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Full text of "Mahomet et le Coran, précédé d'une introduction sur les devoirs mutuels de la philosophie et de la religion"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witli  funding  from 

University  of  Ottawa 


'littp://www.arcliive.org/details/maliometetlecoranOObart 


MAHOMET 


ET  LE  CORAN 


A    LA    MÊME    LlBPiAlRlE 

I,K  BoL'ODiiA  ET  SA  RELIGION',  par  îl.  Barthélemt  Saint-IFilaire.  Nouvelli 
L'ililion  au^'mentée  d'uno  noio  sur  le  Nirvana.  1  vol.  in-8.  7  fr. 

Le  uêue.  1  vol.  in- 12.  ô  fr.  hO  c. 


EN    PflEPARATION  : 

Le  Ykda,   ou  les  Écritures  sacrées  du  rraluninisme,   p,»r   M.   Dabthélem' 
Saint-Hii.mre.  1  vol. 

Philosophie  et  Religion  des  peuples  de  i,'.\sie  centrale,  an  temps  \n\- 
sent,  par  le  couite  de  Gouineau.  1  vol. 

La  science  en  Orient.   La   Cliine,   le    Bralimanisme,   Auliiiuitcs    de    if 
Perse,  le  Boudiliiisine,  fie.,  par  .1.  .1.  Ampère.  1  vol. 

PïTHVGORE,  .-a  vie  et  sa  doctrine.  1  vol. 

ZdROASTRE,  etc.  1  vol. 


iMUi-.  —  iMP.  SIMON  n»ro\-  et  couiv,  nuR  n'FriFrnTii,  I. 


M  A  H  0  I\I  E  T 


LE    CORAN 


rr.ECErtE  d  ine  inthomction  sur  les  devoirs  mutuels  m.  i.v  philosophie 

ET   DE   LA   RELICIOX 


J.  BARTHELEMY  SAINT-HILA  IRE 

U  E  il  I'.  I'.  E     DE    L  '  I  N  =  T  I  T  C  T 
(ACAriÉUIE    DES    sCIEXCES    U  ORALES    ET    TOI.  ITIijDEs) 


DECXIEBiC      EDITION 


PARIS 


LIBRAIRIE     ACADÉMIOOE 

DIDIER  ET  C'S   LIBUAIRES-ÉDITEIRS 

Î5,     QUAI    ItBl    .\  ICUbTINS,    3» 

180,-) 

Tons  droil»;  r/servw». 


\\,  I  ^ 


lui 


PRÉFACE 


DES  DE\OmS  MlTl'ELS  DE  LA  PHILOSOPHIE 

ET    DE    LA    RELIGION 

Je  me  suis  appliqué,  en  étudiant  Mahomet,  à 
exercer  envers  lui  une  stricte  justice.  J"ai  signalé 
ses  graves  défauts  à  côté  de  toutes  ses  vertus,  et 
ses  faiblesses  à  côté  de  son  génie  ;  je  n'ai  rien  dis- 
simulé, ni  du  mal,  ni  du  bien;  et,  après  avoir  ba- 
lancé lun  et  l'autre,  j'ai  cru  devoir  porter  un 
jugement  favorable  sur  le  prophète  de  l'Arabie. 
Selon  moi,  l'impartiale  histoire  ne  peut  plus  avoir 
une  autre  opinion;  désormais,  Mahomet  lui 
apparaîtra  comme  un  des  hommes  les  plus  extraor- 
dinaires et  les  plus  grands  qui  se  soient  mon- 
trés sur  la  terre.  Sa   physiunouîic   est    très-loin 

a 


ri  l'UEFACE. 

d'être  d'une  irréprochable  pureté;  mais,  malgré 
les  taches  qui  la  déparent,  elle  n'en  reste  pas  moins 
une  des  plus  belles  et  des  plus  remarquables.  Pour 
bien  apprécier  Mahomet,  nous  devons  faire  taire 
nos  préjugés  religieux  ou  nationaux,  et  ne  voir  dans 
son  œuvre  que  ce  qu'il  y  a  mis,  indépendamment 
des  conséquences  que  cette  œuvre  a  portées,  et  qui 
peuvent  plus  ou  moins  nous  blesser  encore  au- 
jourd'hui. 

Qu'on  veuille  bien  peser  avec  attention  les  consi- 
dérations suivantes. 

Il  existe  maintenant  plus  de  cent  millions  de 
mahométans.  Ils  sont  répandus  depuis  le  Maroc  en 
Afrique,  jusqu'au  pied  de  l'Himalaya  dans  le  nord 
de  l'Inde,  et  depuis  le  fond  de  l'Yémen,  jusqu'aux 
bords  du  Danube  au  centre  de  l'Europe.  Ils  forment 
encore  plusieurs  empires  puissants,  parmi  lesquels 
on  compte  la  Turquie  et  la  Perse;  et  si  d'autres, 
comme  celui  du  Grand-Mongol,  ont  disparu,  c'est 
l'édifice  politique  qui  seul  est  tombé,  tandis  que 
l'édifice  religieux  est  demeuré  debout  et  solide. 
Dans  des  pays  si  vastes  et  si  distants  les  uns  des 
autres,  sous  des  climats  aussi  divers,  la  foi  musul- 
mane n'a  rien  perdu  de  son  ardeur.  Après  douze 
siècles  et  demi  depuis  lllégire,  elle  est  aussi  vive 
et  presque  aussi  fanati(jue  qu'aux  j)remiers  jours. 
Le  foyer  n'est  pas   j)iès  de  s'éteindre,  malgré  ce 


PREFACE.  VIT 

qu'en  nugureiildes  observateurs  peu  judicieux;  il 
brûle  loujours,  et  il  brûlera  bien  longtemps  encore, 
comme  laltesleul  les  formidables  explosions  qui 
se  sont  produites  sous  nos  yeux  :  linsurreclion  mi- 
litaire de  l'Inde  anglaise  en  1857,  ou  l'insurrection 
récente  de  notre  Algérie. 

L'Europe  chrétienne  est  avec  toutes  ces  popula- 
tions mabométanes  dans  des  rapports  intermittents 
de  paix  ou  de  guerre  ;  mais,  en  général,  ce  sont 
les  relations  pacifiques  qui  tendent  à  prendre  le 
dessus.  A  mesure  que  nous  connaissons  mieux  ces 
peuples,  nous  sommes  disposés  davantage  à  ne  plus 
les  mépriser,  comme  nous  le  faisions  jadis.  Ils  ont 
les  plus  réelles  qualités  de  courage  et  de  persévé- 
rance. Inébranlables  dans  la  croyance  de  leurs 
pères,  ils  sont  bien  moins  portés  que  nous  à  se 
convertir.  Leurs  mœurs  sont,  il  est  vrai,  de  beau- 
coup inférieures  aux  nôtres  ;  mais  cette  corruption 
est  une  vieille  plaie,  qui,  de  tout  temps,  a  rongé 
1  Asie  et  l'Afrique.  Ce  n'est  point  le  Mahométisme 
qui  l'a  faite,  et  il  a  même  tenté  de  la  guérir.  Notre 
industrie,  nos  sciences,  nos  arts  pénétreront  peu  à 
peu  parmi  ces  nations,  qui  commencent  à  en  goûter 
les  bienfaits,  et  qui  y  sont  peu  rebelles  naturelle- 
menl,  piiisqu'à  quelques  égards  elles  nous  ont  de- 
vancés de  plusieurs  siècles  dans  cette  voie.  Mais  si, 
par  leur  contact  avec  nous,  elles  font  des  progrès 


VIII  PREFACE. 

matériels,  religieusement  nous  ne  gagnons  rien  sur 
elles;  et  les  prédications  héroïques  de  nos  mission- 
naires, si  fécondes  ailleurs,  échoueront  toujours 
devant  le  Mahométisme,  qu'ils  ne  peuvent  enta- 
mer. De  leur  propre  aveu,  ils  ne  trouvent  pas, 
dans  leur  apostolat  universel,  un  obstacle  plus 
invincible  que  celui-là. 

Ce  grand  fait  doit  nous  éclairer,  et  nous  pou- 
vons en  conclure  sans  hésitation  que  Mahomet  a 
compris  parfaitement  quelle  doctrine  religieuse 
convenait  à  ces  races.  Par  inspiration,  comme  je  le 
crois,  ou  par  calcul,  comme  on  l'a  dit  trop  souveni, 
il  a  si  bien  su  leur  mesurer  leur  foi  qu'elles  y  sont 
restées  attachées  inviolablemenl,  à  travers  les  plu> 
terribles  vicissitudes.  Selon  toute  probabilité,  le 
temps  ne  détruira  pas  plus  la  foi  musulmane  qu'il 
n'a  détruit  la  foi  juive,  stalionnaire,  mais  immuable. 
Le  Mahométisme  ne  fait  pas  de  prosélytes  nou- 
veaux; mais  il  ne  perd  aucun  de  ceux  qu'il  a  con- 
quis, et  les  musulmans  continuent  de  vénérer  Ma- 
homet, bien  plus  que  les  Israélites  ne  vénèrent 
mainlcnaiil  Moïse. 

A  moins  de  supprimer  dédaigneusement  près  d'un 
dixième  de  rhumanité.il  faut  donc  faire  une  large 
place  à  la  relij^ion  musulmane  dans  l'état  présent 
du  monde  ;  et,  (piellt^s  que  soient  les  passions  aveu- 
gles de  la  foule,  la  polititjuc  au  moins  devrait  nous 


PREFACE.  TX 

apprendre  à  être  plus  bienveillants  en  ce  qui  con- 
cerne le  iMahométisme. 

Que  si,  remonlant  à  son  origine  cl  à  ses  dogmes,   . 
nous  nous  demandons  ce  qu'il   est  en  lui-même, 
nous  n'aurons  guère  qu'à  le  louer.  Qu'est-ce,  en 
effet,  que  la  révolution  religieuse  accomplie  par 
Mahomet,  vers  le  milieu  du  septième  siècle  de  notre 
ère?  Dans  son  caractère  le  plus  général,  c'est  la 
destruction  de  Tidolàtrie.  A  de  grossières  croyances, 
descendant  à  un   stupidc  fétichisme,  dont  le  culte 
de  la  Pierre  noire,  à  la  Caaba,  est  encore  le  témoi- 
gnage et  le  reste  innocent,  Mahomet  a  substitué, 
après  vingt  ans  de  luttes,  la  foi  à  un  Dieu  unique, 
clément  et  miséricordieux,  créateur  des  cieux  et  de 
la  terre,  père  de  Thomme,  sur  lequel  il  veille  et 
qu'il  comble  de  biens,  rémunérateur  et  vengeur 
dans  une  autre  vie,  où  il  nous  attend  pour  nous 
récompenser  ou   nous    punir  selon  nos  mérites, 
lout-[)uissant,    éternel,    infini,    présent    partout, 
voyant  nos  actions  les  plus  secrètes,  et  présidant 
à  la  destinée  entière  de  ses  créatures,  qu'il   n'a-r 
bandonne  point  un  seul  instant,  ni  dans  ce  monde- 
ci  ni   dans  l'autre.  L'Islam  est   la  soumission  la 
plus  humble  et    la    plus  confiante  à   sa   volonté 
sainte.  11  n'y  a  pas  plus  à  se  révolter  contre  elle 
qu'à  désespérer  de  la  fléchir;  et  le  cœur  du  vrai 
musulman  est  aussi    tranquille   (|ue    pur,    devant 


X  PliEFACE 

l'auteur  de  son  existence,  son  soutien  indéfectible 
et  son  équitable  juge.  Le  seul  culte  que  le  musul- 
man doive  au  Dieu  unique,  c'est  la  prière  répétée 
plusieurs  fois  par  jour;  et,  à  certaines  époques  de 
l'année,  des  mortifications,  qui  ramènent  plus  par- 
ticulièrement la  pensée  du  fidèle  à  Celui  qui  l'a  créé, 
qui  le  fait  vivre,  et  qui  le  retrouvera  éternellement 
après  la  mort. 

Tel  est  l'Islam  dans  son  essence  et  sa  simplicité  ; 
telle  est  la  vraie  et  saine  doctrine  que  Mahomet  est 
venu  prêcher  au  monde  arabe,  et  par  laquelle  il  l'a 
persuadé  et  amélioré.  S'il  est  un  homme  à  qui  la 
raison  et  l'histoire  doivent  des  éloges  sous  ce  point  de 
vue  restreint,  c'est  celui-là.  A  l'exception  du  Chri- 
stianisme, appuyé  sur  la  Bible  et  l'Evangile,  avec 
toutes  leurs  merveilleuses  conséquences,  il  n'y  a  pas 
d'autre  religion  au  monde  que  l'on  puisse  équita- 
blement  comparer  à  l'Islam,  et  qui  mérite,  même 
de  très-loin,  d'être  mise  en  parallèle  avec  lui. 

Sans  doute,  Mahomet  n'a  rien  d'original,  et 
nous  connaissons  toutes  les  sources  où  il  s'est 
inspiré,  en  les  comprenant  d'ailleurs  assez  mal. 
Mais,  à  cet  égard,  qui  a  été  plus  modeste  et 
plus  loyal  que  lui-même?  Il  ne  s'est  jamais  donné 
pour  un  novateur;  il  n'a  jamais  prétendu  avoir 
rien  inventé.  Il  ne  vient  pas  rt'véler  un  culte 
inconnu.    Loin  de  là   :  c'est  la  foi    d'Abraham  , 


PREFACE.  XI 

celle  de  Jacob,  de  Moïse,  de  David,  de  Jésus  même, 
qu'il  doil  reproduire  et  compléter;  il  n'apporle 
point  aux  hommes  des  enseignements  inouïs;  il 
vient  leur  répéter  seulement  ceux  qu'ils  ont  cent 
fois  entendus,  mais  qu'ils  ont  oubliés.  A  la  manière 
dont  il  parle  des  prophètes  antérieurs,  à  l'eslime, 
à  la  tendresse  même  qu'il  ressent  pour  eux,  on 
voit  bien  qu'il  ne  se  croit  pas  leur  égal,  encore 
bien  moins  leur  supérieur;  il  ne  fait  que  les  conti- 
nuer; il  met  le  sceau  à  leur  doctrine,  en  la  redi- 
sant après  eux.  S'il  renverse  TiJolàlrie,  c'est  pour 
faire  revivre,  sous  ses  ruines  et  ses  pratiques  sacri- 
lèges, la  vraie  religion  que,'j3ar  la  suite  des  temps, 
les  hommes  avaient  méconnue.  Il  la  réveille  dans 
leurs  cœurs,  où  elle  a  laissé  encore  des  étincelles 
sous  des  cendres  séculaires.  Aussi,  en  présence  des 
saintes  figures  du  passé  qu'il  évoque  à  son  aide, 
il  se  sent  bien  insuffisant  et  bien  petit.  Les  pro- 
phètes qui  l'ont  précédé  avaient  le  don  des  mi- 
racles; Dieu  le  lui  a  refusé.  Ce  don  accordé  à 
d'autres,  quoique  souvent  inutile  contre  l'ingrafi- 
tude  et  l'endurcissement  des  hommes,  ne  lui  est 
plus  nécessaire;  il  ne  prétend  parler  qu'à  la  raison. 
Cette  puissance  surhumaine,  dont  quelques  pro- 
phètes ont  été  divinement  investis,  ne  les  a  ni  pro- 
lég(;s,  ni  fait  réussir.  Les  peuples,  tout  en  voyant  des 
prodiges,  sont  demeurés  in.sensibles  et  se  sont  dé- 


XII  PRKF.VCK. 

tournés,  pleins  de  défiance,  des  npôlres  qui  les  in- 
struisaient; souvent  même  ils  les  ont  immolés  à  leur 
fureur.  Le  seul  miracle  de  Mahomet,  c'est  le  Coran, 
qu'il  récite  au  nom  de  Dieu,  et  qui  transporte 
d'enthousiasme  et  convertit  tous  ceux  qui  ont  pu 
l'entendre.  On  croit  à  l'Éternel  et  à  la  vie  future 
dès  qu'on  a  écouté  le  prophète. 

En  face  de  cette  doctrine  courageusement  prê- 
chée,  et  convertissant  en  quelques  années  des  mul- 
titudes de  peuples,  à  quoi  bon  s'inquiéter  de  savoir 
d'où  elle  vient,  ni  même  ce  qu'elle  a  produit? 
Quelle  qu'en  soit  la  source,  quel  qu'en  ait  été  le 
succès,  il  n'importe;-  cette  croyance  est  en  soi 
digne  du  plus  grand  et  du  plus  légitime  respect. 
La  gloire  de  celui  qui  l'a  propagée  n'est  pas 
moindre,  parce  qu'il  n'a  fait  que  l'emprunter  au 
Judaïsme  et  à  la  religion  chrétienne.  Depuis  de 
longs  siècles,  le  Mosaïsme  s'était  efforcé  vainement 
d'éclairer  l'Arabie  ;  le  Christianisme  n'avait  pas  été 
plus  heureux.  L'idolâtrie  subsistait,  toujours  vivante 
et  hideuse,  favorisant  les  moeurs  les  plus  cruelles 
et  les  plus  dépravées.  C'est  Mahomet  seul  (jui  la 
vaincue  et  pour  jamais  extirpée,  service  immense 
qui  lui  conquiert  à  bon  droit  la  vénération  éter- 
nelle, si  ce  n'est  le  culte,  des  peuples  musulmans. 
A  défaut  du  Christianisme,  ({uils  n'ont  pu  com- 
prendre, rislam  les  a  tirés  des  ténèbres  où,  sans  lui 


PREFACE. 


peut-être,  ils  seraient  encon;  plongés.  En  honorant 
Mahomet  comme  ils  Thonorenl,  ils  ne  lui  rendront 
jamais  tout  le  bien  qu'il  leur  a  fait;  leur  recon- 
naissance restera  toujours  au-dessous  de  ce  qu'ils 
lui  doivent.  D'autres,  plus  aimés  de  Dieu,  peuvent 
avoir  une  foi  plus  pure  et  plus  sainte.  Celle-là, 
dans  sa  grandeur  un  peu  nue  et  même  un  peu 
sèche,  est  la  seule  que  le  peuple  arabe  pût  recevoir 
et  conserver.  11  lui  a  dû  tout  ce  (ju'il  a  été  sur  le 
théâtre  de  l'univers;  et  le  patriotisme  est  venu  se 
Joindre  à  la  religion  pour  faire  de  Mahomet,  aux 
yeux  de  ces  races  ennoblies  par  lui,  un  mortel  im- 
comparahle;  pour  elles,  c'est  l'Envoyé  de  Dieu, 
c'est  le  Prophète  du  Tout-Puissant. 

On  ne  peut  pas  le  placer  aussi  haut,  quand  on  a 
le  bonheur  d'être  chrétien  ;  mais  il  y  aurait  au- 
jourd'hui une  bien  aveugle  intolérance  à  nier  son 
génie,  et  l'histoire  ne  doil  point  ressentir  une 
animosité  qui  n'est  plus  de  notre  temps. 

Il  est  vrai  qu'auprès  du  fondateur  de  religion  il  y 
a  en  outre  le  fondateur  d'empire.  J'en  conviens  :  la 
gloire  de  l'un  n'est  plus  du  tout  celle  de  l'autre,  et 
nous  entrons  ici  dans  une  sphère  fort  abaissée. 
C'est  ce  double  rôle  qu'on  n'a  pas  en  général  bien 
démêlé,  et  qui  a  longtemps  défiguré  l'action  reli- 
gieuse de  Mahomet.  La  polilique  a  des  exigences 
qu'on  ne   sent   pas  assez   (juand  on  n'a   pas  soi- 


i,v  PREFACE. 

même  mis  la  main  aux  affaires.  Tandis  que  la  re- 
forme religieuse  peut  se  maintenir  dans  la  pure 
région  des  idées,  la  politique  doit  nécessairement 
descendre  plus  bas.  Si  elle  est  bien  inspirée,  elle 
peut  s'abstenir  du  mensonge,  de  la  fraude  et  de  la 
violence;  elle  peut,  à  plus  forte  raison,  se  défendre 
du  crime,  bien  qu'elle  s'y  perde  trop  souvent.  Mais 
elle  doit  toujours  user  de  la  force,  sans  laquelle 
elle  ne  serait  pas  ;  et  la  force,  même  bien  employée, 
est  toujours  loin  de  cette  douce  et  calme  in- 
fluence de  la  persuasion,  la  seule  arme  à  laquelle 
la  religion  doive  recourir. 

Est  ce  ])ar  ambition  que  Maliomet  s'est  fait  cbef 
d'empire?  Est-ce  un  calcul  égoïste  qui  Ta  poussé 
au  rôle  de  général  d'armée,  après  celui  de  propbcle, 
qui  a  tiré  le  glaive  à  Tappui  du  Coran,  et  uni  la 
guerre  à  la  prédication  ?  Je  ne  le  pense  pas  ;  et  en 
regardant  à  la  vie  du  prophète,  je  me  persuade  que 
de  lui-même  il  n'avait  jamais  songé  à  combattre. 
Jusqu'à  cinquante  ans  passés,  il  n'avait  pas  montré 
la  moindre  tendance  belliqueuse;  il  n'y  eut  que 
les  j)rovocations  incessantes  de  ses  ennemis  pour 
le  réduire  à  cette  extrémité,  qui  n'était  ni  dans  son 
caractère  ni  dans  ses  habitudes.  Il  supportait  les 
injures  avec  une  patience  exemplaire;  et  il  n  est 
pas  une  seule  rencontre  où  il  ait  pensé  qu'on  }»ût 
\  uppobiT  une  anUi'  résistance.  Sa  douceur  égahiil 


PREFACE.  XV 

sa  sincérité  ;  ce  n'est  que  quand  il  fut  poussé 
à  bout,  qu'il  se  résigna  à  user  des  moyens  dont 
tout  le  monde  usait  autour  de  lui.  Au  milieu  de 
ces  races  turbulentes  et  toujours  en  armes,  de  ci  s 
conflits  sans  cesse  renouvelés  et  toujours  sanglants, 
de  ces  luttes  toujours  homicides,  c'était  un  phé- 
nomène surprenant,  qui  ne  pouvait  durer,  que 
celle  humeur  si  pacifique,  qui  supportait  même 
les  coups  après  les  insultes,  ne  comptant  que  sur 
«  le  charme  de  la  parole  w  pour  adoucir  la  rage 
des  assaillants. 

Il  fallut  donc  que  Mahomet  fût  menacé  directe- 
ment dans  sa  personne  et  qu'une  tentative  d'as- 
sassinat eût  été  faite  contre  lui,  pour  qu'il  pourvût 
à  sa  sûreté.  xMais  il  ne  pensa  même  pas  encore  à  des 
représailles.  A  Médine,  où  il  s'était  réfugié,  il  lut 
d'abord  aussi  paisible  qu'il  l'avait  été  à  la  Mecque. 
Il  est  probable  qu'il  ne  serait  jamais  sorti  de  celte 
réserve,  dont  tous  les  prophètes  ses  devanciers  lui 
avaient  offert  le  modèle,  s'il  n'avait  tenu  qu'à  lui. 
Mais  sollicité  par  les  émigrés  qui  l'avaienl  suivi,  et 
par  cette  population  toute  dévouée  de  Yalhrib,  qui 
s'était  donnée  à  l'Envoyé  de  Dieu  depuis  plus  de 
deux  ans,  il  ne  pouvait  résister  davantage.  11  n'eût 
pas  été  le  digne  chef  des  Mohadjirs  et  des  Ansâr, 
s'il  ne  s'était  pas  mis  à  leur  lêle,  et  s'il  n'eût  jias 
intrépidement  donné  de  sa  personne,  comme  il  le 


XTi  PRÉFACE. 

fît  au  combat  de  Ohod,  où  il  fut  vaincu  et  courut 
risque  de  la  vie.  Mais  cette  nouvelle  carrière  n'était 
pas  celle  qu'il  eût  jamais  rêvée  ;  il  n'était  pas  natu- 
rellement guerrier  ;  il  n'avait  point  cherché  à  le  de- 
venir, même  quand  il  suivait  tout  jeune  ses  oncles 
à  la  guerre,  encore  bien  moins  quand  il  gardait  les 
troupeaux,  ou  qu'il  errait  solitaire  sur  le  mont  Hira, 
et  que,  dans  une  de  ses  hallucinations  extatiques, 
il  voyait  l'ange  Gabriel  venir  déposer  le  Coran  sur 
son  cœur. 

On  n'a  point  remarqué  suffisamment  cette  circon- 
stance dans  la  carrière  de  Mahomet.  Oui,  personnel- 
h.'ment  il  s'est  cru  prophète  ;  il  a  cru  de  toute  l'impé- 
luosilé  de  son  àme  à  sa  mission,  et  il  a  eu  raison  de  se 
prendre  parmi  ces  peuples  barbares  pour  un  instru- 
ment de  Dieu.  Mais  ce  n'est  pas  sa  volonté  propre, 
ce  n'est  pas  la  convoitise  de  son  ambition  qui  en  a 
fait  un  général  et  un  conquérant.  Des  événements 
extérieurs  plus  forts  que  lui  et  qu'il  ne  pouvait 
j)révoir,  l'ont  précipité,  11  s'est  trouvé  sans  le  sa- 
voir, sans  le  vouloir,  le  plusgrautl  homme  de  guerre 
de  son  pays,  le  polilitiue  le  plus  habile,  et  il  a 
fondé  un  empire  prest|ue  malgré  lui.  C'est  que 
tout  était  prêt  dans  le  monde  arabe,  auquel  il  s'a- 
dressail,  pour  la  révolution  politique,  aussi  bien 
que  pour  la  résurrection  morale.  Toutes  ces  peu- 
plades jusque  là  divisées    étaient  disposées  à  se 


PRÉFACE.  xvti 

réunir,  sans  qu'elles-mêmes  en  eussent  plus  de 
pressentiment  que  le  prophète.  La  croyance  re- 
ligieuse devint  le  germe  et  le  centre  de  cette  fusion, 
ébauchée  déjà  par  Cossayy,  qui  allait  constituer 
un  peuple  à  la  place  de  hordes  errantes.  Le  peuple, 
l'empire,  la  religion  naquirent  du  même  coup. 
Ce  fut  Mahomet  qui  frappa  ce  coup  glorieux,  sans 
se  douter  jusqu'à  quel  point  son  action  allait  s'éten- 
dre. 11  ne  voulait  que  proclamer  une  religion  ;  il  se 
trouva  qu'il  organisait  à  la  fois  une  nation  et  un 
puissant  état.  Le  Coran,  qui  révèle  toute  la  pensée 
morale  de  Mahomet,  ne  porte  pas  trace,  pour  ain.<i 
dire,  d'une  pensée  politique.  Il  combat  avec  fureur 
lidolàtrie  qu'il  abhorre;  il  ne  paraît  pas  un  seul 
instant  soupçonner  que  les  croyants  vont  tout  à 
l'heure  former  un  peuple  redoutable.  Ce  sont  là 
des  secrets  que  les  yeux  humains  ne  discernent 
point,  tout  sagaces  qu'ils  peuvent  être  Mahomet 
est  fort  grand  ;  mais  son  regard  n'a  pas  plongé 
jusque-là  ,  et  il  faut  l'imagination  d'un  poëte  tel 
que  Voltaire  pour  lui  prêter,  à  mille  ans  de  distance, 
des  desseins  qu'il  n'a  jamais  conçus. 

C'est  là  ce  qui  explique  la  conduite  de  Mahomet 
dans  les  dix  dernières  années  de  sa  vie.  Il  est 
contraint  de  faire  la  guerre  ;  mais  il  la  fait  à  contre- 
cœur, quoiqu'il  la  fasse  quelquefois  avec  toute  l'é- 
nergie de  sa  nation,  en  même  temps  qu'avec  une 


xviii  PRtFACE. 

habileté  supérieure.  Ce  n'est  pas  son  élément  ni  son 
goût.  De  là,  cette  clémence  dont  il  a  donné  de  si 
fréquents  exemples,  et  qui,  non  moins  que  sa  mis- 
■  sion  divine,  a  dû  surprendre  ses  contemporains  fa- 
rouches. Il  est  clair  qu'il  répugne  à  répandre  le 
sang,  bien  qu'il  cède  quelquefois,  lui  aussi,  à  la  soif 
homicide  dont  tout  son  entourage  est  altéré;  il 
tempère  tant  qu'il  le  peut  ces  frénésies,  qu'il  ré- 
prouve et  qu'il  voudrait  éteindre.  Il  est  magnanime 
et  désintéressé,  là  où  d'autres  ne  songent  qu'au 
pillage  et  à  la  vengeance.  Il  pardonne  les  injures 
dont  il  a  été  abreuvé  ;  il  tend  une  main  bienveillante 
et  protectrice  à  des  ennemis  qui  ont  voulu  le  tuer.  Il 
leur  donne  la  vie  au  lieu  du  mal  qu'il  a  reçu  d'eux  ; 
parfois  il  les  comble  de  richesses,  pour  lesquelles 
il  n'a  lui-même  que  du  dédain.  Il  reste  admirable- 
ment simple  dans  sa  personne  et  dans  toutes  ses 
habitudes,  même  quand  il  estle  maître  de  l'Arabie. 
Le  triomphe  ne  l'enivre  pas;  et  s'il  n'eût.pas  suc- 
combé à  la  seule  passion  qu'il  n'a  pas  su  vaincre  en 
lui,  il  serait  resté  moralement  aussi  pur  qu'il  a  été 
sincère,  généreux  et  sage. 

Que  serait-il  advenu  si  Mahomet  n'eût  pas  joint 
la  politique  et  la  guerre  à  la  religion,  et  qu'il  se  fût 
contenté,  comme  d'autres  prophètes,  de  |)rècher 
sans  combattre?  il  est  embarrassant  de  le  dire;  et 
l'on  jKMii  juucr  (|ne  celle  (|iit^sli(>n  esl  assez  inililïé- 


I-nEFAr.F..  XIX 

rente.  En  fait,  Mahometa  propagé  l'Islam  les  armes  à 
la  main  ;  c'est  par  la  force  qu'il  lui  a  élargi  la  route, 
après  l'avoir  introduit  par  la  discussion  la  plus  inof- 
fensive, soit  en  secret  soit  en  public.  D'autres  reli- 
gions, comme  celle  du  Christ  ou  celle  du  Bouddha, 
n'ont  pas  eu  leur  berceau  ensanglanté,  et  elles  ont 
pu,  du  moins  à  leur  origine,  se  passer  de  cet  affreux 
baptême,  sans  lequel  le  Mahométisme  n'a  pas  pu 
vivre.  Le  peuple  arabe  est  avant  tout  guerrier  ;  il  ne 
peut  même  faire  le  commerce,  qui  l'enrichit,  qu'en 
le  protégeant  par  les  armes.  Il  est  sans  cesse  mili- 
tant. Les  individus,  dans  leur  isolement,  se  combat- 
lent,  comme  les  tribus  entre  elles  ;  ils  n'ont  d'autre 
garantie  que  leur  courage  personnel.  Chez  un  tel 
peuple,  avec  de  telles  nécessités  et  de  telles  cou- 
tumes, il  n'est  pas  possible  que  des  masses  po- 
pulaires se  réunissent  dans  un  intérêt  commun, 
sans  en  appeler  aussitôt  à  la  violence.  Les  passions 
religieuses  doivent  surtout  les  y  pousser,  parce 
qu'elles  sont  les  plus  actives  et  les  plus  profondes 
de  toutes.  Parler  de  paix  à  ces  foules  désordonnées, 
c'était  vouloir  ne  pas  être  entendu  ;  et  le  chef  qui 
devait  les  diriger,  en  les  éclairant,  ne  pouvait  être 
qu'un  guerrier  comme  elles.  Le  Christianisme  nais- 
sant ne  rencontra  pas  en  Judée  des  conditions 
aussi  rudes.  Le  Bouddha  s'adressait  à  des  popula- 
tions pacihques  jusqu'à  rin<ilie.  La  foi  bouddhique 


XX  IM'.EFACE. 

et  la  foi  chrétienne  ont  pu  se  développer  et  fleurir 
par  la  paix.  L'Islam  n'a  pu  échapper  à  l'exigence 
atroce  de  la  guerre.  Il  a  subi  cette  frénésie  des  com- 
bats. Mais  ce  n'est  pas  lui  qui  l'avait  créée.  Elle 
régnait  sans  limite  chez  ces  races,  longtemps  avant 
Mahomet  ;  il  la  restreignit,  sans  pouvoir  la  détruire, 
(juelque  puissante  qu'on  suppose  son  action,  elle 
ne  pouvait  aller  jusque-Là  ;  et  ce  n'est  jamais  un 
homme  qui  peut  inculquer  aux  peuples  les  instincts 
permanents  el  irrésistibles  ;  ils  ne  les  reçoivent  que 
de  la  nature.  Seulement,  avant  le  prophète,  les 
Arabes,  désunis  comme  ils  l'étaient,  ne  pouvaient 
rien  que  se  déchiier  entre  eux;  une  fois  réunis  par 
la  religion,  ils  ont  répandu  sur  l'univers  l'incendie 
(|ui  les  dévorait.  Sans  l'Islam,  ils  n'étaient  pas  les 
conquérants  du  monde;  mais  sans  la  guerre,  l'Islam 
lui-même  n'était  pas. 

Ainsi,  nous  n'avons  point  trop  de  reproches  à 
faire  à  Mahomet;  il  faut  absoudre  en  lui  le  prophète 
sous  l'homme  d'Etat  elle  politique.  Ou  son  œuvre 
religieuse  avorlait,  ou  elle  n'était  possible  que  par 
les  voies  qu'il  a  employées.  Tout  impures  qu'elles 
sont,  il  vaut  encore  mieux  (juil  ne  s'en  soit  pas 
abstenu. 

Mais  on  doit  l'avouer  :  ce  mélange  de  la  politique 
et  (le  la  religion  a  beaucoup  nui  au  personnage  de 
M.ihonicl.  Il  n  a  |)lus  cette  auréole  de  sainteté  dont 


rnEi-AOE.  XM 

quelques  autres  figures  brillent  au  dessus  de  la 
sienne:  celle  de  Moïse,  qui  a  été  également  chef  et 
législateur  d'un  peuple,  oucelle  du  Bouddha,  d'une 
incomparable  douceur,  qui  ne  se  dément  point 
un  seul  instant,  incurablement  trisle,  mais  sereine, 
môme  en  face  du  néant.  J'écarte  celle  du  Christ, 
qu'il  nous  est  si  difficile  de  juger,  parce  que  nous 
en  sommes  éblouis,  rayonnant  d'un  éclat  surhumain 
que  nos  regards  ne  peuvent  soutenir,  idéal  bien 
digne  de  ce  monde  grec  et  romain,  qui  ne  l'a  pas 
conçu,  mais  qui  seul  l'a  compris  et  propagé. 

Mahomet  n'est  pas  certainement  de  cet  ordre; 
et  s'il  s'agissait  d'assigner  des  rangs,  il  serait  au 
dernier  et  au  moindre.  11  a  encore  toutes  les 
passions  de  la  terre,  bien  qu'il  parle  au  nom  du 
ciel,  La  plupart  du  temps,  ces  passions  sont  élevées 
et  très-nobles  ;  mais  elles  sont  toujours  trop  mon- 
daines,et  l'on  ne  commande  guère  aux  hommes,  sur 
ces  hauteurs  sacrées,  qu'en  cessant  à  peu  près  com- 
plètement d'être  homme  soi-même.  Mahomet  l'est 
beaucoup  trop  pour  un  fondateur  de  religion.  C'est 
h;  malheur  de  sa  situation  et  de  son  temps.  Plus 
haut,  il  fût  sans  doute  resté  inaccessible.il  est  placé 
exactement  à  ce  niveau  abaissé  et  moyen  où  ses 
compatriotes  pouvaient  l'entendre  et  le  suivre.  Mais 
pour  nous,  si  sa  doctrine  est  irréprochable,  sa  vie 
ne  l'est  pas;  et  tout  en  étant  bienveillants  et  justes 


XXII  PREFACE. 

envers  lui,  nous  ne  pouvons  pas  cependant  le  voir 
autrement  que  les  mains  teintes  de  sang  et  dans  le 
cortège  impudique  de  ses  femmes.  La  politique  peut 
bien  ne  pas  s'émouvoir  de  ce  singulier  specta- 
cle ;  en  général,  ses  héros  ne  sont  pas  même  aussi 
scrupuleux  que  celui  là.  Mais  la  religion  est  plus 
exigeante,  et  les  âmes  ne  se  donnent  point,  quand 
elles  sont  un  peu  délicates,  à  qui  n'a  pas  su  dompter 
en  soi  de  tels  besoins,  qui  ne  sont  après  tout  que 
des  souillures.  Voilà  comment  l'Islam  n'a  séduit 
que  des  races  inférieures,  et  comment  il  est  devenu 
l'horreur  du  (.Christianisme,  bien  qu'il  en  fût  sorti 
et  qu'il  eût  tout  fait  pour  l'imitera 

C'est  que  tout  n'est  pas  également  beau  sur  cette 
scène  si  diverse  du  monde.  Les  sociétés,  les  races, 
les  gouvernements,  les  croyances,  varient  avec  les 
latitudes  et  les  temps.  Le  Christianisme  lui-même, 
tout  prodigieux  qu'il  est,  paraissant  quelques  siècles 
phis  tôt,  n'aurait  pas  pu  se  développer,  et  selon  toute 
apparence  le  germe  en  eût  péri  étouffé,  bien  qu'il 
contînt  le  salut  dn  genre  humain.  Que  dis-je  ? 
Même  à  l'époque  où  il  a  paru,  dans  les  conditions 


•  Dante  est  Tcxpression  naïve  de  cette  répugnance  et  de  ce  mépris 
des  peuples  chrétiens  pour  llslam,  quand  il  inflige  à  Maliomct  et  à 
son  cousin  Ali  un  supplice  si  atroce  et  si  bizarre  (£«/ipr,  cliantXXVllI, 
slanci'S  1 1  et  suiviinlosK  «  pour  avoir  répandu  le  scandale  cl  le 
schisme  sur  la  Icrre.  » 


PREFACE.  Kiii 

OÙ  il  s'est  montré  pour  sanclifier  le  monde,  c'en  était 
fail  de  lui  s'il  s'était  dirigé  vers  l'Orient  au  lieu  de 
marcher  vers  l'Occident.  Saint  Paul,  arrêté  sur  le 
chemin  de  Damas  et  changeant  sa  route,  est  le 
symbole  frappant  de  l'heureuse  fortune  du  Chris- 
tianisme. Transporté  à  Athènes,  et  surtout  à  Rome, 
le  Christianisme  respira  l'atmosphère  qu'il  devait 
purifier,  mais  qui  devait  aussi  le  nourrir.  Se  confi- 
nant dans  lAsie  Mineure,  et  cherchant  à  s'étendre 
vers  la  Mésopotamie  ou  la  Perse,  quel  eût  été  son 
destin?  L'exemple  de  l'Arabie  nous  l'apprend.  Il 
n'eût  trouvé  dans  ces  déserts  que  des  races  abruties, 
(jui  l'eussent  repoussé,  parce  qu'elles  n'en  étaient 
pas  dignes;  et  le  Christianisme  languissant  se  serait 
contenté  de  faire  nombre  parmi  tant  d'autres  sectes, 
dont  il  n'aurait  guère  dépassé  l'impuissance  et 
l'obscurité.  Au  contraire,  une  fois  dans  l'empire 
romain,  au  centre  de  la  civilisation  grecque,  il  a  pu, 
grâce  à  Dieu,  produire  tous  les  fruits  qu'il  contenait 
dans  son  inépuisable  sein,  et  dont  les  races  su- 
périeures se  satisferont  peut-être  éternellement. 
Sans  doute,  Rome  et  la  Grèce  régénérées  ont  dû  im- 
mensément à  la  foi  chrétienne;  mais  la  foi  chré- 
tienne, que  ii'a-t-elle  pas  dû,  elle  aussi,  à  celle 
Grèce  et  à  cette  Rome  qu'elle  conveilissait  ! 

C'est  là  un  des  enseignements  les  plus  certains 
que  peut  nous  fournir  l'histoire  du  Mahométisme. 


xxiT  PRÉFACE. 

Au  fond,  In  pensée  religieuse  est  la  même;  el  le 
proplièle  arabe  avait  assez  raison  de  dire  aux  juifs 
et  aux  chrétiens  :  «  Mon  Dieu  est  le  vôtre.  »  Mais 
ce  qui  était  différent,  c'étaient  les  peuples,  c'étaient 
les  races,  c'étaient  les  mœurs.  Mahomet,  tout  sincère 
(|u'il  était,  ne  pouvait  se  l'avouer,  parce  qu'il  ne  le 
sentait  pas  lui-même.  Il  croyait  ne  reproduire  que 
la  doctrine  des  prophètes  anciens;  c'était  vrai, 
quoique  peut-être  un  peu  moins  qu'il  ne  le  suppo- 
sait et  qu'il  ne  l'eût  voulu.  Mais  l'auditoire  était 
autre,  et  ce  simple  changement  a  suffi.  Ici  le  Chris- 
tianisme, là  rislam;  d'une  part  la  civilisation  avec 
toutes  ses  lumières,  ses  forces,  ses  progrès;  et 
d'autre  part,  une  demi-barbarie,  qui,  après  avoir 
franchi  d'un  premier  élan  certaines  limites,  s'est 
arrêtée  court  et  demeure  immobile,  jusqu'à  ce 
qu'une  main  étrangère  vienne  lui  rendre  le  mou- 
vement et  la  vie. 

Ceci  ne  rabaisse  pas  le  Mahomélisme,  mais  le 
place  à  son  rang.  11  vient  immédiatement  après  le 
Christianisme,  et  les  races  musulmanes  forment, 
par  leur  position  sur  la  terre,  aussi  bien  que  par 
leur  foi,  comme  un  intermédiaire  entre  l'Europe 
chrétienne  el  les  populations  asiatiques.  Les  mu- 
sulmans sont  moins  éclairés  que  nous;  mais,  tout 
compris,  ce  son!  les  plus  éclairés  des  Orientaux, 
lisent  moins  d'originalité  que  plusieurs  autres  de 


PREFACE. 


ces  peuples, ceux  de  l'Inde  par  exemple;  et  tout  ce 
qu'ils  possèdent,  ils  l'ont  reçu  du  dehors  par  les 
Juifs,  les  Chrétiens  et  les  Grecs;  mais  dans  cette 
situation  moyenne  de  croyances ,  d'arts  et  de 
sciences,  ils  ont  fait  preuve  d'une  aptitude  que  les 
autres  races  orientales  n'ont  jamais  eue  au  même 
degré.  Leur  apparition  dans  l'histoire  est,  il  est 
vrai,  bien  plus  récente,  de  même  que  l'est  aussi 
leur  origine  ;  mais  tirant  assez  peu  de  chose  de  leur 
fonds,  ils  ont  été  du  moins  des  héritiers  intelligenis. 
C'est  une  gloire  que  tous  les  peuples  n'ont  pas  su 
se  donner.  Que  ce  soit  là  le  mérite  réel  des  Arabes, 
et  leur  titre  durable  à  l'estime  et  à  la  reconnais- 
sance du  monde. 

Mais  je  m'aperçois,  un  peu  tard  peut-èlrc,  que 
je  parle  bien  sérieusement  du  Mahométisme  et  des 
religions  en  général.  Aujourd'hui  il  y  a  sur  ce  grave 
sujet  des  opinions  bien  différentes  de  celle-là.  On  re- 
garde les  religions,  y  compris  la  religion  chrétienne, 
comme  les  bégayements  du  genre  humain.  Elles 
ont  pu  naître,  et  même  être  utiles,  quand  l'huma- 
nité était  dans  son  enfance;  elles  l'ont  nourrie  et 
bercée,  quand  elle  essayait  avec  peine  ses  pas  chan- 
celants ;  elles  l'ont  guidée,  quand  elle  ne  voyait  pas 
clair  encore.  Mais  une  fois  parvenue  à  sa  majo- 
rité, l'humanité  rejcite  des  onseianements  qui  ne 
peuvent   plus  léclain  r,  comme  l'enfant  devenu 


PREFACE. 


adulte  repousse  des  vètemeiUs  qui  ne  peuvent  plus 
le  couvrir.  A  ce  mélange  obscur  d'imagination  et 
de  poésie,  de  symboles  et  de  demi-raison,  qui 
forme  en  proportions  inégales  tout  système  reli- 
gieux, l'esprit  humain  substitue  la  pure  lumière 
de  la  science,  qu'il  a  rendue  infaillible.  La  religion 
est  un  état  transitoire  qu'il  a  définitivement  tra- 
versé; il  marche  à  des  destinées  nouvelles  ;  et  soit 
qu'il  garde  encore  quelque  gratitude  envers  les 
croyances  qui  ont  abrité  son  berceau,  «oit  qu'il 
rompe  violemment  avec  elles,  quand  elles  veulent 
appesantir  sur  lui  et  continuer  leur  joug  suranné, 
désormais  il  n'en  a  plus  besoin  ;  il  est  émancipé.  Il 
s'avance  dans  sa  virilité  et  son  indépendance,  débar- 
rassé de  langes  qui  ne  sont  plus  bons  que  pour 
rignorance  ou  l'hypocrisie. 

Sur  quelle  métaphysique  repose  cette  condam* 
nation  des  religions,  depuis  les  plus  infimes  jus- 
qu'aux plus  savantes?  La  voici. 

Toutes  les  religions  ont  en  général  le  tort  de 
croire  à  quel({ue  chose  en  dehors  de  ce  monde  ;  elles 
rêvent  pour  Ihomme  une  autre  existence  après 
celle-ci,  et  elles  lui  forgent  des  espérances  chimé- 
ri(jiies.  Le  dieu  qu'elles  se  figurent,  et  qu'elles  pré- 
sentent à  l'adoration  des  crédules  humains,  n'existe 
jioinl.  Dieu  se  confond  avec  le  monde;  Dieu  n'est  que 
le  (Irand-Tout  ;  il  est  la  substance  et  la  vie  de  chacun 


l'UEFACE.  XX  vu 

des  phénomènes  que  nous  observons,  et  même  de 
chacun  de  nous.  L  homme  n'est  pas  Dieu  ;  mais  il 
est  une  partie  du  divin.  Le  monde  est  éternel  et  in- 
fini ;  il  est  l'Être  universel,  formé  de  tous  les  êtres 
particuliers  que  perçoivent  nos  sens,  ou  que  notre 
intelligence  peut  concevoir.  Avec  toutes  ses  contra- 
dictions et  ses  laideurs,  il  est  le  dieu  réel,  si  ce  n'est 
le  seul  dieu.  Quant  à  cet  être  parfait,  auquel  as- 
pirent si  vainement  toutes  les  religions  et  parfois 
môme  les  philosophies,  il  n'est  qu'une  simple  idée 
enfantée  par  la  raison  de  l'homme,  et  ne  durant 
pas  plus  que  nous.  L'homme  périt  sans  retour, 
après  la  courte  existence  qu'il  mène  ici-bas,  l'ayant 
reçue  il  ne  sait  de  qui,  la  perdant  sans  savoir  pour- 
quoi, n'étant  sorti  du  néant  que  pour  y  être  re- 
plongé presque  aussitôt,  ne  devant  compte  qu'à 
lui  seul  de  ses  actes  et  de  ses  pensées,  de  ses  vertus 
et  de  ses  crimes.  L'ensemble  de  l'univers  n'a  point 
eu  de  commencement;  il  n'aura  pas  davantage  de 
lin.  Même  à  dire  vrai,  l'univers-Dieu  n'est  pas;  il 
devient  sans  cesse,  et  cet  objet  de  la  science,  dont 
l'homme  est  si  lier  en  son  orgueil,  silest  perpétuel, 
est  perpétuellement  insaissisable  et  mobile. 

Hegardéesdu  point  de  vue  de  celte  métaphysique, 
les  religions  doivent  produire  un  bien  ])auvre  effet  ; 
tout  au  plus  semldent-elles  des  œuvres  puériles  et 
passagères,  quand  elles  ne  semblent  pas  des  œuvres 


xxviii  PREFACE 

de  fourberie  et  des  machinations  de  despotisme. 
Les  religions,  il  est  vrai,  peuvent  se  consoler  de 
ce  jugement  hautain;  car  pêle-mêle  avec  elle^  et 
sans  plus  de  considération,  on  précipite  dans  le 
même  abîme  tous  les  systèmes  philosophiques  an- 
térieurs à  cette  science  nouvelle,  un  peu  trop  dédai- 
gneuse, qui  s'intitule  la  Critique  et  dont  le  nom 
serait  plutôt  le  Scepticisme.  Englobées  avec  toutes 
les  métaphysiques  du  passé  dans  cette  condam- 
nation commune  et  sommaire,  les  religions  doi- 
vent en  prendre  leur  parti.  Elles  sont  aguerries 
contre  de  tels  anathèmes,  qui  ne  leur  ont  pas  beau- 
coup nui  jusqu'à  cette  heure,  quand  ils  n'ont  pas 
été  plus  mérités  ni  [)lus  raisonnables.  Elles  peuvent 
se  dire  aussi,  dans  leur  stabilité  séculaire,  que 
ce  présent,  si  altier  pour  elles,  deviendra  bientôt 
lui-même  du  passé;  et  qu'à  son  tour  il  sera,  sans 
plus  de  pitié,  dénoncé  à  l'oubli,  si  ce  n'est  à  la 
haine  du  genre  humain.  La  Critique  est  un  peu 
comme  Saturne;  elle  se  repaît  de  ses  enfants.  Le 
scepticisme  n'a  bien  accompli  toute  son  œuvre  que 
quand  il  s'est  dévoré  lui-même,  essayant  de  dou- 
ter de  son  propre  doute.  C'est  le  cercle  fatal  qu'il 
doit  parcourir  tout  entier.  Après  avoir  tout  détruit, 
il  ne  lui  reste  qu'à  se  détruire  lui-même;.  Il  joue 
avec  ses  propres  aflirmalions,  comme  il  a  joué  avec 
toutes  les  autres,  se  trompant  jusqu'au  bout  sur  son 


PREFACE.  xsix 

impuissance,  qu'il  a  prise,  chemin  faisant,  pour  de 
la  force. 

Ces  théories  sur  les  religions  sont  aussi  fausses 
que  dangereuses;  et  la  raison,  en  voyant  les  prin- 
cipes sur  lesquels  on  prétend  les  appuyer,  pour- 
rait les  trouver  sacrilèges,  fout  aussi  hien  que  l'or- 
thodoxie catholique. 

On  doit  remarquer  d'abord  que  ces  théories 
ne  sont  pas  absolument  neuves,  ni  par  conséquent 
aussi  audacieuses  qu'on  se  le  figure  complai- 
samment.  Elles  simaginenl  qu'elles  continuent  la 
philosophie  allemande,  dont  les  nuages  ont  aveuglé 
hien  des  yeux  et  tourné  bien  des  têtes  j  armi  nous. 
Mais  cette  prétention  à  la  nouveauté  n'est  pas  plus 
fondée  que  le  reste.  Ces  doctrines  ne  viennent  ni 
d  Ilégel,  ni  de  la  Critique  kantienne.  Elles  peuvent 
faire  remonter  leur  généalogie  un  peu  plus  haut. 
Elles  sortent  en  droite  ligne  du  St/stètne  de  la  na- 
iKre^  qui  paraissait  anonyme  et  à  l'étranger,  voilà 
justement  cent  ans.  Sauf  le  langage  et  l'érudition, 
ce  sont  absolument  les  mêmes  idées;  il  n'y  a  de 
mfidifié  que  la  forme  et  le  style.  D  Holbach  a  ex- 
posé en  termes  prolixes  et  moins  bons,  quoique 
plus  populaires  et  moins  abstraits,  tout  ce  qu'on 
nous  répète  aujourd'hui  sur  l'origine  et  l'inanité 
des  religions,  sur  Dieu  dont  il  nie  l'existence,  ne 
reconnaissant  que  la  réalité  du  monde,  auquel  il  a 

0 


Mt  PRÉFACE. 

adresse  aussi  des  hymnes,  admirant  avec  fana- 
tisme et  délire  la  nature  en  sa  puissance  et  dans 
son  ordre  merveilleux,  la  divinisant  comme  le  font, 
nos  Critiques  contemporains,  et  ne  laissant  pas 
davantage  d'espérance  ou  de  liberté  à  l'âme  de 
l'homme,  qui  doit  périr.  Ce  n'est  donc  pas  quelque 
chose  de  très-neuf  qu'on  nous  apporte;  c'est  la 
doctrine  de  dHolbach  qu'on  nous  représente,  sans 
peut-être  y  penser,  un  peu  changée  de  couleur  mais 
identique  au  fond.  Au  lieu  de  condamner  ainsi 
tout  le  passé,  il  eût  donc  fiillu  en  excepter  au  moins 
le  collaborateur  de  Diderot.  Puisqu'on  recueillait 
son  héritage,  il  était  assez  convenable  de  ne  pas 
le  proscrire,  même  en  compagnie  de  Descartes  et 
de  Platon,  C'est  une  inadvertance,  dont  il  aurait  le 
droit  de  se  plaindre  comme  d'une  ingratitude. 

Du  reste,  peu  importe  qu'une  théorie  soit  ré- 
cente ou  ancienne  ;  tout  ce  qu'on  lui  demande,  c'est 
d'être  vraie.  Or,  celle-ci  est  de  tous  points  insoute, 
nable  ;  elle  est  en  opposition  complète  avec  les  faits 
les  plus  manifestes  et  les  moins  controversés. 

En  réalité,  les  religions  n'existent  pas  unique- 
ment au  berceau  et  au  début  de  l'humanité.  On 
voit  des  religions  qui  périssent  et  d'autres  qui 
naissent  à  leur  place,  leur  succédant  parce  qu'elles 
sont  meilleures.  Mais  on  ne  voit  pas  un  seul  joui-, 
un  seul  instant,  la  religion  manquer  à  l'esprit  bu- 


rTŒFACE.  XXXI 

main,  si  £0  n'est  peut-être  dans  quelques  peuplades 
imperceptibles  et  dégradées,  qui  n'ont  eu  ni  le  temps 
ni  la  force  d'organiser  un  culte,  et  qui,  sous  la 
pression  des  besoins  les  plus  continuels  elles  plus 
urgents,  n'ont  jamais  pu  se  procurer  un  moment 
de  loisir  pour  recueillir  leurs  idées.  Ce  ne  sont  pas 
apparemment  ces  écbanlillons  informes  de  l'espèce 
bumaine  qu'on  pré  fendrait  nous  citer  en  preuves 
et  pour  modèles.  Mais  le  re^le  des  peuples,  ou  plulôl 
l'humanité  tout  entière,  depuis  quatre  ou  cinq  mille 
ans  que  nous  la  connaissons,  n'a  jamais  manqué  de 
religion . 

Si,  laissant  le  passé,  on  regarde  à  l'étal  de  choses 
qui  se  déroule  actuellement  sous  nos  yeux,  voit-on 
que  la  religion  soit  aujourd'hui  moins  répandue  et 
moins  florissante?  Pour  ne  prendre  que  les  races 
auxquelles  nous  appartenons  nous-mêmes,  il  est 
bien  vrai  que  le  Paganisme  a  péri  ;  mais  la  religion 
dans  son  ensemble  y  a-t-elle  perdu  (juoiquece  soit? 
A-t-elle  rétrogradé,  ou  s'est-elle  étendue,  non  pas  en 
profondeur  ou  en  beauté  morale,  c'est  trop  évident; 
mais  en  simple  surface?  Le  spectacle  religieux 
qu'offre  aujourd'hui  l'Europe,  avec  le  Nouveau 
Monde,  qu'elle  a  converti,  et  le  monde  asiatique 
et  africain,  qu'elle  transforme  pas  à  pas,  est-il 
moins  beau  ou  plus  étroit  que  celui  qu'offrait, 
il  y  a  dix-neuf  siècles,  l'empire  romain,   domi- 


xxTii  PRÉFACE. 

nalcur  de  Tunivers  et   déclinanl  vers  sa  ruine? 

Je  ne  me  dissimule  point  tout  ce  qu'on  peut  dire 
de  vrai,  ni  toutes  les  justes  criliques  qu'on  peut 
élever  contre  telle  religion  en  particulier,  contre 
telle  église,  contre  tel  dogme.  Mais  qu'est-ce  que 
cela,  en  présence  du  fait  que  je  signale,  immense, 
unanime,  tout  vivant  à  l'heure  présente,  très-divers 
sans  doute,  mais  partout  décisif,  depuis  la  libre  et 
religieuse  Angleterre  jusqu'à  l'Inde,  qu'elle  gou- 
verne, et  à  la  Chine,  que  nous  arracherons  à  sa 
perle?  Sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  la  re- 
ligion ne  règne-t-elle  pas  sur  la  face  entière  de 
notre  globe?  Ne  faudrait-il  pas  fermer  volontaire- 
ment les  yeux  à  la  lumière,  pour  se  soustraire  à 
cetle  évidence,  qui  éclate  de  toutes  parts?  On  ne 
peut  pas  trouver  que  tous  ces  cultes  se  valent,  que 
tous  ces  dogmes  Soient  également  raisonnables  et 
uliles;  ce  serait  un  blasphème  contre  plusieurs  de 
ces  religions ,  et  notamment  contre  la  religion 
chrétienne,  à  laquelle  ses  ennemis  même  les  plus 
aveugles  lie  font  pas  cette  injure.  Mais  je  dis  que, 
malgré  tous  les  progrès  de  la  civilisation  et  des 
sciences,  la  religion,  loin  de  perdre  la  moindre 
pari  de  terrain,  en  occupe  aujourd'hui  plus  que 
jamais;  et  elle  n'a  pas  plus  reculé  dans  les  cœurs 
qu'elle  n'a  reculé  parmi  lesj)euples. 

Il  e>l  donc  radicîilenient  faux  en  fait  que  l'iiu- 


PREFACE.  XXXIII 

manitô  ait  repoussé  les  hochels  supposés  de  son 
enfance,  ni  qu'elle  veuille  actuellement  renoncera 
la  reli<nun.  En  Asie,  les  populations  hindoues,  mu- 
sulmanes, bouddhistes  ou  autres,  sont  aussi  tenaces 
et  aussi  convaincues  qu'elles  l'ont  jamais  été;  et  pour 
prendre  un  exemple  qui  nous  soit  plus  familier  et 
plus  intime,  la  France  où  nous  vivons  esl-ol le  moins 
religieuse  qu'elle  ne  l'était  au  siècle  dernier?  Sans 
doute,  la  religion  parmi  nous  pourrait  encore  exer- 
cer sur  les  âmes  bien  plus  d'empire,  et  les  toucher 
plus  intimement;  mais  les  âmes  ne  sont  pas  prêles 
à  la  quitter,  même  pour  les  révélations  de  la  Cri- 
tique. Loin  de  s'affaiblir,  la  croyance  religieuse 
fait  tous  les  jours  des  pas  heureux  et  constants.  A 
en  juger  par  bien  des  symptômes,  il  n'y  aurait  pas 
même  beaucoup  à  la  provoquer  encore  pour  que 
peut-êtreelle  éclatât  tout  à  coup,  par  une  de  ces  ma- 
lufestations  soudaines  etirrésistibles qui  sont  si  ha- 
bituelles à  la  furie  française,  dans  les  luttes  de  reli- 
gion comme  dans  les  autres. 

Qu'adviendra-t-il  un  jour  des  religions?  Doi- 
vent-elles s'éclipser  pour  faire  place  à  ce  qu'on 
appelle  un  peu  fastueusement  la  Science?  C'est  là 
une  prophétie  que  quelques  philosophes  n'hésitent 
pas  à  hasarder.  Moi  non  plus  je  n'hésite  pas,  bien 
qu'en  un  sens  absolumenl  opposé:  j'affirme  que  la 
ifïiigion  ne  dispai'aîlra  jamais  de  la  terre;  et  j'ai 


xxxiv  PREFACE 

pour  gage  de  mon  inébranlable  cerlilude  le  passé 
loiU  entier  du  genre  humain,  dont  je  ne  fais  pas  si 
bon  marché;  j'en  ai  pour  gage  la  nature  même  de 
l'esprit  de  l'homme,  qui  se  passerait  plutôt  encore 
de  philosophie  que  de  religion;  car  il  y  a  eu  des 
temps  où  la  philosophie  n'existait  pas,  et  il  n'y  en  a 
pas  un  seul  d'oii  la  religion  ait  été  absente. 
Qu'est-ce  en  effet  que  la  religion? 
Pour  un  inslant,  écartons  le  culte  qui  n'est  en 
quelque  sorte  qu'un  objet  d'ordre  social,  et  dont 
les  diversités  ne  doivent  pas  nous  cacber  le  fonds 
commun    qu'elles    enveloppent.    Les    bizarreries 
même  les  plus  inintelligibles,  et  par  fois  les  plus 
choquantes,  ne  peuvent  pas  nous  tromper.  Toutes 
les  religions,   sans  en  excepter  aucune,  ne  sont 
qu'une  explication  plus  ou  moins  heureuse,  plus 
ou  moins  profonde,  de  cette  grande  énigme  qui  sol- 
licite sans  cesse  notre  inlelligence  :  Qu'est-ce  que 
le  monde?  Qu'est-ce  que  rhomme?D'où  viennent- 
ils?  Qui  les  a  faits?  Qui  les  gouverne?  Quel  en  est 
le  but?   Comment   ont-ils   commencé?  Comment 
doivent-ils  finir?  Qu'est-ce  que  la  vie  et  la  mort? 
Quelle  est  la  loi  qui  doit  régir  la  raison  humaine  dans 
notre  court  jiassagc  ici-bas?  Quelavenir  nous  attend 
par  delà  cette  vie,  dont  la  durée  éphémère  ajoute 
encore  à  sa  beauté  et  à  son  imporlanciî?  ^  a-t-il 
quel(|ue  chose  après   celte   existence  d'un  jour? 


riîÈFACE.  xxw 

Et  dans  quel  rapport  sommes-nous  avec  réternilo, 
dont  la  pensée  seule  nous  accable,  mais  à  laquelle 
nous  appartenons,  et  qui  peut  aussi  nous  appar- 
tenir? Ce  sont  là  des  questions  d'un  si  pressant  in- 
térêt, d'un  intérêt  tellement  général,  qu'il  n'y  apas 
une  seule  nation,  un  seul  peuple,  une  seule  peu- 
plade qui  ne  les  ait  résolues.  Solutions  bonnes  ou 
mauvaises,  raisonnables  ou  absurdes,  durables  ou 
transitoires,  qu'importe?  Il  n'est  pas   une  société 
qui  ait  pu  s'en  passer  jamais.  On  peut  ajouter  qu'il 
n'y  en  aura  jamais  qui  puisse  s'en  désintéresser. 
Si'lon  les  temps,  les  lieux,  les  circonstances  de  race, 
de  climat,  d'histoire  antérieure  et  mille  autres  ac- 
cidents, dont  nous  n'avons  ni  le  secret  ni  la  dispo- 
sition, les  interprétations  d'un  seul  et  unique  pro- 
blème  changent  à  l'infini.  De  là  ces  bigarrures 
religieuses,  dont  on  peut  se  railler  par  inattention 
ou  légèreté,  mais  auxquelles  l'humanité,  en  quel- 
ques lieux  qu'on  l'observe ,  à  quelque  degré  de 
civilisation  qu'ellesoil  arrivée,  tient  passionnément, 
comme  à  son  trésor  le  plus  cher,   à  son  bien  le 
plus  précieux.   La  religion,  la  croyance  nationale 
est  plus  essentielle   aux  peuples   que    la   patrie 
même.  Le  Juif,  le  Guèbre  et  tant  d'autres  ont  perdu 
la  Judée  ou  la  Perse  ;  il  leur  suffit  d'avoir  emporté 
leur  dieu,  qu'ils  gardent  inviolable  et  toujours  pré- 
sent, sur  la  lerre  étrangère  et  dans  l'exil  éternel. 


PREFACE. 


C'est  là  aussi  ce  qui  explique  la  fureur  impla- 
cable des  guerres  religieuses,  sans  la  justifier,  soit 
entre  des  peuples  différents,  ^oit  dans  le  sein  d'un 
même  peuple  où  la  foi  se  divise.  La  politique  a 
bienmoinsd'acharnement,  toute  sanguinairequ'elle 
est.  Cela  se  conçoit  sans  peine.  Les  peuples  ont 
une  conscience,  comme  les  individus;  pour  y 
obéir,  ils  sont  toujours  prêts  aux  sacrifices  les  plus 
héroïques.  La  passion  des  conquêtes,  le  soin  même 
de  la  défense  matérielle  ne  leur  inspirent  pas  tou- 
jours ces  dévouements  extraordinaires  où  il  s'agit  de 
tout  immoler  pour  sauver  son  àme;  les  nations  ne 
les  marchandent  jamais  à  leur  religion;  de  même 
que  l'homme  vertueux  sait  périr  pour  le  devoir, 
quand  la  voix  intérieure  lui  demande  une  existence 
dont  le  devoir  fait  le  seul  prix. 

Le  scepticisme,  cetle  maladie  ou  cette  faiblesse  de 
quelques  esprits  trop  amoureux  d'eux-mêmes,  peut 
])laisanter  plus  ou  moins  agréablement  de  cette  su- 
perstition des  peuples  et  de  cetle  duperie  qui  cal- 
cule si  peu.  Mais  l'humanité  n'entend  pas  raillerie 
sur  ces  sentiments-là,  et  elle  se  dévoue  toujours  avec 
une  énergie  indomptable  au  Dieu  qu'elle  adore,  (jU(* 
ce  Dieu  soit  une  idole  ou  le  vrai  Dieu.  Quanta  moi, 
en  j)résence  de  ces  prodigieux  mouvements  de  la 
conscience  humaine  dans  les  nations,  en  présence 
de  ces  Ilots  Iraii.jiiillt's   ou  soulevés  d'une   foi   et 


PRÉFACE.  xxxvii 

d'une  piété  même  peu  intelligentes,  je  me  sens  pé- 
nétré de  vénération  et  de  sympathie  ;  et  tout  ce  que 
je  demande,  c'est  de  pouvoir  mettre  au  service  des 
croyances  que  me  donne  ma  raison  autant  de  cou- 
rage, d'enthousiasme,  d'abnégation  et  de  constance. 
11  faudrait  plaindre  ceux  qui  restent  froids  ou 
qui  même  sont  ironiques  devant  ces  nobles  spec- 
tacles. Leur  vanité  les  sert  bien  mal  de  se 
mettre  ainsi  hors  la  loi  du  genre  humain;  leur 
science  est  bien  courte  de  comprendre  si  peu  ces 
grandes  inspirations,  ces  orages  et  ces  luttes.  Ce 
n'est  pas  là  faire  acte  de  raison  et  de  philosophie  ; 
c*est  simplement  faire  acte  d'indifférence,  on  pour- 
rait presque  dire,  d'inhumanité. 

Mais  comment  l'âme  du  philosophe  peut-elle  s'é- 
mouvoir ainsi  en  faveur  des  religions  vulgaires? 
La  raison  et  la  foi,  la  philosophie  et  la  religion  ne 
sont-elles  pas  nécessairement  des  ennemies?  Ne 
l'ont-elles  pas  toujours  été,  ne  le  seront  elles  pas 
toujours?  Je  déclare  que  je  n'en  crois  rien;  et  quand 
j'essaye  de  me  rendre  compte  de  ce  que  sont  la 
religion  et  la  philosophie,  je  suis  bien  plus  poité 
ta  les  réunir  qu'à  les  diviser.  Je  n'ignore  pas  tout  ce 
qui  les  a  séparées  et  tout  ce  qui  les  sépare  encore, 
quoique  la  distance  tende  sans  cesse  à  se  rappro- 
cher. Je  sais  que  la  philosophie  a  eu  ses  martyrs, 
frappés  au  nom  de  la  religion,  qnehinefnis  même 


PREFACE. 


par  les  mains  de  ses  ministres,  et  qu'elle  est  lou- 
joiirs  suspecte  à  l'autorité  religieuse.  Je  sais  qu'en 
sens  contraire  la  foi  est  trop  souvent  décriée  par  la 
libre  pensée.  Mais  ces  dissentiments,  quoique  fré- 
quents, semblent  peu  justillables  ;  ce  sont  les  pas- 
sions humaines  qui  surtout  sont  enjeu,  avec  leurs 
aveuglements  et  leur  égoïsme  habituels. 

Au   fond,  la  religion  et  la  philosophie  ont  le 
même  but.   La  philosophie  a-t-elle  d'autres   pro- 
blèmes à  résoudre  que  ceux  dont  la  religion  s'oc- 
cupe? Se  pose-t-elle,  peut-elle  même  se  poser  d'au- 
tres questions?  Contempler  le  monde  et  l'homme  et 
se  les  expliquer,  que  peut-on  faire  de  plus?  Une  seuh^ 
chose  :  c'est  de  prendre  une  autre  route  pour  .sa- 
tisfaire un  même  besoin  ;  les  méthodes  et  les  con- 
clusions varient  ;  mais  l'objet  est  identique.    La 
différence  la  plus  grave  et  la  plus  apparente,  c'est 
que  d'une  part  ce  sont  les  peuples  qui  résolvent 
les  questions,  et  que  d'autre  part  ce  sont  des  indi- 
vidus. De  là,  des  divergences  de  plus  d'un  genre, 
inévitables,  quelquefois  funestes,  mais  qui  n'oient 
rien  à  l'identité  fondamentale.  Il  faut  déplorer  les  vic- 
times, quand  il  y  en  a,  et  détester  la  cruauté  de  ceux 
(|iii   les  font  ,  de  quelque  côté   qu'elles  tombent. 
Le  philosoplie  détourne  ses  regards  attristés  de  ces 
fails  lanu  niables  et  trop  conmiuns;  el  s'il  doit  par 
iiasard  èLre  atteint  personnellement,  il  se  résigne 


PRI-IACt;  vxxlx 

sans  trop  de  rcgrel  à  mourir,  avec  Socrale,  pour 
la  cause  de  la  vérité.  Mais  nous  qui,  dans  des  temps 
meilleurs,  n'avons  rien  à  craindre,  il  semble  qu'il 
nous  doit  être  bien  plus  aisé  de  resler  équitables, 
précisément  parce  que  notre  sécurité  n'a  point  à 
s'alarmer.  Tâchons  donc  de  voir,  sans  rancune 
et  sans  colère,  ce  que  sont  les  religions  et  les  phi- 
losophies,  dans  leurs  rapports  et  dans  leurs  dis- 
semblances. 

Les  origines  des  religions  sont  en  général  ense- 
velies dans  des  ténèbres.  Même  de  nos  jours,  la 
science  désespère  de  jamais  dissiper  cette  obscurité, 
qui  s'épaissit  avec  le  temps,  et  que  toute  notre  pé- 
nétration ne  pourra  jamais  percer.  Il  y  a  bien  quel- 
(pies  exceptions.  Le  Mahométisme  en  est  une. 
Nous  savons  précisément  l'heure  où  il  est  né,  com- 
ment il  s'est  formé,  et  comment  il  est  devenu  la 
conscience  de  tout  un  peuple,  bientôt  imité  par  une 
foule  d'autres.  Mais  cet  exemple  ne  tire  pas  h  con- 
séquence ;  l'Islam  est  peut-être  la  seule  religion 
dont  le  berceau  soit  si  clair,  non  pas  seulement 
parce  qu'il  est  le  plus  voisin  de  nous,  mais  en  ou- 
tre parce  qu'il  s'est  trouvé  dans  des  conditions 
toutes  spéciales.  Les  débuts  du  Christianisme,  né 
six  siècles  à  peine  auparavant,  sont  restés  histori- 
quement obscurs;  l'Evangile  lui-même,  dans  ses 
([ualre   témoin^r  ne  uou<  \>i\v\c   guère  (|uc  de  la 


XL  l'RtFACE. 

naissance  cl  de  la  mort  du  divin  fondateur  de  la 
foi  nouvelle  ;  il  nous  laisse  ignorer  presque  tout  le 
reste  de  sa  trop  courte  carrière  ;  et  les  tentatives 
qu'on  a  faites  souvent  pour  la  reconstruire  ont 
été  vaines,  quand  elles  n'étaient  pas  impies. 
Les  origines  du  Bouddhisme,  assez  nettes  à  quel- 
ques égards,  sont,  à  d'autres,  tellement  confu- 
ses, qu'on  ne  sait  même  pas  la  date  exacte  oiî  le 
Bouddha  est  né  et  celle  où  il  est  mort  ;  Ihistoire 
n'est  pas  fixée  sur  ce  point  essentiel.  Quant  à  la  re- 
ligion hrahmanique  ou  au  Paganisme  grec  et  ro- 
main, il  n'y  a  pas  d'érudition,  quelque  sagace 
qu'on  la  suppose,  qui  puisse  se  flatter  de  nous  dire 
comment  ces  deux  croyances,  semblables  sur  tant 
de  points,  ont  pu  naître,  ni  même  comment  elles 
se  sont  développées.  Le  culte  des  dieux,  tel  qu'il 
est  dans  les  Védas  ou  dans  Homère,  est  pour  nous 
une  indéchiffrable  énigme  ;  il  répond  à  un  étal  de 
la  conscience  humaine  que  l'imagination  la  plus 
puissante  ne  peut  ressusciter. 

Pourquoi  l'histoire  des  religions  est-elle  si  dou- 
teuse et  si  incomplète  à  leur  début?  C'est  qu'elles 
sont  l'œuvre  collective  de  peuples  entiers.  Même 
quand  elles  se  personnifient  dans  un  homme,  Moïse, 
Bouddha,  Mahomet,  ces  grandes  individualités  ne 
sont  (pie  ri'X[»ression  et  le  ri'flet  de  tout  ce  qui  les 
entoure  el  les  bou tient  ;  leur  voix  serait  méconnue 


PRÉFACE.  SLi 

et  mourrait  étouffée,  si  tous  les  échos  ri'étaient  pas 
prêts  à  la  répéter.  L'exemple  unique  de  Mahomet 
nous  fait  deviner  en  partie  ce  que  d'autres  ont  pu 
être,  aussi  écoutés,  aussi  utiles  que  lui ,  dans 
les  temps  où  ils  ont  parlé.  Mais  encore  une  fois 
il  serait  impossible  d'appliquer  à  toutes  les  reli- 
gions la  mesure  de  l'Islam. 

Rien  au  contraire  de  plus  clair,  de  moins  incer- 
tain que  la  naissance  d'une  philosophie.  On  sait, 
pour  la  plupart  des  philosophes,  quelle  a  été  leur 
vie,  et  quelle  a  été  leur  doctrine.  Ceux  qu'on  ignore 
•ne  peuvent  compter  parmi  les  plus  importants  et 
les  plus  instruits.  Quand  ces  souvenirs  sont  abolis 
ou  mutilés,  ce  sont  de  purs  accidents,  comme  pour 
tant  d'autres  ;  le  hasard  ou  la  négligence  de  la  tradi- 
tion en  est  la  seule  cause.  Mais  il  n'y  a  rien  dans  les 
philosophies  qui  se  dérobe  essenliellement  à  notre 
connaissance.  Elles  sont  individuelles  ;  on  sait  tou- 
jours à  qui  on  les  doit,  et  qui  en  est  responsable. 
Elles  sont  relativement  récentes,  et  avoisinent  par 
conséquent  l'époque  où  les  peuples  sont  capables 
d'écrire  l'histoire  de  leurs  actions  et  celle  de  leurs 
pensées.  Quand  l'origine  de  la  philosophie  est 
obscure  chez  un  peuple,  c'est  que  ce  peuple  a  laissé 
aussi  tous  ses  aulies  développements  dans  l'om- 
bre ;  tel  est  le  cas  de  l'Inde,  où  cette  nuit  ([ui  cou- 
vre  tout    ne    sera  jamais  dissipée,  aussi  ('paisse 


l'I'.ElACIi, 


|)Our  la  poésie  et  la  politique  que  pour  la  religion 
et  Ja  philosophie. 

Bien  plus,  les  œuvres  des  philosophes,  quand  on 
a  pu  les  conserver,  sont  des  monuments  plus  au- 
thentiques que  tous  les  autres.  On  sait  mieux  la 
pensée  de  Platon  ou  d'Aristote  qu'on  ne  sait  les 
campagnes  d'Alexandre  ou  celles  d'Ânnibal.  Ce 
n'est  pas  que  les  religions  n'aient  aussi  leurs  li-  • 
vres  ;  mais  comme  ce  sont  des  peuples  qui  les  ont 
écrits,  ces  livres,  tout  sacrés  qu'ils  doivent  être,  ne 
peuvent  avoir  ni  l'ordre  ni  la  clarté  des  œuvres  in- 
dividuelles. Parfois  ce  ne  sont  que  des  amas  confus 
comme  les  hymnes  des  Védas,  les  Soûtras  bouddhi- 
ques, ou  même  les  ouvrages  si  disparates  de  la  Bi- 
ble..Parfois  même  il  n'y  a  que  des  traditions  et  pas 
de  livres,  comme  dans  le  Paganisme  ancien.  Ces 
dernières  religions  n'en  sont  pas  moins  vivantes 
dans  l'àme  des  nations  ;  seulement,  il  est  plus 
difficile  de  les  comprendre,  puisqu'on  ne  peut  pas 
remonter  à  leur  source,  et  interroger  les  documents 
primitifs  doù  elles  ont  découlé. 

Mais  il  faut  que  le  philosophe  se  le'  dise  :  ce 
n'est  certainement  pas  une  œuvre  antisociale  qu'il 
essaye;  mais  c'est  une  œuvre  qui  est  en  dehors 
du  courant  de  la  société  où  il  se  trouve  et  où  Dieu 
l'a  placé.  Le  peuple  accepte,  et  il  fait  bien,  la  foi 
traditionnelle  de  îjCs  pères,  qu'il  entoure  d'un  juste 


l'UEFACE.  xLiii 

respect,  souvent  superstitieux  et  peu  éclairé,  sou- 
vent même  très-intolérant.  Quant  au  philosophe,  il 
ne  s'enquierl  pas  de  la  tradition,  ou  du  moins  il  ne 
s'y  soumet  qu'à  hon  escient.  C'est  à  sa  raison  qu'il 
s'adresse;  c'est  la  raison  qui  est  son  inflexible  règle. 
Tandis  que  le  vulgaire  suit  le  torrent,  qui  d'ail- 
leurs peut  le  conduire  assez  sûrement,  le  philo- 
sophe s'abstrait,  autant  qu'il  le  peut,  de  tout  ce  qui 
l'environne  et  de  tout  ce  qui  l'a  précédé.  11  s'inter- 
roge lui-même;  il  interroge  la  nature,  dans  laquelle 
il  est  plongé;  et  quand  il  a  suffisamment  médité, 
il  se  donne  par  ses  propres  forces,  à  ses  risques 
et  périls,  l'explication  de  la  grande  énigme.  Cette 
explication  vaut  alors  mieux  pour  lui,  et  pour  ceux 
à  qui  il  la  communique,  que  l'explication  popu- 
laire. Il  l'a  puisée  à  la  vraie  source;  il  l'a  entourée 
de  la  vraie  lumière,  celle  de  l'intelligence,  sans 
laquelle  la  tradition  même  n'aurait  aucun  sens  et 
ne  subsisterait  point. 

Voilà  l'œuvre  du  philosophe,  simple,  mais  supé- 
rieure ;  légitime,  mais  pouvant  être  dangereuse 
pour  lui  ;  bienfaisante  à  la  longue  pour  la  société, 
qui  parfois  la  punit,  parce  qu'elle  croit  avoir  à  s'en 
défendre  ;  sacrée  elle  aussi,  mais  à  un  autre  lilre 
que  l'œuvre  religieuse  ;  admirable  et  sans  prix 
entre  les  mains  d'un  Socrate  ou  d'un  Platon,  d'un 
Aristote  ou  d'un  Descartes,  mais  douteuse  et  sus- 


PREFACE. 


pecte,  quand  elle  devient  l'instrument  des  passions, 
au  lieu  d'être  un  pur  instrument  de  vérité  ;  en  un 
mot,  le  sommet  de  la  raison  de  l'homme,  impar- 
iaile  encore,  sans  doute  comme  tout  ce  qui  est 
humain,  mais  son  honneur,  son  privilège  et  son 
salut. 

Tels  sont  le  rapport  et  la  dissemblance  générale 
de  la  religion  et  de  la  philosophie  ;  telle  est  la  cause 
de  leurs  querelles,  malgré  l'identité  de  leur  objet. 
Socialement,  la  religion  doit  occuper  la  première 
place.  La  philosophie  qui  prétendrait  la  sup- 
planter sur  le  théâtre  du  monde  serait  toujours 
impuissante,  quand  même,  pour  prévaloir  dans 
cette  compétition  impossible,  elle  userait  de  moyens 
violents,  qui  pourraient  la  déshonorer.  La  religion 
a  toujours  pour  elle  l'adhésion  des  masses  popu- 
laires. Elle  a  de  plus  l'antériorité  des  temps,  qui  la 
rend  profondément  vénérable,  comme  tout  ce  qui 
a  duré  au  sein  de  la  mobilité  incessante  des  choses 
humaines.  La  philosophie,  au  contraire,  ne  vient 
(ju'enderniei'lieu,  comme  la  réflexion  jcjuclquelois, 
(l'ès-lard  ;  même  dans  certaines  races,  elle  ne  nait 
jamais.  Plus  jeune  que  la  religion,  d'où  elle  sort 
ordinairement,  elle  est  beaucoup  moins  écoulée, 
parce  qu'elle  est  bien  moins  accessible.  Les  nations 
se  reconnaissent  elles-mêmes  dans  les  croyances 
([u'elles  ont  laites  ;  elles  ne  se  retrouvent  pas  dans 


l'IUTATE.  xi.v 

des  systèmes,  qui  ne  sont  que  des  élaborations  soli- 
taires, ne  répondant  souvent  à  rien  de  leur  passé, 
rien  de  leurs  traditions,  rien  de  leurs  préjugés,  rien 
de  leurs  ignorances  involontaires  et  fatales.  Les  re- 
ligions satisfont  toujours  à  une  nécessité  sociale  et 
commune,  placées  d'ailleurs  plus  ou  moins  haut 
dans  le  jugement  de  la  raison,  qui  plus  tard  les 
étudie  et  les  classe;  pour  les  peuples  qui  les 
ont  créées  et  qui  les  gardent,  elles  sont  la  vérité 
même,  telle  qu'ils  peuvent  la  concevoir  au  point  de 
lumières  où  ils  sont  arrivés.  La  philosophie,  préci- 
sément parce  ({u'elle  est  tout  individuelle,  peut 
enfanter  des  chefs-d'œuvre.  Mais  elle  jieut  produire 
aussi  des  doctrines  inacceptables,  à  la  fois  pour  l'é- 
poque où  elles  surgissent,  et  pour  la  postérité.  Le 
système  de  Spinosa  a  indigné  le  dix-septième  siècle, 
et  il  n'est  guère  mieux  reçu  par  le  nôtre.  L'auteur 
seul  s'y  est  complu,  suivi  de  quelques  rares  adeptes. 
Voilà  encore  pourquoi  la  religion  a  partout  un 
culte,  et  comment  la  philosophie  n'en  doit  pas 
avoir.  Il  faut  organiser  régulièrement  les  mani- 
festations extérieures  de  la  croyance,  qyand  ce 
sont  des  multitudes  qui  la  partagent  et  qui  se  réu- 
nissent dans  un  acte  public  et  solennel.  Le  |)hilo- 
sophe  au  contraire  n'a  point  à  sortir  de  sa  pensée 
individuelle  ;  tout  au  plus  forme-t-il  une  école, 
destinée  à   vivre  souveni   moins  que  lui,  et  qui 


PREFACE. 


péril  toujours  au  bout  de  quelque  lemps,  tandis 
que  les  religions  vivent  des  milliers  d'années  sans 
vieillir  et  sans  déchoir.  La  pensée  de  Platon  est  im- 
mortelle; mais  où  est  aujourd'hui  l'Académie?  La 
pensée  d'Aristole  ne  Test  pas  moins  ;  mais  où  est 
le  Lycée  ?  Le  Paganisme  a  duré  vingt  siècles,  tout 
faux  qu'il  était;  le  Christianisme,  qui  a  déjà  sub- 
sisté presque  autant,  sans  même  compter  le  passé 
qu'il  emprunte  à  la  Bible,  peut  se  flatter  désormais 
de  vivre  aussi  longtemps  que  le  genre  humain. 
Après  la  portion  de  vérité  que  les  religions  ren- 
ferment, c'est  le  culte  (|ui  les  maintient,  par  le 
respect  qu'il  leur  assure  et  par  les  services  incom- 
parables qu'elles  rendent.  Mais  imagine-ton  un 
philosophe  se  faisant  à  lui  seul  un  culte  particu- 
lier et  personnel,  en  vertu  des  principes  de  son 
système?  Y  aurait-il  assez  de  risées  pour  celte  en- 
treprise extravagante?  Et  celui  qui  la  tenterai t  ne 
semblerait-il  pas  renoncer,  par  cela  même,  à  la 
raison,  qui  n'est  pas  le  monopole  de  la  philosophie, 
mais  qui  est  son  vrai  titre?  Pouvons-nous  songer, 
sans  sourire  et  sans  dédain,  aux  naïvetés  de  nos 
ihéophilanlhropes,  ou  à  cette  théurgie  avortée  qui 
a  fait  scandale  dans  notre  temps?  Sans  culte, 
la  philosophie  doit  se  résigner  à  n'avoir  aucune  in- 
fluence directe  sur  la  foule.  Elle  se  contente  de 
quelques  intelligences,  qu'elle  dirige  dans  les  che- 


l'FîEFVCt.  xLvii 

mins  sévères  de  la  science  et  de  la  pure  raison,  et 
qu'elle  recrute  dans  tous  les  rangs,  sans  initiation  et 
sans  sacerdoce,  depuis  les  esclaves  jusqu'aux  em- 
pereurs, satisfaite  de  semer  des  germes  que  l'avenir 
récoltera. 

Ajoutez  que  le  culte  est  indispensable  à  la  foule, 
tandis  que  le  philosophe  peut  s'en  passer,  sans 
d'ailleurs  le  blâmer  ni  le  fuir.  Livrée  à  tous  les 
travaux  matériels  qui  font  subsister  la  société,  la 
foule  n'a  pas  le  temps  de  penser  chaque  jour  au 
dieu  de  sa  croyance.  Ce  qu'il  lui  faut  chaque  jour, 
c'est  de  gagner  sa  vie  à  la  sueur  de  son  front; 
noble  condition  à  laquelle  l'homme  est  soumis, 
dont  il  doit  se  glorifier  et  non  se  plaindre.  Mais 
celte  condition  courbe  ses  regards  vers  la  terre,  bien 
plutôt  qu'elle  ne  les  élève  vers  le  ciel.  L'idée  reli- 
gieuse peut  donc  sans  cesse  s'effacer  dans  les  âmes, 
non  par  impiété  ni  même  par  oubli,  mais  par  une 
nécessité  de  tous  les  instants,  toujours  renaissante 
et  toujours  inexorable.  Pour  compenser  ce  mal  et 
le  vaincre,  il  faut  qu'à  certains  jours,  h  certaines 
époques,  le  culte  vienne  avertir  les  hommes  et 
les  ramener  des  rudes  occupations  de  la  vie  à 
des  pensées  plus  hautes  et  non  moins  utiles.  Il 
entretient  une  ardeur  qui  pourrait  s'éteindre  ou 
.se  ralentir;  il  ranime,  par  le  contact,  le  feu  qui 
couve  dans  tous  les  cœurs;  il  établit  un  lien  de 


M.viii  [ilKKACF.. 

plus  entre  les  citoyens  réunis  ;  et  en  même  temps 
qu'il  les  provoque  à  monter  à  Dieu,  il  resserre  tous 
les  nœuds  de  la  communauté  sociale. 

Pour  le  philosophe,  il  n'a  guère  besoin  qu'on 
le  rappelle  à  des  pensées  qui  jamais  ne  lui  man- 
quent. Mais  pour  cela  il  ne  repousse  pas  des  ma- 
nifestations  qu'il   comprend    et   quil    approuve  ; 
il  les  accepte  dans  la  mesure  où  il  peut  le  faire 
sans  compromettre  sa  franchise  ni  montrer  une 
hypocrisie  indigne  de  lui.  Les  pompes  extérieures 
d'un  grtànd  culte  peuvent  même  l'émouvoir  plus 
vivement    que  le    reste  des   hommes.    Dès  lors, 
par  sympathie  pour  ses  semblables  et  aussi  par 
estime  pour  d'admirables  doctrines,  pourquoi  ne 
prendrait-il  point  part  à  la  prière   commune?  11 
y   sentira    toujours,    dans  quelque   religion   que 
le  sort  le  jette,  sous  les  formules  les  plus  variées, 
une  partie  de  ses  propres   aspirations.   C'est  une 
occasion  de  plus  pour  lui,  et  même  une  occasion 
plus  touchante,  de  penser  à  Dieu.  Mais  il  n'a  point 
à  réparer  dans  son  cœur  un  oubli  qu'il  ne  commet 
pas,  une  négligence  qui  ne  peut  être  la  sienne.  Par 
la  nature  propre  de  ses  labeurs  et  de  ses  médi- 
tations assidues,  c'est  comme  un  culte  perpétuel 
qu'il  porte  en  lui-même.  L'expression  du  dehors 
n'y  ajoute  rien  peut-être;  mais  comme  elle  ne  peut 
rien  non  plus  m  retrancher,  le  philosophe,  ([tiand 


PREFACE.  xi.ix 

il  entre  dans  le  temple,  d'acenrd  avec  la  foule,  y 
retrouve  le  dieu  qui  ne  le  quitte  pas  et  qui  vil 
dans   le  fond  de  son  intelligence. 

Ainsi  donc,  la  philosophie  ne  s'astreint  pas  ri- 
goureusennent  au  culte  public,  quelque  respectable 
qu'il  soit  ;  et  elle  doit  s'abstenir  d'un  culte  privé, 
qui  ne  serait  qu'une  puérilité,  s'il  n'était  pas  un 
sacrilège.  Tout  au  contraire,  le  culte  régulier  est 
nécessaire  et  bienfaisant  pour  les  peuples  qu'il 
soutient,  qu'il   éclaire  et  qu'il  fortifie. 

Ce  sont  là  des  dissemblances  entre  la  religion  et 
la  philosophie;  mais  il  est  des  points  par  lesquels 
elles  se  rapprochent.  Issues  l'une  et  l'autre  de  l'es- 
prit humain,  pour  connaître  et  servir  Dieu,  ayant 
en  dernière  analyse  le  même  objet,  ne  serait-il  j)as 
bien  étonnant  qu'elles  n'eussent  que  des  différences? 
Voici  un  rapport  sous  lequel  elles  sont  identiques. 
C'est  que  l'une  et  l'autre  également  sont  très- 
diverses,  ici  selon -les  peuples,  et  là  selon  les 
esprits.  L'histoire  nous  atteste  qu'un  grand  nombre 
de  religions  ont  régné  dans  le  j  assé,  avec  plus  ou 
moins  d'éclat,  plus  ou  moins  d'influence,  gros- 
sières ou  raffinées,  morales  ou  corrompues,  suivant 
les  temps  et  les  lieux,  se  modelant  sur  les  nations 
qui  les  produisent,  et  portant  l'ineffaçable  cachet 
des  mœurs,  des  traditions  et  des  croyances  viil - 
gaires.  Il  n'en  a  pas  été  autrement  des  philosophii's-, 


PP.EFACE. 


les  systèmes  se  sont  multipliés,  non  moins  nom- 
breux et  non  moins  opposés.  En  cherchant  à  les 
considérer  dans  leur  ensemble,  l'histoire,  si  jus- 
tement aimée  de  notre  âge,  a  pu  les  réduire, 
comme  il  serait  facile  aussi  de  réduire  la  quantité 
des  religions,  en  les  rangeant  sous  quelques  classes 
générales.  Mais,  en  réalité,  les  systèmes  ont  surgi 
tout  autant  de  fois  qu'il  s'est  trouvé  des  individus 
capables  de  les  concevoir.  Qu'on  parcoure  leur  suc- 
cession, et  l'on  verra  qu'ils  nont  pas  fait  défaut  à 
l'esprit  humain,  fécond  pour  ces  enfantements  iso- 
lés, tout  aussi  bien  que  pour  les  enfantements  com- 
muns. Ce  spectacle  du  passé  se  renouvelle  sans  re- 
lâche et  pose  devant  nous,  pour  nous  apprendre 
qu'à  cet  égard  rien  n'est  changé,  et  que  les  reli- 
gions sont  toujours  aussi  différentes  entre  elles  que 
le  peuvent  être  les  philosophies.  La  religion  chré- 
tienne, par  les  vérités  sublimes  qu'elle  proclame, 
par  les  nations  puissantes  qui  la  professent,  par  la 
civilisation  qui  la  répand,  peut  être  destinée  à  l'em- 
pire du  monde  entier,  et  je  lui  souhaite  cet  utile  et 
glorieux  avenir;  mais,  à  l'heure  qu'il  est,  elle  lient 
peut-rtre  sur  le  globe  moins  de  place  que  d'autres 
croyances,  qui  ne  paraissent  pas  disposées  à  se  re- 
tirer devant  elle.  Il  y  a  tout  au  moins  encore  quatre 
ou  cinq  grandes  religions  sur  la  terre.  Quant  aux 
plii'osophies,  nous  n'avons  qu'à   regaider  autour 


PREFACE.  Li 

de  nous  pour  être  convaincus  qu'elles  ne  manquent 
pas  plus  qu'autrefois,  si  d'ailleurs  elles  ont  moins 
de  retenlissement  et  peut-être  moins  d'aclion. 

Notons  bien  celte  ressemblance  de  la  philosopbie 
et  de  la  religion.  On  l'a  méconnue  très-souvent  ;  et, 
pour  démontrer  la  prétendue  impuissance  des  phi- 
losophes, on  leur  a  mille  fois  reproché  leurs  dis- 
sensions et  leurs  controverses.  Les  religions  n'en 
ont  pas  moins.  Ce  n'est  pas  là  un  triomphe  pour  la 
philosophie.  Elle  pourrait  aisément  retrouver  dans 
autrui  la  faiblesse  qu'on  lui  impute  ;  mais  elle  n'en 
fait  rien,  et  elle  reconnaît  pour  lout  le  monde  la 
profonde  sagesse  de  ce  mot  :  «  Tmdidit  mundiim 
disputationibuH  corum .  »  On  peut  concevoir  et  même 
approuver  l'intenlion  qu'a  eue  la  grande  Eglise 
catholique  de  maintenir  Tunité  de  la  foi  et  de  défen- 
dre lorthodoxie,  bien  que  les  moyens  employés  par 
ses  chefs  n'aient  pas  toujours  répondu  à  l'esprit  de 
son  fondateur.  Ce  pouvait  être  là  une  œuvre  très- 
louable  et  une  politique  digne  des  traditions  de 
l'empire  romain.  Mais  je  ne  puis  mempêcher  de 
voir  que  ces  efforts,  tout  convenables  qu'ils  pou- 
vaient être,  ont  été  inutiles,  ainsi  que  tant  d'autres. 
Le  Protestantisme  a  échappé  avec  ses  sectes  innom- 
brables au  giron  commun;  l'Eglise  grecque  n'a 
jamais  voulu  y  rentrer;  il  n'est  pas  très-sûr  que 
l'Eglise  d'Orient  y  soit  renfermée  tout  entière.  Le 


ratFACE. 


Christianisme  a  donc  aujourd'hui  encore  plusieurs 
branches;  et,  en  regardant  bien  dans  le  sein  même 
du  Catholicisme,  on  pourrait  y  trouver  plus  d'une 
infraction  à  1" unité. 

Ainsi,  telle  religion  en  particulier  peut  se  vanter 
d'être  plus  unie  que  la  philosophie;  mais  la  reli- 
gion, prise  dans  sa  généralité,  ne  peut  élever  un 
instant    une    telle   prétention.    Elle  se    diversifie 
comme  la  philosophie  et  par  les  mêmes  motifs. 
L'esprit  humain  ne  s'est  pas  plus  contenté  d'un  seul 
dogme  que  d'un  seul  système.  11  n'est  pas  présu- 
mable  qu'il  eût  mieux  valu  qu'il  en  fût  autrement. 
Acceptons  donc  la  réalité   telle   qu'elle  est;    et, 
puisque  Dieu  l'a  permise,  ne  songeons  pas  à  chan- 
ger les  lois  de  rintollio^ence  humaine.  Que  les  n  li- 
gions  se  divisent,  que  les  philosophies  se  divisent 
comme  elles,  puisque  telle  est  leur  loi.  Plus  uni- 
formes, elles  seraient  sans  doute  moins  fécondes. 
De  là,  il  ressort  aussi  une  grande  leçon  :  c'est  que 
la  philosophie,  pas  plus  que  la  religion,  ne  peut 
présenter  la  vérité  d'une  manière  absolue  et  défini- 
tive. Si  un  système  ou  un  dogme  la  démontrait  com- 
plètement, il  n'y  aurait  eu  qu'un  système  et  un  seul 
dogme,  auxquels  les  individus  et  les  nations  se  se- 
raient soumis,  par  la  force  même  de  l'évidence  et 
l'attrait  souverain  de  la  vérité.  Mais,  puisqu'il  n'en 
est  pas  ain^i,  il  faut  (|uc  la  religion  et  la  philoso^ 


PREFACE.  LUI 

pîiie  aient,  à  l'égard  l'une  de  l'autre,  une  tolérance 
réciproque.  Attachées  toutes  les  deux  à  la  démon- 
stration si  laborieuse  du  vrai,  qu'elles  le  cherchent 
chacune  de  leur  côté;  qu'elles  se  persuadent  cha- 
cune càpart  l'avoir  trouvé;  mais  qu'elles  ne  préten- 
dent pas  se  l'imposer  mutuellement.  Les  reli- 
gions, acceptées  parles  peuples  qu'elles  gouvernent, 
n'ont  à  craindre  quoi  que  ce  soit  de  quelques  phi- 
losophes, qui  se  séparent  obscurément  des  croyances 
populaires.  D'un  autre  côté,  il  semble  que  les  phi- 
losophes n'ont  point  davantage  à  attaquer  la  reli- 
gion ;  et,  ne  fût-ce  que  par  respect  pour  des  conci- 
toyens, ils  n'ont  le  plus  souvent  qu'à  se  taire  sur 
la  foi  nationale,  sans  l'insulter,  sans  la  critiquer 
même,  quand  ils  ne  la  suivent  pas.  La  paix  n'est 
donc  pas  impossible,  et  elle  a  souvent  régné. 

Chez  bien  des  peuples,  le  conflit  n'a  jamais  eu  lieu . 
Dans  l'Inde,  ce  pays  de  dévotion  religieuse  poussée 
jusqu'à  la  frénésie,  la  religion  n"a  jamais  inquiété 
la  philosophie,  née  dans  son  sein.  Ce|iendant,  le 
dépôt  de  la  foi  était  confié  à  une  caste,  dominatrice 
de  toutes  les  autres,  et  placée  à  une  distance  qu'au- 
cune société  n'a  manjuée  aussi  énorme  et  aussi 
peu  franchissable.  Les  brahmanes,  néanmoins,  s'ils 
ont  soutenu  entre  eux  de  vives  discussions,  s'ils  ont 
formé  des  écoles  rivales  et  ennemies,  n'ont  jamais 
gêné  les   pbilosoplif^Si  ïls  leur  nul    laissé    plcino 


Liv  PRÉFACE. 

carrière;  el  la  philosophie  en  a  usé  sans  scrupule. 
Kapila  a  pu  nier  l'efficacité  du  Yéda  pour  sauver 
l'homme;  il  a  pu  nier  l'existence  même  de  Dieu. 
Kanada,non  moins  audacieux  et  non  moins  aveugle, 
a  soutenu  le  système  des  atomes.  Ni  Kanada,  ni  Ka- 
pila, ni  tant  d'autres,  ne  furent  jamais  persécutés, 
bien  que  leurs  opinions  fussent  en  contradiclion  fla- 
grante avec  toutes  les  opinions  reçues.  Bien  plus, 
le  Bouddhisme,  sorti  peut-être  du  système  athée  de 
Kapila,  et  détruisant  par  ses  principes,  non-seule- 
ment l'édifice  religieux,  mais  aussi  l'édifice  social, 
a  été  libre  de  propager  ses  doctrines  nihilistes  et 
d'enseigner  l'égalité  de  tous  les  hommes  devant  le 
Nirvana.  11  a  promené  douze  cents  ans  de  suite  ses 
prédications  hérétiques  dans  la  presqu'île  indienne, 
sans  que  ses  antagonistes  recourussent  à  la  violence 
contre  lui.  Quand  il  fut  chassé  de  llnde,  et  qu'il 
émigra  vers  le  nord  et  vers  l'est,  c'est  par  des 
causes  qui  nous  sont  peu  connues,  mais  où  certai- 
nement lintolérai. ce  n'entra  pour  rien,  puisqu'on 
l'avait  souffert  durant  tant  de  siècles,  puissant, 
honoré,  actif,  et  enlrainant  à  sa  suite  des  provinces 
entières.  A  l'imitation  des  brahmanes,  le  Boud- 
dhisme non  |)his  n*a  jamais  été  persécuteur.  C'est 
peut-être  par  esprit  de  justice;  mais  ses  dogmes 
mêmes  lui  faisaient  une  nécessité  de  la  douceur  qu'il 
a  tonjour'^  moniri'e;  quand  on  )»lace  son  osjinirdans 


PREFACE.  Lv 

le  néant,  il  n'est  pas  en  effet  de  doctrine  extrême 
et  dissidente  dont  on  ait  le  droit  d'être  choqué. 

Le  conflit  éclata  pour  la  première  fois  dans  la 
Grèce,  où  il  aurait  dû  naître  moins  que  partout  ail- 
leurs, puisque  la  Grèce  n'avait  point  de  livres  sacrés 
et  que  le  sacerdoce  n'y  formait  pas  une  corporation 
très-puissante.  Le  monde  retentit  toujours  du  bruit 
de  la  catastrophe,  et  l'on  dirait  que  c'est  hier  que 
Socrate  a  bu  la  ciguë,  tant  la  sympathie  est  encore 
vive,  tant  la  douleur  est  encore  poignante.  Il  n'est 
pas  prouvé,  à  mon  sens,  que  le  maître  de  Platon  fût 
aussi  coupable   qu'on  l'a  dit';    pour  Tabsoudre, 
même  comme  citoyen,  il  n'y  a  qu'à  se  rappeler  la 
faible  majorité  qui  le  condamna,  et  dont  il  fui  lui- 
même  étonné.  Quoi  qu'il  en  puisse  être,  ce  procès, 
qu'Athènes  repentante  a  bientôt  maudit,   montre 
sous  le  vrai  jour  les  rapports  de  la  philosophie  et 
de  la  religion.  Tout  est  net  dans  la  Grèce,  et  avec  elle 
on  n'hésite  jamais,  quoiqu'on  puisse  ignorer  en- 
core de  ses  mœurs  bien  des  choses  qu'on  désirerait 
en  savoir.  11  est  défendu  au  citoyen  de  penser,  en 
religion,  autrement  que  l'État;  ou,  du  moins,  s'il 
ne  partage  pas  la  foi  nationale,  il  lui  est  interdit  de 
la  troubler  par  l'expression  publique  de  ses  dissen- 
timents. C'est  ce  que  signilie  la  condamnation  pro- 

•  Voir  I  argument  de  M.  Viclur  Cuusin,  eu  tèlc  de  lApoloyic  de 
Socralc. 


i.vi  l'HF.rACK 

noncée  par  l'Aréopage.  Mais  c'était  une  application 
excessive  d'un  principe  vrai.  Le  génie  grec,  qui  a  su 
éviter  l'excès  en  tout,  ne  commit  pas  longtemps  ce- 
lui-là. Le  disciple  de  Socrate  put  répéter  bientôt  les 
doctrines  de  son  maître  sans  aucun  péril  ;  et  la  phi- 
losophie absoute  continua  ses  travaux,  on  sait 
avec  quelle  vérité  et  quel  avantage  pour  l'esprit 
humain,  sansavoirà  répondre  devant  le  magistrat, 
si  ce  n'est  dans  des  cas  tout  exceptionnels,  où  l'on 
ne  peut  découvrir  une  véritable  persécution. 

On  n'en  voit  guère  davantage  dans  les  dix  pre- 
miers siècles  du  Christianisme.  Alors  il  est  désolé 
par  les  hérésies  ;  mais  les  conciles  les  apaisent  ou  les 
étouffent  pour  conserver  intacte  l'unité  de  la  foi, 
(jui  ne  court  plus  de  sérieux  dangers  depuis  la 
grande  assemblée  de  Nicée.  La  foi  règne  sans  contes- 
tation, et  avec  d'immenses  bienfaits,  au  milieu  des 
désordres  de  l'invasion  qu'elle  tempère,  et  de  la 
féodalité  qu'elle  essaye  de  régler.  La  lutte  ne  renaît 
qu'au  temps  d'Abélard,  dans  le  douzième  siècle. 
Mais  ce  n'est  pas  encore  la  philosophie  pure;  c'est 
une  sorte  de  théologie  bâtarde,  (jui  veut  rester  or- 
thodoxe tout  en  aspirant  à  être  indépendante.  Le 
temps  de  la  libre  pensée  n'est  pas  venu.  Ce  sont  les 
plus  illustres  théologiens  de  l'Eglise,  ce  sont  des 
Saints  qui  seuls  sont  philosophes  :  les  Albi-rt,  los 
■^.lini  Thomas  el  leurs  disciples;  Par  la  nécessité  des 


IMU-IACR. 


temps,  la  philosophie  est  la  servante,  ancillay  de 
la   théologie.    La  Somme   de    saint  Thomas  n'est 
jiresque  qu'un  mélange  du  Christianisme  orthodoxe 
et  des  formes  péripatéticiennes.  Ce  rôle  de  la  phi- 
losophie  nous  paraît  bien  humble  aujourd'hui; 
nous  le  regarderions,  depuis  Descartes  et  le  dix- 
septième  siècle,  comme  une  abdication.  Notre  ilerté 
est  légitime.  Mais  ce  rôle,  tout  subordonné  qu'il 
était,  fut  à  ce  moment  très-utile,  et  même  très- 
digne.  La  philosophie  organisa,  dans  le  treizième 
siècle,  l'enseignement  régulier  du  dogme  avec  tous 
ses  détails,  de  même  que  dans  l'origine,  aux  troi- 
sième, quatrième  et  cinquième  siècles,  c'était  elle 
qui  fournissait  à  la  foi  naissante  les  armes  d'une 
polémique  victorieuse.  L'Eglise  ne  se  montra  pas 
très-reconnaissante  du  service  qu'on  lui  rendait;  et 
la  philosophie  elle-même  n'eut  pas  la  moindre  confu- 
sion de  sa  docilité.  Alors  la  philosophie  ne  songeait 
pas  à  revendiquer  ses  droits;  car  elle  était  satis- 
faite, comme  le  monde  entier;  la  foi  chrétienne 
inondait  les  esprits  de   sa  lumière,  embrasait  les 
cœurs  de  ses  feux,  et  il  ne  se  trouva  pas  une  intelli- 
gence assez  audacieuse  pour   rompre  ce   concert 
unanime  d'adoration  et  d'enthousiasme.  Des  héré- 
sies douteuses  et  timides  furent  violemment  ])ro- 
scrites;  et  ce  n'était  pas  aux  siècles,  qui  s'enllam- 
maienlde  la  sublime  et  stérile  passion  desCioisades, 


Lviir-  IM'.KKACE. 

(le  produire  la  philosophie;  elle  eût  alors  semhlé 
un  crime,  et  personne  ne  l'aurait  acceptée.  Les 
tentatives  de  Roger  Bacon  et  ses  malheurs  le  prou- 
vent assez,  plus  de  cent  ans  encore  après  ceux 
d'Abélard. 

C'est  vers  la  fin  du  quinzième  siècle  que  com- 
mence à  se  montrer  plus  nettement  l'esprit  d'indé- 
pendance, (jui,  secondé  par  l'imprimerie  et  par 
l'élude  de  l'antiquité,  éclate  à  la  fois  dans  la  Ré- 
forme et  dans  un  essaim  de  systèmes  individuels. 
xMais,  par  suite  de  ces  désordres  et  de  cette  fièvre 
des  intelligences,  que  de  faux  pas  et  que  de  vic- 
times! C'est  notre  Descartes,  au  milieu  du  dix- 
septième  siècle,  qui  inaugure  de  nouveau  la  vraie 
philosophie,  celle  qu'avait  connue  la  Grèce  dans 
ses  meilleurs  temps.  Mais  il  a  cette  incomparable 
su])ériorité  d'une  méthode  qui  a  pleine  certitude 
d'elle-même,  et  qui  a  d('couverl  enfin  le  seul  et 
inébranlable  fondement  de  la  vérité.  On  admire 
beaucoup  Descartes;  on  ne  l'admirera  jamais  trop; 
dans  l'histoire  de  la  philosophie,  il  ne  peut  pas  y 
avoir  de  figure  plus  grande,  ni  de  maître  plus 
autorisé.  Ce  qui  doit  peut-être  nous  frapper  plus 
particulièrement  en  lui,  c'est  que,  aussi  indépen- 
dant qu'on  puisse  l'être,  il  ne  se  sépara  point  de 
la  foi  de  son  temps.  Par  un  secret  que  le  nôtre  ne 
saurait  plus  avoir,  il  unit  dans  une  sage  mesure 


PP.EFACE  iix 

In  philosophie  et  la  religion.  Libre  penseur,  il  ne 
cessa  pas  d'être  croyant,  comme  ses  disciples  Féne- 
lon,  Bossuet  et  Leibniz.  Plus  tard,  le  divorce  de- 
vait se  faire  avec  une  sorte  de  scandale.  A  cette 
époque,  il  n'éclata  pas,  jjarce  qu'il  n'eût  été  que 
nuisible.  Mais  Descartes,  en  dtîpit  de  son  courage 
et  de  sa  parfaite  sincérité,  dut  par  prudence  se 
condamnera  l'exil.  Dans  sa  patrie,  qui  allait  ap- 
plaudir à  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  il  n'eût 
pas  été  à  l'abri;  la  liberté  de  son  esprit  y  au- 
rait été  entravée.  C'est  à  la  France,  sans  doute,  que 
le  monde  doit  Descartes;  mais,  sans  l'asile  ^e  la 
Hollande,  il  est  douteux  que  Descartes  eût  été 
tout  ce  qu'il  pouvait  être. 

Depuis  le  temps  de  Descartes,  grâce  au  dix- 
huitième  siècle,  et  surtout  h  la  Révolution  française, 
la  situation  de  la  philosophie  est  désormais  indé- 
pendante et  sûre.  Nous  jouissons  à  cette  heure 
d'une  absolue  liberté,  que  rien  ne  menace,  si  ce 
n'est  ses  fautes  et  ses  [)ropres  erreurs.  Après  un 
long  circuit,  nous  voilà  revenus  en  quelque  sorte  au 
point  de  départ.  Chez  noi.s,  la  philosophie  a  la  puis- 
sance, la  sécurité  même  dont  elle  a  usé  longtemps 
en  Grèce  et  dans  l'Inde ,  avec  les  lumières  que 
trente  siècles  de  plus  lui  ont  acquises.  Le  conflit, 
longtemps  soulevé,  n'existe  plus;  ou,  du  moins,  il 
n'a  plus  rien  de  redoutable.  Mais  les  devoirs  réci- 


i.x  l'I'.KFACi:. 

proqiies  subsistont  loujours  ;  et,  de  |tart  et  d'au- 
tre, on  ne  pourrait  y  manquer  qu'en  se  faisant  à 
soi-même  le  plus  grand  dommage,  ainsi  qu'à  la 
société. 

Par  leur  nature  propre,  la  religion  et  la  philoso- 
])hie  ont  une  vie  très-différente,  quoique  ayant  un 
même  objet.  La  religion  ne  peut  vivre  que  d'auto- 
rité; la  philosophie  ne  vit  que  de  liberté.  Ce  n'est  pas 
despotisme  ou  ignorance  de  la  part  de  l'une ,  pas 
plus  que  ce  n'est  révolte  ou  dépravation  de  la  part 
de  l'autre.  Pour  peu  qu'on  veuille  y  arrêter  un 
instant  son  attention  impartiale,  on  verra  d'où  vient 
cette  différence,  source  de  tant  de  récriminations 
également  peu  équitables  des  deux  côtés. 

H  n'est  pas  possible  à  un  peuple  de  remettre  tous 
les  jouis  sa  foi  en  question;  car  ce  serait  remettre 
en  question  son  existence,  dont  la  foi,  quelle  qu'elle 
puisse  être,  est  le  plus  essentiel  élément.  Sans 
croyance  religieuse,  qui  la  constitue  et  qui  la  di- 
rige, une  nation  n'est  pas  ;  elle  flotte  à  tous  les 
hasards.  Le  scepticisme,  déjà  si  difficile  et  si  dan- 
gereux pour  les  inilividus,  est  impraticable  pour 
ces  vastes  agglomérations,  qui  n'ont  jamais  pu  l'ac- 
cepter, et  qui,  à  leur  grand  honneur,  ne  l'accepte- 
ront jamais.  Une  fois  que  la  croyance  nationale  est 
fixée,  soit  dans  des  traditions,  soit  dans  des  livres 
Miiloul,  il  est  tout  simple  qu'elle  ne  varie  |dus.  On 


PREFACE.  Lxi 

l'approfondit,  on  la  développe  socialement;  on  en 
moditie  les  formes  avec  le  temps,  qui  altère  tout, 
même  les  religions.  Mais  ces  modifications  sont 
superficielles  et  bien  lentes.  Quand  on  veut  les 
brusquer,  les  déchirements  sont  affreux.  La  Réforme 
a  coûté  à  l'Europe  près  d'un  siècle  et  demi  de 
guerres  acharnées.  La  foi  n'en  subsiste  pas  moins; 
et,  par  exemple,  le  Christianisme,  partagé  en  deux 
camps  ennemis,  loin  de  perdre  de  sa  ferveur,  en  a 
peut-être  alors  gagné.  Mais  ces  crises  et  ces  se- 
cousses doivent  être  fort  rares  dans  l'existence  des 
nations;  si  elles  se  répétaieni  un  peu  souvent,  ce 
n'est  pas  la  religion  seule  qui  y  périrait;  ce  serait 
le  peuple  lui-même. 

11  y  a  donc  pour  la  religion  un  besoin  constant 
de  recourir  à  l'autorité.  Quelque  distincte  qu'elle 
soit  de  l'Etat,  elle  agit  toujours  un  peu  comme  bii. 
Ce  sont  également  des  masses  qu'elle  gouverne; 
il  lui  faut  aussi  une  règle,  et  un  ordre  perma- 
nent et  à  peu  près  invariable.  De  là,  une  néces- 
saire tendance  à  l'immobilité.  Le  symbole  déposé 
dans  le  livre  saint,  ou  celui  qu'on  en  a  tiré,  est  im- 
muable. Le  culte  qui  en  sort  peut  varier;  le  dogme 
ne  le  peut  pas,  à  la  fois  parce  qu'il  est  sacré  et  parce 
qu'il  est  de  nécessité  sociale.  On  prescrit  au  citoyen 
de  s  y  conformer,  sous  peine  d'attenter  à  l'ordre  et 
d'encouiirles  peinesque  provoque  toujours  une  telle 


Lxii  PREFACE. 

infractioD.  Le  citoyen  peut  n'êlre  pas  croyant;  car 
raulorité,  malgré  ses  précautions  les  plus  étroites, 
ne  saurait  atteindre  jusqu'aux  consciences;  mais  il 
faut  qu'il  soit  respectueux  tout  au  moins,  s'il  veut 
échappera  la  répression.  L'autorité  règne  en  reli- 
gion, même  quand  la  religion,  comme  en  Grèct', 
ne  parle  point  au  nom  de  Dieu  ;  elle  règne  à  plus 
forte  raison  quand  le  livre  du  dogme  national  est, 
selon  les  croyances  reçues,  la  parole  divine  elle- 
même  révélée  à  quelques  hommes  privilégiés, 
Voyants,  Prophètes  ou  Apôtres. 

La  philosophie  est  dans  une  condition  toute  diffé- 
rente. Comme,  en  son  domaine  sans  limite,  la  raison 
de  l'homme  ne  s'adresse  qu'à  elle-même,  elle  est 
absolument  dégagée  de  tout  pouvoir  extérieur  el 
étranger'.  N'obéir  qu'à  soi,  c'est  ce  qu'on  appelle 
la  liberté;  et  voilà  comment  la  liberté  est  l'essence 
même  de  la  philosophie,  ainsi  qu'elle  est  Tessence 
de  l'intelligence  humaine.  Xe  se  fiant  qu'à  sa  rai- 
son, l'homme,  tout  en  sentant  sa  faiblesse,  ne  peut 
pas  reconnaître  une  autorité  plus  haute  ni  plut, 
compétente.  Même  quand  il  veut  abdiquer  celle-là, 
pour  rn  adopter  une  autre  qu'il  croit  meilleure, 

'  «  11  n'est  poinl  dans  Tordre  que  rinlolligeiue  soil  sujette  ou 
esclave  de  quoi  que  ce  soit  ;  cesl  elle  qui  est  faite  pour  toinniaiider 
à  tout,  loisquelle  est  appuyée  sur  la  Térité  et  entièrement  libre. 
conuiie  elle  doit  Pèlre  de  sa  nature.  »  Platon,  livre  IX  des  Lois, 
traduction  de  M.  Victor  Cousin,  p.  195. 


IMlElACE.  L.viii 

c'esl  encore  celle-là  qui  le  guide  ;  elle  ne  l'aban- 
donne même  pas  quand  il  y  renonce;  car,  quoi 
qu'on  fasse,  c'est  toujours  une  obéissance  raison- 
nable qu'on  demande  à  Tiiomme  :  Ob^equium  ratio- 
nabile.  Faisant  ainsi  acte  de  souveraineté  tout  en 
se  soumettant,  la  raison  est  pleinement  et  émi- 
nemment souveraine  quand  elle  agit  sous  sa  seule 
responsabilité,  usant  des  forces  dont  elle  est  douée, 
n'empruntant  rien  à  ce  qui  n'est  pas  elle,  ris- 
quant des  chutes,  que  la  religion  même  n'évite  pas, 
mais  marchant  dans  les  voies  qui  sont  exclusive- 
ment les  siennes. 

La  liberté  est  certainement  un  grand  péril.  Qui 
pourrait  le  nier?  La  philosophie  lésait  mieux  que 
personne,  précisément  parce  que  tout  son  labeur  se 
fonde  sur  l'étude  de  l'homme.  Mais  elle  sait  aussi 
que  sans  la  liberté  l'homme  n'est  plus;  il  ne  reste 
en  lui  que  la  brute;  el,  puisque  la  bonté  et  la 
toute-puissance  de  Dieu  nous  ont  accordé  ce  don 
merveilleux  et  presque  surnaturel,  la  philosophie 
s'en  sert,  en  s'efforyant  de  n'en  point  mésuser.  Elle 
s'en  sert  avec  tous  les  dangers  que  la  liberté  com- 
jiorlc;  mais  elle  se  dit,  comme  le  patriote  de  l'an- 
lifjuité  :  «  Malo  pericidosam  libertatem.  »  Les  dan- 
gers qu'elle  redoute  ne  sont  pas  ceux  dont  la 
menace  le  dehors,  les  seuls  que  le  monde  songe  à 
fuir.  Les  siens  se  réduisent  à  l'erreur,  qui  est  lé- 


TREFACE. 


cueil  intime  de  rintelligence  et  sa  perte.  La  philo- 
so[)hie  fait  tout  ce  qui  dépend  d'elle  pour  la  con- 
jurer, échouant  souvent ,  réussissant  quelquefois, 
dans  les  bornes  de  l'insuftisance  humaine,  les  re- 
gards fixés  sur  ce  type  éternel  de  la  vérité,  qu'il 
nous  est  permis  d'entrevoir,  et  qu'elle  poursuit, 
sans  y  atteindre  pleinement  comme  elle  le  veut. 

La  liberté,  qu'on  le  sache  bien,  n'est  pas  plus 
nécessairement  la  licence  que  l'aulorité  n'est  né- 
cessairement la  tyrannie.  Seulement,  l'ordre  qu'ob- 
tient et  impose  l'autorité  peut  n'être  que  factice; 
celui  qu'assure  la  liberté  est  le  vrai,  parce  qu'il  est 
seul  sjtontané  et  volontaire.  Le  sage  est  encore  su- 
périeur au  saint. 

Le  philosophe,  ainsi  compris,  paraît  donc  bien 
faible.  Il  se  met  en  dehors  de  la  société,  qui  fré- 
quemment le  comprend  mal  ;  il  se  met  en  dehors  de 
la  religion,  (jui  s'en  défie  et  même  le  persécute^ 
Mais  voici  où  est  sa  force  et  sa  grandeur,  que  rien 
ne  déj)asse  :  il  fait  son  œuvre  tout  individuelle  sous 
l'inspiration  même  de  Dieu,  comme  la  religion 
lait  aussi  la  sienne,  sans  que  rien  en  ce  monde 
puisse  l'en  détourner.  A  ses  accusateurs,  et  même 
à  ses  bourreaux,  il  peut  toujours  tenir  le  langage 
que  tenait  Socrate,  il  y  a  vingt-deux  siècles  :  «  Athé- 
«niens,  je  vous  honore  et  je  vous  aime;  mais  j'o- 
((  béirai  plutôt  au  dieu  qu'à  vous;  tant  que  je  respi- 


l'IiEIAllE. 


«  rerai  et  que  j'aurai  un  peu  de  force,  je  ne  cesserai 
«de  m'appliquer  à  la  philosophie  et  de  vous  donner 
«des  avertissements  et  des  conseils.  Faites  ce  que 
«  demande  Anytus  ou  ne  le  faites  pas  ;  absolvez-moi 
«ou  ne  m'absolvez  pas;  je  ne  ferai  jamais  autre 
«chose,  quand  je  devrais  mourir  mille  fois^  »  Ap- 
puyé sur  un  tel  secours,  le  philosophe  se  sent  invin- 
cible; et  comme  pour  lui  la  vie  n'a  de  valeur  qu'à 
cette  condition,  il  se  résigne  à  la  perdre,  quand 
l'intolérance  l'emporte  et  que  la  société  aveuglée 
demande  une  viclime  de  plus. 

C'est  cependant  à  la  raison  et  au  libre  exercice 
de  la  pensée  que  la  société,  quelquefois  si  ingrate  et 
si  injuste,  est  redevable  de  tous  ses  progrès.  La  re- 
ligion l'éclairé  et  lui  fournit  des  lumières  spéciales 
que  rien  ne  peut  remplacer;  mais  la  religion,  fidèle 
au  dogme,  ne  ferait  peut-être  point  avancer  la  so- 
ciété d'un  seul  pas  ;  et  tous  les  pas  que  l'humanité  fait 
si  péniblement,  c'est  à  la  raison  qu'elle  les  doit,  c'est- 
à-dire  à  rin!eliig(mce  ne  s'adressant  qu'à  son  propre 
fonds,  dans  les  lois,  dans  l'industrie,  dans  les  arts, 
et  même  dans  ces  matières  supérieures,  dont  la  re- 
ligion veut  assez  souvent,  quoique  bien  en  vain,  se 
faire  un  domaine  exclusif.  Les  sociétés  obéissent 
toujours  à  ce  double  courant.  Les  meilleures  sont 

'  Wr.vV.ipologic  do  SoL-rale,  dans  les  œuvres  de  i'iatuii,  Irudiic- 
lion  de  M.  V.  Cousin,  t.  1,  [>.  93  cl  &i. 

d 


Lxvi  PREKACE 

celles  qui  savent  y  céder  dans  la  juste  mesure  ;  elles 
unissent  alors  la  stabilité  au  mouvement,  et  l'ordre 
au  progrès.  La  religion  s'efforce  de  maintenir 
inviolé  le  trésor  de  la  foi  et  y  rattache,  autant 
qu'elle  le  peut,  tous  les  développements  sociaux;  la 
raison,  à  côté  d'elle,  trace  son  chemin  assez  long- 
temps caché.  Puis,  il  se  trouve  qu'un  jour  le  sage 
Athénien  enseigne  le  dieu  unique  et  sa  providence, 
tandis  que  le  culte  national  ne  connaît  encore 
que  Jupiter  et  Vénus.  Le  sage  succombe;  mais  sa 
pensée  ne  meurt  pas  avec  lui  ;  recueillie  et  propa- 
gée dans  l'école,  elle  conquiert  les  âmes  les  plus 
éclairées  du  Paganisme,  jusqu'à  ce  que  le  Christia- 
nisme apparaisse  et  rallie  le  monde  préparé  de 
longue  main  à  l'entendre  et  à  l'aimer.  S'il  n'a  pas 
été  donné  au  Platonisme  de  savoir  à  quel  avenir 
il  contribuait,  il  suffit  d'interroger  les  Pères  de 
l'Eglise  pour  savoir  combien  il  y  a  contribué. 

La  philosophie  peut  donc  être  méconnue  par  le 
temps  oij  elle  se  produit;  mais  ses  efïorts  ne  sont 
jamais  stériles  ;  la  vérité  une  fois  découverle  n'est 
jamais  inféconde.  C'est  là  ce  qui  fait  que  la  phi- 
losophie ne  se  décourage  point,  même  dans  les  plus 
mauvais  jours,  et  qu'elle  poursuit  son  œuvre,  mal- 
gré les  railleries  d'Aristophane  et  les  sentences 
de  l'Aréopage,  bien  assurée  que  la  postérité  ne  les 
ratifiera  pas. 


i'i!Ki\ri;.  lAvii 

D'ailleurs,  ce  rôle, si  grand  et  si  périlleux,  ne  doit 
pas  enorg-ueillir  la  philosophie.  S'il   sied  bien  à 
quelqu'un  d'être  modeste,  c'est  sans  contredit  au 
philosophe.  Les  religions  doivent  se  croire  infail- 
libles, et  c'est  à  cette  condition  qu'elles  portent 
tous  leurs  fruits.  La  philosophie  sait  trop  ce  que 
coûte  la  découverte  de  la  vérité  pour  se  flatter  d'une 
telle  illusion.  Elle  a  bien,  elle  aussi,  des  principes 
.qui  ne  trompent  pas  et  qui  sont  éternels.  Mais  elle 
voit  à  chaque  instant,   par  son  propre  exemple, 
combien  la  raison  de  l'homme  est  incomplète,  si  ce 
n'est  impuissante.  Qu'est-ce  que  le  savoir  humain, 
tout  réel  et  précieux  qu'il  est,  et  quelques  trésors 
qu'il  amasse  de  siècle  en  siècle,  en  présence   de 
cette  vérité  infinie  qu'il  n'épuisera  jamais?  Qu'est-ce 
que  l'homme  en  face  et  sous  la  main  de  Dieu? 
Qu'est-ce  que  son  intelligence  devant  celte  intelli- 
gence qui  a  fait  et  qui  gouverne  les  mondes?  L'or- 
gueil peut  convenir  à  l'homme,  si  jamais  il  lui 
convient,  quand  il  regarde  ce  qu'il  a  conquis  par 
tant  de  labeurs  accumulés.  Mais  de  (|uelle  humilité 
ne  doit-il  pas  être  écrasé,  quand  il  regarde  les  abîmes 
insondables  de  tout  ce  qu'il  ignore  et  doit  ignorer 
invinciblement  !  Le  philosophe  peut  signaler,  quand 
le  devoir  l'exige,  les  faiblesses  et  les  lacunes  d'au- 
trui  ;  mais  avec  quelle  réserve!  il  le  sent  quand  il 
tourne  les  yeux  sur  lui-même  et  qu'il  voit  sa  propre 


Lxviii  l'I'.EiïACF.. 

mosiire  oncoro  si  politc,  toute  supérieure  qu'elle  est 
à  (ouïes  les  autres.  Ce  que  Socrnte  sait  encore  le 
mieux,  c'est  qu'il  ne  sait  rien. 

De  là,  enlre  la  religion  et  la  philosophie,  une 
nouvelle  différence,  et,  parfois  aussi,  de  nouveaux 
dissentiments.  La  philosophie,  qui  a  pu  se  définir 
très-bien  elle-même  en  se  donnant  pour  le  simple 
désir  de  savoir,  subit  les  nécessités  de  la  science; 
elle  ne  procède  que  par  analyse  et  observation.  On 
ne  peut  connaîlre  les  faits  qu'en  les  observant,  et  il 
faut  les  décomposer  pour  les  comprendre.  Uan^ 
leur  totalité,  les  faits  échappent  aux  prises  de  notre 
esprit  trop  débile;  il  doit  les  réduire  à  sa  taille, 
afin  de  pouvoir  les  saisir  plus  sûrement.  Il  y  a 
quatre  ou  cinij  mille  ans  que  l'intelligence  humaine 
travaille  et  amasse  les  matériaux  d'un  monument 
qu'elle  con^-truil  toujours,  sans  pouvoir  l'achever, 
el  (|u'elle  n'achèvera  jamais,  parce  que  l'édifices'ac- 
croît  dans  la  proportion  même  des  travaux  qui 
le  fondcMit.  La  religion  n'a  aucun  besoin,  ni  de 
l'observalioii,  ni  de  l'analyse  ;  elle  les  redoute 
même  quelquefois,  quand  elle  se  trouve  en  contra- 
diction avec  la  science  et  qu'elle  se  sent  sur  le  point 
d'être  convaincue  d'erreur,  La  science,  quand  elle 
est  irrespectueuse,  signale  hautement  ces  dissi- 
dences et  s'en  fait  malignement  une  gloire  peu 
sensée.  La  religion,  de  son  côté,  s'alarme  de  ces 


l'UHKACE.  Lxix 

flécouverfes,  ot  elle  les  proscrit  quand  elle  le  peut. 
Égale  faiblesse  des  deux  paris.  La  science  n'a  qu'à 
se  rappeler  sa  propre  histoire  pour  être  indulgente 
aux  erreurs  de  la  religion.  La  religion,  pour  être 
insensible,  même  à  des  critiques  légitimes,  pourrait 
se  dire  que  son  objet  n'est  pas  d'étudier  la  nature, 
et  que,  venue  au  berceau  des  sociétés  ou  pour  des 
nécessités  particulières,  elle  n'est  pas  leniie  de  sa- 
voir ce  qu'on  n'a  su  que  longtemps  après  elle,  et 
souvent  grâce  à  ses  leçons,  «pii,  pendant  bien  des 
siècles,  ont  paru  suffisantes.  Les  analyses  que  se 
[>ermet  la  religion  ne  peuvent  toucher  que  le  dogme  ; 
et  c'est  ce  qu'on  appelle  la  théologie,  réservée, 
comme  la  philosophie,  à  un  petit  nombre,  aux 
clercs,  si  ce  n'est  à  l'école,  très-souvent  dange- 
reuse, mais  indispensable.  En  dehors  du  dogme, 
la  religion  n'a  rien  à  étudier,  et  voilà  comment 
elle  ignore  la  nature,  dont  la  patiente  et  délicate 
analyse  ne  la  regarde  pas.  Elle  condamne  Galilée  à 
rétracter  ses  démonstrations  sur  le  mouvement  de 
la  terre,  de  même  que,  vingt  siècles  auparavant, 
elle  condamnait  Ânaxagore  pour  avoir  avancé  quel- 
ques propositions  d'astronomie. 

C'est  là  sans  doute  un  grave  inconvénient;  mais 
cet  inconvénient  est  b  dancé  par  un  avantage.  La  re- 
ligion est,  en  général,  (Tune  très-grande  simplicitc;. 
Son  langage  est  fort  clair,  précisément  parce  qu'il 


l'IŒFACE. 


s'adresse  à  la  foule;  plus  compliqué,  il  ne  serait  pas 
entendu.  Imaginez  l'Evangile  écrit  dans  le  style  de 
Platon  ;  à  l'instant  même,  il  renonce  à  parler  aux 
multitudes.  En  sanskrit,  rien  n'est  plus  trivial  que 
les  ouvrages  canoniques  du  Bouddhisme.  Il  faut 
être  vulgaire  d'expression,  si  ce  n'est  de  pensée, 
pour  que  le  vulgaire  vous  écoule.  Mais  ici,  moins 
que  partout  ailleurs,  la  forme  n'emporte  le  fond.  Il 
s'agit  d'idées  qui  doivent  sauver  les  hommes;  les 
âmes  palpitent  et  sont  dans  l'attente.  Il  suffit  de 
les  toucher;  le  moyen  le  plus  direct  est  le  meilleur. 
La  rhétorique  des  mots  serait  bien  misérable;  l'é- 
loquence irrésistible  ne  vient  que  des  sentiments 
qu'on   éprouve  et  qu'on  transmet,  des  doctrines 
qu'on  proclaifie.  Là  où  dans  un  enthousiasme  in- 
culte l'apôtre  convertit  son  auditoire  subjugué,  l'o- 
rateur n'aurait  recueilli  que  des  applaudissements 
et  n'aurait  peut-être  pas  même  persuadé.  La  reli- 
7ion  gagne  en  force  et  en  influence  tout  ce  qu'elle 
perd  en  raffinement  et  en  habileté   de   langage; 
l'âme  humaine  est  si   grande  elle-même,  que  ce 
serait  la  méconnaître  que  d'essayer  de  la  séduire 
par  ces  pièges.  Le  langage  de  la  religion  est  souvent 
majestueux;   il  n'est  jamais  étudié,  même  quand 
elle  paile  par  la  bouche  des  poëteè,  David  chez  les 
Juifs,  les  Hisliis  dans  les  Yédas,  ou  encore  Mahomet 
chez  les  Ai'abcs. 


i'i',i;r.\ci;. 


L;i   philosophie,   au  contraire,  peut   employer 
toutes  les  ressources  du  style.  Ces  parures  ne  lui 
sont  pas  interdites;  quelquefois  même  elles  sont 
un  devoir,  quand  elles  sont  nécessaires  pour   le 
triomphe  plus  sûr  du  vrai.  Platon,  Aristole,  Bacon, 
Descartes  ont  été  de  très-grands  écrivains.  Qui  a 
jamais  songé  à  leur  en  faire  un  grief?  Dans  ces 
graves  matières,  la  limite  est  celle  même  que  le 
sujet  indique  et  exige.  Il  peut  y  avoir  abus,  quand 
les  esprits  ne  sont  pas  très-justes,  et  qu'on  se  préoc- 
cupe d'un  succès  littéraire  plusque  de  la  vérité.  Mais 
le  goût  le  plus  sévère  autorise  ici  quelques  sobres 
ornements,  dont  le  livre  saint  n'a  jamais  besoin. 
La  philosophie  les  supporte,  en  y  mettant  beaucoup 
de  réserve.  C'est  toujours  à  une  élite  qu'elle  s'a- 
dresse et  qu'elle  doit  plaire.  Platon  lui-môme  n"a 
jamais  eu  beaucoup  de  lecteurs  ;  Descarles,  quelque 
clair  qu'il  soit,  ne  peut  guère  en  avoir  davantage. 
La  philosophie  a  beau  faire;  elle  reste  une  aristo- 
cratie,  non   par  sa   propre  nature,  mais    par  la 
force  des  choses.    Tout  ce  qu'on  peut  lui  recom- 
mander, c'est  de  toujours  suivre  ces  beaux  exem- 
ples et  de  ne  pas  se  perdre  dans  ces  abstractions 
creuses   et  ces  logomachies  obscures  et  barbares, 
qui  risquent  de  la  livrer  au  ridicule,  et  (jui  lui 
ôtenl  tout  accès  aupiès  des  masses,  souvent  même 
dans  les  écoles. 


i.\xii  l'HKKACK 

De  cette  (lifférenco  radicnle  flans  Ips  procédé';, 
et  de  ces  deux  principes  si  di.^tincls  d'antorilé  et  de 
liberté,  il  résulte  (}ue  la  philosophie  et  la  religion 
ne  doivent  jamais  empiéter  l'une  sur  l'autre.  Ce 
n'est  pas  seulement  parce  qu'il  y  va  de  leur  repos 
mutuel  ;  c'est  en  outre  qu'il  y  va  de  la  justice.  La 
religion  est  naturellement  portée  à  exiger  l'obéis- 
sance; et  c'est  l'essence  de  l'autorité  de  vouloir 
s'étendre  à  tout  ;  mais  elle  rencontre  dans  la 
conscience  individuelle  un  obstacle  insurmon- 
table, et  les  supplices  matériels,  dont  elle  a  usé 
bien  <à  tort  contre  l'hérésie,  échouent  contre  les 
âmes,  s'ils  torturent  et  anéantissent  les  corps.  Ces!, 
une  cruaulé  aussi  inutile  qu'odieuse,  aujourd'hui 
impossible  ;  mais  elle  a  sévi  dans  des  temps  qui 
ne  sont  pas  encore  très-éloignés  de  nous.  La  reli- 
gion, loin  d'y  rien  gagner,  y  perdait  infiniment  ; 
elle  remplaçait  par  la  terreur  la  vénération  et  la 
tendresse  qu'elle  doit  inspirer.  Le  martyre  de  Jean 
IIuss  et  de  Jéiôme  de  Prague  n"a  pas  peu  contribué 
à  la  légitime  révolte  de  la  Réforme. 

De  son  côté,  la  i)hilosophie  n'est  guère  plus  sage, 
si  elle  est  moins  cruelle,  en  prétendant  substituer 
ses  doctrines  el  >a  domination  à  celledela  religion. 
La  liberté,  sur  huiuelle  elle  se  fonde,  et  (jui  est  sa 
base  indeslrnctiblc,  ne  permet  rien  de  pareil.  De 
quel  droit  l'individu  i  iiposeroit-il  sa  pensée  à  un 


IM\ÉFACE.  I.XXIH 

indiviflii  qui  jouit  de  la  liberté  comme  lui,  si, 
d'ailleurs,  il  est  inférieur  sous  d'autres  rappnris? 
Invoquera-t-on  la  supériorité  des  lumières?  Cette 
supériorité  peut  être  très-réelle;  mais  elle  ne  con- 
fère pas  le  pouvoir  qu'on  en  veut  faire  sortir.  Le 
philosophe  doit  avoir  toujours  la  faculté  d'exprimer 
ses  opinions,  (juand  il  le  fait  dans  les  formes  con- 
venables ;  mais  il  ne  peut  jamais  nourrir  la  préten- 
tion de  les  faire  prévaloir  autrement  que  par  la 
persuasion.  S'il  a  recours  à  la  puissance  publique 
ou  à  l'autorité,  sous  quelque  déguisement  que  ce 
soit,  il  cesse  d'être  philosophe;  c'est  un  tout  autre 
rôle  qu'il  assume.  La  philosophie  devient  alors  ou 
la  religion  ou  l'Etat.  Elle  a  tout  à  perdre  à  cette 
transformation,  qui  ne  dure  qu'un  moment,  comme 
tout  ce  qui  est  violent  et  contre  nature.  Elle  risque 
de  devenir  persécutrice  à  son  tour,  et  je  demande 
quelle  figure  elle  fait  au  milieu  des  bouleverse- 
ments sociaux.  L'histoire,  malheureusement,  pour- 
rait nous  répondre,  sans  remonter  bien  haut,  et  je 
ne  vois  pas  (|u'il  y  ait  rien  au  monde  de  plus 
monstrueux  que  la  philosophie  réclamant  l'appui 
du  bras  séculier.  Ces  appels  ont  peu  réussi  <à  la  re- 
ligion ;  mais  ils  ne  lui  sont  pas  essentiellement  anti- 
pathiques; elle  se  nuit,  mais  elle  ne  se  contredit 
pas,  en  se  les  permettant.  Au  contraire,  la  philoso- 
phie abdique  ({uaud  elle  usurpe;  elle  se  ruine  par 


ixxiv  PREFACE 

ce  prétendu  triomphe;  car  ce  n'est  point  à  elle 
d'appliquer  jamais  pratiquement  la  vérité;  elle  n'a 
quà  la  découvrir,  ce  qui  est  à  la  fois  plus  grand 
et  plus  sûrement  utile. 

On  pourrait  pousser  encore  plus  loin  cette  com- 
paraison de  la  religion  et  de  la  philosophie.  Mais  il 
faut  se  borner,  et  ce  qui  a  été  dit  suffit  pour  qu'on 
voie  leurs  relations  principales.  Au  fond,  elles  se 
ressemblent  bien  plus  encore  qu'elles  ne  diffèroni; 
elles  sont  nées,  sous  l'œil  de  Dieu,  d'une  mère 
commune,  rinlelli^ence  humaine;  et  c'est  bien 
à  elles  qu'on  peut  appliquer  ces  vers  du  poêle  : 

F.icies  non  ...  uiia 
Nec  iliversa  tameii,  qnalein  decet  esse  sororuin. 

On  les  a  fort  bien  appelées  a  Deux  sœurs  immor- 
telles, »  et  l'on  peut  croire  que  ceu.x  qui  censurent 
cette  très-juste  expression  d'une  pensée  profonde, 
ne  l'ont  pas  suffisamment  pesée.  Elle  ne  jieut  pa- 
raître fausse  que  quand  on  rêve  pour  la  société  des 
destinées  impossibles,  et  qu'animé  de  passions  dont 
le  dix-neuvième  siècle  semblait  devoir  être  guéri, 
on  prétend  toujours  immoler  la  religion  à  la  philoso- 
phie; contre-partie  de  cet  autre  fanatisme  qui,  dans 
rintérèt  de  la  société,  veut  immoler  la  philosophie 
à  la  religion.  A  t|uoi  sert  de  parler  au  nom  de  la 


ritÉFACE.  Lxxv 

raison,  pour  èlre  si  peu  équitable?  au  nom  de  l'ex- 
périence et  de  l'histoire,  pour  méconnaître  des  faits 
d'une  si  frappante  évidence? 

Aux  yeux  de  quelques-uns,  j'aurai  l'air  de  désa- 
vouer l'esprit  de  notre  temps,  en  pensant  comme  je 
le  fais  sur  les  rapports  fraternels  de  la  philosophie 
et  de  la  religion,  de  la  raison  et  de  la  foi.  Je  re- 
gretterais celle  méprise  ;  mais  il  faut  se  passer  d'a- 
voir l'approbation  de  tout  le  monde.  Je  me  con- 
tenterai de  me  trouver  d'accord  avec  deux  hommes 
du  passé,  qu'on  peut  suivre  sans  crainte  de  s'égarer 
sur  leurs  pas.  Â  de  très-grands  intervalles  de  temps, 
dans  des  situations  fort  différentes,  chez  des  peu- 
ples fort  dissemblables,  Socrate  et  Descaries  sont 
des  modèles  que  nous  pouvons  consulter.  Il  n'y  a 
pas  d'esprits  plus  indépendants,  ni  plus  respec- 
tueux envers  la  religion  de  leur  pays. 

Socrate  est  accusé  par  Mélitus  de  ne  pas  croire 
aux  dieux  de  la  République,  de  mettre  à  leur  place 
des  démons,  et  de  répandre  des  doctrines  extrava- 
gantes parmi  la  jeunesse,  qu'il  corrompt.  C'était 
une  calomnie  homicide  ;  elle  prévalut.  Mais  Socrate 
la  réfute  péremptoirement  en  démontrant  que  non- 
seulement  elle  est  fausse,  mais  que  de  plus  elle  se 
détruit  elle-même.  Comment,  en  effet,  peut-on 
croire  aux  démons  sans  croire  aux  dieux,  dont  ils 
étaient  les  enfants,  selon  le  Paganisme?  Mais  la  vie 


Lxxvi  PRÉFACE. 

loul  entière  de  Socrate  réfiilait  bien  mieux  encore 
ses  accusateurs.  A  quel  devoir  religieux  avait-il 
manqué?  A  quelle  cérémonie  sainte,  ordonnée  par 
les  mœurs  de  sa  patrie,  n'avait-il  point  assisté? 
Quel  sacrifice  solennel  avait-il  négligé  de  faire?  11 
est  si  docile  aux  lois  de  la  République  qu'il  ne  veut 
môme  pas  les  violer  pour  sauver  sa  vie,  comme 
Criton  le  lui  propose  dans  sa  prison,  d'où  il  peut 
sortir.  Quelle  parole  impie  lui  a-t-on  jamais  en- 
tendu prononcer?  Quels  discours  a-t-il  jamais  tenus 
contre  les  croyances  nationales?  En  essayant  de  les 
épurer,  les  a-t-il  jamais  insultées?  Loin  de  là,  il  les 
a  toujours  si  bien  acceptées  qu'il  partage  même  les 
o])inions  populaires,  et  qu'il  a  une  pleine  con- 
fiance aux  mythes  d'où  elles  sont  sorties.  Fidèle  à 
celte  conduite  patriotique,  qu  il  a  tenue  durant 
toute  sa  vie,  sa  dernière  parole,  quand  le  poison 
va  l'étouffer,  est  pour  rappeler  à  ses  amis  une  of- 
frande qu'il  doit  à  Esculap'e.  C'est  une  dette  reli- 
gieuse (ju'il  ac(iuitte  en  expirant. 

Il  nous  est  sans  doute  Irès-malaisé  de  démêler 
toute  la  pensée  de  Socrate  sur  les  erreurs  cl  les  im- 
puretés du  culte  païen,  au  milieu  duquel  il  vivait. 
Mais  cette  pensée,  peut-être  obscure  pour  lui-même, 
il  est  certain  qu'il  ne  l'a  jamais  exprimée  en  termes 
blessants.  11  a  même  défendu  la  majesté  des  dieux 
contre  les  basses  images  qu'en  traçait  la  poésie;  il 


PREFACE. 


a  rehausse  autant  qu'il  l'a  pu  l'idée  que  lliomme 
doit  se  faire  de  leur  bonté,  de  leur  pouvoir,  de  leur 
providence.  Lorsque  Platon  porte  des  lois  contre  le 
sacrilège,  tant  au  nom  de  son  maître  qu'au  sien 
propre,  il  est  d'une  sévérité  excessive  ;   l'impiété 
révolte  si  vivement  Socrate  qu'il  a  contre  elle  des 
accents  de  colère  que  sa  bienveillance  inaltérable 
n'a  point  trouvés  contre  les  autres  crimes.  C'est  celui- 
là  qui  lui  est  le  plus  odieux,  et  il  n'y  a  que  Mélitus 
pour  supposer  qu'il  ait  pu  le  commettre.  Tout  ce  que 
fait  Socrate,  c'est  de  maintenir  son  droit  de  phi- 
losophe, en  le  conciliant  avec  tous  ses  devoirs  do 
citoyen.  Ce  qui  lui  coûte  la  vie,  ce  n'est  pas  une  in- 
fraction cà  la  loi  politique  et  religieuse;  c'est  l'ini- 
mitié presque  générale  qu'ont  excitée  dans  une  so- 
ciété relâchée  ses  vertus  et  surtout  ses  trop  justes 
critiques, 

A  deux  mille  ans  de  distance,  l'exemple  de 
Descartes  est  encore  plus  clair  ;  moins  éloigné 
de  nous,  il  peut  encore  mieux  nous  instruire.  Des- 
cartes a  poussé  plus  avant  que  personne  la  libre  re- 
cherche de  la  vérité,  et  il  est  interdit  désormais  à 
l'indépendance  la  plus  ombrageuse  et  la  plus  en- 
treprenante d'albr  au  delà.  La  raison  se  prenant 
pour  la  source  et  la  mesure  de  toute  connaissance, 
c'est  le  terme  extrême  de  la  philosophie,  qui  me 
peut  pas  être  plus  avancée   ni   plus  solide.  C'est 


LxiviH  PREFACE. 

son  droit  et  sa  force  eu  même  temps  que  son  danger. 

Y  a-t  il  dans  tout  Descartes  un  seul  mot  irréligieux? 

Y  a-t-il  même  une  seule  tendance  douteuse?  J'ai 
dit  plus  haut  qu'il  était  demeuré  plein  de  foi,  tout 
en  étant  le  plus  libre  des  penseurs.  Mais  en  même 
temps,  est-ce  que  ses  convictions  religieuses  ont 
rien  enlevé  à  la  vigueur,  à  l'étendue,  à  la  liberté 
absolue  de  ses  pensées?  N'a-t-il  pas  démontré 
l'existence  de  Dieu,  l'immortalité  de  l'âme  et  tant 
d'autres  principes,  sans  rien  demander  qu'à  l'obser- 
vation et  à  la  psychologie?  S'il  n'a  pas  voulu  soutenir 
ouvertement  les  théories  de  Galilée  sur  le  mouve- 
ment de  la  terre,  ce  fut  un  acte  de  prudence  per- 
sonnelle; ce  n'était  point  un  scrupule  d'orthodoxie  ; 
car  il  était  persuadé  que  «  c'était  abuser  de  l'Ecri- 
w  ture  sainte  que  d'en  vouloir  tirer  la  connaissance 
«des  vérités  qui  n'appartiennent  qu'aux  sciences 
«  humaines  ^  » 

Doutera-t-on  des  lumières  et  de  la  sincérité  de 
Descartes?  Croit-on  un  tel  homme  capable  de  se 
mentir  à  lui-même  ou  de  mentir  aux  autres?  La 
philosophie  n'est  donc  pas  plus  pour  lui  que  pour 
Socrate  incompatible  avec  la  religion,  dans  la- 
quelle ils  vivent  et  qu'ils  professent,  avec  un  égal 
respect  et  un  égal  patriotisme. 

*  Descaitcs,  édition  de  M.  Victor  Coubiii,  t.  Vlll,  p.  b'I. 


PREFACE.  Lx-m 

Veut-on  la  contre-épreuve  de  ceci  ?  Qu'on  s'a- 
dresse à  un  évêque,  et  particulièrement  à  Bossuet  ? 
A-t-il  cru  que  la  philosophie  fût  inconciliable  avec 
la  religion  ?  Et  dans  cet  admirable  livre  «  De  la 
connaissance  de  Dieu  et  de  soi-même,  »  le  plus  beau 
peut-être  de  tous  ceux  qu'il  a  composés,  peut-on 
sentir  autre  chose  que  la  main  du  philosophe  ?  Le 
chrétien,  le  catholique,  le  prêtre  y  paraît-il  un 
instant  ?  Or  quel  sujet  plus  grand,  plus  vaste,  plus 
décisif  que  celui  qu'il  y  traite  ?  Connaître  soi-même 
et  Dieu,  n'est-ce  pas  l'essentiel  ?  Et  quoique  l'évêque 
de  Meaux  n'eût  pas  voulu  s'en  tenir  là  exclusivement, 
il  attachait  du  moins  une  bien  haute  importance  à 
ce  résumé  de  la  raison,  où  n'enlie  n'en  de  l'or- 
thodoxie ni  du  dogme.  Ce  n'est  pas   faire   tort  à 
Bossuet  que  de  l'associer  à  Descartes  et  à  Socrate  ;  et 
il  se  trouve  que  j'ai  pour  le  sentiment  que  je  sou- 
tiens plus  d'autorité:^  que  je  n'en  comptais  d'abord. 
11  serait  même  bien  facile,  si  on  le  voulait,  d'en  ajou- 
ter à  celles-là  une  foule  d'autres. 

Mais  j'ai  hâte  de  quitter  ces  généralités,  qui  peu- 
vent toujours  paraître  un  peu  trop  vagues  et  par 
suite  peu  utiles.  11  faut  les  appliquer  au  temps  où 
nous  sommes,  avec  la  réserve  convenable,  et  les  vé- 
rifier par  la  pratique.  La  question  est  toujours  la 
même;  mais  la  solution  est  aujourd'hui  plus  aisée 
(ju'elle  ne  la  jamais  été,  grâce  à  la  beauté  de  la 


Lxxx  PREFACE. 

religion  que  la  philosophie  a  devant  elle,  grâce  aux 
progrès  de  la  tolérance  et  à  la  douceur  de  nos 
mœurs.  Notre  époque  connaît  mieux  qu'aucune 
aulre  ne  l'a  pu  antérieurement,  l'histoire  du  passé  ; 
nous  avons  sur  nos  prédécesseurs  cet  avantage 
de  pouvoir  profiter  des  leçons  qu'ils  ne  compre- 
naient pas  aussi  bien  que  nous.  Il  semble  donc 
que  juger  des  rapporis  actuels  de  la  religion  et 
de  la  philosophie  soit  chose  assez  simple.  Cepen- 
dant c'est  toujours  une  tâche  délicate.  Mais  pour- 
quoi ne  pas  l'aborder,  s'il  peut  y  avoir  quelque  bien 
à  le  faire  avec  modération  et  loyauté  ?  A  n'en- 
tendre que  certaines  récriminations,  on  pourrait 
croire  que  la  concorde  est  impossible.  Je  ne  le 
pense  pas  ;  et  quand  ma  voix  se  perdrait,  sans  être 
écoulée  de  part  ni  d'autre,  je  ne  puis  avoir  à  me 
repentir  de  l'avoir  élevée.  Je  laisserai  d'ailleurs  de 
côté  tous  les  débats  mesquins,  et  je  neveux  m"ar- 
rèter  qu'aux  traits  les  plus  saillants. 

Ce  qu'il  faut  montrer,  c'est  qu'aujourd'hui  la 
philosophie  a  peut-être  plus  de  devoirs  envers  la 
jeligion  qu'elle  n'en  a  jamais  eu.  On  doit  le  sou- 
tenir non  pas  uni(|uement  dans  l'intérêt  social, 
mais  bien  plus  encore  dans  l'intérêt  de  la  vérité 
et  de  la  raison.  Dans  les  deux  camps,  il  y  a  des 
esprits  excessifs  (]ui  ne  veulent  entendre  à  aucun 
accommodement.  Ceux-ci  proscrivent  la  raison  ; 


l'REFACE. 


et  l'on  ne  voii  plus  dès  lors  comment  même  ils 
peuvent  s'adresser  aux  hommes.  Ceux-là,  presque 
aussi  aveugles,  proscrivent  la  foi,  sans  reconnaître 
tout  ce  qu'elle  a  de  vrai,  indépendamment  de  tout  ce 
qu'elle  a  de  pratique  et  de  nécessaire.  C'est  une  faute 
égale.  Mais  ce  qui  peut  la  rendre  moins  nuisible, 
c'est  qu'en  réalité  la  société  n'en  est  pas  troublée. 
La  religion  et  la  philosophie  vivent  l'une  et  l'autre 
sous  la  main  de  l'État,  chargé  de  maintenir  l'ordre 
entre  tous  les  cultes;  et  malgré  quelques  faiblesses 
et  quelques  partialités,  TEtat  se  montre  assez  équi- 
table. La  paix  sociale  subsiste,   si  la  discorde  est 
dans  les  écrits.  C'est  donc  pour  le  moment  un  débat 
de  pure  théorie.  Mais  la  discussion  n'en  a  gi;ère 
moins  d'importance  ;  car  la  théorie  ne  tarde  pas  à 
descendre  dans  les  faits  chez  tous  les  peuples,  et 
parmi  eux  il  en  est  même  de  si  impatients  qu'ils 
s'élancent  à  la  pratique  sans  une  réflexion  suffi- 
sante, sauf  à  payer  tant  de  j)récipitation  de   leur 
repos  et  de   leur  bonneur. 

Je  ne  veux  rappeler  que  des  fails  inconlestabh  s, 
qui  pui-ssent  être,  ce  semble,  acceptés  par  les  deux 
])ar[is,  quelijue  passionnés  qu'ils  soient. 

On  interrogera  vainement  l'histoire  entière  de 
l'esprit  humain;  on  n'y  trouvera  rien  d'égal  à  l'é- 
difice religieux  qu'a  élevé  le  Christianisme,  et 
qui  constitue  encore  son   état   présent,   garantie 


ixxTii  PREFACE. 

d'un  avenir  donl  mil  ne  peut  assigner  la  fin.  Issu 
de  la  prédication,  dans  un  coin  obscur  du  monde 
asiatique,  ilconijuiert  l'empire  romain  en  moins  de 
trois  siècles,  et  il  s'assied  sur  le  trône  avec  Con- 
stantin. Il  s'étend  sur  l'Europe  barbare  et  boulever- 
sée ;  il  y  règne  sans  partage  ;  et  aujourd'hui,  après 
dix-huit  cents  ans,  les  peuples  qui  le  professent 
sont  et  resteront  les  plus  savants,  les  plus  laborieux, 
les  plus  moraux  et  les  plus  libres  que  l'histoire  ait 
jamais  vus.  Selon  toute  apparence,  ils  soumettront 
à  leur  foi  commune  le  monde  entier,  qu'ils  étrei- 
gnent  de  toutes  parts,  et  qui  ne  peut  pas  plus  ré- 
sister à  leur  force  qu'à  leurs  lumières. 

Voilà,  dans  Thisloire  du  Christianisme,  le  premier 
fait  qui  me  frappe  ;  et  je  me  sens  porté  tout  d'abord  à 
tenir  le  plus  grand  compte  d'une  doctrine  religieuse 
qui  a  produit  de  si  nobles  résultats.  En  admettant 
même  que  tous  ces  résultats  excellents  ne  lui  ap- 
partiennent pas,  et  qu'on  doive  les  rapporter  aux 
peuples  mêmes  qui  les  ont  obtenus,  ces  peuples  si 
supérieurs  ne  peuvent  pas  avoir  adopté  une  religion 
qui  ne  répondrait  point  à  leur  intelligence,  à  leurs 
aptitudes  et  à  leur  raison,  attestées  par  tant  de  pro- 
grès et  tant  de  merveilles.  Ils  ne  semblent  pas  prêts 
à  déserter  leur  foi  ;  et  parmi  les  intelligences 
f|ui  ont  pu  prétendre  à  se  faire  écouter  d'eux,  il 
n'en  est  pas  une  seule  dont  les  yeux  aient  été  assez 


Pl'.F.FACE. 


poreanls  déjà  pour  discerner  quelque  dogme  meil- 
leur et  plus  humain,  destiné  à  remplacer  celui-là. 
Soit  donc  qu'on  se  rappelle  l'histoire  du  Christia- 
nisme, soit  qu'on  regarde  à  son  état  actuel,  soit 
qu'on  pense  à  son  avenir,  il  n'y  a  rien  de  plus  su- 
blime, de  plus  solide,  ni  de  plus  fécond  dans  toutes 
les  religions,  soit  passées,  soit  présentes. 

Je  ne  lui  fais  pas  un  mérite  particulier  de  ses 
martyrs.  Sans  doute  ils  sont  admirables,  et  l'Eglise 
n'a  été  que  juste  en  les  plaçant  au  nombre  des  Saints, 
afin  d'apprendre  à  tous  les  hommes  comment  on 
meurt  pour  ses  convictions.  Mais  toutes  les  reli- 
gions ont  eu  leurs  victimes.  Si  celles-là  sont  dignes 
pour  nous  de  plus  de  sympathie  et  de  louange,  elles 
n'en  sont  pas  les  seules  dignes.  Il  s'en  est  toujours 
rencontré  d'aussi  dévouées,  pour  soutenir  des  re- 
ligions beaucoup  moins  bonnes.  Mais  à  côté  des 
marlyrs  et  de  leur  courage,  je  vois  l'œuvre  intel- 
lectuelle des  Apôtres,  des  Pères  de  l'Église,  des 
Conciles  et  des  Papes,  avec  leur  succession,  leur 
hiérarchie  libérale  et  forte ,  leur  gouvernement 
habile,  leur  prudence  habituelle,  leur  esprit  de 
persévérance,  l'unité  de  leur  tradition  ;  et  je  me 
demande  où  Irouver,  dans  l'univers  et  dans  les  re- 
ligions, un  système  qui  puisse  être  mis  au  rang  de 
celui-là  pour  l'étendue,  la  profondeur  et  la  vérité. 
Sur  Dieu,  sur  l'âme,  sur  le  monde,  sur  les  sociétés. 


ixxxiv  PP.rFACF. 

sur  les  mœurs,  quels  problèmes  nouveaux  !  Ouel 
éclaircissement  des  anciens  problèmes  élargis!  Que 
de  solutions  vraies  et  nliles,  que  de  travaux  infati- 
gables et  bienfaisants,  sans  parler  de  tant  d'insti- 
tutions de  toute  espèce,  qui  ont  fait  pénétrer  dans  la 
réalité  les  inspirations  les  plus  élevées  et  les  plus 
charitables  de  la  théorie  !  Quelle  science,  quelles 
études  solitaires  et  publiques,  dans  les  écoles  ou 
dans  les  cellules!  Que  de  monuments  laissés  à  la 
postérité  pour  lui  transmettre  l'Iiéiilage  antique, 
ou  pour  commencer  le  nouvel  amas  de  nos  tré- 
sors! Au  milieu  des  labeurs  de  l'orthodoxie  et  de 
la  foi,  que  de  philosophie  et  que  de  libres  investi- 
gations! Parmi  les  Pères  et  les  Docteurs,  que  de 
philosophes!  S'ils  n'eussent  point  été  nos  maîtres, 
en  serions-nous  aujourd'hui  à  ce  point  de  mora- 
lité et  de  lumières  où  nous  sommes  parvenus?  Le 
monde  moderne,  si  fier,  et  à  juste  titre,  de  tout  ce 
qu'il  est,  n'est-il  pas  sorti  presque  entièrement  du 
Christianisme?  N'a-t-il  pas  été  nourri,  élevé,  sou- 
tenu par  lui?  Que  deviendrait-il,   tout  fort  qu'il 
se  croit,  si  la  foi  clirétienne  venait  à  lui  manquer 
tout  à  coup?  Qui  couiblerait  ce  vide  et  cet  anéan- 
tissement ? 

Ce  n'est  pas  que  je  me  cache  les  ombres  de  ce 
table^iu  lesplendissnnl  ;  je  sais  aussi  bien  que 
personne  tout  ce  qu'on  peut  reprocher,  si  ce  n'est 


1 


PREFACE.  ixxxv 

au  Clirislianismo  lui-même,  du  moins  à  plusieurs 
de  ceux  qui  l'ont  représenté.  L'Église  a  commis  des 
fautes;  mais  qui  n'en  commet  point  parmi  les 
hommes  ?  Elle  a  dû  gémir  souvent  elle-même  des 
chefs  indignes  qui  l'ont  compromise  ou  flétrie.  Elle 
a  eu  ses  ambitions  désordonnées,  ses  préjugés,  ses 
faiblesses,  ses  corruptions,  ses  cruautés  même  ;  elle 
a  été  oppressive,  après  avoir  été  longtemps  la  mère 
et  le  refuge  des  opprimés.  La  puissance  l'u  pervertie 
à  certaines  époques,  sans  que  les  revers  l'aient  tou- 
jours suffisamment  instruite.  Qui  peut  nier  tout 
cela?  Mais  je  demande  si  tout  cela,  quelque  réel  et 
quelque  déplorable  que  ce  soit,  peut  un  instant 
compenser  et  surtout  abolir  notre  gratitude  et  notre 
admiration.il  faut  juger  le  Christianisme,  comme 
la  raison  veut  qu'on  juge  toutes  choses,  en  le  pre- 
nant par  ses  bons  côtés ^  Il  n'est  pas  plus  respon- 
sable des  crimes  commis  en  son  nom  que  la  liberté 
n'est  responsable  de  tous  ceux  qu'on  a  commis  pour 
elle,  en  croyant  la  servir,  tout  en  la  faisant  abliorrer 
de  sociétés  qui  ne  peuvent  s'en  passer. 

Une  critique  plus  fondée,  ou  du  moins  plus  spé- 
cieuse, c'est  que  le  Christianisme  a  reproduit  dans 
ses  formes,  et  dans  une  bonne  partie  de  ses  idées, 
le  monde  antique  qu'il  remplaçait.  J'en  conviens 

*  CVst  lo  fondeinenl  de  l'optimisme. 


i.ïixvi  PRÉFACE. 

bien  volontiers;  ninis  c'est,  à  mon  sens,  un  service  de 
plus  et  le  sujet  d'un  nouvel  éloge.  Si  le  Christianisme 
n'avait  pas  emprunté,  avec  le  langage  de  la  Grèce 
et  de  Rome,  toutes  leurs  habitudes  scientifiques, 
littéraires,  administratives  et  politiques,  il  n'aurait 
pas  été  entendu,  et  il  eût  fait  mille  fois  moins  de 
bien.  En  arrivant  dans  le  monde  grec  et  romain, 
il  y  trouva  une  civilisation  déjà  fort  avancée,  et  il 
eut  le  bon  esprit  de  s'en  servir.  Il  en  conserva 
tout  ce  qu'il  put  dans  le  catalysme  de  l'invasion. 
C'est  à  laide  de  ces  débris  recueillis  par  lui  que, 
sous  son  égide,  nous  avons  fait  toute  notre  éducation, 
ou  plutôt  que  nous  avons  renoué  la  chaîne  des  temps 
si  tristement  interrompue.  Il  n'y  eut  jamais  chez 
les  hommes  un  pareil  naufrage  ;  mais  il  n'y  eut  ja- 
mais non  plus  une  telle  rénovation.  Ce  n'est  pas  à 
nous,  qui  pouvions  périr  dans  la  tempête,  de  nous 
plaindre  de  la  main  qui  nous  a  sauvés.  Cette  main 
n'a  pas  toujours  élé  également  douce  et  salutaire  ; 
mais  ce  sont  là  de  ces  services  et  de  ces  souvenirs 
que  rien  n'efface  ni  ne  doit  faire  oublier.  Le  Chris- 
tianisme est  grec  et  romain;  voilà  sa  puissance  dans 
les  voies  mondaines.  Resté  oriental,  il  n'eût  pas 
existé  pourjious,  et  notre  Occident  ne  l'aurait  ni 
suivi,  ni  même  connu.  Mais  malgré  des  emprunls 
manifestes  et  indispensables,  il  est  encore  assez 
original  pour  avoir  renouvelé  de  fond  en  comble  le 


PRÉFACE.  Lxxxvii 

monde  antique,  qu'il  continuait  tout  en  le  chan- 
geant. Ce  ne  doit  pas  être  un  titre  de  défaveur 
auprès  des  philosophes. 

Ce  n'en  est  pas  un  non  plus  que  de  plonger  par 
le  Judaïsme  et  parla  Bible  aux  racines  mêmes  de 
Ihumanité.  Quelque  opinion  que  l'on  ait  sur  la 
composition  des  livres  de  lAncien  Testament,  per- 
sonne ne  peut  nier  qu'ils  ne  doivent  figurer  parmi 
les  plus    anciens   monuments    de    l'histoire   des 
hommes.  En  les   comparant  à    tous  ceux   qui  le 
leur  disputent  de  vénérable  vieillesse,  il  n'en  est 
pas  (jui  les  vaillent,  et  de  beaucoup,  sous  le  rapport 
de  la  vraisemblance,  de  l'ordre,  de  la  continuité  et 
de  la  beauté.  En  ne  les  considérant  que  philosophi- 
quement,   combien  ne  sont-ils  pas  au-dessus  des 
Kings  de  la  Chine,  des  Védas  de  l'Inde,  des  Soûtras 
du  Bouddhisme,  ou  du  Coran  de  l'Islam?  En  est- 
il  qui,  sur  lorigine  des  choses,  donnent  des  so- 
lutions plus  raisonnables,  en  même  temps  que  plus 
majestueuses?  On  dirait  que  le  peuple  d'Israël  a 
stipulé  pour  le  genre  humain,  et  par  fois  même 
pour  la  philosophie.  Â  l'avantage  d'être  romain 
et  grec,  le   Christianisme  a  donc   réuni    l'avan- 
tage d'être  hébreu.  Il  a  hérité  ainsi  de  tout  ce 
qu'il  y  eut  de  meilleur  dans  les  races  asiatiques 
et  dans  les  races  européennes.   Est-ce  là  ce  qui 
pourrait  le  diminuer?  En  se  rattachant  à   tout 


ixxxviii  piii;rAri:. 

ce  que  l'esprit  humain  a  conçu  He  plus  grand  et 
de  plus  vrai,  s'est-il  ôlé  des  droits  à  son  estime  et 
à  sa  reconnaissance?  Pris  en  lui-même,  n'est-il 
pas  au-dessus  de  tout  ce  qui  le  soutient  et  l'a  pré- 
cédé? Ne  mérite-t-il  pas  de  s'appuyer  tout  ensem- 
ble sur  la  religion  mosaï(jue  et  sur  l'Hellénisme? 
Ne  les  dépasse-l-il  pas  encore  infiniment  l'un  et 
l'autre  ? 

Je  ne  voudrais  pas  porter  une  main  indiscrète 
sur  les  matières  interdites  aux  profanes,  et  je  ne 
toucherais  pas  aux  mystères,  si  des  exemples  fameu 
n'v  autorisaient.  Des  Pères  de  l'Eglise  n'ont   pas 
craint  d'y  plonger  leurs  regards  et  leur  réflexion, 
tout  incompréhensibles  qu'on  les  déclarait.  Saint 
Augustin  n'a  pas  été  le  seul  à  faire  un  ouvrage  De 
Trinitate.  On  peut  ne  pas  se  prononcer  sur  l'or- 
thodoxie des  explicalions  proposées  ,  puisque  ce 
soin  ne  concerne  que  l'Eglise.  Mais  on  ne  peut  re- 
fuser de  reconnaître,  dans  ces  explications  et  dans 
ces  recherches,  une  profondeur  de  métaphysique 
que  la  philosophie  n'a  jamais  dépassée,  et  qu'elle  a 
égalée  à  peine  dans  ses  représentants  les  plus  il- 
lastres.  Sur  l'essence  de  Dieu,  sur  l'action  de  sa 
providence,  mêlée  au  libre  arbitre  de  ses   créa- 
tures, sur  létat  originel  de  l'homme,  sur  la  créa- 
tion,  sur  l'éternité,  etc.,  la  philosophie  fera  ton- 
jours  bien  de  consulter  le  Christianisme,  comme 


l'IiKlACE.  Lxxxix 

elle  consulterait  un  des  siens;  elle  y  trouvera,  non 
des  solutions  toutes  faites,  puisqu'elle  n'en  doit  re- 
cevoir de  personne,  mais  des  lumières  qu'elle  cher- 
cherait vainement  dans  d'aulns  religions,  et  dans 
la  plupart  de  ses  propres  systèmes. 

En  passant  à  la  partie  tout  extérieure  du  Chris- 
tianisme, on  n'y  découvre  pas  moins  de  puissance 
ni  de  nouveauté.  Humainement  parlant,  le  Christ  de 
Nazareth  et  de  Bethléem  naît  dans  la  condition  la 
plus  ohscure  et  la  plus  pauvre.  On  le  fait  bien  des- 
cendre de  la  famille  de  David;  mais  c'est  dans  une 
étable qu'on  le  place  aux  premiers  jours  de  sa  vie.  Il 
eslfds  dun  simple  artisan  ;  il  n'est  point  le  fils  dun 
roi  comme  le  Bouddha;  il  n'est  même  pas  de  la  tribu 
dominatricecommeMahonjet.il  passe  son  existence, 
qu'il  soutient  du  travail  de  ses  mains,  dans  une  con- 
dition misérable,  souvent  sans  avoir  de  lieu  où  re- 
poser sa  tête,  et  il  meurt  par  le  plus  ignominieux 
et  le  plus  atroce  des  supplices,  pour  avoir  prêché 
des  doctrines  jugées  hérétiques  et  séditieuses.  Pour 
les  sociétés  modernes,   qui   marchent  toutes  h  la 
démocratie,  d'un  pas  plus  ou  moins  rapide,  est-il 
un  idéal  plus  acceptable  et  plus  saisissant?  La  phi- 
losophie, qui  ne  sépare  point  l'égalité  de  la  liberté, 
croit-elle  qu'il   puisse  y  avoir,  pour   soutenir  les 
hommes  dans  leurs  communes  misères,  un  modèle 
plus  encourageant  et  plus  simple?  Ouelle  leligion 


xc  PREFACE. 

a  jamais  rien  offert  de  plus  pratique  ni  de  plus 
haut  h  l'adoration  dn  genre  humain  '? 

En  présence  d'une  telle  religion,  ce  n'est  pas  seu- 
lement du  respect  que  doit  éprouver  le  cœur  du 
philosophe.  Le  respect  pour  le  culte  national  est 
l'obligation  étroite  de  tous  les  citoyens,  qui  doivent 
se  conformer  les  uns  envers  les  autres  aux  conve- 
nances, sans  lesquelles  la  socirté  ne  serait  pas  assez 
calme.  Il  est  un  devoir  général  à  l'égard  de  la 
religion,  quelle  qu'elle  soit;  même  en  la  suppo- 
sant aussi  mauvaise  qu'on  le  voudra,  on  n'a  jamais 
le  droit  de  faire  rien  qui  puisse  la  blesser  aux  yeux 
dii  magistrat.  Cependant  le  respect,  tout  obligatoire 
qu'il  est  socialement,  peut  n'être  qu'extérieur 
cl  de  pure  forme  ;  il  peut  s'allier  avec  le  dédain 
intérieur  et  la  répugnance  secrète.  C'est  une  sage 
contrainte  à  laquelle  on  se  soumet,  bien  que  la 
conscience  proteste. 

Mais  lorsque  dans  une  religion  on  a  le  bonheur 
de  retrouver  tant  de  vérités  connues  d'ailleurs,  lant 
de  conformités  avec  la  raison  la  plus  sévère  et  la 
plus  délicate,  on  ne  doit  pas  simplement  un  froid 
respect;  on  doit  quelque  chose  de  plus,  et  un  .sen- 
timent plus  doux,  c'est-à-dire  ce  demi-acquiesce- 

'  11  laiit  lire  dans  Vollaire  quelques  pages  admirables  sur  le 
Christ,  Diitionnaire  philosophique,  arliile  Religion,  §  H,  \).  102 
et  suiv.,Kdilion  Deurliot. 


PREFACE. 


ment,  et  cette  autre  forme  du  respect  qui  s'appelle 
l'admiration.  Quand  l'admiration  est  sincère  et  pro- 
fonde, elle  implique  nécessairement  le  respect,  qui 
ne  l'implique  pas  toujours.  C'est  là  ce  qu'on  doit  au 
Christianisme,  à  défaut  de  la  foi.  Une  philosophie 
qui  le  mépriserait,  ne  serait-elle  pas  bien  près  de 
se  mépriser  elle-même?  Parmi  les  religions  les  plus 
grossières,  il  n'en  est  pas  une  qui  impartialement 
étudiée  ne  présente  au  philosophe  quelque  chose 
d'estimable,  suffisant  pour  racheter  bien  des  er- 
reurs et  des  superstitions.  Dans  la  religion  chré- 
tienne, le  bien  ne  l'emporte-t-il  pas  en  une  telle 
proportion  que  le  mal  disparaît  presque  compléle- 
nient?Et  faire  prédominer  le  blâme,  ne  serait-ce 
pas  le  jugement  de  cœurs  bien  prévenus? 

Dans  la  disposition  actuelle  des  esprits,  on  no 
peut  pas  être  sûr  que  la  religion  accepte  un  tel  hom- 
mage et  qu'elle  s'en  contente.  Tout  ce  qu'on  peut 
affirmer,  c'est  qu'il  lui  est  dû  légitimement;  quand 
on  ne  le  lui  rend  pas,  on  n'est  ni  assez  impartial 
ni  assez  clairvoyant.  Pour  condamner  le  Christia- 
nisme, il  faut  ne  pas  le  comprendre. 

On  excuse  les  emportements  des  philosophes 
dans  le  siècle  dernier.  Il  est  trop  difficile  de  se 
contenir  quand  on  est  révolté  par  les  supplices  des 
Labarre  et  des  Calas.  L'indignation  de  Voltaire  n'est 
que  troj)  justifiée,  si  d'ailleurs  la  guerre,  telle  qu'il 


ir.ii  PREFACE. 

la  faisait,  n'est  pas  tout  à  fait  digne  de  son  génie. 
Alors  il  était  interdit  aux  iibies  penseurs  de  faire 
entendre  leurs  griefs  trop  fondés,  et  l'humanitése 
soulevait  en  vain  avec  la  raison.  La  loi  ne  souffrait 
pas  qu'on  parlât  ouvertement;  c'était  à  des  subter- 
fuges qu'il  fallait  recourir,  pour  produire  les  opi- 
nions les  plus  modérées  et  les  plus  utiles.  Les  écri- 
vains couraient  risque  de  leur  repos,  de  leur  liberté, 
de  leur  vie,  s'ils  poussaient  un  soupir,  s'ils  se  per- 
mettaient une  critique  ou  même  un  conseil.  Une 
(elle  oppression  amena  une  résistance  tout  aussi 
peu  mesurée;  il  aurait  fallu  une  sagesse  sur- 
humaine pour  ne  pas  franchir  toutes  les  bornes,  et 
ne  pas  se  défendre  aussi  violemment  qu'on  était 
attaqué.  Le  péril  même  donnait  quelque  noblesse  à 
la  lutte.  Aussi  quoique  la  philosophie  de  ce  temps 
employât  trop  snuvent  des  armes  reprochables,  on 
devait  désirer  sa  victoire,  parce  qu'elle  avait  la 
bonne  cause,  et  que  les  abus  qu  elle  combattait 
étaient  devenus  intolérables,  comme  tous  ceux  qui 
allaient  provoipier  la  grande  révolution  sociale,  dont 
celte  polémi(pie  furieuse  était  l'avant-coureur. 

Aujourd'hui  que  la  philosophie  peut  tout  dire, 
sans  courir  le  moindre  danger,  ainsi  que  les  autres 
sciences  désormais  émancipées,  elle  n'a  qu'à  user  de 
son  droit  avec  la  modération  qui  doit  être  sa  règle 
constante.  Ses  excès,  quand  elle  on  commet,  peu- 


IT.ErACK.  xnii 

vent  sembler  comme  les  restes  et  les  dernières 
ti-accs  (le  son  ancien  esclavage.  La  colère  ne  sied 
pas  à  la  liberté,  ni  à  la  justice  dont  elle  se  pique.  Si 
la  religion  n'est  pas  toujours  assez  équitable  envers 
la  philosophie,  c'est  un  motifde  plus  pour  ne  pas  l'i- 
miter. La  jihilosophie  a  subi  d'autres  épreuves;  et 
celle-là  doit  lui  sembler  bien  légère,  auprès  des 
tragiques  aventures  dont  l'histoire  a  gardé  le  sou- 
venir. Dussent-elles  se  représenter,  il  faudrait  savoir 
les  braver  encore.  Mais  dé  notre  temps,  ce  n'est  pas 
le  martyre  qu'on  a  beaucoup  à  redouter;  on  se 
donnerait  peut-être  bien  de  la  peine  sans  être  sûr 
de  l'obtenir. 

Il  faut  ajouter  que  le  grand  mouvement  philo- 
sophique de  notre  siècle  a  été  la  restauration  du 
spiritualisme,  inaugurée  par  M.  Royer-Collard  et 
poursuivie  pendant  un  demi-siècle  par  le  plus  il- 
lustre de  ses  disciples  et  de  nos  maîtres.  D'autres 
tendances  se  sont  manifestées,  il  est  vrai ,  de  ma- 
nière h  faire  craindre  quelquefois  une  résurrection 
du  matérialisme  vaincu.  Mais  il  est  bien  tard  pour 
que  ces  tentatives  puissent  prévaloir  ;  le  caractère 
général  de  notre  siècle  devant  l'histoire  est  hxé 
par  la  doctrine  qu'il  a  professée  depuis  plus  de 
soixante  ans,  et  qu'il  professera  sans  doute  jusqu'à 
sa  fin.  Notre  siècle  est  soustrait  à  l'athéisme.  Si 
celte  fimesle  théorie  espère  le  triom|)he,  elle  doit 


PREFACF. 


rnjourner  au   siècle  procliain,  à  qui  l'on  ne  peut 
souhaiter  cette  déplorable  conversion. 

En  renouvelant  les  doctrines  spiritualisles,  ce 
n'est  pas  un  service  calculé  et  réfléchi  que  la  phi- 
losophie a  rendu  à  la  religion  ;  elle  y  a  été  amenée 
par  la  pente  même  des  choses,  et  par  une  réaction 
spontanée  qui  s'est  passée  tout  entière  dans  son 
soin.  La  relinfion  en  a  certainement  tiré  im  vrai 
profit,  indirect  mais  considérable.  Elle  n'a  peut- 
rtre  pas  bien  apprécié  elle-même  tout  le  secours 
qu'elle  recevait;  il  n'en  a  pas  été  moins  réel,  et 
la  postérit('  saura  le  reconnaître,  si  les  contem- 
porains ne  semblent  pas  s'en  apercevoir.  C'était 
serapprochei'  que  de  travailler,  même  séparément, 
à  une  cause  semblable.  Le  Christianisme  est  avant 
tout  et  éminemment  une  doctrine  spiritualisle.  A 
son  origine,  il  avait  tendu  la  main  au  Platonisme, 
étudié  et  admiré  par  tous  les  Pères  des  premiers 
siècles.  De  nos  jours,  un  phénomène  analogue  s'est 
répét(',  bien  que  sur  une  moindre  échelle;  la 
philosophie  redevenant  spiritualiste,  sous  les  aus- 
pices de  Platon  et  de  Descartes,  a  fait  des  pas  vers 
la  religion,  sans  rien  perdre  de  son  indépendance 
et  de  son  al>solue  liberté.  On  s'est  trouvé  plus  voisin 
qu'on  ne  croyait,  et  les  anciennes  défiances  sont 
tombées,  tout  au  moins  d'un  côté.  Il  se  peut  que  la 
religion  garde  les  siennes  ;  mais  la  philosophie  spi- 


PREFACE. 


ritualiste  n'a  plus  ce  pn^'ugé  ni  ceKe  injustice.  A 
la  clarté  de  sa  propre  histoire,  elle  se  juge  mieux 
elle-même  et  elle  juge  mieux  les  autres.  A  plus  forte 
raison,  peut-elle  dire  du  Christianisme  ce  qu'un 
scolastique  disait  d'Aristote  :  a  Je  ne  m'écarte 
«  de  lui  qu'avec  crainte  et  vénération.  » 

Voilà  bien  des  motifs  sérieux  pour  que  la  philoso- 
phie spiritualiste,  en  restant  ce  qu'elle  est,  ne  se 
montre  jamais  hostile  au  Christianisme.  D'abord  ce 
sont  des  motifs  généraux  qui  doivent  la  toucher  par- 
tout; ce  sont  ensuite  des  motifs  particuliers  à  notre 
temps  et  à  notre  pays.  Il  en  est  un  plus  spécial  que 
tous  les  autres,  que  je  me  permettrai  de  rappeler. 
Certainement  on  ne  l'a  pas  oublié;  mais  il  est  bon 
d'en  renouveler  le  souvenir,  quelque  douloureux 
qu'il  soit.  Dans  les  convulsions  auxquelles  la  France 
a  été  livrée  durant  la  Révolution,  il  s'est  produit 
des  scandales  religieux  dontaucune  nation,  je  crois, 
ne  s'est  jamais  souillée  ;  les  profanations  ont  été 
sans  bornes  ;  les  ministres  du  culte  ont  été  les  pre- 
mières victimes  de  la  rage  populaire,  et  c'est  par  un 
égorgement  de  prêtres  qu'ont  commencé  les  mas- 
sacres, dont  l'horreur  restera  ineffaçable.  Ce  n'est 
pas  la  philoso|)hie  du  dix-huitième  siècle,  ainsi  que 
la  souvent  répété  l'esprit  de  parti,  qui  doit  être 
responsable  de  ces  persécutions  et  de  ces  crimes. 
Pour  moi,  je  réponds  que  le  cœur  de  Voltaire  se 


xrvi  rP.KFACE. 

serait  révolté  contre  de  telles  abominations  aussi 
énergiqnement  que  contre  toutes  les  iniquités  de 
son  temps.  Je  laisse  aussi  à  d'autres  le  courage  de 
supposer  que  d  Holbach  et  Diderot  seraient  de- 
meurés insensibles,  ou  se  seraient  réjouis  devant 
ces  affreux  spectacles.  Mais  on  peut  afllrmer  que, 
chez  nous  plus  que  chez  aucune  autre  nation, 
la  philosophie  a  des  devoirs  étroits;  on  peut  af- 
tirnier  qu'elle  doit  entendre  cette  leçon,  qui  a 
été  donnée  à  la  fin  du  dernier  siècle.  La  philoso- 
phie avait  usé  de  son  droit  ;  mais  plus  dune  fois 
elle  l'avait  outre-passé  ;  et  voilà  comment  ses  excès 
avaient  été  traduits  par  la  foule.  A  la  critique  suc- 
cédait 1  échafaud  ;  la  hache  remplaçait  les  argu- 
ments et  les  sarcasmes. 

Selon  toute  apparence,  notre  temps  n'est  pas  des- 
tiné à  subir  de  nouveau  ces  effroyables  épreuves; 
le  retour  de  telles  choses  à  cent  ans  de  distance 
n'est  pas  à  prévoir.  Pourtant  notre  malheureux 
pays  a  vu  tant  tle  résurrections,  que  celle-là  de  plus 
peut  ne  pas  sembler  absolument  impossible.  Il  ne 
fauilrait  pas  que  la  philosophie  dut  un  jour  paraître 
y  avoir  contribué  même  de  très-loin.  Elle  peut  être 
persécutée,  et  c'est  parfois  sa  gloire;  mais  elle  se 
doit  à  elle-même  de  ne  jamais  faire  de  victimes, 
en  provoquant  la  vengeance  des  passions  dé- 
chaînées. I,a  véiilé  n'a  rien  à  faire  dans  ces  fureurs 


PREFACE.  xcvii 

aveugles,  el  le  philosophe  doit  se  garder  d'en  être 
le  eoniplice,  à  quelque  degré  que  ce  soi(. 

Ainsi  à  tant  d'autres  causes  de  modération,  se 
joini  celle-là,  qui  ne  devrait  pas  être  une  des  moins 
j)uissanles. 

Le  plus  grand  obstacle  à  ce  que  ces  conseils  soient 
généralement  écoulés,  c'est  la  prétention  toujours 
entretenue  de  substiluer  un  jour  la  philosophie  à  la 
religion.  Quelques  esprits  plus  ardents  que  sages 
continuent  à  caresser  cette  chimère;  bien  qu'elle 
ne  soit  pas  très-nouvelle,  elle  semble,  depuis  le  der- 
nier siècle,  n'avoir  rien  perdu  de  son  attrait  pour 
certaines  imaginations.  Ces  réformateurs,  amou- 
reux de  leur  utopie,  se  figurent  que  rien  n'est  plus 
réalisable;  el  dans  l'affaiblissement  de  la  religion, 
qu'ils  signalent  de  très-bonne  foi,  ils  trouvent 
le  signe  incontestable  de  la  rénovation  qu'ils  ap- 
pellent. On  peut  croire  à  leurs  bonnes  intentions; 
on  ne  peut  pas  également  louer  leur  prudence; 
el  je  voudrais,  s'il  est  possible,  dissiper  une  illu- 
sion aussi  vaine  et  aussi  fâcheuse. 

Si  d'abord  on  veut  se  rendre  compte  de  la  ma- 
nière dont  se  forme  le  philosophe,  on  verra  surgir 
tout  à  coup  une  difficulté  insurmontable.  Que  l'on 
interroge  encore  nos  maîtres  de  la  Grèce  et  du 
dix-septième  siècle,  et  qu'on  leur  demande  à  quel 
prix  ils  ont  philosophe'".  Ce  sont  des  études  de  toute 


xcvii  PRÉFACE. 

une  vie,  constamment  soutenues  ,  au  milieu  de 
toutes  les  traverses.  Socrate  se  borne  à  s'observer 
lui-même  et  à  écouter  la  voix  intérieure  qui  parle 
en  lui.  11  s'entretient  avec  ses  concitoyens,  pour  les 
exhorter  à  suivre  son  exemple;  et  il  poursuit  cette 
rude  prédication  pendant  de  longues  années,  jusqu'à 
ce  qu'une  sentence  inique  vienne  lui  ôter  la  parole 
en  le  condamnant  à  mort.  Descartes,  plus  tran 
quille  grâce  à  un  exil  volontaire,  est  encore  plus 
assidu  à  ses  travaux.  11  fuit  la  société  de  ses  sem- 
blables, pour  se  livrer  avec  plus  de  suite  et  de  liberté 
à  ses  méditations  et  à  ses  recherches.  Il  scrute  la 
nature  et  le  monde  dans  toutes  leurs  parties,  comme 
il  a  scruté  l'âme  et  la  pensée.  Tous  deux,  quelque 
éloignés  qu'ils  soient  par  les  époques  où  ils  vivent  et 
par  les  idées  qui  les  animent,  ont  du  moins  ceci  de 
commun,  qu'ils  n'ont  pas  cessé  un  seul  jour  de 
gravir  laborieusement  la  voie  qu'ils  s'étaient  tracée. 
C'est  à  la  fois  le  devoir  qu'ils  se  donnent,  et  la  pente 
irrésistible  de  leur  génie. 

Ce  sont  de  grands  modèles  ;  ce  ne  sont  pas 
des  exceptions.  Tout  j)hilosophe  en  est  là,  quel 
que  soit  d'ailleurs  le  succès  de  ses  efforts;  et  quand 
on  voit  ce  que  sont  les  questions  qu'il  s'agit  de  ré- 
soudre, on  conçoit  qu'il  y  faille  une  existence  en- 
tière. C'est  la  })Ius  belle  et  la  plus  haute  occupation 
de  rintelligeiicc;  c'en   est   aussi   la   plus  ardue; 


PRÉFACE.  tcit 

et  le  philosophe  n'a  pas  perdu  son  temps,  qui  peut 
en  n  ourant  se  rendre  ce  témoignage  d'avoir  éclairci 
quelques-uns  des  points  sur  lesquels  il  a  tant  ré- 
tléchi. 

Ajoutez  que  de  nos  jours  une  conditioa  nouvelle 
est  venue  pour  le  libre  penseur  s'ajouter  à  toutes 
celles-là.  11  n'est  plus  permis  d'ignorer  l'histoire 
de  la  science  que  l'on  cultive.  Le  philosophe  ne 
satisferait  pas  suffisamment  à  l'amour  de  la  sagesse 
s'il  ne  savait  pas,  au  moins  dans  une  certaine  me- 
sure, ce  qu'on  a  dit  avant  lui  sur  les  sujets  qui  l'oc- 
cupent. Dans  les  systèmes  antérieurs,  l'histoire  a 
toujours  tenu  quelque  place,  souvent  sans  que  ces 
systèmes  en  eussent  conscience.  On  la  retrouve  plus 
ou  moins  marquée  dans  Socrate,  dans  Platon,  dans 
Aristote,dans  Descartes  lui-même.  Mais  maintenant 
il  est  interdit  aux  plus  originaux,  comme  aux  moins 
indépendants,  d'ignorer  la  tradition.  On  lui  doit 
toujours  beaucoup,  quelque  inventif  que  l'on  soit. 
Croire  ne  dater  que  de  soi-même,  c'est  pis  qu'une 
vanité  :  c'est  une  erreur.  Notre  temps  ne  la  tolère 
plus,  et  le  jihilosophe  doit  être  au  moins  quelque 
peu  érudit. 

Voilà  donc  les  méditations  et  les  labeurs  dont 
tous  les  hommes  devraient  être  capables,  pour  que, 
s'inslruisant  par  leurs  lumières  individuelles,  ils 
pussent  se  passer  de  colles  de  la  religion;  car  c'est 


c  l'HEl'ACE. 

là  ce  qui  constitue  essentiellement  le  philosophe. 
On  ne  l'est  ivellement  que  si  l'on  puise  sa  croyance 
en  soi  même,  et  que  si  on  la  fonde  sur  sa  propre 
raison  convenablement  interrogée.  Sérieusement, 
peut-on  demander  rien  de  pareil  à  l'humanité?  Et 
ne  risque-l-on  pas  de  paraître  soi-même  dupe  d'une 
ironie  ,  quand  on  se  laisse  aller  à  discuter  de 
semblables  propositions?  Sans  doute  l'accès  de  la 
philosophie  n'est  fermé  à  personne;  mais  si  tout 
le  monde  était  tenu  de  devenir  philosophe  par  lant 
d'études  nécessaires,  comiment,  en  attendant,  vi- 
vraient les  sociétés?  Qui  pourvoirait  à  leurs  be- 
soins? Oui  accomplirait  ces  gros  et  matériels  ou- 
vrages qui  leur  sont  indispensables?  Ainsi,  la 
philosophie,  destinée  à  éclairer  les  peuples,  com- 
mencerait par  les  détruire. 

Ce  n'est  donc  pas  là  ce  qu'on  peut  vouloir  ;  et 
voici  probablement  la  solution  moyenne  à  laquelle 
on  limite  ces  vastes  espérances.  Non,  tous  les 
hommes  n'ont  pas  à  devenir  philosophes  ;  il  suffira 
que  quelques-uns  d'entre  eux  le  soient,  et  ceux-là, 
réputés  les  plus  sages,  seront  chargés  d'instruire  les 
autres.  I>a  philosophie  substituera  ses  enseigne- 
ments à  ceu\  de  la  religion  ;  et  à  la  place  du  Caté- 
chisme de  Meaux,  rédigé  par  Bossuet  d'après  la 
tradition  orthodoxe,  on  donnera  au  peuple  le  Caté- 
chisme universel  de  Saint-Lambert  et  de  Volney. 


PREFACE. 


Praliquement,  il  ne  peiil  pas  y  avoir  d'aiiln^  iiia- 
uière  d'arriver  à  réaliser  le  vœu  qu'on  affiche,  et  de 
réuénérer  par  la  philosophie  les  croyances  de 
l'humanité. 

Mais  une  première  et  irréfutahle  objection,  c'est 
que  ce  n'est  plus  là  de  la  philosophie  ;  c'est  une  en- 
treprise politique.  II  faut  bien  se  dire  alors  qu'on 
abandonne  le  domaine  de  la  science  pour  celui 
d'une  application  aussi  nouvelle  que  périlleuse. 
Il  ne  s'est  jamais  rien  vu  de  ce  genre  chez  aucun 
peuple,  dans  aucun  temps  ;  et  l'on  a  déj.à  contre  soi 
tous  les  hasards  de  l'innovation,  v^i  la  philosophie 
est  bien  ce  que  j'ai  dit  plus  haut,  je  demande  de 
quel  droit,  désertant  la  liberté,  elle  viendrait,  au 
nom  du  pouvoir  et  de  l'Etat,  imposer  ses  doctrines. 
(Juelquc  vraies  quelles  fussent,  c'est  à  l'autorité 
qu'elles  auraient  recours  pour  prévaloir;  dès  lors, 
c'est  une  simple  concurrence  qu'elles  engagent 
contre  les  souvenirs  et  les  débris  du  passé  religieux, 
et  contre  les  théories  contraires.  Du  moment  qu'il 
s'agit  d'instruire  une  nation,  il  faut  dans  l'ensei- 
gnement une  uniformité  et  une  régularité  sans 
lesquelles  il  ne  serait  pas  même  possible.  Il  devra 
donc  être  exclusif,  et  ce  sera  une  orthodoxie  laïque 
substituée  à  une  orthodoxie  cléricale.  On  ne  voit 
pas  ce  qu'on  gagnerait  au  change.  L'enseignement 
religieux,  en  faisant  remonter  la  morale  jusqu'à 


ctt  PRÉFACE. 

Dieu,  ne  fait  que  la  rapporter  à  sa  véritable  source 
et  lui  donner  une  sanction  plus  forte. 

Il  est  probable  que,  dans  cette  tentative  scabreuse, 
la  prétendue  philosophie  qui  s'en  chargerait,  se 
réduirait  à  l'enseignement  de  la  morale  tirée  tout 
entière  de  l'homme,  et  supprimerait  du  même  coup 
toute  notion  de  Dieu  et  de  la  Providence.  Mais  cette 
philosophie,  si  sûre  d'elle-même,  ne  se  doute  pas  des 
répugnances  et  des  révoltes  qui  l'attendraient  delà 
part  des  peuples.  L'athéisme  peut  jusqu'à  un  certain 
point  séduire  quelques  penseurs  isolés,   chez  qui 
cette  mutilation  de  la  conscience  n'est  pas  impos- 
sible ;  il  indigne  et  il  soulève  les  niasses,  parce 
qu'elles  ont  la  conscience  humaine  dans  toute  sa 
plénitude  et  sa  spontanéité.    Ne   souhaitons   pas 
à  ces  philosophes  de  voir  jamais  se  réaliser  leurs 
vœux  étranges;  car  alors  nous  verrions  aussi  les 
tempêtes  qu'exciteraient  leurs  expériences.  La  Con- 
vention elle-même,  tout  en  célébrant  la  fête  de  la 
Raison,  a  dû  proclamer  l'existence  de  l'Elrc  su- 
prême et   l'immortalité   de    l'àme.   Alors,   pour- 
quoi   répudier  le  culte   national?  La  philosophie 
se  flallera-t-elle  de  donner  à  la  multitude  une  idée 
de  Dieu  plus  grande  et  plus  vraie  que  ne  le  fait  le 
Christianisme  ? 

Je  voudrais  écarter,  et,  s'il  se  pouvait,  anéantir 
de  lugubres  souvenirs;  ce  n'est  pas  moi  qui  les 


Pr.EFAflE.  cm 

r.inimo;  on  les  évoque  en  voulnnt  rendre  à  la 
philosophie  un  rôle  si  déplacé,  el  en  rêvant  pour 
elle  des  triomphes  si  humiliants.  Naguère  elie  a 
])ii  se  laisser  égarer  par  quelques-uns  de  ses  plus 
faibles  disciples  ;  alors  toute  la  nation  semblait  avoir 
rejioussé  la  foi  de  ses  pères,  et  des  écrivains  peu 
sensés  pouvaient  s'imaginer  servir  la  raison  et  l'hu- 
manilé  en  essayant  de  combler,  tant  bien  que  mal, 
cette  désastreuse  lacune.  Mieux  inspirés  et  plus  mo- 
destes peut-être,  ils  eussent  attendu  un  retour  iné- 
vitable ;  el  en  quelques  années,  ils  auraient  pu  voir 
le  peuple  revenir  à  l'antique  croyance,  restaurée 
par  un  homme  de  génie,  qui  n'était  alors  que  l'ex- 
pression la  plus  haute  et  l'instrument  de  la  pen- 
sée commune.  S'il  y  avait  à  la  lin  du  dernier  siè- 
cle une  excuse,  au  moins  apparente,  pour  cette 
erreur,  aujourd'hui  il  n'y  en  aurait  plus.  Les  faits 
ont  prononcé;  la  tentative  a  échoué;  pensera  la 
renouveler,  c'est  mettre  en  même  temps  contre  soi 
la  raison  et  l'histoire. 

Il  faut  donc  renoncer  pour  la  philosophie  à  ces 
rêves  ambitieux,  subversifs  de  la  société. 

Platon  a  bien  dit  que  les  peuples  ne  seraient 
heureux  que  quand  les  philosophes  les  gouverne- 
raient \  sans  se  dissimuler  dailleurs  aucun  des 

'  Plaloii,  La  fU'inihliijUC.  liv.  VI,  p.  /jO  cl  sniv.,  cl  liv.  VII,  p.  7(3 
ff  siiiv.,  Iradiiclion  de  M.  Victor  Cousin. 


civ  PliEFACE. 

embarras  que  la  philosophie  rencontrerait  à  se 
mêler  des  affaires  publiques.  Il  avait  raison;  car 
ses  philosophes,  tels  qu'il  les  forme,  sont  les  plus 
éclairés,  les  plus  habiles  et  les  meilleurs  des  hom- 
mes. Les  nalions  auraient  tout  à  gagner,  si  elles 
avaient  de  tels  chefs,  plus  imaginaires  que  réels. 
Mais  Platon,  en  croyant  que  la  philosophie  est  supé- 
rieure à  tout  le  reste,  n'a  jamais  pensé  qu'il  pût  la 
substituer  à  la  religion  de  sa  patrie.  C  eût  été  pour 
lui  lin  dessein  sacrilège,  et  le  concevoir  ne  lui  aurait 
pas  semblé  d'un  assez  bon  citoyen.  Un  philosojihe 
stoïque  s'est  trouvé  un  jour  sur  le  trône,  doué  des 
plus  admirables  vertus,  simple  comme  le  dernier 
de  ses  sujets,  énergiquement  appliqué  aux  grands 
devoirs  dont  il  était  chargé  et  dont  il  était  digne  ; 
c'est  Marc-Âurèle,  maître  de  l'empire  romain,  ou 
plutôt  maître  du  monde,  et  disposant  d'un  pouvoir 
absolu.  Est-ce  que  Marc-Aurèle  a  songé  un  seul 
instant  à  détruire  la  religion  en  faveur  de  la  philo- 
sophie? Et  cependant,  quelle  réfoime  n'appelait 
pas  à  cette  époque  le  Paganisme  expirant?  Ses  vices 
n'auraient-ils  pas  justifié  celte  tentative  désespérée? 
N'aurait-elle  pas  semblé  avoir  bien  des  chances  de 
réussir  entre  des  mains  si  vigoureuses  et  si  pures? 
Marc-Âurèle  n'eut  pas  plus  ce  projet  que  Julien  ne 
l'eut  à  son  tour,  quand  il  essaya  si  vainement  de  l'e- 
lever  l(\s  ault^ls  païens.  C'était  raiilicpie  religion, 


PREFACE.  cv 

ce  n'étail  pas  la  philosophie,  i\no  Jiilion  voulait 
faire  prédominer.  Prohablement,  ni  PhUon,  ni 
Marc-Aurèle,  ni  Julien  n'étaient  assez  dévoués  à  la 
philosophie  pour  lui  assurer  la  gloire  et  le  bien- 
fait d'une  telle  transformation. 

Les  temps  sont-ils  changés  ?  et  le  nôtre  est-il  plus 
favorable  à  cet  essai?  Il  ne  semble  pas.  Malgré 
des  prédictions  sinistres,  mais  bien  peu  fondées,  le 
(christianisme  n'est  pas  près  de  sa  ruine.  Je  doute 
qu'à  aucune  époque  il  ait  pénétré  plus  profondé- 
ment dans  les  cœurs.  L'Europe  n'a  plus  la  dévotion 
qui  faisait  les  Croisades,  et  la  précipitait  héroïque- 
ment et  si  aveuglément  <à  la  délivrance  des  Saints 
Lieux  ;  mais  les  mœurs  se  sont  améliorées  et  s'amé- 
liorent chaque  jour  par  l'intluence  chrétienne,  que 
secondent  de  plus  en  plus  les  progrès  mêmes  delà 
raison  publique.  Le  Christianisme  serait  affaibli  et 
corrompu,  comme  l'était  la  religion  païenne  sous  le 
Bas-Empire,  (jue  la  philosophie  ne  le  remplacerait 
pas;  dans  1  état  de  vigueur  et  de  prospérité  où 
il  est  encore  chez  toutes  les  nations  qui  le  j)rol"essent, 
aller  proposer  de  l'abolir,  c'est  une  aberration  que 
les  peuples  ne  se  donneront  pas  même  la  peine  tl(> 
repousser,  parce  qu'elle  n'airivcra  pasjuscju'cà  eux. 

Toutefois,  la  philosophie  ferait  bien  de  prendn; 
garde  à  de  si  lourds  faux  pas;  ils  compromettent 
et  diminuent  sa  considération  et  son  influence.  A  la 


cvi  PREFACE. 

fin  du  dix-huitième  siècle,  iûint  n'a  pas  laissé  que 
de  la  faire  assez  peu  respecler.il  voulait  comballre 
le  scepticisme,  et  il  l'a  fortifié  ;  il  voulait  relever  la 
métaphysique  du  décri  profond  où,  selon  lui,  elle 
était  tombée;  il  l'y  a  enfoncée  encore  davantage  par 
les  formes  rebutantes  dont  il  Ta  revêtue.  Ses  suc- 
cesseurs ont  exagéré  ses  défauts  ;  et  tout  en  ayant 
une  puissance  d'esprit  très-rare ,  ils  ont  abouti 
à  des  systèmes  monstrueux  par  les  conséquen- 
ces, comme  par  le  langage.  Croit-on  qu  ils  aient 
rendu  grand  service  à  la  philosophie?  C'est  déjà 
bien  assez  de  ne  pas  savoir  être  intelligible, 
non  pas  seulement  au  vulgaire  des  esprits  éclairés, 
mais  aux  adeptes  les  plus  fervents  ;  on  ne  prèle 
par  là  qu'à  la  moquerie  et  au  dédain.  Mais  aller 
jusqu'à  prétendre  détruire  la  religion  nationale, 
c'est  rendre  la  philosophie  trop  justement  suspecte  à 
tout  ce  qu'il  y  a  de  sensé  et  de  patriotique  dans  la 
nation.  Je  sais  bien  que,  de  notre  temps,  à  côté  de 
l'école  allemande  il  y  en  a  d'autres,  l'école  écos- 
saise et  l'école  spiritualiste  en  France.  Mais  l'école 
allemande  a  fait  beaucoup  de  bruit  et  beaucoup  de 
mal  ;  et  comme  il  semble  qu'elle  veuille  revivre 
parmi  nous,  dans  tout  ce  qu'elle  a  de  plus  faux,  il 
est  utile  de  la  signaler  une  fois  de  plus,  afin  qu'on 
n  attribue!  pas  à  la  philosophie  elle-même  les  torts 
de  quelques  philosophes. 


l'P.EFAr.F..  cvii 

Sans  doute,  il  est  de  l'essence  de  la  philosophie 
de  dire  tout  ce  qu'elle  pense,  et  celui-là  n'est  pas 
assez  philosophe  qui  cache  une  partie  de  sa  pensée. 
Mais  il  faut  tacher  avant  tout  d'être  dans  le  vrai, 
et  il  est  peu  probable  qu'on  ait  trouvé  la  vérilé, 
quand  on  heurte  si  fortement  la  plupart  des 
grands  systèmes  antérieurs,  les  données  les  plus 
sûres  du  sens  commun,  et  les  instincts  les  plus  ma- 
nifestes de  la  foule.  Cette  simple  réflexion  devrait 
arrêter  les  novateurs.  Mais  qui  peut  éclairer  les- 
prit  de  système?  Les  revers  les  plus  éclatants  ne 
lui  dessilleraient  même  pas  les  yeux.  On  a  toujours 
mille  excuses  pour  s'expliquer  ses  défaites  ;  le 
seul  moyen  de  se  les  épargner  ou  de  les  mettre  à 
profit,  ce  serait  de  se  complaire  un  peu  moins  à 
ses  propres  idées  ;  ce  serait  de  douter  un  peu  plus  de 
soi-même,  en  regardant  aux  leçons  de  l'histoire 
et  à  la  situation  des  choses.  Qui  peut  se  rendre 
à  des  conseils  si  peu  flatteurs? 

A  mon  avis,  la  conduite  de  la  philosophie  spi- 
rilualiste  est  toute  tracée  ;  elle  doit  concourir  avec 
la  religion,  qu'elle  n'attaque  pas,  au  bien  so- 
cial, qui  est  le  but  de  toutes  les  deux.  Entre  elles, 
il  y  a  tant  de  points  communs,  qu'en  dépit 
des  dissentiments  la  lutte  semble  à  peine  possi- 
ble. Ceci  est  surtout  vrai  de  notre  philosophie; 
quant   aux  doctrines  athées  et    matérialistes,   je 


cviii  PREFACE. 

no  vois  pas  bien  en  quoi  elles  ont  à  s'occuper  du 
dogme ,  si  ce  n'est  dans  ce  que  le  dogme  peut 
avoir  de  philosophique.  La  distinction  des  vérités 
naturelles  et  des  vérités  surnaturelles  est  à  l'usao-e 
de  la  théologie,  à  qui  il  convient  de  la  laisser;  la 
philosophie  ne  la  connaît  pas.  Mais  attaquer  le 
dogme,  pour  le  ruiner  dans  l'esprit  de  la  foule  et 
fonder  en  place  son  propre  système,  ce  pourrait 
être  la  satisfaction  passagère  de  quelques  amours- 
propres;  ce  n'est  ni  l'intérêt  de  la  société,  ni  celui 
de  la  justice,  ni  celui  de  la  philosophie  vraie.  11 
doit  être  permis  à  l'érudition  et  à  l'histoire  de 
scruter  librement  les  origines  du  dogme  chrétien, 
comme  toutes  les  autres;  et  je  ne  crois  pas  que  le 
(Ihristianisme  ait  beaucoup  à  craindre  des  plus  au- 
dacieuses exégèses.  Mais  ce  n'est  plus  là  le  domaine 
de  la  philosophie  ;  ce  ne  sont  plus  là  les  problèmes 
qu'elle  agile  et  qui  lui  appartiennent.  Elle  a  tou- 
jours bien  assez  à  faire  avec  ceux  qu'elle  poursuit 
sans  cesse,  sans  pouvoir  toutefois  les  résoudre  défini- 
tivement. Y  appliquer  perpétuellement  de  nouvelles 
recherches,  c'est  son  lot,  bien  assez  grand,  bien 
assez  difficile,  bien  assez  long.  En  supposant  même 
que  d'autres  n'aient  pas  autant  de  c'arlés  qu'elle 
sur  ces  graves  sujets,  c'est  on  accomplissant  son 
nnuvre  spéciale  qu'elle  pourrait  les  aider  à  monter 
un  peu  plus  haut.  Au  fond,  comme  la  philosoj)hie 


PREFACE.  cix 

entend  ne  pas  sortir  de  sa  sphère,  elle  ne  peut  pas 
davanlage  demandera  la  religion  d'abandonner  la 
sienne;  mais  elles  peuvent  marcher  parallèlemenl, 
servant  l'une  et  l'autre  la  société  à  leur  manière, 
tout  en  ne  se  confondant  jamais. 

Aussi  n'est-ce  point  un  traité  d'alliance  que  la 
philosophie  propose  à  la  religion.  Le  philosophe, 
par  son  caiaclère  propre,  par  la  nature  de  ses  tra- 
vaux, par  la  liberté  dont  il  use  seul  dans  toute  sa 
plénitude,  ne  relève  de  personne  ici-bas.  Par  le 
même  motif,  personne  ne  relève  de  lui;  s'il  a  le 
bonheur  de  découvrii'  la  vérité  mieux  qu'un  autre, 
ce  n'est  pas  à  son  système,  cest  au  joug  de  la  vé- 
rité «qu'il  convie  ses  semblables  par  son  exemple, 
bien  plus  encore  que  par  ses  leçons.  Alliée  à  la  re- 
ligion, même  par  des  nœuds  assez  larges,  la  philo- 
sophie se  dénature,  et  il  n'est  jamais  bon  pour  elle 
de  donner  au  monde  le  triste  spectacle  que  lui  ont 
donné  les  derniers  Alexandrins.  Pourtantsi  la  foi  et 
la  raison  ne  peuvent  jamais  s'identifier,  leur  action 
peut  être  simultanée,  pour  le  bien  de  toutes  deux, 
et  surtout  pour  le  plus  grand  bien  des  [leuples. 
Pendant  des  siècles,  la  foi  a  prétendu  dominer  la 
raison  ;  elle  n'y  est  pas  parvenue,  et  l'état  présent 
des  choses  humaines,  chez  la  plupart  des  peuples 
chrétiens,  atteste  assez  qim  le  temps  de  ces  ambi- 
tions perlurlialrice>  e>t  jiassi'.  La  raison  ne  peut 


ex  PKÉFACi:. 

vouloir  essayer  à  son  tour  d'élouffer  la  foi  :  car  ce 
ne  serait  ni  plus  juste,  ni  plus  praticable. 

En  dehors  dii  rôle  que  je  viens  de  conseiller  à 
la  philosophie,  je  ne  vois  pour  elle  que  mécomptes 
et  dangers.  Elle  connaît  dès  longtemps  ces  abîmes, 
et  voilà  plus  de  deux  mille  ans  que  Platon  les  si- 
gnalait. Les  couleurs  dont  il  se  servait  dès  lors 
pour  peindre  les  faux  amants  de  la  philosophie, 
sont  si  vives  que  je  n'oserais  les  reproduire.  Ce- 
pendant que  de  gens,  de  nos  jours,  feraient  bien 
de  relire  le  sixième  livre  de  La  République'^ !  On 
ne  peut  pas  espérer  qu'ils  soient  convertis  par  ces 
admirables  exhortations;  mais  du  moins  ils  ver- 
raient que  leur  façon  adultère  de  traiter  la  philo- 
sophie n'est  pas  une  nouveauté,  et  que  du  temps 
de  Socrate  elle  était  déjà  réprouvée  par  les  plus 
sages.  Aujourd'hui  ces  égarements  n'obtiendront 
pas  plus  d'accueil  de  la  raison  publique;  mais 
ils  peuvent  encore  nuire  à  la  société  et  à  la  philo- 
sophie. Malheureusement ,  la  gloire  d'Eroslrale 
tente  toujours  certains  esprits  ;  car  dans  tous  les 
temps  il  y  a  un  temple  d'Ephèse  à  brûler.  Dans 
le  nôtre,  c'est  la  destruction  du  Christianisme  qui 
provoque  les  audaces  incendiaires. 

Le  défendre  n'appartient  pas  plus  au  spiritua- 

'  Voir/-«  liquihlitiiic  (\c  l'Inlon,  liv.  VI,  y.  2t)  cl  -27,  tiMilucliuiulc 
î\l.  Victor  Cousin, 


PRÉFACE.  eu 

lisnie  qu'il  ne  lui  appartienl  de  se  joindre  à  ceux 
qui  ralla(iuent  avec  tant  d'aveuglement  et  de  pas- 
sion. Le  Christianisme  est  assez  fort  pour  se  pas- 
ser d'un  secours  étranger.  La  philosophie  spiri- 
tualiste,  quand  elle  descend  sur  ce  terrain  limi- 
trophe du  sien,  y  doit  être,  comme  partout  ailleurs, 
le  champion  de  la  jusîice.  Ne  pas  proclamer  hau- 
tement toutes  les  conformités  qu'elle  a  avec  la  doc- 
trine chrétienne,  ce  serait  manquer  de  courage  et 
de  sincérité.  Son  indépendance  n'est  nullement  at- 
teinte par  là;  car,  tout  en  parlant  avec  moins 
d'autorité  et  d'utilité  que  le  Christianisme,  elle 
avait  sur  bien  des  points  parlé  longtemps  avant  lui. 
entrant  dans  des  voies  presque  identiques  quelques 
siècles  avant  qu'il  ne  se  révélât  au  monde.  Ce  n'est 
donc  pas  aujourd'hui  la  philosophie  qui  est  chré- 
tienne ;  c'est  bien  plutôt,  pourrait-on  dire,  le  Chris- 
tianisme qui  est  philosophique.  De  là  sa  force,  seâ 
bienfaits  et  sa  durée. 

Mais  je  m'empresse  de  clore  ces  trop  longues 
considérations,  et  non  d'abandonner  ces  questions 
brûlantes.  Si  j'ai  réussi  selon  mon  désir,  voici  en 
résumé  les  quelques  points  que  je  voulais  mettre 
en  lumière  : 

r  La  philosophie  et  la  religion  ont  un  objet 
identique;  elles  ne  diffèrent  que  par  les  procédés 
qu'elles  suivent,  l'une  cultivée  par  des  esprits  né- 


cxii  PREFACE. 

cessaiiemenl  isolés,  l'aiUre  acccplée  cl  soutenue 
par  des  peuples  entiers.  La  philosophie  est  comme 
une  religion  individuelle;  la  religion  est  la  philo- 
sophie des  nations. 

2°  La  religion  est  le  règne  de  l'autorité;  la  phi- 
losophie est  le  champ  sans  limites  de  la  liberté, 
l'autorité  et  la  liberté  n'étant  pas  moins  indispen- 
sables l'une  que  Tautre  au  bien  de  la  société.  De 
là,rimmobilité  dogmatique  de  l'une,  et  la  mobilité 
perpétuellement  progressive  de  l'autre. 

5°  La  philosophie  et  la  religion  sont  sœurs;  et 
c'est  un  projet  dangereux  de  prétendre  substituer 
l'une  à  l'autre.  La  raison  et  la  foi  doivent  coexister 
sans  conflit,  si  ceux  qui  les  représentent  savent 
être  suffisamment  justes  et  tolérants. 

4°  Enfin  la  j)hilosophie  spiritualiste,  en  face  du 
Christianisme,  doit  avoir  pour  lui  plus  que  le  res- 
pect qu'on  doit,  dans  tout  pays  et  en  tout  temps, 
à  toute  religion.  Elle  doit  ressentir  pour  la  doctrine 
chrétienne  la  plus  profonde  et  la  plus  sincère  ad- 
miration. Elle  n'a  point  à  défendre  le  Christia- 
nisme; mais  ce  serait  se  renier  elle-même  que 
de  se  joindre  à  ses  ennemis. 

Me  voilà  parvenu  au  terme  de  la  course  que  je 
complais  fournir.  L'aurai-je  parcourue  au  gré  de 
ceux  qui  me  liront?  Je  n'ose  m'en  flatter;  il 
me  sufiira  démériter  peut-être  quelques  suffrages, 


l'IŒKACE.  cxiu 

avec  la  conscience  de  n'avoir  cherché  que  la  vérité, 
toujours  si  difficile  à  trouver,  plus  difficile  encore  à 
faire  accueillir.  Je  me  suis  efforcé  de  tenir  la  route 
moyenne,  que  jai  crue  la  seule  vraie;  j'ai,  autant 
que  je  l'ai  pu,  évité  les  deux  écueils.  Je  ne  suis  ni 
un  apologiste,  ni  un  détracteur.  Les  passions  des 
deux  partis  m'ont  paru  également  à  fuir;  si  j'ai 
incliné  d'un  côté,  c'est  que  j'y  ai  vu  plus  de  réelle 
philosophie  que  du  côté  opposé.  L'athéisme  ré- 
volte ma  raison ,  sous  quelque  forme  qu'il  se 
cache  et  se  déguise.  Je  le  crois  un  mal  pres- 
que aussi  redoutable  que  l'intolérance.  Je  ne 
serais  donc  pas  trop  étonné  d'avoir  les  deux 
partis  contre  ma  théorie.  Mais  j'aurai  accom- 
pli un  devoir,  et  Ton  n'est  jamais  tenu  à  davan- 
tage. J'ai  parlé  du  Christianisme  et  du  Mahomé- 
tisme  comme  je  crois  que  la  justice  veut  qu'on  en 
parle. 

25  janvier  18G5. 


MAHOMET 


AVERTISSEMENT 


Le  fond  de  celle  étude,  plus  philosophique  qu'historique,  sur 
Miiliorael  se  compose  des  articles  que  j'ai  insérés  dans  le  Journal 
des  Savants  en  lî>65  et  18(34,  pour  rendre  compte  des  ouvrajios  de 
MM.  A.  Sprenger,  William  Muir  et  Caussin  de  l'erceval.  J'ai  revu 
et  développé  ces  articles  sur  bien  des  points,  et  j'y  ai  ajouté  le 
sommaire  de  l'histoire  du  Prophète  d'après  le  Sirat-er-Raçoiil, 
les  Extraits  du  Coran,  et  la  Préface.  Mon  but  a  été  de  présenter 
le  Mahoméîisme  sous  un  jour  vrai,  en  montrant  quelle  est  sa 
place  dans  l'histoire  des  religions,  et  quelle  est  encore  de  nos 
jours  son  importance  politique. 

Pendant  l'impression  de  cet  ouvrage,  M.  leD'  A.  Sprenger  a  ter- 
miné le  sien,  par  un  troisième  et  dernier  volume,  qui  va  jusqu'à 
la  mort  du  Projjhéte.  Si  j'avais  pu  recevoir  ce  volume  à  tem}  s, 
j'en  aurais  tiré  beaucoup  d'indications  nouvelles  en  ce  qui  con- 
cerne les  sources  de  l'histoire  de  Mahomet. 


SOMMAIRE 

LUISTOIIU'    Di:   MAHOMET 

D  '  A  l' Il  £  S 

LE  SlRVÏ-ER-lîAÇOUL 

OL"    VIE    DU    PROnitTE 

PAR    IBN-ISIIAC    ET    IBN-IIISIIAM 

UiNS   LE   SECONP  SIÈCLE   DE   l'UÉCI:  B 


GÉNÉALOGIE    DE    MAIIuMET 

Les  auteurs  arabes  font  descendre  Mahomet  d"Is- 
m.'iël,  fils  d'Abraham  et  d'Agar.  Entre  Mahomet  et 
Ismaël,  ils  comptent  trente  générations,  dont  vingt  et 
une  de  Midiomct  à  Adnan,  et  neuf  d'Adnan  à  Ismaël. 
Selon  leurs  calculs,  Ismaël  fonda  la  Caaba,  l'édifice 
Carré,  de  la  Mecque,  2795  ans  avant  l'Hégire,  ou  2 1  7  ! 
avant  Jésus-Christ. 

Les  cinq  derniers  ancêtres  de  Mahomet  sont  :  Abd- 
AUah,  son  père;  Abd-el-Mouttalib,  son  grand-père  ; 
lïachim,  père  d'Abdel-Moutlalib;  Abd-Ménaf,  père  de 


2  SOMM.UJΠ

Ilachim,  et  Cos-^ayy,  pùi'c  d'Ahl-Ménaf.  Cossayy  mou- 
lut vers  l'année  iSO  de  notre  ère,  90  ans  environ 
avant  la  naissance  du  prophète. 

A.\    .'>70    .\Pr.KS   J.    C.    NAISSANCE    Î)E    MAHOMET. 

Mahomet  naît  à  la  Mecque,  le  12  du  mois  de  Ra- 
bia-1-awal,  dans  Tannée  de  l'Éléphant,  c'est-à-dire  le 
lundi  27  aoiU  570. 

Son  père,  Abd-Allah,  était  mort  deux  mois  aupara- 
vant. Sa  mère  Amina,  d'une  noble  l'amille  coraychile 
cl  descendant  aussi  de  Cossayy,  ne  peut  le  nourrir. 
L'enfant  est  confié  à  une  nourrice,  Ilalima,  de  la  tribu 
des  Bènou-Saad,  fils  de  Becr.  Cette  femme  l'emmène 
et  le  nourrit  dan^  le  désort. 

AN  57-2. 

Ikilinia,  la  nourrice,  rapporte  l'enfant  à  sa  mère,  à 
cause  de  quelques  accidents  de  santé  qu'il  avait  éprou- 
vés, quoiqu'il  fût  d'ailleurs  très-fort.  Amina  reste 
seule  chargée  de  son  éducation. 

AN   bTd. 

.Mort  d'Amina,  à  .Vbva,  à  son  retour  de  Médiue,  où 
elle  avait  mené  son  lils  i)oui'  le  présenter  à  ses  oncles. 
.Mahomet  est  recueilli  par  .\bd-cl-Mouttalih,  sou  grand- 
père. 

A.\    .mS. 

Mort    d  Abd-el-Moutlalib,  dans  la  huitième  année 


HE  I.IIISTOIIIE  J)E  MAllUMET. 


après  celle  de  l'Élépliaiit.  iMahomet  esl  recueilli  par 
son  oncle  Abou-Talib. 


AN  585. 

Mahomet,  âgé  de  treize  ans,  accompagne  son  oncle 
Abou-Talib  en  Syrie,  où  l'appelaient  des  intérêts  de 
commerce.  Prédiction  du  moine  de  Bosro. 

AN  o8i. 

Dans  une  des  batailles  delà  guerre  de  Fidjàr,  à  l'af- 
faire de  Nakla,  entre  les  Coraychites  et  les  Ilavàziri, 
Mabomet,  âgé  de  14  ans,  est  à  côté  de  ses  oncles,  et 
il  leur  ramasse  les  llècbes  tombées  dans  le  combat. 

Ibn-Isbàc  prétend  que  l'Envoyé  de  Dieu  avait  vingt 
ans  quand  éclata  la  guerre  de  Fidjàr  ;  mais  l'autre 
version  parait  avoir  pour  elle  le  témoignage  même  de 
Mahomet. 

AN   086   A    .iOl. 

Mahomet  reste  auprès  de  son  oncle  Abou-Talib,  et 
garde  les  troupeaux;  sa  réputation  naissante;  il  est 
surnommé  El- A  min,  «  l'homme  sûr  et  iidéle.  » 

AN   591. 

Envoyé  en  Syrie  par  Kliadidja  pour  vendre  les 
marchandisi'S  d'une  caravane,  Mabomet  s'acquitte 
avec  succès  de  cette  mission  de  confiance. 

AN   o95. 

Khadidja,  charmée  de  la  vertu  et  de  la  beauté  de 


4  SOMMAIRE 

son  jeune  cousin,  lui  propose  de  l'épouser,  bien  qu'elle 
ait  quinze  ans  de  plus  que  lui.  Elle  est  la  plus  distin- 
guée des  femmes  corayehites;  elle  fait  de  très-grandes 
affaires  de  commerce,  et  ses  mœurs  sont  aussi  pures 
que  celles  de  Mahomet.  Elle  descendait  d'Abd-Ménaf, 
quatrième  ancclre  du  prophète;  elle  était  fille  de 
Kliouveiled,  autre  descendant  de  Cossayy.  Mahomet 
est  membre  de  l'association  des  Foudhoûl  pour  le 
maintien  de  la  paix  publique. 

AN    59."1    ET    ANNÉES    SUIVANTES. 

Heureuse  union  de  Khadidja  et  de  Mahomet;  ils 
ont  sept  enfants,  dont  trois  fils,  morts  avant  la  voca- 
tion du  prophète,  et  quatre  filles,  qui  furent  toutes 
musulmanes. 

AN    C05. 

Mahomet  pose  la  Pierre  noire  de  la  Caaba,  qu'on  re- 
construit, et  il  apaise  les  discussions  des  Corayehites. 

AN    60G    ET    ANNÉES    SUIVANTES. 

Naissance  de  Falime,  la  dernière  fille  du  prophète. 
Mahomet  se  charge  de  l'éducation  d'Ali,  un  des  fils  de     ■ 
son  oncle  Abou-Talib,  et  il  adopte  Zeïd,  fils  de  llàri- 
Iha,  jeune  esclave  qui  lui  est  donné  par  Khadidja. 

AN    610. 

Vocalion   de  Mahomet;  ses   premières  visions  en      ■ 
rêve.  L'ange  Gabriel,  au  dire  des  historiens  musul- 


DE  [.lIlSTOinE  DE  MAHOMET.  r» 

mans,  lui  apparaît  pour  la  première  fois  en  songe, 
pendant  une  de  ses  retraites  pieuses  sur  le  moni  llira, 
où  il  était  allé  faire  pénitence  avec  sa  famille.  Maho- 
met raconte  cette  apparition  à  Khadidja,  qui  n'en  est 
pas  moins  troublée  que  lui.  Elle  se  rassure  en  con- 
sultant Varaka. 

Commencement  de  la  révélalion  du  Coran,  d'après 
les  historiens  arabes,  un  vendredi,  17  du  mois  de 
Ramadhàn. 

Conversion  de  Khadidja  à  1  Islamisme.  (Cessation 
passagère  des  révélations  de  Tange  Gabriel. 

Ali,  âgé  de  dix  ans,  est  le  premier  musulman;  Zeid, 
iils  de  Hàritha,  se  convertit  le  second.  Abou-Becr  se 
convertit  ensuite  avec  plusieurs  de  ses  amis,  au  nom- 
bre de  huit. 

Prédications  secrètes  de  Mahomet. 

AN    Glô. 

Prédication  publique  de  l'Islamisme.  Railleries  et 
insultes  dont  l'Envoyé  de  Dieu  est  l'objet  de  la  part  des 
Idolâtres.  Les  Coraychites  portent  leurs  plaintes  à 
Abou-Talib  contre  son  neveu  qui  veut  détruire  le 
culte  national.  Abou-Talib,  sans  se  convertir,  prend 
la  défense  de  Mahomet. 

A\    Oit. 

Lutledes  Coraychites  contre  Mahomel  et  ses  adhé- 
rents ;  leurs  menaces  et  leurs  offres  pour  empêcher  le 
développement  de  lasecle  nouvelle  ;  les  conversions  ne 


G  SOMMAIRE 

s'en  niultiplienl  pns  moinfi  chaque  jour.  Persécnlion 
conirc  les  musulîrîcnns. 

AN    filu  F.T    ANNÉES    SllVAMES. 

Première  émigralion  des  musulmans  persécutés  en 
Abyssinie  ;  ils  sont  au  nombre  de  qualre-\ingt-trois 
hommes  et  femmes,  sans  compter  les  enfants.  Les  Co- 
raychites  les  poursuivent  jusqu'en  Abyssinie.  Belle 
conduite  du  Nedjâclii. 

Conversion  d'Omar,  fils  d'Alkhaltàb,  après  l'émi- 
gration d' Abyssinie.  Conjuration  des  Coraychites  con- 
tre les  descendajits  d  Hachim  et  d'Almoutlalib,  pour 
ne  contracter  aucun  mariage  avec  eux  et  ne  faire 
même  aucun  commerce.  Insultes  nouvelles  à  Mahomet 
et  à  ses  adhéients;  Abou-Becr  pense  un  instant  à 
s'exiler  ;  longanimité  et  courage  de  l'Envoyé  de  Dieu  ; 
progrès  des  conversions. 

AN    010. 

Mort  de  Khadidja  et  d'Abou-Talib;  douleur  profonde 
de  Mahomet.  Privé  de  l'appui  de  son  oncle,  il  espère 
trouver  quelque  secours  parmi  les  habitants  de  ïaïf, 
non  loin  de  la  Mecque;  il  se  rend  dans  celte  ville, 
mais  il  est  bientôt  contraint  de  la  quitter.  Il  rentre  à 
la  Mecque. 

AN  0-20. 

Mahomet  épouse  Saouda  et  se  llanccà  Ayésha,  fdle 
d'Abou-Becr  ;  il  continue  ses  prédications,  mais  moins 


iiE  I.  iiisron;!-:  de  maiiomet.  7 

ouvciloment.  Ses  premiers  rapports  avec  les  liahi- 
lanlsde  Vallirib,  depuis  Médine,  venus  en  pèlerinage 
à  la  Mecque.  Enthousiasme  des  six  Khazradjs  qu'il  a 
convertis;  à  leur  retour  à  Yathrib,  ils  parlent  à  leurs 
concitoyens  de  l'Envoyé  de  Dieu  :  débuts  de  l'Islamisme 
à  Yathrib. 

AN    021. 

Nouvelle  rencontre  de  Mahomet  et  de  douze  liabi- 
tants  de  Yalhrib,  à  l'époque  du  pèlerinage. 

Premier  serment  sur  la  colline  d'Acaba,  prêté  par 
les  douze  musulmans  de  Yathrib  à  Mahomet.  Moussab, 
fils  d'Omeir,  est  envoyé  avec  eux  à  Yalhrib  pour  leur 
lire  le  Coran  et  îes  instruire  dans  la  nouvelle  religion. 

.4bou-0umama  institue  le  premier  la  prière  du  ven- 
dredi à  Yathrib  ;  progrès  constants  de  l'Islam  dans 
cette  ville. 

AN  iii-l. 

A  la  lin  de  mars  de  cette  année,  Moussab  revient  en 
pèlerinage  à  la  Mecque,  avec  de  nombreux  habitants 
de  Valhrib  disposés  à  reconnaître  l'Envovè  de  Dieu. 

Second  serment  sur  la  colline  d'Acaba,  prêté  par 
soixante-quinze  personnes  des  deux  principales  tribus 
de  Yathrib,  Ans  et  Khazradjs,  veis  la  i\n  de  mars, 
trois  jours  après  la  fête  du  pèlerinage.  Le  second  ser- 
ment est  appelé  le  grand  serment,  ou  le  Serment  des 
hommes  ;  on  y  jure  de  défendie  le  prophète  par  la 
force  des  armes,  tandis  que  dans  le  premier,  appelé  le 


8  SOMMAIRE 

Serment  des  femmes,  on  ne  s'ôlait  engagé  qu'à  pralU 
qiier  le  nouveau  culte. 

Mahomet  choisit  parmi  les  gens  de  Yathiih  douze 
délégués  chargés  de  propager  Tlslam,  Nakib,  neuf 
des  Khazradjs,  et  trois  des  Aus.  Mahomet  assimile  Ir.ï- 
même  ses  délégués  aux  apôtres  du  Christ.  Les  musul- 
mans de  la  Mecque  émigrent  à  Yalhrib,  entre  autres 
Omar.  Ali  et  Abou-Becr  restent  seuls  avec  Mahomet. 

Fureur  des  Coraychites  ;  ils  décident  en  conseil  d'as- 
sassiner Mahomet. 

AN    r,2-2,  HÉGIRE. 

Mahomet,  en  danger  de  vie,  quille  la  ville  de  la 
Mecque  et  s'enfuit  à  Yalhrib,  qui  prit  dès  lors  le  nom 
de  Médine;  il  est  accompagné  dans  sa  fuite  (Ilidjra, 
Hégire)  par  Abou-Becr.  Ils  restent  trois  jours  cachés 
dans  une  caverne  du  mont  Thaur,  non  loin  de  la 
Mecque;  ils  y  échappent  ù  ceux  qui  les  poursuivent. 

Arrivée  de  Mahomet  à  Coba,  sur  le  territoire  de 
Yalhrib,  le  lundi,  douzième  jour  du  mois  de  Rabia- 
I-awal,  28  juin  6'22  ;  il  y  reste  trois  jours.  Il  entre  à 
Yalhrib,  le  vendredi  matin  IG  de  Rabia-1-awal,  '2  juil- 
let 022. 

C'est  l'ère  de  l'IIégire.  Mais  on  la  fit  commencer 
avec  l'année  même  où  le  prophète  s'était  enfui, 
lorsque,  dix-sept  ans  plus  tard,  cette  ère  fut  définiti- 
vement instituée  par  le  calife  Omar. 

Construction  de  la  première  mosquée  à  Médine; 
Mahomet  v  travaille  de  ses  mains. 


DE  F/HISTOIRE  DE  MAHOMET.  fl 

AN   023,    IIEUXIKME    ANNÉE    DE   I.'llKGlP.E. 

Premier  sermon  de  Maliomet  dans  la  mosquée;  fra- 
ternité des  Ansâr  (auxiliaires)  et  des  Mohàdjir  (émi- 
grés) ;  alliance  avec  les  Juifs  ;  institution  de  l'appel  à 
la  prière  par  le  moueddliiii  (ou  muezzin);  de  la  Kibla, 
ou  direction  vers  la  Mecque  pour  prier;  du  jeûne  pen- 
dant le  mois  de  Ramadliàn,  etc.  Premières  hostilités 
de  Maliomet  contre  les  Mekkois. 

Il  épouse  Ayésha,  à  laquelle  il  s'était  (lancé  trois 
ans  plus  tôt. 

AN    02». 

Combat  de  Bedr  dans  le  mois  de  janvier;  les  mu- 
sulmans, au  nombre  de  trois  cent  quatorze,  y  sont 
vainqueurs  des  Coraychites. 

Mahomet  épouse  Hafsa,  tille  d'Omar,  et  Ze'inab,  lille 
de  Khozayma,  dont  le  mari  avait  été  tué  à  la  journée 
de  Bedr. 

Succès  partiels  des  musulmans. 

AN  (.•2:i. 

Combat  de  Oliod  en  janvier;  Mahomet  est  blessé; 
les  musulmans  sont  défaits  par  la  faute  des  archers, 
(jui  désobéissant  aux  ordres  de  Mahomet.  Férocité  de 
llind  et  des  femmes  coraychites. 

Expéditions  diverses  ;  inimitié  des  Juifs. 

AN   0-20. 

Coalition  de  diverses  tribus  avec  les  Mekkois  contre 

1. 


10  SOMMAIRE 

les  musulmans.  Mahomet  fait  entourer  Médine  d'un 
fossé. 

AN  027. 

Siège  de  Médine  par  les  coalisés;  défection  des  juifs 
Corayzha,  qui  se  joignent  à  eux;  levée  du  siège,  au 
conrimencement  de  février. 

Mahomet  chàiie  les  juifs  Corayzha,  après  qu'ils  ont 
été  condamnés  par  Sad. 

Mahomet  épouse  Zeïnah,  fille  de  Djalish,  femme  de 
Zeïd,  fils  de  liât  iiha,  son  fils  adoplif  ;  il  épouse  un  peu 
plus  lard  Djoiiveiriya,  la  juive. 

Expéditions  diverses  de  Mahomet  et  de  ses  lieute- 
nants. 

AN    G2S.       . 

Mahomet  forme  le  projet  d'aller  en  pèlerinage  à  la 
Caaba  ;  il  ne  s'avance  que  jusqu'à  Hodeihiya,  et  il  se 
retire  par  suite  d'un  traité  de  paix  avec  les  Coray- 
chites,  conclu  pour  dix  ans. 

Ambassades  envoyées  par  Mahom.et  au  roi  de  Perse, 
au  roi  d'Abyssinie,  au  gouverneur  d'Egypte. 

Expédition  contre  les  juifs  de  Kliaybar;  Mahomet 
empoisonné  par  une  femme  de  cette  tribu;  il  en  ré- 
chappe à  grand'peine. 

Mahomet  épouse  Safiya. 

Ambassade  à  l'empereur  Ilèraclius  et  aux  émirs 
arabes  de  Syrie.  lielour  des  émigrés  d'Abyssinie  à 
Médine. 


DE  I.'inSTOIRE  DE  MAHOMET.  H 


AN  C29. 


Mahomet  accomplit  le  pèlerinage  de  la  Mecque, 
selon  les  conventions  de  l'année  précédente  avec  les 
Coraychites  ;  il  ne  resle  que  trois  jours  à  la  Mecque. 

II  épouse  Maymouna. 

Conversions  importantes  parmi  les  Coraychites,  à  la 
suite  du  pèlerinage  de  l'Envoyé  de  Dieu  :  Olhman,  fils 
de  Talha  ;  Amr,  fils  d'El-as;  cl  Khàlid,  fils  de  Yàlid. 

Bataille  de  Mouta  contre  les  lieutenants  de  l'empe- 
reur Iléraclius  ;  les  musulmans  y  sont  vaincus. 

AN    030. 

Les  Coraychites  ayant  violé  le  traité  de  paix  conclu  à 
llodcyhiya,  en  attaquant  quelques  tribus  musulmanes, 
Mahomet  s'avance  contre  la  Mecque  à  la  tête  de  dix 
mille  hommes.  II  y  entie  le  M  janvier.  Clémence  de 
Mahomet;  destruction  des  idoles  de  la  Caaba  ;  les  ha- 
bitants de  la  Mecque  prêtent  serment  à  l'Envoyé  de 
Dieu. 

Khàlid,  par  l'ordre  de  Mahomet,  va  détruire  l'idole 
Ouzza  à  Nakla. 

Expédition  contre  les  Ilavàzin  ;  victoire  de  Mahome* 
à  Ilonayn  ;  siège  de  la  ville  forte  de  Taïf,  où  s'étaient 
retirés  les  vaincus.  Mahomet  fait  grâce  aux  prison- 
niers, au  nombre  de  six  mille.  Il  défend  de  jamais 
tuer  les  femmes. 

Retour  de  Mahomet  à  Médine,  dans  les  derniers 
jours  de  mars, 


l'2  SOMMAIRE 

Naissance  d'Ibrahim,  fils  de  Mahomet  et  de  Maria, 
la  Copie,  son  esclave. 

Dépulations  de  diverses  tribus,  qui  se  soumettent  ; 
soumission  d'une  grande  partie  des  princes  de  l'Ara- 
bie, Mahra,  Oman,  etc. 

AN   051,   l'année   des   DÉPUT axions. 

Missions  diverses  données  par  Mabomet  à  ses  lieute- 
nants ;  progrès  décisifs  de  l'Islamisme;  pèlerinage 
d'Abou-Becr  à  la  Mecque. 

AN  rû-2. 

Pèlerinage  d'adieu  ;  Mahomet  se  rend  à  la  Mecque 
suivi  de  près  cent  mille  pèlerins;  arrivée  à  la  Mecque 
le  ô  mars;  dernier  sermon  de  Mahomet;  sacrifices 
solennels. 

Mahomet  retourne  à  Médine;  commencement  de  sa 
maladie. 

il  envoie  ses  lieutenants  dans  toutes  les  parties  de 
l'Arabie. 

Apparition  de  trois  faux  propbètes. 

Préparatifs  pour  une  nouvelle  expédition  en  Syrie. 
Mahomet  avait  déjà  pris  part  on  personne  à  vingt-sept 
campagnes.  Il  avait  ordonné  trente-huit  expéditions 
ou  missions  ;  rexpédilion  d'Ousama  en  Palestine  fut 
la  dernière. 

La  maladie  de  Mahomet  s'aggrave  pendant  les  mois 
d'avril  et  de  mai. 


DE  L'HISTOIRE  DE  MAHOMET. .  1j 

Morl  de  Mahomet,  enlre  les  brns  d'Ayésha,  le 
8  juin  652. 

Abou-Beer  choisi  pour  son  successeur. 

Mahomet  est  enterré  nu  lieu  même  où  il  était  nioii  ; 
il  n'avait  pas  tout  à  fait  soixante-deux  ans  '. 

*  Poiu"  compléler  celle  biograpliie  aLrégée  de  Maliomel,  il  faut 
voir  ce  qu'il  dit  de  lui-même  dans  le  Coran.  On  y  trouvera  d  assez 
nombreux  passages  de  ce  genre.  Je  les  ai  rassemblés  pour  la  plupart 
dans  les  Extraits  que  je  donne  plus  loin.  .Mais  Mahomet  parle  surtout 
des  dilficullés  de  sa  mission,  de  son  but,  de  ses  communications  avrc 
l'ange  fiabriel,  etc.  ;  il  parle  très-peu.  en  général,  des  autres  incidents 
(le  sa  vie,  et  il  ne  les  rappelle  guère  que  par  des  allusions  qui  ne  sont 
pas  to\ijours  très-précises,  et  qui  peuvent  servir  plutôt  à  exercer  la 
sagacité  des  c  immen'.ateurs  quà  llxer  les  doutes  de  l'iiistoire. 


i 


M  A  H  0  M  E  T 


SON   CAP.ACTÈIIE  ET  SA   l'.ELiGION 


CHAPITRE  PREMIER 

AUTHENTICITÉ     DE     L'HISTOIRE     DE     MAHOMET 

Renouvellement  de  Ihistoire  de  Mahomet.  —  Jean  Gagnier ;  travaux 
contemporains:  MM.  Gustave  AVeil,  Caussin  de  Perceval,  William 
Muir,  A.  Sprenger;  caiaclère  particulier  de  leurs  travaux.  —  Cer- 
titude historique  des  origines  du  mahométisme  ;  sources  musul- 
manes :  le  Coran,  édition  dAhou-Becr  et  édition  dcûnitive  d'Olli- 
mân  ;  rédaction  de  Zi'ïd,  fils  de  Tliâbit;  collections  do  la  Sonna  cl 
des  Sliyites,  d'après  les  Hàditlis  ou  récits  des  compagnons  du  pro- 
phète et  de  leurs  successeurs;  biographes  mahomélans  des  trois 
premiers  siècles  de  l'Hégire  :  ILn-Ishàc,  Ihn-Uisiiâm,  Wàckidi  et 
son  secrétaire,  Tabari.  —  Haute  valeiu-  de  ces  biographies  ;  analyse 
du  Sirat-er-raçoiil  ou  Vie  du  prop]:ète.  par  Ibn-lsliàc  cl  Ibn- 
Hishâm. 

Avant  de  raconter  quelques-uns  des  fails  princi- 
paux de  la  vie  de  Mahomet,  et  de  juger  son  caractère 
et  sa  religion,  je  veux  exposer  sur  quelles  bases  solides 
toute  cette  histoire  repose.  S'il  pouvait  subsister  le 
moindre  doute  concernant  l'authenlicilé  des  docu- 
ments d'où  elle  est  tirée,  ce  ne  serpil  guère  la  peine 


16  MAHOMET,  CHAPITRE  I. 

de  l'ôludier,  et,  pour  ma  part,  je  me  serais  abstenu  d'y 
porteries  yeux.  Mais  aujourd'hui  que  tout  est  clair, 
ou  peu  s'en  faut,  dans  la  biographie  du  prophète,  elle 
peut  (Mre  l'objet  d'un  utile  examen.  .Je  parlerai  donc 
en  premier  lieu  de  quelques  ouvrages  publiés  en  Eu- 
rope depuis  vingt-cinq  ou  trente  ans,  et  ensuite  des 
sources  musulmanes  auxquelles  ils  ont  été  puisés  par 
de  doctes  auteurs,  familiers  avec  la  langue  arabe.  Ce 
sera  le  sûr  moyen  de  démontrer  l'irrécusable  authen- 
ticité de  l'histoire  de  Mahomet. 

On  peut  dire  que  de  nos  jours  cette  histoire,  mal 
connue  jusqu'à  présent,  a  été  complètement  renouve- 
lée; elle  a  été  la  matière  des  plus  vastes  et  des  plus 
heureux  travaux;  et  nous  pouvons  nous  flatter  de  la 
connaître  maintenant  presque  aussi  bien  qu'on  peut 
le  désirer.  Le  progrès  général  des  sciences  historiques, 
dont  notre  siècle  est  justement  si  fier,  nous  a  rendus 
très-difficiles;  mais  il  faudrait  l'être  outre  mesure 
pour  ne  pas  se  montrer  satisfait  délivres  aussi  savants 
et  aussi  bien  composés  que  ceux  de  MM.  G.  Weil, 
Caussin  de  Perceval,  William  Muir  et  A.  Sprenger. 
Tous  ces  érudits  ont  remonté  directement  aux  docu- 
ments originaux;  ils  possèdent  tous  une  science  pro- 
fonde, une  méthode  irréprochable  et  une  critique 
éclairée.  Parmi  les  grands  personnages  de  l'humanité, 
il  y  en  a  peu  qui,  de  notre  temps,  aient  eu  la  fortune 
d'être  aussi  bien  étudiés  que  le  fondateur  de  l'Isla- 
misme; et  si  sa  physionomie  a  été  étrangement  défi- 
gurée par  l'ignorance,  les  passions  et  les  préjugés  des 


AlTHENTlblTl':  DE  I/niSTOIP.E  DE  MAHOMET.  IV 

siècles  précédents,  le  nôtre  du  moins  pourra  com- 
mencer à  la  voir  dans  toute  sa  vérité,  qui  ne  dimi- 
nuera rien  à  sa  grandeur  et  à  sa  gloire  légitime. 

C'est  la  France  qui  à  eu  le  mérite,  voilà  plus  de 
cent  trente  ans,  de  commencer  cette  réhabilitation; 
ou  du  moins  c'est  un  Français,  naturalisé  plus  tard 
en  Angleterre,  Jean  Gagnier,  qui  songea  le  premier  à 
demander  une  Vie  de  Mahomet  au  témoignage  des 
monuments  authentiques  \  Depuis  lors,  cet  essai  a 
été  bien  dépassé;  mais  môme  aujourd'hui  il  n'est  pas 
sans  valeur.  M.  G.  Weil,  un  des  successeurs  les  plus 
instruits  de  Gagnier,  n'a  pas  manqué  de  lui  rendre 
cette  justice,  en  reprenant  la  môme  voie  que  lui'. 

'  L'exislcncc  de  cet  orientaliste  assez  célèbre  n  été  fort  aventureuse. 
Élève  au  collège  de  Navarre  vers  1691),  il  avait  montré  une  grande 
aptitude  pour  l'étude  de  l'arabe  et  de  l'iiébreu.  Il  était  devenu  cha- 
noine de  Sainte- Geneviève^  quand  tout  à  coup  il  quitta  les  ordres,  se 
maria,  et  alla  cliercher  un  asile  en  Angleterre,  où  il  embrassa  la  re- 
ligion réformée.  Fougueux  prolestant,  il  attaqua  avec  une  sorte  de 
fureur  lÉglise  caliiolique;  et.  en  même  temps,  professeur  d'arabe  à 
l'université  d'Oxford,  il  publia  de  nombreux  ouvrages  de  polémique  et 
d'érudition  orientale.  Le  principal  fut  une  édilion  avec  tradudiou 
latine  d'.41)0ulféda.  C'est  de  cet  auteur  qu'il  a  tiré  en  grande  partie 
son  ouvrage  sur  Mahomet,  intitulé  :  Jm  vie  (le  Mahomet,  traduite  et 
compilée  de  l'Alcoran,  des  traditions  aiit/ientiqiies  de  la  Sonna  et  des 
meilleurs  auteurs  arabes,  Am-tcrdam,  Hô'i,  2  vol.  iu-12.  Jean  Gagnier 
mouiut  \ers  l'îTO.  Douze  ans  après  la  mort  de  Gagnier  ^178'2),  pa- 
raissait la  traduction  du  Coran  par  Savary,  avec  une  vie  de  Mahomet, 
tirée  des  principaux  auteurs  orientaux.  C'était  en  tout  un  travail  fort 
eslimable,  qui  permettait  déjà  de  bien  juger  Mahomet.  Savary  mourut 
jeune,  à  l'âge  de  trente-huit  ans.  Sa  traduction  a  été  publiée  de  nou- 
veau en  18-i'2,  par  les  soins  du  savant  .M.  Garcin  de  Tassy,  avec  VExpo- 
sitioii  de  la  foi  musulmane. 

-  M.  G.  Weil,  Mohammed  der  Propliel,  e'c,  préface,  p.  vn-vm.  Il  es 
probable  que  Voltaire  a  pris  de  l'ouvrage  de  J.  Gagnier  tout  ce  qu'il  a 


IN  MMluMET.  (.ilAI'ITI'.L  I 

M.  G.  Woilpublinit  son  livre  en  iSiô,  el  il  en  em- 
prunlail  lous  les  matériaux  soit  au  Coran,  soit  à  des 
jiianusciils,  jusque-h'i  trop  peu  consultés,  d'hislorieiis 
arabes'.  L'auteur  y  avait  consacré  de  longues  niniées 
et  de  patientes  rccliorche^:  mais  les  sources  aux- 
quelles il  pouvait  s'adresser,  quoique  foi  t  bonnes, 
n'étaient  ni  assez  nombreuses  ni  surtout  assez  an- 
ciennes. L'ouvrage,  très-bien  composé,  n'en  méritait 
pas  moins  d'estime,  et  il  était  déjà  digne  du  temps 
où  il  paraissait.  Mais  il  fut  bientôt  effacé  par  celui  de 
M.  (laussin  de  Perceval,  qui  parut  quatre  ans  après, 
et  qui  marqua  une  ère  nouvelle  dans  ces  éludes-.  Je 
viens  trop  tard  pour  faire  l'éloge  d'un  travail  que  tout 
le  monde  a  loué.  L'abondance  et  la  nouveauté  des  dé- 
tails, l'exactilude,  la  piécision  sur  une  foule  de  faits 
peu  ou  mal  compris,  la  lumière  portée  sur  les  temps 

?i  liion  dit  (le  Haliomcl  ilans  V Essai  sur  les  mœurs,  cliapiires  m  el  vu; 
c'osl  connue  une  compensation  de  sa  tragédie  si  fausse  et  si  déclania- 
l.iire.  A  1  époque  où  il  la  composo,  il  jugeait  fort  mal  le  proplièie 
arabe,  comme  on  peut  le  voir  dans  une  de  ses  loltres  à  Fiédéric.  1740. 
Pins  lard,  quand  il  eut  étudié  les  choses  de  ]ilus  pris,  il  apprécia 
Mahomet  tout  aulrenient;  el  il  s'attira  même  d;'  vives  critiques  pour 
l'avoir  trop  admiré;  voir  la  Lettre  cirile  el  honnête.  1760,  édition 
IJeucho'.  tome  XL.  p.  170. 

'  l/otivragc  de  M.  Gustave  Weil  est  intitulé:  Mahamel  le  prophète, 
sa  vie  et  sa  doctrine,  tiré  de  sources  nianuscrilcs  et  du  Coran.  Slutt- 
g-nrt,  IS45,  in-8.  xxxvin-4C0.  en  alliinand.  Il  se  compose  de  neuf 
clia;'ilres.  el  il  est  lermiiié  par  de  longs  extraits  d'auteurs  araLcs,  et 
spécialcmeni  d  Ibrahim  llalébi,  qui  vivait  au  seizième  siècle. 

-  A.  r.  Caussin  de  Perceval,  Essai  sur  fliistoire  des  .\rabes.  avant 
rislamisme.  pendant  l'époque  de^Iuhomot,  el  jiis|u'à  la  réduction  de 
toutes  les  tribus  sous  la  loi  musulmane,  Paris,  3  vol.  in-8,  1847-1848. 
L'auteur  a  dressé  de  très-curieux  tableaux  généalogiques  sur  les  pre- 
mières dynasties  arabes. 


AlTilENlIClTÉ  HE  I.lllSTnlI'.K  DE  MAHOMET.  1'.' 

qui  ont  prccctié  l'Islamisme  en  Arabie,  la  clarlé  du 
ircil,  le  choix  judicieux  des  aulorilés,  loul  se  réu- 
nissait pour  donner  aux  découvertes  de  M.  Caussin  de 
Perceval  une  importance  qui  ne  fera  que  s'accroitro. 
Seulement  il  se  bornait  peut-être  un  peu  trop  pru- 
demment au  rôle  d'ériîdit,  laissant  à  d'autres  la  tâche 
de  faire  sortir  de  ses  investigations  des  conséquences 
et  des  jugements  qui  sont  plus  spécialement  le  devoir 
do  l'historien.  Dans  sa  réserve,  il  se  contcnlait  de  ra- 
conter les  événements,  sans  prétendre  en  déduire  lui- 
même  aucune  conclusion.  Mais,  si  M.  G.  Weil  avait 
donné  quelques  pages  à  la  période  antérieure  à  l'Is- 
lam, M.  Caussin  de  Perceval  y  donnait  un  volume 
presque  entier,  et  c'est  là  une  des  parties  les  plus 
neuves  et  les  plus  fécondes  de  son  ouvrage.  Désormais 
aucun  historien  du  prophète  arabe  ne  pourra  n.anquer 
de  prendre  le  même  soin,  et  il  est  évident  que  Maho- 
met serait  mal  apprécié  si  on  l'isolait  et  du  milieu 
dans  lequel  il  a  paru,  et  des  temps  qui  ont  précédé  sa 
prédication  et  préparé  son  triomphe. 

Quant  aux  deux  ouvrages  tout  récents  de  MM.  \V. 
Muir  et  A.  Sprenger,  ils  ont  l'un  et  l'autre  l'avantage 
d'avoir  été  composés  au  sein  de  pays  musulmans,  en 
vue  et  presque  sous  les  yeux  des  fidèles,  quoiqu'ils 
aient  été  publiés  en  Europe.  M.  W.  Muir  avait  d'abord 
fait  paraître  le  sien,  sous  une  forme  un  peu  différente, 
dans  la  Revue  de  Calcutta^  Il  est  inspiré  par  l'esprit 

'  M.  \V.  Muir  rappelle  clans  sa  préface  C|u  il  a  rnlropris  sis  ic- 
clicrclies  à  l'instigation  du  Rêv   C.  G.  Pfander.  H.  I'.   qui  scsl  signalé 


■20  MAlInMET.  CIIVPITRE  I. 

dt^  prosélytisme  ;  l'auteur  a  voulu  aider  les  efforts  de 
la  propagande  chrétienne  en  écrivant  une  vie  du  pro- 
phète, qui,  s'en  tenant  aux  documents  qu'acceptent 
ses  sectateurs  eux-mêmes,  pût  être  lue,  si  ce  n'est  tout 
à  fait  approuvée  par  eux.  Son  intention  avait  été 
d'abord  d'écrire  en  hindoustani ,  afin  d'être  plus 
généralement  compris  des  mahométans  hindous  ; 
mais  il  aura  trouvé  sans  doute  que  l'anglais  est  assez 
répandu  parmi  les  docteurs  musulmans,  pour  qu'on 
puisse  fout  aussi  bien  leur  parler  en  cette  langue  sur 
un  sujet  si  délicat.  Quoique  M.  W.  Muir,  employé  du 
service  civil  au  Bengale,  ne  soit  pas  lui-même  un 
missionnaire,  son  œuvre  s'est  peut-être  un  peu  res- 
sentie de  ses  préoccupations  religieuses;  elle  n'est 
pas  d'un  caractère  exclusivement  scientifique,  comme 
celle  du  docteur  A.  Sprenger,  qui  de  son  côté  pèche 
aussi  peut-être  par  un  peu  trop  de  bienveillance 
j)Our  le  mahométisme,  si  ce  n'est  pour  Mahomet  lui- 
même. 

.  Nous  sommes  d'ailleurs  très  loin  de  vouloir  en  faire 
un  objet  de  critique  au  docteur  A.  Sprenger,  et  nous 
admirons  trop  vivement  son  savoir  et  son  dévouement 
pour  blâmer  même  l'excès  du  sentiment  qui  a  provo- 
qué des  labeurs  aussi  constants,  aussi  efficaces  et  aussi 
distingués  que  les  siens.  M.  Sprenger  pense  que  l'on 
nj)plique  depuis  longtemps  trop  d'attention  à  l'anti- 
quité classique,  et  qu'on  n'en  a  pas  suflisamment  pour 

comme  apologiste  dans  les  dernières  onirovcrscs  avec  les  docteurs 
maliomélans. 


1 


ÂITIIEMICITÉ  DE  L'HISTOIRE  DE  MAHOMET.  21 

l'Orient.  On  peut  être  d' accord  avec  lui  sur  ce  dernier 
point,  sans  partager  son  avis  sur  l'autre.  Mais  quoi 
qu'il  en  soit  de  l'exagération  ou  de  la  justesse  de  celle 
opinion,  M.  le  docteur  A.  Sprenger  en  a  fait  le  but  de 
sa  vie.  Dès  sa  première  jeunesse',  il  a  pris  la  résolu- 
tion de  se  livrer  pour  toujours  aux  études  orientales; 
il  a  cru  de  son  devoir  de  visiter  le  pays  de  ses  prédi- 
lections et  d'y  séjourner  longuement,  à  la  fois  pour 
contribuer  à  y  introduire  la  civilisation  européenne 
dans  ce  qu'elle  a  de  meilleur,  et  pour  en  rapporter  à 
l'Europe  une  connaissance  plus  complète  de  l'Orient 
et  de  sa  littérature.  Il  faut  bien  entendre  qu'il  ne  s'a- 
git ici  que  de  l'Orient  musulman,  lequel  n'est  après 
tout  qu'une  faible  partie  du  véritable  Orient.  Mais  peu 
importe;  le  mahOmétisme  est  bien  assez  vaste  déjà 
pour  que  l'existence  la  plus  laborieuse  et  la  plus  éner- 
gique puisse  y  trouver  un  fructueux  emploi.  M.  le 
docteur  A.  Sprenger  est  donc  resté  pendant  les  douze 
plus  belles  années  de  sa  vie  dans  les  contrées  musul- 
manes de  l'Inde  supérieure  ;  et  pour  bien  coimaître  ce 
qu'il  était  venu  chercbcr  de  si  loin,  il  s'est  placé  dans 
les  conditions  les  plus  favorables  que  pût  souhaiter  un 
Européen,  pour  introduire  la  science  occidentale  dans 
l'esprit  des  Asiatiques.  Il  a  duigé  lui-même  des  écoles 
maliométanes  qu'il  avait  fondées;  il  en  a  soutenu 
d'autres  qu'on  avait  fondées  sous  son  patronage  et 
d'après  son  exemple.  Puis,  pour  se  mettre  avec  les  in- 

'  A.  Sprenger,  Vie  et  doclriiie  de  Mahomet,  t.  I,  iirùlaLC,  l'Oges  v 
et  sui\ . 


•22  MAHuMKÏ.  CllAl'lTI'.E  I. 

digènes  ('ans  un  rapport  encore  plus  immédiat  et  plus 
actuel,  il  a  créé  des  journaux  à  leur  usage;  il  a  été 
le  premier  en  1845  à  publier  à  Dehli  une  feuille  illus- 
trée dans  le  genre  du  Peunij  MagazineK  Cette  tenta- 
tive, qui  avait  parfaitement  réussi,  a  été  fort  imitée  ; 
et  quand  le  docteur  A.  Sprenger  a  quitté  l'Inde,  onze 
ans  après,  on  comptait  déjà  plus  d'une  douzaine  de 
leuillos  semblables  à  la  sienne,  et  qui  réussissaient 
tout  aussi  bien. 

En  même  lemps,  le  docteur  A.  Sprenger  faisait  exé- 
cuter sous  sa  surveillance  de  nondircuses  traductions 
d'ouvrages  anglais  en  hindoustani  ;  et  ayant  affaire  à 
des  esprits  fort  dociles  et  fort  intelligents,  il  avait  le 
pkisir  de  voir  ses  élèves  indigènes  bientôt  en  état  de 
se  passer  de  tout  secours  européen,  et  de  continuer 
seuls  les  travaux  entrepris  d'abord  avec  la  coopération 
de  leur  maître-. 

An  milieu  de  ces  soins  donnés  à  l'Asie,  M.  A.  Spren- 
ger n'oubliait  pas  l'Europe  ;  car  c'eût  été  manquer  la 
moilié  de  son  projet:  et  à  son  retour,  il  nous  rappor- 

'  Le  liire  de  ce  journal  écrit  en  liiiitionslaui  était  Kiràii  ahàdaijn. 
c'csl-à-dire  la  conjonction  des  deux  planéles  du  bonlieui-,  Jupiter  et 
Vénus.  Sous  ce  titre,  qui  peut  nous  parai're  prétentieux,  mais  qui  est 
tout  à  l'ail  sclo:i  les  habitudes  du  pays,  Jupiter  et  Vénus  représentent 
l'Occident  et  l'Orient;  il  répondait  ainsi  Irès-exaclement  aux  inlen- 
i 'r.s  cour.is:euses  et  bicnvi'iliantes  qui  avaient  amené  le  docteur 
A.  Si'renger  en  Asie. 

-  M.  A.  Sprenger.  Bas  Lc/n'ii  iiud  die  Lchre  di's  Moliammad.  inx-- 
Wuo.  page  VII,  en  noie,  domie  les  litres  de  plusieurs  ouvrages  arabes 
qu'il  a  fait  publier  ou  traduire.  Sir  llemi  EUiot  a  reconnu  que  la 
1  reniièro  i  !éc  de  la  belle  collection  des  Historiens  de  l'Inde  était  due 

M.  ledocleiu'  A.  Sprenger. 


AlTIlLMICiTt;  DI".  LIMMUll'.E  liL  .MAllO.MF.T.  t>5 

[lui  une  cnornie  collection  de  manuscrits  et  de  livres 
orientaux,  que  la  Bibliothèque  de  Berlin  s'emprcssail 
d'acquérir,  et  dont  le  catalogue  imprimé  en  anglais 
forme  à  lui  seul  tout  un  volume ^  Mais  ce  n'était  pas 
assez  encore  pour  M.  A.  Sprenger  ;  et  des  immenses 
niiitériaux  qu'il  avait  amassés,  il  a  voulu  tirer  un  ou- 
viage  qui  lui  fût  propre  et  qui  résumât  tous  ses  tra- 
vaux. Le  choix  pour  lui  ne  pouvait  être  douteux. 
Comme  il  avait  pu  découvrir  sur  les  origines  du  maho- 
mélisme  les  documents  les  plus  précieux  et  les  plus 
certains,  ce  fut  là  le  sujet  qu'il  préféra  à  tous  les  ;;u- 
tres.  Aussi  dès  1851  il  faisait  paraître  à  Allahahad  la 
première  partie  d'une  Vie  de  Mahomet  en  anglais;  et 
après  douze  autres  années  d'investigations  persévé- 
rantes et  plus  complètes,  c  est  encore  une  Vie  de 
Miihomet  qu'il  offre  actuellement  au  public  allemand, 
ou  plutôt  au  public  européen. 

Nous  voudrions  bien  que  cet  ouvrage  fût  achevé 
comme  l'est  celui  de  M.  W.  Muii',  avec  lequel  nous 
eussions  aimé  à  le  comparer  ;  mais  malheureusement 
les  deux  volumes  qu'a  publiés  M.  A.  Sprenger  ne  vont 
encore  que  jusqu'à  la  fuite  à  Médine,  ou  à  l'IIégirc. 
Xous  regrettons  aussi  qu'une  autre  circonslancc  nous 
prive,  du  nioirrs  momentanément,  d'informations  du 
plus  haut  inlérèl:  je  veux  parler  de  la  critique  des 
documents  (jue  M.  A.  Sprenger  a  consultés,  et  de  ceux 

'  Dibliol'ieca  orient tiUs  Sprengeriaua  ;  le  catalogueai)arii  àGiesscn 
rii  l8ri7.Le  roi  (juilliuimc  IV,  dans  sa  iminilicence,  a  fait  don  de  ccUe 
collection  à  la  î'.ililiaUiù'iue  royale  de  Berlin. 


24  MAHOMET.  CUAI'lTl'.E  I. 

qu'il  a  eu  la  gloire  de  se  procurer  le  premier.  Mais 
CCS  matériaux  sont  si  riches,  que  M.  A.  Sprenger  se 
propose  d'eu  taire  un  ouviage  à  part,  qui  ne  paraîtra 
qu'après  la  biographie  du  prophète.  Il  compte  y  re- 
tracer le  tableau  de  l'histoire  littéraire  de  l'Islam 
dans  les  deux  premiers  siècles  de  l'Hégire.  D'une  telle 
main  et  avec  une  telle  expérience  des  choses  musul- 
manes, ce  sera  certainement  un  livre  magistral;  mais 
il  nous  faut  l'attendre  sans  doute  plusieurs  années 
encore  ;  et  provisoirement,  nous  devons  nous  con- 
tenler  des  citations  que  l'auteur  a  nécessairement 
introduites  dans  l'ouvrage  qui  est  en  cours  de  publi- 
cation. 

Pour  donner  une  idée  des  découvertes  de  M.  A. 
Sprengcr,  il  suftit  d'en  citer  une  seule.  Il  a  retrouvé 
dans  les  bibliothèques  musulmanes  un  diclionnaiie 
biographique  des  compagnons  du  prophète,  où  sont 
mentionnés  jusqu'à  huit  mille  des  contemporains  de 
Mahomet.  Ce  dictionnaire,  appelé  k'ùba,  n'a  été  ré- 
digé que  vers  la  lin  du  quinzième  siècle,  il  est  vrai  ; 
mais  l'auteur,  qui  se  nommait  Ibn-llidjr,  a  pu  s'ap- 
puyer sur  une  l'oule  de  biographes  antérieurs  d'une 
autorité  incontestable  ;  et  parmi  les  huit  mille  per- 
sonnes dont  il  parle  avec  de  longs  dèlails,  il  n'y  en  a 
pas  dix  qui  soient  apocryphes.  Ce  dictionnaire  ne 
forme  pas  moins  de  quatre  forts  volumes  in-folio.  Le 
docteur  Sprenger  en  avait  commencé  la  publication  à 
Calculla,  et  déjà  le  j)remier  volume  presque  entier 
avait  paru,  quand  un  ordre  de  la  Cour  des  directeurs 


AITUËNÏICITE  DE  L'IllSTOir.E  DE  MAHOMET.  25 

est  venu  suspendre  l'impression'.  M.  W.  Muir  déplore 
avec  raison  cette  fâcheuse  décision,  dont  on  ne  nous 
dit  pas  les  motifs.  .M.  A.  Sprenger  s'est  résigné,  sans 
se  plaindre,  à  ne  pas  continuer  cette  belle  entreprise, 
que,  sans  doute,  personne  ne  sera  tenté  de  reprendre 
après  lui.  Mais,  tout  inachevée  qu'elle  est,  elle  suftit 
à  nous  montrer  tout  le  zèle  de  M.  le  docteur  Sprenger, 
et  les  succès  qu'il  a  obtenus,  en  dépit  des  obstacles 
qu'il  a  rencontrés. 

En  parlant  ici  de  Mahomet,  surtout  d'après  les 
quatre  ouvrages  que  je  viens  d'indiquer,  il  n'y  a  guère 
que  deux  points  auxquels  je  voudrais  m'arrèler: 
d'abord  la  nature  et  l'authenlicité  des  sources  ;  et,  en 
second  lieu,  le  caractère  du  prophète,  tel  qu'il  doit 
apparaître  à  une  critique  impartiale. 

A  quelque  point  de  vue  qu'on  se  place  pour  juger 
Mahomet,  tout  le  monde  doit  accorder  que  c'est  une 
des  plus  grandes  figures  de  l'humanité.  Il  a  fondé, 
quels  que  soient  d'ailleurs  les  moyens  employés  par 
lui,  une  religion  qui  compte  aujourd'hui  plus  de 
cent  millions  d'adliérents,  qui  est  répandue  sur  trois 

'  M.  A.  Sprenger,  Das  Ixben,  etc.,  [iréfacc,  iiagexii,  cl  tome  I,  piigcs 
0  cl  siiiv.  Dans  la  Liograiiliic  de  Maliomet,  l'auteur  parle  avec  une 
telle  modestie  de  ses  découvertes,  et  avec  tant  de  concision,  qu'on  a 
qucliiue  peine  à  en  comprendre  loule  l'importance.  M.  M".  Muir  a  pu 
L'Ire  moins  réservé,  cl  il  n'a  pas-épargne  à  son  heureux  concurrent 
les  éloges  les  plus  sincères  et  les  plus  mérités,  tout  en  coniiiallant 
quelquefois  ses  opinions;  voir  le  tome  I  de  l'ouvrage  de  M.  W.  Muir» 
page  civ  de  l'inlroduction.  C'est  à  M.  VV.  Muir  que  j'emprunte  le  fait 
relaiif  à  la  Cour  des  direcicurs,  t\  non  à  M.  A.  Sprenger,  (jui  l'j  passé 
sous  silence. 

2 


20  MAIIOJJET.  CHAI'ITUE  I. 

continenls,  cl  qui,  malgré  de  sinistres  prédictions, 
n'est  pas  sur  le  point  de  périr,  après  douze  cents  ans  •' 
d'existence.  Cette  religion,  qui  est  fort  loin  sans 
doute  de  favoriser  la  civilisation  autant  que  le  chris- 
tianisme, n'y  est  pas  cependant  aussi  opposée  qu'on 
l'a  cru.  ^'ous  sommes  en  rapports  perpétuels  et  né- 
cessaires avec  les  peuples  musulmans;  nous  les  sou- 
tenons dans  leurs  défaillances;  ils  acceptent  les  con- 
seils et  même  la  domination  bienfaisante- des  chré- 
tiens; et,  somme  toute,  aujourd'hui  que  les  fureurs 
religieuses  se  sont  un  peu  calmées,  on  n'a  pas  trop 
à  se  plaindre  de  ces  relations  réciproques,  et  on  les 
étend  chaciue  jour,  par  cela  seul  (jnelles  continuent. 
Cette  religion  parait  en  outre  convenir  admirablement 
aux  populations  qui  la  professent  et  (|ui  n'en  peuvent 
subir  aucune  autre.  On  voit  bon  nombre  de  chrétiens 
se  faire  mahométans,  par  des  motifs  qui  ne  sont  peut- 
être  pas  toujdurs  trés-honorables;  on  n'a  presque 
jamais  vu  de  mahométans  se  convertir  à  la  foi  chré- 
tienne, el  M.  A.  Sprenger  a  pu  dire  avec  toute  justice 
que  «  les  musulmans  se  distinguaient  entre  toutes 
les  autres  conuuunautés  religieuses  par  la  fermeté 
et  la  précision  de  leurs  croyances,  et  que  parmi  eux 
l'incrédulité  était  aussi  rare  (ju'êlait  fréquente  la 
sincérité  profonde  de  la  foi,  attestée  par  le  dévoue- 
ment et  par  le  sacritice'.  »  Le  fanatisme  en  est  une 
preuve  redoutable,  mais  péremptoire. 

•  M.  A.  Siucngcr,  Das  [,i>ben  und  die  Lfliic  flfs  Moli/inmiad.  t.  I, 
[irélaco,  \K\'^e  i.   (^c  téiiioi{ïnaf;e  est  Irès-iinportaiil  d  •  la  pari  d'un 


AUTHENTICITÉ  DE  L  IIISTOIRE  HE  MAllOMLT.  '2' 

C'est  là  déjà  matière  à  une  juste  curiosité;  mais  ce 
qui  l'augmente  encore,  c'est  que  la  religion  musul- 
mane, la  dernière  en  date  des  grandes  religions,  est 
un  fait  purement  historique.  On  peut  conslaler  de  la 
manière  la  plus  certaine  comment  elle  est  née,  et 
comment  elle  s'est  formée  peu  à  peu  d'aboixi  dans  le 
cœur  même  de  Mahomet,  et  ensuite  par  l'enthou- 
siasme de  ses  premiers  disciples.  C'est  en  quelque 
sorte  réclusion  d'une  religion  prise  sur  le  fait.  Celte 
remarque,  qui  a  été  faite  déjà  bien  souvent',  est  pro- 
fondément vraie,  et  l'on  ne  saurait,  à  certains  égards, 
y  attacher  trop  d'importance,  puisque  c'est  là  un 
événement  unique  dans  les  annales  humaines.  Le  ber- 
ceau de  toutes  les  autres  religions  est  couvert  de  ténè- 
bres, que  les  efforts  les  plus  sincères  et  les  plus  saga- 
ces  de  l'érudition  n'ont  pu  dissiper,  et  qui  resteront 
à  jamais  impénétrables.  Pour  le  mahomélisme,  au 
contraire,  rien  n"est  caché  ;  il  s'est  produit  et  s'est 
développé  au  grand  jour  ;  et,  sauf  les  incertitudes  iné- 
vitables des  traditions,  dans  des  pays  si  éloignés  de 
nous  et  pour  des  mœurs  si  différentes  des  nôtres, 
on  sait  à  bien  peu  près  tout  ce  qu'il  est  possible  de  sa- 
voir; le  mahométisme  n'a  ni  mystère,  ni  surnaturel. 
Il  ne  veut  mémo  se  couvrir  d'aucun  voile,  et  ce 
n'est  pas  sa  faute  s'il  reste  encore  des  obscurités; 


homme  aussi  consciencieux,  et  qui  a  vécu  si  longtemps  avec  des  mu- 
sulmans dans  les  circonstances  que  nous  savons. 

'  M.  Ernest  Renan,  Eludes  d'ivst  ire  relif/ieiise.  5"  t'dition,  pages 
2'20  et  230. 


28  MAIKiMKT.  CHAPITRE  I. 

car  il  a  été  sur  son  origine  aussi  franc  qu'il  l'a  pu. 

Mais  il  faudrait  prendre  garde  à  ne  pas  tirer  de  ce 
fiut  isolé  et  inllnimenl  curieux  des  conséquences  trop 
générales  et  qui  pourraient  bien  être  fausses.  Parce 
que  le  mahométisme  est  né  d'une  certaine  façon,  il 
n'est  pas.  à  dire  que  toutes  les  religions,  sans  en 
excepter  aucune,  sont  nées  do  la  même  manière. 
Cette  hypothèse  est  spécieuse  sans  aucun  doute,  mais 
elle  n'est  pas  absolument  vraie.  Il  y  a  des  religions 
qui  n'ont  point  eu  de  fondateurs  individuels.  Le 
brahmanisme,  par  exemple,  a  été  l'œuvre  d'une 
race  entière;  c'est  une  succession  de  poètes  qui  l'ont 
formée,  dans  une  longue  suite- de  générations  et  par 
une  inspiration  commune,  qui  a  duré  plusieurs  siècles 
sans  interruption.  Le  brahmanisme  n'a  été  ni  moins 
duiable,  ni  moins  fort  ;  c'est  une  des  religions  les 
plus  vieilles  et  les  plus  vénérables  de  l'humanité  ;  c'est 
aussi  par  centaines  de  millions  que  se  comptent  ses 
fidèles,  et  cependant  le  brahmanisme  ne  rapporte  sa 
naissance,  aussi  obscure  que  toutes  les  autres,  le  ma- 
hométisme excepté,  ni  à  un  sage,  ni  à  un  héros.  II 
nous  apparaît  comme  le  produit  collectif  de  la  con- 
science de  toute  une  nation.  A  côté  du  brahmanisme, 
on  pourrait  citer  encore  d'autres  exemples  tels  que 
l'hellénisme,  qui  ne  seraient  guère  moins  rebelles  à 
l;i  tliroiie  qu'on  veut  établir. 

H  est  donc  plus  sûr  et  plus  conforme  aux  lois  de  la 
critique  historique  d'étudier  chacun  de  ces  grands 
phénoinèries  en  eux-mêmes.  Le  temps  des  généralisa- 


AUTHENTICITE  DE  L'HISTOIRE  DE  MAHOMET.  2<J 

lions  n'est  pas  venu,  et  il  faudra  bien  des  travaux 
encore  de  piiilologie  et  d'histoire,  avant  qu'on  puisse 
se  prononcer,  avec  quelque  prudence,  sur  l'ensemble 
de  ces  événements  extraordinaires  qui  décident,  à 
certaines  époques,  des  destinées  religieuses  du  genre 
humain.  C'est  dans  ces  limites  restreintes  que  je  vou- 
drais considérer  quelques  instants  le  mahométisme; 
je  me  borne  à  ce  que  je  puis  en  apprendre  sûrement, 
et  je  me  tiens  pour  satisfait  si  je  puis  voir  assez  claire- 
ment comment  Mahomet  est  devenu  un  prophète, 
puiscjne  c'est  là  le  nom  qu'on  lui  donne. 

Le  monument  le  plus  grave  à  la  fois  et  le  plus  au- 
thentique de  la  religion  musulmane,  c'est  le  Coran  ; 
il  est  l'œuvre  personnelle  de  Mahomet,  et  jamais  le 
moindre  doute  n'a  pu  s'élever  à  cet  égards  Les  di- 
verses parties  du  Coran  sont  dans  un  désordre  qui 
frappe  à  première  vue  tous  ceux  qui  le  lisent;  et  dans 
chacune  de  ces  parties  séparées,  les  Sourates  ou  cha- 
pitres, les  pensées  ne  sont  guère  moins  confuses  ni 
moins  irrégulières.  C'est  une  sorte  de  chaos  dans 
lequel  on  sent  une  fermentation  puissante,  et  d'où  il 
se  dégage,  après  rétlexion,  quelques-unes  des  grandes 
idées  dont  l'auteur  était  animé.  L'enthousiasme  même 
qui  le  dévore  ne  perd  presque  rien  de  sa  llamme  au 
travers  des  traductions.  Une  lecture  du  Coran  suivie 
et  continue  est  à  peu  près  impossible-,  et  cependant 

'  Voir  plus  loin  les  Extraits  du  Cornn,sur  les  principaux  sujets  quM 
traite. 
-  M.  A.  Sprengcr,  Das  J.ebeu  und  die  l.efire  des  Moliammad.  t.  i, 

2. 


30  MAHOMET,  CHAPITRE  I. 

l'impression  qu'il  laisse  est  profonde,  quoique  très- 
troublée.  Des  lecteurs  chrétiens  n'ont  pas  beaucoup  à 
y  apprendre,  je  l'avoue ,  mais  s'ils  sont  impartiaux, 
ils  doivent  convenir  que  d'autres  esprits  que  les 
nôtres  peuvent  y  trouver  un  solide  et  fécond  aliment. 
On  a  soutenu,  d'ailleurs  avec  pleine  raison',  que  ce 
désordre  môme  du  Coran  est  la  preuve  la  plus  irré- 
fragable de  son  authenlicité.  Ce  sont  bien  là  les  réci- 
tations de  Mahomet,  car  le  mot  de  Coran  ne  veut  dire 
que  récitation;  ce  sont  bien  là  les  explosions  d'un 
génie  fougueux,  peu  maître  de  lui-même,  quoique 
capable  de  calcul.  Le  Coran,  tel  qu'il  a  été  formé,  dès 
le  premier  temps  de  l'Islam,  après  la  mort  du  fonda- 
teur, ne  porte  pas  même  la  trace  d'un  arrangement 
chronologique.  Il  est  clair  que,  quelle  que  soit  la  m.ain 
qui  a  réuni  ces  morceaux,  elle  les  a  laissés  tels  qu'ils 
étaient,  pêle-mêle,  et  sans  même  essayer,  ce  qui  eût 
été  une  supercherie  aussi  utile  qu'innocente,  d'y  in- 

préfacc,  page  xvm,  rappori  un  mol  de  M.  Bmisen,  qui  lui  a  avoué 
qu'il  avait  essayé  plusieurs  lois  de  lire  le  Coran  d'un  bout  à  l'au- 
tre, et  qu'il  n'avait  jamais  pu  y  parvenir.  Il  n'y  avait  qu'un  arabi- 
sant, disait  M.  Bunsen,  ipii  pût  accomplir  une  lâcbe  aussi  rude. 
M.  A.  Sprenger  a  dû  intercaler  les  deux  l-iers  au  moins  du  Cor;m 
traduit  dans  sa  biographie  du  prophète;  il  croit  l'avoir  rendu  par 
li'i  beaucoup  plus  intelligible,  en  lui  donnant  un  certain  ordre  selon 
les  événements  qui  composent  la  vie  de  .Mahomet  el  auipiel  le  Co- 
ran fait  successivement  allusion.  Dans  les  Extraits  que  je  donne  plus 
loin,  j'ai  suivi  l'ordre  des  sujets  et  non  ,celui  des  événements,  ([ui 
ne  sont  d'ordinaire  iudi(|uésque  d'une  manière  Irès-douteuse  dans  le 
Coran. 

*  .M.  Ernest  Uenan,  El i. des  d' histoire  religieuse,  page  '2'29;  et  M.  W. 
Muir,  JJfe  of  Mahomet,  t.  1,  piélace,  page  xxvn. 


AUTHENTICITÉ  DE  L'IlISTOinE  HE  MAHOMET.  ^»1 

troduire  une  certaine  coordination,  tout  en  conser- 
vant scrupuleusement  le  texte. 

Ce  cachet  évident  d'originalité  toute  personnelle  est 
d'ailleurs  une  très-heureuse  circonstance  ;  car  les 
historiens  arabes,  précis  sur  tant  d'autres  points,  n'ont 
pas  pu  l'être  autant  sur  la  manière  dont  les  récita- 
lions  de  Mahomet  ont  été  tout  d'abord  recueillies  et 
conservées.  Il  paraît  bien  que  le  prophète  ne  les  écri- 
vait pas  lui-même,  soit  que  réellement  il  ne  sût  pas 
écrire,  soit  qu'il  voulût  leur  conférer  plus  de  solennité 
en  laissant  à  d'autres  ce  soin  matériel'.  Elles  furent 
cerlainement  éciiles  de  son  vivant  et  sous  ses  veux, 
comme  semblent  le  prouver  une  foule  de  passages 
du  Coran  lui-même,  et  parfois  gardées  simplement 
dans  la  mémoire  de  quelques  fervents  disciples.  Mais 
quand  il  mourut,  elles  ne  formaient  point  encore  un 
recueil  qui  eût  rien  de  définitif  ni  d'officiel.  Un  an 
s'était  à  peine  écoulé  depuis  la  mort  du  prophète,  que 
la  nécessité  d'un  tel  recueil  se  fit  sentir.  Dans  la  ba- 
taille d'Acrabà,    appelée  aussi  de  Yémàma,  où   fut 


'  Il  est  conslaté  que  l'écriture  t'iait  en  usage,  soit  à  la  Mecque,  soit 
à  MéUiiie,  assez  lonf^temps  avant  Malioniel;  il  ne  lest  pas  moins  que. 
clans  les  dernières  années  de  «a  vie,  il  avait  aulotir  de  lui  de  noni- 
hreux  secrétaires  pour  les  besoins  de  sa  diplomatie  et  de  sa  politique. 
Voir  M.  Caussin  de  Pcrceval,  Essai  sur  l  histoire  des  Arabes,  tome  I, 
pages  291  et  su.v.  Il  n'est  donc  pas  impossible  ([ue  les  Récitations  de 
Mîliomet  aient  été  transcrites  aussitôt  après  qu'elles  avaient  été  pro- 
noncées; mais  il  n'est  pas  moins  certain  que  les  Arabes,  comme  bien 
d'autres  peuples,  faisaient  un  très-large  emploi  de  la  mémoire,  et 
qu'ils  conservaient  ainsi  d'âge  en  âge  une  foule  de  s  Rivcnirs  que  les 
peuples  civilisés  ne  conservent  que  par  l'écriture. 


ù2  MAHOMET.  CHAI'ITRE  I. 

vaincu  le  plus  redoutable  des  trois  rivaux  qui  s'étaient 
élevés  contre  lui,  près  de  six  cents  des  compagnons  de 
Mahomet  (Ashàb)  avaient  été  tués;  du  nombre,  se  Irou- 
vaienl  plusieurs  de  ceux  qu'on  nommait  les  Lecteurs 
et  les  Porteurs  du  Coran,  qu'ils  savaient  par  cœur, 
soit  pour  l'avoir  entendu  de  la  bouche  du  prophète, 
soit  pour  l'avoir  expressément  appris.  Omar  craignit 
avec  raison  que  le  Coran  ne  fût  bientôt  détruit,  si  l'on 
ne  se  hâtait  de  le  fixer  à  jamais;  et  il  détermina  le 
calife  Abou-Becr,  le  successeur  de  Maiiomet,  à  en  faire 
faire  une  édition  authentique.  Ce  soin  sacré  fut  condé 
à  Zeïd,  fils  de  Thàbit,  qui  hésita  d'abord  à  s'en  charger, 
et  qui  s'en  acquitta  avec  l'aide  des  lecteurs  (Courra) 
et  des  compagnons  survivants.  Zeïd ,  doué  d'une 
grande  intelligence,  avait  été  choisi  par  le  prophète 
pour  tenir,  en  langue  hébraïque,  sa  correspondance 
avec  les  juifs.  L'ordie  où  il  laissa  les  Sourates  du  Co- 
ran est  celui  même  où  depuis  lors  elles  sont  restées. 
L'exemplaire  compilé  par  lui  passa  des  mains  d'Abou- 
Becr  à  celles  d'Omar,  qui  le  remit  à  la  garde  de  sa 
tille  Ilafsa,  une  des  veuves  de  Mahomet. 

Cependant  cette  première  édition  ne  put  empêcher 
quelques  variantes  de  transcription  et  de  prononcia- 
tion de  s'introduire  dans  les  copies  qui  en  furent 
faites;  et  vingt  ans  plus  tard  environ,  l'an  5")  de 
l'hégire,  le  calife  Olhinàn  dut  en  demander  à  Zeïd 
une  édition  nouvelle,  qui  cette  fois  fut  rédigée  dans 
le  dialecte  le  plus  pur  de  la  Mecque.  Trois  des  Co- 
raychites  les  plus   instruits   avaient  été   adjoints  à 


AITIIENTICITE  DE  I.  IIISTOKIE  HE  M\lli)MRT  ô." 

Zeid  '.  Des  copies  de  celte  édition  désormais  immuable 
furent  envoyées  aux  villes  principales  de  l'empire;  et 
tous  les  anciens  exemplaires  durent  être  brûlés  par 
ordre  du  calife,  tandis  que  lexemplaire  original  re- 
tournait à  la  garde  d'Hafsa. 

«  La  récension  d'Othmàn,  dit  M.  Willam  Muir,  est 
arrivée  de  main  en  main  jusqu'à  nous  sans  altéra- 
lion  ;  on  l'a  si  scrupuleusement  conservée  qu'il  n'y  a 
pas  de  variantes  importantes,  et  l'on  pourrait  même 
dire  aucune  variante,  dans  les  copies  innombrables 
du  Coran,  qui  circulent  dans  les  vastes  domaines  de 
l'Islam.  Des  factions  acharnées,  sorties  du  meurtre 
même  d'Othmàn,  moins  d'un  quart  de  siècle  après  la 
mort  de  Mahomet,  n'ont  cessé  depuis  lors  de  boule- 
verser l'empire  musulman.  Toutefois  il  n'y  a  jamais 
eu  qu'un  seul  Coran  pour  toutes  ces  factions  impla- 
cables; et  cet  usage  unanime  de  la  même  écriture  ac- 
ceptée par  elles  toutes  jusqu'à  nos  jours  est  une  des 
preuves  irrécusables  de  la  sincérité  du  texte  que  nous 
possédons  et  qui  remonte  jusqu'à  l'infortuné  calife-.  » 

'  Zeïil,  fils  de  Tliàbit,  était  de  Médine,  dont  le  dialecte  n"était  pas 
tout  à  fait  aussi  pur  que  celui  de  la  Mecque,  et  celait  dans  ce  dernier 
dialecte  que  le  proiiliète  s'élail  cxpi'imé. 

-  M.  G.  Weil,  Mohammed  (1er  l'rophel.  etc.,  page  552,  n'est  pas  tout  à 
fait  aussi  alfirrnalif  ;  il  (ait  quelques  nservcs;  mais  il  ne  croit  pas  que 
le  Coran  ait  pu  subir  des  cliangemenis  considérables,  parce  qu'à  l'é- 
poque où  il  a  été  recueilli  beaucoup  de  musulmans  en  avaient  encore 
le  souvenir  très-présent.  M.  \.  Sprenfrer  n'a  pas  directement  traité 
cette  question  dans  les  deux  volumes  qu'il  a  donnés;  mais  la  complète 
aullienticité  du  Coran  ne  .«emble  pas  le  moins  du  inonde  douteuse 
pour  lui,  Das  l^ben  und  die  Uhre  des  Moliammad,  t.  II,  pages  451  et 
suivaiites. 


34  MAHOMET,  ClIAPITIiE  I. 

C'est  l'avis  de  tous  les  juges  compétents  ;  et  M.  de 
Ilammer  a  eu  le  droit  de  dire:  «  Nous  pouvons  croire 
que  le  Coran  est  la  parole  de  Mahomet,  tout  aussi 
sûrement  que  les  mahométans  le  croient  la  parole  de 
Dieu.  »  M.  William  Muir  a  pu  ajouter  presque  aussi 
justement:  «  Le  Coran  est  la  base  principale  de  la 
biographie  de  Mahomet  »;  et  l'on  peut  s'en  convaincre 
par  l'usage  étendu  et  intéressant  qu'en  a  fait  M.  le 
docteur  A.  Sprenger,  pour  celle  qu'il  a  entreprise. 
Il  faut  d'ailleurs  dans  celte  restitution  délicate  ap- 
porter autant  de  circonspection  que  de  sagacité  et  de 
science. 

Après  le  Coran  vient  la  tradition,  qui  remonte  natu- 
rellement jusqu'aux  premiers  compagnons  de  Maho- 
met ;  mais  ici  le  terrain  est  beaucoup  moins  sur,  et 
l'on  ne  saurait  mettre  trop  de  prudence  à  s'y  avan- 
cer. La  tradition  est  partout  incertaine,  quoiqu'elle 
puisse  d'ailleurs  avoir  plus  ou  moins  de  probabilité  ; 
elle  est  particulièrement  suspecte  chez  un  peuple 
peu  lettré,  et  d'une  imagination  ardente,  comme  les 
Arabes  de  ces  temps.  Aussi  M.  W.  Muir  s'est-il  mis 
en  garde  autant  qu'il  l'a  pu  contre  les  surprises,  et 
il  a  essayé  de  tracer  par  l'examen  le  plus  minutieux 
les  règles  qu'il  faut  suivre  pour  employer  ces  maté- 
riaux dangereux  quoique  indispensables  \  Les  com- 

'  M.  ^V.  Muir,  Tlw  l.ifc  of  Mahomet,  t.  I.  introduction,  pages 
xxviii  à  Lxxxvii.  L'auteur  a  luarqiié  uvoc  soin  rintluence  quo  la  succes- 
sion des  diverses' dynasties  rivales  a  pu  exercer  sur  les  traditions;  les 
Ommiades,  les  Abassidcs,  etc.,  n'ont  point  eu  le  nirnie  iwint  de  vue 


1 


AUTHENTICITE  DE  L  llI^TulIU;  DE  MAHOMET  55 

pagnons  du  prophète  avaient  beaucoup  à  raconter 
sur  l'apôtre  qui  les  avait  convertis  à  sa  foi,  qui  les 
avait  menés  longtemps  au  combat,  et  qu'ils  avaient 
connu  dans  les  moindres  détails  de  sa  vie.  La  généra- 
tion qui  les  avait  immédiatement  suivis,  les  succes- 
seurs {Tâbiùn)  comme  on  les  appelait,  pouvait  aussi 
avoir  recueilli  par  eux  une  foule  de  renseignements 
d'une  grande  importance.  Les  Ashàb  et  les  Tàbiùn  ont 
dû  remplir  tout  le  premier  siècle  de  l'Hégire  ;  mais 
en  cent  ans  et  dans  les  circonstances  où  se  trouvait 
alors  l'Islam,  la  tradition  fait  bien  du  chemin. 

L'extension  même  du  maliomètisme,  conquérant 
l'Arabie  entière  et  les  pays  voisins,  donna  tout  à  coup 
à  la  tradition  un  caractère  pratique  qu'on  n'avait  pas 
d'abord  soupçonné.  Le  Coran,  qui  devait  être  à  lui 
seul  et  exclusivement  la  loi  religieuse,  la  loi  civile  et 
la  loi  politique  de  l'Islam,  ne  pouvait  plus  satisfaire 
aux  besoins  nouveaux,  quelque  désir  qu'on  eût  de  ne 
point  s'en  écarter.  Ces  bornes  étaient  trop  étroites,  et, 
sous  peine  d'y  étouffer,  il  fallut  bien  les  élargir.  On 
recueillit  donc  avidement,  et  comme  un  supplément 
au  Coran,  toutes  les  paroles,  toutes  les  décisions,  tous 
les  actes  de  Mahomet  iHàditiis),  pour  les  appliquer, 
comme  autant  de  décisions  sans  appel,  à  tous  les  cas 
douteux  qui  se  présentaient.  «  La  tradition  reçut  ainsi 

pour  comprendre  et  continuer  Mahomet.  En  appréciant  une  traditiorl, 
1  faut  cnnsidérer  siutout  deux  choses^  la  période  de  lu  vie  du  prophète 
à  laquelle  elle  se  rapporte,  et  le  sujet  quelle  traite.  Mais  c'est  dans 
louvragc  même  de  M.  W.  Muir  qu il  faut  suivre  toute  celte  analyse, 
aussi  rigoureuse  qu'utile. 


50  MAHOMET,  CHArilKt:  I. 

force  de  loi,  et  elle  partagea  en  quelque  sorte  l'auto- 
rité de  l'inspiration'.  »  On  se  mit  à  rechercher  tous 
les  souvenirs  de  ce  genre  avec  une  incroyable  ardeur  ; 
et  dès  la  fin  du  premier  siècle,  celte  occupation  était 
devenue  pour  une  foule  de  gens  comme  une  profession 
sainte,  celle  de  collecteurs.  Les  plus  instruits  et  les 
plus  actifs  parmi  les  fidèles  allaient  de  ville  en  ville, 
de  tribu  en  tribu,  faire  cette  moisson  méritoire,  au- 
près des  compagnons,  des  successeurs  et  de  leurs 
descendants.  Puis  ils  mettaient  en  écrit  tous  les  récits 
plus  ou  moins  exacts  qu'ils  avaient  provoqués  de  ces 
témoins  voridiques. 

Comme  le  remarque  M.  W.  Muir,  c'était  là  un  tra- 
vail qui  touchait  de  trop  près  à  l'inlérèt  public,  pour 
qu'on  pût  l'abandonner  absolument  au  zèle  des  indi- 
vidus ;  et  dès  la  fin  du  premier  siècle  de  l'Hégire, 
Omar  11,  qui  mourut  en  720,  donna  des  ordres  précis 
pour  que  cette  œuvre,  à  la  fois  religieuse  et  politique, 
fût  exécutée  avec  toute  la  régularité  nécessaire.  La 
compilation  ne  fut  achevée,  par  suite  des  troubles  de 
cette  orageuse  époque,  que  sous  la  dynastie  des  Abas- 
sides,  et  un;'  bonne  partie  fut  en  état  de  paraître  sous 
le  règne  du  fameux  Al-Mamoun  (780-855).  11  y  eut 
alors  six  collections  principales-,  qui  ont  servi  et  qui 

*  M.  VVilliom  Muir,  Tlie  Life  of  Miiliomel ,  t.  I,  inlroiluclioii' 
page  XXXI. 

-  M.  le  docteur  Spreiigcr,  dansga  Viede  Muhonict,  en  angiiiis,  p.  08,  a 
donné  les  noms  des  auteurs  des  iix  collections,  avec  la  date  de  leur  mort. 
En  dehors  de  ces  six  collections  oflicielles,  il  y  en  a  une  autre  cpii  est  un 
pe.i  plus  ancienne  et  dont  l'autem",  selon  M.  W.  Muir,  Iniàm  Màlik 


ALlllENTlClTE  DE  LIUSÏOHŒ  DE  MVllUMET.  Û7 

servent  encore  de  texte  aux  écoles  tliéologiqucs  de 
rislam  pour  justifier  les  différences  qui  les  divisent. 
Ce  sont  les  collections  des  Sunnites.  Quant  à  celles  des 
Sliyites,  au  nombre  de  quatre,  elles  ne  furent  termi- 
nées qu'un  peu  plus  léu'd,  et  elles  n'ont  jamais  joui 
que  d'une  autorité  inférieure.  Ces  monuments,  qui 
doivent  prendre  place  à  la  suite  du  Coran,  sont  étudiés 
encore  de  nos  jours  dans  toutes  les  parties  du  monde 
mahométan,  et  ils  y  sont  extrêmement  populaires.  lis 
captivent  et  ils  amusent  les  lecteurs  plus  que  les  bio- 
graphies du  prophète,  qui  ont  été  postérieurement 
composées. 

Un  mérite  plus  réel  qu'elles  doivent  posséder  à  nos 
veux,  c'est  qu'elles  portent  la  marque  irrécusable  de 
la  plus  sincère  honnêteté.  Chaque  tradition,  isolée  et 
formant  par  elle-même  un  tout  distinct,  est  rattachée 
par  une  liste  de  témoins  non  interrompue  à  quelqu'un 
des  compagnons  de  Mahomet.  Si  parfois  les  déposi- 
tions se  contredisent,  elles  n'en  sont  pas  moins  rap- 
portées côte  à  côte  avec  la  plus  parfaite  bonne  foi.  Il  y 
en  a  même  quelques-unes  qui  sont  peu  favorables  au 

al  Mïialla,  vivait  de  95  à  179  de  Fllégire  (717-801  do  notre  ère). 
Cette  collection,  bien  qu'elle  n'entre  i)as  dans  le  canon  orlliodoxc,  n'en 
jouit  i)as  moins  dune  grande  estime;  et  bien  des  commentateurs  la 
regardent  comme  ayant  fourni  aux  autres  une  bonne  partie  de  leurs 
matériaux.  Elle  a  été  publiée  à  Delili  en  1849.  Ces  collections  sont 
toutes,  à  ce  ipiil  parait,  le  résumé  d'une  enquèle  beaucoup  plus  vaste. 
Les  Iradiiions  relatives  au  prophète  s'élevaient  au  n  jnbrc  de  cinq  à 
six  cent  mille;  mais  elles  étaient  si  extravagantes,  qu'il  fallut  les  éli- 
miner pour  la  plupart,  et  l'exégèse  musulmane  n'en  a  gardé  que 
(juatre  ou  cinci  mille;  ce  qui  est  encore  bien  considérable. 


58  MAHOMET,  CHAPITRE  1. 

prophète,  et  dont,  à  ce  titre,  la  véracité  ne  peut  être 
suspecte.  C'est  au  lecteur  inahométan  de  faire  son 
choix  au  milieu  de  tous  ces  témoignages,  et  même  de 
ces  écueils ,  c'est  à  nous  aussi  de  faire  le  nôtre  dans  la 
Sunna,  et  de  n'admettre  que  ce  qui  porte  l'empreinte 
de  la  vraisemblance,  et  que  ce  qui  s'accorde  avec  le 
Coran,  la  mesure  permanente  et  indubilable  de  tout  le 
reste. 

Le  Coran  et  la  tradition,  conservée  comme  je  viens 
de  le  dire,  sont  les  véritables  éléments  de  la  biogra- 
phie de  Mahomet  V  11  parait  que  dés  la  fin  du  pre- 
mier siècle,  quelques  dévols  songèrent  à  l'écrire.  On 
nomme  Ourva,  qui  mourut  en  94,  et  son  disciple  Az- 
Zouhri,  qui  mourut  en  124,  à  l'âge  de  soixante-douze 
ans,  sous  la  dynastie  des  Ommiades.  Il  ne  reste  rien 
de  leurs  ouvrages  ;  mais  Zouliri  est  souvent  cité  par 
les  auteurs  subséquents,  ainsi  que  plusieurs  autres 
biographes  :  Musa,  tils  d'Okba,  et  Abou-Màshar,  du 
début  du  second  siècle  ;  Abou-lshàc,  à  la  tin  de  ce 
même  siècle,  et  enlin  Madaini,  au  commencement  du 
troisième.  Mais  à  défaut  de  ces  auteurs,  qui  n'ont  pas 
été  épargnés  par  le  temps,  il  y  en  a  plusieurs  autres 
dont  les  ouvrages  sont  parvenus  jusqu'à  nous. 

Le  plus  ancien  est  Moluunmad-ibn-Ishàc,  qui  mou- 
rut en  Tan  151  de  l'hégire  (777)  de  notre  ère).  Il  écri- 
vait par  conséquent  sous  les  Abassides  ;  c'est  pour 
Al-Mansoùr,  le  second  prince  de  cette  dynastie,  qu'il 

•  M.  \V.  Muir,  I.ifi'  of  Mahoiiicl .  I    I.  iiltroiluclioii.  p.  i.xxxix,  a  niar- 
i|iié  les  diflérciices  do  la  Iradilioii  et  de  la  liioyrapliic. 


AUTIIENUCITE  HE  L'IIISTUIHE  de  MAHOMET  Ô9 

composa  son  ouvrage.  11  a  élé  conservé  dans  celui 
d'Ibn-Hisliàm  ;  mais  en  outre  son  autorité  est  fré- 
quemment invoquée  par  ses  successeurs,  et  il  passe 
pour  un  des  auteurs  les  plus  sûrs  que  l'on  puisse 
toujours  consulter'. 

Le  second  biographe  du  prophète  est  Abd-el-malik- 
Ibn-IIishàm,  qui  mourut  l'an  215  de  l'hégire  (855  de 
notre  ère).  On  a  son  ouvrage  tout  entier,  qui  est  inti- 
tulé simplement  :  Biographie  du  prophète  (Sirat-er- 
raçoul-),  et  dont  je  donnerai  plus  loin  Tanalyse. 
Mais  ce  n'est  pas  le  seul  qu'il  eût  composé,  et  il  avait 
fait  les  plus  savantes  recherches  sur  la  généalogie  des 
rois  Himyarites,  antérieurs  de  plusieurs  siècles  à  l'Is- 
lam, et  de  très-utiles  commentaires  sur  les  passages 
obscurs  des  anciens  poètes.  Il  a  pris  pour  base  de  son 

*  M.  \ViUiani  Muir,  fJfe  of  Malwmet,  t.  I,  introdiiclion,  p  \ci  el  sui- 
vantes, défend  ILii-Isliàc  contre  les  critiques  assez  graves  de  M.  A. 
Sprenger,  qui  nest  pas  inuins  sévère  à  l'égard  d'ibn-llisliàm.  J'a- 
voue qu'en  présence  du  livre  d  Ibn-llisliàni  je  ne  comprends  jias  les 
critiques  de  M.  A.  Sprenger.  Sans  doute,  le  biographe  nnisulman  n'est 
pas  ii'réprochable;  mais  les  <iualités  de  son  livre  sont  en  résumé  si 
réelles  et  si  grandes,  qu'il  n'y  a  guère  de  place  que  pour  l'éloge  et 
l'admiration.  11  n'y  a  pas  un  document  arabe  supérieur  au  Sirat-er- 
raçoiil;  voir  M.  Th.  Noldeke,  Geschichte  des  Koràns,  Gœttingue,  18(30, 
in-8,  prélace,  p.  xiv. 

-  Il  parait  que  les  copies  du  Siratcr-raçoitl  sont  assez  rares  dans 
l'Inde;  mais  M.  William  Muir  en  a  vu  deux  exemplaires,  l'un  à  Dehli, 
et  l'autre  dans  lu  biLliotliè(pie  de  la  Société  asiatique,  à  Calcutta. 
M.  A.  Sprenger  en  a  ra|)[)orlé  un  exemplaire  àlierlin.  lien  a  élé  lait 
un  abrégé  à  Damas,  vers  le  commencement  du  quatorzième  siècle, 
l'an  707  de  l'Hégire,  et  le  succès  de  cet  aljrégé  n'a  peut-être  pas  peu 
contribué  à  faire  disparaître  l'original.  Los  musulmans,  d'ailleurs, 
préfèrent  en  général  les  biographies  modeiiies,  (lui  sont  pleines  de 
détails  mythologiques,  et  ils  trouvent  les  anciennes  trop  sévères. 


40  MAHOMET,  CHAPITRE  I. 

travail  sur  Mahomet  celui  d'Ibn-Ishàc,  qu'il  reproduit 
presque  en  entier,  et  le  sien  même  est  devenu  l'objet 
de  commentaires  célèbres.  Il  ne  parait  pas  d'ailleurs 
qu'Ibn-Ishàm  mérite  une  contiance  absolue,  et  il  s'est 
attaché,  à  ce  qu'il  semble,  à  supprimer  tous  les  détails 
qui  pouvaient  être  peu  favorables  au  prophète,  comme 
d'ailleurs  il  a  soin  de  le  dire  lui-même.  Ce  qui  doit 
surtout  le  recommander  aux  yeux  des  Européens, 
c'est  que  son  livre  est  presque  aussi  régulier  que  les 
nôtres,  et  qu'il  procède  avec  une  méthode  que  ne 
désavoueraient  pas  nos  meilleurs  biographes.  Ibn- 
Uishàm  était  né  au  vieux  (]airc,  et  il  y  mourut  ;  mais 
sa  famille  était  de  Bassora. 

Son  contemporain  Vàckidi,  quoique  né  à  MédineS 
écrivit  et  vécut  à  la  cour  des  Abassides,  auprès  des- 
quels il  fut  dans  une  faveur  constante,  surtout  du- 
rant le  règne  d'Al-Màmoun.  C'était  un  personnage 
assez  considérable,  puisqu'il  était  càdi  du  quailier 
oriental  de  Bagdad.  Il  avait  amassé  une  bibliothèque 
qui,  renfermée  dans  six  cents  caisses,  formait,  à  sa 
mort,  la  charge  de  cent  vingt  chameaux.  Il  avait  écrit 
un  Irôs-grand  nombre  de  livres  ;  mais  le  seul  qui  soit 
veuu  jusqu'à  nous,  sous  sa  forme  originale,  est  V His- 
toire (les  (jnerres  du  prophète   {AI  MiKjhdzi)^  comme 

•  Vàckidi  est  mort  on  l'jii  -Ml  tic  riloj,nro,  sans  doiUc  à  Daydiid, 
c'esl-à-dirc  six  années  avant  Ibn-llisliàni  ;  il  aurait  dû  par  consé- 
qucnl  être  placé  avant  lui;  mais  je  l'ai  laissé  après,  coiniuo  le  fait 
M.  >Villinin  Miiir,  parce  ipu.'  le  secrélairc  de  Vàckidi  n'est  niorl  cpieii 
'250  de  l'Héyiro,  et  ipic  c'est  sur; ont  à  cause  de  son  secrétaire  (pie 
Vàckidi  est  connu. 


AUTHENTICITÉ  DE  L'HISTOIRE  DE  MAHOMET.  41 

celui  d'Ibn-lshâc.  Une  copie  en  a  été  récemment  dé- 
couverte en  Syrie,  et  elle  a  (''lé  imprimée  dans  la 
Bibliotheca  Indien  de  Calcutta  \  Mais  ce  qui  a  rendu 
\àckidi  particulièrement  célèbre,  c'est  son  secrétaire, 
Ibn-Saad,  connu  plus  ordinairement  sous  le  nom  de 
KCilib  al  Yûckïdi  ou  secrétaire  de  Vâckidi.  Ce  secré- 
taire, homme  aussi  intelligent  que  fidèle,  avait  hérité 
des  papiers  de  son  patron,  et  il  en  tira  un  excellent 
ouvrage  en  quinze  volumes,  sur  la  biographie  et  les 
compagnons  du  prophète,  sur  leurs  descendants  et 
sur  l'histoire  des  califes,  jusqu'à  son  propre  temps. 
Il  y  ajouta  aussi  beaucoup  de  documents  nouveaux 
qu'il  avait  réunis  personnellement  à  Bedr.  Le  premier 
volume,  qui  contient  la  biographie  de  Mahomet,  avec 
des  détails  sur  tous  ceux  des  compagnons  qui  étaient 
présents  à  la  bataille  de  Bedr,  a  été  retrouvé  par 
M.  le  docteur  A.  Sprenger,  à  Cawnpore.  C'est  une 
découverte  inestimable  qui  suffirait  seule  à  illustrer 
le  nom  de  celui  qui  l'a  faite.  M.  William  Muir  s'ac- 
corde avec  M.  le  docteur  Sprenger  pour  attacher 
la  plus  haute  importance  à  l'ouvrage  du  Kûûh  al 
Vâckidi,  bien  qu'il  n'y  trouve  guère  moins  de  crédu- 
lité que  dans  les  autres  historiens  arabes.  Cette  bio- 
graphie du  prophète  est  composée  presque  entière- 
ment de  traditions  détachées,  qui  ont  élé  arrangées 
en  chapitres,  selon  le  sujet  et  selon  une  sévère  chro- 
nologie. La   cliaine  des  témoignages  est  donnée  pour 

*  Ce  n'est  qu'une  partie  de  l'ouvrage  de  Vâckidi,  pul)liée  à  Cnlcutl3, 
1R55-185fi,  par  M.  Alfred  de  Kremer. 


42  MAHOMET,  CHAPITRE  I. 

chaque  tradition  séparùc;  et  quand  ils  sont  contradic- 
toires, l'auteur  se  prononce  parfois  sur  leur  valeur 
relative. 

Le  quatrième  des  anciens  biographes  du  prophète 
est  Tabari  (Aboû-Djafar-ibn-Djarir-al-Tabari).  Né  en 
224  de  l'hégire,  à  Amoul,  dans  le  Tabarestan,  et 
mort  à  [Bagdad,  en  510  (846-952),  il  avait  été  un  des 
imans  les  plus  éclairés  et  les  plus  respectés  de  son 
temps.  Tabari,  qu'on  a  surnommé  quelquefois  le 
Tite-Live  des  Arabes,  avait  composé  des  annales  uni- 
verselles, où  se  trouvent  à  leur  ordre  la  vie  de  Maho- 
met et  le  récit  des  conquêtes  de  l'Islam.  Ce  qu'on 
en  connaissait  sur  ce  dernier  point  et  ce  qu'on  en 
avait  publié  jusqu'à  ces  derniers  temps,  ne  commen- 
çait qu'à  la  mort  du  prophète'.  Le  reste  de  ce  qui 
touche  Mahomet  était  regardé  comme  perdu,  quand 
le  docteur  A.  Spreuger,  envoyé  à  Lucknow  pour  y 
inspecter  les  bibhothèques  indigènes,  découvrit,  parmi 
de  vieux  manuscrits  abandonnés,  toute  la  partie  de 
l'ouvrage  de  Tabari,   qui  s'étend  de  la  naissance  du 

*  L'ouvi-ape  entier  de  Tabari,  composé  de  vingt  parties,  à  ce  que 
l'on  croit,  est  intitulé  :  Annales  des  rois  et  des  envoyés  de  Dieu.  Les 
7y,  4"  et  5"^  parties  sont  consacrées  presque  entièrement  à  Maliomet. 
M.  J.  G.  L.  Koset>arten  n'a  donné  l'extrait  de  la  h"  partie  que  pour 
les  guerres  qui  suivirent  la  mort  du  propliète  (Grypliiswaldire,  iu-4, 
arahct't  latin,  ISril-lS')")).  M.  LouisDubeux  a  traduit  le  début  de  l'ou- 
vrage de  Tabari,  d'après  la  version  persane,  pour  le  Comité  oriental  de 
lonilres  (Paris,  18"»0,  in-i,  280  pages).  Ce  fragment  va  de  lacréation  du 
monde  à  l'bisloire  ào  Job  et  de  Joseph.  11  comprend  aussi  les  vingt- 
buil  rameuses  questions  posées  par  bs  Juifs  à  Maliomet  sur  la  Genèse 
et  sur  .Vdam.  11  n'y  a  donc  Jus(iu';'i  |)résent  qu'une  faible  portion  des 
Annales  de  Tabari  quj  nous  soit  connue. 


.\rTHE>'nr.[TÉ  de  l'iiistoire  de  maiiomet.  r. 

prophète  au  siège  de  Mèdine,  cinq  ans  avant  sa  mort. 
C'est  le  quatrième  volume'  de  Tabaii,  extrait  en  ma- 
jeure partie  des  ouvrages  d'Ibn-Isliàc  et  de  Vâckidi. 
Mais,  outre  l'autorité  nouvelle  qu'il  confère  à  ces 
biographes  en  les  répétant,  Tabari  donne  aussi  des 
informations  qu'on  chercherait  vainement  ailleurs. 
Cependant  il  ne  tant  les  employer  qu'avec  précaution, 
parce  que  Tabari  est  un  partisan  prononcé  d'Ali,  et 
qu'il  n'est  pas  toujours  impartial  envers  les  Ommyades 
et  pour  tout  ce  qui  les  concerne. 

Ainsi  le  Coran,  les  six  collections  sunnites  et  les 
quatre  biographies  que  je  viens  de  nommer,  telles 
sont  les  sources  principales  de  l'histoire  du  maho- 
métisme  à  ses  débuts.  Il  y  en  a  aussi  quelques  autres 
moins  importantes,  qu-e  je  passe  sous  silence  pour  ne 
pas  allonger  ces  détails  outre  mesure  ^  MM.  W.  Muir, 
A.  Sprenger  et  Noldeke,  déclarent  que  toutes  les  au- 
tûi'ités  qui  dépassent  la  dynastie  des  Abassides  n'ont 
presque  aucun  poids  à  côté  de  celles-là  ;  et  une  saine 
critique  doit  nécessairement  approuver  cette  opinion  '". 

1  II  manque  encore  la  partie  du  récit  qui  doit  s'étendre  du  siège 
do  Médine  A  la  mort  de  Mahomet.  Il  est  probable  que  ces  morceaux 
existent  toujours,  et  que  quelque  rival  heureux  de  M.  A.  Sprenger  par- 
viendra à  les  retrouver  dans  1  Inde. 

-  Voir  M.  Noldclic.  Histoire  du  Coran,  préface,  pages  wii  et  sui- 
vantes. 

^  Il  est  clair  que  ceci  ne  peut  pas  s'appliquer  aux  ouvrages  posté- 
rieurs, quand  ils  citent  des  auteurs  anciens.  Mus'i  \c  Dictionnaire  bio- 
f/rajihiqiie  des  Compagnons,  i)^rl]in  Ilid.jr,  n'en  est  pas  n.oins  précieux, 
«juoifpi'il  ait  été  fait  huit  cent  cinquante  ans  apiès  l'Hégire,  (|uand  il 
donne  des  extraits  des  premiers  biographes,  Ibn  Ocba,  Abou  Ma 
shar,  etc. 


44  MAHOMET,  CHAPITRE  I. 

Après  les  Abassides  (750-1258),  il  n"y  a  pins  rien  à 
recueillir  des  Iradilions  primitives,  et  tout  ce  qu'on 
peut  faire,  c'est  d'en  iuventer  de  nouvelles,  qui  sont 
trop  souvent  aussi  extravagantes  qu'elles  sont  fausses. 
Mais,  grâce  aux  autorités  des  premiers  temps,  on  peut 
atteindre  ,  avec  une  sûreté  satisfaisante,  à  la  vérité 
historique.  Si  l'on  ne  sait  pas  encore  de  Mahomet 
tout  ce  que  notre  curiosité  voudrait  en  apprendre, 
tout  ce  que  l*'on  en  sait  est  assez  authentique  pour' 
qu'on  puisse  s'y  fier  presque  sans  aucune  chance 
d'erreur. 

Je  veux  analyser,  du  moins  en  partie,  une  de  ces 
biographies  musulmanes,  afin  qu'on  sache  précisé- 
ment ce  qu'elles  valent.  Je  choisis  naturellement 
celle  d'ïbn-Hishàm.  Elle  est  la  plus  célèbre  et  la  plus 
complète  de  toutes  ;  elle  est  la  plus  ancienne  aussi  de 
celles  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous.  De  plus,  elle 
a  gardé  la  presque  totalité  du  texte  d'ibn-Ishàc;  et  par 
là,  en  une  seule  œuvre,  elle  nous  en  prés(!nle  deux, 
précieuses  par  leur  date  et  par  leur  exactitude.  M*.  Gus- 
tave "Weil,  quia  déjà  si  bien  méiilé  de  l'iiistoire  du 
mahométisme,  vient  d'en  publier  une  traduction  en 
allemand  \  et  c'est  d'après  cette  traduction  que  je 

*  L'ouvra^'ede  M.  G.  Wuil,  en  allemand,  forme  deux  vulnmcs  in-12, 
rie  7)90  et  564  pages,  Stuttgart,  ISOi,  Das  U^ben  Mohammed's  nach 
Mohammed- Ibn-lsliàc ,  bearbeitet  von  Abd-el-Malik-lbn-Ilis/iâm.  Le 
premier  compreLd  de  la  naissance  de  Mahomet  à  la  bataille  contre  4es 
Dénou-Sonleima  ;  le  second,  depuis  l'expédition  de  Sawik  jusquà  la 
mort  de  Maliomcl.  L'ouvrage  est  dédié  à  M.  le  professeur  J.  Sta^lielin. 
(jui  en  a  fait  gém-reusement  les  frais.  M.  VVuslenli'ld  avait  donné  aa- 
térieiireinent  le  texte  arabe  du  Siral-er-raçoul. 


AUTHENTICITÉ  DE  L  HISTOIRE  DE  MAHOMET.  45 

vais  résumer  la  composilion  du  Sirat-er-raçoul,  ou  Yio 
du  Prophète. 

Ibn-Hishàm,  qui  se  doune  à  lui-même  le  titre  de 
grammairien ,  déclare  d'abord  comment  il  compte 
traiter  l'ouvrage  de  son  prédécesseur,  il  le  connaît 
par  le  récit  de  Ziyad-Ibn-Abd-AUah  Albakkaïdj,  qui 
l'avait  entendu  directement  d'Ibn-Ishàc  lui-même. 
Avec  l'aide  de  ce  livre,  il  se  propose  de  raconter  la 
généalogie  et  la  vie  entière  du  prophète  en  remontant 
à  Ismaël,  iils  d'Abraham.  Mais  il  ne  s'arrêtera,  parmi 
les  descendants  d'Ismaël ,  qu'à  ceux  dont  est  sorti 
Mahomet,  et  il  se  bornera  ensuite  à  ce  qui  regarde 
uniquement  la  vie  de  l'Envoyé  de  Dieu.  «  Aussi,  dit-il, 
je  laisserai  de  côté  dans  le  livre  d'Ibn-Isliàc ,  toute 
digression  qui  ne  se  rapporte  pas  à  Mahomet,  tout 
récit  dont  on  ne  peut  retrouver  l'origine  dans  le  Coran, 
et  qui  n'a  aucune  relation  à  l'Kcriturc,  soit  pour  la 
prouver,  soit  pour  l'éclaircir.  Jéliminerai  en  ouli'e 
les  vers  cités  par  Ibn-lshàc,  ton  les  les  fois  que  ces 
vers  ne  sont  pas  reconnus  par  les  autres  écrivains 
versés  dans  la  littérature  poétique.  Enfin,  je  repous- 
serai toutes  les  choses  qui  peuvent  être  odieuses  à 
raconter,  ou  nuire  à  la  réputation  do  quelqu'un,  ou 
même  dont  la  certitude  n'a  pas  été  confirmée  par 
Albakkaïdj  ;  mais  je  conserverai  absolument  tout  le 
reste,  en  le  contrôlant  par  l'ensemble  de  la  tradition 
et  par  la  connaissance  que  je  pourrai  avoir  person- 
nellement de  certains  faits.  » 

Fidèle  à  ces  règles  de  critique,  Ibn-Hishàm  déroule 


46  MAHO.MET,  CHAPITRE  I. 

la  descendance  d'Ismaël,  d'après  Ibn-Ishàc,  appuyé  de 
Ziyad-Ibn-Abd-Allah  Albakkaïdj.  Il  interrompt  la  liste 
des  douze  fils  d'Ismaël,  pour  rectifier  le  nom  de  l'un 
d'eux  que,  selon  lui,  Ibn-lshâc  ne  donne  pas  très- 
correctement.  Chaque  fois  qu'il  fait  une  rectification 
ou  une  addition,  il  se  contente  de  cette  formule  : 
«  Ihn-IIisliàm  dit  »  ;  et  il  reprend  ensuite,  selon  son 
habitude  :  «  Ibn-Ishàc  dit  ».  Les  deux  livres  se  déve- 
loppent donc  cùte  à  cô!e,  en  s'enchevêtrant  l'un  dans 
l'autre,  et  cet  entrelacement  ne  cesse  qu'avec  la  fin 
de  tous  deux.  La  généalogie,  dans  tous  ses  détails  et 
comprenant  deux  parties,  ne  remplit  pas  moins  de 
cent  pages  avant  d'arriver  à  la  naissance  du  prophète, 
filsd'Amina.  Ibn-Ishàc  et  Ibn-Ilishàm  b'arrèfent  assez 
longuement  à  l'éducation  de  Mahomet  et  h  son  mariage 
avec  Khadidja,  et  la  troisième  partie  de  l'ouvrage  va 
jusqu'à  ses  premières  visions  prophétiques.  La  qua- 
trième s'étend  de  la  conversation  que  Mahomet  eut  en 
rêve  avec  l'ange  Gabriel,  jusqu'à  la  première  émigra- 
tion en  Abyssinie.  Cette  partie  comprend  la  conversion 
de  Khadidja,  celle  d'Ali,  le  premier  croyant  parmi 
les  hommes,  celle  de  Zeïd,  fils  de  Hàrilha,  le  second 
croyant,  celle  d'Abou-Becr  et  de  ses  aiuis.  La  conver- 
sion du  fameux  Omar,  rapportée  dans  la  cinquième 
partie,  ne  vint  qu'un  peu  plus  tard.  Le  Sirat-er-raçoul 
en  donne  deux  versions,  l'une  d'après  les  gens  de 
Médine,  et  l'autre  d'après  les  gens  de  la  Mecque.  La 
sixième  partie  commence  par  le  voyage  nocturne  de 
Mahomet  à  Jérusalem,  la  mort  de  Khadidja,  la  con- 


AUTHENTICITÉ  DE  L'HISTOIRE  DE  MAHOMET.  47 

version  des  six  Khazradjs  de  Yathrib,  les  deux  réu- 
nions sur  la  Colline,  les  serments  reçus  par  Mahomet, 
la  fuite  à  Médine,  où  l'avaient  précédé  ses  plus 
fermes  adhérents,  etc.,  etc. 

Tous  ces  témoignages  sur  les  commencemenis  de 
l'Islam  sont  d'autant  plus  sûrs  qu'Ibn-Ishâc,  mort  au 
milieu  du  second  siècle  de  l'Hégire,  n'a  le  plus  sou- 
vent entre  lui  et  le  prophète  que  deux  ou  trois  té- 
moins, qu'il  désigne  toujours  nominativement.  C'est 
ainsi  qu'en  racontant  la  vocation  de  Mahomet  il  s'appuie 
sur  ce  que  lui  a  dit  Az-Zoulu'i,  lequel  tenait  le  fait 
d'Ourva,  fils  d'Azzarbeïr,  lequel  le  tenait  d'Ayésha,  la 
femme  que  Mahomet  a  le  plus  aimée  après  Khadidja, 
et  qui,  toute  jeune  encore,  reçut  son  dernier  soupir. 
Quand  Ibn-Isliâc  parle  de  l'Hégire  ou  de  la  fuite  à  Mé- 
dine, c'est  encore  d'après  les  mêmes  autorjtés.  Ayéslia, 
la  mère  des  croyants,  avait  raconté  le  départ  de  son 
mari  avec  Abou-Becr  à  Ourva,  fils  d'Azzoubeïr,  lequel 
l'avait  redit  à  un  autre  homme  digne  de  foi,  lequel 
l'avait  redit  à  Ibn-lshàc  lui-môme.  De  cette  manière, 
la  tradition  remonle  toujours  jusqu'au  prophète  en 
personne,  et  comme  le  trajet  est  assez  court,  il  y  a 
peu  de  risque  qu'elle  s'égare.  Pour  les  derniers  mo- 
ments de  Mahomet,  c'est  encore  Ayésha  qui  dépose; 
elle  a  rapporté  tous  les  détails  à  Oubeid-Allah,  lequel 
les  a  transmis  à  Zouhri,  qui  ;i  sdu  tour  les  a  transmis 
à  Iakoub,  fils  d'Olbé  ;  et  c'est  de  Iakoub  que  les  tient 
Ibn-lshàc,  dont  le  récit  est  confirmé  par  Ibn-Hishàin. 

Les  deux  auteurs  poursuivent  ainsi  leur  carrière  en 


iS  MAHOMET,  CHAPITRE  I. 

ne  négligeant  aucun  épisode  de  la  vie  du  prophète, 
indiquant  avec  la  plus  pieuse  exactitude  la  source 
d'où  ils  rempruntent,  et  le  reproduisant  avec  toutes 
les  variantes,  quand  il  y  en  a  dans  les  Hàdiths.  C'est 
comme  un  réseau  à  mailles  serrées,  et  il  est  bien 
diflicile  que  la  vérité  leur  échappe.  Tout  dévols  qu'ils 
sont,  ils  ne  sont  pas  trés-crédules,  et  le  Sirat-cr-raçoul, 
en  restant  très-près  de  la  légende,  n'a  presque  pas  de 
faits  invraisemblables  ou  impossibles.  Ibn-Ishàc  et 
Ibn-Ilishàm  sont  enthousiastes;  mais  ils  ne  sont  pas 
aveugles,  et  l'histoire  la  plus  raisonnable  peut  se 
contenter  en  général  de  leurs  récils,  où  tout  est 
d'ailleurs  parfaitemejil  classé,  régulier,  simple  et 
clair. 

Ce  qui  y  ajoute  encore  un  très-grand  prix,  c'est  que 
la  narration  est  à  chaque  instant  relevée  par  des  cita- 
lions  poétiques  qui  jettent  le  plus  grand  jour  sur  les 
événements  et  sur  les  mœurs  des  Arabes  à  celle 
époque.  Ibn-Ishâm,  très-scrupuleux  en  sa  qualité  de 
grammairien,  n'a  cru  pouvoir  admettre  les  citations 
qu'après  un  examen  critique;  on  peut  s'en  fier  à  lui. 
C'est  tout  à  la  fois  et  l'histoire  du  prophète  et  l'histoire 
de  la  poésie  arabe  de  son  temps. 

Je  ne  pousserai  pas  plus  loin  Tapalyse  duSiral-er- 
raçoul.  On  peut  voir  maintenant  ce  qu'il  est,  et  les 
deux  écrivains  frères,  à  qui  on  le  doit,  prendront 
rang  désormais  parmi  les  autorités  les  plus  hautes  de 
riiistoire  de  Mahomet. 


CHAPITRE  II 


L'ARABIE    AVANT    LE    M  A  H  0  M  E  T  I  SM  E 


Sincérité  Irés-louable  des  traditions  musulmanes;  leur  exactitude  gé- 
nérale; elles  n'ont  rien  caclié  de  ce  qui  a  iirécédé  et  préparé  Ma- 
homet. —  État  des  tribus  arabes  avant  le  maliométisme  ;  elles 
prétendaient  toutes  remonter  à  Abi'aham  ;  vie  nomade  et  g'uerres 
perpétuelles;  commerce  par  caravanes;  stations  importantes  dans 
quelques  villes;  la  Mecque  et  Yathril).  plus  lard  Médine;  quelques 
grands  marchés;  foires  annuelles;  culture  de  la  poésie;  ks  Moalla- 
càt;  les  quatre  mois  de  trêve.  Religion  de  ces  tribus,  idolâtrie  et 
fétichisme;  vaines  tentatives  du  mosaïsme  et  du  christianisme;  rap- 
ports de  l'Yémen  avec  la  cour  de  Constantinople  et  r.\byssinie;  dé- 
faite du  Nedjàchi  devant  la  Mecque;  sainteté  et  antiquité  de  la 
Caaha.  Règne  de  Cossayy;  son  pouvoir;  il  bâtit  la  Mecque;  ses  suc- 
cesscure,  ancêtres  de  Mahomet.  —  Mouvement  religieux  des  es- 
prits; précurseurs  de  Mahomet;  Ilanyfes  attachés  à  la  foi  d'.\bra- 
ham  :  Varaka,  Othmàn,  fils  d'AUiduveyretli,  Ouheïdallah,  et  surtout 
Zeïd  fils  d'Amr;  poésies  d'Ommayya  très-populaires  et  à  demi  ma- 
hométanes. 

J'avoue  que  je  suis  très-frappé  de  celle  sollicitude 
et  de  cette  sincérité  de  l'Islamisme.  On  ne  peut  pas  se 
livrer  à  des  efforts  plus  sérieux  ni  plus  constants  pour 
arriver  à  la  vérité  et  pour  la  transmettre  aux  autres. 
Sans  doute,  à  côté  de  ces  doctunenls  aiithcnliqucs,  il 
s'est  formé  une  légende  qui  est  devenue  avec  le  pro- 


riO  MAHOMET,  CHAPITRE  II, 

grès  des  lemps  bien  déraisonnable,  surtout  entre  les 
mains  des  Persans  et  des  Turcs  ;  mais  l'histoire  a  son 
ample  part  dans  les  traditions  que  les  premiers  califes 
se  sont  attachés  à  recueillir  ;  et  ces  traditions  offrent 
toute  l'exactitude  qu'on  peut  exiger  de  cette  époque 
et  de  ces  pays.  Chez  une  nation  où  il  n'y  avait  ni  admi- 
nistration, ni  presque  de  gouvernement  organisé,  on 
ne  pouvait  procéder  autrement  qu'on  ne  l'a  fait;  à 
défaut  d'archives  et  de  papiers  dÉtat,  que  ces  peuples 
n'ont  jamais  employés  et  n'emploient  pas  encore,  on  a 
interrogé  des  témoins  dignes  de  foi,  et  l'on  a  consigné 
scrupuleusement  leurs  dépositions,  qui  ont  bientôt 
acquis  un  caractère  officiel  et  orthodoxe.  Une  enquête 
de  ce  genre,  si  elle  avait  eu  lieu  dans  une  civilisation 
telle  que  la  nôtre,  aurait  été  accomplie  probablement 
avec  plus  de  précision  et  de  régularité  ;  mais  il  est 
douteux  qu'elle  l'eût  été  avec  autant  de  candeur  ;  et 
nos  historiographes,  quand  nous  en  avons  eu,  nont 
p;is  brillé  par  niie  véracité  irréprochable.  Au  con- 
traire, on  peut  se  fier  aux  musulmans  des  premiers 
siècles  de  l'Hégire  ;  et  si  parfois  ils  ont  été  égarés  par 
leur  enthousiasme,  jamais  du  moins  ils  n'ont  calculé 
le  mensonge.  Ce  n'est  pas  une  des  moindres  singula- 
rités de  l'Islam  d'avoir  porté  une  si  vive  lumière  sur 
ses  origines  ;  et  c'est  un  avantage  qui  restera  son  pri- 
vilège, parmi  les  peuples  qui  tiennent  une  place  sur  la 
scène  de  l'histoire'.  Somme  toute,  il  n'y  a  pas  de  na- 

*  Voltaire  fîiil  une  reiiianiue  analogue  on  coniinen(,'aiil  l'iiistoire  de 
Mahomet  dans  VEssai  sur  les  nnciirs,  cliap.  vi. 


L'ARABIE  AVANT  LE  MAIIOMETISME.  51 

tion  au  monde  qui  ait  moins  perdu  de  celle  partie  de 
son  passé  qu'elle  voulait  conserver;  et  la  nôtre  par 
exemple,  malgré  de  très-légitimes  prétentions,  con- 
naît beaucoup  moins  bien  Charlemagne  que  les  mu- 
sulmans ne  connaissent  Mahomet,  venu  près  de  deux 
siècles  avant  lui. 

Cependant  tout  grand  qu'est  Mahomet,  il  n'a  point 
échappé  à  la  loi  commune.  Seul  parmi  les  chefs  des 
hommes,  il  a  fondé  tout  à  la  fois  une  religion,  un 
peuple  et  un  empire.  Mais  il  a  trouvé  des  matériaux 
tout  préparés  pour  son  œuvre  :  deux  grandes  crovances 
antérieures,  auxquelles  il  a  fait  les  plus  larges  em- 
prunts, des  populations  idolâtres  cherchant  un  dogme 
nouveau  qui  leur  fût  approprié,  et  des  tronçons  épars 
d'une  nation  qui  ne  demandait  pas  mieux  que  de 
se  réunir  sous  un  chef  vénéré  et  puissant,  pour  ter- 
miner une  anarchie  séculaire  et  dévastatrice.  Ce  n'est 
rien  ùter  au  génie  de  Mahomet  que  de  montrer  com- 
ment son  succès  a  été  possible.  Bien  d'autres  ont 
échoué  là  où  il  a  réussi;  et  sa  part  individuelle  reste 
immense,  quelle  que  soit  celle  des  circonstances  où  il 
a  paru  et  sans  lesquelles  il  serait  inexplicable. 

Il  est  d'ailleurs  inutile  de  remonter  très-haut  dans 
l'histoire  du  peuple  arabe,  ou  pour  mieux  dire  de 
ces  tribus  innombrables,  aussi  obscures  que  divisées, 
qui  parcouraient  et  peuplaient  la  presqu'île  arabique, 
depuis  l'Yémen,  l'Hadramaut  et  le  Mahra,  au  sud, 
jusqu'au  golfe  Persique  et  à  la  Syrie,  au  nord  ;  et  de- 
puis l'Oman  et  le  Bahrayn,  à  l'est,  jusqu'au  Hidjàz,  à 


52  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

l'ouest^  en  passant  par  le  Nedjd,  ou  pays  haut,  qui  oc- 
cupe loul  le  centre'.  Ces  tribus  se  vantaient  en  géné- 
ral de  descendre  d'Abraham  ;  et  leur  langue,  par  ses 
rapports  avec  Tiiébreu,  attestait  que  le  peuple  arabe  et 
le  peuple  juif  avaient  un  même  berceau.  C'était  donc 
du  nord  que  la  population  était  arrivée  dans  la  pres- 
qu'île ;  mais  il  parait  bien  qu'avant  celle  invasion  le 
midi  de  l'Arjbie  avait  ses  habitants  indigènes,  qui  se 
distinguèrent  longtemps  de  leurs  voisins  et  des  con- 
quérants-. 

Ton  les  ces  peuplades  étaient  perpétuellement  en 
guerre  les  unes  avec  les  autres.  Dans  une  contrée 
brûlante  et  déserte,  la  vie  était  excessivement  pénible  ; 
et  l'on  s'arrachait  mutuellement  par  le  pillage  le  peu 
de  richesse  que  procurait  un  liavail  accablant  et  pré- 
caire. L'élève  des  troupeaux  était  la  ressource  ordi- 
naire de  ces  races  nomades.  Les  plus  industrieuses  et 
les  plus  assises  s'adonnaient  au  commerce,  et  de 
grandes  caravanes  partaient  chaque  année  du  sud, 
pour  aller  au  nord  eu  Syrie  et  en  Mésopotamie  échan- 
ger et  rapporter  des  marchandises  précieuses  et  rares. 
Mais  il  fallait  toujours  avoir  les  armes  à  la  main  pour 

*  JI.  Caussin  de  Perceval  a  consacré  ses  deux  premiers  volumes 
presque  tout  entiers  à  l'histoire  trés-confusc  de  ces  tribus  depuis  les 
temps  les  plus  reculés  jusqu'à  Maiion^tt.  G  e^t  une  suite  non  inter- 
rompue de  combats,  de  pillafrcs,  de  vengeances,  d'étabiis^inients  et 
de  ruines  de  principautés.  C'est  un  tableau  fort  curieux,  qui  fait  bien 
comprendre  la  vie  de  ces  nomades  à  demi  sauvages.  Voir  aussi  le 
I"  volume  de  M.  W.  Muir,  p.  cvi  à  cci.xxi. 

*  11  est  à  remarquer  que  le  nom  d'Arabes,  Ariùa,  est  celui  des  plus 
anciens  habitants  de  la  contrée. 


I.'AP.ADIE  AYAM  LE  MAHOMETISME.  r>5 

défendre  ces  sociétés  ambulantes  de  marchands,  qui 
étaient  en  même  temps  des  guerriers.  Ces  caravanes 
étaient  forcées  de  ne  point  traverser  le  centre,  qui  res- 
tait à  peu  près  inaccessible  ;  elles  s'éloignaient  peu 
des  bords  de  la  mer,  en  contournant  la  presqu'île, 
soit  par  l'est,  soit  surtout  par  l'ouest.  Les  principales 
suivaient  le  Hidjàz  sur  les  côtes  de  la  mer  Rouge, 
et  elles  y  avaient  quelques  stations  importantes,  où 
elles  pouvaient  trouver  de  l'eau  et  renouveler  leurs 
provisions'. 

Ces  stations  devinrent  naturellement  des  villes  où 
les  populations  se  fixèrent  un  peu  davantage;  mais 
ces  villes  furent  toujours  trùs-peu  nombreuses,  et 
c'est  à  peine  si  l'on  en  compte  cinq  ou  six  vraiment 
illustres  dans  le  cours  des  temps  :  Mareb  ou  Saba, 
dans  l'Yémen;  Guerra,  sur  le  golfe  Persique  et  sur  la 
route  de  l'est;  Pétra,  au  nord-ouest,  avec  son  port 
d'Akaba  sur  la  mer  Rouge,  puissante  et  très-riche 
entre  les  mains  des  Nabatéens,  au  début  de  l'ère 
chrétienne,  grâce  à  la  protection  de  Rome  ;  Ilira, 
fondée  deux  siècles  plus  tard  sur  les  bords  de  l'Eu- 
phrate,  non  loin  de  la  moderne  Koufa,  et  qui  fut  le 
siège  d'un  empire  arabe  assez  étendu  jusqu'à  la  con- 

'  Hidjàz  en  aralie  signifie  barrière,  et  l'on  désigne  par  là  les  cliaînes 
de  montagnes  qui  s'étendent  de  la  Palestine  à  rextréinilé  sud  de  la 
presqu'île  et  à  l'Yémen.  Elles  courent  parallèlement  à  la  mer  Rouge. 
Le  Hidjàz  est  ainsi  une  longue  bande  de  près  de  cin([  cents  lieues  et 
d'une  largeur  variable.  Il  est  probable  que  les  caravanes  y  étaient 
plus  protégées  conire  les  vents  d'est  qu'elles  n'auraient  pu  l'être  sur 
les  hauts  plateaux  du  Nedjd. 


j4  MVFfOMET,  CHAPITRE  II 

quête  SOUS  Mahomet;  et  par-dessus  toutes  les  autres, 
la  Mecque  et  Yathrib,  depuis  Médiiie,  auxquelles 
étaient  promises  de  si  grandes  destinées,  et  qui  se 
trouvaient  placées  dans  une  heureuse  situation,  à  mi- 
chemin  à  peu  près  de  rVéïnen  et  de  la  Syrie'.  A  part 
ces  villes,  qui  ne  purent  jamais  être  très-peuplées  ni 
très-tranquilles,  le  reste  de  la  contrée  était  sans  cesse 
livré  au  désordre,  par  suite  des  déplacements  néces- 
saires de  toutes  ces  tribus,  de  leurs  dissensions  et  de 
leurs  luttes  implacables. 

Cependant  au  milieu  même  de  ces  troubles  perma- 
nents, il  y  avait  entre  elles  quelques  liens  qui  pou- 
vaient amener  un  meilleur  avenir.  Ainsi  elles  avaient 
établi  des  marchés  annuels  où  l'on  se  rendait  de  toutes 
les  parties  de  l'Arabie,  celui  d'Ocàzh  entre  autres , 
oasis  entre  Taïf  et  Nakla,  non  loin  de  la  Mecque.  Ce 
marché  se  tenait  le  premier  jour  du  septième  mois  de 
Tannée.  A  ces  réunions,  les  tribus  ennemies  vidaient 
souvent  leurs  différends  par  arbitres  ;  elles  échan- 
geaient leurs  prisonniers  de  guerre;  elles  réglaient 
une  foule  d'affaires  communes,  pour  lesquelles  on 
n'avait  pas  d'autres  occasions  aussi  commodes.  Sur- 
tout, on  y  faisait  assaut  de  poésie  ;  car  ces  peuplades, 
toutes  barbares  qu'elles  étaient,  aimaient  les  vers 
presque  aussi  ardemment  que  les  combats.  Dans  les 
intervalles  de  loisir  que  laissaient  toujours  les  trans- 

'  I.;i  Mociinc  et  MiHlino  font  inirtio  ilii  Hidjàz.  La  Mecque  est  plus 
spéciiik'uieut,  avr-c  Ojcildali,  dans  \o  Tiliàma.  ou  conlriV  chaude  et  ma- 
ritime. 


F.AIÎAPIR  AV\M  FF.  MAIIOMÉTISME.  ", 

actions,  chaque  tribu  produisait  son  poëte  le  plus 
habile  ;  le  concours  était  jugé  par  l'assistance  en- 
tière, et  le  vainqueur,  outre  la  gloire  qu'il  acquérait 
pour  lui  et  pour  les  siens,  voyait  souvent  sa  pièce 
de  vers,  sa  cacida,  transcrite  en  lettre-  d'or,  atta- 
chée aux  murs  sacrés  de  la  Caaba  de  la  Mecque. 
Ces  poèmes,  sanctionnés  par  le  libre  assentiment 
des  auditeurs,  devenaient  célèbres  sous  le  nom  de 
Poèmes  dorés  ou  Poèmes  suspendus  iMoudhahabàt  ou 
Moàllacâtj  ^ 

Mais  la  poésie  malheureusement  peut  s'accorder 
très-bien  avec  des  mœurs  grossières  et  féroces  ;  elle 
ne  les  adoucit  qu'à  la  longue  ;  quelquefois  même  elle 
ne  peut  rien  sur  elles,  et  la  délicatesse  de  l'esprit 
qu'elle  suppose  n'exclut  pas  les  habitudes  les  plus 
sanguinaires  et  les  plus  odieuses.  11  y  en  a  mille 
exemples  à  côté  de  celui  que  nous  présentent  les 
Arabes  de  ces  époques  reculées. 

Du  reste,  comme  pour  se  rendre  à  ces  marches 
annuels  et  en  revenir  avec  une  suffisante  sécurité 
il  fallait  un  certain  temps,  et  qu'ils  étaient  toujours 
précédés  ou  suivis  de  quelque  pèlerinage  à  des  lieux 
saints,  la  nécessité  avait  imposé  une  trêve  à  la  fureur 


*  M.  Caussin  de  l'erceval  a  donné  la  traduction  de  plusieurs  de  ces 
Moàllacàt,  dans  son  second  volume  :  celle  d'Imroulcays.  fils  de  Hodjr, 
p.  Zii'i;  celle  de  Tarafa,  p.  552;  celle  do  llàrith,  lilsde  llilllzé,  p.  566; 
celle  d'Amr,  (ils  de  Colthoum.  p.  .584;  celle  d'.\ntara,  p.  521;  celle  de 
Zohayr,  fils  d'Ahou-Solmi ,  p.  550.  etc.  Tous  ces  poètes  sont  un  peu 
antérieurs  à  Maiiomet  ou  ses  contemporains.  Ils  ne  chantent  guère 
que  l'amour  ou  les  batailles,  leurs  plaisirs  ou  leurs  exploits. 


56  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

des  combats  ;  il  y  avait  quatre  mois  dans  l'année  où 
il  était  interdit  de  se  servir  des  armes  et  d'inquiéter 
les  caravanes  et  les  voyageurs.  On  ne  peut  pas  croire 
que  tout  indispensable  qu'était  cet  usage,  il  n'ait 
jamais  été  violé;  mais  combattre  durant  les  mois  ré- 
servés était  toujours  un  sacrilège,  que  l'on  regardait 
généralement  avec  horreur,  et  qui  provoquait  les  plus 
terribles  expiations  '. 

Quant  à  la  religion  de  ces  peuplades,  elle  était 
aussi  ardente  que  toutes  leurs  autres  passions  ;  mais 
elle  était,  comme  il  est  facile  de  le  supposer,  bien 
peu  éclairée.  Jadis  elle  avait  été  celle  môme  d'A- 
braham, c'est-à-dire  l'adoration  d'un  Dieu  unique, 
aux  volontés  duquel  l'homme  devait  être  profondé- 
ment soumis  ;  mais  ensuite  ces  pures  notions  que 
l'Islam  devait  réveiller  s'étaient  éteintes,  ou  du  moins 
Irès-affaiblies,  et  une  aveugle  idolâtrie  les  avait  rem- 
placées presque  toutes.  Celte  idolâtrie  élait  descendue 
même  au  plus  absurde  fétichisme;  et,  outre  les  divi- 
nités particulières  de  chaque  tribu,  représentées  le 
plus  souvent  par  des  statues,  les  adorations  s'adres- 

'  Ainsi  pou  d'année-  après  la  naissance  de  Mahomet,  les  Coraycliitos 
et  les  Benoii-llawâzin  en  vinient  aux  mains  pendant  le  mois  Innaire 
de  Dhonlcada,  oi'i  se  tenait  la  foire  d'Ocâzh.  Le  souvenir  de  celle  lulte 
impie  a  été  consacré  sous  le  nom  de  guerres  de  Fidjàr,  eu  guerres 
sacrilèges.  Elle  avait  commencé  par  des  défis  individuels  et  des  rixe.s 
durant  le  marché.  Aussi,  pour  prévenir-  le  retour  de  ces  scènes  dé- 
plorables, on  convint  que  chacun  serait  tenu  de  déposer  ses  armes 
avant  de  prendre  part  à  la  foire,  et  elles  étaient  confiées  pour  ce  temps 
à  f|iieli|ui'  porsomia;,'e  considéralile;  voir  M.  Caussin  de  l'ercoval,  t.  I, 
]).  'J'.IC.  et  siiiv. 


I 


L'ARABIE  AVANT  LE  MAIIOMETISME.  o7 

soient  aux  objels  les  plus  vulgaires  de  la  nature;  et, 
par  exemple,  à  des  pierres.  Cependant  les  antiques 
relations  entre  les  Juifs  et  les  Arabes  avaient  toujours 
continué,  et  le  judaïsme  avait  fait  bon  nombre  de 
prosélytes  ;  il  avait  poussé  ses  colonies  laborieuses 
et  avides  dans  les  parties  septentrionales  de  la  pres- 
qu'île, et  elles  étaient  parvenues  jusqu'à  Médine  et  à 
la  Mecque,  sans  se  mêler  à  la  population  indigène. 
Dans  le  troisième  siècle  de  notre  ère,  un  des  plus 
illustres  tobbas  ou  rois  de  l'Yémen  avait  converti  ses 
sujets  à  la  foi  juive. 

A  côté  du  judaïsme,  le  christianisme  avait  fait  plus 
de  conquêtes,  sans  étendre  non  plus  son  action  très- 
loin.  Il  avait  pénétré  en  Arabie  par  le  nord  et  aussi 
par  le  sud.  Dès  le  second  siècle,  saint  Barthélémy  et 
saint  Pantènus,  parti  d'Alexandrie,  avaient,  disait- 
on,  prêché  le  christianisme  dans  l'Yèmen.  Ce  qui  est 
plus  certain,  c'est  qu'en  345  l'empereur  Constance  II 
y  envoyait  une  ambassade  pour  s'assurer  de  l'alliance 
des  princes  himyarites  contre  la  Perse.  Dans  cette 
ambassade  se  trouvaient  un  évèque  el  des  moines 
qui  obtinrent,  malgré  l'opposition  des  Juifs,  la  permis- 
sion de  bâtir  trois  églises,  l'une  à  Zhafàr,  capitale  du 
lobba,  l'autre  à  Adcn,  entrepôt,  dès  celte  époque,  du 
commerce  des  Indes,  et  une  dernière  dans  une  ville 
sur  le  golfe  Persique.  Cette  mission  avait  eu  surtout 
pour  résultat  d'établir  des  relations  suivies  entre  Con- 
slanlinople  et  les  chrétiens  de  l'Yémen.  Ai;ssi  lorsque 
la  ville  chrétienne  de  Nadjrân  lut  saccagée  el  détruite. 


58  MAHOMET,  CIIAI'ITIIK  11 

en  523,  par  le  féroce  Dhou-Novàs,  fervent  adepte  du 
judaïsme',  les  victimes  adressèrent  leurs  plaintes  à 
l'empereur  Justin  I",  Sur  sa  prière,  le  nédjàchi  ou 
roi  d'Abyssinie,  nommé  Caleb,  se  chargea  de  punir  les 
forfaits  de  Diiou-Novàs.  L'Yémen  fut  conquis  par  les 
Abyssins,  et  converti  au  christianisme  vers  l'an  550. 
Saint  Grégentius,  qu'y  avait  envoyé  le  patriarche 
d'Alexandrie,  donna  à  cette  contrée  un  code,  em- 
prunté en  grande  partie  aux  lois  romaines  ^  Mais 
l'empire  himyarite,  un  instant  détruit,  se  releva 
contre  l'étranger  par  l'appui  de  la  Perse  ;  et,  sous  les 
vice-rois  qu'elle  maintint  dans  l'Yémen,  les  religions 
païenne,  juive  et  chrétienne  purent  jouir  dune  tolé- 
rance égale,  jusqu'à  ce  qu'elles  vinssent  toutes  les 
trois  disparaître  dans  l'Islamisme'',  un  siècle  environ 
après  la  conquête  abyssinienne. 

Ainsi,  ni  le  judaïsme  ni  le  christianisme  n'avaient 
pu  faire  des  progrès  bien  étendus  ni  bien  durables 
dans  la  presqu'île.  Tantôt  accueillis,  tantôt  repoussés, 

*  M.  Caussin  de  Perceval.  Essai  sur  i histoire  des  Arabes,  t.  I. 
p.  121  et  suiv. 

-  Lambecius,  dans  ses  Commentaires  sur  la  Bibliothèque  inipciialc 
de  Vieniio,  l.  V,  p.  151.  nous  apprend  que  ioriiiinal  de  ce  code,  (viit 
en  ^Tec,  se  trouvait  dans  la  riclie  collection  dont  il  taisait  le  cala- 
logue.  Voir  M.  Caussin  de  l'erceval.  Essai  sur  l histoire  des  Araires. 
t.  I,  p.  1  i5.  C'était  un  immense  bienfait  que  ce  code  app  irli!'  aux 
Arabes  de  l'Yémen,  par  un  évêque  chrétien;  mais  le  peuple  auquel  il 
s'adressait  n'était  pas  mûr  pour  eu  proûter 

^  M.  Caussin  de  Perceval,  ibid,  p.  159.  Il  faut  lire  tout  ce  qui  con- 
cerne les  rois  de  l'Yémen,  descendants  d'Ismorl,  et  le  christianisme 
à  Nadjràn,  dans  le  Sirat-er-raçoiil,  d'Ibn-Isliàc  et  Ibn-Hislu\m,  tra- 
duction de  M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  8  et  14. 


1 


L'ARABIE  AVAM  LE  .MAHOMETISME.  59 

ils  n'avaient  pas  jeté  de  racines  profondes  et  solides. 
De  longs  siècles  d'efforts  inutiles  attestaient  non  pas 
précisément  leur  impuissance,  mais  l'incapacité  des 
races  qu'ils  essayaient  de  convertir  à  des  dogmes  et  à 
des  mœurs  qui  n'étaient  pas  faits  pour  elles.  Au  fond, 
l'idolâtrie  était  resté  la  religion  dominante  ;  et,  par  la 
diversité  capricieuse  à  laquelle  elle  se  prêtait,  elle 
convenait  beaucoup  mieux  à  l'indépendance  turbu- 
lente et  à  la  division  infinie  des  tribus,  qui  la  prati- 
quaient avec  le  plus  violent  tanatisme.  Aussi  quand  un 
(les  vice-rois  abyssins  de  l'Yémen,  Abraha-el-Acliram, 
lit  construire,  en  concurrence  contre  la  Mecque,  une 
magnifique  église  à  Sana,  et  prétendit  y  attirer  les 
hommages  des  Arabes,  aux  dépens  de  la  Caaba, 
le  soulèvement  fut  général.  En  vain  Abralia-el- 
Achram  conduisit  une  armée  sous  les  murs  de  la 
Mecque,  l'année  même  de  la  naissance  de  Mahomel, 
l'année  de  l'Éléphant  (570  après  J.-C)  '.  Sa  défaite 
ne  fit  que  donner  à  Tidolàtrie  plus  de  force  et  de 
cohésion. 

Parmi  tous  les  lieux  saints  qu'avaient  consacrés  les 
respects  superstitieux  des  peuples  et  los  intérêts  du 
commerce,  la  Mecque  tenait  la  première  place  ;  et 
comme  les  caravanes  les  plus  imporlantes  devaient 
nécessairement   y   passer  cl   s'y  arrêter,   elle  avait 

'  Voir  Sirat-er-raçoul.  tradiictioii  allemande  de  M.  G  \\e\l.  i.  I, 
p.ôi  et  102.  Lunni'e  de  l Éléphant, c'of.i  ainsi  qu'on  niipeilu  raiinéc  où 
naquit  le  propliL-le,  à  cause  de  rélAplianl  sur  liquel  était  monté  Abralia, 
et  nui  sans  doute  étonna  beaucnup  les  habitants  de  la  Mecque,  e».  les 
terrifia. 


00  MAHOMET,  ClIM'iTI'.E  H. 

acquis  un  renom  qui  s'était  propagé  dans  l'Arabie 
entière  '.  On  en  faisait  remonter  l'origine  vénérable 
jusqu'à  Abraham  lui-même;  et  la  fameuse  source  de 
Zemzcm  était  celle  que  l'ange  Gabriel  avait  fait  jaillir 
du  sol,  lorsque  le  jeune  Ismaël,  perdu  dans  le  désert, 
allait  y  périr  de  soif  avec  sa  pauvre  mère.  Comblée 
par  les  Djorhomites,  elle  fut  creusée  de  nouveau  par 
Abd-el-.Mouttalib,  grand-père  de  Mahomet.  La  Caaba 
avait  été  construite  par  Abraham,  de  ses  propres 
mains,  quand  il  était  venu  revoir  son  fils  exilé  ;  et  la 
Pierre  noire,  incrustée  dans  un  des  angles  du  temple, 
pour  marquer  le  point  où  doivent  commencer  les 
tournées  des  pèlerins  (Tavâf),  avait  été  apportée  des 
cieux  par  l'ange  Gabriel.  D'abord  elle  était  d'une 
blancheur  éblouissante  ;  mais  l'attouchement  des  pé- 
cheurs l'avait  bientôt  noircie.  Non  loin  de  cette  pierre 
miraculeuse,  on  montrait,  et  l'on  montre  encore  au- 
jourd'hui, un  fragment  de  roche  sur  lequel  montait 
Abraham  {Macûm  Ibrahim),  avec  son  fils  Ismaël,  pour 
travailler  plus  à  l'aise.  Abraham  avait  donné  à  la 
Caaba  ,  le  Carré,  d'assez  petites  dimensions  :  neuf 
coudées  de  haut,  sur  trente-deux  de  long  et  vingt- 
deux  de  large.  Elle  n'avait  pas  de  porte  qui  la  fermât, 

•  Diodore  de  Sicile  est  le  premier  historien  de  l'aiitiquité,  im  demi- 
siècle  avant  l'ère  clirélienne.  qui  parle  des  temples  vénérés  par  les 
Arabes,  et  d'un,  entre  antres,  qui  passait  pour  le  plus  saint  de  tous 
dans  l'Arabie  entière,  1.  III,  cl»,  xi.iv,  p.  157,  liir.  53,  édition  Firniin 
Didot.  Mais  les  renseignements  donnés  par  Diodore  de  Sicile  ne  sont 
pas  assez  clairs  pour  qu'on  puisse  aflirmer  qu'ils  se  rapportent  au 
temple  de  la  Caaba.  Il  parle  aussi  d'un  autre  temple  moins  célèbre, 
m^me  livre,  ch.  xi.ni,  §  4. 


L'ARABIE  AVANT  LE  MAIIOMÉTISME.  61 

et  elle  était  au  niveau  du  sol,  au  lieu  d'être  élevée 
au-dessus,  comme  elle  l'est  actuellement  '.  Détruite 
par  l'irruption  d'un  torrent,  vers  le  milieu  du  second 
siècle  de  notre  ère,  elle  avait  été  reconstruite  par  la 
tribu  des  Djorhom,  qui  dominaient  alors  la  Mecque. 
Cinquante  ans  plus  tard  environ,  elle  avait  été  pieu- 
sement visitée  par  un  tobba  de  l'Yémen,  Abou-Carib, 
vers  206  de  l'ère  cbrétienne,  qui  lui  avait  fJît  une 
couverture  d'étoffes  précieuses,  et  y  avait  posé  une 
porte  avec  une  serrure,  pour  mettre  en  sûreté  les 
dons  précieux  qu'accumulait  sans  cesse  la  générosité 
des  pèlerins. 

La  garde  d'un  temple  si  vénéré  élait  une  des  fonc- 
tions les  plus  recherchées,  et  les  tribus  s'en  dispu- 
taient l'honneur.  Aux  Djorhomites  avaient  succédé  les 
Chozàa,  auxquels  on  devait  d'avoir  retrouvé  la  Pierre 
noire  ,  soustraite  par  leurs  adversaires  et  cachée 
quelque  temps.  Puis,  après  deux  siècles  et  demi  de 
possession,  les  Khozàa  avaient  été  supplantés  par  les 
Coraychites,  tribu  qui  s'était  enrichie  successivement 
par  le  commerce,  et  qui  eut  le  bonheur  d'avoir  un 

'  M.  \V.  Jluir  a  donné  plusieurs  plans  pour  représenter  la  villr  de 
la  Mecfiue  et  ses  environs  t.  I,  p.  5,.  i:i  Caaba,  avec  toutes  les  con- 
slruclions  qui  l'entourent,  et  la  Pierre  noire  t.  Il,  p.  18  ,  de  gran- 
deur naturelle.  Cette  pien'e,  dont  les  Lords  sont  assez  lisses  et  cou- 
verts dune  l'iscripticn,  parait  être  un  assembla^'e  de  plusieurs  autres  ; 
elle  est  actuellement  placée  à  langle  oriental  de  la  Caaba  et  à  cinq 
pieds  au-dessus  du  sol.  M.  William  Muir  n'a  pas  pu  prendre  lui-même 
les  dessins  qu'il  donne;  ils  .>;ont  empruntés  aux  voyages  do  Burck- 
liardt,  d'Ali  Boy  efc  de  Burlon,  et  1  on  peut  se  fier  à  leur  exactitude. 
On  peut  d  ailleurs  les  comparer  à  ceux  de  Mcbulir  et  de  d'Obsson. 

4 


62  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

chef  des  plus  enlrepienanls  et  des  plus  habiles  dans 
la  personne  de  Cossayy,  fils  de  Kilab,  le  qualrième 
aïeul  de  Mahomet.  La  foitune  extraordinaire  de  Cos- 
sayy prépara  certainement  les  voies  à  celle  du  pro- 
phète; et  même,  indépendamment  de  cette  circon- 
stance, la  carrière  de  Cossayy  mérite  la  plus  grande 
attention,  et  elle  est  faite  pour  exciter  beaucoup  d'in- 
térêt '* 

Issu  d'une  tribu  obscure  des  Odzrah  en  Arabie- 
Pétrée,  il  entra  en  rapport  avec  les  Khozàa,  et  obtint 
bientôt  la  confiance  de  Holayl,  leur  chef,  qui  lui  donna 
la  main  de  sa  fille.  Mais  les  tribus  des  Kinàna,  enne- 
mis des  Khozàa,  gagnant  tous  les  jours  de  l'ascendant, 
il  se  fit  leur  confédéré-;  et,  avec  leur  aide,  après  une 
lutle  sanglante,  il  devint  maître  reconnu  des  clefs  de  la 
Caaba  et  de  la  ville  de  la  Mecque,  qui  lui  obéit  plus  de 
quarante  ans.  Quand  on  parle  de  la  Mecque  à  cette 
époque,  le  milieu  du  cinquième  siècle  de  notre  ère,  il 
faut  bien  savoir  qu'il  n'y  avait  point  encore  en  ce  lieu 
de  ville  proprement  dite  :  «  La  vénération  des  Arabes 
pour  la  Caaba  et  pour  le  sol  même  qui  l'environnait 

'  On  ne  sait  pas  au  juste  la  date  tle  lu  naissance  ni  de  la  mort  de 
Cossayy;  il  mourut  vers  i80,  dans  une  e\trènie  vieillesse,  et  il  cou' 
quit  le  pouvoir  vers  440;  voir  le  Sirat-er-raçoid  de  M.  G.  Weil,  t.  1, 
p.  57,  et  M.  Caussin  de  Terceval,  Ensai  sur  i histoire  (Ids  Aralh's,  ',.  l, 
p.  2ô5  à  251. 

-  Un  se  confédérait  avec  un  liomme  d'une  tribu  diflérente,  quand 
on  jie  trouvait  pas  dans  lu  sienne  tous  les  avanlayes  qu'on  désirait. 
On  aiquérail  ainsi  tous  les  droits  et  on  contractait  tous  les  devoirs 
de  la  Irihu  dans  laquelle  on  entrait;  voir  M.  A.  *^preng:er,  l.ife  of 
Moliainmad,  p.  17. 


L'ARABIE  AVANT  I.E  MAIIOMETISME.  6^. 

était  si  grande,  dit  M.  Caussin  de  Perceval',  qu'ils  n'a- 
vaient pas  osé  jusqu'alors  prendre  de  demeures  fixes 
ni  construire  de  maisons  dans  le  voisinage  de  ce  sanc- 
tuaire. On  passait  la  journée  à  la  Mecque,  c'est-à-dire 
dans  la  circonscription  du  terrain  particulièrement 
sacré  ;  mais  le  soir  on  s'éloignait  par  respect.  »  Cette 
enceinte  si  respectée,  le  Haram,  comprenait  toute  la 
vallée  de  la  Mecque,  dont  la  circonférence  est  d'une 
quinzaine  de  lieues.  Chaque  tribu  avait  dans  le  Haram, 
qui  était  devenu  un  véritable  asile,  ses  idoles  particu- 
lières ;  et  les  Kinâna  avaient  pu  placer  la  leur,  Ilobal, 
non  loin  de  la  Caaba,  au-dessus  d'un  puits,  où  elle 
recevait  presque  autant  d'hommages  que  la  Pierre 
noire  elle-même.  Aussi  Hobal  fut-il  placé  plus  lard 
par  Cossayy  dans  l'intérieur  et  dans  le  trésor  de  la 
Caaba.  Al-Làt  et  Al-Ouzza,  si  souvent  mentionnées  dans 
le  Coran,  étaient  les  idoles  des  Thagyf  de  Taïf;  d'au- 
tres étaient  placées  sur  les  collines  sacrées  de  Safa  et 
de  Marvah,  comprises  dans  la  ville,  et  où  jadis  Agar 
avait  cherché  vainement  de  l'eau  pour  étancher  la  soif 
de  son  fils  mourant.  C'était  donc,  comme  le  dit  très- 
bien  M.  A.  Sprenger,  une  religion  fédérative  '  ;  et 
nous  verrons  qu'au  temps  de  Mahomet  les  idoles 
accumulées  autour  de  la  Caaba  montaient  à  près  de 
quatre  cents. 

Cossayy,  investi  de  la  charge  du  Haram,  après  de 

'  Siral-er-raçonl,  de  M.  G.  Vieil  t.  I,  p.  fll,  et  M.  Caussin  de  Por- 
ccval,  Essai  sur  l'Iiistoire  des  Arabes,  t.  I,  p.  27>G. 
-  M.  A,  Sprenger,  Life  of  Mohammad,  p.  (>,  Allaliabad,  18jI,  in-8». 


04  MAHOMET,  CHAPITRE  IT. 

longs  combats,  voulut  en  assurer  tous  les  privilèges  à 
lui  et  à  ses  successeurs,  en  s'y  fixant  par  une  rési- 
dence perpétuelle.  Il  résolut  donc  de  bâtir  une  ville 
dans  le  Ilaram  ;  et  comme  les  Coraychites,  craignant 
de  se  souiller  d'un  sacrilège,  bésitaient  à  abattre  les 
arbres  dont  la  vallée  était  couverte,  il  y  porta  le  pre- 
mier la  hache  pour  donner  l'exemple,  et  la  ville  fut 
bientôt  bâtie.  Il  est  probable  que  la  Caaba  fut  aussi 
reconstruite  ;  du  moins  il  paraît  certain  qu'elle  fut 
alors  pour  la  première  fois  couverte  dune  toiture  en 
bois.  Des  quartiers  divers  furent  assignés  aux  nom- 
breuses familles  des  Coraychites.  Cossayy  se  fit  élever 
tout  près  de  la  Caaba  un  palais,  où  une  salle  avait  été 
réservée  pour  les  réunions  du  conseil  de  la  tribu 
(Dàr-el-Nadwah)  ;  mais  au  lieu  de  faire  un  domaine 
pubhc  de  cet  Hôtel  du  conseil,  il  en  resta  prudem- 
ment le  propriétaire,  afin  de  pouvoir  en  disposer  à 
son  gré  pour  les  convocations.  Tout  Coraychite  ou 
confédéré  âgé  de  quarante  ans  avait  droit  d'entrée 
au  conseil.  On  n'y  décidait  rien  à  la  majorité  des 
suffrages,  car  on  n'y  votait  pas.  C'était  au  plus  sage 
ou  au  plus  éloquent  de  faire  prévaloir  son  avis  et 
d'y  amener  ses  antagonistes  par  la  persuasion,  seul 
moyen  ,  sans  parler  de  la  force,  que  ces  barbares 
eussent  imaginé  pour  résoudre  les  questions  d'intérêt 
commun. 

A  ces  attributions  de  gardien  de  la  Caaba  et  de  pré- 
sident du  conseil  de  la  confédération  ,  Cossayy  en 
joignit  d'autres  non   moins  importantes.  C'était  lui 


1 


L'ARABIE  AVANT  LE  MAHOMETISME.  05 

qui  dans  le  DAr-el-Nadwah  remettait  officiellement  le 
drapeau  confédéré  (le  Livai  au  chef  coraychile  chargé 
de  l'expédition  qui  avait  été  décidée  ;  c'était  lui  qui 
répartissait  les  fonds  de  secours  (Rifàda)  que  les  Co- 
raychites  d'après  son  avis  consentaient  chaque  année 
en  faveur  des  pèlerins  pauvres  -.  c'était  lui  qui  devait 
distribuer  l'eau  entre  les  habitants  de  la  ville  et  en 
pourvoir  les  innombrables  visiteurs  qui  accomplis- 
saient le  pèlerinage  (Sicàya)  ;  qui  devait  diriger  leurs 
tournées  et  les  cérémonies  solennelles  à  Mina  (Ayàni- 
Mina),  etc.  '.  Mailre  ainsi  du  pouvoir  civil  et  religieux, 
Cossayy  jouissait  en  outre  d'un  droit  qui  s'étendait 
bien  au  delà  de  la  Mecque,  et  qui  lui  conférait  une 
sorte  de  suprématie  sur  la  meilleure  partie  de  l'Ara- 
bie :  c'était  le  droit  de  désigner  les  mois  sacrés  ;  car 
le  calendrier  des  Arabes,  ayant  été  d'abord  exclusive- 
ment lunaire,  avait  présenté  bientôt  de  grandes  diffé- 
rences avec  les  saisons  régulières  de  l'année  -.  Le  soin 

*  Sur  ces  institutions  de  Cossayy,  voir  le  Sirat-er-raçotil,  de  M.  (;. 
Weil,  t.  I,  p.  65,  et  M.  Caussin  de  Perceval,  Essai  sur  l'histoire  des 
Arabes,  t.  1,  p.  255-251;  M.  A.  Sprenger,  Life  of  Mohaiumad.  p.  17 
et  suivantes;  M.  W.  Muir,  1,  cciii;  M.  G.  Weil,  p.  4.  11  paraît  d'après 
le  Sirat-er-raçoul  que  Cossayy  était  poète.  Ibn-Ishâc  cite  plusiiiirs 
(le  ses  vers,  entre  autres  les  suivants  :  «  Je  suis  le  fils  des  forts,  des 
puissants  Bénou  Iloueidj;  mon  séjour  est  à  la  Mecque.  J'y  suis  devenu 
grand,  (l  dans  la  vallée,  Maad  le  sail  ;  et  je  trouve  mon  bonljcur  sur 
la  colline  Marva.  Je  n'aurais  jamais  été  victorieux  si  1rs  enfants  df 
Kcidscr  et  de  Nébit  ne  s'étaient  point  couverts  de  gloire.  Bizab  fut 
mon  conléJéré;  avec  lui,  je  suis  le  maître  et  ne  redoute  aucune  iiisulie, 
aussi  longtemps  que  je  vivrai.  »  Ibn-Isliàc  cite  encore  plusieurs  dis- 
cours de  Cossayy.  empreints  de  la  même  fierté. . 

-  Voir  le  Mémoire  sur  le  calendrier  arabe  avant  llslamismc,  par 
M.  Malimoud  Elfendi,  osironome  égyptien. 

4. 


66  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

de  rélablir  la  concordance  était  un  point  essentiel,  et 
il  pouvait,  dans  certains  cas,  décider  des  affaires  les 
plus  graves  de  la  nation.  En  effet,  il  ne  devait  pas 
être  indifférent  que  la  trêve  annuelle  commençât  à 
telle  éjDoque  plutôt  qu'à  telle  autre,  ni  que  le  pèleri- 
nage eût  lieu  après  ou  avant  les  récoltes.  Le  moment, 
bien  ou  mal  choisi,  pouvait  tout  sauver  ou  tout  com- 
promettre. Cossayy  disposait  donc  de  la  paix  et  de  la 
guerre  dans  la  mesure  de  ce  droit. 

Sa  longue  administration,  ou  plutôt  son  règne,  ne 
parait  pas  avoir  été  jamais  troublé  ;  il  dirigea  sans  lival 
la  confédération  pendant  près  d'un  demi-siècle,  et, 
parvenu  à  une  grande  vieillesse,  il  transmit  par  une 
abdication  régulière  le  pouvoir  à  son  iîls  aîné, 
Abdeddar.  Mais  à  la  mort  de  ce  dernier,  les  Coray- 
chites  se  partagèrent  en  plusieurs  factions,  et  se  divi- 
sèrent les  dignités  que  Cossayy  avait  jadis  réunies  sur 
sa  tête.  Hàchim  ,  ai  rière-grand-père  de  Mahomet , 
exerça  quelque  temps  les  fonctions  du  Rifàda  et  du 
Sicùya,  avec  une  générosité  restée  proverbiale  \  ('le  fut 
lui  aussi  qui  institua  définitivement  la  double  caravane 
annuelle,  l'une  d'hiver  en  Yémon,  l'autre  d'été  on 

'  Le  nom  mêiiic  tl'llàcliim  lui  lut  donné  comme  lcmoij;na{:e  de  sa 
miinificcnce.  Il  signilic  donneur  de  pain,  donneur  de  miettes;  et  il 
rappelle  la  générosité  et  la  richesse  de  celni  qui,  pendant  une  fa- 
mine, avait  nourri  presque  tous  ks  liahitants  de  la  Mcaïue.  Antérieu- 
rement le  nom  d'Ilàchim  était  Anu".  Pour  que  l'on  pût  aisément 
puiser  de  l'eau  à  Zemzom,  il  avait  fait  faire  des  réservoirs  en  cuir, 
qui  passèrent  à  cette  époque  pour  des  merveilles  de  l'art.  Mais  Abd- 
el-Mouttalib  les  remplaça  par  des  auges  et  des  réservoirs  en  pierre. 


L'ARABIE  AVANT  LE  MAHOMÉTISME.  67 

Syrie.  Abd-el-Mouttalib,  grand-père  du  prophète,  ne  fut 
guère  moins  magnifique,  et  il  sut  si  bien  restaurer  et 
aménager  la  source  de  Zemzem  qu'elle  ne  servit  plus 
qu'à  la  boisson  des  Coraychites,  et  que  les  autres  puits 
de  la  cité  purent  être  exclusivement  consacrés  à  des 
usages  domestiques.  Abdallah,  fils  d'Abd-el-Mouttalib 
et  père  de  Mahomet,  mourut  trop  jeune  pour  jouir 
d'aucune  des  dignités  qui  depuis  quatre  générations 
étaient  héréditaires  dans  sa  famille;  et  voilà  comment 
Mahomet,  issu  d'ancêtres  illustres  et  puissants,  n'eut 
qu'un  patrimoine  très-étroit,  et  fut  élevé  successive- 
ment chez  son  grand-père  et  chez  ses  oncles,  qui  étaient 
au  nombre  de  dix  ou  douze. 

Ces  détails,  tout  succincts  qu'ils  sont,  montrent 
quels  éléments  trouva  Mahomet  quand  il  entreprit 
d'organiser  le  peuple  arabe  et  de  l'unir  en  un  corps  de 
nation.  En  voici  d'autres  qui  attestent  que  sa  réforme 
religieuse  a\ait  été  précédée  par  quelques  tentatives 
moins  heureuses  que  la  sienne,  mais  assez  semblables, 
et  indiquant  le  besoin  généralement  senti  d'une  ré- 
novation morale. 

Depuis  Abraham,  il  s'était  toujours  trouvé  parmi 
les  peuplades  arabes  quelques  adorateurs  du  Dieu 
unique,  et  le  Coran  en  cite  plusieurs  comme  les  de- 
vanciers et  les  exemples  du  Prophète.  C'est  Houd , 
chez  les  Adiles  ;  c'est  Saleh,  chez  les  Thamoudites  ; 
c'est  Choaïb,  chez  les  Madianites,  qui,  sans  parler  des 
patriarches  bibliques,  ont  prêché  la  vraie  foi  et  n'ont 
pas  été  écoutés  de  ceux  auxquels  ils  adressaient  leurs 


68  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

sages  conseils  *.  Ces  grandes  notions,  oubliées  par  les 
peuples,  s'étaient  conservées  pour  quelques  adeptes; 
et  au  temps  même  de  Mahomet,  ces  gens  éclairés  mais 
peu  nombreux  s'appelaient  des  Hanyfes  ^  Ils  étaient 
restés  fidèles  à  la  foi  d'Abraham,  et  ils  prétendaient 
même  avoir  conservé  les  volumes  (Çohof)  et  les  rôles 
quil  avait  reçus  des  mains  de  Dieu.  Le  Coran  cite 
très-souvent  ces  rôles  et  ces  volumes  d'Abraham  , 
qui  existaient  encore  du  temps  du  calife  Hàroûn  al 
Piascliid,  et  qui  furent  alors  traduits  du  chaldéen  en 
arabe,  par  un  auteur  qu'a  retrouvé  M.  A.  Sprenger  ^. 
Il  y  a  môme  des  commentateurs  qui  ont  cru  recon- 
naître dans  le  texte  du  Coran  des  traductions  partielles 
des  çohof,  et  l'on  ne  peut  nier  que  la  sourate  lui,  par 

'  Il  y  a  une  sourale.  la  onzième,  qui  porte  le  nom  de  Houd.  et  qui 
est  en  grande  partie  consacrée  à  son  histoire  et  à  celle  des  autres  en- 
voyés de  Dieu,  méconnus  et  persécutés  comme  lu'.  Dans  la  sourale  xr, 
vei-set5'2,  Houd  parait  venir  assfz  peu  de  temps  après  Noé.  et  Userait 
ainsi  antérieur  à  Abraham  lui-même; mais  il  n'y  a  pas  ii  tenir  compte 
de  la  clironologie  du  Coran.  Dans  la  sourate  vu,  verset  05,  Houd  vient 
encore  après  Noé.  Pour  Saleli,  voir  la  sourate  vu,  verset  "il,  et  la  sou- 
rate XI,  vei-î-et  64;  pour  Clioaib,  sourate  vu,  verset  8"i,  et  sourate  xi, 
verset  8.').  A  ces  trois  envoyés  de  Dieu  que  Mahomet  semble  vénérer 
profondément,  succède  Moïse,  plus  firand  qu'aucun  deux,  et  dont  le 
Coran  parle  avec  autant  de  respect  que  la  Bible  elle-même.  Voir  plus 
loin  les  Extraits  du  Coran,  chapitre  des  Prophètes. 

*  M.  A.  Sprenfrer.  Vas  I.eOen  nnd  die  Uhre  des  Mohammad,  t.  I. 
p.  4.")  et  suiv.,  s'est  occupé  des  hanyfes  plus  que  personne  avant  lui. 
Il  ne  faut  pas  confondre  les  hanyfcs  avec  les  hanyfiles.  secte  venue 
beaucoup  plus  tard. 

*  M.  A.  Sprenger,  Das  l^hen  und  die  l.ehre  des  Mohammad,  t.  I. 
p.  40.  Cet  auteur  se  nommait  Ahmad.  fils  d'Abdallaii,  fils  de  Salàm. 
M.  A.  Sprenger  a  découvert  lui-mèmiim  fi-agment  de  ces  prélenius 
rôles  dAbraliam,  et  ce  fragment  figure  sous  le  n"  4iG  de  la  llihlii*- 
Ihfca  orieiilali!<  Spreiiijrriana:  voir  31.  A.  Sprenger,  ibid.  ji  M. 


L'ARABIE  AVANT  LE  5IAH0METISME.  60 

exemple  (versets  57  à  55),  ne  semble  bien  en  faire 
une  sorte  d'analyse.  C'est  au  fond  la  doctrine  que 
prêcha  plus  tard  le  prophète  ;  et  ce  rapprochement  est 
digne  de  l'attention  la  plus  curieuse  \ 

Comme  le  mot  d'iianyfe  se  reproduit  au  moins  jus- 
qu'à douze  fois  dans  le  Coran,  et  que  Mahomet  lui- 
même  se  décerne  ce  titre,  non  sans  quelque  orgueil, 
M.  Sprenger  s'est  efforcé  savamment  d'en  pénétrer  le 
véritable  sens;  et  ses  recherches  ont  abouti  à  confondre 
à  peu  près  cornplétement  l'idée  d'hanyfe  avec  celle  de 
musulman.  L'hanyfe  est  l'homme  pieux  qui  ne  croit 
qu'au  Dieu  unique,  et  qui  est  soumis  avec  la  plus 
parfaite  abnégation  à  sa  volonté  suprême.  L'Islam 
n'est  pas  autre  chose  ;  c'est  une  absolue  soumission  à 
la  volonté  divine.  Abraham,  quand  il  se  dispose  à  im.- 
moler  son  fds,  Isaac  quand  il  se  soumet  sans  mur- 
mure au  sacrifice,  sont  l'un  et  l'autre  des  hanyfes, 
des  musulmans  ;  ils  sont  des  disciples  de  l'Islam 
(Coran,  sourate  xxxvu,  verset  105).  Aussi  M.  A.  Spren- 
ger a-t-il  pu  dire  que  l'Islam  avait  été  prêché  avant 
Mahomet  en  Arabie  -,  et  Mahomet  a-t-il  [lu  déclarer 

♦  M.  A.  Sprenger,  if>i(i,  p.  (iO,  a  traduit  cette  partie  de  la  sou- 
rale  u:i;  il  a  traduit  aussi  la  snurate  lxxxvii  (versets  1  à  5  et  14  à  19) 
où  les  commentateurs  croient  retrouver  des  fragments  des  çohof. 
Toutes  ces  rcclierches  sur  les  hanyfes  sont  absolument  neuves,  et 
M.  A  Sprenger  a  le  mérite  dcn  avoir  senti  le  premier  toute  l'impoi-- 
tnnce.  Il  a  pu  dire  avec  quelque  raison  que  jusqu'à  lui  l'existence 
des  lianyfes  avait  été  com[plélement  ignorée.  //»«/,  p.  45.  Mais  M.  Caussin 
de  Perceval,  t.  I,  p.  7125,  avait  déjà  touché  ce  sujet  avant  M.  A. 
Sprenger. 

-  M.  A.  Sprenger,  I)  .<<  irhen,  cic.  t.  I,  p.  71   ol  7i.  Il  rcui;u(pio 


70  MAHOMET,  CFIAPITRF  IT. 

en  propres  termes  qu'il  y  avait  eu  l)ien  des  musul- 
mans avant  lui  '.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  de 
son  temps  il  y  avait  à  la  Mecque  des  hanyfes  qui 
pressentaient  comme  lui  la  nécessité  d'une  religion 
nouvelle,  qui  la  cherchaient  avec  grande  ardeur, 
et  qui,  ne  la  trouvant  pas  au  gré  de  leurs  désirs 
impatients,  inclinaient  par  une  pente  assez  naturelle 
soit  à  la  religion  juive,  soit  à  la  religion  chrétienne; 
car  l'une  et  l'autre  se  rattachaient  à  l'antique  foi 
d'Abraham. 

Ibn-Ishâc-  rapporte  une  anecdote  qui  fait  bien  voir 
où  en  étaient  les  aspirations  des  hanyfes  et  leur  répu- 
gnance pour  l'idolâtrie  de  leurs  grossiers  compa- 
gnons. «  Les  Coraychites,  dit-il,  s'étaient  un  jour 
réunis  autour  d'une  de  leurs  idoles^.  C'était  une 
de  celles  qu'ils  honoraient  par  le  sacrifice  des  vic- 
times; c'était  près  d'elle  qu'ils  s'assemblaient  pour 

que  parmi  les  contemporains  de  Mahomet  on  pourrait  en  nommer  au 
moins  une  douzaine  qui  avaient  renoncé  à  l'idolâtrie,  et  qui  comp- 
taient parmi  les  hanyfes.  M.  A.  Sprenger  donne  sur  les  principaux 
d'enlrc  eux  quelques  notices  pleines  d'intérêt. 

'  Coran,  sourate  xxvni,  verset  55.  On  pourrait  trouver  dans  le  Coran 
beaucoup  d'autres  passages  analogues,  où  Mahomet  se  présente  pour 
un  continuateur  bien  plutô'.  que  pour  un  novateur.  Il  vient  restaurer 
la  foi  de  Noé,  d'Abraham,  de  Moïse,  de  Jésus  même;  il  ne  vient  ni 
les  contredire,  ni  les  reinplicer  ;  il  leur  succède.  Voir  plus  loin  les 
Extraits  du  Coran,  cliai)iire  des  Proplictes. 

-  Voir  \c  6irat-er-raçoul  de  M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  107  et  suiv. 

^  M.  Caussin  de  Perceval,  Essai  sur  l'Iiistoire  des  Arabes,,  t.  I, 
p.  321,  suppose  que  celte  idole  est  Al-Ouzza;  M.  .\.  Sprenger  croit  que 
c'est  plutôt  l'idole  Bowàua,  qui  joue  encore  un  rôle  dans  la  vie  de 
Zeid,  fils  d'Amr.  Ce  détail  n'a  pas  d'importance.  L'anecdote  n'est  pas 
rapportée  par  M.  Caussin  de  Perceval  tout  à  fait  dans  les  mêmes 
termes;  j'ai  suivi  la  version  de  M.  A%  Spreng'er.  , 


L'ARABIE  AVANT  LE  MAHOMÉTISMÊ.  H 

célébrer  leurs  cérémonies  religieuses,  el  (ju'ils  avaient 
riiabilude  de  converser  entre  eux.  Cette  réunion 
avait  lieu  tous  les  ans  à  jour  fi.ve,  et  c'était  une 
grande  fête.  Cependant  une  fois  quatre  personnes  se 
tinrent  à  l'écart,  et  sous  le  sceau  du  secret  elles  se 
communiquèrent  les  pensées  intimes  qui  les  agi. 
talent.  Ces  hommes  étaient  Varaka,  lils  de  Naufal,  fils 
d'Asad,  neveu  de  la  première  femme  du  prophète 
(Khadîdja)  ;  Othmân,  fils  d'Alhouveyreth,  son  cousin; 
Oubeïdallah,  cousin  germain  de  Mahomet  :  et  enfin 
Zeid,  fils  d'Amr.  Ils  se  dirent  donc  entre  eux  :  «  Nos 
«  concitoyens  sont  dans  Terreur,  et  ils  pervertissent 
«  la  vraie  religion  de  leur  père  Abraham.  Pouvons- 
«  nous  comme  eux  tourner  autour  d'une  pierre  qui 
«  n'enlend  ni  ne  voit  rien,  et  qui  ne  peut  faire  ni 
«  aucun  bien,  ni  aucun  mal?  Cherchons  une  foi  meil- 
«  leure  que  celle-lù.  »  Ils  abandonnèrent  donc  leur 
patrie  et  ils  voyagèrent  dans  les  pays  étrangers  pour 
y  trouver  la  religion  des  hanyfes,  la  religion  véritable 
d'Abraham  ^  » 

Ces  quaire  personnages,  d'un  esprit  si  indépendant 
et  si  élevé,  ont  été  en  rapports  suivis  avec  Mahomet, 


'  Il  parait  Ijien  ([ue  ccUe  anecdolc  a  cié  recueillie  d'abord  par 
Ibii-Isliàc,  et  qu'elle  a  été  répélLe  d'après  lui.  Les  dcclriucs  de  ces 
liunjfes  sont  tout  ù  fait  analogues  à  celles  du  Coran,  et  les  expres- 
sions mômes  qu'on  leur  i)rêted3ns  leurs  critiques  contre  l'idolâtrie  se 
retrouvent  souvent  dans  la  Louche  de  Mahomet.  On  pourrait  citer 
une  foule  de  sourates  où  l'impuissance  des  idoles  est  signalée  dans 
les  mêmes  lermes. 


72  MAHOMET,  CHAPITRE  H. 

et  l'on  ne  peut  douter  qu'ils  n'aient  exercé  une  réelle 
influence  sur  lui.  Ce  qu'il  y  a  de  très-remarquable, 
c'est  que  la  plupart  d'entre  eux  se  firent  chrétiens, 
après  quelques  hésitations.  Yaraka  fut  le  premier  à  se  ■ 
convertir,  et  il  se  rendit  même  assez  fameux  par  la 
connaissance  étendue  qu'il  acquit  des  saintes  Ecritures.  ■ 
Oubeïdallah  conserva  plus  longtemps  des  doutes  :  et  1 
quand  il  entendit  Mahomet  prêcher  sa  doctrine  nou- 
velle, il  se  rangea  parmi  ses  disciples;  il  fut  un  de 
ceux  qui,  menacés  d'une  persécution  plus  rigouieuse, 
se  réfugièrent  en  Abyssinie'.  Mais  là  il  abandonna 
l'Islam  pour  embrasser  le  christianisme,  dans  le  sein 
duquel  il  mourut.  Mahomet  crut  devoir  épouser  sa 
veuve  Oumm  Habyba,  fille  du  puissant  Aboii  Sofyàn. 
Othmàn,  lils  d'Alhouveyreth,  fut  conduit  par  ses 
voyages  à  la  cour  des  empereurs  de  Conslantinople; 
un  l'y  traita  avec  une  grande  distinction,  et  il  ne 
tarda  pas  à  s'y  faire  chrétien,  mêlant  d'ailleurs  à  ses 

'  M.  A.  Spreiii^or  a  consacré  un  curieux  appendice  de  son  deuxième 
volume,  pages  41  cl  suiv.,  à  la  fuite  des  premiers  disciples  en  Abys- 
ainic.  Il  y  eut  deux  émijiratious  :  la  première  composée  de  douze 
hommes  et  de  quatre  teunnes;  la  seconde,  de  quatre-vingt-trois 
lionmies  et  de  dix-liuit  lemmes.  sur  lesquelles  onze  élaienl  Coraychites. 
Les  auteurs,  du  reste,  \arient  sur  ces  nombres  sans  que  les  différences 
soient  très-considérables.  Il  parait  bien  quOubeïdallah  faisait  partie 
de  la  seconde  émigration.  Dans  lu  liste  des  émigrés,  dressée  par  M.  A. 
Si)renger,  t.  II,  p.  102  et  Kiô,  Oubeïdallah  est  le  sixième,  et  il  est 
compris  parmi  les  confédérés  des  Onimyades,  et  son  nom  y  est  suivi 
de  celui  de  sa  femme.  Cette  liste  est  intéressante  en  ce  quelle  montre 
qu'à  cette  époque  déjà  Mahomet  avait  conquis  une  foule  de  disciples 
fervents  dans  les  familles  les  plus  illustres  cl  les  plus  puissimtcs  Aussi 
le  souvenir  de  la  fuite  en  Abyssiiiie  lieut-il  une  grande  place  parmi 
les  traditions  les  plus  chères  à  la  piété  musulmane. 


L'ARABIE  AVANT  I.E  MAHOMÉTISME.  75 

croyances  religieuses  des  projets  politiques  et  une  ar- 
dente ambition  ^ 

Zeïd,  lils  d'Amr,  est  un  personnage  qui  est  plus  in- 
téressant encore  qu'aucun  de  ceux  qui  précèdent,  et 
dont  le  prophète  a  pu  emprunter  davantage.  Il  resta 
toute  sa  vie  un  pur  hanyfe,  et  tout  en  ressentant  la 
plus  profonde  vénération  pour  le  judaïsme  et  pour  le 
christianisme,  il  ne  se  donna  ni  îi  l'un  ni  à  l'autre. 
11  s'était  fait  comme  une  religion  personnelle,  et  il 
n'offrait  ses  adorations  qu'au  Dieu  d'Abraham.  Il  blâ- 
mait énergiquement  les  erreurs  de lidolâtrie  contem- 
poraine, ne  sacrifiant  jamais  aux  idoles,  et  ilchercluiit 
à  corriger  la  barbarie  des  mœurs  au  milieu  desquelles 
il  vivait  ;  il  s'élevait  surtout  avec  force  contre  l'affreuse 
coutume,  fort  répandue  de  son  temps,  d'enterrer  les 
filles  toutes  vivantes,  coutume  que  Mahomet  seul  put 
déraciner.  Souvent  on  le  voyait,  le  dos  appuyé  sur  la 
Caaba,  adresser  ses  conseils  et  ses  reproches  à  ses  com- 
patriotes ;  et  il  disait  à  haute  voix  :  «  Oui,  j'en  jure  par 
celui  qui  tient  mon  existence  entre  ses  mains,  je  suis 
le  seul  parmi  vous  tous  qui  suit  la  religion  d'Abra- 
ham. »  Puis  il  ajoutait:  «0  Allah,  si  je  savais  quelle  est 
la  forme  d'adoration  qui  te  plaît  le  mieux,  je  la  prati- 
querais: mais  je  ne  la  connais  pas-.  »  Entraîné  par 


♦  M.  A.  Sprcnj,'cr,  Daslj'l'cii,  <^lc..  t.  I,  p.  80. 

-  Celle  tradition  venait  d'une  fille  d'.Mjcn-lîccr.  Asnia ,  lafiuelic 
l'avait  transmise  à  son  Gis  Ouna,  lequel  l'avait  transmise  a  son  fils 
llishàm.  de  qui  la  tenait  Ibn-Isliàc;  \oir  le  Sirat-er-raçotil  de  M.  G. 
Moil,  t.  I.  p.  108. 

5 


74  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

son  enthousiasme,  Zeïd,  filsdWmr,  avait  entrepris  des 
voyages,  comme  ses  trois  amis  ;  et  il  revenait  de  Syrie 
à  la  Mecque  pour  y  entendre  le  prophète  annoncer  la 
pure  religion  d'Abraham  et  des  patriarches,  quand  il 
l'ut  tué,  dit-on,  sur  la  frontière  du  Ilidjaz  par  une 
troupe  de  Bédouins'.  Selon  d'autres  témoignages,  il 
rentra  di.ns  sa  patrie,  y  vécut  encore  de  longues  an- 
nées, et  se  relira  sur  la  fin  de  sa  vie  dans  un  des  ermi- 
tages du  mont  Hirà,  près  de  la  Mecque. 

Ce  qui  distingue  surtout  Zeïd,  fils  dWmr,  c'est 
qu'il  èlait  poète  à  la  façon  dont  le  fut  plus  tard  Maho- 
met. Il  reste  de  lui  des  vers,  conservés  par  Ibn-Ishàc 
et  Ibn-Hishâm,  qui  ne  dépureraient  pas  le  Coi:an,  si  ce 
n'est  pour  l'expression,  du  moins  pour  la  pensée. 
Zeïd  y  célèbre  dans  les  termes  les  plus  précis  le  Dieu 
unique,  le  miséricordieux,  qui  pardonne  les  péchés, 
qui  soutient  les  bons  et  châtie  les  méchants.  Il  attaque 
le  culte  des  idoles  auxquelles  il  a  renoncé  ;  il  ne  croit 
plus  ni  à  Làt,  ni  à  Ouzza,  ni  à  ses  deux  filles  ;  ces  slu- 
pides  divinités  n'ont  eu  ses  hommages  qu'au  temps 
où  il  n'avait  pas  encore  de  raison.  Ces  superstitions 
honteuses  ont  disparu  de  son  esprit,  comme  dispa- 


'  M  Caiissiu  de  Perceval.  l.  1,  p.  3'2ti,  .-e  Halte  avec  toulc  justice 
dav.ir  le  premier  signalé  rimporlance  de  Zeïd,  filsdAmr:  a  Pcr- 
soiiii;ij;e  iiiléres.-aiil,  dit-il,  qui  lut  on  quelque  sorte  le  précurseur  de 
MahoMiel.  et  dout  l'exisleiioe,  dif-ue  dallent  ou  à  ce  litre,  était  restée 
jusqu'ici  presipie  ignorée  des  i-avauls  européens.  »  M.  A.  Spreiiger, 
t.  I,  p,  82,  a  complété  ces  renseigiiemenis  en  traduisant  dos  poésies 
de  Ztïd,  d'apris  le  Siral-er-ruçoid;  \oir  M.  G.  Weil,  t.  I,  ji.  IDO  et 
suiv. 


L'AIiADlE  AV.ViNT  LE  MAHOMÉTISME.  75 

laissent  les  rêves  de  la  nuit  ou  les  illusions  des  té- 
nèbres. Mais  l'homme  qui  a  fait  une  faute  peut  se  re- 
lever un  jour,  comme  l'arbuste  tlétri  peut  reverdir 
quand  la  pluie  vient  à  le  ranimer.  Zoïd  ne  veut  plus 
connaître  désormais  que  le  Dieu  créateur  de  la  terre 
et  des  cieux,  son  seul  refuge  et  son  seul  appui,  le 
Dieu  dont  il  veut  être  à  jamais  le  serviteur  et  le  fidèle 
esclave,  prêt  à  faire  tout  ce  qu'il  lui  ordonnera  ;  car  c'est 
la  piété  et  non  la  puissance  qui  assure  à  l'homme, 
pauvre  et  faible  créature  qu'il  est,  la  vie  et  la  félicité 
éternelles'. 

Zeïd,  fils  d'Amr,  passe  pour  avoir  été  le  maître  de 
ses  trois  amis,  Othmân,  Oubeydallah  etVaraka.  Le  fa- 
meux Omar  était  son  neveu  ;  et  il  est  probable  qu'il  ne 
fut  pas  sans  action  sur  lui,  bien  que  la  sauvage  éner- 
gie d'Omar  ne  se  soit  adoucie  que  devant  la  parole  du 
prophète.  Du  reste,  si  l'on  s'en  rapporte  à  la  tradition, 
Mahomet  lui-même  s'est  toujours  montré  plein  de 
respect  et  presque  de  reconnaissance  pour  Zeïd,  fils 
d'Amr.  Un  jour,  pressé  par  Omar  de  prier  pour  Tàme 
de  Zeïd,  le  prophète  répondit  :  «  Je  prierai  pour  lui  ; 

*  Je  ne  peux  ici  qu'  analyser  tiès-bi-ièvcineiit  les  poésies  de  Zeïd, 
lils  d'Amr;  mais  ce  résumé,  tout  abrégé  qu'il  est  nécessairement,  en 
fait  bien  voir  le  caractère.  On  peut  les  lire  tout  au  long  dans  l'ou- 
vrage allemand  de  M.  A.  Sprenger,  t.  I,  p.  8">  et  suiv.,  et  comparer 
sa  traduction  à  celle  de  M.  G.  VVeil.  Le  génie  de  Zeïd  a  beaucoup 
moins  d'énergie  et  d'éclat  que  celui  do  Maliomet;  mais  au  fond  ce 
sont  absolument  les  mêmes  idées  :  c'est  le  culte  do  Dieu  unique,  tel 
qu'il  s'est  révélé  aux  prophètes  antérieurs.  Seulemenl  Zeïd,  lils  d'Amr, 
ne  se  croit  i)as  l'Envoyé  de  ce  Dieu,  et  il  no  pai  le  qu'en  son  propre 
nom. 


76  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

mais  au  jour  de  la  résurrection,  Zeïd  formera  à  lui 
seul  toute  une  église  ^  »  Une  autre  fois  le  prophète 
dit  qu'il  avait  vu  Varaka  sur  le  bord  d'un  des  fleuves 
du  Paradis,  où  il  jouissait  d'un  bonheur  inaltérable, 
parce  qu'il  avait  coutume  de  dire  durant  sa  vie  :  «  Ma 
religion  est  la  religion  de  Zeïd  ;  et  mon  Dieu  est  le 
Dieu  de  Zeïd-.  »  Ainsi  Mahomet  sentait  bien  toute  la 
valeur  des  doctrines  religieuses  que  Zeïd  professait,  et 
M.  A.  Sprenger  n'a  peut-être  rien  exagéré  en  disant 
que  tout  ce  que  nous  savons  de  Zeïd,  fils  d'Amr,  se 
retrouve  dans  le  Coran ^. 

Parmi  les  hanyfes  contemporains  de  Mahomet,  on 
cite  encore  Ommayya,  fils  de  Aby-s-Çalt,  né  à  Tàïf,  à 
deux  journées  de  marche  au  sud  de  ia  Mecque.  Om- 
mayya était  le  plus  distingué  des  poêles  de  son  temps, 
et  il  semble  que  ce  talent  était  héréditaire  dans  sa  la- 
mille  ;  car  son  père  s'était  illustré  aussi  en  ce  genre. 
Il  reste  quelques  vers  d'Ommayya  cités  par  divers  au- 


*  M.  A.  Spit'iiyef.  Das  Leben,  etc..  t.  I.  p.  sri.  M.  A.  Spreng:er  n'in- 
di(iue  pas  de  (pii  vient  celle  précieuse  tradition.  Elle  a  été  con- 
servée par  Ihn-Ishàe  dans  le  !sirat-er-raçonl;  voir  la  traduction  de 
M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  lOi). 

-  Ce  second  Hàditli  est  tiré  de  l'Içàba,  ce  dictionnaire  biographique 
des  compagnons  du  Pro|)lièle,  que  M.  A.  Sprenger  a  si  heureusement 
découvert;  voir  plus  haut.  p.  24. 

5  Ce  serait  certaiiienienl  une  étude  fort  difficile,  et  il  serait  assez 
périlleux  de  faire  ces  distinctions  dans  le  Coran.  M.  A.  Sprenger  eût 
(Hé  plus  propre  que  personne  à  cette  recherche  délicate.  Il  a  partagé 
le  prix  proposé  par  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  sur  ia 
lonqiosition  du  Coran;  mais  je  ne  sais  si  dans  son  mémoire  il  a 
traité  ce  point  spécial  des  rapports  de  Zeïil.  lils  d'Amr,  avec  Ma- 
iionii't. 


L'ARABIE  AVANT  LE  MAHOMETISME.  77 

leurs  ^;  mais  ils  ne  suffisent  pas  pour  bien  faire  ap- 
précier ni  ses  doctrines  ni  son  génie.  Persuadé, 
comme  tout  le  monde  Tétait  en  Arabie  à  cette  époque, 
qu'il  paraîtrait  bientôt  un  prophète,  il  se  crut  quelque 
temps  destiné  à  ce  rùle  glorieux,  et  lorsque  Mahomet 


1  M.  A.  Sprenger,  Bas  Leben  iind  die  l£hre  des  Mohammad.  t.  I, 
p.  lllt  à  119.  a  consacré  un  appendice  à  Ommayya.  fils  d'Abyl-s-Çalt, 
f-t  il  a  donné  d'après  les  auteurs  arabes  à  peu  près  tout  ce  qui  reste 
de  lui.  Le  fragment  le  plus  long  et  le  plus  remarquable  peut-être  est 
une  élégie  où  Ommayya  rappelle  à  un  de  ses  lils  les  soins  qu'il  a 
pris  de  lui  durant  son  enfance,  et  semble  lui  reprocher  son  ingrati- 
tude .Le  sentiment  de  cette  pièce  est  vraie,  et  l'expression  en  est  très- 
toucbante.  Il  est  probable  que  dans  l'original  le  style  doit  être  digne 
de  la  réputation  du  pcëte.  La  tradition  a  conservé  aussi  quelques  dé- 
tails assez  curieux  sur  la  mort  d'Onunayya  et  sur  les  dernières  pa- 
roles qu'il  avait  prononcées.  Voir  l'appendice  qui  vient  d'être  cité.  On 
trouve  encore  dans  \e  Sirat-er-raçoul,  traduciion  de  M.  G.  Weil.  t.  I, 
p.  5.  un  très-bel  hymne  à  Dieu,  que  Ibn-Ishâc  attribue  à  Zeid.  fils 
d'Amr,  et  que  Ibn-Hishàui  attribue  à  Ommayya,  au  moins  en  grande 
partie.  Si  c'est  Ibn-llisbàin  qui  a  raison,  les  doctrines  d'Ommayya  au- 
raient été  tout  à  fait  semblables  à  celles  de  Zeid.  Voici  cet  hymne  : 

«  Je  ne  cesse  tant  que  je  vis  d'adresser  à  Dieu  louange,  honneur  et 
parole  reconnaissante,  à  Dieu  le  Roi  des  rois,  qui  n'a  au-dessus  de 
lui  ni  maître  ni  dieu  qui  en  approche.  0  homme!  pense  à  la  mort; 
tu  ne  peux  rien  cacher  à  Dieu  ;  garde-loi  de  mettre  à  côté  d'Allah 
d'autre  dieu  que  lui;  le  chemin  de  la  vérité  est  maintenant  bien 
clair.  Sois  doublement  béni;  ils  placent  leur  espoir  dans  les  Djinns,  et 
toi,  Allah,  notre  maître,  tu  es  mon  espoir.  Je  mets  mon  bonheur  en 
loi,  Allah,  comme  mou  Seigneur;  car  je  ne  vois  pas  de  dieu  en  dehors 
de  toi.  im  autre  dieu  à  qui  je  puisse  croire.  C'est  loi  qui  par  bonté  et 
par  mi.-iéricorde  envoyais  un  messager  à  Moïse  pour  qu'avec  Aaron  ils 
appelassent  ensemble  à  Dieu  le  Pharaon  infidèle.  Qu'ils  lui  demandent 
s'il  aurait  pu  étendre  la  terre  et  la  faire  tenir  telle  qu'elle  est  sans 
appui,  et  si  c'est  lui  qui  a  élevé  le  ciel  sans  colonne?;  il  serait  aloi'S  un 
bien  bon  architecte;  si  c'est  lui  qui  a  rendu  brillante  la  moitié  des 
cieux,  pour  que  la  lumière  servît  de  guide  durant  la  nuit.  On  il  dise  donc 
à  qui  on  doit  le  soleil  l-  matin,  pour  «[ue  la  terre  à  qui  il  appartient  soit 
éclairée.  Qu  il  dise  qui  fait  pousser  la  semence  diins  \o  sol,  qui  fait 


78  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

annonça  publiquement  sa  mission,  Ommayya  ne  man- 
qua pas  de  le  combattre,  bien  moins  encore  comme 
un  imposteur  que  comme  un  rival.  11  dirigea  contre 
lui  quelques  satires  Irès-mordantes  qui  le  blessèrent 
vivement.  Par  représailles,  le  propbète  proscrivit  les 
poésies  d'Ommayya;  mais  elles  étaient  si  populaires 
et  si  répandues,  que  malgré  celte  proscription  solen- 
nelle, la  tradition  les  conserva  longtemps  encore  après 
la  mort  de  Mabomet.  D'ailleurs  Mabomet  lui-même, 
malgré  sa  juste  colère,  était  sous  le  charme;  on  l'en- 
tendit plus  d'une  fois  réciter  des  vers  d'Ommnyya 
avec  admiration  ;  et  il  disait  souvent  :  «  Le  langage 
d'Ommayya  est  admirable  ;  mais  c'est  son  cœur  qui 
est  mauvais.  C'est  un  croyant  dans  ses  poésies  ;  c'est 
un  infidèle  dans  le  fond  de  son  àme.  »  Ce  ne  fut  d'ail- 
leurs qu'après  le  combat  de  Bedr  que  Ommayya  se 
brouilla  définitivement  avec  le  prophète;  car  il  avait 
fiiit  une  élégie  en  l'honneur  des  guerriers  morts  dans 
celte  fameuse  journée  \ 

pousser  les  piaules  en  Umi  sens  et  leur  lait  porter  de  nouveau  la 
semence  à  leur  sommet.  Il  y  a  là  des  signes  pour  ceux  qui  jiensent 
Dans  ta  bonté,  tu  as  sauvé  Jonas  après  qu'il  eut  passé  des  nuits  dans 
le  ventre  d'un  poisson.  Si  je  loue  ton  nom,  Seigneur,  je  te  demande 
au.ssi  de  me  pardonner  mes  péchés.  Maître  des  esclaves,  accorde-moi 
ta  prracc  et  tes  dons.  Bénis  ma  maison  et  mes  enfants.  » 

'  D'après  quelques  commentateurs  arabes,  il  y  aurait  dans  le  Coran 
tout  un  lonp-  pa.ssagequi  s'appliquerait  àOmuiayya,  bien  qu'il  n'y  soit 
pas  nommé;  c'est  dans  la  sourate  vn,  versets  17i  à  18(i.  Il  est  pos- 
sible fine  celte  liypolbèse  se  fonde  sur  quelque  tradition  certaine; 
mais  l'allusion  est  bien  obscure,  et  il  est  à  craindre  qu'ici,  comme 
il  est  arrivé  souvent  ailleurs,  les  comiuontateurs  n'aient  substitué 
leur  propre  pensée  à  celle  de  l'auteur  ori^iinal.  Voici  le  verset  17i  : 


J/ARAHIE  AVANT  LE  MAIIOMETISME.  79 

Tel  élail  le  milieu  moral,  oivil,  politique  et  reli- 
gieux dans  lequel  allait  paraître  Mahomet  ;  tels  élaient 
ses  précurseurs  et  ses  contemporains,  ses  rivaux  et 
ses  futurs  disciples;  en  un  mot,  les  éléments  qu'il 
avait  à  coordonner  et  dont  il  devait  se  servir,  pour  les 
inspirations  de  son  génie  ou  pour  les  desseins  de  son 
ambition.  Ces  éléments  étaient  nombreux  et  les  germes 
tout  prêts  à  éclore.  Il  ne  fallait  qu'une  main  puissante 
pour  les  féconder.  Les  Hanyfes  pouvaient  se  croire 
les  fils  et  les  successeurs  d'Abraham  ;  mais  leurs  doc- 
trines étaient  encore  moins  juives  que  chrétiennes. 
Ils  subissaient,  sans  le  savoir,  l'intluence  de  ce  grand 
mouvement,  qui  ne  pouvait  se  passer  si  près  d'eux  sans 
les  toucher.  C'était  aux  patriarches  de  la  Bible  que  les 
Hanyfes  rapportaient  leur  foi  ;  et  en  cela  ils  ne  se 
trompaient  pas;  mais  sans  la  rénovation  des  croyances 
judaïques  par  le  christianisme,  la  foi  d'Abraham  mé- 
connue et  oubliée  depuis  tant  de  siècles  n'aurait  pu 
renaître.  Les  Hanyfes  sont  des  demi-chrétiens,  comme 
Mahomet  le  sera  lui-même  en  recueillant  et  en 
agrandissant   leur   hérilage,   aussi   sincère   et  aussi 

«  Récite-leur  (aux  Juifs)  l'histoire  de  celui  auquel  nous  avons  fait 
voir  un  signe,  et  qui  s'en  détourna  pour  suivre  Satan,  et  qui  fut  ainsi 
parmi  les  égarés.  »  Verset  175  :  a  Or  si  nous  l'avions  voulu,  nous 
l'aurions  élevé  par  ce  miracle;  mais  il  demeura  allaché  à  la  terre,  et 
suivit  se^  passions.  Il  ressembla  au  cliicn  i|ui  aboie  quand  tu  lui  don- 
nes la  chasse,  et  qui  aboie  encore  quand  tu  t'éloignes  de  lui,  etc.  » 
11  n'est  pas  impossible,  sans  doute,  que  ces  criliiiues  acerbes  s'adres- 
sent à  Ommayya;  mais  ce  n'es!  pas  démontré.  Du  reste  je  dois  dire 
que  M.  A.  Sprougor,  si  bon  juge  en  ces  matières,  accepte  sans  hésiter 
la  tradition  des  commentateurs. 


80  MAHOMET,  CHAPITRE  II. 

ignorant  que  ses  précurseurs.  Le  Coran  peut  l'attester 
dans  une  foule  de  passages,  où  il  exprime  pour  le 
Clirist,  fils  de  Marie,  le  plus  profond  respect  et  la  plus 
vive  admiration*. 

*  Voir  plus  loin  les  Extraits  du  Coran,  chapitre  des  Prophètes. 


CHAPITRE  II 


CARACTERE     DE     MAHOWET 


Quelques  détails  île  la  vie  de  Mahomet  ;  il  n'a  jamais  connu  son  père 
AM-AUah  ;  orphelin  de  sa  mère  à  six  ans  ;  recueilli  par  son  grand- 
père  eV  son  oncle;  sa  jeunesse  chaste  ;  ses  médilalions  pendant  qu'il 
garde  les  troupeaux;  associé  à  la  ligue  des  Foudlioùl;  El-amîn ;  son 
mariage  avec  Khadidja  ;  son  portrait  à  vingt-cinq  ans  ;  son  bonheur 
domestique;  pose  de  la  Pierre  noire;  considération  dont  Mahomet 
est  dès  loi's  entouré.  —  Sa  vocation  et  ses  premières  visions  ;  son 
trouble  extrême  ;  il  est  rassuré  par  Khadidja  et  YaraUa  ;  visions 
nouvelles  ;  l'ange  Gabriel  en  rêve  ;  le  Fitreh  ;  réalité  de  l'inspiration 
de  Mahomet;  premières  conversions;  prédications  secrètes;  fuite 
des  premiers  musulmans  en  Abyssinie  ;  luttes  de  Mahomet  contre  les 
Coraychites  durant  dix  ans;  conversion  des  gens  de  Yathrib  ;  ser- 
ments d'Acaba.  —  Hégire  ou  fuite  de  Mahomet  à  Médine  ;  il  a  alors 
cinquante-deux  ans.  —  Organisation  de  la  religion  nouvelle  à  Mé- 
dine; bataille  de  Bedr  ;  victoire  des  musulmans  sur  les  Coryachitcs 
idolâtres  ;  ardeur  sanguinaire  de  Mahomet,  excusée  par  les  mnjurs 
de  son  temps  ;  les  femmes  de  la  Mecque  à  la  bataille  d'Oliod  ;  clé- 
mence naturelle  de  Mahomet  ;  traits  nombi'eux  de  magnanimité  et 
de  miséricorde  ;  sa  rentrée  à  la  Mecque  en  050  ;  sa  douceur  égale  à 
son  habileté  ;  autorité  morale  qu'il  exerce  sur  les  siens  ;  son  allocu- 
tion aux  Ansàr  de  Médine;  destruction  des  idoles  à  laCaaba;  pèle- 
rinage d'adieu;  son  dernier  sermon  aux  musulmans  sur  le  mont 
Arafat  ;  sa  maladie  ;  sa  mort,  outre  les  bras  d'Ayésha. 

Je  ne  prétends  pas  faire  ici  une  ])iographie  de  Malio- 
inet,  même  fort  abrégée;  ce  serait  un  soin  assez  inu- 


82  MAHOMET.  CHAPITRE  III. 

tile,  après  celui  que  j'ai  pris  au  début  de  cet  ouvrage. 
D'ailleurs  la  vie  du  prophète  est  trop  connue  pour 
qu'il  y  ait  à  en  rappeler  de  nouveau  les  détails  ;  et,  si 
Ton  désire  les  retrouver  tout  au  long,  c'est  à  ses  ré- 
cents historiens  qu'il  faudrait  recourir.  Mais  je  veux 
m'arrèterau  caractère  de  ce  grand  homme,  et  l'étu- 
dier suffisamment  pour  bien  comprendre,  par  ce  qu'il 
a  été  réellement,  l'influence  extraordinaire  qu'il  a 
exercée  sur  ses  contemporains  et  sur  la  postérité.  Je 
voudrais  prouver,  etje  crois  n'y  avoir  pas  trop  de 
peine,  que  Mahomet  a  été  le  plus  intelligent,  le  plus 
religieux,  le  plus  clément  des  Arabes  de  son  temps, 
et  qu'il  n'a  dû  son  empire  qu'à  sa  supériorité  ;  je  vou- 
drais prouver  que  la  religion  nouvelle,  prêchée  par 
lui,  a  été  un  immense  bienfait  pour  les  races  qui  l'ont 
adoptée,  et  que  cette  religion,  tout  inférieure  qu'elle 
est  au  christianisme,  mérite  beaucoup  plus  d'estime 
qu'on  ne  lui  en  accorde  généralement. 

Seulement  il  ne  faut  jamais  isoler  Mahomet  du  mi- 
lieu dans  lequel  il  a  paru;  et  l'on  doit  se  souvenir  tou- 
jours qu'jl  s'agit  de  l'Arabie  au  septième  siècle  de 
notre  ère,  et  non  plus  de  ce  monde  gréco-romain,  qui 
est  sans  doute  un  incomparable  modèle,  mais  qui  ne 
peut  pas  être  cependant  le  type  exclusif  de  l'huma- 
nité. Rien  n'égale  le  monde  chrétien;  mais  on  peu! 
encore  être  très -grand,  tout  en  restant  fort  au-dessous 
(le  lui,  par  une  imitation  louable  quoique  incom- 
plète. 

L'enfance  de  Mahomet  paraît  avoir  été  très-malheu- 


CARACTERE  DE  MAHOMET.  S." 

reuse  ;  il  ne  connut  jamais  son  père  Abdallah,  mort 
deux  mois  environ  avant  sa  naissance.  Sa  mère  Amina 
ne  put  l'allaiter  elle-même  que  quelques  jours,  et  elle 
dut  le  confier  à  une  nourrice,  Halimah,  des  Bénou- 
Saad,  qui  consentit  à  s'en  charger,  non  sans  difficullé, 
parce  qu'il  était  orphelin,  et  qui  l'emmena  dans  le  dé- 
sert, assez  loin  de  lu  Mecque.  Mais  à  peine  était-il  sevré, 
vers  l'âge  de  deux  ans,  que  cette  femme  inquiète  de 
certains  accidents  dans  la  santé  de  Tenfant^,  d'ailleurs 
très-fort,  dut  le  rapporter  à  sa  mère.  Amina  reprit 
son  fds  avec  la  plus  vive  tendresse,  et  elle  le  soigna  à 
l'aide  d'une  esclave  noire  Oumm-Ayman,  pour  qui  Ma- 
homet conserva  toujours  un  vif  attachement.  Il  avait 
six  ans  environ  quand  il  perdit  sa  mère,  morte  an  re- 
tour d'un  voyage  à  Vathrih,  où  elle  était  allée  présen- 
ter son  fils  à  une  partie  de  sa  famille.  L'enfant  fut  re- 
cueilli par  son  grand-père  Abd-el-Moultalih,  qui  lui 
montrait  une  affection  toute  particulière,  et  qui  se 
plaisait  souvent  à  lui  prédire  de  hautes  destinées. 
Mais  cette  protection  même  devait  bientôt,  comme  les 

1  D'un  nccidentassez  mal  constaté  qui  était  arrivé  àl'enlant,  on  a  con- 
clu que  Mahomet  a\ait  eu  dès  lurs  une  attaque  d'éjiilepàie,  prélude  de 
deux  ou  trois  autres  qu'il  parait  avoir  éprouvées  beaucoup  plus  tard  dans 
son  âge  mûr.  Là-dessus  la  légende  malii  métane  a  Làti  la  fable  des 
deux  anges  qui  auraient  ouvert  le  ventre  de  l'entant,  et  auraient  purifié 
son  co'ur  en  lui  enlevant  la  tache  noire,  signe  du  péché  originel.  Pour 
jusiilior  cette  invention  absurde,  les  commentateurs  musulmans  al- 
légoient  la  sourate  xciv,  verset  1,  qui  commence  ainsi  :  «  N'avons-nous 
pas  ouvert  Ion  cœur,  et  ôlé  le  fardeau  de  tes  épaules?  »  Ceci  montre 
une  fois  de  plus  comment  se  forment  les  légendes  populaires.  Voir  le 
récit  d'IIalimali,  la  nourrice  dan<  le  Siral-er-raçoid.  traduction  de 
M.;G.  Weil,  t.  I,  p.  77. 


84  MAHOMET,  CIlAriTRE  III. 

autres,  manquera  l'orphelin;  Ahd-el-Mouttalib  mou- 
rait trois  ans  plus  tard»  :  et  Mahomet  âgé  de  huit  ans 
était  remis  à  la  garde  de  ses  oncles,  et  spécialement 
à  celle  d'Abou-Tàlib,  qui  jouissait  d'une  grande  con- 
sidération, comme  chef  du  Kifàda  ou  administration 
des  secours  à  donner  aux  pèlerins. 

Ainsi  la  vie  de  Mahomet  commença  par  de  rudes 
épreuves,  qu'augmentait  encore  la  pauvreté.  A  la 
mort  de  sa  mère,  il  ne  reçut  pour  tout  héritage  que 
sa  fidèle  esclave,  un  troupeau  de  moutons  et  cinq  cha- 
meaux ;  et  tout  en  appartenant  à  une  famille  illustre 
et  puissante,  il  passa  sa  jeunesse,  après  son  enfance, 
dans  un  état  voisin  de  la  misère.  De  là,  sans  doute, 
ces  habitudes  de  simplicité  et  de  tempérance  désinté- 
ressée, qu'il  observa  toujours  rigoureusement  et  qui 
lui  concilièrent  le  respect  de  tous.  On  sait  peu  de  traits 
de  celte  époque  de  sa  vie.  Il  aœompagnait  ses  oncles 
dans  leurs  voyages  et  dans  leurs  expéditions  guer- 
rières -.  Il  y  prenait  part  sans  grande  activité,  avec 
beaucoup  plus  de  docilité  que  d'ardeur,  sachant  se 

*  Abd-el-Moultalib  avait  six  filles,  qui  toutes  tirent  une  pièce  de 
vers  sur  la  mort  de  leur  père.  Le  Sirat-er-raçoul  cite  ces  divei'scs  la- 
mentations; traduction  de  il.  G.  VVeil,  t.  I,  p.  81  ot  suiv. 

*  Il  paraît  que  dans  xme  de  ces  expéditions  faites  à  l'occasion  des 
guerres  de  Fidjàr  ou  guerres  sacrilèges,  le  jevme  Mahomet  ramassait 
jes  flèches  de  fcs  oncles,  pendant  le  combat  de  Nakla,  et  les  leur  re- 
mettait. Ceci  se  comprend  s'il  n'avait  alors  que  quatorze  ans,  comme 
le  croit  M.  Caussin  de  Pcrceval,  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  t.  I. 
p.  507  ;  mais  ce  serait  la  preuve  d'un  courage  bien  peu  ardent  s'il 
avait  en  effet  vingt  ans,  comme  le  soutient  M  AV.  Miiir,  d'après  les 
auteiu-s  arabes  les  plus  autorisés,  The  Life  of  Mahomet,  l.ll,  p.  C,  et 
le  Siral-er-raçoul,  traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  89,  Aussi  M.  Muir 


CARACTERE  DE  MAHOMET.  85 

faire  aimer  de  tout  le  monde  et  inspirant  le  plus  vif 
intérêt  aux  hommes  distingués  avec  qui  il  se  trouvait 
en  rapport'.  A  vingt  ans,  il  gardait  encore  les  trou- 
peaux, fonction  presque  humiliante  pour  les  hommes, 
et  qu'on  laissait  habituellement  aux  jeunes  filles  des 
tribus.  Mahomet  se  plaisait  à  rappeler  plus  tard  que 
Moïse  et  David,  tous  deux  prophètes,  avaient  été  des 
bergers  comme  lui  ;  et.il  est  probable  que  ces  occu- 
pations nonchalantes  convenaient  à  l'esprit  méditatif 
et  rêveur  du  jeune  homme.  Elles  ne  faisaient  d'ail- 
leurs qu'ajouter  à  la  solidité  de  son  caractère,  qui  était 
d'une  maturité  précoce,  et  qui  donnait  déjà  tant  de 
confiance  à  tous  ses  compagnons  qu'ils  lui  décernaient 
le  surnom  d'El-Amîn,  «  l'homme  sûr,  l'homme  fidèle.  » 
Loin  des  trop  faciles  plaisirs  de  la  ville,  ses  mœurs 
restèrent  irréprochables,  et  sa  jeunesse  se  passa  dans 
une  chasteté  qui  parait  avoir  été  absolue,  bien  qu'elle 
ne  fût  pas  sans  combats  ^ 

croit-il  pouvoir  dire  que  «le  courage  physique  et  l'audace  martiale 
sont  des  vertus  qui  ne  distinguèrent  jamais  le  prophète,  à  aucune  des 
périodes  de  sa  vie  ». 

*  Témoin  la  prédiction  du  moine  de  Bosra,  sans  parler  de  celle 
de  son  grand-père  Abd-el-MouUaliL;  voir  M.  Caussin  de  Perceval, 
Essai,  etc.,  t.  I,  p.  520. 

^  On  [.eut  lire  dans  M.  W.  Muir,  Tlie  Life  of  Mahomet,  t.  II,  p.  li,  le 
récit  de  deux  courses  nocturnes  que  fit  le  jeune  homme  pour  aller  à 
la  Mecque  satisfaire  les  passions  de  son  âge.  Arrêté  les  deux  lois 
par  ([uelque  cause  imprévue,  il  sut  se  domiiter  et  ne  succomba  plus 
à  la  tentation.  Cette  tradition,  qu'on  fait  remonter  à  Mahomet  lui-même, 
est  rapportée  par  Tabari,  et  elle  na  rien  que  de  très-vraisemblable. 
C'est  une  gi-ande  domination  de  soi-même;  mais  elle  se  conçoit  dans 
une  nature  délicate  et  réiléchie  comme  celle  de  Mahomet.  11  faut 
ajouter   que  physiologiquement  cette  chasielé  des  premiers  temps 


86  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

La  preuve  de  l'estime  qu'on  lui  accordait,  c'est  que 
pauvre,  solitaire  et  jeune  comme  il  l'était,  on  ne  l'en 
convoquait  pas  moins  aux  actes  les  plus  importants  de 
sa  tribu.  Afin  de  prévenir  les  désordres  qui  avaient 
amené  les  guerres  longues  et  sanglantes  de  Fidjâr, 
quelques-unes  des  principales  familles  coraychites 
s'étaient  unies  et  engagées  par  serment  à  protéger  les 
faibles  et  à  leur  faire  rendre  justice.  Celait  une  ligue 
des  honnêtes  gens  contre  les  perturbateurs  de  la  paix 
publique,  et  elle  avait  d'autant  plus  d'utilité  qu'elle 
suppléait  à  l'absence  de  tribunaux  réguliei's,  qui 
fussent  assez  forts  pour  faire  respecter  leurs  déci- 
sions. Mahomet  fut  appelé  à  faire  partie  de  cette  so- 
ciété, qui  subsista  longtemps  même  après  sa  mort,  et 
il  se  fit  toujours  gloire  d'y  avoir  concouru.  Il  s'en  van- 
tait dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  et  il  se  croyait 
même  alors  étroitement  lié  par  le  serment  des  Foud- 
hoûl  ',  qu'il  avait  prêté  bien  des  années  auparavant,  en 
compagnie  des  enfants  de  ilàchim,  des  enfants  de 
Zolira  et  des  enfants  de  Taym.  1!  disait  à  Ayésha,  la 
plus  chère  de  ses  femmes,  «qu'il  était  prêt  à  répon- 
dre immédiatement  à  l'appel  que  lui  ferait  l'homme 
le  plus  obscur  au  nom  de  ce  serment,  et  qu'il  ne  vou- 

s'accoidc  bien  avec  les  besoins  persistants  de  l'âge  avancé  et  même  de 
la  vieillesse. 

'  La  Fédération  des  Foiidlioûl  ou  Hilf-el-Foiidlioùl  avait  été  ainsi 
appelée  en  souvenir  d'une  ancienne  association  formée,  sous  les  Djo- 
iliom,  par  quatre  persoiniat;es de  ce  nom,  et  qui  avait  eu  le  même 
objet.  La  seconde  association  parait  avoir  eu  plus  do  durée  et  plus 
defluacité  que  la  première.  Voir  le  Siitil-er-raçoid,  tiaduction  de 
M.G.\Veil.t.  I.  p.C5. 


CARACTERE  DE  MAHOMET.  87 

drait  pas  pour  les  plus  beaux  chameaux  de  l'Arabie 
manquer  à  la  foi  qu'il  avait  jurée,  il  n'y  avait  pas 
moins  de  trente  ans^  »  Mahomet  n'était  pas  encore 
marié,  quand  il  enlra  dans  cette  ligue  honorable,  où  il 
n'apportait  évidemment  que  le  concours  de  ses  qua- 
lités éminentes'. 

Ce  sont  également  ces  qualités  qui  décidèrent  de 
son  mariage  avec  Khadidja,  sa  cousine,  riche  veuve 
qui  avait  repoussé  les  plus  grands  partis,  et  qui,  beau- 
coup plus  âgée  que  Mahomet,  de  quinze  ans  au  moins, 
jeta  les  yeux  sur  son  jeune  parent^.  11  avait  conquis 
sa  confiance  par  la  probité  intelligente  qu'il  avait  dé- 
ployée dans  la  conduite  d'une  de  ses  caravanes.  11  n'est 
pas  impossible  non  plus  que  la  personne  même  de  Ma- 

*  Par  ce  serment,  les  associés  juraient  devant  une  divinité  venge- 
resse qu'ils  prendraient  la  défense  des  opprimés,  et  qu'ils  poursui- 
vraient la  punition  des  coupables,  tant  qu'il  y  aurait  une  goutte  d'eau 
dans  l'Océan.  Les  historiens  arabes  citent  plusieurs  faits  qui  attestent 
que  ce  n'était  pas  un  serment  vain;  et  quand  un  acte  criminel  avait 
été  commis,  il  sulïisait  de  la  menace  de  l'association  pour  que  le  grief 
fût  redressé  autant  qu'il  pouvait  l'être. 

-  M.  Caussin  de  Perceval,  Essai,  etc.,  I,  354,  lui  donne  vingt-cinq 
ans  à  cette  époque  ;  il  n'est  pas  encore  marié,  mais  c'est  peu  de  temps 
avant  son  mariage.  Jl.  \V.  .Muir,  au  contraire,  croit  pouvoir  affirmer, 
d'après  le  secrétaire  de  Wâckidi  Kâtib  el  Wâckicii]  que  Mahomet 
n'avait  alors  que  vingt  ans;  The  Life  of  Mahomet,  t.  11,  p.  10.  Cette 
différence  de  cinq  ans  ne  laisse  pas  que  d'avoir  quehpie  importance 
pour  démontrer  la  maturité  précoce  de  Mahomet. 

^  Khadidja  était  une  Coraychite  comme  Mahomet,  et  elle  descen- 
dait au  même  degré  que  lui  du  fameux  Cossayy.  Elle  avait  été  mariée 
deux  fois  et  elle  avait  eu  deux  fils  et  une  fille.  On  ne  sait  pas  au 
juste  quelle  différence  d'âge  il  y  avait  entre  elle  et  son  troisième 
mari;  mais  elle  avait  au  moins  quarante  ans,  quand  il  en  avait  vingt- 
cinq. 


88  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

homet  ait  séduit  Khadîdja.  La  tradition  ne  nous  dit  pas 
précisément  ce  qu'il  était  à  vingt-cinq  ans,  au  moment 
de  son  premier  mariage; mais,  d'après  ce  qu'elle  nous 
apprend  de  son  extérieur  dans  un  âge  plus  avancé,  on 
peut  conjecturer  ce  qu'il  devait  être  dans  la  fleur  de 
sa  jeunesse. 

D'une  (aille  un  peu  au-dessus  de  la  moyenne,  il  était 
fortement  constitué;  sa  poitrine  et  ses  épaules  étaient 
larges  ;  ses  mains  et  ses  pieds  remarquablement  so- 
lides, comme  toute  sa  charpente  osseuse  ;  les  jointures 
très -fines;  les  membres  charnus  sans  être  lourds; 
son  cou  était  long,  blanc  et  très-élégant  ;  sa  tête  était 
fort  grosse;  le  front  était  développé  et  toujours  se- 
rein; le  nez  était  fort  et  légèrement  aquilin,  avec  le 
bout  un  peu  relevé  ;  la  bouche  était  large,  avec  des 
dents  très-blanches,  saines  et  éloignées  ;  ses  sourcils 
minces  étaient  séparés  par  une  veine  qui  se  gonflait 
dans  les  moments  d'émotion  ;  ses  yeux  noirs  et  bril- 
lants étaient  ombragés  par  de  longs  cils  ;  sa  cheve- 
lure, épaisse  et  noire  comme  jais,  tombait  en  boucles 
derrière  ses  oreilles  et  jusque  sur  ses  épaules  ;  sa 
barbe  et  ses  moustaches  étaient  abondantes.  Comme 
il  arrive  assez  souvent  chez  les  hommes  très-vigou- 
reux, il  se  tenait  mal  et  il  était  voûté  ;  sa  démarche, 
quoique  rapide  et  légère,  avait,  à  l'apparence,  quel- 
que chose  de  pesant,  et  l'on  eût  dit  qu'il  descendait 
toujours  une  pente'.  D'ailleurs  toute  sa  contenance, 

*  LeSiral-er-raçoiil,  traduction  de  M.  G.  Wcil,  I.  F,  p.  198,  donne 
quelques  détails  sur  la  personne  de  Mahomet. 


CARACTERE  DE  MAHOMET.  89 

pleine  de  force,  respirait  la  douceur  et  la  bien- 
veillance, bien  qu'il  regardât  rarement  en  face  les 
gens  à  qui  il  parlait.  Sa  physionomie  générale  était 
Irés-reposée  et  très-tranquille;  son  teint,  ni  pâle  ni 
coloré  ;  sa  peau,  très-unie,  quoique  hâlée.  En  un  mot, 
l'ensemble  de  sa  personne,  sans  être  précisément 
beau,  avait  beaucoup  de  charme,  et  l'on  se  sentait  at- 
tiré vers  lui'. 

Le  moral  ne  démentait  pas  l'apparence  physique; 
c'étaient  les  mêmes  qualités  de  puissance  et  de  calme, 
de  bonté  et  de  droiture,  de  désintéressement  et  de 
gravité  douce.  11  parlait  peu  et  il  écoutait  plus  volon- 
tiers ses  interlocuteurs.  Cependant  si  l'occasion  y  prê- 
tait, il  ne  se  refusait  point  à  l'enjouement  ni  à  la  plai- 
santerie. Même  quand  il  fut  arrivé  au  faîte  du  pouvoir, 
il  ne  se  permettait  pas  de  brusquer  l'entretien  avec 
qui  que  ce  fût,  ni  de  montrer  aucun  empressement  à 
le  finir.  Comme  le  disent  ses  historiens,  il  ne  retirait 
jamais  le  premier  sa  main  de  la  main  qu'un  ami  lui 
avait  tendue.  Ce  n'est  pas  que  sa  nature  ne  fût  très- 
passionnée;  mais  il  avait  une  grande  domination  sur 

'  Il  paraît  que  Mahomet  avait  dans  le  dos  une  Inupe  assez  dévelop- 
pée, qui  était  entourée  et  recouverte  de  poils.  C'est  un  accident  assez 
fréquent,  et  qui  n'a  rien  que  de  très-naturel;  mais  les  dévots  mu- 
sulmans y  ont  attaché  une  importance  tout  à  fait  extraordinaire. 
Pour  eux,  c'était  là  le  signe  manifeste  de  la  prophétie  et  de  la  mis- 
sion que  Dieu  avait  confiée  à  son  envoyé.  Lorsque  Mahomet,  encore 
enfant,  accompagna  son  oncle  à  Bosra,  un  moine  de  celte  ville,  nommé 
Bahira.  prétendit  reconnaître  entre  ses  deux  épaules  le  signe  et  le 
sceau  de  la  prophétie  ;  voir  \n Siral-cr-raçntil ,  traduction  de  M.  G.  ^^eii. 
1. 1,  p.  87,  et  M-  Caussin  de  Perccvol,  tissai,  etc.,  t.  I.  p,  Mt) 


90  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

lui-même,  et  il  ne  souffrait  pas  que  ses  sentiments  in- 
térieurs s'exprimassent  avec  une  spontanéité  irréflé- 
chie, que  plus  tard  sa  raison  aurait  pu  blâmer.  Grâce 
à  cet  empire  qu'il  exerçait  sur  toutes  ses  actions,  il 
fut,  durant  sa  vie  tout  entière,  de  la  plus  rare  so- 
briété. Quoique  très-simple  dans  ses  vêtements,  il  soi- 
gnait extrêmement  sa  persomie;  il  était  d'une  propreté 
recherchée,  et  la  moindre  odeur  mauvaise  lui  était 
insupportable.  Habitué  à  se  servir  seul,  jusqu'aux 
derniers  moments  de  son  existence,  même  pour  les 
besoins  les  plus  vulgaires,  les  aliments,  les  habits,  la 
chaussure,  il  avait  conservé  dans  tous  ces  détails  mes- 
quins autant  de  délicatesse  que  d'indépendance. 
Comme  il  n'avait  à  réclamer  l'aide  de  personne,  il 
était  toujours  prêt  à  obliger  autrui  avec  une  facilité 
surprenante,  et  une  générosité  qui  ne  s'est  pas  un  seul 
jour  démentie.  Un  de  ses  serviteurs,  qui  était  resté 
dix-huit  ans  avec  lui,  affirmait  qu'il  n'avait  jamais  été 
grondé  par  son  maître,  et  qu'il  en  avait  reçu  des  ser- 
vices au  moins  aussi  souvent  qu'il  lui  avait  donné  les 
siens  K  II  était  d'une  force  de  corps  extraordinaire  ;  et, 
sans  rechercher  précisément  la  fatigue  et  les  périls,  il 
ne  les  craignait  ni  ne  les  fuyait  sous  aucune  forme. 
Tel  était  l'homme  qu'épousait  Khadidja;  et*  Ion 
comprend  que,  même  beaucoup  plus  âgée  que  lui, 
elle  faisait  un  choix  très-raisonnable.  Ce  qui  le  prouve, 
c'est  que  l'union  ne  fut  pas  un  instant  troublée,  et 

*  M.  (Jublave  Weil,  Moliammeil  dcr  Prophct,  p.  343. 


CARACTÈRE  DE  MAHOJIET.  91 

que  Mahomet,  qui  devait  plus  lard  provoquer  tant  de 
jalousies  légitimes  de  la  part  de  ses  nombreuses  fouî- 
mes, n'en  donna  pas  le  moindre  motif  pendant  plus 
de  vingt  ans  à  celle  qu'il  avait  épousée  en  premières 
noces,  et  qui,  par  la  différence  de  leur  âge,  aurait  pu 
être  aisément  sa  mère.  Il  eut  de  Khadidja  sept  en- 
fants :  trois  fils  qui  moururent  tous  en  bas  âge,  et 
quatre  filles,  dont  la  dernière  et  la  plus  célèbre  fut 
Fâtima,  la  femme  d'Ali.  Devenu  riche  par  son  mariage, 
le  jeune  Mahomet  ne  changea  rien  à  ses  manières  fru- 
gales, et  il  ne  profita  de  sa  nouvelle  aisance  que  pour 
faire  du  bien  autour  de  lui.  Son  oncle  Abou-Tâlib,  qui 
avait  soigné  son  enfance,  était  tombé  dans  la  gène. 
Mahomet,  plein  de  reconnaissance,  se  chargea  pour 
Taider  de  l'éducation  de  son  dernier  fils  Ali,  à  qui  il 
donna  plus  tard  Fâtima.  Ce  fut  aussi  vers  le  même 
temps  qu'il  adopta  pour  fils  un  jeune  esclave  chré- 
tien, Zeïd,  fils  de  Hàritha,  dans  lequel  il  avait  remar- 
qué d'heureuses  dispositions.  Ces  doux  enfants  aimaient 
passionnément  leur  bienfaiteur ',  et,  le  consolant  des 
fils  qu'il  avait  perdus,  ils  ne  cessèrent  de  lui  pro- 
diguer les  témoignages  du  plus  absolu  dévouement. 
Dans  ce  long  intervalle  de  bonheur  et  de  paix  do- 

*  On  connaît  le  fanatique  atlacliement  du  jeune  Ali  pour  son  oncle; 
quant  à  Zeïd,  lilsdeHàritlia,  enlevé  de  trùs-bonnc  heure  du  sein  de  sa 
famille  par  que^iues  guerriers  d'une  tribu  ennemie,  il  fut  retrouvé 
)ilus  tard  par  5ou  père,  qui  l'aimait  tendrement,  et  qui  n'avait  cessé 
de  le  chercher.  Maliomet  le  laissa  libre  de  choisir  et  de  retourner 
avec  son  père,  s'il  le  préférait.  Zeïd  n'Iiésita  point,  et  il  voulut  rester 
avec  le  bienfaiteur  qui  l'avait  alfranclii  et  traité  si  généreusement. 
Mahomet  l'adopta  alors  pour  fils. 


02  MAHOMET,  CHAPITRE  111. 

mestique,  on  ne  cite  guère  qu'une  seule  circonstance 
où  Mahomet  joue  quelque  rùle,  et  où  il  se  trouve  signalé 
à  l'attention  de  ses  compatriotes.  Il  avait  trente-cinq 
ans  environ,  et,  depuis  dix  ans,  il  était  marié  à  Kha- 
dîdja,  lorsque  les  Coraychites  résolurent  de  rebâtir  la 
Caaba,  qui  avait  besoin  des  plus  urgentes  réparations 
et  qui  menaçait  ruine.  Elle  n'avait  guère  que  la  hau- 
teur d'un  homme,  et  l'on  voulait  tout  à  la  fois  l'ex- 
hausser et  la  recouvrir.  Ce  fut  une  affaire  très-délicate 
de  régler  l'ordre  des  travaux,  parce  que  chacune  des 
familles  les  plus  puissantes  voulaient  pieusement  y 
prendre  sa  part.  On  avait  apaisé,  non  sans  peine,  tous 
les  différends  ;  mais  ils  se  réveillèrent  avec  la  plus  ex- 
trême violence,  quand  les  constructions  furent  assez 
avancées  et  qu'il  s'agit  d'y  donner  une  place  à  la 
fameuse  Pierre  noire.  C'était  à  qui  revendiquerait  ce 
droit,  qui  ne  pouvait  être  divisé;  et,  comme  les  amours- 
propres  ne  voulaient  pas  céder,  les  travaux  avaient  été 
interrompus;  de  toutes  parts,  on  avait  couru  aux 
armes.  Toutefois,  avant  d  en  venir  aux  mains,  on  tint 
une  dernière  conférence  ;  et,  sur  la  proposition  du 
doyen  d'âge,  on  s'accorda  pour  s'en  rapporter  à  l'arbi- 
trage de  la  première  personne  qui  entrerait  dans  la 
stalle  où  la  délibération  se  passait.  Le  hasard  voulut 
que  celte  personne  fût  Mahomet.  Dès  qu'on  le  vit  en- 
trer par  la  porte  des  Béni-Sheyba,  chacun  s'écria  : 
«(  El  Amîn,  cl  Amin,  l'homme  sûr,  l'homme  fidèle!  » 
et  l'on  attendit  son  jugement.  Mahomet  ne  Irompa 
point  l'allente  dont  il  était  l'objet,  et  il  trancha  la 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  95 

querelle  avec  une  présence  d'esprit  et  une  impartia- 
lité étonnantes.  Il  étendit  son  manteau  à  terre,  mit  la 
Pierre  noire  dessus,  et  pria  quatre  des  principaux 
chefs  des  factions  ennemies  de  prendre  les  coins  du 
manteau  pour  élever  simultanément  la  pierre  '  à  la 
hauteur  qu'elle  devait  occuper,  quatre  ou  cinq  pieds 
au-dessus  du  sol.  Il  la  prit  alors  lui-même,  et  il  la 
posa  de  ses  propres  mains.  L'assistance  fut  pleine- 
ment satisfaite,  grâce  à  cette  ingénieuse  conciliation  ; 
et  la  paix,  menacée  depuis  quelques  jours,  fut  à  l'in- 
stant rétablie.  Ce  service  rendu  au  public,  et  ce  suc- 
cès, si  facilement  obtenu,  ne  laissèrent  pas  que  d'ac- 
croître encore  l'estime  dont  jouissait  Mahomet. 

Cependant  il  approchait  de  la  crise  qui  devait  décider 
du  reste  de  sa  vie,  et  en  faire  un  fondateur  de  reli- 
gion ;  il  avait  à  cette  époque  près  de  quarante-deux 
ans.  Jusqu'alors  il  avait  accepté  le  culte  national;  et 
sans  se  signaler  par  une  piété  particulière  envers  les 
idoles,  il  n'avait  jamais  témoigné  la  moindre  répu- 
gnance à  les  adorer,  comme  chacun  le  faisait  autour 
de  lui.  11  est  à  présumer  cependant  que  des  doutes  sé- 
rieux s'étaient  élevés  dès  longtemps  dans  son  esprit, 
soit  qu'ils  lui  vinssent  spontanément,  soit  qu'ils  lui 
fussent  inspirés  par  les  llanyfes  qu'il  connaissait,  par 
Varaca,  le  cousin  de  Khadidja,  sa  femme,  soit  même 

'  La  Pierre  noire,  d'après  le  témoignage  des  voyapeurs  qni  l'ont 
vue,  n'a  pas  plus  de  six  ponces  de  liaul  sur  hnil  ponces  de  long;  c'est 
très-probablement  nii  simple  morceau  de  basalte,  on  peut-être  un 
aérolitlie.  Voir  M.  NV.  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  II.  p.  Ô5,  citant 
Aii-Bey,  Burckliardt  et  Burton. 


94  MAHOMET.  CHAPITIΠ III. 

aussi  par  Zcïd,  fils  de  Hâritha,  qui  iTavait  pas  cessé 
d'être  chrétien  en  devenant  le  fils  adoptif  de  Mahomet. 
Il  se  plaisait  à  se  promener  seul  dans  les  environs  de 
la  Mecque,  livré  aux  pensées  qui  peut-être  l'occu- 
paient déjà  lorsque  jadis  il  gardait  les  troupeaux,  et 
il  se  disait  certainement  que  l'idolâtrie  n'était  pas  la 
religion  d'Abraham,  et  qu'on  pouvait  y  substituer  un 
culte  plus  raisonnable  et  plus  pur.  Chaque  année,  il 
se  retirait,  comme  les  personnages  les  plus  dévots  de 
la  Mecque,  sur  le  mont  Hira,  pendant  les  mois  sacrés 
de  la  trêve  ;  et  là,  dans  une  grotte  étroite,  qui  avait 
servi  à  bien  d'autres  ermites  avant  lui,  il  s'abandon- 
nait à  ses  rétlexions,  peut-être  même  à  ses  extases, 
dans  le  silence  le  plus  absolu  et  dans  la  tranquillité  la 
plus  profonde,  sous  un  climat  brûlant,  au  milieu  d'une 
nature  aride  et  desséchée  par  un  soleil  inaltérable.  Il 
ne  sortait  de  la  solitude  que  pour  aller  de  temps  à 
autre  chercher  dans  sa  maison  les  aliments  indispen- 
sables, et  il  se  hâtait  de  revenir  à  ses  chères  médi- 
tations. 

On  doit  concevoir  quelles  excitations  ce  régime  de 
vie  devait  causer  à  une  organisation  telle  que  la 
sienne,  et  les  dispositions  d'esprit  où  il  devait  être 
quand  il  rentrait  prés  de  sa  femme  et  de  sa  famille.  Il 
parait  bien  qu'il  eut  dès  lors  ces  inspirations  ardentes 
d'où  plus  tard  il  tira  le  Coran.  Ce  n'étaient  pas  celles 
d'un  poêle,  car  il  se  défendit  toujours  de  l'être  à 
l'exemple  de  plusieurs  de  ses  contemporains  ;  mais 
c'étaient  les  elfusioiis  d'une  âme  embrasée  des  senti- 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  Oo 

ments  qui  l'agifaient  et  bouleversée  par  ses  tempêtes 
intérieures.  D'ailleurs  les  objets  de  ces  méditations 
étaient  les  plus  grands  que  l'esprit  de  l'homme  puisse 
se  proposer:  Dieu,  l'immortalité  de  l'àme,  les  châ- 
timents et  les  récompenses  de  la  vie  éternelle. 

Il  semble  bien  constaté  que  c'est  précisément  dans 
un  rêve  que  Mahomet  crut  avoir  la  première  révéla- 
tion de  sa  mission  future ^  L'ange  Gabriel  lui  apparut 
durant  son  sommeil,  tenant  et  lui  donnant  un  livre 
qu'il  lui  enjoignait  de  lire.  Mahomet  résista  trois  fois  à 
cet  ordre,  et  ce  ne  fut  que  pour  éviter  les  violences  de 
l'ange  qu'il  consentit  enfin  à  lire  ce  qui  lui  était  pré- 
senté. A  son  réveil,  il  sentit  qu'un  livre  avait  été  écrit 
dans  son  cœur  ;  c'est  l'expression  dont  il  se  servait 
lui-même,  si  l'on  en  croit  la  tradition,  pour  rappeler 
celte  apparition  merveilleuse.  11  en  tut  profondément 
troublé  ;  et  après  avoir  raconté  à  Khadîdja  le  rêve 
qu'il  venait  d'avoir,  il  retourna  sur  le  mont  Hira, 
livré  au  désespoir  et  à  l'égarement.  Il  se  croyait  pos- 
sédé des  esprits  malins,  et  il  allait  peut-être  s'ôter  la 

'  Sur  ce  point  si  important,  les  historiens  arabes  sont  généralement 
d'accord;  c'est  en  rêve  que  d'abord  Mahomet  crut  avoir  vu  l'ange  Ga- 
briel, lui  apportant  un  rouleau  couvert  d'écriture  et  lui  ordonnant 
de  le  lire.  On  peut  consulter  à  co  sujet  \e  Siral-er-raçoul,  traduction 
de  M.  G.  Weil.  t.  I.  p.  117»,  et  l'appendice  du  quatrième  cli.ipitre  dans 
1  ouvrage  de  M.  A.  Sprenger,  Vas  l.eberi,  etc.,  t  I,  p.ôôO  et  suivantes. 
Le  témoignage  vient  surtout  d'Ayésha.  qui  devait  avoir  entendu  ré- 
péter mille  l'ois  cette  curieuse  circonstance.  Mahomet  lui-inénu'  paraît 
l'avoir  racontée  aussi  de  cette  façon.  Ibn-Isbâc  tenait  le  récit  d'Az- 
zouhri,  lequel  le  tenait  d'Ourva,  et  Ourva  le  tenait  d'Ayésha  elle- 
même,  si  1  on  en  croit  Ibn-lshàc  cité  parTabari.  Voir  M.  A.  Sprenger, 
ibid.,  p.  JÔ7. 


%  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

vie  en  se  précipitant  du  haut  d'un  rocher,  pour  se  dé- 
livrer du  mal  affreux  qu'il  redoutait,  quand  une  voix 
descendue  du  ciel  et  qu'il  prit  pour  celle  de  l'ange  lui 
dit  :  «  0  Mahomet,  tu  es  l'Envoyé  de  Dieu,  et  je  suis 
l'ange  Gabriel.  »  Puis,  levant  les  yeux,  il  vit  l'ange 
sous  une  forme  humaine,  et  il  put  le  suivre  quelque 
temps  du  regard  jusqu'à  ce  qu'il  le  perdit  de  vue  à 
l'horizon.  Cependant  Khadidja,  effrayée  de  sa  longue 
absence,  après  l'agitation  où  elle  l'avait  laissé,  avait 
envoyé  des  gens  à  sa  recherche.  On  le  découvrit  bien- 
tôt ;  et,  rentré  près  de  sa  femme,  il  lui  fit  part  de  sa 
vision  nouvelle,  avec  une  émotion  qu'il  ne  pouvait  cal- 
mer. Khadidja  le  rassura  de  son  mieux  ;  et  comme 
elle  ne  pouvait  mettre  en  doute  la  parfaite  sincérité  de 
son  mari,  qu'elle  connaissait  depuis  de  si  longues  an- 
nées :  «  Dieu  est  mon  appui,  dit-elle;  il  ne  permettra 
point  que  tu  aies  le  malheur  d'être  un  poêle  auquel 
personne  ne  doit  avoir  confiance,  ni  un  possédé  des 
Djinns.  Tu  dis  toujours  la  vérité;  lu  ne  manques  jamais 
à  ta  parole  ;  nos  parents  le  savent  aussi  bien  que  moi. 
Celui  qui  lient  la  vie  de  Khadidja   entre  ses  mains 
m'est  témoin  que  tu  seras  le  prophète  de  celte  nation. 
Rassure-loi,  et  bannis  le  trouble  de  tes  esprits  ',  » 

Cependant  Khadidja,  tout  en  soutenant  son  mari, 
n'était  pas  aussi  rassurée  qu'elle  voulait  bien  le  pa- 


'  Pour  ne  pas  èlic  étonne  de  ce  langnge  monotliêisle  de  Kliadidjo, 
il  foui  se  rappeler  au  milieu  de  ([uelies  doclrines  religieuses  elle 
vivait.  C'était  la  doctrine  des  Hanyfes,  (|u'elle  connaissait  par  son 
cousin  Vavaku  et  par  bien  d'autres. 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  07 

raitre  ;  et  à  peine  avait-elle  reçu  cette  ei'tVayanle  con- 
fidence, qu'elle  se  rendit  auprès  de  son  cousin  Yaraka 
pour  lui  en  faire  part  et  consulter  sa  sagesse  et  ses 
lumières.  Yaraka,  déjà  fort  âgé,  s'était  converti  au 
christianisme  ;  il  avait  lu  la  Bible,  et  il  voyait  assidû- 
ment des  juifs  et  des  chrétiens.  Il  ne  parut  pas  fort 
étonné  du  récit  que  sa  cousine  lui  faisait.  Cependant 
il  lui  répondit  :  «  Si  ce  que  lu  viens  de  me  dire  est 
vrai,  ton  mari  est  visité  par  le  grand  Nàmoùs  ',  qui  jadis 
a  visité'Moïse  ;  il  sera  le  prophète  de  ce  peuple.  An- 
nonce-le-lui, et  qu'il  se  tranquillise.  »  A  quelque 
temps  de  là,  Yaraka,  rencontrant  prés  de  la  Caaba 
Mahomet,  qui  était  revenu  de  sa  retraite  de  Ilira,  se  fit 
de  nouveau  raconter  la  vision  par  lui  ;  Yaraka  lui  ré- 
péta ce  qu'il  avait  dit  à  sa  femme,  mais  il  ajouta  :  «  On 
te  traitera  dimposteur;  on  te  persécutera;  on  te 
cliassera  ;  ou  te  combattra  violemment.  Que  ne  puis-je 
vivre  jusqu'à  cette  heure  pour  l'assister  dans  cet'e 
lutte!  »  En  se  séparant  de  Mahomet,  il  l'embrassa  sur 
le  front  ;  et  ce  fut  pour  l'âme  du  nouveau  prophète 
un  grand  apaisement  et  une  douce  consolation'. 

'  On  croit  que  yàmoils  n'csl  pas  autre  cliose  que  la  con-uplioii  arabe 
du  mot  grec  Sodios,  la  Loi  ;  voir  M.  Vf.  Muir,  t.  II,  p.  84. 

^  Il  faut  bien  se  rappeler  que  tous  ces  détails  viennent,  selon  la 
Iradition.  de  Maiioniet  lui-mùmc.  Ceci  ne  veut  pas  dire,  sans  doute, 
(pi'ils  soient  tous  de  la  plus  parfaite  e."c  ictitude;  mais  ils  portent  du 
moins  un  cachet  d  évidente  sincérité  ;  et  l'on  peut  croire  que  c'est  bien 
ainsi  que  Maliomet  expliquait  sa  mission  à  lui-même  et  aux  autres. 
Voir  le  Sirat-er-raçoul.  traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  ii4,  et 
M.  Sprenger,  Das  Lchen,  c[c.,  1. 1,  p.  335,  53()  et  337.  Il  faut  lire  aussi 
les  Extraits  du  Coran,  que  je  donne  plus  loin,  chapitre  de  Mahomet. 

(3 


08  .MAHOMET,  CIIAl'ITRE  III. 

Le  sentiment  qu'exprimait  Yaraka  devait  être  vingt 
ans  plus  tard  celui  de  l'Arabie  tout  entière  ;  mais  alors 
ce  n'était  pas  même  bien  fermement  celui  de  Maho- 
met, et  il  avait  encore  de  rudes  combats  à  livrer 
contre  lui-même,  et  contre  tout  ce  qui  l'entourait, 
avant  que  sa  mission  ne  fût  enfin  avérée  à  ses  propres 
yeux,  et  surtout  auprès  des  peuples  idolâtres  auxquels 
il  allait  s'adresser. 

Ainsi  un  rêve  et  une  hallucination,  voilà  l'occasion, 
je  ne  dis  pas  la  cause,  de  la  religion  nouvelle.  C'est 
dans  l'âme  de  Mahomet  que  cette  religion  avait  ses  ra- 
cines et  ses  fondements  ;  c'est  dans  les  dispositions  du 
peuple  arabe  qu'elle  trouva  son  triomphe  ;  mais  Maho- 
met ne  se  crut  l'Envoyé  de  Dieu  que  quand  un  songe 
l'en  eut  averti,  et  que  la  parole  d  un  ange,  vu  et  en- 
tendu par  lui,  fut  venue  lui  imposer  et  lui  confirmer 
sa  redoutable  mission.  Toute  sa  vie,  Mahomet  eut  une 
confiance  absolue  dans  les  rêves  ;  et  lorsque,  quinze 
ans  après,  maître  de  Médine  et  déjà  presque  vain- 
queur de  tous  ses  ennemis,  il  voulut  làire  en  627  le 
pèlerinage  de  la  Mecque  qu'il  avait  dû  interrompre  de- 
puis sa  fuite  à  Yathrib,  c'est  encore  un  songe  qui  lui 
avait  inspiré  ce  projet  '.  11  ne  put  pas  le  réaliser  comme 
il  le  voulait;  mais  le  rêve  qu'il  avait  eu  n'en  était  pas 

•  Voir  M.Cous;dn  de  l'orcnvnl.  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  etc., 
r.  III,  p.  175,  cl  M.  G.  VVeil,  Mohammed  der  Prophet.  p.  173.  C'est  le 
laineux  voyage  à  Hodayhiya.  Malionicl  prcl'éra  traiter  avec  les  Coray- 
cliiles  plutôt  que  {l'employer  la  violence;  mais  les  niu.sulnians  et  Omar 
surtout  lui  reprochèrent  de  n'avoir  pas  obéi  complètement  à  l'avis  de 
son  rêve. 


I 


CARACTERE  DE  MAHOMET.  99 

moins  un  ordre  pour  lui  ;  et  s'il  n'y  avait  pas  obéi,  il 
se  serait  regardé  comme  coupable  de  résistance  à  une 
inspiration  divine.  Telle  était  sa  superstition  à  cet 
égard  qu'il  disait  souvent  que  «  le  rêve  était  la  révéla- 
tion du  prophète'.  » 

Quant  à  l'hallucination,  on  peut  d'autant  moins  la 
révoquer  en  doute  qu'elle  ne  se  renouvela  pas  de 
longtemps,  et  que  Mahomet  en  fut  lui-même  épou- 
vanté. Encore  hésitant  sur  sa  mission,  il  désirait,  pour 
y  croire,  une  nouvelle  apparition  de  l'ange;  mais  elle 
se  fit  attendre  pendant  plus  de  deux  ans,  selon  quel- 
ques témoignages,  pendant  six  mois  selon  d'autres. 
C'est  ce  que  les  auteurs  musulmans  ont  appelé  l'Inter- 
valle ou  le  Fifr^/t;  et  pendant  tout  ce  temps,  l'esprit  de 
Mahomet  paraît  avoir  été  livré  aux  perplexités  les  plus 
douloureuses  et  aux  craintes  les  plus  vives.  Ce  n'était 
pas  moins  que  la  folie  qu'il  redoutait;  et  sous  l'obses- 
sion constante  des  idées  qui  l'assiégeaient,  il  lui  sem- 
blait qu'il  allait  perdre  la  raison.  Autour  de  lui,  si  ce 
n'est  parmi  ses  proches,  on  avait  en  général  cette  opi- 
nion ;  et  l'on  prenait  les  désordres  de  son  intelligence 
en  pitié  quand  on  ne  les  prenait  pas  en  colère. 

On  a  voulu  expliquer  ce  singulier  état  de  Mahomet 

par  des  causes  purement  physiologiques  et  morbides. 

►On  a  parlé  d'attaques  d'épilepsie,  auxquelles  il  aurait 

été  sujet  dès  son  enfance  ;  et  M.  A.  Sprenger,  qui  est 

médecin  en  même  temps  que  philologue,  a  consacré 

*  M.  G.  Weil,  p.  44,  on  nolp,  citant  Ibn-Isliàc. 


KXt  MAHOMET,  CHAPITRE  HT, 

un  chapitre  presque  entier  à  l'hystérisme  deMahomet^ 
J'avoue  que  des  considérations  de  ce  genre  me  tou- 
chent ici  fort  peu,  et  que  l'hystérisme  ou  l'épilepsie 
de  Mahomet  ne  me  semble  rendre  compte  de  rien. 
Evidemment  il  y  avait  autre  chose  en  lui  ;  car  tous  les 
hystériques  ne  sont  pas  des  prophètes,  et  c'est  préci- 
sément cette  autre  chose,  c'est-à-dire  son  état  moral, 
qu'il  importe  de  connaître.  A  mon  sens,  on  com- 
prend bien  mieux  Mahomet  en  se  reportant  aux  idées 
dontil  était  possédé,  à  l'eifet  prodigieux  qu'elles  produi- 
saient en  lui,  à  l'ascétisme  auquel  il  se  condamnait 
pendant  des  mois  entiers,  en  un  mot  à  l'ensemble  des 
circonstances  dont  j'ai  parlé  un  peu  plus  haut.  Dans 
cette  ardente  et  longue  exaltation,  il  s'est  pénétré  de 
la  grandeur  des  croyances  qu'il  apportait  au  monde  ; 
il  s'est  pris  sincèrement  pour  l'Envoyé  de  Dieu,  en 
comparant  la  pureté  de  sa  foi  à  la  grossièreté  de  l'ido- 
lâtrie quil  voulait  détruire.  Comme  il  le  répète  vingt 
fois  dans  le  Coran,  il  n"a  été  ni  un  imposteur  ni  un 
égaré.  Transporté  d'entliousiasme,  il  a  pris  pour  la 
voix  même  de  Dieu  la  voix  qu'il  entendait  en  lui,  et  il 
s'est  cru  prophète  comme  l'avaient  été  jadis  tous  ces 

*  C'est  le  iroisièine  chaiiitro  du  premier  volume,  Das  l^ben  und  die 
lehre  dex  Mohammad.  p.  5(î7  et  suiv.  M.  le  docteur  A.  Sprenger  y  a 
Iraité  scicntili(|uement  de  l'hystérisme;  mais  il  a  considéré  cette  ma- 
ladie dune  manière  un  lieu  trop  générale,  sans  appliquer  diroctenienl 
toutes  ces  théories  à  Mahomet.  C'est  justement  dans  les  annexes  à  ce 
chapitre,  p.  '2<J9,  qu'il  a  réuni  tous  les  textes  originaux  qui  se  rappor- 
tent ù  ces  défaillances  et  ii  ces  syncopes  du  prophète.  On  ne  voit  pas 
en  les  consultant  que  ce  fût  une  maladie  \Taiment  caractérisée,  et  ce 
ont  des  accident  phiiôi  qiiune  allection  clifonique. 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  101 

personnages  que  la  Bible  lui  offrait  pour  précurseurs 
et  pour  modèles  ;  eux  aussi  avaient  communiqué  avec 
Dieu'. 

Je  ne  voudrais  pas  établir  une  comparaison  forcée'"' 
entre  Socrate  et  Mahomet,  et  il  y  a  entre  eux  toute  la 
différence  du  moncîe  grec  au  monde  arabe.  Mais  So- 
crate aussi  avait  des  espèces  d'hallucinations;  Socrate 
se  croyait  aussi,  à  ce  qu'il  semble,  une  mission 
divine.  Ce  n'était  pas  un  ange  qui  la  lui  avait  imposée, 
mais  c'était  l'oracle  de  Delphes;  et  plutôt  que  de  re- 
noncer à  cette  mission,  Socrate  eût  préféré  sans  hési- 
tation sacrifier  sa  vie.  Devant  ses  juges,  il  ne  voulut 
pas  la  conserver  à  ce  prix.  Il  y  a  loin,  je  l'avoue,  de  la 
sérénité  du  sage  grec  et  de  sa  gracieuse  ironie,  aux 
fougueuses  inspirations  et  aux  élans  désordonnés  du 
prophète  arabe;  il  y  a  loin  des  dialogues  de  Platon  au 
Coran  ;  mais,  au  fond,  il  subsiste,  de  Socrate  à  Maho- 
met, ce  point  de  ressemblance;  et,  s'il  n'est  pas  pos- 
sible de  nier  la  sincérité  du  premier,  il  n'est  guère 
possible  de  nier  la  sincérité  du  second. 


*  Voir  plus  loin  les  ExU'aits  du  Coran,  cliapilres  de  Mahomet  ol  des 
Prophètes. 

-  On  peut  voir  dans  M.  W.  Muir,  TIte  lAfe  of  Mahomet,  t.  11,  p.  !)() 
ctsuiv.,  un  long  parallèle  entre  Malioniet  et  Jésus-Christ,  fait  au  point 
de  vue  de  la  fui  la  plus  sincère.  Quant  à  M.  A.  Sprenger,  cpii  croit  que 
Mahomet  était  hystérique,  c'est  de  Svédenhorg  qu'il  le  rapproche  ; 
voir  Das  l.eben  iitid  die  Ulire  des  Mohammad,  t.  I,  p.  275  et  suiv.  : 
mais  la  cjmparaison  n'est  pas  juste.  Svédenborg  n'est  qu'un  illuminé, 
qui  n'a  rien  fondé  et  qui  n'a  laissé  que  le  souvenir  ojjscur  et  presque 
ignoré  des  bizarreries  de  son  imagination.  Il  n'y  a  rien  là  (jui  res- 
semble à  une  religion. 

6. 


■1(12  MAHOMET,  CHAPITRE  TH. 

Dans  l'étal  actuel  du  monde  religieux  où  nous 
sommes,  nous  comprenons  peu  ces  anxiétés  et  ces 
bouleversements  des  âmes  en  quête  de  nouvelles 
croyances.  Parce  que  nous  ne  sentons  plus  ces  tem- 
pêtes, nous  nous  les  représentons  mal  dans  les  autres 
temps,  où  nous  ne  vivons  que  par  l'histoire.  Mais 
quand  elles  s'élèvent  dans  ces  grands  cœurs  et  dans 
ces  puissants  génies,  l'aspect  éclatant  de  la  vérité 
qu'ils  aperçoivent  les  éblouit  et  les  transporte  hors 
de  toutes  les  voies  ordinaires  de  l'humanité.  Ce  con- 
tact de  l'infini  qu'ils  ont  un  instant  entrevu  les  trans- 
figure ;  ils  ne  se  croient  plus  et  on  ne  les  croit  plus 
des  hommes  comme  les  autres.  De  fait,  il  n'y  a  point 
là  d'erreur,  ni  surtout  d'imposture  ;  ces  chefs  des 
humains  diffèrent  du  vulgaire,  ainsi  que  dans  une 
armée  le  général  diffère  des  soldats  qui  le  suivent  et 
lui  obéissent.  Quand  on  admet  Taction  de  la  Provi- 
dence sur  les  affaires  humaines,  on  ne  peut  se  refuser 
à  la  retrouver  aussi  dans  ces  intelligences  domina- 
trices, qui  apparaissent  de  loin  à  loin,  pour  éclairer 
et  conduire  le  reste  des  hommes. 

Tnc  des  préoccupations  les  plus  évidentes  de  Maho- 
met dans  le  Coran,  c'est  de  mettre  sa  véracité  à  l'abri 
de  tout  soupçon  ;  El-Amîn  serait  honteux  el  désolé 
qu'on  le  prît  pour  un  menteur  :  «  J'en  jure  par  l'étoile 
quand  elle  se  couche,  s'écrie-t-il  dans  la  sourate  lui'; 
votre  compalriote  n'est  point  égaré  ;  il  n'a  point  été 
séduit;  il  ne  parle  pas  sous  l'empire  de  ses  passions 
aveugles.   I.e  Coran  est  une  révélation  qui  lui  a  été 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  405 

faite  ;  c'est  le  Terrible,  c'est  le  Vigoureux  (l"ange  Ga- 
briel), qui  l'a  instruit.  Il  planait,  se  maintenant  en 
équilibre,  dans  la  sphère  la  plus  haute;  puis  il 
s'abaissa  et  resta  suspendu  dans  les  airs.  11  était  à  la 
distance  de  deux  arcs  ou  plus  près  encore;  et  il  révéla 
au  serviteur  de  Dieu  ce  qu'il  avait  à  lui  révéler.  Le 
cœur  de  Mahomet  ne  ment  pas;  il  l'a  vu.  Élèverez- 
vous  des  doutes  sur  ce  qu'il  a  vu?  Il  a  vu  la  plus 
grande  merveille  de  son  Seigneur'.  »  Le  Coran  est 
plein  d'accents  de  celle  énergie  et  surtout  de  cette 
sincérité.  Il  ne  faut  pas  plus  douter  de  Mahomet,  quand 
il  affirme  avoir  vu  l'ange  Gabriel,  que  nous  ne  doute- 
rions de  Socrate  affirmant  avoir  entendu  une  voix  qui 
lui  défendait  de  franchir  le  seuil  de  la  maison  où  il 
allait  entrer.  Nous  pouvons  bien  ne  pas  croire  à  la 
réalité  du  phénomène  en  lui-même  ;  mais  on  peut 
très-bien  admettre  la  réalité  de  la  vision,  pour  ces 
âmes  non  point  égarées  mais  frappées. 

Rien  d'ailleurs  n'était  plus  simple  que  la  foi  nou- 
velle :  Croire  à  un  Dieu  unique,  créateur  du  ciel  et  de 
la  terre,  plein  de  miséricorde  et  de  bonté,  auteur  de 
toutes  les  merveilles  que  la  nature  offre  à  nos  yeux  ; 


'  Coran,  sourale  i.iii'',  versets  1°'  et  suiv.  Ailleurs,  sourate  lxxxi", 
vei'sets17  et  suiv.  «J'en  jure  par  la  nuit  quand  elle  survient,  par 
l'aurore  quand  elle  s'épanouit  :  le  Coran  est  la  parole  de  l'envoyé  il- 
lustre (l'ange  Gabriel),  puissant  auprès  du  maître  du  trône,  ferme, 
obéi  et  fidèle;  votre  compatriote  n'est  pas  un  possédé;  il  l'a  vu  distinc- 
tement au  sommet  du  ciel...  Le  Coran  est  un  avertissement  pour  l'u- 
nivers; »  trailuclion  de  M.  Kasimirski.  Voir  plus  loin  les  Extraits  du 
Coran,  chapitre  de  Maliomct  et  des  Prophètes. 


10{  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

croire  à  une  autre  vie  où  les  bons  seront  récompensés 
et  les  méchants  seront  punis  ;  prier  Dieu  matin  et  soir 
après  s'être  purifié  par  des  ablutions  ;  pratiquer  toutes 
les  vertus  et  surtout  l'aumône;  enfin  reconnaître  Ma- 
homet pour  l'Envoyé  de  Dieu  et  lui  obéir  à  ce  titre, 
tel  était  le  dogme  qui  allait  régénérer  l'Arabie  et  ren- 
verser l'idolâtrie  à  laquelle  elle  était  livrée. 

M.  A.  Sprenger  et  M.  W.  Muir  '  ont  remarqué  avec 
raison  qu'une  des  plus  fortes  preuves  de  la  sincérité 
de  Mahomet,  c'est  que  les  premières  conversions  ont 
toutes  été  faites  parni  ceux  avec  qui  il  vivait,  Khadidja, 
Ali-,  Zeïd,  fils  de  Hâritha,  Varaka,  Abou-becr,  son 
ami  le  plus  intime  et  le  plus  cher  et  qui  devait  être 
son  successeur.  La  conversion  d'Abou-becr  fut  de  la 
plus  haute  importance  et  en  décida  bien  d'autres  au- 
tour de  lui.  Un  peu  plus  jeune  que  Mahomet,  et  d'une 
branche  différente  des  Coraychites,  il  était  fort  riche 
par  suite  d'heureuses  entreprises  dans  le  commerce. 
Aussi  doux  et  aussi  calme  que  .son  ami,  il  s'était  rendu 
populaire  par  son  affabilité  et  sa  bienfaisance.  D'un 
corps  petit  et  assez  frêle  et  d'une  beauté  remarquable, 
qui  l'avait  fait  surnonnner  Alik,  il  était  capable  des 

'  M.  A  Sprenger,  Tlie  Life  of  Mohammad,  p.  111;  et  M.  W.  Muir, 
The  Life  of  Mahomet,  t.  II,  p.  97.  C'est  M.  VV.  Muir  et  M.  A.  Sprenger 
(lu'il  faut  surtout  consulter  pour  ces  premiers  développements  de  l'Is- 
lam; ils  ont  l'un  et  l'autre  reciicrclié  curieusement  les  noms  des  dis- 
ciples que  Mahomet  put  gayuer  au  début  de  sa  mission.  Il  est  fort 
curieux  de  suivre  ces  progrès  pas  à  pas. 

*  Ali  n'avait  pas  alors  plus  de  di.\  ans,  et  il  eût  éti'  facile  de  le 
tromper.  Quant  à  Zoïd,  il  en  avait  plus  de  trente.  Voir  lo  Siiat-er- 
raçuul,  traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  ll'.>. 


CARACTERE  DE  MAIIOMT.  105 

résolulions  les  plus  fermes;  et  la  conversion  d'un  tel 
personnage  aimé  et  considéré  de  tout  le  monde  pesait 
du  plus  grand  poids.  11  proclamait  hautement  sa  con- 
viction, et  bon  nombre  de  ses  amis  suivirent  son 
exemple,  entre  autres  Othmàn,  fils  d'Affan,  marchand 
comme  Abou-becr,  et  qui  devait  être  le  quatrième 
calife. 

En  trois  ans  de  prédication  secrète,  mais  constante, 
la  secte  nouvelle,  qui  était  encore  cachée,  comptait  à 
peu  près  une  cinquantaine  d'adhérents,  tous  gagnés 
un  à  un  et  de  proche  en  proche, «quelques-uns  d'une 
haute  position  sociale,  et  d'autres  moins  considérables 
parmi  les  femmes  et  les  esclaves.  Elle  se  nommait 
elle-même  VIslam  ou  l'absolue  soumission  à  la  volonté 
de  Dieu  ;  les  croyants  s'appelaient  les  musulmans  ou 
les  gens  soumis  à  cette  volonté  sainte  et  toute-puis- 
sante; ils  qualifiaient  leurs  adversaires  du  nom  de 
hâfirSy  ou  gens  qui  rejettent  le  message  divin,  et  de 
musrhikw,  ou  gens  qui  donnent  des  compagnons  à  la 
Divinité  au  lieu  de  croire  au  Dieu  unique  *. 

Cependant,  les  persécutions  s'éveillèrent  à  mesure 
que  l'Islam  étendit  ses  conquêtes  et  devint  public  ;  et 
elles  prirent  une  assez  vive  intensité,  lorsque  Mahomet 
alla  s'établir  dans  la  maison  d'Arcam  -,  presque  en  face 

*  M.  W.  Mail",  T lie  Life  of  Maliomel,  l.  H,  p.  147.  Ces  désignations 
en  sens  contraires  snntdaii^  la  nature  même  des  choses;  car  c'est  une 
nécessité  de  se  dis^tinguer;  et  le  même  (nil  se  reproduit  à  Toripine  de 
loutes  les  religions. 

-  La  maison  d'Arcam  lient  une  grande  place  dans  les  traditions  mu- 
sulmanes; c'est  prespir'  in:nme   re|le  d'Anatliapindjka  (Jans  les  (rfl- 


106  AIAHOMET,  CHAPITRE  III. 

de  la  Caaba,  sur  le  penchant  de  la  colline  Safà,  c'est- 
à-dire  dans  un  des  lieux  les  plus  fréquentés  de  la 
ville,  où  tous  les  pèlerins  devaient  nécessairement 
passer  pour  l'accomplissement  des  cérémonies  solen- 
nelles. Moins  de  deux  ans  après,  la  persécution  était 
assez  violente  pour  que  les  plus  fidèles  musulmans 
dussent  émigrer  deux  fois  en  Abyssinie  et  y  chercher 
un  refuge;  c'était  vers  lan  615.  C"est  qu'en  effet  les 
Coraychites,  gardiens  de  la  Caaba  et  du  culte  national, 
ne  pouvaient  supporter  plus  longtemps  les  réproba- 
tions publiques  dont  ce  culte  était  l'objet,  et  les  dan- 
gers qui  le  menaçaient,  si  la  secte  de  Mahomet  pouvait 
l'insulter  et  le  ruiner  impunément.  Les  plus  influents 
d'entre  eux  allèrent  donè  trouver  Abou-Tàlib,  pour  le 
sommer  d'imposer  silence  à  son  neveu  et  de  faire 
cesser  les  audacieuses  attaques  qu'il  se  permettait 
contre  les  idoles  les  plus  révérées.  Par  point  d'hon- 
neur, Abou-Tàlib,  qui  ne  partageait  pas  les  idées  nova- 
trices de  Mahomet,  résolut  de  le  défendre  parce  qu'il 
était  de  sa  famille  ;  et  tous  les  descendants  de  Hachim 
et  d'Abd-el-Moultalib  s'y  engagèrent  avec  lui,  excepté 
Abou-Lahab.  C'était  chez  les  Arabes  un  devoir  strict 
de  protéger  ceux  auxquels  on  était  allié  ;  et  c'est  là  ce 
qui  fit  que  les  Coraychites  n'osèrent  de  longtemps 
user  de  violence  sur  la  personne  du  prophète.  S'ils 

ilitioDs  bouddliiiiiies.  Arcain  avait  été  un  des  iiremiei's  convertis,  et  il 
fallait  qu'il  eût  quelque  mérite  tout  particulier  pour  que  le  prophète 
consentit  à  loger  chez  lui;  M.  W.  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  Il, 
p.  110  el  117  ;  M.  A  Sprenyer,  Das  Leben  iind  die  Le  h  re  des  Moliam- 
via(l,l.  II.  |..  81. 


CAIiACTKME  DE  MAHOMET.  107 

l'avaient  tué  dès  cette  époque,  ce  n'était  pas  moins 
qu'une  guerre  civile  qu'ils  auraient  provoquée'. 

Pour  bien  connaître  la  posilion  de  Mahomet  parmi 
ses  compatriotes,  il  est  curieux  d'entendre  les  re- 
proches que  lui  adressaient  ses  adversaires:  «  Le  fils 
de  ton  frère,  disaient-ils  à  Abou-Tàlib,  déverse  le 
blâme  sur  notre  religion.  Il  nous  accuse  de  folie;  il 
accuse  nos  ancêtres  d'erreur  et  dimpiélé.  Kmpèche-le 
de  nous  outrager;  ou,  du  moins,  reste  neutre  entre 
nous  et  lui;  nous  aurons  bientôt  châtié  son  audace.  » 
Et  comme  les  Coraychites  ne  pouvaient  pas  réussir  à 
force  ouverte,  ils  résolurent  de  décrier  Mahomet  au- 
près du  peuple  et  des  pèlerins,  et  de  le  réduire  à 
l'impuissance  par  la  calomnie.  Mais  cela  même  n'était 
pas  facile:  «  Dirons-nous  de  lui  que  c'est  un  devin? 
—  Non  ;  il  n'en  a  ni  le  Ion  emphatique  ni  le  langage 
rimé.  —  Dirons-nous  que  c'esl  un  fou?  —  11  n'en  a 
pas  l'apparence.  —  Ouc  c'est  un  poëte  inspiré  du  dé- 
mon?—  11  ne  s'exprime  pas  en  vers. — L'appelle- 
rons-nous un  magicien?  —  Mais  il  ne  fai(  point  de 
choses  surnaturelles;  il  ne  pratique  aucune  opération 

'  C'est  suilouldans  la  biographie  anglaise  de  Maliomcl.  par  M.  A. 
Spreiiger,  qu'il  faut  étudier  ces  mœurs  des  Arabes  (p.  20  et  suiv.]. 
M.  A.  Spreiiger  est  revenu  aussi  sur  ce  sujel  dans  son  ouvmge  alle- 
mand (t.  Il,  p.  70  et  suiv.).  Dans  une  pièce  devers,  qui  est  dans  le 
Sirat-er-raçoiil,  traduction  de  M.  G.  Weii,  t.  I,  p.  126,  127,  129,  et 
«jue  cite  en  partie  M.  Caus«in  de  Perceval  (l.  I,  p.  567],  Abou-Tàlib 
prend  vivement  la  défent^c  de  son  neveu,  et  il  dit  aux  Coraychites: 
<t  Vous  mentez,  j'en  jure  par  le  saint  lemple,  si  vous  dilcs  que  noua 
laisserons  verser  le  sang  de  Mahomet  sons  avoir  combaliu  avec  l'arc 
et  la  lance.  » 


108  MHOMET,  CliÂPITIiE  III. 

de  magie.  Son  art  ne  consiste  que  dans  sa  parole  habile 
et  insinuante'.  »  Il  est  très-\rai  que  Mahomet  dut 
ses  succès  bien  plus  à  la  persuasion  qu'à  la  violence. 
11  ne  recourut  jamais  aux  armes  que  quand  il  y  fut 
contraint  par  ses  ennemis,  et  qu'il  ne  put  pas  em- 
ployer de  moyens  plus  doux. 

Les  éloges  de  ses  parlisans  ne  sont  pas  moins  dé- 
monstratifs que  les  outrages  de  ses  adversaires;  et, 
lorsque  le  Nédjàclii  ou  roi  d'Abyssinie  demande  aux 
exilés  quelques  détails  sur  la  religion  nouvelle^, 
Djàfar,  cousin-germain  de  Mahomet  et  fils  d'Abou- 
Tàlib,  lui  répond  avec  une  noble  ingénuité:  «  Nous 
étions  plongés  dans  les  ténèbres  de  l'ignorance  ;  nous 
adorions  des  idoles.  Livrés  à  toutes  nos  passions,  nous 
ne  connaissions  de  loi  que  celle  du  plus  fort,  quand 
Dieu  a  suscité  parmi  nous  un  homme  de  notre  race, 
illustre  par  sa  naissance,  depuis  longtemps  estimé 
pour  ses  vertus.  Cet  apôtre  nous  a  appelés  à  professer 
l'iinilé  do  Dieu,  à  rejeter  les  superstitions  de  nos  pères, 

'  Voir  pitis  loin  le-  Exliuits  du  Ciu-aii,  clui]iitie  de  Maliomct  ;  M.  Caiis- 
siii  do  Pcrceval,  Essai  sur  l'Iiisfoire  des  Arabes,  elc,  t.  I,  p.  566, 
M.  A.  Spivngor.  Dff;  hcbcn  uml  die  Lehre  des  Mohaminad  .  t.  II. 
p.  76. 

-  Ce  personnage  du  Nédjiklii  ou  roi  d'.Mivssinic  tient  la  conduite  la 
plus  généreuse.  Non-soulcnient  il  accueille  les  exilés  musulmans,  et 
il  les  reçoit  avec  bonté;  mais,  de  plus,  il  refuse  leur  extradition,  que 
les  Coraychiles,  poursuivant  leur  venjjeance.  sont|venus  lui  demander. 
I,es  courtisans  du  Ncdjàclii  sont  d'avis  qu'on  acquiesce  à  cette  cle- 
MKindc  ;  il  leur  résiste;  il  ne  craint  même  pas  de  braver  une  émeute 
populaire.  11  sexpose  courageusement  de  sa  personne  pour  proléger 
celle  de  ses  1  loi  es,  et  il  est  tout  près  de  quitter  le  diristianisiuo  pour 
I  Islam.  Voir  M.  Caussin  de  l'erceval,  t.  I,  p.  500  et  suiv. 


CARACTÈI'.K  m:  MAHU.MET.  109 

à  mépriser  les  divinités  de  pierre  et  de  bois.  Il  nous 
a  ordonné  de  fuir  le  vice,  d'être  sincères  dans  nos 
discours,  tldèles  à  nos  engagements,  affectueux  et 
bienfaisants  envers  nos  parents  et  nos  voisins.  Il  nous 
a  défendu  d'attaquer  l'honneur  des  femmes,  de  dé- 
pouiller les  orphelins.  Il  nous  a  recommandé  la  prière, 
l'aumône  et  le  jeûne.  Nous  avons  cru  à  sa  mission  ; 
nous  avons  accepté  les  dogmes  et  la  morale  qu'il  nous 
apportait  de  la  part  de  Dieu  ^  »  Le  Nédjàchi  était  pro- 
fondément ému  en  entendant  ces  belles  doctrines  de  la 
bouche  des  disciples.  Mais  quelle  ne  devait  pas  être 
l'émotion  de  ceux  qui  les  entendaient  de  la  bouche 
même  de  Mahomet!  C'est  une  page  du  Coran  qui  con- 
vertit Omar,  dont  le  fanatisme  pour  l'idolâtrie  n'était 
pas  moins  violent  qu'il  ne  le  fut  ensuite  pour  l'Islam  ^  : 
c'étaient  les  prédications  éloquentes  du  prophète  qui 
touchaient  les  cœurs  et  lui  gagnaient  chaque  jour  des 
appuis,  dans  les  rangs  même  de  ses  plus  cruels  ennemis. 
Quant  à  lui,  il  supportait  les  reproches,  les  insultes 
et  les  anathèmes  avec  une  inaltérable  douceur;  c'était 
par  la  patience  et  la  longanimité  qu'il  comptait  changer 
la  lutte  en  victoire.  Il  a  dit  bien  des  fois  dans  le  Coran 


*  Voir  M.  Caussin  do  i'crceval,  Essai  su  ri  histoire  des  .\rohes,  etc., 
t.  I,  p.  Ô90  et  suiv.;  M.  A.  Sprcngcr,  Das  Leben  tiiid  die  Lelire,  etc., 
1.11,  p.  149  et  suiv. 

-  La  cnnvfTsion  dOiiiar,  (ils  d'Alkliatlab,  est  iino  de  celles  qui 
furent  les  plus  caracléristiijues;  voir  le  Sirat-er-raçoiil ,  traduction 
de  M.  G.  AVeil,  t.  I,  p.  1G7.  MM.  Caussiu  de  l'erccvid  cl  A.  Spienger 
''ont  racontée  tout  au  long,  Essai  sur  l'Iiisloire  des  Arabes,  cic  t.  I, 
p.   5!  0,  el  Das  Icben  "Und  die  Ultre,  etc.,  t.  Il,  p.  85. 

7 


110  MAHUMET.  CIIAI'ITIIL  UI. 

qu'il  n'était  chargé  que  de  la  prédication'.  11  résistgil, 
en  même  temps,  avec  non  moins  de  grandeur  d'âme, 
aux  offres  par  lesquelles  on  essayait  de  le  séduire  ;  il 
demeurait  également  insensible  aux  menaces  et  aux 
promesses,  continuant  l'apostolat  qu'il  s'était  donné 
avec  une  indomptable  persévérance,  mais  non  sans 
beaucoup  souffrir. 

il  y  avait  dix  ans  environ  qu'il  soutenait  ces  péni- 
bles combats,  et  il  était  arrivé  à  l'âge  de  cinquante 
ans,  quand  il  fit  les  deux  pertes  qui  pouvaient  lui  être 
les  plus  sensibles  et  les  plus  fatales  :  celle  de  Khadidja, 
qui,  la  première,  avait  cru  en  lui  et  l'avait  toujours 
fortifié  dans  ses  défaillances,  et  celle  de  son  oncle 
Abou-Tàlib,  qui  avait  jadis  soigné  son  enfance,  avait 
fait  sa  fortune,  et  qui,  sans  adhérer  à  la  religion  de 
son  neveu,  n'avait  cessé  de  le  défendre  contre  les  Co- 
raychites  idolâtres,  et  de  lui  assurer  la  protection 
toute-puissante  du  chef  de  la  maison  d'Ilachim.  Privé 
de  ce  secours,  et  désormais  peu  en  sûreté  à  la  Mecque, 
Mahomet  essaya  de  propager  sa  doctrine  dans  les  villes 
du  voisinage  ;  mais  une  tentative  qu'il  ht  à  Taïf  échoua 
complètement,  et  le  prophète  pensa  y  laisser  la  vie 
sous  les  sévices  d'auditeurs  malveillants-.  Toutefois  il 
ne  se  découragea  point;  mais,  rentré  à  la  Mecque, 
grâce  à  la   protection  de  Moutim,  fils  d'Adi,  il   dut 

'  Voir  plus  loin  les  Extraits  du  (Joran.  cliapitrpi  de  Mahomet. 

-  \'o'iv  U'  Sirat-i'i'-raçoul,  Irailuction  de  M  G.  Weil.  t.  Il,  p.  "iOS, 
et  M.  A.  Sprenger,  Dus  Leheii  uiiU  die  1. dire,  eic,  l.  Il,  paf^e  M(i; 
M.  Caussiii  de  l'erceval,  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  etc.,  l.  I, 
page  406. 


CArtACTtlU.  DK  MAHOMET.  111 

metlre  dans  ses  prédications  un  peu  plus  de  réserve 
et  de  prudence.  Il  s'adressa  de  préférence  aux  étran- . 
gers  qui  venaient  dans  la  ville,  et  il  se  ménagea  des 
intelligences  avec  les  marchands  de  Yathrib,  rivaux 
de  ceux  de  la  Mecque.  Les  conversions  étaient  plus 
faciles  parmi  eux,  parce  qu'elles  exposaient  les  néo- 
phytes à  moins  de  dangers;  et  bientôt  Yathrib  eut 
aussi  ses  musulmans,  peu  nombreux,  mais  très-fidè- 
les. Ils  ne  furent  d'abord  que  six. 

Ce  fut  cette  accession  des  étrangers,  fort  habilement 
calculée,  qui  sauva  l'Islam.  A  la  Mecque,  en  face  des 
Coraychites  intéressés  à  maintenir  l'idolâtrie,  il  aurait 
pu  périr.  A  Yathrib,  où  il  y  avait  beaucoup  de  juifs,  il 
put  se  développer  dans  l'ombre,  et  le  prosélytisme  s'y 
répandit  rapidement.  Dans  une  première  entrevue 
seciète  que  Mahomet  eut  sur  la  colline  d'Acaba  avec 
douze  hommes  de  Yathrib,  de  la  tribu  des  Aus  et  de 
celle  des  Khazradjs,  il  leur  fit  prêter  à  l'Islam  un  ser- 
ment qui  est  célèbre  dans  le  monde  musulman  et  qui 
mérite  un  durable  souvenir  dans  l'histoire.  N'adorer 
qu'un  seul  Dieu,  ne  point  voler,  ne  point  tuer  ses  en- 
lants,  ne  conmiettre  ni  adultère  ni  fornication,  s'abs- 
tenir de  propos  calomnieux,  el  étie  dociles  à  tout  ce 
que  le  propiièle  leur  commanderait  de  jusle,  voilà  à 
quoi  s'engageaient  les  nouveaux   niusulmaus'.  Dans 

'  Siral-er-raçoul.  traduction  de  M.  G.  AVoil,  I.  I,  p.  '21.5  M.  Caussiii 
de  l'erceval.  Exsai  .sur  l'histoire  des  Arabes,  etc.,  t.  H,  p.  2  et  7; 
.M.  A.  Sprciif^cr,  Das  [.eheii  nnd  die  I.ehre,  de.  l.  II,  p..  523.  Ces  deux 
spimenls  d  Aciil)a  inontrcnl  tié^-claiicinciit  laclion  t!e  Malioiiiet  sur 
les  gens  auxquels  il  s'adresse.  H  veut  leur  laire  abjurer  lidolâtrie, 


112  MAIIOMtT.  CllAl'IlIiE  lll. 

une  seconde  ou" une  Iroisième  conférence,  plus  noin- 
l)ieuse  que  celle  ci,  et  qui  se  tint  encore  sur  l'Acaba 
l'année  suivante,  en  622,  le  même  serment  fut  renou- 
velé par  soixante- treize  hommes  et  deux  femmes; 
mais,  comme  la  personne  du  prophète  était  de  plus 
en  plus  menacée  à  la  Mecque,  on  jura  de  le  défen- 
dre par  les  armes,  s'il  le  fallait  ;  et  Abbas,  oncle 
de  Mahomet,  qui  avait  remplacé  pour  lui  Abou- 
Tàlib,  sans  être  non  plus  musulman,  confia  son 
neveu  au  courage  et  à  la  fidélité  des  hommes  de 
Vtilhrib.  11  fut  donc  convenu  que,  si  le  prophète  ne 
se  trouvait  plus  en  sûreté  dans  sa  patrie,  ses  nou- 
veaux disciples  lui  offraient,  au  milieu  d'eux,  un 
inviolable  asile. 

Pour  plus  de  précaution,  Mahomet  nomme  douze 
Nàkibs,  ou  délégués':  trois  parmi  les  Aus  et  neuf 
parmi  les  Khazradjs,  pour  préparer  toutes  les  tribus 
de  Yalhrib  et  y  répandre  la  religion  nouvelle,  en  fai- 


Ics  ga^'Hcr  à  une  foi  nieilleiire  el  coniyt  r  des  mœurs  barbares.  A 
tlislaiice,  on  peut  se  rire  peut-être  de  ces  engagements  naïfs;  mais, 
en  se  reportant  à  l'épo(iue  de  Mahomet  el  aux  coutumes  atroces  ou 
slujiides  [larnii  lesiinelKs  il  vit,  c'est  une  entreprise  admirable  qu'il 
tente.  Ces  préceptes,  d'ailleurs,  sont  ceux  du  Dêcalogue. 

*  11  parait  bien  que  Mahomet  prétendit  imiter  Jésus-Christ  eu  se 
donnant  douze  apôtres.  C^est  l'opinion  de  M.  Caussin  de  Perceval, 
Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  etc.,  t.  III,  p.  8,  et  de  M.  .\.  Sprenger, 
bas  Leben  und  die  J^hre.  etc.;  t.  II,  p.  552.  îii  l'un  ni  l'autre  ne 
citent  l'autorité  .sur  la(iuelle  s'appuie  cette  tradition.  Dans  le  Coran, 
sourate  v,  verset  1."),  il  est  dit  :  «  Nous  suscitâmes,  du  milieu  des  en- 
fants d'Israël,  douze  chefs,  et  Dieu  dit  :  .le  serai  avec  vous.  »  Lescom- 
menlalonrs  ont  \ou\a  voir  dans  ce  passage  une  allusion  à  l'insiitulion 
des  douze  Nàkibs. 


r,\R\(;TKr,F  de  MAHOMET  11". 

snnl  connaître  les  engagements  solennels  pris  sur  la 
colline  d'Acaha.  En  outre,  il  envoie  à  Yathrib  des  mis- 
sionnaires ^  ;  et,  quand  tout  est  disposé,  il  y  fait  émi- 
grer,  par  petites  troupes,  tous  les  musulmans  de  la 
Mecque,  afin  de  les  soustraire  au  danger,  qui  devenait 
de  jour  en  jour  plus  imminent.  Il  reste  seul  dans  la 
ville,  comme  pour  couvrir  la  retraite,  avec  Ahou  Becr 
et  Ali,  et  il  ne  se  retire  le  dernier  que  quand  sa  vie 
est  menacée  directement  par  les  Coraychiles  et  qu'il 
doit  se  soustraire  à  l'exécution  de  leurs  complots  ho- 
micides. Mahomet  quitte  alors  la  Mecque  pour  s'enfuir 
à  Yathrib,  qui  prendra  désormais  le  nom  de  Ville  du 
prophète  {Medinet-en-nabi).  C'est  l'Hégire,  comme  l'on 
sait,  ou  l'ère  musulmane,  vers  le  milieu  de  l'an- 
née 622  ^ 

Mahomet  est  alors  âgé  de  cinquante  deux  ans,  et  il 
lui  reste  à  peine  dix  années  pour  accomplir  toutes  les 
grandes  choses  qui  ont  immortalisé  son  nom.  Cette 
première  partie  de  sa  carrière  est  certainement  la 
plus  difficile  et  la  plus  féconde  ,  car  c'est  elle  qui  a 
préparé  les  germes  de  tout  ce  qui  a  suivi.  C'est  aussi 
la  plus  pure  ;  et  tous  les  récents  historiens  de  Maho- 


'  Entre  antres,  Mossàb,  fils  d'Oinayr,  <|ui  paraît  avoir  joué  alors  un 
rôle  trés-uiilo  ot  très-courageux.  Voir  M.  Cauîsin  de  Perce  val,  Essfii 
sur  l'histoire  des  Arahca,  etc.,  l.  111,  p.  5  et  suiv. 

-  11  y  a,  entre  les  auteurs,  de  ^rravi  s  di>cussi()ns  sur  l'(''po([uc  \n\-- 
cise  de  rHéf,Mre,  et  sur  le  jour  où  Malioniot  arriva  à  Médine  après  de 
lon;,'S  détours.  D'après  le  Sirat-er-raçoiil,  Iradurlion  do  M.  G.  Weil, 
t.  1,  p.  '2i8,  il  y  arriva  un  lundi,  le  l'2  du  mois  de  Rabia-l-awal.  On 
sent  f(n'il  n'y  a  point  à  entrer  ici  dans  ces  recherches. 


Ili  MAIIOMF.T.  CHAIMTI'.K  III. 

niel  se  sont  accordés  à  reconnailre  qu'elle  osl  sans 
iache.  M.  W.  Muir  se  complaît  à  l'avouer  iiautemenl  ; 
mais  cette  indulgence  est  bien  vile  compensée  par  une 
excessive  rigueur.  M.  W.  Muir  voudrait,  pour  l'hon- 
neur deMahomel,  quileût  terminé  sa  vie  avec  la  fuite 
à  Médine'.  Il  ne  voit,  plus  tard,  dans  toutes  ses  ac- 
tions, qu'ambition,  rapine,  cruauté,  débauche,  et 
comme  l'inspiration  de  Satan.  11  me  semble  que  cette 
sévérité  est  une  injustice  presque  complète  ;  et,  pour 
moi,  je  ne  trouve  pas  que  Mahomet  soit  changé  quand 
il  joint  au  prophète  le  politique  et  le  fondateur  d'État. 
Il  n'y  a  de  modifié  en  lui  que  la  silualion.  L'homme 
est  demeuré  le  même;  et,  sans  nier  les  actes  qu'on 
doit  désormais  lui  reprocher,  on  peut  dire  qu'il  a  cédé 
aux  nécessités  de  la  politique  bien  plus  encore  qu'à 
ses  passions;  qu'il  a  été  aussi  clément  qu'il  lui  était 
permis  de  l'être  ;  et  que,  malgré  les  circonstances 
toutes  nouvelles  où  il  était  placé,  il  a  conservé  la  meil- 
leure partie  des  vertus  que  nous  avons  jusqu'ici  ad- 
mirées en  lui,  cl  qui  étaient  trop  réelles  pour  qu'il 
put  si  facilement  s'en  dépouiller.  Mais  ce  n'est  plus 
unif|n('mcnt  le  prophète  que  nous  avons  à  considérer, 
c'est  l'homme  de  guerre  au  milieu  d  un  peuple  féroce,  J 
quoique  intelligent,  dont  il  ne  partage  pas  les  fureurs, 
mais  dont  il  doit  plus  d'une  lois  assouvir  les  ven- 
geances, tout  en  les  déplorant. 

Les  premières  mesures  que  prit   Maliomel,  après 

»  M.  w.  Muir,  The  J.ifc  of  Malioiiul,  l.  Il,  p.  'Jj. 


CAP.ACTÈni:  ItK  MAH.iMF.T  11.1 

<on  arrivée  à  Médinc,  furent  pleines  de  sagesse  et 
d'habileté.  Il  s'occupa  d'abord  d'organiser  le  culte, 
qui,  jusqu'alors,  avait  été  nécessairement  fort  irré- 
gulier, et  qui  ne  consistait  guère  que  dans  ses  prédi- 
cations, ses  conseils  et  ses  prières  personnelles,  aux- 
quelles il  associait  les  fidèles,  selon  les  occasions  et 
les  besoins  du  moment.  Il  bâtit  une  mosquée  sur  le 
terrain  vague  où  s'était  arrêtée  sa  chamelle,  la  fa- 
meuse Kosva,  en  entrant  dans  la  ville,  devant  l'habi- 
tation des  Benou-Malik,  fils  dAnnaddjar,  et  il  tint  à 
paver  ce  terrain,  quoiqu'on  voulût  lui  en  faire  pré- 
sent'. Il  fixa  les  heures  de  la  prière,  répétée  cinq  fois 
par  jour  ;  le  vendredi  fut  adopté  pour  le  jour  saint  de 
la  semaine;  la  Mecque  fut  indiquée  au  lieu  de  Jérusa- 
lem, comme  le  point  vers  lequel  les  fidèles  devaient 
se  tourner  en  priant  iKibUi)  -;  et  le  service  quotidieu 
fut  annoncé  par  la  voix  d'un  crienr  public  tÉdhân, 
Moueddhiu).  Le  mois  de  rhamadàn  fut  consacré  au 
jeûne,  et  la  dîme  iZerâl)  fut  instituée,  afin  que  tout 

'  Cette  mosquée  était  excessiveinenl  simple,  telle  que  Mahomet  la  fit 
construire,  et  elle  répondait  parfaitement  à  l'humlile  fortune  de  l'is- 
lamisme. Elle  avait  cent  coudées  de  Ion?  sur  chaque  côlé  de  son  carré. 
Les  murs  n'étaient  de  pieirc  que  jusqu'à  la  hauteur  de  cimi  coudées  ; 
le  reste  était  en  hricjue.  Les  colonnes  étaient  des  troncs  i!e  palmiers, 
et  le  toit  était  formé  de  feuilles  et  de  branclia;.;cs  Plus  lard,  cotte  . 
mosquée,  qui  avait  vu  naître  et  grandir  l'Islam,  fut  Irès-emhellie. 
Comme  elle  renferme  le  tombeau  du  prophète,  elle  est  presipie  aussi 
sainte  que  celle  de  la  Mec(iue,  et  elle  oifre  de  plus  une  lonle  de  pieux 
souvenirs. 

*  Mahomet  .«e  tournait  d'abord  vers  Jérusalem;  puis  il  changea 
cette  direction  quand  il  commença  à  se  brouiller  avec  les  juifs.  Voir 
le  Sirat-er-raçoiil.  traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  515. 


110  MVlIOMFr,  ClfAPITHF.  111. 

bon  musulman  conlribiiàl  aux  dépenses  <lu   gouver- 
nement qui  venait  de  se  fonder'. 

Un  soin  non  moins  urgent  et  d'une  nature  plus  dé- 
licate, ce  fut  de  concilier  les  rivalités  des  musulmans 
entre  eux.  Ils  formaient  deux  partis  bien  distincts  et 
fort  jaloux  l'un  de  l'autre.  C'étaient,  d'une  part,  les 
musulmans  venus  de  la  Mecque,  soit  qu'ils  eussent 
précédé,  soit  qu'ils  eussent  suivi  la  fuite  du  prophète 
à  Médine  ;  ceux-là  s'appelaient  les  émigrés  [Mohiuljir, 
Mouhadjenu).  D'autre  part,  c'étaient  les  musulmans 
de  Médine,  les  Ans  et  les  Khazradjs,  qui  avaient  prêté 
le  serment  d'Acaba,  et  qui  avaient  préparc  un  asile  à 
Mahomet;  ils  se  nommaient  les  auxiliaires  {Ansdr). 
Comme  l'enthousiasme  excité  parle  prophète,  parnri 
ses  adhérents,  était  extrême,  l'empressement  à  le  se- 
conder et  à  le  servir  pouvait  donner  lieu  aux  dissen- 
sions les  plus  redoutables.  Maliomet  les  prévint  en 
établissant  une  association  de  fraternité  entre  les  prin- 
cipaux Ansàr  et  les  principaux  Mohadjir-.  11  y  en  eut 
un  grand  nombre  qui  se  choisirent  chacun  un  frère 
adoptif;  et  ce  titre  n'était  pas  vain,  car  il  assurait 
riiéritage  entier  du  frère  qu'on  s'était  donné,  à  l'ex- 
clusion de  la  famille.  Cette  association  ne  devait  pas, 
par  sa  nature,  durer  longtemps;  mais,  dans  les  pre- 
miers jouis,  elle  fut  très-utile  pour  prévenir  bien  des 

*  Co  soni  là  les  principales  instiliitions  de  l'Islam.  Quant  à  In  cir- 
concision, elle  ('Init  dés  lonp-lcinps  pratiquée  parmi  les  .Xralies;  et  on 
no  poul  la  regarder  conune  nin^nliiiano.  Voir  M.  \V.  Miiir.  T/if  I.ifr 
of  Mnliomel.  t.  M.  p.  U'>. 

-'  Vnji-  11-  Sh(il-ir-raçoiil,  U-adnclinn  de  M.  (i.  Weil,  t,  i,  p.  '25". 


CAI'.ACTÈHE  I)K  31AIIUMET.  117 

contentions  entre  tous  ces  guerriers  violents  et  fana- 
tiques. Mahomet  lui-même  prit  Ali  pour  son  frère, 
parmi  les  Moliadjir  ;  mais,  afin  tle'ne  pas  blesser  les 
Ansùr,  il  accepta  parmi  eux  le  simple  titre  de  nâkib 
ou  délégué,  en  remplacement  d'un  des  douze  premiers- 
nâkibs  qui  était  mort. 

A  côté  des  musulmans,  il  y  avait  une  autre  corpo- 
ration qui  tenait  une  grande  place  à  Médine,  et  avec 
laquelle  il  fallait  aussi  compter:  celaient  les  juifs. 
Mahomet  se  montra  fort  bienveillant  à  leur  égard;  et 
il  conclut  avec  eux  un  traité  qui  leur  conférait  presTjue 
les  mômes  droits  qu'aux  musulmans.  Mais  cet  accoid 
ne  pouvait  être  que  passager;  et  les  juifs,  qui  atten- 
daient toujours  leur  messie  universel  et  qui  l'attendent 
encore,  ne  pouvaient  pas  être  des  alliés  trés-tidéles. 
L'inimitié  implacable  ne  tarda  pas  à  éclater.  Mais,  au 
début,  il  importait  de  la  conjurer,  et  Mahomet  y 
réussit'. 

Tous  ces  commencements  étaient  d'une  profonde 
politique;  mais  en  ce  qui  concernait  l'intérieur  de  sa 
propre  famille,  Mahomet  fut  moins  prudent,  et  il 
commit  alois  une  faute  qui  eut  les  conséquences  les 
plus  graves,  non  pas  seulement  poui-  lui,  mais  pom- 


'  Slrat-er-raçoul,  traduction  de  M.  G.  AVcil.  t.  I,  ji.  2.")1,  '200  et  siiiv. 
La  plupart  des  actes  de  cruauté  qu'on  peut  citer  dans  la  vie  de  Malio- 
mel  ont  éti-  dirijîés  coYitre  des  juifs.  L  alliance  avait,  sans  doute,  été 
sincère  quand  elle  avait  été  conclue,  et  Maliomel  y  avait  le  plus  ^rand 
intérêt;  mais  il  était  impossiltl  •  quelle  durât,  et  les  ressemblances 
même  de  1  Islam  cl  du  judaïsme  étaient  un  n.olif  de  plus  pour  (juils 
se  séparassent  violemment. 

7. 


118  MAHOMET,  CllAI'ITRt;  III. 

les  destinées  de  l'islamisme.  Après  la  mort  de  Klia- 
didja,  il  avait  épouçé  Sauda,  veuve  d'un  des  émigrés 
de  l'Abyssinie  :  et,  pendant  quatre  ans  environ,  Sauda 
avait  été,  comme  Kliadidja,  sa  femme  unique.  Mais, 
vers  la  fin  de  la  première  année  de  IHégire,  Mahomet 
prit  une  seconde  femme  dans  la  personne  d'Ayésha', 
la  fille  d'Abou-Becr,  qui  n'avait  que  dix  ans,  et  pour 
laquelle  il  ressentit  toujours  une  affection  et  une  con- 
fiance inaltérables.  Il  était  alors  âgé  de  cinquanle- 
trojs  ans  passés.  A  ces  deux  premières  fennnes,  il  en 
joignit  successivement  plusieurs  autres,  qu'il  épousa 
pour  la  plupart  beaucoup  plus  par  calcul  que  par 
amour-.  Mais  ce  changement  de  mœurs  est  trop  im- 
portant pour  qu'on  puisse  n'en  dire  que  quelques 
mois,  et  j'y  reviendrai  plus  tard,  quand  j'essayerai 
d'apprécier  l'œuvre  entière  de  Mahomet. 

Vn  autre  trait  fort  caractéristique  à  la  fois  de 
l'homme  et  de  son  temps,  c'est  le  choix  que  Mahomet 
dut  faire  de  trois  poètes  de  Médine,  chargés  officielle- 
ment de  le  défendre  contre  les  satires  des  poètes  mec- 
quois.  Ce  n'était  pa5  probablement  que  lamour-pro- 
pre  du  prophète  fût  plus  excitable  qu'il  ne  convenait  ; 
mais,  chi'Z  une  nation  spirituelle  et  vive,  ces  attaques 
avaient  un  retentissement  analogue  à  celui  que  les 

'  Ayésha  avait  été  fiancée  à  Maliomot  iii-os((ue  anssilùt  après  la  mort 
do  Kliadidja.  et  ce  fui  à  cette  occasion  que  son  père  prit  le  nom 
d  Abou-Becr,  le  père  de  la  vierfje. 

*  Quand  Mahomet  mourut,  il  laissa  neuf  veuves,  dont  aucune  ne  se 
remaria,  el  il  «épousa  en  lout  douze  ou  treize  femmes,  dans  les  années 
ijui  $  écoulèrent  enUe  la  mort  de  Kliadidja  et  la  sienne. 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  119 

journaux  peuvent  avoir  de  nos  jours,  et  elles  étaient 
fort  dangereuses.  Elle?  paraissent  du  moins  avoir  irrité 
beaucoup  Mahomet;  et  ce  fut  sous  le  coup  de  la 
colère  qu'elles  lui  causèrent  souvent,  qu'il  se  laissa 
emporter  à  des  actes  cruels  dont  sa  mémoire  es!  en- 
tachée '. 

Cependant  le  contlit  ne  pou\nit  tarder  à  sengager 
entre  les  Coraychites  idolâtres,  à  la  Mecque,  et  les 
musulmans  de  Médine,  dont  le  nombre  s'accroissait 
chaque  jour.  I.a  première  rencontre  un  peu  sérieuse 
eut  lieu  à  Bedr,  oasis  située  entre  les  deux  villes.  La 
bataille  de  Bedr  est  restée  fameuse  dans  les  annales 
de  rislnm,  paice  qu'elle  fut  la  première  victoire 
(624).  Mais  les  forces  engagées  des  deux  côtés  n'é- 
taient presque  rien.  Les  musulmans,  sous  les  ordres 
de  Mahomet,  n'étaient  que  trois  ceni  quatorze,  dont 
quatre-vingt-trois  Mohadjir  et  le  reste  d'Ansàr.  Ils 
n'avaient  en  tout  que  soixante-dix  chameaux  et  trois 
chevaux  -.  Les  Coraychites  étaient  au  nombre  d'un  mil- 

*  Mahomet  nest  pas  le  seul  grand  homme  qui  ait  eu  cette  suscep- 
tibilité, ou  plutôt  celte  faiblesse.  On  connaît  celle  d  Alexandi'e;  et,  de 
nosjoui-s,  nous  avons  vu  celle  de  Napoléon  I''.  il  semble  que  plus  on 
s'élève,  plus  ces  blessiu-es  sont  vivement  senties.  Lorsque  Mahomet 
était  obscurci  annonçait  sa  mission  à  quelques  adeptes  en  secret,  il 
supportait  tous  les  outrages  dont  on  le  poursuivait  avec  une  admirable 
patience.  Une  fois  lout-i  uissanl,  il  eut  quelquefois  des  ressenlin;ents 
terribles.  L'ne  loi  dis  Douze  Tables,  au  rapport  de  Cicéron  dans  la 
Hépublique.  portail  la  peine  de  mort  contre  lauieur  de  vers  ditlama- 
litires  où  était  aiteiiit  l'homieur  d'un  citoyen:  voir  la  (Aléde  bien,  de 
saint  Augustin,  livre  11,  ch.  ix,  p.  85,  traduction  Saisset. 

*  Les  tiaditions  musulmanes  ont  con.servé  les  noms  de  ces  trois 
chevaux,  tant  on  attachait  d  imporlance  aux  moindres  détails  dç  ce 


I'20  MAHOMET.  CHAPITRE  III. 

lier;  et  le  dixième  tout  au  plus  était  à  <lieval.  Quelle 
que  fût  la  disproportion  des  deux  troupes,"  le  fana- 
tisme des  musulmans  l'emporta,  et  ils  se  signalèrent 
par  des  actes  d'héroïsme  prodigieux.  Quant  à  Maho- 
met, il  ne  prit  aucune  part  personnelle  au  combat,  et 
il  se  tint  presque  tout  le  temps  en  prière,  dans  une 
cabane  que  ses  soldats  avaient  voulu  absolument  lui 
construire,  pour  le  mettre  à  l'abri  du  danger  des 
ilèches.  Ce  n'est  pas  que  le  courage  lui  manquai  '  ;  el, 
l'année  suivante,  il  déploya  la  plus  rare  inliépidilé  à 
la  bataille  dOhod,oii  il  reçut  plusieurs  blessures  et 
où  il  fut  défait".  Mais  les  musulmans  attachaient  tant 
d'intérêt  à  la  conservation  du  prophète,  qu'ils  ne  lui 
permirent  pas  d'exposer  sa  personne.  C'est  une  preuve 
frappante  de  l'empire  extraordinaire  que  Mahomet 
exerçait  sur  les  siens;  et,  pour  que,  dans  cette  cir- 
constance décisive,  il  se  soit  abstenu  de  donner  i'exem- 

prcmiors  temps  de  1  islamisme.  Voir  le  Sirat-er-riiçout,  de  M.  G.  Wt^il. 
t.  I,  p.  j'iô.  Iliii-Isliâc  donne  à  plus  forte  raison  ks  noms  de  tons  les 
mnsnlmans  qui  romlmUirent  à  Dedr  [ihid..  p.  SO'i  et  sniv.),  cl  de 
cen\  qui  y  succombèrent  [ibid.,  p.  01)9). 

'  Il  piUMJt  que  Mahomet  eut  un  instant  de  défaillance  dans  la  ca- 
liane  mr-me  où  il  s"étail  retii'é  avec  Abou-Becr.  Voir  \c  Siral-cr-raçoiil, 
traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  I,  p.  "/27  et  "d,  el  M.  Caussin  de  i'er- 
r.eval,  Essai  sur  l'hisloire  des  Arabes,  etc.,  t.  111,  p.  70.  Il  est  pro- 
liable  que  ce  l'ut  un  accès  du  mal  nervou.x  auquel  Mahomet  était  sujet 
quelquefois,  car  on  ne  peut  croire  que  ce  fut  un  sentiment  de  peur. 

-  La  bal  aille  de  Bedr  est  du  mois  de  janvier  U24;  celle  d'Ohod  eut 
lieu  au  commencement  de  G25.  Les  Coraychites,  au  nombre  de  trois 
mille,  étaient,  comme  à  Bedr,  ipiatre  fois  aussi  forts  que  les  musul- 
mans. La  bataille  d  Ohod  fut  pei'due  par  suite  de  la  désobéissance  d'un 
corps  d'arcbers,  (|iii  abandonnèrent  le  jioste  q  k^  Maliomet  leur  avait 
assigné. 


CARACTERE  DE  MAHOMET.  1->I 

pie  à  ses  soldats,  il  fallail  qu'il  fût  déjà  bien  sur  de 
leur  dévouement  et  de  leur  inébranlable  résolution. 

Après  la  victoire,  Mahomet  se  montra  singulière- 
ment animé  contre  ses  adversaires.  Lorsqu'on  lui  ap- 
porta la  tète  d'Aboudjabl,  un  des  principaux  Coray- 
cliites,  il  se  prosterna  à  terre  et  rendit  grâces  à  Dieu 
de  l'avoir  délivré  d'un  si  cruel  ennemi.  Les  cadavres 
des  vaincus  avaient  été  jetés  dans  un  puits;  il  s'en 
approcha;  et,  appelant  par  leurs  noms  presque  tous 
ceux  qui  y  avaient  été  précipités:  «  Indignes  compa- 
triotes d'un  prophète  !  s'écria-t-il  ;  vous  m'avez  traité 
d'imposteur  ;  vous  m'avez  chassé  de  ma  patrie.  Dieu 
a-t-il  accompli  les  menaces  qu'il  vous  avait  faites  par 
ma  bouche?  Pour  moi,  j'ai  vu  se  réaliser  les  pro- 
messes que  j'avais  reçues  de  lui.  »  Puis,  quelques- 
luis  de  ses  compagnons  s'étonnant  qu'il  s'adressât 
ainsi  à  des  morts:  «  Sachez,  leur  dit-il,  qu'ils  m'en- 
tendent aussi  bien  que  vous,  s'ils  ne  peuvent  me  ré- 
pondre, » 

Sa  vengeance  ne  se  borna  pas  à  ces  démonstrations  ; 
et,  parmi  les  plus  illustres  prisonniers,  il  fit  mettre  à 
mort  deux  de  ses  ennemis  personnels,  qui,  jadis,  l'a- 
vaient le  plus  persécuté  à  la  Mecque:  Nadhr,  que,  sur 
son  ordre,  Ali  décapita  d'un  coup  de  sabre,  et  Ocba, 
qui  fut  tué  par  Acim,  (ils  de  Thàbit'.  Au  prix  de  ces 

'  Voir  le  Sirat-er-raçoul,  traduction  de  M.  G.  VVeil,  t.  I.  p.  ôôO  et  5i'2; 
M.  Caussin  de  Perceval,  Essai  sur  l'Iiisloirc  des  Arabes,  etc.,  t.  lU, 
p.  70;  et  M.  W.  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  III,  p.  Ho  et  siiiv. 
M.  VV.  Muir  lilâine  sévèrcUiCnt  Malioine",  tout  en  reconnaissant  qu'il 
sauva  le  reste  des  prisonniers. 


122  MAHOMET,  CHAPITRE  TH. 

deux  exéculions,  qui  ponvnient  i-tro  moins  inléressées, 
Mahomet  put  sauver  les  autres  prisonniers  qu'Omar 
voulnittous  immoler,  landis  qu'Abou-Becr  inclinnit  à 
la  clémence.  Mais  l'exemple  du  prophète  entraîna  d'au- 
ti'es  meurtres,  qui  furent  approuvés,  si  ce  n'est  com- 
mandés par  lui  :  1  un,  sur  une  femme  poëte  nommée 
Assmf,  qui,  dans  Médine  même,  et  après  !a  victoire 
de  lîedr,  poursuivait  encore  le  vainqueur  de  ses  sa- 
tires; l'autre,  sur  un  vieux  Juif  nommé  Abou-Afak, 
qui  avait  fait  aussi  des  vers  injurieux  contre  Maho- 
met'. 

Si  nous  nous  plaçons  au  point  de  vue  de  nos  mœurs, 
des  actes  aussi  cruels  et  aussi  peu  généreux  nous 
semblent  inexcusables;  mais,  pour  être  juste,  il  faut 
se  reporter  au  temps  et  aux  races  au  milieu  desquels 
vivait  Mahomet.  Après  la  bataille  d'Ohod,  les  femmes 
coraychites,  qui  avaient  figuré  dans  le  combat,  se  li- 
vrèrent, sur  les  cadavres  des  nuisuliiians  tombés  dans 
cette  funeste  joiunée,  à  d'affreuses  atrocités;  elles  se 
faisaient  des  colliers  et  des  bracelets  de  pieds  avec  des 
nez  et  des  oreilles  cou])ées  ;  et  une  des  plus  illustres 
d'entre  elles,  llind,  fille  d'Olba  et  femme  d'Abou-So- 
fyàn,  le  chef  des  Coraychites,  ouvrit  de  ses  mains  le 
ventre  d'Hamza,  oncle  de  Mahomet,  en  arracha  lecœui' 

»  M.  \V.  Muir.  llie  l.ife  of  Mnliomet.  I.  III,  p.  ITiI;  et  M.  VVeil, 
Mohonmied  (1er  Proplul,  ji.  M".  On  peut  l'iicmo  citer,  dans  la  vie  de 
Mahomet,  nn  ou  deux  autres  traiU^  de  vengeance  crueUe;  et.  qucl- 
(jues  années  pins  tard,  quand  il  rentra  à  la  Mecipie.  il  lit  exécuter 
une  femme,  danseuse  de  jirole.ssion.  qui  avait  récite  contre  lui  ilerj 
jefs  f.iits  par  gpn  maître. 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  125 

et  le  décliiia  de  ses  dents'.  Quand  les  femmes  en  sont 
à  ce  point  de  baibaiie,  que  doivent  faire  les  guerriers  ! 
11  faut  reconnaître,  à  la  louange  de  î\laliomel,  qu'il 
tempéra  ces  fureurs  autant  qu'il  le  put.  En  voyant  le 
corps  défiguré  d'Hamza,  il  avait  fait  \œii  de  le  venger 
et  de  mutiler  trente  Coraychiles  de  la  même  manière  ; 
mais  il  rétracta  bientôt  cette  menace  échappée  à  sa  dou- 
leur el  à  son  indignation,  et  il  défendit  aux  croyants 
de  jamais  mutiler  les  cadavres  de  leurs  ennemis.  Il 
leur  défendit  aussi  de  jamais  tuer  les  femmes,  les  en- 
fants el  les  serviteurs. 

Tous  ses  historiens  s'accordent  à  constater  qu'il  était 
naturellement  plein  de  douceur;  MM.  Weil,  Caussin 
de  Perceval,  Sprenger  et  Muir,  sont  unanimes  sur  ce 
point,  sans  dissimuler  d'ailleurs  aucune  de  ses  fautes. 
En  effet,  on  pourrait  alléguer  en  sa  faveur  une  foule 
d'actes  de  clémence  qui  attestent  bien  quel  était  le 
penchant  véritable  de  son  âme.  Après  la  bataille  de 
lU'dr,  il  demanda,  j)our  toute  rançon,  aux  prisonnieis 
qui  savaient  lire  et  écrire,  de  donner  des  leçons  clia- 
cun  à  dix  jeunes  gens  de  Médine;  et  ce  fui  à  cette 
école  (juc  s'instruisit  le  jeune  Zeïd,  fils  de  Thàbit,  qui 
fut  plus  tard  en  étal  déln!  le  premiei'  éditeur  du  Co- 
ran*. Les  niu:>ulniaus  viclurieux  venaient  de  rentrer  à 

'  Voir  le  Sirat-er  raçûvl.  Irndiu  timi  do  M.  G.  Wcil,  '.  II,  p.  '2'29  el 
250;  M.  Cus(ave  Weil,  Moltuiuiiud  (1er  Prophet,  \).  l'29;  M.  Caussin  do 
l'erccval,  issoi  utr l' histoire  îles  Arabes,  l.  III,  ji.  107;  et  M.  VV.  Muir, 
The  Life  of  Mahomet .  t.  III,  p.  17(1. 

'^  51.  CaiJ«siii  de  Perceval,  Essai  sur  ihisioire  des  Arabes,  elc, 
I    m,  p.  74.    M.   \V    Muir  reniat(|uc  avec  rai^^o^  (t.  111.  )>.   127.   {|ue 


1-24  MAHOMLT,  CHAPITRE  III. 

Médino,  quand  on  découvrit  dans  la  ville  un  émissaire 
dos  Cornychites,  qui  s'élail  chargé  d'assassiner  le  pro- 
phète. Mahomet  le  fit  venir  en  sa  présence,  lui  re- 
procha son  ahominable  dessein,  et  lui  fit  grâce  de  la 
vie  pour  prix  d'un  aveu.  Omayr,  filsde  Vahb,  louché 
de  cette  générosité  qu'il  n'espérait  pas,  se  convertit 
sur-le-champ  à  l'islamisme'.  Le  même  sentiment 
porta  Mahomet  à  épargner  la  femme  juive  qui,  durant 
l'expédition  de  Khaybar  (628),  avait  tenté  de  l'empoi- 
sonner dans  un  rôti  de  mouton  -.  Dans  ces  deux  cas, 
le  châtiment  des  coupables  éhiit  j)ermis;  mais  il  était 
plus  magnanime  de  ne  pas  l'intliger.  C'est  encore 
ainsi  que  Mahomet  fit  grâce  à  llàlib,  fils  d'Abou-Ral- 
laâ,  qui  avait  révélé  aux  Mecquois  le  secret  d'une  ex- 
pédition méditée  contre  eux.  C'était  cependant  un 
crime  de  haute  trahison.  Mais  Hâtib  avait  laissé  à  la 
Mecque  sa  femme  et  ses  enfants  pour  suivre  le  pro- 
phète, et  il  voulait  leur  faire  des  protecteurs  en  ren- 
dant service  à  ceux  qui  les  gardaient  en  otage".  Celle 
raison  alléguée  par  Hàtib  et  le  repentir  qu'il  témoigna 
louchèrent  Mahomet. 

Il  se  laissa  fléchir  également  pour  un  autre  traître 

ceUe  anei'dole  prouve  comliiou  I;i  Mocquo  otaiL  [iliis  éclairép  qiif 
Mi'ilinc.  Cependant  il  y  avait  à  Médiiie  beaucoup  de  Juifs,  qui  étaient, 
en  pénéral,  plus  instruits  que  les  Arabes. 

'  M.  Caussin  dol'erceval.  Essai  sur  l'hisloin'  des  Arabes,  etc.,  t.  H, 
p.  95. 

-  M.  (iustavc  Weil,  Moliammed  der  Propliel,  p.  187,  et  M.  Caiissin 
de  Porcoval,  Essai  sur  fliistoirc  des  Arahes,  t.  III.  p.  200. 

'•  M.  Gustave  Wcii,  Moliammed  der  Proplwl,  p.  '21(t;  M.  Caussin  de 
Perceval,  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  t.  III,  p.  'i'I'i. 


CAnACTEiiE  ni:  mahomet.  125 

encore  plus  coupable  ;  c"éUiit  un  de  ses  anciens  secré- 
taires, Abdallah-ibn-Sa'd  \  qui  avait  abusé  de  la  con- 
fiance qu'on  avait  en  lui  pour  falsifier  les  récitations 
du  prophète  et  en  altérer  le  sens.  Ce  sacrilège  avait 
été  découvert,  et  Abdallah  s'était  enfui  à  la  Mecque, 
où  il  avait  abjuré  pour  retourner  à  son  ancienne  ido- 
lâtiic.  Quand  les  nfiusulmans  rentrèrent  à  la  Mecque, 
Abdallah  se  mit  sous  la  protection  d'Othmàn  ,  fils 
d'Affàn,  son  frère  de  lait,  et  il  vint  demander  sa  grâce. 
Mahomet  ne  céda  qu'avec  peine  aux  instances  réitérées 
d'Othmàn  ;  mais  enfin  il  pardonna  et  tendit  la  main 
au  misérable,  que  les  musulmans  indignés  auraient 
massacré  si  le  prophète  eût  manifesté  le  moindre 
signe.  Mais  Mahomet  aurait  cru  commettre  une  per- 
fidie en  exprimant  sa  volonté  d'une  manière  détour- 
née ;  et  bien  qu'au  fond  il  désirât  peut-êlre  la  mort  de 
l'apostat,  il  n'aurait  prononcé  la  sentence  qu'ouverte- 
ment, s'il  avait  cru  nécessaire  de  sévir. 

Pour  d'autres  fautes  qui  lui  étaient  plus  sensibles 
qu'aucune  de  celles-là,  et  qui  le  blessaient  encore  plus 
profondément,  il  fit  preuve  de  la  même  indulgence. 
Dans  l'aventure  célèbre  où  l'honneur  de  la  belle 
Avésha  fui  soupçonné,  un  poète  nommé  Hassan,  fils 
de  Thàbil,  se  signala  par  l'amertume  et  la  persistance 
de  ses  i  alomnies.  Rudement  châtié  par  celui  qu'il  ac- 


'  Il  se  nommnit  aussi  Ibn-abi-Sàrah,  et  il  est  |irol)able  que  celte 
double  (Ic-'igiiatiori  vouait  do  snu  aposlasie  ou  de  sa  conversion.  Voir 
M.  Caus>in  de  Perccval.  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  l.  111,  p.  ^ôtî, 
et  M.  W.  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  i.  IV.  p.  17.1. 


1-20  MAHOMET.  r.UAPITr.E  111. 

cusait  de  relations  criminelles  avec  l'épouse  dn  pro= 
phète,  il  vint  implorer  sa  grâce  auprès  de  Mahomet. 
Le  scandale  avait  été  si  grave,  que  le  prophète  avait 
dû  en  faire  l'objet  d'une  de  ses  révélations  ^  et  con- 
descendre jusqu'à  justifier  publiquement  sa  femme 
bien-aimèe.  L'irritation  du  mari  offensé  était  natu- 
relle. Mahomet  la  fit  taire;  et  Hassan,  réconcilié  avec 
colle  qu'il  avait  calomniée,  reçut  non-seulement  la 
vie,  mais  des  présents  pour  réparer  les  affronts  qu'il 
avait  soufferts  dans  sa  personne. 

Peu  de  temps  après  le  combat  de  Bedr,  Mahomet 
avait  voulu  faire  venir  ses  filles  auprès  de  lui,  de  la 
Mecque  à  Médine.  Une  d'elles,  Zaïnab.  avait  été  fort 
maltraitée  par  Habbàr ,  chargé  des  préparatifs  de 
l'évasion.  Il  l'avait  poussée  méchamment  avec  le  talon 
de  sa  lance,  et  Zaïnab,  alors  enceinte,  était  tombée  du 
haut  de  son  chameau;  il  s'en  était  suivi  un  avorte- 
ment  et  une  longue  maladie,  à  laquelle  la  victime  de 
cette  brutalité  venait  de  succomber,  quand  Mahomet 
soumit  la  Mecque.  Habbàr  s'était  soustrait  à  toutes  les 
recherches  ;  mais,  après  deux  mois,  il  osa  se  présenter 
au  prophète,  pour  témoigner  de  son  sincère  repentir 
et  se  ranger  à  l'Islam.  Mahomet,  qui  pleurait  encore  sa 
fille,  excusa  ce  meurtre  en  faveur  de  la  conversion  *. 

*  Voir  le  passage  fameux  du  Coran  où  il  est  fait  allusion  à  toute 
celle  aventure,  (lu'Ayéslia  raconta  pUe-inèmc  plus  lard,  souralc  xxiv. 
vcr.«ets  11  et  suiv.  Voir  M.  Canssin  de  Pcrceval,  Essai  sur  l' histoire  des 
Arabes,  t.  III,  p.  170. 

*  M.  Ciuslave  NVeil,  Mohammed  der  Vrophet,  p.  2'22,  et  M.  Canssin  île 
Peicc\al,  Kssai  sur  l'histoire  des  Aral>es.  t.  III,  p.  257. 


CAIIACTKI'.K  liE  MMIOMKT.  127 

/ 

Ainsi,  dans  ces  deux  occasions,  il  avait  su  imposer 
silence  aux  liop  justes  griels  de  l'époux  et  du  père. 
Je  pour^ai^  accumuler  encore  beaucoup  d'antres 
exemples  de  cette  grandeur  d'âme  qui  pardonne  les 
plus  mortelles  injures;  mais  pour  juger  pleinement 
Mahomet,  il  faut  voir  quelle  fut  sa  conduite  quand  il 
rentra  victorieux  à  la  Mecque,  après  dix  ans  de  persé- 
cutions et  d'outrages  et  presque  autant  d'années 
d'exil  '. 

C'était  en  650.  Il  était  maître  alors  de  la  meilleure 
partie  de  l'Arabie;  un  grand  nombre  de  tribus  lui 
étaient  soumises  ;  il  avait  envoyé  ses  ambassades  au 
roi  d'Abyssinie,  au  gouverneur  de  l'Egypte,  au  gou- 
verneur de  la  Syrie,  à  l'empereur  Héraclius  lui-même  ; 
et  déjà  il  se  sentait  de  force  à  se  mesurer  avec  l'em- 
pire romain,  et  à  lui  arracher  bien  des  lambeaux.  Les 
Mecquois,  ayant  rompu  une  trêve  conclue  peu  de 
temps  auparavant  à  Ilodeibiya,  Mahomet  maicha  contre 
eux  à  la  lète  d'une  aimée;  de  dix  mille  hommes.  La 
ville,  consternée,  ne  pensa  pas  même  à  se  défendre, 
tant  les  précautions  de  Mahomet  avaient  été  bien 
prises.  Les  musulmans,  jadis  persécutés  et  proscrits, 
ne  respiraient  que  la  \engtance,  et  l'on  peut  se  figu- 
rer de   quelle   fureur  devaient  être  saisis  tous  ces 

•  li  élait  rentré  une  première  fois  rif'jà  à  la  Mecque,  mais  seule- 
ment à  l'étal  c!e  pèlerin,  en  029;  il  n'y  élait  rcsié  que  trois  jours  pour 
accomplir  ses  dévotions,  et  il  avait  dû  en  repartir  le  quatrième,  avec 
tous  ses  compagnon.*,  qui  avaient  déposé  leurs  armes  avant  d'entrer 
dans  le  llaram.  Voir  le  Sirat-ir-raçoiil,  traduction  de  M.  G.  Weil,  I.  II. 
p.  179. 


128  MUIOMF.T,  CIIAriTf'.E  lîl. 

guerriers  à  demi  barl)ares,  et  habitués  à  verser  le 
sang  pour  les  moindres  querelles.  Apaiser  ces  ran- 
cunes farouches  et  empêcher  des  massacres  dès  long- 
temps médités,  c'était  chose  presque  impossible;  et  il 
fallait  toute  l'autorité  du  prophète  et  toute  son  adresse 
pour  réussir  à  atténuer  le  mal,  si  ce  n'est  à  le  prévenir 
entièrement. 

D'abord  il  destitua  un  de  ses  généraux,  qui  avait 
exprimé  des  projets  de  vengeance  impitoyable,  et  il 
prescrivit  aux  autres  d'éviter  tout  combat  dans  l'inté- 
rieur de  la  Mecque  ;  elle  était  regardée  comme  un 
asile  sacré,  que  personne,  si  ce  n'est  le  prophète,  et 
encore  pour  un  temps  très-limité,  ne  pouvait  avoir  le 
droit  de  violer  '.  11  défendit  à  qui  que  ce  fût  de  verser 
le  sang,  et  il  se  réserva  le  soin  de  prononcer  les  con- 
damnations capitales  qu'il  ne  pouvait  refuser  à  de 
légitimes  ressentiments.  Il  y  eut  dix-sept  personnes 
qu'on  dévoua  au  sabre  des  soldats,  mais  qui  presque 
toutes  purent  échapper,  redevables  de  leur  salut  à 
l'intervention  patente  ou  secrète  de  Mahomet  -.  Pour 
garantir  la  masse  de  la  population,  il  la  convoqua 
tout  entière  sur  la  colline  Safa,  et  il  lui  fit  prêter  ser- 
ment d'obéissance.  Il  était  lui-même  sur  un  siège 
élevé  ;  Omar,  assis  au-dessous  de  lui,  donnait  la  main 

'  Voir  lo  Coran,  soiiralo  m,  verset  51. 

-  Le  Sirat-er-raçaul,  Iraduction  de  M.  G.  Weil.  t.  II,  p.  lori,  ra- 
conte tout  au  lonp  les  préparatifs  de  Mahomet  pour  cette  expédilion 
décisive.  Voir  aussi  M.  W.  Muir,  Tlw  Life  of  Mahomet,  t.  IV,  p.  lôO, 

qui  croit  pouvoir  ;iftirmor  (|iril  n'y  eut  i\\\c  (piatro  ]iersonnes  mises 
à  mort . 


CAIiACTÈHE  DE  MAIIOMFJ.  129 

en  signe  de  prolection  '  à  tous  ceux  qui  vcnaicul  jurer, 
et,  grâce  à  cette  démonstration  solennelle,  la  sécurilé 
fut  bientôt  rétablie.  Tous  les  Mecquois,  bommes  et 
femmes,  étant  devenus  musulmans,  étaient  à  l'abri 
des  violences  dont  ils  avaient  été  menacés;  et,  afin 
que  tous  les  cœurs  fussent  rassurés,  Mabomet  paya 
lui-même  le  prix  du  sang  pour  un  meurtre  qui  avait 
été  commis  malgré  ses  ordres  ". 

Je  doute  qu'il  ail  jamais  été  donné  à  personne,  dans 
l'ivresse  du  triompbe  et  dans  l'apaisement  d'une 
guerre  civile,  de  mieux  faire  que  Mabomet.  Pour  arriver 
à  dompter  les  passions  féroces  dont  il  était  entouré, 
il  avait  eu  d'abord  à  réprimer  les  siennes.  11  n'était 
pas  un  musulman  qui  eût  à  se  souvenir  d'autant  d'in- 
sultes que  lui;  et,  du  moment  que  Mabomet  avait 
oublié  les  siennes,  il  n'était  pas  un  de  ses  compa- 
gnons qui  pût  être  plus  vindicatif  que  lui. 

11  poussa  même  la  clémence  plus  loin,  et  il  eut 
pour  les  vaincus,  selon  leur  position,  des  mots  gra- 
cieux et  consolants,  qui  adoucissaient  l'bumilialion  de 
la  défaite.  Abou-Becr  lui  amena  son  vieux  père,  aveugle 
et  âgé  de  quatre-vingt-sept  ans,  qui  jusqu'alors  était 
demeuré  idolâtre  :  «  Pourquoi  faire  sortir  ce  véné- 
rable cheik  de  sa  demeure'.'  dit  Mabomet;  je  serais 
allé  l'y  visitei'  ;  »  et,  posant  affectueusement  les  mains 

'  )l.  Caui-sin  do  l'ci'ccval.  Essai  aur  l'histoire  îles  Arabes,  Idiiio  III, 
p.  23 j  et  suiv. 

-  Sirat-er-raçoul,  traduclion  do  M.  G.  ^Voil,  I.  II,  p.  -205;  M.  C:iu?sin 
de  l'erceval,  Essai  sur  iitisloire  des  Arabes,  I.  III,  p.  234. 


130  MAIlOMtT.  CII.U'III'.E  111. 

sur  la  poili'ine  du  vieillard,  il  reçut  sa  prol'essiou  de 
foi.  Quand  le  fils  d'Aboudjlial.  Icrima,  parut  devant 
lui,  conduit  par  sa  femme,  qui  avait  obtenu  sa  grâce, 
Mahomet  recommanda  à  son  entourage  de  s'abstenir 
de  toute  parole  amère  .  «  Voici,  dit-il,  Tcrima  qui  vient 
embrasser  l'islamisme.  Que  nul  d'entre  vous  ne  tienne 
jamais  devant  lui  aucun  propos  injurieux  à  la  mémoire 
de  sou  père.  Insulter  les  morts,  c'est  blesser  les 
vivants.  »  Puis,  se  levant ,  il  alla  à  la  rencontre 
d'Icrima  et  le  reçut  affectueusement.  Un  autre  Coray- 
chiteilluslre,  Safvvân,  ayant  demandé  deux  mois  pour 
se  convertir  à  l'Islam,  Mahomet  lui  en  accorda  le  dou- 
ble, afin  de  lui  rendre  la  soumission  moins  pénible. 

Il  est  bien  rare  de  trouver  tant  de  modération  dans 
la  victoire  après  de  si  longues  luttes,  et  ce  respect  des 
vaincus  n'est  pas  habituel  aux  victorieux,  môme  au 
sein  de  la  civilisation  la  plus  avancée.  Ces  verlus  ne 
se  démentirent  guère  chez  Mahomet;  et,  s'il  parut 
quelquefois  v  manquer,  on  peut  croire  sans  trop  d'in- 
dulgence qu'il  cédait  aux  nécessités  de  la  situation 
plulùt  qu'à  de  vulgaires  et  mauvais  sentiments. 

La  clémence  était  le  ressort  principal  de  sa  poli- 
tique, et  il  y  eut  recours,  chaque  fois  qu'il  le  put,  pour 
achever  la  soumission  des  tribus  qu'il  avait  dû  com- 
battre. Il  exigeait  la  même  mansuétude  de  ses  lieute- 
nants, et  il  blâma  énergiquement  les  cruautés  inutiles 
que  quelques-uns  d'entre  eux  avaient  commises  '.  La 

•  C'est  ainsi  que  M;ihi>niet  n-prouva  rexéciilion  que  Kliâlid,  lils  de 
Waliii.    avait  lailo   sur  li   ti-ilm  des  njadliinia-Ibii-.\inir.   massacrée 


CARACTEra-:  de  maiiu.mlt.  i.'.i 

guerre  tut  toujours  l'aile  avec  cet  enthousiasme  et  cette 
frénésie  qui  rendirent  bientôt  le  monde  aral)e  si  re- 
doutable à  tous  ses  voisins;  mais  elle  fut  du  moins 
adoucie  dans  ses  rigueurs ,  et  l'exterminalion  des 
vaincus  cessa  d'être  de  droit  commun  ',  C'était  un 
grand  progrès,  et  l'on  ne  peut  nier  que  Mahomet  n'y 
ait  contribué  de  toutes  ses  forces,  sans  pouvoir  d'ail- 
leurs y  réussir  toujours. 

Il  voulut  même ,  entreprise  encore  moins  aisée , 
apprendre  à  ses  soldats  le  désintéressement,  dont  il 
leur  donnait  personnellement  un  si  admirable  et  si 
constant  exemple.  Le  but  essentiel  des  premières 
expéditions  était  religieux:  mais  les  avantages  maté- 
riels de  la  victoire  se  tirent  bientôt  sentir,  et  le  pillage 
lucratif  des  idolâtres  aida  beaucoup  au  désir  pieux 
de  les  convertir.  Le  butin  excitait   au  moins  autant 

presf|ue  tout  entière.  Voir  M.  Caussin  de  Perceval,  Essai  sur  Ihistoire 
des  Arabes,  t.  III,  p.  2i5.  Comme  exemple  de  la  politique  de  Malio- 
met,  on  peut  citer  la  manière  dont  il  traita  la  grande  tribu  de  Ila- 
vâzin,  qui  lui  avait  énergiquemenl  résisié,  et  qui  un  instant  avait 
balancé  la  fortune;  voir  M.  Gustave  Weil,  Mahomet  der  Propliet,  page 
257;  M.  William  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  I.  IV,  p.  148. 

•  Ce  ne  fut  guère  ([u'à  l'égard  des  Juif^  que  Mahomet  se  départit  de 
sa  clémence  habituelle.  Il  leur  fit  grâce  quelquclois,  comme  aux  Cay- 
nocâ  par  exemple;  mais  dan.s  d'autres  circonstances  il  se  montra  im- 
placable. La  tribu  des  Corayzha,  qui  avait  t'ait  défection  pendant  le 
siège  de  Médinc,  fut  châtiée  d  une  manière  allreuse.  Sept  cents  pri- 
sonniers conduits  à  Médine  y  lurent  égorgés.  Mahomet  ne  doima  point 
personnellement  cet  ordre  barbare.  La  question  avait  été  soumise  par 
les  Coray/.lia  eux-mêmes  à  Sàd,  (ils  dcMoàdh,  chef  de  la  tribu  d'Ans.  Il 
déc-da  contre  eux,  et  l'horrible  sentence  lut  exécutée  sans  ([ue  le  pro- 
phète intervint;  voir  le  Sirat-rr-raçoiil,  traduction  de  M.  G.  VVeil. 
I.  11.  p.  107;  M.  GuïtaveWeil,  p.  WJ,  et  M.  Caussin  de  Perceval,  t.  III, 
p.  144. 


1.V2  MAHOMhT,  CHAPITRE  111, 

d'ardeur  que  le  prosélytisme.  11  y  avait  là  un  Irès- 
grand  danger  pour  la  croyance  nouvelle,  et  Maho- 
met courait  risque,  en  voulant  faire  des  musulmans, 
de  ne  faire  qu'une  nation  de  pillards.  Il  comprit 
le  péril,  et  il  s'attacha  à  le  conjurer,  d'abord  en  se 
montrant  lui-même  au-des:sus  de  ces  basses  convoi- 
tises, et  aussi  en  les  refrénant  par  ses  conseils  doci- 
lement écoutés. 

Voici  une  occasion  dans  laquelle  il  donna  à  ses  par- 
tisans une  leçon  mémorable.  Les  Ilavàzin  ,  grande 
peuplade  limitrophe  de  la  Mecque,  venaient  d'être 
vaincus,  après  une  très-rude  campagne  entremêlée  de 
revers.  Mahomet  était  parvenu  à  soustraire  les  captifs, 
qui  n'étaient  pas  moins  de  six  mille,  à  la  fureur  des 
soldats  ;  l'humanité  était  salislaite  ;  mais  le  partage  du 
butin  avait  suscité  bien  des  mécontentements,  quoi- 
qu'on eut  suivi  la  loi  faite  dans  le  Coran  après  la  ba- 
taille de  Bedr  '.  Les  Ansàr  se  plaignaient  hautement 
que  les  Mecquois  récemment  convertis  eussent  été 
lavorisés  à  leurs  dépens.  Les  Mecquois  n'étaient  pas 


'  Il  y  a  dans  le  Coran  une  sourate  presque  i  nlière.  la  vui",  consa- 
crée à  ce  sujet  spécial,  cl  elle  est  intitulée  le  Butin  El-Anfàl].  Malu- 
niel  avait  pensé  d'abord  à  attribuer  tout  le  butin  à  Dieu  et  à  lui,  et  à 
le  répartir  selon  les  vues  de  sa  puliliiiue;  après  le  combat  de  Bedr, 
il  l'avait  distribué  par  portions  égales  entre  tous  ses  soldats;  mais 
en>uite  il  ne  préleva  que  le  cinquième  pour  Dieu,  son  prophète  et  sa 
famille,  les  orphelins  et  les  pauvres.  Cetie  préoccupation  de  îlalio- 
niet,  si  notoirement  désintéressé  pour  lui-même,  montre  bien  de  (picUe 
iinporlanco  (-lait  la  répartition  du  butin.  A  l'eniliousiasme  relig:ieux 
se  joi^'nail  un  amour  ellVéné  du  lucre,  aiguisé  par  la  mi.>;ère  habi- 
luellr  de  ces  mallieureuses  penpbtlcs. 


e.AHAC.TKlSK  m:  MAI10MI.T.  133 

moins  irrités,  trouvant  leurs  parts  insullisanles;  et 
la  révolte  était  allée  si  loin  que  le  prophète  avait 
été  menacé  dans  sa  personne,  et  que  son  man- 
teau lui  avait  été  arraché  par  les  séditieux  amas- 
sés autour  de  lui.  11  apaisa  les  uns  par  quelques 
promesses;  mais  quant  aux  Ansàr,  il  tint  à  s'expli- 
quer plus  particulièremeul  avec  eux.  Il  les  fil  donc 
convoquer  par  Saïd-Ibn-Obàda,  qui  avait  osé  se  porter 
l'organe  de  leurs  plaintes  ;  et,  quand  ils  furent  tous 
réunis  : 

«  Hommes  de  Médine,  leur  dit-il ,  je  connais  vos 
discours  et  vous  êtes  mécontents  des  dons  quej'ai  faits 
aux  Coraychites;  vous  prétendez  que  je  vous  ai  ou- 
bliés. Mais  répondez-moi  :  ne  suis-je  pas  venu  à  vous 
pendant  que  vous  étiez  plongés  dans  l'erreur?  Dieu  ne 
vous  a-t-il  pas  remis  dans  le  droit  chemin?  N  éliez- 
vous  pas  alors  dans  le  besoin?  Ne  vous  a-t-il  pas  enri- 
chis? N'étiez-vous  pas  livrés  à  la  discorde  entre  vous? 
N'a-t-il  pas  rempli  vos  cœurs  d'amour  et  d'union?  » 
Mahomet  s'arrêta  pour  attendre  une  réponse,  et  les 
Ansàr  lui  dirent  :  «  Oui,  c'est  là  la  vérité  :  c'est  à  Dieu 
et  à  son  prophète  que  nous  devons  la  concorde  cl  la 
fortune  dont  nous  jouissons.»  «  C'est  bien,  reprit  Maho- 
met ;  mais  vous  auriez  pu  me  répondre  aussi,  avec  une 
sincérité  que  j'aurais  dû  moi-même  reconnaître  :  «  Tu 
«es  venu  à  Médine  proscrit  comme  un  imposteur,  et 
«nous  avons  porté  témoignage  delà  véracité;  lu  es 
«venu  comme  im  fugitif  dépouillé  de  tout,  el  nous 
«  l'avons  accueilli;  comme  un  baimi,  el  nous  l'avons 

8 


154  •  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

«donné  un  asile;  comme  un  pauvre,  et  nous  t'avons 
«  soulagé.  »  Mais  vous  ne  pensez  pas  à  me  répondre 
ainsi  ;  et  cependant  vous  ne  pouvez  supporter  ti'anquil- 
lement  que  je  donne  à  ces  hommes  des  récompenses 
mondaines,  par  lesquelles  je  dois  gagner  leurs  cœuis, 
au  lieu  que  les  vôtres  sont  fermes  dans  la  toi  !  N'êtes- 
vous  donc  pas  contents,  tandis  que  d'autres  ramènent 
chez  eux  des  moutons  et  des  chameaux,  de  ramener 
parmi  vous  le  prophète  du  Seigneur?  Oui,  par  celui 
(jui  tient  entre  ses  mains  l'âme  de  Mahomet,  je  resterai 
toujours  au  milieu  devons.  Le  monde  entier  suivrait 
une  route,  et  les  hommes  de  Médineen  suivraient  une 
autre,  c'est  la  route  des  hommes  de  Médine  que  je 
choisirais.  Que  Dieu  les  comble  de  ses  bienfaits,  eux 
et  leurs  fils,  et  les  enfants  de  leurs  enfants  '.  »  A  ces 
accents  du  prophète,  tous  les  yeux  furent  mouillés  de 
larmes,  connneles  siens;  et  les  Ansàr  s'écrièrent  d'une 
voix  unanime  :  «  Prophète  de  Dieu ,  nous  sommes 
contents  de  noire  loi  '-.  » 

C'est  par  ces  hautes  et  sincères  émotions  que  Maho- 
met dominait  surtout  les  âmes,  et  qu'il  les  menait  à 
Dieu  en  les  arrachant  à  toutes  les  viles  passions.  Son 
entrée  à  la  Mecque  avait  eu  un  caractère  exclusivement 
religieux;  et  quoique  la  ville  eût  été  prise  sans  condi- 

'  Voir  M,  Giislavo  Wci',  Mohamtiu'd  rier  Propliel.  p.  -il  ;  M.  Caus- 
siii  de  l'crccval,  Essiti  t.iir  l'Iiisloiri'  des  Arabes,  I.  III,  p.  tiOÔ;  M.  W. 
Sluir,  TheL'fe  of  MahomvL  I.  IV,  p.  155. 

-  Selon  les  commontateurï;,  la  sourate  ix,  vei-sels  0)0-02.  fait  allu- 
sion à  cet  événcnienl.  Mais  l'allusion  est  précise  dans  la  sourate  i.ix, 
verset  9. 


CAP.ArjKIU:  1»E  MAIIO.MKT.  l.". 

lions  ',  personne  n'avait  songé  que  le  pillage  pût  être 
le  prix  de  la  victoire.  Le  premier  soin  du  prophète  avait 
été  de  se  rendre  à  la  Caaba,  qui  était  toujours  aussi 
respectée  des  musulmans  que  des  idolâtres  ;  il  en 
avait  fait  sept  fois  le  tour,  monté  sur  sa  chamelle,  et 
il  avait  touché  la  Pierre  noire  de  son  bâton  recourbé 
[Milidjan).  Puis  entrant  dans  le  sancluaire,  dont  il 
s'était  fait  remettre  la  clef,  il  y  avait  successivement 
détruit  de  ses  propres  mains  tous  les  signes  et  les  sym- 
boles de  l'idolâtrie,  une  colombe  de  bois  suspendue 
au  plafond,  des  figures  peintes  sur  les  murailles  et 
entre  autres  celle  d'Abraham.  Sortant  ensuite  de 
la  Caaba;,  il  avait  recommencé  à  en  faire  le  tour, 
levant  son  bâton  devant  chacune  des  trois  cent 
soixante  idoles  des  tribus,  qui,  scellées  avec  du 
plomb,  en  couronnaient  le  faite.  Il  les  avait  con- 
damnées en  disant  :  «  La  vérité  est  venue;  que  le 
mensonge  disparaisse  -.  »  Et  à  peine  avait-il  proféré 
ces  mots,  que  l'idole  était  renversée  et  mise  en  pièces 
par  ceux  qui  le  suivaient.  En  même  temps,  il  avait  fait 
ordonner,  par  les  crieurs  publics,  à  tous  les  habitants 

*  Afin  d'épargner  le  sung  et  (renipèclier  les  conséciuencos  d'un  as- 
.'^aiil,  Mahomet  avait  ménagé  un  arrangement  secret  avec  Abou-Sofyân, 
le  chef  des  Coraycliites,  qui  était  venu  s'entendre  avec  lui  quelques 
jours  auparavant.  C'était  Abbâs,  l'oncle  de  Mahomet,  qui  s'était  lait 
l'intermédiaire  de  la  négociation.  Elle  fait  le  plus  grand  honneur  aux 
deux  partis;  et  Abou-Solyàn  ne  fut  pas  un  traître.  Voir  les  détails 
donnés  par  M.  ^Villiam  Muir,  The  life  of  Mahomet,  t.  IV,  p.  117,  et 
surtout  la  note  de  la  page  120. 

'  Voir  le  Coran,  soui'ate  xvii,  verset  8.1,  et  le  Siral-er-riiçoul,  tra- 
duction do  M.  G.  Weil,  t.  II.  ].   KHI  et  270. 


1"ii  MMIOMRr,  f.II\l'ITI:F.  m. 

de  la  ville,  qu'ils  eussent  à  détruire  toutes  les  idoles 
qu'ils  avaient  dans  leurs  maisons;  et  en  quelques 
heures  ridolàtrie  avait  disparu  de  la  Mecque,  dont 
l'initiative  devait  être  bientôt  suivie  par  toutes  les 
tribus  arabes  '. 

Les  Ansâr  avaient  pu  voir  de  leurs  propres  yeux  ce 
grand  spectacle  ;  ils  avaient  assisté  à  cette  prodi- 
gieuse révolution  ;  et  s'ils  avaient  pu  croire  à  l'Envoyé 
de  Dieu  quand  ils  prêtaient  jadis  en  secret  le  serment 
d'Acaba,  leur  foi  devait  être  maintenant  moins  dou- 
teuse et  plus  eftlcace  que  jamais.  Les  grandes  pro- 
messes que  Mahomet  leur  avait  faites  étaient  accom- 
plies au  delà  même  de  toute  espérance  ;  sa  parole  ne 
les  avait  jamais  trompés;  sa  sagesse  et  sa  générosité 
n'avaient  jamais  été  en  défaut.  Ils  pouvaient  donc  bien 
s'en  lier  à  lui,  quand  il  demandait  à  ses  plus  anciens 
et  plus  fidèles  compagnons  de  i.e  pas  s'attacher  aux 
biens  périssables  de  ce  monde,  et  de  songer  plutôt 
aux  récompenses  éternelles.  Mais  combien  il  est  peu 
d'hommes  à  qui  il  a  été  donné  d'exercer  sur  leurs 
semblables  cet  absolu  et  bienfaisant  empire  ! 

Quant  à  Mahomet,  nous  lui  retrouvons  ici  au  mi- 
lieu de  son  triomphe,  et  à  la  fin  de  sa  carrière,  toutes 
les  qualités  qu'avait  montrées  sa  jeunesse.  C'est  tou- 
jours le  même  homme,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  unique- 
ment dévoué  à  la  grande  idée  qu'il  a  poursuivie  durant 

*  Il  nvnit  fnil  aussi  rétablir  les  bornos-limilos  de  IViicoinle  sacri'O. 
le  llaram.  ]iour  faire  bien  comprendre  qu'en  délriiisanl  l'idolàlrie 
il  ne  voulait  rien  ôter  à  la  sainlelé  séculaire  de  la  Mecque. 


CAliACTKKE  DE  M.\i;OM.J'.  |."7 

toute  sa  vie,  et  la  servant  par  tous  les  moyens  dont  il 
dispose,  avec  la  plus  entière  sincérité  et  avec  un  succès 
miraculeux.  La  situation  seule  est  changée  :  ce  sont 
des  tribus,  ce  sont  des  villes  populeuses,  ce  sont  des 
nations  qu'il  convertit,  au  lieu  de  Khadidja,  du  jeune 
Ali,  de  Zeïd  et  du  vieux  Varaka.  Le  propitète  ne  s'est 
pas  un  instant  démenti;  mais  le  Dieu  qu'il  annonrail 
à  sa  famille,  au  lieu  de  n'être  reconnu  qu'à  sou 
humble  foyer,  Test  désormais  d'ans  l'Arabie,  qui 
l'adore,  et  qui  va  tenter  de  l'imposer  au  reste  du 
monde. 

Pour  achever  cette  esquisse  du  caractère  de  Maiio- 
mel,  il  faut  encore  le  considérer  dans  les  derniers 
lemps  de  son  exislenco  et  aux  approches  de  la  mort. 
A  ces  extrémités,  tous  les  voiles  tombent,  et  l'impos- 
ture se  trahit  en  cet  instant  suprême,  si  c'est  elle,  en 
effet,  qui  jusqu'alors  a  trompé  la  crédulité  du  vul- 
gaire. Mais  Mahomet,  loin  de  diminuer,  grandit  en- 
core quand  il  va  quitter  celte  vie  et  comparaître  devant 
Dieu,  dont  il  s'est  fait  l'apôtre. 

Dans  les  deux  années  qui  avaient  suivi  la  destruc- 
tion des  idoles  et  la  proclamation  du  nouveau  culte, 
Mahomet  avait  conquis,  on  par  lui-même  ou  par  ses 
lieutenants,  presque  tonte  la  presqu'île.  Le  Mahra, 
l'Oman,  le  Nadj,  l'iladramaut,  l'Yémen  avaient  em- 
brassé l'islamisme  par  violence  ou  par  conviction.  Les 
chrétiens  mêmes  de  Nadjrân  avaient  abjuré  '.  Il  n(;  res- 

'  Il  talhiit  que  les  tcnips  fiibsenl  venus,  et  que  ia  révolution  n  li- 
f.,ieuse  lut  bien  mûre  pour  que  les  couquêles  de  l'islaniisme  l'uss^nt  si 

S. 


158  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

lait  plus  qu'à  donner  à  toutes  ces  tribus  un  centre 
d'action  religieuse  et  nationale.  La  Mecque  était  indi- 
quée pour  leur  capitale,  par  la  vénération  sans  bornes 
dont  elle  était  entourée,  et  par  les  traditions  pieuses 
qui  remontaient  jusqu'à  Abraliam  lui-même.  Maho- 
met ne  pouvait  penser  à  la  dépouiller  de  ce  privilège  ; 
mais  pour  qu'elle  pût  dignement  recevoir  i'islam,  il 
ne  fallait  pas  seulement  qu'elle  fût  purifiée  de  l'idolâ- 
trie, il  fallait  encore  que  le  pèlerinage  annuel  dont 
elle  était  le  théâtre  depuis  vingt  siècles  changeât  de 
caractère  et  de  signification.    Pas  un  seul  idolâtre, 
venu  de  quelque  partie  que  ce  fût  de  l'Arabie,  ne  de- 
vait désormais  pouvoir  s'y  présenter.  Mahomet  résolut 
de  se  rendre  de  sa  personne  à  la  cité  sainte.  Mais  il 
avait  à  préparer  cette  transformation  définitive,  et  ce 
n'était  pas  d'un  seul  coup  qu'il  pouvait  l'accomplir. 
11  ne  voulut  pas  faire  lui-même  le  pèlerinage,  tant 
(ju'il  risquait  de  rencontrer  des  idolâtres  autour  de  la 
(laaba,  ou  dans  l'enceinte  du  territoire  sacré.  Il  envoya 
donc  Abou-Becr  à  sa  place  (651),  à  la    tète  de  trois 
cents  pèlerins  de  Médine,  avec  le  litre  de  chef  du  pèle- 
rinage {Émir  cl-H(idj)y  et  Aii  lut  chargé  de  lire  solen- 
nellement au  peu  pie  le  passage  de  la  neuviètne  sourate  ' , 

faciles  ot  si  liipidcs.  Presque  nulle  pail  la  destruction  des  idoles  ne 
trouva  de  résislaiice  ;  l'ancien  culte  ne  suffisait  jjIiis  aux  besoins  de 
ces  peuples,  et  l'on  eût  dit  que  de  toutes  p.»rts  la  voix  du  proidièle 
était  attendue.  Les  influences  juives  et  chrétiennes,  dés  lonytenips 
éprouvées,  n'ont  pas  été  sans  doute  étrangères  à  ce  résultat. 

•  Cette  sourate,  compo.sée  de   130   versets,  et  qui  n'est  peut-être 
que  la  continuation  de  la  \ni°,  est  une  des  plus  importantes  de  tgut 


CAUACTÈHE  DE  MAHOMET.  13i) 

qui  accordait  aux  païens  quatre  mois  pour  se  soumettre, 
et  qui  déclarait  que,  passé  ce  temps,  le  prophète  était 
libre  [Barâat]  de  tout  engagement  envers  eux  ;  il  leur 
était  interdit  de  jamais  prendre  part  au  pèlerinage,  de 
même  qu'ils  étaient  éternellement  exclus  du  paradis. 
L'idolâtrie  étant  ainsi  proscrite  de  l'Arabie,  et  l'Islam 
devant  devenir  la  loi  de  l'univers,  Mahomet  put  se 
rendre  à  la  Mecque.  Moins  de  deux  mois  avant  sa 
muri,  dans  le  mois  de  Dsou-l-Kaada,  il  y  fit  le  pèleri- 
nage d'adieu',  si  célèbre;  et  si  vénéré  dans  les  annales 
musulmanes'.  Les  cérémonies  qu'accomplit  alors  le 
proplièle  sont  restées  le  type  inviolable  de  celles  que 
doivent  accomplir  tous  les  pèlerins.  Il  y  apporta  d'ail- 
leurs lui-même  une  rigueur  à  laquelle  ses  femmes 
durent  se  soumettre  ainsi  qu'Ali  '\ 

le  Coran.  La  déclaration  do  gnerre  à  l'idolâtrie  y  est  faite  dans  les 
termes  les  plus  terribles.  H  y  a  dans  cette  sourate  beaucoup  do  dés- 
ordre coninie  dans  toutes  les  autres;  mais  le  ton  ^^énéral  a  quelque 
chose  do  vraiment  effrayant,  surtout  (jiKind  on  sonje  aux  consé- 
((uencos  qu'en  a  tirées  le  fanatisme  inaliométan.  Au  verset  5.  il  est  dit  : 
,<  Les  mois  sacrés  expirés,  tuez  les  idolâtres  parlout  où  vous  les  trou- 
verez. On  ne  doit  les  laisser  en  paix  que  quand  ils  se  sont  con- 
vertis. »  Voir   le   Sirat-er-raçoul,  traduction  de  M.   G.  Wcil.    t.   II, 

p.  rn. 

*  Depuis  sa  fuile  de  la  Mecque,  Maliomet  avait  visité  deux  fois  les 
lieux  saints;  mais  c'était  le  petit  pèlerinage  (Omra,  EI-Haddj-el- 
Asghar),  qui  peut  se  faire  à  toutes  les  époques  de  Tannée;  le  grand 
pèlerinage  se  fait  au  dixième  jour  du  douzième  mois,  et  Mahomet  na- 
vait  pas  pu  le  faire  depuis  dix  ans. 

-  La  sourale  xxn''  du  Coran  est  consacrée  tout  entière  au  pèlerinage 
de  la  Mecque,  et  c'est  son  titre.  Voir  aussi  le  Sirat-er-raçoiil,  iradiu- 
tion  de  M.  C.  Weil,  I.  H,  p.  ">li  et  suiv. 

^  Ses  femmes  n'ayant  pas  apporté  de  victimes  ne  purent  parlici{ier 
jiu  grand  pèlerinage,  et  elles  durent  rester  à  l'état  ù'ililùl:  ce  qui  iig 


l'fO  MAHOMET.  CÎ'AIMTIŒ  III. 

Il  n'est  pas  nécessaire  de  décrire  ici  le  détail  de  ces 
cérémonies,  malgré  la  juste  importance  qu'y  attachent 
les  musulmans  ;  mais  je  remarque  la  prière  par  la- 
quelle Mahomet  et  tous  ceux  qui  le  suivaient,  au  nom- 
bre de  quatre-vingt-dix  mille  ou  cent  mille,  se  con- 
stituèrent à  l'état  de  pénitents  iilirâni^}  avant  d'entrer 
ù  la  Mecque  :  «  Me  voici  de\ant  toi,  ù  mon  Dieu;  à  toi 
appartiennent  la  louange,  la  grâce  et  la  puissance. 
Tu  n'as  pas  d'associé'.  »  Entré  à  la  Mecque,  il  lit  les 
sept  tournées  obligatoires  autour  de  la  Caaba,  après 
avoir  baisé  la  Pierre  noire  ;  il  récita  une  prière  sur  le 
Macàm-lbrahîm,  et  parcourut  sept  fois  l'espace  com- 
pris entre  la  colline  de  Safa  et  celle  de  Marva  [Scii). 
Ce  lut  l'emploi  du  premier  jour.  Les  six  jours  suivants, 
il  sacrifia,  suivant  les  rites,  les  victimes  qu'il  avait 
amenées  avec  lui  et  qui  le  mettaient  en  état  d'ihràm. 
Puis  sans  quitter  sa  chamelle,  sur  laquelle  il  était 
monté,  il  adressa,  du  haut  d'une  plate-forme  de  l'Ara- 
fâl,  un  long  discours  au  peuple  assemblé  pour  l'en- 
tendre. Il  s'arrêtait  après  chaque  phrase,  et  ses  paroles 
étaient  répétées  à  la  foule  par  un  de  ses  compagnons, 
Piabîa,  à  la  voix  retentissante.  La  tradition  a  conservé 

lonr  pormcttnil  que  la  simplo  visilo,  llmra.  Ali,  (|tii  rovonail  d'mio 
expédition,  lut  favorisé  par  li<  propliéto,  qui  coni^eiitil  à  partager  ses 
\iclinnes  avec  lui. 

*  Ces  distinctions  d'iliràiii  ot  ù'ililâ!  sont  encore  scrupuleuseiuenl 
oliservées  de  nos  joui^s;  mais  les  simples  visiteurs  sont  toujours  beau- 
coup plus  nondneux  que  les  pèlerins  in'oprement  dits.  Voir  M.  Caussin 
de  Perceval.  Eftsai  sur  l'histoire  des  Arabes,  l.  III,  p.  209  ctsuiv. 

*  .le  reproduis  la  traduction  de  M.  Caussin  de  Perceval,  t.  III,  p.  '2flO; 
celle  de  M.  W.  Muir  en  diflère  un  peu.  t.  IV,  p.  23C. 


r.Ai;\(:Ti:[!K  de  mmiumpt.  lii 

une  partie  de  ce  discours',  dont  j'extrais  les  passages 
suivants,  en  hiissant  de  côté  ceux  qui  se  rapportent  à 
des  intérèls  moins  directement  religieux,  comme  le 
règlement  des  dettes,  la  réforme  du  calendrier,  les  de- 
voirs réciproques  des  époux,  etc. 

«  0  peuples,  écoutez  mes  paroles;  car  je  ne  sais  si, 
une  autre  année,  je  pourrai  me  retrouver  encore  avec 
vous  dans  ce  lieu.  Soyez  humains  et  justes  entre  vous. 
Que  la  vie  et  la  propriété  de  chacun  soient  inviolables 
et  sacrées  pour  les  autres;  que  celui  qui  a  reçu  un 
dépôt  le  rende  fidèlement  à  qui  le  lui  a  remis.  Vous 
paraîtrez  devant  votre  Seigneur,  et  il  vous  demandera 
compte  de  vos  actions.  Traitez  bien  les  femmes  ;  elles 
sont  vos  aides,  et  elles  ne  peuvent  rien  par  elles 
seules  ;  vous  les  avez  prises  comme  un  bien  que  Dieu 
vous  a  confié,  et  vous  avez  pris  possession  d'elles  par 
des  paroles  divines.  0  peuples,  écoutez  mes  paroles  et 
fixez-les  dans  vos  esprits.  Je  vous  ai  tout  révélé  ;  je 
vous  laisse  une  loi  qui  vous  jtréservera  à  jamais  de 
l'erreur,  si  vous  y  restez  fermement  attachés,  une  loi 
claire  et  positive,  le  livre  de  Dieu  et  l'exemple  de  son 

•  O  discours  a  i';[ii  consorvc  dans  l'ouvrage  d'ihn-lsliàc  et  d'Il)n- 
Isliâm.  qui  pn-lendeiU  le  donner  Ici  qu'il  a  élé  prononce.  Voir  le  Si- 
ral-er-raçouU  traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  II,  p.  ôiti  et  suivantes,  el 
M.  William  Muir,  The  Ijfe  ofMalwmet,  l.  IV,  p.  "r>l.  Il  est  répété  au-si 
par  le  secrétaire  de  Wàckidi,  avec  quelques  vaiiantes  sans  impor- 
tance. La  reproduction  (jue  je  transcris  est  en  jrrande  partie  celle  de 
M.  Caussiu  de  l'erceval.  t.  111,  p.  ^01.  La  tradition  n'est  pas  d'ac- 
cord sur  le  lieu  précis  où  se  tenait  Mahomet  pour  parler  au  peuple; 
lo«  uns  le  placent  dans  la  valléede  Mina,  les  autres  sur  le  mont  .Vraffil; 
'  (■  dn  nier  avis  est  cdtii  d'lliivl-;lirim. 


142  MAHOMET.  Cll.Vl'lTRE  III. 

prophète.  0  peuples,  écoulez  mes  paroles  et  fixez-les 
dans  vos  esprits.  Sachez  que  tout  musulman  est  le 
frère  de  l'autre,  que  fous  les  musulmans  sont  frères 
entre  eux,  que  vous  êtes  lous  égaux  entre  vous,  et 
que  vous  n'êtes  qu'une  famille  de  frères.  Gardez- 
vous  de  l'injustice  ;  personne  ne  la  doit  commettre  au 
détriment  de  son  frère:  elle  entraînerait  votre  perte 
éternelle...  '  w 

Puis  Rabia,  s'adressant  à  la  fouh^  par  l'ordre  du  pro- 
phète :  «  0  peuples,  répondez,  l'Envoyé  de  Dieu  vous 
interroge  :  Savez-vous  dans  quel  mois  vous  êtes?  dans 
quel  lieu?  dans  quel  jour?  » 

La  foule  ayant  répondu  :  «  Nous  sommes  dans  le 
mois  sacré;  nous  sommes  dans  l'enceinte  sacrée;  c'est 
aujourd'hui  la  fête  du  saint  pèlerinage,  »  Mahomet 
ajouta  :  «  Dis-leur,  Rabia,  que  Dieu  leur  ordonne, 
jusqu'au  jour  où  il  les  rappellera  à  lui,  de  tenir  le 
sang  et  le  bien  de  leurs  frères  pour  aussi  sacrés  que  ce 
mois,  ce  territoire  et  ce  jour.  »  A  la  fin  de  son  dis- 
cours, Mahomet,  faisant  un  retour  sur  lui-même,  s'é- 
cria :  «  0  Dieu,  ai-je  rempli  mon  message  et  terminé 
ma  mission-?  »  La  foule  (jui    l'entourait  répondit; 

'  .rai  iiiêh'  ici  la  traduclion  do  M.  G.  Wcii,  celle  do  M.  Caiissin  do 
Perceval  et  celle  de  M.  AV.  Muir.  Les  dilféreiices  sont  d'ailleurs  à 
peu  prè.s  insigiiillantes.  La  pensée  et  le  caractère  du  .<eriuou  no  sont 
pas  cliangés.  Voir  aussi  la  première  Irailiutioii  ilo  M.  ('iiistavo  Wcil. 
Mohammed  dcr  propliel.  p.  .'Il  et  sniv. 

-  Je  ne  sais  pourtiuiû  M.  AViiliani  Muir  suspecte  la  vérité  de  cette 
grande  scène.  Il  est  hion  dilticilc,  sans  <ioiite,  de  iléniontrer  que  ce 
n'est  pas  la  tradition  superstitieuse  cpii  l'a  inventée;  mais  il  n'est  pas 
plus  aisé  do  démontrer  que  ce  n'est  là   (pi'iuie  fiction.  Logiquement, 


CAP.ACTLRI-:  DE  MAHOMET.  143 

comme  si  elle  païkiit  ;iu  nom  de  Dieu  lui-même  : 
«  Oui,  tu  l'as  accomplie;  »  et  Mahomet  s'écria  de 
nouveau  :  «  0  Dieu,  daigne  recevoir  ce  témoignage.  » 
Alors  il  congédia  rassemblée,  et  Ahou-Becr  versait 
des  larmes  en  pensant  que,  si  la  mission  du  pro[)hète 
élaii  terminée,  sa  mort  devait  étie  prochaine. 

En  se  letirant,  Mahomet,  faligué,  entra  dans  la 
maison  d'un  marchand  de  nahidz,  c'est-à-dire  d'eau 
de  dattes  préparée  pour  les  [)élerins  '  ;  et,  comme 
pour  montrer  (ju'il  n'avait  rien  perdu  de  sa  simplicité, 
il  voulnl  boire  dans  le  gobelet  commun.  Son  cousin, 
lils  d'Abbàs,  lui  représenta  ({u'il  valait  mieux  se 
rendre  à  la  maison  de  son  père,  où  l'on  aura  il  à  lui 
offrir  une  eau  et  un  vase  plus  purs;  mais  Mahomet 
insista,  et  il  but  dans  le  gobelet  où  se  désaltérait  la 
foule. 

Tel  fut  Mahomet  dans  cctle  solennité,  la  dernière  où 
il  ait  figuré,  et  une  des  plus  extraordinaires  dont  puisse 
se  glorifier  l'histoire  des  hommes.  Je  le  trouve  encore 


on  doii  croiro  f|iic  Mahomet  a  lait  une  allocution  de  ce  genre,  dont 
les  ternies  exacls  iniporleiU  fort  jieu.  Son  voyage  à  la  Mecque  ne 
pouvait  pas  avoir  un  autre  objet  <iue  de  fixer  les  cérémonies  du  pè- 
lerinage en  les  adaptant  au  nouveau  culte,  et  il  élait  impossible  (|ue 
le  prophèle  ne  parlât  pas  de  sa  mission.  Voir  M.  NViliiam  Muir,  t.  IV, 
().  'ii'2.  Ibn-lsliàc  cite  au  moins  trois  témoins  de  celle  dernière  pré- 
dication de  Mahomet  sur  lAralàt;  voir  le  Sirat-er-roroiil,  traduction 
de  M.  G.  m-il,  t.  II,  p.  Ô07. 

*  Il  n'y  a  pas  aujourd  Inii  de  dévot  pèlerin  qui  n'imiie  le  prophète 
dans  celte  action  insignifiante,  et  qui  ne  boive  aussi  du  nabidz.  Le 
pèlerinage  !»erait  moins  complet  et  moins  efficace  si  l'on  négligeait 
cetie  sainte  précaution.  Voir  M.  NVilliani  Muir,  Tlie  Life  of'Maliomet, 
'..  IV,  p.  245. 


lu  MAiiuMtr,  ciiviir;!:;  m. 

plus  grand,  s'il  est  possible,  dans  son  agonie  contre 
une  mort  préinatuiée  el  presque  violente. 

Depuis  qu'il  avait  élé  empoisonné  à  Khaybar*,  sa 
santé,  jusque-là  si  robuste,  ne  s'élait  jamais  complè- 
tement remise,  et  h  dérangement  devint  visible  à  lous 
les  veux  quelques  jours  après  sa  rentrée  à  Médine.  11 
y  préparait  upe  nouvelle  expédition  en  Syrie,  pour 
venger  contre  les  Romains  la  défaite  de  Moùta,  quand 
il  ressentit  les  premières  atteintes  du  mal  auquel  il 
devait  succomber.  Une  miil  qu'il  était  dans  la  maison 
d'Ayésha,  il  se  releva  dévoré  par  la  lièvre;  et,  suivi 
d'un  serviteur"-,  il  alla  dans  le  principal  cimetière  de 
Médine  (Hékia-el-Gliaïkad).  Là,  il  resta  longlempsdans 
une  méditation  profonde,  et  il  se  mit  ensuite  à  prier 
à  haute  voix  pour  les  musulmans  inhumés  en  ce  lieu  : 
«  Habitants  de  ces  tombeaux,  dit-il,  soyez  bénis;  vous 
et  moi  nous  avons  obtenu  l'accomplissement  des  pro- 
messes que  le  Seigneur  nous  avait  faites.  Vous  êtes 
sauvés,  et  votre  partage  vaut  mieux  que  le  partage  de 
ceux  qui  vous  ont  survécu.  Si  vous  saviez  ce  que  la 
bonté  deDieu  vous  épargne!  Les  épreuves  vont  se  suc- 
céder comme  se  succèdent  les  parties  d'une  sombi-e 


'  CV'luit,  ù  ce  qu'il  itarait.  la  conviction  personnelle  do  Mahomet: 
elle  pouvait  être  assez  fondée;  mais  il  suflit  de  se  rappeler  les  fati- 
gues qu'il  avait  supportées  dans  les  dernières  années,  pour  com- 
j)rcndre  que  ses  forces  pouvaient  être  épuisées,  sans  oublier  les  effets 
proliables  de  son  liarem.  Voir  plus  liant,  p.  124. 

'Le  Siral-er  raçoiil  a  conservé  le  tém  ignage  el  le  nom  de  ce 
serviteur,  alfranclii  de  Maliomel;  il  se  nommait  Abou-Moveihaba.  Voir 
1.1  traduc  ion  de  M.  C.  Vieil    t.  Il,  ii.  ôil. 


CARACTERE  DE  MAHOMET.  145 

nuit  toujours  de  plus  en  plus  sombres.  Seigneur,  ac- 
corde ton  pardon  à  ceux  qui  sont  enterrés  ici.  »  Puis, 
s'adressant  à  son  serviteur,  il  lui  dit  :  «  0  Ajjou-Mo- 
veihaba,  le  choix  m'a  été  laissé  entre  la  possession  des 
trésors  de  la  terre  avec  la  vie  ici-bas,  et  le  paradis 
avec  la  vue  du  Seigneur;  et, j'ai  préféré  le  paradis.  »  11 
revint  ensuite  à  sa  maison,  fort  souffrant  et  se  plai- 
gnant vivement  de  douleurs  de  tète. 

Les  jours  suivants,  le  mal  ne  cessant  pas,  il  fit  as- 
sembler ses  femmes  chez  Maymouna,  où  il  se  trouvait 
alors,  et  il  leur  demanda  leur  agrément  pour  demeu- 
rer désormais  chez  une  d'entre  elles.  Il  choisit  Ayésha, 
dont  les  soins  lui  étaient  les  plus  doux,  et  il  se  fit  con- 
duire chez  elle  par  deux  hommes  de  sa  famille.  Il 
pouvait  cependant  encore  se  rendre  à  la  mosquée 
pour  diriger  les  prières  publiques,  et  il  fit  un  jour  un 
assez  long  discours  au  peuple  pour  justifier  le  choix 
d'Ouçâma,  commandant,  quoique  fort  jeune,  l'expédi- 
tion de  Syrie  ^  Il  eut  aussi  quelques  paroles  pleines 
de  tendresse  pour  Abou-Becr,  son  futur  successeur;  il 
pria  pour  les  morts  deOhod;  et,  se  rappelant  l'asile 
que  Médine  lui  avait  assuré  onze  ans  auparavant,  il 
ajouta  : 

«  0  vous  qui  êtes  venus  ici  de  la  Mecque  el  des 
autres  parties  de  l'Arabie,  écoulez-moi.  Votre  nombre 
s'accroît  tous  les  jours,  et  vous  remplissez  de  plus  en 

*  Ouçàma  était  fils  de  Zeïd,  1  affranchi  de  Mahomet  et  le  coiniia- 
gnon  de  presque  toute  sa  vie.  In  I  était  mort  à  la  bataille  de  Moiiia 
rois  ans  auparavant. 


146  MAHOMET.  CIIAPirnE  III. 

plus  la  ville.  Mais  le  nombre  des  hommes  de  Médine  ne 
peut  jamais  s'accroître,  et  ils  resteront  éternellement 
ce  qu'ils  étaient  quand  ils  m'ont  accueilli  et  qu'ils 
m'ont  donné  un  refuge.  Ils  me  sont  particulièrement 
chers;  car  ils  ont  été  ma  famille,  et  ils  m'ont  rendu 
une  patrie.  Honorez  qui  les  honore,  et  défendez-les 
toujours  contre  leurs  ennemis  ^  »  C'était  une  digne 
récompense  pour  les  fidèles  Ansâr. 

Puis,  s'adressant  à  Tassistance  entière  :  «  Musul- 
mans, dit-il,  si  j'ai  frappé  quelqu'un  d'entre  vous,  me 
voici  ;  qu'il  me  frappe  à  son  tour.  Si  je  l'ai  blessé  dans 
son  honneur,  qu'il  me  rende  à  cette  heure  injure 
pour  injure.  Si  j'ai  enlevé  à  quelqu'un  ce  qui  lui  ap- 
partenait, qu'il  reprenne  son  bien  sur  tout  ce  que  je 
possède;  et  qu'il  ne  craigne  pas  d'irriter  ainsi  ma 
haine,  car  la  haine  n'a  jamais  été  dans  mon  cœur-.  » 
Chacun  gardant  le  silence,  Mahomet  répéta  ce  qu'il 
venait  de  dire;  et  comme  un  homme  de  la  foule  lui 
réclama  une  légère  somme  d'argent  jadis  prêtée, 
Mahomet  la  lui  fit  restituer  aussitôt,  en  ajoutant  :  «  Il 
vaut  mieux  avoir  à  rougir  dans  ce  monde-ci  que  dans 
l'aulre.  » 

Il  parut  encore  une  ou  deux  fois  dans  la  mosquée 

'  Voir  M.  Gustave  Weil,  Mohammed  der  piophct,  p.  526  et  suiv.; 
M.  William  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  IV,  p.  262  et  suiv.;  et 
M.  Caussin  de  Perceval,  Essai  sur  V histoire  des  Arabes,  t.  III,  p.  518 
et  suiv. 

-  Dans  des  vers  qui  ont  élt'  conservés,  Yaralca  disait  de  Mahomet  : 
8  IMein  d'indulgence  et  de  pardon,  il  ne  rend  jamais  le  mal  quon 
lui  fait;  il  réprime  sa  colère  et  son  ressentiment,  quand  on  l'in- 
sulte. »  Voir  Maçoudi,  livre  I,  p.  1  iô  do  la  traduction. 


CARACTÈRE  DE  MAHOMET.  li? 

pour  assister  aux  prières,  qui  étaient  conduites  d'api'ès 
ses  ordres  par  Abou-Becr,  et  il  se  montra  iieureux  de 
la  dévotion  des  musulmans  rassemblés  pour  les  eu- 
tendre^  Mais  ses  forces  s'épuisaient  de  plus  en  plus  ; 
il  avait  de  fréquentes  défaillances  ;  et,  quand  il  reve- 
nait à  lui,  on  l'entendait  répéter  :  «  Mon  Dieu,  fortifie- 
moi  contre  le  trouble  de  l'âme  à  l'approche  de  la 
mort.  »  Dans  un  instant  de  délire,  il  avait  voulu  écrire 
un  nouveau  livre  qui  devait  préserver  les  musulmans 
de  toute  erreur,  comme  si  le  Coran  n'avait  pas  été 
écrit.  Enfin,  après  une  dernière  visite  à  la  mosquée, 
le  malin,  il  eut  un  évanouissement  plus  long  que  les 
autres.  En  recouvrant  ses  sens,  il  vit  Ayésha,  qui  lui 
frottait  les  mains  en  récitant  des  prières,  comme  il 
avait  l'habitude  de  le  faire  lui-même  en  soignant  les 
malades  à  l'extrémité.  «  Cesse  tes  soins,  lui  dit-il,  et 
retire  tes  mains  ;  tu  ne  peux  plus  rien  pour  moi  ;  » 
puis,  la  tête  appuyée  sur  les  genoux  de  la  jeune  femme, 
il  expira  en  prononçant  ces  mots  entrecoupés  :  «  Que 
le  Seigneur  me  pardonne;  qu'il  me  rejoigne  îf  mes 
compagnons  d'en  haut...  Éternité  dans  le  paradis... 


'  C'était  une  manière  de  désigner  Abou-Becr  pour  son  successeur; 
et  ce  ne  fut  pas  sans  peine  que  Mahomet  maintint  ce  clioix.  Ayésiia 
voulait  que  ce  fût  Omar  qui  remplaçât  le  prophète  à  la  mosquée; 
Omar  put  en  eflet  remplir  une  fois  cet  office;  mais  Mahomet  l'entendit 
de  ses  appartements,  et  il  fit  cesser  les  prières  jusqu'à  l'arrivée 
d'Abou-Becr.  Une  autre  fois,  il  avait  indiqué  aussi  clairement  sa  vo- 
lonté, en  venant  s'asseoir  de  sa  personne  auprès  de  la  chaire  où  \bou- 
Becr  prêchait  ce  jour-là,  à  sa  place,  et  d'après  son  invitation  expresse. 
Voir  le  Sirat-er-raçoul,  traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  Il,  p.  542  et 
M.  W.  Muir,  t.  IV,  p.  2G5. 


148  MAHOMET,  CHAPITRE  III. 

Pardon...  Oui...  avec  le  compagnon  d'en  haut.  »  Il  dé- 
signait ainsi  l'ange  Gabriel.  Mahomet  était  alors  âgé 
de  soixante-deux  ans,  et  il  mourait  le  lundi  8  juin  652* 
Il  pouvait  se  dire,  en  quittant  la  vie,  que  son  œuvre 
était  faite,  et  que  ses  deux  grands  successeurs,  Abou- 
Becr  et  Omar,  n'avaient  qu'à  continuer  la  religion  et 
l'empire  fondés  par  leur  maître  et  leur  ami. 


CHAPITRE  IV 

SINCÉRITÉ    DE    MAHOMET 

Jugement  des  contemiiorains.  amis  et  ennemis,  sur  Maliomct;  Abou- 
Sofyàn;  les  députés  à  Tezdidjerd,  roi  de  Terse;  jugement  de  Malio- 
raet  lui-même  sur  le  Coran,  ei  ses  récitations;  état  étrange  de  Ma- 
liomet  pendant  l'inspiration;  les  sourates  terrifiques;  Mahomet  s'est. 
toujours  défendu  de  faire  des  miracles,  sans  nier  ceux  des  autres 
prophètes;  éclipse  de  soleil,  le  jour  de  la  mort  de  son  fils;  fables 
extravagantes  inventées  par  la  superstition. —  Mahomet  a  eu  sur- 
tout une  autorité  morale,  et  il  ne  s'est  l'as  disiingué  par  son  cou- 
rage; ses  talents  de  général;  il  n'a  pas  eu  de  maître  religieux;  il 
n'était  pas  aussi  ignorant  qu'on  l'a  dit;  sa  passion  tardive  pour  les 
femmes;  sa  fidélité  à  Khadicija  pendant  vingt-cinq  ans;  ses  treize 
épouses  ;  ses  neuf  veuves,  Mères  des  fidèles. 

J'ai  dit  que  je  croyais  à  la  parfaite  sincérité  de  Ma- 
homet, et  je  ne  vois  rien,  dans  toute  cette  carrière  que 
je  \iens  de  parcourir,  qui  puisse  faire  un  instant  soup- 
çonner la  bonne  foi  du  prophèle'.  Comment  serait-il 
possible  qu'il  ne  se  lût  pas  trahi  un  seul  jour,  si  en 
effet  il  s'était  menti  à  lui-même  et  aux  autres  en  se 


*  C'est  aussi  l'avis  très-prononcé  de  M.  Théodore  Niildeke,  llii.-- 
torien  du  Corani  voir  son  ouvrage  Geschichte  des  Qoràus,  p.  2  et 
suivantes. 


ir.O  MAHOMET.   CHAPITRE  lY. 

donnant  pour  l'Envoyé  de  Dieu?  J'ai  cherché  à  expli- 
quer cette  mission,  qu'il  ne  tenait  que  de  sa  conscience 
et  de  l'idée  qu'il  se  faisait  du  culte  que  l'homme  doit 
à  son  créateur.  Notez  bien  que  c'est  à  quarante-cinq 
ans  qu'il  commença  ses  prédications.  Jusque-là,  il  ne 
s'était  distingué  de  ses  compatriotes  que  par  les  vertus 
les  plus  réelles  ;  et  il  est  trop  évident  qu'en  se  faisant 
l'envoyé  de  Dieu,  il  ne  voulait  pas  dire  autre  chose,  si 
ce  n'est  que  Dieu  lui  inspirait  le  dogme  qu'il  venait 
prêcher  et  révéler  au  monde.  Peut-être  même  que 
dans  sa  modestie  Mahomet  n'allait  pas  tout  à  fait  aussi 
loin;  il  croyait  simplement  qu'il  venait  rétabhr  l'an- 
cien culte  qu'Abraham  avait  professé,  et  qu'il  ne  fai- 
sait que  continuer  les  enseignements  de  Moïse,  de 
David,  de  Jésus  même  et  de  tant  d'autres  prophètes 
suscités  avant  lui. 

On  peut  voir  clairement  le  sens  réel  qu'il  faut  attri- 
buer à  cette  mission  de  Mahomet,  en  interrogeant, 
comme  je  l'ai  déjà  fait  plus  haut,  les  témoignages  de 
ses  ennemis  et  ceux  de  ses  partisans.  Voici  à  cet  égard 
deux  faits  qui  me  semblent  très-décisifs. 

L'empereur  lléraclius  revenait  de  sa  glorieuse  expé- 
dition de  Perse  (628),  et  il  se  trouvait  en  Syrie  quand 
il  fut  rejoint  par  l'envoyé  de  Mahomet,  qui  lui  appor- 
tait la  lettre  où  le  prophète  arabe  le  conviait  à  em- 
brasser l'islamisme.  Plus  surpris  qu'inité,  et  ne  vou- 
lant pas  sans  doute  se  créer  des  embarras  inutiles, 
l'empereur  de  Byzance  s'était  montré  bienveillant  et 
avait  fait  une  réponse  gracieuse  quoique  insignifiante. 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET.  151 

Mais  pour  savoir  un  peu  plus  précisément  ce  que  pou- 
vait être  celte  étrange  communication  et  l'état  de 
l'Arabie,  limitrophe  de  son  empire,  il  fit  venir  auprès 
de  lui  quelques  marchands  arabes  qui  avaient  conduit 
une  caravane  jusqu'à  Gaza.  Parmi  eux  se  trouvait 
Abou-Sofyân,  qui  était  encore  à  ce  moment  un  des 
adversaires  les  plus  acharnés  de  Mahomet,  et  qui  ne 
devait  se  convertir  que  trois  ans  plus  tard  à  l'isla- 
misme. Héraclius  lui  fit  poser  quelques  questions  par 
son  interprète,  et  voici  le  dialogue  que  la  tradition  a 
conservé:  «  A  quelle  famille  appartient  Mahomet?  — 

—  A  une  famille  distinguée,   répondit  Abou-Sofyàn. 

—  Y  a-t-il  jamais  eu  personne  parmi  vous  qui  ait  tenu 
le  langage  qu'il  tient?  —  Jamais.  —  Avant  qu'il  se 
donnât  pour  un  prophète,  passait-il  pour  un  menteur? 

—  Non.  —  Y  a-t-il  ou  avant  lui  quelqu'un  de  sa  famille 
qui  fût  roi?  —  Non.  —  A  quelle  classe  appartiennent 
ses  sectateurs,  à  la  haute  classe  ou  au  vulgaire  ? —  Au 
vulgaire.  —  Leur  nombre  diminue-t-il  ou  s'accroîl-il? 

—  Il  s'accroît  sans  cesse.  —  Ses  adhérents  le  renient- 
ils  quelquefois?  —  Pas  un  ne  l'a  renié.  —  Est-il  fidèle 
à  sa  parole  quand  il  l'a  donnée?  —  Nous  sommes 
actuellement  en  paix  avec  lui  ;  mais  nous  ne  savons 
pas  comment  il  observera  les  traités.  —  Avez-vous 
déjà  fait  la  guerre  avec  lui?  —  Oui.  —  Qui  a  été  vain- 
queur ?  —  Tantôt  lui,  tantôt  nous.  —  Quelles  sont  les 
doctrines  qu'il  recommande?  —  Il  nous  ordonne  d'ab- 
jurer les  croyances  de  nos  pères,  de  n'adorer  qu'un 
seul  Dieu,  de  faire  l'aumône,   d'observer  fidèlement 


152  MAHOMET,  CHAPITRE  lY. 

notre  parole,  et  de  nous  abstenir  de  plaisirs  cou- 
pables ^  » 

A  côlé  de  cet  aveu  d'un  ennemi,  il  faut  placer  l'en- 
thousiasme non  moins  démonstratif  des  partisans  de 
Mahomet. 

Le  prophète  était  mort  depuis  quatre  ans,  et  Omar, 
successeur  d'Abou-Becr,  était  en  guerre  avec  le  roi  de 
Perse.  Quatorze  musulmans  se  donnèrent  la  tâche 
d'aller  convertir  Yezdidjerd,  et  d'empêcher  par  là  le 
contlit  qui  se  préparait  ^  Ce  prince,  qui  n'avait  pas 
encore  éprouvé  la  force  des  armes  musulmanes,  reçut 
ces  députés  improvisés  avec  beaucoup  de  hauteur,  et 
il  leur  fit  sentir  l'infériorité  de  l'Arabie,  osant  en- 
trer  en  lutte  contre  Tempire  des  Perses  :  «  Ce  que  tu 
as  dit  de  notre  pauvreté,  de  nos  divisions,  de  notre 
barbarie,  répondirent  les  députés,  était  juste  naguère. 
Nous  étions  si  misérables  que  l'on  voyait  parmi  nous 
des  gens  apaiser  leur  faim  en  dévorant  des  insectes  et 
des  serpents;  d'autres  faisaient  mourir  leurs  filles, 
pour  n'avoir  pas  à  partager  leurs  aliments  avec  elles. 
Plongés  dans  les  ténèbres  de  la  superstition  et  de 
l'idolâtrie,  sans  lois  et  sans  frein,  toujours  ennemis 

*  Voir  M.  Gustave  'NVeil,  Mohammed  der  prophet,  p.  201.  Il  pense 
que,  si  celte  tradition  n'est  pas  vraie,  elle  est  du  moins  bien  inventée. 
II  n'y  a  pas  de  motif  pour  la  suspecter.  Toute  cette  morale  est  bien 
ceUe  du  Coran,  empruntée  d'ailleurs  au  mosaïsme  et  au  christia- 
nisme. 

*  On  sait  que  cette  guerre,  commencée  en  C30,  se  termina  bientôt 
par  la  mort  de  Yezdidjerd,  dont  les  armées  avaient  été  vaintues  dans 
trois  ou  quatre  grandes  batailles,  et  par  la  ruine  de  l'empire  persan. 
Les  musulmans  y  firent  un  immense  butin. 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET.  153 

les  uns  des  aiilres,  nous  n'étions  occupés  qu'à  nous 
piller  et  à  nous  détruire  mutuellement.  Voilà  bien  ce 
que  nous  avons  été.  Mais  nous  sommes  maintenant  un 
peuple  nouveau.  Dieu  a  suscité  au  milieu  de  nous  un 
homme,  le  plus  distingué  des  Arabes  par  la  noblesse 
de  sa  naissance,  par  ses  vertus,  par  son  génie,  et  il  l'a 
choisi  pour  être  son  envoyé  et  son  prophète.  Par  l'or- 
gane de  cet  homme.  Dieu  nous  a  dit  :  «  Je  suis  le  Dieu 
unique,  éternel,  créateur  de  l'univers.  Ma  bonté  vous 
envoie  un  guide  pour  vous  diriger.  La  voie  qu'il  vous 
montre  vous  sauvera  des  peines  que  je  réserve  dans 
une  autre  vie  à  l'impie  et  au  criminel,  et  elle  vous 
conduira  près  de  moi  dans  le  séjour  de  la  félicité.  »  La 
persuasion  s'est  insinuée  peu  à  peu  dans  nos  cœurs  ; 
nous  avons  cru  à  la  mission  du  prophète  ;  nous  avons 
reconnu  que  ses  paroles  étaient  les  paroles  de  Dieu, 
ses  ordres,  les  ordres  de  Dieu,  et  que  la  religion  qu'il 
nous  annonçait  est  la  seule  vraie  religion.  Il  a  éclairé 
nos  esprits,  il  a  éteint  nos  haines,  il  nous  a  réunis  eu 
une  société  de  frères  sous  des  lois  dictées  par  la 
sagesse  divine.  Puis,  il  nous  a  ordonné  d'achever  son 
œuvre  en  étendant  partout  l'empire  de  l'islamisme, 
en  traitant  fraternellement  les  nations  qui  voudront 
se  convertir,  en  imposant  le  tribut  à  celles  qui  vou- 
dront conserver  leur  religion,  en  exterminant  celles 
qui  ne  voudront  ni  embrasser  l'islamisme,  ni  payer 
le  tribut  \  » 

'  J'emprunte  ceUe  longue  citation  à  l'ouvrage  de  M.  Caussin  de 
Perceval  (t.  III,  p.  478;,  qui  a  poussé  ses  recherches  jusqu'à  la  réu- 

9. 


154  MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

Voilà  comment  les  contemporains  de  Mahomet  com- 
prenaient qu'il  était  l'Envoyé  de  Dieu,  et  \oilà  aussi 
comment  l'équilable  postérité  doit  l'entendre.  Dans 
un  monde  où  rien  ne  peut  se  faire  qu'avec  la  volonté 
divine,  les  individus  et  les  peuples  ne  se  trompent 
guère  à  ces  merveilleux  phénomènes  qui  changent 
l'àme  des  hommes  ;  seulement  ceux-ci  doivent  justifier 
ces  grandes  révolutions  morales  par  leurs  œuvres;  et 
les  autres,  par  leur  foi. 

Un  point  plus  douteux  et  non  moins  intéressant 
pour  décider  cette  question  de  sincérité,  c'est  de  savoir 
ce  que  Mahomet  lui-même  pensait  du  Coran  et  de  ses 
récitalions.  Après  lui,  la  légende  n'a  pas  hésité  à 
supposer  que  les  feuilles  du  Coran^écrites  dans  le  ciel 
étaient  apportées  toutes  faites  à  l'apôtre.  Je  crois  que 
c'est  aujourd'hui  un  article  de  foi  irréfutable  parmi 
les  dévots  musulmans.  Mais  je  ne  vois  pas  que  Ma- 
homet ait  autorisé  jamais  cette  légende,  d'ailleurs 
fort  naturelle  à  la  dévotion  et  à  l'ignorance.  Si  l'on 
interroge  à  cet  égard  le  Coran,  on  trouvera,  j'en  con- 
viens, que  son  langage  n'a  rien  de  précis,  et  les  méta- 
phores dont  il  se  sert  peuvent  s'interpréter  dans  un 
sens  ambigu.  Ainsi  plusieurs  fois,  Mahomet,  qui  parle 
comme  tous  les  prophètes  au  nom  de  Dieu  ou  au 
sien  indifféremment,  fait  diie  à  Dieu  :  «  Nous  avons 


Il  ion  de  toutes  les  tribus  arabes  sous  la  loi  musulmane  (640);  les  au- 
tres historiens  de  Maliomel  se  sont  arrêtés  à  sa  mort.  Ce  langage  des 
députés  musnlmans  est  à  peu  près  celui  de  Djafar  au  Nédjàelii  d'.Vbys- 
sinie;  voir  plus  haut,  page  108. 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET.  155 

fait  descendre  le  Coran  du  ciel  en  langue  arabe  » 
(sourate  XII,  verset  2).  Ailleurs,  il  répète  à  peu  près 
cette  expression  et  il  dit  :  «  Le  Coran  est  descendu 
réellement  du  ciel  »  (sourate  xvii,  verset  106).  Mais 
dans  bien  d'autres  passages,  il  semble  faire  assez 
peu  de  cas  de  cette  origine  céleste  du  Coran,  et  il 
laisse  cette  fable  aux  infidèles.  Dans  la  sourate  iv^, 
verset  152,  il  maudit  ceux  qui  ne  croient  point  à 
Dieu  et  à  ses  apôtres,  et  il  s'écrie  :  «  Les  hommes 
des  écritures  (c'est-à-dire  les  juifs,  et  plus  tard  les 
chrétiens)  «  te  demanderont  de  faire  descendre  un 
livre  du  ciel;  ils  avaient  demandé  à  Moïse  quelque 
chose  de  plus,  et  ils  lui  disaient  :  «  Fais-nous  voir 
Dieu  face  à  face.  »  Mais  une  tempête  terrible  fondit 
sur  eux,  en  punition  de  leur  méchanceté.  »  La  sou- 
rate vi^,  verset  7,  fait  aussi  bon  marché  de  ces  exi- 
gences des  infidèles,  auxquelles  Dieu  et  son  prophète 
n'ont  pas  à  céder:  «  Quand  même  nous  ferions  des- 
cendre du  ciel  le  livre  écrit  tout  entier  sur  un  rou- 
leau, quand  même  les  infidèles  le  toucheraient  de 
leurs  mains,  ils  diraient  encore  :  «  C'est  de  la  magie 
pure.  » 

Quelques  versets  de  la  sourate  xxvi"  peuvent  ré- 
soudre ces  contradictions  apparentes  et  indiquer  la 
vraie  pensée  de  Mahomet,  cachée  sous  des  métaphores 
équivoques  :  «  Ton  Seigneur  est  puissant  et  miséri- 
cordieux, et  le  Coran  est  une  révélalion  du  maître  de 
l'univers.  L'esprit  fidèle  (l'ange  Gabriel)  l'a  apporté 
d'en  haut,  et  il  l'a  déposé  sur  ton  cœur,  ô  Mahomet, 


156  MAHOMLT,  CHAPITRE  IV. 

pour  que  lu  fusses  un  apôtre*.  »  Le  Coran  ne  serait 
donc  qu'une  révélation,  et  en  d'autres  termes  une 
inspiration  de  Dieu;  il  n'est  pas  présenté  sous  un 
autre  jour  dans  une  foule  de  passages,  et  tout  en  res- 
tant l'œuvre  indirecte  de  Dieu,  qui  permet  à  son  pro- 
phète de  l'annoncer  aux  hommes,  il  n'en  est  pas 
moins  l'œuvre  personnelle  de  l'apôlre,  qui  le  récite 
quand  l'esprit  d'en  haut  vient  l'éclairer. 

Ce  qui  peut  confirmer  cette  interprétation  favorable 
à  la  véracité  de  Mahomet,  c'est  qu'à  ses  yeux  le  Penta- 
teuque  de  Moïse  et  l'Évangile  de  Jésus  ^  sont  descen- 
dus du  ciel  tout  aussi  bien  que  le  Coran.  C'est  là  une 
assertion  à  laquelle  il  revient  souvent,  et  qui  n'a  rien 
d'embarrassant  pour  lui.  11  n'en  serait  pas  de  même 

*  Voir  la  sourate  xxvi,  \ersets  191,  192,  195  et  19 i.  On  pourrait 
citer  plusieurs  autres  passages  tout  à  lait  analogues. 

2  Voir  le  Coran,  sourate  ni,  verset  2  :  «  Il  a  l'ait  descendre  d'en  haut 
le  Pentateuque  et  l'Evangile,  pour  servir  de  direction  aux  hommes. 
Il  a  fail  descendre  la  Distinction  »  (Al-Forkan,  c'est  un  de^  noms  du  Co- 
ran, et  la  sourate  xxv  porte  ce  titre).  Dans  la  sourate  iir,  verset  î'S,  il 
est  encore  dit  que  le  Pentateuque  et  l'Évangile  ont  été  envoyés  d'en 
haut.  Ce  qu'il  y  a  d'assez  singulier,  c'est  que  Mahomet  parle  dé  l'Évan- 
gile en  paraissant  le  croire  l'œuvre  de  Jésus,  comme  il  parle  du  Pen- 
tateuque, œuvre  de  Moïse.  Ceci  me  semble  fortifier  encore  l'opinion 
que  j'émels  ici  ;  car  Mahomet  ne  pouvait  ignorer  que  les  chrétiens 
eux-mêmes  ne  font  pas  de  l'Evangile  l'œuvre  personnelle  du  Christ  ; 
ils  n'en  font  qu'un  livre  sacré  inspiré  par  Jésus  à  ses  apôtres,  comme 
le  Coran  était  inspiré  à  Mahomet.  11  y  a  dans  le  Coran,  sourate  xxi, 
verset  105,  un  passage  textuel  de  la  lîible  :  «  Nous  avons  écrit  dans 
les  psaumes  que  les  justes  auront  l'héritage  do  la  terre.  »  Psaume 
XXXVII,  verset  29.  Il  est  bien  possible  que  Mahomet  eût  retenu  ce  court 
verset  après  l'avoir  entendu  citer  de  vive  voix  par  quelipie  Juif.  C'est 
le  seul  passage  de  ce  genre  dans  tout  le  Coran;  voir  plus  loin  les 
Extraits  iJu  Coran,  chapitre  des  Prophètes,  et  voir  aussi  M.  Niildeke, 
Histoire  du  Coran,  p.  0 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET.  157 

si  le  Pentateuque  et  l'Évangile  chrétien  eussent  été 
dictés  réellement  par  Dieu,  et  s'il  fallait  admettre  que 
c'est  au  sens  matériel  qu'ils  sont  l'un  et  l'autre  venus 
du  ciel.  Comme  la  parole  de  Dieu  ainsi  comprise  de- 
vrait être  à  jamais  immuable,  il  ne  serait  pas  pos- 
sible de  supposer  plusieurs  rédactions  successives  qui 
pourraient  se  contredire,  ou  qui  devraient  tout  au 
moins  se  compléter.  Au  contraire,  avec  l'intermédiaire 
des  prophètes,  qui  ne  sont  qu'inspirés,  la  parole  de 
Dieu  peut  varier  selon  les  individus,  selon  les  peuples 
et  selon  les  temps.  C'est  là,  on  peut  dire,  le  système 
de  Mahomet  sur  les  prophètes,  dont  il  parle  sans  cesse 
avec  sympathie  et  admiration,  ses  prédécesseurs,  mé- 
connus et  persécutés  ainsi  que  lui. 

Il  n'y  a  donc  pas  beaucoup  à  s'arrêter  aux  expres- 
sions et  aux  images  dont  Mahomet  se  sert  en  parlant 
du  Coran  ;  il  n'en  est  pas  une  seule  qui  ne  puisse 
être  expliquée  symboliquement  ;  et  c'est,  à  mon  avis, 
les  forcer  étrangement  que  de  les  prendre  dans  une 
signification  matérielle.  «  Le  Coran  est  descendu  du 
ciel  sur  le  cœur  de  Mahomet,  »  ne  veut  pas  dire  autre 
chose,  si  ce  n'est  que  le  prophète  était  pénétré  de  l'es- 
prit divin  quand  il  composait  et  récitait  les  sourates. 

Tous  les  témoignages  s'accordent,  en  remontant  à 
ceux  d'Ayésha,  sa  femme,  et  de  Zeïd,  fils  de  Thàbil, 
le  premier  éditeur  du  Coran',  pour  constater  que, 

*  Voir  M.  Gustave  AVeil,  Mohammed  der  Propfiet,  p.  4i,  noie  48  ; 
M.  \Villiain  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  Il,  p.  87;  et  surtout  M.  A. 
Sprenger,  qui,  en  sa  qualité  de  médecin,  s'est  étendu  plus  que  per- 


158  MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

dans  les  moments  où  Mahomet  était  inspiré,  il  tom- 
bait en  un  état  extraordinaire  et  très-effrayant.  La 
sueur  coulait  alors  de  son  front,  même  pendant  les 
saisons  les  moms  chaudes  de  l'année;  ses  yeux  deve- 
naient rouges  de  sang  ;  il  poussait  des  gémissements, 
et  la  crise  se  terminait  le  plus  souvent  par  une  syn- 
cope, qui  durait  plus  ou  moins  de  temps;  il  n'aimait 
pas  qu'on  le  vit  en  ce  désordre,  et  ses  amis  les  plus 
familiers  n'osaient  en  ce  moment  lever  les  regards 
vers  lui.  Sans  reconnaître  dans  ces  émotions  singu- 
lières des  attaques  d'épilepsie,  comme  on  l'a  bien  des 
fois  prétendu,  on  peut  croire  que  les  récitations  du 
Coran,  étaient  toujours  accompagnées  pour  Mahomet 
d'un  trouble  profond.  Persuadé  de  sa  mission  divine, 
comme  il  l'était,  il  avait  pu  arriver  assez  vite  à  penser 
que  Dieu  même  parlait  par  sa  bouche.  La  grandeur  et 
l'importance  des  idées  qui  l'agitaient  répondaient  à  la 
sainteté  de  cet  office;  et  même  lorsque,  plus  tard,  les 
sourates  s'abaissèrent  quelquefois  à  n'être  que  des 
apologies  personnelles  dans  des  querelles  misérables 
déménage,  l'habitude  était  prise;  et  Mahomet  pou- 
vait ne  pas  déchoir  à  ses  propres  yeux,  même  quand 
il  cherchait  dans  le  Coran  à  calmer  les  jalousies  de  ses 
femmes  et  à  faire  taire  les  mauvais  propos  dont  il 
était  l'objet. 

Il  paraît  bien  certain,  d'après  la  tradition,  que  l'in- 

sonne  sur  ces  accidents,  en  apparence  morbides,  de  la  conslitiUion  de 
Maliomel.  Voir  Dos  heben  und  die  Lettre  des  Moliaiiinidd.  t.  I.  p.  207 
et  suiv. 


SINCERITE  DE  MAHOMET.  159 

spiralion  était  irrégulière  et  instantanée  chez  le  pro- 
phète, et  qu'il  ne  pouvait  pas  prévoir  le  moment  où  il 
en  serait  saisi.  Parfois   il  eu  fut  pris  pendant  qu'il 
était  monté  à  chameau;  parfois  au  milieu  de  la  foule, 
aussi  bien  que  dans  l'intérieur  solitaire  de  sa  maison. 
Il  sentait  lui-même  que  ces  secousses  réitérées  le  fati- 
guaient beaucoup;  et  dans  une  occasion,  que  la  tradi- 
»tion  a  recueiUie,  il  exprima  ce  qu'il  en  pensait  sous 
une  forme  qui  n'a  rien  que  de  très-naturel.  Abou- 
Becr  et  Omar  étaient  assis  un  jour  dans  la  mosquée,  à 
Médine,  quand  Mahomet  y  entra  par  une  des  portes 
qui  donnaient  dans  les  maisons  de  ses  femmes.  Il  avait 
la  main  sur  sa  barbe,  qu'il  soulevait  en  la  caressant. 
A  cette  époque   elle   grisonnait   déjà  sensiblement. 
Abou-Becr,  faisant  cette  remarque,  lui  dit  :  «  0  toi, 
pour  qui  je  serais  prêt  à  sacrifier  mon  père  et  ma 
mère,  que  ta  barbe  et  tes  cheveux  blanchissent  !  — 
Tu  dis  vrai,  répondit  Mahomet  à  son  ami  tout  ému; 
mais  c'est  iïoud  et  ses  sœurs  qui  m'ont  fait  blanchir 
si  vite, —  Et  quelles  sont  ses  sœurs,  demanda  Abou- 
Becr?  —  C'est  l'Inévitable  et  la  Frappante,  »  répli- 
qua le  prophète  '.  Il  indiquait  ainsi  trois  sourates, 
celles  qui  sont  classées  la  xi%  la  lvi*  et  la  ci*"  dans  le 
Coran.  On  les  appelle  les  sourates  tcrrihques,  en  com- 
pagnie de  cinq  autres,  qui  ont  reçu  le  même  nom^. 


»  Voir  M.  W.  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  II,  p.  88. 

*  Les  cinq  autres  sourales,  outre  la  xi",  la  lm  et  la  ci',  sont  la  xxi«, 
la  Lxix",  la  Lxxvii",  la  Lxxvni"  et  la  lxxxi'  ;  elles  sont  intitulées  :  les  Pro- 
pliètcs,  le  Jour  inévitable,  les  Envoyés,  la  (Irande  nouvelle  et  le  Soleil 


160  MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

Il  est  probable  que  la  composition  de  celles-là  avait 
été  plus  pénible,  et  que  Mahomet  avait  souffert  davan- 
tage en  les  produisant. 

Je  ne  voudrais  pas  étendre  par  trop  cette  tradi- 
tion, et  il  n'est  guère  probable  que  Tinspiralion  ait 
toujours  été  aussi  douloureuse;  mais  le  désordre 
même  du  Coran  donne,  il  faut  en  convenir,  une 
grande  vraisemblance  à  ces  détails,  qu'a  pieusement^ 
conservés  la  dévotion  musulmane.  Je  ne  parle  même 
pas  du  désordre  général  du  livre,  qui  est  de  toule 
évidence;  mais  le  trouble  est  encore  plus  apparent, 
s'il  est  possible,  dans  le  contenu  même  de  chaque 
sourate.  11  n'y  en  a  pas  une  où  le  sujet  se  suive  d'une 
manière  un  peu  continue  et  un  per  régulière  ;  les  ma- 
tières les  plus  disparates  y  sont  traitées  pêle-mêle,  et 
à  côté  des  rares  articles  de  loi  civile  qui  disposent  sur 
les  héritages,  sur  les  femmes  et  sur  les  orphelins,  par 
exemple,  viennent  se  placer  des  imprécations  sans  lui 
contre  les  juifs,  les  hypocrites,  les  infidèles,  des 
louanges  à  Moïse,  à  Jésus,  fils  de  Marie,  et  la  justifica- 
tion du  prophète,  etc.'.  Toutes  les  sourates  offrent 
la  même  bigarrure,  qui  montre  bien  la  disposition 
d'âme  de  Mahomet.  Les  éditeurs  n'ont  pu  rien  y  mo- 
difier, et  s'ils  avaient  essayé  d'y  mettre  un  peu  plus 

ployé;  voir  M.  \V.  Miiir,  TIte  Life of Mahomet,  t.  II,  p.  88.  Ces  sourates 
ne  semblent  pas  avoir  rien  de  parliculier  ;  mais  pour  Lien  juger  de  ce 
qui  les  avait  rendues  si  pénibles,  il  faudrait  connaître  une  foule  de 
circonstances  que  la  tradition  n'a  pu  conserver. 

»  On  peut  citer  entre  antres  la  iv«  sourate,  où  l'on  trouvera  la  sin- 
gulière confusion  que  nous  signalons. 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET.  161 

d'ordre,  c'est  le  Coran  tout  entier  qui  eût  été  à  refaire . 
Il  fallait  laisser  les  sourates  telles  qu'elles  étaient, 
sous  peine  de  les  détruire,  et  d'ailleurs  cette  confusion 
même  est  sans  doute  trop  conforme  au  génie  arabe  et 
au  génie  oriental  pour  que  personne  pensât  même  à 
la  corriger. 

Ce  qui  doit  porter  encore  à  croire  que  Mahomet  n'a 
rien  voulu  voir  de  surnaturel  dans  ses  inspirations, 
c'est  que  dans  le  cours  entier  du  Coran,  et  l'on  peut 
dire  presque  à  chaque  page,  il  se  défend  de  faire  des 
miracles.  Les  idolâtres,  les  infidèles,  les  sceptiques,  les 
hypocrites  lui  demandaient  sans  cesse  de  justifier  sa 
mission  par  ce  témoignage  irréfutable  ;  sans  cesse  il 
s'y  refuse,  et  il  repousse  avec  colère  et  indignation 
ces  pièges,  où  il  pouvait  facilement  tomber.  Dans  la 
sourate  lu" ,  où  il  parle  en  excellents  termes  d'Anne, 
mère  de  Marie,  et  de  la  vierge  Marie,  mère  de  Jésus*, 
il  montre  combien  le  don  des  miracles  lui  serait  inu- 
tile pour  persuader  les  hommes,  puisque  des  pro- 
phètes doués  par  le  ciel  de  cette  puissance  n'en  ont 
pas  moins  péri  sous  la  main  des  incrédules  et  des  mé- 
chants :  «  A  ceux  qui  disent  :  Dieu  nous  a  déclaré  que 
nous  ne  serons  tenus  de  croire  à  un  prophète  que 
lorsque  ce  prophète  présentera  une  offrande  que  le 
feu  du  ciel  consumera  aussitôt,  réponds  :  Il  vous  est 
venu  avant  moi  des  prophètes  qui  ont  fait  des  miracles, 
et  même  celui  dont  vous  parlez.  Pourquoi  donc  les 

*  Coran,  sourate  iir%  versets  179  et  suiv.  ;  traduction  de  M.  Kasi- 
roirski. 


162  .MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

avez- VOUS  tués?  Diles-le  si  vous  êtes  véridiques.  S'ils 
te  traitent  d'imposteur,  ù  Mohammed,  les  apôtres  en- 
voyés avant  toi  ont  été  traités  de  même,  bien  qu'ils 
eussent  opéré  des  miracles  et  apporté  le  livre  des 
Psaumes  et  le  livre  de  l'Évangile,  qui  éclaire.  »  Ail- 
leurs ',  il  dit  plus  expressément  encore  :  «  Ils  disent  : 
Si  au  moins  des  miracles  lui  étaient  accordés  de  la 
part  de  son  Seigneur,  nous  croirions.  Réponds-leur  : 
Les  miracles  sont  au  pouvoir  de  Dieu,  et  moi  je  ne 
suis  qu'un  envoyé  chargé  d'avertir  ouvertement  les 
hommes.  »  Dans  un  autre  passage.  Dieu,  prenant  la 
parole,  dit  à  Mahomet  :  «  Rien  ne  nous  aurait  em- 
pêché de  t'envoyer  avec  le  pouvoir  des  miracles.  » 
Et  si  Dieu  ne  l'a  pas  fait,  il  en  donne  la  raison  : 
«  c'est  que  les  peuples  d'autrefois  avaient  déjà  traité 
de  mensonges  les  miracles  qu'avaient  faits  les  pro- 
pliètes  antérieurs^,  v  Enfin,  pour  ne  pas  prolonger 
ces  citations  presque  inutiles,  tant  elles  sont  pé- 
remptoires,  en  voici  une  dernière,  tirée  de  la  sou- 
rate xxi"  :  «  Les  méchants  se  disent  en  secret  :  Mo- 
hammed est-il  donc  autre  chose  qu'un  homme  comme 
nous?  Le  Coran  n'est  qu'un  amas  de  rêves  ;  c'est 
lui  qui  Ta  inventé;  c'est  un  poëte;  qu'il  nous  fasse 
voir  un  miracle  comme  en  faisaient  les  envoyés  d'au- 
trefois''. » 


'  Coran,  sourate  xxix',  verset  49;  voir  aussi  sourate  x',  verset  21. 
-  Coran,  sourate  xvii',  verset  61. 

^  Coran,  sourate  xxr',  \ersets  5  et  suiv.  Il  serait  l;icile  daccumuler 
autant  de  jiassaycs  qu"on  voudrait  en  ce  sens.  C'est  là  une  des  idées 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET.  10." 

A  ces  citations  du  Coran,  on  peut  joindre  un  fait 
plus  décisif  encore  et  qui  atteste  bien  la  véracité  de 
Mahomet.  Dans  une  occasion  où  l'imposture  était  pro- 
voquée par  tout  le  monde,  et  où  elle  était  aussi  facile 
que  profitable,  il  la  repoussa  avec  une  hauteur  dédai- 
gneuse. Son  fils  Ibrahim  venait  de  mourir,  âgé  d'en- 
viron deux  ans,  au  mois  de  mars  650.  Cet  enfant 
devait  lui  être  doublement  cher,  d'abord  parce  qu'il 
était  le  seul  enfant  mâle  qu'il  eût,  et  ensuite  parce 
qu'il  était  né  de  Maria,  la  Copte,  dont  l'intrusion 
parmi  ses  femmes  avait  causé  les  orages  les  plus  fâ- 
cheux et  un  scandale  déshonorant.  Le  jour  même  où 
cet  enfant  mourut,  il  y  avait  une  éclipse  de  soleil. 
Autour  de  Mahomet,  on  ne  manqua  pas  de  dire  que 
l'astre  s'éclipsait  à  cause  de  la  mort  d'Ibrahim;  mais 
le  prophète  coupa  court  à  ces  rumeurs  flatteuses,  qui 
circulaient  déjà  dans  le  peuple^:  «  Le  soleil  et  la  lune 
ne  s'éclipsent,  dit-il,  ni  pour  la  mort  ni  pour  la  nais- 
sance de  qui  que  ce  soit.  Ce  sont  des  merveilles  divines, 
par  lesquelles  Dieu  manifeste  sa  puissance  afin  qu'on 
le  craigne.  Quand  vous  voyez  une  éclipse,  mettez- 

qui  reviennent  le  plus  souvent  à  l'esprit  de  Mahomet.  Voir  plus  loin 
les  Exiraits  du  Coran,  chapitre  de  Mahomet. 

*  Voir  M  W,  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  IV,  p.  IGo.  La  douleur 
de  Mahomet  paraît  avoir  été  excessive,  ainsi  que  celle  de  Maria  et  de  sa 
sœur  Shirin,  ciiargée  du  soin  de  l'enfant.  Les  historiens  arabes  don- 
nent les  plus  touchants  détails,  qui  prouvent  la  profonde  sensibilité  de 
Mahomet  et  son  amour  passionné  des  enfants.  Il  y  a  dans  sa  vie  plu- 
sieurs traits  tout  à  fait  analogues  à  celui  qui  a  fait  tant  d'honneur  à  la 
mémoire  de  Henri  IV.  M.  Mahmoud  Efïendi,  astronome,  et  un  des 
élèves  les  plus  distingués  do  la  mission  égyptienne  à  l'aris,  a  calculé 


164  MAHOMET.  CHAPITRE  IV. 

VOUS  en  prière,  et  restez-y  jusqu'à  ce  qu'elle  soil 
passée.  »  Pourtant,  qu'y  aurait-il  eu  de  plus  simple 
pour  Mahomet,  qui  était  au  comble  de  sa  fortune  et  qui 
régnait  dès  lors  sur  l'Arabie,  que  de  prendre  ce  phé- 
nomène pour  un  signe  de  la  sollicitude  divine  envers 
lui  ;  et,  en  le  supposant  un  imposteur,  que  de  profiter 
si  aisément  de  la  crédulité  populaire,  appuyée  sur  le 
sentiment  d'une  légitime  reconnaissance?  11  ne  suc- 
comba point  à  celte  vulgaire  tentation,  et  l'histoire 
impartiale  doit  lui  rendre  cette  justice'. 

En  présence  de  tels  faits,  il  faut  se  mettre  en  garde 
contre  ces  fables  dont  on  entoure  quelquefois  la  mé- 
moire du  prophète,  et  par  lesquelles  la  superstition 
musulmane  a  cru  relever  sa  gloire.  Mahomet  n'est 
pour  rien  dans  les  récits  merveilleux  de  son  voyage  à 
Jérusalem  en  une  seule  nuit,  des  dix  mille  anges  qui 
combattaient  à  Bedr  pour  les  Ansàr  et  les  Mohadjir, 
des  armées  invisibles  qui  soutenaient  les  fidèles  mu- 
sulmans dans  toutes  les  rencontres,  etc.  Ce  sont  quel- 
ques expressions  obscures  ou  métaphoriques  du  Co- 
ran- qui  ont  donné  naissance  à  ces  contes  absurdes; 
ils  n'ont  obtenu  créance  que  beaucoup  plus  tard,  et  il 

cette  éclipse  de  GôO,  dans  son  excellent  Mémoire  sur  le  calendrier 
arabe  avant  l'islamisme,  etc.  Paris,  im|n"imcrie  imiiériale,  1858,  in-8. 
A  la  page  5  et  suiv.,  M.  Mahmoud  a  rapporté  avec  le  texte  arabe  piu- 
sievirs  Ladillis  sur  la  mort  d'Iljraiiim. 

•  M.  AV.  Muir,  par  exemple,  l'a  fait  en  très-hons  termes,  The  Life 
of  Mahomet,  t.  IV,  p.  16G. 

*  Voir  le  Coran,  pour  le  voyage  nocturne  à  Jérusalem,  sourate  xvn", 
verset  1  ;  pour  les  dix  mille  anges  à  Bedr,  sourate  vni%  verset  9;  pour 
les  armées  invisibles,  sourate  xHin",  verset  9.  Dans  tous  ces  passages 


SINCERITE  DE  MAHOMET.  165 

serait  inique  de  les  faire  remonter  à  Mahomet,  quand 
il  a  toujours  résisté  personnellement  à  cette  pente 
irrésistible  de  l'esprit  arabe. 

Il  est  même  bon  d'ajouter  que,  tout  en  se  défendant 
lui-môme  de  faire  des  miracles,  il  n'a  cessé  de  croire 
fermement  à  ceux  de  Moïse  et  même  à  ceux  de  Jésus- 
Christ.  Il  se  complaît  à  les  raconter  longuement,  loin 
de  les  nier  ;  et  celui  de  la  baguette  changée  en  ser- 
pent est  exposé  trois  ou  quatre  fois  au  moins  dans  le 
Coran.  Ce  n'est  donc  pas  les  miracles  en  eux-mêmes 
que  Mahomet  repousse  ;  c'est  uniquement  une  telle 
faculté  surnaturelle  appliquée  à  lui-même.  Il  a  bien 
assez  d'avoir  vu  l'ange  Gabriel  dans  un  de  ses  songes 
et  dans  un  moment  d'exaltation  excessive.  La  mission 
qu'il  s'est  donnée  lui  suffit,  et  elle  est  assez  belle  et 
assez  utile  pour  le  persuader  lui-même,  ainsi  qu'elle 
persuade  tous  ceux  qui  l'approchent.  Il  est  difficile  de 
savoir  comment  Tesprit  railleur  et  sceptique  des  Co- 
raychites  aurait  pris  les  miracles  que  Mahomet  eût 
essayé  de  faire  ;  mais  puisqu'il  a  protesté  lui-même 
constamment  contre  une  telle  intention,  il  est  bien 
inutile  d'élever  cette  conjecture,  et  il  vaut  mieux  s'en 
tenir  au  Coran  qu'à  des  hypothèses.  L'empire  qu'exer- 
çait Mahomet  était  tout  moral,  et  il  n'y  a  pas  dans 
toute  sa  vie  un  seul  fait  qui  autorise  à  l'accuser  de 
charlatanisme.  Ses  compagnons  l'adoraient  avec  le 
fanatisme  d'un  dévouement  et  d'une  admiration  sans 

il  n'y  a  rien  de  plus  que  des  métaphores;  voir  M.  William  Muir, 
t.  II,  p.  222. 


166  MAHOMET.  CHAPITRE  IV. 

bornes;  mais  quand,  sur  le  corps  de  Mahomet  qui 
venait  d'expirer,  Omar,  au  désespoir,  voulut  prétendre 
que  le  prophète  ne  pouvait  mourir,  Abou-Becr  n'eut 
pas  de  peine  à  calmer  la  foule,  un  instant  égarée,  et 
à  rétablir  la  triste  réalité.  Il  n'y  avait  pas  plus  de  mi- 
racles pour  la  mort  de  Mahomet  qu'il  n'y  en  avait  eu 
durant  sa  vie\ 

Une  remarque  qu'on  peut  aisément  faire  en  lisant 
l'histoire  du  prophète,  c'est  que,  dans  une  nation  aussi 
belliqueuse  que  celle  qu'il  conduisait,  ce  ne  fut  pas 
par  son  courage  qu'il  acquit  son  influence.  On  aurait 
dû  croire  que  c'était  surtout  par  la  bravoure  person- 
nelle dans  les  combats  que  le  chef  des  Arabes  se  serait 
signalé.  Il  n'en  fut  rien,  et  bien  que  des  historiens 
musulmans  aient  appelé  quelquefois  Mahomet  le  pro- 
phète du  sabre  %  le  Coran  a  beaucoup  plus  fait  pour 
sa  domination  que  sa  vaillance.  Il  ne  montra  jamais 
sans  doute  la  moindre  faiblesse  dans  la  lutte  et  sur  le 
champ  de  bataille  ;  mais  la  douceur  naturelle  de  son 
caractère  le  rendait  peu  belliqueux,  et  son  tempéra- 
ment était  si  nerveux,  qu'il  avait  toujours  quelque 

*  Voirie  Sirat^er-raçoul,  traduction  de  M.  G.  Weil,  t.  II,  p.  548  et 
suiv.;  M.  Gustave  AVeil,  Mohammed  der  Prophet,  p.  225;  M.  Caussin 
de  Perceval,  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  t.  IIl,  p.  532;  et  M.  W. 
Muir,  The  lAfe  of  Mahomet,  t.  IV,  p.  285.  1,'altercation  d'Omar  et 
d'Abou-Becr  olfre  des  détails  très-curieux  et  même  Irès-toucliants, 
que  je  n'ai  pu  rapporter  ici,  mais  qui  méritent  delre  connus.  Il  sullit 
à  Abou-Becr  de  citer  à  Omar  quelques  vers  du  Coran  pour  le  con- 
vaincre et  le  ramener;  Sirat-er-raçoiil,  traduction  de  M.  G.  ^Veil, 
t.  II,  p.  549. 

*  Voir  l'article  de  M.  Reinaud  sur  Mahomet,  p.  01 


SINCEIUTE  DE  MAHOMET.  !67 

peine  à  rester  dans  les  ténèbres\  Pendant  la  meilleure 
partie  de  sa  carrière,  il  n'eut  pas  roccasion  de  mettre 
les  armes  à  la  main,  et  il  avait  cinquante  ans  passés 
quand  il  devint  chef  d'armée.  Mais  un  talent  qu'il 
semble  avoir  possédé  au  plus  haut  degré,  c'est  celui 
du  général.  Les  détails  qui  pourraient  nous  éclairer 
sur  sa  capacité  militaire  sont  rares;  mais,  autant 
qu'on  en  peut  juger  d'après  quelques  indications,  Ma- 
homet paraît  avoir  été  beaucoup  plus  halnle  qu'aucun 
de  ses  concurrents  dans  Fart  de  la  stratégie.  La  vigi- 
lance infatigable  pour  les  préparatifs,  le  coup  d'œil 
pendant  l'action,  la  conception  générale  d'un  plan  de 
campagne,  la  persévérance  et  le  secret  ne  lui  ont  ja- 
mais fait  défaut,  et  ces  qualités  éminentes  ont  pro- 
bablement beaucoup  contribué  à  son  succès.  Ses  bio- 
graphes n'étaient  guère  en  état  de  les  apprécier,  et 
voilà  sans  doute  pourquoi  ils  ne  nous  en  ont  rien  dit. 
Mais  nous  pouvons  suppléer  à  cette  rélicence;  et  en 
voyant  que  Mahomet  éprouva  si  peu  de  revers,  on  est 
en  droit  de  supposer  qu'il  avait  en  lui  toutes  les  res- 
sources qui  les  préviennent  et  qui  domptent  la  for- 
tune. 

Il  n'a  pas  eu  de  maître  qui  lui  ait  enseigné  la  tac- 
tique, et  ses  triomphes  militaires  n'ont  été  que  l'effet 
de  son  génie.  Je  crois,  à  plus  forte  raison,  qu'on  peut 
en  dire  autant  de  ses  croyances  religieuses;  elles 
n'ont  rien  de  bien  original,  et  elles  étaient  répandues 

'  M.  ^^.  Muir,  Tlie  Life  of  Maliomet,  t.  III,  p.  01. 


16S  MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

et  connues  avant  lui.  Mais  c'est  Mahomet  seul  qui  a 
su  les  faire  prévaloir  à  jamais  parmi  les  tribus  arabes, 
et  s'il  n'a  pas  la  gloire  de  l'invention,  il  a  du  moins 
celle  d'un  prosélytisme  invincible  non  moins  que  bien- 
faisant. Les  Hanyfes  l'avaient  devancé,  et  il  ne  s'est 
pas  fait  faute  d'emprunter  beaucoup  au  judaïsme  et 
au  christianisme,  qu'il  comprenait  à  sa  manière.  Mais 
les  Ilanyfes  étaient  restés  obscurs  et  inféconds.  Le  ju- 
daïsme et  le  christianisme  avaient  avorté  dans  ces 
contrées,  malgré  leur  vérité  et  leur  grandeur.  Maho- 
met seul  a  réussi,  grâce  à  ses  puissantes  facultés,  qui 
n'étaient  qu'à  lui.  Aussi  peut-on  trouver  assez  inutiles 
les  peines  que  se  sont  données  bien  des  historiens 
pour  découvrir  quels  avaient  été  les  maîtres  religieux 
de  Mahomet.  Sans  doute  il  est  assez  curieux  de  con- 
naître ses  relations  avec  les  Abrahamites,  avec  les 
juifs  et  les  chrétiens,  soit  de  la  Mecque,  soit  de  Mé- 
dine.  Mais  tout  cela  n'explique  rien,  et  ce  ne  sont  pas 
des  enseignements  de  cette  espèce  qui  décident  du 
destin  des  grands  hommes.  11  n'y  a  pas  d'école  pour 
les  héros,  pour  les  conquérants,  ni  surtout  pour  les 
fondateurs  de  religion.  C'est  le  ciel  qui  les  fait,  et  ce 
sont  les  circonstances  qui  les  développent^ 


'  M.  le  docteur  A.  Sprcriger  a  consacré  de  longues  et  Irès-savantcs 
recherches  à  ces  questions.  Dans  le  second  volume  do  son  ouvrage, 
Dus  Lebeii  uiid  die  Lehre  des  Moliammad,  plusieurs  chapitres  traitent  de 
rinfluence  chrétienne  sur  Mahomet,  et  spécialement  du  maître  que 
peut  avoir  eu  le  prophète.  Dans  un  appendice  fort  curieux,  au  trei- 
zième chapitre,  l'auteur  a  réuni  tous  les  témoignages  des  auteurs  ori- 
ginaux qui  peuvent  jeter  quelque  jour  sur  ce  point  délicat.  Quel  était 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET.  169 

Par  des  motils  analogues,  je  crois  qu'on  a  atlaché 
beaucoup  trop  d'importance  à  la  prétendue  ignorance 
de  Mahomet.  Qu'importe,  en  effet,  qu'il  ait  su  ou  qu'il 
n'ait  pas  su  lire  et  écrire?  En  est-il  moins  grand?  En 
a-t-il  moins  détruit  l'idolâlrie  dans  le  monde  arabe? 
En  a-t-il  moins  été  l'organisateur  et  le  chef  d'un  peu- 
ple entier,  le  prophète  d'une  religion  nouvelle?  Les 
historiens  les  plus  autorisés,  M.  A.  Sprenger,  par 
exemple',  penchent  à  supposer  que  Mahomet  n'était 
pas  aussi  peu  instruit  qu'on  l'a  cru,  d'après  certains 
passages  du  Coran  mal  interprétés.  Il  y  a  un  bon 
nombre  d'autres  passages  qui  prouvent  tout  le  con- 
traire; et  dans  la  vie  même  du  prophète,  une  multi- 
tude de  détails  ne  se  comprennent  bien  qu'en  admet- 
tant qu'il  possédait  ces  premiers  éléments  de  toute 
culture  intellectuelle. Mahomet  paraissait  en  bien  sen- 
tir lui-même  toute  l'utilité,  puisqu'il  imposait  cet 
enseignement  pour  rançon  aux  prisonniers  de  Bedr, 

ce  maille?  (pielle  était  sa  patrie  el  son  nom?  Il  parait  (ju'il  se  nom- 
mait Abralia,  renégat  chrétien,  qui,  après  s'être  converti  à  l'Islam, 
lut  au  nombre  des  émigrés  d'Abyssinie.  La  tradition  n'est  pas  d'ail- 
leurs si  bien  établie  qu'elle  ne  varie  beaucoup  d'un  auteur  à  l'autre; 
cl  ce  prétendu  maître  est  appelé  aussi  Bahyrâ  et  Sergius,  par  les 
bisloriens  chrétiens  de  cette  époque  ;  t.  II,  p.  180,  349  el  suiv. 

'  M.  A.  Sprenger,  Das  Leben  imd  die  Lelire  des  Mohammad.  t.  Il, 
p.  398,  a  fait  de  cette  question  l'objet  d'une  annexe  spéciale.  M.  Caus- 
sin  de  Perceval,  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  t.  I,  p.  555,  la  laisse 
dans  le  doute.  Il  est  probable  cependant  que  Khadidja  n'eût  pas 
chargé  des  intérêts  de  sa  caravane  un  homme  qui  n'aurait  pas  su  tenir 
des  comptes,  et  Mahomet  avait  vingt-quatre  ans  environ  quand  la 
riche  veuve  le  prit  pour  son  agent.  On  a  supposé  que  Mahomet  n'avait 
appris  à  lire  et  à  écrire  que  dans  un  âge  assez  avancé.  Voir  M.  NOl- 
deke,  Histoire  du  Coran,  p.  10  et  suiv. 

10 


170  MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

et  qu'il  avait  autour  de  lui  des  secrétaires  attitrés. 
Dans  son  agonie,  il  demandait  à  ceux  qui  assistaient 
à  ses  derniers  moments  de  l'encre  et  une  plume  pour 
écrire  un  nouveau  Coran,  et  ceci  prouve  qu'il  était  en 
état  de  se  servir  de  ces  instruments  délicats.  Mais,  en- 
core une  fois,  ce  sont  là  des  questions  tout  à  fait  se- 
condaires, et  rignorance  de  Mahomet,  loin  de  le  di- 
minuer à  nos  yeux,  devrait  au  contraire  nous  le  faire 
admirer  encore  davantage. 

J'en  arrive  à  la  faute  la  plus  grave  qu'ait  commise 
le  prophète,  je  veux  parler  de  sa  polygamie.  Ce  dés- 
ordre fatal  et  presque  inexplicable  a  jeté  une  ombre 
et  comme  une  tache  indélébile  sur  toute  sa  mémoire; 
et  il  ne  nous  apparaît  qu'avec  cette  souillure,  qui 
abaisse  son  caractère  et  déshonore  ses  mœurs.  On  la 
retrouve  dans  la  vie  de  plus  d'un  patriarche  biblique, 
sans  qu'elle  y  produise  ce  déplorable  effet.  C'est  que 
le  temps  et  les  personnages  sont  changés.  Ce  qu'on 
tolère  à  l'origine  des  âges  paraît  inexcusable  six  siè- 
cles après  l'ère  chrétienne,  surtout  quand  on  prétend 
appeler  les  peuples  à  une  religion  meilleure,  et  qu'on 
doit  apparemment  purifier  les  mœurs  en  même  temps 
qu'on  éclaire  les  esprits  ^ 

Mahomet  avait  cinquante  ans  quand  il  perdit  Kha- 
dîdja.  Il  en  avait  vécu  avec  elle. vingt-cinq  dans  l'u- 
nion la  plus  fidèle  et  la  plus  heureuse,  d'où  étaient 

'  Longtemps  après  l'âge  des  patriarclies,  Salomon  avait  ou  les 
mœurs  que  l'on  sait;  et  quoiqu'il  eût  donné  ce  i'alal  exemple,  son 
renom  de  sagesse  en  avait  peu  souffert. 


SINŒP.ITÉ  DE  MAHOMET.  171 

.sortis  d'assez  nombreux  enfants.  Veuf  depuis  un  mois 
à  peine,  il  avait  épousé  Saouda,  veuve  de  Sakràn,  un 
des  émigrés  d'Abyssinie  (620);  et  presque  en  même 
temps  il  s'était  fiancé  à  Ayéslia,  la  fdle  d'Abou-Becr, 
qui  avait  alors  sept  ans  et  qu'il  n'épousa  que  trois  an- 
nées plus  tard  (6"25).  Cet  engagement,  contracté  sans 
doute  par  calcul  politique  et  afin  de  se  rapprocher 
davantage  encore  d'Abou-Becr,  fut  fatal,  et  il  devint 
l'origine  de  tous  les  excès  qui  suivirent.  Pendant  près 
de  quatre  ans,  après  la  mort  de  Khadidja,  Mahomet 
s'était  contenté  d'une  femme  unique,  et  Saouda  non 
plus  n'avait  point  eu  de  rivale.  Mais,  une  fois  marié  à 
la  jeune  et  charmante  Ayésha,  il  s'abandonna  sans 
mesure  à  ses  passions,  et  en  moins  de  cinq  années  il 
épousa  huit  femmes,  sans  compter  deux  concubines. 
C'est  d'abord  Hafsa,  lille  d'Omar  et  veuve  d'un  guerrier 
fameux.  Hafsa,  d'un  caractère  altier  et  bien  connue 
pour  son  intraitable  humeur,  n'avait  pu  se  remarier; 
et  Othmàn  entre  autres  avait  refusé  sa  main.  Par  une 
condescendance  assez  singulière   et  pour  satisfaire 
Omar,  le  prophète  prit  Hafsa  pour  femme,  et  il  donna 
sa  fdle  Oumm  Colthoum  à  Othmân.  Ceci  se  passait 
en  62  i,  c'est-à-dire  deux  ans  environ  après  l'Hégire. 
Dans  le  cours  de  626,  Mahomet  épousait  jusqu'à 
quatre  femmes  :  Zeynab  (Zénobie),  fdle  de  Khozeima, 
appelée  pour  sa  charité  la  mère  des  pauvres,  veuve 
de  son  cousin  Obeida,  tué  à  Bedr;    Oumm    Salma, 
veuve  d'un  des  émigrés  d'Abyssinie,  qui,  en  mourant 
après  Ohod,  lui  avait  laissé  quatre  enfants   en  bas 


172  MAHOMET,  CHAPITRE  lY. 

âge;  Zeynab,  fille  de  Djasli;  et  Djouveyria,  fille  du 
chef  des  Béni-Moustalik,  dont  la  tribu  venail  d'èlre 
subjuguée.  Captive  du  prophète,  la  belle  Djouveyria 
avait  su  le  toucher  ;  et,  grâce  à  elle,  la  plupart  des 
prisonniers  avaient  été  épargnés. 

Mais  le  mariage  de  Zeynab,  fille  de  Djash,  avait  été 
l'orcasion  d'un  grand  scandale.  Elle  était  la  femme  de 
ce  Zeïd  dont  Mahomet  avait  fait  son  fils  adoptif,  de 
telle  sorte  que  le  prophète,  donnant  un  coupable 
exemple,  épousait  sa  belle-fille.  Zeïd,  par  un  dévoue- 
ment aveugle,  avait  répudié  sa  femme,  dont  il  n'avait 
point  à  se  plaindre,  et  l'avait  ainsi  rendue  libre.  Le 
monde  musulman  était  affligé  profondément  et  indi- 
gné de  cette  union  contraire  à  tous  les  usages.  Maho- 
met la  légitima  par  un  verset  du  Coran',  et  désormais 
les  fidèles  purent  piendre  pour  femmes  les  femmes 
répudiées  de  leurs  enfants  adoptifs.  Zeïd  fut  récom- 
pensé de  sa  complaisance  par  la  mention  expresse  de 
son  nom  dans  le  livre  sacré*  ;  mais  à  dater  de  ce  mo- 
ment, il  perdit  son  titre  de  fils  de  Mahomet,  et  il  ne 

'  Coran,  sourate  xxxiii'",  verset  Ô7.  M.  \V.  Muir,  The  Life  ofMiiho- 
met,  t.  III,  p.  250,  hlàme  ici  très-vivemont  Maliomet,  pour  lecjuii  il 
est  dailleurs  fort  impartial  et  même  bienveillant,  et  il  va  jusqu'à  dire 
que  cette  sanction  sacrée  donnée  à  une  passion  brutale  est  «  une 
cfCronterie  impie.  »  Cette  expression  sévère  n'est  que  juste;  seule- 
mont  il  est  peu  probable  que  Mahomet  eût  la  pleine  conscience  de  ce 
qu'il  faisait,  et  qu'il  sentît  sa  faute  comme  nous  pouvons  la  sentir 
nous-mêmes. 

-  Voir  le  Coran,  sourate  xxxni",  verset  57  :  «  Lorsque  Zeïd  prit  un 
parti  el  résolut  de  répudier  sa  femme,  nous  l'unimes  à  toi  par  le 
mariage,  afin  que  ce  no  soit  pas  un  crime  pour  les  croyants  d  épouser 
les  femmes  de  leurs  fds  adoptifs  après  la  répudiation.  »  Zeïd  est  avec 


SINCÉRITÉ  DE  MAHOMET  173 

fut  plus  que  le  fils  de  Hârilha,  comme  le  voulaij:  sa 
naissance. 

L'année  suivante,  le  prophète  joignait  aux  sept  fem- 
mes qu'il  avait  déjà  la  belle  Rihàna,  comme  concu- 
bine. Rihàna,  delà  tribu  des  Juifs  Corayzha,  si  cruel- 
lement massacrés,  était  restée  fidèle  à  la  religion  de 
ses  pères;  et  c'était  là  un  obstacle  infranchissable  à 
devenir  une  épouse  légitime.  Safia,  autre  Juive,  veuve 
de  Kinàma,  chef  de  Khaybar,  fut  moins  scrupuleuse, 
et  après  son  abjuration  elle  devint  la  huitième  femme 
de  Mahomet.  En  628,  il  en  épousait  encore  une  nou- 
velle dans  la  personne  d'Habiba,  veuve  d'un  des  émi- 
grés d'Abyssinie,  qui  n'avait  pas  moins  de  quarante 
ans,  et  à  laquelle  il  s'était  fiancé  par  procuration  aus- 
sitôt qu'elle  avait  eu  perdu  son  premier  mari.  A  la 
même  époque,  il  prenait  comme  concubine  Maria, 
l'esclave  copte  ^,  qui  devait  lui  donner  le  seul  fils  et  le 
seul  enfant  qu'il  eût  eu  depuis  Khndidja.  Enfin  la 
dernière  femme  de  Mahomet  fut  Maimouna,  qu'il 
épousa  pendant  le  petit  pèlerinage  à  la  Mecque,  trois 
ans  environ  avant  sa  mort.  Yeuve  de  deux  maris, 
Maimouna  était  âgée  de  cinquante  et  un  ans,  et  il  est 
probable  que  l'objet  principal  de  Mahomet,  en  con- 
tractant cette  union,  ce  fut  de  hâter  la  conversion  et 
de  s'assurer  le  dévouement  du  neveu  de  Maimouna, 

Atjoii-liihab  le  seul  des  contemporains  de  Mahomet  nommé  dans  le 
Coran,  sourate  cxi,  verset  1. 

*  De  l'avis  unanime  de  tous  les  conmientaleurs,  il  e.'-l  fait  allusion 
aux  querelles  intérieures  que  susciia  la  jalousie  des  femmes  du  pro- 
phète contre  Maria  !a  Copte,  Coran,  sourate  ixvi,  versets  1  et  suiv. 

10 


174  MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

le  fameux  Klialid,  fils  de  Yalid,  surnommé  l'Épée  de 
Dieu,  qui  devait  être  par  son  courage  et  son  habileté 
un  des  appuis  les  plus  fermes  de  l'Islam  naissant'. 

Il  est  évident  pour  plusieurs  de  ces  unions  que  ce 
fut  la  politique  qui  les  dicta  ou  les  imposa.  Tels  sont 
les  choix  d'Ayésha"-,  fille  d'Abou-Becr,  et  d'Hafsa,  fille 
d'Omar;  ce  n'était  qu'un  lien  nouveau  entre  le  pro- 
phète et  ses  deux  plus  illustres  adhérents,  destinés  à 
être  ses  deux  premiers  successeurs.  Tels  furent  aussi 
les  choix  de  Saouda,  de  Zeynab,  fille  de  Khozeima, 
d'Oumm  Salma,  d'Oumm  Habiba,  et  même  de  Mai- 
mouna,  toutes  veuves  de  musulmans  morts  en  exil  ou 
tués  au  combat.  Mais  il  n'y  a  plus  de  calcul,  et  il  n'y 
a  que  de  la  débauche  dans  toutes  ces  autres  alliances 
qui  se  multiplient  à  quelques  mois  d'intervalle,  et 
qui  ne  s'expliquent  que  par  de  brutales  convoitises. 

*  Voir  le  Sirat-er-raçoul,  traduction  de  M.  G.  Wcil,  t    II,  p.  341. 

Mahomet  avait  recommandé  à  ses  sectateurs  de  ne  pas  épouser  ses 
l'emnies  après  sa  mort,  Coran,  sourate  xxxiii,  verset  55.  Aucun  mu- 
sulman n'cnl"rcij,Miit  cette  recommandation,  qu'on  regardait  comme 
sacrée.  Les  neuf  veuves  de  Mahomet  entourées  de  respect  furent  pen- 
sionnées par  l'État,  auquel  tous  les  biens  du  proplicte  avaient  fait  re- 
tour, et  elles  furent  appelées  les  Mères  des  fidèles,  afin  de  mieux  con- 
sacrer leur  veuvage. 

-  Lorsqu'Ayésha  devint  la  femme  de  Mahomet,  elle  n'avait  que  dix 
ans.  Pour  ne  pas  sentir  une  sorte  d'horreur  do  celle  union,  il  faut 
se  rappeler  la  différence  profonde  qu'établit  le  climat  dans  l'âge  de  la 
nubilité  ;  mais  même  en  faisant  aux  influences  extérieures  la  part 
aussi  large  qu'on  le  voudra,  il  reste  toujours  quelque  chose  de  bien 
extraordinaire  dans  un  tel  mariafie.  D'après  Ibn-lshâc,  Mahomet  avail 
épousé  en  tout  treize  femmes;  Sirat-er-raçoul,  traduction  de  M.  G. 
Weil  t.  H,  p.  541  et  suiv.  L'auleur  donne  de  très-longs  détails  sur 
chacune  de  ces  fenmies  du  prophète. 


SINCERITE  DE  MAHOMET  17o 

Sans  doute  Mahomet,  donnant  une  maison  séparée  à 
chacune  de  ses  femmes  et  ne  les  tenant  pas  réunies 
dans  le  même  harem,  voulait,  dans  plus  d'un  cas, 
acquitter  envers  elles  une  dette  de  reconnaissance 
et  leur  assurer  une  situation  indépendante  après  de 
longs  malheurs  ;  mais  cette  excuse,  qui  est  vraie  pour 
quelques-unes  de  ses  épouses,  ne  l'est  pas  pour  les 
autres,  et  il  ne  les  prit  ordinairement  que  pour  assou- 
vir des  passions  qu'il  lui  eût  été,  ce  semble,  assez 
facile  de  surmonter  à  cette  époque  de  la  vie. 

Pendant  trente  années  de  suite,  il  était  resté  dans  la 
monogamie;  et  autant  qu'on  peut  en  juger  par  bien 
des  traits  de  sa  vie,  il  goûtait  vivement  les  charmes 
de  la  famille,  et  il  adorait  ses  enfants  et  ses  petits-en- 
fants. Il  avait  une  tendresse  profonde  pour  toutes  ses 
filles,  et  il  avait  su  être  un  excellent  père  en  même 
temps  qu'un  fidèle  époux,  à  un  âge  où  les  violences 
des  sens  sont  le  plus  à  redouter.  Comment,  après  tant 
de  réserve  et  de  sagesse,  le  prophète  est-il  tombé  dans 
les  abîmes  du  vice?  On  pourrait  croire  que  c'est  la 
prospérité  qui  Ta  enivré  et  qui  l'a  jeté  dans  ces  excès, 
où  se  sont  dégradés  aussi  tant  d'autres  hommes  par- 
venus au  faîte  de  la  puissance  ainsi  que  lui.  Mais  cette 
hypothèse  même  a  bien  peu  de  fondement,  quand  on 
le  voit,  au  milieu  de  ses  triomphes  et  jusqu'au  deinier 
jour,  conserver  toutes  les  autres  vertus  de  sa  jeunesse  : 
la  tempérance,  la  simplicité  et  le  plus  absolu  désinté- 
ressement, avec  une  activité  prodigieuse,  qui  ne  se 
dément  pas  un  seul  jour,  et  qui  suftit  tout  ensemble  à 


176  MAHOMET,  CHAPITRE  IV. 

la  religion,  à  la  politique,  à  la  diplomatie  et  à  la 
guerre.  En  défendant  aux  autres  croyants'  d'avoir  plus 
de  quatre  femmes  légitimes,  il  s'accorda  le  privilège 
d'en  avoir  jusqu'à  neuf,  sans  compter  les  esclaves-. 
L'exemple  et  le  précepte  étaient  également  fâcheux,  et 
c'est  la  polygamie  qui  a  surtout  perdu  l'islamisme. 

Mais  pour  être  juste,  il  faut  se  hâter  de  dire  que  ce 
n'est  pas  Mahomet  qui  l'a  fondée.  Tl  la  trouvait  établie 
de  temps  immémorial  chez  les  peuples  qu'il  conver- 
tissait, et  elle  est  malheureusement  la  condition  do 
l'Asie  presque  tout  entière.  Il  n'y  a  donc  pas  à  la  lui 
reprocher  comme  si  c'était  lui  qui  l'eût  introduite,  et 
qui  eût  apporté  au  monde  cette  dépravation  cl  ce 
fléau.  Mais  il  eût  été  digne  de  sa  grande  mission  de 
combattre  un  si  redoutable  désordre  et  d'essayer  de 
le  détruire.  L'idolâtrie  qu'il  a  renversée  n'était  pas 
plus  fatale  ;  et  il  eût  été  encore  plus  beau  de  réformer 
les  mœurs  que  de  réformer  les  croyances.  L'idée  de 
Dieu  qu'il  apportait  au  monde  arabe  n'y  a  pas  produit 
ses  conséquences  les  plus  heureuses,  puisque  la  reli- 


'  Coran,  sonrate  iv,  verset  5.  Dans  ce  passage,  le  prophète  conseille 
même  aux  lidèles  de  n'avoir  qu'une  seule  femme  ;  mais  il  glisse  sur 
ce  dernier  précepte,  qui  n'a  pas  prévalu. 

-Dans  le  Coran,  sourate  x.\xni,  verset  i'J,  le  prophète  semble  rece- 
voir de  Dieu  la  permission  d'avoir  autant  de  femmes  ([u'il  voudra  ; 
mais  dans  le  verset  5'2,  il  dit  :  a  II  ne  t'est  pas  permis  de  prendre 
dorénavant  d'autres  lemmcs  ,  ni  de  les  échanger  conti-e  d'autres, 
quand  même  leur  beauté  te  ciiarinerait,  à  l'excepiion  des  esclaves  que 
tu  peux  acquérir.  »  Mahomet  avait  alors  neuf  femmes,  à  ce  que 
croient  les  commentateurs,  parce  (|ue  Zeynah,  fille  de  Kliozeima,  était 
morte,  et  que  Mahomet  ne  l'avait  pas  remplacée. 


SLNCÉHITÉ  DE  MAHOMET.  177 

gion  nouvelle  n'y  a  pas  créé  entre  les  hommes  ces 
liens  sacrés  qui  fondent  la  famille  et  par  suite  les  so- 
ciétés. Je  ne  dis  pas  que  Mahomet  eût  réussi  dans 
cette  noble  entreprise;  et  quand  on  voit  les  coutumes 
eftroyables  qu'il  a  dû  réfréner,  on  peut  douter  que  le 
peuple  arabe  eût  entendu  de  meilleurs  conseils  sur  un 
sujet  si  délicat.  Mais  c'aurait  été  une  gloire  incompa- 
rable de  les  donner,  au  risque  même  de  les  voir  mé- 
connus. Seulement  il  est  probable  que  Mahomet,  mal- 
gré sa  propre  expérience  si  longue  et  si  douce,  n'avait 
pas  compris  les  bienfaits  de  la  monogamie.  11  avait 
obéi  à  son  instinct,  qui  l'avait  d'abord  excellemment 
conduit;  il  y  obéit  ensuite  non  moins  aveuglément, 
quand  cet  instinct  perverti  le  précipita  dans  le  mal  '. 
M,  William  Muir  le  remarque  avec  raison,  la  po- 
lygamie est  une  des  divergences  essentielles  entre 
l'Islam  et  le  christianisme,  que  sous  ce  rapport  Ma- 
homet aurait  pu  imiter  comme  il  l'a  fait  sous  tant 
d'autres.  La  critique  est  vraie,  mais  il  ne  faut  pas 
l'exagérer.  L'Arabie  n'était  pas  l'empire  romain,  et  la 
doctrine  chrétienne,  après  le  judaïsme,  avait  fait  de 
vains  efforts  pour  pénétrer  chez  les  tribus  de  la  pénin- 
sule. Le  christianisme  a  fondé  la  monogamie  chez  des 
peuples  tout  préparés  à  la  recevoir,  parce  qu'ils  l'a- 
vaient presque  toujours  pratiquée.  J'avoue,  du  reste, 

*  La  passion  de  Maliomet  pour  les  femmes  paraissait  excessive  mène 
à  ses  compagnons,  et  le  secrétaire  de  AVâckidi  rapporte  ce  mot  d'li)n- 
Abbàs  :  «  Le  plus  grand  des  inu.sidmans  était  aussi  le  plus  passionné 
de  tous  pour  les  femmes.  »  Voir  M.  AVilliani  Muir.  The  lAfe  of  Mahc- 
niet,  t.  IV,  p.  510. 


178  MAHOMET,  CHAPITRE  IV.  ! 

que  c'est  une  grave  lacune  dans  l'intelligence  de 
Mahomet,  et  une  rançon  qu'il  a  payée  à  la  faiblesse 
humaine.  Mais  encore  une  fois,  il  faut  se  rappeler 
qu'il  était  un  Arabe,  et  non  un  Juif  ou  un  Grec,  et  qu'il 
y  a  bien  des  idées  et  des  sentiments  qui  n'étaient  pas 
faits  pour  lui  ;  c'est  le  secret  de  la  Providence. 


CHAPITRE  V 

LE    CORAN 

Désordre  dans  la  composition  du  Coran;  efforts  vainement  tentés  pour 
classifier  régulièrement  les  cent  quatorze  sourates;  travaux  récents 
de  MM.  G.  ^Veil,  W.  Muir  et  Nôldeke  ;  deux  grandes  divisions  :  sou- 
rates de  la  Mecque,  sourates  de  Médine;  difficultés  que  présentent 
ces  divisions,  toutes  larges  qu'elles  sont  ;  style  du  Coran.  —  Doc- 
trines principales  du  Coran  :  l'unité  de  Dieu,  créateur,  tout-puis- 
sant et  miséricordieux  ;  la  vie  future;  paradis  de  Mahomet;  respect 
du  Coran  pour  les  prophètes  antérieurs,  Moïse  et  David;  senti- 
ments de  Mahomet  à  l'égard  de  Jésus-Clirist  ;  sa  vénération  extraor- 
dinaire; tolérance  du  Coran  ;  insuffisance  du  Coran  considéré  comme 
code  de  législation;  quelques-unes  de  ses  réformes  les  plus  bien- 
faisantes; il  adoucit  les  mœurs,  et  il  relève  la  condition  des  femmes  ; 
le  Coran  n'est  pas  fataliste;  absence  de  toute  métaphysique  dans 
le  Coran. 

Ce  ne  serait  pas  assez  connaître  3Iahomet  que  de 
négliger  de  l'étudier  aussi  dans  le  Coran.  Son  livre  est 
un  bien  autre  témoignage  que  tous  ceux  de  la  tradi- 
tion; car  c'est  là  le  principal  instrument  de  son  action 
sur  le  monde.  Sans  le  Coran,  le  prophète  aurait  pu 
jouer  encore  un  grand  rôle;  mais  son  empire,  aussi 
fragile  que  celui  de  Cossayy,  son  précurseur  politique, 
serait  mort  avec  lui  ;  et  il  ne  serait  resté  de  son  pas- 


180  MAHOMET,  ClIAriTRE  Y. 

sDge  sur  la  terre  qu'un  souvenir  fugitif  comme  celui 
de  tant  cVaiitres,  n'eût  été  celte  influence  durable  que 
peuvent  seuls  conférer  des  monuments  écrits.  Le 
Coran  a  été  pour  les  nations  musulmanes  Tunique 
source  de  toute  leur  vie  religieuse,  morale,  civile  et 
politique.  Il  est  encore  aujourd'hui  le  seul  lien  social 
qui  leur  donne  quelque  consistance.  C'est  par  le 
Coran  que  l'œuvre  de  Mahomet  a  vécu  jusqu'à  nous,  et 
qu'elle  pourra  vivre  encore  durant  tout  le  temps  que 
lui  accorderont  les  desseins  de  la  Providence.  Dans  le 
Coran,  nous  pourrons  retrouver  le  prophète  tel  que 
nous  venons  de  le  voir  avec  toutes  les  grandeurs  et 
toutes  les  lacunes  de  son  génie,  très-supérieur  aux 
peuples  qu'il  tâche  d'éclairer,  mais  forcé  de  leur  faire 
à  son  insu  des  concessions  qui  l'abaissent  lui-même, 
et  sans  lesquelles  il  n'aurait  été  ni  compris  ni  suivi  de 
ceux  qu'il  voulait  convertir  et  qu'il  a  tant  améliorés. 
Je  devrai  nécessairement  laisser  de  côté  la  plupart 
des  questions  que  soulève  la  composition  du  Coran  '  ; 
elles  appartiennent  plus  directement  à  la  philologie  et 
à  Ihisloirc.  Mettre  un  peu  d'ordre  dans  les  sourates  et 
dans  les  versets,  c'est  une  entreprise  bien  délicate, 
même  pour  les  plus  habiles;  et  c'est  une  tache  que 

•  LAcadémic  des  inscriptions  et  belles-leltres  a  mis  spécialement 
ccUe  question  au  concours  en  1857.  Un  seul  des  trois  mémoires  cou- 
ronnés, celui  de  M.  Noldeke,  a  été  publié.  Quand  on  connaîtra  ceux 
des  deux  autres  concurrents,  MM.  Amari  et  A.  Sprengcr,  il  n'est  pas  à 
douter  que  ce  dilficile  proLlènie  ne  soit  très-largement  élucidé,  si  ce 
n'est  tout  il  fait  résolu.  C'est  l'opinion  de  M.  Piciiiaud  ('ans  sa  Police 
sur  Mahomet,  p.  78. 


LE  CORAN.  181 

Irès-peu  de  gens  peuvent  essayer  avec  quelque  chance 
de  succès.  On  sait  que,  après  la  mort  du  proplièle,  les 
principaux  musulmans,  Omar  en  tète,  pensèrent  à 
recueillir  ses  récitations  et  à  en  faire  un  corps  d'écri- 
tures, qui  pût  servir  de  guide  à  la  religion  nouvelle.  Un 
des  secrétaires  de  Mahomet  s'acquitta  de  ce  soin,  qui 
lui  fut  officiellement  imposé  ;  et  sa  compilation, 
perfectionnée  dans  une  seconde  édition  vingt  ans  plus 
tard,  est  le  texte  même  qui  est  parvenu  jusqu'à  nous. 
Il  ne  peut  pas  s'élever  le  moindre  doute  sérieux  sur 
l'authenticité,  ainsi  que  je  l'ai  dit';  mais  néanmoins 
que  d'obscurités!  que  d'impénéirables  ténèbres  !  Et 
si  l'esprit  arabe  a  pu  se  satisfaire  de  ce  chaos,  moitié 
par  piété,  moitié  par  ignorance,  comment  l'esprit 
moderne  se  résignerait-il  à  s'en  contenler? 

La  lumière  qu'on  pouvait  y  porter  n''était  que  celle 
de  l'histoire;  et  comme  désormais  on  connaît  suffi- 
samment toute  la  vie  de  Mahomet,  il  était  permis  de 
tenter,  d'après  les  événements  qui  la  composent,  une 
coordination  chronologique  dans  les  sourates.  Il  est 
évident,  eu  effet,  que  le  langage  de  Mahomet  a  dû  va- 
rier selon  les  temps  et  selon  les  situations  où  il  s'est 
trouvé.  Quand  il  en  était  encore  à  ses  méditations  so- 
litaires et  à  ses  anxiétés  sur  le  mont  llira  ;  quand  il 
commençait  à  enseigner  quelques  disciples  cachés  et 
fidèles;  même  quand  il  discutait  avec  les  Coraychiles 
incrédules  et  moqueurs,  réunis  autour  de  la  Caaba,  en- 


'  Voir  plus  liaui,  i'.  "lO. 

11 


18-2  MAllUMtr.  CllAl'irnE  V. 

core  idolâtre,  il  ne  pouvait  parler  comme  plus  tard 
lorsqu'il  avait  été  vainqueur  dans  cent  combats,  quand 
l'Arabie  lui  était  en  partie  soumise,  quand  il  envoyait 
des  ambassadeurs  aux  Etats  voisins  pour  les  sommer 
d'embrasser  l'Islam,  et  qu'il  était  reconnu  pour  l'En- 
voyé de  Dieu  par  tous  ceux  qui  avaient  d'abord  nié  sa 
mission.  11  ne  pouvait  prêcher  à  Médine  au  milieu  des 
Mohadjirs  et  des  Ansàr,  comme  il  avait  jadis  prêché  se- 
crètement à  la  Mecque  ;  et  lorsqu'il  rentra  victorieux 
dans  la  ville  sainte,  après  dix  ans  d'exil,  ses  paroles 
devaient  avoir  aussi,  avec  bien  plus  d'autorité,  un  tout 
autre  caractère.  Ne  serait-il  pas  possible,  avec  ce  fil 
conducteur  donné  par  l'histoire,  de  rétablir  la  succes- 
sion régulière  des  sourates,  et  de  leur  faire  ainsi  re- 
fléter ou  plutôt  révéler  les  phases  diverses  par  les- 
quelles a  dû  passer  l'âme  du  prophète,  parlant  au  nom 
du  Dieu  qui  l'inspirait,  soutenant  ses  compagnons, 
fondant  son  culte  et  son  gouvernement,  organisant  une 
société  nouvelle,  maudissant  les  idolâtres  et  les  infi- 
dèles, et  poursuivant  ses  ennemis?  C'est  là  ce  que  se 
sont  demandé  des  esprits  curieux  et  savants,  et  ils  ont 
dhorché  une  réponse  à  ces  problèmes. 

Déjà  M.  Gustave  Weir  avait  donné  une  classification 
des  sourates,  et  il  les  avait  rangées  dans  un  ordre  qui 
s'appuyait  sur  de  profondes  études  et  sur  une  con- 

'  M.  Gustave  Wcil.  Mohammed  (1er  Proplicl,  p.  3G4  el  suiv,  Au  l  mps 
où  M.  G.  Weil  essaya  cette  classilicalion,  le  sujet  était  très-neuf  parmi 
les  philologues  européens;  il  avait  été  aljordé  dès  longtemps  par  les 
biographes  arabes,  mais  avec  trop  peu  de  critique,  comme  on  peut  le 
croire.  Voir  M.  >rildel<o,  Histoire  du  Coran,  p.  iG. 


LE  CORAN.  183 

naissance  très-étendue  et  très-précise  du  sujet.  Après 
lui,  M.  "William  Muir,  aidé  de  secours  encore  plus  puis- 
sants, a  recommencé  ce  travail  épineux'.  Mais  pour 
se  convaincre  des  difficultés  presque  insurmontables 
qu'il  présente,  on  n'a  qu'à  comparer  les  deux  listes. 
Elles  n'ont  aucun  rapport  entre  elles.  La  première 
sourate,  pour  M.  G.  Weil,  suivant  en  cela  les  auteurs 
musulmans  -,  est  celle  qui  dans  le  Coran  se  trouve  la 
xcvi^;  pour  M.  W.  Muir,  c'est  la  clIl^  La  seconde  de 
M.  AVeil,  est  la  lxxiv*  du  Coran  ;  la  seconde  de  M.  W. 
Muir,  est  la  c^  Les  divergences  continuent  ainsi  jus- 
qu'à la  fin  de  la  liste.  Bien  plus,  M.  G.  Weil  recon- 
naît quatre-vingt-trois  sourates  de  la  Mecq\ie  et  trente 
et  une  de  Médine;  M.  W.  Muir  n'en  reconnaît  guère 
qu'une  vingtaine  de  Médine;  et  il  croit  que  le  reste  a 
été  composé  à  la  Mecque.  Quand  des  juges  aussi  com- 
pétents sont  si  peu  d'accord,  on  doit  présumer  que  le 
problème  est  à  peu  près  insoluble,  du  moins  dans 
l'état  actuel  des  choses;  et  il  est  prudent  d'attendre 
de  nouvelles  lumières. 


'  M.  \Villiam  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  II.  p.  318  et  suiv..  et 
t.  111,  p.  311. 

'  Il  serait  aisé  de  pousser  plus  loin  la  comparaison,  et  jo  ne  sais 
s'il  y  aurait  une  seule  concordance  dans  les  deux  listes.  Ce  qui  m'é- 
tonne le  plus,  c'est  que  le  nombre  des  sourates;  soit  de  la  Mecque, 
soit  de  Médine,  puisse  être  si  diflérent  de  part  et  d'autre.  Chaque 
Sourate  porte  en  tûle,  et  après  le  titre,  une  de  ces  deux  indications  : 
«  Donné  à  la  Meique;  Donné  à  Médine,  »  avec  le  nombre  des  versets. 
Il  semble  dés  lors  qu  il  n'y  a  plus  d  erreur  possible;  mais  je  ne  trouve 
point,  sur  l'origine  de  ces  indications,  de  renseignements  particu- 
liers. Voir  V Histoire  dif Coran  de  M.  Cii.  >'oldeke,  p.  53  et  suiv. 


184  MAllO.MEl,  ClIAl'lTllE  V. 

Il  est  évident  qu'il  faudrait  d'abord  établir  solido- 
meiil,  s'il  se  peut,  la  distinction  dos  sourates  de  la 
Mecque  et  des  sourates  de  Médine.  A  la  Mecque,  Maho- 
met est  au  début  de  sa  carrière  ;  il  cherche  à  con- 
vaincre les  incrédules;  il  combat  ses  adversaires  ;  il  an- 
nonce sa  mission,  et  il  expose  le  dogme  nouveau  de 
manière  à  persuader  les  plus  rebelles.  Mais  alors  il 
ne  peut  songer  à  les  contraindre,  car  il  n'a  pas  la 
force  à  sa  disposition  ;  il  est  abreuvé  d'outrages  chaque 
fois  qu'il  parait  en  public  et  qu'il  veut  expliquer  la  foi 
nouvelle.  Après  dix  ans  de  luttes  d''abord  secrètes,  puis 
ouvertes  et  toujours  pénibles,  il  est  obligé  de  fuir 
pour  mettre  sa  personne  à  l'abri  et  pour  défendre  la 
vie  de  ses  adhérents.  C'est  là  une  situation  toute  dif- 
férente de  celle  qu'il  occupe  plus  tard  ;  et  naturelle- 
ment l'empreinte  doit  s'en  retrouver  plus  ou  moins 
profonde  dans  les  sourates  que  cette  époque  troublée 
et  humiliante  a  vues  naître. 

A  Médine,  au  contraire,  Mahomet  est  au  milieu  de 
musulmans  fidèles  et  enthousiastes.  Avec  leur  aide 
toute-puissante,  il  peut  organiser  la  religion  qu'il  a 
conçue  et  qui  doit  sauver  l'Arabie.  Les  obstacles  qu'il 
rencontre  encore  aulour  de  lui  ne  sont  rien,  et  il  est 
sûr  de  les  écarter.  Bientôt  il  est  victorieux  sur  le 
champ  de  balaille  de  l>cdr  ;  et,  malgré  quelque^  re- 
vers passagers,  son  ascendant  grandit  tous  les  jours; 
l'idulàlrie  perd  pied  à  pied  son  terrain,  et  le  jour  ap- 
proche où  elle  sera  délruile  de  fond  en  comble  dans 
son  sancluairc  de  la  Caaba.  L'existence  de  Mahomet  à 


LE  COHAN.  IS'> 

Médine  est  une  suite  de  Iriomplies  de  plus  en  plus 
éclatants;  à  la  Mecque,  c'était  un  péril  incessant,  au- 
quel il  fallut  enfin  se  soustraire  par  la  fuite. 

Il  y  a  donc  entre  les  sourates  de  la  Mecque  et  celles 
de  Médine  toute  la  distance  de  la  faiblesse  à  la  puis- 
sance et  de  la  défaite  à  la  victoire. 

Une  autre  différence  non  moins  profonde,  c'est  qu'à 
la  Mecque  Mahomet  est  plus  jeune  et  que  les  ardeurs 
de  son  génie  ont  dû  être  d'autant  plus  vives  qu'elles 
étaient  plus  récentes.  C'est  à  la  Mecque  qu'il  ressent 
les  premières  atteintes  de  l'inspiration  prophétique; 
et  les  élans  de  son  âme  doivent  se  reproduire  dans  les 
sourates  qui  jaillissent  alors,  presqu'à  son  insu,  de  ses 
longues  et  brûlantes  méditations.  Plus  tard,  tout  en- 
flammé qu'il  peut  être  encore,  il  est  du  moins  plus  ré- 
fléchi ;  il  a  conscience  de  ce  qu'il  éprouve  ;  et  s'il 
communique  toujours  avec  Fange  Gabriel,  il  n'est 
plus  épouvanté  de  ces  rapports  surnaturels,  comme  le 
jour  où  l'esprit  céleste  lui  apparut  pour  la  première 
fois.  Les  soins  de  la  politique  se  mêlent  aux  préoccu- 
pations religieuses  ;  il  est  sûr  désormais  de  sa  mission 
personnelle  ;  mais  c'est  le  courage  et  la  foi  de  ses 
compagnons  qu'il  faut  soutenir,  leurs  dissensions 
qu'il  finit  régler,  leurs. entreprises  qu'il  faut  conduire. 
Mahomet,  dans  cette  situation,  n'a  pas  trop  de  toute  la 
maturité  de  sa  raison  ;  et  s'il  reste  toujours  inspiré, 
c'est  comme  un  législateur  et  un  général  peuvent 
l'être. 

Ainsi,  différence  d'âge,  différence  de  position,  voilà, 


180  MAHOMET,  CHAPITRE  V. 

co  semb'.e,  des  caraclères  lji;'n  Iranchés  pour  discer- 
ner les  deux  espèces  de  sourates  et  les  modifications 
de  style.  Mais  essayer  une  classification  d'après  ces 
données  fragiles,  toutes  réelles  qu'elles  sont,  c'est  là 
recueil  ;  et  l'on  ne  voit  pas  que  jusqu'à  présent  per- 
sonne, même  parmi  les  plus  érudits,  ait  pu  le  surmon- 
ter. Ce  qui  rend  presque  impossible  un  classement  ré- 
gulier,  c'est  que  dans  une  seule  et  même  sourate  tel 
verset  semble  être  de  Médine,  tandis  que  le  verset  im- 
médiatement voisin  semble  être  de  la  Mecque.  Fau- 
dra-t-il  donc  disloquer  les  sourates?  Et  quelle  main 
serait  assez  délicate,  assez  sayante,  ou  même  assez 
téméraire,  pour  tenter  le  démembrement?  Arrivât-on 
à  le  jusliiier  d'une  manière  assez  plausible,  ce  ne  se- 
rait toujours  qu'une  conjecture  plus  ou  moins  heu- 
reuse. Un  nouvel  arrangement  fait  par  un  autre  de- 
viendrait un  nouvel  ordre,  qui  ne  paraîtrait  pas  moins 
acceptable,  et  l'œuvre  primitive  disparaîtrait  pour  de- 
venir celle  d'une  érudition  toujours  hypothétique, 
quelque  intelligente  qu'elle  serait. 

On  peut  donc  penser,  pour  de  justes  raisons,  que  le 
mieux  est  encore  de  laisser  le  Coran  tel  qu'il  nous  a 
été  transmis,  avec  son  désordre  par  trop  notoire,  mais 
aussi  avec  son  ardeur  sainte  et  la  vénération  inviolable 
qui  l'entoure.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  parmi  bien  des 
traditions  confuses,  c'est  que  Mahomet,  surpris  par  la 
mort,  n'eut  pas  le  temps  de  réunir  lui-même  les  frag- 
ments épars  de  ses  prédications.  Ce  soin,  remis  à  un 
de  ses   secrétaires,  Zeïd,  fds  de  Thâbil,  fut  accompli 


I 


LE  CORAN.  187 

pieusement.  Mais  ce  n'était  pas  précisément  une  rédac- 
tion officielle  qu'on  lit  à  ce  moment.  Ce  furent  Abou- 
Becr  et  Omar  qui  sentirent  pour  eux-mêmes  le  besoin 
d'un  tel  recueil  ;  et  celui  de  Zeid  fut  si  bien  leur  pro- 
priété personnelle,  que  des  mains  d'Omar  il  passa  non 
point  à  son  successeur  dans  le  Khalifat,  mais  à  sa  fille. 
Il  y  avait  cependant  d'autres  rédactions  du  Coran 
parmi  les  fidèles-,  on  disputait  même  avec  ardeur 
sur  rauthenticité  de  divers  passages,  et  ce  fut  pour 
apaiser  ces  contentions  redoutables  que  le  khalife  Oth- 
mân  P  fit  faire  une  rédaction  nouvelle,  dont  l'exem- 
plaire de  Hafsa  fut  la  base.  Cette  récension  fut  défini- 
tive; et,  bien  que  tous  les  anciens  exemplaires  n'eussent 
pas  disparu,  suivant  les  ordres  du  khalife,  elle  l'em- 
porta bientôl,  et  elle  est  restée  la  seule  entre  les  mains 
des  croyants,  exposée  seulement  à  ces  variantes  lé- 
gères que  le  temps  inflige  toujours  au.x  monuments  les 
plus  respectés. 

Une  autre  question  non  inoins  intéressante  et  sur 
laquelle  il  n'est  pas  facile  d'avoir  une  opinion  person- 
nelle, c'est  le  style  du  Coran.  Mais  là,  du  moins,  on 
peut  accepter  l'opinion  généralement  reçue  et  regar- 
der le  Coran  comme  le  chef-d'<ruvro  incomparable  do 
la  langue  arabe,  quoiqu'on  y  puisse  distinguer  bien 
des  nuances  selon  les  époques  de  la  vie  de  l'auteur. 
La  beauté  de  la  forme,  de  l'avis  uniinime  de  tout  le 
monde,  égale  la  majesté  du  sujet,  et  !a  perfection  du 
langage  n'y  a  jamais  laissé  l'expression  au-dessous 
de  ce  qu'elle  devait  rendre.  Nous  avons  vu,  un  peu 


1S8  MAIlOilET,  CHAPITRE  V. 

plus  liaul',  quel  enthousiasme  inspiraient  les  réci- 
tations de  Mahomet  à  tous  ceux  qui  les  entendaient  ; 
et  l'on  ne  peut  douter  que  cette  séduction,  attestée 
par  des  conversions  nombreuses  et  inattendues,  n'ait 
aidé  beaucoup  le  prophète  auprès  d'un  peuple  si  sen- 
sible aux  charmes  de  la  poésie.  Mahomet  s'est  dé- 
fendu de  jamais  écrire  en  vers,  de  peur  d'être  con- 
fondu avec  les  poètes  vulgaires  ;  et  il  n'est  pas  sûr, 
si  l'on  en  croit  une  anecdote  traditionnelle,  qu'il  con- 
nût les  règles  exactes  de  la  versitication  ^  Mais  la 
fougue  de  la  pensée,  la  vivacité  des  images,  l'énergie 
des  mots,  la  nouveauté  des  croyances  suppléaient  au 
reste  dans  cette  prose  irrésistible  ;  et  les  cœurs  étaient 
entraînés,  avant  même  que  les  esprits  ne  fussent 
convaincus.  Nous  devons  croire  que  cette  fascination 
n'a  jamais  été  poussée  aussi  loin  par  personne;  et, 
parmi  les  fondateurs  de  religion,  c'est  un  trait  parti- 
culier de  la  physionomie  de  Mahomet,  qui  la  rehausse 
et  la  singularise  entre  toutes.  C'est  un  immense  avan- 
tage pour  le  Coran  d'être  resté  le  plus  beau  monument 
delà  langue  dans  laquelle  il  est  écrit;  et  je  ne  vois 
rien  de  pareil  dans  toute  l'histoire  religieuse  de  l'huma- 


*  Voir  plus  haut.  p.  109. 

-  Mahomet  citait  un  jour  un  vei's  d'un  poêle  contemporain,  et  il  le 
citait  il  faux,  mettant  quelques  mots  hors  de  leur  place.  Abou-Becr, 
ijui  était  aujirès  de  lui,  releva  sa  méprise  et  lui  sig:nala  son  erreur. 
Mahomet  accueillit  avec  bienveillance  la  critique  de  son  ami  ;  mais  il 
ne  parut  pas  en  sentir  la  portée  ;  el  le  déplacement  d'un  mot,  qui  ce- 
]ien(lant  rendait  le  vers  irréfrulier,  lui  seniMa  sansconséipience.  Voir 
M.  (laussin  de  l'erceval,  Ksstii  sur  l'Iiistoiri'  (les  Arahrs.  t.  III.  p.  '202. 


LE  CORAN.  189 

nité  '.  Tl  no  faut  pas  perdre  de  vue  celte  considération, 
si  l'on  veut  comprendre  rinflnence  inouïe  qu'a  exercée 
le  Coran.  On  a  cru  d'autant  plus  aisément  qu'il  était 
la  parole  de  Dieu,  que  jamais  homme  parmi  les  Arabes 
n'avait  fait  entendre  de  tels  accents. 

Quant  à  nous  autres  profanes,  nous  ne  pouvons 
sentir  ce  mérite  à  un  degré  bien  éloigné  que  grâce  aux 
traductions.  Mais  malgré  leur  nécessaire  froideur,  la 
flamme,  quoique  à  demi  éteinte,  brille  encore  d'un 
vif  éclat;  et  l'on  devine,  à  la  chaleur  immortelle  qu'elle 
garde  à  travers  tant  d'intermédiaires,  ce  qu'a  dû  être 
le  foyer  primitif  dans  son  incandescence  et  son  explo- 
sion. Nous  en  sommes  donc  réduits  à  prendre  le  Coran 
tel  qu'il  est  dans  les  versions  qui  nous  le  rendent  ac- 
cessible, et  à  en  dégager  quelques  idées  principales 
qui  nous  le  représentent  avec  une  vérité  suffisante  et 
une  équitable  justice. 

On  sait  que  le  Coran  se  compose  de  cent  quatorze 
sourates  ou  chapitres,  divisés  en  versets  inégaux.  Ces 
sourates  sont  plus  ou  moins  longues  ;  et  celles  qui  ont 
été  placées  en  tète  du  livre  sont,  en  général,  beaucoup 
plus  développées.  Tandis  que  quelques-unes  ont  jus- 
qu'à vingt  et  vingt-deux  pages,  d'autres  ne  comptent 

*  Nous  pouvons  sentir  la  Ix  auté  des  psaumes  de  David  et  la  beauté 
des  hymnes  védiques,  comme  nous  sentons  celle  du  Coran,  au  travers 
des  traductions.  Mais  David  et  ses  psaumes  nont  pas  lait  le  code  de  la 
nation  juive  ;  et  lesYédas  ont  été  bien  moins  encore  le  code  des  Hin- 
dous. Le  caractère  multiple  du  Coran  n'appartient  qu'à  lui;  c'est 
tout  à  la  fois  un  hymne,  un  psaume,  une  prière,  un  code,  un  sermon, 
un  bulletin  de  guerre,  une  polémique,  et  même  une  histoire. 

H. 


190  MAHOMET,  CHAPITRE  V 

qu'une  ou  deux  lignes^  Chaque  souralc  porte  un  titre 
liié  le  plus  habituellement  d'une  des  expressions 
qu'elle  renferme  ;  mais  ce  litre  n'a  pas  toujours  une 
relation  bien  étroite  avec  les  matières,  d'ailleurs  très- 
disparates,  qu'il  doit  résumer-.  A  chaque  sourate  est 
attaché  ce  frontispice  uniforme  et  significatif:  «  Au 
nom  du  Dieu  clément  et  miséricordieux^.  »  C'est  la 
destruction  même  de  l'idolâtrie.  Voici  d'ailleurs  com- 
ment s'ouvre  le  Coran,  et  la  première  sourate  s'ex- 
prime ainsi  :     , 

«  Louange  à  Dieu,  le  maître  de  l'univers,  le  clément 
«  et  le  miséricordieux,  souverain  juge  au  jour  de  la 
«  rétribution.  C'est  toi  que  nous  adorons;  c'est  toi 
«  dont  nous  implorons  le  secours.  Dirige-nous  dans  le 
a  droit  sentier,  dans  le  sentier  de  ceux  que  tu  as 


'  On  peut  voir  cette  différence  d'étendue  entre  les  sourates  dans  la 
table  clu'onologique  de  M.  VV.  Muir.  TIte  Life  of  Mahomet,  t.  H,  p.  318. 
Il  a  indiqué  la  longueur  de  chaque  sourate,  d'uiués  l'édition  in-4"  de 
51.  Fliigel.  Tandis  que  la  n"  sourate,  la  pins  longue  de  toutes,  a  52 
pages  et  demie,  et  que  dautres  on  ont  encore  14.  15  et  12,  quel- 
ques-unes, comme  la  cvui'',  la  cxn",  la  cni%  n'ont  qu'une  ou  deux 
lignes. 

3  Ainsi  la  seconde  sourate  est  intitulée  :  la  Vache,  uniquement  parce 
qu'au  verset  63  il  est  question  dune  vache  que  Moïse  ordonna  aux 
Israélites  d'immoler  à  Dieu.  Bien  d'autres  titres  ne  sont  pas  mieux 
justifiés. 

'  Il  n'y  a  qu'une  seule  sourate  sur  les  cent-quatorze  qui  n'ait  pas  ce 
préambule,  c'est  la  ix°;  et  l'on  ne  sait  pourquoi.  Quelques  commen- 
tateurs ont  pensé  que  cette  sourate  n'était  que  la  suite  de  la  précé- 
dente, et  n'en  pouvait  être  détachée  ;  d'autres  ont  cru  que  l'omission 
tient  à  ce  que  cette  sourate  est  une  dos  dernières  qu'ait  récitées  Maho- 
met, bien  près  dés  lors  de  mourir;  il  a  oublié  la  formule  haliiluello. 
Peut-être  n'est-ce  aussi  qu'une  négligence  des  premiers  copistes. 


LE  CORAN.  lîll 

«  comblés  de  tes  bienfaits,  et  non  de  ceux  qui  ont 
«  encouru  ta  colère  ou  qui  s'égarent'.  » 

Ainsi  l'unité  de  Dieu,  sa  bonté  et  sa  providence,  qui 
récompense  le  juste  et  châtie  le  méchant,  telle  est  la 
première  idée  que  proclame  le  Coran.  On  pourrait 
presque  dire  que  c'est  la  seule  à  laquelle  il  se  borne, 
la  montrant  dans  toutes  ses  conséquences,  avec  toutes 
ses  preuves,  y  revenant  sans  cesse  et  la  répétant  sous 
toutes  les  formes.  Mahomet  est  intarissable  quand  il 
parle  du  Dieu  unique,  du  Dieu  tout-puissant,  du  Dieu 
bon,  qui  veille  sur  l'homme,  le  protège  dans  ses  afflic- 
tions, le  console  dans  ses  misères,  et  qui  ne  lui  de- 
mande qu'une  seule  chose,  à  savoir,  d'être  soumis 
humblement  à  la  main  bienfaisante  qui  l'a  créé  et  qui 
le  fait  vivre.  Pour  faire  passer  sa  conviction  dans  les 
cœurs  sourds  auxquels  il  parle,  il  en  appelle  à  tous  les 
témoignages  que  la  nature  lui  offre.  «  Il  en  jure  par 
le  soleil  et  sa  clarté,  par  la  lune  quand  elle  le  suit  de 
près,  par  le  jour  quand  il  le  laisse  voir  dans  tout  son 
éclat;  il  en  jure  par  l'aube  du  matin,  par  la  nuit  quand 
elle  étend  son  voile,  par  le  ciel  qui  accomplit  ses  révo- 
lutions, par  les  astres  nocturnes  qui  brillent  au  fir- 
mament, par  la  terre  qui  fait  germer  les  plantes,  par 
le  territoire  sacré  de  la  Mecque,  par  le  figuier  et  l'oli- 

'  Colle  première  sourate,  qui  n'a  pa«  de  litre  spécial,  a  reçu  diffé- 
rents noms  qui  en  signalent  toute  l'importance.  On  Tappelle,  entre 
autres,  XlntrodHclin,  la  mère  du  Coran,  ou  le  Chapitre  suffiaant, 
c'est-à-dire  qui  peut  remplacer  tous  les  autres;  c'est  comme  le  Pater 
des  musulmans.  Voir  plus  loin  les  Extraits  du  Coran,  premier  clia- 
pitre. 


Vyi  MAHOMET,  CH.VriTP.E  V. 

vicr,  par  le  mont  Sinaï  ;  il  en  jure  par  les  coursiers 
haletants,  qui  se  frayent  le  chemin  sanglant  à  travers 
les  colonnes  ennemies;  il  en  jure  par  le  kalam,  qui 
écrit  tout,  par  le  Coran,  le  livre  révélé  ;  il  en  jure  aussi 
par  l'âme  de  l'homme  capable  de  vice  et  de  vertu,  ca- 
pable de  rester  pure  ou  de  se  corrompre  ^  »  11  n'y  a 
qu'un  seul  Dieu,  auquel  l'idolâtrie  associe  aveuglé- 
ment des  divinités  impuissantes,  envers  qui  l'homme 
enivré  par  ses  richesses  et  de  vains  plaisirs  est  trop 
souvent  ingrat,  mais  que  les  cœurs  intelligents,  les 
fidèles  doivent  toujours  adorer  et  toujours  bénir.  Puis 
il  s'écrie  : 

«  Tout  ce  qui  est  dans  les  cieux  et  sur  la  terre  chante 
les  louanges  de  Dieu  ;  à  lui  appartient  la  puissance  ;  à 
lui  appartient  la  gloire  ;  lui  seul  peut  tout.  C'est  lui 
qui  vous  a  créés.  Tel  parmi  vous  est  infidèle  ;  tel 
autre  est  croyant.-  Mais  Dieu  voit  ce  que  vous  laites.  Il 
a  créé  les  cieux  et  la  terre  en  toute  vérité  ;  il  vous  a 
formés,  et  vous  retournerez  tous  à  lui.  Il  connaît  tout 
ce  qui  se  passe  dans  les  cieux  et  sur  la  terre  ;  il  con- 
naît ce  que  vous  cachez  et  ce  que  vous  produisez  au 
grand  jour;  Dieu  connaît  ce  que  les  cœurs  renfer- 
ment... Aucun  malheur  n'atteint  l'homme  sans  la  per- 
mission de  Dieu.  Dieu  dirigera  le  cœur  de  celui  qui 

'  Toutes  ces  atljiu'ulions  diverses  se  retrouvent  (l;ins  les  diflérentes 
sourates,  êiulout  dans  les  deniières,  où  Maliouiet  parait  affeclionner 
plus  spécialement  celle  forme  de  langage,  reul-ètre  aussi  ces  sourates 
ne  sojit-elles  que  dos  fragments  où  s'essayairiit  les  premières  inspira- 
lions  du  proplièle.  Ce  ne  sont  pas  les  moins  liellcs.  Voir  plus  loin  les 
txirails  du  Coran,  chapitre  de  Dieu. 


LE  CORAN.  19". 

croit  en  lui;  car  il  voit  tout.  Craignez-le  de  toutes  vos 
forces;  écoutez,  obéissez,  et  faites  l'aumône,  dans  votre 
propre  intérêt.  Celui  qui  se  tient  en  garde  contre  son 
avarice  sera  récompensé.  Si  vous  faites  à  Dieu  un  prêt 
généreux,  il  vous  payera  le  double  ;  il  vous  pardon- 
nera, car  il  est  reconnaissant  et  plein  de  longanimité. 
11  connaît  les  choses  visibles  et  invisibles;  il  est  le 
puissant  et  le  sage^  » 

Tel  est  le  ton  général  du  Coran  ;  et  il  n'y  a  qu'à 
l'ouvrir  au  hasard  pour  y  lire  des  passages  aussi 
beaux  que  ceux  que  nous  venons  de  citer.  On  a  dit  que, 
sans  David  et  sans  Isaïe,  Mahomet  n'eût  jamais  trouvé 
de  telles  inspirations.  Cette  critique  n'est  juste  qu'en 
partie;  et,  ce  qu'on  peut  croire,  c'est  que  Mahomet  a 
puisé  aux  mêmes  sources  que  les  deux  prophètes  hé- 
braïques, c'est-à-dire  le  spectacle  de  la  même  nature, 
la  même  notion  du  divin  dans  son  propre  cœur,  la 
même  révolte  contre  les  croyances  grossières  dont  il 
était  entouré.  Le  prophète  arabe  na  été  ni  un  pla- 
giaire ni  un  écho  ;  il  connaissait  assez  mal  et  très- 
indirectement  les  monuments  hébreux:  et  si  son  âme 
n'eût  pas  été  profondément  émue,  jamais  il  n'eût  ren- 


•  Ces  extraits  sont  empruntés  à  la  sourate  lxiv.  On  peut  Uouver  lo 
même  début  et  en  partie  les  mêmes  idées  dans  les  sourates  i.vii,  lix, 
1.X1  et  Lxii,  toutes  données  à  Médine.  Dans  cette  dernière,  en  parti- 
culier, oprès  le  verset  consacré  à  la  louanf,'e  de  Dieu,  Mahomet  ajoute: 
«  C'est  lui  qui  a  suscité  au  milieu  des  hommes  illettrés  un  apolre  pris 
parmi  eux,  alîn  qu  il  leur  redit  les  miracles  du  Seifjneur,  qu'il  les 
rendit  plus  purs,  leur  enseijrnât  le  Livre  et  la  Sagesse,  à  eux  qui 
étaient  naguère  dans  un  égarement  manifeste.  » 


194  MAIIUMKT.  ClIAPirRE  Y. 

coiilré,  en  suivant  les  traces  d'autrui,  une  expression 
aussi  suljlime  et  aussi  sincère  des  sentiments  qui 
l'exaltaient.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  pour  nous  ces 
idées  n'ont  rien  de  nouveau,  et  que  nous  en  connais- 
sons des  exemplaires  à  la  fois  plus  complets  et  plus 
vénérables.  Mais  l'Arabie  ne  les  avait  jamais  enten- 
dues, et  c'est  Mahomet  qui  les  lui  apporta  et  les  lui  fit 
accepter. 

A  côté  de  l'unité  de  Dieu,  premier  dogme  du  Maho- 
métisme,  le  Coran  en  pose  un  second,  conséquence 
nécessaire  de  celui-là  :  c'est  la  croyance  à  la  vie  future. 
Il  l'affirme  de  toutes  les  manières,  avec  non  moins  d'é- 
nergie et  de  persistance.  Au  delà  de  la  vie  présente, 
l'homme  devra  rendre  compte  de  ses  actes  et  de  ses 
pensées  au  Dieu  qui  l'a  créé;  et  un  jour  viendra  où  la 
justice  éternelle  distribuera  dans  sa  miséricorde  et  sa 
rigueur  les  châtiments  et  les  récompenses.  Je  sais 
bien  tout  ce  qu'on  a  dit  contre  le  paradis  de  Mahomet, 
et  je  ne  conteste  pas  que  les  houris  ne  puissent  servir 
de  texte  à  des  sarcasmes  plus  ou  moins  spirituels'. 
Mais  d'abord  elles  tiennent  dans  le  Coran  beaucoup 
moins  de  place  qu'on  ne  le  suppose  d'ordinaire;  et  le 


*  Ceci  se  rapporte  particulièrement  à  Gibbon,  Histoire  de  la  déca- 
dence de  l'Empire  romain,  chapitre  i..  Gibbon  n'a  pas  pris  Mahomet 
au  sérieux,  et  il  s'est  moqué  du  Mahométisme.  wnime  des  autres  re- 
lifrions,  tout  en  le  défendant  contre  les  attaques  et  les  jalousies  des 
moines.  M.  ^V.  Muir.  en  Maniant  aussi  le  paradis  musulman,  a  élé  pins 
juste.  Il  a  montré  que  la  doctrine  de  Mahomet  à  cet  égard  avait  varié 
selon  les  époques  de  sa  vie;  voir  Tlte  Life  of  Mahomet,  t.  II,  p.  141  et 
suivantes. 


LE  CORAN.  1115 

pnradis  musiilmnn  s'y  présoiilo  ?urloul  sou.,  la  l'orme 
d'im  jardin  meiveilleux,  arrosé  d'eaux  fraiciics  et 
couraiiles,  délices  incomparables  sous  un  climat  des- 
séché comme  celui  de  l'Arabie.  Cent  fois  Mahomet 
parle  de  la  vie  éternelle  et  du  paradis,  sans  qu'il  y  soit 
question  de  vierges  aux  yeux  noirs  qui  attendent  les 
fidèles  ;  et  quand  il  mentionne  les  houris,  c'est  en 
général  avec  une  réserve  et  une  sorte  de  pudeur 
qu'on  ne  soupçonnerait  pas,  si  l'on  ne  s'en  tenai 
qu'aux  plaisanteries  licencieuses  de  ses  détracteurs'. 
En  ceci,  le  tort  de  Mahomet  est  d'avoir  voulu  pré- 
ciser les  choses  dans  un  sujet  où  il  est  interdit  à  la 
faiblesse  humaine  de  voir  aussi  clair  qu'elle  le  désire. 
Il  devait  se  borner  à  afiirmer  la  vie  future,  avec  la  sanc- 
tion des  récompenses  et  des  peines,  et  les  relations 
nécessaires  des  âmes  à  l'être  infini  qui  les  a  créées. 
La  prudence  de  Socrate  n'était  pas  allée  au  delà,  et  il 
eût  été  sage,  au  prophète  aussi  bien  qu'au  philosophe, 
de  ne  pas  franchir  ces  limites.  Mais  Mahomet  avait  à 
persuader  un  peuple  sensuel,  dont  l'imagination  ar- 
dente exigeait  de  telles  satisfactions;  et  lui-même,  il 
s'était  abandonné  au  torrent  des  mœurs  communes, 
tout  en  les  réformant.  Cette  faiblesse  a  coûté  cher  à 
l'Islam  ;  et  elle  a  contribué  beaucoup  à  lui  donner  celte 
place  secondaire  et  équivoque  qu'il  occupe  dans  la  ci- 


*  Voir  Gibbon,  loc.  cil.  Daylc  avait  cependant  très-bien  (liHondn 
Mahomet  pour  son  p.iradis  répul»'-  si  sensuel,  Dictionnaire  historique, 
article  Mahomet,  note  «i.  Voir  plus  loin  les  Extraits  du  Coran,  clio- 
pilre  de  la  Vie  future. 


196  MAHOMET,  CHAPITRE  V. 

vilisalion  tlii  genre  humain.  Avec  des  croyances  et  des 
mœurs  plus  épurées,  il  eiU  été  bien  plus  grand  en 
lui-même  et  bien  plus  bienfaisant  pour  les  autres. 
Mais  quelles  que  fussent  les  conditions  delà  vie  future, 
le  point  essentiel  était  d'inculquer  celle  foi  inébran- 
lable dans  les  âmes;  et  Mahomet  y  est  {)arvenu,  bien 
qu'on  puisse  d'ailleurs  léprouver  les  moyens  employés 
par  lui.  Le  dngme  de  la  vie  future  n'est  pas  moins  ré- 
pandu chez  les  musulmans  qu'il  peut  l'être  chez  les 
chrétiens;  et  c'est  au  Coran  qu'est  dû  cet  immense 
progrès. 

Du  reste,  Mahomet,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  remarqué', 
est  fort  modeste,  et  il  ne  se  fait  pas  illusion  sur  l'ori- 
ginalité des  idées  qu'il  apporte  au  monde.  Il  a  le  soin 
le  plus  constant  et  le  plus  sincère  de  toujours  ratta- 
cher sa  religion  à  celles  qui  l'ont  précédée  ;  et  il  s'ap- 
puie sans  cesse  sur  les  traditions  et  les  livres  des 
juifs  et  des  clirétiens.  Il  est  plein  de  respect,  et,  l'on 
pourrait  même  dire,  de  tendre  admiration  pour  les 
uns  et  pour  les  autres.  Il  se  plait  à  énumérer  longue- 
ment tous  les  prophètes  qui  l'ont  précédé,  et  dont  il 
vient  compléter  la  mission.  Ils  ont  été  ses  précurseurs 
nécessaires;  mais  il  ne  doit  pas  faire  autrement  qu'eux. 
Il  tient  aux  peuples  le  langage  qu'eux  aussi  leur  ont 
tenu  :  il  ne  sera  peut-être  pas  plus  heureux  dans  son 
apostolat,  qui  ne  fera  que  continuer  le  leur;  mais  il 
se  borne  à  la  gloire  de  reproduire  leurs  enseignements 

•  Voir  jiliis  haut,  p.  161  ;  et  plus  loin  lo?  Extraits  du  Coran,  clia- 
pilre  des  Prophètes. 


LE  CORAN.  107 

méconnus.  Pour  lui,  il  nest  pas  do  personnages  plus 
vénérés  qu'Adam,  ^oé,  Abraham,  Moïse,  David  et 
Jésus-Christ.  Il  neparleduPentateuque,  des  Psaumes' 
et  de  l'Évangile,  qu'avec  une  véritable  piété  et  une 
sorte  d'onction.  Ce  sont  les  livres  qui  ont  devancé  et 
préparé  le  Coran.  Loin  de  se  cacher  des  emprunts  qu'il 
leur  fait,  il  s'en  vante;  et  leur  grandeur  est  le  fonde- 
ment de  la  sienne. 

Pour  Jésus,  en  particulier,  Mahomet  n'a  que  des 
louanges,  qui  ne  font  guère  présager  les  luttes  impla- 
cables qui  surgirent  plus  lard  entre  l'Islam  et  le  chris- 
tianisme. Voici  en  quels  termes  s'exprime  le  prophèle 
arabe,  en  mettant  ses  pensées  dans  la  bouche  même 
de  Dieu,  comme  il  en  a  l'habitude:  «  Nous  avons  en- 
voyé Jésus,  fils  de  Marie,  accompagné  de  signes  évi- 
dents, et  nous  l'avons  fortifié  par  l'esprit  de  sainteté  ^» 
Ailleurs,  Mahomet  est  bien  plus  explicite,  et  il  admet 
quelques-uns  des  dogmes  principaux  du  christia- 
nisme :  «  Les  anges  dirent  à  Marie  :  Dieu  t'a  choisie  ; 
il  t'a  rendue  exempte  de  toute  souillure  ;  il  t'a  élue 
parmi  toutes  les  femmes  de  l'univers.  Dieu  t'annonce 
son  verbe;  il  se  nommera  Jésus,  fils  de  Marie,  illustre 
dans  ce  monde  et  dans  l'autre,  un  des  familiers  de 
Dieu  ;  car  il  parlera  aux  humains,  enfant  au  berceau 

*  Coran,  smirate  m",  verset  '25'2  :  «  Dieu  a  donné  à  David  le  Livre 
ol  la  Sagesse;  il  lui  apprit  ce  qu'il  voulut.  »  Le  livre  de  David,  ce 
sont  les  Psaumes,  que  Maliomet  regarde  comme  révélés,  ainsi  que 
le  Penlaleuque  et  1  Evangile  ;  voir  encore  sourate  iv,  verset  101,  et 
passim. 

*  Coran,  sourate  u:-,  verset  25i. 


198  MAHOMET.  CHAPITRE  V. 

et  homme  fait,  et  il  sera  du  nombre  des  justes.  — 
Seigneur,  répondit  Marie,  comment  aurais-je  un  fils? 
Aucun  homme  ne  m'a  touchée.  —  C'est  ainsi,  reprit 
l'ange,  que  Dieu  crée  ce  qu'il  veut  ;  il  dit  :  «  Sois,  »  et 
la  chose  est.  Il  lui  enseignera  le  Livre  et  la  Sagesse,  le 
Pentateuque  et  l'Evangile.  Jésus  sera  son  envoyé  au- 
près des  enfants  d'Israël.  Il  leur  dira:  «Je  viens  vers 
«  vous  accompagné  des  signes  du  Seigneur  ;  je  formé- 
es rai  de  boue  la  figure  d'un  oiseau,  je  soufflerai  des- 
«  sus,  et,  par  la  permission  de  Dieu,  l'oiseau  sera  vi- 
«  vant  ;  je  guérirai  l'aveugle  de  naissance  et  le  lépreux  ; 
«je  ressusciterai  les  morts  par  la  permission  de  Dieu  ; 
«je  vous  dirai  ce  que  vous  aurez  mangé  et  ce  que 
«  vous  aurez  caché  dans  vos  maisons.  Tous  ces  faits 
«  seront  autant  de  signes  pour  vous,  si  vous  êtes 
«  croyanls.  Je  viens  pour  confirmer  le  Pentateuque, 
«que  vous  avez  reçu  avant  moi.  Je  vous  permettrai 
«  l'usage  de  certaines  choses  qui  vous  avaient  été  in- 
«  terdiles.  Je  viens  avec  des  signes  de  la  part  de  votre 
«Seigneur.  Craignez-le  et  obéissez-moi.  Il  est  mon 
«Seigneur  et  le  vôtre;  adorez-le;  c'est  le  sentier 
«  droit'.  » 
Mahomet  connaissait  fort  mal  les  livres  qu'il  citait 

*  Coran,  sourate  iir,  versets  57  cl  suiv.  ;  el  sourate  v«,  verset  IIO, 
traduction  do  M.  Kasiniirski.  C'est  peut-être  le  plus  long  passage  et 
le  plus  explicite  qu'on  trouve  dans  le  Coran  sur  Jésus-Christ.  On  voit 
que  le  Coran  admet  la  conception  surnaturelle  du  Christ  et  ses  mi- 
racles. Dans  les  versets  suivants,  Mahomet  prend  parti  pour  Jésus 
contre  les  Juifs;  cl  il  le  défend  encore,  sourate  iv»,  versets  155  et 
suiv.  Voir  aussi  sourate  ur.  verset  78.  et  sourate  iv«,  verset  ICO. 


LE  CORAN.  190 

avec  lant  de  déférence;  et  ce  qu'il  en  dit  paraît  lire  de 
Iraditions  incertaines  el  dénaturées,  plutôt  que  des 
monuments  eux-mêmes.  Mais  ce  respect  l'a  sans 
doute  conduit  à  cet  esprit  de  tolérance  dont  on  trouve, 
non  sans  surprise,  des  preuves  assez  nombreuses  dans 
le  Coran.  Il  dit  expressément  dans  une  des  sourates 
les  plus  importantes  :  «  Certainement  ceux  qui  croient, 
et  ceux  qui  suivent  la  religion  juive,  les  chrétiens  et 
sabéensS  c'est-à-dire  quiconque  croit  en  Dieu  et  au 
jour  dernier,  et  aura  fait  le  bien,  tous  ceux-là  rece- 
vront une  récompense  de  leur  Seigneur.  La  crainte  ne 
descendra  point  sur  eux,  et  ils  ne  seront  pas  affligés-.» 
Un  peu  plus  bas,  dans  la  même  sourate,  il  répète  la 
même  doctrine  d'une  manière  encore  plus  nette  et 
plus  concise  :  «Point  de  contrainte  en  religion.  La 
vraie  route  se  distingue  assez  de  l'erreur.  Celui  qui  ne 
croira  point  aux  idoles  et  qui  croira  en  Dieu  aura  saisi 
une  anse  solide,  qui  ne  rompra  pas.  Dieu  entend  et 
connaît  lout^.  »  Sans  doute,  cet  esprit  de  modération 
et  de  megnanimité  qui  tolère  les  autres  cultes,  n'a  pas 

'  M.  Kasiriiirski  fait  remarquer  avec  raison  qu'il  s'agit  ici  d'uno 
secte  cliréticniie  appelée  sahi'ens  ou  sabéites,  cl  non  des  Saliéens  or- 
dinaires, qui  sont  adorateurs  du  feu  et  idolâtres. 

-  Coran,  sourate  n",  verset  59.  Ce  verset  est  encore  répété  mot  pour 
mot.  sourate  v,  verset  7"i.  Les  docteiu'S  musulmans,  peu  amis  de  la 
tolérance,  prélendent  que  ce  verset  est  abrogé  par  le  verset  79,  sou- 
rate ni'';  ce  dernier  exige  bien,  en  effet,  la  foi  à  l'Islam  pour  être 
sauvé;  mais,  comme  au  verset  précédent,  Mahomet  vient  de  dire 
qu'.4brabam,  Ismaël,  Jacob,  Mo'ise  et  Jésus  sont  musulmans,  on  ])eut 
croire  que  l'argument  dos  commentateurs  n'est  pas  trës-solide. 

5  Coran,  sourate  ii°,  verset  257.  Voir  plus  loin  les  Extraits  du  C/iran. 
chapitre  de  la  Tolérance. 


■2(t(i  MAHOMET.  r.llAl'ITP.K  V. 

prévalu  dans  l'islamisme:  mais  il  est  dans  le  Coran, 
qui  n'est  impitoyable  que  pour  les  idolâtres.  C'est 
la  barbarie  des  mœurs  et  le  fanatisme  naturel  à  ces 
populations  belliqueuses,  bien  plus  que  la  doctrine  du 
propbète,  qui  ont  poussé  les  musulmans  à  l'extermi- 
nation et  au  pillage  des  infidèles.  Le  prophète  était 
conséquent  avec  lui-même  en  respectant  ceux  qui 
obéissaient  aux  lois  de  ses  prédécesseurs  si  honorés 
par  lui,  et  je  ne  crois  qu'être  juste  envers  Mahomet 
en  disant  que  sa  réelle  pensée  à  l'égard  des  chrétiens 
et  des  juifs  est  dans  les  versets  tels  que  celui-ci  : 
«  N  engagez  des  controverses  avec  les  hommes  des 
Kcritures  que  de  la  manière  la  plus  honnête,  à  moins 
que  ce  ne  soit  des  hommes  méchants.  Dites-leur:  Nous 
croyons  aux  livres  qui  nous  ont  été  envoyés,  ainsi  qu'à 
ceux  qui  vous  ont  été  envoyés.  Notre  Dieu  et  le  vôtre 
est  le  même  ',  et  nous  nous  résignons  entièrement  à  sa 
volonté-.  » 


*  Dans  un  passage  très-curieux,  où  Hahomel  place  Dieu  et  Jésus- 
Christ  en  présence,  Dieu  dit  à  Jé<us  :  «  As- tu  jamais  dit  aux  hommes  : 
Prenez  pour  Dieu  moi  et  ma  mère  à  côté  du  Dieu  unique?  —  Par  ta 
fîloire,  non  ;  comment  aurais-je  pu  dire  ce  qui  n'est  pas  vraiV  Si  je 
lavais  dit,  ne  le  saurais-lu  pas?  Tu  sais  ce  qui  est  au  fond  de  mon 
âme,  et  moi  j'i;:noie  ce  qui  est  au  fond  de  la  tienne;  car  loi  seul  con- 
nais les  choses  socrètes;  »  Coran,  sourate  \',  verset  MO.  Ainsi,  dans 
la  pensée  de  Maliomet.  Jésus-Christ  avait  aussi  proclamé  l'unité  de 
Dieu.  Ce  qui  est  profondément  viai  ;  mais  Mahomet  supposait  (|ue  les 
clu'étiens  adoraient  trois  dieux,  peu  fidèles  eu  cola  à  la  doctrine  du 
Cinist.  C était  Maliomet  lui-même  qui  comprenait  mal  le  christianisme. 
Voir  ])lus  loin  les  Extraits  du  Coran,  chapitres  de  Dieu  et  des  Pro- 
phètes. 

-  Coran,  sourate  xxrv.  verset  45. 


LE  COBAN.  -JOl 

Ces  préceples  sont  en  contradiction  avec  riiisloirc 
(]c  l'islnmismc  et  avec  bien  des  actes  de  Maliomel, 
qui  s'est  montré  si  terrible  envers  les  juifs.  C'est  que 
la  politique  avait  ses  exigences  et  ses  entraînements; 
Mahomet  y  a  sacrifié.  Cependant  l'opposition  était  pres- 
que tout  entière  dans  les  intérêts  et  non  dans  les  doc- 
trines, qui  se  ressemblaient  jusqu'au  point  de  se  con- 
fondre souvent. 

Mais  le  Coran  n'est  pas  seulement  un  livre  religieux, 
c'est  de  plus  un  code  d'où  l'Islam  a  essayé  de  tirer 
plus  ou  moins  directement  toutes  ses  lois  civiles. 
uy  a  pas  de  peine  à  voir,  en  lisant  ces  récitations 
désordonnées,  que  jamais  Mahomet  n'a  pu  avoir  l'in- 
tention d'en  faire  une  législation.  Ce  sont  tout  au  plus 
des  préceptes  de  conduite  qu'il  donne,  soit  aux  indi- 
vidus, soit  aux  familles;  ce  ne  sont  pas  des  lois  qu'il 
édicté.  Mais  la  vénération  dont  sa  personne  était  en- 
tourée était  si  grande,  que  ses  moindres  paroles  ont 
eu  autant  de  force  que  les  décrets  les  plus  solennels  des 
monarques  les  plus  puissants  el  les  plus  sages.  Habi- 
tués comme  nous  le  sommes  à  la  régularité  métho- 
dique des  recueils  de  lois,  depuis  les  temps  de  l'empire 
romain,  il  nous  est  impossible  de  retrouver  rien  qui 
ressemble  à  une  codification  dans  ce  mélange  confus 
d'invocations  à  Dieu,  de  maximes  de  morale,  de  lé- 
gendes, d'allusions  historiques,  d  exhortations,  de 
menaces,  de  sublimes  prières,  au  milieu  desquelles 
apparaissent  de  loin  à  loin  quelques  prescriptions  qui 
peuvent  avoir,  en  effet,  un  caractère  législatif.  C'est 


202  MAHOMET,  CHAPITRE  V. 

là  certainement  le  cùté  faible  du  Coran,  et  Mahomel 
aurait  échoué  déplorablement,  s'il  avait  eu  le  projet 
réel  de  porter  des  lois.  Mais  il  a  fallu  des  circonstances 
bien  extraordinaires  pour  que  jamais  le  Coran  ait  pu 
se  transformer  de  cette  façon  étrange.  Ce  n'est  pas  le 
prophète  qui  doit  en  répondre.  Ce  sont  les  peuples 
auxquels  il  s'adressait,  et  qui  devaient  être  bien  au  dé- 
pourvu pour  que  cette  législation  si  incomplète,  si 
obscure  et  parfois  contradictoire,  pût  leur  suffire  et 
môme  leur  être  bienfaisante. 

On  frémit  quand  on  lit  dans  le  Coran  des  prescrip- 
tions telles  que  celles-ci  :  «  Il  vous  est  interdit  d'épou- 
ser vos  mères,  vos  filles,  vos  sœurs,  vos  tantes  pater- 
nelles et  maternelles,  vos  nièces,  vos  nourrices,  vos 
sœurs  de  lait,  les  mères  de  vos  femmes,  les  filles  con- 
fiées à  votre  tutelle  et  issues  de  femmes  avec  lesquelles 
vous  auriez  cohabité.  N'épousez  pas  non  plus  les  filles 
de  vos  fils  que  vous  avez  engendrés,  ni  deux  sœurs. 
Il  vous  est  défendu  d'épouser  des  femmes  mariées, 
excepté  celles  qui  seraient  tombées  entre  vos  mains 
comme  esclaves'.  »  Il  est  vrai  que  ces  mœurs  abomi- 
nables, qui  ravalent  l'homme  au  niveau  des  brutes, 
n'étaient  pas  spéciales  aux  Arabes;  et  le  Lévitique'-  est 
forcé  de  faire  à  peu  près  les  mêmes  défenses  aux  Hé- 
breux. Mais  le  Lévitiqudest  antérieur  au  Coron  de  plus 
de  deux  mille  ans,  et  Mahomet  avait  à  lutter  contre 

'  Coran,  sourale  iv,  veriO  s  27  cl  suiv.   Celle  soiualc  w  csl  iiili- 
luli'c  :  }^s  femmes. 
-  Voir  le  Lovilique,  ch:ip.  xvm,  versels  7  cl  suiv. 


LE  COl'.AN.  '203 

les  mêmes  infamies  sociales  que  Moïse.  L'Arabie  n'a- 
vait pas  fait  un  progrès  depuis  le  temps  des  pa- 
triarches; et  c'est  encore  Maliomet  qui  devait  enfin 
abolir,  à  son  grand  honneur,  cet  effroyable  usage 
d'enterrer  les  petites  filles  toutes  vivantes*.  A  quel  de- 
gré n'étaient  pas  abaissées  ces  populations,  plus  bes- 
tiales qu'humaines?  Et  quelle  reconnaissance  ne  doit- 
on  pas  à  celui  qui  essayait  de  les  tirer  de  cet  abîme 
d'abjection  et  de  turpitude^? 

J'avoue  d'ailleurs  que,  sur  ces  matières,  le  langage 
de  Mahomet  n'a  pas  toujours  la  délicatesse  d'expres- 
sions et  la  réserve  de  forme  qu'il  aurait  dû  conserver. 
Il  est  vrai  que  quand  on  doit  signaler  et  flétrir  de  tels 
crimes,  les  mots  mêmes  dont  on  se  sert  contractent 
nécessairement  quelque  chose  des  impudicités  qu'ils 
révèlent  ;  mais,  peut-être,  eùt-il  été  assez  facile  au 
prophète  d'éviter  certains  détails  repoussants  qui  n'é- 
taient pas  indispensables.  La  manière  dont  souvent  il 

1  On  connaît  le  dialogue  de  Cays,  clief  des  Benou-Téniim,  et  de 
Mahomet,  un  jour  que  Cays  trouva  le  pi-ophète  tenant  une  de  ses 
filles  sur  ses  genoux.  —  «  Qu'est-ce  que  cette  brebis  que  tu  flaires? 
demanda  Cays.  —  C'est  mon  enfant,  répondit  Maliomet.  —  Par  Dieu, 
reprit  Cays,  j"en  ai  en  beaucoup  de  petites  filles  comme  celle-là;  je  les 
ai  toutes  enterrées  vivantes  sans  en  flairer  aucune.  —  Maiheurcuj, 
s'écria  Mahomet,  il  faut  que  Dieu  ait  privé  ton  cœur  de  tout  sentiment 
dhuiiianité;  lu  ne  connais  pas  les  plus  douces  jouissances  qu'il  soit 
donné  à  l'homme  d'éprouver!  »  Voir  M.  Caussin  de  l'erceval.  Essai 
sur  l'histoire  des  Arabes,  t.  HI,  p.  55ti. 

-  ie  crois  qu'en  se  mettant  à  te  point  de  vue,  on  concevra  d'autant 
plus  d'admiration  pour  Mahomet.  Si  on  le  compare  à  d'autres  fonda- 
teurs de  religion,  sa  gloire  pâlit  presque  jusqu'à  disparaître;  mais,  si 
l'on  regarde  le  point  de  départ  et  le  milieu,  son  personnage  regagne 
alors  tout  ce  que  la  comparaison  lui  avait  fait  perdre. 


Oi  MAIIUMLT.  CUArilRE  V. 

parle  des  femmes  est  d'un  cynisme  qui  révolterait,  s'il 
était  moins  naïf.  C'est  le  ton  ordinaire  de  ces  popula- 
tions; et,  parmi  elles,  les  personnages  les  plus  véné- 
rables n'ont  pas  plus  de  retenue'.  Un  dévot  musul- 
man pourrait  aussi,  par  manière  de  représailles  et 
d'apologie,  renvoyer  les  chrétiens  à  bien  des  passages 
de  la  Bible  qui  ne  sont  pas  plus  chastes  que  le  Coran  ' . 
Mais  le  prophète,  qui  entreprenait  des  réformes  bien 
autrement  difficiles,  aurait  pu  donner  l'exemple  de 
celle-là.  Fuir  la  grossièreté  de  la  forme,  c'est  une  ré- 
probation de  plus  contre  la  grossièreté  du  vice  qu'on 
veut  corriger.  Tout  ce  qu'on  peut  dire  pour  justifier 
Mahomet,  c'est  que  le  monde  auquel  il  s'adressait 
n'était  pas  le  monde  chrétien;  et  ce  n'est  guère  que 
dans  notre  Occident  que  le  langage  humain  a  su, 
pour  de  tels  sujets,  garder  toute  sa  force,  sans  rien 
perdre  de  sa  pudeur.  L'époux  de  Khadîdja  pouvait 
trouver  cette  exacte  mesure  ;  mais  elle  était  peut-êli  c 
interdite  au  mari  de  douze  ou  quinze  femmes,  âgées 
de  dix  à  cinquante  ans. 

M.  W.  Muir  pense  que  Mahomet  a  encore  abaissé 
les  femmes,  déjà  réduites  à  une  bien  triste  condition-  ; 
M.  Caussin  de  Perceval,  au  contraire,  trouve  qu'il  les 
a  relevées^.  Je  suis  de  l'avis  de  M.  Caussin  de  Perce- 


'  Il  faut  dire  que  dans  la  Bible  ces  licences  ne  font  pas  le  mêinc 
(ITol  qnc  dans  le  Coran  ;  elles  n'y  sont  pas  moins  vives  ;  mais  elles  se 
perdent  au  milieu  de  la  majeslé  de  tout  ce  qui  les  enlouiv. 

-  M.  W.  Miiir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  III,  p.  502  et  suiv. 

■'  M   (',ui<Mii  de  l'erceval.  Essai  sur  l'histoire  des  Arabes,  I.  III. 


LE  COHA.N.  20o 

val,  quand  je  me  rappelle  le  serment  d'Acaba  ^  ;  et  en 
voyant  les  traces  des  mœurs  anciennes  dans  le  Coran, 
je  n'hésite  pas  à  supposer  que  ces  mœurs  perverses  et 
farouches  laissaient  encore  bien  moins  de  dignité  et 
de  droits  aux  compagnes  infortunées  des  Arabes  que 
Mahomet  ne  leur  en  accorde.  Sans  doute,  les  femmes 
sont  bien  peu  de  chose  dans  la  loi  musulmane;  mais 
ce  qui  nous  frappe  le  plus  dans  leur  misère,  c'est  le 
contraste  désavantageux  qu'elles  font  avec  les  ma- 
trones grecques  et  romaines,  et  surtout  avec  les 
femmes  chrétiennes;  elles  sont  tellement  inférieures 
qu'elles  en  sont  comme  anéanties.  Le  passage  que 
je  viens  de  citer,  fortifié  par  tant  d'autres,  prouve 
assez  que  les  femmes  sont  infiniment  redevables  à  ce- 
lui qui  les  a  soustraites  à  l'inceste  et  à  ces  abomina- 
tions sans  nom,  dont  l'idée  seule  nous  fait  frissonner 
de  dégoût  et  d'horreur.  Si  elles  ont  encore  beaucoup 
à  reprocher  ù  Mahomet,  elles  lui  doivent  au  moins 
d'être  restées  les  mères  de  leurs  fils  et  les  filles  de 
leurs  pères.  Oui,  le  Coran  a  bien  peu  de  respect  pour 
la  femme;  mais  il  en  a  plus  encore  que  tout  ce  qui  l'a 
précédé.  C'est  la  polygamie  qui  déshonore  et  qui 
ruine  ces  malheureuses  sociétés  dans  TAsie  presque 
entière;  le  Coran  aurait  dû  l'abolir,  au  lieu  de  la 
sanctionner.  Mais  ici  encore  il  a  le  mérite  de  l'avoir 
limitée,  s'il  n'a  pas  osé  la  détruire.  Au  contact  du  ju- 

p.  ôôO.  Voir  aiis.ïi  l'ouvrage  spirial  do  M.  le  docteur  IV'rr.iU.  Femmes 
arabes  avant  et  depuis  l'Islamisme. 
*  Voir  plus  liant,  jingc  111. 

il 


20G  MAHOMET,  CHAPITRE  V. 

daïsme  et  du  christianisme,  il  eût  été  beau  pour  l'Is- 
lam de  faire  une  exception  de  plus  dans  le  reste  de 
l'Asie.  Il  a  pu  proscrire  à  jamais  l'ivresse  du  vin'  ;  il 
aurait  pu  combattre  mieux  qu'il  ne  l'a  fait  l'ivresse 
des  sens,  qui  est  bien  autrement  redoutable. 

Une  critique,  contre  laquelle  il  est  plus  aisé  de  dé- 
fendre le  Coran,  c'est  celle  qu'on  adresse  encore  assez 
souvent  à  son  fatalisme.  Malgré  cette  erreur  très-ré- 
pandue, il  n'y  a  rien  dans  la  vie  du  prophète,  non  plus 
que  dans  son  livre,  qui  la  justifie.  Nous  avons  pu  voir, 
par  l'esquisse  du  caractère  de  Mahomet,  son  infati- 
gable activité  et  cette  confiance  qu'il  ne  cesse  d'avoir 
en  lui-môme.  Sa  confiance  en  Dieu  n'est  pas  moins 
sincère  ni  moins  vive  ;  mais  elle  reste  dans  de  justes 
bornes,  et  elle  ne  va  jamais  à  cet  aveuglement  que  le 
fatalisme  suppose.  Le  Coran  recommande  aux  lldèles 
d'être  soumis  absolument  à  la  volonté  de  Dieu  ;  et  cette 
soumission,  que  la  raison  la  plus  éclairée  et  la  plus 
pratique  recommande  aussi  bien  que  le  Coran,  mérite 

•Parmi  les  bienfaits  du  Mahoinétisnie,  M.  \V.  îtiiir,  qili  lui  est  d'ail- 
leurs peu  lavorable,  coniplc  la  sbliriété  étonnante  iju'il  a  su  imposer 
à  scè  sectaires.  «Les  boissons  enivrantes  ont  été  délendncs;  et  ris^llnu 
peut  Se  vanter  d'un  degré  de  tempérance  inconnu  à  toute  autre  reli- 
gion: »  Voir  M.  W.  Muir,  t.  IV,  p.  521.  L'éloge  est  vrai;  mais  j'avoue 
que  ce  mérite,  tout  réel  qti'il  est,  me  touche  peu,  parce  qu'on  ne  voit 
pas  qiie  l'ivrognerie  ait  causé  beaucoup  de  désordres  parmi  les  Ara- 
bes, Dans  les  climats  chauds,  on  ne  peut  supporter  l'usage  des  liois- 
Sons  enivrantes;  et  leur  action  est  si  redoutable,  que  la  prudence  la 
plus  vulgaire  suit  éviter  ce  danger  par  trop  éudeut.  C'est  la  douceur 
tempérée  de  nos  climats  qui  permet  l'ivrognerie,  mo  ns  funeste  cl 
plus  agréable;  c'est  la  rudesse  des  hivers  qui  la  rend  lu-esquo  né- 
cessaire. 


LE  CORAN.  207 

aux  musulmans  le  nom  même  qu'ils  portcnl,  cl  dont 
ils  se  glorifient.  Mais  jamais  dans  les  préceples  ou 
dans  les  exemples  donnés  par  le  prophète,  elle  n'est 
une  abdication  des  plus  nobles  focuîtés  de  lame.  Le 
fatalisme,  tel  qu'on  l'imagine,  n'est  qu'une  paresse 
insurmontable  et  une  stupidité  nées  de  la  débauche  ; 
c'est  une  impossibilité  physique  d'agir  bien  plutôt 
qu'une  doctrine  ;  et,  en  tout  cas,  ce  n'est  pas  le  Coran 
qui  l'autorise.  L'Islam,  tel  qu'il  l'entend,  n'est  pas 
autre  chose  que  le  sentiment  profond  que  l'homme 
conçoit  de  sa  faiblesse  devant  le  Dieu  lout-puissant  et 
miséricordieux,  et  de  la  nécessité  de  sa  soumission  ; 
ce  n'est  pas  un  coupable  renoncement  au  don  le  plus 
beau  que  le  Créateur  nous  ait  fait,  celui  de  notre  libre 
arbitre.  Le  Coran  a  bien  assez  de  taches  sans  lui  attri- 
buer gratuitement  celle-là,  qu'il  n'a  pas.  M.  Weil  et 
M.  A.  Sprenger',  s'accordent  pour  reconnaître  qu'il 
n'est  point  fataliste,  et  il  faut  le  répéter  avec  eux,  en 
dépit  du  préjugé  vulgaire. 

Je  ne  nie  pas  que  le  fatalisme  ne  puisse  être  répandu 
dans  les  populations  mahométanes;  mais  ce  n'est  pas 
leur  livre  religieux  qui  le  leur  impose,  à  moins  qu'on 
n'en  dénature  le  sens  général  au  profit  de  quelques 
passages  douteux  ;  et  cet  énervement  de  la  volonté  tient 
à  bien  d'autres  causes.  On  peut  douter,  d'ailleurs,  que 
le  fatalisme  aille  aussi  loin  qu'on  le  dit,  même  dans 
ces  âmes  flétries;  et,  pour  la  réalité  des  choses  de 

'  M.  Gustave  Weil,  Mohammed  der  Prophet,  p.  399,  et  M.  A.  Sprin- 
gcr,  Dus  Leben  und  die  I^Jire  des  Mohammad,  t.  H,  p.  308. 


2ns  MAHOMET.  CHAPITRE  V. 

chaque  jour,  le  fatalisme  absolu  ri'esl  pas  plus  possi- 
ble que  l'absolu  scepticisme,  dont  peuvent  bien  se 
vanter  quelques  sophistes,  mais  que  l'homme  est  in- 
capable d'appliquer  rigoureusement,  même  durant 
quelques  heures  de  suite. 

Il  est  une  dernière  lacune  qu'il  faut  signaler  dans 
le  Coran,  et  qui  n'est  pas  une  des  moins  graves  :  je 
veux  parler  du  défaut  complet  de  toute  métaphysique. 
Mais  cette  lacune-là  tient  beaucoup  moins  à  Mahomet 
personnellement  qu'elle  ne  tient  à  l'esprit  de  toute  la 
race  arabe,  et  l'on  peut  même  dire  de  toute  la 
race  sémitique.  Sans  doute  les  livres  religieux  ne 
sont  pas  des  traités  de  philosophie,  et  il  serait  injuste 
de  leur,  demander  phis  qu'ils  ne  prétendent  et  qu'ils 
ne  doivent  donner.  Mais,  sans  faire  directement  de 
métaphysique,  il  peut  échapper  à  ces  grandes  intelli- 
gences quelques  éclairs  sur  les  questions  profondes 
que  se  pose  le  genre  humain,  quand  il  rétléchit  à  la 
nature  de  Dieu  et  à  la  nature  de  notre  àme.  Ces 
lueurs,  quelques  fugitives  qu'elles  soient  dans  le 
foyer  original,  se  développent  ensuite,  et  forment  la 
théologie,  qui  est  comme  la  philosophie  et  la  métaphy- 
sique des  rehgions.  Le  christianisme  nous  en  offre  un 
admirable  exemple;  et,  aidé  de  la  métaphysique 
grecque,  il  a  tiré  peu  à  peu  une  théologie  incompa- 
rable des  germes  que  renfermaient  ses  livres  saints. 
L'Islam  n'a  pas  été  à  beaucoup  prés  aussi  fécond,  et 
quoique  ce  demi-avortement  puisse  tenir  à  bien  dnu- 
tres  causes,  la  [uincipale,  peut-être,  c'est  que  le  Coran 


LE  CORAN.  209 

lui-mômc  élait  presque  absolument  stéiile,  et  qu'il 
n'[i  pas  fourni  aux  siècles  posléiieurs  des  élémenls 
qu'ils  pussent  féconder.  Dans  l'âme  de  Mahomet, 
comme  dans  l'esprit  de  ces  peuples,  l'inspiration  a 
clé  si  brûlante  qu'elle  a  tout  étouffé;  et  une  sponta- 
néité irrésistible  et  constante  a  empêché  de  naître 
toute  réflexion.  Le  prophète  n'a  fait  qu'imiter  le  vul- 
gaire qui  l'entourait;  mais  le  solitaire  méditatif  du 
mont  Hîra  pouvait,  dans  ces  problèmes,  descendre 
plus  avant  que  ses  grossiers  compatriotes. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  génie  arabe  était  si  dénué  sous 
ce  rapport,  que  le  contact  vivifiant  du  génie  grec, 
dans  le  second  et  le  troisième  siècle  de  l'Hégire,  n'a 
pu  l'animer  que  très-faiblement,  et  la  philosophie 
musulmane  n'a  guère  porté  que  des  fruits  étrangers, 
privés  de  la  sève  originale  et  de  la  pleine  maturité. 


12. 


CHAPITRE  VI 

JUGEMENT    SUR    LE    M  AHOM  ÈTISME 

Grandeur  de  Mahomet  ;  comparé  à  Moïse  ;  Mahomet  est  le  seul  dans 
l'histoire  qui  ait  t'ic  tout  à  la  lois  fondateur  d'empire,  fondateur  de 
i-eligion,  législateur  cl  poète.  —  11  faut  respecter  le  Muhométisme 
en  tant  que  religion  monothéiste;  fanatisme  mahométan  ;  ses  con- 
quêtes ont  été  fécondes  ;  génie  arahe  à  Damas,  à  Bagdad,  en  Espa- 
gne; rôle  scientifique  dos  Arabes;  leur  philosophie  peu  originale; 
leurs  historiens  et  leurs  géographes;  arabesques,  arcliitecture  ;  la 
Chevalerie  inventée  par  les  Arabes  ;  part  qu'on  doit  faire  à  Maho- 
met dans  tous  ces  développements  et  ces  progrès  ;  influence  litté- 
raire et  morale  du  Coran.  —  Le  génie  arabe  obligé  de  quitter  son 
berceau  pour  dominer  et  grandir  ;  l'Arabie  ne  garde  que  les  Villes 
saintes;  discordes  déplorables  des  peuples  chrétiens  et  des  peuples 
musulmans  ;  rapports  des  deux  religions  ;  identité  de  croyances;  les 
trois  religions  monothéistes.  —  Jugements  divers  sur  le  Mahomé- 
lisme  :  M.  ^Villiam  Muir  et  M,  Gustave  \Sei\. 

Je  voudrais  terminer  celte  étude  sur  le  prophète  de 
l'Arabie  par  une  appréciation  générale  non  pas  de 
Mahomet  lui-môme,  doni  j'ai  assez  parlé,  mais  du 
Mahométisme.  C'est  le  Mahométisme  qui  a  suscité  la 
nation  arabe,  et  lui  a  procuré,  dans  l'histoire  du 
monde,  une  place  que,  sans  cette  décisive  influence, 
elle  n'aurait  jamais  occupée. 


JIT,EME>T  SUR  LE  MAlIOMtTlSME.  '211 

D'après  tout  ce  qui  précède,  on  peul  aisément  juger 
Maliomet  ;  et,  pour  ma  part,  je  n'hésite  pas  à  le  classer 
dans  les  premiers  rangs  parmi  les  plus  grands  hom- 
mes. Il  a  été  tout  à  la  fois  révélateur  d'une  religion, 
organisateur  d'un  peuple  el  fondateur  d'un  empire, 
qui  a  subjugué  avec  une  rapidité  merveilleuse  une  im- 
mense partie  de  la  terre.  Sans  parler  du  poëte,  il  a 
été  tout  ensemble  prophète,  législateur  et  conquérant. 
Dans  les  annales  humaines,  il  est  le  seul  à  avoir  revêtu 
ces  trois  caractères  éminents  ;  et  il  a  également  réussi 
dans  ses  dogmes,  dans  ses  lois  et  dans  ses  guerres. 
Les  circonstances  sans  doute  l'ont  aidé,  ainsi  que  je 
l'ai  fait  voir,  et  comme  l'a  très-bien  dit  Voltaire  : 

«  Le  tour  de  l'AraLic  était  enfin  venu  ;  a 

Mais  Mahomet  a  eu  la  fortune,  vainement  tentée  par 
bien  d'autres,  de  substituer  le  monothéisme  à  l'ido- 
lâtrie, de  réunir  en  corps  de  nation  toutes  ces  hordes 
vagabondes,  et  de  leur  assurer  un  rôle  qu'elles  n'eus- 
sent jamais  joué  s'il  n'eût  été  leur  initiateur  religieux , 
leur  législateur  et  leur  chef. 

Il  n'y  a  guère  qu'un  seul  homme  dont  on  puisse 
rapprocher  Mahomet  :  c'est  Moïse,  le  prophète  hé- 
breu, agissant  dans  les  mêmes  lieux  à  peu  près,  sur 
des  peuples  el  des  mœurs  fort  analogues,  mais  ayant 
l'avantage  d'avoir  paru  le  premier  et  vingt-deux  siè- 
cles auparavant.  Moïse  aussi  a  créé  une  religion,  dont 
Mahomet  a  beaucoup  emprunté;  il  a  créé  aussi  un 


212  MAHOMET.  CHAPITRE  VI. 

peuple  dont  rindestriiclihie  organisation  a  bravé  fous 
les  revers,  et  qui  semble  capable  de  braver  même  l'ac- 
tion éternelle  du  temps,  à  qui  tout  cède.  Mais  Moïse 
n'a  point  acquis  un  vaste  empire  par  le  glaive  ;  et  les 
conquêtes  que  son  peuple  a  pu  faire  sous  sa  conduite 
ou  après  lui  ne  comptent  pas,  réduites  à  quelques  dé- 
serts un  peu  moins  arides  que  les  autres.  Les  Juifs 
ont  exterminé  leurs  voisins  les  plus  proches  ;  mais  en 
fait  ils  n'ont  jamais  rien  possédé  qu'un  imperceptible 
territoire,  et  l'empire  qu'ils  rêvent  est  encore  tout  en- 
tier dans  les  ténèbres  d'un  avenir  impossible. 

Ce  n'est  pas  d'ailleurs  une  critique  que  l'on  doive 
adresser  à  Moïse  ;  et  il  n'y  a  point  à  regretter  pour 
lui  de  n'avoir  pas  eu  à  verser  ces  torrents  de  sang  qui 
sont  le  prix  de  la  gloire  vulgaire.  La  sienne  a  été  plus 
haute,  et  l'étendue  de  son  véritable  empire  n'en  a  pas 
souffert.  Sa  domination  est  toute  morale.  Mais  quelle 
grandeur  n"a-t-elle  pas  ?  Avoir  préparé  par  le  judaïsme 
les  germes  essentiels  de  la  foi  chrétienne  et  ceux  du 
Mahométisme,  sans  se  confondre  ni  dans  l'une  ni  dans 
l'autre,  où  trouver  dans  l'histoire  des  hommes  tant  de 
bienfaits,  tant  d'originalité,  tant  de  constance?  Quand 
la  tradition  représente  Moïse  entouré  des  feuxd'Horeb 
et  de  Sinaï,  elle  ne  se  trompe  point,  et  ces  métaphores 
suffisent  à  peine  pour  égaler  l'éclat  d'un  tel  nom,  et 
les  splendeurs  impérissables  d'un  tel  génie.  Devant  la 
majesté  de  cette  figure,  j'avoue  que  celle  de  Mahomet 
semble  s'évanouir;  et  Mahomet  lui-même,  dans  sa 
modestie  et  sa  loyauté,  eût  été  le  premier  à  le  recon- 


JUGEMENT  SIR  I.E  MAllOMETISME.  215 

naître  ;  car,  parmi  les  personnages  qu'il  cite,  et  sur 
lesquels  il  s'appuie,  il  n'en  est  pas  qu'il  vénère  plus 
que  Moïse,  et  dont  il  invoque  plus  souvent  les  exem- 
ples et  le  témoignage  *. 

Mais  tout  inférieur  que  peut  être  Mahomet,  la  jus- 
tice veut  qu'on  ait  pour  son  œuvre  à  peu  près  le  même 
respect  qu'il  a  eu  pour  celle  d'autrui,  et  qu'on  ne  la 
juge  pas,  comme  on  l'a  fait  trop  souvent,  avec  une 
dédaigneuse  ironie,  qui  fait  plus  de  tort  à  ceux  qui  se 
la  permettent  qu'à  celui  contre  qui  elle  est  dirigée.  Il 
y  a  aujourd'hui  dans  trois  parties  du  monde  plus  de 
cent  millions  de  musulmans,  et  voilà  douze  cents  ans 
passés  que  leur  religion  règne  sur  une  bonne  partie 
de  l'Asie,  de  l'Afrique  et  même  de  l'Europe.  A  moins 
de  traiter  avec  une  légèreté  aveugle  celte  portion  con- 
sidérable de  l'humanité,  qui  a  cependant  à  peu  près 
les  mêmes  idées  que  nous  sur  Dieu  et  sa  providence, 
il  faut  bien  prendre  au  sérieux  un  fait  aussi  vaste  et 
aussi  durable.  Le  Mahométisme  n'est  pas  près  de  dis- 
paraître ;  et  pour  faciliter  les  rapports  qu'on  a  néces- 
sairement avec  lui,  il  faut  tâcher  de  le  comprendre 
dans  tout  ce  qu'il  a  de  vrai  et  de  bon,  et  de  ne  pas  l'ex- 
clure, malgré  ses  défauts  trop  réels,   de  cette  bien- 

*  Le  Coran  revient  à  tout  instant  sur  l'iiisldirc  de  Moïse  ;  il  raconte 
dix  fois  sa  vie  tout  entière,  sa  naissance,  son  péril  sur  les  eaux  du  Nil, 
ses  prodiges  à  la  cour  du  Pliarann,  ses  luttes  contre  l'idolâtrie  des 
Hébreux,  ses  entrevues  avec  Jéliovali.  son  courage  dans  le  désert,  ses 
souffrances  et  sa  mort.  Mahomet  se  plait  à  retracer  ce  grand  portrait, 
où  il  retrouve  une  partie  de  sa  propre  figure  et  de  sa  destinée  ;  voir 
plus  loin,  dans  les  Extraits  du  Coran,  le  cliapitre  sur  les  Prophètes. 


214  MAHOMET,  CIIAriTHE  VI. 

veillance  universelle  que  recommande  la  charité  chré- 
tienne. 

Je  reconnais  d'ailleurs  sans  peine  que  la  manière 
dont  l'islamisme  s'est  annoncé  au  monde  n'était  pas 
faite  pour  lui  concilier  cette  tolérance  qu'on  doit  ré- 
clamer aujourd'hui  en  sa  faveur.  A  peine  le  peuple 
arabe  a-t-il  été  réuni  et  organisé  sous  son  prophète,  et 
sous  sa  loi  nouvelle,  qu'il  s'est  précipité  sur  toutes  les 
contrées  voisines  avec  une  fureur  de  fanatisme  et  de 
combats  que  rien  ne  dépasse  dans  l'histoire  des  inva- 
sions. En  moins  d'un  siècle,  des  succès  aussi  prodi- 
gieux par  leur  étendue  que  par  leur  rapidité  rendent 
la  race  musulmane  maîtresse  de  toute  la  péninsule 
arabique,  de  la  Syrie,  de  la  Perse,  de  l'Inde  occiden- 
tale, de  l'Egypte,  du  nord  entier  de  l'Afrique,  de  l'Es- 
pagne, du  midi  de  la  Fiance,  et  d'une  grande  partie 
des  bords  de  la  Méditerranée.  C'est  tout  à  la  fois  une 
frénésie  de  prosélytisme  et  de  pillage.  Mais  comme 
c'est  au  fond  l'enthousiasme  religieux  qui  l'emporte, 
le  torrent  dépose  quelque  chose  après  qu'il  est  passé 
et  qu'il  s'est  écoulé.  Les  barbares,  qui  avaient  envahi 
trois  ou  quatre  siècles  auparavant  l'empire  romain  dé- 
généré, n'avaient  pensé  d'abord  qu'à  tout  dévaster 
pour  jouir  de  tout.  Une  vengeance  trop  légitime  les 
avait  provoqués,  et  ils  l'assouvissaient  avec  une  cruauté 
d'esclaves  révoltés  qui  a  laissé  un  impérissable  souve- 
nir d'horreur.  Sans  que  la  conquête  musulmane  ait 
été  exempte  de  ces  souillures,  elle  a  été  cependant 
civilisatiice  parce  qu'elle  a  été  surtout  religieuse;   et 


JUGEMENT  SUR  LE  MAllOMÉTISME.  215 

c'est  pour  convertir  les  peuples,  bien  plus  encore  que 
pour  les  dépouiller,  que  l'islamisme  a  entrepris  les 
courses  furieuses  qui  l'ont  tout  a  coup  transporté  si 
loin  de  son  berceau'. 

Il  est  difficile  de  deviner  ce  que  serait  devenue  la 
France,  et  peut-être  aussi  l'Europe,  sans  la  victoire  de 
Charles-Martel  {bataille  de  Tours,  752),  bien  qu'il  n'y 
ait  point  à  croire  que  ni  l'une  ni  l'autre  eussent  gagné 
à  devenir  musulmanes.  Mais  il  est  certain  que  les 
Arabes,  quoique  moins  disciplinés  que  les  Franks, 
vainqueurs  et  héritiers  de  la  tactique  romaine,  leur 
étaient  supérieurs  sous  bien  des  rapports  ;  et,  quel- 
ques siècles  plus  tard,  c'était  aux  sciences  et  aux 
écoles  de  l'islamisme  que  l'Europe  chrétienne  allait 
devoir  la  moitié  de  ses  lumières.  Au  onzième  et  au 
douzième  siècle,  l'E'^pagne,  livrée  aux  Maures,  instrui- 
sait le  reste  du  monde,  après  s'être  instruite  elle-même 
aux  monuments  de  la  Grèce.  Si  la  scolastique  n'avait 
point  eu  les  sources  arabes,  il  est  sûr  qu'elle  n'eut  pas 
fait  de  si  rapides  progrès  ;  et  la  renaissance  d'Albert  le 
Grand  et  de  saint  Thomas  aurait  pu  se  faire  attendre 
encore  bien  longtemps. 

C'est  donc  là  un  caractère  qui  distingue  les  con- 
quêtes arabes  de  bien  d'autres;  et  il  serait  peu  équi- 

•  Oii  peut  juger  par  le  fjiialisme  acluel  des  populalions  musiil- 
iiinnes  de  ce  que  devait  être  le  l'analisme  des  premiers  temps  ;  et  pour 
ee  ipii  nous  regarde  plus  parliculiércmeiit.  rAlgérie  a  dû  nous  prouver 
tout  récemineut  ([uelle  ardeur  y  a  conservée  la  foi  nialiouiélane  après 
trente  ans  de  conqucle.  11  parait  bien  probable  nue  le  signal  de  la 
dernière  insurrection  est  parti  de  la  Mecque. 


21ij  MAllO.MLT.  CllAI'lTRE  VI. 

table  de  les  confondre  soit  avec  celles  des  barbares 
nos  ancêtres,  soit  avec  celles  de  Gengis-Klian  ou  de 
Timour.  Celles-là  n'ont  été  qu'une  suite  d'effroyables 
désordres;  le  carnage  et  le  butin  étaient  les  seuls 
objets  des  envabisseurs,  et  il  n'est  resté  après  eux 
que  ruine  et  que  deuil.  Les  Arabes,  au  contraire,  ont 
semé  partout  des  germes  heureux,  qui  sont  devenus 
féconds  en  d'autres  mains  que  les  leurs. 

Il  ne  faut  pas  d'ailleurs  exagérer,  comme  on  l'a 
fait  souvent',  l'originalité  du  génie  arabe  elles  ser- 
vices qu'il  a  rendus.  C'est  peut-être  sous  les  Om- 
miades,  à  Damas  en  Syrie,  non  loin  des  écoles  grec- 
ques, qu'a  commencé  pour  les  musulmans  la  culture 
des  sciences  et  des  lettres.  Mais  c'est  surtout  à  Bag- 
dad, sous  les  Abassides,  qu'elles  se  sont  développées  et 
qu'elles  ont  jeté  tout  leur  éclat.  Elles  étaient  toutes 
empruntées  à  celles  de  la  Grèce,  par  l'intermédiaire 
de  iidèles  traductions,  et  elles  durent  peut  être  aussi 
quelque  chose  à  ce  ciel  qui  jadis  avait  si  bien  inspiré 
les  Chaldéens.  De  Bagdad,  quoique  à  une  grande  dis- 
lance, la  conquête  arabe  les  a  fait  pénétrer  en  Espagne, 
où  l'Europe,  curieuse  d'apprendre,  venait  les  chercher 
dès  le  neuvième  siècle,  Cordoue,  à  l'autre  extrémité 
du  monde  alors  connu,  remplaça  bientôt  la  fastueuse 
Bagdad,  qui  s'énervait  dans  le  luxe  ;  et,  quand  la  dy- 

'  Cesl  une  ciitiqiic  qu'on  peut  oïlrcsscr  peut-être  ai^scz  justiiiient 
à  M.  A.  Sprcnger.  Lcloge  qu'il  fail  de  rinfluoncc  arnl)C  au  ninyoïi 
àyc  dépasse  certainement  la  mesure,  quoique  celle  inlliiencc  ail  élu 
considéraMe.  Voir  l'ouvratre  de  M.  A.  Sprengor.  Dfix  l.-'bni  iind  die 
l^liredesMohaiimad.  t.  I.  prifaco,  [i.  "2  et  suiv. 


JUGEMENT  Slll  LE  MAliOMÉTISME.  217 

naslieabbasside  s'éleigiiait  peu  à  peu  sur  les  rives  du 
Tigre  et  de  TEuphrale',  rintelligcuce  arabe  était  en- 
core dans  toute  sa  fleur  sur  celles  du  Guadalquivir  ; 
Averrlioès  professait  là  où  étaient  nés,  mille  ans  avant 
lui,  Sénéque  et  Lucain. 

Les  savants  ne  sont  pas  d'accord  suila  part  qui  re- 
vient en  propre  aux  Arabes  dans  leurs  travaux  ;  pres- 
que toujours  on  leur  attribue  trop  ou  trop  peu  ;  et, 
comme  ils  ont  beaucoup  reçu,  il  n'est  pas  facile  de 
voir  ce  qu'ils  ont  ajouté  à  Tliéritage.  Mais  ce  que  l'on 
ne  peut  refuser  d'a])ord  à  leurs  princes,  c'est  d'avoir 
favorisé,  parleur  protection  et  même  par  leurs  exem- 
ples, ce  développement  tout  nouveau  de  l'esprit  arabe, 
que  rien  jusque-là  n'avait  fait  soupçonner'.  En  second 
lieu,  on  est  assez  généralement  unanime  pour  recon- 
naître que  les  Arabes  ont  fait  des  progrés  réels  en  astro- 
nomie, en  nialiiématiques,  en  médecine,  et  qu'ils  ne 
s'en  sont  pas  tenus  à  ce  qu'ils  avaient  appris  d'Eu- 
clide  et  d'Archiméde,  d'IIipparque  et  de  Ptolémée, 
d'Uippocratc  et  de  Galien^.  Ils  ont  été  les  seuls,  peii- 


*  La  dynastie  des  Abbjssides,  inaugurée  en  750,  élait  en  pleine 
décadence  moins  de  deux  siècles  après,  lorsque  les  califes  se  lionnè- 
rent  des  maîU'f^s  en  créant  les  fonctions  d' éinir-al-omrali ,  assez 
pareilles  à  celles  des  grands-vi/.irs.  Elle  fut  chassée  de  IJagdad,  quand 
celte  ville  tomba  au  pouvoir  dHoulagou,  petit-fils  de  Gengis-KJian 
(1238);  et  elle  se  réfugia  en  Egypte,  où  elle  subsista  encore  très-obs- 
curément pendant  près  de  trois  cents  ans,  jusqu'à  la  conquête  turque. 

*  On  peut  citer  des  princes  qui  ont  cultivé  et  protégé  les  sciences 
depuis  les  premiers  Abbassidcs  jusqu'à  Oloug-Beg,  le  petit-fils  de  Ta- 
mriian,  au  quinzième  siècle. 

'  Voir  les  ouvrages  de  M.  L.  A.  Sédiliot,  des  sciences  mallicmati- 

13 


218  MAHOMET,  CHAPITRE  VI. 

dant  plusieurs  siècles,  à  maintenir  et  à  pouvoir  déve- 
lopper la  tradition  grecque  dans  ces  nobles  sciences  ; 
et  tandis  que  notre  moyen  âge,  livré  à  l'anarcliie  et  au 
désordre  incessant,  pouvait  à  peine  comprendre  les 
théories  anciennes,  loin  d'y  ajouter,  les  Arabes  inven- 
taient des  méthodes  nouvelles  de  calcul  et  perfection- 
naient l'art  de  guérir. 

Leur  philosophie  n'est  pas  très-originale  ;  elle  s'est 
bornée  presque  entièrement  à  suivre  Aristote,  qu'elle 
a  parfois  défiguré.  Mais  à  cette  école  sévère  elle  a  su 
beaucoup  acquérir.  Sans  cette  règle  et  ce  joug  du  péri- 
patétisme,[resprit  arabe  n'aurait  jamais  atteint  par  lui- 
môme  cette  rigueur  et  cette  exactitude  nécessaires  à 
la  culture  heureuse  des  sciences.  Aristote  l'a  discipliné, 
comme  il  l'a  fait  pour  tant  d'autres;  et,  s'il  a  eu  des 
élèves  plus  glorieux,  il  n'en  a  pas  eu  dans  notre  Occi- 
dent de  plus  précoces  ni  de  plus  appliqués.  Aristote 
régnait,  sans  susciter  les  moindres  ombrages,  dans 
les  écoles  de  Bagdad  et  de  Séville,  trois  siècles  au 
moins  avant  qu'il  ne  régnât  dans  les  nôtres.  Mais  ici 
encore,  si  la  conquête  arabe  a  été  j)rompte  et  impé- 
tueuse, elle  n'a  pas  été  non  plus  de  longue  durée. 
L'Europe,  héritant  un  peu  plus  tard  de  ces  lumières, 
les  a  successivement  portées  au  point  où  nous  les 
voyons  aujourd'hui  ;  dans  tous  les  pays  de  foi  musul- 
mane, elles  se  sont  éteintes  après  avoir  brillé  quelques 
instants,  comme  ces  plantes  exotiques  qui  ne  peuvent 

ijiies  clic:,  les  Grecs  ri  les  Orientaux,  et  sa  préface  aux  Prolégomènes 
des  tables  aslronomiqiies  d'Oloug~Beg[\}.  xxv). 


JUGEMENT  SUR  LE  MAHOMETISME.         -219 

vivre  longtemps  et  s'acclimater  sur  une  terre  étran- 
gère. Les  Arabes  ont  vu  périr,  dans  leurs  mains,  les 
sciences  dont  ils  avaient  les  premiers  rallumé  le  flam- 
beau mourant  ;  et  comme  la  philosopliie,  quoique  très- 
indépendante  de  toute  oppression,  n'avait   pas  jeté' 
parmi  eux  des  racines  assez  profondes,  tout  le  reste 
de  leur  intelligence  s'en  est  ressenti.  Le  tronc  com- 
mun recevant  une  nourriture  peu  abondante  et  peu 
substantielle,  les  rameaux  se  sont  peu  à  peu  desséchés, 
et  ils  ont  fini  par  mourir.  11  n'était  pas  donné  à  l'A- 
rabie de  pouvoir  jamais  produire  ni  des  Descartes  ni 
des  Newton,  quoique  pour  sa  part  elle  ait  contribué  à 
préparer  les  voies  où  ils  ont  marché. 

Quand  on  sait  ce  qu'a  été  l'histoire  entre  les  mains 
des  Grecs  et  des  Romains,  sans  compter  les  modernes, 
on  est  peu  disposé  à  beaucoup  admirer  les  historiens 
arabes:  mais  en  prenant  d'autres  points  de  comparai- 
son, on  aurait  grand  tort  de  les  mépriser.  L'Asie  en- 
tière, y  compris  l'Inde  et  la  Chine,  tout  intelligentes 
qu'elles  sont,  n'a  jamais  pu  s'élever  à  la  conception 
de  l'histoire  ;  et  les  annales  de  ces  peuples,  quand  ils 
ont  essayé  d'en  avoir,  sont  si  informes  et  si  puériles 
qu'on  n'y  peut  même  surprendre  les  germes  d'une 
future  amélioration.  Les  faits  y  sont  mal  choisis,  obs- 
curs .et  mal  classés;  ce  sont  comme  les  bégayements 
et  les  récits  incohérents  de  l'enfance.  Les  historiens 
arabes  sont  bien  supérieurs;  et  sans  qu'ils  aient  en- 
core toute  la  maturité  désirable,  ils  comprennent  du 
moins  aussi  bien  que  nous  l'utilité  et  la  dignité  de  la 


220  MAHOMET,  CHAPITRE  VI. 

science  qui  cherche  à  fixer,  par  de  durahles  lableaux, 
tout  ce  qui,  dans  le  passé,  mérite  l'altention  des  hom- 
mes et  peut  les  instruire.  Il  suffit  de  lire,  par  exem- 
ple, les  ouvrages  d'un  Maçoudi,  d'un  Aboulféda,  d'un 
Ihn  Khaldoun  ',  pour  sentir  sur-le-chnmp  que,  si  l'on 
n'est  pas  tout  à  fait  avec  eux  dans  la  sphère  des  histo- 
riens de  l'antiquité  grecque  et  romaine,  on  est  bien 
moins  encore  dans  la  sphère  ordinaire  de  l'Orient.  Ils 
approchent  de  nous;  et,  un  pas  de  plus,  ils  seraient 
piesque  à  notre  niveau,  s'ils  avaient  à  peindre  nos 
sociétés  occidentales,  au  lieu  des  sociétés  désordonnées 
au  milieu  desquelles  ils  vivent.  La  culture  de  la  géo- 
graphie se  lie  intimement  à  celle  de  l'hisloire  et  à 
celle  de  lastronomie.  Aussi  les  géographes  arabes, 
sans  avoir  beaucoup  dépassé  les  Grecs,  ont-ils,  ensui- 
vant leurs  traces,  étendu  et  complété  leurs  connais- 
sances, en  ce  qui  concerne  certaines  parties  du  monde 
oriental. 

A  côté  de  Ja  philosophie  et  des  sciences,  le  seul  art 
dans  lequel  aient  excellé  les  Arabes,  c'est  l'architec- 
ture. Par  suite  d'une  assez  étrange  superstition,  les 
autres  arts  leur  étaient  à  peu  près  complètement  in- 
terdits. En  défendant  de  représenter  Dieu  ou  la  per- 
sonne humaine  sous  aucune  forme-,  la  religion  pro- 

'  Voir  pour  ILn  KhaUIoun,  en  particulier,  les  traductions  de  M.  de 
Slanc,  dans  le  tome  XIX  des  Notices  el  extraits  des  manuscrits  de  la 
Bibliothèque  impériale. 

-  Il  est  assez  probable  que  Maliomet,  en  imaginant  ou  en  autorisant 
cette  interdiction,  a  voulu  provenir  et  combatlre  le  retour  de  l'ido- 
lâtrie parmi  les  tribus  qu'il  avait  eu  tant  de  peine  à  convertir.  Mais 


•irGEMENT  STT.  LE  MAIIOMETISME.  521 

semait  la  peinture  et  la  sculpture.  La  défense  a  été 
respectée,  et  c'est  là  ce  qui  a  produit  dans  rarchitec- 
ture  arabe  ce  genre  particulier  d'ornements  qui  n'est 
qu'à  elle,  et  où  elle  n'a  jamais  été  surpassée.  L'imagi- 
nation mutilée  en  un  sens  s'est  donné  carrière  dans 
un  autre  ;  mais  le  tort  irrémédiable  des  arabesques 
est  d'être  sans  vie  ;  et  l'élégance  n'y  peut  point  ra- 
cheter la  froideur  inanimée  à  laquelle  elles  sont  con- 
damnées, en  dépit  du  mouvement  et  des  contours 
qu'elles  se  donnent.  La  représentation  de  la  nature  est 
absente  de  l'art  arabe  aussi  bien  que  celle  de  l'homme 
et  des  animaux  \ 

C'est  une  question  très-délicale  et  très-controversée 
que  de  savoir  ce  que  l'architecture  gothique  a  dû  à 
l'architecture  des  Arabes  et  des  Sarrasins.  Mais  en 
laissant  de  côté  ce  problème,  tout  intéressant  qu'il 
peut  être  pour  nous,  on  ne  saurait  nier  que  le  génie 
arabe  n'ait  montré,  sous  ce  rapport,  une  grande  ori- 


\e<  détails  que  j'ai  donnés  iilus  liant,  p.  155,  iirouvenl  que  la  sciilii- 
ture  et  la  peinluie  n  étaient  pas  étrangères  aux  Arabes  avant  l'Llani. 
'  On  est  tout  étonné,  quand  on  voyage  dans  la  haute  Egypte,  de  voir 
sur  les  admirables  monuments  que  l'on  rencontre  presque  toutes  les 
têtes  des  personnages  détigurées  de  la  manière  la  plus  méconnaissa- 
ble ;  elles  ont  toutes  été  martelées  ;  et  comme  cette  mutilation  se  ré- 
pète presque  partout  et  sur  presque  toutes  les  figures,  il  est  clair 
qu'elle  a  été  systématique.  C'est  à  la  conquête  arabe  qu'on  doit  la 
reprpclier.  Par  dévotion,  les  musulmans  ont  effacé,  autant  qu'ils  l'ont 
pu,  les  traits  des  visages;  en  poussant  la  piété  plus  loin,  ils  auraient 
tenté  de  détruire  tout,  si  cette  barbarie  eût  été  possible.  Les  Perses 
sous  Cambyse  lavaient  déjà  commencée  quinze  siècles  auparavant. 
Mais  l'Egypte  était  si  riche,  qu'elle  a  pu  suffire  à  toutes  ces  dévasla- 
lions  et  qu'elle  est  toujours  pleine  de  trésors. 


222  MAHOMET,  CHAPITRE  YI. 

ginalité.  Sans  doute  le  contact  avec  l'art  grec  et  l'art 
égyptien  a  dû  l'inspirer;  et  l'on  peut  douter  que,  sans 
ces  exemples  fécondants,  les  constructions  informes 
de  la  Caaba  eussent  pu  se  changer  si  vite  en  ces  mos- 
quées et  ces  palais  légers  et  gracieux  qu'on  retrouve 
dans  toutes  les  contrées  musulmanes,  depuis  l'Inde  et 
la  Perse  jusqu'à  Grenade,  Cordoue  et  Séville.  Mais 
tout  en  profilant  des  leçons  de  l'Kgypte  et  de  la  Grèce, 
l'arcliitecture  arabe  a  mis  à  tout  ce  qu'elle  a  produit 
son  cachet  propre,  et  elle  s'est  si  bien  distinguée  de 
ses  maîtres  qu'elle  doit  prendre  place  auprès  d'eux. 

Ce  ne  sont  pas  là  de  médiocres  mérites.  On  pour- 
rait y  ajouter  celui  de  la  poésie  que  les  Arabes  n'ont 
cessé  de  cultiver  depuis  Mahomet,  comme  ils  la  cul- 
tivaient avant  lui.  Leurs  poètes  n'ont  pas  l'admirable 
goût  des  poètes  de  la  Grèce  et  de  Rome,  et  ils  n'ont 
jamais  approché  de  la  perfection  dans  cette  mesure  qui 
peut  rendre  les  œuvres  classiques,  en  en  faisant  d'im- 
périssables modèles.  Mais  pour  n'avoir  pns  celte  rare 
valeur,  la  poésie  arabe  est  loin  d'être  sans  prix  ;  et 
dans  l'histoire  lyrique  de  l'esprit  humain,  elle  a  sa 
place  bien  marquée  cl  son  rang  encore  assez  élevé. 

Enfin  c'est  au  génie  arabe  qu'on  doit  rapporter  la 
chevalerie,  qui,  passée  de  chez  eux  en  Europe,  a  beau- 
coup contribué  à  y  adoucir  les  mœurs  et  à  y  faire 
naître  la  politesse  et  le  respect  des  femmes.  Née  sous 
la  tente,  entretenue  par  les  habitudes  de  la  vie  errante 
dn  désert,  embellie  par  la  passion  des  vers  naturelle 
à  toute  cette  race  de  poêles,  la  chevalerie  commença 


JUGEMENT  SIT,  LE  M  MIOMÉTISME.  '22"> 

chez  les  Arabes,  et  produisit  parmi  ces  farouches  guer- 
riers une  foule  de  héros,  dont  les  Abencerrages  ont 
été  plus  tard  le  type  accompli  quoiqu'un  peu  trop  raf- 
finé. Au  commerce  des  Arabes  et  à  leur  imitation,  les 
rudes  seigneurs  de  notre  moyen  âge  amollirent  leurs 
grossières  habitudes  ;  et  les  clicvaiiers,  sans  rien  per- 
dre de  leur  bravoure,  connurent  des  sentiments  plus 
délicats,  plus  nobles  et  plus  humains.  Il  est  douteux 
que  le  christianisme  seul,  tout  bienfaisant  qu'il  était, 
les  leur  eût  inspirés;  peut-être  même  cette galanlerie, 
avec  les  dangers  séduisants  qu'elle  fait  naître,  est-elle 
peu  d'accord  avec  la  pureté  chrétienne.  Mais  la  clieva- 
leri-e,  passagère  et  superficielle  comme  elle  a  dû  l'être, 
bientôt  même  romanesque  et  frivole,  n'a  pas  été  ce- 
pendant sans  utilité,  sans  charme  et  sans  éclat.  On 
doit  féliciter  les  Arabes  de  cette  aimable  invention, 
qui  ne  devait  pas  leur  survivre  ;  c'est  comme  une 
fleur  née  sous  leurs  brûlants  climats,  et  qui  perd 
bientôt  sa  grâce  et  son  parfum  sous  des  cieux  moins 
cléments,  où  elle  avait  été  transplantée  ^ 

11  résulte  donc  de  cet  ensemble  de  labeurs  intellec- 
tuels que  le  génie  arabe  n'a  été  ni  dépourvu,  ni  sté- 
rile. 11  n'a  pas  eu  la  splendeur  immortelle  et  l'inépui- 
sable fécondité  de  quelques  autres  ;  mais  il  n"a  point 
été  inutile  à  l'humanité  ;  et  à  un  certain  moment,  c'est 
lui- qui  a  tenu  le  spectre  que  le  monde  ancien  lais- 
sait échapper,  avant  que  le  monde  nouveau  ne  sût 

'  Voir  Hcrdei',  Idées  sur  la  philosophie  de  lliistoire  de  l'hutnanilé. 
livre  XX,  cli.  n,  partie  m,  p.  440.  de  ia  traduction  de  M.  Edgar  Quinct. 


Ili  MMiOMrr,  CHAPITRE  M. 

le  ressaisir.  Un  tel  service  ne  pcul  être  ni  oublié,  ni 
rabaissé,  et  il  suffit  à  la  gloire  des  Arabes.  J'ajoute  que 
cette  gloire  appartient  aussi  à  Mahomet,  et  qu'il  faut 
la  faire  remonter  jusqu'à  lui.  Je  vois  deux  motifs  con- 
sidérables à  lui  rendre  celle  justice.  D'abord,  il  est  évi- 
dent que,  sans  lui  et  son  action  toute-puissante,  jamais 
l'Arabie  n'eût  été  unie;  jamais  elle  n'aurait  acquis 
celte  concentration  de  forces  qui,  son  unité  étant  faite, 
se  sont  répandues  avec  une  énergie  irrésistible  dans 
les  conquêtes  du  sabre  et  celles  de  l'intelligence.  Dieu, 
il  est  vrai,  n'a  pas  permis  à  celle  race  de  sortir  de  li- 
mites assez  restreintes  ;  mais  chaque  peuple  a  les 
siennes;  et  la  carrièi'e  qu'a  fournie  le  peuple  arabe, 
grâce  à  l'impulsion  que  Mahomet  lui  avait  imprimée, 
est  encore  assez  vaste  et  assez  belle.  Parmi  les  nations 
qui  comptent  dans  l'histoire,  il  en  est  peu  qui  aient 
un  si  noble  lot,  et  c'est  à  l'Islam  que  l'Arabie  le  doit, 
parce  que  l'Islam  lui  a  donné  une  leligion,  une  desti- 
née commune,  un  centre  d'activité,  et  l'on  pourrait 
presque  dire  une  pati'ie,  si  jamais  peuple  asiatique 
pouvait  en  avoir  une. 

En  second  lieu,  Mahomet  a  directement  agi  sur  l'es- 
prit arabe  par  le  Coran  ;  et  c'est  le  Coran  qui  a  con- 
féré à  l'influence  du  pro|)liùte  cette  durée  nécessaire 
à  toutes  les  grandes  choses.  Comme  code  religieux,  il 
faut  le  laisser  pour  ce  qu'il  est  ;  el  j'ai  signalé  ses  la- 
cunes aussi  bien  que  ses  qualités.  Mais  il  faut  remar- 
(|uer,  en  dehors  du  dogme,  que  le  Coran  est  le  premier 
livre  qu'aient  eu  les  Arabes,  el  qu'il  est  resté  sans  au- 


JUGEMENT  Sun  LE  MAIIOMÉTISME.  225 

cune  comparaison  le  plus  beau  qu'ils  aient  jamais  pro- 
duit. SansleCoran,  devenu  l'inspirateur  d'un  perpétuel 
enthousiasme,  en  même  temps  que  le  régulateur  de  la 
foi,  les  Arabes  n'auraient  jamais  ressenti  ni  surtout 
employé  ces  ardeurs  qui  en  ont  fait  pendant  quelque 
temps  l'effroi,  l'admiration  et  l'école  des  autres  peu- 
ples. Si,  à  bien  des  égards,  il  est  difficile  de  défendre 
le  Coran,  sous  ce  rapport,  il  faut  le  mettre  à  côté  de 
la  Bible  et  de  l'Evangile  ;  il  a  communiqué  tous  ses 
feux  à  l'âme  des  Arabes  ;  il  les  a  transportés  dans  des 
régions  de  la  pensée  que  sans  lui  ils  n'eussent  jamais 
connues,  et  quand  on  adore  si  pieusement  les  œuvres 
de  Dieu,  on  est  bien  près  de  chercher  à  les  compren- 
dre avec  l'aide  et  les  procédés  de  la  science.  Le  Coran 
a  déplus  ce  grand  avantage  d'être  un  modèle  accom- 
pli de  style,  du  moins  pour  ceux  auxquels  il  s'adres- 
sait; et  en  épurant  les  esprits  par  cet  attrait  délicat 
delà  forme,  il  les  disposait  aux  sérieuses  études  et  à 
de  plus  profonds  travaux. 

Mais  ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  que  l'Arabie 
elle-même  ne  devait  pas  être  le  théâtre  de  cette  gloire 
nouvelle.  On  dirait  qu'elle  s'est  contentée  de  devenir 
l'inviolable  asile  de  la  foi  musulmane.  La  Mecque  el 
Médine  sont  restées  les  Villes  saintes  ;  et,  même  jus- 
qu'à ce  jour,  les  infidèles  sont  demeurés  bannis  de 
cette  terre  sacrée.  Ce  n'est  qu'au  prix  de  leur  vie 
qu'ils  essayeraient  de  visiter  et  de  souiller  le  Haram. 
Mahomet  en  avait  chassé  les  idolâtres  ;  mais  il  est  peu 
probable  que,  dans  sa  pensée,  l'interdiction  portât 

ir.. 


2-26  MAHOMET,  GIIAPITUE  VI. 

aussi  loin,  et  qu'avec  les  idolâtres  il  proscrivit  aussi 
le  genre  humain.  C'est  là,  sans  doute,  une  consé- 
quence imprévue  que  le  fanatisme  a  tirée  du  Coran, 
ainsi  que  tant  d'autres  non  moins  surprenantes.  Mais 
qu'elle  vînt  ou  non  du  prophète,  il  en  résultait  que  ni 
la  Mecque  niMédine  ne  pouvaient  être  les  capitales  de 
l'empire,  privilège  dont  leur  situation  même  devait 
les  exclure.  C'est  ainsi  que  la  vénération  religieuse 
siihsistant  pour  elles,  aussi  ardente  à  cette  heure 
qu'elle  l'était  il  y  a  plus  de  vingt  siècles,  la  puissance 
temporelle  a  dû  nécessairement  se  déplacer,  émigrant 
des  déserts  arabiques  pour  se  transporter  dans  les 
contrées  un  peu  plus  hospitalières  de  la  Syrie  et  de  la 
Perse.  Elle  n'a  pu  même  se  maintenir  longtemps  dans 
ces  régions,  et,  dès  le  xiii^  siècle,  l'empire  arabe  pro- 
prement dit  mourait  avec  la  dynastie  des  Abbassides. 
Les  successeurs  directs  de  Mahomet  n'avaient  duré 
que  quelques  générations.  Des  races  plus  fortes  devaient 
succéder  aux  Arabes,  si  promptement  affaiblis  après 
les  excès  de  leur  énergie  passagère.  Mais  le  lien  reli- 
gieux, à  défaut  du  lien  politique,  devait  survivre, 
renouvelé  chaque  année  par  le  pèlerinage  aux  lieux 
saints  ;  et  la  possession  seule  de  la  Mecque  devint  le 
signe  de  la  suprématie,  si  ce  n'est  de  l'autorité,  parmi 
les  nations  musulmanes.  Il  n'en  a  pas  fallu  davantage 
pour  assurer,  plus  lard,  à  la  Turquie,  une  supériorité 
(jui  n'est  que  nominale,  mais  que,  sans  cette  circon- 
stance, elle  n'aurait  pas.  Si  la  Perse,  qui  est  plus  rap- 
prochée des  Villes  saintes,  n'avait  pasétéschismatique. 


JUGEME>'T  SIR  LE  MAHOMÉTISME.  227 

c"est  elle,  sans  doiile,  qui  les  eût  gardées  et  qui  aurait 
le  dépôt  de  la  foi. 

Ainsi  l'œuvre  politique  de  Mahomet  n'a  subsisté  tout 
au  plus  que  six  siècles;  son  œuvre  religieuse  en  a  déjà 
duré  plus  du  double,  et,  selon  toutes  les  apparences, 
elle  n'est  pas  près  de  périr.  On  s'est  trop  accoutumé, 
parmi  nous,  à  identifier  les  destins  de  l'Islam  et  ceux 
de  l'empire  turc.  Les  Ottomans,  qui  régnent  à  Constan- 
linople,  n'ont  paru  avec  Othmàn  1"  qu'au  xn*"  siècle. 
Ils  peuvent  être  chassés  de  l'Europe,  ce  qui  est  même 
déjà  bien  difficile,  sans  que  le  musulmanisme  en  soit 
troublé.  Il  régnerait  toujours  dans  le  reste  des  vastes 
contrées  qu'il  occupe,  et  que  la  chute  de  la  Turquie 
n'intéresserait  en  rien.  Elle  peut  être  menacée;  mais 
la  religion  musulmane  ne  l'est  pas  ;  et,  comme  l'a  très- 
bien  observé  M.  A.  Sprenger,  qui  a  vécu  si  longtemps 
dans  les  pays  où  elle  domine,  les  mahométans  sont 
encore  moins  disposés  que  les  chrétiens  à  l'abjura- 
tion .  Nous  pouvons  voir  par  nous-mêmes,  depuis  trente 
ans  passés  que  nous  possédons  l'Algérie,  combien  les 
conversions  sont  rares,  et  la  foi  au  prophète  est  au- 
jourd'hui aussi  constante  qu'elle  Ta  jamais  été  ;  les 
Iladjjis,  aussi  nombreux  et  aussi  fanatiques.  L'heure 
de  la  décadence  n'est  pas  venue  pour  cette  religion, 
pas  plus  que  pour  la  nôtre,  et  il  n'est  donné  à  per- 
s'onne  d'en  apercevoir  déjà  le  terme. 

Je  conçois,  jusqu'à  un  certain  point,  les  passions 
qu'on  peut  ressentir  aujourd'hui  contre  la  domination 
turque  ;  je  conçois  surtout  et  j'admire  les  passions 


223  AIAUOMET,  CIIVI-ITRE  YI. 

qui  ont  provoqué  le  pieux  élan  des  croisades,  tout 
déraisonnable  et  infructueux  qu'il  a  été  pour  le  bnt 
spécial  qu'il  poursuivait.  Mais  je  ne  comprendrais  pas 
la  haine  qui  s'adresserait  avec  le  mépris  à  la  religion 
musulmane.  Mahomet  avait  pleine  raison  quand  il  di- 
sait aux  juifs  et  aux  chrétiens  :  «  Votre  Dieu  est  le 
«  mien  »  ;  car  il  le  leur  avait  emprunté  ;  et  il  semble 
que  cette  conformité  très-réelle  aurait  dû  tempérer  la 
fureur  réciproque  des  peuples.  Il'  n'en  a  rien  été, 
comme  l'hisloire  nous  l'atteste  dans  le  passé  et  même 
jusque  dans  le  présent  ;  mais  il  appartient  aux  esprits 
éclairés  et  philosophiques  de  s'élever  au-dessus  de 
ces  préjugés  aveugles  et  féroces  de  la  foule,  et  de  ju- 
ger les  choses  avec  plus  d'impartialité  et  plus  de  sang- 
froid  . 

11  faut  donc  le  reconnaître  :  de  part  et  d'aulre,  la 
conception  générale  est  presque  identique,  et,  au 
fond,  les  trois  religions  peuvent  être  regardées  comme 
les  branches  d'un  seul  et  même  tronc.  Le  christia- 
nisme se  fait  gloire  de  retrouver  ses  origines  dans  le 
judaïsme,  et  il  a  adopté  la  Bible  à  côté  de  l'Évan- 
gile. Il  pourrait  bien  aussi  reconnaître  l'Islam  pour 
son  rejeton  ;  car,  sans  l'Évangile  et  la  Bible,  l'Islam 
ne  serait  jamais  né  ;  et,  quoiqu'il  les  ait  dénatu- 
rés l'un  et  l'autre,  il  en  a  cependant  conservé  des 
traits  essentiels.  Il  a  certainement  compris  le  divin 
avec  moins  de  majesté  et  de  profondeur  ;  mais  il 
l'a  senti  peut-étie  avec  plus  d'enthou-^iasme  et  de  vi- 
vacité. 


.iniEMENT  SUR  LE  M.VIIOMÉTISME.  220 

Dans  le  jugement  (jue  je  porte  ici,  il  n'y  a  point, 
Dieuin'en  garde,  ni  scepticisme, nisurtoutindifférence. 
La  religion  chrétienne  doit  toujours  rester,  pour  nous, 
la  plus  sainte,  la  plus  bienfaisante,  la  plus  vraie  de 
toutes  les  l'eligions  ;  et  ce  serait  une  iniquité  en  même 
temps  qu'un  blasphème  d'y  assimiler  le  Mahomé- 
tisme.  Pour  réfuter  une  telle  aberration,  il  n'y  aurait 
qu'à  en  appeler  au  témoignage  des  faits  les  plus  évi- 
dents, et  à  voir  ce  que  sont  les  nations  mahométanes 
à  côté  des  nations  chrétiennes,  sans  même  porter  sur 
l'avenir  si  opposé  qui  les  attend  d'infaillibles  conjec- 
tures. Mais  ce  n'est  pas  rabaisser  la  foi  chrétienne  et 
la  foi  juive  que  de  dire  qu'avec  elles  il  n'y  a  point  au 
monde  d'autre  religion  monothéiste  que  l'Islam.  Si 
ce  n'est  pas  absolument  le  même  Dieu  qu'il  adore,  si 
ce  n'est  pas  le  vrai  Dieu,  c'est  du  moins  le  Dieu  créa- 
teur, dont  la  providence  veille  sur  les  êtres  qu'il  a 
créés,  qui,  dans  sa  clémence  et  sa  miséricorde,  sou- 
tient ce  monde  plein  de  sa  puissance  et  de  ses  mer- 
veilles, qui  attend  l'homme  après  cette  vie  pour  le 
récompenser  selon  ses  mérites,  qui  est  la  source  éter- 
nelle du  bien  et  le  vengeur  du  mal.  C'est  sur  une  ido- 
lâtrie grossière  et  invétérée  que  l'islamisme  a  fait,  en 
quelques  années,  triompher  l'idée  du  Dieu  unique, 
quand  le  judaïsme  et  le  christianisme  l'avaient  inuti- 
lement prèchée,  durant  de  longs  siècles,  à  ces  peu- 
plades endurcies.  Là  où  tous  les  deux  avaient  échoué, 
le  Mahomélisme  a  réussi,  en  se  proposant  un  idéal, 
j'en  conviens,  moins  pur  et  moins  iiaut,  mais  le  seul 


250  MAHOMET,  CHAPITRE  VI. 

qui  pûl  toucher  ces  cœurs  restés  sourds  à  des  ensei- 
gnemenls  meilleurs*. 

Ce  sont  donc  les  mœurs  bien  plutôt  que  les  croyances 
qui  séparent  les  nations  chrétiennes  et  les  nations 
soumises  à  Tislamisme.  Ces  mœurs,  ce  n'est  pas  l'Is- 
lam qui  les  a  faites.  Il  les  a  trouvées  établies  de 
temps  immémorial,  dominant  et  corrompant  ces 
races  à  demi  sauvages.  Il  a  fait  à  peu  près  tout  ce  qu'il 
a  dépendu  de  lui  pour  les  corriger;  il  n'y  est  pas  en- 
tièrement parvenu,  malgré  ses  louables  efforts;  et, 
naissant  dans  un  tel  milieu,  il  en  a  retenu  plus  d'une 
tache.  Le  judaïsme  avait  dû  fuir  l'Egypte  pour  se  dé- 
velopper, et  il  avait  ciierché  quarante  années,  dans  le 
désert,  le  sol  ingrat  où  il  devait  vivre  dans  son  indé- 
pendance farouche  et  sa  grandeur.  Le  christianisme 
aussi  avait  dû  quitter  les  lieux  qui  l'avaient  vu  naître, 
et  il  avait  trouvé  dans  le  paganisme  grec  et  romain'une 
atmosphère  morale  où  il  pouvait  grandir,  en  conver- 
tissant des  âmes  toutes  prèles  à  le  recevoir  et  dignes 
de  le  comprendre,  parce  qu'elles  l'avaient  pressenti. 
Le  niahométisme  n'a  pas  eu  cette  fortune,  et  aucune 
des  nations  qu'il  a  subjuguées  n'était  en  état  de  l'amé- 
liorer à  son  tour  en  s'améliorant  d'abord  par  lui.  L'Is- 
lam était  si  bien  approprié  aux  races  et  aux  lieux  qu'il 
n'a  pu  dépasser  une  certaine  zone  ;  c'est  le  désert  brû- 

*  Sur  les  rapports  de  l'Islam  à  l'Évangile,  il  faut  lire  un  Irès-cu- 
rieux  travail  du  docteur  J.  A.  Moeliler,  traduit  de  ralleniand  par  le 
Rév.  J.  P.  Menge,  de  la  mission  ccclésiaslique  de  Gorakporo.  La  tra- 
duction anglaise,  Calcutta,  i8i7.  in-S",  est  précédée  d'une  excellente 
préface  de  M.  .1.  M.    .Jolin  Mnir,  frère  de  M.  \Villiam  Muiri. 


JUGEMKNT  SLR  LE  MAIIÔMÉTISME.  251 

lant,  c'est  surtout  la  vie  nomade  qu'il  lui  faut.  Il  est 
comme  la  religion  de  la  lente  et  de  la  caravane.  Il  est 
resté  parqué  sous  certaines  latitudes,  qu'il  a  vaine- 
ment essayé  de  franchir,  tandis  que  k;  christianisme, 
vraiment  humain,  peut  s'établir  sur  toute  la  surface  de 
la  terre  pour  éclairer  tous  les  peuples  et  les  civiliser. 
Mais,  quoi  qu'il  en  soit  de  cette  infériorité  trop 
réelle,  c'est  un  immense  honneur  pour  l'Islam  que 
d'être  une  des  trois  religions  qui  ont  reconnu  et  con- 
sacré le  monothéisme.  Pour  s'en  convaincre,  il  suffit 
d'un  coup  d'œil  jeté  sur  l'histoire  religieuse  du  monde. 
Est-ce  le  paganisme  gréco-romain  qu'on  peut  lui  com- 
parer? Est-ce  le  brahmanisme  hindou?  Est-ce  la  foi 
bouddhique  ?  Est-ce  la  religion  de  Confucius,  si  toute- 
fois on  peut  dire  de  Cojifucius  que  ce  soit  une  reli- 
gion qu'il  ait  fondée?  Dans  ces  divers  cultes,  les  plus 
élevés  de  tous  après  les  trois  cultes  monothéistes, 
qu'est  l'idée  de  Dieu?  Entrevue  à  travers  bien  des 
nuages  par  le  paganisme,  indéterminée  et  confuse 
dans  le  chaos  brahmanique,  absente  dans  le  néant 
bouddhiste,  presque  aussi  complètement  oubliée  par 
les  lettrés  chinois,  on  peut  dire  qu'elle  a  été  cherchée, 
mais  il  est  impossible  de  soutenir  qu'elle  ait  été  com- 
prise. Je  ne  veux  pas  aftirmer  que  celte  ignorance  soit 
la  cause  de  l'état  misérable  où  tous  ces  peuples  sont 
demeurés;  et  celte  ignorance  elle-même  peut  être 
l'effet  d'une  dégradation  incurable.  Mais  l'Islam,  du 
moins  en  tant  que  croyance,  n'est  pas  tombé  dans  ces 
obscurités  et  ces  déplorables  erreurs.  Il  a  connu  une 


232  MAHOMET,  CHAPITRE  VF. 

grande  partie  de  la  vraie  lumière,  qu'il  trouvait,  je 
l'avoue,  à  ses  côtés  ;  mais  il  a  eu  le  mérite  de  l'accep- 
ler  et  de  l'embrasser  avec  une  sincérité  et  une  ardeur 
dont  il  faut  que  noire  impartialité  lui  sache  quelque 
fré 

pic. 

On  voit  que  je  serais  assez  porté  à  absoudre  l'Islam, 
en  ne  le  considérant  que  comme  doctrine,  et  en  lais- 
sant à  part  les  conséquences  qu'il  a  portées  dans  les 
circonstances  peu  favorables  où  il  était.  Mais  ses  ré- 
cents historiens,  MM.  Weil  ',  Caussin  de  Perceval,  Wil- 
liam Muir  et  A.  Sprenger,  sont  loin  d'être  unanimes 
sur  ce  point.  M.  Caussin  de  Perceval  n'a  pas  voulu 
formuler,  à  vrai  dire,  de  jugement  général,  ainsi  que 
j'ai  indiqué  plus  haut'.  M.  A.  Sprenger  n'en  est  pas 
encore  à  ce  point  de  son  ouvrage  qu'il  ait  à  se  pro- 
noncer sur  l'ensemble  du  Mahométisme;  mais  il  est 
assez  probable  qu'il  se  prononcera  avec  quelque  indul- 
gence. MM.  W,  Muir  et  Gustave  Weil,  qui  ont  terminé 
leurs  livres,  ont  exprimé  leur  opinion,  l'un  pour  con- 
damner presque  complètement ,  et  l'autre  avec  une 
bienveillance  qui  me  semble  plus  équitable. 

Voici  d'abord  comment  M.  W.  Muir  fait  la  part  du 

'  M.  Gustave  Weil,  l'aulcui'  do  la  Vie  de  Mahomet,  a  poussé  plus 
loin  ses  reclicrclies,  et  il  s'est  occupé  de  \ Histoire  des  Califes,  à  la- 
quelle il  a  coiisdcré  déjà  jilusieurs  ouvrages,  les  meilleurs,  sans  corn- 
paraisoii,  qui  aient  été  laits  sur  ce  diOicile  &\i\ti\.:  Histoire  des  Califes, 
de  GÔ2  à  1258,  3  vol.  in-S",  en  allemand,  Mannlieiin,  184C-1851; 
Histoire  des  califes  abbassides  en  Egypte,  de  1258  à  1517,  2  vol.  in-8, 
StuKgart,  1800-18G2.  Il  y  a  jcint,  en  18Gi,,  la  traduction  du  Sirat-er- 
raçoiil,  dont  j'ai  fait  si  souvent  usage  dans  le  cours  de  mon  travail. 

'■'  Voir  plus  haut,  page  1!>. 


jriiF.ME.NT  Sin  L!'   M.VIIOMÉTISME.  2-3 

bien  cl  celle  du  mal  qu'il  trouve  dans  l'islamisme  : 
«  Nous  pouvons  accorder  sans  peine,  dit-il,  que 
Mahomet  a  banni  pour  toujours  quelques-uns  des  plus 
noirs  éléments  de  la  superstition  qui,  depuis  des  siè- 
cles, couvraient  la  péninsule.  L'idolâtrie  a  disparu  de- 
vant le  cri  de  guerre  de  l'Islam;  la  doctrine  de  l'unilé 
et  des  perfections  infinies  de  Dieu,  et  d'une  Providence 
spéciale  qui  s'étend  à  tout,  devint  un  principe  vivant 
dans  le  cœur  des  sectateurs  de  Mahomet,  aussi  bien 
que  dans  le  sien  propre.  Une  résignation  et  une  sou- 
mission absolues  à  la  volonté  divine,  c'est  le  nom 
même  de  l'Islam,  furent  exigées  comme  la  première 
condition  de  la  religion.  Les  vertus  sociales  ne  man- 
quèrent pas  non  plus.  Un  amour  de  frères  fut  inspiré 
dans  le  cercle  de  la  loi;  les  orphelins  furent  proté- 
gés; les  esclaves  traités  avec  douceur;  les  boissons 
enivrantes  défendues  ;  et  le  Mahométisme  peut  se 
vanter  d'une  tempérance  inconnue  dans  toute  autre 
croyance. 

«  Mais  ces  bienfaits  ont  été  achetés  bien  chère- 
ment. En  laissant  de  côté  des  considérations  de  moin- 
dre importance,  trois  conséquences  radicalement  mau- 
vaises sont  sorties  de  cette  foi  dans  tous  les  temps  et 
dans  tous  les  pays,  et  elles  ne  cesseront  d'en  sortir 
tant  que  le  Coran  servira  de  fondement  aux  croyances. 
C'est  d'abord  la  polygamie,  le  divorce  et  l'esclavage 
maintenus  et  perpétués,  sapant  la  moralité  publique 
par  sa  base,  empoisonnant  la  vie  domestique  et  désor- 
ganisant la  société.  En  second  lieu,  toute  liberté  reli- 


23i  MAHOMET,  CHAPITRE  VI. 

gieuse  est  repoussée  et  détruile.  Le  glaive  est  le  châ- 
timent inévitable  de  tout  ce  qui  nie  l'Islam.  La 
tolérance  est  inconnue.  Enfin,  c'est  une  barrière  in- 
franchissable qui  s'est  élevée  contre  l'adoption  du 
christianisme.  On  aurait  grand  tort  de  s'imaginer  que 
le  Mahométisme  puisse  jamais  préparer  les  voies  à 
une  doclrine  plus  pure...  L'Arabie  idolâtre,  à  en  juger 
par  analogie  avec  d'autres  nations,  aurait  pu  s'élever 
à  la  vie  spiriluelleet  adopter  la  foi  du  Christ;  l'Arabie 
mahométane,  autant  que  peuvent  le  voir  des  yeux 
humains,  est  fermée  à  l'action  bienfaisante  de  l'Évan- 
gile... L'épée  de  Mahomet  et  le  Coran  sont  les  plus 
funestes  ennemis  de  la  civilisation,  de  la  liberté  et 
de  la  foi  que  le  monde  ait  jusqu'à  présent  rencon- 
trés'. » 

Je  ne  répéterai  pas  ce  que  j'ai  dit  plus  haut  sur 
tous  ces  points  ;  mais  il  en  est  un  cependant  sur  le- 
quel je  veux  insister.  Je  ne  crois  pas  du  tout  avec 
M.  W.  Muir  que  l'Arabie  idolâtre  pût  devenir  chré- 
tienne, pas  plus  qu'elle  n'avait  été  juive.  Le  raison- 
nement de  M.  W.  Muir  serait  juste  si,  en  effet,  le 
christianisme  n'avait  point  tenté  de  convertir  les 
Arabes  avant  Mahomet  ;  mais  il  y  a  fait  de  vains  ef- 
forts pendant  quatre  ou  cinq  siècles;  et  il  n'a  pu  se 
faire  accepter.  Kût-il  été  accepté  plus  tard?  Il  est  per- 

«  M.  AVilliani  Muir,  The  Life  of  Mahomet,  t.  IV,  p.  ".^O  et  suiv.  A  h 
suite  de  ce  ju^ienient  gt-nérul,  .M.  ^V.  Muir  le  confinne  en  essayant  do 
montrer  toutes  les  inconséquences  du  caractère  de  Mahomet  et  celles 
du  Coran. 


JUGEMENT  SIR  LE  MAIIOMÉTISME.  2:î5 

mis  d'en  douter  ;  et  ce  sont  là  des  questions  où,  comme 
le  dit  M.  W.  Muir,  il  est  bien  difficile  pour  des  regards 
humains  de  pénétrer.  De  nos  jours,  les  AVahabites  ont 
essayé  de  réformer  l'Islam,  et  ils  n'ont  pas  songé  à  se 
faire  chrétiens.  L'islamisme  a  pour  lui  le  fait;  il  a 
germé  sur  une  terre  où  la  foi  chrétienne  n'avait  pu 
s'implanler.  Les  juifs  non  plus  n'ont  pas  été  convertis  ; 
et,  selon  toute  apparence,  l'Arabie  sans  Mahomet  se- 
rait demeurée  à  jamais  plongée  dans  les  ténèbres  de 
ridolàtrie,  ainsi  que  l'est  encore  une  grande  partie  de 
l'Afrique. 

Mais  où  je  suis  pleinement  d'accord  avec  M.  Wil- 
liam Muir,  c'est  quand  il  dit  que  «  Mahomet  et  le 
Coran,  l'auteur  de  l'Islam  et  l'instrument  de  son 
succès,  sont  des  sujets  'dignes  de  la  plus  sérieuse 
attention  ;  et  qu'il  se  déclare  amplement  payé  de 
ses  longs  travaux  s'il  a  pu  contribuer,  dans  un  de- 
gré quelconque ,  à  les  faire  mieux  juger  l'un  et 
l'autre*.  » 

Quant  à  M.  G.  Weil,  son  opinion  est  hautement  en 
faveur  du  Mahométisme,  et  ce  n'est  pas  moi  qui  la 
combattrai  :  «  La  doctrine  de  Dieu  et  des  saintes  des- 
tinées de  l'homme,  dit  M.  G.  Weil,  prèchée  par  Ma- 
homet dans  un  pays  qui  était  livré  à  la  plus  brutale 
idolâtrie,  et  qui  avait  à  peine  une  idée  de  l'immor- 
lalité  de  l'âme,  doit  d'autant  plus  nous  réconcilier 

*M.  William  Muir.  Tlir  Life  of  Mahomet,  t.  IV,  p.  5'2i.  C'est  par  là 
que  l'auteur  termine  les  «avants  et  assidus  labours  qu  il  a  consacrés 
au  fondateur  de  l' islamisme. 


236  MAHOMET,  CHAPITRE  M. 

avec  lui,  malgré  ses  faiblesses  et  ses  fautes,  que  sa 
vie  particulière  ne  pouvait  exercer  sur  ses  adhérents 
aucune  influence  fâcheuse.  Loin  de  se  donner  jamais 
pour  modèle,  il  voulut  toujours  qu'on  le  regardât 
comme  un  être  privilégié,  à  qui  Dieu  permettait  de 
se  metlre  au-dessus  de  la  loi  commune  ;  et,  de  fait, 
on  l'a  considéré  de  plus  en  plus  sous  ce  jour  spécial. 
Nous  serions  injustes  et  aveugles,  si  nous  ne  recon- 
naissions pas  que  son  peuple  lui  doit  encore  quelque 
autre  cliose  de  vrai,  de  bon  et  de  bien.  Il  a  réuni  en 
une  seule  grande  nation,  croyant  fraternellement  à 
Dieu,  les  tribus  innombrables  des  Arabes  jusque-là 
ennemies  entre  elles.  A  la  place  du  plus  violent  ar- 
bitraire, du  droit  de  la  force,  et  de  la  lutte  indivi- 
duelle, il  a  mis  un  droit  inébranlable,  qui,  malgré 
ses  imperfections,  forme  toujours  la  base  de  toutes 
les  lois  de  l'islamisme  ;  il  a  limilé  la  vengeance  du 
sang,  qui  avant  lui  s'étendait  jusqu'aux  parents  les 
plus  éloignés,  et  il  l'a  bornée  à  celui-là  seul  que  les 
juges  reconnaissaient  pour  le  meurtrier.  11  a  bien 
mérité  surtout  du  beau  sexe,  non-seulement  en  pro- 
tégeant les  filles  contre  l'atroce  coutume  qui  les 
faisait  souvent  immoler  par  leurs  pères,  mais,  en 
outre,  en  protégeant  les  femmes  contre  les  parents 
de  leurs  maris,  qui  en  héritaient  comme  d'une 
cliose  matérielle,  et  en  les  défendant  contre  les  mau- 
vais traKemenîs  des  hommes.  11  a  restreint  la  poly- 
gamie en  ne  pcrnietlanl  aux  croyants  que  quatre 
femmes  légitimes,    au    lieu    de   dix,   comme  c'était 


JL'GEMEM  SUR  LE  MAUOMÉTISME.  257 

l'usage,  suiloul  à  Médinc Sans  avoir  entièrement 

émancipé  les  esclaves,  il  leur  a  été  utile  et  bon  de 
bien  des  manières Pour  les  pauvres,  il  a  non- 
seulement  recommandé  toujours  la  bienfaisance  à 
leur  égard;  mais  il  a  formellement  établi  un  impôt 
en  leur  faveur,  et  il  leur  a  fait  une  part  spéciale 
dans  le  bulin  et  le  tribut.  En  défendant  le  jeu,  le  vin 
et  toutes  les  boissons  enivrantes,  il  a  prévenu  bien 
des  vices,  bien  des  excès,  bien  des  querelles  et  bien 

des  désordres Quoique  nous  ne  regardions  pas 

Mahomet  comme  un  vrai  prophète,  parce  qu'il  a  em- 
ployé, pour  propager  sa  religion,  des  moyens  violents 
et  impurs,  parce  qu'il  a  été  trop  faible  pour  se  sou- 
mettre lui-même  à  la  loi  commune,  et  parce  qu'il 
s'appelait  le  sceau  des  prophètes,  tout  en  déclarant 
que  Dieu  pouvait  toujours  remplacer  ce  qu'il  avait 
donné  par  quelque  chose  de  mieux,  il  a  le  mérite 
néanmoins  d'avoir  fait  pénétrer  les  plus  belles  doc- 
trines de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  chez  un 
peuple  qui  n'était  éclairé  par  aucun  rayon  de  la  foi, 
et  il  doit  à  ce  litre  paraître,  même  à  des  yeux  non 
inahométans,  un  envoyé  de  Dieu'.  » 

Pour  ma  part,  je  ne  vois  pas  trop  ce  qu'il  y  aurait 
à  reprendre  dans  ce  jugement  de  M.  G.  AVeil.  Je  ne 
veux  y  ajouter  qu'un  seul  et  dernier  trait  :  la  lecture 
du  Coran,  tout  étrange  qu'il  est,  loin  d'ébranler  jamais 
la  confiance  de  personne  en  Dieu,  ne  peut  que  la  raf- 

•  M.  G.  Wcil,  Mohammed  lier  l'ropliet.  p.  iUO  cl  siiiv. 


258  MAHOMET,  CHAPITRE  VI. 

fermir  et  la  fortifier  encore,  même  dans  les  âmes  les 
plus  croyantes.  La  conviction  de  Mahomet  est  de  celles 
qu'aucune  autre  ne  dépasse.  Il  en  est  de  plus  pure, 
sans  doute,  et  de  plus  éclairée  ;  il  n'y  en  a  pas  de  plus 
sincère  ni  de  plus  puissante. 


EXTRAITS  DU   CORAN 


Tli.VDUCTlOiN    DL    SAVAUV 


i 


EL    FATIHA 


OU    INTRUDUCTIUN 


Au  nom  du  Dieu  clément  et  miséiicoidicux. 

Louange  à  Dieu,  souverain  des  mondes  ! 

La  miséricorde  est  son  partage  ; 

Il  est  le  roi  du  jour  du  jugement. 

Nous  t'adorons,  Seigneur,  et  nous  implorons  Ion  assis- 
tance ; 

Dirige-nous  dans  le  sentier  du  salut  ; 

Dans  le  sentier  de  ceux  que  tu  as  comblés  de  les  bien- 
laits  ; 

De  ceux  qui  n'ont  point  mérité  ta  colère  et  se  sont  pré- 
servés de  l'erreur. 

sornATF.  riiEMiKRF. 

Nous  t'avons  donné  les  sept  versets  (El  P'atihaj  qui  ser- 
vent de  prière,  et  nous  t'avons  révélé  le  Coran  précieux. 

SoutATK  XV,  vcrscl  87. 
14 


242  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Dis  :  «  Je  mets  ma  conliance  dans  le  Seij;neiir  des  lioni 
mes, 

«  Roi  des  .hommes, 

«  Dieu  des  hommes, 

«  Afin  qu'il  me  délivre  des  séductions  de  Satan, 

«  Qui  souffle  le  mal  dans  les  cœurs  ; 

«  Et  qu'il  me  défende  contre  les  entreprises  des  génies 

«  et  des  méchants.  » 

SoLRATE  cxiv  et  demicrc. 


DIEU 


0  mortels,  adorez  le  Seigneur,  qui  vous  a  créés  vous  et 

vos  pères,  afin  que  vous  le  craigniez  ;  qni  vous  a  donné 

la  terre  pour  lit,  et  le  ciel  pour  toit  ;  qui  a  fait  descendre 

la  pluie  des  cieux  pour  produire  tous  les  fruits  dont  vous 

vous  nourrissez.  Ne  donnez  point  d'associé  au  Très-Haut  ; 

vous  le  savez. 

SoiRATE  II,  versets  19  et  20. 

Pourquoi  ne  croyez-vous  pas  à  Dieu?  Vous  étiez  niorls, 
il  vous  a  donné  la  vie  ;  il  éteindra  vos  jours,  et  il  en  rallu- 
mera le  flambeau.  Vous  retournerez  à  lui. 

11  créa  pour  votre  refuge  tout  ce  qui  est  sur  la  terre. 
Portant  ensuite  ses  regards  vers  le  firmament,  il  forma 
les  sept  cieux.  C'est  lui   donl   la    science   embrasse  tout 

l'univers. 

Sourate  ir,  versets  26  et  27 . 

Ignores-tu  (pie  Dieu  est  le  roi  des  cieux  el  de  la  lerre, 
et  que  vous  n'avez  de  secours  à  attendre  qiu^  de  lui? 

Sorn\Ti   If,  verset  101. 

L'Orient  et  l'Occident  appaitiennent  à  Dieu  ;  vers  quel- 
que lieu  que  se  tournent  vos  regards,  vous  rencontrerez 
sa  face.  Il  remplit  Piniivers  de  son  immensilé  et  de  sa 
science. 


244  EXTRAITS  DU  CORAN". 

Dieu  a  un  fils,  disent  les  chrétiens.  Loin  de  lui  ce  blas- 
phème !  Tout  ce  qui  est  dans  les  cieux  et  sur  la  terre  lui 
appartient.  Tous  les  êtres  obéissent  à  sa  voix. 

11  a  formé  la  terre  et  les  cieux.  Veut-il  produire  quel- 
que ouvrage?  11  dit  :  «  Sois  fait;  »  et  l'ouvrage  est  fait. 

Les  ignorants  disent  :  «  Si  Dieu  ne  nous  parle,  ou  si  tu 

ne  nous  fais  voir  un  miracle,  nous  ne  croirons  point.  » 

Ainsi  parlaient  leurs  pères;  leurs  cœurs  sont  semblables. 

Nous  av(»ns  fait  éclater  assez  de  prodiges  pour  ceux  qui 

ont  la  foi. 

Soi'RATE  11,  versets  109  à  112. 

Votre  Dieu  est  le  Dieu  unique.  Il  n'y  en  a  point  d'autre. 
La  miséricorde  est  son  partage. 

La  création  des  cieux  et  de  la  terre,  la  succession  de 
la  nuit  et  du  jour,  le  vaisseau  qui  fend  les  flots  pour 
l'utilité  des  humains,  la  pluie  qui  descend  des  nuages 
et  rend  la  vie  à  la  terre  inféconde,  les  animaux  qui  cou- 
vrent sa  surface,  la  vicissitude  des  vents  et  des  nuages 
balancés  entre  le  ciel  et  la  terre,  sont,  aux  yeux  de  ceux 
qui  orit  la  science,  des  marques  de  la  puissance  du  Très- 
Haut. 

Ceux  qui  offrent  de  l'encens  aux  idoles,  les  aiment  comme 
la  divinité;  mais  l'amour  des  croyants  pour  le  Seigneur  est 
plus  fort  et  plus  durable.  Quel  spectacle  offriront  les  pré- 
varicateurs, lorsqu'ils  seront  à  la  vue  du  supplice  ((ui  les 
attend  !  Toute  puissance  appartient  à  Dieu,  et  il  est  terrible 

dans  ses  vengeances. 

Soi-HATK  II,  versets  1")8  à  liO. 

Dieu  est  le  seul  Dieu,  \o  Dieu  \ivant  et  étenud.  Le 
sommeil  n'approche  point  de  lui.  Il  possède  ce  qui  est 
dans  les  cieux  et  sur  la  terre.  Qui  jieut  intercéder  au- 
près de  lui  sans  sa  volonté?  Il  sait  ce  qui  èlait  avant  le 
monde  el  ce  (pii  sera  après.   Les  hommes  ne  connaissent 


DIEU.  245 

de  sa  majesté  suprême  que  ce  qu'il  veut  bien  leur  en 
apprendre.  Son  trône  sublime  embrasse  les  cieux  et  la 
terre;  il  les  conserve  sans  effort.  Il  est  le  Dieu  grand,  le 

Dieu  très-haut. 

SouitATF.  II,  verset  256. 

Qui  de  vous  désirerait  avoir  un  jardin  planté  de  palmiers, 
orné  de  vignes,  entrecoupé  de  ruisseaux,  enricbi  de  tous 
les  fruits  de  la  terre,  et  être  ensuite  saisi  tout  à  coup  par 
la  vieillesse,  et  mourir  en  laissant  des  enfants  au  berceau, 
et  en  voyant  ce  beau  jardin  ravagé  par  un  tourbillon  de 
flammes?  C'est  cependant  ainsi  que  Dieu  vous  annonce  ses 
mystères,  afin  que  vous  pensiez  à  lui. 

SonuTE  II,  verset  2G8. 

Dieu  n'exigera  de  chacun  de  nous  que  suivant  ses  forces. 
Chacun  aura  en  sa  faveur  ses  bonnes  œu\res,  et  contre  lui 
le  mal  qu'il  aura  fait.  Seigneur,  ne  nous  punis  pas  des 
fautes  commises  par  oubli.  Pardonne-nous  nos  péchés;  ne 
nous  impose  pas  le  fardeau  qu'ont  porté  nos  pères.  Ne 
nous  charge  pas  au-dessus  de  nos  forces.  Fais  éclater  pour 
tes  serviteurs  le  pardon  et  l'indulgence.  Aie  compassion 
de  nous  ;  tu  es  notre  secom^s.  Aide-nous  contre  les  nations 

infidèles. 

SouiwVTi:  II,  verset  '280  et  dernier. 

Dieu  a  rendu  témoignage  de  lui-même  quand  il  a  dit  : 

«  Il  n'y  a  de  Dieu  que  moi.  »  Les  anges,  ceux  qui  possèdent 

la  science  et  la  vérité,  ont  répété  :  «  11  n'y  a  de  Dieu  que 

le  Dieu  puissant  et  sage.  » 

Sori'.ATE  III.,  verset  10. 

0  Dieu,  roi  suprême,  lu  donnes  et  tu  ôtes  à  ton  gré  les 
couronnes  et  le  pouvoir.  Tu  élèves  et  tu  abaisses  les  hu. 
mains  ;'i  ta  volonté;  le  bien  est  dans  tes  mains;  lu  es  le 
Tout-l'uissanl. 

U. 


'2iG  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Tu  changes  le  jour  en  nuit   el  la   nuit   en  jour.  Tu 

fais  sortir  la  vie  du  sein  de  la  mort  et  la  mort  du  sein 

de  la  vie.  Tu  verses  tes  trésors  infinis  sur  ceux  qu'il  te 

plait. 

SocRATE  m,  versets  25  et  16. 

Dieu  est  le  souverain  des  cieux  et  de  la  terre.  11  fait  grâce 
ou  justice  à  son  gré  ;  mais  il  est  indulgent  et  miséricor- 
dieux. 

SoinATE  III,  verset  124. 

.Si  Dieu  vient  à  votre  secours,  qui  pourra  vous  vaincre? 
S'il  vous  abandonne,  qui  appellerez-vous  à  votre  aide? 
Que  les  fidèles  mettent  donc  leur  confiance  dans  le  Sei- 
gneur. 

Soir.ATi:  m,  vors't   154. 

Ceux  qui  debout,  assis  ou  couchés,  pensent  à  Dieu  et 
méditent  sur  la  création  de  l'univers,  s'écrient  :  «  Dieu  n'a 
point  formé  en  vain  ces  ouvrages.  Que  ton  nom  soit  loué, 
Seigneur  !  Préserve-nous  de  la  peine  du  feu,  Seigneur. 
Celui  que  tu  précipiteras  dans  les  flammes  sera  cou- 
vert d'ignominie,  il  n'y  aura  j)ius  d'espoir  pour  les  per- 
vers. » 

SoriiATE  III,  versets  188  et  189. 

Le  Seigneur  ne  pardonnera  point  aux  iilolàtres.  H  l'emet 

à  son  gré  tous  les  autres  crinK^s;  mais  l'idolâtrie  est  le 

plus  grand  des  attentats. 

SouiiATE  IV,  verset  51. 

0  vous  (pii  avez  reçu  les  écritures,  ne  passez  pas  les 
bornes  dt;  la  foi:  ne  dites  de  Dieu  ([ue  la  vérité.  Jésus  est 
le  fils  de  Marie,  l'envoyé  du  Trés-llaut  et  son  verbe.  11  l'a 
fait  descendre  dans  le  sein  de  Marie;  il  est  son  souffle. 
Croyez  en  Dion  et  en  ses  apôtres.  Mais  ne  dil(>s  pas  qu'il 


DIEU.  247 

y  ait  une  trinitê  en  Dieu;  il  est  un;  cotte  croyance  vous 

sera  plus  sûre.  Loin  qu'il  ait  un  fils,  il  gouverne  seul  le 

ciel  et  la  terre;  il  se  sulfit  à  lui-même. 

Le  messie  ne  rougira  pas  d'être  le  serviteur  de  Dieu, 

pas  plus  que  les  anges  qui  entourent   son  trône  et  lui 

obéissent. 

Soir.ATE  IV,  versets  IGO  et  170. 

Dieu  est  le  souverain  de  la  terre,  des  cieux  et  de  l'espace. 

Il  tire  à  son  gré  les  êtres  du  néant,  parce  que  sa  puissance 

est  infinie. 

Sourate  v,  verset  20. 

Ceux  qui  soutiennent  la  trinité  de  Dieu  sont  blasphéma- 
teurs; il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu;  s'ils  ne  changent  de 
croyance,  ini  supplice  douloureux  sera  le  prix  de  leur 

impiété. 

SoudATE  V,  vei^set  77 . 

Dis-leur  :  «  Adorerez-vous  une  idole  impuissante,  qui  ne 

saiH'ait  ni  vous  nuire  ni  vous  protéger,  tandis  que  Dieu  sait 

et  entend  tout"?  » 

SoiRATE  v,  verset  79. 

Le  Seigneur  dit  :  «  Au  jour  du  jugement,  la  justice  sera 
utile  à  ceux  qui  l'ont  pratiquée;  ils  entreront  dans  les  jar- 
dins où  coulent  les  fleuves  ;  ils  y  demeureront  éternelle- 
ment. ))  Dieu  a  mis  en  eux  ses  complaisances.  Ils  trouve- 
ront en  lui  leur  bonheur;  ils  jouiront  de  la  souveraine 
béatitude. 

Dieu  est  le  souverain  des  cieux  et  de  la  terre,  et  de  tout 
ce  -qu'ils  renferment.  Hien  ne  saurait  limiter  sa  puis- 
sance. 

SouRATK  V,  versets  110  et  120. 

Louange  à  l'Kternel;  il  a  créé  le  ciel  et  la  terre;  il  a 


248  EXTRAITS  DU  CORAN. 

formé  les  ténèbres  et  la  lumière.  Et  l'impie  lui  donne  des 
égaux  ! 

11  vous  a  créés  de  limon  ;  il  a  marqué  le  ternie  de  vos 
jours,  et  vous  doutez  encore. 

Il  est  Dieu  dans  les  cieux  et  sur  la  terre.  Il  connaît  ce 
que  vous  cachez  aussi  bien  que  ce  que  vous  dévoilez.  11  est 
le  témoin  de  vos  actions. 

Quelque  évidents  que  soient  les  sif^nes  de  sa  puissance, 
ils  les  rejettent  opiniâtrement. 

Ils  ont  nié  la  vérité  qu'on  leur  prêchait.  Bientôt  ils  se- 
ront châtiés  de  leur  mépris. 

Ignorez-vous  combien  de  peuples  nous  avons  fait  dispa- 
raître de  la  face  de  la  terre?  Nous  leur  avions  donné  un 
empire  plus  stable  que  le  vôtre.  Nous  envoyions  les  nuages 
verser  la  pluie  sur  leurs  campagnes  ;  nous  y  faisions  couler 
des  fleuves.  Leurs  crimes  seuls  ont  causé  leur  ruine.  Nous 
les  avons  remplacés  par  dautres  nations. 

SoLUATE  VI,  veise(s  1  à  C, 

C'est  à  Dieu  que  vous  devez  le  sommeil  de  la  miil  et  le 
réveil  du  matin.  Il  sait  ce  que  vous  faites  pendant  le  jour. 
Il  vous  laisse  accoiuplir  la  carrière  de  la  vie.  Vous  repa- 
raîtrez devant  lui,  et  il  vous  montrera  vos  œuvres. 

11  domine  sur  ses  serviteurs.  11  vous  donne  pour  gardiens 
des  anges  chargés  de  terminer  vos  jours  au  moment  i)res- 
crit.  Ils  exécutent  soigneusement  l'ordre  du  ciel. 

Vous  retournerez  ensuite  devant  le  Dieu  do  vérité.  IS'csl- 
ce  pas  à  lui  qu'il  appartient  de  juger?  Il  est  le  plus  exact 
des  juges. 

(Jui  vous  déliv)e  des  tribulations  diî  la  terre  et  des  mers, 
loisque,  l'invoquant  en  public  ou  dans  le  secret  de  vos 
cœurs,  vous  vous  écriez  :  «  Seigneur,  si  lu  écartes  de  nous 
ces  maux,  nous  en  serons  reconnaissants?  » 

C'est  Dieu  qui  vous  en  délivre.  C'est  sa  bonté  qui  vous 


DIEU.  2i9 

soulage  de  la  peine  qui  vous  oppresse;  et  ensuite  vous  re- 
tournez à  l'idolâtrie  ! 

SoLiiATE  VI,  versets  60  ;\  6 i. 

Dieu  sépare  le  grain  de  l'épi,  et  le  noyau  de  la  datte.  Il 
fait  sortir  la  vie  de  la  mort,  et  la  mort  de  la  vie.  Il  est 
votre  Seigneur  ;  comment  pourrait-il  vous  tromper? 

Il  sépare  l'aurore  des  ténèbres.  Il  a  établi  la  nuit 
pour  le  repos.  Le  soleil  et  la  lune  marquent  le  cours  du 
temps.  Tel  est  l'ordre  établi  par  celui  qui  est  puissant  et 
sage. 

C'e.st  lui  qui  a  placé  les  astres  au  firmament  pour  vous 
conduire  au  milieu  des  ténèbres  sur  la  terre  et  sur  les 
mers.  Le  sage  voit  dans  tout  l'univers  l'empreinte  de  sa 

puissance. 

^oiTtATK  VI.  versels  95  à  97. 

Dieu  voit  l'œil,  et  l'œil  ne  saurait  l'apercevoir.  Tout  est 
jtlfin  de  sa  bonté  et  de  sa  science. 

SocRATE  VI,  verset  103. 

Votre  Seigncm^  est  le  Dieu  qui  créa  les  cieux  et  la 
terre  en  six  jours  ;  ensuite  il  s'assit  sur  son  trône.  Il  fit 
succéder  la  nuit  an  jour,  qu'elle  suit  sans  interruption. 
Il  forma  le  soleil,  la  lune  et  les  étoiles,  humblement  sou- 
mis à  ses  ordres.  Les  créatures  et  le  droit  de  les  gou- 
verner lui  appartiennent.  Béni  soit  le  Dieu,  souverain  de 

l'uin'vers  ! 

Sourate  vu,  verset  52. 

Les  juifs  disent  qu'Ozaï  est  le  fils  de  Dieu.  Les  clirétiejis 
(lisent  la  même  chose  du  Messie.  Ils  parlent  comme  les 
infidèles  (jui  les  ont  précédés.  Le  ciel  piniira  leurs  blas- 
Itliémes. 

Ils  appellt'iit  seigneurs  leurs  pûiililes,  leurs  moines,  et 


250  EXTRAITS  DU  CORAN. 

le  Messie,  fils  de  Marie.  Mais  il  leur  est  commandé  de  servir 

un  seul  Dieu  ;  il  n'y  en  a  point  d'autre.  Anathème  sur  ceux 

qu'ils  associent  à  son  culte  ! 

SocRATE  IX,  versets  50  et  51. 

La  foi  est  un  don  que  Dieu  dispense  à  son  gré.  Dieu  cou- 
^Tira  d'opprobre  ceux  qui  ne  veulent  point  comprendre. 

SoDRATE  X,  verset  100. 

Dieu  a  élevé  la  voûte  des  cieux  sans  colonnes  visibles, 
et  il  s'assil  sur  son  trône.  Il  ordonna  an  soleil  et  A  la  lune 
de  remplir  leur  tâche;  tous  les  corps  célestes  se  meuvent 
dans  la  route  qu'il  leur  a  tracée.  11  gouverne  l'univers; 
il  vous  offre  des  merveilles  sans  noiubre,  afin  que  vous 
croyiez  à  la  résurrection. 

C'est  lui  qui  a  étendu  la  terre,  qui  a  élevé  les  monta- 
gnes, qui  a  formé  les  fleuves  et  qui  vous  a  donné  les  fruits 
divers.  Il  créa  l'homme  et  la  femme;  il  fait  succéder  le 
jour  à  la  nuit.  Ces  prodiges  sont  des  signes  pour  ceux  qui 
pensent. 

La  terre  offre  à  chaque  pas  un  tableau  diversifié.  Ici 
sont  les  jardins  ornés  de  vignes  et  de  légumes;  là  croLs- 
sent  des  palmiers  isolés  ou  réunis  siu'  une  souche.  Tons  les 
fruits  sont  arrosés  par  la  même  eau,  et  cependant  ils  dif- 
fèrent en  beauté.  Ainsi  nous  donnons  des  marques  de 
noire  puissance  à  ceux  qui  comprennent. 

SoDRATE  xm,  versets  2  à  i. 

Tous  les  secrets  sont  dévoilés  à  ses  yeux  ;  il  est  le  Grand, 
le  Trés-llaul. 

Celui  ([ui  parle  d.uis  le  secret,  celui  qui  parle  en  pu- 
blic, celui  (pii  s'eavt'htppe  dc:^  ombres  de  la  nuit  et  celui 
ipii  ])araîl  au  grand  juin',  lui  son!  égalenn^nl  comuis. 

Sourate  xiii.  vei^scts  10  et  11. 


DIEU.  -loi 

C'est  lui  (jui  l'ail  Ijiillci'  la  ruiidif  à  vos  regards  pour 
inspirer  la  crainte  et  l'espérance.  C'est  lui  qui  élève  les 
nuages  chargés  de  pluie. 

Le  tonnerre  célèbre  ses  louanges.  Les  anges  Ircnildeut 
en  sa  présence.  Il  lance  la  foudre,  et  elle  frappe  les  vic- 
times marquées.  Les  hommes  disputent  de  Dieu  ;  mais  il 
est  le  fort  et  le  puissant. 

Il  est  l'invocation  véritable.  Cen.x  qui  implorent  d'autres 

dieu.v  ne  seront  point  exaucés,  ils  ressemblent  au  voyageur 

qui,  pressé  par  la  soif,  tend  la  main  vers  l'eau  ([u'il  ne  peut 

atteindre.  L'invocation  des  infidèles  se  perd  dans  la  imit 

de  l'erreur. 

SoLUATii  xui,  versels  13  à  Ij, 

Dieu  a  parlé;  et  à  sa  voix  la  nuit,  le  jour,  le  soleil,  la 
lune  et  les  étoiles  se  sont  empressés  de  servir  à  vos  besoins. 
Prodige  éclatant  pour  ceux  qui  comprennent  ! 

Il  a  fourni  les  diverses  couleurs  (pie  la  terre  étale  à  vos 
yeux.  Signe  manifeste  pour  ceux  qui  pensent  ! 

Il  a  soumis  la  mer  à  votre  usage.  Les  poissons  (pi'elle 
renferme  dans  son  sein  deviennent  votre  nourriture;  vous 
y  péchez  des  ornements  qui  décorent  vos  habits.  Vois  le 
vaisseau  fendie  les  flots,  et  les  navigateur  chercher  labon- 
dance,  et  rendre  grâces  au  Très-Haut. 

Il  a  posé  les  hautes  montagnes  sur  la  terre  i)our  ralfer- 
mir;  il  y  a  tracé  le  cours  des  fleuves  et  des  chemins  pour 
vous  conduire. 

Il  a  placé  au  firmament  des  étoiles,  où  l'homme  lit  la 
route  qu'il  doit  suivre. 

Le  créateui-  sera-l-il  pour  vous  semblable  à  celui  qui  ne 
'peul  l'ien  créer?  N'ouvrirez-vous  point  les  yeux? 

Soir.ATE  .w'i,  versets  \2  à  17. 

Ne  dis  jamais  ;  «  Je  ferai  cola  demain,  »  sans  ajouter  : 


252  EXTRAITS  DU  CORAN. 

«  Si  c'est  la  volonté  de  Dieu.  r.  Élève  vers  lui  la  pensée, 
lorsque  lu  as  oublié  quelque  chose,  et  dis  :  «  Peut-être 
qu'il  ni'éclairera  et  qu'il  me  fera  connaître  la  vérité.  » 

SoiRATE  xviu,  verset  25. 

Si  les  flots  de  la  mer  se  changeaient  eu  encre  pour  dé- 
crire les  louanges  du  Seigneur,  ils  seraient  épuisés  avant 
d'avoir  célébré  toutes  ses  merveilles.  Un  autre  océan  sem- 
blable ne  suffirait  point  encore. 

SoLRATE  xviii,  verset  109. 

Dieu  ne  reçoit  ni  le  sang  ni  la  chair  des  victimes  ;  mais 
il  agrée  la  piété  de  ceux  qui  les  immolent.  Nous  Taisons 
servir  les  animaux  à  votre  usage,  afin  que  vous  glorifiiez 
le  Seigneur,  qui  vous  a  éclairés.  Annonce  le  bonheur  à 
ceux  qui  exercent  la  bienfaisance. 

Soi  RATE  XXII,  verset  58., 

Dieu  n'a  point  de  fils;  il  ne  partage  point  l'empire  avec 
un  autre  Dieu.  S'il  en  était  ainsi,  chacun  d'eux  voudrait 
s'approprier  sa  création  et  s'élever  au-dessus  de  son  rival. 
Louange  au  Très-Haut  !  Loin  de  lui  ces  blasphèmes! 

SoiRATE  xMi,  verset  95. 

Lorsque  les  flots  couvrent  le  navire  comme  des  monta- 
gnes ténébreuses,  les  mariniers  invoquent  le  nom  de  Dieu, 
et  ils  montrent  une  foi  sincère.  A  peine  les  avons-nous 
sauvés  et  conduits  au  ptirt,  le  plus  grand  nombre  retombe 
dans   le  doute.   Mais  l'ingrat  et  l'impie  nient  seuls  nos 

faveurs  éclatantes. 

SoiRATE  XXXI,  verset')!. 

C'.;lui  (|ui  chei'che  la  vraie  grandeur  la  trouve  en  Dieu, 
source  de  toutes  les  perfections.  Les  discours  vertueux 


1 


DIKL'.  253 

iiioiilciit  veis  soa  liùiie.  Il  cxallc  les  bonnes  œuvres;  il 
punit  ri^foufL'useinenl  le  scéléiat  qui  liamc  des  peifidies; 
ses  noirs  complots  seront  anéantis. 

So-iiATE  xxw,  verset  11. 

.Non;  le  ciel  ne  révoque  jamais  l'ai-rèt  qu'il  a  pro- 
noncé. 

^'onl-ils  pas  paicouiu  la  terre?  N'out-ils  pas  vu  quelle 
a  été  la  fin  déplorable  des  peuples  qui,  avant  eux,  mar- 
chèrent dans  les  voies  d'iniquité?  Ces  peuples  étaient  plus 
Torts  et  plus  puissants  qu'ils  ne  sont.  .Mais  rien  dans  les 
lieux  et  sur  la  terre  ne  peut  s'opposer  aux  volontés  du 
Trés-Ilaut.  La  science  et  la  force  sont  ses  attributs. 

Si  Dieu  punissait  les  honnnes  dés  l'instant  qu'ils  sont 
coupables,  il  ne  resterait  point  sur  la  terre  d'élre  animé, 
il  diffère  les  chàlimenls  jusqu'au  terme  marqué. 

Lorsque  le  temps  est  venu,  il  distingue  les  actions  de 
ses  serviteurs. 

SoLBATE  xxw,  verseis  il  à  4."). 

Si  nous  laissons  les  lionmies  jouir  de  la  vie  jusqu'au 
terme  marqua-,  c'est  un  effet  de  notre  miséricorde. 

Soi'iiATE  XXXVI,  verset  44. 

La  création  du  vw\,  de  la  terre  et  de  tout  l'univers  est 

notie  ouvrage.  Ce  n'est  point  un  jeu  du  hasard  comme  le 

pensent  les  incrédules.  Malheur  aux  infidèles  !  Ils  seront 

la  proie  des  llammes. 

Sorr.ATE  XXXVIII,  verset 20. 

La  perfection  est  une  grâce  du  ciel.  Dieu  la  donne  .'i 
qui  il  lui  plait.  Sa  libéralité  est  infinie. 

Soi  nxTL  laîi,  verset  4. 
15 


25 i  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Dis  :  ((  Dieu  osl  un  ; 

«  Il  est  éternel  ; 

«  Il  n'a  point  enfanté,  et  n'a  point  été  enfanté  ; 

«  Il  n'a  point  d'égal.  » 

Sourate  c\ii. 


MAHOMET 


lyfahouiot  n'est  qu'un  envoyé  de  Dien.  D'antres  apôlres 
l'ont  précédé.  S'il  mourait  ou  s'il  était  tué,  ahandonuerioz- 
vous  sa  doctrine?  Votre  apostasie  ne  saurait  luiirc  à  Dieu; 
et  il  récompense  cenx  qui  lui  rendent  grâce. 

SoiiiiATE  m,  ver.se(  1.j8. 

Le  prophète  ne  saurait  vous  tromper.  Le  fourbe  paraîtra 
avec  sa  fraude  au  jour  de  la  résurrection.  Dans  ce  jour, 
chacun  recevra  le  prix  de  ses  œuvres,  et  l'exacte  justice 
présidera  aux  jugements. 

SouiiATi:  m,  vei'-cl  lôo. 

Dieu  a  déjà  fait  éclater  sa  bienfaisance  pour  les  fidèles, 
11  leur  a  envoyé  un  apôtre  d'entre  eux  pour  leur  annoncer 
ses  merveilles,  pour  les  purifier  et  leur  enseigner  le  I^ivre 
cl  la  sagesse.  S'ils  étaient  venus  plus  tôt,  ils  auraient  vécu 

dans  l'erreur. 

SoiiiiATi:  m,  vei'sel  1")8. 

Il  en  est  qui  disent:  «  .Nous  avons  lait  serment  à  Dieu 
de  ne  croire  à  aucun  prophète,  à  moins  (pie  l'offrande 
qu'il  présente  ne  soit  conlirmèe  pai-  le  feu  du  ciel.  » 

Réponds  leur  :  «  Vous  aviez  des  pi'ophèles  avant  moi  ; 


25G  EXTRAITS  DU  CORAN. 

ils  ont  opéré  des  miracles,  et  celui-là  même  dont  vous 
parlez.  Pourquoi  alors  avez-vous  teint  vos  mains  de  leur 
sang",  si  vous  dites  la  véi'ité?  » 

S'ils  nient  ta  mission,  ils  ont  traité  de  même  les  apôtres 
<|ui  t'ont  précédé,  quoiqu'ils  fussent  doués  du  don  des 
miracles,  et  qu'ils  eussent  apporté  le  livre  qui  éclaire  (l'É- 
vangile) et  le  livre  des  psaumes. 

Sourate  m,  verscis  179àl8l. 

Seigneur,  nous  avons  entendu  la  Vdiv  de  ton  prophète, 
qui  nous  appelait  à  la  foi  et  qui  criait  :  «  Croyez  eu  Dieu,  « 
et  nous  avons  cru. 

Seigneur,  accorde-nous  ce  que  tu  nous  as  promis  par  ton 
apôtre,  et  ne  nous  couvre  pas  d'opprobre  au  jour  de  la  ré- 
surrection ,  puisque  tu  ne  manques  jamais  à  tes  pro- 
messes. 

SoLT.ATE  III,  versets  19)  et  191. 

Nous  t'avons  envoyé  des  cieux,  ô  Mahomet,  le  livre  (jui 
renferme  la  vérité,  afin  que  tu  juges  les  hommes  comme 
Dieu  te  l'a  enseigné.  Ne  dispute  point  avec  les  imposteurs, 
et  implore  l'indulgence  du  Dieu  clément  et  miséricordieux. 

Ne  prends  point  la  défense  de  ceux  qui  s'aveuglent  eux- 
mêmes,  parce  que  Dieu  hait  les  fourbes  et  les  impies. 

SoiT.ATE  IV,  versets  100  et  107. 

Une  partie  des  infidèles  avaient  conjuré  ta  perle;  mais 

ils  se  sont  perdus  eux-mêmes;  la  bonté  divine  veillait  sur 

tes  jours  ;  ils  n'ont  pu  te  nuire.  Dieu  l'a  envoyé  le  Livre  et 

la  sagesse.  Il  t'a  enseigné  ce  (jue  tu  ignorais,  et  il  t'a 

condjlé  de  ses  faveurs. 

SoiRATE  IV,  verset  llô. 

Nous  t'avons  inspiré,  comme  nous  inspirâmes  Noé,  les 
Prophètes,  Abraham,  Ismaël,  Isaac,  Jacob,  les  Tribus,  Je- 


MAHOMET.  257 

SUS,  Jub,  Jonas,  Aaron  et  Salomon.  Nous  donnâmes  les 

psaumes  à  David. 

SoLRATE  IV,  verset  161. 

Dieu  est  témoin  du  livre  qu'il  l'a  envoyé  avec  sa  science. 
Les  anges  aussi  en  sont  témoins  ;  mais  le  témoignage  de 

Dieu  suffit  à  son  authenticité. 

SounATE  IV,  vei'set  16i. 

Môi'tels,  le  prophète  est  venu  vous  annoncer  les  vérités 
célestes.  Croyez;  il  y  va  de  votre  félicité.  Si  vous  êtes  in- 
fidèles, le  Toul-Puissanl  se  passera  de  vous;  il  est  sou- 
verain de  la  terre  et  dos  cieux;  il  possède  la  sagesse  et  la 

science. 

SouiiATE  IV,  verset  1G8.     . 

0  prophète,  dévoile  les  lois  que  Dieu  t'a  révélées,  afin 
que  ta  mission  soit  accomplie.  Le  bras  du  Tout-i)nissant  te 
mettra  à  l'abri   des  violences  des  hommes,  parce   qu'il 

n'est  point  le  guide  des  infidèles. 

SoiiBATF.  V,  verset  71. 

Mes  ministres  ont  été  le  jouet  des  honmies  avant  toi.  Mais 
ceux  qui  s'en  sont  moqués  ont  subi  le  châtiment  dont  ils 
se  riaient. 

Dis  leur  :  «  Parcourez  la  terre,  et  voyez  quel  a  été 
le  sort  de  ceux  qui  accusèrent  les  prophètes  de  men- 
songe..  » 

Dis  leiu"  :  «  Chercherai-je  un  outre  protecteur  que  Dieu  ? 
il  a  formé  le  ciel  et  la  terre.  11  nom  rit  et  il  n'est  point 
nourri.  J'ai  reçu  l'ordre  d'embrasser  le  premier  l'isla- 
misme, et  de  ne  point  donner  d'égal  au  Très-Haut 

«  Si  je  suis  rebelle  à  sa  voix,  je  dois  craindre  la  peine 
du  grand  jour. 

'I  Est-il  im  témoignage  plus  fort?  Dieu  pst  témoin  entre 


258  EXTI'.AITS  DU  CORAN. 

VOUS  et  moi.  Le  Coran  m'a  élê  révélé  ponr  votre  instruction 
et  rin.struction  de  ceux  à  qui  il  parviendra.  Direz-vou.s 
qu'il  y  a  plusieurs  dieux?  Je  ne  proférerai  jamais  ce  blas- 
phème. 11  n'y  a  qu'un  IHeu,  et  je  ne  dépends  point  de  ceux 
((uevous  lui  associez.  *> 

Sorr.ATF.  VI,  versets  10  et  suivant.*. 

Ils  se  sont  engagés  par  un  serment  solennel  à  croire  en 
Dit'u,  s'il  opérait  devant  eux  des  miracles.  Dis  leur  :  «  Les 
merveilles  sont  eu  sa  puissance  ;  mais  il  n'en  produit  pas, 
parce  qu'à  leur  vue  vous  resteriez  dans  rincrédulité.  » 

SoLT.ATE  VI.  verset  109. 

Dis  :  «  Le  Seigneur  m'a  conduit  dans  le  droit  chemin  ; 
il  lu'a  enseigné  une  religion  sainte,  le  culte  d'Abraham, 
qui  crut  en  l'unité  de  [Sien  et  refusa  de  l'encens  aux  idoles.  » 

Dis  leur:  «  Ma  prière,  nu\  foi,  ma  vie  et  ma  mort  sont 

vouées  à  l'Éternel.  11  est  le  souverain  de  l'univers;  il  n'a 

point  d'égal;  il  m'a  commandé  cette  croyance.  Je  suis  le 

premier  des  croyants.  » 

SocuATi:  vu,  versets  162  et  IC"». 

Ceu.vqiii  croiront  au  prophète  illettré,  que  néclaire  point 
la  science  hmnaine,  et  dont  le  Pentateuque  et  l'Évangile 
font  mention  ;  ceux  qui  l'honoreront,  raiderontet  suivront 
la  lumière  descendue  du  ciel,  auront  la  félicité  en  partage. 
Il  commandera  la  justice,  proscrira  l'iniquité,  permettra 
l'usage  des  aliments  purs,  défendra  ceux  qui  soiu  immon- 
des, et  déchargera  les  fidèles  de  leiu's  fardeaux  et  des 
chaînes  qu'ils  portaient. 

Dis  :  (I  Je  suis  rinlcrpréte  du  ciel.  Ma  mission  est  divine  : 
elle  embrasse  tout  le  genre  humain.  11  n  y  a  de  Dii  u  que 
le  sotiveraiu  du  ciel  et  de  la  terre.  H  doiuu^  la  vie  et  la 
m(»rl.  Kmbrassez  l'islamisme.  Suivez  ce  prophète  illellré, 


MAHOMET.  2j9 

qui  n'est  point  éclairé  par  la  science  humaine,  qui  croit  en 
Dieu;  et  vous  marcherez  dans  le  sentier  du  salut.  » 

SoiRATF.  VII,  versets  loG  à  i."i8. 

Ne  penseront-ils  pas  enfin  que  Mahomet,  leur  compa- 
gnon, n'est  pas  possédé  d'un  esprit,  lui  qui  n"a  d'autre 
fonction  que  de  prêcher  la  parole  divine? 

Sourate  vu,  verset  185. 

Dis  leur  :  «  Je  ne  puis  jouir  d'aucun  avanla^^e  ni  éprouver 
aucune  disgrâce  sans  la  volonté  de  Dieu.  Si  l'avenir  m'était 
dévoilé,  je  rassemblerais  des  richesses  et  me  mettrais  à 
l'abri  des  coups  du  sort.  Mais  je  ne  suis  (ju'un  homme 
chargé  d'annoncer  aux  croyants  les  menaces  et  les  pro- 
messes divines.  » 

SoiRATL  VII,  verset  188. 

J'aurai  pour  protecteur  celui  qui  a  fait  descendre  le 

Coran.  11  protège  les  justes. 

SoiT.ATE  VII,  verset  195. 

0  croyants,  obéissez  à  Dieu  et  à  son  apôtre.  Ne  vous 
écartez  jamais  de  ce  devoir.  Vous  avez  entendu  sa  parole. 

SouKATE  VIII.  verset  20. 

0  croyants,  gardez-vous  de  tromper  Dieu  et  le  pro- 
phète. Écartez  la  fraude  de  vos  traités,  puisque  vous  êtes 
éclairés. 

SorRATE  VIII,  verset  27. 

Tandis  que  les  infidèles  te  tendaient  des  end)t'iches, 
tandis  qu'ils  voulaient  te  saisir,  te  mettre  à  mort  ou  te 
chasser,  Dieu,  dont  la  vigilance  dépasse  celle  du  fourbe, 
déjouait  leurs  complots. 

Sourate  viii,  verset  50. 


2C0  EXTRAITS  DU  CORAN. 

0  prophète,  la  protection  de  Dieu  est  un  asile  suffisant 
pour  toi  et  pour  les  fidèles  qui  te  suivront. 

Sourate  viii.  verset  65. 

0  prophète,  dis  aux  prisonniers  que  vous  avez  faits  :  a  Si 
Dieu  voit  la  droiture  de  vos  cœurs,  il  vous  donnera  des  ri- 
chesses plus  précieuses   que  celles  qui  vous  ont  été  en- 
evées,  et  il  vous  pardonnera,  parce  qu'il  est  indulgent  et 
miséricordieux.  » 

SOCKATE  VllI.  VCl'SCl   71. 

Dieu  a  envoyé  son  apôtre  pour  prêcher  la  foi  véritable, 
et  pour  établir  son  triomphe  sur  la  ruine  des  autres  reli- 
gmns,  malgré  les  efforts  des  idolâtres. 

Socn.ATE  IX,  vei'sel  j"». 

Si  vous  refusez  votre  secours  au  prophète,  il  aura  Dieu 
pourappui.  Le  bras  de  Dieu  le  protégea,  quand  les  infidèles 
le  chassèrent.  Un  seul  compagnon  lui  suffit  dans  sa  fuite, 
lorsqu'ils  se  réfugièrent  dans  la  caverne.  C'est  aloi's  que 
Mahomet  lui  dit  :  (i  Ne  t'afllige  pas  ;  le  Seigneur  est  avec 
nous.  »  Le  ciel  lui  envoya  la  sécurité  et  une  escorte  d  anges 
invisibles  à  vos  yeux.  Les  discours  de  l'impie  furent  anéan- 
tis, et  la  parole  de  Dion  fut  exallée  11  est  puissant  et  sage. 

SoiT.ATE  IX,  verset  40. 

Du  milieu  de  vous  s'est  levé  un  prophète  distingué;  vos 
iniquités  lui  pèsent,  le  zèle  de  voire  salut  l'enflamme,  et 
les  fidèles  ne  doivent  attendre  de  lui  (ju'indulgence  et  mi- 
séricorde. 

SoDiiATE  IX,  verset  1-0. 

Tels  sont  les  signes  du  livre  qui  contient  la  sagesse. 
Doivent-ils  être  surpris  que  nous  ayons  favorisé  de  nos 
révélations  lui  de  leurs  concitoyens;  que  nous  lui  ayons 


MAIIOMLT.  261 

commandé  d'annoncer  des  peines  aux  méchants  et  des  ré- 
compenses aux  fidèles  ?  Cependant  les  incrédules  ont 
dit  :  «  Mahomet  est  un  imposteur.  » 

Socr.ATE  X,  verscis  1  et  2. 

Lorsque  nous  leur  dévoilons  l'islamisme,  les  incrédules 
disent  :  «  Apporte-nous  un  autre  Coran  ou  change  celui-ci.  » 
Piéponds  leur  :  «  Je  ne  puis  rien  changer.  Je  n  écris  que  co 
qui  m'est  révélé.  Si  je  désobéissais  à  Dieu,  j  aurais  à  crain- 
dre le  supplice  du  grand  jour.  » 

Dis  :  «  Si  Dieu  eût  voulu,  je  ne  vous  aurais  point  lu  ses 

commandements.  Je  ne  vous  les  enseignerais  pas.  N  ai-je 

pas  vécu  au  milieu  de  vous  un  grand  nombre  d'années  ?  Ne 

le  savez-vous  pas?  » 

SoLf.ATE  X,  vci-sets  16  et  17. 

S'ils  t'accusent  d'imposture,  réponds  leur  :  «  J'ai  pour 
moi  mes  œuvres  ;  que  les  vôtres  parlent  en  votre  faveur. 
Vous  ne  serez  point  responsables  de  ce  que  je  fais;  et  moi, 
je  suis  innocent  de  ce  que  vous  faites.  » 

SouitATE  X,  verset  42. 

((  Quand  s'accompliront  tes  menaces?  demandent  les  in- 
fidèles. .Marque-nous  en  le  terme,  si  tu  es  véridique.  «  Ré- 
ponds leur  :  «  Les  trésors  et  les  vengeances  célestes  ne  sont 
point  dans  mes  mains.  Dieu  seul  en  est  le  dispensateur. 
Chaque  nation  a  son  terme  fixé;  elle  ne  saurait  ni  le  hâter 

ni  le  retarder  d'un  instant.  » 

SuuiiATE  X,  versets  49  el  50. 

Lu  ordre  judicieux  lègne  dans  ce  livre  ;  il  est  l'ouvrage 
de  celui  qui  possède  la  sagesse  et  la  science. 

L'unité  de  Dieu  vous  y  est  recommandée.  Je  suis  le  mi- 
nistre chargé  de  vous  annoncer  ses  châtiments  ou  ses  ré- 
compenses. 

Soir.ATE  XI,  vericls  i  cl  2. 

15. 


262  EXTr.AirS  DU  CORAN. 

Si  quelqu'un  de  mes  préceptes  échappait  de  ta  mémoire, 

si  l'on  exigeait  de  toi  que  tu  fisses  paraître  nn  trésor,  ou 

qu'un  ange  t'accompagnât,  ne  t'aftlige  pas;  ton  ministère 

se  borne  à  la  prédication.  Le  gouvernement  de  tout  ce  qui 

existe  appartient  à  Dieu. 

SoriiATE  XI,  verset  45. 

((Quelque  signe  divin  dislingue-t-il  le  prophète?)»  de- 
mandent les  incrédules.  Tu  n'es  chargé  que  de  la  prédica- 
tion. Chafjue  peuple  a  eu  son  guide. 

Sur  RATE  XIII,  verset  8. 

Celui  qui  sait  (|ue  Dieu  t'a  envoyé  la  vérité  du  ciel,  res 
semblera-t-il  à  l'aveugle?  Les  sages  ouvriront  les  yeux. 

SoiiiiATE  xiii,  verset  lO. 

((  Sa  mission,  disent  les  infidèles,  est-elle  annoncée  par 
quelque  signe  céleste?  »  Réponds  leur  :  <(  Dieu  égare  qui  il 
lui  piait,  et  il  éilaire  ceux  ipii  se  repentent.  » 

\t)us  l'avons  envoyé  à  un  peuple  que  d"autr(  s  peuples 
ont  précédé,  afin  (jue  tu  lui  enseignes  nos  révélations.  Ils 
ne  croient  ])oiiit  au  miséricordieux.  Dis  leur:  «  U  est  mon 
Seigneur;  il  n'y  a  de  Dieu  que  lui.  J'ai  mis  ma  confiance 
en  sa  bonté.  Je  reparaîtrai  devant  son  tribunal.» 

Souhate  xiii,  versets  27  et  59. 

Soit  que  nous  te  fassions  voir  l'accomplissement  d'une 

partie  de  nos  menaces,  soit  que  la  mort  les  préviemu\ 

ton  emploi  se  borne  à  la  prédication.  A  nous  appartient  le 

soin  de  juger. 

SounATK  XIII,  verset  40. 

Ils  ont  dil  au  prophète  :  «  0  toi  tpii  as  l'eçn  le  (^oran,  tu 
n'es  (ju'un  insensé. 

«  Si  tu  nous  apportais  la  vérité,  ne  viendrais-tu  pas 
accompagné  par  des  auges?  » 


MAHOMET.  263 

Les  anges  ne  viendront  que  quand  il  sera  nécessaire. 
Alors  les  impies  ne  seront  plus  altendus. 

Soi'RATE  XV,  \ersets  0  et  8. 

N'arrête  point  te.s  regards  sur  les  biens  que  nous  avons 
dispensés  aux  pervers.  Ne  t'afflige  point  de  leur  prospérité  ; 
mais  étends  tes  ailes  sur  les  croyants. 

Dis  leur  :  «  Je  suis  votre  apôtre  véritable.  » 

Nous  avons  puni  ceux  qui  divisent  les  livres  sacrés,  et 
ceux  qui  partagent  le  Coran. 

Manifeste  nos  commandements,  et  fuis  les  idolâtres. 

Notre  assistance  te  suffit  contre  ceux  qui  se  moquent  de 
la  religion. 

SontvTE  XV.  versels  88  à  9."). 

Je  connais  leurs  discours  ;  «  Un  bomme,  disent-ils,  dicte 
le  Coran  à  Mahomet.  »  Ccslni  qu'ils  soupçonnent  parle  une 
langue  étrangère,  et  l'arabe  du  Coran  est  pur  et  élégant. 

SouHATE  XVI,  verset  103. 

Nous  t'avons  ins]»iréd"end)rasser  la  religion  d'Abrabam, 
qui  reconnut  l'unité  de  Dieu,  et  qui  n'adora  qui'  sa  majesté 
suprême. 

Kmploie  la  voix  de  la  sagesse  et  la  force  de  la  persuasion 

pour  appeler  les  bommes  à  Dieu.  Combats  avec  le  cbarme 

de  l'éloquence.  Dieu  connait  parfaitement  ceux  qui  sont 

dans  l'égarement,  et  ceux  qui  niarcbent  au  flambeau  de 

la  foi, 

SoLUAit:  XVI,  versets  12i  et  120. 

Lorsque  tu  célèbres  dans  le  Coran  un  seul  Dieu,  ils  fuient 
d'un  pas  précipité. 

Nous  savons  ce  qu'ils  entendent  quand  ils  t'écoutent,  et 
ce  qu'ils  inventent,  quand,  dans  leur  injustice,  ils  disent  : 
«  Nous  ne  suivons  qu'im  insensé.  » 


201  EXTP.nTS  DU  CORAN . 

Vois  à  quoi  ils  to  comparent.  Ils  sont  dans  Terreur,  et  ils 
ne  trouveront  plus  la  vérité. 

Sourate  xvii,  versets  49  à  51, 

Xous  aurions  accompagné  la  mission  de  prodiges,  si  l'on 
avait  cru  ceux  que  nous  opérâmes  avant  toi.  Les  Thému- 
déens  ne  tuèrent-ils  pas  celte  merveilleuse  femelle  de  cha- 
meau que  nous  leur  avions  donnée?  Nous  n'avons  fait 
éclater  les  miracles  que  pour  inspirer  la  terreur. 

Soi  RATE  XVII,  verset  01. 


Peu  s'en  est  fallu  que  les  infidèles  ne  l'aient  fait  aban- 
donner notre  doctrine,  et  changer  nos  préceptes.  Celte 
condescendance  tout  procuré  leur  amitié. 

Si  nous  n'avions  affermi  ton  cœur,  tu  étais  près  de  céder 
à  leurs  désirs. 

Si  tu  les  eusses  suivis,  nous  l'aurions  fait  éprouver  les 
infirmités  de  la  vie  et  de  la  mort,  et  lu  n'aurais  pu  éviter 
notre  courroux. 

Peu  s'en  est  fallu  qu'ils  n'aient  jeté  la  frayeur  dans  ton 

âme,  et  qu'ils  ne  t'aient  fait  fuir  de  Médine.  Ils  n'y  auraient 

pas  demeuré  longtemps. 

SouHATE  XVII,  versels  75  à  78. 

Les  infidèles  ont  dit  :  «  Nous  ne  croirons  point  à  la  mis- 
sion, si  tu  ne  fais  jaillir  de  la  terre  une  soiuTe  d'eau  vive; 

«  Uu  si,  du  milieu  d'im  jardin  planté  de  palmiers  et  de 
vignes,  tu  ne  fais  sortir  des  ruisseaux; 

«  Ou  si  tu  n'al)aisses  la  voûte  des  cieux  comme  tu  nous 
l'as  promis  en  vain,  et  si  lu  ne  nous  fais  voir  à  découvert 
Dieu  et  les  anges  ; 

0  Si  tu  ne  bâtis  une  maison  d'or,  ou  si  lu  ne  montes  dans 
les  cieux  par  une  échelle;  et  nous  ne  croirons  point  encoie, 
à  moins  que  lu  ne  nous  envoies  du  ciel  ini  livre  (pie  nous 


I 


MAHOMET.  205 

puissions  lire?  »  Dis  knir  :  «  Louange  au  Très-Haut!  Je  ne 
suis  qu'un  homme  qui  vous  a  été  envoyé.  » 

Les  hommes  n'ont  point  cru,  lorsque  la  vraie  religion 
leur  a  été  annoncée,  parce  qu'ils  ont  dit  :  «  Dieu  aurait-ii 
choisi  un  mortel  pour  être  l'organe  de  ses  volontés?  » 

Réponds  leur  :  «  Si  les  anges  habitaient  la  terre,  s'ils 
conversaient  avec  vous,  nous  vous  aurions  envoyé  un  ange 
pour  ministre.  » 

Dis  :  «  Le  témoignage  de  Dieu  me  suffit  contre  eux.  H  a 
l'œil  ouvert  sur  ses  serviteurs.  » 

^oL'P.ATE  XVII,  versets  92  à  98. 

Dis  :  ((  Je  suis  un  honnne  comme  vous.  J'ai  été  favorisé 
de  révélations  célestes.  11  n'y  a  qu'un  Dieu.  Que  celui  qui 
croit  à  l'assemblée  universelle  fasse  le  bien  ;  et  ne  partage 
point  l'encens  qu'il  doit  à  l'Eternel.  » 

SouRAiT  xviii,  verscl  llll. 

Le  cœur  livré  au  plai.^ir,  les  impies  se  sont  dit  en  secret  : 
«  Mahomet  n'esl-il  pas  un  homme  conmie  nous?  Écouterez- 
vous  un  imposteur?  Vous  le  connaîtrez  bientôt,  n 

Dis  :  «  Dieu  connaît  ce  (pii  se  passe  au  ciel  et  sur  la 
terre.  11  sait  et  entend  tout.  » 

«  (^e  livre,  ont-ils  ajouté,  n'est  qu'un  amas  confus  de 
fables  ;  il  en  est  l'auteur.  Il  les  a  mises  en  vers.  Qu'il  nous 
fasse  voir  des  miracles  comme  les  autres  prophètes.  » 

SounATE  XM,  verscls  3  à  5. 

A  ton  aspect,  les  idolàlfcs  s'armeiont  de  plaisanteries  : 
«Est-ce  là,  dii'ont-ils,  celui  qui  attaque  nos  dieux?»  Et 
eux,  ils  osent  insulter  au  miséricordieux  ! 

SoLRATK  XXI,  verset  07. 
S'ils  t'accusent  d  inq)osluie,  souviens-loi  que  les  peuples 


266  EXTRAITS  UU  CORAN. 

de  Xoé,  d'Aod,  de  Théinod,  d'Abraham,  de  Loth  et  de  Ma- 

dian  ont  ainsi  traité  leurs  prophètes.  Moïse  ne  fut-il  pas 

accusé  de  mensonge?  J'ai  laissé  vivre  les  pervers  jusqu'à 

un  certain  temps  ;  ensuite  je  les  ai  punis,  et  mes  fléaux  ont 

été  terribles. 

SoLT.ATE  XXII.  versel  45. 

Ne  connaissent-ils  pas  leur  apôtre?  Et  ils  nient  la  vérité 
de  sa  mi.ssion  ! 

Diront-ils  qu'il  est  inspiré  par  Satan?  Il  est  venu  leur 
prêcher  la  vérité,  cl  la  plupart  d'entre  eux  l'abhorrent. 

SoriiATE  xxiii.  versets  71  et  72. 

Leur  demanderas-tu  le  prix  de  ton  zèle?  Ta  récompense 

est  dans  les  mains  de  Dieu.  Nul  ne  sait  mieux  récompenser 

que  lui. 

SoDBATE  xxiii,  verset  74. 

Lorsque  vous  avez  entendu  l'accusation  (contre  Ayésha), 
les  fidèles  des  deux  sexes  n'ont-ils  pas  pensé  intérieure- 
ment ce  qu'il  fallait  croire?  N'ont-ils  pas  dit  :  n  Voilà  un 
mensonge  impudent?  » 

Sourate  XXIV,  verset  12. 

Quiconque  est  docile  à  la  voix  de  Dieu  et  du  prophète, 

quiconque  nourrit  dans  son  cœur  la  crainte  et  la  pitié, 

sera  sauvé. 

SoD.iATE  XXIV,  verset  51. 

Ne  parlez  pas  au  prophète  avec  la  familiarité  dont  vous 
usez  entre  vous.  Dieu  connaît  ceux  qui  se  retirent  de  l'as- 
semblée en  secret.  Que  ceux  qui  résistent  à  ses  ordres 
tremblent.  Les  maux  et  les  supplices  sont  prêts  à  fondre 
sur  eux. 

Soun»TE  XXIV,  verset  6.ï. 


I 

I 


MAHOMET.  207 

«  Ouel  est  cot  ap'Jtre?  Il  boit  ot  maiigo  comme  nous.  Il 
se  promène  dans  les  places  pnbliques.  ïn  ange  est-il  des- 
cendu du  ciel  pour  l'inspirer? 

i(  Nous  a-t-il  montré  un  trésor?  A-t-il  produit  un  jardin 
orné  de  fruits?  Suivrons-nous  un  imposteur  trompé  par 
ses  prestiges?  » 

Vois  à  quoi  ils  te  comparent,  lis  sont  dans  l'aveugle- 
ment ;  ils  ne  retrouveront  plus  la  lumière. 

Soi  RATc  XXV,  versets  8  à  10. 

Lorsqu'ils  t'aperçoivent,  ils  s'arment  d'ironie  et  d'in- 
sultes :  «  Est-ce  là,  disent-ils,  l'envoyé  du  Très-Haut? 

«  Peu  s'en  est  fallu  qu'il  ne  nous  ait  fait  abjurer  le  culte 
de  nos  pères.  11  fallait  toute  notre  constance  pour  lui  ré- 
sister. »  Ils  verront,  à  l'aspect  des  tourments,  qui  de  nous 

suivait  le  mauvais  chemin. 

SoiRATF.  XXV,  versets  45  et  4i. 

Ton  ministère  se  borne  i\  la  prédication  de  nos  promesses 
et  de  nos  menaces. 

Je  ne  demande  pour  prix  de  mon  zélé  ijue  de  vous  voir 
marcher  dans  les  voies  du  Seigneur. 

Sourate  xxv,  versets  58  et  ô9. 

Le  Dieu  de  ce  pays,  que  sa  bonté  a  consacré,  le  Dieu  à 
qui  tout  appartient,  m'a  conmiandé  de  me  dévouer  à  son 
culte  et  d'embrasser  l'islamisme. 

Il  m'a  chargé  de  lire  le  Coran.  Ceu.v  qui  recevront  la 

lumière  jouiront  de  cet  avantage  précieux,  et  je  dirai  à 

ceux  qui  persisteront  dans  l'erreur  :  «  Ma  mission  se  borne 

à  vous  prêcher.  » 

.SoLRATE  xxvu,  vcpsets  95  et  04. 

Tu  n'étais  point  sur  le  penchant  du  mont  Siiiai,  lorsque 
nou.s  appelâmes  Moïse  ;    mais   la  miséricorde  divine  t'a 


208  EXTRAITS  DU  CORAN. 

choisi  pour  prêcher  un  peuple  à  qui  il  n'était  point  encore 
venu  d'apôtre,  afin  qu'il  ouvre  les  yeux  à  la  lumière. 

Sourate  xsvin,  verset  40. 

Tu  n'espérais  point  recevoir  le  Coran  ;  c'est  une  faveur 
(lu  ciel.  Xo  prête  point  d'appui  aux  infidèles. 

Qu'ils  ne  t'écarlent  jamais  des  préceptes  divins,  après  les 

grâces  que  tu  as  reçues,  .\ppelle  les  hommes  à  Dieu,  et 

fuis  l'idolâtrie. 

Socn.ME  xxviii,  versets  80  cl  87. 

Ils  ne  veulent,  disent-ils,  ajouter  foi  au  Coran  que  quand 

ils  y  seront  autorisés  par  des  miracles.    Réponds-leur: 

«  Les  miracles  sont  dans  la  main  de  Dieu  ;  je  ne  suis  chargé 

que  de  la  prédication.  » 

SornArE  XXIX.  verset  49. 

0  Mahomet,  souffre  avec  patience  ;  les  promesses  de  Dieu 

.'^ont  infaillibles.  Que  ceux  dont  la  foi  est  chancelante  ne 

t'inspirent  pas  leur  légèreté  ! 

Soii'.ATE  XXX,  verset  00. 

Épouses  du  prophète,  restez  nu  sein  de  vos  maisons,  Xe 
vous  parezpoint  fastueusement,  comme  aux  jours  de  l'ido- 
latrie.  Faites  la  prière  etlaumône.  Obéissez  à  Dieu  et  à  son 
apôtre.  Il  veut  écarter  le  vice  de  vos  cœurs.  Vous  êtes  de 
la  famille  du  prophète,  et  vous  devez  èlre  pures. 

Soir.\TF  xxxiii,  verset  55. 

Lorsque  lu  dis  à  celui  que  Dieu  avait  enrichi  de  ses  grâces 
et  que  tu  avais  comblé  de  biens  :  «  Garde  ton  épouse  et 
crains  le  Seigneur,  »  tu  cachais  dans  ton  cœur  un  amour 
qiu'  le  ciel  allait  manifester.  Tu  appréhendais  les  discoiu's 
(les  hommes,  et  c'est  Dieu  qu'il  faut  craindre.  Zeid  répudia 
son  épouse.  Nous  t'avons  uni  avec  elle,  afin  que  les  fidèles 


MAHOMET.  269 

nient  la  liberté  d'épouser  les  femmes  de  leurs  fils  adoptifs, 
après  la  répudiation.  Le  précopie  divin  doit  avoir  son  exé- 
cution. 

SocRATR  xxxiii.  verset  TJ. 

Malionret  n'est  le  père  d'aucun  de  vous.  11  est  l'envoyé 

de  Dieu  et  le  sceau  des  prophètes.  La  science  de  Dieu  est 

infinie. 

SoiT.ATE  XXXIII.  verscl  40. 

0  prophète,  il  t'est  permis  d'épouser  les  femmes  que  lu 
auras  dotées,  les  captives  que  Dieu  a  fa!t  tombev  dans  les 
mains,  les  filles  de  tes  oncles  et  de  les  lantes  qui  ont  pris 
la  fuite  avec  toi.  et  toute  femme  fidèle  (pii  l'accordera  son 
cœur.  C'est  un  privilège  que  nous  l'accordons. 

SoLiî.xTE  xxïiii,  vcrsel  49. 

Tu  n'ajouteras  point  an  nombre  actuel  de  tes  épouses  ; 
tu  ne  pourras  les  changer  contre  d'autres  dont  la  beauté 
t'aurait  frappé.  Mais  la  fréquentation  de  tes  femmes  es- 
claves l'est  toujours  permise.  Dieu  observe  tout. 

FoinATE  xvxiit,  verset  52. 

0  croyants,  n'entrez  point  sans  permission  dans  la  mai- 
son du  prophète,  excepté  lors((u'il  vous  invite  à  sa  table. 
Rendez-vous-y  lorsque  vous  y  êtes  appelés.  Sortez  séparé- 
ment après  le  repas,  et  ne  prolongez  point  vos  entreliens. 
Vous  l'offenseiiez  ;  il  rougirait  de  vous  le  dire.  Mais  Dieu 
ne  rougit  point  de  la  vérité.  Si  vous  avez  quelque  demande 
à  faire  à  ses  femmes,  faites  la  à  travers  un  voile.  C'est  ainsi 
(juevos  cœurs  et  les  leurs  conserveront  leur  pureté.  Kvilez 
de  blesser  le  ministre  du  Seigneur.  N'épous'z  jamais  les 
femmes  avec  qui  il  aura  eu  commerce  ;  ce  serait  un  nime 

aux  yeux  de  I  Kternel. 

SoiRATr  XXX III,  ver«cl  .')">. 


270  EXTRAITS  DU  COP.AN. 

Ministre  du  Très-Haut,  console  la  terre  par  l'espoir  du 
bonheur.  Effraye-la  par  des  menaces.  Elle  est  environnée 
des  ombres  de  l'ignorance. 

Sourate  xxxiv  , verset  27. 

Avant  toi,  nous  ne  leur  avions  envoyé  ni  livre  ni  apôtre. 

Dis  :  «  Je  ne  vous  demande  point  le  prix  de  mon  zélé. 
Gardez  vos  présents.  Ma  récompense  est  dans  les  mains  de 
Dieu.  Il  est  le  témoin  universel.  » 

Dis  :  «  Si  je  suis  dans  Terreur,  elle  se  tournera  contre 
moi-même.  Si  je  suis  éclairé,  je  dois  la  lumière  aux  inspi- 
rations de  Dieu.  11  est  prés  de  l'homme  ;  il  l'entend.  » 

SoruATE  XXXIV,  versets  45,  46  et  49. 

On  ne  comparera  point  la  vie  à  la  mort.  Dieu  donne  Tin- 

telligence  à  qui  il  lui  plait.  Tu  ne  saurais  faire  entendre 

ceux  qui  reposent  dans  le  tombeau.  Ton  ministère  se  borne 

à  la  prédication. 

Sourate  xxxv,  verset  21. 

Si  l'on  nie  la  doctrine,  sache  que  les  prophètes  venus 

avant  toi  subirent  le  même  sort,  quoique  les  miracles,  la 

tradition  et  le  livre  qui  éclaire  (rÉvangile)  attestassent  la 

vérité  de  leur  mission. 

SoL'iiATE  XXXV,  verset  23. 

Ils  ont  promis  à  Dieu  par  les  serments  les  plus  solennels 

que,  s'il  leur  envoyait  un  apôtre,  ils  s'empresseraient  de 

suivre  sa  doctrine.  L'apôtre  a  paru,  et  leur  aversion  pour 

la  foi  s'est  augmentée. 

Sourate  xxxv,  verset  40. 

J'en  jure  par  le  Coran  qui  contient  la  sagesse  : 

Tu  es  l'envoyé  du  Très-Haut. 

Ta  voix  appelle  les  hommes  au  clieniiii  du  salut. 

Sourate  xxxvi,  versets  i  ixô. 


>IA110MF.T.  271 

Nous  n'avons  point  enseigné  la  poésie  au  prophète.  Cet 
art  ne  lui  convient  pas.  Son  ministère  est  la  prédication 
et  la  lecture. 

Il  doit  exhorter  les  vivants ,   et  menacer  les  infidèles 

des  vengeances  célestes. 

SorRATE  xxxTi.  \ersets  69  et  70. 

L'aveuglement  des  infidèles  te  surprend,  et  ils  rient  de 
ton  étonnement. 

En  vain  tu  veux  les  instruire;  leurs  cœurs  rejettent  l'in- 
struction. 

S'ils  voyaient  des  miracles,  ils  s'en  moqueraient. 

Us  les  attribueraient  aux  effets  de  la  magie. 

SociuTE  ïxwii,  versels  12  à  15. 

Les  habitants  de  la  Mecque  sont  étonnés  qu  un  de  leui-s 
concitoyens  ait  été  revêtu  du  caractère  d'apôtre  ;  et  les  in- 
fidèles ont  dit  :  «  C'est  un  faux  prophète. 

'■  Prétend-il  que  plusieurs  dieux  ne  soient  qu'un?  Cette 
opinion  est  merveilleuse.  » 

Leurs  chefs  se  sont  levés  et  ont  dit  :  ><  Gardez  votre  culte; 
soyez  fidèles  à  vos  dieux,  nous  connaissons  ses  desseins. 

a  La  secte  la  plus  récente  n'a  point  prêché  l'unité  de 
Dieu.  Cette  doctrine  est  fausse. 

a  Mahomet  eùt-il  étô  élu  préférablement  à  nous  pour 
recevoir  le  Coran  ?  » 

Oui,  ils  doutent  de  ma  religion;  mais  ils  n'ont  pas  en- 
core éprouvé  mes  châtiments. 

SocEATE  xixviii,  versets  3  à  9. 

Hommes  insensés,  m'ordonnerez-vous  d'adorer  un  autre 
que  Dieu? 

Dieu  t'a  révélé,  il  a  révélé  aux  peuples  anciens  que  l'ido- 
lâtrie rend  les  œuvres  vaines,  et  assure  la  réprobation. 


272  KXTRAIIS  DU  CORAN. 

Adresse  ton  encens  à  Dieu,  et  rends-lui  des  actions  de 

grâces. 

SounATE  xxxix,  versets  64  à  66. 

Dis-leur  :  <'  Je  ne  suis  qu'un  mortel  comme  vous.  Le  ciel 
m'a  révélé  qu'il  n'y  a  qu'un  Dieu.  Soyez  justes  devant  lui  ; 
implorez  sa  miséricorde.  .Malheur  aux  idolâtres!  n 

Souhate  xli,  verset  .^, 

Nous  t'avons  lévélé  le  Coran  eu  arabe,  afin  que  tu  le 

prêches  à  la  Mecque  et  dans  les  villes  voisines.  .Annonce  le 

jour  du  jugement.  On  ne  saurait  douter  de  sa  venue.  Une 

partie  du  genre  humain  entrera  dans  le  paradis,  et  l'autre 

desCLMidra  dans  l'enfer 

Sourate  xi.ii,  verset  5. 

La  prédication  de  l'unité  de  D'eu  a  fait  naître  des  débats 
envenimés  par  l'envie.  Si  l'arrêt  qui  diffère  le  châtiment 
des  incrédules  n'eût  été  prononcé,  le  ciel  aurait  terminé 
leur  querelle.  Les  juifs  et  les  chrétiens  doutent  de  la  vérité. 

Sourate  xi  h,  verset  i>. 

Diront-ils  ;  «  Mahomet  prête  à  Dieu  de  faux  oracles?  »  Il 

imprimera  sur  ton  cœur  le  sceau  de  la  patience.  Il  détruira 

le  mensonge  et  confirmera  la  vérité  de  sa  parole;  il  sonde 

le  fond  des  cœurs. 

SouiiATE  XI.II,  verset  ij. 

Dieu  ne  parle  à  Ihomme  que  par  inspiration,  ou  derrière 
un  voile  ; 

Ou  bien  il  envoie  un  de  ses  ministres  pour  lui  faire  con- 
naître ses  volontés;  et  il  est  sage  et  sublime. 

C'est  ainsi  que  nous  l'avons  envoyé  noire  esprit  (Gabriel). 
.\vant  cette  épiupie  heineuse,  lu  ne  comiaissais  point  le  Co- 
ran. Nous  V  avons  fait  briller  la  vraie  lumière.  Nos  secla- 


MAHOMET.  '273 

tours  marcheront  à  sa  clarté.  Par  elle  tu  conduiras  les 
hommes  dans  le  chemin  de  la  justice  ; 

Dans  le  chemin  de  Dieu,  souverain  des  cieux  et  de  la 
terre.  X'est-il  pas  le  terme  de  toutes  choses? 

SouiATF.  xLii,  versets  ôl  à  53. 

Comment  auraient-ils  la  foi?  L'envoyé  véritable  la  leur  a 
prêcjiée  ; 

Et  ils  se  sont  séparés  de  lui,  et  ils  ont  dit  :  ((  C'est  un 
homme  qu'on  fait  parler,  et  que  le  démon  inspire.  ï 

Soci  ATE  xi.iv,  vei'scts  1"2  et  i~. 

Nous  t'avons  établi  le  chef  suprême  de  la  religion  sainte; 

suis-la,  et  no  condescends  point  aux  désirs  de  ceux  qui  sont 

dans  les  ténèbres. 

SciRvTE  xLv,  verset  17, 

Diront  ils  que  Mahomet  est  l'auteur  du  Coran?  Uéponds  : 
«  S'il  est  mon  ouvrage,  vous  ne  me  soustrairez  point  à  la 
vengeance  divine;  mais  Dieu  connait  vos  mensonges.  Son 
suffrage  nie  suffit  contre  vous.  Il  est  indulgent  et  miséri- 
cordieux.   » 

l>is  :  «  Je  ne  .suis  pas  le  premier  des  apotrcs  ;  j'ignore 
quel  sort  le  Tout-Puissant  nous  réserve  ;  je  suis  fidèle  atix 
inspirations  divines.  .Mon  ministère  se  borne  à  la  prédica- 
tion. » 

Soin  ME  xLvi.  versets  7  et  8. 

Dieu   effacera  les  péchés  ,  et  rectifiera  l'intention  des 

fidèles  qui  croient  à  la  religion  que  la  Vérité  éternelle  aj)- 

porta  à  Mahomet. 

SoiRATE  xLvii,  veisct  2 

La  Vérité  éternelle  a  accompli  la  révélation  qu'eut  le 
prophète,  quand  elle  fit  entendre  ces  mots:  a  Vous  en- 


-m  KXTn.uïs  DU  cori.vN. 

li'eiez  dan:?  le  temple  de  la  Mecque,  sains  et  saiils,  la  tète 
rasée,  et  sans  crainte.  Dieu  sait  ce  que  vous  ignorez.  Il  vous 
prépare  une  victoire  prochaine.  » 

£ori(\T2  xLviir,  verset  27. 

iMahonict  est  lenvoyé  de  Dieu.  Ses  disciples  sont  terri- 
bles contre  les  infidèles,  et  humains  entre  eux.  Vous  les 
voyez  se  courber,  adorer  le  Seigneur,  implorer  sa  miséri- 
corde, uniquement  occupés  du  soin  de  lui  plaire.  Lesmar- 
(jues  de  leur  piété  paraissent  sur  leur  front.  Le  Pentateuque 
et  l'Évangile  comparent  leur  zèle  au  grain  do  froment  qui 
produit  une  tige.  Il  croit  ;  il  grossit,  il  s'affermit  sur  ses  ra- 
cines. Le  moissonneur  le  voit  avec  complaisance.  Tels  sont 
les  fidèles.  Leurs  vertus  excitent  la  rage  des  méchants. 
Mais  Dieu  a  i)romis  sa  miséricorde  à  ceux  qui  ont  embrassé 
la  foi,  et  qui  ont  exercé  la  bienfaisance  ;  il  leur  destine  une 

récompense  glorieuse. 

Sourate  xi.viii,  verset  29. 

0  croyants,  n'élevez  point  la  voix  au-dessus  de  celle  du 
prophète;  ne  lui  parlez  point  avec  la  familiarité  qui  règne 
entre  vous,  de  peur  que  vos  œuvres  ne  soient  vaines;  vous 
n'y  pensez  pas. 

Dieu  a  éprouvé  la  piété  de  ceux  qui  parlent  respectueu- 
sement à  son  apôtre.  L'indulgence  et  un  trésor  inestimable 
seront  leur  récompense. 

L'inlérieur  de  ta  maison  est  lui  sanctuaire;  ceux  qui  le 

violent,  en  l'appelant,  manquent  au  respect  qu'ils  doivent  à 

l'interprète  du  ciel. 

SoinATi;  xi.ix,  versets  "1  à  4. 

0  Mahomet,  prêche  lesinfiiléles.  Tu  n'es,  grâce  au  ciel, 
ni  magicien  ni  inspiré  par  Satan. 

hironl-ils  que  tu  es  poète,  et  qu  il  faut  attendre  que  le 
sort  ail  disposé  de  toi  V 


M  Ail  0)1  Ll.  'J7J 

Repoiiclb-lour  :  <<  AUendt-z  ;  jatleiidiai  avec  vous,  n 

SoLiivTK  III,  ver.-elb  'i'J  et  ôl. 

J'en  jiiie  par  l'oloile  qui  se  couche  : 

Votre  compatriote  n'est  point  dans  l'errour;  il  n'a  point 
été  séduit. 

Il  ne  suit  pi)int  ses  propres  lumières. 

Tout  ce  ({u'il  dit  est  une  inspiration  divine. 

Celui  qui  possède  la  force  l'a  instruit. 

Gabriel,  l'intelligence  sublime, 

S'assit  au  plus  haut  de  l'horizon  ; 

ensuite  il  prit  son  vol  vers  le  prophète; 

Il  descendit  à  la  distance  de  deux  arcs,  ou  plus  près 
encore. 

Il  favorisa  son  serviteur  d'une  révélation. 

Le  cœur  de  Maliomet  ne  déclare  que  ce  qu'il  sait. 

Disputerez-vous  sur  cette  vision? 

Il  avait  déjà  vu  le  même  ange 

Près  du  Lotus,  qui  termine  le  séjour  de  délices. 

Soir.ATELiii,  versets  1  à  14. 

0  croyants,  faites  une  aumône  avant  de  parler  au  pro- 
phète. Cette  œuvre  sera  méritoire  et  vouspuritiera.  Si  l'in- 
digence s'oppose  à  vos  intentions.  Dieu  est  clément  et  mi- 
séricordieux. 

Sourate  i.viii,  verset  15. 

Les  habitants  de  Mèdinc,  qui  les  premiers  ont  reçu  la 
foi,  chérissent  les  croyants  qui  viennent  leur  demander  un 
asile  ;  ils  n'envient  point  la  portion  du  butin  qui  leur  est 
accordée;  oubliant  la  loi  du  besoin,  ils  préfèrent  leurs 
hôtes  à  eux-mêmes.  La  félicité  sera  le  prix  de  ceux  qui  ont 
défendu  leur  cœur  de  l'avarice. 

Sourate  i.ix,  verset  9. 


276  KXir.AITS  DU  CORAN. 

0  croyante,  n'entretenez  aucune  liaison  avec  mes  enne- 
mis et  les  vôtres.  Vous  leur  montrez  de  la  bienveillance, 
et  ils  ont  abjuré  la  vérité  qu'on  leur  a  enseignée.  Ils  vous 
ont  rejelés,  vous  et  le  propbéte,  du  sein  de  leur  ville,  partie 
que  vous  aviez  la  loi.  Si  vous  les  combattez  pour  la  défense  ■ 
de  ma  loi  et  pour  mériter  mes  faveurs,  conserverez-vous  de 
l'amitié  pour  eux'?  Je  connais  ce  qui  est  caché  au  fond  de 
vos  cœurs,  et  ce  que  vous  {)roduisez  au  grand  jour.  Celui 
qui  trahira  mes  intérêts  aura  abandonné  le  sentier  de  la 

justice. 

Sutn.^TE  L\,  Vinscl  \. 

0  pro[)liéle,  si  des  femmes  fidèles  viennent  te  demander 
un  asile,  après  l'avoir  promis  avec  serment  de  fuir  l'ido- 
lâtrie, de  ne  poml  voler,  d'éviter  la  fornication,  de  ne  point 
tuer  1  urs  enfants,  de  ne  te  désobéir  en  rien  de  ce  qui  est 
juste,  donne-leur  ta  foi  et  prie  Dieu  pour  elles.  H  est  in- 
dulgent et  miséricordieuv. 

Soi  r..\TK  Lx    verset  12. 

Le  prophète  ayant  confie  un  secret  à  une  de  ses  femmes 
(Ilafsa),  elle  le  puldia.  Dieu  lui  révéla  celle  indiscrétion. 
D'abord,  il  la  reprit  avec  douceur,  et  ensuite  il  lui  rapporta 
tout  ce  qu'elle  avait  divulgué.  —  m  Qui  vous  a  si  bien  in- 
slriiir.'  ))  lui  demanda-l-elle.  —  «  C'est,  répondit  Mahomet, 
celui  à  qui  rien  n'est  caché. 

«  Votre  cœureslcoupabled'uneindiscrélion.  Implorez  la 
clémence  du  ciel;  il  vous  pardonnera.  Si  vous  êtes  rebelle 
au  prophète,  le  Seigneur,  Gabriel  et  les  vrais  croyants  sont 
SOS  prulccleurs;  et  les  anges  le  vengeront. 

((  S'il  vous  répudie.  D'eu  peut  lui  donner  des  épouses 
meilleures  que  vous,  des  femmes  qui  professeront  l'isla- 
misme, (pii  seront  fidèles,  obéissantes,  dévouées,  pieuses, 
cl  appliquées  à  la  prière,  soit  veuves,  sot  vierges.  » 

ScMi'.ATi:  i.xvi.  verseU  Ti  à  5. 


MAHOMET.  277 

Peu  s'en  faiU  fpie  les  infidèles  ne  l'ébraiilent  par  leurs 
regards,  quand  ils  entendent  la  lecture  du  Coran,  et  qu'ils 
disent  :  «  C'est  un  insensé.  » 

Le  Coran  est  le  dépôt  de  la  foi,  envoyé  aux  hommes  pour 

les  instruire. 

SuiRiTE  i.xviii,  versets  ôi  cl  o2. 

Votrt'  eoncitoyen  n'est  point  inspiré  par  Satan. 
Il  a  vu  Gabriel  au  haut  de  l'horizon,  rer-plendissanlde 
lumière. 

11  ne  cache  point  les  révélations  du  ciel. 

Ce  livre  n'est  point  l'ouvraiie  de  Satan  foudroyé. 

SoiRATK  isxxi,  versets  22  à  20. 

^"élais-tll  pas  orphelin?  Dieu  n'a-l-il  pas  protégé  ton  en- 
fance? 
Il  t'a  trouvé  dans  l'erreur,  et  il  t'a  écla'ré. 
Tu  éîais.panvre,  et  il  t'a  enrichi. 
Ne  fais  donc  point  de  violence  à  l'orphelin  ; 
Ne  repousse  point  le  pauvre  qui  te  demande. 
Raconte  plutôt  les  bienfaits  dont  le  ciel  t'a  comblé. 

SoiT.ATE  xciii,  versets  0  à  11- 

Que  penser  de  celui  qui  trouble 
Le  serviteur  de  Dieu,  quand  il  prie, 
Lorsqu'il  accomplit  l'ordre  du  ciel, 
Et  qu'il  recommande  la  piété? 

S'URATE  xcvi,  versets  9  à  12. 

.\  l'union  de  Corayehiles  ! 

Elle  importe  à  la  .<i'ireté  du  commerce,  en  hiver  et  en  été. 
Qu'ils  adorent  le  Dieu  de  ce  temple,  le  Dieu  qui  les  a 
nourris  pendant  la  famine,' 

Et  qui  les  a  délivrés  des  alarmes. 

SoillATE  CVI. 

16 


278 


LMUAHS  du  CORAN. 


Mis  :  c  U  infidèles, 

■II'  n'adororai  point  vos  simulacres. 

Vous  n'adorerez  point  mon  Dieu. 

J  abhorre  votre  culte, 

Ma  religion  n'est  point  la  vôtre  ; 

Vous  avez  votre  crovance,  et  moi  la  mienne. 


SoURATr  IIX. 


LE    CORAN 


Il  n'y  a  point  de  doute  sur  ce  livre  ;  il  e?t  la  règle  de 
ceux  qui  craignent  le  Seigneur; 

De  ceux  qui  croient  aux  vérités  siihlimes,  qui  font  la 
prière  et  versent  dans  le  sein  des  pauvres  wno  portion  des 
biens  que  nous  leur  avons  donnés  ; 

De  ceux  qui  croient  à  la  doctrine  que  nous  t'avons  en- 
voyée du  ciel,  et  aux  Écritures  ;  de  ceux  qui  sont  altacliés 
fermement  ;'i  la  croyance  de  la  vie  éternelle. 

Le  Seigneur  sera  leur  guide,  et  la  félicité  sera  leur  par- 
tage. 

Pour  les  infidèles,  soit  que  tu  leur  pièclies  ou  ne  leur 
prêches  pas  l'islamisme,  ils  persisl  'ront  dans  leur  aveugle- 
ment. 

Dieu  a  imprimé  son  sceau  siu'  leurs  cœurs  ;  leurs  oreil- 
les et  leurs  yeux  sont  couverts  d'un  voile,  et  ils  sont  destinés 

à  la  rigueur  des  supplices. 

SoLRATF.  Il,  versets  lad. 

Si  VOUS  doutez  du  livre  que  nous  avons  envoyé  à  notre 
serviteur,  apportez  un  chapitre  semhlahle  à  ceux  qu'il  l'en- 
ferme;  et  si  vous  êtes  sincères,  osez  invoquer  vos  témoins 
à  côté  du  témoignage  de  Dieu. 

Si  vous  ne  l'avez  pu  faire,  vous  ne  le  pourj-ez  jamais; 


280  EXTRAITS  DU  CORAN. 

craignez  donc  un  feu  qui  aura  ^our  aliment  les  hommes  et 
les  pierres,  feu  pié|  are  pour  les  infidèles. 

SocRVTE  il,  versets  21  et  26 

Les  incrédules  et  ceux  qui  traitent  notre  doctrine  de 
mensonge,  seront  dévoués  aux  flammes  éternelles. 

0  enfants  d'Israël,  souvenez-vous  des  bienfaits  dont  je 
vous  ai  comblés  ;  conservez  mon  tdliance,  et  je  conserverai 
la  vôtre;  révérez-moi.  Croyez  au  livre  que  j'ai  envoyé;  il 
confirme  vos  Kcritures  ;  ne  soyez  pas  les  premiers  à  lui  re- 
fuser voire  croyance.  x\e  corrompez  pas  ma  doctrine  pour 

un  vil  intérêt.  Craignez-moi. 

SoLE.\TE  II,  versets  57  et  j8. 

Après  que  Dieu  leur  a  envoyé  le  Coran  pour  confirmer 
leurs  Écritures,  à  eux  qui  auparavant  imploraiejit  le  secoujs 
du  ciel  contre  les  incrédules;  après  qu'ils  ont  reçu  ce 
livre,  qui  leur  avait  été  prédit,  ils  ont  refusé  d'y  ajouter 
foi.  .Mais  le  Seigneur  a  frappé  de  malédiction  les  cœurs  in- 
fidèles. 

Quand  on  leur  demande  :  «  Croyez-vous  à  ce  que  Dieu  a 
envoyé  du  ciel?  »  ils  répondent  :  «  Nous  croyons  aux  Écri- 
tures que  nous  avons  reçues;  »  et  ils  rejettent  le  livre  véri- 
table, venu  depuis,  pour  mettre  le  sceau  à  leurs  livres  sa- 
crés! Dis-leur  :  «  Pourquoi  avez-vous  tué  les  prophètes,  si 

vous  aviez  la  foi?  » 

SoiRATT  II,  versets  85  et  85. 

C'est  Gabriel  qui,  par  la  permission  de  Dieu,  a  déposé  le 

Coransur  ton  cœur,  pour  confirmer  les  livres  sacrés  vernis 

avant  lui,  pour  être  la  règle  de  la  foi,  cl  pour  remplir  de 

joie  les  fidèles. 

SoinATEii,  verset  91. 

I,iii'i|U(^  l'i'uvoyè  du  Seigneur  a  paru  au  milieu  d'eux. 


LE  CORAN.  281 

pour  mettre  le  sceau  à  la  vérité  de  leurs  Écritures,  une 
partie  d'entre  eux  a  rejeté  avec  mépris  le  livre  divin, 
comme  s'ils  ne  l'eussent  pas  connu. 

SonuTE  II,  verset  95. 

Nous  t'avons  envoyé,  avec  la  Vérité,  pour  être  l'organe 
de  nos  promesses  et  de  nos  menaces;  et  tu  n'auras  aucun 
compte  à  rendre  de  ceux  qui  seront  précipités  dans  l'enfer. 

Les  juifs  et  les  chrétiens  ne  t'approuveront  que  quand 
tu  auras  remplacé  leur  croyance.  Dis-leur  que  la  doctrine 
de  Dieu  est  la  seule  véritable.  Si  tu  condescendais  à  leurs 
désirs,  après  la  science  que  tu  as  reçue,  quelle  protection 
trouverais-tu  auprès  du  Tout-Puissant? 

Ceux  à  qui  nous  avons  donné  le  Coran,  et  qui  lisent  sa 
doctrine  véritable,  ont  la  foi  ;  ceux  qui  n'y  croiront  pas 
seront  au  nombre  des  réprouvés. 

SoiuATE  II,  versels  Hô  à  115. 

Envoie  un  apôti  e  de  leur  nation  pour  leur  annoncer  tes 
merveilles,  pour  leur  enseigner  le  Coran  et  la  sagesse,  et 
pour  les  rendre  purs.  Tu  es  puissant  et  sage. 

Qui  rejettera  la  religion  d'Abraham,  si  ce  n'est  l'in- 
sensé? Nous  avons  élu  Abraham  dans  ce  monde,  et  il 
sera  dans  l'autre  au  nombre  des  justes. 

Quand  Dieu  lui  dit  :  «  Embrasse  l'islamisme,  »  Abraham 
répondit  :  «  Je  l'ai  embrassé,  ce  culte  du  souverain  des 
mondes.  » 

Abraham  et  Jacob  recommandèrent  leur  croyance  à  leur 
postérité  :  «  0  mes  enfants,  dirent-ils,  Dieu  vous  a  choisi 
une  religion  ;  soyez  y  dévoués  jusqu'à  la  mort.  )> 

Éliez-vous  présents  lorsque  la  mort  vint  visiter  Jacob  ? 
Il  dit  à  ses  fils  :  «  Qui  adorerez-vous  après  ma  mort?  »  — 
«  Nous  adorerons,  lépondirent-ils,  ton  Dieu,  le  Dieu  de  tes 

16. 


'28-2  F.XTP.MTS  DL'  CORAN. 

pères,  Abraham,  Ismaël  et  Isaac,  le  Dieu  unique;  nous 
serons  de  fidèles  musulmans.  )>    • 

Soir  ME  ii.  versets  12">  ;i  127. 


Dites:  «  Nous  croyons  en  Dieu,  au  livre  qui  nous  a  été 
envoyé,  à  ce  qui  a  été  révélé  à  Abraham,  Ismaël,  Isaac, 
Jacob,  et  aux  douze  tribus.  Nous  croyons  à  la  doctrine  de 
Moïse,  de  Jésus  et  dos  prophètes  ;  nous  ne  mettons  aucune 
différence  entre  eux,  et  nous  sommes  musulmans.  « 

SoiBATF.    II.    \OI"SCtS  150. 

Dieu  a  envoyé  le  livre  qui  renferme  la  vérité;  ceux  qui 
s'en  écartent  marchent  dans  l'erreur. 

Sol'hatf,  II.  vpiscl  m. 

Le  mois  de  Rhamadan,  d.ms  lequel  le  Coran  est  descendu 
du  ciel,  pour  être  le  ^ruide  et  la  lumière  des  hommes,  el 
la  règle  de  leurs  devoirs,  est  le  temps  destiné  à  l'abstinence. 
Dès  que  l'on  verra  ce  mois,  on  doit  observer  ce  précepte. 
Celui  qui  sera  malade,  ou  en  voyage,  jeûnera  dans  la  suite 
un  nombre  pareil  de  jours.  Dieu  veut  vous  conduire  avec 
douceur,  afin  que  vous  lemplissiez  le  commandement  et 
que  vous  célébriez  ses  louanges.  Il  prend  soin  de  vous 
guider  lui-même,  afin  que  vous  l'honoriez  par  votre  l'o- 
connaissance. 

SolRATE   II,    VOlVCt    1S|. 

Il  n'y  a  de  Dieu  que  le  Dieu  vivant  et  éternel. 

Il  l'a  envoyé  le  Livre  qui  renfeime  la  vérité,  pour  con- 
firmer la  vérité  des  Éciilures  qui  l'ont  précédé.  Avant  lui, 
il  fit  descendre  le  Pentaleuqueel  l'Évangile,  pour  servir  de 
guide  aux  honunes  ;  il  a  envoyé  le  Coran  des  cieux. 

Ceiw  qui  nieront  la  doctriiu^  divine  ne  doivent  s'attendre 


u:  ronvN.  285 

qu'à  des  supplices;  Dieu  est  puissant,  et  la  veugeance  est 
dans  ses  mains. 

Rien  de  ce  qui  est  dans  les  cieux  et  sur  la  terre  i;e  lui 
est  caché.  C'est  lui  qui  vous  forme  comme  il  lui  plaitdans 
le  sein  de  vos  mères.  Il  n'y  a  point  d'autre  Hieu  que  lui; 
il  est  puissant  et  sage. 

C'est  lui  qui  t'a  envoyé  le  Livre.  Parmi  les  versets  qui  le 
composent,  les  uns  renferment  des  préceptes  évidents  et 
sont  la  base  de  l'ouvrage  ;  les  autres  sont  allégoriqnes. 
Ceux  qui  ont  du  penchant  à  l'erreur,  s'attacheront  à  ces 
derniers  versets,  et  formeront  un  schisme  en  voulant  les  in- 
terpréter. Dieu  seul  en  a  l'explication.  Mais  les  hommes 
consommés  dans  la  science  divine  diront  :  «  Nous  croyons 
au  Coran;  tout  ce  qu  il  icnferme  vient  de  Dieu.  »«  Ce  lan- 
gage est  celui  des  sages. 

JdlBATF   III.   VCrSOls    l    il   5. 

Ce  livre  est  la  lumière  du  monde,  la  règle  de  la  foi,  et 
rexhortation  de  ceux  qui  sont  pieux. 

SoniATF  III.  verset  1."'2. 

0  vous  qui  reçûtes  le  livre  de  la  loi,  notre  envoyé  vous 
a  révélé  beaucoup  de  passages  que  vous  cachiez;  il  a  passé 
avec  indulgence  sur  beaucoup  d'autres.  La  lumière  vous 
est  descendue  des  cieux  avec  le  Coran;  Dieu  s'en  servira 
pour  conduire  dans  le  sentier  du  salut  ceux  qui  suivront  sa 
volonté.  Il  les  fera  monter  des  ténèbres  à  la  lumière,  et  les 
conduira  dans  le  droit  chemin. 

StaRATE  y,  vorset  18. 

Nous  t'avons  envoyé  le  Livre  véritable,  qui  confirme  les 
Écritures  qui  l'ont  précédé,  et  qui  en  rendent  témoignaf:e. 
Juge  entre  les  juifs  et  les  chrétiens,  suivant  les  commande- 
nients  de  D  eu.  .Ne  suis  pas  leurs  désirs,  et  ne  t'écarte  pas 


•284  EXTRAITS  DU  CORAN. 

de  la  doctrine  que  tu  as  reçue.  Nous  avons  donné  à  chacun 
de  vous  des  lois  pour  se  conduire. 

SoLuiATE  V,  verset  52. 

Lorsqu'on  leur  a  dit  :  a  Embrassez  la  religion  que  Dieu 
a  révélée  à  son  apôtre  ;  »  ils  ont  répondu  :  «(  La  croyance 
de  nos  pères  nous  sulfif.  »  Peu  leur  importe  que  leurs 
pères  n'aient  eu  ni  science,  ni  lumières  pour  se  conduire. 

Sourate  v,  verset  10."». 

Quand  même  nous  t'aurions  envoyé  un  livre  écrit,  les 
infidèles,  en  le  touchant  de  leurs  mains,  se  seraient  écriés: 
«  C  est  une  imposture.  » 

a  Si  un  ange,  disent-ils,  ne  vient  pas  accompagner  le 
prophète,  nous  ne  croirons  pas  en  lui.  »  Quand  Dieu  leur 
en  ferait  descendre  un  du  ciel,  ils  resteraient  incrédules. 
Leur  perte  est  certaine.  On  n'attendra  point  leur  repentir. 

Si  nous  faisions  descendre  un  ange,  ce  serait  sou?  la 
forme  et  les  habits  d'un  homme. 

SoinATE  VI.  versets  7  ;i  10. 

Les  Juifs  ne  rendent  pas  hommage  à  la  vérité,  lorsqu'ils 
soutiemient  que  Hieu  n"a  rien  révélé  au.x  hommes.  Qui  a 
envoyé  à  Moïse  le  livre  de  la  loi,  où  brille  la  vraie  lumière, 
ce  livre  que  vous  écrivez,  mais  dont  vous  voulez  nous 
soustraii'e  une  partie?  lîépondez  :  C'est  Dieu.  Le  Coran 
vous  a  appris  ce  que  vous  ignoriez  et  ce  qu'ignoraient  vos 
pères. 

Nous  l'avons  fait  descendre  du  ciel,  ce  livre  béni,  pour 

confirmer  les  anciennes  Écritures,  pour  que  tu  le  prêches 

à  la  .Mecque  et  dans  les  villes  voisines.  Ceux  qui  ont  la 

croyance  de  la  vie  future  croient  en  lui.  Ils  seront  exacts 

obstMvateni's  de  la  prière. 

SounATF.  VI,  versets  91  et  !  2. 


LE  CORAN.  285 

Chercherai-je  un  autre  juge  que  Dieu?  C'est  lui  qui  a 

envoyé  le  Coran,  où  le  mal  et  le  bien  sont  pesés.  Les  Juifs 

savent  qu'il  est  véritablement  descendu  du  ciel.  Garde-toi 

d'en  douter. 

SoiRATE  VI,  verset  114. 

Cette  doctrine  est  celle  de  Dieu.  Elle  est  la  véritable; 
nous  l'avons  démontrée  à  ceux  qui  sont  intelligents. 

SoL'RATE  VI,  verset  126. 

Croyez  an  Coran,  ce  livre  béni  que  nous  avons  fait 
descendre  des  cieux.  Craignez  le  Seigneur,  et  vous  éprou- 
verez les  effets  de  sa  miséricorde. 

SocRATE  VI,  verset  156. 

Vous  ne  direz  plus  :  «  Si  l'on  eût  envoyé  un  livre,  nous 
aurions  été  plus  éclairés  qu'eux,  n  Vous  avez  reçu  les  ora- 
cles divins,  la  lumière  et  les  grâces  du  ciel.  Quoi  de  plus 
injuste  maintenant  que  de  blaspbémer  contre  la  religion 
sainte  et  de  s'en  éloigner?  Nous  réservons  à  ceux  qui  la 
rejettent  un  supplice  digue  de  leur  rébellion. 

Sourate  vi,  verset  157. 

Le  Coran  t'a  été  envoyé  du  ciel.  Ne  crains  pas  de  t'en 
servir  pour  menacer  les  méchants  et  exhorter  les  infi- 
dèles. 

SoL'RATE  VII,  verset  1. 

Nous  avons  apporté  aux  hommes  un  livre  où  brille  la 
science  qui  doit  éclairer  les  fidèles  et  leur  procurer  la  mi- 
séricorde divine. 

.\ttendent-ils  l'accomplissement  du  Coran  ?  Le  jour  où  il 
sera  accompli,  ceux  qui  auront  vécu  daus  l'oubli  de  ses 
maximes  diront  :  «  Les  ministres  du  Seigneur  nous  prê- 
chaient la  vérilé.  Où  trouverons-nous  maintenant  des  in- 


2S6  EXTRAITS  DU  CORAN 

tercesseurs  ?  Quel  espoir  avons-nous  de  retourner  sur  la 
terre  pour  nous  corriger?  »  Ils  ont  perdu  leurs  âmes,  cl 
leurs  illusions  se  sont  évanouies. 

SornvTE  vil.  vei"sels50  et  51. 

Situ  ne  fais  briller  à  leurs  yeux  quekpie  signe  éclatant. 
ils  diront  :  i  De  quelles  fables  viens-tu  nous  bercer"? 
Réponds-leur  :  vj  Je  ne  viens  vous  prêcher  que  ce  que  le 
ciel  m'a  révélé.  Ce  livre  renferme  le?  préceptes  divins;  il 
est  la  régie  des  croynnls  et  le  gage  de  la  misérie'^rde  di- 
vine. 

«Ecoutez  en  silence  la  lecture  du  Coran,  afin  que  vous 
soyez  dignes  de  la  clémence  du  Seigneur.  ï> 

SocBATE  VII.  versets  '2(*i  et  '203. 

Quand  une  nouvelle  sourate  descend  d'en  haut,  il  y  en 
a  parmi  eux  qui  disent  :  «  Cette  nouvelle  sourate  peut-elle 
accroître  la  foi  d'aucun  de  nous?  »  Oui  ;  elle  fortifiera  la 
croyance  des  fidèles,  et  ils  y  trouveront  leur  consolation. 

SocRATK  is,  verset  l"2r). 

Le  Coran  est  l'ouvrage  de  Dieu.  11  confirme  la  vérité  des 
Ecritures  qui  l'ont  précédé;  il  en  est  l'interprétation.  On 
n'en  saurait  douter.  Le  Souverain  des  mondes  l'a  fait 
descendre  descieux. 

SocRATE  X.  verset  ?8. 

S'ils  disent  :  u  Mais  c'est  Mahomet  qui  en  eslTauteur! 
Réponds-leur:  >  .\pporlez  donc  un  seul  chapitre  semblable 
à  ceux  qu'il  contient,  et  appelez  à  votre  aide  qui  vous  vou- 
drez, hormis  Dieu,  si  vous  êtes  sincères.  » 

Ils  accusent  de  fausseté  un  livre  dont  ils  ne  comprennent 
pas  la  doctrine,  et  dont  ils  n'ont  pas  encore  vu  l'accom- 
plissement. C'est  ainsi  que  les  prophètes  venus  avant  euv 


I.E  Cor.A.N.  287 

l'un-'iil  aussi  Irtiilé.s  d'iiiipubteuis.   Mais  alleiidcz  la  fin  des 
impies. 

F.es  uns  croieiil  au  (luran;  les  aufros  nient  sa  dodrino  ; 
mais  le  St-igncur  comiait  les  hommes  corrompus. 

Sol  RATE  X.  vor;-f'l.s  Ô9  à  41. 

Tels  soiil  les  signe.-;  du  livre  de  l'évidence. 
.Nous  lavons  fait  descendre  du  ciel  en  langue  arabe, 
afin  (jui' vous  le  compieiiiez. 

SoriiATE  \ri.  versets  l  et  2. 

'L'iii.-^luirc  des  prophètes  est  remplie  d"e.\emples  que  doi- 
vent retenir  les  hommes  sensés.  Ce  livre  n'est  point  une 
Table  inventée  à  plaisir;  il  confirme  ceux  qui  l'ont  pré- 
cédé; il  explique  clairement  toutes  choses.  11  est  la  lumière 

cl  la  grâce  des  croyants. 

SouuATE  xir,  verset  III. 

Quand  même  le  Coran  ferait  mouvoir  des  montagnes, 
quand  il  partagerait  la  terre  en  deux  et  ferait  parler  les 
morts,  ils  ne  croiraient  pas.  Mais  Dieu  est  le  juge  des  ac- 
tions. Les  croyants  ignorent-ils  (pi  il  peut  à  son  gré  éclairer 

toute  la  terre? 

SoDBATE  xiir.  verset  30. 

.Nous  t'avons  envoyé  ce  livre,  poiii'  tirer  les  hommes  des 
ténèbres,  les  éclairer  et  les  conduire  dans  la  voie  excel- 
lente et  glorieuse. 

SoL«ATE  XIV,  verset  1. 

Ilemande-leur  :  ■'  Qu'est-ce  ipic  le  livre  descendu  du 
ciel?  »  Ils  répondent  :  «  Ln  tissu  de  fables  de  l'anti- 
quité   j 

Sotr.ATf.  \vi.  Vii"à€l  26. 

Nous  l  a\ons  envoyé  le  Cora  i  pour  éclairer  les  dogmes 


'i8^  EXTRAITS  DL'  CURAN. 

contestés  de  la  religion,  pour  conduire  les  fidèles,  et  pour 
leur  annoncer  les  grâces  du  Seigneur. 

SocRÂTE  XVI,  verset  66. 

Dans  ce  jour,  nous  ferons  lever  du  milieu  de  chaque 
nation  un  prophète  pour  témoigner  contre  elle.  Tu  témoi- 
gneras contre  les  Arabes.  Nous  t'avons  envoyé  le  livre  qui 
instruit  sur  tous  les  devoirs,  qui  est  la  lumière,  la  grâce 

et  le  bonheur  des  musulmans. 

SoiiiATE  XVI.  versel  01. 

Si  nous  changeons  un  verset  du  Coran,  les  infidèles  t'ac- 
cuseront de  ce  changement.  Mais  Dieu  sait  ce  qu'il  envoie  ; 
et  la  plupart  sont  dans  l'ignorance. 

Dis  :  «  L'esprit  de  sainteté,  Gabriel,  l'a  apporté  du  ciel 
avec  vérité,  pour  affermir  les  croyants,  pour  leur  montrer 
la  lumière  et  les  promesses  du  Seigneur.  » 

SoLT.ATE  XVI,  versets  105  et  104. 

Le  Coran  conduit  dans  la  voie  la  plus  siire.  Il  promet  le 
bonheur  aux  fidèles. 

Il  annonce  au.\  bienfaisants  une  récompense  glorieuse. 

Sorr.ATE  XVII,  verset  9. 

Nous  avons  voulu  expliquer  aux  hommes  leurs  devoirs 

dans  le  Coran  ;  mais  notre  zèle  n'a  servi  qu'à  les  éloigner 

de  la  foi. 

SocnATE  XVII,  verset  45. 

Lorsque  tu  liras  le  Coran,  nous  étendrons,  entre  toi  et 
ceux  qui  ne  croient  pas  à  la  vie  future,  un  voile  impé- 
nétrable. 

SoiBvTE  XVII,  verset  il. 

Quand  l'enfer  s'unirait  à  la  terre  pour  produire  un  ou- 
vrage semblable  au  Coran,  leurs  efforts  seraient  vains. 


I 


LE  COUA.N.  289 

.Nous  y  avons  donné  des  iastruclions  à  llionmic  sur  tous 

ses  devoirs;  mais,  opiniâtre  dans  son  incrédulité,  il  rejette 

la  lumière. 

Soor.ATE  XVII,  versets  90  et  91. 

Nous  avons  divisé  le  Coran,  afin  que  lu  puisses  le  lire 
avec  des  pauses,  ^'ous  l'avons  envoyé  par  chapitres  (sou- 
rates) . 

SoiKATE  XVII.  verset  107. 

Louange  à  Dieu,  qui  a  envoyé  à  son  serviteur  le  livre 
qui  ne  lronq)e  point, 

Pour  effrayer  les  coupables  par  la  rigueur  des  châti- 
ments et  réjouir  les  croyants  vertueux  par  l'espoir  dun 
bonheur  éternel, 

Et  pour  servir  d'avertissement  à  ceux  qui  disent  t[v.c 

Dieu  a  un  (ils  ! 

SociiATE  XVIII,  versets  1  ù  Z. 

Nous  avon:^  facilité  la  lecture  du  Coran  en  l'écrivant 
dans  ta  langue,  ailn  que  tu  annouccs  la  félicité  à  ceux  qui 
craignent  le  Seigneur,  et  les  tourments  à  ceux  ([ui  dispu- 
tent contre  lui. 

SouuATE  MX,  verset  97;  et  Suirate  xx,  veiiel  11-. 

Nous  ne  l'avons  pas  envoyé  le  Coran  pour  te  rendre 
malheureux, 

Mais  pour  rappeler  le  souvenir  du  Seigneur  à  celui  qui 
le  craint. 

Le  Corau  t'a  été  envoyé  par  celui  qui  a  créé  la  terre  et 

élevé  les  cieux. 

SoiRATE  XX,  versels  1  ii  Z. 

Le  (x'raii  est  ravertissement  de  tou  ■  ceux  qui  craigucnl 

Dieu. 

17 


200  exti;aits  du  cor.AN. 

Nous  lie  te  lavons  envoyé  que  pour  annoucer  à  tous  les 
hommes  la  miséricorde  divine. 

SoDRATE  XXI,  versets  106  et  107. 

Ceu.x:  qui  ont  reçu  la  science,  inlimemenl  persuades  que 
le  Coran  est  la  vérité  éternelle,  croient  eu  Dieu.  Leurs 
cœurs  reposent  tranquillement  dans  celte  croyance,  et 
Dieu  les  guide  dans  le  chemin  du  salut. 

SoLKATE  xxii,  verset  55. 

Lorsqu'on  récite  les  versets  du  Coran,  on  voit  1  indigna- 
tion peinte  sur  le  front  des  infidèles.  Us  sont  prêts  à  se 
jeter  sur  le  lecteur.  Dis  :  k  Vous  annoncerai-jc  quelque 
chose  de  plus  terrible?  C'est  le  feu  de  l'eiifer  que  Dieu  a 
promis  aux  incrédules.  Malheur  à  ceux  qui  y  seront  prè- 

cijtités  !  )) 

Sourate  xxii.  vcisct  71. 

Combattez  avec  courage  sous  les  étendards  de  Dieu;  vous 
êtes  SCS  élus.  Il  ne  vous  a  rien  commandé  de  difficile  dans 
votre  religion.  C'est  la  foi  de  votre  père  Abraham  que  vous 
professez.  C'est  lui  qui  vous  iionima  musulmans. 

Le  Coran  vous  confirme  ce  litre  glorieux.  Mon  envoyé 
sera  tèuioin  contre  vous  au  jour  de  la  résurrection,  et  vous, 
vous  porterez  témoignage  contre  le  genre  humain.  Accom- 
plissez la  prière  ;  faites  l'aumône.  Soyez  inébranlables  dans 
la   foi.   Dieu   est  votre    Seigneur.   Courage  au  serviteur 

et  louanges  au  Maître  ! 

Sourate  xxii,  versets  77  et  78. 

Ont-ils  bien  considéré  la  doctrine  du  Cnran?  Uenfcrinc- 

l-il  d'autres  commandenients  que  ceux  qui  ont  été  prescrits 

à  leurs  pères  ? 

So;  RATE  XXIII,  verset  70 


LE  CORAN.  201 

c(  Ce  livi'o,  (lisent  les  infidèles,  n'est  quiuie  iniposture. 
Mahomet  en.  est  l'auteur.  D'autres  hommesl'ont  aidé.  »  Ces 
discours  ne  sont  appuyés  que  sur  l'iniquité  et  leinensonge. 

V  Ce  n'est,  ajoutent-ils,  qu'un  amas  de  vieilles  fables 
qu'il  a  recueillies,  et  ({u'on  lui  lit  le  matin  et  le  soir.  » 

Réponds-leur  :  «  Celui  qui  connaît  les  secrets  du  ciel  et 
de  la  terre  a  envoyé  le  Coran.  11  est  indulgent  et  miséri- 
cordieux. » 

SoiRATE  XXV,  versets  o  à  7. 

Les  infidèles  ont  demandé  si  le  Coran  n'avait  pas  été 
envoyé  sous  forme  d'un  ouvrage  suivi.  Nous  l'avons  fait 
descendre  du  ciel  par  versets  et  par  chapitres,  afin  d'affer- 
mir ton  cœur. 

SocnATF.  XXV,  ver.«cl  ôi. 

Ce  livre  vient  du  Souverain  de.s  mondes; 
C'est  l'Esprit  fidèle  (Gabriel)  ({ui  l'a  apporté  du  ciel. 
Il  le  déposa  sur  ton  cœur,  afin  que  tu  fusses  apôtre. 
Il  est  écrit  en  langue  arabe,  et  son  style  est  pur. 
Les  livres  sacrés  et  anciens  en  font  mention. 
Les  Mecquois  ne  doivent-ils  pas  être  étonnés  que  les  sa- 
vants d'entre  les  Juifs  en  aient  en  couMassance? 

SoiRATK  XXVI,  versets  192  ;i  i',0. 

Ce  ne  sont  pas  les  démons  qui  sont  les  auteurs  du  Coi  an. 
Ils  ne  devaient  point  ou  ne  pouvaient  le  mettre  au  jour. 
Ils  sont  loin  d'entendi'e  le  langage  des  cieux. 

SouRATK  XXVI,  versets  210  ii  212. 

('elui  (jui  possède  la  sagesse  et  la  scienci'  l'a  envou*  le 
Coran. 

SoiTp.ATi;  xxvii,  verse!  0. 

Le  (.'oran  explique  aux  er.fants  d'Israël  le.s  principaux 
sujets  de  leurs  disputes. 


292  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Il  est 
Seiffiieur 


Il  est  la  lumière  des  fidèles  et  le  gage  des  grâces  du 


Sour.ATE  XXVII,  Yorsels  78  el  70. 

Après  que  nous  leur  avons  envoyé  un  apôlrc  véritable, 
ils  se  sont  écriés  :  «  Qu'il  fasse  éclater  la  même  puissance 
que  Moïse,  et  nous  croirons.  «  A"'ont-ils  pas  nié  ses  mira- 
cles, quand  ils  ont  dit  :  «  Le  Pentateuque  et  le  Coran  sont 
deux  livres  de  mensonge  qui  se  prêtent  un  mutuel  secours? 
Nous  les  rejetons  également.  » 

Dis-leur  :  «  Si  vous  êtes  véridiques,  apportez  un  livre 
divin  où  la  vraie  religion  soit  mieux  établie  que  dans  le 
Pentateuque  et  dans  le  Coran  ;  et  je  le  suivrai  aussitôt.  » 

SuLiiiTE  xxvri,  versets  i8  et  49. 

Ceux  à  qui  nous  donnâmes  les  Écritures  croient  au 
Coran. 

Ils  s'écrient,  lorsqu'on  leur  explique  sa  doctrine  :  «  Nous 

croyons  qu'il  est  la  vérité  de  Dieu;   avant  sa  venue,  nous 

étions  déjà  musulmans.  » 

SoLT.Mi;  xxvin,  vcrscls  Ô2  clôr). 

Avant  le  Coran,  tu  n'avais  à  réciter  aucun  livre;  tu 
n'aïu-ais  puréci'ire  de  ta  main.  Alors,  ceux  (jui  s'eflorcent 
de  l'anéantir  jiouvaient  doulir  de  sa  vérité. 

FouBATi:  XXIX.  viM'sct  i7. 

Si  tu  leur  lis  un  verset  du  Coran,  ils  détournent  orgueil- 
leusement la  tête  connue  s'ils  n'entendaient  pas,  sem- 
blables à  celui  qui  auiait  une  pesanteur  dans  les  oreilles. 
Mais  annonce-leur  un  toui'ineut  douloureux. 

SoiRATH  XXXI,  verset  0. 

Le  Souverain  de  l'univeis  a  l'ail  descendre  le  Coran  du 
ciel.  Ce  livre  ne  doit  laisser  auciui  doute. 


LE  CORAN.  293 

Diront-ils  qu'il  est  l'ouvrage  de  Mahomet?  La  Vérilé 

éternelle  te  l'a  envoyé  pour  prêcher  la  parole  de  la  fui  à 

un  peuple  qui  n'avait  point  encore  eu  d'apôtre,  et  pour 

l'éclairer  de  son  fland)eau. 

Sourate  xxxii,  versels  1  el.  "2. 

Ceux  que  la  science  éclaire  savent  que  le  livre  qui  t'a 
été  envoyé  du  ciel  est  la  vérité,  qu'il  conduit  dans  les  voies 
du  Dieu  dominateur  et  comblé  de  louanges. 

SoL'RATE  xxxiv,  verset  G. 

Lorsqu'ils  entendent  la  doctrine  divine,  ils  disent  :  a  Maho- 
met n'est  qu'un  homme;  il  veut  nous  détourner  du  culte  de 
nos  pères.  Le  Coran  n'est  qu'une  fable  faussement  inventée.  » 
Aveuglés  par  l'impiété,  ils  traitent  de  mensonge  la  vérité  qui 

brille  à  leurs  yeuv. 

SoiBATE  XXXIV,  verset  ii. 

Dis  :  «  La  vérité  a  paru  ;  le  mensonge  va  disparaître,  et  il 

ne  se  montrera  plus.  » 

Sourate  xxxiv,  verset  48. 

La  religion  que  nous  t'avons  révélée  est  la  véritable;  elle 
confirme  les  livres  saints  ijui  l'ont  précédée.  Dieu  observe 
d'un  œil  attentif  la  conduite  de  ses  serviteurs. 

Nous  avons  donné  le  Coran  pour  héritage  à  nos  élus.  Quel- 
ques-uns s'abandonnent  à  l'iniquité.  Le  plus  grand  nombre 
a  embrassé  la  vertu;  d'autres  s'efforcent  de  se  surpasser 
dans  la  pratique  des  bonnes  oeuvres  ;  c'est  le  comble  de  la 

perfection. 

Sourate  xxxv.  versels  28  et  29. 

Celui  qui  est  puissant  et  miséricordieux  l'a  envoyé  le 
Coran, 

Afin  que  tu  leur  prôcbes  la  religion  qui  n'a  point  été  en- 
seignée à  leurs  pères;  mais  ils  vivent  dans  l'insouciance. 

SouRAir.  XXXVI,  versets  }  el  ."». 


201  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Ce  livre  est  un  avertissement  aux  mortels. 

Vous  verrez  un  jour  que  sa  doctrine  est  véritable. 

SoiT.ATE  xxxviii,  versets  87  et  88. 

Le  ciel  t'a  envoyé  le  plus  excellent  des  livres.  La  même 
doctrine  y  est  sans  cesse  répétée.  Ceux  qui  craignent  le  Sei- 
gneur frissonnent  à  sa  lecture.  Leur  effroi  s'adoucit  par  de- 
grés, et  ils  reçoivent  avidement  la  parole  divine.  Le  Coran 
est  la  lumière  de  Dieu  ;  par  elle  il  dirige  ses  élus  ;  mais  ceux 
qu'il  égare  ne  retrouvent  plus  le  droit  chemin. 

SocRATE  XXXIX,  vei'set  24. 

Le  Coran  offre  aux  hommes  des  exemples  variés  afin  de 
les  instruire. 

11  est  écrit  en  arab.\  Sa  doctrine  est  simple  et  claire.  Il 
prêche  la  crainte  du  Seigneur. 

SoLRATE  XXXIX.  verscts  28  et  29. 

Nous  t'avons  envoyé  du  ciel  le  livre  où  la  vérité  parle  aux 
hommes;  celui  qui  la  suit  et  celui  qui  s'en  écarte  travail- 
lent chacun  pour  soi.  Tu  n'es  pas  l'avocat  du  genre  humain. 

SotuATE  XXXIX.  verset  42. 

Le  Dieu  clément  et  miséricordieux  t'a  envoyé  le  Coran. 
Il  est  le  dépôt  de  la  vraie  foi.  11  est  écrit  en  arabe  ;  il  in- 
struit les  sages. 
11  promet,  et  il  menace.  La  plupart  s'en  éloignent  et  ne 

veulent  pas  entendre. 

SocRATE  xLi,  versets  1  à  5. 

«  N'écoutez  point  la  lecture  du  Coran,  disent  les  infidèles. 
Armés  do  raillerie,  efforcez-vous  del'ensevclir  dans  l'oubli.» 
Les  tourmenis  puniront  leur  incrédulité. 

Soi'RATE  XII,  versets  2.")  et  26. 


LE  CORAN.  'iOj 

Si  nous  avions  écrit  le  Coran  dans  un  idiome  étranger, 

ils  se  seraient  écriés  :  «  Pourquoi  n'est-il  pas  écrit  dans 

notre  langue?»  lîéponds-leur  :  «  Son  style  est-il  barbare? 

Son  auteur  est-il  Arabe?  Ce  livre  est  la  lumière  et  la  gué- 

rison  des  croyants.  Les  incrédules  ont  une  pesanteur  dans 

les  oreilles;   un  nuage  couvre  leurs  yeux  ;  ils  n'entendent 

point.  » 

Sorr.ATE  XI.I,  verscl  ii. 

Si  le  Coran  vient  de  Dieu  et  que  vous  rejetiez  sa  doc- 
trine, est-il  un  égarement  comparable  au  vôtre? 

Le  ciel  et  la  terre  leur  offiiront  des  prodiges  ;  ils  seront 
frappés  eux-mêmes  jusqu'à  ce  qu'ils  reconnaissent  que  le 
Coran  est  la  vérité.  Ne  leur  suffit-il  pas,  pour  croire,  du  témoi- 
gnage du  Seigneur  ? 

Socp.ATE  xLi.  vcrsels  .V2  et  53. 

J'en  jure  par  le  livre  de  l'instruction  : 
Nous  l'avons  envoyé  en  arabe,  afin  que  vous  le  compreniez. 
Nous  en  conservons  l'original  dans  le  ciel;  il  est  sage  et 
sublime. 

Sourate  xliii,  versets  \  à  ô. 

Leur  avons-nous  envoyé  un  livre  avant  le  Coran?  En  pos- 
sédaient-ils un  ? 

«  Nous  avons,  continuent-ils,  (rouvé  nos  pères  attachés 
à  une  religion,  et  nous  la  suivons.  « 

Toutes  les  fois  que  nos  ministres  prêchèrent  la  foi  dans 
une  ville,  les  principaux  du  peuple  leur  tinrent  le  même  lan- 
gage :  «  Noub  suivons  la  religion  de  nos  pères.  » 

((  —  Mais  si  nous  vous  apportons  une  meilleure  doctrine, 
disaient  les  apôtres?  —  Nous  rejetons,  répondaient  les  in- 
crédules, tout  ce  que  vous  nous  annoncez.  » 

Nous  vengeâmes  nos  lois  méprisées.  Voyez  quelle  fut  la 

punition  des  idolâtres. 

SocnATE  xi.iii,  vcisels  21  et  21. 


i>OG  EXTISAITS  DU  COR.V>'. 

J'oji  jure  par  le  livre  de  l'évidence. 

Nous  te  l'avons  envoyé  dans  la  nuil  bénie  pour  instruire 
les  mortels. 

Dans  la  même  nuit,  la  sagesse  éternelle  mit  le  sceau  à  ses 
lois. 

(l'est  elle  qui  donne  aux  hommes  le  caractère  d'apôtre. 

Sour.ATE  xi.iv,  versets  1  à  i. 

Si  ce  livre  vient  du  ciel,  si  des  enfants  d'Israël  en  attes- 
tent l'aullienticité  et  croient  en  lui,  tandis  qu'excités  par 
l'orgueil  vous  le  rejetez  dédaigneusement,  quel  nom  mé- 
ritez-vous? Dieu  n'éclaire  point  les  méchants. 

Les  incrédules  font  celte  objection  aux  fidèles:  «  Si  ce 
livre  était  véritable,  les  Israélites  ne  l'auraient  pas  reçu 
avant  nous.  »  Ils  ont  fermé  les  yeux  à  la  lumière  et  ils 
disent  :  «  C'est  une  fable  de  l'anticiuité.  » 

Sot  RATE  XI VI,  versets  0  et  10. 

Sonl-ce  les  égarements  du  sommeil,  ou  l'impiété  qui  les 
inspirent? 

Diront-ils  :  «  Le  Coran  est  nue  fiction  ingénieuse  dont  il 
est  l'auteur?  »  Mais  ils  n'ont  pas  la  foi. 

S'il  en  est  ainsi.,  qu'ils  mettent  au  jour  un  livre  semblable. 

SoiRAii;  i.ii,  versets  Ô2  ù  .~i. 

Ce  n'est  point  le  langage  d'un  poëte.  Combien  peu  croient 
cette  vérité  ! 

Ce  n'est  point  l'œuvie  d'un  mage. Combien  peu  ouvrent 
les  yeux  ! 

C'est  le  Souverain  des  mondes  qui  l'a  envoyé  du  ciel. 

Sol  liATF,  lAix,  versets  M  à  ij. 

Si  .Mahoiut'l  eût  fait  le  moiridre  changement  à  sa  doc- 
trine. 


LE  CORAN.  297 

iNous  l'aurions  saisi  sur-le-champ, 

Et  nous  lui  aurions  coupé  la  veine  du  cœur. 

Personne  n'eût  pu  suspendre  notre  vengeance. 

SocRATE  Lxix,  versets  4i  à  47. 

Déclare,  ô  Mahomet,  ce  que  le  ciel  t'a  révélé. 

L'assemhlée  des  génies  ayant  écouté  la  lectuie  du  Coran, 
s'écria  :  «  Voilà  une  doctrine  merveilleuse. 

«  Elle  conduit  à  la  vraie  foi.  Nous  croyons  en  elle,  et 
nous  ne  donnerons  pas  d'égal  à  Dieu. 

«  Gloire  à  sa  majesté  suprême!  Dieu  n'a  point  d'épouse; 
il  n'a  point  enfanté.  » 

Soir.ATF.  Lxxir,  versets  1  à  4. 

«  Le  Coran,  disait  l'infidèle,  est  une  imposture; 
Ce  n'est  que  la  parole  d'un  lionlme.  » 
Les  feux  de  l'enfer  puniront  ce  hlnsphème. 
Qui  te  donnera  une  idée  de  ce  gouffre? 

SoriiATE  Lxxiv,  versets  2Ô  à  20. 

Ne  lis  point  le  Coran  avec  précipitation. 

Nous  le  graverons  dans  ta  mémoire,  et  nous  t'appren- 
drons à  le  lécher. 

Lorsque  Gabriel  te  révélera  des  versets,  suis-les  allenti- 
vement. 

Nous  t'en  donnerons  l'interprétation. 

Le  ciel  t'en  fait  la  promesse. 

SoLUATE  Lxxv,  vcrsets  IG  à  19. 

Que  le  fidèle  garde  ces  préceptes  dans  sa  mémoire  ; 
Que  le  papier  en  soit  le  dépositaire  honoré; 
Qu'il  conserve  ce  dépôt  sublime  et  pur. 
Tracé  par  la  main  d'un  écrivain  honnéle  et  juste. 

Sourate  lxxx,  versets  12  à  1."). 
17. 


508  EXTRAITS  DU  CORAN. 

J'en  jure  par  la  nuit  quand  elle  répand  ses  ombres, 
Par  Taurore  quand  elle  déploie  ses  feux  naissants, 
Oui,  le  Coran  est  la  parole  du  prophète  honorable, 
Du  propliète  puissant  auprès  du  Souverain  du  trône  et 
inébranlable  dans  la  foi, 
Du  prophète  obéi  et  fidèle. 

SoiRATE  Lxxxr,  versets  17  à  21. 

Le  Corail  dislingue  le  bien  du  mal  ; 
Il  ne  contient  rien  de  frivole. 

SoiT.ATE  Lxxxvr,  versets  \T>  cl  li. 

Nous  t'envoyâmes  le  Coran  dans  une  nuit  à  jamais  fa- 
meuse. 

Qui  te  fera  connaître  tout  le  prix  de  cette  glorieuse  nuit?- 

Elle  vaut  plus  à  elle  seule  que  mille  mois  réunis. 

Elle  fut  consacrée  par  la  venue  des  anges,  et  de  l'esprit 
(fiabriel)  Dans  cette  nuit,  ils  apportèrent  avecla  permission 
de  Dieu  des  lois  sur  toutes  choses. 

La  paix  arrompagna  celte  nuit  jusqu'au  lever  de  l'aurore. 

SocriATi;  xcvii. 


LE   PARADIS 


L.V   VIE  FUTURE  —  LE   JUGEMENT   DERNIER 


Annonce  à  ceux  qui  croient  et  qui  font  le  bien  qu'ils 
habiteront  des  jardins  où  coulent  des  fleuves.  Lorsqu'ils 
goûteront  des  fruits  qui  y  croissent,  ils  diront  :  «  Voilà  les 
fruits  dont  nous  nous  sommes  nourris  sur  la  terre.  »  Mais 
ces  fruits  n'en  auront  que  l'apparence.  Là  les  croyants  trou- 
veront des  femmes  purifiées.  Ce  séjour  sera  leur  demeure 

éternelle. 

Soir.ATE  II,  verset  25. 

Craignez  le  jour  où  une  àme  ne  satisfera  pas  pour  une 

autre  âme,  où  il  n'y  aura  ni  intercession,  ni  compensation, 

ni  secours  à  attendre. 

SoiRATE  ir,  verset  45. 

Certainement  les  pervers  descendront,  environnés  de 
leurs  crimes,  dans  les  flammes  éternelles. 

Au  contraire,  les  croyants  qui  auront  fait  le  bien  habite- 
ront éternellement  le  paradis. 

SofRATK  II,  versets  75  et  70. 

Seigneur,  ne  permets  pas  que  nos  cœurs  s'écartent  de  la 


'0)  EXÏilAITS  LU  CORAN. 

vérité,  après  quo  tu  nous  as  éclairés.  Ouvre-nous  les  trésors 
de  ta  miséricorde;  tu  es  la  libéralité  même. 

Seigneur,  tu  rassembleras  un  jour  le  genre  bumain  de- 
vant ton  tribunal.  Nous  ne  saurions  douter  de  cette  vérité; 
car  tu  ne  manques  point  à  tes  promesses. 

SoLRATE  HT.  versets  G  et  7. 

L'amour  du  plaisir  éblouit  les  mortels;  les  femmes,  les 
enfants,  les  richesses,  les  chevaux  superbes,  les  troupeaux, 
les  campagnes,  font  les  objets  de  leurs  ardents  désirs.  Telles 
sont  les  jouissances  de  la  vie  mondaine.  Mais  Tasile  que 
Dieu  prépare  est  bien  plus  délicieux. 

Dis  :  «  One  puis-je  annoncer  de  plus  agréable  à  ceux  qui 
ont  la  piété,  que  dos  jardins  arrosés  par  des  fleuves,  une  vie 
éternelle,  des  épouses  purifiées,  et  la  bienveillance  du  Sei- 
gneur, qui  a  l'œil  ouvert  sur  ses  serviteurs.  » 

Tel  sera  le  partage  de  ceux  qui  disent  :  «  Seigneur,  nous 
avons  cru;  pardonne-nous  nos  fautes  et  délivre-nous  de  la 
peine  du  feu  ;  » 

De  ceux  qui  ont  été  patients,  véridiques,  pieux,  bienfai- 
sants et  qui  ont  imploré  la  miséricorde  divine  dès  le  malin. 

SûLT.ATE  iir,  versets  t'2  à  15. 

Un  jour  riionnne  aui'a  sous  les  yeux  le  spectacle  de  ses 

œuvres  bonnes  et  mauvaises,  et  désirera  qu'un  intervalle 

innnense  le  sépare  du  mal  qu'il  aura  fait.  Le  Seigneur  vous 

exliorle  à  redouter  sa  colère.  11  regarde  ses  serviteurs  d'un 

œil  propice. 

Sui-ii.^TK  m,  verset  28. 

Efforcez-vous  de  mériter  l'indidgence  du  Seigneur,  et 
la  possession  du  parailis,  dont  l'étendue  égale  les  cieux  et 
la  terre,  séjour  préparé  aux  justes, 

\  ceux  qui  ïonl  laumône  dans  la  piosiiéiilé  et  dans  l'ad- 


LA  VIE  FUTURE.  501 

versité,  et  qui,  maîtres  des  mouvements  de  leur  colère, 
savent  pardonnera  leuis semblables.  Dieu  aime  la  bienfai- 
sance. 

SoiuATE  III,  versets  127  el  128. 

Ne  croyez  point  que  ceux  qui  ont  succombé  en  combal- 
t:int  dans  la  voie  du  Seigneur  soient  morts;  au  contraire,  ils 
vivent,  et  ils  reçoivent  leur  nourriture  des  mains  du  Tout- 
Puissant. 

Enivrés  de  joie,  comblés  des  grâces  du  Seigneur,  ils  se 
réjouissent  en  pensant  que  ceux  qui  marchent  sur  leurs 
traces  et  ne  les  ont  pas  encore  atteints,  seront  à  l'abri  dos 
frayeurs  et  des  peines. 

Ils  se  réjouissent  de  ce  que  le  Seigneur  a  versé  sur  eux 
les  trésors  de  sa  bienfaisance,  et  de  ce  qu'il  ne  laisse  point 
périr  la  récompense  des  fidèles. 

Socr.ATE  m,  vcrsels  165  à  1G.*J. 

Celui  qui  gardera  les  préceptes  du  Dieu  savant  et  miséri- 
cordieux, et  qui  obéira  au  prophète,  sera  introduit  dans 
les  jardins  où  coulent  des  fleuves,  séjour  de  délices,  et 
où  il  goûtera  une  éternelle  félicité. 

Celui  qui  désobéira  à  Dieu  et  à  son  envoyé,  et  qui  trans- 
gressera ses  lois,  sera  précipité  dans  l'abîme  de  feu,  où  il 
sera  éternellement  en  proie  aux  tourments  et  à  l'opprobre. 

SoiuATE  IV,  versets  17  et  18. 

Dieu  a  promis  aux  fidèles  qui  auront  pratiqué  la  ver!u 
l'entrée  des  jardins  où  coulent  des  fleuves.  Ils  y  demeure- 
ront éternellement.  Les  promesses  du  Seigneur  sont  véri- 
tables. Quoi  de  plus  infaillible  que  sa  parole? 

SoiRATE  IV,  verset  121. 

Ils  ont  dit  :  a  II  n'y  a  point  d'aulrc  vie  que  la  vie  d'ici- 
bas.  .Nous  ne  ressusciterons  point.  >• 


50-2  EXTRAITS  DU  COR.O. 

Lorsqu'ils  paraîtront  devant  l'Éternel,  il  leur  deman- 
dera :  ((  N'est-ce  pas  là  une  véritable  résurrection? — Elle 
est  véritable,  répondront-ils.  Nous  en  jurons  par  ta  ma- 
jesté sainte.  —  Goûtez,  leur  dira  le  Très  Haut,  la  peine  de 
votre  incrédulité.  » 

Ceux  qui  nient  la  résurrection  ne  sont  plus.  La  mort  les 
surprit  tout  à  coup,  et  ils  s'écrièrent  :  u  Malheur  à  nous, 
pour  avoir  oublié  ce  moment  fatal.  »  Ils  porteront  le  far- 
deau de  leurs  crimes.  Déplorable  fardeau  ! 

Sourate  n,  versets  29  à  51. 

Eloigne-toi  de  ceux  qui,  aveuglés  par  les  charmes  de  la 
vie,  se  jouent  de  la  religion.  Apprends  que  le  coupable  qui 
aura  mérité  la  réprobation  ne  trouvera  aucun  protecteur 
contre  Dieu.  Quelque  prix  qu'il  offre  pour  se  racheter,  il 
sera  refusé.  Victime  do  ses  forfaits,  il  aura  pour  se  désal- 
térer.l'eau  bouillante.  Il  expiera  au  milieu  des  tourments 

son  infidélité. 

Socr.AiE  VI,  ver.^el  GO, 

Nous  demanderons  compte  aux  peuples  à  qui  nous  avons 
envoyé  des  rcinislres,  et  à  nos  ministres  eux-mêmes, 

Nous  leur  dévoilerons  avec  pleine  connaissance  ce  (ju'ils 
auront  fait  ;  car  nous  avons  été  témoins. 

Le  jugement  au  grand  jour  sera  équitable.  Ceux  qui  fe- 
ront pencher  la  balance  jouiront  de  la  félicité. 

Ceux  dont  h  s  œuvres  ne  se  trouveront  pas  de  poids  au- 
ront perdu  leuis  âmes,  parce  qu'ils  auront  méprisé  la 

religion. 

Socr.ATE  vu,  versets  5  à  8. 

Nous  n'exigerons  de  chacun  que  ce  qu'il  peut.  Les 
croyants  qui  auront  pratiqué  la  bienfaisance  habiteront  le 
paradis,  séjour  d'éternelles  délices. 

Je  baimirai  l'envie  de  leurs  cœurs  ;  les  ruisseaux  coule- 


LA  VIE  FUTURE.  503 

ront  sous  leurs  pas.  Ils  s'écrieront:  ((  Louange  à  l'Éternel 
qui  nous  a  introduits  dans  ce  séjour!  Si  sa  lumière  ne 
nous  eût  éclairés,  nous  n'aurions  pas  trouvé  la  route  qui 
y  conduit.  Les  promesses  des  prophètes  se  sont  vérifiées.  » 
Une  voix  fera  entendre  ces  paroles  :  «  Voilà  le  paradis  dont 
vos  œuvres  vous  ont  acquis  l'héritage.  » 

Sourate  vu,  versets  40  el  41. 

Le  prophète  et  les  croyants  qui  ont  sacrifié  leurs  biens 
et  versé  leur  sang  pour  la  défense  de  l'islamisme,  seront 
comblés  des  faveurs  du  ciel  et  jouiront  de  la  félicité. 

Ils  habiteront  éternellement  le  séjour  que  Dieu  lenr  a 
préparé,  les  jardins  de  délices  arrosés  par  des  fleuves, 
lieux  où  régnera  la  souveraine  béatitude. 

Soihate  IX,  versets  89  el  90. 

Ceux  qui  les  premiers  ont  quitté  leur  pays  pour  aller  à 
la  guerre  sainte,  ceux  qui  ont  suivi  cet  exemple  glorieux, 
ont  mérité  la  grâce  de  Dieu,  qu'ils  aimaient  ;  et  il  leur  a  pré- 
paré des  jardins  où  coulent  des  fleuves  et  où  ils  goûteront 

des  jouissances  éternelles, 

SoLRATE  IX,  verset  101. 

Dieu  a  acheté  aux  fidèles  leur  vie  et  leurs  biens;  il  leur 
donnera  le  jaradis  en  retour.  Ils  couibattront  dans  le  sen- 
tier de  Dieu  ;  ils  tueront,  et  ils  seront  tués.  Mais  les  pro- 
messes qui  leur  sont  faites  dans  le  Pentateuque,  IKvaiigile 
et  le  Coran,  seront  tenues  ;  car  qui  est  plus  fidèle  que  Dieu 
à  son  alliance?  Réjouissez-vous  donc  de  voire  pacte  ;  il  est 

le  sceau  de  votre  bonheur. 

Sour.ATE  IX,  verset  112. 

Ceux  qui  n'attendent  point  la  résurrection,  qui,  épris 
dos  charmes  de  la  vie  terrestre,  s'y  endorment  avec  sécu- 
rité, el  ceux  qui  méprisent  nos  oracles, 


301  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Auront  pour  prix  de  leurs  actions  le  fou  de  l'enfer. 

Dieu  dirigera  dans  le  sentier  de  la  foi  les  croyants  ver- 
tueux; ils  reposeront  sur  le  bord  des  fleuves,  dans  les 
jardins  de  délices. 

Pour  toute  invocation,  ils  répéteront  sans  cesse  :  «  Gloire 
soit  à  Dieu  !  »  et  la  salutation  qu'ils  recevront  sera  : 
«  Que  la  paix  soit  avec  vous  !  » 

Leur  prière  finira  par  ces  mots  :  «  Louange  à  Dieu,  le 

Souverain  des  inondes  !  » 

Socii,\TE  X,  versets  7  à  11. 

Quand  tu  dis  aux  infidèles  que  l'homme  ressuscitera, 
ils  crient  à  l'imposture. 

Si  nous  suspendons  nos  châtiments  jusqu'au  temps  fixé, 
ils  disent  :  «  Et  pourquoi  en  différer  l'exécution?  »  Ils  les 
verront  un  jour  ces  peines  dont  ils  se  moquaient,  et  per- 
sonne ne  les  en  délivrera. 

Sourate  xi,  versels  10  et  11. 

Ceux  qui,  dociles  aux  commandements  du  Seigneur, 
n'enfreignent  point  son  alliance,  ceux  qui  unissent  ce  qu'il 
lui  a  plu  d'unir,  qui  craignent  Dieu  et  le  compte  qu'ils  au- 
ront à  lui  rendre; 

Ceux  que  l'espoir  de  voir  Dieu  rend  constants  dans  l'ad- 
versité, qui  font  la  prière,  qui  donnent,  en  secret  ou  en 
public,  une  portion  des  biens  que  nous  leurs  avons  dispen- 
sés, et  qui  effacent  leurs  fautes  par  de  bonnes  œuvres, 
seront  les  hôtes  du  paradis. 

Ils  seront  introduits  dans  les  jardins  d'Éden.  Leurs 
pères,  leurs  épouses  et  leurs  enfants  qui  auront  été  justes 
jouiront  du  même  avantage.  Là  ils  recevront  la  visite  des 
anges,  qui  entreront  par  toutes  les  portes  : 

u  La  paix  soit  avec  vous,  leur  diront-ils  ;  vous  avez  été 
patients  ;  jouissez  du  bonheur  qu'a  mérité  votre  persé- 
vérance. » 


LA  VIE  FUTL'UE.  30J 

Ceux  (jui  violt'iil  lo  pacto  de  Dieu,  qui  divisent  ce  qu'il 
a  uni,  et  qui  répandent  la  corruption  sur  la  terre,  seront 
précipités  dans  l'enfer,  chargés  de  nialédictions. 

SoiT.ATE  XIII,  versets  '20  à  23. 

Les  jardins  de  délices  arrosés  par  les  fleuves,  ces  jardins 
où  l'on  trouvera  une  nourriture  éternelle  et  des  ombrages 
toujours  verts,  seront  le  prix  de  la  piété.  Les  incrédules 
auront  les  llammos  pour  réconipen.'-e. 

Soir.ATE  xiiT,  verset  55. 

Dans  ce  jour,  la  terre  et  Us  cieux  seront  changés.  Le 
genre  humain  se  hâtera  de  paraître  devant  le  tribunal  de 
bien,  unique  et  victorieux. 

Dans  ce  jour,  vous  verri  z  les  pervers  chargés  de  chaim  s. 

Leurs  babils  seront  de  poix;  le  feu  couvrira  leur  front. 

Dieu  rend  à  chacun  selon  ses  œuvres;  il  est  exact  dans  ses 

jugements. 

Socr.ATE  XIV,  versels  i9  et  SO. 

Les  jai'dins  et  les  fontaines  seront  le  partage  de  ceux 
qui  craignent  le  Seigneur. 

Ils  entreront  avec  la  paix  et  la  sécurité. 

Nous  ôleron.^  l'envie  de  leurs  cœurs.  Ils  reposeront  sur 
des  lit:<,  et  ils  auront  les  uns  pour  les  autres  une  bienveil- 
lance fraternelle. 

La  fatigue  n'approchera  point  du  séjour  des  délices.  On 
ne  leur  en  ravira  i)uint  la  possession. 

SoDBATE  XV,  versets  45  à  48. 

Ceux  qui  joindront  au  repentir  la  foi  et  les  bonnes  œu- 
vres entreront  dans  les  jardins  d'£don, 
Jardins  délicieux  que  le  Miséricordieux  a  promis  à  ses 


30G  EXTRAITS  DU  CORAN. 

serviteurs,  pour  les  consoler  dans  leur  exil.  Ses  promesses 

sont  infaillibles. 

Sourate  xix,  versets  Gl  et  62. 


Nous  leur  envoyâmes  un  prophète  choisi  parmi  eux.  Il 
leur  dit  :  «  Servez  le  Seigneur,  il  n'y  a  point  d'autre  Dieu 
que  lui.  Ne  le  craindrez-vous  donc  pas?  » 

Les  premiers  du  peuple,  que  nous  avions  comblés  do 
richesses,  êlaient  infidèles  et  niaient  la  résurrection.  «  Cet 
envoyé,  dirent-ils,  est  im  hornme  comme  nous  ;  il  boit  et 
mange  comme  nous. 

«  Si  vous  obéissez  à  la  voix  d'un  mortel  qui  vous  res- 
semble, votre  perte  est  certaine. 

«  Il  vous  flatte  qu'après  votre  mort,  quand  vos  corps  ne 
feront  plus  qu'un  amas  d'os  et  de  poussière,  vous  revien- 
drez à  la  vie. 

«  Rejetez,  rejetez  cette  vaine  promesse. 

«  Il  n'y  a  point  d'autre  vie  que  celle  dont  nous  jouis- 
sons. Nous  naissons,  nous  moui'ons,  et  nous  ne  ressusci- 
tons point. 

«  Cet  homme  n'est  qu'un  imposteur  qui  prête  à  Dieu 
un  mensonge.  Nous  ne  croirons  point  à  sa  doctrine.  » 

—  «  Seigneur,  s'écria  le  prophète,  lavez-moi  du  crime 
c(  dont  on  m'accuse.  » 

—  «  Encore  quelques  instants,  dit  le  Seigneur,  et  ils 
«  seront  livrés  au  repentir.  » 

î^ornATE  XXIII,  versets  ôi  à  42. 

La  vie  du  monde  n'est  qu'un  jeu  frivole.  Le  séjour  éter- 
nel est  la  vraie  vie.  S'ils  le  savaient  ! 

Sourate  xxix,  verset  Ci. 

n  Lorsque  la  terre  couvrira  nos  cendres,  disent  les  in- 
crédules, serons-nous  ranimés  de  nouveau  ?  » 


LA  YIE  FUTURE.  507 

Ils  nient  le  jugement  universel. 

Réponds-leur  :  «  L'ange  de  la  mort,  qui  veille  sur  vos 

démarches,  tranchera  le  fil  de  vos  jours,  et  vous  reparaîtrez 

devant  Dieu.  » 

SocBATE  XXXII,  versets  Où  11. 

Ceux  qui  lisent  le  livre  divin,  qui  font  la  prière  et  l'au- 
mône, en  secret  et  en  public,  attendent  un  bien  qui  ne 
périra  point. 

Dieu  les  récompensera  ;  il  leur  départira  les  dons  de  sa 
magnificence;  il  est  miséricordieux  et  reconnaissant. 

SocRATE  XXXV,  versets  20  et  27. 

Les  jardins  d'Éden  seront  l'habitation  des  justes.  Des 
l)racelets  d'or  ornés  de  perles,  et  des  habits  de  soie  forme- 
ront leur  parure. 

«  Louange  à  Dieu,  s'écrieront-ils  ;  il  a  écarté  de  nous  la 
peine  ;  il  est  miséricordieux  et  reconnaissant. 

«  Il  nous  a  introduits  dans  le  palais  éternel,  séjour  de 

sa  magnificence.  La  fatigue  ni  la  douleur  n'approchent 

point  de  cet  asile.  » 

SoLRATE  XXXV,  versets  30  à  Ô2. 

Les  campagnes  stériles  où  nous  faisons  éclore  les  germes 
de  la  fécondité,  produisent  les  moissons  dont  ils  se  nour- 
rissent. Image  frappante  de  la  résurrection  ! 

Sourate  xxxvi,  verset  53. 

Tandis  qu'ils  disputent,  le  cri  de  l'ange  peut  se  faire  en- 
tendre tout  à  coup,  et  ils  disparaîtront  de  la  face  delà 
terre. 

Ils  n'aïu'ont  pas  le  temps  de  faire  un  lesiament,  et  ils  ne 
seront  pas  rendus  à  leurs  fauiilles. 

La  trompette  soimera  une  seconde  fois,  et  ils  se  hâteront 
de  sortir  de  leurs  tombeaux  pour  paraître  devant  Dieu. 


508  EXTRAITS  DU  COR.VN. 

«  Malheur  à  nous,  s'écrieront-ils.  Quelle  voix  nous  a  fait 
quitter  le  repos  où  nous  étions  ?  Voilà  l'accomplissement 
des  promesses  du  Miséricordieux.  Ses  ministres  nous  an- 
nonçaient la  vérité.  )) 

Un  seul  son  de  la  trompette  aura  rassemblé  le  genre 
humain  devant  notre  tribunal. 

Dans  ce  jour,  personne  ne  sera  trompé.  Chacun  aura 
le  prix  de  ses  œuvres. 

Dans  ce  jour,  les  hôtes  du  paradis  boiront  à  longs  traits 
dans  la  coupe  du  bonheur. 

Couchés  sur  des  lits  de  soie,  ils  reposeront  près  de  leurs 
épouses,  sous  des  ombrages  délicieux. 

Ils  y  trouveront  tous  les  fruits.  Tous  leurs  désirs  seront 

comblés. 

SoiRATE  XXXVI,  versets  40  à  57. 

«  Victimes  de  la  mort,  disent  les  incrédules,  lorsque 
nous  aurons  été  réduits  en  poussière,  retournerons-nous  à 
la  vie? 

((  Nos  pères  ressusciteront-ils?  » 

Oui,  ils  ressusciteront  ;  et  vous  serez  couverts  d'op- 
probre. 

Soun.vTE  xxxvii,  voreet>  l(i  à  18. 

Les  vrais  serviteurs  de  Dieu  auront  une  nourriture 
choisie, 

Des  fruits  exquis,  et  lisseront  servis  avec  honneur. 

Les  jardins  des  délices  seront  leur  asile. 

Pleins  d'une  bienveillance  mutuelle,  ils  reposeront  sur 
des  sièges 

On  leur  offrira  des  coupes  remplies  d'une  eau  pure. 

Limpide  et  d'un  goût  délicieux. 

Oui  n'obscurcira  point  leur  raison  et  ne  les  enivrera 
pas. 

l'iès  d'eux  seront  des  vierges  aux  regards  modestes,  aux 


1 


LA  VIE  FUTURE.  Ô09 

grands  yeux  noirs  et  dont  le  leiiil  aura  la  couleur  des  œufs 

de  l'autruche. 

SoCRATE  xxxvri,  versets  39  à  47. 


Ceux  qui  craignent  le  Seigneur  habiteront  ce  palais  élevé 
prés  duquel  coulent  les  ruisseaux.  Dieu  la  promis,  et  ses 
promesses  sont  infaillibles. 

SoLRATE  XXXIX,  VCrSCt  'il. 

Les  anges,  les  pieds  nus  autour  du  tiùne  sublime,  pu- 
blieront les  louanges  duTi'és-Hout.  Lorsque  la  vérité  éter- 
nelle aura  prononcé  le  jugement  du  genre  humain,  ils 
crieront  d'une  voix  unanime  :  «  Louange  à  Dieu,  Souverain 

des  mondes  !  » 

SocRATE  XXXIX.  verset  75. 

On  dira  aux  croyants  qui  auront  professé  l'Islamisme  : 
«  Entrez  dans  le  jardin  des  délices,  vous  et  vos  épouses  ; 
ouvrez  vos  cœurs  à  la  joie.  » 

On  leur  présentera  à  boire  dans  des  coupes  d'or.  Le 
cœur  tiuuvera  dans  ce  séjour  tout  ce  qu'il  peut  désirer, 
l'œil  tout  ce  qui  peut  le  charmer;  et  ces  plaisirs  seront 
éternels. 

Voici  le  paradis  dont  vos  œuvi'es  vous  ont  procuré  la 
possession. 

Nourrissez-vous  des  fruits  qui  y  croissent  en  abondance. 
Sourate  xi.iii,  versets  09  à  72. 

Les  justes  habiteront  le  séjour  de  la  paix  ; 

Les  jardins  et  les  fontaines  seront  leur  parlagc. 

Ils  seront  vêtus  d'habits  de  soie,  et  ils  se  regarderont 
avec  bienveillance. 

Nous  leur  donnerons  j)our  compagnes  des  épouses  aux 
grands  yeux,  au\  yeux  noirs. 

Ils  auront  à  disciétion  les  li iiils  du  paradis. 


3tO  EXTUATTS  DU  COP.VN. 

Ils  n'éprouveront  plus  la  mort  et  seront  délivrés  à  jamais 

des  peines  de  Fenfer. 

SocRVTi:  Miv,  versets  51  à  57. 


Nous  avons  prescrit  à  l'homme  la  bienfaisance  envers 
les  auteuis  de  ses  jours.  Une  mère  le  porte  avec  peine  dans 
son  sein  et  l'enfante  avec  douleur.  Sa  grossesse  et  le  temps 
qu'elle  allaite  durent  trente  mois.  Il  est  élevé  dans  la  mai- 
son paternelle,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  atteint  la  force  del'àge. 
Parvenu  à  sa  quarantième  année,  il  adresse  à  Dieu  cette 
prière  :  «  Seigneur,  inspire-moi  de  la  reconnaissance  pour 
tes  bienfaits  et  pour  ceux  dont  tu  as  comblé  mes  pères. 
Fais  que  j'opère  le  bien  que  lu  aimes;  rends-moi  beureux 
dans  mes  enfants  ;  j'ai  tourné  mon  cœur  vers  toi,  et  je  suis 
un  de  tes  fidèles  adorateurs.  » 

Ainsi  parlent  ceux  dont  nous  recevons  les  œuvres,  et 
dont  nous  effaçons  les  péchés,  ils  habiteront  b^s  jardins 
d'Éden  et  verront  l'accomplissement  de  nos  promesses. 

Sourate  xlvi,  versets  14  et  15. 

Songez  que  la  vie  du  -inonde  n'est  qu'un  jeu  frivole.  Son 
éclat,  votre  émulation  pour  la  gloire,  votre  désir  de  vous 
surpasser  mutuellement  en  richesses  et  en  enfants,  tout 
cela  ressemble  à  la  jiluie.  La  plante  qu'elle  fait  éclore  ré- 
jouissait l'œil  du  cultivateur.  Un  vent  brûlant  l'a  des.séchée  ; 
elle  jaunit,  et  devient  une  paille  aride.  Mais  les  peines  de 

la  vie  future  seront  terribles. 

FoiT.ATi;  i.vii,  verset  10. 

Par  les  mcssogersqui  se  suivent, 

i'ar  les  tempêtes  affreuses. 

Parles  vents  qui  amènent  la  fécondité. 

Par  les  versets  du  Coran, 

Par  les  anges  qui  portent  des  avertissements, 


L\  VIE  FlTUr.F.  r.ii 

Les  peines  qu'on  vous  annonce  viendront  infaillible- 
ment. 

SoiT.ATE  Lxxvji.  versets  1  à  0. 

Par  le  soleil  au  plus  haut  de  son  cours, 
Par  les  (éiièbres  de  la  nuit, 

Le  Seigneur  ne  t'a  point  abandonné  ;  tu  n'es  point  l'objet 
de  sa  haine. 
La  vie  future  vaut  mieux  pour  toi  que  la  vie  présente. 

SoriiATE  xciii,  versets  i  à  4. 

La  récompense  des  croyants  est  enlre  les  mains  de  Dieu; 
il  leur  donnera  les  jardins  dTden,où  coulent  des  fleuves, 
séjour  d'un  bonheur  éternel. 

11  mit  en  eux  ses  complaisances;  ils  placèrent  en  lui  leur 
amour.  La  félicité'sera  le  partage  de  ceux  qui  le  craignent. 

SoL'R.vTE  xxviii;  versets  7  et  8. 

Lorsque  la  terre  éprouvera  le  tremblement  terrible  qui 
lui  est  réservé, 

Quand  elle  aura  secoué  tous  ses  fardeaux, 

L'homme  dira  :  <f  Quel  spectacle  !  « 

En  ce  jour,  la  terre  racontera  ce  qu'elle  sait, 

Parce  que  Dieu  \c  lui  commandera. 

Les honmies  alors  s'avancerontpar  troupes,  pour  rendre 
compte  de  leurs  œuvres. 

Celui  qui  aura  fait  le  bien  de  la  valeur  d'un  atome  le 
verra  ; 

Celui  qui  aura  fait  le  mal  de  la  valeur  d'un  atome  ne  le 
verra  pas  moins. 

SOUBATE  XCIX. 

J'enjure  par  les  courtiers  haletants, 
Par  les  coursiers  qui,  frappant  la  terre  du  pied,  font 
jaillir  des  étincelles  ; 


ôi2  EXTRAITS  DU  CdUAN, 

Par  les  coui'i^iers  qui  s'exercenl  le  malin, 
Qui  font  voler  la  poussière  sous  leurs  pas  raj)ides, 
Qui  traversent  les  bataillons  ennemis, 
Oui,  riiomme  est  ingrat  envers  le  Seigneur. 
11  est  lui-même  témoin  de  sa  propre  ingratitude; 
La  soif  de  l'argent  le  dévore. 

Quand  on  viendra  réveiller  les  moits  dans  leurs  tom- 
beaux, 

Et  qu'on  dévoilera  ce  qui  est  caché  dans  les  cœurs, 
L'homme  ignore-t-il  que  Dieu  alors  connaili'a  parfaite- 
ment toutes  nos  actions? 

SoLUlATi;  c. 


LA  PRIERE  ET  L'AUMONE 


faites  la  'prière,  donnez  l'auniôiie  ;  le  bien  que  vous 

ferez,  vous  le  trouverez  auprès  de  Dieu,  parce  qu'il  voit  vos 

actions. 

Sourate  ii,  verset  104. 

Il  ne  suffit  pas,  pour  être  justifié,  de  tourner  son  visage 
vers  l'orient  et  l'occident;  il  faut  en  outre  croire  à  Dieu, 
au  jour  dernier,  aux  anges,  au  Coran,  aux  prophètes.  Il 
faut  pour  l'amour  de  Dieu  secourir  ses  proches,  les  orphe- 
lins, les  pauvres,  les  voyageurs,  les  captifs  et  ceux  qui  de- 
mandent. Il  faut  faire  la  prière,  garder  sa  promesse,  sup- 
porter patiemment  l'adversité  et  les  maux  de  la  guerre. 
Tels  sont  les  devoirs  des  vrais  croyants. 

SoiT.Mi;  II,  verset  t7'2. 

Accomplissez  exactement  la  prière,  surtout  celle  de  midi. 
Levez-vous,  et  priez  avec  dévotion. 

Si  vous  êtes  dans  j.i  crainte,  faites  la  prière  en  marchant 

ou  à  cheval.  Lorsque  vous  êtes  en  sûreté,  rappelez-vous  les 

grâces  du  ciel  ;  songez  qu'il  vous  a  enseigné  la  doctrine  que 

vous  ignoriez. 

SoLUATh  II,  versets  250  et  2i0. 

18 


514  EXTRAITS  DU  CORAN. 

0  croyants,  donnez  l'aumône  sur  les  biens  que  nous 
vous  avons  départis,  avant  le  jour  où  Ton  ne  pourra  plus 
acquérir,  où  il  n'y  aura  plus  d'amitié  ni  d'intercession.  Les 
infidèles  sont  voués  à  l'iniquité. 

SoLT.ATE  11,  verset  2.')5. 

Inc.  parole  honnête  et  le  pardon  des  offenses  sont  préfé- 
rables à  l'aumône  qu'aurait  suivie  l'injustice.  Dieu  est  riche 
et  clément. 

SoiT.ATE  II,  verset  2G'>. 

0  croyants,  n'annulez  point  le  mérite  de  vos  aumônes 
par  les  reproches  ou  les  mauvais  procédés.  Celui  qui  fait 
l'aumône  par  ostentation  et  qui  ne  croit  pas  en  Dieu  et  au 
jour  dernier,  est  semblable  à  un  rocher  couvert  d'un  peu 
de  terre;  une  pluie  abondante  survient,  et  ne  laisse  plus 
qu'une  pierre.  De  telles  actions  n'auront  aucun  mérite  aux 
yeux  de  l'Éternel,  parce  qu'il  ne  dirige  point  les  infidèles. 

ScLRATE  u,  verset  206. 

Ceux  qui  n'usent  de  leurs  richesses  que  pour  plaire  à 
Dieu,  et  qui  sont  constants  dans  l'accomplissement  des 
vertus,  ressemblent  à  un  jardin  placé  sur  une  colline.  Une 
pluie  favorable  et  la  rosée  fécondenl  la  terre,  et  font  croître 
ses  productions  en  abondance.  Dieu  voit  vos  actions. 

Soir.ATE  II,  verset  267. 

0  croyants,  faites  l'aumône  des  biens  les  meilleurs  que 
vous  avez  acquis  et  des  fruits  que  pour  vous  nous  faisons 
sortir  de  la  terre.  Ne  choisissez  point  ce  que  vous  avez  de 
plus  mauvais  et  de  plus  vil  pour  le  donner. 

-N'offrez  point  ce  que  vous  ne  voudriez  point  recevoir,  à 
moins  que  ce  ne  soit  par  une  convention  parlicidière.  Sachez 
que  Dieu  est  riche  et  comblé  de  gloire. 

C'est  Salan  (jui  vous  met  divarU  les  yeux  la  menace  de  la 


LA  PRIÈRE  ET  LAUMONE  ^15 

pauvreté  ;  il  vous  commande  la  faute  ;  mais  le  Seigneur  vous 
promet  le  pardon  et  l'abondance.  Il  est  savant  et  infini. 

SoiRATE  ir,  versets  2G0  à  27 1 . 

L'aumône  que  vous  ferez  et  le  vœu  que  vous  aurez  formé 
sont  connus  du  ciel,  La  réprobation  ne  sera  point  le  partage 
des  bienfaisants.  11  est  bien  de  faire  de  bonnes  œuvres  au 
grand  jour;  il  est  mieux  encore  de  les  cacber  et  de  les 
verser  dans  le  sein  des  pauvres.  Elles  effacent  les  pécbés, 
parce  que  le  Ïrès-Hant  est  le  témoin  des  actions  de  l'bomme, 

SoLiiATE  II,  verset  275. 

Faites  l'aumône  le  jour  et  la  nuit,  en  public  et  en  secret. 
Vous  en  recevrez  le  prix  des  mains  de  l'Éternel,  et  vous 
serez  à  l'abri  des  frayeurs  et  des  tourments. 

Sourate  ii,  verset  27."). 

Si  voire  débiteur  a  de  la  peine  à  vous  payer,  donnez-lui 

du  temps;  ou,  si  vous  voulez  mieux  faiie,  remettez-lui  sa 

dette.  Si  vous  saviez! 

SocRATE  II,  verset  280. 

Vous  ne  serez  justifié»  que  quanti  vous  aurez  fait  l'aumône 
de  ce  que  vous  avez  de  plus  clier.  Tout  ce  que  vous  don- 
nerez sera  coîuui  de  Dieu. 

SoiRATE  III,  verset  80. 

Entreliens  dans  ton  cœur  le  souvenir  de  Dieu.  Prie-le 
avec  crainte,  avec  humilité,  et  sans  l'ostentation  des  paroles. 
Remplis  ce  devoir  soir  et  matin. 

Les  anges  qui  sont  en  la  présence  du  Très-Haut,  loin 

de  refuser  orgueilleusement  d'obéir  à  ses  lois,  le  louent  et 

l'adorent  sans  cesse. 

SniT.ATF.  VII.  versets  20i  et  205. 


Ô16  EXTRAITS  DU  CORAÎî. 

Les  aumônes  doivent  être  employées  pour  le  soulagement 
(les  pauvres,  des  indigents,  de  ceux  qui  les  recueillent,  et  de 
ceux  qui  sont  résignés  à  la  volonté  de  Dieu,  pour  la  rédemp- 
tion des  captifs,  pour  secourir  ceux  qui  sont  chargés  de 
dettes,  pour  les  voyageurs  et  pour  le  soutien  de  la  guerre 
sainte.  Telle  est  la  distribution  prescrite  par  le  Seigneur;  il 
est  savant  et  sage. 

Sol'ratf.  IX,  verset  60. 

Commande  la  prière  à  ta  famille.  Fais-la  avec  persévé- 
rance. Nous  n'ignorons  pas  que  tu  amasses  des  trésors. 
Nous  fournirons  à  tes  besoins  ;  la  piété  aura  sa  récompense. 

SocBATE  XV,  verset  132. 

Publiez  les  louanges  du  Seigneur  le  soir  et  le  matin. 

On  le  loue  dans  les  cieux  et  sur  la  terre  au  coucher  du 

soleil  et  à  midi. 

Sourate  xxx,  versets  10  et  17. 

Lorsque  le  malheur  atteint  l'homme,  il  élève  vers  Dieu 
sa  voix  suppliante  ;  à  peine  est-il  soulagé  qu'il  oublie  le 
bienfaiteur  et  offre  à  des  idoles  un  encens  coupable.  Annonce 
à  l'ingrat  qu'il  jouira  peu  de  son  infidélité,  et  que  l'enfer 
sera  son  partage. 

En  serait-il  de  même  de  l'homme  pieux  qui,  dans  l'ombre 
(le  la  luiit,  adore  le  Seigneur,  debout  ou  par  terre,  qui  craint 
le  jugement  et  espère  la  miséricorde  divine.  Dis  :  a  Le  sage 
et  l'insensé  peuvent-ils  être  comparés?  »  Ceux  qui  ont  un 
cœur  sentent  la  différence. 

SounAiE  XXXIX,  versets  11  et  12. 

Les  biens  terrestres  sont  i)assagers;  les  trésors  du  ciel 
sont  plus  précieux  et  plus  durables.  Dieu  les  destine  aux 
croyants  qui  ont  mis  en  lui  leur  confiance  ; 


LA  PRIERE  ET  L'AUMONE.  517 

A  ceux  qui  évitent  l'iniquité  et  le  crime,  et  qui  font  taire 
leur  colère  pour  pardonner  ; 

A  ceux  qui  soumis  à  Dieu  font  la  prière,  règlent  leurs  ac- 
tions par  la  prudence,  et  versent  dans  le  sein  de  l'indigent 
une  portion  de  leurs  richesses  ; 

A  ceux  même  qui  repoussent  l'injustice  quand  elle  les 
attaque. 

La  vengeance  doit  être  proportionnée  à  l'injure  ;  mais 
l'homme  généreux  qui  pardonne  a  la  récompense  assurée 
auprès  de  Dieu,  qui  hait  la  violence. 

Sourate  xui,  vei^sets  54  à  58 

0  croyants,  lorsque  vous  êtes  appelés  à  la  prière  du  ven- 
dredi, empressez-vous  d'aller  rendre  vos  hommages  au 
Tout-Puissant.  Que  rien  ne  vous  arrête  ;  votre  zèle  aura  sa 

récompense.  Si  vous  sa^^ez  ! 

SoDRATE  i.xii.  verset  0. 

Craignez  Dieu  de  toute  l'étendue  de  votre  cœur;  écoutez, 
ohéi?sez.  Donnez  une  partie  de  vos  biens  pour  sauver  votre 
âme.  Celui  qui  se  sera  conservé  exempt  d'avarice  jouira  de 

la  félicité. 

Sourate  lxiv,  verset  10. 

Que  le  riche  proportionne  ses  largesses  à  son  opulence, 
et  le  pauvre  à  ses  facultés.  Dieu  n'oblige  personne  à  faire 
plus  qu'il  ne  peut.  A  la  pauvreté,  il  fera  succéder  l'aisance. 

Sourate  l\v,  verset  7, 


18. 


LA  KIBLAH  ET  LE  HAP.AM 


L'insensé  demandera:  «  Pourquoi  Mahomet  a-t-il  changé 
le  lieu  vers  lequel  on  adressait  sa  prière?  »  Réponds  :  «  L'o- 
rient et  l'occident  appartiennent  au  Seigneur.  Il  conduit 
ceux  qu'il  veut  dans  le  dioit  chemin.  » 

Nous  vous  avons  établis,  ô  peuple  d'élus,  pour  rendre 
témoignage  contre  le  reste  des  nalions,  comme  votre  apôtre 
rendra  témoignage  contre  vous. 

Nous  avons  changé  le  lieu  vers  lequel  vous  priez,  afin  de 
distinguer  ceux  qui  suivent  l'envoyé  de  Dieu  de  ceux  qui 
retournent  à  rinfidélité.  Ce  changement  n'est  pénil)le  que 
pour  celui  que  n'éclaire  point  la  lumière  divine.  Le  Seigneur 
ne  laissera  point  votre  foi  sans  récompense  ;  il  est  clément 
et  miséricordieux. 

Déjà  nous  le  voyons  lever  les  yeux  vers  le  ciel.  Nous  vou- 
lons que  le  lieu  où  tu  adresses  ta  prière  te  soit  agréable. 
Tourne  ton  front  vers  le  temple  Haram.  En  quelque  lieu 
que  lu  sois,  poite  tes  regards  sur  ce  sanctuaire  auguste. 
Les  juifs  et  les  chrétiens  savent  que  cette  manière  de  prier, 
venue  du  ciel,  est  la  véritable.  L'Lteniel  a  l'œil  ouvert  sur 
leurs  actions. 

Tous  les  peuples  ont  un  lieu  vers  bvinel  ils  adressent 


i 


I.A  KIBI.AII.  519 

leurs  prières.  Appliquez-vous  à  faire  ce  qui  est  mieux  par- 
tout où  vous  serez.  Dieu  vous  rassemblera  tous  un  jour. 
Rien  ne  borne  sa  pui.ssance. 

De  quelque  lieu  que  lu  sortes,  tourne  ta  face  veis  le 
temple  Haram  '.  Ce  précepte  est  émané  de  la  vérité  de  Dieu, 
qui  pèse  les  actions  des  hommes. 

De  quelque  lieu  que  tu  sortes,  tourne  (a  face  vers  le 
temple  Haram.  En  quelque  lieu  que  tu  sois,  porte  tes  re- 
gards vers  ce  sanc'uaire  auguste ,  afin  que  les  peuples 
n'aient  pas  sujet  de  taccuser.  Les  méchants  seuls  l'oseront; 
ne  les  crains  point.  .Mais  crains-moi,  afin  que  je  te  comble 
de  faveurs  et  que  je  sois  to!i  guide. 

SoiRATE  !i,  \crsets  lôG  et  snivants.- 
'  Pour  la  Kililali  et  le  Horam,  voir  plus  haut,  paires  1 1.")  et  lôG. 


LA  MECQUE 


Nous  avons  établi  la  Maison  sainte  pour  être  l'asile  où  se 
réuniront  les  peuples.  La  demeure  d'Abraham  sera  un  lieu 
de  prière.  Nous  avons  fait  un  pacte  avec  Abraham  et  Ismaël. 
Purifiez  mon  temple  des  idoles  qui  l'environnent,  de  celles 
qui  sont  renfermées  dans  son  enceinte,  et  de  leurs  ado- 
rateurs. 

Abraham  adressa  cette  prière  à  Dieu  :  «  Seigneur,  établis 
dans  ce  pays  une  foi  durable.  Comble  de  tes  fa\eurs  le 
peuple  qui  croira  à  ton  unité  et  au  jour  dernier.  —  J'éten- 
drai mes  dons,  l'épondit  le  Seigneur,  jusque  sur  les  inli- 
déles  ;  mais  ils  en  jouiront  peu  de  temps.  Ils  seront  con- 
damnés aux  flammes,  et  leur  fin  sera  déplorable.  » 

Lorsque  Abraham  et  Ismaël  jetèrent  les  fondements  de  ce 
temple,  les  yeux  élevés  au  ciel,  ils  s'écrièrent  :  «  0  Dieu, 
intelligence  suprême,  daigne  recevoir  cette  sainte  ile- 
meure  ! 

«  Fais  que  nous  soyons  de  vrais  musulmans  ;  fais  que  notre  . 
postérité  soit  attachée  à  Ion  culte.  Enseigne-nous  nos  de- 
voirs sacrés;  daigne  tourner  tes  regards  veis  nous.  Tu  es 
clément  et  miséricordieux.  » 

Sourate  ii,  versets  110  à  122. 

SaPn  et  Merva  sont  des  monuments  de  Dieu.  Celui  qui 


LA  MECQUE.  321 

aura  fait  le  pêlorinage  de  la  Mecque  et  aura  visité  la  Maison 
sainte  sera  exempt  d'offrir  une  victime  d'expiatioji,  pourvu 
qu'il  fasse  le  tour  de  ces  deux  montagnes.  Celui  qui  fera 
plus  que  le  précepte  éprouvera  la  reconnaissance  du  Sei- 
gneur. 

Sourate  ii.  verset  153. 

Le  pèlerinage  se  fera  dans  les  mois  prescrits.  Celui  qui 

l'entreprendra  doit  s'abstenir  des  femmes,  de  tout  délit  et 

de  toute  rixe.  Le  bien  que  vous  ferez  sera  connu  de  Dieu. 

Prenez  des  provisions  pour  le  voyage;  mais  la  meilleure 

est  la  piété.  Craignez-moi,  vous  qui  avez  un  cœur  et  du 

sens. 

Sourate  ii,  verset  195. 

Le  premier  temple  qui  fut  consacré  à  Dieu  est  celui  de 
la  Mecque  (Becca),  temple  béni,  séjour  où  brille  la  vraie 
lumière. 

Ce  lieu  saint  est  fécond  en  merveilles.  C'est  là  qu'Abraham 
s'arrêta.  Il  est  devenu  l'asile  inviolable  des  peuples.  Tous 
les  hommes  qui  peuvent  en  faire  le  pèlerinage  doivent  y 
venir  rendre  hommage  à  l'Éternel. 

Sourate  m,  vei'sets  90  et  91. 

Dieu  a  rétabli  la  Caaba,pour  être  la  station  des  hommes; 
il  a  institué  les  mois  sacrés,  les  victimes  et  leurs  orne- 
ments, pour  que  vous  sachiez  qu'il  connaît  ce  qui  est  dans 
les  cieux  et  sur  la  terre  et  que  sa  science  est  infinie.  Sou- 
venez-vous que  la  vengeance  est  dans  ses  mains,  mais 
qu'il  est  indulgent  et  miséricordieux. 

Sourate  v,  verset  98. 

Les  infidèles  qui  écarteront  les  croyants  du  sentier  de 
Dieu  et  du  temple  saint,  que  tous  les  hommes,  soit  étran- 
gers, soit  habitants  de  la  Mecque,  doivent  visiter, 


322  EXTRAITS  DU  COP.A>'. 

Et  ceux  qui  voudraient  le  profaner,  éprouveront  la  ri- 
gueur de  nos  châtiments. 

Lorsque  nous  donnâmes  à  Abraham  l'emplacement  du 
temple  de  la  Mecque  pour  asile,  nous  lui  recommandâmes 
de  ne  point  y  souffrir  d'idole,  et  de  le  purifier  pour  les 
fidèles  qui  feront  le  tour  de  son  enceinte,  qui  y  prieront  et 
qui  se  courberont  devant  le  Seigneur. 

SovnATE  XXII,  versets  2.")  et  27, 

Ils  ont  été  chassés  de  leurs  maisons,  parce  qu'ils  ont  pro- 
fessé la  foi.  Si  Dieu  n'eût  opposé  une  partie  des  honnnes  à 
l'autre,  les  monastères,  les  églises  des  chrétiens,  les  sy- 
nagogues et  le  temple  de  la  Mecque  auraient  été  détruits. 
C'est  dans  ces  lieuv  saints  qu'on  célèbre  les  louanges  du 
Très-Haut.  H  aidera  ceux  qui  cond)attronl  pour  la  foi,  parce 
qu'il  est  fort  et  puissant. 

SoritATE  XXII,  verset  41. 


L  ISLAMISME 


0  croyar.is,  ayez  de  Kicn  une  juste  crainle,  et  vous 
mourrez  fidèles. 

.  Emljrassez  la  religion  divine  dans  toute  soiiêlcnduc.  Ne 
formez  point  de  schisme.  .Souvenez-vous  des  faveurs  dont 
le  ciel  vous  a  comblés.  Vous  éliez  ennemis  ;  il  a  mis  la  con- 
corde dans  vos  cœurs;  vous  êtes  devenus  frères.  Rendez-en 
grâces  à  sa  bonté. 

Vous  étiez  sur  le  bord  de  labîme  du  feu  ;  il  vous  en  a 
arrachés.  C'est  ainsi  quil  fait  éclater  sa  misèiicorde  pour 
vous,  afin  que  vous  marchiez  dans  la  voie  du  saUil. 

SoiRATE  iii,  Ycricls  1*7  à  90. 

Ceux  qui  blasphèment  <  outre  l'islamisme  recevront  la 

peine  de  leur  impiété. 

^oiT.iTE  VI,  verset  49. 

L'orgueilleux  qui  s'écarlera  de  l'islainisine,  et  qui  en 
niera  la  vérité,  sera  dévoué  aux  flammes  élernelles. 

Soii  ATE  VII,  vorscl  5i. 

L'incrédule  qui  refuse  de  croire  à  l'islamisme  est  plu.s 
vi!  quela  brute  aux  yeux  deriàcrnel. 

SfoiBAiE  Mil,  verset -j/i 


524  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Celui  dont  Dieu  dilate  le  cœur  en  y  faisant  germer  l'isla- 
misme suit  le  flambeau  de  la  foi.  Malheur  à  ceux  qui,  en- 
dormis dans  le  crime,  rejettent  les  préceptes  divins  !  Ils 
sont  plongés  dans  l'aveuglement. 

SocRATE  xsxix,  verset  23. 

Dieu  vous  a  fait  une  loi  de  son  culte  sacré,  de  ce  culte 
qu'il  prescrivit  à  >'oé,  qu'il  t'a  révélé,  qu'il  a  recommandé 
à  Abraham,  à  Moïse,  à  Jésus.  Embrassez  l'islamisme. 
Qu'aucun  schisme  ne  vous  divise.  Dieu  punira  rigoureuse- 
ment l'idolâtrie. 

Ta  voix  appelle  les  hommes  à  l'islamisme.  Dieu  choisit 
ceux  qu'il  veut.  Il  éclairera  ceux  qui  se  convertiront  à  lui. 

SocRATE  xLii,  versets  11  et  12. 

Ils  te  rendent  grâces  d'avoir  embrassé  l'islamisme.  Ré- 
ponds-leur :  «  Cette  religion  ne  vient  pas  de  moi;  elle  est 
un  don  du  ciel.  L'islamisme  vous  conduira  si  vos  cœurs 
sont  sincères.  » 

SoLRATE  SLIX.  VCrSCt  17. 

0  croyants,  le  Seigneur  vous  a  envoyé  l'islamisme,  et  le 

prophète  pour  vous  l'enseigner.  Il  fera  sortir  des  ténèbres 

et  conduira  au  llambeau  de  la  foi  les  fidèles  qui  auront 

pratiqué  la  verlu.  Introduits  dans  les  jardins  qu'arrosent 

les  fleuves,  hôtes  éternels  du  séjour  des  délices,  ils  jouiront 

de  tous  les  biens  que  le  Tout-Puissant  a  rassemblés  pour 

les  rendre  heureux. 

SoiT.ATE  Lxv,  verset  11. 

Lor.sque  Dieu  enverra  son  secours  et  la  victoire. 
Vous  verrez  les  hommes  embrasser  à  lenvi  l'islamisnie. 
Exalte  le  nom  du  Seigneur;  implore  sa  clémence;  il  est 
miséricorilieux. 

SulIUTE   ex. 


L'AME 


Ils  t'interrogeront  sur  râiiic.  Dis-leur  :  «  Dieu  seu  est 
léservé  l;i  connaisstince  ;  il  nous  a  laissé  bien  peu  de  lu- 
mières. >» 

Soikate  XVII,  verset  87. 

iMeu  a  donné  la  perleclion  à  toutes  ses  créatures.  Il  a 
formé  d'abord  Thonmie  d'argile. 

Il  a  complété  son  ouvrage  en  lui  soufflant  une  portion 
de  son  esprit.  Il  vous  a  donné  l'ouïe,  la  vue  et  une  àine 
sensible.  Combien  peu  d'hommes  reconnaissent  ses  bien- 
faits ! 

Sourate  xxxii,  versets  6  et  8. 

Lorsque  les  deux  se  briseront, 

Que  les  étoiles  seront  dispersées, 

Quand  les  mers  confondront  leurs  eaux, 

Et  que  les  sépulcres  seront  renversés. 

L'âme  alors  verra  le  tableau  de  sa  vie  entière. 

Soi  luTK  i.xxxii,  veisets  1  à  5, 

Par  le  soleil  et  ses  feux  élincelants, 
Par  la  lune,  quand  elle  le  suit, 
l'ar  le  jour,  quand  il  se  fait  voir  dans  tout  son  édaf, 

10 


ôiè  tXTUAlTS  DU  CURAN. 

Parla  nuit  qui  couvre  son  front  limiiueux, 

Par  le  ciel  et  son  architecte, 

Par  la  terre  et  celui  qui  l'a  étendue, 

Par  l'àme  et  celui  qui  l'a  perfectionnée, 

Et  qui  lui  a  donné  le  penchant  au  bien  et  au  mal  ; 

L'homme  qui  a  purifié  son  âme  jouit  déjà  de  la  félicité  , 

L'homme  qui  l'a  souillée  est  déjà  la  victime  du  malheur, 

Sourate  xci.  versets  1  el  10. 

Bien  apprit  à  Phomme  à  se  servir  de  la  plume  ; 
Il  a  mis  dans  son  âme  un  rayon  de  la  science. 

SoLhATi;  xcvi,  versets  4  et  o. 


SI- 


PROTECTION  DES  ENFANTS 


Pour  cimenter  leur  culte  et  attirer  leurs  semblables 
dans  i'abime,  ils  se  sont  fait  un  mérite  de  massacrer  leurs 
enfants.  Si  le  Très-Haut  eût  voulu,  il  aurait  empêché  celle 
barbarie.  Fuis-les,  eux  et  leurs  blasphèmes. 

L'abîme  a  englouti  ceux  qui,  dans  leur  aveugle  igno- 
rance, immolaient  leurs  enfants,  et  qui,  appuyés  sur  le 
mensonge,  interdisaient  les  aliments  que  Dieu  a  permis.  Ils 
se  sont  perdus  et  n'ont  point  connu  la  lumière. 

Sourate  vi,  versets  158  et  1  H. 

Dis-leur  :  «  Venez  entendre  les  commandements  du  ciel. 
Ne  donnez  point  d'égal  à  Dieu.  Soyez  l)ienfaisants  envers  vos 
proches.  Ne  tuez  point  vos  enfants,  par  crainte  de  la  pau- 
vrelè.  Nous  vous  donnerons  de  la  nourriture  pour  vous  et 
pour  eux.  Évitez  ce  crime  en  public  et  en  secret.  Ne  mettez 
point  votre  semblable  à  mort,  si  ce  n'est  en  justice.  Le  Sei- 
gneur vous  en  fait  la  défense  expresse.  Tels  sont  les  pré- 
ceptes que  Dieu  vous  a  donnés,  afin  de  vous  rendre  sages.  » 

Soui\ATE  VI,  verseï  152. 

Que  la  crainte  de  l'indigence  ne  vous  fasse  point  tuer 
vos  enfants.  .Nous  fournirons  à  leurs  besoins  et  aux  vôtres ^ 
Cette  action  est  un  attentat  horrible. 

SoiuAir.  XVII,  vei'scl  33. 


i! 


TEMPÉRANCE 


0  croyant:^,  le  vin,  les  jeux  de  hasard,  les  statues  et  le 
sort  des  flèches  sont  des  abominations  inventées  par  Satan. 
Abstenez-vous-en,  de  peur  que  vous  ne  deveniez  pervers. 

Le  démon  se  servirait  du  vin  et  du  jeu  pour  allumer 
parmi  vous  le  fei\  des  dissensions  et  vous  détourner  de  la 
pensée  de  Dieu  et  de  la  prière.  Voudriez-vous  devenir  pré- 
varicatevu's?  Obéissez  à  Dieu,  à  son  apôtre,  et  craignez.  Si 
vous  êtes  rebelles,  sachez  que  le  prophète  n'est  chargé  que 
de  vous  annoncer  la  vérité 

Sourate  v,  versets  *J2  et  03. 


31^ 


TOLÉRANCE 


Cortainement  Ifis  musulmans,  les  juifs,  les  chrétions  c\ 
les  sabéens,  qui  croiront  en  Dieu  et  au  jugement  dernier,  et 
qui  feront  le  bien ,  en  recevront  la  récompense  de  ses 
mains  ;  ils  seront  exempts  de  la  crainte  et  des  supplices. 

Sourate  ii,  verset  50;  et  Soi:kate  v,  verset  73. 

Les  juifs  as>urent  que  la  croyance  des  chrétiens  n'est 
appuyée  sur  aucun  fondement  ;  les  chrétiens  leur  font  la 
même  objection.  Cependant  les  uns  et  les  autres  ont  lu  les 
livres  sacrés.  Les  gentils,  qui  ignorent  leurs  débats,  tien- 
nent à  leur  égard  le  même  langage.  L'Éternel,  au  jour  der- 
nier, jugera  leurs  différends. 

SoDRATE  II,  verset  107. 

Combattez  vos  ennemis  dans  la  guerre  entreprise  pour  la 
religion  ;  mais  n'attaquez  pas  les  prenn'ers  ;  Dieu  hait  les 
aggresseurs. 

Sori;ATE  II,  verset  18(). 

Combattez  vos  ennemis  jusqu'à  ce  que  vous  n'ayez  plus  à 
craindre  la  tentation,  et  que  le  culte  du  Dieu  unique  soit 
établi.  Que  toute  inimitié  cesse  contre  ceux  qui   auront 


JÔO  EXTRAITS  Di'  CORAN. 

abandonné  les  idoles  ;  votre  haine  ne  doit  s'allumer  que 

contre  les  pervers. 

SoDRATF.  II,  verset  189. 

Ne  faites  point  de  violence  aux  hommes  à  cause  de  leur 
foi.  La  voie  du  salut  est  assez  distincte  du  chemin  de  Ter- 
reur. Celui  qui  abjurera  le  culte  des  idoles  pour  la  rehgion 
sainte  aura  saisi  une  colonne  inébranlable.  Le  Seigneur  sait 

et  entend  tout. 

Sourate  ii,  verset  257. 

Dis  à  ceux  qui  disputeront  avec  toi  :  «  J'ai  livré  mon 
cœur  à  Dieu  ;  ceux  qui  partagent  ma  croyance  ont  imité 
mon  exemple.  j> 

Dis  à  ceux  qui  ont  reçu  les  Écritures  et  aux  aveugles  : 

«  Embrassez  l'Islamisme,  et  vous  serez  éclairés.  »  S'ils  sont 

rebelles,  tu  n'es  chargé  que  de  la  prédication.  Dieu  sait 

distinguer  ses  serviteurs. 

SoiRATE  III,  versets  18  et  10. 

Dis  aux  juifs  et  aux  chrétiens  :  «  Terminons  nos  diffé- 
l'ends  ;  n'adorons  qu'un  Dieu,  et  ne  lui  donnons  pas  d'égal  ; 
qu'aucun  de  nous  n'ait  dautre  Seigneur  que  lui.  »  S'ils  re- 
fusent d'obéir,  dis-leur  :  «  Vous  rendrez  du  moins  témoi- 
gnage que,  quant  à  nous,  nous  sommes  croyants.  » 

SorRATE  III,  verset  57. 

Parmi  les  juifs  et  les  chrétiens,  ceux  qui  croient  à  Dieu, 
aux  Écritures  qui  ont  été  envoyées  à  eux  et  à  nous,  et  qui  se 
soumettent  à  la  volonté  du  ciel,  ceux-là  ne  vendent  point 
sa  doctrine  pour  un  vil  intérêt. 

Ils  trouveront  leur  récomi>eiise  auprès  de  l'Éternel,  qui 
est  exact  à  peser  les  actions  des  hommes. 

SoiRATE  m,  versets  198  et  199. 


TOLÉRANCE.  531 

Los  chrétiens  seront  jugés  d'après  l'Évangile  ;  ceux  qui 
les  jugeront  autrement  seront  prévaricateurs. 

Sourate  y,  verset  51. 

Dieu  pouvait  vous  réunir  tous  sous  une  même  religion.  Il 
a  voulu  éprouver  si  vous  seriez  fidèles  à  ses  divers  comman- 
dements. Efforcez-vous  de  faire  le  bien  ;  vous  retournerez  à 
lui,  et  il  vous  montrera  en  quoi  vous  avez  erré. 

SoDRATE  V,  verset  55. 

Si  les  juifs  avaient  la  foi  et  la  crainte  du  Seigneur,  nous 
effacerions  leurs  péchés;  nous  les  introduirions  dans  les  jar- 
dins de  délices.  L'observation  du  Pentateuque,  de  l'Évan- 
gile et  des  préceptes  divins  leur  procurerait  la  jouissance 
de  tous  les  biens.  11  en  est  parmi  eux  qui  marchent  dans  la 
bonne  voie  ;  mais  la  plupart  sont  impies. 

Sourate  v,  verset  70 

Le  ministère  du  prophète  se  borne  à  la  prédication.  Dieu 
sait  ce  que  vous  manifestez  et  ce  que  vous  cachez  dans  vos 
cœurs. 

Sourate  v,  verset  09. 

Ne  repousse  point  ceux  qui  invoquentle  Seigneur  le  matin 
et  le  soir,  et  qui  désirent  attirer  ses  regards.  Ce  n'est  point 
à  toi  de  juger  de  leur  intention;  ils  ne  doivent  point  juger 
de  la  tienne.  Ce  serait  une  injustice  de  les  rebuter. 

Sourate  vi,  verset  52. 

Ne  traite  pas  leurs  idoles  ignominieusement,  de  peur 
qu'ils  ne  s'en  prennent  à  Dieu  dans  leur  ignorance.  Nous 
montrons  aux  hommes  leurs  devoirs  ;  ils  paraîtront  devant 
l'Éteiiicl,  qui  leur  présentera  le  tableau  de  leurs  œuvres. 

SornxTF  VI,  verset  108. 


55-2  EXTRAITS  DU  CORAN. 

Ne  dispuiez  avec  les  juifs  elles  chrétiens  qu'on  termes 
honnêtes  et  modérés.  Confondez  ceux  d'entre  eux  qui  sont 
impies.  Dites  :  «  Nous  croyons  au  livre  qui  nous  a  été  en- 
voyé et  à  vos  Écritures.  Notre  Dieu  et  le  vôtre  ne  font  qu'un. 
Nous  sommes  musulmans.  » 

Sourate  xxix,  verset  45. 

Nous  donnâmes  le  Pentateuqiic  à  Moïse.  C'est  à  sa  lumière 
que  doit  marcher  le  peuple  hébreu.  Ne  doute  pas  de  rencon- 
trer au  ciel  le  guide  des  Israélites. 

Nous  leur  avons  accordé  des  pontifes  pour  les  conduire 
suivant  nos  ordres,  après  qu'ils  auront  souffert  avec  cons- 
tance et  qu'ils  auront  embrassé  notre  religion. 

Sourate  xxxii,  versets  25  et  24. 

Dis  :  ((  Dieu  suprême,  créateur  des  cieux  et  de  la  terre, 
toi  dont  l'œil  perce  dans  l'ombre  du  mystère,  toi  pour  qui 
tout  est  dévoilé,  tu  jugeras  les  différends  des  faibles  hu- 
mains. )) 

Sourate  xxxix,  verset  47. 

Invite  les  juifs  et  les  chrétiens  à  embrasser  l'islamisme. 
Observe  la  justice,  qui  t'a  été  connnandée.  Ne  condescends 
l)as  à  leurs  désirs,  et  dis  :  «  Je  crois  aux  livres  sacrés.  Le 
ciel  m'a  ordonné  de  vous  juger  équitablement.  Nous  ado- 
rons le  même  Dieu.  Nous  avons  nos  œuvres,  et  vous  les 
vôtres.  Que  la  paix  règne  parmi  nous.  L'Éternel  prononcera 
sur  notre  sort  ;  il  est  le  terme  d(»  toutes  choses.  '» 

Sourate  xui,  verset  li. 

Dis-leur:  c  Si  Dieu  avait  un  fils,  je  serais  le  premier  à 

l'adorer.  » 

Soir  Vît  xi.iii,  verset  SI. 


TOLÉRANCE.  37.5 

Exhorte  les  croyants  à  pardonner  aux  incrédules.  Dieu 
rendra  à  chacun  suivant  ses  œuvres. 

SoL'RAïE  XLv.  verset  \~>. 

Nous  connaissons  h^s  discours  des  infidèles.  N'use  point 
de  violence  pour  leur  faire  embrasser  l'islamisme. 

Soi'RATE  L,  verset  4i. 

Obéissez  à  Dieu  et  à  son  prophète.  Si  vous  êtes  rebelles, 
son  ministère  se  borne  à  vous  i^rêcher  la  vérité. 

SoLiiATE  Lxiv.  verset  12 


19. 


LES   PROPHÈTES 


Nous  avons  donné  le  Pentateuque  à  Moïse  ;  nous  l'avons 
fait  suivre  par  les  envoyés  du  Seigneur.  Nous  avons  accordé 
à  Jésus,  fds  de  Marie,  la  puissance  des  miracles;  nous 
l'avons  fortifié  par  l'esprit  de  sainteté. 

Sourate  ii,  verset  81. 

Nous  élevâmes  les  prophètes  les  uns  au-dessus  des  autres. 
Dieu  fit  entendre  sa  voix  à  celui-ci;  il  favorisa  ceux-là  de 
dons  particuliers.  Nous  accordâmes  à  Jésus,  fils  de  Marie, 
le  pouvoir  des  miracles;  nous  le  fortifiâmes  par  l'esprit  de 
sainteté.  Si  Dieu  eût  voulu,  ceux  qui  sont  venus  après  ses 
ministres  n'eussent  point  disputé.  L'esprit  de  discussion  s'est 
emparé  d'eux,  lorsqu'ils  ont  vu  la  vérité  ;  une  partie  a  cru, 
une  partie  a  été  infidèle.  Dieu  pouvait  à  son  gré  prévenir 
leurs  divisions  ;  mais  il  fait  ce  qu'il  lui  plaît. 

Souhate  h.  verset  25  i. 

L'auge  dit  à  Marie  :  «  Dieu  t'a  choisie;  il  t'a  purifiée;  lu 
es  élue  entre  toutes  les  fenmies. 

«  Sois  dévouée  au  Seigneur  ;  adore-le  ;  prosterne-toi  de- 
vant lui,  avec  ses  serviteurs.  » 

Nous  te  révélons  ces  mystères,  ô  Mahomet.  Tu  n'étais 


LES  l'ROI'IIETRS.  535 

point  présent  lorsqu'ils  tirèrent  au  sort  avec  leurs  bâtons 
pour  savoir  qui  d'entre  eux  aurait  soin  de  Marie;  tu  ne  fus 
pas  témoin  de  leurs  disputes. 

L'ange  dit  à  Marie  :  «  Dieu  t'annonce  son  Verbe  ;  il  se 
nommera  Jésus,  le  Messie,  fils  de  Marie,  grand  dans  ce 
monde  et  dans  l'autre,  le  confident  du  Très-Haut. 

«  Il  fera  entendre  sa  parole  aux  hommes  depuis  le  ber- 
ceau jusqu'à  l'âge  mûr,  et  il  sera  au  nombre  des  justes. 

«  Seigneur,  répondit  Marie,  comment  aurais-je  un  fils? 
Aucun  homme  ne  s'est  approché  de  moi  ?  —  II  en  sera 
ainsi,  répondit  l'ange  ;  Dieu  forme  des  créatures  à  son  gré. 
Veut-il  qu'une  chose  existe,  il  dit:  «  Sois  faite,  »  et  elle 
est  faite. 

«  Il  lui  enseignera  l'Écriture  et  la  sagesse,  le  Pentateu- 
que  et  l'Évangile.  Jésus  sera  envoyé  auprès  des  enfants 
d'Israël.  Il  leur  dira:  «  Les  prodiges  divins  vous  atteste- 
«  ront  ma  mission.  Je  formerai  de  boue  la  figure  d'un 
«  oiseau  ;  je  soufflerai  dessus;  elle  s'animera  à  l'instant, 
«  par  la  volonté  de  Dieu.  Je  guérirai  les  aveugles  de  nais- 
«  sauce  et  les  lépreux.  Je  ferai  revivre  les  morts,  par 
«  la  permission  de  Dieu.  Je  vous  dirai  ce  que  vous  aurez 
«  mangé  et  ce  que  vous  aurez  caché  dans  vos  maisons. 
«  Tous  ces  faits  seront  des  signes  pour  vous,  si  vous  êtes 
«  croyants. 

«  Je  viens  vous  confirmer  le  Pentateuque,  ([ue  vous  avez 
«  reçu  avant  moi,  et  vous  rendre  permise  cette  partie  de  la 
«  Loi  qui  vous  avait  été  défendue.  Dieu  m'a  doimè  la  puis- 
«  sance  des  miracles.  Craignez-le,  et  obéissez-moi.  Il  est 
«  mon  Seigneur  et  le  vôtre.  Servez-le,  c'est  le  chemin  du 
«  salut.  » 

Jésus,  ayant  connu  la  perfidie  des  juifs,  s'écria  :  «  Qui 
m'aideia  à  étendre  la  religion  divine?  —  Nous  serons  les 
ministres  du  Seigneur,  répondirent  les  apôtres  ;  nous 
croyons  en  lui,  el  vous  rendrez  témoignage  de  noire  foi. 


536  LX.Tr.AlTS  M  CÙl'.AN. 

«  Seigneur,  nous  croyons  au  livre  que  tu  as  envoyé  ;  nous 
suivons  ton  apôtre  ;  inscris-nous  au  nombre  de  ceux  qui  te 
rendent  témoignage.  » 

SoL'BATE  in,  versets  57  à  4G. 

Abraham  n'était  ni  juif  ni  chrétien.  Il  était  orthodoxe, 
musulman,  adorateur  d'un  seul  Dieu. 

Ceux  qui  professent  la  religion  d'Abraham  suivent  ses 
traces  de  plus  près.  Tel  est  le  prophète  et  tels  sont  ses  dis- 
ciples. Dieu  est  le  chef  des  croyants. 

SoDRATE  m.  versets  CO  et  61. 

Demanderont-ils  une  autre  religion  que  celle  de  Dieu? 
Tout  ce  qui  est  dans  les  cieux  et  sur  la  terre  lui  rend  un 
hommage  volontaire  ou  forcé.  Vous  reparaîtrez  tous  devant 
lui.  Dis  :  «  Nous  croyons  à  Dieu,  à  ce  qu'il  nous  a  envoyé,  à 
ce  qu'il  a  révélé  à  Abraham,  Ismaël,  Isaac,  Jacob  et  aux 
douze  tribus.  Nous  croyons  aux  livres  saints  que  Moise, 
Jésus  et  les  prophètes  ont  reçus  du  ciel.  Nous  ne  mettons 
aucune  différence  entre  eux.  Nous  sonnnes  musulmans.  » 

SoLHATE  III,  vei"sets  77  el  78. 


Les  juifs  n'ont  point  cru  à  Jésus,  et  ils  ont  inventé  contre 
Marie  une  calomnie  atroce. 

Ils  ont  dit  :  «  Nous  avons  fait  mourir  Jésus,  le  Messie,  fils 
de  Marie,  envoyé  de  Dieu.  »  Non  ;  ils  ne  l'ont  pas  mis  à 
mort  ;  ils  ne  l'ont  pas  crucifié.  Un  homme  qui  lui  ressem- 
blait fut  mis  à  sa  place.  Ceux  qui  disputent  à  ce  sujet 
n'ont  que  des  doutes  ;  car  la  vraie  science  ne  les  éclaire 
point;  c'est  une  erreur  qu'ils  adoptent.  Non,  les  juifs 
n'ont  pas  fait  moiu'ir  Jésus.  Dieu  Ta  élevé  à  lui,  parce  qu'il 
est  puissant  et  sage. 

Tous  les  juifs  et  les  chrétiens  croiront  en  kii  a\unl  leur 


I,ES  PROPHÈTES.  7.57 

mort  ;  et  au  jour  de  la  résurrection,  il  viendra  témoigner 

contre  eux. 

SoLiiATE  IV,  versets  155  à  157. 

Ceux  qui  disent  que  le  fils  de  Marie  est  Dieu  sont  inti- 

dèles.  Réponds-leur  :  «   Qui  pourrait  arrêter  le  bras  du 

Tout-Puissant,  s'il  voulait  perdre  le  Messie,  fils  de  Marie, 

sa  mère  et  tous  les  êtres  créés?  » 

SiuRATE  V,  verset  l'J. 

Nous  avons  envoyé  le  Pentateuque  pour  diriger  et  éclai- 
rer les  hommes.  Les  prophètes  qui  suivaient  l'islamisme 
s'en  servirent  pour  juger  les  juifs.  Les  pontifes  et  les  doc- 
teurs guidèrent,  par  ses  lois,  le  peuple  confié  à  leur 
garde... 

Après  les  prophètes,  nous  avons  envoyé  Jésus,  fils  de 
Marie,  pour  confirmer  le  Pentateuque.  Nous  lui  avons 
donné  l'Évangile,  qui  est  le  flaml)eau  de  la  foi,  et  qui  met 
le  s(;eau  à  la  vérité  des  anciennes  Écritures.  Ce  livre  instiiiit 
et  éclaire  ceux  qui  craignent  le  Seignciii'. 

Sourate  v,  versets  48  et  50. 

V.n  jour  Dieu  rassemblera  les  prophètes,  et  leur  deman- 
dera ce  que  les  peuples  ont  répondu  à  leurs  exhortations  : 
«  Seigneur,  diront  les  prophètes,  la  science  n'est  point 
notre  partage;  toi  seul  connais  les  choses  seci'ètes.  » 

Dieu  dira  à  Jésus,  fils  de  Marie  :  «  Souviens-toi  des 
grâces  que  j'ai  répandues  sur  loi  et  sur  celle  qui  t'a  en- 
fanté ;  je  l'ai  fortifié  dans  I  l'sprit  de  sainteté,  afin  que  lu 
instruisisses  les  honnnes  depuis  Ion  berceau  jusqu'à  ton 
âge  mûr. 

«  Je  t'ai  enseigné  l'Lcrilure,  la  sagesse,  le  Pentateuque  et 
l'Évangile.  Tu  formas  de  boue  la  figuie  d'un  oiseau,  et  ton 
siiullle  l'anima  par  ma  permission;  tu  guéris,  en  mon  nom, 
un  aveugle  de  naissance  et  un  lépreux.  Tu  fis  sortir  les 


".8  EXTRAITS  Dl'  CORAN. 

iiiorls  de  leurs  tombeaux  ;  je  détournai  de  loi  les  mains  dos 
juifs.  Au  milieu  des  miracles  que  lu  faisais  éclater  à  leurs 
yeux,  ils  s'écriaient  :  «  Tout  cela  n'est  que  prestige.  » 

«  J'inspirai  aux  apôtres  de  croire  en  moi  et  en  Jésus, 
mon  envoyé,  et  ils  dirent  :  «  Nous  croyons  ;  rends  témoi- 
gnage de  notre  foi.  » 

«  0  Jésus,  fils  de  Marie,  dirent  les  apôtres,  ton  Dieu 
peut-il  nous  faire  descendre  du  ciel  une  table  préparée?  » 
—  «  Craignez  le  Seigneur,  répondit  Jésus,  si  vous  êtes 
fidèles.  » 

«  IVous  désirons,  ajoutèrent-ils,  nous  y  asseoir  et  y  man- 
ger. Alors  nos  cœurs  seront  tranquilles  ;  nous  saurons 
que  tu  nous  as  prêché  la  vérité,  et  nous  rendrons  témoi- 
gnage. » 

Jésus,  fils  de  Marie,  adressa  au  ciel  celte  prière  :  «  Sei- 
gneur, fais-nous  descendre  une  table  du  ciel.  Qu'elle  soit 
une  fête  pour  le  premier  et  le  dernier  d'entre  nous,  et  un 
signe  de  ta  puissance,  \ourris-nous  ;  tu  es  le  plus  libéral 
des  bienfaiteurs.  » 

Le  Seigneur  exauça  sa  prière  et  dit  :  «  Celui  qui,  après 
cette  merveille,  sera  incrédule  subira  le  supplice  le  plus 
terrible  qu'éprouva  jamais  aucune  créature.  » 

Di<'n  ayant  demandé  à  Jésus,  fils  de  Marie,  s'il  avait 
commandé  aux  hommes  de  l'adorer,  lui  et  sa  mère,  comme 
des  dieux  :  «  Seigneur,  répondit-il,  leur  aurais-je  ordonné 
un  sacrilège?  Si  j'en  étais  coupable,  ne  le  samais-tu  pas? 
Tu  connais  ce  qui  est  dans  mon  cœur,  et  j'ignore  ce  que 
voile  la  Majesté  suprême. 

«  La  connaissance  des  mystères  n'appartient  qu'au  Très- 
Haut. 

H  Je  ne  leur  ai  fait  entendre  ma  voix  que  pour  leur  an- 
noncer tes  commandements.  Je  leur  ai  dit  :  Adorez  Dieu, 
mon  Seigneur  et  le  vôtre.  J"ai  été  témoin  auprès  d'eux, 
t.uil  que  je  suis  i-esté  sm'  la  terre.  Lorscpie  la  mort  est  ve- 


LES  PROPHÈTES.  339 

nue  par  Ion  ordre  trancher  le  fil  de  mes  jours,  tu  as  été 
leur  gardien.  Tu  es  le  témoin  universel.  Si  lu  les  punis,  ils 
sont  tes  serviteurs  ;  si  tu  leur  pardomies,  tu  es  puissant  tt 

sage.  » 

SocRATL  V,  vei-sets  108  à  118. 

Nous  n'envoyons  nos  ministres  que  pour  prêcher  aux 
nations  les  récompenses  et  les  peines  futures.  Ceux  qui  au- 
ront la  foi  et  la  vertu  seront  exempts  de  la  crainte  et  dos 

tourments. 

SocBATE  VI,  verset  48. 

Nous  montrâmes  à  Abraham  le  royaume  des  cieux  et  de 
la  terre,  afin  de  rendre  sa  foi  inébranlable. 

Lorsque  la  nuit  eut  étendit  ses  ombres,  il  vit  une  étoile 
et  s'écria  :  a  Voilà  mon  Dieu.  »  L'étoile  ayant  disparu,  il 
reprit  :  «  Je  n'adorerai  point  des  dieux  qui  disparaissent.  ' 

Ayant  vu  la  lune  se  lever,  il  dit  :  «  Voilà  mon  Dieu,  o  La 
lune  s'élanl  couchée,  il  ajouta  :  a  Si  le  Seijiueur  ne  m'eût 
éclairé,  je  serais  dans  l'erreur.  » 

Le  soleil  ayant  paru  à  l'orient,  il  s'écria  :  a  Celui-ci  est 
mon  Dieu  ;  il  est  plus  grand  que  les  autres.  »  Le  soleil 
ayant  fini  sa  carrière,  il  continua  :  «  0  mon  peuple,  je  ne 
participe  point  au  culte  de  vos  divinités. 

«  J'ai  levé  mon  front  ver§  celui  qui  a  formé  les  cieux  et 
la  terre.  J'adore  son  unilé  ;  ma  main  n'offrira  point  d'en- 
cens aux  idoles.  » 

Le  peuple  ayant  disputé  avec  lui,  il  dit  :  «  Me  conteste- 
rez-vous  l'unité  de  Dieu?  Il  m'a  éclairé  ;  je  ne  crains  pas 
ceux  que  vous  lui  associez.  Le  Dieu  que  je  sers  fait  tout  ce 
qu'il  veut.  Sa  science  embrasse  tout  l'univers.  N'ouvrirez- 
vous  pas  les  yeux? 

«  Comment  craindrais-je  ceux  que  vous  avez  égalés  au 
Très-Haut?  Il  ne  vous  l'a  pas  permis.  l.aquelU'  de  nos  reli- 
gions est  la  véritable?  Le  savrz-vou  ? 


54n  KXTIiAlTS  UV  COfiAN. 

'(  Ceux  qui  croient  et  qui  ne  revêtent  point  leur  foi  du 
manteau  de  l'erreur  possèdent  la  paix  ;  ils  marchent  dans 
la  voie  du  salut.  » 

Telles  sont  les  preuves  de  l'unité  de  Dieu  que  nous 
suggérâmes  à  Abraham.  Le  Seigneur  fait  ce  qu'il  lui  plait  ; 
il  est  sage  et  savjinl. 

Sourate  vi,  versets  75  à  8"». 

Nous  donnâmes  pour  enfants  à  Abraham  Isaac  et  Jacob. 
Ils  marchèrent  au  flambeau  de  la  foi.  Avant  lui,  nous  avons 
l'clairé  Xoé    Parmi  les  descendants  d'Abraham,  nous  fa^o 
risâmes  de  notre  himière  David,  Salomon,  Job,  Joseph, 
Moïse  et  Aaron.  C'est  ainsi  que  nous  récompensons  la  vertu. 

Zacharie,  Jean,  Jésus,  Élie,  furent  au  nombre  des  justes. 

Nous  élevâmes  au-dessus  de  leurs  semblables  Ismaêl, 
Elysée,  Jonas  et  Loth. 

Nous  guidâme.-?  dans  le  sentier  du  salut  ceux  que  nous 
élevâmes  parmi  leurs  pères,  leurs  frères  et  leur  postérité. 

Telle  est  la  lumière  de  Dieu  ;  il  s'en  sert  pour  conduire 
ses  serviteurs.  Mais  les  idolâtres  perdent  le  fruit  de  leurs 
œuvres. 

Tels  furent  ceux  à  qui  nous  donnâmes  les  Écritures,  la 
sagesse  et  le  don  de  prophétie.  Si  leur  postérité  méprise 
ces  bienfaits,  nous  les  ferons  passer  à  une  nation  pins  re- 
connaissante. 

SoDKATK  VI,  versets  84  à  89. 

Tous  les  prophètes  qui  l'ont  précédé  n'étaient  que  des 
hommes  à  qui  nous  révélâmes  nos  volontés.  Interrogez 
ceux  qui  ont  reçu  les  Ecritures,  si  vous  l'ignorez. 

Des  signes  et  des  livres  furent  les  marques  de  leur  mis- 
sion. Nous  l'avons  envoyé  le  Coran,  pour  rappeler  anx  hom- 
mes la  doctrine  (|u'ils  ont  reçue,  et  pour  qu'ils  en  gardent 

le  souvenir. 

Sdli.atk  \\\,  versets  4J  et  40. 


LES  PRUIMIETES.  .'41 

Célèbre  Marie  dans  le  Coran;  célèbre  le  jour  où  elle 
s'éloigna  de  sa  famille  du  côté  de  l'orienl. 

Elle  prit  en  secret  un  voile  pour  se  couvrir,  et  nous  lui 
envoyâmes  Gabriel,  notre  Esprit,  sous  la  forme  humaine. 

(I  — Le  Miséricordieux  est  mon  refuse,  s'écria  Marie;  si 
lu  le  crains...  ! 

«  —  Je  suis  l'envoyé  de  ton  Dieu,  dit  l'ange  ;  je  viens 
l'annoncer  un  fils  béni.  » 

«  —  D'où  me  viendra  cet  enfant?  répondit  la  Vierge  ;  nul 
mortel  ne  s'est  approché  de  moi  et  le  vice  m'est  inconnu.  » 

«  —  lien  sera  ainsi,  répliqua  l'ange.  La  parole  du  Très- 
Haut  en  est  le  garant.  Ce  miracle  lui  est  facile.  Ton  fds 
sera  le  prodige  et  le  bonheur  de  l'univers.  Tel  est  Tordre 
du  ciel.  » 

Elle  conçut  et  se  retira  dans  un  Heu  écarté. 

SoLKATE  XIX,  versets  16  et  suivants. 

Tels  sont,  entre  les  fds  d'Adam,  de  Noé,  d'.\braham  et 
d'Israël,  les  prophètes  que  Dieu  combla  de  ses  grâces.  Il  les 
choisit  parmi  ceux  qu'il  éclaira  du  flambeau  de  la  foi.  Lors- 
qu'on leur  récitait  les  merveilles  du  Miséricordieux,  le 
front  prosterné,  les  yeux  baignés  de  larmes,  ils  adoraient 

sa  majesté  suprême. 

SoiKATE  XIX,  verset  59. 

Tous  les  prophètes  qui  t'ont  devancé  ont  eu  cette  révé- 
lation :  «  Je  suis  le  Dieu  unique.  Adorez-moi    » 

SouBATK  XXI,  verset  25. 

Chante  la  gloire  de  Marie,  qui  conserva  sa  virginité  in- 
tacte. Nous  soufflâmes  sur  elle  notre  Esprit.  Elle  et  son  fils 

furent  l'admiration  de  l'univers. 

SocRATK  XXI,  verset '.H. 

Nous  n'avons  point  envoyé  de  prophètes  que  Sal;ui  n'ait 
mêlé  des  erreurs  dans  leur  doctrine.   Mais  Dieu  détruit  les 


542  EXTRAITS  DU  CORAN. 

artifices,  et  les  préceptes  divins  restent  dans  leur  pureté. 

II  est  savant  et  sage. 

SoDBATE  xvn,  vei'set  51. 

Nous  offrîmes  Jésus  et  sa  mère  à  l'admiration  du  monde. 
Nous  les  avons  enlevés  dans  un  séjour  qu'habite  la  paix  et 

où  coule  une  eau  pure. 

Sourate  xxiii,  verset  52. 

L'alliance  que  nous  avons  contractée  avec  les  prophètes, 
avec  toi,  avec  Noé,  Abraham,  Moïse  et  Jésus,  fils  de  Marie, 
doit  être  inviolable. 

SOCRATE  xxxui,  Ycrsct  7. 

Nous  donnâmes  à  Moïse  le  Pentateuque.  Le  peuple  Hé- 
breu en  a  hérité.  Ce  livre,  en  sa  lumière,  est  le  guide  des 
sages. 

Sourate  xl,  verset  56. 

Combien  de  prophètes  ont  annoncé  nos  lois  aux  peuples! 
Aucun  d'eux  n'évita  leurs  railleries  insultantes. 
Nous  avons  exterminé  des  nations  plus  puissantes  que 
les  Mecquois.  C'est  un  exemple  qu'ils  ont  sous  les  yeux. 

Sourate  xi.iii,  versets  5  à  7. 

On  a  proposé  aux  idolâtres  l'exemple  du  fils  de  Marie,  et 
ils  se  sont  révoltés. 

«  Vaut-il  mieux  que  nos  dieux?  »  se  sont-ils  écriés.  Ils 
ne  faisaient  cette  question  qu'à  dessein  de  disputer.  L'esprit 
de  dissension  les  anime. 

Le  fils  de  Marie  n'est  que  le  serviteur  de  Dieu.  Le  ciel 
le  combla  de  ses  faveurs  et  le  donna  pour  modèle  aux  Hé- 
breux. 

Sourate  xliii,  versets  57  à  59. 

Lorsque  Jésus  païul  sur  la  terre  au  milieu  des  miracles, 


LES  PROPHETES.  543 

il  dit  aux  hommes  :  «  Je  viens  vous  apporter  la  sagesse  et 
vous  éclairer  sur  vos  doutes  ;  craignez  Dieu,  et  suivez  ma 
doctrine. 

«  Il  est  mon  Seigneur  et  le  vôtre.  Servez-le  ;  c'est  le  che- 
min du  salut.  » 

La  dissension  s'éleva  parmi  les  chrétiens;  les  sectes  sq 

formèrent.  Mais  malheur  aux  méchants;  lisseront  punis 

au  jour  du  jugement. 

SoDKATE  xLiii,  vei'sets  63  à  05. 

Nous  revêtîmes  du  ministère  d'apôtre  Jésus,  fils  de  Ma- 
rie; nous  lui  donnâmes  l'Évangile.  Nous  mîmes  dans  le 
cœur  de  ses  disciples  la  piété,  la  miséricorde  et  le  désir  de 
la  vie  monastique.  Us  l'instituèrent  pour  se  rendre  agréa- 
hles  au  Seigneur.  Nous  ne  leur  en  avons  point  fait  un  pré- 
cepte; ils  ne  l'ont  pas  observée  dans  la  plénitude  de  son 
institution.  Ceux  qui  ont  été  fidèles  ont  reçu  leur  récom- 
pense ;  mais  la  plupart  ont  été  prévaricateurs. 

SoDRATE  Lvii,  vevsct  27. 

a  Je  suis  l'apôtre  de  Dieu,  répétait  aux  juifs  Jésus,  fils 
de  Marie.  Je  viens  confirmer  la  vérité  du  Pentateuque,  qui 
m'a  précédé,  et  vous  annoncer  l'heureuse  arrivée  du  pro- 
phète qui  me  suivra.  Mohammed  est  son  nom.  »  Jésus 
prouva  sa  mission  par  des  miracles,  et  les  Hébreux  s'écriè- 
rent :  «  G  est  un  imposteur.  » 

Sourate  i.xi,  ver-^ot  fi, 

Dieu  proposa  à  l'admiration  des  hommes  Marie,  fille 
d'Âmram,  qui  conserva  sa  virginité.  Gabriel  lui  transmit  le 
souffle  divin.  Elle  crut  à  la  parole  du  Seigneur,  aux  Écri- 
tures, et  elle  fut  obéissante. 

SoiKATE  i.xvi,  verset  12. 


FIN. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


PP.EFACK 
Des  devoirs  mlhels  de  i.a  philosophie  et  de  la  heligion v 

SoMJiAiHE  DE  l'histoire  DE  Mahomet,  d'après  le  Sii!at-er-Ra(;oil.  .  1 

Chapitre  I^'.   —  Aithenticité   I'E  l'histou.e  de  Mahomet 15 

Renom pllenient  de  l'iiisloire  de  Mahomet.  —  .leaii  Gagnier  ;  travaux 
contemporains  :  MM.  Gti>tave  Woil,  Caussin  de  Perceval,  William 
Muir,  A.  Sprenger;  caractère  particulier  de  leurs  travaux.  —  Cer- 
titude Jiistorique  des  origines  du  mahoinétisme  ;  sources  musul- 
manes :  le  Coran,  édition  d'Abou-Becr  et  éditimi  déûnitive  d'Olh- 
màn;  rédaction  de  Zeid.  fils  de  Tliàbit;  collections  de  la  Sonna  et 
des  Sljyites,  d'après  les  Hàditlis  ou  récits  des  compagnons  du  pro- 
pliéte  et  de  leurs  successeurs;  biographes  mahométans  des  trois 
premiers  siècles  de  l'Hégire  :  Ibn-Ishàc,  Ibu-Hisliàin,  Wâckidi  et 
son  secréiaire,  Tabari.  —  Haute  valeur  de  ces  biographies  ;  analyse 
du  Sirat-er-Raçoul  ou  Vie  du  prophète,  par  Ibn-lshàc  et  Ibn- 
Hishàm. 

Châp.  II.  —  L'Arabie  avant  le  hahomktishe 49 

Sincérité  très-louable  des  traditions  musulmanes;  leur  exactitude  gé- 
nérale; elles  n'ont  rien  caché  de  ce  qui  a  précédé  et  préparé  Ma- 
homit.  —  État  des  tribus  arabes  avant  le  mahométisme;  elles 
prétendaient  toutes  remonter  à  Abraham;  vie  nomade  et  guerres 
perpétuelles;  commerce  par  caravanes;  stations  importantes  dans 


3itj  i'AliLE   bES    MATIÈRES. 

quelques  ville^;;  la  Mecque  et  Yatlirib,  plus  tard  Médiue;  quelques 
grands  marchés;  foires  annuelles;  culture  de  la  poésie;  les  Moalla- 
càt;  les  quatre  mois  de  trêve.  Religion  de  ces  tribus,  idolâtrie  et 
fétichisme;  vaines  tentatives  du  mosaïsme  et  du  christianisme;  raji- 
ports  de  l'Yémen  avec  la  cour  de  Constantinople  et  l'Abyssinie;  dé- 
faite du  Nedjàchi  devant  la  Mecque;  sainteté  et  antiquité  de  la 
Caaba.  Règne  de  Cossayy;  son  pouvoir;  il  bâtit  la  Mecque;  ses  suc- 
cesseurs, ancêtres  de  Mahomet.  —  Mouvement  religieux  des  es- 
prits; précurseurs  de  Mahomet;  Hanyfes  attachés  à  la  foi  d'Abra- 
ham :  Varaka,  Othmân,  fils  d'Alhouveyretli,  Oubeïdallah,  et  surtout 
Zeïd,  fils  d'Amr  ;  poésies  d'Onimayya,  très-populaires  et  à  demi 
mahométanes. 

Chap.  III.  —  Caractère  he  Mahcmet , 81 

Quelques  détails  de  la  vie  de  Mahomet;  il  n'a  jamais  connu  son  père 
Abd-AUah  ;  orphelin  de  sa  mère  à  six  ans  ;  recueilli  i)ar  son  grand- 
père  et  son  oncle;  sa  jeunesse  chaste;  ses  méditations  pendant  qu'il 
garde  les  troupeaux;  associé  à  la  ligue  des  Foudhoùl;  El-amîn;  son 
mariage  avec  Khadidja  ;  son  portrait  à  vingt-cinq  ans  ;  son  bonheur 
domestique;  pose  de  la  Pierre  noire;  considération  dont  Mahomet 
est  dès  lors  entouré.  —  Sa  vocation  et  ses  premières  visions  ;  son 
trouble  extrême  ;  il  est  rassuré  par  Khadidja  et  Varaka  ;  visions 
nouvelles  ;  l'ange  Gabriel  en  rêve  ;  le  Fitreh  ;  réalité  de  l'inspiration 
de  Mahomet  ;  premières  conversions  ;  prédications  secrètes  ;  fuite 
des  premiers  musulmans  en  Abyssinie  ;  luttes  de  Mahomet  conti-e  les 
Coraychites  durant  dix  ans  ;  conversion  des  gens  de  Yathrib  ;  ser- 
ments d'Acaba.  —  Hégire  ou  fuite  de  Mahomet  à  Médine  ;  il  a  alors 
cin(juante-deux  ans.  —  Organisation  de  la  religion  nouvelle  à  Mé- 
dine; bataille  de  Bedr;  victoire  des  musulmans  sur  les  Ckîraychitcs 
idolâtres  ;  ardeur  sanguinaire  de  Mahomet,  excusée  par  les  mœurs 
de  son  temps  ;  les  femmes  de  la  Mecque  à  la  bataille  d'Ohod  ;  clé- 
mence naturelle  de  Mahomet  ;  traits  nombreux  de  magnanimité  et 
de  miséricorde  ;  sa  rentrée  à  la  Mecque  en  630  ;  sa  douceur  égale  à 
son  habileté  ;  autorité  morale  qu  il  exerce  sur  les  siens  ;  sou  allocu- 
tion aux  Ansàr  de  Médine;  destruction  des  idoles  à  la  Caaba;  pèle- 
rinage d'adieu  ;  son  dernier  sei'mon  aux  musulmans  sur  le  mont 
Arafat  ;  sa  maladie  ;  sa  mort,  entre  les  bras  d'Ayésha. 

CiiAr.  IV.  —  SiNcÊniTii  ut  M.Uio.met 1  i'J 

Jugement  dos  contemporains,  amis  cl  oiuiemis.  sur  Mahomet;  Abou- 
Sofjàn;  les  députés  à  Vezdidjord,  roi  de  l'erse;  jugemeul  de  Maho- 


TAULK   DES   MATIÈllES.  5i7 

met  hii-môiue  sur  le  Coran,  et  ses  récilaiiuiis;  étal  oUaii^'u  de  Ma- 
Iioniet  pendant  l'inspiration  ;  les  sourates  teri'ifiques  ;  Maliomet  s'est 
toujours  défendu  de  faire  des  miracles,  sans  nier  ceux  des  autres 
prophètes  ;  éclipse  de  soleil,  le  jour  de  la  mort  de  son  fils;* fables 
extravagantes  inventées  par  la  superstition.  —  Mahomet  a  eu  sur- 
tout une  autorité  morale,  et  il  ne  s'est  pas  distingué  par  son  cou- 
rage; ses  talents  de  général;  il  n'a  pas  eu  de  maître  religieux;  il 
n'était  pas  aussi  ignorant  qu'on  l'a  dit;  sa  passion  tardive  pour  les 
femmes  ;  sa  fidélité  à  Kliadîdja  pendant  vingt-cinq  ans  ;  ses  treize 
épouses;  ses  neuf  veuves,  Mères  des  lidèles. 

Chap.  y.  —  Le  Coran 179 

Désordre  dans  la  composition  du  Coran  ;  efforts  vainement  tentés  pour 
classitîer  régulièrement  les  cent  quatorze  sourates;  travaux  récents 
de  MM.  G.  Weil,  W.  Muir  et  ^■ôldeke;  deux  grandes  divisions  :  sou- 
rates de  la  Mecque,  sourates  de  Médine;  difficultés  que  présentent 
ces  divisions,  toutes  larges  qu'elles  sont;  style  du  Coran.  —  Doc- 
trines principales  du  Coran  :  l'unité  de  Dieu,  créateur,  tout-puis- 
sant et  miséricordieux;  la  vie  future;  paradis  de  Maliomet;  respect 
du  Coran  pour  les  prophètes  antérieurs,  Moise  et  David  ;  senti- 
ments de  Mahomet  à  l'égard  de  Jésus-Christ,  sa  vénération  extraor- 
dinaire; tolérance  du  Coran  ;  insuffisance  du  Coran  considéré  comme 
code  de  législation  ;  quehiues-unes  de  ses  réformes  les  plus  bien- 
faisantes ;  il  adoucit  les  mœurs,  et  il  relève  la  condition  des  femmes; 
le  Coran  n'est  pas  fataliste;  absence  de  toute  métaphysique  dans 
le  Coran. 

Chai'.  VI. — Jugement  bUii  LE  mahométi^me 'iiO 

Grandeur  de  Maliomet;  comparé  à  Mo'ise;  Mahomet  est  le  seul  dans 
l'histoire  qui  ait  été  tout  à  la  fois  fondateur  d'empire,  fondateur  de 
religion;  législateur  et  poëte.  —  Il  faut  respecter  le  Mahométisnic 
en  tant  que  religion  monothéiste;  fanatisme  mahométan;  ses  cou- 
(luêles  ont  été  fécondes  ;  génie  arabe  à  Damas,  à  Bagdad,  en  Espa- 
gne ;  rôle  scientifique  des  .^rabes;  leur  philusophic  peu  originale; 
leurs  historiens  et  leurs  géographes  ;  arabesques,  architecture  ;  la 
Ciievalerie  inventée  par  les  Arabes  ;  part  qu'on  doit  faire  à  Maho- 
met dans  tous  ces  développements  et  ces  progrès;  influence  litté- 
raire el  morale  du  Coran.  —  Le  génie  arabe  obligé  de  quitter  son 
berceau  pour  dominer  et  grandir;  lArabie  ne  garde  que  les  Villes 
saintes  ;  discordes  déplorables  des  peuples  chrétiens  el  des  peuples 
musulmans»  rapports  des  deux  religions;  identité  de  croyances;  les 


348  TABLE   DES  MATIÈRES. 

trois  religions  luonotiiéisle^.  —  Jugements  divers  sur  le  Maliomé- 
tisuie  :  M.  William  Muir  et  M.  Gustave  AVoil. 


EXTRAITS    DU    CORAN 

El  Fatilia,  ou  Introduction 241 

Dieu 24.3 

Mahomet 255 

Le  Coran.  .   .  279 

La  Vie  future 299 

La  Prière  et  l'Aumône 515 

La  Kiblah  et  le  Haram.  .   .       518 

La  Mecque 520 

L'Islamisme 525 

L'âme.    ...       525 

Protection  dus  enlants 527 

Tempérance 528 

Tolérance 529 

Les  Prophètes 3"i 


FIN    DE   LA    TABLE   DES   MATIERES. 


lARIb.  —   mi  .  SIMU.N   |;a(,u,\  tl   1.0.MI'.,   lill.  l'KnFL'HTIl     1. 


BP      Barthllemy  Saint-Hilaire, 

161  J\iles 

B38  Mahomet  et  le  Coran, 

1865  pricédi  d'iine  introduction 

sur  les  devoirs  mutuels  de 
la  philosophie  et  de  la 
religion 


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