar il passa non
point à son successeur dans le Khalifat, mais à sa fille.
Il y avait cependant d'autres rédactions du Coran
parmi les fidèles-, on disputait même avec ardeur
sur rauthenticité de divers passages, et ce fut pour
apaiser ces contentions redoutables que le khalife Oth-
mân P fit faire une rédaction nouvelle, dont l'exem-
plaire de Hafsa fut la base. Cette récension fut défini-
tive; et, bien que tous les anciens exemplaires n'eussent
pas disparu, suivant les ordres du khalife, elle l'em-
porta bientôl, et elle est restée la seule entre les mains
des croyants, exposée seulement à ces variantes lé-
gères que le temps inflige toujours au.x monuments les
plus respectés.
Une autre question non inoins intéressante et sur
laquelle il n'est pas facile d'avoir une opinion person-
nelle, c'est le style du Coran. Mais là, du moins, on
peut accepter l'opinion généralement reçue et regar-
der le Coran comme le chef-d'<ruvro incomparable do
la langue arabe, quoiqu'on y puisse distinguer bien
des nuances selon les époques de la vie de l'auteur.
La beauté de la forme, de l'avis uniinime de tout le
monde, égale la majesté du sujet, et !a perfection du
langage n'y a jamais laissé l'expression au-dessous
de ce qu'elle devait rendre. Nous avons vu, un peu
1S8 MAIlOilET, CHAPITRE V.
plus liaul', quel enthousiasme inspiraient les réci-
tations de Mahomet à tous ceux qui les entendaient ;
et l'on ne peut douter que cette séduction, attestée
par des conversions nombreuses et inattendues, n'ait
aidé beaucoup le prophète auprès d'un peuple si sen-
sible aux charmes de la poésie. Mahomet s'est dé-
fendu de jamais écrire en vers, de peur d'être con-
fondu avec les poètes vulgaires ; et il n'est pas sûr,
si l'on en croit une anecdote traditionnelle, qu'il con-
nût les règles exactes de la versitication ^ Mais la
fougue de la pensée, la vivacité des images, l'énergie
des mots, la nouveauté des croyances suppléaient au
reste dans cette prose irrésistible ; et les cœurs étaient
entraînés, avant même que les esprits ne fussent
convaincus. Nous devons croire que cette fascination
n'a jamais été poussée aussi loin par personne; et,
parmi les fondateurs de religion, c'est un trait parti-
culier de la physionomie de Mahomet, qui la rehausse
et la singularise entre toutes. C'est un immense avan-
tage pour le Coran d'être resté le plus beau monument
delà langue dans laquelle il est écrit; et je ne vois
rien de pareil dans toute l'histoire religieuse de l'huma-
* Voir plus haut. p. 109.
- Mahomet citait un jour un vei's d'un poêle contemporain, et il le
citait il faux, mettant quelques mots hors de leur place. Abou-Becr,
ijui était aujirès de lui, releva sa méprise et lui sig:nala son erreur.
Mahomet accueillit avec bienveillance la critique de son ami ; mais il
ne parut pas en sentir la portée ; el le déplacement d'un mot, qui ce-
]ien(lant rendait le vers irréfrulier, lui seniMa sansconséipience. Voir
M. (laussin de l'erceval, Ksstii sur l'Iiistoiri' (les Arahrs. t. III. p. '202.
LE CORAN. 189
nité '. Tl no faut pas perdre de vue celte considération,
si l'on veut comprendre rinflnence inouïe qu'a exercée
le Coran. On a cru d'autant plus aisément qu'il était
la parole de Dieu, que jamais homme parmi les Arabes
n'avait fait entendre de tels accents.
Quant à nous autres profanes, nous ne pouvons
sentir ce mérite à un degré bien éloigné que grâce aux
traductions. Mais malgré leur nécessaire froideur, la
flamme, quoique à demi éteinte, brille encore d'un
vif éclat; et l'on devine, à la chaleur immortelle qu'elle
garde à travers tant d'intermédiaires, ce qu'a dû être
le foyer primitif dans son incandescence et son explo-
sion. Nous en sommes donc réduits à prendre le Coran
tel qu'il est dans les versions qui nous le rendent ac-
cessible, et à en dégager quelques idées principales
qui nous le représentent avec une vérité suffisante et
une équitable justice.
On sait que le Coran se compose de cent quatorze
sourates ou chapitres, divisés en versets inégaux. Ces
sourates sont plus ou moins longues ; et celles qui ont
été placées en tète du livre sont, en général, beaucoup
plus développées. Tandis que quelques-unes ont jus-
qu'à vingt et vingt-deux pages, d'autres ne comptent
* Nous pouvons sentir la Ix auté des psaumes de David et la beauté
des hymnes védiques, comme nous sentons celle du Coran, au travers
des traductions. Mais David et ses psaumes nont pas lait le code de la
nation juive ; et lesYédas ont été bien moins encore le code des Hin-
dous. Le caractère multiple du Coran n'appartient qu'à lui; c'est
tout à la fois un hymne, un psaume, une prière, un code, un sermon,
un bulletin de guerre, une polémique, et même une histoire.
H.
190 MAHOMET, CHAPITRE V
qu'une ou deux lignes^ Chaque souralc porte un titre
liié le plus habituellement d'une des expressions
qu'elle renferme ; mais ce litre n'a pas toujours une
relation bien étroite avec les matières, d'ailleurs très-
disparates, qu'il doit résumer-. A chaque sourate est
attaché ce frontispice uniforme et significatif: « Au
nom du Dieu clément et miséricordieux^. » C'est la
destruction même de l'idolâtrie. Voici d'ailleurs com-
ment s'ouvre le Coran, et la première sourate s'ex-
prime ainsi : ,
« Louange à Dieu, le maître de l'univers, le clément
« et le miséricordieux, souverain juge au jour de la
« rétribution. C'est toi que nous adorons; c'est toi
« dont nous implorons le secours. Dirige-nous dans le
a droit sentier, dans le sentier de ceux que tu as
' On peut voir cette différence d'étendue entre les sourates dans la
table clu'onologique de M. VV. Muir. TIte Life of Mahomet, t. H, p. 318.
Il a indiqué la longueur de chaque sourate, d'uiués l'édition in-4" de
51. Fliigel. Tandis que la n" sourate, la pins longue de toutes, a 52
pages et demie, et que dautres on ont encore 14. 15 et 12, quel-
ques-unes, comme la cvui'', la cxn", la cni% n'ont qu'une ou deux
lignes.
3 Ainsi la seconde sourate est intitulée : la Vache, uniquement parce
qu'au verset 63 il est question dune vache que Moïse ordonna aux
Israélites d'immoler à Dieu. Bien d'autres titres ne sont pas mieux
justifiés.
' Il n'y a qu'une seule sourate sur les cent-quatorze qui n'ait pas ce
préambule, c'est la ix°; et l'on ne sait pourquoi. Quelques commen-
tateurs ont pensé que cette sourate n'était que la suite de la précé-
dente, et n'en pouvait être détachée ; d'autres ont cru que l'omission
tient à ce que cette sourate est une dos dernières qu'ait récitées Maho-
met, bien près dés lors de mourir; il a oublié la formule haliiluello.
Peut-être n'est-ce aussi qu'une négligence des premiers copistes.
LE CORAN. lîll
« comblés de tes bienfaits, et non de ceux qui ont
« encouru ta colère ou qui s'égarent'. »
Ainsi l'unité de Dieu, sa bonté et sa providence, qui
récompense le juste et châtie le méchant, telle est la
première idée que proclame le Coran. On pourrait
presque dire que c'est la seule à laquelle il se borne,
la montrant dans toutes ses conséquences, avec toutes
ses preuves, y revenant sans cesse et la répétant sous
toutes les formes. Mahomet est intarissable quand il
parle du Dieu unique, du Dieu tout-puissant, du Dieu
bon, qui veille sur l'homme, le protège dans ses afflic-
tions, le console dans ses misères, et qui ne lui de-
mande qu'une seule chose, à savoir, d'être soumis
humblement à la main bienfaisante qui l'a créé et qui
le fait vivre. Pour faire passer sa conviction dans les
cœurs sourds auxquels il parle, il en appelle à tous les
témoignages que la nature lui offre. « Il en jure par
le soleil et sa clarté, par la lune quand elle le suit de
près, par le jour quand il le laisse voir dans tout son
éclat; il en jure par l'aube du matin, par la nuit quand
elle étend son voile, par le ciel qui accomplit ses révo-
lutions, par les astres nocturnes qui brillent au fir-
mament, par la terre qui fait germer les plantes, par
le territoire sacré de la Mecque, par le figuier et l'oli-
' Colle première sourate, qui n'a pa« de litre spécial, a reçu diffé-
rents noms qui en signalent toute l'importance. On Tappelle, entre
autres, XlntrodHclin, la mère du Coran, ou le Chapitre suffiaant,
c'est-à-dire qui peut remplacer tous les autres; c'est comme le Pater
des musulmans. Voir plus loin les Extraits du Coran, premier clia-
pitre.
Vyi MAHOMET, CH.VriTP.E V.
vicr, par le mont Sinaï ; il en jure par les coursiers
haletants, qui se frayent le chemin sanglant à travers
les colonnes ennemies; il en jure par le kalam, qui
écrit tout, par le Coran, le livre révélé ; il en jure aussi
par l'âme de l'homme capable de vice et de vertu, ca-
pable de rester pure ou de se corrompre ^ » 11 n'y a
qu'un seul Dieu, auquel l'idolâtrie associe aveuglé-
ment des divinités impuissantes, envers qui l'homme
enivré par ses richesses et de vains plaisirs est trop
souvent ingrat, mais que les cœurs intelligents, les
fidèles doivent toujours adorer et toujours bénir. Puis
il s'écrie :
« Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre chante
les louanges de Dieu ; à lui appartient la puissance ; à
lui appartient la gloire ; lui seul peut tout. C'est lui
qui vous a créés. Tel parmi vous est infidèle ; tel
autre est croyant.- Mais Dieu voit ce que vous laites. Il
a créé les cieux et la terre en toute vérité ; il vous a
formés, et vous retournerez tous à lui. Il connaît tout
ce qui se passe dans les cieux et sur la terre ; il con-
naît ce que vous cachez et ce que vous produisez au
grand jour; Dieu connaît ce que les cœurs renfer-
ment... Aucun malheur n'atteint l'homme sans la per-
mission de Dieu. Dieu dirigera le cœur de celui qui
' Toutes ces atljiu'ulions diverses se retrouvent (l;ins les diflérentes
sourates, êiulout dans les deniières, où Maliouiet parait affeclionner
plus spécialement celle forme de langage, reul-ètre aussi ces sourates
ne sojit-elles que dos fragments où s'essayairiit les premières inspira-
lions du proplièle. Ce ne sont pas les moins liellcs. Voir plus loin les
txirails du Coran, chapitre de Dieu.
LE CORAN. 19".
croit en lui; car il voit tout. Craignez-le de toutes vos
forces; écoutez, obéissez, et faites l'aumône, dans votre
propre intérêt. Celui qui se tient en garde contre son
avarice sera récompensé. Si vous faites à Dieu un prêt
généreux, il vous payera le double ; il vous pardon-
nera, car il est reconnaissant et plein de longanimité.
11 connaît les choses visibles et invisibles; il est le
puissant et le sage^ »
Tel est le ton général du Coran ; et il n'y a qu'à
l'ouvrir au hasard pour y lire des passages aussi
beaux que ceux que nous venons de citer. On a dit que,
sans David et sans Isaïe, Mahomet n'eût jamais trouvé
de telles inspirations. Cette critique n'est juste qu'en
partie; et, ce qu'on peut croire, c'est que Mahomet a
puisé aux mêmes sources que les deux prophètes hé-
braïques, c'est-à-dire le spectacle de la même nature,
la même notion du divin dans son propre cœur, la
même révolte contre les croyances grossières dont il
était entouré. Le prophète arabe na été ni un pla-
giaire ni un écho ; il connaissait assez mal et très-
indirectement les monuments hébreux: et si son âme
n'eût pas été profondément émue, jamais il n'eût ren-
• Ces extraits sont empruntés à la sourate lxiv. On peut Uouver lo
même début et en partie les mêmes idées dans les sourates i.vii, lix,
1.X1 et Lxii, toutes données à Médine. Dans cette dernière, en parti-
culier, oprès le verset consacré à la louanf,'e de Dieu, Mahomet ajoute:
« C'est lui qui a suscité au milieu des hommes illettrés un apolre pris
parmi eux, alîn qu il leur redit les miracles du Seifjneur, qu'il les
rendit plus purs, leur enseijrnât le Livre et la Sagesse, à eux qui
étaient naguère dans un égarement manifeste. »
194 MAIIUMKT. ClIAPirRE Y.
coiilré, en suivant les traces d'autrui, une expression
aussi suljlime et aussi sincère des sentiments qui
l'exaltaient. Ce qui est vrai, c'est que pour nous ces
idées n'ont rien de nouveau, et que nous en connais-
sons des exemplaires à la fois plus complets et plus
vénérables. Mais l'Arabie ne les avait jamais enten-
dues, et c'est Mahomet qui les lui apporta et les lui fit
accepter.
A côté de l'unité de Dieu, premier dogme du Maho-
métisme, le Coran en pose un second, conséquence
nécessaire de celui-là : c'est la croyance à la vie future.
Il l'affirme de toutes les manières, avec non moins d'é-
nergie et de persistance. Au delà de la vie présente,
l'homme devra rendre compte de ses actes et de ses
pensées au Dieu qui l'a créé; et un jour viendra où la
justice éternelle distribuera dans sa miséricorde et sa
rigueur les châtiments et les récompenses. Je sais
bien tout ce qu'on a dit contre le paradis de Mahomet,
et je ne conteste pas que les houris ne puissent servir
de texte à des sarcasmes plus ou moins spirituels'.
Mais d'abord elles tiennent dans le Coran beaucoup
moins de place qu'on ne le suppose d'ordinaire; et le
* Ceci se rapporte particulièrement à Gibbon, Histoire de la déca-
dence de l'Empire romain, chapitre i.. Gibbon n'a pas pris Mahomet
au sérieux, et il s'est moqué du Mahométisme. wnime des autres re-
lifrions, tout en le défendant contre les attaques et les jalousies des
moines. M. ^V. Muir. en Maniant aussi le paradis musulman, a élé pins
juste. Il a montré que la doctrine de Mahomet à cet égard avait varié
selon les époques de sa vie; voir Tlte Life of Mahomet, t. II, p. 141 et
suivantes.
LE CORAN. 1115
pnradis musiilmnn s'y présoiilo ?urloul sou., la l'orme
d'im jardin meiveilleux, arrosé d'eaux fraiciics et
couraiiles, délices incomparables sous un climat des-
séché comme celui de l'Arabie. Cent fois Mahomet
parle de la vie éternelle et du paradis, sans qu'il y soit
question de vierges aux yeux noirs qui attendent les
fidèles ; et quand il mentionne les houris, c'est en
général avec une réserve et une sorte de pudeur
qu'on ne soupçonnerait pas, si l'on ne s'en tenai
qu'aux plaisanteries licencieuses de ses détracteurs'.
En ceci, le tort de Mahomet est d'avoir voulu pré-
ciser les choses dans un sujet où il est interdit à la
faiblesse humaine de voir aussi clair qu'elle le désire.
Il devait se borner à afiirmer la vie future, avec la sanc-
tion des récompenses et des peines, et les relations
nécessaires des âmes à l'être infini qui les a créées.
La prudence de Socrate n'était pas allée au delà, et il
eût été sage, au prophète aussi bien qu'au philosophe,
de ne pas franchir ces limites. Mais Mahomet avait à
persuader un peuple sensuel, dont l'imagination ar-
dente exigeait de telles satisfactions; et lui-même, il
s'était abandonné au torrent des mœurs communes,
tout en les réformant. Cette faiblesse a coûté cher à
l'Islam ; et elle a contribué beaucoup à lui donner celte
place secondaire et équivoque qu'il occupe dans la ci-
* Voir Gibbon, loc. cil. Daylc avait cependant très-bien (liHondn
Mahomet pour son p.iradis répul»'- si sensuel, Dictionnaire historique,
article Mahomet, note «i. Voir plus loin les Extraits du Coran, clio-
pilre de la Vie future.
196 MAHOMET, CHAPITRE V.
vilisalion tlii genre humain. Avec des croyances et des
mœurs plus épurées, il eiU été bien plus grand en
lui-même et bien plus bienfaisant pour les autres.
Mais quelles que fussent les conditions delà vie future,
le point essentiel était d'inculquer celle foi inébran-
lable dans les âmes; et Mahomet y est {)arvenu, bien
qu'on puisse d'ailleurs léprouver les moyens employés
par lui. Le dngme de la vie future n'est pas moins ré-
pandu chez les musulmans qu'il peut l'être chez les
chrétiens; et c'est au Coran qu'est dû cet immense
progrès.
Du reste, Mahomet, ainsi que je l'ai déjà remarqué',
est fort modeste, et il ne se fait pas illusion sur l'ori-
ginalité des idées qu'il apporte au monde. Il a le soin
le plus constant et le plus sincère de toujours ratta-
cher sa religion à celles qui l'ont précédée ; et il s'ap-
puie sans cesse sur les traditions et les livres des
juifs et des clirétiens. Il est plein de respect, et, l'on
pourrait même dire, de tendre admiration pour les
uns et pour les autres. Il se plait à énumérer longue-
ment tous les prophètes qui l'ont précédé, et dont il
vient compléter la mission. Ils ont été ses précurseurs
nécessaires; mais il ne doit pas faire autrement qu'eux.
Il tient aux peuples le langage qu'eux aussi leur ont
tenu : il ne sera peut-être pas plus heureux dans son
apostolat, qui ne fera que continuer le leur; mais il
se borne à la gloire de reproduire leurs enseignements
• Voir jiliis haut, p. 161 ; et plus loin lo? Extraits du Coran, clia-
pilre des Prophètes.
LE CORAN. 107
méconnus. Pour lui, il nest pas do personnages plus
vénérés qu'Adam, ^oé, Abraham, Moïse, David et
Jésus-Christ. Il neparleduPentateuque, des Psaumes'
et de l'Évangile, qu'avec une véritable piété et une
sorte d'onction. Ce sont les livres qui ont devancé et
préparé le Coran. Loin de se cacher des emprunts qu'il
leur fait, il s'en vante; et leur grandeur est le fonde-
ment de la sienne.
Pour Jésus, en particulier, Mahomet n'a que des
louanges, qui ne font guère présager les luttes impla-
cables qui surgirent plus lard entre l'Islam et le chris-
tianisme. Voici en quels termes s'exprime le prophèle
arabe, en mettant ses pensées dans la bouche même
de Dieu, comme il en a l'habitude: « Nous avons en-
voyé Jésus, fils de Marie, accompagné de signes évi-
dents, et nous l'avons fortifié par l'esprit de sainteté ^»
Ailleurs, Mahomet est bien plus explicite, et il admet
quelques-uns des dogmes principaux du christia-
nisme : « Les anges dirent à Marie : Dieu t'a choisie ;
il t'a rendue exempte de toute souillure ; il t'a élue
parmi toutes les femmes de l'univers. Dieu t'annonce
son verbe; il se nommera Jésus, fils de Marie, illustre
dans ce monde et dans l'autre, un des familiers de
Dieu ; car il parlera aux humains, enfant au berceau
* Coran, smirate m", verset '25'2 : « Dieu a donné à David le Livre
ol la Sagesse; il lui apprit ce qu'il voulut. » Le livre de David, ce
sont les Psaumes, que Maliomet regarde comme révélés, ainsi que
le Penlaleuque et 1 Evangile ; voir encore sourate iv, verset 101, et
passim.
* Coran, sourate u:-, verset 25i.
198 MAHOMET. CHAPITRE V.
et homme fait, et il sera du nombre des justes. —
Seigneur, répondit Marie, comment aurais-je un fils?
Aucun homme ne m'a touchée. — C'est ainsi, reprit
l'ange, que Dieu crée ce qu'il veut ; il dit : « Sois, » et
la chose est. Il lui enseignera le Livre et la Sagesse, le
Pentateuque et l'Evangile. Jésus sera son envoyé au-
près des enfants d'Israël. Il leur dira: «Je viens vers
« vous accompagné des signes du Seigneur ; je formé-
es rai de boue la figure d'un oiseau, je soufflerai des-
« sus, et, par la permission de Dieu, l'oiseau sera vi-
« vant ; je guérirai l'aveugle de naissance et le lépreux ;
«je ressusciterai les morts par la permission de Dieu ;
«je vous dirai ce que vous aurez mangé et ce que
« vous aurez caché dans vos maisons. Tous ces faits
« seront autant de signes pour vous, si vous êtes
« croyanls. Je viens pour confirmer le Pentateuque,
«que vous avez reçu avant moi. Je vous permettrai
« l'usage de certaines choses qui vous avaient été in-
« terdiles. Je viens avec des signes de la part de votre
«Seigneur. Craignez-le et obéissez-moi. Il est mon
«Seigneur et le vôtre; adorez-le; c'est le sentier
« droit'. »
Mahomet connaissait fort mal les livres qu'il citait
* Coran, sourate iir, versets 57 cl suiv. ; el sourate v«, verset IIO,
traduction do M. Kasiniirski. C'est peut-être le plus long passage et
le plus explicite qu'on trouve dans le Coran sur Jésus-Christ. On voit
que le Coran admet la conception surnaturelle du Christ et ses mi-
racles. Dans les versets suivants, Mahomet prend parti pour Jésus
contre les Juifs; cl il le défend encore, sourate iv», versets 155 et
suiv. Voir aussi sourate ur. verset 78. et sourate iv«, verset ICO.
LE CORAN. 190
avec lant de déférence; et ce qu'il en dit paraît lire de
Iraditions incertaines el dénaturées, plutôt que des
monuments eux-mêmes. Mais ce respect l'a sans
doute conduit à cet esprit de tolérance dont on trouve,
non sans surprise, des preuves assez nombreuses dans
le Coran. Il dit expressément dans une des sourates
les plus importantes : « Certainement ceux qui croient,
et ceux qui suivent la religion juive, les chrétiens et
sabéensS c'est-à-dire quiconque croit en Dieu et au
jour dernier, et aura fait le bien, tous ceux-là rece-
vront une récompense de leur Seigneur. La crainte ne
descendra point sur eux, et ils ne seront pas affligés-.»
Un peu plus bas, dans la même sourate, il répète la
même doctrine d'une manière encore plus nette et
plus concise : «Point de contrainte en religion. La
vraie route se distingue assez de l'erreur. Celui qui ne
croira point aux idoles et qui croira en Dieu aura saisi
une anse solide, qui ne rompra pas. Dieu entend et
connaît lout^. » Sans doute, cet esprit de modération
et de megnanimité qui tolère les autres cultes, n'a pas
' M. Kasiriiirski fait remarquer avec raison qu'il s'agit ici d'uno
secte cliréticniie appelée sahi'ens ou sabéites, cl non des Saliéens or-
dinaires, qui sont adorateurs du feu et idolâtres.
- Coran, sourate n", verset 59. Ce verset est encore répété mot pour
mot. sourate v, verset 7"i. Les docteiu'S musulmans, peu amis de la
tolérance, prélendent que ce verset est abrogé par le verset 79, sou-
rate ni''; ce dernier exige bien, en effet, la foi à l'Islam pour être
sauvé; mais, comme au verset précédent, Mahomet vient de dire
qu'.4brabam, Ismaël, Jacob, Mo'ise et Jésus sont musulmans, on ])eut
croire que l'argument dos commentateurs n'est pas trës-solide.
5 Coran, sourate ii°, verset 257. Voir plus loin les Extraits du C/iran.
chapitre de la Tolérance.
■2(t(i MAHOMET. r.llAl'ITP.K V.
prévalu dans l'islamisme: mais il est dans le Coran,
qui n'est impitoyable que pour les idolâtres. C'est
la barbarie des mœurs et le fanatisme naturel à ces
populations belliqueuses, bien plus que la doctrine du
propbète, qui ont poussé les musulmans à l'extermi-
nation et au pillage des infidèles. Le prophète était
conséquent avec lui-même en respectant ceux qui
obéissaient aux lois de ses prédécesseurs si honorés
par lui, et je ne crois qu'être juste envers Mahomet
en disant que sa réelle pensée à l'égard des chrétiens
et des juifs est dans les versets tels que celui-ci :
« N engagez des controverses avec les hommes des
Kcritures que de la manière la plus honnête, à moins
que ce ne soit des hommes méchants. Dites-leur: Nous
croyons aux livres qui nous ont été envoyés, ainsi qu'à
ceux qui vous ont été envoyés. Notre Dieu et le vôtre
est le même ', et nous nous résignons entièrement à sa
volonté-. »
* Dans un passage très-curieux, où Hahomel place Dieu et Jésus-
Christ en présence, Dieu dit à Jé<us : « As- tu jamais dit aux hommes :
Prenez pour Dieu moi et ma mère à côté du Dieu unique? — Par ta
fîloire, non ; comment aurais-je pu dire ce qui n'est pas vraiV Si je
lavais dit, ne le saurais-lu pas? Tu sais ce qui est au fond de mon
âme, et moi j'i;:noie ce qui est au fond de la tienne; car loi seul con-
nais les choses socrètes; » Coran, sourate \', verset MO. Ainsi, dans
la pensée de Maliomet. Jésus-Christ avait aussi proclamé l'unité de
Dieu. Ce qui est profondément viai ; mais Mahomet supposait (|ue les
clu'étiens adoraient trois dieux, peu fidèles eu cola à la doctrine du
Cinist. C était Maliomet lui-même qui comprenait mal le christianisme.
Voir ])lus loin les Extraits du Coran, chapitres de Dieu et des Pro-
phètes.
- Coran, sourate xxrv. verset 45.
LE COBAN. -JOl
Ces préceples sont en contradiction avec riiisloirc
(]c l'islnmismc et avec bien des actes de Maliomel,
qui s'est montré si terrible envers les juifs. C'est que
la politique avait ses exigences et ses entraînements;
Mahomet y a sacrifié. Cependant l'opposition était pres-
que tout entière dans les intérêts et non dans les doc-
trines, qui se ressemblaient jusqu'au point de se con-
fondre souvent.
Mais le Coran n'est pas seulement un livre religieux,
c'est de plus un code d'où l'Islam a essayé de tirer
plus ou moins directement toutes ses lois civiles.
uy a pas de peine à voir, en lisant ces récitations
désordonnées, que jamais Mahomet n'a pu avoir l'in-
tention d'en faire une législation. Ce sont tout au plus
des préceptes de conduite qu'il donne, soit aux indi-
vidus, soit aux familles; ce ne sont pas des lois qu'il
édicté. Mais la vénération dont sa personne était en-
tourée était si grande, que ses moindres paroles ont
eu autant de force que les décrets les plus solennels des
monarques les plus puissants el les plus sages. Habi-
tués comme nous le sommes à la régularité métho-
dique des recueils de lois, depuis les temps de l'empire
romain, il nous est impossible de retrouver rien qui
ressemble à une codification dans ce mélange confus
d'invocations à Dieu, de maximes de morale, de lé-
gendes, d'allusions historiques, d exhortations, de
menaces, de sublimes prières, au milieu desquelles
apparaissent de loin à loin quelques prescriptions qui
peuvent avoir, en effet, un caractère législatif. C'est
202 MAHOMET, CHAPITRE V.
là certainement le cùté faible du Coran, et Mahomel
aurait échoué déplorablement, s'il avait eu le projet
réel de porter des lois. Mais il a fallu des circonstances
bien extraordinaires pour que jamais le Coran ait pu
se transformer de cette façon étrange. Ce n'est pas le
prophète qui doit en répondre. Ce sont les peuples
auxquels il s'adressait, et qui devaient être bien au dé-
pourvu pour que cette législation si incomplète, si
obscure et parfois contradictoire, pût leur suffire et
môme leur être bienfaisante.
On frémit quand on lit dans le Coran des prescrip-
tions telles que celles-ci : « Il vous est interdit d'épou-
ser vos mères, vos filles, vos sœurs, vos tantes pater-
nelles et maternelles, vos nièces, vos nourrices, vos
sœurs de lait, les mères de vos femmes, les filles con-
fiées à votre tutelle et issues de femmes avec lesquelles
vous auriez cohabité. N'épousez pas non plus les filles
de vos fils que vous avez engendrés, ni deux sœurs.
Il vous est défendu d'épouser des femmes mariées,
excepté celles qui seraient tombées entre vos mains
comme esclaves'. » Il est vrai que ces mœurs abomi-
nables, qui ravalent l'homme au niveau des brutes,
n'étaient pas spéciales aux Arabes; et le Lévitique'- est
forcé de faire à peu près les mêmes défenses aux Hé-
breux. Mais le Lévitiqudest antérieur au Coron de plus
de deux mille ans, et Mahomet avait à lutter contre
' Coran, sourale iv, veriO s 27 cl suiv. Celle soiualc w csl iiili-
luli'c : }^s femmes.
- Voir le Lovilique, ch:ip. xvm, versels 7 cl suiv.
LE COl'.AN. '203
les mêmes infamies sociales que Moïse. L'Arabie n'a-
vait pas fait un progrès depuis le temps des pa-
triarches; et c'est encore Maliomet qui devait enfin
abolir, à son grand honneur, cet effroyable usage
d'enterrer les petites filles toutes vivantes*. A quel de-
gré n'étaient pas abaissées ces populations, plus bes-
tiales qu'humaines? Et quelle reconnaissance ne doit-
on pas à celui qui essayait de les tirer de cet abîme
d'abjection et de turpitude^?
J'avoue d'ailleurs que, sur ces matières, le langage
de Mahomet n'a pas toujours la délicatesse d'expres-
sions et la réserve de forme qu'il aurait dû conserver.
Il est vrai que quand on doit signaler et flétrir de tels
crimes, les mots mêmes dont on se sert contractent
nécessairement quelque chose des impudicités qu'ils
révèlent ; mais, peut-être, eùt-il été assez facile au
prophète d'éviter certains détails repoussants qui n'é-
taient pas indispensables. La manière dont souvent il
1 On connaît le dialogue de Cays, clief des Benou-Téniim, et de
Mahomet, un jour que Cays trouva le pi-ophète tenant une de ses
filles sur ses genoux. — « Qu'est-ce que cette brebis que tu flaires?
demanda Cays. — C'est mon enfant, répondit Maliomet. — Par Dieu,
reprit Cays, j"en ai en beaucoup de petites filles comme celle-là; je les
ai toutes enterrées vivantes sans en flairer aucune. — Maiheurcuj,
s'écria Mahomet, il faut que Dieu ait privé ton cœur de tout sentiment
dhuiiianité; lu ne connais pas les plus douces jouissances qu'il soit
donné à l'homme d'éprouver! » Voir M. Caussin de l'erceval. Essai
sur l'histoire des Arabes, t. HI, p. 55ti.
- ie crois qu'en se mettant à te point de vue, on concevra d'autant
plus d'admiration pour Mahomet. Si on le compare à d'autres fonda-
teurs de religion, sa gloire pâlit presque jusqu'à disparaître; mais, si
l'on regarde le point de départ et le milieu, son personnage regagne
alors tout ce que la comparaison lui avait fait perdre.
Oi MAIIUMLT. CUArilRE V.
parle des femmes est d'un cynisme qui révolterait, s'il
était moins naïf. C'est le ton ordinaire de ces popula-
tions; et, parmi elles, les personnages les plus véné-
rables n'ont pas plus de retenue'. Un dévot musul-
man pourrait aussi, par manière de représailles et
d'apologie, renvoyer les chrétiens à bien des passages
de la Bible qui ne sont pas plus chastes que le Coran ' .
Mais le prophète, qui entreprenait des réformes bien
autrement difficiles, aurait pu donner l'exemple de
celle-là. Fuir la grossièreté de la forme, c'est une ré-
probation de plus contre la grossièreté du vice qu'on
veut corriger. Tout ce qu'on peut dire pour justifier
Mahomet, c'est que le monde auquel il s'adressait
n'était pas le monde chrétien; et ce n'est guère que
dans notre Occident que le langage humain a su,
pour de tels sujets, garder toute sa force, sans rien
perdre de sa pudeur. L'époux de Khadîdja pouvait
trouver cette exacte mesure ; mais elle était peut-êli c
interdite au mari de douze ou quinze femmes, âgées
de dix à cinquante ans.
M. W. Muir pense que Mahomet a encore abaissé
les femmes, déjà réduites à une bien triste condition- ;
M. Caussin de Perceval, au contraire, trouve qu'il les
a relevées^. Je suis de l'avis de M. Caussin de Perce-
' Il faut dire que dans la Bible ces licences ne font pas le mêinc
(ITol qnc dans le Coran ; elles n'y sont pas moins vives ; mais elles se
perdent au milieu de la majeslé de tout ce qui les enlouiv.
- M. W. Miiir, The Life of Mahomet, t. III, p. 502 et suiv.
■' M (',ui<Mii de l'erceval. Essai sur l'histoire des Arabes, I. III.
LE COHA.N. 20o
val, quand je me rappelle le serment d'Acaba ^ ; et en
voyant les traces des mœurs anciennes dans le Coran,
je n'hésite pas à supposer que ces mœurs perverses et
farouches laissaient encore bien moins de dignité et
de droits aux compagnes infortunées des Arabes que
Mahomet ne leur en accorde. Sans doute, les femmes
sont bien peu de chose dans la loi musulmane; mais
ce qui nous frappe le plus dans leur misère, c'est le
contraste désavantageux qu'elles font avec les ma-
trones grecques et romaines, et surtout avec les
femmes chrétiennes; elles sont tellement inférieures
qu'elles en sont comme anéanties. Le passage que
je viens de citer, fortifié par tant d'autres, prouve
assez que les femmes sont infiniment redevables à ce-
lui qui les a soustraites à l'inceste et à ces abomina-
tions sans nom, dont l'idée seule nous fait frissonner
de dégoût et d'horreur. Si elles ont encore beaucoup
à reprocher ù Mahomet, elles lui doivent au moins
d'être restées les mères de leurs fils et les filles de
leurs pères. Oui, le Coran a bien peu de respect pour
la femme; mais il en a plus encore que tout ce qui l'a
précédé. C'est la polygamie qui déshonore et qui
ruine ces malheureuses sociétés dans TAsie presque
entière; le Coran aurait dû l'abolir, au lieu de la
sanctionner. Mais ici encore il a le mérite de l'avoir
limitée, s'il n'a pas osé la détruire. Au contact du ju-
p. ôôO. Voir aiis.ïi l'ouvrage spirial do M. le docteur IV'rr.iU. Femmes
arabes avant et depuis l'Islamisme.
* Voir plus liant, jingc 111.
il
20G MAHOMET, CHAPITRE V.
daïsme et du christianisme, il eût été beau pour l'Is-
lam de faire une exception de plus dans le reste de
l'Asie. Il a pu proscrire à jamais l'ivresse du vin' ; il
aurait pu combattre mieux qu'il ne l'a fait l'ivresse
des sens, qui est bien autrement redoutable.
Une critique, contre laquelle il est plus aisé de dé-
fendre le Coran, c'est celle qu'on adresse encore assez
souvent à son fatalisme. Malgré cette erreur très-ré-
pandue, il n'y a rien dans la vie du prophète, non plus
que dans son livre, qui la justifie. Nous avons pu voir,
par l'esquisse du caractère de Mahomet, son infati-
gable activité et cette confiance qu'il ne cesse d'avoir
en lui-môme. Sa confiance en Dieu n'est pas moins
sincère ni moins vive ; mais elle reste dans de justes
bornes, et elle ne va jamais à cet aveuglement que le
fatalisme suppose. Le Coran recommande aux lldèles
d'être soumis absolument à la volonté de Dieu ; et cette
soumission, que la raison la plus éclairée et la plus
pratique recommande aussi bien que le Coran, mérite
•Parmi les bienfaits du Mahoinétisnie, M. \V. îtiiir, qili lui est d'ail-
leurs peu lavorable, coniplc la sbliriété étonnante iju'il a su imposer
à scè sectaires. «Les boissons enivrantes ont été délendncs; et ris^llnu
peut Se vanter d'un degré de tempérance inconnu à toute autre reli-
gion: » Voir M. W. Muir, t. IV, p. 521. L'éloge est vrai; mais j'avoue
que ce mérite, tout réel qti'il est, me touche peu, parce qu'on ne voit
pas qiie l'ivrognerie ait causé beaucoup de désordres parmi les Ara-
bes, Dans les climats chauds, on ne peut supporter l'usage des liois-
Sons enivrantes; et leur action est si redoutable, que la prudence la
plus vulgaire suit éviter ce danger par trop éudeut. C'est la douceur
tempérée de nos climats qui permet l'ivrognerie, mo ns funeste cl
plus agréable; c'est la rudesse des hivers qui la rend lu-esquo né-
cessaire.
LE CORAN. 207
aux musulmans le nom même qu'ils portcnl, cl dont
ils se glorifient. Mais jamais dans les préceples ou
dans les exemples donnés par le prophète, elle n'est
une abdication des plus nobles focuîtés de lame. Le
fatalisme, tel qu'on l'imagine, n'est qu'une paresse
insurmontable et une stupidité nées de la débauche ;
c'est une impossibilité physique d'agir bien plutôt
qu'une doctrine ; et, en tout cas, ce n'est pas le Coran
qui l'autorise. L'Islam, tel qu'il l'entend, n'est pas
autre chose que le sentiment profond que l'homme
conçoit de sa faiblesse devant le Dieu lout-puissant et
miséricordieux, et de la nécessité de sa soumission ;
ce n'est pas un coupable renoncement au don le plus
beau que le Créateur nous ait fait, celui de notre libre
arbitre. Le Coran a bien assez de taches sans lui attri-
buer gratuitement celle-là, qu'il n'a pas. M. Weil et
M. A. Sprenger', s'accordent pour reconnaître qu'il
n'est point fataliste, et il faut le répéter avec eux, en
dépit du préjugé vulgaire.
Je ne nie pas que le fatalisme ne puisse être répandu
dans les populations mahométanes; mais ce n'est pas
leur livre religieux qui le leur impose, à moins qu'on
n'en dénature le sens général au profit de quelques
passages douteux ; et cet énervement de la volonté tient
à bien d'autres causes. On peut douter, d'ailleurs, que
le fatalisme aille aussi loin qu'on le dit, même dans
ces âmes flétries; et, pour la réalité des choses de
' M. Gustave Weil, Mohammed der Prophet, p. 399, et M. A. Sprin-
gcr, Dus Leben und die I^Jire des Mohammad, t. H, p. 308.
2ns MAHOMET. CHAPITRE V.
chaque jour, le fatalisme absolu ri'esl pas plus possi-
ble que l'absolu scepticisme, dont peuvent bien se
vanter quelques sophistes, mais que l'homme est in-
capable d'appliquer rigoureusement, même durant
quelques heures de suite.
Il est une dernière lacune qu'il faut signaler dans
le Coran, et qui n'est pas une des moins graves : je
veux parler du défaut complet de toute métaphysique.
Mais cette lacune-là tient beaucoup moins à Mahomet
personnellement qu'elle ne tient à l'esprit de toute la
race arabe, et l'on peut même dire de toute la
race sémitique. Sans doute les livres religieux ne
sont pas des traités de philosophie, et il serait injuste
de leur, demander phis qu'ils ne prétendent et qu'ils
ne doivent donner. Mais, sans faire directement de
métaphysique, il peut échapper à ces grandes intelli-
gences quelques éclairs sur les questions profondes
que se pose le genre humain, quand il rétléchit à la
nature de Dieu et à la nature de notre àme. Ces
lueurs, quelques fugitives qu'elles soient dans le
foyer original, se développent ensuite, et forment la
théologie, qui est comme la philosophie et la métaphy-
sique des rehgions. Le christianisme nous en offre un
admirable exemple; et, aidé de la métaphysique
grecque, il a tiré peu à peu une théologie incompa-
rable des germes que renfermaient ses livres saints.
L'Islam n'a pas été à beaucoup prés aussi fécond, et
quoique ce demi-avortement puisse tenir à bien dnu-
tres causes, la [uincipale, peut-être, c'est que le Coran
LE CORAN. 209
lui-mômc élait presque absolument stéiile, et qu'il
n'[i pas fourni aux siècles posléiieurs des élémenls
qu'ils pussent féconder. Dans l'âme de Mahomet,
comme dans l'esprit de ces peuples, l'inspiration a
clé si brûlante qu'elle a tout étouffé; et une sponta-
néité irrésistible et constante a empêché de naître
toute réflexion. Le prophète n'a fait qu'imiter le vul-
gaire qui l'entourait; mais le solitaire méditatif du
mont Hîra pouvait, dans ces problèmes, descendre
plus avant que ses grossiers compatriotes.
Quoi qu'il en soit, le génie arabe était si dénué sous
ce rapport, que le contact vivifiant du génie grec,
dans le second et le troisième siècle de l'Hégire, n'a
pu l'animer que très-faiblement, et la philosophie
musulmane n'a guère porté que des fruits étrangers,
privés de la sève originale et de la pleine maturité.
12.
CHAPITRE VI
JUGEMENT SUR LE M AHOM ÈTISME
Grandeur de Mahomet ; comparé à Moïse ; Mahomet est le seul dans
l'histoire qui ait t'ic tout à la lois fondateur d'empire, fondateur de
i-eligion, législateur cl poète. — 11 faut respecter le Muhométisme
en tant que religion monothéiste; fanatisme mahométan ; ses con-
quêtes ont été fécondes ; génie arahe à Damas, à Bagdad, en Espa-
gne; rôle scientifique dos Arabes; leur philosophie peu originale;
leurs historiens et leurs géographes; arabesques, arcliitecture ; la
Chevalerie inventée par les Arabes ; part qu'on doit faire à Maho-
met dans tous ces développements et ces progrès ; influence litté-
raire et morale du Coran. — Le génie arabe obligé de quitter son
berceau pour dominer et grandir ; l'Arabie ne garde que les Villes
saintes; discordes déplorables des peuples chrétiens et des peuples
musulmans ; rapports des deux religions ; identité de croyances; les
trois religions monothéistes. — Jugements divers sur le Mahomé-
lisme : M. ^Villiam Muir et M, Gustave \Sei\.
Je voudrais terminer celte étude sur le prophète de
l'Arabie par une appréciation générale non pas de
Mahomet lui-môme, doni j'ai assez parlé, mais du
Mahométisme. C'est le Mahométisme qui a suscité la
nation arabe, et lui a procuré, dans l'histoire du
monde, une place que, sans cette décisive influence,
elle n'aurait jamais occupée.
JIT,EME>T SUR LE MAlIOMtTlSME. '211
D'après tout ce qui précède, on peul aisément juger
Maliomet ; et, pour ma part, je n'hésite pas à le classer
dans les premiers rangs parmi les plus grands hom-
mes. Il a été tout à la fois révélateur d'une religion,
organisateur d'un peuple el fondateur d'un empire,
qui a subjugué avec une rapidité merveilleuse une im-
mense partie de la terre. Sans parler du poëte, il a
été tout ensemble prophète, législateur et conquérant.
Dans les annales humaines, il est le seul à avoir revêtu
ces trois caractères éminents ; et il a également réussi
dans ses dogmes, dans ses lois et dans ses guerres.
Les circonstances sans doute l'ont aidé, ainsi que je
l'ai fait voir, et comme l'a très-bien dit Voltaire :
« Le tour de l'AraLic était enfin venu ; a
Mais Mahomet a eu la fortune, vainement tentée par
bien d'autres, de substituer le monothéisme à l'ido-
lâtrie, de réunir en corps de nation toutes ces hordes
vagabondes, et de leur assurer un rôle qu'elles n'eus-
sent jamais joué s'il n'eût été leur initiateur religieux ,
leur législateur et leur chef.
Il n'y a guère qu'un seul homme dont on puisse
rapprocher Mahomet : c'est Moïse, le prophète hé-
breu, agissant dans les mêmes lieux à peu près, sur
des peuples el des mœurs fort analogues, mais ayant
l'avantage d'avoir paru le premier et vingt-deux siè-
cles auparavant. Moïse aussi a créé une religion, dont
Mahomet a beaucoup emprunté; il a créé aussi un
212 MAHOMET. CHAPITRE VI.
peuple dont rindestriiclihie organisation a bravé fous
les revers, et qui semble capable de braver même l'ac-
tion éternelle du temps, à qui tout cède. Mais Moïse
n'a point acquis un vaste empire par le glaive ; et les
conquêtes que son peuple a pu faire sous sa conduite
ou après lui ne comptent pas, réduites à quelques dé-
serts un peu moins arides que les autres. Les Juifs
ont exterminé leurs voisins les plus proches ; mais en
fait ils n'ont jamais rien possédé qu'un imperceptible
territoire, et l'empire qu'ils rêvent est encore tout en-
tier dans les ténèbres d'un avenir impossible.
Ce n'est pas d'ailleurs une critique que l'on doive
adresser à Moïse ; et il n'y a point à regretter pour
lui de n'avoir pas eu à verser ces torrents de sang qui
sont le prix de la gloire vulgaire. La sienne a été plus
haute, et l'étendue de son véritable empire n'en a pas
souffert. Sa domination est toute morale. Mais quelle
grandeur n"a-t-elle pas ? Avoir préparé par le judaïsme
les germes essentiels de la foi chrétienne et ceux du
Mahométisme, sans se confondre ni dans l'une ni dans
l'autre, où trouver dans l'histoire des hommes tant de
bienfaits, tant d'originalité, tant de constance? Quand
la tradition représente Moïse entouré des feuxd'Horeb
et de Sinaï, elle ne se trompe point, et ces métaphores
suffisent à peine pour égaler l'éclat d'un tel nom, et
les splendeurs impérissables d'un tel génie. Devant la
majesté de cette figure, j'avoue que celle de Mahomet
semble s'évanouir; et Mahomet lui-même, dans sa
modestie et sa loyauté, eût été le premier à le recon-
JUGEMENT SIR I.E MAllOMETISME. 215
naître ; car, parmi les personnages qu'il cite, et sur
lesquels il s'appuie, il n'en est pas qu'il vénère plus
que Moïse, et dont il invoque plus souvent les exem-
ples et le témoignage *.
Mais tout inférieur que peut être Mahomet, la jus-
tice veut qu'on ait pour son œuvre à peu près le même
respect qu'il a eu pour celle d'autrui, et qu'on ne la
juge pas, comme on l'a fait trop souvent, avec une
dédaigneuse ironie, qui fait plus de tort à ceux qui se
la permettent qu'à celui contre qui elle est dirigée. Il
y a aujourd'hui dans trois parties du monde plus de
cent millions de musulmans, et voilà douze cents ans
passés que leur religion règne sur une bonne partie
de l'Asie, de l'Afrique et même de l'Europe. A moins
de traiter avec une légèreté aveugle celte portion con-
sidérable de l'humanité, qui a cependant à peu près
les mêmes idées que nous sur Dieu et sa providence,
il faut bien prendre au sérieux un fait aussi vaste et
aussi durable. Le Mahométisme n'est pas près de dis-
paraître ; et pour faciliter les rapports qu'on a néces-
sairement avec lui, il faut tâcher de le comprendre
dans tout ce qu'il a de vrai et de bon, et de ne pas l'ex-
clure, malgré ses défauts trop réels, de cette bien-
* Le Coran revient à tout instant sur l'iiisldirc de Moïse ; il raconte
dix fois sa vie tout entière, sa naissance, son péril sur les eaux du Nil,
ses prodiges à la cour du Pliarann, ses luttes contre l'idolâtrie des
Hébreux, ses entrevues avec Jéliovali. son courage dans le désert, ses
souffrances et sa mort. Mahomet se plait à retracer ce grand portrait,
où il retrouve une partie de sa propre figure et de sa destinée ; voir
plus loin, dans les Extraits du Coran, le cliapitre sur les Prophètes.
214 MAHOMET, CIIAriTHE VI.
veillance universelle que recommande la charité chré-
tienne.
Je reconnais d'ailleurs sans peine que la manière
dont l'islamisme s'est annoncé au monde n'était pas
faite pour lui concilier cette tolérance qu'on doit ré-
clamer aujourd'hui en sa faveur. A peine le peuple
arabe a-t-il été réuni et organisé sous son prophète, et
sous sa loi nouvelle, qu'il s'est précipité sur toutes les
contrées voisines avec une fureur de fanatisme et de
combats que rien ne dépasse dans l'histoire des inva-
sions. En moins d'un siècle, des succès aussi prodi-
gieux par leur étendue que par leur rapidité rendent
la race musulmane maîtresse de toute la péninsule
arabique, de la Syrie, de la Perse, de l'Inde occiden-
tale, de l'Egypte, du nord entier de l'Afrique, de l'Es-
pagne, du midi de la Fiance, et d'une grande partie
des bords de la Méditerranée. C'est tout à la fois une
frénésie de prosélytisme et de pillage. Mais comme
c'est au fond l'enthousiasme religieux qui l'emporte,
le torrent dépose quelque chose après qu'il est passé
et qu'il s'est écoulé. Les barbares, qui avaient envahi
trois ou quatre siècles auparavant l'empire romain dé-
généré, n'avaient pensé d'abord qu'à tout dévaster
pour jouir de tout. Une vengeance trop légitime les
avait provoqués, et ils l'assouvissaient avec une cruauté
d'esclaves révoltés qui a laissé un impérissable souve-
nir d'horreur. Sans que la conquête musulmane ait
été exempte de ces souillures, elle a été cependant
civilisatiice parce qu'elle a été surtout religieuse; et
JUGEMENT SUR LE MAllOMÉTISME. 215
c'est pour convertir les peuples, bien plus encore que
pour les dépouiller, que l'islamisme a entrepris les
courses furieuses qui l'ont tout a coup transporté si
loin de son berceau'.
Il est difficile de deviner ce que serait devenue la
France, et peut-être aussi l'Europe, sans la victoire de
Charles-Martel {bataille de Tours, 752), bien qu'il n'y
ait point à croire que ni l'une ni l'autre eussent gagné
à devenir musulmanes. Mais il est certain que les
Arabes, quoique moins disciplinés que les Franks,
vainqueurs et héritiers de la tactique romaine, leur
étaient supérieurs sous bien des rapports ; et, quel-
ques siècles plus tard, c'était aux sciences et aux
écoles de l'islamisme que l'Europe chrétienne allait
devoir la moitié de ses lumières. Au onzième et au
douzième siècle, l'E'^pagne, livrée aux Maures, instrui-
sait le reste du monde, après s'être instruite elle-même
aux monuments de la Grèce. Si la scolastique n'avait
point eu les sources arabes, il est sûr qu'elle n'eut pas
fait de si rapides progrès ; et la renaissance d'Albert le
Grand et de saint Thomas aurait pu se faire attendre
encore bien longtemps.
C'est donc là un caractère qui distingue les con-
quêtes arabes de bien d'autres; et il serait peu équi-
• Oii peut juger par le fjiialisme acluel des populalions musiil-
iiinnes de ce que devait être le l'analisme des premiers temps ; et pour
ee ipii nous regarde plus parliculiércmeiit. rAlgérie a dû nous prouver
tout récemineut ([uelle ardeur y a conservée la foi nialiouiélane après
trente ans de conqucle. 11 parait bien probable nue le signal de la
dernière insurrection est parti de la Mecque.
21ij MAllO.MLT. CllAI'lTRE VI.
table de les confondre soit avec celles des barbares
nos ancêtres, soit avec celles de Gengis-Klian ou de
Timour. Celles-là n'ont été qu'une suite d'effroyables
désordres; le carnage et le butin étaient les seuls
objets des envabisseurs, et il n'est resté après eux
que ruine et que deuil. Les Arabes, au contraire, ont
semé partout des germes heureux, qui sont devenus
féconds en d'autres mains que les leurs.
Il ne faut pas d'ailleurs exagérer, comme on l'a
fait souvent', l'originalité du génie arabe elles ser-
vices qu'il a rendus. C'est peut-être sous les Om-
miades, à Damas en Syrie, non loin des écoles grec-
ques, qu'a commencé pour les musulmans la culture
des sciences et des lettres. Mais c'est surtout à Bag-
dad, sous les Abassides, qu'elles se sont développées et
qu'elles ont jeté tout leur éclat. Elles étaient toutes
empruntées à celles de la Grèce, par l'intermédiaire
de iidèles traductions, et elles durent peut être aussi
quelque chose à ce ciel qui jadis avait si bien inspiré
les Chaldéens. De Bagdad, quoique à une grande dis-
lance, la conquête arabe les a fait pénétrer en Espagne,
où l'Europe, curieuse d'apprendre, venait les chercher
dès le neuvième siècle, Cordoue, à l'autre extrémité
du monde alors connu, remplaça bientôt la fastueuse
Bagdad, qui s'énervait dans le luxe ; et, quand la dy-
' Cesl une ciitiqiic qu'on peut oïlrcsscr peut-être ai^scz justiiiient
à M. A. Sprcnger. Lcloge qu'il fail de rinfluoncc arnl)C au ninyoïi
àyc dépasse certainement la mesure, quoique celle inlliiencc ail élu
considéraMe. Voir l'ouvratre de M. A. Sprengor. Dfix l.-'bni iind die
l^liredesMohaiimad. t. I. prifaco, [i. "2 et suiv.
JUGEMENT Slll LE MAliOMÉTISME. 217
naslieabbasside s'éleigiiait peu à peu sur les rives du
Tigre et de TEuphrale', rintelligcuce arabe était en-
core dans toute sa fleur sur celles du Guadalquivir ;
Averrlioès professait là où étaient nés, mille ans avant
lui, Sénéque et Lucain.
Les savants ne sont pas d'accord suila part qui re-
vient en propre aux Arabes dans leurs travaux ; pres-
que toujours on leur attribue trop ou trop peu ; et,
comme ils ont beaucoup reçu, il n'est pas facile de
voir ce qu'ils ont ajouté à Tliéritage. Mais ce que l'on
ne peut refuser d'a])ord à leurs princes, c'est d'avoir
favorisé, parleur protection et même par leurs exem-
ples, ce développement tout nouveau de l'esprit arabe,
que rien jusque-là n'avait fait soupçonner'. En second
lieu, on est assez généralement unanime pour recon-
naître que les Arabes ont fait des progrés réels en astro-
nomie, en nialiiématiques, en médecine, et qu'ils ne
s'en sont pas tenus à ce qu'ils avaient appris d'Eu-
clide et d'Archiméde, d'IIipparque et de Ptolémée,
d'Uippocratc et de Galien^. Ils ont été les seuls, peii-
* La dynastie des Abbjssides, inaugurée en 750, élait en pleine
décadence moins de deux siècles après, lorsque les califes se lionnè-
rent des maîU'f^s en créant les fonctions d' éinir-al-omrali , assez
pareilles à celles des grands-vi/.irs. Elle fut chassée de IJagdad, quand
celte ville tomba au pouvoir dHoulagou, petit-fils de Gengis-KJian
(1238); et elle se réfugia en Egypte, où elle subsista encore très-obs-
curément pendant près de trois cents ans, jusqu'à la conquête turque.
* On peut citer des princes qui ont cultivé et protégé les sciences
depuis les premiers Abbassidcs jusqu'à Oloug-Beg, le petit-fils de Ta-
mriian, au quinzième siècle.
' Voir les ouvrages de M. L. A. Sédiliot, des sciences mallicmati-
13
218 MAHOMET, CHAPITRE VI.
dant plusieurs siècles, à maintenir et à pouvoir déve-
lopper la tradition grecque dans ces nobles sciences ;
et tandis que notre moyen âge, livré à l'anarcliie et au
désordre incessant, pouvait à peine comprendre les
théories anciennes, loin d'y ajouter, les Arabes inven-
taient des méthodes nouvelles de calcul et perfection-
naient l'art de guérir.
Leur philosophie n'est pas très-originale ; elle s'est
bornée presque entièrement à suivre Aristote, qu'elle
a parfois défiguré. Mais à cette école sévère elle a su
beaucoup acquérir. Sans cette règle et ce joug du péri-
patétisme,[resprit arabe n'aurait jamais atteint par lui-
môme cette rigueur et cette exactitude nécessaires à
la culture heureuse des sciences. Aristote l'a discipliné,
comme il l'a fait pour tant d'autres; et, s'il a eu des
élèves plus glorieux, il n'en a pas eu dans notre Occi-
dent de plus précoces ni de plus appliqués. Aristote
régnait, sans susciter les moindres ombrages, dans
les écoles de Bagdad et de Séville, trois siècles au
moins avant qu'il ne régnât dans les nôtres. Mais ici
encore, si la conquête arabe a été j)rompte et impé-
tueuse, elle n'a pas été non plus de longue durée.
L'Europe, héritant un peu plus tard de ces lumières,
les a successivement portées au point où nous les
voyons aujourd'hui ; dans tous les pays de foi musul-
mane, elles se sont éteintes après avoir brillé quelques
instants, comme ces plantes exotiques qui ne peuvent
ijiies clic:, les Grecs ri les Orientaux, et sa préface aux Prolégomènes
des tables aslronomiqiies d'Oloug~Beg[\}. xxv).
JUGEMENT SUR LE MAHOMETISME. -219
vivre longtemps et s'acclimater sur une terre étran-
gère. Les Arabes ont vu périr, dans leurs mains, les
sciences dont ils avaient les premiers rallumé le flam-
beau mourant ; et comme la philosopliie, quoique très-
indépendante de toute oppression, n'avait pas jeté'
parmi eux des racines assez profondes, tout le reste
de leur intelligence s'en est ressenti. Le tronc com-
mun recevant une nourriture peu abondante et peu
substantielle, les rameaux se sont peu à peu desséchés,
et ils ont fini par mourir. 11 n'était pas donné à l'A-
rabie de pouvoir jamais produire ni des Descartes ni
des Newton, quoique pour sa part elle ait contribué à
préparer les voies où ils ont marché.
Quand on sait ce qu'a été l'histoire entre les mains
des Grecs et des Romains, sans compter les modernes,
on est peu disposé à beaucoup admirer les historiens
arabes: mais en prenant d'autres points de comparai-
son, on aurait grand tort de les mépriser. L'Asie en-
tière, y compris l'Inde et la Chine, tout intelligentes
qu'elles sont, n'a jamais pu s'élever à la conception
de l'histoire ; et les annales de ces peuples, quand ils
ont essayé d'en avoir, sont si informes et si puériles
qu'on n'y peut même surprendre les germes d'une
future amélioration. Les faits y sont mal choisis, obs-
curs .et mal classés; ce sont comme les bégayements
et les récits incohérents de l'enfance. Les historiens
arabes sont bien supérieurs; et sans qu'ils aient en-
core toute la maturité désirable, ils comprennent du
moins aussi bien que nous l'utilité et la dignité de la
220 MAHOMET, CHAPITRE VI.
science qui cherche à fixer, par de durahles lableaux,
tout ce qui, dans le passé, mérite l'altention des hom-
mes et peut les instruire. Il suffit de lire, par exem-
ple, les ouvrages d'un Maçoudi, d'un Aboulféda, d'un
Ihn Khaldoun ', pour sentir sur-le-chnmp que, si l'on
n'est pas tout à fait avec eux dans la sphère des histo-
riens de l'antiquité grecque et romaine, on est bien
moins encore dans la sphère ordinaire de l'Orient. Ils
approchent de nous; et, un pas de plus, ils seraient
piesque à notre niveau, s'ils avaient à peindre nos
sociétés occidentales, au lieu des sociétés désordonnées
au milieu desquelles ils vivent. La culture de la géo-
graphie se lie intimement à celle de l'hisloire et à
celle de lastronomie. Aussi les géographes arabes,
sans avoir beaucoup dépassé les Grecs, ont-ils, ensui-
vant leurs traces, étendu et complété leurs connais-
sances, en ce qui concerne certaines parties du monde
oriental.
A côté de Ja philosophie et des sciences, le seul art
dans lequel aient excellé les Arabes, c'est l'architec-
ture. Par suite d'une assez étrange superstition, les
autres arts leur étaient à peu près complètement in-
terdits. En défendant de représenter Dieu ou la per-
sonne humaine sous aucune forme-, la religion pro-
' Voir pour ILn KhaUIoun, en particulier, les traductions de M. de
Slanc, dans le tome XIX des Notices el extraits des manuscrits de la
Bibliothèque impériale.
- Il est assez probable que Maliomet, en imaginant ou en autorisant
cette interdiction, a voulu provenir et combatlre le retour de l'ido-
lâtrie parmi les tribus qu'il avait eu tant de peine à convertir. Mais
•irGEMENT STT. LE MAIIOMETISME. 521
semait la peinture et la sculpture. La défense a été
respectée, et c'est là ce qui a produit dans rarchitec-
ture arabe ce genre particulier d'ornements qui n'est
qu'à elle, et où elle n'a jamais été surpassée. L'imagi-
nation mutilée en un sens s'est donné carrière dans
un autre ; mais le tort irrémédiable des arabesques
est d'être sans vie ; et l'élégance n'y peut point ra-
cheter la froideur inanimée à laquelle elles sont con-
damnées, en dépit du mouvement et des contours
qu'elles se donnent. La représentation de la nature est
absente de l'art arabe aussi bien que celle de l'homme
et des animaux \
C'est une question très-délicale et très-controversée
que de savoir ce que l'architecture gothique a dû à
l'architecture des Arabes et des Sarrasins. Mais en
laissant de côté ce problème, tout intéressant qu'il
peut être pour nous, on ne saurait nier que le génie
arabe n'ait montré, sous ce rapport, une grande ori-
\e< détails que j'ai donnés iilus liant, p. 155, iirouvenl que la sciilii-
ture et la peinluie n étaient pas étrangères aux Arabes avant l'Llani.
' On est tout étonné, quand on voyage dans la haute Egypte, de voir
sur les admirables monuments que l'on rencontre presque toutes les
têtes des personnages détigurées de la manière la plus méconnaissa-
ble ; elles ont toutes été martelées ; et comme cette mutilation se ré-
pète presque partout et sur presque toutes les figures, il est clair
qu'elle a été systématique. C'est à la conquête arabe qu'on doit la
reprpclier. Par dévotion, les musulmans ont effacé, autant qu'ils l'ont
pu, les traits des visages; en poussant la piété plus loin, ils auraient
tenté de détruire tout, si cette barbarie eût été possible. Les Perses
sous Cambyse lavaient déjà commencée quinze siècles auparavant.
Mais l'Egypte était si riche, qu'elle a pu suffire à toutes ces dévasla-
lions et qu'elle est toujours pleine de trésors.
222 MAHOMET, CHAPITRE YI.
ginalité. Sans doute le contact avec l'art grec et l'art
égyptien a dû l'inspirer; et l'on peut douter que, sans
ces exemples fécondants, les constructions informes
de la Caaba eussent pu se changer si vite en ces mos-
quées et ces palais légers et gracieux qu'on retrouve
dans toutes les contrées musulmanes, depuis l'Inde et
la Perse jusqu'à Grenade, Cordoue et Séville. Mais
tout en profilant des leçons de l'Kgypte et de la Grèce,
l'arcliitecture arabe a mis à tout ce qu'elle a produit
son cachet propre, et elle s'est si bien distinguée de
ses maîtres qu'elle doit prendre place auprès d'eux.
Ce ne sont pas là de médiocres mérites. On pour-
rait y ajouter celui de la poésie que les Arabes n'ont
cessé de cultiver depuis Mahomet, comme ils la cul-
tivaient avant lui. Leurs poètes n'ont pas l'admirable
goût des poètes de la Grèce et de Rome, et ils n'ont
jamais approché de la perfection dans cette mesure qui
peut rendre les œuvres classiques, en en faisant d'im-
périssables modèles. Mais pour n'avoir pns celte rare
valeur, la poésie arabe est loin d'être sans prix ; et
dans l'histoire lyrique de l'esprit humain, elle a sa
place bien marquée cl son rang encore assez élevé.
Enfin c'est au génie arabe qu'on doit rapporter la
chevalerie, qui, passée de chez eux en Europe, a beau-
coup contribué à y adoucir les mœurs et à y faire
naître la politesse et le respect des femmes. Née sous
la tente, entretenue par les habitudes de la vie errante
dn désert, embellie par la passion des vers naturelle
à toute cette race de poêles, la chevalerie commença
JUGEMENT SIT, LE M MIOMÉTISME. '22">
chez les Arabes, et produisit parmi ces farouches guer-
riers une foule de héros, dont les Abencerrages ont
été plus tard le type accompli quoiqu'un peu trop raf-
finé. Au commerce des Arabes et à leur imitation, les
rudes seigneurs de notre moyen âge amollirent leurs
grossières habitudes ; et les clicvaiiers, sans rien per-
dre de leur bravoure, connurent des sentiments plus
délicats, plus nobles et plus humains. Il est douteux
que le christianisme seul, tout bienfaisant qu'il était,
les leur eût inspirés; peut-être même cette galanlerie,
avec les dangers séduisants qu'elle fait naître, est-elle
peu d'accord avec la pureté chrétienne. Mais la clieva-
leri-e, passagère et superficielle comme elle a dû l'être,
bientôt même romanesque et frivole, n'a pas été ce-
pendant sans utilité, sans charme et sans éclat. On
doit féliciter les Arabes de cette aimable invention,
qui ne devait pas leur survivre ; c'est comme une
fleur née sous leurs brûlants climats, et qui perd
bientôt sa grâce et son parfum sous des cieux moins
cléments, où elle avait été transplantée ^
11 résulte donc de cet ensemble de labeurs intellec-
tuels que le génie arabe n'a été ni dépourvu, ni sté-
rile. 11 n'a pas eu la splendeur immortelle et l'inépui-
sable fécondité de quelques autres ; mais il n"a point
été inutile à l'humanité ; et à un certain moment, c'est
lui- qui a tenu le spectre que le monde ancien lais-
sait échapper, avant que le monde nouveau ne sût
' Voir Hcrdei', Idées sur la philosophie de lliistoire de l'hutnanilé.
livre XX, cli. n, partie m, p. 440. de ia traduction de M. Edgar Quinct.
Ili MMiOMrr, CHAPITRE M.
le ressaisir. Un tel service ne pcul être ni oublié, ni
rabaissé, et il suffit à la gloire des Arabes. J'ajoute que
cette gloire appartient aussi à Mahomet, et qu'il faut
la faire remonter jusqu'à lui. Je vois deux motifs con-
sidérables à lui rendre celle justice. D'abord, il est évi-
dent que, sans lui et son action toute-puissante, jamais
l'Arabie n'eût été unie; jamais elle n'aurait acquis
celte concentration de forces qui, son unité étant faite,
se sont répandues avec une énergie irrésistible dans
les conquêtes du sabre et celles de l'intelligence. Dieu,
il est vrai, n'a pas permis à celle race de sortir de li-
mites assez restreintes ; mais chaque peuple a les
siennes; et la carrièi'e qu'a fournie le peuple arabe,
grâce à l'impulsion que Mahomet lui avait imprimée,
est encore assez vaste et assez belle. Parmi les nations
qui comptent dans l'histoire, il en est peu qui aient
un si noble lot, et c'est à l'Islam que l'Arabie le doit,
parce que l'Islam lui a donné une leligion, une desti-
née commune, un centre d'activité, et l'on pourrait
presque dire une pati'ie, si jamais peuple asiatique
pouvait en avoir une.
En second lieu, Mahomet a directement agi sur l'es-
prit arabe par le Coran ; et c'est le Coran qui a con-
féré à l'influence du pro|)liùte cette durée nécessaire
à toutes les grandes choses. Comme code religieux, il
faut le laisser pour ce qu'il est ; el j'ai signalé ses la-
cunes aussi bien que ses qualités. Mais il faut remar-
(|uer, en dehors du dogme, que le Coran est le premier
livre qu'aient eu les Arabes, el qu'il est resté sans au-
JUGEMENT Sun LE MAIIOMÉTISME. 225
cune comparaison le plus beau qu'ils aient jamais pro-
duit. SansleCoran, devenu l'inspirateur d'un perpétuel
enthousiasme, en même temps que le régulateur de la
foi, les Arabes n'auraient jamais ressenti ni surtout
employé ces ardeurs qui en ont fait pendant quelque
temps l'effroi, l'admiration et l'école des autres peu-
ples. Si, à bien des égards, il est difficile de défendre
le Coran, sous ce rapport, il faut le mettre à côté de
la Bible et de l'Evangile ; il a communiqué tous ses
feux à l'âme des Arabes ; il les a transportés dans des
régions de la pensée que sans lui ils n'eussent jamais
connues, et quand on adore si pieusement les œuvres
de Dieu, on est bien près de chercher à les compren-
dre avec l'aide et les procédés de la science. Le Coran
a déplus ce grand avantage d'être un modèle accom-
pli de style, du moins pour ceux auxquels il s'adres-
sait; et en épurant les esprits par cet attrait délicat
delà forme, il les disposait aux sérieuses études et à
de plus profonds travaux.
Mais ce qu'il y a de singulier, c'est que l'Arabie
elle-même ne devait pas être le théâtre de cette gloire
nouvelle. On dirait qu'elle s'est contentée de devenir
l'inviolable asile de la foi musulmane. La Mecque el
Médine sont restées les Villes saintes ; et, même jus-
qu'à ce jour, les infidèles sont demeurés bannis de
cette terre sacrée. Ce n'est qu'au prix de leur vie
qu'ils essayeraient de visiter et de souiller le Haram.
Mahomet en avait chassé les idolâtres ; mais il est peu
probable que, dans sa pensée, l'interdiction portât
ir..
2-26 MAHOMET, GIIAPITUE VI.
aussi loin, et qu'avec les idolâtres il proscrivit aussi
le genre humain. C'est là, sans doute, une consé-
quence imprévue que le fanatisme a tirée du Coran,
ainsi que tant d'autres non moins surprenantes. Mais
qu'elle vînt ou non du prophète, il en résultait que ni
la Mecque niMédine ne pouvaient être les capitales de
l'empire, privilège dont leur situation même devait
les exclure. C'est ainsi que la vénération religieuse
siihsistant pour elles, aussi ardente à cette heure
qu'elle l'était il y a plus de vingt siècles, la puissance
temporelle a dû nécessairement se déplacer, émigrant
des déserts arabiques pour se transporter dans les
contrées un peu plus hospitalières de la Syrie et de la
Perse. Elle n'a pu même se maintenir longtemps dans
ces régions, et, dès le xiii^ siècle, l'empire arabe pro-
prement dit mourait avec la dynastie des Abbassides.
Les successeurs directs de Mahomet n'avaient duré
que quelques générations. Des races plus fortes devaient
succéder aux Arabes, si promptement affaiblis après
les excès de leur énergie passagère. Mais le lien reli-
gieux, à défaut du lien politique, devait survivre,
renouvelé chaque année par le pèlerinage aux lieux
saints ; et la possession seule de la Mecque devint le
signe de la suprématie, si ce n'est de l'autorité, parmi
les nations musulmanes. Il n'en a pas fallu davantage
pour assurer, plus lard, à la Turquie, une supériorité
(jui n'est que nominale, mais que, sans cette circon-
stance, elle n'aurait pas. Si la Perse, qui est plus rap-
prochée des Villes saintes, n'avait pasétéschismatique.
JUGEME>'T SIR LE MAHOMÉTISME. 227
c"est elle, sans doiile, qui les eût gardées et qui aurait
le dépôt de la foi.
Ainsi l'œuvre politique de Mahomet n'a subsisté tout
au plus que six siècles; son œuvre religieuse en a déjà
duré plus du double, et, selon toutes les apparences,
elle n'est pas près de périr. On s'est trop accoutumé,
parmi nous, à identifier les destins de l'Islam et ceux
de l'empire turc. Les Ottomans, qui régnent à Constan-
linople, n'ont paru avec Othmàn 1" qu'au xn*" siècle.
Ils peuvent être chassés de l'Europe, ce qui est même
déjà bien difficile, sans que le musulmanisme en soit
troublé. Il régnerait toujours dans le reste des vastes
contrées qu'il occupe, et que la chute de la Turquie
n'intéresserait en rien. Elle peut être menacée; mais
la religion musulmane ne l'est pas ; et, comme l'a très-
bien observé M. A. Sprenger, qui a vécu si longtemps
dans les pays où elle domine, les mahométans sont
encore moins disposés que les chrétiens à l'abjura-
tion . Nous pouvons voir par nous-mêmes, depuis trente
ans passés que nous possédons l'Algérie, combien les
conversions sont rares, et la foi au prophète est au-
jourd'hui aussi constante qu'elle Ta jamais été ; les
Iladjjis, aussi nombreux et aussi fanatiques. L'heure
de la décadence n'est pas venue pour cette religion,
pas plus que pour la nôtre, et il n'est donné à per-
s'onne d'en apercevoir déjà le terme.
Je conçois, jusqu'à un certain point, les passions
qu'on peut ressentir aujourd'hui contre la domination
turque ; je conçois surtout et j'admire les passions
223 AIAUOMET, CIIVI-ITRE YI.
qui ont provoqué le pieux élan des croisades, tout
déraisonnable et infructueux qu'il a été pour le bnt
spécial qu'il poursuivait. Mais je ne comprendrais pas
la haine qui s'adresserait avec le mépris à la religion
musulmane. Mahomet avait pleine raison quand il di-
sait aux juifs et aux chrétiens : « Votre Dieu est le
« mien » ; car il le leur avait emprunté ; et il semble
que cette conformité très-réelle aurait dû tempérer la
fureur réciproque des peuples. Il' n'en a rien été,
comme l'hisloire nous l'atteste dans le passé et même
jusque dans le présent ; mais il appartient aux esprits
éclairés et philosophiques de s'élever au-dessus de
ces préjugés aveugles et féroces de la foule, et de ju-
ger les choses avec plus d'impartialité et plus de sang-
froid .
11 faut donc le reconnaître : de part et d'aulre, la
conception générale est presque identique, et, au
fond, les trois religions peuvent être regardées comme
les branches d'un seul et même tronc. Le christia-
nisme se fait gloire de retrouver ses origines dans le
judaïsme, et il a adopté la Bible à côté de l'Évan-
gile. Il pourrait bien aussi reconnaître l'Islam pour
son rejeton ; car, sans l'Évangile et la Bible, l'Islam
ne serait jamais né ; et, quoiqu'il les ait dénatu-
rés l'un et l'autre, il en a cependant conservé des
traits essentiels. Il a certainement compris le divin
avec moins de majesté et de profondeur ; mais il
l'a senti peut-étie avec plus d'enthou-^iasme et de vi-
vacité.
.iniEMENT SUR LE M.VIIOMÉTISME. 220
Dans le jugement (jue je porte ici, il n'y a point,
Dieuin'en garde, ni scepticisme, nisurtoutindifférence.
La religion chrétienne doit toujours rester, pour nous,
la plus sainte, la plus bienfaisante, la plus vraie de
toutes les l'eligions ; et ce serait une iniquité en même
temps qu'un blasphème d'y assimiler le Mahomé-
tisme. Pour réfuter une telle aberration, il n'y aurait
qu'à en appeler au témoignage des faits les plus évi-
dents, et à voir ce que sont les nations mahométanes
à côté des nations chrétiennes, sans même porter sur
l'avenir si opposé qui les attend d'infaillibles conjec-
tures. Mais ce n'est pas rabaisser la foi chrétienne et
la foi juive que de dire qu'avec elles il n'y a point au
monde d'autre religion monothéiste que l'Islam. Si
ce n'est pas absolument le même Dieu qu'il adore, si
ce n'est pas le vrai Dieu, c'est du moins le Dieu créa-
teur, dont la providence veille sur les êtres qu'il a
créés, qui, dans sa clémence et sa miséricorde, sou-
tient ce monde plein de sa puissance et de ses mer-
veilles, qui attend l'homme après cette vie pour le
récompenser selon ses mérites, qui est la source éter-
nelle du bien et le vengeur du mal. C'est sur une ido-
lâtrie grossière et invétérée que l'islamisme a fait, en
quelques années, triompher l'idée du Dieu unique,
quand le judaïsme et le christianisme l'avaient inuti-
lement prèchée, durant de longs siècles, à ces peu-
plades endurcies. Là où tous les deux avaient échoué,
le Mahomélisme a réussi, en se proposant un idéal,
j'en conviens, moins pur et moins iiaut, mais le seul
250 MAHOMET, CHAPITRE VI.
qui pûl toucher ces cœurs restés sourds à des ensei-
gnemenls meilleurs*.
Ce sont donc les mœurs bien plutôt que les croyances
qui séparent les nations chrétiennes et les nations
soumises à Tislamisme. Ces mœurs, ce n'est pas l'Is-
lam qui les a faites. Il les a trouvées établies de
temps immémorial, dominant et corrompant ces
races à demi sauvages. Il a fait à peu près tout ce qu'il
a dépendu de lui pour les corriger; il n'y est pas en-
tièrement parvenu, malgré ses louables efforts; et,
naissant dans un tel milieu, il en a retenu plus d'une
tache. Le judaïsme avait dû fuir l'Egypte pour se dé-
velopper, et il avait ciierché quarante années, dans le
désert, le sol ingrat où il devait vivre dans son indé-
pendance farouche et sa grandeur. Le christianisme
aussi avait dû quitter les lieux qui l'avaient vu naître,
et il avait trouvé dans le paganisme grec et romain'une
atmosphère morale où il pouvait grandir, en conver-
tissant des âmes toutes prèles à le recevoir et dignes
de le comprendre, parce qu'elles l'avaient pressenti.
Le niahométisme n'a pas eu cette fortune, et aucune
des nations qu'il a subjuguées n'était en état de l'amé-
liorer à son tour en s'améliorant d'abord par lui. L'Is-
lam était si bien approprié aux races et aux lieux qu'il
n'a pu dépasser une certaine zone ; c'est le désert brû-
* Sur les rapports de l'Islam à l'Évangile, il faut lire un Irès-cu-
rieux travail du docteur J. A. Moeliler, traduit de ralleniand par le
Rév. J. P. Menge, de la mission ccclésiaslique de Gorakporo. La tra-
duction anglaise, Calcutta, i8i7. in-S", est précédée d'une excellente
préface de M. .1. M. .Jolin Mnir, frère de M. \Villiam Muiri.
JUGEMKNT SLR LE MAIIÔMÉTISME. 251
lant, c'est surtout la vie nomade qu'il lui faut. Il est
comme la religion de la lente et de la caravane. Il est
resté parqué sous certaines latitudes, qu'il a vaine-
ment essayé de franchir, tandis que k; christianisme,
vraiment humain, peut s'établir sur toute la surface de
la terre pour éclairer tous les peuples et les civiliser.
Mais, quoi qu'il en soit de cette infériorité trop
réelle, c'est un immense honneur pour l'Islam que
d'être une des trois religions qui ont reconnu et con-
sacré le monothéisme. Pour s'en convaincre, il suffit
d'un coup d'œil jeté sur l'histoire religieuse du monde.
Est-ce le paganisme gréco-romain qu'on peut lui com-
parer? Est-ce le brahmanisme hindou? Est-ce la foi
bouddhique ? Est-ce la religion de Confucius, si toute-
fois on peut dire de Cojifucius que ce soit une reli-
gion qu'il ait fondée? Dans ces divers cultes, les plus
élevés de tous après les trois cultes monothéistes,
qu'est l'idée de Dieu? Entrevue à travers bien des
nuages par le paganisme, indéterminée et confuse
dans le chaos brahmanique, absente dans le néant
bouddhiste, presque aussi complètement oubliée par
les lettrés chinois, on peut dire qu'elle a été cherchée,
mais il est impossible de soutenir qu'elle ait été com-
prise. Je ne veux pas aftirmer que celte ignorance soit
la cause de l'état misérable où tous ces peuples sont
demeurés; et celte ignorance elle-même peut être
l'effet d'une dégradation incurable. Mais l'Islam, du
moins en tant que croyance, n'est pas tombé dans ces
obscurités et ces déplorables erreurs. Il a connu une
232 MAHOMET, CHAPITRE VF.
grande partie de la vraie lumière, qu'il trouvait, je
l'avoue, à ses côtés ; mais il a eu le mérite de l'accep-
ler et de l'embrasser avec une sincérité et une ardeur
dont il faut que noire impartialité lui sache quelque
fré
pic.
On voit que je serais assez porté à absoudre l'Islam,
en ne le considérant que comme doctrine, et en lais-
sant à part les conséquences qu'il a portées dans les
circonstances peu favorables où il était. Mais ses ré-
cents historiens, MM. Weil ', Caussin de Perceval, Wil-
liam Muir et A. Sprenger, sont loin d'être unanimes
sur ce point. M. Caussin de Perceval n'a pas voulu
formuler, à vrai dire, de jugement général, ainsi que
j'ai indiqué plus haut'. M. A. Sprenger n'en est pas
encore à ce point de son ouvrage qu'il ait à se pro-
noncer sur l'ensemble du Mahométisme; mais il est
assez probable qu'il se prononcera avec quelque indul-
gence. MM. W, Muir et Gustave Weil, qui ont terminé
leurs livres, ont exprimé leur opinion, l'un pour con-
damner presque complètement , et l'autre avec une
bienveillance qui me semble plus équitable.
Voici d'abord comment M. W. Muir fait la part du
' M. Gustave Weil, l'aulcui' do la Vie de Mahomet, a poussé plus
loin ses reclicrclies, et il s'est occupé de \ Histoire des Califes, à la-
quelle il a coiisdcré déjà jilusieurs ouvrages, les meilleurs, sans corn-
paraisoii, qui aient été laits sur ce diOicile &\i\ti\.: Histoire des Califes,
de GÔ2 à 1258, 3 vol. in-S", en allemand, Mannlieiin, 184C-1851;
Histoire des califes abbassides en Egypte, de 1258 à 1517, 2 vol. in-8,
StuKgart, 1800-18G2. Il y a jcint, en 18Gi,, la traduction du Sirat-er-
raçoiil, dont j'ai fait si souvent usage dans le cours de mon travail.
'■' Voir plus haut, page 1!>.
jriiF.ME.NT Sin L!' M.VIIOMÉTISME. 2-3
bien cl celle du mal qu'il trouve dans l'islamisme :
« Nous pouvons accorder sans peine, dit-il, que
Mahomet a banni pour toujours quelques-uns des plus
noirs éléments de la superstition qui, depuis des siè-
cles, couvraient la péninsule. L'idolâtrie a disparu de-
vant le cri de guerre de l'Islam; la doctrine de l'unilé
et des perfections infinies de Dieu, et d'une Providence
spéciale qui s'étend à tout, devint un principe vivant
dans le cœur des sectateurs de Mahomet, aussi bien
que dans le sien propre. Une résignation et une sou-
mission absolues à la volonté divine, c'est le nom
même de l'Islam, furent exigées comme la première
condition de la religion. Les vertus sociales ne man-
quèrent pas non plus. Un amour de frères fut inspiré
dans le cercle de la loi; les orphelins furent proté-
gés; les esclaves traités avec douceur; les boissons
enivrantes défendues ; et le Mahométisme peut se
vanter d'une tempérance inconnue dans toute autre
croyance.
« Mais ces bienfaits ont été achetés bien chère-
ment. En laissant de côté des considérations de moin-
dre importance, trois conséquences radicalement mau-
vaises sont sorties de cette foi dans tous les temps et
dans tous les pays, et elles ne cesseront d'en sortir
tant que le Coran servira de fondement aux croyances.
C'est d'abord la polygamie, le divorce et l'esclavage
maintenus et perpétués, sapant la moralité publique
par sa base, empoisonnant la vie domestique et désor-
ganisant la société. En second lieu, toute liberté reli-
23i MAHOMET, CHAPITRE VI.
gieuse est repoussée et détruile. Le glaive est le châ-
timent inévitable de tout ce qui nie l'Islam. La
tolérance est inconnue. Enfin, c'est une barrière in-
franchissable qui s'est élevée contre l'adoption du
christianisme. On aurait grand tort de s'imaginer que
le Mahométisme puisse jamais préparer les voies à
une doclrine plus pure... L'Arabie idolâtre, à en juger
par analogie avec d'autres nations, aurait pu s'élever
à la vie spiriluelleet adopter la foi du Christ; l'Arabie
mahométane, autant que peuvent le voir des yeux
humains, est fermée à l'action bienfaisante de l'Évan-
gile... L'épée de Mahomet et le Coran sont les plus
funestes ennemis de la civilisation, de la liberté et
de la foi que le monde ait jusqu'à présent rencon-
trés'. »
Je ne répéterai pas ce que j'ai dit plus haut sur
tous ces points ; mais il en est un cependant sur le-
quel je veux insister. Je ne crois pas du tout avec
M. W. Muir que l'Arabie idolâtre pût devenir chré-
tienne, pas plus qu'elle n'avait été juive. Le raison-
nement de M. W. Muir serait juste si, en effet, le
christianisme n'avait point tenté de convertir les
Arabes avant Mahomet ; mais il y a fait de vains ef-
forts pendant quatre ou cinq siècles; et il n'a pu se
faire accepter. Kût-il été accepté plus tard? Il est per-
« M. AVilliani Muir, The Life of Mahomet, t. IV, p. ".^O et suiv. A h
suite de ce ju^ienient gt-nérul, .M. ^V. Muir le confinne en essayant do
montrer toutes les inconséquences du caractère de Mahomet et celles
du Coran.
JUGEMENT SIR LE MAIIOMÉTISME. 2:î5
mis d'en douter ; et ce sont là des questions où, comme
le dit M. W. Muir, il est bien difficile pour des regards
humains de pénétrer. De nos jours, les AVahabites ont
essayé de réformer l'Islam, et ils n'ont pas songé à se
faire chrétiens. L'islamisme a pour lui le fait; il a
germé sur une terre où la foi chrétienne n'avait pu
s'implanler. Les juifs non plus n'ont pas été convertis ;
et, selon toute apparence, l'Arabie sans Mahomet se-
rait demeurée à jamais plongée dans les ténèbres de
ridolàtrie, ainsi que l'est encore une grande partie de
l'Afrique.
Mais où je suis pleinement d'accord avec M. Wil-
liam Muir, c'est quand il dit que « Mahomet et le
Coran, l'auteur de l'Islam et l'instrument de son
succès, sont des sujets 'dignes de la plus sérieuse
attention ; et qu'il se déclare amplement payé de
ses longs travaux s'il a pu contribuer, dans un de-
gré quelconque , à les faire mieux juger l'un et
l'autre*. »
Quant à M. G. Weil, son opinion est hautement en
faveur du Mahométisme, et ce n'est pas moi qui la
combattrai : « La doctrine de Dieu et des saintes des-
tinées de l'homme, dit M. G. Weil, prèchée par Ma-
homet dans un pays qui était livré à la plus brutale
idolâtrie, et qui avait à peine une idée de l'immor-
lalité de l'âme, doit d'autant plus nous réconcilier
*M. William Muir. Tlir Life of Mahomet, t. IV, p. 5'2i. C'est par là
que l'auteur termine les «avants et assidus labours qu il a consacrés
au fondateur de l' islamisme.
236 MAHOMET, CHAPITRE M.
avec lui, malgré ses faiblesses et ses fautes, que sa
vie particulière ne pouvait exercer sur ses adhérents
aucune influence fâcheuse. Loin de se donner jamais
pour modèle, il voulut toujours qu'on le regardât
comme un être privilégié, à qui Dieu permettait de
se metlre au-dessus de la loi commune ; et, de fait,
on l'a considéré de plus en plus sous ce jour spécial.
Nous serions injustes et aveugles, si nous ne recon-
naissions pas que son peuple lui doit encore quelque
autre cliose de vrai, de bon et de bien. Il a réuni en
une seule grande nation, croyant fraternellement à
Dieu, les tribus innombrables des Arabes jusque-là
ennemies entre elles. A la place du plus violent ar-
bitraire, du droit de la force, et de la lutte indivi-
duelle, il a mis un droit inébranlable, qui, malgré
ses imperfections, forme toujours la base de toutes
les lois de l'islamisme ; il a limilé la vengeance du
sang, qui avant lui s'étendait jusqu'aux parents les
plus éloignés, et il l'a bornée à celui-là seul que les
juges reconnaissaient pour le meurtrier. 11 a bien
mérité surtout du beau sexe, non-seulement en pro-
tégeant les filles contre l'atroce coutume qui les
faisait souvent immoler par leurs pères, mais, en
outre, en protégeant les femmes contre les parents
de leurs maris, qui en héritaient comme d'une
cliose matérielle, et en les défendant contre les mau-
vais traKemenîs des hommes. 11 a restreint la poly-
gamie en ne pcrnietlanl aux croyants que quatre
femmes légitimes, au lieu de dix, comme c'était
JL'GEMEM SUR LE MAUOMÉTISME. 257
l'usage, suiloul à Médinc Sans avoir entièrement
émancipé les esclaves, il leur a été utile et bon de
bien des manières Pour les pauvres, il a non-
seulement recommandé toujours la bienfaisance à
leur égard; mais il a formellement établi un impôt
en leur faveur, et il leur a fait une part spéciale
dans le bulin et le tribut. En défendant le jeu, le vin
et toutes les boissons enivrantes, il a prévenu bien
des vices, bien des excès, bien des querelles et bien
des désordres Quoique nous ne regardions pas
Mahomet comme un vrai prophète, parce qu'il a em-
ployé, pour propager sa religion, des moyens violents
et impurs, parce qu'il a été trop faible pour se sou-
mettre lui-même à la loi commune, et parce qu'il
s'appelait le sceau des prophètes, tout en déclarant
que Dieu pouvait toujours remplacer ce qu'il avait
donné par quelque chose de mieux, il a le mérite
néanmoins d'avoir fait pénétrer les plus belles doc-
trines de l'Ancien et du Nouveau Testament chez un
peuple qui n'était éclairé par aucun rayon de la foi,
et il doit à ce litre paraître, même à des yeux non
inahométans, un envoyé de Dieu'. »
Pour ma part, je ne vois pas trop ce qu'il y aurait
à reprendre dans ce jugement de M. G. AVeil. Je ne
veux y ajouter qu'un seul et dernier trait : la lecture
du Coran, tout étrange qu'il est, loin d'ébranler jamais
la confiance de personne en Dieu, ne peut que la raf-
• M. G. Wcil, Mohammed lier l'ropliet. p. iUO cl siiiv.
258 MAHOMET, CHAPITRE VI.
fermir et la fortifier encore, même dans les âmes les
plus croyantes. La conviction de Mahomet est de celles
qu'aucune autre ne dépasse. Il en est de plus pure,
sans doute, et de plus éclairée ; il n'y en a pas de plus
sincère ni de plus puissante.
EXTRAITS DU CORAN
Tli.VDUCTlOiN DL SAVAUV
i
EL FATIHA
OU INTRUDUCTIUN
Au nom du Dieu clément et miséiicoidicux.
Louange à Dieu, souverain des mondes !
La miséricorde est son partage ;
Il est le roi du jour du jugement.
Nous t'adorons, Seigneur, et nous implorons Ion assis-
tance ;
Dirige-nous dans le sentier du salut ;
Dans le sentier de ceux que tu as comblés de les bien-
laits ;
De ceux qui n'ont point mérité ta colère et se sont pré-
servés de l'erreur.
sornATF. riiEMiKRF.
Nous t'avons donné les sept versets (El P'atihaj qui ser-
vent de prière, et nous t'avons révélé le Coran précieux.
SoutATK XV, vcrscl 87.
14
242 EXTRAITS DU CORAN.
Dis : « Je mets ma conliance dans le Seij;neiir des lioni
mes,
« Roi des .hommes,
« Dieu des hommes,
« Afin qu'il me délivre des séductions de Satan,
« Qui souffle le mal dans les cœurs ;
« Et qu'il me défende contre les entreprises des génies
« et des méchants. »
SoLRATE cxiv et demicrc.
DIEU
0 mortels, adorez le Seigneur, qui vous a créés vous et
vos pères, afin que vous le craigniez ; qni vous a donné
la terre pour lit, et le ciel pour toit ; qui a fait descendre
la pluie des cieux pour produire tous les fruits dont vous
vous nourrissez. Ne donnez point d'associé au Très-Haut ;
vous le savez.
SoiRATE II, versets 19 et 20.
Pourquoi ne croyez-vous pas à Dieu? Vous étiez niorls,
il vous a donné la vie ; il éteindra vos jours, et il en rallu-
mera le flambeau. Vous retournerez à lui.
11 créa pour votre refuge tout ce qui est sur la terre.
Portant ensuite ses regards vers le firmament, il forma
les sept cieux. C'est lui donl la science embrasse tout
l'univers.
Sourate ir, versets 26 et 27 .
Ignores-tu (pie Dieu est le roi des cieux el de la lerre,
et que vous n'avez de secours à attendre qiu^ de lui?
Sorn\Ti If, verset 101.
L'Orient et l'Occident appaitiennent à Dieu ; vers quel-
que lieu que se tournent vos regards, vous rencontrerez
sa face. Il remplit Piniivers de son immensilé et de sa
science.
244 EXTRAITS DU CORAN".
Dieu a un fils, disent les chrétiens. Loin de lui ce blas-
phème ! Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre lui
appartient. Tous les êtres obéissent à sa voix.
11 a formé la terre et les cieux. Veut-il produire quel-
que ouvrage? 11 dit : « Sois fait; » et l'ouvrage est fait.
Les ignorants disent : « Si Dieu ne nous parle, ou si tu
ne nous fais voir un miracle, nous ne croirons point. »
Ainsi parlaient leurs pères; leurs cœurs sont semblables.
Nous av(»ns fait éclater assez de prodiges pour ceux qui
ont la foi.
Soi'RATE 11, versets 109 à 112.
Votre Dieu est le Dieu unique. Il n'y en a point d'autre.
La miséricorde est son partage.
La création des cieux et de la terre, la succession de
la nuit et du jour, le vaisseau qui fend les flots pour
l'utilité des humains, la pluie qui descend des nuages
et rend la vie à la terre inféconde, les animaux qui cou-
vrent sa surface, la vicissitude des vents et des nuages
balancés entre le ciel et la terre, sont, aux yeux de ceux
qui orit la science, des marques de la puissance du Très-
Haut.
Ceux qui offrent de l'encens aux idoles, les aiment comme
la divinité; mais l'amour des croyants pour le Seigneur est
plus fort et plus durable. Quel spectacle offriront les pré-
varicateurs, lorsqu'ils seront à la vue du supplice ((ui les
attend ! Toute puissance appartient à Dieu, et il est terrible
dans ses vengeances.
Soi-HATK II, versets 1")8 à liO.
Dieu est le seul Dieu, \o Dieu \ivant et étenud. Le
sommeil n'approche point de lui. Il possède ce qui est
dans les cieux et sur la terre. Qui jieut intercéder au-
près de lui sans sa volonté? Il sait ce qui èlait avant le
monde el ce (pii sera après. Les hommes ne connaissent
DIEU. 245
de sa majesté suprême que ce qu'il veut bien leur en
apprendre. Son trône sublime embrasse les cieux et la
terre; il les conserve sans effort. Il est le Dieu grand, le
Dieu très-haut.
SouitATF. II, verset 256.
Qui de vous désirerait avoir un jardin planté de palmiers,
orné de vignes, entrecoupé de ruisseaux, enricbi de tous
les fruits de la terre, et être ensuite saisi tout à coup par
la vieillesse, et mourir en laissant des enfants au berceau,
et en voyant ce beau jardin ravagé par un tourbillon de
flammes? C'est cependant ainsi que Dieu vous annonce ses
mystères, afin que vous pensiez à lui.
SonuTE II, verset 2G8.
Dieu n'exigera de chacun de nous que suivant ses forces.
Chacun aura en sa faveur ses bonnes œu\res, et contre lui
le mal qu'il aura fait. Seigneur, ne nous punis pas des
fautes commises par oubli. Pardonne-nous nos péchés; ne
nous impose pas le fardeau qu'ont porté nos pères. Ne
nous charge pas au-dessus de nos forces. Fais éclater pour
tes serviteurs le pardon et l'indulgence. Aie compassion
de nous ; tu es notre secom^s. Aide-nous contre les nations
infidèles.
SouiwVTi: II, verset '280 et dernier.
Dieu a rendu témoignage de lui-même quand il a dit :
« Il n'y a de Dieu que moi. » Les anges, ceux qui possèdent
la science et la vérité, ont répété : « 11 n'y a de Dieu que
le Dieu puissant et sage. »
Sori'.ATE III., verset 10.
0 Dieu, roi suprême, lu donnes et tu ôtes à ton gré les
couronnes et le pouvoir. Tu élèves et tu abaisses les hu.
mains ;'i ta volonté; le bien est dans tes mains; lu es le
Tout-l'uissanl.
U.
'2iG EXTRAITS DU CORAN.
Tu changes le jour en nuit el la nuit en jour. Tu
fais sortir la vie du sein de la mort et la mort du sein
de la vie. Tu verses tes trésors infinis sur ceux qu'il te
plait.
SocRATE m, versets 25 et 16.
Dieu est le souverain des cieux et de la terre. 11 fait grâce
ou justice à son gré ; mais il est indulgent et miséricor-
dieux.
SoinATE III, verset 124.
.Si Dieu vient à votre secours, qui pourra vous vaincre?
S'il vous abandonne, qui appellerez-vous à votre aide?
Que les fidèles mettent donc leur confiance dans le Sei-
gneur.
Soir.ATi: m, vors't 154.
Ceux qui debout, assis ou couchés, pensent à Dieu et
méditent sur la création de l'univers, s'écrient : « Dieu n'a
point formé en vain ces ouvrages. Que ton nom soit loué,
Seigneur ! Préserve-nous de la peine du feu, Seigneur.
Celui que tu précipiteras dans les flammes sera cou-
vert d'ignominie, il n'y aura j)ius d'espoir pour les per-
vers. »
SoriiATE III, versets 188 et 189.
Le Seigneur ne pardonnera point aux iilolàtres. H l'emet
à son gré tous les autres crinK^s; mais l'idolâtrie est le
plus grand des attentats.
SouiiATE IV, verset 51.
0 vous (pii avez reçu les écritures, ne passez pas les
bornes dt; la foi: ne dites de Dieu ([ue la vérité. Jésus est
le fils de Marie, l'envoyé du Trés-llaut et son verbe. 11 l'a
fait descendre dans le sein de Marie; il est son souffle.
Croyez en Dion et en ses apôtres. Mais ne dil(>s pas qu'il
DIEU. 247
y ait une trinitê en Dieu; il est un; cotte croyance vous
sera plus sûre. Loin qu'il ait un fils, il gouverne seul le
ciel et la terre; il se sulfit à lui-même.
Le messie ne rougira pas d'être le serviteur de Dieu,
pas plus que les anges qui entourent son trône et lui
obéissent.
Soir.ATE IV, versets IGO et 170.
Dieu est le souverain de la terre, des cieux et de l'espace.
Il tire à son gré les êtres du néant, parce que sa puissance
est infinie.
Sourate v, verset 20.
Ceux qui soutiennent la trinité de Dieu sont blasphéma-
teurs; il n'y a qu'un seul Dieu; s'ils ne changent de
croyance, ini supplice douloureux sera le prix de leur
impiété.
SoudATE V, vei^set 77 .
Dis-leur : « Adorerez-vous une idole impuissante, qui ne
saiH'ait ni vous nuire ni vous protéger, tandis que Dieu sait
et entend tout"? »
SoiRATE v, verset 79.
Le Seigneur dit : « Au jour du jugement, la justice sera
utile à ceux qui l'ont pratiquée; ils entreront dans les jar-
dins où coulent les fleuves ; ils y demeureront éternelle-
ment. )) Dieu a mis en eux ses complaisances. Ils trouve-
ront en lui leur bonheur; ils jouiront de la souveraine
béatitude.
Dieu est le souverain des cieux et de la terre, et de tout
ce -qu'ils renferment. Hien ne saurait limiter sa puis-
sance.
SouRATK V, versets 110 et 120.
Louange à l'Kternel; il a créé le ciel et la terre; il a
248 EXTRAITS DU CORAN.
formé les ténèbres et la lumière. Et l'impie lui donne des
égaux !
11 vous a créés de limon ; il a marqué le ternie de vos
jours, et vous doutez encore.
Il est Dieu dans les cieux et sur la terre. Il connaît ce
que vous cachez aussi bien que ce que vous dévoilez. 11 est
le témoin de vos actions.
Quelque évidents que soient les sif^nes de sa puissance,
ils les rejettent opiniâtrement.
Ils ont nié la vérité qu'on leur prêchait. Bientôt ils se-
ront châtiés de leur mépris.
Ignorez-vous combien de peuples nous avons fait dispa-
raître de la face de la terre? Nous leur avions donné un
empire plus stable que le vôtre. Nous envoyions les nuages
verser la pluie sur leurs campagnes ; nous y faisions couler
des fleuves. Leurs crimes seuls ont causé leur ruine. Nous
les avons remplacés par dautres nations.
SoLUATE VI, veise(s 1 à C,
C'est à Dieu que vous devez le sommeil de la miil et le
réveil du matin. Il sait ce que vous faites pendant le jour.
Il vous laisse accoiuplir la carrière de la vie. Vous repa-
raîtrez devant lui, et il vous montrera vos œuvres.
11 domine sur ses serviteurs. 11 vous donne pour gardiens
des anges chargés de terminer vos jours au moment i)res-
crit. Ils exécutent soigneusement l'ordre du ciel.
Vous retournerez ensuite devant le Dieu do vérité. IS'csl-
ce pas à lui qu'il appartient de juger? Il est le plus exact
des juges.
(Jui vous déliv)e des tribulations diî la terre et des mers,
loisque, l'invoquant en public ou dans le secret de vos
cœurs, vous vous écriez : « Seigneur, si lu écartes de nous
ces maux, nous en serons reconnaissants? »
C'est Dieu qui vous en délivre. C'est sa bonté qui vous
DIEU. 2i9
soulage de la peine qui vous oppresse; et ensuite vous re-
tournez à l'idolâtrie !
SoLiiATE VI, versets 60 ;\ 6 i.
Dieu sépare le grain de l'épi, et le noyau de la datte. Il
fait sortir la vie de la mort, et la mort de la vie. Il est
votre Seigneur ; comment pourrait-il vous tromper?
Il sépare l'aurore des ténèbres. Il a établi la nuit
pour le repos. Le soleil et la lune marquent le cours du
temps. Tel est l'ordre établi par celui qui est puissant et
sage.
C'e.st lui qui a placé les astres au firmament pour vous
conduire au milieu des ténèbres sur la terre et sur les
mers. Le sage voit dans tout l'univers l'empreinte de sa
puissance.
^oiTtATK VI. versels 95 à 97.
Dieu voit l'œil, et l'œil ne saurait l'apercevoir. Tout est
jtlfin de sa bonté et de sa science.
SocRATE VI, verset 103.
Votre Seigncm^ est le Dieu qui créa les cieux et la
terre en six jours ; ensuite il s'assit sur son trône. Il fit
succéder la nuit an jour, qu'elle suit sans interruption.
Il forma le soleil, la lune et les étoiles, humblement sou-
mis à ses ordres. Les créatures et le droit de les gou-
verner lui appartiennent. Béni soit le Dieu, souverain de
l'uin'vers !
Sourate vu, verset 52.
Les juifs disent qu'Ozaï est le fils de Dieu. Les clirétiejis
(lisent la même chose du Messie. Ils parlent comme les
infidèles (jui les ont précédés. Le ciel piniira leurs blas-
Itliémes.
Ils appellt'iit seigneurs leurs pûiililes, leurs moines, et
250 EXTRAITS DU CORAN.
le Messie, fils de Marie. Mais il leur est commandé de servir
un seul Dieu ; il n'y en a point d'autre. Anathème sur ceux
qu'ils associent à son culte !
SocRATE IX, versets 50 et 51.
La foi est un don que Dieu dispense à son gré. Dieu cou-
^Tira d'opprobre ceux qui ne veulent point comprendre.
SoDRATE X, verset 100.
Dieu a élevé la voûte des cieux sans colonnes visibles,
et il s'assil sur son trône. Il ordonna an soleil et A la lune
de remplir leur tâche; tous les corps célestes se meuvent
dans la route qu'il leur a tracée. 11 gouverne l'univers;
il vous offre des merveilles sans noiubre, afin que vous
croyiez à la résurrection.
C'est lui qui a étendu la terre, qui a élevé les monta-
gnes, qui a formé les fleuves et qui vous a donné les fruits
divers. Il créa l'homme et la femme; il fait succéder le
jour à la nuit. Ces prodiges sont des signes pour ceux qui
pensent.
La terre offre à chaque pas un tableau diversifié. Ici
sont les jardins ornés de vignes et de légumes; là croLs-
sent des palmiers isolés ou réunis siu' une souche. Tons les
fruits sont arrosés par la même eau, et cependant ils dif-
fèrent en beauté. Ainsi nous donnons des marques de
noire puissance à ceux qui comprennent.
SoDRATE xm, versets 2 à i.
Tous les secrets sont dévoilés à ses yeux ; il est le Grand,
le Trés-llaul.
Celui ([ui parle d.uis le secret, celui qui parle en pu-
blic, celui (pii s'eavt'htppe dc:^ ombres de la nuit et celui
ipii ])araîl au grand juin', lui son! égalenn^nl comuis.
Sourate xiii. vei^scts 10 et 11.
DIEU. -loi
C'est lui (jui l'ail Ijiillci' la ruiidif à vos regards pour
inspirer la crainte et l'espérance. C'est lui qui élève les
nuages chargés de pluie.
Le tonnerre célèbre ses louanges. Les anges Ircnildeut
en sa présence. Il lance la foudre, et elle frappe les vic-
times marquées. Les hommes disputent de Dieu ; mais il
est le fort et le puissant.
Il est l'invocation véritable. Cen.x qui implorent d'autres
dieu.v ne seront point exaucés, ils ressemblent au voyageur
qui, pressé par la soif, tend la main vers l'eau ([u'il ne peut
atteindre. L'invocation des infidèles se perd dans la imit
de l'erreur.
SoLUATii xui, versels 13 à Ij,
Dieu a parlé; et à sa voix la nuit, le jour, le soleil, la
lune et les étoiles se sont empressés de servir à vos besoins.
Prodige éclatant pour ceux qui comprennent !
Il a fourni les diverses couleurs (pie la terre étale à vos
yeux. Signe manifeste pour ceux qui pensent !
Il a soumis la mer à votre usage. Les poissons (pi'elle
renferme dans son sein deviennent votre nourriture; vous
y péchez des ornements qui décorent vos habits. Vois le
vaisseau fendie les flots, et les navigateur chercher labon-
dance, et rendre grâces au Très-Haut.
Il a posé les hautes montagnes sur la terre i)our ralfer-
mir; il y a tracé le cours des fleuves et des chemins pour
vous conduire.
Il a placé au firmament des étoiles, où l'homme lit la
route qu'il doit suivre.
Le créateui- sera-l-il pour vous semblable à celui qui ne
'peul l'ien créer? N'ouvrirez-vous point les yeux?
Soir.ATE .w'i, versets \2 à 17.
Ne dis jamais ; « Je ferai cola demain, » sans ajouter :
252 EXTRAITS DU CORAN.
« Si c'est la volonté de Dieu. r. Élève vers lui la pensée,
lorsque lu as oublié quelque chose, et dis : « Peut-être
qu'il ni'éclairera et qu'il me fera connaître la vérité. »
SoiRATE xviu, verset 25.
Si les flots de la mer se changeaient eu encre pour dé-
crire les louanges du Seigneur, ils seraient épuisés avant
d'avoir célébré toutes ses merveilles. Un autre océan sem-
blable ne suffirait point encore.
SoLRATE xviii, verset 109.
Dieu ne reçoit ni le sang ni la chair des victimes ; mais
il agrée la piété de ceux qui les immolent. Nous Taisons
servir les animaux à votre usage, afin que vous glorifiiez
le Seigneur, qui vous a éclairés. Annonce le bonheur à
ceux qui exercent la bienfaisance.
Soi RATE XXII, verset 58.,
Dieu n'a point de fils; il ne partage point l'empire avec
un autre Dieu. S'il en était ainsi, chacun d'eux voudrait
s'approprier sa création et s'élever au-dessus de son rival.
Louange au Très-Haut ! Loin de lui ces blasphèmes!
SoiRATE xMi, verset 95.
Lorsque les flots couvrent le navire comme des monta-
gnes ténébreuses, les mariniers invoquent le nom de Dieu,
et ils montrent une foi sincère. A peine les avons-nous
sauvés et conduits au ptirt, le plus grand nombre retombe
dans le doute. Mais l'ingrat et l'impie nient seuls nos
faveurs éclatantes.
SoiRATE XXXI, verset')!.
C'.;lui (|ui chei'che la vraie grandeur la trouve en Dieu,
source de toutes les perfections. Les discours vertueux
1
DIKL'. 253
iiioiilciit veis soa liùiie. Il cxallc les bonnes œuvres; il
punit ri^foufL'useinenl le scéléiat qui liamc des peifidies;
ses noirs complots seront anéantis.
So-iiATE xxw, verset 11.
.Non; le ciel ne révoque jamais l'ai-rèt qu'il a pro-
noncé.
^'onl-ils pas paicouiu la terre? N'out-ils pas vu quelle
a été la fin déplorable des peuples qui, avant eux, mar-
chèrent dans les voies d'iniquité? Ces peuples étaient plus
Torts et plus puissants qu'ils ne sont. .Mais rien dans les
lieux et sur la terre ne peut s'opposer aux volontés du
Trés-Ilaut. La science et la force sont ses attributs.
Si Dieu punissait les honnnes dés l'instant qu'ils sont
coupables, il ne resterait point sur la terre d'élre animé,
il diffère les chàlimenls jusqu'au terme marqué.
Lorsque le temps est venu, il distingue les actions de
ses serviteurs.
SoLBATE xxw, verseis il à 4.").
Si nous laissons les lionmies jouir de la vie jusqu'au
terme marqua-, c'est un effet de notre miséricorde.
Soi'iiATE XXXVI, verset 44.
La création du vw\, de la terre et de tout l'univers est
notie ouvrage. Ce n'est point un jeu du hasard comme le
pensent les incrédules. Malheur aux infidèles ! Ils seront
la proie des llammes.
Sorr.ATE XXXVIII, verset 20.
La perfection est une grâce du ciel. Dieu la donne .'i
qui il lui plait. Sa libéralité est infinie.
Soi nxTL laîi, verset 4.
15
25 i EXTRAITS DU CORAN.
Dis : (( Dieu osl un ;
« Il est éternel ;
« Il n'a point enfanté, et n'a point été enfanté ;
« Il n'a point d'égal. »
Sourate c\ii.
MAHOMET
lyfahouiot n'est qu'un envoyé de Dien. D'antres apôlres
l'ont précédé. S'il mourait ou s'il était tué, ahandonuerioz-
vous sa doctrine? Votre apostasie ne saurait luiirc à Dieu;
et il récompense cenx qui lui rendent grâce.
SoiiiiATE m, ver.se( 1.j8.
Le prophète ne saurait vous tromper. Le fourbe paraîtra
avec sa fraude au jour de la résurrection. Dans ce jour,
chacun recevra le prix de ses œuvres, et l'exacte justice
présidera aux jugements.
SouiiATi: m, vei'-cl lôo.
Dieu a déjà fait éclater sa bienfaisance pour les fidèles,
11 leur a envoyé un apôtre d'entre eux pour leur annoncer
ses merveilles, pour les purifier et leur enseigner le I^ivre
cl la sagesse. S'ils étaient venus plus tôt, ils auraient vécu
dans l'erreur.
SoiiiiATi: m, vei'sel 1")8.
Il en est qui disent: « .Nous avons lait serment à Dieu
de ne croire à aucun prophète, à moins (pie l'offrande
qu'il présente ne soit conlirmèe pai- le feu du ciel. »
Réponds leur : « Vous aviez des pi'ophèles avant moi ;
25G EXTRAITS DU CORAN.
ils ont opéré des miracles, et celui-là même dont vous
parlez. Pourquoi alors avez-vous teint vos mains de leur
sang", si vous dites la véi'ité? »
S'ils nient ta mission, ils ont traité de même les apôtres
<|ui t'ont précédé, quoiqu'ils fussent doués du don des
miracles, et qu'ils eussent apporté le livre qui éclaire (l'É-
vangile) et le livre des psaumes.
Sourate m, verscis 179àl8l.
Seigneur, nous avons entendu la Vdiv de ton prophète,
qui nous appelait à la foi et qui criait : « Croyez eu Dieu, «
et nous avons cru.
Seigneur, accorde-nous ce que tu nous as promis par ton
apôtre, et ne nous couvre pas d'opprobre au jour de la ré-
surrection , puisque tu ne manques jamais à tes pro-
messes.
SoLT.ATE III, versets 19) et 191.
Nous t'avons envoyé des cieux, ô Mahomet, le livre (jui
renferme la vérité, afin que tu juges les hommes comme
Dieu te l'a enseigné. Ne dispute point avec les imposteurs,
et implore l'indulgence du Dieu clément et miséricordieux.
Ne prends point la défense de ceux qui s'aveuglent eux-
mêmes, parce que Dieu hait les fourbes et les impies.
SoiT.ATE IV, versets 100 et 107.
Une partie des infidèles avaient conjuré ta perle; mais
ils se sont perdus eux-mêmes; la bonté divine veillait sur
tes jours ; ils n'ont pu te nuire. Dieu l'a envoyé le Livre et
la sagesse. Il t'a enseigné ce (jue tu ignorais, et il t'a
condjlé de ses faveurs.
SoiRATE IV, verset llô.
Nous t'avons inspiré, comme nous inspirâmes Noé, les
Prophètes, Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob, les Tribus, Je-
MAHOMET. 257
SUS, Jub, Jonas, Aaron et Salomon. Nous donnâmes les
psaumes à David.
SoLRATE IV, verset 161.
Dieu est témoin du livre qu'il l'a envoyé avec sa science.
Les anges aussi en sont témoins ; mais le témoignage de
Dieu suffit à son authenticité.
SounATE IV, vei'set 16i.
Môi'tels, le prophète est venu vous annoncer les vérités
célestes. Croyez; il y va de votre félicité. Si vous êtes in-
fidèles, le Toul-Puissanl se passera de vous; il est sou-
verain de la terre et dos cieux; il possède la sagesse et la
science.
SouiiATE IV, verset 1G8. .
0 prophète, dévoile les lois que Dieu t'a révélées, afin
que ta mission soit accomplie. Le bras du Tout-i)nissant te
mettra à l'abri des violences des hommes, parce qu'il
n'est point le guide des infidèles.
SoiiBATF. V, verset 71.
Mes ministres ont été le jouet des honmies avant toi. Mais
ceux qui s'en sont moqués ont subi le châtiment dont ils
se riaient.
Dis leur : « Parcourez la terre, et voyez quel a été
le sort de ceux qui accusèrent les prophètes de men-
songe.. »
Dis leiu" : « Chercherai-je un outre protecteur que Dieu ?
il a formé le ciel et la terre. 11 nom rit et il n'est point
nourri. J'ai reçu l'ordre d'embrasser le premier l'isla-
misme, et de ne point donner d'égal au Très-Haut
« Si je suis rebelle à sa voix, je dois craindre la peine
du grand jour.
'I Est-il im témoignage plus fort? Dieu pst témoin entre
258 EXTI'.AITS DU CORAN.
VOUS et moi. Le Coran m'a élê révélé ponr votre instruction
et rin.struction de ceux à qui il parviendra. Direz-vou.s
qu'il y a plusieurs dieux? Je ne proférerai jamais ce blas-
phème. 11 n'y a qu'un IHeu, et je ne dépends point de ceux
((uevous lui associez. *>
Sorr.ATF. VI, versets 10 et suivant.*.
Ils se sont engagés par un serment solennel à croire en
Dit'u, s'il opérait devant eux des miracles. Dis leur : « Les
merveilles sont eu sa puissance ; mais il n'en produit pas,
parce qu'à leur vue vous resteriez dans rincrédulité. »
SoLT.ATE VI. verset 109.
Dis : « Le Seigneur m'a conduit dans le droit chemin ;
il lu'a enseigné une religion sainte, le culte d'Abraham,
qui crut en l'unité de [Sien et refusa de l'encens aux idoles. »
Dis leur: « Ma prière, nu\ foi, ma vie et ma mort sont
vouées à l'Éternel. 11 est le souverain de l'univers; il n'a
point d'égal; il m'a commandé cette croyance. Je suis le
premier des croyants. »
SocuATi: vu, versets 162 et IC"».
Ceu.vqiii croiront au prophète illettré, que néclaire point
la science hmnaine, et dont le Pentateuque et l'Évangile
font mention ; ceux qui l'honoreront, raiderontet suivront
la lumière descendue du ciel, auront la félicité en partage.
Il commandera la justice, proscrira l'iniquité, permettra
l'usage des aliments purs, défendra ceux qui soiu immon-
des, et déchargera les fidèles de leiu's fardeaux et des
chaînes qu'ils portaient.
Dis : (I Je suis rinlcrpréte du ciel. Ma mission est divine :
elle embrasse tout le genre humain. 11 n y a de Dii u que
le sotiveraiu du ciel et de la terre. H doiuu^ la vie et la
m(»rl. Kmbrassez l'islamisme. Suivez ce prophète illellré,
MAHOMET. 2j9
qui n'est point éclairé par la science humaine, qui croit en
Dieu; et vous marcherez dans le sentier du salut. »
SoiRATF. VII, versets loG à i."i8.
Ne penseront-ils pas enfin que Mahomet, leur compa-
gnon, n'est pas possédé d'un esprit, lui qui n"a d'autre
fonction que de prêcher la parole divine?
Sourate vu, verset 185.
Dis leur : « Je ne puis jouir d'aucun avanla^^e ni éprouver
aucune disgrâce sans la volonté de Dieu. Si l'avenir m'était
dévoilé, je rassemblerais des richesses et me mettrais à
l'abri des coups du sort. Mais je ne suis (ju'un homme
chargé d'annoncer aux croyants les menaces et les pro-
messes divines. »
SoiRATL VII, verset 188.
J'aurai pour protecteur celui qui a fait descendre le
Coran. 11 protège les justes.
SoiT.ATE VII, verset 195.
0 croyants, obéissez à Dieu et à son apôtre. Ne vous
écartez jamais de ce devoir. Vous avez entendu sa parole.
SouKATE VIII. verset 20.
0 croyants, gardez-vous de tromper Dieu et le pro-
phète. Écartez la fraude de vos traités, puisque vous êtes
éclairés.
SorRATE VIII, verset 27.
Tandis que les infidèles te tendaient des end)t'iches,
tandis qu'ils voulaient te saisir, te mettre à mort ou te
chasser, Dieu, dont la vigilance dépasse celle du fourbe,
déjouait leurs complots.
Sourate viii, verset 50.
2C0 EXTRAITS DU CORAN.
0 prophète, la protection de Dieu est un asile suffisant
pour toi et pour les fidèles qui te suivront.
Sourate viii. verset 65.
0 prophète, dis aux prisonniers que vous avez faits : a Si
Dieu voit la droiture de vos cœurs, il vous donnera des ri-
chesses plus précieuses que celles qui vous ont été en-
evées, et il vous pardonnera, parce qu'il est indulgent et
miséricordieux. »
SOCKATE VllI. VCl'SCl 71.
Dieu a envoyé son apôtre pour prêcher la foi véritable,
et pour établir son triomphe sur la ruine des autres reli-
gmns, malgré les efforts des idolâtres.
Socn.ATE IX, vei'sel j"».
Si vous refusez votre secours au prophète, il aura Dieu
pourappui. Le bras de Dieu le protégea, quand les infidèles
le chassèrent. Un seul compagnon lui suffit dans sa fuite,
lorsqu'ils se réfugièrent dans la caverne. C'est aloi's que
Mahomet lui dit : (i Ne t'afllige pas ; le Seigneur est avec
nous. » Le ciel lui envoya la sécurité et une escorte d anges
invisibles à vos yeux. Les discours de l'impie furent anéan-
tis, et la parole de Dion fut exallée 11 est puissant et sage.
SoiT.ATE IX, verset 40.
Du milieu de vous s'est levé un prophète distingué; vos
iniquités lui pèsent, le zèle de voire salut l'enflamme, et
les fidèles ne doivent attendre de lui (ju'indulgence et mi-
séricorde.
SoDiiATE IX, verset 1-0.
Tels sont les signes du livre qui contient la sagesse.
Doivent-ils être surpris que nous ayons favorisé de nos
révélations lui de leurs concitoyens; que nous lui ayons
MAIIOMLT. 261
commandé d'annoncer des peines aux méchants et des ré-
compenses aux fidèles ? Cependant les incrédules ont
dit : « Mahomet est un imposteur. »
Socr.ATE X, verscis 1 et 2.
Lorsque nous leur dévoilons l'islamisme, les incrédules
disent : « Apporte-nous un autre Coran ou change celui-ci. »
Piéponds leur : « Je ne puis rien changer. Je n écris que co
qui m'est révélé. Si je désobéissais à Dieu, j aurais à crain-
dre le supplice du grand jour. »
Dis : « Si Dieu eût voulu, je ne vous aurais point lu ses
commandements. Je ne vous les enseignerais pas. N ai-je
pas vécu au milieu de vous un grand nombre d'années ? Ne
le savez-vous pas? »
SoLf.ATE X, vci-sets 16 et 17.
S'ils t'accusent d'imposture, réponds leur : « J'ai pour
moi mes œuvres ; que les vôtres parlent en votre faveur.
Vous ne serez point responsables de ce que je fais; et moi,
je suis innocent de ce que vous faites. »
SouitATE X, verset 42.
(( Quand s'accompliront tes menaces? demandent les in-
fidèles. .Marque-nous en le terme, si tu es véridique. « Ré-
ponds leur : « Les trésors et les vengeances célestes ne sont
point dans mes mains. Dieu seul en est le dispensateur.
Chaque nation a son terme fixé; elle ne saurait ni le hâter
ni le retarder d'un instant. »
SuuiiATE X, versets 49 el 50.
Lu ordre judicieux lègne dans ce livre ; il est l'ouvrage
de celui qui possède la sagesse et la science.
L'unité de Dieu vous y est recommandée. Je suis le mi-
nistre chargé de vous annoncer ses châtiments ou ses ré-
compenses.
Soir.ATE XI, vericls i cl 2.
15.
262 EXTr.AirS DU CORAN.
Si quelqu'un de mes préceptes échappait de ta mémoire,
si l'on exigeait de toi que tu fisses paraître nn trésor, ou
qu'un ange t'accompagnât, ne t'aftlige pas; ton ministère
se borne à la prédication. Le gouvernement de tout ce qui
existe appartient à Dieu.
SoriiATE XI, verset 45.
((Quelque signe divin dislingue-t-il le prophète?)» de-
mandent les incrédules. Tu n'es chargé que de la prédica-
tion. Chafjue peuple a eu son guide.
Sur RATE XIII, verset 8.
Celui qui sait (|ue Dieu t'a envoyé la vérité du ciel, res
semblera-t-il à l'aveugle? Les sages ouvriront les yeux.
SoiiiiATE xiii, verset lO.
(( Sa mission, disent les infidèles, est-elle annoncée par
quelque signe céleste? » Réponds leur : <( Dieu égare qui il
lui piait, et il éilaire ceux ipii se repentent. »
\t)us l'avons envoyé à un peuple que d"autr( s peuples
ont précédé, afin (jue tu lui enseignes nos révélations. Ils
ne croient ])oiiit au miséricordieux. Dis leur: « U est mon
Seigneur; il n'y a de Dieu que lui. J'ai mis ma confiance
en sa bonté. Je reparaîtrai devant son tribunal.»
Souhate xiii, versets 27 et 59.
Soit que nous te fassions voir l'accomplissement d'une
partie de nos menaces, soit que la mort les préviemu\
ton emploi se borne à la prédication. A nous appartient le
soin de juger.
SounATK XIII, verset 40.
Ils ont dil au prophète : « 0 toi tpii as l'eçn le (^oran, tu
n'es (ju'un insensé.
« Si tu nous apportais la vérité, ne viendrais-tu pas
accompagné par des auges? »
MAHOMET. 263
Les anges ne viendront que quand il sera nécessaire.
Alors les impies ne seront plus altendus.
Soi'RATE XV, \ersets 0 et 8.
N'arrête point te.s regards sur les biens que nous avons
dispensés aux pervers. Ne t'afflige point de leur prospérité ;
mais étends tes ailes sur les croyants.
Dis leur : « Je suis votre apôtre véritable. »
Nous avons puni ceux qui divisent les livres sacrés, et
ceux qui partagent le Coran.
Manifeste nos commandements, et fuis les idolâtres.
Notre assistance te suffit contre ceux qui se moquent de
la religion.
SontvTE XV. versels 88 à 9.").
Je connais leurs discours ; « Un bomme, disent-ils, dicte
le Coran à Mahomet. » Ccslni qu'ils soupçonnent parle une
langue étrangère, et l'arabe du Coran est pur et élégant.
SouHATE XVI, verset 103.
Nous t'avons ins]»iréd"end)rasser la religion d'Abrabam,
qui reconnut l'unité de Dieu, et qui n'adora qui' sa majesté
suprême.
Kmploie la voix de la sagesse et la force de la persuasion
pour appeler les bommes à Dieu. Combats avec le cbarme
de l'éloquence. Dieu connait parfaitement ceux qui sont
dans l'égarement, et ceux qui niarcbent au flambeau de
la foi,
SoLUAit: XVI, versets 12i et 120.
Lorsque tu célèbres dans le Coran un seul Dieu, ils fuient
d'un pas précipité.
Nous savons ce qu'ils entendent quand ils t'écoutent, et
ce qu'ils inventent, quand, dans leur injustice, ils disent :
« Nous ne suivons qu'im insensé. »
201 EXTP.nTS DU CORAN .
Vois à quoi ils to comparent. Ils sont dans Terreur, et ils
ne trouveront plus la vérité.
Sourate xvii, versets 49 à 51,
Xous aurions accompagné la mission de prodiges, si l'on
avait cru ceux que nous opérâmes avant toi. Les Thému-
déens ne tuèrent-ils pas celte merveilleuse femelle de cha-
meau que nous leur avions donnée? Nous n'avons fait
éclater les miracles que pour inspirer la terreur.
Soi RATE XVII, verset 01.
Peu s'en est fallu que les infidèles ne l'aient fait aban-
donner notre doctrine, et changer nos préceptes. Celte
condescendance tout procuré leur amitié.
Si nous n'avions affermi ton cœur, tu étais près de céder
à leurs désirs.
Si tu les eusses suivis, nous l'aurions fait éprouver les
infirmités de la vie et de la mort, et lu n'aurais pu éviter
notre courroux.
Peu s'en est fallu qu'ils n'aient jeté la frayeur dans ton
âme, et qu'ils ne t'aient fait fuir de Médine. Ils n'y auraient
pas demeuré longtemps.
SouHATE XVII, versels 75 à 78.
Les infidèles ont dit : « Nous ne croirons point à la mis-
sion, si tu ne fais jaillir de la terre une soiuTe d'eau vive;
« Uu si, du milieu d'im jardin planté de palmiers et de
vignes, tu ne fais sortir des ruisseaux;
« Ou si tu n'al)aisses la voûte des cieux comme tu nous
l'as promis en vain, et si lu ne nous fais voir à découvert
Dieu et les anges ;
0 Si tu ne bâtis une maison d'or, ou si lu ne montes dans
les cieux par une échelle; et nous ne croirons point encoie,
à moins que lu ne nous envoies du ciel ini livre (pie nous
I
MAHOMET. 205
puissions lire? » Dis knir : « Louange au Très-Haut! Je ne
suis qu'un homme qui vous a été envoyé. »
Les hommes n'ont point cru, lorsque la vraie religion
leur a été annoncée, parce qu'ils ont dit : « Dieu aurait-ii
choisi un mortel pour être l'organe de ses volontés? »
Réponds leur : « Si les anges habitaient la terre, s'ils
conversaient avec vous, nous vous aurions envoyé un ange
pour ministre. »
Dis : « Le témoignage de Dieu me suffit contre eux. H a
l'œil ouvert sur ses serviteurs. »
^oL'P.ATE XVII, versets 92 à 98.
Dis : (( Je suis un honnne comme vous. J'ai été favorisé
de révélations célestes. 11 n'y a qu'un Dieu. Que celui qui
croit à l'assemblée universelle fasse le bien ; et ne partage
point l'encens qu'il doit à l'Eternel. »
SouRAiT xviii, verscl llll.
Le cœur livré au plai.^ir, les impies se sont dit en secret :
« Mahomet n'esl-il pas un homme conmie nous? Écouterez-
vous un imposteur? Vous le connaîtrez bientôt, n
Dis : « Dieu connaît ce (pii se passe au ciel et sur la
terre. 11 sait et entend tout. »
« (^e livre, ont-ils ajouté, n'est qu'un amas confus de
fables ; il en est l'auteur. Il les a mises en vers. Qu'il nous
fasse voir des miracles comme les autres prophètes. »
SounATE XM, verscls 3 à 5.
A ton aspect, les idolàlfcs s'armeiont de plaisanteries :
«Est-ce là, dii'ont-ils, celui qui attaque nos dieux?» Et
eux, ils osent insulter au miséricordieux !
SoLRATK XXI, verset 07.
S'ils t'accusent d inq)osluie, souviens-loi que les peuples
266 EXTRAITS UU CORAN.
de Xoé, d'Aod, de Théinod, d'Abraham, de Loth et de Ma-
dian ont ainsi traité leurs prophètes. Moïse ne fut-il pas
accusé de mensonge? J'ai laissé vivre les pervers jusqu'à
un certain temps ; ensuite je les ai punis, et mes fléaux ont
été terribles.
SoLT.ATE XXII. versel 45.
Ne connaissent-ils pas leur apôtre? Et ils nient la vérité
de sa mi.ssion !
Diront-ils qu'il est inspiré par Satan? Il est venu leur
prêcher la vérité, cl la plupart d'entre eux l'abhorrent.
SoriiATE xxiii. versets 71 et 72.
Leur demanderas-tu le prix de ton zèle? Ta récompense
est dans les mains de Dieu. Nul ne sait mieux récompenser
que lui.
SoDBATE xxiii, verset 74.
Lorsque vous avez entendu l'accusation (contre Ayésha),
les fidèles des deux sexes n'ont-ils pas pensé intérieure-
ment ce qu'il fallait croire? N'ont-ils pas dit : n Voilà un
mensonge impudent? »
Sourate XXIV, verset 12.
Quiconque est docile à la voix de Dieu et du prophète,
quiconque nourrit dans son cœur la crainte et la pitié,
sera sauvé.
SoD.iATE XXIV, verset 51.
Ne parlez pas au prophète avec la familiarité dont vous
usez entre vous. Dieu connaît ceux qui se retirent de l'as-
semblée en secret. Que ceux qui résistent à ses ordres
tremblent. Les maux et les supplices sont prêts à fondre
sur eux.
Soun»TE XXIV, verset 6.ï.
I
I
MAHOMET. 207
« Ouel est cot ap'Jtre? Il boit ot maiigo comme nous. Il
se promène dans les places pnbliques. ïn ange est-il des-
cendu du ciel pour l'inspirer?
i( Nous a-t-il montré un trésor? A-t-il produit un jardin
orné de fruits? Suivrons-nous un imposteur trompé par
ses prestiges? »
Vois à quoi ils te comparent, lis sont dans l'aveugle-
ment ; ils ne retrouveront plus la lumière.
Soi RATc XXV, versets 8 à 10.
Lorsqu'ils t'aperçoivent, ils s'arment d'ironie et d'in-
sultes : « Est-ce là, disent-ils, l'envoyé du Très-Haut?
« Peu s'en est fallu qu'il ne nous ait fait abjurer le culte
de nos pères. 11 fallait toute notre constance pour lui ré-
sister. » Ils verront, à l'aspect des tourments, qui de nous
suivait le mauvais chemin.
SoiRATF. XXV, versets 45 et 4i.
Ton ministère se borne i\ la prédication de nos promesses
et de nos menaces.
Je ne demande pour prix de mon zélé ijue de vous voir
marcher dans les voies du Seigneur.
Sourate xxv, versets 58 et ô9.
Le Dieu de ce pays, que sa bonté a consacré, le Dieu à
qui tout appartient, m'a conmiandé de me dévouer à son
culte et d'embrasser l'islamisme.
Il m'a chargé de lire le Coran. Ceu.v qui recevront la
lumière jouiront de cet avantage précieux, et je dirai à
ceux qui persisteront dans l'erreur : « Ma mission se borne
à vous prêcher. »
.SoLRATE xxvu, vcpsets 95 et 04.
Tu n'étais point sur le penchant du mont Siiiai, lorsque
nou.s appelâmes Moïse ; mais la miséricorde divine t'a
208 EXTRAITS DU CORAN.
choisi pour prêcher un peuple à qui il n'était point encore
venu d'apôtre, afin qu'il ouvre les yeux à la lumière.
Sourate xsvin, verset 40.
Tu n'espérais point recevoir le Coran ; c'est une faveur
(lu ciel. Xo prête point d'appui aux infidèles.
Qu'ils ne t'écarlent jamais des préceptes divins, après les
grâces que tu as reçues, .\ppelle les hommes à Dieu, et
fuis l'idolâtrie.
Socn.ME xxviii, versets 80 cl 87.
Ils ne veulent, disent-ils, ajouter foi au Coran que quand
ils y seront autorisés par des miracles. Réponds-leur:
« Les miracles sont dans la main de Dieu ; je ne suis chargé
que de la prédication. »
SornArE XXIX. verset 49.
0 Mahomet, souffre avec patience ; les promesses de Dieu
.'^ont infaillibles. Que ceux dont la foi est chancelante ne
t'inspirent pas leur légèreté !
Soii'.ATE XXX, verset 00.
Épouses du prophète, restez nu sein de vos maisons, Xe
vous parezpoint fastueusement, comme aux jours de l'ido-
latrie. Faites la prière etlaumône. Obéissez à Dieu et à son
apôtre. Il veut écarter le vice de vos cœurs. Vous êtes de
la famille du prophète, et vous devez èlre pures.
Soir.\TF xxxiii, verset 55.
Lorsque lu dis à celui que Dieu avait enrichi de ses grâces
et que tu avais comblé de biens : « Garde ton épouse et
crains le Seigneur, » tu cachais dans ton cœur un amour
qiu' le ciel allait manifester. Tu appréhendais les discoiu's
(les hommes, et c'est Dieu qu'il faut craindre. Zeid répudia
son épouse. Nous t'avons uni avec elle, afin que les fidèles
MAHOMET. 269
nient la liberté d'épouser les femmes de leurs fils adoptifs,
après la répudiation. Le précopie divin doit avoir son exé-
cution.
SocRATR xxxiii. verset TJ.
Malionret n'est le père d'aucun de vous. 11 est l'envoyé
de Dieu et le sceau des prophètes. La science de Dieu est
infinie.
SoiT.ATE XXXIII. verscl 40.
0 prophète, il t'est permis d'épouser les femmes que lu
auras dotées, les captives que Dieu a fa!t tombev dans les
mains, les filles de tes oncles et de les lantes qui ont pris
la fuite avec toi. et toute femme fidèle (pii l'accordera son
cœur. C'est un privilège que nous l'accordons.
SoLiî.xTE xxïiii, vcrsel 49.
Tu n'ajouteras point an nombre actuel de tes épouses ;
tu ne pourras les changer contre d'autres dont la beauté
t'aurait frappé. Mais la fréquentation de tes femmes es-
claves l'est toujours permise. Dieu observe tout.
FoinATE xvxiit, verset 52.
0 croyants, n'entrez point sans permission dans la mai-
son du prophète, excepté lors((u'il vous invite à sa table.
Rendez-vous-y lorsque vous y êtes appelés. Sortez séparé-
ment après le repas, et ne prolongez point vos entreliens.
Vous l'offenseiiez ; il rougirait de vous le dire. Mais Dieu
ne rougit point de la vérité. Si vous avez quelque demande
à faire à ses femmes, faites la à travers un voile. C'est ainsi
(juevos cœurs et les leurs conserveront leur pureté. Kvilez
de blesser le ministre du Seigneur. N'épous'z jamais les
femmes avec qui il aura eu commerce ; ce serait un nime
aux yeux de I Kternel.
SoiRATr XXX III, ver«cl .')">.
270 EXTRAITS DU COP.AN.
Ministre du Très-Haut, console la terre par l'espoir du
bonheur. Effraye-la par des menaces. Elle est environnée
des ombres de l'ignorance.
Sourate xxxiv , verset 27.
Avant toi, nous ne leur avions envoyé ni livre ni apôtre.
Dis : « Je ne vous demande point le prix de mon zélé.
Gardez vos présents. Ma récompense est dans les mains de
Dieu. Il est le témoin universel. »
Dis : « Si je suis dans Terreur, elle se tournera contre
moi-même. Si je suis éclairé, je dois la lumière aux inspi-
rations de Dieu. 11 est prés de l'homme ; il l'entend. »
SoruATE XXXIV, versets 45, 46 et 49.
On ne comparera point la vie à la mort. Dieu donne Tin-
telligence à qui il lui plait. Tu ne saurais faire entendre
ceux qui reposent dans le tombeau. Ton ministère se borne
à la prédication.
Sourate xxxv, verset 21.
Si l'on nie la doctrine, sache que les prophètes venus
avant toi subirent le même sort, quoique les miracles, la
tradition et le livre qui éclaire (rÉvangile) attestassent la
vérité de leur mission.
SoL'iiATE XXXV, verset 23.
Ils ont promis à Dieu par les serments les plus solennels
que, s'il leur envoyait un apôtre, ils s'empresseraient de
suivre sa doctrine. L'apôtre a paru, et leur aversion pour
la foi s'est augmentée.
Sourate xxxv, verset 40.
J'en jure par le Coran qui contient la sagesse :
Tu es l'envoyé du Très-Haut.
Ta voix appelle les hommes au clieniiii du salut.
Sourate xxxvi, versets i ixô.
>IA110MF.T. 271
Nous n'avons point enseigné la poésie au prophète. Cet
art ne lui convient pas. Son ministère est la prédication
et la lecture.
Il doit exhorter les vivants , et menacer les infidèles
des vengeances célestes.
SorRATE xxxTi. \ersets 69 et 70.
L'aveuglement des infidèles te surprend, et ils rient de
ton étonnement.
En vain tu veux les instruire; leurs cœurs rejettent l'in-
struction.
S'ils voyaient des miracles, ils s'en moqueraient.
Us les attribueraient aux effets de la magie.
SociuTE ïxwii, versels 12 à 15.
Les habitants de la Mecque sont étonnés qu un de leui-s
concitoyens ait été revêtu du caractère d'apôtre ; et les in-
fidèles ont dit : « C'est un faux prophète.
'■ Prétend-il que plusieurs dieux ne soient qu'un? Cette
opinion est merveilleuse. »
Leurs chefs se sont levés et ont dit : >< Gardez votre culte;
soyez fidèles à vos dieux, nous connaissons ses desseins.
a La secte la plus récente n'a point prêché l'unité de
Dieu. Cette doctrine est fausse.
a Mahomet eùt-il étô élu préférablement à nous pour
recevoir le Coran ? »
Oui, ils doutent de ma religion; mais ils n'ont pas en-
core éprouvé mes châtiments.
SocEATE xixviii, versets 3 à 9.
Hommes insensés, m'ordonnerez-vous d'adorer un autre
que Dieu?
Dieu t'a révélé, il a révélé aux peuples anciens que l'ido-
lâtrie rend les œuvres vaines, et assure la réprobation.
272 KXTRAIIS DU CORAN.
Adresse ton encens à Dieu, et rends-lui des actions de
grâces.
SounATE xxxix, versets 64 à 66.
Dis-leur : <' Je ne suis qu'un mortel comme vous. Le ciel
m'a révélé qu'il n'y a qu'un Dieu. Soyez justes devant lui ;
implorez sa miséricorde. .Malheur aux idolâtres! n
Souhate xli, verset .^,
Nous t'avons lévélé le Coran eu arabe, afin que tu le
prêches à la Mecque et dans les villes voisines. .Annonce le
jour du jugement. On ne saurait douter de sa venue. Une
partie du genre humain entrera dans le paradis, et l'autre
desCLMidra dans l'enfer
Sourate xi.ii, verset 5.
La prédication de l'unité de D'eu a fait naître des débats
envenimés par l'envie. Si l'arrêt qui diffère le châtiment
des incrédules n'eût été prononcé, le ciel aurait terminé
leur querelle. Les juifs et les chrétiens doutent de la vérité.
Sourate xi h, verset i>.
Diront-ils ; « Mahomet prête à Dieu de faux oracles? » Il
imprimera sur ton cœur le sceau de la patience. Il détruira
le mensonge et confirmera la vérité de sa parole; il sonde
le fond des cœurs.
SouiiATE XI.II, verset ij.
Dieu ne parle à Ihomme que par inspiration, ou derrière
un voile ;
Ou bien il envoie un de ses ministres pour lui faire con-
naître ses volontés; et il est sage et sublime.
C'est ainsi que nous l'avons envoyé noire esprit (Gabriel).
.\vant cette épiupie heineuse, lu ne comiaissais point le Co-
ran. Nous V avons fait briller la vraie lumière. Nos secla-
MAHOMET. '273
tours marcheront à sa clarté. Par elle tu conduiras les
hommes dans le chemin de la justice ;
Dans le chemin de Dieu, souverain des cieux et de la
terre. X'est-il pas le terme de toutes choses?
SouiATF. xLii, versets ôl à 53.
Comment auraient-ils la foi? L'envoyé véritable la leur a
prêcjiée ;
Et ils se sont séparés de lui, et ils ont dit : (( C'est un
homme qu'on fait parler, et que le démon inspire. ï
Soci ATE xi.iv, vei'scts 1"2 et i~.
Nous t'avons établi le chef suprême de la religion sainte;
suis-la, et no condescends point aux désirs de ceux qui sont
dans les ténèbres.
SciRvTE xLv, verset 17,
Diront ils que Mahomet est l'auteur du Coran? Uéponds :
« S'il est mon ouvrage, vous ne me soustrairez point à la
vengeance divine; mais Dieu connait vos mensonges. Son
suffrage nie suffit contre vous. Il est indulgent et miséri-
cordieux. »
l>is : « Je ne .suis pas le premier des apotrcs ; j'ignore
quel sort le Tout-Puissant nous réserve ; je suis fidèle atix
inspirations divines. .Mon ministère se borne à la prédica-
tion. »
Soin ME xLvi. versets 7 et 8.
Dieu effacera les péchés , et rectifiera l'intention des
fidèles qui croient à la religion que la Vérité éternelle aj)-
porta à Mahomet.
SoiRATE xLvii, veisct 2
La Vérité éternelle a accompli la révélation qu'eut le
prophète, quand elle fit entendre ces mots: a Vous en-
-m KXTn.uïs DU cori.vN.
li'eiez dan:? le temple de la Mecque, sains et saiils, la tète
rasée, et sans crainte. Dieu sait ce que vous ignorez. Il vous
prépare une victoire prochaine. »
£ori(\T2 xLviir, verset 27.
iMahonict est lenvoyé de Dieu. Ses disciples sont terri-
bles contre les infidèles, et humains entre eux. Vous les
voyez se courber, adorer le Seigneur, implorer sa miséri-
corde, uniquement occupés du soin de lui plaire. Lesmar-
(jues de leur piété paraissent sur leur front. Le Pentateuque
et l'Évangile comparent leur zèle au grain do froment qui
produit une tige. Il croit ; il grossit, il s'affermit sur ses ra-
cines. Le moissonneur le voit avec complaisance. Tels sont
les fidèles. Leurs vertus excitent la rage des méchants.
Mais Dieu a i)romis sa miséricorde à ceux qui ont embrassé
la foi, et qui ont exercé la bienfaisance ; il leur destine une
récompense glorieuse.
Sourate xi.viii, verset 29.
0 croyants, n'élevez point la voix au-dessus de celle du
prophète; ne lui parlez point avec la familiarité qui règne
entre vous, de peur que vos œuvres ne soient vaines; vous
n'y pensez pas.
Dieu a éprouvé la piété de ceux qui parlent respectueu-
sement à son apôtre. L'indulgence et un trésor inestimable
seront leur récompense.
L'inlérieur de ta maison est lui sanctuaire; ceux qui le
violent, en l'appelant, manquent au respect qu'ils doivent à
l'interprète du ciel.
SoinATi; xi.ix, versets "1 à 4.
0 Mahomet, prêche lesinfiiléles. Tu n'es, grâce au ciel,
ni magicien ni inspiré par Satan.
hironl-ils que tu es poète, et qu il faut attendre que le
sort ail disposé de toi V
M Ail 0)1 Ll. 'J7J
Repoiiclb-lour : << AUendt-z ; jatleiidiai avec vous, n
SoLiivTK III, ver.-elb 'i'J et ôl.
J'en jiiie par l'oloile qui se couche :
Votre compatriote n'est point dans l'errour; il n'a point
été séduit.
Il ne suit pi)int ses propres lumières.
Tout ce ({u'il dit est une inspiration divine.
Celui qui possède la force l'a instruit.
Gabriel, l'intelligence sublime,
S'assit au plus haut de l'horizon ;
ensuite il prit son vol vers le prophète;
Il descendit à la distance de deux arcs, ou plus près
encore.
Il favorisa son serviteur d'une révélation.
Le cœur de Maliomet ne déclare que ce qu'il sait.
Disputerez-vous sur cette vision?
Il avait déjà vu le même ange
Près du Lotus, qui termine le séjour de délices.
Soir.ATELiii, versets 1 à 14.
0 croyants, faites une aumône avant de parler au pro-
phète. Cette œuvre sera méritoire et vouspuritiera. Si l'in-
digence s'oppose à vos intentions. Dieu est clément et mi-
séricordieux.
Sourate i.viii, verset 15.
Les habitants de Mèdinc, qui les premiers ont reçu la
foi, chérissent les croyants qui viennent leur demander un
asile ; ils n'envient point la portion du butin qui leur est
accordée; oubliant la loi du besoin, ils préfèrent leurs
hôtes à eux-mêmes. La félicité sera le prix de ceux qui ont
défendu leur cœur de l'avarice.
Sourate i.ix, verset 9.
276 KXir.AITS DU CORAN.
0 croyante, n'entretenez aucune liaison avec mes enne-
mis et les vôtres. Vous leur montrez de la bienveillance,
et ils ont abjuré la vérité qu'on leur a enseignée. Ils vous
ont rejelés, vous et le propbéte, du sein de leur ville, partie
que vous aviez la loi. Si vous les combattez pour la défense ■
de ma loi et pour mériter mes faveurs, conserverez-vous de
l'amitié pour eux'? Je connais ce qui est caché au fond de
vos cœurs, et ce que vous {)roduisez au grand jour. Celui
qui trahira mes intérêts aura abandonné le sentier de la
justice.
Sutn.^TE L\, Vinscl \.
0 pro[)liéle, si des femmes fidèles viennent te demander
un asile, après l'avoir promis avec serment de fuir l'ido-
lâtrie, de ne poml voler, d'éviter la fornication, de ne point
tuer 1 urs enfants, de ne te désobéir en rien de ce qui est
juste, donne-leur ta foi et prie Dieu pour elles. H est in-
dulgent et miséricordieuv.
Soi r..\TK Lx verset 12.
Le prophète ayant confie un secret à une de ses femmes
(Ilafsa), elle le puldia. Dieu lui révéla celle indiscrétion.
D'abord, il la reprit avec douceur, et ensuite il lui rapporta
tout ce qu'elle avait divulgué. — m Qui vous a si bien in-
slriiir.' )) lui demanda-l-elle. — « C'est, répondit Mahomet,
celui à qui rien n'est caché.
« Votre cœureslcoupabled'uneindiscrélion. Implorez la
clémence du ciel; il vous pardonnera. Si vous êtes rebelle
au prophète, le Seigneur, Gabriel et les vrais croyants sont
SOS prulccleurs; et les anges le vengeront.
(( S'il vous répudie. D'eu peut lui donner des épouses
meilleures que vous, des femmes qui professeront l'isla-
misme, (pii seront fidèles, obéissantes, dévouées, pieuses,
cl appliquées à la prière, soit veuves, sot vierges. »
ScMi'.ATi: i.xvi. verseU Ti à 5.
MAHOMET. 277
Peu s'en faiU fpie les infidèles ne l'ébraiilent par leurs
regards, quand ils entendent la lecture du Coran, et qu'ils
disent : « C'est un insensé. »
Le Coran est le dépôt de la foi, envoyé aux hommes pour
les instruire.
SuiRiTE i.xviii, versets ôi cl o2.
Votrt' eoncitoyen n'est point inspiré par Satan.
Il a vu Gabriel au haut de l'horizon, rer-plendissanlde
lumière.
11 ne cache point les révélations du ciel.
Ce livre n'est point l'ouvraiie de Satan foudroyé.
SoiRATK isxxi, versets 22 à 20.
^"élais-tll pas orphelin? Dieu n'a-l-il pas protégé ton en-
fance?
Il t'a trouvé dans l'erreur, et il t'a écla'ré.
Tu éîais.panvre, et il t'a enrichi.
Ne fais donc point de violence à l'orphelin ;
Ne repousse point le pauvre qui te demande.
Raconte plutôt les bienfaits dont le ciel t'a comblé.
SoiT.ATE xciii, versets 0 à 11-
Que penser de celui qui trouble
Le serviteur de Dieu, quand il prie,
Lorsqu'il accomplit l'ordre du ciel,
Et qu'il recommande la piété?
S'URATE xcvi, versets 9 à 12.
.\ l'union de Corayehiles !
Elle importe à la .<i'ireté du commerce, en hiver et en été.
Qu'ils adorent le Dieu de ce temple, le Dieu qui les a
nourris pendant la famine,'
Et qui les a délivrés des alarmes.
SoillATE CVI.
16
278
LMUAHS du CORAN.
Mis : c U infidèles,
■II' n'adororai point vos simulacres.
Vous n'adorerez point mon Dieu.
J abhorre votre culte,
Ma religion n'est point la vôtre ;
Vous avez votre crovance, et moi la mienne.
SoURATr IIX.
LE CORAN
Il n'y a point de doute sur ce livre ; il e?t la règle de
ceux qui craignent le Seigneur;
De ceux qui croient aux vérités siihlimes, qui font la
prière et versent dans le sein des pauvres wno portion des
biens que nous leur avons donnés ;
De ceux qui croient à la doctrine que nous t'avons en-
voyée du ciel, et aux Écritures ; de ceux qui sont altacliés
fermement ;'i la croyance de la vie éternelle.
Le Seigneur sera leur guide, et la félicité sera leur par-
tage.
Pour les infidèles, soit que tu leur pièclies ou ne leur
prêches pas l'islamisme, ils persisl 'ront dans leur aveugle-
ment.
Dieu a imprimé son sceau siu' leurs cœurs ; leurs oreil-
les et leurs yeux sont couverts d'un voile, et ils sont destinés
à la rigueur des supplices.
SoLRATF. Il, versets lad.
Si VOUS doutez du livre que nous avons envoyé à notre
serviteur, apportez un chapitre semhlahle à ceux qu'il l'en-
ferme; et si vous êtes sincères, osez invoquer vos témoins
à côté du témoignage de Dieu.
Si vous ne l'avez pu faire, vous ne le pourj-ez jamais;
280 EXTRAITS DU CORAN.
craignez donc un feu qui aura ^our aliment les hommes et
les pierres, feu pié| are pour les infidèles.
SocRVTE il, versets 21 et 26
Les incrédules et ceux qui traitent notre doctrine de
mensonge, seront dévoués aux flammes éternelles.
0 enfants d'Israël, souvenez-vous des bienfaits dont je
vous ai comblés ; conservez mon tdliance, et je conserverai
la vôtre; révérez-moi. Croyez au livre que j'ai envoyé; il
confirme vos Kcritures ; ne soyez pas les premiers à lui re-
fuser voire croyance. x\e corrompez pas ma doctrine pour
un vil intérêt. Craignez-moi.
SoLE.\TE II, versets 57 et j8.
Après que Dieu leur a envoyé le Coran pour confirmer
leurs Écritures, à eux qui auparavant imploraiejit le secoujs
du ciel contre les incrédules; après qu'ils ont reçu ce
livre, qui leur avait été prédit, ils ont refusé d'y ajouter
foi. .Mais le Seigneur a frappé de malédiction les cœurs in-
fidèles.
Quand on leur demande : « Croyez-vous à ce que Dieu a
envoyé du ciel? » ils répondent : « Nous croyons aux Écri-
tures que nous avons reçues; » et ils rejettent le livre véri-
table, venu depuis, pour mettre le sceau à leurs livres sa-
crés! Dis-leur : « Pourquoi avez-vous tué les prophètes, si
vous aviez la foi? »
SoiRATT II, versets 85 et 85.
C'est Gabriel qui, par la permission de Dieu, a déposé le
Coransur ton cœur, pour confirmer les livres sacrés vernis
avant lui, pour être la règle de la foi, cl pour remplir de
joie les fidèles.
SoinATEii, verset 91.
I,iii'i|U(^ l'i'uvoyè du Seigneur a paru au milieu d'eux.
LE CORAN. 281
pour mettre le sceau à la vérité de leurs Écritures, une
partie d'entre eux a rejeté avec mépris le livre divin,
comme s'ils ne l'eussent pas connu.
SonuTE II, verset 95.
Nous t'avons envoyé, avec la Vérité, pour être l'organe
de nos promesses et de nos menaces; et tu n'auras aucun
compte à rendre de ceux qui seront précipités dans l'enfer.
Les juifs et les chrétiens ne t'approuveront que quand
tu auras remplacé leur croyance. Dis-leur que la doctrine
de Dieu est la seule véritable. Si tu condescendais à leurs
désirs, après la science que tu as reçue, quelle protection
trouverais-tu auprès du Tout-Puissant?
Ceux à qui nous avons donné le Coran, et qui lisent sa
doctrine véritable, ont la foi ; ceux qui n'y croiront pas
seront au nombre des réprouvés.
SoiuATE II, versels Hô à 115.
Envoie un apôti e de leur nation pour leur annoncer tes
merveilles, pour leur enseigner le Coran et la sagesse, et
pour les rendre purs. Tu es puissant et sage.
Qui rejettera la religion d'Abraham, si ce n'est l'in-
sensé? Nous avons élu Abraham dans ce monde, et il
sera dans l'autre au nombre des justes.
Quand Dieu lui dit : « Embrasse l'islamisme, » Abraham
répondit : « Je l'ai embrassé, ce culte du souverain des
mondes. »
Abraham et Jacob recommandèrent leur croyance à leur
postérité : « 0 mes enfants, dirent-ils, Dieu vous a choisi
une religion ; soyez y dévoués jusqu'à la mort. )>
Éliez-vous présents lorsque la mort vint visiter Jacob ?
Il dit à ses fils : « Qui adorerez-vous après ma mort? » —
« Nous adorerons, lépondirent-ils, ton Dieu, le Dieu de tes
16.
'28-2 F.XTP.MTS DL' CORAN.
pères, Abraham, Ismaël et Isaac, le Dieu unique; nous
serons de fidèles musulmans. )> •
Soir ME ii. versets 12"> ;i 127.
Dites: « Nous croyons en Dieu, au livre qui nous a été
envoyé, à ce qui a été révélé à Abraham, Ismaël, Isaac,
Jacob, et aux douze tribus. Nous croyons à la doctrine de
Moïse, de Jésus et dos prophètes ; nous ne mettons aucune
différence entre eux, et nous sommes musulmans. «
SoiBATF. II. \OI"SCtS 150.
Dieu a envoyé le livre qui renferme la vérité; ceux qui
s'en écartent marchent dans l'erreur.
Sol'hatf, II. vpiscl m.
Le mois de Rhamadan, d.ms lequel le Coran est descendu
du ciel, pour être le ^ruide et la lumière des hommes, el
la règle de leurs devoirs, est le temps destiné à l'abstinence.
Dès que l'on verra ce mois, on doit observer ce précepte.
Celui qui sera malade, ou en voyage, jeûnera dans la suite
un nombre pareil de jours. Dieu veut vous conduire avec
douceur, afin que vous lemplissiez le commandement et
que vous célébriez ses louanges. Il prend soin de vous
guider lui-même, afin que vous l'honoriez par votre l'o-
connaissance.
SolRATE II, VOlVCt 1S|.
Il n'y a de Dieu que le Dieu vivant et éternel.
Il l'a envoyé le Livre qui renfeime la vérité, pour con-
firmer la vérité des Éciilures qui l'ont précédé. Avant lui,
il fit descendre le Pentaleuqueel l'Évangile, pour servir de
guide aux honunes ; il a envoyé le Coran des cieux.
Ceiw qui nieront la doctriiu^ divine ne doivent s'attendre
u: ronvN. 285
qu'à des supplices; Dieu est puissant, et la veugeance est
dans ses mains.
Rien de ce qui est dans les cieux et sur la terre i;e lui
est caché. C'est lui qui vous forme comme il lui plaitdans
le sein de vos mères. Il n'y a point d'autre Hieu que lui;
il est puissant et sage.
C'est lui qui t'a envoyé le Livre. Parmi les versets qui le
composent, les uns renferment des préceptes évidents et
sont la base de l'ouvrage ; les autres sont allégoriqnes.
Ceux qui ont du penchant à l'erreur, s'attacheront à ces
derniers versets, et formeront un schisme en voulant les in-
terpréter. Dieu seul en a l'explication. Mais les hommes
consommés dans la science divine diront : « Nous croyons
au Coran; tout ce qu il icnferme vient de Dieu. »« Ce lan-
gage est celui des sages.
JdlBATF III. VCrSOls l il 5.
Ce livre est la lumière du monde, la règle de la foi, et
rexhortation de ceux qui sont pieux.
SoniATF III. verset 1."'2.
0 vous qui reçûtes le livre de la loi, notre envoyé vous
a révélé beaucoup de passages que vous cachiez; il a passé
avec indulgence sur beaucoup d'autres. La lumière vous
est descendue des cieux avec le Coran; Dieu s'en servira
pour conduire dans le sentier du salut ceux qui suivront sa
volonté. Il les fera monter des ténèbres à la lumière, et les
conduira dans le droit chemin.
StaRATE y, vorset 18.
Nous t'avons envoyé le Livre véritable, qui confirme les
Écritures qui l'ont précédé, et qui en rendent témoignaf:e.
Juge entre les juifs et les chrétiens, suivant les commande-
nients de D eu. .Ne suis pas leurs désirs, et ne t'écarte pas
•284 EXTRAITS DU CORAN.
de la doctrine que tu as reçue. Nous avons donné à chacun
de vous des lois pour se conduire.
SoLuiATE V, verset 52.
Lorsqu'on leur a dit : a Embrassez la religion que Dieu
a révélée à son apôtre ; » ils ont répondu : «( La croyance
de nos pères nous sulfif. » Peu leur importe que leurs
pères n'aient eu ni science, ni lumières pour se conduire.
Sourate v, verset 10."».
Quand même nous t'aurions envoyé un livre écrit, les
infidèles, en le touchant de leurs mains, se seraient écriés:
« C est une imposture. »
a Si un ange, disent-ils, ne vient pas accompagner le
prophète, nous ne croirons pas en lui. » Quand Dieu leur
en ferait descendre un du ciel, ils resteraient incrédules.
Leur perte est certaine. On n'attendra point leur repentir.
Si nous faisions descendre un ange, ce serait sou? la
forme et les habits d'un homme.
SoinATE VI. versets 7 ;i 10.
Les Juifs ne rendent pas hommage à la vérité, lorsqu'ils
soutiemient que Hieu n"a rien révélé au.x hommes. Qui a
envoyé à Moïse le livre de la loi, où brille la vraie lumière,
ce livre que vous écrivez, mais dont vous voulez nous
soustraii'e une partie? lîépondez : C'est Dieu. Le Coran
vous a appris ce que vous ignoriez et ce qu'ignoraient vos
pères.
Nous l'avons fait descendre du ciel, ce livre béni, pour
confirmer les anciennes Écritures, pour que tu le prêches
à la .Mecque et dans les villes voisines. Ceux qui ont la
croyance de la vie future croient en lui. Ils seront exacts
obstMvateni's de la prière.
SounATF. VI, versets 91 et ! 2.
LE CORAN. 285
Chercherai-je un autre juge que Dieu? C'est lui qui a
envoyé le Coran, où le mal et le bien sont pesés. Les Juifs
savent qu'il est véritablement descendu du ciel. Garde-toi
d'en douter.
SoiRATE VI, verset 114.
Cette doctrine est celle de Dieu. Elle est la véritable;
nous l'avons démontrée à ceux qui sont intelligents.
SoL'RATE VI, verset 126.
Croyez an Coran, ce livre béni que nous avons fait
descendre des cieux. Craignez le Seigneur, et vous éprou-
verez les effets de sa miséricorde.
SocRATE VI, verset 156.
Vous ne direz plus : « Si l'on eût envoyé un livre, nous
aurions été plus éclairés qu'eux, n Vous avez reçu les ora-
cles divins, la lumière et les grâces du ciel. Quoi de plus
injuste maintenant que de blaspbémer contre la religion
sainte et de s'en éloigner? Nous réservons à ceux qui la
rejettent un supplice digue de leur rébellion.
Sourate vi, verset 157.
Le Coran t'a été envoyé du ciel. Ne crains pas de t'en
servir pour menacer les méchants et exhorter les infi-
dèles.
SoL'RATE VII, verset 1.
Nous avons apporté aux hommes un livre où brille la
science qui doit éclairer les fidèles et leur procurer la mi-
séricorde divine.
.\ttendent-ils l'accomplissement du Coran ? Le jour où il
sera accompli, ceux qui auront vécu daus l'oubli de ses
maximes diront : « Les ministres du Seigneur nous prê-
chaient la vérilé. Où trouverons-nous maintenant des in-
2S6 EXTRAITS DU CORAN
tercesseurs ? Quel espoir avons-nous de retourner sur la
terre pour nous corriger? » Ils ont perdu leurs âmes, cl
leurs illusions se sont évanouies.
SornvTE vil. vei"sels50 et 51.
Situ ne fais briller à leurs yeux quekpie signe éclatant.
ils diront : i De quelles fables viens-tu nous bercer"?
Réponds-leur : vj Je ne viens vous prêcher que ce que le
ciel m'a révélé. Ce livre renferme le? préceptes divins; il
est la régie des croynnls et le gage de la misérie'^rde di-
vine.
«Ecoutez en silence la lecture du Coran, afin que vous
soyez dignes de la clémence du Seigneur. ï>
SocBATE VII. versets '2(*i et '203.
Quand une nouvelle sourate descend d'en haut, il y en
a parmi eux qui disent : « Cette nouvelle sourate peut-elle
accroître la foi d'aucun de nous? » Oui ; elle fortifiera la
croyance des fidèles, et ils y trouveront leur consolation.
SocRATK is, verset l"2r).
Le Coran est l'ouvrage de Dieu. 11 confirme la vérité des
Ecritures qui l'ont précédé; il en est l'interprétation. On
n'en saurait douter. Le Souverain des mondes l'a fait
descendre descieux.
SocRATE X. verset ?8.
S'ils disent : u Mais c'est Mahomet qui en eslTauteur!
Réponds-leur: > .\pporlez donc un seul chapitre semblable
à ceux qu'il contient, et appelez à votre aide qui vous vou-
drez, hormis Dieu, si vous êtes sincères. »
Ils accusent de fausseté un livre dont ils ne comprennent
pas la doctrine, et dont ils n'ont pas encore vu l'accom-
plissement. C'est ainsi que les prophètes venus avant euv
I.E Cor.A.N. 287
l'un-'iil aussi Irtiilé.s d'iiiipubteuis. Mais alleiidcz la fin des
impies.
F.es uns croieiil au (luran; les aufros nient sa dodrino ;
mais le St-igncur comiait les hommes corrompus.
Sol RATE X. vor;-f'l.s Ô9 à 41.
Tels soiil les signe.-; du livre de l'évidence.
.Nous lavons fait descendre du ciel en langue arabe,
afin (jui' vous le compieiiiez.
SoriiATE \ri. versets l et 2.
'L'iii.-^luirc des prophètes est remplie d"e.\emples que doi-
vent retenir les hommes sensés. Ce livre n'est point une
Table inventée à plaisir; il confirme ceux qui l'ont pré-
cédé; il explique clairement toutes choses. 11 est la lumière
cl la grâce des croyants.
SouuATE xir, verset III.
Quand même le Coran ferait mouvoir des montagnes,
quand il partagerait la terre en deux et ferait parler les
morts, ils ne croiraient pas. Mais Dieu est le juge des ac-
tions. Les croyants ignorent-ils (pi il peut à son gré éclairer
toute la terre?
SoDBATE xiir. verset 30.
.Nous t'avons envoyé ce livre, poiii' tirer les hommes des
ténèbres, les éclairer et les conduire dans la voie excel-
lente et glorieuse.
SoL«ATE XIV, verset 1.
Ilemande-leur : ■' Qu'est-ce ipic le livre descendu du
ciel? » Ils répondent : « Ln tissu de fables de l'anti-
quité j
Sotr.ATf. \vi. Vii"à€l 26.
Nous l a\ons envoyé le Cora i pour éclairer les dogmes
'i8^ EXTRAITS DL' CURAN.
contestés de la religion, pour conduire les fidèles, et pour
leur annoncer les grâces du Seigneur.
SocRÂTE XVI, verset 66.
Dans ce jour, nous ferons lever du milieu de chaque
nation un prophète pour témoigner contre elle. Tu témoi-
gneras contre les Arabes. Nous t'avons envoyé le livre qui
instruit sur tous les devoirs, qui est la lumière, la grâce
et le bonheur des musulmans.
SoiiiATE XVI. versel 01.
Si nous changeons un verset du Coran, les infidèles t'ac-
cuseront de ce changement. Mais Dieu sait ce qu'il envoie ;
et la plupart sont dans l'ignorance.
Dis : « L'esprit de sainteté, Gabriel, l'a apporté du ciel
avec vérité, pour affermir les croyants, pour leur montrer
la lumière et les promesses du Seigneur. »
SoLT.ATE XVI, versets 105 et 104.
Le Coran conduit dans la voie la plus siire. Il promet le
bonheur aux fidèles.
Il annonce au.\ bienfaisants une récompense glorieuse.
Sorr.ATE XVII, verset 9.
Nous avons voulu expliquer aux hommes leurs devoirs
dans le Coran ; mais notre zèle n'a servi qu'à les éloigner
de la foi.
SocnATE XVII, verset 45.
Lorsque tu liras le Coran, nous étendrons, entre toi et
ceux qui ne croient pas à la vie future, un voile impé-
nétrable.
SoiBvTE XVII, verset il.
Quand l'enfer s'unirait à la terre pour produire un ou-
vrage semblable au Coran, leurs efforts seraient vains.
I
LE COUA.N. 289
.Nous y avons donné des iastruclions à llionmic sur tous
ses devoirs; mais, opiniâtre dans son incrédulité, il rejette
la lumière.
Soor.ATE XVII, versets 90 et 91.
Nous avons divisé le Coran, afin que lu puisses le lire
avec des pauses, ^'ous l'avons envoyé par chapitres (sou-
rates) .
SoiKATE XVII. verset 107.
Louange à Dieu, qui a envoyé à son serviteur le livre
qui ne lronq)e point,
Pour effrayer les coupables par la rigueur des châti-
ments et réjouir les croyants vertueux par l'espoir dun
bonheur éternel,
Et pour servir d'avertissement à ceux qui disent t[v.c
Dieu a un (ils !
SociiATE XVIII, versets 1 ù Z.
Nous avon:^ facilité la lecture du Coran en l'écrivant
dans ta langue, ailn que tu annouccs la félicité à ceux qui
craignent le Seigneur, et les tourments à ceux ([ui dispu-
tent contre lui.
SouuATE MX, verset 97; et Suirate xx, veiiel 11-.
Nous ne l'avons pas envoyé le Coran pour te rendre
malheureux,
Mais pour rappeler le souvenir du Seigneur à celui qui
le craint.
Le Corau t'a été envoyé par celui qui a créé la terre et
élevé les cieux.
SoiRATE XX, versels 1 ii Z.
Le (x'raii est ravertissement de tou ■ ceux qui craigucnl
Dieu.
17
200 exti;aits du cor.AN.
Nous lie te lavons envoyé que pour annoucer à tous les
hommes la miséricorde divine.
SoDRATE XXI, versets 106 et 107.
Ceu.x: qui ont reçu la science, inlimemenl persuades que
le Coran est la vérité éternelle, croient eu Dieu. Leurs
cœurs reposent tranquillement dans celte croyance, et
Dieu les guide dans le chemin du salut.
SoLKATE xxii, verset 55.
Lorsqu'on récite les versets du Coran, on voit 1 indigna-
tion peinte sur le front des infidèles. Us sont prêts à se
jeter sur le lecteur. Dis : k Vous annoncerai-jc quelque
chose de plus terrible? C'est le feu de l'eiifer que Dieu a
promis aux incrédules. Malheur à ceux qui y seront prè-
cijtités ! ))
Sourate xxii. vcisct 71.
Combattez avec courage sous les étendards de Dieu; vous
êtes SCS élus. Il ne vous a rien commandé de difficile dans
votre religion. C'est la foi de votre père Abraham que vous
professez. C'est lui qui vous iionima musulmans.
Le Coran vous confirme ce litre glorieux. Mon envoyé
sera tèuioin contre vous au jour de la résurrection, et vous,
vous porterez témoignage contre le genre humain. Accom-
plissez la prière ; faites l'aumône. Soyez inébranlables dans
la foi. Dieu est votre Seigneur. Courage au serviteur
et louanges au Maître !
Sourate xxii, versets 77 et 78.
Ont-ils bien considéré la doctrine du Cnran? Uenfcrinc-
l-il d'autres commandenients que ceux qui ont été prescrits
à leurs pères ?
So; RATE XXIII, verset 70
LE CORAN. 201
c( Ce livi'o, (lisent les infidèles, n'est quiuie iniposture.
Mahomet en. est l'auteur. D'autres hommesl'ont aidé. » Ces
discours ne sont appuyés que sur l'iniquité et leinensonge.
V Ce n'est, ajoutent-ils, qu'un amas de vieilles fables
qu'il a recueillies, et ({u'on lui lit le matin et le soir. »
Réponds-leur : « Celui qui connaît les secrets du ciel et
de la terre a envoyé le Coran. 11 est indulgent et miséri-
cordieux. »
SoiRATE XXV, versets o à 7.
Les infidèles ont demandé si le Coran n'avait pas été
envoyé sous forme d'un ouvrage suivi. Nous l'avons fait
descendre du ciel par versets et par chapitres, afin d'affer-
mir ton cœur.
SocnATF. XXV, ver.«cl ôi.
Ce livre vient du Souverain de.s mondes;
C'est l'Esprit fidèle (Gabriel) ({ui l'a apporté du ciel.
Il le déposa sur ton cœur, afin que tu fusses apôtre.
Il est écrit en langue arabe, et son style est pur.
Les livres sacrés et anciens en font mention.
Les Mecquois ne doivent-ils pas être étonnés que les sa-
vants d'entre les Juifs en aient en couMassance?
SoiRATK XXVI, versets 192 ;i i',0.
Ce ne sont pas les démons qui sont les auteurs du Coi an.
Ils ne devaient point ou ne pouvaient le mettre au jour.
Ils sont loin d'entendi'e le langage des cieux.
SouRATK XXVI, versets 210 ii 212.
('elui (jui possède la sagesse et la scienci' l'a envou* le
Coran.
SoiTp.ATi; xxvii, verse! 0.
Le (.'oran explique aux er.fants d'Israël le.s principaux
sujets de leurs disputes.
292 EXTRAITS DU CORAN.
Il est
Seiffiieur
Il est la lumière des fidèles et le gage des grâces du
Sour.ATE XXVII, Yorsels 78 el 70.
Après que nous leur avons envoyé un apôlrc véritable,
ils se sont écriés : « Qu'il fasse éclater la même puissance
que Moïse, et nous croirons. « A"'ont-ils pas nié ses mira-
cles, quand ils ont dit : « Le Pentateuque et le Coran sont
deux livres de mensonge qui se prêtent un mutuel secours?
Nous les rejetons également. »
Dis-leur : « Si vous êtes véridiques, apportez un livre
divin où la vraie religion soit mieux établie que dans le
Pentateuque et dans le Coran ; et je le suivrai aussitôt. »
SuLiiiTE xxvri, versets i8 et 49.
Ceux à qui nous donnâmes les Écritures croient au
Coran.
Ils s'écrient, lorsqu'on leur explique sa doctrine : « Nous
croyons qu'il est la vérité de Dieu; avant sa venue, nous
étions déjà musulmans. »
SoLT.Mi; xxvin, vcrscls Ô2 clôr).
Avant le Coran, tu n'avais à réciter aucun livre; tu
n'aïu-ais puréci'ire de ta main. Alors, ceux (jui s'eflorcent
de l'anéantir jiouvaient doulir de sa vérité.
FouBATi: XXIX. viM'sct i7.
Si tu leur lis un verset du Coran, ils détournent orgueil-
leusement la tête connue s'ils n'entendaient pas, sem-
blables à celui qui auiait une pesanteur dans les oreilles.
Mais annonce-leur un toui'ineut douloureux.
SoiRATH XXXI, verset 0.
Le Souverain de l'univeis a l'ail descendre le Coran du
ciel. Ce livre ne doit laisser auciui doute.
LE CORAN. 293
Diront-ils qu'il est l'ouvrage de Mahomet? La Vérilé
éternelle te l'a envoyé pour prêcher la parole de la fui à
un peuple qui n'avait point encore eu d'apôtre, et pour
l'éclairer de son fland)eau.
Sourate xxxii, versels 1 el. "2.
Ceux que la science éclaire savent que le livre qui t'a
été envoyé du ciel est la vérité, qu'il conduit dans les voies
du Dieu dominateur et comblé de louanges.
SoL'RATE xxxiv, verset G.
Lorsqu'ils entendent la doctrine divine, ils disent : a Maho-
met n'est qu'un homme; il veut nous détourner du culte de
nos pères. Le Coran n'est qu'une fable faussement inventée. »
Aveuglés par l'impiété, ils traitent de mensonge la vérité qui
brille à leurs yeuv.
SoiBATE XXXIV, verset ii.
Dis : « La vérité a paru ; le mensonge va disparaître, et il
ne se montrera plus. »
Sourate xxxiv, verset 48.
La religion que nous t'avons révélée est la véritable; elle
confirme les livres saints ijui l'ont précédée. Dieu observe
d'un œil attentif la conduite de ses serviteurs.
Nous avons donné le Coran pour héritage à nos élus. Quel-
ques-uns s'abandonnent à l'iniquité. Le plus grand nombre
a embrassé la vertu; d'autres s'efforcent de se surpasser
dans la pratique des bonnes oeuvres ; c'est le comble de la
perfection.
Sourate xxxv. versels 28 et 29.
Celui qui est puissant et miséricordieux l'a envoyé le
Coran,
Afin que tu leur prôcbes la religion qui n'a point été en-
seignée à leurs pères; mais ils vivent dans l'insouciance.
SouRAir. XXXVI, versets } el ."».
201 EXTRAITS DU CORAN.
Ce livre est un avertissement aux mortels.
Vous verrez un jour que sa doctrine est véritable.
SoiT.ATE xxxviii, versets 87 et 88.
Le ciel t'a envoyé le plus excellent des livres. La même
doctrine y est sans cesse répétée. Ceux qui craignent le Sei-
gneur frissonnent à sa lecture. Leur effroi s'adoucit par de-
grés, et ils reçoivent avidement la parole divine. Le Coran
est la lumière de Dieu ; par elle il dirige ses élus ; mais ceux
qu'il égare ne retrouvent plus le droit chemin.
SocRATE XXXIX, vei'set 24.
Le Coran offre aux hommes des exemples variés afin de
les instruire.
11 est écrit en arab.\ Sa doctrine est simple et claire. Il
prêche la crainte du Seigneur.
SoLRATE XXXIX. verscts 28 et 29.
Nous t'avons envoyé du ciel le livre où la vérité parle aux
hommes; celui qui la suit et celui qui s'en écarte travail-
lent chacun pour soi. Tu n'es pas l'avocat du genre humain.
SotuATE XXXIX. verset 42.
Le Dieu clément et miséricordieux t'a envoyé le Coran.
Il est le dépôt de la vraie foi. 11 est écrit en arabe ; il in-
struit les sages.
11 promet, et il menace. La plupart s'en éloignent et ne
veulent pas entendre.
SocRATE xLi, versets 1 à 5.
« N'écoutez point la lecture du Coran, disent les infidèles.
Armés do raillerie, efforcez-vous del'ensevclir dans l'oubli.»
Les tourmenis puniront leur incrédulité.
Soi'RATE XII, versets 2.") et 26.
LE CORAN. 'iOj
Si nous avions écrit le Coran dans un idiome étranger,
ils se seraient écriés : « Pourquoi n'est-il pas écrit dans
notre langue?» lîéponds-leur : « Son style est-il barbare?
Son auteur est-il Arabe? Ce livre est la lumière et la gué-
rison des croyants. Les incrédules ont une pesanteur dans
les oreilles; un nuage couvre leurs yeux ; ils n'entendent
point. »
Sorr.ATE XI.I, verscl ii.
Si le Coran vient de Dieu et que vous rejetiez sa doc-
trine, est-il un égarement comparable au vôtre?
Le ciel et la terre leur offiiront des prodiges ; ils seront
frappés eux-mêmes jusqu'à ce qu'ils reconnaissent que le
Coran est la vérité. Ne leur suffit-il pas, pour croire, du témoi-
gnage du Seigneur ?
Socp.ATE xLi. vcrsels .V2 et 53.
J'en jure par le livre de l'instruction :
Nous l'avons envoyé en arabe, afin que vous le compreniez.
Nous en conservons l'original dans le ciel; il est sage et
sublime.
Sourate xliii, versets \ à ô.
Leur avons-nous envoyé un livre avant le Coran? En pos-
sédaient-ils un ?
« Nous avons, continuent-ils, (rouvé nos pères attachés
à une religion, et nous la suivons. «
Toutes les fois que nos ministres prêchèrent la foi dans
une ville, les principaux du peuple leur tinrent le même lan-
gage : « Noub suivons la religion de nos pères. »
(( — Mais si nous vous apportons une meilleure doctrine,
disaient les apôtres? — Nous rejetons, répondaient les in-
crédules, tout ce que vous nous annoncez. »
Nous vengeâmes nos lois méprisées. Voyez quelle fut la
punition des idolâtres.
SocnATE xi.iii, vcisels 21 et 21.
i>OG EXTISAITS DU COR.V>'.
J'oji jure par le livre de l'évidence.
Nous te l'avons envoyé dans la nuil bénie pour instruire
les mortels.
Dans la même nuit, la sagesse éternelle mit le sceau à ses
lois.
(l'est elle qui donne aux hommes le caractère d'apôtre.
Sour.ATE xi.iv, versets 1 à i.
Si ce livre vient du ciel, si des enfants d'Israël en attes-
tent l'aullienticité et croient en lui, tandis qu'excités par
l'orgueil vous le rejetez dédaigneusement, quel nom mé-
ritez-vous? Dieu n'éclaire point les méchants.
Les incrédules font celte objection aux fidèles: « Si ce
livre était véritable, les Israélites ne l'auraient pas reçu
avant nous. » Ils ont fermé les yeux à la lumière et ils
disent : « C'est une fable de l'anticiuité. »
Sot RATE XI VI, versets 0 et 10.
Sonl-ce les égarements du sommeil, ou l'impiété qui les
inspirent?
Diront-ils : « Le Coran est nue fiction ingénieuse dont il
est l'auteur? » Mais ils n'ont pas la foi.
S'il en est ainsi., qu'ils mettent au jour un livre semblable.
SoiRAii; i.ii, versets Ô2 ù .~i.
Ce n'est point le langage d'un poëte. Combien peu croient
cette vérité !
Ce n'est point l'œuvie d'un mage. Combien peu ouvrent
les yeux !
C'est le Souverain des mondes qui l'a envoyé du ciel.
Sol liATF, lAix, versets M à ij.
Si .Mahoiut'l eût fait le moiridre changement à sa doc-
trine.
LE CORAN. 297
iNous l'aurions saisi sur-le-champ,
Et nous lui aurions coupé la veine du cœur.
Personne n'eût pu suspendre notre vengeance.
SocRATE Lxix, versets 4i à 47.
Déclare, ô Mahomet, ce que le ciel t'a révélé.
L'assemhlée des génies ayant écouté la lectuie du Coran,
s'écria : « Voilà une doctrine merveilleuse.
« Elle conduit à la vraie foi. Nous croyons en elle, et
nous ne donnerons pas d'égal à Dieu.
« Gloire à sa majesté suprême! Dieu n'a point d'épouse;
il n'a point enfanté. »
Soir.ATF. Lxxir, versets 1 à 4.
« Le Coran, disait l'infidèle, est une imposture;
Ce n'est que la parole d'un lionlme. »
Les feux de l'enfer puniront ce hlnsphème.
Qui te donnera une idée de ce gouffre?
SoriiATE Lxxiv, versets 2Ô à 20.
Ne lis point le Coran avec précipitation.
Nous le graverons dans ta mémoire, et nous t'appren-
drons à le lécher.
Lorsque Gabriel te révélera des versets, suis-les allenti-
vement.
Nous t'en donnerons l'interprétation.
Le ciel t'en fait la promesse.
SoLUATE Lxxv, vcrsets IG à 19.
Que le fidèle garde ces préceptes dans sa mémoire ;
Que le papier en soit le dépositaire honoré;
Qu'il conserve ce dépôt sublime et pur.
Tracé par la main d'un écrivain honnéle et juste.
Sourate lxxx, versets 12 à 1.").
17.
508 EXTRAITS DU CORAN.
J'en jure par la nuit quand elle répand ses ombres,
Par Taurore quand elle déploie ses feux naissants,
Oui, le Coran est la parole du prophète honorable,
Du propliète puissant auprès du Souverain du trône et
inébranlable dans la foi,
Du prophète obéi et fidèle.
SoiRATE Lxxxr, versets 17 à 21.
Le Corail dislingue le bien du mal ;
Il ne contient rien de frivole.
SoiT.ATE Lxxxvr, versets \T> cl li.
Nous t'envoyâmes le Coran dans une nuit à jamais fa-
meuse.
Qui te fera connaître tout le prix de cette glorieuse nuit?-
Elle vaut plus à elle seule que mille mois réunis.
Elle fut consacrée par la venue des anges, et de l'esprit
(fiabriel) Dans cette nuit, ils apportèrent avecla permission
de Dieu des lois sur toutes choses.
La paix arrompagna celte nuit jusqu'au lever de l'aurore.
SocriATi; xcvii.
LE PARADIS
L.V VIE FUTURE — LE JUGEMENT DERNIER
Annonce à ceux qui croient et qui font le bien qu'ils
habiteront des jardins où coulent des fleuves. Lorsqu'ils
goûteront des fruits qui y croissent, ils diront : « Voilà les
fruits dont nous nous sommes nourris sur la terre. » Mais
ces fruits n'en auront que l'apparence. Là les croyants trou-
veront des femmes purifiées. Ce séjour sera leur demeure
éternelle.
Soir.ATE II, verset 25.
Craignez le jour où une àme ne satisfera pas pour une
autre âme, où il n'y aura ni intercession, ni compensation,
ni secours à attendre.
SoiRATE ir, verset 45.
Certainement les pervers descendront, environnés de
leurs crimes, dans les flammes éternelles.
Au contraire, les croyants qui auront fait le bien habite-
ront éternellement le paradis.
SofRATK II, versets 75 et 70.
Seigneur, ne permets pas que nos cœurs s'écartent de la
'0) EXÏilAITS LU CORAN.
vérité, après quo tu nous as éclairés. Ouvre-nous les trésors
de ta miséricorde; tu es la libéralité même.
Seigneur, tu rassembleras un jour le genre bumain de-
vant ton tribunal. Nous ne saurions douter de cette vérité;
car tu ne manques point à tes promesses.
SoLRATE HT. versets G et 7.
L'amour du plaisir éblouit les mortels; les femmes, les
enfants, les richesses, les chevaux superbes, les troupeaux,
les campagnes, font les objets de leurs ardents désirs. Telles
sont les jouissances de la vie mondaine. Mais Tasile que
Dieu prépare est bien plus délicieux.
Dis : « One puis-je annoncer de plus agréable à ceux qui
ont la piété, que dos jardins arrosés par des fleuves, une vie
éternelle, des épouses purifiées, et la bienveillance du Sei-
gneur, qui a l'œil ouvert sur ses serviteurs. »
Tel sera le partage de ceux qui disent : « Seigneur, nous
avons cru; pardonne-nous nos fautes et délivre-nous de la
peine du feu ; »
De ceux qui ont été patients, véridiques, pieux, bienfai-
sants et qui ont imploré la miséricorde divine dès le malin.
SûLT.ATE iir, versets t'2 à 15.
Un jour riionnne aui'a sous les yeux le spectacle de ses
œuvres bonnes et mauvaises, et désirera qu'un intervalle
innnense le sépare du mal qu'il aura fait. Le Seigneur vous
exliorle à redouter sa colère. 11 regarde ses serviteurs d'un
œil propice.
Sui-ii.^TK m, verset 28.
Efforcez-vous de mériter l'indidgence du Seigneur, et
la possession du parailis, dont l'étendue égale les cieux et
la terre, séjour préparé aux justes,
\ ceux qui ïonl laumône dans la piosiiéiilé et dans l'ad-
LA VIE FUTURE. 501
versité, et qui, maîtres des mouvements de leur colère,
savent pardonnera leuis semblables. Dieu aime la bienfai-
sance.
SoiuATE III, versets 127 el 128.
Ne croyez point que ceux qui ont succombé en combal-
t:int dans la voie du Seigneur soient morts; au contraire, ils
vivent, et ils reçoivent leur nourriture des mains du Tout-
Puissant.
Enivrés de joie, comblés des grâces du Seigneur, ils se
réjouissent en pensant que ceux qui marchent sur leurs
traces et ne les ont pas encore atteints, seront à l'abri dos
frayeurs et des peines.
Ils se réjouissent de ce que le Seigneur a versé sur eux
les trésors de sa bienfaisance, et de ce qu'il ne laisse point
périr la récompense des fidèles.
Socr.ATE m, vcrsels 165 à 1G.*J.
Celui qui gardera les préceptes du Dieu savant et miséri-
cordieux, et qui obéira au prophète, sera introduit dans
les jardins où coulent des fleuves, séjour de délices, et
où il goûtera une éternelle félicité.
Celui qui désobéira à Dieu et à son envoyé, et qui trans-
gressera ses lois, sera précipité dans l'abîme de feu, où il
sera éternellement en proie aux tourments et à l'opprobre.
SoiuATE IV, versets 17 et 18.
Dieu a promis aux fidèles qui auront pratiqué la ver!u
l'entrée des jardins où coulent des fleuves. Ils y demeure-
ront éternellement. Les promesses du Seigneur sont véri-
tables. Quoi de plus infaillible que sa parole?
SoiRATE IV, verset 121.
Ils ont dit : a II n'y a point d'aulrc vie que la vie d'ici-
bas. .Nous ne ressusciterons point. >•
50-2 EXTRAITS DU COR.O.
Lorsqu'ils paraîtront devant l'Éternel, il leur deman-
dera : (( N'est-ce pas là une véritable résurrection? — Elle
est véritable, répondront-ils. Nous en jurons par ta ma-
jesté sainte. — Goûtez, leur dira le Très Haut, la peine de
votre incrédulité. »
Ceux qui nient la résurrection ne sont plus. La mort les
surprit tout à coup, et ils s'écrièrent : u Malheur à nous,
pour avoir oublié ce moment fatal. » Ils porteront le far-
deau de leurs crimes. Déplorable fardeau !
Sourate n, versets 29 à 51.
Eloigne-toi de ceux qui, aveuglés par les charmes de la
vie, se jouent de la religion. Apprends que le coupable qui
aura mérité la réprobation ne trouvera aucun protecteur
contre Dieu. Quelque prix qu'il offre pour se racheter, il
sera refusé. Victime do ses forfaits, il aura pour se désal-
térer.l'eau bouillante. Il expiera au milieu des tourments
son infidélité.
Socr.AiE VI, ver.^el GO,
Nous demanderons compte aux peuples à qui nous avons
envoyé des rcinislres, et à nos ministres eux-mêmes,
Nous leur dévoilerons avec pleine connaissance ce (ju'ils
auront fait ; car nous avons été témoins.
Le jugement au grand jour sera équitable. Ceux qui fe-
ront pencher la balance jouiront de la félicité.
Ceux dont h s œuvres ne se trouveront pas de poids au-
ront perdu leuis âmes, parce qu'ils auront méprisé la
religion.
Socr.ATE vu, versets 5 à 8.
Nous n'exigerons de chacun que ce qu'il peut. Les
croyants qui auront pratiqué la bienfaisance habiteront le
paradis, séjour d'éternelles délices.
Je baimirai l'envie de leurs cœurs ; les ruisseaux coule-
LA VIE FUTURE. 503
ront sous leurs pas. Ils s'écrieront: (( Louange à l'Éternel
qui nous a introduits dans ce séjour! Si sa lumière ne
nous eût éclairés, nous n'aurions pas trouvé la route qui
y conduit. Les promesses des prophètes se sont vérifiées. »
Une voix fera entendre ces paroles : « Voilà le paradis dont
vos œuvres vous ont acquis l'héritage. »
Sourate vu, versets 40 el 41.
Le prophète et les croyants qui ont sacrifié leurs biens
et versé leur sang pour la défense de l'islamisme, seront
comblés des faveurs du ciel et jouiront de la félicité.
Ils habiteront éternellement le séjour que Dieu lenr a
préparé, les jardins de délices arrosés par des fleuves,
lieux où régnera la souveraine béatitude.
Soihate IX, versets 89 el 90.
Ceux qui les premiers ont quitté leur pays pour aller à
la guerre sainte, ceux qui ont suivi cet exemple glorieux,
ont mérité la grâce de Dieu, qu'ils aimaient ; et il leur a pré-
paré des jardins où coulent des fleuves et où ils goûteront
des jouissances éternelles,
SoLRATE IX, verset 101.
Dieu a acheté aux fidèles leur vie et leurs biens; il leur
donnera le jaradis en retour. Ils couibattront dans le sen-
tier de Dieu ; ils tueront, et ils seront tués. Mais les pro-
messes qui leur sont faites dans le Pentateuque, IKvaiigile
et le Coran, seront tenues ; car qui est plus fidèle que Dieu
à son alliance? Réjouissez-vous donc de voire pacte ; il est
le sceau de votre bonheur.
Sour.ATE IX, verset 112.
Ceux qui n'attendent point la résurrection, qui, épris
dos charmes de la vie terrestre, s'y endorment avec sécu-
rité, el ceux qui méprisent nos oracles,
301 EXTRAITS DU CORAN.
Auront pour prix de leurs actions le fou de l'enfer.
Dieu dirigera dans le sentier de la foi les croyants ver-
tueux; ils reposeront sur le bord des fleuves, dans les
jardins de délices.
Pour toute invocation, ils répéteront sans cesse : « Gloire
soit à Dieu ! » et la salutation qu'ils recevront sera :
« Que la paix soit avec vous ! »
Leur prière finira par ces mots : « Louange à Dieu, le
Souverain des inondes ! »
Socii,\TE X, versets 7 à 11.
Quand tu dis aux infidèles que l'homme ressuscitera,
ils crient à l'imposture.
Si nous suspendons nos châtiments jusqu'au temps fixé,
ils disent : « Et pourquoi en différer l'exécution? » Ils les
verront un jour ces peines dont ils se moquaient, et per-
sonne ne les en délivrera.
Sourate xi, versels 10 et 11.
Ceux qui, dociles aux commandements du Seigneur,
n'enfreignent point son alliance, ceux qui unissent ce qu'il
lui a plu d'unir, qui craignent Dieu et le compte qu'ils au-
ront à lui rendre;
Ceux que l'espoir de voir Dieu rend constants dans l'ad-
versité, qui font la prière, qui donnent, en secret ou en
public, une portion des biens que nous leurs avons dispen-
sés, et qui effacent leurs fautes par de bonnes œuvres,
seront les hôtes du paradis.
Ils seront introduits dans les jardins d'Éden. Leurs
pères, leurs épouses et leurs enfants qui auront été justes
jouiront du même avantage. Là ils recevront la visite des
anges, qui entreront par toutes les portes :
u La paix soit avec vous, leur diront-ils ; vous avez été
patients ; jouissez du bonheur qu'a mérité votre persé-
vérance. »
LA VIE FUTL'UE. 30J
Ceux (jui violt'iil lo pacto de Dieu, qui divisent ce qu'il
a uni, et qui répandent la corruption sur la terre, seront
précipités dans l'enfer, chargés de nialédictions.
SoiT.ATE XIII, versets '20 à 23.
Les jardins de délices arrosés par les fleuves, ces jardins
où l'on trouvera une nourriture éternelle et des ombrages
toujours verts, seront le prix de la piété. Les incrédules
auront les llammos pour réconipen.'-e.
Soir.ATE xiiT, verset 55.
Dans ce jour, la terre et Us cieux seront changés. Le
genre humain se hâtera de paraître devant le tribunal de
bien, unique et victorieux.
Dans ce jour, vous verri z les pervers chargés de chaim s.
Leurs babils seront de poix; le feu couvrira leur front.
Dieu rend à chacun selon ses œuvres; il est exact dans ses
jugements.
Socr.ATE XIV, versels i9 et SO.
Les jai'dins et les fontaines seront le partage de ceux
qui craignent le Seigneur.
Ils entreront avec la paix et la sécurité.
Nous ôleron.^ l'envie de leurs cœurs. Ils reposeront sur
des lit:<, et ils auront les uns pour les autres une bienveil-
lance fraternelle.
La fatigue n'approchera point du séjour des délices. On
ne leur en ravira i)uint la possession.
SoDBATE XV, versets 45 à 48.
Ceux qui joindront au repentir la foi et les bonnes œu-
vres entreront dans les jardins d'£don,
Jardins délicieux que le Miséricordieux a promis à ses
30G EXTRAITS DU CORAN.
serviteurs, pour les consoler dans leur exil. Ses promesses
sont infaillibles.
Sourate xix, versets Gl et 62.
Nous leur envoyâmes un prophète choisi parmi eux. Il
leur dit : « Servez le Seigneur, il n'y a point d'autre Dieu
que lui. Ne le craindrez-vous donc pas? »
Les premiers du peuple, que nous avions comblés do
richesses, êlaient infidèles et niaient la résurrection. « Cet
envoyé, dirent-ils, est im hornme comme nous ; il boit et
mange comme nous.
« Si vous obéissez à la voix d'un mortel qui vous res-
semble, votre perte est certaine.
« Il vous flatte qu'après votre mort, quand vos corps ne
feront plus qu'un amas d'os et de poussière, vous revien-
drez à la vie.
« Rejetez, rejetez cette vaine promesse.
« Il n'y a point d'autre vie que celle dont nous jouis-
sons. Nous naissons, nous moui'ons, et nous ne ressusci-
tons point.
« Cet homme n'est qu'un imposteur qui prête à Dieu
un mensonge. Nous ne croirons point à sa doctrine. »
— « Seigneur, s'écria le prophète, lavez-moi du crime
c( dont on m'accuse. »
— « Encore quelques instants, dit le Seigneur, et ils
« seront livrés au repentir. »
î^ornATE XXIII, versets ôi à 42.
La vie du monde n'est qu'un jeu frivole. Le séjour éter-
nel est la vraie vie. S'ils le savaient !
Sourate xxix, verset Ci.
n Lorsque la terre couvrira nos cendres, disent les in-
crédules, serons-nous ranimés de nouveau ? »
LA YIE FUTURE. 507
Ils nient le jugement universel.
Réponds-leur : « L'ange de la mort, qui veille sur vos
démarches, tranchera le fil de vos jours, et vous reparaîtrez
devant Dieu. »
SocBATE XXXII, versets Où 11.
Ceux qui lisent le livre divin, qui font la prière et l'au-
mône, en secret et en public, attendent un bien qui ne
périra point.
Dieu les récompensera ; il leur départira les dons de sa
magnificence; il est miséricordieux et reconnaissant.
SocRATE XXXV, versets 20 et 27.
Les jardins d'Éden seront l'habitation des justes. Des
l)racelets d'or ornés de perles, et des habits de soie forme-
ront leur parure.
« Louange à Dieu, s'écrieront-ils ; il a écarté de nous la
peine ; il est miséricordieux et reconnaissant.
« Il nous a introduits dans le palais éternel, séjour de
sa magnificence. La fatigue ni la douleur n'approchent
point de cet asile. »
SoLRATE XXXV, versets 30 à Ô2.
Les campagnes stériles où nous faisons éclore les germes
de la fécondité, produisent les moissons dont ils se nour-
rissent. Image frappante de la résurrection !
Sourate xxxvi, verset 53.
Tandis qu'ils disputent, le cri de l'ange peut se faire en-
tendre tout à coup, et ils disparaîtront de la face delà
terre.
Ils n'aïu'ont pas le temps de faire un lesiament, et ils ne
seront pas rendus à leurs fauiilles.
La trompette soimera une seconde fois, et ils se hâteront
de sortir de leurs tombeaux pour paraître devant Dieu.
508 EXTRAITS DU COR.VN.
« Malheur à nous, s'écrieront-ils. Quelle voix nous a fait
quitter le repos où nous étions ? Voilà l'accomplissement
des promesses du Miséricordieux. Ses ministres nous an-
nonçaient la vérité. ))
Un seul son de la trompette aura rassemblé le genre
humain devant notre tribunal.
Dans ce jour, personne ne sera trompé. Chacun aura
le prix de ses œuvres.
Dans ce jour, les hôtes du paradis boiront à longs traits
dans la coupe du bonheur.
Couchés sur des lits de soie, ils reposeront près de leurs
épouses, sous des ombrages délicieux.
Ils y trouveront tous les fruits. Tous leurs désirs seront
comblés.
SoiRATE XXXVI, versets 40 à 57.
« Victimes de la mort, disent les incrédules, lorsque
nous aurons été réduits en poussière, retournerons-nous à
la vie?
(( Nos pères ressusciteront-ils? »
Oui, ils ressusciteront ; et vous serez couverts d'op-
probre.
Soun.vTE xxxvii, voreet> l(i à 18.
Les vrais serviteurs de Dieu auront une nourriture
choisie,
Des fruits exquis, et lisseront servis avec honneur.
Les jardins des délices seront leur asile.
Pleins d'une bienveillance mutuelle, ils reposeront sur
des sièges
On leur offrira des coupes remplies d'une eau pure.
Limpide et d'un goût délicieux.
Oui n'obscurcira point leur raison et ne les enivrera
pas.
l'iès d'eux seront des vierges aux regards modestes, aux
1
LA VIE FUTURE. Ô09
grands yeux noirs et dont le leiiil aura la couleur des œufs
de l'autruche.
SoCRATE xxxvri, versets 39 à 47.
Ceux qui craignent le Seigneur habiteront ce palais élevé
prés duquel coulent les ruisseaux. Dieu la promis, et ses
promesses sont infaillibles.
SoLRATE XXXIX, VCrSCt 'il.
Les anges, les pieds nus autour du tiùne sublime, pu-
blieront les louanges duTi'és-Hout. Lorsque la vérité éter-
nelle aura prononcé le jugement du genre humain, ils
crieront d'une voix unanime : « Louange à Dieu, Souverain
des mondes ! »
SocRATE XXXIX. verset 75.
On dira aux croyants qui auront professé l'Islamisme :
« Entrez dans le jardin des délices, vous et vos épouses ;
ouvrez vos cœurs à la joie. »
On leur présentera à boire dans des coupes d'or. Le
cœur tiuuvera dans ce séjour tout ce qu'il peut désirer,
l'œil tout ce qui peut le charmer; et ces plaisirs seront
éternels.
Voici le paradis dont vos œuvi'es vous ont procuré la
possession.
Nourrissez-vous des fruits qui y croissent en abondance.
Sourate xi.iii, versets 09 à 72.
Les justes habiteront le séjour de la paix ;
Les jardins et les fontaines seront leur parlagc.
Ils seront vêtus d'habits de soie, et ils se regarderont
avec bienveillance.
Nous leur donnerons j)our compagnes des épouses aux
grands yeux, au\ yeux noirs.
Ils auront à disciétion les li iiils du paradis.
3tO EXTUATTS DU COP.VN.
Ils n'éprouveront plus la mort et seront délivrés à jamais
des peines de Fenfer.
SocRVTi: Miv, versets 51 à 57.
Nous avons prescrit à l'homme la bienfaisance envers
les auteuis de ses jours. Une mère le porte avec peine dans
son sein et l'enfante avec douleur. Sa grossesse et le temps
qu'elle allaite durent trente mois. Il est élevé dans la mai-
son paternelle, jusqu'à ce qu'il ait atteint la force del'àge.
Parvenu à sa quarantième année, il adresse à Dieu cette
prière : « Seigneur, inspire-moi de la reconnaissance pour
tes bienfaits et pour ceux dont tu as comblé mes pères.
Fais que j'opère le bien que lu aimes; rends-moi beureux
dans mes enfants ; j'ai tourné mon cœur vers toi, et je suis
un de tes fidèles adorateurs. »
Ainsi parlent ceux dont nous recevons les œuvres, et
dont nous effaçons les péchés, ils habiteront b^s jardins
d'Éden et verront l'accomplissement de nos promesses.
Sourate xlvi, versets 14 et 15.
Songez que la vie du -inonde n'est qu'un jeu frivole. Son
éclat, votre émulation pour la gloire, votre désir de vous
surpasser mutuellement en richesses et en enfants, tout
cela ressemble à la jiluie. La plante qu'elle fait éclore ré-
jouissait l'œil du cultivateur. Un vent brûlant l'a des.séchée ;
elle jaunit, et devient une paille aride. Mais les peines de
la vie future seront terribles.
FoiT.ATi; i.vii, verset 10.
Par les mcssogersqui se suivent,
i'ar les tempêtes affreuses.
Parles vents qui amènent la fécondité.
Par les versets du Coran,
Par les anges qui portent des avertissements,
L\ VIE FlTUr.F. r.ii
Les peines qu'on vous annonce viendront infaillible-
ment.
SoiT.ATE Lxxvji. versets 1 à 0.
Par le soleil au plus haut de son cours,
Par les (éiièbres de la nuit,
Le Seigneur ne t'a point abandonné ; tu n'es point l'objet
de sa haine.
La vie future vaut mieux pour toi que la vie présente.
SoriiATE xciii, versets i à 4.
La récompense des croyants est enlre les mains de Dieu;
il leur donnera les jardins dTden,où coulent des fleuves,
séjour d'un bonheur éternel.
11 mit en eux ses complaisances; ils placèrent en lui leur
amour. La félicité'sera le partage de ceux qui le craignent.
SoL'R.vTE xxviii; versets 7 et 8.
Lorsque la terre éprouvera le tremblement terrible qui
lui est réservé,
Quand elle aura secoué tous ses fardeaux,
L'homme dira : <f Quel spectacle ! «
En ce jour, la terre racontera ce qu'elle sait,
Parce que Dieu \c lui commandera.
Les honmies alors s'avancerontpar troupes, pour rendre
compte de leurs œuvres.
Celui qui aura fait le bien de la valeur d'un atome le
verra ;
Celui qui aura fait le mal de la valeur d'un atome ne le
verra pas moins.
SOUBATE XCIX.
J'enjure par les courtiers haletants,
Par les coursiers qui, frappant la terre du pied, font
jaillir des étincelles ;
ôi2 EXTRAITS DU CdUAN,
Par les coui'i^iers qui s'exercenl le malin,
Qui font voler la poussière sous leurs pas raj)ides,
Qui traversent les bataillons ennemis,
Oui, riiomme est ingrat envers le Seigneur.
11 est lui-même témoin de sa propre ingratitude;
La soif de l'argent le dévore.
Quand on viendra réveiller les moits dans leurs tom-
beaux,
Et qu'on dévoilera ce qui est caché dans les cœurs,
L'homme ignore-t-il que Dieu alors connaili'a parfaite-
ment toutes nos actions?
SoLUlATi; c.
LA PRIERE ET L'AUMONE
faites la 'prière, donnez l'auniôiie ; le bien que vous
ferez, vous le trouverez auprès de Dieu, parce qu'il voit vos
actions.
Sourate ii, verset 104.
Il ne suffit pas, pour être justifié, de tourner son visage
vers l'orient et l'occident; il faut en outre croire à Dieu,
au jour dernier, aux anges, au Coran, aux prophètes. Il
faut pour l'amour de Dieu secourir ses proches, les orphe-
lins, les pauvres, les voyageurs, les captifs et ceux qui de-
mandent. Il faut faire la prière, garder sa promesse, sup-
porter patiemment l'adversité et les maux de la guerre.
Tels sont les devoirs des vrais croyants.
SoiT.Mi; II, verset t7'2.
Accomplissez exactement la prière, surtout celle de midi.
Levez-vous, et priez avec dévotion.
Si vous êtes dans j.i crainte, faites la prière en marchant
ou à cheval. Lorsque vous êtes en sûreté, rappelez-vous les
grâces du ciel ; songez qu'il vous a enseigné la doctrine que
vous ignoriez.
SoLUATh II, versets 250 et 2i0.
18
514 EXTRAITS DU CORAN.
0 croyants, donnez l'aumône sur les biens que nous
vous avons départis, avant le jour où Ton ne pourra plus
acquérir, où il n'y aura plus d'amitié ni d'intercession. Les
infidèles sont voués à l'iniquité.
SoLT.ATE 11, verset 2.')5.
Inc. parole honnête et le pardon des offenses sont préfé-
rables à l'aumône qu'aurait suivie l'injustice. Dieu est riche
et clément.
SoiT.ATE II, verset 2G'>.
0 croyants, n'annulez point le mérite de vos aumônes
par les reproches ou les mauvais procédés. Celui qui fait
l'aumône par ostentation et qui ne croit pas en Dieu et au
jour dernier, est semblable à un rocher couvert d'un peu
de terre; une pluie abondante survient, et ne laisse plus
qu'une pierre. De telles actions n'auront aucun mérite aux
yeux de l'Éternel, parce qu'il ne dirige point les infidèles.
ScLRATE u, verset 206.
Ceux qui n'usent de leurs richesses que pour plaire à
Dieu, et qui sont constants dans l'accomplissement des
vertus, ressemblent à un jardin placé sur une colline. Une
pluie favorable et la rosée fécondenl la terre, et font croître
ses productions en abondance. Dieu voit vos actions.
Soir.ATE II, verset 267.
0 croyants, faites l'aumône des biens les meilleurs que
vous avez acquis et des fruits que pour vous nous faisons
sortir de la terre. Ne choisissez point ce que vous avez de
plus mauvais et de plus vil pour le donner.
-N'offrez point ce que vous ne voudriez point recevoir, à
moins que ce ne soit par une convention parlicidière. Sachez
que Dieu est riche et comblé de gloire.
C'est Salan (jui vous met divarU les yeux la menace de la
LA PRIÈRE ET LAUMONE ^15
pauvreté ; il vous commande la faute ; mais le Seigneur vous
promet le pardon et l'abondance. Il est savant et infini.
SoiRATE ir, versets 2G0 à 27 1 .
L'aumône que vous ferez et le vœu que vous aurez formé
sont connus du ciel, La réprobation ne sera point le partage
des bienfaisants. 11 est bien de faire de bonnes œuvres au
grand jour; il est mieux encore de les cacber et de les
verser dans le sein des pauvres. Elles effacent les pécbés,
parce que le Ïrès-Hant est le témoin des actions de l'bomme,
SoLiiATE II, verset 275.
Faites l'aumône le jour et la nuit, en public et en secret.
Vous en recevrez le prix des mains de l'Éternel, et vous
serez à l'abri des frayeurs et des tourments.
Sourate ii, verset 27.").
Si voire débiteur a de la peine à vous payer, donnez-lui
du temps; ou, si vous voulez mieux faiie, remettez-lui sa
dette. Si vous saviez!
SocRATE II, verset 280.
Vous ne serez justifié» que quanti vous aurez fait l'aumône
de ce que vous avez de plus clier. Tout ce que vous don-
nerez sera coîuui de Dieu.
SoiRATE III, verset 80.
Entreliens dans ton cœur le souvenir de Dieu. Prie-le
avec crainte, avec humilité, et sans l'ostentation des paroles.
Remplis ce devoir soir et matin.
Les anges qui sont en la présence du Très-Haut, loin
de refuser orgueilleusement d'obéir à ses lois, le louent et
l'adorent sans cesse.
SniT.ATF. VII. versets 20i et 205.
Ô16 EXTRAITS DU CORAÎî.
Les aumônes doivent être employées pour le soulagement
(les pauvres, des indigents, de ceux qui les recueillent, et de
ceux qui sont résignés à la volonté de Dieu, pour la rédemp-
tion des captifs, pour secourir ceux qui sont chargés de
dettes, pour les voyageurs et pour le soutien de la guerre
sainte. Telle est la distribution prescrite par le Seigneur; il
est savant et sage.
Sol'ratf. IX, verset 60.
Commande la prière à ta famille. Fais-la avec persévé-
rance. Nous n'ignorons pas que tu amasses des trésors.
Nous fournirons à tes besoins ; la piété aura sa récompense.
SocBATE XV, verset 132.
Publiez les louanges du Seigneur le soir et le matin.
On le loue dans les cieux et sur la terre au coucher du
soleil et à midi.
Sourate xxx, versets 10 et 17.
Lorsque le malheur atteint l'homme, il élève vers Dieu
sa voix suppliante ; à peine est-il soulagé qu'il oublie le
bienfaiteur et offre à des idoles un encens coupable. Annonce
à l'ingrat qu'il jouira peu de son infidélité, et que l'enfer
sera son partage.
En serait-il de même de l'homme pieux qui, dans l'ombre
(le la luiit, adore le Seigneur, debout ou par terre, qui craint
le jugement et espère la miséricorde divine. Dis : a Le sage
et l'insensé peuvent-ils être comparés? » Ceux qui ont un
cœur sentent la différence.
SounAiE XXXIX, versets 11 et 12.
Les biens terrestres sont i)assagers; les trésors du ciel
sont plus précieux et plus durables. Dieu les destine aux
croyants qui ont mis en lui leur confiance ;
LA PRIERE ET L'AUMONE. 517
A ceux qui évitent l'iniquité et le crime, et qui font taire
leur colère pour pardonner ;
A ceux qui soumis à Dieu font la prière, règlent leurs ac-
tions par la prudence, et versent dans le sein de l'indigent
une portion de leurs richesses ;
A ceux même qui repoussent l'injustice quand elle les
attaque.
La vengeance doit être proportionnée à l'injure ; mais
l'homme généreux qui pardonne a la récompense assurée
auprès de Dieu, qui hait la violence.
Sourate xui, vei^sets 54 à 58
0 croyants, lorsque vous êtes appelés à la prière du ven-
dredi, empressez-vous d'aller rendre vos hommages au
Tout-Puissant. Que rien ne vous arrête ; votre zèle aura sa
récompense. Si vous sa^^ez !
SoDRATE i.xii. verset 0.
Craignez Dieu de toute l'étendue de votre cœur; écoutez,
ohéi?sez. Donnez une partie de vos biens pour sauver votre
âme. Celui qui se sera conservé exempt d'avarice jouira de
la félicité.
Sourate lxiv, verset 10.
Que le riche proportionne ses largesses à son opulence,
et le pauvre à ses facultés. Dieu n'oblige personne à faire
plus qu'il ne peut. A la pauvreté, il fera succéder l'aisance.
Sourate l\v, verset 7,
18.
LA KIBLAH ET LE HAP.AM
L'insensé demandera: « Pourquoi Mahomet a-t-il changé
le lieu vers lequel on adressait sa prière? » Réponds : « L'o-
rient et l'occident appartiennent au Seigneur. Il conduit
ceux qu'il veut dans le dioit chemin. »
Nous vous avons établis, ô peuple d'élus, pour rendre
témoignage contre le reste des nalions, comme votre apôtre
rendra témoignage contre vous.
Nous avons changé le lieu vers lequel vous priez, afin de
distinguer ceux qui suivent l'envoyé de Dieu de ceux qui
retournent à rinfidélité. Ce changement n'est pénil)le que
pour celui que n'éclaire point la lumière divine. Le Seigneur
ne laissera point votre foi sans récompense ; il est clément
et miséricordieux.
Déjà nous le voyons lever les yeux vers le ciel. Nous vou-
lons que le lieu où tu adresses ta prière te soit agréable.
Tourne ton front vers le temple Haram. En quelque lieu
que lu sois, poite tes regards sur ce sanctuaire auguste.
Les juifs et les chrétiens savent que cette manière de prier,
venue du ciel, est la véritable. L'Lteniel a l'œil ouvert sur
leurs actions.
Tous les peuples ont un lieu vers bvinel ils adressent
i
I.A KIBI.AII. 519
leurs prières. Appliquez-vous à faire ce qui est mieux par-
tout où vous serez. Dieu vous rassemblera tous un jour.
Rien ne borne sa pui.ssance.
De quelque lieu que lu sortes, tourne ta face veis le
temple Haram '. Ce précepte est émané de la vérité de Dieu,
qui pèse les actions des hommes.
De quelque lieu que tu sortes, tourne (a face vers le
temple Haram. En quelque lieu que tu sois, porte tes re-
gards vers ce sanc'uaire auguste , afin que les peuples
n'aient pas sujet de taccuser. Les méchants seuls l'oseront;
ne les crains point. .Mais crains-moi, afin que je te comble
de faveurs et que je sois to!i guide.
SoiRATE !i, \crsets lôG et snivants.-
' Pour la Kililali et le Horam, voir plus haut, paires 1 1.") et lôG.
LA MECQUE
Nous avons établi la Maison sainte pour être l'asile où se
réuniront les peuples. La demeure d'Abraham sera un lieu
de prière. Nous avons fait un pacte avec Abraham et Ismaël.
Purifiez mon temple des idoles qui l'environnent, de celles
qui sont renfermées dans son enceinte, et de leurs ado-
rateurs.
Abraham adressa cette prière à Dieu : « Seigneur, établis
dans ce pays une foi durable. Comble de tes fa\eurs le
peuple qui croira à ton unité et au jour dernier. — J'éten-
drai mes dons, l'épondit le Seigneur, jusque sur les inli-
déles ; mais ils en jouiront peu de temps. Ils seront con-
damnés aux flammes, et leur fin sera déplorable. »
Lorsque Abraham et Ismaël jetèrent les fondements de ce
temple, les yeux élevés au ciel, ils s'écrièrent : « 0 Dieu,
intelligence suprême, daigne recevoir cette sainte ile-
meure !
« Fais que nous soyons de vrais musulmans ; fais que notre .
postérité soit attachée à Ion culte. Enseigne-nous nos de-
voirs sacrés; daigne tourner tes regards veis nous. Tu es
clément et miséricordieux. »
Sourate ii, versets 110 à 122.
SaPn et Merva sont des monuments de Dieu. Celui qui
LA MECQUE. 321
aura fait le pêlorinage de la Mecque et aura visité la Maison
sainte sera exempt d'offrir une victime d'expiatioji, pourvu
qu'il fasse le tour de ces deux montagnes. Celui qui fera
plus que le précepte éprouvera la reconnaissance du Sei-
gneur.
Sourate ii. verset 153.
Le pèlerinage se fera dans les mois prescrits. Celui qui
l'entreprendra doit s'abstenir des femmes, de tout délit et
de toute rixe. Le bien que vous ferez sera connu de Dieu.
Prenez des provisions pour le voyage; mais la meilleure
est la piété. Craignez-moi, vous qui avez un cœur et du
sens.
Sourate ii, verset 195.
Le premier temple qui fut consacré à Dieu est celui de
la Mecque (Becca), temple béni, séjour où brille la vraie
lumière.
Ce lieu saint est fécond en merveilles. C'est là qu'Abraham
s'arrêta. Il est devenu l'asile inviolable des peuples. Tous
les hommes qui peuvent en faire le pèlerinage doivent y
venir rendre hommage à l'Éternel.
Sourate m, vei'sets 90 et 91.
Dieu a rétabli la Caaba,pour être la station des hommes;
il a institué les mois sacrés, les victimes et leurs orne-
ments, pour que vous sachiez qu'il connaît ce qui est dans
les cieux et sur la terre et que sa science est infinie. Sou-
venez-vous que la vengeance est dans ses mains, mais
qu'il est indulgent et miséricordieux.
Sourate v, verset 98.
Les infidèles qui écarteront les croyants du sentier de
Dieu et du temple saint, que tous les hommes, soit étran-
gers, soit habitants de la Mecque, doivent visiter,
322 EXTRAITS DU COP.A>'.
Et ceux qui voudraient le profaner, éprouveront la ri-
gueur de nos châtiments.
Lorsque nous donnâmes à Abraham l'emplacement du
temple de la Mecque pour asile, nous lui recommandâmes
de ne point y souffrir d'idole, et de le purifier pour les
fidèles qui feront le tour de son enceinte, qui y prieront et
qui se courberont devant le Seigneur.
SovnATE XXII, versets 2.") et 27,
Ils ont été chassés de leurs maisons, parce qu'ils ont pro-
fessé la foi. Si Dieu n'eût opposé une partie des honnnes à
l'autre, les monastères, les églises des chrétiens, les sy-
nagogues et le temple de la Mecque auraient été détruits.
C'est dans ces lieuv saints qu'on célèbre les louanges du
Très-Haut. H aidera ceux qui cond)attronl pour la foi, parce
qu'il est fort et puissant.
SoritATE XXII, verset 41.
L ISLAMISME
0 croyar.is, ayez de Kicn une juste crainle, et vous
mourrez fidèles.
. Emljrassez la religion divine dans toute soiiêlcnduc. Ne
formez point de schisme. .Souvenez-vous des faveurs dont
le ciel vous a comblés. Vous éliez ennemis ; il a mis la con-
corde dans vos cœurs; vous êtes devenus frères. Rendez-en
grâces à sa bonté.
Vous étiez sur le bord de labîme du feu ; il vous en a
arrachés. C'est ainsi quil fait éclater sa misèiicorde pour
vous, afin que vous marchiez dans la voie du saUil.
SoiRATE iii, Ycricls 1*7 à 90.
Ceux qui blasphèment < outre l'islamisme recevront la
peine de leur impiété.
^oiT.iTE VI, verset 49.
L'orgueilleux qui s'écarlera de l'islainisine, et qui en
niera la vérité, sera dévoué aux flammes élernelles.
Soii ATE VII, vorscl 5i.
L'incrédule qui refuse de croire à l'islamisme est plu.s
vi! quela brute aux yeux deriàcrnel.
SfoiBAiE Mil, verset -j/i
524 EXTRAITS DU CORAN.
Celui dont Dieu dilate le cœur en y faisant germer l'isla-
misme suit le flambeau de la foi. Malheur à ceux qui, en-
dormis dans le crime, rejettent les préceptes divins ! Ils
sont plongés dans l'aveuglement.
SocRATE xsxix, verset 23.
Dieu vous a fait une loi de son culte sacré, de ce culte
qu'il prescrivit à >'oé, qu'il t'a révélé, qu'il a recommandé
à Abraham, à Moïse, à Jésus. Embrassez l'islamisme.
Qu'aucun schisme ne vous divise. Dieu punira rigoureuse-
ment l'idolâtrie.
Ta voix appelle les hommes à l'islamisme. Dieu choisit
ceux qu'il veut. Il éclairera ceux qui se convertiront à lui.
SocRATE xLii, versets 11 et 12.
Ils te rendent grâces d'avoir embrassé l'islamisme. Ré-
ponds-leur : « Cette religion ne vient pas de moi; elle est
un don du ciel. L'islamisme vous conduira si vos cœurs
sont sincères. »
SoLRATE SLIX. VCrSCt 17.
0 croyants, le Seigneur vous a envoyé l'islamisme, et le
prophète pour vous l'enseigner. Il fera sortir des ténèbres
et conduira au llambeau de la foi les fidèles qui auront
pratiqué la verlu. Introduits dans les jardins qu'arrosent
les fleuves, hôtes éternels du séjour des délices, ils jouiront
de tous les biens que le Tout-Puissant a rassemblés pour
les rendre heureux.
SoiT.ATE Lxv, verset 11.
Lor.sque Dieu enverra son secours et la victoire.
Vous verrez les hommes embrasser à lenvi l'islamisnie.
Exalte le nom du Seigneur; implore sa clémence; il est
miséricorilieux.
SulIUTE ex.
L'AME
Ils t'interrogeront sur râiiic. Dis-leur : « Dieu seu est
léservé l;i connaisstince ; il nous a laissé bien peu de lu-
mières. >»
Soikate XVII, verset 87.
iMeu a donné la perleclion à toutes ses créatures. Il a
formé d'abord Thonmie d'argile.
Il a complété son ouvrage en lui soufflant une portion
de son esprit. Il vous a donné l'ouïe, la vue et une àine
sensible. Combien peu d'hommes reconnaissent ses bien-
faits !
Sourate xxxii, versets 6 et 8.
Lorsque les deux se briseront,
Que les étoiles seront dispersées,
Quand les mers confondront leurs eaux,
Et que les sépulcres seront renversés.
L'âme alors verra le tableau de sa vie entière.
Soi luTK i.xxxii, veisets 1 à 5,
Par le soleil et ses feux élincelants,
Par la lune, quand elle le suit,
l'ar le jour, quand il se fait voir dans tout son édaf,
10
ôiè tXTUAlTS DU CURAN.
Parla nuit qui couvre son front limiiueux,
Par le ciel et son architecte,
Par la terre et celui qui l'a étendue,
Par l'àme et celui qui l'a perfectionnée,
Et qui lui a donné le penchant au bien et au mal ;
L'homme qui a purifié son âme jouit déjà de la félicité ,
L'homme qui l'a souillée est déjà la victime du malheur,
Sourate xci. versets 1 el 10.
Bien apprit à Phomme à se servir de la plume ;
Il a mis dans son âme un rayon de la science.
SoLhATi; xcvi, versets 4 et o.
SI-
PROTECTION DES ENFANTS
Pour cimenter leur culte et attirer leurs semblables
dans i'abime, ils se sont fait un mérite de massacrer leurs
enfants. Si le Très-Haut eût voulu, il aurait empêché celle
barbarie. Fuis-les, eux et leurs blasphèmes.
L'abîme a englouti ceux qui, dans leur aveugle igno-
rance, immolaient leurs enfants, et qui, appuyés sur le
mensonge, interdisaient les aliments que Dieu a permis. Ils
se sont perdus et n'ont point connu la lumière.
Sourate vi, versets 158 et 1 H.
Dis-leur : « Venez entendre les commandements du ciel.
Ne donnez point d'égal à Dieu. Soyez l)ienfaisants envers vos
proches. Ne tuez point vos enfants, par crainte de la pau-
vrelè. Nous vous donnerons de la nourriture pour vous et
pour eux. Évitez ce crime en public et en secret. Ne mettez
point votre semblable à mort, si ce n'est en justice. Le Sei-
gneur vous en fait la défense expresse. Tels sont les pré-
ceptes que Dieu vous a donnés, afin de vous rendre sages. »
Soui\ATE VI, verseï 152.
Que la crainte de l'indigence ne vous fasse point tuer
vos enfants. .Nous fournirons à leurs besoins et aux vôtres ^
Cette action est un attentat horrible.
SoiuAir. XVII, vei'scl 33.
i!
TEMPÉRANCE
0 croyant:^, le vin, les jeux de hasard, les statues et le
sort des flèches sont des abominations inventées par Satan.
Abstenez-vous-en, de peur que vous ne deveniez pervers.
Le démon se servirait du vin et du jeu pour allumer
parmi vous le fei\ des dissensions et vous détourner de la
pensée de Dieu et de la prière. Voudriez-vous devenir pré-
varicatevu's? Obéissez à Dieu, à son apôtre, et craignez. Si
vous êtes rebelles, sachez que le prophète n'est chargé que
de vous annoncer la vérité
Sourate v, versets *J2 et 03.
31^
TOLÉRANCE
Cortainement Ifis musulmans, les juifs, les chrétions c\
les sabéens, qui croiront en Dieu et au jugement dernier, et
qui feront le bien , en recevront la récompense de ses
mains ; ils seront exempts de la crainte et des supplices.
Sourate ii, verset 50; et Soi:kate v, verset 73.
Les juifs as>urent que la croyance des chrétiens n'est
appuyée sur aucun fondement ; les chrétiens leur font la
même objection. Cependant les uns et les autres ont lu les
livres sacrés. Les gentils, qui ignorent leurs débats, tien-
nent à leur égard le même langage. L'Éternel, au jour der-
nier, jugera leurs différends.
SoDRATE II, verset 107.
Combattez vos ennemis dans la guerre entreprise pour la
religion ; mais n'attaquez pas les prenn'ers ; Dieu hait les
aggresseurs.
Sori;ATE II, verset 18().
Combattez vos ennemis jusqu'à ce que vous n'ayez plus à
craindre la tentation, et que le culte du Dieu unique soit
établi. Que toute inimitié cesse contre ceux qui auront
JÔO EXTRAITS Di' CORAN.
abandonné les idoles ; votre haine ne doit s'allumer que
contre les pervers.
SoDRATF. II, verset 189.
Ne faites point de violence aux hommes à cause de leur
foi. La voie du salut est assez distincte du chemin de Ter-
reur. Celui qui abjurera le culte des idoles pour la rehgion
sainte aura saisi une colonne inébranlable. Le Seigneur sait
et entend tout.
Sourate ii, verset 257.
Dis à ceux qui disputeront avec toi : « J'ai livré mon
cœur à Dieu ; ceux qui partagent ma croyance ont imité
mon exemple. j>
Dis à ceux qui ont reçu les Écritures et aux aveugles :
« Embrassez l'Islamisme, et vous serez éclairés. » S'ils sont
rebelles, tu n'es chargé que de la prédication. Dieu sait
distinguer ses serviteurs.
SoiRATE III, versets 18 et 10.
Dis aux juifs et aux chrétiens : « Terminons nos diffé-
l'ends ; n'adorons qu'un Dieu, et ne lui donnons pas d'égal ;
qu'aucun de nous n'ait dautre Seigneur que lui. » S'ils re-
fusent d'obéir, dis-leur : « Vous rendrez du moins témoi-
gnage que, quant à nous, nous sommes croyants. »
SorRATE III, verset 57.
Parmi les juifs et les chrétiens, ceux qui croient à Dieu,
aux Écritures qui ont été envoyées à eux et à nous, et qui se
soumettent à la volonté du ciel, ceux-là ne vendent point
sa doctrine pour un vil intérêt.
Ils trouveront leur récomi>eiise auprès de l'Éternel, qui
est exact à peser les actions des hommes.
SoiRATE m, versets 198 et 199.
TOLÉRANCE. 531
Los chrétiens seront jugés d'après l'Évangile ; ceux qui
les jugeront autrement seront prévaricateurs.
Sourate y, verset 51.
Dieu pouvait vous réunir tous sous une même religion. Il
a voulu éprouver si vous seriez fidèles à ses divers comman-
dements. Efforcez-vous de faire le bien ; vous retournerez à
lui, et il vous montrera en quoi vous avez erré.
SoDRATE V, verset 55.
Si les juifs avaient la foi et la crainte du Seigneur, nous
effacerions leurs péchés; nous les introduirions dans les jar-
dins de délices. L'observation du Pentateuque, de l'Évan-
gile et des préceptes divins leur procurerait la jouissance
de tous les biens. 11 en est parmi eux qui marchent dans la
bonne voie ; mais la plupart sont impies.
Sourate v, verset 70
Le ministère du prophète se borne à la prédication. Dieu
sait ce que vous manifestez et ce que vous cachez dans vos
cœurs.
Sourate v, verset 09.
Ne repousse point ceux qui invoquentle Seigneur le matin
et le soir, et qui désirent attirer ses regards. Ce n'est point
à toi de juger de leur intention; ils ne doivent point juger
de la tienne. Ce serait une injustice de les rebuter.
Sourate vi, verset 52.
Ne traite pas leurs idoles ignominieusement, de peur
qu'ils ne s'en prennent à Dieu dans leur ignorance. Nous
montrons aux hommes leurs devoirs ; ils paraîtront devant
l'Éteiiicl, qui leur présentera le tableau de leurs œuvres.
SornxTF VI, verset 108.
55-2 EXTRAITS DU CORAN.
Ne dispuiez avec les juifs elles chrétiens qu'on termes
honnêtes et modérés. Confondez ceux d'entre eux qui sont
impies. Dites : « Nous croyons au livre qui nous a été en-
voyé et à vos Écritures. Notre Dieu et le vôtre ne font qu'un.
Nous sommes musulmans. »
Sourate xxix, verset 45.
Nous donnâmes le Pentateuqiic à Moïse. C'est à sa lumière
que doit marcher le peuple hébreu. Ne doute pas de rencon-
trer au ciel le guide des Israélites.
Nous leur avons accordé des pontifes pour les conduire
suivant nos ordres, après qu'ils auront souffert avec cons-
tance et qu'ils auront embrassé notre religion.
Sourate xxxii, versets 25 et 24.
Dis : (( Dieu suprême, créateur des cieux et de la terre,
toi dont l'œil perce dans l'ombre du mystère, toi pour qui
tout est dévoilé, tu jugeras les différends des faibles hu-
mains. ))
Sourate xxxix, verset 47.
Invite les juifs et les chrétiens à embrasser l'islamisme.
Observe la justice, qui t'a été connnandée. Ne condescends
l)as à leurs désirs, et dis : « Je crois aux livres sacrés. Le
ciel m'a ordonné de vous juger équitablement. Nous ado-
rons le même Dieu. Nous avons nos œuvres, et vous les
vôtres. Que la paix règne parmi nous. L'Éternel prononcera
sur notre sort ; il est le terme d(» toutes choses. '»
Sourate xui, verset li.
Dis-leur: c Si Dieu avait un fils, je serais le premier à
l'adorer. »
Soir Vît xi.iii, verset SI.
TOLÉRANCE. 37.5
Exhorte les croyants à pardonner aux incrédules. Dieu
rendra à chacun suivant ses œuvres.
SoL'RAïE XLv. verset \~>.
Nous connaissons h^s discours des infidèles. N'use point
de violence pour leur faire embrasser l'islamisme.
Soi'RATE L, verset 4i.
Obéissez à Dieu et à son prophète. Si vous êtes rebelles,
son ministère se borne à vous i^rêcher la vérité.
SoLiiATE Lxiv. verset 12
19.
LES PROPHÈTES
Nous avons donné le Pentateuque à Moïse ; nous l'avons
fait suivre par les envoyés du Seigneur. Nous avons accordé
à Jésus, fds de Marie, la puissance des miracles; nous
l'avons fortifié par l'esprit de sainteté.
Sourate ii, verset 81.
Nous élevâmes les prophètes les uns au-dessus des autres.
Dieu fit entendre sa voix à celui-ci; il favorisa ceux-là de
dons particuliers. Nous accordâmes à Jésus, fils de Marie,
le pouvoir des miracles; nous le fortifiâmes par l'esprit de
sainteté. Si Dieu eût voulu, ceux qui sont venus après ses
ministres n'eussent point disputé. L'esprit de discussion s'est
emparé d'eux, lorsqu'ils ont vu la vérité ; une partie a cru,
une partie a été infidèle. Dieu pouvait à son gré prévenir
leurs divisions ; mais il fait ce qu'il lui plaît.
Souhate h. verset 25 i.
L'auge dit à Marie : « Dieu t'a choisie; il t'a purifiée; lu
es élue entre toutes les fenmies.
« Sois dévouée au Seigneur ; adore-le ; prosterne-toi de-
vant lui, avec ses serviteurs. »
Nous te révélons ces mystères, ô Mahomet. Tu n'étais
LES l'ROI'IIETRS. 535
point présent lorsqu'ils tirèrent au sort avec leurs bâtons
pour savoir qui d'entre eux aurait soin de Marie; tu ne fus
pas témoin de leurs disputes.
L'ange dit à Marie : « Dieu t'annonce son Verbe ; il se
nommera Jésus, le Messie, fils de Marie, grand dans ce
monde et dans l'autre, le confident du Très-Haut.
« Il fera entendre sa parole aux hommes depuis le ber-
ceau jusqu'à l'âge mûr, et il sera au nombre des justes.
« Seigneur, répondit Marie, comment aurais-je un fils?
Aucun homme ne s'est approché de moi ? — II en sera
ainsi, répondit l'ange ; Dieu forme des créatures à son gré.
Veut-il qu'une chose existe, il dit: « Sois faite, » et elle
est faite.
« Il lui enseignera l'Écriture et la sagesse, le Pentateu-
que et l'Évangile. Jésus sera envoyé auprès des enfants
d'Israël. Il leur dira: « Les prodiges divins vous atteste-
« ront ma mission. Je formerai de boue la figure d'un
« oiseau ; je soufflerai dessus; elle s'animera à l'instant,
« par la volonté de Dieu. Je guérirai les aveugles de nais-
« sauce et les lépreux. Je ferai revivre les morts, par
« la permission de Dieu. Je vous dirai ce que vous aurez
« mangé et ce que vous aurez caché dans vos maisons.
« Tous ces faits seront des signes pour vous, si vous êtes
« croyants.
« Je viens vous confirmer le Pentateuque, ([ue vous avez
« reçu avant moi, et vous rendre permise cette partie de la
« Loi qui vous avait été défendue. Dieu m'a doimè la puis-
« sance des miracles. Craignez-le, et obéissez-moi. Il est
« mon Seigneur et le vôtre. Servez-le, c'est le chemin du
« salut. »
Jésus, ayant connu la perfidie des juifs, s'écria : « Qui
m'aideia à étendre la religion divine? — Nous serons les
ministres du Seigneur, répondirent les apôtres ; nous
croyons en lui, el vous rendrez témoignage de noire foi.
536 LX.Tr.AlTS M CÙl'.AN.
« Seigneur, nous croyons au livre que tu as envoyé ; nous
suivons ton apôtre ; inscris-nous au nombre de ceux qui te
rendent témoignage. »
SoL'BATE in, versets 57 à 4G.
Abraham n'était ni juif ni chrétien. Il était orthodoxe,
musulman, adorateur d'un seul Dieu.
Ceux qui professent la religion d'Abraham suivent ses
traces de plus près. Tel est le prophète et tels sont ses dis-
ciples. Dieu est le chef des croyants.
SoDRATE m. versets CO et 61.
Demanderont-ils une autre religion que celle de Dieu?
Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre lui rend un
hommage volontaire ou forcé. Vous reparaîtrez tous devant
lui. Dis : « Nous croyons à Dieu, à ce qu'il nous a envoyé, à
ce qu'il a révélé à Abraham, Ismaël, Isaac, Jacob et aux
douze tribus. Nous croyons aux livres saints que Moise,
Jésus et les prophètes ont reçus du ciel. Nous ne mettons
aucune différence entre eux. Nous sonnnes musulmans. »
SoLHATE III, vei"sets 77 el 78.
Les juifs n'ont point cru à Jésus, et ils ont inventé contre
Marie une calomnie atroce.
Ils ont dit : « Nous avons fait mourir Jésus, le Messie, fils
de Marie, envoyé de Dieu. » Non ; ils ne l'ont pas mis à
mort ; ils ne l'ont pas crucifié. Un homme qui lui ressem-
blait fut mis à sa place. Ceux qui disputent à ce sujet
n'ont que des doutes ; car la vraie science ne les éclaire
point; c'est une erreur qu'ils adoptent. Non, les juifs
n'ont pas fait moiu'ir Jésus. Dieu Ta élevé à lui, parce qu'il
est puissant et sage.
Tous les juifs et les chrétiens croiront en kii a\unl leur
I,ES PROPHÈTES. 7.57
mort ; et au jour de la résurrection, il viendra témoigner
contre eux.
SoLiiATE IV, versets 155 à 157.
Ceux qui disent que le fils de Marie est Dieu sont inti-
dèles. Réponds-leur : « Qui pourrait arrêter le bras du
Tout-Puissant, s'il voulait perdre le Messie, fils de Marie,
sa mère et tous les êtres créés? »
SiuRATE V, verset l'J.
Nous avons envoyé le Pentateuque pour diriger et éclai-
rer les hommes. Les prophètes qui suivaient l'islamisme
s'en servirent pour juger les juifs. Les pontifes et les doc-
teurs guidèrent, par ses lois, le peuple confié à leur
garde...
Après les prophètes, nous avons envoyé Jésus, fils de
Marie, pour confirmer le Pentateuque. Nous lui avons
donné l'Évangile, qui est le flaml)eau de la foi, et qui met
le s(;eau à la vérité des anciennes Écritures. Ce livre instiiiit
et éclaire ceux qui craignent le Seignciii'.
Sourate v, versets 48 et 50.
V.n jour Dieu rassemblera les prophètes, et leur deman-
dera ce que les peuples ont répondu à leurs exhortations :
« Seigneur, diront les prophètes, la science n'est point
notre partage; toi seul connais les choses seci'ètes. »
Dieu dira à Jésus, fils de Marie : « Souviens-toi des
grâces que j'ai répandues sur loi et sur celle qui t'a en-
fanté ; je l'ai fortifié dans I l'sprit de sainteté, afin que lu
instruisisses les honnnes depuis Ion berceau jusqu'à ton
âge mûr.
« Je t'ai enseigné l'Lcrilure, la sagesse, le Pentateuque et
l'Évangile. Tu formas de boue la figuie d'un oiseau, et ton
siiullle l'anima par ma permission; tu guéris, en mon nom,
un aveugle de naissance et un lépreux. Tu fis sortir les
".8 EXTRAITS Dl' CORAN.
iiiorls de leurs tombeaux ; je détournai de loi les mains dos
juifs. Au milieu des miracles que lu faisais éclater à leurs
yeux, ils s'écriaient : « Tout cela n'est que prestige. »
« J'inspirai aux apôtres de croire en moi et en Jésus,
mon envoyé, et ils dirent : « Nous croyons ; rends témoi-
gnage de notre foi. »
« 0 Jésus, fils de Marie, dirent les apôtres, ton Dieu
peut-il nous faire descendre du ciel une table préparée? »
— « Craignez le Seigneur, répondit Jésus, si vous êtes
fidèles. »
« IVous désirons, ajoutèrent-ils, nous y asseoir et y man-
ger. Alors nos cœurs seront tranquilles ; nous saurons
que tu nous as prêché la vérité, et nous rendrons témoi-
gnage. »
Jésus, fils de Marie, adressa au ciel celte prière : « Sei-
gneur, fais-nous descendre une table du ciel. Qu'elle soit
une fête pour le premier et le dernier d'entre nous, et un
signe de ta puissance, \ourris-nous ; tu es le plus libéral
des bienfaiteurs. »
Le Seigneur exauça sa prière et dit : « Celui qui, après
cette merveille, sera incrédule subira le supplice le plus
terrible qu'éprouva jamais aucune créature. »
Di<'n ayant demandé à Jésus, fils de Marie, s'il avait
commandé aux hommes de l'adorer, lui et sa mère, comme
des dieux : « Seigneur, répondit-il, leur aurais-je ordonné
un sacrilège? Si j'en étais coupable, ne le samais-tu pas?
Tu connais ce qui est dans mon cœur, et j'ignore ce que
voile la Majesté suprême.
« La connaissance des mystères n'appartient qu'au Très-
Haut.
H Je ne leur ai fait entendre ma voix que pour leur an-
noncer tes commandements. Je leur ai dit : Adorez Dieu,
mon Seigneur et le vôtre. J"ai été témoin auprès d'eux,
t.uil que je suis i-esté sm' la terre. Lorscpie la mort est ve-
LES PROPHÈTES. 339
nue par Ion ordre trancher le fil de mes jours, tu as été
leur gardien. Tu es le témoin universel. Si lu les punis, ils
sont tes serviteurs ; si tu leur pardomies, tu es puissant tt
sage. »
SocRATL V, vei-sets 108 à 118.
Nous n'envoyons nos ministres que pour prêcher aux
nations les récompenses et les peines futures. Ceux qui au-
ront la foi et la vertu seront exempts de la crainte et dos
tourments.
SocBATE VI, verset 48.
Nous montrâmes à Abraham le royaume des cieux et de
la terre, afin de rendre sa foi inébranlable.
Lorsque la nuit eut étendit ses ombres, il vit une étoile
et s'écria : a Voilà mon Dieu. » L'étoile ayant disparu, il
reprit : « Je n'adorerai point des dieux qui disparaissent. '
Ayant vu la lune se lever, il dit : « Voilà mon Dieu, o La
lune s'élanl couchée, il ajouta : a Si le Seijiueur ne m'eût
éclairé, je serais dans l'erreur. »
Le soleil ayant paru à l'orient, il s'écria : a Celui-ci est
mon Dieu ; il est plus grand que les autres. » Le soleil
ayant fini sa carrière, il continua : « 0 mon peuple, je ne
participe point au culte de vos divinités.
« J'ai levé mon front ver§ celui qui a formé les cieux et
la terre. J'adore son unilé ; ma main n'offrira point d'en-
cens aux idoles. »
Le peuple ayant disputé avec lui, il dit : « Me conteste-
rez-vous l'unité de Dieu? Il m'a éclairé ; je ne crains pas
ceux que vous lui associez. Le Dieu que je sers fait tout ce
qu'il veut. Sa science embrasse tout l'univers. N'ouvrirez-
vous pas les yeux?
« Comment craindrais-je ceux que vous avez égalés au
Très-Haut? Il ne vous l'a pas permis. l.aquelU' de nos reli-
gions est la véritable? Le savrz-vou ?
54n KXTIiAlTS UV COfiAN.
'( Ceux qui croient et qui ne revêtent point leur foi du
manteau de l'erreur possèdent la paix ; ils marchent dans
la voie du salut. »
Telles sont les preuves de l'unité de Dieu que nous
suggérâmes à Abraham. Le Seigneur fait ce qu'il lui plait ;
il est sage et savjinl.
Sourate vi, versets 75 à 8"».
Nous donnâmes pour enfants à Abraham Isaac et Jacob.
Ils marchèrent au flambeau de la foi. Avant lui, nous avons
l'clairé Xoé Parmi les descendants d'Abraham, nous fa^o
risâmes de notre himière David, Salomon, Job, Joseph,
Moïse et Aaron. C'est ainsi que nous récompensons la vertu.
Zacharie, Jean, Jésus, Élie, furent au nombre des justes.
Nous élevâmes au-dessus de leurs semblables Ismaêl,
Elysée, Jonas et Loth.
Nous guidâme.-? dans le sentier du salut ceux que nous
élevâmes parmi leurs pères, leurs frères et leur postérité.
Telle est la lumière de Dieu ; il s'en sert pour conduire
ses serviteurs. Mais les idolâtres perdent le fruit de leurs
œuvres.
Tels furent ceux à qui nous donnâmes les Écritures, la
sagesse et le don de prophétie. Si leur postérité méprise
ces bienfaits, nous les ferons passer à une nation pins re-
connaissante.
SoDKATK VI, versets 84 à 89.
Tous les prophètes qui l'ont précédé n'étaient que des
hommes à qui nous révélâmes nos volontés. Interrogez
ceux qui ont reçu les Ecritures, si vous l'ignorez.
Des signes et des livres furent les marques de leur mis-
sion. Nous l'avons envoyé le Coran, pour rappeler anx hom-
mes la doctrine (|u'ils ont reçue, et pour qu'ils en gardent
le souvenir.
Sdli.atk \\\, versets 4J et 40.
LES PRUIMIETES. .'41
Célèbre Marie dans le Coran; célèbre le jour où elle
s'éloigna de sa famille du côté de l'orienl.
Elle prit en secret un voile pour se couvrir, et nous lui
envoyâmes Gabriel, notre Esprit, sous la forme humaine.
(I — Le Miséricordieux est mon refuse, s'écria Marie; si
lu le crains... !
« — Je suis l'envoyé de ton Dieu, dit l'ange ; je viens
l'annoncer un fils béni. »
« — D'où me viendra cet enfant? répondit la Vierge ; nul
mortel ne s'est approché de moi et le vice m'est inconnu. »
« — lien sera ainsi, répliqua l'ange. La parole du Très-
Haut en est le garant. Ce miracle lui est facile. Ton fds
sera le prodige et le bonheur de l'univers. Tel est Tordre
du ciel. »
Elle conçut et se retira dans un Heu écarté.
SoLKATE XIX, versets 16 et suivants.
Tels sont, entre les fds d'Adam, de Noé, d'.\braham et
d'Israël, les prophètes que Dieu combla de ses grâces. Il les
choisit parmi ceux qu'il éclaira du flambeau de la foi. Lors-
qu'on leur récitait les merveilles du Miséricordieux, le
front prosterné, les yeux baignés de larmes, ils adoraient
sa majesté suprême.
SoiKATE XIX, verset 59.
Tous les prophètes qui t'ont devancé ont eu cette révé-
lation : « Je suis le Dieu unique. Adorez-moi »
SouBATK XXI, verset 25.
Chante la gloire de Marie, qui conserva sa virginité in-
tacte. Nous soufflâmes sur elle notre Esprit. Elle et son fils
furent l'admiration de l'univers.
SocRATK XXI, verset '.H.
Nous n'avons point envoyé de prophètes que Sal;ui n'ait
mêlé des erreurs dans leur doctrine. Mais Dieu détruit les
542 EXTRAITS DU CORAN.
artifices, et les préceptes divins restent dans leur pureté.
II est savant et sage.
SoDBATE xvn, vei'set 51.
Nous offrîmes Jésus et sa mère à l'admiration du monde.
Nous les avons enlevés dans un séjour qu'habite la paix et
où coule une eau pure.
Sourate xxiii, verset 52.
L'alliance que nous avons contractée avec les prophètes,
avec toi, avec Noé, Abraham, Moïse et Jésus, fils de Marie,
doit être inviolable.
SOCRATE xxxui, Ycrsct 7.
Nous donnâmes à Moïse le Pentateuque. Le peuple Hé-
breu en a hérité. Ce livre, en sa lumière, est le guide des
sages.
Sourate xl, verset 56.
Combien de prophètes ont annoncé nos lois aux peuples!
Aucun d'eux n'évita leurs railleries insultantes.
Nous avons exterminé des nations plus puissantes que
les Mecquois. C'est un exemple qu'ils ont sous les yeux.
Sourate xi.iii, versets 5 à 7.
On a proposé aux idolâtres l'exemple du fils de Marie, et
ils se sont révoltés.
« Vaut-il mieux que nos dieux? » se sont-ils écriés. Ils
ne faisaient cette question qu'à dessein de disputer. L'esprit
de dissension les anime.
Le fils de Marie n'est que le serviteur de Dieu. Le ciel
le combla de ses faveurs et le donna pour modèle aux Hé-
breux.
Sourate xliii, versets 57 à 59.
Lorsque Jésus païul sur la terre au milieu des miracles,
LES PROPHETES. 543
il dit aux hommes : « Je viens vous apporter la sagesse et
vous éclairer sur vos doutes ; craignez Dieu, et suivez ma
doctrine.
« Il est mon Seigneur et le vôtre. Servez-le ; c'est le che-
min du salut. »
La dissension s'éleva parmi les chrétiens; les sectes sq
formèrent. Mais malheur aux méchants; lisseront punis
au jour du jugement.
SoDKATE xLiii, vei'sets 63 à 05.
Nous revêtîmes du ministère d'apôtre Jésus, fils de Ma-
rie; nous lui donnâmes l'Évangile. Nous mîmes dans le
cœur de ses disciples la piété, la miséricorde et le désir de
la vie monastique. Us l'instituèrent pour se rendre agréa-
hles au Seigneur. Nous ne leur en avons point fait un pré-
cepte; ils ne l'ont pas observée dans la plénitude de son
institution. Ceux qui ont été fidèles ont reçu leur récom-
pense ; mais la plupart ont été prévaricateurs.
SoDRATE Lvii, vevsct 27.
a Je suis l'apôtre de Dieu, répétait aux juifs Jésus, fils
de Marie. Je viens confirmer la vérité du Pentateuque, qui
m'a précédé, et vous annoncer l'heureuse arrivée du pro-
phète qui me suivra. Mohammed est son nom. » Jésus
prouva sa mission par des miracles, et les Hébreux s'écriè-
rent : « G est un imposteur. »
Sourate i.xi, ver-^ot fi,
Dieu proposa à l'admiration des hommes Marie, fille
d'Âmram, qui conserva sa virginité. Gabriel lui transmit le
souffle divin. Elle crut à la parole du Seigneur, aux Écri-
tures, et elle fut obéissante.
SoiKATE i.xvi, verset 12.
FIN.
TABLE DES MATIÈRES
PP.EFACK
Des devoirs mlhels de i.a philosophie et de la heligion v
SoMJiAiHE DE l'histoire DE Mahomet, d'après le Sii!at-er-Ra(;oil. . 1
Chapitre I^'. — Aithenticité I'E l'histou.e de Mahomet 15
Renom pllenient de l'iiisloire de Mahomet. — .leaii Gagnier ; travaux
contemporains : MM. Gti>tave Woil, Caussin de Perceval, William
Muir, A. Sprenger; caractère particulier de leurs travaux. — Cer-
titude Jiistorique des origines du mahoinétisme ; sources musul-
manes : le Coran, édition d'Abou-Becr et éditimi déûnitive d'Olh-
màn; rédaction de Zeid. fils de Tliàbit; collections de la Sonna et
des Sljyites, d'après les Hàditlis ou récits des compagnons du pro-
pliéte et de leurs successeurs; biographes mahométans des trois
premiers siècles de l'Hégire : Ibn-Ishàc, Ibu-Hisliàin, Wâckidi et
son secréiaire, Tabari. — Haute valeur de ces biographies ; analyse
du Sirat-er-Raçoul ou Vie du prophète, par Ibn-lshàc et Ibn-
Hishàm.
Châp. II. — L'Arabie avant le hahomktishe 49
Sincérité très-louable des traditions musulmanes; leur exactitude gé-
nérale; elles n'ont rien caché de ce qui a précédé et préparé Ma-
homit. — État des tribus arabes avant le mahométisme; elles
prétendaient toutes remonter à Abraham; vie nomade et guerres
perpétuelles; commerce par caravanes; stations importantes dans
3itj i'AliLE bES MATIÈRES.
quelques ville^;; la Mecque et Yatlirib, plus tard Médiue; quelques
grands marchés; foires annuelles; culture de la poésie; les Moalla-
càt; les quatre mois de trêve. Religion de ces tribus, idolâtrie et
fétichisme; vaines tentatives du mosaïsme et du christianisme; raji-
ports de l'Yémen avec la cour de Constantinople et l'Abyssinie; dé-
faite du Nedjàchi devant la Mecque; sainteté et antiquité de la
Caaba. Règne de Cossayy; son pouvoir; il bâtit la Mecque; ses suc-
cesseurs, ancêtres de Mahomet. — Mouvement religieux des es-
prits; précurseurs de Mahomet; Hanyfes attachés à la foi d'Abra-
ham : Varaka, Othmân, fils d'Alhouveyretli, Oubeïdallah, et surtout
Zeïd, fils d'Amr ; poésies d'Onimayya, très-populaires et à demi
mahométanes.
Chap. III. — Caractère he Mahcmet , 81
Quelques détails de la vie de Mahomet; il n'a jamais connu son père
Abd-AUah ; orphelin de sa mère à six ans ; recueilli i)ar son grand-
père et son oncle; sa jeunesse chaste; ses méditations pendant qu'il
garde les troupeaux; associé à la ligue des Foudhoùl; El-amîn; son
mariage avec Khadidja ; son portrait à vingt-cinq ans ; son bonheur
domestique; pose de la Pierre noire; considération dont Mahomet
est dès lors entouré. — Sa vocation et ses premières visions ; son
trouble extrême ; il est rassuré par Khadidja et Varaka ; visions
nouvelles ; l'ange Gabriel en rêve ; le Fitreh ; réalité de l'inspiration
de Mahomet ; premières conversions ; prédications secrètes ; fuite
des premiers musulmans en Abyssinie ; luttes de Mahomet conti-e les
Coraychites durant dix ans ; conversion des gens de Yathrib ; ser-
ments d'Acaba. — Hégire ou fuite de Mahomet à Médine ; il a alors
cin(juante-deux ans. — Organisation de la religion nouvelle à Mé-
dine; bataille de Bedr; victoire des musulmans sur les Ckîraychitcs
idolâtres ; ardeur sanguinaire de Mahomet, excusée par les mœurs
de son temps ; les femmes de la Mecque à la bataille d'Ohod ; clé-
mence naturelle de Mahomet ; traits nombreux de magnanimité et
de miséricorde ; sa rentrée à la Mecque en 630 ; sa douceur égale à
son habileté ; autorité morale qu il exerce sur les siens ; sou allocu-
tion aux Ansàr de Médine; destruction des idoles à la Caaba; pèle-
rinage d'adieu ; son dernier sei'mon aux musulmans sur le mont
Arafat ; sa maladie ; sa mort, entre les bras d'Ayésha.
CiiAr. IV. — SiNcÊniTii ut M.Uio.met 1 i'J
Jugement dos contemporains, amis cl oiuiemis. sur Mahomet; Abou-
Sofjàn; les députés à Vezdidjord, roi de l'erse; jugemeul de Maho-
TAULK DES MATIÈllES. 5i7
met hii-môiue sur le Coran, et ses récilaiiuiis; étal oUaii^'u de Ma-
Iioniet pendant l'inspiration ; les sourates teri'ifiques ; Maliomet s'est
toujours défendu de faire des miracles, sans nier ceux des autres
prophètes ; éclipse de soleil, le jour de la mort de son fils;* fables
extravagantes inventées par la superstition. — Mahomet a eu sur-
tout une autorité morale, et il ne s'est pas distingué par son cou-
rage; ses talents de général; il n'a pas eu de maître religieux; il
n'était pas aussi ignorant qu'on l'a dit; sa passion tardive pour les
femmes ; sa fidélité à Kliadîdja pendant vingt-cinq ans ; ses treize
épouses; ses neuf veuves, Mères des lidèles.
Chap. y. — Le Coran 179
Désordre dans la composition du Coran ; efforts vainement tentés pour
classitîer régulièrement les cent quatorze sourates; travaux récents
de MM. G. Weil, W. Muir et ^■ôldeke; deux grandes divisions : sou-
rates de la Mecque, sourates de Médine; difficultés que présentent
ces divisions, toutes larges qu'elles sont; style du Coran. — Doc-
trines principales du Coran : l'unité de Dieu, créateur, tout-puis-
sant et miséricordieux; la vie future; paradis de Maliomet; respect
du Coran pour les prophètes antérieurs, Moise et David ; senti-
ments de Mahomet à l'égard de Jésus-Christ, sa vénération extraor-
dinaire; tolérance du Coran ; insuffisance du Coran considéré comme
code de législation ; quehiues-unes de ses réformes les plus bien-
faisantes ; il adoucit les mœurs, et il relève la condition des femmes;
le Coran n'est pas fataliste; absence de toute métaphysique dans
le Coran.
Chai'. VI. — Jugement bUii LE mahométi^me 'iiO
Grandeur de Maliomet; comparé à Mo'ise; Mahomet est le seul dans
l'histoire qui ait été tout à la fois fondateur d'empire, fondateur de
religion; législateur et poëte. — Il faut respecter le Mahométisnic
en tant que religion monothéiste; fanatisme mahométan; ses cou-
(luêles ont été fécondes ; génie arabe à Damas, à Bagdad, en Espa-
gne ; rôle scientifique des .^rabes; leur philusophic peu originale;
leurs historiens et leurs géographes ; arabesques, architecture ; la
Ciievalerie inventée par les Arabes ; part qu'on doit faire à Maho-
met dans tous ces développements et ces progrès; influence litté-
raire el morale du Coran. — Le génie arabe obligé de quitter son
berceau pour dominer et grandir; lArabie ne garde que les Villes
saintes ; discordes déplorables des peuples chrétiens el des peuples
musulmans» rapports des deux religions; identité de croyances; les
348 TABLE DES MATIÈRES.
trois religions luonotiiéisle^. — Jugements divers sur le Maliomé-
tisuie : M. William Muir et M. Gustave AVoil.
EXTRAITS DU CORAN
El Fatilia, ou Introduction 241
Dieu 24.3
Mahomet 255
Le Coran. . . 279
La Vie future 299
La Prière et l'Aumône 515
La Kiblah et le Haram. . . 518
La Mecque 520
L'Islamisme 525
L'âme. ... 525
Protection dus enlants 527
Tempérance 528
Tolérance 529
Les Prophètes 3"i
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
lARIb. — mi . SIMU.N |;a(,u,\ tl 1.0.MI'., lill. l'KnFL'HTIl 1.
BP Barthllemy Saint-Hilaire,
161 J\iles
B38 Mahomet et le Coran,
1865 pricédi d'iine introduction
sur les devoirs mutuels de
la philosophie et de la
religion
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